N° 1307

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2018

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE LADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1255)
de finances pour 2019

TOME V

JUSTICE

JUSTICE ET ACCÈS AU DROIT

PAR M. Dimitri HOUBRON

Député

——

 

 

 

 

 Voir le numéro : 1255 – III – 29


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2018 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 71 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteur pour avis.

 

 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

INTRODUCTION............................................ 5

PremiÈre partie : les crÉdits pour 2019 de la justice et de l’accÈs au droit

I. Les moyens en faveur de la justice en hausse de 2 %

A. La justice judiciaire

1. Une hausse des moyens destinée à améliorer le fonctionnement des juridictions

2. L’évolution des effectifs

B. La conduite et le pilotage de la politique de la justice

1. Une augmentation des crédits pour accompagner la montée en puissance du plan de transformation numérique

2. L’évolution des effectifs

C. Le Conseil supÉrieur de la magistrature

II. Les crÉdits pour l’accÈs au droit et À la justice en progression de 6,6 %

A. L’aide juridictionnelle

B. L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

C. L’aide aux victimes

D. La mÉdiation familiale et les espaces de rencontre

Seconde partie : Laide juridictionnelle

I. faciliter laccÈs À laide juridictionnelle

A. La simplification de la demande

1. Le développement de laccès numérique…

2. ne doit pas avoir lieu au détriment de laccès physique

B. lamÉlioration du traitement de la demande

1. Linstruction du dossier par les bureaux daide juridictionnelle

a. Les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle…

b. appellent une clarification

c. et une harmonisation des pratiques

2. Le cas particulier des commissions doffice

3. Ladmission à laide provisoire

II. revaloriser lAide Juridictionnelle

A. pour le demandeur

1. Le champ de laide juridictionnelle

2. La nécessaire extension de laide juridictionnelle de plein droit aux cas de violences conjugales

B. pour les auxiliaires de justice

1. Laide juridictionnelle stricto sensu et laide à la médiation au bénéfice des auxiliaires de justice

a. La rétribution des avocats

b. La rétribution des autres auxiliaires de justice

2. Les aides aux interventions non juridictionnelles des avocats

3. Les dotations versées aux barreaux par voie conventionnelle

III. diversifier les ressources de lAIDE JURIDICTIONNELLE

IV. mieux articuler laide juridictionnelle et lassurance de protection juridique

A. Lassurance de protection juridique

B. le principe de subsidiarité

examen en commission

personnes entendues

 


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MESDAMES, MESSIEURS,

 

Conformément au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui prévoit de porter les moyens en faveur de la justice de 7 milliards d’euros en 2018 à 8,3 milliards d’euros en 2022, soit une progression de plus de 18 %, le projet de budget pour la justice pour 2019 s’inscrit en hausse de près de 4,5 % pour atteindre 7 291 millions d’euros en crédits de paiement ([1]).

Après une augmentation de 3,9 % en 2018, cette progression conforte la volonté du Gouvernement d’une mise à niveau des moyens de la justice. Les autorisations d’engagement devraient s’établir quant à elles à 7 273 millions d’euros.

Le présent avis porte sur la justice et l’accès au droit, c’est-à-dire sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la justice », « Conseil supérieur de la magistrature » et « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice » ([2]).

En 2019, les moyens prévus pour la justice et l’accès au droit devraient progresser de près de 2,5 % en crédits de paiement, pour atteindre 4 429 millions d’euros, et de plus de 3 % en autorisations d’engagement, pour s’élever à 4 808 millions d’euros.

192 emplois devraient être créés dans les juridictions, afin de consolider les équipes autour des magistrats, de réduire les vacances d’emplois et de renforcer les effectifs chargés de l’informatique. 98 emplois seront créés au secrétariat général du ministère, dont 80 pour mettre en œuvre le plan de transformation numérique.

Destiné à améliorer le fonctionnement quotidien de la justice et l’accès au droit, ce projet de budget a pour objectif de financer trois priorités : la mise à niveau des moyens des juridictions, la montée en puissance de la transformation numérique de la justice et l’amélioration de l’accès au droit et à la justice pour les plus démunis.

Il vise également à tirer les premières conséquences en termes de moyens humains et budgétaires de la réforme d’ampleur du système judiciaire prévue par le projet loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que ce soit en matière de simplification des procédures civile et pénale, de renforcement de l’efficacité et du sens de la peine ou, encore, d’amélioration de l’efficacité de l’organisation judiciaire.

Après avoir présenté les crédits prévus pour l’année prochaine, votre rapporteur pour avis approfondira plus particulièrement le thème de l’aide juridictionnelle.

 


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   PremiÈre partie : les crÉdits pour 2019 de la justice et de l’accÈs au droit

Les moyens consacrés à la justice et à l’accès au droit devraient progresser en 2019, tant en crédits de paiement, qui s’établiraient à 4 429 millions d’euros (+ 2,5 %), qu’en autorisations d’engagement, qui s’élèveraient à 4 808,2 millions d’euros (+ 3,1 %).

Le détail des évolutions de crédits par programme est retracé dans les tableaux suivants.

l’Évolution des crÉdits de paiement

(en millions d’euros)

Programme

LFI
2018

PLF
2019

Variation
2019/2018

Justice judiciaire

3446 ,2

3 487,3

+ 1,2 %

Conduite et pilotage de la politique de la justice

434,1

470,4

+ 8,3 %

Conseil supérieur de la magistrature

4,8

4,8

+ 1,0 %

Accès au droit et à la justice

438,0

466,8

+ 6,6 %

l’Évolution des autorisations d’engagement

(en millions d’euros)

Programme

LFI
2018

PLF
2019

Variation
2019/2018

Justice judiciaire

3 449,7

3 885,4

+ 12,6 %

Conduite et pilotage de la politique de la justice

771,6

451,1

– 41,5 %

Conseil supérieur de la magistrature

4,5

4,9

+ 8,2 %

Accès au droit et à la justice

438,0

466,8

+ 6,6 %

290 emplois supplémentaires sont prévus dans les services judiciaires en 2019 :

– 192 emplois dans les juridictions, se répartissant en 100 emplois de magistrats et 92 emplois de fonctionnaires. Ils ont vocation à résorber les vacances d’emplois de magistrats, à renforcer les équipes qui les entourent par le recrutement de greffiers et de juristes assistants et à consolider les correspondants informatique ;

– 98 emplois au secrétariat général, essentiellement pour accompagner la montée en charge du plan de transformation numérique du ministère (80 équivalents temps plein – ETP). Ils permettront également d’assurer la montée en puissance de l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTEN‑J) en charge des interceptions judiciaires (10 ETP) et de renforcer les effectifs dédiés à la médecine du travail (8 ETP).

I.   Les moyens en faveur de la justice en hausse de 2 %

En 2019, les moyens destinés au fonctionnement de la justice, qui sont inscrits au sein des programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature », devraient progresser de 2 % pour atteindre 3 962 millions d’euros en crédits de paiement et de 2,7 % pour s’établir à 4 341,4 millions d’euros en autorisations d’engagement.

Cette évolution traduit la priorité accordée aux moyens des juridictions, avec la création de 290 emplois, la consolidation de leur dotation de fonctionnement, le lancement d’une nouvelle programmation immobilière dans le cadre de la nouvelle organisation judiciaire, enfin, la montée en puissance du plan de transformation numérique.

A.   La justice judiciaire

Placé sous la responsabilité du directeur des services judiciaires, le programme « Justice judiciaire » regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement de la justice civile, pénale, commerciale et sociale. Il concerne les magistrats et les agents des services judiciaires (fonctionnaires et contractuels), ainsi que les juges non professionnels bénévoles ou rémunérés à la vacation (juges consulaires, conseillers prud’hommes, magistrats exerçant à titre temporaire, assesseurs des tribunaux pour enfants, etc.), assistants et agents de justice, déployés dans les juridictions judiciaires.

Ces dernières comprendront, au 1er janvier 2019, la Cour de cassation, 36 cours d’appel, le tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon, plus d’un millier de juridictions du premier degré, dont 168 tribunaux de grande instance (TGI) et tribunaux de première instance, 304 tribunaux d’instance, 134 tribunaux de commerce, 210 conseils de prud’hommes et 6 tribunaux du travail. Les 239 tribunaux des affaires sociales, tribunaux du contentieux de l’incapacité et commissions départementales d’aide sociale seront intégrés dans les pôles sociaux de 116 tribunaux de grande instance spécialement désignés.

À la suite de la présentation, le 15 janvier 2018, par MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, des conclusions de leur mission sur l’adaptation de l’organisation judiciaire, menée dans le cadre des chantiers de la justice, le projet de loi de programmation pour la justice prévoit de modifier en profondeur cette organisation judiciaire.

À compter du 1er janvier 2020, les tribunaux d’instance devraient ainsi être fusionnés avec les tribunaux de grande instance, mais l’ensemble des implantations judiciaires serait conservé, les sièges des tribunaux d’instance accueillant des chambres détachées des tribunaux de grande instance.

Par ailleurs, dans les 46 départements comportant plusieurs tribunaux de grande instance, des tribunaux de grande instance pourraient être spécialisés dans des contentieux techniques aussi bien au civil qu’au pénal, afin d’améliorer le traitement des litiges dans des matières complexes.

Enfin, une expérimentation serait lancée au sein de deux régions comportant plusieurs cours d’appel, avec comme objectifs de confier à des chefs de cour des fonctions d’animation et de coordination pour plusieurs cours d’appel et de spécialiser des cours d’appel dans certains contentieux civils.

1.   Une hausse des moyens destinée à améliorer le fonctionnement des juridictions

Les moyens du programme « Justice judiciaire » progresseraient de 1,2 % en crédits de paiement pour atteindre 3,49 milliards d’euros et de 12,6 % en autorisations d’engagement pour s’élever à 3,88 milliards d’euros.

Hors charges de pensions, les services judiciaires devraient bénéficier d’un budget de 2 790 millions d’euros, en augmentation de 1,72 %, en crédits de paiement et de 3 195 millions d’euros en autorisations d’engagement.

Au sein de cette enveloppe, les crédits de rémunération devraient augmenter de 0,75 % pour atteindre 1 658 millions d’euros, permettant ainsi la création de 192 emplois et le financement de mesures catégorielles à hauteur de 6,2 millions d’euros.

Hors masse salariale, les crédits devraient progresser de 3,2 % pour s’élever à 1 132 millions d’euros en paiements. Cette augmentation traduit la volonté de réduire le retard dans le paiement des frais de justice et de lancer les premiers travaux nécessaires à l’adaptation de l’organisation territoriale.

Les dépenses d’investissement destinées aux juridictions devraient ainsi s’élever à 215 millions d’euros en paiements (+ 8,8 %) et à 595 millions d’euros en engagements. Il s’agit tout d’abord de poursuivre les travaux de mise en sécurité et d’accessibilité des palais de justice, la mise en œuvre du plan de rénovation du câblage des juridictions dans le cadre du plan de transformation numérique, le financement des loyers des partenariats public-privé des palais de justice de Caen et de Paris et la construction d’un palais de justice à Saint-Laurent-du-Maroni. L’objectif est également de lancer la nouvelle programmation judiciaire avec notamment la restructuration-extension des palais de justice de Toulon et de Meaux, la construction d’un nouveau palais de justice à Nancy et à Cusset et d’un bâtiment neuf à Papeete, la restructuration de la cour d’appel de Basse-Terre et du palais historique de Pointe-à-Pitre, la mise en œuvre d’un schéma directeur à Aix-en-Provence et l’étude de schémas directeurs à Marseille et en Ile-de-France. Seraient enfin initiés des aménagements immobiliers à Bourgoin-Jallieu, Chartres, Cherbourg, Coutances, Lorient, Moulins, Nantes, Pau, Rouen, Saint-Brieuc, Tours, Valenciennes, Vienne ainsi qu’à Bobigny.

Les crédits de fonctionnement des juridictions devraient s’élever à 368 millions d’euros en paiements et à 386 millions d’euros en engagements, soit une baisse de 3 % par rapport à 2018. Il s’agit ainsi notamment de tenir compte de l’abandon de l’expérimentation menée dans le cadre du plan de délégation de gestion des tutelles. Ce niveau de dotation s’inscrit dans le cadre des préconisations du rapport conjoint de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de la justice de 2017 consacré aux dépenses de fonctionnement courant des juridictions.

2.   L’évolution des effectifs

Le plafond d’emplois est fixé, en 2019, à 33 574 ETPT, soit une augmentation de 247 ETPT par rapport au plafond d’emploi autorisé pour 2018.

192 créations d’emplois sont prévues dans les juridictions, dont 100 emplois de magistrats et 92 emplois destinés à renforcer les équipes autour des magistrats.

À ces 192 nouveaux emplois viendraient s’ajouter 253 emplois redéployés grâce au plan de transformation numérique et à la simplification des procédures.

Au total, 445 emplois permettraient de résorber les vacances de postes, d’étoffer les équipes autour des magistrats et de renforcer les emplois de correspondants informatiques dans les juridictions. Destinés à répondre aux besoins prioritaires des juridictions et à améliorer l’efficacité de la justice, ils devraient être répartis de la manière suivante :

– 100 emplois de magistrats destinés à résorber les vacances d’emplois et 50 emplois pour faire face aux charges nouvelles pour la justice dues à l’allongement des délais de prescription pénale et à l’élargissement des missions des juges des libertés et de la détention ;

– 100 emplois de greffiers consacrés à la réduction des vacances d’emplois et 50 emplois de greffiers assistants du magistrat ;

– 50 emplois de juristes assistants ;

– 75 emplois de fonctionnaires pour accompagner le plan de transformation numérique en développant la formation aux outils informatiques, l’assistance de proximité aux utilisateurs et la conduite du changement ;

– 20 emplois d’assistants de prévention, afin de renforcer le soutien au personnel judiciaire et la prévention des risques psychosociaux.

B.   La conduite et le pilotage de la politique de la justice

Placé sous la responsabilité du secrétaire général du ministère de la Justice, le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » a une double finalité : d’une part, il vient en appui des directions du ministère pour les compétences d’intérêt commun qui méritent d’être mutualisées (l’action sociale, l’informatique, la statistique et les études, notamment) et, d’autre part, il regroupe les moyens des services centraux de la Chancellerie et des opérateurs relevant du ministère (notamment l’Agence publique pour l’immobilier de la justice et l’Établissement public du palais de justice de Paris).

1.   Une augmentation des crédits pour accompagner la montée en puissance du plan de transformation numérique

Ce programme serait doté de 451 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 470,4 millions d’euros en crédits de paiement.

Si les crédits destinés à la masse salariale devraient progresser de plus de 3 % pour atteindre 138,3 millions d’euros et ainsi permettre la création de 98 emplois, les crédits de paiement hors masse salariale devraient augmenter de plus de 14 % pour s’élever à 293 millions d’euros.

Ces moyens supplémentaires ont pour objectif d’accompagner la montée en puissance du plan de transformation numérique du ministère et le développement de l’action sociale et de celle en faveur de la santé et de la sécurité au travail.

► Les crédits prévus dans le domaine informatique atteignent 193 millions d’euros en paiements, dont 30 millions sont destinés à la plateforme nationale d’interceptions judiciaires (PNIJ) et 163 millions au plan de transformation numérique. Les moyens ainsi mobilisés en faveur de la transformation numérique enregistrent une progression de plus de 28 %.

LE PLAN DE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE

Lancé en 2017 et prévu pour cinq ans, ce plan repose sur trois priorités :

– la modernisation des infrastructures (accroissement des capacités de traitement des serveurs nationaux, développement des outils de communication mobiles sécurisés, renforcement de la visioconférence, passage progressif à la téléphonie sous IP) ;

– le développement de plusieurs projets applicatifs (dématérialisation de la chaîne civile – projet Portalis – et de la chaîne pénale, refonte de l’application du casier judiciaire, dématérialisation de l’aide juridictionnelle au travers du service d’information de l’aide juridictionnelle – SIAJ –, archivage et signature électronique, développement du portail numérique en détention, déploiement du système d’information du renseignement pénitentiaire) ;

– l’accompagnement et le soutien apporté tant aux usagers internes (assistance, soutien de proximité) qu’aux utilisateurs externes, en particulier ceux ne maîtrisant pas les nouvelles technologies.

Après la possibilité donnée aux justiciables d’obtenir des simulations en ligne quant à l’obtention de l’aide juridictionnelle et la dématérialisation des bulletins B3 du casier judiciaire en 2018, plusieurs étapes importantes devraient être franchies d’ici à la fin de l’année 2019 :

– la consultation en ligne, par les justiciables, de l’avancement des procédures les concernant ;

– la dématérialisation des demandes d’aide juridictionnelle ;

– la généralisation de la communication électronique avec les avocats ;

– le déploiement de l’application de la chaîne pénale Cassiopée pour le contentieux en appel ;

– l’expérimentation relative à la dématérialisation native de la procédure pénale menée par deux sites pilotes ;

– l’expérimentation dans trois établissements pénitentiaires des premiers services du numérique en détention.

► Des moyens supplémentaires sont également prévus pour l’action sociale à destination des personnels du ministère, qui devrait bénéficier d’une dotation de 43,3 millions d’euros, en augmentation de plus de 6 % par rapport à 2018. Cette action regroupe les rémunérations des agents qui concourent à la mise en œuvre des politiques d’action sociale ainsi que les crédits (27,4 millions d’euros) en faveur de l’action sociale ministérielle (protection sociale complémentaire, services médico-sociaux, restauration collective, Fondation d’Aguesseau, logement social et petite enfance). La hausse de ces moyens est notamment destinée au logement social et à la restauration collective.

► Les crédits destinés à la gestion de l’administration centrale, c’est-à-dire les services d’administration centrale, les neuf délégations interrégionales placées sous l’autorité du secrétaire général ainsi que l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) et l’Établissement public du palais de justice de Paris (EPPJP), devraient s’élever à 184,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 140,6 millions d’euros en crédits de paiement.

Le soutien apporté par les neuf délégations interrégionales (DIR-SG) aux juridictions et services territoriaux du ministère ([3]) devrait se renforcer à la suite de la conclusion, en 2019, des contrats de service de ces délégations avec les cours d’appel et les directions interrégionales.

Par ailleurs, la politique de rationalisation immobilière du ministère se poursuit avec l’élaboration d’un schéma pluriannuel de stratégie immobilière de l’administration centrale pour 2019-2023 intégrant les délégations interrégionales. Après le regroupement des services centraux parisiens sur deux sites, Vendôme et le parc du Millénaire, dans le cadre de l’opération « Chancellerie 2015 », des surfaces supplémentaires sont désormais nécessaires pour faire face aux recrutements, notamment pour le renseignement pénitentiaire, l’ANTEN–J et le développement des grands projets informatiques. La prise à bail de surfaces complémentaires au parc des Portes de Paris permet de répondre à ce besoin, dans l’attente d’un regroupement de ces services dans un ensemble cohérent et rationalisé au sein du parc du Millénaire, qui devrait pouvoir se concrétiser en 2020. Dans le cadre du plan de rénovation et de réhabilitation du site historique de Vendôme qui, lancé en 2018, doit s’achever en 2022, la rénovation des façades de la place Vendôme sera conduite en 2019.

2.   L’évolution des effectifs

98 emplois devraient être créés pour poursuivre la mise en œuvre du plan de transformation numérique (80 ETP), accompagner la montée en puissance de l’agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires en charge des interceptions judiciaires (10 ETP) et recruter des psychologues du travail dans les délégations interrégionales du secrétariat général (8 ETP).

Le plafond d’emplois du programme devrait s’établir à 2 363 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT), en progression de 77 ETPT par rapport à 2018.

C.   Le Conseil supÉrieur de la magistrature

En 2019, le programme consacré au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) serait doté de 4,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 4,8 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de, respectivement, 8,2 % et 1 % par rapport à 2018.

Les dépenses de personnel s’établiraient à 2,7 millions d’euros. Elles correspondent aux vacations des 22 membres du CSM (1,36 million d’euros) et à la rémunération des effectifs du secrétariat général du Conseil, qui s’élèvent à 22 équivalents temps plein annuel travaillé (1,34 million d’euros).

Le budget de fonctionnement du Conseil représenterait 2,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Il recouvre six catégories de dépenses :

– des dépenses de structure, à hauteur de 1,3 million d’euros en engagements et en paiements, dont 913 000 euros destinés au loyer et 423 000 euros de charges locatives et privatives liées au siège du CSM, situé à l’hôtel Moreau-Lequeu, dans le 9e arrondissement de Paris ;

– des dépenses d’activité de 505 500 euros en engagements et en paiements (frais de réception, frais de déplacement, fournitures de bureau, documentation et abonnements, etc.) ;

– des dépenses d’équipement pour un montant de 45 500 euros en engagements et de 53 375 euros en paiements (dépenses de carburant et d’entretien des véhicules du Conseil, achat et location de mobilier, etc.) ;

– des dépenses informatiques de 222 000 euros en engagements et 153 125 euros en paiements ;

– des dépenses de formation à hauteur de 15 000 euros ;

– des dépenses, d’un montant de 17 000 euros, liées à deux subventions versées, l’une au réseau européen des conseils de justice, l’autre au réseau francophone des conseils de la magistrature judiciaire.

II.   Les crÉdits pour l’accÈs au droit et À la justice en progression de 6,6 %

En 2019, les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » devraient augmenter de 6,6 % pour atteindre 466,8 millions d’euros en 2019.

A.   L’aide juridictionnelle

Volet essentiel de la politique d’accès au droit, l’aide juridictionnelle s’adresse aux personnes physiques, et exceptionnellement aux personnes morales à but non lucratif, dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice. Elle consiste en la prise en charge par l’État des frais relatifs à un procès (rétribution d’avocat, d’huissier de justice, frais d’expertise, etc.) ou à une transaction.

Le projet de loi de finances initiale pour 2019 prévoit une dotation de 424 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle, à laquelle devraient s’ajouter 83 millions d’euros de ressources extrabudgétaires. Les moyens ainsi mobilisés en 2019 devraient progresser de 7 % pour atteindre 507 millions d’euros.

Les 28 millions d’euros supplémentaires résultant de cette progression ont pour objet d’assurer le financement de l’évolution tendancielle de l’aide juridictionnelle (20 millions d’euros) et des premiers effets des réformes prévues dans le projet de loi de programmation pour la justice – extension de la représentation obligatoire et développement de la médiation – ainsi que de leurs suites réglementaires – comme l’extension de la convocation à l’audience par l’huissier de justice – (8 millions d’euros).

L’enveloppe globale de 507 millions d’euros se répartit entre :

– 428 millions d’euros au titre de l’aide juridictionnelle au sens strict et de l’aide à la médiation, qui servent à rétribuer les avocats et les autres auxiliaires de justice (huissiers, médiateurs, etc.) ;

– 70 millions d’euros d’aides versées aux avocats qui interviennent au cours des gardes à vue, auditions libres et retenues, au cours des déferrements devant le procureur de la République ou en matière de médiation et de composition pénales ou encore en matière d’assistance aux détenus ;

– 8 millions d’euros dans le cadre de la contractualisation locale avec les barreaux.

B.   L’accÈs au droit et le rÉseau judiciaire de proximitÉ

En 2019, 8,3 millions d’euros devraient bénéficier à la politique d’accès au droit, qui a pour objet de permettre à tout citoyen, en particulier ceux qui rencontrent le plus de difficultés, de connaître leurs droits afin de pouvoir les exercer et de se rapprocher de la justice. Cette dotation est consolidée par rapport à 2018.

Ces crédits serviraient, à hauteur de 8 millions d’euros, à cofinancer les 101 conseils départementaux d’accès au droit (CDAD) et les points d’accès au droit, au nombre de 1 485. Ces centres départementaux sont des groupements d’intérêt public chargés de recenser les besoins, de définir une politique locale, d’initier des actions nouvelles, de dresser et de diffuser l’inventaire des actions menées et d’évaluer la qualité des dispositifs auxquels l’État apporte son concours.

Ils seraient destinés, à hauteur de 40 000 euros, à renouveler le matériel informatique et le mobilier du réseau judiciaire de proximité constitué par les 145 maisons de justice et du droit (MJD) et les 32 antennes de justice. Ce réseau assure une présence judiciaire de proximité et concourt à la prévention de la délinquance, à l’aide aux victimes et à l’accès au droit. Les mesures alternatives aux poursuites et les actions tendant à la résolution amiable des conflits peuvent y prendre place.

Enfin, ces crédits, à hauteur de 200 000 euros, permettraient de soutenir les associations spécialisées réalisant des actions d’envergure nationale qui excèdent le champ de compétence locale des CDAD, notamment en faveur des publics fragilisés (personnes exclues, population issue de l’immigration, personnes incarcérées, etc.).

C.   L’aide aux victimes

L’aide aux victimes vise à améliorer la prise en charge des victimes d’infractions pénales, en leur apportant un soutien matériel et psychologique tout au long de leur parcours judiciaire et jusqu’à leur indemnisation.

28,3 millions d’euros sont prévus pour 2019.

La progression de la dotation de plus de 2 % en 2019 a pour objectif principal de renforcer l’action des associations locales d’aide aux victimes, d’une part, en permettant à davantage de victimes d’être suivies et, d’autre part, en offrant une prise en charge plus large grâce au développement du suivi social et administratif et de consultations réalisées par des juristes et des psychologues. Il s’agit également d’augmenter la capacité du réseau associatif à se mobiliser en urgence et à prendre en charge les victimes ou leurs proches, notamment en cas d’événement de grande ampleur.

D.   La mÉdiation familiale et les espaces de rencontre

Les moyens prévus en 2019 d’une part pour la médiation familiale, qui a pour objet un règlement apaisé des conflits familiaux, et d’autre part pour les espaces de rencontre, qui permettent le maintien des liens entre un enfant et ses parents dans des situations où ces derniers ne peuvent les accueillir à leur domicile, progressent de 4,2 % pour s’établir à 6,5 millions d’euros. Il s’agit ainsi d’accompagner le développement des modes alternatifs de règlement des litiges.

 


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   Seconde partie : L’aide juridictionnelle

Pilier de la politique d’accès au droit, l’aide juridictionnelle consiste en la prise en charge par l’État de tout ou partie – l’aide pouvant être totale ou partielle ([4]) – des frais relatifs à un procès (rétribution d’avocat, d’huissier de justice, frais d’expertise, etc.) ou à une transaction. Elle est destinée aux personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice.

