N° 1304

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 octobre 2018.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255),

 

TOME IX

 

PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN

 

 

PAR M. Maurice LEROY

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Voir le numéro 1302.

 


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. une augmentation du prélèvement sur recettes À examiner de facon nuancée

A. un projet de budget s’inscrivant dans un contexte particulier

1. Le financement de nouvelles initiatives

2. Un impact du Brexit incertain

B. une progression à nuancer

II. Des propositions innovantes de la commission pour le prochain cadre financier pluriannuel mais À améliorer largement

A. l’augmentation probable de la contribution francaise

1. Un cadre financier pluriannuel dans un contexte contraint, mais avec de nouvelles priorités

2. Une contribution française en progression

3. Un budget en expansion à certaines conditions

B. des propositions de recettes intÉressantes mais encore insuffisantes

1. L’indispensable suppression des rabais

2. La nécessaire modernisation des ressources propres

a. L’adaptation des ressources propres existantes

b. L’introduction de trois nouvelles ressources propres

c. La réflexion sur la taxation des activités numériques

d. Le relèvement du plafond des ressources propres

C. des financements pour de nouvelles priorités.

1. Répondre à de nouveaux défis

a. Définir de nouvelles priorités

b. Assurer une meilleure lisibilité

c. Favoriser une plus grande flexibilité et une plus grande réactivité

d. Mettre l’accent sur la logique de performance

2. La consolidation de l’Union économique et monétaire

3. Une diminution inacceptable des fonds structurels

a. Une présentation peu transparente

b. Des fonds de cohésion peu dynamiques

c. Une Politique Agricole Commune fragilisée

d. Le Parlement européen opposé à ces réductions

e. Des paiements en retard

f. Des conditionnalités à préciser

4. Des priorités négligées

a. Limiter les dépenses administratives de l’Union européenne

b. Favoriser les engagements environnementaux

c. Revoir les propositions relatives aux corridors maritimes

d. Mieux utiliser le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation

5. La prise en compte de la valeur ajoutée européenne

III. un calendrier encore incertain

A. pour l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel

B. la synchronisation du cadre financier avec le cycle politique des institutions européennes

conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

 


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   introduction

La Commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019 qui évalue le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne à 21,5 milliards d’euros.

Le budget 2019 sera le sixième de l’actuel cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, et donc, dans une large mesure, dans la continuité du précédent.

Mais l’Union européenne doit faire face à de nombreux et nouveaux défis : les migrations, l’innovation, la compétitivité, l’environnement international, la révolution numérique, le changement climatique et un scepticisme sans précédent à l’égard de l’Union européenne. Le Brexit, qui doit survenir en 2019 est un facteur supplémentaire d’incertitude.

En outre, les travaux pour le prochain cadre financier pluriannuel ont commencé. La Commission européenne a présenté le 2 mai 2018 des propositions pour un nouveau cadre qui couvrira la période 2021-2027, en tentant de prendre en compte ces différentes questions. Autant de raisons pour réformer tant les ressources que les dépenses de l’Union européenne.

Parallèlement, la déclaration de Meseberg du 19 juin dernier témoigne de la volonté du couple franco-allemand de faire progresser le projet européen et de défendre une Europe démocratique, compétitive, prospère, défendant son modèle économique et social.

Sous réserve des remarques ci-après, votre rapporteur se prononce en faveur de l’adoption de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

 

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Le rapporteur souhaite faire une remarque liminaire sur les réponses au traditionnel questionnaire budgétaire adressé au ministère de l’économie et des finances et au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Il est anormal que les réponses mettent autant de temps à lui parvenir ; cela était d’ailleurs déjà le cas l’année dernière. Après plusieurs relances, elles sont arrivées le 1er octobre, pour la plupart d’entre elles et se sont engrenées les jours suivants pour les autres, jusqu’au 12 octobre. Les ministères s’abritent derrière le fait que la loi organique impose une réponse au plus tard le 10 octobre. Lorsque le rapport est examiné le 17 en commission, comme cela a été le cas pour le mien, la marge est étroite.

Le contenu des réponses mérite également qu’on s’y arrête. Le rapporteur a été très surpris par le caractère lapidaire et peu précis de nombre d’entre elles, si bien qu’il a dû demander des informations complémentaires. Cela a été le cas pour des questions importantes, aussi bien sur la proposition de budget pour 2019, que pour un grand nombre de questions portant sur le futur cadre financier pluriannuel. Il n’a obtenu que quelques précisions supplémentaires par téléphone.

Il doit vous préciser qu’il n’a pu disposer de l’annexe budgétaire, le « jaune », qui fait le point sur les « relations financières avec l’Union européenne » que la veille de la présentation de son rapport devant la commission des affaires étrangères. Cette transmission est nettement plus tardive que les années précédentes, ce qui est inacceptable.

 

 

 


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I.   une augmentation du prélèvement sur recettes À examiner de facon nuancée

A.   un projet de budget s’inscrivant dans un contexte particulier

L’exécution du budget 2019 aura lieu dans un contexte particulier, avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, prévu le 30 mars 2019, les élections au Parlement européen et l’installation d’une nouvelle Commission.

Le projet de budget 2019 de la Commission européenne s’élève à 165,6 milliards d’euros en crédits d’engagement et 148,7 milliards d’euros en crédits de paiement. Il correspond à une augmentation de 3,1 % en crédits d’engagement et 2,7 % en crédit de paiement par rapport au budget pour 2018.

Les recettes reposent sur les données prévisionnelles de la Commission européenne, issues du comité consultatif des ressources propres qui s’est réuni à Bruxelles en mai 2018. Comme chaque année, ces données feront l’objet d’une réévaluation en mai 2019.

Conformément aux traités, l’Union n’a pas le pouvoir de percevoir des taxes, mais elle dispose de « ressources propres », tout en respectant les prérogatives fiscales des États, qui sont de deux ordres.

Les ressources propres traditionnelles (droits de douane) sont les seules ressources véritablement européennes. Elles s’érodent, en raison de la multiplication des accords de libre-échange signés par l’Union. Elles correspondent à environ 15 % de ses recettes totales. Certains membres de la commission des affaires étrangères ont dénoncé cette évolution libérale qui conduit à l’augmentation des contributions des États.

L’essentiel du budget est en effet aujourd’hui financé par des ressources versées par les États-membres :

– en fonction de leurs recettes de TVA (à hauteur d’environ 12 %) ;

– et, principalement, en fonction de leur revenu national brut (à hauteur d’environ 70 %), cette ressource, dite « RNB », permet d’équilibrer le budget puisque son montant est fixé de manière à financer la différence entre le montant des dépenses de l’année et le produit des autres ressources propres et des recettes diverses.

Le reste du budget, environ 1 %, provient de taxes versées par le personnel de l’Union sur ses rémunérations, de contributions de pays tiers à certains programmes européens, d’amendes aux entreprises qui ne respectent pas les règles de concurrence ou d’autres lois, ainsi que du solde de l’exercice précédent.

L’estimation des dépenses est fondée sur une hypothèse relative au besoin de financement de l’Union européenne, au regard des discussions budgétaires inter- institutionnelles en cours. La Commission européenne a en effet présenté son projet de budget pour 2019 et le Conseil a fixé sa position le 4 septembre 2018. La phase de conciliation avec le Parlement européen, à l’issue de laquelle sera arrêté le montant du budget 2019, se déroulera en novembre 2018. Ce n’est qu’à ce moment-là que les prévisions de dépenses seront connues avec certitude, ce qui pourra éventuellement amener le gouvernement à réviser l’estimation de Prélèvement Sur Recettes pour l’Union Européenne présentée dans le PLF 2019.

1.   Le financement de nouvelles initiatives

Ce projet traduit les priorités politiques de la Commission dans la continuité des précédents budgets, en mettant l’accent sur la dynamisation de l’économie européenne, l’emploi, la jeunesse, les migrations, la solidarité et la sécurité. Ces programmes sont au cœur des enjeux pour répondre aux attentes des citoyens européens.

Il prévoit néanmoins le financement de nouvelles initiatives : le corps européen de solidarité ([1]), le volet recherche du programme de défense (PEDID) ([2]), l’autorité européenne du travail ([3]), la protection civile et l’appui à la réforme structurelle.

Quant à la méthodologie, la France soutient une budgétisation « réaliste, prudente et fiable » dans un contexte incertain, en veillant à la prévisibilité de sa contribution pour la fin du cadre, et plus particulièrement :

– le respect des engagements interinstitutionnels, en tenant compte en particulier de la révision à miparcours, mais aussi de l’accord sur la Facilité UETurquie (FRIT) ainsi qu’une budgétisation adéquate des nouvelles initiatives en cours de discussion ;

– la sincérité budgétaire, notamment en réévaluant l’estimation des recettes affectées. Toutes les recettes affectées jusqu’au vote du budget doivent en effet être prises en compte dans le niveau de budgétisation des crédits ;

– une budgétisation prudente en crédits d’engagement, afin de limiter la hausse des crédits qui viennent alimenter le « reste à liquider » pour le prochain cadre financier pluriannuel, estimé à un peu moins de 300 milliards d’euros à fin 2020. En effet, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 est marqué par le retard important pris dans l’exécution de la politique de cohésion([4]). À la fin de 2017, soit 4 ans après le début du cadre financier pluriannuel, seuls 15 % des crédits de paiements avaient été dépensés, situation dénoncée par la Cour des comptes européenne. Il en résulte une très forte variation du budget européen, et, par conséquent, de la contribution française, et le report, sur les dernières années du cadre actuel et sur le prochain, d’un montant important de crédits de paiements. Un niveau trop élevé de nouveaux crédits d’engagement se traduirait par une limitation des marges de manœuvre budgétaires des prochaines années. Des membres de la commission des affaires étrangères ont dénoncé ces impayés, y voyant la preuve d’une mauvaise gestion du budget européen.

2.   Un impact du Brexit incertain

En l’absence d’accord de retrait avec le Royaume-Uni, celui-ci devrait continuer à contribuer au cadre financier et au budget 2019. La contribution britannique représente à l’heure actuelle entre 12 et 14 milliards d’euros par an.

Toutefois, s’il cessait de le faire, les autres États-membres devraient alors compenser l’absence de contribution britannique. En fonction des hypothèses adoptées, la France pourrait connaître une augmentation de sa contribution au budget de l’Union pour 2019 compris entre 1 et 2 milliards d’euros, selon les estimations de la direction du budget du ministère de l’économie et des finances.

La question de la participation du Royaume-Uni au-delà du Brexit aux différents programmes européens n’a pas encore été traitée dans le cadre des négociations. Elle relève en effet des relations futures.

Sur le plan budgétaire, la participation des États tiers à un programme européen est comptabilisée comme une recette affectée, non incluse dans le budget européen. Il ne devrait donc pas y avoir d’impact sur le financement du prochain cadre financier pluriannuel.

La France souhaite néanmoins que des garde-fous soient mis en place afin de s’assurer que pour chacun des programmes, les retours vers un État tiers ne soient pas supérieurs à la contribution versée par celui-ci. Il s’agirait d’éviter les effets d’aubaine, grâce à un mécanisme automatique, dont les instruments restent à définir juridiquement.

B.   une progression à nuancer

Il est fait l’hypothèse d’un prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne de 21 515 milliards d’euros pour 2019, ce qui correspond à une augmentation de 1 603 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 (+ 8,1 %). Elle s’explique principalement par une montée en puissance du besoin de crédits de paiement de l’Union, notamment de la rubrique 2 « ressources naturelles » et de la rubrique 4 « Europe dans le monde ». Il s’agit, en particulier, du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), qui finance le deuxième pilier de la Politique Agricole Commune (PAC), de l’instrument européen de voisinage, qui vise à soutenir les processus de réforme politique, économique et sociale dans un certain nombre de pays voisins de l’Union européenne, ainsi que de la deuxième tranche de la Facilité Union Européenne-Turquie, d’un montant de 3 milliards d’euros dont deux provenant du budget de l’Union. Ce budget, qui finance la fin de l’actuel cadre financier pluriannuel, ne remet pas en cause les priorités des années précédentes, dont le plan d’investissement pour l’Europe, dit plan Juncker, les politiques de cohésion, la Politique Agricole Commune, le projet Erasmus.

Comme le précise l’annexe budgétaire au PLF 2018, « relations financières avec l’Union européenne » (le « jaune »), la contribution française au budget de l’Union européenne est en progression tendancielle depuis plus de vingt ans et sa part s’accroît dans les recettes fiscales nettes de l’État. Le montant de celle-ci, constituée du prélèvement sur recettes et des ressources propres traditionnelles nettes des frais d’assiette et de perception, a été multiplié par cinq en valeur entre 1982 et 2018, passant de 4,1 milliards d’euros en 1982 à 20,2 milliards d’euros en 2018 à périmètre constant et, 21,5 milliards d’euros en 2019. 

Ce prélèvement est souvent perçu comme un coût pour les budgets nationaux, alors que ceux-ci ont pour objectif le contrôle de leur déficit. Le rapporteur souligne à cet égard que le financement de l’Union européenne n’est pas satisfaisant, dans la mesure où le Parlement européen se prononce sur les dépenses, alors qu’il revient aux Parlements nationaux de se prononcer sur les contributions nationales. Elles peuvent être, de ce fait, mal acceptées.

Outre son montant qui est contesté par certains, il convient de souligner que c’est une dépense difficile à gérer en exécution, puisque la provision inscrite dans le projet de loi de finances est fondée sur des hypothèses amenées à varier notablement en cours d’année - les prévisions de recettes et de dépenses du budget de l’Union européenne pour l’année à venir - alors que la négociation du budget est en cours.

