—  1 

N° 2298

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272)

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE LÉTAT

TOURISME

PAR M. Éric STRAUMANN

Député

——

 

 

 Voir les numéros : 2272 et 2301 (Tome III, annexe 2).

 


—  1  —

  SOMMAIRE

___

Pages

introduction

PREMIÈRE PARTIE : analyse des crÉdits

I. Les crÉdits du programme 134 : « développement des entreprises et régulations »

II. les crÉdits du programme 185 : « diplomatie culturelle et dinfluence »

seconde PARTIE : analyse thÉmatique

I. la numÉrisation dans le secteur touristique : entre défiance et opportunité

A. Les conséquenceS DE LE-TOURISME : un élargissement du marché de la location mais des tensions dans certaines zones urbaines

1. Un e-tourisme en croissance constante qui bouleverse le secteur du tourisme

2. Des effets contrastés en fonction des territoires, entre opportunités de développement, complémentarité avec loffre traditionnelle et mise à mal du marché locatif traditionnel

3. Les plateformes favorisent-elles le sur-tourisme ?

B. LE-Tourisme : un secteur en perpétuelle mutation qui requiert une attention constante des pouvoirs publics

1. Airbnb, Booking, Expedia : des acteurs nettement identifiés par les pouvoirs publics sur lesquels sont concentrés les dispositifs dencadrement

a. Les plateformes dintermédiation de léconomie collaborative

b. Les agences de voyages en ligne (dites OTA pour « online tourism agency »)

2. Une concurrence accrue entre acteurs du numérique, due à lémergence de nouveaux acteurs et à une mutation des positionnements de chacun

a. Une concurrence accrue entre acteurs du numérique

b. Une mutation des positionnements et une diversification des activités des acteurs du tourisme numérique

C. Un encadrement croissant des relations entre acteurs traditionnels et plateformes qui présente encore des limites

1. Lencadrement de lusage du numérique dans le secteur du tourisme fait lobjet, depuis plusieurs années, dun travail législatif et réglementaire important

2. Cet encadrement, néanmoins, présente encore certaines lacunes et faiblesses

a. Les avis sur internet demeurent insuffisamment encadrés

b. Le seuil des 120 jours de location pour les locations meublées ne paraît pas pleinement satisfaisant

c. Une mise en œuvre difficile des obligations légales des plateformes de faire figurer dans leurs annonces les numéros denregistrement des loueurs

d. Le code de commerce dans son ensemble pourrait faire lobjet dune refonte

3. Une pacification des relations entre acteurs traditionnels et plateformes numériques

a. Les relations entre acteurs traditionnels du tourisme et acteurs de lecommerce semblent aujourdhui pacifiées

b. Certains griefs subsistent néanmoins

II. une simplification des modalités de calcul de la taxe de séjour appelée des vœux de tous

1. Les modalités de collecte et de calcul de la taxe de séjour paraissent, à lensemble des acteurs, dune complexité excessive

2. Les plateformes font part de très grandes difficultés à assurer la mission de collecte de la taxe de séjour qui leur est confiée

3. Une simplification des modalités de calcul de la taxe est aujourdhui demandée par lensemble des acteurs

Conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnées

liste des contributions écrites reçues


—  1  —

   introduction

Le tourisme est un secteur stratégique de l’économie française. Il représente 7,2 % du PIB, soit deux fois la part du secteur agricole ([1]), ainsi que 2 millions demplois directs et indirects, 313 000 entreprises, dont une majorité de très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) qui participent au dynamisme des tissus économiques locaux ([2]).

L’économie touristique contribue de façon structurelle au rééquilibrage de la balance courante. Lexcédent de la balance des services sest accru en 2018 (23,8 Md€, après 20,2 Md€ en 2017), notamment sous l’effet de l’amélioration de nos recettes touristiques ([3]).

Avec plus de 90 millions de visiteurs internationaux accueillis en 2018, outre-mer inclus, la France a battu un nouveau record de fréquentation (+ 3 % par rapport à 2017 où l’on avait compté 86,9 millions de touristes) et demeure la première destination touristique mondiale ([4]). C’est une augmentation significative, bien que moindre que celle de 2017, année au cours de laquelle les flux des visiteurs étrangers avaient progressé de 5,1 %, soit la hausse la plus marquée depuis 10 ans, mais résultant en partie d’un phénomène de « rattrapage » consécutif aux attentats de novembre 2015 à Paris et juillet 2016 à Nice. Les bons chiffres de l’année 2018 témoignent du fait qu’au-delà de ces effets conjoncturels, la fréquentation touristique sinscrit dans une dynamique de hausse durable. La France devance ainsi l’Espagne, qui a accueilli 82,8 millions de touristes internationaux, et les États-Unis, qui en ont reçu 80,1 millions ([5]). Les recettes du secteur augmentent de 6,5 % pour atteindre 55,5 milliards deuros.

Les premiers chiffres disponibles pour l’année 2019 tendent à confirmer cette dynamique positive, malgré un premier trimestre marqué par les mouvements sociaux. Ceux-ci ont entraîné une baisse de fréquentation, qui a plus particulièrement touché l’Île-de-France et eu, au cours de l’hiver, des conséquences sur les stations de sport d’hiver. Un rapport publié par nos collègues Jean-René Cazeneuve et Roland Lescure indique que « le tourisme parisien est lun des secteurs les plus touchés par les conséquences économiques du mouvement des gilets jaunes (…) la comparaison européenne des taux doccupation hôteliers au premier trimestre 2019 est à cet égard significative : entre mars 2018 et mars 2019, Bruxelles et Madrid ont respectivement enregistré une hausse de 2,5 points et de 7,8 points de leurs taux doccupation hôteliers. Sur la même période, le taux doccupation parisien diminuait de 3,5 points, passant de 78,7 % à 75,2 % » ([6]). Au deuxième trimestre 2019, néanmoins, la fréquentation des hébergements collectifs touristiques en France métropolitaine, exprimée en nuitées, augmente de 3,5 % par rapport au deuxième trimestre 2018.

Dans ce contexte, lobjectif que sest fixé la France daccueillir 100 millions de touristes dici 2020, et de lever 60 milliards deuros de recettes, paraît atteignable, à condition de déployer une politique volontariste permettant de pérenniser les résultats positifs, mais encore fragiles, des deux dernières années.

La France, néanmoins, ne semble pas se donner les moyens de ces ambitions. L’architecture budgétaire qui est la nôtre en témoigne : hors dépenses fiscales, l’effort global de l’État peut être évalué à près de 5,1 milliards d’euros (crédits de paiement en 2019) portés par 21 programmes relevant de 13 missions, si l’on s’en tient à l’analyse du Document de politique transversale (DPT) consacré au tourisme pour le projet de loi de finances de l’année dernière. À l’exception du programme 134 de la mission « Économie » et du programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission « Action extérieure de l’État » qui, depuis 2015, comprend la subvention pour charges de service public versée à Atout France, aucun programme n’est directement consacré au tourisme, ce qui rend difficile le suivi et l’appréciation globale des efforts publics en la matière. Votre rapporteur regrette quaucun programme ne soit consacré au tourisme et identifié comme tel, alors que le secteur représente un enjeu majeur pour notre économie.

