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N° 1288

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255)

TOME III

AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT ET AFFAIRES RURALES

AGRICULTURE ET ALIMENTATION

PAR M. Jean-Baptiste MOREAU

Député

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 Voir les numéros : 1255 et 1302 (Tome III, annexe 4).


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Présentation des crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »

A. Le programme 149 « compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture »

1. L’action n° 21 « Adaptation des filières à l’évolution des marchés »

2. L’action n° 22 « Gestion des crises et des aléas de la production agricole »

3. L’action n° 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles »

4. L’action n° 24 « Gestion équilibrée et durable des territoires »

5. L’action n° 25 « Protection sociale »

6. L’action n° 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois »

7. L’action n° 27 « Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions »

8. L’action n° 28 « Gestion durable des pêches et de l’aquaculture »

B. Le programme 206 : « Sécurité et qualité sanitaires de lalimentation »

C. Le programme 215 : « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture »

D. Le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR)

II. Le budget de la politique agricole commune (PAC) : un horizon incertain

III. Améliorer la situation économique des exploitations par la création d’un fonds de transition agricole

A. Le contexte bien connu : une déflation du prix des produits agricoles et une paupérisation des agriculteurs

B. Le levier : utiliser les mécanismes du projet de loi pour léquilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

C. Pour un fonds de transition agricole

1. Les initiatives passées

a. Des fonds d’investissement ou d’appui à l’installation

b. Des fonds de sécurisation des revenus ou d’aide à la trésorerie

2. Un fonds de partage de la valeur ajoutée agricole dégagée par le relèvement du seuil de revente à perte

3. L’initiative pour une transition agroécologique (ITAE)

4. Le projet du rapporteur

a. Sur l’assistance technique publique

b. Sur l’initiative pour une transition agroécologique

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉes


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Introduction

L’année 2018 a été marquée par la discussion du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (projet de loi EGALIM). Adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 14 septembre dernier, il devrait être promulgué avant la fin de la discussion du projet de loi de finances pour 2019.

Le projet de loi EGALIM ne comporte pas de mesures fiscales ou budgétaires : il fait appel à la force de la loi et aux ressources privées et propres aux filières pour engager la transformation de l’agriculture française vers davantage de qualités et de compétitivité. Il encadre les relations commerciales dans le sens d’une meilleure prise en compte des coûts de production des producteurs afin qu’ils redeviennent acteurs de la commercialisation de leurs produits et surtout de la formation des prix qui assoient leur rémunération. Pour s’assurer que les mesures législatives adoptées seront bien effectives, votre rapporteur souhaite que soit augmenté le nombre d’agents chargés des contrôles.

Les mesures de transformation vers une agriculture plus durable et plus rémunératrice sont accompagnées par ce projet de budget. La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » fortes de 2,76 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,85 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) voit, à périmètre constant ([1]), ses crédits pérennisés.

Ce budget porte également le volet agricole du Grand plan d’investissement (GPI) pour la période 2018-2022, doté de 5 milliards d’euros : l’objectif est de soutenir les projets de transition portés par les organisations interprofessionnelles et présentés, notamment, dans les plans de filières de ces dernières. Trois axes le structurent : la transformation de l’amont agricole, l’amélioration de l’aval des filières, l’innovation et la structuration de celles-ci. Le GPI prend la forme de subventions et de fonds de garantie, d’offres de prêt sans garantie et d’apports en fonds propres. Pour 2019, 158 millions d’euros en AE et 216 millions d’euros en CP seront mobilisés.

Votre rapporteur souhaite néanmoins attirer l’attention sur le projet du Gouvernement de suppression de l’exonération de cotisations sociales pour les employeurs de saisonniers (dispositif TODE pour les travailleurs occasionnels, demandeurs d’emploi). Il regrette que le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoie la suppression de cet allègement de charges favorable à l’embauche dans des filières qui connaissent de nombreuses difficultés. La concurrence étrangère employant une main-d’œuvre bon marché, il est impératif de conserver un système qui ne renchérisse pas le coût du travail.

Enfin, votre rapporteur souhaite que soit créé un fonds de transition agricole alimenté par des fonds privés issus des industries agroalimentaires et des distributeurs, en contrepartie d’engagements agroécologiques des producteurs. Ce fonds serait également porté par des crédits publics afin de créer un effet levier pour le financement de la transition.

*

*     *

Votre rapporteur soutient l’action du Gouvernement en donnant un avis favorable à l’adoption des crédits des programmes 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », 206 « Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation » et 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture ».

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*     *

 


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I.   Présentation des crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »

Le plafond de crédits alloués à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) s’élève à 2,76 milliards d’euros en AE et 2,85 milliards d’euros en CP.

Après plusieurs années de changements, le périmètre de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est inchangé par rapport à la loi de finances pour 2018.

Crédits nationaux en faveur de l’agriculture pour 2019

(En euros)

Numéro de programme et intitulé

AE

CP

149

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

1 608 778 387

1 690 999 774

206

Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation

537 655 584

536 755 584

215

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

618 335 303

626 059 652

775 & 776

Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural

136 000 000

136 000 000

143

Enseignement technique agricole

1 468 242 241

1 468 242 241

142

Enseignement supérieur et recherche agricoles

352 053 237

352 915 958

TOTAL

4 721 064 752

4 810 973 209

 

A.   Le programme 149 « compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture »

Crédits du programme 149 « compétitivité et durabilité
de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forÊt, de la pÊche
et de l’aquaculture » et des actions qui le composent

(En euros)

Numéro et intitulé
du programme et de l’action

AE

CP

Ouvertes en LFI 2018

Demandées pour 2019

Ouverts en LFI 2018

Demandés pour 2019

149

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

2 113 375 174

1 608 778 387

2 221 675 174

1 690 999 774

Variation

 23,9 %

 23,9 %

21

Adaptation des filières à l’évolution des marchés

218 830 342

222 820 000

219 289 847

223 220 000

22

Gestion des crises et des aléas de la production agricole

5 400 008

5 374 381

5 400 008

5 374 381

23

Appui au renouvellement
et à la modernisation
des exploitations agricoles

135 956 507

124 197 183

138 565 019

157 058 460

24

Gestion équilibrée et durable
des territoires

394 722 277

399 021 554

471 730 566

440 040 720

25

Protection sociale

480 392 865

59 892 865

480 392 865

59 892 865

26

Gestion durable de la forêt

et développement de la

filière bois

242 084 203

246 794 253

270 298 328

254 725 628

27

Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions

590 816 652

500 978 831

590 816 652

500 978 831

28

Pêche et aquaculture

45 172 320

49 699 320

45 181 889

49 708 889

Ce programme regroupe les actions qui structurent les filières couvertes par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, y compris les filières pêche et aquaculture dont les crédits étaient auparavant intégrés à la mission « Écologie, développement et mobilité durable ».

Après avoir baissé de 6,6 % en AE et de 0,3 % en CP entre la loi de finances pour 2017 et la loi de finances pour 2018, la dotation de ce programme dintervention est en diminution de près de 24 % en AE comme en CP entre la loi de finances pour 2018 et le projet de loi de finances pour 2019. Ces deux années de baisses consécutives sont liées à l’action n° 25 « Protection sociale » au sein de laquelle était inscrite la mesure exceptionnelle de réduction de 7 points de la cotisation personnelle maladie des exploitants supprimée dans la loi de finances pour 2018 et le transfert au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale des dispositifs d’exonération des charges, dans le cadre de leur alignement avec les régimes d’allègement de cotisations sociales de droit commun.

Ces actions sont souvent le résultat de la synergie des financements européens de la politique agricole commune (PAC) et de la politique commune de la pêche (PCP) – à travers le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le Fonds européen des affaires maritimes et de la pêche (FEAMP) –, et de leur cofinancement national. Les choix budgétaires du Gouvernement poursuivent la même logique que la PAC, à savoir concilier performance économique et performance environnementale des exploitations.

1.   L’action n° 21 « Adaptation des filières à l’évolution des marchés »

Cette action soutient l’organisation des filières et promeut les produits de qualité. Elle représente 13,9 % du budget du programme, en hausse de 1,8 % en AE et en CP par rapport à 2018.

Cette hausse résulte essentiellement du doublement des crédits alloués au Fonds Avenir Bio (de 4 millions d’euros à 8 millions d’euros). Cette hausse est le bras armé de l’objectif du Gouvernement, traduit dans le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, d’atteindre l’objectif d’affectation de 15 % de la surface agricole utile à l’agriculture biologique (article 11 undecies du texte adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive le 14 septembre 2018).

Cette action accompagne aussi la filière canne à sucre dans les départements d’outre-mer dans le contexte de libéralisation du secteur sucrier. L’aide au secteur représente 124,4 millions d’euros, montant stable par rapport à 2018.

2.   L’action n° 22 « Gestion des crises et des aléas de la production agricole »

Cette action ne représente que 0,3 % du budget du programme avec 5,4 millions d’euros en AE et CP. Y sont inscrits les crédits AGRIDIFF (aide en faveur du redressement des exploitations en difficulté). Ces crédits sont en très légère baisse, après avoir été doublés en 2018 pour faire face à l’augmentation du nombre de dossiers d’agriculteurs en difficulté.

Cette action couvre également le fonds d’allègement des charges (FAC) doté de 1,8 million d’euros en AE et CP et consacré à la prise en charge d’une partie des intérêts d’emprunts des exploitations agricoles. Ces crédits sont également en très légère baisse.

3.   L’action n° 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles »

Cette action représente 7,7 % des crédits du programme avec 124,2 millions d’euros en AE (en baisse de 8,6 %, soit 11,8 millions d’euros) et 157,1 millions d’euros en CP (en hausse de 13,3 %, soit 18,5 millions d’euros).

Elle soutient la modernisation des exploitations, notamment par le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles – PCAE – et le volet agricole du grand plan d’investissement : le fonds de garantie des exploitations agricoles piloté par la Banque européenne d’investissement (BEI) et le fonds de prêts à la méthanisation de la Banque publique d’investissement (BPIfrance).

Est également soutenue l’installation des jeunes agriculteurs par le biais de la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) revalorisée en 2017 pour compenser la suppression des prêts bonifiés. Cette dotation est stable pour 2019 en AE et en hausse de 12,8 millions d’euros en CP pour financer les restes à payer des prêts bonifiés.

Ces aides sont cofinancées à hauteur de 75 % par le FEADER.

4.   L’action n° 24 « Gestion équilibrée et durable des territoires »

Cette action représente 24,8 % des dotations du programme, soit 399 millions d’euros en AE (en hausse de 1,1 %) et 440 millions d’euros en CP (en baisse de 6,7 %). Elle rassemble les interventions en faveur du monde rural et de la diversité des activités agricoles.

Les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) contribuent au maintien des exploitations agricoles dans les zones soumises à des contraintes naturelles : montagne ou zones défavorisées. Ces crédits sont en hausse de 20 millions d’euros (et portés à 284 millions d’euros), afin de financer la révision du zonage des zones défavorisées hors montagne et la révision de l’ICHN animale. En comptant le cofinancement du FEADER à hauteur de 75 %, le montant de cette aide est porté à 1,14 milliard d’euros.

Les crédits attribués à la lutte contre la prédation du loup et de l’ours sont en hausse de 2,4 millions d’euros, ce qui les porte à 18,7 millions d’euros en AE et CP en 2019.

Cette action prend aussi en charge les mesures destinées à accompagner les exploitations agricoles vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement : les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides à l’agriculture biologique. Pour 2019, les crédits consacrés à ces deux mesures s’élèvent à 63,2 millions d’euros en AE et à 103,7 millions d’euros en CP. L’importance des CP s’explique par le rattrapage de paiements dus au titre des années 2015 à 2018 qui seront versés en 2019.

Ces crédits sont néanmoins en baisse : ‑ 18,2 millions d’euros en AE et ‑ 54,2 millions d’euros en CP. Cela s’explique par la fin des aides au maintien à l’agriculture biologique (les aides ayant été attribuées pour 5 ans, elles disparaîtront progressivement d’ici 2022). Le Gouvernement entend se concentrer sur les aides à la conversion en agriculture biologique, le fonds avenir bio voit ses moyens doubler dans le cadre du Grand plan d’investissement et le crédit d’impôt bio est revalorisé. La demande des consommateurs est en hausse constante ; dans ce contexte, rien ne justifie d’aider ce marché mature. En revanche, les changements de structure d’exploitation et de marché induits par la conversion à l’agriculture biologique justifient que les conversions soient soutenues, en particulier avec l’objectif chiffré de 15 % de la SAU convertie à l’agriculture biologique en 2022.

En application de la loi EGALIM précitée (article 11 du texte adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale), le levier de la commande publique produira, d’ici 2022, de nombreux effets sur le volume d’exploitations en agriculture biologique puisque d’ici cette date les repas servis dans les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge devront comprendre au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique.

5.   L’action n° 25 « Protection sociale »

Cette action représente 3,7 % des crédits du programme, contre 22,7 % en 2018 : elle passe de 480 millions d’euros à 59,9 millions d’euros en AE et CP.

Jusqu’en 2017, ces actions étaient inscrites au budget de la sécurité sociale. En loi de finances pour 2017, les crédits de cette action s’élevaient à 915 millions d’euros ; ils ont diminué de moitié l’année suivante du fait de la suppression de la mesure exceptionnelle de réduction de 7 points de la cotisation personnelle maladie des exploitants.

En 2019, la majorité de ces crédits est à nouveau transférée vers la sphère sociale des dispositifs d’exonérations de charges, dans le cadre de l’alignement avec les régimes d’allègement de cotisations sociales de droit commun. À noter la possible suppression, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, de l’exonération de cotisations sociales pour les employeurs de saisonniers (dispositif TODE pour les travailleurs occasionnels, demandeurs d’emploi).

6.   L’action n° 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois »

Cette action, qui représente 15,3 % des crédits du programme, est dotée de 246,8 millions d’euros en AE et 254,7 millions d’euros en CP.

Pour la première fois depuis 2015, les crédits destinés à la forêt et à la filière bois sont en légère augmentation de 4,7 millions d’euros en AE (+ 1,9 %) mais toujours en baisse en CP, de 15,6 millions d’euros (‑ 5,8 %).

Les évolutions notables concernent le fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB), qui voit sa dotation en AE augmenter de 5,3 millions d’euros (+ 26 %), dans le cadre du Grand plan d’investissement. Ce fonds est destiné aux actions de développement et d’accompagnement de l’investissement dans la filière par un soutien aux entreprises de première transformation du bois et un financement d’actions de recherche et d’innovation.

Les aides destinées aux propriétaires forestiers des territoires sinistrés par la tempête Klaus de 2009 ont pris fin en 2018 (AE), les CP sont dotés de 10,5 millions d’euros en 2019 (contre 25,7 millions d’euros en 2018).

Les crédits alloués aux mesures de défense contre les incendies (DFCI), d’acquisition de forêt par l’État et les collectivités territoriales, de classement et de lutte phytosanitaire, le budget alloué aux organismes et aux études, le versement compensateur (140,40 M€), la subvention déquilibre de l’Office national des forêts (12,50 M€) et la dotation accordée au Centre national de la propriété forestière sont maintenus à leur niveau de 2018. La hausse de 3,70 millions d’euros de la mission dintérêt général (qui passe à 26 millions deuros) résulte dun transfert depuis la ligne de restauration de terrains de montagne, qui passe à 4,6 millions deuros dAE en 2019.

7.   L’action n° 27 « Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions »

Cette action comprend le financement des opérateurs participant à la mise en œuvre de l’ensemble du programme consacré aux entreprises agricoles et agroalimentaires. Elle représente 31,1 % des crédits du programme, soit 500 millions d’euros en AE et CP.

Les subventions pour charge de services publics (SCSP) des opérateurs sous tutelle sur le volet agriculture et agroalimentaire augmentent de 10 milliards d’euros (+ 3,4 %), conformément à la trajectoire 2019 du budget quinquennal (loi de programmation des finances publiques 2018-2022).

Cette action comporte une provision pour aléas de 200 millions d’euros permettant de faire face au financement d’éventuelles crises économiques, sanitaires ou climatiques mais surtout de couvrir les refus d’apurement communautaire notifiés par la Commission européenne. Ce sont 100 millions de crédits en moins par rapport à 2018, année de création de cette ligne budgétaire prévue notamment pour payer de non-respect des délais de paiement ou de plafonds réglementaires.

Parmi l’évolution des budgets des établissements publics il faut noter la budgétisation (à hauteur de 16,6 millions d’euros), pour FranceAgriMer, du produit de la taxe céréales supprimée dans la première partie du présent projet de loi de finances pour 2019.

À noter également la subvention pour charges de service public de l’Agence bio qui est portée à 2,1 millions d’euros, soit une hausse de 51,8 %, en lien avec sa mission de soutien du Plan Ambition Bio évoqué précédemment.

8.   L’action n° 28 « Gestion durable des pêches et de l’aquaculture »

Cette action était, jusqu’en 2018, intégrée au périmètre du programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Écologie, développement et mobilité durable ». Elle soutient l’amélioration des filières pêche et aquaculture, dans le cadre de la politique commune des pêches (PCP).

Les crédits de cette action, qui représentent 3,1 % des crédits du programme, s’élèvent à 49,7 millions d’euros en AE et CP, en hausse de 10 % par rapport à 2018. Cette hausse résulte d’un transfert, depuis la subvention pour charges de service public de l’Agence des services de paiement (action 27), de 450 000 euros pour financer le système d’information du FEAMP ainsi que de l’intégration dans le budget des interventions économiques cofinancées, de la compensation de la taxe sur les produits de la mer (4 millions d’euros), historiquement affectée à FranceAgriMer et supprimée en 2019.

B.   Le programme 206 : « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation »

Le programme 206 : « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation », qui contribue à la maîtrise globale des risques sanitaires, comporte sept actions : prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale ; lutte contre les maladies animales et protection des animaux ; prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires ; actions transversales ; élimination des cadavres et des sous-produits animaux ; mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l’alimentation et qualité de l’alimentation et offre alimentaire.

