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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mars 2018.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif,
PAR Mme Marielle DE SARNEZ
Députée
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 714, 815, 847
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La crise migratoire de 2015 a servi de révélateur à la nécessité d’une gestion globale, internationale, multipartite des migrations. Cette année-là, du fait de la violence meurtrière des conflits au Moyen-Orient, plus d’un million de personnes sont arrivées en Europe en-dehors des voies légales habituelles des migrations, au terme le plus souvent d’un périple éprouvant où beaucoup d’entre elles ont laissé leur vie (près de 3 800 migrants morts en mer ou sur les routes en 2015, plus de 5 000 en 2016 selon l’Organisation internationale pour les migrations).
Les opinions publiques européennes ont regardé avec inquiétude leurs dirigeants nationaux réagir à cette crise en ordre dispersé, sans véritable solidarité européenne, et ont alors constaté que rien n’avait été prévu pour gérer une situation pourtant prévisible. Elles attendent une vision à long terme et une gestion maîtrisée des migrations, une politique qui n’apparaisse pas comme construite seulement « en réaction » aux crises. Cette politique sera nécessairement globale, avec bien sûr une dimension nationale (notamment législative) et une dimension européenne, mais aussi une dimension de partenariat avec les pays d’origine et de transit. Aucun pays à lui seul ne peut apporter de réponse satisfaisante.
L’imagination et la détermination dont font preuve de nombreux migrants prennent racine dans la conviction qu’il n’existe d’autre issue pour eux que l’abandon provisoire ou définitif de leur pays. Il importe de leur redonner la visibilité d’un avenir qui ne passe pas par l’exode. Sont en balance non seulement l’écart de richesses ou les conditions de vie présents mais aussi et surtout l’espoir d’un avenir professionnel dans leur pays, une aventure économique à laquelle participer.
Les solutions actuellement en place (à la suite de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie et celui de mai 2017 entre l’Italie, la Libye, le Tchad et le Niger) ne sont pas viables sur le long terme. On ne saurait accepter comme perspective unique la création de camps de migrants de plus en plus nombreux dans ou aux portes de l’Europe.
La question des migrations irrégulières constitue un problème majeur pour les pays d’accueil, qu’il importe de résoudre – et c’est l’un des objectifs de ce projet de loi –, mais les pays de départ sont également déstabilisés par la situation actuelle qui les prive trop souvent des ressortissants les plus dynamiques. Les dangers auxquels sont exposés les migrants irréguliers dans leurs périples (des mauvais traitements aux risques mortels en passant par les diverses atteintes à leur intégrité physique ou à leur liberté) ne sont pas plus acceptables.
Toute gouvernance efficace des migrations ne peut être que la résultante de solutions impliquant une variété d’acteurs et de partenaires, à tous les niveaux : locaux, nationaux, organisations régionales, organisations mondiales. Les différentes étapes de la migration doivent être prises en compte. La condition première est de tisser les liens d’un vrai dialogue avec les États concernés, qu’ils soient d’origine, de transit ou d’accueil. C’est ensemble que le défi pourra être relevé.
Le présent projet de loi va dans la bonne direction en prévoyant des mesures qui permettront de réduire la durée des procédures d’asile, l’objectif étant de s’inscrire dans le délai de six mois prévu par le droit européen, en comprenant une ouverture vers l’organisation de mobilités circulaires (allers-retours entre les pays d’origine et la France) ou en améliorant la protection des personnes les plus vulnérables, telles que les femmes et jeunes filles victimes de violences ou menacées de mariage forcé. Mais ce n’est qu’un élément de la politique à mener, qui est beaucoup plus globale.
Le Gouvernement en est conscient qui, dès l’introduction de l’étude d’impact, dresse le constat suivant : « le projet de loi n’épuise pas la gestion des questions migratoires en France et en Europe qui nécessite une action diplomatique, européenne, juridique, administrative, sans parler des leviers plus fondamentaux et de long terme que sont les évolutions démographiques, géopolitiques, économiques et sociales en France, en Europe et ailleurs dans le monde ». Ce constat lucide prend sans doute acte de l’expérience des nombreux textes législatifs intervenus sur ce sujet. Dans son avis, le Conseil d’État rappelle que seize lois majeures sont venues modifier depuis 1980 les conditions d’entrée et de séjour ou d’asile et que depuis la création du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en 2005, le législateur est intervenu en moyenne tous les deux ans pour modifier les règles.
Voilà pourquoi une importance particulière sera accordée dans cet avis à la compréhension à la fois des causes structurelles qui poussent les migrants à quitter leurs pays mais aussi aux obstacles qui les empêcheraient d’y retourner. Si nous voulons que la migration soit désormais pensée comme une étape d’un parcours de vie, si nous voulons lutter contre la fuite des cerveaux des pays du sud, il est essentiel d’avoir une politique concertée avec les pays de départ qui valorise cette expérience, grâce notamment à la prise en compte des compétences et la portabilité des droits acquis. Une meilleure gestion des migrations va de pair avec un meilleur accueil des migrants et une meilleure protection des réfugiés.
Car la dichotomie entre asile et migrations nous semble essentielle, et il ne saurait être question de la remettre en cause.
Nous ne saurions pas davantage accepter toute complaisance vis-à-vis de l’immigration irrégulière. La clarification des voies d’accès légales à notre pays, l’amélioration des conditions d’accueil, l’attention portée aux parcours de vie des migrants, doivent s’accompagner de la plus grande sévérité à l’égard de l’immigration illégale, des réseaux qui l’organisent, et des nombreux trafics qu’elle génère.
La fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière doit aller de pair avec la mise en œuvre d’une politique de partenariat et de solidarité respectueuses des droits des migrants légalement admis sur notre territoire. Dans son rapport sur l’intégration, Aurélien Taché souligne que ses propositions s’inspirent non d’une logique de prise en charge mais d’une logique d’investissement. C’est cette même logique qu’il importe d’intégrer dans les politiques migratoires, logique d’investissement pour les pays d’accueil en termes économiques et culturels, en termes de renforcements des liens avec les pays en développement, en termes d’aide à la reconquête de zones entières de non-droit dans le monde, mais aussi logique d’investissement pour les pays de départ, qui doivent prendre en considération les messages que traduisent ces départs et œuvrer en faveur d’une bonne gouvernance et d’une croissance partagée.
Un fait important ne doit pas être négligé : le degré d’acceptation des populations à l’arrivée de nouveaux migrants. Il y va bien sûr du respect des droits de l’homme et de la vision humaniste toujours défendue par la France dans les relations internationales, mais il s’agit aussi de montrer que l’État est en capacité de comprendre et répondre aux diverses inquiétudes qui peuvent s’exprimer au sein des populations et qui touchent des domaines aussi divers que le travail, la cohésion nationale, la sécurité ou même la religion. Les populations sont le plus souvent généreuses, prêtes à comprendre et à participer à la mise en place de systèmes de solidarité, mais le rôle de l’État est bien de prouver qu’au-delà de l’émotion, il est capable de gérer un système juste et équilibré, bénéfique à moyen et long terme pour chacun des acteurs.
Nous avons besoin d’une vision d’ensemble qui débouche sur une stratégie. Il s’agit de tracer un cap et de donner des perspectives. Il importe d’imaginer des solutions dynamiques capables d’assurer le bon équilibre entre le nécessaire respect des droits des migrants et la capacité des sociétés à absorber de nouveaux arrivants, entre les dispositifs d’accueil et les éléments de contrôle. La politique d’asile et de migrations doit être globale, complète et organisée.
Après un bref préambule permettant de mieux comprendre l’accélération mondiale des migrations, nous nous attacherons à démontrer l’urgence pour l’Europe à refonder ses politiques d’asile, et à s’orienter vers un régime véritablement commun (I). Nous exposerons ensuite les instruments et les partenariats que notre diplomatie doit pouvoir mobiliser pour contribuer à une meilleure gestion de l’immigration (II).
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Introduction : l’accélération mondiale des migrations
L’accélération des mouvements migratoires est un phénomène mondial. C’est un point dont il faut être conscient, non pas pour relativiser les difficultés liées à la pression migratoire en Europe ou dans notre pays, mais pour comprendre que les réponses doivent, autant que possible, être globales. Une organisation régionale telle que l’Union européenne et a fortiori un État ne peuvent pas espérer maîtriser seuls les mouvements migratoires les concernant – ce qui n’enlève rien à la nécessité de politiques nationales pertinentes. C’est au regard de ces réalités que les migrations concernant l’Europe et en particulier la France doivent être analysées.
Tous les indicateurs montrent une très forte croissance des mouvements migratoires depuis quelques années.
Le nombre global de migrants internationaux ([1]) quantifié par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) serait passé de 173 millions à 244 millions de 2000 à 2015, soit plus de 40 % d’augmentation en quinze ans.
S’agissant spécifiquement des migrations désorganisées, résultant souvent de guerres ou de catastrophes naturelles, l’évolution est encore plus rapide. Les populations suivies par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) – réfugiés et assimilés, demandeurs d’asile, personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, apatrides – ont doublé de 2011 à fin 2016, passant de 35 millions à près de 68 millions.
Les migrations massives sont loin de concerner exclusivement l’Europe. Les migrations « Sud-Sud » sont les plus nombreuses.
Sur 244 millions de migrants décomptés par l’OIM pour 2015, on en trouve 76 millions en Europe, 75 millions en Asie, 54 millions en Amérique du Nord et 21 millions en Afrique.
Sur 68 millions de réfugiés, déplacés et apatrides relevant du HCR en 2016, on en dénombre 21,3 millions en Afrique ; 17,7 millions au Moyen-Orient ; 10,3 millions en Europe ; 9,5 millions en Asie ; 9 millions dans les Amériques. L’Europe accueille 15 % des réfugiés au monde. Les principaux pays qui reçoivent des réfugiés sont au Moyen-Orient (pays limitrophes de la Syrie et de l’Afghanistan) et en Afrique : sept pays de ces deux zones accueillent plus de réfugiés que l’Allemagne, premier pays européen à cet égard (voir l’annexe statistique au présent rapport pour le détail de ces pays).
Afin d’agir sur les causes profondes des migrations, il faut les identifier.
● Comme le montrent les dramatiques exemples de la Syrie, de l’Afghanistan, du Soudan du Sud ou de la Birmanie (problème des Rohingyas), les guerres, conflits civils ou épurations ethniques restent au premier plan des causes de mouvements migratoires massifs. Les trois premiers pays cités ci-dessus sont à l’origine de 55 % de tous les réfugiés internationaux.
● Les catastrophes naturelles, multipliées et amplifiées par le changement climatique, sont plus souvent à l’origine de déplacements internes dans les pays. Selon des prévisions à long terme, il pourrait y avoir en 2050 jusqu’à 250 millions de réfugiés climatiques. D’ores et déjà, les données existantes montrent que les personnes chassées par les catastrophes naturelles sont plus nombreuses que celles chassées par les conflits armés, du moins parmi les déplacés internes. En 2016, selon l’IDMC (Internally Displacement Monitoring Centre ([2])), sur 31 millions de personnes nouvellement déplacées dans l’année dans leur propre pays, moins de 7 millions l’auraient été à la suite des conflits armés ou violences, contre plus de 24 millions à la suite des catastrophes naturelles, principalement en Asie du Sud et de l’Est.
● La pression démographique globale et les déséquilibres continuent à s’accentuer.
La transition démographique (permettant une stabilisation de la population à la suite de la baisse de la natalité) est bien engagée, voire achevée dans la plupart des pays émergents, notamment au Maghreb, mais n’a pas débuté dans certains pays subsahariens. Sur les 20 pays du monde où l’indice synthétique de fécondité (nombre d’enfants moyen par femmes) reste le plus élevé, 19 sont africains. De plus, les pays sahéliens arrivent au premier rang : avec plus de 7 enfants par femme (en 2015), le Niger occupe la 1re place, suivi par la Somalie ; le Mali est au 4e rang et le Tchad au 5e (voir l’annexe statistique au présent rapport pour la liste détaillée). C’est une situation préoccupante car tous les pays qui sont sortis de la grande pauvreté et ont émergé ont connu une transition démographique.
Les dernières estimations onusiennes ([3]) tablent sur un doublement de la population du continent africain d’ici 2050 (elle passerait de 1,26 milliard à 2,53 milliards), quand, dans le même temps, celle du continent européen diminuerait (passant de 742 millions à 716 millions). Sur 2,2 milliards d’hommes supplémentaires entre 2017 et 2050, 1,3 milliard, soit 57 %, seraient africains. Pour répondre à sa croissance démographique, l’Afrique doit (ou plutôt devrait) d’ores et déjà créer 18 millions d’emplois par an.
Depuis le milieu du XXe siècle, la population d’un pays tel que le Niger double en moyenne tous les 22 ans. Cette population est passée de 3,4 millions à l’indépendance (1960) à plus de 11 millions en 2000 et plus de 20 millions aujourd’hui. Les prévisions onusiennes précitées, fondées sur la poursuite de cette croissance, anticipent 42 millions en 2035 et, potentiellement, le dépassement des 100 millions dans les années 2060.
Ces constats doivent nous interroger sur l’enjeu des politiques démographiques, qu’il s’agisse de celles menées en Europe – et en particulier en France, où le nombre de naissances et l’indice synthétique de fécondité baissent depuis 2014 – ou de celles menées dans les pays africains.
● La pauvreté et les écarts de niveau de vie incitent aussi, de toute évidence, aux migrations économiques. Or, si les inégalités ont globalement, au plan mondial, régressé suite aux succès économiques des pays émergents, les écarts entre les pays riches et les pays les plus pauvres, notamment africains, restent énormes et se sont accrus au cours des dernières décennies.
La pauvreté reste endémique dans de nombreux pays et la crise financière de 2008 a encore aggravé la situation. En monnaie constante, le PIB par habitant est aujourd’hui plus faible dans certains pays africains qu’en 1980. Dans certains cas, c’est sans doute d’abord la conséquence des troubles politiques traversés par les pays (par exemple, pour la Côte d’Ivoire ou la République démocratique du Congo) ; dans d’autres cas, comme celui du Niger, on peut penser que la croissance démographique très rapide a « mangé » tous les gains de richesse (la population a crû plus vite que le PIB).
Le PIB moyen par habitant mesuré en parité de pouvoir d’achat, qui est un indicateur comparatif des niveaux de vie, était déjà 7,8 fois plus élevé dans l’Union européenne qu’en Afrique subsaharienne ([4]) en 1980 ; ce rapport est passé à 12,6 en 2001 avant de reculer quelque peu, mais sans revenir au niveau antérieur, pour atteindre 10,4 en 2017 (sur la base des données du Fonds monétaire international). Le niveau de vie relatif des Africains subsahariens par rapport à celui des Européens est donc plus faible aujourd’hui qu’en 1980 !
Les écarts sont encore plus grands si l’on compare la France aux pays subsahariens francophones. Pour le Niger, par exemple, le rapport des pouvoirs d’achat moyens est passé depuis 1980 de 19 à 38 ; pour la Côte d’Ivoire, pays traditionnellement considéré comme « riche », ce rapport est moins défavorable, mais s’est également dégradé, passant de 6 en 1980 à 11 aujourd’hui (voir le graphique dans l’annexe statistique au présent rapport).
Encore ces écarts entre la France et les pays africains seraient-ils sans doute plus forts si l’on ne prenait pas en compte les quelques pourcents les plus riches des populations, les inégalités internes étant plus élevées dans les pays pauvres.
● Il faut enfin signaler le caractère cumulatif des différents facteurs des migrations que l’on a mentionnés : l’absence de développement ralentit la transition démographique et donc concourt à la pression démographique, laquelle, à son tour, rend le développement plus difficile ; les accidents climatiques, dont les effets sont aggravés par la situation démographique, entretiennent la pauvreté ; la pauvreté favorise les mouvements extrémistes et les troubles politiques ; les problèmes sécuritaires et les conflits empêchent le développement.
● Au niveau de l’Union européenne, 710 000 personnes ont bénéficié en 2016 d’une protection internationale (soit plus du double que l’année précédente), pour 3,36 millions de nouveaux titres de séjour délivrés ([5]). La protection internationale a donc représenté 21 % des entrées légales.
● Pour la France, on peut appréhender les migrations à travers les données relatives aux premières délivrances de titres de séjour, que l’on distingue des titres permettant le « court séjour » de moins de trois mois (« visas Schengen » pour tourisme, affaires, visites familiales, etc.), même si cette source est très imparfaite ([6]).
En 2017, ce sont en France, selon le ministère de l’intérieur, 262 000 premiers ([7]) titres de séjour qui ont été délivrés. Plus des deux tiers l’ont été au titre des liens familiaux ou à des étudiants (voir la décomposition précise dans l’annexe statistique au présent rapport), mais également près de 36 000 dans le cadre de la reconnaissance d’une protection internationale (asile et protection subsidiaire). Ce nombre a augmenté de 57 % par rapport à 2016, où 23 000 titres de cette nature avaient été délivrés, mais ne représente toujours que 14 % du total des titres de séjour. Par ailleurs, ces données ne tiennent pas compte, par construction, de l’arrivée de citoyens européens bénéficiant de la liberté d’établissement, qui est significative (selon l’OCDE, ils auraient en 2015 représenté 88 000 entrées en France).
À côté de l’immigration légale « traditionnelle », plus de 121 000 demandes d’asile ont été déposées dans les préfectures en 2017 (conduisant à 100 000 procédures à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides-OFPRA, l’écart s’expliquant notamment par les refus de dépôt opposés au nom du règlement « Dublin »). Bien sûr, toutes les personnes entrant irrégulièrement en France ne demandent pas l’asile (ce n’est notamment pas le cas de ceux qui tiennent à tout prix à passer au Royaume-Uni), mais c’est sans doute le cas d’un grand nombre, puisque la demande d’asile est le seul moyen garanti pour obtenir un droit au séjour, même s’il est temporaire et précaire. Les demandeurs d’asile cependant restent moins nombreux que les migrants légaux habituels, étudiants, travailleurs ou bénéficiaires du regroupement familial, ce a fortiori en prenant en compte les citoyens européens bénéficiant de la liberté d’établissement.
● L’ampleur des arrivées de migrants par la Méditerranée a modifié, mais pas bouleversé de fond en comble la répartition par nationalité des étrangers extra-communautaires entrant en Europe et en France :
– en 2016, la première nationalité extra-communautaire pour l’obtention de titres de séjour dans l’Union a été l’Ukraine (589 000 titres, principalement délivrés par la Pologne pour le travail), la Syrie n’arrivant qu’en seconde position (348 000 titres, principalement en Allemagne pour l’asile), suivie, ce qui peut surprendre, par les États-Unis (251 000 titres, principalement au Royaume-Uni et pour les études) ;
– la même année, les ressortissants des pays du Maghreb sont restés parmi les premiers titulaires de nouveaux titres de séjour français (un tiers du total), suivis par ceux de quelques grands partenaires mondiaux comme la Chine et les États-Unis. Près de 29 000 titres de séjour ont été délivrés à des Algériens en 2016, 27 000 à des Marocains, 16 000 à des Chinois et 15 000 à des Tunisiens (voir des éléments complémentaires dans l’annexe statistique au présent rapport).
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I. L’Union européenne doit refonder ses politiques d’asile, de gestion des frontières et de développement
Les peuples attendent de l’Europe une réponse efficace au défi global que représente l’accélération des mouvements migratoires. Cette capacité de répondre efficacement est d’autant plus impérative au regard de la gestion défaillante de la crise migratoire, que les gouvernements européens n’ont su ni anticiper ni gérer. Nous devons aller vers une gestion commune de l’asile et des frontières de l’Union européenne. La France devra porter et défendre ces exigences auprès des institutions européennes.
A. L’Union européenne n’a su ni anticiper ni gérer la crise migratoire de 2015-2016
Bien qu’elle se soit dotée de quelques éléments de politique migratoire et qu’elle ait cherché à cordonner et harmoniser la gestion de l’asile dans les États-membres, l’Union européenne a échoué à gérer la crise migratoire de 2015-2016.
1. Une politique de principe : l’approche globale des migrations
L’approche globale de la question des migrations et de la mobilité (AGMM), adoptée par le Conseil européen en 2005, avait pour ambition de sortir de la confrontation avec les pays tiers en leur proposant un partenariat global couvrant l’ensemble des questions ayant trait aux migrations.
L’AGMM est mise en œuvre au moyen d’une multitude d’instruments :
– des processus régionaux (principalement celui dit de Rabat ([8]) avec l’Afrique de l’Ouest et celui dit de Prague à l’Est ([9])) ;
– des accords bilatéraux (les uns à prétention globale, les « partenariats pour la mobilité », d’autres au champ plus limité : facilitation des visas, réadmission des migrants en situation irrégulière…) ;
– des mesures de soutien, de renforcement capacitaire, d’assistance technique.
Le bilan global de cette politique apparaît en demi-teinte :
– seuls quelques « partenariats pour la mobilité » ont été signés (Cap Vert, Moldavie, Géorgie, Arménie, Maroc et Azerbaïdjan). Plusieurs négociations sont au point mort ;
– certes, 17 accords communautaires de réadmission ont été signés, mais seuls 11 ont été ratifiés par les pays signataires. Les pays partenaires sont réticents à s’engager sur les questions liées à l’éloignement. Pour résoudre les difficultés pratiques, l’Union a adopté plus récemment une approche pragmatique consistant à conclure des accords opérationnels, non juridiquement contraignants, dits SOP (Standard Operational Procedures). En 2017, des accords de ce type ont été signés avec la Guinée, le Bangladesh et la Gambie.
2. La réaction à la crise migratoire
Quand la crise migratoire est survenue, l’Union européenne a réagi principalement par trois canaux : l’amplification des moyens financiers consacrés par elle aux problématiques migratoires ; le déploiement de moyens en Méditerranée (« opération Sophia ») ; la tentative de répartition équilibrée des migrants par les « relocalisations » (traitées infra dans le développement sur la politique d’asile).
a. Des moyens financiers substantiels
Des moyens très importants ont été dégagés sur le plan financier en réponse à la crise. C’est ainsi qu’ont été institués en 2014-2015 deux fonds fiduciaires cofinancés par l’Union et les États-membres volontaires :
– le « Fonds européen fiduciaire régional en réponse à la crise syrienne », dit « fonds Madad », qui a déjà engagé pour plus d’un milliard d’euros pour des programmes d’aide centrés sur les réfugiés syriens dans les pays tiers ;
– le « Fonds fiduciaire d’urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et le phénomène des personnes déplacées en Afrique », dont la dotation initiale, prévue à 1,8 milliard d’euros, a été relevée à 2,5 milliards suite au sommet euro-africain de La Valette en novembre 2015, puis 3,1 milliards en 2017, sur lesquels plus d’un milliard aurait déjà été engagé.
Par ailleurs, l’accord avec la Turquie de mars 2016 prévoit l’affectation de 6 milliards d’euros à l’aide à la gestion des réfugiés dans ce pays, dont 3 milliards sur 2016-2017 (qui ont effectivement été engagés). Son bilan est mitigé : s’il a drastiquement réduit les arrivées de migrants sur les îles grecques (850 000 en 2015 ; 35 000 en 2017…), ses autres dispositions ont donné des résultats plus limités, avec, d’après un document de septembre 2017 ([10]), donc à cette date, environ 1 900 renvois de migrants vers la Turquie et un peu moins de 9 000 réfugiés syriens en Turquie « réinstallés » dans l’Union.
L’opération européenne EUNAVFOR Med, aussi appelée « opération Sophia », a été lancée en juin 2015 et est opérationnelle depuis octobre de la même année. Elle permet de procéder à l’arraisonnement, à la fouille, à la saisie et au déroutement en haute mer des navires et des embarcations suspects, dans les conditions prévues par le droit international. Elle contribue aussi à la formation des garde-côtes et de la marine libyens, à la mise en œuvre de l’embargo des Nations unies sur les livraisons d’armes à la Libye et à la surveillance des exportations illicites de pétrole depuis ce pays. Depuis son lancement, l’opération a contribué à l’arrestation de 110 passeurs ou trafiquants présumés, à l’interception de plus de 650 navires et au sauvetage de près de 40 000 migrants. Elle se heurte toutefois à une limite évidente qui est de ne pas pouvoir intervenir dans les eaux territoriales libyennes, faute de coopération avec les autorités libyennes.
B. Le régime d’asile européen est défaillant
L’Union européenne s’est fixé pour objectif la mise en place d’un régime d’asile européen commun (RAEC) lors du sommet de Tampere en 1999. Le traité de Lisbonne l’a inscrit à l’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et un corpus de textes de droit dérivé (règlements et directives) adoptés à partir du début des années 2000, puis révisés dans les années 2010, le met en œuvre (voir la description de ce dispositif en annexe du présent rapport).
Malheureusement, force est de constater les défaillances du régime d’asile commun confronté à la crise migratoire. Lors de son audition le 14 février 2018 par la commission des affaires étrangères ([11]), Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a souligné à quel point « ses insuffisances et ses failles pèsent sur nous d’une manière extrêmement concrète ».
Six défaillances peuvent être recensées qui ont conduit à des projets de réformes non encore aboutis.
1. Le non-recours à la « protection temporaire » et à l’« alerte rapide »
Plusieurs dispositions du droit européen de l’asile apparaissaient, dans leur rédaction, appropriées à la gestion de l’arrivée massive de réfugiés consécutive aux conflits civils en Syrie et en Irak.
La directive « protection temporaire » de 2001 (présentée en annexe du présent rapport) vise ainsi le cas d’« afflux massif de personnes déplacées ». Elle établit alors un statut de « protection temporaire » de celles-ci qui est en adéquation avec les attentes des réfugiés fuyant les conflits de Syrie ou d’Irak mais désireux, à terme, de revenir dans leur pays. Un tel statut explicitement temporaire, à la différence des autres formes de protection internationale, serait sans doute pour cette raison plus facile à accepter pour les populations européennes.
Pourtant, ce dispositif n’a pas été mis en œuvre. Son déclenchement repose sur une décision du Conseil de l’Union européenne adoptée à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission : il semble ([12]) que cette dernière se soit autocensurée en considérant qu’elle n’obtiendrait pas cette majorité. Il est vrai que la directive prévoit que des mesures doivent être prises pour « assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes » ; la décision du Conseil devrait notamment reposer sur des « informations communiquées par les États membres concernant leurs capacités d’accueil ». Bref, sans être totalement explicite, ce texte envisage bien une répartition des migrants entre États-membres selon leurs possibilités, d’où sans doute les réticences observées.
Le même type d’observations vaut pour une disposition du règlement « Dublin » de 2013 (voir en annexe du présent rapport la présentation de ce texte) : son article 33 prévoit un « mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise » s’il apparaît que l’application du système « Dublin » serait compromise notamment « en raison d’un risque sérieux de pression particulière exercée sur le régime d’asile d’un État membre ». On peut soutenir que plusieurs pays se sont trouvés dans une telle situation avec l’arrivée massive de réfugiés en 2015. Cependant, le mécanisme n’a pas été activé. Il est vrai qu’à l’inverse du dispositif de protection temporaire susmentionné, il fait reposer l’effort exclusivement sur les pays concernés par la crise, qui seraient alors tenus d’élaborer un « plan d’action préventif », voire un « plan d’action de gestion de crise », et en rendre compte : si l’écueil du partage obligatoire du fardeau est ainsi évité, il n’était sans doute guère envisageable non plus de contraindre à ce point des pays déjà confrontés à de graves difficultés.
2. Des pratiques divergentes dans la reconnaissance d’une protection internationale
L’Union européenne s’est efforcée de rapprocher les pratiques des États-membres en matière d’octroi de la protection internationale, notamment dans le cadre de la directive dite « qualification » qui précise dans quel cas cette protection doit être accordée. Pourtant, les niveaux nationaux de reconnaissance de la protection internationale restent très différents, variant globalement selon les États-membres entre moins de 10 % et plus de 80 % (voir l’annexe statistique au présent rapport pour le détail par État-membre) en première instance.
Les divergences sont encore plus grandes lorsque l’on regarde ces taux par nationalité. Un rapport ([13]) publié par un collectif d’ONG a mis en lumière l’ampleur des écarts de taux de protection par nationalité sur la base des décisions prises en 2014 : selon les États-membres, ils variaient ainsi de 13 % à 100 % pour les Irakiens, de 20 % à 100 % pour les Afghans, de 26 % à 100 % pour les Érythréens… Cette analyse peut toutefois être contestée dans la mesure où elle prenait en compte des États-membres où la demande d’asile est faible, de sorte que les échantillons de décisions prises en compte pouvaient ne comporter qu’un nombre minime de cas, situation où l’affichage de tel ou tel taux de protection ne signifiait pas grand-chose statistiquement. Cependant, lorsque l’on fait la même comparaison sur plusieurs milliers de décisions, en se limitant à deux nationalités ([14]) parmi les plus demandeuses d’asile et, chaque fois, aux quatre États-membres où les intéressés sont les plus nombreux à avoir déposé un dossier, on retrouve des écarts toujours considérables de taux de protection : entre 37 % (en Suède) et 82 % (en France) pour les Afghans ; entre 24 % (en Finlande) et 77 % (en Allemagne) pour les Irakiens (voir l’annexe statistique au présent rapport pour plus d’éléments) !
Ces écarts restent largement inexpliqués.
● On peut invoquer les problèmes d’interprétation. Les différentes administrations et juridictions qui appliquent le droit d’asile en Europe se fondent sur des textes communs mais sujets à interprétations diverses – ce qui peut être un motif de divergences jurisprudentielles –, car à la fois de caractère général et complexes :
– la convention relative au statut des réfugiés conclue à Genève le 28 juillet 1951 définit le réfugié comme une personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;
– l’autre dispositif commun de protection internationale, la protection subsidiaire, concerne les cas qui ne relèvent pas de l’asile conventionnel (d’où le terme de « subsidiaire »), mais, selon la directive « qualification » précitée, où « il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine (…), courrait un risque réel de subir les atteintes graves » suivantes : peine de mort ou exécution, torture et traitements inhumains ou dégradants, ou, s’agissant de civils, « menaces graves et individuelles » contre leur personne en raison d’une situation de conflit armé interne ou international.
● Par ailleurs, l’asile peut aussi être fondé sur des dispositions nationales. En France, c’est en particulier le préambule de la Constitution de la IVe République (auquel celle de la Ve République renvoie), selon lequel « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». C’est pourquoi on distingue l’asile dit constitutionnel de l’asile conventionnel (renvoyant à la convention de Genève).
D’autres pays peuvent accorder une protection internationale pour des motifs autres que l’asile ou la protection subsidiaire à proprement parler. En Allemagne, par exemple, outre un asile constitutionnel comme en France, il existe un dispositif légal d’établissement d’une interdiction de renvoyer une personne (Feststellung eines Abschiebungsverbotes) en raison des risques pour sa vie, son intégrité ou sa liberté qu’elle courrait alors. Cela dit, ces dispositions spécifiques à certains des États-membres n’expliquent pas les écarts de reconnaissance globale d’une protection internationale pour les Afghans et les Irakiens ; les écarts de taux de reconnaissance seraient encore plus grands, concernant les premiers, si l’on ne prenait en considération que l’asile conventionnel et la protection subsidiaire, et que, s’agissant des Irakiens, l’impact des protections « humanitaires » nationales est minime (voir le tableau en annexe au présent rapport).
Il ne semble donc pas évident que l’existence de bases juridiques propres à certains États-membres pour la protection internationale suffise à expliquer les écarts de jurisprudence que l’on relève.
● Lors de son audition précitée par la commission des affaires étrangères le 14 février, le directeur général de l’OFPRA a mis en avant l’indépendance stricte de l’administration qu’il dirige et le caractère individuel des instructions des dossiers et des décisions. Il a ajouté ne pas être certain que les organismes homologues de l’OFPRA en Europe bénéficiaient tous du même statut.
● Des analyses plus poussées seraient à conduire. Il est vraisemblable que la perception de la situation interne de certains pays en crise reste très différente entre les différents offices européens de l’asile. Il faudrait également analyser jusqu’à quel point les différentes pratiques nationales prennent en compte la notion de « région sûre » (par exemple le Kurdistan irakien) permettant l’asile interne comme motif de refus de protection à des personnes en provenance de pays ravagés par des violences qui épargnent plus ou moins des parties de leur territoire.
3. Des délais de traitement très variables selon les États-membres
La procédure d’examen des demandes d’asile doit être aussi rapide que possible dans le respect des garanties dont doivent bénéficier les demandeurs. C’est une question de respect de ces personnes, parce qu’elles attendent dans l’angoisse une décision déterminante pour leur avenir, parce que celles qui obtiennent la protection doivent pouvoir entrer aussi tôt que possible dans un parcours d’intégration, enfin parce que les chances de reconduire effectivement à la frontière celles qui sont déboutées sont inversement proportionnelles à l’ancienneté de leur présence sur le sol national.
L’existence, dans les faits, de délais de traitement très différents entre les États-membres est l’un des facteurs du développement de la circulation « secondaire » des migrants entrés irrégulièrement en Europe, qui peuvent être tentés de choisir de déposer leur demande d’asile dans un pays où la procédure est longue, étant rappelé qu’ils bénéficient d’un droit au séjour tant que cette procédure court.
Dans le régime européen d’asile en vigueur, il est prévu que « les États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les six mois à compter de l’introduction de la demande » ([15]). Des dérogations sont autorisées et ce délai vaut seulement pour la phase administrative (relevant en France de l’OFPRA).
Cependant, il est plus pertinent de s’attacher à réduire et harmoniser la durée de l’ensemble de la procédure conduisant à une décision finale, en prenant donc aussi en compte la phase de recours juridictionnel.
Les performances des États-membres restent très inégales.
● En France, lors de la précédente réforme de l’asile (loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015), il a été posé un objectif de réduction à 240 jours du délai global d’instruction (hors délais de recours) en procédure normale (90 jours pour l’OFPRA – objectif depuis lors ramené à 60 jours – et 150 jours pour la Cour nationale du droit d’asile-CNDA). En cas de procédure accélérée, ce délai global devait même être réduit à 50 jours (15 jours pour l’OFPRA et 35 pour la CNDA).
Ces objectifs sont loin d’être atteints, même si des progrès réguliers sont constatés :
– à l’OFPRA, le délai moyen de traitement d’un dossier est passé de 216 jours en 2015 à 183 jours en 2016, puis 114 jours fin 2017 ;
– à la CNDA, le délai moyen d’instruction, qui excédait un an en 2010, est tombé à 7 mois et 3 jours en 2015 et 6 mois et 26 jours en 2016.
– pour les procédures normales, le délai global (OFPRA + CNDA) s’élevait, fin 2016, à 14 mois et 6 jours et, en 2017, à 13 mois et 19 jours. En procédure accélérée, ce délai global était, en 2016, de 314 jours et, en mai 2017, de 307 jours. L’effort à faire pour atteindre l’objectif global de six mois fixé par le Gouvernement est donc conséquent.
● Pour l’Allemagne, le rapport annuel ([16]) de l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge), organisme homologue de l’OFPRA, avance pour 2016 une durée globale (recours juridictionnel compris) moyenne de procédure de 8,7 mois. 56 % des dossiers ont été définitivement réglés en moins de six mois et 79 % en moins d’un an. En première instance, le délai de traitement est tombé en dessous de deux mois. Ces performances ont été obtenues malgré l’ampleur exceptionnelle de la demande d’asile qui a dû être traitée par notre partenaire allemand (442 000 demandes en 2015 et 722 000 en 2016).
Le contrat de coalition qui vient d’être conclu (pour la mise en place du nouveau gouvernement allemand) prévoit de poursuivre l’optimisation des procédures en créant des centres uniques d’accueil, de décisions et de reconduites regroupant les services de l’office de l’asile et des réfugiés, de l’agence pour l’emploi, de la protection de la jeunesse, de la Justice, des étrangers, etc.
D’autres mesures envisagées encadrent plus strictement le dispositif : éloignement des personnes qui abuseraient de leur droit au séjour pour commettre des infractions pénales (y compris les fraudes aux prestations sociales) ; inscription sur la liste des pays « sûrs » de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie de même que des pays qui auraient un taux de protection accordée se situant régulièrement en dessous de 5 % des dossiers ; amélioration du fichier national des étrangers afin de centraliser toutes les informations des différentes administrations et création d’un fichier des personnes sous le coup d’une décision d’éloignement définitive ; limitation du rapprochement familial pour les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire à 1 000 personnes par mois à compter du 1er août 2018, sous réserve des cas particuliers, assorti d’un cadre plus strict (le regroupement familial ne sera autorisé que pour les époux qui auront contracté mariage avant la fuite, s’il n’y a pas eu de délits graves, s’il ne s’agit pas de personnes potentiellement dangereuses et si un retour à moyen terme n’est pas envisageable).
● Aux Pays-Bas, les procédures apparaissent encore plus rapides. Une analyse produite par un think tank ([17]) évoque des décisions d’asile en première instance qui seraient prises, en règle générale, en 25 jours après le dépôt de la demande. Quant à l’éventuel recours juridictionnel, il serait généralement jugé en 3-4 semaines.
En outre, selon ce document, une décision négative a aussi valeur d’ordonnance d’avoir à quitter le territoire néerlandais, le demandeur étant informé qu’il aurait à s’exécuter dans un délai de 28 jours (voire sans délai dans certains cas). Une administration ad hoc a été établie pour organiser les reconduites.
Ce dispositif apparaît intéressant car il préserve en même temps les droits des demandeurs d’asile grâce à des garanties procédurales : assistance gratuite d’un avocat ; système codifié d’entretiens qui se déroulent sur cinq à huit jours ; obligation, si un rejet de la demande est envisagé, de rendre une décision négative dite préliminaire qui est motivée, afin de permettre au demandeur et à son avocat de produire des contre-arguments ; possibilité de prolonger les procédures dans les cas complexes.
4. Les dysfonctionnements dans le dispositif de transfert des demandeurs d’asile à l’État-membre « responsable »
Le règlement « Dublin » prévoit la possibilité de transférer des demandeurs d’asile vers l’État-membre « responsable » de leur demande, qui en principe est en premier lieu celui où ils ont des liens familiaux, mais peut être également celui où ils ont été enregistrés pour la première fois dans l’Union, critère qui est en pratique le plus utilisé. Il a longtemps été peu appliqué faute de relevé des empreintes digitales aux points de débarquement des réfugiés, mais, désormais, les États-membres vers lesquels se dirigent ensuite les réfugiés s’efforcent de faire valoir ces dispositions en s’appuyant sur la base de données Eurodac, bien que celle-ci reste imparfaite (elle ne renseigne que sur l’existence d’un relevé d’empreintes de la personne concernée et son éventuel dépôt d’une demande d’asile, mais pas sur la suite donnée à cette demande dans le pays interrogé).
Le dispositif « Dublin » est donc de plus en plus souvent invoqué. En 2017, 41 500 demandeurs d’asile en France ont fait l’objet d’une procédure « Dublin », contre moins de 26 000 en 2016 et moins de 12 000 en 2015.
Les résultats de la mise en œuvre de la procédure sont cependant décevants. En 2016, nos partenaires ont accepté de prendre ou reprendre en charge plus de 14 000 demandeurs sous procédure « Dublin » ; pour autant, seuls 1 293 d’entre eux ont été effectivement transférés. En 2017, 29 000 réponses positives de nos partenaires n’ont débouché que sur 2 633 transferts effectifs. Sur les deux exercices, moins de 6 % des demandeurs d’asile pour lesquels la France a invoqué le règlement « Dublin » ont été effectivement transférés dans un autre État-membre. Les préfectures se heurtent notamment aux refus d’embarquement et à la disparition des intéressés dès la notification par le préfet de la décision de transfert.
Dans les autres États-membres (ou pays tiers intégrés au dispositif, comme la Suisse), les taux de transfèrement « Dublin » apparaissent très inégaux si on en croit Eurostat : en 2016, 7,1 % pour l’Allemagne (plus de 55 000 demandes, un peu moins de 4 000 transferts obtenus), 0,4 % pour l’Italie, mais 24,6 % pour la Suisse et 43,2 % pour la Suède… Certains pays obtiennent donc des résultats.
5. Des « hotspots » au fonctionnement qui reste parfois imparfait
Les « hotspots » mis en place à partir de 2015 en Italie et en Grèce pour accueillir et traiter les migrants n’assurent pas toujours toutes les missions qui devraient être les leurs, notamment en Italie. La demande d’asile devrait y être examinée, mais ce n’est pas toujours le cas : il faut bien voir que si tel était le cas, le renvoi des déboutés relèverait du seul pays d’arrivée.
Cette critique doit toutefois être nuancée : la Grèce et l’Italie enregistrent et traitent un nombre croissant de demandes d’asile. En 2016, l’Italie est ainsi devenue le deuxième pays européen pour le nombre de primo-demandes d’asile, derrière l’Allemagne et devant la France, et la Grèce a pris le quatrième rang ; ce classement est resté le même en 2017 ([18]) (voir l’annexe statistique au présent rapport pour plus d’éléments). En 2016, l’Italie a été le troisième pays derrière l’Allemagne et la Suède pour le nombre de décisions prises en première instance sur l’asile ; en 2017, elle est restée le troisième pays à cet égard, derrière l’Allemagne et la France.
6. Le bilan limité des « relocalisations »
Les « relocalisations » ont été décidées ([19]) en septembre 2015 par le Conseil de l’Union européenne pour soulager la pression migratoire en Grèce et en Italie. La base juridique de cette décision était l’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet notamment, « au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers », la prise de « mesures provisoires ». Il s’agissait de transférer des migrants vers d’autres États-membres, le dispositif ne concernant que les nationalités pour lesquelles le taux moyen d’octroi d’une protection internationale dépasse dans l’Union 75 %. La décision, applicable durant deux ans (jusqu’en septembre 2017), établissait des contingents (« quotas ») par État-membre, l’objectif global (fixé par cette décision et une précédente décision) étant d’atteindre 160 000 relocalisations.
Au 16 février 2018, par rapport à cet objectif de 160 000, 33 721 personnes avaient été relocalisées (11 954 depuis l’Italie et 21 767 depuis la Grèce). La France a réalisé 4 944 relocalisations (à la même date), se plaçant au deuxième rang des États-membres derrière l’Allemagne, même si elle n’a rempli que le quart de son contingent. Plusieurs pays d’Europe centrale ont, comme on le sait, refusé de s’inscrire dans le dispositif ou n’ont accepté qu’une poignée de personnes relocalisées (voir l’annexe statistique au présent rapport pour le détail par pays).
Plus globalement, il n’est pas excessif de dire que les pays de débarquement des migrants, Grèce et Italie, ont largement été abandonnés à leur sort.
7. Des projets de réforme qui cheminent difficilement dans les institutions européennes
En mai puis en juillet 2016, la Commission a soumis sept propositions de textes portant refonte de l’intégralité du régime d’asile européen commun, lesquels sont en cours de négociation dans les institutions européennes.
Certaines semblent relativement consensuelles, même s’il peut notamment exister des désaccords entre le Conseil et le Parlement européen : refonte de la directive sur les conditions d’accueil, qui réduirait de neuf à six mois le délai maximal d’accès des demandeurs d’asile au marché du travail ; nouveau règlement sur la qualification pour l’obtention d’une protection internationale (remplaçant une directive) ; mise en place d’une Agence européenne de l’asile (qui remplacerait l’actuel Bureau européen d’appui en matière d’asile, dit EASO).
D’autres négociations sont plus délicates. C’est le cas de la proposition de la Commission européenne pour établir un règlement en matière de procédure d’asile ([20]), qui vise notamment à encadrer plus strictement les délais d’instruction, de procédures et de recours que la directive en vigueur.
a. Le débat sur les listes européennes de « pays sûrs »
La proposition de règlement « procédure » de la Commission comprend aussi l’établissement de listes européennes de « pays sûrs », l’une pour les pays d’origine, l’autre pour les pays tiers. Le fait pour un pays d’origine d’être « sûr » permet d’examiner en procédure accélérée les demandes d’asile de ses ressortissants. Le fait pour un demandeur d’avoir transité dans un pays tiers (extra-européen) « sûr » permettrait de l’y reconduire.
Les échanges sur ces propositions, notamment au Parlement européen, semblent devoir conduire à l’abandon de la notion de pays tiers sûr.
S’agissant des pays d’origine sûrs, la Commission a initialement proposé d’en inscrire sept dans la liste commune envisagée : les six pays dits des Balkans occidentaux (candidats à l’adhésion) et la Turquie, proposition qui ne pouvait que faire débat.
La Commission relève dans un document annexe à sa proposition que 12 États-membres disposent déjà de listes nationales de pays d’origine sûrs, mais l’on constate que ces listes sont extrêmement disparates : entre 1 et 26 pays ([21]) « sûrs » y figurent ; aucun pays ne figure sur toutes les listes des États-membres (des pays des Balkans occidentaux comme la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro et l’Albanie figurent au plus sur 8 ou 9 des 12 listes) ; les choix de certains États-membres apparaissent sujets à caution, l’un d’eux considérant ainsi comme des pays « sûrs », non seulement la Turquie, mais aussi la Chine…
Enfin, il existe au Parlement européen un débat sur le caractère exclusif qu’aurait une éventuelle liste européenne, alors qu’il est nécessaire que chaque État-membre garde la possibilité d’ajouter à la liste commune des pays qui représentent pour lui une problématique migratoire spécifique : pour ne prendre qu’un exemple, les Haïtiens sont devenus en 2017 la troisième nationalité de demande d’asile en France car ils affluent en Guyane ; aucun autre État-membre n’est confronté à une situation identique.
b. La difficile réforme du règlement « Dublin » : vers un compromis ?
Le morceau de bravoure de la réforme envisagée est constitué par la refonte du règlement « Dublin » sur la désignation de l’État-membre tenu de traiter une demande d’asile. Les intérêts et les sensibilités des États-membres sont naturellement difficiles à concilier entre ceux qui reçoivent en premiers les migrants, ceux qui sont visés par les déplacements « secondaires » ultérieurs de ceux-ci et ceux, enfin, qui font en sorte de décourager ces déplacements et refusent de s’engager à en accueillir. Par ailleurs, il faudra aussi globalement concilier les positions des États-membres, s’ils parviennent à un accord en Conseil, avec celles du Parlement européen.
Il est légitime d’être solidaire des pays de première entrée que sont l’Italie et la Grèce. Mais la proposition de la Commission en la matière, qui consiste dans l’esprit à établir de manière pérenne un dispositif comparable à celui des contingents de « relocalisés » décidés pour les années 2015-2017, se heurte naturellement à l’opposition frontale de plusieurs pays d’Europe centrale : ils sont éventuellement prêts à apporter une contribution financière, mais ne veulent pas se voir imposer l’accueil de réfugiés.
Un débat connexe, inscrit dans le règlement « procédure », porte sur l’obligation ou non de procéder à la frontière, donc dans les « hotspots » grecs et italiens, à l’examen des demandes d’asile. Cette option est pleinement logique si l’on veut maintenir la libre circulation dans l’espace Schengen tout en évitant les mouvements secondaires de migrants ; mais elle ne peut être acceptable pour les pays de débarquement des migrants qu’en contrepartie d’une réelle solidarité de tous les États-membres.
Des options de compromis circulent, la dernière à l’initiative de la présidence bulgare de l’Union qui est en cours. Sans entrer dans le détail, il s’agirait de mettre en place un système à plusieurs degrés, avec des éléments d’automaticité mais d’autres laissés à l’appréciation politique (du Conseil de l’Union européenne) et une solidarité obligatoire, mais sans contingents imposés de « relocalisés », sauf éventuellement en dernier recours.
C. Pour un régime d’asile véritablement commun
Le plus grave de la crise migratoire consécutive à l’arrivée en masse des réfugiés syriens en Grèce, suivis par bien d’autres nationalités, est maintenant passé : le HCR, qui avait en 2015 décompté 1,015 million d’arrivées par la mer Méditerranée sur le continent européen (en Grèce, Italie et un peu Espagne), puis 363 000 en 2016, n’en a recensé que 172 000 en 2017, soit moins qu’avant l’explosion de la crise, en 2014 (216 000 arrivées). Pour ce qui est globalement des franchissements illégaux de frontières comptabilisés par Frontex, on est tombé de 1,8 million en 2015 à 511 000 en 2016 et 204 000 en 2017.
Cette situation d’apaisement relatif doit être l’occasion d’impulser de réelles réformes des politiques européennes en matière de migrations et d’asile, afin d’éviter qu’une nouvelle crise migratoire toujours possible n’apparaisse aussi mal anticipée et gérée que celle de 2015, ce qui a eu un effet dévastateur sur les opinions publiques.
De plus, nous vivons toujours les conséquences de l’arrivée massive de migrants en 2015-2016 en ce sens qu’il s’est créé une sorte de « marché de l’asile » intra-européen : on voit un nombre croissant de personnes déboutées dans un État-membre (souvent l’Allemagne) tenter leur chance dans un autre. Le contexte politique consécutif à la crise migratoire et la volonté de ne pas être ciblés par ces déplacements « secondaires » conduisent certains de nos partenaires à durcir leur réglementation. Le gouvernement suédois vient par exemple de décider d’exclure de toute prise en charge sociale les déboutés de l’asile dépourvus de charges de famille. Le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand prévoit de même des mesures de restriction, notamment pour le regroupement familial. Dans ce contexte, la pression migratoire a continué à s’accroître en France en 2017, avec un nombre de demandes d’asile record (121 200 demandes en préfecture, soit 50 % de plus qu’en 2014). Entre 2016 et 2017, le nombre de primo-demandes d’asile, tel que mesuré par Eurostat, a diminué globalement dans l’Union européenne (– 46 %) et dans la plupart des États-membres (– 73 % en Allemagne, – 44 % en Autriche, – 17 % aux Pays-Bas, etc.), mais s’est accru de 19 % en France (voir l’annexe statistique au présent rapport).
Il importe évidemment que la France ne devienne pas le seul pays ouest-européen à ne pas adapter ses règles nationales. Mais en même temps, il faut être conscient que, comme en matière de concurrence fiscale ou sociale, la solution de moyen terme ne peut pas être dans une sorte de course réglementaire entre États-membres, mais dans une convergence et une intégration européennes accrues. L’objectif est de rendre le dispositif européen d’asile plus performant tout en respectant pleinement sa vocation, qui est de protéger les victimes de persécutions et de conflits. La demande d’asile doit être recentrée sur cette vocation. Or, on constate que les nationalités qui choisissent de déposer leur demande d’asile en France plutôt que dans un autre pays européen ne sont généralement pas les plus susceptibles d’obtenir la protection internationale : en 2017, par exemple, 4 % seulement des primo-demandeurs d’asile érythréens dans l’ensemble de l’Union européenne ont déposé leur dossier en France ; 5 % des Syriens et Irakiens ont fait de même ; par contre, notre pays a été choisi par 52 % des primo-demandeurs albanais de toute l’Union, 50 % des primo-demandeurs kosovars, 32 % des Serbes et des Arméniens, 19 % des Georgiens, 26 % des Ivoiriens, 23 % des Guinéens (voir l’annexe statistique au présent rapport)… Il n’est pas satisfaisant qu’en 2017, la première nationalité pour les demandes d’asile en France ait été les Albanais, avec une progression de 83,8 % par rapport à 2016, tandis que les Syriens arrivaient seulement au sixième rang. Lorsqu’il était Président de la République, François Hollande avait engagé la France à accueillir 30 000 migrants syriens et irakiens. Or, fin 2016, 9 000 Syriens et 6 000 Irakiens seulement bénéficiaient de la protection internationale gérée par l’OFPRA et ce ne sont pas les arrivées de 2017 (3 200 demandes d’asile de Syriens et encore moins d’Irakiens) qui vont permettre de réaliser pleinement cet engagement, même si elles augmentent quelque peu le nombre global de Syriens et d’irakiens réfugiés et protégés en France.
Une première série de réponses aux défaillances de l’asile se trouve certainement dans la politique de partenariat qu’il faut conduire avec les pays d’origine et de transit des demandeurs, sous réserve bien sûr que la nature des régimes politiques en place dans ces pays permette d’envisager cette politique. On peut évoquer par exemple la coopération développée tout récemment avec l’Albanie ([22]), qui donne déjà des résultats évoqués par Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, lors de son audition par la commission des affaires étrangères le 21 mars 2018 : augmentation de 19 % en 2017, par rapport à 2016, des éloignements de migrants albanais en situation irrégulière ; passage en janvier 2018 des Albanais en deuxième position dans les nationalités pour la demande d’asile.
Il y a ensuite la nécessaire convergence des politiques d’asile des États-membres afin d’éviter que ne se crée un « marché européen de l’asile ».
Faute d’accord de l’ensemble des États-membres, il conviendrait de mettre en place des coopérations renforcées entre pays décidés de progresser ensemble. Sans qu’il soit besoin de les nommer, nous savons que certains États-membres ne se sentent pas concernés par l’accueil des migrants, font tout pour éviter d’y participer et, parfois, appliquent des standards de droit et des pratiques qui ne sont pas les nôtres. Il pourrait donc être opportun de progresser d’abord avec nos voisins particulièrement concernés par la demande d’asile et la circulation des migrants, notamment parmi les membres fondateurs de l’Union.
Dans ce contexte, nous émettons des recommandations concrètes qui sont autant de pas vers un régime plus intégré en matière d’asile.
1. Réduire et faire converger les délais de traitement des demandes d’asile
Comme on l’a dit, les différences de délais de traitement des demandes d’asile en première instance et en appel restent considérables entre pays européens et la France est loin d’être le pays le plus performant à cet égard, même si des objectifs ont été fixés et des progrès effectués depuis quelques années, que le projet de loi renforce.
Les progrès dans ce domaine ne passent pas seulement par l’affectation de moyens supplémentaires pour traiter les dossiers, mais aussi par des mesures d’organisation, comme le projet de loi en comporte, voire la conception globale de dispositifs faits pour associer célérité et strict respect des droits des demandeurs (droit à un avocat, procédure contradictoire…). Nous devons analyser les meilleures expériences étrangères et nous en inspirer.
Recommandation
Réduire le délai de traitement des demandes d’asile, avec pour objectif d’atteindre un délai global (recours juridictionnel compris) de moins de six mois, tout en respectant pleinement les droits des demandeurs, en s’inspirant des meilleures pratiques de nos partenaires européens.
2. Faire converger les pratiques, les critères et les jurisprudences, de manière à réduire les écarts de taux de reconnaissance de l’asile pour une même nationalité
Tout autant que les différences de délais de traitement, les différences de « chance » objective d’obtenir l’asile qui existent pour plusieurs des grandes nationalités de demandeurs d’asile (Afghans, Irakiens…), ce entre les « grands » pays européens d’asile (Allemagne, Italie, France, Autriche, Royaume-Uni, Suède…), concourent à créer ce « marché » européen de l’asile dont nous ne voulons pas.
Comme on l’a dit, il n’existe pas aujourd’hui d’analyse claire de ces différences de pratiques, même si certaines explications données apparaissent assez crédibles (notamment le recours plus ou moins grand à la notion d’« asile interne » dans les régions « sûres » de pays troublés). Il faut donc développer l’expertise et les échanges entre organismes des différents États-membres concernés, en particulier avec nos principaux partenaires, en vue d’aller vers une plus grande convergence des pratiques.
Recommandation
Réduire les écarts de taux de reconnaissance de la protection internationale entre États-membres concernant les principales nationalités de demandeurs d’asile, en rapprochant les pratiques, critères et jurisprudences.
3. Établir une liste européenne de pays d’origine sûrs
Il n’est pas satisfaisant que les Albanais aient été en 2017 la première nationalité pour la demande d’asile en France. Afin d’accélérer les procédures concernant les ressortissants de pays qui, sauf cas particuliers très minoritaires ([23]), ne justifient pas la protection internationale, la démarche des listes de pays d’origine sûrs doit être généralisée au niveau européen (avec une liste commune de base susceptible d’être complétée au niveau national).
Recommandation
Établir une liste européenne socle de pays d’origine sûrs, susceptible d’être complétée par chaque État-membre.
4. Harmoniser les conditions de prise en charge des demandeurs d’asile
La convergence qu’il faut mettre en place concerne les droits sociaux des demandeurs d’asile, qui restent très disparates en Europe : droit ou non à un hébergement (et obligation ou non de l’accepter), versement ou non d’allocations d’un montant variable, conditions d’accès à la santé, possibilité ou non d’occuper un emploi au terme d’un délai variable de présence, etc.
Recommandation
Faire converger les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans les différents pays européens (droits sociaux, accès ou non à des allocations financières et/ou à l’hébergement, droit au travail…).
5. Appliquer effectivement le critère des liens familiaux pour la répartition des demandeurs d’asile
Sur la question de la répartition des réfugiés, qui est la plus conflictuelle dans l’Union européenne, il convient de rappeler que le règlement « Dublin » en vigueur fait de l’existence de liens familiaux le premier critère à prendre en compte pour la détermination de l’État responsable d’un demandeur d’asile. Le critère du pays d’entrée ne vient qu’après.
Mais il est naturellement plus facile d’invoquer ce dernier, dès lors qu’un relevé d’empreintes digitales y a eu lieu, que d’expertiser les éventuels liens familiaux d’un demandeur en espérant que l’État « responsable » requis voudra bien admettre leur existence alors même que l’identité des demandeurs est souvent sujette à caution.
Mettre en œuvre le critère des liens familiaux n’est donc pas la solution la plus facile. Mais il serait regrettable de ne pas chercher à le faire alors que c’est l’option préférable, de toute évidence, pour les demandeurs d’asile et que c’est une alternative au débat conflictuel entre les pays de débarquement et ceux qui refusent la répartition obligatoire (les « quotas ») des réfugiés.
Recommandation
Conformément au règlement « Dublin », prendre effectivement l’existence de liens familiaux comme premier critère de détermination de l’État-membre qui doit traiter une demande d’asile.
6. Compléter la base de données Eurodac pour identifier les personnes déboutées du droit d’asile
On constate une multiplication des déplacements « secondaires » de demandeurs d’asile entre pays européens, liés notamment à l’attractivité relative des régimes d’asile (plus ou moins grandes chances d’obtenir le statut pour telle ou telle nationalité, prise en charge plus ou moins généreuse, procédures plus ou moins longues permettant de bénéficier plus ou moins longtemps de la protection afférente aux demandeurs…).
Cet enjeu concerne non seulement les migrants qui n’ont pas déposé de demande d’asile dans l’État-membre par lequel ils sont entrés, ou dont la demande est en cours d’examen, mais aussi, de plus en plus, ceux qui ont déjà été déboutés dans un État-membre : en 2016, l’office allemand chargé de l’asile a prononcé 174 000 rejets de demandes d’asile ; en 2017, 244 000… Les effectifs de personnes déboutées susceptibles de chercher à redéposer une demande d’asile dans un autre pays sont donc considérables. Il faut de plus être conscient que la moitié des migrants débarquant en Italie sont francophones, donc vraisemblablement tentés par la France, tout en appartenant à des nationalités (d’Afrique de l’Ouest principalement) dont les chances d’obtenir l’asile sont généralement limitées.
La convergence des régimes nationaux d’asile devrait certes entraîner une diminution des déplacements « secondaires », mais des dispositions spécifiques devraient aussi être prises pour le cas des personnes qui ont été définitivement déboutées dans un État-membre et tentent leur chance dans un autre.
Il est d’abord nécessaire d’identifier ces personnes. La base de données Eurodac doit être enrichie de façon à ce qu’y apparaisse, non seulement l’existence d’une éventuelle demande d’asile des personnes enregistrées, mais aussi le sort donné à cette demande.
Recommandation
Compléter la base de données Eurodac en y faisant figurer le résultat des procédures d’asile.
7. Aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions sur l’asile
Il faut ensuite se pencher sur la question du traitement à réserver aux demandes d’asile que souhaitent déposer des personnes précédemment déboutées dans un autre État-membre.
Les dispositions européennes en vigueur ne prévoient pas vraiment ce cas de figure, car elles s’inscrivent dans la logique du règlement « Dublin » selon laquelle il existe un et un seul État-membre « responsable » d’une demande d’asile. La directive « procédure » actuellement en vigueur ne fixe ainsi de règles pour les réexamens que pour le cas où un demandeur fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans l’État membre où il a fait sa première demande (article 40).
La proposition de règlement « procédure » précitée en cours de discussion vise en revanche (à son article 42 dans la rédaction proposée par la Commission) le cas des personnes déboutées présentant une nouvelle demande dans un autre État-membre : « après qu’une décision définitive de rejet a été prise sur une demande antérieure, toute nouvelle demande présentée par le même demandeur dans un État membre quel qu’il soit est considérée comme une demande ultérieure par l’État membre responsable ». Il devrait alors y avoir un examen préliminaire des éléments nouveaux présentés par le demandeur, suivi soit de l’ouverture d’une nouvelle procédure, soit d’un rejet de la demande de réexamen comme irrecevable ou manifestement infondée. Cet examen aurait lieu dans l’État-membre « responsable », donc après un éventuel transfèrement « Dublin ».
