N° 1304

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2018.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255),

 

 

TOME III

 

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

 

 

PAR M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE

Député

——

 

 Voir le numéro 1302.

 


 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

 Pages

introduction

I. Les crédits de la mission « aide publique au développement »

A. Le déclin de laide dans les années 2010

1. La diminution globale des montants

2. Laide bilatérale, variable dajustement

3. Le niveau insuffisant des dons-projets

4. La revue des pairs de lOCDE

B. Le PLF 2019

1. La trajectoire et les priorités fixées par le CICID de février 2018

2. La budgétisation de la TTF-AFD

C. La réforme du pilotage de laide

1. La mise en place dun dispositif dévaluation

2. Un ministère de plein exercice

3. Le regroupement de lexpertise

4. Le projet de rapprochement entre Expertise France et lAFD

5. Léquilibre économique des activités lExpertise France au sein de la nouvelle structure

II. Le défi urbain

A. Laction multilatérale

1. Une participation active dans le débat international sur le développement urbain

2. Lanimation du réseau des acteurs français de lurbain à linternational

a. ONU-Habitat

b. Cities Alliance

c. Cités et gouvernements locaux unis (CGLU)

3. Les annonces du One Planet Summit en lien avec le sujet de la ville durable

a. Création de la plateforme de financement de 100 projets « Eau et Climat » pour lAfrique :

b. « Global Urbis » : la création dun cadre commun entre les villes pour simplifier leur accès aux financements Climat

c. Alliance mondiale des villes et des régions pour lancer des marchés publics bas carbone

d. Coalition neutralité carbone : 16 pays et 32 villes sengagent à atteindre la neutralité carbone dici 2050

e. 8 pays et 10 partenaires sengagent pour les transports décarbonés et les solutions de mobilité verte.

f. CREWS (systèmes dalerte précoce aux catastrophes du climat)

B. Laction bilatérale des opérateurs

1. La stratégie de lAFD dans le secteur « Infrastructures et développement urbain »

i. Développement urbain

ii. Énergie

iii. Transports

iv. Télécommunications et numérique

2. Lévolution des financements de lAFD dans le secteur « Infrastructures et développement urbain »

C. Un besoin de moyens important

Conclusion

Contribution de M. Jean-Paul Lecoq au nom du groupe GDR

Contribution de Mme Clémentine Autain au nom du groupe LFI

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Présentation DE lAVIS devant la commission des affaires étrangÈres

Annexe – Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Annexe – utilisation des ressources issues de la taxe de solidarité sur les billets davion (TSBA) et de la taxe sur les transactions financières (TTF).


—  1  —

   introduction

Mesdames, Messieurs,

L’aide publique au développement de la France est entrée dans une phase de reconstruction. Après une décennie de réduction constante des budgets, la mission « aide publique au développement » entame cette année une trajectoire d’augmentation qui devrait fournir chaque année environ un milliard d’euros supplémentaires à son budget, et ce jusqu’à ce que les dépenses d’aide au développement de la France atteignent en 2022 un total de 0,55 % de son RNB.

Cette trajectoire, fixée par président de la République, précisée par le CICID de février 2018 et qui devrait être détaillée par la loi d’orientation et de programmation que nous serons amenés à examiner au début de l’année 2019, est d’abord une trajectoire de rattrapage. Elle fait suite à une période d’ajustement budgétaire à laquelle l’aide publique au développement a contribué plus que les autres missions budgétaires. Mais elle correspond aussi aux nouveaux besoins mondiaux, ceux dont les objectifs du développement durable adoptés en 2015 dressent la liste. L’aide au développement n’est plus un simple transfert du Nord vers le Sud, des anciens colonisateurs vers leurs anciennes colonies, visant à consolider des nouveaux États dont on s’attend à ce qu’ils suivent une trajectoire de développement prédéterminée.

Il s’agit désormais de construire un monde non seulement plus prospère, mais également plus stable et plus respectueux de l’environnement. Le développement économique ne peut plus être un objectif isolé, car il doit à la fois être partagé plus équitablement, être moins vulnérable aux secousses politiques et respecter les impératifs climatiques et environnementaux.

La tâche paraît plus complexe qu’autrefois, et une simple augmentation des budgets ne suffira pas à son accomplissement. Il faudra aussi que l’univers complexe des acteurs de l’aide au développement soit mieux coordonné et que les politiques publiques qui y contribuent soient mieux pilotées, et ce sera d’autant plus nécessaire dans un contexte d’expansion budgétaire.

Il faudra aussi que ce pilotage rénové de l’aide puisse produire une véritable stratégie de développement qui ne s’arrête pas à une simple liste d’objectifs, mais qui sache également les hiérarchiser et qui soit capable d’anticiper les besoins afin de pouvoir produire des politiques de long terme indispensables mais dont les résultats ne peuvent être attendus que dans la longue durée.

C’est notamment le cas en ce qui concerne les politiques de développement urbain, auxquelles une partie du présent rapport est consacrée. Il a en effet semblé utile à votre rapporteur de se pencher sur la question du défi urbain, qui est particulièrement cruciale aujourd’hui. Il s’agit à la fois de prendre en compte le fait que la plus grande partie de l’humanité vit désormais dans des villes, et que c’est dans un milieu urbain qu’une partie de plus en plus importante des activités d’aide au développement ont lieu. Mais c’est également la question de l’extension des villes, dont certaines abriteront d’ici quelques décennies des populations équivalentes à celles de pays comme la France ou l’Allemagne. C’est aujourd’hui qu’il faut se demander comment cette expansion urbaine peut être maîtrisée et avoir lieu dans les meilleures conditions possibles, avec un impact environnemental minimal et sans conséquences sociales ou sanitaires désastreuses. Les villes sont historiquement l’un des principaux moteurs du développement et de la prospérité, mais peuvent également être une menace quand l’étalement urbain est excessif et quand l’urbanisation n’est pas contrôlée.

 

 

 


—  1  —

I.   Les crédits de la mission « aide publique au développement »

La mission interministérielle « Aide publique au développement » regroupe les crédits des deux principaux programmes concourant à la politique française d’aide au développement. Il s’agit du programme 110 « Aide économique et financière au développement », mis en œuvre par le ministère des Finances et des comptes publics, et du programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », mis en œuvre par le ministère des affaires étrangères et du développement international.

Cette mission ne correspond qu’à environ 40 % du montant total de l’aide publique au développement, tel qu’il est déclaré au Comité d’aide au développement de l’OCDE et qui correspond à la politique transversale « Politique française en faveur du développement », composé de 24 programmes rattachés à 14 missions, parmi lesquelles les programmes 110 et 209 qui forment la mission « Aide publique au développement ».

A.   Le déclin de l’aide dans les années 2010

Le budget 2019 représente la première étape d’une trajectoire ascendante voulue et annoncée par le Président de la République, puis confirmée par le CICID de février 2018. Cette trajectoire répond à l’ambition de moderniser et de mettre à niveau l’aide française au regard des défis actuels, qui sont nombreux. Mais elle vise avant tout à mettre fin au déclin rapide qui a eu lieu au cours des années 2010.

L’aide française a en effet subi depuis le début des années 2010 un déclin régulier, avec quelques timides amorces de rattrapage qui n’avaient pas jusqu’à présent donné lieu à la véritable montée en puissance de l’aide dont nous avons maintenant besoin.

1.   La diminution globale des montants

Le tableau suivant retrace l’évolution des dépenses d’aide publique au développement de la France depuis 2010, telle que mesurées par le CAD de l’OCDE, et comparée à l’évolution des dépenses de l’ensemble des pays du CAD :

Versements, en millions de dollars

 

 

Année

APD nette totale des pays du CAD

APD nette de la France

Ratio APD en  % RNB de la France

2010

128 484

12 915

0,50

2011

135 111

12 997

0,46

2012

127 030

12 028

0,45

2013

134 847

11 339

0,41

2014

137 581

10 620

0,37

2015

131 555

9 039

0,37

2016*

142 619

9 501

0,38

Source : OCDE CAD1

Selon les chiffres provisoires pour 2017, le rapport APD/RNB aurait atteint 0.43 % du RNB, ce qui constitue un pas dans la bonne direction, mais aboutit à un chiffre encore inférieur à celui de 2012.

Par rapport aux autres donneurs, la part de l’aide française dans le total des dépenses des pays du CAD a diminué de façon irrégulière mais très nette depuis les années soixante, et surtout depuis les années quatre-vingt-dix, puisqu’elle est passée entre 1990 et 2015 de 13,3 % du total du CAD à 7,4 %.

Part en pourcentage des cinq principaux donneurs dans lAPD du CAD

Cette baisse de l’aide française peut sans doute être attribuée à la crise de la fin des années 2000, mais les autres pays du CAD, qui ont aussi été touchés par la crise, n’ont pas suivi une évolution similaire. Leurs dépenses sont au contraire restées stables, voire ont fortement augmenté comme au Royaume-Uni. Le tableau ci-dessous illustre la divergence entre les trajectoires des deux pays :

Source : CAD OCDE

 

en millions de dollars

2012

2013

2014

2015

2016

France

12 028

11 339

10 620

9 039

9 531 **

Royaume-Uni

13 891

17 871

19 306

18 545

18 013 *

en  % RNB

2012

2013

2014

2015

2016

France

0,45 %

0,41 %

0,37  %

0,37 %

0,38 % **

Royaume-Uni

0,56 %

0,71 %

0,70 %

0,70 %

0,70 % *

Source : OCDE, Cad2a et DG Trésor

 

La forte érosion du budget de l’aide française a également eu pour effet une modification profonde de sa structure, avec notamment une diminution régulière de la part d’aide bilatérale, et au sein de l’aide bilatérale, des montants consacrés aux dons-projets.

2.   L’aide bilatérale, variable d’ajustement

Le décrochage de l’aide française au cours des années 2010 a été général, mais a surtout touché l’aide bilatérale, dont la part est passée de plus de 78 % dans l’APD nette de la France en 1990 à 57 % en 2014.

Cette baisse de l’aide bilatérale n’a pas tant été le résultat d’un véritable choix stratégique que celui d’ajustements successifs en réponse aux diminutions budgétaires de ces dernières décennies. Lorsque le budget de l’aide diminue, il est en effet beaucoup plus facile de faire peser cette diminution sur l’aide bilatérale que sur l’aide multilatérale, qui consiste généralement en engagements pluriannuels dont la France ne peut pas se libérer de façon immédiate. Le « choix » du multilatéral dans la stratégie d’aide française n’en est donc pas nécessairement un, mais s’identifie plutôt à une justification a posteriori de décisions prises sous une contrainte budgétaire de plus en plus pénalisante.

Il ne s’agit donc pas ici de négliger l’utilité du canal multilatéral en matière d’aide. La participation à l’aide multilatérale, si elle est bien conduite, peut permettre une démultiplication de l’influence de la France qui, à condition de verser des contributions significatives, se trouve représentée au sein des grandes instances internationales dont elle peut alors contribuer à définir l’orientation, ce qui en retour nous permet de bénéficier de leur soutien pour l’atteinte de nos objectifs. Elle peut également permettre d’initier des projets et d’en conserver le leadership en exerçant un effet de levier important.

Cela suppose toutefois de concentrer les contributions françaises vers certains organismes ou fonds. La participation importante de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui lui permet d’y exercer un rôle directeur, est un exemple d’une telle stratégie.

L’aide multilatérale ne doit donc pas être négligée. D’après la trajectoire budgétaire fixée par le CICID, les deux tiers de l’augmentation budgétaire qui s’engage doivent être consacrés à l’aide bilatérale, ce qui laisse un tiers de l’augmentation pour l’aide multilatérale, qui augmentera donc également. Il importe cependant d’éviter trois écueils.

Le premier est la dispersion de l’aide. Une véritable influence globale suppose une présence française au sein de nombreuses institutions onusiennes, banques de développement ou fonds verticaux, organismes dont il est parfois délicat de se retirer, ce qui peut entraîner, par effet d’inertie, un saupoudrage de l’aide, ce que la France peut difficilement se permettre.

Le deuxième écueil est celui de l’inertie. L’aide multilatérale implique des échelons bureaucratiques multiples et complexes, entraînant à la fois des dépenses de fonctionnement mécaniquement plus importantes et, surtout, une faible réactivité. Il faut donc s’efforcer de consacrer l’aide multilatérale aux objectifs de long terme tels que ceux figurant dans les ODD, tout en privilégiant les canaux bilatéraux pour la résolution rapide de situations de crises, ou la définition de politiques adaptées à la situation particulière d’un État, du fait de la difficulté à coordonner des bailleurs multiples dont les objectifs et les préoccupations ne convergent pas nécessairement.

Enfin, l’aide multilatérale n’est généralement pas l’outil le plus adapté aux thématiques régaliennes. Du fait de la complexité politique inhérente à des institutions dont les décisions font en permanence l’objet de compromis entre États, les institutions internationales tendent à éviter les sujets considérés comme sensibles, c’est-à-dire, en particulier, ce qui relève du régalien et de la sécurité. Serge Michailof a ainsi souligné l’absence de reconstruction de la police en Afghanistan après 2001, malgré l’ampleur de l’enjeu en termes de stabilisation. Il est plus facile d’« injecter » des crédits que d’en faire un usage politiquement délicat.

Répartition de lAPD française entre aide bilatérale et aide multilatérale depuis 1990

Répartition de lAPD nette de la France

Versements, en millions $

APD totale

APD bilatérale

APD multilatérale

Total

 %

Total

 %

dont aide européenne

CE

FED

Total

1990

7 163

5 612

78 %

1 551

22 %

391

373

764

1991

7 386

5 772

78 %

1 614

22 %

456

440

896

1992

8 270

6 302

76 %

1 968

24 %

398

507

905

1993

7 915

6 154

78 %

1 761

22 %

392

443

835

1994

8 466

6 611

78 %

1 855

22 %

404

512

915

1995

8 443

6 429

76 %

2 015

24 %

461

524

984

1996

7 451

5 754

77 %

1 697

23 %

554

290

845

1997

6 307

4 777

76 %

1 530

24 %

551

330

881

1998

5 742

4 185

73 %

1 557

27 %

426

356

782

1999

5 639

4 128

73 %

1 512

27 %

513

286

799

2000

4 105

2 829

69 %

1 276

31 %

540

251

792

2001

4 198

2 596

62 %

1 602

38 %

647

396

1 043

2002

5 486

3 615

66 %

1 871

34 %

725

561

1 286

2003

7 253

5 213

72 %

2 040

28 %

807

504

1 311

2004

8 473

5 567

66 %

2 906

34 %

1 046

818

1 863

2005

10 026

7 239

72 %

2 787

28 %

1 031

781

1 811

2006

10 601

7 919

75 %

2 681

25 %

1 106

832

1 938

2007

9 884

6 258

63 %

3 625

37 %

1 201

955

2 156

2008

10 908

6 669

61 %

4 239

39 %

1 407

1 121

2 528

2009

12 602

7 187

57 %

5 415

43 %

1 734

1 166

2 900

2010

12 915

8 056

62 %

4 860

38 %

1 457

1 204

2 661

2011

12 997

8 495

65 %

4 503

35 %

1 468

954

2 422

2012

12 028

7 929

66 %

4 099

34 %

1 356

741

2 097

2013

11 339

6 801

60 %

4 538

40 %

1 425

846

2 272

2014

10 620

6 514

61 %

4 107

39 %

1 500

850

2 349

2015*

9 037

5 156

57 %

3 881

43 %

1 278

663

1 942

Source : OCDE (CAD1) et DG Trésor

Les deux modalités de l’aide sont donc complémentaires et la stratégie d’aide française peut s’appuyer avec profit sur les organismes multilatéraux ou agir en étroite coopération avec eux.

Il reste cependant que la part multilatérale de l’aide est actuellement excessive et qu’un rééquilibrage s’impose, si nous souhaitons que l’aide française soit en mesure de répondre aux crises de façon rapide et efficace. Le CICID de février 2018 a du reste pris note de cet impératif en notant dans le point 1.2.1 de son relevé de conclusions que « Les deux-tiers de la hausse moyenne cumulée des autorisations d’engagement de la mission budgétaire APD d’ici à 2022 contribueront à la composante bilatérale de l’APD ».

Il est donc important que la trajectoire budgétaire envisagée par le gouvernement s’accompagne bien de la montée en puissance prévue de la part bilatérale de l’aide afin de retrouver un équilibre plus favorable, qui donnera à la politique d’aide française une plus grande marge de manœuvre.

3.   Le niveau insuffisant des dons-projets

Le CIDID de février 2018 indique dans le point 12.3 de son relevé de conclusion que « La composante don de notre aide au développement sera renforcée. En vue d’engager résolument la hausse de notre aide bilatérale et des dons projets vers les pays prioritaires, l’AFD bénéficiera de moyens accrus, y compris au moins un milliard d’autorisations d’engagements dès 2019, dans le cadre d’un effort qui sera soutenu sur l’ensemble du quinquennat. Afin d’accompagner la hausse de l’aide française, des moyens supplémentaires seront consacrés par l’AFD au renforcement des capacités et à l’aide à la préparation des projets. »

Une telle évolution est bienvenue et malheureusement tardive. Les dons-projets de l’AFD constituent en effet l’essentiel de ce qui, dans l’aide française, peut être directement et rapidement consacré à des projets dans les pays les plus pauvres, notamment ceux figurant sur la liste des pays pauvres prioritaires, que leur situation financière n’autorise pas à emprunter.