CrÉdits du programme 206 « SÉcurité et qualité sanitaire de l’alimentation »
et des actions qui le composent

(En euros)

Numéro et intitulé du programme et de laction

AE

CP

Ouvertes en LFI 2018

Demandées pour 2019

Ouverts en LFI 2018

Demandés pour 2019

206

Sécurité et qualité sanitaire de lalimentation

554 137 920

537 655 584

552 137 920

536 755 584

Variation

 3 %

 2,8 %

01

Prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale

30 891 000

31 286 317

30 736 000

31 131 340

02

Lutte contre les maladies animales et protection des animaux

100 934 695

85 955 794

99 579 695

84 405 816

03

Prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires

20 456 000

21 314 300

20 433 000

21 291 255

04

Actions transversales

76 232 805

81 334 067

75 266 805

82 163 067

05

Élimination des cadavres et des sous-produits animaux

3 300 000

3 800 000

3 800 000

3 800 000

06

Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaire de l’alimentation

318 611 920

310 253 606

318 611 920

310 253 606

08

Qualité de l’alimentation et offre alimentaire

3 711 500

3 711 500

3 710 500

3 710 500

Ce programme dispose d’un budget de 537,7 millions d’euros en AE et de 536,8 millions d’euros en CP, en baisse de 16,5 millions d’euros en AE et de 15,4 millions d’euros en CP par rapport à 2018.

Les diminutions de crédits concernent :

– l’action n° 2 « Lutte contre les maladies animales et protection des animaux », correspondant à la réduction de la dotation destinée à l’indemnisation des retraites des vétérinaires sanitaires (‑ 37 % en AE et ‑ 40 % en CP)

– l’action n° 6 « Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaire de l’alimentation », qui regroupe 57,7 % des crédits de ce programme, en baisse de 8 millions d’euros essentiellement en crédits de personnels.

À noter à l’action n° 4 « Moyens scientifiques et techniques maîtrise risque » : la hausse des crédits de 6 millions d’euros en AE et en CP (+ 10 %) qui s’expliquent par l’augmentation de la subvention pour charges de service public de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) suite à l’intégration des frais de fonctionnement de la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale.

C.   Le programme 215 : « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture »

Le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture » est le programme transversal d’appui au ministère et aux services déconcentrés. Il porte les crédits de personnel, de fonctionnement, informatiques, immobiliers, de formation et de la communication.

Il se décline en quatre actions : moyens de l’administration centrale ; évaluation de l’impact des politiques publiques et information économique ; moyens des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et directions départementales des territoires (et de la mer) ; et moyens communs.

Crédits du programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de lagriculture » et des actions qui le composenT

(En euros)

Numéro et intitulé du programme et de laction

AE

CP

Ouvertes en LFI 2018

Demandées pour 2019

Ouverts en LFI 2018

Demandés pour 2019

215

Conduite et pilotage des politiques de lagriculture

649 305 131

618 335 303

655 350 680

626 059 652

Variation

 4,8 %

 4,5 %

01

Moyens de l’administration centrale

206 897 927

186 005 875

210 900 176

192 369 023

02

Évaluation de l’impact des politiques publiques et information économique

18 314 823

17 801 004

18 314 823

17 801 004

03

Moyens des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et directions départementales des territoires (et de la mer)

354 475 356

346 010 610

354 475 356

346 010 610

04

Moyens communs

69 617 025

68 517 814

71 660 325

69 879 015

L’action n° 1 « Moyens de l’administration centrale » est celle qui connaît la baisse la plus marquée de ses crédits : ‑ 17 millions d’euros en AE (‑ 49 %) et ‑ 14,7 millions d’euros en CP (‑ 38 %). Cette diminution s’explique essentiellement par la suppression des loyers budgétaires : « dans le cadre de la nouvelle politique immobilière de l’État, le dispositif des loyers budgétaires fait l’objet d’une évolution : l’information sur la valeur économique des biens immobiliers de l’État occupés sera désormais traitée dans le cadre d’instruments non budgétaires ».

D.   Le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR)

Aucune évolution n’est à signaler pour ce compte d’affectation spéciale.

La recette affectée de la taxe sur le chiffre daffaires des exploitants agricoles est estimée à 136 millions deuros. Ce montant correspond à la recette de la taxe pour l’année 2017. La recette étant entièrement affectée, les crédits du CASDAR sont estimatifs, le montant des engagements est ajusté tout au long de l’année à due concurrence des recettes réellement encaissées.

Les deux programmes qui composent ce compte d’affectation spéciale sont « Développement et transfert en agriculture » (775), doté de 65 millions d’euros de crédits, et « Recherche appliquée et innovation en agriculture » (776), doté de 71 millions d’euros de crédits. Ces montants sont stables.


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II.   Le budget de la politique agricole commune (PAC) : un horizon incertain

Le budget de la PAC ne fait pas partie du périmètre du présent avis sur les crédits nationaux du ministère de l’agriculture mais eu égard à l’importance des crédits européens dans le revenu des agriculteurs et aux annonces de la Commission européenne, il convient d’en faire état.

Alors que le budget de la PAC décidé pour la programmation budgétaire pluriannuelle en cours avait été maintenu à un niveau comparable à celui de la programmation précédente, il risque d’en être bien autrement pour le prochain cadre financier pluriannuel (CFP).

La Commission européenne a présenté, le 2 mai 2018, sa proposition de CFP pour la période 2021-2027 ([2]) : elle a proposé un budget de 1 279 milliards d’euros dont 365 milliards deuros pour la PAC, contre 408 milliards deuros actuellement, soit une baisse de 5 % en euros courants. 265,2 milliards d’euros seront affectés aux paiements directs, 20 milliards d’euros aux mesures de soutien du marché et 78,8 milliards d’euros au développement rural.

La part revenant à la France s’établira à 50,9 milliards d’euros sur la période, soit une baisse de 3,9 % en euros courants, identique aux baisses annoncées pour l’Allemagne, l’Italie et treize autres États membres. Cette baisse est calculée en euros courants, c’est-à-dire sans tenir compte de la perte de valeur de la monnaie sous l’effet de l’inflation. En prenant en considération l’inflation, la baisse pourrait être de 16,3 % selon le think tank Agriculture Stratégies.

Aujourd’hui, la part du budget PAC revenant à la France s’élève à 8,907 milliards deuros (2018). Il est ainsi réparti :

– 7,239 milliards d’euros au titre du premier pilier. Ces crédits constituent un soutien aux marchés et aux revenus agricoles par des aides directes aux producteurs. Depuis 2015, quatre types d’aides directes sont disponibles : le paiement de base (une aide à l’hectare harmonisée au niveau national ou régional), le paiement redistributif (à la discrétion des États membres, qui peuvent allouer une partie des fonds destinés aux grandes exploitations à des exploitations de plus petite taille), le paiement jeunes agriculteurs et le paiement « vert » accessible sous conditions ;

– 1,668 milliard d’euros au titre du deuxième pilier. Ce pilier est consacré au développement rural. Il a pour objectif de maintenir le dynamisme socio‑économique des territoires ruraux (modernisation des exploitations, formation des agriculteurs, aides à l’installation, agriculture biologique etc.). Ce pilier est cofinancé par les États membres.

Le think tank Farm Europe tire les conséquences de ce futur budget pour les revenus directs des agriculteurs : les propositions législatives et budgétaires de la Commission européenne feraient chuter le revenu des agriculteurs européens de 16 % à 20 %.

Seul point positif de cette proposition : la dégressivité et le plafonnement des aides. La Commission a en effet proposé une dégressivité des aides à partir de 60 000 euros et un plafonnement obligatoire pour les paiements supérieurs à 100 000 euros par exploitation, ce qui va dans le sens d’une répartition plus équitable des aides. Elle propose également que les États membres puissent offrir aux petits agriculteurs un montant forfaitaire annuel avec une procédure administrative plus simple.

La commission Agriculture du Parlement européen a voté, le 9 octobre 2018, contre une baisse du budget de la PAC, à une large majorité : 70 voix contre 5. Elle était saisie pour avis sur le projet de budget. La commission du budget doit rendre son avis le 5  novembre. Le vote en plénière aura lieu au cours de la session du Parlement européen des 12 au 15 novembre.

Outre sa proposition budgétaire, la Commission européenne a fait le choix de la souplesse et de la subsidiarité : la méthode retenue consiste à donner plus de marges de manœuvre aux États membres dans la gestion de leurs dotations. Chaque État élaborerait un programme national sur-mesure conduisant, in fine, à une mise en concurrence intra-européenne dont pâtiraient certainement les mesures environnementales. La distorsion de concurrence induite pénaliserait le modèle français et ferait reculer la convergence acquise aujourd’hui.


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III.   Améliorer la situation économique des exploitations par la création d’un fonds de transition agricole

A.   Le contexte bien connu : une déflation du prix des produits agricoles et une paupérisation des agriculteurs

Les exploitants agricoles font face à une forte variabilité des prix agricoles, qui, quelles que soient les orientations productives et les mesures de soutien public, affecte au premier chef leurs revenus.

Le secteur a connu de graves difficultés économiques depuis 2012. On constate une légère amélioration en 2017 mais qui ne concerne pas toutes les productions ([3]).

Le résultat courant avant impôt (RCAI) par actif non salarié des « moyennes et grandes » exploitations agricoles s’élevait à 19 300 € en moyenne en 2016. Cette même année, un quart des exploitations a dégagé un RCAI par actif non salarié inférieur à 940 €.

L’évolution des prix des produits agricoles est marquée par une forte volatilité, dont les conséquences se répercutent sur les revenus des producteurs. Une telle volatilité résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs.

En premier lieu, eu égard à la longueur du cycle de production, l’offre agricole est relativement inélastique à court terme, ce qui se traduit par l’incapacité des agriculteurs à réagir immédiatement aux signaux du marché considéré.

En second lieu, les produits agricoles et alimentaires sont majoritairement périssables, rendant ainsi difficile de les stocker à moyen terme.

En troisième lieu, la dépendance des productions agricoles aux conditions climatiques fait obstacle à l’anticipation quantitative et qualitative des récoltes.

Enfin, il faut relever que la demande en produits alimentaires est relativement inélastique à leur prix, ce qui ne permet pas au marché de s’autoréguler.

La faiblesse des revenus des producteurs révèle qu’ils sont systématiquement la variable d’ajustement du reste de la filière.

Le titre Ier du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 14 septembre 2018, propose deux axes d’action principaux pour remédier à cette situation : la rénovation de la contractualisation qui devra émaner du producteur à partir d’indicateurs de coûts de production et de prix de marché, couplée à l’incitation au groupement des producteurs et à l’organisation économique de la filière, et l’encadrement des pratiques commerciales déloyales.

B.   Le levier : utiliser les mécanismes du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

Le fonctionnement du secteur agro-alimentaire français se distingue de celui des autres États membres de l’Union européenne par l’ampleur du phénomène dit de « guerre des prix », qui sévit depuis plusieurs années et qui oriente le comportement des acteurs de la grande distribution, par ailleurs soucieux de conserver leurs marges.

L’article 9 du projet de loi précité prévoit une habilitation en faveur du Gouvernement pour relever, par ordonnance, le prix d’achat effectif défini à l’article L. 442-2 du code de commerce d’un coefficient égal à 1,1, soit 10 %, pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, revendus en l’état au consommateur.

Cet article autorise également le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires pour encadrer les opérations promotionnelles financées par le distributeur ou le fournisseur portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie.

La revente à perte et les promotions à répétition sont incompatibles avec l’instauration d’une concurrence saine et loyale et elles sont en général sans avantage réel pour les consommateurs dès lors que la perte supposée sur certains articles est le plus souvent compensée par le bénéfice réalisé sur d’autres.

Cet article 9 du projet de loi s’inscrit dans un ensemble de mesures destinées à revaloriser les productions agricoles et alimentaires en évitant d’en faire des produits d’appel et les variables d’ajustement des prix de la distribution.

L’objectif de l’augmentation du seuil de revente à perte est de contrer la spirale déflationniste sur les produits agricoles et alimentaires et d’annuler la perte de valeur qui leur est associée. La logique des enseignes de la distribution est de systématiquement aligner les prix payés à leurs fournisseurs à la baisse.

Votre rapporteur, également rapporteur du projet de loi précité, reconnaît qu’il ne dispose d’aucune garantie sur le fait que la marge dégagée sera reversée aux producteurs. Pour cette raison, le dispositif est proposé à titre expérimental pour une durée de deux ans. Sans volontarisme, les distributeurs pourraient s’arroger la marge dégagée par les mesures législatives du projet de loi. Cette marge nouvelle et contrainte devrait être « fléchée » vers une rémunération plus juste des producteurs, en particulier en contrepartie d’une transition agro-alimentaire respectueuse de l’environnement et de la santé humaine : produits de qualité, notamment issus de l’agriculture biologique, réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, pratiques certifiées haute valeur environnementale, etc.

C.   Pour un fonds de transition agricole

Votre rapporteur souhaite que soit créé un fonds de transition agricole alimenté par des fonds privés issus des industries agroalimentaires et des distributeurs, en contrepartie d’engagements agroécologiques des producteurs. L’idée est de mieux partager la valeur ajoutée dégagée par le relèvement du seuil de revente à perte, d’une part, et de favoriser le développement des produits à forte valeur ajoutée et environnementale, d’autre part.

1.   Les initiatives passées

a.   Des fonds d’investissement ou d’appui à l’installation

Interrogé par votre rapporteur, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a recensé très peu de projets aboutis récents ou encore en cours, la plupart des projets ayant désormais été abandonnés à la suite de la constatation de la faiblesse de la sécurité juridique de leur dispositif (conformément au droit européen, l’abondement par cotisation volontaire obligatoire n’est pas possible pour le soutien d’opérateurs individuels en l’absence d’intérêt économique général de la filière) ou à la suite des critiques inhérentes au dispositif (en l’absence de critères objectifs de choix de projets d’investissement). Quelques exemples ont néanmoins été recensés :

– le fonds régional interprofessionnel d’installation FR2I pour la filière viande bovine sous l’action d’Interbev Pays de Loire (2015) ;

– le fonds de garantie agricole en partenariat avec la SIAGI ([4]) ;

– le soutien de projets collectifs innovants par la grande distribution via France Filière Pêche (depuis 2010).

b.   Des fonds de sécurisation des revenus ou d’aide à la trésorerie

Les dispositifs recensés par le ministère de l’agriculture au sein de cette catégorie sont pour la plupart au stade du projet et de caractère plus récent, ce qui explique sans doute le fait qu’il ne soit pas possible d’identifier d’exemple de réussite aboutie. Il est possible de distinguer les fonds ou les projets suivant leurs modalités de financement :

– l’initiative privée de la « caisse d’avance de trésorerie (CAT) » dans la filière porcine : créée en 2008, il s’agissait d’une ligne de prêts de 100 millions d’euros. Participaient à la mise en œuvre de l’opération l’organisation interprofessionnelle et les coopératives agricoles ;

– le projet de caisse de sécurisation de l’interprofession nationale bovine (Interbev) : démarche non aboutie ;

– le financement des éleveurs par la grande distribution : on dénombre plusieurs projets de fonds porcin (2016-2017) non aboutis. Un projet de fonds de solidarité aux éleveurs de porcs élaboré en 2017 aurait été doté de 100 millions d’euros et géré par l’interprofession nationale porcine (Inaporc). L’objectif était un paiement complémentaire à l’éleveur de 10 centimes par kilogramme de porc produit sur une période de 6 mois. Le fonds devait être financé par les réseaux de distribution et collecté par les intermédiaires (abatteurs/découpeurs, coopératives avec outil de transformation, salaisonniers) au travers d’une nouvelle ligne sur chaque facture. Il constituait une aide à la trésorerie. Des difficultés sont apparues car le maillon intermédiaire (les coopératives, principalement), craignant un accaparement de ces marges par la grande distribution, a indiqué préférer un versement direct des distributeurs. Ce fonds n’a pas été mis en place ;

– le contrat d’avenir sociétal de la filière porcine qui a associé la fédération nationale porcine et la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (2017) a été formalisé à l’initiative de Coop de France pôle animal. Cette démarche, inaboutie, est inspirée de l’initiative allemande de bien-être animal « Tierwohl ». L’objectif principal est de pérenniser les élevages porcins qui améliorent leurs pratiques et de répondre aux attentes sociétales des consommateurs sur quatre grands axes d’engagement des éleveurs : le bien-être animal, la qualité sanitaire, le volet social, et la dimension environnementale. La plus-value captée auprès du consommateur via une communication du type « ici on soutient l’élevage responsable » au niveau de la distribution (4 à 6 centimes par kilogramme, soit un total de 65 millions d’euros la première année de fonctionnement) viendrait abonder un fonds, avec une rémunération des éleveurs proportionnée à chaque point d’engagement. Il reste néanmoins à convaincre la grande distribution, à discuter de la gouvernance du fonds, et à vérifier la conformité du dispositif au droit de la concurrence.

 

 

L’initiative allemande Tierwohl

L’initiative Tierwohl (ITW) vise, depuis 2015, le financement par les entreprises du commerce de détail alimentaire allemand (87 % des entreprises y participent) d’une meilleure rémunération des éleveurs ayant mis en œuvre des mesures de protection animale pour leur éviter une perte de compétitivité-prix. L’initiative concerne aujourd’hui 10 % des porcs et 35 % des volailles commercialisés en Allemagne, soit 3 400 fermes subventionnées.

Le principe de l’initiative est que les surcoûts générés par l’amélioration des conditions d’élevage sont couverts par des bonus. Ces bonus sont financés par une augmentation générale des prix de la viande au détail. Leur montant est indiqué sur la facture de l’abatteur-découpeur au distributeur et payé par le distributeur à l’abatteur. L’abatteur transmet la totalité du montant à la caisse de compensation de l’initiative qui le reverse au producteur. L’assiette de calcul dans le secteur porcin est le chiffre d’affaires des ventes de viande fraîche afin de permettre d’éviter que des distributeurs mettent à mal le système en s’approvisionnant en viande bon marché à l’étranger.

2.   Un fonds de partage de la valeur ajoutée agricole dégagée par le relèvement du seuil de revente à perte

La valeur dégagée par le relèvement du seuil de revente à perte est difficile à estimer mais elle devrait s’établir entre 0,7 % et 2 % pour l’ensemble des produits alimentaires.