Les statistiques disponibles sur le tourisme, par ailleurs, semblent insuffisantes. Entendus par votre rapporteur et à l’instar des autres acteurs du tourisme, les représentants de la direction générale des entreprises (DGE) ([7]) ont admis « des difficultés à trouver des séries longues dans le domaine statistique et un morcellement des sources – lINSEE sur une base nationale, les régions, les professionnels produisant des statistiques – sans raccord méthodologique ».

À la faiblesse de ces outils de pilotage statistique et budgétaire, sajoute un investissement public insuffisant que votre rapporteur souligne dans la première partie de son étude consacrée à l’analyse des crédits affectés au tourisme dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2020. La partie thématique de ce rapport est d’abord consacrée aux opportunités et conséquences du numérique sur le secteur du tourisme (I). Une attention particulière est ensuite portée aux modalités de calcul de la taxe de séjour, excessivement complexes, que les acteurs du numérique comme les acteurs dits « traditionnels » du tourisme appellent à simplifier (II).

*

*     *

Au terme de son analyse, votre rapporteur émet un avis défavorable à ladoption des crédits de la mission « Action extérieure de lÉtat », pour ce qui concerne le tourisme.

 

 


—  1  —

   PREMIÈRE PARTIE : analyse des crÉdits

Comme en 2019, les crédits budgétaires alloués au tourisme sont répartis entre deux programmes appartenant à deux missions distinctes :

– le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » ;

– le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission « Action extérieure de l’État ».

Votre rapporteur regrette qu’un secteur comme le tourisme, qui représente plus de 7 % du PIB français, ne dispose pas a minima d’un programme qui lui soit directement et entièrement dédié.

I.   Les crÉdits du programme 134 : « développement des entreprises et régulations »

Jusqu’en 2019, le programme 134 comportait officiellement un objectif de « promotion de l’offre touristique de qualité et du tourisme social » qui a été supprimé. Les politiques publiques inscrites sur le programme 134 poursuivent, désormais, des objectifs de développement de la compétitivité des entreprises et d’encouragement au développement d’un environnement économique propice à la croissance et à l’emploi, dans une dimension nationale et internationale. Ils contribuent également à la régulation et la sécurisation des marchés et la protection des consommateurs. La suppression de lobjectif relatif au tourisme, depuis la loi de finances pour 2019, est particulièrement regrettable.

Comme l’année dernière, les crédits du programme 134 figurent au sein de l’action n° 23 « Industrie et services » – ils étaient, jusqu’à l’exercice précédent inscrits au sein de l’action n° 21 « Développement du tourisme », supprimée dans la loi de finances pour 2019. Ces crédits destinés au soutien aux filières industrielles et de services du tourisme s’élèvent à 0,44 million deuros (M€) en autorisations dengagement (AE) et 0,24 M€ en crédits de paiement (CP) pour 2020. Ils connaissent donc une forte baisse par rapport aux crédits prévus en PLF 2019 : 4,29 M€ en AE et 1,42 M€ en CP. Ils sont, pour l’année 2020, destinés au financement de marchés de prestations relatifs notamment :

– à la plateforme d’intelligence économique « Veilleinfotourisme.fr », qui permet de mettre à la disposition des acteurs du tourisme, l’ensemble des informations stratégiques sur le tourisme ;

– à la plateforme « datatourisme.gouv.fr », dispositif de collecte, d’uniformisation et de diffusion en open data des données touristiques produites et diffusées par les acteurs institutionnels de tourisme.

En revanche, contrairement à lannée dernière, des crédits dintervention sont prévus, destinés au financement d’actions collectives en faveur du tourisme. Ils sélèvent à 0,39 M€ en AE et 0,21 M€ en CP. Ces crédits sont destinés à la mise en œuvre des actions en matière de tourisme, telles que les actions de structuration de l’offre touristique et de soutien à la compétitivité des entreprises touristiques, notamment par le développement numérique et l’encouragement de l’innovation ainsi que des actions en faveur du tourisme social.

De manière plus générale, votre rapporteur regrette la réduction croissante de la place faite au tourisme au sein de la mission « Économie », et le transfert de l’ensemble de la compétence et de la très grande majorité des moyens budgétaires au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ce qui tend à donner le sentiment que le tourisme est un simple volet de laction extérieure de lÉtat et non un élément important de léconomie française. À l’heure où le tourisme des Français en France apparaît comme un enjeu majeur et où le soutien aux entreprises françaises de ce secteur pourvoyeur de nombreux emplois est essentiel, cette orientation est regrettée par votre rapporteur.

Par ailleurs, quatre dépenses fiscales sont associées au programme :

– le taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 10 % applicable à la restauration depuis le 1er janvier 2014, avec un coût évalué à 3,062 milliards d’euros (Md€) en 2020 ;

– le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les hôtels et aux trois quarts du prix de pension ou de demi-pension dans les établissements d’hébergement ainsi que, dans les mêmes conditions, pour les locations meublées – la mesure a bénéficié à 35 000 entreprises en 2018 et son coût est évalué à 780 M€ en 2020 ;

– le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les terrains de camping classés, qui a bénéficié à 8 000 entreprises au total en 2018 et dont le coût est évalué à 219 M€ en 2020 ;

– l’exonération de la contribution patronale et de la participation financière du comité d’entreprise et des organismes à caractère social au financement des chèques vacances, qui a bénéficié à plus de 4,5 millions de ménages en 2018 et dont le coût est évalué à 70 M€ en 2020.

II.   les crÉdits du programme 185 : « diplomatie culturelle et d’influence »

Comme les années précédentes, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission « Action extérieure de l’État » porte la subvention pour charges de service public versée à l’opérateur Atout France, l’agence de développement touristique de la France, créée en 2009 et issue du rapprochement de Maison de la France (agence de promotion de la destination France à l’étranger) et d’ODIT France (agence d’ingénierie touristique). Atout France est l’unique opérateur de l’État dans le secteur du tourisme.

Pour maintenir la dynamique positive qui porte le secteur, Atout France, confortée dans ses missions lors du conseil interministériel du tourisme (CIT) de janvier 2018, s’attache à :

 renouveler loffre et à veiller à sa qualité grâce à l’ingénierie et au montage de financements pour des projets touristiques structurants dans les territoires, ainsi que par des actions de formation, la diffusion dinformation sur les marchés et tendances, et la gestion des classements, labels et distinctions touristiques qui lui sont confiés ;

 favoriser le développement et la promotion des marques de destinations (et de leurs entreprises) à l’international pour accroître leur notoriété à l’étranger, augmenter les flux touristiques internationaux ainsi que le montant des recettes générées.

Au 31 décembre 2018, l’agence comptait 319 collaborateurs en France et à l’étranger et 32 bureaux dans 29 pays.

Sur les crédits de l’action n° 7 du programme 185, qui s’élèvent à 34,20 M€ pour le PLF pour 2020, les crédits alloués au groupement d’intérêt économique (GIE) Atout France au titre de la subvention pour charges de service public (SCSP) sont de 30,9 M€ en AE et CP. La subvention, stable entre 2018 et 2019 (32,69 M€ en AE et CP) a donc connu en affichage une diminution de près de 2 M€, soit une baisse de plus de 5 %.