Le tableau suivant présente les autorisations en dons projets par groupe de pays et par région, pour 2015 et 2016 :

Source : Agence française de Développement

Les ordres de grandeurs paraissent faibles au regard du volume de l’aide française comme des enjeux. Avec une moyenne de 10 millions d’euros par pays pauvre prioritaire, on est en droit de s’interroger sur le sens du mot « prioritaire », et l’on comprend mieux pourquoi 14 % seulement du volume d’APD bilatérale était allouée aux 17 pays prioritaires en 2016, et pourquoi aucun de ces pays ne figurait parmi les dix principaux bénéficiaires de l’APD française. Le PLF 2019 devrait apporter une première correction à ce déséquilibre

4.   La revue des pairs de l’OCDE 

Une appréciation d’ensemble de l’évolution de l’aide française est fournie par la revue des pairs du CAD de l’OCDE de 2018. Le rapport reconnaît que la France a commencé à rationaliser le dispositif de l’aide et dispose plus généralement d’une importante palette d’instruments pour répondre aux besoins des pays en développement (comme les prêts souverains et non souverains, la coopération décentralisée, le montage de projets prêt-dons et l’assistance technique). La France a par ailleurs élaboré avec succès des mécanismes innovants de financement du développement comme la taxe sur les transactions financières (TTF) et la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA).

La revue des pairs prend acte de ce que la France s’est engagée à consacrer 0.55 % de son RNB à l’APD d’ici à 2022 soit une augmentation de près de 6 milliards EUR en volume par rapport à 2016, et selon les chiffres provisoires pour 2017, le rapport APD/RNB a atteint 0.43 % du RNB, ce qui constitue un pas dans la bonne direction.

Le rapport note toutefois plusieurs évolutions inquiétantes :

         L’APD française a reculé de 0.45 % à 0.38 % du RNB, au cours de la période 2012-2016 soit une baisse en volume de 10.6 milliards de dollars à 9.6 milliards de dollars ;

         14  % du volume d’APD bilatérale est allouée aux 17 pays prioritaires en 2016. Aucun de ces pays ne figurait parmi les dix principaux bénéficiaires de l’APD française, qui sont tous des pays à revenu intermédiaire. 

         L’aide aux pays les moins avancés (PMA) représentait seulement 19 % de l’APD bilatérale ventilable de la France en 2016 (contre une moyenne de 37 % pour l’ensemble des pays membres du CAD de l’OCDE), soit 0.08 % du RNB de la France, bien en dessous de la cible de 0.15 % ;

         Le faible niveau d’aide humanitaire (153 millions de dollars en 2016, soit 1.3 % de l’APD, contre 11 % en moyenne pour l’ensemble du CAD) contredit les objectifs stratégiques de la France.

         Les prêts représentaient 28 % de l’APD brute totale de la France, et 45 % de son APD brute bilatérale en 2016 ;

         En 2012-16, la libéralité de l’APD française est d’ailleurs restée tous les ans en dessous de la norme établie par le CAD.

         64  % du portefeuille d’APD de l’AFD était composé de prêts, un modèle, fondé davantage sur les prêts que les dons qui incite l’AFD à investir dans les pays à revenu intermédiaire et dans des secteurs potentiellement profitables.

La revue des pairs de l’OCDE aboutit donc à des conclusions qui rejoignent le constat fait, année après année, par les parlementaires : l’aide française a subi un déclin rapide et profond au cours de la décennie passée, qui appelle un rattrapage à la fois quantitatif et qualitatif.

B.   Le PLF 2019

Le projet de loi de finances pour 2019 doit donc constituer la première étape d’une augmentation de l’aide française qui doit la porter à 0,55 % du RNB en 2022, avec une priorité à l’aide bilatérale et aux dons. Le budget de la mission « aide publique au développement », qui représente aujourd’hui entre 40 et 45 % des dépenses d’aide totales de la France, devrait en représenter une part croissante à mesure qu’elle augmentera, en supposant que les dépenses « non pilotables », c’est-à-dire les dépenses d’aide des autres missions budgétaires n’augmentent pas dans des proportions comparables.

Il est cependant à noter que la trajectoire du CICID fixe un objectif de dépenses constant pour 2017 et 2018, à 0,43 % du RNB, la progression vers 0,55 % commençant véritablement à partir de 2020. Cette apparente stagnation ne concerne cependant que les crédits de paiement, c’est-à-dire les sommes effectivement dépensées et enregistrées auprès du CAD de l’OCDE comme dépenses d’aide.

L’augmentation prévue étant principalement alimentée par des dons bilatéraux, ces derniers doivent concrètement être initiés plusieurs années à l’avance afin de pouvoir faire l’objet d’une dépense lorsqu’ils sont effectivement mis en œuvre. C’est ce que traduit la forte augmentation en 2019 des autorisations d’engagement, qui permettent l’augmentation ultérieure des crédits de paiement.

Au total, les crédits de paiement de la mission « aide publique au développement » passent de 2,7 à 3,1 milliards d’euros, en incluant les 270 millions d’euros de « TTF-AFD » réaffectés à la mission. Si on ne les inclut pas, l’augmentation réelle est donc de 139 millions d’euros pour les deux missions.

Les crédits de paiement du programme 110 passent ainsi de 961,4 millions d’euros à 1,1 milliard d’euros, soit une augmentation de118 millions d’euros qui s’explique principalement par la reconstitution du Fonds français pour l’environnement mondial et par 80 des 270 millions d’euros de TTF-AFD budgétisée.

Les crédits de paiement du programme 209 passent quant à eux de 1,74 milliard d’euros à 2 milliards, soit une augmentation de 260 millions d’euros incluant 190 des 270 millions d’euros de TTF-AFD budgétisée.

Les autorisations d’engagement augmentent de façon beaucoup plus importante, et passent pour l’ensemble de la mission de 2,7 à 4,5 milliards d’euros, soit une augmentation de plus de 60 %. Pour le programme 110, elles passent de 841 millions d’euros à 1,3 milliard d’euros, et pour le programme 209 de 1,8 à 3,2 milliards d’euros.

Pour le programme 110, la hausse des autorisations d’engagement correspond en grande partie à la ligne « Interventions de l’aide bilatérale relevant de l’Agence française de développement », pour laquelle les autorisations d’engagement demandées s’élevaient à 370 millions d’euros dans le PLF 2018 et atteignent 1,1 milliard dans le PLF 2019.

Récapitulation des crédits par programme et titre (euros)

 

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Numéro et intitule du programme et de laction

Ouvertes en LFI pour 2018

Demandées pour 2019

Ouvertes en LFI pour 2018

Demandées pour 2019

110 – Aide économique et financière au développement

840 500 721

1 310 045 000

961 413 997

1 079 032 439

01 – Aide économique et financière multilatérale

430 870 721

71 515 000

594 361 154

648 391 535

02 – Aide économique et financière bilatérale

409 630 000

1 238 530 000

263 001 153

338 594 551

03 – Traitement de la dette des pays pauvres

0

0

104 051 690

92 046 353

209 – Solidarité à légard des pays en développement

1 843 426 432

3 209 353 520

1 739 101 535

2 018 743 769

02 – Coopération bilatérale

683 247 317

1 989 773 453

573 209 159

793 450 441

05 – Coopération multilatérale

145 095 739

188 395 739

150 809 000

194 109 000

07 – Coopération communautaire

849 852 395

878 033 740

849 852 395

878 033 740

08 – Dépenses de personnels concourant au programme "Solidarité à légard des pays en développement"

164 313 981

153 150 588

164 313 981

153 150 588

09 – Actions de co-développement

917 000

 

917 000

 

Total pour la mission

2 683 927 153

4 519 398 520

2 700 515 532

3 097 776 208

1.   La trajectoire et les priorités fixées par le CICID de février 2018

Le PLF 2019 suit de près les conclusions du dernier Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui s’est tenu le 8 février 2018 et qui a dressé la liste des priorités et fixé la trajectoire de l’aide française d’ici 2022.

Le relevé de conclusions du CICID s’efforce de présenter la nouvelle orientation de l’aide française en fixant à la fois une trajectoire budgétaire et des mesures de pilotage de l’aide, et en établissant une liste des priorités stratégiques de l’aide au développement française.

S’il est fait référence aux ODD au début du relevé de conclusions, le document présente une liste sélective de priorités, en tête desquelles figure le traitement des crises et des fragilités, et rappelle la priorité géographique africaine de l’aide française. Il dresse ainsi une liste de cinq priorités :

– Traiter les crises et les fragilités ;

– Renforcer notre effort sur l’éducation, l’enseignement supérieur et professionnel, la recherche et l’innovation, au profit de l’employabilité des jeunes ;

– Agir avec une ambition renouvelée au lendemain du Sommet One Planet en faveur du climat, mais également au profit de la biodiversité et de l’accès aux énergies renouvelables ;

– Soutenir la grande cause du quinquennat qu’est l’égalité femmes/hommes ;

– Maintenir une action résolue au profit du renforcement des systèmes de santé ;

Ces cinq priorités sont suivies d’une deuxième liste en quelque sorte subsidiaire comprenant la sécurité alimentaire et nutritionnelle et la gouvernance démocratique. Le relevé de conclusion du CICID mentionne enfin que « laide au développement est un facteur déterminant pour favoriser lemploi et linsertion professionnelle ce qui contribue à réduire les incitations aux départs par les réseaux de passeurs et, ce faisant, limmigration irrégulière. ».

L’extension de la liste des pays prioritaires, qui étaient au nombre de 17 et qui sont désormais 19 ([1]), peut surprendre. L’inclusion de la Gambie et de l’Éthiopie, après celles du Liberia et d’Haïti, soit trois pays non francophones et un pays non africain, laisse supposer que les critères d’appartenance à la liste deviennent moins stricts. Mais on aurait surtout pu souhaiter que les pays prioritaires, plutôt que de devenir plus nombreux, fassent l’objet d’une priorité plus effective, puisque malgré les règles applicables aux pays prioritaires ([2]), la structure de l’aide française est aujourd’hui telle qu’aucun de ces pays ne figure parmi les dix premiers bénéficiaires de l’aide publique au développement française. Élargir leur liste ne peut qu’accentuer cette tendance.

2.   La budgétisation de la TTF-AFD

La budgétisation de la « TTF-AFD », c’est-à-dire de la part du produit de la taxe sur les transactions financières attribuée directement à l’AFD depuis 2016, à la suite d’un amendement voté par l’Assemblée nationale, s’expliquer selon les renseignements obtenus auprès de l’administration, par la volonté de permettre un déploiement plus rapide de ces sommes par l’AFD.

Il apparaît en effet que ces 270 millions d’euros n’ont permis en 2017 que 55 millions d’euros de décaissement, les 215 millions restants s’accumulant en trésorerie et ne générant aucune APD, puisque cette dernière est comptabilisée lors du décaissement au destinataire final.

Les taxes affectées sont en effet versées chaque année et ne distinguent pas autorisations d’engagement et crédits de paiement. Il a donc été décidé de budgétiser la part de TTF affectée à l’AFD afin d’initier la hausse annoncée des engagements en dons tout en respectant la loi de programmation des finances publiques (LPFP), et tout en permettant la montée en puissance du fonds Minka, jusqu’alors financé sur la TTF affectée à la politique de développement, puisque l’intégralité du montant sera ainsi budgétisée sur les programmes budgétaires de la mission « aide publique au développement ».

Par ailleurs, le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), créé par la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, alimenté par la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et par une part du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF), conserve son montant de 738 millions d’euros.

La liste des institutions de développement pouvant bénéficier des ressources du FSD est fixée par le décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le Fonds de solidarité pour le développement. Les principales sont la Facilité internationale d’achats de médicaments UnitAid, la Facilité internationale de financement pour la vaccination (IFFIm) et du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), le Fonds vert pour le climat, l’Agence française de développement. Cette liste a progressivement été étendue, à mesure que le FSD disposait de moyens financiers accrus ([3]).

C.   La réforme du pilotage de l’aide

Le PLF 2019 n’est que la première étape vers une remise en ordre plus globale de l’aide publique au développement de la France. La trajectoire fixée par le CICID doit l’amener à représenter 0,55 % du RNB en 2022, et ce montant est encore susceptible d’augmenter par la suite.

Un tel changement d’échelle implique une consolidation de la gouvernance de l’aide. L’augmentation particulièrement rapide de l’aide bilatérale en dons implique la mise en œuvre de projets nombreux et dont la qualité doit être préservée. Le suivi des objectifs thématiques et géographiques fixés par le CICID de février 2018 implique une vision stratégique renouvelée et les moyens de la traduire dans une politique cohérente.

Pour cela, il convient de consolider enfin le dispositif de l’aide publique au développement de la France et d’achever la réforme engagée en 1998. La loi d’orientation et de programmation prévue au début de l’année 2019, devrait à ce titre remplir deux objectifs : elle devrait en premier lieu préciser la trajectoire budgétaire de l’aide française jusqu’en 2022, et en deuxième lieu consolider le pilotage de l’aide française. En attendant le dépôt de ce texte, certaines pistes de réflexion peuvent être mentionnées.

1.   La mise en place d’un dispositif d’évaluation

Le PLF 2019 marque le début d’une augmentation historique du budget de l’aide publique au développement, et votre rapporteur en prend acte. Augmenter les moyens ne suffit cependant pas à améliorer une politique, et une augmentation rapide peut même produire des effets pervers dont il convient de se garder.

L’exemple du Royaume-Uni, qui s’est fixé par la loi un objectif de dépense de 0,7 % du RNB, mérite ainsi d’être examiné brièvement. L’objectif de décaissement « à tout prix » peut aboutir à rechercher des dépenses rapides, ce qui peut conduire soit à des versements insuffisamment réfléchis à destination d’organismes multilatéraux (qui seront comptabilisés automatiquement en aide publique au développement), soit à une baisse de la qualité moyenne des projets s’ils sont insuffisamment examinés. D’une manière générale, il convient de garder à l’esprit que l’aide publique au développement a pour finalité des résultats concrets, et non l’enregistrement de montants importants auprès du CAD de l’OCDE.

Autre écueil, l’augmentation du budget de l’aide est susceptible de la rendre plus visible auprès de l’opinion publique, ce qui est une excellente chose, mais également plus vulnérable à la critique et moins consensuelle. Des dépenses plus importantes doivent pouvoir être justifiées, si possible par des résultats.

Le Royaume-Uni, conscient de ces difficultés, s’est doté d’un dispositif d’évaluation des politiques d’aide dont la France peut gagner à s’inspirer, ce qu’ont recommandé plusieurs rapports récents ([4]). La Commission indépendante pour l’impact de l’aide (ICAI) est un organisme public indépendant, non ministériel chargé de l’examen de l’aide étrangère britannique, qui présente régulièrement au Parlement des évaluations de projets ou de politiques de développement particuliers, qu’elle sélectionne elle-même, le Gouvernement étant fortement incité à corriger les éventuels problèmes relevés lors de l’évaluation.

S’inspirant ou non de ce modèle particulier, la France aura tout intérêt à se doter d’un dispositif d’évaluation indépendant et capable de mesurer l’impact concret des projets de développement qui seront financés.

2.   Un ministère de plein exercice

Au-delà du budget, c’est le pilotage de l’aide publique au développement qui doit faire l’objet d’une réforme en profondeur. Une telle réforme est aussi bien voulue par le gouvernement que par le Parlement et la plupart des acteurs de l’aide.

Cette réforme est nécessaire pour au moins deux raisons.

En premier lieu, comme votre rapporteur l’a rappelé dans l’avis budgétaire sur le PLF 2018, et comme l’ont rappelé plusieurs rapports publiés auparavant et depuis lors, l’évolution du pilotage politique de l’aide depuis la réforme de 1998 n’a pas mis fin à l’éclatement de la politique d’aide publique au développement, qui se manifeste aussi bien au niveau des services de l’État, toujours répartis entre deux ministères principaux, qu’au niveau budgétaire avec la répartition des crédits de la mission entre deux programmes, la mission ne représentant qu’une partie minoritaire des dépenses d’aide.

Il convient de rappeler que cette situation n’est pas inéluctable, puisque le Department for International Development (DFID) britannique pilote à lui seul plus de 72 % des dépenses britanniques d’aide au développement. Or, l’éclatement administratif de l’aide française et le bicéphalisme de son pilotage constituent des handicaps qui peuvent paraître surmontables dans le contexte des années 2010, mais qui le seront de moins en moins à mesure que le volume de l’aide française augmentera selon la trajectoire budgétaire fixée par le CICID.

Il est essentiel que le dispositif français soit cohérent du triple point de vue politique, administratif et budgétaire.

Du point de vue politique, il est important que l’aide française soit conduite par un ministre dont le rang lui permette de placer la politique d’aide au plus haut niveau, et d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de long terme à côté de celles qui seront adoptées en matière de défense ou de diplomatie. Placer l’aide publique au développement sous l’autorité du ministre des Affaires étrangères ne résout cependant que partiellement le problème. La multiplication des crises internationales exigeant une réponse immédiate de la France laisse en effet difficilement à un ministre le temps et la disponibilité nécessaires pour se consacrer pleinement à la définition et à la mise en œuvre de la stratégie d’aide de la France.

