—  1  —

N° 1288

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255)

TOME XII

INVESTISSEMENTS DAVENIR

 

PAR Mme Monique Limon

Députée

——

 

 Voir les numéros : 1255 et 1302 (Tome III, annexe 15).


—  1  —

  SOMMAIRE

___

Pages

introduction

PREMIèRE PARTIE : ANALYSE BUDGéTAIRE

I. Présentation générale des crédits de la mission

A. La mission « Investissements davenir » dans le projet de loi de finances pour 2019

B. Le programme 422 : « Valorisation de la recherche »

C. Le programme 423 : « Accélération de la modernisation des entreprises »

II. LE PIA 3 SINSCRIT DANS UNE LOGIQUE DINVESTISSEMENT SPÉCIFIQUE

A. Le PIA 3 marque une évolution nette par rapport aux PIA 1 et 2

B. Lévolution de la gouvernance du PIA

SECONDE PARTIE : ANALYSE THÉMATIQUE

I. AU-DELÀ DE LAMBITION ORIGINELLE, LES RÉALISATIONS ENVIRONNEMENTALES DU PIA SONT RÉELLES

A. Le prisme environnemental du PIA : des approches hétérogènes

B. Le programme a démontré sa capacité à soutenir des projets dexcellence

C. Un effort perpétué par le PIA 3

II. UN RôLE DANS LA TRANSITION éCOLOGIQUE QUI DEMEURE à AFFIRMER

A. Léco-conditionnalité des projets, un objectif guère suivi deffet

B. Le PIA doit sadapter pour agir au service de la transition du modèle agricole français

III. UNE RéORIENTATION NéCESSAIRE AU SERVICE DES PRIORITÉS POLITIQUES EN MATIèRE DAGRICULTURE ET DALIMENTATION DURABLES

A. Les limites dune quête de rentabilité et de réplicabilité

B. La souhaitable mais difficile prise en compte de la valeur ajoutée sociale des projets

C. Adapter les instruments pour construire des filières au service des engagements gouvernementaux

Examen en commission

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNées


—  1  —

 

   introduction

Le 28 février 2018 à l’Institut de recherche technologique de Metz, le Premier ministre faisait siens les mots de MM. Alain Juppé et Michel Rocard, auteurs du rapport à l’origine du premier programme d’investissements d’avenir (PIA), en affirmant qu’ « il faut réapprendre à voir large et loin : ceux qui se laissent écraser par la tyrannie du court terme sont condamnés à toujours réagir au lieu d’agir, à toujours saupoudrer au lieu de choisir, bref à toujours subir ». Le PIA, doté dans sa troisième mouture de 10 milliards d’euros supplémentaires, incarne les choix robustes et ambitieux d’un État investisseur qui se donne les moyens de préparer efficacement les défis environnementaux, sociaux et économiques de demain.

Les objectifs affichés du PIA 3, plus particulièrement des programmes 422 et 423 qui font l’objet du présent avis budgétaire et qui concernent la valorisation de la recherche et la modernisation des entreprises, sont d’accélérer la transition écologique, d’édifier une société de compétences, d’accompagner la numérisation de l’État et de soutenir une innovation de pointe. Ces quatre objectifs permettent de balayer un champ large d’actions ou d’initiatives innovantes, dans des secteurs aussi divers que la chimie verte ou les bâtiments intelligents, en passant par l’économie sociale et solidaire.

Cet effort d’investissement exceptionnel intervient dans un contexte scientifique en proie à des questionnements profonds, dans une ère où la donnée est toujours plus omniprésente et exploitée de façon contradictoire. Climatoscepticisme, mouvement « anti-vax » (anti-vaccin), principe de précaution dévoyé, dangers présumés de certaines innovations scientifiques ou technologiques : la science et la méthode scientifique connaissent des difficultés à faire entendre la voix de la raison face aux partages massifs de contenus sujets à caution sur les réseaux sociaux. La popularisation et la vulgarisation de l’avancée de la recherche et de l’innovation dans notre pays doivent donc rester un cap à ne pas perdre de vue, sinon à encourager, et cette responsabilité incombe d’autant plus aux actions soutenues par le PIA qu’il se veut ouvert sur la société française. Il faut donc veiller à toujours incarner les investissements d’avenir, en dehors de leur strict intérêt technologique ou innovant, en les situant toujours face à une demande sociale, à un besoin exprimé par la société.

Le présent rapport souhaite revenir sur les points de continuité et de rupture ayant affecté le PIA 3 depuis l’exercice budgétaire précédent. Le PIA s’inscrit dans une culture de l’exception (une budgétisation spéciale pour des projets hors du commun) qui devra être conservée, afin d’éviter l’écueil d’une « routinisation » du programme qui nuirait à ses objectifs de long terme. Il s’agira d’examiner les crédits attribués à la mission, mais aussi les changements de gouvernance du PIA. Votre rapporteure veille à ce que les informations auxquelles elle a pu avoir accès permettent de garantir un pilotage efficace et exigeant de l’investissement public.

Votre rapporteure a souhaité, dans un second temps, examiner l’action concrète du PIA dans les secteurs de l’alimentation, de l’agriculture et de l’environnement. Ils font l’objet d’une attention transversale et structurante pour le PIA mais aussi pour le Grand plan d’investissement (GPI) doté de 57 milliards d’euros, et dont le PIA 3 fait partie. Ce regard thématique est triplement motivé. Il est d’abord motivé par une demande sociale dynamique et construite autour d’enjeux forts : moindre recours aux produits phytosanitaires, amélioration du bien-être animal, amélioration de la qualité de l’alimentation, recours à une agriculture locale et à des produits locaux, transition vers un modèle agricole plus soutenable écologiquement, etc.). Il est également motivé par le besoin de continuité avec le programme présidentiel dont l’application va nécessiter de développer rapidement l’innovation dans les secteurs agricoles, agroalimentaires et de la transition énergétique et écologique – l’action gouvernementale, en la matière, est forte et déterminée. Enfin, il est motivé par la continuité nécessaire après l’adoption de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite loi « Egalim »), le 2 octobre dernier. Cette loi est en effet la combinaison de la prise en compte de la demande sociale et la mise en œuvre du programme présidentiel et gouvernemental. Il convient donc de veiller à ce que les priorités qu’elle fixe et les ambitions qu’elle porte soient complétées par les leviers financiers suffisants pour garantir son succès.

L’analyse proposera un état de lieux du chemin parcouru par le programme à cet égard, ainsi que d’éventuelles pistes d’amélioration et de développement futur du ciblage des crédits PIA vers des projets à forte valeur ajoutée environnementale comme sociale.

*

*     *

Votre rapporteure émet un avis favorable à ladoption des crédits de la mission « Investissements davenir ».

 


—  1  —

   PREMIèRE PARTIE : ANALYSE BUDGéTAIRE

I.   Présentation générale des crédits de la mission

A.   La mission « Investissements d’avenir » dans le projet de loi de finances pour 2019

La mission « Investissements d’avenir » concerne l’engagement des crédits du troisième programme d’investissements d’avenir (PIA 3). Doté de 10 milliards d’euros (Md€), le PIA 3 fait l’objet d’une procédure budgétaire adapté à sa nature extrabudgétaire et pluriannuelle, dans la lignée des PIA 1 et 2. En effet, l’intégralité de son enveloppe a été engagée dans la loi de finances pour 2017, sous la forme d’autorisations d’engagement (AE).

Le projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2017, précisait toutefois le rythme pluriannuel selon lequel ces crédits feront l’objet de décaissements (déclinaison des autorisations d’engagement en crédits de paiement). À l’origine, la conversion des AE en CP devait intervenir sur un rythme stable de 2 Md€ par an jusqu’en 2022.

En réalité, comme pour les deux précédents PIA, les décaissements présentés en lois de finances sont relativement fictifs : ils traduisent simplement le transfert de crédits budgétaires vers les opérateurs du PIA, qui les utilisent à mesure que les appels d’offres portent leurs fruits et que les porteurs de projets retenus ont effectivement besoin des financements.

L’historique des programmes d’investissements d’avenir

Le programme d’investissements d’avenir (PIA), issu des préconisations du rapport dit « Juppé ‑ Rocard » (Investir pour lavenir, novembre 2009), est une démarche d’investissement originale qui a pour ambition de préparer la France aux défis de demain, en finançant des projets particulièrement innovants, structurants et créateurs de richesse sur le long terme. L’originalité du PIA tient également au caractère collaboratif de ces projets, qui associent souvent grandes entreprises, laboratoires de recherche et petites et moyennes entreprises technologiques.

35 Md€ ont été déployés à partir de 2010 dans le cadre du premier PIA, au bénéfice de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la valorisation et de l’innovation dans les secteurs stratégiques de l’économie française (industrie du futur, numérique, transport, énergie, santé). 12 Md€ ont renforcé cette dynamique à partir de 2014 dans le cadre du PIA 2.

Le PIA 3, voté il y a un an et doté de 10 Md€, est désormais une composante pleine et entière du Grand plan d’investissement (GPI) dont les axes d’intervention sont similaires : accélérer la transition écologique, édifier une société de compétences, ancrer la compétitivité sur l’innovation et construire l’État de l’âge numérique.

Comme le rappelle en détail l’avis budgétaire rendu par Mme Marie Lebec, rapporteure pour avis des crédits de la présente mission au titre du projet de loi de finances pour 2018, la gouvernance budgétaire du PIA 3 est toutefois un peu différente de celle qui a prévalu pour les PIA 1 et 2.

Les crédits de ces deux programmes ont été entièrement engagés et versés aux opérateurs dans les lois de finances initiales pour 2010 et pour 2014 ([1]), au sein de programmes préexistants ou ad hoc, AE et CP confondus. Comme les décaissements effectifs interviennent sur un rythme pluriannuel, il s’agissait d’une dérogation au principe d’annualité budgétaire qui impose que les crédits de paiement (CP) votés pour une année budgétaire soient effectivement dépensés cette année-là. En ce qui concerne le PIA 3, il bénéficie d’une mission et de programmes spécifiques et stables dans le temps. Les crédits de paiements sont désormais votés chaque année (même si leur dépense effective reste pluriannuelle), ce qui permet d’améliorer la transparence sur leur déploiement.

Le PAP annexé au projet de loi de finances pour 2018 avait sensiblement modifié la trajectoire financière initialement prévue en 2017 (2 Md€ par an), avec un ralentissement notable des CP qui devraient être confirmés dans les PLF à venir. Ainsi, en 2018 et 2019, 1,08 et 1,05 Md€ devraient finalement être transférés aux opérateurs du PIA au lieu des 2 et 2 Md€ initialement prévus.

En ce qui concerne le présent PLF, les CP dont il est proposé l’adoption correspondent bien à la nouvelle ventilation précisée l’année dernière. Les CP prévus en 2020 n’ont pas non plus été modifiés depuis le PLF 2018. En revanche, les CP prévus pour 2021 sont désormais connus.

Ainsi, la montée en charge des décaissements devrait se poursuivre jusqu’au budget 2020 avant de ralentir en 2021. Pour les années 2022 et au-delà, 45,4 % des autorisations d’engagement (AE) du PIA 3, soit 45,36 Md€, devront encore faire l’objet de décaissements, même si le PIA 3 était, au départ, supposé être entièrement décaissé en 2022.

PIA 3 – Trajectoire initialement prévue (PLF 2017)

(en millions d’euros)

Mission « Investissements davenir »

AE 2017

CP 2017

CP 2018

CP 2019

CP 2020

CP 2021

CP 2022

Programme 421 « Soutiens des progrès de lenseignement supérieur et de la recherche »

2 900

0

465

515

475

285

1 160

Programme 422

« Valorisation de la recherche »

3 000

0

585

635

675

665

440

Programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises »

4 100

0

950

850

850

1 050

400

TOTAL

10 000

0

2 000

2 000

2 000

2 000

2 000

PIA 3 – Trajectoire actualisée (PLF 2019)

(en millions d’euros)

Mission
« Investissements davenir »

AE 2017

CP 2018

CP 2019

CP 2020

CP 2021

CP 2022
et au-delà

Programme 421 « Soutiens des progrès de lenseignement supérieur et de la recherche »

2 900

142,5

212,5

355

390

1 800

Programme 422 « Valorisation de la recherche »

3 000

227 

433

655

605

1 080

Programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises »

4 100

710 

404

870

460

1 656

TOTAL

10 000

1 079,5

1 049,5

1 880

1 455

4 536

B.   Le programme 422 : « Valorisation de la recherche »

Ce programme est doté depuis 2017 de 3 milliards d’euros en autorisations d’engagement, qui sont progressivement décaissés à partir de 2018, année pour laquelle 227 millions d’euros (M€) de crédits de paiement ont été votés. En 2019, le présent projet de loi de finances prévoit l’octroi de 433 M€, ce qui signale une accélération des décaissements en direction des opérateurs, et donc, partant, l’accélération du nombre de projets soutenus.