La solution proposée oblige toujours à un réexamen des nouvelles demandes d’asile formulées par des déboutés, permettant juste une procédure plus rapide, mais ne semble en pratique pas différente de ce qui se fait déjà à l’OFPRA, qui réexamine en procédure accélérée les demandes des personnes déboutées de l’asile dans un autre pays européen. Cette situation reste donc largement insatisfaisante. Elle a été décrite ainsi par le directeur général de l’OFPRA, Pascal Brice, lors de son audition le 14 février 2018 par la commission des affaires étrangères ([24]) : « l’OFPRA doit instruire des demandes d’asile qui ont déjà fait l’objet d’une décision de rejet ailleurs en Europe. Il y a cinq ans, lorsque j’ai pris mes fonctions, cette situation n’existait pratiquement pas parce que les prises d’empreintes étaient très marginales à l’époque. Actuellement, les cas se multiplient et posent problème. En l’état actuel du droit européen, il n’y a pas de reconnaissance mutuelle des décisions des offices européens. Nous sommes donc obligés de réinstruire les demandes (…). Cette situation me semble néanmoins aberrante. Je pense qu’il est nécessaire de créer rapidement un dispositif européen de reconnaissance mutuelle de l’asile, voire un office européen de l’asile, même si je vois bien les questions que cela peut soulever en termes de transfert de souveraineté ».
Tout en étant sensible aux questions de confiance mutuelle entre partenaires européens, de souveraineté, voire de constitutionnalité que cela soulève, nous considérons que la reconnaissance mutuelle des décisions définitives (positives et négatives) prises en matière de protection internationale dans les différents États-membres serait à terme la réponse la plus adaptée à la situation que nous constatons.
Recommandation
Aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions sur la protection internationale en Europe.
8. À plus long terme, envisager un office européen de l’asile ?
D’autres perspectives sans doute plus lointaines, impliquant un degré supplémentaire d’intégration européenne, méritent d’être examinées.
Dans son discours sur l’Europe prononcé à La Sorbonne le 26 septembre 2017, le Président de la République a appelé à la création d’un « office européen de l’asile ». Une telle institution remplacerait à terme l’OFPRA et ses homologues européens.
Il faut toutefois être conscient que l’organisation administrative des États-membres en matière d’asile n’est pas identique. Par exemple, en Allemagne, l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés cumule plus ou moins les missions exercées en France par l’OFPRA, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et les services des étrangers des préfectures : les décisions qu’il rend entraînent en elles-mêmes l’obligation pour les personnes déboutées de quitter le territoire allemand (ce qui n’est pas le cas de celles de l’OFPRA) et l’Office fédéral gère aussi la politique de retours volontaires (qui relève en France de l’OFII : voir infra). La mise en place d’un office européen impliquerait donc de choisir entre les différents modèles d’organisation qui coexistent en Europe. Cette innovation impliquerait en outre une révision des traités européens. Plus fondamentalement, elle toucherait à un domaine de souveraineté auquel les nations européennes sont attachées, car leur histoire en a amené plusieurs à inscrire le principe de l’asile dans leurs textes constitutionnels. Ce n’est sans doute pas une perspective à court terme.
Recommandation
Expertiser la pertinence des différents modes d’organisation qui existent en matière d’asile en Europe en vue de leur harmonisation et à terme de la mise en place d’un office européen de l’asile.
9. Apprendre à anticiper les crises
La gestion de la crise migratoire de 2015 a été marquée par une absence totale d’anticipation, alors que les prémices en étaient bien visibles. C’est dire la nécessité d’un mécanisme d’anticipation. L’échec du mécanisme dit d’alerte rapide invite à une analyse de ce qui est pourrait être opérationnel.
Recommandation
Établir des outils opérationnels d’anticipation, d’alerte rapide et de gestion des crises migratoire.
10. Mettre en place un dispositif effectif de protection temporaire comme alternative à l’asile
Comme on l’a vu, l’Union européenne n’a pas été en mesure, quelles qu’en soient les raisons, de mettre en œuvre son régime de « protection temporaire » en réponse à la crise syrienne.
Sans doute le dispositif figurant dans la directive de ce nom n’était-il pas adapté. Sur le principe, pourtant, un régime de protection temporaire susciterait moins de réticences dans les opinions publiques, surtout s’il comportait des sauvegardes pour la suite de la prise en charge des personnes protégées dans l’hypothèse où la crise qui l’a motivé se prolongerait. Pour être efficace et crédible (dans sa dimension « temporaire »), ce régime devrait aussi comporter un volet solide d’accompagnement du retour des personnes protégées dans leur pays.
L’une des raisons pour lesquelles les opinions publiques européennes ont été particulièrement inquiétées par l’arrivée massive de migrants en 2015-2016 tient au sentiment d’impréparation, de manque de contrôle par les autorités qui l’a accompagné. Il est dommage qu’un cadre juridique clair et temporaire n’ait pas permis une réponse organisée. L’Union européenne devrait examiner la possibilité de se doter d’un dispositif de cette nature qui soit fonctionnel.
Recommandation
Instituer un régime européen de protection temporaire qui soit fonctionnel.
11. Une action pilote à amplifier : le traitement de la demande d’asile au plus près des pays d’origine
La France s’est engagée depuis plusieurs années dans des actions dites de « réinstallation », d’abord à partir des pays voisins de la Syrie. Le concept de « réinstallation » s’applique au cas de personnes réfugiées dans un pays tiers (par exemple des Syriens passés au Liban ou en Turquie) qu’un troisième pays décide d’accueillir en leur délivrant sur place un visa humanitaire ou « en vue de l’asile ».
Les réfugiés susceptibles d’en bénéficier sont présélectionnés par le HCR, puis des agents de l’OFPRA procèdent à des entretiens dans le cadre de missions dites « foraines ». Les réfugiés évitent ainsi les terribles routes de l’exil.
La priorité de cet asile « déterritorialisé » est mise sur l’accueil des personnes particulièrement vulnérables. L’objectif doit être de traiter les demandes au plus près des zones de crise.
Le Président de la République a souhaité accentuer cette politique. Le 9 octobre dernier, il a annoncé l’accueil en France, d’ici 2019, de 10 000 personnes dans le cadre du programme de réinstallation, dont 7 000 depuis la Turquie, la Jordanie et le Liban (réfugiés syriens) et 3 000 en provenance du Niger et du Tchad, ce qui constitue une innovation.
D’après les indications qui nous ont été données, environ 3 900 réinstallations auraient été opérées dans notre pays en 2016, 2017 et début 2018. Elles concernent principalement des Syriens et des Irakiens. En Afrique, les premières missions de l’OFPRA se sont déroulées en octobre 2017 et plusieurs centaines de personnes ont été auditionnées. Les premiers réfugiés africains (moins d’une centaine) sont arrivés tout récemment.
Les opérations sont ralenties par la nécessité de mettre en place sur notre sol un accueil adapté à des personnes souvent très fragiles (et non francophones). On pourrait sans doute s’inspirer utilement d’expériences menées dans d’autres pays : par exemple, au Canada, des entreprises parrainent des migrants pour les aider à s’intégrer ; en Suède, un contrat de travail spécifique (dérogatoire) a été institué pour les réfugiés. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la possibilité de recevoir sur notre sol ces personnes pour un autre motif que l’asile, par exemple au titre de l’emploi ou de liens familiaux, quand bien même elles remplissant les conditions de l’asile. Le HCR s’efforce de promouvoir ces motifs alternatifs d’admission au séjour, notamment pour la réinstallation des réfugiés : c’est le concept de « Complementary Admissions Pathways ».
Les données produites par l’Union européenne montrent que notre pays occupe le troisième rang parmi les pays européens pour les réinstallations, après l’Allemagne et la Norvège (voir l’annexe statistique au présent rapport pour le détail par pays).
L’effort des pays européens reste modeste au regard de celui consenti par d’autres. Les statistiques du HCR, pour lequel le programme de réinstallation est prioritaire, font apparaître un nombre croissant de réinstallations effectives depuis quelques années : de 2011 à 2016, on est passé de 62 000 à 126 000 personnes concernées par an.
Les principaux pays d’accueil sont les États-Unis et le Canada : les premiers accueillent généralement au moins 50 000 réfugiés réinstallés par an (78 800 en 2016), le second en a reçu près de 40 000 en trois ans (21 900 en 2016).
Au plan mondial, les nationalités dominantes dans la réinstallation ont été, en 2016, les Syriens (47 % des dossiers soumis par le HCR), suivis des Congolais de RDC (14 % des dossiers), des Irakiens (8 %) et des Somaliens (7 %).
Recommandation
Traiter la demande d’asile au plus près des pays d’origine en privilégiant chaque fois que cela est possible la politique dite de réinstallation.
12. Vers l’harmonisation du statut des réfugiés ?
Non seulement l’octroi de la protection internationale, mais aussi l’accueil ultérieur des réfugiés reconnus relèvent de chaque État-membre. Pendant longtemps, le nombre relativement modeste de réfugiés statutaires dans l’Union a permis de gérer cette situation sans difficultés.
Cependant, la situation a changé : sur les deux années 2015 et 2016, les États-membres réunis ont reconnu comme réfugiés (ou bénéficiaires de la protection subsidiaire) plus d’un million de personnes. La question de la mobilité intra-européenne (liberté d’établissement, droits sociaux…) de ceux-ci risque donc de se poser réellement. La protection internationale relève de l’admission au séjour de longue durée – les bénéficiaires se voient délivrer un titre renouvelable d’au moins un an –, laquelle n’est pas européanisée à la différence du court séjour de moins de trois mois (visas Schengen) ([25]). Le nombre croissant de bénéficiaires de l’asile pourrait justifier à terme non seulement une convergence, déjà prévue, mais peut-être une unification des titres et règles de séjour les concernant.
D. Le corollaire du régime d’asile commun : la gestion commune des frontières extérieures
De même qu’elle implique le régime d’asile commun, la libre circulation implique que l’Union, ou plutôt l’ensemble d’États-membres et tiers formant l’« espace Schengen », se dote des moyens d’assurer effectivement le contrôle de ses frontières extérieures.
1. La mise en place d’un dispositif d’enregistrement des passages des frontières extérieures
L’Union européenne met progressivement en place des outils, notamment des bases de données, destinés à mieux contrôler ses frontières extérieures, mais ces dispositifs ne sont pas encore pleinement déployés ni utilisés au maximum de leurs possibilités, notamment en matière d’introduction et d’exploitation de données biométriques.
● Le système d’information Schengen (SIS) est une base de données policières comprenant des signalements sur les personnes et les biens faisant l’objet d’une enquête dans tout pays prenant part au projet. Il peut inclure depuis décembre 2006 des données qui y figurent « aux fins de non-admission ou d'interdiction de séjour », lesquelles peuvent comprendre des éléments biométriques (photographies et empreintes digitales) ([26]).
● Dans le domaine aérien, le « PNR européen » a été adopté en 2016 ([27]). Il doit être transposé par tous les États-membres d’ici le 25 mai 2018 et l’a été en France par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ([28]). Il prévoit la transmission par les compagnies aériennes des données personnelles des passagers et leur exploitation à des fins encadrées (prévention, détection et répression des infractions terroristes et des formes graves de criminalité). Il permet donc un meilleur contrôle des passagers transitant par nos aéroports, mais en principe pas à des fins de politique migratoire.
● Un « système européen de surveillance des frontières » dit Eurosur est opérationnel depuis fin 2013. Ce réseau de communication permet l’échange en temps réel d’informations entre les services européens de lutte contre l’immigration illégale. L’objectif est de pouvoir identifier les bateaux de migrants par moyens satellitaires afin de permettre leur interception.
● L’Union européenne a décidé en 2017 ([29]) de mettre en place un enregistrement des entrées et sorties d’étrangers extra-communautaires (soumis ou non à l’obligation de visa) dans et de l’espace Schengen sur une base de données commune. Ce dispositif, en principe opérationnel en 2020, aura aussi pour mission de calculer en fonction de ces entrées la durée de séjour autorisé des personnes enregistrées et de produire des signalements à l’intention des États-membres en cas de dépassement de cette durée. Bref, l’Union européenne devrait enfin se doter d’un système de contrôle effectif de toutes les entrées et sorties légales dans et de son territoire (comme en disposent déjà tous les grands pays tiers).
Adossé à une exigence générale de passeports biométriques pour éviter les fraudes à l’identité, un tel dispositif constituera un instrument nécessaire de la politique migratoire. Tout État (ou entité comme l’Union européenne) a le droit de s’équiper des outils permettant de contrôler effectivement le passage de ses frontières et d’inscrire les migrations dans un cadre clair, légal et contrôlable.
Recommandation
Mettre en place concrètement le système de contrôle et d’enregistrement des entrées et sorties de l’espace Schengen à toutes les frontières terrestres, maritimes et aéroportuaires de l’Union européenne.
2. Instituer un corps européen de garde-frontières et une agence européenne pour l’accompagnement des retours des migrants
Opérationnelle depuis mai 2005 ([30]), l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne – dite « Frontex » – avait initialement pour seul objectif de fournir une assistance technique ou opérationnelle aux États dans leur mission de contrôle de leurs frontières extérieures.
À partir de 2014, le périmètre et les moyens d’action de Frontex ont été considérablement renforcés. Ses attributions ont été élargies à l’organisation d’opérations de sauvetage en mer des migrants. En 2016, elle est devenue l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ([31]), qui est notamment chargée d’évaluer la capacité des États à assurer efficacement la gestion de leurs frontières extérieures en procédant à un examen dit de « vulnérabilité » dont les conclusions ont une portée contraignante. Elle intervient également en coordonnant des opérations conjointes de contrôle aux frontières. De plus, elle peut déployer dans les cinq jours, à la demande d’un État membre, une équipe commune d’intervention rapide. Le règlement de 2016 prévoit également la mise en place d’une réserve de réaction rapide. Il s’agit d’un corps permanent d’au moins 1 500 garde-frontières et garde-côtes, mis à disposition de l’agence par les États membres, et d’un parc d’équipements (bateaux et hélicoptères) pouvant être déployé dans un délai de 10 jours. La France doit participer à hauteur de 170 agents à cette réserve de réaction rapide.
Frontex a aussi la possibilité d’organiser des opérations de retour à la demande d’un État. Elle dispose pour cela d’une réserve opérationnelle de 690 agents et a organisé 279 opérations de cette nature, concernant 11 700 migrants (données de novembre 2017) ; les principaux pays vers lesquels sont opérés ces retours sont l’Albanie (3 400 migrants renvoyés) et les autres pays des Balkans occidentaux, mais d’autres pays sont également concernés (1 200 renvois en Tunisie, 500 en Géorgie de même qu’au Nigeria…). Cette mutualisation a l’avantage d’élargir la gamme des moyens (types d’avions notamment) offerts aux États-membres pour procéder matériellement aux éloignements.
Les effectifs de Frontex, soit un peu plus de 1 500 personnes, restent toutefois modestes en comparaison, par exemple, de ceux de l’U.S. Customs and Border Protection, qui emploie plus de 60 000 agents, pour un kilométrage de frontières à garder sensiblement équivalent (12 000 km. de frontières terrestres environ pour les États-Unis ; 13 000 km. environ pour l’Union européenne). La protection des frontières extérieures de l’Europe repose donc encore essentiellement sur les policiers ou douaniers des États-membres. L’évolution, à terme, vers la constitution d’une grande agence européenne de moyens assurant la protection de ces frontières extérieures devra être envisagée.
Recommandation
Mettre en place aux frontières de l’Europe un véritable corps européen de garde-frontières et garde-côtes.
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II. Notre diplomatie et notre aide au développement doivent mieux contribuer à la gestion des migrations
Au sud de la Méditerranée, les jeunes qui se lancent sur les routes des migrations fuient bien sûr l’oppression, les guerres, la misère, mais aussi plus généralement le sentiment qu’ils n’ont pas d’avenir chez eux, ni de solution légale pour aller tenter leur chance ailleurs. Nos partenaires, africains en particulier, peuvent accepter une discussion sur les questions migratoires, à condition qu’elle soit équilibrée. Des enjeux fondamentaux comme la « fuite des cerveaux », l’apport économique des envois de fonds des migrants et la lutte contre l’immigration irrégulière et les réseaux doivent aussi être pris en compte. La migration massive n’est dans l’intérêt de personne, ni des pays d’origine, ni de ceux de destination.
Les instruments de notre diplomatie et de notre aide au développement doivent être mobilisés pour renouveler notre coopération. Il s’agit bien d’élaborer une stratégie globale pour traiter dans son ensemble des enjeux migratoires : ouverture des voies légales, lutte contre l’immigration irrégulière et les trafics, codéveloppement et accompagnement de la mobilité Sud-Sud. Cela dans le cadre d’un dialogue continu et de haut niveau avec les pays d’origine et de transit.
A. Rendre plus offensif le partenariat Europe-Afrique
1. Un dialogue politique à approfondir
Jusqu’en 2015, le dialogue entre l’Union européenne et le continent africain est resté très déclaratoire et peu offensif. La première rencontre entre l’Union africaine et l’Union européenne relative aux migrations s’est tenue en 2000 et a donné lieu à l’adoption du Plan d’action du Caire. La « Déclaration conjointe Afrique-Union européenne sur la migration et le développement », adoptée en 2006 à Tripoli, a par la suite établi un partenariat entre l’Union africaine et l’Union européenne pour une meilleure prise en compte de la migration, mais sans plan d’action ni moyens précis.
Pourtant, selon les termes du Président de la République dans son discours du 28 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou, l’Afrique est le « continent où se joue une partie de notre avenir commun ». Il est donc nécessaire d’établir « une relation nouvelle entre nos deux continents », y compris sur les questions migratoires.
Le sommet Union européenne-Afrique des 11 et 12 novembre 2015 à La Valette a mis en place un cadre de partenariat global avec les pays africains, reposant sur une déclaration politique et un plan d’action, ainsi que lancé un fonds fiduciaire d’urgence.
La déclaration politique adoptée est équilibrée, mettant en avant la responsabilité partagée de l’Union et de l’Afrique devant les enjeux migratoires et la nécessité d’agir en même temps sur toutes les dimensions.
Le plan d’action, très détaillé, prévoit des actions concrètes autour de cinq thématiques : (i) les moyens de maximiser les bénéfices des migrations pour le développement et de lutter contre les causes profondes des déplacements forcés et des migrations irrégulières ; (ii) la coopération sur les questions de mobilité et de migration légales ; (iii) la protection et l’asile ; (iv) la prévention et la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains ; (v) la question du retour et des accords de réadmission.
Le sommet Union européenne-Union africaine réuni à Abidjan le 29 novembre 2017 a été l’occasion de réitérer les engagements communs en matière migratoire, l’accent étant mis sur : la mobilité des étudiants, enseignants et chercheurs ; la lutte contre les trafics de migrants ; le cas particulier du traitement inhumain infligé à de nombreux migrants en Libye. Une déclaration commune a été adoptée pour appeler à une coopération internationale en vue de lutter contre les auteurs de ces crimes et de les traduire en justice.
Il est souhaitable que tous ces points se concrétisent rapidement et soient pris en compte dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. La coopération régionale doit notamment mettre l’accent sur la sécurisation des frontières et la lutte contre les trafics. Un rendez-vous annuel pourrait être organisé sur les questions migratoires.
Ce que nous nommons aujourd’hui la bande sahélo-saharienne était autrefois un point névralgique des échanges africains. Les pays sahéliens ont perdu ce rôle central depuis que les pays du Maghreb se sont plutôt tournés vers l’Europe. Il convient de refaire du bassin sahélo-saharien un espace de mobilités et d’échanges économiques en lien avec les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. L’Union européenne devrait favoriser cette évolution.
Par ailleurs, les instruments multilatéraux qui existent doivent être activés, ainsi du processus de Rabat et de celui de Khartoum ([32]) qui, pour l’Ouest et l’Est africains, offrent des cadres de discussion pertinents.
2. Des échanges économiques à rééquilibrer
Dans le cas de l’Afrique, la question de la gestion des ressources naturelles est cruciale. L’Afrique subsaharienne dispose d’environ 30 % des ressources naturelles mondiales mais produit moins de 2 % des richesses mondiales. L’enjeu est d’établir des institutions impartiales qui assurent une gestion juste des ressources naturelles afin de lutter contre l’appropriation indue de ces richesses par une petite minorité et contre les trafics illégaux de ces ressources.
Le développement des pays du Sud, en particulier africains, a trop souvent été envisagé principalement sous l’angle de la croissance des exportations de matières premières, qu’il s’agisse de minerais ou de produits agricoles, destinées à être échangées notamment contre des produits alimentaires. Les pays riches, notamment l’Union européenne, ont poussé dans cette direction qui leur est éminemment favorable, puisqu’elle permet tout à la fois d’accéder à des ressources naturelles dont ils ne disposent pas et d’écouler en retour les produits transformés et les surplus agricoles. Mais cette politique, traduite dans les accords commerciaux, a largement ruiné les économies africaines. Il est vital d’inverser cette tendance et de faire en sorte que les pays africains retrouvent la plénitude de l’exploitation de leurs ressources naturelles, minières et agricoles. Il importe de favoriser l’autosuffisance alimentaire, par la réorientation de l’agriculture vers la satisfaction des besoins locaux, et le développement de la valorisation sur place de ces productions.
Ceci passe par une conception nouvelle des relations commerciales qui doivent prendre en compte l’impératif d’un rééquilibrage des échanges.
Il serait également pertinent de mieux réguler les marchés de produits dérivés sur les matières premières agricoles, sur lesquels le développement de la spéculation entretient la volatilité des prix. Ces marchés se caractérisent en effet depuis quelques années par « la place croissante des investisseurs financiers (…). D’après une communication de la Commission européenne, les investissements des acteurs financiers sur les matières premières, qui atteignaient 13 milliards d’euros en 2003, ont augmenté pour représenter entre 170 et 205 milliards d’euros en 2008. Les acteurs financiers deviennent ainsi majoritaires sur plusieurs marchés par rapport aux opérateurs commerciaux des filières agricoles. Par exemple à Chicago (…), les opérateurs commerciaux ne détiennent plus qu’entre 15 % pour le blé et 20 % pour le maïs et soja des positions prises à l’achat (…). Et près de 40 % des positions à l’achat sont détenues par seulement 8 investisseurs sur le blé (…) » ([33]). Après la crise financière de 2008, les principaux dirigeants mondiaux ont souvent fait état, par exemple lors de réunions du G20, de leur volonté commune de mieux réguler les marchés de produits dérivés et certaines avancées ont eu lieu, notamment concernant les produits pétroliers, mais l’essentiel reste à faire.
Recommandation
Développer un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine. Rééquilibrer les échanges commerciaux. Favoriser une juste gestion des ressources naturelles et l’autosuffisance alimentaire.
B. Refonder la coopération avec les pays d’origine et de transit
1. Tirer les leçons des accords de « gestion concertée »
La France a déjà tenté cela, il y a quelques années, en proposant à certains de ses partenaires africains des accords dits de gestion concertée des flux migratoires. Il est nécessaire d’en étudier le bilan pour éclairer les pistes envisageables pour l’avenir.
a. Une politique qui se voulait globale
Entre 2006 et 2009, la France a signé avec huit pays africains ([34]) des accords dits en général « de gestion concertée des flux migratoires » et de « codéveloppement » ou « développement solidaire ».
Ces accords poursuivaient plusieurs objectifs : favoriser la circulation des ressortissants des deux pays qui contribuent au développement et au dynamisme des échanges bilatéraux ; encourager la migration professionnelle circulaire en tenant compte des compétences professionnelles recherchées sur le marché du travail en France aussi bien que des besoins du pays d’origine des migrants ; renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière ; développer des programmes de développement solidaire dans lesquels les migrants seraient des acteurs à part entière et dont une partie seraient portés par les diasporas.
Ces accords visaient à favoriser la circulation bilatérale en prévoyant la délivrance de visas de court séjour avec une longue durée de validité (permettant des entrées multiples). Ils voulaient aussi favoriser la mobilité de jeunes professionnels et de diverses catégories de salariés. Une liste variable de métiers ouverts sans que soit applicable la règle de l’opposabilité de la situation de l’emploi figurait dans les accords. Certains accords fixaient des contingents de délivrance de titres de séjour de travail comme la carte « compétences et talents ».
En contrepartie, chacun de ces accords comprenait une clause de réadmission permettant de demander le retour de migrants irréguliers (clauses valant selon les cas pour les seuls nationaux ou aussi pour des ressortissants de pays tiers ayant résidé dans le pays requis).
Enfin, les accords comportaient des clauses, plus ou moins précises, concernant la coopération policière et le codéveloppement (avec parfois des listes détaillées, en annexe, de projets et de financements).
Tout d’abord, le nombre d’accords signés a été inférieur à l’objectif initial d’en conclure 20 à horizon 2012. Les négociations ont échoué avec plusieurs pays (Mali, Égypte, Philippines, Haïti, Guinée, Mauritanie).
Ensuite, les accords conclus sont loin d’avoir rempli tous leurs objectifs, comme il résulte notamment d’une analyse de l’OCDE ([35]).
● En matière de migrations légales, l’impact des accords semble avoir été minime. Selon l’étude précitée de l’OCDE, qui se fonde sur une analyse des données issues du recensement de la population, les arrivées annuelles de personnes en emploi en provenance de l’ensemble des pays signataires n’auraient augmenté que d’environ 500, dont seulement une centaine dans des emplois listés dans les accords. S’agissant des contingents de cartes « compétences et talents » figurant dans certains accords, ils sont loin d’avoir été remplis : en moyenne 52 cartes délivrées annuellement à des Tunisiens pour 1 500 prévues (soit 3,5 % de réalisation) et des résultats encore plus faibles pour plusieurs pays subsahariens.
L’OCDE observe en outre que, « dans les faits, les [accords] n’ont en dernière analyse pas accru significativement les possibilités de migration légale : à bien des égards, beaucoup des dispositions énoncées dans les accords entrés en vigueur figuraient déjà dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dans le même ordre d’idée, pour certains pays, beaucoup des métiers listés dans l’accord étaient déjà ouverts grâce à la liste des 30 métiers en tension dont bénéficient tous les ressortissants des pays tiers ».
● La mise en œuvre des dispositions de lutte contre l’immigration illégale est particulièrement décevante : le nombre de laissez-passer consulaires (LPC) délivrés par les pays signataires des accords a diminué après la conclusion de ceux-ci et le taux de réponses positives aux demandes de LPC faites par la France y est resté inférieur à ce qu’il était en moyenne dans les pays non couverts par un accord.
● Le volet consacré au développement dans les accords appelle un jugement plus nuancé. Les mesures y figurant apparaissent parfois opportunes, parfois en décalage avec les priorités de l’aide publique au développement française dans les pays concernés. Les moyens qui y ont été consacrés, identifiés budgétairement de 2008 à 2012, ont été modestes (plus ou moins 30 millions d’euros par an sur un total de 3 milliards d’euros de crédits budgétaires d’aide au développement). Le nombre de projets collectifs de codéveloppement financés dans les pays d’origine des migrants est resté en-deçà des objectifs fixés.
Les accords de gestion concertée n’ont sans doute pas bien fonctionné pour plusieurs raisons :
– ils n’offraient pas substantiellement de voies nouvelles de mobilité légale, faute d’avoir parallèlement réfléchi à leurs implications en matière de mise en œuvre des migrations de travail (il aurait notamment fallu inclure des éléments d’appariement entre offres d’emplois et de travail des signataires, réfléchir à l’adéquation du dispositif réglementaire français d’immigration économique) ;
– nous n’avons pas su dégager des moyens significatifs pour les accompagner ;
– la sensibilité, dans les pays d’origine des migrations, des questions liées à la « réadmission » des migrants irréguliers est telle qu’un suivi continu et politique aurait été nécessaire.
2. Instituer un dialogue continu avec les pays d’origine et de transit sur les questions migratoires
a. Assurer un suivi exigeant de la coopération consulaire
Nous plaidons (voir le C infra) pour que les voies légales de migrations, notamment pour le travail, fassent l’objet d’une remise à plat et d’un débat : si des ouvertures sont faites à cet égard dans le cadre de partenariats avec des pays du Sud, elles doivent se traduire dans les faits et leur réalisation doit être suivie et évaluée, ce qui n’a pas vraiment été le cas dans le cas des « accords de gestion concertée ».
En contrepartie, nous devons être plus exigeants quant à la coopération des pays d’origine pour la mise en œuvre des mesures d’éloignement que nous prenons. Pour procéder au retour de personnes en situation irrégulière, il est en effet nécessaire d’obtenir que leur pays d’origine les reconnaissent comme leurs ressortissants et leurs délivrent des laissez-passer consulaires (équivalents à un passeport temporaire).
Le taux moyen (tous pays confondus) de délivrance des laissez-passer consulaires demandés par la France dans les temps utiles à l’éloignement a certes évolué favorablement depuis quelques années : il est passé de 30 % en 2011 à 43 % en 2015, 46 % en 2016 et 51 % en 2017. Mais, comme le relève l’étude d’impact du présent projet de loi, cette moyenne recouvre des disparités très fortes : certains pays est-européens ont un taux de délivrance supérieur à 80 % (83 % pour l’Arménie, 91 % pour l’Albanie), mais ce taux est inférieur à 20 % pour plusieurs pays africains (11 % pour le Mali, 17 % pour l’Égypte) ; il est inférieur à 30 % pour la Mauritanie, le Maroc, la Turquie et le Bangladesh.
Plusieurs facteurs expliquent les difficultés rencontrées. Certains pays ne disposent pas d’un système d’état-civil fiable et réactif. Nos mesures d’éloignement y sont impopulaires et les autorités politiques peuvent être peu coopératives, sauf lorsqu’il existe une autre incitation très forte à la coopération comme l’est par exemple, dans les Balkans occidentaux, la perspective d’adhésion à l’Union européenne.
La « feuille de route » nationale en matière migratoire rédigée en juillet 2017 propose une stratégie à l’intention de six pays jugés prioritaires en matière migratoire (Tunisie, Maroc, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire et Mali). Elle contient des « paquets » de mesures de coopération, destinés à inciter les pays à être plus coopératifs en matière d’éloignement.
À défaut de progrès, la possibilité de mesures restrictives, notamment en matière d’octroi de visas, est envisagée.
Le Gouvernement a également nommé, le 6 septembre dernier, un ambassadeur chargé des migrations, Pascal Teixeira da Silva, dont la mission porte sur l’amélioration de la coopération consulaire avec les pays tiers en vue du retour de leurs ressortissants.
Il paraît clair que seul l’exercice d’une diplomatie active permet d’obtenir des améliorations. Un dialogue continu doit être mené avec les pays d’origine, couplé ainsi qu’on l’a dit avec l’ouverture de voies effectives de migrations légales. Des rendez-vous annuels à haut niveau politique pourraient aussi être organisés. Dans les pays « sensibles », nos ambassadeurs (et pas seulement les services consulaires) doivent être mobilisés sur la thématique migratoire et en particulier l’enjeu de la coopération consulaire. Les résultats obtenus doivent être évalués.
Recommandation
Mettre en place un dialogue continu de haut niveau (avec des rendez-vous annuels par exemple) avec les pays d’origine pour le suivi des engagements pris par chacune des parties en matière de migrations légales, de lutte contre les migrations illégales, et de réadmission. Mobiliser nos ambassadeurs sur la thématique migratoire et en particulier la coopération consulaire, et évaluer les résultats obtenus en la matière (dans les pays « sensibles »).
b. Soutenir la gouvernance et les stratégies migratoires
● S’agissant des pays sahéliens, notre action se déploie déjà mais doit encore être renforcée sur plusieurs autres thèmes ou projets (outre le soutien sécuritaire direct que nous apportons, notamment à travers l’opération Barkhane et l’appui à la force conjointe du G-5 Sahel) :
– les programmes d’amélioration du contrôle des frontières ;
– le rétablissement de la présence de structures gouvernementales au nord de ces pays, pour des raisons politiques et sécuritaires, mais aussi pour mieux secourir les individus en danger dans le désert ;
– les coopérations policières et judiciaires dans la lutte contre la traite des êtres humains, les trafics de stupéfiants et d’armes ;
– le soutien aux démarches globales entreprises par certains pays, comme le Plan national de lutte contre la migration irrégulière présenté par le Niger au sommet de La Valette de novembre 2015.
● Les pays du Maghreb ont la particularité d’avoir longtemps été principalement des pays d’origine des migrations avant de devenir également des pays de transit, voire de destination, ce qui est également le cas de certains pays subsahariens comme la Côte d’Ivoire.
Le Maroc en particulier et, à un moindre degré d’avancement, la Tunisie sont aujourd’hui engagés dans l’élaboration de véritables politiques migratoires nationales, assorties de mesures de protection des droits des migrants. Il est important d’appuyer ces évolutions.
Recommandation
Apporter notre soutien aux politiques mises en œuvre par nos partenaires en matière de contrôle des frontières et de lutte contre les trafics et la traite des êtres humains, et les aider dans l’élaboration de leurs stratégies migratoires nationales.
c. Favoriser les retours Sud-Sud
Les pays du Sahel et du Maghreb sont confrontés à des transits et des arrivées de migrants subsahariens. Ils sont en demande de soutien pour la mise en œuvre de rapatriements « Sud-Sud » de migrants présents sur leur sol. L’OFII a conduit de tels rapatriements depuis la Tunisie. Il y a des opportunités pour étendre ce type d’actions avec des fonds européens dans les nombreux pays francophones où, historiquement, la France a une présence forte.
Il y a également le cas particulièrement difficile de la Libye. Ce pays, du fait de sa position géographique, joue depuis longtemps un rôle important dans les migrations transsahariennes ([36]). Avec la chute du régime du colonel Kadhafi, il a cessé d’être un « verrou » migratoire pour devenir l’une des voies principales de passage des migrants africains à destination de l’Europe. Selon les estimations de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ils seraient entre 700 000 et un million présents sur le sol libyen, en provenance d’Afrique de l’Ouest et de la corne de l’Afrique (60 % de ces migrants seraient subsahariens), mais aussi du reste de l’Afrique du Nord (32 % de ces migrants) et de Syrie.
La seule politique d’endiguement des flux menée initialement, sans vision globale, s’est avérée coûteuse et parfois inefficace. L’opération Sophia a eu des résultats limités à défaut d’approche globale s’appuyant sur les autorités libyennes (et les pays voisins). Nous devons naturellement poursuivre le dialogue avec celles-ci et soutenir les actions engagées au niveau international pour stabiliser la Libye et y rétablir un État solide.
En attendant, il est essentiel de venir en aide aux personnes prises au piège en Libye et d’évacuer celles qui le souhaitent. Il convient de soutenir l’action de rapatriement des migrants africains mise en œuvre par l’OIM – 19 000 personnes rapatriées en 2017 – et accélérée après les révélations de l’année passée sur les très graves atteintes à leurs droits fondamentaux : enfermement de nombre d’entre eux dans des centres de détention ne répondant pas aux normes les plus élémentaires, a fortiori lorsqu’ils dépendent de milices ; mauvais traitements ; demandes de rançon ; vente comme esclaves de certains d’entre eux. Ces crimes ont été remarquablement documentés par des ONG telles qu’Amnesty International ([37]).
Recommandation
Aider à la mise en œuvre de retours Sud-Sud pour les migrants. En particulier, soutenir le rapatriement des migrants bloqués et maltraités en Libye.
3. Prendre en compte et encourager les initiatives régionales
Il y a aujourd’hui une prise de conscience du problème à l’échelle du continent africain. L’Union africaine s’est saisie du sujet et, lors du dernier sommet de l’organisation, le Roi du Maroc a présenté un rapport sur ces enjeux. Dans son discours, le Roi a rappelé un certain nombre de fondamentaux et formulé quelques propositions. Il a considéré que « la migration est un phénomène naturel qui constitue la solution et non pas le problème. Nous devons adopter une perspective positive sur la question de la migration en mettant en avant la logique humaniste de responsabilité partagée et de solidarité ». Il a appelé à l’élaboration d’une démarche globale dans le cadre de l’Agenda africain pour la migration et à faire de la migration un levier de codéveloppement et un pilier de la coopération Sud-Sud. Il a proposé la création d’un Observatoire africain de la migration et d’un poste d’envoyé spécial de l’Union africaine chargé de la migration.
Au niveau sous-régional, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est depuis 1979 un espace de libre circulation des personnes (pas d’obligation de visa pour les courts séjours), même si l’application de ce principe semble parfois aléatoire. La CEDEAO doit aujourd’hui concilier la libre circulation avec le renforcement des contrôles qu’implique la lutte contre les migrations irrégulières, mais aussi contre le terrorisme. Nous devons soutenir la CEDEAO dans la recherche d’un équilibre efficace entre libre circulation et contrôle des frontières.
D’autres initiatives régionales répondent également à des enjeux très importants pour l’avenir des pays africains et leur capacité de conserver chez eux leur population, ainsi de l’initiative pour la « Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel », qui réunit plus de vingt pays.
La protection des victimes potentielles de la traite ou plus simplement des dangers des routes migratoires peut aussi passer par la multiplication des campagnes visant à informer les jeunes des pays d’origine et les dissuader de se lancer dans une aventure où ils risquent de laisser leur vie, leur intégrité physique, leur liberté.
Recommandation
Encourager les coopérations Sud-Sud et les initiatives régionales en matière de migrations, de circulation des personnes, d’intégration économique ou encore de lutte contre le réchauffement climatique.
C. Favoriser la fluidité tout en rendant plus efficace la lutte contre l’immigration illégale
Pour les pays d’origine, les voies légales de migrations, en particulier de travail, sont la condition sine qua non de leur engagement en faveur de la lutte contre les migrations illégales ([38]). C’est également un moyen de réduire la demande d’asile exprimée en Europe. C’est enfin une incitation au départ des étrangers qui séjournent en situation irrégulière en Europe et en particulier en France : le fonctionnement actuel du système les conduit à rester à tout prix sur notre sol, quel que soit leur condition, car ils peuvent espérer à terme une régularisation (il y en a plus ou moins 30 000 par an en France), alors que leurs chances d’obtenir un visa de travail pour revenir depuis leur pays où ils seraient retournés sont minimes. C’est ce mode de fonctionnement qu’il faut changer.
1. L’existant en matière de migrations économiques : un dispositif centré sur l’attraction des « talents »
Depuis quelques années, la politique migratoire française cible les étrangers les mieux formés, dans une optique de compétition économique, tandis que le reste de notre dispositif réglementaire et administratif concernant l’immigration économique apparaît largement obsolète et donc contourné.
Créé en 2016, le « passeport talent » est un titre de séjour réservé à des catégories particulières de professionnels souhaitant travailler ou développer leur activité en France : jeunes diplômés, travailleurs hautement qualifiés (« carte bleue » européenne), chercheurs, créateurs d’entreprise, investisseurs, artistes, etc. C’est un dispositif délibérément élitiste, avec par exemple, pour les bénéficiaires salariés, des exigences élevées sur le niveau de salaire dont ils doivent justifier (32 000 à 54 000 euros bruts annuels au minimum selon les cas de figure). S’inscrivant clairement dans une perspective de concurrence internationale pour attirer les meilleurs, le passeport talent offre des conditions avantageuses : il est d’emblée délivré pour une durée pouvant atteindre quatre ans ; les activités des titulaires ne sont pas subordonnées à la délivrance d’une autorisation de travail et la situation de l’emploi ne leur est pas opposable ; leur famille bénéficie du droit au séjour dans les mêmes conditions.
Alors que la carte « compétences et talents », qu’il remplace, était restée confidentielle (200 à 300 attributions par an), le passeport talent a connu un démarrage favorable : 15 800 titres ont été délivrées en 2017, dont 7 400 correspondant à des entrées (le reste correspondant au renouvellement de titres de séjour antérieurs). Sur ces 7 400, 5 800 ont bénéficié aux « talents » à proprement parler, dont plus de 3 000 scientifiques, les autres étant attribués aux membres de leur famille les accompagnant.
Le projet de loi (article 20) étend quelque peu le champ des bénéficiaires potentiels du passeport talent. Par ailleurs, il permet (article 21) aux ex-étudiants en France qui ont ensuite quitté notre pays depuis moins de quatre ans d’y revenir (avec une carte de séjour spécifique valable un an) pour rechercher un emploi (cette possibilité de recherche d’emploi n’étant dans le droit en vigueur ouverte que dans la continuité immédiate des études).
b. Un dispositif français d’immigration de travail peu lisible et contourné
La France a délivré 27 700 nouveaux titres de séjour à motif économique en 2017, contre 23 000 en 2016 et 20 600 en 2015 : il y a donc une croissance assez nette (+ 11,4 % en 2016 ; + 20,5 % en 2017) de cette catégorie de titres. Cependant, les titres économiques n’ont représenté que 11 % de tous les nouveaux titres de séjour à des étrangers extra-communautaires en 2017. Pour l’ensemble de l’Union, c’est plutôt 25 % (voir l’annexe statistique au présent rapport pour plus de détails).
De plus, une part importante de ces titres économiques délivrés correspond en fait à des régularisations d’étrangers déjà installés en France : les « admissions exceptionnelles » au séjour pour motif économique ont fortement augmenté ces dernières années, passant de 2012 à 2017 de 2 300 à 6 600.
Pour le reste, l’augmentation la plus récente du nombre de titres économiques apparaît essentiellement imputable à la réussite du « passeport talent », donc à une catégorie particulière de travailleurs étrangers.
Dans un récent rapport ([39]), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) précise ces constats. Selon ce document, l’immigration « non économique » contribue davantage à notre marché du travail que l’immigration « économique » (et ce sans même tenir compte du travail « au noir » des étrangers en situation irrégulière) :
– l’immigration pour motifs familiaux contribuerait au moins deux fois plus au marché du travail que l’immigration officiellement économique ;
– les ressortissants européens entrant sur notre marché du travail seraient quant à eux de deux à quatre fois plus nombreux que les migrants économiques originaires de pays tiers ;
– enfin, les basculements du statut d’étudiant (étranger) à celui de travailleur représenteraient plus d’un tiers de l’immigration de travail en France (en 2015).
Après cela, la place de l’immigration économique « officielle » d’étrangers extra-communautaires arrivant en France avec un titre de séjour pour travail apparaît minime.
L’OCDE poursuit son analyse en étudiant les régularisations pour motif économique, dont on a dit le niveau élevé. Selon le rapport, ce niveau rendrait compte de besoins de main d’œuvre non satisfaits. Les données font apparaître que ces régularisations concernent en général des personnes nettement moins qualifiées que celles qui reçoivent les autres titres de séjour : en 2009, 63 % d’ouvriers et 27 % d’employés, concentrés dans quelques secteurs. Les régularisations auraient en 2009 représenté 27 % de tous les travailleurs extra-communautaires admis dans la construction, 46 % dans le secteur commerce-hôtellerie-restauration et jusqu’à 70 % dans l’emploi chez les particuliers.
Notre dispositif officiel d’immigration économique semble donc inadapté. L’OCDE met en avant de nombreuses barrières administratives, en particulier concernant le dispositif d’appréciation de la situation de l’emploi (qui permet de refuser des titres de séjour de travail). Dans un pays marqué par le chômage de masse, la prise en compte de la situation de l’emploi dans la gestion des migrations est légitime. Mais encore faut-il le faire de manière pertinente. L’OCDE considère pour sa part que notre dispositif est « complexe et inefficace », reposant sur des outils « obsolètes, voire déconnectés de la réalité du marché du travail ». Par exemple, la liste des trente « métiers en tension » pour lesquels les étrangers sont dispensés du test du marché de l’emploi n’a pas été revue depuis son édiction en 2008. Selon l’OCDE, en 2015, seuls 15 % des métiers inscrits sur cette liste seraient encore en tension sur l’ensemble de la France et près d’un tiers ne le sont plus que dans quelques grandes régions, tandis que, dans l’autre sens, de nombreux métiers en manque de main d’œuvre ne figurent pas sur la liste. De plus, les pratiques administratives pour l’appréciation de la situation de l’emploi laissent une large place au pouvoir discrétionnaire et ne seraient pas harmonisées entre les régions, ce qui conduit selon l’OCDE à une « régionalisation de fait de la politique d’immigration ».
c. La carte de séjour pour le travail saisonnier : l’exemple d’un dispositif intéressant dans son principe, mais mal appliqué
Il existe parmi les titres de séjour une carte « travailleur saisonnier » qui présente des caractéristiques intéressantes. Outre qu’elle correspond souvent à des emplois de qualification modeste, elle comprend deux contraintes particulières pour son bénéficiaire : il doit maintenir sa résidence habituelle hors de France ; la carte peut être délivrée pour plusieurs années (trois au plus), mais impose des allers-retours, le séjour n’étant autorisé que sur certaines périodes (au plus six mois par an). Il y a donc une volonté d’organiser une mobilité migratoire pour le travail.
Cependant, ce dispositif reste peu développé : à peine 2 300 titres saisonniers ont été délivrés en 2017, ce chiffre étant en lente croissance sur les années précédentes. Selon le rapport précité de l’OCDE, le dispositif reste cantonné essentiellement à l’agriculture (alors que les besoins de saisonniers concernent bien d’autres secteurs), ce dans seulement deux de nos régions (compte tenu de pratiques différentes des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi).
2. Réorienter notre dispositif de migrations économiques en favorisant les allers-retours
a. Mettre en place des dispositifs permettant les allers-retours
À l’occasion du discours qu’il a prononcé le 28 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou, le Président de la République, appelant à une « révolution de la mobilité » en Afrique, a souhaité que « tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir, quand ils le souhaitent et aussi souvent qu’ils le souhaitent, grâce à des visas de circulation de plus longue durée », afin de rendre possibles des « allers retours choisis, organisés » et une « mobilité de liberté » plutôt que « de nécessité ».
L’article 21 du projet de loi, comme on l’a dit, apporte une première réponse à cette demande en autorisant le retour en France pour une recherche d’emploi, dans un délai de quatre ans, d’anciens étudiants qui y ont été diplômés avant de rentrer chez eux ou de séjourner dans un pays tiers.
Par ailleurs, il faut se féliciter de la mise en place (en cours) d’une base de données pour l’enregistrement des entrées et sorties dans et de l’espace Schengen, qui fournira les moyens effectifs de contrôler l’application de dispositions de mobilité circulaire de ce type.
Mais ce ne sont que des premiers pas. La fluidification des allers-retours demande que l’on se penche sur l’ensemble des obstacles que rencontrent les personnes, obstacles qui résultent des règles administratives, mais aussi des difficultés de réinsertion sociale et professionnelle. En effet, la mobilité professionnelle internationale pose des problèmes de reconnaissance mutuelle des qualifications et des expériences professionnelles, ainsi que de portabilité des droits sociaux. Si nous voulons inciter les migrants à retourner dans leur pays d’origine, ces enjeux doivent être expertisés. Il faudrait notamment s’interroger sur la possibilité de faire bénéficier des migrants, avant leur retour, d’une validation des acquis de l’expérience professionnelle susceptible d’être valorisée dans leur pays d’origine, ou encore de formations spécifiques. La recherche d’emploi doit être facilitée. On pourrait aussi imaginer que les enfants de migrants ayant séjourné un certain temps en France avant de retourner dans leur pays auront des priorités d’accès aux établissements de l’enseignement français à l’étranger.
Recommandation
Favoriser des migrations plus fluides par des mesures telles que la mise en place de visas de circulation de longue durée permettant des allers-retours choisis et la facilitation des transitions professionnelles (validation des qualifications et expériences professionnelles, parrainage, formations adaptées, aide à la recherche d’emploi, portabilité des droits sociaux, etc.).
b. Ouvrir le débat sur notre dispositif de migrations économiques
Notre dispositif de migrations économiques doit être remis à plat.
Il y a bien sûr des ajustements techniques à opérer. S’agissant des voies légales existantes pour les migrations de travail, l’actualisation de la liste des « métiers en tension » est un préalable et un minimum. L’OCDE, dans son rapport précité, suggère des réformes plus poussées : rendre les procédures d’appréciation de la situation de l’emploi plus transparentes et réduire les différences de pratiques qui se maintiennent entre les administrations (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) ; voire envisager un changement complet d’approche en décidant que la situation de l’emploi ne peut pas être opposée à l’embauche d’un étranger dès lors que l’offre d’emploi n’a donné lieu à aucune candidature recevable dans un certain délai.
Plus fondamentalement, il y a un enjeu de clarté et de méthode. Est-il acceptable d’avoir un dispositif officiel d’immigration de travail qui ne laisse entrer pratiquement que des personnes diplômées de l’enseignement supérieur, mais est massivement contourné par d’autres voies ? La question devrait être débattue ouvertement, en particulier au Parlement, afin que le niveau de migrations économiques que nous souhaitons soit explicitement discuté et choisi, puis mis en œuvre d’une manière lisible pour ceux qui espèrent venir travailler en France, tandis que les contournements par d’autres voies d’immigration seraient maîtrisés.
Recommandation
Ouvrir le débat sur l’immigration économique, compte tenu du caractère obsolète de notre dispositif actuel, du faible niveau (en comparaison européenne) des entrées d’étrangers effectuées dans ce cadre et des contournements massifs dont il est l’objet.
3. Mobiliser les leviers diplomatiques au bénéfice de la politique de retour et de lutte contre l’immigration irrégulière
La mise en œuvre des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière renvoie largement à des questions d’organisation et de procédures administratives et judiciaires internes qui ne relèvent pas de la compétence de la commission des affaires étrangères.
Il est cependant important d’être conscient que, de manière générale, notre pays paraît peu efficace pour obtenir le départ effectif des personnes qu’il décide d’éloigner :
– d’un côté, selon les données d’Eurostat, la France est le pays qui délivre le plus d’obligations de quitter le territoire (OQT) – en moyenne 81 000 par an sur 2010-2016, contre moins de 59 000 au Royaume-Uni, deuxième pays, 50 000 en Espagne, 34 000 en Allemagne, etc. (voir l’annexe statistique au présent rapport pour le détail par État-membre) ;
– de l’autre, la France met peu en œuvre ces décisions – le rapport entre les départs effectifs d’étrangers sous obligation de quitter le territoire et le nombre de ces obligations délivrées a été globalement, sur la même période, de 23 % en France, contre 44 % en moyenne européenne, 71 % en Suède, 89 % en Allemagne et au Royaume-Uni ([40]).
S’agissant des seuls déboutés du droit d’asile, le taux de retour à partir de notre pays serait encore plus faible d’après la Cour des comptes, ou du moins l’était en 2009-2013 (exercices visés par le contrôle de la Cour) : dans un référé de 2015 ([41]), celle-ci relevait que « le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), notifiées aux personnes déboutées du droit d’asile, est de 6,8 %, à comparer avec une moyenne de 16,8 % pour l’ensemble des étrangers en situation irrégulière. Cependant, seule une personne déboutée sur deux reçoit une OQTF. In fine, plus de 96 % des personnes déboutées resteraient en France, compte tenu, d’une part, du taux d’exécution très faible des OQTF et, d’autre part, des procédures et des recours engagés par les demandeurs d’asile ».
Il est clair que cette situation n’est pas satisfaisante. Les spécialistes de la question observent que le taux décevant d’exécution des OQTF est lié à leur nombre élevé, mais cette réponse n’est pas suffisante. Il serait pertinent d’analyser les pratiques des pays européens qui nous entourent.
Outre les laissez-passer consulaires évoqués supra, deux volets liés à la politique de lutte contre les migrations irrégulières relèvent plus spécifiquement du domaine international : la politique de retours volontaires ; la lutte au plan international contre les réseaux de passeurs et de trafiquants d’êtres humains.
a. Favoriser les retours volontaires et mieux les accompagner
Il existe un dispositif d’aides au retour des migrants en situation irrégulière, qui est mis en œuvre par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Ces aides comprennent une aide administrative et matérielle à la préparation du voyage (réservation de billets de transport aérien, aide à l’obtention des documents de voyage, etc.), une prise en charge des frais de transport et une aide financière versée au ressortissant étranger en une seule fois, au moment du départ.
Le tarif de base de l’aide financière forfaitaire est de 650 euros pour les ressortissants de pays tiers soumis à visa, 300 euros pour ceux de pays dispensés de visa (et le Kosovo), 50 euros pour les ressortissants européens. Un système de majoration établi lors du démantèlement du campement de Calais et reconduit en 2017 permet sous conditions de porter ce montant jusqu’à 2 500 euros.
Peuvent s’y ajouter des aides à la réinsertion. Celles-ci ne sont versées que dans une trentaine de pays où sont mis en place des dispositifs de réinsertion gérés soit directement par l’OFII, soit dans le cadre de programmes européens ou de partenariats spécifique. Leur montant et leurs modalités varient selon les pays. Dans le cas général, elles s’articulent sur trois niveaux :
– l’aide à la réinsertion sociale (aide d’urgence pour la prise en charge des premières dépenses suscitées par le retour, dans la limite de 400 euros par adulte et 300 euros par enfant à charge) ;
– l’aide à la réinsertion par l’emploi (par exemple, aide à la recherche d’emploi, financement de formation professionnelle, voire subvention à l’employeur en cas de reprise d’emploi, dans la limite de 4 000 euros) ;
– l’aide à la création d’entreprise, dans la limite de 3 500 euros.
Selon l’OFII, en 2017, 7 710 étrangers ont bénéficié d’une aide au retour volontaire. Les aides à la réinsertion, qui complètent l’aide au retour de base dans certains cas, ont été versées à 1 894 personnes.
L’article 13 du projet de loi supprime l’interdiction qui est actuellement faite aux étrangers placés en rétention de solliciter une aide au retour, ce qui devrait amener à une augmentation des retours aidés. L’étude d’impact explique qu’en termes budgétaires, la suppression de cette interdiction devrait avoir un impact positif car le coût moyen des aides au retour est inférieur à celui des escortes policières qu’il faut prévoir pour les retours forcés.
Les bénéficiaires des aides au retour sont actuellement l’objet d’un suivi très limité : seuls ceux, minoritaires, recevant une aide à la réinsertion sont suivis après leur retour par l’OFII ou ses correspondants, ce pendant un an. Nous regrettons cette situation, car il serait utile d’être en mesure de suivre sur le moyen terme la réinsertion d’un nombre significatif de personnes pour évaluer la pertinence de la politique d’aide au retour. Nos diplomates devraient être impliqués sur cette question.
La France a besoin d’une politique efficace en matière de retour volontaire. Sans nécessairement en reprendre les règles, il serait utile d’analyser les programmes mis en place par nos partenaires européens.
En Allemagne, par exemple, il existe des programmes de retour volontaire des demandeurs d’asile et des réfugiés (donc de personnes en situation régulière) qui ont permis le retour en 2016 de 54 000 personnes, dont près de 55 % avant le terme de leur première année de présence sur le sol de ce pays (et 98 % avant trois années de présence) : les aides proposées sont dégressives en fonction de la durée de séjour afin d’inciter à des départs rapides. Les bénéficiaires de ces programmes étaient certes issus principalement des pays des Balkans occidentaux, mais on relève également un nombre significatif de personnes aux origines plus lointaines, par exemple plus de 5 000 Irakiens et plus de 3 000 Afghans ([42]).
Nos diplomates ainsi que le dispositif français d’aide au développement pourraient utilement être mobilisés pour la réussite de la politique d’aide au retour. Par exemple, le groupe de l’Agence française de développement (AFD) pourrait proposer des micro-crédits aux personnes retournées qui créent leur entreprises (ou à leur employeur si elles sont embauchées dans une petite entreprise). Les différentes pistes évoquées supra concernant la mobilité circulaire (en matière de formation, validations des acquis, portabilité des droits, etc.) sont également pertinentes pour l’accompagnement des retours.
Recommandation
Favoriser les retours volontaires. Mobiliser nos diplomates et opérateurs, en particulier l’Agence française de développement, pour accompagner la réinsertion des personnes dans leur pays d’origine, en assurant un contrôle effectif des fonds dédiés.
b. Lutter plus efficacement contre les passeurs et la traite des êtres humains
En 2015, au plus fort de la crise migratoire, le directeur d’Europol, Rob Wainwright, estimait que 90 % des migrants étaient entrés illégalement en Europe en utilisant « un service de facilitation », précisant que « dans la plupart des cas, ces services ont été fournis par des groupes criminels réalisant des gains substantiels ». Cette même année, le « chiffre d’affaires » des trafiquants sur les routes européennes se serait situé entre 3 et 6 milliards d’euros.
Une politique migratoire efficace ne peut pas se désintéresser de la lutte contre les trafics, compte tenu des gains financiers énormes et trop faciles qu’ils permettent, des enjeux politiques et sécuritaires qui y sont liés (complaisance des autorités en place ou des milices, par exemple en Libye, pour les trafics, voire infiltration terroriste des réseaux de trafiquants ([43])…), enfin et surtout, des atteintes très graves aux droits fondamentaux de la personne humaine qu’ils entraînent. La vente aux enchères de jeunes migrants africains en Libye, dénoncée dans les médias internationaux, a suscité des réactions particulièrement vives, mais bien d’autres crimes sont commis aux dépens des migrants ; par exemple, il a également été fait état de trafics d’organes en Égypte. Le Président de la République a à bon droit employé le terme « esclavagisme » dans son discours à l’Université de Ouagadougou.
On constate de plus en plus que ce sont les mêmes réseaux qui se livrent au trafic de migrants, de drogue, d’armes et à la traite des êtres humains, en lien avec les groupes terroristes. Cependant, d’un point de vue juridique, il faut garder à l’esprit la distinction entre le « simple » trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains, laquelle est précisément définie dans notre code pénal ([44]) : « la traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation » dans certaines circonstances bien définies, telles que l’emploi de menace ou de contrainte ou l’abus d’une situation de vulnérabilité. L’« exploitation » visée peut correspondre à plusieurs cas de figure : prostitution, esclavage, travail forcé, mendicité ou délinquance forcée, prélèvement d’organe. On compterait au moins 21 millions de victimes de la traite dans le monde, dont 5,4 millions d’enfants ([45]), et 2,5 millions de nouvelles victimes seraient « recrutées » par an ! La forme dominante de la traite est l’exploitation sexuelle (54 % des victimes), suivie du travail forcé (38 % des victimes). La traite représenterait un « chiffre d’affaires » annuel mondial de plus de 30 milliards d’euros.
Au plan international, le trafic de migrants et la traite des êtres humains sont définis et condamnés par la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000, dite de Palerme, et les deux protocoles qui y sont annexés, l’un consacré au trafic illicite de migrants, l’autre à la traite des personnes, ainsi que par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Au niveau européen, il convient de citer la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée à Varsovie en 2005.
À l’échelle nationale, la lutte contre les filières d’immigration irrégulière est assurée depuis 1996 par un service de la police aux frontières (PAF) à compétence nationale : l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre. Le dispositif national semble produire des résultats. Le nombre de filières d’immigration irrégulière démantelées a constamment augmenté ces dernières années : 178 filières ont été démantelées en 2012, 203 en 2013, 221 en 2014, 251 en 2015 et 286 en 2016.
Au plan européen, l’opération Sophia déployée en Méditerranée centrale depuis 2015 n’a obtenu que des résultats limités (110 passeurs présumés arrêtés), faute notamment de pouvoir intervenir dans les eaux territoriales libyennes. Europol a également lancé un centre européen pour la lutte contre le trafic de migrants (European Migrant Smugling Centre) en février 2016. Mais ces initiatives peinent à aboutir à des résultats concrets.
Il existe plusieurs pistes d’amélioration de la réponse collective aux trafiquants.
● Au niveau international, la ratification de la convention de Palerme et de ses protocoles annexés par les pays d’origine ou de transit des migrants qui n’en sont pas encore membres est une priorité. En particulier, le « Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air » n’est pas ratifié par un certain nombre de pays d’Afrique et d’Asie tels que le Bangladesh, le Maroc, l’Érythrée, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud.
● Il est également nécessaire de poursuivre le renforcement capacitaire des pays d’origine et de transit dans la lutte contre les trafics.
L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) élabore, en collaboration avec Interpol et Europol, des modules d’entraînement dans le domaine de la prévention et de la lutte contre le trafic des migrants ; ce sont des efforts à poursuivre.
On peut saluer des initiatives innovantes comme celle prise par la France et l’Espagne avec le Niger : ces trois pays ont mis en place à Niamey une équipe conjointe d’investigation sur l’immigration irrégulière, la fraude documentaire et la traite des êtres humains. 6 millions d’euros doivent y être consacrés sur trois ans (sur financement européen) et 18 policiers (dont 3 Français et 3 Espagnols) y sont affectés. Cette équipe avait déjà, fin 2017, clôturé 86 affaires et procédé à 80 interpellations. Cette initiative mérite d’être soutenue et développée.
