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N° 1762

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2019.

 

 

 

AVIS

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé,

 

TOME I

 

Par MGaël LE BOHEC,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  1681.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos

Principaux apports de la commission des affaires culturelles et de l’Éducation

I. la rÉforme de la premiÈre annÉe commune aux Études de santÉ : une nÉcessitÉ pour remÉdier au gÂchis

1. Un accès aux études de santé aujourd’hui conditionné par un concours

2. Des critiques récurrentes qui ont d’ores et déjà conduit à des aménagements expérimentaux

3. La nécessité d’une profonde réforme des études de santé

a. La suppression de la PACES au profit d’une orientation progressive des étudiants

b. La poursuite de la réforme par la voie réglementaire

c. Les conditions de réussite de la réforme

II. Des modalitÉs rÉnovÉes d’accÈs au troisiÈme cycle des Études de mÉdecine

1. L’accès à l’internat : le couperet des épreuves classantes nationales

2. La suppression des épreuves classantes nationales pour un parcours choisi

Annexes

annexe  1 : Liste des auditions conduites par le rapporteur

annexe  2 : LE PARCOURS PLURIPASS MIS EN PLACE PAR L’université d’angers


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   avant-propos

« Ce système fait des enfants mais il les laisse sur le chemin et il oublie que s’il existe, c’est pour gérer des êtres humains 

On avance tous tête baissée sans se soucier du plan final

Le système s’est retourné contre l’homme, perdu dans ses ambitions,

L’égalité est en travaux et il y a beaucoup trop de déviation »

Extraits de Course contre la honte,

Grand Corps Malade et Richard Bohringer

Les études de médecine sont aujourd’hui, en France, marquées par la présentation de deux concours, vécus comme autant de couperets successifs et d’obstacles à la réalisation des vocations personnelles : le premier, à l’issue d’une ou plusieurs années de préparation, permet l’accès au premier cycle des études de médecine ; le second, à l’issue des trois années d’études que représente le deuxième cycle, détermine la spécialisation des futurs médecins, ainsi que la localisation géographique de leur internat.

Ces deux concours présentent aujourd’hui les mêmes effets pervers : réalisés sous forme de questions à choix multiples, ils visent à évaluer des connaissances théoriques pléthoriques sans égard pour les compétences cliniques et humaines nécessaires à l’exercice des professions de la santé ; ils sélectionnent et classent les candidats sur la base de leur capacité à ingérer un grand nombre de connaissances et à résister à la pression ; ils favorisent une compétition malsaine entre des étudiants qui devront, demain, travailler en interdisciplinarité ; ils font de la formation un bachotage perpétuel et plongent les étudiants dans un mal-être continu.

« Gâchis », « boucherie », « massacre », « désastre pédagogique », « difficultés psychosociales » : voici comment est aujourd’hui qualifié le concours qui sanctionne la première année commune aux études de santé et qui assure également l’accès aux filières d’odontologie, de pharmacie et de maïeutique. De très nombreux bacheliers d’excellent niveau sont ainsi évincés, chaque année, non seulement de ces professions, mais plus largement d’un système universitaire qui peine à les garder en son sein tant leur dégoût est grand. Ce fonctionnement entraîne une perte de confiance avérée pour les étudiants au profil pourtant intéressant et ayant réussi jusqu’au lycée.

Au-delà de cette perte dommageable pour nos universités, qui induit, au‑delà du profond mal-être étudiant, des difficultés de reconversion et d’insertion professionnelle, c’est le système de santé dans son ensemble qui pâtit aujourd’hui d’un dispositif inadapté. Le numerus clausus, détourné de son esprit initial pour répondre aux besoins de la population, n’a jamais pu remplir cette fonction. Trop longtemps maintenu à un faible niveau, son augmentation récente, au cours des dernières années, n’a pas encore porté ses fruits du fait de la durée des études de médecine.

De fait, les comparaisons internationales montrent que le problème de la désertification médicale n’est pas tant lié au nombre total de médecins qu’à leur inégale répartition sur le territoire. Or, les études de médecine, par leurs modalités actuelles, contribuent largement à cette situation : en ne donnant à voir aux étudiants que les grands centres urbains disposant d’un centre hospitalier universitaire, ces études ne favorisent nullement leur dissémination, dans des pratiques différentes, sur les territoires. Comment espérer répondre aux besoins des populations quand le système de formation constitue l’un des vecteurs de la désertification médicale ?

À l’évidence, une profonde réforme s’impose.

La stratégie « Ma santé 2022 » que le Président de la République a lancée en septembre 2018 vise précisément à proposer une réponse globale aux défis auxquels doit faire face notre système de santé, qu’il s’agisse de la question de l’inégalité dans l’accès aux soins, de l’exercice même de leur art par les professionnels aspirant aujourd’hui à un exercice plus collégial ou encore de la manière dont ils sont formés. Ce dernier point fait l’objet, de façon logique, des deux premiers articles du présent projet de loi, dont la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a souhaité se saisir pour avis.

Le projet de loi a vocation, en premier lieu, à réformer de façon profonde l’accès aux études de santé et, en leur sein, les études de médecine, afin de permettre aux étudiants de dessiner un véritable parcours de réussite répondant à leurs aspirations, en lieu et place des modalités de sélection par l’échec en vigueur aujourd’hui.

Pour ce faire, le système se voit profondément remanié : à un système à entrée et sortie uniques doit succéder, pour le premier cycle, un dispositif d’entrées et de sorties multiples qui, sans sacrifier à l’exigence de sélectivité qui garantit le niveau de compétences élevé des futurs praticiens, se veut nettement plus ouvert. Il doit ainsi permettre aux étudiants inscrits en études de santé de poursuivre de façon plus fluide d’autres études, mais aussi assurer la diversification des voies d’accès aux études de santé, notamment en intégrant, en cours de cursus, des étudiants issus d’autres horizons.

La volonté de diversifier les profils des étudiants en santé, qu’il s’agisse de leurs bagages scolaires et universitaires, de leurs origines sociales comme territoriales, mais aussi de leurs éventuelles situations de handicap, doit être au cœur de la réforme. Permettre aujourd’hui une telle diversité est indispensable à l’exercice des professions de santé de demain, dont les contours demeurent pour l’heure inconnus. Une agilité des formations s’avère ainsi nécessaire afin de maintenir le haut niveau français d’études.

En deuxième cycle des études de médecine, le concours de sortie tel qu’il existe aujourd’hui est supprimé au profit d’épreuves permettant d’évaluer les compétences et la cohérence du parcours de l’étudiant au regard de son projet professionnel. C’est en réalité tout le deuxième cycle qui sera transformé par la suppression des épreuves classantes nationales qui focalisent aujourd’hui toute l’attention des étudiants ; c’est aussi le troisième cycle – l’internat – qui évoluera, en permettant aux étudiants de construire un parcours qui leur ressemble. C’est également sur ce niveau d’études qu’il faudra intervenir pour répondre à la désertification médicale.

Les objectifs fixés par le projet de loi sont donc particulièrement ambitieux : il ne s’agit pas uniquement d’une réforme des études de santé, mais bien d’une réforme systémique qui touche potentiellement toutes les autres composantes des universités. Les expérimentations qui ont été menées depuis plusieurs années dans de nombreuses universités prouvent cependant que ces objectifs sont à la fois opportuns, en ce qu’ils répondent à des attentes fortes des étudiants et de la communauté universitaire, et atteignables. Cette expérience constitue un réel gage de réussite dans la mise en œuvre de la réforme, que tous les acteurs appellent de leurs vœux.

L’objectif est donc clair : favoriser la réussite plutôt que l’échec. Cela étant, la réussite de cette réforme majeure suppose aussi qu’un certain nombre de préalables soient pris en compte à leur juste mesure. Notamment, la question des moyens et des capacités de formation des universités, dans toutes les composantes qui seront concernées, se pose avec une acuité particulière eu égard au nombre d’étudiants qui se projettent aujourd’hui dans des professions médicales. Ce, d’autant plus qu’il n’est pas impossible que l’entrée en vigueur de la réforme ait un effet attractif à la fois sur nombre d’étudiants français aujourd’hui scolarisés à l’étranger et sur les étudiants étrangers qui pourraient être incités à venir effectuer leurs études dans notre pays. À cet égard, il sera essentiel de l’anticiper et de rassurer la communauté universitaire quant aux moyens qui faciliteront l’acceptation et la mise en œuvre de la réforme.

Le succès de la réforme passera enfin par sa compréhension par les principaux intéressés : les lycéens et leurs parents. Sur ce point, si l’on souhaite faire reculer l’autocensure qui conduit nombre d’étudiants à renoncer à ces études pour des raisons financières, territoriales ou sociales, il sera impératif d’informer efficacement tous ceux qui, aujourd’hui, participent à l’orientation des lycéens et de conduire des actions renforcées à l’égard de certains d’entre eux. Si cette mesure est le prolongement logique de la réforme du lycée, elle doit aussi s’accompagner d’un approfondissement conséquent de la politique d’orientation des lycéens et des étudiants, notamment par le biais d’une plus forte implication des universités.

 

 

Principaux apports de la commission
des affaires culturelles et de l’Éducation

Lors de son examen du présent projet de loi, le lundi 11 mars 2019, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a émis un avis favorable à l’adoption de ses articles 1er et 2, sous réserve des amendements qu’elle propose.

– À l’article 1er, la commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que les formations des études de santé favorisent, par leurs modalités d’accès et leur organisation, la répartition optimale des futurs professionnels sur le territoire au regard des besoins de santé.

Elle a également adopté un amendement du rapporteur renvoyant au pouvoir règlementaire la tâche de fixer aux universités des objectifs de diversification des voies d’accès aux études de santé.

– À l’article 2, la commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à assurer la prise en compte des situations de handicap dans l’affectation par subdivision territoriale et spécialité des étudiants ayant passé avec succès les épreuves de fin de deuxième cycle.

Elle a également adopté, avec un avis de sagesse du rapporteur, un amendement de M. Michel Larive prévoyant la délivrance d’un enseignement relatif aux violences faites aux femmes, aux stéréotypes de genre et au respect du corps d’autrui.

Enfin, elle a adopté un amendement du rapporteur rendant obligatoire, pour les internes, la réalisation d’un stage de six mois dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins.


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I.   la rÉforme de la premiÈre annÉe commune aux Études de santÉ : une nÉcessitÉ pour remÉdier au gÂchis

1.   Un accès aux études de santé aujourd’hui conditionné par un concours

La première année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de maïeutique est commune aux étudiants qui se destinent à ces filières. Le nombre des étudiants admis en deuxième année dans chacune des filières à l’issue de cette première année commune aux études de santé (PACES) est limité par la voie règlementaire. Ce numerus clausus est aujourd’hui déterminé conjointement par les ministres en charge de la santé et de l’enseignement supérieur en tenant compte de différents critères : les besoins de la population, la nécessité de remédier aux inégalités géographiques et les capacités de formation des établissements ([1]).

Pour l’année 2017-2018, ces numerus clausus ont été fixés, pour l’ensemble des universités, à 8 205 pour la filière médicale, 991 pour les études de sage‑femme, 3 124 pour la pharmacie et 1 203 pour l’odontologie. Ainsi, pour l’année considérée, 13 523 places étaient offertes pour 57 791 étudiants inscrits en première année, soit un contingent d’un peu plus de 23 %. Ces places font aujourd’hui l’objet d’une répartition au niveau territorial, par établissement. À titre d’exemple, l’université de Nantes proposait en 2018, pour 1 565 inscrits en PACES, 223 places en médecine, 39 places en odontologie, 27 places de sage‑femme et 102 places en pharmacie. Un quota complémentaire est également ouvert pour certaines professions paramédicales en exercice, comme celle d’infirmier, de sage-femme ou kinésithérapeute, et justifiant de deux ans d’exercice minimum ([2]) ([3]) ainsi que pour les étudiants étrangers non européens inscrits en première année commune aux études de santé ([4]).

Au total, seuls 30 % des élèves inscrits en PACES accèdent aux filières contingentées ([5]), le plus souvent après un redoublement, par le biais des concours organisés en fin d’année universitaire. Les étudiants passent ainsi les épreuves des unités d’enseignement (UE) communes – qui peuvent recevoir des coefficients différents selon la filière visée – mais également, au second semestre, des épreuves correspondant à des UE spécifiques aux filières auxquelles ils souhaitent concourir. Au total, les étudiants reçoivent de un à quatre classements selon les filières auxquelles ils ont choisi de se présenter.

En dehors du concours, d’autres voies d’accès à la deuxième année ou troisième année des études de santé sont également prévues. Si les personnes disposant de certains grades, titres ou diplômes peuvent y être admises directement ([6]), il est également reconnu un « droit au remords » des étudiants qui souhaiteraient changer de filière après deux années d’études dans celle qu’ils ont choisie à l’issue de la PACES. Ils peuvent alors intégrer la deuxième année d’une autre filière. Cependant, cette possibilité est offerte à un nombre extrêmement limité d’étudiants, puisque, pour l’année 2018-2019, seules 14 places étaient offertes en médecine par ce biais, 16 en odontologie, 7 en pharmacie et 7 pour les études de sage-femme ([7]). Ainsi, le concours à l’issue de la PACES demeure aujourd’hui, au plan statistique comme psychologique, l’unique voie d’accès aux études de santé.

2.   Des critiques récurrentes qui ont d’ores et déjà conduit à des aménagements expérimentaux

Le numerus clausus des études de médecine fait l’objet de critiques récurrentes depuis plusieurs années. Initialement conçu pour faire correspondre le nombre d’étudiants aux capacités de formation des établissements hospitaliers universitaires, mais également pour limiter les dépenses de santé par une moindre présence médicale, il a ensuite été utilisé pour répondre aux besoins de la population. Bien qu’il ait fait l’objet d’une forte augmentation dans la période récente (cf. graphique infra), beaucoup estiment que cet outil n’est pas adapté à la régulation démographique des professions médicales – la durée des études médicales retardant considérablement les effets des décisions prises dans ce domaine – et ne permet nullement de corriger les inégalités territoriales.

Numerus clausus depuis 1972

Source : étude d’impact annexée au projet de loi.

Ainsi, la Cour des comptes, dans un récent rapport sur l’avenir de l’assurance maladie, indiquait que ce système « peine cependant aujourd’hui à remplir ses objectifs en termes de régulation quantitative et territoriale. L’efficacité du numerus clausus et des quotas de formation se trouve en effet amoindrie par l’afflux de professionnels à diplôme étranger (…) En outre, les décisions sur le numerus clausus et les quotas s’appuient sur des projections démographiques trop peu fréquemment actualisées et non territorialisées et sur un recensement des besoins qui se limite pour l’essentiel à ceux des établissements hospitaliers » ([8]). Au final, comme l’indique l’étude d’impact annexée au projet de loi, « le pilotage prospectif fin du nombre de professionnels de santé, que devait permettre le numerus clausus, n’a pas permis d’assurer une couverture suffisante du besoin en professionnels de santé, ni leur répartition sur le territoire » ([9]).

Au-delà, l’organisation même de la scolarité qui en résulte est largement critiquée. Un rapport de 2012 publié dans le cadre des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche résumait ainsi la situation : « Le grand nombre d’étudiants fait que les conditions d’accueil et d’études n’est pas à la hauteur d’un service public d’enseignement supérieur de qualité. La grande majorité des étudiants échouent, deux années de suite – ce qui les affecte souvent profondément et durablement. Ils reprennent alors des études dans des filières souvent fort différentes (filières courtes diverses, droit, économie, etc.) et le sentiment d’avoir perdu leur temps n’en est que plus fort. Il faut préciser que le bachotage intense résultant de l’hyper-sélectivité du concours de fin d’année n’est pas à la gloire de notre pédagogie. » ([10]).

De fait, en 2017-2018, 31 % des élèves inscrits en PACES étaient redoublants voire triplants. Cette situation a un coût humain important pour les étudiants, qui ne progressent pas dans le système universitaire et n’acquièrent pas de nouvelles connaissances, mais a également un coût économique et social non négligeable : comme l’indique l’étude d’impact annexée au projet de loi, le coût de ces redoublements s’élève, pour les universités, à 55,1 millions d’euros pour l’année 2017-2018. L’allongement inutile des études pèse également sur les familles, en particulier lorsqu’elles choisissent de s’acquitter de plusieurs milliers d’euros de frais de préparations privées, voire de financer des études médicales à l’étranger.

La nature même de la formation dispensée au cours de cette première année, entièrement tournée vers la préparation des épreuves du concours, apparaît aujourd’hui largement inadaptée aux attentes de la population et aux besoins du système de santé. Comme l’indique l’étude d’impact, « la capacité à travailler en équipe, à appréhender la relation médecin-patient et à évoluer dans un cadre rénové de la pratique médicale paraissent insuffisamment présentes au cours de ce premier cycle de formation et ne sont pas évaluées lors de l’admission en seconde année » ([11]). Ainsi, des qualités humaines indispensables à l’exercice de ces professions, dont la capacité d’écoute ou de décider en situation d’incertitude, n’entrent pas en ligne de compte à ce stade de la sélection.

Ce constat a conduit à la mise en place, dès 2013 ([12]), d’expérimentations visant à amener plus d’étudiants vers le master, quelle que soit la filière, et à diversifier le profil des étudiants recrutés dans les filières contingentées. Deux possibilités ont alors été offertes aux universités :

– d’une part, la réorientation vers d’autres filières des étudiants non classés en rang utile au concours organisé à l’issue de la PACES : le PLURIPASS a ainsi été expérimenté à l’université d’Angers, où il remplace la PACES et permet d’accéder aux études de santé, mais également à des licences en sciences du vivant et sciences sociales et à des diplômes d’ingénieur (cf. infra) ; à l’université de Rennes, des dispositifs de réorientation sont proposés aux étudiants de première année, dès la fin de leur premier semestre ;

– d’autre part, l’admission directe en deuxième ou troisième année des études de santé après une à trois années de licence dans un autre domaine : l’AlterPACES, qui fait l’objet d’un quota qui s’impute sur le numerus clausus de chaque université ([13]), a ainsi été expérimenté dans 16 universités.

Deux exemples d’expérimentations : Angers et Rennes

Depuis septembre 2015, l’université d’Angers a mis en place une alternative à la PACES sur deux ans ([14]). Ainsi, les enseignements dispensés au cours de ces deux années comportent trois piliers – les sciences du vivant, les sciences de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales – qui donnent accès aux études des six filières contingentées (médecine, odontologie, pharmacie, maïeutique, kinésithérapie et ergothérapie) mais également à des écoles d’ingénieur ainsi qu’à une quinzaine de licences.

En l’absence de redoublement possible, les étudiants qui échouent à intégrer les études de santé à l’issue de leur première année peuvent présenter à nouveau leur candidature à l’issue du troisième semestre. Les enseignements du troisième semestre sont ainsi adaptés aux ambitions de l’étudiant, qui choisit, pour compléter les enseignements de sciences du vivant, entre les sciences de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales. Un nouvel échec leur permet de s’orienter dès ce stade, ou à l’issue de leur deuxième année, vers une licence ou une école d’ingénieur. Un système similaire à l’AlterPACES a également complété, par la suite, le dispositif.

Au total, 70 % des étudiants en santé sont issus de la première année, 20 % du concours du troisième semestre et 10 % d’autres licences. Aujourd’hui, 70 % des étudiants se trouvent ainsi en troisième année de licence au bout de trois ans, où ils connaissent un taux de réussite similaire à celui des autres étudiants.

L’université de Rennes s’est également inscrite dans ces deux dispositifs. Avec les possibilités offertes par le PLURIPASS, elle permet à ses étudiants de se réorienter progressivement vers d’autres filières :

– dès la fin de leur premier semestre, si leurs résultats aux examens sont insuffisants, les étudiants peuvent poursuivre leur année dans certaines licences (biologie, physique, mathématiques, droit, philosophie, etc.) proposés par Rennes ou dans d’autres universités, comme celle de Vannes, avec laquelle un partenariat a été noué ;

– à l’issue de leur première année, les étudiants peuvent, selon leurs résultats, être réorientés, de plein droit ou sur dossier, en deuxième année des licences scientifiques ; ceux dont le rang au concours est 2,5 fois supérieur au numerus clausus peuvent, selon leurs résultats, bénéficier d’une réorientation via ParcourSup et, par la suite, bénéficier du dispositif AlterPACES ou s’inscrire pour la seconde fois en PACES après avoir validé 60 crédits universitaires dans une autre formation.

L’accès à la deuxième année des études de santé a également été ouvert aux étudiants inscrits en deuxième ou troisième année de nombreuses licences, y compris de sciences humaines et sociales, et qui prennent deux unités d’enseignement complémentaire de la PACES, pour lesquelles ils passeront les mêmes examens que les étudiants inscrits en PACES.

Un bilan de ces expérimentations a été réalisé en juillet 2018 par les conférences des doyens de médecine, d’odontologie et de pharmacie et la conférence des enseignants de maïeutique ([15]).

L’AlterPACES, qui devait diversifier le profil des étudiants recrutés dans les filières contingentées, n’a pas connu le succès escompté : pour l’année 2016-2017, seules 15 % des places offertes par ce biais ont été pourvues en raison du faible nombre de candidatures. Au final, ces étudiants ne représentent que 1,5 % de l’ensemble des candidats reçus la même année, ce qui n’a pas permis de diversifier outre mesure le recrutement. Dès lors, le rapport précité recommande de mieux diffuser l’information autour de ce dispositif dès le lycée.

En revanche, le dispositif PLURIPASS, qui avait vocation à remédier au « gâchis » de la PACES en amenant un plus grand nombre d’étudiants vers le niveau master et était conçu non pas comme « une voie supplémentaire ou accessoire d’accès aux études de santé mais [comme] un parcours pluridisciplinaire alimentant toutes les filières de l’université dont les filières santé » ([16]), apparaît aujourd’hui comme un succès, puisque le rapport réussite/échec s’est inversé pour ces étudiants par rapport aux étudiants de PACES ([17]) et que 70 % des étudiants inscrits en première année sont, trois ans après, inscrits en troisième année de licence.

Ce succès a d’ailleurs conduit à la mise en place d’un nouveau dispositif en 2018. La loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a ainsi instauré un nouveau dispositif expérimental : la PACES adaptée, qui permet aux étudiants n’ayant pas eu le concours à l’issue de leur première année de poursuivre leurs études dans le cadre d’une autre licence, en suivant un ensemble plus vaste d’enseignements dès la première année. L’Université de Bretagne Occidentale a ainsi mis en œuvre le dispositif UBOPASS, qui ouvre la possibilité aux étudiants dits « primants » d’accéder aux études de santé et, en cas d’échec, de retenter leur chance en admission directe, à l’issue d’une deuxième ou troisième année de licence d’un autre cursus.

Pour autant, ces dispositifs demeurent expérimentaux et ne concernent que peu d’étudiants entamant aujourd’hui des études de santé. Les défauts du système actuel perdurent et ont poussé les syndicats des étudiants en santé à signer, en décembre 2018, une tribune dans la presse appelant à en finir avec « le massacre du concours » ([18]). Ils rappellent la nécessité de diversifier les profils professionnels en permettant l’accès aux études de santé par des voies multiples et celle d’une orientation progressive des étudiants ; ils proposent de substituer au caractère purement sélectif de la PACES une année de formation réelle comprenant des modules d’orientation et des enseignements permettant de faciliter la poursuite d’études dans l’université.

3.   La nécessité d’une profonde réforme des études de santé

Le Président de la République a annoncé, en septembre 2018, la suppression de la PACES et du concours qui la sanctionne pour « permettre de former plus de médecins avec un mode de sélection rénové, et de renforcer la dimension qualitative et le niveau de formation des études de santé » ([19]). Cette annonce a ensuite été précisée par les deux ministres en charge de la santé et de l’enseignement supérieur dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 ».

Ainsi, l’objectif fixé est de « recruter des étudiants de profils divers et leur permettre de s’orienter progressivement vers un métier », en supprimant le numerus clausus et en réformant le premier cycle des études de santé : « L’admission dans les études de santé et les cursus de premiers cycles seront repensés pour favoriser une orientation progressive, des passerelles entre les cursus, et des enseignements communs. (…) Le recrutement des étudiants se fera de façon progressive au cours du premier cycle et à partir de cursus diversifiés. »

a.   La suppression de la PACES au profit d’une orientation progressive des étudiants

L’article 1er du projet de loi vise à traduire, dans la loi, cette ambition. Il procède ainsi à la réécriture intégrale de l’article L. 631-1 du code de l’éducation, dont les dispositions actuelles – PACES et numerus clausus, notamment – se trouveraient dès lors supprimées. Il rappelle que les formations en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique relèvent des ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la santé, qu’elles sont organisées en cycles et conduisent à la délivrance de diplômes d’État. Par ailleurs, il fixe le principe d’une orientation progressive des étudiants vers la filière la plus adaptée à leurs connaissances, aptitudes et compétences, et impose des enseignements communs à plusieurs filières universitaires – y compris, donc, au-delà des filières     contingentées – afin de « favoriser l’acquisition de pratiques professionnelles partagées et coordonnées ». Aux yeux du rapporteur, ce dernier aspect est cardinal, l’interdisciplinarité et la connaissance mutuelle des différents métiers de santé étant essentielles à une bonne anticipation quant à l’évolution des futures pratiques.

Le deuxième alinéa de l’article L. 631-1 modifié dispose que les capacités d’accueil en deuxième et troisième années du premier cycle – notion qui se substitue donc à celle de numerus clausussont déterminées annuellement par les universités, qui prennent en compte les objectifs d’admission de l’établissement en première année du deuxième cycle. Ceux-ci, arrêtés par chaque université après avis conforme de l’agence régionale de santé (ARS), tiennent euxmêmes compte des capacités de formation et des besoins de santé du territoire par le biais d’objectifs pluriannuels établis au niveau national pour satisfaire trois objectifs : répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins et permettre l’insertion professionnelle des étudiants.

Cette négociation directe entre l’université et l’ARS doit permettre de décentraliser la fixation des contingents et, ainsi, de mieux prendre en compte les réalités locales. Elle se substituerait à une situation dans laquelle le dialogue s’établit essentiellement entre l’opérateur et sa tutelle autour d’enjeux strictement budgétaires. Pour autant, s’il est essentiel de mieux prendre en compte les besoins du territoire, une telle mesure ne saurait porter ses fruits sans modification des capacités d’accueil de certaines universités.

Le troisième alinéa de l’article L. 631-1 modifié indique que l’admission en deuxième ou troisième années du premier cycle de ces formations est subordonnée à la validation d’un parcours de formation antérieur dans l’enseignement supérieur et à la réussite d’épreuves, qui sont déterminées par décret en Conseil d’État. Bien que le numerus clausus et le concours qui l’accompagne soient supprimés, la poursuite du premier cycle des formations en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique demeure donc sélective, tant au plan quantitatif que qualitatif. Une telle sélection apparaît du reste indispensable au maintien de l’excellence de ces filières, comme c’est le cas dans d’autres disciplines, comme le droit.

Cette rédaction permet toutefois, au plan règlementaire, de multiplier les voies d’accès à ces filières et de rendre la sélection, au sein du premier cycle, plus progressive. Une telle évolution devrait ainsi permettre de limiter les recours contentieux que doivent gérer les universités dans le cadre du concours, unique voie d’accès, ou presque, aux études de médecine. Des aménagements pourraient également être trouvés pour améliorer le recrutement dans les filières autres que la filière « médecine ». En effet, certaines filières, comme la pharmacie, ont souffert de la mise en œuvre de la PACES : alors qu’elles recrutaient auparavant directement leurs étudiants, la PACES a conduit à ce que beaucoup d’étudiants les choisissent par défaut. La réforme annoncée pourrait dès lors constituer une opportunité pour remédier à ce phénomène.

Les passerelles qui existent aujourd’hui entre les études de santé et d’autres diplômes, grades ou titres, ainsi qu’à l’intérieur des filières des études de santé, sont par ailleurs maintenues, ces « modalités d’admission [garantissant] la diversité des parcours des étudiants » comme en dispose le dernier alinéa du I de l’article ainsi modifié. Au II du même article modifié, un décret doit en outre déterminer, au-delà des modalités d’application des dispositifs précitées, les conditions d’accès à ces formations et diplômes, notamment pour les titulaires d’un diplôme « européen » ([20]), les ressortissants de pays extra-européens et les titulaires d’un diplôme étranger en santé ([21]).

Ces dispositions seraient applicables à compter de la rentrée universitaire 2020. Par ailleurs, une mesure transitoire est prévue pour les étudiants qui auraient eu le droit, avant l’entrée en vigueur de la loi, de se présenter une première ou seconde fois au concours : ils conservent la possibilité de présenter leur candidature à l’accès en deuxième année des études de santé.

b.   La poursuite de la réforme par la voie réglementaire

La rédaction de l’article 1er laisse une marge de manœuvre non négligeable au pouvoir règlementaire pour fixer, de façon concrète, les modalités d’organisation et de fonctionnement des études de santé réformées.

Notamment, elle pourrait permettre la mise en œuvre du modèle de « Portail Santé » proposé par le professeur Jean-Paul Saint-André dans un récent rapport sur la refonte du premier cycle des études de santé ([22]). Les bacheliers auraient ainsi la possibilité de s’inscrire, via la plateforme Parcoursup, à plusieurs licences pouvant compter une mineure « Santé » ainsi qu’au Portail Santé menant aux études de santé. Ainsi, ces dernières seraient également accessibles depuis ces licences, selon des modalités semblables : la validation de l’année universitaire vaudrait admissibilité à l’entrée dans les études de santé, tandis que l’admission reposerait, par exemple, sur une épreuve orale.

Tous les étudiants auraient ainsi la possibilité de présenter deux fois leur candidature : à l’issue de leur première année d’étude, en Portail Santé ou en licence, puis à l’issue d’une deuxième ou troisième année de licence. Aucun redoublement ne serait admis en cas de validation de l’année universitaire, afin que la deuxième année corresponde à l’acquisition de connaissances nouvelles : ainsi, en cas d’échec, l’étudiant inscrit au sein du Portail Santé pourrait poursuivre, en deuxième année, au sein d’une licence proposée par        l’université – celle-ci pouvant notamment correspondre à une « mineure » choisie en première année (biologie, mathématiques, droit, sciences humaines et sociales, économie‑gestion, etc.).

Enfin, afin de favoriser une diversification effective des voies d’accès aux études de santé, le Portail Santé représenterait, au maximum, 60 % des places offertes par les universités, chacune d’entre elles ayant l’obligation de proposer au minimum deux accès possibles ([23]).

schéma d’un parcours étudiant à partir du portail santé

Source : Pr. J-P. Saint-André, Suppression du numerus clausus et de la PACES. Refonte du premier cycle des études de santé pour les « métiers médicaux », décembre 2018.

 

Le modèle proposé ne fait toutefois pas l’unanimité, notamment auprès des étudiants et des jeunes médecins. Ainsi, l’association Jeunes médecins défend pour sa part « une entrée dans les études de médecine via un parcours Licence indifférencié avec sélection à l’entrée en Master Médecine avec une orientation majoritaire vers un master en médecine ambulatoire de premier recours » ([24]). De la même façon, la Fédération des associations étudiantes générales (FAGE) propose d’aller plus loin que la mise en place d’un Portail Santé en créant une licence à majeure santé qui permettrait, au bout de trois ans, d’accéder aux filières médicales et paramédicales. Au final, pour beaucoup d’organisations étudiantes, une telle solution apparaîtrait comme « tout aussi sélective et discriminatoire » que le système actuel ([25]).

c.   Les conditions de réussite de la réforme

Quel que soit le modèle qui sera in fine retenu dans le cadre des négociations en cours, le rapporteur estime que les choix qui seront faits au niveau réglementaire doivent trancher aussi radicalement que possible avec le modèle actuel de la PACES, dont chacun s’accorde à penser qu’il est profondément insatisfaisant.

Notamment, la formation dispensée par les facultés de médecine au cours de ces premières années doit impérativement évoluer afin de permettre l’acquisition de connaissances et de compétences utiles et de mieux évaluer la capacité des étudiants à exercer une profession médicale. Une telle évolution, si elle apparaît indispensable à la diversification des profils recrutés, nécessite que de nouveaux moyens humains et financiers soient mis à disposition des universités. En effet, la PACES avait la particularité d’être très peu coûteuse par rapport à une licence classique, notamment du fait d’une pédagogie reposant essentiellement sur des cours magistraux.

Au-delà du changement pédagogique, de nouveaux moyens seront également nécessaires afin d’augmenter les capacités d’accueil des universités situées dans des déserts médicaux : en l’absence d’une hausse à due proportion des moyens assurant le recrutement de nouveaux enseignants, augmenter ces capacités pour mieux répondre aux besoins de la population pourrait en effet conduire à une diminution de la qualité de la formation. Comme l’indique à juste titre l’association Jeunes Médecins, « si l’augmentation des effectifs des étudiants devait se faire essentiellement sur les territoires où il existe un manque de médecins, il s’agira également des territoires où le nombre d’enseignants dans les UFR sont les plus faibles. Cela aboutirait à une iniquité dans l’encadrement des étudiants ce qui pourrait porter atteinte à terme à la qualité des soins » ([26]).

Cette réforme devrait aussi être l’occasion de mieux répondre aux besoins du territoire en favorisant l’égal accès de tous aux études de santé. Un objectif de doublement des sites universitaires permettant l’accès à de telles études, via des unités d’enseignement complémentaires ou des « mineures », devrait ainsi être fixé dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme.

Si un tel système devrait permettre aux étudiants de mieux anticiper l’avenir, les objectifs de la réforme – améliorer le bien-être étudiant, diversifier les profils et assurer la réussite du plus grand nombre – ne pourront être atteints que si des mesures concrètes sont prises pour accompagner les étudiants vers ou depuis des licences. En effet, les expérimentations ont montré qu’il n’était pas toujours aisé d’intégrer des études de santé et des licences en cours de cursus, voire en cours d’année. Le rapporteur estime dès lors nécessaire de donner les moyens aux universités de prévoir un accompagnement spécifique pour ces étudiants.

La question du nombre de terrains de stages, réalisés dès le deuxième cycle, se pose également. Dans les universités déjà saturées, certains étudiants sont aujourd’hui contraints de se partager les semaines d’un même stage, ce qui conduit mécaniquement à diminuer leur temps de formation pratique. Si, demain, les capacités d’accueil des universités de médecine augmentent, de nouveaux terrains de stage devront être trouvés, notamment dans les territoires, en médecine ambulatoire ou en centre hospitalier. De tels stages, proches du terrain, sont extrêmement formateurs pour les jeunes médecins qui, en CHU, rencontrent des pathologies nécessairement plus rares, tandis qu’ils apprennent peu des cas plus courants qu’ils verront plus fréquemment dans le cadre d’un exercice libéral. De surcroît, de tels stages ne peuvent que pousser les étudiants à s’installer sur ces territoires à l’issue de leurs études, répondant ainsi partiellement au problème de la désertification médicale.

Toutefois, une telle ambition nécessite, là encore, d’importants moyens – des logements pour les étudiants, des aides au transport, etc. Elle rend également indispensable l’accroissement, par des mesures incitatives et de simplification, du nombre de maîtres de stage. Un investissement notable dans l’accompagnement, tant de l’université que des collectivités territoriales, s’avère donc indispensable. Par ailleurs, l’intérêt de la réforme repose également sur la possibilité, pour des universités sans composante santé, de proposer, en partenariat avec d’autres, des licences permettant l’accès aux études de santé. Là encore, une telle adaptation nécessitera l’allocation de moyens supplémentaires.

Au total, il serait illusoire de penser qu’une telle réforme peut générer des économies, notamment du fait de l’absence de redoublement des étudiants. La création de passerelles depuis et vers des licences, l’accueil d’étudiants qui quittaient auparavant l’université, la rénovation de la formation et l’augmentation des capacités d’accueil de certaines universités nécessiteront d’importants moyens pour permettre d’atteindre les objectifs fixés par le projet de loi.

Enfin, le rapporteur estime que des objectifs quantitatifs devraient être fixés aux universités par la voie réglementaire, afin d’assurer la diversification des voies d’accès aux études de santé et d’éviter de créer une nouvelle voie royale vers les études de santé. Si beaucoup d’entre elles sont favorables à ce changement et l’expérimentent déjà, d’autres pourraient se montrer moins volontaires. Si la fixation de la proportion maximum d’élèves entrant par l’une des voies possible – Portail Santé, licence, etc. – ne relève pas du législateur, il importe cependant que de tels objectifs soient clairement affichés, tout en respectant l’autonomie des universités. Des minima pluriannuels et progressifs pourraient ainsi être fixés par le pouvoir règlementaire, pour s’assurer que tous les acteurs jouent le jeu de la réforme. En tout état de cause, le rapporteur estime souhaitable qu’à moyen terme, une fois la réforme entrée dans les mœurs, les accès autres que le Portail Santé concernent au minimum 30 % des étudiants par université.

 

II.   Des modalitÉs rÉnovÉes d’accÈs au troisiÈme cycle des Études de mÉdecine

1.   L’accès à l’internat : le couperet des épreuves classantes nationales

L’accès au troisième cycle des études de médecine, durant lequel les étudiants effectuent leur internat et se spécialisent dans une discipline donnée, est aujourd’hui encadré par l’article L. 632-2 du code de l’éducation. Il est accessible aux médecins en exercice et aux étudiants ayant validé leur deuxième cycle. Les ministres de l’enseignement supérieur et de la santé arrêtent conjointement, pour une période de cinq ans, le nombre d’internes à former par spécialité et subdivision territoriale et déterminent chaque année le nombre de postes offerts par      spécialités – elles sont au nombre de 44 aujourd’hui, dont la médecine générale – et pour chacun des 29 centres hospitaliers universitaires (CHU).

Depuis 2004, le choix des étudiants est entièrement subordonné à leur rang de classement aux épreuves classantes nationales (ECN), le nombre de postes ouverts correspondant au nombre d’étudiants passant au moins l’une de ces épreuves. Par exemple, pour l’année 2017, sur les 8 037 postes ouverts au niveau national, quatre postes étaient offerts au CHU du Tours en ophtalmologie, qui ont été attribués à des étudiants classés entre le 18e et le 1032e rang.

Ces épreuves ont fait l’objet d’une informatisation en 2016, afin notamment de faciliter la correction des questions à choix multiples qu’elles comportent. Organisées par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique territoriale, elles comportent aujourd’hui trois parties :

– l’analyse de six dossiers cliniques progressifs, qui comprennent chacun 13 à 17 questions à choix multiples ; elle compte pour 70 % de la note finale ;

– un questionnaire à choix multiples de 120 questions isolées, qui compte pour 20 % de la note finale ;

– une lecture critique de deux articles scientifiques, qui repose également sur des questions à choix multiples et compte pour 10 % de la note finale.

Ces épreuves sont aujourd’hui fortement critiquées. En effet, ce couperet conduit les élèves à consacrer quasi exclusivement leur sixième année, voire tout leur deuxième cycle, à la révision intensive de connaissances théoriques au détriment de leurs stages. Comme l’indique un récent rapport remis aux ministres de la santé et de l’enseignement supérieur, « le deuxième cycle est dominé par la préparation des ECNi ([27]) : ce contexte conduit à promouvoir exclusivement des acquisitions théoriques et décontextualisées du soin et de l’approche du patient dans sa globalité, une accumulation de connaissances techniques et morcelées très éloignées de la construction des compétences de l’étudiant de deuxième cycle » ([28]) et à « classer les étudiants selon un "mérite" lié à leur capacité de bachotage en ne tenant pas compte d’un éventuel "mérite" dans leur capacité à répondre à différents besoins scientifiques ou du système de santé » ([29]).

Par ailleurs, eu égard à l’importance de ce classement pour l’avenir professionnel des étudiants, il est fréquent que ces derniers repoussent d’un an le passage de ces épreuves, ou décident de redoubler en cas de classement insuffisant, pratique qui n’est satisfaisante ni au plan pédagogique, ni au plan humain. De fait, ces épreuves sont génératrices d’un important mal-être parmi les étudiants : « l’orientation dans la spécialité et sur le territoire des étudiants ne dépend absolument pas d’un projet professionnel de l’étudiant, et est parfois même en contradiction avec ses aspirations. Il est alors évident que les ECNi, leur préparation et, par conséquent, le 2ème cycle tout entier dans sa forme actuelle, sont une source d’angoisse et de "mal-être" majeure pour les étudiants » ([30]), d’autant plus dommageable que le bien-être est au contraire l’une des conditions de l’excellence. La souffrance qui, aujourd'hui, va croissant année après année chez les étudiants en santé, est l’une des problématiques qu’il importe de traiter et les dispositions du projet de loi sont en ce sens des plus opportunes.

C’est pourquoi le rapport de la mission « Deuxième cycle des études de médecine » précité, comme celui auquel la rapporteure au fond Stéphanie Rist a récemment contribué ([31]), proposent de substituer aux épreuves classantes nationales un système inspiré du matching qui a cours dans les pays anglo‑saxons, dans lequel « l’étudiant propose une candidature où il souhaite aller, il est sélectionné par la structure qui va l’accueillir » ([32]), et de prendre en compte, audelà des connaissances théoriques, les compétences et le projet professionnel de l’étudiant. L’objectif est ainsi de substituer à un mode d’affectation aveugle et brutal un système assurant la construction progressive d’un parcours cohérent.

Enfin, comme l’indique l’étude d’impact annexée au projet de loi, « l’obligation d’offrir un poste à chaque candidat participant à au moins une épreuve (…) ne permet pas de s’assurer que tous les étudiants accédant au troisième cycle disposent de toutes les connaissances et compétences attendues d’un interne en début de cursus » ([33]). De fait, la condition de validation préalable de l’année universitaire, réalisée par l’obtention d’une simple moyenne aux examens, ne paraît pas aujourd’hui suffisante pour s’assurer de l’excellence de tous les futurs médecins. Au-delà, cette réforme permet également de s’assurer que les internes ayant obtenu leur diplôme dans d’autres pays de l’Union européenne – qui peuvent s’inscrire à ces épreuves et obtenir automatiquement une place – ont bien un niveau minimum équivalent à celui des diplômés de l’enseignement supérieur français.

2.   La suppression des épreuves classantes nationales pour un parcours choisi

Tirant les conséquences de ces préconisations, l’article 2 du projet de loi modifie intégralement la rédaction de l’actuel article L. 632-2 du code de l’éducation. S’il préserve la capacité des médecins en exercice d’accéder au troisième cycle des études de médecine, il modifie les conditions dans lesquelles les étudiants de deuxième cycle peuvent y être admis.

En effet, il est prévu que leur admission soit désormais subordonnée, non plus aux épreuves classantes nationales, mais à « l’obtention d’une note minimale à des épreuves permettant d’établir que l’étudiant a acquis les connaissances et compétences suffisantes au regard des exigences du troisième cycle » (alinéa 3). L’affectation sur ces postes à proprement parler serait ensuite effectuée, pour ces étudiants, en prenant en compte trois éléments : les résultats obtenus à ces épreuves ; le parcours de formation ; le projet professionnel (alinéa 9).

Il s’agit, comme l’indique l’étude d’impact annexée au projet de loi, de faire « reposer la procédure d’affectation sur un ensemble de critères associant les connaissances et les compétences des étudiants, évaluées par des épreuves plus diverses et plus pertinentes ainsi que son parcours et projet professionnel. Une note minimale sera exigée pour permettre l’accès au troisième cycle. Ainsi, le dispositif garantira une compétence minimale des internes en début de formation et permettra de revaloriser, dans le travail des étudiants au cours du second cycle, l’acquisition de compétences et la construction du projet professionnel » ([34]).

Le rapporteur ne peut qu’être favorable à cette évolution. L’évaluation des compétences comme de la cohérence du projet professionnel apparaît notamment fondamentale pour s’assurer de la capacité des étudiants à appréhender au mieux leur internat. Plusieurs pays étrangers, dont la Suisse et le Canada, et quelques facultés françaises recourent ainsi à des examens cliniques objectifs structurés ou « ECOS », qui s’apparentent à une succession de situations simulées, pour évaluer, de façon objective et reproductible, les compétences cliniques et relationnelles des étudiants. La place du patient s’en trouverait ainsi renforcée. Au total, même si des épreuves de questions à choix multiples seront amenées à perdurer en partie, une telle réforme aura nécessairement un impact salutaire sur le contenu même du deuxième cycle et permettra une spécialisation progressive des étudiants en vue de l’internat.

Un décret en Conseil d’État déterminera, comme aujourd’hui, les modalités d’organisation du troisième cycle des études médicales, les modalités de répartition des postes par spécialité et subdivision territoriale, les modalités d’affectation sur ces postes, ainsi que celles d’un changement d’orientation.

L’article 2 du projet de loi fixe également le délai d’application de la réforme du troisième cycle : elle serait applicable aux étudiants accédant à la première année du deuxième cycle des études de médecine à compter de la rentrée universitaire 2019. Ainsi, la suppression des épreuves classantes nationales serait effective pour l’année universitaire 2021-2022. Le rapporteur estime souhaitable de laisser une année de plus aux universités pour mener à bien cette réforme consensuelle mais néanmoins ambitieuse. Ce décalage dans le temps permettra aux universités de ne pas avoir à mettre en œuvre simultanément deux modifications d’ampleur dans leur établissement, pour garantir la réussite d’une évolution qui transformera, en profondeur, les études en santé.

 

 


– 1 –

   Annexes

annexe n° 1 :
Liste des auditions conduites par le rapporteur

     Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) Mme Clara Bonnavion, présidente, et M. Pierre-Adrien Girard, vice‑président chargé de la PACES

     Audition commune :

 Université de Bretagne occidentale (UBO)  M. Matthieu Gallou, président

 Université d’Angers – M. Didier Le Gall, premier vice-président

     Pr. Nicolas Lerolle, doyen de la faculté de médecine de l’université d’Angers, Mme Catherine Passirani-Malleret, directrice enseignante de PLURIPASS, M. Cédric Annweiler, directeur du département médecine, M. Yannick Diquelou, directeur administratif de PLURIPASS, et M. Frédéric Lagarce, directeur du département pharmacie

     Table ronde réunissant :

 Cours Galien  M. Claude Lopez, président

 Excosup – Mme Roxane Laurenty, présidente

 Réussirmapaces.fr – M. Pierre-Axel Domicile, fondateur

     Union nationale lycéenne (UNL) – M. Louis Boyard, président

     Table ronde réunissant :

 Conférence des Doyens des facultés de médecine  M. Jean Sibilia, président

 Conférence des Doyens des facultés de pharmacie de France – Pr. Marc Pallardy, doyen de la faculté de pharmacie de l’université Paris‑Sud, et Pr. JeanPierre Gies, doyen de la faculté de pharmacie de l’université de Strasbourg


 Conférence nationale des enseignants en maïeutique (CNEMa) – Mme Véronique Lecointe, présidente, et Mme Marie-Christine Leymarie, directrice de la structure de formation en maïeutique du CHU de Clermont-Ferrand

 Conférence des doyens d’odontologieMme Corinne TaddeiGross, présidente, M. Reza Chirani, doyen de la faculté d’odontologie de Brest, M. Bernard Giumelli, doyen de la faculté d’odontologie de Nantes, et M. Louis Maman, doyen de la faculté d’odontologie de Paris Descartes

     Dr. Donata Marra, auteure du rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé (avril 2018)

     Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) – M. Michel Cosnard, président, et M. JeanMarc Geib, directeur

     Conférence des présidents d’université (CPU) (*) – M. Olivier Laboux vice-président, président de l’université de Nantes, Mme Michèle Cottier, vice-présidente de la commission santé de la CPU, présidente de l’université de Saint-Étienne, M. Kévin Neuville, conseiller en charge des relations institutionnelles et parlementaires

     Université Paris Descartes  M. Frédéric Dardel, président

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale

 


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annexe n° 2 :
LE PARCOURS PLURIPASS MIS EN PLACE PAR L’université d’angers

 

Source : blog de l’université d’Angers


([1]) L. 631-1 du code de l’éducation.

([2]) Arrêté du 27 décembre 2017 fixant le nombre complémentaire d’étudiants admis, à l’issue des épreuves de la première année commune aux études de santé organisées lors de l’année universitaire 2017-2018, à poursuivre des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme.

([3])  Ce quota ne pouvant excéder 3 % du quota principal, seules 88 places étaient offertes à ce titre en 2018.

([4]) Le numerus clausus peut ainsi être majoré dans la limite de 8 %, lorsque ces étudiants sont classés « en rang utile » au concours (cf. arrêté du 27 décembre 2017 fixant le nombre d’étudiants de première année commune aux études de santé autorisés à poursuivre leurs études en médecine à la suite des épreuves terminales de l’année universitaire 2017-2018 et le nombre d’étudiants pouvant être admis directement en deuxième année de ces études à la rentrée universitaire 2018-2019 en application de l’article 9 du décret n° 2014-189 du 20 février 2014 tendant à l’expérimentation de modalités particulières d’admission dans les études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques).

([5]) Pr. N. Lerolle, Bilan des expérimentations PACES 2014-2018, 12 juillet 2018.

([6]) Arrêté du 24 mars 2017 relatif aux modalités d’admission directe en deuxième ou troisième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme.

([7]) Arrêté du 27 décembre 2017 fixant le nombre de places offertes, pour l’année universitaire 2018-2019 pour l’admission en deuxième année des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme, aux étudiants qui souhaitent exercer leur droit au remords.

([8]) Cour des comptes, Rapport public thématique, Lavenir de lassurance maladie, novembre 2017, p. 123‑124.

([9]) Étude d’impact annexée au projet de loi, p. 15.

([10]) V. Berger, Rapport au Président de la République, 17 septembre 2012, p. 20.

([11])  Étude d’impact annexée au projet de loi, p. 19.

([12]) Article 39 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

([13]) Voir l’arrêté du 27 décembre 2017 fixant le nombre d’étudiants de première année commune aux études de santé autorisés à poursuivre leurs études en médecine à la suite des épreuves terminales de l’année universitaire 2017-2018 et le nombre d’étudiants pouvant être admis directement en deuxième année de ces études à la rentrée universitaire 2018-2019 en application de l’article 9 du décret n° 2014-189 du 20 février 2014 tendant à l’expérimentation de modalités particulières d’admission dans les études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques.

([14]) Cf. Annexe n° 2.

([15]) Pr. N. Lerolle, Bilan des expérimentations PACES 2014-2018, 12 juillet 2018.

([16]) Pr. N. Lerolle, Bilan des expérimentations PACES 2014-2018, 12 juillet 2018, p. 18.

([17]) 72 % / 28 % contre 30 % / 70 % en PACES.

([18]) Site internet de L’Obs, « Études de santé : finissons-en avec le massacre du concours ! », 4 décembre 2018.

([19]) Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, sur la transformation du système de santé « Prendre soin de chacun », 18 septembre 2018.

([20]) État membre de l’Union européenne, État partie à l’accord sur l’espace économique européen, Confédération helvétique et principauté d’Andorre.

([21]) Il supprime de facto l’article L. 631-2, qui, renvoyant à un décret la fixation des conditions d’accès des étudiants ou titulaires de diplômes étrangers de santé aux formations et diplômes d’État correspondants, remplissait le même office.

([22]) Pr. J-P. Saint-André, Suppression du numerus clausus et de la PACES. Refonte du premier cycle des études de santé pour les « métiers médicaux », décembre 2018.

([23]) Via un portail Santé et une licence, ou via deux licences, par exemple.

([24]) Communiqué de presse de Jeunes Médecins, « Jeunes Médecins entend l’inquiétude de la Conférence des Doyens », 20 février 2019.

([25]) Site internet de L’Obs, « Études de santé : finissons-en avec le massacre du concours ! », 4 décembre 2018.

([26]) Id.

([27]) Épreuves classantes nationales informatisées.

([28])  J-L. Dubois-Randé et Q. Hennion-Imbault, Rapport de la mission Deuxième cycle des études de médecine, 25 décembre 2017, p. 12.

([29]) Id.

([30]) Id.

([31]) A. Tesnière, S. Rist et I. Riom, Adapter les formations aux enjeux du système de santé, septembre 2018.

([32])  J-L. Dubois-Randé et Q. Hennion-Imbault, Rapport de la mission Deuxième cycle des études de médecine, 25 décembre 2017, p. 13.

([33]) Étude d’impact annexée au projet de loi, p. 27.

([34]) Étude d’impact annexée au projet de loi, p. 28.