Du point de vue administratif, l’éclatement de l’aide en services rattachés à des ministères différents, s’il est inévitable dans une certaine mesure, doit cependant être réduit au minimum. Dans ce domaine, la coordination interministérielle ne suffit pas et risque trop souvent d’aboutir à des compromis entre priorités divergentes plutôt qu’à une véritable stratégie, chacun s’efforçant de bonne foi de remplir au mieux sa mission. Or, ce qui peut fonctionner quand l’aide représente 0,36 % du RNB risque de ne plus fonctionner quand le montant s’élève à 0,55 %, voire à 0,7 %, l’opinion publique réclamant alors que ces dépenses soient justifiées de façon compréhensible. La complexité du pilotage de l’aide peut alors être un handicap considérable.

Du point de vue budgétaire enfin, il semble difficile de prétendre disposer d’une véritable stratégie d’aide lorsque les deux ministères devant la mettre en œuvre contrôlent à eux deux environ 30 % de son montant total. L’éclatement budgétaire de l’aide, qui reflète son éclatement administratif, ne peut que rendre plus difficile la montée en puissance à venir de l’aide publique au développement de la France.

C’est pourquoi votre rapporteur recommandait dans son avis budgétaire sur le PLF 2018 que l’aide française soit regroupée, du moins pour sa plus grande partie, sous un ministère unique de plein exercice, qui lui donnerait à la fois plus de cohérence, plus de visibilité, et une plus grande place dans la définition de la politique étrangère française.

3.   Le regroupement de l’expertise

Le regroupement de l’expertise française, prévu depuis plusieurs années, devrait progresser prochainement, sans toutefois atteindre le stade d’une pleine consolidation au sein d’Expertise France.

La loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoyait que l’Agence Expertise France avait « vocation à rassembler au 1er janvier 2016 l’ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique, selon des modalités adaptées à leurs missions et statuts ».

Cette réforme a été réaffirmée lors du CICID du 8 février 2018 afin de « poursuivre la rationalisation de la mobilisation de l’expertise publique en vue de disposer d’une offre française efficace, compétitive et transversale et de permettre une articulation optimale entre opérateurs ». Les conclusions du CICID prévoyaient la conclusion de conventions entre les ministères disposant d’opérateurs non intégrés à Expertise France (Civipol, JCI, Adecia, FVI) afin de permettre à Expertise France de mobiliser directement l’expertise publique via les ministères techniques concernés. Une circulaire devait également être finalisée afin de faciliter le recours à l’expertise publique française et à sa projection à l’international.

Cette circulaire a été signée le 15 mai 2018. Elle précise le contexte et la portée de la réforme en dressant le cadre de mobilisation des viviers d’expertise des différents ministères ainsi que leurs relations avec les opérateurs de coopération technique. Le texte vise à harmoniser les pratiques et professionnaliser la mobilisation de l’expertise technique internationale. Il réaffirme les règles de mobilisation des agents (ordre de mission, détachement, mise à disposition), établit des méthodes pour développer des viviers d’experts (recensement, valorisation lors de l’évaluation professionnelle, mobilisation des retraités) et cherche à optimiser l’articulation entre ministères et opérateurs, notamment en encourageant la définition de stratégies ministérielles et la signature de conventions.

– L’articulation entre Expertise France et les ministères en charge de l’Intérieur, de la Justice et de l’Agriculture et de l’Alimentation ainsi que leurs opérateurs respectifs ont fait l’objet de nombreuses réunions lors de l’année 2018.

– Une convention cadre entre Expertise France et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a été signé le 3 juillet 2018. Elle prévoit que les projets et programmes multisectoriels, indépendamment de leur montant, relèvent de la compétence d’Expertise France. Les projets et programmes mono-sectoriels, « agricole, sanitaire ou phytosanitaire, avec composante institutionnelle, d’un montant inférieur à 1,5 million d’euros » relèvent entièrement de la compétence et de l’expertise du ministère. Pour les projets monothématiques dont le budget dépasse 1,5 million d’euros, une concertation est menée entre Expertise France et le ministère.

– Bien qu’il doive encore être signé par le ministère de la Justice, Expertise France et le Groupement d’intérêt public Justice coopération internationale (GIP-JCI), un accord a d’ores et déjà été trouvé entre ces trois institutions. Ce projet de convention cadre prévoit que les projets monosectoriels dans les domaines d’intervention du ministère de la Justice dont le budget global est inférieur ou égal à 8 millions d’euros relèvent en priorité du GIP-JCI, et inversement d’Expertise France lorsque le budget est supérieur à 8 millions d’euros. Les projets plurisectoriels comprenant une composante justice relèvent en priorité d’Expertise France, alors que les projets intra-Union européenne ainsi que les projets de jumelages relèvent de la compétence du GIP-JCI. Le texte prévoit également des modalités pour assurer un principe de subsidiarité ainsi que des mécanismes de concertation, notamment en cas de sollicitation du GIP-JCI par un opérateur étranger.

– Un accord de principe a également été trouvé entre Expertise France et le ministère de l’Intérieur. La répartition entre Expertise France et CIVIPOL sera fondée sur des thématiques et non pas sur la base d’un seuil. Dans les cas de projets pouvant relever des deux opérateurs, une répartition sera réalisée sur la base de la thématique dominante, dont l’identification sera réalisée par le type et le volume d’expertise mobilisée ainsi que le bénéficiaire dans le pays partenaire. La convention est en cours de finalisation pour une signature très prochaine.

Dans les trois cas, en conformité avec l’objectif premier de la réforme, Expertise France mobilisera directement l’expertise publique des ministères concernés soit en concertation avec les directions de la coopération internationale des ministères, soit dans le cas du ministère de la Justice, avec les établissements publics administratifs dont il opère la tutelle (ENM, ENAP).

Expertise France verra par ailleurs son modèle économique être adapté aux spécificités de ses missions d’ici à la fin de l’année 2018 par un avenant à son Contrat d’objectifs et de moyens (COM), avant qu’un nouveau Contrat ne soit signé en 2019, année lors de laquelle l’agence devrait par ailleurs intégrer le groupe Agence française de développement (AFD). La subvention de transformation de l’opérateur, qui devrait initialement prendre fin après 2018, sera renouvelée en 2019 grâce à des mesures nouvelles prévues sur les programmes 209 et 110, inscrites au projet de loi de finances pour 2019.

Si la croissance de l’activité de l’agence entre 2015 et 2018 est principalement due à l’obtention de financements multilatéraux, la commande publique de l’État est également montée en puissance depuis la création d’Expertise France et devrait représenter 28 M€ en 2018 sur financement des programmes 110, 155, 209 et 124. Par ailleurs, le soutien de l’État à l’Agence est également visible à travers la délégation de gestion et la mise en œuvre de l’Initiative 5 % mise en place par le MEAE dans le cadre du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (7 % de la contribution française au Fonds Mondial, soit 25 millions d’euros en 2018). Les financements obtenus auprès de l’AFD dans le domaine de la gouvernance devraient s’élever à 3,6 millions d’euros en 2018, mais ces montants ont vocation à augmenter et atteindre un volume d’activité de 25 millions d’euros par an, tel qu’acté lors du transfert de cette compétence à l’AFD en avril 2016.

4.   Le projet de rapprochement entre Expertise France et l’AFD

Enfin, le CICID du 8 février 2018 a décidé l’intégration à horizon mi-2019 d’Expertise France au sein d’un groupe AFD élargi qui doit permettre de « créer des effets de levier en nous appuyant sur une expertise technique consolidée et des partenariats forts ».

Ce rapprochement constitue tout d’abord une réponse à des besoins apparus depuis la création d’Expertise France :

– Il participe au modèle économique d’Expertise France, dont l’objectif d’autofinancement à horizon 2020 est difficile à concilier avec son obligation de se positionner sur des projets stratégiques pour l’État, souvent non rentables. La montée en charge des crédits d’APD gérés par l’AFD et potentiellement fléchés vers Expertise France, ainsi que la mutualisation de certaines fonctions support et du réseau international contribueront ainsi à l’équilibre économique de l’opérateur.

– Il permettra à Expertise France de se développer en s’appuyant sur les structures de l’AFD. Alors que l’établissement public voit son activité et ses effectifs croître rapidement (192 millions d’euros de chiffre d’affaires prévus en 2018, 331 salariés au siège et 400 experts dans le monde), il fait face aux défis de son développement : il a besoin d’un réseau international, de fonctions support consolidées (ressources humaines, direction juridique, direction des achats, direction des systèmes informatiques), de systèmes informatiques et logiciels de projets performants. Dans ce contexte, le rapprochement avec l’AFD permettra de réaliser des économies d’échelle significatives et offrira à Expertise France les moyens de développer ses ambitions à l’international. Au plan des ressources humaines, il constituera une opportunité pour le personnel d’Expertise France comme pour celui de l’AFD, puisque les mouvements entre établissements seront encouragés.

Le rapprochement vise aussi à renforcer l’offre française dans le champ du développement :

– Il encouragera une meilleure collaboration entre les deux opérateurs dans le champ du développement. Jusqu’ici, les deux opérateurs peinent à agir de consert, alors même que des objectifs ambitieux ont été fixés (25 millions d’euros par an de volume d’activité transmis à EF), et sont en concurrence sur certains projets. La perspective du rapprochement a déjà modifié la tendance puisque les projets attribués par l’AFD à Expertise France dans le champ de la gouvernance se sont multipliés en 2018.

– Il permettra de construire une offre française d’aide au développement plus complète et cohérente. Tout d’abord, le rapprochement débouchera sur un opérateur unifié et plus facilement identifiable de la politique du développement, à l’instar de la JICA japonaise. Il offrira donc l’avantage de la lisibilité vis-à-vis des bénéficiaires étrangers et des bailleurs tiers. Ensuite, le rapprochement renforcera le continuum d’outils d’aide de la nouvelle entité, lui permettant de couvrir l’ensemble du cycle projet. Ainsi, l’AFD sera dotée d’une offre complète en adjoignant à son offre financière une composante expertise mobilisable non seulement pour la mise en œuvre de prestations mais aussi pour l’instruction de projets. Cette offre d’expertise technique devra notamment permettre à l’AFD de renforcer, la compétitivité « hors prix » de son activité sur prêt et d’affirmer son positionnement en matière de « définition, pilotage et mise en œuvre des politiques publiques » conformément aux dispositions du CICID du 8 février et à son Plan d’Orientation Stratégique. En s’appuyant sur l’expertise technique, le groupe AFD devra également être en capacité d’accélérer et d’optimiser ses capacités de mise en œuvre afin d’obtenir des effets de levier en termes de mobilisation de ressources, d’influence et d’impact.

5.   L’équilibre économique des activités l’Expertise France au sein de la nouvelle structure

Le modèle économique proposé lors de la création d’Expertise France devra cependant être adapté.

Le modèle économique d’Expertise France proposé lors de la création de l’établissement est celui de l’autofinancement, qui devait être atteint au plus tard en 2019, première année prévue initialement sans subvention de fonctionnement versée à l’établissement (neuf millions d’euros en cumulé prévus entre 2015 et 2018 pour accompagner la fusion).

Plusieurs facteurs ont cependant remis en cause la soutenabilité de ce modèle économique :

– L’opérateur doit répondre aux priorités de politique publique française, ce qui implique qu’il se positionne sur des projets de faible ampleur (montants inférieurs à un million d’euros), faiblement rémunérateurs et nécessitant des coûts de gestion importants. Il doit pourtant continuer à répondre à une mission de service public justifiant son positionnement sur des contrats parfois non rentables mais stratégiques pour la France ;

– L’opérateur a construit sa croissance en s’appuyant largement sur des contrats de gestion déléguée octroyés par l’Union européenne, dont les prix sont administrés et qui génèrent des taux de marge (autour de 7 %) inférieurs à ses frais de structure (autour de 15 % nécessaires). Les contrats avec des bailleurs tiers, notamment multilatéraux (banque mondiale, FMI) sont plus rémunérateurs, mais Expertise France peine encore à se positionner sur de tels projets ;

– L’opérateur a généré au cours de ses premières années de développement des gains de productivité insuffisant. Si son chiffre d’affaires et ses effectifs ont crû rapidement (124 millions d’euros en 2015 à 192 millions d’euros en 2018), la croissance d’Expertise France ne s’est pas accompagnée de gains de productivité nécessaires à l’absorption des coûts de structure associés. Des chantiers internes doivent être finalisés, tels que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou la mise en place d’outils informatiques de gestion de projet, alors que de nombreux recrutements ont été réalisés ces dernières années.

Le rapprochement avec l’AFD doit contribuer à l’adaptation de ce modèle économique, en s’appuyant sur des exemples étrangers et en impliquant un soutien renouvelé de l’État pour compenser les dépenses liées aux missions de service public. Les travaux actuellement menés alimenteront le nouveau COM de l’établissement, réalisé conjointement avec celui de l’AFD.

Déjà, le rapprochement avec l’AFD offre un certain nombre de réponses aux difficultés économiques rencontrées par Expertise France :

– La montée en charge des crédits d’Aide publique au développement gérés par l’AFD (cinq milliards d’euros d’ici 2020) pourra être mise à profit par Expertise France ;

– L’adossement à l’AFD sera l’occasion d’améliorer les gains de productivité d’Expertise France en s’appuyant sur les structures de l’AFD

Dans ce contexte, le soutien de l’AFD à l’opérateur Expertise France sera essentiel à la viabilité de son modèle économique.


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II.   Le défi urbain

La réémergence de l’aide publique au développement de la France s’accompagne d’une liste de priorités thématiques pertinente : fragilités, éducation, égalité entre femmes et hommes et santé. L’aide au développement française a cependant besoin d’une véritable stratégie de développement incluant une hiérarchie des priorités sectorielles et géographiques, ce qui suppose une réflexion plus globale, permettant de combiner entre elles ces différentes thématiques.

Le défi urbain semble à votre rapporteur un axe de réflexion particulièrement pertinent dans ce cadre. Quelques chiffres suffisent à souligner l’importance de la question urbaine.

D’après la Banque mondiale, la population mondiale est à 54 % urbaine en 2017 et a dépassé 50 % en 2007. La population urbaine africaine est estimée par la Banque mondiale à 472 millions de personnes en 2017 et devrait atteindre un milliard de personnes en 2100. La ville de Lagos est passée de 200 000 habitants en 1960 à près de 20 millions aujourd’hui, et pourrait atteindre près de 90 millions en 2040, d’après des recherches récentes. ([5]) La question du développement concerne, par conséquent, de plus en plus des populations urbaines et non rurales.

Or, plutôt qu’une thématique propre, le développement urbain est plus souvent abordé comme un versant de presque chaque grande thématique du développement (gouvernance, environnement, transport, assainissement, alimentation en eau, éducation, santé, etc.) Il existe même dans certaines villes une agriculture urbaine, constituée de petites parcelles, qui permet de compléter l’alimentation des populations locales.

Plus généralement, la question qui se pose est celle du type de ville souhaité dans l’avenir : veut-on des villes étendues, ou moins étendues et plus denses ? La question de l’étalement urbain se pose-t-elle dans un continent comme l’Afrique où la densité de population est en moyenne relativement faible ? Le développement de villes secondaires est-il une réponse adaptée à l’exode rural ?

La France attache une grande importance au développement urbain dans le cadre de sa politique d’APD, conformément aux objectifs de développement durable et aux orientations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Elle a intensifié son action en la matière au cours des cinq dernières années, d’une part à travers un rôle actif dans le processus Habitat III, d’autre part à travers l’augmentation des crédits de l’AFD consacrés à ce domaine.

La politique de développement urbain de la France a pour objectifs la réduction de la pauvreté urbaine, et la mise en place de villes durables, inclusives socialement et résilientes sur le plan environnemental.

Il ne peut y avoir de ville durable si sont maintenus à l’écart certains quartiers ou populations fragiles, qui constitueront autant de foyers d’insécurité et de crises humaines. C’est pourquoi la France s’attache prioritairement à favoriser les conditions d’une gouvernance urbaine tournée vers un objectif d’inclusion sociale et de réduction des ségrégations spatiales, dans le cadre d’une décentralisation effective.

Par ailleurs, la France dispose dans le domaine de la coopération urbaine d’un savoir-faire reconnu et d’avantages comparatifs importants (outil de financement des collectivités locales de l’AFD, leadership des entreprises prestataires de services urbains, dispositif unique de coopération décentralisée de collectivités locales, expertise des professionnels de l’urbanisme).

Le MEAE s’attache à promouvoir ces positions et ces atouts dans les instances multilatérales. Sur la base de ces orientations politiques, l’AFD met en œuvre des projets qui contribuent à la réalisation de l’ODD 11 sur les villes durables, conformément à son cadre d’intervention stratégique « Villes durables ».

A.   L’action multilatérale

Les crédits du 209 mis en œuvre par les postes ou la centrale ne finançant plus de projets de gouvernance, l’action du MEAE en matière de gouvernance urbaine se concentre désormais sur l’animation des partenariats et l’élaboration des stratégies et des positions multilatérales de la France.

1.   Une participation active dans le débat international sur le développement urbain

La France a joué un rôle moteur dans le cadre de la 3e conférence des Nations unies sur les établissements humains, dite Processus Habitat III (Quito, octobre 2016), qui a débouché sur l’adoption du Nouvel agenda urbain, cadre normatif international pour le développement urbain. Elle a veillé notamment à mettre l’accent sur le lien entre climat et développement urbain, la réponse au défi climatique se trouvant en grande partie dans les villes, qui n’occupent que 3 % de la masse continentale mondiale, mais émettent plus de 70 % du dioxyde de carbone mondial et consomment entre 60 à 80 % de l’énergie mondiale.