Autre initiative, la mission européenne « EUCAP Sahel Niger » est dotée d’un volet migratoire renforcé depuis 2015. Pour plus d’efficacité, il conviendrait de faire évoluer son mandat en vue de le rendre plus opérationnel.
Plus généralement, la lutte contre les trafics de migrants et la traite doit rester au centre du dialogue politique avec les pays d’origine et de transit, comme c’est le cas avec les pays du Sahel depuis un an, largement à l’initiative de la France. Il faut ici rappeler que des représentants du Niger, du Tchad, de la Libye, de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne ont affirmé, dans une déclaration conjointe adoptée à Paris le 28 août 2017, leur volonté de lutter contre les réseaux de passeurs. Le 16 mars 2018 s’est tenue à Niamey une réunion de coordination de la lutte contre le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains qui a associé les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères de plusieurs pays africains et européens (France, Allemagne, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Espagne, Guinée, Italie, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad), ainsi que des représentants de l’Union européenne, l’Union africaine et diverses organisations internationales (OIM, HCR, ONUDC, etc.). Les participants à cette réunion ont adopté une déclaration conjointe qui comprend un programme complet de coopération : soutien au renforcement des cadres législatifs nationaux, des outils nationaux, des capacités des forces de défense et de sécurité, du contrôle des frontières en matière de lutte contre les trafics de migrants et la traite ; coopération judiciaire ; mais aussi protection des victimes et développement durable. Cette démarche doit être poursuivie avec des rendez-vous réguliers.
● En vue de faciliter les échanges d’informations, on pourrait généraliser les accords entre les agences européennes pertinentes en la matière, tout en incitant à un rapprochement des modes d’organisation, dont les différences entre États européens complexifient les coopérations. Une avancée a eu lieu depuis que les informations recueillies dans le cadre de « débriefings » de migrants par des agents intervenant sous l’égide de Frontex peuvent être transmises à Europol, qui peut ensuite les exploiter sur le plan judiciaire.
● Plus généralement, il faut continuer à renforcer les moyens d’investigation, de renseignement et de poursuites en s’inspirant des meilleures pratiques entre États-membres.
● Même si l’efficacité de ce moyen de lutte est limitée du fait de l’utilisation par les trafiquants de moyens de paiement, de conservation et de transfert de fonds qui sont en-dehors du système bancaire officiel, on doit mobiliser les dispositifs de sanctions financières (gels d’avoirs, interdictions de transactions, mesures anti-blanchiment), comme la France l’a suggéré lors du débat sur la traite des migrants qui a eu lieu au Conseil de sécurité des Nations unies le 28 novembre 2017.
Recommandation
Lutter plus efficacement contre les passeurs et la traite des êtres humains en plaidant pour la ratification généralisée de la convention de Palerme, en mobilisant les dispositifs de sanctions financières (gels d’avoirs, interdictions de transactions et mesures anti-blanchiment), en renforçant les capacités opérationnelles des pays d’origine et de transit, ainsi que la coopération judiciaire au sein de la CEDEAO.
4. Mieux protéger les victimes
Le renforcement de la coopération internationale dans la lutte contre les passeurs et les réseaux de traite doit s’accompagner d’un effort accru de protection de leurs victimes et plus généralement des migrants les plus vulnérables, les enfants et les femmes.
En France, la protection des victimes étrangères de la traite a été renforcée en 2016 ([46]). Les victimes de traite des êtres humains et/ou de proxénétisme ont droit à une carte de séjour temporaire d’un an (renouvelable) lorsqu’elles portent plainte ou témoignent contre les auteurs. Une autorisation provisoire de séjour d’au moins six mois (renouvelable jusqu’à deux ans) peut être délivrée à celles qui s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sans accepter de participer à l’action pénale. Par ailleurs, ces personnes accèdent parfois à la protection internationale (protection subsidiaire, voire asile dans certains cas comme cela a été jugé par la CNDA pour de jeunes Nigérianes de l’État d’Edo ou des victimes de réseaux criminels est-européens). Lors de son audition le 14 février 2018 par la commission des affaires étrangères ([47]), le directeur général de l’OFPRA a indiqué que 7 000 petites filles sont aujourd’hui protégées par cette institution contre le risque d’excision.
Le projet de loi élargit la protection des publics vulnérables, notamment à ses articles 32 et 33 : il facilite la transmission à l’OFPRA des certificats médicaux concernant les jeunes filles excisées ou menacées de l’être ; il prévoit la délivrance de plein droit d’une autorisation de séjour temporaire aux personnes menacées de mariage forcé, celle d’une carte de résidence aux conjoints de personnes condamnées définitivement pour violences conjugales et la protection contre le retrait de leur titre de séjour au bénéfice des victimes de violences familiales.
L’accompagnement des victimes de la traite doit être organisé de manière à ce qu’elles puissent envisager sereinement soit leur intégration, accompagnée de mesures spécifiques d’insertion, soit un retour au pays qui devrait être particulièrement accompagné (afin qu’elles ne retombent pas sous la coupe des réseaux).
Recommandation
Améliorer la protection et la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains, en vue de leur intégration ou de leur retour dans leur pays, en mettant en place des moyens d’accompagnement nécessaires.
D. Repenser l’aide au développement
En retour, les migrations ont aussi une incidence sur l’économie et le développement par de multiples canaux, tels que les envois de fonds vers les pays d’origine ou encore par la « fuite des cerveaux ». Notre politique d’aide au développement doit prendre en compte ces interactions complexes.
1. Les envois de fonds des migrants : une contribution massive à la vie des populations locales
Les transferts de fonds des migrants à leurs familles sont difficiles à évaluer. La Banque mondiale estime à 450 milliards de dollars les envois de fonds vers les pays en voie de développement en 2017, dont 38 milliards en direction de pays d’Afrique subsaharienne et 51 milliards vers des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Globalement, ces transferts de fonds représenteraient un volume trois fois supérieur à celui de l’aide publique au développement (142,6 milliards de dollars en 2016). De plus, les fonds envoyés par les migrants vont directement vers leurs familles (sous réserve du prélèvement de frais par les intermédiaires financiers, qui atteint en moyenne 7,2 % du montant transféré), alors que l’aide au développement, malheureusement, est trop souvent détournée de sa finalité.
D’après la Banque mondiale, les transferts financiers effectués par les migrants représentent une ressource très importante pour certaines économies africaines : ils atteindraient 26 % du PIB au Liberia, 22 % en Gambie, plus de 13 % au Cap-Vert et au Sénégal, un peu moins de 7 % au Maroc et au Mali. Il en est de même pour les économies les plus pauvres d’Europe : près de 22 % du PIB en Moldavie en 2016, 15 % au Kosovo, entre 8 % et 11 % pour le Monténégro, la Bosnie, l’Albanie et la Serbie.
Au niveau national, les transferts de fonds des migrants établis en France vers leurs familles sont évalués, pour 2016, à 10 milliards d’euros, dont 5,4 milliards à destination de pays africains. Parmi les pays destinataires de transferts significatifs de la part de leurs ressortissants établis en France, on relève (outre plusieurs de nos voisins européens) : le Maroc (2 milliards d’euros) ; l’Algérie (1,4 milliard) ; la Tunisie (765 millions) ; le Sénégal (317 millions) ; Madagascar (285 millions) ; le Vietnam (248 millions) ; le Mali (184 millions).
Toute politique de gestion des migrations doit prendre en compte cette réalité : les envois de fonds des migrants constituent une ressource essentielle pour les économies de nombreux pays d’origine. Cependant, ils sont aujourd’hui principalement affectés à la consommation. Il serait utile de parvenir à mobiliser les diasporas pour favoriser une affectation partielle de ces fonds à l’investissement.
2. Mieux coordonner aide au développement et objectifs en matière migratoire
L’expertise sur les liens entre politiques de développement et migrations doit notamment permettre de mieux prendre en compte les enjeux migratoires dans notre aide publique au développement. C’est une nécessité pour appliquer les priorités clairement définies à cet égard par le Gouvernement.
Le relevé de conclusions du dernier Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), tenu le 8 février 2018, fixe en effet une feuille de route très claire à notre politique de développement. Parmi de nombreux objectifs, elle doit notamment permettre « de travailler sur les causes profondes des migrations irrégulières, d’accompagner les migrations régulières et de venir en appui des réfugiés et déplacés internes ». Dans le détail, il s’agirait en particulier d’« appui pour mettre en place des outils et des procédures de contrôle et de sécurisation [des] frontières terrestres, maritimes et aéroportuaires [des partenaires] (…), pour mettre en place un état civil fiable et délivrer des documents d’identité sécurisés », ainsi que d’« élaboration conjointe de projets visant à démanteler les réseaux de passeurs et de traite des êtres humains et à poursuivre leurs auteurs dans un cadre judiciaire », ou encore de mobilisation des « instruments d’aide au retour volontaire et à la réinsertion économique et sociale » et de promotion des « dispositifs facilitant la migration régulière, en particulier de mobilité circulaire ». Un « Plan d’action – Migrations internationales et développement 2018-2022 » a été rédigé en conséquence par les différentes administrations concernées.
Les objectifs sont donc clairs. Encore faut-il que notre politique d’aide au développement soit en adéquation avec ceux-ci.
a. La pertinence de notre aide au développement est interrogée
Nous nous réjouissons naturellement de la décision de porter le volume de notre aide publique au développement à 0,55 % du PIB d’ici 2022.
Mais cet effort très conséquent doit s’accompagner d’une évaluation de ce qui a été fait jusqu’à présent, afin que ces moyens accrus soient utilisés au mieux.
Sans anticiper sur les conclusions futures de la mission d’information mise en place par la commission des affaires étrangères sur cette question, il apparaît pertinent de faire un bref état des lieux.
● Notre aide publique au développement apparaît comme largement illisible. Selon les documents budgétaires ([48]), l’effort français d’APD devrait s’élever en 2018 à 10,3 milliards d’euros, dont 8,9 milliards d’euros sur le budget de l’État, mais sur ce montant 2,4 milliards d’euros sont formellement inscrits sur la mission (au sens budgétaire) « Aide publique au développement », soit 27 % seulement de l’effort de l’État. Sont prises en compte dans l’APD des dépenses telles que celles liées à la prise en charge des demandeurs d’asile issus des pays en développement – bien que ces dépenses soient effectuées sur le sol national – ou encore les frais d’écolage des étudiants venant de ces pays – dont par exemple la Chine.
● Elle a une certaine difficulté à définir des priorités géographiques (selon le relevé de conclusions du CICID précité, tout de même 19 pays prioritaires ([49])).
● Elle est largement orientée vers des pays à revenu intermédiaire plutôt que très pauvres, ce qui est notamment lié à l’importance de sa composante sous forme de prêts (moins adaptés que les dons aux pays les plus en difficulté, dont les capacités de remboursement sont limitées). À titre d’illustration, les premiers bénéficiaires des financements du groupe de l’Agence française de développement en 2016 ont été, dans l’ordre : la Turquie (423 millions d’euros), la Côte d’Ivoire (412 millions), le Mexique (357 millions) et l’Inde (312 millions). Les autorisations de financement de l’AFD étaient en 2016 plus importantes pour les « très grands émergents » ([50]) (1,4 milliard d’euros) que pour les « pays pauvres prioritaires » (0,9 milliard) ([51]).
● Enfin, elle privilégie trop souvent la contribution à des instruments multilatéraux plutôt que l’action bilatérale (officiellement, 47 % de l’APD française, dans la loi de finances pour 2018, transiterait par les instruments multilatéraux ou européens, mais certains experts évaluent plutôt à deux tiers cette part). Or, le développement de moyens d’action bilatéraux est nécessaire si l’on veut mettre en œuvre des priorités politiques. De plus, il permet de « valoriser » au mieux les contributions multilatérales en orientant l’action des instruments multilatéraux, car ceux-ci interviennent généralement en cofinancement (il faut une mise de fonds nationale).
Face à cet état des lieux, le dernier CICID annonce certes des réorientations pertinentes, telles que l’affectation des deux tiers des moyens nouveaux mis en place d’ici à 2022 à la composante bilatérale de l’APD et le renforcement de la composante « dons ». Il y a aussi, comme on l’a dit, la volonté accrue de prendre en compte les enjeux migratoires et plus généralement de s’inscrire dans une « approche globale des crises et des fragilités » en articulant problématiques de sécurité et développement. La « facilité d’atténuation des vulnérabilités » devrait voir ses moyens doublés, pour atteindre 200 millions d’euros par an d’ici 2020, dont une partie significative sera consacrée au Sahel.
Concrétiser les nouvelles orientations décidées par le Gouvernement pour l’aide publique au développement, en particulier le renforcement de la part du bilatéral par rapport au multilatéral et des dons par rapport aux prêts, ainsi que la prise en compte des enjeux migratoires et de sécurité.
b. Donner la priorité aux pays à la fois les plus fragiles et les plus stratégiques, en particulier au Sahel
Les pays du Sahel cumulent tous les risques en matière migratoire et sécuritaire : démographie incontrôlée, fragilité politique, menace terroriste et risque climatique.
L’aide bilatérale sous forme de subventions ou aides budgétaires apportée par l’Agence française de développement à l’ensemble des pays du G5 Sahel n’a représenté que 75 millions d’euros en 2016 (70 millions en 2015) ([52]). Il y a de toute évidence un intérêt à consacrer plus de moyens, y compris budgétaires, au développement du Sahel, pour permettre à terme de réduire le coût de notre présence sécuritaire.
Recommandation
Définir des priorités géographiques en fonction de la fragilité et du caractère stratégique des pays. Déployer des moyens substantiels qui soient à la hauteur des enjeux, en particulier dans le Sahel.
c. Être en mesure de dégager des moyens pour prévenir et traiter les crises
La crise migratoire de 2015 a été déclenchée par l’arrivée massive de réfugiés syriens en Europe. Pour éviter ce type de crises, ou du moins en limiter l’ampleur, la capacité de déployer rapidement des moyens financiers au plus près des zones de crise est déterminante.
Malheureusement, on a constaté que l’aide mobilisée par la France en réponse aux conséquences de la crise syrienne a été plus que modeste au regard des contributions de nos principaux partenaires et des besoins de financement identifiés :
– de 2011 à 2015, cette aide (utilisée principalement dans les pays voisins de la Syrie) s’est ainsi élevée à 155 millions d’euros en dons, soit environ 30 millions par an. Elle a été portée à 200 millions d’euros sur la période 2016-2018 ([53]), soit environ 65 millions par an ;
– dans le même temps, nos grands partenaires européens et américains ont pris des engagements bien plus conséquents. Lors de la conférence des donateurs pour la Syrie réunie à Londres en février 2016, la Grande-Bretagne, la Norvège et l'Allemagne ont respectivement promis 1,76 milliard, 1,17 milliard et 2,57 milliards de dollars sur trois ans, soit des efforts annuels de plusieurs centaines de millions. Les États-Unis avaient annoncé pour leur part une contribution annuelle de 890 millions de dollars. Bien sûr, les engagements pris dans ce genre de rendez-vous internationaux sont souvent artificiellement gonflés et pas toujours tenus ; il n’empêche que les montants sont impressionnants en comparaison de ceux que la France a mis en œuvre.
Que cela résulte de la contrainte budgétaire ou du mode de gestion de nos aides (priorité donnée aux instruments multilatéraux et aux prêts), il est clair que nous n’avons pas été en mesure, ces dernières années, de faire preuve de la réactivité financière qu’appellent des crises de cette nature. Nous devons intégrer ce constat dans la réflexion globale à mener sur l’architecture de notre aide publique au développement.
Recommandation
Être en capacité d’apporter notre soutien aux pays d’accueil des réfugiés dès le début des crises.
d. Choisir les bonnes priorités sectorielles : gouvernance ; éducation et démographie ; développement agricole et local ; petites entreprises
En cohérence avec le nouveau partenariat Union européenne-Afrique, notre politique de développement doit travailler à donner des perspectives d’avenir et de l’espoir à la jeunesse candidate à l’émigration. Pour cela, il convient de choisir des priorités sectorielles de nature à créer sur place de l’emploi. Les gisements d’emploi sont dans l’agriculture, le développement local, les petites entreprises, qui méritent en conséquence d’être priorisés.
L’accès à l’eau, à l’énergie, à la santé, ainsi qu’à un minimum de services et d’infrastructures dans le milieu rural est une autre nécessité pour stabiliser les populations. Au Niger, 0,2 % de la population rurale a accès à l’électricité, ce qui ne laisse guère de possibilité de développement.
Le développement local ou le soutien aux petites entreprises sont des actions qui reposent généralement sur des petits projets pour lesquels la coopération décentralisée est souvent très efficace. La coopération décentralisée doit être soutenue et mieux intégrée à notre effort global d’aide au développement.
Par ailleurs, dans le cas de pays, comme ceux du Sahel, où la transition démographique est à peine (ou pas du tout) commencée, le soutien aux politiques de type planning familial est un impératif pour atténuer les futurs pressions migratoires. L’accès à l’éducation, tout particulièrement pour les filles, est aussi essentiel – on sait en effet qu’elle a un effet démultiplicateur sur les transitions démographiques, même s’il faut une génération pour que les efforts engagés dans ce domaine se traduisent en résultats tangibles. Il est heureux que la Présidence de la République ait annoncé un renforcement du Partenariat mondial pour l’éducation ([54]), mais il faut aussi veiller à ce que d’autres bailleurs multilatéraux en fassent un objectif prioritaire.
Les enjeux des coopérations régaliennes sont également centraux : (re)construction des forces de sécurité ; maîtrise des frontières et lutte contre les trafics ; mise en place d’un état-civil et de documents d’identité fiables ; lutte contre la corruption ; renforcement des capacités des administrations techniques, lequel est notamment une condition pour que l’aide au développement soit efficacement absorbée… L’amélioration globale de la gouvernance passe aussi par le soutien à la structuration des sociétés civiles, qui pallient souvent aux défaillances des autorités publiques.
Une autre dimension, déjà évoquée, est celle de l’accompagnement, notamment par le crédit, des projets professionnels des personnes qui retournent dans leur pays d’origine après avoir séjourné en France, qu’il s’agisse de retours contraints faisant suite à une situation irrégulière ou, par exemple, au retour d’étudiants au terme de leur cursus : dans ce cas de figure, l’aide au développement viserait aussi à limiter la « fuite des cerveaux ».
Recommandation
Fixer des priorités claires à notre aide au développement : gouvernance et lutte contre la corruption ; éducation et transition démographique ; développement agricole et local ; soutien aux petites entreprises. Évaluer les résultats obtenus.
E. Prêter une attention particulière à l’entourage régional de nos outremers
Plusieurs de nos collectivités d’Outremer sont aujourd’hui déstabilisées par des phénomènes migratoires qui sont, à leur échelle, sans commune mesure avec ce que l’on peut constater ailleurs sur le territoire français et entraînent, on le voit bien aujourd’hui dans le cas de Mayotte, des difficultés énormes et des mouvements sociaux.
Le cas mahorais est certes extrême et la commission des affaires étrangères a décidé de constituer une mission d’information sur les Comores ([55]). Déjà en 2015 (et la situation a encore évolué depuis), 42 % des habitants adultes de Mayotte étaient nés aux Comores ; 41 % de ces habitants adultes étaient de nationalité comorienne, dont plus de la moitié en situation irrégulière ([56]). Cette situation de forte pression migratoire se retrouve dans d’autres collectivités, en Guyane, aux Antilles, confrontées à l’arrivée en nombre de demandeurs d’asile haïtiens ou à une immigration mal contrôlée depuis le Brésil.
Le projet de loi comprend des mesures techniques d’adaptation aux spécificités de l’Outremer. Mais au-delà de ces adaptations réglementaires et naturellement du soutien spécifique qu’il faut apporter à nos concitoyens d’Outremer confrontés à de grandes difficultés, notre diplomatie et nos opérateurs du développement doivent porter une attention particulière à l’entourage régional de nos Outremers.
En 2016, l’Agence française de développement a financé des projets aux Comores à hauteur de 4,5 millions d’euros. Cela représente 0,05 % des 9,4 milliards d’euros de financements globaux de l’agence. S’agissant d’Haïti, les concours de l’agence la même année ont été à peine plus importants : 15,4 millions d’euros en subventions et garanties.
Il convient qu’une action spécifique d’envergure soit conçue et menée en direction des pays de l’entourage géographique de nos Outremers, centrée sur des projets de codéveloppement concrets et suivie dans le temps.
Recommandation
Développer un cadre de coopération spécifique avec les pays du voisinage de nos Outremers.
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La communauté internationale dans son ensemble a pris progressivement conscience de l’enjeu des migrations et de la nécessité d’adopter des principes communs.
Une première réalisation qu’il faut saluer est l’« Initiative Nansen » : il s’agit d’un processus de consultations avec des gouvernements volontaires et la société civile qui a été lancé en 2012 par la Norvège et la Suisse en vue de répondre à l’absence de cadre juridique pour les migrants victimes des dérèglements climatiques. Il a abouti à l’adoption en 2015 par 114 États volontaires (dont la France) d’un instrument international non contraignant, l’« Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique ».
C’est dans le même esprit que la « Déclaration de New-York pour les réfugiés et les migrants » du 19 septembre 2016 a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. À cette occasion, il a été décidé de lancer des négociations intergouvernementales en vue d’adopter deux pactes : le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » et le « Pacte mondial pour les réfugiés ». Ces deux instruments sont conçus comme non contraignants et ont avant tout une valeur déclaratoire. Leur négociation est prévue d’ici juillet 2018 en vue d’une adoption en décembre 2018.
Le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » doit proposer un cadre pour une coopération internationale globale et traiter des migrations internationales dans tous leurs aspects, à savoir l’aide humanitaire, le développement et les droits humains.
Le « Pacte mondial pour les réfugiés » comprendra à la fois le « Cadre d’action global pour les réfugiés », déjà adopté par les États membre avec la Déclaration de New-York et dont l’approche repose sur l’idée que les réfugiés doivent être inclus dès leur arrivée dans les communautés des pays d’accueil, et un programme d’action destiné à inspirer les mesures à prendre par les États.
Même s’ils sont non contraignants, ces textes fondateurs auront un impact fort et la diplomatie française doit prendre part activement à leur rédaction afin que ses priorités soient prises en compte.
Recommandation
Soutenir la démarche du « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » et du « Pacte mondial pour les réfugiés » en veillant à ce que ces textes respectent les principes auxquels tient la France.
Par ailleurs, la mise en œuvre d’une politique d’asile européenne plus intégrée, avec tout ce qu’elle implique, nous l’avons vu, en matière de gestion commune des frontières et des retours, ou encore d’évolution de la politique commune de développement, aura nécessairement des incidences fortes sur le budget de l’Union.
Reconnaissons que l’Union a été en mesure de mettre en place des budgets significatifs en réponse à la crise migratoire avec, comme nous l’avons évoqué, les fonds fiduciaires pour la crise syrienne et pour l’Afrique. Elle s’est également investie sur des thématiques susceptibles d’aider à la maîtrise des migrations, telles que la lutte contre les effets du changement climatique dans les pays en développement, avec par exemple le lancement puis le renforcement de l’« Alliance mondiale contre le changement climatique ».
Ces efforts doivent encore être amplifiés. Il est nécessaire et urgent de prendre en compte la dimension migratoire et de ce qu’elle implique, en particulier concernant les actions de développement, dans le cadre financier pluriannuel post-2020.
Recommandation
Traduire concrètement dans le cadre financier pluriannuel post-2020 de l’Union européenne l’importance des politiques d’asile et migratoire, avec ce que cela implique en matière de gestion des frontières et des retours, de lutte contre les trafics et de renforcement de la sécurité, d’adaptation des actions de développement et de contribution à la lutte contre les effets du changement climatique.
Enfin, au regard du décalage constaté entre les intentions, la définition, la mise en œuvre des politiques en matière de migration et le respect des engagements pris. Il est important de promouvoir en la matière l’information et la transparence la plus complètes. Il est de la responsabilité du Parlement d’être à même de garantir l’existence et la sincérité de l’évaluation de la politique de l’immigration.
Recommandation
Organiser un débat annuel sur le contrôle et l’évaluation de la politique migratoire au sein de notre Assemblée et sur la mise en œuvre des engagements du Gouvernement.
Au terme de cet avis, nous sommes conscients que nos propositions, ci-après rassemblées, ont souvent dépassé le cadre du présent projet de loi pour aborder des pistes et actions concrètes susceptibles de contribuer à une meilleure gouvernance des migrations internationales. Les mesures indispensables prises par chaque État nécessitent d’être relayées et confortées par des initiatives diplomatiques et des accords internationaux mêlant actions de partenariat et de sécurité. Nous nous proposons de les expliciter davantage dans un prochain rapport d’information que nous a confié la commission des affaires étrangères sur les réponses à apporter au défi migratoire du XXIe siècle.
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Un cadre européen opérationnel
La crise de 2015 nous a rappelé avec une extrême acuité que l’Europe est notre frontière commune, par la géographie, par les traités qui nous lient mais aussi par l’attraction qu’elle exerce en tant qu’espace de paix. Parce qu’elle est au niveau adéquat, il appartient donc à l’Union européenne de prendre les décisions de première ligne : anticipation, protection et convergence sur l’asile. Or, malgré un arsenal juridique élaboré, rien n’a fonctionné correctement. Ces recommandations visent à pallier les manquements de l’Union et à rendre ses actions plus opérationnelles.
Réduire le délai de traitement des demandes d’asile, avec pour objectif d’atteindre un délai global (recours juridictionnel compris) de moins de six mois, tout en respectant pleinement les droits des demandeurs, en s’inspirant des meilleures pratiques de nos partenaires européens.
Réduire les écarts de taux de reconnaissance de la protection internationale entre États-membres concernant les principales nationalités de demandeurs d’asile, en rapprochant les pratiques, critères et jurisprudences.
Établir une liste européenne socle de pays d’origine sûrs, susceptible d’être complétée par chaque État-membre.
Faire converger les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans les différents pays européens (droits sociaux, accès ou non à des allocations financières et/ou à l’hébergement, droit au travail…).
Conformément au règlement « Dublin », prendre effectivement l’existence de liens familiaux comme premier critère de détermination de l’État-membre qui doit traiter une demande d’asile.
Compléter la base de données Eurodac en y faisant figurer le résultat des procédures d’asile.
Aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions sur la protection internationale en Europe.
Expertiser la pertinence des différents modes d’organisation qui existent en matière d’asile en Europe en vue de leur harmonisation et à terme de la mise en place d’un office européen de l’asile.
Établir des outils opérationnels d’anticipation, d’alerte rapide et de gestion des crises migratoires.
Instituer un régime européen de protection temporaire qui soit fonctionnel.
Traiter la demande d’asile au plus près des pays d’origine en privilégiant chaque fois que cela est possible la politique dite de réinstallation.
Mettre en place concrètement le système de contrôle et d’enregistrement des entrées et sorties de l’espace Schengen à toutes les frontières terrestres, maritimes et aéroportuaires de l’Union européenne.
Mettre en place aux frontières de l’Europe un véritable corps européen de garde-frontières et garde-côtes.
Une diplomatie et une aide au développement qui prennent pleinement en compte les enjeux migratoires
Dans un contexte d’amplification des phénomènes migratoires, la loi ne peut constituer la seule et unique réponse. La maîtrise de l’immigration requiert la mise en œuvre d’un dialogue approfondi avec les pays d’origine et la mobilisation de tous nos outils, y compris l’aide au développement, aboutissant à des partenariats gagnants-gagnants. Cette voie du dialogue permettra à terme de bâtir une politique globale permettant de tenir les deux bouts : la maîtrise d’une immigration légale assumée et la lutte résolue contre l’immigration illégale. Ces recommandations ont vocation à ouvrir un débat nécessaire.
Développer un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine. Rééquilibrer les échanges commerciaux. Favoriser une juste gestion des ressources naturelles et l’autosuffisance alimentaire.
Mettre en place un dialogue continu de haut niveau (avec des rendez-vous annuels par exemple) avec les pays d’origine pour le suivi des engagements pris par chacune des parties en matière de migrations légales, de lutte contre les migrations illégales, et de réadmission. Mobiliser nos ambassadeurs sur la thématique migratoire et en particulier la coopération consulaire, et évaluer les résultats obtenus en la matière (dans les pays « sensibles »).
Apporter notre soutien aux politiques mises en œuvre par nos partenaires en matière de contrôle des frontières et de lutte contre les trafics et la traite des êtres humains, et les aider dans l’élaboration de leurs stratégies migratoires nationales.
Aider à la mise en œuvre de retours Sud-Sud pour les migrants. En particulier, soutenir le rapatriement des migrants bloqués et maltraités en Libye.
Encourager les coopérations Sud-Sud et les initiatives régionales en matière de migrations, de circulation des personnes, d’intégration économique ou encore de lutte contre le réchauffement climatique.
Favoriser des migrations plus fluides par des mesures telles que la mise en place de visas de circulation de longue durée permettant des allers-retours choisis et la facilitation des transitions professionnelles (validation des qualifications et expériences professionnelles, parrainage, formations adaptées, aide à la recherche d’emploi, portabilité des droits sociaux, etc.).
Ouvrir le débat sur l’immigration économique, compte tenu du caractère obsolète de notre dispositif actuel, du faible niveau (en comparaison européenne) des entrées d’étrangers effectuées dans ce cadre et des contournements massifs dont il est l’objet.
Favoriser les retours volontaires. Mobiliser nos diplomates et opérateurs, en particulier l’Agence française de développement, pour accompagner la réinsertion des personnes dans leur pays d’origine, en assurant un contrôle effectif des fonds dédiés.
Lutter plus efficacement contre les passeurs et la traite des êtres humains en plaidant pour la ratification généralisée de la convention de Palerme, en mobilisant les dispositifs de sanctions financières (gels d’avoirs, interdictions de transactions et mesures anti-blanchiment), en renforçant les capacités opérationnelles des pays d’origine et de transit, ainsi que la coopération judiciaire au sein de la CEDEAO.
Améliorer la protection et la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains, en vue de leur intégration ou de leur retour dans leur pays, en mettant en place des moyens d’accompagnement nécessaires.
Concrétiser les nouvelles orientations décidées par le Gouvernement pour l’aide publique au développement, en particulier le renforcement de la part du bilatéral par rapport au multilatéral et des dons par rapport aux prêts, ainsi que la prise en compte des enjeux migratoires et de sécurité.
Définir des priorités géographiques en fonction de la fragilité et du caractère stratégique des pays. Déployer des moyens substantiels qui soient à la hauteur des enjeux, en particulier dans le Sahel.
Être en capacité d’apporter notre soutien aux pays d’accueil des réfugiés dès le début des crises.
Fixer des priorités claires à notre aide au développement : gouvernance et lutte contre la corruption ; éducation et transition démographique ; développement agricole et local ; soutien aux petites entreprises. Évaluer les résultats obtenus.
Développer un cadre de coopération spécifique avec les pays du voisinage de nos Outremers.
Conclusion : une mobilisation et des débats nécessaires aux niveaux international, européen et national
L’amplification du phénomène migratoire est sans aucun doute l’un des grands enjeux de notre siècle. La mobilisation est nécessaire aussi bien dans le cadre des organisations internationales qu’au plan du budget européen et dans le cadre national. Des rendez-vous réguliers doivent être organisés pour éclairer la Représentation nationale et, à travers elle, les citoyens.
Soutenir la démarche du « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » et du « Pacte mondial pour les réfugiés » en veillant à ce que ces textes respectent les principes auxquels tient la France.
Traduire concrètement dans le cadre financier pluriannuel post-2020 de l’Union européenne l’importance des politiques d’asile et migratoire, avec ce que cela implique en matière de gestion des frontières et des retours, de lutte contre les trafics et de renforcement de la sécurité, d’adaptation des actions de développement et de contribution à la lutte contre les effets du changement climatique.
Organiser un débat annuel sur le contrôle et l’évaluation de la politique migratoire au sein de notre Assemblée et sur la mise en œuvre des engagements du Gouvernement.
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A. Audition de M. Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations
Au cours de sa séance du mardi 23 janvier 2018, à dix-sept heures, la commission des affaires étrangères auditionne M. Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous avons le plaisir d’accueillir l’ambassadeur Pascal Teixeira Da Silva. Monsieur, vous avez successivement représenté la France au Portugal et en Autriche, puis vous avez été nommé en septembre dernier à une fonction toute nouvelle en France : celle d’ambassadeur chargé des migrations. Votre nomination, et c’est un point qui compte, montre le degré de priorité que le Président de la République souhaite donner aux questions de migration et d’asile. Cela nous semble important parce qu’il s’agit d’une question d’actualité, hautement sensible pour l’opinion publique, mais aussi et surtout parce que c’est un sujet pour les décennies à venir et pour le monde entier. Les problèmes migratoires vont se poser dans des termes de plus en plus aigus dans les prochaines décennies en raison du « boom » démographique de l’Afrique et du changement climatique.
Comme l’indiquait le plan d’action du 12 juillet dernier, le Président de la République a souhaité refonder notre politique d’immigration et d’asile. Un des volets de cette refondation sera constitué du projet de loi qui viendra prochainement en débat, et dont je demanderai en Conférence des présidents que notre commission soit saisie pour avis dès qu’il sera déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Dans ces domaines essentiels, la commission des Affaires étrangères a en effet à s’exprimer sur un certain nombre de points.
Vous êtes en charge du volet international de ce plan d’action, des relations avec les pays de transit et d’origine, en coopération avec un certain nombre d’homologues européens, ainsi que des instruments de la politique migratoire externe, dont vous nous parlerez certainement. S’agissant des aspects multilatéraux, vous êtes notamment en liaison avec l’ONU. Vous avez déjà effectué des déplacements très importants dans un certain nombre de pays – le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc, la Tunisie ou encore le Niger. Nous allons donc vous entendre sur le volet international et diplomatique de l’action que la France peut conduire en matière de migrations et d’asile.
M. Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations. Je suis très honoré d’être parmi vous, alors que je reviens tout juste – ce matin – d’un déplacement au Sénégal, après d’autres pays. Je voudrais d’abord préciser de quoi je suis chargé, car l’intitulé de ma fonction peut paraître très ambitieux : étant pour l’instant seul, même si je travaille bien sûr en étroite coopération avec tous les ministères et toutes les directions concernés, comme avec les opérateurs de l’État, je ne peux pas m’occuper de tout…
Comme vous l’avez souligné, je suis en charge du volet international du plan d’action « asile et migrations » qui a été présenté le 12 juillet dernier. Par rapport à certains homologues européens, j’ai pour avantage d’être missionné à la fois par le ministre de l’Europe des affaires étrangères et par celui de l’intérieur. Je rends compte aux ministres et à leurs cabinets, en permanence, et je me trouve également placé sous le regard constant du cabinet du Premier ministre et de l’Élysée. Certaines réunions se tiennent au plus haut niveau, ce qui témoigne de la grande attention politique que nos autorités portent à ce sujet. Le fait d’avoir nommé un ambassadeur en conseil des ministres en est une illustration.
Je commencerai par les piliers sur lesquels l’approche française repose – et je me réfère en l’occurrence à ce qu’a déclaré le Président de la République : afin de préserver la mobilité légale et de la développer autant que possible – mais c’est l’objet d’un débat –, de préserver également l’asile et d’en garantir l’acceptabilité sociale et politique, il convient de lutter contre l’immigration régulière, sans quoi tout sera confondu et rejeté. Il importe ainsi de maintenir la distinction entre les réfugiés et les migrants économiques, comme entre les migrants réguliers et irréguliers. Cela peut sembler une évidence, mais un tel rappel me paraît important dans le contexte actuel, pour plusieurs raisons.
D’abord, comme c’est le cas depuis 2015, même si c’est désormais d’une manière atténuée, puisque les flux irréguliers ont diminué sur les trois voies existant en Méditerranée, on continue à avoir des flux mixtes, mêlant des personnes éligibles à la protection internationale au titre de la convention de Genève de 1951 et des migrants économiques, qui fuient simplement la mauvaise gouvernance, la pauvreté, le sous-développement et les inégalités, parmi toute une série de causes. Les migrants économiques s’engouffrent, en quelque sorte, dans la brèche ouverte par les réfugiés syriens et dans celle que la Libye continue d’offrir compte tenu de sa situation chaotique. Nous sommes obligés, de fait, d’accueillir des personnes qui ont des statuts différents mais qui se trouvent mélangées. Ce elles sont n’est pas a priori inscrit sur leur visage… La détermination du statut dont ils relèvent nécessite alors d’appliquer un certain nombre de procédures.
Autre raison, découlant de la première, l’idée se développe au sein des organisations internationales concernées et des organisations non gouvernementales (ONG) que le critère à retenir est celui de la vulnérabilité. Dans cette perspective, les questions de statut, à savoir l’application ou non de la convention de Genève, resteraient certes importantes, mais la vulnérabilité devrait constituer un critère d’action et de protection. C’est indéniable sur le plan humanitaire, mais il faut veiller à ne pas détricoter la convention de Genève. Il s’agit d’un instrument important alors qu’il existe encore beaucoup de régions dans le monde où des personnes fuient en masse des guerres ou des conflits, des dictatures et des persécutions politiques, religieuses ou ethniques. Il faut faire attention aux grands textes adoptés juste après la seconde guerre mondiale ou dans les années 1950 et 1960 : compte tenu de l’état du monde, mon expérience des questions multilatérales me conduit à penser que l’on n’arriverait pas à des résultats aussi remarquables aujourd’hui si l’on devait renégocier ces textes. Prenons garde, même si les préoccupations et les intentions de ceux qui lancent le débat autour du critère de la vulnérabilité sont tout à fait respectables.
Une difficulté supplémentaire est liée à la notion de réfugiés climatiques, qui n’est absolument pas fondée juridiquement. La France estime qu’utiliser ce terme dans un autre contexte que celui de la convention de Genève est dangereux, à la fois pour les raisons que je viens d’indiquer, et parce qu’il serait extrêmement difficile de déterminer ce qu’est vraiment un réfugié climatique. Les causes climatiques existent, mais elles se mêlent à beaucoup d’autres facteurs, tenant en particulier à la gouvernance au sens large. Ce n’est pas parce que des phénomènes climatiques se déroulent que leur gestion est nécessairement mauvaise. À la question des ressources s’ajoute par ailleurs celle des inégalités.
Comme l’a souligné le Président de la République, dans plusieurs discours, notre situation n’est pas satisfaisante : on accueille mal en France, on examine mal les situations individuelles, on intègre mal ceux qui sont fondés à demeurer sur le territoire et on renvoie mal ceux qui n’ont pas vocation à y demeurer. Il y a donc beaucoup à faire. D’où le plan d’action sur l’asile et la migration, ainsi qu’un projet de loi dont je comprends qu’il sera soumis au Parlement au mois de février prochain.
J’évoquerai successivement les trois grands volets : la mobilité légale, l’asile et l’immigration irrégulière.
La mobilité existe. Sur ce point, permettez-moi de vous renvoyer aux chiffres qui viennent d’être publiés par la direction générale des étrangers en France : on observe une augmentation du nombre de visas délivrés. Même s’il y a beaucoup de visas de tourisme dans le total, ceux de long séjour étaient en hausse de près de 8 % en 2017 et les premiers titres de séjour délivrés de près de 14 %. Il est souvent question d’une « forteresse » qui serait érigée ou d’une « fermeture des frontières », mais les chiffres montrent le contraire – il est vrai, néanmoins, que l’on peut leur faire dire beaucoup de choses…
La vraie problématique est celle de la composition de la mobilité légale : l’immigration familiale reste le premier motif de délivrance des premiers titres de séjour, avec 91 000 titres sur un total de 262 000, les étudiants et les migrants économiques représentant de moindres proportions, malgré une progression des premiers, ce qui témoigne de l’attractivité et du rayonnement de la France. Il est également intéressant de noter que l’immigration familiale est quasiment en stagnation, alors que les autres motifs de délivrance ont connu une augmentation.
Les facteurs d’évolution sont nombreux et dépassent largement mes compétences. Je voudrais néanmoins souligner que les pays d’origine, notamment ceux avec lesquels nous avons un problème d’immigration irrégulière, sont demandeurs d’une mobilité légale à caractère circulaire qui a du mal à se développer. Les personnes arrivant en France dans des conditions régulières sont trop souvent incitées à rester plutôt qu’à retourner chez elles par la suite. C’est particulièrement le cas des étudiants : la proportion de ceux qui restent en France est l’une des plus élevée parmi les pays en accueillant en grand nombre. Un des enjeux est d’instaurer des mécanismes permettant de créer une autre approche en vue de faciliter la circularité. Je pense que le futur projet de loi contiendra des éléments sur ce plan.
Au-delà des aménagements techniques qui peuvent paraître souhaitables, on peut se demander si une sorte de quid pro quo est possible entre le développement de la mobilité légale et la réduction de l’immigration irrégulière. C’est un pari qui est fait, ou une revendication qui est présentée, mais j’avoue humblement que je suis encore agnostique sur cette question. Je n’exerce mes fonctions que depuis quatre mois et je n’ai pas vu d’étude scientifique suffisamment étayée et probante qui démontrerait l’existence de vases communicants. C’est peut-être le cas, mais je n’en sais rien. Il s’agit en tout cas d’un sujet crucial, qui mériterait une investigation très approfondie : on est là au cœur de notre politique migratoire et du dialogue que nous avons avec les pays d’origine.
Pour en terminer sur le chapitre des mobilités légales, je voudrais souligner que des dispositifs existent déjà. Je pense en particulier aux accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire qui nous lient avec sept pays. Ces accords, conclus dans les années 2006-2010, comportent trois grands piliers : le développement de la mobilité légale, à destination des salariés, des étudiants, des jeunes professionnels et des travailleurs saisonniers, l’amélioration des retours et des réadmissions, et enfin des financements pour des projets de développement solidaire, axés notamment sur la formation professionnelle et tout ce qui est susceptible de traiter une partie des causes profondes de l’émigration, y compris en impliquant les diasporas.
Le bilan, selon un rapport réalisé il y a quelques années déjà, est mitigé. Pour avoir participé au comité de suivi de deux accords, je peux confirmer qu’ils ne sont pas entièrement satisfaisants et qu’il est assez difficile de les faire mieux fonctionner. Il y a, bien sûr, la question de la volonté politique, en particulier pour les retours et les réadmissions, mais il n’est pas non plus très facile de décréter, s’agissant de la mobilité légale, qu’il faudrait tant de Tunisiens ou tant de Sénégalais dans tel secteur d’activité ou de convaincre de jeunes professionnels de venir en France. Les raisons, sur lesquelles je pourrai revenir, sont multiples. C’est un sujet qui mérite d’être revu, non pour renégocier de fond en comble les accords existants, mais pour voir ce qui peut être amélioré.
Je serai plus rapide sur l’asile, car je n’ai pas compétence pour la partie légale de cette question. Dans le contexte général de notre politique migratoire, la lenteur des procédures et la question du retour des déboutés du droit d’asile constituent des points prioritaires – le Président de la République s’est exprimé en ce sens, et le Gouvernement a annoncé que le projet de loi comporterait un certain nombre de dispositions dans ce domaine. Il y a en effet de nombreuses améliorations à apporter.
Les réfugiés qui traversent la Méditerranée, au sein de flux mixtes, sont exposés à de graves périls lors de la traversée du Sahara, de leur séjour en Libye, puis du passage de la Méditerranée. Il est plus humain et plus raisonnable d’essayer de les réinstaller depuis les pays de transit. Les réinstallations concernent ainsi des réfugiés au sens de la convention de Genève, qui ont été enregistrés par le HCR et qui ont par ailleurs un projet migratoire : tous ceux qui se trouvent dans des pays de transit ne souhaitent pas aller en Europe. À titre d’exemple, l’essentiel des 60 000 Maliens qui ont trouvé refuge à l’Ouest du Niger – ils ont quitté leur pays à cause des combats et de la poussée des groupes djihadistes – attendent que la situation redevienne normale de l’autre côté de la frontière et n’ont aucune envie d’être réinstallés en France ou plus généralement en Europe.
La réinstallation fait partie de ce que prévoit la déclaration adoptée le 28 août dernier lors d’un sommet réunissant l’Union européenne, quatre de ses États membres et trois pays de transit, notamment le Niger et Tchad. En ce qui concerne la France, le Président de la République a annoncé que nous réinstallerions 10 000 réfugiés en deux ans, dont 3 000 en provenance d’Afrique – depuis le Niger, le Tchad et le territoire libyen. Dans ce dernier cas, il s’agit de personnes transférées vers le Niger par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce qui a déjà concerné 25 personnes jusqu’à présent.
Le troisième et dernier volet, qui constitue le cœur de ma mission, est la lutte contre l’immigration irrégulière. Je vais utiliser des termes propres aux démographes et aux statisticiens en parlant de « flux » et de « stocks », mais je tiens à préciser que cela n’a pas de connotations particulières dans ma bouche : je sais que leur emploi pour désigner des êtres humains est parfois critiqué, mais je le ferai dans un sens purement technique.
On distingue généralement par commodité les pays d’origine, de transit et de destination. Mais la distinction entre ces catégories est en réalité très théorique. Presque tous les pays relèvent de ces trois registres. Le Maroc, par exemple, est de manière croissante un pays de transit, notamment sur ce que l’on appelle la voie de la Méditerranée occidentale, avec 28 000 traversées au départ de ce pays en 2017, soit deux fois plus que l’année précédente ; c’est aussi un pays de destination pour des migrants subsahariens, ce qui suscite d’ailleurs des tensions – des incidents ont eu lieu il y a quelques semaines ; c’est enfin un pays d’origine, de manière assez récente. L’année dernière, les Marocains représentaient ainsi la quatrième nationalité de migrants irréguliers, avec plus de 10 000 personnes ayant traversé la Méditerranée occidentale, mais aussi centrale, via la Libye. De même, si la Côte d’Ivoire est un pays de destination, avec près d’un quart de la population d’origine étrangère, ce qui n’est pas un phénomène récent, il s’agit également d’un pays de transit, dans une certaine mesure, et d’un pays d’origine. En 2017, c’était ainsi le deuxième pays d’origine des flux irréguliers, avec 12 600 personnes, le quatrième pays d’origine l’année précédente, avec près de 14 000 personnes, et le cinquième en 2015. Il faut donc garder en tête que les problématiques sont assez imbriquées et veiller à prendre en compte cette réalité dans les dialogues que nous menons avec les pays tiers.
Comment prévenir les départs ? On évoque toujours les fameuses « causes profondes », mais la question est extrêmement complexe – on pourrait en discourir pendant des heures… D’où la nécessité de mieux connaître les profils des migrants et les facteurs des départs irréguliers. Ce sont toujours des questions que je pose lors de mes déplacements à l’étranger, aussi bien aux autorités locales qu’à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui est toujours très bien documentée. Je constate qu’il n’y a pas de profils types, même si l’on peut dégager des caractéristiques communes à un certain nombre de pays.
Il s’agit majoritairement d’hommes jeunes, entre 16 et 30 ans, qui ne font pas partie des plus démunis ou des plus analphabètes. Ce ne sont pas, bien sûr, les plus qualifiés, mais plutôt des gens venant d’une sorte d’entre-deux : des jeunes ayant suffisamment d’esprit d’entreprise et de capacités à mobiliser des ressources pour prendre la route de l’émigration. Ayant parfois connu des « petits boulots » dans une économie informelle qui joue un rôle très important en Afrique subsaharienne, ils ont le sentiment de se trouver dans une impasse et qu’il leur faut donc tenter le voyage. Beaucoup d’entre eux rêvent aussi de devenir footballeurs : ce sport est une métaphore du monde globalisé et, en partie, un miroir aux alouettes. À cela s’ajoutent des facteurs régionaux, certains espaces ayant plus que d’autres une tradition d’émigration, régulière ou irrégulière.
Là aussi, nous avons besoin d’avoir davantage de connaissances. Pour traiter les causes, il faut bien connaître les symptômes et j’espère en avoir une idée plus précise dans quelques mois. Par ailleurs, il faut souligner que le développement économique et social, la lutte contre les inégalités et surtout la mauvaise gouvernance, dans toutes ses dimensions, ainsi que la question démographique, assez largement taboue, appellent des actions à très long terme qui dépassent largement ma mission.
L’implication des diasporas dans le développement des pays d’origine est un axe d’effort de la politique française et européenne. Des expériences ont été menées depuis quelques années, notamment au Sénégal dans le cadre du Programme d’appui aux initiatives de solidarité pour le développement (PAISD), qui réussit très bien à mobiliser la diaspora en France et produit d’excellents résultats en matière d’investissements dans les infrastructures et d’investissements productifs, en collaboration très étroite avec les communautés d’origine. C’est sans doute une formule qui mériterait d’être répliquée dans d’autres pays. Il faut néanmoins être conscient que cela nécessite de réunir un certain nombre de conditions, notamment par un travail de persuasion très exigeant et qui demande du temps.
Les actions de communication, d’information et de dissuasion constituent un autre moyen de prévenir les départs. C’est une problématique qui émerge de plus en plus depuis un reportage réalisé par CNN sur l’esclavage et la vente aux enchères de migrants en Libye, mais ce n’est pas facile pour autant. Dans un grand nombre de pays, la migration est considérée comme naturelle, c’est-à-dire comme un droit. Engager une action de dissuasion est donc politiquement compliqué. On peut faire intervenir des migrants revenus de Libye ou d’Europe après avoir connu des expériences très amères, comme je l’ai vu en Guinée, pour essayer de faire comprendre que la migration n’est pas si aisée, que l’Europe ne constitue pas un paradis et que, si l’on est entreprenant, on peut aussi tenter sa chance dans son pays en aidant à le bâtir. C’est une dimension qui prend un certain essor, mais les questions du « quoi », du « comment » et du « qui » ne sont pas simples à régler.
Les mesures de renforcement capacitaire sont un autre volet à développer afin de prévenir les flux irréguliers. Une grande partie des pays en cause ont des déficits importants en matière de contrôle des frontières et plus largement, pour certains d’entre eux, de contrôle du territoire. Il s’agit notamment d’améliorer la lutte contre les réseaux criminels de passeurs ou de traite d’êtres humains et celle contre la fraude documentaire, qui peut être massive et dont témoigne le pourcentage de refus de délivrance de visas – essentiellement pour ce motif. Cela renvoie aussi à l’enjeu majeur que constitue l’état civil : certains documents de voyage, passeports ou cartes d’identité, utilisent une technologie dernier cri – ils sont sécurisés et biométriques –, mais reposent sur un état civil qui n’est absolument pas fiable. Il arrive qu’une même personne détienne un passeport, une carte d’identité et un permis de conduire, tous très modernes, sous trois identités différentes. Les états civils lacunaires ne sont pas tenus du tout ou de manière peu rigoureuse au regard de nos principes juridiques, alors que c’est un élément majeur pour lutter contre la fraude documentaire et pour faciliter les retours et les réadmissions. Au-delà de l’enjeu migratoire, il y a là un véritable enjeu politique. Car un vrai système d’état civil, fiable, est un outil fondamental de gouvernance et la connaissance de la population, notamment sa répartition et son évolution. C’est aussi un instrument pour l’exercice des droits démocratiques – les élections, notamment.
Un certain nombre de projets dans ce domaine sont en cours, certains financés par l’Union européenne, d’autres par la Banque mondiale. Les faire avancer n’est pas facile et exige tout un travail d’accompagnement, en fonction de la capacité des États concernés, très inégale, de leur engagement et de leur appropriation de la question.
Il existe de nombreux programmes de retour volontaire accompagné depuis les pays de transit. Vous aurez constaté que les pays africains se sont enfin mobilisés pour rapatrier de Libye leurs ressortissants, avec l’aide de l’OIM et en partie grâce à un financement européen.
S’agissant du « stock », c’est-à-dire des migrants en situation irrégulière, il existe trois voies, dont la première est celle du retour volontaire aidé.
Le dispositif français, mis en œuvre par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (l’OFII) est, je crois, attractif et intéressant. Toutefois, les volumes en direction de l’Afrique – qu’il s’agisse du Maghreb ou de l’Afrique de l’ouest – sont peu importants et concernent souvent des personnes dont le titre de séjour est arrivé à échéance, comme les étudiants. Il est nécessaire de mener une action d’information, ce que fait l’OFII, mais aussi de mobiliser les diasporas. Le retour volontaire aidé, même accompagné d’un projet de réinsertion professionnelle ou d’une aide à la création d’entreprise, n’est pas encore bien vu et souvent perçu comme un échec, voire une humiliation tant pour l’intéressé lui-même que pour sa famille ou sa communauté. Offrir cette possibilité aux étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’une mesure d’éloignement serait sans doute utile : il faut en effet que la personne concernée soit convaincue qu’il n’existe pas d’alternative et que cela est préférable à un retour forcé sec.
S’agissant du retour forcé, la situation, pour ce qui est du cadre légal, est assez contrastée et très incomplète. L’Union européenne tente de négocier, sinon des accords, du moins des arrangements sur les procédures en matière de retour et de réadmission, mais cela s’avère assez difficile. De tels accords ont pu être conclus avec la Guinée et l’Éthiopie ces derniers mois et des négociations sont en cours avec la Gambie, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Nigeria. De manière générale, ces pays n’aiment pas les retours et le fait de conclure des accords spécifiques sur les procédures n’est pas très populaire.
La France, comme l’Union européenne, utilise des mesures incitatives, dans le cadre d’une approche globale. Mais il existe aussi des mesures restrictives : l’Union européenne s’est ainsi donné la possibilité en juin d’activer le lien « visas-réadmission ». Il a suffi d’en menacer le Bangladesh pour que le pays signe un arrangement sur les procédures. Il est vrai que la coopération des États d’origine pour la délivrance des laissez-passer consulaires est un point noir. Une partie importante de mon travail consiste à engager un dialogue afin d’encourager la coopération consulaire, et, ce qui est déterminant, la volonté politique.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. La commission des affaires étrangères, qui se saisira pour avis du projet de loi relatif à l’immigration, se penchera plus spécifiquement sur le volet européen, diplomatique et international, tant il est vrai que l’on ne peut envisager cette question uniquement à travers le prisme national. Nous poursuivrons nos auditions en entendant, dans les semaines qui viennent, les représentants du HCR et de l’OIM
Je suis heureuse d’accueillir Florent Boudié et Marie Guévenoux, membres de la commission des lois, ainsi que Valérie Beauvais, membre de la commission du développement durable et Dino Cinieri, membre de la commission des affaires économiques.
Sans tarder, je donne la parole aux représentants des groupes parlementaires.
M. Éric Girardin. Au nom du groupe de La République en marche, je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, pour la qualité de votre exposé. Il nous a donné une vision de l’ensemble des causes et des phénomènes migratoires, ainsi que de la prévention et de la gestion des encours.
Je souhaite revenir sur la question des migrations climatiques. Étant donné les changements que nous vivons, le critère climatique deviendra sans doute l’un des critères les plus objectifs et les plus pertinents qui puissent justifier l’acte de migration.
La Convention de Genève du 28 juillet 1951 n’évoque pas les réfugiés climatiques, qui constituent pourtant une partie importante des réfugiés potentiels dans le monde. Nicolas Hulot défend depuis longtemps une meilleure prise en compte de ces migrations imposées.
Ma question est donc simple : comment la France peut-elle amender la Convention de Genève pour ajouter une nouvelle condition et intégrer pleinement les réfugiés climatiques ?
M. Pierre Cordier. Madame la présidente, je me félicite, au nom du groupe Les Républicains, de ces auditions qui seront utiles dans la perspective de l’examen du projet de loi. Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie de nous avoir communiqué ces informations. S’il est vrai que votre prise de fonctions récente ne vous permet pas d’appréhender la totalité du phénomène, le tableau que vous avez dressé demeure très inquiétant.
La tradition française d’accueil des réfugiés politiques est très ancienne. Il importe de la préserver, quels que soient les pays d’origine. Nous avons bien compris qu’il était difficile de distinguer le « vrai du faux réfugié » – pardonnez-moi l’expression – et le texte ne pourra faire l’économie de cette question. La tâche de ceux qui iront rencontrer les migrants sur le terrain sera ardue, et on imagine que cela ne sera pas uniquement dû à la langue. Comment faire pour préserver cette tradition et ne pas la bafouer ? Ce sera toute la problématique du texte que nous examinerons en février.
Il est vrai que beaucoup de nos concitoyens sont inquiets et exigent des responsables politiques des réponses précises, les collègues ici présents, pour rencontrer les habitants de leur circonscription, peuvent en témoigner. Monsieur l’ambassadeur, comment abordez-vous la distinction entre « vrais réfugiés » et « faux réfugiés » ? Comment la France peut-elle préserver cette tradition d’accueil ?
M. Michel Fanget. Je voudrais saluer, au nom du Mouvement démocrate et apparentés, la décision du Président de la République de créer la fonction d’ambassadeur chargé des migrations. Il était temps que la France prenne de la hauteur sur ce sujet très sensible, qu’elle comprenne qu’il s’agit d’un phénomène international majeur, appeler à durer et sans doute à s’amplifier, et qu’elle engage sa diplomatie au service d’une gouvernance des migrations internationale, sinon mondiale.
Emmanuel Macron a montré à plusieurs reprises qu’il était pleinement mobilisé sur le sujet. À l’occasion du dernier sommet Europe-Afrique à Abidjan, il s’est emparé de la question urgente de la crise humanitaire en Libye, où des pratiques d’esclavage, notamment, ont été observées. Il a alors annoncé que la France et huit autres pays européens et africains s’étaient mis d’accord pour mener des opérations d’évacuation d’urgence, dans les prochains jours et les prochaines semaines. Monsieur l’ambassadeur, pouvez-vous nous dire si cette annonce s’est concrétisée, et comment ? Les hot spots au Tchad et au Niger, évoqués à cette occasion, seront-ils mis en place ? Cela permettrait aux migrants en provenance d’Afrique subsaharienne d’effectuer leur demande d’asile vers la France dans ces pays, plutôt que de risquer leur vie en traversant la Libye puis la mer Méditerranée.
Lors de ses vœux au corps diplomatique, le Président a évoqué à plusieurs reprises des missions extérieures organisées par la France fin 2017, qui ont donné leurs premiers résultats. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Enfin, j’ai parlé de l’importance des migrations et de la nécessité d’une gouvernance internationale, voire mondiale : où en est l’élaboration du Pacte mondial pour les migrations, annoncé pour cette année ? Quelle est la position française dans le cadre de ces négociations ?
M. Maurice Leroy. Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie, au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, de nous avoir apporté votre éclairage précieux. Michel Fanget a parlé de l’inexorable flux des migrants qui, à vous entendre, ne promet que d’augmenter dans les années à venir. Nous avons bien conscience que vous n'occupez ce poste que depuis quatre mois, mais vous avez été ambassadeur auparavant. Aussi, quelles sont vos recommandations pour mieux contrôler les frontières, et par conséquent mieux maîtriser ces flux migratoires ? L’efficacité de la lutte contre les réseaux criminels dépend-elle uniquement de l’augmentation des effectifs et des moyens alloués, ou de la mise en œuvre d’autres méthodes à moyens constants ? S’il ne s’agit que d’une question de moyens, pouvez-vous nous donner une idée des moyens supplémentaires que la France et ses partenaires européens doivent consacrer à cette lutte ? Enfin, je me joins à la question de Michel Fanget sur les hot spots.
M. Alain David. Je m’exprimerai au nom du groupe Nouvelle Gauche. La semaine dernière, dans le journal Le Monde, Jean Pisani-Ferry et Thierry Pech, aux côtés d’intellectuels ou de syndicalistes, se sont interrogés sur la duplicité de la parole présidentielle au sujet des migrants, redoutant un double langage, « celui des tribunes et celui de la nuit ». Hier, l’écrivain Yann Moix a publié une virulente tribune dans le journal Libération, dénonçant le double langage du Président lors de sa visite à Calais.
Ma question vise à lever le doute sur cette éventuelle duplicité. Le 20 décembre, le Gouvernement a annoncé qu’il renonçait à inscrire dans son projet de loi sur l’immigration et l’asile la possibilité de renvoyer les demandeurs d’asile effectuer leurs démarches dans le pays tiers sûr non-européen par lequel ils seraient passés avant d’arriver.
Or le Gouvernement négocie au Conseil européen un projet de règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale, qui définit de façon très large la notion de « pays sûr », sans se préoccuper par exemple de savoir s’il y existe une protection au titre du droit d’asile comparable à celle des pays de l’Union. Le projet de texte propose même que soient considérés comme sûrs des pays où certaines catégories de personnes sont menacées ou dont certaines régions sont en guerre.
Ce projet de règlement serait d’application directe et conduirait ainsi à instituer en France une faculté à laquelle le Gouvernement avait semblé renoncer en décembre. Pouvez-vous confirmer, monsieur l’ambassadeur, que la position choisie au niveau national ne sera pas contredite par la France au Conseil européen ?