Toutefois, cette diminution est en réalité de 4,4 M€, qui se composent d’un objectif de 1,4 M€ d’économie immobilière prévisionnelle pour 2020, 1,5 M€ de transfert sortant vers la direction générale des entreprises ainsi que, d’après les informations communiquées par l’opérateur, 1,5 M€ d’économies supplémentaires attendues. C’est donc, au total, une baisse de plus de 13 % de la SCSP qui est imposée à Atout France, supérieure de 0,4 M€ aux annonces du Gouvernement formulées au printemps dernier.

Cette baisse est minorée dans la présentation du vote du PLF par la mise en place dune provision de 2,6 M€, qui ne serait versée à lopérateur que pour couvrir déventuels frais liés aux départs des personnels.

Votre rapporteur regrette profondément cette diminution des moyens dAtout France qui menace la capacité de lopérateur à répondre aux enjeux et défis des acteurs du tourisme, dans un contexte très mouvant.

Par ailleurs, en 2020, le plafond demplois de lopérateur est abaissé de 10 équivalents temps plein travaillé (ETPT) par rapport à l’exercice précédent, pour atteindre 338 emplois rémunérés par l’opérateur au total, contre 348 en loi de finances pour 2019.

La SCSP nest toutefois pas lunique source de revenus de lopérateur. En effet, le contrat dobjectif et de performances signé en juin 2016 confirme le modèle économique de lagence, fondé sur un financement quasi-paritaire associant à la subvention pour charges de service public financée sur le budget de lÉtat des recettes de partenariat provenant des prestations commercialisées par lagence. Comme le souligne notre collègue Émilie Bonnivard dans son rapport publié dans le cadre du « printemps de lévaluation », la part des partenariats dans le budget d’Atout France, qui fait l’objet d’un sous‑indicateur était, en 2018 comme en 2017 et 2016, supérieur à l’objectif assigné par le projet annuel de performance de 2018 et s’établissait à 58 % contre 51,23 % attendus ([8]). La capacité de lopérateur à lever des financements complémentaires est donc particulièrement satisfaisante.

http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r1990-a2-2.gif

Source : RAP, PLR 2016, 2017 et 2018.

De plus, le principe de l’attribution d’une part du produit des recettes issues des droits de visa à Atout France est reconduit pour 2020 selon les mêmes modalités qu’en 2019, conformément au décret n° 2018-693 du 2 août 2018 modifiant le décret n° 2015-1819 du 30 décembre 2015 portant attribution de produits au budget du ministère des affaires étrangères et du développement international. La part des recettes générées par les droits de visa affectée au ministère de l’Europe et des affaires étrangères est fixée à 3 % des recettes des droits de visa de l’année n – 1, dont 75 % sont reversés à Atout France. Sur la base de lattribution de produits versée en 2019, cette ressource peut être estimée, pour 2020, à 5,7 M€.

Votre rapporteur juge incohérentes ces réductions budgétaires alors même que la France affiche de grandes ambitions pour le tourisme.

 

 


—  1  —

   seconde PARTIE : analyse thÉmatique

Le soutien au développement du tourisme est primordial. Les chiffres de fréquentation et de recettes sont satisfaisants pour 2018 – 89,3 millions de touristes étrangers accueillis et 55,5 milliards d’euros de recettes – mais les ambitions poursuivies sont plus importantes encore : à lhorizon 2022, 100 millions de touristes internationaux pourraient être accueillis sur le territoire français générant 60 Md€ de recettes ce qui nécessiterait une mobilisation de l’État et une structuration de l’action des acteurs du secteur accrues.

Dans le cadre de cette ambition, lenjeu de la numérisation est plus que jamais sensible. Celle-ci représente une opportunité dont le secteur doit s’emparer, mais nécessite également un encadrement et une adaptation de la part des professionnels et des pouvoirs publics. En perpétuelle mutation, le tourisme numérique (dit « e-tourisme ») exige une vigilance constante des pouvoirs publics (I).

Afin d’adapter les modalités de collecte aux nouveaux acteurs du tourisme, la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 instaurait la taxation proportionnelle et la collecte obligatoire par les plateformes. Cette ultime révision de la taxe de séjour met en lumière la complexité excessive de ses modalités de calcul et invite à une simplification que l’ensemble des acteurs du secteur appelle de leurs vœux (II).

I.   la numÉrisation dans le secteur touristique : entre défiance et opportunité

A.   Les conséquenceS DE L’E-TOURISME : un élargissement du marché de la location mais des tensions dans certaines zones urbaines

1.   Un e-tourisme en croissance constante qui bouleverse le secteur du tourisme

La vente de prestations touristiques en ligne représente, en Europe, 140 Md€ en 2018, soit une part de marché de 49 % ([9]). Le marché français n’échappe pas à cette dynamique et, selon le cabinet Raffour Interactif, 55 % des Français ont réservé tout ou partie de leurs séjours sur internet en 2018, contre 50 % en 2016. La croissance du e-tourisme se poursuit, à un rythme qui épouse celui de la hausse du tourisme en France : les ventes en ligne du secteur touristique ont augmenté de 9 % en 2018. Internet est désormais un acteur incontournable en matière de vente de voyages et offre ainsi des opportunités de vente à l’ensemble la chaîne touristique.

Les acteurs traditionnels du tourisme n’ont pas pris le « virage numérique » de manière uniforme : les grandes entreprises de tourisme, chaînes intégrées, résidences de tourisme ont, dans lensemble, achevé leur passage sur internet et ont investi massivement dans des plateformes technologiques, reconsidéré leurs partenariats de distribution, repensé la gestion des stocks et l’optimisation des prix. Les hôteliers indépendants, les hôteliers de plein air, les prestataires dactivité et les restaurateurs vivent des situations contrastées : certains ont profité des opportunités offertes par le numérique et sont distribués via différents canaux tandis que d’autres ont pris un net retard sur les questions de la promotion et de la vente en ligne.

Ainsi une partie de l’offre touristique est peu ou mal distribuée sur internet, ce qui accentue les menaces pesant sur une économie déjà fragilisée. L’enjeu pour les acteurs plus traditionnels est de maîtriser les rouages de la nouvelle économie en améliorant leur maîtrise des nouveaux outils numériques et d’accroître les savoir-faire en termes de commercialisation sur internet via des formations plus particulièrement en ligne et le recrutement de nouveaux profils plus aguerris aux technologies de l’information et la communication. Afin que les acteurs traditionnels s’en emparent pleinement, votre rapporteur juge nécessaire de mettre en place des formations initiales et continues ainsi que des ateliers de sensibilisation au numérique.

