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N° 1305

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2018.

 

 

AVIS

 

 

PRÉSENTÉ

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2019,

 

 

TOME IV

 

 

RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE

 

PENSIONS

 

 

VOLUME 2
(COMPTE-RENDU)

 

PAR Mme Corinne VIGNON,

 

Députée.

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Voir les numéros :

Assemblée nationale :  1255, 1302 (annexe n° 35).


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Examen des crédits


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   Examen des crédits

La commission examine, pour avis, les crédits de la mission « régimes sociaux et de retraite » et du compte spécial « pensions » (Mme Corinne Vignon, rapporteure pour avis) du projet de loi de finances pour 2019, le mardi 6 novembre 2018 lors de séance de 16 heures 15.

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6885360_5be1adc416d2e.commission-des-affaires-sociales--plf-2019--credits-de-la-mission--regimes-sociaux-et-de-retraite-6-novembre-2018

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre ordre du jour appelle l’examen de la dernière mission de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019 sur laquelle la commission s’est saisie pour avis.

Avant de lui donner la parole, je tiens à remercier particulièrement Corinne Vignon, notre rapporteure pour avis, d’avoir accepté la semaine dernière de décaler à aujourd’hui l’examen de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ».

Mme Corinne Vignon, rapporteure pour avis. J’ai l’honneur de vous présenter mon avis sur les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». J’ai choisi, cette année, de m’intéresser aux droits conjugaux et familiaux de retraite, dans la perspective de l’évolution systémique de nos quarante-deux régimes de retraite vers un unique régime universel de retraite par points.

Il me tenait à cœur de montrer que, loin de représenter une menace pour ces dispositifs de solidarité, la transition vers un système universel de retraite par points pouvait être une chance de les recentrer sur leurs objectifs, de les améliorer, voire de les compléter par l’émergence de nouvelles solidarités. J’ai, pour ce faire, réalisé une quinzaine d’auditions, dont il ressort que les dispositifs actuels des droits conjugaux et familiaux de retraite sont loin de susciter la satisfaction unanime de nos concitoyens et qu’ils sont largement perfectibles.

S’agissant tout d’abord des droits conjugaux de retraite, qui représentent environ 10 % de la masse totale des pensions, soit quelque 30 milliards d’euros sur un total de 308 milliards, loin de moi l’idée d’en nier l’utilité – bien au contraire. Dans la mesure où le taux d’emploi des femmes est inférieur à celui des hommes et où leur salaire, à qualification égale, est inférieur de près de 20 %, la pension moyenne de droit direct des femmes ne représente aujourd’hui que 60 % de celle des hommes. Or les droits dérivés issus de la réversion permettent de réduire cette différence de niveau de pension, pour porter la pension moyenne globale des femmes à 75 % de celle des hommes.

Dans une logique de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, il est donc absolument crucial de préserver le principe même de la réversion dans le futur système universel de retraite. S’il est nécessaire de ménager une transition très longue entre l’ancien et le nouveau système de droits dérivés, il est tout aussi nécessaire d’adapter les modalités. Nous savons tous ici que les treize dispositifs de réversion différents ont en commun d’être réservés aux couples mariés. Or un mariage est loin d’ouvrir les mêmes droits de réversion selon les régimes dont relèvent les membres du couple. Je ne m’étendrai pas sur les innombrables disparités en matière de conditions liées à la durée de mariage, à l’absence de remariage, aux ressources ou encore à l’âge du conjoint survivant, ni sur les divergences en matière de partage de la pension de réversion entre les différents conjoints successifs.

Une très large majorité des personnes que j’ai entendues appellent de leurs vœux une convergence des règles de réversion dans le cadre de la réforme. Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), l’unification des finalités et des règles des dispositifs de réversion peut être réalisée sans grande difficulté technique dans un régime par points. Toutefois, il faudra s’interroger sur le financement des pensions de réversion et se demander s’il est juste ou non qu’il repose sur l’ensemble des cotisants, qu’ils soient mariés ou pas.

Notons que l’Allemagne, la Suisse et le Royaume-Uni ont adopté une conception patrimoniale de la réversion, dite technique du splitting, en vertu de laquelle il est fait masse des droits à la retraite acquis par les deux membres du couple pendant la durée de l’union pour les partager entre eux, soit au divorce, soit à la première liquidation, soit au premier décès. Mais, dans une logique plus assurantielle, on peut aussi imaginer que la réversion prenne la forme d’un mécanisme de garantie du niveau de vie du conjoint survivant, à travers le versement d’un certain pourcentage de la somme des droits acquis par les deux membres du couple avant le décès de l’un d’entre eux.

Quelle que soit la logique retenue, j’estime pour ma part que l’universalisation des règles de la réversion ne pourra pas conduire à la remise en cause du principe de la réversion au profit des orphelins. Ce système existe dans les régimes de la fonction publique, mais aussi dans ceux de la SNCF, des marins ou encore des mines. Il faudrait, de mon point de vue, que la réversion soit étendue aux quelque 500 000 orphelins de moins de 21 ans que compte notre pays.

S’agissant des droits familiaux, qui représentent 5 % de la masse totale des pensions, soit 15 milliards d’euros, et dont une large part bénéficie aux femmes, là encore, je tiens à souligner l’utilité des dispositifs actuels, à savoir la majoration de durée d’assurance (MDA), la majoration de pension pour enfants ou encore l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). En effet, les carrières des femmes sont plus fortement et durablement affectées par l’arrivée d’enfants que celles des hommes. Les femmes recourent souvent au temps partiel et touchent des salaires plus faibles. Toutefois, ces dispositifs ne sont pas aussi efficients que l’on pourrait l’espérer dans une logique de réduction des inégalités entre les hommes et les femmes.

Premièrement, ils n’existent pas dans tous les régimes de retraite. Par exemple, le régime de base des professions libérales ne prévoit pas de majoration de pension pour enfants.

Deuxièmement, lorsqu’ils existent, les dispositifs ne sont pas toujours cohérents entre eux. Ainsi, alors que la MDA vise à permettre aux parents, en particulier aux mères, de rester sur le marché du travail pendant longtemps, l’AVPF tend pour sa part à leur permettre de rester en dehors dudit marché pendant une période assez longue.

Troisièmement, chacun des dispositifs présente des incohérences internes difficilement justifiables. Par exemple, alors que, dans le cadre du régime général et des régimes alignés, la MDA au titre de la maternité est de quatre trimestres par enfant, elle n’est, depuis 2004, que de deux trimestres dans le régime de la fonction publique. La majoration pour enfants, quant à elle, est versée dès le deuxième enfant dans le régime des marins, mais seulement à partir du troisième dans les régimes de retraite des salariés du secteur privé, de la fonction publique, de la SNCF et de la RATP, avec, en outre, de considérables variations de taux.

Quatrièmement, on a en partie perdu de vue les objectifs initiaux des droits familiaux de retraite. Alors que les MDA ciblaient à l’origine des femmes dont les carrières étaient incomplètes, elles ont été, au fil du temps, étendues à toutes les femmes, y compris celles qui ont une carrière complète, ce dont certaines ont profité pour partir à la retraite plus tôt. Si les MDA bénéficient à ce profil de retraitées, elles s’avèrent en revanche inutile pour d’autres qui atteignent l’âge de la retraite au taux plein : pour ces dernières, les trimestres validés grâce au dispositif sont en réalité inutiles. Quant aux majorations de pension pour enfants, leur caractère proportionnel aboutit à ce qu’elles profitent majoritairement aux hommes en général, et particulièrement aux pères de famille nombreuse aisés – ce qui, vous le comprenez sans difficulté, accentue les inégalités au lieu de les atténuer. Une majoration de pension forfaitisée et versée dès le premier enfant : voilà l’une des revendications des personnes que j’ai auditionnées, et qui se rapproche beaucoup de l’attribution de points dès le premier enfant annoncée par M. Jean-Paul Delevoye le 10 octobre.

L’attribution d’un nombre de points au titre des enfants offrirait plusieurs avantages pour nos concitoyens. D’abord, les droits accordés au titre de la solidarité conduiraient nécessairement à augmenter la pension de leurs bénéficiaires. Ensuite, les Français y gagneraient en équité car, quelle que soit leur profession, ils se verraient accorder le même nombre de points au titre de la naissance, de l’adoption ou de l’éducation d’un enfant. Enfin, ils y gagneraient en prévisibilité, car dans un régime par points, il est relativement aisé de déterminer, au moment du fait générateur du droit lié à la solidarité, la contrepartie en termes de points attribués, alors que le niveau des MDA et de l’AVPF n’est connu qu’à la liquidation de la retraite.

Cette réforme pourrait même susciter de nouveaux droits familiaux, car bien des personnes – surtout des femmes – interrompent ou réduisent leur activité professionnelle pour accomplir des tâches autres qu’éducatives – je pense à l’aide apportée à des proches en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Les aidants familiaux ne peuvent guère compter, pour se constituer des droits à la retraite, que sur l’AVPF et, s’agissant de l’éducation d’enfants handicapés, sur les MDA, dont le plafond varie d’ailleurs selon les régimes : huit trimestres pour le régime général, mais quatre dans la fonction publique – alors qu’il est rare que le handicap d’un enfant ne se manifeste que pendant quatre à huit trimestres.

Toutefois, pour que cette solidarité nouvelle soit supportable sur le plan financier, il faut au préalable que l’on identifie, sur la base de critères clairs, les personnes concernées et le temps dédié à ces activités au détriment de l’activité professionnelle. Selon les études, notre pays compterait entre 8 et 11 millions d’aidants, qui consacreraient à cette activité 30 à 40 heures par semaine ; 57 % d’entre eux seraient des femmes. Il serait souhaitable que nous ayons une connaissance plus fine de ces réalités pour calibrer au mieux le financement des points de solidarité. Celui-ci doit-il reposer sur l’impôt – ou, le cas échéant, sur un tiers payeur – plutôt que sur les cotisations des assurés ? Ce choix ne serait pas dépourvu de sens quand on sait que la contribution économique des aidants, sur la base de la valorisation d’une heure d’aide au SMIC horaire, était estimée entre 7 et 11 milliards d’euros en 2008.

Pour conclure, je voudrais citer la Confédération française des retraités (CFR), qui, dans la contribution qu’elle m’a adressée, écrit : « seul un système de retraite universel permettra de sauvegarder le système de retraite par répartition » et « toutes les modifications à apporter aujourd’hui aux systèmes de retraite existants doivent aller dans le sens d’une convergence des régimes tous secteurs – privés et publics – confondus (y compris les régimes spéciaux) ». C’est bien la preuve qu’au-delà des postures, les Françaises et les Français sont prêts pour une réforme qui ne saurait se résumer à l’application pure et simple d’un modèle suédois, allemand ou italien, mais doit correspondre à un projet de société français, plaçant la solidarité au cœur du système de retraite.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame la rapporteure, je vous remercie sincèrement d’avoir choisi d’axer votre rapport sur les profondes différences qui existent en matière de droits familiaux et conjugaux. Tout le monde ici, je pense, est très sensible à cette question. Nous avons bien entendu votre message quant à la nécessité d’une profonde réforme des retraites si l’on veut réduire ces différences et renforcer la justice et l’équité de notre système.

Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Belkhir Belhaddad. Je voudrais vous féliciter, madame la rapporteure, pour avis, pour la qualité de votre travail, et pour avoir insisté – comme vient de le faire elle aussi, à l’instant, la présidente de notre commission – sur l’amélioration des droits familiaux et conjugaux. Cela me fait penser à ceux qui, ici même, il n’y a pas très longtemps, disaient que nous n’avions pas de politique familiale…

M. Gilles Lurton. C’est moi ! J’assume toujours ce que je dis !

M. Belkhir Belhaddad. …et que nous ne manifestions aucun intérêt pour ces questions.

Nous examinons cet après-midi, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions ». La mission finance les subventions d’équilibre de l’État aux différents régimes spéciaux de retraite, qui sont dans l’impossibilité de s’autofinancer. Si, comme l’indique Corinne Vignon dans son rapport, les différents programmes subissent des hausses et des baisses pour des raisons structurelles – soit parce que les régimes arrivent à extinction soit en fonction de la démographie –, force est de constater que nous sommes dans un contexte particulier, lié à la transformation annoncée de notre système de retraite.

Les derniers sondages effectués nous éclairent sur la place qu’occupe la question des retraites, sur les attentes et les craintes des Français quant à la future réforme : le financement de la retraite arrive en tête des préoccupations pour une grande majorité des Français, à savoir 80 % ; 70 % des personnes interrogées estiment qu’elles sont mal informées ; 40 % craignent de ne pas toucher de pension ; 66 % des Français sont résignés face à la nécessité de la réforme des retraites ; enfin, ils sont 80 % à considérer que des modifications de l’âge légal de départ à la retraite, de la durée des cotisations et de leur montant ainsi que du niveau des pensions ne suffiront pas à assurer la pérennité du système. Conscients du défi qui nous attend, les Français jugent indispensable de repenser plus largement le système en simplifiant son organisation, en réduisant les coûts de fonctionnement et en fusionnant les régimes. Ils restent également très attachés – vous l’avez rappelé, madame la rapporteure pour avis – aux principes d’égalité et de solidarité. Le Président de la République a inscrit cette orientation dans son programme : chaque euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé et le statut de celui qui a cotisé.

Selon un récent sondage réalisé au mois de mars – comme vous pouvez le constater, je suis friand de sondages, mais c’est parce qu’ils donnent une image très juste des défis qui nous attendent –, les mesures qui tendent notamment vers plus d’égalité entre les différents statuts de cotisants sont plébiscitées par les Français. Quant aux dispositifs de solidarité, il n’est pas question de les remettre en cause : il s’agit de les rendre plus lisibles et plus efficients. Les droits à réversion seront maintenus dans le nouveau système. Des points de retraite pourront être accordés aux parents pour chaque enfant, et ce dès le premier. Ainsi, comme nous l’indique notre collègue Corinne Vignon, il s’agit de maintenir, de faire évoluer et de créer de nouvelles solidarités, particulièrement en matière de droits familiaux et conjugaux.

En concertation avec les partenaires sociaux et avec les citoyens – à travers une plateforme, ouverte depuis le mois de mai et qui le restera jusqu’en décembre –, le travail est lancé pour aboutir à une convergence des régimes spéciaux. Un système universel remplacera les 42 régimes existants, pour le privé et le public. L’âge légal de départ à la retraite restera bien fixé à 62 ans, comme l’a confirmé Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites. De même, celui-ci a déclaré vouloir harmoniser les différents systèmes : un fonctionnaire, un salarié ou un indépendant ayant gagné la même somme d’argent pendant 40 ans auront la même retraite.

La tâche est immense. Il s’agit de répondre aux enjeux de société, de justice sociale et d’égalité des droits. Il faut également garantir la pérennité du système et de son financement, tout en conservant un modèle français. Ce modèle particulier a été obtenu par nos anciens, il est inscrit dans notre histoire et nous colle à la peau. Bien sûr, nous devrons faire face à l’immobilisme, à ceux qui disent en permanence que tout va mal – on le voit à propos de certains sujets d’actualité –, mais qui ne veulent rien changer. Nous serons confrontés à l’instrumentalisation politique car, pour l’opposition, la majorité ne saurait conduire de bonnes réformes. Se concentrer sur la question de l’âge, c’est regarder la réforme par le petit bout de la lorgnette, au lieu de l’évaluer dans son ensemble, comme nous le faisons pour notre part. Tout cela, c’est le jeu du « qui perd perd », qui oppose les uns aux autres.