Sur les 1,1 million de demandes présentées en 2017, près d’1 million ont ainsi fait l’objet d’une attribution d’aide juridictionnelle.

ÉVOLUTION DES DEMANDES, ADMISSIONS ET REJETS D’AIDE JURIDICTIONNELLE DEPUIS 2012

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Toutes décisions

1 065 721

1 080 203

1 056 497

1 061 668

1 122 586

1 132 581

Variation annuelle

+ 3,2 %

+ 1,4 %

- 2,2 %

+ 0,5 %

+ 5,7 %

+ 0,9 %

Toutes admissions

915 563

919 625

896 786

901 986

971 181

985 110

Variation annuelle

+ 3,7 %

+ 0,4 %

- 2,5 %

+ 0,6 %

+ 7,7 %

+ 1,4 %

Rejets

79 414

85 679

87 223

89 728

83 728

79 625

Variation annuelle

+ 7,5 %

+ 7,9 %

+ 1,8 %

+ 2,9 %

– 6,7 %

– 4,9 %

Autres décisions

70 744

74 899

72 488

69 954

67 620

67 846

Source : ministère de la Justice.

Alors que, de 2012 à 2015, les décisions et les admissions à l’aide juridictionnelle sont demeurées stables – autour de respectivement 1,06 million de décisions et de 900 000 admissions –, leur forte progression à compter de 2016 s’explique par le relèvement, à compter du 1er janvier 2016, du plafond d’admission à l’aide juridictionnelle au niveau du seuil de pauvreté et à son indexation sur l’inflation à compter du 1er janvier 2017. La possibilité offerte au justiciable de simuler son éligibilité à l’aide juridictionnelle ainsi que l’amélioration de la présentation des formulaires de demande d’aide juridictionnelle pourraient par ailleurs expliquer la diminution du taux de rejet constatée en 2016 et 2017.

Si aucun contentieux n’est exclu, il s’agit, en majorité, de contentieux en matière civile (50,8 %) et en matière pénale (40,3 %) ([5]).

Sur les 507 millions d’euros ([6]) prévus par le projet de loi de finances pour 2019 au sein de l’action « aide juridictionnelle » du programme « accès au droit et à la justice » de la mission « Justice », figurent :

– 428 millions d’euros destinés à l’aide juridictionnelle stricto sensu ;

– 70 millions d’euros consacrés aux dépenses liées aux interventions non juridictionnelles des avocats ;

– 9 millions d’euros au titre de la contractualisation avec les barreaux.

Cette enveloppe prévisionnelle est en hausse de 28 millions d’euros par rapport à 2018, afin de faire face à la croissance continue des dépenses d’aide juridictionnelle, qui devrait se poursuivre à la suite de l’adoption de la réforme de la procédure civile prévue dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.

Évolution des dÉpenses inscrites au sein de l’action « aide juridictionnelle » depuis 2015

(en euros)

 

Catégorie de dépense

2015

2016

2017

2018
(prévision)

2019
(prévision)

Dépenses d’aide juridictionnelle

Rétribution de base des avocats

208 115 794

302 388 154

338 013 156

380 846 007

406 420 578

Rétribution des autres auxiliaires de justice

22 265 220

21 639 902

20 803 269

21 427 000

21 413 379

Droits de plaidoirie

33 563

6 621

1 998

0

0

Sous-total

302 414 577

324 034 677

358 818 423

402 273 007

427 833 957

Dépenses liées aux interventions non juridictionnelles des avocats

Assistance lors d’une garde à vue, d’une audition libre, d’une retenue douanière ou d’une retenue d’une personne étrangère pour vérification de son droit de séjour ou de circulation

44 995 383

44 502 843

59 125 950

62 000 000

63 378 000

Assistance lors de procédures en présence du procureur de la République

578 222

1 373 293

1 687 003

1 800 000

1 800 000

Assistance d’un détenu

4 456 480

4 556 308

4 648 430

4 600 000

4 600 000

Sous-total

50 030 085

50 432 444

65 461 383

68 400 000

69 778 000

Contractualisation avec les barreaux

6 713 807

6 898 319

6 925 732

8 000 000

9 000 000

Subventions UNCA

65 000

65 000

115 000

65 000

65 000

Crédits de fonctionnement dédiés à l’agence nationale des timbres sécurisés

72 217

41 291

51 503

55 000

40 000

TOTAL DÉPENSE

359 295 686

381 471 731

431 372 041

478 793 007

506 716 957

dont crédits budgétaires

313 731 526

305 236 156

342 422 152

395 793 007

423 716 957

dont ressources extra-budgétaires

38 899 207

64 810 672

83 087 875

83 000 000

83 000 000

Source : ministère de la Justice.

La croissance continue des dépenses d’aide juridictionnelle depuis 2015 (+ 41 %) s’explique certes par la progression du nombre de missions résultant du relèvement du plafond de l’aide juridictionnelle en 2016 et de son indexation sur l’inflation en 2017, mais également par l’augmentation, ces deux mêmes années, de l’unité de valeur de référence pour le calcul de la rétribution de l’avocat, ainsi que par la hausse de la rétribution de certaines missions et par l’élargissement du champ de l’aide juridictionnelle, en particulier en matière de médiation ([7]).

Aux dépenses d’aide juridictionnelle vient s’ajouter le coût de gestion du dispositif. Celui-ci présente la particularité d’être partagé entre l’État et les barreaux. Ce sont les bureaux d’aide juridictionnelle, qui relèvent du ministère de la Justice, qui engagent la dépense, les greffes qui délivrent l’attestation de mission et les Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) qui règlent les rétributions versées aux avocats. Le coût complet du traitement de l’aide juridictionnelle peut ainsi être évalué à 44 millions d’euros (26 millions d’euros pour le ministère de la Justice et 18 millions d’euros pour les CARPA).

Compte tenu de l’importance en termes budgétaires et financiers de l’aide juridictionnelle – dont le coût total est supérieur à 550 millions d’euros –, et des enjeux que représentent la numérisation de sa gestion et la réforme de la procédure civile proposée dans le projet de loi de programmation 2018-2022, votre rapporteur pour avis formule plusieurs propositions afin :

– de simplifier l’accès à l’aide juridictionnelle ;

– de la revaloriser, tant du point de vue des bénéficiaires que des auxiliaires de justice ;

– d’en diversifier les ressources ;

– de mieux organiser son articulation avec l’assurance de protection juridique.

I.   faciliter l’accÈs À l’aide juridictionnelle

A.   La simplification de la demande

Actuellement, le formulaire de demande d’aide juridictionnelle (CERFA n° 15626*01) peut être obtenu auprès des lieux d’accès au droit que sont les 1485 points d’accès au droit et les 145 maisons de justice et du droit, mais également auprès des tribunaux et sur le site justice.fr.

1.   Le développement de l’accès numérique…

Depuis l’ouverture du portail justice.fr, le justiciable peut simuler en ligne son éligibilité à l’aide juridictionnelle, ce qui tend à réduire les demandes d’information auprès des bureaux d’aide juridictionnelle implantés dans les tribunaux de grande instance, à faciliter la constitution des dossiers et à limiter le nombre de décisions de rejet.

Toutefois, ce n’est qu’une première étape dans la dématérialisation de la gestion de l’aide juridictionnelle.

Le Comité interministériel de la transformation publique (CITP) qui s’est tenu le 1er février 2018 a ainsi indiqué que « laide juridictionnelle, qui fait lobjet de 1,1 million de demandes par an, sera accessible en ligne dans une version simplifiée au plus tard le 31 décembre 2019 » et qu’elle « sera numérisée de bout en bout, de la demande initiale à linstruction et lattribution, pour les justiciables comme pour les auxiliaires de justice ».

Grâce au nouvel outil de gestion dématérialisée de l’aide juridictionnelle, baptisé SIAJ (système d’information de l’aide juridictionnelle) qui devrait être mis en œuvre en 2019, le justiciable devrait donc pouvoir effectuer sa demande d’aide juridictionnelle en ligne. Cette dématérialisation devrait s’accompagner d’une simplification des formalités.

Par ailleurs, les juridictions devraient être dotées d’une application métier modernisée avec de nouvelles fonctions comme la dématérialisation des échanges avec les autres acteurs du dispositif (avocats et caisses des règlements pécuniaires des avocats notamment), qui s’effectuent à l’heure actuelle sous format papier et par voie postale, ou comme le pilotage budgétaire de l’aide juridictionnelle au niveau central.

Cette nouvelle application doit être développée en lien avec le déploiement du service d’accueil unique du justiciable (SAUJ).

Il s’agit ainsi d’accroître la rapidité des réponses, la fiabilité et la fluidité dans les différentes actions à accomplir tant du côté des usagers que des agents publics afin d’améliorer la qualité de service.

2.   … ne doit pas avoir lieu au détriment de l’accès physique

Si la dématérialisation de l’aide juridictionnelle a pour objet de faciliter l’accès des citoyens à la justice, elle ne doit pas conduire à exclure de l’accès à la justice les personnes les plus éloignées des nouvelles technologies.

Aussi, votre rapporteur pour avis insiste-t-il sur la nécessité de maintenir les lieux physiques daccès à laide juridictionnelle et dorganiser au mieux laccompagnement des demandeurs daide juridictionnelle. Alors qu’aujourd’hui il n’existe que 147 points d’accès au droit au sein des 165 tribunaux de grande instance, il considère qu’il faut qu’il y ait au moins un point d’accès au droit au sein de chaque tribunal de grande instance de telle sorte qu’il puisse être spécialisé dans l’accueil des demandeurs d’aide juridictionnelle. Le déploiement des points d’accès au droit doit également s’accompagner d’un développement de leurs échanges avec les bureaux d’aide juridictionnelle.

En outre, en dépit de la simplification dont a fait l’objet le formulaire d’aide juridictionnelle, il demeure encore compliqué pour un usager de le remplir seul, comme l’a souligné l’association France Victimes lors de son audition. Selon les inspecteurs généraux des finances et les inspecteurs généraux de la justice entendus par votre rapporteur pour avis, 72 % des personnes qui se rendent au point d’accès au droit du tribunal de grande instance de Paris demandent de l’aide pour remplir leur demande d’aide juridictionnelle. Aussi, afin de faciliter les démarches des justiciables, votre rapporteur pour avis propose-t-il qu’il soit fait référence, dans le formulaire de demande, à lexistence de la notice daide qui devrait, en outre, systématiquement laccompagner.

Par ailleurs, les justiciables doivent remplir une demande d’aide juridictionnelle par affaire, si bien qu’ils se retrouvent souvent dans la situation de devoir remplir plusieurs dossiers d’aide juridictionnelle. Il en va ainsi, par exemple, en matière de violences conjugales où la victime doit compléter trois demandes : l’une pour l’ordonnance de protection, l’autre pour la procédure de divorce et enfin la dernière en matière correctionnelle. Afin de simplifier la procédure, votre rapporteur pour avis propose de mettre en place un dossier unique par justiciable ou, à tout le moins, de joindre le traitement des demandes daide juridictionnelle.

Enfin, si la loi prévoit que l’avocat commis ou désigné d’office peut saisir le bureau d’aide juridictionnelle compétent au lieu et place de la personne qu’il assiste ou qu’il a assistée, elle est muette dans les autres cas. Comme l’a souligné le syndicat des avocats de France, les justiciables qui souhaitent engager une procédure consultent le plus souvent un avocat au préalable : il est donc peu fréquent qu’un justiciable demande l’aide juridictionnelle sans passer par un avocat. Il apparaît toutefois essentiel aux yeux de votre rapporteur pour avis de prévoir que, dans les contentieux avec représentation obligatoire, il soit fait obligation à l’avocat de déposer, après une consultation préalable rétribuée, la demande daide juridictionnelle.

B.   l’amÉlioration du traitement de la demande

Une fois remplie, la demande d’aide juridictionnelle doit être envoyée ou déposée au bureau d’aide juridictionnelle ou, depuis mai 2017 ([8]), au service d’accueil unique du justiciable. Dans l’attente de la mise en place du SIAJ, aucun moyen de dépôt électronique des demandes ou des pièces n’est possible.

1.   L’instruction du dossier par les bureaux d’aide juridictionnelle

Les admissions à l’aide juridictionnelle sont instruites par les 165 bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) présents dans chaque tribunal de grande instance.

a.   Les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle…

Les BAJ examinent les dossiers au regard des conditions d’admission et de ressources des demandeurs et du bien-fondé de l’action, sur le fondement des conditions d’attribution fixées par la loi n°° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Puis ils notifient les décisions rendues.

LES CONDITIONS DATTRIBUTION DE LAIDE JURIDICTIONNELLE

1) Les conditions de nationalité

Sont admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle :

– les personnes physiques de nationalité française et les ressortissants des États membres de l’Union européenne ;

– les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France ;

– à titre exceptionnel, les autres personnes lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès.

L’aide juridictionnelle est accordée sans condition de résidence aux étrangers lorsqu’ils sont mineurs, témoins assistés, mis en examen, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, lorsqu’ils bénéficient d’une ordonnance de protection ou lorsqu’ils font l’objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ainsi qu’aux personnes faisant l’objet de certaines procédures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (maintien en zone d’attente, obligation de quitter le territoire, expulsion et transfert vers un autre État membre de l’Union européenne) ou lorsqu’il est fait appel des décisions d’expulsion.

2) Les conditions relatives au fond de la demande

L’aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l’action n’apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement. Cette condition n’est pas applicable au défendeur à l’action, à la personne civilement responsable, au témoin assisté, à la personne mise en examen, au prévenu, à l’accusé, au condamné et à la personne faisant l’objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. En matière de cassation, l’aide juridictionnelle est refusée au demandeur si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé.

Si l’aide juridictionnelle n’a pas été accordée et que cependant le juge a fait droit à l’action intentée par le demandeur, il est accordé à ce dernier le remboursement des frais, dépens et honoraires par lui exposés ou versés, à concurrence de l’aide juridictionnelle dont il aurait bénéficié compte tenu de ses ressources.

3) Les conditions de ressources

 Les seuils dadmission pour une personne seule

Indexés sur l’indice des prix à la consommation hors tabac, les plafonds d’admission applicables aux ressources des personnes seules sont, depuis le 16 janvier 2018 :

– de 1 017 € pour l’aide juridictionnelle totale ;

– de 1 525 € pour l’aide juridictionnelle partielle.

 Les correctifs familiaux

Les plafonds sont majorés d’une somme équivalente à 18 % du plafond d’aide totale, soit 183,06 euros pour 2018, pour chacune des deux premières personnes à charge, et d’une somme équivalente à 11,37 % du plafond de l’aide totale, soit 115,63 euros pour 2018, pour la troisième personne à charge et les suivantes.

L’aide juridictionnelle peut, à titre exceptionnel, être accordée aux personnes ne remplissant pas les conditions de ressources lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès.

b.   … appellent une clarification…

L’article 5 de la loi du 10 juillet 1991 précise que sont prises en considération les ressources de toute nature dont le demandeur a directement ou indirectement la jouissance ou la libre disposition. Sont toutefois exclues les prestations familiales ainsi que certaines prestations sociales à objet spécialisé.

Dans l’appréciation des ressources, il est tenu compte :

– des éléments extérieurs du train de vie ;

– de l’existence de biens, meubles ou immeubles, même non productifs de revenus à l’exclusion de ceux qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour l’intéressé ;

– des ressources du conjoint du demandeur à l’aide juridictionnelle, ainsi que de celles des personnes vivant habituellement à son foyer, sauf si la procédure oppose entre eux les conjoints ou les personnes vivant habituellement au même foyer. Il n’en est pas non plus tenu compte s’il existe entre eux, eu égard à l’objet du litige, une divergence d’intérêt rendant nécessaire une appréciation distincte des ressources ou si, lorsque la demande concerne l’assistance d’un mineur, se manifeste un défaut d’intérêt à l’égard du mineur des personnes vivant habituellement à son foyer.

L’appréciation des conditions de ressources nécessite d’être clarifiée sur plusieurs points.

Il ressort tout d’abord de la mise en œuvre de ces dispositions par les bureaux d’aide juridictionnelle qu’il est nécessaire de fixer des critères objectifs pour la prise en compte du patrimoine, afin d’éviter des situations dramatiques. Dans un souci de justice et de simplification, votre rapporteur pour avis suggère daligner les critères dappréciation sur ceux qui gouvernent lattribution du revenu de solidarité active (RSA).

Il résulte par ailleurs des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 que, pour les mineurs, l’attribution de l’aide juridictionnelle est liée aux ressources de leurs représentants légaux, sauf si ces derniers sont concernés. Aussi, son attribution dépend souvent de l’appréciation du bureau d’aide juridictionnelle eu égard à la situation particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès. Considérant qu’il faut mettre fin à ces inégalités de traitement, votre rapporteur pour avis propose de clarifier et duniformiser les règles en la matière.

Votre rapporteur pour avis considère également qu’il convient de faire cesser la privation du bénéfice de laide juridictionnelle dont sont, de fait, lobjet les personnes en situation irrégulière. Ces dernières, qui peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle si elles se constituent partie civile, voient en effet rejeter leurs demandes au motif qu’étant souvent hébergées par un tiers, il leur faut fournir les ressources de leur hébergeur, ce que ce dernier peut refuser. Aussi, votre rapporteur pour avis suggère-t-il que seule leur situation individuelle soit prise en compte dans lappréciation de leurs ressources.

c.   … et une harmonisation des pratiques

Au manque de clarté et à la complexité des critères d’attribution s’ajoute l’insuffisance des moyens humains dévolus au traitement de l’aide juridictionnelle.

Face à une charge de travail croissante, les bureaux d’aide juridictionnelle souffrent en effet d’un manque manifeste de moyens humains. Dotés de 396 équivalents temps plein (ETP) au total – soit 3 ETP en moyenne par bureau d’aide juridictionnelle –, ils traitent les demandes en 39 jours en moyenne.

Cette pénurie de personnel dans les bureaux d’aide juridictionnelle conduit non seulement à un délai moyen de traitement élevé mais également à une dégradation de la qualité d’examen des dossiers. Ainsi, faute de pouvoir obtenir les justificatifs nécessaires, de nombreux BAJ se contentent de déclarations sur l’honneur.

La pratique des BAJ souffre par ailleurs d’une absence d’harmonisation, si bien que le traitement de la demande d’aide juridictionnelle peut différer selon le lieu de son dépôt. Aussi, votre rapporteur pour avis invite-t-il à une harmonisation des pratiques des bureaux daide juridictionnelle au sein de chaque ressort de cour dappel sous légide des chefs de cour.

Pour ce qui concerne enfin les vérifications menées par les bureaux d’aide juridictionnelle, l’article 21 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que « le bureau daide juridictionnelle peut recueillir tous renseignements sur la situation financière de lintéressé. Les services de lÉtat et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale et les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales sont tenus de communiquer au bureau, sur sa demande, sans pouvoir opposer le secret professionnel, tous renseignements permettant de vérifier que lintéressé satisfait aux conditions exigées pour bénéficier de laide juridictionnelle ». Il ajoute qu’en matière pénale, le bureau d’aide juridictionnelle peut demander au procureur de la République ou au procureur général communication des pièces du dossier pénal pouvant permettre d’apprécier les ressources de l’intéressé.

Votre rapporteur pour avis considère toutefois que, afin de faciliter le traitement des dossiers par les bureaux d’aide juridictionnelle et ainsi raccourcir les délais d’attente, il convient de généraliser laccès aux données fiscales et sociales, en particulier des caisses dallocations familiales. Il ajoute que, pour produire pleinement ses effets, la dématérialisation du traitement des dossiers daide juridictionnelle doit saccompagner de la mise en place dun identifiant unique, afin de regrouper les informations des services fiscaux et sociaux.

2.   Le cas particulier des commissions d’office

Dans leur rapport sur l’aide juridictionnelle remis en mars 2018 au Premier ministre, l’inspection générale des finances et l’inspection générale de la justice relèvent que, dans les dossiers de commission d’office, le contrôle exercé par les bureaux d’aide juridictionnelle est défaillant : l’aide est attribuée sans contrôle, y compris au-delà des procédures pénales d’urgence.

Aussi, pour ces dossiers, qui représentent 39 % des admissions à l’aide juridictionnelle, votre rapporteur pour avis préconise-t-il de définir un circuit réaliste de traitement des commissions doffice, qui reposerait sur :

– un octroi de l’aide sans contrôle a priori ;

– un système de facturation a posteriori pour les justiciables ayant déclaré des ressources ;

– un contrôle portant sur un échantillon des déclarations.

Ce circuit modernisé suppose au préalable d’en clarifier le périmètre.

3.   L’admission à l’aide provisoire

Il est aujourd’hui prévu par l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 que, dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président.

L’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut également être accordée lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l’intéressé, notamment en cas d’exécution forcée emportant saisie de biens ou expulsion.

Il ressort toutefois des auditions menées par votre rapporteur pour avis que des difficultés sont susceptibles d’apparaître si l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle n’est pas demandée par l’avocat. Aussi, votre rapporteur pour avis suggère-t-il que le président daudience demande systématiquement à lavocat dès le début de laudience si son client bénéficie dune demande daide juridictionnelle sur laquelle la juridiction doit se prononcer provisoirement.

II.   revaloriser l’Aide Juridictionnelle

A.   pour le demandeur

1.   Le champ de l’aide juridictionnelle

L’aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction ainsi qu’à l’occasion de la procédure d’audition du mineur prévue par l’article 388-1 du code civil et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Elle peut également être accordée :

– pour tout ou partie de l’instance ainsi qu’en vue de parvenir, avant l’introduction de l’instance, à une transaction ou à un accord conclu dans le cadre d’une procédure participative prévue par le code civil ;

– en matière de divorce par consentement mutuel, fait par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire ;

– à l’occasion de l’exécution, sur le territoire français, d’une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire, y compris s’ils émanent d’un autre État membre de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’aide juridictionnelle s’applique de plein droit aux procédures, actes ou mesures d’exécution des décisions de justice obtenues avec son bénéfice, à moins que l’exécution ne soit suspendue plus d’une année pour une cause autre que l’exercice d’une voie de recours ou d’une décision de sursis à exécution. Ces procédures, actes ou mesures s’entendent de ceux qui sont la conséquence de la décision de justice, ou qui ont été déterminés par le bureau ayant prononcé l’admission.

2.   La nécessaire extension de l’aide juridictionnelle de plein droit aux cas de violences conjugales

Comme votre rapporteur pour avis l’a indiqué supra (cf. I.B.1.), l’attribution de l’aide juridictionnelle est subordonnée au bien-fondé de l’action et à des conditions d’admission et de ressources.

Toutefois, la condition de ressources n’est pas exigée des victimes dans certains cas : on parle alors d’aide juridictionnelle de plein droit.

Elle n’est ainsi pas requise des victimes de crimes d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne prévus et réprimés par plusieurs articles du code pénal ([9]), ainsi que de leurs ayants droit pour bénéficier de l’aide juridictionnelle en vue d’exercer l’action civile en réparation des dommages résultant des atteintes à la personne.

Sont ainsi visés les meurtres, tortures et actes de barbarie, viols, actes de terrorisme qui constituent des atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne ou qui consistent en un enlèvement et une séquestration ou en un détournement d’un moyen de transport.

Il en va de même des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ou une mutilation ou encore une infirmité permanente lorsqu’elles concernent, notamment, le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe.

Sont enfin concernées les violences habituelles exercées sur un mineur de quinze ans ou sur une personne vulnérable ([10]), lorsqu’elles ont entraîné la mort de la victime ou une mutilation ou une infirmité permanente.

Compte tenu de l’importance de la lutte contre les violences conjugales, votre rapporteur pour avis considère qu’il est impératif de prévoir également que laide juridictionnelle est de droit pour les victimes de violences conjugales.

B.   pour les auxiliaires de justice

Parmi les modalités de rétribution des auxiliaires de justice, qui sont fixées par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et précisées par voie décrétale, trois catégories peuvent être distinguées :

– l’aide juridictionnelle au sens strict et l’aide à la médiation au bénéfice des auxiliaires de justice (avocats mais également huissiers de justice, experts, etc.) ;

– les aides aux interventions non juridictionnelles des avocats (interventions au cours des gardes à vues, des déferrements devant le procureur de la République et en matière d’assistance aux détenus, par exemple) ;

– les dotations versées aux barreaux par voie conventionnelle.

1.   L’aide juridictionnelle stricto sensu et l’aide à la médiation au bénéfice des auxiliaires de justice

Les sommes revenant aux auxiliaires de justice sont réglées sur production d’une attestation de fin de mission délivrée au moment où le juge rend sa décision, par le greffe, qui s’assure de l’application des barèmes prévus par les textes et de l’achèvement de la mission.

L’évolution de leur répartition est retracée ci-après.

ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION DES SOMMES ALLOUÉES
AU TITRE DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE

(en euros)

 

2015

2016

2017

2018
(prévision)

2019
(prévision)

Avocats

280 115 794

302 388 154

338 013 156

380 846 007

406 420 578

Avocats aux conseils

659 198

620 617

597 287

640 000

640 000

Huissiers

4 546 279

4 543 592

4 569 407

4 600 000

4 600 000

Experts

11 532 620

11 146 391

10 584 528

10 800 000

10 800 000

Autres auxiliaires

5 366 930

5 275 983

5 042 971

5 385 000

5 373 379

Avoués

160 193

53 319

9 076

2 000

0

Source : ministère de la Justice.

a.   La rétribution des avocats

Pour les avocats des justiciables, la contribution de l’État résulte du produit d’une unité de valeur par un coefficient qui diffère selon la nature de la procédure. En cas d’aide partielle, la rétribution de l’avocat versée par l’État décroît avec les ressources du bénéficiaire de l’aide ([11]) ; elle est complétée par des honoraires librement négociés entre l’avocat et le bénéficiaire de l’aide partielle.

Après avoir stagné pendant dix ans, la rétribution des avocats a fortement progressé depuis 2016 sous l’effet, d’une part, de la double revalorisation de l’unité de valeur de référence, passée de 22,5 à 26,5 euros hors taxes pour les admissions à l’aide juridictionnelle prononcées entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2016, puis de 26,5 à 32 euros hors taxes pour les admissions prononcées à compter du 1er janvier 2017, et, d’autre part de la suppression de la modulation de cette unité de valeur en fonction du barreau de l’avocat depuis le 1er janvier 2017.