Auditionné par votre rapporteur, M. Michel Biero, directeur exécutif achats, marketing et communication du distributeur LIDL France a identifié que la hausse du seuil de revente à perte concernerait 80 produits alimentaires pour une hausse effective de 4,2 % en moyenne. La marge supplémentaire s’établira, par exemple, à 1,44 € pour la bouteille de pastis ou 0,85 € pour l’entrecôte Limousine. Sur ce dernier produit, M. Michel Biero a expliqué que la valeur ne pourrait être directement reversée au producteur dans l’immédiat, dans la mesure où l’entente sur le prix résulte d’un contrat tripartite déjà suffisamment rémunérateur pour le producteur. En revanche, le chiffre d’affaires supplémentaire qui sera dégagé pourrait permettre d’alimenter un fonds au bénéfice des producteurs agricoles, décorrélé de leurs rémunérations.

Volontairement, LIDL avait déjà mis en place en 2016 un mécanisme de levée de fonds ponctuel (3 centimes d’euros par litre prélevés et placés sur un compte dédié ([5]) durant 6 mois), qui a permis de récolter 4 millions d’euros redistribués, via la Mutualité sociale agricole, sous forme de chèques de 2 000 euros à 2 000 éleveurs identifiés.

Votre rapporteur a souhaité entendre les organisations interprofessionnelles agricoles afin de les interroger sur l’opportunité et la faisabilité d’un fonds alimenté par l’aval des filières (industriels et distributeurs), géré et redistribué aux producteurs par ces organisations. Après concertation, plusieurs organisations sollicitées ont refusé de participer à une table ronde sur le sujet, faisant valoir leur méconnaissance du projet du rapporteur et leurs inquiétudes sur ce projet « potentiellement décorrélé des missions et du fonctionnement des interprofessions » ([6]).

Votre rapporteur souhaite cependant approfondir cette idée au cours de l’année à venir.

3.   L’initiative pour une transition agroécologique (ITAE)

Poursuivant la réflexion, votre rapporteur a rencontré les trois responsables ([7]) d’une initiative pour une transition agroécologique (ITAE).

Ils partent du constat que « la transition agroécologique ne progresse pas au rythme du marché, ce qui profite largement aux importations alors même que de nombreux agriculteurs souhaitent s’y engager ». Selon eux, « ce paradoxe s’explique par les risques et freins inhérents à cette transition : incertitude sur les débouchés commerciaux, difficultés techniques liées au changement de pratiques agricoles et besoins de financement non couverts par l’offre bancaire actuelle ».

Suivant les objectifs identifiés par les États généraux de l’alimentation (EGA) – relancer la valeur et en assurer l’équitable répartition, permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes, accompagner la transformation des modèles de production pour répondre aux attentes des consommateurs et promouvoir les choix de consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable – l’ITAE propose plusieurs leviers.

Tout d’abord, sécuriser les débouchés commerciaux sur le moyen et long terme en facilitant la mise en place d’engagements de metteurs en marché ayant besoin d’approvisionnements (coopératives, transformateurs, distributeurs), la puissance publique ne pouvant essentiellement intervenir que sur la restauration collective publique (cf. article 11 du projet de loi EGALIM précité). Ce faisant, l’aval serait sécurisé sur la viabilité du modèle économique proposé tout en évitant une trop forte dépendance à un acheteur unique.

Le deuxième levier consiste à accompagner techniquement les agriculteurs dans la transition : le projet prévoit la création d’un fonds d’assistance technique couvrant à la fois l’accompagnement individuel et les démarches d’innovation et d’apprentissage collectif : 20 millions d’euros seraient apportés par le budget de l’État.

Enfin, l’ITAE propose une solution adaptée à la trajectoire économique des exploitations qui se traduit, graphiquement, en forme de courbe en J. Selon les personnes auditionnées par votre rapporteur « la période de conversion, qui peut durer plusieurs années, correspond à des besoins d’investissement (matériel, bâtiments, aménagement de l’exploitation) et à des besoins de trésorerie qui sont importants du fait de la baisse de rendements qui n’est pas encore compensée par l’augmentation des prix, ainsi que du décalage de paiement des aides publiques. Ces besoins financiers, dont l’importance varie d’une filière à l’autre, s’inscrivent sur des horizons financiers longs, allant de 5 à 10 ans. Certains agriculteurs ont des difficultés à les faire financer par les banques qui les considèrent comme trop risqués et/ou n’ont pas d’offre adaptée à la globalité de leurs besoins et sur la période de temps requise. »

Les besoins de financements additionnels pour la transition agroécologique en France ont été estimés à 4 milliards d’euros sur 5 ans sans compter les financements existants. Ce montant permettrait la transition de 23 500 exploitations, soit 5 % des exploitations françaises, et représenterait plus de 500 000 hectares, soit 2 % de la SAU en France.

L’ITAE viserait environ 15 % de ces besoins, soit 600 millions d’euros de financement additionnel :

– 480 millions de financements privés pourraient être mobilisés sous forme d’une tranche dite « senior », la moins risquée, apportée par des investisseurs à impact (c’est-à-dire à la recherche de bénéfices sociaux et environnementaux) et des institutions bancaires ;

– s’y ajouterait une tranche dite « junior », la plus exposée au risque, de 100 millions d’euros dont 30 millions apportés par le budget de l’État. Cette position « junior » – ou de première perte – de l’investissement de l’État permettrait de réduire le risque des investisseurs senior et donc, dans le même temps, de catalyser un co-financement plus important. Cet investissement en première perte, plus exposé au risque que le financement privé, réduirait le coût du financement total ([8]) pour le bénéfice des agriculteurs participants.

Sans la mobilisation de l’État sur la partie risquée, l’investissement privé ne souhaitera pas s’engager.

4.   Le projet du rapporteur

Le projet du rapporteur de faire des organisations interprofessionnelles les porteuses d’un fonds alimenté par l’aval de la filière et destiné à la transition agro-écologique de l’amont n’a pas été bien reçu par ces mêmes professionnels.

Il pourrait également se heurter au droit de la concurrence et, en tout état de cause, il ne pourrait prendre la forme d’une cotisation volontaire obligatoire (CVO) initialement envisagée.

Le levier proposé par l’ITAE semble pertinent et d’autant plus efficace que le budget de l’État serait utilisé comme levier de financement des opérateurs privés : avec un effet levier de 30 pour 600, chaque euro investit par l’État permettrait l’apport de 20 euros issus de fonds privés.

Au final, les contreparties à l’engagement des opérateurs devraient se traduire par une valorisation des produits issus de l’agroécologie dans les réseaux de distribution. Les débats dans le cadre du projet de loi EGALIM ont montré l’attrait des consommateurs pour ces produits et le léger retard des professionnels à satisfaire la demande.

a.   Sur l’assistance technique publique

Pour votre rapporteur, l’objectif de création d’un fonds d’assistance technique couvrant à la fois la structuration des projets, l’accompagnement individuel des agriculteurs et les démarches d’innovation et d’apprentissage collectif de la profession alimenté par l’État à hauteur de 20 millions d’euros est louable. L’accompagnement des agriculteurs est une priorité pour engager la transition.

Votre rapporteur relève néanmoins que c’est là essentiellement le rôle du réseau des chambres d’agriculture, des coopératives et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR) ([9]) dont les besoins sont couverts, dans le budget de l’État, par le compte d’affectation spéciale développement agricole et rural, doté, pour rappel, de 136 millions d’euros pour 2019.

b.   Sur l’initiative pour une transition agroécologique

Votre rapporteur souhaite la création d’un fonds de transition agroécologique alimenté par des fonds privés en contrepartie d’engagements agroécologiques des producteurs. Ce fonds sera également porté par des crédits publics, dans la continuité du Grand plan d’investissement qui prévoit déjà divers mécanismes de garantie bancaire et de prêts aux agriculteurs.

Compte tenu des chiffres avancés par l’ITAE, l’argent public pourrait servir à « dérisquer » l’investissement des financeurs privés. Le montant de 30 millions d’euros la première année, équivalent à environ 5 % du montant potentiellement apporté par les financeurs privés, semble être une bonne base de travail pour activer l’effet levier du financement de la transition.

À défaut de pouvoir mobiliser des crédits publics sans retirer des moyens à certaines actions de l’État, votre rapporteur propose un amendement de crédits augmentant la dotation du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » (action n° 23, « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles »), en transférant des crédits du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » (action n° 6 « Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l'alimentation »).

Si le Gouvernement était favorable à cette initiative, il pourrait transformer cette demande de crédits en augmentation sèche des crédits de l’action n° 23 du programme 149 ([10]).

Un premier amendement proposera le transfert de 50 millions d’euros, couvrant 30 millions d’euros de financement de l’investissement (tranche « junior) et 20 millions d’euros d’assistance technique. Un second amendement, moins ambitieux, propose le transfert de la première part du projet de 30 millions d’euros sans prévoir les 20 millions d’euros d’assistance technique. Cette part pourrait en effet être prise en charge, à moyens constants, par le réseau des chambres d’agriculture et les organismes nationaux à vocation agricole (ONVAR).

Les prêts ne seront pas bonifiés et ils auront un objectif de transition agro‑écologique. Sous réserve d’une vérification plus approfondie, ces deux caractéristiques devraient rendre le dispositif compatible avec le régime européen des aides d’État.


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 23 octobre 2018, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Baptiste Moreau, les crédits de la mission « Agriculture et alimentation ».

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere, présidente. Mes chers collègues, nous débutons l’examen des avis budgétaires sur les missions de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019. Nous consacrerons quatre demi-journées, cet après-midi, demain matin et après-midi, et la matinée du mercredi 31 octobre, à l’examen de treize avis budgétaires se rapportant à huit missions. Notre commission des affaires économiques est ainsi la commission désignant le plus grand nombre de rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances.

Cette année, la procédure suivie connaît une importante évolution : la Conférence des présidents ayant décidé de mettre fin aux commissions élargies, nos avis budgétaires sont désormais examinés au sein de notre seule commission.

La nouvelle procédure doit répondre à plusieurs exigences : valoriser le travail des rapporteurs pour avis, ne pas recréer de nouvelles commissions élargies et organiser des réunions de durée raisonnable. Dès lors, l’examen des diverses missions n’est plus conçu comme une succession d’auditions des ministres. Ces derniers ne seront d’ailleurs pas systématiquement présents lors de ces réunions.

Notre commission ne recevra que deux ministres : M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, auquel je souhaite la bienvenue ; et Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Les questions que vous serez amenés à poser s’adresseront donc, la plupart du temps, au rapporteur pour avis. Même lorsqu’un ministre sera présent, vous pourrez vous adresser aussi bien au ministre qu’au rapporteur.

Dans le détail, nos réunions se dérouleront de la façon suivante : le ministre aura un temps de parole de quinze minutes ; les rapporteurs, dix minutes chacun ; les orateurs des groupes, quatre minutes chacun. Pour les séries de questions des députés, j’ai pris la décision de limiter le temps de parole à une minute, afin que chacun puisse s’exprimer.

M. Sébastien Jumel. À Berlin, c’est trois minutes !

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Je le sais, Monsieur Jumel, mais nous sommes à Paris. Il m’a d’ailleurs semblé qu’à Berlin, l’assemblée était très masculine. Et en tant que femme, j’utilise toutes mes prérogatives : ce sera une minute… (Sourires.)

Lorsque des rapporteurs spéciaux de la commission des finances souhaiteront participer à notre commission des affaires économiques, ils seront les premiers députés à intervenir dans ces séries de questions.

À l’issue de chaque débat sur une mission, la commission examinera les amendements déposés, et votera sur les crédits de la mission, et le cas échéant, sur les articles rattachés. Je rappelle que cet examen des amendements a lieu en dehors de la présence du Gouvernement.

Conformément à la pratique des années précédentes, seuls les amendements déposés par les membres de la commission des affaires économiques seront examinés. Si un député appartenant à une autre commission dépose un amendement auprès de la commission des affaires économiques, il sera invité à le retirer et à le déposer directement auprès de la commission des finances ou, s’il est trop tard, auprès du service de la séance.

Nous allons maintenant examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2019, dont le rapporteur pour avis est notre collègue Jean-Baptiste Moreau.

Les crédits de cette mission s’élèveront en 2019 à 2,76 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2,85 milliards d’euros en crédits de paiement. À périmètre constant, ces crédits sont stables. À périmètre constant, j’insiste, car cette mission ne porte plus sur les crédits compensant les allégements de charges sociales, désormais explicitement inscrits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela promet d’ailleurs de riches échanges, notamment autour de certains amendements très attendus sur l’exonération de cotisations sociales pour les travailleurs occasionnels, demandeurs d’emploi (TODE).

Si l’on ajoute les crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » rattachés à cette mission, et les crédits de l’enseignement agricole, hors périmètre de cet avis, les montants s’élèvent à 4,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 4,8 milliards d’euros en crédits de paiement.

Les crédits mobilisés en faveur de la modernisation des exploitations et de la gestion équilibrée et durable des territoires sont renforcés en accord avec les priorités de la politique agricole commune (PAC).

Les crédits du programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » sont en hausse de 9 %, ce qui permettra de mettre l’accent sur la prévention et la réactivité face aux risques sanitaires qui ont fragilisé nos exploitations agricoles.

Ce budget ne comporte pas de transformation majeure pour le monde agricole, mais comme vous le savez, l’Assemblée nationale a débattu du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable et accessible à tous – projet de loi dit EGALIM. Adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale le 14 septembre dernier, ce texte sera probablement promulgué avant la fin de la discussion du projet de loi de finances pour 2019. Dans la continuité de ce texte, le rapporteur pour avis vous proposera la création d’un fonds de transition agro-écologique, alimenté par l’aval de la filière au profit des producteurs s’engageant dans la transformation de leur exploitation. Ce fonds devrait produire un effet de levier de financement et offrir un débouché pour ces produits. Je laisserai le rapporteur pour avis vous le présenter.

Monsieur le ministre, j’aurais deux questions à vous poser : quelles sont les conséquences budgétaires de la loi EGALIM que nous venons d’adopter ? Où en sont les discussions institutionnelles européennes sur la réforme de la PAC, et pouvez-vous nous rappeler la position de la France et de ses alliés dans ce débat ?

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, Monsieur le rapporteur pour avis, Mesdames et Messieurs les députés, permettez‑moi tout d’abord de vous dire le plaisir que j’ai à être devant vous pour la première fois, une semaine après ma nomination. Je vous demanderai d’ores et déjà de bien vouloir excuser mes imprécisions ou incertitudes, n’étant pas encore au fait de l’ensemble de ces dossiers. Mais faute avouée étant à moitié pardonnée, nous devrions parvenir à nous entendre.

Je commencerai, Madame la présidente, par votre deuxième question qui me paraît essentielle. La réforme de la politique agricole commune qui va être discutée dans les mois qui viennent sera déterminante, aussi bien pour l’avenir de l’agriculture européenne que pour l’avenir de l’agriculture française. Le Président de la République a d’ailleurs été un des premiers à exprimer la volonté de conserver une politique agricole commune intégrée, forte, qui puisse permettre de redistribuer aux États un certain nombre d’aides.

Aujourd’hui, la position de la France est très claire : la proposition présentée par la Commission n’est pas acceptable : nous ne pouvons pas nous engager dans une politique agricole commune dont le budget serait réduit de 5 %. Nous avons notamment besoin de conserver un premier pilier avec des aides directes pour les exploitations françaises. Je l’évoquais tout à l’heure dans l’hémicycle en répondant à une des trois questions qui m’ont été posées : évidemment, les agriculteurs veulent vivre d’un meilleur revenu, et non de subventions ; mais aujourd’hui encore, s’il n’y avait plus de subventions, notamment européennes, c’est toute l’agriculture, et singulièrement l’agriculture française, qui en pâtirait.

Nous voulons une PAC plus forte, intégrée, et volontariste. Évidemment, des efforts devront être faits dans d’autres budgets – lutte contre le terrorisme, migrants, etc. Mais cela ne pourra se faire au détriment de la PAC, qui est une des premières politiques communes, totalement intégrée, pour laquelle nous devons continuer à nous battre.

Il se trouve que depuis quelques semaines, la situation a évolué. L’accord passé à Madrid – notamment sous l’autorité de mon prédécesseur M. Stéphane Travert – avec dix-neuf pays nous laisse penser que nous pourrons une forte majorité d’États membres disposés à aller dans la même direction. Tous les pays n’ont pas forcément la même vision de l’Europe et des aides, mais il nous semble important pour la France que le budget de la PAC soit le même que le précédent. Je me battrai avec Mme Nathalie Loiseau, le Président de la République et le Premier ministre pour y parvenir. Tel est notre objectif. Tel est le mandat qui m’a été fixé, dont je n’entends pas m’écarter.

Votre première question, Madame la présidente, portait sur les conséquences budgétaires de la loi EGALIM. Il y en aura en fait assez peu. En principe, cette loi sera publiée la semaine prochaine. Je serai tout particulièrement attentif aux ordonnances. Nous avons six mois pour les élaborer, mais je tiens à ce que le Parlement soit associé dans une discussion la plus large possible, même si la décision finale reviendra au Gouvernement.

Certains d’entre vous ont voté cette loi, d’autres ont voté contre. Certains se sont interrogés. Il n’empêche que c’est une des premières fois que l’on essaie vraiment d’augmenter les prix payés aux producteurs. EGALIM est ma troisième loi agricole. La première était la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de M. Bruno Le Maire, dont l’objectif était d’améliorer les revenus et le pouvoir d’achat des agriculteurs.

M. Antoine Herth. Mais ça n’a pas marché !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Puis il y a eu la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de M. Stéphane Le Foll, dont l’objectif était identique. J’en ai été le modeste rapporteur au Sénat, et M. Dominique Potier l’a porté à l’Assemblée nationale. Nous en sommes à la loi EGALIM de M. Stéphane Travert dont l’objectif est encore et toujours de donner du pouvoir d’achat et du revenu aux agriculteurs.

On voit bien que l’exercice est complexe, quelle que soit la majorité politique qui s’y prête. Mais pour la première fois, la loi EGALIM inverse la construction des prix, ce que nous n’avions pas réussi à faire dans les deux précédentes lois. Certes, il y avait eu des avancées, comme la mise en place de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires par M. Bruno Le Maire, ou la création d’un médiateur des relations commerciales dans la loi d’avenir. Mais ce n’était pas suffisant. Quand on voit le niveau de revenus des agriculteurs, dont certains vont jusqu’à se suicider, on se dit qu’il n’est pas possible de continuer ainsi. Sans parler de l’« agribashing » – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.