L’année 2020 devrait marquer le rythme de décaissement le plus soutenu, avec une prévision de CP pour le PLF de l’année prochaine estimée à 655 M€. Toutefois, c’est en 2022 et au-delà que près d’un tiers des crédits prévus resteront à décaisser (soit 1,1 milliard d’euros).

Le diagnostic qui a conduit à la création de ce programme est celui d’un succès des PIA 1 et 2 en matière de valorisation économique de la recherche, à la fois en termes de structuration des relations entre monde de la recherche et développement économique et en termes de soutien financier à des projets innovants. L’objectif du programme 422 est donc d’être un continuum efficace des initiatives passées : poursuivre et intensifier les efforts déjà réalisés tout en veillant à la lisibilité, à la simplicité et à l’efficacité des systèmes de valorisation déjà mis en place.

La maquette budgétaire n’a pas évolué depuis l’année dernière. Les cinq actions soutenues dans le cadre de ce programme sont donc l’intégration des différents véhicules de maturation technologique (SATT, incubateurs et accélérateurs), pour 10 M€ de CP en 2018 ; l’abondement du Fonds national post‑maturation « Frontier Venture » à hauteur de 100 M€, le financement des démonstrateurs et des territoires d’innovation de grande ambition (TIGA, voir ci‑dessous), à hauteur de 70 M€ ; le financement de nouveaux écosystèmes d’innovation (10 M€) et, enfin, l’accélération d’écosystèmes d’innovation performants (37 M€).

C.   Le programme 423 : « Accélération de la modernisation des entreprises »

Le programme 423 est doté de 4,1 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, ce qui en fait le principal programme de la mission. En 2019, 404 millions d’euros de crédits de paiement devraient être votés. Comme pour le programme précédent, c’est en 2020 que le rythme de décaissement devrait être le plus soutenu, mais en 2021 et en 2022 que près de 40 % des crédits, soit 1,66 Md€, seront décaissés.

Selon le projet annuel de performances de la mission, les priorités stratégiques poursuivies par les PIA 1 et 2, comme la transition énergétique ou la santé, restent soutenues par ces actions du PIA 3, mais des projets issus de secteurs comme les industries culturelles, le tourisme ou la construction auront vocation à être davantage soutenus dans le cadre du PIA 3.

Ce programme traduit surtout la volonté de l’État de renforcer ses interventions en fonds propres, comme investisseur de marché, au travers de fonds d’investissements ou de fonds de fonds. Le succès du premier Fonds national d’amorçage ou des premiers fonds de fonds a conduit le PIA 3 à poursuivre la dotation de ces interventions, et à en créer de nouveaux, comme le fonds Frontier Venture (programme 422), le fonds à l’internationalisation des PME ou encore le fonds qui sera issu de l’action « Grands défis », lorsque celle-ci sera opérationnelle. Dans ce dernier cas, l’État pourrait être conduit à investir d’importants tickets (montant d’un investissement) dans de jeunes entreprises technologiques pour financer leur croissance sur le territoire français.

Neuf actions, identiques à celles de l’année dernière, sont prévues pour décliner ce programme :

– le soutien à l’innovation collaborative (84 M€ de CP en 2019) ;

– l’accompagnement et la transformation des filières (240 M€) ;

– l’industrie du futur (sans CP en 2019, comme en 2018) ;

– l’adaptation et la qualification de la main-d’œuvre (25 M€) ;

– le concours d’innovation (55 M€ en 2010) ;

– le Fonds national d’amorçage n° 2 (sans CP en 2019, déjà abondé en 2018) ;

– le Fonds à l’internationalisation des PME (sans CP en 2019, déjà abondé en 2018) ;

– le Fonds de fonds « Multicap Croissance » n° 2 (sans CP en 2019, déjà abondé 2018) ;

– les Grands défis (sans CP en 2019, comme en 2018).

II.   LE PIA 3 S’INSCRIT DANS UNE LOGIQUE D’INVESTISSEMENT SPÉCIFIQUE

A.   Le PIA 3 marque une évolution nette par rapport aux PIA 1 et 2

Le PIA 3 sinscrit dans une philosophie proche des programmes précédents, mais redéfinit assez largement les priorités daction et les moyens dintervention, ce qui se justifie par un effet dapprentissage des points faibles des précédents plans. Sur le fond, tout dabord, le PIA 3 vise toujours à dégager une capacité dinvestissement exceptionnelle, ciblée sur linnovation et sur les secteurs technologiques davenir, dans la continuité des efforts mobilisés par les PIA 1 et 2.

Toutefois, le PIA 3 se distingue assez nettement sur plusieurs aspects. En termes de lisibilité du fonctionnement du plan, le PIA 3 est désormais structuré uniquement selon une logique d’amont vers l’aval ([2]), et non de façon sectorielle. Au sein de chaque action, des déclinaisons sectorielles pourront toutefois avoir cours si nécessaire.

Cette architecture permet de distinguer clairement les interventions habituelles des ministères concernés (notamment le ministère de l’économie et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation) des financements qui interviennent dans le cadre du PIA qui sont additionnels et attribués selon des procédures spécifiques, conduites dans une démarche interministérielle.

En termes budgétaires, comme cela a été décrit dans la sous-partie précédente, le PIA 3 fait l’objet d’inscriptions annuelles de CP dans le budget de l’État. Cela permet, en particulier, d’améliorer l’information du Parlement (mise à disposition d’un projet et d’un rapport annuels de performances – PAP et RAP) et sa capacité d’évaluation. Le présent avis témoigne d’ailleurs de ce processus démocratique de contrôle. Rappelons toutefois que les PIA 1 et 2 faisaient déjà l’objet d’une information trimestrielle au Parlement, sous la forme d’un « reporting » financier qui demeure préparé et envoyé par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI ‑ données de décaissements réels vers les bénéficiaires finaux du PIA, diverses ventilations des crédits, etc.).

En termes de moyens, l’intervention en fonds propres est mise en avant, avec 40 % des crédits du plan mobilisés à travers cet instrument financier. Ainsi, l’État s’apparente de plus en plus à un investisseur « avisé » qu’à un distributeur de subventions. Il partage les risques avec l’entreprise et peut en récolter les gains, en remplacement de ses formes d’intervention traditionnelles (comme les avances remboursables, critiquées tant du point de vue budgétaire que de leur difficile maniabilité pour les acteurs) ([3]). Si ce mode d’intervention permet parfois une gestion rationalisée des crédits et présente l’avantage d’augmenter la part des dépenses « non-maastrichtiennes », il peut aussi paraître paradoxal dans certains secteurs : il est demandé aux investisseurs publics de se positionner sur des marchés non encore matures donc, par nature, risqués et dont la rentabilité à court terme n’est jamais acquise, tout en se comportant comme des acteurs privés en simple quête de rentabilité du capital. L’injonction d’un acteur public devant à la fois résoudre les défaillances de marché et se positionner en « market practice » n’est pas sans susciter des risques de contradiction de l’intervention publique.

En particulier, cette problématique se pose dans le cadre des futures actions du nouveau fonds « French Tech Seed » opéré par Bpifrance et doté de 500 millions d’euros par le PIA 3. Ce dernier devra financer la post-maturation des startups en quête de soutien capitalistique en vue de couvrir leurs coûts de développement technologique, de protection de la propriété intellectuelle, de prestations de diagnostic stratégique, de prospection commerciale, de certification ou de conseils juridiques. Il est cependant délicat de maîtriser l’agenda d’un tel fonds, entre recherche de rentabilité et intervention en substitution ou en complément d’une offre de financements privés qui ne souhaite pas nécessairement se positionner sur ce segment de marché. En outre, l’intervention d’un tel fonds, ainsi que des autres fonds de nature proche gérés par Bpifrance, s’effectue sur les mêmes priorités et avec les mêmes mécaniques financières que celle du nouveau Fonds pour l’innovation et pour l’industrie, qui est cependant totalement distinct car rattaché au ministère de l’économie et des finances. Il faudra veiller à ce qu’une multiplication des guichets ne contrevienne pas à l’efficacité globale de ces dispositifs de financement de l’innovation.

B.   L’évolution de la gouvernance du PIA

La rupture du PIA 3 avec ses prédécesseurs se traduit aussi par le remaniement de sa gouvernance. L’ancien Commissariat général à l’investissement (CGI), renommé Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), a connu un changement d’encadrement avec la nomination de Guillaume Boudy à sa tête. Son cadre organisationnel, fixé en 2010, a été retouché par le décret du 18 décembre 2017 pour intégrer le lancement du Grand plan d’investissement (GPI) mais est globalement conservé. Ainsi, le SGPI est chargé de « veiller à la cohérence de la politique d’investissement de l’État ». À ce titre :

– le SGPI prépare les décisions du Gouvernement relatives aux contrats passés entre l’État et les opérateurs chargés de la gestion des fonds consacrés aux investissements d’avenir ;

– il coordonne la préparation des cahiers des charges accompagnant les appels à projets ;

– il formule un avis au Premier ministre sur chaque projet proposé par les comités indépendants mis en place par les opérateurs.

Le SGPI et les opérateurs du PIA

Alors qu’on en dénombrait une douzaine dans le cadre des PIA 1 et 2, il ne subsiste que quatre opérateurs principaux dans le cadre du PIA 3 ([4]). Le SGPI encadre leurs opérations. Votre rapporteure a auditionné ces cinq organismes.

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) est l’opérateur de 17 actions des PIA 1 et 2, ce qui représente une enveloppe totale de 5,7 Md€.

Bpifrance est l’opérateur de 28 actions des PIA 1, 2 et 3, essentiellement tournées vers le soutien aux entreprises, ce qui représente une enveloppe totale de 10,5 Md€.

L’Agence nationale de la recherche (ANR) est l’opérateur de 28 actions des PIA 1, 2 et 3, tournées vers l’enseignement et la recherche, ce qui représente une enveloppe totale de 26,2 Md€, dont 18,3 Md€ de dotations non consommables qui génèrent des intérêts.

L’ADEME est l’opérateur de 11 actions des PIA 1, 2 et 3, essentiellement tournées vers la transition écologique et énergétique, ce qui représente une enveloppe totale de 3,8 Md€.

Les conventions entre l’État et les opérateurs chargés de la mise en œuvre du PIA décrivent la gouvernance retenue pour chacune des actions, en particulier le rôle des comités de pilotage (qui sont toujours interministériels), des opérateurs et du SGPI.

 

La réforme de 2017 a essentiellement apporté deux changements notables aux attributions du SGPI. Le premier est le pilotage du GPI, d’un montant total de 57 milliards d’euros dont le PIA3 est donc désormais un des volets. Cette coordination est réalisée de façon déconcentrée auprès des ministères, notamment dans la définition des orientations stratégiques et la justification de leur cohérence avec les priorités politiques des ministres. Le GPI comprendra un volet d’investissement agricole de 5 milliards d’euros, ce dont se félicite votre rapporteure, qui a pu en échanger avec M. Olivier Allain, ambassadeur auprès des territoires du GPI pour le volet agricole. Le plan initiera par ailleurs des actions dites « défensives » afin de conserver dans le giron français des acteurs à fort potentiel pour le tissu socioéconomique français, notamment en termes de création d’emplois.

Par ailleurs, le SGPI est chargé de coordonner la préparation du plan dit « Juncker » (plan d’investissement de la Commission européenne) au niveau communautaire, puis sa mise en œuvre en France.

La seconde inflexion opérée par le décret de décembre 2017 est le renforcement de la mission de contrôle et d’évaluation des investissements de l’État par le SGPI. Il doit en effet veiller à l’évaluation, a priori et a posteriori, des investissements, et notamment de leur rentabilité financière. Il dresse à ce titre un bilan annuel du programme. Ce dernier objectif a motivé le renforcement du comité de surveillance des investissements d’avenir, composé de huit parlementaires, huit personnalités qualifiées et d’un président de région. Sa présidence a été confiée à Mme Patricia Barbizet. Le Premier ministre a annoncé une grande évaluation du PIA pour les dix ans du dispositif, qui paraîtra début 2019.