Par ailleurs, le nombre d’unités de valeur servant à calculer la rétribution a augmenté pour certains contentieux comme les procédures judiciaires de mainlevée et de contrôle de soins psychiatriques et l’aide juridictionnelle a été étendue, par la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, aux cas de médiation judiciaire ou de médiation conventionnelle donnant lieu à la saisine du juge pour homologation.

Afin de tirer les conséquences de ces mesures, ainsi que du relèvement du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle et des dispositions prévues dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, la dotation prévue dans le projet de loi de finances pour 2019 est portée à 407 millions d’euros.

Conscient des difficultés financières rencontrées par les avocats qui travaillent dans le cadre de l’aide juridictionnelle, dont les missions civiles sont à l’équilibre tandis que les missions pénales sont systématiquement déficitaires selon le Conseil national des barreaux, votre rapporteur pour avis souhaite une meilleure prise en charge des frais engagés par les avocats. Il suggère en particulier qu’une étude de faisabilité soit lancée par le ministère de la Justice sur la prise en charge des frais de déplacement des avocats.

b.   La rétribution des autres auxiliaires de justice

La rétribution des autres auxiliaires (avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, huissiers, experts, médiateurs, enquêteurs sociaux ou de personnalité, traducteurs, autres) est tarifée, à l’exception des expertises.

Les sommes revenant aux experts et aux médiateurs sont fixées par ordonnance du magistrat taxateur, sous réserve d’un plafond dans le cas des médiateurs, au vu de la justification de l’exécution de leur mission. Les autres auxiliaires sont rétribués au forfait.

Une dotation portée à 21,4 millions d’euros est prévue dans le projet de loi de finances pour 2019, afin de tirer les conséquences de l’extension de l’aide juridictionnelle à la médiation judiciaire ou conventionnelle donnant lieu à la saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord ([12]) à la médiation administrative ([13]).

Si les majorations rétribuées au titre de l’aide juridictionnelle pour une mesure de médiation ordonnée par le juge progressent – 933 en 2017 missions ont été payées à ce titre contre 231 en 2015 ([14]) – leur nombre demeure encore faible.

Aussi, convaincu de l’importance du développement de la médiation comme mode alternatif de règlement des conflits, votre rapporteur pour avis propose, en complément des dispositions prévues dans le projet de loi de programmation 2018-2022, de revaloriser l’aide juridictionnelle en cas de médiation.

2.   Les aides aux interventions non juridictionnelles des avocats

Pour les aides aux interventions non juridictionnelles des avocats prévues par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, la rétribution est fixée forfaitairement par voie décrétale.

Ces aides, pour lesquelles 69,8 millions d’euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019, sont prévues dans trois cas : garde à vue ou retenue, procédure devant le procureur de la République et assistance aux détenus.

Dans le premier cas sont visées les aides à l’intervention de l’avocat au cours d’une garde à vue, d’une audition libre, d’une retenue douanière ou d’une retenue d’une personne étrangère pour vérification de son droit de séjour ou de circulation. L’aide juridique prend en charge l’intervention de l’avocat auprès :

– des personnes gardées à vue qui peuvent demander à être assistées par un avocat choisi ou désigné d’office – dès le début de la garde à vue – au cours des auditions et confrontations et pendant la prolongation de la garde à vue, des victimes confrontées avec une personne gardée à vue et des personnes en retenue douanière ;

– des personnes étrangères retenues pour vérification de leur droit de circulation ou de séjour ;

– des personnes entendues librement si elles remplissent les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle.

À ce titre, 63,4 millions d’euros sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2019, afin de tenir compte notamment du coût en année pleine de de l’obligation de l’intervention d’un avocat lors d’une garde à vue de mineur, qui devrait s’élever à 19 millions d’euros.

Le deuxième cas concerne les aides à l’intervention de l’avocat lors de procédures en présence du procureur de la République, pour lesquelles 1,8 million d’euros sont prévus en 2019. L’aide juridique prend en charge l’intervention de l’avocat auprès des personnes présentées devant le procureur de la République et suspectées d’avoir commis une infraction et des personnes faisant l’objet d’une procédure de médiation ou de composition pénale.

Le troisième et dernier cas vise les aides à l’intervention de l’avocat en assistance d’un détenu, en cas de procédure disciplinaire ou de mesure d’isolement. 4,6 millions d’euros sont prévus à ce titre en 2019.

3.   Les dotations versées aux barreaux par voie conventionnelle

La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique prévoit enfin la possibilité d’une contractualisation locale, entre les tribunaux de grande instance et les barreaux, pour la prise en charge de la défense des justiciables, en particulier en matière de défense d’urgence. 9 millions d’euros sont prévus à cet effet en 2019.

Cette forme de contractualisation repose sur deux dispositifs :

– les protocoles conclus entre les tribunaux de grande instance et les barreaux ayant souscrit des engagements d’objectifs assortis de procédures d’évaluation visant à assurer une défense de qualité des bénéficiaires de l’aide juridique. Leur nombre a progressé de 40 en 2015 à 44 en 2018 ;

– les conventions passées entre les tribunaux de grande instance et les barreaux pour l’organisation matérielle de l’assistance auprès des personnes placées en garde à vue. Leur nombre est passé de 59 en 2015 à 61 en 2018.

Les protocoles se caractérisent aujourd’hui par leur grande diversité en termes de contenu, ce qui favorise l’adaptation aux contraintes locales, mais rend plus difficile la mise en place de critères de qualité objectifs et homogènes sur l’ensemble du territoire.

Aussi, en 2018, le ministère de la justice a conduit des discussions avec les représentants de la profession d’avocat et les représentants des chefs de cour et de juridiction, afin d’élaborer des modèles-types de protocole et de bilan d’évaluation, fondés sur des critères objectifs destinés à évaluer la qualité de l’organisation de la défense. Selon le ministère de la Justice, ces discussions pourraient aboutir, à terme, à une fusion des protocoles et des conventions et à une refonte des modalités de calcul des dotations, voire constituer un levier pour expérimenter une organisation dédiée à l’aide juridictionnelle et pour maîtriser l’usage des commissions d’office.

Votre rapporteur pour avis est convaincu de l’utilité de ces protocoles et conventions car ils permettent de mieux assurer la prise en charge de la défense des justiciables et d’assurer la fluidité du traitement des affaires par les juridictions concernées.

Toutefois, le nombre de protocoles et de conventions demeure encore faible. La réticence des barreaux à s’engager s’explique par l’impossibilité, pour les barreaux, d’évaluer les moyens financiers sur lesquels ils pourront compter pour mettre en place des dispositifs destinés à améliorer la défense des justiciables, faute de connaître le montant de la dotation qui leur sera versée en début d’année.

Aussi, votre rapporteur pour avis considère qu’il convient d’accroître la visibilité de la dotation complémentaire versée dans le cadre de la contractualisation.

III.   diversifier les ressources de l’AIDE JURIDICTIONNELLE

Après avoir fait l’objet d’une réforme importante en 2015 ([15]) et en 2016 ([16]), le financement de l’aide juridictionnelle repose sur trois types de ressources : des crédits budgétaires, à hauteur de 80 % environ ; des ressources extrabudgétaires, pour un peu moins de 20 % ; un prélèvement sur la trésorerie disponible en fin d’année des CARPA, qui représente en général moins de 3 % du montant total des dépenses de l’aide juridictionnelle.

L’évolution de ces ressources est retracée dans le tableau ci-dessous.

ÉVOLUTION DES RESSOURCES DE LAIDE JURIDICTIONNELLE

ENTRE 2015 ET 2019

(en millions deuros)

 

2015

2016

2017

2018 (prévision)

2019 (prévision)

Crédits budgétaires

313,73

305,24

342,42

395,79

423,72

Ressources extrabudgétaires

38,91

64,81

83,09

83,00

83,00

– dont contribution pour l’aide juridique (*)

0,27

0,09

– dont produit de la taxe spéciale sur les contrats de protection juridique

20,64

36,81

45,00

45,00

45,00

– dont taxe forfaitaire sur certains actes d’huissier

11,00

– dont droit fixe de procédure

7,00

– dont produit de certaines amendes pénales

28,00

38,00

38,00

38,00

Prélèvement sur la trésorerie de fin dannée des barreaux

6,66

11,42

5,86

TOTAL

359,30

381,47

431,37

478,79

506,72

(*) Supprimée en 2014, la contribution pour laide juridique ou droit de timbre a eu quelques reliquats en 2015 et 2017.

Source : ministère de la Justice.

Votre rapporteur pour avis considère que, compte tenu des contraintes pesant sur le budget de l’État, il convient, afin d’accompagner la mise en œuvre des réformes prévues dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice – comme l’extension de la représentation obligatoire – ainsi que celles qu’il appelle de ses vœux quant à l’extension du champ de l’aide juridictionnelle, il convient d’augmenter les sources de financement de l’aide juridictionnelle.

À cet effet, il propose que deux pistes de réforme, évoquées depuis plusieurs années, soient approfondies.

La première consiste à augmenter les droits sur les actes juridiques soumis à enregistrement visés à larticle 635 du code général des impôts. Une telle proposition figurait notamment parmi les pistes de réflexion évoquées par M. Jean-Yves Le Bouillonnec dans son rapport remis au Premier ministre en septembre 2014 ([17]).

Cette proposition présente plusieurs avantages :

– elle établit un lien entre la contribution et l’objectif d’accès à la justice ;

– elle permet de faire porter l’effort de solidarité sur les transferts de biens et de patrimoine ;

– les circuits de recouvrement existent déjà.

Les professionnels, en particulier les avocats et plus particulièrement le syndicat des avocats de France qui défend cette mesure, y sont en outre favorables.

Alors que plusieurs options sont envisageables (relèvement des droits sur l’ensemble des actes, ciblage des actes les plus importants en termes de rendement ou ceux dont le champ concerne l’aide juridictionnelle ou encore revalorisation de l’inflation des droits fixes non mis à jour depuis plusieurs années comme le droit de 125 euros prévu pour les actes innommés), il convient de fixer un certain nombre de lignes directrices pour dresser les contours de l’assiette ainsi visée, parmi lesquelles :

– retenir une assiette suffisamment large pour avoir un rendement élevé grâce à une hausse modérée du taux ;

– conserver les seuls actes soumis à enregistrement dont les prélèvements vont au budget de l’État, afin d’éviter les droits de mutation à titre onéreux qui bénéficient en grande partie aux collectivités territoriales ;

– privilégier, dans la mesure du possible, des actes en lien avec l’aide juridictionnelle.

Parmi les droits alimentant le budget de l’État, les deux qui affichent un rendement important sont ceux liés aux mutations de fonds de commerce et ceux liés aux donations et successions. M. Jean-Yves Le Bouillonnec avait ainsi évalué à un gain de 45 millions d’euros le relèvement de 0,5 % des droits relatifs aux actes de donations et de successions et à 35 millions d’euros le relèvement de 20 % des droits de mutation de propriété à titre onéreux de fonds de commerce.

La seconde piste de réflexion consiste, à l’instar de ce qu’ont proposé l’inspection générale des finances et l’inspection générale de la justice dans leur rapport sur l’aide juridictionnelle remis au Gouvernement en mars 2018, à aligner le taux de la taxe sur les conventions dassurance de protection juridique sur celui applicable aux contrats dassurance automobiles. Le taux, qui est fixé par l’article 1001 du code général des impôts, serait porté de 13,4 % à 18 %, avec un rendement évalué à 62 millions d’euros.

Si le risque d’une répercussion par les assureurs sur leurs clients ne peut être écarté, il devrait toutefois être limité, les inspections générales l’ayant évalué à, au maximum, 4,8 euros supplémentaires sur une année. On peut par ailleurs espérer que les assureurs limitent cette répercussion au regard du caractère très rentable de l’assurance de protection juridique, dont le ratio sinistres/primes est de 45 % contre 79 % en moyenne.

IV.   mieux articuler l’aide juridictionnelle et l’assurance de protection juridique

A.   L’assurance de protection juridique

L’assurance de protection juridique permet à un assuré d’être représenté et défendu par son assurance dans une procédure de justice ou une procédure amiable.

Cette assurance peut être proposée dans des contrats spécifiques (mono-contrat) ou être intégrée dans d’autres contrats d’assurances (comme l’assurance habitation). En 2016, 6,3 millions de mono-contrats et 27,9 millions de garanties intégrées étaient recensées selon la Fédération française de l’assurance.

Au moins 22 % des ménages seraient couverts par cette assurance.

La prime moyenne pour un mono-contrat de protection juridique individuel souscrit par un particulier est de 75 euros hors taxes, soit 85,05 euros toutes taxes comprises.

Le montant du chiffre d’affaires total de l’assurance de protection juridique est estimé à 1 182 millions d’euros en 2016, en progression de 28 % depuis 2013.

LES DOMAINES JURIDIQUES COUVERTS

PAR LASSURANCE DE PROTECTION JURIDIQUE

– les litiges du droit de la consommation (par exemple : vente ou achat d’un bien mobilier, litige avec un prestataire de service en téléphonie, litige lié à la santé – actes médicaux ou chirurgicaux) ;

– les litiges liés aux conflits de voisinage (par exemple : servitudes ou troubles anormaux du voisinage) à l’exception des questions de bornage ;

– les litiges avec les organismes sociaux, organismes complémentaires et de retraites ;

– les litiges avec l’administration fiscale relatifs à l’impôt sur le revenu, la taxe foncière et la taxe d’habitation, à condition que l’assuré ait reçu une notification de redressement ;

– les litiges en lien avec l’achat ou la vente d’un bien immobilier construit ;

– les litiges liés à la copropriété pour les propriétaires occupants de leur résidence principale à condition que le différend ait une incidence économique, à l’exception des litiges liés à une activité de syndic bénévole ;

– les litiges opposant locataires et propriétaires pendant toute la durée du bail jusqu’à sa résiliation, à l’exception des différends relatifs au recouvrement des loyers et charges relevant d’autres garanties et à l’expulsion ;

– les litiges individuels du droit du travail pour les salariés liés à un licenciement individuel ou à la conclusion, l’exécution ou la résiliation du contrat de travail ;

– les litiges du droit de la famille en matière de successions, legs et donations, de droit de la filiation et d’incapacité (tutelle, curatelle).

En 2016, 450 000 dossiers ont été déclarés par les assurés, dont plus d’un tiers relevait du droit de la consommation.

RÉPARTITION PAR DOMAINE JURIDIQUE DES LITIGES METTANT EN JEU

LA PROTECTION JURIDIQUE

Domaine

Part

Consommation

35 %

Habitat

27 %

Travail

12 %

Santé

3 %

Administratif

3 %

Famille

3 %

Autres

17 %

Total

100 %

Source : Fédération française de l’assurance.

Dans une perspective d’amélioration de l’accès au droit, les sociétés d’assurance ont travaillé en collaboration avec la Chancellerie afin de développer l’assurance de protection juridique et de contribuer à l’allégement du budget de l’aide juridictionnelle. Elles se sont ainsi engagées à mettre tous les moyens en œuvre pour informer un client souhaitant souscrire une garantie protection juridique sur le contenu de l’ensemble de la gamme de produits pour qu’il puisse souscrire la ou les garanties correspondant à ses besoins.

B.   le principe de subsidiarité

En application du principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle introduit par la loi n° 2007-210 du 19 février 2007, l’aide juridictionnelle n’est pas accordée lorsque les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour laquelle elle est demandée, sont couverts par un contrat d’assurance de protection juridique ou tout autre système de protection applicable.

Afin de rendre effective la mise en œuvre de ce principe, le décret n° 2014-1502 du 12 décembre 2014 a simplifié le circuit et l’instruction des demandes présentées par les justiciables bénéficiaires d’un contrat d’assurance de protection juridique. Ainsi, lorsque le justiciable dispose d’une assurance de protection juridique, il doit, préalablement au dépôt de toute demande d’aide juridictionnelle, effectuer une déclaration de sinistre à son assureur afin que ce dernier indique s’il prend en charge les frais de procès. Ce n’est qu’en cas de non-prise en charge du litige que le justiciable dépose une demande accompagnée d’une attestation de non prise en charge.

Pour que le dispositif joue pleinement, le ministère de la justice a diffusé le 24 février 2015 une note d’information et d’accompagnement aux juridictions et actualisé l’imprimé de demande d’aide juridictionnelle ainsi que la notice explicative qui mentionne les contentieux pouvant être pris en charge par les assureurs.

Cependant, ce dispositif est relativement peu mis en œuvre : la subsidiarité ne trouve à s’appliquer que 2 500 fois par an, soit dans 0,4 % des demandes d’aide juridictionnelle.

Plusieurs raisons expliquent le faible recours au principe de subsidiarité :

– certains contentieux, qui figurent parmi les causes les plus fréquentes de recours à l’aide juridictionnelle, comme ceux relatifs à des infractions intentionnelles ou en matière de divorce, ne sont pas assurables ;

– le champ des personnes assurées et de celles qui bénéficient de l’aide juridictionnelle se recoupent peu ;

– le dispositif a un caractère uniquement déclaratif, alors que dans de nombreux cas ni le justiciable ni l’avocat n’ont intérêt à recourir à l’assurance de protection juridique plutôt qu’à l’aide juridictionnelle.

Conscient des limites d’une généralisation de l’assurance de protection juridique, votre rapporteur pour avis considère néanmoins qu’il convient détendre, par accord de place, le champ des litiges ainsi visés, comme cela a été fait, par exemple en 2010, en matière de successions. Les contentieux relatifs au versement de certaines pensions alimentaires pourraient ainsi être inclus dans le champ de l’assurance de protection juridique.

Votre rapporteur pour avis estime par ailleurs qu’il est impératif de mieux faire connaître cette assurance. À cet effet, il propose quil soit fait obligation aux assureurs de généraliser une pratique que certains dentre eux mettent déjà en œuvre : lindividualisation de la prime de lassurance de protection juridique dans les contrats. Cela suppose de modifier le code des assurances, afin de prévoir cette mention spécifique.

 


—  1  —

 

   examen en commission

Lors de sa seconde réunion du mercredi 24 octobre 2018, la Commission auditionne Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous poursuivons les travaux de la journée par l’audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, en vue d’examiner et de voter les crédits de la mission « Justice » dont les rapporteurs pour la commission des Lois sont MM. Dimitri Houbron et Bruno Questel.

Je donnerai bien évidemment la parole à M. Patrick Hetzel en tant que rapporteur spécial de la commission des Finances. Les porte-parole des groupes disposeront ensuite de cinq minutes chacun, puis nous passerons à des questions d’une durée de deux minutes chacune.

Madame la garde des Sceaux, vous avez la parole.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie, madame la présidente.

Quelques mots d’introduction pour vous dire que le budget 2019 de la justice est en forte augmentation, puisqu’il s’inscrit dans le projet de loi de programmation et de réforme de la justice dont vous débattrez prochainement, à partir du 6 novembre. C’est un texte important que ce projet de loi, qui traduit un engagement présidentiel en prévoyant une progression de 24 % des crédits du ministère entre 2017 et 2022 et la création de 6 500 emplois au cours du quinquennat. Ces chiffres figurent dans le projet de loi tel qu’il a été adopté hier par le Sénat.

Dès 2018, la priorité budgétaire s’est traduite par une augmentation de 3,9 % des crédits et la création de 1 100 emplois. Cette ambition est encore renforcée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019, avec une hausse des crédits de 4,5 % par rapport à 2018, soit 315 millions d’euros supplémentaires, et la création de 1 300 emplois – soit 200 emplois supplémentaires par rapport à 2018.

Le budget 2019 s’élève ainsi à 7,29 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), hors pensions. Si l’on prend l’ensemble des crédits, y compris ceux pour les pensions, le budget du ministère de la Justice atteint pour la première fois 9 milliards d’euros. Cette hausse de 4,5 %, plus élevée que celle de 2018, représente beaucoup plus que la moyenne des progressions. En effet, entre 2012 et 2017, celle-ci n’était que de 2,6 % pour le ministère de la Justice. Je souhaite insister sur le fait que cette progression forte doit s’apprécier au regard de celle de l’ensemble des crédits du ministère entre la loi de finances initiales (LFI) pour 2018 et le PLF pour 2019, qui n’est que de 0,8 %. Cela traduit clairement la priorité que le Gouvernement affiche pour la justice.

Ce budget 2019, qui est un très bon budget, est au service d’une transformation en profondeur de la justice. Il traduit quatre priorités : la justice du quotidien ; le sens et l’efficacité des peines ; la prise en charge des mineurs délinquants ; l’accès au droit et l’aide aux victimes.

La première priorité s’attache à l’amélioration de la justice au quotidien. C’est l’une des orientations essentielles du projet de loi de programmation et de réforme de la justice. Le budget 2019 porte également cette ambition, aussi bien pour la programmation immobilière que pour les crédits de fonctionnement, pour la transformation numérique et pour le déploiement des équipes autour des magistrats. Il permet donc de mettre en place une programmation immobilière ambitieuse pour accompagner la réorganisation des juridictions prévue par le projet de loi de réforme pour la justice. Cette réorganisation, que j’aurai l’occasion de vous présenter de manière plus soutenue lors des débats que nous aurons, passe par la fusion administrative des tribunaux d’instance (TI) et des tribunaux de grande instance (TGI) avec le maintien de tous les sites pour assurer une véritable justice de proximité. Cette évolution organisationnelle passe aussi par la possibilité de faire émerger des projets dans les territoires, autour de pôles de compétences dans les départements qui disposent de plusieurs TGI. C’est, enfin, l’expérimentation, dans deux régions administratives qui comportent plusieurs cours d’appel, de l’exercice par l’une d’entre elles des fonctions d’animation, de coordination et de spécialisation des contentieux.

Je le disais à l’instant, cette réorganisation doit s’appuyer sur une programmation immobilière ambitieuse. Le budget 2019 prévoit ainsi une enveloppe d’autorisation d’engagements (AE) de 450 millions d’euros pour lancer cette nouvelle programmation, au‑delà de l’enveloppe pour les opérations classiques ou en cours. Dès 2019, les CP consacrés à l’investissement immobilier progresseront de 9 %, à hauteur de 17 millions d’euros. Ces montants élevés permettront d’accompagner les conditions de travail nécessaires pour les personnels et les magistrats, mais aussi la réorganisation de notre organisation judiciaire.

Mais pour assurer le bon fonctionnement de la justice, il était également nécessaire de remettre à niveau les crédits de fonctionnement des juridictions et les frais de justice. C’est le deuxième axe de l’amélioration de la justice au quotidien. Nous avons commencé dans le budget 2018 et nous continuons en ce sens dans le budget 2019. Je souhaite, dans ce domaine comme dans les autres, assumer une grande continuité d’action. Les crédits de fonctionnement sont consolidés, après la très forte augmentation de l’année dernière. C’est une hausse de 9 %, à hauteur de 377 millions d’euros. Les juridictions bénéficieront ainsi de 50 millions d’euros de crédits de fonctionnement supplémentaires par rapport à ceux de 2016, qui est une année de référence. La dotation des frais de justice, à hauteur de 505 millions d’euros, augmente de plus de 5 %. Cela nous permettra de réduire les charges à payer à l’égard des prestataires, mais également à l’égard de la sécurité sociale.

Le troisième axe de cette justice du quotidien est la poursuite du mouvement de transformation numérique du ministère. Ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, c’est la plus importante de mes priorités. C’est la raison pour laquelle nous y dédions les moyens budgétaires et en personnel nécessaires. Quelque 530 millions d’euros de crédits d’investissement, soit plus d’un demi-milliard, sont consacrés à cette ambition numérique entre 2018 et 2022. Dès 2019, le plan de transformation numérique du ministère prendra de l’ampleur puisque les crédits d’investissement en informatique augmenteront de près de 50 %, pour atteindre 97 millions d’euros, et que 80 emplois seront créés au secrétariat général pour le déploiement du plan de transformation numérique du ministère. La transformation numérique, ce ne sont pas que des chiffres. Ce sont des réalisations extrêmement concrètes. J’en cite ici quelques-unes. Les premières s’attachent à l’amélioration du socle technique. 100 sites judiciaires sur 800 environ sont déjà passés à la fibre optique qui permet d’augmenter les débits. D’ici à la fin de 2019, ce sont près de 900 sites qui en bénéficieront. Le parc de visioconférence, qui est le premier parc au sein de l’État, sera remis à niveau et complété. 220 systèmes de visioconférence seront installés ou renouvelés d’ici à 2019. Nous développons également le déploiement des ultra-portables : 3 000 étaient déjà déployés au 1er janvier 2018, et 1 450 nouveaux sont en cours de déploiement. Parmi ceux déjà déployés, 400 ont été distribués aux magistrats et 1 500 supplémentaires le seront cette année. En 2019, 3,5 millions d’euros supplémentaires sont prévus pour des achats d’équipements informatiques. Plus de 700 bornes wifi ont été installées pour permettre de se connecter dans les salles de réunion et les salles d’audience. Une suite bureautique moderne, Microsoft Office, sera déployée dans l’ensemble du ministère sur plus de 40 000 postes. Elle permettra d’utiliser des outils collaboratifs. Enfin, 5 000 smartphones sécurisés seront déployés en 2019-2020.

Outre ce premier axe de l’amélioration du socle technique, un deuxième axe a trait à la modernisation de nos applications. C’est, évidemment, un enjeu essentiel. Depuis le 26 septembre dernier, vous pouvez demander en ligne votre bulletin B3 du casier judiciaire. C’est le bulletin le plus demandé, puisqu’il l’est généralement par les employeurs. En quelques clics et en moins de deux minutes, vous pouvez l’obtenir en ligne. C’est un progrès tout à fait important. Près de 300 000 demandes ont déjà été effectuées. Le portail du service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), qui permet aux greffiers d’avoir accès aux affaires civiles devant toutes les juridictions, est expérimenté dans deux juridictions – Marseille et Caen. Sa généralisation démarrera d’ici la fin de l’année civile. L’année prochaine, les justiciables pourront consulter en ligne l’avancement de leur procédure grâce à ce portail. La communication électronique avec les avocats sera généralisée en septembre 2019. L’application de la chaîne pénale, Cassiopée, le sera également en appel. Deux sites pilotes, Amiens et Blois, expérimenteront la dématérialisation « native » de la procédure pénale. Pouvoir saisir à partir du commissariat les dépôts de plainte qui pourront aller jusqu’au magistrat sur une même procédure dématérialisée constituera un progrès tout à fait essentiel. Cela commencera dès l’année prochaine. Enfin, la plateforme du travail d’intérêt général (TIG) sera progressivement déployée à compter de janvier 2019. La dématérialisation des demandes d’aide juridictionnelle commencera également fin 2019. Ce sera, là encore, un progrès tout à fait considérable. Les premiers services numériques en détention seront conçus et expérimentés dans trois établissements pilotes : Meaux, Dijon et Nantes.

Le troisième et dernier axe du déploiement numérique porte sur l’accompagnement des agents et des justiciables, autrement dit le déploiement de la chaîne de soutien – le socle des applications de soutien.

Les premiers effets du plan de transformation numérique et de la simplification des procédures nous permettront de redéployer 75 emplois de fonctionnaires dans les juridictions.

Dans cette justice du quotidien, qui représente la première priorité budgétaire, j’ai présenté la programmation immobilière, les crédits de fonctionnement et la transformation numérique. Il me reste à aborder le dernier point, qu’est la mise en place de véritables équipes autour du magistrat. 192 emplois nets seront créés en 2019 dans les juridictions et viendront s’ajouter aux postes déjà existants, dont 100 postes de magistrats et 92 postes de juristes assistants et de greffiers. Les 100 emplois de magistrats nous permettront de poursuivre la résorption des vacances de postes. Je vous rappelle que dès cette année, nous avons réussi à diviser par deux les vacances de postes, lesquelles sont passées de 500 à 250. Cet effort est réellement ressenti dans les juridictions. Et ces postes supplémentaires de magistrats n’ont de sens que s’ils s’accompagnent du renforcement de l’équipe autour d’eux, qui est demandé par l’ensemble des magistrats. Cette année, nous créerons ainsi 50 emplois de juristes assistants et 50 emplois de greffiers assistants du magistrat. Enfin, les crédits pour le recrutement d’agents non-titulaires progresseront une nouvelle fois en 2019, en particulier pour les magistrats exerçant à titre temporaire, dont la présence est très précieuse dans nos juridictions. Cette augmentation sera de 22 % par rapport à 2018.

La deuxième priorité du budget 2019 est liée à notre volonté de renforcer le sens et l’efficacité des peines. Toute l’ambition de la loi de programmation et de réforme de la justice consiste à permettre aux tribunaux de prononcer des peines efficaces et adaptées aux infractions sanctionnées, mais également de garantir l’exécution effective de ces peines – point essentiel de la crédibilité de notre système. C’est le sens du plan pénitentiaire que j’ai présenté en Conseil des ministres le 12 septembre dernier. Cette ambition concerne à la fois le programme immobilier, la sécurité en détention et le parcours des détenus.

Le programme immobilier, tout d’abord. Il est ambitieux. Le plan immobilier pénitentiaire que j’ai présenté il y a une semaine environ permettra de construire 15 000 places de prison supplémentaires par rapport à celles qui existaient quand j’ai été nommée à la tête de ce ministère. Sur ces 15 000 places, 7 000 seront livrées d’ici 2022 et 8 000 seront lancées d’ici cette date. Leurs implantations sont désormais connues, à l’exception de quelques sites où il nous reste à finaliser l’achat de terrains. Avec la rénovation des gros établissements, cela représente un investissement de 1,7 milliard d’euros. Le programme immobilier pénitentiaire prévoit aussi de nouveaux types d’établissements, mieux adaptés aux différents régimes de détention et aux profils des détenus accueillis. Nous allons ainsi créer, d’ici à 2022, 2 000 places dans des structures d’accompagnements vers la sortie (SAS) qui seront ouvertes à des personnes qui auront à accomplir une peine de moins d’un an de prison ou à des condamnés à de longue peine qui sont en fin de parcours de détention. Il s’agira de préparer la sortie de ces détenus. 360 places seront également livrées dans des prisons expérimentales centrées sur la question du travail, en lien avec des entreprises partenaires. Les 10 000 places qui seront ouvertes dans des centres pénitentiaires permettront une prise en charge différenciée des détenus et comprendront des quartiers de confiance, avec un régime de détention adapté, beaucoup plus ouvert et permettant une plus grande autonomie des détenus. Ce programme permettra également de construire des maisons d’arrêt avec un haut niveau de sécurité. Ces constructions classiques représenteront 2 500 places sur les 15 000 prévues. Pour mener à bien ce programme, les crédits immobiliers en matière pénitentiaire progresseront de 30 % dès 2019, pour représenter 72 millions d’euros supplémentaires.

Ce budget permettra également, c’est le deuxième axe de cette priorité sur le sens et l’efficacité des peines, de poursuivre nos efforts pour renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires et lutter contre la radicalisation. 50 millions d’euros sont consacrés au renforcement ou au déploiement des nouveaux dispositifs de sécurité dans les établissements pénitentiaires – dispositifs anti-projections, brouilleurs de télécommunications illicites, portiques de détection, lutte anti-drones, sécurisation des abords, vidéosurveillance, etc. 159 emplois seront créés pour renforcer la sécurité et le renseignement pénitentiaire et pour mener à bien les extractions judiciaires. Conformément aux engagements pris dans le relevé de conclusions signé en janvier dernier avec la principale organisation syndicale de surveillants, les créations d’emplois de surveillants pénitentiaires supplémentaires permettront également de réduire les vacances de postes pour les établissements. 400 emplois seront créés à cette fin en 2019 et 1 100 au cours du quinquennat.

Enfin, dernier axe relatif au sens et à l’efficacité des peines, nous souhaitons faire un effort important pour suivre le parcours de peine des détenus. Pour mettre en place la nouvelle politique des peines, que je ne fais qu’esquisser devant vous, et suivre le parcours en détention, 400 emplois seront créés dans les services d’insertion et de probation en 2019. La loi de programmation prévoit d’en créer 1 500 supplémentaires jusqu’en 2022. Nous déploierons également des efforts importants en faveur de la réinsertion des détenus et nous allons ainsi mettre en place, dans les jours qui viennent, une agence du TIG, du travail en détention et de l’insertion par l’activité économique. Le budget 2019 prévoit aussi une augmentation de 14 % des crédits liés au travail en détention.

La troisième priorité du budget, après la justice au quotidien et le sens et l’efficacité des peines, prévoit de diversifier le mode de prise en charge des mineurs délinquants. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) poursuit une politique de diversification. Chaque territoire doit en effet pouvoir disposer d’une offre de placement équilibrée qui permette de répondre aux demandes des magistrats. Les mineurs bénéficieront ainsi d’un parcours éducatif cohérent, qu’il soit suivi en milieu fermé ou en milieu ouvert. En 2019, cette orientation se traduira notamment par le lancement du programme de construction de 20 centres éducatifs fermés (CEF) supplémentaires – que j’ai présentés le 27 septembre dernier – en vue de porter leur nombre à 71. Il s’agit de garantir aux magistrats, sur l’ensemble du territoire national, la permanence d’outils éducatifs opérationnels et adaptés, et de répondre à la demande sociale de contrôle et de sécurité. Mais cette orientation n’est pas la seule qui est retenue. Elle ira de pair avec l’augmentation du recrutement des familles d’accueil, le développement d’une plus grande pluridisciplinarité d’intervention en milieu ouvert. 51 emplois seront créés en 2019 à la PJJ, dont 34 pour l’ouverture des CEF et 17 pour le renforcement de l’approche pluridisciplinaire dans le milieu ouvert. À ces fins, les moyens hors masse salariale de la PJJ augmentent de 17 millions d’euros, soit plus de 5,2 %, pour atteindre 347 millions d’euros. Un effort tout particulier sera effectué pour l’entretien et la rénovation du patrimoine immobilier.

Enfin, la dernière priorité de ce budget vise à apporter une attention aux plus faibles de nos concitoyens, grâce à une politique renforcée d’accès au droit et d’aide aux victimes. Les moyens consacrés à l’accès au droit et à la justice progressent de 6,6 %, pour atteindre 467 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 83 millions d’euros de ressources affectées au financement de l’aide juridictionnelle. C’est donc, là encore, plus d’un demi-milliard d’euros, 550 millions exactement, consacré à l’accès au droit de chaque citoyen et notamment pour les personnes les plus vulnérables. Les crédits destinés à l’aide juridictionnelle progresseront de 28 millions d’euros, soit 7 %. Cette progression permet de mettre en œuvre le déploiement de la représentation obligatoire, prévue par la loi de programmation pour la justice, et je souhaite également réfléchir avec les représentants de la profession d’avocat aux moyens de rendre notre système d’aide juridictionnelle le plus efficace possible sur la base des propositions qui m’ont été remises dans le cadre d’un rapport de l’inspection générale de la justice et de l’inspection générale des finances en vue d’une réforme en 2020.

J’ai déjà évoqué le sujet lié à la dématérialisation et à la simplification des demandes d’aide juridictionnelle. C’est l’un des principaux projets portés par le Gouvernement dans le cadre de la transformation de l’action publique. Cela doit permettre aux justiciables les plus vulnérables d’avoir accès plus rapidement et plus simplement à leur défenseur.

Enfin, dernier point, les crédits en faveur de l’aide aux victimes sont en hausse de 2,1 %. Cette augmentation, conjuguée à la mise en place et même au déploiement de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes, permet de garantir que toutes les victimes puissent bénéficier d’un suivi dans la durée dans les domaines psychologique, juridique et social, et que des moyens seront donnés aux réseaux associatifs afin qu’ils puissent se mobiliser en urgence en cas d’événement de grande ampleur.

Mais, et ce sera ma conclusion, cette transformation ne sera pas possible sans les personnels du ministère de la Justice. Le budget 2019 permettra de poursuivre la revalorisation des carrières et l’amélioration de leurs conditions de travail. 50 millions d’euros seront consacrés en 2019 à la mise en œuvre de mesures catégorielles. Le protocole du 29 janvier 2018 pour les agents de l’administration pénitentiaire sera appliqué à hauteur de 23 millions d’euros en 2019 et comportera notamment la revalorisation de la prime de sujétion spéciale des personnels de surveillance, la revalorisation de l’indemnité des dimanches et jours fériés, la revalorisation de l’indemnité pour charge pénitentiaire et la mise en place de la prime de fidélisation, qui aura lieu à la fin de l’année 2018. Les réformes statutaires prévues dans les protocoles conclus en 2017 seront également mises en œuvre : passage en catégorie A des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, requalification de la filière de commandement et de la filière technique. Pour tous les corps du ministère, 17 millions d’euros seront consacrés à la montée en puissance du parcours professionnel de carrière et de rémunération (PPCR), dont le passage en catégorie A des éducateurs et la réforme associée du corps des cadres de service éducatif et des responsables.

Mesdames et messieurs les députés, comme vous pouvez le constater, les crédits de la mission « Justice » traduisent la volonté non seulement de donner à la justice les moyens dont elle a besoin, mais également d’accompagner sa transformation pour qu’elle soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Ce budget nous donne les moyens de nos ambitions. Voilà, madame la présidente, ce que je souhaitais dire en propos introductifs.

M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit ». Je tiens d’abord à saluer, madame la garde des Sceaux, l’augmentation des moyens qui seront alloués à la justice et à l’accès au droit en 2019. En effet, avec une hausse de 2 % pour les crédits de paiement, le budget 2019 s’inscrit dans la dynamique que vous avez insufflée l’an dernier et qui est portée par le projet de loi de programmation 2018-2022. Je tiens en particulier à saluer la hausse des moyens destinés aux juridictions, avec la création de 192 emplois et l’augmentation des crédits d’investissement, de plus de 8,8 %, destinés à lancer la nouvelle programmation immobilière. Je veux également saluer l’engagement financier massif en faveur de la transformation numérique du ministère, plus de 28 % sur le budget informatique, ainsi que la progression des crédits de l’accès au droit et à la justice, de plus de 6,6 %.

Je souhaite maintenant en venir au thème que j’ai retenu pour mon avis budgétaire – l’aide juridictionnelle. Compte tenu de l’importance, en termes financiers et budgétaires, de cette aide dont le coût total est supérieur à 550 millions d’euros, et des enjeux que représentent la numérisation de sa gestion et la réforme de la procédure civile proposées par le projet de loi de programmation 2018-2022, il m’est en effet apparu utile de mener une réflexion approfondie sur l’évolution de l’aide juridictionnelle, tout en me cantonnant à quelques réflexions qui devront se concrétiser au travers d’une mission beaucoup plus approfondie. À l’issue des auditions que j’ai pu mener auprès des associations de représentation des victimes et des avocats mais également de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de la justice, j’ai formulé plusieurs réflexions afin de simplifier l’accès à l’aide juridictionnelle, de la revaloriser tant du point de vue de ses bénéficiaires que de celui des auxiliaires de justice, d’en diversifier les ressources et de mieux organiser son articulation avec l’assurance de protection juridique. Aussi, madame la ministre, souhaiterais-je vous soumettre quelques-unes de ces réflexions.

Concernant le dépôt du dossier d’aide juridictionnelle, vous avez engagé un important chantier de dématérialisation, lequel devrait aboutir à ce que d’ici à la fin 2019, cette aide qui fait l’objet de plus d’un million de demandes par an soit numérisée de bout en bout – de la demande initiale à l’instruction et jusqu’à l’attribution. Toutefois, je souhaite appeler votre attention sur le fait que si la dématérialisation de l’aide juridictionnelle a pour objet de faciliter l’accès des citoyens à la justice, elle ne doit pas conduire à en exclure les personnes les plus éloignées des nouvelles technologies. Aussi, j’insiste sur la nécessité de maintenir des lieux physiques d’accès à l’aide juridictionnelle et d’organiser au mieux l’accompagnement des demandeurs de cette aide. Alors qu’il existe aujourd’hui 147 points d’accès au droit auprès des 165 TGI, est-il envisagé de doter chaque TGI d’un point d’accès au droit ?

Il apparaît, par ailleurs, que les justiciables doivent remplir une demande d’aide juridictionnelle par affaire, si bien qu’ils se retrouvent souvent dans la situation de devoir remplir plusieurs dossiers. Il en va ainsi, par exemple, en matière de violences conjugales. La victime doit compléter trois demandes : l’une pour l’ordonnance de protection, l’autre pour la procédure de divorce et une troisième en matière correctionnelle. Ne serait-il pas envisageable de mettre en place un dossier unique par justiciable, ou à tout le moins de joindre le traitement des demandes d’aide juridictionnelle ?

Concernant l’appréciation des conditions de ressources, je voudrais commencer par une proposition qui me tient particulièrement à cœur. Il s’agit de l’extension de l’aide juridictionnelle de droit aux victimes de violences conjugales. Il me semble en effet que l’importance de la lutte contre les violences conjugales, grande cause du quinquennat, justifie pleinement que l’aide juridictionnelle soit attribuée sans condition de ressources aux victimes de ces violences. Je rappelle qu’un dépôt de plainte n’est effectué que dans 10 % des cas. En général, les victimes sont sous l’emprise psychologique, sociale et même administrative de l’auteur des violences. Cela revêt un danger pour leur sûreté que de présenter ces documents. J’y vois un enjeu d’accès à la justice. J’espère que nous pourrons aboutir à un texte qui convienne d’ici à la séance publique.

J’en viens à la pratique des bureaux d’aide juridictionnelle en matière d’appréciation des conditions de ressources. Il ressort qu’il est nécessaire de fixer des critères objectifs pour la prise en compte du patrimoine, afin d’éviter des situations dramatiques. Aussi, dans un souci de justice et de simplification, je vous propose l’alignement des critères d’appréciation sur ceux qui gouvernent l’attribution du revenu de solidarité active (RSA). J’aimerais connaître votre ressenti sur ce sujet.

Il résulte par ailleurs des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique que, pour les mineurs, cette aide est liée aux ressources de leurs représentants légaux sauf si ces derniers sont concernés. Aussi son attribution dépend-elle souvent de l’appréciation du bureau de l’aide juridictionnelle eu égard à la situation particulièrement digne d’intérêt de l’objet de litige ou des charges prévisibles du procès. Considérant qu’il faut mettre fin à ces inégalités de traitement, je vous propose de clarifier et d’uniformiser les règles en la matière.

Il me semble aussi qu’il convient de faire cesser la privation du bénéfice de l’aide juridictionnelle dont font de fait l’objet les personnes en situation irrégulière. Ces dernières, qui peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle si elles se constituent partie civile, voient en effet rejeter leur demande au motif qu’étant souvent hébergées par un tiers, il leur faut fournir les ressources de leur hébergeur – ce que ce dernier peut refuser. Aussi aimerais-je avoir votre avis sur l’opportunité de prendre en compte, dans l’appréciation de leurs ressources, leur seule situation individuelle.

J’en viens à la question de l’admission à l’aide provisoire. Il ressort des auditions que j’ai menées que des difficultés sont susceptibles d’apparaître si l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle n’est pas demandée par l’avocat. Je propose donc que le président d’audience demande systématiquement à l’avocat, dès le début de l’audience, si son client bénéficie d’une demande d’aide juridictionnelle sur laquelle la juridiction doit se prononcer provisoirement.

J’aborde maintenant les modalités de rétribution des auxiliaires de justice. Après avoir stagné durant dix ans, la rétribution des avocats a fortement progressé depuis 2016, sous l’effet notamment de la revalorisation de l’unité de valeur de référence, de l’augmentation du nombre d’unité de valeur servant à calculer la rétribution de plusieurs actes et de l’extension de l’aide juridictionnelle en matière de médiation. Pour autant, les avocats qui travaillent dans le cadre de l’aide juridictionnelle voient leurs missions pénales systématiquement déficitaires, tandis que leurs missions civiles sont à l’équilibre. Il semble donc qu’une meilleure prise en charge des frais engagés par les avocats soit à envisager. J’aimerais savoir s’il serait possible, madame la ministre, de lancer une étude de faisabilité sur cette prise en charge des frais de déplacement, notamment des avocats.

Ces mesures ainsi que les réformes prévues dans le projet de loi de programmation 2018-2022 nécessitent d’augmenter les sources de financement de l’aide juridictionnelle. Dans cette perspective, je vous propose que deux pistes de réforme évoquées depuis plusieurs années soient approfondies. D’une part, l’augmentation des droits sur les actes juridiques soumis à enregistrement, visés à l’article 635 du code général des impôts. D’autre part, l’alignement du taux de la taxe sur les conventions d’assurance de protection juridique sur celui applicable aux contrats d’assurance automobile – qui permettrait un rendement évalué à 62 millions d’euros.

Enfin, concernant l’articulation entre l’aide juridictionnelle et la protection juridique, nous sommes parfaitement conscients des limites d’une généralisation de l’assurance de protection juridique. Je pense toutefois que pour permettre une meilleure application du principe de subsidiarité, il faudrait peut-être étendre, par accord de place, le champ des litiges visés par l’assurance de protection juridique. Il est par ailleurs nécessaire de mieux faire connaître cette assurance. Pour cela, je propose qu’il soit fait obligation aux assureurs de généraliser une pratique que certains d’entre eux mettent déjà en œuvre : l’individualisation de la prime de l’assurance de protection juridique dans les contrats, et notamment une mention précise dans les avis d’échéance. Madame la garde des Sceaux, j’aimerais avoir votre avis sur ces deux propositions. Je vous remercie pour votre attention.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse ». Madame la garde des Sceaux, je souhaite avant toute chose souligner et saluer les efforts consentis en faveur de l’administration pénitentiaire et de la PJJ dans ce projet de budget 2019. Certes, ils ne permettront pas de résoudre tous les défis auxquels ces administrations sont confrontées, mais ils sont remarquables dans le contexte actuel de redressement des finances publiques engagé depuis l’an dernier.

S’agissant plus particulièrement de l’administration pénitentiaire, l’augmentation de 30 % des crédits d’investissement immobilier, la mobilisation de 56 millions d’euros pour la sécurité des établissements et la hausse de 4 % des dépenses de personnel démontrent un effort important de réhabilitation et de sécurisation du parc pénitentiaire et le soutien de notre pays à l’ensemble des agents qui travaillent dans cette administration, dans des conditions que tout le monde s’accorde à décrire comme difficiles.

Madame la ministre, ma première question porte sur le programme de construction de 7 000 places de prison. Pouvez-vous nous en présenter plus précisément les contours, les échéances et les financements mobilisés ? Comment ce plan tient-il compte de la nécessité de différencier la détention en fonction de la situation du condamné et de ses objectifs de réinsertion ?

Les moyens budgétaires octroyés à l’administration pénitentiaire sont à analyser à la lumière des orientations nouvelles qui seront données à la politique d’exécution et d’aménagement des peines par le projet de loi de réforme de la justice adopté par le Sénat hier, qui viendra devant nous prochainement. Et ce, afin que les peines prononcées dans notre pays soient exécutées et utiles à la personne condamnée ainsi qu’à la société dans son ensemble, et qu’elles n’aient pas, comme c’est parfois le cas aujourd’hui – et certains considèrent que ça l’est trop souvent – un effet désocialisant et contreproductif à l’égard de l’objectif de prévention de la récidive.

Au-delà de ces orientations, il nous faut réfléchir ensemble aux moyens de repenser l’incarcération afin de mieux responsabiliser les personnes incarcérées au cours de leur détention et de faire de leur passage en prison sinon un moment utile, au moins un moment qui permette une prise de conscience sur les questions de citoyenneté qui les concernent principalement. Tel est l’objet de ma deuxième question. Ne vous paraît-il pas possible de tenir davantage compte de ce que l’on pourrait qualifier de mérites et d’inconduites des personnes détenues dans leur parcours d’exécution de leur peine au travers d’une forme de « contractualisation » – même si le mot n’est sans doute pas heureux – entre les personnes incarcérées et l’administration ? Il s’agirait, comme cela se passe au Canada, d’une sorte de donnant-donnant quant au déroulement de la peine, aux objectifs de sortie et de réinsertion.

Par ailleurs, la PJJ, très affectée par les effets de la révision générale des politiques publiques, poursuit une forme de rétablissement. Les structures dans lesquelles elle accueille les mineurs qui lui sont confiés vont être renforcées grâce à une diversification des instruments juridiques de prise en charge et la création des 20 CEF que vous avez évoqués, principalement destinés à renforcer l’offre alternative à l’incarcération de mineurs. C’est sur ces structures que portera ma troisième question. La création de ces CEF a-t-elle été précédée d’une réflexion sur leur fonctionnement, tirant ainsi les conséquences des dysfonctionnements observés par le passé, notamment en termes de solidité des équipes d’éducateurs et de management ?

J’en viens, pour terminer, aux problématiques de pratique des cultes et de respect du principe de laïcité dans les établissements de l’administration pénitentiaire et de la PJJ, auxquelles j’ai souhaité consacrer l’essentiel de mon avis cette année. Les auditions que j’ai conduites sur ce sujet ont révélé un cadre juridique désormais bien établi à la suite d’utiles clarifications opérées par chaque administration à partir de 2014 mais qui n’est pas sans poser quelques difficultés dans la pratique. Des moyens importants ont certes été mobilisés au cours des dernières années pour renforcer la présence et la formation des aumôniers, ainsi que la connaissance de toutes les problématiques liées à la laïcité et à la pratique des cultes par le personnel pénitentiaire. C’est tout particulièrement la religion musulmane, historiquement sous-représentée parmi les aumôniers, qui a bénéficié de ces moyens, notamment à la suite des plans de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. L’organisation des cultes en détention n’en continue pas moins de soulever de vraies difficultés, qui seront l’objet de mes deux dernières questions.

En premier lieu, d’importantes disparités existent entre les aumôneries pénitentiaires d’une part, et celles hospitalières ou militaires d’autre part – dans leur financement, dans leur mode d’agrément et dans leurs modalités d’intervention. Les règles actuelles ne semblent pas totalement tenir compte de la situation particulière de certains aumôniers qui ne disposent pas, au sein de leur culte, d’un statut, d’une rémunération et d’une couverture sociale, par exemple. Elle serait la cause d’un déficit d’attractivité et de difficultés de recrutement croissantes, notamment pour l’aumônerie musulmane qui doit faire face à une demande de plus en plus importante en détention. Enfin, l’agrément non limité dans le temps ne permettrait pas, selon des personnes entendues, de procéder à un examen régulier des situations. Est-il envisagé de modifier ces règles, en s’inspirant par exemple du modèle de l’aumônerie militaire, qui intervient dans un secteur aussi sensible et qui paraît donner satisfaction ?

Enfin, la question des cultes et de la laïcité se pose aussi dans les structures de la PJJ, selon des modalités il est vrai différentes. Madame la garde des Sceaux, comment le jeune âge des publics pris en charge dans ces structures conduit-il la PJJ à traiter ces questions ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. Je voudrais revenir plus principalement sur les enjeux posés par le débat budgétaire autour de la mission « Justice » – et bien entendu, sur les questions qui se posent parallèlement à ces enjeux. Tout d’abord, se pose la question du respect des objectifs de performance. Lorsque l’on regarde la hausse interrompue des ressources qui ont été accordées à la mission, les indicateurs affichent au mieux une stabilité par rapport aux exercices précédents, ainsi qu’à la cible fixée pour 2020. L’on constate donc, en quelque sorte, un manque d’ambition en termes d’objectifs, malgré l’augmentation des moyens.

Autre volet, celui de la saturation des plafonds d’emploi. Vous y avez fait référence dans votre intervention. Vous avez fait en sorte de réduire l’écart entre la prévision et le nombre de postes effectivement pourvus. En revanche, l’ensemble des travaux de la Cour des comptes et de la commission des Finances de l’Assemblée mettent en lumière la persistance d’une sous-consommation – même si elle est moins importante qu’elle ne l’a déjà été. Nous voyons aujourd’hui un certain nombre d’annonces en termes d’augmentation de postes. Nous sommes donc légitimement amenés à nous poser la question suivante : s’agit-il d’affichage ou serez-vous véritablement en mesure de faire en sorte qu’à la fin de l’exercice 2019, l’intégralité des postes que vous affichez seront intégralement pourvus ? Je prends notamment pour exemple l’administration pénitentiaire, pour laquelle vous savez qu’il existe aujourd’hui un écart en la matière.

L’un des enjeux consistera aussi à confirmer les premiers résultats obtenus dans la maîtrise des dépenses relatives aux frais de justice et celle des délais de paiement. Si cette maîtrise n’est pas maintenue, un nouveau processus de cavalerie budgétaire se mettra en place. C’est l’un des sujets sur lesquels la Cour des comptes a régulièrement lancé l’alerte.

Un autre enjeu vise à engager les premières opérations du programme prévoyant la création de places de prison. Dans son programme présidentiel, le Président de la République indiquait qu’à la fin du quinquennat, il y aurait 15 000 places de prison supplémentaires. Vous y répondez que durant le quinquennat, 7 000 places supplémentaires seraient créées et 8 000 programmées. Pouvons-nous avoir la certitude que les 7 000 places seront bien réalisées et que les 8 000 seront bien programmées – même si ces chiffres montrent qu’il existe d’ores et déjà un décalage entre ce qu’avait annoncé le Président de la République et ce que vous semblez être en mesure de réaliser ?

Il faut également tenir compte des engagements pris dans le relevé de conclusions du 2 janvier 2018 relatif à l’administration pénitentiaire. Ce relevé de conclusions indique qu’au terme d’un mouvement inédit de grève des surveillants, des mesures de revalorisation seront prévues. Pouvez-vous nous indiquer comment elles seront mises en œuvre ?

Ensuite, il s’agit de poursuivre la réalisation du plan de transformation numérique du ministère de la Justice et de faire en sorte que les grands projets informatiques deviennent une réalité. La bonne nouvelle, c’est que le PLF pour 2019 prévoit 49 millions d’euros en AE et 97 millions d’euros en CP. Mais, là encore, toutes les dispositions ont-elles été prises pour que ce chantier avance de manière significative ?

Je terminerai par un autre élément mentionné par l’un des rapporteurs pour avis – l’aide juridictionnelle. Il convient, là aussi, de contenir l’évolution des dépenses en matière d’aide juridictionnelle compte tenu des effets potentiellement inflationnistes de la réforme réalisée entre 2015 et 2018 ainsi que des besoins de financement qui découlent de plusieurs réformes procédurales prévues par le projet de loi de programmation que vous portez, madame la ministre. Il faut, là aussi, plus que jamais alerter quant au risque de dérive du budget lié à l’aide juridictionnelle. Avez-vous, avec votre administration, pris toutes les dispositions pour que ce risque de dérive n’advienne pas ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame la garde des Sceaux, je vous laisse répondre aux rapporteurs.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je souhaite volontiers répondre, encore que la multitude de questions posées m’inciterait à vous parler durant deux ou trois heures ! Je vais essayer de réduire mon propos.

Je voudrais dire d’emblée à M. Houbron qu’au regard du sujet qu’il a souhaité mettre en exergue, qui s’attache à l’accès au droit, il s’agit vraiment d’une de mes préoccupations très fortes. Je souhaite y consacrer un chantier complet au cours de l’année 2019. Je pense en effet qu’il y a là différents sujets dont il convient de se saisir – non seulement, l’aide juridictionnelle mais, au-delà, la manière dont on peut mettre en œuvre l’accès au droit, et pas uniquement dans des points fixes et figés où les gens viennent chercher des informations. Il faut au contraire que différents partenaires aillent vers les gens les plus démunis, qui ignorent même souvent qu’ils peuvent avoir accès au droit.

En réponse aux questions précises que vous avez posées concernant l’aide juridictionnelle, je voudrais redire que son budget est augmenté de 7 %. J’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure, cela marque un effort important et permettra de financer les réformes précédentes, notamment les augmentations qui ont eu lieu pour les unités de valeur de l’aide juridictionnelle, mais aussi celles que nous avons prévues pour l’extension de la représentation obligatoire. En revanche, sur la conception générale de l’aide juridictionnelle, sur laquelle vous me faites un certain nombre de propositions, je dois aussi évoquer ces sujets majeurs avec les avocats notamment, puisque ce sont eux les premiers concernés. Il me faut du temps. Cela fait partie des chantiers qui ont été ouverts par la profession d’avocat. Vous le savez, le Conseil national des barreaux a ouvert des états généraux sur l’avenir de cette profession. L’aide juridictionnelle fera partie de l’un des chantiers qui sont ouverts et sur lesquels nous allons travailler avec les avocats. Il me faut ce temps pour pouvoir mettre en place des propositions cohérentes et qui, j’espère, seront pérennes. Je suis évidemment très attentive à l’ensemble des propositions que vous avez formulées et que nous aurons l’occasion de retravailler durant l’année qui vient.

Vous avez également souligné la possibilité de mettre en place une mission parlementaire consacrée à ces sujets. Je n’y verrais que des avantages et des intérêts.

D’ores et déjà, le rapport des inspections dont j’ai fait mention tout à l’heure – inspection générale de la justice et inspection générale des finances – propose un certain nombre de pistes intéressantes pour une meilleure maîtrise du dispositif de l’aide juridictionnelle. Nous y travaillerons, évidemment.

Pour en venir aux questions de dématérialisation que vous évoquez, je voudrais dire que dématérialisation ne signifie pas exclusion des plus démunis. Nous y serons très attentifs.

Vous évoquez le déploiement des points d'accès au droit au sein des TGI. Je suis très intéressée par leur existence, mais plus encore à l’extérieur des TGI. Il y en a dans beaucoup de villes, mais pas assez – je regarde, disant cela, Mme Alexandra Louis ! Il faudrait déployer dans encore bien d’autres endroits ces points d’accès au droit ou ces maisons du droit et de la justice, peu importe leur nom. Cela fait partie du chantier global que nous devons poursuivre. Au sein des tribunaux, nous souhaitons en revanche développer partout les SAUJ, qui permettront d’accueillir tous ceux qui viennent soit chercher des orientations, soit au contraire déposer une demande d’aide juridictionnelle – et qui sont accompagnés pour le faire. Vous voyez donc que numérisation ne signifie pas abandon de l’accueil physique.

Vous avez évoqué d’ailleurs certains cas, peu fréquents, dans lesquels plusieurs demandes d’aide juridictionnelle doivent être faites pour plusieurs affaires liées. Cela s’explique par le fait qu’en réalité l’avocat désigné n’est pas toujours le même. Mais, justement, je pense que la dématérialisation des procédures nous permettra de dépasser ce type de contrainte, puisqu’avec le système dématérialisé nous pourrons appliquer le principe « dites-le nous une fois seulement ». Cela permettra de réduire le nombre d’informations demandées et de pièces exigées.

Vous avez également évoqué la question des conditions de ressources et de l’harmonisation des pratiques de leur prise en compte. Dans le cadre du projet de numérisation de l’aide juridictionnelle, nous souhaitons précisément transformer les modalités de prise en compte du critère de ressources afin de retenir un critère simple qui permettra d’automatiser davantage les contrôles. Ce sera, a priori, le revenu fiscal de référence (RFR), mais nous n’excluons aucune piste et des tests vont avoir lieu dans différentes juridictions.

Sur la situation des personnes en situation irrégulière, la difficulté que vous évoquez n’est pas liée à la question du foyer, puisque la prise en compte des revenus des personnes vivant au foyer suppose une communauté de vie. En réalité, c’est la loi de 1991 qui, dans son article 3, dispose aujourd'hui qu’une résidence habituelle et régulière est nécessaire pour bénéficier de l’aide juridictionnelle. Donc, là encore, il faudra peut-être engager une réflexion.

Je ne sais pas si je continue à répondre à chacune de vos questions ou si vous m’autorisez à développer l’ensemble de ces sujets un peu plus tard, lorsque nous pourrons soit travailler ensemble, soit accompagner des réflexions qui seront conduites dans le cadre du travail mis en place avec les avocats ? En tout cas, je vous le dis ici, c’est vraiment pour moi un point essentiel auquel je souhaite m’atteler dès 2019.

Monsieur Questel, vous me posez quatre questions. Par la première, vous me demandez des précisions sur les 7 000 places de prison. Je voudrais redire qu’il ne s’agit pas de 7 000 places, mais bien de 15 000. Elles seront soit livrées, soit lancées, avant 2022. J’ai eu l’occasion de préciser dans mon propos introductif que ces places de prison répondent à des exigences d’établissements différenciés nous permettant soit d’accueillir au sein d’un même établissement des détenus qui sont sous des régimes de détention différents, soit de construire des établissements spécifiques pour accueillir des détenus qui se trouvent à un moment donné de leur parcours de peine dans une même situation. C’est la raison pour laquelle nous ne construirons pas de maison centrale. Il y a suffisamment de ces maisons les plus sécuritaires sur le territoire. Elles ne sont d’ailleurs pas remplies et ne connaissent aucune surpopulation carcérale. Nous n’avons pas de besoin supplémentaire dans ce domaine-là. En revanche, nous allons construire des centres pénitentiaires adaptés. Je vous ai dit qu’il y aurait environ 10 000 places sur les 15 000 qui répondront à cela. Ces centres pénitentiaires nous permettront d’accueillir des personnes sous des régimes de détention diversifiés – aussi bien des personnes nécessitant des exigences de sécurité soutenue que des personnes éligibles à des régimes plus autonomes, dits régimes de confiance. La construction architecturale répondra à ces exigences. Nous construirons également des maisons d’arrêt, à raison de 2 500 places, répondant aux besoins de détention des prévenus. Et je souhaite que nous y prévoyions des dispositifs qui nous permettront de développer des activités aussi bien en termes de formation qu’en termes d’emploi. Hier, j’ai pu engager un dialogue avec Mme Pécresse, présidente du conseil régional d’Île-de-France, qui soulignait à quel point sa région pourrait – comme d’autres d’ailleurs – intervenir pour appuyer la formation professionnelle dans ces maisons d’arrêt ou dans les centres pénitentiaires de plus longues peines.

Nous construirons aussi 2 000 places dans des SAS destinées, comme je le disais tout à l’heure, soit à des détenus qui ont à effectuer de courtes peines de prison et pour lesquels il nous faut tout de suite travailler à la réinsertion, soit à des détenus en fin de peine pour lesquels il nous faut évidemment engager un processus de sortie. Ces SAS répondront à des exigences de sécurité moindre et nous y placerons des détenus au profil adapté. Les services publics de logement et d’insertion vers l’emploi nous permettront de préparer au mieux leur sortie. Enfin, nous construirons deux ou trois prisons expérimentales par le travail. Des entreprises ou des fondations d’entreprise souhaitent travailler avec nous pour former des détenus, les employer durant leur parcours de détention et éventuellement leur proposer un emploi en sortie de détention, ce qui assurerait évidemment une meilleure réinsertion. Voilà quelques mots, qui demanderaient des précisions supplémentaires.

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, l’effet désocialisant des courtes peines. Vous me demandez, au fond, si le mérite des détenus durant leur parcours de peine ne pourrait pas être mieux pris en considération. Je peux vous répondre que les quartiers dits de confiance dont je vous parlais tout à l’heure supposent la prise en considération du mérite des détenus, car seuls ceux qui respecteront le contrat mis en place dans ces quartiers de confiance pourront y demeurer – lequel contrat supposera la soumission à un certain nombre de règles et d’activités qui leur seront proposées. Le respect de ces règles permettra d’accorder une plus grande autonomie aux détenus durant leur détention. En cas de non-respect, en revanche, un retour en prison plus classique sera alors mis en place. Le mérite est donc bien pris en compte. Le positionnement dans une SAS répondra également à cette notion.

Vous avez également évoqué, à propos de la laïcité, la question des aumôneries. Nous conduisons, avec le ministère de l’intérieur, une réflexion interministérielle sur la structuration des aumôneries. On évoque souvent l’aumônerie musulmane, mais la direction de l’administration pénitentiaire compte sept aumôneries. Nous devons donc réfléchir à un cadre valable pour toutes. Le modèle militaire est également évoqué, vous-même y avez fait allusion, mais il faut être conscient d’une différence essentielle : les aumôneries pénitentiaires interviennent auprès des détenus et non des surveillants. Nos priorités, jusqu’à présent, ont porté sur le renforcement de la formation des aumôniers et sur le toilettage du statut, notamment les conditions d’agrément. C’est un travail que nous poursuivrons.

Vous avez également évoqué la PJJ, en me demandant si la construction des 20 nouveaux CEF tiendrait compte des retours d’expériences antérieures dans lesquelles, il est vrai, nous avons connu un certain nombre de difficultés. Nous en tenons bien entendu compte. C’est pourquoi, si nous maintenons la possibilité d’un placement des jeunes en CEF, nous travaillons aussi désormais sur la sortie des CEF pour éviter – comme pour les établissements pénitentiaires – qu’il y ait des sorties sèches, c’est-à-dire qu’un jeune qui a passé six mois en CEF se retrouve brutalement dehors sans que cette sortie ait été préparée. Aussi proposons‑nous, dans le projet de loi que je vous présenterai, des dispositifs progressifs d’accueil de jour qui permettent de continuer à prendre en charge les jeunes quand ils sont sortis des CEF et ne pas les remettre brutalement dans un dispositif sans aucune prise en charge. Donc oui, nous tirons les leçons de l’expérience ! Je pourrais citer d’autres exemples, mais celui-ci me semble particulièrement probant.

Monsieur Hetzel, vous avez évoqué plusieurs points, notamment la question du respect des objectifs que nous fixons. Vous avez parlé de manque d’ambition pour les objectifs 2019. Je ne partage évidemment pas ce terme. Simplement, pour 2019, nous tenons lucidement compte – et ce n’est pas un manque d’ambition – du délai nécessaire à la mise en œuvre de la loi de programmation et de réforme de la justice. Autrement dit, je ne sais pas exactement quand cette loi sera votée, peut-être d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, mais il nous faut en tout cas prévoir un délai de mise en œuvre. Nous en avons évidemment tenu compte.

Sur la question des recrutements, pour lesquels vous estimez que nous risquons peut-être une sous-consommation, je puis vous assurer que nous avons réellement mis en place l’ensemble des dispositifs nous permettant d’assurer les recrutements. Je pense ici notamment aux surveillants pénitentiaires : les concours 2018 et 2019 nous ont d’ores et déjà permis de recruter les personnels à la hauteur de ce à quoi nous nous étions engagés. Il n’y a évidemment pas de problème de recrutement dans le domaine de la justice judiciaire – la magistrature n’a plutôt pas de problème de recrutement ! Concernant l’administration pénitentiaire, je viens de vous le dire, nous avons réorganisé la formation des surveillants pénitentiaires pour nous assurer de l’efficacité des processus de recrutement, de formation et d’affectation dans les établissements pénitentiaires.

Vous m’interrogez également sur la question des mesures de revalorisation. Vous souhaitez savoir comment elles sont appliquées. Toutes les mesures financières liées au protocole signé en 2018 ont été prises et seront mises en œuvre, qu’il s’agisse de l’indemnité des charges pénitentiaires – où la revalorisation a fait passer le montant de base de 1 000 à 1 400 euros par an, ce qui n’est tout de même pas négligeable pour un surveillant pénitentiaire, et ce sont 11,5 millions d’euros qui ont été prévus –, de la prime de sujétion spéciale – avec une augmentation de 0,5 % cette année et un alignement sur la police à terme, à 2 %, soit 2,5 millions d’euros cette année –, ou de l’indemnité de dimanche et jour fériés, qui est passée de 26 à 36 euros, ce qui représente 3,5 millions d’euros. Ce sont près de 18 millions d’euros qui y seront consacrés dès 2018. Et, en 2019, l’extension en année pleine et l’ajout de la prime de fidélisation permettront d’aboutir à 25 millions d’euros. Tout cela est déjà prévu.

Vous avez également évoqué les 15 000 places de prison, en me demandant si elles étaient toutes effectivement programmées. Je m’engage absolument à la livraison, comme je l’ai dit, de 7 000 places d’ici 2022. Il s’agit de 7 000 places par rapport au nombre de places disponibles lorsque nous sommes arrivés. Il y aura 7 000 places supplémentaires en 2022. Ainsi que je l’expliquais à l’instant, la différenciation des bâtiments dont nous avons besoin nous permettra d’y parvenir. J’ajoute que dans le projet de loi que je vous présenterai, je vous proposerai des mesures juridiques nous permettant d’accélérer et de faciliter la construction des établissements pénitentiaires. Je ne doute pas que vous y serez grandement favorable !

En outre, la construction de 8 000 autres places de prison sera lancée avant 2022. À l’exception de quelques sites, nous avons repéré tous les terrains. Nous en sommes au stade des études et des analyses, mais la construction de ces places sera effectivement lancée avant 2022. J’ai d’ailleurs récemment publié une carte de ces futures implantations pénitentiaires. Nous savons donc aujourd’hui où elles se situeront.

Enfin, vous avez abordé le numérique. Vous me demandez si la numérisation avancera de manière significative. Sachez que je fais tout pour cela, monsieur le député ! Nous avons des personnels particulièrement compétents, des crédits ainsi qu’une ambition, et une gouvernance a été mise en place à cette fin. Je ne doute pas que notre travail se traduira prochainement, sur le terrain, par des avancées réelles.

Quant à la dérive du budget lié à l’aide juridictionnelle, je crois avoir répondu tout à l’heure que l’augmentation budgétaire que nous avons prévue pour 2019 nous permet de faire face à la revalorisation et même à l’accroissement de la représentation obligatoire. En 2020, il faudra que nous revoyions ce processus.

Mme Alexandra Louis. Je tenais, au préalable, à souligner la qualité des travaux qui nous permettront d’examiner tout à l’heure ces crédits de la mission « Justice ». Cela a été souligné à juste titre, ils connaissent une augmentation et traduisent ainsi l’engagement du Président de la République et du Gouvernement de donner à notre pays une justice à la hauteur de ses ambitions, et de relever de très nombreux défis qui ont fait l’objet de différents chantiers ces derniers mois, en tout cas depuis le début de cette législature. Le budget 2019, qui s’inscrit au sein de la loi de programmation, connaît une augmentation de ses CP de l’ordre de 4,5 % – et ce, après avoir déjà connu une progression l’an dernier, cela doit à nouveau être souligné. C’est donc un effort budgétaire important, que le groupe majoritaire tient évidemment à saluer.

Parmi vos nombreuses priorités, je souhaiterais revenir tout particulièrement sur deux points. Le premier, que vous avez largement abordé lors de cette introduction, est la transformation numérique de votre ministère. Le second concerne plus précisément la justice des mineurs.

Nous savons que la transformation numérique représente un enjeu particulier pour notre justice, pour tous les justiciables et pour les professionnels du droit. Vous avez lancé un plan de transformation, notamment dans le but d’améliorer l’accès au droit pour nos concitoyens via les outils numériques, avec une enveloppe budgétaire qui avoisine les 200 millions d’euros en CP. Cette modernisation indispensable bénéficiera tant aux professionnels du droit qu’aux justiciables, notamment en augmentant les capacités de traitement des serveurs existants, en développant la visioconférence ou en dématérialisant certaines procédures ou applications déjà existantes – je pense notamment à celle concernant l’aide juridictionnelle. Je sais aussi que dans la pratique, cette dématérialisation permet un gain de temps et d’efficacité. Nous avions étudié la dématérialisation de la transmission des procédures de police dans le cadre du traitement en temps réel des procédures pénales lorsque vous vous étiez rendue au TGI de Marseille. Il faut pouvoir déployer cet exemple. Ce chantier requerra beaucoup de temps. Pourriez-vous revenir un peu plus en détail sur le calendrier global de ce plan et nous préciser les mesures concrètes que nous pourrons constater d’ici à la fin de l’année 2019 ?

J’en viens à mon second point : la création prévue de 20 CEF pour répondre à une demande qui existe depuis longtemps, celle de la diversification des réponses pénales et éducatives pour les mineurs. On le sait, il y a autant de dossiers de mineurs que de situations différentes. Pour apporter une réponse adaptée, il faut disposer des moyens et des outils nécessaires. Les CEF constituent une de ces solutions – il faut rappeler que, très souvent, ils sont une alternative à l’emprisonnement. La création de 20 CEF supplémentaires répond donc à un réel besoin.

J’ai eu l’occasion d’en visiter un, très récent, à Marseille. Il a ouvert ses portes fin 2017 et présente la particularité, que je tiens à souligner, d’être mixte, ce qui est assez rare. Ce centre fonctionne très bien, notamment avec des personnels éducatifs dédiés à l’insertion, voire à la réinsertion. Je sais que d’autres CEF ne fonctionnent pas aussi bien. Nous en sommes tous conscients. C’est la raison pour laquelle je voudrais appeler votre attention sur ce point et savoir ce qui est prévu, notamment pour garantir un bon encadrement des mineurs pris en charge par ces CEF et pour les fidéliser. Par ailleurs, quel est le calendrier de mise en œuvre de ces différents CEF à l’horizon 2022 ?

M. Jean-Louis Masson. Au nom du groupe Les Républicains, nous vous donnons acte, madame la garde des Sceaux, de votre projet d’augmentation du budget de la justice de 300 millions d’euros en 2019. Si l’on y ajoute les 260 millions d’euros de l’année dernière, cela représente 560 millions d’euros sur deux exercices budgétaires. Mais ne souriez pas trop vite, car je vous propose de placer cette somme en perspective avec un autre chiffre, celui de la dépense publique. Sur les deux mêmes exercices budgétaires, elle se sera accrue de 42 milliards d’euros. Si vous faites une règle de trois, vous observerez comme moi que l’augmentation du budget de la justice ne représente que 0,013 % de l’augmentation de la dépense publique sur la même période. Non, madame la ministre, sans vouloir vous offenser, votre budget ne comble pas l’immense retard de cette fonction régalienne !

Comme vous le savez, votre budget ne permettra pas de décoller de la toute fin du peloton européen en la matière – peu glorieux, me semble-t-il, pour la patrie des droits de l’Homme. Mais tout cela, le Sénat vous l’a dit, notamment lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022.

J’aurai quelques observations et questions sur la justice judiciaire. La pénurie chronique des magistrats et fonctionnaires de greffe ne cesse d’être dénoncée, année après année – je dirais même quinquennat après quinquennat. Cela se mesure d’ailleurs au délai moyen du traitement des procédures, qui ne cesse d’augmenter et qui n’a cessé de le faire à nouveau au cours de l’année que nous venons de vivre, toutes juridictions confondues. Vous connaissez bien sûr les chiffres bien mieux que moi. On note néanmoins une augmentation des crédits pour les magistrats à titre temporaire ou les agents non-titulaires, avec 22 millions d’euros. Faut-il y voir une certaine forme de précarisation des statuts ?

Concernant l’administration pénitentiaire, nous notons – comme l’a fait mon collègue – un recul important des annonces présidentielles sur la lutte contre la surpopulation carcérale au sein des maisons d’arrêt, puisque 15 000 places nouvelles devaient être créées d’ici 2022 et que vous révisez ce chiffre à 7 000. Au demeurant, et compte tenu des délais de réalisation d’un établissement pénitentiaire, de l’ordre de quatre à cinq ans, votre objectif semble vraisemblablement irréalisable. Vous n’avez d’ailleurs, à ce jour, pas arrêté le programme d’implantation définitive de nouveaux établissements. Les maisons d’arrêt resteront donc vraisemblablement surpeuplées. Qu’il me soit ici permis de revenir en arrière. À la même époque l’an dernier, vous étiez portée par le même enthousiasme qu’aujourd’hui, mais rien n’a changé dans les maisons d’arrêt. La surpopulation carcérale est une réalité dans tous les établissements de notre pays.

Ma question concerne le renseignement pénitentiaire. Vous présentez un budget de 5,8 millions d’euros et 39 personnes supplémentaires, mais permettez-moi de vous demander de nous préciser ce qui n’y figure apparemment pas, qu’en tout cas je n’ai pas trouvé : existe-t-il une doctrine et quel est le dispositif que vous envisagez de mettre en œuvre pour ce service de renseignement pénitentiaire ?

Concernant l’aide juridictionnelle, le problème est structurel et souligné chaque année. Il tient à un coût en constante augmentation et au nombre toujours croissant de personnes éligibles, au-delà de l’augmentation du montant des prestations. Chaque année, cette dépense est toujours sous-estimée. Le Sénat a fait une proposition sur laquelle je souhaiterais avoir votre avis. Il s’agirait de réclamer un « droit de timbre » de 20 euros à 50 euros aux justiciables. Que pensez-vous de cette proposition sénatoriale ?

M. Erwan Balanant. Le Mouvement Démocrate et apparentés observe qu’un effort conséquent est consenti, mais qu’il ne rattrapera pas, hélas, le retard pris depuis presque trente ans dans le budget de la justice. Dans la mesure où ce rattrapage financier ne suffira pas, il faut également – et c’est le travail que vous faites – réformer pour être plus efficace. Ce budget augmente vraiment. C’est factuel, et inédit depuis de nombreuses années. Mais, à côté, il faut aussi que cette réforme se fasse de façon efficace. Je vous fais confiance, et le texte que nous avons déjà commencé à examiner montre un certain nombre de pistes extrêmement intéressantes – en permettant aux magistrats de se recentrer sur le cœur de leur métier, en augmentant l’efficacité du travail au sein des juridictions et en repensant l’organisation judiciaire sans supprimer, vous l’avez précisé, des lieux de justice.

Il a été question des points d’accès au droit. Je pense qu’il est extrêmement important que de tels points puissent également exister là où il n’y a pas de TGI ou de TI. Dans ma ville, Quimperlé, un point d’accès au droit a été créé lors de la suppression du TI et, aujourd’hui, il est géré en partie avec la collectivité territoriale et l’intercommunalité. C’est un vrai service pour les citoyens.

Une grande partie de l’augmentation du budget est consacrée à l’administration pénitentiaire. C’est assez logique quand on voit l’état de nos prisons. Vous l’avez dit, il est absolument nécessaire d’investir dans la rénovation d’un certain nombre de centres pénitentiaires aujourd’hui complètement délabrés ou dans un état qui ne correspond plus aux standards que nous attendons aujourd’hui. Grâce au travail accompli par la commission des Lois depuis le début du mandat, nous avons toutes et tous pu visiter un certain nombre de centres et de maisons d’arrêt et nous avons parfois observé des situations bien différentes. Certains ont aussi constaté que cette privation de liberté n’était parfois pas loin d’une privation d’humanité. Nous ne pouvons pas y rester indifférents.

Quel type de prison construire ? Effectivement, construire 15 000 places en maisons centrales serait une aberration totale – vous l’avez bien précisé. Pour réduire le nombre de personnes en prison, je pense qu’il convient de réduire la récidive. Lorsque les gens reviennent en prison, c’est un peu une double peine pour tout le monde – la personne condamnée, mais aussi la société. Il faut donc des centres qui privilégient et permettent une réinsertion réussie. À cet égard, je rejoins la volonté de notre présidente que la commission des Lois soit associée à ce travail de définition en amont des prisons que nous allons décider de construire. Je pense en particulier à des prisons qui permettent de mettre en place le programme « Respecto ».

Concernant la transformation numérique, j’aimerais connaître l’articulation que vous envisagez avec les outils du ministère de l’Intérieur. Sans doute y a-t-il un travail d’efficacité à mener pour connecter les forces de l’ordre, les enquêteurs et la justice.

Enfin, sur le dossier unique, je pense qu’il faudrait parvenir à un dispositif similaire à « .gouv.fr ». Je crois que c’est votre volonté, pour permettre à tous les justiciables mais aussi tous les métiers de la justice de disposer d’un outil unique, cohérent et qui fonctionne.

Mme Cécile Untermaier. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je tiens à vous remercier, madame la garde des Sceaux, pour vos propos, pour le rapport extrêmement circonstancié que vous nous avez livré et pour la détermination avec laquelle vous portez ce projet de budget. Je prononce sans doute ces quelques mots pour atténuer les réserves que nous allons être contraints d’exprimer. Je voudrais également remercier nos deux rapporteurs pour la qualité de leurs rapports, qui nous éclairent sur des questions majeures. J’ai particulièrement apprécié les propositions qui ont été faites notamment en matière d’aide juridictionnelle, et la réflexion menée par M. Bruno Questel sur la question de la peine. Enfin, je rappellerai, comme en 2018, les mots de M. Jean-Jacques Urvoas dans la lettre qu’il vous avait adressée, disant qu’il fallait cesser d’ajouter des mots aux maux et que la priorité des priorités était désormais le budget de la justice. Je pense que vous en avez pleinement conscience, et le Président de la République aussi, puisque, dans le projet de loi de programmation, vous en faites une règle de majoration de ce budget.

On sait que l’on part de loin. Il ne s’agit pas d’évoquer ce qui a été fait avant ou pas, mais depuis 1960, tout a été mis en œuvre pour étouffer la justice et l’autorité judiciaire. Le juge a toujours fait peur. Et finalement, l’on n’a jamais mis le budget de la justice à sa véritable hauteur, mettant ainsi en péril l’État de droit. Notre collègue des Républicains a cité les chiffres de 42 milliards d’euros de hausse de la dépense publique et les 350 millions d’euros de hausse pour la justice. S’ils sont exacts – je ne les ai pas vérifiés –, ils démontrent le fossé qu’il nous faut encore franchir pour répondre véritablement aux standards européens. Nous avons progressé, depuis 2010. Mais nous sommes encore très loin des budgets de pays tels que l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne. Face à cette situation préoccupante, tous les efforts sont bienvenus, au titre desquels cette loi de programmation. En outre, rien ne nous interdit d’imaginer que l’on puisse en renforcer l’ampleur dans les années qui viennent.

Vous présentez donc une montée en puissance positive du budget global. Il est vrai que 4,5 %, c’est plus que les 2,6 % que nous avions enregistrés entre 2012 et 2017 – dont acte. Mais je pense que, depuis les années 2000, il y a une prise de conscience de cette nécessité de majorer le budget de la justice, et que nous devons l’amplifier largement sans attendre 2022.

J’ai des inquiétudes concernant le cœur même du budget. La première concerne les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), chevilles ouvrières de la réinsertion, qui sont vraiment en souffrance en raison de l’absence de moyens matériels et humains. Ils sont surchargés de dossiers : un conseiller s’occupe de plus d’une centaine de personnes, alors que la norme européenne est de 40 dossiers. Nous comptons 3 688 conseillers pour 260 000 personnes sous main de justice. Je pense que 1 500 emplois supplémentaires ne suffiront pas. Il faut doubler le nombre de conseillers, d’autant plus qu’il existe, me semble-t-il, un véritable hiatus entre la politique pénale que vous affichez – et à laquelle je souscris – et le nombre d’emplois créés. Je redoute que nous ne parvenions finalement pas à développer cette politique pénale, parce que nous allons vraiment manquer de ces CPIP qui accompagnent les personnes sous main de justice.

La situation est aussi, à mon sens, très problématique pour les surveillants de prison. Nous avons été plusieurs fois épinglés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le système carcéral français souffre de nombreux maux, dont des effectifs très en deçà de la moyenne européenne. Avec un surveillant pour 2,5 détenus, nous avons le plus mauvais taux d’encadrement d’Europe. Les efforts budgétaires que nous consentons sont une vraie nécessité.

Ensuite, la vingtaine de CEF nouveaux soulève des réserves de ma part. En effet, ce modèle de centre est aujourd’hui remis en cause. Une évaluation fine a-t-elle été menée avant de décider de leur création ? Nous savons, qui plus est, que ces CEF sont coûteux : 690 euros par jour et par mineur. Une évaluation fine de ce placement s’impose au regard de l’orientation budgétaire coûteuse de ce dispositif. Nous n’en négligeons pas l’intérêt, mais nous ne partageons pas la nécessité d’un tel développement.

Enfin, vous vous êtes largement exprimée sur la construction des nouvelles places de prison. Nous regrettons que le moratoire de l’encellulement individuel soit repoussé d’année en année. C’est pourtant une exigence au regard des enjeux de la réinsertion et de la lutte contre la récidive. Sans en faire un dogme, l’encellulement individuel doit être une réponse légitime à un détenu qui en fait la demande.

M. Pierre Morel-À-l’Huissier. Madame la garde des Sceaux, je vous remercie pour vos propos. Je constate l’augmentation du budget de près de 4,5 %, ce qui est assez notable. Je voudrais vous poser quelques questions au nom de mon groupe UDI, Agir et Indépendants.

J’ai bien noté la création de 1 300 emplois, dont 192 en juridiction. Cela ne vous étonnera pas qu’en tant que député de la ruralité, député de la Lozère, je vous interroge une nouvelle fois sur l’amélioration des effectifs des petits tribunaux, notamment les petits TGI. Chaque année, les magistrats se plaignent auprès de nous des postes non-couverts, tant au niveau des parquets que du siège et des greffes. Qui plus est, dans ces petits tribunaux, les magistrats sont peu nombreux et appelés à exercer toutes les fonctions. Pour être spécialiste de ces questions, je puis affirmer que le fait que des magistrats soient amenés à exercer de manière généraliste toutes les fonctions dans un même tribunal n’est pas garant d’une bonne justice. Cette problématique peut-elle évoluer sous votre ministère ?

Par ailleurs, sous l’impulsion de sa présidente, la commission des Lois a travaillé sur le concept de prison ouverte, que nous avons dénommée « centre pénitentiaire de réinsertion ». C’est, à notre sens, une alternative intéressante à l’incarcération. Les modèles étrangers sont probants. Pourtant, l’administration centrale de votre ministère s’est toujours montrée un peu retorse sur ce dispositif – puis-je le dire ? Les SAS, que vous semblez vouloir promouvoir, correspondent-elles au modèle des prisons ouvertes ?

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur des problématiques récurrentes quant aux bureaux d’aide juridictionnelle, dont l’analyse des ressources des demandeurs s’avère quelque peu erratique. On prend en considération les revenus modestes qui sont déclarés, mais l’on oublie parfois le patrimoine détenu. Cela crée des ruptures d’égalité. Cette problématique a-t-elle été soulevée à votre niveau ?

Mme Danièle Obono. Concernant la mission « Justice » en général, je voudrais commencer par faire part de la déception de La France insoumise quant à l’écart entre les annonces et la réalité ou du moins les éléments dont nous disposons sur le budget. En effet, on se rend compte après analyse qu’avec l’inflation et l’augmentation de la population, le budget de la mission « Justice » n’augmente que de 2,5 % au total, dont 0,35 % pour les crédits de personnels. Concernant le recrutement, cela a été évoqué, seuls 100 emplois de magistrat sont prévus pour 2019, et 92 pour le renforcement des équipes. C’est insuffisant, puisque les postes vacants étaient estimés à 1 000 par l’Union syndicale des magistrats fin 2016. Des annonces sont faites, sans pour autant ouvrir des postes en conséquence au concours.

Il a également été rappelé que la France occupe le 37e rang sur 41 au regard de la part du budget de la justice dans le produit intérieur brut (PIB). Elle compte quatre fois moins de procureurs que la moyenne européenne et 2,2 fois moins de juges par habitant. Ces chiffres montrent le décalage entre les annonces et la réalité des moyens, malgré les augmentations engagées depuis des années. C’est un décalage que nous regrettons. Il faut se doter des moyens d’une justice véritablement au service du peuple et de la population, qui puisse s’exercer dans de bonnes conditions matérielles comme en termes de formation.

Je vais centrer mon propos sur deux points. Le premier est le choix effectué dans ce budget, qui porte principalement sur l’incarcération et la construction de nouvelles prisons. En dépit d’un certain nombre de vos propos que nous pouvons saluer, c’est une philosophie que nous ne partageons pas. Dans les faits, l’essentiel de l’augmentation servira à construire plus de prisons et plus de places de prison. Pour nous, cela va à l’encontre de ce qu’il faudrait faire, en l’occurrence une désinflation carcérale. Nous aurons ce débat, y compris lors de l’examen du projet de loi de programmation. Nous verrons comment il est possible de renverser la vapeur, y compris en matière de procédure pénale. Mais dans les faits, votre budget et les moyens qu’il prévoit vont dans le sens de toujours plus de places de prison. Ce n’est pas le sens des annonces qui ont été faites quant aux moyens qui seraient dédiés à la diversification des alternatives à l’incarcération et la prison.

On observe aussi, selon nos calculs, une baisse des placements à l'extérieur d’environ 14 % par rapport à 2017. Une baisse est également constatée concernant l’accompagnement en prison et les associations sportives et culturelles au sein des lieux de détention. Encore une fois, en dépit des annonces, ce budget et cette politique s’inscrivent dans ce qui est malheureusement effectué depuis des décennies dans notre pays : plus de prisons et d’incarcération, y compris dans les conditions que l’on sait et sans remise en cause de la philosophie générale de la justice ni de la place de l’incarcération.

Mon dernier point concerne les partenariats public-privé (PPP), dont la Cour des comptes a souligné le coût. Heureusement, il a été décidé d’y mettre un terme pour la justice, mais le budget qui nous est présenté est incomplet et insincère puisque, dans sa note d’exécution, la Cour des comptes rappelait que plus de 6,6 milliards d’euros en AE au titre des PPP n’étaient pas budgétés en 2017 pour cette mission. L’ont-ils été depuis ? Il semble que non, car en 2017 les AE représentaient 10,8 milliards d’euros, et seulement 9,03 milliards dans le PLF 2019. À combien s’élève désormais ce coût, qui entache manifestement le budget de la mission puisque les AE représenteraient 40 % du total ? Il nous semble qu’il faut désormais, pour les constructions futures mais aussi actuelles, envisager de rompre ces contrats qui constituent un surcoût absolument démesuré – outre le fait que La France insoumise est, en général, opposée au développement des PPP ?

M. Stéphane Peu. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je ferai d’abord une remarque qui ne porte pas directement jugement sur votre action, madame la garde des Sceaux, mais qui revient sur le constat d’une situation extrêmement préoccupante pour notre pays. En effet, le budget de la justice est en constante augmentation depuis 2002, donc depuis plus de quinze ans, et pourtant nous ne sommes pas en mesure de remplir convenablement les missions de justice. L’augmentation de 2019 ne permettra pas de déroger à cette règle. Les augmentations décidées année après année portent sur un budget historiquement si bas et si en retard que le retard structurel n’est jamais rattrapé. C’est ce qu’a souligné une nouvelle fois la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), organe du Conseil de l’Europe, dans son rapport du 4 octobre 2018. La situation critique de la justice française en terme budgétaires et de moyens humains reste patente. Je rappelle, comme cela a été dit par d’autres avant moi, que la France consacre moins de 66 euros par an et par habitant à son système judiciaire, alors que l’Allemagne y consacre 122 euros, l’Autriche 107 euros, l’Espagne 79 euros, et je pourrais continuer la liste. La France ne consacre que 0,2 % de son PIB au système judiciaire. Le nombre de juges et de procureurs français reste problématique, puisque nous comptons aujourd’hui moins de juges qu’il y a deux ans.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Non !

M. Stéphane Peu. Je parle du nombre de juges par habitant. C’est lié au fait que notre pays continue de croître démographiquement. Il y avait 10,5 juges pour 100 000 habitants il y a deux ans, il y en a 10,4 aujourd’hui. D’une manière générale, nous comptons deux fois moins de juges que la moyenne européenne. Or la question des moyens est essentielle pour offrir à nos concitoyens une justice de qualité. Cette question ne saurait en aucun cas être éludée par des réorganisations, la suppression des TI ou encore la dématérialisation des procédures – mais nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement lors des débats sur la loi de réforme de la justice que vous allez nous présenter d’ici quelques semaines.

Sur le plan judiciaire, les justiciables sont confrontés à des délais démesurés. Je suis député de la Seine-Saint-Denis. Dans ce département, le tribunal – qui est le deuxième de France – est exsangue, vous le savez bien, et bat tous les records de longévité des procédures de justice, en dépit d’efforts fournis ces derniers mois mais qui sont loin du compte. La situation est absolument dramatique, en Seine-Saint-Denis comme dans le reste du pays. Or, pour 2019, 192 emplois seront créés dans les juridictions, dont seulement 100 de magistrats et 92 de greffiers.

Sur le plan carcéral, vous connaissez la situation dramatique. Vous nous proposez un budget avec une hausse principalement consacrée à la production de nouvelles prisons – ce qui est sans doute nécessaire, même si notre pays se caractérise aussi par un parc de prisons extrêmement vieillissant qui mériterait d’être restauré plus rapidement. Mais les conditions d’incarcération, à la fois pour les personnes détenues et pour les agents de l’administration pénitentiaire, sont aux limites du tolérable. Vous le savez bien. Les mouvements répétés dans les prisons ces derniers mois sont venus nous rappeler ces conditions absolument difficiles.

Je salue un certain nombre d’efforts consentis en matière de diversification des peines, et notamment de suivi en milieu ouvert qui nous semble parfois préférable et de meilleure garantie contre la récidive que l’emprisonnement, pour certaines situations.

Enfin, je terminerai par les services de la PJJ qui voient leurs crédits progresser de 5 %. Mais, avec 51 nouveaux postes créés dont 34 pour les nouveaux CEF, cette progression est extrêmement réduite et limitée. C’est bien dommage, parce que – je vais encore faire référence à mon département – deux jeunes sont morts récemment, âgés de 16 et 12 ans, dont l’un devait être suivi dans le cadre d’un placement sous main de justice mais ne l’était pas suffisamment, faute d’effectifs. Il a été criblé de balles de kalachnikov et, aujourd’hui, il est entre quatre planches... La question des violences entre jeunes, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, et l’impuissance dont fait état la PJJ nécessitent d’avoir un regard extrêmement attentif, pas seulement en CEF, nécessaires, mais aussi en suivi en milieu ouvert.

M. Paul Molac. Madame la ministre, vous présentez un budget globalement en augmentation, qui va dans le bon sens. Toutefois, au nom du groupe Libertés et Territoires, j’aimerais insister sur trois points.

Le premier concerne l’accès au droit. Je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous considérez qu’il ne suffit pas qu’il existe des points d’accès au droit dans les TGI. Les collectivités locales de mon territoire assurent ainsi un certain nombre de permanences, confiées à des professionnels qui reçoivent le public et les orientent. L’accès au droit, ce n’est pas seulement l’accès à la justice. C’est aussi, de façon beaucoup plus globale, l’accès à tous les autres droits, y compris le RSA. Je partage donc votre philosophie sur ce point, et je pense qu’il faut que l’accès au droit se fasse au plus près des territoires.

Le deuxième point sur lequel j’aimerais insister est le nombre de places de prison. C’est un problème récurrent. La France a d’ailleurs été montrée du doigt par un certain nombre d’instances européennes, dont le Conseil de l’Europe, sur la surpopulation dans les prisons et les mauvaises conditions de détention. Vouloir construire des places de prison supplémentaires est donc, me semble-t-il, une nécessité. Pour autant, j’ai bien enregistré que l’on ne peut pas faire de l’enfermement l’alpha et l’omega de la politique pénale. Vous avez d’ailleurs récemment insisté dans un journal sur le fait que les nouvelles constructions doivent être accompagnées d’une politique visant à ne pas systématiquement enfermer. Sinon, nous connaîtrons le même problème qu’actuellement : nous construirons de nouvelles places de prison, elles seront remplies parce que les juges penseront qu’il y a de la place et, au bout du compte, nous serons obligés de construire d’autres prisons encore. C’est pour cela que votre plan me semble tout à fait nécessaire pour ne pas retrouver dans quelques années le même problème qu’aujourd’hui.

Mon troisième et dernier point concerne le problème des spécialisations des TGI. Vous savez que nous sommes très attachés à l’aménagement du territoire. Dans le département du Morbihan, par exemple, les tribunaux sont sur la côte. Or nombre de justiciables vivent dans les terres. Pour ma part, je suis à 90 kilomètres aller-retour du TGI le plus proche et à 180 kilomètres du plus éloigné. Si ces tribunaux se spécialisent, je pourrais être contraint de me rendre au TGI de Lorient – situé à 180 kilomètres – plutôt qu’à celui de Vannes. Cela peut poser des problèmes de déplacement. Or je crois qu’il est important que le justiciable ait accès à la peine. Aujourd’hui, beaucoup n’assistent même plus aux audiences. C’est une mauvaise chose, parce que cela ne permet pas de relier le juge, la décision et le citoyen.

Voilà les trois points sur lesquels je voulais insister. J’aurais pu encore évoquer la cour d’appel de Rennes, mais nous en avons déjà parlé car ce sujet est emblématique pour nous. Tout à l’heure, mon collègue Brial vous posera une question plus précise sur Wallis-et-Futuna.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est un roman-fleuve que la réponse que je me prépare à apporter ! J’essaierai d’être synthétique.

Madame Louis, vous insistez sur trois points. Vous soulignez, et je vous en remercie, l’effort budgétaire important. Vous abordez ensuite la question de la transformation numérique. Je redis ce que j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer tout à l’heure, nous sommes extrêmement arc-boutés sur ce que je considère être une question de crédibilité pour la réforme de la justice – vraiment une question de crédibilité. Cela se traduira notamment par trois éléments importants : le portail du SAUJ, qui permettra de répondre aux questions du justiciable lorsqu’il vient voir un greffier ; le portail du justiciable, qui permettra à tous les justiciables d’avoir accès à leurs procédures en ligne ; le portail des juridictions, qui correspond à la dématérialisation complète d’une procédure – et qui ne pourra bien sûr se mettre en place que de manière progressive. Pour moi, c’est vraiment une question de crédibilité. De manière très emblématique, la dématérialisation du B3 constitue en quelque sorte une première pierre, symbolique et efficace, de cette volonté.

Vous m’interrogez ensuite sur les CEF et soulignez l’exemple de celui de Marseille que vous êtes allée voir et à propos duquel vous considérez que le travail accompli est très positif. Nous avons, en effet, beaucoup repensé le travail conduit par les CEF à la suite des différents dysfonctionnements mis en lumière par les rapports de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ou de notre propre inspection. Je pense que le modèle que nous construisons, qui est un modèle plus adapté, plus progressif et très pluridisciplinaire, nous permettra de prendre en charge correctement les jeunes qui y sont affectés. Mon idée, pour les jeunes mineurs délinquants en difficulté, est de proposer une pluralité de réponses. Je le redis ici, il existe une vraie détention et, comme je l’ai indiqué tout à l’heure dans l’hémicycle, près de 900 mineurs sont actuellement en prison. Il existe aussi des CEF – 51 à ce jour et 71 en 2022 – ainsi que des mesures d’accueil de jour ou encore l’accueil dans les familles. Cette palette nous permet de répondre aux différentes spécificités. S’agissant des nouveaux CEF, nous avons lancé un appel à projets au mois de juillet dernier et les procédures sont en cours au moment où je vous parle.

Monsieur Masson, vous m’avez interrogée sur plusieurs points, en commençant par soulever l’immense retard de cette fonction régalienne qu’est la justice. Certes, mais je ne sais pas s’il faut se contenter de dire cela, ou s’il ne vaut mieux pas, malgré tout, se réjouir du rattrapage qu’à raison de deux années consécutives je vous propose. Ce point me semble tout de même important.

Vous avez fait allusion, à l’instar de M. Stéphane Peu, à l’étude de la CEPEJ. Elle montre effectivement que, dans les pays européens, la France n’est pas bien placée. Je vous l’accorde, mais j’apporte aussi un bémol. Sans nullement contester la qualité de l’étude, je précise, d’une part, qu’il s’agit des chiffres de 2016 et que ceux de 2018 montreraient nécessairement une amélioration. D’autre part, il importe de raisonner à périmètre constant. Cette étude, par exemple, ne prend pas en compte la spécificité de la justice française qui compte des juges non professionnels – les juges des tribunaux de commerce et les juges des conseils de prud’hommes. Mon propos n’est pas polémique, mais vise simplement à observer qu’il faut comparer ce qui est comparable. En tout cas, pour ma part, je me réjouis de notre contribution à l’amélioration du fonctionnement de notre justice.

Vous avez ensuite fait valoir la difficulté de la construction des établissements pénitentiaires, en observant qu’au fond, les 15 000 places ne seraient pas ouvertes en 2022. Je vous rappelle, monsieur le député, que l’un de mes prédécesseurs, M. Dominique Perben, avait un grand plan pénitentiaire qu’il a fait aboutir en quinze ans, et qu’aucun établissement n’a été livré sous le premier quinquennat. Aujourd’hui, je m’engage à ce que la moitié du plan pénitentiaire que je propose soit livrée au terme du premier quinquennat. Il faut tout de même ici le rappeler. Je pense que cela permettra de lutter contre la surpopulation carcérale, avec la nouvelle politique des peines que je propose – l’un ne va pas sans l'autre, et l’un ne peut pas être conduit sans l’autre.

Vous avez ensuite évoqué la question du « droit de timbre », en m’interrogeant sur ce que je pensais de cette proposition du Sénat – qui n’est pas la première chambre à évoquer ce sujet. Le « droit de timbre » qui existait a été supprimé en 2014. Ce débat reviendra devant l’Assemblée nationale et nous aurons l’occasion d’en discuter à ce moment-là.

Vous m’avez aussi interrogée sur la question du renseignement. Nos lignes et nos priorités d’action sont claires. C’est d’abord le développement du renseignement humain, qui est essentiel sur le terrain. C’est ensuite la formation des agents. Un effort considérable de formation est d’ailleurs consenti en lien avec la direction générale de la sécurité intérieure. L’autonomie technique du bureau central du renseignement pénitentiaire est également acquise dès cette année. Nous souhaitons en outre créer une filière ad hoc pour assurer l’attractivité de ce nouveau métier qui constitue, notamment pour les surveillants pénitentiaires, un débouché intéressant. Enfin, nous souhaitons clarifier les règles de judiciarisation des renseignements recueillis. Nous avons donc des lignes claires et un budget : 5,8 millions d’euros et 39 emplois supplémentaires en 2019.

Monsieur Balanant, vous m’avez interrogée sur le fait qu’une grande partie du budget 2019 était consacrée à l’administration pénitentiaire. Ce n’est pas tout à fait juste en termes de crédits, puisque 39 % des crédits sont consacrés à l’administration pénitentiaire et que 38 % le sont aux services judiciaires, le reste concernant l’accès à la justice et au droit, la PJJ, etc. Le budget est donc équilibré. En termes d’emplois, évidemment, le budget concerne prioritairement l’administration pénitentiaire. Les recrutements que j’ai eu l’occasion d’annoncer, notamment dans la filière de surveillance, en témoignent.

Vous m’avez demandé s’il était envisageable d’associer la commission des Lois à la définition des nouveaux établissements pénitentiaires. C’est vraiment avec beaucoup de plaisir que nous pourrons travailler ensemble – plus que du plaisir, d’ailleurs : de l’intérêt, au regard notamment du travail que vous avez accompli.

Sur le numérique, vous me demandez quelle est l’articulation avec le ministère de l’intérieur. Elle est très forte, d’abord sur la procédure pénale numérisée puisque toute la partie qui concerne l’enquête sera construite avec ce ministère. Nous avons mis en place une équipe projet pilotée par un préfet du côté du ministère de l’intérieur et par un magistrat de celui du ministère de la Justice. C’est elle qui construira la procédure pénale « native » numérisée. J’espère que nous pourrons livrer les premières briques en 2020. C’est évidemment très complexe, puisque nous devons interconnecter des logiciels. Par ailleurs, nous travaillons également avec d’autres ministères autour de la signature numérique unifiée. Des travaux interministériels très importants sont conduits.

Madame Untermaier, vous me rappelez le livre de M. Jean-Jacques Urvoas – qui ne m’était pas adressé, puisqu’il l’était à son successeur, en l’occurrence M. François Bayrou. Mais il se trouve que je l’avais lu alors même que je n’étais qu’au Conseil constitutionnel, j’avais eu l’occasion de vous le dire. J’avais beaucoup apprécié cet ouvrage. Je me permets juste ici de vous faire remarquer que, sur le plan budgétaire, et tout en reconnaissant les efforts et la volonté qu’il avait, M. Jean-Jacques Urvoas avait prévu un milliard d’euros d’augmentation du budget de la justice en cinq ans. Nous proposons pour notre part une augmentation de 1,6 milliard d’euros. C’est plus que ce qu’avait projeté M. Jean-Jacques Urvoas, qui pourtant, je le sais, était très attaché à ces sujets. Mais je ne me situe pas dans cette perspective, devant vous. Le principal est, évidemment, que nous arrivions, par ces moyens supplémentaires, à transformer la justice.

Vous évoquez la question des CPIP et vous dites que leur nombre sera insuffisant pour mettre en place la politique pénale que je porte. Il est vrai qu’il existe un enjeu majeur à s’appuyer sur le travail des CPIP. Nous en avons besoin pour développer les TIG, pour faire de l’évaluation pré-sentencielle, pour suivre le parcours d’exécution de la peine et pour préparer la réinsertion des détenus. Il existe donc un très fort besoin de travail avec les CPIP. Je signale simplement que nous avions, fin 2017, 3 645 conseillers et 520 directeurs d’insertion et de probation, que des emplois supplémentaires seront créés entre 2018 et 2022 et qu’un effort statutaire est consenti puisque ces postes passeront en catégorie A en 2019. Les moyens de fonctionnement augmentent très fortement également – je ne vous cite pas les chiffres. Tous les efforts sont engagés pour passer de plus de 100 mesures par jour suivies par les CPIP il y a cinq ans à 80 aujourd’hui et, nous l’espérons, 60 en fin de législature. C’est l’objectif de mobilisation que je porte.

Je ne reprends pas la question des CEF, sinon pour répéter que nous sommes très attentifs à ce dossier et à l’évaluation qui sera portée. Je rappelle simplement, car la question a été posée assez fréquemment, que le coût moyen journalier en CEF est de 661 euros contre 560 euros en hébergement collectif traditionnel et de 540 euros en établissement pour mineurs. Il existe donc bien une réelle différence de coût, mais elle est justifiée par l’accompagnement très personnalisé qui est mis en place dans le cadre des CEF.

Monsieur Morel-À-L’Huissier, j’ai bien compris que vous vous souciez à juste titre des effectifs qui permettent de faire fonctionner les petits tribunaux. Il est vrai que dès lors qu’il y a une absence dans ces petits tribunaux, leur fonctionnement devient plus délicat. C’est certain. C’est la raison pour laquelle nous faisons un effort de résorption des vacances d’emplois. Je l’ai dit tout à l’heure, nous avons résorbé, dès l’année dernière, la moitié des vacances d’emplois par rapport aux emplois tels qu’ils sont prévus dans les juridictions. L’an dernier, il y avait 500 vacances d’emplois. Il n’y en a plus que 250 aujourd’hui. Et nous espérons, grâce à l’ensemble des dispositifs prévus par la loi de programmation que je vous propose, pouvoir rapidement les combler.

Vous me demandez ensuite si les SAS sont assimilables à des « prisons ouvertes ». Tout dépend de ce que l’on entend par « prison ouverte » ! Nous avons des « prisons ouvertes ». Je me suis rendue, tout comme votre présidente, à la prison de Casabianda en Corse. Elle est ouverte physiquement. Il n’y a donc aucune barrière entre le dedans et le dehors. Il y a même une route nationale qui passe au milieu de la prison. Dans mon esprit, un SAS n’est pas exactement cela. C’est un lieu sans barreaux, dans lequel les détenus circulent librement et dans lequel se trouvent des services publics pour accompagner la sortie des détenus. Ce n’est pas tout à fait la même conception. Néanmoins, je considère qu’il s’agit de structures beaucoup plus ouvertes que les maisons d’arrêt classiques. Dans les prisons expérimentales par le travail, nous prévoirons également une modification des régimes de détention.

Enfin, sur les ressources des demandeurs pour l’aide juridictionnelle, je vous ai fait part tout à l’heure de mon intérêt pour la prise en compte du RFR, qui uniformisera la prise en compte des conditions de ressources.

Madame Obono, vous dites que les moyens sont consacrés à construire toujours plus de places de prison. Je ne suis pas tout à fait en accord avec vous. J’ai expliqué que, bien sûr, nous avions besoin de places supplémentaires, mais qu’en même temps, toute la politique pénale que je conduis vise à diminuer le nombre de courtes peines d’emprisonnement, dont nous considérons qu’elles conduisent à de la récidive et qu’elles ne sont pas utiles. C’est donc un équilibre que nous avons construit, et c’est dans cet équilibre que se situe le plan immobilier que j’ai présenté devant vous.

Quant aux PPP, je vous rappelle que nous y avons mis fin – vous l’avez dit vous‑même – qu’ils sont pris en charge et financés et que nous ne souhaitons pas résilier les contrats existants. Ils fonctionnent, et il me semble que cela nous coûterait extrêmement cher de les résilier. Mais nous ne restons pas inactifs. Nous négocions en ce moment un refinancement des 14 PPP pénitentiaires, ainsi qu’une évolution de leur durée pour les aligner sur les exigences de nos contrats les plus récents.

Monsieur Peu, vous évoquez – je n’y reviens pas – le retard structurel de la justice, qui ne s’est jamais résorbé, avez-vous dit. Je considère que nous faisons des efforts substantiels, d’une ampleur qui n’a pas connu de précédent sinon il y a très longtemps. Nous améliorons donc la situation dans nos juridictions. Je sens d’ailleurs déjà que la tension dans les juridictions est bien moindre qu’il y a un an. Je ne dis pas que tout va bien – ce n’est pas du tout mon style. Mais je dis que, par rapport à il y a un an, les tensions sont beaucoup moins fortes. Je reçois beaucoup moins de courrier me disant qu’il manque des magistrats ou autres. Il manque peut-être des greffiers. Des efforts de recrutement sont engagés de ce point de vue.

Vous avez souligné la difficulté de la situation du tribunal de Bobigny. Monsieur le député, dès que cette commission sera terminée, je tiendrai dans mon bureau une réunion pour traiter cette question, sur laquelle un rapport d’inspection générale a été demandé, qui nous a livré un certain nombre de préconisations et que je souhaite étudier. Je pense que nous avons à relever un défi majeur pour être à la hauteur – avec la police nationale. Car ce n’est pas qu’une question de justice. Il faut travailler ensemble pour essayer de faire évoluer cette situation.

Enfin, pour votre information, il y a aujourd’hui à Bobigny 137 magistrats au siège, alors que la localisation des emplois n’en comporte que 135. Il y a donc deux magistrats supplémentaires au siège. Nous comptons également 55 magistrats au parquet, alors que la localisation n’en comporte que 53. Nous faisons donc un effort. Toutes les difficultés ne sont pas résolues, et je suis extrêmement sensible au à la situation de Bobigny.

Enfin, monsieur Molac, vous me dites que l’enfermement n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique pénale. Je partage votre sentiment !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, madame la ministre. Nous en venons aux questions de nos collègues, pour une durée de deux minutes chacune.

M. Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, votre prédécesseur parlait de « clochardisation » de la justice. Les chiffres ont été rappelés, la situation a été décrite – elle est, à bien des égards, préoccupante. Et s’il en est une qui l’est particulièrement, c'est celle de nos établissements pénitentiaires et de notre déficit chronique de places de prison. C’est sans doute le problème majeur de la justice dans notre pays, puisque ce déficit pèse sur l’exécution des peines et sur le sens même de la peine et que beaucoup de peines, pour des raisons liées au manque de capacité carcérale, sont déconstruites de façon tout à fait artificielle et hypocrite. Je suis sceptique. Je vous le dis, madame la garde des Sceaux.

Vous avez annoncé des chiffres et, ce faisant, revu l’engagement du Président de la République sur la construction de places de prison. Il évoquait 15 000 places nouvelles au cours du quinquennat. Vous parlez maintenant de 15 000 places sur deux quinquennats. Nous en prenons acte avec beaucoup de regrets et beaucoup de critiques. Je vous rappelle qu’en 2012, une loi de programmation sur l’exécution des peines avait fixé le nombre de places de prison à 80 000 en 2017. Nous sommes à peine aujourd’hui, sept ans plus tard, à 59 000 places. C’est dire le déficit qui frappe notre pays. J’en veux pour preuve la situation de mon département, que vous connaissez bien et dans lequel vous serez lundi je crois. L’on ne cesse d’y différer la création d’un nouvel établissement en substitution de celui de Nice qui est dans une vétusté insupportable et qui connaît une surcapacité carcérale de l’ordre de 170 %. J’ai vu que Nice était inscrite dans ce plan. C’est pour moi une source de scepticisme quand on sait que vous n’avez toujours pas décidé où serait éventuellement implanté cet établissement. Cela veut dire que l’on est au degré zéro des procédures. J’espère que vous pourrez nous rassurer, au travers de cet exemple particulier, sur votre volonté globale. Mais je me permets d’exprimer le plus grand scepticisme quant à cette volonté.

M. Sylvain Brial. Je souhaite vous interroger sur un aspect matériel et sur un aspect de pure politique judiciaire.

Où en est le projet de prison de Mata-Utu à Wallis ? Quelles mesures et quels moyens, notamment en personnel, lui seront attribués ?

Quelle politique judiciaire comptez-vous mettre en œuvre à Wallis-et-Futuna ? La justice y est en crise. La confiance est rompue avec la population. Quelles mesures comptez-vous prendre pour rétablir cette confiance et mettre en place cette prérogative d’État, ce pouvoir régalien, de manière incontestée ?

M. Thomas Rudigoz. Ma question porte sur les nouveaux pôles sociaux rattachés aux TGI. À partir du 1er janvier 2019, les anciens tribunaux des affaires de la sécurité sociale (TASS) et les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) fusionneront. Ces pôles sociaux ont été créés par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, de novembre 2016, et verront le jour le 1er janvier 2019. Le 1er janvier, c’est demain. De nombreuses inquiétudes se font jour concernant les moyens humains qui seront affectés à ces pôles sociaux. Je prends l’exemple du TGI de Lyon, qui regroupera les pôles sociaux des TGI des huit départements de la région. Cela engendrera l’arrivée de 15 000 nouveaux dossiers, qui s’ajouteront au stock actuel du TGI de Lyon, qui est déjà de 19 000 dossiers, soit une hausse de 80 %. L’inquiétude est réelle en matière de ressources humaines, notamment au niveau du greffe. Jusqu’à présent, les greffiers qui opéraient dans les TCI ou dans les TASS étaient des agents du ministère des solidarités et de la santé. Des propositions leur ont été faites de rejoindre votre ministère, celui de la justice. Malheureusement, il s’avère que peu de personnes souhaitent le faire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est un tort.

M. Thomas Rudigoz. Ils ont peut-être tort, madame la garde des Sceaux, je veux bien vous croire. Mais c’est en tout cas ce qui se passe, du moins dans l’exemple que m’a cité le président du TGI de Lyon. De ce fait, il existera un déficit. Nous nourrissons de grandes inquiétudes quant à l’organisation de ces nouveaux pôles sociaux. Vos services ont-ils prévu d’affecter des moyens supplémentaires en matière de ressources humaines ?

M. Mansour Kamardine. Madame la garde des Sceaux, je propose de vous amener jusqu’à Mayotte.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avec plaisir !

M. Mansour Kamardine. Quand vous voulez ! Vous avez parlé tout à l’heure de la transformation de la justice en profondeur, et notamment de l’amélioration de la justice au quotidien et de sa transformation numérique. Ces sujets peuvent nous parler. Cependant, comment faire de la numérisation à Mayotte, sur un territoire où toutes les personnes âgées de plus de quarante ans ont une relation plus qu’éloignée à la maîtrise du français, donc à l’accès au numérique ? C’est une difficulté. Autant ce projet parle à la communauté nationale, autant je pense qu’il faudra probablement des efforts particuliers concernant Mayotte.

Cela nous conduit à vous interroger sur l’accès même à la justice. Aujourd’hui, quand on veut y accéder, notamment faire appel des décisions rendues, il faut souvent aller jusqu’à La Réunion. Je crois qu’il existe une unanimité à Mayotte pour dire qu’il faut rapprocher, d’une manière générale, les administrations des administrés. Cela passe notamment par la création d’une cour d’appel à Mayotte. Les magistrats sur place le disent. La représentation nationale dans son ensemble aussi. Nous considérons tous qu’est venu le moment que Mayotte soit dotée d’une cour d’appel. C’est aujourd’hui le seul territoire à ne pas être doté d’une telle juridiction.

Par ailleurs, comment peut-on parler d’accès à la justice quand on n’a pas les offices notariaux et les offices d’huissiers qu’il faut ? Un renforcement est nécessaire dans ces domaines. À Mayotte, un même huissier peut délivrer un acte pour vous et contre vous ! Ce n’est pas acceptable. Ce n’est pas l’État de droit.

Mme Hélène Zannier. En préambule, je profite de l’occasion qui m’est donnée ici pour rendre un hommage public au gendarme mobile Sébastien Turin. Ce dernier est décédé en service ce week-end, alors qu’il portait secours aux victimes d’un accident de la route. Ce jeune héros était membre de l’escadron de gendarmerie de Longeville‑lès‑Saint‑Avold et originaire de L’Hôpital, deux communes de ma circonscription de Lorraine. Au-delà de l’émotion légitime, ce drame – qui n’est hélas pas le premier – nous interpelle. Nos forces de sécurité sont mises à rude épreuve et sont engagées sur de nombreuses opérations. Les gendarmes mobiles, par exemple, sont également sollicités pour des tâches directement liées des missions en lien avec le ministère de la Justice. Je pense notamment à l’escorte des détenus. C’est aussi le cas des personnels de sécurité relevant de votre ministère, et l’on sait la difficulté des missions dédiées aux surveillants pénitentiaires. J’ai pu moi-même le constater lors de ma visite de la maison d’arrêt de Metz-Queuleu.

Quels sont les engagements pris dans le PLF pour 2019 en faveur des conditions de travail des services pénitentiaires ?

Quelles sont les mesures pour la rationalisation des missions déléguées aux personnels relevant du ministère de l’intérieur ?

Mme Naïma Moutchou. Je voudrais revenir sur l’aide juridictionnelle. On en connaît l’importance, évidemment – pour les plus modestes, c’est la garantie d’être entendu et de faire valoir ses droits. Mais on en connaît aussi les failles et les immobilismes. Une crise des vocations se fait de plus en plus jour chez les professionnels, et ce système montre son inefficacité et coûte chaque année un peu plus cher. Le nombre de demandes augmente. Heureusement, on continue de valoriser les unités de valeur. Je crois que ces dysfonctionnements peuvent être réparés. De nombreuses questions se posent, sur le financement ou la simplification du recours et des démarches. De nombreuses pistes sont évoquées, et pourront d’ailleurs être analysées dans le cadre de la mission parlementaire qui sera prochainement lancée à ce sujet.

Le budget permet une revalorisation et s’inscrit dans le fil des dernières évolutions sociétales et sociales. Il faut saluer l’effort qui continue d’être fait en la matière. Ma question sera un peu plus large. Quelle est votre feuille de route globale sur une possible réforme ou refonte de l’aide juridictionnelle, alors que le PLF et le projet de loi de programmation s’engagent pour un accès au droit plus pérenne et plus efficace ?

Mme Nicole Dubré-Chirat. J’ai deux questions.

Les moyens du programme « Justice judiciaire » progressent de 1,2 % en CP et de 12 % en AE. Les crédits de fonctionnement des juridictions devraient s’élever à 368 millions d’euros en CP et 386 millions d’euros en AE. 192 créations d’emplois sont prévues dans les juridictions – 100 emplois de magistrats et 92 destinés à renforcer les équipes autour d’eux – assistants et greffiers. En juillet dernier, une directive avait mis fin aux activités de magistrat à titre temporaire. Le ministère de la Justice avait expliqué l’avoir prise pour des raisons budgétaires, la dotation budgétaire annuelle ayant été consommée et étant donc insuffisante pour rémunérer les agents non-titulaires. En raison de cela, plusieurs cours d’appel avaient invité les juridictions à suspendre leurs missions pour une durée temporaire. En conséquence, les audiences civiles au TI ont été renvoyées depuis début septembre et cela se poursuit en octobre dans certains tribunaux. À la suite de l’augmentation des crédits et de la création des 100 emplois de magistrats, pouvez-vous nous assurer que cette situation dommageable pour l’accès au droit de nos citoyens et à la réduction des délais de traitement des dossiers trouvera réponse dans ce projet ? Si j’ai bien entendu vos propos tout à l’heure, vous proposez une augmentation de 22 % de cette enveloppe. Est-ce la réalité ?

Ma seconde question concerne le respect du principe de laïcité dans les établissements et structures de la PJJ. Dans son très bon rapport, mon collègue Bruno Questel appelle à la plus grande vigilance quant au respect de ce principe. Il existe un risque de laisser s’installer un prosélytisme latent, en particulier dans certains CEF où le recrutement par voie contractuelle d’éducateurs est propice à des dérives. Existe-t-il une formation à la laïcité pour les agents recrutés de manière contractuelle en milieu pénitentiaire ou en CEF ? Ne doit-on pas organiser une formation de base pour tout agent recruté dans ces secteurs, pour respecter ce principe de laïcité ?

Mme Typhanie Degois. Madame la garde des Sceaux, je souhaite vous interroger sur le programme 107 relatif à l’administration pénitentiaire, et plus précisément sur le renforcement de la sécurité du personnel pénitentiaire. Dans les documents communiqués par votre ministère pour l’étude de la mission « Justice », vous mentionnez une estimation de 55 actes violents contre le personnel pour 1 000 personnes détenues. Ce nombre est en baisse depuis plusieurs années, ce dont on peut se féliciter, mais il reste bien trop élevé pour le personnel pénitentiaire. On peut saluer le fait que les établissements bénéficieront du déploiement des premiers dispositifs anti-drogue, de brouilleurs plus efficaces contre les téléphones portables ou de la création d’unités spécifiques. Mais, au-delà, quel budget est précisément dévolu à la sécurité du personnel pénitentiaire dans les établissements ? Quelles sont vos priorités dans ce domaine ?

Mme Caroline Abadie. La progression de vos moyens et leur ventilation sont, à mon avis, en tout point cohérentes avec les enjeux auxquels vous devez faire face. Je soulignerai particulièrement les moyens alloués à l’administration pénitentiaire et ses personnels pour mieux fidéliser et mieux reconnaître leur métier, car leurs conditions de travail, leur professionnalisme, leur savoir-faire et les missions qu’ils remplissent le méritent, voire l’exigent – ou, en tout cas, l’exigeaient depuis très longtemps. Cette prime progressive allouée les premières années, la revalorisation du statut d’une partie des personnels CPIP ou surveillants sont certainement de nature à rendre plus attractifs ces métiers dont le grand public ignore trop souvent la variété et la richesse.

Toujours sur l’administration pénitentiaire, j’aurai une question et une remontée de terrain à partager avec vous. Ma question concerne le distinguo, dans le budget, entre l’investissement dans les nouveaux établissements pénitentiaires, pour construire ou lancer 15 000 nouvelles places, et les investissements fléchés vers les établissements existants. Ces derniers sont peut-être moins visibles mais tout aussi importants, car certains de ces établissements sont dans des états de salubrité regrettables.

La remontée de terrain concerne les moyens humains mis en place pour accompagner les travaux de rénovation. Je prendrai l’exemple de la maison d’arrêt de Varces, qui est en perpétuelle rénovation. Pour cet établissement, qui date des années 1970, il faut à peu près cinq temps plein pour suivre les travaux ou encadrer les entreprises qui interviennent dans les murs. Allouer des places de surveillants supplémentaires ou trouver ce type de compétences semble être un sacré casse-tête pour les encadrants.

Mme Marie Guévenoux. Je voulais d’abord m’associer aux nombreux collègues qui ont salué l’augmentation du budget de la justice. C’est en effet un effort important. Je remercie le Gouvernement de le faire. Je voulais également vous remercier d’avoir souligné le manque de greffiers. C’est un problème spécifique que rencontrent de nombreux tribunaux, dont celui d’Évry dans mon département.

Lors de la visite de notre commission des Lois au centre pénitentiaire de Fresnes, les professionnels de l’administration pénitentiaire, les membres des forces de l’ordre et les magistrats présents ont tous rappelé qu’une bonne politique pénitentiaire et une bonne politique pénale avaient pour objectif la prévention de la récidive. Pour ce faire, les mêmes professionnels ont insisté sur la nécessité, quand la situation le permet, d’éviter les sorties de peine « sèches », qui sont très brutales, désorientent et ne permettent pas une bonne réinsertion. Ils ont indiqué que les quartiers de semi-liberté et le recours aux TIG étaient deux des réponses pour diminuer ce risque de récidive. Je me félicite donc que votre projet de loi de programmation comporte des mesures allant dans ce sens. Pouvez-vous nous préciser leur articulation avec les mesures budgétaires, et si des mesures complémentaires pourraient permettre à la fois d’accompagner les services pénitentiaires qui les gèrent, les entreprises et, pourquoi pas, les services de l’État, pour les encourager et les aider à développer le recours aux TIG ?

M. Raphaël Schellenberger. Madame la ministre, je voulais vous interroger sur la question du numérique. Si je vous rejoins quant à la nécessité de moderniser l’outil numérique de la justice, tant sur le plan des installations, que ce soit le raccordement en fibre optique des lieux de justice, les ordinateurs ou le côté applicatif pour mieux entrer dans le siècle, toutes ces évolutions posent un certain nombre de questions. D’abord, celle du sens dans lequel ces changements se font. Est-on bien sûr d’être toujours au service du justiciable ? Ne prend-on pas le risque, parfois, de développer des outils numériques qui oublient l’intérêt du justiciable au bénéfice d’un meilleur fonctionnement interne – que l’on ne peut et ne doit pas négliger, sans toutefois jamais oublier que l’objectif final de la justice est d’être au service du justiciable ?

Quelles mesures entendez-vous prendre et quels moyens entendez-vous allouer pour nous protéger du risque de l’exploitation du numérique au détriment de l’individualisation de la peine ? Je pense au risque de voir se développer des statistiques trop récurrentes, voire systématiques, sur la façon dont est rendue la justice ou sur les décisions rendues par tel ou tel magistrat selon tel ou tel type d’affaire. Par ailleurs, quand on parle de justice, on pense surtout à la justice pénale. Mais il y a aussi de nombreuses affaires de nature civile. Or souvent, les justiciables ne sont confrontés qu’une fois ou deux fois dans leur vie à la justice et, lorsqu’ils le sont, ils ont besoin d’avoir un contact direct avec le juge et l’institution judiciaire. Comment, avec le numérique, s’assurer de conserver ce contact, qui est un lien de médiation et d’explication du rôle de la justice ?

M. Didier Paris. Je me joins, madame la garde des Sceaux, aux félicitations qui vous ont été adressées après la présentation de ce budget, ainsi que pour la qualité et la précision de vos réponses. Je souhaite intervenir un très court instant sur l’aspect numérique qui vient d’être évoqué par mon collègue. Dans quelques jours, vous nous présenterez le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, qui comporte un très grand nombre de dispositions de nature à simplifier le travail de nos forces de sécurité – police ou gendarmerie. Elles vont clairement dans le bon sens, nous aurons à en discuter. Mais, vous l’avez exprimé tout à l’heure, ces mesures seront très sensiblement potentialisées par l’entrée dans l’ère du numérique et la dématérialisation des procédures et de leur mode d’exécution. Je pense en particulier à des dispositions qui me paraissent tout à fait centrales, comme l’identifiant unique, les outils de suivi de garde à vue, qui font actuellement encore cruellement défaut, la numérisation des pièces de procédure pénale et, bien sûr, toute la logique d’interface entre le travail de police et la chancellerie. Vous avez cité Cassiopée : c’est un des exemples les plus clairs de la nécessité de faire évoluer le système.

Ma question est finalement assez simple. Nos forces de police et de gendarmerie attendent cette évolution comme le parachèvement de celle, fondamentale, du système procédural dans lequel elles sont incluses. Pouvez-vous préciser davantage que vous ne l’avez déjà fait quel sera le cadencement de ces mesures numériques d’ici la fin du quinquennat ?

Enfin, de quelle manière pouvons-nous nous-mêmes porter cette parole et rassurer ou aider les forces de police à prendre conscience de la nécessité de l’évolution dans laquelle elles se trouvent actuellement ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Puis-je me permettre d’ajouter une dernière question, madame la garde des Sceaux ? Pour faire suite au rapport commun que nous avons rendu sur la détention et sur les groupes de travail, nous nous réjouissons d’ores et déjà que la première de nos conclusions, relative à l’inadaptation récurrente de l’architecture des établissements pénitentiaires, ait été prise en compte dans le plan pénitentiaire que vous avez annoncé.

Nous avions exprimé une deuxième recommandation, après nous être rendu compte du manque d’outils statistiques pour évaluer la pertinence et l’efficacité des politiques pénales – notamment celles de certains dispositifs de prise en charge. De mon côté, j’ai poursuivi mes recherches et je suis tombée sur un rapport de 1955 présenté par le contrôleur général des services pénitentiaires de l’époque, André Perdriau. Vous n’en êtes donc pas responsable ! Dans ce rapport sur Casabianda, qu’il présentait au congrès des Nations unies, il écrivait : « Il n’existe pas d’organisation statistique qui permette d’apprécier et de comparer l’efficacité de reclassement des libérés des divers établissements et il faut se contenter, à ce sujet, d’assez grossières approximations ». En 2018, les parlementaires que nous sommes dressent un peu le même constat. J’ose espérer avec vous, madame la garde des Sceaux, que nous pourrons apporter des réponses peut-être un peu moins grossières à cette question fondamentale de l’évaluation.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Merci, madame la présidente. Je voudrais répondre à M. Ciotti, qui s’est excusé auprès de moi de devoir nous quitter, que la « clochardisation » de la justice n’a pas été évoquée par mon prédécesseur, mais par mon anté-prédécesseur. M. Ciotti estime que c’est le déficit chronique de places de prison qui pèse sur le sens de la peine. Je ne sais pas si c’est le seul facteur, mais je partage avec lui l’idée que cette surpopulation carcérale est à l’évidence un facteur extrêmement négatif pour la réinsertion des détenus.

Je ne suis, en revanche, pas d’accord avec son affirmation selon laquelle nous avons revu l’engagement du Président de la République. Je réaffirme que le Président de la République s’est engagé à la construction de 15 000 places de prison, et que ces constructions seront bien réalisées, mais que nous sommes lucides. Nous savons très bien que construire une place de prison ne se fait pas en quelques années ni en claquant des doigts. Il faut trouver des terrains, et vous savez pertinemment que ce n’est pas toujours aisé. Il faut ensuite, le cas échéant, les acquérir. Il faut faire des études de faisabilité, puis procéder à la construction elle‑même. Tout cela prend du temps. Je m’engage à livrer 7 000 places en 2022 et à en lancer 8 000 à cette même échéance.

M. Ciotti ajoute qu’avait été évoquée en 2012 l’augmentation de la capacité du parc carcéral à 80 000 places en 2017. Or 2012 était la fin d’un quinquennat. Il est toujours beaucoup plus facile, en fin de quinquennat, de prendre des engagements dont on ne sait pas s’ils seront tenus. Nous, nous les prenons en début de quinquennat.

Par ailleurs, je l’ai dit tout à l’heure dans mon propos introductif, il existe encore trois ou quatre sites, sur la carte que j’ai diffusée, sur lesquels je sais que nous allons construire sans pour autant connaître le terrain de manière précise. C’est le cas à Nice, où nous examinons les différents terrains qui nous sont proposés. Je suis certaine de pouvoir compter sur l’appui de M. Ciotti dans cette volonté de construire à Nice. À cet égard, je l’informe que je ne souhaite pas substituer un nouvel établissement à la prison du centre-ville, mais conserver celle-ci et créer un nouvel établissement. C’est ce que nous avons prévu en transformant la finalité de la prison du centre-ville.

Monsieur Brial, vous m’interrogez sur la future prison de Wallis-et-Futuna. Cette prison sera construite. Nous avons un projet d’établissement de 10 places. Le dossier progresse puisque les crédits sont prévus au programme immobilier à hauteur de 6 millions d’euros. Deux terrains sont identifiés dans la proposition que nous a faite le préfet et nous attendons d’ici quelques jours le retour des différentes autorités coutumières et de la préfecture sur la mise à disposition de l’un des deux terrains. La livraison est prévue fin 2021 ou début 2022. Nous créerons également, à cette occasion, un service public pénitentiaire à Wallis – ce ne sera donc plus la gendarmerie comme aujourd’hui. Nous avons prévu d’intégrer à la fonction publique d’État des agents qui travailleront dans cet établissement. Ils ont d’ailleurs récemment fait part de leur candidature. J’ai eu l’occasion de répondre exactement de cette manière-là à l’un de vos collègues sénateurs qui m’interrogeait.

Monsieur Rudigoz, vous avez fait part de votre inquiétude quant à la réforme des TASS et des TCI que nous mettons en œuvre. Je rappelle qu’il s’agit de l’application de la loi votée par l’Assemblée nationale précédente en 2016, loi qui me semble tout à fait pertinente dans son principe. Je sais qu’il existe des inquiétudes quant aux moyens, notamment humains. Des transferts de moyens de fonctionnement et de moyens immobiliers ont été effectués entre le budget de la sécurité sociale et celui de l’État, portant sur plus de 9 millions d’euros. S’agissant des emplois et des crédits de personnel, le principe d’un transfert de 541 équivalents temps plein (ETP) et de la masse salariale y afférente a été acté. Pour les personnels qui ne sont pas trop transférés, le principe d’une compensation financière a également été établi.

Au 7 août 2018, 84 ETP avaient été transférés. Un renfort de 100 ETP supplémentaires dans les greffes est prévu en 2019, ainsi que celui de 30 juristes assistants sur le programme 166. Nous aurons donc, je le pense, les moyens de faire face à cette charge de travail – même s’il y a une lenteur dans la mise en place. Mon directeur de cabinet me fait signe que celle-ci est en cours. Il n’y aura donc pas de difficulté ! Je sais qu’il y a des inquiétudes, mais honnêtement, ces mesures de transfert et de compensation ainsi que le recrutement des emplois nous permettent d’envisager de répondre de manière positive à la situation.

Monsieur Kamardine, vous m’interrogez sur Mayotte. Vous évoquez, d’une part, la nécessité de garder un accès physique au tribunal, en observant que la numérisation n’est pas l’alpha et l’oméga de l’accès au droit. C’est bien ce que nous souhaitons faire. Il existe actuellement un SAUJ au tribunal. Ce service restera et sera renforcé par des greffiers compétents et formés pour accueillir les justiciables. La numérisation ne signifiera pas la disparition de services. Ce que je dis est d’ailleurs valable pour toute la France. Nous allons même renforcer l’accueil des justiciables dans les SAUJ. Je l’observe quand je me rends dans les différents tribunaux, même si je ne suis pas encore allée à Mayotte : ces services sont extrêmement performants et prennent de l’ampleur.

D’autre part, vous évoquez les huissiers et les notaires. Je prends note de votre observation. Nous créerons de nouveaux emplois et offices de notaires. Peut-être trouverons‑nous la possibilité d’une installation à Mayotte. En tout cas, j’en parlerai aux présidents de la chambre nationale des huissiers et de celle des notaires.

Enfin, vous posez la question de la création d’une cour d’appel à Mayotte. Ce n’est pas prévu aujourd’hui, monsieur le député. Il existe une chambre détachée qui peut juger des affaires et que les effectifs de la cour viennent renforcer lorsqu’il en est besoin. Nous avons pensé que c’était suffisant, mais vous nous direz peut-être en dehors de la réunion, monsieur le député, ce que vous en pensez.

Madame Moutchou, vous avez réévoqué la question de l’aide juridictionnelle. Je ne vais peut-être pas répéter ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire tout à l’heure. Je suis très soucieuse d’engager une réflexion avec les avocats d’une part, et de prendre appui, d’autre part, sur les réflexions que vous pourriez conduire au niveau de la mission parlementaire que vous avez évoquée. Les trois lignes directrices sur lesquelles je souhaite fonder l’action que nous conduirons sont la nécessité de travailler en lien avec les assurances de protection civile, une simplification et une meilleure organisation. Les leviers de progrès sont importants.

Madame Dubré-Chirat, vous avez évoqué la situation difficile des magistrats à titre temporaire. On sait qu’il y a eu en effet des difficultés cette année. Je ne reviens pas sur leur origine, sans doute liée à une mauvaise prise en compte des informations que nous avions données mais qui n’ont pas été comprises – nous allons le dire ainsi. En tout cas, pour 2019, nous devrions pouvoir assurer, grâce à l’augmentation totale de l’enveloppe des agents non titulaires – portée de 56 à 64 millions d’euros – un total de 300 vacations. C’est le nombre maximum que l’on peut engager pour les magistrats à titre temporaire, ce qui n’était pas le cas cette année puisque nous avions demandé que l’on en reste à 200 vacations – c’est cela qui n’avait pas été bien lu, pas bien compris sans doute.

Vous avez également évoqué, madame la députée, la question de la laïcité, en saluant le « très bon rapport » – je vous cite, mais puis reprendre ce propos à mon compte – de M. Questel. Sur l’exercice du culte dans les lieux de placement de la PJJ, je dois vous dire en complément de ce que j’ai indiqué tout à l’heure que c’est une note de 2015 qui précise l’exercice des droits des mineurs à la pratique religieuse et au respect de leur liberté de conscience. Les personnels s’obligent donc au respect des convictions des jeunes placés, mais aucun mineur ne peut faire acte de prosélytisme. La pratique d’un culte est possible dans la chambre si c’est une chambre individuelle, et sous réserve de l’absence de troubles au fonctionnement de l’établissement. Les signes d’appartenance sont acceptés, sauf s’ils vont jusqu’à un visage dissimulé, et ils doivent être retirés s’ils sont incompatibles avec une activité ou s’ils posent des problèmes de sécurité. Des modalités particulières d’organisation des repas sont prévues. Les souhaits des titulaires de l’autorité parentale doivent également être pris en compte. Ce régime est, au fond, assez similaire à celui que l’on peut retrouver aujourd’hui dans les lycées et dans les établissements publics d’enseignement. En tout cas, c’est un sujet qui mérite une prise en compte très soutenue.

Madame Degois, vous avez posé la question du renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires. C’est un sujet important. J’ai eu l’occasion de le dire, mais trop rapidement tout à l’heure : l’effort global qui est consacré à la sécurité dans les établissements pénitentiaires représente 50 millions d’euros cette année. C’est une hausse importante – de 6,5 millions d’euros, soit 15 % – par rapport à 2018. Sur ces 50 millions d’euros, 10 millions seront directement consacrés au renforcement des moyens d’équipement et de protection des personnels. Nous avons d’ores et déjà livré dans les établissements pénitentiaires un certain nombre d’équipements, notamment des tenues d’intervention. Je souhaite également poursuivre le renforcement de la sécurité périmétrique des établissements, pour améliorer notamment la sécurité des personnels sur les parkings. En effet, nous avons connu quelques incidents notables de ce point de vue. Aussi procéderons-nous à la pose de clôtures et de barrières, à l’extension de la vidéoprotection, à de meilleurs éclairages, etc. Enfin, je créerai les premières unités pour détenus violents, qui seront ouvertes dans les semaines à venir et permettront une gestion adaptée de ces profils. Je m’y étais engagée à la suite du mouvement pénitentiaire du mois de mars dernier.

Madame Abadie, vous avez souligné la nécessité de procéder à la rénovation des établissements pénitentiaires, considérant qu’il s’agit non seulement d’une question de dignité, mais également d’un élément important pour les personnels. Là encore, l’augmentation des crédits de rénovation est réelle, puisque 100 millions d’euros seront consacrés à la rénovation en 2019, soit 20 millions d’euros de plus qu’en 2018. Nous les augmenterons encore dans les années suivantes. Cela permettra de mettre les établissements aux normes en matière de sécurité incendie et d’accessibilité, mais aussi d’améliorer la sécurité et la prise en charge des publics, notamment pour le maintien des liens familiaux, ou encore d’assurer les travaux de gros entretien. Ensuite, nous avons également prévu de consacrer dans les prochaines années 32 millions d’euros à la rénovation des structures qui devaient être concernées par la création de nouveaux établissements mais à laquelle nous n’avons finalement pas donné suite au regard de notre estimation de l’évolution de la population pénale. Dans ces cas spécifiques, nous procéderons à la rénovation des structures et des cellules, améliorerons l’accessibilité et la sûreté, mettrons aux normes anti-incendie, etc. Pour vous citer quelques exemples, nous y dédierons 12 millions d’euros à Saint-Étienne, 3 millions d’euros à Arras, 3 millions d’euros à Ajaccio, 6 millions d’euros aux centres de détention de Toul et d’Écrouves en Meurthe-et-Moselle, 4 millions d’euros en Vendée pour les deux maisons d’arrêt de La Roche-sur-Yon et 4 millions d’euros dans la Manche pour les maisons d’arrêt de Cherbourg et de Coutances – je l’ai dit tout à l’heure dans l’hémicycle. Nous souhaitons vraiment faire un effort important de ce côté-là. Je n’ai pas cité le cas de Grenoble, mais je le ferai très vite !

Madame Guévenoux, vous avez évoqué la question des greffiers, me reprenant la balle sur un mot que j’avais prononcé. 1 750 greffiers ont été recrutés en 2017, nous en recruterons 1 800 en 2018 et 1 700 en 2019. Nous ouvrons donc des emplois de fonctionnaires de greffe.

Vous avez ensuite mentionné, je vous cite, le fait qu’une bonne politique pénitentiaire était une politique de prévention de la récidive et qu’il fallait donc éviter les sorties « sèches ». Je ne peux que pleinement partager votre affirmation. C’est bien ce que nous souhaitons faire, par différentes dispositions qui figureront dans la loi que je vous proposerai, comme les SAS, qui visent précisément à éviter les sorties sèches, les CEF combinés à la mesure d’accueil de jour que nous proposons, la systématisation des libérations sous contrainte et le développement des centres de semi-liberté.

Vous avez souligné l’intérêt des TIG. Je vous renvoie, mais vous la connaissez, à la mission accomplie par votre collègue Paris qui, avec le chef d’entreprise David Layani, nous a remis un rapport extrêmement précieux. Le diagnostic posé nous conduira à créer dans les prochains jours une agence des TIG, qui sera également une agence du travail en détention et de la réinsertion professionnelle. En effet, une partie du travail est commune : il s’agit de repérer les lieux où des travaux pourront être effectués. Mais je vous entends parfaitement sur la question que vous avez posée quant aux mesures prises pour accueillir les TIG. Des dispositifs d’accompagnement des tuteurs en termes de formation sont prévus. Je souhaiterais aussi que les collectivités territoriales qui s’investissent dans les TIG puissent défalquer le temps d’accueil assuré par les tuteurs des normes de référence de fonctionnement qui leur sont imposées. Il me semble que serait un geste fort – mais c’est une idée que j’ai depuis hier et, à dire vrai, je suis peut-être seule à la défendre au moment où je vous parle. J’essaierai de convaincre deux ou trois autres personnes de la faire progresser avec moi. Vous pourrez peut‑être m’aider en ce sens !

Monsieur Schellenberger, vous avez parlé du sens que nous souhaitions donner au développement du numérique, rappelant les nécessaires contacts et liens directs avec le juge. Je le dis clairement devant vous : pour moi, le développement du numérique est une manière d’aider le justiciable, les personnels de greffe et les magistrats. Ces outils nous permettront vraiment d’aller plus vite. Or un jugement rendu plus rapidement est évidemment un gain pour le justiciable. Et, au-delà, quand nous souhaitons développer des dispositifs de plainte en ligne, ce n’est pas pour couper la victime des services de police ou de gendarmerie. C’est tout simplement parce que nous savons que, dans certains cas, il est plus facile – si l’on en a la possibilité – de commencer à dire quelque chose de manière neutre, sur un écran, avant d’être rappelé puis d’avoir un contact physique. Cette médiation peut parfois être utile et pertinente. Elle fait aussi gagner du temps et nous permettra peut-être de disposer de preuves plus fortes. Nous maintenons évidemment les audiences.

Pour les petits litiges, nous laissons aux parties le choix d’opter, le cas échéant, pour une audience dématérialisée. De plus en plus souvent – vous le faites vous-même –, quand on a acheté quelque chose sur internet et que l’on est en conflit avec le vendeur, on règle ce conflit de manière dématérialisée. C’est ce que nous proposons, si les parties le veulent. Et si elles ne le veulent pas, le passage par l’audience restera possible.

Nous avons également des projets de mise en open data des décisions de justice, qui seront ainsi ouvertes à tous. La question de l’anonymisation se posera. Ce sujet a déjà été traité par le Sénat dans le cadre de la discussion du projet de loi de programmation et reviendra devant l’Assemblée nationale. Nous aurons des choix à faire. En tout cas, je suis sensible aux questions que cela peut poser, mais soyez certain, monsieur le député, que, pour nous, la numérisation n’est pas la déshumanisation. Au contraire.

Voilà qui fait le lien avec votre intervention, monsieur Paris. Vous avez en effet évoqué l’intérêt et l’importance du numérique. Vous observez que des évolutions sont fortement attendues par les forces de police et de gendarmerie. Elles le sont par nous aussi. Lorsque la procédure pénale numérique « native » sera mise en place, elle représentera un atout considérable pour les enquêteurs et pour les magistrats, puisque l’ensemble des pièces du dossier seront sur une seule ligne numérique – et qu’un accès pourra être donné à tel ou tel en fonction de la place qu’il occupe dans le litige ou le procès. C’est tout à fait essentiel. Une équipe dédiée au projet a été constituée, regroupant des représentants des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Elle est pilotée par deux personnalités de très haut niveau, un préfet et un magistrat, complètement investis dans la mise en œuvre de ce processus. Un cahier des charges très précis a été établi. Les équipes sont au travail et prévoient une expérimentation sur deux sites pilotes dès le printemps 2019, un retour d’expérience et une généralisation à partir de 2020. Cela ne veut pas dire qu’en 2020 tout sera achevé, mais que des briques seront en place et qu’il faudra sans doute ensuite améliorer le dispositif. En tout cas, c’est pour nous un enjeu majeur.

Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à Mme Zannier…

Mme Hélène Zannier. Vous avez apporté de nombreux éléments de réponse quant aux moyens qui seront alloués pour le personnel pénitentiaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je voudrais simplement indiquer que je partage la tristesse dont vous témoigniez à propos du décès du gendarme Sébastien Turin dans votre département.

Concernant l’amélioration de la situation des surveillants pénitentiaires, j’ai effectivement déjà évoqué les différentes mesures mises en place. Toutes les mesures indemnitaires sont en cours de mise en œuvre, même si elles n’apparaissent pas encore toutes sur la fiche de paie des surveillants. Les primes annuelles n’apparaîtront qu’en fin d’année. Les primes de fidélisation ne sont pas non plus apparues encore. Par ailleurs, des mesures statutaires sont en cours de discussion. Quant aux mesures de sécurité matérielle, je l’ai dit tout à l’heure, elles sont en cours de déploiement.

Enfin, madame la présidente, je tiens à vous remercier pour le travail qui a été conduit par la commission des Lois à propos des prisons. Ce travail, je le dis ici sincèrement, nous a aiguillonnés. La réflexion n’est d’ailleurs pas encore terminée. Nous avons opéré les grands choix, mais nous pouvons encore améliorer la réflexion sur les établissements pénitentiaires à partir du dialogue que nous pourrons engager avec vous comme je m’y suis engagée.

Vous avez évoqué, citant un rapport d’André Perdriau de 1955, le manque d’outils statistiques et « d’assez grossières approximations ». Je suis certaine que nous allons progresser ! Je parle sous le contrôle du directeur de l’administration pénitentiaire et la directrice de la PJJ… Il est vrai que, de ce point de vue, des évolutions doivent intervenir. J’ai le sentiment – et je m’excuse auprès de mes directions s’il n’est pas fondé – que nous pouvons améliorer les outils statistiques dont nous disposons, notamment pour l’étude de cohortes, car cela nous aiderait beaucoup de savoir ce que deviennent les personnes qui sont passées par nos structures. Évidemment, les plus grandes précautions s’imposent. Il faut aussi savoir tenir compte de certains biais. Quelqu’un qui a commis de très graves infractions a peut-être une plus grande probabilité d’en commettre à nouveau que quelqu’un qui n’en a jamais commis. Les personnes compétentes en sciences sociales et en sciences des statistiques pourront sans doute nous aider.

La modernisation de nos applications, notamment au civil, est essentielle pour obtenir des données beaucoup plus facilement. De la même façon, le développement des systèmes d’information décisionnelle, essentiels pour mieux analyser et croiser les données de plusieurs applications, nous sera extrêmement utile. Nous travaillons actuellement sur le croisement de Cassiopée et de l’application sur l’exécution des peines, qui pourra produire des éléments intéressants.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci beaucoup, madame la garde des Sceaux. Vous avez répondu de façon très complète à toutes les questions, et je pense que l’ensemble de nos collègues se joignent à moi pour vous en remercier.

À l’issue de l’audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Justice » (M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

La Commission examine l’amendement n° II-CL21 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit ». Cet amendement fait suite à la mission d’information relative au régime juridique des fouilles en détention que nous avions conduite avec M. Xavier Breton. La mission d’information proposait de renforcer les moyens de contrôle des détenus, notamment en développant l’équipement des établissements pour peine en portiques à ondes millimétriques ou le contrôle renforcé des détenus avec l’aide d’unités cynotechniques, et la sécurité des établissements pénitentiaires, en poursuivant la mise en place de dispositifs anti-projection, la modernisation du système de vidéo‑protection et le développement de techniques de brouillages de téléphones portables efficaces. Il est donc proposé d’augmenter les crédits consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires de 20 %, soit 10 millions d’euros, en majorant la dotation de l’action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » du programme « Administration pénitentiaire » et en réduisant concomitamment du même montant les crédits de l’action « Gestion de l’administration centrale » au sein du programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse ». Je voudrais rappeler que ce sont 150 nouveaux postes qui seront créés l’année prochaine pour le développement des équipes locales de sécurité pénitentiaire et du service du renseignement pénitentiaire. Par ailleurs, la dotation globale dédiée au plan de sécurisation des établissements sera portée à 56 millions d’euros, soit une hausse de plus de 16 % par rapport à 2018. J’invite donc les auteurs de cet amendement à bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Xavier Breton. Comme l’a rappelé mon collègue Dimitri Houbron, cet amendement fait suite au rapport de la mission d’information que nous avons menée ensemble sur les fouilles en détention, à l’issue de laquelle nous avons formulé des propositions réalistes. Notre amendement adresse un message au milieu pénitentiaire sur un sujet qui fait l’objet de crispations. Si nous avions indiqué dans notre rapport qu’une révolution législative n’était ni nécessaire ni possible, nous appelions de nos vœux certaines évolutions, notamment une meilleure prise en compte de l’exigence de sécurité dans les politiques pénitentiaires. Je prends acte des moyens supplémentaires proposés par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2019 mais je crois important que nous allions au-delà, en portant un message commun sur cette question, qui ne résoudra pas tous les problèmes mais permettra, au moins ponctuellement, que davantage de brouilleurs de téléphones portables, d’équipes cynotechniques et de portiques à ondes millimétriques soient présents dans les établissements.

La Commission rejette l’amendement n° II-CL21.

Conformément aux conclusions de M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit », et de M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2019.

 


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   personnes entendues

   M. Anne Duclos-Grisier, secrétaire générale adjointe

   M. Jean-Régis Catta, chef du bureau de l’aide juridictionnelle

 

   M. Laurent Guérin, chef du bureau ASSUR1

   M. Frédéric Brotons, adjoint au chef du bureau ASSUR1

 

   Mme Hélène Birolleau, inspectrice de la justice

   Mme Nadine Stern, inspectrice de la justice

   M. Benoît Legrand, inspecteur de la justice

 

   M. François Auvigne, inspecteur général des finances

   Mme Irène Domenjoz, inspectrice des finances

 

   Mme Agnès Martinel, présidente

   M. Jean-Régis Catta, chef du bureau de l’aide juridictionnelle

   M. Nicolas Francillon, secrétaire

 

   Mme Bénédicte Mast, présidente de la commission « accès au droit et à la justice »

   M. Jacques-Edouard Briand, directeur des affaires législatives et réglementaires

 

   Mme Maryvonne Lozachmeur, vice-présidente

 

   Mme Marie-Claude Defossez-Perard, directrice du service « accès au droit »

   Mme Béatrice Brugues-Reix, membre du Conseil de l’ordre

 

   M. Jean-Christophe Barjon, président

   Mme Béatrice Tardy, directrice du département assistance

   M. Karim Benamor, directeur

 

   Me Nohra Boukara

   Me Jean-Louis Demersseman

 

   Mme Catherine Traca, directeur

   M. Alexis Merkling, sous-directeur

   M. Vincent Tha, responsable d’études protection juridique

   M. Jean-Paul Laborde, directeur des affaires parlementaires

 

   M. Jérôme Bertin, directeur général

   Mme Isabelle Sadowski, directrice juridique et de la coordination de l’aide aux victimes

 

 


([1]) Y compris les charges de pensions, la mission « Justice » devrait progresser de 3,8 % pour s’élever à 9 055 millions d’euros.

([2]) Les crédits des autres programmes de la mission « Justice », « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse », font l’objet d’un avis distinct de votre commission des Lois, dont le rapporteur pour avis est M. Bruno Questel.

([3]) Ces délégations sont des services territoriaux d’appui aux juridictions et aux services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, chargés de la mise en œuvre des politiques du secrétariat général dans leur ressort de compétence.

([4]) L’aide juridictionnelle totale représente 92 % des bénéficiaires.

([5])  Données 2017 fournies par l’Union nationale des CARPA.

([6]) Les montants prévus au titre de l’aide juridictionnelle sont issus de crédits budgétaires (423 millions d’euros en 2019) complétés par le produit des taxes affectées au Conseil national des barreaux (83 millions d’euros en 2019). Un mécanisme de recouvrement auprès de la partie perdante est par ailleurs prévu, à condition qu’elle ait été condamnée aux dépens et n’ait pas été elle-même bénéficiaire de l’aide juridictionnelle. Cependant, ce dispositif, qui a été modifié à plusieurs reprises depuis 2007, s’avère peu performant. Inférieurs à 10 millions d’euros, les montants recouvrés sont faibles et en recul. Le taux de recouvrement des frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle est en effet passé de 6,9 % en 2016 à 5,4 % en 2017.

([7])  La croissance, depuis 2015, des dépenses d’assistance lors d’une procédure en présence du procureur de la République résulte de la mesure selon laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction peut être assistée, depuis le 1er juin 2014, par un avocat lors de sa présentation devant le procureur de le République, et celle, depuis 2017, des dépenses d’assistance lors de garde à vue s’explique par le caractère obligatoire de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue de mineur depuis le 1er janvier 2017.

([8]) Le décret n° 2017-897 du 9 mai 2017 relatif au service d’accueil unique du justiciable et aux personnes autorisées à accéder au traitement de données à caractère personnel « Cassiopée » prévoit que les justiciables peuvent déposer leur demande d’aide juridictionnelle auprès du service d’accueil unique du justiciable situé dans le ressort du tribunal de grande instance dont relève le bureau d’aide juridictionnelle compétent ou dont relève son domicile.

([9]) Articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-6, 222-8, 222-10 , 222-14 (1° et 2°), 222-23 à 222-26, 421-1 (1°) et 421-3 (1° à 4°) du code pénal.

([10]) La particulière vulnérabilité de la victime, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, doit être apparente ou connue de l’auteur des violences.

([11]) Le décret n° 2016-11 du 12 janvier 2016 relatif au montant de l'aide juridictionnelle a réduit de six à deux le nombre de tranches de l’aide juridictionnelle partielle. Pour celle-ci, en fonction des ressources du demandeur, la part contributive versée par l’État aux officiers publics ou ministériels peut s’élever à 55 % ou à 25 %.

([12]) Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 et décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique.

([13]) Le décret n° 2018-441 du 4 juin 2018 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique fixe la rétribution de l’avocat assistant une partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une médiation administrative à l’initiative du juge ou d’une médiation administrative à l’initiative des parties donnant lieu à la saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord.

([14]) Le nombre de missions rétribuées au titre de l’aide juridictionnelle pour la médiation conventionnelle ne peut cependant pas être identifié et la mesure relative à la médiation en matière administrative est trop récente pour pouvoir évaluer son incidence.

([15]) L’article 35 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 a créé et affecté trois taxes au Conseil national des barreaux : une taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique, une taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice et un droit fixe de procédure pénale. Il confère par ailleurs compétence au Conseil national des barreaux pour répartir ces ressources extrabudgétaires en liaison avec l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA) et prévoit que le calcul et la liquidation des dotations versées aux barreaux par l’État sur crédits budgétaires tiendront compte de l’existence de ces ressources extrabudgétaires.

([16]) La loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 :

– a relevé à 35 millions d’euros en 2016 et à 45 millions d’euros à compter de 2017 le plafond de la ressource provenant de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance appliquée aux contrats d’assurance de protection juridique ;

– a substitué aux recettes provenant de la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers et du droit fixe de procédure pénale un prélèvement sur le produit d’une partie des amendes pénales, la nouvelle recette étant limitée à 28 millions d’euros en 2016 et à 38 millions d’euros en 2017.

([17]) Financement et gouvernance de l’aide juridictionnelle : à la croisée des fondamentaux, analyse et propositions d’aboutissement, rapport remis par M. Jean-Yves Le Bouillonnec au Premier ministre, septembre 2014.