Mes chers collègues, le défi qui se présente à nous n’est pas insurmontable. Il suppose que tous, collectivement, et dans le dialogue permanent, nous fassions en sorte que le nouveau système de retraite soit durable et assure l’avenir de nos futurs aînés, dans l’égalité des droits mais aussi dans la solidarité, laquelle est une nécessité.

Madame la rapporteure pour avis, vous évoquez dans votre rapport la généralisation des pensions de réversion pour les orphelins. Quelle pourrait être, selon vous, la trajectoire pour y parvenir ?

M. Stéphane Viry. Notre discussion porte sur les régimes sociaux et de retraite et sur la solidarité nationale. Il s’agit plus particulièrement des régimes spéciaux, qui sont marqués par un fort déséquilibre entre cotisants et pensionnés.

On s’aperçoit que, dans le projet de loi de finances, la dotation d’équilibre versée par l’État à ces régimes s’élèvera à 6,2 milliards d’euros en 2019. Force est pourtant de constater – comme vous l’avez peu dit, madame la rapporteure pour avis, je tiens à évoquer le sujet – que les régimes spéciaux se rapprochent progressivement des paramètres de la fonction publique, grâce à plusieurs réformes conduites ces dernières années. La réforme des régimes spéciaux de 2008 a ainsi permis de leur appliquer des mesures de la réforme de 2003 qui concernaient les régimes de la fonction publique. Il y a eu également la réforme Woerth de 2010. Dans ces deux cas, les dispositions ont été mises en œuvre par voie réglementaire. Ces deux réformes conduites par la droite ont permis d’arriver au bon résultat que l’on constate actuellement. S’y ajoute la réforme de Mme Touraine, en 2014, qui a également été appliquée par décret aux régimes spéciaux, entraînant la hausse des cotisations et de la durée d’assurance.

Je note, madame la rapporteure pour avis, que vous n’avez pas choisi, cette année, de centrer votre travail sur un régime en particulier : l’essentiel de votre avis – comme, du reste, celui de votre propos liminaire – porte sur l’avenir des droits familiaux et conjugaux, et vous consacrez seulement quelques feuillets aux questions d’équilibre et de financement par l’État des régimes spéciaux. Je comprends l’opportunisme qui conduit à centrer les débats sur l’avenir des droits familiaux et conjugaux, dans le cadre de la discussion en cours sur le régime de retraite universel. J’aurais souhaité, pour ma part, que vous produisiez un avis sur les modalités de la fusion des régimes spéciaux dans un régime unique : ce sera un aspect important.

En ce qui concerne la réforme des retraites en elle-même, puisque tel a été l’objet de votre travail, nous verrons ce qu’il en sera. Nous examinerons le projet lorsque nous en aurons connaissance. Pour l’heure, nous devons nous contenter de déclarations d’intention. La seule véritable question est celle du financement du nouveau système que vous proposez de mettre sur la table.

Pour en revenir aux droits conjugaux et familiaux, la question de l’harmonisation entre les différents régimes se pose effectivement – nous sommes entièrement d’accord sur ce sujet – dans le cadre d’un régime par points. Toutefois, l’harmonisation se fera-t-elle par le haut ou par le bas ? Où placerez-vous le curseur ? J’observe que, sauf erreur de ma part, vous vous êtes bien gardée de donner un avis sur le sujet. Je suis également d’accord avec vous pour considérer que l’hétérogénéité des régimes crée des inégalités. Cependant, là encore, il ne faudrait pas que l’objectif d’équité se traduise par une égalisation par le bas. Ce serait dommageable pour un grand nombre de Français.

En outre, le passage au système par points pose, s’agissant des droits, la question suivante, qui est d’ordre général : comment garantir l’équité si la valeur du point varie d’une génération à l’autre ? Considérer que l’équité prévaut au sein d’une même génération et n’est donc plus garantie entre les générations, c’est opérer un véritable bouleversement ; il est nécessaire d’en débattre.

J’observe également que les seuls droits familiaux représentent une dépense de plus de 17 milliards d’euros. Par ailleurs, on perçoit dans votre rapport la tentation de sortir ces droits des paramètres du régime général, ce qui soulève, une fois encore, des interrogations. Une question se pose particulièrement à la lecture de votre avis et après vous avoir écoutée, madame la rapporteure : les intéressés devront-ils payer une surcotisation, ce qui entraînerait une inégalité dans l’accès aux droits, ou bien le système reposera-t-il sur la solidarité nationale, autrement dit sur l’impôt, avec le risque d’une baisse généralisée ? Autrement dit, le financement des droits familiaux sera-t-il endogène ou exogène ? La question est essentielle et je souhaiterais, puisque nous sommes réunis pour émettre un avis, que vous nous donniez le vôtre ; pour le moment, vous êtes restée mutique.

Je terminerai en évoquant la question de la réversion. Je conçois bien qu’à la suite du cafouillage du Gouvernement sur la possible suppression des pensions de réversion, vous vous livriez à une tentative de clarification. Vous proposez deux pistes de réflexion : le financement de la réversion par une surcotisation pour les couples mariés, ou par le partage des droits acquis par les deux membres du couple. Dans les deux cas, vous raisonnez uniquement en considérant le couple, sans envisager autre chose.

Mme Nathalie Élimas. Madame la rapporteure pour avis, tout d’abord, je vous félicite pour votre excellent travail. La mission « Régimes sociaux et de retraite » prend une dimension particulière dans le cadre de la préparation de la grande réforme de notre système de retraite, qui sera prochainement à l’ordre du jour de notre assemblée.

Le groupe MODEM soutient sans réserve l’ambition du Président de la République visant à mettre en place un système plus juste, plus lisible et plus simple afin de rassurer nos concitoyens, alors que le système actuel suscite tant d’inquiétudes, d’injustices et d’incertitudes. Le nouveau système, universel et transparent, permettra aux Français d’aborder sereinement leur retraite et de donner un nouveau souffle à la solidarité entre les générations dans notre pays.

Cette réforme doit être l’occasion de consolider les droits existants. À ce titre, nous nous félicitons que le Président de la République se soit engagé à préserver le dispositif des pensions de réversion, qui concerne actuellement 4,4 millions de retraités. En effet, selon le haut-commissariat à la réforme des retraites, les pensions des femmes restent inférieures de 40 % à celles des hommes. La réversion permet de compenser cet écart en le réduisant à 25 %.

Nous saluons les nombreuses mesures qui ont été impulsées par le Gouvernement depuis le début du quinquennat en vue de réduire les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, notamment dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Toutefois, les écarts de rémunération, les interruptions de carrière et le recours au temps partiel continuent de pénaliser très majoritairement les femmes. Ainsi, à partir d’aujourd’hui à quinze heures trente-cinq, et jusqu’à la fin de l’année, les femmes travaillent gratuitement. Tant que ces inégalités persisteront, les pensions de réversion demeureront essentielles.

La réforme des retraites suppose également d’harmoniser les quarante-deux régimes existants, en particulier ceux qui sont financés par la mission « régimes sociaux et de retraite », que nous examinons. Leurs affiliés bénéficient de droits spécifiques par rapport aux retraités de droit commun affiliés au régime général. Notre groupe souhaite donc poser la question suivante : comment l’harmonisation sera-t-elle réalisée concrètement, de manière efficace mais également équitable ?

Les réformes des retraites conduites ces vingt dernières années ont mis en lumière le caractère problématique de ces régimes anciens qui ne sont plus en phase avec les réalités économiques actuelles de notre pays. Nous devons donc accompagner la transition, tout en protégeant leurs bénéficiaires.

Nous tenons à saluer les pistes de travail explorées par notre collègue Corinne Vignon dans son rapport, qui met en exergue les incohérences des dispositifs actuels de droits familiaux et, notamment, les disparités des majorations selon les régimes. Nous souscrivons à la nécessité d’une harmonisation des règles d’attribution et nous espérons que cela figurera dans le projet de loi que nous soumettra le Gouvernement.

La réforme de notre système de retraite doit, enfin, être l’occasion de faire émerger de nouveaux droits. Comme vous le savez, notre groupe attache une importance particulière à la question des aidants familiaux et nous nous réjouissons que leur cas soit abordé dans ce rapport. Nous serons mobilisés afin qu’une amélioration nette des droits à la retraite de ces personnes soit intégrée dans le dispositif universel.

Mme Gisèle Biémouret. Le groupe Socialistes et apparentés s’interroge sur le fait qu’il n’y ait pas de ministre dédié à la question, pourtant primordiale, des régimes de pension. Avoir un haut-commissaire aux retraites est une chose, ne pas avoir de ministre responsable de ces questions devant l’Assemblée en est une autre. Les retraites méritent un ministre de plein exercice, et notre groupe tient à faire savoir son mécontentement sur ce point.

Nous attendons, bien sûr, l’audition de M. Delevoye pour comprendre un peu mieux la teneur de la réforme qui sera proposée au Parlement, en souhaitant que, si harmonisation des pensions de réversion il doit y avoir, elle se fasse plutôt, comme l’a dit notre collègue du groupe Les Républicains, vers le haut que vers le bas.

Je nourris aussi une inquiétude concernant la prise en charge de toutes les personnes intervenant auprès des personnes âgées en milieu rural. Beaucoup travaillent à temps partiel. Le principe veut qu’un euro travaillé soit un euro cotisé, mais comment sera prise en charge la retraite de toutes ces personnes, dont la société a réellement besoin ? Que leur sera-t-il proposé ?

Concernant l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), je souligne que ce droit est très peu demandé, pour une raison toute simple qui est le recours sur succession. Ne serait-il pas possible de le supprimer sur les petites successions ? Bien sûr, cette suppression n’interviendrait que sous un certain plafond.

Enfin, j’exprime ma déception concernant les retraités agricoles qui sont encore, et en particulier les femmes de retraités agricoles, les grands oubliés et les grandes oubliées du budget de cette année.

M. Paul Christophe. Je me permets de saluer à mon tour les propos introductifs de notre rapporteure.

Nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission « Régimes sociaux de retraite ». Cette mission s’inscrit dans un contexte particulier, puisque nous savons d’ores et déjà qu’une réforme d’ampleur du système des retraites sera probablement soumise prochainement à notre commission.

Sans remettre en cause les principes de solidarité qui régissent notre système actuel, le Gouvernement souhaite le faire évoluer vers un système de retraite universel où chaque euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé et quel que soit le statut de celui qui a cotisé. On observe qu’il s’agit d’une demande récurrente de nos concitoyens actifs, qui souhaitent cotiser pour un système plus équitable. Les différences de cotisation et de pension qui ont longtemps perduré ne sont plus compréhensibles aujourd’hui.

Les retraités concernés par la mission que nous examinons bénéficient actuellement de droits spécifiques et devraient, demain, être touchés par cette harmonisation des régimes. La mission « Régimes sociaux de retraites » est singulière, puisqu’elle concerne des régimes anciens spécifiques à des catégories de métiers et, pour la plupart, antérieurs à la création de la Sécurité sociale. Les crédits de cette mission s’élèvent à 6,3 milliards d’euros et demeurent relativement stables, puisque, pour l’exercice 2019, nous constatons une très faible diminution – de 0,7 % – par rapport à l’exercice 2018.

Ces dotations financent différents régimes qui présentent, chacun, leurs caractéristiques propres, et se singularisent notamment par leur ratio démographique et leur statut. Certains affichent un déséquilibre substantiel entre le nombre de cotisants et le nombre de pensionnés. Il faut, à ce titre, bien distinguer les régimes ouverts des régimes fermés, qui n’accueillent plus de nouveaux cotisants. Ce sont ces derniers qui, en raison de la réduction du nombre de leurs prestataires, enregistrent une réduction progressive de leurs déséquilibres. Ils permettent d’atténuer le recours des régimes spéciaux à la solidarité nationale et, ainsi, d’alléger les crédits de la mission. A contrario, pour certains régimes, le déséquilibre est tel que la solidarité nationale vient aider au financement de la liquidation des pensions de retraite. C’est par exemple le cas pour le régime de retraite des marins, à hauteur de 75 %.

Dans l’ensemble, nous pouvons souligner une amélioration de la gestion de la liquidation des pensions. Les crédits de la mission poursuivent une maîtrise des coûts de gestion des caisses de retraite, tout en garantissant, bien entendu, la qualité du service rendu aux pensionnés.

Notre groupe s’interroge toutefois sur la gestion des primo-liquidations par certains régimes. Par exemple, pour le régime de retraite des agents et des cadres permanents de la SNCF, le Gouvernement estime que le coût unitaire d’une primo-liquidation de pension de retraite augmentera de 120 euros entre 2016 et 2020, soit une hausse de 44,4 %. Pour la RATP, il estime que ce coût augmentera de 160 euros entre 2017 et 2019, soit une hausse de 55,2 %. Nous comprenons que, mécaniquement, le nombre de départs entraîne une augmentation de la masse des pensions à servir et fasse ainsi varier le coût unitaire. Cependant, nous manquons d’informations lisibles sur l’efficacité des caisses et, notamment, sur la décomposition du coût unitaire d’une primo-liquidation. Dans ce coût, quelle est la part liée à l’évolution des départs en retraite et quelle est la part liée aux coûts de fonctionnement ?

Concernant les régimes de retraite et de sécurité sociale des marins, le fort déséquilibre démographique nécessite que la solidarité nationale contribue pour les trois quarts aux dépenses de la branche vieillesse. Pour réduire cette disproportion, l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM), en charge de la gestion du régime, ne dispose d’aucune réelle marge de manœuvre sur l’évolution des dépenses obligatoires. Ses efforts, que je tiens à saluer, doivent donc se concentrer sur les coûts de gestion du service qu’il rend. J’appelle également votre attention sur une demande récurrente des pensionnés de la marine marchande, qui souhaitent être représentés au conseil d’administration de l’ENIM.

Enfin, notre groupe s’interroge fortement sur la gestion du régime spécial de retraite du personnel de la Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA). Ce régime enregistre une diminution constante du nombre de pensionnés et, mécaniquement, de la masse des prestations servies : 153 millions d’euros en 2018. Pourtant, la rémunération de l’Association pour la prévoyance collective (APC), en charge de la liquidation de ces pensions, ne cesse de croître. Ainsi, entre 2018 et 2019, la rémunération de l’APC augmentera de 4 % alors que, dans le même temps, la diminution de la masse des prestations servies sera de 5,7 %. Et ce constat s’accentue à mesure que le temps s’écoule. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le ratio de la rémunération de l’APC pour la gestion de ces pensions de retraite et la masse des prestations servies : 0,16 % en 2016, 0,19 % en 2019. L’évolution du nombre de pensionnés étant en constante diminution, il convient d’anticiper cette décroissance, afin de ne pas laisser s’envoler les coûts de gestion.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants note les efforts engagés par le Gouvernement dans la gestion des crédits, et votera en faveur du budget présenté. Dans le cadre de la future réforme, nous serons extrêmement attentifs au maintien de la solidarité intergénérationnelle des actifs envers les retraités. Nous demandons au Gouvernement de veiller à garantir cette exigence de solidarité, corrélée à une contribution juste et équilibrée.

M. Pierre Dharréville. Nous examinons aujourd’hui la mission « Régimes sociaux et de retraites », qui recouvre le financement de plusieurs régimes spéciaux importants, tels que la RATP, la SNCF ou la marine marchande, ainsi que le compte d’affectation spéciale « Pensions », qui retrace les crédits dédiés aux pensions de retraite avant âge accessoires gérées par l’État.

Aux yeux du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), l’analyse de ces missions revêt une importance particulière cette année, puisqu’une réforme des retraites est annoncée pour 2019, dont l’objectif est de fusionner les quarante-deux régimes de retraite existants pour les remplacer par un régime unique par points. La rapporteure a axé l’essentiel de son rapport sur les perspectives ouvertes par cette réforme en matière de dispositifs de solidarité et de droits familiaux et conjugaux, donc de pensions de réversion. Ces dispositifs représentent 20 % des droits à la retraite, sur une dépense globale de 300 milliards d’euros. C’est une préoccupation majeure de nos concitoyens, et nous avons aujourd’hui l’occasion d’en savoir un peu plus sur une réforme à propos de laquelle, finalement, nous sommes amenés à jouer un peu à colin-maillard avec le Gouvernement, depuis quelque temps déjà…

Je voudrais ensuite regretter la mesure prévoyant la désindexation des prestations sociales, et notamment des pensions de retraites, pour les années 2019 et 2020. Cette mesure votée dans le PLFSS permettra à l’État de faire une économie de 2,8 milliards d’euros en 2019, et de 5,2 milliards d’euros en 2020. Pardonnez-moi de vous dire des choses que vous savez déjà, mais peut-être faut-il quand même le rappeler : alors que la branche retraite du régime général sera excédentaire de 1,3 milliard d’euros, ces économies sur le dos des retraités sont d’autant plus regrettables qu’ils ont subi de plein fouet – chacun, chacune s’en souvient – l’augmentation de la CSG l’année dernière, augmentation qui continue cette année. Leur pouvoir d’achat s’en trouve fortement amputé.

Par conséquent, avant même la réforme des retraites, le Gouvernement et sa majorité se sont déjà attaqués aux pensions de retraite et, plus globalement, au pouvoir d’achat des retraités. Cela n’augure rien de bon. Pour nous, cela constitue le premier étage d’une réforme qui a de quoi inquiéter. La mission que nous examinons aujourd’hui révèle la même obsession pour la maîtrise des dépenses sociales, qui se traduit par une réduction des droits à la retraite des fonctionnaires et des bénéficiaires des régimes spéciaux, c’est-à-dire de leur droit au maintien de leur niveau de vie.

S’agissant de la fusion des régimes spéciaux, annoncée dans le cadre de la réforme des retraites, je ferai plusieurs remarques assez brèves. D’abord, nous n’accepterons pas que la fusion se traduise par une baisse des droits sous prétexte de simplification. Or, avec la mise en place d’un régime dit universel – ou annoncé comme tel –, cette réforme s’oriente vers un alignement vers le bas des conditions de départ à la retraite. Rappelons que ces régimes spéciaux sont le fruit d’une histoire sociale, de spécificités, de luttes syndicales, mais qu’ils sont aussi la contrepartie de carrières pénibles. Simplifier, pourquoi pas ? Mais pas en abaissant les droits !

Enfin, mon dernier point concerne les dispositifs de solidarité qui ont été évoqués par Mme la rapporteure. Son rapport indique qu’« il ne saurait être question qu’à l’occasion d’une transformation de nos régimes de retraite en système universel de retraite par points, les principes des dispositifs de solidarité actuels soient abandonnés ». Nous faisons nôtres ces propos. Pourtant, il y a quelques mois, le Gouvernement n’avait pas écarté une réforme à la baisse des pensions de réversion. Il s’agit, là aussi, d’une ligne rouge, car ces mécanismes de solidarité permettent de réduire fortement les inégalités de parcours, notamment entre les femmes et les hommes. Il s’agit donc, pour nous, d’un enjeu fort de la réforme qui s’annonce.

La communication gouvernementale occulte volontairement des interrogations essentielles, notamment sur le niveau de pension garanti au moment du départ – c’est-à-dire le niveau du revenu de remplacement – les modalités de conversion des points acquis et leur évolution au fil du temps. Le passage à un système par points – nous ne croyons pas à la magie du point – laisse entrevoir le basculement d’un système par répartition à prestations définies, dont l’objectif est le maintien du niveau de vie des retraités, vers un système à cotisations définies, dont l’objectif premier est l’équilibre financier du régime de retraite.

On nous a dit que tout se ferait à moyens constants, mais nous avons vu que, déjà, une pression s’exerce sur le volume global à consacrer aux retraites. Y céder conduirait naturellement à saper la solidarité qui fonde notre système de retraite. J’attire votre attention sur le risque, dans les annonces qui sont faites, de mettre en cause le caractère un peu redistributif du système actuel de retraite. L’enjeu, pour nous, est de garantir un véritable droit à la retraite pour chacune et pour chacun.

Nous voterons contre les crédits de cette mission. Certes, elle ne contient pas la réforme annoncée, mais elle traduit déjà un certain nombre d’orientations, en tout cas une obsession de maîtrise des dépenses publiques aux dépens des droits des retraités, qu’ils relèvent de la fonction publique ou d’un régime spécial de retraite.

Mme Jeanine Dubié. Au nom du groupe Libertés et Territoires, je voudrais tout d’abord remercier Mme Vignon pour ce rapport très fouillé, très travaillé, qui nous apporte beaucoup d’informations, notamment sur la partie qu’elle a choisi de privilégier – les dispositifs de solidarité.

Dans son rapport, on voit que ces dispositifs de solidarité que constituent les droits conjugaux et familiaux de retraite peuvent être maintenus et améliorés dans le cadre du futur système de retraite universel par points. Ces droits familiaux et conjugaux, qui occupent une place prépondérante au sein des dispositifs de solidarité, sont très utiles pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, du fait d’un salaire annuel moyen nettement inférieur à celui des hommes, la moyenne des droits directs à pension des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes, mais la prise en compte des droits conjugaux et familiaux permet de ramener cette différence à 25 %.

Vous avez beaucoup insisté, madame la rapporteure, sur les constats, mais avez-vous pu aller un peu plus loin ? Nous voudrions savoir comment ces droits familiaux et conjugaux seront intégrés dans le cadre de la réforme : y aura-t-il attribution de points supplémentaires en fonction des droits liés à la maternité ainsi qu’à la réversion ? Nous aimerions obtenir davantage de précisions.

Ma deuxième question a trait aux régimes dits spéciaux. On se rend compte, à la lecture de votre rapport, que l’équilibre de ces régimes est largement assuré par la solidarité nationale. Comment cette solidarité nationale sera-t-elle prise en compte par la nouvelle réforme et dans la période transitoire ? J’ai cru comprendre que l’application de la réforme débuterait en 2025, et de façon progressive. Les pensions actuelles seront-elles garanties ? L’État continuera-t-il à abonder ces régimes spéciaux de retraite ?

M. Laurent Pietraszewski. Je vous remercie une nouvelle fois, madame la rapporteure, pour votre rapport, dont l’ensemble des députés qui se sont exprimés ont apprécié, je le crois, la qualité.

Ma question porte sur les inégalités entre les femmes et les hommes, inégalités accentuées, selon les régimes, par le dispositif actuel de droits familiaux, qui représentent environ 30 milliards d’euros par an. Vous soulignez que ces dispositifs sont incohérents entre eux – quand ils ne visent pas des objectifs opposés, comme c’est le cas de la MDA et de l’AVPF. Par ailleurs, ils aboutissent à ce que le même enfant n’ouvre pas les mêmes droits à retraite selon la profession de ses parents.

Au-delà des constats que vous avez faits, quelles perspectives envisagez-vous pour la future réforme, qui semble mobiliser ici un certain nombre de nos collègues ?

M. Bernard Perrut. Madame la rapporteure, vous avez évoqué à juste raison les aidants familiaux. Nombreux sont en effet ceux qui se trouvent totalement engagés auprès d’un proche malade ou en situation de dépendance, au détriment de leur vie personnelle, familiale et professionnelle. La charge qui leur incombe est lourde, puisque leur action se substitue à une prise en charge publique dont le coût a été évalué entre 6 et 11 milliards d’euros par an.

Je rappelle que le coût annuel de la perte d’autonomie est estimé entre 41 et 45 milliards d’euros, dont seuls 23,5 milliards relèvent de la dépense publique… C’est dire l’importance des solidarités, l’importance des multiples engagements qui méritent respect, considération et soutien. Selon Santé publique France, un tiers des aidants sont d’ailleurs eux-mêmes traités pour une affection de longue durée, tandis que plus de la moitié des conjoints de malades souffrent de dépression.

On évoque même, d’ailleurs, un risque de surmortalité de plus de 60 % des aidants dans les trois ans qui suivent le début de la maladie de leur proche. La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a créé un droit au répit, dont le montant et les conditions sont très restrictifs. Cela ne peut suffire. Votre rapport envisage l’octroi de points de retraite solidaires aux aidants familiaux, mais pourquoi avez-vous exclu la prise en charge au titre de l’assurance vieillesse ? Pourquoi préférez-vous la possibilité d’une prise en charge par l’impôt, au titre de la solidarité nationale ? Avez-vous mené une étude, avez-vous des chiffres ? Quel sera le coût et comment procédera-t-on ? Quelles autres perspectives avez-vous ?

Les aidants ont besoin de véritables avancées, et nous devons les soutenir.

M. Dominique Da Silva. Merci, chère collègue rapporteure, pour la qualité de votre travail et de vos recherches, qui m’amènent à vous poser une question sur les pensions de réversion.

De fait, la réversion déroge au principe d’universalité voulu par le président de la République, selon lequel « un euro cotisé donne les mêmes droits », car, comme l’a rappelé le président du COR, M. Pierre-Louis Bras, « un euro de cotisation ouvre potentiellement plus de droits à une personne mariée qu’à une personne non mariée ».

Certes, la réversion est utile pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, mais les dispositifs actuels sont incohérents, profondément inégalitaires, voire injustes, les règles variant selon la nature de la profession du conjoint décédé.

À l’origine, la réversion visait à garantir les moyens d’existence des veuves, soit 90 % des bénéficiaires, dépourvues de droits propres liés à une activité professionnelle rémunérée. Dans le futur système universel, il me semble que l’harmonisation des régimes de réversion n’a pas vocation à s’inscrire dans un temps long, comme cela est nécessaire pour les régimes spéciaux. En effet, il s’agit avant tout d’un risque assurantiel que l’on ne peut appréhender comme un droit statutaire.

J’aimerais donc, madame la rapporteure, connaître votre avis à propos du temps de convergence des régimes de réversion.

Mme Josiane Corneloup. Madame la rapporteure, vous indiquez dans votre rapport que seul un système de retraite universel permettra de sauvegarder le système de retraite par répartition. Vous vous y attardez en pointant les améliorations contenues dans le PLF 2019, concernant notamment les dispositifs de droits conjugaux et familiaux de retraite.

Vous évoquiez également, d’une manière très claire, cette volonté de convergence des régimes, tous secteurs confondus – privé, public, régimes spéciaux. Nous ne pouvons que souscrire à ces intentions, que l’on voit d’ailleurs avancées par le Gouvernement. Toutefois, la question d’une harmonisation par le bas ou par le haut, non évoquée dans le rapport, se pose toujours. L’hétérogénéité des régimes est certes source d’inégalités, mais il ne faudrait pas que l’objectif d’équité se traduise par une égalisation par le bas.

Au-delà de ces déclarations, un aspect n’est pas mis en avant dans votre propos, qui se veut consensuel : celui de l’augmentation de la durée d’activité, donc de l’âge de la retraite. Comme je vous sais gré de la clarté qui est la vôtre, s’agissant d’une réforme nécessaire pour nos finances publiques, j’aurais souhaité connaître votre position sur ce point essentiel, dont découlent la cohérence et l’efficacité de toute modification du système.

M. Gilles Lurton. Madame la rapporteure, le rapport que vous venez de nous présenter nous laisse un peu dans l’expectative, du fait de la difficulté que nous avons à nous prononcer sur un dossier que nous ne connaissons pas encore très bien. Je souhaiterais cependant insister sur trois points.

Tout d’abord, à la veille de la réforme, c’est-à-dire dans le PLFSS, il a été décidé de limiter à 0,3 % l’augmentation des pensions de retraite, bien en-deçà du niveau prévisible de l’inflation. Nous continuons à ne pas comprendre cette décision, qui porte lourdement atteinte au pouvoir d’achat des retraités.

Ma deuxième question concerne les retraites agricoles, que nous n’avons toujours pas trouvé les moyens de ramener à un niveau correct, malgré un amendement de la majorité au PLFSS pour 2019. La loi du 24 janvier 2014 prévoyait 85 % du SMIC à la fin du précédent quinquennat ; nous sommes encore loin du compte ! Je pense aussi, bien sûr, aux retraites des conjoints et conjointes d’agriculteurs, qui sont souvent dans une situation encore plus difficile.

Enfin, je souhaite revenir sur le régime social des marins, longuement abordé par notre collègue Christophe. C’est un régime qui, certes, serait très déficitaire s’il n’était pas abondé par la solidarité nationale. Mais c’est un régime qui tient compte de la spécificité du métier de marin, et je ne suis pas persuadé que sa fusion dans le régime général rendrait service à la profession de marin ni au régime général lui-même. C’est pourquoi je vous appelle à être très d’autant plus vigilante là-dessus que, dans le cadre du PLFSS, le Gouvernement a déposé un amendement visant à intégrer les élèves des écoles nationales de la marine marchande dans le régime général. C’est un amendement que je ne comprends pas, car le régime géré par l’ENIM n’a déjà pas assez de cotisants pour s’équilibrer ! J’aurais donc souhaité connaître votre point de vue sur ces points.

Mme Fadila Khattabi. Je tiens également à saluer la qualité de votre travail, madame la rapporteure.

Au-delà des régimes concernés par cette mission, il existe à l’heure actuelle, comme vous l’avez dit, quarante-deux régimes différents, dont le fonctionnement répond à des règles bien spécifiques. En toile de fond du budget de cette année consacré à cette mission, nous sommes quelque peu sous contrainte.

Nous sommes plusieurs à avoir soulevé la question des écarts de pension de retraite entre les hommes et les femmes, qui atteignent 37 %. Ils sont dus essentiellement à un taux d’activité bien moindre chez les femmes, aux carrières discontinues et aux inégalités salariales.

Je voulais également souligner que cette mission a été confiée à M. Delevoye. Certes, il n’y a pas de ministre des pensions, mais il y a un haut-commissaire dédié, qui assure cette mission avec beaucoup de panache, y consacrant tout son temps et toute son énergie – il me semble quand même important de le souligner.

À l’occasion de l’examen du budget de cette mission, ma question demeure : comment réduire l’écart entre les hommes et les femmes dans la future réforme ?

Mme Carole Grandjean. Je vous remercie, madame la rapporteure, pour ce rapport et ces premières orientations que vous avez pu proposer grâce aux auditions que vous avez pu mener et aux réflexions que vous avez engagées. Nous aurons, évidemment, des occasions d’en rediscuter.

Il y a des différences majeures de carrière entre les hommes et les femmes, et des inégalités causées par cet état de fait malheureux, mais réel. Je ne m’étendrai pas sur les suspensions de contrat, les temps partiels, les différences de salaires, les différences entre les régimes de la fonction publique et le régime général, la variation du taux et la question de l’aidance.

Combler ces différences a un coût pour la société, mais c’est un coût pleinement justifié. On ne peut qu’à ce prix répondre à cette différence de considération entre les carrières des femmes et des hommes, malgré un travail de leur part qui est, je crois, à valoriser de manière comparable.

Vous avez proposé quelques pistes pour travailler sur ces effets. Néanmoins, comment compenser l’effet lié au différentiel de salaire, qui est effectivement de 25 % sur l’ensemble de la carrière ? Évidemment, une solution réside sans doute par les dispositifs de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais comment répondre à cette réalité dès à présent ? N’oublions pas que les générations concernées sont aussi celles qui arriveront bientôt au stade de la retraite.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Madame la rapporteure, je vous remercie pour ce rapport et, plus largement, pour votre engagement auprès de Jean-Paul Delevoye en faveur de cette grande réforme des retraites, qui est plus qu’une réforme : une vraie transformation demandée par les Français.

Je souhaite revenir sur la dernière partie de votre rapport où vous vous prononcez, pour reprendre vos mots, en faveur d’un dispositif qui octroie des points de retraite « solidaires » pour les proches aidants, en s’inspirant du modèle que les Allemands ont mis en place à la suite de la réforme de 1992.

L’idée est, bien entendu, de soutenir, par la solidarité nationale, les personnes qui ont dû interrompre ou réduire leur activité pour s’occuper bénévolement d’un proche en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Je ne vous le cache pas que la référente handicap que je suis y est très favorable.

Ma question est simple : comment y parvenir ? Comment définir ce temps consacré et déterminer les publics éligibles ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure pour avis. De nombreux sujets ont été abordés. Je m’efforcerai de répondre le plus synthétiquement possible.

M. Belhaddad m’a interrogée sur la généralisation de la réversion au profit des orphelins. De mon point de vue, l’universalisation des règles de réversion ne pourra pas conduire à la remise en cause du principe de la réversion au profit des orphelins. Il faudra donc en envisager l’extension à ces 500 000 jeunes qui, aujourd’hui, ne perçoivent pas de pension, excepté ceux relevant des régimes de la SNCF, des mines, des marins et de la fonction publique. Les dépenses qui pourraient en résulter ne sont pas démesurées : les orphelins des fonctionnaires de l’État « coûtent » actuellement 100 millions d’euros, somme qui, rapportée aux 308 milliards de la masse totale des pensions, reste raisonnable.

J’ai beaucoup aimé votre question, monsieur Viry. Rendons à César ce qui est à César ; si notre système de retraite n’avait pas fait l’objet des réformes « Woerth », « Balladur » et autres, il serait déficitaire de plus de 50 milliards d’euros. Aujourd’hui, il ne l’est que de 6 milliards d’euros : ce n’est certes pas l’équilibre, mais cela demeure préférable. Ces réformes ont donc été tout à fait nécessaires.

En ce qui concerne les détails budgétaires relatifs aux régimes spéciaux, je vous renvoie au rapport de notre collègue Olivier Damaisin, membre de la commission des finances, qui fournit tous les éléments nécessaires. L’harmonisation entre les divers régimes ne saurait se faire par le bas, ce que prouve ma position au sujet du financement des aidants ou du bénéfice de la réversion pour les orphelins : il s’agit de nouvelles solidarités.

J’invite tous mes collègues à assister la semaine prochaine à l’audition par notre commission de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, qui fournira tous les éléments relatifs aux différences qui distingueront les divers régimes – sans pouvoir, à ce stade, donner la valeur du point.

Pour ce qui est de la question du financement des droits conjugaux et familiaux de retraite : les personnes que j’ai entendues – même si aucune décision n’est encore prise – sont quasi unanimes à considérer que le financement de la réversion doit continuer de reposer sur les cotisations, et le financement des droits familiaux sur la solidarité nationale, c’est-à-dire sur l’impôt ou un éventuel tiers payeur.

À Mme Élimas qui m’a interrogée sur les conditions de l’harmonisation, je ne peux fournir d’éléments de réponse, car la discussion est en cours entre les partenaires sociaux. M. Delevoye travaille depuis plus de huit mois à la question des retraites, il a engagé des consultations bilatérales, et nous avons eu connaissance le 10 octobre dernier, des conclusions de la consultation multilatérale.

Ces premiers travaux constituent une base de travail ; à partir du mois de février ou de mars prochain, de nouvelles consultations seront organisées, y compris des consultations citoyennes, qui nous apporteront une connaissance précise de l’avis de nos compatriotes sur chaque régime de retraite. Ces consultations bilatérales seront couronnées par une consultation multilatérale ; nous disposerons alors de conclusions très précises au sujet du fonctionnement du régime à points, et peut-être sur la valeur du point que M. Delevoye n’a pas encore arrêtée.

Mme Biémouret m’a interrogée sur l’ASPA ; ce sujet excède le cadre de mon avis sur les retraites. Il est légitime de poser la question de la suppression du recours sur succession, et je ne suis pas loin de partager son opinion.

Les agriculteurs, comme l’a aussi souligné M. Lurton, représentent une population très fragile au regard de la retraite. Il ne faut pas oublier qu’ils ont cotisé au taux de 14 %, ce qui est loin du niveau de cotisation des salariés. En outre, au moment de la constitution du régime, ils n’ont pas souhaité que leurs épouses cotisent, ce que je déplore car, de ce fait, elles n’ont aucun droit propre à la retraite, ce qui est fâcheux. Il va donc falloir reconsidérer cette question très importante, sur laquelle M. Delevoye devrait vous apporter des réponses très précises, car il est très concerné par la situation des agriculteurs et se montre favorable aux fameux 85 % du SMIC mentionnés par M. Lurton. En tout état de cause, l’harmonisation ne se fera pas par le bas.

M. Christophe a évoqué le coût de la primo-liquidation, sujet sur lequel je ne dispose pas de beaucoup de détails. Je peux toutefois vous transmettre tous les éléments en ma possession, sous la forme des réponses que j’ai reçues des ministères en réponse au questionnaire écrit que j’avais préparé.

Je suis cependant en mesure de vous communiquer quelques renseignements sur le coût de fonctionnement de l’Association pour la prévoyance collective (APC) qui gère le régime de retraite de la SEITA. Pour 2019, les prévisions sont les suivantes : pour des pensions dont le montant équivaut à 146 millions d’euros, le coût de la gestion du régime par l’APC s’élèverait à 272 000 euros, calculés sur la base d’une facturation à l’acte, elle-même revalorisée en fonction de l’inflation. Les frais bancaires, pour leur part, seraient de 80 000 euros. Les frais de gestion ne devraient pas dépasser 380 000 euros en 2018. Ce montant est définitivement établi sur la base du nombre d’actes de gestion comme la primo-liquidation par exemple, qui seront facturés sur une base forfaitaire.

M. Dharréville m’a interpellée sur la désindexation des pensions. Si l’on considère que l’inflation est de 1,6 % et que les pensions ont été revalorisées de 0,3 %, le différentiel est de 1,3 point. Je rappelle que, les trois années précédentes, la revalorisation avait été respectivement de 0 %, 0,1 % et 0 %.

Par ailleurs, nous avons voté, dans le PLFSS, le « reste à charge zéro ». Or, pour un appareil auditif, par exemple, ce reste à charge est actuellement de 800 ou 900 euros, et ce sont surtout des personnes âgées, donc retraitées, qui sont concernées. Ce montant de 800 ou 900 euros est à comparer aux 10 à 12 euros par mois que fait perdre, en moyenne, la désindexation à un retraité.

Enfin, il n’a jamais été question de supprimer la réversion ; il s’agit d’un sujet dont les médias se sont emparés sur la base d’informations mal comprises.

À Mme Dubié, je répondrai qu’il n’est pas envisagé de modifier les règles en vigueur applicables aux pensionnés des régimes spéciaux, y compris celles du financement. La réforme ne concernera que les futurs pensionnés.

M. Pietraszewski a évoqué les enjeux de la future réforme. Le principal d’entre eux est la convergence des règles de réversion dans le cadre d’une réforme qui tienne compte des évolutions de la société, de la nuptialité et des modèles familiaux. Plusieurs questions peuvent en effet se poser, notamment sur les droits familiaux : faudra-t-il les limiter à deux ou trois enfants ? Faudra-t-il plafonner la prise en compte de l’interruption de carrière ? Fixer une compensation forfaitaire, ou en proportion du salaire ? Le financement devra-t-il reposer sur l’impôt, ou sur un tiers payeur ? La même question se posera pour les aidants familiaux.

À M. Da Silva, j’indiquerai que, selon moi, les nouvelles règles de réversion ne devront pas s’appliquer à brève échéance, notamment parce que de nombreux couples ont fait des choix de vie fondés sur la base de calculs à long terme qui ne sauraient être bouleversés du jour au lendemain. Ce point de vue est partagé par l’ensemble des personnes que j’ai entendues, et la Cour des comptes, en 2015, préconisait une mise en œuvre extrêmement progressive, lissée sur plusieurs générations, de la réforme de la réversion.

Mme Corneloup m’a interrogée sur l’âge de la retraite. Cette question ne fait pas l’objet de ce rapport, mais j’ai accompagné le haut-commissaire dans ses déplacements en Italie, en Allemagne et en Suède. Dans ce dernier pays, tous les intéressés reçoivent chaque année la fameuse « enveloppe orange » qui leur donne toute visibilité, car il suffit de connaître la valeur du point, le montant cotisé et le nombre de points attribué pour anticiper les droits à la retraite que l’on aura acquis au terme de ses 42 années de cotisation.

Ce système permettra à chacun de choisir l’âge de son départ à la retraite. Aujourd’hui, par exemple, que l’on ait été salarié du public, salarié du privé ou travailleur indépendant, ce n’est qu’au moment de la liquidation que l’on sait quelle sera la part des droits familiaux. Or, le système par points offre cette lisibilité.

Il n’est donc pas question de changer l’âge de la retraite, mais le choix sera offert de cotiser jusqu’à 43 ou 44 années au lieu de 42 années afin d’augmenter ses droits, ce qui me paraît très positif.

À M. Perrut, j’indique que je n’ai pas pris parti en faveur d’un financement par l’impôt de l’attribution de points de retraite gratuits aux aidants. Je me suis bornée à dresser l’état des divers points de vue qu’il m’a été donné d’entendre ; il ne s’agit donc pas d’un point de vue personnel. Dans mon rapport, je souligne le manque cruel d’études précises, fiables et chiffrées, qui fait que nous ignorons le nombre exact d’aidants familiaux, estimé entre 8 et 11 millions. De même, nous ne savons pas non plus s’il faut retenir une base de 40 heures ou 50 heures de travail par semaine, rapportées au taux horaire du SMIC. Nous avons besoin de données actualisées et chiffrées afin de déterminer le nombre d’aidants et le temps qu’ils consacrent effectivement à l’aide qu’ils apportent.

Mme Khattabi m’a interrogée sur les moyens de résorber les inégalités entre les femmes et les hommes. Dans une certaine mesure, tout mon rapport traite de cette question. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, si la réversion, la MDA et l’AVPF contribuent à réduire les écarts de pension, elles ne le font qu’imparfaitement. Ces écarts s’atténueraient sans doute dès lors que des points de retraite seraient gratuitement attribués au parent qui interrompt ou réduit effectivement son activité pour s’occuper de l’éducation des enfants. Aujourd’hui, la MDA et l’APVF concernent, pour une bonne part, des femmes qui travaillent, et à qui elle rapporte des trimestres inutiles lorsqu’elles ont accompli une carrière complète.

L’intérêt du système par points est que l’on y parle d’argent ; vous avez un enfant, une somme vous est allouée. Actuellement, ce sont des trimestres qui sont alloués, de façon imparfaite et inégale qui plus est, car le nombre de trimestres n’est pas le même selon que l’on travaille dans le public ou dans le privé. Le système par points réduira les inégalités de retraite car on ne parlera plus de temps, mais d’argent.

Mme Fontaine-Domeizel m’a interrogée sur les aidants. Il semblerait que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) soit en train de réaliser une étude à partir de données de 2005, mais que sa méthodologie soit très contestée, notamment par la présidente de l’Association française des aidants (AFA), Mme Florence Leduc, qui lui reproche de réduire l’aidant à la personne qui prodigue des soins à domicile.

Lorsque, pour prendre cet exemple, la durée du travail d’un aidant est comptabilisée sur la base du temps passé à préparer et à donner le repas à la personne souffrante, Mme Leduc fait valoir que ce décompte omet le temps nécessaire pour les courses, l’achat de médicaments, etc. À partir de quel moment est-on « aidant » ? C’est une vraie question, et nous avons besoin d’études beaucoup plus poussées et actualisées que celles dont nous disposons pour envisager d’octroyer des points de retraite « solidaires » aux aidants. Mais il me semble impératif de le faire, car nombreux sont les parents d’enfants handicapés doivent se mettre à mi-temps. Je cite souvent l’exemple d’un père ingénieur que j’ai rencontré, à qui son patron a refusé ce mi-temps car on peut difficilement exercer la profession d'ingénieur à mi-temps, et qui a dû prendre un emploi de maître-nageur – à mi-temps, donc – pour s’occuper de son enfant handicapé. C’est la double peine : baisse de revenu et baisse de retraite ! C’est pourquoi je soutiens à cent pour cent l’attribution de points aux aidants, et j’espère que nous avons tous cette préoccupation en partage.

M. Lurton a évoqué le régime des marins, qui est invraisemblablement complexe, car il couvre plus de cent vingt fonctions, et varie notamment selon la taille du bateau, de son tonnage, si ce n’est l’âge du capitaine… (Sourires.) Il n’est absolument pas question de baisser les prestations servies par ce régime. Je trouve même que, compte tenu de la pénibilité du métier de marin, il devrait donner droit à des points supplémentaires. En Suède – qui ne compte, il est vrai, qu’un peu moins de 10 millions d’habitants, ce qui rend les comparaisons difficiles –, on considère qu’une personne exerçant un métier pénible devra cesser cette activité à 45 ans : ainsi, un maçon ou un marin changera de métier à cet âge, mais après avoir bénéficié d’une formation pour cela. Il me semble que nous pourrions adopter un tel système, car un maçon ou un marin, à cinquante ans, a le corps cassé par le froid, l’humidité, etc. M. Delevoye, très attentif à la situation des agriculteurs, le sera tout autant, j’imagine, à celle des marins, qui ne devraient donc pas être oubliés.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je pense, mes chers collègues, que nous pouvons remercier Mme la rapporteure. (Applaudissements.)

La commission émet successivement un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », puis à celle des crédits du compte spécial « Pensions ».