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N° 1305

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2018.

 

 

AVIS

 

 

PRÉSENTÉ

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2019,

 

 

TOME I

SANTÉ

 

 

VOLUME 2
(COMPTES RENDUS)

 

 

PAR Mme Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE,

 

Députée.

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  1255, 1302 (annexe n° 38).

 

 


 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Travaux de la commission

I. Audition de la ministre

II. Examen des crédits

 


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   Travaux de la commission

I.   Audition de la ministre

La commission des affaires sociales procède, le mercredi 31 octobre 2019, à l’audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur les crédits de la mission « santé ».

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6867714_5bd9c4ae41bab.commission-des-affaires-sociales--audition-de-mme-agnes-buzyn-ministre-des-solidarites-et-de-la-sa-31-octobre-2018

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre ordre du jour appelle l’examen des missions de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019 sur lesquelles la commission s’est saisie pour avis.

Au nom des membres de la commission, je vous souhaite la bienvenue, madame la ministre des solidarités et de la santé. Nous examinerons les crédits de la mission « Santé » puis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » qui recouvrent l’intitulé de votre ministère, même si certains programmes de cette mission dépendent d’autres ministères.

Mission « santé »

Vous avez la parole, madame la ministre, pour une courte présentation de la mission « Santé ».

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui le budget de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019.

Ce budget est en forte continuité avec celui de 2018, s'agissant de la structuration de la mission et du montant des crédits. Ces crédits sont en augmentation de 3,5 % et atteindront plus de l, 4 milliard d’euros en 2019. Ils ne représentent toutefois, vous le savez, qu'une petite partie des financements que les pouvoirs publics consacrent à la politique de santé, et qui sont pour l'essentiel discutés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) que l'Assemblée a adopté hier en première lecture. Il m'apparaît donc nécessaire de conserver à l'esprit, lors de l'examen de ces crédits, le champ plus vaste dans lequel ils s'inscrivent.

Je commencerai par évoquer le programme 204 consacré à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins. Les grandes masses de ce programme, doté de près de 500 millions d’euros, sont relativement stables.

Plus des deux tiers des crédits sont consacrés aux quatre agences sanitaires financées par ce budget : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Agence nationale de santé publique (ANSP), l'Institut national du cancer (INCa) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Ces crédits progressent en 2019 de 2,4 millions d’euros, ce qui permet de consolider les moyens de ces quatre structures.

Le périmètre des opérateurs concernés n'a pas évolué, la loi de finances pour 2018 ayant opéré les dernières opérations de décroisement des crédits de l'État et de l'assurance maladie, avec le transfert à l'assurance maladie des dotations de l'Agence de la biomédecine et de l'École des hautes études en santé publique (EHESP).

Je considère toutefois qu'il y a lieu de mener plus avant une réflexion sur un financement intégral par l'assurance maladie de l'ANSM et l’ANSP, réflexion qui pourrait déboucher dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. L'activité de ces deux agences a en effet trait à des produits, les médicaments, et à une activité, la prévention, dont l'essentiel du financement dépend déjà de l'assurance maladie. Ce transfert renforcerait, me semble-t-il, la cohérence des leviers d'action du ministère dont j'ai la charge.

Les crédits de prévention au sein du programme 204 s'élèvent à 89 millions d’euros et sont en légère progression. Ils sont consacrés pour l'essentiel à la dotation à l'Agence nationale de santé publique. Il faut toutefois, pour apprécier l'évolution des moyens consacrés à la prévention, considérer l'ensemble des financements disponibles, quel qu'en soit le support, et ces financements croissent de façon significative.

Toutes les décisions que j'ai prises vont en effet dans le sens d'une augmentation des crédits consacrés à la prévention. Les crédits du Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS), gérés par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), vont augmenter de 20 % par rapport à la période précédente dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022.

Les crédits du Fonds de lutte contre le tabac, alimenté par la taxe sur les distributeurs, se sont élevés à 100 millions d’euros en 2018 contre 30 millions d’euros en 2017. Les crédits du Fonds d'intervention régional (FIR), qui finance notamment les actions de prévention menées par les agences régionales de santé (ARS) – plus de 500 millions d’euros en 2017 –, augmentent de 3,3 % en 2018, soit un point de plus que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

Les crédits du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNP) consacrés à des aides incitatives à la prévention pour les entreprises vont doubler, passant de 50 millions d’euros à 100 millions d’euros, dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022.

Ces crédits sont au service des priorités de la politique de prévention qui ont été définies par le plan national de santé publique présenté le 26 mars dernier, également dénommé « plan priorité prévention ».

Il s'agit pour la première fois d'une démarche interministérielle globale, visant à faire de la prévention en santé une composante transversale des politiques de l’État pour agir plus efficacement sur les déterminants de la santé, qu'ils soient alimentaires ou environnementaux ou qu’ils relèvent de comportements individuels et de l'éducation à la santé.

Le plan national de santé publique prévoit ainsi plus de 150 actions, dont 25 mesures phares fondées sur une approche chronologique visant tous les âges de la vie, de manière à intervenir le plus précocement possible et à permettre à chacun de devenir acteur de sa propre santé en adoptant les bons réflexes dès le plus jeune âge.

La mise en œuvre de cette politique sera soutenue par le déploiement, à compter de cet automne, du service sanitaire qui verra 47 000 étudiants consacrer une partie de leur temps de formation à des actions de prévention dans tous les milieux, et notamment auprès des jeunes. C'est l'occasion à la fois d'ancrer la culture de la prévention chez ces futurs professionnels de santé et de démultiplier au plus près du terrain l'impact des messages de prévention.

Le programme 204 comporte également les dépenses d'indemnisation des victimes de la Dépakine. Cette indemnisation est, comme vous le savez, assurée par l'Office national d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (ONIAM). Les deux collèges – collège d'experts et collège d'indemnisation – ont achevé de mettre en place leurs outils et méthodes de travail. Les premiers avis d'indemnisation pourront être rendus avant la fin de l'année et 2019 verra ainsi progresser de façon très significative le nombre des décisions rendues au bénéfice des victimes.

Pour achever l’évocation des crédits du programme 204, je veux signaler que les moyens de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna augmenteront également : sa dotation sera majorée en 2019 de 2,5 millions d’euros pour la porter à 36 millions d’euros, ce qui correspond aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de ses missions.

Le deuxième programme de la mission, le programme 183, est consacré pour l'essentiel à l'aide médicale de l'État (AME).

Je suis, vous le savez, attachée à la préservation de ce dispositif, qui est à la fois un dispositif humanitaire, conforme à nos valeurs républicaines, et un dispositif sanitaire nécessaire dans l'intérêt de la santé publique.

Les crédits qui y sont consacrés augmentent. Ils seront, s'agissant de l'AME de droit commun, de 893 millions d’euros en 2019, en cohérence avec la progression attendue des effectifs même si, en la matière, la prévision demeure complexe. Ces crédits, il n'est pas inutile de le préciser une nouvelle fois, servent à financer des prestations de santé qui sont dispensées pour l'essentiel par les hôpitaux de notre pays. Ils permettent donc d'éviter que les établissements de santé ne supportent seuls la charge correspondante.

Comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement de 2017, nous devons encore progresser en matière de connaissance des dépenses et des bénéficiaires de l'AME. C'est l’une de mes priorités. J'ai ainsi demandé à la CNAMTS de mettre l’accent sur la qualité des remontées d'information, Ces données nous permettront de mieux analyser les flux et d'améliorer la prévision.

La centralisation en 2019 de l'instruction des demandes dans les trois caisses dédiées de Paris, Bobigny et Marseille, contribuera aussi à la connaissance plus fine du dispositif.

Ce projet implique le développement d'échanges entre les caisses locales, les pôles gestionnaires et l'atelier de fabrication des cartes, ainsi que la rénovation de l'outil d'instruction qui est actuellement en fin de test opérationnel.

La mise en œuvre de la centralisation débutera en 2019, avec le transfert progressif des dossiers aux caisses centralisatrices, pour être pleinement effective à la fin du premier semestre 2019. Elle permettra un traitement plus homogène et un meilleur contrôle des demandes, de même qu'une réduction du temps d'instruction, et donc un meilleur service.

Je souhaite pour terminer évoquer le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), qui relève également du programme 183. Les crédits du budget de l'État destinés à doter ce fonds sont reconduits à hauteur de 8 millions d’euros. Cette dotation intervient non seulement au titre de l'État employeur mais correspond également à l'exercice d'une solidarité nationale à l'égard des victimes non-professionnelles, environnementales ou familiales, par exemple. Il s'agit bien sûr d'une contribution annexe pour le FIVA, lequel est financé principalement au titre de l'exposition professionnelle par la branche accidents du travail de la sécurité sociale. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit de doter le fonds de 260 millions d’euros ce qui permettra d'assurer un niveau prudentiel suffisant.

Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, les principaux axes d'un budget dont vous aurez compris qu'il se caractérise par la stabilité et la continuité des programmes qu'il porte.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter mon avis sur la mission « Santé », dont les deux tiers des crédits sont affectés au programme 183 qui finance en quasi-totalité l’aide médicale de l’État (AME). Le tiers restant, quelque 480 millions d’euros, finance le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». C’est sur la question de la prévention dans les outre-mer que j’ai choisi de centrer mon analyse, dans le but surtout de vous alerter.

Il y a longtemps que l’on sait que la situation sanitaire des populations des outre-mer n’est pas satisfaisante.

Vous me permettrez de vous rappeler quelques éléments qui donneront la mesure du problème : l’espérance de vie outre-mer est inférieure de plusieurs années à celle constatée dans l’Hexagone ; le tiers des décès survient avant soixante-cinq ans ; les taux de mortalité maternelle et infantile sont bien plus élevés ont même tendance à augmenter dans certains territoires.

La prévalence des maladies chroniques est préoccupante. Elle est liée notamment à l’obésité qui induit des pathologies comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires. À cela s’ajoutent les maladies vectorielles tropicales et les maladies infectieuses, dont la lèpre, ou les maladies génétiques comme la drépanocytose. La prévalence des infections sexuellement transmissibles est de plus particulièrement grave : l’épidémie de virus de l’immunodéficience humaine (VIH) aux Antilles et en Guyane est comparable à ce que l’on constate dans certains pays parmi les plus pauvres, et il y a actuellement dix fois plus de nouveaux cas d’infection par le VIH que dans l’Hexagone.

Cette situation générale très défavorable s’explique par divers facteurs.