2.   Des effets contrastés en fonction des territoires, entre opportunités de développement, complémentarité avec l’offre traditionnelle et mise à mal du marché locatif traditionnel

Les études disponibles sur les conséquences du développement des plateformes, compilées par la DGE, mettent en évidence plusieurs effets sur le marché :

– les statistiques produites par l’Insee corroborent l’hypothèse dun élargissement du marché touristique, qui offre une plus grande visibilité aux offres de particuliers à particuliers et a conquis une clientèle plus jeune et familiale. L’offre hôtelière n’est donc pas remise en cause, sinon marginalement, par celle des particuliers. Il n’a pas été constaté de transfert massif de clientèle d’un type d’hébergement à l’autre, le taux moyen d’occupation dans l’hôtellerie demeurant stable (59 % en 2011, 60 % en 2017, 62 % en 2018) ([10]).

– Les agences de voyages en ligne (dites OTA, pour online travel agencies) telles que Booking ou Expedia ont également contribué à offrir une plus grande visibilité à loffre hôtelière traditionnelle, en particulier dans des zones peu touristiques jusqualors ;

– en revanche, dans les villes où le marché du logement est tendu, le développement de ces plateformes semble accentuer la raréfaction de loffre locative de long terme et la hausse des prix des loyers. Selon une étude de l’ADIL de Paris, le parc de logements d’habitation serait passé de 1 350 000 logements en 2009 à 1 300 000 en 2016. Cette étude rappelle, par ailleurs, que, selon la Mairie de Paris, une perte de 20 000 logements dans la location de longue durée a été constatée.

3.   Les plateformes favorisent-elles le sur-tourisme ?

Votre rapporteur s’est également interrogé sur l’impact du développement de plateformes de meublés touristiques en ligne sur la concentration du tourisme sur certaines zones. La demande touristique a tendance à se concentrer sur un faible nombre de destinations, ce qui peut entraîner la saturation des capacités d’accueil desdites destinations. Le phénomène est désigné par le néologisme de « sur-tourisme ».

À l’étranger, les villes de Venise, Dubrovnik, Prague, Amsterdam, Toronto, San Francisco ou Barcelone sont, par exemple, concernées. Ces flux excessifs de visiteurs nourrissent le ressentiment des populations locales, qui subissent les effets collatéraux de ce phénomène, en particulier la dégradation de leur environnement et linflation des prix de limmobilier. En 2017, plusieurs manifestations d’hostilités à l’égard des touristes ont eu lieu en Espagne, notamment à Barcelone qui accueille 30 millions de touristes par an. Ce phénomène de rejet du tourisme est observé depuis quelques années dans plusieurs grandes villes européennes.

La France est, jusqu’à présent, épargnée par le phénomène. Votre rapporteur, néanmoins, constate un agacement croissant de la part des riverains de certaines villes fortement exposées au tourisme, comme Colmar dans sa circonscription. Au niveau national, par ailleurs, certains lieux comme le Mont Saint-Michel, doivent faire l’objet d’une vigilance particulière.

Les effets du e-tourisme sur le phénomène semblent aujourd’hui difficiles à isoler et, en première analyse, ambivalents. L’OMT indique ainsi que les plateformes numériques sont susceptibles de contribuer à une répartition plus équilibrée des flux touristiques sur les territoires, en diversifiant les offres et les destinations touristiques. En revanche, les mêmes plateformes contribuent, dans le cadre des villes les plus exposées, à l’augmentation des prix de l’immobilier qui conduit à vider certains quartiers de leurs habitants. Ainsi, dans les quatre arrondissements centraux de Paris, le taux de logements vacants atteint 26 %. Certaines grandes villes ont ainsi mis en œuvre des dispositifs destinés à freiner ou empêcher le développement dAirbnb (voir tableau ci-après)


Mesures de régulation des meublés de tourisme à létranger

Londres

Possibilité de louer dans la limite de 90 jours par an sans autorisation, aussi bien pour les résidences principales que pour les résidences secondaires. En application d’un accord avec la ville, Airbnb contrôle cette limite de durée.

Amsterdam

Possibilité de louer jusqu’à 60 jours par an sans autorisation – 30 jours à compter de 2019, sauf si le séjour est d’au moins une semaine. Un système d’enregistrement permet, par ailleurs, de vérifier les montants de taxe de séjour et les déclarations de revenus. Un quota maximum de ce type de location serait instauré. Suite à un accord avec la ville, Airbnb contrôle la limite de durée.

Berlin

Depuis mars 2018, la location des résidences principales est possible sans limitation de durée dans le cadre d’un régime d’autorisation, et la location des résidences secondaires est soumise à une limite de 90 jours.

Barcelone

La location de logements entiers pour de courtes périodes est interdite, sauf obtention d’une licence de tourisme, que la mairie n’octroie plus depuis juillet 2015 (aussi bien pour les hôtels que pour les autres hébergements touristiques). En dehors de ce cas, il est possible de louer au plus deux chambres de l’appartement à condition que le loueur soit effectivement présent lors de la location, pour un maximum de quatre mois par an. La Mairie identifie les locations en règle par des plaques gravées apposées sur les façades. Les contrevenants à la réglementation s’exposent à des amendes allant jusqu’à 600 000 euros.

San Francisco

La location est possible jusqu’à 90 jours sans la présence de l’hôte, illimitée en présence de l’hôte, mais la mairie a mis en place un parcours administratif fortement désincitatif.

New York

La location doit être supérieure à 30 jours, sauf présence du propriétaire le temps de la location ou s’il a obtenu le statut d’hôtelier. Selon le ministère de la cohésion des territoires, le dispositif ne semble pas empêcher les locations irrégulières.

Source : Rapport dinformation n° 587 de Mmes Viviane Artigalas et Patricia Morhet-Richaud, sénatrices, Airbnb, Booking... : pour une régulation équilibrée et efficace, 20 juin 2018

B.   L’E-Tourisme : un secteur en perpétuelle mutation qui requiert une attention constante des pouvoirs publics

1.   Airbnb, Booking, Expedia : des acteurs nettement identifiés par les pouvoirs publics sur lesquels sont concentrés les dispositifs d’encadrement

a.   Les plateformes d’intermédiation de l’économie collaborative

La plateforme Airbnb est la plus connue et la plus importante du marché. Fondée en 2008, elle dispose d’un bureau parisien depuis 2012. Les représentantes de l’entreprise, entendues par votre rapporteur, ont indiqué que le site proposait 600 000 logements en France ([11]) contre 500 000 en 2017 et 400 000 en 2016 ([12]). Les logements concernés se répartissent sur 23 000 communes (contre 19 000 en 2016). La France constitue ainsi le deuxième marché de l’entreprise après les États-Unis. Selon Airbnb, un hôte français louerait en moyenne 28 jours par an son logement, ce qui générerait un revenu moyen de 2 100 euros par an ([13]).

La plateforme est rémunérée au moyen d’un système de commissions qui sont ainsi réparties : un taux de 3 % est appliqué à lhôte et un taux compris entre 12 % et 15 % au voyageur.

Le siège social de l’entreprise est situé en Irlande. Malgré les demandes réitérées par votre rapporteur au cours de l’audition, Airbnb ne souhaite pas communiquer le montant de son chiffre daffaires en France.

b.   Les agences de voyages en ligne (dites OTA pour « online tourism agency »)

Booking, mais aussi Expedia, se présentent comme les entreprises dominant le marché des agences de voyages en ligne.