Or, il ne faut pas se contenter de mesurer le solde net des contributions qu’un État verse à l’Union européenne et se limiter à la logique du « juste retour » qui donne une vision incomplète du fonctionnement du budget européen. L’approche par la valeur ajoutée européenne doit être retenue, ce que propose la Commission dans son projet de nouveau cadre financier.


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II.   Des propositions innovantes de la commission pour le prochain cadre financier pluriannuel mais À améliorer largement

A.   l’augmentation probable de la contribution francaise

1.   Un cadre financier pluriannuel dans un contexte contraint, mais avec de nouvelles priorités

La proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 et de décision sur les ressources propres a été rendue publique par la Commission européenne le 2 mai 2018. Celle-ci s’inscrit dans le contexte budgétaire contraint du fait de la sortie de l’Union du Royaume-Uni, le troisième contributeur net au budget de l’Union européenne.

 

La commission a pour objectif :

 

– de traduire dans le budget les nouvelles priorités de l’Union et les défis auxquels elle doit faire face, en plus des politiques traditionnelles que sont la politique agricole commune et la cohésion ;

 

– de moderniser le budget de l’Union afin de le simplifier, de le rendre plus transparent, plus flexible et donc plus performant. Celui-ci doit en outre traduire une réelle « valeur ajoutée européenne ».

Il convient à cet égard de souligner que les chiffres présentés par la Commission sont encore difficiles à analyser. Plusieurs pays dont la France et des représentants du Parlement européen (en particulier les co-rapporteurs sur le cadre financier pluriannuel ont dénoncé le manque de transparence des propositions de la Commission, qui fausseraient en particulier la lecture de l’évolution du financement des politiques agricole et de cohésion.

La Commission propose un cadre financier pluriannuel de 1 279 milliards d’euros en engagements sur la période 2021-2027, soit 1,11 % du revenu national brut de l’Union européenne à 27 membres, ce qui revient globalement à maintenir l’effort par rapport au cadre financier pluriannuel actuel (1,13 % du revenu national brut de l’Union à 27) malgré le départ du Royaume-Uni (lequel entraîne une perte annuelle comprise entre 12 et 14 milliards d’euros). Pour mémoire, le Parlement européen avait appelé à un effort à hauteur de 1,3 % du revenu national brut. En crédits de paiement, la proposition s’élève à 1 246 milliards d’euros, soit 1,08 % du revenu national brut de l’Union européenne.

 

Le cadre financier se veut plus simple, lisible et flexible et donnera lieu à un réexamen à mi-parcours en 2023.

 

La proposition de budget s’organise en 7 rubriques : (en milliards d’euros)

 

-marché unique, innovation et numérique :    187

-cohésions et valeurs      442

  Dont cohésion économique, sociale et territoriale 373

-ressources naturelles et environnement    379

  Dont dépenses liées au marché et paiements directs 286

-migration et gestion des frontières     35

-sécurité et défense        28

-voisinage et le monde      123

-administration publique européenne     85

 

Total des crédits d’engagement (en pourcentage du RNB)  1 279 (1,11 %)

Total des crédits de paiement (en pourcentage du RNB)  1 246 (1,08 %)

2.   Une contribution française en progression

Le maintien de l’effort global par rapport au précédent cadre se traduira mécaniquement par une augmentation très substantielle de la contribution de la France.

L’augmentation prévue en moyenne annuelle de la contribution française serait de l’ordre de 6,3 milliards d’euros, soit plus de + 30 % par rapport au cadre financier pluriannuel 2014-2020. Cette estimation tient compte de l’augmentation du volume global de dépenses proposé par la Commission et de la sortie du Royaume-Uni, contributeur net au budget de l’Union. Elle est fondée sur la proposition de la Commission pour l’ensemble des dépenses (y compris pour les instruments spéciaux situés « hors plafonds ») et sans prendre en compte l’impact des nouvelles ressources propres qui seront présentées ci-après.

3.   Un budget en expansion à certaines conditions

La Commission, dans le cadre des travaux préparatoires au cadre financier pluriannuel 2014-2020 avait présenté, en 2011, des propositions pour une réforme des ressources propres de l’Union. Mais les négociations trilatérales avec le Conseil et le Parlement n’avaient abouti qu’à des modifications mineures. Il avait cependant été décidé de créer à ce sujet un groupe de travail de haut niveau. La modernisation du volet recettes s’appuie de ce fait sur les recommandations formulées par le groupe de travail sur le « financement futur de l’Union Européenne » présidé par M. Mario Monti. Son rapport, rendu en 2016, affirme que la réforme du financement du budget de l’Union ne doit pas alourdir la charge fiscale globale du contribuable européen, condition qui vient d’être de nouveau soulignée par les membres de la commission des budgets du Parlement européen ce 9 octobre 2018.

La France, en tant que contributeur majeur au budget européen soucieux de maîtriser les dépenses publiques, est prête à un budget à 27 en expansion mais sous plusieurs conditions :

une modernisation des politiques dans une optique d’efficacité et de convergence ;

la mise en œuvre de nouvelles ressources propres ;

la suppression des rabais sous toutes leurs formes dès 2021 dans un souci de transparence et d’équité ;

 l’instauration de conditionnalités dans l’accès aux fonds de solidarité de l’Union.

Le départ du Royaume-Uni donne en effet l’occasion historique de réformer le système des ressources propres et de mettre un terme au système de corrections financières (les rabais) qui contrevient au principe de solidarité budgétaire.

B.   des propositions de recettes intÉressantes mais encore insuffisantes

1.   L’indispensable suppression des rabais

Le Royaume-Uni a obtenu d’être remboursé à hauteur de 66 % de la différence entre sa contribution et ce qu’il reçoit en retour du budget. Le coût en est réparti entre les États-membres proportionnellement à leur contribution calculée en fonction du revenu national brut, la France étant le premier contributeur au financement de ce rabais, pour un quart environ.

Mais depuis 2002, le coût de la correction britannique est limité à 25 % de sa valeur pour certains pays : l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède, ce qui accroît la charge des autres États-membres au prorata de leur part dans le revenu national brut de l’Union et, notamment, pour la France.

Par la suite, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Autriche ont également obtenu des réductions forfaitaires de leurs versements annuels de ressources revenu national brut.

En outre, alors que le taux d’appel de droit commun de la ressource TVA est fixé à 0,30 %, certains États-membres : Allemagne, Pays-Bas et Suède ont obtenu un taux réduit de 0,15 %.

La France a d’ailleurs demandé un rabais en 2012 sur sa contribution au financement des rabais.

Il en résulte donc un système particulièrement complexe, illisible et inéquitable qu’il convient de remettre à plat.

La suppression des rabais est impérative pour une meilleure lisibilité du budget européen. La Commission propose leur suppression progressive pour les États-membres qui en bénéficient dans le cadre actuel, à échéance de 5 ans, afin d’éviter une augmentation soudaine de la contribution de certains États membres.

Elle propose ainsi l’allocation de rabais forfaitaires à l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède dont les montants seraient décroissants jusqu’en 2025 et qui seraient supprimés au-delà. Le montant total de rabais à financer par les 27 États membres sur les cinq premières années du cadre s’élèverait ainsi à 15,9 milliards d’euros.

Si les rabais étaient supprimés sur une durée progressive de 5 ans, la France en serait le premier financeur. Au total, le coût en serait de 2,8 milliards d’euros, selon les estimations de la direction du budget. C’est pourquoi, même si la suppression progressive des rabais est une avancée louable, les autorités françaises réclament leur suppression immédiate.

Votre rapporteur appuie cette demande.

2.   La nécessaire modernisation des ressources propres

https://www.touteleurope.eu/fileadmin/_TLEv3/budget_et_cfp/Budget-Propositions-Commission-Infogram-Ressources.jpg

a.   L’adaptation des ressources propres existantes

La Commission propose par ailleurs de moderniser les ressources propres existantes.

La France note avec intérêt la volonté de la Commission de simplifier la ressource TVA mais porte une plus grande ambition, la suppression de cette ressource qui a peu de lien avec les politiques de l’Union et demeure trop complexe. Du fait des différentiels de taux de contribution, cette décision conduirait à une diminution de 0,1 milliard d’euros de la contribution française en moyenne annuelle, selon les estimations de la direction du budget.

Par ailleurs, la Commission propose, à juste titre, d’abaisser le taux des frais de perception sur les droits de douane de 20 à 10 %, afin qu’ils correspondent mieux aux coûts réels de collecte.

b.   L’introduction de trois nouvelles ressources propres

Le rapport Monti soulignait la nécessité de renforcer le lien entre les ressources de l’Union et les politiques menées par celles-ci.

La Commission propose d’introduire trois nouvelles ressources propres (qui représenteraient environ 12 % des recettes budgétaires totales de l’Union européenne, pour une moyenne annuelle d’environ 22 milliards d’euros sur la période 2021-2027), ce qui contribuerait au financement de nouvelles priorités et permettrait de combler la moitié des pertes découlant du Brexit :

– un taux d’appel de 3 % sur une nouvelle assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), dont la mise en place apparaît néanmoins encore très hypothétique. À Meseberg, la France et l’Allemagne sont convenues d’agir conjointement afin de « soutenir et d’accélérer le projet européen d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés en Europe ».

une part de 20 % des recettes tirées de la mise aux enchères des quotas du système européen d’échanges de quotas d’émission (SEQE-UE) - pièce maîtresse de la politique de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique et outil essentiel pour réduire de manière économiquement avantageuse les émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne est le premier grand marché mondial du carbone.

une contribution nationale calculée sur la base de la quantité de déchets d’emballages en plastique non recyclés dans chaque État membre (soit 0,80 € par kilo).

Les trois nouvelles ressources propres proposées par la Commission conduisent au total à une minoration de la contribution française au budget de l’Union de 0,4 milliard d’euros en moyenne annuelle.

La France soutient l’introduction de nouvelles ressources propres dans le système de financement du budget de l’Union, et en particulier celle fondée sur les recettes d’enchères du système communautaire d’échange de quotas d’émission (ETS). Elle est en effet tout particulièrement favorable à l’intégration de nouvelles ressources dans les domaines environnemental et numérique, dont les liens avec les objectifs et les politiques de l’Union sont clairement établis.

c.   La réflexion sur la taxation des activités numériques

Il serait en effet hautement souhaitable que ces ressources propres soient complétées par la taxe intérimaire sur les activités numériques afin de restaurer une certaine équité dans la fiscalité des entreprises au niveau européen. Il est indispensable de combler l’écart très important existant aujourd’hui entre la faible taxation des activités numériques et la valeur ajoutée très élevée qu’elles génèrent et le rapporteur est tout particulièrement attaché à ce type de taxation.

La déclaration de Meseberg se propose de parvenir d’ici à la fin de l’année à un accord de l’Union européenne sur une taxation équitable du numérique. M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a souhaité en obtenir un sur l’introduction d’une taxe pour les plates-formes numériques à la fin 2018 au plus tard. Toutefois, l’accord de nos partenaires n’est pas encore acquis : l’Allemagne, qui a donné son accord de principe, demande à en examiner les modalités, la Suède et le Danemark redoutent que cette initiative n’envenime les tensions transatlantiques ; quant à l’Irlande, elle rejette le principe de l’harmonisation fiscale au niveau européen.

La Commission a proposé en mars 2018 une taxe sur les produits générés par certaines activités numériques qui échappent au cadre fiscal en vigueur. Ce système s’appliquera à titre provisoire, jusqu’à ce qu’une réforme globale soit mise en œuvre. Elle génèrerait immédiatement des recettes pour les États-membres et permettrait d’éviter que des mesures unilatérales soient prises pour taxer les activités numériques dans certains États-membres, épargnerait les jeunes pousses et les entreprises en expansion de petite taille ([5]). Selon les estimations, 5 milliards de recettes par an pourraient être réalisées si la taxe est appliquée à un taux de 3 %.

Un projet de rapport pour avis ([6]) discuté en commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen en octobre 2018 propose d’en relever le taux à 5 %. Il suggère aussi d’étendre le champ d’application de la taxe ([7])

La Commission propose également une réforme commune des règles de l’Union relative à l’impôt sur les sociétés applicables aux activités numériques : elle permettrait aux États-membres de taxer les bénéfices réalisés sur leurs territoires, même si une entreprise n’y est pas présente physiquement ([8]). Ce système établit un lien concret entre le lieu où les bénéfices du secteur numérique sont réalisés et celui où ils sont taxés. La mesure pourrait, à terme, être intégrée dans le champ d’application de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

D’ailleurs, certains économistes, dont Thomas Piketty et Joseph Stiglitz ([9]), soulignent dans une lettre adressée le 1er octobre dernier au président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, que « l’ACCIS  incluant un facteur numérique reste la meilleure solution pour imposer les bénéfices des multinationales de manière adéquate ».

Les négociations relatives aux ressources propres ont commencé en mai dernier et se déroulent au sein d’un groupe dédié du Conseil de l’Union européenne, qui s’est déjà réuni à plusieurs reprises depuis la présentation du projet de la Commission. Une réforme du système de financement du budget de l’Union européenne est par nature complexe, puisqu’elle requiert l’unanimité des États membres. Ce sujet constitue néanmoins une des conditions mises par la France à une augmentation de sa contribution.