Le premier, c’est naturellement le contexte économique et social : précarité, chômage structurel, illettrisme, alcoolisme et autres addictions.

Le deuxième facteur est la grande souffrance des systèmes de santé. On parle souvent de déserts médicaux dans l’Hexagone mais il faut rappeler que la densité de médecins outre-mer est excessivement basse : en Guadeloupe ou à la Martinique, il y a proportionnellement 20 % de généralistes en moins que dans l’Hexagone, et même 50 % de moins en Guyane. La situation est identique pour les autres professions médicales et certaines spécialités sont même absentes de plusieurs territoires. Par exemple, à Mayotte, il n’y a ni cardiologue ni cancérologue, et il n’y a qu’un diabétologue alors même que 10 % de la population sont diabétiques. L’offre de soins est ainsi excessivement concentrée sur les hôpitaux, qui sont en sous-capacité et dont les services d’urgences sont saturés. Et lorsque des aléas surviennent, qu’il s’agisse de catastrophes climatiques comme les ouragans qui ont ravagé Saint-Martin et Saint Barthélemy l’an dernier, ou d’accidents comme l’incendie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre en novembre dernier, la situation devient tout simplement intenable. Intenable pour les populations bien sûr, mais aussi pour les professionnels de santé, dont les conditions de travail, en temps normal tendues, deviennent inacceptables.

Enfin, il faut ajouter que dans beaucoup de régions ultramarines la géographie constitue aussi un facteur de déséquilibres graves dans l’offre de soins, très inégalement répartie. Il y a dans nos outre-mer des zones difficiles d’accès ou isolées. L’Ouest guyanais, par exemple, ou les îles du Sud en Guadeloupe sont de ce fait dépourvus de l’offre de soins nécessaire.

Tous ces aspects sont connus depuis longtemps.

Déjà en 2014, la Cour des comptes avait analysé ce contexte général et ses causes. Les difficultés persistantes des systèmes de santé résulteraient notamment des carences du système de prévention, que ce soit au niveau général ou au niveau de la protection maternelle et infantile (PMI) ou de la santé scolaire et universitaire. À Mayotte, par exemple, il n’y a aujourd'hui que trois médecins pour 100 000 jeunes scolarisés. La situation est telle que la PMI est défaillante et que la réserve médicale doit être mobilisée pour procéder aux campagnes de vaccination générale.

Les différents documents stratégiques adoptés par les gouvernements successifs ont depuis lors réaffirmé le rôle central de la prévention et l’ont remise au rang de priorité de santé publique. Il faut s’en féliciter.

Les efforts que font les ARS locales sont à saluer, compte tenu du contexte budgétaire que l’on connaît. Leurs stratégies régionales sont en grande partie centrées sur le renforcement de la prévention et une part importante des aides du Fonds d’intervention régional qui leur sont attribuées leur est consacrée. Une ARS comme celle de Mayotte alloue même jusqu’à 68 % de son budget à la prévention.

Cela étant, quatre ans après l’avis de la Cour des comptes, les choses n’ont pas véritablement évolué. Les rapports récents de plusieurs institutions comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ou le Conseil national du sida (CNS), concluent que la situation reste critique dans nombre de domaines.

Il ressort ainsi de l’ensemble des auditions auxquelles j’ai procédé, notamment de celles des responsables des ARS des outre-mer et des acteurs de terrain, que les moyens ne sont pas suffisants, compte tenu de l’immensité des besoins.

Les documents de politique transversale outre-mer publiés hier montrent que les crédits du programme 204 fléchés vers les outre-mer perdent 1,6 million d’euros en autorisations d’engagement, après une baisse de 3,5 millions l’année dernière. Derrière l’affichage, la réalité des chiffres est donc cruelle.

Dans toutes les régions, il y a une pénurie de moyens, notamment humains, qui est considérable. Je l’ai évoquée s’agissant du personnel sanitaire dans ses différentes composantes. Cela rend dans certains cas extrêmement difficile pour une ARS de mener la politique de prévention qu’elle a définie.

Cette situation pose la question de l’attractivité des territoires et des moyens que l’on consacre pour recruter et fidéliser des personnels de santé qui interviendront dans le secteur de la prévention.

Dans le même ordre d'idées, se pose la question de la densité et de la qualité du tissu associatif : les ARS sont unanimes à souligner le rôle irremplaçable que jouent les acteurs associatifs en matière de prévention. Ils sont les seuls à pouvoir aller sur le terrain au contact des populations cibles, à diffuser des messages, à mener des actions adaptées aux réalités sociales et culturelles de chaque région. Les associations ont besoin d’être fortement soutenues, d’être professionnalisés et structurées. Or, souvent, elles sont encore loin de pouvoir répondre aux besoins.

S’agissant des moyens propres des ARS, les ressources financières mériteraient d’être renforcées car certains postes ne peuvent être dotés suffisamment pour faire face aux besoins, tout particulièrement pour faire monter les compétences des acteurs de terrain.

Tout cela pour vous dire, mes chers collègues, que certaines des mesures que le Gouvernement prend depuis deux ans ont un effet dévastateur direct sur l’action des acteurs associatifs et plus généralement en matière de prévention.

Je prendrai deux exemples pour illustrer cet aspect sur lequel je tiens tout particulièrement à appeler votre attention.

Le premier problème renvoie à la suppression des contrats aidés : la politique menée par le Gouvernement est un véritable coup de poignard pour la prévention. Comme vous le savez, 12 500 employeurs associatifs ont de ce fait disparu au niveau national en 2017. S’agissant des outre-mer, les informations que j’ai pu recueillir confirment la perte de compétences qui en a résulté pour les associations qui interviennent dans le champ sanitaire et social. Cela a un effet absolument dramatique sur le terrain. Des intervenants dans la formation desquels on avait investi, qui étaient compétents et qui avaient noué des liens de confiance avec des populations fragilisées, marginalisées, souvent difficiles à approcher, ont été perdus. En outre, les contrats aidés permettaient aux associations de recruter des personnels pour assurer les fonctions support indispensables, très chronophages pour les petites structures.

Nous voyons donc que d’un côté, le Gouvernement promeut la prévention, et que de l’autre, il fragilise le soutien au tissu associatif.

Madame la ministre, pourriez-vous m’indiquer les moyens que vous entendez mettre en œuvre pour consolider le tissu associatif dans les outre-mer et soutenir la prévention ? Le Livre bleu proposait la création d’un fonds de prévention outre-mer : pourriez-vous me préciser quand et comment il sera activé ?

Le second problème grave sur lequel je souhaite vous alerter concerne le revenu de solidarité active (RSA). L’article 27 du projet de loi de finances prévoit une recentralisation du dispositif en Guyane. Cette disposition n’est pas contestable, puisqu’elle répond à un engagement présidentiel pris en accord avec les collectivités. Toutefois, comme à chaque fois, le diable se cache dans le détail et, à y regarder de près, les modalités de cette recentralisation sont porteuses d’une aggravation des problématiques de santé publique sur le territoire guyanais.

En effet, cette réforme s’accompagne de l’allongement de cinq à quinze ans de la durée de résidence préalable ininterrompue pour les étrangers non ressortissants d’un pays de l’Union européenne. Or, tous les acteurs savent que cette exigence est extrêmement difficile à satisfaire et qu’il y a toujours des ruptures entre deux titres de séjour. Cette disposition ne peut donc que conduire à l’exclusion des étrangers du dispositif  du RSA en Guyane et, par conséquent, à une aggravation de la précarité des migrants, ce qui aura pour effet de les amener à basculer dans des pratiques à risque, d’addiction ou de prostitution, et à accroître la contamination par le VIH.

La prévention n’est jamais la priorité des personnes précarisées, elle l’est encore moins dans un territoire aussi difficile que la Guyane, où les acteurs de prévention rencontrent les plus grandes difficultés d’accès aux zones les plus reculées. L’adoption de l’article 27 du PLF est donc en totale contradiction avec l’approche préventive et ne répond nullement à l’urgence de la situation.

Madame la ministre, je vous ai déjà posé la question mais faute de réponse, permettez-moi de vous demander à nouveau si ces risques ont été pris en compte dans la réforme du dispositif du RSA en Guyane.

Mon dernier point portera sur la loi de juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire dans les outre-mer. Elle impose que la teneur en sucre des denrées distribuées sur les territoires ultramarins soit identique à celle des produits commercialisés dans l’Hexagone. Selon les informations que j’ai pu obtenir, la mise en œuvre de ces dispositions s’avère particulièrement lente. Il me semble indispensable et urgent que le Gouvernement veille à la stricte application de la loi et renforce les contrôles sur place. Cela ne pourra qu’être extrêmement positif pour l’amélioration de l’état de santé des populations d’outre-mer, au même titre que les mesures de prévention. Je vous demande donc, madame la ministre, d’être extrêmement vigilante sur ce point.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Chers collègues, je vais interrompre pour quelques minutes notre réunion afin que nous nous entendions sur son déroulement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Jean-Louis Touraine. Madame la présidente, madame la ministre, j’évoquerai brièvement trois points.

S’agissant de l’AME, le groupe de La République en Marche vous est très reconnaissant, madame la ministre, de votre constance. Vous avez fait preuve de courage en maintenant les moyens nécessaires à cette noble mission. Elle répond à un double objectif : humanitaire mais aussi de santé publique car beaucoup des soins réalisés concernent des maladies infectieuses qui risqueraient de se propager faute de prise en charge rapide et efficace.

Mon deuxième point porte sur les crises ou accidents sanitaires, de l’amiante au Distilbène en passant par la Dépakine, le Levothyrox, les nouveau-nés sans bras ou les effets de la pollution. Tous appellent des progrès en matière d’épidémiologie, de communication et surtout de réactivité. Il y a eu des années de retard pour l’interdiction du Médiator, une génération pour le Distilbène. Comment mieux organiser les services et agences concernés afin que de telles affaires ne se reproduisent plus et que les effets adverses soient stoppés dès qu’ils sont connus ?

Enfin, si la recherche en santé publique est d’une très grande qualité, elle laisse de très nombreux thèmes inexplorés. Nous nous en rendons compte avec la préparation de la révision de la loi de bioéthique : nos choix devront reposer en grande partie sur des études anglo-saxonnes portant sur les méthodes de procréation, la parentalité, la génétique et même l’intelligence artificielle. Pourtant la France compte des chercheurs de premier plan, reconnus internationalement. Pourquoi ne pas les aider à compléter leurs travaux par une étude d’impact de santé publique ?