La France a également assuré, avec l’Équateur, la co-présidence du comité préparatoire d’Habitat III et le MEAE a apporté un soutien financier et humain au secrétariat d’Habitat III, avec des contributions de 90 000€ en 2013, de 40 000€ en 2014 et de 30 000€ en 2015, et a financé un poste de jeune expert associé (JEA) (2014-2016) au sein du bureau du directeur exécutif.

La France a enfin été très active lors du 7ème forum mondial à Medellin en 2014 et du 9ème à Kuala Lumpur, du 7 au 13 février 2018, où elle a été représentée par une délégation de près de 60 représentants de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises, du monde de la recherche et des ONG.

2.   L’animation du réseau des acteurs français de l’urbain à l’international

Afin de coordonner la présence française lors d’événements internationaux et de valoriser les positions et les atouts de notre pays en matière de développement urbain, le MEAE co-anime le partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT), avec le ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) et le ministère de la cohésion des territoires (MCT).

Lancé en 2011, sous l’impulsion du MEAE, ce partenariat rassemble les acteurs français de l’urbain dans toute leur diversité : administrations, établissements publics, collectivités locales, professionnels, secteur privé, organisations de la société civile, organismes de recherche et de formation.

De 2013 à mars 2018, le Secrétariat technique du PFVT a été assuré par Expertise France, ce qui a permis d’animer des groupes de travail, d’élaborer des positions politiques et de coordonner la présence française lors d’évènements internationaux (6e et 7e Forums urbains mondiaux, Sommet des collectivités locales africaines Africités, Conférence Habitat III).

Le financement du PFVT est assuré majoritairement par le MEAE. Entre août 2013 et 2015, il a contribué à 78 % du financement, dans le cadre d’un marché de 444 912€ TTC le liant à Expertise France, et il a versé une subvention de 100 000€ pour la période janvier 2017-mars 2018.

Les principaux partenaires multilatéraux de la France sont les suivants :

a.   ONU-Habitat

ONU-Habitat constitue pour la France un partenaire stratégique qui lui permet notamment de valoriser l’expertise des acteurs français de la coopération urbaine.

La France a suspendu en 2009 sa contribution volontaire à ONU-Habitat ; en revanche, elle a décidé de financer de nouveaux postes de Jeunes experts associés à ONU-Habitat. De plus, le MEAE a alloué des contributions ciblées à ONU-Habitat sur des programmes qui permettaient de promouvoir l’approche française du développement urbain.

b.   Cities Alliance

Cities Alliance est la principale plateforme internationale sur le développement urbain. Multipartenariale, elle rassemble des organisations multilatérales (Banque mondiale, ONU Habitat), des gouvernements nationaux, des réseaux de ville, des ONG et des universités.

Il s’agit d’un programme onusien, hébergé par l’agence de mise en œuvre des Nations unies (UNOPS). Cities Alliance met en œuvre des projets de lutte contre la pauvreté urbaine et conduit des actions de plaidoyer sur le développement urbain. La France en est membre et a versé, jusqu’en 2014, une contribution partagée entre l’AFD (contribution triennale de 450 000 $) et le MEAE (100 000$ par an). En 2015, le MEAE a versé une contribution de 100 000€ ; en 2016, 2017 et 2018, 80 000€ annuel. Par ailleurs, le MEAE met à disposition du secrétariat technique un expert technique international depuis 2012.

c.   Cités et gouvernements locaux unis (CGLU)

Créée en 2004, CGLU est la plus grande organisation de gouvernements locaux au monde, regroupant plus de 1000 villes et associations. La France compte parmi les partenaires les plus actifs de CGLU. La mission de la gouvernance démocratique (DGM/DDD/GOUV) du MEAE appuie CGLU principalement à travers un appui en termes d’expertise technique. Un ETI a été mis à disposition du secrétariat exécutif de 2010 à 2016 (135 000 €/an). Un autre ETI est mis à disposition de la commission des finances locales et du développement de CGLU depuis 2011 (135 000€/an).

La Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DGM/DAECT) du MEAE a appuyé le programme d’actions de la Commission Méditerranée de CGLU à hauteur de 40 000 € par an (2013-2015).

3.   Les annonces du One Planet Summit en lien avec le sujet de la ville durable

Deux ans, jour pour jour, après l’accord de Paris, le sommet One Planet Summit, qui s’est tenu le 12 décembre 2017 à la Seine musicale, entendait poursuivre l’effort en rassemblant les acteurs de la finance publique et privée. L’objectif était de réfléchir aux moyens pour innover, soutenir et accélérer notre lutte commune contre le changement climatique. Des annonces en lien avec le sujet de la ville durable ont été faites à cette occasion :

a.   Création de la plateforme de financement de 100 projets « Eau et Climat » pour l’Afrique :

L’Afrique est l’un des continents les plus vulnérables au changement climatique. Deux banques de développement, 5 alliances représentant plus de 450 signataires issus de 94 pays, et 47 entreprises s’engagent pour créer une plateforme d’incubation de projets, avec l’objectif de faire naître 100 projets en Afrique sur les 5 prochaines années, dans les domaines de l’eau et du changement climatique. L’objectif principal de cette plateforme est de mettre efficacement en relation les bailleurs et les acteurs de terrain, avec un montant espéré de 20 millions d’euros pour initier des projets sur la période. L’incubateur soutiendra des projets à différentes échelles, allant du bassin et des municipalités à de petits projets locaux.

b.   « Global Urbis » : la création d’un cadre commun entre les villes pour simplifier leur accès aux financements Climat

Sous l’impulsion de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), le Global Covenant of Mayors, la Commission européenne et la Banque européenne d’investissement, le programme « Global Urbis » permettra aux villes et aux régions européennes et du bassin méditerranéen d’accéder plus facilement à des fonds publics et privés pour mettre en œuvre leur plan Climat et accélérer ainsi leur transformation vers des villes durables.

c.   Alliance mondiale des villes et des régions pour lancer des marchés publics bas carbone

Le C40, réseau des 90 métropoles, le Global Covenant of Mayors, CGLU et ICLEI, s’allient pour lancer des commandes publiques vertes (infrastructures durables, mobilité verte, logement zéro émission, efficacité énergétique, etc.), dans un cadre concerté.

d.   Coalition neutralité carbone : 16 pays et 32 villes s’engagent à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050

Menée par les Iles Marshall et la Nouvelle Zélande, la coalition Towards Carbon Neutrality, mobilise aujourd’hui 16 pays dont la France qui s’engagent à publier dès 2018 et au plus tard en 2020, une trajectoire « neutralité carbone » à l’horizon 2050. Par ailleurs 32 villes dont Paris et de nombreuses entreprises ont également pris un engagement de neutralité carbone.

e.   8 pays et 10 partenaires s’engagent pour les transports décarbonés et les solutions de mobilité verte.

Les transports représentent environ 15 % des émissions anthropiques mondiales de CO2. Face à l’urgence de s’engager pour une transformation profonde de la mobilité, huit pays dont le Portugal, les Pays-Bas, le Costa Rica et la France, avec l’appui des acteurs de la plateforme PPMC (Paris Process on Mobility and Climate), créent une alliance pour travailler ensemble à des feuilles de route de décarbonation des transports et pour accroitre les investissements dans les transports propres. Des entreprises de premier plan dans le domaine de la mobilité, comme Michelin ou Alstom, adhèrent à cette alliance, de même que des villes ou régions du monde (Etat du Colorado, ville de Paris, etc.).

f.   CREWS (systèmes d’alerte précoce aux catastrophes du climat)

Sous l’effet du changement climatique, les catastrophes naturelles se multiplient (sécheresses, tempêtes, cyclones, inondations) et 90 % sont liées à l’eau. Les coûts humains et financiers sont considérables, notamment dans les territoires urbanisés. Dans les pays les plus vulnérables, les données météorologiques sont souvent peu fiables voire totalement absentes. La France a lancé à la COP 21 l’initiative CREWS qui vise à renforcer les systèmes d’alertes précoces face aux risques hydrométéorologiques dans les pays les plus vulnérables et y a contribué à hauteur de 15 millions d’euros à ce jour.

B.   L’action bilatérale des opérateurs

Le tableau ci-dessous présente l’évolution des autorisations annuelles d’engagement de l’AFD relevant du secteur CICID « Infrastructures et développement urbain » depuis 5 ans, par types d’instruments, toutes géographies confondues :

Autorisations dengagement de lAFD (en M€) dans les États étrangers (y compris les activités sur ressources autres bailleurs) (1) Hors FFEM à partir de 2015.

1.   La stratégie de l’AFD dans le secteur « Infrastructures et développement urbain »

Le secteur « Infrastructures et développement urbain » (CICID 2013) englobe différents domaines d’intervention de l’AFD tels que le développement urbain, l’énergie, les transports, les télécommunications et le numérique. Plusieurs cadres d’intervention sectoriels (CIS) de l’AFD sont ainsi mobilisés : « Villes durables », « Énergie », « Transports » et « Numérique ».

i.   Développement urbain

En matière de développement urbain, les interventions de l’AFD s’inscrivent dans son Cadre d’intervention sectoriel (CIS) « Villes durables » 2014-2017, dont les objectifs sont les suivants :

– promouvoir des villes respectueuses de l’environnement et sobres en carbone ;

– favoriser la cohésion sociale et des villes accessibles à tous les habitants ;

– renforcer les dynamiques économiques locales et la création d’emplois ;

– financer et accompagner les stratégies de développement territorial des acteurs urbains locaux (objectif transversal).

La ville durable est un processus intégrant conception, planification et gestion urbaine, et piloté par des acteurs locaux. Les bénéficiaires finaux des financements de l’AFD en matière de développement urbain sont divers (collectivités territoriales, opérateurs urbains nationaux ou locaux, Institutions financières spécialisées (IFS), fonds municipaux, États). L’AFD mobilise également une gamme de produits différenciés et adapte ses modalités d’intervention aux contextes locaux : prêts directs à la collectivité ou à son opérateur urbain public, avec ou sans garantie de l’État ; prêts aux États rétrocédés ou non à la collectivité ; lignes de crédit ; prêts au bénéfice de fonds de développement municipaux ou d’IFS et interventions en garantie.

L’AFD occupe un positionnement singulier parmi les bailleurs et une place de précurseur dans ses modalités d’intervention, caractérisée notamment par une approche territoriale impliquant les acteurs locaux et la démocratie locale, une offre financière flexible et adaptée au contexte de la décentralisation, la mise en place d’un volet de renforcement de capacités ou de coopération technique en appui au financement du projet, la mobilisation des expertises françaises, publiques et privées et la mobilisation des coopérations décentralisées.

ii.   Énergie

Le secteur énergétique mondial connaît de profondes mutations sous les effets conjugués de la demande croissante des pays émergents, de la prise en compte du changement climatique, de la compétitivité accrue des énergies renouvelables et de la modernisation et du développement de l’intelligence dans les réseaux et les usages. Trois axes d’intervention ont été retenus par le Cadre d’intervention sectoriel (CIS) « Énergie » 2012-2016 :

– privilégier les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique (maîtrise de la demande) ;

– réduire la fracture énergétique et développer l’accès en zones rurales et suburbaines afin que le plus grand nombre puisse bénéficier d’un service énergétique ;

– sécuriser et renforcer les systèmes énergétiques.

Ces trois axes, complétés par un axe transversal de renforcement des politiques énergétiques et des capacités des acteurs, sont en pleine conformité avec les orientations de la LOPPDSI relatives au secteur de l’énergie. Ils se déclinent de manière différenciée selon les géographies. Suivant les contextes, les interventions de l’AFD dans le secteur de l’énergie s’adressent à des acteurs publics et privés, directement ou à travers l’intermédiation bancaire (lignes de crédit). Une nouvelle stratégie sur l’Énergie devrait être adoptée d’ici la fin de l’année.

iii.   Transports

L’activité de l’AFD dans le secteur des transports répond à des enjeux multiples dans les pays en développement :

– à l’échelle internationale : soutien à la croissance économique, intégration régionale, insertion dans les échanges internationaux ;

– à l’échelle nationale : désenclavement des territoires et réduction des disparités spatiales ;

– aux échelles locales, dans les territoires urbains et ruraux : accès aux emplois et aux services et équipements de base (santé, éducation) avec des enjeux spécifiques de sécurité alimentaire dans le monde rural et l’enjeu de la qualité de vie dans des villes à la croissance non contrôlée.

À ces différentes échelles territoriales, l’AFD cherche à promouvoir à travers ses projets un transport performant et efficace, sûr, inclusif et « vert ». Elle priorise fortement les transports collectifs urbains et le transport ferroviaire à longue distance. Elle examine en Afrique subsaharienne les opportunités de financement de ports et d’aéroports ainsi que quelques projets routiers.

La mise en œuvre de cette stratégie s’est accompagnée d’un engagement fort pour valoriser le rôle du transport dans la lutte contre le changement climatique, à travers notamment l’initiative « Mobilize Your City », lancée à la COP21 et qui vise à accompagner une planification intégrée et sobre en carbone de la mobilité urbaine.

iv.   Télécommunications et numérique

Les interventions de l’AFD dans les technologies de la communication et de l’information, demeurent faibles en volume. Le secteur privé venant compléter l’investissement public, les projets auxquels l’AFD participe aujourd’hui sont liés soit aux grands axes d’échanges régionaux, soit au déploiement de la couverture universelle haut débit. PROPARCO finance quant à elle les opérateurs de téléphonie mobile sur des marchés désormais largement ouverts à la concurrence.

Les inégalités numériques sont fortes, en particulier dans les pays en voie de développement : déséquilibre d’accès aux infrastructures et services numériques, maîtrise inégale des usages et des techniques, manque de contenus locaux, cyber-vulnérabilité, déficience des politiques publiques ou faiblesse des écosystèmes d’innovation numérique. C’est pourquoi l’AFD participe à mettre le numérique au service de l’Agenda 2030, pour accélérer les trajectoires de développement et l’atteinte des ODD, vers la réduction des inégalités numériques et la promotion de l’innovation porteuse de développement.

Les interventions du groupe dans le secteur numérique se déclinent selon 4 axes :

– appui à la réalisation d’une connectivité universelle par l’extension, le renforcement et la sécurisation des infrastructures numériques ;

– intégration du numérique dans tous les secteurs d’intervention ;

– l’utilisation des sciences des données et des plateformes pour plus d’ouverture, de redevabilité, et des impacts plus significatifs, plus rapides et mieux quantifiés ;

– appuis aux startups et à l’écosystème d’innovation.

2.   L’évolution des financements de l’AFD dans le secteur « Infrastructures et développement urbain »

L’engagement de l’AFD dans le secteur des infrastructures et du développement urbain s’inscrit dans l’agenda des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui préconise un développement fondé sur des infrastructures résilientes et fiables (ODD 9), l’accès de tous à des services énergétiques durables et modernes (ODD 7) et l’essor de villes et d’établissements humains ouverts, sûrs, résilients et durables (ODD 11) qui assurent l’accès de tous à des systèmes de transport viables.

Le volume d’autorisations d’engagement de l’AFD dans les États étrangers consacré à cet ensemble est resté relativement stable en 2015 et 2016, et a connu une forte hausse en 2017 pour atteindre un montant record de 3,5 milliards d’euros (soit une augmentation de 36 %). Le secteur dans son ensemble reste le premier secteur d’intervention de l’AFD en volume d’autorisations d’engagement, représentant 46 % du total en 2017.

Les financements de l’AFD en matière d’infrastructures et de développement urbain mobilisent principalement des prêts (trois milliards d’euros en 2017), qui sont en grande majorité des prêts souverains (59 % en 2017).

En termes de répartition géographique, les octrois en 2017 bénéficient en priorité à l’Afrique Subsaharienne avec 1,6 milliard d’euros (44 % des octrois). L’Asie-Pacifique et les pays de la région Méditerranée et Moyen-Orient totalisent respectivement 865 millions d’euros et 780 millions d’euros. 320 millions d’euros ont été octroyés en Amérique latine (soit 9 % du secteur). Le reste des autorisations d’engagement en 2017 concerne les projets multi-pays (2 millions d’euros).

Ces montants sont déclinés par sous-secteurs dans le tableau ci-dessous (sous-secteurs du CICID 2013) :

 

Autorisations dengagement de lAFD (en M€) dans les États étrangers (y compris les activités sur ressources autres bailleurs) (1) Hors FFEM à partir de 2015.

C.   Un besoin de moyens important

Ces quelques éléments montrent que la question du développement urbain est une composante significative de la politique d’aide de la France, qui lui consacre des montants importants ainsi qu’une part significative de ses ressources en expertise. Votre rapporteur juge cependant utile d’insister sur le fait que la réponse au défi urbain peut constituer l’un des principaux axes stratégiques de l’aide française. Les auditions conduites dans le cadre de l’élaboration du présent rapport ont permis de dégager les pistes de réflexions suivantes.

Concernant les moyens à mettre en œuvre, plusieurs interlocuteurs ont insisté sur l’ampleur du défi à relever, en particulier en ce qui concerne le continent africain. D’une manière générale, les ODD de 2015 ont étendu le champ d’intervention de l’aide au développement d’une manière telle que l’expression « aide publique au développement » semble de moins en moins pertinente. Plus concrètement, l’ampleur des objectifs affichés rend nécessaire la mobilisation de fonds autres que les budgets d’aide des États. Rechercher l’implication du secteur privé est désormais nécessaire, ce qui passe par la promotion de l’idée d’un retour sur investissement en matière de développement. Or, les projets touchant au développement urbain sont souvent des projets de long ou moyen terme, dont les effets ne deviennent palpables qu’auprès une ou plusieurs décennies.