La ressource revenu national brut étant la ressource d’équilibre, sa part relative dans le financement du budget de l’union augmenterait à due concurrence.

d.   Le relèvement du plafond des ressources propres

La Commission prévoit également un plafond pour les appels de ressources propres afin de procurer des certitudes et une prévisibilité aux États-membres en vue de leur planification financière et budgétaire nationale. Ce plafond est aujourd’hui fixé à 1,20 % du revenu national brut de l’Union européenne. À la suite du retrait du Royaume-Uni, ce plafond diminue automatiquement d’environ 16 % (soit la part de celui-ci dans le revenu national brut de l’Union).

C.   des financements pour de nouvelles priorités.

La décomposition du budget proposée et présentée par la Commission européenne est la suivante :

https://www.touteleurope.eu/fileadmin/_TLEv3/budget_et_cfp/Budget-Propositions-Commission-Infogram-Repartition.jpg

Source : Commission européenne (www.touteleurope.eu)

1.   Répondre à de nouveaux défis

a.   Définir de nouvelles priorités

Dans un contexte budgétaire contraint par le départ du Royaume-Uni, la Commission propose une nouvelle réponse aux défis collectifs auxquels l’Union est confrontée.

Le projet de cadre financier pluriannuel affiche une augmentation du financement des nouvelles priorités politiques de l’Union européenne assez consensuelle.

la recherche, l’innovation : les dépenses sont doublées (100 milliards d’euros) avec, en particulier, une augmentation substantielle d’Horizon 2020 et la multiplication par 9 des financements pour les investissements dans la transformation des réseaux numériques (12 milliards d’euros). Il est indispensable que l’Union tienne son rang grâce à une politique de recherche et d’innovation, en particulier d’innovation de rupture, qui devra disposer d’un budget à la hauteur de ses ambitions. Le renforcement de la puissance technologique et numérique de l’Europe constitue également une priorité française ;

la jeunesse (30 milliards d’euros) : le financement du projet Erasmus + est également doublé ; le projet d’avis du Parlement européen propose une augmentation de l’enveloppe financière présentée par la commission ;

la sécurité et la défense : la prise en compte des besoins de l’Europe de la défense contribuera à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne ; les investissements liés à la sécurité augmentent de 40 % (4,8 milliards d’euros) et un Fonds de la défense, doté de 13 milliards d’euros, est proposé pour la première fois. Les investissements destinés à faciliter la mobilité militaire seront financés à hauteur de 6,5 milliards d’euros. Le rapporteur ne peut que se féliciter que le Fonds européen de défense figure parmi les priorités stratégiques et géostratégiques. Des commissaires des affaires étrangères ont en effet demandé que l’Union européenne contribue à notre effort militaire au Sahel ;

les migrations et la gestion des frontières : les effectifs de Frontex devraient passer de 1.200 à 10.000 d’ici 2027 – A Meseberg, Français et Allemands ont appelé à un « renforcement ambitieux » de l’agence « en termes de personnel et de mandat » – . Deux lignes budgétaires destinées à la défense (20 milliards d’euros) et à la gestion des migrations (10 milliards d’euros) seraient créées. Les dépenses relatives à la gestion des frontières extérieures, des migrations et de l’asile sont presque triplées (33 milliards d’euros) ;

les actions extérieures : leur financement croît de 26 % (120 milliards d’euros).

La mise en place de rubriques dédiées à la sécurité et la défense d’une part, aux migrations et à la gestion des frontières d’autre part, reflète mieux les nouveaux défis de l’Union.

Le rapporteur soutient pleinement la démarche ambitieuse de la Commission en faveur d’une refondation du budget de l’Union et le financement de nouvelles priorités.

b.   Assurer une meilleure lisibilité

Une plus grande lisibilité s’impose pour deux raisons.

Ce sera une manière de répondre aux questions que se posent nombre de citoyens européens : « Que finance-t-on ? Pour quoi ? Comment ? Qui décide ? ». Il a été fait remarquer à votre rapporteur, au cours de la réunion de la commission des affaires étrangères, que les réponses n’allaient pas de soi et qu’on constatait un décalage entre les idées et la vraie vie. Un budget plus lisible contribuerait à apporter des réponses à nos concitoyens, serait plus démocratique, même si le budget n’est pas le seul élément d’information.

Par ailleurs, L’Union européenne traverse depuis environ une décennie une « polycrise », comme l’a souligné le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Il convient d’en tirer les conséquences, en adaptant et en modernisant le budget pour une plus grande réactivité.

En effet, la mise en œuvre du cadre financier pluriannuel actuel a montré que le budget de l’UE doit être réactif et flexible pour faire face à des situations imprévues ou réorienter les dépenses en fonction des nouvelles priorités politiques. Cet impératif de flexibilité rend indispensable un effort de simplification et de lisibilité du budget.

La Cour des comptes européenne est vigilante quant à la lisibilité : elle estime que la Commission ne procure pas de perspectives suffisamment claires sur les changements affectant les dépenses, qu’elles ne sont ni clairement expliquées dans la proposition, ni justifiées par les résultats publiés de l’évaluation de la valeur ajoutée des programmes de dépenses de l’Union. Elle attribue ce manque de clarté à l’inflation, aux conséquences du Brexit, à l’inclusion du Fonds européen de développement dans le budget et au changement de présentation et d’intitulé des chapitres.

Elle propose son propre chiffrage : le budget de l’Union européenne à 27 serait plus important pour la prochaine période, les dépenses supplémentaires passant de 1 087 à 1 279 milliards d’euros (soit + 18 % à prix courants). La Cour estime que l’augmentation réelle est de 5 % (de 1 087 milliards d’euros à 1 130 milliards d’euros).

Le rapporteur apprécie les efforts de la Commission européenne pour une architecture plus simple : il est prévu de réduire le nombre de programmes d’environ un tiers en regroupant les sources de financement  et en rationalisant l’utilisation des instruments financiers. Cette proposition constitue un premier pas dans le sens de la refondation du budget de l’Union. Cette nouvelle architecture est plus à même de refléter les priorités collectives, pour faire du budget européen un instrument d’action et de protection au service des citoyens européens, en Europe et dans le monde.

La France considère que les propositions de la Commission relatives aux mécanismes de flexibilité devraient comporter la fusion de certains instruments : d’une part, la fusion de la réserve pour aide d’urgence et du fonds de solidarité de l’Union européenne, afin de former une réserve pour les crises ; d’autre part, la fusion de l’instrument de flexibilité ([10]), de la marge globale pour les engagements et des marges pour imprévus pour constituer un outil de flexibilité transversal.

La nouvelle architecture du budget doit, sauf exceptions dûment justifiées, respecter le principe d’unité et s’inscrire dans le cadre des plafonds prévus par l’article 302 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle doit être en mesure de répondre aux besoins de l’Union en évitant de recourir à des instruments hors budget, comme les fonds fiduciaires ou de nouveaux fonds ad hoc en cours de programmation.

Jusqu’à présent, la Commission européenne, faute de moyens pour répondre à de nouveaux besoins, a conçu des appendices budgétaires. Le fonds européen pour les investissements stratégiques, créé en 2015, a pour objectif d’utiliser des fonds publics, y compris des fonds issus du budget de l'Union européenne, afin de mobiliser des investissements privés pour financer un large éventail de projets menés dans l'Union. Il constitue une entité distincte et transparente et prend la forme d'un compte géré séparément par la Banque européenne d'investissement (BEI).

En outre, l’ampleur soudaine de la crise des migrations a conduit, à l’initiative de la Commission, à mettre en place de nouveaux moyens de financement grâce à des fonds fiduciaires : il a été créé un fonds spécifique pour la République centrafricaine, un fonds pour répondre à la crise syrienne, un fonds fiduciaire d’urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique et un autre pour la Colombie. Une « facilité budgétaire pour la Turquie » a également été mise en place ainsi que, récemment, un fonds de garantie pour le développement durable.

La France est opposée à la comptabilisation des instruments spéciaux hors plafond : ceux-ci doivent être comptabilisés sous les plafonds à la fois en crédits d’engagement et en crédits de paiement. Dans le cadre de la négociation des règlements de mise en œuvre du 11e fonds européen de développement, la France a soutenu son alignement progressif sur le droit commun du budget de l’Union.

Toutefois, au regard du contexte géopolitique et des défis auxquels l’Europe est confrontée, notamment en matière de migrations et de sécurité, la France considère que l’Afrique subsaharienne et la rive Sud de la Méditerranée doivent être au cœur de la politique extérieure de l’Union européenne. Pour une meilleure gouvernance de la politique extérieure de l’Union européenne, le rôle des États membres dans le pilotage doit être préservé, voire renforcé. L’Union européenne doit enfin être en mesure de réagir rapidement pour répondre aux crises extérieures avec des modalités de gestion suffisamment flexibles. Les autorités françaises considèrent à ce stade qu’un maintien du Fonds européen de développement hors du budget de l’Union européenne offrirait les meilleures garanties afin d’atteindre ce triple objectif.

Enfin, pour renforcer la prévisibilité du prélèvement sur recettes pour l’Union européenne et améliorer sa gestion, les services de la Commission doivent améliorer leur capacité de prévision des décaissements et partager avec les États membres leurs hypothèses, de manière périodique et transparente. Dans ce cadre, la Commission devra estimer avec précision et prudence les crédits de paiement nécessaires au début du prochain cadre financier pluriannuel, en prenant notamment en compte les retards récurrents des décaissements en début de programmation. Comme le propose la Commission, la France souhaite également que la règle de dégagement d’office des engagements, en N + 3 soit ramenée en N + 2 (règle du précédent cadre) afin d’éviter les retards dans la politique de cohésion constatés dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Par ailleurs, une meilleure prévisibilité des contributions nationales passerait notamment par la réduction du nombre de budgets rectificatifs annuels.

Le corollaire de la lisibilité est l’information. Les commissaires ont souligné l’opacité des décisions européennes. Il faut que les éventuels bénéficiaires des fonds européens sachent qu’ils peuvent y avoir droit. Il est en outre hautement souhaitable que les parlementaires français soient associés aux choix faits par les instances européennes et que, inversement, l’exécutif prenne en compte leurs avis. L’opacité donne à nos concitoyens de ne pas du tout maîtriser les choix réalisés.

c.   Favoriser une plus grande flexibilité et une plus grande réactivité

L’amélioration de la lisibilité permettra corrélativement une plus grande flexibilité et une plus grande réactivité.

Dans le contexte géopolitique instable que nous connaissons, l'Europe doit être capable de répondre rapidement et efficacement à des besoins imprévus. C’est ainsi que la Commission vise à rendre le budget de l'Union plus souple en améliorant sa flexibilité dans et entre les programmes, ainsi qu'entre les rubriques et entre les exercices.

D’ailleurs, la Cour des comptes européenne, dans son rapport du 10 juillet 2018 relatif aux propositions de la Commission concernant le prochain cadre financier pluriannuel, se félicite de cette nouvelle flexibilité permettant de réagir aux évènements imprévus.

La Commission propose de créer une réserve de l'Union, financée à partir de toutes les marges disponibles (la différence entre le plafond et le montant réellement engagé ou payé au cours d'un exercice donné) ainsi que des montants engagés mais non utilisés. Elle sera un nouvel outil pour affronter les événements imprévus, pour répondre aux urgences dans des domaines tels que la sécurité et les migrations et pour faire face aux conséquences économiques et sociales des perturbations des échanges une fois les autres instruments disponibles exploités.

La France avait d’ailleurs mis l’accent sur la nécessité d’une plus grande réactivité du budget de l’Union européenne, surtout si la durée de 7 ans doit être conservée pour le prochain cadre financier pluriannuel. Elle avait suggéré d’augmenter la part des crédits non alloués aux États-membres, afin d’éviter en cours de programmation le développement des fonds impliquant un financement conjoint de l’Union et des États, la multiplication de ces fonds étant un facteur de complexité et d’illisibilité.

d.   Mettre l’accent sur la logique de performance

L’Union européenne a créé un système de pilotage de son budget par la performance intitulé « Budget focus on results », basé sur l’article 318 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que « La Commission présente également au Parlement européen et au Conseil un rapport d'évaluation des finances de l'Union fondé sur les résultats obtenus notamment par rapport aux indications données par le Parlement européen et le Conseil ».

En même temps que son projet de budget, la Commission européenne élabore donc chaque année une revue de performance (programmes performance overview) de l’ensemble des programmes et de son projet de budget.

Les indicateurs fournis mesurent les progrès et les réalisations des programmes de manière quantitative ou qualitative. Les objectifs sont définis au début des programmes et se présentent sous diverses formes, par exemple : quotas, points de référence, objectifs numériques. Le cadre de performance actuel des programmes de dépenses comprend plus de 700 indicateurs mesurant la performance, 60 objectifs généraux et 220 objectifs spécifiques

La présentation des données de performance et leur lien avec la budgétisation annuelle a été revue en 2018 et les États membres ont été invités en septembre dernier à se prononcer sur l’amélioration de la prise en compte de la performance. La France a estimé que la nouvelle revue de performance était globalement satisfaisante et a approuvé la création d’une revue de performance interactive mise à jour plusieurs fois dans l’année. Une meilleure synergie entre les principes de performance et le budget est nécessaire pour gagner en efficacité dans la mise en œuvre des objectifs. Ainsi des objectifs plus précis sur la mise en œuvre et la gestion par programme permettraient de mieux apprécier l’efficacité de chacun. Il serait également utile de disposer d’une meilleure information sur les méthodologies appliquées pour mesurer la performance de chaque programme.

Votre rapporteur ne peut que souscrire à ces propositions et à la poursuite du développement de cette logique de performance, qui devrait être renforcée par la simplification des règles européennes et la réduction des formalités administratives affectant de nombreux domaines de dépenses et freinant les investissements.