Le SGPI tient, dans cette optique de contrôle et de suivi, un inventaire des projets d’un montant supérieur à 20 millions d’euros (M€), et diligente une contrexpertise de l’évaluation pour les projets d’un montant supérieur à 100 M€. L’enjeu est d’éclairer le décideur public sur la pertinence des projets d’investissements proposés par les ministères. Ainsi, ces contre-expertises permettent au SGPI de rendre un avis destiné au Premier ministre, avant qu’il n’arbitre définitivement le lancement des projets. Mais, au-delà, l’objectif est de professionnaliser la gestion du flux de projets par les ministères. Cela est particulièrement indispensable dans un contexte de volonté gouvernementale forte d’investissements publics.

Cette fonction d’évaluation s’accompagne d’un renforcement de la capacité du SGPI à réorienter les fonds au sein du GPI, confortant son statut d’investisseur en chef de l’État. Il formule ainsi ses propositions de réallocation de crédits (au moins 3 % de ceux du GPI) au Premier Ministre sur la base des propositions transmises par les comités de pilotage. Par exemple, les pôles de compétitivité recevront une enveloppe spéciale de 400 M€, leur fonctionnement étant jugé satisfaisant.


—  1  —

   SECONDE PARTIE : ANALYSE THÉMATIQUE

I.   AU-DELÀ DE L’AMBITION ORIGINELLE, LES RÉALISATIONS ENVIRONNEMENTALES DU PIA SONT RÉELLES

A.   Le prisme environnemental du PIA : des approches hétérogènes

Votre rapporteure l’a rappelé, le PIA 3 n’obéit plus à une logique en silos sectoriels mais fonctionne selon un cycle amont/aval. Cette nouvelle organisation peut compliquer le repérage des actions environnementales du programme, qui sont pourtant présentes à de multiples niveaux au sein des opérations des organismes gestionnaires du PIA.

On peut distinguer trois niveaux d’intervention du PIA en matière environnementale.

Le premier est le financement direct de projets à finalité explicitement environnementale dans le cadre d’appels à projets ciblés, destinés au monde de la recherche ou industriel. Ils s’adressent généralement à des acteurs spécialement regroupés en consortium, portant des projets de taille importante, associant laboratoires de recherches, pôles de compétitivité, grandes entreprises donneurs d’ordre et PME sous-traitantes. L’action « concours d’innovation » de l’ADEME, par exemple, qui bénéficie d’une enveloppe de 150 millions d’euros dans le PIA 3, contient une initiative en faveur du développement du biocontrôle. Cette dernière a permis de soutenir plusieurs porteurs de projets innovants dans des solutions de substitution aux produits phytopharmaceutiques toxiques. Ainsi, l’entreprise sarthoise Biodevas cherche un substitut à base d’extraits de plantes aux solutions actuelles usant d’aluminium et de cuivre pour lutter contre la bactériose de l’olivier. De son côté, la startup issue de la recherche publique SoléO-écosolutions développe des solutions écologiques contre les fourmis coupeuses de feuilles et les termites, sujet préoccupant pour les territoires situés en zone tropicale comme la Guadeloupe et la Guyane.

Le second niveau d’intervention est celui du financement d’entreprises et non plus de projets ad hoc. Les formes d’investissement sont variées. Par exemple, le dispositif des prêts verts de Bpifrance (781 M€ dans les PIA 1 et 2) permet du cofinancement pour l’investissement matériel ou immatériel dans le verdissement du cycle de production, par des aides d’un montant de 100 000 à 3 millions d’euros. Votre rapporteure regrette la non-reconduction de ce dispositif ayant fait ses preuves dans le PIA 3, bien qu’une superposition des politiques publiques de l’efficacité énergétique soit à éviter : cela aurait pu être le cas ici des cibles proches du mécanisme des certificats d’efficacité énergétique. La prise de participations de Bpifrance dans des PME innovantes dans le secteur de la transition énergétique ou écologique est également un mécanisme de soutien courant, pratiqué par exemple par le fonds Écotechnologies, dont les secteurs d’intervention sont fixés par des appels à manifestation d’intérêt (AMI) de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME ‑ énergies renouvelables et chimie verte, tri et valorisation des déchets, dépollution, éco‑conception de produits, smart-grids, véhicules du futur).

Le troisième niveau consiste en un soutien plus indirect à la recherche et à l’innovation environnementale, via la structuration d’écosystèmes associant recherche, valorisation économique de l’innovation et développement industriel. En particulier, plusieurs structures ont été créées dans le cadre du PIA, comme les instituts de recherche technologique (IRT), les instituts de transition énergétique (ITE) ou encore les sociétés d’accélération de transfert de technologies (SATT). Mis à part les ITE, ces organismes n’ont pas pour mission unique la transition écologique, qui peut même représenter une part marginale de leur activité. Il n’existe par exemple pas d’IRT spécialisé dans l’agroalimentaire, ce qui est déploré par plusieurs acteurs auditionnés. Votre rapporteure espère que le rapprochement à venir des IRT et des ITE annoncé par le Premier ministre permettra une montée en puissance de l’objectif environnemental dans l’action de ces structures.

Proposition n° 1 : Profiter du mouvement de rapprochement des IRT et des ITE pour viser la création d’un organisme concentré sur le secteur agricole et agroalimentaire.

Par ailleurs, une meilleure articulation entre acteurs semble nécessaire : l’ADEME souligne que les IRT et ITE ne sont pas les mieux positionnés dans ses appels à projets bien qu’ils en constituent une cible prioritaire. D’autre part, les SATT valorisent très peu de projets de développement de solutions de biocontrôle et de produits phytosanitaires, notamment car ceux-ci relèvent souvent du champ d’activité de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui dispose de ses propres outils de valorisation. En outre, les projets qui n’ont pas une rentabilité économique manifeste (même si, au lieu de créer de la valeur, ils empêchent d’en détruire), ne sont pas facilement recueillis dans ces structures de maturation technologique.

Il faut donc songer à mieux associer directement l’INRA aux actions agricoles du PIA, ce qui pourra être réalisé avec le rapprochement de l’INRA et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA).

Proposition n° 2 : La fusion de l’INRA et de l’IRSTEA doit être mise à profit pour réévaluer la politique de valorisation économique et de maturation technologique des innovations, notamment les relations entre l’INRA et les SATT disséminées sur le territoire.

B.   Le programme a démontré sa capacité à soutenir des projets d’excellence

Cette dissémination de la thématique environnementale n’a pas empêché le soutien de projets à forte valeur ajoutée en termes de développement durable et d’agriculture, grâce à un processus de sélection éprouvé. Votre rapporteure s’est notamment intéressée aux réalisations du PIA sur trois thématiques environnementales clefs.

La première dentre elles est la valorisation énergétique, un débouché d’avenir pour la biomasse agricole et la transition énergétique. Le soutien à la filière de la méthanisation ou de la pyrogazéification est, à l’image du PIA, diversifié :

– le recours à des appels à projets dédiés de l’ADEME : 13 projets pour un budget de 119 M€ ont été financés. 34,5 M€ de subventions ont été octroyés à 24 partenaires industriels (principalement des PME), et académiques. L’épuration du biogaz a notamment connu des avancées significatives, avec de nombreuses TPE soutenues ;

– la mise en place d’une action spécifique, les « projets territoriaux intégrés pour la transition énergétique », opérée par la Caisse des dépôts et consignations (20 M€ du PIA 2, dont le décaissement arrive à son terme). Cette action a accordé des prêts à des projets de moyenne méthanisation (regroupée et mutualisée) ;

– le soutien de Bpifrance aux entreprises en phase d’amorçage ou nécessitant du capital développement (fonds Ecotech, fonds Multicap Croissance) a pu bénéficier à des entreprises du secteur.

Le projet CertiMétha en est une illustration. L’ambition des acteurs qui portent ce projet est de structurer la filière de méthanisation en accélérant la mise sur le marché de modes opératoires optimisés, visant à réduire la dépendance aux subventions publiques du secteur. Le projet vise à construire une plateforme de méthanisation qui permettra de tester en grandeur nature des solutions innovantes de valorisation énergétique ou de création d’engrais, notamment le recours à des associations bactéries/intrants permettant d’améliorer la rentabilité des unités de méthanisation. La plateforme permettra également de mieux former les professionnels ou les jeunes aux métiers et techniques de la méthanisation : à ce propos, votre rapporteure souhaite vivement une meilleure structuration de la formation dans ce secteur d’avenir, dès l’enseignement secondaire (lycées agricoles) ou dans les cursus d’enseignement professionnels (CFA par exemple).

Ce projet de 5 M€ est cofinancé par six actionnaires privés et par Bpifrance, qui intervient au titre du PIA à hauteur de 2,2 M€. En phase d’ingénierie actuellement, la plateforme CertiMétha devrait entrer en fonction courant 2019. Il s’agit d’un bon exemple de projet qui cumule contenu innovant, contribution à la transition énergétique et réponse à des impératifs politiques, en l’occurrence l’objectif de parvenir à une part de 10 % de biogaz dans la consommation totale de gaz à l’horizon 2030 (objectif fixé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte).

La deuxième thématique que votre rapporteure souhaitait approfondir est celle du bien-être animal. Du fait d’un lien d’apparence plutôt indirect avec l’innovation technologique, cette thématique est quasiment absente du programme d’investissements d’avenir. Toutefois, tant les débats parlementaires récents qu’une demande sociale forte ont ravivé l’intérêt de porteurs de projets pour parvenir à mieux concilier performance économique, notamment dans les abattoirs ou dans les élevages, et bien-être animal. Un projet notable est ainsi celui de l’entreprise Tronico, qui a été financé par l’action « Projets agricoles et alimentaires d’avenir » (P3A), gérée par FranceAgriMer dans le cadre du PIA 2. Tronico développe en partenariat avec le CNRS de la Roche-sur-Yon une technologie par rayonnement de la coquille des œufs qui pourrait permettre de déterminer le sexe des poussins avant éclosion. L’enjeu est double : mettre fin au broyage annuel de millions de poussins, et réduire la pénibilité du travail de sexage. La maturité de cet outil est cependant loin d’être atteinte, ce qui souligne une des caractéristiques du PIA : le décalage temporel parfois long entre investissement, innovation, puis appropriation et acceptation des technologies.

La dernière thématique est dordre agroécologique : limpératif de réduction du recours aux produits phytopharmaceutiques, au bénéfice de solutions de biocontrôle ou de produits biostimulants. Cette question est au cœur des préoccupations citoyennes et politiques : à ce titre, elle nécessite, selon votre rapporteure, un engagement fort du PIA. L’ADEME est l’acteur principal en matière d’intrants agricoles, et soutient 10 projets pour un budget de 20,6 M€ financés, dont 7,5 M€ d’aide d’État. Par exemple, les PME Carbon Bee Agtech et Diimotion visent à mieux cibler l’utilisation des produits phytopharmaceutiques pour en optimiser l’usage (et donc en réduire l’utilisation), conformément au plan « Ecophyto II » porté par le ministère de l’agriculture. Les opérateurs du PIA auditionnés et interrogés sur le sujet jugent que cette thématique pourrait encore largement monter en puissance au vu du faible nombre de projets axés sur les thématiques relatives à l’agro-santé et à l’environnement. Toutefois, la filière présente des obstacles sur lesquels votre rapporteure reviendra plus avant.

C.   Un effort perpétué par le PIA 3

Les crédits annoncés par le Gouvernement dans le cadre du PIA 3 pour l’exercice budgétaire 2019 prévoient déjà la poursuite de l’effort d’investissement en faveur de la transition énergétique et écologique, que ce soit par la reconduction de certains dispositifs ou le lancement de nouvelles actions. Votre rapporteure se félicite à cet égard de leur orientation a priori encourageante.

C’est en particulier le cas des « territoires d’action de grande ambition » (TIGA), action opérée par la Caisse des dépôts et dotée de 450 millions d’euros sur dix ans, dont 150 millions de subventions et 300 millions de fonds propres. L’appel à manifestation d’intérêt (AMI) a suscité 117 candidatures venant de consortiums qui regroupent des acteurs publics, académiques, scientifiques et économiques, mais également des représentants des citoyens, habitants et usagers du territoire. Une appropriation locale de l’outil du PIA a donc bien été observée. Alors que le PIA peine parfois à être régionalisé, les lauréats de l’AMI sont répartis équitablement entre métropoles, zones rurales et petites et moyennes agglomérations ou réseaux de territoires. Il faut désormais veiller à ce que les lauréats des appels à projets, parmi les porteurs de projet retenus dans le cadre de l’AMI, qui seront connus d’ici la fin de l’année, montrent la même diversité.