Il faut donc absolument, grâce à cette loi, gagner le pari de l’augmentation du revenu des agriculteurs. Pour ce faire, il faut que les filières « mettent le paquet », et notre rôle sera de les pousser à avancer. Il faudra aussi engager des discussions franches et fortes avec la grande distribution. J’ai bien entendu ce que disent un certain nombre de responsables de la grande distribution, mais on ne pourra pas s’en contenter.

Je crois que la première partie de la loi EGALIM produira des effets dans les semaines, dans les mois qui viennent, sur les revenus des agriculteurs. D’ailleurs, a-t-on le choix ? On pouvait espérer qu’il se passerait quelque chose après les deux dernières lois. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons faire autrement que d’avancer résolument dans cette direction.

Si la loi EGALIM a peu de conséquences budgétaires, elle crée une palette d’outils au service de la transformation. Il en est de même du Grand plan d’investissement, dont les outils sont directement financés avec des crédits budgétaires, et du programme Ambition bio 2022. J’ai beaucoup défendu la transition agro-écologique, et je pense que l’avenir de l’agriculture française tient dans la transition économique, la transition sociale, la transition sanitaire, et la transition agro-écologique. On ne peut pas faire autrement ; d’abord, parce que nos concitoyens nous le demandent ; ensuite, parce que c’est indispensable. Ce programme Ambition bio, qui est doté de plus de 1 milliard d’euros, permettra d’avancer dans cette direction.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, Madame la présidente, mes chers collègues, après le vote final, le 2 octobre dernier, du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous que j’ai eu à cœur de porter, je suis honoré de reprendre la parole devant vous en qualité de rapporteur pour avis sur la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales du projet de loi de finances 2019.

En effet, le projet de loi EGALIM ne comporte pas de mesures fiscales ou budgétaires : il fait appel à la force de la loi et aux ressources privées et propres aux filières agricoles pour engager la transformation de l’agriculture française vers davantage de qualité et de compétitivité. Notre travail est donc loin d’être terminé.

Si le législateur a la responsabilité de traduire dans la loi les idées issues des États généraux de l’alimentation (EGA), c’est en modifiant nos pratiques que nous réussirons à changer les choses en profondeur. Cela implique la responsabilisation de tous les acteurs.

L’État devra d’abord assurer le suivi et un contrôle strict de la mise en place des mesures. C’est pourquoi je défendrai deux amendements pour que le nombre des agents chargés des contrôles soit augmenté, et que les moyens de FranceAgriMer et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) soient renforcés.

Mais tous les acteurs de la chaîne alimentaire doivent aussi prendre leurs responsabilités avec des agriculteurs qui doivent se regrouper en organisations de producteurs afin de peser face à la grande distribution, des consommateurs qui deviennent des « consom’acteurs » et traduisent dans leur acte d’achat leurs attentes, et des enseignes de la grande distribution qui s’engagent à mieux rémunérer les paysans. Ce n’est pas gagné d’avance : j’étais ce matin au Salon international de l’alimentation (SIAL) et à entendre les échos qui nous sont remontés des négociations qui s’engagent, on ne peut pas dire que la grande distribution montre l’exemple : un certain nombre de distributeurs persistent à vouloir s’enterrer dans une guerre des prix. Il nous faudra être très vigilants, Monsieur le ministre, pour éviter de repartir dans les mêmes délires que ceux qui ont marqué les négociations commerciales de l’année passée.

M. Antoine Herth. On est bien d’accord !

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Par ailleurs, nous l’avons vu ces derniers jours, les aléas climatiques tels que les inondations et la sécheresse se multiplient, ils nous affectent tous et touchent encore plus durement le monde paysan. Ces drames humains et économiques ont un lourd impact sur l’agriculture française.

Les attentes des consommateurs ont par ailleurs changé. Notre modèle agricole et alimentaire français doit évoluer, d’une part pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur métier, d’autre part pour faire de la transition agro-écologique une priorité.

Ces deux objectifs économiques et écologiques doivent être pensés ensemble dans nos politiques : il est tout à fait possible de mieux rémunérer les paysans tout en assurant la transition vers une agriculture plus durable, qui utilise moins de produits phytopharmaceutiques et monte en gamme pour faire rayonner nos produits français de qualité à l’export.

Je tiens à préciser que les crédits alloués au Fonds Avenir bio ont été doublés, passant de 4 millions d’euros à 8 millions d’euros afin d’atteindre l’objectif d’affectation de 15 % de la surface agricole utile (SAU) à l’agriculture biologique que nous nous sommes fixé dans le projet de loi EGALIM. Avec la fin progressive des aides au maintien à l’agriculture biologique, le Gouvernement entend se concentrer sur les aides à la conversion en agriculture biologique, afin de soutenir les changements de structure d’exploitation et de marché. Le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique sera notamment revalorisé.

Encore une fois, satisfaire nos objectifs environnementaux est notre priorité. C’est aussi la priorité des agriculteurs qui ont pris conscience de la hauteur des enjeux pour leur santé comme pour la survie de leur métier : si nous ne relevons pas ensemble le défi de produire de façon plus durable et de mettre sur le marché intérieur et à l’export des produits français plus sains et de meilleure qualité, l’économie de l’ensemble de nos territoires sera en péril

Nous avons bâti une loi à partir des contraintes des agriculteurs, c’est-à-dire de leurs coûts de production, et nous les avons fortement incités à se regrouper en organisations de producteurs. Le contrat et le prix associé seront désormais proposés par celui qui vend – c’est une révolution – pour rééquilibrer le rapport de forces entre les producteurs et la filière.

Grâce à cette mesure, les paysans pourront véritablement valoriser leur travail face à la grande distribution. Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) de 10 %, couplé à l’encadrement des promotions sur les produits agricoles et alimentaires, devrait permettre d’éviter de faire de ces produits des variables d’ajustement des prix de la distribution. Ces ordonnances doivent être publiées au plus vite.

Je tiens à insister sur le caractère expérimental de ces mesures : au bout de deux ans, nous évaluerons leurs impacts sur les prix et le revenu des agriculteurs. S’il s’avère que le relèvement du SRP et l’encadrement des promotions ne conduisent pas les distributeurs à reverser aux producteurs la marge supplémentaire qu’ils auront dégagée et que les paysans n’arrivent toujours pas à tirer un revenu décent de leur activité, nous devrons penser à d’autres types de mécanismes.

La valeur dégagée par le relèvement du SRP devrait s’établir entre 0,7 % et 2 % de marge pour les produits alimentaires. C’est pourquoi je propose de profiter de cette valeur dégagée par l’aval pour créer un fonds de transition agricole alimenté par des fonds privés issus des industries agroalimentaires et des distributeurs, en contrepartie d’engagements agro‑écologiques des producteurs. L’idée est de mieux partager la valeur ajoutée dégagée par le relèvement du seuil de revente à perte d’une part, et le développement des produits à forte valeur ajoutée et environnementale, d’autre part. Car pour l’heure, des freins financiers empêchent les agriculteurs d’investir dans la transition écologique : parmi eux, nous pouvons citer l’incertitude sur les débouchés commerciaux, ou les difficultés techniques liées à la modernisation des exploitations agricoles pour aller vers des pratiques agricoles plus durables.

Ces besoins financiers varient d’une filière à l’autre et s’inscrivent sur des horizons financiers longs, allant de cinq à dix ans. Certains agriculteurs ont donc des difficultés à les faire financer par les banques qui les considèrent trop risqués. Accompagner techniquement les agriculteurs dans la transition est un des objectifs des États généraux de l’alimentation ; c’est aussi le rôle du réseau des chambres d’agriculture, des coopératives et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale.

Des démarches privées ont déjà été mises en place pour soutenir les agriculteurs dans la transformation de leur modèle agricole. Cela a bien fonctionné, par exemple, dans les pays en développement : ainsi, des producteurs de café africains ou sud-américains sont soutenus depuis plusieurs années par des fondations et des entreprises privées pour mettre en place des modèles de commerce équitable ou démarrer une production biologique. En Allemagne, l’initiative Tierwohl prévoit une meilleure rémunération des éleveurs ayant mis en œuvre des mesures de protection animale. Pourquoi ne pas développer ces mêmes schémas pour soutenir et accompagner nos paysans français dans la transition écologique ? C’est le but du fonds que je propose de créer.

Ce fonds serait également porté par des crédits publics, dans la continuité du Grand plan d’investissement qui prévoit déjà divers mécanismes de garantie bancaire et de prêts aux agriculteurs. Il devra donc produire un effet levier de financement et, à la fois, assurer un débouché pour les produits français de qualité.

L’année prochaine, dans le budget du Grand plan d’investissement (GPI) consacré à l’agriculture, 216 millions d’euros seulement seront utilisés sur les 5 milliards d’euros mis à disposition jusqu’en 2022. À cet égard, Monsieur le ministre, je me permets de vous demander comment seront utilisés les montants engagés dans le cadre du GPI.

Nous devrons par ailleurs garder à l’esprit que le budget de l’agriculture française que nous allons discuter aujourd’hui est complètement inséré dans la PAC décidée au niveau européen. C’est pourquoi le prochain budget de la PAC devra absolument être préservé dans la future réforme malgré le Brexit. La nouvelle PAC devra intégrer les objectifs ambitieux des EGA en matière de rémunération des agriculteurs, de prise en compte des différents risques, et en matière de transition agricole vers un modèle plus durable et plus respectueux de l’environnement.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

M. Jean-Bernard Sempastous. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier pour votre présence, moins d’une semaine après votre prise de fonction, et à vous assurer de l’engagement des députés de la majorité à travailler à vos côtés.

Depuis seize mois, nous avons pris à bras-le-corps la question de la transformation de notre modèle agricole et alimentaire, et je crois que nous pouvons être fiers des nombreux chantiers engagés : adoption du projet EGALIM, mise en œuvre du plan Ambition bio, ou encore présentation d’un plan ambitieux pour le bien-être animal.

En tant que président de la mission d’information commune sur le foncier agricole, j’ajouterai aussi le grand chantier qu’il faudra engager sur les problématiques liées au partage de la terre et à la lutte contre l’artificialisation des sols. La mission rendra ses conclusions au début du mois de décembre. Avec mes collègues Mme Anne-Laurence Petel et M. Dominique Potier, nous serons à votre entière disposition pour faire avancer ce dossier crucial pour l’avenir de l’agriculture.

Mais revenons au budget. Celui-ci s’inscrit dans la continuité de nos engagements, avec des crédits qui s’élèvent à 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement, et à 2,8 milliards d’euros en crédits de paiement.

J’entends déjà les critiques sur la baisse des crédits observée sur un an, mais cette baisse s’explique par l’alignement de certains allégements de cotisations sociales sur le régime général, et le rééquilibrage de la provision pour aléas.

Ce budget illustre plusieurs grandes priorités du Gouvernement, soutenues par le groupe La République en Marche.

Tout d’abord, celle de la transformation de l’agriculture, à travers l’innovation et l’investissement. Le volet agricole du Grand plan d’investissement devrait être doté de 5 milliards d’euros ; sont prévus dans ce budget pour 2019 158 millions d’euros en autorisations d’engagement et 216 millions d’euros en crédits de paiement. Pour rappel, le Grand plan d’investissement prévoit d’affecter 1 milliard d’euros à un fonds de garantie, afin de valoriser l’installation des jeunes agriculteurs, mais aussi de consacrer 100 millions d’euros à un fonds de prêts afin d’accompagner le financement des projets de méthanisation agricole.

Je souhaite également saluer le travail du rapporteur, M. Jean-Baptiste Moreau, en faveur de la transition agricole. Il devient urgent d’aider les agriculteurs à la modernisation de leurs exploitations, et à avancer vers la transition écologique et la montée en gamme de leurs produits.

Ensuite, je veux souligner la mise en place du programme Ambition bio 2022 annoncé par le Gouvernement en juin dernier. Au regard de la forte demande des consommateurs et de la hausse exponentielle du bio en France, il est indispensable de poursuivre les aides en faveur de la conversion. Je souhaiterais toutefois vous interroger, Monsieur le ministre, sur les moyens qui seront déployés pour accompagner la mise en œuvre de l’article 11 du projet de loi EGALIM, et réussir à traduire dans les faits l’objectif de 50 % de produits locaux, dont 20 % bio dans la restauration collective d’ici 2022. La mise en œuvre de cette mesure devra passer par des politiques d’aide à la structuration de filières territorialisées pour accompagner l’approvisionnement de la restauration collective, et faciliter la commande publique et privée au niveau local. En outre, la formation des gestionnaires, acheteurs publics, cuisiniers et personnels de la restauration collective publique est essentielle pour la réussite de la réforme.

Parmi les principaux crédits de la mission, je souhaite m’arrêter un instant sur l’enveloppe budgétaire de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) : 248 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une augmentation de 20 millions d’euros.

Enfin, si ces mesures ne sont pas examinées dans le cadre de cette mission budgétaire, je veux souligner les nombreuses avancées obtenues en matière de fiscalité agricole dans le cadre de l’examen de la première partie du PLF. Le travail transpartisan engagé au début de l’année aura permis d’aboutir à un texte ambitieux, avec de nouveaux outils pour nos agriculteurs.

Je crois donc que ce budget est l’illustration de notre volonté de transformer en profondeur notre modèle agricole. Et le groupe La République en Marche votera bien évidemment en faveur des crédits de cette mission.

M. Jérôme Nury. Monsieur le ministre, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce budget 2019 n’est pas un bon signal pour notre agriculture : avec une baisse de plus de 16 % tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, on voit clairement que l’agriculture n’est pas la priorité du Gouvernement.

Le Gouvernement justifie cette baisse par la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Or cette baisse ne représente qu’un coût de 272 millions d’euros, et non de 552 millions d’euros comme c’est pourtant le cas.

Tous les programmes connaissent des baisses, mais la plus forte est celle portant sur le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », qui perd 504 millions d’euros. C’est d’autant plus grave que ce programme porte sur les principaux dispositifs structurants de l’agriculture, notamment le cofinancement national des mesures de développement rural de la PAC : soutien à l’élevage dans les zones soumises à des contraintes naturelles, installation des jeunes agriculteurs, accompagnement des projets d’investissement des exploitations agricoles, mesures agro-environnementales.

Ce budget 2019 semble n’avoir été bâti qu’au prisme des attentes de Bercy, sans tenir compte des besoins des agriculteurs ni d’un contexte agricole préoccupant : conséquences de la sécheresse de cet été, poids des charges et des contraintes nouvelles qui leur sont imposées, notamment par la loi EGALIM, suppression des exonérations de charges pour les travailleurs saisonniers agricoles qui pourrait s’avérer redoutable pour nombre de secteurs, comme le maraîchage, les vins et les fruits, baisse des aides la PAC, refonte de la fiscalité s’agissant du foncier agricole, enfin, endettement supérieur à la moyenne européenne.

Comment expliquer les fortes baisses de crédits pour les opérateurs d’État, l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), et même l’Agence de services et de paiement, qui n’arrive déjà pas aujourd’hui à instruire suffisamment rapidement les demandes de paiement des aides de liaison entre les actions de développement de l’économie rurale (LEADER) sur les territoires, ce qui risque de nous faire perdre des millions d’euros de crédits de ce programme utile au développement des campagnes ?

Comment expliquer également la baisse en autorisations d’engagement des dotations aux jeunes agriculteurs (DJA) ? Alors que le renouvellement des générations est au cœur des préoccupations de nombre de paysans, on donne le sentiment que l’an prochain, on accompagnera moins ces transmissions de flambeau.

Enfin, comment peut-on afficher un désengagement de l’État dans le bio, un domaine mis en avant par EGALIM, stratégique et porteur en termes de marché, pour lequel la demande est forte et croissante, au point que nous avons du mal à fournir ? Les autorisations d’engagement passent en effet de 81 à 63 millions d’euros, et les crédits de paiement de 147 à 103 millions d’euros.

Quel dommage de ne pas être plus offensifs pour soutenir les conversions et les premières années, alors qu’il est prévu, au niveau européen, une diminution des aides de la PAC sans que cela n’émeuve a priori la France et le Président de la République ? L’absence de volontarisme budgétaire n’est pas encourageante pour la profession, qui s’inquiète à juste titre de l’abandon d’une politique agricole européenne forte, soutenue par une politique agricole française ambitieuse.

Pour les députés du groupe Les Républicains, ce budget ne répondra pas aux attentes du secteur agricole. Monsieur le ministre, vous ne débutez pas vos fonctions sous les meilleurs auspices. Entre ce budget étriqué et une loi EGALIM très attendue par le monde agricole, mais qui est en train de faire « pschitt ! », comme vous l’aviez d’ailleurs vous-même prévu, c’est toute notre agriculture qui tremble, avant, j’en ai bien peur, de se révolter.

M. Nicolas Turquois. Madame notre brillante présidente, Monsieur notre inoxydable rapporteur (Sourires), je voudrais souhaiter la bienvenue à notre ministre et lui dire que nous avons hâte de travailler avec lui sur un sujet qui nous concerne tous et toutes sur nos territoires.

La discussion de la mission « Agriculture » s’inscrit dans un contexte particulier car notre assemblée vient d’adopter le premier texte agricole de la législature, qui ambitionne de soutenir nos agriculteurs en mettant en valeur leur métier. Pour ce faire, il actionne deux leviers novateurs : la valorisation de la restauration collective, souvent synonyme de malbouffe, pour promouvoir des produits alimentaires de qualité, et surtout la logique de construction des prix pour une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre les acteurs.

À ce titre, je regrette que, symboliquement, le deuxième budget agriculture de la législature apparaisse en baisse : il était de 5,2 milliards d’euros pour l’ensemble du ministère l’année dernière ; il est de 4,7 milliards d’euros cette année.

Certes, cette baisse s’explique par le remplacement des dispositifs TODE et CICE par le régime général d’exonération des cotisations sociales. Ainsi, ce qui était imputé au ministère au titre de ces dispositifs apparaît désormais au budget du régime général de la sécurité sociale. La baisse ne concerne pas les autres programmes de la mission agriculture.