Il en va également ainsi des projets impliquant du « soft », c’est-à-dire de la formation ou de l’expertise, et les projets de ce type sont particulièrement importants en matière de développement urbain.

Ainsi, la gouvernance est évidemment cruciale dans le développement et la bonne gestion d’une ville. Or, la bonne gouvernance implique non seulement la formation d’élus et de responsables, mais également la mise en place de bonnes relations entre eux et les sociétés civiles locales. La construction de sociétés robustes est cependant un domaine coûteux dans lequel les résultats sont extrêmement difficiles à évaluer.

D’autres investissements sont nécessaires mais se situent très en amont. Par exemple, M. Serge Michailof, auditionné dans le cadre de la préparation du rapport, a fait remarquer que l’étalement urbain non contrôlé peut avoir pour conséquence l’impossibilité d’installer des voies de communication ou des infrastructures dans les zones récemment urbanisées. Il est donc important d’anticiper l’étalement, si on ne peut pas l’éviter, et de réserver à l’avance les terrains où seront installées ces infrastructures, mais une telle opération est souvent compliquée du fait de l’absence d’un cadastre clair dans les villes concernées. Or, la stabilisation des droits de propriété fonciers peut être une opération complexe, voire politiquement délicate au niveau local.

Une question centrale en matière de planification urbaine est celle des villes secondaires. L’exode rural en Afrique tend à se diriger naturellement vers les côtes et les villes principales. L’émergence de villes moyennes peut canaliser une partie de ces mouvements de population vers des centres urbains moins engorgés et surtout moins étendus, donc compatibles avec l’existence d’une production agricole dans leur voisinage, permettant ainsi de limiter les coûts et l’impact du transport de produits alimentaires. Les villes secondaires présentent en outre un avantage non négligeable du fait qu’elles constituent des « pages blanches » en termes de développement. La création d’infrastructures modernes peut être plus simple que la modernisation d’infrastructures anciennes.

Mais encore une fois, il est extrêmement difficile d’évaluer à l’avance le succès d’une ville secondaire, et le sujet mérite certainement d’être étudié attentivement. La promotion d’une ville comme Dodoma, en Tanzanie, qui est devenue la capitale de cet État, semble ainsi obéir à des motivations en partie politiques, et constitue donc une démarche différente de celle consistant à aider au développement d’une ville située sur un nœud routier et susceptible de se développer du simple fait de son positionnement géographique. Soutenir une « métropole d’équilibre » est un projet ambitieux dont le retour sur investissement est, encore une fois, tardif et difficile à évaluer.

Concernant la mobilisation des moyens nécessaires à ces différentes politiques, un atout particulier de la France est le rôle pionnier joué par l’AFD dans le domaine du prêt non-souverain. Comme l’a signalé M. Rémy Rioux, directeur de l’AFD, auditionné dans le cadre de la préparation de ce rapport, la capacité d’endettement de l’Afrique est souvent sous-estimée. Si les États africains sont récemment entrés dans une phase d’endettement qui limite leur capacité d’emprunt, il n’en va pas de même du continent en général, dont la dette ne représente actuellement qu’environ 30 % de son PIB. Le problème est donc plutôt celui de la capacité de financement des acteurs non-souverains comme les villes. Permettre aux villes d’emprunter implique de les aider à devenir solvables, ce qui implique de renforcer leurs capacités de collecte de revenus locaux, fiscaux ou autres. Encore une fois, de tels projets impliquent beaucoup de « soft », et laissent espérer des résultats qui ne seront pas nécessairement immédiats.

Enfin, un point important mérite d’être signalé. Le rôle de la coopération décentralisée en matière de développement urbain est à l’évidence crucial. Les collectivités territoriales urbaines françaises possèdent à la fois les compétences techniques et l’expérience de terrain dont ont besoin les villes des pays destinataires de l’aide. L’AFD, notamment du fait de son rapprochement avec la Caisse des Dépôts et Consignations, s’efforce de mobiliser cette expertise. La difficulté à mobiliser l’action des territoires a fait l’objet de plusieurs rapports, dont celui de votre rapporteur dans le cadre de l’examen du PLF 2018, et il ne semble pas nécessaire d’y revenir ici.

Il a toutefois été signalé à votre rapporteur, lors de l’audition de Cités Unies France conduite dans le cadre de la préparation du rapport, que l’action des collectivités territoriales se trouve actuellement limitée par l’article 13 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, qui fixe pour les collectivités territoriales un objectif d’augmentation des dépenses de fonctionnement de 1,2 %. Or, selon Cités-Unies France, une dépense faite au titre de la Facilité de financement des collectivités territoriales françaises (FICOL) se trouve intégralement prise en compte pour la réalisation de cet objectif, bien que la plus grande partie d’une telle dépense fasse l’objet d’une subvention de l’AFD et se trouve donc remboursée à la collectivité.

Cette interprétation de la loi amène donc les collectivités territoriales françaises à limiter leur activité internationale sans véritable justification, et, apparemment, sans lien avec l’intention initiale du législateur. Si tel est le cas, il semble nécessaire que le Gouvernement corrige ce problème.

Pour conclure cette brève présentation de la politique d’aide française face au défi urbain, il apparaît que le développement urbain constitue un axe pertinent de réflexion stratégique. La question des villes est à la croisée de la quasi-totalité des différentes thématiques du développement, elle est appelée à devenir de plus en plus centrale, mais elle présente également des difficultés particulières en raison de l’ampleur des tâches à accomplir et, surtout, de la capacité d’anticipation nécessaire à leur accomplissement.

Il paraît toutefois essentiel que l’aide française, une fois dotée des moyens dont elle a besoin et d’une gouvernance susceptible de les mettre en œuvre de façon optimale, produise une stratégie d’aide cohérente et concrète, dont la problématique urbaine devrait constituer l’un des axes principaux.

 


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   Conclusion

Si l’on souhaite que l’aide publique au développement française se mette à la hauteur des enjeux actuels, il paraît difficile de ne pas voter ce budget, qui traduit une véritable volonté de la doter des moyens dont elle a besoin.

La hausse des crédits de paiement et surtout autorisations d’engagement est à la hauteur des ambitions affichées par le CICID de février 2018. Le regroupement de l’expertise et le rapprochement d’Expertise France du groupe AFD, dans la continuité du rapprochement entre l’AFD et la Caisse des Dépôts, traduisent l’ambition de doter la France d’un outil de développement puissant et polyvalent qui nous rapprochera de nos partenaires allemands ou britanniques.

La réforme du pilotage politique que votre rapporteur appelle de ses vœux permettrait une conduite de notre politique d’aide plus stratégique, mieux coordonnée avec les autres aspects de notre politique étrangère, et plus en mesure de s’attaquer à des défis tels que celui de l’expansion urbaine, dont ce rapport s’est efforcé de tracer les grandes lignes. Une telle réforme dépasse cependant le cadre d’une loi de finance. La loi d’orientation et de programmation à venir au début de l’année 2019 sera la prochaine étape de la remise sur pied de notre politique d’aide.

Pour ces différentes raisons, votre rapporteur émet un avis favorable sur les crédits de la mission « Aide publique au développement ».

 


—  1  —

   Contribution de M. Jean-Paul Lecoq au nom
du groupe GDR

 

Contribution écrite

Rapport budgétaire PLF 2019 — APD

Jean-Paul LECOQ

2018

 

La ligne des « 3D » proposée par le Président Macron dès 2017 consiste à prioriser pour les Affaires étrangères la défense, la diplomatie et le développement.

Depuis, notre Parlement a vu se concrétiser la loi de programmation militaire, qui valide la position pro-militaire de notre gouvernement. Le « D » de la Défense est donc pleinement satisfait.

Mais les deux autres « D » sont à la peine : la diplomatie est totalement dépouillée depuis des années et est si faible que cela en devient dangereux pour la crédibilité de la France à l’international.

Enfin, le 3e « D », celui du développement, tarde à monter en puissance bien que l’année 2018 annonce le début d’une nouvelle dynamique budgétaire dans ce secteur, que l’on peut saluer.

Le Conseil interministériel de coopération et de développement (CICID) de février 2018 a en effet permis d’établir clairement des objectifs à atteindre, tant qualitatifs que quantitatifs. L’annonce de la loi de programmation de l’APD qui sera débattue en 2019 est également une bonne nouvelle puisque les députés communistes soulignent sans cesse le besoin de bénéficier d’une trajectoire financière afin de comprendre et d’anticiper les futurs budgets de l’APD.

Concernant le budget 2019, le milliard d’euros d’autorisation d’engagement proposé est une nouvelle positive. Mais il faudra rester attentif à la transformation de ces autorisations d’engagement en crédits de paiement dans les années à venir.

Toutefois, nous déplorons que l’augmentation de crédit de paiement pour l’année prochaine soit si faible. Sur les 400 millions d’euros d’augmentation indiquée dans le PLF 2019, 270 millions proviennent d’un simple jeu d’écriture comptable et ne constituent pas un ajout. L’augmentation de crédits de paiement n’est donc que de 130 millions d’euros.

Ces 270 millions étaient initialement inscrits au résultat de la taxe sur les transactions financières (TTF) et sont dorénavant affectés au budget général. Ce transfert pose un problème philosophique au-delà de la question budgétaire : la TTF est de moins en moins utilisée pour le financement de l’aide publique au développement. Or, cette taxe a été pensée pour ponctionner les flux financiers afin d’aider les pays les plus pauvres, permettant de souligner le lien entre les sommes colossales échangées sur les marchés financiers et la pauvreté dans le monde.

Ce remplacement en dit long sur la vision qu’a le gouvernement des injustices liées à un capitalisme financier dévastateur et incontrôlable.

Le gouvernement a donc décidé d’enlever le financement de l’Agence française de développement par cette taxe en prenant l’excuse de la lenteur de décaissement de ces fonds par l’Agence. Mais il pourrait être envisageable de maintenir ces 270 millions issus de la TTF en les affectant au Fonds de solidarité pour le développement (FSD).

Le FSD est un instrument d’APD financé par la TTF et il abonde en majorité des institutions internationales des secteurs de la santé et de l’environnement. Il ne parait pas absurde d’augmenter le financement de ces secteurs qui sont fondamentaux pour la paix et la stabilité du monde.

La question du financement du multilatéralisme se pose d’ailleurs dans l’augmentation de l’APD en France. L’objectif adopté par le CICID de 2018 prône une augmentation de la part du bilatéral dans l’APD française, mais ce choix est critiquable dans la mesure où l’aide multilatérale permet des actions décidées collectivement, et évite l’écueil de l’aide consentie par un pays riche contre d’obscures rétributions dans le cadre d’une relation bilatérale opaque.

D’autre part, cette volonté de renforcer le bilatéral participe d’un mouvement international d’affaiblissement du multilatéralisme que pourtant la France critique. Cette hypocrisie est néfaste pour l’image de notre pays.

Pour rendre le discours français plus crédible s’agissant du multilatéralisme, il serait intéressant de suggérer que notre pays donne aux institutions internationales des contributions au niveau de ce que font les pays de son rang, à savoir une contribution à hauteur du double de la contribution obligatoire, plutôt que ce qu’elle fait actuellement, c’est-à-dire de ne rajouter à la contribution obligatoire que la moitié de la somme.

Enfin, la diplomatie française devrait également intensifier les discussions autour de la comptabilisation de l’APD qui pose deux problèmes.

Le premier problème tient dans l’évolution des critères de comptabilisation de l’aide publique au développement par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et par Eurostat, qui est la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire.

Ces deux organismes ont récemment modifié leurs critères, diminuant ou augmentant de manière mécanique les dépenses en APD. Or, il est regrettable que des institutions comme celles-ci, par leurs réformes comptables modifient la structure de l’aide. Cela pose un biais dans l’augmentation de l’APD en France puisque l’objectif du ministère des Comptes publics est de réorienter autant que possible des fonds actuellement non comptabilisés en APD par l’OCDE vers des canaux comptabilisés pour augmenter l’APD sans apport financier supplémentaire.

Mais outre la comptabilisation par les institutions internationales de l’APD, c’est la définition de l’aide au développement en tant que telle qui est le véritable enjeu crucial.

Là encore, le problème est philosophique puisque l’on peut remarquer un dangereux glissement de l’APD à l’échelle mondiale depuis l’émergence du « continuum sécurité-développement ».

Ce concept indique que le premier besoin des êtres humains, c’est la sécurité. Et qu’une fois la sécurité obtenue, le reste peut intervenir. Or, cette réflexion est totalement faussée puisqu’elle sert en fait à comptabiliser les dépenses de sécurité et de défense dans l’aide au développement. Comme en France où il aurait été question que l’opération militaire française au Mali soit intégrée à l’APD.

Or, si la sécurité est importante, il n’appartient pas aux États de financer les armées ni les milices privées d’États tiers. Il n’est pas souhaitable de la comptabiliser parce que cela ouvre, à terme, les portes à tous les abus : si la dissuasion nucléaire française contribue à la paix, ne serait-il pas pertinent pour la France de faire passer les 6 milliards d’euros par an qu’elle dépense pour son armement nucléaire en APD ?

La vigilance est donc de mise quant à l’engagement de l’Agence française de développement d’œuvrer davantage dans les territoires en crise. Car si l’aide humanitaire d’urgence et le développement post-crise sont légitimes pour l’APD, l’AFD indique vouloir articuler ces actions avec les acteurs de la sécurité. Même si le travail collectif est fondamental entre militaires, humanitaires et techniciens du développement sur ces territoires, c’est le glissement vers un possible financement d’opération militaire en APD qui pose de sérieux problèmes.

Le nœud du problème se situe donc aujourd’hui dans la comptabilisation de ce que l’on fait avec ces fonds. Si les aides aux migrants sur son territoire deviennent, comme en Allemagne, de l’Aide publique au développement, si la mise en place de camps de rétention de migrants en Libye devient de l’APD, ou si l’entraînement de forces armées par l’armée française est de l’APD, oui, nous atteindrons les objectifs quantitatifs donnés par le Président sans problème.

Mais qu’en sera-t-il des objectifs qualitatifs ?


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   Contribution de Mme Clémentine Autain
au nom du groupe LFI

 

Le recours au prêt constitue aujourd’hui le premier instrument de financement utilisé par l’Agence Française de Développement. Cette tendance lourde, alimentant et alimentée par la croissance de certains acteurs privés, crée un mélange des genres qu’il nous faut questionner. Car derrière ce mécanisme, c’est une vision politique du développement qui est mise en avant, qui fragilise à la fois la mise en œuvre de certains projets, et leur viabilité sur le long terme. Alors que le Président de la République a promis une croissance soutenue du budget consacré à l’AFD, pour atteindre à horizon 2022 le fameux seuil des 0.55 %, il est urgent de redéfinir les orientations de l’Agence afin que cet argent ne se retrouve pas, in fine, dans les mauvaises poches.

 

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L’argent attire l’argent. Cette lapalissade explique en partie la montée en puissance et en opacité, ces dernières années, des institutions financières de développement. Chargées de soutenir les investissements privés dans les pays du Sud, celles-ci mobilisent des capitaux en constante augmentation, qu’elles investissent par des prêts, des garanties, et par des participations directes et indirectes avec, en toile de fond, un impératif de rentabilité.

On peut mesurer le développement de ces institutions à l’aune de celui de l’une d’entre elles : Proparco. Filiale de l’AFD, Proparco investit des sommes toujours plus élevées dans le secteur privé et son Directeur Général estime que « la croissance de [son] activité va être plus forte que celle du groupe AFD dans son ensemble » ([6]) . Cette croissance pose la question de son fonctionnement ainsi que de l’affectation de ses ressources, régulièrement contestée par les ONG. Proparco investit par exemple massivement dans certains paradis fiscaux, à Malte, à l’île Maurice ou dans les îles Caïmans. Par ailleurs, ces montants interrogent : « 46 % des financements de Proparco vont au renforcement des institutions financières et des marchés financiers (développement du secteur bancaire, financement des entreprises, agro-industries,…), contre seulement 6 % vers la santé et léducation confondues » ([7]) . En creux, c’est donc une privatisation de l’aide publique au développement – on notera l’oxymore – qui se profile.

 

Si les pays du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE allouent en moyenne 77,2 % de leur aide bilatérale sous forme de dons, ceux-ci ne représentent pour la France que 45 % de son aide. Le recours massif de l’AFD aux prêts, destinés en premier lieu aux pays à revenus intermédiaires ainsi qu’aux secteurs perçus comme rentables, est critiqué par les ONG et par l’OCDE. Notons par ailleurs une particularité de ces prêts : la majorité d’entre eux sont dits « non concessionnels », c’est-à-dire qu’ils ne font aucune faveur (en termes de garanties ou de taux préférentiels) à l’emprunteur. C’est donc tout un pan de l’aide publique au développement qui est détournée des pays les plus pauvres : l’aide française aux pays les moins avancés a reculé de 26 % en 2015 à 22 % en 2016.