Les problématiques d’autonomie énergétique ou alimentaire, et de résilience des modèles agricoles figurent au cœur de bon nombre des vingt-quatre projets présélectionnés. Tous ne seront pas retenus par le comité d’experts indépendant, mais on peut citer, parmi eux, les projets :

– « acteurs économiques et citoyens construisent les territoires viticoles de demain », dans la région Nouvelle-Aquitaine ;

– « champs du possible, villes du futur », dans l’agglomération Mulhouse Alsace ;

– « Cœur d’Essonne, territoire pionnier de la transition agricole et alimentaire en région Île-de-France », dans cette même agglomération Cœur d’Essonne

– « Dijon, territoire modèle du système alimentaire durable de 2030 », à Dijon Métropole, en lien direct avec l’ambition de la loi dite « Egalim » sur l’approvisionnement de cantines en produits d’origine bio et en produits de qualité ;

– « InnoBioECO² : le triangle marnais, l’écosystème innovant par la bioéconomie », dans la Marne ;

– « transformation d’un territoire industriel – création d’un écosystème d’innovation et développement des green technologies », dans l’agglomération Pays de Montbéliard.

En outre, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) disposera d’une enveloppe de 30 millions d’euros pour un programme prioritaire de recherche (PPR) d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques, corollaire au plan Ecophyto II. L’action sera opérée avec le concours de l’INRA. L’ADEME reste également l’acteur majeur du volet environnemental du PIA. Des appels à projets sont d’ores et déjà lancés ou en discussion pour le prochain exercice budgétaire.

Appels à projets de l’ADEME pour 2019

8 appels à projets ont été lancés le 9 février 2018 dans le cadre de l’action 03 « Démonstrateurs et territoires de grande ambition » du programme 422 « Valorisation de la recherche », pour une enveloppe de 300 millions d’euros. Ils concernent huit priorités écologiques :

‑ bâtiments à haute performance environnementale ;

‑ agriculture et industries agro-alimentaires éco-efficientes ;

‑ économie circulaire et valorisation des déchets ;

‑ énergies renouvelables ;

‑ industrie éco-efficiente ;

‑ matériaux et chimie biosourcés, biocarburants avancés ;

‑ mobilisation de la biomasse et production de nouvelles ressources ;

‑ réseaux énergétiques optimisés.

Un appel à manifestation d’intérêt sur l’agriculture et l’alimentation de demain est en cours de discussion entre le SGPI, l’ADEME, FranceAgrimer et Bpifrance. Il porterait sur les axes suivants identifiés comme prioritaires : la transformation des systèmes agricoles vers l’agro-écologie, l’évolution de l’alimentation humaine pour répondre aux nouvelles aspirations sociétales, la bioéconomie durable à l’échelle des territoires et le numérique et les données afin d’accompagner la transformation numérique des filières agricoles, aquacoles et agroalimentaires.

(source : ADEME)

Le PIA 3 est donc loin de négliger les sujets écologiques et énergétiques d’avenir. Toutefois, même si de nombreux projets bénéficient de financements, une logique environnementale de véritable transition, notamment en matière agricole et alimentaire, peine à se dégager. La suite du rapport contient des propositions de nature à rééquilibrer le PIA dans ce sens.

II.   UN RôLE DANS LA TRANSITION éCOLOGIQUE QUI DEMEURE à AFFIRMER

A.   L’éco-conditionnalité des projets, un objectif guère suivi d’effet

Si le Gouvernement a annoncé un objectif de 60 % de projets en faveur de la transition écologique dans le cadre du PIA 3, ce chiffre paraît difficile à atteindre en l’absence de réelle éco-conditionnalité dans le processus de financement. Les niveaux actuels demeurent loin de ce seuil qui semble, en l’état, trop ambitieux.

Les chiffres fournis par le SGPI pour 2017 montrent qu’une part minime des crédits parvient effectivement à la priorité stratégique du GPI qu’est le développement durable.

Décaissement par priorités

ESR = enseignement supérieur et recherche

(source : SGPI)

Les parlementaires avaient déjà relevé cet effort insuffisant du PIA en faveur du développement durable. En 2016, la mission d’évaluation et de contrôle du financement de la transition écologique par le PIA ([5]), dont les rapporteures étaient Mmes Eva Sas et Sophie Rohfritsch, avait établi que seulement 17 % des crédits concouraient directement à cet objectif.

La cible de 60 % des crédits du PIA consacrés à la « croissance verte » a pu être jugée comme surestimée, voire irréaliste, notamment par le rapport spécial du Sénat remis dans le cadre du PLF pour 2017 ([6]). En effet, difficile de s’assurer ex ante du respect des critères d’éco-conditionnalité par un projet ou par une entreprise dans laquelle des fonds propres du PIA sont investis. Les impératifs de rentabilité économique priment souvent dans la sélection des dossiers, qu’ils soient industriels ou financiers.

Cette incertitude autour de l’éco-conditionnalité a pu être confirmée par certains acteurs auditionnés par votre rapporteure. En effet, ce critère est souvent pris en compte de manière informelle ou laissé à l’appréciation des opérateurs sans directives et définition précises de la part du SGPI. Par exemple, il n’est que rarement un critère explicite dans les conventions de la Caisse des dépôts et consignations, sauf pour des actions spécifiques comme « villes de demain » où la performance environnementale est un enjeu manifeste. Sans éco-conditionnalité explicite, les investissements de la Caisse des dépôts dans le cadre du PIA transitent néanmoins toujours par l’avis qualitatif de son service développement durable. Pour Bpifrance, la présence d’impératifs environnementaux dans les conventions est variable en fonction de la nature de l’action. L’éco-conditionnalité figure par exemple dans la convention pour la mission « projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité » (PSPC) ou celle du fonds « Ecotech », mais pas dans celle du fonds « Build-up International ».

La nature des actions et des projets ne se prêtent certes pas toujours à l’éco-conditionnalité (programmes d’éducation, numérisation de l’État, formation professionnelle). Il faudra donc interroger l’opportunité de formuler des objectifs transversaux et ambitieux d’éco-conditionnalité sans les mettre en adéquation avec la nature des actions et les termes des conventions. Il est nécessaire de faire de l’éco-conditionnalité un principe phare mieux formalisé, sans toutefois rigidifier le fonctionnement du PIA dont l’objet n’est pas exclusivement environnemental.

Proposition n° 3 : Rendre la clause d’éco-conditionnalité plus ferme dans les appels à projet du PIA afin d’assurer son effectivité dans la sélection des projets, tout en la concentrant sur les projets pour lesquels elle est pertinente.

B.   Le PIA doit s’adapter pour agir au service de la transition du modèle agricole français

Les auditions menées par votre rapporteure ont permis de mettre en lumière certaines insuffisances du PIA et son échec relatif quant à la structuration d’une filière de recherche et d’innovation spécialisée en agroécologie. Le segment de recherche sur les solutions de biocontrôle ou de développement de biostimulants illustre ces difficultés.

Un constat semble partagé par plusieurs organismes auditionnés (ANSES, ANR, ADEME) : la recherche et l’innovation en santé et en environnement ainsi qu’en transformation agricole avancent à un rythme insuffisant. L’initiative « santé/environnement » du concours d’innovation de l’ADEME a rencontré une faible appétence des acteurs, avec peu de projets déposés. L’ANSES déplore également l’absence d’une filière française en toxicologie permettant d’avoir une politique efficace en matière d’intrants agricoles. De son côté, l’ANR souligne la rareté des programmes consacrés à ces thématiques dans son portefeuille de projets (outre le PPR susmentionné) : à titre d’exemple, seule une école universitaire de recherche qu’elle finance sur vingt-neuf est spécialisée en agroécologie. Ce « trou dans la raquette » du PIA est dû à des causes propres à la filière agroécologique, combinées à des facteurs inhérents au fonctionnement du PIA.

Sur le plan interne, multiplier des appels à projets sur ces thématiques ne suffirait probablement pas, car les acteurs demeurent dispersés, peu intéressés pour rechercher des projets d’innovation ou plus simplement, trop éloignés des vecteurs du PIA qui permettent d’accéder aux financements (IRT, ITE, SATT, concours d’innovation, etc.). Le paysage agricole est très éclaté, avec peu de rencontres entre le monde de la recherche et les professionnels. L’intérêt pour la transition agroécologique et les questions d’agriculture et d’impact sur la santé était encore récemment peu développé dans les organismes de recherches, d’où le faible nombre de communautés scientifiques dédiées. Une accélération est toutefois notable depuis peu, dans un contexte de prise de conscience de l’impératif de transition agricole et d’une agriculture plus verte, qui n’abandonne pas pour autant son objectif de performance.

Proposition n° 4 : Mobiliser le PIA comme vecteur financier permettant d’encourager une meilleure adéquation entre évolution de la demande sociale et de la mobilisation citoyenne, d’une part, et évolution des sujets de recherche fondamentale et appliquée, pour une innovation plus en phase avec les besoins de la société, d’autre part, prioritairement dans les domaines de l’agroécologie, de l’agroalimentaire et du secteur environnement/santé.

Dans cette configuration d’acteurs, les outils du PIA peuvent sembler en partie inadaptés. En effet, le programme fonctionne par projets de taille importante, ce qui ne favorise pas la candidature collaborative de petits acteurs, à moins qu’ils présentent des outils à forte valeur ajoutée technologique – ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le secteur agricole, en dehors du développement des capteurs connectés ou des drones agricoles. La taille critique, les perspectives de commercialisation voire d’exportation exigées pour obtenir les crédits du PIA, demeurent plus propices aux secteurs industriels où les acteurs sont coutumiers du travail en consortium. Le PIA bénéficie donc principalement à des grandes entreprises, un effet d’éviction des TPME que soulignait Mme Marie Lebec, précédente rapporteure pour avis pour la mission « Investissements d’avenir », dans son rapport pour 2018. Cette tendance est particulièrement préjudiciable dans le cas des filières agroécologiques et agro-santé.

Par ailleurs, l’innovation en matière de diminution de la consommation de produits phytosanitaires se fait aujourd’hui plus sur des changements de pratiques agricoles que par l’élaboration de nouveaux produits. Une piste de réflexion intéressante pourrait être l’accompagnement des pratiques agricoles innovantes par le PIA, au-delà de la simple dimension technologique, au moins de façon indirecte, en soutenant les projets d’accompagnement des agriculteurs aux changements de leurs modèles de production. Disposer d’un PIA moteur des politiques publiques environnementales pourrait donc nécessiter un aménagement de ses leviers d’action.

III.   UNE RéORIENTATION NéCESSAIRE AU SERVICE DES PRIORITÉS POLITIQUES EN MATIèRE D’AGRICULTURE ET D’ALIMENTATION DURABLES

A.   Les limites d’une quête de rentabilité et de réplicabilité

Le PIA permet de soutenir des projets d’excellence, notamment du point de vue de leurs perspectives économiques (marché, perspectives export, rentabilité). Cette logique est une des forces du PIA mais est aussi une limite à son ciblage en direction de secteurs prioritaires du point de vue des politiques publiques. Les opérateurs du PIA déclarent faire de la rentabilité et de la réplicabilité (c’est-à-dire la capacité de dépasser le stade du prototype) des projets une priorité dans l’examen des dossiers, ce qui se justifie par le fait que le PIA n’est pas un outil de subvention, mais un outil d’investissement. Ainsi, ils agissent en respect du caractère « avisé » de l’investissement public qui caractérise le programme, notamment en ce qui concerne l’intervention en fonds propres.

Ce mode de fonctionnement peut constituer une barrière au fléchage du PIA vers les sujets phytosanitaires ou vers le recours au biocontrôle. En effet, les technologies alternatives aux pesticides risquent de se heurter à une frontière technologique : il sera très difficile de trouver des substituts chimiques ou organiques moins nocifs tout en répondant au cahier des charges des produits actuels comme le glyphosate. Par exemple, une solution de biocontrôle permettant de lutter contre un type de maladie spécifique à la vigne sera certes efficace, mais coûteuse à développer et à usage très précis, là où un fongicide ou un insecticide ont un spectre d’efficacité beaucoup plus large. D’un point de vue strictement économique, il est difficile d’orienter le financement de l’innovation issu du PIA vers la première solution. Les critères de réplicabilité et de rentabilité courent donc le risque d’exclure d’office beaucoup de technologies dans ces secteurs, en dépit de la demande sociale en hausse constante et de la feuille de route politique en la matière. Par exemple, le marché des alternatives au chlordécone, dont les ravages aux Antilles ont été reconnus par le Président de la République, offre trop peu de débouchés pour lever des financements importants en partenariat avec de gros industriels, ce qui semble l’exclure de la logique de co-investissement en consortium qui est le standard d’un cahier des charges du PIA.