2.   La consolidation de l’Union économique et monétaire

Comme elle l’avait annoncé, la Commission a proposé le 31 mai la mise en place de lignes budgétaires dédiées à la consolidation de l’Union économique et monétaire (UEM) sous la forme d’un programme d’appui aux réformes économiques structurelles à hauteur de 25 milliards d’euros et d’un mécanisme de stabilisation de l’investissement qui pourra mobiliser jusqu’à 30 milliards d’euros pour soutenir l’activité et l’emploi en cas de choc économique majeur. Ces nouveaux instruments permettront de favoriser la convergence économique et sociale et de maintenir des niveaux d’investissement en cas de chocs asymétriques de grande ampleur grâce à des prêts adossés garantis par le budget de l’Union, combinés à une aide financière octroyée à l’État membre pour couvrir les paiements d’intérêts à l’échéance du remboursement.

Ces lignes budgétaires compléteront les fonds structurels et d’investissement et le nouveau Fonds Invest EU ; elles renforceront le lien entre le budget de l’Union et le Semestre européen ([11]) .

Ces propositions restent très en-deçà des attentes de la France s’agissant de la mise en place d’un véritable budget de la zone euro avec des recettes et des dépenses permanentes qui serait un instrument d’action et de protection au service des citoyens européens, en Europe et dans le monde, comme le demandent la France et l’Allemagne. La déclaration de Meseberg prévoit que le budget pourrait être financé par des contributions nationales, si possible par l’affectation de recettes fiscales et par des ressources européennes. Il pourrait financer des dépenses favorables à la croissance dans l’innovation et le capital humain. Il pourrait être en outre d’une fonction de stabilisation consistant en une suspension temporaire de la contribution au budget pour les pays touchés par un choc significatif.

Elles constituent néanmoins un premier pas important dans la refondation de l’Europe souhaitée par le Président de la République le 26 septembre 2017 à la Sorbonne. Elles manifestent notamment la reconnaissance par la Commission du besoin de stabilisation spécifique à l’Union économique et monétaire, sur le financement communautaire.

L’Espagne, le Portugal, l’Irlande et l’Italie ont salué cette proposition, estimant qu’elle allait dans le bon sens et envoyait un signal politique appréciable. A contrario, plusieurs pays, en particulier les Pays-Bas, la Finlande, la Lituanie et l’Estonie, se sont montrés sceptiques.

Les conclusions du sommet de la zone euro ayant donné mandat à l’Eurogroupe pour traiter du sujet du budget de la zone euro, la France considère dès lors préférable d’attendre les résultats de ce travail avant d’approfondir les discussions au Conseil sur la proposition de la Commission. Elle travaille avec son partenaire allemand dans le cadre de l’accord de Meseberg du 19 juin 2018.

3.   Une diminution inacceptable des fonds structurels

a.   Une présentation peu transparente

Pour dégager des marges de financement des nouvelles priorités, le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 inclut une baisse très décriée par les pays concernés des deux premiers postes de dépense de l’Union européenne, à savoir les fonds structurels alloués au titre de la politique de cohésion et les fonds versés au titre de la politique agricole commune (PAC).

La Commission affiche une diminution des dépenses affectées à la politique de cohésion de 6 % et une diminution de la Politique Agricole Commune de 5 %.

Les autorités françaises considèrent que les politiques les plus anciennes ne doivent pas être ajustées au-delà de l’impact du Brexit. La France a ainsi demandé à ce que le budget alloué à la Politique Agricole Commune soit maintenu à son niveau actuel à 27 États membres. Elle a été rejointe en ce sens par 20 autres États membres qui ont signé une lettre demandant le maintien des moyens actuels de la Politique Agricole Commune.

La présentation initiale de la Commission sur les taux d’augmentation de la politique de cohésion et de la Politique Agricole Commune était très opaque. Les chiffres qui figuraient dans la presse n’étaient pas cohérents. À titre d’exemple, la Commission présentait une réduction de 5 % de la Politique Agricole Commune et de 7 % des fonds versés au titre de la cohésion, en utilisant pour cela des méthodes de calcul très contestables. Les chiffres communément admis maintenant sont une baisse en valeur de - 3 % et de - 15 % en volume pour la Politique Agricole Commune et, une hausse de 3 % en valeur pour la cohésion, qui correspond à une baisse de - 9 % en volume.

Depuis le 2 mai, la Commission a fait des efforts de transparence afin que les États membres aient une vision plus précise des évolutions proposées. Néanmoins, la Commission doit encore fournir de très nombreuses données afin que les sous-jacents budgétaires des propositions soient plus compréhensibles. L’effort de transparence doit être poursuivi.

b.   Des fonds de cohésion peu dynamiques

La proposition de la Commission conduirait à allouer à la France une enveloppe de 18 milliards d’euros (en euros courants), soit une hausse de + 9 % par rapport à son enveloppe actuelle. Ceci se traduirait par une faible hausse de notre taux de retour sur cette politique (+ 0,3 %) mais, du fait de la hausse concomitante de notre clef de contribution (+ 2,3 %), la France resterait très largement contributrice nette au titre de la politique de cohésion après 2020.

La France est favorable à une politique de solidarité et de cohésion européennes destinée à accompagner les transitions économiques et sociales pour tous les territoires. La politique de cohésion doit aller dans le sens d’une modernisation, d’une simplification et, être ciblée de façon plus fine, au profit notamment des territoires les plus fragiles et des populations les plus vulnérables.

Il est regrettable que la méthode d’allocation des fonds de cohésion proposée par la Commission continue de reposer de manière prédominante sur le critère du produit intérieur brut (PIB) par habitant : elle ne permet pas, en effet, de cibler plus finement la politique de cohésion au profit des territoires les plus fragiles, des populations les plus vulnérables et des thématiques répondant aux enjeux de transition. Pour une plus grande équité de cette politique, un poids plus important doit être donné à de nouveaux critères sociaux, économiques et territoriaux, par exemple le taux de chômage.

Des discussions interministérielles sont en cours pour étudier les pistes d’amélioration de la gestion et la gouvernance des fonds européens structurels d’investissement.

En outre, du fait de leur éloignement géographique et de leurs caractéristiques propres, une attention particulière devra être accordée aux régions ultrapériphériques, afin de dynamiser la politique de convergence. Mais la France est également favorable à l’objectif de coopération territoriale européenne, dont la valeur ajoutée n’est pas suffisamment prise en compte.

c.   Une Politique Agricole Commune fragilisée

La baisse du financement de la Politique Agricole Commune proposée par la Commission, dans un budget pourtant en forte expansion, ne peut être acceptée. Une Politique Agricole Commune ambitieuse est en effet vitale pour garantir la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’Union européenne. Plus particulièrement, les autorités françaises s’opposent aux coupes envisagées par la Commission dans les paiements directs, qui constituent le premier filet de sécurité des agriculteurs. Celles-ci pourraient emporter des risques sur la viabilité des exploitations et susciter une incompréhension de la part des agriculteurs européens, en contradiction avec les efforts de réforme qui leur sont demandés dans le même temps. Les moyens alloués à la Politique Agricole Commune constituent l’essentiel du revenu de nombre d’agriculteurs. En outre, cette réduction des crédits risque de porter préjudice principalement aux petites villes et aux territoires ruraux, qui sont le plus confrontés à la mondialisation et souffrent déjà – indépendamment de la Politique Agricole Commune – de la concentration des investissements sur les métropoles. L’Europe a besoin d’un secteur agricole résilient, durable et compétitif afin de garantir la production de denrées alimentaires de qualité, sûres et abordables pour sa population.

La Politique Agricole Commune doit donc être modernisée et simplifiée pour protéger les agriculteurs face aux aléas climatiques et à la volatilité des marchés mondiaux, libérer le développement des entreprises agricoles et agroalimentaires et accompagner la nécessaire transition environnementale de ce secteur. Est-il besoin de rappeler que la Politique Agricole Commune est la première politique européenne ? Des financements à la hauteur de ces enjeux sont indispensables.

La France demeure toutefois le premier bénéficiaire des aides de la Politique Agricole Commune après 2020 dans la proposition de la Commission, en particulier sur le premier pilier ([12]). Le montant des aides directes pour la France s’établirait à 50 milliards d’euros pour 2021-2027, contre 52 milliards d’euros pour la période actuelle, ce qui se traduirait par une réduction de 3,9 % en valeur. En intégrant les transferts effectués du premier au second pilier ([13]) au cours de la programmation actuelle, la proposition de la Commission aboutirait à une stabilisation en valeur. Sur le second pilier, la France bénéficierait d’une enveloppe de 8,5 milliards d’euros, soit un montant en baisse de 3,5 milliards d’euros (- 30 %) par rapport à l’enveloppe dont elle dispose dans le cadre de la programmation actuelle, en tenant compte des transferts effectués entre les deux piliers depuis 2014. En outre, la proposition de la Commission de rehausser les taux de cofinancements nationaux reporterait sur le budget national une partie des crédits à financer.

Avec cinq autres États-membres, la France a cosigné le 31 mai 2018 à Madrid un mémorandum demandant le maintien du budget de la PAC à son niveau actuel pour l’UE 27. Lors du Conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne de juin 2018, 20 États membres ont soutenu ce mémorandum. Par la suite, l’Allemagne a, à son tour, apporté son soutien à cet objectif lors du Conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne de juillet 2018, portant ainsi à 21 le nombre d’Etats-membres demandant le maintien du budget de la Politique Agricole Commune à son niveau actuel pour l’UE 27.

Toutefois, une nouvelle réserve de crise sera créée pour faire face aux crises provoquées par des évolutions imprévisibles sur les marchés des capitaux ou par des chocs spécifiques que pourrait subir le secteur agricole à la suite de mesures prises par les pays non membres de l’Union européenne. Encore faudra-t-il être vigilant à propos du montant de sa dotation.

Le rapporteur rappelle son souhait d’aborder sans tabou la réforme de la Politique Agricole Commune et de réexaminer en profondeur celle-ci, ainsi que la politique de cohésion.

d.   Le Parlement européen opposé à ces réductions

Le Parlement européen a accueilli favorablement le financement des nouvelles priorités et la création de nouvelles ressources propres, mais il a vivement dénoncé la baisse des fonds affectés à la Politique Agricole Commune et à la cohésion. Comme il l’a indiqué dans sa résolution du 14 mars 2018 adoptée à une large majorité (458 voix pour, 177 contre et 62 abstentions), il ne souhaitait pas que l’introduction de nouvelles priorités dans le futur cadre financier pluriannuel s’effectue au détriment des « politiques de longue date inscrites dans les traités, à savoir la politique agricole commune et la politique de la pêche, ainsi que la politique de cohésion ».

La commission des budgets du Parlement européen a annulé, le 24 septembre 2018, les coupes proposées par la commission européenne dans certains grands programmes du cadre financier pour 2021-2027.

Concernant la politique de cohésion, un projet d’avis ([14]) vise à maintenir le financement de la politique de cohésion 2021-2027 pour l’Union européenne à 27 « au moins au niveau du budget 2014-2020 en termes réels » ; un autre projet d’avis  ([15]) propose de rendre le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural plus flexible et plus opérationnel en prévoyant uniquement deux catégories de pays dans la classification concernée.

Pour la Politique Agricole Commune, le Parlement européen s’oppose aux réductions proposées des dépenses et propose de revenir au niveau de la période 2014-2020.

Par ailleurs, les pays contributeurs nets tels que le Danemark, la Suède, les Pays-Bas et l’Autriche ont critiqué la hausse du budget de l’Union européenne, et en particulier la hausse prévisible des ressources revenu national brut. Ils estiment par ailleurs que la baisse du budget alloué à la politique de cohésion et à la Politique Agricole Commune est insuffisante.

Les propositions de diminution concernant la Politique Agricole Commune et la cohésion sont en revanche critiquées par les « amis de la Politique Agricole Commune », dont la France. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, a indiqué dans un communiqué qu’une « telle baisse, drastique, massive et aveugle, est simplement inenvisageable ». Néanmoins, la réduction proposée touche principalement le pilier 2 de la Politique Agricole Commune, ce qui pénalise moins la France.

e.   Des paiements en retard

L’autre difficulté concernant le financement de la politique de cohésion tient à la très faible consommation des crédits, soulignée par plusieurs membres de la commission des affaires étrangères, avec, comme conséquence un taux de retour très alarmant. Il n’est donc pas nécessaire de demander plus de moyens pour la politique de cohésion, alors que la France est un des pays qui les consomme le moins. Il conviendrait de se poser des questions sur le fonctionnement et l’imbrication des « machineries » communautaires et régionales, sur la grande complexité des procédures communautaires imposées aux destinataires – souvent les régions – ainsi que sur les moyens insuffisants de celles-ci pour recevoir ces financements.

À cet égard, la Cour des comptes française vient de souligner l’existence de retards de paiements importants pour les aides agricoles, qu’elle impute à la complexité des chaînes de paiement du fait de l’imbrication des responsabilités entre l’agence de services et de paiement (ASP), le ministère de l’agriculture et les régions. Elle en conclut que l’insuffisante préparation de la France à la mise en place d’un dispositif approprié des aides de la programmation 2014-2020 doit inciter les autorités françaises à tirer les leçons de cette expérience pour préparer la prochaine programmation 2014-2020.

Une réflexion est d’autant plus indispensable sur ce thème que, pour le citoyen, « c’est de la faute de l’Europe ».

f.   Des conditionnalités à préciser

S’agissant de la politique de cohésion, la Commission européenne a également proposé de conditionner le versement des fonds structurels au respect de l’État de droit en créant un mécanisme de supervision des fonds chargé de veiller à son respect.

Les conditionnalités qui seront attachées au versement des fonds européens constituent un enjeu majeur de la négociation. L'Union européenne est en effet beaucoup plus qu’un marché unique et qu’un « carnet de chèques », c’est une union de valeurs. Lorsqu'un pays rejoint l'Union, c'est qu'il croit à l'État de droit, à la démocratie, à la séparation des pouvoirs, et qu’il s’engage à respecter ces principes issus des traités européens. Et c’est pourquoi la proposition de la Commission de renforcer le lien entre l’octroi de financements européens et le respect des valeurs fondamentales de l’Europe constitue une avancée importante. Cette conditionnalité est une contrepartie de la solidarité financière européenne qui s’exprime via le budget de l’Union.

Un règlement autonome, fondé sur l’article 322 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, permet au législateur d’édicter les règles fixant les modalités relatives à l’exécution du budget : il prévoit l’adoption de ces textes selon la procédure législative ordinaire. Dans le cadre des négociations à venir, la France contribuera aux réflexions visant à garantir la solidité juridique et l’efficacité de ce dispositif.

La France soutient le principe de la proposition de la Commission, tout comme le Luxembourg, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Lettonie, la Belgique et la Slovaquie. Elle est également intéressée par les idées présentées par la Belgique d’examen annuel des États-membres sur le respect de l’État de droit. Mais plusieurs États-membres, notamment la Hongrie et la Pologne, ont dénoncé la proposition de la Commission. Le ministre des Affaires étrangères hongrois, M. Péter SZIJJÁRTÓ, a déclaré qu’appliquer « des conditions subjectives pour percevoir des fonds au sein de l’UE est une chose très dangereuse » dans la mesure où « elle donne le pouvoir aux institutions de faire du chantage politique ». De son côté, le ministre des Affaires étrangères polonais, M. Konrad SYZMAŃSKI, a averti que la Pologne « n’accepterait pas des mécanismes arbitraires qui feront des fonds un instrument de pression politique ».

En revanche la proposition française de conditionner l’octroi des fonds de cohésion à une certaine convergence fiscale et sociale n’a pas été retenue.

L’objectif est que davantage de synergies soient créées non seulement en matière de respect de valeurs communes, mais aussi de politique sociale et fiscale. Aussi, la conditionnalité relative à l’État de droit devrait s’accompagner d’une conditionnalité en matière fiscale et sociale, pour créer une incitation à la convergence entre États membres au sein de l’Union. La politique de cohésion est en effet au cœur du mécanisme de solidarité entre les Européens, et celui-ci doit pouvoir assurer une convergence exigeante entre les États membres. La déclaration de Meseberg a mis l’accent sur la nécessité de proposer une directive instituant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés.

Votre rapporteur déplore que la position française ne soit pas suivie, tant il lui paraît injustifié que des fonds structurels financent la réduction des taux d’impôts chez d’autres États-membres.

4.   Des priorités négligées

a.   Limiter les dépenses administratives de l’Union européenne

A contrario, la France estime qu’il existe, en particulier dans le contexte inédit du retrait du Royaume-Uni de l’Union, des marges de manœuvre pour diminuer certaines dépenses. Elle regrette ainsi l’augmentation des dépenses administratives des institutions de l’Union proposée par la Commission, et souligne que, de nombreux Etats-membres poursuivant des efforts dans ce domaine, les institutions de l’Union européenne se doivent d’être exemplaires.

b.   Favoriser les engagements environnementaux

Quant aux engagements climatiques et environnementaux de l’UE, la France considère que la proposition de la Commission de porter à 25 % la part du budget consacré à la mise en œuvre des objectifs climatiques est un progrès, mais manque néanmoins d’ambition. Il est toutefois prévu pour le programme LIFE ([16]) (qui ne représente que 2 % du chapitre « ressources naturelles et environnement ») une progression de 50 %.

La France demande donc l’adoption d’un objectif de verdissement du budget européen à hauteur de 40 %. Cet objectif pourrait concerner, par exemple, le 2e pilier de la Politique Agricole Commune, la recherche, la biodiversité, le programme d’action extérieure, ainsi que la politique de cohésion, avec le verdissement des projets d’infrastructures.

c.   Revoir les propositions relatives aux corridors maritimes

En prévision du Brexit, la Commission européenne vient de proposer cet été, de redessiner un corridor maritime entre la Mer du nord et la Méditerranée qui évite les ports français. Comme l’a écrit Elisabeth Borne, ministre des transports, il est indispensable de compléter les propositions de la Commission afin d’y inclure les liaisons entre l’Irlande et les ports français.

Les membres de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale se sont légitimement émus de ce projet qui ne tient pas compte notamment de Calais et de Dunkerque. Cet « oubli » est d’autant plus regrettable que les corridors maritimes se greffent sur les corridors ferroviaires de fret européen, financés par des fonds européens. Il témoigne en plus de l’opacité des propositions de la Commission : qui en est l’auteur ? Quelles en sont les justifications ?

d.   Mieux utiliser le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation

Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation aide les personnes ayant perdu leur emploi à la suite de changements structurels majeurs survenus dans le commerce international en raison de la mondialisation (par exemple lorsqu'une grande entreprise ferme ou que la production est délocalisée en dehors de l'Union européenne), ou du fait de la crise économique et financière mondiale. Il dispose d'un budget annuel maximum de 150 millions d'euros pour la période 2014-2020. Il peut financer jusqu'à 60 % du coût des projets destinés à aider les personnes ayant perdu leur emploi à retrouver du travail ou à créer leur propre entreprise. Il ne peut intervenir que lorsque plus de 500 travailleurs ont été licenciés par une seule entreprise, ou si un grand nombre de travailleurs sont licenciés au sein d'un secteur particulier dans une ou plusieurs régions avoisinantes.

Les projets du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation sont généralement gérés et mis en œuvre par les autorités nationales ou régionales. Chaque projet a une durée de deux ans.

Les commissaires ont souligné qu’il était en général sous-utilisé et qu’il devait pouvoir bénéficier aux salariés des petites et moyennes Entreprises (PME).

5.   La prise en compte de la valeur ajoutée européenne

La Commission souhaite mettre l’accent sur la "valeur ajoutée européenne". Le budget étant modeste par rapport à la taille de l’économie européenne et des budgets nationaux, la Commission considère comme crucial qu’il investisse dans des domaines où la mise en commun des ressources permet d’obtenir des résultats que les États membres ne pourraient obtenir seuls. La nécessité de financer de nouvelles priorités rend cette approche indispensable. Il faut une vraie subsidiarité, sans laquelle la politique européenne n’est pas compréhensible, et s’interroger sur ce qui relève des États nationaux et ce qui incombe à l’Union européenne. La Commission doit bientôt présenter un rapport à ce sujet.

Comme le souligne la Cour des comptes européenne, la Commission avance dans sa proposition 7 critères de définition de la valeur ajoutée européenne, de façon à mieux « flécher » les dépenses là où elles seront les plus utiles. Pour contribuer à la valeur ajoutée européenne, les dépenses doivent répondre aux exigences suivantes : 

– atteindre les objectifs des traités ;

– constituer des biens publics européens ;

– réaliser des économies d’échelles ;

– produire des effets d’entrainement ;

– respecter la subsidiarité ;

– accroitre les bénéfices associés à l’intégration européenne ;

– servir les valeurs européennes.

La Cour des comptes y voit une avancée, mais regrette l’absence d’une définition unifiée de la valeur ajoutée européenne : « la valeur ajoutée européenne a été érigée au rang de principe directeur de la réforme des dépenses initiée par la Commission » a déclaré la Cour, « cependant, les propositions de la Commission ne sont ni clairement expliquées, ni justifiées par l’évaluation effectuée par la Commission, concernant la valeur ajoutée européenne des programmes de dépenses ».

Elle souligne que des défis restent à relever avant le début du nouveau cadre financier pluriannuel :

– il est nécessaire d’établir un plan financier complet qui devra accompagner la proposition de cadre financier pour 2021-2027 ;

– les programmes de dépenses de l’Union européenne devront être assortis de cadres de performance solides, cohérents entre eux et alignés sur les objectifs stratégiques de l’Union européenne, ainsi que sur le futur cadre financier pluriannuel ;

– un niveau élevé devra être assuré en matière d’obligation de rendre compte et de transparence pour les régimes de financement nouveaux ou révisés que la Commission propose de mettre en place.


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III.   un calendrier encore incertain

A.   pour l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel

La fin mai 2019 au plus tard, est la date butoir souhaitée par la Commission européenne pour adopter le cadre financier pluriannuel 2021-2027, avant les élections des 23 et 26 mai 2019 ; celui-ci doit être adopté par le Conseil à l’unanimité, après avis conforme du Parlement européen à la majorité simple. L’entrée en vigueur du cadre financier pluriannuel serait le 1er janvier 2021.

Deux points d’étape ont été retenus pour 2018 : l’un sur le calendrier des négociations, lors du Conseil européen des 18 et 19 octobre 2018, et l’autre sur l’avancement des travaux pour celui des 13 et 14 décembre 2018.

La France estime peu probable une fin des négociations avant les élections du Parlement européen, compte tenu de la difficulté de la négociation.

En effet, si les États-membres sont, dans l’ensemble, favorables à une modernisation du budget européen pour financer les nouveaux défis auxquels l’Union doit faire face, les points de désaccords sont nombreux, en particulier sur la diminution des moyens alloués à la Politique Agricole Commune et à la politique de cohésion et sur la conditionnalité liée au respect de l’État de droit. En outre, certains pays contributeurs nets : Autriche, Danemark, Pays-Bas et, dans une certaine mesure, l’Allemagne ; sont fermement opposés à une hausse importante du volume global du budget européen, ce qui se traduirait par une hausse de leur contribution.

Le Parlement européen est globalement critique sur les propositions de la Commission relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027. Il dénonce à la fois le manque d’ambition globale de celui-ci, de même que les coupes réalisées dans les politiques traditionnelles : il souhaitait en effet les sauvegarder tout en finançant de nouvelles priorités. Il demande ainsi un budget total à hauteur de 1,3 % du revenu national brut de l’Union européenne.

La négociation qui démarre s’annonce donc particulièrement complexe, en raison de l’exigence d’un accord à l’unanimité des États-membres, mais aussi du départ du Royaume-Uni, contributeur net.

La France entend les appels de la Commission européenne pour clore la négociation en moins d’un an, en trouvant un accord sur les grandes lignes du cadre financier pluriannuel avant que le Parlement européen actuel n’ajourne ses travaux pour préparer les élections européennes. Il est très souhaitable qu’un accord politique intervienne le plus tôt possible et suffisamment en amont de la nouvelle programmation afin de pouvoir disposer d’assez de temps pour mettre en œuvre l’ensemble des règlements portant relatifs aux programmes nécessitant des dépenses de crédits. En effet, l’adoption tardive du cadre financier pluriannuel 2014-2020, en décembre 2013, avait conduit à des retards dans l’engagement des crédits des fonds structurels en particulier.

Ce calendrier apparaît toutefois peu réaliste. Par ailleurs, il poserait de réelles questions démocratiques puisque le nouveau Parlement européen et la nouvelle Commission se verraient imposer ce cadre financier conclu au préalable.

Les chefs d’État et de gouvernement ont abordé le 29 juin 2018 cette question lors du dernier Conseil européen et ont considéré que si un maximum d’efforts était nécessaire pour examiner les propositions de la Commission dans les meilleurs délais, la fixation d’une échéance artificielle ne s’imposait pas.

Quant à l’idée consistant à prévoir un cadre financier uniquement pour certains programmes : tels que la politique de cohésion ou la politique agricole commune ou pour des dépenses d’investissement nécessitant une programmation pluriannuelle et, à considérer que le reste des dépenses sont examinées dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle, elle a été rapidement écartée et n’a pas fait l’objet d’une proposition de la Commission.

Par ailleurs la Cour des comptes européenne déplore une incohérence : en raison du calendrier d’adoption voulu par la Commission, la proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 paraît venir en amont de la définition des objectifs politiques stratégiques, et non comme la traduction budgétaire de ceux-ci.

B.   la synchronisation du cadre financier avec le cycle politique des institutions européennes

Se pose également la question de la synchronisation progressive de la durée du cadre financier avec le cycle politique quinquennal des institutions européennes. La Commission européenne convient de l’importance d’une synchronisation progressive de la durée du cadre financier avec le cycle politique quinquennal des institutions européennes. En effet, les députés européens élus en mai 2014 ont dû prendre acte des conclusions d’un vote intervenu à l’automne 2013. Toutefois, elle estime que « le passage à un cycle quinquennal en 2021 ne déboucherait pas sur un alignement optimal. Le cycle de sept ans proposé donnera à la Commission qui prendra ses fonctions après les élections européennes la possibilité de présenter, si tel est son choix, un nouveau cadre d’une durée de cinq ans, à partir de 2028. ».

La France est favorable à la proposition de la Commission de maintenir une période de 7 ans pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, afin de garantir une sécurité et une vision de long terme aux bénéficiaires des fonds de l’Union. S’agissant de la durée du cadre financier pluriannuel qui commencerait en 2027, elle n’a pas été amenée à prendre position ; plusieurs États-membres : Croatie, Pays-Bas, Suède, Roumanie, République Tchèque, Italie ; ont d’ores et déjà marqué leur scepticisme, voire leur opposition, à une durée éventuelle de 5 ans suggérée par la Commission. 