Afin de se protéger des critiques mentionnées plus haut, l’AFD multiplie les contrats de désendettement et de développement (C2D). Ces contrats, qui permettent de convertir les remboursements de dettes en dons, donnent à l’AFD l’opportunité de contrôler l’ensemble du processus : négociation de contrats, participation aux choix des secteurs, contrôle des passations de marchés,… Cette situation nous renvoie à un déséquilibre structurel dans la relation entre la France et les pays destinataires des aides publiques. Une publication de l’AFD évoque ainsi « la forte prise en compte des intérêts français, tant en termes de secteurs retenus quen termes dattribution des marchés passés sur des fonds C2D à des entreprises françaises » ([8]) . Dans le cadre d’un contrat avec le Cameroun, par exemple, 88 % des marchés dans le domaine routier ont été attribués à des entreprises françaises. Cette dimension nous amène à craindre un retour à l’aide liée, dispositif conçu pour que le bénéficiaire de l’aide l’utilise pour acheter des biens et services issus du pays donateur.

Lorsque le Président de la République, au Nigéria, évoque « la démographie galopante » et ajoute « quand vous avez sept ou huit enfants par femme, vous ne sortez jamais de la pauvreté », il nous renvoie indirectement à la question de la légitimité de notre intervention. L’AFD est une institution politique et le choix de ses instruments ne saurait être anodin : on pourrait ainsi évoquer, pour s’en désoler, la tendance confirmée lors du dernier CICID à vouloir faire de l’agence un outil anti-migratoire. Cette idée de vouloir défendre, par l’aide au développement, les entreprises nationales, contribue à faire du  don ou du prêt un « investissement solidaire », comme le dit Emmanuel Macron, et donc d’en attendre un retour sur investissement. L’enjeu n’est alors plus d’œuvrer en faveur des droits humains, mais devient « aussi une façon dexpliquer aux Français que notre engagement a un retour positif, en termes dinnovation, de croissance, de sécurité et dattractivité pour notre propre pays ([9])  ».

 

Face à cette situation, nous nous inscrivons en faux avec l’idée que le marché puisse constituer un levier pérenne de développement.

Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était engagé à « renforcer la prise en compte par lAFD des points de vue des autorités locales, des populations affectées ou encore des ONG locales » et avait réaffirmé le principe du déliement de l’aide dans le cadre de l’APD française. Ces déclarations ne doivent pas rester lettres mortes. En 2016, la part de l’APD transitant par les ONG ne représentait que 2.8 % de l’APD globale, ce qui place la France dans les derniers pays du comité d’aide au développement de l’OCDE. Les financements publics français ne représentent que 10 % des ressources des ONG, alors même que leur activité compense de plus en plus les défaillances de l’État ou celles de l’Union Européenne.

Nous défendons donc une AFD qui passe du « faire » au « faire-faire », et qui s’engage dans une relation partenariale forte avec les acteurs de la société civile. Cette ouverture constitue une nécessité démocratique, ainsi qu’une opportunité : celle de s’ouvrir à d’autres logiques de travail, et à d’autres indicateurs. Coordination Sud réagissait ainsi au rapport de Hervé Berville en soulignant le fait que « les concepts sont instrumentalisés (pauvreté, climat, genre…) avec des cases et des grilles qui remplacent les analyses du jeu complexe des acteurs ([10])  ».

Enfin, nous réaffirmons l’exigence d’une plus grande transparence dans la sélection des projets subventionnés par l’AFD : celle-ci doit publier chaque année la liste exhaustive des projets du secteur privé qui bénéficient de son soutien, y compris les intermédiaires financiers et bénéficiaires finaux. Nous demandons par ailleurs la publication des notations, et des mesures de suivi et d’évaluation. À l’heure où le Président de la République entend faire de l’AFD la première banque de développement européenne à horizon 2020, nous devons nous assurer que celle-ci œuvre en faveur de l’État de droit, de la gouvernance financière et du renforcement des administrations.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

   Présentation DE l’AVIS devant la commission des affaires étrangÈres

Lors de sa première réunion du mercredi 24 octobre 2018, la commission examine le présent avis budgétaire.

Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères. Notre ordre du jour appelle ce matin l’examen des crédits de deux missions budgétaires : celle « Aide publique au développement », avec notre rapporteur Hubert Julien-Laferrière et deux contributions issues des groupes LFI et GDR, et celle « Médias, livre et industries culturelles » avec Alain David.

Nous allons examiner dans un premier temps les crédits de la mission « Aide publique au développement » avec comme rapporteur Hubert Julien-Laferrière, et comme contributeur Jean-Paul Lecoq. Clémentine Autain avait prévu d’être présente à cette réunion mais un empêchement de dernière minute l’a retenue et elle demande de bien vouloir l’excuser. Vous avez pu lire toutefois la contribution du groupe LFI dans le projet de rapport qui vous a été transmis.

M. Jean Paul Lecoq. La ville durable est un sujet grave puisqu’il rejoint de nombreux sujets fondamentaux. J’ai souhaité rédiger une contribution écrite afin de poser des questions de fond sur l’APD. Je tiens à saluer l’évolution certes timide mais réelle du budget de l’APD, le milliard d’euros d’autorisation d’engagement est positif, puisqu’il donne une première impulsion de l’évolution de la trajectoire vers les 0,55 % du PNB. Cette évolution ne doit toutefois pas cacher que les crédits de paiement sont trop timides pour l’année 2019, pour une montée en charge efficace au niveau de l’APD française. Tel que présenté, le rapport laisse penser qu’il n’existe pas de projet. Cela signifierait qu’au moment de faire le budget, nous attendrions que l’on nous propose des projets et puisque cela prend du temps, les crédits de paiement ne seraient pas nécessaires immédiatement. En réalité, les populations ont déjà des projets depuis longtemps qui ne sont pas financés ou en attente de financement, et si nous augmentions les crédits de financement aujourd’hui des projets supplémentaires pourraient être mis en œuvre et payés immédiatement. Il manque donc une volonté politique d’augmenter réellement les crédits dès maintenant, et l’on fait porter à la fin du quinquennat l’ensemble de l’augmentation du budget, ce qui est à la fois déraisonnable et dangereux. Les associations rencontrées nous ont expliqué qu’elles pouvaient absorber une évolution importante dès maintenant, tant les projets en cours à financer restent nombreux. Je regrette la diminution de la taxe sur les transactions financières dans le financement de l’APD. C’est financièrement et philosophiquement regrettable. Financièrement, tout d’abord car nous perdons une automaticité, qui rend les choses plus claires, et philosophiquement car, nous perdons le sens de cette taxe qui a été pensée pour faire payer la finance pour tous les dégâts qu’elle a engendrés et qu’elle engendrera. Même si ce symbole est minime, il demeure important. La réflexion principale porte sur la définition de l’APD en tant que tel, et le point à retenir porte sur l’élargissement de l’APD à la sécurité, à la défense et donc à la guerre. Lorsque les objectifs chiffrés, ambitieux sont proposés il existe deux manières de procéder pour les atteindre. Soit nous créons des lignes budgétaires nouvelles, soit nous tentons de faire rentrer des choses que nous faisons déjà dans l’objectif à atteindre. Le Gouvernement a déjà commencé à centrer les crédits vers ce qui est comptabilisé comme APD par l’OCDE, afin d’augmenter l’APD par des jeux d’écriture comptable. Le risque à terme est d’élargir l’APD au point de faire passer la guerre pour du développement. L’un des engagements du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) repris par l’AFD est l’intensification de la présence française dans les zones de crise notamment au Sahel. Cette vision des choses est bénéfique pour que les acteurs de terrain fonctionnent mieux en transversalité et que les humanitaires et les militaires puissent communiquer ensemble. En revanche, ce rapprochement crée un double danger. Premièrement, que l’humanitaire et le développement soient dictés par des objectifs militaires. Deuxièmement que les opérations militaires puissent être financées par de l’APD ou au nom du concept continuum sécurité/développement. Nous ne sommes pas encore dans cette situation mais l’augmentation des crédits liés à l’APD en France va entraîner Bercy dans ce type de réflexions, afin de limiter l’augmentation du budget. Ce basculement pourrait aussi s’effectuer car il n’y a pas une tête politique de l’APD en France. Un ministère de plein exercice serait plus à même de répondre à ces questions, de discuter avec Bercy et l’AFD. Cet équilibre politique est nécessaire et nous en ressentons le besoin. L’AFD devient de facto le ministère du développement et il est contestable que ce soit l’administration qui gère directement cet ensemble. De plus, l’AFD est une institution financière, qui n’est pas supposée s’occuper des orientations de l’APD. Bien entendu, il me sera rétorqué que c’est Monsieur Le Drian qui s’occupe de cela. Il pourrait s’occuper de la libération de Monsieur Fortin. Le budget de l’APD en France est bien trop timide, et inquiète beaucoup concernant les perspectives dans les années à venir, si l’on veut tenir les objectifs proposés par le PR, à savoir 0,5 % à la fin du quinquennat, sachant que les objectifs mondiaux sont de 0,7 %.

M. Jacques Maire. Cette période est charnière, 2018 était une année d’atterrissage et de continuité, nous venions d’arriver. L’année 2019 nous permettra d’observer si nous sommes sur le chemin de remplir nos ambitions et nos promesses qui ont été maintes fois réitérées par le président de la République dans différents cénacles. Le budget d’aujourd’hui est un budget de rupture, d’abord quantitatif qui met naturellement fin à la dégradation que nous avons connue pendant deux décennies. C’est aussi une rupture dans l’approche puisque nous nous détournons de la priorité absolue donnée aux prêts en direction des pays « Bankables » et sur les secteurs les plus rentables qui structurent notre politique de développement. Ce budget annonce un redressement : « Il s’agit de redonner à notre politique de développement une ambition nouvelle » comme l’a rappelé le président de la République, et donner une véritable politique d’investissement solidaire. Évidemment, ce redressement débute avec des autorisations d’engagement. Je tempérerais les propos de Jean-Paul Lecoq, la réalité est telle que nous n’arrivons pas, dans bien des cas à dépenser, notamment dans les zones les plus demandeuses, car la capacité d’absorption y compris de nos propres services est insuffisante. Beaucoup de nos crédits ne sont pas engagés. Une accélération très rapide du décaissement serait une catastrophe pour la suite. L’échelle des projets des ONG n’y est pas adaptée. Les projets des ONG font quelques dizaines ou quelques centaines de millions d’euros en mettant à part l’humanitaire. Ce ne sont pas cent projets à 100 000 euros qui sont faciles à décaisser. Nous sommes encore loin des 0,55 % de PNB mais nous inversons la tendance. Je ne reviendrai pas sur l’accroissement de l’aide bilatérale avec les deux tiers des affectations. Il y a deux points d’attention sur lesquels nous devons porter nos efforts. Le premier est une définition de l’aide. Ce que disait Jean-Paul Lecoq était important mais, nous ne pouvons pas échapper au continuum sécurité/ développement. Bien entendu, il est hors de question de faire financer les Opérations Extérieures par le budget de l’APD. En revanche la sécurité intérieure, un État fonctionnel, un service public opérant et un espace public contrôlé sont des éléments indispensables. Aujourd’hui, ces éléments ne sont pas financés. La création d’instruments de financement spécifiques à la défense est très dangereuse car cela encourage la création de restrictions de type « Secret Défense » qui générera de la corruption. L’aide budgétaire permet de le faire, mais la sécurité intérieure est essentielle bien qu’elle ne soit pas financée. Le dernier point important que je souhaite évoquer est la nécessité d’aller au bout du rapport Berville qui est un élément fondamental de notre ligne de conduite pour les années à venir. Les propositions formulées sont les conditions du succès de cette démarche budgétaire. Je citerai en particulier la création d’une conférence de pilotage permanente en remplacement du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), la présentation d’une loi d’orientation et de programmation, la mise en place d’une commission indépendante d’évaluation et la structuration d’une filière sur le développement. Tout cela va dans la bonne direction, je pense qu’il est important de donner une impulsion à cette politique. C’est pour cette raison que nous allons voter de façon enthousiaste du côté de la LREM pour ce financement.

Mme Bérengère Poletti. La partie urbaine de ce rapport est affolante lorsque l’on observe les enjeux dans certaines villes. Je me souviens notamment du chiffre de 90 millions d’habitants dans les deux villes qu’Hubert Julien-Laferrière a cité. Nous nous disons que les enjeux sont importants du point de vue de l’eau et des déchets, de l’environnement et des transports. Dans cette optique l’aide publique au développement devra soutenir ces villes dans ces pays en voie de développement. Je souhaite dire que l’on peut caractériser l’APD de deux voire de trois manières. Sa faiblesse : ses crédits ont considérablement baissé, il fallait que la France se remette à la page l’objectif était à 0,55 % du PNB mais beaucoup de pays en Europe ont atteint 0,7 %. Même à 0,55 % nous ne sommes pas arrivés au bout d’un objectif certes un peu théorique, mais malgré tout suivi par d’autres pays. Cette APD est opaque nous n’en voyons qu’une petite partie à la Commission des Affaires Étrangères. De nombreuses options existent, c’est pour cette raison que dans le rapport que nous avions présenté avec Rodrigue Kokouendo nous avions proposé la mise en place d’un secrétariat d’État ou d’un haut-commissaire, ou d’un ministre qui incarne cette politique. Cela permettrait de donner une meilleure transparence à cette politique. Concernant la structure qui doit changer, nous avons évoqué l’aspect bilatéral, multilatéral. Lorsque l’aide publique au développement a baissé c’est le volet bilatéral qui en a fait les frais car il est plus facile et plus discret de le baisser plutôt que l’aide allouée au volet multilatéral. Les enjeux sont très importants, il faut insister sur les initiatives françaises en termes de défense. Nous avions auditionné le Mali qui nous disait combien il était essentiel de pouvoir vivre en sécurité afin de pouvoir se développer. Les diasporas ont aussi un rôle important. Nous revenons d’un déplacement aux Comores où la diaspora est constituée de 500 000 franco-comoriens qui habitent en France et qui représentent 25 % du PIB des Comores. C’est considérable bien que nous en parlions peu. L’un des enjeux est de passer de 10 milliards d’euros à 15 milliards d’euros (ce qui représente 0,55 % du PIB). Même avec l’augmentation de 1 milliard d’euros d’autorisation d’engagement nous sommes encore en dessous de ce que nous aurions dû faire pour atteindre les objectifs en matière d’autorisation d’engagement. Nous restons loin du compte en matière de crédits de paiements. Il est vrai qu’il n’est pas facile de dépenser d’un coup des crédits de paiement qui arrivent de manière importante, mais lorsque nous entendons les ONG, nous savons que les besoins des pays sont importants, et qu’elles savent comment les dépenser. Je rappelle que la Grande-Bretagne qui alloue 0,7 % de son PIB en APD a réalisé cette prouesse en 2 ans et a mis en place une commission indépendante pour contrôler l’allocation de l’APD. Le rapport a relevé les côtés contraignants d’une telle commission mais cela assure une transparence et un contrôle des problématiques de corruption qui peut exister dans ces pays que l’on peut aider. Le groupe LR s’abstiendra lors du vote. Ce n’est pas une abstention sanction mais une abstention en raison du fait que nous ne sommes pas satisfaits des objectifs en termes de crédits de paiement. Malgré tout nous sommes satisfaits de la hausse de un milliard d’euros de crédits de paiement.

M. Sylvain Waserman. Par rapport à ce qui a été évoqué, je souhaite revenir sur deux points. Ne boudons pas notre plaisir, c’est une hausse historique dans l’aide au développement. Indépendamment de nos courants politiques, nous pouvons toujours faire plus, mais cela reste une hausse historique d’un milliard d’euros sur notre aide au développement. La seconde chose le (CICID) à réaliser un travail clair sur les 5 priorités et les 19 destinations. Il y a une lecture des priorités à mon sens qui est lisible. Un point de vigilance doit toutefois être souligné. Depuis le début de nos mandats, j’ai à plusieurs reprises interpellé les ministres sur la lisibilité et le reporting concernant l’utilisation des fonds. J’ai été surpris lors d’une discussion avec le ministre qui estimait qu’il n’avait pas lisibilité dont il avait besoin. Le sujet est complexe car il faut croiser des destinations et des thématiques.

Je crois que ce troisième volet est important pour une compréhension fine et détaillée pour les parlementaires, et l’on s’aperçoit que les ONG nous disent la même chose. C’est un des points ou nous parlementaires devons gagner en effectivité du contrôle grâce à une visibilité très fine et très granulaire de l’APD. Le groupe MODEM soutiendra avec force ce projet et rappellera qu’il a une ampleur historique.

Mme George Pau-Langevin. Le président de la République dans son intervention, puis lors du discours de Ouagadougou nous a dit qu’il était temps de franchir une nouvelle étape dans la politique française d’APD et de solidarité internationale. Nous sommes d’accords sur l’idée qu’il faut évoluer et redéfinir certains enjeux et certains moyens de notre politique d’APD car le contexte et les enjeux ont changé depuis ces dernières années. Rappelons qu’il s’agissait à l’origine de développer une nouvelle vision du monde avec une manière de considérer les pays les moins avancés, non plus dans la logique de la colonisation mais comme des partenaires à part entière. Certes ils devaient progresser pour arriver au même niveau de revenu et d’aisance mais ils étaient à part entière autour de la table dans la logique de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il est vrai que les sommes engagées ne sont pas suffisantes aujourd’hui encore pour pouvoir remplir l’objectif qui a été fixé depuis bien longtemps puisque ces 0,7 du RNB ou ces 0,55 % ont été affichés depuis longtemps. Nous devons convenir que nous sommes assez loin du compte. Par ailleurs, suite à la COP 21 nous avons affirmé la responsabilité et l’engagement des pays développés pour aider les autres pays à faire évoluer leurs modèles et se doter de ressources d’énergie renouvelables. C’est un engagement que notre budget doit traduire. Or s’il y a une augmentation, nous restons loin du 0,55 % du RNB ; Vous avez évoqué cette discordance importante entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement et depuis le temps que l’on travaille sur les sujets de développement et que les ONG s’investissent, je suis étonnée de constater que l’on considère qu’il n’y a pas suffisamment de projets nécessitant des crédits de paiement. Nous nous demandons si l’année prochaine nous verrons une augmentation significative des crédits de paiement car il faut reconnaître qu’une augmentation d’un milliard est bonne mais ne se traduit pas par des engagements sonnants et trébuchants.