B.   La souhaitable mais difficile prise en compte de la valeur ajoutée sociale des projets

Un des risques au regard du degré d’exigence économique du PIA est donc d’ignorer des projets à forte valeur ajoutée sociale ou servant des politiques publiques (comme les priorités de la loi dite « Egalim »), mais présentant moins d’intérêt économique ou financier. Revaloriser ces critères n’est toutefois pas chose aisée : il s’agit, inversement, de ne pas dénaturer le PIA et d’en faire un outil de subvention ou de financement routinier de plans d’action gouvernementaux.

En outre, infléchir la philosophie d’intervention du PIA en faveur de critères qualitatifs n’est pas sans poser des défis au regard de l’évaluation des politiques publiques. Quantifier ex ante l’impact social d’un projet demeure complexe. Estimer des externalités positives pour l’environnement est en revanche plus courant et gagnerait à être généralisé.

Concernant la valorisation de l’impact social dans l’examen des dossiers, comme la volonté de répondre à une demande citoyenne construite et en phase avec les priorités gouvernementales, l’équation semble difficile à résoudre. De plus, elle semble difficilement compatible avec la logique d’intervention de marché du PIA et présente l’écueil de faire du programme une subvention relevant des ministères concernés et non plus un outil ciblé à caractère exceptionnel soutenant des projets moteurs. Pourtant, certaines actions très efficaces, comme celle relative à l’économie sociale et solidaire, semblent parvenir à résoudre cette quadrature du cercle. Une réflexion plus poussée mérite donc d’intervenir sur le sujet.

Proposition n° 5 : Profiter de l’évaluation des dix ans du PIA pour examiner l’opportunité d’intégrer un critère de « valeur ajoutée sociale » au choix des projets, sans dénaturer pour autant leur contenu en innovation.

C.   Adapter les instruments pour construire des filières au service des engagements gouvernementaux

Son pouvoir structurant de communautés scientifiques par les appels à projets fait la force du programme d’investissements d’avenir. Le PIA 3 doit donc agir de manière pertinente afin d’avoir un réel effet sur les filières en manque d’organisation comme l’agroécologie et la filière « santé/environnement ». Plusieurs pistes permettront d’atteindre cet objectif, à commencer par la réduction de la taille des tickets pour les projets correspondants. L’ANR pourrait ainsi s’inspirer de l’ « initiative PME » de l’ADEME, qui avait permis de mieux s’adresser aux petits acteurs grâce à des tickets d’environ 200 000 euros et des délais d’instruction des dossiers réduits à six semaines.

Cette inflexion pourra aussi passer par l’orientation même donnée aux priorités de recherche publique. Sans appel à projets sur une thématique, le PIA n’est pas en mesure de la financer. Des besoins sont par exemple identifiés en agroécologie et agrosanté, ainsi qu’en toxicologie et étude des dangers des mélanges, des filières d’avenir nécessaires à la transition agricole mais peu développées en France. Le PPR annoncé par Madame Frédérique Vidal s’inscrit totalement dans cette logique et doit servir d’exemple. Son budget de 30 millions d’euros, sur le milliard de crédits de paiement alloué au PIA pour 2019, représente néanmoins un effort encore limité qui pourra être complété par d’autres initiatives sectorielles.


—  1  —

   Examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 24 octobre 2018, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Monique Limon, les crédits de la mission « Investissements d’avenir ».

M. Mickaël Nogal, président. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des avis budgétaires sur les missions de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019.

Je rappelle que, cette année, la procédure suivie connaît une importante évolution. La Conférence des présidents ayant décidé de mettre fin aux commissions élargies, nos avis budgétaires sont désormais examinés au sein de notre seule commission.

La nouvelle procédure doit répondre à plusieurs exigences : valoriser le travail des rapporteurs pour avis, ne pas recréer de nouvelles commissions élargies, organiser des réunions d’une durée raisonnable. Dès lors, l’examen des diverses missions n’est plus conçu comme une succession d’auditions de ministres. Aucun ministre n’est d’ailleurs présent ce matin. Les questions que vous serez amenés à poser s’adresseront donc au rapporteur pour avis – il peut y en avoir plusieurs, en fonction des missions.

Dans le détail, voici quel sera le déroulé de nos réunions sur les missions budgétaires : interventions de dix minutes par rapporteur pour avis et de quatre minutes par orateur de groupe ; réponses des rapporteurs pour avis ; séries de questions d’une durée de deux minutes pour les députés, le temps de parole pouvant être réduit à une minute si les intervenants sont nombreux. Lorsque des rapporteurs spéciaux de la commission des finances souhaiteront participer à la réunion de la commission des affaires économiques, ils seront les premiers députés à intervenir dans ces séries de questions.

J’insiste sur la nécessité d’encadrer nos débats dans une durée raisonnable afin d’examiner les deux missions inscrites à notre ordre du jour de la matinée. Je vous invite donc à la concision lors de vos interventions et lors de vos réponses.

À l’issue de chaque débat sur une mission, la commission examinera les amendements déposés et votera sur les crédits de la mission et, le cas échéant, sur les articles rattachés.

Conformément à la pratique des précédentes années, seuls les amendements déposés par les membres de la commission des affaires économiques seront examinés. Si un député appartenant à une autre commission dépose un amendement auprès de la commission des affaires économiques, il sera invité à le retirer et à le déposer directement auprès de la commission des finances ou, s’il est trop tard, auprès du service de la séance.

Pour la deuxième année consécutive, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de la mission « Investissements d’avenir ». Elle s’est ainsi emparée des sujets d’innovation et de modernisation de notre économie, et a su mobiliser les différents projets de loi qu’elle a eu à examiner pour assurer que ce mouvement de développement technologique et numérique entraîne l’ensemble du tissu économique français, des plus grandes aux plus petites entreprises. Le lien avec le programme d’investissements d’avenir (PIA) est clair : si la loi indique le cap, le PIA est l’un des principaux outils de financement qui vont permettre de parvenir à destination.

Notre rapporteure pour avis, Mme Monique Limon, s’est intéressée de près à la façon dont les dispositions de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM », devraient avoir un écho dans les choix d’investissements du PIA. En effet, les trois PIA cumulent 57 milliards d’euros de fonds disponibles dont une partie doit aller vers la recherche d’alternatives aux produits phytosanitaires ou au développement d’une énergie plus verte.

Monique Limon va présenter un rapport qui rappelle, dans le détail, tous ces enjeux. Ce rapport met aussi en avant quelques interrogations. C’est notre rôle de contrôle exigeant du Gouvernement que de veiller à ce que l’emploi des fonds publics se fasse avec la plus grande efficacité possible.

Pour ma part, j’ai deux séries de questions à vous poser sur ce lien entre investissements d’avenir et loi EGALIM.

En premier lieu, les décideurs chargés d’attribuer les fonds du PIA aux porteurs de projet ont-ils suffisamment conscience de la forte demande sociale en faveur d’une transition vers un modèle agricole et écologique performant mais respectueux de l’environnement ? Les projets sont-ils suffisamment soutenus ?

En second lieu, est-ce que tous les territoires, en particulier les territoires ruraux, se sont bien emparés de l’outil PIA ? Parviennent-ils à déposer des projets en nombre suffisant ? Il faudrait sans doute éviter que les fonds ne se concentrent en région parisienne et uniquement dans la food tech. Il faudrait faire en sorte que les agriculteurs qui sont, je le sais, avides de transition numérique, puissent parvenir à financer leurs projets innovants à l’aide de ce formidable levier d’investissement public.

Madame la rapporteure pour avis, vous avez la parole.

Mme Monique Limon, rapporteure pour avis. Monsieur le président, chers collègues, je vais introduire la présentation de mon rapport par une citation : « Il faut réapprendre à voir large et loin : ceux qui se laissent écraser par la tyrannie du court terme sont condamnés à toujours réagir, au lieu d’agir, à toujours saupoudrer au lieu de choisir, bref à toujours subir. » Ce sont les mots de MM. Juppé et Rocard, qui furent à l’origine du premier PIA, au cœur de la crise de 2008, dont nous étudions actuellement la troisième version, le PIA 3.

J’interviens comme rapporteure pour avis de la mission relative au PIA dans le projet de loi de finances pour 2019, plus particulièrement sur les programmes 422 et 423 qui concernent la valorisation de la recherche et la modernisation des entreprises. À ce titre, je dirai quelques mots de l’état budgétaire de cette mission, avant de vous exposer l’impulsion thématique que j’ai souhaité donner au rapport : les actions environnementales et agricoles du PIA. Je conclurai par quelques pistes de propositions en faveur d’un PIA utile à l’agroécologie, qui ont pu m’être inspirées par les acteurs auditionnés dans le cadre de cet avis.

Tout d’abord, en termes strictement budgétaires, il faut retenir que le rythme de décaissement des crédits du PIA suit la trajectoire prévue. Si les crédits des PIA 1 et 2 sont toujours en cours de mobilisation, ceux du PIA 3 montent en charge. Le PIA 3 fonctionne selon des règles budgétaires exceptionnelles, avec une autorisation d’engagement de 10 milliards d’euros sur cinq ans, votée en 2017, à laquelle succède désormais un vote annuel des crédits de paiement par le Parlement. En 2019, un peu plus d’un milliard d’euros devraient donc être payés aux opérateurs comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou Bpifrance, conformément à la feuille de route établie par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI).

Cet effort d’investissement exceptionnel poursuit quatre objectifs stratégiques, définis par le Gouvernement lors du lancement du grand plan d’investissement, dont le PIA est l’une des facettes : accélérer la transition écologique, édifier une société de compétences, accompagner la numérisation de l’État et soutenir une innovation de pointe. Ces quatre objectifs permettent de balayer un champ large d’actions ou d’initiatives innovantes, dans des secteurs aussi divers que la chimie verte ou les bâtiments intelligents, en passant par l’économie sociale et solidaire.

Le PIA intervient dans un contexte scientifique en proie à des questionnements profonds, à une époque où les données, les faits, sont toujours plus omniprésents mais aussi exploités de façon contradictoire. Vous n’êtes pas sans connaître l’épineux problème des « infox », ou fake news, qui, en plus de fausser le jeu politique par la désinformation des citoyens, brouillent aussi le savoir scientifique en donnant la part belle aux positions conspirationnistes : prenez l’exemple du mouvement anti-vaccin ou encore du climato-sceptiscisme.

Il faut donc garder à l’esprit la nécessité de populariser et vulgariser l’avancée de la recherche et de l’innovation dans notre pays. Pour être ouvert sur la société française, le PIA devra être incarné, promu, et en phase avec la demande sociale ainsi que les besoins exprimés par nos concitoyens.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai souhaité conférer une approche thématique à mon rapport, face à ce que je considère être un défi de société fondamental : la transition écologique. Je me suis plus particulièrement intéressée au bilan et perspectives du PIA en matière d’agriculture et d’alimentation durables.

Cette focale environnementale répond à une triple motivation de ma part.

Tout d’abord, l’existence d’une demande sociale dynamique et construite autour d’enjeux forts : moindre recours aux produits phytosanitaires, amélioration du bien-être animal, amélioration de la qualité de l’alimentation, recours à une agriculture locale et à des produits locaux, transition vers un modèle agricole plus soutenable écologiquement.

Ma seconde motivation était le besoin de continuité avec le programme présidentiel dont l’application va nécessiter de développer rapidement l’innovation dans les secteurs agricole, agroalimentaire et de la transition énergétique et écologique. L’action gouvernementale, en la matière, est forte et déterminée.

Enfin, il était primordial de montrer qu’à la parole succédaient des actes, après notre adoption en lecture définitive de la loi EGALIM, le 2 octobre dernier. Il convient de veiller à ce que les priorités qu’elle fixe et les ambitions qu’elle porte soient complétées par les leviers financiers suffisants pour garantir son succès.

Si les approches sont hétérogènes, les réalisations du PIA en matière de développement durable sont toutefois tangibles. L’audition de porteurs de projets et d’opérateurs du PIA, comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance, l’Agence nationale de la recherche (ANR) et surtout l’ADEME qui est dotée d’un milliard d’euros par le PIA 3, m’a montré la richesse et la diversité du chemin parcouru.

Ce chemin continue de suivre son cours. Prenons l’exemple de la plateforme de recherche et développement CertiMétha, un projet de méthanisation qui verra le jour en 2019 grâce à une subvention de 2 millions d’euros de Bpifrance. Ce projet cumule contenu innovant, contribution à la transition énergétique et réponse à des impératifs politiques, en l’occurrence l’objectif de la loi de parvenir à une part de 10 % de biogaz dans la consommation totale de gaz à l’horizon de 2030.

D’autre part, il prend en compte la problématique de la formation aux techniques de méthanisation, qui, à mon sens n’est pas suffisamment structurée. Une action future du PIA pourrait permettre de mieux structurer la formation dans ce secteur d’avenir pour la valorisation de la biomasse par nos agriculteurs.

Autre exemple qui parlera à ceux qui ont suivi les débats de la loi EGALIM : le PIA soutient la R&D d’une entreprise française, Tronico, afin de développer une technique non intrusive de détection du sexe des poussins in ovo, dans l’œuf, afin d’éviter le broyage de nombreux poussins ou de canetons après la naissance.

Des projets de qualité voient également le jour en matière de biocontrôle, soutenus notamment par les concours d’innovation de l’ADEME. Ainsi, pour citer quelques exemples concrets, l’entreprise sarthoise Biodevas cherche un substitut à base d’extraits de plantes aux solutions actuelles usant d’aluminium et de cuivre pour lutter contre la bactériose de l’olivier.

Le PIA est également un programme qui valorise nos territoires. En la matière, je me réjouis de l’existence des « territoires d’innovation de grande ambition », portés par la CDC qui mobilisera 150 millions d’euros. Nous attendons le verdict du comité indépendant, mais l’appel à manifestation d’intérêt recèle de beaux projets en matière de sylviculture, d’alimentation bio, de projets immobiliers durables, pour le moment équitablement répartis entre zones urbaines, rurales et mixtes. Cette appropriation du PIA par les acteurs locaux va donc dans le bon sens et doit être encouragée.

Nous aurions pu en citer bien d’autres, mais l’important est de retenir que le PIA donne la chance de mûrir et de concrétiser les solutions écologiques de demain.

Néanmoins, et c’est l’objet du second temps de mon avis budgétaire, le tableau n’est pas entièrement satisfaisant. Tout d’abord, il faut avouer que le critère d’éco-conditionnalité qui devait présider à la sélection des projets n’est pas pris en compte à sa juste valeur. Les objectifs gouvernementaux de 60 % de projets destinés à financer la transition écologique semblent donc, en l’état, trop ambitieux. Mes collègues du Sénat ont déjà pu exprimer ces réserves dans leur rapport spécial sur cette même mission en 2017. À l’Assemblée nationale, la mission d’évaluation et de contrôle sur le PIA et la transition énergétique, lancée en 2016, avait fait état de seulement 17 % de crédits affectés effectivement au développement durable. Il semble donc opportun de lancer une réflexion en la matière, que ce soit au niveau des objectifs officiels ou de leur mise en œuvre.

En particulier, le bilan en matière d’agroécologie demeure assez mitigé, si bien que certains acteurs ont pu nous parler d’un « trou dans la raquette » du PIA. Le programme semble se heurter à certaines barrières qui ne lui permettent pas d’être le soutien efficace de la transformation agricole qui serait nécessaire afin d’allier productivité, respect de l’environnement et diminution des risques sanitaires.

Ces difficultés peuvent être propres au milieu agricole et de la recherche en agrosanté, où le paysage des acteurs demeure assez éclaté. Peu de communautés de recherche dédiées à l’agroécologie et à l’agrosanté existent, ou celles-ci restent trop éloignées des vecteurs du PIA, comme les sociétés d’accélération du transfert de technologies ou les instituts de transition énergétique. Ainsi, les appels d’offres en la matière sont résiduels et soulèvent peu de mobilisation, à l’image de l’initiative « santé-environnement » du concours d’innovation de l’ADEME.

Les causes de cette déconnexion apparente sont aussi à rechercher, semble-t-il, dans les modes d’intervention du PIA. Le fonctionnement par appels à projets de taille importante ne favorise pas la candidature de petits acteurs : les secteurs habitués à travailler en consortiums regroupant de gros partenaires s’en trouvent donc favorisés, je pense par exemple aux industries du transport. Marie Lebec, ma prédécesseure dans cet exercice, avait déjà relevé cet effet d’éviction des très petites et moyennes entreprises dans son rapport de l’an passé.

Par ailleurs, en matière d’alternatives aux produits phytosanitaires, le secteur agricole évolue plus par des changements de pratiques que par l’élaboration de nouveaux produits. Il faut donc penser à des moyens de les accompagner à l’aide du PIA, bien que celui-ci soit destiné initialement à soutenir des innovations réplicables et commercialisables.

Il est vrai, et c’est l’objet de la dernière partie de mon avis budgétaire, que le PIA gagnerait à être en partie réorienté au service des priorités politiques en matière d’agriculture et d’alimentation durables. Mais pour y arriver, repenser en partie ses outils semble nécessaire. En effet, les critères très exigeants de sélectivité des projets sur le plan économique ou financier peuvent constituer une barrière au fléchage du PIA vers les sujets phytosanitaires ou vers le recours au biocontrôle.

Le cas du marché des alternatives au chlordécone, dont les ravages aux Antilles ont été reconnus par le Président de la République, illustre mon propos. Ce marché offre trop peu de débouchés en termes de géographie et de produits pour lever des financements importants en partenariat avec de gros industriels, ce qui semble l’exclure de la logique de co-investissement en consortium qui est le standard du PIA. Nous nous orientons vers des solutions de niche, au spectre d’efficacité bien plus ciblé que les produits chimiques traditionnels. Leurs débouchés commerciaux en seront d’autant plus étroits en retour.

Ainsi, la quête de l’excellence économique ne doit pas être un obstacle au financement de projets d’intérêt général répondant clairement à une demande sociale ou à des enjeux de santé publique.

Ces dernières remarques sont une bonne transition vers mon point conclusif, à savoir des propositions concrètes pour accroître l’efficacité du PIA dans les secteurs environnementaux et agricoles.

Proposition n° 1 : profiter du mouvement de rapprochement des instituts pour la transition énergétique (ITE) et des instituts de recherche technologique (IRT) pour viser la création d’un organisme concentré sur le secteur agricole et agroalimentaire.

Proposition n° 2 : la fusion de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), deux organismes de recherche réputés pour leur expertise de recherche en matière agricole, doit être mise à profit pour réévaluer la politique de valorisation économique et de maturation technologique des innovations agricoles.

Proposition n° 3 : rendre la clause d’éco-conditionnalité plus ferme dans les appels à projets du PIA afin d’assurer son effectivité dans la sélection, tout en la concentrant sur les projets pour lesquels elle est pertinente.

Proposition n° 4 : mieux agréger l’évolution de la demande sociale et les sujets prioritaires de recherche par le vecteur financier du PIA, pour une innovation plus en phase avec les besoins de la société. Les domaines de l’agroécologie, de l’agroalimentaire et du secteur environnement-santé doivent être privilégiés à ce titre.

Proposition n° 5 : profiter de l’évaluation des dix ans du PIA pour examiner l’opportunité d’intégrer un critère de valeur ajoutée sociale au choix des projets, sans dénaturer pour autant leur contenu en innovation.

Vous l’aurez compris, ma préoccupation dans ce rapport pour avis du PIA 3 a été de centrer mon évaluation sur les sujets de société qui nous ont été fortement mobilisés lors de l’examen de la loi EGALIM. Les orientations du PIA 3 permettront, autant que faire se peut, d’alimenter et de rendre possible la mise en œuvre de la loi, ainsi que son application jusque dans les changements permis par la science et l’innovation.

En espérant que mes dernières propositions visant à donner un nouveau souffle au PIA trouveront auprès de vous un écho favorable, je vous remercie, mes chers collègues, pour votre attention, et j’émets un avis favorable à l’adoption des crédits de la présente mission.

M. Mickaël Nogal, président. Merci, madame la rapporteure. Nous allons maintenant écouter les orateurs des groupes.

Puisque deux personnes vont intervenir au nom du groupe Les Républicains, je demanderai à chacune d’elles de ne pas parler plus de deux minutes.

Je donne la parole à Mme Célia de Lavergne, pour le groupe La République en Marche (LaREM).

Mme Célia de Lavergne. Avant tout, laissez-moi souligner la qualité du rapport que notre collègue a présenté et la pertinence des propositions qui font suite au travail sur la loi EGALIM.

La mission « Investissements d’avenir » est le symbole d’un sujet essentiel et transpartisan. Investir pour le progrès, pour la recherche et l’enseignement supérieur, pour la modernisation des entreprises et pour l’innovation, en somme investir pour l’avenir de notre pays, est une priorité partagée.

Ce PIA d’avenir a traversé les majorités. Créé en 2009 sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, étoffé et renouvelé sous celle de M. François Hollande, il s’est donc imposé comme un outil indispensable pour l’innovation et la transformation de notre modèle économique. Le troisième PIA, porté par le Gouvernement actuel, porte à 10 milliards d’euros l’effort de l’investissement public. Il ne s’agit pourtant que d’un outil parmi d’autres dans le grand plan d’investissement de 57 milliards d’euros prévu durant la législature.

Nous devons être fiers de la recherche française, qui est d’excellence comme en témoignent d’ailleurs de nombreuses initiatives. Prenons l’exemple de l’appel pour le climat de M. Emmanuel Macron, qui a mobilisé plusieurs milliers de chercheurs du monde entier l’année dernière, désireux de venir travailler sur ces sujets en France. S’ils sont d’excellence, nos laboratoires, nos chercheurs et nos programmes sont parfois frileux vis-à-vis du privé et de la création d’entreprise. Ils ont parfois encore du mal à identifier les financements qui leur permettent de se développer et de mettre des solutions sur le marché.

Levons donc les freins, comme cela a été fait dans le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), qui comportait des mesures pour les chercheurs-entrepreneurs ou la création du Fonds d’innovation de rupture. Progressons dans la valorisation de la recherche, la montée en puissance de la recherche appliquée en France, la mise sur le marché des solutions développées par cette recherche.

Ce PIA doit y contribuer mais il doit aussi s’améliorer. Vous l’avez dit, madame la rapporteure, tout comme la Cour des comptes au printemps dernier. Si leur existence et leur utilité ne sont pas questionnées, les PIA doivent cependant s’adapter en réponse aux évaluations et aussi à la meilleure connaissance que nous avons des défis d’avenir. À chaque législature, à chaque gouvernement, nous prenons davantage conscience des grands défis de notre temps : transition écologique, performances environnementales, transformation du modèle agricole, transformation numérique de notre économie et notamment de nos TPE et PME, transformation de nos usages, compétitivité des innovations de l’économie, de l’industrie française. Ce sont certains des enjeux essentiels auquel notre pays doit faire face et des tournants que l’on ne peut et ne doit pas rater.

Le PIA 3, tel que décrit dans cette mission, remplit ces objectifs tout en intégrant celui d’augmenter la croissance potentielle en France, en ciblant des investissements sur des projets structurés, innovants et prometteurs et en intégrant ces enjeux d’avenir.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera pour les crédits de cette mission.

M. Julien Dive. Le PIA a été lancé par M. Nicolas Sarkozy au lendemain de la crise de 2008 et doté de 35 milliards d’euros. Il a été renouvelé sous la présidence de M. François Hollande, par les gouvernements de MM. Manuel Valls et de Jean-Marc Ayrault, et crédité de 22 milliards d’euros. L’enveloppe prévue dans le présent PLF est de 10 milliards d’euros.

On voit que l’évolution est plutôt à la baisse. Je m’inquiète de la finalité de ce PIA, au moment où notre industrie a toujours plus besoin d’être accompagnée comme nous le rappelle l’actualité. Prenons l’exemple de l’aciérie Ascoval où les salariés luttent pour éviter la fermeture de leur usine et où les collectivités locales se mobilisent pour éviter la disparition de ce fleuron industriel. Chaque jour vient nous rappeler le caractère vital de l’accompagnement pour notre industrie dans son activité journalière, dans sa modernisation mais aussi dans sa recherche appliquée ou fondamentale.

L’objectif du PIA est bien d’accompagner la pérennité de nos entreprises quelles qu’elles soient. Or, au vu de la présentation de cet outil, j’ai l’impression que le PIA est davantage destiné aux grandes entreprises qu’aux PME. Pourtant, certains volets du plan sont dédiés aux petites entreprises. Le programme « initiative PME », par exemple, avait pour ambition d’aider les PME à se moderniser afin qu’elles puissent mieux répondre aux enjeux de marché qui les concernent. Madame la rapporteure, je pense qu’il serait essentiel de préciser l’action menée auprès des PME.