Pour ce qui est du TODE, ce sont moins les conséquences réelles de la suppression du dispositif qui me laissent perplexe que la façon dont elle a été annoncée. Il importe en effet d’expliquer aux agriculteurs que ce mécanisme sera remplacé par un dispositif de réduction  générale des cotisations patronales sur les salaires (dite « réduction Fillon »), renforcé par rapport au dispositif 2018, et que la majorité des employeurs agricoles en sortira gagnante. Certes, quelques exploitations seront impactées plus fortement, et il faudra en tenir compte. Monsieur le ministre, avez-vous des propositions à nous faire concernant ces cas spécifiques ?

Je tiens à saluer en revanche les choix forts du Gouvernement pour la création d’un dispositif d’épargne de précaution, simple dans sa mise en œuvre. Il permettra aux exploitants de se constituer une épargne conséquente pour surmonter les difficultés et les aléas.

Concernant les hausses de crédits, il est appréciable que le Gouvernement ait souhaité mettre l’accent sur l’installation des jeunes agriculteurs, notamment avec la dotation jeunes agriculteurs (DJA). L’article 53 propose de baisser le taux d’abattement pour les jeunes agriculteurs qui dépassent certains seuils, mesure qui peut sembler de justice fiscale. Toutefois, pourriez-vous nous expliquer comment sera traitée fiscalement la DJA ?

Je me réjouis aussi, au nom du groupe MODEM, de l’augmentation de 3 millions d’euros en direction du Fonds stratégique de la forêt et du bois. Mon groupe s’était fortement investi l’année dernière en faveur de la filière forêt-bois, afin de prendre en compte l’extrême morcellement de la propriété forestière. Sur ce sujet, j’appelle votre attention sur la fin d’une expérimentation qui permettait aux gestionnaires forestiers d’accéder au cadastre numérique et ainsi d’identifier facilement les propriétaires pour proposer une gestion commune. Comptez-vous prolonger cette expérimentation très utile pour faire face au morcellement de la propriété forestière ?

Enfin, je profite de ce temps d’échange pour aborder le sujet de la PAC. Pourrions-nous envisager la constitution d’un petit groupe de parlementaires pour suivre spécifiquement, à vos côtés, l’évolution des négociations sur la réforme à venir ? Les parlementaires que nous sommes sont très sollicités par les agriculteurs de nos circonscriptions sur ce sujet, alors que sur le fond nous n’avons aucune prise. Le suivi de ce dossier par la Représentation nationale aurait tout son sens dans ce cadre-là.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, je tiens à vous dire que je suis heureux de vous retrouver.

Je souhaite avoir une pensée pour votre prédécesseur, même s’il n’est pas commun de l’exprimer en commission, car il n’a pas démérité. Je reconnais en effet qu’il est compliqué d’être ministre de l’agriculture dans le contexte que nous connaissons. Nous aimerions que les agriculteurs puissent enfin vivre vraiment de leur métier, ce qui n’est pas encore le cas.

Dès lors que l’on avait mis tout le monde autour de la table, les États généraux de l’alimentation auraient dû créer un consensus autour de l’objectif du revenu agricole et de la qualité de l’alimentation que l’on souhaitait dans notre pays, et sur le rôle de l’agriculture en France, en Europe et dans le monde. Or force est de constater qu’à l’issue de ces États généraux de l’alimentation, tout le monde se tire dans les pattes… Nous ne sommes pas parvenus au nécessaire rééquilibrage entre les producteurs et la grande distribution. Il faudra que vous soyez très vigilant sur la question du seuil de revente à perte et que vous en mesuriez les réelles conséquences. Beaucoup de doutes et d’interrogations subsistent également, notamment en ce qui concerne le bien-être animal. À cet égard, vous allez devoir faire un vrai travail sur la filière élevage eu égard aux actions menées à l’encontre des bouchers et des abattoirs.

S’agissant du plan Écophyto II, quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour permettre une diminution drastique de l’usage des produits phytosanitaires ? Au-delà de la feuille de route que vous déclinez pour mettre fin à l’usage du glyphosate, j’aimerais que soit engagée une vraie réflexion approfondie sur l’ensemble des produits, herbicides, fongicides ou insecticides, et qu’on puisse faire le tri dans tout cela : on ne peut pas se contenter d’avis d’organismes ou d’experts qui nous disent que certains produits seraient « probablement » cancérigènes. Pour ma part, je fais confiance au Gouvernement pour la mise en extinction de certains produits dangereux, et si je me suis opposé, à la suite des États généraux de l’alimentation, à l’inscription dans la loi de la fin immédiate du glyphosate, c’est parce qu’il convient de définir une méthode. À cet égard, je salue le travail du rapporteur et des députés qui ont voté cette disposition. Monsieur le ministre, il va falloir que vous soyez clair sur l’ambition, le calendrier, l’objectif et la méthode.

Dans le domaine de la sécurité sanitaire, souvenons-nous de l’accident survenu il y a quelques mois chez Lactalis. Quels moyens supplémentaires entendez-vous consacrer à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ? Nous avons là un organisme d’une qualité exceptionnelle au niveau européen et mondial ; je souhaiterais que des crédits importants lui soient attribués, ce qui n’est pas le cas dans le présent budget. Par ailleurs, le rapporteur pour avis a indiqué qu’il défendra deux amendements visant à doter la DGCCRF et FranceAgriMer de moyens supplémentaires.

Je voudrais appeler l’attention du rapporteur pour avis et du ministre sur la nécessité d’apporter du conseil à nos agriculteurs et non pas systématiquement du contrôle et de la sanction. Si l’on veut tirer l’agriculture française et les agriculteurs vers l’excellence – pour ma part, j’ai toujours dit que nous avions les meilleurs agriculteurs du monde –, il faut que la puissance publique, notamment dans son action de contrôle, change de postulat et se mette dorénavant dans le registre du conseil.

Enfin, je souhaite aborder la question de l’employabilité en agriculture. Sans revenir sur la séquence des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi ni sur le CICE que le Gouvernement transforme en allégements de charges, ce qui est une bonne chose, j’appelle votre attention sur le fait que l’agriculture est pourvoyeuse d’emplois, que l’on soit dans un département d’élevage ou de polyculture – vous le savez bien, vous qui êtes de la Drôme. Il faudrait réfléchir à la manière dont on pourrait faciliter les recrutements dans les exploitations, et alléger les charges qui pèsent tant sur le salarié que sur l’agriculteur employeur. Cela permettrait à des personnes qui n’ont pas nécessairement une qualification de base de mettre le pied à l’étrier dans les métiers de l’agriculture et de l’environnement.

Enfin, les élections dans les chambres d’agriculture auront lieu au mois de janvier prochain. Quelle est votre vision du rôle des chambres d’agriculture ?

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Monsieur Benoit, j’ai été bercée par vos mots et je vous ai laissé largement dépasser votre temps de parole. On pourrait penser que vous êtes privilégié, ce qui n’est pas le cas.

M. Dominique Potier. Madame la présidente, si vous ne m’accordez pas cinq minutes, cela va mal se passer !

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Monsieur Potier, nous réglerons cela après.

M. Dominique Potier. Dans ce cas, il nous faudra un peu plus de cinq minutes, Madame la présidente ! Heureusement, c’est toujours un bonheur d’écouter parler M. Thierry Benoit !

Je veux tout d’abord saluer le nouveau ministre de l’agriculture à qui je souhaite la meilleure réussite du monde. Je veux lui dire qu’il est à la tête d’une grande administration que j’ai eu l’occasion de fréquenter lors de mon précédent mandat, qui est extrêmement dévouée et qui a une éthique très forte. Notre pays a l’une des paysanneries les mieux organisées et les plus performantes du monde et une société qui est en train de comprendre les enjeux alimentaires et agricoles. Si les États généraux de l’alimentation ont servi à quelque chose, c’est bien à révéler cette passion française pour la gastronomie, pour l’agronomie et les questions agricoles. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas ne pas réussir. Sachez que les socialistes feront tout pour être force de propositions, pour faire preuve de discernement et de responsabilité, comme ils l’ont fait depuis le début de cette législature avec votre prédécesseur que je salue amicalement.

Je salue également le travail qu’a accompli notre rapporteur pendant l’examen du projet de loi EGALIM et depuis le début de ce mandat ; au-delà de nos désaccords, nous avons une estime réciproque et je tiens à le féliciter pour son investissement personnel.

Le Grand Est traverse actuellement une sécheresse dramatique, comme c’est le cas dans d’autres régions. Aussi est-il urgent que vous donniez suite, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent, aux responsables régionaux – demain matin, je serai en réunion avec M. Jean Rottner –, à tous les responsables paysans des chambres agriculture, des syndicats qui sollicitent un rendez-vous pour envisager un plan afin d’éviter d’ajouter du malheur au malheur. La situation est extrêmement grave dans nos régions, les fourrages d’hiver sont déjà consommés.

Cette sécheresse nous alerte sur les conséquences du changement climatique en ce qui concerne les questions agricoles à l’échelle de nos territoires, de l’Europe et du monde. La Food and Agriculture organization (FAO) nous a alertés sur les conséquences dramatiques qu’aurait le changement climatique sur la qualité nutritionnelle, les surfaces cultivables et les rendements. C’est une alerte rouge que nous devons prendre très au sérieux, il faut réfléchir à la manière dont l’agriculture peut être une partie de la solution et dont elle pourra, dans la mesure du possible, gérer les adaptations nécessaires.

Un débat important a eu lieu sur la poursuite des allégements de charges pour les emplois saisonniers, mais j’avoue ne pas avoir tout compris. J’aimerais que vous preniez quelques minutes aujourd’hui pour nous dire si tout est vraiment réglé, car pour être au rendez-vous de la compétitivité, les employeurs de main-d’œuvre saisonnière ont besoin de continuer à bénéficier du soutien qu’ils avaient eu jusqu’à présent.

Monsieur le ministre, vous allez beaucoup légiférer par ordonnances, ce que nous avions déjà condamné auprès de votre prédécesseur. J’appelle votre attention sur un sujet, celui de réforme de la coopération agricole. Je rappelle que le système coopératif agricole, par lequel passe 40 % du commerce agricole, est une fierté française, le leader de l’économie sociale. C’est un domaine qui me tient à cœur, qui tient à cœur à M. Jean-Baptiste Moreau et à tous mes collègues. Ne réformez pas la coopération agricole dans votre coin, seulement avec des spécialistes : le Parlement doit être associé aux solutions qui ont été apportées pour moderniser et peut-être parfois rendre plus éthique la coopération agricole. Nous sommes à votre disposition et nous sommes prêts à former un groupe de travail pour aller dans ce sens.

Vous avez omis de citer la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin 2) qui avait été adoptée à l’unanimité et qui avait jeté les bases de ce que nous peaufinons aujourd’hui. S’agissant de l’absence d’indicateurs publics, le rapporteur nous dit qu’il faut attendre et voir s’il faut aller plus loin. Je pense que tous les signaux nous disent qu’il faut aller plus loin : le plus tôt sera le mieux, n’attendons pas deux ans car les paysans n’en peuvent plus.

À défaut de réformer la PAC en profondeur, de remettre en cause des traités internationaux et de mettre au point des indicateurs publics fiables, on fait avec les moyens du bord : la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) n’a pas été remise en cause, les grands indicateurs n’ont pas été modifiés. Nous avons proposé des leviers de changements internes à la profession : les plans alimentaires territoriaux (PAT), la haute valeur environnementale (HVE), l’agriculture de groupe, les appellations d’origine protégée (AOP), un plan protéines. Sur tous ces sujets, nous avons été trop peu entendus. Les amendements que nous présenterons tout à l’heure visent à rouvrir des pistes d’engagement dans ces différents chapitres.

Soucieux de préserver mes bonnes relations avec notre présidente, j’en viens à ma conclusion… Nous souhaitons vous interpeller sur deux lignes rouges : d’abord, sur le fonds d’indemnisation des victimes de produits phytosanitaires, sujet qui vous tient à cœur et que vous avez traité au Sénat de manière glorieuse, et à l’unanimité. C’est le moment de faire un premier pas, de ne pas reporter le débat ; sur la question du foncier ensuite, mais j’y reviendrai tout à l’heure.

M. Sébastien Jumel. Madame la présidente, une fois n’est pas coutume, je veux exprimer une satisfaction dans cette commission, celle de voir dans cette salle deux photographies illustrant le dynamise de mon territoire : Alpine, symbole du made in France possible dans l’industrie, et le port de pêche de Dieppe. À cet égard, j’espère que nous aurons l’occasion de parler pêche, Monsieur le ministre, parce que cette économie réelle souffre.

Vous avez eu l’honnêteté de rappeler les deux lois qui ont échoué, celle de M. Bruno Le Maire et celle de M. Stéphane Le Foll, et je redoute que les espoirs suscités par les États généraux de l’alimentation, n’aboutissent au même résultat avec la loi « coquille vide », autrement dit la loi EGALIM. Toutes ces lois se sont privées des outils publics qui auraient permis une véritable inversion du mode de construction des prix et une construction transparente. Même en tenant compte du changement de périmètre, les allégements spécifiques de charges sociales pour le secteur agricole étant désormais transférés au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour un montant de 420 millions d’euros, il n’en demeure pas moins que nous assistons à une véritable hémorragie budgétaire puisque la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » perdra 154 millions d’euros de crédits de paiement.

L’action n° 27 du programme 149 « Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et de gestion des interventions » qui regroupe les moyens des opérateurs tels que l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), l’Agence Bio, FranceAgriMer, l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer (ODEADOM), l’Agence de services et de paiement (ASP), l’Office de développement agricole et rural corse (ODARC), etc., fait l’objet d’un réel serrage de vis. Et je tiens à vous faire part de mon incompréhension en voyant la préconisation de la commission d’enquête Lactalis de créer 800 équivalents temps plein jetée aux orties, alors que cette affaire avait été au cœur des préoccupations des consommateurs et plus généralement de nos concitoyens.

S’agissant de la PAC, vous avez réaffirmé votre opposition aux préconisations de la Commission européenne. Nous verrons si vous tenez bon ; en tout cas, vous pouvez compter sur les parlementaires. Je remarque toutefois que la future PAC est en discussion alors que dans le même temps l’Europe négocie une dizaine d’accords de libre-échange tous lourds de conséquences pour notre agriculture. Alors que nous assistons encore malheureusement à des suicides d’agriculteurs, nous craignons que la direction générale (DG) « commerce » ne se serve de l’agriculture comme variable d’ajustement et que les traités de libre-échange ne mettent en miettes notre volonté d’assurer notre souveraineté alimentaire et d’améliorer la sécurité alimentaire pour la santé de nos concitoyens. Nous sommes donc résolument opposés aux traités de libre-échange qui vont affecter cette économie réelle.

Je veux également insister sur le caractère dérisoire des crédits consacrés à la gestion des crises et des aléas de la production agricole, notamment à travers l’action n° 22 du programme 149. Alors que M. Jean-Paul Dufrègne a interpellé le Gouvernement lors des questions d’actualité sur l’urgence à se rendre au chevet des agriculteurs qui ne peuvent pas assumer le coût des aléas climatiques, force est de constater que le compte n’y est pas dans ce budget. Nous persistons à demander le renforcement d’un Fonds national de gestion des risques agricoles pour aller vers un véritable régime d’assurance mutuelle publique susceptible de bénéficier à tous, avec des ressources financières élargies, des contributions spécifiques du secteur agroalimentaire et des distributeurs.

Enfin, Monsieur le ministre, nous souhaitons que cette première audition soit l’occasion de nous rassurer quant à votre volonté d’en finir réellement, concrètement, avec l’utilisation des produits phytosanitaires. La sortie du phyto implique des plans d’accompagnement, des plans de sortie et des moyens pour la recherche, que je ne vois pas dans ce budget. Serait-ce le signe d’un renoncement ? Nous souhaitons que, sur ce sujet-là au moins, la promesse présidentielle soit tenue.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Mes chers collègues, j’ai laissé les orateurs dépasser leur temps de parole. Sachez qu’à l’avenir je serai bien plus vigilante et que je n’hésiterai pas à vous couper la parole.

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, combien me laissez-vous de temps ? Si vous ne m’accordez que cinq minutes, je ne pourrai pas répondre à toutes les questions.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. On vous en a posé une bonne dizaine. Acceptez-vous d’être synthétique ?

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. C’est une bonne réponse, mais ce n’était pas ma question… (Sourires)

Mesdames, Messieurs les députés, j’essaierai d’être le plus bref possible tout en vous répondant le plus précisément possible. Et je vous indique que nous serons amenés à nous revoir.

Un budget ne vaut que ce qu’il permet de faire. Cela fait trente ans que je travaille sur des budgets. Se borner à dire qu’un budget augmente de 5 % ou qu’il baisse de 10 % n’a aucun sens. Ce budget a-t-il les moyens de son ambition ? Permet-il des actions de développement agricole, de préserver l’environnement, la transition vers l’agro-écologie, de développer le bio et la meilleure protection sanitaire possible ? À ces questions, je réponds oui, et je vais tenter de vous le démontrer.

Ce budget de 4,6 milliards d’euros est en fait intégré dans une masse de 23 milliards consacrés aux actions pour l’agriculture française. C’est pourquoi, Madame la présidente, la question que vous avez posée tout à l’heure sur la PAC est essentielle : si les choses devaient en effet mal se passer pour la PAC, ce sont des pans entiers de notre agriculture qui seraient en souffrance. Nous savons très bien que ce combat sera difficile.

Monsieur Nury, je ne peux laisser dire que la France se désintéresserait totalement de la politique agricole commune. C’est totalement faux : le Président de la République a même été le premier à dire à la chancelière allemande qu’il n’était pas question de brader la politique agricole commune, qui devait au contraire demeurer la première politique intégrée, avec des moyens pour l’ensemble des pays, les plus petits comme les plus grands pays agricoles, et notamment la France qui est le leader. La politique menée par le Gouvernement français va dans cette direction. Nous n’acceptons pas la proposition de la Commission européenne en ce qui concerne la future politique agricole commune ; c’est un point sur lequel nous devrions pouvoir faire l’unanimité, et les parlementaires français, comme ceux des autres pays, ont un rôle à jouer à Bruxelles à cet égard.

Sécurité sanitaire, transition vers l’agro-écologie, compétitivité et préparation de l’avenir : voilà ce qui figure dans ce budget.