La taxe sur les transactions financières était spécifiquement affectée à la solidarité internationale. Aujourd’hui c’est le cas pour 50 %, le reste étant compensé par une dotation budgétaire. Or, rien ne nous garantit que cette dotation sera sanctuarisée par la suite et nous préférerions que la taxe soit clairement et directement affectée sur le budget. Nous avons tous conscience de l’importance de la francophonie, nous pouvons comprendre qu’il y ait de la part du Gouvernement un désir d’évoluer vers plus d’aide bilatérale, mais cela supposerait donc que l’ampleur de l’aide bilatérale soit significative, cela n’est pas totalement le cas. Enfin nous affichons qu’il faut davantage s’investir dans l’éducation. Ce qui se passe pour les bourses nous laisse perplexe ce qui fait que nous avons un avis assez mitigé sur le budget qui nous est présenté aujourd’hui s’agissant de l’APD.

M. Christophe Naegelen. Merci madame la Présidente. Les objectifs actuels de l’aide publique au développement sont sans doute beaucoup plus humanistes, mais soulèvent néanmoins de vraies interrogations, notamment concernant le retour sur investissement, aussi bien pour l’État français que pour les pays bénéficiaires. Une partie de cette aide est détournée. De plus, il y a des difficultés d’évaluation de son efficacité. Il est en effet important d’aider son prochain, mais il faut être capable de visualiser les résultats de cette aide, et de son détournement. Concernant la répartition de l’aide, il semblerait normal de mettre en place deux choses : une conditionnalité et un fléchage pour évaluer les priorités pour la France vis-à-vis des montants alloués. Si cette aide publique au développement est indéniablement nécessaire, il reste beaucoup d’interrogations quant à son utilisation adaptée dans les pays qui en ont besoin. Le groupe UAI s’abstiendra, dans le doute, sur ce rapport.  

M. Frédéric Petit. Merci madame la Présidente. Je voudrais faire une remarque préliminaire : les prêts et les dons sont acquis, il faut insister sur ce point, qui est clair. Je nous trouve un peu circonspects sur la différence entre autorisations d’engagement et crédits de paiement. La multiplication des engagements est tout de même la preuve qu’il y aura un jour des crédits de paiement.

Nous avons dix milliards d’euros dont on nous dit que 70 % ne sont pas dans les programmes que nous étudions. Est-ce que cela veut dire que ces 70 % ne sont pas pilotés ? J’inscris cette interrogation dans le sujet que nous avons évoqué de la lisibilité et du lien avec la politique. En termes purement techniques, je pense qu’il nous faut un outil global d’analyse. Politiquement, on ne peut faire des annonces sur 0,55 % si nous, parlementaires, n’avons pas la liste de ces 0,55 %. Dans le rapport on parle des écolages, mais desquels parlons-nous ? Au sein des écolages des boursiers de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE) c’est encore plus compliqué. Nous devons nous procurer un outil d’analyse à partir d’aujourd’hui, que l’on pourra suivre pendant 5 ans ; c’est indispensable. Concernant la lisibilité, il nous faut un rapprochement de la politique et de l’opinion publique. Cela doit être un engagement dont tous les Français doivent être fiers, et cela nous manque actuellement. Je ne crois pas que la réponse soit dans la création d’un poste de ministre de plein exercice ; au contraire je pense que cela doit passer par une instance régulière dans laquelle il y ait une identification politique. Nous n’avons pas besoin d’un nouveau ministre ; cela établirait une distance entre la gestion des affaires étrangères de la France, qui est du ressort du ministre des affaires étrangères, et cette aide au développement.

M. Hugues Renson. Merci madame la Présidente. Que cela soit grâce à l’augmentation des crédits dont tout le monde se satisfait, aux stratégies de pilotage, ou à l’importance accordée aux questions climatiques, l’aide au développement est aujourd’hui en pleine transformation. Cela nous oblige et nous honore : nous serons attentifs à ce que l’objectif de 0,55 % du PIB consacrés à l’aide au développement soit atteint en 2022. Cependant, tout cela ne pourra suffire. Vous venez de l’évoquer, la réforme du pilotage de l’aide est nécessaire, avec ou non un ministère de plein exercice, doté d’un budget plus lisible. Je me joins à l’appel pour un regroupement de l’expertise. La prochaine loi d’orientation, qui sera examinée en 2019, nous permettra de traiter l’ensemble de ces sujets.

Concernant le développement urbain et la place des villes, on voit que ce sont des défis qui sont au cœur de toutes les thématiques. Ils occuperont une place de plus en plus importante dans les questions de solidarité, comme vous l’évoquez dans le rapport. J’aimerais vous entendre plus précisément sur le rôle de la coopération décentralisée dans ce développement urbain. Lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février dernier, le gouvernement a annoncé que les fonds destinés au soutien à l’action extérieure des collectivités territoriales seront doublés d’ici 2022. Les collectivités territoriales urbaines françaises possèdent beaucoup de compétences et sont fortes de nombreuses expériences qui peuvent être utiles à des partenaires dans le besoin. Elles contribuent au rayonnement de la France dans le monde. Comment cette coopération décentralisée peut-elle être améliorée ? Quelles en sont les perspectives d’avenir ?

M. Michel Herbillon. Merci madame la Présidente. Tout le monde s’accorde à dire qu’un milliard de plus est très positif, mais il y a des problèmes liés aux crédits de paiement. Ce n’est pas parce qu’un milliard d’euros sont prévus en autorisation d’engagement que cela se traduit nécessairement en crédits de paiement. On est encore loin du compte, j’aimerais avoir des explications sur ce point. Deuxièmement, tout le monde s’accorde à dire que tout cela n’est pas lisible et qu’il y a beaucoup d’opacité. Je voudrais savoir ce qui est proposé pour améliorer la lisibilité, qui est indispensable car elle est la condition d’un meilleur fléchage des priorités, que l’on peine à voir actuellement dans ce dispositif. Troisièmement, vous avez indiqué qu’il faut une mise en place des projets et une mobilisation des acteurs. Pouvez-vous nous dire quels sont les projets qui sont en train de se monter ? Enfin, la question du défi urbain dans le monde en développement a été évoquée. Je souscris à cette analyse : il y a une expertise française dans ce domaine – tels que la gestion de l’eau, des déchets, des transports, etc. Je pense qu’une question essentielle est celle de la qualité de vie en ville. Comment peut se traduire cette expertise française dans le domaine des défis urbains ?

M. Hervé Berville. Merci madame la Présidente. J’aimerais avoir l’analyse et l’avis du rapporteur sur la budgétisation. Lorsque nous parlons d’opacité, de transparence, et de contrôle parlementaire, il y a un paradoxe. En effet, on veut à la fois garder de l’extrabudgétaire et fustiger le fait que l’on remette parfois de la budgétisation dans un certain nombre d’éléments. Le rapport précise que sur les 270 millions d’euros prévus pour l’année dernière, seuls 55 millions ont été décaissés. Qu’est-il advenu du reste ? C’est la première fois qu’un rapport parlementaire le souligne. Je pense que la budgétisation, notamment dans le cadre d’une loi d’orientation et de programmation, va dans le sens de plus de transparence, d’efficacité et de contrôle budgétaire. Quelles sont pour vous les approches qui permettent de répondre à ce défi urbain ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci madame la Présidente. Concernant le pilotage, nous avons besoin d’un ministre qui surveille et supervise, même si le contrôle parlementaire me paraît essentiel. Concernant les contreparties, nous avons un problème migratoire majeur et un problème de réadmission dans les pays d’origine, à qui nous donnons des aides considérables. Il serait temps de lier les aides aux accords de réadmission si on veut pouvoir maîtriser l’immigration. Concernant le défi urbain : on prend pour acquis l’explosion de ces immenses mégalopoles – où il n’est même plus question de logement, puisque les bidonvilles et la misère s’y développent, favorisant l’explosion sociale à terme. Pourrait-on un jour traiter les causes de ce phénomène, c’est-à-dire les accords de libre-échange complètement fous qui déstabilisent l’agriculture et la ruralité africaines, et qui ont pour conséquences des vagues migratoires importantes ? Il est très facile de se donner bonne conscience en annonçant 0,70 pour cent du PIB pour l’aide au développement lors de sommets internationaux quand, parallèlement, l’on signe des accords de libre-échange dévastateurs pour ces pays comme pour le nôtre d’ailleurs.

M. Bruno Fuchs. Merci madame la Présidente. J’ai compris la volonté d’une stratégie plus bilatérale que multilatérale. Je voudrais revenir sur la deuxième priorité fixée : celle de l’aide au développement de l’éducation et de l’enseignement supérieur, ainsi que sur les outils d’innovation au profit de l’employabilité des jeunes. Le Président de la République a affiché une ambition forte de développer la francophonie. N’est-il pas temps de privilégier, dans nos engagements financiers, une pratique plus forte du français ? Il faudrait également améliorer notre capacité à dialoguer avec l’espace francophone et à mieux employer les jeunes.

M. Didier Quentin. Merci madame la Présidente. Je souhaite revenir sur la question des aides publiques au développement qui sont versées directement aux États. Ceux-ci sont libres de définir les entreprises qu’ils mandateront dans le but de construire des infrastructures, notamment urbaines. Il en résulte le risque que les marchés publics soient confiés à des entreprises étrangères, et que les infrastructures s’avèrent être de piètre qualité. Afin de contrôler comment est dépensée cette aide publique au développement, le Royaume Uni s’est doté d’un dispositif d’évaluation de ses politiques d’aides. La France, elle, ne dispose pas d’un tel dispositif. Le rapporteur s’est-il intéressé à ce mécanisme britannique ? Est-il adaptable en France ? Enfin, l’aide publique au développement vise-t-elle à mieux aider nos partenaires africains à maîtriser leurs évolutions démographiques ? Celles-ci sont tout à fait vertigineuses, notamment au Niger. On répond souvent que l’éducation est la réponse, mais il existe peut-être d’autres moyens.

Mme Sonia Krimi. Merci madame la Présidente. Je rejoins la dernière remarque : effectivement, quand on a un taux de natalité de sept ou huit enfants par femme, cela représente un véritable frein au développement. Pourquoi ces pays que nous évoquons continuent de placer leurs amis incompétents à la tête des ministères ? On peut mettre tout l’argent que l’on souhaite, tant que ce problème ne sera pas réglé, de chef d’État à chef d’État, cela ne changera pas. Pour l’aide publique au développement, on voit un recul du secteur agricole dans ces pays, ainsi que des experts sur place. Le dialogue de très haut niveau n’est pas de notre ressort. Cependant, dans l’orientation des crédits, va-t-on revenir aux besoins primaires de ces pays, pour un développement durable d’ici 20 à 30 ans qui permettra à ces pays d’atteindre une pleine autonomie ? Au Mali par exemple, des populations pauvres font face à des djihadistes, et savent que les Français partiront un jour et que leur État est fragile. Il faut leur donner les moyens de vivre de leur propre agriculture pour faire face à ces défis. 

M. Jean Paul Lecoq. Tous les thèmes soulevés sont importants. L’idée d’un ministère, ce n’est pas pour avoir un ministre de plus. C’est pour prendre l’objet dans sa totalité. Il y a par exemple un sujet que l’on n’a pas abordé. Pour ceux qui sont allé visiter des villes africaines où des multinationales françaises étaient présentes – comme Total à Pointe-Noire – Total aime à présenter les résultats de ses financements privés pour l’hôpital de la ville,  l’assainissement de la ville, la santé… Ils peuvent se le permettre, et pourraient faire beaucoup plus. Cependant, tout cela nous ne le voyons pas. Il n’y a pas de visibilité. Les notions de retour de la richesse des multinationales vers le peuple – à qui appartient cette richesse d’ailleurs – devraient pouvoir s’évaluer et être surveillées ; un ministère pourrait faire aussi cela. Ce ne serait pas qu’un ministère de la dépense de l’aide publique au développement, mais également un moyen de regarder le dispositif dans sa globalité et évaluer sa durabilité. Je pense aux mères dans certains pays d’Afrique, qui m’expliquent qu’elles sont prêtes à « sacrifier » un ou deux de leurs huit enfants pour l’avenir de la famille en les envoyant vers la Méditerranée. Quand on en arrive à des logiques pareilles, on se dit qu’un regard global sur le dispositif est nécessaire. Ensuite, il ne faut pas opposer les aides multilatérales et bilatérales. L’aide multilatérale est essentielle, même vitale. Ne nous comportons pas comme les Américains. Toutes les instances internationales sont importantes, leurs actions sont essentielles et leurs budgets doivent être renforcés. Il faut en même temps développer l’aide bilatérale. Autour de nos territoires d’Outre-Mer, notamment à Mayotte, il me parait essentiel d’avoir un ministère qui œuvre avec les pays périphériques pour faire en sorte qu’il n’y ait plus cette nécessité absolue d’émigrer pour survivre. Concernant le fléchage de l’aide, je ne pense pas que l’on doive exiger un retour sur investissement ; nous devons donner à ces pays car la France a une dette envers eux, qu’elle doit assumer. Il ne faut surtout pas revenir à un système de conditionnalités absurde, basé sur des critères occidentaux, comme le faisait le Club de Paris. Par exemple, il ne faut surtout pas conditionner l’aide à une réduction du service public, car c’est ce dernier qui peut mettre en place les politiques nécessaires. Il faut faire très attention aux conséquences de ces conditions.

M. Hubert Julien-Laferrière. Il faut revenir sur la distinction entre l’APD et la mission APD. L’aide publique au développement représente 10 milliards d’euros, la mission APD représente 3,1 milliards d’euros. S’ajoutent un milliard de financements innovants, la coopération décentralisée, et le reste de la politique transversale. L’OCDE détermine quels pays sont dits « en développement ». Quand des transferts financiers sont effectués vers ces pays, cela est comptabilisé. Quand Israël est sorti des pays en développement, cela a fait baisser la politique américaine d’aide au développement… Quand on comptabilise tout ça, il faut faire très attention. Aujourd’hui, la Chine est encore un pays en développement, même si elle est dans la dernière tranche. Le jour où cela sera modifié, nos dépenses d’écolage pour les étudiants chinois ne seront plus comptabilisées et notre aide au développement baissera. On voit qu’il n’y a pas assez de lisibilité ; dans le document de politique transversale, on a un milliard d’euros d’écolage qui sont comptabilisés en APD. Nous devons être vigilants sur la trajectoire : les cinq à six milliards supplémentaires d’ici 2022 doivent être dans la mission APD. Il ne faut pas uniquement respecter la trajectoire de 0,55 % du PIB, mais également bien regarder où se fait l’augmentation.

Concernant le continuum sécurité-développement, les dépenses militaires ne sont pas comptabilisées, mais il faut rappeler que pour faire de l’aide au développement, on a besoin de sécurité, de stabilité, de bonne gouvernance. Il faut que les citoyens des pays en développement aient confiance en leur gouvernement. Ainsi, il ne faut pas comptabiliser les dépenses militaires, mais quand un pays comme la France fait beaucoup pour maintenir la sécurité dans le Sahel, les autres pays qui en font moins militairement peuvent générer plus d’aide au développement.

Concernant la budgétisation, on ne peut pas à la fois dire que la budgétisation c’est moins de sécurité des financements, et dire qu’il faut plus de pilotage. Entre les PLF 2018 et 2019, il y a eu un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Au moins jusqu’en 2022, les financements sont sécurisés, car il y a une trajectoire. La budgétisation au profit de la mission Aide Publique au Développement signifie plus de pilotage politique de notre aide.  Quand on budgétise 270 millions d’euros, comptablement on n’est plus à 50 pour cent de Taxes sur les Transactions Financières (TTF) affectées au développement. Il faudra un jour rééquilibrer cela si nous voulons que les crédits de paiement correspondent aux autorisations d’engagement.

La question des décaissements et de l’aide détournée, c’est la question de l’effectivité de notre APD sur le terrain. Auparavant, nous refusions de donner directement aux gouvernements locaux pour privilégier le pilotage, par peur des détournements. Depuis une dizaine d’années, surtout à l’Union européenne, on a décidé de faire de l’aide budgétaire destinée aux gouvernants. En réalité, il faut être pragmatique : on fait évidemment plus d’aide budgétaire quand la gouvernance est bonne, et plus d’aide aux projets quand la gouvernance est moins efficace ou corrompue. Aujourd’hui l’aide aux projets s’efforce d’inclure au maximum la gouvernance locale et les acteurs locaux, pour répondre aux objectifs de la Déclaration de Paris de 2005. Cette dernière favorise notamment l’alignement sur les priorités des pays bénéficiaires, afin qu’ils s’approprient l’aide au développement.

Sur le débat « bilatéral-multilatéral », je soutiens l’idée du CICID selon laquelle l’augmentation doit bénéficier aux deux tiers au bilatéral et un tiers au multilatéral. Le multilatéral n’est pas mauvais. Il se trouve que le bilatéral a souffert d’une perte de 40 pour cent de crédits budgétaires depuis 2010,  car le bilatéral a fait office de variable d’ajustement. Nous devons retrouver notre capacité bilatérale, mais l’APD n’est pas que de la diplomatie d’influence : le multilatéral marche aussi, parfois mieux. Par exemple, le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est très efficace ; la France en est le deuxième contributeur. Il en va de même pour le fonds mondial pour l’éducation, qui est composé de bilatéral et de multilatéral. Il faut bien sûr rappeler que dans le contexte international actuel, il est bon que la France soutienne des politiques multilatérales.

Sur le développement et la coopération décentralisée, je donne la priorité dans le rapport à cet enjeu urbain. Il faut associer davantage les collectivités locales ; l’Agence française de développement est une des rares dans les pays développés à faire ce que l’on appelle du « non souverain », c’est-à-dire financer les collectivités locales des pays en développement. La coopération décentralisée française a longtemps été vue par l’État d’un œil méfiant, mais aujourd’hui elle jouit d’un véritable partenariat. Il faut aller loin : la politique d’aide au développement a besoin des collectivités françaises. C’est d’ailleurs pour cela que l’AFD a des conventions avec des grandes villes françaises pour agir de manière plus efficace dans les villes des pays en développement. Par exemple, quand l’AFD veut agir pour l’assainissement à Ouagadougou, il vaut mieux qu’elle travaille avec le grand Lyon qui depuis vingt ans fait de la coopération décentralisée dans ce domaine, et qui connaît bien ses acteurs. Pour les co-financements, il existe la FICOL (financement des collectivités locales) dans le domaine des services urbains. On a d’ailleurs un problème lié à l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Si ces dernières touchent de la FICOL, cela augmente leurs dépenses de fonctionnement, ce qui ne passe plus dans l’encadrement. Il faut travailler là-dessus avec le ministère du Budget.

 

Il est vrai qu’il y a des priorités. Mais cela donne l’impression que le reste n’est pas prioritaire. Bien sûr que l’agriculture, l’alimentation, l’autosuffisance, la question de savoir comment nous allons nourrir des villes qui s’accroissent, du soutien à l’agriculture périurbaine et rurale, la lutte contre l’exode rural et le soutien à la paysannerie sont des éléments essentiels, qui appartiennent au deuxième bloc de priorité dans le CICID.

Je voudrais aussi souligner quelque chose d’important, toujours dans cette thématique urbaine, c’est le soutien aux villes secondaires. Il y a un mouvement général d’attrait vers l’urbain, contre lequel on ne peut pas aller, sans que tout le monde ne doive aller dans les grandes villes. Le soutien aux villes secondaire est très important pour éviter que ne se développent d’immenses bidonvilles informels à la périphérie des grandes agglomérations africaines et du monde en développement.

Bien sûr, l’évaluation est un chantier devant nous. Bien sûr, la transition démographique, qui est en retard en Afrique est un enjeu, qui demande des politiques d’éducation. Ce n’est pas à nous de dicter les politiques démographiques. Par contre, il faut donner la priorité à l’éducation et à l’égalité femmes-hommes dans l’éducation. C’est une réponse, certes à long terme, mais une réponse efficace. Je crois avoir couvert l’essentiel du champ des questions et interventions qui m’ont été présentées.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup Monsieur le rapporteur. Pour ma part, si je peux ajouter trois mots à ce qui vient d’être dit par Jean-Paul Lecoq et Hubert Julien-Laferrière, la question du pilotage est absolument cruciale et majeure. Je ne suis pas sûre qu’en multipliant les comités, on puisse être aussi efficace qu’avec un ministère, qui est forcément plus identifiable. Je crois qu’on a vraiment un problème français sur cette question, qu’il faut essayer de régler. Cela va de pair avec la lisibilité de la politique, et cela va aussi de pair avec la responsabilité qui est la nôtre. Nous avons une responsabilité d’évaluation et de contrôle de l’aide publique au développement. Je trouve que le Parlement peut faire plus et mieux sur cette capacité d’évaluation et de contrôle, que ce soit sur l’APD ou l’Agence française de développement.

Frédéric Barbier est en charge de l’avis sur le contrat dit d’objectifs et de moyens, de l’Agence française de développement. Ce contrat d’objectifs et de moyens va venir en discussion devant notre commission au mois de novembre, or nous allons avoir l’année prochaine à voter une loi d’orientation et de programmation sur le développement. Vous voyez bien que quelque chose ne va pas. Signer un contrat d’objectifs et de moyens pour plusieurs années, sans tenir compte de la future loi d’orientation et de programmation, est pour le moins problématique. Je crois qu’il faudra remettre les choses à l’endroit. La loi que nous voterons, en tant que parlementaires, doit trouver sa traduction dans divers outils, dont les contrats objectifs et de moyens.

 

La commission examine ensuite lamendement II-AE6 de Mme George Pau-Langevin.

Avant de nous prononcer sur les crédits de la mission aide publique au développement, il nous revient d’examiner l’amendement AE6 de Madame Pau-Langevin et des députés socialistes apparentés. Je vous donne donc la parole.

Mme George Pau-Langevin. Par cet amendement, nous souhaitions non pas nous positionner dans le débat aide multilatérale-aide bilatérale, puisqu’on en a déjà parlé et qu’il existe des arguments dans les deux sens ; mais surtout insister sur un point que j’ai déjà évoqué dans mon intervention. C’est-à-dire : puisque chacun dit qu’il est important que nous puissions exécuter les engagements qui ont été pris dans les accords de Paris contre le réchauffement climatique. Si nous voulons le faire, il faut que nous soyons clairs sur le soutien à l’égard des pays en développement sur ce point. Dans cet amendement, nous voulons souligner qu’il faut affecter plus de fonds au fonds vert pour le climat, de manière à ce qu’il puisse davantage remplir ses objectifs. Nous sommes nombreux à dire : « La maison brûle, il faut faire quelque chose. ». Là, véritablement, on doit mettre les moyens pour respecter les objectifs qui ont été dressés en matière de lutte pour la protection de l’environnement et contre le réchauffement climatique.

M. Bernard Deflesselles. Mme la Présidente, j’attire votre attention l’attention de la commission sur cet amendement, que je vais voter, à titre personnel. Je vais vous dire pourquoi. Quelle est l’idée de cet amendement ? C’est de flécher les crédits et simplement de faire un décalage de crédits vers la lutte contre le réchauffement climatique et vers le fonds vert. Hubert en a parlé à l’instant, en rappelant qu’il ne fallait pas opposer le multilatéral au bilatéral. Je vous rappelle que le fonds vert est une création qui a quelques années, et qui sert à recueillir des fonds publics et privés pour la lutte contre le réchauffement climatique. Avec ma co-rapporteure, Nicole Le Peih, nous préparons un rapport sur la diplomatie climatique, et en particulier sur les négociations contre le réchauffement climatique. Le fonds vert, que nous avons eu l’occasion d’auditionner il y a quelques semaines, montre qu’il a besoin de crédits. Je vous rappelle que l’engagement des nations, qui a été confirmé lors de la COP 21 à Paris, était de mettre 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Aujourd’hui, il y a dix milliards. Voilà l’effort de la communauté internationale pour le fonds vert. Et dans ces dix milliards, il n’y a qu’environ 3 milliards et demis qui sont engagés, soit 25 projets environ, au niveau international. Évidemment, vous avez compris que le désengagement des États-Unis de l’accord de Paris, bien qu’effectif en 2020, fait qu’au lieu de mettre 10 milliards dans le fonds vert, ils n’en mettront qu’un. Cela m’interpelle, et je trouve que cet amendement a du sens. Cela représente 15 millions d’euros, ce n’est pas considérable. La France, d’ailleurs, de ce point de vue, a assumé ses responsabilités. Il faut rappeler que la France est un bon contributeur du fonds vert. Mais cela ne suffit pas. Alors, si l’on peut faire un geste, un clin d’œil, en faveur du fonds vert contre le réchauffement climatique, je ne m’y opposerai pas, et au contraire j’y donnerai mon assentiment. 

M. Hervé Berville. Un simple point de précision : je souscris totalement à la philosophie de l’amendement, qui est de dire qu’il faut mettre plus de moyens sur le changement climatique et l’environnement. Après, la question est de savoir si le fonds vert est l’outil idoine dans le contexte multilatéral. Déjà, se pose la question de la capacité d’absorption des pays recevant les fonds. Il y a un décalage temporel entre le moment de conception des projets et leur mise en œuvre, à cause des procédures très lourdes du fonds vert. Il y a actuellement une discussion sur la réforme de la gouvernance du fonds vert. 15 millions en plus, c’est peu pour le fonds vert, il conviendrait de s’interroger d’abord sur la gouvernance de celui-ci, avant de rogner sur quelque chose de prioritaire, le soutien à nos ambassades et au MAE par exemple, avec leurs projets sur le terrain.

Dernier point, on doit avoir une réflexion sur les financements multilatéraux dédiés au climat, parce qu’on a le fonds vert, on a le GEF, le Global Environmental Fund, de la Banque mondiale, qui donne beaucoup d’argent, on a les Nations unies pour l’environnement, qui donnent aussi de l’argent ; on a le fonds français pour l’environnement. On a donc une multitude d’acteurs, et je pense que cela appelle notre réflexion pour rationaliser cette architecture. On multiplie les instances ; il y a de plus en plus de banques et d’acteurs qui étendent leur mandat à l’environnement et au climat. Tout cela pose la question de l’efficacité et de la plus-value de ces dispositifs. Pour terminer, l’AFD a aussi un mandat fort sur la question, puisqu’elle doit s’engager à mettre un milliard de plus chaque année sur les questions d’adaptation, et qu’elle a maintenant l’obligation d’être compatible avec l’accord de Paris. Sur le fond, je suis plutôt d’accord, mais des outils existent et ce n’est peut-être pas le bon moment pour se disperser.

M. Jérôme Lambert. Je suis un peu désolé, un peu triste, parce qu’à la création du fonds vert, je faisais partie de ceux qui trouvaient l’initiative louable mais faisaient preuve d’un grand scepticisme quant à la réalisation de divers objectifs que Bernard Deflesselles a pu rappeler, c’est-à-dire 100 milliards d’euros par an. Malheureusement les faits semblent nous donner raison, cela dit, moi qui étais sceptique quant aux capacités du fonds vert, je me demande si la remise en cause d’un outil que nous avons eu tant de mal à mettre en œuvre est une bonne idée. Je comprends les difficultés, on les constate, évidemment, mais je me souviens des difficultés pour mettre en œuvre cet outil. Si la communauté internationale, dont la France, venaient à douter de cet outil, par quoi le remplacer ? Par des outils bilatéraux uniquement, au détriment de l’outil multilatéral que représente le fonds vert ? Je ne crois pas que la visibilité et la lisibilité des moyens de lutte contre le réchauffement climatique s’en trouveraient renforcés.

M. Hubert Julien-Laferrière. Le fonds vert est un outil à la fois d’adaptation et d’atténuation du réchauffement climatique. Il faut lutter contre, mais ses conséquences sont déjà là, en particulier dans les pays en développement alors que nous qui sommes responsables sommes encore préservés. C’est quand même 200 millions d’euros dans le budget 2019, dont 150 millions de recettes des taxes financières et 50 millions du programme 110. Ce que vous proposez, à budget constant, c’est de prendre 15 millions au bilatéral pour le mettre dans le fonds vert. Je rappelle ce qu’Hervé Berville a dit, c’est que l’atténuation et l’adaptation font partie des priorités sectorielles de notre aide. Notre aide bilatérale est donc aussi beaucoup sur des projets d’adaptation au changement climatique. Je crois que l’équilibre sur lequel une majorité, voire une presque unanimité de parlementaires ici présents, est tombée d’accord, c’est que l’aide au développement doit profiter davantage au bilatéral pour rattraper ce qui a été perdu – je parlais de 40 % de crédits budgétaires perdus sur le bilatéral parce que c’était une variable d’ajustement du budget. Aujourd’hui, l’aide bilatérale est fléchée prioritairement vers l’éducation, le changement climatique et les politiques d’adaptation et également la lutte contre les fragilités. Donc je crois qu’il faut garder cet équilibre. Jérôme Lambert parlait des 100 milliards d’euros d’engagement de la communauté internationale sur le changement climatique et sur les politiques d’adaptation, le fonds vert est une contradiction, comme l’ensemble de notre politique de développement et des projets d’adaptation. Nos projets d’adaptation ne sont en effet pas toujours compatibles avec les accords de Paris.

On confond deux choses. Cent milliards, c’est un objectif de la conférence de Copenhague, stipulant que la communauté internationale devait consacrer 500 milliards d’euros à la lutte contre le changement climatique et à l’adaptation dans les pays en développement. Le fonds vert a été créé pour contribuer à cela, mais au-delà, parmi les cent milliards de la communauté internationale, on comptabilise aussi les projets. 200 millions d’euros sur 2019, cela correspond presque à la moitié de l’engagement pluriannuel sur quatre ans pris l’an dernier. Los de la conférence de reconstitution, nous allons être forcés d’augmenter cette contribution. Je rappelle que c’est d’abord la taxe sur les transactions financières qui finance ce fonds vert. Je m’en tiens à cette trajectoire, à l’augmentation de l’aide publique au développement dans le bilatéral, sans se faire au détriment du multilatéral, qui augmente également. Encore une fois, les outils de lutte contre le changement climatique c’est le fonds vert mais aussi l’ensemble des projets menés par notre politique de développement, donc je donne un avis favorable.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous passons donc au vote de l’amendement. Qui est d’avis de l’adopter ? Qui est d’un avis contraire ? Qui s’abstient ? Cet amendement est rejeté, mais on a noté les abstentions.

La commission rejette lamendement.

Je vais mettre au vote les crédits de la mission Aide publique au développement pour le projet de loi de finances pour 2019. Je demande son avis au rapporteur. 

M. Hubert Julien-Laferrière. Avis très favorable.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous allons donc voter sur l’ensemble de la mission d’aide au développement. Qui est d’avis d’adopter ces crédits ? Qui est d’un avis contraire ? Qui s’abstient ? Merci, ces crédits sont donc adoptés.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission des affaires étrangères, émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement », tels qu’ils figurent à l’état B annexé à l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

 


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   Annexe – Liste des personnes auditionnées
par le rapporteur
 

 

Sénat

– M. Renan Dantec, sénateur.

Ministère de lÉconomie

– M. Cyril Rousseau, sous-directeur Affaires financières internationales et développement de la Direction générale du Trésor ;

– M. Pierre Gaudin, Chef du bureau MULTIFIN5 ;

– M. Simon Matet, adjoint au chef de bureau Afrique subsaharienne, zone franc et AFD ;

– Mme Lauranne Duhil, adjointe au chef de bureau de l’aide publique au développement .

Ministère de lEurope et des Affaires étrangères

– M. Cyrille Pierre, directeur du développement durable ;

– M. Martin Fortes, chargé de mission auprès du directeur ;

– M. Aymeric Chuzeville, sous-directeur du développement.

Coordination Sud

– M. Philippe Jahshan, président ;

– Mme Cécile Duflot, administratrice de coordination SUD en charge des questions de financement du développement et directrice générale d’Oxfam France ;

– M. Yann Illiaquer, chargé de mission Analyses et Plaidoyer Santé – APD / Financement du développement.

Agence Française de Développement

– M. Rémy Rioux, directeur général ;

– M. Charles Trottmann, directeur de cabinet du directeur général ;

– Mme Zolika Bouabdallah, chargée de mission « Parlementaires français » au sein de la division Relations avec les Élus et les acteurs économiques.

Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)

– M. Serge Michailof, chercheur associé.

Comité 21

– Mme Bettina Laville, présidente ;

– Mme Sarah Schönfeld, responsable International.

Groupe de recherche et déchanges technologiques (GRET)

– M. Pierre Jacquemot, président.

Les Ateliers Internationaux de Cergy Pontoise

– M. Pierre-André Périssol, président ;

– Mme Christine Lepoittevin, directrice.

Cités Unies France

– Mme Geneviève Sevrin, directrice générale ;

– M. Daniel Kamelgarn, conseiller de la directrice générale.

   Annexe – utilisation des ressources issues de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et de la taxe sur les transactions financières (TTF).


([1]) Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

([2]) Ces pays reçoivent au moins la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de celles mises en œuvre par l’Agence française de Développement (AFD).

([3]) Voir tableau en annexe.

([4])  Hervé Berville, Rapport sur la Modernisation de la politique partenariale de développement"(septembre 2018) ; Rodrigue Kokouendo, Bérengère Poletti, Rapport d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’aide publique au développement (juin 2018).

([5])  “Population predictions for the world’s largest cities in the 21st century”, Daniel Hoornweg and Kevin Pope, Environment & Urbanization, V o l 2 9 N o 1 A p r i l 2 0 1 7

([6]) https://afrique.latribune.fr/think-tank/entretiens/2018-10-06/gregory-clemente-l-afrique-c-est-la-priorite-de-notre-strategie-792794.html  

([7]) https://www.mediapart.fr/journal/economie/130418/l-aide-au-developpement-fournie-par-la-france-est-loin-d-etre-desinteressee?onglet=full

([8]) https://survie.org/IMG/pdf/evaluation__709c.pdf  

([9]) Citation de Rémi Rioux, directeur général de l’AFD - https://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2018/09/18/l-agence-francaise-de-developpement-a-les-mains-propres-et-agit-pour-les-populations_5356899_3212.html  

([10]) https://www.coordinationsud.org/actualite/rapport-herve-berville/