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   conclusion

Sous réserve de ces remarques, votre rapporteur se prononce en faveur de l’adoption de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent avis au cours de sa séance du mercredi 17 octobre 2018 à 9 h 30.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Chers collègues, nous allons commencer notre réunion qui est ouverte à la presse. L’ordre du jour appelle l’examen de deux avis sur le projet de loi de finances pour 2019 : l’un sur le « Prélèvement européen » avec Maurice Leroy comme rapporteur, l’autre sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » avec Jean-François Mbaye.

Nous allons commencer par l’avis confié à Maurice Leroy, sur le « Prélèvement européen », évalué à l’article 37 du projet de loi de finances à 21,5 milliards d’euros. Les observations de nos collègues lors de nos premiers échanges de vue ont été très pertinentes et j’ai eu plaisir de noter que vous vous en êtes fait l’écho dans votre projet de rapport, ce qui valide la démarche de la commission. Ces observations avaient porté sur les difficultés rencontrées dans la consommation des crédits, sur la nécessité de mettre un terme le plus tôt possible au système des rabais, sur les progrès à faire dans la transparence et la lisibilité de ce budget européen pour donner davantage d’assurances sur sa capacité à répondre aux préoccupations des citoyens. Des questions ont été également posées sur la nécessaire préservation des crédits consacrés à la PAC dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Vous nous avez par ailleurs sensibilisés aux difficultés rencontrées dans l’obtention d’informations de la part des ministères ; d’autres rapporteurs m’en ont également signalé. Un courrier dressant un bilan sera envoyé aux ministres concernés pour éviter la répétition chaque année de ces retards.

Monsieur le Rapporteur, vous avez la parole pour une dizaine de minutes.

M. Maurice Leroy, rapporteur. Merci madame la présidente. Effectivement, mes chers collègues, j’ai longuement insisté lors de notre réunion de la semaine dernière sur le caractère tardif des réponses au questionnaire budgétaire – le 1er octobre, pour la plupart d’entre elles, les autres s’égrenant au fil des jours, même après la date fatidique du 10 octobre – ainsi que sur le caractère lapidaire, et le terme est faible, de nombre d’entre elles. Quant aux compléments que j’ai réclamés, ils sont eux-mêmes très sibyllins. Je n’y reviendrai donc pas ; mais j’ai voulu profiter de la retransmission de nos travaux pour faire ce rappel. J’ajoute que j’ai pu disposer du « jaune » budgétaire hier seulement ! C’est du jamais-vu.

En cours de notre précédente réunion, vous m’avez fait part de vos réflexions sur le prélèvement européen, et, plus généralement, sur le budget européen. Je vous en remercie et j’en ai tenu compte dans mon rapport, comme vous le verrez. Mais je n’aurai probablement pas le temps de les aborder toutes et en détail au cours de cette présentation.

L’avis que je suis amené à donner sur le prélèvement européen a un statut un peu particulier au sein de nos discussions budgétaires. Je rappelle d’ailleurs que l’avis sera rendu en séance le lundi 22 octobre après-midi.

En effet, il ne s’agit pas d’une mission ou d’un programme budgétaire mais d’un article de la première partie du projet de loi de finances – l’article 37 – qui porte sur l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne.

Je vous présenterai donc ce matin ce prélèvement européen, mais aussi, ce qui est nouveau, les propositions de la Commission européenne pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Cela est l’occasion, pour notre commission, de faire passer des messages politiques sur nos attentes.

Le prélèvement sur recettes est évalué à 21,5 milliards d’euros, en augmentation de 8,1 % sur un an. Le budget européen pour 2019 s’inscrit dans la continuité des précédents. Peu de changements pour les ressources, si ce n’est que les ressources propres traditionnelles (les droits de douane) continuent de s’éroder, au regret de certains d’entre vous. Il est prévu toutefois le financement de nouvelles initiatives pour faire face aux défis qui s’imposent à l’Union européenne : le corps européen de solidarité, le volet recherche du programme de défense, l’autorité européenne du travail, la protection civile et l’appui à la réforme structurelle.

Le prélèvement est toujours une dépense difficile à gérer en exécution. D’ailleurs, le cadre financier pluriannuel actuel, qui s’achève en 2020, est caractérisé par le retard important pris dans l’exécution de la politique de cohésion, si bien que la France réclame, à juste titre, une budgétisation prudente en crédits d’engagement, afin de freiner l’alimentation du « reste à liquider » pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020. En outre, la difficulté est accrue par le fait que le budget est fondé sur des hypothèses amenées à varier en cours d’année.

Cette année, l’impact du Brexit apporte une incertitude majeure. En l’absence d’accord de retrait avec le Royaume-Uni, celui-ci devrait continuer à contribuer au cadre financier actuel et au budget de 2019. Toutefois, s’il cessait de le faire, les autres États-membres devraient alors compenser l’absence de contribution britannique, ce qui aurait pour conséquence une augmentation de la contribution française au budget 2019 et donc un impact sur notre budget.

Quant aux propositions de la commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel, elles sont pour certaines innovantes, pour d’autres, regrettables.

Innovantes en ce qui concerne les recettes : le Brexit est l’occasion de mettre un terme aux rabais existants – qui contribuent à rendre le budget illisible – et de reformer le système des ressources propres. La Commission en propose trois nouvelles :

– un taux d’appel de 3 % sur une nouvelle assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) ;

– une part de 20 % des recettes tirées de la mise aux enchères des quotas du système européen d’échanges de quotas d’émission (SEQE-UE) ;

– une contribution nationale calculée sur la base de la quantité de déchets d’emballages en plastique non recyclés dans chaque État-membre.

La France réclame l’introduction d’une taxe intérimaire sur les ressources numériques et en fait une des conditions à l’augmentation de sa contribution. J’ai moi-même posé la question à M. Le Drian, lors de son audition, d’une taxe sur les GAFA. La Commission a proposé une taxation à hauteur de 3 % des revenus des activités des plateformes numériques ; un rapport au Parlement européen souhaite un taux de 5 %. Apparemment, les travaux avancent sur ce type de taxation, ce dont je me réjouis. D’ailleurs M. Le Maire a annoncé un rapprochement avec l’Allemagne, donc cela va plutôt dans la bonne direction.

La Commission propose également rendre le budget beaucoup plus lisible, ce qui est parfaitement souhaitable et qui contribuera, d’ailleurs, à une plus grande flexibilité, d’autant plus nécessaire que nous devons réagir à des défis multiples. Vous avez été nombreux à déplorer l’opacité de la politique européenne.

Elle met en outre l’accent sur la « valeur ajoutée européenne », le budget devant intervenir dans des domaines où la mise en commun des ressources permet d’obtenir des résultats que les États-membres ne pourraient pas atteindre seuls. Cette notion permettrait de répondre à la logique du « juste retour », beaucoup trop simplificatrice.

Elle souhaite également conditionner le versement des fonds structurels au respect de l’Etat de droit, ce que l’on ne peut qu’approuver.

Passons maintenant aux propositions regrettables. Si le projet de cadre financier contient une augmentation du financement des nouvelles priorités que sont la recherche, l’innovation, le numérique, la jeunesse, la sécurité et la défense, les migrations et la gestion des frontières, assez consensuelles, il inclut une diminution des crédits alloués à la PAC, que la France ne peut accepter. Cette réduction pourrait avoir des conséquences graves sur la viabilité des exploitations et susciter l’incompréhension des agriculteurs européens. La PAC a besoin d’être modernisée et simplifiée, des financements à la hauteur de ces enjeux sont indispensables.

On peut déplorer en outre que la proposition française de conditionner l’octroi des fonds de cohésion à une certaine convergence fiscale et sociale n’ait pas été retenue : il n’est pas normal que des fonds structurels financent la réduction des taux d’impôts chez d’autres États-membres.

Vous avez également été nombreux à souligner que le décaissement des fonds européens n’était pas suffisant, ce qui conduit à des taux de retours catastrophiques. Cela est probablement dû, en particulier, à la complexité des procédures. À cet égard, la Cour des comptes française vient de souligner l’existence de retards de paiements importants pour les aides agricoles, qu’elle impute à la complexité des chaînes de paiement du fait de l’imbrication des responsabilités entre l’agence de services et de paiement (ASP), le ministère de l’agriculture et les régions. Elle en conclut que l’insuffisante préparation de la France à la mise en place d’un dispositif approprié des aides de la programmation 2014-2020 doit inciter les autorités françaises à tirer les leçons de cette expérience pour préparer la prochaine programmation.

Une réflexion est d’autant plus indispensable sur ce thème, que, pour le citoyen, « c’est de la faute de l’Europe ».

Je m’associe également à vos remarques sur l’opacité de la politique européenne, tout en soulignant que la proposition du futur cadre financier tente de le rendre plus lisible.

Je terminerai avec le calendrier de la mise en place de ce nouveau cadre financier. La fin mai 2019 est la date butoir souhaitée par la commission pour l’adopter. La synchronisation du cadre financier avec les élections pose question.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il y a effectivement un problème de coordination dans le temps entre le cadre financier pluriannuel et le temps politique des élections européennes.

Mme Delphine O. Je me félicite de ce rapport au nom de mon groupe la REM ; il reflète très bien les efforts du gouvernement français pour défendre un cadre financier pluriannuel 2021-2027 qui soit à la fois réaliste, prudent et fiable. Ce rapport met également en avant les priorités européennes, à savoir la jeunesse, avec le projet Erasmus +, la recherche et innovation, la gestion des frontières extérieures, l’immigration, l’asile ainsi que la défense - avec la création d’un fonds de défense doté de 13 milliards d’euros comme l’a voulu le Président de la République.

C’est pourquoi le groupe LREM votera les crédits du prélèvement sur recettes européen. Ma question porte sur la conditionnalité de versement des fonds structurels au respect de l’État de droit. Lors de la présentation du budget européen, le 2 mai dernier, Jean Claude Juncker a proposé d’établir un lien entre l’attribution des fonds européens et le respect de l’État de droit dans les pays bénéficiaires. Cette décision renvoie à un problème de fond et à une question à laquelle les électeurs attendront une réponse en mai prochain, à savoir : comment peut-on justifier que des pays qui ne respectent pas nos valeurs de solidarité, d’égalité et de démocratie continuent d’être les premiers bénéficiaires de ces fonds de cohésion ?

Vous le dites d’ailleurs très bien dans votre rapport : « l’Union européenne est en effet beaucoup plus qu’un marché unique et un carnet de chèque, c’est d’abord une union de valeurs ». Pour rappel, le rapport de la députée européenne Judith Sargentini, préconisant des sanctions contre la Hongrie pour violation des droits, a récemment été adopté au Parlement européen, et un rapport de Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru sur le respect de l’État de droit dans l’Union européenne a été présenté en commission des affaires européennes.

Vous précisez que cette proposition de conditionnalité est soutenue par la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, la Suède, les Pays Bas, la France et d’autres pays encore. Pouvez-vous nous préciser comment cette mesure peut s’inscrire dans le cadre financier pluriannuel, et comment elle s’articulerait avec les procédures-sanctions prévues par l’article 7 du Traité de l’Union européenne, en cours contre la Pologne et la Hongrie ? 

M. Didier Quentin. Je tiens d’abord à vous féliciter pour avoir si bien tenu compte des observations formulées lors de notre séance de la semaine dernière. Nous nous associons à vos regrets d’avoir reçu ces documents trop tardivement. S’agissant du fonds structurel, il semble qu’aucun accord n’ait été trouvé entre les États membres à ce stade.

Quelles pourraient être les pistes envisageables pour obtenir une forme de préférence communautaire d’utilisation de ces aides, afin d’obtenir un réel retour en faveur des entreprises européennes et non vers celles de pays tiers ?

Dans votre rapport, vous précisez que des marges de manœuvres existent pour limiter les dépenses administratives de l’Union européenne ; avez-vous des exemples concrets de dépenses pouvant être contraintes sans remettre en cause le fonctionnement des institutions ? Enfin, la Politique agricole commune (PAC) demeure la principale politique européenne en termes de budget. Or, dans le cadre financier à venir, celle-ci pourrait connaître une diminution de 5 %. Cela serait synonyme d’une inévitable renationalisation de cette politique. Pouvez-vous nous préciser l’état d’esprit de vos interlocuteurs sur ce sujet, ô combien sensible, pour l’avenir de l’Union européenne ? J’ajoute que je m’associe à ce que vous dites du rapport de la Cour des comptes sur le délai de paiement des aides européennes, on ressent beaucoup ce problème sur nos terrains. 

M. Bruno Joncour. L’augmentation de la contribution française au budget de l’Union européenne représente un effort important pour notre pays, mais qui est – comme rappelé par notre rapporteur – largement compensé par les bénéfices que nous pouvons tirer, non seulement des fonds structurels et de la PAC, mais aussi de notre appartenance à un espace économique et politique, dont les retombées sont difficiles à évaluer, mais qui nous apporte sécurité et stabilité. Notre groupe rejoint beaucoup des propositions avancées par le rapporteur, et les points d’attention qu’il soulève dans son excellent rapport enrichi par les observations des membres de cette commission. Nous émettrons donc un vote favorable.

D’abord, il est indispensable que le budget de l’après-Brexit reste au niveau antérieur ; en conséquence il est nécessaire que les États fassent l’effort d’augmenter leurs contributions. Cela sera à la fois le marqueur de notre attachement mutuel aux institutions européennes et de notre volonté d’imprimer davantage de volontarisme à ce niveau. En ce sens, le cadre pluriannuel 2021-2027 avance de nouvelles orientations budgétaires, notamment vers la sécurité et le contrôle aux frontières. Cependant, il convient de rester particulièrement vigilant à ce que l’on n’en profite pas pour diminuer les fonds structurels et ceux alloués à la PAC, ce qui serait contre-productif. L’augmentation de la participation des États devrait pouvoir aider à agir sur tous les tableaux.

Les ressources propres de l’Union européenne sont incontestablement insuffisantes ; nous devons réfléchir à de nouvelles orientations et à de nouvelles ressources. À ce sujet, la proposition du Président de la République de doter la zone euro d’un véritable budget nous semble une orientation essentielle ; avez-vous des éléments sur l’avancée des travaux menés dans cette perspective ? Sur quelles ressources la zone euro pourrait-elle s’appuyer ? 

M. Alain David. Lors de la précédente audition, j’avais demandé que soient prises en compte les dépenses liées à l’intervention militaire au Sahel, pour que celles-ci soient potentiellement déduites de la contribution européenne de la France. Cela peut-il être pris en compte ? 

À force de signer des accords de libre-échange, les ressources propres traditionnelles, à savoir les droits de douanes - seules ressources véritablement européennes -, sont en train de s’éroder. Cette perte doit être compensée par les États membres. Peut-on avoir des garanties en ce sens ? Pouvons-nous être assurés qu’aucun autre accord ne sera signé sans que l’on maîtrise véritablement ce mécanisme qui nous amène systématiquement à compenser ? Actuellement, la contribution du Royaume Uni à l’Union européenne est de 12 à 14 milliards d’euros. En fonction des hypothèses prises, la France se verrait contrainte de verser 1 à 2 milliards d’euros. Quand aurons-nous la confirmation de cette situation ? Devons-nous commencer à provisionner cette somme pour faire face à toute éventualité ? 

M. Jean-Paul Lecoq. Nous avons eu un bel échange lors de notre dernière réunion sur les orientations politiques de la politique européenne et sur les moyens que l’on devait y consacrer. J’insisterai quand même sur la politique agricole commune. On voit bien aujourd’hui que cette politique ne permet pas à une grande partie de nos agriculteurs de vivre convenablement. Les critères, la réorientation et les moyens qui sont affectés devraient être remis à plat. Ce n’est pas ce qui se prépare. Je serai tenté de voter le rapport de Maurice Leroy. Le problème est que Maurice Leroy fait un rapport sur des orientations politiques que je ne peux pas soutenir. J’espère que notre rapporteur ne nous en voudra pas. Nous aurons une attitude contre, non pas son rapport, mais le contenu de l’article 37. Il demeure la question des corridors européens, des choix de politiques européennes, et je pense que la France est oubliée dans toute la dimension de la logistique européenne. Nous parlions tout à l’heure des droits de douane. Les traités CETA et autres en préparation font, qu’à un moment donné, ce seront les recettes européennes qui vont être complètement laminées. Si l’on s’affranchit des recettes, évidemment, notre politique sera difficile à financer. Je m’arrêterai en disant que je sais que les bateaux doivent battre pavillons nationaux mais que peut-être, aujourd’hui, on pourrait, dans le cadre de la politique européenne et de son prélèvement, considérer que l’Aquarius puisse battre pavillon européen pour sauver des vies en Méditerranée.

Mme Marine le Pen. Le rapporteur me pardonnera mais il ne sera pas étonné de mes propos. C’est un peu la petite boutique des horreurs, même si ce rapport n’essaye plus de nous revendre du rêve, c’est déjà un élément plutôt positif. 21,5 milliards pour 2019, une contribution qui ne cesse d’augmenter et dont on nous annonce qu’elle va continuer à augmenter dans des proportions tout à fait spectaculaires dans le cadre des prochaines échéances pluriannuelles ; des accords de libre-échange, qui effectivement se multiplient et plombent les recettes des droits de douane et rendent, pardonnez-moi, un peu problématique toute considération écologique. On nous vend de l’environnement mais le moins que l’on puisse dire c’est que chacun s’accorde à dire aujourd’hui que les accords de libre-échange sont exactement l’inverse de la protection de l’environnement. Donc je pense qu’il y a là encore une incohérence.

Je voudrais revenir, au-delà de l’impôt européen qu’on nous annonce également et qui va évidemment continuer à plomber le pouvoir d’achat des contribuables, sur la conditionnalité des versements des fonds structurels au respect de l’État de droit. Toute la question va être de savoir qui va décider ce qu’est ou n’est pas un état de droit et ce qu’est ou ce que n’est pas une violation de l’État de droit. À propos du rapport qui vient d’être voté contre la Hongrie, on sait très bien que, très probablement, la future majorité, qui émergera après les élections européennes de juin, n’aurait pas permis de le voter. Donc on voit bien que c’est éminemment politique. J’attire votre attention sur ce déni de démocratie mais aussi sur les conséquences qu’il va avoir pour l’Europe. On a déjà fait des erreurs avec la Russie. On l’a en quelque sorte poussée vers la Chine et à aller y chercher des investissements. Savez-vous, qu’aujourd’hui, vous êtes en train de faire la même chose avec l’Italie ? L’Italie est train de négocier avec la Chine, notamment dans le cadre des routes de la soie, pour que la Chine investisse dans les infrastructures en Italie. Elle a déjà anticipé que, pour des raisons politiques, l’Union européenne refusera ou la privera des fonds dont elle pourrait bénéficier. En réalité, ce rapport, qui vise à sauver l’Union européenne, est en train de nous expliquer précisément la manière dont l’Union européenne est en train de s’effondrer et de s’autodétruire. Enfin, il est appréciable de parler des droits de l’homme et de l’influence que l’Union européenne peut avoir dans ce domaine, mais dans ces cas-là il faut arrêter de financer la Turquie à hauteur de 2 milliards.

Mme Jacqueline Maquet. M. le rapporteur, votre rapport est très complet. Il traite longuement du Brexit. La contribution britannique au budget européen se chiffre actuellement entre douze et quatorze milliards d’euros par an. Selon les chiffres de la direction du budget de Bercy, vous évaluez le coût net du Brexit en termes d’augmentation budgétaire pour la France à une somme comprise entre un et deux milliards d’euros supplémentaires par an. Pouvez-vous nous dire sur quelle analyse se basent ces chiffres ? Pouvez-vous également nous renseigner sur les sources financières qui pourraient alimenter cette somme supplémentaire ? Enfin, pouvez-vous nous donner votre opinion sur cette budgétisation ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. À chaque rapport sur le financement de l’Union européenne, on entend les mêmes incantations. En réalité, le Gouvernement demande des sacrifices considérables à nos concitoyens, mais il ferme les yeux sur un budget : celui de l’Union européenne. Augmentation de la contribution nette de la France, qui est une des plus fortes des États membres ; augmentation des dépenses de l’Union européenne, et baisse des recettes à cause d’une politique de libre-échange débridée ; nous n’avons toujours pas adopté le CETA, ici, à l’Assemblée nationale, et le Mercosur est en négociation.

Il est choquant que notre pays soit totalement impuissant face à cette organisation qui fait du mal aux peuples, et particulièrement au peuple français. Gabegie administrative sans précédent ; tous les rapports de la Cour des Comptes européenne ne sont pas examinés ; les fonctionnaires européens bénéficient de privilèges exorbitants ; subventions à la Turquie ; poursuite de l’élargissement aux Balkans ; fonds structurels à des pays qui organisent nos délocalisations, qui financent les travailleurs détachés volant les emplois français – 600 000 en France, sans conséquences politiques de la part d’Emmanuel Macron – ; fermeture de nombreux chantiers français… Nous finançons les pays qui envoient leurs travailleurs détachés en France, et qui bénéficient des charges sociales - autant de déficits pour la sécurité sociale. Cerise sur le gâteau : l’augmentation encore plus forte du budget, aboutissant dans 4 ou 5 ans à 15 milliards si l’on suit les orientations de M. Macron. Il faudra expliquer à nos concitoyens pourquoi ils doivent payer plus d’impôts pour une organisation qui leur fait tant de mal. Avec de surcroît la baisse des subventions agricoles : la seule politique qui était bénéfique à la France est détruite par les accords de libre-échange d’un côté, et par la réduction des aides aux agriculteurs de l’autre. Qu’on m’explique pourquoi la France donne tant d’argent à une organisation si nuisible ; ce sera l’objet du grand débat que nous aurons au mois de mai prochain. 

M. Jacques Maire. Merci à Monsieur Maurice Leroy pour son excellent rapport donc nous partageons la philosophie pour l’essentiel.

Je souhaite faire quelques petites remarques, la première est qu’il est facile de se réjouir des nouvelles priorités, il est plus difficile de se réjouir des économies demandées mais il y a une vérité des chiffres. On peut toujours accepter les dépenses et subir les ajustements. De ce point de vue il y a un petit manque de travail concernant l’analyse des fonds structurels et de cohésion. Vous indiquez que le taux de retour pour la France augmente, donc le problème n’est pas vraiment pour la France en termes de cohésion : la vraie difficulté est peut-être celle des pays d’Europe centrale et orientale pour qui les indicateurs – parce que la croissance est beaucoup plus forte que chez nous en réalité – donnent automatiquement une réelle baisse de leur retour potentiel. Il faudrait faire la lumière là-dessus : dans cette négociation probablement nous allons être amenés à négocier non pas des rabais, mais des augmentations des fonds de cohésion par rapport à ceux auxquels ils pourraient prétendre normalement. Il y a donc un système de subvention caché mais les premières dispositions au sein du COREPER cette semaine montraient que nous sommes aussi radicaux sur la PAC que ces pays sur les fonds de cohésion.

La deuxième remarque concerne la capacité française à consommer en temps et en heure les fonds, notamment le Fonds social européen (FSE). La commission serait honorée de demander des informations supplémentaires au Gouvernement peut être sous la forme d’un courrier. Il n’est pas possible d’être considéré comme les moins bons consommateurs de ces crédits et, par la suite, d’être les premiers à demander l’augmentation de ces mêmes crédits. Comme vous l’avez rappelé, la responsabilité nous appartient et il est urgent d’agir de ce point de vue.

Ma troisième remarque concerne un élément que vous n’avez pas pris en compte : le coût de l’administration communautaire (85 milliards d’euros). Tout le monde sait que l’interpellation sur ces coûts ne viendra pas du système, comme vous savez que les Parlements ne sont pas les premiers à s’interroger sur les coûts de l’administration parlementaire, il en est de même pour Bruxelles.

M. Bruno Fuchs. Monsieur le rapporteur, merci beaucoup pour votre rapport. Pour élargir la question de Jacques Maire au-delà du budget, une problématique importante de la commission et des acteurs européens est de rapprocher l’Europe des citoyens. Dans cette optique nous avons pris la mesure de l’importance des politiques de cohésion des territoires, notamment en France avec de nombreuses créations d’emploi, 60 000 emplois créés sur 15 ans, 550 km de voies ferrées modernisées et 830 000 personnes ayant bénéficié d’un accès à l’internet haut débit. Plus globalement, au-delà des retours de ces politiques de cohésion, est-ce que le budget global qui leur est affecté est suffisant chaque année ? Comment faire pour augmenter les crédits alloués à ce type de budget dont les résultats sont globalement positifs ?

M. Sylvain Waserman. Merci beaucoup pour ce rapport. J’aimerais vous interroger sur un aspect spécifique qui me semble vraiment important à savoir les recettes propres de l’Union. Dans la perception citoyenne de l’UE, il est tout à fait légitime de considérer qu’une ressource qu’un État seul est incapable de lever, trouve une justification auprès de l’UE. Par exemple, pour les GAFA, nous savons qu’aucun État pris individuellement n’est capable de gérer la situation seul. Avoir cette ressource propre au niveau européen a une totale légitimité du point de vue du citoyen, plus, probablement qu’un simple prélèvement de ressources au niveau national. Dans votre rapport vous évoquez trois nouvelles pistes, ainsi que l’enjeu numérique. Pourriez-vous nous donner quelques éléments sur la part cible que ces ressources propres pourraient prendre ? Resteraient-elles marginales ou prendraient-elles une part significative ? Je pense que cet enjeu est majeur et qu’il permet de donner une légitimité aux ressources propres au niveau européen qui serait parfaitement comprise de la part des citoyens.

M. Maurice Leroy, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, je vous propose de globaliser les réponses pour des raisons d’efficacité. Je voudrais dire à Jean Paul Lecoq, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan que leurs interventions illustrent parfaitement ce que je disais d’emblée, c’est-à-dire que ce débat est effectivement l’occasion d’exprimer un certain nombre d’opinions. Comme l’a dit Nicolas Dupont-Aignan, il y aura un débat national. Je ne peux que respecter vos affirmations. Merci à Marine Le Pen d’avoir au moins souligné l’honnêteté du rapport, et effectivement nous ne vendons pas du « rêve ». Cela ne sert à rien, je tiens à le rappeler clairement ; malheureusement ceux qui comme moi ont la conviction européenne chevillée au corps, ont pu commettre des fautes à ne pas évoquer les problèmes, à ne pas les dénoncer et effectivement on ne sert pas alors l’Europe. On peut être Européen convaincu et critiquer ; j’ai formulé des critiques l’année dernière dont certaines ont porté leurs fruits, notamment sur la politique des rabais où nous allons enfin dans la bonne direction. Il reste encore des critiques à formuler sur les fonds de cohésion et sur la PAC. Je tiens à rappeler aux orateurs que vous ne votez pas contre le rapport mais contre l’article 37 du PLF.