M. Jean-Paul Lecoq. Je prends la parole au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Depuis le début de notre rencontre, je me demande ce qui justifie que notre réunion se tienne à huis clos. Les Français placent au premier rang de leurs priorités les questions touchant à l’immigration, le Président de la République en a fait une priorité de son action, et nous, nous nous réunissons à huis clos. Pourquoi ? Parce que l’on n’a pas envie d’en discuter devant les gens ? Autant je peux comprendre que le huis clos s’impose lorsqu’il existe un secret-défense, autant je le trouve anormal aujourd’hui.
L’idée d’aller dans les pays de départ est bonne, monsieur l’ambassadeur, pour convaincre les dirigeants d’agir ensemble, créer les conditions et limiter autant que faire se peut les migrations. Mais il faut aussi y rencontrer les mères de ces garçons qui risquent leur vie pour la famille. Car s’ils sont prêts à traverser le désert ou la mer, c’est qu’il existe souvent des motivations familiales, comme au Mali ou au Niger. Je ne l’imaginais pas avant qu’ils ne me l’expliquent, et cela m’a stupéfié. Il faut donc aussi aller au contact des populations pour mesurer ce qui motive l’émigration.
Par ailleurs, de quels moyens dispose-t-on pour contraindre les pays de départ ? On lit que l’on peut limiter l’aide au développement ou le nombre de visas s’ils refusent toute collaboration, mais je ne suis pas certain que ce soit par le biais de telles mesures qu’il faille envisager la question des migrations.
S’agissant des mineurs, nous devons créer les conditions de leur intégration en France, surtout si l’on ne parvient pas à identifier leurs familles – qui, pour certaines, ont péri.
Enfin, je pense que notre pays doit assumer ce qu’il fait. Lorsque la France va détruire la Libye, elle doit en assumer les conséquences, jusqu’au bout – jusqu’à la réparation. Lorsque notre pays colonise Mayotte, il doit en assumer les conséquences en matière d’immigration : les Comoriens qui passent sur l’île de Mayotte font partie des statistiques, et aussi des morts en mer.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. M. l’ambassadeur vous répondra, monsieur Lecoq. Pour ma part, si je préfère que les auditions soient ouvertes au public, je comprends fort bien que les personnes auditionnées puissent demander le huis clos. Je préfère en tout cas entendre l’ambassadeur à huis clos que de ne pas l’entendre du tout, et le remercie d’être venu dans notre commission – une première pour lui.
M. Hubert Julien-Laferrière. Je partage le sentiment de beaucoup d’entre nous : le XXIe siècle sera un siècle de migrations, si l’on considère les changements climatiques auxquels seront confrontés les continents, dont viennent déjà la plupart des migrants, et la croissance démographique, aussi bien en Afrique qu’en Asie. On sait que le nombre d’Africains doublera d’ici à 2050 et qu’il pourrait être multiplié de nouveau par deux d’ici à la fin du siècle.
Je voudrais m’arrêter sur les chiffres, dont vous avez dit vous-même que l’on pouvait leur faire dire beaucoup de choses. On affirme que l’on a dépassé en France les 100 000 nouvelles demandes d’asile en 2017. Qu’en est-il exactement ? Certaines ONG affirment que ce sont 73 689 premières demandes d’asile qui ont été déposées auprès de l’OFPRA en 2017, le reste étant constitué de dossiers concernant des demandes en réexamen ou des mineurs accompagnant leurs parents – seuls les adultes peuvent déposer une demande.
Toutes les statistiques récapitulatives de ces trente dernières années prennent pour comparaison les premières demandes donnant lieu à l’ouverture d’un dossier à l’OFPRA. Si l’on compare ces 73 689 premières demandes d’asile déposées en 2017 avec les 61 422 demandes déposées en 1989, on constate une hausse, mais ce n’est pas l’explosion dont on parle aujourd’hui.
Dernier point, vous avez expliqué qu’il fallait traiter les causes profondes de l’émigration. Il se trouve que, en marge du déplacement du Président de la République en Afrique, j'ai eu l’occasion de recueillir le témoignage bouleversant de deux jeunes Ivoiriens qui avaient tenté l'aventure. Elle s’est arrêtée en Méditerranée pour le premier et dans un cachot libyen où l’avaient jeté des esclavagistes pour le second. Ce que vous avez dit est assez juste, il s’agit dans ces deux cas, et comme souvent, de jeunes issus, en quelque sorte, de la classe moyenne. Je ne suis pas certain que l'aide au développement, que je défends par ailleurs en tant que rapporteur pour avis, soit forcément une réponse. Les recherches le montrent : si l’aide au développement augmente le revenu moyen dans les pays de départ, il n’est pas sûr qu’elle ne constitue pas un encouragement à l’émigration.
Joachim Son-Forget. Merci pour vos propos, monsieur l’ambassadeur. Ma question porte sur la relation entre migration et aide au développement, celle-ci étant censée combattre les causes profondes du départ – pauvreté, manque de perspectives, conflits et leurs conséquences. Ce mécanisme hypothétique, quoique intuitif, n'est pas toujours corroboré par les observations empiriques et certaines études suggèrent qu'une faible part de l'aide au développement, au niveau mondial, est susceptible d'affecter les causes premières de la migration.
Par ailleurs, d'après les travaux de Michael Clemens du Center for Global Development, il existerait une relation non linéaire entre niveau de développement et migration. L’émigration représentant un coût, ce n’est pas dans les niveaux de développement les plus faibles qu'elle est la plus forte. Les taux de migration tendent à augmenter avec le niveau de richesse puis diminuent à nouveau à partir d'un PIB per capita de 6 000 à 8 000 dollars.
J’ai pu le constater lors d'un déplacement récent au Nigeria. Les ressortissants nigérians qui ont été rapatriés de Libye ne venaient pas du bassin du lac Tchad, parmi les peuples plus agraires et les plus pauvres, mais de Benin City. Il convient donc de s’interroger sur les motivations de ces personnes, qui rêvent d’un Occident merveilleux, mais qui ne sont pas les plus pauvres.
Ma question est la suivante : comment articuler efficacement notre politique de développement et notre politique migratoire ? Comment insister sur la nécessité d'assister les pays dans leur transition d’économie intermédiaire, lorsque la tentation migratoire est la plus forte, vers un niveau de développement mature, grâce auquel les gens auraient envie de rester ?
M. Christian Hutin. Monsieur l’ambassadeur, vous avez décrit par le détail les lettres de créance que le Président de la République vous a confiées il y a quatre mois. Je ne pense pas qu’il y ait de hasard : votre feuille de route comprend-elle la préparation du projet de loi ? En d’autres termes, votre fonction est-elle liée au texte qui nous sera prochainement soumis ?
Vous avez évoqué une forme d'immigration choisie, à la Canadienne : est-elle envisagée dans le cadre de vos fonctions ? Allez-vous vous intéresser à ce problème ?
Vous avez dit aussi que vous étiez seul : quels sont les moyens dont vous disposez ? Travaillez-vous avec le corps préfectoral ? Je pense en particulier au sous-préfet de Dunkerque, qui travaille formidablement bien et passe un temps considérable sur cette question. À Grande-Synthe sont installés 300 migrants : leur sort n’a pas été évoqué et les Britanniques n'ont pas du tout parlé d’aider la région du Dunkerquois.
Enfin, je souhaiterais que l'on ne parle plus de « stock ». Ce terme me gêne énormément. J’ai eu accès à des écoutes téléphoniques de passeurs dunkerquois, qui parlaient de « Stück », ce qui convoque des souvenirs absolument abominables puisque c’était le même terme que les nazis employaient pour parler d’une population qui elle-même était en danger. Il faut donc bannir le terme de « stock ».
Vos lettres de créance contiennent-elles une idée, ou un soupçon de régularisation ? Je pense à la loi Réséda, mise en œuvre par Jean-Pierre Chevènement en 1998, et à l’opération massive de régularisation – plus de 100 000 titres de séjour accordés – qui a suivi l’élection de François Mitterrand.
Mme Jacqueline Maquet. Monsieur l'ambassadeur, comme certains de mes collègues, j'ai assisté la semaine dernière à la visite du Président de la République à Croisilles et à Calais. Dans son discours, Emmanuel Macron est revenu sur les accords du Touquet et les accords de Dublin.
Les accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni sont régulièrement critiqués par nombre de responsables français, car ils donnent le sentiment que la France doit gérer à elle seule la frontière franco-britannique. Ces accords, encore pertinents aujourd'hui, ne devraient-ils pas faire l'objet de protocoles additionnels ?
Quant aux accords de Dublin, ils ne sont pas sans conséquences, puisqu’ils découragent nombre de migrants et de réfugiés à se rendre dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) et les centres d’accueil et d’examen de situation (CAES), de peur d'être renvoyés dans le premier pays dans lequel ils se sont enregistrés. Aussi préfèrent-ils rester en marge des structures d'accueil et de la société, avec les conséquences dramatiques que nous connaissons. Comment jugez-vous ces accords et quelles sont les améliorations que vous préconisez ?
M. Didier Quentin. Monsieur l’ambassadeur, certains de ces flux migratoires peuvent-ils s’apparenter à une fuite des cerveaux ? Autrement dit, le départ de personnes assez qualifiées n’aboutit-il pas à une perte de compétences pour ces pays ? À une époque, il se disait qu’il y avait plus de médecins béninois à l'Assistance publique de Paris, que dans tout le Bénin !
M. Florent Boudier. Madame la présidente, merci de m’accueillir, avec Marie Guévenoux, dans votre commission. Monsieur l'ambassadeur, votre mission est importante et, au fond, presque expérimentale. C'est une première, dans un contexte où l’exécutif tente, sur la question de l'asile et de l'immigration, d’avoir une vision globale.
La question des laissez-passer est déterminante dans les procédures d'éloignement et constitue une difficulté substantielle. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Gouvernement envisagerait de porter à 90 jours la durée de rétention administrative. Pourriez-vous dresser un état des lieux dans ce domaine ? Quelle est la durée moyenne d’obtention d’un laissez-passer ? Quels sont les pays avec lesquels la coopération est, manifestement, plus difficile ?
M. Pascal Teixeira da Silva. Monsieur Girardin, comme je l’ai dit au début de mon intervention, nous ne sommes pas favorables à une révision de la convention de Genève. Il faut être plus pragmatique. Il y a – et il y aura – indéniablement de plus en plus de déplacés climatiques, souvent d’ailleurs déplacés dans leur propre pays ou dans les pays voisins. Mais il n’y a pas de causes climatiques uniques et une même situation peut être traitée de différentes manières selon les États. S’il faut porter à ces déplacés l’assistance dont ils ont besoin, il serait dangereux de renégocier cette convention car on risquerait d’aboutir à un texte beaucoup moins protecteur qu’il ne l’est actuellement.
S’agissant des vrais et des faux réfugiés, toute la difficulté réside dans les flux mixtes. Il est nécessaire d’identifier le plus en amont possible sur les routes migratoires les personnes éligibles à une protection internationale au titre de la convention de Genève, avant qu’elles s’engagent sur des voies périlleuses. L’objectif fondamental du Président de la République et du Gouvernement est de maintenir cette distinction entre réfugiés et migrants économiques et d’accélérer le traitement des procédures d’asile.
Concernant les évacuations de Libye, en marge du sommet d’Abidjan, un plan en neuf points visant notamment à améliorer l’accès humanitaire et l’accès des organisations internationales – OIM, HCR – aux migrants et aux réfugiés, dans les fameux camps qui sont en partie sous contrôle gouvernemental, a effectivement été élaboré. Il s’agit aussi d’accélérer deux types d’opérations : les retours volontaires aidés, sous l’égide de l’OIM, des migrants qui ne sont pas éligibles à la protection internationale vers leur pays d’origine, et les évacuations de réfugiés, sous l’égide du HCR.
L’OIM a ainsi rapatrié vers leur pays d’origine environ 30 000 migrants ; l’objectif est de parvenir à 40 000 rapatriements supplémentaires. Cette opération nécessite non seulement des moyens financiers – sur les 200 millions d’euros dont elle a besoin, l’OIM en a déjà reçu 100 de l’Union européenne – mais aussi la coopération des pays d’origine pour la délivrance de titres de voyages et de laissez-passer. Jusqu’à présent, les pays africains d’origine étaient assez peu coopératifs. Ils le sont devenus par la force des choses car les images ont beaucoup choqué et que prêter son concours à une opération de rapatriement est plutôt considéré comme valorisant auprès de l’opinion publique. En pratique, les choses ne se passent pas toujours de façon idéale car certains pays n’ont de représentation ni diplomatique ni consulaire en Libye. Il faut alors passer par des espèces de chefs communautaires improvisés, plus ou moins efficaces, coopératifs et intègres. Ces chefs, qui sont, de fait, les intermédiaires locaux, se font en effet rémunérer. Bref, cette opération n’est pas facile même si l’OIM estime que ses conditions de travail et d’accès se sont améliorées.
La situation est plus compliquée pour le HCR. Le nombre de réfugiés est estimé à 42 000 mais je pense qu’il est plus important. En outre, les Libyens, qui ne sont pas signataires de la convention de Genève, ne reconnaissent prima facie que huit nationalités comme éligibles à la protection internationale : les Palestiniens, les Irakiens, les Syriens, les Érythréens, les Somaliens, les Soudanais et les Éthiopiens de l’Oromo, auxquels ils ont ajouté les Yéménites. Toutes les autres personnes sont dans une catégorie indéterminée, ce qui complique le travail d’évacuation des réfugiés accompli par le HCR, soit vers des centres de transit, soit dans le cadre d’opérations de réinstallation.
Le Pacte mondial donnera lieu à une grande négociation cette année. L’objectif n’est pas d’avoir un document juridiquement contraignant ni une simple déclaration mais d’élaborer un programme d’actions concrètes qui soit suffisamment équilibré et qui prenne en compte les points de vue des différents pays d’origine, de transit et de destination. Il faudra aussi trouver un équilibre entre droits et devoirs des migrants, et définir ces droits – protection des droits de l’homme, droit à un travail décent, etc. Il y a en la matière beaucoup de choses à améliorer car dans de nombreux pays de la planète, les situations laissent à désirer – c’est un euphémisme. La France a fait des propositions. Le dispositif français applicable aux mineurs non accompagnés est ainsi assez protecteur, ce qui n’est pas le cas partout.
L’objectif de ce programme d’actions est aussi d’échanger les bonnes pratiques et d’améliorer la situation en tenant compte de l’ensemble des points de vue. Or le fait que les États-Unis se soient retirés du processus de négociations juste avant la conférence qui a eu lieu au Mexique au début du mois de décembre est une mauvaise nouvelle pour le multilatéralisme en général et pour cette négociation en particulier. Cela met l’Europe au premier plan. Si la problématique est internationale, on voit bien en effet qu’il y a des tropismes régionaux. Les Latino-américains se préoccupent surtout de la politique migratoire américaine. En Asie du Sud et du Sud-Est, les migrations s’effectuent essentiellement vers les pays du Golfe qui sont assez imperméables aux critiques. Reste la revendication africaine vis-à-vis des Européens, le risque étant qu’elle soit outrancière, telle celle du ministre malien de l’extérieur. Ce dernier considère en effet que pour régler le problème de l’immigration irrégulière, il faut libéraliser les visas et régulariser en masse la situation des personnes se trouvant irrégulièrement sur le sol européen. Certes, on peut aborder les négociations de cette façon mais ce ne sera pas très productif. Il faut aboutir à un texte qui soit consensuel tout en permettant des progrès concrets.
La question des réseaux est complexe mais cruciale, Monsieur Leroy. Plusieurs actions doivent être menées, à commencer par le renforcement capacitaire dans les pays concernés. Lors de mes tournées sur place, je me suis rendu compte que certains services de police manquaient cruellement de moyens. Ce renforcement capacitaire est en cours et doit se poursuivre, dans le cadre non seulement cadre bilatéral mais aussi européen. L’échange de renseignements, à la fois entre pays africains et entre pays africains et européens, doit également progresser, de même que la coopération régionale en Afrique, qui reste très insuffisante, informelle et marquée par la défiance. Enfin, il est nécessaire de mieux connaître les phénomènes de réseaux. Autant, on identifie assez aisément ces réseaux en Libye et au Niger, autant la liberté de circulation au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) rend les filières de passeurs moins évidentes à détecter. Ce travail de connaissance du phénomène, auquel contribue le Fonds fiduciaire d’urgence (FFU), revêt une dimension européenne. Nos partenaires allemands, espagnols et italiens commencent d’ailleurs à s’investir au Niger et au Mali.
En ce qui concerne le régime commun d’asile, je préfère ne pas vous répondre car je ne suis pas compétent en matière de négociations de textes européens. Il faudrait interroger les ministères de l’Europe et des affaires étrangères et de l’intérieur.
Monsieur Lecoq, Mme la présidente vous a répondu s’agissant du huis clos. Nommé depuis quatre mois à ce poste, j’ai répondu volontiers à la demande d’audition qui m’avait été faite pour partager ma courte expérience avec la représentation nationale. En revanche, je ne me sens pas habilité à ce que mes propos soient rendus publics.
Je rencontre les acteurs directement concernés. Lors de mes missions à l’étranger je rencontre aussi des associations de migrants et évidemment nos ambassadeurs sur place. Dans certains cas, on s’aperçoit que la migration est considérée comme une façon d’éviter de prendre ses responsabilités à bras-le-corps dans son pays : on envoie quelqu’un en Europe pour qu’il fasse vivre vingt personnes inactives. La situation est très contrastée et tous les modèles ne se valent pas en matière migratoire.
J’en viens au dialogue avec les pays d’origine. Lorsque je rencontre les ministres de ces pays, je ne leur parle pas uniquement de laissez-passer consulaires (LPC) et de visas : j’aborde la problématique migratoire dans son ensemble. Je leur explique que si leurs pays ont des contraintes et une politique intérieure, le nôtre en a aussi ; que la France est un État de droit et a ses règles ; que lorsque j’arrive sur leur territoire, je suis muni d’un visa, je suis contrôlé et je respecte les règles en vigueur ; qu’en conséquence, nous attendons aussi des ressortissants de leurs pays qu’ils respectent les règles de l’État français. Le dialogue avec ces différents gouvernements avait été mené jusqu’ici de façon trop irrégulière et parcellaire. C’est précisément pour accomplir ce travail diplomatique que le Président de la République a nommé un ambassadeur. Si nous sommes prêts à mettre en œuvre des mesures d’accompagnement, à nous engager dans une coopération opérationnelle et à agir avec nos partenaires, c’est aussi parce que nos objectifs sont crédibles. Il ne s’agit pas de prendre en otage l’aide au développement, ce qui reviendrait à nous tirer une balle dans le pied. En revanche, je montre à ces pays que l’évolution en valeur absolue et en pourcentage, depuis 2012, de la mobilité légale entre la France et eux – en matière de visas, de titres délivrés, du nombre de résidents ou du nombre d’étudiants – est inverse de celle de l’exécution des mesures d’éloignement prises contre leurs ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire. On constate au mieux une stagnation et, au pire, une dégradation. Je leur explique que s’ils veulent une relation équilibrée, ils ne peuvent se féliciter du développement de la mobilité légale au profit de leurs ressortissants et ne faire aucun effort à l’égard de ceux qui sont en situation irrégulière. Si nous ne parlons pas aussi ce langage, nous ne serons pas pris au sérieux.
J’en viens à la question des mineurs non accompagnés. Il y en a, en 2017, plus de 14 000 identifiés comme tels car il y a aussi des mineurs qui n’en sont pas et des mineurs qui ne sont pas vraiment non accompagnés. Le mineur non accompagné en France, dès lors qu’il est prouvé qu’il en est un, est réputé en situation régulière. On ne peut l’expulser et l’intérêt supérieur de l’enfant est le critère qui prime. Nous avons donc besoin de la coopération des pays d’origine – essentiellement la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Maroc – pour identifier ces enfants mais aussi leurs familles. Il s’agit en effet de déterminer si l’intérêt supérieur est la reconstitution familiale ou si, au contraire, ces enfants ont fui un milieu familial épouvantable. Nous avons aussi détecté des filières en provenance de Guinée et de Côte d’Ivoire qui envoient ces enfants en France, comme des harpons, en quelque sorte. C’est ainsi qu’on voit surgir en provenance de ces pays des flux soudains d’enfants en direction de certaines régions. Il ne faut pas être naïf : cela n’a rien de spontané.
En ce qui concerne les demandes d’asile, monsieur Julien-Laferrière, je vous renvoie aux chiffres qui viennent d’être publiés par le ministère de l’intérieur. Le nombre total de demandes s’élève à 100 412, dont 7 582 réexamens et 92 380 premières demandes. Ces dernières sont en augmentation de 18,4 %. Quant au détail de ces statistiques, c’est au directeur de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ou au directeur général des étrangers en France qu’il faut les demander.
Le rapport entre aide au développement et migrations est complexe. Une augmentation du niveau de développement entraîne en effet une hausse du capital financier, intellectuel et social des personnes susceptibles de se mettre en route. Les gens qui migrent ne font pas partie des classes moyennes mais se situent juste au-dessus des classes les plus défavorisées et ont le sentiment de ne pas avoir de perspectives. Du fait des nombreux mythes véhiculés par les réseaux sociaux et les médias, ils s’imaginent qu’ils en auront davantage en Europe. On a effectivement constaté une augmentation de la poussée migratoire en cas d’augmentation du niveau de vie mais les questions de perspectives d’avenir et d’inégalités sont cruciales. Ainsi, la Côte d’Ivoire qui jouit d’une certaine stabilité politique et qui bénéficie d’un taux de croissance d’environ 8 %, est un pays assez prospère dans la région Pourtant, c’est la deuxième nationalité de migrants irréguliers ayant franchi la Méditerranée. Comme ni l’indice de Gini ni l’indice de développement humain (IDH) ne progressent, les jeunes ivoiriens sont frustrés, tout comme ils le sont par le discours qu’on leur tient sur une émergence dont ils ne bénéficient pas.
Vous avez raison, monsieur le député Son-Forget, de parler du Nigeria . Ce n’est pas du Nord-Est, où se trouve Boko Haram et où se situent les régions les plus pauvres, que proviennent les migrants mais de l’État d’Edo et en particulier de Benin City. Il faut savoir que 80 % des transferts financiers envoyé depuis l’Europe par les émigrés de Benin City proviennent des prostituées. C’est scandaleux et inqualifiable mais vu de Benin City, c’est une source de revenus.
Le projet de loi est un élément de la stratégie du Gouvernement qui permettra d’adapter et de renforcer les dispositions relatives à la mobilité légale, à l’asile, à l’entrée et au séjour des étrangers. Mes fonctions s’inscrivent dans le cadre du plan sur l’asile et la migration. Je prendrai évidemment en compte ces modifications législatives mais mon travail est plutôt d’ordre diplomatique.
S’agissant des moyens dont je dispose, je devrais avoir un renfort du ministère de l’intérieur. Le corps préfectoral n’est pas directement en lien avec ma fonction diplomatique mais vous avez raison de souligner son importance : j’ai ainsi rencontré le préfet de police de Paris car les réadmissions et les laissez-passer consulaires dans sa zone de compétence représentent quand même 40 % du volume total des affaires traitées. Je compte aussi engager un dialogue avec certains préfets de région.
La régularisation est assez importante. Elle est d’environ 30 000 à 40 000 titres par an et est très élevée pour certains pays : 35 % des premiers titres délivrés aux Maliens le sont au titre de l’admission exceptionnelle au séjour. Ce chiffre est de l’ordre de 25 % pour le Sénégal. Ce n’est pas rien. Mais il est complètement irréaliste, commele demandent certains, de vouloir régulariser en masse pour éviter les problèmes. La régularisation se fait au cas par cas. Le problème, c’est que pour les Africains subsahariens, celle-ci représente plus de la moitié de l’immigration économique, ce qui illustre les dysfonctionnements de nos procédures.
N’étant pas du tout impliqué dans la négociation des accords franco-britanniques ni dans celle du règlement de Dublin, je ne puis vous répondre à ce sujet.
Monsieur le député Quentin, nous aurions besoin de beaucoup de temps pour évoquer la fuite des cerveaux. Ce sujet a fait l’objet de nombreuses études économiques et les conclusions sont contrastées. Autant, il me paraît souhaitable de favoriser l’expérience professionnelle des personnes qui se sont formées en France – je crois qu’il y aura dans le projet de loi des propositions à cet égard –, autant, le fait qu’une proportion élevée d’étudiants africains veuille rester en France est effectivement une perte. Il importe donc de promouvoir cette mobilité circulaire que j’ai évoquée.
Monsieur Boudié, les LPC sont évidemment un sujet de grande insatisfaction. Le taux de délivrance, dans les délais, de ces LPC oscille entre 12 % et 60 % selon les pays. S’agissant du Sénégal, 57 % des demandes sont sans réponse. Nous nous heurtons non à des difficultés pratiques mais aussi à la mauvaise volonté des États. C’est en effet un sujet politiquement sensible dans ces pays. Les diasporas sont contre et les États d’Afrique de l’Ouest, tout en affirmant qu’ils sont pour le retour de leurs ressortissants dès lors que la nationalité est prouvée, se renvoient mutuellement la balle en affirmant que les personnes renvoyées ne sont pas les leurs. Au contraire, les rapatriements volontaires de Libye, parce qu’ils sont plus acceptables politiquement, ont donné lieu à une reconnaissance de nationalité plus prompte et n’ont pas posé de problèmes techniques. Le dialogue politique doit donc être confiant, discret mais très ferme. Je précise que le problème n’est pas uniquement français : tous les pays européens y étant confrontés, une politique européenne est donc nécessaire en la matière.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Ajoutons qu’on ne règlera pas la question des retours volontaires tant que les moyens budgétaires ne compenseront pas les pertes de revenus consécutives à ces retours. Les revenus des migrants constituent en effet la première source de gain financier en provenance de l’extérieur pour les pays africains, avant même l’aide au développement, et vont directement aux familles.
Je vous remercie beaucoup, monsieur l’ambassadeur, d’être venu devant nous, au terme de ces quatre mois où vous vous êtes déjà rendu dans de nombreux pays. Je vous demandais avant le début de la réunion combien de temps allait durer votre mission : on sait maintenant qu’elle n’a pas de limites puisque la question migratoire continuera à se poser pendant les mois, les années et les décennies à venir. C’est une des grandes questions du siècle. Nous aurons donc l’occasion de nous revoir.
La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.
B. Audition de M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
Au cours de sa séance du mercredi 14 février 2018, à neuf heures trente, la commission des affaires étrangères auditionne M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je suis très heureuse d'accueillir Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), établissement public qui a pour mission de statuer sur les demandes d'asile.
Nous vous recevons dans un contexte particulier, monsieur le directeur général. Il y a eu en 2017, pour la première fois, plus de 100 000 demandes d'asile introduites devant l’OFPRA – nous y reviendrons. Par ailleurs, notre Assemblée va bientôt examiner un projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif ». Notre commission se saisira pour avis de ce texte, car nous pensons qu’il importe de lui donner un éclairage européen et international. Comme l'a dit le ministre de l’intérieur, le projet de loi ne constituera qu’une « brique », et nous veillerons à aborder un certain nombre de sujets d'une manière plus large. Outre ce texte, il y a d’autres dispositifs qui peuvent être mis en place au plan français, bien sûr, mais aussi au plan européen et au plan mondial.
Nous avons beaucoup de questions à vous poser. De manière générale, nous sommes intéressés par votre analyse des liens entre la politique d'asile et la gestion de la politique migratoire, ainsi que des dysfonctionnements de la politique européenne de l'asile. Je me suis toujours demandé pourquoi nous avons été collectivement incapables, en Europe, d'anticiper l'afflux des réfugiés syriens, irakiens, afghans et maintenant africains, mais aussi pourquoi les pratiques des différents offices – vos homologues dans l'Union européenne – restent si différentes, comme le montrent les écarts européens entre les taux de reconnaissance du statut de réfugié selon les nationalités d'origine. Par ailleurs, quid des déboutés du droit d'asile, en particulier en Allemagne, qui viennent ensuite en France pour introduire une nouvelle demande ? Pourquoi le processus de transfert vers le pays responsable du traitement de la demande d’asile conformément au système « Dublin » ne fonctionne-t-il pas ? Et surtout, que faire pour améliorer la situation – dans le cadre de la future loi comme par d’autres moyens ? On évoque parfois la création d’un OFPRA européen : cela peut-il constituer un début de réponse ?
Pensez-vous que notre politique de visas et de titres de séjour soit pleinement pertinente si l’on veut limiter les demandes d'asile de personnes qui n’obtiendront manifestement pas ce droit ? En d'autres termes, estimez-vous que l’on pourrait adopter une politique d'immigration légale plus lisible afin d’amener certaines personnes à passer de la demande d'asile vers des demandes de visas ou de titres de séjour ? J’ai, pour ma part, une sorte d’obsession en la matière : nous devons avancer sur la question des visas à entrées multiples, permettant des allers-retours entre le pays d'origine et la France.
La France et l’Union européenne ont conclu, à une certaine époque, des accords dits de réadmission avec un certain nombre de pays, notamment africains. Pourriez-vous faire le point sur les accords avec des pays d'origine ou de transit ? Pourriez-vous également revenir sur l’action conduite par des agents de l'OFPRA dans des pays tels que le Niger, où vous travaillez en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ? Les missions que vous menez à l’étranger ont-elles vocation à s'étendre afin de permettre l’instruction des demandes d’asile sur place, au lieu que l’on ait à risquer sa vie pour venir sur notre sol ?
Le rôle de notre commission est d'aller au fond de ces questions. Pour y avoir travaillé depuis longtemps au Parlement européen, je sais combien une réponse française est certes nécessaire, mais évidemment insuffisante : une réponse européenne mieux conçue et mieux appliquée qu’aujourd’hui doit exister, en particulier au sein de l'espace Schengen, et nous mesurons bien à quel point nos concitoyens attendent aussi une réponse mondiale, ainsi que des réponses reposant sur des politiques conduites avec les pays d'origine et de transit.
Je vous cède la parole pour une intervention liminaire, après quoi nous passerons aux questions que mes collègues souhaiteront vous poser.
M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Merci beaucoup, madame la Présidente, mesdames et messieurs les députés. C'est un honneur pour moi d'être à votre disposition, d'abord comme directeur général de l'OFPRA, mais aussi en tant que diplomate – à ce titre, se trouver devant votre commission revêt un sens tout particulier.
Je suis heureux de pouvoir vous livrer le regard de l'OFPRA sur les conditions d'exercice de sa mission, au moment où un débat s'est ouvert dans le pays et où votre Assemblée sera prochainement saisie d'un projet de loi. Comme vous l'avez souligné, la réforme de l'asile qui se trouve devant nous concerne un ensemble de dispositifs, de politiques et d'attitudes relevant de différents acteurs, notamment l'OFPRA.
Vous avez rappelé que nous sommes un établissement public dont la mission principale est d'instruire les demandes d'asile. Nous exerçons une mission connexe qui est moins connue : nous sommes la mairie des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire. Celles et ceux que nous protégeons, avec la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), voient leur état civil géré par nos soins. Notre mission principale, et la plus connue, reste néanmoins d'instruire les demandes d'asile. L’OFPRA est doté d’un statut particulier qui lui confère une indépendance fonctionnelle : la loi prévoit que le directeur général ne reçoit aucune instruction dans l'exercice de ses missions. L’OFPRA fait néanmoins l'objet d'une tutelle administrative sur son budget et son fonctionnement, s’agissant en particulier du respect des délais d'instruction. J’aurai l’occasion de revenir sur ce dernier point, puisqu'il s'agit d'une priorité fixée par le Président de la République et le Gouvernement.
Comme vous l’avez dit, la demande d'asile a franchi l'année dernière un cap symbolique en France : celui de 100 000 demandes dans l'année. Cela correspond à un peu plus de 70 000 premières demandes d'asile, auxquelles il faut ajouter 20 000 mineurs accompagnants et les réexamens. C'est un cap symbolique qui coïncide avec une augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente, et qui entre dans le cadre d'une augmentation régulière, depuis une dizaine d'années. Ce n’est donc pas un afflux massif, ni soudain. Il faut aussi comparer notre situation avec celle d'autres États membres de l'Union européenne, en particulier l'Allemagne, qui restent à des niveaux nettement plus élevés que le nôtre. C’est néanmoins un cap symbolique, je le répète, et l’augmentation régulière de la demande d’asile dans notre pays met l'ensemble du système sous pression. Les agents de l'OFPRA, notamment les officiers de protection, qui se sont engagés depuis quatre ans dans une profonde réorganisation visant à mieux protéger et à réduire les délais d'instruction – j'y reviendrai –, peuvent en témoigner.
Cette situation est vécue par l’ensemble du système de l'asile en France : il existe en effet toute une chaîne d’acteurs, dont l’OFPRA est l’un des pivots – sa responsabilité est grande pour l'exercice du droit d’asile, garanti par notre Constitution –, mais qui compte aussi d'autres administrations, les préfectures, l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), les élus locaux, que vous êtes souvent, en particulier les maires qui accueillent dans des centres d'hébergement, et les travailleurs sociaux. Tout le système est confronté à la nécessité de faire face à une augmentation régulière de la demande d'asile depuis une dizaine d'années, même si cela ne constitue pas un afflux massif, comme les chiffres en témoignent, y compris ceux de 2017.
Si l'on regarde les pays d’origine des demandeurs d’asile, et je devine que cela peut intéresser votre commission, on est frappé par l’existence de situations assez contrastées – c’est une constante en France depuis une dizaine ou une vingtaine d'années. Un résumé est fourni par le taux de protection globale : au total, on protège en France à peu près 40 % des demandeurs, que ce soit au titre de l’asile constitutionnel, de la convention de Genève – pour des réfugiés qui fuient leur pays pour des raisons liées à leur engagement personnel, à leurs opinions politiques, à leur religion, à leur ethnie ou à leur appartenance à un groupe social, comme des homosexuels ou des lesbiennes venant de certains pays – ou encore de la protection subsidiaire.
Il existe des pays d'origine où les situations de guerre, de conflit et de persécutions sont réelles. Je pense notamment à la demande d'asile en provenance du Soudan, tout particulièrement le Darfour, ou d’autres pays comparables du point de vue des situations particulièrement dramatiques qui s'y déroulent, comme l'Érythrée et la Syrie. On peut aussi penser aux minorités religieuses d’Irak, chrétienne et yézidie, et à l'Afghanistan. Pour ces pays d’origine, les taux de protection sont compris entre 60 et 90 % à l'OFPRA et à la CNDA – ils vont même jusqu’à 97 % pour les Syriens.
Comme vous le savez, l'instruction de la demande d'asile est toujours individuelle. Les officiers de protection de l'OFPRA vérifient la réalité des craintes dans le pays d'origine – c’est ce qui compte pour l'application de la convention de Genève, des textes européens et de la Constitution française – en croisant les parcours d'exil, ce que sait l'OFPRA – nous avons une division de l’information au sein de laquelle des chercheurs travaillent sur la situation dans les pays d’origine – et l’analyse juridique. Nous statuons sur l’octroi de la protection ou son rejet, sous le contrôle de la CNDA.
Il y a d’abord la situation dans les pays d'origine : la demande d'asile en France est le reflet des drames qui se déroulent dans le monde, en particulier dans l’environnement proche du continent européen, ce qui se traduit par des taux de protection très élevés dans certains cas. Mais il y a aussi des demandes d’asile pour lesquelles le taux de protection est beaucoup plus faible. C’est notamment le cas avec l’augmentation de la demande d'asile que nous constatons en provenance d'Afrique de l'Ouest, depuis plusieurs mois. Nous sommes là confrontés aux drames vécus par les migrants ayant traversé cet enfer que la Libye est devenue. Cela fait plus de deux ans que les officiers de protection de l'OFPRA entendent le récit de ce que subissent les personnes traversant ce pays. J’ai des souvenirs précis de ce que me racontaient, il y a deux ans, des officiers de protection qui se trouvaient dans des ports italiens, en appui à la relocalisation dont je dirai plus tard un mot : celles et ceux qui arrivaient disaient parfois leur soulagement d'avoir survécu non pas tant à la Méditerranée qu'à la Libye, aux rapts et aux viols extrêmement organisés qui ont lieu dans ce pays.
En l’espèce, nous avons affaire, le plus souvent, à des personnes relevant peu du droit d’asile. La situation dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest entre assez peu dans ce cadre, même si c’est parfois le cas. Je pense en particulier aux 7 000 petites filles aujourd’hui protégées par l’OFPRA contre le risque d’excision – c’est une de nos grandes fiertés – et à des femmes du Nigeria victimes de réseaux d'exploitation sexuelle. Nous vérifions que ces femmes relèvent bien du droit d'asile, d'abord parce qu'elles sont exploitées par des réseaux, et ensuite parce qu'elles montrent une volonté de se dissocier d’eux – sinon, nous serions exposés à un risque d’instrumentalisation par les proxénètes. Nous veillons à protéger très précisément les personnes qui doivent l’être et à ne jamais tomber dans des risques d'instrumentalisation.
Certaines situations relèvent du droit d'asile mais, pour l'essentiel, il s’agit de personnes qui n’en relèvent pas. Pour autant, elles ont le droit à un examen de leur demande, parce que notre Constitution l'exige et que c'est la mission de l’OFPRA. C'est tout l'enjeu pour nous et pour l'ensemble du système de l'asile dans la situation que nous connaissons depuis un certain nombre d'années : il faut garantir de manière absolue – et l’OFPRA ne sait pas faire autrement – que la Constitution est appliquée, c'est-à-dire que toute personne présente sur le territoire national a le droit à l'instruction de sa demande d'asile, sous réserve du règlement « Dublin ». Dans ce cas, la demande est supposée être instruite dans un autre État membre de l'Union européenne, mais j'y reviendrai.
Quelle que soit sa nationalité, toute personne doit voir sa demande d'asile instruite. La responsabilité de l'OFPRA et de l'ensemble du système de l'asile, conformément à la volonté du législateur européen et du législateur français, est que dans certains cas, notamment celui des pays d'origine sûrs, l’instruction ait lieu dans des délais brefs – plus brefs que selon la procédure normale. C'est le traitement accéléré : nous veillons à ce qu’il y ait des délais particulièrement courts pour un certain nombre de pays où les taux de protection sont faibles. Je pense notamment à l'Albanie ou à Haïti : ces pays présentent une caractéristique qui nous met en difficulté, le taux de protection étant faible – 6 % pour l'Albanie à l’OFPRA et 2,5 % pour Haïti, avec la situation que vous connaissez en Guyane. Du point de vue de la situation migratoire, la responsabilité de l'OFPRA n’est pas première ; afin de garantir l’exercice plein et entier du droit d’asile, sa mission est de faire en sorte que toute demande soit instruite, parce que la Constitution l'exige, et que cela soit fait d’une manière adaptée à la situation individuelle des personnes et à la situation dans certains pays d’origine.
La demande d’asile est contrastée en France, je le disais : il y a des pays d’origine marqués par des conflits et des persécutions, ce qui conduit à des taux élevés de protection à l’OFPRA ; pour le reste, des personnes demandent l'asile, mais relèvent finalement assez peu de ce statut – elles s’inscrivent probablement davantage dans le cadre de migrations économiques ou d'autres types de migration.
Dans ce contexte, notre responsabilité est d'abord de protéger quand il y a lieu de le faire. C'est le cœur, évidemment, de notre mission, et c’est ce qui a notamment fait l'objet de la réforme conduite à l'OFPRA depuis 5 ans. Elle a vu la fin de ce que je considérais comme une anomalie française. Certaines et certains d'entre vous se souviennent peut-être qu'il y a encore 4 ou 5 ans, en effet, on était protégé beaucoup plus souvent par la CNDA que par l’OFPRA au titre du droit d’asile, ce qui me paraissait une aberration à tous points de vue. Nous avons fait en sorte, avec les outils du droit et en faisant application de la jurisprudence de la CNDA, que le besoin de protection, lorsqu’il existe, soit reconnu par l’OFPRA et non plus par la Cour. De même, lorsqu'il doit y avoir un rejet de la demande, la responsabilité de l’OFPRA, et la mienne en premier lieu, est de le faire.
À la demande du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, nous devons également réduire les délais d'instruction. C’est une nécessité à tous égards, d'abord pour les demandeurs, mais aussi au regard des coûts de la politique de l’asile, notamment en matière d'hébergement. Il faut rappeler que la réduction des délais d'instruction s'est faite, et doit se poursuivre, en prenant en compte à chaque fois la situation individuelle des personnes. On doit consacrer plus de temps à l’instruction de certaines demandes. Je pense notamment à des personnes détruites par la torture ou qui vont être protégées en raison de leur orientation sexuelle, et qui ne vont pas verbaliser rapidement un tel motif de protection. Depuis la loi adoptée en 2015, l’OFPRA dispose par ailleurs des outils lui permettant de rejeter des demandes d’asile de personnes qui constitueraient une menace grave pour la sûreté de l’État, et j’y suis particulièrement vigilant. Dans ces cas-là, il faut aussi que nous ayons le temps nécessaire pour statuer. Je pense également aux personnes relevant des clauses d'exclusion de la convention de Genève, notamment parce qu’elles auraient commis des crimes de guerre ou contre l'humanité dans leur pays d'origine. Il faut donc, et c'est la responsabilité de l'OFPRA, s'adapter aux situations individuelles, dans un contexte général de réduction des délais d'instruction.
C'est ce que nous sommes parvenus à faire : nous sommes très proches d'un délai de trois mois devant l'OFPRA, conformément à l’objectif qui nous était initialement fixé. Je rappelle que nous étions à sept ou huit mois il y a encore deux ans. Comment y sommes-nous parvenus ? L’OFPRA a été renforcé, un investissement de l'État a eu lieu, et il se poursuit. Je veux remercier à nouveau le Parlement d'avoir bien voulu l'autoriser dans la loi de finances pour cette année. Nous sommes aussi arrivés à ce résultat parce que nous nous sommes réorganisés de manière à gagner en efficacité : c'était la contrepartie de l'investissement de l'État. Voilà comment on peut avancer, me semble-t-il.
Les délais d’instruction vont continuer à être réduits. Vous savez que le Président de la République a fixé pour objectif à l'OFPRA d’arriver désormais à un délai de deux mois, le délai global devant être ramené à six mois. Nous devons donc passer d’un délai d’à peu près trois mois, à l’heure actuelle, à deux mois, et nous allons y parvenir. Nous le ferons, comme depuis quatre ans, dans le strict respect des droits et des garanties de chaque demandeur d'asile, et dans le respect de l'expertise et de la compétence des officiers de protection. J’insiste sur ce point dans une période où, notamment dans la perspective de l’examen du projet de loi, des interrogations peuvent exister chez celles et ceux qui portent la politique de l'asile, et qui peuvent être inquiets. Je suis particulièrement vigilant.
Nous nous sommes donné les moyens, à l'OFPRA, d’appliquer la décision du Président de la République dans les conditions que je viens d’indiquer. Nous allons poursuivre la réduction des délais en veillant à préserver la qualité de l'instruction : on ne peut pas faire semblant d'instruire une demande d’asile. On peut réduire les délais, et nous le faisons, notamment grâce à tout un accompagnement de l'instruction par les officiers de protection, mais il y a un moment où il faut instruire en prenant le minimum de temps nécessaire, sinon on fait semblant. Au regard du respect du droit, mais aussi de la capacité à animer le collectif qui constitue l'OFPRA et qui doit poursuivre ses réformes, il y a une limite que nous ne franchirons pas.
Nous allons notamment poursuivre la réduction des délais d'instruction en veillant à ce que les personnes soient convoquées plus rapidement, après leur passage en préfecture, pour un entretien à l'OFPRA – vous savez que c’est le cas pour tous les demandeurs d’asile. Nous allons gagner du temps grâce à une véritable révolution logistique, qui est complémentaire de toutes celles que nous venons de réaliser en quatre ans. Nous allons aussi faire en sorte de notifier plus rapidement les décisions de l’OFPRA. Mais j'insiste sur un point nécessaire pour le succès de la réforme de l'asile dans laquelle nous sommes engagés : tout cela ne pourra se faire que si l'ensemble des partenaires, notamment le monde associatif, qui est si précieux pour l’application du droit d'asile dans notre pays, et les travailleurs sociaux, qui sont si indispensables eux aussi, font leur révolution culturelle du point de vue de la réduction des délais d'instruction – nous l’avons fait à l'OFPRA et nous allons continuer.
Le système français de l’asile a trop longtemps vécu avec des délais d'instruction longs. Tout le monde était concerné, y compris l’OFPRA il y a quatre ans – par manque de moyens. Les préfectures continuent très largement à fonctionner de cette manière et les travailleurs sociaux ont pris l'habitude de penser qu'ils ont du temps pour préparer et aider les personnes engagées dans une procédure d’asile. Il faut changer de fonctionnement, ce qui suppose aussi que les pouvoirs publics se donnent les moyens d'accompagner les travailleurs sociaux et que l’on réfléchisse à la place de chacun dans un mode de fonctionnement nouveau qui doit être plus rapide et, en même temps, totalement protecteur des droits, conformément à notre Constitution. Aujourd’hui, l’enjeu principal en ce qui concerne les délais est l'accès aux préfectures. Le plus souvent, on doit attendre avant d’entrer dans la procédure d'asile et de pouvoir saisir l’OFPRA.
Dans le « paquet » global de la réforme de l’asile que vous évoquiez, madame la Présidente, au-delà du projet de loi qui vous sera présenté, il s’agit de faire en sorte, comme le Président de la République l’a demandé dans un discours prononcé à Orléans à l'été 2017, que toute personne puisse être hébergée rapidement dans notre pays, que sa situation administrative soit également contrôlée rapidement, car il est légitime que l'État s'assure de la situation administrative des personnes, dans un contexte qui puisse s’y prêter et à partir du moment où les rôles de chacun sont pleinement respectés, que l'instruction de la demande d'asile puisse encore gagner en qualité et en rapidité, que l'on puisse intégrer celles et ceux qui relèvent du droit d'asile – c'est notamment l’objet des travaux de votre collègue Aurélien Taché – et que l'on puisse reconduire celles et ceux qui, in fine, ne bénéficient pas du droit au séjour.
Outre la poursuite de la réforme que l'OFPRA doit à l'exécutif et au Parlement, mais aussi l’enjeu croissant de l’accès aux préfectures, il y a bien sûr la question du système européen de l’asile. Ses insuffisances et ses failles pèsent sur nous d’une manière extrêmement concrète. J’ai participé pendant de longues années aux négociations européennes et je connais les capacités des négociateurs européens à inventer toutes sortes de choses… Mais nous sommes devant des failles qui posent de sérieux problèmes dans une période où les Européens et les Français s'interrogent sur leur capacité à accueillir comme ils doivent le faire.
L’OFPRA est confronté à deux types de situations problématiques et assez paradoxales. Nous avons vécu pendant des années avec le règlement dit « Dublin » sans qu'il corresponde à grand-chose dans la réalité. Je suis quasiment né en tant que diplomate avec ce règlement… Au niveau des préfectures françaises, moins de 10 % des personnes en relevaient auparavant : la plupart de ceux qui arrivaient aux frontières extérieures de l'Union européenne ne voyaient pas leurs empreintes relevées à leur passage. La situation a changé depuis deux ans, c’est-à-dire depuis la crise européenne de l'asile qui a eu lieu à partir de la fin 2014, notamment en lien avec le drame syrien. Les empreintes ont alors été prises et le ministère de l'intérieur indique désormais que près de la moitié des demandeurs d'asile dans les préfectures françaises relèvent du règlement « Dublin ». Ce qui était marginal est donc devenu central.
La première conséquence paradoxale pour l’OFPRA est que des personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision dans un autre pays européen – par hypothèse, un rejet – arrivent en France, notamment depuis le Nord de l'Europe. Elles sont placées en procédure « Dublin » non seulement parce qu'elles ont laissé leurs empreintes, mais aussi parce qu’une décision a été prise sur leur demande d’asile. Ces personnes attendent pendant de longs mois : le plus souvent, en effet, la réadmission ne fonctionne pas ; puis, en l'état actuel du droit européen, elles viennent à l'OFPRA. Je me trouve donc dans une situation où je dois demander aux officiers de protection d’instruire des demandes d’asile pour la deuxième fois dans l'espace européen. Chacun voit aisément que cela ne correspond pas à une grande rationalité. Nous sommes devant une difficulté.
Il existe, plus qu’on ne le croit, un certain niveau d'harmonisation entre les OFPRA européens, car des directives ont établi des normes de référence communes – la convention de Genève et la protection subsidiaire –, ainsi que des règles de procédure communes, mais nous conservons des différences de taux de protection dans certains cas. Je vais vous en donner l’explication d’une manière très diplomatique, en me concentrant sur ce qu'est le statut de l'OFPRA. Nous sommes indépendants, conformément à la loi, mais il n’est pas certain que le système fonctionne exactement de cette manière un peu partout en Europe. L’OFPRA est indépendant, ce qui veut dire que nous ne connaissons que le droit d'asile. Nous l’appliquons strictement : les autres considérations n’entrent pas dans notre compétence, non pas parce que nous serions ignorants de la réalité – je vous l’ai décrite, les taux de protection le montrent aussi, et c'est ce qui nous conduit à accélérer le traitement de l'instruction pour un certain nombre de pays d’origine, de manière à donner un signal montrant que l’on n’utilise pas la bonne porte –, mais parce que notre compétence est d’appliquer le droit d’asile et lui seul. Je ne suis pas certain que le statut des homologues de l'OFPRA dans d’autres États membres soit tout à fait comparable – je suis même assez certain que ce n’est pas le cas.
Sur la base d'analyses partagées de la situation dans les pays d'origine et de références juridiques communes, on arrive à des taux de protection qui ne sont pas toujours les mêmes. Pour notre part, je le répète, nous appliquons le droit d'asile et rien d'autre. Je m’en tiens à l’exigence qui m’est imposée par les textes quant à la distinction que vous évoquiez, et que le Président de la République a rappelée, entre ceux qui relèvent de l'asile et ceux qui relèvent de la politique migratoire. Les uns ne sont pas supérieurs aux autres, mais il existe des registres juridiques, politiques, historiques et constitutionnels distincts. Il en résulte que l'accueil de celles et ceux qui fuient les guerres et les persécutions relève dans notre pays, comme ailleurs, mais particulièrement chez nous et dans notre histoire, d’un cadre juridique, de politiques publiques et d’une mobilisation citoyenne qui sont particuliers. La politique migratoire est une autre question. C’est un terrain sur lequel je me garde bien de venir, conformément à la mission qui est la mienne.
Dans le cadre du système « Dublin », des personnes arrivent à l’OFPRA alors qu'elles ont déjà été déboutées et qu’elles devraient faire l’objet d’une réadmission très vite. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, et je vous le dis très directement, que je ne souhaite pas revoir ces demandeurs d'asile à l'OFPRA : il n’y a aucune raison. Mais nous avons aussi affaire à des personnes – elles semblent d’ailleurs majoritaires parmi celles et ceux qui sont « dublinés » en France – qui n’ont pas fait l’objet d’une décision sur leur demande d’asile ailleurs en Europe, mais qui ont laissé des empreintes. Elles n’ont pas demandé l’asile – on sait bien dans quelles conditions cela se passe. Lorsqu’elles arrivent dans un autre pays, comme la France, ces personnes sont également placées en procédure « Dublin » et, dans l'état actuel des réadmissions, la plupart d'entre elles finissent par saisir l'OFPRA. On a alors perdu des mois, au détriment de ces personnes et de celles et ceux qui les accompagnent – je pense notamment aux élus –, avec les coûts d'hébergement que cela implique par ailleurs. Il y a un dysfonctionnement – le Président de la République a utilisé ce terme.
Du point de vue de l’OFPRA, et je ne peux m’exprimer que selon cette perspective, le seul élément qui importe est que la demande d'asile soit instruite, dans de bonnes conditions. Si « Dublin » fonctionne, je signe. Mais si cela ne fonctionne pas, il faut peut-être envisager autre chose. Je trouve dans le discours du Président de la République à la Sorbonne des éléments qui doivent notamment nous permettre de faire fonctionner les hotspots comme ils le devraient : il faudrait qu’ils soient des lieux où l’on instruit les demandes d’asile, sur place, et je pense que les Européens en sont capables, avant d’accueillir celles et ceux qui relèvent du droit d’asile dans les États membres et de reconduire celles et ceux qui n’en relèvent pas vers leur pays d’origine – ce serait le rôle de Frontex. Le Président de la République a évoqué un OFPRA européen, comme vous l’avez rappelé. J’y suis extrêmement favorable, car cela permettrait de mettre un terme à des situations qui sont aujourd’hui disparates, pour peu que cet Office soit indépendant, comme le législateur français a décidé que nous le soyons, pour des raisons d’efficacité du droit d’asile et des reconduites. Il est tout à fait essentiel que chacun et chacune puisse se convaincre qu’il y a bien une institution, placée sous le contrôle d’un juge, qui statue sur les questions de droit d’asile, comme en France : lorsqu’une protection n’est pas accordée, la reconduite s’impose alors, s’il n’y a pas d’autre titre de séjour.
Le débat européen porte également sur la question des pays tiers sûrs, concept dont j’ai été extrêmement heureux que l’exécutif décide de ne pas le faire figurer dans son projet de loi car c’est un concept étranger au droit français.
Autant le concept de pays d’origine sûr est, lui, totalement conforme à notre droit, puisque, même s’il s’agit d’instruire plus vite les demandes d’asile, les demandes formulées par les ressortissants de pays d’origine sûrs font l’objet d’un examen au fond, autant le concept de pays tiers sûr relève d’une tout autre logique, puisque le dossier d’un demandeur d’asile passé par un pays tiers sûr ne fait pas l’objet d’un examen au fond, et ce, quel que soit son pays d’origine. Ce n’est pas la pratique de l’OFPRA. Cela étant, il nous appartiendra encore de faire en sorte que les choix que fera le Conseil européen en la matière s’accordent aux nôtres.
J’aborderai pour conclure la question des projections de l’OFPRA hors du territoire national. Ces projections s’effectuent à deux titres : d’abord la relocalisation, ensuite la réinstallation.
En ce qui concerne la relocalisation, l’OFPRA a, dans le cadre de nos engagements européens, projeté à partir de 2015 des équipes en Grèce, pour accueillir des réfugiés syriens, irakiens et, marginalement, érythréens dans notre pays. De 2015 à 2017, des équipes de l’OFPRA se sont ainsi succédé chaque mois à Athènes, de manière à entendre les demandeurs d’asile sur place, et ce sont plusieurs milliers de personnes qui ont pu être accueillies dans notre pays, dans ces conditions, après les contrôles sécuritaires mis en place par le ministère de l’intérieur.
Ce dispositif s’est arrêté en Grèce parce qu’il n’y a plus là-bas de personnes relevant des critères de la relocalisation, qui d’ailleurs s’est arrêtée au niveau européen, à ma grande surprise. Le Président de la République a néanmoins souhaité que l’OFPRA poursuive cette action en Italie. Nous continuons donc, et allons prochainement envoyer dans la Péninsule une seconde mission chargée d’entendre sur place des demandeurs d’asile érythréens, en besoin manifeste de protection, de manière à les accueillir ensuite dans notre pays dans de bonnes conditions.
C’est désormais la réinstallation qui est l’action principale de l’OFPRA hors du territoire national. À partir de 2014, l’OFPRA a projeté des équipes de protection en Égypte, au Liban, en Jordanie puis en Turquie pour entendre des demandeurs d’asile syriens enregistrés par le HCR, de manière à s’assurer de leur besoin de protection sur place et à les accueillir après les contrôles sécuritaires diligentés par le ministère de l’intérieur. L’OFPRA poursuit ces missions au Liban, en Jordanie, en Turquie et, conformément à l’annonce du Président de la République au cours de l’été 2017, nous avons engagé des dispositifs comparables en Afrique : depuis le mois de novembre dernier, nous avons ainsi réalisé deux séries de missions au Niger et au Tchad, afin, là encore, d’entendre des demandeurs d’asile en majorité soudanais ou darfouris, ainsi que des personnes évacuées de Libye par le HCR au Niger.
M. Sébastien Nadot. Merci d’avoir rappelé que, si immigration et asile sont deux sujets connexes, ils n’en sont pas moins bien distincts ; merci également pour votre franchise sur les failles européennes et en particulier celles du règlement Dublin III. La demande d’asile en France est en augmentation, tendance qui ne devrait pas s’inverser dans les prochaines années, et j’aimerais savoir comment vous interprétez la grève d’hier à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et ce que vous inspire l’inquiétude des avocats et des magistrats, sans parler de celle des associations.
Je souhaite également vous interroger sur le fonctionnement de la DIDR, division de l’information, de la documentation et des recherches de l’OFPRA, dont la mission est d’apporter un appui à l’instruction, en fournissant aux agents de l’OFPRA une information fiable, objective et actualisée sur les pays d’origine, afin d’aider à la prise de décision. Vous avez beaucoup parlé de réduction des délais d’instruction, mais peut-on connaître le temps passé par un agent de l’OFPRA à instruire une demande d’asile ? Que représente ce temps en comparaison des autres pays européens ? Plus largement, vous déclariez en 2015 sur une radio du service public, qu’on travaillait à l’OFPRA dans la bienveillance et la rigueur : pourriez-vous le réitérer aujourd’hui, et le pourrez-vous demain après l’adoption du projet de loi que nous allons prochainement examiner ?
M. Guy Teissier. Vous avez rappelé le fait que nous dépassions tous les quotas : plus de cent mille personnes frappent à la porte de l’OFPRA, ce qui est un record historique, et comparer notre situation à celle de l’Allemagne n’est pas nécessairement une consolation. Face à cette pression migratoire inédite et à ces milliers de gens qui traversent la Méditerranée pour aborder à ses rivages nord, tandis que des centaines, voire des milliers d’entre eux sont morts en route, les gouvernements successifs n’ont jamais pris les mesures qui s’imposaient, notamment en ce qui concerne les déboutés du droit d’asile. Car le vrai problème c’est moins les demandeurs d’asile que ce qu’ils deviennent ensuite, et force est de constater ici la distance des paroles aux actes.
En réalité, si le Président de la République a annoncé en octobre 2017 son intention d’expulser les étrangers en situation irrégulière et notamment ceux qui ont commis des délits, le Gouvernement n’y consacre pas les moyens nécessaires, et les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière sont d’ailleurs en baisse de 7 %.
La question se pose également de la situation dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). En matière de politique migratoire, toute forme de laxisme ne peut que nuire à notre crédibilité ; or nous sommes dans le laxisme.
Si nous voulons continuer à accueillir dignement des réfugiés qui en ont besoin, il faut renvoyer celles et ceux dont la demande d’asile ne peut aboutir. Or, de toute évidence, il existe une réelle difficulté à faire exécuter les obligations de quitter le territoire français des demandeurs d’asile. Pour remédier à cette situation, le Sénat avait, en juin 2015, lors de l’examen de la loi sur la réforme du droit d’asile, introduit dans le texte un certain nombre de mesures, mais qui furent rejetées par le Gouvernement.
En conséquence, les gens restent dans les centres d’accueil où ils occupent des places destinées aux demandeurs d’asile, et l’on voit se multiplier sur les trottoirs des tentes dans lesquelles les gens vivent dans des conditions ignominieuses, sous nos ponts d’autoroutes ou à nos carrefours, ce qui est une insulte non seulement à ces gens mais également à notre politique d’accueil.
M. Michel Fanget. Vous nous avez donné votre sentiment sur les failles européennes, et notamment sur les accords de Dublin. Vous insistez sur le fait qu’il faut revoir les mécanismes de coordination européenne et avez donné quelques pistes pour cela : pourriez-vous les préciser ?
En ce qui concerne les rapports avec les pays de transit et les pays d’origine, a-t-on un moyen d’évaluer l’efficacité des partenariats que l’on s’efforce de mettre en place ?
Pourriez-vous nous décrire en quelques mots les différentes étapes par lesquelles passent ceux qui vous sollicitent, et leurs conditions de vie tout au long de cette période difficile ?
Enfin, quelles sont vos relations avec le HCR ? Sont-elles suffisamment fluides ou faudrait-il les faire évoluer ?
M. Christophe Naegelen. Il est essentiel que vous ayez explicité qu’en matière d’asile et d’accueil des réfugiés, la France ne peut agir seule et que la réponse ne peut être qu’européenne, voire internationale.