J’aurais aussi aimé que vous puissiez rappeler le travail effectué par les pôles de compétitivité. Vous évoquez l’agriculture biologique. Je pense aux pôles « industries et agro-ressources » (IAR) dans le département de l’Aisne, Derbi sur l’énergie, Agri Sud-Ouest Innovation, Aquimer, et autres. Il serait intéressant de vous entendre sur ce sujet.

M. Fabien Di Filippo. Cette mission budgétaire recoupe des champs de plus en plus larges, avec peut-être parfois un risque de saupoudrage et de perte de lisibilité des priorités stratégiques de la France. Quoi qu’il en soit, c’est une mission très importante dans une économie en mutation.

J’ai trois observations à faire.

Tout d’abord, j’ai cru voir qu’il y avait des crédits destinés à des chercheurs résidant à l’étranger. On connaît l’état de la recherche en France, ses besoins dramatiques de crédits, et les beaux projets que l’on est capable de mener dans notre pays. Il m’apparaît très important, voire fondamental, que ces crédits soutiennent avant tout les projets de recherche conduits sur le territoire national.

Ensuite, je m’inquiète pour les appels à projets « territoires d’innovation de grande ambition » (TIGA) dont j’ai cru vous entendre dire un mot. Il est important que ces projets puissent irriguer le développement dans tous les territoires. On aurait besoin de garanties sur le fait qu’ils seront répartis aussi bien dans les grands centres métropolitains où les projets d’innovation se développent par eux-mêmes, que dans nos territoires où il y a beaucoup de projets mais où il manque parfois d’équipes pour aller chercher les subventions. Ces derniers projets ont besoin d’être accompagnés pour bénéficier des mêmes chances dans la compétition économique que ceux des autres territoires.

Enfin, s’agissant des produits agricoles locaux, je vous rappelle l’une des propositions du groupe Les Républicains : qu’il y ait des quotas de produits locaux plutôt que de produits bio dans les cantines. Par le biais de ces PIA, il faut absolument miser sur le développement des labels locaux pour une question de respect de l’environnement. Il faut tendre à la diminution des transports de denrées qui font souvent exploser le bilan carbone des productions, ce qui passe par le développement de l’économie présentielle. Dans nos territoires, nous avons de très belles initiatives dans ce domaine-là aussi, et des consommateurs qui affichent leur volonté d’aller de plus en plus vers ces produits de leur territoire.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM), je voudrais tout d’abord louer la pertinence et la qualité du rapport, et souligner l’importance des choix budgétaires du Gouvernement concernant le troisième volet du PIA.

Les PIA entendent préparer la France aux défis de demain et s’insèrent dans le grand plan d’investissement qui a pour ambition, notamment, d’accélérer l’émergence d’un nouveau modèle de croissance. Les crédits alloués dans le cadre du PIA 1 et 2 ont ainsi été déployés au bénéfice de l’enseignement supérieur et de l’innovation dans les secteurs stratégiques de l’économie française. Le PIA 3 fera une plus large place à la recherche et à la valorisation de la recherche qui vont absorber presque 6 milliards d’euros sur les 10 milliards d’euros annoncés.

Il s’agit donc d’une mission importante au moment où la France ambitionne d’être actrice des transformations massives que notre économie mondialisée traverse. Les investissements d’avenir ont pour objectif de faire de la France un leader en matière d’intelligence artificielle, de biotechnologie, de biomédecine, de big data, de super calcul mais aussi d’efficacité administrative.

Il est primordial que l’État investisse dans les domaines d’avenir mais aussi qu’il rattrape ses retards et accompagne les territoires qui en ont le plus besoin, notamment sur le plan économique. Dans notre groupe, nous sommes particulièrement sensibles au soutien des collectivités, nécessaire pour résorber la fracture territoriale.

S’agissant des collectivités territoriales, le Gouvernement nous avait annoncé l’année dernière que 10 des 57 milliards d’euros du grand plan d’investissement seraient consacrés à un objectif transversal d’investissement et dirigés vers ces collectivités. Il s’agissait notamment des instruments financiers de la CDC pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités territoriales, des logements sociaux et des maisons de santé. Pourriez-vous, madame la rapporteure, nous apporter des explications supplémentaires quant à ces annonces, nous dire si elles sont confirmées et si les crédits alloués dans cette mission entendent soutenir les collectivités territoriales ?

Existe-t-il des fonds partagés avec les régions en faveur des TPE et des PME dans un objectif d’accompagnement et de transformation des filières ? Il semble que ces fonds soient insuffisants.

Il est malgré tout appréciable que le Gouvernement ait souhaité mettre l’accent sur le programme 423 relatif à la modernisation des entreprises, au moment où le projet de loi PACTE était examiné au Parlement. Les signaux envoyés au monde entrepreneurial sont positifs.

Enfin, je voudrais évoquer l’orientation environnementale et agricole. Plusieurs articles de la première partie du PLF soutiennent une fiscalité écologique incitative et reçoivent, bien entendu, notre assentiment. Il en va de même pour les choix budgétaires concernant la recherche et l’innovation qui vont participer à la nécessaire transition écologique que les Français appellent de leurs vœux.

Mme Laure de La Raudière. Au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI), je voudrais revenir à la philosophie de départ des investissements d’avenir. Au moment où ils ont été lancés par M. Nicolas Sarkozy, à la fin de l’année 2008, j’avais travaillé sur ce sujet. L’idée était que l’État devait préparer l’avenir et investir, mais, surtout, en prenant bien garde de ne pas creuser le déficit de l’État.

J’ai l’impression que nous nous sommes un peu éloignés de cette philosophie. Les premiers investissements ayant été réalisés en 2010-2011, nous avons désormais un recul de six ou sept ans pour évaluer ceux qui ont été effectués par l’État au sein de fonds destinés à soutenir l’innovation ou dans la recherche. À l’époque, dans un esprit très sain de maîtrise des dépenses publiques, nous voulions vérifier la rentabilité à long terme de chacun de ces investissements. Il ne s’agissait pas de concurrencer les fonds d’investissement privés qui ont souvent une rentabilité à six ans. Dans un contexte de déficit extrêmement important, il ne s’agissait pas non plus de grever le budget de l’État. Je m’inquiète du fait que cette logique n’apparaisse plus dans aucun discours. On prépare l’avenir, certes, mais en ne faisant pas attention à cet objectif-là et en ne regardant pas la rentabilité individuelle des investissements réalisés.

Mon deuxième regret est que nous n’en avons pas profité pour investir dans la modernisation de l’État. Le Canada a investi 15 milliards de dollars dans la modernisation de son fonctionnement étatique et il s’est désendetté de façon extrêmement forte et rapide. Ils ont réussi à réduire le nombre de fonctionnaires de 23 %. Or, dans aucun des PIA, je ne vois cet axe de modernisation de l’État lié à l’idée de réviser les politiques publiques dans une optique de rentabilité évidente : le désendettement peut se traduire par une baisse d’impôts pour les entreprises et les citoyens et permettre un développement économique.

M. François Ruffin. D’emblée, je fais remarquer qu’il y a une baisse de 4 % de l’enveloppe consacrée aux investissements d’avenir : elle se situe cette année à un milliard d’euros. Quel avenir peut-on construire avec un milliard d’euros ?

Pour les membres du groupe La France insoumise, le point clef de ce budget, celui qu’il faut marteler, c’est le choix qui a été fait en matière de crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE). Celui-ci n’a pas été seulement renouvelé ou pérennisé, son montant – dont la moitié va aller à des multinationales – a quasiment doublé.

En temps normal, le montant de ce CICE est de 24 milliards d’euros par an. L’année prochaine, on va ajouter 20 milliards d’euros. On se demande à quoi peuvent bien servir les évaluations parce que dans toutes celles de France Stratégie et de la quasi-totalité des organismes qui travaillent sur le sujet, il est indiqué que le rendement de ce CICE est nul. Le CICE est inefficace ; il n’a permis de créer ou de sauvegarder que 100 000 emplois au maximum. On est dans ces eaux-là. Cela signifie que chacun de ces emplois coûte aux alentours de 200 000 euros par an. C’est une gabegie considérable, un puits sans fond.

Ces 24 milliards d’euros par an, auxquels on va ajouter 20 milliards d’euros l’année prochaine, sont distribués tous azimuts, en une espèce de saupoudrage qui profite beaucoup aux multinationales. Les premières grandes entreprises du privé qui bénéficient du CICE sont Auchan, Carrefour et Casino. Ces groupes n’ont aucun besoin de financement ; ils ne sont pas en concurrence avec des hypermarchés étrangers puisque leur activité se passe sur le marché local ; en plus, ils profitent de ce CICE pour procéder à des licenciements massifs.

Il est évident que là se trouve notre marge de manœuvre, le choix de société, la direction vers laquelle nous voulons aller ou non. Ces 24 milliards d’euros en année normale et ces plus de 40 milliards d’euros pour cette année offrent une marge de manœuvre considérable pour effectuer la transition écologique, pour aller vers un changement d’agriculture et pour développer ce que j’appelle les « métiers du tendre », qui devraient être considérés comme investissements d’avenir : l’accompagnement des enfants handicapés, les auxiliaires de vie sociale pour personnes âgées, les animateurs périscolaires qui s’occupent de nos gamins après l’école, et ainsi de suite.

Dans le budget, la marge de manœuvre se trouve à cet endroit-là, dans ces 40 milliards d’euros qui sont saupoudrés et gaspillés dans l’espoir que quelque chose poussera peut-être. Ces sommes colossales auraient permis de réorienter un peu sérieusement la société française, notamment vers l’écologie. Ce n’est pas le choix que vous avez fait.

M. Sébastien Jumel. Votre travail n’est pas en cause, madame la rapporteure, mais je trouve que ce budget, c’est un peu, passez-moi l’expression, le « bordel ». C’est un cadavre exquis incompréhensible. Je vais donc me risquer à improviser, prêt à prendre des leçons auprès des députés de la majorité qui semblent formés, je dirai même formatés, pour saisir cette nouvelle dialectique budgétaire.

François Ruffin a raison. À un moment donné, il va falloir que Gattaz nous rende ses badges. Il promettait la création d’1 million d’emplois en contrepartie du CICE et nous avons bien vu dans quelle impasse budgétaire cela nous a menés.

Je crois en l’État stratège et en sa capacité à se doter d’outils pour mettre en œuvre les politiques publiques. Or force est de constater que depuis que vous êtes aux responsabilités, l’État se prive de ces outils stratégiques, qu’il s’agisse de la recherche, de l’innovation ou de la transition écologique.

Comment envisager une transition énergétique sérieuse alors que la logique des actionnaires l’emporte ? Comment envisager une transition énergétique sérieuse alors que vous vous apprêtez à resserrer les financements consacrés à la rénovation thermique ? Comment envisager une transition énergétique sérieuse alors que l’État est en train d’assassiner les bailleurs à dimension humaine ? Comment envisager d’investir dans l’avenir de nos territoires alors que votre réforme ferroviaire vise à renoncer aux lignes de vie ?

Vous soutenez un Gouvernement sans cap, sans cohérence, sans stratégie, et donc sans avenir. Les plans d’investissement d’avenir, même s’ils s’appuient sur certaines intuitions positives comme dirait mon ami Pierre Dharréville, ne sont pas à la hauteur des enjeux.

M. Dominique Potier. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du rapport de Monique Limon, qui est d’une rare hauteur. Nous verrons quelles suites lui donner si nous formons une mission commune pour réorienter les fonds.

Je partage une bonne partie des positions que viennent d’exprimer M. Ruffin et M. Jumel, mais je concentrerai mes propos sur les moyens consacrés à la recherche et à la prévention.

Les fonds dédiés aux PIA souffrent d’un manque d’incarnation territoriale. Il importe de donner des moyens réels aux TIGA – « territoires d’innovation de grande ambition » – qui sont la traduction territoriale des grands projets de recherche. Je pense en particulier à celui de Nancy autour du projet « Des hommes et des arbres, les racines de demain », centré sur la bioéconomie et l’écocitoyenneté. Je pense également aux architectures européennes de développement, qui sont encore trop peu privilégiées. L’Europe de la recherche, qui fait notre spécificité par rapport aux pays asiatiques et anglo-saxons, ouvre de grandes perspectives pour notre continent. Je regrette que sur des questions comme l’autonomie en protéines végétales, qui vise à limiter la déforestation importée, nous n’ayons pas des programmes de recherche concertés qui unissent les pays européens de la Baltique à l’Atlantique.