Booking.com a été fondé aux Pays-Bas en 1996. Le site, disponible en 43 langues, revendique 1,5 million de nuitées réservées chaque jour, 27 millions de chambres proposées, réparties sur 130 000 destinations. En France, le site référence 170 416 hôtels et autres hébergements pour 1 million de chambres ([14]). 650 des 17 000 salariés de l’entreprise se trouvent sur le territoire français, répartis entre huit bureaux et un centre de service client. Booking appartient au groupe Booking Holdings, anciennement Priceline, qui regroupe des marques comme Kayak, Rentalcars, Agoda ou encore Open Table. Le siège social de l’entreprise est installé aux Pays-Bas. L’entreprise ne souhaite pas communiquer son chiffre daffaires réalisé en France. Le taux de commission moyen pratiqué sur son site par Booking serait de 15,1 %, uniquement prélevé sur l’hébergeur.

Le groupe Expedia a été créé à Washington en 1996. Il référence 590 000 établissements. Les différentes marques du groupe Expedia représentent environ 5 % du marché du voyage en ligne en France : le groupe est particulièrement présent aux États-Unis et au Royaume-Uni. La fourchette des commissions exigées par la plateforme serait comprise entre 10 et 18 % du prix des chambres louées.

2.   Une concurrence accrue entre acteurs du numérique, due à l’émergence de nouveaux acteurs et à une mutation des positionnements de chacun

a.   Une concurrence accrue entre acteurs du numérique

Les OTA sont aujourd’hui devenues indispensables aux hôteliers : les représentants de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) ont indiqué à votre rapporteur que 99 % des hôteliers avaient recours à ces plateformes ([15]) tandis que Booking disposerait de 66,4 % des parts de marché des réservations hôtelières en ligne en Europe, contre 16,6 % pour Expedia et 9 % pour HRS (entreprise allemande de réservation en ligne) ([16]). La concurrence, néanmoins, ne cesse de se développer : ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le site TripAdvisor, traditionnellement spécialisé dans la publication d’avis de consommateurs et de conseils touristiques, permet désormais la réservation d’établissements touristiques en ligne.

Source : GNI, repris dans le rapport sénatorial de Mmes Artigalas et Morhet-Richaud précité

Par ailleurs, Airbnb est concurrencé par de nombreuses plateformes proposant à la location des meublés de tourisme, dont lactivité de certaines échappe totalement à la surveillance des pouvoirs publics. L’étude d’impact du projet de la loi dite « ELAN » en recensait 22 dont notamment leboncoin.fr, Seloger Vacances, PAP vacances, vivastreet ou paruvendu.fr (auxquels peut être ajouté le site GensDeConfiance), aux côtés de concurrents plus identifiés, tels que le groupe HomeAway.

Les acteurs ne cessent donc de se multiplier, les plateformes transactionnelles se trouvant aujourd’hui confrontées, comme le soulignait l’Union Nationale pour la Promotion de la Location de Vacances (UNPLV) ([17]) lors de son audition, à la concurrence dacteurs du numérique échappant totalement à la réglementation destinée à rééquilibrer le secteur. Une sorte de « marché gris » de la location de meublés touristiques tend ainsi, selon leurs termes, à se développer, au sein duquel des sites comme Facebook ou leboncoin.fr jouent les premiers rôles.

b.   Une mutation des positionnements et une diversification des activités des acteurs du tourisme numérique

En parallèle de cette concurrence accrue, les positionnements et les activités des acteurs de l’e-tourisme connaissent des mutations profondes. Booking propose désormais, aux côtés de son offre hôtelière, des meublés de tourisme. A contrario, un nombre croissant d’hôteliers utilise désormais Airbnb qui impose aux hôtes des frais de commission très inférieurs à ceux exigés par Booking.

Ces entreprises cherchent donc à se différencier en élargissant leurs activités à d’autres domaines : Airbnb développe ainsi un programme d’« expériences », c’est-à-dire un panel d’activités proposées aux clients en parallèle de leur location d’hébergement. En indiquant les dates auxquelles il souhaite se rendre dans un lieu donné, le client peut se voir proposer de nombreuses activités de la séance photo à la soirée jazz en passant par un parcours à cheval à travers le Portugal pour en découvrir l’histoire.

Le secteur connaît donc des mutations profondes auxquelles le législateur doit se montrer attentif, sous peine dune régulation inopérante de le-tourisme.

C.   Un encadrement croissant des relations entre acteurs traditionnels et plateformes qui présente encore des limites

1.   L’encadrement de l’usage du numérique dans le secteur du tourisme fait l’objet, depuis plusieurs années, d’un travail législatif et réglementaire important

Lencadrement des plateformes dintermédiation et de loffre dhébergements privée fait lobjet, depuis 2014, de lattention du législateur.

S’agissant de l’hébergement entre particuliers :

– la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 d’accès au logement et à un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », impose une obligation de déclaration en mairie pour les locations saisonnières (art. L. 324-1-1 du code du tourisme) sauf lorsque la location concerne une résidence principale. Cette obligation est assortie d’un dispositif de sanctions. La loi ALUR renforce également les obligations des intermédiaires – dont les plateformes numériques – en matière d’information de leurs utilisateurs, exigeant un rappel de la réglementation aux loueurs et l’obtention de leur part d’une déclaration sur l’honneur du respect de leurs obligations ;

– la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a renforcé l’obligation d’information des plateformes qui sont tenues de fournir, à chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes réalisant ces transactions commerciales par leur intermédiaire. La plateforme doit également fournir, annuellement, un document récapitulant le montant brut des transactions perçues et établir un certificat du respect de ces obligations ;

– l’article 51 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique instaure l’obligation pour la plateforme de s’assurer qu’un logement constituant la résidence principale du loueur ne dépasse pas 120 jours de location par an. En cas de dépassement, la plateforme doit procéder à la suspension de l’annonce jusqu’à la fin de l’année en cours. L’article prévoit également la possibilité, dans les communes ayant mis en place une procédure dautorisation de changement dusage, d’instituer une obligation denregistrement pour les locations touristiques (résidence secondaire comme principale). Ce numéro d’enregistrement doit être publié dans l’annonce par la plateforme intermédiaire ;

– la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 prévoit qu’au-delà du seuil de 23 000 € de recettes dégagées au titre de la location de meublés et de 7 720 € dégagés au titre de la location de biens (voiture notamment), les particuliers doivent sacquitter de cotisations sociales ;

– l’article 145 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN », clarifie linterdiction faite aux particuliers de louer leur résidence principale plus de 120 jours par an. Il prévoit des sanctions en cas de manquement aux obligations d’enregistrement auprès de la commune pour le loueur et de mise en ligne du numéro d’enregistrement dans l’annonce pour les plateformes ;

– enfin, la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 impose aux plateformes qui sont intermédiaires de paiement lobligation de collecter la taxe de séjour auprès des loueurs non professionnels à compter du 1er janvier 2019. De plus, la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude les oblige à transmettre à ladministration fiscale les revenus tirés de lactivité de leurs utilisateurs à compter des revenus 2019.

Les plateformes de réservation, telles Booking ou Expedia, ne peuvent recourir à des clauses de parité tarifaire, aux termes de l’article 133 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui rappelle que l’hôtelier conserve sa liberté de consentir tout rabais ou avantage.

Enfin, la loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, a soumis lensemble de ces plateformes, lorsque leur chiffre d’affaires mondial est supérieur à 750 M€ et leur chiffre d’affaires français à 25 M€, à une taxe sur lensemble de ce chiffre daffaires français à hauteur de 3 %. Saluée par les acteurs de l’hôtellerie traditionnelle, cette taxe fait l’objet de nombreuses critiques de la part des plateformes. Le Gouvernement estime néanmoins que la répercussion sur les prix devrait être limitée, les entreprises concernées ne souhaitant pas dégrader leur compétitivité. Airbnb a déjà annoncé que la taxe ne serait pas répercutée sur ses clients français. Booking, en revanche, ne s’est pas encore prononcé officiellement sur une éventuelle répercussion de la taxe sur les prix.

2.   Cet encadrement, néanmoins, présente encore certaines lacunes et faiblesses

a.   Les avis sur internet demeurent insuffisamment encadrés

Les avis sur internet et, en particulier, sur le site TripAdvisor sur lequel aucune preuve de consommation n’est exigée pour délivrer un avis sur un établissement, sont insuffisamment régulés. Les professionnels reçus par votre rapporteur ont attiré son attention sur le nombre très élevé de faux commentaires – malveillants ou, au contraire, laudateurs et destinés à augmenter la fréquentation d’un établissement – ainsi que sur un phénomène croissant de « chantage au commentaire » formulé par des clients désireux d’obtenir des avantages en menaçant de porter atteinte à la réputation en ligne du professionnel. Les représentants du Syndicat national des résidences de tourisme (SNRT) estimaient ainsi que 40 % des avis sur internet n’étaient pas rédigés par des clients et qu’une augmentation d’un point de sa note sur Booking avait une incidence de 10 % sur le chiffre d’affaires d’un établissement ([18]).

L’article 52 de la loi pour une République numérique crée l’article L. 111‑7-2 du code de la consommation, qui prévoit que : « toute personne physique ou morale dont lactivité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ». Le décret n° 2017-1436 du 29 septembre 2017 fixe les modalités et le contenu de ces informations. Cet encadrement apparaît nettement insuffisant au regard des enjeux.

De nombreux professionnels reçus par votre rapporteur ont ainsi proposé de rendre obligatoire lapplication de la norme mise en place par lAssociation française de normalisation (AFNOR) en 2013. La norme NF Z74‑501, qui est d’application volontaire, vise à fiabiliser les avis de consommateurs en ligne. Il s’agit d’un document de référence définissant des principes et des exigences de collecte, modération et restitution d’avis sur internet. Ces exigences incluent l’interdiction d’acheter un avis, l’identification de l’auteur et la fourniture optionnelle de preuve de consommation telle que photo du ticket de caisse ou facture. Votre rapporteur juge cette proposition particulièrement intéressante.

b.   Le seuil des 120 jours de location pour les locations meublées ne paraît pas pleinement satisfaisant

Les plateformes semblent décidées à faire respecter l’obligation de limiter à 120 jours la location de résidences principales. Ainsi, dans dix-huit villes, les plateformes membres de l’UNPLV ont prévu un dispositif technique permettant de bloquer automatiquement le calendrier de réservation des loueurs de résidences principales.

La limite est aisée à contourner : un même loueur peut sen affranchir en cumulant plusieurs périodes de location sur différentes plateformes. Celles-ci ne disposent pas de moyens de contrôle partagés.

c.   Une mise en œuvre difficile des obligations légales des plateformes de faire figurer dans leurs annonces les numéros d’enregistrement des loueurs

Par un jugement du 5 mars 2019, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a rejeté la demande en référé du 7 mai 2018 de la Mairie de Paris de supprimer 67 annonces hébergées sur Airbnb. La Mairie de Paris avait demandé la suppression d’annonces dépourvues de numéro d’enregistrement au motif que cette absence de numéro constituerait un manquement constitutif d’un trouble manifestement illicite, ce que le TGI n’a pas reconnu.

La Ville de Paris a, par ailleurs, en février 2019, adressé une assignation à Airbnb après avoir identifié 1 010 annonces ne mentionnant pas de numéro d’enregistrement, faisant encourir une amende pouvant aller jusqu’à 12 500 € par annonce à la plateforme.

Plusieurs autres villes comme Bordeaux introduisent des requêtes contentieuses, afin de faire condamner les loueurs qui ne respectent pas la réglementation en matière de meublés de tourisme.

Aucune condamnation sur le fondement de la loi ELAN ne semble néanmoins être intervenue à ce jour. Depuis son entrée en vigueur, la plupart des dossiers font, en effet, l’objet d’un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur la réglementation du changement d’usage. Deux contentieux sont en cours au niveau européen :

– dans le cadre de l’affaire C-390/18, Airbnb Ireland, deux questions préjudicielles ont été posées par le doyen des juges d’instruction du pôle financier du TGI de Paris, dans le cadre d’une procédure faisant suite à une plainte de l’Association pour un hébergement et un tourisme professionnel (AH-TOP) contre Airbnb, afin de déterminer si les règles restrictives relatives à l’exercice de la profession d’agent immobilier en France, édictées par la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite « loi Hoguet », étaient opposables la société Airbnb lreland UC, d’une part, et si les prestations fournies en France par la société Airbnb lreland UC par le canal d’une plateforme électronique exploitée depuis l’Irlande bénéficiaient de la liberté de prestation de services prévue par l’article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2000 ;

– l’affaire « Cali Appartements » concerne des particuliers ayant été condamnés à des amendes (15 000 euros par appartement) devant les juridictions nationales, en première instance et en appel. Ils doivent rendre les appartements à leur usage initial de logement et non d’hébergements touristiques. La Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer. Elle demande à la Cour de justice de l’Union européenne de qualifier les obligations des articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation au regard de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (dite directive « services ») et de se prononcer sur leur conformité avec cette directive.

Dans l’attente des décisions de la CJUE, les sanctions sont donc gelées.

d.   Le code de commerce dans son ensemble pourrait faire l’objet d’une refonte

Le conseil interministériel du tourisme (CIT) du 17 mai 2019 a décidé une « simplification du cadre légal » et une « modernisation du code du tourisme ». Il apparaît, en effet, nécessaire d’adapter le droit aux évolutions du secteur. La réforme envisagée pourrait notamment comprendre la modernisation des catégories dhébergement.

3.   Une pacification des relations entre acteurs traditionnels et plateformes numériques

a.   Les relations entre acteurs traditionnels du tourisme et acteurs de l’e‑commerce semblent aujourd’hui pacifiées

Ainsi que les représentants de la direction générale des entreprises (DGE) l’ont indiqué à votre rapporteur, concernant le secteur hôtelier, les syndicats professionnels du secteur hôtelier et les plateformes semblent engagés dans une démarche plus constructive qu’auparavant. Ils échangent sur les désagréments rencontrés par des exploitants, afin de signaler les problèmes et de les résoudre. Une volonté de référencer et diffuser de bonnes pratiques est également à l’œuvre.

Dans le cadre des relations entre les hôteliers et Booking, l’interdiction des clauses de parité tarifaire inscrite à l’article 133 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015 (articles L. 311-5-1 à L. 311-5-4 du code du tourisme) a contribué à détendre les relations entre hôteliers et plateformes intermédiaires. De manière générale, l’encadrement croissant des plateformes tend à rééquilibrer le marché du tourisme et à atténuer les tensions entre les différents acteurs du secteur.

b.   Certains griefs subsistent néanmoins

Les sites de réservation en ligne semblent avoir développé certaines pratiques contestables telles que l’achat de mots‑clés ou le référencement sur la base de droits de propriété intellectuelle appartenant aux hôteliers ou encore l’usage de mentions trompeuses pour le consommateur. Les taux de commission exigés par les différentes plateformes sont également dénoncés par les hôteliers.

II.   une simplification des modalités de calcul de la taxe de séjour appelée des vœux de tous

1.   Les modalités de collecte et de calcul de la taxe de séjour paraissent, à l’ensemble des acteurs, d’une complexité excessive

Créée en 1910, la taxe de séjour est instituée à l’initiative des communes réalisant des dépenses favorisant l’accueil des touristes. À l’origine, elle pouvait être instituée uniquement par les stations classées de tourisme. Cette possibilité s’est élargie progressivement aux communes de montagne en 1985, aux communes littorales en 1986, aux communes réalisant des actions de promotion touristique en 1988 et, enfin, aux communes réalisant des actions de protection et de gestion de leurs espaces naturels en 1995. Elle est devenue instituable par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui respectent les conditions applicables aux communes à compter de l’année 1999.

La taxe de séjour constitue aujourd’hui une ressource particulièrement dynamique pour les collectivités locales (voir tableau ci-dessous), qui sont chaque année plus nombreuses à l’instaurer.

Évolution de la taxe de séjour

(En millions d’euros)

Année

Taxe de séjour

Taxe départementale
additionnelle

Total

2012

238,84

8,78

247,62

2013

251,2

8,94

260,14

2014

260,49

11,51

272

2015

306,42

12,01

318,43

2016

346,82

19,4

366,22

2017

395,31

21,7

417,01

2018

426,06

25,52

451,58

Source : Comptes de gestion – DGCL

Les modalités de calcul de cette taxe, en revanche, sont particulièrement complexes. Les tarifs sont modulés par délibération des collectivités locales. La taxe est due par les personnes occupant une location de courte durée à titre onéreux, et peut être établie :

 soit au réel, c’est-à-dire calculée en fonction des nuitées effectives du redevable, qui la règle en plus du coût de la location ;

 soit au forfait, c’est-à-dire calculée pour l’ensemble de l’année par la collectivité en fonction de la durée d’ouverture de l’établissement, de la capacité d’hébergement et d’un taux d’abattement. La taxe est réglée directement par l’hébergeur, qui doit en tenir compte dans la fixation de son prix.

La distinction entre la taxe au réel et la taxe forfaitaire, ainsi que la multitude des taux appliquée rend le dispositif complexe et peu lisible. Les communes et les professionnels chargés de la collecte font état de grandes difficultés ; les particuliers peinent à déterminer le taux qu’ils doivent appliquer ; les offices de tourisme évoquent une surcharge administrative réelle liée aux nombreuses demandes d’aides au calcul ([19]).

Le tableau ci-après illustre cette complexité :


BARÈME ET TAUX APPLICABLES POUR 2019

(En euros)

Catégories dhébergement

Tarif plancher

Tarif plafond

Tarif moyen adopté

Palaces

0,70

4,00

2,61

Hôtels de tourisme 5 étoiles, résidences de tourisme 5 étoiles, meublés de tourisme 5 étoiles

0,70

3,00

1,79

Hôtels de tourisme 4 étoiles, résidences de tourisme 4 étoiles, meublés de tourisme 4 étoiles

0,70

2,30

1,32

Hôtels de tourisme 3 étoiles, résidences de tourisme 3 étoiles, meublés de tourisme 3 étoiles

0,50

1,50

0,93

Hôtels de tourisme 2 étoiles, résidences de tourisme 2 étoiles, meublés de tourisme 2 étoiles, villages de vacances 4 et 5 étoiles

0,30

0,90

0,67

Hôtels de tourisme 1 étoile, résidences de tourisme 1 étoile, meublés de tourisme 1 étoile, villages de vacances 1, 2 et 3 étoiles, chambres dhôtes

0,20

0,80

0,56

Terrains de camping et terrains de caravanage classés en 3,4 et 5 étoiles et tout autre terrain dhébergement de plein air de caractéristiques équivalentes, emplacements dans des aires de camping-cars et des parcs de stationnement touristiques par tranche de 24 heures

0,20

0,60

0,45

Terrains de camping et terrains de caravanage classés en 1 et 2 étoiles et tout autre terrain dhébergement de plein air de caractéristiques équivalentes, ports de plaisance

0,20

0,20

Hébergements sans classement ou en attente de classement (en %)

1

5

3,5

Source : rapport de Mme Émilie Bonnivard précité

2.   Les plateformes font part de très grandes difficultés à assurer la mission de collecte de la taxe de séjour qui leur est confiée

Depuis le 1er janvier 2019, les plateformes de location de meublés de tourisme entre particuliers sur lesquelles des transactions financières sont réalisées ont lobligation de collecter la taxe de séjour. Deux plateformes collectaient déjà cette taxe, avant que cette obligation n’entre en vigueur, sur une base volontaire. Il s’agit d’Airbnb et HomeAway. D’après les chiffres communiqués à votre rapporteur par la DGE, Airbnb a collecté 24 millions deuros de taxe de séjour au titre de lannée 2018, soit deux fois plus quen 2017.

Plusieurs difficultés sont rencontrées par les plateformes. D’une part, la direction générale des finances publiques a développé une application, OCSITAN, destinée à permettre aux communes ou aux groupements de communes de communiquer à l’ensemble des acteurs les données relatives à la taxe de séjour qu’elles ont fixées. Cette application, initialement conçue comme un outil interne à l’administration, n’est pas adaptée aux nouvelles utilisations dont elle fait l’objet. La base de données ainsi constituée n’est pas à jour et comporte de très nombreuses erreurs. De nombreuses communes omettent de compléter le fichier lorsqu’elles prennent une nouvelle délibération. Il apparaît nécessaire, pour permettre une collecte juste et efficace, dassurer la fiabilité et lexhaustivité du fichier en temps réel.

Par ailleurs, beaucoup de professionnels pointent les difficultés résultant de l’application de la loi de finances rectificatives pour 2017, qui permet aux communes, à partir du 1er janvier 2019, de taxer à un taux compris entre 1 % et 5 % les meublés de tourisme n’ayant pas fait l’objet d’un classement. Ce système vise à mieux prendre en compte la capacité contributive du voyageur et à corriger la tendance de certains loueurs à ne pas faire classer leur hébergement, afin de réduire le montant de la taxe de séjour due par leurs clients. Ce calcul apparaît inéquitable à de nombreux acteurs : il conduirait à imposer aux meublés de tourisme non classés des taux souvent supérieurs à ceux des hôtels de haut standing, en contradiction avec l’objectif de paiement de la taxe selon les capacités contributives des voyageurs, dans la mesure où les clients de l’hébergement meublé sont souvent moins aisés que ceux des hôtels.

3.   Une simplification des modalités de calcul de la taxe est aujourd’hui demandée par l’ensemble des acteurs

La suppression de la taxe de séjour forfaitaire semble un préalable indispensable à toute réforme. Ce système, qui était destiné à simplifier le dispositif pour les touristes et les collectivités, présente de graves inconvénients lorsque la formule de calcul est mal calibrée ou en cas de chute brutale de la fréquentation dun établissement, puisque la taxe est alors beaucoup plus élevée que si elle était calculée au réel. Ce système est surtout préjudiciable à l’hôtellerie en plein air dont le taux de remplissage est plus faible que l’hôtellerie traditionnelle. Cette suppression de la taxe de séjour forfaitaire est d’autant plus envisageable que seules 5 % des collectivités ont opté pour elle.

Si la mise en place d’un taux unique, proportionnel au tarif d’une nuitée plutôt qu’au classement semble difficile, une simplification du mode de calcul est aujourdhui indispensable, dans le respect de lautonomie fiscale des collectivités.


—  1  —

   Conclusion

Secteur stratégique de léconomie française, le tourisme représente 7,2 % du PIB, ainsi que 2 millions demplois directs et indirects et 313 000 entreprises, dont une majorité de très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME).

Le tourisme connaît aujourd’hui de profondes mutations et doit s’organiser pour permettre le développement d’un tourisme durable, évitant les écueils redoutables du tourisme de masse et du « sur-tourisme ». Dans ce contexte, le e‑tourisme joue depuis de nombreuses années un rôle important et, dans une certaine mesure, ambivalent. Les plateformes telles que Booking et Airbnb pour ne nommer que les plus connues ont fait l’objet de multiples initiatives législatives destinées à assurer leur encadrement et une régulation harmonieuse de leurs relations avec les acteurs dits « traditionnels » du tourisme. Ces relations apparaissent, aujourd’hui, pacifiées mais la situation n’est nullement stable : le e‑tourisme constitue un « écosystème » en perpétuelle mutation et le législateur se doit de demeurer attentif à l’émergence de nouveaux acteurs afin d’éviter le développement d’un marché du tourisme échappant à toute régulation.

Enfin, faisant converger les intérêts de l’ensemble des acteurs du tourisme – collectivités, professionnels et plateformes – une révision des modalités de calcul de la taxe de séjour apparaît aujourd’hui nécessaire.

 

 


—  1  —

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 23 octobre 2019, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Éric Straumann, rapporteur pour avis, les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».

Mme Valéria Faure-Muntian, présidente. Chers collègues, les crédits alloués au tourisme sont répartis entre deux programmes appartenant à deux missions distinctes : le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » et le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission « Action extérieure de l’État ».

Si les crédits prévus dans le cadre du programme 134 sont modestes, quatre dépenses fiscales importantes sont toutefois associées à ce programme, dont les taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 10 % applicables à la restauration, d’une part, et à la fourniture de logements dans les hôtels, d’autre part.

Le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la mission « Action extérieure de l’État » comprend la subvention pour charges de service public versée à l’opérateur Atout France, l’agence de développement touristique de la France. La subvention, stable entre 2018 et 2019 avec 32,69 millions d’euros, connaît cette année une baisse d’environ 5 %, soit 2 millions d’euros.

Les ambitions de notre pays en matière de tourisme sont fortes : à l’horizon 2020, 100 millions de touristes internationaux pourraient être accueillis sur le territoire français, générant 60 milliards d’euros de recettes. Dans ce contexte, la question du développement du e-tourisme, qui fait l’objet d’un intérêt soutenu de notre assemblée depuis plusieurs années, est primordiale. C’est à cette thématique que notre collègue Éric Straumann a choisi de consacrer la deuxième partie de son rapport, s’interrogeant sur les évolutions récentes des plateformes numériques. Une partie de son étude est également consacrée à la taxe de séjour, dont les modalités de calcul, très complexes, pourraient faire l’objet d’une simplification.

Monsieur le rapporteur, vous abordez, dans votre rapport, la question de l’encadrement des avis sur internet. Quelles sont vos propositions pour limiter les faux avis, qui portent atteinte à la réputation en ligne des professionnels du tourisme ?

Par ailleurs, la problématique du sur-tourisme vous paraît-elle constituer une véritable menace, à moyen et long termes, pour le tourisme français ? Comment anticiper le phénomène et quelles actions mettre en œuvre pour éviter les situations très tendues que nous observons aujourd’hui à Barcelone ou à Venise ?

M. Éric Straumann, rapporteur pour avis. Le tourisme est un secteur stratégique de l’économie française, qui représente 7,2 % du PIB, 2 millions d’emplois directs et indirects, 313 000 entreprises, dont une majorité de très petites entreprises et de petites et moyennes entreprises. Avec plus de 90 millions de visiteurs internationaux accueillis en 2018, outre-mer inclus, la France a battu un nouveau record de fréquentation et demeure la première destination touristique mondiale.

L’objectif que s’est fixé la France d’accueillir 100 millions de touristes d’ici 2020 et de lever 60 milliards d’euros de recettes paraît atteignable, à condition de déployer une politique volontariste. Pourtant, nos outils de pilotage statistique et budgétaire semblent très en deçà de nos ambitions : aucun programme au sein du PLF n’est consacré au tourisme, les statistiques disponibles sont insuffisantes et la direction générale des entreprises (DGE) a admis, en audition, des difficultés à trouver des séries longues dans le domaine statistique ainsi qu’un morcellement des sources sans raccord méthodologique.

Enfin et surtout, l’investissement public dans le secteur est insuffisant : j’y reviendrai dans la première partie de cette intervention et je vous proposerai tout à l’heure un amendement. Nous nous intéresserons ensuite à la question des opportunités et des risques liés au développement du e-tourisme, sujet qui requiert une attention constante du législateur tant la « galaxie » des plateformes numériques est mouvante. Enfin, nous évoquerons la question de la modernisation de la taxe de séjour.

Le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » comportait, jusqu’en 2019, un objectif de promotion de l’offre touristique de qualité et du tourisme social : il a été supprimé l’an dernier, tout comme l’action n° 21 « Développement du tourisme ». Les crédits destinés au tourisme figurent donc, comme l’année dernière, au sein de l’action n° 23 « Industrie et services » : ils s’élèvent à 440 000 euros en autorisations d’engagement et 240 000 euros en crédits de paiement, soit une forte baisse par rapport aux crédits prévus en 2019, qui étaient de 4,29 millions d’euros en autorisations d’engagement et 1,42 million d’euros en crédits de paiement. Des crédits d’intervention sont également prévus, s’élevant à 390 000 euros en autorisations d’engagement et 210 000 euros en crédits de paiement.

Quatre dépenses fiscales importantes sont, par ailleurs, associées au programme pour 2020. L’application du taux de TVA de 10 % à la restauration représente un coût de 3,06 milliards d’euros. