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N° 1800

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mars 2019.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, portant création dune taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de limpôt sur les sociétés (n° 1737)

PAR M. Benoit Potterie

Député

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 Voir le numéro : 1737.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. La taxe sur les services numériques : taxer la valeur là où elle est créée

A. un constat : Le système actuel ne permet pas de faire contribuer efficacement les entreprises du numérique à l’impôt

1. Un modèle économique qui bouleverse lappréhension de la base taxable

a. Lutilisateur au cœur de la création de valeur

b. Des marchés largement hégémoniques

c. Une difficile appréhension fiscale, accentuée par des stratégies de planification fiscale agressive

2. Des enjeux économiques, budgétaires et déquité fiscale majeurs

a. Une entrave au bon fonctionnement de la concurrence

b. Un manque à gagner budgétaire qui fragilise le pacte social

3. À long terme, une solution à léchelle internationale est nécessaire

a. Les initiatives européennes

b. Des attentes fortes pour les négociations à venir à lOCDE

B. La france à lavant-garde des réformes à venir avec la taxe sur certains services numériques

a. Les redevables sont les grandes entreprises du numérique qui mobilisent les utilisateurs dans la création de valeur

b. Une assiette composée des services taxés pouvant être rattachés au territoire national

c. Un taux de 3 %, un montant déductible du résultat fiscal de lentreprise

d. Les modalités de recouvrement sont assorties de garde-fous pour éviter la fraude

e. Un rendement de lordre de 400 millions deuros la première année

f. Une taxe rétroactive et temporaire

C. Quels sont les effets économiques de la taxe ?

1. Pour les entreprises redevables et les autres, des effets contrastés

2. Une incidence fiscale a priori limitée

II. Linfléchissement de la trajectoire de lImpôt sur les sociétés : financer des mesures en faveur du pouvoir dachat des ménages

A. la trajectoire de limpôt sur les sociétés

B. Un infléchissement conjoncturel nécessaire

C. Quels effets sur les entreprises et la croissance ?

TRAVAUX DE LA COMMISSION

liste des personnes auditionnées


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   Introduction

Larticle 1er du présent projet de loi rend tangible une réforme largement attendue par nos concitoyens, mais également par limmense majorité de nos entreprises : celle de la juste contribution des géants du numérique aux finances publiques.

La construction d’une politique fiscale équitable est au cœur des préoccupations du législateur, dans un contexte où le consentement à l’impôt est fragilisé et, avec lui, l’ensemble du pacte social. Or, la promesse d’équité fiscale n’est pas tenue lorsque des entreprises échappent massivement à l’impôt, comme c’est le cas aujourd’hui avec certains géants du numérique. Les chiffres sont connus : dans l’Union européenne, alors que les entreprises « traditionnelles » paient en moyenne un taux d’imposition sur les sociétés de 23 %, ce taux tombe à 9 % pour les entreprises du secteur numérique.

Deux raisons principales expliquent cette trop faible contribution à l’impôt. D’abord, leur modèle économique propre remet en question l’ensemble des principes fiscaux qui sont au fondement de l’imposition des entreprises. Cela peut se résumer en une phrase simple : la création de valeur ne nécessite plus un établissement physique stable de lentreprise. Les actifs sont incorporels tandis que les utilisateurs sont largement mis à contribution pour créer les profits réalisés par les entreprises concernées. Ensuite, ces entreprises mettent pour la plupart en place des stratégies de planification fiscale agressive pour échapper à limpôt. Ces comportements répréhensibles moralement sont pourtant parfois difficiles à condamner juridiquement. Ils encouragent en outre une course au moins-disant fiscal entre les États, qui s’effectue au détriment des populations.

Les failles d’un cadre fiscal et réglementaire inadapté à leurs spécificités ont contribué à permettre aux géants du numérique d’acquérir des positions monopolistiques sur les marchés, qui posent régulièrement des problèmes de concurrence déloyale.

Avec le présent projet de loi, le Gouvernement entend donner de lélan à une réforme fiscale de plus grande échelle. L’objectif principal est de taxer la valeur là où elle est produite. Pour cela, la taxe sur les services numériques doit permettre de cibler les activités qui mettent le plus à contribution les utilisateurs, soit les activités d’intermédiation, de publicité ciblée et de vente de données. Cette taxe porte sur le chiffre d’affaires tiré de ces activités lorsque ces dernières sont réalisées en France. En raison des seuils prévus par l’article, seules les grandes entreprises seront concernées.

Les enjeux sont doubles. D’abord, sur le plan économique, cette taxe doit permettre d’atténuer les effets anticoncurrentiels qui résultent aujourd’hui d’une trop faible taxation. Ensuite, en matière d’équité fiscale, cette taxe doit assurer une plus juste contribution des géants du numérique au financement de services publics dont ils bénéficient largement. Ce sont ainsi 400 millions d’euros de recettes pour l’État qui sont attendues sur le plan budgétaire.

Cette taxe nenlève rien à la nécessité de parvenir à un consensus européen et international, et cest pour cela que sa vocation est temporaire. La solution pérenne à ce problème majeur du XXIème siècle nécessite que les États coopèrent entre eux pour assurer ensemble une juste imposition des géants du numérique.

Larticle 2 poursuit un objectif simple de rendement budgétaire. Il nen est pas moins essentiel. Il prévoit que, pour l’année 2019, un taux de 33,33 % d’impôt sur les sociétés (IS) continuera de s’appliquer pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 250 millions d’euros, et ce sur la fraction de bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros. Cette mesure devrait permettre des recettes supplémentaires pour l’État de l’ordre de 1,7 milliard d’euros. Celles-ci doivent notamment permettre de financer les dépenses prévues par la loi n° 2018‑1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales. Il est juste que les grandes entreprises contribuent à cet effort budgétaire nécessaire pour répondre aux fortes attentes en matière de pouvoir d’achat de nos concitoyens, et ceci sans remettre en cause l’objectif général d’équilibre des finances publiques. Cet infléchissement de la trajectoire de baisse de l’IS ne remet pas en cause l’objectif final d’un taux normal à 25 % pour 2022.

 


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I.   La taxe sur les services numériques : taxer la valeur là où elle est créée

L’article 1er du projet de loi part d’un constat simple : notre système fiscal n’est pas adapté aux nouvelles formes de création de valeur des grandes entreprises du secteur numérique.

En témoigne le contraste entre, dune part, les chiffres daffaires mondiaux et les bénéfices réalisés par certaines multinationales du numérique et, dautre part, limpôt dont ces groupes sacquittent effectivement en France. Avec environ 790 Md$ de capitalisation boursière, Google constitue l’une des entreprises les mieux cotées en bourse au côté d’Apple et d’Amazon. Le montant de l’impôt sur les sociétés dont le groupe est redevable en France est de l’ordre de 15 M€. Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, les Français participent dans des proportions bien plus fortes à la création de valeur de Google. Un constat similaire peut être effectué pour ce qui concerne les entreprises Facebook, ou Airbnb. Cette dernière, géant de l’intermédiation de la location, mise beaucoup sur la France, première destination touristique mondiale. Elle s’est acquittée en 2017 d’un impôt sur les sociétés de l’ordre de 160 000 euros seulement.

En moyenne, la Commission européenne estime que les entreprises du secteur numérique, sacquittent dans lUnion européenne dun taux effectif moyen dimposition de 9 % sur les bénéfices, contre 23 % pour les entreprises traditionnelles ([1]).

A.   un constat : Le système actuel ne permet pas de faire contribuer efficacement les entreprises du numérique à l’impôt

1.   Un modèle économique qui bouleverse l’appréhension de la base taxable

Plusieurs caractéristiques des entreprises du numérique expliquent pourquoi l’état actuel du droit ne permet pas d’assurer une juste imposition de ces acteurs.

a.   L’utilisateur au cœur de la création de valeur

Le modèle économique des entreprises du numérique constitue une rupture importante avec les modèles traditionnels de création de valeur. Alors que l’économie est traditionnellement fondée sur la valorisation d’actifs matériels, l’économie numérique du XXIème siècle repose sur les actifs incorporels, tels que les données des utilisateurs, leur traitement algorithmique ou encore la vente d’espaces publicitaires en ligne.

La principale nouveauté réside dans la place désormais dévolue aux utilisateurs dans la création de valeur. Les géants du numérique misent sur l’exploitation des données des utilisateurs, sans que ces derniers ne soient rémunérés. Cette forme de « travail gratuit » a été mise en évidence par le rapport de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, rendu par MM. Pierre Collin et Nicolas Colin ([2]). Beaucoup d’entreprises du numérique développent ainsi des stratégies de tarification dite « biface ». La première face du marché est caractérisée par des prix faibles, voire nuls, compensés par la rémunération acquise sur l’autre face du marché. Google ou Facebook offrent ainsi des services gratuits à leurs internautes, et se rémunèrent par les services proposés aux annonceurs publicitaires, qui reposent sur l’exploitation des données des utilisateurs.

Ce rôle de l’utilisateur dans la création de valeur est décuplé du fait des effets de réseau : la satisfaction d’un utilisateur est fonction du nombre d’utilisateurs total mobilisant le service. Plus le réseau est grand, plus la qualité du service s’améliore, comme c’est le cas pour un réseau social par exemple.

b.   Des marchés largement hégémoniques

Enfin, le secteur se caractérise par des barrières importantes à l’entrée du marché du fait de coûts fixes importants, qui résultent notamment de la construction d’algorithmes complexes et de bases de données efficientes. Couplées aux effets de réseau, ces barrières sont à lorigine de phénomènes de rendements croissants. Il en résulte que les marchés du numérique sont bien souvent des marchés monopolistiques. Quelques acteurs, voire parfois un seul acteur, dominent l’ensemble du marché, selon le phénomène du « winner takes all » ([3]). À titre d’exemple, le moteur de recherche Google concentre 95 % du marché de la recherche en ligne en France, selon l’étude d’impact du présent projet de loi.

c.   Une difficile appréhension fiscale, accentuée par des stratégies de planification fiscale agressive

Cette création de valeur, qui repose sur des actifs immatériels et l’action des utilisateurs, est aujourd’hui mal appréhendée par notre système fiscal. La fiscalité des entreprises, construite pour l’essentiel au XXème siècle, a été conçue pour des entreprises traditionnelles, disposant de lieux physiques et facilement identifiables. La notion d’établissement physique stable constitue le fondement juridique de la levée de l’impôt pesant sur les entreprises. Dans le système économique traditionnel, ce principe permet de taxer la valeur là où elle est créée. Ce schéma ne fonctionne plus dans le cas du numérique, puisque la présence physique d’une entreprise n’est plus nécessaire à la création de valeur.

Cette difficulté à localiser la création de valeur saccroît dans un contexte où, à limage dun grand nombre de multinationales, nombreuses sont les entreprises du numérique qui font usage de stratégies doptimisation fiscale.

Alors que les économies sont de plus en plus ouvertes et les capitaux de plus en plus mobiles, les stratégies de planification fiscale agressives se sont considérablement accrues ces dernières années. Les entreprises localisent leurs filiales dans des pays misant sur une fiscalité basse pour attirer les bases taxables, à l’image de l’Irlande où le taux d’impôt sur les sociétés est fixé à 12,5 % et où des rescrits fiscaux peuvent être négociés. Les groupes utilisent ensuite des prix de transfert, déconnectés des prix du marché, pour leur flux de ventes et de charges internes.

Ces pratiques doptimisation fiscale prennent une ampleur particulière dans le secteur numérique, du fait de la difficulté à localiser le lieu où lentreprise réalise effectivement ses profits.

Pour toutes ces raisons, l’état actuel du droit ne permet pas de taxer les entreprises du numérique à hauteur de leur capacité contributive.

2.   Des enjeux économiques, budgétaires et d’équité fiscale majeurs

a.   Une entrave au bon fonctionnement de la concurrence

La faible contribution à l’impôt des géants du numérique concourt à asseoir leur position hégémonique et pose une double difficulté pour ce qui concerne le fonctionnement concurrentiel des marchés.

En premier lieu, elle conduit à une forme de concurrence déloyale entre les entreprises traditionnelles intervenant sur les mêmes secteurs dactivité que certains géants du numérique. C’est notamment le cas pour le secteur du transport individuel de personnes ou de l’hôtellerie. Les entreprises traditionnelles présentes sur ces marchés ont vu leur activité bouleversée par l’arrivée d’acteurs comme Airbnb ou Uber, qui ne jouent pas à armes égales en matière fiscale.

En deuxième lieu, ces positions monopolistiques confortées par des taux dimposition faibles peuvent également freiner lémergence du développement de « pépites » françaises et européennes du numérique, confrontées à des taux d’imposition beaucoup plus élevés que les acteurs déjà leaders sur le marché. Votre rapporteur s’associe ici au constat dressé par les rapporteurs de la commission des affaires européennes M. Éric Bothorel et Mme Marietta Karamanli, qui dénoncent un système dans lequel « les multinationales (…) agissent comme des passagers clandestins du système fiscal international, privant de nombreuses pépites européennes de toute possibilité de les concurrencer ([4]) ».

b.   Un manque à gagner budgétaire qui fragilise le pacte social

Ce faible niveau dimposition constitue un manque à gagner pour les finances publiques et nourrit un fort sentiment dinjustice fiscale.

Les grandes entreprises du numérique ne participent que très peu au financement de services publics dont elles bénéficient pourtant largement. Ces dernières emploient des ingénieurs et des chercheurs formés dans les universités et grandes écoles françaises, mobilisent les réseaux routiers et les réseaux de télécoms à grande échelle : comme cela a été rappelé au cours des auditions, 80 % de l’utilisation des bandes passantes des réseaux de télécoms est le fait des multinationales Google Facebook et Netflix.

Cette participation insuffisante à l’impôt ne permet pas de refléter fidèlement les capacités contributives des redevables, ce qui constitue pourtant une exigence constitutionnelle. Cette contribution trop faible conduit, par ailleurs, à reporter mécaniquement le manque à gagner sur les autres catégories des redevables, dont les travailleurs et les plus petites entreprises.

Alors que les exigences des citoyens en matière d’équité fiscale se renforcent, les pratiques actuelles fragilisent le pacte social et le consentement à l’impôt.

3.   À long terme, une solution à l’échelle internationale est nécessaire

Le constat d’une taxation insuffisante des géants du numérique, et plus globalement des effets délétères des stratégies de planification fiscale agressives est partagé par l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, les États peinent à parvenir à un consensus européen voire international sur ces sujets fiscaux, qui touchent au cœur de la souveraineté et pour lesquels les intérêts de chacun peuvent différer.

a.   Les initiatives européennes

La prise de conscience européenne se traduit par des décisions fortes de la Commission européenne dans le cadre de sa politique de concurrence. Elle a notamment condamné Apple le 30 août 2016 à verser 13 milliards d’euros à l’Irlande, en considérant que le rescrit accordé par l’État irlandais constituait une aide d’État interdite au sens des traités européens. Plus récemment, la Commission a également infligé une troisième amende à Google pour pratiques anticoncurrentielles, pour un montant de 1,49 milliard d’euros.

Ces efforts sont salutaires, mais une évolution du cadre légal nen demeure pas moins nécessaire.

Plusieurs pas ont déjà été franchis notamment en matière de fiscalité indirecte. Le « paquet » taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur le commerce en ligne, adopté en 2017 ([5]), s’inscrit dans le prolongement d’autres mesures concernant la TVA déjà prises par le passé.

Des évolutions considérables restent encore à mener. Grâce au volontarisme d’un certain nombre de pays, à commencer par la France, un paquet législatif a été proposé par la Commission européenne le 21 mars 2018. Il comporte deux propositions de directive.

La première vise un horizon de long terme et prévoit une réforme commune des règles relatives à limpôt sur les sociétés applicables aux activités numériques. Elle introduit les notions de présence numérique significative et détablissement stable virtuel, présence qui serait établie dès que l’un des trois critères suivants serait rempli :

– chiffre d’affaires supérieur à 7 millions d’euros de produits annuels dans un État membre ;

– nombre d’utilisateurs supérieur à 100 000 dans un État membre sur une année ;

– plus de 3 000 contrats commerciaux conclus pour des services numériques entre l’entreprise et les utilisateurs sur une année.

Les bénéfices seraient répartis entre États membres, avec la volonté, à plus long terme, d’intégrer ces dispositions dans le cadre du projet européen d’une assiette commune et consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

La deuxième proposition de directive vise la mise en place, de façon provisoire, dune taxation sur les services numériques assise sur le chiffre daffaires, qui s’appliquerait aux entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial, et 50 millions d’euros dans l’Union européenne. Seraient concernées les activités de placement en ligne d’annonces publicitaires, de vente de données utilisateurs et d’intermédiation. Le projet prévoit un taux de 3 %, pour des recettes estimées à 5 milliards d’euros.

Lexigence dunanimité en matière fiscale rend particulièrement difficile laboutissement de ces propositions. Selon l’étude d’impact du projet de loi « seule une harmonisation européenne des taxes sur le chiffre daffaires frappant les services de publicité ciblée, à compter de 2022, paraît accessible, latteinte dun consensus restant toutefois très incertaine ». Les négociations autour de cette proposition de directive sont aujourd’hui bloquées du fait de l’opposition de la Suède, de la Finlande, du Danemark et de l’Irlande, qui craignent que cette taxe nuise à leur attractivité.

b.   Des attentes fortes pour les négociations à venir à l’OCDE

LOCDE s’est saisie depuis plusieurs années de la question de l’érosion des bases fiscales, dans le cadre de son plan d’action Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), dont l’action 1 s’intitule : « relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ».

Deux orientations principales pourraient être prises dans le cadre des négociations à venir à lOCDE pour lutter contre la sous-imposition. La première vise à élaborer des règles pour mieux répartir la base fiscale entre les différents pays. La deuxième vise à instaurer un taux d’imposition minimal effectif. Le Gouvernement espère qu’une solution pourra être trouvée à l’échelle de l’OCDE d’ici 2020.

Dans ce contexte, certains pays, dont le Royaume-Uni, lEspagne, lItalie ou encore Israël, mettent en place leur propre système de taxation en attendant que des solutions européennes et internationales puissent être actées et mises en œuvre.

Au Royaume‑Uni, un projet de consultation est actuellement en cours sur la question de la taxation de certains services numériques. Le projet prévoit de taxer les plateformes de médias sociaux, les moteurs de recherche et les places de marché à un taux de 2 %. Les entreprises redevables seraient celles disposant d’un chiffre d’affaires mondial supérieur à 500 millions de livres sterlings, et 25 millions de livres sterlings au Royaume-Uni.

En Israël, les autorités fiscales font montre d’une approche volontariste afin de mieux prendre en compte l’économie numérique. Par une circulaire publiée en avril 2016, lIsrael Tax Authority (ITA) a introduit un critère de présence numérique significative spécifique pour les activités numériques et services fournis via internet.

Dans un contexte où les discussions européennes et internationales peinent à aboutir, le législateur français souhaite avec le présent projet de loi mettre en place une solution temporaire, et s’inscrire à l’avant-garde des réformes européennes et internationales à venir.

B.   La france à l’avant-garde des réformes à venir avec la taxe sur certains services numériques

L’article 1er du présent projet de loi prévoit la mise en place d’une taxe sur certains services numériques, proche de celle envisagée par le législateur européen.

Un nouveau chapitre est créé au sein du code des impôts, qui détaille les caractéristiques et conditions de mise en œuvre de la taxe.

a.   Les redevables sont les grandes entreprises du numérique qui mobilisent les utilisateurs dans la création de valeur

– Les services visés par la taxe sont ceux pour lesquels les données des utilisateurs sont le plus fortement mises à contribution dans la création de valeur. L’article vise donc exclusivement les activités de publicité ciblée, de vente de données en ligne et de services d’intermédiation entre internautes. Les activités d’achat et de vente directs en ligne ne seront pas concernées, tout comme les services de publicité non ciblée. Les services financiers réglementés sont expressément exclus de champ de la taxe.

– Larticle introduit des seuils afin que seules les très grandes entreprises soient redevables de la présente taxe. Seront concernées les entreprises dont le chiffre d’affaires tiré des activités précédemment mentionnées est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial, et à 25 millions d’euros à l’échelle de la France. Au vu du fonctionnement hégémonique des marchés du numérique précédemment décrit, l’objectif est ici de ne pas entraver le développement des start-up européennes ainsi que la digitalisation des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME).

– Selon l’étude d’impact du projet de loi, une trentaine de groupes dentreprises seraient redevables. Si l’objectif de la taxe n’est pas de viser exclusivement les entreprises étrangères, ce qui serait discriminatoire, peu d’entreprises françaises et européennes seraient, dans les faits, concernées. Toutefois, la liste exhaustive n’a pas été communiquée à votre rapporteur, le secret fiscal ayant été invoqué.

b.   Une assiette composée des services taxés pouvant être rattachés au territoire national

– Afin de ne pas contrevenir aux règles fiscales internationales et en raison de la difficulté à identifier les bénéfices des entreprises concernées, la taxe repose non pas sur le bénéfice, mais sur le chiffre daffaires des entreprises du numérique.

– Elle sera due en proportion du nombre dutilisateurs localisés en France sur la part totale des utilisateurs. La taxe ne dépend donc pas du lieu d’établissement de la société, mais de la présence d’utilisateurs sur le sol français.

 La taxe est donc assise sur le montant des sommes encaissées par le redevable en contrepartie dun service taxable fourni en France. Autrement dit, l’assiette de la taxe est composée du chiffre d’affaires mondial des entreprises redevables tiré des activités de publicité ciblée, de vente de données en ligne, et d’intermédiation, que l’on peut rattacher au territoire national. Pour ce faire, un coefficient déterminé au prorata des utilisateurs localisés en France s’applique sur la part des revenus mondiaux tirés des activités taxées.

c.   Un taux de 3 %, un montant déductible du résultat fiscal de l’entreprise

– Un taux de 3 % sera appliqué à cette assiette. Il s’agit du même taux que celui qui avait été choisi dans le cadre de la directive européenne précitée. Ce taux d’abord retenu par la Commission européenne repose sur la prise en compte de nombreux facteurs dont les charges fiscales qui pèsent sur ces entreprises et des hypothèses sur leur taux de rentabilité.

– Le montant de la taxe constitue une charge déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

d.   Les modalités de recouvrement sont assorties de garde-fous pour éviter la fraude

Les modalités de recouvrement reposent sur le principe dune déclaration annuelle, selon un système proche de ce qui existe déjà en matière de TVA.

Ces modalités de recouvrement sont assorties dun certain nombre de garde-fous qui garantissent à ladministration fiscale des moyens efficaces pour lutter contre la fraude. En particulier, l’article inscrit dans le livre des procédures fiscales la possibilité pour l’administration de demander à l’entreprise redevable de justifier les éléments fournis dans sa déclaration, et le cas échéant de la mettre en demeure, puis de la taxer d’office.

Le coût de collecte pour les finances publiques semble limité dans la mesure où les redevables sont peu nombreux.

e.   Un rendement de l’ordre de 400 millions d’euros la première année

Pour ce qui concerne le rendement de la taxe, les estimations du Gouvernement l’évaluent à 400 millions d’euros à partir de 2019, avec un rendement plus élevé attendu l’année suivante. Comme cela a été précisé lors des auditions, ce chiffre a été obtenu à partir d’une approche ascendante, reposant sur la sélection des potentiels redevables.

f.   Une taxe rétroactive et temporaire

Le projet de loi prévoit la rétroactivité de cette taxe, qui s’appliquera à compter du 1er janvier 2019.

Enfin, comme l’a annoncé à plusieurs reprises le ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, la vocation de cette taxe est temporaire, en attendant que les négociations engagées à l’OCDE aboutissent.

C.   Quels sont les effets économiques de la taxe ?

1.   Pour les entreprises redevables et les autres, des effets contrastés

Lors des auditions, les entreprises concernées par la présente taxe et les associations les représentant, ont dans lensemble admis la nécessité de faire évoluer les principes de taxation des activités du secteur numérique. Elles critiquent toutefois l’assiette comme les seuils retenus par la présente taxe, et craignent la perspective d’une double imposition ainsi que des difficultés de mise en œuvre importantes.

Pour ce qui concerne lassiette, une taxe sur le chiffre daffaires ne constitue certes pas la solution idéale. En effet, le chiffre d’affaires apparaît moins pertinent que les bénéfices pour appréhender les capacités contributives des redevables. Il sagit toutefois dune solution temporaire dont on peut se satisfaire, dans la mesure où il est très difficile d’identifier le bénéfice réalisé par les entreprises concernées. De plus, taxer le chiffre d’affaires n’est pas absurde d’un point de vue économique dans la mesure où certaines entreprises du numérique compressent excessivement leurs marges pour garder des positions dominantes sur le marché grâce à des prix bas. Pour les entreprises françaises qui seraient concernées par cette taxe, le risque de double imposition est atténué grâce au mécanisme de déductibilité de la taxe du résultat fiscal de ces entreprises.

Pour ce qui concerne les difficultés de mise en œuvre technique de la taxe, votre rapporteur note que cette dernière nécessite en effet probablement des évolutions en interne en matière de comptabilité et de système d’information pour les entreprises redevables. Les difficultés mises en avant par les entreprises sont de deux ordres : les entreprises redevables doivent parvenir à extraire la part du chiffre d’affaires qui concerne les activités visées par la taxe, et doivent également identifier la part des utilisateurs localisés en France sur la totalité de leurs utilisateurs. Toutefois, ces difficultés ne semblent pas constituer un obstacle insurmontable à la mise en œuvre de la taxe. Il reviendra au législateur de contrôler la bonne mise en œuvre de cette taxe par le Gouvernement une fois cette dernière votée.

Lors des auditions, certains acteurs ont fait part de leur crainte de voir cette taxe introduire des effets de seuil pouvant dissuader certaines start-up de se développer et décourager certains investisseurs dans le cadre d’un éventuel rachat. Toutefois, il semble que les seuils prévus par la loi soient suffisamment élevés pour éviter ces effets. Votre rapporteur estime a contrario que ces seuils peuvent aider des acteurs européens à grandir, en atténuant les effets induits par la concurrence déloyale et les tendances monopolistiques qui s’exercent sur les marchés.

Les entreprises qui nont pas mis en place de schéma doptimisation fiscale, mais qui entrent dans le champ de la taxe, craignent un alourdissement excessif de leurs charges fiscales et dénoncent un risque de double taxation. Face à ces craintes, il faut d’abord rappeler que l’assiette de l’IS et celle de la taxe instaurée par le présent projet de loi diffèrent sensiblement puisque la première concerne les bénéfices, et la deuxième le chiffre d’affaires. Il ne s’agit donc pas en tant que tel d’une double imposition. Le mécanisme de déductibilité des charges de l’IS du montant de la taxe sur les services numériques atténue la charge fiscale supplémentaire qui sera due par les entreprises dans ce cas de figure.

Plusieurs acteurs revendiquent une taxe sur les services numérique qui serait entièrement déductible de l’IS par le biais d’une réduction d’impôt. Une telle solution n’est pas souhaitable, car elle serait incompatible avec les conventions fiscales internationales, comme l’a souligné l’OCDE dans son rapport intermédiaire du 16 mars 2018. La règle étant que peuvent être déduites dans un État les sommes qui correspondent au même impôt payé dans l’autre État, sur les mêmes revenus, la distinction d’assiette rend donc juridiquement impossible un tel mécanisme.

De façon globale, il a semblé à votre rapporteur que les effets négatifs que lon pourrait craindre de cette taxe en matière dinvestissement et demploi sont très minces. Si le secteur du numérique représente 474 000 emplois en France, la plupart des employeurs ne sont pas concernés par la taxe prévue par le présent projet de loi. De plus, cette taxe se fonde sur le principe de la présence sur le sol français d’utilisateurs des services visés, et non sur la présence physique de l’entreprise.

Le montant de la taxe n’amputera vraisemblablement pas les capacités contributives des entreprises concernées de façon disproportionnée, l’avis du Conseil d’État confirmant d’ailleurs que la taxe prévue ne revêt pas un caractère confiscatoire.

2.   Une incidence fiscale a priori limitée

La création dune taxe nouvelle saccompagne dune réflexion sur les répercussions que cette dernière est susceptible davoir sur le comportement des agents économiques. En particulier, il est possible que la création d’une taxe nouvelle ait une incidence sur les agents qui n’en sont pas les redevables juridiques. L’incidence fiscale est particulièrement marquée pour certains impôts qui relèvent de la fiscalité indirecte, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), versée à l’administration fiscale par les entreprises, mais économiquement supportée par les consommateurs.

Il est difficile de prédire le comportement des agents économiques et donc d’anticiper qui supportera effectivement le coût de la présente taxe. Certains mettent en avant le fait que cette taxe risque de manquer sa cible : elle ne serait pas supportée in fine par les entreprises visées, mais par les consommateurs et les entreprises de plus petite taille qui achètent des prestations aux géants du numérique.

Plusieurs éléments conduisent toutefois à modérer ces craintes :

– d’abord de façon générale, le montant de la taxe reste limité. L’étude d’impact estime ainsi que la présente taxe « ne paraît pas de nature à avoir un impact macroéconomique significatif » ;

– pour les consommateurs finaux, la plupart des services offerts par les entreprises taxées sont des services gratuits, ce qui par définition rend impossible l’augmentation du prix de tarification pour les consommateurs ;

– pour les TPE et PME qui ont recours aux services de publicité ciblée et d’intermédiation, une augmentation des prix qui leur sont facturés semble peu probable, car les entreprises taxées évoluent dans des environnements fortement concurrentiels (bien qu’à tendance hégémonique), où les acteurs présents sur le marché se livrent à une guerre des prix. Cette situation peut donc conduire les entreprises taxées à ne pas répercuter cette taxe sur leur prix de vente, afin de maintenir autant que possible leur position dominante sur le marché.

De façon générale, l’avis de votre rapporteur sur l’article 1er du présent projet de loi est le suivant : la taxe sur les services numériques apporte une réponse aux enjeux budgétaires, économiques et d’équité fiscale aujourd’hui fortement attendue par les entreprises et les citoyens français. Cette taxe n’est pas exempte de limites, mais elle est temporaire : elle doit permettre de mieux faire contribuer les géants du numérique à l’impôt, dans le but d’accélérer le cours des négociations internationales.

 


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II.   L’infléchissement de la trajectoire de l’Impôt sur les sociétés : financer des mesures en faveur du pouvoir d’achat des ménages

Le second article du présent projet de loi modifie la trajectoire de l’impôt sur les sociétés telle qu’elle avait été définie par l’article 84 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018. Par dérogation, le taux normal d’imposition pour les entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 250 millions d’euros sera de 33,33 % sur la part de bénéfice supérieure à 500 000 euros pour l’exercice ouvert du 1er janvier au 31 décembre 2019.

Cette mesure poursuit un objectif de rendement budgétaire, afin dassurer notamment le financement des mesures de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures durgence économiques et sociales.

A.   la trajectoire de l’impôt sur les sociétés

L’impôt sur les sociétés françaises est dû sur les bénéfices générés en France par l’ensemble des entreprises qui y disposent d’un établissement stable. Il représente pour les finances publiques un rendement budgétaire de l’ordre de 35,7 Md€, en montant net des remboursements et dégrèvements sur l’exercice 2017.

Le taux nominal de l’impôt sur les sociétés (IS) en France s’élève aujourd’hui à 33,33 %. Il s’agit d’un taux d’imposition élevé en comparaison des autres pays de l’OCDE, qui pénalise la compétitivité des entreprises françaises et limite la capacité de la France à attirer les bases fiscales et les investissements. L’IS français souffre également d’un manque de lisibilité, en raison de nombreuses dépenses fiscales qui érodent son assiette. Le système actuel compte en réalité plusieurs taux, puisqu’un taux réduit de 15 % s’applique pour les PME et TPE réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 7,63 M€ pour la fraction du bénéfice imposable inférieur à 38 120 €.

Le législateur a depuis plusieurs années pris conscience de la nécessité de réduire et de rendre plus lisible le taux dimposition sur les sociétés. Cette réflexion s’inscrit dans un contexte où la fiscalité est devenue un enjeu massif de concurrence fiscale entre les États pour parvenir à attirer les bases taxables. Il en résulte un phénomène puissant de baisse du taux d’impôt sur les sociétés dans les pays de l’OCDE depuis une vingtaine d’années. Entre 1993 et 2014, le taux nominal moyen d’impôt sur les sociétés a baissé de 14 points dans les pays de l’OCDE. Alors que des premiers gages en faveur d’une baisse d’IS avaient été donnés lors de la précédente législature, la loi de finance pour 2018 a défini une trajectoire de baisse de l’impôt des sociétés avec pour objectif d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises. La France vise à l’horizon 2022 un taux dimpôt sur les sociétés uniforme à 25 %, ce qui correspond au taux moyen de l’impôt sur les sociétés des pays de l’Union européenne, comme l’a établi le conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2017 ([6]).

Larticle 219 du code général des impôts prévoit une trajectoire de baisse de limpôt sur les sociétés. Ainsi, selon les termes de l’article, le taux normal de l’impôt doit suivre les règles et le calendrier suivants :

– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018, le taux de 28 % s’applique à l’ensemble des redevables jusqu’à 500 000 € de bénéfices ; au-delà, le taux normal de l’IS est de 33,33 % ;

– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, le taux de 28 % s’applique à l’ensemble des redevables jusqu’à 500 000 € de bénéfices ; au-delà, le taux normal de l’IS est de 31 % ;

– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020, le taux normal de l’IS est fixé à 28 % ;

– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021, le taux normal de l’IS est fixé à 26,5 % ;

– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022, le taux normal de l’IS est fixé à 25 %.

Cette trajectoire doit permettre daméliorer lattractivité et la compétitivité des entreprises françaises, sans tomber dans les écueils dune course au moins-disant fiscal.

B.   Un infléchissement conjoncturel nécessaire

Larticle 2 du présent projet de loi introduit une dérogation à la trajectoire précédemment décrite. Pour l’année 2019, un taux de 33,33 % continuera de s’appliquer pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 250 millions d’euros, et ce sur la fraction de bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros. Selon l’avis du Conseil d’État, le fait de cibler uniquement les très grandes entreprises ne méconnaît pas le principe de l’égalité devant l’impôt, dans la mesure où il s’agit d’« un critère objectif et rationnel, qui caractérise une différence de situation entre les redevables de limpôt sur les sociétés de nature à justifier une différence de traitement en rapport avec lobjet de la loi », ni le principe d’égalité devant les charges publiques.

Cet infléchissement de la trajectoire devrait dégager un rendement budgétaire de l’ordre de 1,7 milliard d’euros. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, ce rendement doit permettre le financement les mesures en faveur du pouvoir d’achat votées par la représentation nationale au mois de décembre. La loi portant mesures d’urgences économiques et sociales consent en effet un important effort budgétaire en faveur du pouvoir d’achat des ménages, mobilisant 4 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 6 milliards d’euros réorientés dans le cadre de la loi de finances pour 2019. Cet effort se traduit par les trois mesures suivantes :

– l’exonération sociale et fiscale de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ;

– l’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires ;

– le rétablissement de la CSG à 6,6 % pour certains titulaires de revenus de remplacement.

Votre rapporteur estime que la baisse de l’impôt sur les sociétés doit constituer une priorité des politiques publiques dans un contexte où les entreprises françaises pâtissent encore trop des charges administratives et fiscales. Le cap des 25 % pour 2022 doit être maintenu. Votre rapporteur a, à cet égard, tenu à s’assurer auprès du Gouvernement que cet objectif n’était pas remis en cause. Cependant, les très grandes entreprises doivent être mises à contribution pour répondre aux attentes très fortes des citoyens en matière de pouvoir d’achat et assurer l’équilibre des comptes publics. La solution retenue par le présent projet de loi assure un juste équilibre entre une vision à long terme dune fiscalité des entreprises plus compétitive et plus juste et un principe de solidarité visant à faire contribuer les grandes entreprises aux réponses devant être apportées pour faire face à lurgence sociale et économique.

C.   Quels effets sur les entreprises et la croissance ?

Cette mesure ne devrait pas conduire à pénaliser de façon excessive les entreprises.

Pour limmense majorité dentre elles, la trajectoire définie en 2017 reste valable : l’ensemble des entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros se verront appliquer pour l’exercice 2019 un taux normal de 28 % pour la part des bénéfices inférieure à  500 000 euros, et de 31 % pour la part des bénéfices supérieure à 500 000 euros.

Pour les grandes entreprises concernées par ce changement de trajectoire, qui seraient selon létude dimpact moins dun millier, leffet devrait être a priori neutre puisque la loi ne revient pas sur une baisse de l’IS qui aurait déjà été mise en œuvre, elle conduit simplement à retarder d’un an cette baisse et ne porte donc pas atteinte à une situation juridiquement acquise.

Les organisations patronales entendues au cours des auditions ont annoncé avoir pris acte du décalage dans le temps de la baisse de l’IS pour les grandes entreprises, et ne pas contester cette mesure, qui leur a semblé plus pertinente qu’une hausse des charges sociales qui aurait eu un impact négatif sur le coût du travail. Le seuil choisi créé certes un effet de seuil, mais qui reste très limité dans le temps.

De façon générale, compte tenu du ciblage de la mesure, larticle 2 du présent projet de loi ne devrait pas avoir dimpact significatif sur lemploi et le marché du travail.

Enfin, puisque le rendement budgétaire obtenu grâce à cet article doit permettre de financer des mesures en faveur du pouvoir d’achat, lon peut espérer des effets positifs pour léconomie dans son ensemble à travers une reprise de la consommation des ménages.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 26 mars 2019, la commission a procédé à l’examen pour avis du projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (n° 1737), sur le rapport de M. Benoit Potterie, rapporteur.

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere, présidente. Mes chers collègues, notre commission examine ce soir l’avis rendu par notre collègue Benoît Potterie, dont je tiens à saluer la qualité du travail, sur le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés. Ce projet de loi, renvoyé à la commission des finances, sera débattu en séance publique lundi 8 avril, à 16 heures.

Ce projet de loi est aussi court qu’il est important et attendu, car il touche à une thématique de premier ordre pour les Français : la cohérence du système fiscal. Il est l’aboutissement d’un travail de longue haleine qui a conduit à envisager plusieurs scénarios de mise en place d’une taxation des géants du numérique, des négociations au niveau européen puis au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Né d’un combat qui a préexisté au mouvement social de ces derniers mois, ce projet de loi se veut une manière d’y répondre, puisque la modification de la trajectoire de la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises enregistrant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros par an permettra de financer une partie des mesures d’urgence économiques et sociales votées cet hiver.

Après la présentation du texte par le rapporteur, les orateurs de groupe disposeront de quatre minutes pour s’exprimer lors de la discussion générale, à la suite de quoi les députés qui le souhaitent interviendront. Nous passerons ensuite à l’examen des articles. La commission a été saisie de six amendements, dont aucun n’a été retiré ou jugé irrecevable.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. La commission des affaires économiques s’est saisie pour avis des deux articles du projet de loi. Le premier prévoit la mise en place d’une taxation de certains services numériques, le second modifie la trajectoire de l’impôt sur les sociétés (IS), afin d’obtenir un rendement budgétaire supplémentaire pour financer les mesures d’urgence économiques et sociales votées en décembre.

J’aimerais insister sur l’importance du premier article : il répond à une attente très forte de nos compatriotes, qui souhaitent que les géants du numérique contribuent de manière plus substantielle à l’impôt. Le numérique a bouleversé le fonctionnement de l’économie et des sociétés contemporaines ; les géants du numérique, qui ne se limitent pas aux seuls GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), ont modifié considérablement nos habitudes de consommateurs – nous le mesurons au quotidien.

Ces nouveaux modèles, fondés sur le principe de l’innovation, offrent des perspectives de croissance nouvelles pour les décennies à venir. L’idée n’est certainement pas de s’insurger contre leur succès ni de vouloir entraver leur développement ; mais nous devons apporter aujourd’hui une réponse à ce problème majeur que constitue l’insuffisante contribution des géants du numérique à l’impôt. Ainsi, Google, qui est, avec 790 milliards de dollars de capitalisation boursière, la troisième entreprise la plus cotée en bourse après Apple et Amazon, acquitte en France un IS de l’ordre de 15 millions d’euros. Le contraste est saisissant ! Quant à l’entreprise Airbnb, qui mise beaucoup sur la France, première destination touristique mondiale, elle aura payé 160 000 euros au titre de l’IS !

De façon plus générale, la Commission européenne estime que les entreprises traditionnelles paient en moyenne un impôt de 23 % sur les bénéfices, contre 9 % pour les entreprises du numérique. Comment ne pas comprendre le sentiment d’injustice des Français et de nos petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), lorsqu’un restaurant est susceptible de s’acquitter d’un montant d’imposition supérieur à celui d’Airbnb ?

Pourquoi les géants du numérique échappent-ils dans de telles proportions à l’impôt ? D’abord parce que la création de valeur ne nécessite plus un établissement physique stable de l’entreprise. Alors que l’identification d’un établissement physique stable est au fondement de la fiscalité des entreprises, les géants du numérique créent leurs valeurs à partir d’actifs immatériels, à commencer par les données des utilisateurs. Ceux-ci, sans être rémunérés, sont au cœur du modèle d’affaires des géants du numérique.

Par ailleurs, bon nombre de grandes entreprises du numérique mettent en place des stratégies de planification fiscale agressives pour échapper à l’impôt, qui consistent à localiser leurs filiales dans des pays misant sur une fiscalité très basse pour attirer les capitaux ; le groupe facture ensuite des prestations fournies entre filiales à des prix de transfert déconnectés des prix du marché. Répréhensibles moralement, ces comportements ne sont pas toujours condamnables juridiquement.

Nous ne pouvons-nous contenter de cet état de fait. Nous voulons construire une politique fiscale juste et efficace ; or la faible taxation des géants du numérique est profondément injuste.

Injuste, car les grandes entreprises du numérique profitent pleinement des services publics français, employant des ingénieurs formés dans nos universités et nos grandes écoles, mobilisant nos réseaux routiers et nos réseaux de télécommunications.

Injuste, car elle conduit à une forme de concurrence déloyale entre les entreprises traditionnelles et les géants du numérique qui interviennent sur les mêmes secteurs d’activité – secteur hôtelier, transport individuel de voyageurs.

Injuste, car elle entretient la position monopolistique de ces acteurs. Les marchés du numérique se caractérisent par des rendements croissants et un tout petit nombre s’en partage l’essentiel des parts. La faiblesse de l’imposition conforte cette hégémonie : comment espérer que des pépites françaises et européennes grandissent si elles doivent acquitter d’impôts bien plus élevés que les entreprises déjà leaders sur leur marché ?

Injuste, enfin, car elle conduit à reporter le manque à gagner budgétaire sur les autres catégories de redevables, les travailleurs et les plus petites entreprises. Cela est inacceptable : l’équité fiscale est le préalable du consentement à l’impôt, c’est même à mon sens le fondement du pacte social.

La situation actuelle ne peut donc satisfaire personne. Qui plus est, la taxation des GAFA est inefficace en ce qu’elle ne permet pas de taxer la valeur là où elle est créée, ce qui affaiblit considérablement le rendement de l’impôt.

Face à ce constat, que pouvons-nous faire ? J’en suis convaincu, c’est vers une solution européenne et internationale qu’il faut s’orienter à terme. À cet égard, notre pays a constamment fait preuve d’une détermination sans faille. Dès juillet 2017, le ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, et ses homologues allemand, anglais, italien et espagnol ont écrit à la Commission pour demander une taxation commune des services numériques. À la suite de cette demande, deux propositions de directive ont été émises. La plupart des États sont désormais convaincus de la nécessité d’agir ; malheureusement, l’exigence d’unanimité en matière fiscale ne permet pas d’envisager une solution européenne pour le moment.

Les auditions menées dans le cadre de la préparation du rapport laissent espérer qu’une solution pourra être trouvée au niveau de l’OCDE d’ici à 2020. Dans cette attente, nous faisons le choix de mettre en place une taxe nationale. Il ne s’agit pas de faire cavalier seul, mais d’agir au plus vite pour accélérer le rythme des négociations internationales. Cette taxe n’enlève rien à la nécessité de parvenir à un consensus européen et international ; c’est pourquoi sa vocation est temporaire. Remarquons d’ailleurs que ce texte a donné un nouvel élan aux négociations au sein de l’OCDE.

Quelles sont les grandes caractéristiques de la taxe proposée ? En premier lieu, elle est lisible. Elle reprend largement le dispositif prévu dans la proposition de directive européenne. Avec un taux uniforme de 3 %, elle poursuit un objectif de clarté pour les entreprises concernées.

En deuxième lieu, c’est une taxe ciblée, qui ne concerne que les activités pour lesquelles les utilisateurs situés en France contribuent à la création de valeur : publicité ciblée, intermédiation et vente de données en ligne. Le taux de 3 % s’appliquera au chiffre d’affaires tiré de ses activités, et la taxe sera due en proportion du nombre d’utilisateurs localisés en France. Elle ne dépend donc pas du lieu d’établissement de la société, mais de la présence d’utilisateurs sur le sol français, un moyen innovant pour lutter contre l’optimisation fiscale.

Cette taxe ne vise que les très grandes entreprises dont le chiffre d’affaires, pour les activités susmentionnées, est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et à 25 millions d’euros au niveau français. Au total, elle concernera une trentaine de groupes. Nous avons fait ce choix afin de ne pas entraver le développement des start-up françaises et européennes ni la digitalisation des TPE et PME.

Enfin, la taxe est rétroactive : elle s’appliquera à compter du 1er janvier 2019.

Sur le plan économique, cette taxe doit permettre d’atténuer les effets anticoncurrentiels qui résultent aujourd’hui d’une trop faible taxation : les géants du numérique, souvent étrangers, viennent concurrencer les entreprises nationales tout en bénéficiant d’une fiscalité plus favorable.

En matière de justice fiscale, cette taxe doit assurer une plus juste contribution des géants du numérique au financement des services publics dont ils bénéficient largement : 400 millions d’euros sont attendus sur le plan budgétaire.

Je veux rassurer ceux qui craignent des effets négatifs pour l’investissement et l’emploi en France : le nombre très limité de redevables nous permet largement d’écarter cet écueil.

Il ressort des auditions que nous avons menées que l’effet sur les consommateurs sera limité, puisque le modèle économique des géants du numérique repose précisément sur la gratuité d’utilisation. Il est par ailleurs peu probable que la taxe soit répercutée sur les entreprises partenaires : dans un environnement très concurrentiel, les géants du numérique tenteront de maintenir autant que possible leur position dominante sur le marché.

Je voudrais, avant de conclure, également évoquer le deuxième article du projet de loi. Si le second article poursuit un objectif simple de rendement budgétaire, il n’en demeure pas moins essentiel. Il prévoit qu’un taux de 33,33 % continuera de s’appliquer en 2019 pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 250 millions d’euros et ce, sur la fraction de bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros.

Il s’agit d’un léger infléchissement par rapport à la trajectoire de l’IS prévue par la loi de finances pour 2018, puisqu’un taux de 31 % avait été initialement retenu. La baisse de l’IS est une priorité politique de la législature : les entreprises françaises pâtissant encore trop des charges administratives et fiscales. Mais il est juste que les très grandes entreprises soient mises à contribution, de façon conjoncturelle, pour répondre aux attentes très fortes des citoyens en matière de pouvoir d’achat, sans pour autant mettre en danger l’équilibre des comptes publics.

Des recettes budgétaires supplémentaires de l’ordre de 1,7 milliard d’euros sont attendues, qui permettront de financer en partie les mesures d’urgence économique et sociale votées en décembre 2018. Le cap d’un taux d’IS de 25 % en 2022 est maintenu. Les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros se verront appliquer pour l’exercice 2019 un taux normal de 31 % pour la part des bénéfices supérieure à 500 000 euros, et de 28 % pour la part des bénéfices inférieure à cette somme. Pour les entreprises concernées par ce changement de trajectoire, cette modification sera neutre : elle ne revient pas sur un avantage acquis, mais consiste simplement à retarder d’un an la baisse du taux.

Il nous incombe, en tant que législateur, d’adopter ces deux articles qui répondent à des attentes fortes exprimées par nos concitoyens.

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere, présidente. Nous en venons à la discussion générale, en commençant par les orateurs des groupes.

M. Philippe Huppé. Une nation a besoin de tranquillité, et pour l’assurer, elle a besoin de services publics. Ce qui suppose de payer des salaires et, pour ce faire, de prélever des impôts ; une juste imposition doit peser sur tous.

Or les entreprises du numérique, en Europe, sont imposées en moyenne à hauteur de 9,1 % de leurs bénéfices, quand les PME, TPE ou les artisans se voient appliquer un taux moyen de plus de 23 %. Le Gouvernement entendait corriger cette inégalité, mais il s’est avéré compliqué d’emprunter la voie internationale, au niveau de l’OCDE, ou la voie européenne, qui exige une unanimité des États membres dans ce domaine. Il a donc été décidé, comme l’ont fait d’autres pays européens, d’instaurer une taxe au niveau national.

Le taux de 3 % n’est pas énorme, mais il permet de rétablir une certaine égalité en termes de justice fiscale. En outre, la taxe présente l’intérêt d’être un outil un peu plus moderne en ce qu’elle rompt avec une imposition essentiellement fondée sur la territorialité. Il serait injuste que les entreprises qui tirent leurs bénéfices d’une économie contemporaine de plus en plus détachée des territoires ne soient pas taxées. Les géants du numérique bénéficient des infrastructures territoriales – Booking, par exemple, profite de tous les services et infrastructures qu’un État peut proposer, à commencer par le réseau routier – sans contribuer aux charges que représente leur entretien. Nous ne pouvons que nous féliciter de la décision prise par le Gouvernement, qui permettra aussi de rétablir l’équité fiscale en faveur des PME, des TPE et de l’artisanat.

Je soutiendrai de toutes mes forces ce projet de loi, en faveur duquel le groupe de La République en Marche votera.

M. Jérôme Nury. Les membres du groupe Les Républicains sont plutôt réservés sur ce texte. Nous sommes tous d’accord pour taxer les GAFA, dont une grande partie de l’activité échappe à l’impôt national. Mais on peut regretter que la France n’ait pas su convaincre ses partenaires européens d’instaurer cette taxe au niveau européen. Outre que cela témoigne d’un certain isolement de notre pays, il est à craindre que ces grands groupes ne se réfugient ailleurs en Europe, et qu’une partie de leurs activités n’échappe ainsi à l’économie française.

Par ailleurs, l’assiette de la taxe ne paraît pas suffisamment claire, ce qui nuit au calcul de l’impôt et, in fine, rend la recette aléatoire.

Se pose également la question des effets de cette taxe sur le consommateur. Les GAFA n’ont rien d’une Mère Teresa : c’est bien sur l’internaute qu’ils répercuteront ce nouvel impôt, car leur but est de gagner toujours plus d’argent !

Par ailleurs, je ne suis pas certain que les effets de cette taxe sur les entreprises françaises – je crois savoir que deux d’entre elles sont concernées, et que d’autres pourraient l’être à l’avenir – ont été bien mesurés. Il serait dommage de leur couper les ailes, nous avons besoin d’elles !

Sur la forme enfin, ce texte mêle deux sujets qui n’ont que peu de rapports entre eux : on a le sentiment que la taxe sur les GAFA n’est qu’un alibi pour masquer le rétropédalage du Gouvernement sur l’IS. Il s’agit moins, après les annonces présidentielles, d’infléchir la trajectoire que de trouver des recettes. Ce n’est pas un bon signal pour l’économie et les sociétés françaises, qui espéraient une baisse de l’IS.

En conclusion, ce texte nous paraît peu clair et peu efficace : c’est plus un outil de communication qu’une révolution dans la taxation des GAFA.

M. Jean-Luc Lagleize. Dans son adresse à la Nation du 10 décembre dernier, le Président de la République a évoqué la nécessité d’aller plus loin pour mettre fin aux évasions fiscales. Ce projet de loi vise précisément à répondre à ces objectifs l’efficacité et l’équité fiscale.

La taxation des géants américains du numérique est l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, et nous devons y répondre collectivement. Cette contribution financière des multinationales du numérique, nos concitoyens et les entreprises qui souffrent de cette concurrence déloyale la réclament de longue date.

Notre action est essentielle, tant pour réaffirmer notre souveraineté que pour protéger notre démocratie. En défendant le principe d’égalité devant l’impôt, nous maintenons la cohésion du corps social. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés appelle de ses vœux la construction de ce nouveau pacte économique et social.

Les grandes entreprises du numérique qui ont des activités et font des profits en France ne peuvent s’exempter de participer à ce pacte : elles doivent donc payer l’impôt en France.

La France n’est pas le seul pays qui souhaite relever ce défi, bien sûr, mais elle a su s’imposer comme leader, aussi bien sur la scène européenne que sur la scène internationale. Notre pays a ainsi joué un rôle pionnier en entreprenant une réforme fiscale de grande échelle.

Mais cette avancée majeure n’est qu’une étape. Pour affirmer sa souveraineté, la France, aux côtés de ses partenaires, doit faire aboutir les négociations européennes et multilatérales. Je pense en premier lieu aux négociations sur la proposition de directive concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains de ces services ; nous regrettons que le manque d’ambition de certains pays de l’Union en matière d’harmonisation fiscale oblige les États membres comme la France, l’Espagne ou l’Italie à créer de telles taxes au niveau national, avec, forcément, une efficacité moindre.

Une taxe européenne sur les services numériques serait pourtant un symbole fort d’unité, qui permettrait de faire entendre la voix de l’Europe au sein de l’OCDE, qui travaille avec succès sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. C’est dans le cadre multilatéral — OCDE et G20 – que 127 pays se sont rassemblés en janvier autour d’un objectif commun : mettre fin aux stratégies d’optimisation fiscale des entreprises du numérique.

Nous partageons ces conclusions : nous ne pouvons laisser perdurer un système dont les entreprises exploitent les failles pour faire disparaître leurs bénéfices ou les transférer dans des pays où elles n’exercent guère d’activité réelle. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés soutient la création d’une taxe nationale, en attendant que les règles de la fiscalité internationale évoluent et appréhendent pleinement les réalités économiques et numériques actuelles.

Ce projet de loi aborde également une modification de la trajectoire de baisse de l’IS, pour répondre à l’impératif de rendement budgétaire. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, sensible à l’effort de redressement des finances publiques, salue cette mesure qui devrait rapporter quelque 1,7 milliard d’euros en 2019. Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur du texte et serons vigilants quant aux positions qui seront défendues, tant dans le cadre des conclusions du grand débat national, qu’au niveau européen et multilatéral.

M. Antoine Herth. Au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, je me réjouis de cette avancée dans un dossier au long cours. À de multiples reprises dans cette commission, nous avons fait le constat de notre impuissance face aux entreprises du numérique – ainsi, un rapport de notre collègue Daniel Fasquelle sur l’impact du numérique sur le tourisme montrait que des centrales de réservation, qui prélèvent 25 %, voire davantage, de la richesse créée dans le domaine hôtelier, échappent à toute fiscalisation. Le terme de pillage de la création de la valeur ajoutée sur le territoire national n’est pas excessif pour décrire cette réalité.

Un certain nombre de points, toutefois, doivent être explicités et j’espère que le rapporteur pourra nous aider à y voir plus clair. Monsieur Potterie, vous avez évoqué le caractère provisoire de cette première tentative de fiscalisation : sait-on combien de temps ce dispositif sera appelé à fonctionner ? Nous savons que cela est lié à l’évolution des négociations, en particulier au sein de l’OCDE, difficilement prévisible, mais le ministère a‑t‑il d’ores et déjà prévu une durée, quitte à prolonger le dispositif si les négociations devaient se poursuivre ?

La domiciliation des entreprises était jusqu’alors l’un des principes de l’imposition. Il s’agit cette fois de considérer où est créée la richesse – en l’occurrence, en fonction des adresses IP (Internet Protocol), sur le territoire français. Peut-on considérer que c’est un nouveau principe de fiscalité qui est mis en place ? J’ai à l’esprit des exemples d’entreprises industrielles, qui ont déménagé leur siège dans un pays d’Europe, voire en marge de l’Europe, fiscalement plus intéressant ; les usines situées sur le territoire français sont devenues un simple centre de coûts, tandis que les bénéfices sont déportés, par une simple écriture comptable, dans le pays du siège. Peut-on imaginer que ce nouveau principe s’applique à des entreprises dont l’activité n’est pas numérique ?

Toujours à l’article 1er, Monsieur le rapporteur, vous expliquez que l’impact de la taxe sur les clients de ces sociétés sera négligeable, en raison d’un environnement fortement concurrentiel. Pouvez-vous nous apporter des précisions et des assurances sur ce point ?

Au sujet de l’article 2, je me dis que, pour une fois, un gouvernement a pensé à financer une dépense. Cela n’arrive pas tous les jours, et cela ne se produisait que trop rarement sous la précédente législature. Réjouissons-nous-en !

Toutefois, j’achoppe sur un point, Monsieur le rapporteur. Vous parlez d’effet neutre sur les entreprises concernées. Si neutralité il y avait, il faudrait revoir la courbe. S’il s’agit simplement d’une avance de trésorerie, il faudra prévoir des taux moins importants les années suivantes pour rattraper la courbe. Je pressens une légère entourloupe : en fait de neutralité, il s’agit bel et bien d’une taxation supplémentaire pour ces grandes entreprises, ce qui va à l’encontre du principe de prévisibilité de l’impôt.

Je conclurai en disant qu’après deux jours passés au Bundestag, où ces questions ont été évoquées, et au lendemain de la première réunion de l’Assemblée parlementaire franco‑allemande, nous devons avancer très vite, notamment dans le cadre de l’Eurogroupe, sur ces questions au niveau européen.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Présenté en conseil des ministres le 6 mars 2019, ce projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique a donc pour objectif de renforcer la justice fiscale, dans l’attente de l’éventuelle mise en place d’une taxe au niveau européen ou mondial. En premier lieu, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas réussi à obtenir un accord européen sur la taxation des géants du numérique, que l’on connaît mieux sous le nom de GAFA.

Pour faire un peu d’histoire, la question de la juste taxation des GAFA fait l’actualité depuis plusieurs années et a été l’objet de nombreux rapports. Celui de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique de 2013 soulignait d’ailleurs : « Les gains de productivité générés par l’économie numérique ne se traduisent donc pas par des recettes fiscales supplémentaires pour les grands États. Cette situation est sans précédent historique ». En effet – cela a été dit tout à l’heure –, alors que le taux d’imposition moyen d’une entreprise dans l’Union européenne est de 23,2 %, il est de seulement 9,5 % pour les entreprises du numérique. On mesure bien, au regard des chiffres d’affaires cumulés des sociétés visées, l’enjeu que revêt la question dont nous débattons.

Face à cet enjeu, la Commission européenne avait présenté deux propositions de directive. La première visait à introduire la notion de « présence numérique significative » en complément de celle d’« établissement stable », afin d’améliorer les règles de taxation des bénéfices dans les États où ils étaient réalisés. La seconde, issue d’une initiative de septembre 2017 de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, visait à créer une taxe sur les services numériques, qui devait cibler les services dont la valeur principale était créée par les données de l’utilisateur et les services d’intermédiaires numériques permettant aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et facilitant la vente entre eux de biens et de services. Cette proposition a finalement été enterrée en raison de l’opposition persistante de pays comme l’Irlande, le Danemark, la Finlande ou la Suède. Le 22 janvier 2019, 127 pays – dont les États-Unis, l’Inde et la Chine – représentant 90 % de l’économie mondiale ont donné leur accord de principe pour la mise en place d’une réforme de la fiscalité des entreprises du numérique et plus largement de toutes les multinationales, avec l’objectif de parvenir à un accord en 2020. Le projet de loi que le Gouvernement nous présente aujourd’hui s’inscrit dans cette dynamique.

L’article 1er prévoit une taxation des entreprises qui encaissent des sommes en contrepartie de la fourniture de services numériques d’intermédiaire entre internautes et de fourniture de services de ciblage publicitaire. Sont concernées les entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires mondial d’au moins 750 millions d’euros, dont au moins 25 millions d’euros correspondent à celui qui peut être rattaché à la France. Le taux de la taxe serait de 3 %. L’assiette retenue nous semble poser une véritable difficulté car elle exclut la fourniture directe de contenus numériques – vidéos, applications, etc. –, la vente de biens en ligne et les services de messagerie, de paiement, de stockage de données en ligne, de publicité non ciblée en ligne ou encore les services financiers réglementés.

Cette taxe GAFA ne touche donc que le sommet de l’iceberg de l’activité de ces entreprises. Quant au taux retenu, même si 3 %, c’est mieux que rien, il nous semble insuffisant : le Parlement européen avait proposé 5 %, ce qui aurait porté le produit attendu de la taxe à 800 millions d’euros. Il convient également de souligner que le produit de cette taxe est déductible de l’impôt sur les sociétés, dont j’ai évoqué tout à l’heure la faiblesse. Enfin, elle repose sur un système déclaratif, alors même que l’administration fiscale reconnaît les difficultés importantes qu’elle a à contrôler la réalité du chiffre d’affaires réalisé en France par ces sociétés. Tout cela nous semble mériter des précisions et des aménagements. Pour ces raisons, à ce stade, et dans l’attente des débats ici même et en séance, au cours desquels nous espérons enrichir le texte dans le sens de ce que notre collègue Boris Vallaud avait proposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. Non, Monsieur Nury, la France n’a pas de mal à convaincre. Le problème est qu’une telle mesure exige l’unanimité des pays européens ; or l’Irlande et les pays nordiques, notamment, n’y ont pas forcément intérêt puisque ces États pratiquent des taux d’IS très faibles. La France est leader sur le sujet. Le fait que nous activions la taxe en France a permis de rouvrir les négociations au niveau de l’OCDE.

Pour répondre à M. Herth, nous pensons obtenir des résultats d’ici à deux ans. Dès qu’un accord aura été trouvé, la taxe française sera remplacée par la taxe décidée au niveau de l’OCDE. Les conséquences pour les consommateurs devraient être très faibles car les services de Google et Facebook, par exemple, sont gratuits pour eux. Par ailleurs, la compétition est telle sur ce marché en croissance que les intervenants n’auront pas intérêt à augmenter leurs prix. Une taxe de 3 % sur les commissions d’intermédiation aura un impact assez faible.

Certes, nous serons amenés à taxer également les sociétés françaises, mais nous ne pouvions pas faire autrement, à moins d’adopter une mesure discriminatoire : comme vous le savez, on ne peut pas taxer des sociétés en fonction de leur nationalité. En revanche, pour les sociétés françaises, la nouvelle charge viendra en déduction de leurs bénéfices, ce qui devrait faire diminuer le montant de l’IS qu’elles acquittent.

La modification de la trajectoire de l’IS concerne les grosses entreprises françaises, au nombre de 1 000 environ. Je voudrais tout de même dire que c’est la première fois qu’un gouvernement se fixe un objectif aussi ambitieux en matière de baisse de l’IS. Nous maintenons l’objectif d’atteindre le taux de 25 % en 2022, ce qui nous permettra d’être au niveau moyen constaté en Europe et d’améliorer la compétitivité de nos entreprises.

Monsieur Herth, les traités internationaux sur la fiscalité sont en effet fondés sur la présence physique des entreprises. C’est tout l’objectif des négociations au sein de l’OCDE que de les modifier sur ce point, afin de partir davantage de la création de valeur que de la présence physique d’une entreprise sur un territoire.

Vous m’avez parlé de la répercussion sur les opérations d’intermédiation. Sachant que le niveau des commissions d’intermédiation est compris entre 8 % et 15 %, l’instauration d’une taxe de 3 % aura un impact assez faible.

La mesure concernant l’IS est temporaire et il n’est pas prévu, pour l’instant, de la compenser les années suivantes. Les grandes entreprises, que nous avons rencontrées, comprennent tout à fait que nous leur demandions de contribuer au financement des mesures d’urgence votées en décembre 2018.

Le taux de 3 %, que vous jugez trop faible, Madame Battistel, a été calculé en se fondant sur les mêmes hypothèses que la Commission européenne. Pourquoi 3 % et non pas 5 % ? Le calcul est fondé sur les hypothèses de rentabilité et de résultats des entreprises. Rappelons que l’imposition porte sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices, et que 3 % du chiffre d’affaires, cela représente 15 % à 20 % des bénéfices : ce n’est déjà pas si mal. En allant au-delà, nous risquions que la mesure soit considérée comme confiscatoire.

M. Denis Masséglia, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Tout d’abord, permettez-moi de remercier mon collègue Benoit Potterie, qui, une fois de plus, a fait un travail extraordinaire.

On parle à tort de « taxe GAFA ». Nous ne tapons pas sur les GAFA ; nous ne sommes pas contre les États-Unis. Il s’agit d’une taxe sur les services numériques et portant sur deux aspects, en l’occurrence les revenus liés, d’une part, à la publicité et, d’autre part, aux market places – les places de marché. S’il vous plaît, utilisez donc des termes adéquats : il est important de se focaliser sur les services numériques.

J’entends dire que la France est isolée. Je dirais plutôt, pour ma part, qu’elle est en position de leader. On peut d’ailleurs mettre en avant le travail de notre ministre, M. Bruno Le Maire, qui s’est longtemps battu pour obtenir cette taxation. Pourquoi ne sommes-nous pas isolés ? Parce que, sur les vingt-sept pays de l’Union européenne, vingt-trois étaient d’accord, comme l’a rappelé mon collègue rapporteur pour avis. Ceux qui sont isolés, voire recroquevillés, ce sont plutôt les quatre pays qui s’y sont opposés. Du reste, plusieurs pays ont déjà voté de tels dispositifs. L’Italie et l’Espagne ont été citées, mais il y a aussi Israël, ou encore l’Australie. Nous sommes leaders, mais nous ne sommes pas non plus seuls.

Pour ce qui est du taux de 3 %, Madame Battistel, le calcul est extrêmement simple, sinon mathématique : la rentabilité moyenne d’une entreprise du numérique est de 15 % du chiffre d’affaires, le taux d’imposition à l’IS est de 20 % : 20 % de 15 %, cela fait bien 3 %. Il n’y a là rien d’étonnant.

Enfin, je voulais évoquer la notion de création de valeur. J’entends parler de fiscalité sur les entreprises qui fabriquent des produits. Attention : si on commence à taxer la création de valeur là où sont vendus les produits, certains pays pourraient taxer la vente de nos Airbus ou de nos produits agricoles. Il faudra vraiment s’appuyer sur les négociations au sein de l’OCDE, dont votre rapporteur pour avis a très bien parlé.

Mme Valéria Faure-Muntian. Comme tous mes collègues, je salue le travail de notre rapporteur pour avis. Cependant, j’ai quelques regrets – comme tout le monde – au sujet du projet de loi, à commencer par l’absence d’une démarche rassemblant l’ensemble des pays de l’Union européenne. Surtout, je regrette que nous travaillions sur un marché disruptif et innovant – l’économie numérique – en essayant de lui appliquer le système de taxation du marché physique historique, celui dont on a l’habitude. Il faudra, à l’avenir, que nous soyons nous aussi disruptifs quant à la fixation de l’imposition – car il ne doit pas s’agir seulement d’une taxation –, une fois que l’on aura abouti à un résultat collectif en Europe sur le sujet. Il faut être en mesure d’imposer réellement ce qui crée de la valeur chez les géants du numérique, c’est-à-dire l’usage des données, et pas uniquement les publicités, directement visées ici. Enfin, cessons de ne parler que des Américains : il y a beaucoup d’autres acteurs sur le marché.

M. Dominique Potier. Je me contenterai, pour ma part, de poursuivre l’œuvre colossale de ma collègue Marie-Noëlle Battistel, qui n’a pu terminer son propos tout à l’heure (Sourires) et a dû nous quitter. Elle allait nous dire que, lors de l’examen du PLF pour 2019, notre collègue Boris Vallaud avait défendu un amendement visant à refondre l’impôt sur les sociétés, pour une meilleure justice fiscale dans tous les secteurs, et pas seulement celui du numérique. L’objectif était simple : réformer l’impôt sur les sociétés afin de répartir les profits mondiaux des multinationales à proportion de leurs ventes par pays et dans le but de rapprocher la base taxable des activités réellement exercées sur chaque territoire, et ainsi d’éviter les stratégies de fuite fiscale, qui consistent à transférer artificiellement, par un jeu d’écritures comptables, les bénéfices vers d’autres pays. Concrètement, une multinationale réalisant 10 milliards d’euros de bénéfice consolidé dans le monde et 10 % de son chiffre d’affaires en France devrait s’acquitter d’un impôt sur les sociétés correspondant à 10 % de ces 10 milliards, soit 1 milliard d’euros.

Je voudrais rappeler que, dans le cadre du projet de loi PACTE, nous avions également proposé une autre stratégie de lutte contre l’évasion fiscale, avec la possibilité de communiquer aux instances représentatives du personnel (IRP) la situation fiscale de l’entreprise, sans toutefois la rendre publique – les IRP étaient tenues au secret –, ce qui rendait le dispositif acceptable au regard du cadre constitutionnel. Cette communication était possible pour les holdings – ce point avait été vérifié par le Conseil d’État. Vous l’avez refusé alors que son champ d’application était bien plus large et qu’il aurait permis de décourager certaines pratiques, renforçant ainsi la lutte contre la fuite fiscale. Bref, nous défendons des initiatives plus importantes.

Je me permets d’adresser une remarque au rapporteur pour avis. Il a évoqué le risque d’un impôt confiscatoire au-delà de 3 % du chiffre d’affaires, soit 15 % des bénéfices. À ce compte-là, et en extrapolant, c’est l’ensemble de l’impôt sur les sociétés qui est déjà confiscatoire… Qui plus est, cette taxation est déductible de l’IS. De notre point de vue, son augmentation ne serait donc en aucun cas confiscatoire.

Je terminerai par une suggestion : la surtaxe à 5 % pourrait être justifiée pour les géants du numérique qui ne s’inscriraient pas dans le dessein que nous partageons tous, à savoir aboutir à une civilisation du numérique. Bref, il faut engager des réformes profondes sur la réglementation et la régulation du numérique ; dans ce cadre, nous pourrions imaginer une taxation différenciée. En l’absence de réponses sur ces différents points, à ce stade, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Didier Martin. C’est dommage !

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Monsieur Potier je vous remercie d’avoir complété les propos de votre collègue, mais je tiens à rappeler qu’elle a bénéficié du même temps de parole que les autres orateurs des groupes et que j’ai même fait preuve de largesse.

M. Damien Adam. Pourquoi faut-il taxer les GAFA ou, plus généralement, les entreprises offrant des services numériques ? Pour la simple et bonne raison que le taux de fiscalité auquel ces entreprises sont soumises actuellement en France est inférieur de 14 points à celui qui s’applique pour les entreprises françaises ou européennes qui officient sur notre territoire. Nous ne saurions nous satisfaire de cette situation. C’est pourquoi nous devrions tous, dans cette salle, nous réjouir du fait que le Gouvernement français et la majorité La République en Marche se saisissent de ce sujet et fassent en sorte de voter un texte de loi permettant de taxer ces entreprises dès cette année, et cela d’autant plus que le ministre de l’économie et des finances se bat depuis des mois, au niveau européen, pour l’imposer à tous nos partenaires.

Comme notre rapporteur pour avis l’a très bien rappelé, certains pays européens sont vent debout contre cette proposition. Or, je vous le demande : qui gouverne l’Union européenne ? Qui, au Parlement européen, a la majorité ? Le Parti populaire européen (PPE), c’est-à-dire, pour partie, les députés européens Les Républicains. Et ce sont des députés du même parti qui se plaignent ici du fait que nous soyons le seul pays européen à mettre en place cette taxation ! C’est à vous de voir avec vos collègues députés européens pour faire en sorte que les choses bougent. Vous allez me répondre que les élections européennes sont désormais trop proches et qu’il ne sera pas possible de le faire. Malgré tout, il est dommage que vous en restiez à des postures. Vous prétendez que le Gouvernement ne fait rien alors que, nous, nous nous battons contre des forces contraires – le PPE mais aussi les sociaux‑démocrates, qui gouvernent ensemble le Parlement européen –, pour faire en sorte que cette taxation voie le jour. Je n’ai aucun doute quant au fait que, dans les prochains mois, le sujet sera à l’ordre du jour dans les autres pays européens et qu’ils s’inspireront de ce que nous sommes en train de mettre en place.

Je reviens sur l’article 2, qui prévoit le report de la baisse de l’IS pour les grandes entreprises. Celles-ci sont tout à fait responsables : elles acceptent le fait que des mesures d’urgence aient dû être mises en place en fin d’année dernière, de manière à accélérer le calendrier d’application de certaines dispositions qui étaient d’ailleurs inscrites dans notre programme.

Enfin, la nouvelle taxe ne va pas embêter les entreprises qui paient l’IS car elle vient précisément en déduction de cet impôt : si elles paient beaucoup de taxe GAFA, elles paieront moins d’IS. Le mécanisme sera donc transparent pour les entreprises qui respectent pleinement notre fiscalité.

Mme Véronique Hammerer. Excellent ! (Sourires.)

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Notre collègue Thierry Benoit n’est pas présent mais je constate que certains pensent à lui…

M. Dino Cinieri. Je lis, dans l’exposé des motifs du projet de loi, au sujet de l’article 1er : « Seules les entreprises des grands groupes ayant une forte empreinte numérique au niveau mondial (montant annuel mondial des produits tirés des services taxés supérieur à 750 millions d’euros) et au niveau national (montant annuel des produits rattachés à la France tirés des services taxés supérieur à 25 millions d’euros) sont concernées car, du fait de la structure concurrentielle des marchés en cause, elles ne sont pas dans une situation comparable à celle des entreprises plus petites ». Combien de grands groupes seront concernés au niveau national ? Ne craignez-vous pas une concurrence déloyale de la part des autres pays d’Europe, aux dépens de nos entreprises et, par ricochet, de l’emploi ?

M. Nicolas Démoulin. Merci, Monsieur le rapporteur pour avis, pour votre excellent travail. Je rebondis sur ce qu’a dit notre collègue M. Denis Masséglia : effectivement, il faut prendre garde aux raccourcis en ne parlant que des GAFA. Les GAFA sont des sociétés américaines et, comme l’indique le sigle, il n’y en a que quatre. Or cette loi va faire date car d’autres entreprises seront concernées : on parle des Américains, mais les Chinois vont certainement arriver. Il faut garder cela à l’esprit. Par ailleurs, l’objectif est de récolter 400 millions d’euros grâce à cette taxe n’est qu’un objectif de départ : les projections sont un peu plus optimistes puisqu’on table sur plus de 650 millions en 2022.

Je suis un peu étonné, voire désemparé, devant la position des Socialistes et des Républicains sur un projet de loi qui devrait faire consensus. Non seulement la disposition est symbolique – on l’a souvent constaté lors des réunions organisées dans le cadre du grand débat : elle répond à un appel très fort –, mais elle rapporte de l’argent. Je suis un peu étonné et déçu par ces postures. L’argument avancé par Les Républicains consistant à dire que la France n’a pas réussi à convaincre tous les pays européens…

M. Dino Cinieri. C’est pourtant vrai !

M. Nicolas Démoulin.… me paraît totalement démagogique. C’est mal connaître la situation et les intérêts de chaque pays. Nous sommes un fer de lance en la matière et d’autres États nous suivent. Nos amis de l’opposition pourraient être satisfaits de ce projet de loi et s’inscrire dans cet élan ; je suis donc légèrement déçu.

M. Éric Bothorel. Je m’inscrirai un peu en retrait par rapport aux « youpi ! » collectifs, même si je comprends le sens de cette mesure. Vous avez rappelé, Monsieur le rapporteur pour avis, la pression de l’actualité à laquelle nous ne saurions échapper : nous étions quasiment obligés de mettre en place cette taxe, tant elle avait été évoquée, lors du grand débat, parmi d’autres mesures qui, pour symboliques qu’elles soient, n’en sont pas moins nécessaires. Comme l’ont fait M. Denis Masséglia et, il y a un instant, M. Nicolas Démoulin, il n’est pas inutile de rappeler que les termes « GAFA » – « GAFAMI », si l’on rajoute Microsoft et IBM –, ou encore « BATX » – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – servent à désigner l’ensemble des géants du numérique. Or, quand on suit l’actualité, on ne saurait contester qu’un climat très lourd règne en ce moment : le numérique est rendu coupable de tous les maux de la société, que ce soient les fake news, le cyberharcèlement ou les cybermenaces.

La fiscalité va donc rattraper des entreprises dont on considère qu’elles ne paient pas un juste impôt ; et lorsque l’on compare l’activité d’une entreprise dématérialisée et celle d’une entreprise résidentielle, autrement dit relevant de l’économie traditionnelle, personne ne peut nier ces écarts en matière d’investissements, de coût et de charges. Cela dit, les services dématérialisés séduisent un nombre toujours plus grand de consommateurs et personne ne leur met le pistolet sur la tempe pour les forcer à choisir un canal d’approvisionnement plutôt qu’un autre.

Quoi qu’il en soit, je soutiendrai cette mesure. Mais de là à affirmer qu’elle participe à un rééquilibrage de la concurrence entre les différents acteurs, le raccourci me paraît très rapide : l’instauration d’une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises agissant sur les places de marché ou dans la publicité en ligne ne corrigera pas fondamentalement le déséquilibre. Je pense que le mal est ailleurs ; il vient, entre autres, de pratiques qui créent par nature cette concurrence entre le commerce dématérialisé et le commerce résidentiel.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. Monsieur Cinieri, une trentaine de groupes seraient concernés au niveau mondial, même s’il s’agit pour l’instant de projections, car nous n’avons pas la liste. A priori, il y aurait très peu de groupes français. De toute façon, nous ne pourrions pas les exclure de cette taxation car ce serait discriminatoire. Au demeurant, comme je le disais tout à l’heure et comme l’a rappelé M. Damien Adam, cette charge vient en déduction des bénéfices des entreprises. En ce qui concerne l’impact du dispositif sur l’attractivité de la France, il devrait être limité, car le taux est modeste et l’objectif est de taxer dans le pays où la valeur est créée par les utilisateurs, pas dans celui où l’entreprise est installée. Par ailleurs, la France a d’autres atouts pour attirer les entreprises et les start-up, notamment le crédit d’impôt recherche. L’impact de la mesure sur l’attractivité de la France devrait donc être très limité.

La commission en arrive à l’examen des articles du projet de loi.

Elle émet successivement des avis favorables à l’adoption de l’article 1er et de l’article 2 sans modification, puis de l’ensemble du projet de loi.

 


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   liste des personnes auditionnées

Ministère de léconomie et des finances - Direction générale du Trésor

M. Harry Partouche, sous-directeur Finances publiques

Mme Sophie Ozil, chef du bureau Activités tertiaires et concurrence

M. Geoffroy Cailloux, chef du bureau Épargne et marché financier

Google France *

M. Benoit Tabaka, directeur des relations institutionnelles et des politiques publiques de Google France

Facebook France *

M. Anton Maria Battesti, responsable affaires publiques de Facebook France

Mme Béatrice Oeuvrard, juriste

Fédération française des télécoms *

Mme Claire Perset, directrice des relations institutionnelles ALTICE-SFR

M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la Fédération française des télécoms

M. Anthony Colombani, directeur des affaires publiques Bouygues Télécom

Mme Alexandra Laffitte, chargée de mission usages et contenus

M. Pierre Petillaut, directeur adjoint des affaires publiques Orange

Rakuten *

M. Fabien Versavau, président-directeur général de Rakuten France

M. Benjamin Moutte, directeur juridique des affaires réglementaires

Criteo *

M. François Lhemery, vice-président des affaires réglementaires de Criteo

M. Laurent Monjole, directeur des affaires publiques du cabinet Samman

 

 

* Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants dintérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants dintérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.


([1]) Bien que ces chiffres soient parfois contestés, ils reposent sur une méthodologie scientifique établie, qui est également celle mobilisée pour l’étude de la Commission européenne « Taxation Trends ».

([2]) https://www.economie.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf

([3]) Le gagnant emporte toute la mise.

([4]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/europe/rap-info/i1455.asp

 

([5]) Ce « paquet » est composé de la directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens, et de deux règlements.

([6]) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/adapter-limpot-sur-les-societes-une-economie-ouverte