M. Jean-Pierre Door. Madame la ministre, nous constatons que la mission « Santé » est dotée de l, 42 milliard d’euros au lieu de 1,38 milliard l’an dernier et que les deux tiers de ses crédits sont consacrés à l’aide médicale d’État, autrement dit près de 900 millions d’euros.

Les quatre agences sanitaires financées par le programme 204 ont connu entre 2013 et 2017 une baisse de 38 % de leurs crédits. Après une légère hausse en 2018, ils baisseraient à nouveau, ce qui nous donne l’impression d’une véritable cure d’austérité.

Dans ce même programme, 80 millions d’euros sont consacrés à l’indemnisation des victimes de la Dépakine. Or, nous savons que le dispositif d’indemnisation mis en place par l’ONIAM est opérationnel, comme nous l’a indiqué sa directrice récemment.

J’aimerais savoir à quoi correspondent la baisse de 9 millions de l’action « Pilotage de la politique de santé publique » et celle des crédits alloués à la prévention des risques liés à l’environnement et à l’alimentation.

S’agissant du programme 183 « Protection maladie », la Cour des comptes a estimé contestable la programmation de certaines dépenses. Les taux d’exécution lui paraissent « dépourvus de signification dans la mesure où la dette de l’État à l’égard de l’assurance maladie sert en pratique de véritable ajustement entre les dépenses de l’AME réalisées et les crédits disponibles ». Elle note aussi que la hausse non anticipée des dépenses d’AME observées en fin d’année a conduit à un accroissement de cette dette.

Il y a donc lieu de s’inquiéter des effets de l’intensification des flux migratoires sur le financement de l’AME, madame le ministre. Rappelons qu’elle bénéficie à des personnes ayant obtenu le statut des réfugiés, mais aussi à des étrangers en situation irrégulière.

Afin d’assurer la soutenabilité de ces dépenses, le groupe Les Républicains pense qu’une réforme en profondeur de l’AME de droit commun est indispensable.

Enfin, que répondez-vous à la critique de la Cour des comptes ? Quelles actions significatives comptez-vous mener pour éviter des sous-budgétisations systématiques ? Envisagez-vous une réforme de l’AME afin de limiter la dérive actuelle ?

M. Cyrille Isaac-Sibille. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, comme le savez, la prévention primaire et l’éducation à la santé sont deux thèmes chers au groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. Et je concentrerai mon intervention sur ces questions.

Nous connaissons, madame la ministre, votre intérêt pour la prévention, comme vous l’avez montré avec la stratégie « Ma santé 2022 », le plan priorité prévention ou le comité interministériel de la santé. Il faut toutefois que tout cela se traduise par des moyens budgétaires.

L’analyse du programme 204 montre que les chiffres ne sont pas forcément au rendez-vous. Une politique de prévention efficace doit prendre en compte, dès le plus jeune âge, les inégalités de destin, dont la santé fait partie intégrante. Or, les indicateurs de performance retenus – taux de participation au dépistage du cancer colorectal, prévalence du tabagisme, taux de couverture vaccinal contre la grippe chez les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans – laissent peu de place à la prévention auprès des plus jeunes.

D’un point de vue budgétaire, nous regrettons la diminution des moyens alloués au programme 204. L’action 11 « Pilotage de la politique de santé publique » subit une baisse de 3 % de ses crédits et l’action 14 « Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades » connaît également une diminution de crédits. Dans l’action 12 « Santé des populations », seuls 400 000 euros sont dédiés à la santé de la mère et de l’enfant, autrement dit aux mille premiers jours de l’enfant dont on sait le caractère déterminant.

Bien évidemment, nous ne pouvons que soutenir le Gouvernement quand il donne la priorité à la prévention mais nous nous étonnons qu’elle ne trouve pas de traduction dans le budget. Toute la question est de savoir comment sont répartis et décroisés les crédits dédiés à cette politique : quelle part relève de la sécurité sociale? Quelle autre du projet de loi de finances ?

La prévention en santé est de dimension interministérielle. Elle ne se limite pas exclusivement au secteur médical et dépasse le cadre du PLFSS et du PLF, et même l’action de l’État – je pense au travail des associations, des collectivités, des mutuelles et même des entreprises. Afin de connaître les efforts réellement consentis en faveur de la prévention, nous aimerions disposer d’un document de politique transversale, sans quoi nous continuerons à avancer dans le noir et la prévention restera le parent pauvre de la politique de santé. Un tel document serait une nécessité pour dresser un état des lieux des financements dédiés à la prévention. Nous présenterons un amendement en ce sens.

M. Paul Christophe. Les moyens alloués pour 2019 à la mission « Santé » s’élèvent à 1,42 milliard d’euros, soit une légère augmentation de 40 millions d’euros par rapport à l’année 2018.

L’AME mobilise la majeure partie des crédits du programme 183 « Protection maladie » et représente près des deux tiers des dépenses de la mission. Pour l’année 2019, elles s’élèveront donc à 893 millions d’euros, soit une hausse de 53 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. La hausse tendancielle du nombre de bénéficiaires pourrait expliquer cette augmentation mais le bleu budgétaire n’apporte pas suffisamment de précisions sur ce point.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants plaide pour une approche mesurée sur ce dossier sensible, sujet aux caricatures et fantasmes démagogiques de certains.

À ceux qui souhaiteraient supprimer cette aide pour faire des économies, nous opposons un argument plus nuancé : en cas de suppression du dispositif, le coût de la prise en charge des soins des personnes en situation irrégulière se répercuterait in fine sur les services des urgences, donc sur les hôpitaux qui ne sont pas en mesure d’absorber ces nouvelles missions. Lors de l’examen du PLFSS, nous avons déjà alerté le Gouvernement sur les difficultés financières des hôpitaux qui affichent un déficit de près de 1,5 milliard d’euros en 2018 et une dette avoisinant les 29 milliards d’euros. La suppression de l’AME ne constituerait donc pas une mesure de gestion saine et responsable.

Pour autant, le coût de l’AME ne doit pas devenir insupportable pour nos finances publiques. Il nous faudrait peut-être définir les soins relevant de ce dispositif. Nos concitoyens qui font face au déremboursement progressif de soins et de médicaments et aux coûts toujours plus élevés des complémentaires de santé ne peuvent pas comprendre que des personnes en situation irrégulière sur notre territoire puissent bénéficier de soins médicaux ou hospitaliers pris en charge à 100 %. Il pourrait être utile de mieux circonscrire le périmètre de l’AME afin de limiter les éventuels abus.

Le programme 183 est également consacré à l’indemnisation des victimes de l’amiante. Nous vous avions fait part l’année dernière de nos interrogations sur la participation de l’État aux ressources du FIVA. Ce fonds demeure plafonné depuis 2017 à 8 millions d’euros et la contribution de l’État est passée de 13,4 millions d’euros à 8 millions entre 2016 et 2017, soit une baisse drastique de 40 %. Le montant dédié au fonds nous apparaît insuffisant, au regard des responsabilités assumées par l’État dans le cadre du scandale de l’amiante. À cet égard, je regrette, comme les familles des victimes, nombreuses dans ma circonscription, qu’un procès pénal n’ait pas encore permis de reconnaître la responsabilité de ceux qui ont freiné des mesures d’interdiction de l’amiante. Nous savons pourtant le caractère dissuasif que pourrait avoir une telle condamnation pénale pour ce qui est des autres produits toxiques.

En matière de prévention, des actions sont engagées dans le budget que vous présentez. Notre groupe plaide aussi pour une politique ambitieuse et plus volontariste en la matière. La prévention d'aujourd’hui permettra les économies de demain. Il est donc très important de fixer un cap clair dès le plus jeune âge pour qu’il soit tenu tout au long de la vie.

Enfin, je note les efforts du Gouvernement en faveur de la vaccination, qui constitue à mon sens la première des préventions. Alors même qu’elle reste le moyen le plus efficace pour protéger les populations contre les maladies infectieuses, la couverture vaccinale dans notre pays demeure insuffisante. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime pourtant à 3 millions le nombre de décès évités chaque année dans le monde grâce aux vaccins, qui sont d'une efficacité incontestable en matière de santé publique. Nous encourageons donc le Gouvernement à accentuer ses efforts en la matière et invitons nos concitoyens à se faire très largement vacciner. Plus qu’un acte individuel, la vaccination est un geste médical altruiste : on ne se fait pas vacciner uniquement pour soi mais aussi pour protéger les autres. Les taux de vaccination indiqués accusent une légère baisse. Pouvez-vous nous éclairer sur cette évolution, madame la ministre ? Quelles modalités entendez-vous mettre en œuvre pour augmenter le taux de vaccination ?

Pour finir, j’indique qu’en l’état actuel de la discussion, notre groupe souhaite exprimer une position favorable sur vos propositions budgétaires.

Mme Éricka Bareigts. Madame la ministre, mes chers collègues, je veux commencer par remercier notre rapporteure pour avis pour son travail qui met en évidence les lourdes difficultés auxquelles les territoires ultramarins continuent à être confrontés en matière de santé. Cela dit, nous ne comprenons pas pourquoi il est prévu une diminution des crédits destinés à la prévention dans les outre-mer, alors que la situation nécessiterait au contraire une action rapide et significative en direction de ces territoires.

Pour ce qui est de la mission « Santé », comme la rapporteure, nous déplorons que la priorité donnée à la prévention lors de la présentation de la Stratégie nationale de santé 2018-2022 ne trouve pas sa traduction dans les crédits de la mission pour 2019. L’augmentation de plus de 3,5 % des crédits de la mission est essentiellement due au programme 183, consacré à l’aide médicale d’État. Cependant, nous sommes déçus de constater que les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » sont les grands perdants de la mission, avec une baisse des crédits de 1,1 % par rapport à 2018.

Une analyse approfondie du programme 204 met en évidence plusieurs contradictions, ainsi que des motifs d’étonnement. Tout d’abord, au regard de la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants, nous regrettons la baisse des crédits destinés à la santé des populations en difficulté, alors que ces crédits sont principalement destinés à la prévention et à la sensibilisation en matière de risques comportementaux au sein des populations les plus précaires – je pense notamment aux enfants et à leurs familles. Par ailleurs, il est inquiétant de voir les crédits de l’action 14 diminuer de 0,5 %. Le seul effort consenti porte sur la lutte contre les maladies neuro-dégénératives et liées au vieillissement, mais cela se fait malheureusement au détriment de la prévention des addictions et de la santé mentale. Si l’on croise ces derniers crédits avec ceux relatifs à la santé de la mère et de l’enfant, il apparaît qu’ils ne constituent pas une véritable réponse au cri d’alarme lancé en septembre dernier par la défenseure des enfants, Geneviève Avenard, au sujet de la santé mentale des enfants, dont 12,5 % sont en souffrance psychique – un phénomène qui a toujours des répercussions, notamment sur leur scolarité.

De même, alors que le débat récent autour du glyphosate, dans le cadre de l’examen de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM », a montré combien les Français étaient de plus en plus soucieux des questions de santé environnementale, on assiste à une baisse des crédits santé et environnement, qui passent de 3,5 millions d’euros en 2018 à 2,78 millions d’euros cette année. Ces crédits ne répondent plus aux besoins du troisième Plan national santé environnement 2015-2019, qui plaçait au premier plan la prévention des cancers en relation avec des expositions environnementales et faisait de la réponse aux enjeux de santé posés par les pathologies en lien avec l’environnement l’objectif prioritaire du plan.

En ce qui concerne le programme 183, nous ne pouvons que nous féliciter de la hausse d’environ 6 % des crédits, dont l’essentiel est consacré à l’aide médicale de l’État (AME). Néanmoins, depuis plusieurs années, de nombreuses institutions recommandent d’inclure l’AME dans le régime général de la sécurité sociale. Notre groupe a d’ailleurs déposé, lors de l’examen des PLFSS 2018 et 2019, un amendement demandant un rapport sur cette question – que votre majorité a repoussé pour la deuxième fois cette année.

Si la baisse des crédits du programme 204 consacré à la prévention est une déception, nous sommes favorables à l’adoption des crédits du programme 183, destiné à l’indemnisation des victimes de l’amiante et à l’aide médicale de l’État, un dispositif essentiel qui répond à un enjeu de santé publique, de prévention et d’accès aux soins. D’autre part, nous nous satisfaisons de l’installation d’une organisation interministérielle consacrée à la prévention. À ce sujet, madame la ministre, pouvez-vous nous préciser selon quelles modalités les services sanitaires seront mis en place, quelle sera leur répartition sur le territoire national et sur quels critères celle-ci s’effectuera ?

Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra cette année sur la mission « Santé ».

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la ministre, mes chers collègues, il y a en France une insuffisance chronique des moyens mis en œuvre par rapport à l’ampleur des besoins en matière de santé publique. L’état des lieux sanitaire des outre-mer en constitue une parfaite illustration – si ce n’est que l’écart entre les besoins et les moyens y est encore plus important que dans l’Hexagone, ce qui aboutit à une situation particulièrement critique. Je félicite chaleureusement la rapporteure pour avis pour la qualité de son rapport et pour son courage, car elle a très bien su traduire les difficultés quantitatives et qualitatives majeures de l’organisation de l’offre de soins dans les territoires dits d’outre-mer, et surtout les souffrances résultant de cette situation.

Aujourd’hui, les centres hospitaliers universitaires (CHU) de nos territoires ressemblent davantage aux dispensaires du tiers-monde qu’aux hôpitaux d’un pays moderne. En dépit de l’implication extraordinaire des personnels médicaux et paramédicaux, la situation est on ne peut plus critique, à tel point qu’aujourd’hui, au sein de tous nos territoires, il se dit qu’en cas de survenue d’une maladie, il vaut mieux avoir suffisamment d’argent de côté pour se payer un billet d’avion et venir se faire soigner à Paris ! Ainsi, il risque encore de se développer une médecine à deux vitesses : d’un côté, une médecine captive et de bas niveau pour ceux qui n’ont pas les moyens de se déplacer, de l’autre, une médecine de qualité accessible seulement en dehors de nos territoires – généralement à Paris – pour ceux qui en ont les moyens.

Je suis très attentif à chacune de vos interventions, madame la ministre, et je vous entends souvent dire que nos CHU sont très « subventionnophages » et que nous coûtons beaucoup aux finances publiques en raison du fait que, chaque année, l’État est obligé de venir en aide à nos hôpitaux – il est vrai agonisants. Mais quand sera-t-il enfin établi un diagnostic objectif sur le poids de la tarification à l’activité (T2A), une pratique d’inspiration étasunienne appliquée à l’ensemble du modèle français mais qui, au sein de nos territoires, provoque des ravages incommensurables ? Quand posséderons-nous enfin des éléments objectifs sur le coefficient géographique que l’on nous applique, et qui est structurellement sous-évalué ? Je rappelle que le CHU de la Martinique est né de la fusion forcée de trois établissements hospitaliers qui étaient déjà structurellement déficitaires auparavant : le fait pour des personnes pauvres de se marier ensemble ne les rend pas plus riches !

Cela dit, même si la situation s’y prête, je considère qu’il faut sortir de la sinistrose et des discours uniquement alarmistes, car nos territoires recèlent aujourd’hui de véritables potentiels. Ainsi, à la Martinique, une plateforme régionale d’oncologie a été mise en œuvre par des professionnels de très haut niveau et produit un travail exceptionnel en matière de soutien apporté aux malades du cancer. Cela montre bien que nous pouvons aussi, dans nos territoires, être pionniers dans nombre de domaines et servir de régions-pilotes pour la mise en œuvre d’expériences ayant vocation à faire ensuite l’objet d’une généralisation à l’ensemble du territoire français – à condition, bien sûr, que ces expériences soient reconnues, valorisées et dotées de moyens à la hauteur des ambitions qu’elles portent. La Martinique est également pionnière dans la mise en place d’un comité de démocratie sanitaire.

On répète sans cesse que les territoires d’outre-mer sont des terres de champions, grandes pourvoyeuses de médailles sportives dans toutes les disciplines. Pour ma part, j’aimerais qu’ils soient aussi des territoires d’excellence en matière de sport-santé. Puisque nous œuvrons déjà énormément dans le domaine du sport-thérapie, je souhaite connaître votre position sur la demande que nous allons formuler prochainement, visant à la prise en charge,  au bénéfice des personnes atteintes d’affections de longue durée, d’un forfait incluant une quarantaine de séances de sport encadrées par des professionnels spécialement formés.

Mme Jeanine Dubié. Madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Mme la rapporteure pour avis pour son rapport de grande qualité, qui se révèle fort instructif pour les parlementaires de métropole, qui ne connaissent pas toujours très bien la situation des territoires.

Comme cela a déjà été dit, on constate cette année une augmentation de 3,5 % des crédits de la mission « Santé », qui correspond essentiellement à une hausse des crédits de l’aide médicale d’État, tandis que les crédits du programme 204, consacré à la prévention, sont en diminution – plusieurs actions de prévention sont touchées. En ce qui concerne l’action 11, nous sommes très inquiets pour les têtes de réseaux associatifs et les instances de démocratie en santé, compte tenu de la baisse conséquente des crédits affectés à leur financement.

Ainsi, le budget de la conférence nationale de santé va se trouver divisé par neuf en 2019, passant de 2,3 millions d’euros à 0,25 million d’euros. Les crédits dédiés à la santé des populations en difficulté diminuent également, ce qui paraît contradictoire avec le plan de prévention et de lutte contre la pauvreté, ainsi qu’avec le plan « Ma santé 2022 ». Pour ce qui est de la prévention des maladies chroniques, inscrite comme une priorité – il convient de rappeler que 15 millions de personnes en France sont touchées par des maladies chroniques – et qui nécessiterait à ce titre une forte augmentation des moyens alloués, nous constatons au contraire une diminution des crédits de 0,5 %.

Madame la ministre, comment pensez-vous répondre aux enjeux de prévention, qui constituent une ambition régulièrement affirmée par le Gouvernement, alors que les crédits affectés à ces actions sont en diminution ? Pourquoi baisser de façon drastique le financement des corps intermédiaires, à savoir les têtes de réseaux associatifs et les instances de démocratie en santé, alors que ce sont des acteurs essentiels en matière de coopération et d’organisation des sujets sur le territoire – ce que vous avez mis en avant dans le plan « Ma santé 2022 » ? Enfin, je me fais le porte-parole de nombreuses associations qui réclament l’intégration de l’AME au régime général de la sécurité sociale, ce qui permettrait d’aboutir à un système plus simple et faciliterait l’accès au droit et aux soins : pouvez-vous nous préciser ce qui s’oppose à cette évolution ?

M. Jean-Luc Reitzer. Madame la ministre, je souhaite vous interroger au sujet des conditions de vie de nos aînés dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Une intersyndicale représentant les personnes âgées concernées, les familles et les salariés, vous a présenté plusieurs revendications, à savoir l’application d’un agent ou d’un salarié par résident en établissement – conformément à ce qui est prévu par le Plan solidarité grand âge –, l’augmentation du temps passé auprès des personnes âgées à domicile, l’amélioration des rémunérations, des perspectives professionnelles et des carrières dans le cadre du statut, mais aussi des conventions collectives nationales, l’abrogation des dispositions législatives relatives à la réforme de tarification des EHPAD contenues dans la loi du 28 décembre 2015, enfin le maintien de tous les effectifs en établissement et à domicile – y compris des contrats aidés, qui doivent être intégrés et sécurisés.

Ces revendications sont estimées légitimes par une grande majorité de nos concitoyens, et des rapports parlementaires, ainsi que les travaux du Conseil économique, social et environnemental, ont confirmé l’impérieuse nécessité et l’urgence d’attribuer au secteur de l’aide aux personnes âgées des moyens financiers et humains supplémentaires. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les mesures concrètes que vous comptez mettre en œuvre, et à quelle échéance, pour répondre au droit de chaque citoyen âgé de bénéficier d’un accompagnement humain digne ?

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes tous conscients du fait que la prévention est l’affaire de tous. Il en est de même de la politique de santé publique, qui revêt un aspect transversal et intéresse donc bien d’autres ministères que celui des solidarités et de la santé.

Si je me félicite de constater que la prévention est affichée comme l’une des priorités de la stratégie nationale de santé, j’estime que nous devrions disposer d’une plus grande lisibilité sur les moyens consacrés à cette cause par chacun des ministères concernés et j’espère que vous pourrez agir en ce sens, madame la ministre.

M. Bernard Perrut. Madame la ministre, je souhaite, au-delà même des crédits de la mission « Santé », vous interroger sur vos choix budgétaires en oncopédiatrie, un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Chaque année, on fait à 2 500 enfants et adolescents le diagnostic d’un cancer, et près de 500 d’entre eux décèdent, soit l’équivalent de vingt classes d’école, faute de traitement adapté. En la matière, l’engagement de l’État est faible : moins de 3 % des fonds anti-cancer sont actuellement alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques au sein du budget de l’Institut national du cancer (INCa).

Si la logique du nombre, opposant adultes et enfants, est souvent invoquée, j’estime pour ma part qu’il est aussi important de financer la recherche pour la femme atteinte d’un cancer du sein que pour le petit garçon atteint d’une tumeur du tronc cérébral. Les parents, les associations et les spécialistes évoquent le besoin d’un fonds doté de 15 millions à 20 millions d’euros par an. Un amendement visant à atteindre cet objectif a été examiné en séance dans le cadre des débats sur la première partie du PLF, mais il a été repoussé ; le même amendement a, en revanche, été adopté en commission des finances lundi dernier.

Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui vous conduisent à observer une certaine forme d’attentisme en la matière, au lieu de faire en sorte que la lutte contre les cancers pédiatriques soit dès maintenant dotée de moyens suffisants ? Si vous estimez inutile de consacrer davantage de moyens à cette cause, pouvez-vous nous préciser à quels outils nous pouvons recourir pour faire avancer la recherche ?

M. Brahim Hammouche. Madame la ministre, la semaine dernière, devant cette même commission, j’ai interrogé Mme Claire Compagnon, candidate à la présidence du conseil d’administration de l’ONIAM, sur l’indemnisation des victimes de la Dépakine. Je suis cependant resté un peu sur ma faim, notamment en ce qui concerne les actions subrogatoires que l’ONIAM pourrait engager contre les responsables défaillants après avoir indemnisé les victimes. J’aimerais savoir où en sont les actions contre le laboratoire en cause, et quel est pour 2019 le budget dédié à l’indemnisation des victimes et des bénéficiaires, dont le nombre est estimé à 14 000 – étant précisé que ce budget était de 77,7 millions d’euros en 2018.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Madame la ministre, vous souhaitez faire de la prévention une grande politique publique, ce que l’on ne peut qu’approuver. Cependant, je m’inquiète du manque de lisibilité de votre politique de prévention, et du fait qu’elle soit définie de manière assez restrictive dans le budget : je regrette ainsi que ni l’alcoolisme, ni la contraception chez les jeunes femmes – un sujet important du fait des conséquences qu’il peut avoir – ne fassent partie des priorités que vous avez définies.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Mesdames et messieurs, je vous remercie pour l’attention avec laquelle vous avez examiné ce budget, et je me félicite de constater que nombre d’entre vous souhaitent voir la prévention occuper une place centrale dans notre politique de santé – sur ce point, je vais pouvoir vous rassurer pleinement.

Je vais répondre de façon thématique aux questions qui m’ont été posées, en commençant par celles que m’ont adressées Mme la rapporteure et M. Nilor sur notre politique de santé outre-mer. Comme vous le savez certainement, nous travaillons main dans la main avec Annick Girardin, la ministre des outre-mer, et avons été très attentifs à ce que le Livre bleu des outre-mer comporte un volet santé. En effet, l’accès à la santé d’une part, les déterminants de santé d’autre part, posent aujourd’hui de nombreux problèmes outre-mer, ce qui justifie que nous fassions de cette question une priorité. Cela constitue également le premier axe de notre Stratégie nationale de santé, avec un plan « Priorité prévention » qui décline, pour l’outre-mer, des mesures particulières en matière de prévention – de même, le Plan d’accès aux soins prévoit des mesures spécifiques pour les outre‑mer.

Force est de constater que les indicateurs de santé sont plus dégradés dans les outre-mer qu’en métropole, ce qui nécessite des actions particulières, notamment en matière de prévention. La Stratégie nationale de santé fixe quatorze objectifs particuliers aux outre-mer. Pour l’ensemble des collectivités, il est demandé d’améliorer l’état de santé des mères et des enfants et de réduire l’incidence des maladies chroniques – notamment du diabète et ses complications. Parallèlement, il est prévu des mesures spécifiques à certains territoires : ainsi, certaines mesures visent à réduire la contamination des personnes par le chlordécone qui imprègne les sols de la Guadeloupe et de la Martinique, tandis qu’à Mayotte, nous mettons en place un dispositif de couverture vaccinale, concernant notamment les enfants.

Le plan Priorité prévention prévoit également une action visant à une bonne organisation du suivi péri- et postnatal via les PMI et les dispensaires, afin de prévenir les décès maternels et infantiles. Des mesures ont été mises en place à titre expérimental pour améliorer la vaccination contre le papillomavirus (HPV) dans les outre-mer, où la prévalence de ce virus est particulièrement élevée – de même, l’incidence des cancers du col de l’utérus et la mortalité liée à cette cause y sont trois fois plus élevées que dans l’Hexagone. Nous avons prévu l’adaptation à la situation locale et aux cultures ultramarines des outils nationaux de prévention, que ce soit en matière de prévention des infections sexuellement transmissibles, notamment du VIH, ou en matière de grossesse précoce – auprès des jeunes filles de douze à vingt-cinq ans.

Pour appuyer ces actions de prévention, nous disposons de deux supports financiers principaux : d’une part, le programme 204 de la mission « Santé », pour un montant de 44 millions d’euros en 2017 – ces crédits ont aussi permis de répondre ponctuellement à des urgences sanitaires –, d’autre part, le levier du fonds d’intervention régional (FIR) pour un montant global de 47,3 millions d’euros en 2017 et 49,8 millions d’euros budgétés en 2018. Je précise que la part du FIR dédiée à la prévention est de 23 % en outre-mer, contre seulement 15 % dans l’Hexagone, ce qui montre bien que les ARS mettent beaucoup de détermination à accompagner les territoires en termes de prévention. Ces montants, déjà conséquents, continuent d’augmenter, et pourraient à l’avenir se trouver abondés par le produit de la hausse de la cotisation de sécurité sociale sur le rhum, en application d’une mesure adoptée dans le cadre du PLFSS et qui pourrait rapporter environ 25 millions d’euros au terme de la montée en charge de la convergence des taxes sur le rhum ; cela passera par le fonds de lutte contre le tabac – qui vise désormais toutes les addictions. Le PLFSS pour 2019 prévoit également que les crédits du fonds de prévention des addictions dédiés aux outre-mer fassent l’objet d’un suivi particulier.

On ne peut pas dire que la loi du 3 juin 2013 sur la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer n’est pas appliquée : elle l’est, en tout cas pour l’essentiel, j’en veux pour preuve ses deux volets relatifs au sucre. Le premier volet, qui prévoit l’obligation de ne pas rajouter de sucre aux produits fabriqués dans l’Hexagone et importés dans les départements d’outre-mer (DOM), est très bien appliqué. Les choses sont un peu plus compliquées pour le second volet, qui concerne les produits locaux fabriqués en outre-mer – il s’agit de yaourts, de boissons, de glaces et de pâtisseries –, dont la teneur en sucre doit être équivalente à celle des produits de la même famille existant dans l’Hexagone : or, il n’existe pas toujours d’équivalent à ces produits, ce qui rend difficile une application stricte de la loi et nous oblige à demander sans cesse aux fabricants d’outre-mer de veiller à ce que leurs produits présentent une teneur en sucre modérée – en tout état de cause, la loi a constitué un signal très fort en ce sens.

Un certain nombre de mesures spécifiques ont été prises pour l’amélioration de l’accès aux soins. Ainsi, à partir de 2018, nous avons prévu, dans le cadre du Plan d’accès aux soins, 100 postes d’assistants spécialistes à temps partagé, dédiés aux outre-mer dans le cadre du volet ultramarin du plan « Priorité prévention ». Compte tenu de la démographie médicale du département de Mayotte, il a été mis en place une indemnité particulière d’exercice allouée aux personnels médicaux – le texte en cours de finalisation prévoit de ramener la durée d’engagement pour bénéficier de cette prime de quatre à deux ans, pour inciter les professionnels à aller exercer à Mayotte. Enfin, nous avons noué des partenariats entre les centres hospitaliers ultramarins et les CHU de métropole afin de permettre les échanges de bonnes pratiques et de professionnels. C’est le modèle de la convention qui a été signée entre le centre hospitalier de Cayenne et l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) – je précise qu’il existe un volet « télémédecine », dédié notamment au renforcement de l’offre spécialisée.

Je suis d’accord pour considérer que les associations jouent un rôle très important en matière de prévention dans les DOM. Beaucoup est fait dans ce domaine, notamment dans le cadre du volet « santé sexuelle », avec notamment le déploiement d’un volet spécifique pour l’outre-mer par le planning familial. Je veux souligner qu’aucune suppression d’emploi n’est prévue en 2018 ni en 2019 dans les ARS d’outre-mer. Au contraire, nous avons prévu dix emplois supplémentaires pour préfigurer l’ARS de Mayotte et cinq emplois supplémentaires pour mettre en place un centre national de ressources en appui aux ARS d’outre-mer, notamment pour des actions spécifiques – qui pourraient s’inscrire dans le champ de la prévention.

Jean-Louis Touraine et Ericka Bareigts m’ont interrogée sur les crédits dédiés à la partie « santé et environnement ». En vue de l’adoption en 2019 du quatrième plan national santé environnement (PNSE4), nous travaillons en moment à l’élaboration de ce plan avec l’ensemble des parties prenantes, notamment ce comité de pilotage national qu’est le groupe Santé environnement, présidé par Mme Élisabeth Toutut-Picard, mais aussi l’INSERM, l’ANSES et Santé publique France. Bien évidemment, ce plan sera accompagné de produits.

D’autre part, nous avons développé un certain nombre de plan spécifiques, notamment le plan « Écophyto 2 », relatif aux pesticides et paru en avril 2018, qui traduit la volonté de tous les ministres concernés d’élaborer un plan d’action visant à rendre l’agriculture moins dépendante à tous les produits phytosanitaires, à mieux connaître les impacts de leur utilisation sur la santé et à mieux protéger la population. Le ministère de la transition écologique et mon ministère portent ensemble une stratégie nationale pour les perturbateurs endocriniens. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de l’économie sont également impliqués dans cette stratégie, qui comporte un volet « recherche » financé par le ministère de la recherche, un volet de valorisation, un volet de surveillance, un volet d’expertise sur les substances, un volet de réglementation et un volet de substitution des perturbateurs endocriniens. Des actions sont également prévues en faveur de la formation des professionnels de l’agriculture et de l’information vis-à-vis du public des professionnels de santé. Tous ces plans sont très bien structurés et financés.

Nous avons évidemment besoin d’opérateurs pour porter ces politiques publiques au niveau national et local, notamment pour ce qui est de l’expertise qui vient en appui à la décision. La responsabilité de cette expertise revient à nos agences sanitaires, en particulier à l’ANSES et à Santé publique France, avec lesquelles nous coopérons de façon très étroite. Pour les années qui viennent, nous leur avons demandé de bien répartir leurs missions, qui vont de la surveillance du territoire à l’évaluation des risques sanitaires d’origine environnementale, mais aussi de mieux coopérer de se coordonner. Une convention de collaboration a été conclue entre l’ANSES et l’ANSP, et une lettre a été cosignée par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) le 11 juin 2018, afin de demander aux deux agences d’établir un document de coopération et de coordination de leurs actions, qui servira de fil conducteur pour la constitution d’une plaquette d’information à destination des ARS, des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et des collectivités territoriales.

Il existe également un volet « radioprotection », destiné à l’IRSN et comportant un programme de travail et une convention-cadre signée entre la DGS et l’IRSN dans le domaine de la surveillance radiologique du territoire, des eaux de consommation, de l’exposition au radon et de la radiologie en santé. Au niveau local, les ARS interviennent dans le cadre des plans régionaux de santé (PRS). Par ailleurs, outre le volet environnement des PRS, les cellules d’intervention en région (CIRE), qui dépendent de Santé publique France, ont pour rôle de prolonger en région l’action de surveillance et d’expertise de l’agence de santé publique. Enfin, la Haute Autorité de santé (HAS) a été mandatée pour travailler à l’élaboration de documents d’information à l’usage des professionnels de santé, visant notamment à les aider à mieux informer le grand public sur les sites et les sols pollués, sur la pollution de l’air et sur l’exposition aux perturbateurs endocriniens.

Enfin, dans le domaine « santé environnement », nous souhaitons renforcer les dispositifs de surveillance : c’est un axe prioritaire du contrat d’objectifs et de performance (COP) signé avec Santé publique France et l’ANSES pour la période 2018-2022, qui va permettre le maintien d’un niveau d’intervention élevé de ces deux agences dans le champ de la surveillance sanitaire. Nous pensons renforcer l’activité des registres, grâce à une surveillance effectuée via des canaux numériques et des canaux de remontée d’information mutualisés – un nouveau dispositif rendu possible par la modernisation des outils de surveillance et de veille sanitaire, qui nous permet d’être encore plus réactifs.

On déplore souvent le retard dans la prise en compte de certains risques sanitaires en évoquant des cas anciens, comme l’a fait Jean-Louis Touraine en parlant du Distilbène – une affaire qui date des années 1960. Or, nous avons beaucoup progressé et disposons désormais d’un réseau de surveillance fiable et très performant, notamment en matière de surveillance des risques alimentaires, avec les centres nationaux de référence des bactéries et des champignons. Fin 2017, c’est ce qui a permis à Santé publique France de lancer l’alerte sur la salmonelle dans les laits infantiles : en 24 heures, les renseignements donnés par les centres de référence nous ont permis de remonter jusqu’à l’origine de la contamination des nouveau-nés, en l’occurrence une usine Lactalis, et de prévenir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le ministère de l’agriculture et le ministère de l’économie. J’insiste sur le fait que très peu de pays auraient été capables de faire la même chose en si peu de temps : nous ne devons donc pas juger trop sévèrement notre capacité à repérer des signaux sanitaires.

Pour ce qui est de la recherche en santé environnement, il nous faut mobiliser tous les organismes de recherche. Au-delà du CNRS, de l’INSERM, de l’ANSES, nous avons besoin de toutes les alliances, que ce soit en sciences humaines et sociales – avec l’alliance Athéna – ou en sciences de l’environnement – avec l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi). Au sujet du chlordécone en Guadeloupe et à la Martinique, nous avons organisé un colloque scientifique réunissant les trois alliances de recherche, mais aussi l’ensemble des présidents et des directeurs des organismes d’expertise que sont l’INCa, l’ANSES et Santé publique France, qui sont intervenus auprès de la population pour mieux l’informer. Nous avons évidemment l’intention de promouvoir ce type de colloques, car nous avons besoin d’expertises croisées pour améliorer notre connaissance sur les risques environnementaux.

M. Door m’a interrogée sur la baisse de 9 millions d’euros de crédits du pilotage de la politique de santé publique. En fait, cette baisse porte exclusivement sur les crédits liés aux actions de contentieux et, du fait d’un report d’environ 30 millions d’euros des crédits de 2018 sur 2019, nous aurons plutôt un accroissement des crédits destinés au pilotage – il n’y a donc aucune inquiétude à avoir sur ce point.

M. Christophe, M. Touraine et M. Door m’ont également questionnée sur l’AME. Comme je l’ai dit, la prévision annuelle des dépenses sur ce point est complexe. L’évolution de la population concernée dépend évidemment des flux migratoires, mais aussi du statut des personnes, puisque les réfugiés et les demandeurs d’asile dont la demande est en cours d’instruction bénéficient de la protection universelle maladie (PUMA). Le montant des dépenses au titre de 2017 a été légèrement dépassé – de 37 millions d’euros. Pour 2018, nous anticipons un besoin de crédits complémentaires de l’ordre de 22 millions d’euros pour l’AME de droit commun, sur un total en loi de finances initiale de 2018 de 840 millions d’euros. Il ne s’agit pas d’une sous-budgétisation à proprement parler, puisque cela ne représente qu’un écart de moins de 2,5 % de la dépense budgétée sur une population très difficile à évaluer.

En 2019, le montant des crédits pour l’AME de droit commun sera porté à 893 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 6,3 % prenant en compte une hypothèse d’évolution des effectifs de 4,6 %. Cela dit, je tiens à rappeler que nous sommes très attentifs aux conditions de délivrance, et que nous sommes en train de cadrer le dispositif en centralisant les demandes sur trois caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), à savoir Paris, Marseille et Bobigny. L’augmentation des taux de contrôle nous permettra d’avoir une meilleure lisibilité sur les publics concernés et nous sommes, comme vous, convaincus que la régulation de ces dépenses passe par une meilleure efficience de la gestion, mais aussi par un renforcement des contrôles.

Ces trois caisses centralisatrices instruiront tous les dossiers d’AME de la métropole pour réaliser des économies de gestion. Nous passerons à 12 % de dossiers doublement contrôlés par les agences comptables en 2020, au lieu de 10 % aujourd’hui, la durée de leur instruction passera à vingt jours, contre vingt‑cinq aujourd’hui, et nous améliorerons le pilotage de la dépense grâce à des données plus fournies sur le type de demande. Aujourd’hui, demandeurs et bénéficiaires de l’AME sont, je tiens à le rappeler, contrôlés au même titre que les assurés par la CNAMTS, voire plus : ils sont contrôlés à chaque étape de l’instruction et de la remise du titre. Plus de 10 % des dossiers font l’objet d’une double instruction chaque année par les services de l’agent comptable et le ministère des affaires sociales travaille aujourd’hui avec le ministère de l’intérieur pour permettre aux CPAM d’accéder à la base de données des visas pour éviter les fraudes à l’AME liées à la dissimulation de visas. Un travail en cours permettra donc d’améliorer encore les dispositifs en 2020. Enfin, pour répondre à certaines inquiétudes qui s’expriment régulièrement, je rappelle que l’AME ne couvre évidemment pas du tout le même panier de soins que celui des assurés sociaux. Sont seuls concernés les soins considérés comme essentiels, non les médicaments aujourd’hui remboursés à 15 %, les cures thermales, les actes, examens et médicaments nécessaires à l’assistance médicale à la procréation, les médicaments princeps substituables par des génériques. Un grand nombre de dispositions visent donc à encadrer la dépense. Le panier de soins de l’AME est réduit par rapport à celui de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). L’AME ne couvre pas les dépenses allant au-delà du tarif de base de remboursement de la sécurité sociale pour les prothèses dentaires, les lunettes, les prothèses auditives. Le reste à charge est donc important sur ces postes de dépenses qui sont considérés comme moins essentiels. On ne peut donc pas dire qu’un Français bénéficiant de la CMU-C serait moins bien traité qu’un bénéficiaire de l’AME. Quant à faire entrer l’AME dans le droit commun de la sécurité sociale, possibilité évoquée par deux d’entre vous, mesdames et messieurs les députés, je reste pour ma part attachée à une séparation entre ce qui relève de la solidarité nationale et donc de l’impôt, comme le minimum vieillesse ou l’allocation adulte handicapé, et ce qui relève du risque assurantiel, encore majoritairement payé par nos cotisations. Je ne souhaite donc pas une fusion des dispositifs.

La prévention institutionnelle, c’est celle qui est financée et organisée par des fonds et des programmes de prévention nationaux ou départementaux. En 2017, les montants concernés augmentaient de 4 % par rapport à 2016, pour atteindre 5,9 milliards d’euros. Dans le champ des soins de ville, des soins de l’hôpital, des médicaments et dispositifs médicaux qui relèvent de la prévention, ce qu’on appelle la prévention non institutionnelle représentait 9,1 milliards d’euros en 2016 – ce sont des dépenses de l’assurance maladie. Le total est donc de 15 milliards d’euros. Ces données figurent à l’annexe 7 du PLFSS.

Il existe effectivement non pas un fonds unique de financement de la prévention, mais un grand nombre de supports différents : le FNPEIS, géré par la CNAMTS, le fonds de lutte contre le tabac, les crédits du programme 204, le FIR, la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) gérée par la CNAMTS, mais également les budgets des collectivités territoriales, qu’il est très difficile, pour moi, de « faire remonter », ainsi que des budgets d’autres ministères, que nous essaierons de flécher dans le plan « Priorité prévention ». Nous essayons de consolider progressivement tout ce qui relève de la prévention.

Nous sommes quand même en train de changer de paradigme du point de vue de l’exercice de la médecine. Jusqu’à présent, la prévention était, en gros, l’œuvre des agences, avec de grandes campagnes, tandis que les soins curatifs étaient financés par l’assurance maladie. Les acteurs étaient complètement différents, les professionnels de santé, les personnels soignants étant très peu impliqués dans la prévention. Je souhaite réintégrer complètement la prévention dans le champ des professionnels de santé. Un message de prévention ne peut pas être mieux compris que quand il est délivré par un médecin, par une sage-femme, par un professionnel ; il est alors mille fois mieux entendu. Lorsque je présidais l’Institut national du cancer, j’ai fait des campagnes de prévention sur les dépistages du cancer, de grandes campagnes grand public qui coûtaient des millions d’euros. Ces campagnes n’incitaient à faire une mammographie ou un dépistage du cancer colorectal que dans 20 % à 30 % des cas lorsque le message émanait du ministère de la santé. Lorsque le même message est délivré par un médecin généraliste à son patient, il est entendu dans plus de 80 % des cas. Il faut donc arrêter de s’arc-bouter sur ces budgets institutionnels de la prévention.

Dans le cadre du plan « Ma santé 2022 », j’ai décidé de diversifier la façon dont nous finançons la médecine et de progresser vers un financement des hôpitaux et de la médecine de ville au forfait – notamment pour la prise en charge des pathologies chroniques. Je veux ainsi intégrer dans cette forfaitisation tous les actes et toutes les missions de prévention, notamment la prévention secondaire et l’activité physique pour les pathologies chroniques. Elles se développeront bien plus si elles sont intégrées d’emblée dans le forfait de prise en charge par des professionnels de santé que si elles restent un message du ministère ou de Santé publique France. J’entends la demande d’un accroissement et d’une meilleure lisibilité des budgets dédiés à la prévention ; d’ailleurs, tous augmentent. Cependant, ma stratégie repose sur le fait que la prévention ne peut plus être séparée du soin et qu’elle sera totalement intégrée dans la façon dont nous allons financer la médecine. C’est un élément important pour appréhender mon action.

Prenons, par exemple, le service sanitaire. Voilà une action de prévention qui ne fait l’objet d’aucun financement d’agence, et pourtant ce sera redoutablement efficace. Nous avons travaillé pendant un an, et un rapport a été fait à la fois par des représentants d’étudiants, des doyens de faculté de médecine et des professionnels de santé sur ce que devait être le service sanitaire. Ce sont 47 000 étudiants de six professions de santé différentes – pharmaciens, sages-femmes, médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et chirurgiens-dentistes – qui auront l’obligation, au cours de leur cursus, de consacrer trois mois à l’éducation à la santé et à la prévention. Ils suivront alors un programme d’appropriation des outils d’éducation à la santé avec des professionnels de la santé publique. La prévention et l’éducation à la santé seront l’objet d’un enseignement dans le cadre de leur cursus. Ensuite, ils iront dans les territoires. Des accords-cadres entre les recteurs d’académie et les directeurs d’agences régionales de santé sont mis en place pour qu’ils identifient des lieux, notamment dans les collèges, les lycées ou les écoles, pour que ces jeunes, pendant quelques jours ou quelques semaines, fassent avec les classes de l’éducation à la santé. Les expérimentations menées dans différentes facultés montrent que cette prévention par les pairs, ces messages de prévention délivrés par des jeunes à d’autres jeunes sont incroyablement bien compris et transmis. À l’issue de leur déploiement sur le territoire, ces jeunes étudiants en santé feront un rapport pour que nous puissions améliorer, l’année suivante, les outils, le déploiement dans les lieux de stage, etc. En plus, le déploiement de ces étudiants sera obligatoirement interdisciplinaire – ce ne seront pas des médecins avec des médecins mais des médecins avec des sages-femmes, avec des étudiants en dentaire, etc. Les écoles et les doyens y travaillent, sous l’égide à la fois du ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation et de mon ministère. Ce pilotage par les deux ministères est extrêmement attentif, et les doyens et tous les directeurs d’école – d’infirmières, de masseurs kinésithérapeutes… – sont complètement impliqués. Nous verrons évidemment ce qu’il en est au terme de cette première année, qui commence, mais il est prévu que d’autres lieux que les collèges et les lycées puissent être retenus : en entreprise, dans les EHPAD, partout où l’on estime nécessaire de renforcer l’éducation à la santé.

Cela me paraît un outil formidable pour que les jeunes étudiants en santé s’approprient les discours de prévention. C’est en cela que c’est un changement de paradigme profond que je souhaite dans la façon dont on enseigne leur métier aux professionnels de santé. Je pense que ces jeunes garderont ancrés en eux ces messages de prévention dans leur exercice professionnel auprès de leur patientèle, et qu’ils seront évidemment des « ambassadeurs santé » auprès de tous ces publics.

Je vous rassure : les crédits prévention du programme 204 ne diminuent pas. Il peut y avoir, à la marge, des redistributions entre actions d’une année à l’autre. Globalement, les crédits restent stables ou, telle la dotation à l’ANSP, augmentent. Les crédits de ce programme dédié à la prévention passent de 87,8 millions d’euros à 89,1 millions d’euros.

Et, puisque Mme Dubié m’a interrogé sur les crédits dédiés à la démocratie sanitaire, il n’y a pas non plus de baisse des subventions aux associations au titre du programme 204 en 2019. Les moyens de la démocratie sanitaire sont même confortés grâce au Fonds national pour la démocratie sanitaire, au bénéfice de France Assos Santé, qui représente les usagers et les associations de malades.

Je souhaite un changement de paradigme en matière de démocratie sanitaire aussi. Notre vision de la démocratie en santé est purement liée à la représentation, avec des associations qui siègent dans les conseils de surveillance des hôpitaux ou au ministère. Cela ne passe que par les représentants de patients ou d’usagers. Avec le plan « Ma santé 2022 », nous franchissons un cap, à la suite du Québec, du Canada ou d’autres pays, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Nous souhaitons que la démocratie sanitaire existe dans le quotidien de la régulation de la médecine. C’est la raison pour laquelle le financement au forfait, au parcours de soins, que nous allons mettre en place comportera des indicateurs de satisfaction des patients, des indicateurs « d’expérience patient ». Cela existe dans d’autres pays. Pour ma part, je veux une démocratie sanitaire du quotidien qui irrigue en permanence notre exercice de la médecine, qui permette aux professionnels et aux établissements de s’améliorer. Cela va évidemment bien au‑delà de la démocratie sanitaire représentative.

M. Hammouche m’a interrogé sur la Dépakine. Notre priorité, c’est évidemment l’indemnisation des victimes. C’est l’urgence. Nous avons décidé d’accélérer autant que faire se peut les indemnisations. Elles commenceront donc dès la fin de l’année avec la détermination des conditions d’imputation de responsabilité, évidemment nécessaires. Le recours contre Sanofi ne peut, en tout état de cause, intervenir que dans un deuxième temps. À ce jour, 1 087 demandes ont été déposées auprès de l’ONIAM. Des crédits d’un montant de 77 millions d’euros sont inscrits au PLF2019. Ils seront suffisants, mais je tiens à rappeler, comme je l’ai fait lors de l’examen du PLFSS, que j’ai demandé à mes services d’être proactifs dans le repérage des femmes enceintes ayant été traités par la Dépakine afin que nous soyons certains que toutes peuvent bénéficier d’une indemnisation. Nous allons retourner sur la base de données de l’assurance maladie à partir de 2011 pour retrouver les femmes exposées à la Dépakine et contacter leur médecin traitant pour voir si les enfants ont besoin d’un suivi particulier ou si ces femmes et ces familles ont besoin d’une indemnisation en tant que victimes de la Dépakine. Vous le voyez, nous sommes extrêmement vigilants, afin que tout le monde soit pris en compte.

J’en viens aux EHPAD, dont il fut largement question dans le cadre de l’examen du PLFSS. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) médico-social progresse de 2,6 %, ce qui tient évidemment compte de l’accélération – par rapport à ce qui était initialement prévu dans le plan de tarification des EHPAD – de la convergence tarifaire. Dès 2019, 125 millions d’euros seront dégagés pour les soins dans les EHPAD, à quoi il faut rajouter tous les postes d’infirmières de nuit, tout ce que nous faisons pour avoir des lits d’hébergement temporaire, pour les sorties d’hospitalisation, et les 30 millions d’euros de crédits votés en faveur de la prévention de la perte d’autonomie dans les EHPAD. Un observatoire national pour la qualité de vie au travail des professionnels de santé a été mis en place au mois de juin dernier, présidé par le professeur Philippe Colombat, et une mission sur la bientraitance a été confiée M. Denis Piveteau, qui doit me rendre un rapport au mois de janvier prochain. Il y a aussi tous ces crédits qui nous serviront à améliorer la qualité des prises en charge en EHPAD au cours de deux prochaines années, et j’ai demandé aux ARS de neutraliser l’effet de la convergence tarifaire pour qu’aucun EHPAD ne voie son budget diminuer. Nous avons ouvert une grande consultation sur la perte d’autonomie et le grand âge. Elle aboutira à un projet de loi à la fin de l’année 2019, qui traitera précisément de toutes ces questions. Le Gouvernement a donc pleinement intégré la nécessité d’une vraie réflexion sociétale dans un champ qui n’a probablement pas bénéficié d’un accompagnement suffisant au cours des dernières années. Je n’évoque pas toutes les mesures que nous prenons en ce qui concerne le changement de mode de tarification pour les soins à domicile – une mission est en cours au ministère –, d’autant que nous avons déjà abordé tout cela dans le cadre de l’examen du PLFSS. En tout cas, dès 2019, un projet de loi pourra viser à changer les modes de tarification l’accompagnement et surtout notre modèle de société.

Je ne peux, monsieur Perrut, accepter que l’on parle d’attentisme des pouvoirs publics en matière d’oncopédiatrie ! J’ai fait des cancers des enfants l’axe prioritaire du plan « Cancer 2014-2019 », que j’ai moi-même rédigé. Les montants alloués à la recherche en cancérologie pédiatrique que vous évoquez, souvent évoqués par les associations, correspondent en fait aux chiffres européens. Les 3 % auxquels vous faites référence ne correspondent pas du tout à notre réalité : en France, 10 % des crédits de la recherche sont consacrés aux cancers des enfants !

Aujourd’hui, quatre enfants sur cinq guérissent. La recherche doit améliorer les conditions de vie et de traitement de ces enfants. Nous devons travailler à des désescalades thérapeutiques, à la réduction du risque de séquelles, nous devons améliorer la connaissance des cancers pédiatriques – nous en avons déjà un registre, tenu par l’INSERM, qui prend en compte tous les enfants, de zéro à quinze ans, atteints de cancers, et nous permet de disposer d’informations sur la grossesse des mères, sur les risques environnementaux. Tout cela est assez bien structuré.

Le problème, aujourd’hui, ce sont ces 500 décès, insupportables pour les familles. C’est en fait un sujet international. Quelques-uns sont ceux d’enfants réfractaires aux traitements, ou qui rechutent après les traitements. Nous devons donc travailler sur les mécanismes de résistance aux traitements. Cependant, la majorité font suite à des cancers contre lesquels nous n’avons pratiquement aucune arme thérapeutique et dont le pronostic est effroyable, notamment le gliome infiltrant du tronc cérébral, dont vous parliez, monsieur Perrut. Quoique rares, ces cancers ont beaucoup été étudiés, et nous avons beaucoup de données, notamment génétiques, mais nous pensons que les progrès thérapeutiques proviendront probablement d’autres champs de recherche.

Dans la recherche en général, il y a deux façons d’agir. La première est la recherche ciblée, qui permet, par le travail sur une maladie, d’améliorer les traitements, de mieux comprendre. Et puis il y a de grands bonds liés à la recherche fondamentale. Ainsi, la radiothérapie, communément utilisée pour le traitement des cancers, n’a pas été découverte lors de travaux sur les cancers. Elle est issue de recherches de physique qui n’avaient rien à voir. De même, si nous avons considérablement amélioré notre connaissance du génome humain et accéléré son séquençage dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, c’est grâce à une technique, la réaction en chaîne par polymérase – polymerase chain reaction (PCR) –, qui n’aurait jamais été découverte si nous avions cherché à améliorer la connaissance du génome en ne travaillant que sur le génome. C’est en travaillant sur une grenouille qui survit au froid et au chaud dans le lac Titicaca, en Amérique du Sud, que son découvreur, futur lauréat du prix Nobel, a découvert cette technique.

Je comprends les familles qui disent qu’il faut augmenter les budgets de recherche consacrés aux cancers des enfants, mais, comme je l’ai dit lors des questions au Gouvernement, on n’a pas découvert l’électricité en essayant d’améliorer la bougie. Si nous fléchons trop de crédits de recherche vers des cibles très définies, nous nous privons de la possibilité de certains bonds technologiques et découvertes que permet la recherche fondamentale et qui amélioreront considérablement la connaissance et le traitement de la maladie. Je connais vraiment bien le secteur de la recherche, car l’INCa organisait, animait et orientait stratégiquement toute la recherche sur le cancer en France ; la règle, dans le monde entier, c’est que 50 % des crédits au moins doivent être conservés pour une recherche complètement libre, non ciblée.

Prenons un tout autre exemple : l’énergie. Le grand défi, c’est le stockage de l’énergie. Nous savons que nous n’arriverons jamais à passer des piles à des stockages d’énergie macroscopiques en essayant d’améliorer les batteries, nous savons que ces progrès sur le stockage de l’énergie viendront probablement de découvertes de nouveaux matériaux, de nouveaux conducteurs, etc. Il faut donc garder cette philosophie : en ciblant trop l’argent de la recherche, nous perdons la capacité à accompagner des progrès majeurs.

C’est très difficile à faire comprendre mais je tiens à vous l’expliquer. Les familles de ces malades demandent qu’on consacre beaucoup d’argent à ces 500 morts insupportables qui sont un défi international. Je les connais bien. J’en ai accompagné beaucoup à l’INCa, j’ai même obtenu des traitements aux États-Unis pour certaines d’entre elles. Elles savent à quel point je me suis démenée pour obtenir des traitements innovants, pour que toutes les molécules disponibles pour l’adulte puissent être délivrées aux enfants malades dans le cadre de protocoles. Je pense qu’il faut laisser un peu de liberté à l’INCa, aux chercheurs. Il faut une vision stratégique et non une réponse purement émotionnelle. Sinon, nous risquons de passer à côté du sujet, et ce n’est pas de l’attentisme de ma part, monsieur Perrut. Je connais remarquablement le sujet et je me suis battue sur tous les fronts pour améliorer la situation des enfants. Nous avons en France le protocole le plus innovant au monde sur les médicaments innovants en phase I. C’est moi qui l’ai mis en place. Je suis allée voir toutes les Big Pharma américaines, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour obtenir des molécules pour les enfants, alors que, par crainte d’accidents, ils ne voulaient pas qu’elles soient utilisées pour des enfants. Je les ai obtenues pour les patients français et, maintenant, ce protocole se déploie dans toute l’Europe.

Je suis prête à examiner ce qui peut manquer dans l’accompagnement des familles, en termes d’annonces de diagnostic, d’allocations, etc., mais attention en matière de recherche, même si je comprends que les familles ne comprennent pas cette prudence que je viens de vous expliquer.

Merci, mesdames et messieurs les députés. (Applaudissements.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci beaucoup, madame la ministre. Merci également à Mme la rapporteure pour avis, pour ce rapport tout à fait inédit et très complet.

 

 

 


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II.   Examen des crédits

Puis la commission examine, pour avis, les crédits pour 2018 de la mission « santé » (Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons à l’examen des amendements portant sur la mission « Santé ».

Article 39 et État B : Crédits du budget général.

La commission examine l'amendement II-AS40 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Cet amendement rejoint la discussion que j’ai eue avec Mme la ministre. Si les préventions secondaire et tertiaire peuvent être mêlées aux soins, il faut trouver des financements pour la prévention primaire et notamment l’éducation à la santé. En mars dernier, le Gouvernement avait présenté un programme de son plan de prévention, « Rester en bonne santé tout au long de sa vie », pour lequel il prévoyait un financement supplémentaire de l’ordre de 30 millions d'euros que l’on ne retrouve pas dans ce PLF ni dans le PLFSS. Le but de cet amendement est de prévoir 10 millions d’euros pour la prévention et l'éducation à la santé.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis. Sur le fond, je souscris totalement à cet amendement : la prévention est essentielle et tous les moyens que nous lui accorderons sont autant d’économies que nous réaliserons dans les soins. En revanche, je suis réservée sur le choix que vous faites de ponctionner l’aide médicale de l’Etat (AME) pour financer cette mesure. J’émets donc un avis de sagesse.

M. Jean-Louis Touraine. Nous sommes, bien sûr, tous favorables à l’idée de développer un programme de prévention primaire et d’éducation à la santé. Cependant, il n’est guère possible de financer ce programme par un prélèvement sur l’AME dont le budget s’élève à 893 millions d'euros. S’il est supérieur de 53 millions d'euros au budget prévu, il correspond néanmoins aux besoins actuels. Comme l'a expliqué la ministre, nous serons obligés de faire ces dépenses qui passent par les hôpitaux. S’il manque 10 millions d'euros pour l’AME, le déficit se creusera du même montant pour les hôpitaux qui seront obligés d’engager ces dépenses. Il faudra trouver d’autres sources de financement pour la prévention.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je comprends vos réserves mais, comme l’a indiqué la ministre, il manque déjà 20 millions d’euros pour 2018. Quoi qu’il arrive, des sources de financement vont être trouvées sans ponctionner les hôpitaux. Si on peut trouver 20 millions d’euros, on peut en trouver 30. L’idée de cet amendement est de poser un acte fort car on a trop tendance à parler de prévention sans prévoir les moyens de la financer. En définitive, cela reste des mots.

La commission rejette l'amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Santé ».

Après l’article 71

La commission est saisie de l'amendement II-AS44 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Cet amendement vise à promouvoir la prévention dont on parle beaucoup mais dont les financements restent très dispersés et difficiles à appréhender. Dans leur rapport d’information relatif à la prévention santé en faveur de la jeunesse, Cyrille Isaac-Sibille et Ericka Bareigts dressaient ce même constat.

Cet amendement propose de clarifier le système de financements dédiés à la prévention pour qu’il puisse être largement appréhendé et partagé. Cet outil, dit orange, permettra de construire une vision consolidée et exhaustive des dépenses dédiées à la prévention. Il permettra aussi de présenter des grandes orientations stratégiques de l'État, de mettre en avant les différents moyens affectés et leur répartition par programme budgétaire. La création d’un tel document de politique transversale a été recommandée par la Cour des comptes en 2011 puis en 2017. Nos collègues Cyrille Isaac-Sibille et Ericka Bareigts ont repris cette recommandation dans leur rapport.

Comme la ministre, je pense que la prévention doit être intégrée aux soins et délivrée par des professionnels qui possèdent une expertise en la matière. La prévention ne doit cependant pas être l’apanage de ces seuls professionnels ; elle doit être l’affaire de tous. À cet égard, l’outil proposé permettrait de faire un travail réflexif. Il permettrait aussi de répondre à un autre objectif : donner une information claire au Parlement et aux citoyens sur la politique de prévention en santé.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure pour avis. J’émets un avis favorable à cette position pertinente qui tend à clarifier et à rendre plus lisible et transparente une politique de prévention dont les mesures relèvent de différents ministères – santé, sport, éducation nationale ou justice, par exemple.

M. Jean-Louis Touraine. Je suis favorable à la proposition de Mme Tamarelle-Verhaeghe, ce qui me permet d’approuver indirectement M. Isaac-Sibille que j’étais frustré de pas pouvoir satisfaire tout à l'heure. Nous sommes tous d’accord sur l'objectif de prévention mais il était difficile de trouver la solution dans l’AME.

Cet amendement propose d'utiliser le dispositif orange afin de clarifier et de mettre en cohérence les différents financements un peu éparpillés qui concourent à la prévention. C'était recommandé par la Cour des comptes et par M. Isaac-Sibille auquel on peut donner satisfaction. En vertu de l'adage selon lequel tout ce qui se mesure s'améliore, cet outil aura comme effet secondaire de faire progresser les budgets dédiés à la prévention : on pourra mesurer leur vraie ampleur, année après année, ce qui sera une incitation à les développer. Cela peut être le début d'une forme de sanctuarisation de ces budgets, notamment de ceux qui sont éparpillés ici ou là, dans d’autres ministères que celui de la santé, qui servent parfois de variable d'ajustement et finissent par être détournés de leur objet initial.

Nous pouvons donc raisonnablement adopter cette mesure qui va dans le bon sens, même si elle n'est qu'un pas supplémentaire vers la prévention. Il faudra en faire d’autres pour parvenir à un financement à la hauteur des besoins.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur Jean-Louis Touraine, madame Tamarelle-Verhaeghe, je n’aurai qu’un mot : merci ! Nous posons les bases d'une véritable politique de prévention. Jusqu'à présent, on ne savait pas très bien où on en était. Pour parler de prévention, il faut savoir quelles sommes on met en face. Ce moment est important : s’il est adopté, cet amendement constitue vraiment la première pierre d’une vraie politique de prévention, notamment en matière de promotion de la santé et d’éducation à la santé.

La commission adopte l'amendement à l’unanimité.