Je partage votre analyse, madame la rapporteure, sur la nécessité de recherches systémiques. Les querelles picrocholines autour de sujets comme le glyphosate nous éloignent du réel. Ces recherches pourraient s’insérer dans la dynamique ouverte par le programme « Une seule santé » qui mêle épidémiologie et agronomie, par l’étude prospective Agrimonde-Terra lancée par l’INRA et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), ou encore par le scénario d’une « Europe sans pesticide en 2050 » étudié par les chercheurs de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Je voudrais insister sur l’importance de trois secteurs de recherche.

Il s’agit, d’abord, des recherches sur le sol : nous accusons trente ans de retard en matière de recherches agronomiques fondamentales. Il faut que la France et l’Europe se repositionnent parmi les leaders mondiaux.

Il s’agit, ensuite, des modèles sociaux préventifs. Nous savons la part de l’alimentation dans la santé et son rôle dans la prévention des maladies chroniques. Nous y travaillons, à titre expérimental, avec ATD-Quart monde dans ma région.

Il s’agit, enfin, de la réappropriation des normes publiques comme leviers de changement – je pense en particulier à la haute valeur environnementale – qui mériterait un travail socio-économique et technique.

Bref, nous plaidons pour une amplification de l’effort de recherche‑développement dans notre pays.

M. Mickaël Nogal, président. Madame Limon, nous le voyons, votre rapport a été unanimement salué.

Mme Monique Limon, rapporteure pour avis. Je vais m’efforcer de répondre à toutes les questions, à commencer par les vôtres, monsieur le président.

Le Secrétariat général pour l’investissement a connaissance de la demande sociale que vous évoquiez. Il est aussi responsable du Grand plan d’investissement qui consacrera 5 milliards d’euros à l’agriculture. M. Olivier Allain, que j’ai auditionné, est l’ambassadeur de ce plan pour le volet agricole et il s’emploie à faire le tour des territoires pour voir comment ils s’en emparent.

Il est vrai que la thématique agricole, sans être ignorée, reste timide au sein des PIA. Il y a peu d’appels à projets et peu de déposants. Nous notons toutefois des initiatives encourageantes pour 2019. Beaucoup de projets liés aux TIGA sont axés sur l’agriculture durable. Nous pouvons nous attendre à une progressive montée en puissance.

S’agissant de la répartition géographique des fonds, nous ne disposons pas de chiffres précis, bien que la régionalisation du PIA soit un sujet primordial. L’écosystème des organismes du PIA est régionalisé. Les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) sont organisées par région et les instituts de recherche technologique, les instituts pour la transition énergétique (ITE) et les instituts hospitalo-universitaires (IHU) sont présents sur tout le territoire. Je pense donc qu’il y a une bonne répartition des fonds.

Monsieur Dive, vous vous inquiétez d’une baisse des crédits. En réalité, aujourd’hui, la consommation des crédits du PIA 1 et du PIA 2 atteint à peine les 50 %. Il reste encore 30 milliards à dépenser, pour les trois PIA confondus.

S’agissant des petites entreprises, je suis d’accord avec vous. Le même constat avait été établi l’année dernière par Mme Marie Lebec, au rapport de laquelle je vous renvoie.

Monsieur Di Filippo, s’agissant des chercheurs à l’étranger, Mme de Lavergne a souligné le travail réalisé grâce à la loi PACTE. J’ai du mal à vous répondre plus en détail car ce sujet concerne plutôt le programme 421 « Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche » et je me suis focalisée sur les programmes 422 et 423.

Quant à l’appel à manifestation d’intérêt pour les TIGA, il est doté de 450 millions d’euros. Nous attendons le verdict du comité indépendant appelé à se prononcer sur les projets qui lui ont été soumis. Dès qu’ils auront été retenus, nous pourrons les examiner ensemble, si vous le souhaitez.

Madame Deprez-Audebert, le PIA n’a pas vocation à financer les collectivités territoriales. Le PIA 3 comprend toutefois une enveloppe régionale dotée de 500 millions d’euros. Nous pourrons nous attacher à analyser la répartition de ces fonds.

Madame de La Raudière, nous considérons que le PIA ne doit pas grever le déficit. Toutefois, si l’impératif de rentabilité est un aspect important, nous ne voulons pas en faire un critère exclusif. Les personnes que j’ai auditionnées ont mis l’accent sur les PME et sur la nécessité de voir les investissements dans l’innovation et la recherche financés par le PIA 3 déboucher sur une commercialisation, ce qui me paraît aller dans le bon sens. Cette orientation était peut-être moins marquée dans le PIA 1 et le PIA 2 et à l’occasion de l’évaluation des dix ans du PIA, il me paraîtrait bon de mesurer aussi la valeur sociale ajoutée.

Quant à la modernisation de l’État, c’est l’objet du grand plan d’investissement dont a la charge M. Gérald Darmanin. Il vise notamment la transformation numérique de l’État tandis que le PIA 3, qui y est rattaché, est tourné vers l’innovation économique.

Monsieur Potier, le PIA doit en effet s’incarner dans les territoires, d’où le tour de France qu’a entamé Olivier Allain pour voir les diverses modalités de son appropriation.

M. Richard Lioger. L’exercice auquel nous nous livrons est un peu compliqué car il revient à examiner le PIA en dehors du contexte d’ensemble dans lequel il s’insère, notamment celui des organismes de recherche, qui voient leur budget augmenter. Les SATT, les IRT, les instituts Carnot forment un ensemble cohérent avec les entreprises qui utilisent les innovations. Nos chercheurs et nos directeurs d’instituts de recherche ont une productivité extraordinaire : avec des subventions cent à deux cents fois moindres qu’aux États-Unis, ils parviennent à des résultats qui les placent aux premiers rangs mondiaux en matière de recherche fondamentale et aboutissent à des applications qui rendent service à l’économie.

Nous devons être fiers de ce travail, qui est le résultat de plusieurs années d’actions successives.

M. Jean-Claude Bouchet. Bien sûr, il est important de valoriser la recherche pour répondre aux défis de l’avenir, il nous faut « réapprendre à voir large et loin » pour reprendre la citation que vous avez faite, madame la rapporteure. Le PIA 3 permettra certainement à des sociétés de pointe de lever des fonds mais les mesures de bon sens perdent souvent de leur pertinence du fait de la complexité des procédures administratives. Cela explique sans doute en partie le fait que tous les crédits n’ont pas été consommés. Comment prévenir ce type de difficultés ? Comment faire en sorte que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, bénéficient de ce dispositif ? Comment améliorer l’efficacité des investissements d’avenir ?

Mme Michèle Crouzet. Mon intervention se concentrera sur l’alimentation industrielle. La commission d’enquête dont j’étais la rapporteure nous a permis de mesurer l’importance de la recherche dans le secteur agro-alimentaire. Le chiffre d’affaires des instituts techniques agro-industriels (ITAI) provient à 80 % de prestations réalisées pour le privé, ce qui les empêche de financer des programmes de recherche appliquée. Il convient de favoriser un financement de l’innovation agro-alimentaire au bénéfice d’une alimentation saine et durable pour tous au lieu de laisser quelques entreprises profiter des avancées dans tel ou tel domaine.

Pouvons-nous imaginer de nouvelles sources de financement pour les ITAI, à l’instar des instituts techniques agricoles, soutenus par le compte d’affection spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR) ? Comment renforcer le financement de l’innovation agro-alimentaire ?

M. Thierry Benoit. Mme la rapporteure nous a indiqué que M. Olivier Allain faisait la « tournée des popotes » pour voir comment les territoires se mobilisaient autour du PIA. C’était le grand coordinateur des États généraux de l’alimentation et quand je vois qu’à l’issue de toutes ces réunions, les parties prenantes ne se comportent pas beaucoup mieux qu’avant, je dois dire que je m’inquiète un peu.

Il manque de la part du Gouvernement des impulsions fortes. L’État devrait donner des orientations stratégiques : méthanisation, autonomie protéique, changements dans l’utilisation des produits phytosanitaires, sécurité alimentaire. Il y a trente ans, il y avait les contrats de plan. Il nous faudrait aujourd’hui un ministère en charge des stratégies de long terme. Le Président de la République a pris conscience de la nécessité de créer un ministère en charge de la cohésion des territoires et des collectivités territoriales. Pour que le PIA porte véritablement ses fruits, il faut aller plus loin encore.

Mme Monique Limon, rapporteure pour avis. Monsieur Bouchet, s’agissant de la complexité des procédures administratives, j’ai indiqué vouloir m’inspirer de l’initiative qui raccourcit le traitement des dossiers à six semaines pour les PME et pour les PMI. Et je dois vous rassurer : l’argent public n’est pas dilapidé. Tous les fonds n’ont pas encore été consommés, comme je l’ai dit. Les opérateurs étalent parfois les décaissements sur dix ans.

Le secteur agro-alimentaire est dominé par des grandes entreprises très concentrées, comme dans l’industrie automobile, et il est difficile de financer l’innovation sans passer par elles. À l’occasion du bilan des dix ans du PIA, peut‑être pourrait-on mettre l’accent sur cet enjeu. Nous devons parvenir à mobiliser les petites entreprises qui sont souvent à l’origine de belles innovations.

Vous avez évoqué la méthanisation, monsieur Benoit, sujet qui me tient particulièrement à cœur et auquel j’ai consacré un développement dans mon rapport. Nous avons auditionné des responsables de la plateforme CertiMétha. C’est un bel exemple : comment partir d’une innovation pour la diffuser ensuite à plus grande échelle, notamment à travers la formation.

La commission, conformément à l’avis favorable de la rapporteure, donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Investissements d’avenir ».

 


—  1  —

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNées

Agence nationale de sécurité sanitaire de lalimentation, de lenvironnement et du travail (ANSES)

M. Roger Genet, directeur général

Mme Agathe Denéchère, directrice générale adjointe

Mme Alima Marie, directrice de cabinet

Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles

Caisse des dépôts et consignations (CDC)

M. Nicolas Chung, directeur de la mission PIA

Mme Aurélia Brunon, chargée de relations institutionnelles

Mme Mathilde Aubin, chargée de relations institutionnelles

Bpifrance

M. Daniel Demeulenaere, directeur de la stratégie et du développement

M. Jean-Baptiste Marin Lamellet, responsable des relations institutionnelles

Agence Nationale de la Recherche (ANR)

M. Arnaud Torres, directeur des grands programmes d’investissements de l’État

Agence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie (ADEME)

Mme Fantine Lefèvre, directrice des investissements d’avenir

Secrétariat Général pour lInvestissement (SGPI)

Mme Karine Vernier, directrice du programme « énergie, économie circulaire »

M. Marc Rohfritsch, adjoint

Tronico

Patrick Collet, directeur général

Institut national de recherche en sciences et technologies pour lenvironnement et lagriculture (IRSTEA)

Mme Véronique Vissac-Charles, responsable du pôle valorisation-transfert

Certimétha

M. Frédéric Flipo, président

M. François Lebrisse, responsable exploitation amont (Evergaz)

Grand plan dinvestissement (GPI)

M. Olivier Allain, ambassadeur du GPI pour l’agriculture

Société daccélération du transfert de technologies (SATT) SAYENS

M. Yannick Cavalier, responsable du Business Development


([1]) Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 (PIA 1) et loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 (PIA 2)

([2]) L’amont de la valorisation économique concerne l’enseignement supérieur et la recherche, et l’aval désigne l’ensemble des processus d’innovation et de développement des entreprises qui conduisent à une mise sur le marché.

([3]) Il faut également relever que l’intervention en fonds propres comporte un autre intérêt essentiel pour la gouvernance des finances publiques de l’État : un investissement fait par l’État, dès lors qu’il est considéré comme un « investissement avisé », autrement dit effectué avec une recherche de rentabilité comparable à un investissement privé, n’entre pas dans le cadre du calcul du déficit public de l’État (déficit « maastrichtien »).

([4]) Parmi les opérateurs des PIA 1 et 2 non retenus pour le PIA 3 figurent l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’Agence nationale de l'habitat, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’Agence de services et de paiement, le Centre national d'études spatiales, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, l’Office national d'études et de recherches aérospatiales ou encore FranceAgriMer.

([5]) Rapport d’information n° 3867 portant conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique, déposé le 22 juin 2016.

([6]) Rapport général n° 140 (2016-2017) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2016, tome III, annexe 18.