Pour répondre à Didier Quentin, Delphine O, Bruno Joncour, Jacqueline Maquet, Bruno Fuchs et Sylvain Waserman, je souhaite que vous mesuriez la difficulté de ce rapport. Non seulement nous avons reçu le « jaune » budgétaire hier, mais nous devons mesurer que le cadre financier pluriannuel est en cours de négociation et va interférer avec les élections européennes à venir. Je ne peux évoquer que des orientations. Prenons l’exemple des GAFA. Il est évident que face à la baisse des droits de douane, il faudra trouver d’autres ressources. Il est juste de taxer les GAFA, cela va dans la bonne direction, c’est en cours de négociation à la Commission : je suis assez optimiste sur cette affaire et cela sera un accomplissement majeur. C’est cette ressource en particulier qui va être essentielle si nous parvenons à la concrétiser, de surcroit elle sera juste politiquement et philosophiquement. Sur la rémunération de l’administration européenne, je souhaite revenir sur l’intervention de Jacques Maire et de Didier Quentin, je n’ai pas de réponse à vous donner à la suite des entretiens que j’ai menés, mais il est clair que la position du Gouvernement français est que beaucoup d’États ont fait des efforts. On dénonce souvent l’Italie, mais elle a elle-même fait et bien avant nous des réformes de fond sur la fonction publique. Il faut le rappeler, nous-même nous en faisons. Ce que dit le gouvernement français est juste : il serait normal aussi que ce soit le cas pour l’administration de l’UE ; il y a aussi des mesures à prendre pour rationaliser les dépenses.

Pour répondre à d’autres questions, je rappelle que la France est un contributeur majeur au budget européen qui est soucieux de maîtriser les dépenses publiques. Elle est prête à participer à un budget en expansion sous réserve d’une modernisation des politiques dans une optique d’efficacité et de convergence, de la mise en œuvre de nouvelles ressources propres comme les GAFA, de la fin des rabais sous toutes leurs formes dès 2021 dans un souci de transparence et d’équité et de l’instauration de conditionnalité dans l’accès aux fonds de solidarité de l’Union.

Je tiens à revenir sur la remarque d’Alain David. L’intervention militaire n’est pas prise en compte. De plus je n’ai pas le sentiment que cela le sera. Il faut interroger la ministre des Armées et le ministre des Affaires étrangères. Bien qu’étant dans l’opposition, je reconnais que le Gouvernement et en particulier Jean Yves Le Drian nous avait dit à plusieurs reprises qu’il souhaitait que l’engagement militaire soit pris en compte.

Sur le Brexit, la négociation est difficile, il faut se préparer à un non-accord.

Par ailleurs je cite dans le rapport les avancées qui ont eu lieu en Allemagne récemment et les négociations doivent continuer. Il faudra refaire un zoom le moment venu sur l’état des négociations au moment où elles auront progressé.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci Monsieur le Rapporteur, nous allons passer au vote puis je vous ferai quelques propositions pour la suite.

M. Sébastien Nadot. Puisque je vois que le débat repart sur la question « pour ou contre un projet européen », et je déplore que mon collègue, qui disait tout à l’heure, que la France ne bénéficiait que de la PAC au sein de l’Union européenne, soit parti. J’aurais bien aimé qu’il soit là puisque je ne suis pas du tout d’accord avec lui. Une collègue a rappelé tout à l’heure qu’il y avait un certain nombre d’éléments dont on profitait à travers l’Europe, et puisque c’est un collègue souverainiste, je voudrais simplement lui rappeler que l’Europe, c’est aussi Galileo, par exemple, que ces satellites permettent à la France d’avoir une indépendance par rapport aux Américains, aux Chinois ou bien aux Russes, ce qui est non négligeable ; que le projet européen ne se résume pas à la PAC. Je pense qu’il a mal lu le rapport que vous avez écrit, parce que de nombreuses choses y transparaissent.

M. Maurice Leroy, rapporteur pour avis. Merci M. le député, pour ces propos que je partage pleinement, je n’ai pas une virgule à changer dans cette intervention. La PAC, ce n’est pas seulement un retour pour la France, c’est, et de loin, la première politique européenne, je vous le rappelle. Il serait donc totalement aberrant et contre-productif de mettre à bas cette politique. Même si elle ne donne pas satisfaction, même s’il fallait la réformer, sans la PAC, il n’y aurait plus de politique agricole en France, il ne faut cesser de le rappeler. Il n’y aurait plus d’agriculture en France sans la PAC, très clairement, malgré ses défauts. Réfléchissez bien à cela.

M. Jean Lassalle. Oui. Le rapporteur explique que sans la PAC, il n’y aurait pas d’agriculture, je trouve qu’on pourrait en discuter très longtemps : parce que ce qu’il en reste n’est pas considérable non plus, par rapport à ce que nous avons payé. Pour le reste, on parle des projets, des acquis de 1970-80. Je ne vois pas grand-chose de nouveau, je me demande même, si on devait mettre en place le programme Airbus aujourd’hui, si on y arriverait. J’aimerais aller jusqu’à demander : mais que produit, aujourd’hui, l’Union européenne, si ce n’est de la concurrence, si ce n’est, au fond, de la mésentente ? Voilà, je vous pose cette question.

Mm la présidente Marielle de Sarnez. Bien, merci beaucoup chers collègues, nous allons maintenant passer au vote, puis je ferai une proposition sur ce rapport. La Commission des Affaires étrangères donne-t-elle un avis favorable à l’adoption de l’article 37 du PLF pour 2019 relatif au prélèvement européen, suivant ainsi l’avis du rapporteur ? Qui est pour ? Qui est contre ? Qui s’abstient ?

L’article 37 est donc ainsi adopté par notre commission. Je tiens à vous dire, M. le rapporteur, comme nous sommes dans un calendrier où nous allons avoir l’adoption du cadre financier pluriannuel, dont la date butoir proposée par la Commission européenne est au mois de mai, et qu’il y aura d’ici là deux Conseils européens consacrés à la question du cadre financier pluriannuel, je pense qu’il est très important de faire part à l’exécutif des points de vigilance qui sont contenus dans l’avis de Maurice Leroy.

Je propose qu’on se concentre sur cette question pour l’instant, qu’on envoie une lettre au Premier ministre, pour que soit pris en compte l’avis de la Commission. Nous avons des points de vigilance, que Maurice Leroy a rappelés : en premier lieu, la conditionnalité sur les fonds de cohésion, je pense que lier les fonds de cohésion à l’harmonisation fiscale et sociale, c’est quelque chose que la France se doit de faire avancer. Nous avons également comme point de vigilance le souci de la politique agricole commune. Nous avons d’autres points de vigilance, telle que la question de la Défense, qui est une question absolument juste. Quand la France est au Mali, au Sahel, elle ne l’est pas seulement pour le Sahel, elle l’est aussi pour la sécurité de l’ensemble de l’Union européenne. Donc ceci doit aussi être pris en compte. Nous aurons aussi d’autres préoccupations qui sont la question du Brexit, dans le calendrier qui arrive : selon qu’il y aura un accord, ou qu’il n’y en aura pas, il y aura des conséquences économiques, et ces conséquences économiques auront à un moment donné un impact financier et budgétaire dont il faudra tenir compte.

Enfin, dernier point qui, pour moi, est une vraie, qui ne changera pas pour le prochain CFP mais qui pourrait changer dans l’avenir, c’est la question de la concordance et de la concomitance entre les élections européennes politiques et la mise en œuvre du CFP. Il est très difficile d’avoir un budget, qui est d’ores et déjà décidé quand vous arrivez au Parlement européen et, au fond, je crois que ce que les peuples attendent, c’est aussi de la clarté : des orientations politiques qui puissent être prises à l’occasion d’élections et puissent être ensuite tenues et déclinées dans un budget. Voilà les points de vigilance que je me propose d’envoyer par un courrier au Premier ministre, avec l’avis de Maurice Leroy, pour que l’exécutif prenne en compte l’avis de la Commission. Voilà la suggestion que je voulais vous faire.

Ensuite je regarderai si nous pouvons voter sur l’avis plutôt que sur l’article, puisque le prélèvement européen est une procédure spécifique. C’est quelque chose que je vais explorer, je trouve que ça donnerait peut-être plus de poids à ce que cette commission peut dire et apporter dans le débat public.

M. Claude Goasguen. J’aimerais qu’on puisse rajouter à cette échelle des valeurs que nous critiquons la fonctionnarisation excessive, que les prélèvements dans ce domaine sont trop importants, compte tenu de cette tendance très française, malheureusement, comme disait Margaret Thatcher, de mettre des fonctionnaires partout. Comme la France essaye de s’engager, très faiblement d’ailleurs, sur cette voie, il serait bien qu’elle rappelle à l’Europe que l’on n’est pas obligé de toujours suivre les mauvais exemples français. Donc je voudrais qu’on rajoute que cette fonctionnarisation est quand même très très très préoccupante.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci M. le député, ajoutons entre nous que la France a sa part de responsabilité dans cette question, et précisons-le bien.

M. Maurice Leroy, rapporteur pour avis. Je partage l’avis de M. Goasguen. Je tiens à vous remercier chaleureusement, Madame la Présidente – parce que je crois que c’est effectivement important – de votre proposition d’écrire au Premier ministre, à laquelle je souscris pleinement, puisqu’elle s’inscrit dans notre rôle de contrôle de l’exécutif, rôle dans lequel le Parlement français est souvent médiocre, alors que cela ne tient qu’à nous. Je me permets une note tout à fait personnelle, qu’il n’est pas inutile d’avoir à la tête de notre commission quelqu’un qui a siégé longtemps au Parlement européen, puisqu’on fustige souvent le Parlement européen, alors que je constate qu’il y existe une véritable pratique parlementaire, si vous me permettez de le souligner. Franchement, cela change de ce que l’on avait l’habitude de connaître auparavant. Donc, un grand merci à notre présidente, qui nous permet d’être dans notre rôle et je souhaite que l’on soit tous unanimes pour cette lettre, puisque cela nous redonne le contrôle, dans le bon sens du terme, du pouvoir exécutif et je m’en réjouis. Merci beaucoup.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup à vous M. le rapporteur. Nous pouvons l’applaudir, je vois que certains députés ont envie de l’applaudir, faites-le, avec bonheur. C’est un travail tout à fait important qui a été fait, et dans des conditions difficiles le rapporteur l’a rappelé, les ministères n’ayant pas toujours été au rendez-vous.

Suivant les conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

 


([1])  Le corps européen de solidarité est une nouvelle initiative de l’Union européenne qui vise à donner aux jeunes la possibilité de travailler dans le cadre de projets organisés dans leur pays ou à l’étranger et destinés à aider des communautés et des personnes dans toute l’Europe.

([2])  Le programme européen de développement industriel de défense (PEDID), qui fait partie du Fonds européen de défense (FED), marque le lancement par l’Union européenne d’une authentique politique industrielle de défense : il vise à soutenir la compétitivité et la capacité d'innovation de l'industrie de la défense de l'Union grâce à un budget de 500 millions d'euros pour la période 2019-2020.

([3])  L’autorité européenne du travail doit superviser les contentieux du travail transnationaux et accompagner la mobilité des travailleurs au sein de l’Union, en garantissant notamment un meilleur accès à l’information pour les citoyens et les entreprises.

([4]) Ces retards avaient été causés par l’adoption tardive du cadre financier pluriannuel 2014-2020.

([5])  Elle ne s’appliquerait qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires brut annuel atteint au moins 750 M€ au niveau mondial et 50 M€ dans l’Union.

([6]) M. Paul Tang (S&D, néerlandais).

([7])  Elle concernerait non seulement la publicité en ligne, les services d’intermédiation et la vente des données, mais aussi les contenus vidéos, audio ou de texte utilisant une interface numérique ainsi que la vente de biens et services contractés en ligne via des plates-formes de commerce électronique.

([8])  Une plateforme serait imposable si, elle génère plus de 7M€ de produits annuels, elle compte plus de 100 000 utilisateurs au cours d’un exercice fiscal dans un État-membre et si elle créée plus de 3 000 contrats commerciaux au cours d’un exercice fiscal.

([9]) Membres de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les entreprises (ICRICT).

([10])  L’instrument de flexibilité (maximum 471 M€ par an) permet de financer des dépenses clairement définies qui ne peuvent pas être couvertes par le budget de l'UE sans dépasser le plafond annuel de dépenses fixé dans le cadre financier pluriannuel.

([11])  Le Semestre européen est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l'UE. Il s'inscrit dans le cadre de la gouvernance économique de l'Union européenne. Ce cycle se concentre sur les six premiers mois de chaque année. Dans ce cadre, les États membres alignent leurs politiques économiques et budgétaires sur les règles et les objectifs arrêtés au niveau de l'Union européenne.

([12]) Le premier pilier, qui représente environ 80% des dépenses de la PAC porte sur les mesures de soutien aux marchés et aux revenus des exploitants agricoles : il est financé par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA).

([13]) Le second pilier porte sur la politique sur développement rural.

([14]) De M. Siegfried  Muresan (PPE, roumain), sur les dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritime  et la pêche.

([15])  M. Jan Olbrycht (PPE, Polonais) sur la proposition de règlement relatif au Fonds européen de développement régional et au Fonds de cohésion.

([16])  Le programme LIFE est un instrument financier de la Commission européenne entièrement dédié à soutenir des projets dans les domaines de l’environnement et du climat.