J’ai souhaité faire mon premier déplacement sur le thème de la formation de l’enseignement agricole, de la recherche et de l’innovation. La transition écologique ne pourra se faire que si les jeunes qui s’installent dans les territoires sont formés. On n’intègre plus l’exploitation familiale de ses parents comme avant, même s’il y avait de bonnes pratiques, puisque 80 % des installations se font aujourd’hui hors cadre familial. La formation doit donc être encore meilleure. Alors que 200 000 chefs d’exploitation cesseront leur activité d’ici dix à quinze ans, on est bien en peine de savoir s’ils pourront être remplacés.

Mais si l’on veut que les choses avancent dans la bonne direction, encore faut-il que le métier d’agriculteur redevienne attractif. Celles et ceux qui aiment l’agriculture auront réussi le jour ou l’on dira que l’agriculture a un avenir et que le métier d’agriculteur est un métier d’avenir. La première chose à faire consiste à travailler à partir de la loi EGALIM. J’ai entendu dire tout à l’heure que cette loi était un échec ; il est difficile de le savoir alors qu’elle ne sera promulguée que dans une semaine et les ordonnances prises dans six mois… C’est seulement l’année prochaine ou dans deux ans que l’on pourra dire si cette loi aura été un échec ou un succès, pas aujourd’hui. Que vous ayez des doutes, des craintes, que vous trouviez qu’on ne va pas assez loin, je peux l’entendre ; mais je ne peux accepter le défaitisme Si nous voulons redonner un peu de force et de vigueur aux agriculteurs, encore faut-il que les parlementaires ne passent pas leur temps à dire que cette loi n’est pas bonne ! Battons-nous pour qu’elle soit meilleure.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne rédigerai pas les ordonnances dans mon coin. C’est pourquoi je suis très favorable à la création d’un groupe de travail avec les parlementaires. Ma porte est ouverte et la transparence est totale. Nous devons réussir ensemble, même avec ceux qui n’ont pas voté la loi, ceux qui pensent qu’elle ne va pas assez loin et qui auraient voulu faire autre chose : comme l’a dit l’orateur du groupe La République en Marche, cette loi s’appliquera à tous. De deux choses l’une : ou bien on laisse faire ceux qui veulent la faire vivre, ou bien on s’y met tous ensemble. Je vous engage à vous y mettre tous ensemble, car il y va de l’avenir de notre agriculture et de nos agriculteurs.

Je suis toujours assez épaté en entendant certains responsables politiques vouloir revenir à un budget à l’équilibre, supprimer les niches fiscales, réduire le plus possible le déficit, diminuer les dépenses publiques, tout en s’opposant à chaque fois que l’on propose une baisse : Il faut être cohérent : si l’on veut que les finances soient à l’équilibre en 2022, il faut que tout le monde fasse des efforts. C’en est fini des budgets, à l’exception des secteurs préservés, comme la sécurité, l’enseignement, etc., qui progressent chaque année de 5 ou 10 %. S’il ne faut pas baisser ceci, ni baisser cela, comment voulez-vous équilibrer le budget ? Il faut raisonner en termes d’efficacité. Le présent budget a la capacité d’être exécuté ; aucune action politique en direction de l’agriculture n’est mise à mal. C’est pour cela que je préférerais que vous évoquiez d’autres pistes plutôt que de parler d’un budget en baisse ou d’un manque d’ambition. Je maintiens que ce budget donne à l’agriculture les moyens d’avancer. Et je rappelle que nous ne sommes pas dans le cadre d’une alternance : on a seulement changé de ministre… À cet égard, j’ai salué à plusieurs reprises l’action de M. Stéphane Travert qui a fait du bon travail. Ce budget s’inscrit dans le prolongement de celui de l’année dernière, il est dans la feuille de route fixée par le Président Macron et nous avons les moyens de fonctionner dans tous les domaines. On a parlé du bio : 1,1 milliard d’euros nets sont consacrés au programme Ambition bio 2022. A-t-on jamais mis autant d’argent sur la table ? Et avec le bio, il est possible de continuer à installer des jeunes, de faire de la conversion et des transmissions d’exploitations.

Pour avoir été pendant onze ans le président du premier département bio de France, premier département sans organismes génétiquement modifiés (OGM), premier département zéro phyto, premier département à avoir fait les circuits courts, à avoir créé le réseau Agrilocal auquel participent dorénavant trente ou trente-cinq départements, je soutiens qu’il est possible aujourd’hui, avec la production bio française, de nourrir les élèves de nos cantines, les papys et les mamies de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) comme les patients dans nos hôpitaux. Tout à l’heure, l’un d’entre vous a indiqué que tel conseil départemental ou telle collectivité avait investi de l’argent dans le bio : c’est cela, la coproduction. Pour notre part, nous avons inscrit 1,1 milliard d’euros en direction du bio, mais il faut aller plus loin. De nombreuses collectivités locales, qu’elles soient de gauche ou de droite, en font un cheval de bataille, tout simplement parce que nos concitoyens nous le demandent. Et on ne reviendra pas en arrière.

Ce budget a donc les moyens de répondre aux crises, de mettre en place des politiques ambitieuses et d’essayer d’avancer pour combattre ce défaitisme.

Un mot sur les baisses de charges et les TODE. Il y a un mois, alors que j’étais encore sénateur, j’avais interrogé le ministre de l’agriculture, lors des questions d’actualité, sur le TODE, pensant que la suppression du TODE était une erreur. Depuis que je suis ministre, je n’ai pas changé d’avis. D’ailleurs, lorsque le Président de la République m’a nommé ministre de l’agriculture, j’ai évoqué ce sujet, car il n’était pas question que je dise l’inverse de ce que j’avais dit un mois plus tôt. Il y a une trajectoire économique et sociale : le Président de la République veut remplacer le CICE par des baisses de charges afin que cela se traduise immédiatement par des augmentations de pouvoir d’achat – et on commence à le voir. Ceux qui défendent le TODE, ce sont ceux qui veulent supprimer les niches fiscales à condition qu’il ne s’agisse pas des leurs ou de celles qui les intéressent…

Globalement, le paquet économique agricole est très positif. Lorsque l’on regarde le différentiel entre la baisse des charges, les aides et la suppression du TODE, on voit que le paquet est très positif pour la ferme France, si on la prend dans son ensemble.

M. Dominique Potier. Ah bon ?

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Sur l’ensemble, la ferme France y gagne, à l’exception des exploitations agricoles qui ont peu de salariés permanents et beaucoup de travailleurs saisonniers : ces agriculteurs-là y perdent. Le Premier ministre vient de rendre son arbitrage et a accepté des compensations. Le Gouvernement a donc déposé un amendement qui prévoit une exonération de charges à 1,1 salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), ce qui représente un coût d’un peu plus de 80 millions. Le groupe majoritaire a proposé un allégement à 1,15 SMIC, ce que le Gouvernement a accepté, qui représente 105 millions d’euros, à comparer aux 144 millions d’euros accordés précédemment. Je pense que tout le monde sera d’accord pour aller dans cette direction. Je veux bien que vous me disiez que le compte n’y est pas et que l’on n’est pas revenu au statu quo ante, parce que la trajectoire retenue par le Président de la République est de baisser les charges et de supprimer les niches fiscales, mais vous verrez que cette mesure concerne un grand nombre d’exploitations. Je remercie donc le groupe majoritaire…

M. Thierry Benoit. Et l’ensemble des députés !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. d’avoir obtenu cet arbitrage et je serai heureux de donner un avis favorable, demain après-midi, sur cette mesure. J’espère que l’ensemble des députés porteront cette mesure.

Le rapporteur pour avis a raison : tout le dispositif de la loi EGALIM pourrait capoter si les négociations commerciales se passent mal ; et on sait que cela peut arriver. Mais si elles devaient mal se passer à cause des grandes entreprises de distribution, alors il faudrait mobiliser les consommateurs et la population.

On nous répète que les Français sont prêts à payer plus cher pour avoir une nourriture de bonne qualité. Moi, je dis que ce n’est pas vrai. Certains seront capables de payer plus cher parce qu’ils en ont les moyens, mais je connais plein de gens, de la Drôme ou d’ailleurs, qui ne le peuvent pas. Je ne peux pas accepter qu’il y ait d’un côté la bonne bouffe pour les riches et de l’autre la mauvaise bouffe pour les pauvres. Il est indispensable que les industriels, les transformateurs et la grande distribution fassent des efforts pour permettre aux Françaises et aux Français de se nourrir de produits, transformés ou non, de très grande qualité avec la sûreté sanitaire la meilleure possible, mais à un prix abordable. On ne peut pas passer d’un système dans lequel les agriculteurs faisaient les frais de cette course folle en étant rémunérés à un prix de vente inférieur à leur prix de revient à un système de rabais, remises et ristournes où l’on fait de la publicité pour vendre un produit à un prix inférieur à celui que vend l’agriculteur. Ce n’est plus possible. Il faut défendre cette loi parce qu’elle met des garde-fous, elle fixe des seuils de revente à perte et la limitation des promotions. Un travail est en cours avec le médiateur des relations commerciales agricoles. Et si les choses se passent mal, on y va, name and shame, comme on dit dans la Drôme (Sourires). N’ayez crainte, j’irai parce que je n’ai peur de personne – sauf évidemment de vous bien sûr, Mesdames et Messieurs les députés… Mais nous devrons avancer dans cette direction.

Mme Barbara Bessot Ballot. Nous serons là, Monsieur le ministre !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Vous m’avez posé une question sur les concours publics de l’agriculture en 2019 qui sont en hausse par rapport à 2018 alors que les fonds communautaires restent stables.

Monsieur Sempastous, vous m’avez interrogé sur la question du foncier sur laquelle vous travaillez avec Mme Petel et M. Potier. C’est un sujet important pour la compétitivité de l’agriculture et la transmission des exploitations. Je sais que vous êtes convaincu que l’avenir de l’agriculture, c’est la transmission. Si nous ratons la transmission dans les années qui viennent, c’en est fini de notre histoire culturelle. Il faut faire évoluer nos outils de régulation. Sachez que je vous soutiendrai dans ce cadre et que le Gouvernement s’appuiera sur les conclusions de votre mission pour essayer d’aller beaucoup plus loin.

Tout à l’heure, vous parliez de l’objectif de 50 % de produits bio dans les cantines. Il est facile d’y parvenir si la volonté est au rendez-vous. De plus en plus de mairies et de conseils départementaux s’engagent dans cette démarche.

Monsieur Nury, vous avez dit que la loi EGALIM avait fait « pschitt ». On verra si c’est le cas, mais seulement une fois qu’elle aura été promulguée… Bien entendu, le nouveau cadre légal ne produira pas ses effets instantanément, cela suppose que tout le monde se mobilise : les producteurs, les industriels, les transformateurs et les consommateurs.

Près de 350 millions d’euros sont déployés en faveur de la politique d’installation, ce qui correspond au même niveau que l’année dernière qui lui-même était légèrement supérieur aux années précédentes. Je ne vois donc pas ce qui peut vous inquiéter. Pour ma part, ce qui me préoccupe, ce n’est pas l’argent qui est consacré : si l’on devait installer davantage d’agriculteurs, on trouverait les moyens nécessaires. Ce qui manque aujourd’hui, ce sont les jeunes qui souhaitent s’installer, et c’est bien cela que nous devons faire changer dans notre réflexion politique.

Quant aux crédits attribués aux opérateurs, ils ne baissent pas. Au contraire, ils augmentent globalement puisqu’ils s’élèveront à 540 millions d’euros, contre 536 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2018.

Pour ce qui est de la PAC, dont j’ai beaucoup parlé, nous serons conduits à nous revoir. À mon sens, le Parlement doit y être étroitement associé. La PAC ne doit pas être l’affaire d’un ministre, ni même celle d’un gouvernement ; la PAC, c’est l’histoire de la France. Si la France ne s’en saisit pas, nous aurons du mal à obtenir les 9,5 milliards d’euros de 2014. Nous savons que ce sera dur, mais nous allons essayer de nous battre jusqu’au bout. Il faut parvenir à réunir une majorité de pays. Je sais que M. Jean-Baptiste Moreau était à Bruxelles il y a quarante-huit heures. La diplomatie parlementaire est essentielle pour aider la France et ses alliés à négocier la PAC.

Monsieur Turquois, pas plus tard qu’hier nous avons parlé de la réforme de la fiscalité agricole. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Il conviendrait peut-être de créer des groupes de travail pour progresser. C’est à M. Bruno Le Maire de voir cela.

Enfin, s’agissant du plan Écophyto, ne nous racontons pas d’histoires. Notre agriculture est diverse. Nous avons besoin d’une agriculture productive et exportatrice. Notre balance commerciale agricole s’élève à 6 milliards d’euros. C’est la troisième balance commerciale. Mais parallèlement, « en même temps », comme l’on dit dans la majorité de cette assemblée, nous avons besoin de la petite paysannerie, des circuits courts, du bio. C’est cela, l’agriculture française. Jamais je n’opposerai l’une à l’autre : nous avons besoin des deux, qui sont en train de réaliser une mue incroyable pour sortir des produits phytopharmaceutiques. Certains trouvent que cela va suffisamment vite, quand d’autres pensent le contraire ; nos concitoyens, eux, voudraient évidemment que cela aille plus vite.

L’annonce du Président de la République, selon laquelle, en 2020, il n’y aura plus de glyphosate en France est énorme. Nous ne laisserons pas tomber les filières ; mais il faut les pousser et aller plus vite. La baisse de l’utilisation des phytos dans les deux, trois ans qui viennent est essentielle. C’est le sens de l’histoire. Pour ne pas mettre à mal l’agriculture française, il faudra l’accompagner. La fusion de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) s’inscrit dans ce cadre, afin de disposer de grands centres de recherche publics capable d’aller de l’avant.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Nous allons maintenant entendre les deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances.

M. Hervé Pellois, rapporteur spécial de la commission des finances. Permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous adresser à mon tour nos meilleurs vœux pour votre prise de responsabilités. Ce projet de budget appelle de la part de Mme Émilie Cariou et de moi‑même, corapporteurs spéciaux de la commission des finances, des commentaires positifs, mais aussi quelques appels à la vigilance.

Nous saluons, notamment, l’annonce d’un retour à la normale du calendrier de versement des aides de la PAC par l’Agence de services et de paiement, même si nous resterons attentifs, car cette promesse, déjà faite aux agriculteurs l’année passée, n’avait pas été tenue, en raison de difficultés informatiques et des nombreux critères hétérogènes retenus par nos régions ; l’augmentation de la redevance pour pollution diffuse et le doublement du fonds de structuration « avenir bio », qui passe de 4 à 8 millions d’euros ; la réforme de la fiscalité agricole, avec l’instauration de la déduction pour épargne de précaution et le recentrage de l’aide aux jeunes agriculteurs sur ceux dont les revenus sont les plus modestes – nous proposerons des amendements dans ce sens.

En revanche, certains éléments suscitant de notre part des interrogations, nous souhaiterions obtenir des éclaircissements du Gouvernement. Dans la mesure où vous venez largement de le faire pour ce qui concerne le TODE, je n’y reviendrai pas. Votre ministère envisage, par ailleurs, d’affecter une part du reliquat de la provision pour aléas de 2018 au Grand plan d’investissement. Or il y a urgence à la mobiliser pour aider les agriculteurs touchés par la sécheresse, un peu partout en France, et par la peste porcine africaine qui sévit en Wallonie et nous menace.

S’agissant de la création d’une option révocable pour le passage à l’impôt sur les sociétés (IS), comment allez-vous tenir compte des autres taxations appliquées au moment du changement de régime et éviter les effets d’aubaine ?

Enfin, je ne peux conclure sans un mot sur la pêche. Les pêcheurs ont trois préoccupations actuellement : l’augmentation du prix du gazole, qui a une forte influence sur leurs charges quotidiennes ; le Brexit et la nécessité réaffirmée d’une négociation globale au niveau européen ; l’interdiction du rejet en mer de poissons non vendables à compter du 1er janvier prochain, à laquelle les pêcheurs sont très réticents, d’autant que les ports ne sont pas préparés à une telle évolution.

M. Michel Lauzzana, rapporteur spécial de la commission des finances. Le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation », qui inclut également les actions liées au bien-être animal, se voit affecter 536 millions d’euros, soit une baisse de 15 millions d’euros. Cette baisse se justifie par la fin du contentieux sur les retraites des vétérinaires, et le versement de concours de l’Union européenne au titre de la crise de l’influenza aviaire.

Parmi les actions transversales, je souhaiterais mettre en avant le rôle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), qui est une agence de qualité. Il conviendrait de revoir ses missions, mais aussi ses financements. Nous avons eu le bonheur de voir ses effectifs augmenter de quarante équivalents temps plein, le Brexit nécessitant de renforcer les contrôles.

J’ai fait partie de la commission d’enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis, où j’avais proposé, sans succès, qu’il n’y ait plus qu’un seul chef de file dans les crises alimentaires. J’aimerais, Monsieur le ministre, connaître votre position sur ce sujet.

Dans ma région, l’Aquitaine, première région agricole de France, j’ai rencontré plusieurs sociétés de biocontrôle, qui se plaignent de ne pas avoir facilement accès à des procédures longues et coûteuses pour homologuer leurs procédés. Or c’est l’avenir de notre agriculture. Il faut que nous révisions ces procédures, de sorte qu’elles soient plus rapides et moins chères.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Nous en venons aux questions, à raison d’une minute par question – et j’y insiste, sinon je couperai le micro.

M. Didier Martin. Monsieur le ministre, vous serez le bienvenu en Côte-d’Or ! Ma question porte sur les territoires d’innovation de grande ambition (TIGA) présélectionnés dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA) fondé sur des consortiums très larges associant différents acteurs des territoires. Ces TIGA visent à améliorer la qualité de vie des habitants et la durabilité du territoire et comptent sur des appuis financiers pour promouvoir les écosystèmes territoriaux. Le projet « modèle du système alimentaire durable de 2030 » proposé par Dijon métropole a été présélectionné. Il s’appuie sur la cité internationale de la gastronomie et du vin, sur le pôle d’innovation agricole Vitagora, sur le technopôle Agronov et sur son écosystème d’innovation FoodTech et propose d’instaurer une agriculture performante et durable, en milieux urbains et périurbains, afin d’atteindre, d’ici à dix ans, l’autosuffisance alimentaire.

Monsieur le ministre, dans quel délai et selon quels critères les TIGA lauréats seront-ils retenus ? Quels moyens financiers leur seront-ils accordés, et selon quel calendrier ?

M. Fabien Di Filippo. Monsieur le ministre, la situation de l’agriculture à la base, chez nos producteurs, s’est encore détériorée cette année pour atteindre des proportions dramatiques. Ce sont des nuits à passer et repasser en boucle les entrées et sorties de trésorerie sans voir d’issue ; c’est l’angoisse mois après mois de l’équilibre financier de l’exploitation qui se détériore, malgré des jours et des nuits de labeur. Qui plus est, nous avons eu à affronter dans l’Est une terrible sécheresse : dans certains endroits, comme chez moi dans le sud mosellan, moins de quarante millimètres de pluie sont tombés durant la période estivale, provoquant l’effondrement des récoltes et des cultures. Les semences ne peuvent toujours pas être semées ; les fourrages manquent drastiquement ; des éleveurs ont été contraints de vendre de jeunes veaux avant leur maturité, ce qui leur a coûté plusieurs centaines d’euros de perte par bête. Pendant ce temps, l’Allemagne débloquait 340 millions d’euros d’aides pour 10 000 agriculteurs dont les exploitations étaient menacées. Quelle réponse concrète pourrez‑vous apporter à ce drame sans précédent ? Y aura-t-il des dégrèvements de taxe foncière, et où ?

Enfin, vous n’avez pas voté la loi EGALIM, il y a quelques jours, avant de devenir ministre. Comment y voir, d’une quelconque manière, les solutions à tous les problèmes de notre agriculture ? Quelle crédibilité pensez-vous bâtir, en vous en tenant à ce texte cosmétique ?

Mme Barbara Bessot Ballot. Les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents, sévères et, partant, dramatiques pour la compétitivité de nos agriculteurs. Un épisode de sécheresse sans précédent touche le département de la Haute-Saône depuis quatre mois. Quelles mesures envisagez-vous de prendre dans les mois à venir pour mieux anticiper ces périodes de bouleversement climatique et aider les agriculteurs en grande difficulté financière ?

Mme Émilie Bonnivard. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Tout d’abord, quels moyens comptez-vous réellement allouer pour faire baisser de façon importante les attaques de loups contre les troupeaux ? À la fin du mois de septembre, nous dénombrions tristement 9 173 ovins victimes du loup depuis le début de l’année. Il y va de la survie de la filière ovins viande et ovins lait, et du pastoralisme. Vous êtes drômois et connaissez la détresse des éleveurs.

Par ailleurs, quel serait l’impact d’une baisse de la PAC sur l’agriculture française, ainsi que sur les choix que vous auriez à faire entre les agricultures, notamment l’agriculture de montagne à handicaps ?

Enfin, je ne suis pas tout à fait rassurée par vos propos concernant le maintien des TODE et la baisse de charges sur les exploitations viticoles et arboricoles. Ce sont plus de 40 millions d’euros d’augmentation de charges sur le travail, si je comprends bien ce que vous nous avez dit. Dans un climat agricole concurrentiel, c’est un mauvais signal.

Mme Monique Limon. Avec 71 millions d’euros en 2019, la dotation proposée en faveur des mesures de soutien aux investissements dans les exploitations agricoles est stable par rapport à l’année dernière. Ces crédits, comme tous ceux relatifs aux mesures agro‑environnementales et climatiques, contribuent au volet agricole du GPI, qui est l’un des leviers essentiels de l’État dans sa volonté réformatrice. J’évoquerai d’ailleurs demain, lors de l’examen de la mission PIA, quelques pistes pour un PIA utile à l’agro-écologie.

J’ai pu constater à quel point la méthanisation était en plein essor, répondant à un double enjeu environnemental : le traitement des déchets organiques et la production d’énergie renouvelable. Ce procédé complexe oblige les agriculteurs à se former comme ils peuvent, bien souvent seuls. La formation des jeunes reste une priorité du ministère, avec un effort particulier mis sur l’attractivité des métiers de l’agriculture et la question de l’orientation. Afin de préparer sereinement l’avenir, de nous permettre d’assurer nos objectifs en matière d’énergie et de donner aux agriculteurs des ressources complémentaires, peut-on imaginer la création d’une formation post-bac autour de la méthanisation ? Comment accompagner et faciliter le développement de cette nouvelle source de revenus pour nos agriculteurs ?

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Pellois, s’agissant du transfert du reliquat de la provision pour aléas climatiques vers le Grand plan d’investissement, nous en avons déjà parlé : il n’y a aucun risque, puisque dès janvier 2019, nous serons à même de réapprovisionner, s’il y avait besoin.

Concernant la création d’une option révocable pour le passage à l’IS, dans le cadre de la concertation sur la réforme de la fiscalité, il a été convenu de faciliter le passage des exploitations agricoles de l’impôt sur le revenu à l’impôt sur les sociétés, en levant les freins, ce qui est une bonne chose pour nos exploitants. Parallèlement sera instauré un étalement sur cinq ans du paiement de l’impôt sur le revenu afférant à la réintégration des sommes antérieurement déduites.

Enfin, le Brexit représente un sujet majeur, d’autant qu’il faut s’attendre à un Brexit dur. Les enjeux sur la PAC, notamment sur la pêche, sont très importants. Il faudra nous bagarrer le plus possible. Le Gouvernement est très vigilant sur ces questions. Nous serons conduits à reparler de ces sujets dans le cadre des négociations menées par M. Michel Barnier, en particulier avec les parlementaires des régions concernées : nous avons intérêt à constituer un pack le plus fort possible.

Monsieur Lauzanna, vous avez entièrement raison : il y a un vrai problème avec les start-up et le biocontrôle. Notre système n’est pas fait pour prendre en compte cette question. Le rapporteur pour avis a beaucoup travaillé sur ce sujet, sur lequel nous serons conduits à revenir.

Monsieur Martin, les TIGA relèvent du PIA et du GPI. L’appel à projets sera lancé très prochainement par la Caisse des dépôts, m’indiquent les services. Ne pouvant vous en dire plus, je leur demanderai de vérifier ce que signifie « très prochainement » et de vous faire un retour très vite.

Monsieur Di Filippo, merci d’avoir abordé deux sujets d’une importance toutefois inégale : la sécheresse et mon vote sur le projet de loi EGALIM. Heureusement que je ne l’ai pas voté !

M. Fabien Di Filippo. Je ne vous le fais pas dire !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Et je le revendique ! Il ne vous a pas échappé que, dans le cadre du bicamérisme, le projet de loi soumis au vote  au Sénat n’était pas du tout celui qui a été voté à l’Assemblée. Vous vous êtes quand même aperçu qu’en nouvelle lecture, il y a eu un certain nombre de changements.

M. Thierry Benoit. De rebondissements !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. In fine, nous n’avons même pas été conduits à en reparler au Sénat.

M. Thierry Benoit. C’est dommage !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je n’ai pas voté contre, parce que j’étais plutôt favorable aux évolutions contenues dans le titre Ier.

M. Thierry Benoit. Elles n’allaient pas assez loin !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Mais il m’était impossible de voter pour, étant donné tout ce qui avait disparu dans le titre II : le bio, le plastique, etc. On ne m’a pas demandé de me prononcer sur le texte de l’Assemblée nationale, que j’aurais voté, mais sur celui du Sénat, et je me suis abstenu.

Sur la sécheresse, évoquée par M. Di Filippo, mais aussi M. Potier et Mme Bessot Ballot, beaucoup de choses ont déjà été faites, notamment l’exonération de la taxe sur le foncier non bâti. Le Fonds national de gestion des risques en agriculture se réunira au début du mois de décembre et fin janvier. Nous allons engager des moyens pour lutter contre les effets de la sécheresse. Nous avons demandé à tous les préfets de nous faire remonter la situation, département par département, territoire par territoire : dans certains endroits, il reste encore un peu de fourrages, dans d’autres il n’y en a plus du tout. Le Gouvernement sera au rendez-vous. Il a pris la pleine mesure de la sécheresse. Je serai vendredi dans l’Est de la France pour constater par moi-même la situation.

Madame Bonnivard, s’agissant du maintien du TODE, la proposition faite par le groupe La République en Marche, par la voie d’un sous-amendement à un amendement du Gouvernement, n’est évidemment pas de revenir au statu quo ante et aux 144 millions d’euros. Ce n’est pas du tout la volonté du Gouvernement. Avec la baisse des charges, des exploitations agricoles gagnent de l’argent, voire beaucoup d’argent. Nous avons donc limité la perte ; à l’issue de la période transitoire, certes un peu difficile, tout rentrera dans l’ordre.

Une baisse de la PAC ne se ferait pas sentir que sur l’agriculture de montagne et les zones relevant de l’ICHN. Nous aurions assurément un problème si la PAC diminuait trop fortement. Je vais rencontrer les présidents de commission et les présidents des deux assemblées à ce sujet. La France doit aller unie à Bruxelles.

Je connais assez bien le sujet des attaques de loups et n’ai pas changé de position depuis que je suis ministre : entre l’éleveur et le prédateur, je choisis l’éleveur.

Mme Émilie Bonnivard. Merci !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Sans éleveurs, c’en est fini de l’histoire de notre pays. Sans éleveurs, ce seront des friches partout. Sans éleveurs, il n’y a plus de paysages, plus de tourisme. Un énième plan loup a été mis en place : nous allons de l’avant. Nous savons qu’il faudra réfléchir à une nouvelle façon d’appréhender la question. J’ai l’intention d’intervenir à l’échelle européenne, même si la probabilité de succès est assez minime – je vous l’accorde –, voire très minime. La population de loups n’est plus une espèce en voie de disparition : il y en a maintenant cinq ou six cents.

M. Thierry Benoit. Il y a des loups partout, c’est bien connu : demandez à Mme Aubry !

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame Limon, on dit toujours qu’il faut six mois en Allemagne pour installer une unité de méthanisation, et qu’il faut six ans en France… Cela fait des années que j’entends cette remarque. Nous savons qu’il faudra aller plus loin et plus vite. En Allemagne, il y a aussi moins d’associations de défense diverses et variées, moins de pétitions et moins de tribunaux administratifs. En lien avec le ministre de la transition écologique et solidaire – et sans oublier que la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sera bientôt présentée –, il faudra définir l’énergie que nous voulons pour demain. Je suis prêt à aller assez loin sur la question de la méthanisation.

Monsieur Potier, sur la réforme de la coopération agricole, l’ordonnance est en cours de rédaction. Il y aura une concertation avec les députés, comme s’y était engagé mon prédécesseur.

M. Jumel a parlé d’hémorragie budgétaire. Je le répète : il n’y a pas d’hémorragie dans le budget de l’agriculture.

M. Dino Cinieri. Monsieur le ministre, le programme 149 est le plus touché par la baisse des crédits de la mission. Il perd en effet 552 millions d’euros entre la loi de finances initiale pour 2018 et le projet de loi de finances pour 2019. L’action « protection sociale » passe de 22,5 % du programme en 2018 à seulement 3,5 % en 2019, ce qui représente une baisse de 420 millions d’euros. Cette baisse est la conséquence de la catastrophique disparition des exonérations TODE, qui va pénaliser nos agriculteurs, en particulier les maraîchers, les viticulteurs et les arboriculteurs. Or, cette suppression ne devant coûter que 272 millions d’euros, il y a un écart non justifié par le bleu budgétaire. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce décalage ?

M. Yves Daniel. Monsieur le ministre, je suis heureux de vous entendre ce soir. Vous avez déjà répondu à plusieurs de mes questions. Vous avez commencé votre propos en parlant du niveau de revenus inacceptable des agriculteurs. Effectivement, il n’y aura pas d’agriculture sans paysans. Mais, heureusement, il y a des paysans qui gagnent leur vie, qui gagnent de l’argent. Regardons d’abord ce qui marche ! Par ailleurs, si la loi EGALIM apporte des outils, il y a une loi dont nous ne parlons pas et que nous n’avons jamais votée : celle de l’offre et de la demande. C’est elle qui fait les prix. Cela supposera de travailler à des outils de régulation aux niveaux national et européen.

Comme vous l’avez dit, il faut également travailler sur le volet formation pour assurer le renouvellement des exploitations et préparer les agriculteurs de demain.

Quand on évoque les filières, on parle beaucoup de l’aval. Comment traite-t-on la question de leur amont ?

Enfin, concernant le Grand plan d’investissements et les indicateurs de compétitivité de l’agriculture, il ne faut pas s’arrêter au seul indicateur financier, mais également prendre en compte les indicateurs sociaux, écologiques et sanitaires.

M. Jean-Claude Bouchet. Monsieur le ministre, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue ! Ainsi que vous le savez, dans le Sud de la France, notamment dans le Luberon, on trouve un grand nombre de parcelles en friche, ce qui, outre les risques majeurs que cela peut représenter sur le plan sanitaire ou sur celui des incendies, en vient à nuire au développement de notre agriculture et à l’installation de jeunes agriculteurs. Cette question a été évoquée en séance, vendredi dernier. C’est d’autant plus dommage que, dans ces mêmes zones, de nombreux candidats à l’installation peinent à trouver du foncier disponible. J’ai été interpellé récemment par des agriculteurs de ma circonscription sur l’augmentation, en zone rurale comme en zone périurbaine, du nombre de parcelles en état d’inculture ou manifestement sous-exploitées, souvent bloquées pour des raisons spéculatives.

Certains défendent l’idée d’une taxation majorée des parcelles en friche, pour inciter leurs propriétaires à les remettre en culture, par le biais de mises à disposition en faveur, notamment, de jeunes agriculteurs. Je pense qu’il est urgent d’envoyer des signes positifs pour favoriser la revitalisation des terres agricoles en zones périurbaines, en privilégiant la promotion d’une agriculture plus respectueuse des enjeux écologiques. Dans le prolongement de cet examen des crédits de la mission budgétaire, une réforme du foncier agricole nous est annoncée pour 2019. Seriez-vous disposé à compléter les dispositifs existants pour préserver les terres agricoles par de nouvelles mesures incitatives ?

M. Julien Dive. Monsieur le ministre, vous nous avez proposé d’autres pistes de financement, à mon tour d’en suggérer une : la chasse aux comportements déviants. De plus en plus d’agriculteurs d’outre-Quiévrain viennent en France, dans le Nord ou dans l’Aisne, cultiver des terres, qu’ils louent ou sous-louent à des céréaliers en grande difficulté, pour y produire des pommes de terre en utilisant parfois des plants et des techniques interdits en France, qui risquent de contaminer nos sols et de provoquer des jachères noires. Je vous propose de vous emparer de ce sujet, ce qui permettrait d’apporter une réponse aux exploitants mais également de trouver un levier de recettes.

M. Rémi Delatte. Monsieur le ministre, ce premier budget post-EGALIM confirme ce que nous avions annoncé : la politique des petits pas a ses limites. Nous avons vraiment le sentiment de rester au milieu du chemin et d’ajouter au découragement et au désarroi de nos paysans. Cela étant, il faut reconnaître que la gestion des risques et les crédits du Grand plan d’investissements sont des aspects positifs de ce budget. En revanche, il n’y a aucune indication sur la réforme du foncier, ni sur celle de la fiscalité, hormis la suppression, que l’on peut saluer, de cinq taxes à faible rendement. In fine, le budget de la mission est en baisse, notamment du fait de la suppression du dispositif TODE, que nous regrettons, alors qu’il avait bénéficié à plus de 71 000 entreprises en 2016.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, je tenais à vous remercier d’avoir pris en compte l’angoisse des marins pêcheurs, à propos du Brexit. Vous aurez aussi à gérer les négociations de fin d’année au mois de décembre. En termes d’affichage, la pêche a été un peu oubliée au moment de la nomination du nouveau gouvernement. Vous avez vraiment un effort tout particulier à faire en direction des pêcheurs pour les rassurer.

Au Bundestag, où nous étions la semaine dernière, deux sujets sont revenus : celui de l’aménagement du territoire et celui du soutien aux petites exploitations, qui risquent de disparaître si le budget de la PAC était raboté. La dimension de l’aménagement du territoire est très importante dans le cadre de la politique agricole et doit se traduire dans le budget. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur Cinieri, je vous le redis ainsi qu’à l’ensemble de la commission : le budget du programme 149 ne baisse pas. Le TODE a été transféré sur le PLFSS. Le seul élément qui baisse, c’est la provision pour aléas, qui passe de 300 à 200 millions d’euros. Mais faire baisser le montant d’une provision pour aléas ne signifie pas que l’on donne moins à l’agriculture. Dans le cadre de l’équilibre du budget, les directions se sont aperçues qu’il n’y avait peut-être pas besoin de ces 300 millions d’euros. Et s’il en était besoin, ils reviendraient ! C’est une simple opération comptable, qui fait que le programme 149 baisse de 100 millions d’euros, sans aucun effet sur notre politique agricole.

Monsieur Daniel, vous avez raison : on parle toujours de l’agriculteur qui est pauvre ou qui ne va pas bien, dont il est normal de se soucier. Mais il y a aussi une agriculture qui fonctionne, des agriculteurs qui sont heureux, avec des services de remplacement qui fonctionnent et qui leur offrent la possibilité de prendre des jours de congé. J’ai beaucoup apprécié que vous en parliez.

La loi de l’offre et de la demande régit notre pays. Il faut absolument réussir – et c’est le sens de la loi EGALIM et de celles qui l’ont précédée – à regrouper l’amont et à inciter à créer des organisations de producteurs. Il est plus facile pour une organisation de producteurs de négocier un prix que lorsqu’on est tout seul. Pour certaines niches, il n’y a pas besoin de regroupement : les trufficulteurs ou les lavandiculteurs ne se regroupent pas, puisqu’il s’agit de vente directe. Mais dans d’autres filières, c’est indispensable. En se regroupant, les producteurs seront plus forts. Nous devons aussi expliquer l’utilité de la contractualisation. La loi que vous avez votée fait le choix de la contractualisation, qui n’avait pas très bien marché dans les lois précédentes. Cette fois, nous avons l’impression que nous y parviendrons différemment. Si cette contractualisation réussit, ce ne sera certes pas la panacée, mais les producteurs pourront enfin voir les choses s’améliorer.

S’agissant des friches, Monsieur Bouchet, c’est un phénomène que je constate comme vous, partout et non seulement chez vous. Je m’engage à vous envoyer une note sur le sujet dans les jours qui viennent car je ne peux vous répondre aujourd’hui. En une semaine, je n’ai pas encore eu le temps de tout ingurgiter.

Je sais que vous êtes, Monsieur Dive, très impliqué dans la mission sur le glyphosate. Je pense que vous avez raison. La question est de savoir comment avancer. Je veux bien que nous en discutions car toutes les bonnes idées sont bonnes à prendre. En agriculture, il n’y a pas de majorité et d’opposition, de droite et de gauche ; comme je l’ai dit tout à l’heure, ou on y va tous ensemble, ou on n’y va pas.

Vous avez, Monsieur Delatte, employé l’expression « au milieu du chemin ». En réalité, nous sommes même au début du chemin, car la situation que connaît l’agriculture européenne et française est terrible. C’est pourquoi nous souhaitons aller de l’avant. Tout à l’heure, M. Daniel a évoqué les agriculteurs qui réussissent. Dans le cadre de l’examen de cette mission budgétaire, nous parlons d’agriculture et de ruralité. Quand on parle de foncier, on parle de ruralité. Quand M. Bouchet parle des friches, il parle de ruralité. Nous sommes au milieu du chemin dans la réflexion sur ce que nous voulons faire entre grandes métropoles et monde rural. Et dans de monde rural, il y a des associations, des aides à domicile en milieu rural (ADMR), des gens qui font du théâtre, de la musique… Mais il y a aussi des agriculteurs, et il ne faut oublier personne. Si vous voulez nous aider à aller au bout du chemin, je serai heureux que vous nous accompagniez.

La pêche n’a pas été oubliée, Monsieur Fasquelle. Elle apparaît parfois dans l’intitulé, parfois non ; ce qui compte, c’est de s’en occuper. Je verrai M. Romiti, président du comité national des pêches maritimes et des élevages marins, dans les jours qui viennent et je me rendrai aussi sur le terrain bientôt, vraisemblablement avec M. Darmanin, pour étudier les problèmes liés aux douanes, au Brexit, etc. J’en ai pris l’engagement et je vous le confirme.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Merci pour votre discours franc et direct, Monsieur le ministre. Vous avez pu voir que les membres de la commission étaient impatients de travailler avec vous, et je pense que cette première audition augure d’échanges à venir fructueux, nourris et fréquents.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Nous en venons à l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Je vous indique que trois amendements portant articles additionnels avant l’article 72 du présent projet de loi de finances, les amendements II-CE3 de M. Richard Ramos, II-CE5 de Mme Huguette Tiegna et II-CE7 de M. Dominique Potier, ont été déclarés irrecevables. Je reste donc saisie de dix amendements de crédits.

La commission est saisie de l’amendement II-CE14 du rapporteur pour avis.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. J’ai déjà évoqué cet amendement dans mon propos liminaire.

Le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable et accessible à tous a créé des outils pour assurer une meilleure rémunération des producteurs. Le projet prévoit également le relèvement du seuil de revente à perte qui augmentera les marges de l’aval des filières agricoles sans garantie absolue d’une redistribution de cette valeur aux producteurs – pour cette raison, le dispositif est prévu sur une durée expérimentale de deux ans.

L’objet du présent amendement est la création d’un fonds de transition agricole. Ce fonds public-privé appelé « Initiative pour la transition agro-écologique » sera sécurisé économiquement par les distributeurs, industries agroalimentaires ou collectivités locales via des engagements d’achat et de la contractualisation, et abondé par les acteurs financiers afin de financer la transition agro-écologique ou biologique des producteurs. Le fonds aura pour objectif d’offrir aux consommateurs des produits sains, de qualité et durables. De nombreux agriculteurs souhaitent s’engager dans la transition mais les risques et freins inhérents à cette transition sont nombreux : incertitude sur les débouchés commerciaux, difficultés techniques liées au changement de pratiques et besoins de financement non couverts par l’offre bancaire actuelle.

Suivant l’Initiative pour une transition agro-écologique (ITAE), les besoins de financement des agriculteurs et de la première transformation pour la mise en place des engagements pris par les filières à la suite des États généraux de l’alimentation, par le biais notamment des plans de filière, sont de quelque 4 milliards d’euros dans les cinq prochaines années. Pour un objectif de 15 % des besoins, soit 600 millions d’euros, cet amendement propose de les financer de la façon suivante : 480 millions de financements privés pourraient être mobilisés sous forme d’une tranche dite « senior », la moins risquée, apportée par des institutions bancaires, 100 millions d’euros pour une tranche dite « junior », la plus exposée au risque, dont 30 millions apportés par le budget de l’État et le reste par des investisseurs à impact, c’est-à-dire à la recherche de bénéfices sociaux et environnementaux. Cette position « junior » – ou de première perte – de l’investissement de l’État permettrait de réduire le risque des investisseurs privés et donc, dans le même temps, de catalyser un co-financement plus important. Cet investissement en première perte, plus exposé au risque que le financement privé, réduit le coût du financement total et permet d’adapter le niveau de risque ou la durée aux besoins de la transition pour le bénéfice des agriculteurs participants.

Le budget de l’État serait utilisé comme levier de financement des opérateurs privés : avec un effet levier de 30 pour 600, chaque euro investi par l’État permettrait le financement de 20 euros issus de fonds privés.

Cet amendement prévoit également 20 millions d’euros d’assistance technique couvrant à la fois la structuration des projets, l’accompagnement individuel des agriculteurs et les démarches d’innovation et d’apprentissage collectif.

Cet amendement de crédits augmente la dotation du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture » – action 23, « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles » –, en transférant des crédits du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation ».

Cet amendement ne vient pas de nulle part : plusieurs acteurs sont déjà dans les startingblocks pour le mettre en place, notamment deux partenaires importants que j’ai auditionnés au cours de ce rapport pour avis : M. Zaouati, directeur général de Mirova et président de Finance For Tomorrow, et un représentant de Livelihoods Funds. Ce sont des structurations de financement qui existent déjà notamment pour financer le commerce équitable dans des pays en voie de développement. Je ne vois donc pas pourquoi nous n’arriverions pas à mettre en place ce type de fonds en France, qui existe déjà aussi en Allemagne. Cela offrirait un levier pour accompagner les agriculteurs dans la transition agro‑écologique.

M. Dominique Potier. Nous découvrons l’amendement à l’instant et c’est une grosse surprise, tant sur le montant, qui n’est pas ridicule, même s’il faut relativiser au vu des budgets que nous traitons aujourd’hui, que sur la forme. Qui décidera de l’affectation des fonds ? Nous avons en agriculture une tradition : l’impôt est redistribué et les organismes de développement gérés par l’État en lien avec la profession, les instituts. Ce fonds vient-il alimenter la marche courante des fonds de formation et de développement tel que nous les connaissons, ou bien est-ce un fonds spécifique géré par des opérateurs privés ? Vous voyez bien, dans le second cas, le danger de privatiser le développement agricole.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Compte tenu du cofinancement public-privé, ce serait plutôt un mix, avec comme investisseurs l’État mais aussi des sociétés privées. Rappelons qu’il s’agit de financer une partie seulement de la transition agro-écologique et non la totalité de l’accompagnement vers l’agro-écologie.

La commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement II-CE17 du rapporteur pour avis.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Le projet de loi EGALIM, dont j’ai été le rapporteur, comporte un certain nombre d’avancées ; mais pour que celles-ci soient réellement efficaces, il faut renforcer les moyens de contrôle, notamment ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Je déposerai un amendement à ce sujet, qui n’a d’ailleurs pas forcément sa place dans la présente mission. Le présent amendement a pour but de renforcer les moyens de FranceAgriMer. Il est en effet nécessaire que le nombre d’agents soit augmenté de 20 équivalents temps plein (ETP) : pour un montant actuel de 1,4 million d’euros, cela semble suffisant. Le transfert provient des crédits du titre II de l’action 2 « Évaluation et impact des politiques publiques et information économique ».

La commission adopte cet amendement.

Puis la commission est saisie de l’amendement II-CE11 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Pour revenir sur l’amendement II-CE14 du rapporteur, j’ai une grande confiance en notre collègue, mais nous venons de voter 600 millions d’orientation de crédits privés sans connaître le mode de contrôle, l’origine des crédits, ni rien ! C’est proprement stupéfiant ; nous demanderons des explications en séance. On n’a jamais vu autant d’argent voté en une minute sans discussion, c’est un vrai problème de démocratie. Je n’ai pas envie que les moyens du développement agricole soient mis dans des fonds privés du Qatar ou de n’importe quel industriel de l’agroalimentaire. Les enjeux sont bien trop importants pour que nous privatisions ces leviers du développement. Une telle rupture de principe aurait mérité à tout le moins des explications, un minimum de pédagogie.

Mon amendement II-CE11 prévoit d’affecter des fonds publics pour accompagner la transition vers les objectifs de produits bios, durables et HVE de niveau 3 dans les cantines, ce qui implique, notamment dans les petites infrastructures, des évolutions de matériel, des montées en gamme des filières, etc. Malheureusement, une coquille énorme s’est glissée dans l’amendement : en fait, les sommes sont mille fois plus importantes : plusieurs dizaines de millions d’euros sont nécessaires pour financer le « trente centimes par repas ». Il ne s’agit donc, à ce stade, que d’un amendement d’appel ; nous aimerions évoquer en séance, à des niveaux financiers différents, l’accompagnement de la transition afin qu’il n’y ait pas, pour reprendre l’expression du ministre, une bonne bouffe pour les riches et une mauvaise bouffe pour les pauvres…

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. J’entends bien que c’est un amendement d’appel. L’obligation de plus 30 % de produits sous signes de qualité et plus 20 % de produits bios a été inscrite dans la loi pour 2022 : cela laisse un temps de transition relativement important. Certaines cantines ont déjà mis en place ce type de pratique. Cela ne coûte pas forcément plus cher. À ce stade, j’émets un avis défavorable. Nous en rediscuterons avec le ministre.

S’agissant de mon amendement II-CE14, j’étais prêt à l’expliquer plus en détail mais il n’y a pas eu davantage de demandes. Nous pourrons en rediscuter.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Cet amendement sera également défendu en commission des finances et ensuite en séance.

M. Dominique Potier. Je n’insiste pas car la coquille m’empêche d’argumenter sur le fond, mais je suis convaincu qu’un accompagnement public des cantines et la conversion en HVE sont de vrais leviers de la politique que nous souhaitons conduire.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement II-CE12 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Il s’agit de doter, pour des montants modestes, l’accompagnement de la lutte contre le gaspillage alimentaire, notamment dans les plans alimentaires territoriaux, dont j’avais souhaité, dans la discussion de la loi EGALIM, qu’ils soient rendus obligatoires pour avoir une couverture complète du territoire. C’est une excellente idée, mais elle se déploie encore trop lentement. La lutte contre le gaspillage alimentaire peut contribuer à réaliser des gains de productivité et des économies susceptibles d’être investis dans la qualité. Ceux qui s’y sont engagés ont obtenu de très bons résultats.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Cet amendement de 50 millions d’euros a le même montant que le mien : il n’est donc pas si modeste que cela…

Certaines mesures que vous évoquez sont déjà prévues dans la loi EGALIM. Je comprends qu’il s’agit d’un amendement d’appel pour engager la discussion. Avis défavorable à ce stade.

M. Dominique Potier. Cela réduirait la facture des cantines à terme, de façon durable, et permettrait d’alimenter le fonds pour plus de qualité et plus de revenus pour les producteurs.

La commission rejette cet amendement.

Ensuite de quoi, la commission examine l’amendement II-CE6 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. M. le ministre devra vraiment nous répondre sur ce point car c’est quelque chose qu’il a voté et pour lequel il s’est même battu au Sénat, ou a été créé à l’unanimité un fonds que nous n’avons pas su reprendre dans la loi. Nous poserons les mêmes questions dans le cadre du PLFSS. C’est un débat que l’on ne peut plus reporter. Je plaide à nouveau pour faire justice aux victimes d’accidents phytosanitaires.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Nous sommes d’accord sur le fond et c’est dans la loi EGALIM, avec une demande de rapport sur les modalités concrètes de mise en place du fonds. Le ministre n’a pas répondu tout à l’heure, il le fera en séance. Avis défavorable à ce stade.

M. Dominique Potier. Ce n’est pas la première fois que des idées que nous poussons sont reprises a minima par la majorité – M. Matthieu Orphelin est un artiste en la matière… Cette réponse ne peut nous satisfaire : 2 millions d’euros, c’est l’amorce d’un fonds qui devra, on le sait, réunir trois financeurs : la Mutualité sociale agricole (MSA), qui est prête, les industries phytosanitaires, qui ne le veulent pas, mais c’est à nous de décider, et l’État, qui doit prendre sa part.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement II-CE10 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Le plan Écophyto 2, adopté fin 2014 à l’unanimité par toutes les parties prenantes, dans un comité d’orientation stratégique que je présidais, est en friche depuis trois ans. Dans cet amendement, je rappelle que l’un de ses déploiements est de confier à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) de doubler le nombre de fermes DEPHY et de créer un écosystème d’agro‑écologie vertueux comme on l’a connu dans les années soixante, pour plus de productivité. Cela demande des moyens, que nous avons chiffrés et que je vous demande d’adopter.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. J’y suis d’autant plus favorable que j’avais adressé avec M. Orphelin un courrier à M. Nicolas Hulot pour le développement des fermes DEPHY.

M. Dominique Potier. Je ne m’y attendais pas… (Sourires.)

La commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement II-CE13 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) est la voix de la France dans les outre-mer et les pays du Sud. Une partie des solutions au réchauffement climatique passe par la lutte contre l’immigration subie, contre la misère et la violence qu’elle suscite. La question des terres est à la puissance mille dans les pays du Sud. Le CIRAD est un de ces acteurs géniaux qui portent la parole de la science et de l’humanisme de la France. On ne peut pas lui rogner ses crédits, ce n’est pas sérieux à l’heure où nous avons des problèmes aussi importants à gérer.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Le budget du CIRAD a certes baissé cette année, mais il était passé de 600 000 euros en 2017 à 950 000 euros en 2018 et il s’établira en 2019 à 830 000 euros. C’est certes moins qu’en 2018, mais toujours bien plus qu’en 2017. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Je maintiens : peu d’euros sont mieux investis que dans l’aide au développement en partenariat et codéveloppement avec l’Afrique.

La commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement II-CE9 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement pourrait paraître homéopathique : 20 000 euros, c’est un montant parfaitement symbolique. Nous avons refait les calculs et présenterons en séance une proposition à la puissance dix pour renforcer le biocontrôle, accompagner les start-up, réorienter le système de mise sur le marché. De nombreux accélérateurs peuvent être mis en œuvre ; cela demande des moyens, pour que la France ne soit pas dépossédée de ses brevets et pour que les solutions qui représentent aujourd’hui 5 % des sujets deviennent une solution sur sept dans notre pays.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Avis défavorable en l’état. Je suis en revanche très favorable au développement du biocontrôle. Je n’ai pas eu le temps de rédiger un amendement sur le sujet, mais j’en présenterai certainement un en séance.

M. Nicolas Turquois. Comment arrive-t-on à la somme de 20 000 euros au niveau national ? Cela m’interpelle.

M. Dominique Potier. Cela représente environ 7 % d’augmentation des crédits actuels, mais ce n’est pas du tout à la hauteur. Je suis prêt à préparer avec le rapporteur pour avis un amendement à la hauteur du défi. Mais vous avez tout à fait raison : il faut y voir un amendement d’appel.

La commission rejette cet amendement.

Puis la commission est saisie de l’amendement II-CE8 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. L’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, dite Agence bio, s’est vue dotée de moyens conséquents. C’est un effort sans précédent qui correspond à une évolution du marché, une attente de la société, des conversions des paysans. Toutefois, elle nous a fait savoir qu’elle risquait de manquer de moyens humains. C’est ce qui s’est déjà produit, par exemple, avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui n’a pas été assez rapide sur le biocontrôle et d’autres sujets, comme la phytopharmacie, faute de disposer de suffisamment de moyens humains. Il ne suffit pas de décréter une politique, il faut y mettre des moyens. Avec 3 ETP supplémentaires, l’Agence bio nous dit qu’elle pourrait mieux accompagner les dossiers techniques et de reconversion. Ce n’est pas beaucoup d’argent et c’est quelque chose qui pourrait avoir un effet de levier dans la mise en œuvre des crédits que vous allez voter.

M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur pour avis. Avis défavorable en l’état, mais il faudra avoir ce débat avec le Gouvernement sur les crédits de fonctionnement de l’Agence bio.

La commission rejette cet amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » modifiés.

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉes

 

Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *

M. Jacques Creyssel, délégué général

M. Cécile Rognoni, directrice des affaires publiques

LIDL

M. Michel Biero, directeur exécutif achats, marketing et communication

Initiative pour une transition agroécologique (ITAE)

M. Philippe Zaouati, directeur général de Mirova, président de Finance for Tomorrow *

M. Thomas Braschi, Senior business developer, Livelihoods funds

M. Julien Lavaud, responsable des affaires publiques, Danone France *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) Cette mission ne porte plus les crédits compensant les allègements de charges sociales, désormais exclusivement inscrits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

([2]) Communication COM [2018] 321 final de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 2 mai 2018

([3]) Avis de M. Jean-Baptiste Moreau au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2018 (Agriculture et alimentation)

([4]) Société de caution mutuelle de l’artisanat et des activités de proximité

([5]) LIDL annonce commercialiser annuellement 250 millions de litres de lait.

([6]) Lettre au rapporteur du 2 octobre 2018 signée par Inaporc, Interbev, Intercéréales et le CNIEL

([7]) MM. Philippe Zaouati, Thomas Braschi et Julien Lavaud

([8]) Le coût du financement est proportionnel au risque ressenti par le financeur.

([9]) Par exemple : la fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) ou la fédération nationale des coopératives utilisatrices de matériel agricole (FNCUMA)

([10]) En application de l’article 40, un parlementaire ne peut déposer un amendement qui aurait pour conséquence de créer une charge pour les finances publiques.