Vous avez déclaré dans un entretien aux médias que l’OFPRA subissait de plein fouet les failles du système européen de l’asile, et vous venez d’évoquer devant nous le règlement Dublin. Or il se trouve que nous examinons demain, en seconde lecture, la proposition de loi de Jean-Luc Warsmann sur l’asile. En avez-vous pris connaissance, quelles remarques vous inspire-t-elle et quelles sont éventuellement les améliorations qu’il faudrait y apporter ?
Mme Laurence Dumont. L’asile et l’immigration nous ramènent à l’actualité parlementaire, puisque nous devons prochainement examiner le projet de loi du Gouvernement. Je déplore déjà que l’asile et l’immigration soit confondus dans un même texte car, vous l’avez dit, ce sont deux choses différentes. Il s’agit donc d’un mauvais signal envoyé à nos concitoyens, ce que confirment les inquiétudes qui grandissent autour du texte, et cette grève – inédite – à la CNDA.
Plus précisément, j’aimerais connaître le délai qui s’écoule entre l’entrée d’un demandeur d’asile sur le territoire français et l’enregistrement de sa demande, ainsi que le nombre de personnes qui se trouvent hors du délai de cent vingt jours actuellement en vigueur. Quelle impact aurait, selon vous, la réduction de 120 à 90 jours du délai de dépôt de dossier à l’OFPRA ?
Vous nous avez déjà indiqué que le temps moyen d’instruction des dossiers était de trois mois. Le projet de loi envisage de l’abaisser à deux mois. Confirmez-vous que cette réduction des délais pourra s’effectuer dans le respect du droit des personnes et des procédures ?
Je souhaiterais également être informée des moyens par lesquels l’OFPRA notifie actuellement ses décisions, puisque vous avez suggéré qu’on pourrait sans doute aller plus vite. À cet égard, le projet de loi prévoit que cette notification pourra se faire par tout moyen : un SMS pourrait-il suffire, sachant que les demandeurs d’asile ne disposent pas forcément d’un numéro pérenne ?
Enfin, avec quelle fréquence vos services utilisent-ils aujourd’hui la visioconférence, et quel est votre avis sur cette technique pour le traitement des demandes d’asile ?
Mme Clémentine Autain. Pourriez-vous nous donner quelques indications sur les moyens financiers dont dispose l’Office pour faire face à ses missions ?
Je partage ce que vient de dire Laurence Dumont sur la confusion entre asile et immigration, mais vous n’êtes sans doute pas la personne à entendre sur cette question, puisque vous n’êtes pas en charge de la politique d’immigration, qui relève du débat parlementaire. En revanche, je souhaiterais savoir quelle est la position de l’Office sur la question des réfugiés climatiques, dont on anticipe un afflux important, compte tenu du peu d’efforts que l’on fait pour contrer le réchauffement climatique. L’OFPRA a-t-il engagé une réflexion et se prépare-t-il à cet afflux qui pourrait le mettre en grande difficulté ?
M. Jean-Paul Lecoq. Merci avant tout de contribuer comme vous le faites à faire appliquer dans notre pays le droit d’asile, car nous devons être fiers d’être un pays d’accueil.
Je m’inquiète néanmoins des conditions dans lesquelles est mis en œuvre ce droit d’asile lorsque vous parlez de l’accélération des procédures. En effet, la situation des demandeurs d’asile peut être très complexe selon le pays d’où ils viennent. Comment, dans ces cas-là, établissez-vous les critères qui fondent les demandes ? Envoyez-vous des enquêteurs sur place ? Utilisez-vous les médias ou les services des ambassades ? Combien de temps cela nécessite-t-il, et cette volonté de traiter chaque cas individuellement n’est-elle pas incompatible avec l’idée de raccourcir les délais de traitement des dossiers ? Le mouvement de grève à la CNDA n’est pas étranger à cette problématique car, plus les délais de traitement sont raccourcis, plus le risque de voir se multiplier les recours augmente.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Comment peut-on faire pour qu’un réfugié qui a été débouté du droit d’asile dans un pays européen ne puisse faire réexaminer sa demande dans un autre pays ? Faut-il passer par la loi ou par une décision européenne ? N’est-ce qu’une question de pratique ? Quoi qu’il en soit, l’espace européen est un espace de droit, et un débouté du droit d’asile dans un État membre doit être considéré comme l’étant dans l’ensemble des États membres.
M. Pascal Brice. Monsieur Nadot, en ce qui concerne la grève à la CNDA, vous comprendrez que je ne m’exprime pas sur la situation d’une autre institution, d’autant qu’il s’agit de mon juge. Je n’esquiverai cependant pas la question qui m’a été posée par ailleurs sur la manière dont les officiers de protection de l’OFPRA, qui sont sous ma responsabilité, se préparent à mettre en œuvre les dispositions que contient le projet de loi qui va prochainement être soumis à votre examen.
Au-delà des questions de nature politique dans lesquelles je n’entrerai pas, notre volonté est bien de poursuivre la réduction des délais – puisque il s’agit de l’élément-clé de ce projet de loi en ce qui concerne le droit d’asile –, dans le respect des droits de chaque demandeur d’asile comme du travail d’expertise des officiers de protection. Nous ne savons pas faire autrement.
J’entends d’autant mieux l’inquiétude des agents de la CNDA qu’une inquiétude similaire existe à l’OFPRA et que je n’exclus pas qu’elle puisse se manifester au grand jour. Je travaille donc depuis que j’ai pris mes fonctions, et en particulier depuis que le Président de la République a insisté sur cette réduction des délais d’instruction, à y préparer mes équipes. C’est la raison pour laquelle je tiens à dire ici, comme je l’ai dit à mes autorités de tutelle, que le temps strictement consacré à l’instruction, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre le moment où l’officier de protection reçoit le dossier du demandeur d’asile et celui où il va prendre la décision, est désormais quasiment incompressible, tant nous avons tout fait, depuis quatre ou cinq ans, pour le réduire.
Nous l’avons réduit dans un souci d’harmonisation des procédures mais également parce que, lorsque le taux de protection dans les pays d’origine est très faible, nous devons aller vite.
Ce n’est donc pas sur la conduite de l’instruction en tant que telle que va porter l’effort supplémentaire mais sur tout ce qui touche à l’organisation logistique. Nous allons en premier lieu faire en sorte que la convocation à l’entretien de l’OFPRA intervienne plus rapidement. Ce n’est pas rien, car l’OFPRA, ce sont quatre cents entretiens par jour, dans cent dix langues différentes, et donc autant de prestations d’interprétariat. L’effort va donc toucher le management et les systèmes d’information, sans porter atteinte ni à la qualité de l’instruction ni aux droits des demandeurs d’asile. Telle est la réponse que je peux apporter aujourd’hui aux inquiétudes qui se font jour. J’ai la conviction d’être engagé, depuis quatre ou cinq ans, avec les équipes de l’OFPRA, dans une véritable révolution culturelle, qui nous permet aujourd’hui de conjuguer qualité et rapidité de l’instruction.
Monsieur Nadot, vous avez également évoqué le rôle de notre division de l’information, qui alimente les officiers de protection sur la situation dans les pays d’origine. Elle le fait à partir des renseignements rapportés par des missions envoyées sur place : une mission revient ces jours-ci d’Haïti, une autre du Nigeria, une troisième de Guinée. Elle travaille également avec des universitaires et des chercheurs, et collecte toute une série de données qui permettent d’étudier la situation individuelle des demandeurs d’asile, en procédant à des vérifications de concordance entre leur témoignage et la situation dans le pays d’origine.
Je redis ici qu’au nom de l’indépendance de l’OFPRA, la division de l’information établit ses analyses en toute indépendance. Il nous arrive de travailler avec le Quai d’Orsay, mais les objectifs de la diplomatie française ne sont pas les nôtres – qui sont de veiller à l’application du droit d’asile – et, étant moi-même diplomate, je sais pertinemment que, lorsque j’interrogerai les ambassadeurs en poste dans tel ou tel pays, ils me répondront invariablement que tout va bien.
Quoi qu’il en soit, je vous confirme que bienveillance et rigueur continueront d’être les maîtres-mots de l’action menée par l’OFPRA, et ce malgré le raccourcissement des délais.
Monsieur Tessier vous m’avez interrogé sur les déboutés. Vous devinez combien je suis conscient de l’importance de cette question pour le bon fonctionnement du système de l’asile français. Cela étant, je me permets de vous redire combien je veille à ne jamais transgresser la règle que je me suis fixée, qui est de jamais me positionner sur le terrain de la politique migratoire. Or la question des déboutés relève de la responsabilité du ministère de l’intérieur et des préfets.
Ne voulant néanmoins pas avoir l’air d’esquiver la question, je vous répondrai que l’OFPRA a malgré tout une forme de responsabilité en la matière. Le point d’entrée des missions de l’OFPRA, c’est la protection des demandeurs d’asile qui s’applique quand elle a lieu d’être. Mais, pour que l’ensemble du système de l’asile fonctionne, il faut que celles et ceux qui n’ont plus le droit au séjour soient reconduits aux frontières.
Pour nommer ces femmes et ces hommes qui viennent en France chercher refuge, les technocrates parlent de « flux mixtes », expression qui renvoie à la réalité de ces migrants qui, pour partie, relèvent du droit d’asile et, pour partie, n’en relèvent pas. C’est bien parce que nous sommes parfaitement conscients que le droit d’asile ne s’applique pas toujours que nous faisons en sorte d’instruire les dossiers dans des délais particulièrement courts, notamment ceux albanais ou haïtiens, à Cayenne. Là se situe la responsabilité de l’OFPRA, la question des reconduites relevant des préfets et du ministère de l’intérieur. Pour notre part, nous assumons notre responsabilité, toute notre responsabilité mais seulement notre responsabilité.
Monsieur Son-Forget, vous m’avez interrogé sur les rapports avec les pays d’origine et de transit. Ils ne relèvent pas complètement de la compétence de l’Office. Reste que j’ai une conviction en la matière : au vu des migrations qui se développent, je crois qu’il y a une responsabilité partagée, comme on l’a constaté avec la Libye, des pays d’origine, des pays de transit et des pays d’accueil. Dans l’approche générale de ces questions de migration, avec leur impact sur la demande d’asile en France, la question de l’aide au développement des pays d’origine est centrale, tout comme la capacité de travailler avec les pays de transit. Enfin, et vous devinez que pour l’OFPRA c’est essentiel, lorsque quelqu’un arrive sur le sol européen et notamment sur le territoire de la République, la Constitution s’applique pleinement : toute personne doit pouvoir voir sa demande d’asile instruite dans de bonnes conditions.
Je vous remercie par ailleurs de m’avoir interrogé sur le HCR car c’est pour nous un partenaire essentiel. Il est d’ailleurs membre du conseil d’administration de l’OFPRA. Le travail que nous réalisons avec lui dans le cadre de nos missions de réinstallation au Proche-Orient et en Afrique est de très grande qualité. Je tiens à insister sur le fait que s’il y a une institution internationale dans laquelle il faut investir, c’est bien le HCR. Si nous voulons être cohérents avec nous-mêmes, nous devrions en effet lui donner, notamment au niveau européen, des moyens substantiels.
Monsieur Naegelen, vous me demandez mon avis sur un texte en cours de discussion à l’Assemblée, aussi ne vous étonnerez-vous pas que je sois peu loquace sur ce point car je n’ai pas à m’immiscer dans vos débats. Je rappellerai seulement que, concernant les accords de Dublin, du point de vue de l’OFPRA, la seule chose qui compte est que la demande d’asile soit instruite dans de bonnes conditions, c’est-à-dire respectueuses des droits de chacun. Si c’est le cas, et il s’agit de demandeurs d’asile qui n’ont pas, en tant que tels, commis d’actes répréhensibles, alors vive Dublin ! Si le système continue à ne pas fonctionner, il faut s’interroger et le vote du Parlement européen est à cet égard très précieux, de même que les perspectives dessinées par le Président de la République.
Madame Dumont, vous souhaitez connaître mon point de vue sur la disposition du projet de loi visant à réduire le délai permettant à une personne, après son arrivée sur le territoire, d’engager la procédure d’asile – délai qui d’ailleurs concerne plus les préfectures que l’OFPRA. Avec toute la réserve qui doit caractériser le commentaire d’un texte encore à l’examen du Conseil d’État, je dirai que, du point de vue de l’OFPRA, ce qui importe, c’est de pouvoir exercer la protection quand il y a lieu – nous sommes quelque peu monothématiques... Nous nous réjouissons de toute disposition nous permettant d’exercer cette mission dans les meilleures conditions possibles. Que le législateur souhaite modifier le délai dans lequel une personne peut entamer une procédure d’asile, en soi, cela ne me choque pas et, au-delà, du point de vue de l’OFPRA, cela n’a rien de choquant. Il paraît naturel que les personnes puissent engager rapidement une procédure d’asile. En même temps, nous savons tous, pour le vivre, qu’il n’y a pas d’évidence à demander l’asile rapidement. De nombreuses personnes ne sont pas accompagnées et il y a une inégalité entre elles et les personnes qui seront rapidement prises en charge par des associations, les pouvoirs publics ou les collectivités locales et vont donc pouvoir entamer assez vite les démarches. Autre cas, la situation des femmes qui font l’objet d’une exploitation sexuelle en France comme dans d’autres pays européens justifie vraiment un accompagnement très particulier pour les raisons que j’ai déjà évoquées : protéger quand il y a lieu et ne pas se laisser instrumentaliser par les proxénètes.
En somme, il semble normal qu’un délai soit fixé ; il faut simplement veiller à ce que les personnes soient mises en situation de pouvoir engager la procédure de demande d’asile. Je vous confirme, madame Dumont, que le passage du délai d’instruction à deux mois est crédible dès lors que la demande d’asile n’augmenterait pas à un rythme supérieur à ce qu’elle est actuellement, à savoir 15 à 17 %. Aujourd’hui, nous sommes tenus d’attendre le retour de l’accusé de réception après avoir notifié la décision. Or vous imaginez les conséquences de cette disposition pour des demandeurs d’asile qui sont à la rue. Il faut pouvoir régler ces situations en veillant à ce que les droits des demandeurs soient pleinement préservés.
Nous utilisons la vidéo-conférence et avec parcimonie : elle est nécessaire dans certaines situations, dans les centres de rétentions très éloignés par exemple et, dans ce cas, je veille à ce que les conditions de confidentialité absolue soient respectées. Cet outil précieux doit néanmoins rester marginal.
Madame Autain, les moyens de l’OFPRA, et j’en remercie à nouveau le Parlement, ont été régulièrement augmentés depuis quatre ou cinq ans : ses effectifs ont pratiquement doublé en quatre ans – ce que j’évite de dire à des collègues appartenant à d’autres administrations… L’investissement a donc eu lieu et vous l’avez complété dans la loi de finances pour 2018. Au vu de l’augmentation de la demande d’asile, je considère que nous disposons des moyens d’agir. Comme toute administration qui se respecte, nous avons encore quelques besoins mais moins, il me semble, que les préfectures.
Quant aux réfugiés climatiques, c’est pour nous un motif de préoccupation et je dirai que cela fait partie des situations de détresse humanitaire qui mettent l’OFPRA en difficulté parce qu’elles ne correspondent pas aux critères du droit d’asile. C’est également le cas des personnes « détruites » en Libye. Reste que, d’un point de vue très personnel, j’estime qu’il serait périlleux de vouloir réformer la convention de Genève en l’état actuel du monde : je suis assez convaincu en effet que le résultat serait moins protecteur aujourd’hui qu’il ne le fut en 1951. Je suggère par conséquent – et de façon très intéressée – que les réfugiés climatiques fassent partie des catégories pour lesquelles on définisse des outils juridiques à l’échelon européen et international.
Monsieur Lecoq, vous m’interrogez sur les critères du droit d’asile. Ils sont fixés par la convention de Genève : un engagement personnel, à différents titres, une situation de conflit généralisée dans un pays – comme la Syrie – ou une région d’un pays – c’est le cas de nombre d’entre elles en Afghanistan –, des traitements inhumains et dégradants. Nous croisons ces critères avec ce que nous savons de la situation dans le pays d’origine – c’est le travail d’une division de l’OFPRA. Le droit est évolutif : nous protégeons des homosexuels et des lesbiennes – qui relèvent de la convention de Genève –, ce qui était plus rarement le cas il y a vingt ans. Il revient donc à l’OFPRA d’appliquer ces critères de manière bienveillante et rigoureuse, en tenant compte de l’évolution jurisprudentielle du droit.
J’en viens enfin, madame la présidente, à votre question sur les déboutés. Ce sont les accords de Dublin qui sont censés régler leur situation : ils précisent qu’un demandeur d’asile qui a fait l’objet d’une décision de rejet dans un autre pays d’Europe doit repartir et être de nouveau admis dans ce pays. Cette disposition a une incidence directe sur le travail des officiers de protection puisqu’ils doivent instruire des demandes qui ont déjà été rejetées ailleurs. La solution de court terme consiste à mettre l’accent sur ces personnes-là, dans l’application du règlement Dublin, plutôt que sur celles qui n’ont fait que laisser des empreintes en arrivant. Surtout, il faut pouvoir renégocier un système européen qui permette aux OFPRA européens de se reconnaître mutuellement et, dans l’idéal – un idéal que je crois atteignable –, créer un OFPRA européen indépendant qui permette de statuer sur les demandes d’asile.
Mme Marine Le Pen. Il ne vous étonnera pas, monsieur le directeur général, que je n’ai aucune illusion sur la politique d’asile actuellement menée qui, détournée de son objectif initial, finit par attenter aux intérêts des Français. J’aurais de très nombreuses questions à vous poser mais je me limiterai à trois.
La présomption de minorité pose problème et suscite des divergences entre pays. Je souhaite savoir ce que l’OFPRA fait : les forces de l’ordre nous indiquent ainsi qu’à Calais, c’est la mode, tout le monde se dit mineur et, comme il n’y a aucun moyen de le vérifier, on laisse repartir les gens dans la nature.
Ensuite, vous avez fait grand cas du travail des associations qui parfois mélangent elles-mêmes asile et immigration puisque, selon les témoignages de nombreux Calaisiens, elles suggèrent très fortement et même conseillent, de manière générale, à toute personne en situation d’immigration clandestine, de réclamer l’asile. Avez-vous des contacts avec ces associations, êtes-vous amenés à leur expliquer que c’est une mauvaise procédure puisque, évidemment, elles provoquent ainsi l’engorgement de l’OFPRA et risquent, pour le coup, d’attenter aux droits de ceux qui devraient pouvoir vraiment bénéficier de l’asile en France ?
Enfin, selon vous, 97 % des demandes d’asile réalisées par des Syriens seraient acceptées. Je m’interroge tout de même. Avez-vous des contacts avec le gouvernement syrien ? Il y a en effet là-bas une guerre – et quoiqu’on pense de Bachar El-Assad, fût-ce le plus grand mal, mais ce n’est pas le sujet – avec des soldats de l’État islamique. Si 97 % des personnes qui arrivent ont l’autorisation de rester, on peut légitimement s’inquiéter sur le fait de savoir si, parmi ces demandeurs d’asile syriens, il n’y aurait pas des anciens combattants de l’État islamique. Vous évoquez des personnes qui représentent un danger pour la nation et auxquelles l’OFPRA peut refuser l’asile. Dans ces conditions, sont-elles soumises à une procédure particulière, remises à un service de police quelconque, ou bien se contente-t-on de leur expliquer qu’elles ne bénéficieront pas de l’asile et les laisse-t-on repartir dans la nature – comme les autres d’ailleurs ?
M. Jacques Maire. La tonalité de mon intervention sera légèrement différente de celle que nous venons d’entendre, vous pouvez l’imaginer. Je vous invite, pour ceux qui n’en ont pas eu l’occasion, à assister à un entretien avec un officier de protection. C’est bien de parler de productivité mais c’est bien aussi de mesurer la qualité du travail fourni. Je l’ai fait il y a quelques mois et pu ainsi vraiment percevoir la réalité locale, la situation individuelle et la nécessité d’un lien concret entre l’interprète et l’officier, ce qui permet de voir qui on a vraiment en face de soi.
La notion de pays tiers sûr est, pour les défenseurs du droit d’asile, une horreur absolue puisqu’elle signifie qu’on y enverrait des gens passés par le Niger ou par le Tchad. On a gagné la « bataille de la conviction » en France, ce qui n’est pas le cas à l’échelle européenne. Pouvez-vous nous éclairer ?
Ensuite, quelle analyse faites-vous de vos missions au Tchad et au Niger ? Est-ce un bon moyen de prévention de migration des demandeurs d’asile ?
Vous avez émis le souhait que soit créé un OFPRA européen. Dès lors, quels seraient les rapports entre ce dernier et l’OFPRA national ?
Enfin, vous êtes sous la tutelle exclusive du ministère de l’intérieur, ce qui nous semble un peu baroque si l’on considère l’histoire de l’OFPRA. Est-ce le cas dans les pays étrangers ? Voyez-vous des inconvénients à votre situation actuelle ?
M. Alain David. Pourriez-vous nous indiquer s’il existe une contradiction entre l’objectif apparemment très louable de réduction des délais d’instruction des dossiers et un examen approfondi et bienveillant des récits des demandeurs d’asile ? En outre, disposez-vous d’effectifs suffisants pour appliquer la réduction des délais envisagée ?
Existe-t-il par ailleurs une procédure concernant les mineurs isolés demandeurs d’asile ?
M. Rodrigue Kokouendo. Vous avez rappelé, monsieur le directeur général, la situation au Darfour et en Libye. Je reviens sur les actions menées par l’OFPRA au Niger et au Tchad. Conformément aux annonces du Président de la République en août dernier, les modalités d’identification, en coopération avec le HCR, des personnes les plus vulnérables et ayant droit à l’asile, les demandes n’étant pas traitées sur le territoire français, ont parfois été critiquées. Pouvez-vous nous rappeler quels sont vos critères d’identification et s’ils font l’objet de discussions dans la perspective éventuelle de leur évolution ? Quels retours avez-vous de vos agents sur le terrain des facilités et des difficultés liées à des procédures d’identification ?
Par ailleurs, la Libye a été citée pour accueillir des missions de protection avancée de l’OFPRA mais les conditions de sécurité n’ont pas permis de mener ce projet à bien. Où en est-on et le déploiement d’une mission est-il prochainement envisagé ?
M. Nicolas Dupont-Aignan. Personne ne remet en cause le droit d’asile qui est une obligation internationale et surtout une obligation morale. Reconnaissons néanmoins qu’il est un moyen objectif de détournement des règles relatives à l’immigration – notre collègue Teissier a évoqué les déboutés qui restent sur le territoire.
La question clef que je souhaite que vous nous aidiez à approfondir est celle de la réduction des délais – pas seulement ceux concernant votre organisation –, en particulier des délais de recours, et de l’instrumentalisation qui en est faite. Je souhaite ensuite que vous nous éclairiez sur le rôle des associations qui confondent asile et immigration et qui se servent de la procédure d’asile – vous le savez très bien – pour inciter les migrants économiques à rester sur notre sol. Je souhaite également comprendre pourquoi l’accord de Dublin n’est pas appliqué et pourquoi vous réexaminez des demandes d’asile rejetées dans d’autres pays. Quels seraient les moyens les plus rapides pour améliorer la situation ?
En outre, vous avez évoqué la différence de degré de protection entre organisations nationales. Où se situe, de ce point de vue, l’OFPRA par rapport aux autres organisations et quels sont les pays qui posent problème ?
Enfin je m’étonne, même si je comprends les considérations philosophiques qui vous animent, que l’OFPRA déploie des moyens pour aller chercher des demandeurs d’asile dans d’autres pays. Je vois, et je m’en réjouis, que nous donnons les moyens nécessaires à l’OFPRA pour assumer sa mission mais je vois aussi que ces moyens, nous ne les donnons pas à nos forces de police : nous ne contrôlons pas nos frontières, nous sommes incapables de contrôler notre immigration et le projet de loi sur l’asile et l’immigration comporte des mesurettes qui ne changeront rien tant que nous ne contrôlerons pas nos frontières, j’y insiste, que nous ne nous attaquerons pas aux passeurs et que nous n’aurons pas une véritable politique d’aide au développement, notamment vis-à-vis des pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne.
Mme Marion Lenne. Ma première question porte sur le processus des décisions rendues par l’OFPRA. Alors que 43 000 personnes ont été placées sous sa protection en 2017, de nombreuses décisions demeurent incomprises. Cette incompréhension, renforcée par la détresse humaine, tend à monter l’opinion publique contre l’OFPRA auquel est reproché de juger en quelques heures la vie des personnes, sans motiver ses décisions de rejet. Sur deux dossiers similaires, il peut y avoir des décisions différentes et des bruits circulent, même, sur les chances d’obtenir l’asile qui seraient plus faibles lorsque la demande provient d’un détenu d’un centre de rétention administrative que lorsqu’elle suit une procédure normale via les plateformes et les préfectures. Bref, on note une certaine remise en cause, parfois une défiance – qu’il faut entendre – à l’encontre des décisions rendues. Pour des décisions moins opaques et pour renforcer la légitimité des verdicts, comment optimiser le processus et rendre plus transparentes les raisons qui guident les choix d’accorder ou de refuser le statut de réfugié ?
Je reviens également sur la convention de Genève. À l’OFPRA, vous traitez les demandes d’asile sous l’égide de ladite convention qui prévoit que « le terme réfugié s’applique à toute personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité et de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Cette définition, rédigée pendant la guerre froide, période pendant laquelle les réfugiés étaient considérés comme des personnes persécutées par un régime totalitaire, est-elle toujours adaptée, selon vous, à la réalité des demandeurs d’asile ? Comment observer une crainte vécue « avec raison » ?
Enfin, concernant les missions de protection avancée au Niger, comme l’a rappelé notre collègue Kokouendo, l’OFPRA se rend directement sur place pour identifier, en coopération avec le HCR – dont vous avez souligné la qualité du travail –, les personnes les plus vulnérables ayant droit à l’asile. Ce dispositif évite des déplacements périlleux à des populations fragilisées. Comment ce dispositif est-il perçu par les populations ? Les entretiens menés sur place sont-ils différents de ceux menés en France ? Pensez-vous que ce procédé les dissuade de risquer leur vie pour rejoindre nos pays ?
Plus largement, que pensez-vous de la mise en place de visas à entrées multiples, évoquée par la présidente ?
M. Michel Herbillon. Il est une chose que nos concitoyens ne supportent plus : l’écart entre les discours et la réalité, le gouffre qui trop souvent sépare des engagements pris par les élus, par les pouvoirs publics, par les plus hautes autorités de l’État, et leur non-respect. C’est le cas dans de nombreux domaines de l’activité publique et tout particulièrement pour les sujets que nous sommes en train d’évoquer. Vous rappeliez vous-même que le Président de la République avait pris l’engagement que tous les déboutés du droit d’asile seraient expulsés… Nous sommes bien sûr très attachés au respect du droit d’asile et c’est pour cette raison que nous sommes très attentifs lorsque ce droit fondamental est détourné de son objet.
Je ne reviendrai pas sur le défaut de réponse européenne que vous avez évoqué. Les situations sont en effet très différentes d’un pays à l’autre : la loi fondamentale allemande, par exemple, prévoit le droit d’asile, ce qui explique en particulier les positions de la chancelière sur le sujet.
Vous avez rappelé que vous disposiez des moyens financiers et humains nécessaires. Pourquoi donc y a-t-il des problèmes ? Je vais vous poser quelques questions simples et précises.
Combien de demandes de droit d’asile ont-elles été acceptées depuis six mois ?
Combien y a-t-il eu de déboutés du droit d’asile au cours des six mois qui viennent de s’écouler ?
Combien y a-t-il de déboutés sur notre territoire qui vivent dans des conditions indignes à la fois pour eux mais aussi pour la réputation de la France ?
M. Éric Girardin. Comme celle de Jean-Paul Lecoq, ma question porte sur les déboutés du droit d’asile auxquels on demande de retourner chez eux. Comment être sûr qu’aucune menace ne pèse sur leur vie s’ils retournent dans des pays dont les droits de l’homme ne sont pas particulièrement l’apanage ? J’ai connaissance de cas concernant la Russie, l’Azerbaïdjan… Je fais certes confiance aux instructeurs, c’est leur métier, mais on reste dubitatif quand on entend dire qu’il n’y a aucun risque pour telle personne si elle retourne dans tel pays.
M. Pierre-Henri Dumont. Nous nous sommes déjà croisés plusieurs fois, monsieur le directeur général, et c’est toujours un plaisir de vous entendre.
Vous avez insisté sur la nécessité d’expulser les déboutés du droit d’asile, sorte de seconde jambe d’un droit dont la première serait la protection. Or, en 2016, le taux d’exécution de ces expulsions atteignait environ 18 %, soit 16 500 expulsés sur 92 100 décisions d’expulsion. Avez-vous les chiffres de 2017 et en particulier ceux du second semestre ?
Ensuite, le Gouvernement fixera probablement dans le projet de loi sur l’asile et l’immigration, que nous examinerons dans quelques semaines, un délai de six mois par demande, recours inclus. Pensez-vous que ce délai soit réaliste – surtout concernant le délai de recours ?
Par ailleurs, des centres d’accueil et d’examen de situation (CAES) ont été installés sur le territoire français depuis quelques mois. Peuvent-ils à votre avis jouer un rôle dans l’examen du dépôt du droit d’asile ?
Enfin, pouvez-vous nous décliner les missions de l’OFPRA à Calais – ma circonscription – et surtout nous donner votre avis sur le fait que les migrants présents peuvent, pour la majorité d’entre eux, demander l’asile mais préfèrent ne pas le faire pour tenter leur chance et passer au Royaume-Uni, ce qui peut conduire à la situation qu’on a pu déplorer il y a quelques jours : des rixes entre ethnies, des migrants se trouvant entre la vie et la mort, victimes de coups de feu ?
Mme Mireille Clapot. Ma question, spécifique, illustre la difficile lisibilité des décisions de l’OFPRA et porte sur la Tchétchénie. La situation y est très préoccupante : impunité des forces de sécurité, tortures, représailles contre les organisations non gouvernementales (ONG), atteintes aux droits des femmes et aux homosexuels. Un responsable d’Amnesty international, que j’ai auditionné hier dans le cadre du groupe de travail que je préside sur les droits de l’homme, parlait de « trou noir des droits de l’homme » du fait de la toute-puissance de Ramzan Kadyrov et de la bienveillance de Vladimir Poutine. Dans ma circonscription, dans la Drôme, se trouve une famille tchétchène, menacée dans son pays à la suite d’une agression grave et sous la menace d’une expulsion du territoire après deux refus de l’OFPRA. Comment, au sein de l’Office, appréciez-vous le contexte politique et comment pouvez-vous envisager de renvoyer quelqu’un dans cette région du monde où menaces privées, menaces d’État et menaces par des groupes armés se confondent ?
Mme Sonia Krimi. Depuis 2010, l’OFPRA est sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Je ne remets pas en cause votre indépendance mais je souhaite d’autant plus avoir votre avis sur cette situation que la demande d’asile me semble avant tout une question de société, de parcours de vie, une question relevant des droits de l’homme et ne saurait être rattachée au ministère de l’intérieur dès lors que l’on assimile les immigrés, les étrangers aux fraudeurs, aux voleurs et aux criminels… Quid, dans ces conditions, de votre éventuel rattachement au ministère des affaires étrangères ou plutôt même, au ministère de la justice, ou encore, soyons fous, au ministère du travail ?
Que se passe-t-il pendant le temps où vous instruisez les dossiers ? Pendant ces deux, trois voire six mois, ne peut-on imaginer un statut juridique, impliquant donc des devoirs et des droits, qui nous éviterait des situations comme celle de Calais et les dérives que l’on peut déplorer ? Je vous mets trois semaines dans la rue et je vous garantis que votre comportement changera ; on verra si, au bout de ces trois semaines, vous ne serez pas plus agressifs, violents voire pire. Comment donc imaginer un tel statut juridique, comment apporter plus de confort et d’humanité en attendant que le dossier soit instruit ?
Je terminerai par une remarque sur le « ping-pong » inhumain que subissent les « dublinés » : je rejoins totalement votre analyse et j’attends que nous travaillions tous ensemble pour trouver une solution européenne.
Mme Valérie Boyer. Rappelons que l'immigration humanitaire, qui comprend l'asile, ne représente que 15 % des premiers titres de séjour délivrés en 2017, soit 43 105 demandes sur 262 000. Chaque année, nous accueillons donc sur notre territoire une population équivalente à celle de la ville de Bordeaux, ce qui n’est pas rien.
N’ignorons pas non plus le trafic d'êtres humains, occasionné par la crise migratoire, qui représente 32 milliards d'euros. Passer la Méditerranée coûte environ 7 000 dollars par tête, mais il existe aussi des filières qui vendent aux clandestins des mariages bidon, gris ou de complaisance. Selon les chiffres qui circulent sur internet, un tel mariage coûte 30 000 euros à un Chinois et environ 10 000 euros à un Maghrébin. Il y a des tarifs. Nous sommes là au cœur d'une très forte demande qui, bien souvent, s'appuie aussi sur des demandes d'asile.
J’en viens à mes questions.
J’aimerais avoir votre avis sur le rôle des associations qui détournent le droit, qui se servent du droit d'asile pour défendre une politique pro-migratoire et qui participent parfois, directement ou non, à ce trafic d'êtres humains.
Pourquoi réexaminer une demande instruite ailleurs ? Les bras m'en tombent. Le règlement de Dublin est pourtant une forme de cette harmonisation européenne que vous jugez nécessaire.
Comment est-il possible que des pays – avec lesquels nous entretenons souvent de très bonnes relations et qui ne sont pas inscrits sur la liste noire des lieux où nous ne pouvons renvoyer quiconque – refusent le retour de personnes déboutées du droit d'asile ? J'avoue que je ne le comprends pas. Que fait l’OFPRA si le pays d'origine refuse le retour après le rejet de la demande de droit d'asile ? Cette question a déjà été posée de différentes manières par mes collègues mais vous n’y avez que partiellement répondu.
A-t-on des chiffres précis sur les demandeurs en fonction de leur nationalité, de leur âge, de leur sexe, de leur religion. La question des mineurs est très intéressante. J’aimerais aussi savoir si vous avez des données sur les minorités religieuses persécutées. Comment abordez-vous ces questions ?
Mme Monica Michel. Merci, monsieur le directeur général, pour votre exposé fort intéressant.
L’Albanie est le pays d’où provient le plus grand nombre de demandeurs d'asile en France : 7 630 Albanais ont déposé une demande en 2017 mais seulement 6 % d’entre eux ont obtenu satisfaction, alors que le statut a été accordé à 83 % des 5 987 Afghans qui l’ont demandé. Rappelons que l’Albanie ne cache pas son souhait de rejoindre l'Union européenne et que le processus de candidature devrait être examiné courant 2018.
Quels critères ouvrent le droit d'asile pour des Albanais ?
Une fois que l’OFPRA a accordé sa protection à un demandeur d'asile, comment suivez-vous cette personne ? Quels sont les changements induits par cette protection dans la situation de ces personnes ?
M. Bruno Fuchs. Merci beaucoup, monsieur le directeur général, pour votre exposé très clair et pour la grande sincérité dont vous avez fait preuve en détaillant les failles et insuffisances de notre dispositif.
Ma première question porte sur un paradoxe qui concerne les demandeurs d'asile lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). À plusieurs reprises, vous avez fait état de ce type de situation. En France, on n'a techniquement pas à prouver son orientation sexuelle quand on est demandeur d'asile LGBT ; on doit prouver les risques qui pèsent sur soi en cas de retour au pays. Pourtant, l’éventuel rejet se fait au motif que ces craintes n'ont pas pu être établies, ce qui revient à dire que l'OFPRA n'a pas réussi à démontrer l'homosexualité de la personne. Tout un paradoxe. Comment entendez-vous mettre un terme à cette situation et traiter plus efficacement ce type de demande d'asile ?
Vous vous réjouissez de l'accélération des délais de traitement des demandes, qui sont passés de six à trois mois. La Coordination française pour le droit d'asile (CFDA), qui regroupe dix-sept associations, estime quant à elle que le dispositif s'est globalement dégradé depuis 2015. Elle pointe l’inadaptation des pratiques administratives. Elle dénonce aussi une gestion de l'urgence qui a contribué à rendre opaque et incompréhensible l'ensemble du dispositif. Comment réagissez-vous à ces déclarations ?
Mme Jacqueline Maquet. Merci, monsieur le directeur général, pour cet exposé éclairant.
J’ai deux petites questions à vous poser sur Calais.
Depuis le démantèlement de la jungle, il y a deux ans, sur ce territoire où nous nous substituons aux Britanniques, il n'est plus possible de déposer une demande d'asile. Pensez-vous que ce soit normal ?
Depuis plus de dix ans, Calais voit arriver des migrants et des réfugiés dont le nombre peut parfois s’élever jusqu’à 8 000. Cette situation peut-elle perdurer ? Une organisation structurée avec des lieux d'accueil dans la dignité, voire des CAES le long du littoral, permettrait peut-être une plus grande fluidité. Qu'en pensez-vous ?
Mme Nicole Le Peih. L'ONU annonce 250 millions de réfugiés climatiques à l'horizon de 2050. D'après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 26 millions de personnes sont déjà déplacées chaque année à cause d'événements météorologiques extrêmes. Le réchauffement climatique et les dégradations environnementales produisent d'importants mouvements de population à l'intérieur des États et au-delà de leurs frontières.
Pourtant, la Convention de Genève ne semble pas adaptée à ces phénomènes. Le cas des déplacés environnementaux, qui subissent de tels bouleversements, est loin d'être pris en compte de manière uniforme par la législation internationale. Si ces réalités variées échappent aux conventions en vigueur, n'est-ce pas le moment d'envisager un nouveau statut pour ces réfugiés climatiques, leur conférant une protection spécifique ? Quelle instance pourrait accorder cette protection spécifique ?
Mme Olga Givernet. Pour ma part, je voulais revenir sur une remarque de notre collègue Laurence Dumont concernant la loi asile et immigration. À mon sens, il est impensable de dissocier l’asile de l'immigration. D'un point de vue administratif et technique, nous avons besoin de votre rigueur qui consiste à traiter au cas par cas. D'un point de vue politique et humain, je pense que nous devons regarder le sujet de manière globale.
Prenons le cas de demandeurs d'asile arrivés sur notre territoire sans préparation, en ayant laissé une partie de leur famille dans leur pays d'origine. Au moment de l’instruction de leur demande, je suppose qu'ils doivent interroger vos services sur ce qu’il peut advenir de leurs proches qui, souvent, ne pourront pas bénéficier du droit d'asile.
Vous avez évoqué les bureaux déportés de l'OFPRA en Afrique. Il n’est pas nécessaire de rappeler les conditions de traversée au départ de l'Afrique, dont nous avons été témoins et qui doivent toujours exister. Nul besoin de rappeler que ces demandeurs d'asile risquent de perdre la vie pendant ce voyage et d’être déboutés s’ils parviennent à destination. Les bureaux installés en Afrique ont-ils pu limiter le nombre de ces traversées à risque ? Faut-il remettre des moyens pour préserver la vie de ces personnes à qui l’on fait souvent croire qu’ils ont une chance d'obtenir le droit d’asile alors que ce n’est pas forcément le cas ?
Mme Isabelle Rauch. Monsieur le directeur général, je m'associe aux compliments qui ont déjà été faits sur votre exposé.
Je souhaiterais revenir sur le cas de l’Albanie, premier pays d'origine des demandeurs d'asile : 7 630 demandes répertoriées dans notre pays en 2017, un chiffre hausse de 66 %, selon les chiffres de l'OFPRA.
Les indicateurs économiques de l’Albanie sont inquiétants : le taux de chômage atteint plus de 33 % chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans, et le salaire moyen s’élève à quelque 350 euros par mois, selon la Banque mondiale. Dans un tiers à la moitié des dossiers, les demandeurs invoquent des vendettas liées à des conflits fonciers anciens, à des différends commerciaux ou à des souhaits d'union contrariés, des rixes entre familles opposées. Plus de huit fois sur dix, la menace n'est pas retenue comme étant susceptible de relever du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, le taux de protection étant de 6 % pour ce pays.
Dans un travail commun unissant l'OFPRA et l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), vous paraîtrait-il pertinent de multiplier des ponts entre demande d'asile et immigration économique, afin de maintenir sur le territoire national les demandeurs susceptibles de répondre aux métiers en tension ou détenteurs de savoirs particuliers potentiellement utiles à la nation ? Je pense aussi aux femmes victimes de violences qui pourraient en être des bénéficiaires privilégiées.
De manière plus ponctuelle, quelle évaluation faites-vous des permanences délocalisées créées par l'Office ? Une permanence de ce type a été créée à Metz, dans mon département, au moment du démantèlement du camp dit de Blida.
Mme Martine Leguille-Balloy. Au mois de janvier, Theresa May et Emmanuel Macron se sont entendus pour compléter l’accord du Touquet. À votre avis, que vont apporter ces nouvelles mesures ?
M. Buon Tan. Apparemment, le règlement de Dublin conduit à des taux de rejet des demandes d’asile qui vont de 25 % à 85 %, selon les pays européens qui l’appliquent. Que pourrait-il être fait dans ce domaine, étant entendu qu’il n’est pas possible de continuer comme ça ?
A-t-on vraiment les moyens de procéder aux reconduites à la frontière qui sont prononcées ? En discutant avec différents services, on se rend compte qu’il y a un vrai souci : depuis des années, certaines personnes déboutées du droit d'asile restent sur le territoire. Les reconduites semblent pratiquement impossibles à faire sur le plan logistique et policier.
J’ai appris aussi qu’une personne déboutée dans un autre pays d'Europe peut être reconduite à la frontière dans les dix-huit mois, mais que, passé ce délai, elle peut faire une autre demande et repartir de zéro. Ça peut donc continuer éternellement. Les pays d'Europe envisagent-ils de trouver une solution à cela ?
Quels moyens sont-ils concrètement mis en place pour accueillir les familles et notamment les enfants d’âge scolaire ? Pendant la période d’étude du dossier, les enfants sont-ils scolarisés ? Que se passe-t-il quand ils ne parlent pas français et qu’ils ne peuvent pas intégrer une classe directement ?
Mme Annie Chapelier. Merci, monsieur le directeur général, pour votre exposé extrêmement clair et franc.
Comme ma collègue Isabelle Rauch, je souhaitais vous interroger sur l’Albanie et sur votre compétence à établir la liste de pays d’origine sûrs. L’Albanie a fait plusieurs allers-retours dans cette liste où elle figure désormais depuis octobre 2015. Vous apportez une protection particulière aux femmes victimes de violences conjugales et exposées à l'exploitation sexuelle, dites-vous. Dans le rapport extrêmement documenté que vous aviez établi en juillet 2013 sur la République d'Albanie, il apparaissait que la loi censée protéger les femmes n’était pas du tout appliquée.
Ma collègue a évoqué la persistance du kanun et des vendettas qui pousse nombre d’Albanais à quitter le pays. Par le passé, des Siciliens et des Sardes s’étaient exilés en masse pour les mêmes raisons aux États-Unis où cette grande diaspora fait désormais partie du paysage. Après une longue période durant laquelle ils ne pouvaient sortir du pays, les Albanais sont en train de constituer une diaspora. Partant de cet exemple, j’aimerais savoir quels sont les critères que vous retenez pour faire figurer un État dans la liste des pays d’origine sûrs.
M. Claude Goasguen. Pour avoir eu le grand malheur d'être allé plusieurs fois à l’OFPRA en tant qu’avocat, je dois dire que le lieu m’a donné l’impression d'un infini désordre. Ce qui fait que l'OFPRA ne me paraît pas satisfaisant dans son essence. Vous allez avoir des moyens supplémentaires et vous vous en réjouissez. Tant mieux. On verra cela en séance. La loi vous donne des responsabilités supplémentaires puisqu’il va y avoir une ouverture du regroupement familial. Vos décisions vont être d'autant plus importantes pour l'immigration et le droit d'asile à venir.
Vous n'êtes qu'une autorité administrative, raison pour laquelle on vous balade de ministère en ministère. Comme vous êtes une autorité administrative, vous avez une fonction quasi juridictionnelle mais vous n’avez pas de pouvoir d'exécution. Vous nous dites, d’ailleurs, que l’exécution n’est pas votre problème et que vous appelez le préfet pour qu'il s’en charge. Nous sommes dans une situation extraordinaire : quand vous déboutez une personne, les sanctions et les conséquences juridiques sont importantes mais, au fond, vous vous désintéressez de l'exécution parce que vous êtes une autorité administrative. Quand on est avocat, on voit bien que ce n'est pas tenable. Aucun policier n’intervient quand vous décidez de débouter. Comme vous jugez en tant qu’autorité administrative, il n’y a pas d'exécution, ce qui signifie que les déboutés du droit d'asile posent le problème que nous connaissons pour les reconduites à la frontière.
On veut transmettre ce système à l'Europe. Dieu garde l'Europe d'avoir un système pareil ! À ce moment-là, nous n'aurions plus aucune reconduite à la frontière. Pour reconduire à la frontière, il faut une juridiction. Comme toutes les conventions internationales, la Convention de Genève ne s’applique pas de plein droit et elle peut donner lieu à des interprétations. L'État a voulu s'emparer de l'interprétation de la Convention par l'intermédiaire d'une autorité administrative. C’est du ressort du juge !
Pour ma part, j’aimerais qu’il y ait une autorité juridictionnelle car elle serait tenue d'exécuter ses sentences. Actuellement, nous sommes dans une situation incroyable et le système ne peut pas fonctionner. Dans ces conditions, les reconduites à la frontière sont insuffisantes et la loi sur l'immigration dont nous allons débattre avec ardeur n’aboutira qu’à un statu quo.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Avant de vous donner la parole, monsieur le directeur général, je veux remercier trois collègues qui sont membres de deux autres commissions mais qui participent à nos travaux : Florence Granjus et Audrey Dufeu Schubert de la commission des affaires sociales et Guillaume Gouffier-Cha de la commission de la défense.
M. Pascal Brice. Monsieur Goasguen, l'appréciation d'un député s'impose à un fonctionnaire. Si vous avez la sensation d'un désordre à l'OFPRA, cela s'impose. Depuis 2015, les avocats peuvent accéder à l'OFPRA, et je suis heureux que ce soit désormais possible. Je me tiens à votre disposition si vous souhaitez venir voir comment fonctionne l’Office.
M. Claude Goasguen. Il faut organiser une visite pour tous à Montreuil !
M. Pascal Brice. Vous parlez sans doute de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). En ce qui concerne l'OFPRA, monsieur le député, je serais heureux que vous puissiez venir vous assurer que ce n'est pas le désordre qui règne dans l'institution dont j'ai la charge. Ce serait tout à fait contraire à la façon dont je travaille avec mes équipes, mais vous êtes seul juge.
Je n’ai dit à aucun moment que les reconduites ne seraient pas mon problème. Ce n’est ni ma façon de travailler ni ma façon de m'exprimer. J'ai indiqué que la mission de reconduite est celle des préfets. Dans ces conditions, l'OFPRA joue un rôle éminent mais ce n’est pas le premier rôle puisque la décision est du ressort des préfets, y compris pour des raisons que certains de vos collègues ont rappelées et que vous connaissez en tant qu’avocat : dans certains cas, la reconduite de personnes déboutées pose un problème.
L’OFPRA doit appliquer pleinement les conventions, notamment la Convention de Genève, et assurer totalement sa mission de protection subsidiaire. Dans un contexte où 60 % des demandeurs sont déboutés, nous devons prendre en compte les situations individuelles, les rejeter quand il y a lieu, et mettre en place des dispositifs qui permettent d'instruire plus vite le dossier des personnes qui viennent de pays sûrs pour lesquels des taux de protection sont très faibles.
Je vous confirme, monsieur le député, que je ne considère pas du tout que la question des reconduites n’est pas mon problème. Les reconduites ne font pas partie de ma mission mais elles constituent un problème auquel les acteurs du système de l’asile – et l’OFPRA en particulier – ont partie liée.
M. Claude Goasguen. Mais vous n’avez pas de pouvoir !
M. Pascal Brice. Vous avez raison, par principe et en l'occurrence, monsieur le député.
Madame Le Pen, il est toujours difficile de déterminer l’âge de jeunes qui ont aux alentours de dix-huit ans. En France, nous avons une particularité : très peu de mineurs isolés étrangers, présents sur le territoire national, demandent l'asile. Ils sont moins de 700 à le faire, notamment parce que le réflexe existe peu dans les conseils départementaux. Nous faisons un travail avec ces conseils départementaux, de manière à pouvoir exercer la protection de ces mineurs.
Vous insistiez, madame Le Pen, sur une question qui me tient à cœur : l'absolue vigilance dont nous devons faire preuve, en lien avec les services compétents, à l'égard de ceux qui pourraient constituer une menace grave pour la sûreté de l'État. Ils sont extrêmement minoritaires mais ils existent, compte tenu de la situation dans laquelle se trouve notre pays, l'Europe et de son environnement proche. Je veux redire ici que les demandeurs d'asile sont d'abord des personnes qui fuient les terroristes, mais notre vigilance est absolue, en application du droit. La loi de 2015 nous a donné un outil, que j’attendais, et qui me permet de rejeter, à la suite de l’instruction, la demande de certaines personnes, rares, qui constitueraient des menaces graves pour la sûreté de l'État. Dans le système de l'asile, il n’y a de place ni pour les tortionnaires – visés par les clauses d'exclusion – ni pour ceux qui constitueraient une menace contre la sûreté de l'État. En la matière, nous travaillons en totale coopération et dans le plein respect du droit avec les services compétents de l'État.
Comme vous, monsieur Maire, je considère que le concept de pays tiers sûr, qui n'existe pas en droit français, serait une dénaturation du droit d'asile. Le texte européen, qui est actuellement sur la table, me pose problème. En l'état actuel des négociations, il pose la même difficulté que le dispositif ce qui avait été envisagé dans le projet de loi sur l’asile et l’immigration. Il revient aux négociateurs de rendre ces dispositifs cohérents.
Comme plusieurs de vos collègues, vous m'avez interrogé sur nos missions au Tchad et au Niger. Je suis particulièrement heureux que le Président de la République ait souhaité que nous menions ces missions au Sahel. Depuis novembre dernier, nous nous sommes rendus trois fois au Niger et une fois au Tchad. Nous allons poursuivre ces missions qui nous permettent de prendre en compte des personnes qui sont évacuées de Libye. Ce dispositif est destiné à des personnes qui relèvent du droit d'asile – ce qui amène l'OFPRA à se rendre sur place pour conduire des entretiens –, à des personnes particulièrement vulnérables et à des personnes qui, à un moment ou un autre, pourraient se retrouver dans le mouvement de la migration vers l'Europe.
Le Président de la République a lancé cette initiative pour que ces personnes n’aient pas à prendre les risques du voyage. Quelques centaines de personnes sont concernées et le Gouvernement français s’est engagé à en accueillir 3 000 en deux ans. Ce dispositif ne peut pas intégrer toutes les personnes qui seraient prises dans ce risque de migration mais il fonctionne pleinement : nous avons fait vite ; les équipes se sont rapidement projetées ; nous faisons un travail très fructueux avec le HCR qui est confronté à la difficile évacuation des personnes de Libye.
À l’instar de Mme Krimi, vous m’avez interrogé, monsieur Maire, sur la tutelle qui s'exerce sur l’OFPRA. Je ne parle pas plus de la tutelle que de mon juge. La tutelle administrative s'impose : il est naturel que le fonctionnement, le budget et les délais d'instruction de l’OFPRA soient contrôlés, principalement par les parlementaires. En revanche, en application de la loi, cette tutelle ne concerne jamais l'instruction de la demande d'asile. La loi dispose que le directeur général de l’OFPRA ne reçoit aucune instruction dans l'exercice de ses missions.
Monsieur David, vous m'avez interrogé sur une éventuelle contradiction entre la réduction des délais et la qualité de l'instruction. Nous allons poursuivre notre mission dans le même état d'esprit que celui qui nous anime depuis cinq ans. La réduction des délais d’instruction, objectif qui nous est fixé par l'exécutif et par le Parlement, est dans l'intérêt des demandeurs d'asile et du bon fonctionnement de cette politique. Nous allons continuer à réduire les délais en veillant aux droits des demandeurs et à la qualité d'instruction, et je vous ai expliqué comment nous allions le faire.
S’agissant des mineurs isolés, il existe un dispositif spécifique. Ils sont entendus par des officiers de protection spécialisés et formés pour cela, en présence d'un administrateur ad hoc. Je regrette seulement qu’ils soient très peu à effectuer cette démarche dans notre pays. J’aurai le plaisir de recevoir prochainement Dominique Bussereau, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), pour que ce réflexe de l'asile puisse progresser.
Monsieur Kokouendo, je crois avoir évoqué les critères de nos missions d'identification au Niger et au Tchad. Il s'agit de personnes qui relèvent du droit d'asile, qui sont en situation de vulnérabilité et qui sont dans le mouvement de migration vers la Libye et l'Europe. Nous veillons évidemment à l'application de ces critères.
Monsieur Dupont-Aignan, comme plusieurs de vos collègues, vous manifestez un étonnement que je partage : l’OFPRA doit instruire des demandes d'asile qui ont déjà fait l'objet d'une décision de rejet ailleurs en Europe. Il y a cinq ans, lorsque j’ai pris mes fonctions, cette situation n’existait pratiquement pas parce que les prises d'empreintes étaient très marginales à l’époque. Actuellement, les cas se multiplient et posent problème. En l’état actuel du droit européen, il n’y a pas de reconnaissance mutuelle des décisions des offices européens. Nous sommes donc obligés de réinstruire les demandes. Je donne évidemment des instructions pour que cette procédure, que le droit nous impose, soit réalisée dans des délais rapides. Cette situation me semble néanmoins aberrante. Je pense qu'il est nécessaire de créer rapidement un dispositif européen de reconnaissance mutuelle, voire un office européen de l’asile, même si je vois bien les questions que cela peut soulever en termes de transfert de souveraineté.
M. Claude Goasguen. Ou une juridiction !
M. Pascal Brice. Ou une juridiction, monsieur le député, bien sûr. Par principe, une juridiction est toujours préférable à une autorité administrative, surtout pour un juriste. Mes équipes et moi-même sommes d’une absolue modestie vis-à-vis des juges et des juristes, même si nous avons la faiblesse de penser que nous sommes aussi des juristes.
Madame Lenne, vous m'avez interrogé sur le regard qui peut être porté sur les décisions de l'Office. L'un de vos collègues a évoqué le décalage qui existe parfois entre les discours et la réalité. Je suis très sensible à cela, et j'essaie d'appuyer mon discours sur des réalités. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a cinq ans, l'Office était déjà une grande institution. Il ne m'a pas attendu pour le devenir. Cependant, son travail pouvait être marqué par une certaine opacité. J'ai souhaité plus de transparence, ce qui me conduit parfois à m'exprimer dans les médias.
Relayant le propos de Jacques Maire, je vous convie d’ailleurs à venir à l'Office pour assister à des entretiens. À cet égard, je suis très heureux que la précédente législature ait ouvert cette possibilité à des avocats, en tant que conseils, et à des associations habilitées. Il faut évidemment s'assurer que ces personnes sont habilitées, comme c’était, par nature, le cas en appel.
J'ai aussi veillé à effectuer un travail régulier avec le monde associatif et les officiers de protection sur tous ces éléments de transparence. Je crois pouvoir dire que nous avons beaucoup progressé, mais vous en êtes les seuls juges. Je crois que les faits sont là, et je peux vous en donner une illustration très claire : la fin d'une anomalie française qui a perduré jusqu’à il y a quatre ans, consistant à demander à la CNDA et non à l’OFPRA de protéger, quand il y avait lieu de le faire. C’est fini. Actuellement, s’il y a protection, c’est l’OFPRA qui s’en charge dans les trois quarts des cas. Cette situation me semble plus normale que la pratique antérieure. À l’époque, les personnes qui accompagnaient le demandeur d’asile étaient tentées de considérer que le passage à l’OFPRA était un peu une perte de temps et qu’il valait mieux compter sur les avocats à la CNDA. C’est du passé.
Nous avons encore des progrès à faire, notamment dans la rédaction de la motivation de nos décisions, ce qui pose la question des délais car toute la procédure doit se faire rapidement. Il y a trop souvent un décalage entre la réalité de l’entretien et de l'instruction et la motivation de la décision. Nous devons encore progresser mais j'ai confiance dans mes équipes. J’ai une grande admiration pour leur travail tout en étant exigeant sur le chemin qu’il nous reste à parcourir, notamment en ce qui concerne le regard que portent sur nous les parlementaires.
Monsieur Herbillon, vous évoquiez cet écart entre les discours et les réalités en matière d’asile et d'immigration. Pour vous répondre, je me vais me permettre de sortir un instant de ma mission au sens le plus étroit du terme. Clairement, la feuille de route du Président de la République nous demande d’appliquer le droit de manière absolue et dans ses deux dimensions : droit d’asile et reconduite à la frontière.
En matière de droit d'asile, j’ai la faiblesse de penser que l'OFPRA a progressé mais des difficultés subsistent, notamment dans l'accès aux préfectures. Nous avons parlé de la dimension européenne, et certains de vous sont des élus de certains territoires où la situation est particulièrement compliquée de ce point de vue. Il reste des progrès à faire pour que le droit d'asile s'applique de manière irréprochable dans notre pays, comme le Président de la République l'a demandé.
Le droit au séjour doit s'appliquer y compris dans sa dimension de reconduite des personnes déboutées de leur demande. Ce volet ne relève par de l’OFPRA mais nous en sommes partie prenante. L'action de l'OFPRA s’inscrit dans ce processus, strictement pour la part qui lui incombe.
Monsieur Girardin vous m'avez interrogé sur les menaces qui pèsent sur certains déboutés faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Je ne voudrais pas que le député Goasguen me reproche de considérer que cela ne me regarde pas. L’OFPRA prend une décision de protection – ce qui nous réjouit – ou de rejet s’il y a lieu parce que c'est son devoir. Une fois que la décision a été confirmée par la CNDA, c'est au préfet qu'il revient de prendre des mesures. À ce moment-là, l’OFPRA n'intervient plus.
S’agissant des reconduites automatiques de déboutés, je veux avoir un propos juridique et non pas politique. Dans certains cas, la reconduite de personnes déboutées se révèle compliquée, en raison de leur situation, même si elles ne relèvent pas du droit d'asile. Ce sont des situations rares mais elles existent. C'est la raison pour laquelle il est très important que nous puissions continuer à dissocier ces différentes interventions.
Monsieur Dumont, c’est le ministère de l'Intérieur qui pourra vous donner les précisions que vous m’avez demandées sur les nombres de reconduites.
Pour ma part, je suis heureux de pouvoir revenir sur la situation de Calais qui vous est chère, qui me tient aussi à cœur et qui a été évoquée par plusieurs de vos collègues. En 2014, 2015 et 2016, j’ai eu l'occasion de me rendre quasiment toutes les semaines à Calais, afin de faire en sorte que les personnes présentes puissent accéder à la demande d'asile et être recueillis dans des centres d'hébergement de vos circonscriptions. Quelque 10 000 personnes ont quitté Calais pour aller dans ces centres d'hébergement et demander l'asile. À l'issue de l'instruction par l'OFPRA, 70 % de ces personnes ont été protégées car il s'agissait d'Érythréens, d’Afghans, de Soudanais du Darfour, d’Oromo-Éthiopiens, c'est-à-dire de ressortissants de pays pour lesquels les taux de protection sont très élevés.
Je veux redire, en m’exprimant selon le seul point de vue qui m’est possible, c’est-à-dire celui de l’autorité de protection, qu’il ne me revient pas de porter une appréciation sur les accords internationaux conclus par la France. Je les prends comme une donnée : je peux avoir un point de vue, mais il est personnel et n'a donc aucun intérêt. Je prends la situation de Calais telle qu’elle est, et vous la connaissez bien mieux que moi : il y a toujours là, dans cette impasse, des personnes qui veulent aller en Grande-Bretagne, même si leur nombre est bien inférieur à ce que l’on a connu il y a quelque temps. Elles ne peuvent pas le faire, et c'est une réalité que je n'ai pas à juger. Je considère simplement, en tant qu'autorité de détermination, que celles et ceux qui veulent demander l'asile, parmi ces personnes, doivent pouvoir le faire, de manière à être protégés. Même si je peux être parfois en désaccord avec certains acteurs, je ne suis pas choqué que l’on ne puisse plus demander l'asile à Calais même. J'ai trop connu ce bidonville, pendant deux ans, pour souhaiter qu'il se reconstitue.
Celles et ceux qui souhaiteraient demander l’asile doivent être dûment informés. Vous connaissez, monsieur Dumont, toute la difficulté. J’ai passé des heures à parler avec ces personnes, pendant des semaines, pour essayer de les convaincre que si la Grande-Bretagne n’est pas une destination possible, elles peuvent en revanche demander l’asile en France. Il y a ensuite une instruction individuelle. Quand le travail est fait, il fonctionne et le droit s'applique : soit ces personnes relèvent du droit d'asile, soit elles devront être reconduites. Je pense que la seule solution est de continuer à informer et à prendre en charge ailleurs qu'à Calais – sinon, on voit bien la difficulté et le risque que des choses non acceptables pour les migrants et pour la population se reproduisent. Du point de vue de l’OFPRA, il faut que des dispositifs de prise en charge fonctionnent pour celles et ceux qui, à tort, continuent à venir à Calais.
Cela m’amène aux CAES, que vous avez évoqués. Je considère qu’ils constituent une solution d'avenir. La feuille de route décidée par le Président de la République vise à ce que tout migrant soit hébergé et que sa situation administrative soit examinée, notamment de sorte que celles et ceux qui pourraient relever de la demande d’asile y soient conduits, d’une manière protectrice et efficace. C’est la bonne approche, et les CAES y contribuent. Vous connaissez la difficulté : dans l'état actuel du fonctionnement des règles européennes, personne n'est encouragé à aller dans ces centres. Je me réjouis de leur mise en place, car c’est la bonne approche, mais il faut que le contexte général de l'accès en préfecture, l’instruction plus rapide et protectrice des demandes et les règles européennes permettent au système de fonctionner pleinement, et je ne doute pas que ce sera le cas.
Mme Clapot m’a posé une question sur la Tchétchénie. Ce pays fait partie, comme d’autres, des cas complexes à appréhender pour nous. Nous examinons les situations individuelles au regard de ce que les personnes nous disent de leur parcours et de l'analyse que nous faisons de la situation dans leur pays d’origine. Je constate que les demandes d'asile à l’OFPRA sont aujourd’hui beaucoup moins d’origine tchétchène qu’ingouche ou daguestanaise. Vous avez très justement évoqué la nature parfois mêlée des menaces privées, de l'État ou des groupes liés à lui. Dans un tel contexte, c’est le métier des officiers de protection et ma responsabilité de faire en sorte que nous ayons la connaissance la plus fine possible de la situation dans le pays concerné, afin de protéger quand il y a lieu. La situation en Tchétchénie correspond à ce que vous avez décrit, madame la députée. Elle n'est plus exactement la même qu’il y a 10 ou 20 ans : elle est devenue beaucoup plus complexe à démêler pour nous. Je peux vous confirmer que nous restons très attentifs, mais que les réalités sont contrastées, ce qui n'enlève rien à la situation de ce pays tel que nous le voyons et que vous le voyez.
Mme Krimi m’a interrogé sur la tutelle s’exerçant sur l’OFPRA. Je crois avoir répondu à cette question et à celle de M. Maire. Comme vous, j’ai la conviction qu'il doit s'agir d'une politique interministérielle, ce qu’elle est d’ailleurs, menée en commun par le monde associatif et les pouvoirs publics. En ce qui concerne la situation des demandeurs d'asile, j'entends tout à fait votre interpellation. Pour moi, la bonne réponse est la réduction des délais d'instruction. Il faut que le temps d'attente soit le plus court possible, tout en étant adapté à la situation de chacune et chacun. Dans certaines situations, on doit prendre plus de temps. À mes yeux, il faut d’abord des délais d'instruction plus courts et, effectivement, des conditions d'accueil qui soient dignes. Tout le monde doit être hébergé, ce qui n'est pas encore le cas, malgré les efforts engagés par l'État depuis plusieurs années. Il faut aussi des activités et, je le vois partout dans vos circonscriptions, les associations et les bénévoles sont là pour y contribuer, avec les élus. Je n’ai pas d’hostilité à l’égard d'un statut juridique, comme vous le proposez, mais je pense que la réponse se trouve dans des délais d'instruction plus courts et des dispositifs d'accompagnement et d'hébergement fonctionnant pleinement – peut-être avec un statut juridique...
Mme Boyer a évoqué les trafics d'êtres humains. C’est une réalité à laquelle nous sommes confrontés : j'ai mentionné tout à l’heure la situation de certaines femmes nigérianes victimes de réseaux de traite et d’exploitation. Pour les victimes de la traite, comme pour celles de la torture, les mineurs isolés, les homosexuels, les lesbiennes et les transgenres – j'y reviendrai –, il existe depuis quatre ans, dans le cadre de la réforme de l’OFPRA, des réseaux de référents : des experts de l’Office nous ont permis de construire un cadre de doctrine et d’intervention, en partage avec d’autres institutions – la justice et l’intérieur – et avec le monde associatif, de manière à être le plus efficace possible sur ces questions. Nous avons des experts et une mobilisation très particulière en ce qui concerne la traite des êtres humains.
Les refus de retour n’entrent pas dans la compétence de l'OFPRA. Je ne suis pas du genre à considérer que cela ne nous regarde pas, mais ce sujet ne correspond pas à notre mission. Par ailleurs, je vous confirme notre mobilisation sur la question de la protection des minorités religieuses persécutées. Cela fait partie de la convention de Genève : les persécutions en raison des croyances religieuses appartiennent aux motifs de protection au sens de cette convention. Je ne sais pas s’il faut dire que j’en suis heureux, car à chaque fois nous aimerions ne pas avoir à le faire, mais nous nous sommes mobilisés tout particulièrement pour les minorités religieuses d'Irak, en mettant en place pour les minorités chrétienne et yézidie une procédure particulière et accélérée : nous avons formé des agents au consulat général d’Erbil et à Bagdad, afin que les personnes concernées puissent faire l'objet d'une protection rapide par l’OFPRA à leur arrivée sur le territoire national. La mobilisation se poursuit pour les minorités religieuses d’Irak. Je n’ai pas avec moi les chiffres à jour, mais je vous les transmettrai, si vous me le permettez, et nos spécialistes sont à votre disposition pour une rencontre.
L’Albanie relève pour nous d’une situation étrange, madame Michel. Je peux vous dire que les officiers de protection se passeraient bien d’avoir à consacrer quasiment le quart des entretiens à des demandeurs d'asile de ce pays : comme vous l’avez rappelé, en effet, le taux de protection n’est que de 6 %. Ce sont en réalité des personnes qui fuient, pour l’essentiel, une situation de difficulté économique et sociale, si je peux m’exprimer comme le diplomate que je suis. Ces personnes, comme tous les demandeurs d'asile, ont le droit à l'instruction de leur demande et à l’application des garanties fondamentales. Certains de ces demandeurs d’asile, vous l’avez dit, relèvent de la protection de l’OFPRA, notamment pour des questions de vendetta et de violences faites aux femmes. Il y a une instruction individuelle des demandes et nous protégeons quand il y a lieu, mais c’est marginal.
L’OFPRA n’est évidemment pas responsable de l’émigration des Albanais ni de leur présence sur le territoire français. Nous nous cantonnons à notre devoir, qui est d’instruire leurs dossiers dans le respect de leurs droits fondamentaux et, en l’occurrence, puisqu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr, de les instruire selon une procédure d’instruction rapide, que ce soit à notre siège de Fontenay-sous-Bois ou lors de nos missions foraines. Je constate, cela étant, que les demandes albanaises sont en baisse depuis quelques mois, sachant que nous avons noté qu’elles obéissent à des cycles – comme d’ailleurs les demandes kosovares – et augmentent ou diminuent selon les périodes.
Vous m’avez également interrogé sur le suivi des personnes protégées par l’OFPRA, il concerne pour l’essentiel la gestion de leur état- civil. En d’autres termes, nous sommes leur « mairie » et gérons naissances, mariages et autres actes de l’état-civil. C’est notre seul lien avec eux.
Monsieur Fuchs, l’OFPRA se mobilise très activement depuis quatre ans pour protéger les personnes menacées en raison de leur orientation sexuelle, au même titre que nous sommes très concernés par les violences faites aux femmes et les protégeons contre le mariage forcé, contre l’excision, contre les viols en zone de guerre, autant de victimes auxquelles il faut encore ajouter les mineurs isolés. La difficulté dans le cas des questions d’orientation sexuelle, c’est que la tâche des officiers de protection de l’OFPRA se déplace sur le terrain de l’intime, et que l’instruction doit donc être menée en tenant compte de cette dimension.
Or le principe qui régit le travail des officiers de protection est d’aider la personne dont ils instruisent le dossier à fonder la crédibilité de ses craintes. Lorsque celles-ci sont liées à l’orientation sexuelle du demandeur, nous nous appuyons, comme pour l’ensemble des demandes, sur le travail de nos experts, leur doctrine et leurs analyses de la situation dans les pays d’origine. Nous travaillons également beaucoup avec le milieu associatif, de manière à nous former à poser les bonnes questions et à déconstruire les préjugés dont nous pourrions être victimes.
J’ajoute que, lorsque je parle de fonder la crédibilité d’une demande, il ne s’agit pas pour le demandeur d’asile d’avoir à prouver quoi que ce soit en ce qui concerne son orientation sexuelle, mais simplement de l’aider à étayer ses craintes. Il me semble que nous avons progressé dans ce champ ; nous allons poursuivre nos efforts.
Madame Lepeih, j’aurais des difficultés à vous dire quel outil juridique serait le mieux adapté à la protection des réfugiés climatiques, mais il est en effet grand temps de lancer, à l’échelle internationale, une réflexion sur cette question.
Madame Givernet, on ne peut selon vous dissocier la question de l’asile de celle de l’immigration. Je considère pour ma part les choses du point de vue de l’humain, le seul qui intéresse l’OFRPA qui, chaque jour, voit arriver des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants que nous devons accompagner et protéger lorsqu’il y a lieu. Or je persiste à penser que, de ce point de vue, la mission de l’OFPRA est de faire en sorte que le droit d’asile s’applique pour ce qu’il est. Il me semble que cela est conforme en tout cas à ce que veulent les Français, soucieux d’accueillir celles et ceux qui fuient les guerres et les persécutions. Il est donc de la responsabilité de l’OFPRA de mettre en œuvre le droit d’asile de manière bienveillante et rigoureuse.
Ceci ne signifie pas qu’il existerait une hiérarchie entre les migrants relevant du droit d’asile et les autres, mais nous sommes dans deux registres distincts des politiques publiques. J’ai la conviction que la confusion entre immigration et droit d’asile dessert ce dernier, et cette conviction, comme d’ailleurs la loi, m’imposent de faire avancer le droit d’asile, dans le strict respect du droit. Je laisse à votre compétence les débats sur la politique migratoire.
Madame Rauch, je vous remercie d’avoir évoqué les missions foraines de l’OFPRA, notamment à Metz. C’est effectivement l’une des évolutions de l’OFPRA que d’envoyer désormais, régulièrement, des missions d’officiers de protection dans les régions françaises, à Metz et à Lyon, où nous avons maintenant des équipes en place quasiment en permanence, mais également à Bordeaux, Lille, Nantes, Rennes, Strasbourg où Colmar, là où les demandes d’asile sont nombreuses et où elles posent des difficultés aux associations, aux élus, aux préfets et aux demandeurs d’asile eux-mêmes. Nous allons évidemment poursuivre ces missions, qui sont extrêmement précieuses, notamment en termes de réactivité.
Madame Leguille-Balloy, je ne commenterai pas les accords du Touquet, cela ne relève pas de ma compétence ; mais je vous ai dit les conséquences que j’en tirais, du point de vue de la protection des personnes qui se trouvent à Calais.
Monsieur Tan, en ce qui concerne les différences de taux de protection entre les différents offices européens, je crois que la solution réside dans ce que le Président de la République a esquissé, c’est-à-dire un office européen indépendant, comme l’est l’OFPRA en France en application de la loi.
Les moyens de reconduite à la frontière ne sont pas de la compétence de l’Office mais des préfets, même si cela ne veut pas dire que nous nous en lavons les mains.
Madame Chapelier, la liste des pays d’origine sûrs est une compétence du conseil d’administration de l’OFPRA, ce qui ne veut pas dire de l’OFPRA – et je ne participe d’ailleurs pas aux discussions. L’État étant majoritaire dans le conseil d’administration, c’est donc en réalité l’État qui fixe la liste des pays d’origine sûrs.
Rien ne fait obstacle, j’y insiste, à ce nous examinions la demande d’asile d’un ressortissant d’un pays d’origine sûr, avec toutes les garanties fondamentales requises. Vous trouverez sur notre site les conclusions du contrôle qualité de nos décisions, réalisé avec le HCR : il montre, à ma grande satisfaction, que la qualité d’instruction est semblable en procédure accélérée et en procédure normale. Seul le délai de traitement change, et il nous arrive – cela a déjà été évoqué – même si c’est assez rare, de protéger des ressortissants albanais, bien que l’Albanie soit classée comme un pays sûr, si ce sont des femmes victimes de violences ou des victimes de vendetta.
Mme Olga Givernet. Je me permets de reformuler ma question qui concernait les demandeurs d’asile qui ont des proches – enfants ou conjoints – qui, eux, ne relèvent pas du droit d’asile : comment gérez-vous ce type de dossier ?
M. Buon Tan. Vous ne m’avez pas répondu sur l’accompagnement des enfants qui arrivent avec leurs familles : sont-ils scolarisés pendant l’instruction du dossier et après ?
M. Pascal Brice. Monsieur le député, même s’il s’agit d’une question tout à fait essentielle, la scolarisation des enfants ne relève pas de la compétence de l’OFPRA, laquelle se limite strictement à instruire la demande d’asile et à gérer l’état civil. Cela relève en réalité des dispositifs d’accompagnement mis en œuvre par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ou les collectivités locales.
Madame Givernet, la réunification familiale est une condition essentielle pour qu’un demandeur d’asile puisse reprendre une vie presque normale. Cela étant, dans les cas de couples de demandeurs d’asile, nous procédons à deux instructions distinctes, notamment parce qu’il existe des cas, certes rares, où des violences conjugales sont avérées.
Quant aux enfants, au nom du principe de l’unité de famille, c’est la décision applicable aux parents qui leur est également appliquée, sauf lorsque nous considérons que l’enfant a un besoin de protection spécifique, y compris lorsqu’il fait l’objet de violences familiales, et qu’il a l’âge du discernement. Dans ces conditions, nous statuons alors individuellement sur son cas. Par ailleurs, en vertu du principe de réunification des familles, une fois qu’un demandeur a obtenu l’asile, il a le droit à la réunification familiale.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Monsieur le directeur général, je vous remercie vraiment pour votre franchise et votre disponibilité. Nos échanges vont nous être très profitables pour la suite de nos travaux. (Applaudissements.)
La séance est levée à midi.
C. Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Au cours de sa séance du mardi 6 mars 2018, à dix-sept heures, la commission des affaires étrangères auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, je suis très heureuse de recevoir Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et je le remercie d’avoir accepté que cette audition soit publique et ouverte à la presse.
Monsieur le ministre, puisqu’il nous faut aborder aujourd’hui trois sujets que nous n’avons pas eu le temps d’évoquer lors de votre dernière audition, nous pourrions convenir que vous vous exprimerez dorénavant plus régulièrement, au moins une fois par mois, pendant deux heures, devant notre commission, afin que nous puissions avoir des échanges suffisants. Nous devons, disais-je, aborder trois sujets : la politique de développement, dont les objectifs financiers et le contenu, en particulier sa réorientation vers les aides bilatérales et les dons, ont été définis par le récent Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ; la politique migratoire, notamment sous l’angle des accords avec les pays d’origine ; enfin, l’Union européenne, dans la perspective du Brexit et du futur partenariat entre l’Union et la Grande-Bretagne, sur lequel notre commission sera amenée à travailler.
Mais nous ne pouvons pas ne pas évoquer la situation humanitaire dramatique qui prévaut dans l’enclave de la Ghouta orientale, près de Damas, où 400 000 personnes environ subissent les bombardements du régime. Vous vous êtes rendu, ces derniers jours, en Russie et en Iran. Je souhaiterais donc que vous fassiez le point, après ces visites, sur l’application de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, qui déclare une trêve humanitaire, et sur l’issue de cette situation dramatique, si tant qu’une issue soit possible. À ce propos, j’informe mes collègues que nous avons décidé de consacrer une réunion, la semaine prochaine, à la situation humanitaire dans la Ghouta orientale et en Syrie au cours de laquelle nous recevrons les responsables de deux organisations qui se trouvent sur place, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins sans frontières (MSF).
Permettez-moi, monsieur le ministre, de rappeler par ailleurs que la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, a été le théâtre, le 2 mars dernier, d’une double attaque terroriste visant l’état-major des forces armées burkinabées et l’ambassade de France. Au nom de l’ensemble de mes collègues, je tiens à exprimer notre solidarité pleine et entière aux victimes et à leurs familles et à rendre un hommage reconnaissant à tous nos diplomates et militaires, qui servent notre pays, souvent au péril de leur vie.
Enfin, puisque nous sommes à l’avant-veille de la Journée internationale des droits des femmes, je vous informe que Mireille Clapot et Laurence Dumont, les deux rapporteures de la mission sur les droits des femmes dans la diplomatie française, seront présentes le 8 mars lors du lancement de votre initiative sur la stratégie internationale de l’égalité femmes-hommes. Elles déposeront, du reste, leurs conclusions prochainement, après avoir participé à la conférence annuelle des Nations unies sur les droits des femmes.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Tout d’abord, madame la présidente, je suis favorable à ce que nous organisions une réunion de deux heures un mardi par mois – puisque ce jour convient à tous – car, souvent, je ne peux pas, faute de temps, répondre à l’ensemble des questions qui me sont posées, et c’est insatisfaisant pour tout le monde.
Avant d’évoquer les trois sujets que vous avez mentionnés, je vais m’efforcer de faire le point sur l’actualité, notamment celle de la Syrie. Je n’aborderai pas la situation à Ouagadougou ; je m’y rendrai la semaine prochaine pour témoigner notre solidarité aux personnels de l’ambassade et aux forces burkinabées, qui ont subi des pertes significatives et dont un gendarme, qui gardait l’ambassade, a été tué. Nous pourrons évoquer, lors de la prochaine audition, l’évolution de la force conjointe du G5 Sahel et la fragilité particulière du Burkina Faso dans cet ensemble.
En ce qui concerne la Syrie, j’avais annoncé à l’Assemblée nationale, en réponse à une question de Mme Saint-Paul, un cataclysme humanitaire ; nous y sommes. La situation est en effet dramatique. Nous avons essayé de l’éviter en menant au Conseil de sécurité une offensive très vigoureuse qui nous a permis d’obtenir, le 24 février dernier, l’adoption de la résolution 2401. Cette résolution prévoit en effet un cessez-le-feu immédiat, une pause humanitaire de trente jours dans l’ensemble de la Syrie, un accès sûr et sans entraves pour l’aide humanitaire et l’évacuation médicale des personnes blessées ou en grande difficulté, notamment celles qui se trouvent dans la zone de la Ghouta orientale. Cette résolution a été adoptée à l’unanimité.
Deux jours après ce vote, je me suis rendu à Moscou pour discuter, avec mon homologue Lavrov, de la manière dont nous pourrions appliquer le cessez-le-feu ; il n’a pas été question, dans cet entretien, d’un scénario politique. Nous avons eu une discussion longue et tonique – même si nous avons également évoqué nos relations bilatérales, puisque le Président de la République se rendra en Russie au mois de mai prochain – au cours de laquelle j’ai sollicité les Russes pour qu’ils usent de leurs capacités à faire pression sur le régime afin que soit mise en œuvre au plan opérationnel la résolution 2401. La Russie, je le rappelle, a, quant à elle, proposé une trêve quotidienne de cinq heures. Or, une telle trêve – vous pourrez interroger le CICR et MSF à ce sujet – ne permettrait pas l’accès de l’aide humanitaire, notamment à la zone de la Ghouta ; elle permettrait uniquement la sortie des civils, qui sont littéralement prisonniers puisqu’il n’existe qu’un seul corridor de sortie. Cette hypothèse ne tient donc pas. Mon homologue russe et moi-même avons eu une discussion assez forte à ce sujet. À ce jour, un seul des nombreux convois qui sont prêts à entrer dans la zone a pu passer, et il a été victime de bombardements.
Il faut bien comprendre qu’il existe deux approches. Le discours public qui est en partie celui des Russes et des Iraniens et entièrement celui de Bachar el-Assad consiste à présenter les 400 000 civils comme des prisonniers des terroristes, qu’il faut évacuer afin que ces derniers restent seuls à l’intérieur de la zone et puissent être éliminés. Dans la réalité, il existe plusieurs groupes rebelles d’opposants, auxquels la trêve s’impose également, et un groupe terroriste, reconnu comme tel par les Nations unies, héritier de Jabhat al-Nosra et composé de 250 à 300 combattants. Point. Ce chiffre est reconnu par tous, y compris par nos amis russes puisqu’ils ont commencé à discuter avec Jaych al-Islam – un groupe de rebelles dûment reconnu comme faisant partie de l’opposition présidée par M. Ahmad al-Jarba – de l’éventualité d’un accord en vue d’une trêve. Le discours public n’a donc pas de réalité. Du reste, Jaych al-Islam et Faylak al-Cham, qui regroupent 12 000 à 13 000 combattants, ont annoncé, par écrit, au président koweïtien du Conseil de sécurité qu’ils respecteraient la trêve et qu’ils étaient prêts à régler le problème – libre à vous d’interpréter le mot « régler » – posé par les 350 membres de Jabhat al-Nosra pour que la trêve ait lieu. Voilà la réalité des choses.
Mon action consiste à aller, à la demande du Président de la République, dire aux uns et aux autres que tout doit être fait pour préserver la trêve. Celle-ci a été votée à l’unanimité ; c’est la règle internationale, et elle doit s’appliquer. Or, tel n’est pas le cas. J’ai d’ailleurs omis de vous dire que le convoi auquel j’ai fait allusion tout à l’heure et qui a dû interrompre son déchargement à cause des bombardements avait été auparavant délesté subrepticement de l’ensemble du matériel médical qu’il transportait.
Ce discours, nous le tenons aux Russes – car Bachar el-Assad doit dire qu’il respecte la trêve, que la Russie a votée – et aux Iraniens, y compris au président Rohani, que j’ai rencontré hier après-midi. Si chacun reconnaît bien la nécessité de mettre en œuvre l’action humanitaire, celle-ci est pour l’instant impossible et la situation risque de devenir, dans les semaines qui viennent, absolument dramatique. C’est pourquoi nous devons faire pression sur tous ceux qui ont le pouvoir de retenir l’action, afin que la trêve soit appliquée et que soit évité ce que j’ai appelé un cataclysme humanitaire. Quant à la solution politique, je l’ai évoquée lors de notre dernière rencontre ; je n’y reviendrai donc pas, même si je m’en suis également entretenu avec mes interlocuteurs.
Le Président de la République a lui-même appelé le président Poutine et le président Rohani ; nous avons également contacté les Américains et les Turcs. Nous nous exprimons sur ce sujet avec la même détermination depuis une semaine, et nous poursuivons cette démarche avec beaucoup de force. La communauté internationale doit se rendre compte que nous serons confrontés à un drame absolu à très brève échéance.
Au cours de son entretien avec le président Trump – entretien qui s’est déroulé vendredi dernier et qui a fait l’objet d’une communication dont vous avez peut-être pris connaissance –, le Président de la République a également évoqué l’emploi d’armes chimiques. Notre position est claire, et nous continuerons de faire preuve d’une vigilance absolue sur ce point. Le Président de la République a rappelé qu’une réponse ferme serait apportée en cas d’utilisation avérée de moyens chimiques entraînant la mort de civils, et ce en parfaite coordination avec nos alliés Américains. « Nous ne tolérerons pas l’impunité en la matière », a-t-il déclaré. C’est l’objet du partenariat international contre l’impunité dans l’emploi d’armes chimiques que j’ai lancé avec le secrétaire d’État Rex Tillerson le 23 janvier dernier. Vingt-quatre États se sont associés à notre initiative, à laquelle s’est jointe la Norvège la semaine dernière. Il s’agit de créer un mouvement d’opinion international pour empêcher le recours aux armes chimiques et l’impunité en la matière. Cette position, je l’ai exprimée devant MM. Lavrov et Zarif et je l’ai évoquée avec mon homologue turc ce week-end.
Par ailleurs, nous devions aborder avec les autorités iraniennes plusieurs sujets, dont la pérennité des accords de Vienne sur la question nucléaire et la posture de l’Iran à l’égard de cet accord. Il est en effet nécessaire que l’Iran respecte strictement l’accord JCPOA – joint comprehensive plan of action – pour préserver celui-ci face aux critiques du Président Trump, qui menace d’en faire sortir les États-Unis puisqu’il a annoncé qu’il pourrait ne pas renouveler les waivers le 12 mai prochain. Nous avons, je crois, la volonté commune de respecter totalement l’accord, ce qui est le cas actuellement, et de nous donner toutes les chances de le préserver.
J’ai ensuite abordé avec les autorités iraniennes la question de la prolifération et de la propagation balistiques, qui nous préoccupent, et leurs conséquences sur la sécurité et la stabilité de la région. Ces programmes ne sont pas conformes à la résolution 2231 votée en 2015 par le Conseil de sécurité, au moment de l’adoption du JCPOA. Nous avons donc souhaité entamer des discussions avec l’Iran à ce sujet. Les premières ont eu lieu hier ; elles ont été franches, toniques, mais elles ont le mérite d’exister. Nous nous parlons, et c’est important. Du reste, les Iraniens n’ont pas été étonnés que j’aborde ce sujet, puisque le Président de la République avait déjà exprimé cette préoccupation lors de sa rencontre avec le président Rohani à New York, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies.
Enfin, j’ai évoqué la politique de l’Iran dans la région. Sur ce point, notre demande est tout aussi claire que sur les deux précédents sujets : nous souhaitons que l’Iran contribue positivement à la résolution des crises au Moyen-Orient plutôt que de les aggraver par une politique de présence militarisée et le soutien manifeste à des milices non étatiques, voire leur encadrement. Nous souhaitons pouvoir trouver des solutions politiques et négociées aux crises régionales, afin que la région retrouve une stabilité, dans le dialogue et le respect de la souveraineté de chacun des États concernés : Syrie, Irak, Yémen, Liban. Notre conversation a donc été assez intense et je crois que, sur ces points, elle se poursuivra.
Lors de ma dernière audition, je n’ai pas eu le temps de m’exprimer sur l’aide publique au développement (APD) ; je souhaite donc revenir sur cette question. Je vous avais rappelé deux des axes fondamentaux de notre stratégie de sécurité : premièrement, intervenir dans les zones de crise, notamment pour stabiliser notre environnement proche et y promouvoir des solutions politiques de long terme ; deuxièmement, et de façon conjointe, nouer un dialogue étroit et direct avec les grandes puissances. Notre stratégie de sécurité inclut donc une démarche globale associant les actions militaires, la démarche politique de règlement des conflits et le développement économique et social. Aucun de ces trois points ne peut être séparé des lieux de crise.
L’action en faveur du développement a fait l’objet d’une réunion, autour du Premier ministre, du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui a défini notre stratégie pour cinq ans et précisé les moyens nouveaux que nous allons consacrer à la mise en œuvre de notre politique de développement. Le Président de la République a pris des engagements significatifs devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, lors de la réunion des décideurs économiques à Davos et dans ses discours en Afrique, et il a fait en sorte que ces engagements soient tenus, notamment en ce qui concerne l’augmentation des moyens d’action.
La France inscrit sa politique de développement et de solidarité internationale dans le cadre multilatéral des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés à New York par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. Ces objectifs, qui fixent une ambition commune à l’humanité dans le cadre de l’Agenda 2030, ont été ensuite complétés par l’Accord de Paris sur le climat de décembre 2015, dont la mise en œuvre est désormais irréversible, compte tenu du nombre de signatures enregistrées depuis. Dans ce contexte, le Président de la République a affirmé à plusieurs reprises la nécessité de franchir une nouvelle étape dans notre politique de développement et de solidarité internationale en menant une véritable politique partenariale centrée sur cinq biens communs mondiaux, les « cinq P » : la protection de la planète, le bien-être des populations, la paix et la stabilité, la prospérité partagée et le renforcement des partenariats.
Pour appliquer cette politique, il nous faut des moyens. Or, la trajectoire de notre aide publique au développement a connu une phase de déclin rapide et remarquée au cours des dernières années. Le Président de la République a donc pris, très tôt, l’engagement d’amorcer sa remontée en puissance afin qu’elle atteigne 0,55 % du revenu national brut (RNB) au cours du quinquennat, ce qui suppose de porter son montant de 8,5 milliards d’euros en 2016 à plus de 14 milliards en 2022, en tenant compte des hypothèses de croissance dont nous avons actuellement connaissance. Le Comité interministériel a confirmé cet objectif et a précisé les moyens d’y parvenir en définissant la trajectoire suivante : 0,38 % en 2017, 0,44 % en 2018, 0,47 % en 2020, 0,51 % en 2021 et 0,55 % en 2022.
Cette hausse est sans précédent dans l’histoire récente de notre aide publique au développement, et ce dans le contexte – c’était un souhait de votre commission – d’une évolution importante de la manière de la concevoir. Vous savez que l’aide publique au développement s’organise en quatre catégories : l’aide multilatérale, l’aide bilatérale, l’aide sous forme de prêts et l’aide sous forme de dons. Dans ses résolutions, le CICID a modifié le dispositif afin de répondre à des préoccupations dont m’ont fait part votre commission mais également différents acteurs.
Nous avons d’abord pour objectif de consacrer à la composante bilatérale les deux tiers de la hausse moyenne cumulée de la mission budgétaire d’ici à 2022. Autrement dit : les augmentations identifiées dès à présent, pour les deux tiers, seront affectées à l’aide bilatérale pour procéder à un rééquilibrage nous permettant, par différence avec l’aide multilatérale, de décider en propre des finalités de cette aide, donc de sa conformité avec les priorités que je vais vous indiquer dans un instant.
Ensuite, le volume des dons, par rapport à celui des prêts, sera fortement augmenté. Ce second changement nous permettra d’agir sur nos géographies prioritaires et en particulier sur les pays les moins avancés (PMA), comme ceux du continent africain. En effet, quand un pays est très pauvre et très endetté, il ne peut plus prétendre aux prêts.
Enfin, notre stratégie sera mieux pilotée et mieux planifiée grâce à des outils de coordination sur lesquels je vais revenir dans un instant.
Nous voulons également faire en sorte que cette politique nouvelle soit une politique partenariale et, à cet égard, nous avons décidé de renforcer notre relation avec les organisations non gouvernementales (ONG). Nous comptons travailler plus étroitement avec l’ensemble des acteurs et nous doublerons les moyens des ONG d’ici à 2022 pour l’ensemble de ce dispositif puisque ces dernières se plaignaient – avec raison – d’être insuffisamment mobilisées dans la politique de développement et de ne disposer que de 4 % des moyens financiers disponibles. Nous allons ainsi nous approcher de l’objectif, qu’elles avaient fixé, de 10 %.
Nous allons en outre renforcer le pilotage du dispositif. Le Premier ministre réunira plus régulièrement le CICID – au moins une fois par an, afin de déterminer les orientations du Gouvernement – alors qu’il n’était convoqué que très rarement au cours des années précédentes. Au moins une fois par an également sera réuni le conseil d’orientation stratégique de l’Agence française de développement (AFD) qui, lors de sa première réunion qui pourrait se tenir début mai, devra adopter le contrat d’objectifs et de moyens. Enfin sera créé un Conseil de développement, présidé par le chef de l’État, qui se réunira de façon plus épisodique, pour bien affirmer les objectifs quantitatifs et qualitatifs que je viens de vous exposer. Il s’agit donc d’une inflexion très significative que nous allons compléter par une innovation dans la procédure budgétaire.
En effet, nous allons vous proposer, concernant la mission « Aide publique au développement », des documents budgétaires plus lisibles plus identifiables et qui permettront à l’ensemble des acteurs – ainsi bien sûr qu’à la représentation nationale – de bien vérifier la mobilisation des fonds destinés au développement et leur traduction concrète en engagements.
J’ai mentionné le continent africain, qui constitue notre priorité géographique, comme le montre la liste des dix-neuf pays où nos moyens seront concentrés, liste qui comporte deux nouveaux pays : la Gambie – à laquelle nous renouvelons notre soutien après qu’elle a traversé une période de dictature avant de renouer avec la démocratie –, qu’il faut aider même si c’est un petit pays, et le Liberia, lui non plus pas très grand et désormais présidé par un ancien footballeur, élu démocratiquement. Nos entretiens récents avec ce dernier, lors de sa visite à Paris, ont ouvert des perspectives d’autant plus intéressantes en matière de coopération bilatérale que, du fait du caractère assez fermé – pour n’en pas dire davantage – du régime antérieur, cette dernière n’existait pas vraiment.
J’ajoute que nous allons développer notre action dans cinq secteurs, pour faire écho aux priorités fixées par le Président de la République soit dans son discours de Ouagadougou, soit dans les autres déclarations qu’il a pu faire, en particulier, il y a peu, à Dakar, quand il a apporté l’appui de la France au développement de la jeunesse africaine.
La première priorité est la stabilité internationale et la restauration de l’État dans des situations de fragilité, en se donnant les moyens d’un véritable continuum entre sécurité et développement. À cet égard, notre intervention en faveur de l’urgence humanitaire sera sensiblement accrue : à hauteur de 500 millions d’euros. Si une partie de cette urgence humanitaire est traitée par le centre de crise, une autre par l’Agence française de développement, l’ensemble du dispositif pour les situations de crise et de sortie de crise sera important. Nous avons par ailleurs décidé de doubler, pour la porter à 200 millions d’euros d’ici à 2020, ce que l’on appelle une facilité pour l’atténuation des vulnérabilités et la réponse aux crises, mise en œuvre par l’AFD, qui permet d’intervenir dans les situations de sortie de crise. Et cette facilité, déjà déployée dans le cas de l’Alliance pour le Sahel, mais aussi en République centrafricaine (RCA), autour du lac Tchad et sur les pourtours de la Syrie, pourra désormais être utilisée en Libye.
La deuxième priorité est l’égalité entre les femmes et les hommes, qui fera l’objet d’une communication de ma part le 8 mars – vous y avez, madame la présidente, fait allusion.
La troisième priorité, l’éducation, revient au cœur de notre aide publique au développement. C’est le sens de l’engagement du Président de la République à Dakar, aux côtés du président Macky Sall, qui a permis de reconstituer le partenariat mondial pour l’éducation, qui n’est pas un dispositif onusien mais de partenariat avec en particulier la Banque mondiale. Nous avons décidé de multiplier notre effort par dix en passant de 17 millions d’euros à 200 millions pour la période 2018-2020. La France est donc au rendez-vous et elle le sera aussi en matière bilatérale avec 100 millions additionnels pour l’Agence française de développement. Pour mémoire, cette dernière ne dispose aujourd’hui que de 40 millions d’euros de dons par an pour l’éducation de base. Ces actions sur l’éducation seront menées en priorité au Sahel et s’appuieront sur nos objectifs clés : l’égalité entre les filles et les garçons à l’école, la qualité de l’éducation, la lutte contre la radicalisation et l’accès à la formation professionnelle.
La quatrième priorité, après le One Planet Summit qui s’est tenu à Paris en décembre dernier, est la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons relevé notre ambition concernant l’adaptation au changement climatique pour lui consacrer 1,5 milliard d’euros par an dès 2020 contre un objectif de un milliard d’euros fixé par le dernier CICID. Je songe également à la réorientation des actions de l’AFD qui pourraient être compatibles à 100 % avec l’Accord de Paris et, en même temps, aux objectifs réévalués en faveur de la biodiversité.
Enfin, même si elle relève ici plutôt du multilatéralisme, notre action sera significative dans le domaine de la santé. Nous avons pris des engagements historiques que nous tiendrons, avec pour préoccupation permanente de renforcer les systèmes de santé dans les pays en développement.
Avec ces cinq priorités, pour lesquelles son expertise, sa valeur ajoutée, est internationalement reconnue, avec de nouveaux instruments et un profil rénové de l’AFD, la France entend relever le défi du développement durable et des défis globaux dont notre avenir collectif dépend. Ces orientations, vous le constatez, marquent, j’y insiste, une inflexion majeure dans notre politique de développement. Un parlementaire en mission, ici présent, a été désigné et fera des propositions complémentaires d’ici au mois de juin et, à partir de ses propositions, le Gouvernement pourra renforcer et affiner encore ses objectifs – même si les objectifs globaux sont validés par le Président de la République et par le Premier ministre.
J’en viens à présent à la crise migratoire, tout en ayant bien conscience qu’une partie de la question relève de la responsabilité du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Je commencerai par l’évolution globale des flux de personnes cherchant à rejoindre l’Europe. Il y a eu 204 000 enregistrements de migrants aux frontières extérieures en 2017, un chiffre en diminution de 60 % par rapport à 2016 où l’on avait enregistré 511 000 migrants aux frontières de l’Europe. Il convient néanmoins, pour être plus précis, de distinguer deux cas de figure.
D’abord celui des routes où les flux migratoires ont diminué en 2017.
C’est le cas de la Méditerranée orientale avec 31 955 arrivées irrégulières en 2017 contre 174 000 en 2016, soit une diminution de 77 %. Cette baisse très nette des arrivées par voie maritime s’explique par l’application des accords du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie, accords qui, malgré leur fragilité, tiennent. Les principaux pays d’origine, en 2017, dont les ressortissants empruntent cette voie d’accès sont la Syrie, l’Irak et le Pakistan.
Les flux migratoires diminuent également sur la route de la Méditerranée centrale avec 119 000 arrivées en 2017 contre un peu plus de 180 000 en 2016, soit une diminution de 34 %. Cette baisse s’explique par un meilleur contrôle des départs par les garde-côtes libyens ainsi que par les actions menées au Niger sur les filières empruntant cette route. Les principaux pays d’origine, en 2017, étaient le Nigeria, le Bangladesh et la Côte-d’Ivoire.
Enfin, par la route des Balkans, on a compté plus de 11 800 arrivées contre 130 000 en 2016, soit une baisse de 91 %, les principaux pays d’origine, en 2017, étant ici le Pakistan, l’Irak et l’Afghanistan.
Toutefois, et il s’agit du second cas de figure annoncé, nous ne devons pas ignorer que d’autres routes ont connu une augmentation des arrivées irrégulières en Europe. C’est le cas de la Méditerranée occidentale – c’est nouveau –, sur une échelle, il est vrai, moindre avec 21 000 arrivées en 2017 contre 8 000 en 2016 pour les flux maritimes et, pour les flux terrestres, 1 400 arrivées en 2017 contre 820 en 2016. Si ces chiffres, je le répète, sont moins importants, il faut néanmoins rester vigilants puisque l’augmentation des flux en Méditerranée occidentale a conduit l’agence FRONTEX à transformer l’opération navale Indalo en opération permanente afin d’assurer une meilleure prise en compte de ces nouveaux flux. Les principaux pays d’origine, en 2017, dont les ressortissants prennent cette voie sont, par la mer, la Côte-d’Ivoire et le Maroc, et, par terre, la Syrie, l’Algérie et la Guinée.
On constate par ailleurs une augmentation des arrivées à la frontière terrestre gréco-turque : 5 400 en 2017 contre un peu plus de 3 000 en 2016 avec, pour principaux pays d’origine, la Syrie, le Pakistan et la Turquie.
Je tiens en outre à souligner, en ce qui concerne ma compétence de ministre des affaires étrangères, la diminution de 43 % des demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union européenne. On en a recensé 700 000 en 2017 contre 1,2 million en 2016, demandes d’asile venant essentiellement de Syriens, d’Irakiens, d’Afghans et de Nigérians. Le taux d’admission à l’asile a été, en première instance, de 40 % dans l’ensemble de l’Union européenne.
Pour faire face à cette situation, nous avons pris, surtout en ce qui concerne la route de la Méditerranée centrale, des initiatives d’ensemble, en particulier au moment du sommet d’Abidjan où, en novembre dernier, le Président de la République a réuni les principaux chefs d’État et de gouvernement concernés, surtout, par la gestion migratoire – majeure – de la Libye. Vous le savez, et c’est pour le ministre des affaires étrangères une préoccupation permanente, il y a plusieurs centaines de milliers de migrants qui sont présents, clandestinement, dans ce pays, certains depuis longtemps, la guerre puis la guerre civile en en ayant fait des migrants de fait alors qu’ils étaient auparavant, pour nombre d’entre eux, des employés clandestins venus avec leur famille. S’y ajoutent les mouvements qui se sont produits depuis, provenant de l’Afrique subsahélienne.
À l’issue de la réunion d’Abidjan, une feuille de route claire a été adoptée rappelant la nécessité d’une action concertée en appui au travail du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en Libye, avec le soutien de l’ensemble des pays présents, mais aussi de l’Union africaine qui a décidé de prendre ses responsabilités – et qui, très concrètement, les prend. Il s’agit, de façon systématique, d’agir sur les trois segments de la migration – je parle toujours de cette voie centrale qui est la plus sensible du point de vue de ma responsabilité.
Il convient dans un premier temps d’agir sur les pays d’origine des migrants par un effort de développement – je viens de l’évoquer –, par une aide au retour et à la réinstallation et par la facilitation de l’immigration régulière des étudiants et des chercheurs – il s’agit donc d’un mouvement dans les deux sens : permettre, je le répète, en échange de cette politique de vigilance et de clarté avec les pays d’origine, une immigration des étudiants et des chercheurs, grâce notamment au « passeport talent » que nous avons mis en place.
Ensuite, dans les pays et les zones par lesquels transitent les migrants, comme le Niger – traversé en 2016 par 300 000 migrants –, le Tchad ou la Libye, nous entendons favoriser l’aide au retour dans les pays d’origine, du fait, en particulier, des conditions particulièrement inhumaines que connaissent les migrants dans les camps, en particulier en Libye. J’ai eu l’occasion moi-même de m’y rendre et j’ai pu dire clairement aux autorités libyennes qu’elles devaient faciliter l’accès des organisations internationales, l’OIM et le HCR, à ces camps pour en améliorer la gestion et permettre à ceux qui veulent retourner dans leur pays d’origine, de le faire, et ils sont très nombreux. J’ai pu constater que l’action de l’Union africaine s’était en la matière révélée particulièrement positive. Aussi ce mouvement s’organise-t-il et se fait-il de manière beaucoup plus correcte qu’auparavant. J’évoque bien, ici, les camps de migrants identifiés et organisés car dans d’autres camps, tenus par des passeurs, en particulier dans le sud de la Libye, les migrants vivent généralement dans des conditions épouvantables, de semi-esclavage, et les reportages que vous avez pu voir concernent ces camps qui ne dépendent d’aucune autorité, pas même de l’autorité libyenne – l’Union africaine s’est ainsi engagée à essayer d’agir. Les autorités libyennes ont pu faire montre d’inattention, dirai-je puisque cette audition est publique, quant à l’administration des camps dont elles avaient la responsabilité ; mais, honnêtement, grâce à une prise de conscience de leur part, ce n’est plus le cas désormais, du moins selon les dernières informations dont je dispose – et j’ai pu moi-même constater un réel mouvement de migrants retournant chez eux.
Nous avons par ailleurs envoyé des missions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans ces mêmes camps pour repérer des personnes pouvant accéder au statut de réfugié, non pas pour le leur délivrer puisque cela n’est possible que sur le territoire national, mais pour identifier celles qui étaient susceptibles d’en bénéficier. Nous agissons en la matière avec le HCR, ce qui permet d’engager un processus de réinstallation et d’accueil sur notre territoire pour les personnes qui peuvent réellement, j’y insiste, prétendre au statut de réfugié. Ce dispositif est surtout appliqué au Niger où je vais me rendre la semaine prochaine en compagnie de Gérard Collomb. Nous entendons examiner de quelle manière, dans les zones de transit, on identifie les personnes qui peuvent bénéficier du statut de réfugié et celles qui n’en bénéficieront en aucun cas, ces dernières devant en être informées. C’est un moyen de résoudre la question en amont et de le faire de la manière la plus humaine.
Enfin, troisième lieu d’action : l’Europe où doivent s’appliquer deux principes, l’humanité et l’efficacité. Gérard Collomb vous en a sans doute déjà entretenus. Nous assumons tous nos responsabilités au titre de l’asile, grâce au travail que mène l’OFPRA. Nous sommes également mobilisés pour parvenir à un accord entre États européens sur la réforme du régime d’asile – sept projets sont en discussion. Notre responsabilité, c’est aussi, lorsque les demandes d’asile ou de titres de séjour sont rejetées, de veiller à ce que le retour dans les pays d’origine ait lieu dans des délais raisonnables, même s’il apparaît nécessaire de modifier, à l’échelle européenne, les dispositifs d’asile en vigueur – travail difficile en cours.
Je tiens à souligner, à cet égard, l’implication accrue de nos partenaires européens sur cette ligne définie à Abidjan avec nos partenaires africains et souligner en particulier la place que prennent un certain nombre d’acteurs dans cette politique : le Danemark, les Pays-Bas, mais aussi l’Italie et l’Allemagne.
Enfin, dernier point, mais peut-être celui dont on parle moins et qui me paraît le plus important pour l’avenir : nous voulons mener une lutte résolue contre les trafiquants d’êtres humains. Les organisations criminelles sont les premières responsables des drames qui se jouent sur les routes d’Afrique, en Libye et en Méditerranée, et c’est pourquoi la France souhaite que des sanctions internationales soient prises contre les principaux réseaux de passeurs opérant en Libye. Je vous rappelle la déclaration présidentielle au Conseil de sécurité des Nations unies sur le sujet. Nous souhaitons que soit mis en place un régime européen de sanctions autonomes à l’encontre des passeurs et des trafiquants sur l’ensemble des routes migratoires.
Il faut traiter ce dossier comme on traite un dossier militaire et faire en sorte qu’on dispose de renseignements et qu’on puisse les confronter afin d’identifier les réseaux criminels, d’identifier les acteurs pour ensuite les rendre publics et appliquer des sanctions bancaires. Mettre en place un tel dispositif est une nécessité, et c’est fort de ma double expérience que je l’affirme. En effet, les trafics se cumulent : drogue, armes, hommes. Or, jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas préoccupés de savoir qui faisait quoi, et les criminels en question exercent des pressions insupportables, dans les camps, en exigeant toujours plus d’argent, en torturant… tout en se livrant au trafic de drogue… Nous avons donc là une mission de première importance à remplir, en partie de ma responsabilité, en partie de celle du ministre d’État, ministre de l’intérieur – et lui et moi sommes tout à fait en phase en la matière, si bien que nous pouvons aboutir rapidement.
J’en viens à l’Europe. Le débat qui s’ouvre sur le cadre financier pluriannuel – qui couvrira l’ensemble de la trajectoire budgétaire européenne pour la période 2021-2027 – est majeur. Nous souhaitons que la question des migrations soit inscrite parmi les priorités du cadre financier, car elle est centrale. Les premières discussions qui ont eu lieu lors du Conseil européen de décembre ont fait apparaître un consensus sur ce sujet ; encore faut-il qu’il soit maintenu à l’avenir. S’agissant de l’aide européenne au développement, autre enjeu essentiel, il faudra veiller à ce que le renouvellement des Accords de Cotonou – accords de coopération entre l’Europe d’une part et, d’autre part, les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) – en 2020 tienne compte des sujets que j’ai évoqués. Enfin, le Fonds fiduciaire d’urgence (FFU), créé lors du sommet de La Valette après la première grande vague migratoire pour renforcer le contrôle des frontières, doit être de nouveau abondé et la France a décidé de tripler sa participation à ce Fonds qui, pour ce qui nous concerne, est notamment destiné au Sahel.
Le Président de la République a rappelé à chacune de ses grandes interventions sur la politique étrangère que l’ambition de la France consiste à participer à la construction d’une Europe puissante, capable de défendre ses intérêts, de protéger, de promouvoir ses normes et d’avoir sa propre vision des relations internationales ; c’est l’intérêt de notre pays qu’il en soit ainsi. Dans le contexte de la mondialisation, en effet, l’Europe est le niveau le plus efficace pour peser dans les rapports de force, et nous avons pour ce faire besoin d’une Europe unie.
La perspective de la constitution d’un gouvernement de coalition outre-Rhin est donc une bonne nouvelle car le couple franco-allemand doit jouer pleinement son rôle d’entraînement de l’ensemble des États membres de l’Union. À cet égard, il est particulièrement bienvenu que l’accord de coalition – désormais validé, le gouvernement allemand devant être constitué le 14 mars – réserve une place importante aux questions européennes et atteste d’une forte convergence de vues entre nos deux pays, notamment sur des sujets sur lesquels la convergence n’allait pas de soi comme la réforme de la zone euro.
La force du moteur franco-allemand sera d’autant plus nécessaire qu’il faudra lutter contre le scepticisme qui gagne du terrain dans plusieurs pays membres de l’Union, le cas le plus marquant étant celui de l’Italie, pourtant pilier historique de la construction européenne, dont on constate les orientations politiques. Le même scepticisme et les mêmes populismes s’observent en Pologne et en Hongrie.
Les prochains mois seront décisifs pour dessiner l’Europe de demain. Plusieurs échéances définiront ce à quoi l’Union européenne ressemblera pendant plusieurs années, à commencer par les élections européennes de 2019, qui seront un scrutin majeur – sans doute le plus important depuis plusieurs années. Elles permettront l’entrée en fonction d’une nouvelle Commission – sans le Royaume-Uni, j’y reviendrai. Nous avons proposé et défendu le principe d’une circonscription européenne dans laquelle serait élue une petite partie des députés européens sur des listes transnationales, à la faveur des sièges libérés par le retrait britannique ; nous n’avons pas été soutenus, mais nous continuerons à défendre ce principe à l’avenir.
Vous avez constaté que le Conseil n’a pas retenu le principe selon lequel le prochain président de la Commission serait désigné parmi les têtes de liste des partis politiques européens. Il a préféré, pour que le président remplisse pleinement son rôle, qu’il soit tenu compte du résultat des élections, mais estimé que l’interprétation du Traité de Lisbonne sur ce point ne possédait pas de caractère automatique.
Enfin, des consultations citoyennes seront organisées dans les semaines qui viennent dans les 27 États membres – hors Royaume-Uni donc – pour mobiliser les citoyens autour des enjeux européens, de sorte qu’ils s’interrogent sur le fonctionnement et les objectifs de l’Union et sur l’Europe que nous souhaitons pour demain. C’est un enjeu essentiel.
Dans le même temps, le débat s’ouvrira concernant le cadre financier pluriannuel, qui est au cœur des discussions du Conseil européen informel et le sera bientôt pour toutes les parties prenantes. En raison des priorités nouvelles que sont les migrations, la défense, la mobilité et la jeunesse, nous souhaitons quant à nous la remise à plat du système des rabais, largement supporté par la France seule – ce qui n’aura plus lieu d’être après le Brexit et la disparition du « chèque britannique ».
Nous souhaitons également moderniser les politiques « traditionnelles » – la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion, qui consomment plus de 70 % du budget européen – sans pour autant revenir sur nos intérêts. La France souhaite en effet une PAC forte, protectrice des agriculteurs, et une politique de cohésion au service des territoires les plus fragiles, qui tienne compte des spécificités des territoires ultramarins. Ces politiques doivent être plus efficaces, plus lisibles, plus simples pour leurs bénéficiaires. De plus, nous prônons l’introduction d’une règle de conditionnalité des aides de cohésion liée à l’État de droit et à la convergence fiscale et sociale, car il est inacceptable que le budget européen finance des États qui s’écartent des valeurs européennes et qui refusent la solidarité lorsqu’elle ne leur bénéficie pas directement. Enfin, nous souhaitons introduire de nouvelles ressources propres qui pourraient par exemple s’appuyer sur une fiscalité environnementale ou une taxation des entreprises numériques.
Ces négociations sur le cadre financier vont s’ouvrir ; elles seront un moment difficile pour l’harmonie entre les États membres, et ce d’autant plus que de nouvelles contraintes sont apparues – le retrait britannique et les nouvelles politiques souhaitées. Nous devons nous y préparer. La Commission souhaite que le cadre financier pluriannuel soit adopté avant la tenue des élections européennes ; cela pose question, car le nouveau Parlement et la nouvelle Commission auraient dès lors à gérer un budget qu’ils n’auront pas eux-mêmes décidé. D’autres souhaitent que cette adoption soit repoussée ; ces sujets sont ouverts, mais je tenais à les évoquer devant vous par anticipation.
Je conclurai par le Brexit. Le 19 avril dernier, le Conseil européen a défini trois sujets prioritaires en vue de l’accord de retrait du Royaume-Uni : les droits des citoyens, le règlement financier et la frontière irlandaise. Le 15 décembre, le Conseil a reconnu que des progrès suffisants ont été accomplis dans ces trois domaines. Ces premiers résultats permettent d’ouvrir la deuxième phase de négociations qui s’articule autour de trois axes de travail.
Le premier concerne l’accord de retrait : certains points doivent être précisés, en particulier concernant la frontière irlandaise. Ensuite, plusieurs questions en suspens doivent également être abordées, comme les droits de propriété intellectuelle et les procédures de marchés publics. Enfin, il faudra transcrire tous ces éléments dans un texte juridiquement contraignant – c’est l’objet de la proposition que Michel Barnier a opportunément présentée la semaine dernière et que nous examinons.
Deuxième axe : il faudra définir les modalités de la transition, dont nous souhaitons qu’elle dure du 30 mars 2019, date du retrait effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne, au 31 décembre 2020 au plus tard. Durant cette période, le Royaume-Uni, devenu État tiers, continuera d’appliquer les règles de l’Union sans participer aux processus de décision ni aux institutions ; ces modalités de transition seront reprises dans l’accord de retrait.
Le troisième axe, enfin, consistera à fixer le cadre de nos relations futures. À la fin du mois, le Conseil européen devrait adopter des orientations révisées afin de négocier une déclaration politique qui déterminera les grandes lignes de la nature de ces relations et qui sera jointe à l’accord de retrait, l’un et l’autre texte devant être approuvés avant le retrait britannique. L’accord juridiquement contraignant transcrivant ces orientations ne sera quant à lui négocié qu’une fois le Royaume-Uni redevenu un État tiers, durant la période de transition.
Voilà où nous en sommes. Le Royaume-Uni a vivement réagi au texte proposé par Michel Barnier, qui regroupait l’ensemble des éléments dont il disposait jusqu’à présent. Dans sa déclaration de vendredi dernier, Mme May a légèrement fait bouger les lignes, mais pas en profondeur. Nous pouvons donc nous attendre à des discussions très fortes sur l’ensemble du dispositif et, dans l’immédiat, sur l’accord de retrait et de transition, y compris la question irlandaise. La proposition de Michel Barnier concernant l’alignement réglementaire complet entre les deux Irlande ne convient pas à la majorité britannique, comme le montre la réaction de Mme May, mais, à ce stade, les solutions alternatives sont inexistantes. De ce point de vue, nous entrons dans une période compliquée.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je suis saisie de vingt demandes d’intervention, mais, le ministre devant nous quitter à dix-huit heures trente, je propose de donner la parole aux représentants des groupes politiques et à trois ou quatre députés ayant une question cruciale à poser.
M. Rodrigue Kokouendo. Après dix années de ce qui peut être qualifié de retrait ou du moins d’affaiblissement de l’aide publique française au développement, le Gouvernement a choisi de relancer une politique d’aide ambitieuse qui devrait permettre à la France de redevenir l’un des leaders européens en la matière. Les conclusions du CICID et les cinq orientations majeures fixées à cette occasion traduisent bien cette volonté, ce dont on ne peut que se féliciter. Notre commission travaille d’ailleurs sur le sujet puisqu’elle a créé une mission d’information sur l’aide publique au développement, que j’ai l’honneur d’animer avec Mme Bérengère Poletti.
Je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sur la nouvelle politique d’aide française dans le cadre de la hausse du financement de l’APD. Comment comptez-vous mieux coordonner les projets d’aide étant donné les très nombreux programmes budgétaires consacrés à l’APD et globalement partagés entre le Quai d’Orsay et Bercy ? Comment la France entend-elle réorienter son positionnement en matière d’APD au sein de l’Union européenne après le Brexit, sachant que le Royaume-Uni est l’un des principaux bailleurs ?
La question des migrations est également au cœur des débats de notre commission. Pour faire le lien avec l’APD, je tiens à relayer l’inquiétude de certains acteurs suite à l’inscription dans les conclusions du CICID de la lutte contre les migrations irrégulières parmi les objectifs de l’APD. Notre commission a récemment auditionné Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, qui ont tous deux souligné l’urgence de renforcer notre coopération avec les pays de départ. Vous avez vous-même, monsieur le ministre, participé au début du mois à une conférence ministérielle européenne sur les migrations. Quelles sont les avancées concrètes concernant les actions à venir sur le plan européen ?
Enfin, Mme Theresa May a appelé la semaine dernière au pragmatisme dans les négociations relatives au Brexit. Quel est votre sentiment sur l’avancée des négociations ? Quel regard portez-vous notamment sur la première version du traité qui vient d’être publiée ?
Mme Bérengère Poletti. J’avais prévu, monsieur le ministre, de vous interroger sur l’accord sur l’environnement, sur l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore sur l’accès à l’éducation – un chantier immense dans le domaine de l’aide au développement, sujet sur lequel M. Kokouendo et moi-même menons actuellement des auditions. L’augmentation du budget de l’aide au développement pour 2018 est déjà absorbée par le Fonds européen de développement (FED) ; malheureusement, il ne se présentera donc pas de nouvelles marges cette année. Les objectifs sont pourtant considérables. La commission a d’ailleurs dépêché certains de ses membres au Mali, où ils ont constaté des besoins énormes alors que la lisibilité de la politique française d’aide au développement n’est pas toujours au rendez-vous. La réforme à venir devra donc comprendre un effort d’évaluation et il conviendra d’en améliorer la lisibilité pour nos concitoyens et de communiquer les résultats de l’évaluation.
Permettez-moi d’évoquer un sujet qui n’a pas encore été abordé : la situation à Mayotte, en particulier la relation qu’entretient ce département avec les autres îles de l’archipel. Mayotte est secouée par un mouvement de protestation populaire contre l’insécurité lié à la pression migratoire explosive en provenance des Comores. Lors de la dernière commission mixte franco-comorienne en décembre, l’Union des Comores a réclamé plus de 750 millions d’euros sur cinq ans à l’AFD. Quelle est votre analyse ?
M. Bruno Joncour. Monsieur le ministre, vous avez rappelé l’ambition du Président de la République dans le domaine de l’aide au développement, avec une impulsion et des moyens nouveaux. Quelle sera la déclinaison pratique et concrète de cette politique, de sorte qu’elle soit lisible et bien identifiée, connue et reconnue comme politique de l’État et du Gouvernement ? En effet, elle apparaît trop souvent comme étant déléguée à des instances et organismes qui ont certes leur importance, mais au détriment de la lisibilité de la politique – a fortiori alors que celle-ci va connaître un nouvel élan.
D’autre part, quelle impulsion le Gouvernement entend-il donner à la coopération décentralisée, dont chacun sait qu’elle concrétise l’implication de nombreux territoires et acteurs ? En complément de l’action de l’État, la coopération décentralisée consiste en effet en projets concrets et utiles reposant à l’échelle locale sur des relations humaines bilatérales qui, à mon sens, constituent un bien précieux.
M. Maurice Leroy. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel constituent un enjeu central pour l’Europe mais aussi pour la France. Il n’est pas nécessaire de rappeler, après les élections qui se sont déroulées en Autriche, en Allemagne et, plus récemment, en Italie, combien le contexte actuel, unique, se caractérise par un scepticisme sans précédent à l’égard de l’Union européenne. Au nom du groupe UDI et en tant que rapporteur de la commission sur le prélèvement européen, je suis donc convaincu que le temps est venu de rendre les modes de financement de l’Union plus efficaces, lisibles et responsables sur le plan démocratique, car c’est un élément essentiel du rétablissement de la confiance envers l’Union et de la légitimité de son action.
D’autre part, le Brexit constitue un défi majeur pour le budget de l’Union et la négociation du règlement financier fait peser un risque considérable sur ses finances. La préparation du cadre financier pluriannuel postérieur à 2020, qui doit tenir compte du retrait du Royaume-Uni, doit être l’occasion de remettre à plat les différents rabais en vigueur. Par ailleurs, vous avez brièvement abordé la question de la fiscalité écologique et le numérique : il est important que notre commission soit informée sur ces nouvelles ressources propres.
M. Alain David. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger sur l’offensive turque contre les Kurdes à Afrin, dans le nord de la Syrie. Cette attaque oblige les Kurdes à se détourner pour partie du combat contre DAECH, notamment sur le front de Deir-ez-Zor. Surtout, ces combats et ces bombardements ciblent des populations civiles. Comment la diplomatie française entend-elle agir et réagir vis-à-vis d’Ankara afin de mettre un terme à cette opération susceptible de déstabiliser la coalition anti-DAECH, qui portait ses fruits ?
A Afrin, les tensions entre la Turquie et le régime syrien au sujet des Kurdes menace de tourner au conflit ouvert. Il y a quelques jours, la Syrie a également été le théâtre de confrontations entre l’Iran et Israël. La guerre civile, désastre humanitaire qui dure depuis sept ans, prend une tournure de plus en plus dramatique. Le quartier de la Ghouta, à l’est de Damas, où 400 000 civils sont assiégés depuis 2013 par les forces du régime, a été touché par des bombardements massifs. Le régime de Bachar al-Assad est une nouvelle fois soupçonné d’avoir utilisé des armes chimiques dans le silence assourdissant de la communauté internationale – sauf de la France, si j’ai bien compris.
Les négociations entre la Russie, l’Iran et la Turquie, qui devaient conduire à une désescalade dans la région, montrent leurs limites. La France doit prendre ses responsabilités et demander la convocation immédiate du Conseil de sécurité. Face au risque d’embrasement, l’ONU doit reprendre en main ce dossier déjà brûlant.
Mme Clémentine Autain. La France est l’un des premiers fournisseurs d'armes à l'Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. Ces monarchies ont signé plusieurs contrats d'armement avec Paris pour des milliards de dollars, et ces armes sont utilisées dans la guerre que mènent ces pays au Yémen. Florence Parly a récemment indiqué, sur France Inter, que « l'utilisation des armes une fois livrées est normalement encadrée. Mais les conflits peuvent évoluer. Qui pouvait imaginer la survenance de ce conflit au Yémen ? »
Après plus de trois ans de conflit, le Yémen est aujourd'hui dans une situation dramatique. Cette guerre a fait plus de 10 000 morts et 3 millions de déplacés, victimes directes des combats et des bombardements.
La politique de la France concernant l'asile et l'immigration est paradoxale : d'un côté, nous restreignons l'accès à nos frontières ; de l'autre, nous vendons des armes qui servent à déstabiliser une région tout entière. Pourquoi la France continue-t-elle de vendre des armes à ces pays ? Nos principes humanistes doivent-ils être sacrifiés sur l'autel de la diplomatie du Rafale et des bénéfices de l'industrie de l'armement ?
Monsieur le ministre, vous avez parlé de la situation dans la Ghouta orientale, où la trêve n'a pas été respectée par le régime d'Assad. Les bombardements continuent et la situation est dramatique pour la population civile, prise au piège. Cela m'amène à vous poser une autre question.
La semaine dernière, le journal Libération a confirmé que le Quai d'Orsay était bien au courant des liens commerciaux entre l'entreprise Lafarge et le groupe DAECH. Ces aveux à mi-mots, après de nombreuses hésitations, pointent la responsabilité de la diplomatie française dans ce dossier. Très peu d'actes ont permis de réduire les sources de financement des groupes terroristes, ceux-là mêmes qui ont poussé sur la route de l'exil des millions de réfugiés syriens. Au moment du scandale Lafarge, seul le député François Asensi avait demandé la réouverture de la commission d'enquête parlementaire sur les financements des groupes terroristes. Cette demande a été rejetée, tout comme l’amendement que notre groupe a présenté en septembre.
Alors que l'entreprise Lafarge est en train de rénover la cour d'honneur de l'Assemblée nationale, je vous demande quel degré de connaissance exacte de la situation avait le ministre des affaires étrangères de l’époque.
M. Jean-Paul Lecoq. Les sujets sont nombreux, et je me propose de les aborder en rafale – sans jeu de mots. Sur le Brexit, la façon dont les négociations avancent me donne le sentiment que les Britanniques vont parvenir à démontrer qu'ils gagneront encore plus à sortir de l’Europe ; cela encouragera ceux qui considèrent qu'il vaut mieux être au dehors plutôt qu’à l’intérieur.
Vous n’avez pas évoqué, monsieur le ministre, la question des travailleurs détachés, dont je rappelle que c’était le grand sujet de campagne du Président de la République. Où en est-on aujourd'hui ?
Alors que les peuples européens aspirent à la souveraineté des peuples et à une Europe des États, tout se met en œuvre pour une intégration des États dans l'Europe, notion sur laquelle vous insistez, en proposant notamment des listes transnationales. Vous répondez donc l'inverse de ce qu'attendent les populations.
S’agissant des migrations, vous avez montré des cartes centrées sur la France métropolitaine et le continent européen, sans évoquer les migrations depuis les territoires européens vers le monde. Mais je ne doute pas que vous aborderez ce sujet la prochaine fois.
J’imagine aussi que vous parlerez de l’immigration que connaît le dernier département français, Mayotte, et de ses relations avec les Comores en matière d'aide au développement. Mon groupe, par ma voix, est le seul à s'être opposé à la départementalisation de Mayotte et nous continuons de dire que ce n'était pas un bon choix. Il faut aujourd'hui travailler au respect de la résolution des Nations unies concernant Mayotte.
Je conclus avec l'aide au développement. Je rencontre beaucoup d'étudiants chercheurs étrangers, qui font leurs études en France puis y trouvent un emploi, répondant ainsi aux besoins de notre pays, notamment en ingénieurs. Je me demande si les projets de ces étudiants étrangers de très haut niveau ne pourraient pas se transformer, en lien avec les universités et les grandes écoles et grâce à l'aide au développement, en projets de développement dans leur pays d'origine.
M. Hubert Julien-Laferrière. La loi d'orientation et de programmation du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite « loi Canfin », comportait une clause de rendez-vous en 2014. Une nouvelle loi de programmation sur l'aide publique au développement concrétiserait sans aucun doute l'ambition du Président de la République, confirmée par le CICID.
Par ailleurs, il a été décidé lors de la dernière réunion du CICID que les deux-tiers de la hausse des autorisations d’engagement de la mission budgétaire APD seront consacrés à l’aide bilatérale. Or celle-ci ne comprend pas seulement la mission budgétaire APD, mais aussi les frais d’écolage ou encore les crédits relatifs à l’asile et à l’immigration. Or ces deux dernières politiques relèvent du bilatéral. Pouvez-vous confirmer que les deux tiers de la hausse contribueront bien à la composante bilatérale de la mission APD ?
Mme Laurence Dumont. Parlant de l’immigration, vous avez dit qu’il fallait agir sur les pays d'origine. Je réitère une question que je pose à tous nos interlocuteurs et aux représentants de l'Union européenne, et dont je vous ai fait part dans un courrier en 2017. Pourquoi le projet de « grande muraille verte », impliquant onze pays africains, de la Mauritanie à Djibouti, et qui a pour objet de lutter contre l'avancée du désert et d'assurer le développement économique des communautés locales, ne peut-il pas bénéficier du Fonds fiduciaire d'urgence (FFU) ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à obtenir de l’Union européenne un engagement en ce sens ? C'est pour moi un mystère, et je n’obtiens pas de réponse claire à cette question.
Mme Mireille Clapot. Je suis rapporteure, avec Laurence Dumont, de la mission d’information sur les droits des femmes dans la diplomatie française. Nous pensons que la parole de la France est importante, alors que des pays très conservateurs remettent en cause les droits des femmes. Que pouvons-nous faire pour porter cette parole de façon offensive ? Comment promouvoir la place des femmes, non en tant que victimes, mais comme actrices de la transition technologique et de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ?
M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre, dites-nous du bien des Kurdes ! On s'occupe beaucoup de Damas, mais nous n’avons plus de nouvelles sur ce qui se passe entre les Turcs et les Kurdes. Pour connaître les uns et les autres, j’ai bien peur que cela ne soit humanitairement sanglant.
Par ailleurs, je trouve que l’on ne parle pas assez des problèmes démographiques. Votre ministère doit comprendre qu’au-delà des migrations, c’est le taux de fécondité qui pose problème ! On ne peut pas continuer avec des courbes à sept enfants par femme, c'est impossible ! Qu’envisage-t-on au niveau européen pour une politique intelligente, humaniste et humanitaire en faveur de la limitation des naissances dans les pays du Sahel ?
M. Jean-François Mbaye. Notre commission a été saisie pour avis sur le projet de loi de programmation militaire. Dans le cadre de la crise migratoire, pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur l'articulation entre la réponse sécuritaire à court terme et l’effort à plus long terme en matière de développement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, hélas, je ne suis pas toujours maître de mon agenda ! Des événements extérieurs ou la visite de hautes personnalités m’obligent parfois à partir plus tôt que prévu. Je suis prêt à revenir devant votre commission, car je ne pourrai pas répondre à l’ensemble de vos questions aujourd’hui. Il me faut procéder à la hache, ce qui est frustrant, aussi bien pour moi que pour vous.
Ce n’est pas une nouveauté, et cela risque de durer : je ne partage pas l'avis de M. Lecoq sur le Brexit. (Sourires.) Contrairement à ce qu’il a dit, les Britanniques sont en train de prendre conscience, de façon progressive mais forte, qu’ils ont fait une très grosse bêtise. Je le dis en sachant que cette audition est publique.
Par ailleurs, Michel Barnier a fait clairement état des positions de l’Union et dressé un bilan d’étape sur l'accord de retrait. S’il est logique que la Première ministre ait fait part de sa réaction, nous ne connaissons pas encore le positionnement de la Grande-Bretagne sur le statut futur de sa relation avec l'Union européenne, ce qui constitue pour le moins une difficulté.
D’après les informations que j’ai en ma possession, la discussion sur les travailleurs détachés se poursuit au Parlement européen sur des bases assez positives – les mutations et l’adaptation à la directive telle que proposées par le Président de la République.
Pour répondre à M. Leroy, nous avons pris position sur la question du rabais britannique et estimons que le moment est venu de régler cette affaire. Pour parvenir à un financement supplémentaire nouveau, il faut développer les ressources propres, en instaurant une fiscalité sur le numérique ou une fiscalité environnementale, comme la taxe carbone, ainsi que l’a évoqué le Président de la République lors de son discours de la Sorbonne. Nous mettrons ces sujets sur la table des Vingt-Sept, dans le cadre de la préparation du cadre financier 2021-2027.
Madame Dumont, le projet de « grande muraille verte », auquel je suis très favorable, ne relève pas de l’urgence immédiate mais de la politique à long terme. À ce titre, il faut mobiliser le Fonds vert pour le climat plutôt que le FFU.
Je n’évacue absolument pas la question des Kurdes et des Turcs, monsieur Goasguen. Nous serons mobilisés dans les jours qui viennent sur la question de la Ghouta orientale, mais la trêve vaut pour toute la Syrie et s’impose aussi à Afrin, ainsi que je l’ai dit à mon homologue turc. On sait que les Kurdes, dans le cadre des forces démocratiques syriennes, ont joué un rôle important pour la reprise de Raqqa. Nous avons fait savoir aux Turcs que nous regrettions leur intervention et leur pénétration dans la zone d’Afrin et nous leur avons conseillé vivement d’y mettre fin.
M. David souhaite que l’on réunisse le conseil de sécurité de l’ONU. La France, en tant que membre permanent, a fortement appuyé la réunion qui a abouti au vote à l’unanimité de la résolution sur la trêve. Le Conseil de sécurité se réunira de nouveau dans quelques jours pour évaluer la façon dont la résolution est respectée, compte tenu des difficultés dont j’ai fait état dans mon propos introductif.
Monsieur Julien-Laferrière, le CICID n’a pas conclu à une nouvelle loi de programmation. En revanche, un dispositif de pilotage renforcé devrait nous apporter une vision plus claire sur la mise en œuvre des politiques. En effet, l’engagement doit revêtir un caractère régulier et le chargé de mission pourra faire des propositions en ce sens.
Il est important que nos concitoyens s’approprient mieux les enjeux de l’aide au développement et que les acteurs privés soient plus nombreux à se mobiliser, en complément des politiques publiques. Il faut pour cela un dispositif plus efficace pour piloter les programmes 209 et 110. Aussi bien pour l’aide économique et financière au développement que pour la solidarité à l'égard des pays en développement, nous devons identifier ce qui relève du prêt et ce qui relève du don.
L’engagement le plus fort pris par le CICID est bien la trajectoire ascendante des financements consacrés à l’APD, leur part dans le RNB évoluant progressivement. Ainsi, les autorisations d’engagement atteindront 1 milliard d’euros en 2019.
M. Joncour sait qu’il existe une commission nationale de la coopération décentralisée, qui devra se réunir pour acter les conclusions du CICID. Par ailleurs, il existe au sein de la mission APD un dispositif d’un montant de 82 millions d’euros, qui transite par les collectivités partenaires. La facilité de financement des collectivités territoriales françaises – FICOL – est un fonds susceptible d’être mobilisé par la délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales de mon ministère, afin d’enrichir les actions extérieures des collectivités locales.
Nous avons fait une part importante du chemin, mais il est vrai que la déclinaison pratique et concrète est souvent illisible. C’est la raison pour laquelle nous avons modifié le dispositif de pilotage et l’organisation globale de la politique de développement. Je suis moi aussi désireux de voir la coopération décentralisée prendre toute sa place, y compris dans le conseil du développement que mettra en place le Président de la République. Il importe que les collectivités soient très présentes dans ce domaine.
Monsieur Kokouendo, je crois avoir répondu à vos questions dans mon propos initial. Je n’ai pas dit qu’il y avait un lien direct entre l’appui direct au développement et la politique migratoire. Je connais la sensibilité de certaines organisations à cette bonne distinction. Je la fais mienne et me situe sur la même ligne que M. Peter Maurer.
Madame Autain, la situation au Yémen me préoccupe beaucoup. Nous avons pris des initiatives avec les Iraniens, les Saoudiens et les Émiratis pour qu’une solution politique soit trouvée. Il est vrai qu’il y a des armes saoudiennes et émiratis, mais il y a aussi des armes iraniennes – il y a des armes partout. Le problème, c’est la souveraineté des États, qui engagent leurs propres armées dans une guerre absurde.
Nous souhaitons voir rapidement l’amorce d’une solution politique sous l’autorité du nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Martin Griffiths. Des crises qui secouent la région, c’est sans doute celle qui serait la plus facile à régler s’il y avait, de part et d’autre, une volonté politique. Sans doute les Nations unies peuvent-elles jouer un rôle important à cet égard. La France les soutient et les accompagne et nous demandons à nos interlocuteurs de mettre en place des dispositifs humanitaires.
L’affaire Lafarge est à l’instruction ; je n’ai pas d’éléments particuliers à vous donner.
Madame Poletti, la situation actuelle à Mayotte a fait l’objet d’une discussion approfondie à la commission mixte France-Comores, que je préside. En dehors de ce que pourra faire la ministre chargée des outre-mer, Moroni a besoin d’une aide au développement ; chacun doit remplir ses obligations. Compte tenu de l’accélération de la crise, il faudra que la commission mixte se réunisse à nouveau. Que les représentants des deux bords se parlent constitue en soi une avancée, mais je tiens à présider cette instance pour faire progresser la relation – un travail qui demandera du temps.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je veux rappeler qu’une mission sur les Comores sera créée en 2018.
Monsieur le ministre, je vous remercie. Je propose que nous vous entendions une fois par mois, et plus souvent en cas de crise internationale grave, crises dont est malheureusement coutumier votre ministère. En tant que membres de la commission des affaires étrangères, nous nous devons de suivre et d’accompagner cette actualité.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.
D. Échange de vues, ouvert à la presse, sur le projet de loi
Au cours de sa séance du mercredi 14 mars 2018, à neuf heures trente, la commission des affaires étrangères procède à un échange de vues sur le présent projet de loi.
Ce débat est accessible sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale ([57]).
E. Audition de M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Au cours de sa séance du mercredi 21 mars 2018, à seize heures trente, la commission des affaires étrangères auditionne M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Chers collègues, nous accueillons pour la deuxième fois depuis le début de la législature M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur, que nous avions déjà reçu pour parler d’asile et d’immigration. Notre commission a consacré une longue réunion, la semaine dernière, à des échanges de vues sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif.
Nous considérons que notre mission est en rapport avec les sujets d’asile et de migration qui interrogent évidemment la France, mais aussi l’Europe et le monde. Toute la politique européenne est concernée, en particulier celle du droit d’asile. J’estime qu’en la matière, il faudra aller beaucoup plus loin pour mettre en convergence les meilleures pratiques – ce qui n’est malheureusement pas encore le cas. Ces sujets concernent, bien sûr, également les pays d’origine, avec la coopération Sud-Sud, ainsi que les enjeux du développement.
Pour toutes ces raisons, notre commission s’est saisie pour avis du projet de loi. Je présenterai le rapport pour avis en son nom et, comme nous en sommes convenus la semaine dernière, mes recommandations iront, pour la grande majorité d’entre elles, au-delà d’un texte qui « n’épuise pas la gestion des questions migratoires en France et en Europe », ainsi que l’étude d’impact le souligne dès son introduction. Vous dites vous-même, monsieur le ministre d’État, que ce projet de loi ne constitue qu’une brique d’un édifice. Il se situe dans un environnement et un contexte très larges, et il est très important de traiter ces sujets avec un regard qui porte loin.
Nous devons également veiller à ce que le Parlement soit, à l’avenir, mieux associé aux politiques de migration ainsi qu’aux évaluations et au contrôle des engagements concrets sur ces questions. Ces exigences pour notre Parlement feront partie de nos recommandations.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, vous avez raison : il est extrêmement important que la commission des affaires étrangères puisse examiner le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. On ne peut en effet comprendre la situation qu’à condition d’adopter une vision large des choses. Nous avons toujours dit que ce sujet n’était pas seulement national. Il est international, et il induit une politique qui doit se mener en Afrique et dans le cadre européen, en plus de la « brique » dont vous parliez qui doit être posée sur le territoire national.
Je veux commencer par vous présenter un tableau de la réalité européenne en matière d’immigration.
La demande d’asile en Europe a baissé environ de moitié entre 2016 et 2017, passant de 1,2 million à 700 000 personnes, ce qui s’explique par plusieurs facteurs.
Pour la route de la Méditerranée orientale, les accords passés entre l’Union européenne et la Turquie ont permis une baisse significative des entrées illégales. Entre 2015, grande année des demandes d’asile, et 2017, les entrées illégales sont passées de 885 000 à 42 000.
S’agissant de la Méditerranée centrale, à partir de la Libye, on est passé, entre 2016 et 2017, de 180 000 à 120 000 entrées.
En revanche, en raison de la fermeture d’autres routes, on constate une augmentation des entrées par la Méditerranée occidentale. Alors que l’Espagne n’enregistrait quasiment aucune demande d’asile en provenance du continent africain, une nouvelle voie est en train de s’ouvrir. De 2016 à 2017, nous sommes passés de 9 900 à 23 000 entrées, et, pour les deux premiers mois de l’année 2018, on enregistre déjà 3 600 entrées. Le phénomène va donc en s’accentuant.
Au-delà de ces aspects quantitatifs, on assiste à un changement de la nature des flux migratoires.
En 2016, nous avions affaire à des personnes qui fuyaient les théâtres de guerre irako-syriens. Le plus grand nombre de ceux qui demandaient l’asile en Europe et en France venaient de la région de ces conflits. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Certes, on constate la montée en puissance, parmi les pays d’origine, de certaines nations qui sont des zones de guerre ou d’affrontement politique, comme l’Érythrée, l’Éthiopie, ou la Somalie, mais l’on voit surtout, en tête des pays de provenance, des États aujourd’hui sûrs, comme le Nigeria – et je ne parle pas des zones où sévit Boko Haram –, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Mali, et, désormais, la Tunisie, le Maroc, ou le Sénégal.
Des demandeurs d’asile viennent aussi de pays dont les ressortissants sont exemptés de visas pour accéder à l’espace Schengen. C’était le cas, par exemple de l’Albanie, mais depuis que nous avons passé des accords avec le gouvernement de ce pays, les arrivées se tassent – même si les ressortissants albanais occupent aujourd’hui encore un très grand nombre de places du dispositif national d’asile. En revanche, depuis la suppression des visas pour les ressortissants géorgiens, en mars 2017, les demandes d’asiles des Géorgiens augmentent de manière relativement importante.
Dans ce contexte géostratégique, la politique de la France est claire.
Elle entend rester fidèle à la convention de Genève d’accueil des réfugiés, dans la tradition de défense des droits de l’homme propre à notre pays. Nous accueillons les réfugiés en besoin de protection internationale. En revanche, nous ne pouvons évidemment pas accueillir l’ensemble des migrants économiques irréguliers, qui ont vocation à être reconduits dans leur pays d’origine, surtout s’il s’agit de pays très sûrs.
En même temps, nous souhaitons traiter la politique de flux migratoires en coopération avec les pays d’origine des migrants, avec ceux par lesquels ils transitent, et, évidemment, avec les pays de destination. Ces pays se sont réunis à Niamey, la semaine dernière, le 16 mars. J’étais moi-même présent à cette conférence ministérielle, et l’on trouvait autour de la table le Niger, le Tchad, la Libye, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Mauritanie, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal… Tous les pays concernés, en particulier d’Afrique occidentale, étaient représentés, et, pour la première fois nous avons travaillé ensemble et élaboré une déclaration commune.
Si les migrations non contrôlées déstabilisent un certain nombre de pays européens – on a vu les résultats des élections en Autriche, en Allemagne, et en Italie –, elles déstabilisent aussi les pays africains. Elles favorisent en effet la criminalité organisée parce que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les trafics d’êtres humains sont très organisés. Il existe par exemple des prix de passage pour aller du Soudan en Europe qui peuvent aller de 1 000 à 6 000 euros, selon le niveau d’organisation. Ces réseaux ne se contentent pas du trafic d’êtres humains, ils pratiquent en même temps le trafic de stupéfiants, et le trafic d’armes, et ils sont parfois liés aux réseaux terroristes. Ils déstabilisent les pays d’Afrique.
Cela explique que le Niger, qui se trouve en première ligne pour les problèmes de sécurité, ait décidé d’organiser avec nous cette conférence à Niamey. Nous voyons bien que le terrorisme s’étend en ce moment. Après avoir frappé le Niger et le Mali, il a touché le Burkina Faso – je pense à l’attentat de Ouagadougou. Tout cela est extrêmement imbriqué : pour apporter la sécurité dans ces pays, il faut donc lutter contre les trafics d’êtres humains.
La déclaration adoptée à l’issue de la conférence de Niamey constitue une première. Vous me permettrez de citer ses huit points principaux qui reprennent des problématiques que traitent un certain nombre de pays européens.
Nous sommes en effet convenus de renforcer les cadres législatifs nationaux en matière de lutte contre le trafic illicite et la traite d’êtres humains ; de renforcer les outils nationaux de lutte opérationnelle contre le trafic illicite de migrants, et la traite des êtres humains et mieux coordonner ces outils nationaux au niveau régional et international ; de renforcer les capacités technique et matérielle des forces de défense et de sécurité en charge de la lutte contre le trafic illicite et la traite de personnes dans les pays d’origine et de transit ; de renforcer la coopération judiciaire ; de renforcer le contrôle des frontières ; de protéger les migrants irréguliers et les victimes de traite ; d’assurer le développement durable et la promotion d’une économie alternative pour la maîtrise des flux migratoires – car les choses sont liées, j’en reparlerai. Enfin, nous avons mis en place un comité de suivi de ces engagements, qui réunira l’ensemble des pays signataires de cette charte.
Nous nous sommes également rendus à Agadez, qui était le lieu de passage de tous les migrants irréguliers tentant de gagner la Libye. Ils essaient aujourd’hui de passer aujourd’hui par de nouvelles routes, par l’Algérie, puis par le Maroc, vers l’Espagne. Le gouvernement nigérien a pris des mesures relativement drastiques : le nombre de passages par Agadez a chuté de 330 000 à 60 000 ou 70 000 aujourd’hui. Les mesures prises ont permis de faire diminuer radicalement les migrations clandestines.
Nous avons visité un camp de personnes qui avaient tenté de passer par la Libye, et l’Algérie et qui avaient fait demi-tour. Nous avons tous lu des témoignages sur les conditions tout à fait épouvantables rencontrées en Libye, où se mêlent les pires situations d’hommes et de femmes réduits en esclavage. Sur place, on nous a raconté les sévices sexuels abominables imposés aux femmes. On nous a raconté que, lorsque des migrants tombaient de la plateforme surchargée du véhicule qui les transportait au travers du désert, le pick-up n’arrêtait pas sa course, condamnant les malheureux à mourir abandonnés.
On nous a aussi raconté comment certains pays ramenaient des personnes du côté d’Agadez pour les laisser à trente kilomètres de la frontière nigérienne afin qu’elles rejoignent les zones contrôlées par l’armée du Niger et les installations de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) d’Agadez. Nous avons vu des colonnes de personnes abandonnées.
Les accords que nous signons ont non seulement pour but de protéger les migrants, mais ils visent aussi à restructurer économiquement les zones concernées, parce que l’insécurité détruit totalement l’économie d’un certain nombre de régions.
Prenons l’exemple de la route d’Agadez : lorsqu’elle voyait passer le rallye Paris-Dakar, elle était le centre d’une véritable économie. Pour de nombreux touristes, il s’agissait du point d’arrivée de la traversée du Sahara. Aujourd’hui, l’insécurité régnant et les groupes terroristes occupant une partie du territoire, il n’est plus question de tout cela. Et c’est d’ailleurs ce qui a poussé une partie de la population, notamment les jeunes, à se reconvertir dans le trafic des migrants. Les mêmes qui autrefois convoyaient les tourismes font aujourd’hui traverser les migrants. Le Président de la République, M. Mahamadou Issoufou, nous parlait de « narco-terrorisme » pour nous expliquer que les trafics sont mêlés et variés : les trafiquants font, par exemple, un aller avec des migrants et des stupéfiants, puis un retour avec des armes. Il est donc essentiel que nous puissions lutter contre ce phénomène.
Mener ce combat suppose évidemment que l’on puisse ramener de l’activité économique dans ces zones, en particulier dans celles qui ressemblent à la région d’Agadez. Notre plan fonctionnera si nous sommes capables de sécuriser ces zones, mais il faut aussi que nous apportions des fonds européens et français de manière à promouvoir un développement sur place autour d’activités économiques nouvelles ou renouvelées, comme le retour d’une économie touristique.
Nous avons par exemple visité les locaux de la mission européenne EUCAP Sahel Niger. Les installations qui accueillent les formations dispensées pour renforcer les techniques de sécurisation des forces nigériennes ressemblent à un hôtel de loisirs. Les bâtiments ont été construits en pensant que les touristes reviendraient, une fois la sécurité de la région assurée. Nous apportons notre aide en la matière : nous sommes engagés avec le G5 Sahel ainsi qu’avec l’opération Barkhane.
Nous agissons aussi en faveur de la réinstallation d’un certain nombre de réfugiés, que ce soit à partir du Tchad ou du Niger. Au premier trimestre, la France a d’ores et déjà accueilli 160 Érythréens, mais aussi des Éthiopiens et des Somaliens persécutés dans leur pays d’origine. Nous portons auprès des pays européens les plus coopératifs en la matière l’idée que nous devons réinstaller en Europe un certain nombre de réfugiés.
Nous agissons avec les pays africains, mais nous menons aussi des actions auprès de pays voisins de l’Union, comme l’Albanie. La coopération avec ce pays a été payante. Les demandes d’asile sont ainsi en recul de près de 35 % entre janvier 2017 et janvier 2018, et, pour la même période, les éloignements de ressortissants albanais en situation irrégulière ont progressé de 36 %.
J’ai reçu hier la vice-ministre de l’intérieur albanaise et des officiers qui se rendront dans les régions concernées. Ils sont près à une coopération soutenue, car ils savent que nous devons avancer sur ce dossier dans le cadre de leur demande d’accession à l’Union européenne. Nous ferons la même démarche à l’égard des autorités géorgiennes. Depuis que le visa n’est plus obligatoire, nous constatons une explosion de la demande d’asile de la part des ressortissants géorgiens.
Au-delà de ce que nous faisons avec les pays d’origine, il faut aussi travailler au niveau de l’Union européenne. Plusieurs dispositifs ont été mis en place.
Je pense à FRONTEX, qui était dotée de 300 personnels en 2016, et qui en compte désormais près de 800, et bientôt 1 000, auxquels il faut ajouter une force de réaction d’urgence en cas de crise migratoire – elle pourrait comporter 1 500 agents additionnels. Le nouveau mandat de FRONTEX lui permet désormais d’agir assez efficacement pour la protection des frontières extérieures de l’Union.
L’Europe renforce par ailleurs ses contrôles à ses frontières extérieures.
Des contrôles informatiques systématiques aux frontières extérieures de l’Union sont en place depuis avril 2017. Chaque personne est désormais contrôlée dans le système d’information Schengen (SIS) qui signale les personnes recherchées.
Le système entrées/sorties a été adopté : d’ici à deux ans, les personnes qui sont actuellement contrôlées aux frontières extérieures seront également enregistrées.
Le PNR, acronyme de Passenger Name Record, permet le recueil des informations d’entrée/sortie des passagers aériens.
Le dispositif ETIAS, pour European Travel Information and Authorization System, que la France tente de faire adopter, est en cours de négociation.
En même temps que nous contrôlons les frontières extérieures des vingt-huit, la France milite pour une solidarité accrue au sein de l’Union européenne.
Nous menons un combat pour que les pays d’entrée conservent leur responsabilité, et qu’en même temps, les relocalisations soient possibles à l’intérieur de l’Union – encore faut-il que les uns et les autres adhérent à ces dispositifs.
Si les pays européens ont beaucoup accueilli dans les années 2015-2016, aujourd’hui, ils déboutent de nombreux demandeurs d’asile.
En trois ans, l’Allemagne a débouté 500 000 demandeurs d’asile, et la Suède 80 000. Il était urgent d’adopter un texte afin d’éviter que les 800 000 déboutés du droit d’asile dans l’Union puissent venir en France. C’est ce qui a été fait avec l’adoption de la loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen, à partir d’une proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann.
J’en viens au projet de loi sur lequel vous aurez à vous prononcer. Je serai bref car vous connaissez ses grandes lignes. Il se développe autour de trois volets.
Le premier volet concerne la protection d’un certain nombre de personnes vulnérables.
Le deuxième volet vise à opérer la convergence de nos procédures les pratiques et le droit européens. Il faut que nous partagions avec l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique – en Italie, on ne peut pas dire ce qui se passera – les systèmes les plus convergents possible –, par exemple sur le montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), sur les modes de logements, sur la durée de l’examen du séjour. Toute différence serait source de difficultés.
Le Président de la République a souhaité que l’on puisse examiner une demande d’asile dans un délai de six mois, recours compris. Cela permettra que ceux auxquels nous accorderons l’asile puissent assez rapidement s’inscrire dans un processus d’intégration dans la société française. Après six mois, les autres n’auront pas perdu le contact avec leur pays d’origine, contrairement à ce qu’il se passe lorsque nos procédures durent deux ans ou deux ans et demi. Dans ce cas de figure, la situation peut devenir inhumaine parce que les demandeurs ont parfois reconstruit des parcours de vie dans notre pays. Nous essayons de présenter une loi qui raccourcisse les délais et qui s’aligne sur les procédures européennes.
Le troisième volet vise à mieux adapter notre droit aux problématiques opérationnelles. Nous avons essayé de regarder ce qui marche, ce qui marchait hier, ce qui ne marchait pas, de manière à pouvoir corriger tout ce qui, aujourd’hui, nous semble empêcher que l’on puisse trancher et donner une issue à la demande d’asile dans des conditions à la fois dignes pour les personnes concernées, mais également efficaces – car il s’agit aussi de pouvoir maîtriser la demande d’asile dans notre pays.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Merci, monsieur le ministre d’État. Je vais d’abord donner la parole aux représentants des groupes politiques auxquels vous répondrez avant que d’autres orateurs ne vous interrogent.
Mme Nicole Le Peih. Monsieur le ministre d’État, entre autres objectifs, le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif vise à améliorer les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière, notamment via la délivrance d’un « passeport talent », ou encore en créant un titre de séjour spécifique pour les jeunes au pair par exemple.
L’Organisation des Nations unies (ONU) annonce 250 millions de déplacés climatiques à l’horizon 2050. D’après le Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés, près de 26 millions de personnes sont déjà déplacées chaque année à cause d’événements météorologiques extrêmes. La question de ces populations est donc primordiale lorsque l’on parle aujourd’hui d’immigration, et leur intégration est une préoccupation.
Quelles sont les pistes d’intégration de cette nouvelle population issue des mouvements climatiques ? Cette population est souvent jeune : ne représentait-elle pas une opportunité pour nous, pour que nous repensions un peu nos modes de vie ou nos modes d’intégration plutôt que de construire des murs de briques, comme ceux que vous évoquiez au début de vos propos ? Comment prendre en compte ces déplacés, qui ne sont toujours pas reconnus comme des réfugiés par la convention de Genève ?
M. Claude Goasguen. Que cette loi nous agrée serait beaucoup dire car, au fond, elle s’occupe de tout sauf des déboutés du droit d’asile, du fait que vous n’avez pas les moyens d’exécuter cette politique. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), en particulier, est tout à fait inefficace et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ne rend absolument pas les services qu’il faudrait. On donne le sentiment de donner une sanction, mais celle-ci est inopérante.
Ce matin, il vient de se passer en Italie quelque chose d’important. Le procureur général de Catane a interpellé un navire d’une ONG, convoqué les membres de l’ONG et les a assignés comme complices d’association de malfaiteurs. L’Italie a signé avec la Libye un accord international, qui fait qu’elle n’a désormais plus de droit d’asile. Cette méthode qui consiste à passer des accords avec des pays d’émigration – Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie – a-t-elle été adoptée par notre pays ? La France a-t-elle signé des accords internationaux qui permettent de limiter les départs ? L’Italie a mis en place un système qui me paraît très opérationnel, même s’il est très dur. Il s’agit de donner aux Libyens la possibilité d’interdire le départ de Libye et en même temps de donner aux Italiens la possibilité d’arrêter les navires passant à travers les mailles. Pourrait-on se servir d’un tel système pour éviter les passages en Méditerranée du côté de l’Espagne et du Maroc ?
Enfin, nous sommes très sceptiques sur la politique menée au Sahel. L’initiative est intelligente, mais le problème est de savoir si elle sera appliquée. Dans le domaine du droit d’asile, tout ce qui a été fait depuis vingt ans est très intéressant sur le papier mais n’est pas appliqué car nous ne pouvons prendre des mesures exécutoires suffisantes du côté de la police, des centres de rétention et des autres installations.
M. Fréderic Petit. En préparant ce travail législatif, notre groupe a relevé un certain nombre de problèmes liés à la période entre la demande d’asile et la décision d’obtention ou de refus. Pendant cette période de temps, le demandeur d’asile n’est pas encore en politique d’intégration assez forte et nous nous demandons si ce n’est pas du temps perdu pour une formation de qualité et l’apprentissage du français. Nous savons qu’un peu plus de 80 000 demandeurs sur 100 000 sont déboutés. Avez-vous envisagé un rapprochement ou une coordination avec les missions de l’action extérieure de l’État, spécialement sur ce sujet ? Sans préjuger du résultat, on peut imaginer que ce rapprochement permettrait de mieux travailler et de grandir notre dispositif sur le fond et dans son organisation pratique.
M. Alain David. L’intitulé du projet de loi que vous présentez dénote une approche nouvelle de la politique migratoire de la France. La priorité n’est plus l’accueil des migrants fuyant des guerres, des persécutions, la faim, la pauvreté, mais la nécessité pour la France de maîtriser ses flux migratoires. Plusieurs associations et institutions ont d’ailleurs déploré que cette approche contestable se double de préconisations qui pourraient aggraver la situation des migrants en France au lieu de l’améliorer. Ainsi, il pourrait exister une contradiction entre l’objectif apparemment louable de réduction des délais d’instruction des dossiers et un examen approfondi des récits des demandeurs d’asile. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour désengorger le système en préservant les intérêts des demandeurs et en respectant les droits de l’homme ? À quand une harmonisation de l’examen des dossiers dans l’ensemble de l’Europe ?
Mme Clémentine Autain. Vos propos, monsieur le ministre, m’ont semblé dans la droite ligne des lois votées et de votre circulaire. C’est une approche comptable qui domine, la logique du droit d’asile est remise en cause alors que ce droit fait partie des fondements de notre République et de nos engagements internationaux.
Ma première question porte sur la Seine-Saint-Denis, en tant que département emblématique. J’ai été reçue avec les associations par le préfet, qui nous a dit qu’il n’était plus en mesure d’assurer les services publics. Il y a 310 000 demandes de droit d’asile par an en Seine-Saint-Denis, pour 70 000 dossiers traités, et ils ont procédé à une dématérialisation qui se traduit par une forme de loterie. Pour avoir le droit d’asile en Seine-Saint-Denis, comme les pouvoirs publics ne savent pas répondre à la demande, on en arrive à une logique de loterie tout à fait inacceptable. Quelles mesures entendez-vous prendre pour que le service public soit assuré et que le droit d’asile soit bien un droit et non une loterie ? Je précise que la préfecture de Seine-Saint-Denis a été condamnée au tribunal administratif. C’est une situation particulièrement ahurissante et indigne de notre République.
Ma seconde question porte sur ce que certaines associations appellent le délit de solidarité. Je cite un cas. Mme Martine Landry, Niçoise de soixante-douze ans, a aidé des enfants à passer la frontière et s’est retrouvée pour cela devant les tribunaux, accusée par le parquet d’avoir facilité l’entrée de deux mineurs en situation irrégulière. Elle est passible de cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Peut-on continuer de pénaliser des personnes qui viennent au secours de mineurs ? Il y a une dimension humaine dans cette affaire, dont je n’ai pas entendu un mot dans votre propos liminaire.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. La réponse à votre question, madame Le Peih, est dans la question elle-même. Vous dites que 250 millions de personnes sont potentiellement des réfugiés climatiques, et je comprends bien que vous ne pensez pas que la France puisse accueillir 250 millions de personnes. Il ne faut pas mélanger tous les débats. Ce n’est pas par ce projet de loi que nous pourrons résoudre le problème du changement climatique, qui est une véritable question en soi. Quand nous nous sommes rendus à Niamey, les gens nous ont parlé de la réduction du lac Tchad et des difficultés que cela posait ; une des causes qui ont permis à Boko Haram de s’enraciner dans la région est précisément ce problème. Il faut mener des actions, dans la droite ligne de la COP 21 ; j’ai des collègues au Gouvernement qui sont chargés de la transition écologique et prennent ces questions en considération, ce n’est pas le ministre de l’intérieur qui est chargé de résoudre tous les problèmes de la France.
Monsieur Goasguen, nous nous donnons les moyens législatifs de prendre en considération les deux dimensions du projet de loi : une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Nous lions l’un et l’autre ca si nous ne parvenons pas à maîtriser l’immigration, un jour le droit d’asile sera supprimé. Il y a aussi des dispositions organisationnelles. Pour réduire à six mois l’examen de la demande, nous nous donnons les moyens de le faire. Vous avez voté en loi de finances la création de 150 équivalents temps plein (ETP) pour les préfectures, 35 pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), 51 en CNDA, 15 pour l’OFPRA.
Nous sommes en train de réduire la durée moyenne pour parvenir au guichet unique. Nous sommes à treize jours d’instruction en moyenne alors que nous étions à plus d’un mois quand je suis devenu ministre. L’objectif fixé au niveau européen est de trois jours.
Nous avons augmenté les éloignements et nous l’assumons totalement. Nous ouvrons 200 places supplémentaires en centres de rétention administrative (CRA) – des CRA que nous sommes en train de réaménager en vue de l’augmentation de la durée de rétention pour obtenir des laissez-passer consulaires.
Monsieur Petit, comme nous voulons réduire à six mois l’examen de la demande d’asile, notre choix est plutôt d’investir fortement sur l’intégration des personnes qui resteront en France, et on ne peut pas investir fortement partout à la fois. Quand des gens parlant le tigrigna arrivent en France, c’est un investissement complexe pour leur enseigner le français. Nous nous emploierons, dans la ligne du rapport de votre collègue Aurélien Taché, à augmenter le nombre d’heures de français, et pour accélérer l’accès à l’emploi. Les dispositifs mêlant cours de français et insertion professionnelle sont à mon avis extrêmement porteurs et il faudra les développer.
Le respect des droits de l’homme, monsieur David, c’est exactement ce que nous faisons. Nous sommes dans le respect de la convention de Genève et de l’ensemble de nos traités. Pour avoir entendu des récits à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), je peux vous dire qu’on s’aperçoit vraiment, en les entendant, que nous sommes la patrie des droits de l’homme, par la façon dont nous accueillons les uns et les autres avec le maximum de dignité. Certes, tout n’est pas parfait, car si tout était parfait je ne vous présenterais pas de loi ; nous savons que notre système fonctionne mal et nous ne pouvons pas rester dans le statu quo.
Le préfet, madame Autain, ne vous a pas dit qu’il y avait 310 000 demandeurs d’asile en Île-de-France, car nous avons eu 100 000 demandes en France l’an dernier. Ce qu’il vous a dit, sans doute, c’est que les gens d’origine étrangère sur le territoire d’Île-de-France était, non pas, d’ailleurs, de 300 000, mais de 200 000, ce qui est déjà important. Avant d’être ministre, j’étais maire d’une grande ville et je sais que la solution n’est pas d’ajouter de la difficulté à la difficulté. Un adage dit que l’air de la ville rend libre. Il rend libre en raison de la rencontre mais, s’il n’y a plus de rencontre, si chacun est dans son coin, si les gens que vous accueillez vont toujours en Seine-Saint-Denis et jamais à Neuilly, cela peut conduire certains territoires à désespérer et à produire des déviations que nous serons les premiers à regretter et à condamner. Je veux faire une France vivable pour les dix prochaines années, pas une France qui connaisse des affrontements entre les uns et les autres. Si nous voulons conserver les valeurs de la République, il faut être responsable ; c’est comme cela que nous construirons l’avenir.
En ce qui concerne le délit de solidarité, si quelqu’un dit : « Je m’assois sur le code des frontières et je fais passer tous ceux qui sont en dehors de nos frontières », c’est un délit, sanctionné par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et qui correspond très exactement à la transposition de la directive européenne du 28 novembre 2002, laquelle demande d’adopter des sanctions à l’encontre des personnes qui, par aide directe ou indirecte, ont facilité ou tentent de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’une personne. Ces dispositions ont pour finalité de lutter contre les filières et ne visent pas celui ou celle qui apportera une aide individuelle à une personne en difficulté.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Il faut à mon avis faire très attention, madame Le Peih, à ne pas étendre le débat à l’ouverture de la convention de Genève aux réfugiés climatiques, car c’est au fond le droit d’asile que nous mettrions en péril.
Par ailleurs, je crois que la seule façon de régler la question des déboutés du droit d’asile qui vont d’un pays à l’autre, c’est la reconnaissance mutuelle. J’essaierai de plaider en ce sens dans mon rapport.
M. Sylvain Waserman. Je souhaite en préambule exprimer à titre personnel mon soutien franc et massif aux orientations et objectifs de la loi, notamment la volonté de faire converger notre droit avec le droit européen. Cela dit, il me semble qu’il y a encore une différence significative sur le sujet de l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier. Vous venez de citer l’article 1er de la directive européenne du 28 novembre 2002, mais son article 2 ouvre la possibilité de ne pas prendre de sanctions pénales en cas d’acte sans contrepartie directe ou indirecte. Il existe deux différences. D’une part, il n’est pas question dans nos textes de « sciemment », c’est-à-dire de l’idée que l’on ne peut pas être condamné si l’on n’est pas informé de la situation irrégulière d’une personne. D’autre part, dans notre droit des condamnations pénales peuvent être prononcées dans le cas individuel d’aide à des personnes qui font un acte de charité ou de solidarité sans contrepartie directe ou indirecte. J’ai conscience de la nécessité et la difficulté de combattre les réseaux mais ne peut-on essayer de nous inspirer des bonnes pratiques européennes, notamment du droit allemand, pour faire en sorte que jamais sur notre territoire quelqu’un puisse être poursuivi et condamné lorsqu’il ne tire aucune contrepartie de son aide ?
Mme Marion Lenne. Je voudrais revenir sur le volet immigration maîtrisée du projet de loi et notamment sur les dispositions qui visent à élargir la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent ». Les articles 20 et 21 répondent clairement à une politique d’immigration choisie et constituent une avancée certaine pour favoriser une immigration de talents en France. J’aimerais appeler votre attention sur la possibilité d’aller plus loin sur ce dispositif. Alors que la volonté du Gouvernement de soutenir l’innovation et l’entreprenariat est forte et que l’objectif de doubler le nombre d’étudiants étrangers en France a encore été rappelé hier par notre Président, dans son discours à l’Académie française, il est essentiel d’assouplir les conditions d’attribution du passeport talent pour les jeunes qui souhaitent entreprendre en France. En effet, en plus de participer à la croissance de notre pays, la création est l’un des grands enjeux de la francophonie pour que le français soit plus que jamais une langue de création. Qui de mieux qu’un étranger qui a étudié en France puis créé une entreprise, pour devenir ambassadeur de notre langue et de notre culture à travers le monde ?
M Eric Girardin. Marion Lenne venant d’évoquer la question sur laquelle je souhaitais interroger M. le ministre d’Etat, je passe mon tour et mon propos aura donc été plus que bref…
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Soyez-en remercié ! (Sourires.)
M. Rodrigue Kokouendo. Le projet de loi pour une immigration maîtrisée suscite beaucoup d’inquiétudes. Nous sommes, en tant que parlementaires, très sollicités sur ce projet, à la fois pour l’expliquer et pour rassurer nos concitoyens. L’une des inquiétudes majeures concerne bien sûr les retours dans les pays d’origine. Beaucoup de choses sont déjà prévues dans le texte en matière d’éloignement, mais je souhaiterais, plus largement, savoir quelles mesures sont actuellement envisagées dans le cadre des relations entre la France et les États d’origine pour mieux accompagner les migrants dans leurs pays d’origine et pour veiller après leur retour à leur bonne réintégration. De nouvelles conventions bilatérales, par exemple, sont-elles prévues ?
Je souhaiterais également revenir sur l’élargissement du champ du passeport talent, qui constitue à mon sens une excellente mesure afin de renforcer l’attractivité de notre territoire auprès des talents internationaux. Il me semble toutefois que des efforts supplémentaires peuvent être faits pour inciter davantage les entrepreneurs aussi, et en particulier les jeunes, à venir échanger leur expérience en France. On pourrait par exemple envisager la création d’un « passeport business ». Prévoyez-vous des mesures en la matière ?
M. Didier Quentin. Vous nous avez, monsieur le ministre, donné des chiffres. Pourriez-vous préciser les statistiques d’aujourd’hui sur les déboutés, en chiffres absolus et en pourcentages, le nombre de déboutés qui sont éloignés, et les délais moyens d’instruction ? On a compris que l’objectif était de parvenir à six mois mais quelle est la moyenne aujourd’hui ?
Vous nous avez parlé de l’Albanie et de la Géorgie. C’est un peu étonnant : pourquoi autant de demandeurs d’asile depuis des pays où les droits humains ne semblent pas particulièrement maltraités ?
Que pensez-vous, de manière générale, de la cogestion des flux migratoires, peut-être sur une base bilatérale, avec des quotas et autres ?
Le prix d’un passage est, selon vos chiffres, compris entre 1 000 et 6 000 euros. Cela veut dire que, contrairement à une idée reçue, les migrants ne sont pas les « damnés de la terre » mais des gens qui ont déjà des moyens financiers, intellectuels et autres. N’est-ce pas, dès lors, un phénomène de fuite des cerveaux ?
En ce qui concerne les activités de substitution, vous arrivez du Niger et vous nous avez parlé du tourisme. Nous étions nous-mêmes, avec Jacques Maire, au Niger il y a une quinzaine de jours. Tout est en zone rouge. Cela peut d’ailleurs se comprendre et je ne pense que votre collègue des affaires étrangères propose de changer la carte du Quai d’Orsay.
Je me permets d’insister aussi sur la coopération décentralisée. Cela me semble quelque chose de très intéressant. Cela présente peut-être moins de risques d’« évaporation » et ce sont vraiment des opérations de terrain.
Enfin, si l’on a évoqué la transition écologique, j’insisterai surtout, pour ma part, sur la transition démographique. Je suis étonné de la pudeur dont on fait preuve en la matière alors que c’est le problème essentiel. Au Niger où vous vous trouviez, les femmes ont encore sept ou huit enfants en moyenne et de plus en plus d’autorités sont conscientes du problème. La transition démographique prendra une ou plusieurs générations mais il faut s’y attaquer dès à présent.
M. Buon Tan. Je partage très largement les grandes orientations de votre projet de loi, monsieur le ministre d’État, notamment pour ce qui est de l’amélioration des conditions d’accueil des réfugiés qui implique que nous soyons plus fermes concernant le traitement des déboutés du droit d’asile. J’ai moi-même eu l’occasion, pendant une journée, d’observer le parcours d’un demandeur d’asile : il est assez frappant de voir comment certaines phrases peuvent se traduire sur le terrain. Voilà qui m’a rappelé mon enfance, puisque j’ai accompli ce parcours de demandeur d’asile avec mes parents. Il est vraiment important d’expliquer aux gens que l’on ne peut pas se contenter de déclarations, et que les accueillir, ce n’est pas une question de quelques semaines, mais d’années, le but étant de leur donner la possibilité de vivre correctement, que leurs enfants puissent s’intégrer et trouver un travail. C’est un engagement de long terme. En effet, une mauvaise prise en charge initiale peut entraîner de gros problèmes sociaux vingt ou trente ans plus tard. Aussi, je trouve votre démarche courageuse et sachez que nous serons à vos côtés.
Pendant la période de demande d’asile, est-il prévu que les enfants seront pris en charge, scolarisés ou qu’on leur fera faire une activité ? Ensuite, une fois que leurs parents auront obtenu le statut de réfugié, est-il prévu un apprentissage approfondi de la langue française – plus ou moins approfondi suivant l’origine des migrants aux habitudes culturelles et religieuses parfois très différentes des nôtres ?
Enfin, je rejoins la présidente sur la nécessité d’établir un fichier européen unique des empreintes.
M. Claude Goasguen. Surtout pas !
M. Buon Tan. Il faut que tous les pays s’accordent, sinon nous allons tourner en rond.
M. Bruno Fuchs. Merci beaucoup, monsieur le ministre d’État, pour votre présentation qui apporte des éléments nouveaux. Je partage votre avis selon lequel il faut modifier très rapidement et radicalement la situation actuelle par une loi plus juste, plus efficace mais aussi plus digne – élément essentiel au vu des témoignages de ce que certains migrants peuvent vivre en France. Je partage complètement votre approche qu’on peut résumer en trois temps : d’abord identifier clairement et beaucoup plus rapidement les personnes autorisées à séjourner sur le sol français ; ensuite permettre l’intégration de ces personnes et leur donner toutes les chances de réussir en France, en particulier par l’apprentissage de la langue, vous venez de le mentionner ; enfin, être capables d’exécuter les décisions de reconduite à la frontière – élément essentiel dont dépendent la légitimité et la crédibilité de cette démarche et qui permettra de dégager plus de moyens pour les personnes autorisées à séjourner sur notre sol.
Pouvez-vous revenir sur ce dernier point et nous dire pourquoi vous seriez plus efficace que tous les gouvernements précédents pour résoudre cette question très délicate – il faut prendre en compte des situations personnelles – et les difficultés techniques liées à la reconduite à la frontière ?
M. Denis Masséglia. Tout comme mes collègues, je soutiens le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Ce texte est largement soutenu par les habitants de ma circonscription : j’ai longuement échangé, sur le terrain, avec les associations dont les représentants sont conscients qu’une réforme est nécessaire. Ils nourrissent néanmoins une inquiétude que je me permets de vous transmettre : quelles solutions allons-nous proposer pour les personnes qui sont en France depuis de très nombreuses années, qui sont intégrées et qui sont dépourvues de papiers ?
M. Jacques Maire. Je salue, monsieur le ministre d’État, votre implication dans l’action internationale de l’État sur la question qui nous occupe ici. La prévention des migrations est en effet essentielle, et plus efficace que les retours forcés. Elle n’en doit pas moins reposer sur un vrai partenariat avec les pays du Sud et, de ce point de vue, le voyage que vous avez réalisé au Niger avec plusieurs membres de la commission s’est révélé très instructif. Reste que trois conditions sont nécessaires au succès de cette entreprise.
D’abord un alignement politique : sommes-nous capables, à tout moment, de défendre l’importance de la migration, dans le rapport bilatéral, au plus haut niveau de l’État – faute de quoi notre action n’est pas crédible ?
Ensuite, il faut une contrepartie pour ces pays. Si nous avons les exigences précédemment exposées en matière de retours, il n’y a aucun résultat à attendre de notre action en cas d’absence d’aide au développement car la balance de la négociation ne sera pas équilibrée. Des engagements ont été pris en la matière par le Président de la République et il nous reste à les tenir car, nous l’avons constaté sur le terrain, l’aide n’arrive pas.
J’en viens enfin aux outils opérationnels. Nous avons ici un problème car nous avons un opérateur pour l’aide au développement – l’Agence française de développement (AFD) –, et un opérateur pour le retour volontaire, l’OFII, mais qui exerce son mandat exclusivement depuis le territoire national. Aussi sous-traitons-nous intégralement cette politique de prévention et de retour Sud-Sud à un opérateur international, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dont la philosophie est plus proche, d’ailleurs, de celle d’une organisation non gouvernementale (ONG) et qui ne coopère pas du tout avec les forces de sécurité intérieures et qui est coûteuse. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre d’État, qu’il serait temps d’ouvrir progressivement le rôle de l’OFII à la question des reconduites et des accompagnements Sud-Sud, non pas au détriment de la mission qu’elle remplit depuis le territoire national mais en utilisant les fonds européens qui, en la matière, sont très importants ?
Mme Sonia Krimi. Je m’accorde avec la philosophie du projet de loi : mieux accueillir et mieux éloigner – plus efficacement, dans de bonnes conditions. Je suis également d’accord avec vous, monsieur le ministre d’État, quand vous estimez que ce texte ne devrait pas rester sous la seule égide du ministère de l’intérieur : vous ne pouvez pas résoudre tous les problèmes de la terre. Justice, logement, santé, éducation… nous aurions aimé voir d’autres ministères défendre ce projet de loi si ambitieux et si intéressant.
Pourquoi le mot « intégration » a-t-il disparu ?
Ensuite, face à des gens qui ont traversé le Maroc, l’Espagne, qui ont traversé la Libye – où l’on peut subir des sévices sexuels, où certains sont laissés pour morts dans le désert –, des gens qui ont tout vendu tout pour arriver ici, le caractère dissuasif du projet de loi vous paraît-il efficace ? Porter la durée maximale de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours est une disposition dissuasive même si vous affirmez le contraire et parlez à ce sujet d’efficacité, alors que sur le terrain, si l’on n’obtient pas un laissez-passer en moins de quarante-cinq jours, il y a peu de probabilité qu’on l’ait le quarante-sixième jour... Pourquoi, donc, ne pas maintenir le délai de quarante-cinq jours et prévoir des exceptions en cas de refus d’embarquement, par exemple ?
Étant donné le caractère confidentiel de vos discussions avec des pays comme le Mali, l’Algérie, la Tunisie, je comprendrais que vous ne répondiez pas à la question des laissez-passer consulaires.
Enfin, concernant la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, vous vous êtes engagé à revenir au texte que nous avons initialement voté. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Mme Anne Genetet. Je reviens sur l’intervention de Marion Lenne à propos des visas étudiants. J’appelle votre attention, monsieur le ministre d’État, sur le fait que, dans le cadre d’une émigration choisie, certains étudiants de pays étrangers ne peuvent plus demander de visa parce qu’ils n’ont plus de consulats français à leur disposition, comme en Uruguay. Aussi perdons-nous des talents.
Ensuite, en ce qui concerne le contrôle aux frontières des visas Schengen, je suis très surprise de la procédure utilisée, qui est une procédure européenne, le contrôle des empreintes étant réalisé dans nos consulats sans qu’il soit procédé ensuite à un contrôle aux frontières. On ne sait donc pas si celui qui entre avec son visa Schengen est bien le même qui a déposé ses empreintes. En Asie, où j’habite, certains pays délivrent un visa à l’arrivée et réalisent un contrôle biométrique à l’arrivée et à la sortie si bien qu’on sait qui entre et qui sort. Pourquoi cette procédure, pourtant très simple, n’est-elle pas utilisée en Europe ? Elle serait beaucoup moins coûteuse et beaucoup plus efficace en matière de contrôle.
Enfin, je souhaite savoir pourquoi il est si difficile de traiter les demandes d’asile dans notre consulat à Beyrouth. J’y ai vu récemment des Syriens qui semblent s’être heurtés à une complexité administrative imposée par les différents organismes compétents. Ne serait-il pas possible de simplifier la demande de droit d’asile dans notre consulat à Beyrouth ?
Mme Mireille Clapot. Merci pour votre exposé et pour votre force de conviction, monsieur le ministre d’État. C’est tout à l’honneur de la France de protéger les demandeurs d’asile, d’examiner chaque cas individuellement et de leur donner, de donner à ces réfugiés les meilleures conditions d’accueil et d’intégration.
Cependant, de mon point de vue, le monde de 2018 n’est pas un monde où les migrants qui ne sont pas éligibles au droit d’asile ne seraient que des migrants économiques. Cette vision binaire ne me semble pas conforme à la complexité des situations vécues sur le terrain. De même, vous avez répondu à Nicole Le Peih que le cas des migrants climatiques relevait davantage du ministère de la transition écologique et solidaire. Ne faut-il pas considérer que les personnes attirées par la France comme par un aimant doivent relever d’une politique globale d’aide au développement pour que le passage par la France soit pour elles comme un tremplin pour la réalisation de projets dans leur pays d’origine où il y a tant à faire ?
Les enjeux mondiaux et la place de la France dans le monde implique un traitement interministériel de cette question : ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère de la cohésion des territoires, ministère des armées… N’est-ce pas là un champ à explorer ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Vous avez raison, monsieur Waserman : il faut faire converger les législations européennes et c’est ce que nous essayons de faire.
Pour ce qui est de votre deuxième question, autant on peut comprendre les problèmes individuels, autant on ne peut pas comprendre les actions collectives. L’année dernière, 85 000 personnes n’ont pas été admises à la frontière, dont 50 000 à la frontière italienne. Or vous avez des gens qui entreprennent sciemment de demander à tous ceux qui se trouvent dans le sud de l’Italie de passer par les cols, y compris pendant les périodes où ils sont enneigés,…
M. Claude Goasguen. Bien sûr !
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. …en leur faisant prendre des risques terribles, et qui, en plus distribuent des numéros de téléphone en promettant de l’aide… Sauf qu’un seul organisme est à même de vous secourir quand vous êtes pris dans un col enneigé, c’est la gendarmerie de haute montagne. Ils risquent donc, plutôt que de les aider, de les faire mourir. Ils se réclament d’une philosophie certes respectable – appelés chez nos amis britanniques les No Borders – mais aujourd’hui totalement inapplicable. Nous allons donc faire respecter la loi française…
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. …avec humanité puisque c’est ce qui nous caractérise.
Mme Lenne et M. Girardin ont posé la même question. Vous vous êtes peut-être rendu compte qu’à la fin du texte nous développons toute une série de propositions qui visent à mieux faire connaître le « passeport talent » et à étendre ce dispositif aux salariés d’une entreprise innovante, à toute personne susceptible de participer de façon significative et durable au rayonnement de la France ou à son développement, aux enfants du couple formé par le titulaire de la carte « passeport talent » et son conjoint et non pas uniquement aux enfants dudit titulaire. Il s’agit également de permettre à un salarié employé par un groupe dans un pays de l’Union européenne, de pouvoir venir travailler en France pendant six mois dans une filiale de ce groupe. Nous avons en effet conscience que dans l’économie mondialisée il y aura de plus en plus d’échanges.
Monsieur Kokouendo, nous allons naturellement travailler avec les États d’origine, et de manière bilatérale. Lorsque le Président de la République va au Sénégal et qu’il annonce 200 millions d’euros de crédits, lorsqu’il annonce 85 millions d’euros pour le Niger, c’est important. En revanche, comme l’a rappelé Mme la présidente de la commission, au niveau européen, du fait de procédures qui manquent beaucoup de fluidité, le délai entre le moment où les sommes sont votées et celui où les crédits arrivent sur le terrain est souvent très long et il convient par conséquent d’accélérer le processus. D’ailleurs, après ma visite à Niamey, je compte intervenir à la fois auprès du commissaire européen à la migration, aux affaires intérieures et à la citoyenneté et auprès du commissaire européen à la sécurité pour évoquer les problèmes que j’ai pu constater et que je vais leur demander de prendre davantage en compte.
M. Quentin souhaite des chiffres. En 2017, 100 000 personnes ont demandé l’asile, 32 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié et les déboutés ont représenté 65 % des demandeurs d’asile.
M. Claude Goasguen. Combien ont été reconduits ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Le délai de l’examen des dossiers était de quatorze mois en 2016 ; il a été réduit à onze mois en 2017 et notre objectif est de parvenir à un délai de six mois après le vote de la loi.
Pour ce qui est de la zone rouge, ce qui a été dit est très juste : il faut sécuriser les régions concernées pour que l’activité économique puisse reprendre.
Je ne suis pas chargé de la coopération décentralisée. Reste qu’avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, nous avons décidé de coordonner beaucoup mieux le travail de l’AFD et celui des villes, des régions et des départements pour aider au développement de certains pays, en particulier ceux soumis à des phénomènes migratoires et ceux de transition.
Je m’accorde également avec ce qui a été dit à propos de la transition démographique. Il est clair que si les gens continuent d’avoir huit à dix enfants, cela continuera à poser des problèmes. Nous en avons discuté ouvertement lors de la conférence de Niamey. On nous a signalé que dans des villages un peu reculés, on distribuait des contraceptifs mais qu’il n’y en avait pas toute l’année ; on comprendra que, dans ces conditions, il est difficile de contrôler les naissances.
M. Tan a lui aussi tout à fait raison : si de nombreuses associations s’occupent des six mois ou de l’année que requiert la demande d’asile, dans les cités un peu difficiles de toutes les villes de France, je vois moins de gens s’en préoccuper. Je suis allé visiter le quartier de la Mosson à Montpellier, celui du Mirail à Toulouse, et je n’y pas vu des masses considérables de bénévoles prenant les publics concernés en charge – peut-être parce qu’on est ici en pleine réalité, dans la vraie vie, et qu’il ne s’agit pas de se contenter de faire preuve de bienveillance. Dans ma vie antérieure, j’ai essayé de mener une politique de mixité sociale. Là où il y avait 90 % de logements sociaux, nous avons lancé des plans de rénovation urbaine et ainsi ramené un certain nombre de couches moyennes. Par contre, dans les quartiers up to date, comme on dit, comme le quartier de la Confluence, où les logements les plus chers coûtent 8 000 euros par mètre carré, ce qui ne serait pas cher à Paris, mais l’est extraordinairement à Lyon, nous avons construit 35 % de logements sociaux. J’ai une expérience de plus de quinze ans en la matière, et cela marche : la socialisation se fait et les gens d’origine étrangère sont aspirés vers le haut. Si nous n’allons pas dans ce sens, nous connaîtrons de très grands problèmes. Je suis par conséquent d’accord : on ne juge pas une action sur les six premiers mois mais sur la façon dont les gens parviennent, en quinze ans, à s’insérer dans la société, à s’y construire un avenir. Mon idéal n’est pas que tous ces gens finissent, au bout de dix ans, livreurs de cannabis, d’héroïne ou de cocaïne.
Pour ce qui est des laissez-passer consulaires, mes homologues ministres de l’intérieur, l’année dernière, m’en ont accordé six et ils m’ont promis de faire cette année un effort considérable et m’en ont déjà accordé sept. C’est un progrès mais face à 10 000 personnes qui arrivent, ce n’est pas suffisant, et cela ne l’est pas non plus en regard de notre gros effort financier. Nous avons nommé un ambassadeur, M. Pascal Teixeira da Silva, spécialement chargé de s’occuper des laissez-passer consulaires. J’ai pour ma part mis en place une task force, au ministère de l’intérieur, de manière à centraliser les demandes des préfets. Ainsi, en cas de dysfonctionnement, je peux appeler soit l’ambassadeur, soit le ministre de l’intérieur concerné.
Bruno Fuchs m’a interrogé sur notre capacité d’exécuter les décisions de reconduite à la frontière. Nous avons reconduit davantage de déboutés ces derniers mois et nous allons nous donner les moyens d’être plus efficaces encore. Pourquoi serions-nous plus efficaces que les gouvernements précédents ? C’est une question de volonté. On me posait la même question quand je suis devenu maire de Lyon. Quinze ans plus tard on ne me la pose plus.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Donc, rendez-vous dans quinze ans ? (Sourires.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Ou bien je serai efficace, ou bien je m’en irai si je me rends compte que je ne le suis pas.
Si j’ai accepté d’être ministre de l’intérieur plutôt que de continuer d’être maire de Lyon et président de sa métropole – une assez belle métropole, que je vous invite à visiter par ailleurs (Sourires), y compris pour y étudier les problèmes d’immigration, d’asile… –, ce n’est pas simplement par plaisir mais parce que je crois que nous nous trouvons face à un défi considérable et qu’il faut le relever.
Monsieur Masséglia, vous m’avez interrogé sur les associations. Quand on travaille concrètement avec elles sur le terrain, au niveau local, ce n’est pas forcément aussi compliqué qu'à Paris. Il y a le discours et la pratique. On arrive assez bien à s’entendre dans la pratique alors que le discours peut être un peu plus vif. D'ailleurs, on ne travaille qu'avec des associations. Dans le Pas-de-Calais, une association qui avait participé à l'évacuation de la jungle gère désormais les centres d'accueil et d'examen de situation (CAES), et ça marche. Pour que la jungle ne se reconstitue pas, nous avons installé des sanitaires mobiles et aussi des food trucks – c’est très à la mode – pour la distribution des repas, maintenant assurée par l’État.
Monsieur Maire, vous avez raison : il faut faire de la prévention à la source pour ne pas en arriver aux mesures d’éloignement prises en situation de crise. J'ai déjà parlé longuement des dispositifs prévus. Hier, j’ai rencontré M. Didier Leschi, le directeur général de l’OFII, et je lui ai demandé s’il pouvait élargir ses fonctions. Pour ma part, je n’ai rien contre le principe, mais nous sommes en train de vérifier si c’est possible sur le plan juridique. Quoi qu’il en soit, l’OFII compte des personnels très engagés qui accomplissent un travail tout à fait exceptionnel, je peux le dire à ceux qui ne voulaient pas qu’ils aillent dans les centres d’hébergement d’urgence. M. Leschi m’a cependant indiqué qu’il avait du mal à obtenir des personnes en contrat à durée indéterminée (CDI) et que ses effectifs étaient constitués d’un trop grand nombre de salariés en contrat à durée déterminée (CDD). Il faudra faire passer le message à M. Fratacci, mon directeur de cabinet, pour diriger vers l’OFII des gens de nos services.
Madame Krimi, vous avez aussi raison sur beaucoup de choses. Quand j'étais maire, dans le temps, je m’occupais de tout : du logement, de l'économie, de la culture et aussi un peu d’immigration mais cela se voyait moins. À présent, je suis un peu spécialisé. Plutôt que de vous focaliser sur moi, vous devez juger l’action globale du Gouvernement qui, je l’espère, s’occupe de logement, d’économie, de culture et de sport. Si vous segmentez, ça fait un peu monomaniaque. Au ministère de l'intérieur, nous avons ce genre de missions. Je serais très heureux de m’occuper de culture car j'adore ça. Quand j’étais maire de Lyon, 20 % du budget de la ville était consacré à la culture. À présent, je suis ministre de l'intérieur et je fais des trucs qui sont moins fun mais tout aussi nécessaires. Je vais donc prendre ma tâche à cœur.
Je suis prêt à rediscuter avec vous de la proposition de loi sur les « dublinés » qui a été adoptée récemment, mais je ne lâcherai rien sur les points qui me semblent fondamentaux. Si la future loi doit être un trompe-l’œil, ce n’est pas la peine de la faire. Dans un an, je veux pouvoir vous dire que ça marche. Je donnerai dans le vrai et pas dans l’art du trompe-l’œil, mais je suis prêt à prendre en compte certaines réflexions sur l'intégration.
Pour le coup, nous allons travailler de manière pluridisciplinaire et mettre l'accent sur ce que j’ai appelé les quartiers de reconquête républicaine, qui sont en très grande difficulté. Nous allons constituer une équipe très soudée, avec Jean-Michel Blanquer pour l’école et Muriel Pénicaud pour l’emploi. Nous avons aussi contacté des syndicats d'employeurs qui sont prêts à nous donner un coup de main pour créer des emplois et aider des gens à monter leur propre entreprise. Il s’agit de donner de l'espoir et un avenir aux gens plutôt que de les laisser s'enkyster dans des quartiers qui se dégradent de plus en plus. En observant l’évolution de certains quartiers depuis quinze ans, on ne peut pas se féliciter du travail collectif accompli. Si la même tendance se poursuit au cours des quinze prochaines années, nous allons au-devant de grandes difficultés.
Madame Genetet, il se trouve que j’ai passé six ans de ma vie à m’occuper d’Amérique latine, en ces temps compliqués où des guérillas affrontaient des régimes fascistes. J’essayais de faire naître une société démocratique. Je connais un peu l'Uruguay et je regrette qu'il n'y ait pas de consulat dans ce pays superbe dont les habitants sont charmants.
S’agissant du Liban, je crois que notre consulat de Beyrouth est assez engorgé en ce moment. À partir de ce lieu, nous nous sommes engagés à réinstaller 7 000 personnes mais en faisant preuve d’une certaine vigilance : dans le flot de migrants, il peut y avoir des gens moins bienveillants que la moyenne générale. Le processus peut demander du temps, mais c'est notre volonté.
Madame Clapot, nous prenons en compte chaque cas de manière individuelle et nous y apportons une réponse personnalisée. C’est ce qu’il y a de bien dans le système français. Pour la suite, nous n’avons pas une vision binaire. Cependant, si nous voulons accueillir bien, nous ne pouvons pas accueillir le monde entier. Si nous accueillons le monde entier, nous le ferons dans de très mauvaises conditions et cela se passera mal pour les uns et pour les autres. Nous avons une vision globale de notre rapport avec le monde.
Dans mes vies antérieures, j'ai beaucoup voyagé. Je connais le monde dans ses différentes composantes et régions. Ma vision du monde n’est pas du tout franco-française et nationale-populiste. Elle est assez réaliste sur les forces, les faiblesses et les politiques qu'il convient de mener.
Nous pratiquons déjà l’aide au retour volontaire. Celui qui revient ne doit pas perde la face. Toute la famille s'étant cotisée pour payer les passeurs, le retour est vécu comme un échec. C’est ce que nous voulons éviter, en suivant celles et ceux qui rentrent dans leur pays d'origine et en les aidant à s’y réinstaller. Cette année, nous avons accompagné le retour de 7 100 volontaires.
Il me semble avoir répondu à toutes vos questions. Je passerai demain à un autre sujet puisqu’une commission spéciale de l’Assemblée nationale m'interrogera sur la sûreté des centrales nucléaires, qui est en partie traitée au ministère de l'intérieur.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Merci, monsieur le ministre d’Etat, pour le temps que vous avez passé avec nous et pour l'éclairage fort utile que vous nous avez apporté.
Chers collègues, nous nous retrouvons le mercredi 28 mars pour l’examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Monsieur le ministre, vous avez un mot à ajouter ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Je ne vais pas passer directement à la commission d’enquête sur la sûreté nucléaire, car mes collaborateurs m’informent que je dois avoir un entretien téléphonique avec le Premier ministre albanais.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis. Nous souhaitons que ce coup de téléphone soit utile ! Merci encore, monsieur le ministre.
La séance est levée à dix-huit heures vingt.
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II. Examen pour avis des articles 20, 21, 25, 32 et 33 du projet de loi
Au cours de sa séance du mercredi 28 mars 2018, à seize heures trente, la commission des affaires étrangères examine pour avis les articles 20, 21, 25, 32 et 33 du projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Mes chers collègues, nous avons été extrêmement nombreux à participer ce matin à l’hommage rendu à Jean Mazières, à Christian Medves, à Hervé Sosna et, bien sûr, au colonel Arnaud Beltrame, et il y aura tout à l’heure une « marche blanche » en hommage à Mireille Knoll, à laquelle nous serons également nombreux à nous rendre. Notre réunion, initialement prévue ce matin, a donc été reportée à cet après-midi et nous allons essayer de terminer nos travaux vers 17 h 30. Je vous propose de nous concentrer sur les articles du projet de loi dont notre commission s’est saisie pour avis. Vous savez que nous devons nous prononcer avant la commission des lois, saisie au fond.
Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour la qualité des échanges que nous avons eus il y a quinze jours. Ce n’était pas notre premier débat en la matière, et nous en aurons probablement d’autres car ces questions sont toujours d’une grande actualité. Notre discussion a permis d’enrichir mon projet de rapport, que vous avez reçu hier après-midi. Il sera publié dans une dizaine de jours, ce qui me permettra de procéder à d’éventuels ajouts ou ajustements – j’y suis tout à fait ouverte. Vous avez par ailleurs compris ma philosophie : je considère que notre commission est compétente sur l’ensemble des questions d’asile et d’immigration.
N’oublions pas ce qui s’est produit en 2015 : l’Europe a été absolument incapable de gérer la crise migratoire. Les chefs d’État et de Gouvernement n’ont pas su l’anticiper, et l’arrivée des réfugiés syriens n’a pas été organisée. Mon rapport commence par un état des lieux précis, car il est essentiel de regarder la réalité et les chiffres en face, en adoptant une approche globale. Ce sont des questions mondiales : au-delà de la France, les pays du Sud sont particulièrement concernés – notamment sous l’angle des migrations Sud-Sud, qui sont extrêmement importantes – de même que l’Europe, bien sûr.
Je suis convaincue que beaucoup de dysfonctionnements résultent d’un manque de convergence au plan européen. C’est notamment vrai pour les déboutés du droit d’asile – on en compte environ 800 000 en Europe, dont 500 000 déboutés par l’Allemagne. Comme ils se rendent ensuite dans d’autres pays pour déposer de nouvelles demandes, il existe une sorte de « marché de l’asile » qui n’est bénéfique à personne. Nous devons aller vers davantage de convergence et d’harmonisation au sein de l’Union européenne.
Le projet de loi comporte une avancée sur ce plan : les demandes d’asile devront être traitées dans un délai de six mois en France, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays européens. Cela va dans le bon sens pour les demandeurs d’asile, mais aussi pour la société qui les accueille. Je souhaite également une harmonisation et une convergence pour les aides destinées aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Par ailleurs, il me paraît indispensable de réfléchir à une reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière d’asile, en particulier lorsqu’elles sont négatives.
Nous devons aussi repenser deux dispositifs qui n’ont pas fonctionné au niveau européen. Tout d’abord, nous avons besoin d’un mécanisme d’alerte rapide permettant d’anticiper réellement les crises. Il n’était pas très difficile de voir qu’une crise allait se déclencher en 2015 : c’était manifeste quand on se rendait dans les principaux pays d’accueil des réfugiés syriens, mais nous n’avons pas été capables d’anticiper. Par ailleurs, le dispositif prévu par la directive sur la protection temporaire est trop lourd. La Commission européenne n’a même pas proposé au Conseil de l’appliquer, ce qui me paraît dommage. Ce mécanisme est conçu pour apporter une solution temporaire en cas de crise ou de guerre, dans la perspective du retour des réfugiés dans leur pays d’origine, ce qui me semble positif en termes d’acceptabilité sociale.
Mon rapport évoque ensuite la politique de retour. Comme elle fonctionne mieux chez certains de nos voisins, je crois que nous aurions intérêt à nous interroger. Il faudrait probablement s’inspirer de certains exemples étrangers, notamment celui de l’Allemagne, qui utilise beaucoup plus que nous les retours volontaires. Les bonnes pratiques méritent d’être prises en compte.
Pour résumer, nous devons faire plus et mieux sur le plan européen. Cela implique notamment d’adopter un cadre financier pluriannuel (CFP) qui soit enfin à la hauteur des enjeux en matière d’asile, d’immigration et de développement – je sais que notre collègue Maurice Leroy est sensible à cette question.
J’en viens à la deuxième partie de mon rapport, qui est consacrée aux relations avec les pays d’origine. Le bilan est mitigé dans ce domaine, car les accords de gestion concertée des flux migratoires n’ont pas très bien fonctionné. Si nous voulons lutter contre l’immigration irrégulière avec la plus grande efficacité possible, je crois qu’il faut des voies légales bien identifiées pour les migrations : ces deux aspects vont de pair.
Je propose donc d’ouvrir un débat sur la migration économique. Il faut oser cette question. Je suis très heureuse que des « passeports talents » existent, par exemple, mais je ne suis pas sûre que cela ne pose pas, à terme, la question de la « fuite des cerveaux » dans un certain nombre de pays. Ce type de mobilité doit faire l’objet d’une acceptation générale, aussi bien dans les pays d’origine que dans ceux d’accueil.
Au niveau européen, les migrations économiques représentent 25 % des entrées, contre seulement 10 % en France. Il y a peu d’immigration identifiée comme économique dans notre pays, mais nous avons en revanche de l’immigration irrégulière, et ensuite des régularisations. On doit privilégier les voies légales : ceux qui veulent venir en France doivent savoir qu’elles existent et qu’il faut les utiliser.
Je pense aussi que nous devons introduire davantage de fluidité dans le système, en favorisant les allers-retours. C’est pourquoi je propose notamment une validation des acquis de l’expérience. Sur tous ces sujets, nous devons en partie changer de logiciel.
Par ailleurs, nous avons besoin d’une politique de développement à la hauteur de nos ambitions. Je ne suis pas certaine que ce soit toujours le cas, à cause d’une assez grande illisibilité et d’un certain éparpillement. Nous aurons d’autres occasions de revenir sur cette question : elle fait l’objet d’une mission d’information spécifique de notre commission et notre collègue Hervé Berville a été chargé de remettre un rapport au Gouvernement. Je crois qu’il faut repenser notre politique de développement afin de la rendre plus lisible, notamment grâce à une augmentation très sensible de la part de l’aide bilatérale. Notre action est essentiellement multilatérale à l’heure actuelle, ce qui nous prive d’un levier sur le plan politique et d’une capacité d’action. Le Royaume-Uni a été capable d’aider dix ou vingt fois plus que nous les réfugiés syriens au Liban, en Turquie et en Jordanie.
Mon rapport s’efforce de tenir compte de nos échanges en commission, je l’ai dit, mais aussi des auditions et des entretiens que j’ai menés : j’ai rencontré 27 interlocuteurs, tout à fait remarquables, dont la liste figure à la fin de mon rapport. Ce travail n’épuise en rien la réflexion que nous devons mener : la mission d’information sur les migrations que je conduis s’inscrit dans une perspective globale, dont nous espérons qu’elle inspirera aussi le Gouvernement.
Enfin, je veux souligner que nous avons besoin de transparence sur les questions d’asile et d’immigration. Les objectifs du Gouvernement doivent être connus et il faut vérifier leur bonne application. C’est pourquoi un débat annuel me paraît nécessaire au Parlement. Cela me semble très important si nous voulons avoir une démocratie plus vivante et plus responsable sur ces sujets très complexes au plan humain. Il faut notamment prendre en compte l’acceptation des politiques qui sont menées. Je pense en particulier à la fuite des cerveaux en Afrique et plus généralement dans les pays les plus pauvres : c’est une vraie question pour leur avenir. Nous devons retrouver une relation de coopération, se déroulant dans la confiance entre des partenaires placés sur un pied d’égalité. Je le répète aussi : plus il existera des voies bien identifiées et raisonnables pour la migration légale, plus nous aurons d’arguments en faveur de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Voilà les observations dont je voulais vous faire part, très rapidement, en guise de préambule. Je vais maintenant donner la parole aux responsables des groupes, puis nous en viendrons à l’examen des articles.
M. Pierre Cabaré. Au nom de La République en Marche, permettez-moi de vous remercier sincèrement pour votre projet de rapport, qui reflète les multiples auditions que nous avons menées sur ce sujet.
Dans leur travail de réflexion, les commissaires du groupe LaREM ont été particulièrement attentifs à l’accueil et à l’accompagnement des réfugiés, y compris dans les pays de transit, et au rôle essentiel des étudiants et des chercheurs étrangers. Face aux enjeux de taille auxquels nous sommes confrontés, il nous paraît indispensable que ce texte s’inscrive dans des politiques globales, qui doivent être européennes, partenariales et coordonnées.
Le projet de loi suscite souvent les passions, alors qu’il faudrait au contraire examiner ces questions avec beaucoup de précaution et de lucidité. Pour notre groupe, c’est un texte équilibré qui nous est présenté. Il conjugue, en effet, nos principes humanistes et notre impératif d’efficacité en adaptant le droit français aux réalités opérationnelles et européennes. Nous allons accélérer le traitement des demandes d’asile, garantir la protection des personnes les plus vulnérables, rendre plus efficaces les procédures d’éloignement et améliorer les conditions d’intégration des étrangers en situation régulière.
Marion Lenne présentera tout à l’heure les amendements que nous avons déposés à l’article 20. Ils visent à élargir le champ du « passeport talent » et à encourager fortement le recours à l’innovation. Le but est de renforcer l’attractivité de la France, n’en déplaise aux esprits chagrins.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter nos amendements et les articles du projet de loi dont la commission s’est saisie. Nous donnerons ainsi à des talents et à des compétences venus du monde entier la possibilité de s’exprimer pleinement dans notre société et de faire rayonner notre pays.
M. Claude Goasguen. Je vous trouve très sympathique, madame la présidente, et pleine d’idées intéressantes. Votre rapport n’est pas inutile, car il donne une vision assez originale de la politique migratoire en essayant d'internationaliser cette question. Néanmoins, mon groupe ne pourra pas voter ce texte. Je suis bêtement juriste, en effet : quand je vote, j’essaie de voir si l’on peut appliquer ce qui nous est proposé. Or ce ne sera pas le cas avec ce projet de loi. Vous avez d’ailleurs eu le mérite de ne pas l’examiner sous cet angle – il reviendra à la commission des lois de le faire, et nous y siégerons.
Il y a tout de même un point sur lequel vous faites œuvre utile en la matière. À la page 90 de votre rapport, un tableau fait apparaître le nombre moyen d’obligations de quitter le territoire délivrées chaque année entre 2010 et 2016 dans un certain nombre de pays européens et le nombre moyen de départs effectifs sur cette même période. Les chiffres sont terribles : la France a signifié 81 489 obligations de quitter son territoire chaque année, dont environ 18 000 ont été exécutées.
Il faudrait d’ailleurs revoir ces chiffres car on sait bien comment le ministère de l’intérieur les produit. Le total des départs comprend notamment 8 000 Albanais qui reviennent aussi nombreux chaque année, via Brindisi, d’où ils sont renvoyés par les Italiens avec un peu de monnaie en poche. Ayant écrit plusieurs rapports sur ce sujet, je peux vous dire que les départs effectifs sont en réalité bien inférieurs.
Si l’on conserve comme référence le chiffre de 18 000, néanmoins, on arrive à un taux de décisions effectives de 23 %. En Allemagne, un peu plus de 30 000 décisions ont été exécutées sur un total d’environ 34 000, soit près de 89 %. Il y a donc un problème en France. J’observe que la Grèce fait un peu mieux que nous, comme à peu près tout le monde d’ailleurs – sauf la Belgique, où l’on sait que la situation n’est pas très bonne, et le Portugal, avec respectivement 17 % et 15 % de départs effectifs. Nous faisons donc partie des derniers du classement.
Pourtant, nous consacrons à cette politique des moyens assez considérables, qui sont au moins équivalents à ceux déployés par d’autres pays de l’Union européenne. Il y a un problème majeur que ce projet de loi n’explicite malheureusement pas, voire qu’il aggrave. Son titre évoque une « immigration maîtrisée » alors que nous en sommes incapables. Certains ont des droits et d’autres non, mais nous ne parvenons pas à régler la question. Par conséquent, le titre du projet de loi est certes classique, mais fallacieux : on ne fait qu’enrober la réalité.
Enfin, je souhaite sincèrement que l’Union européenne ne soit pas polluée par les divagations françaises. Je répète, en effet, tout le mal que je pense de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) : que Dieu nous garde d’un OFPRA européen (Murmures). Je le dis au sens générique du terme, et même athée.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Quelle trouvaille ! (Sourires.)
M. Claude Goasguen. Ne proposons pas un OFPRA européen. Cela me rappelle ce que disait Mme Thatcher : selon elle, les Français instillaient le socialisme partout en Europe, à travers Jacques Delors, ils la polluaient. Je ne voudrais pas que l’OFPRA entraîne les autres États membres dans les mêmes inaptitudes que les nôtres. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera contre votre rapport.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Comme vous connaissez le droit, vous devez savoir qu’il n’y a pas de vote sur l’avis lui-même . Nous voterons sur les articles dont nous nous sommes saisis pour avis et sur les amendements qui s’y rapportent. L’ensemble du texte sera examiné lors de la réunion de la commission des lois, à laquelle chaque parlementaire pourra participer en déposant les amendements qu’il souhaite.
Je pense qu’il est important de donner les chiffres concernant les obligations de quitter le territoire français (OQTF) : il faut regarder la réalité en face. Si le taux de départs effectifs est supérieur en Allemagne, c’est en grande partie parce qu’il y a beaucoup plus de retours volontaires. Il faut y réfléchir dans notre pays. En Suède, où le taux est également bien meilleur qu’en France, la situation est gérée d’une manière très différente : les demandeurs d’asile vont dans des centres semi-ouverts, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Il y a de très grandes différences entre les systèmes nationaux. Il existe notamment de fortes disparités entre l’OFPRA et le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (BAMF) qui joue d’autres rôles en Allemagne, notamment parce qu’il délivre aussi les obligations de quitter le territoire. Si l’on veut harmoniser, il faut d’abord se mettre d’accord pour expertiser et évaluer les différents systèmes européens.
M. Claude Goasguen. Je suis d’accord !
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Une fois que l’on aura identifié les meilleures pratiques, on pourra peut-être envisager de créer un office européen que je ne qualifie pas d’« OFPRA européen » dans mon rapport. Il serait intéressant de regarder précisément, dans le cadre de notre mission d’information, comment fonctionne le système allemand, où l’équivalent de l’OFPRA traite les questions du début à la fin. Nous pourrions aller voir comment ça se passe.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Frédéric Petit. On s’intéresse beaucoup aux comparaisons entre les différents systèmes dans ma circonscription : elles sont en effet très intéressantes.
Le groupe Mouvement Démocrate et apparentés salue le courage du Gouvernement qui a osé s’emparer, dès les premiers mois, de ce sujet très sensible. Il l’est très sensible pour les acteurs concernés mais aussi, comme l’indique le projet de rapport, pour l’opinion publique, du fait d’une instrumentalisation politique permanente.
Les cinq articles dont la commission des affaires étrangères s’est saisie vont dans le bon sens, que ce soit par l’extension du champ d’application du « passeport talent » ou par la création de protections nouvelles pour les migrants victimes de violences conjugales. Nous nous félicitons également de la volonté de convergence autour de la norme européenne.
Comme la présidente l’a souligné, ce projet de loi n’est qu’un élément d’une politique globale qui reste largement à construire. On doit valoriser le principe de solidarité, grâce à des partenariats avec les pays de départ et ceux de transit. Il faut également mettre davantage l’accent sur le rôle des politiques relevant de l’action extérieure de l’État, en particulier l’aide publique au développement (APD), mais aussi les actions de coopération en matière scientifique, universitaire, de francophonie et de climat, qui sont du ressort de notre commission. Ce sujet est d’ailleurs au cœur de votre brillant rapport, madame la présidente.
Le délai qui sépare l’introduction de la demande d’asile et la décision finalement prise est souvent décrit comme une période vide, voire pathogène. Ce temps perdu, et difficile à gérer sur le plan logistique et parfois réglementaire, pourrait être beaucoup mieux utilisé s’il y avait une coordination interministérielle systématique. À titre d’exemple, des demandeurs d’asile issus des pays cibles de l’APD qui apprennent le français et se forment à l’entreprenariat ou qui participent à des programmes de recherche sont plus utiles que d’autres qui s’ennuient. Par ailleurs, si l’Alliance française d’Île-de-France était associée systématiquement, et en tant que telle, à l’enseignement du français aux demandeurs d’asile dans la région et si certaines missions étaient exercées dans le cadre de l’APD sur notre sol pendant cette période, aujourd’hui mal utilisée, on aboutirait à un système plus efficace et moins cher. Vous le soulignez dans votre rapport, que nous soutenons, comme nous sommes heureux de soutenir le projet de loi.
M. Maurice Leroy. Notre commission s’est saisie pour avis de cinq articles du titre III du projet de loi, qui vise à améliorer les conditions d'intégration et d'accueil des étrangers en situation régulière. Le groupe UDI, Agir et Indépendants s'en réjouit.
Je ne voudrais pas que l’on me dise, en reprenant une vieille publicité : « Maurice, tu pousses le bouchon un peu loin », mais je pense que nous réglerons définitivement le problème le jour où notre commission sera saisie au fond et celle des lois pour avis. Comme en matière de sécurité, nous en sommes à la énième loi sur ce sujet. Claude Goasguen pourrait fournir suffisamment de rapports brillants en la matière pour tapisser nos bureaux (Sourires).
Le projet de rapport de notre présidente est remarquable. Il comporte notamment des chiffres. Malgré ce qu’a dit Claude Goasguen, j’observe qu’il s’est appuyé sur ce document : c’est bien la preuve qu’il est utile.
Je m’exprime avec humour, mais je pense sérieusement que tant que nous n’aurons pas réglé ces questions au moyen d’une harmonisation – mon groupe partage à 100 % ce que notre présidente a déclaré – nous aurons à y revenir au cours de cette législature ou de la prochaine, car nous n’aurons pas traité le problème au fond.
Depuis 2015, l’Europe et la France affrontent des défis migratoires inédits dont il faudrait tirer des leçons. Ces défis nous obligent à adopter des mesures spécifiques tout en veillant au respect de nos valeurs et de notre tradition historique d’accueil des demandeurs d’asile. Nous partageons l’esprit et les objectifs du projet de loi, qu’il s’agisse d’améliorer les conditions d’accueil, de simplifier et de raccourcir les procédures ou d’accroître l’efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. Je ne développe pas plus car je partage ce qu’a dit notre présidente.
Avant de déterminer son vote final sur le texte qui résultera des travaux de notre assemblée, mon groupe soulèvera un certain nombre de questions et défendra des amendements en commission des lois et en séance.
S’agissant des dispositions qui nous intéressent aujourd’hui, notamment celles relatives à l'accueil des talents étrangers – non seulement les professionnels hautement qualifiés mais aussi ceux qui ont vocation à le devenir, les étudiants internationaux et les chercheurs –, nous partageons naturellement la volonté d'augmenter notre capacité à attirer de tels profils, tout en étant prudents à l’égard de ce que vous avez qualifié de « fuite des cerveaux ». Je vois que certains de nos collègues voudraient encore l’accroître, mais on doit faire attention.
Les articles 20, 21 et 25 vont dans le bon sens, à condition qu’ils permettent effectivement aux « talents » qui le souhaitent de travailler et de s'installer durablement en France. Quant aux articles 32 et 33, relatifs à la protection des victimes de violences conjugales, nous soutenons bien sûr le renforcement de leur droit au séjour. Ces dispositions, qui nous honorent, s'inscrivent dans l'équilibre qu’il faut trouver entre notre devoir d'accueillir ceux qui ont besoin d’une protection et notre responsabilité de reconduire effectivement les étrangers n’ayant pas obtenu les droits qu’ils demandaient. C’est un exercice difficile, mais je ne doute pas que nous parviendrons à assurer cet indispensable équilibre.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Merci beaucoup. Je pense que vous avez soulevé un vrai sujet en suggérant que la commission des affaires étrangères soit un jour saisie au fond des questions d’asile et d’immigration. C’est une proposition substantielle qui mériterait d’être défendue.
Mme Laurence Dumont. Je souscris à ce que vous dites, madame la présidente, sur l’intervention de M. Leroy, mais j’aborderai l’autre question de fond : est-il admissible de traiter de l’asile et de l’immigration dans le même texte ? C’est une faute, c’est une erreur absolue. Si on veut tenter d’éclairer l’opinion publique, mélanger dans un même texte la question des migrants et celle des réfugiés est vraiment la chose à ne pas faire.
En matière d’asile, il s’agit de respecter des engagements internationaux auxquels nous avons souscrit volontairement en 1951. Et il s’agit de répondre à tous nos engagements, nous y reviendrons dans l’hémicycle – je passe sur l’action du Gouvernement depuis son arrivée aux responsabilités car ce n’est pas le lieu, mais il y aurait tant à dire…
Les associations et les institutions sont unanimes à s’interroger : quelle est la raison d’être de ce texte précipité, alors que le bilan, nécessaire, des deux lois adoptées en 2015 et 2016 n’a pas encore été fait ? C’est un acte politique, sans doute inconstitutionnel par certains côtés, répressif évidemment, qui bafoue les règles élémentaires de l’asile.
Je trouve incompréhensible que notre commission des affaires étrangères – j’y viens – ne soit saisie que de ces cinq articles sans cohérence les uns avec les autres. D’ailleurs, ils n’ont pas suscité de commentaires du Conseil d’État ni des autres instances ou des associations. Et pour cause : le problème ne réside pas dans ces articles ! Je cherche la cohérence de cette saisine sur des articles qui ne concernent que le droit au séjour et aucun de ceux qui font le plus débat dans le titre III du projet de loi.
L’article 23, sur la suppression de la possibilité pour le demandeur d’asile de demander aussi son admission au séjour dans les mêmes délais, aura pour conséquence, en cas de refus de l’asile, d’empêcher la sollicitation d’un titre de séjour et expose les étrangers malades à un véritable risque. L’article 24 vise à unifier les titres de séjour pour mineurs, mais, si l’on se réfère à l’avis du Conseil d’État, il s’agirait non pas d’une simplification mais d’une restriction apportée à la circulation des mineurs à Mayotte. L’article 27 habilite le Gouvernement à modifier le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) par voie d’ordonnances. L’article 28 durcit les conditions d’obtention d’une carte de séjour : il faudra maintenant le SMIC. L’article 30 conditionne la délivrance du titre de séjour de parent d’enfant français à la justification de la contribution effective à l’éducation et l’entretien de l’enfant et met en place un dispositif d’alerte du procureur pouvant aboutir au refus de la reconnaissance de l’enfant, ce qui est contraire à l’intérêt de l’enfant, et sans doute inconstitutionnel. Enfin, il est inédit, incompréhensible en tout cas, que la commission ne se prononce pas sur les dispositions relatives à l’asile. Le 14 mars dernier, madame la présidente, vous aviez dit devant notre commission que nous avions des choses à dire sur ces questions. Effectivement, nous en avons : ce sont les dispositions les plus unanimement contestées par les autorités administratives indépendantes, le Conseil d’État, les avocats, les associations, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La bonne application de la Convention de Genève est au cœur de la mission de celui-ci. Je ne citerai qu’une phrase de son avis, que vous avez lu : « certaines dispositions du projet de loi pourraient conduire à une réduction de garanties à l’accès à une procédure d’asile juste et équitable ». C’est le HCR qui parle, ce n’est pas Laurence Dumont ! Ce texte pose donc énormément de problèmes, que nous examinerons malheureusement ailleurs – notamment dans l’hémicycle –, faute de pouvoir le faire ici.
J’espère aussi que des amendements seront déposés à propos de la question des enfants en rétention – nous ne pourrons pas non plus en débattre au sein de notre commission –, et qu’ils seront adoptés. Le HCR a effectivement encouragé les autorités françaises à se saisir de l’occasion de ce texte pour mettre un terme – enfin ! – à la rétention des enfants.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Chère collègue, nous nous sommes saisis de tout ce qui avait un lien avec les questions de la compétence de notre commission, en particulier l’action internationale, mais je comprends très bien ce que vous dites, à la suite de Maurice Leroy. Il s’agit d’une autre façon de regarder les choses. Si, au cours de cette législature, nous pouvons faire en sorte que des questions aussi importantes que l’asile, l’immigration et les liens avec les pays d’origine soient à terme traitées au fond par la commission des affaires étrangères, nous aurons peut-être fait progresser les choses. J’en reviens donc à la proposition de Maurice Leroy, qui me semble absolument fondée.
Je rappelle simplement que chaque député a évidemment et heureusement la liberté de participer au débat en commission des lois et de déposer des amendements.
Mme Clémentine Autain. Sans surprise, je répète ce que le groupe La France insoumise a déjà dit lors de la précédente réunion de notre commission : nous sommes opposés à la logique générale de ce projet de loi.
Je n’ai pas encore lu la totalité du projet de rapport qui nous a été remis mais j’en ai parcouru une partie, et l’introduction, particulièrement éclairante, nous donne du grain à moudre : finalement, votre approche est avant tout comptable, technocratique et productiviste. On ne trouve quasiment rien sur le sort des réfugiés ni sur les raisons de leur départ ni sur la confusion entre droit d’asile et immigration, en effet assez grave – je souscris à la remarque de ma collègue Laurence Dumont. Dans cet amalgame, la logique générale est tout de même de restreindre les possibilités d’accéder au droit d’asile et de restreindre les possibilités de s’installer dans notre pays. L’idée d’humanité et de fermeté reste affichée dans le discours mais, en réalité, la démonstration est faite : le seul objectif est de fermer les frontières, de réduire les possibilités d’accueil. Cette logique générale ne nous convient évidemment absolument pas. De quelle « politique généreuse » parlez-vous, madame la présidente ? Pour notre part, nous nous battons pour une politique qui soit à la fois humaniste et efficace, et, surtout, qui repose sur des droits ; ce n’est pas simplement une question de générosité, c’est une question de droits humains.
Vous nous expliquez que cela alimente toutes sortes de trafics, le travail clandestin, les marchands de sommeil. Peut-être faut-il avant tout se poser la question des commanditaires. Qui sont ceux qui emploient des travailleurs clandestins ? Qui sont ces marchands de sommeil ? Il faudrait aussi réfléchir aux conditions d’accueil de ces populations qui, bien souvent, fuient la guerre ou la misère.
Et puis c’est un peu « deux poids, deux mesures ». Il y a ces difficultés accrues, ces délais d’instruction plus courts à l’OFPRA, de même que les délais de recours devant la CNDA. Dans le même temps, le Gouvernement entend favoriser la venue de talents et compétences pour les start-ups françaises, soit une immigration choisie, au service des intérêts des plus riches. C’est un phénomène qu’on connaît déjà, à l’échelle internationale : les élites de la globalisation circulent, tandis que la majorité, notamment les catégories les plus populaires, est victime de notre incapacité à accueillir dignement. C’est pourquoi nous avons tenté quelques amendements, que nous n’allons pas présenter maintenant, mais qui visent ici et là à étendre les possibilités d’accueil. Cependant, nous rejetons entièrement la logique comptable qui nous est proposée dans ce rapport et dans le projet de loi.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. J’espère, chère collègue, que vous lirez le rapport. Votre avis m’intéresserait.
M. Jean-Paul Lecoq. Je n’ai pas non plus lu la totalité du projet d’avis, et peut-être la fin du texte réserve-t-elle quelques bonnes surprises, mais ce que j’ai lu est cohérent avec les discussions que nous avons eues et avec le point de vue de la majorité des membres de la commission des affaires étrangères. C’est important.
Nous sommes saisis, pour avis, de cinq articles. J’approuve ma collègue Laurence Dumont : mélanger asile et immigration, c’est semer le trouble et l’incompréhension. Il est déjà compliqué de discuter d’asile et d’immigration avec les gens. Si on fait l’amalgame, c’est une catastrophe. Nous devrions toujours poser cela comme préalable, et peut-être notre commission aurait-elle pu peser pour que le Gouvernement revoie sa copie avant de déposer ce projet de loi. Il est des pays où il arrive que le Gouvernement, entendant le Parlement, le fasse. C’est la séparation des pouvoirs, et les représentants du peuple disent au Gouvernement ce qu’il serait bon de faire. Cela n’existe pas chez nous, mais nous ne désespérons pas : peut-être notre pays vivra-t-il un jour une telle mutation !
Les articles dont nous sommes saisis n’appellent pas de remarque particulière de notre groupe, qui ne propose pas de les amender. L’article 20, notamment, relatif au « passeport talent » ne pose pas de problème, et vos propositions et votre rapport expriment des réactions généreuses, madame la présidente.
Je profite cependant de l’occasion pour critiquer ce projet de loi dans son ensemble.
Il y a quelques jours, le leader de l’extrême-droite italienne Matteo Salvini a dit qu’il comptait faire comme le président Emmanuel Macron pour traiter le problème des migrants. Il y a de quoi s’inquiéter, et pas qu’un peu. Le Défenseur des droits lui-même a relevé que ce projet de loi s’inscrit dans le prolongement des politiques successives et des dysfonctionnements constatés depuis trente ans ; avouez que c’est très inquiétant.
En ce qui nous concerne, nous sommes aux côtés des associations de soutien aux migrants et de défense des droits de l’homme, des avocats spécialisés en droit des étrangers, que nous avons rencontré en visitant la CNDA. Ce projet de loi emblématique nous fait définitivement comprendre que le mouvement d’Emmanuel Macron est porté par son aile droite, sans que son aile gauche ou son aile modérée, dirons-nous, n’ait le droit de critiquer. C’est un texte dont nous rejetons complètement la philosophie. La Cour nationale du droit d’asile et plusieurs syndicats de l’OFPRA se sont mis en grève pour souligner que la politique migratoire française prenait une direction très préoccupante. Il faut en finir avec cette « extrême-droitisation » du traitement des migrants. Ce sont des êtres humains qui fuient la misère et la mort, que l’on n’a pas à traiter comme des délinquants en les plaçant en rétention administrative. En fait de droit d’asile, il semble qu’un état de non-droit administratif, sans humanité, ait pris le pas sur le traitement humain que nous réclamons depuis toujours.
Enfin, un mot sur la fuite des cerveaux, dont j’ai déjà parlé lorsque nous avons abordé l’aide au développement. Il y a les étrangers qui viennent étudier en France, mais aussi des personnes, notamment des médecins, qui, ayant étudié dans leur pays d’origine, viennent dans notre pays ; c’est peut-être aussi parce que celui-ci n’a pas fait le nécessaire pour former parmi ses ressortissants suffisamment de médecins, de dentistes, etc. C’est quand même un problème.
Par ailleurs, j’avais demandé à une précédente commission que l’on puisse distinguer entre l’immigration en Europe et l’immigration dans nos territoires et départements d’outremer. J’ai beaucoup apprécié, d’ailleurs, le titre d’un article publié cette semaine par un grand quotidien, selon lequel les Comoriens sont chez eux à Mayotte – je suis d’accord.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Nos services m’indiquent, cher collègue, que nous ne disposons pas d’un tableau qui considère les migrations dans l’environnement régional de nos Outremers, mais nous allons examiner la question. Par ailleurs, une mission se rendra aux Comores aux cours des prochains mois.
La commission en vient à l’examen des articles.
Article 20
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cet article a en particulier pour objet le « passeport talent ».
La commission se saisit de l’amendement AE24 de M. Fabien Di Filippo.
M. Pierre-Henri Dumont. C’est un amendement de suppression par lequel nous mettons en cause non pas tant le « passeport talent » que la vision globale dont procède le projet de loi. Nous ouvrons de nouvelles voies d’immigration sans connaître les capacités d’accueil concrètes et réelles de notre pays. Il conviendrait de les mesurer tout d’abord et de définir des seuils préalablement à l’ouverture de nouveaux chemins d’accès. Si nous ignorons ce qu’il en est, il ne faut pas ouvrir cette nouvelle voie.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement d’appel, sur une question qu’il faut en effet approfondir.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle se saisit de l’amendement AE12 de M. Pierre Cabaré, qui est l’objet d’un sous-amendement AE45 de M. Joachim Son-Forget.
Mme Marion Lenne. Le troisième alinéa de l’article 20 étend le champ du « passeport talent » à l’étranger dont les fonctions s’inscrivent dans le cadre du projet de développement économique de l’entreprise et non plus seulement de son projet de recherche et de développement.
Par cet amendement, nous voulons étendre le dispositif aux fonctions qui s’inscrivent dans le cadre du projet de développement social et international de l’entreprise. Il me semble cohérent d’ouvrir la délivrance du « passeport talent » aux talents internationaux qui participent au développement social, notamment par la responsabilité sociétale de l’entreprise ou encore dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, et au développement international de l’entreprise.
M. Joachim Son-Forget. Inspiré par ma collègue Marion Lenne, je souhaite élargir le champ du « passeport talent » aux étrangers recrutés dans le cadre du développement environnemental d’une entreprise reconnue comme innovante, comme celles concernées par le French Tech Visa. Les entreprises innovantes étant des vecteurs d’attractivité de l’excellence de la création et la connaissance, il convient de faciliter le recrutement de talents étrangers et de soutenir la mobilité internationale. Cela soutiendra les entreprises françaises dans leurs projets, en particulier nos jeunes startups ouvertes sur le monde.
Ce dispositif ainsi modernisé contribuera à faire de notre économie l’une des plus performantes en matière d’innovation écologique, non sans une certaine cohérence avec d’autres engagements sur le plan environnemental pris à tous les niveaux.
M. Claude Goasguen. Je ne comprends pas très bien à quoi cela fait référence. En quoi le développement économique dont il est question à l’article 20 n’inclut-il pas déjà le développement social et international ? Les termes de ce genre d’article doivent être précis, car les conséquences juridiques sont importantes et il peut y avoir des contentieux. Je serais enclin à considérer que nous devons nous en tenir à l’article tel qu’il est rédigé dans le projet de loi.
M. Joachim Son-Forget. Nous apportons simplement une précision, cher collègue. L’innovation en matière environnementale a une valeur ajoutée particulière qui mérite d’être distinguée, à la suite du développement social et du développement international.
La commission adopte le sous-amendement.
Puis elle adopte l’amendement sous-amendé.
Elle se saisit ensuite de l’amendement AE13 de M. Pierre Cabaré.
Mme Marion Lenne. Aux termes du troisième alinéa de cet article 20, le « passeport talent » s’étend aux salariés d’une entreprise innovante, reconnue comme telle par un organisme public, et ce même si l’entreprise n’a pas le statut fiscal de jeune entreprise innovante.
Or, comme le souligne l’étude d’impact du Conseil d’État, « l’extension du titre “passeport talent” aux entreprises innovantes reconnues par un organisme public n’appelle pas de réserve, dès lors cependant que le Gouvernement note la nécessité de rendre publique la liste des organismes et procédures de reconnaissance concernées pour éviter toute disharmonie dans l’application que les services pourront faire de ces dispositions sur le territoire ». Par cet amendement, qui se focalise donc sur la reconnaissance du caractère innovant de l’entreprise, nous proposons d’insérer un alinéa après le troisième alinéa : « la liste des organismes publics qui reconnaissent le caractère innovant des entreprises, ainsi que les procédures de reconnaissance concernées, sont fixées par le décret ». Il s’agit de promouvoir cette exigence de transparence qui contribue à l’attractivité et au rayonnement de la France.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. En tant que rapporteure, je suis favorable, chère collègue, au principe dont procède l’amendement. Cependant, je ne suis pas certaine qu’il soit utile tel qu’il est rédigé. En effet, l’article L. 313-20 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit déjà que les conditions d’application du « passeport talent » sont fixées par décret en Conseil d’État. Ne faudra-t-il donc pas revoir le texte de cet amendement avant de le redéposer en commission des lois ? Je vous suggère de le retirer pour y retravailler.
Mme Marion Lenne. Il me semble que nous contribuons à préciser ce qu’est une entreprise innovante ou la manière dont elle peut être reconnue comme telle.
La commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement AE14 de M. Pierre Cabaré.
Mme Marion Lenne. Aux termes du septième alinéa de l’article 20, le « passeport talent » s’étend à toute personne susceptible de participer de façon significative et durable au rayonnement de la France ou à son développement. Dans la version actuelle de l’article L. 313-20 du CESEDA, il est délivré à l’étranger dont la renommée nationale ou internationale est établie et qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif.
Par cet amendement, nous proposons de compléter cette liste de domaines d’activité. Il y a lieu de reconnaître l’artisanat, filière d’excellence, comme une activité susceptible de propulser l’artisan sur le devant de la scène nationale et internationale. Il s’agit d’accueillir temporairement les talents internationaux qui exercent une activité artisanale de haut niveau en France pour partager leur savoir-faire et en même temps apprendre d’autres techniques qui feront à terme rayonner la France à travers le monde.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Je suis favorable à cet amendement, sous réserve d’une rectification formelle. Il devrait avoir pour objet de compléter l’alinéa 7 et non pas d’insérer un alinéa additionnel.
La commission adopte l’amendement rectifié.
Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 20 ainsi modifié.
Article 21
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cet article permet notamment aux jeunes étrangers diplômés en France et retournés chez eux de revenir en France, tant qu’une période de quatre ans ne se sera pas écoulée, pour y chercher du travail.
La commission examine l’amendement AE3 de Mme Marietta Karamanli.
M. Alain David. Cet amendement vise à mettre un terme aux discriminations fondées sur la nationalité, induites par les actuelles dispositions du code du travail relatives à l’inscription des étrangers à Pôle emploi. Si un étudiant est titulaire d’un titre de séjour temporaire lui permettant de rechercher un emploi, il doit pouvoir être accompagné dans sa recherche d’emploi au même titre que les autres étudiants présents sur le marché du travail.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement. Je comprends l’esprit dont il procède, mais, juridiquement, il pose deux problèmes.
D’une part, il ouvrirait le droit à l’appui de Pôle Emploi à tous les étudiants étrangers, alors que leur droit de travailler en France est limité à un temps partiel à moins de 60 %. Les titres de séjour permettant aux jeunes étrangers qui ont fait leurs études en France d’y rechercher un emploi ne sont pas des cartes « étudiant » mais des autorisations provisoires de séjour dites « étudiant en recherche d’emploi et/ou justifiant d’un projet de création d’entreprise ». Il y a donc un décalage entre l’exposé sommaire et le dispositif de l’amendement.
D’autre part, une disposition législative ne peut modifier une disposition réglementaire. Or c’est bien un article réglementaire du code du travail que votre amendement aurait pour objet de modifier.
M. Alain David. Nous retirons cet amendement, pour l’améliorer et le redéposer en vue de la séance.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Je vous remercie de cette démarche constructive, cher collègue.
L’amendement est retiré.
La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 21 sans modification.
Article 25
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Cet article, à l’adoption duquel je suis favorable, dispense les agents consulaires d’avoir à signer physiquement les visas.
La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 25 sans modification.
Article 32
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Cet article améliore la protection des étrangers menacés de mariage forcé ou victimes de violences conjugales. J’y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 32 sans modification.
Article 33
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Cet article étend la protection des victimes de violences familiales.
La commission se saisit de l’amendement AE1 de Mme Marietta Karamanli.
M. Alain David. Le CESEDA réserve cette protection au conjoint, alors que les violences conjugales peuvent concerner des couples non mariés. Il convient d’accorder les mêmes droits aux victimes, qu’elles soient mariées ou non. Tel est le sens de cet amendement, préconisé par le Défenseur des droits.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Bien que soucieuse, comme vous, d’aborder cette question sur le fond, je m’interroge sur la portée effective de l’amendement. En effet, l’exigence de maintien de la communauté de vie pour garantir le droit au séjour qui est prévue pour les couples mariés et justifie qu’on y fasse dérogation dans le cas de violences n’existe pas en droit dans les textes concernant les couples pacsés ou de fait. Ce point doit être vérifié mais l’amendement est peut-être inutile.
D’autre part, la rédaction de l’amendement pose problème. Vous proposez de « modifier » l’article L. 313-12 du CESEDA mais s’agit-il de le compléter, de le rédiger à nouveau ou d’y insérer une phrase ? En tout état de cause, ce problème de forme ne nous permet pas d’adopter l’amendement.
Je vous invite donc à le retirer pour y retravailler. À défaut, j’y serai défavorable.
L’amendement est retiré.
La commission en vient à l’amendement AE2 de Mme Marietta Karamanli.
M. Alain David. Cet amendement, inspiré d’une préconisation du Défenseur des droits, vise à garantir le renouvellement du titre de séjour aux personnes ayant subi des violences familiales ou conjugales ou sous la menace d’un mariage forcé, même après l’expiration de l’ordonnance de protection.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Encore une fois, la question de fond est intéressante, et cet amendement ouvre un véritable débat. Cependant, sa rédaction pose problème. Les textes relatifs aux titres de séjour comportent toujours une exception de sécurité : un titre de séjour peut être refusé ou retiré si la personne « constitue une menace pour l’ordre public ». Dans le contexte actuel, nous voyons parfaitement à quel point c’est nécessaire. Malheureusement, le dispositif de l’amendement ne prévoit pas de telle exception et emploie un terme très impératif : le droit au séjour doit être « garanti ». Appliqué strictement, il pourrait, par exemple, empêcher de retirer son titre de séjour à une personne qui se serait radicalisée. Une nouvelle rédaction serait souhaitable.
M. Alain David. Nous parlons tout de même de violences familiales.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Malheureusement, la formulation risque de poser problème. Mon avis n’est pas favorable, mais vous pourriez retirer l’amendement pour le redéposer en commission des lois.
L’amendement est retiré.
Mme la présidente Marielle de Sarnez, rapporteure. Je suis favorable à l’adoption de l’article 33.
La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 33 sans modification.
Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.
— 1 —
Annexe 1 : liste des auditions et remerciements
Marielle de Sarnez, rapporteure, tient à remercier celles et ceux qu’elle a auditionnés et qui, par leur expertise et leur engagement, ont grandement contribué à enrichir ce rapport :
(par ordre alphabétique)
Sara Abbas, directrice du bureau français de l’Organisation internationale pour les migrations ;
Corinne Balleix, professeure à l’Institut d’études politiques de Paris ;
Hugues Besancenot, directeur de l’immigration (ministère de l’intérieur) ;
Delphine Bonjour, chargée des relations institutionnelles du Secours catholique ;
Julie Bouaziz, adjointe au directeur de l’asile (ministère de l’intérieur) ;
Jean-Claude Brunet, ambassadeur en charge des menaces criminelles transnationales ;
Matteo de Bellis, chercheur à Amnesty International ;
Gérard Deprez, député européen ;
Jean-François Dubost, responsable du programme protection des populations d’Amnesty International ;
Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques ;
Marcel Escure, ambassadeur de France au Niger ;
Véronique Fayet, présidente du Secours catholique ;
Gaël Giraud, chef économiste à l’Agence française de développement ;
Ralf Gruenert, représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en France ;
Olivier Kaba, chef de projet « migrations » à l’Agence française de développement ;
Olivier Lafourcade, consultant international, président du conseil d’administration du fonds Investisseur & Partenaire pour le Développement (IPDEV) ;
Caroline Laly-Chevalier, conseillère juridique au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
Serge Michailof, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques ;
Marwa Mohammed, chercheuse à Amnesty International ;
Elisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains ;
Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France (ministère de l’intérieur) ;
Pauline Pannier, conseillère chargée de l’immigration, des libertés publiques et des cultes au cabinet du ministre de l’intérieur ;
Philippe Righini, sous-directeur de la politique des visas (ministère de l’Europe et des affaires étrangères) ;
Claire Sabah, chargée de projets au département accueil et droits des étrangers du Secours catholique ;
Pierre Salignon, responsable de la division des partenariats avec les organisations de la société civile à l’Agence française de développement ;
Alice Sironi, spécialiste du droit de la migration au sein de l'unité de droit international de la migration de l’Organisation internationale pour les migrations ;
Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations ;
Michèle Tribalat, démographe ;
Nicolas Warnery, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (ministère de l’Europe et des affaires étrangères).
La rapporteure tient également à remercier : Didier Le Bot, chef de division, Gilles Arathoon, conseiller, Tiphaine Cosnier, administratrice, Samy Imourra, stagiaire (commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale).
Annexe 2 : le régime d’asile européen commun
L’Union européenne s’est fixé pour objectif la mise en place d’un régime d’asile européen commun (RAEC) lors du sommet de Tampere en 1999.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (2009), les politiques de l’Union relatives à l’asile et à l’immigration sont régies « par le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier » (article 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Cette disposition a rehaussé le niveau des objectifs du RAEC : on est passé d’une exigence de fixation de normes « minimales » à celle de normes dites « communes » ou « uniformes ».
L’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne constitue la base juridique du RAEC. Il prévoit l’existence d’une « politique commune » de l’asile qui doit comprendre notamment : des statuts « uniformes » d’asile et de « protection subsidiaire » ; « un système commun visant, en cas d’afflux massif, une protection temporaire des personnes déplacées » ; des procédures communes pour l’accès aux statuts susmentionnés et des normes communes pour l’accueil des demandeurs d’asile ; des mesures de partenariat et de coopération avec les pays tiers pour gérer les flux de personnes demandant une protection.
Un corpus de textes mettant en œuvre ces différents items a été adopté à partir du début des années 2000, puis révisé dans les années 2010, lorsque l’on est passé de normes « minimales » à des règles « communes » :
– la directive « qualification » ([58]) précise les situations qui doivent relever d’une protection internationale et garantit un certain nombre de droits aux réfugiés ;
– la directive « procédure » ([59]) pose des règles procédurales et garantit les droits des demandeurs d’asile, notamment celui de séjourner dans le pays concerné durant l’instruction de leur demande ;
– la directive « accueil » ([60]) fixe les règles applicables pour l’accueil et la prise en charge des demandeurs d’asile, y compris les conditions de leur éventuel placement en rétention ;
– les règlements « Dublin » ([61]) déterminent l’État européen responsable de l’examen d’une demande d’asile en application de la convention de Dublin : l’État responsable est par priorité celui dans lequel le demandeur a des membres de sa famille déjà protégés ou demandeurs ; puis celui qui lui a délivré un titre de séjour valide ; enfin, celui par lequel il est établi qu’il est entré pour la première fois (et irrégulièrement) dans l’Union. Il est en outre institué un dispositif dit « Eurodac » de comparaison des empreintes digitales afin d’identifier cet État (sous réserve que ces empreintes y aient été relevées) ([62]) ;
– la directive « protection temporaire » ([63]) prévoit l’établissement d’un régime particulier de ce nom « en cas d’afflux massif de personnes déplacées » : des mesures seraient alors prises pour « assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes » ;
– la directive « retour » ([64]) détermine enfin les normes et procédures pour le renvoi des étrangers en séjour irrégulier. Elle fixe notamment la durée maximale de la rétention à six mois, voire dix-huit mois en cas de manque de coopération de l’étranger ou de retard dans la délivrance des documents de voyage.
Par ailleurs, les États-membres ont décidé ([65]) la mise en place d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile (connu sous l’acronyme EASO, pour European Asylum Support Office), chargé essentiellement, à l’origine, d’une mission de coordination pour le recueil d’informations, notamment sur les pays d’origine. Son rôle a été renforcé lors de la crise migratoire de 2015, l’EASO étant notamment chargé d’aider l’Italie et la Grèce à mettre en place les « hotspots ».
i. La répartition par continent des personnes relevant du HCR
Source : exploitation du Rapport global 2016 du HCR.
*
* *
ii. Les principaux pays d’accueil des réfugiés
Source : Rapport global 2016 du HCR.
iii. Les principaux pays d’origine des réfugiés
Source : HCR.
*
* *
iv. Les vingt pays avec l’indice synthétique de fécondité le plus élevé
(nombre d’enfants par femmes)
Rang (2015) |
|
1960 |
2015 |
1 |
Niger |
7,5 |
7,3 |
2 |
Somalie |
7,3 |
6,4 |
3 |
République démocratique du Congo |
6 |
6,2 |
4 |
Mali |
7 |
6,1 |
5 |
Tchad |
6,3 |
6,1 |
6 |
Burundi |
7 |
5,8 |
7 |
Angola |
7,5 |
5,8 |
8 |
Ouganda |
7 |
5,7 |
9 |
Timor-Leste |
6,4 |
5,6 |
10 |
Nigéria |
6,4 |
5,6 |
11 |
Gambie |
5,6 |
5,5 |
12 |
Burkina Faso |
6,3 |
5,4 |
13 |
Mozambique |
7 |
5,3 |
14 |
Tanzanie |
6,8 |
5,1 |
15 |
Bénin |
6,3 |
5 |
16 |
Zambie |
7,1 |
5 |
17 |
Côte d’Ivoire |
7,7 |
5 |
18 |
République centrafricaine |
5,8 |
4,9 |
19 |
Soudan du Sud |
6,7 |
4,9 |
20 |
Guinée |
6,1 |
4,9 |
Source : base de données de la Banque mondiale.
En gras : pays africains.
Soulignés et en gras : G5 Sahel.
v. L’évolution du rapport entre le pouvoir d’achat moyen des Français et des ressortissants de pays francophones d’Afrique subsaharienne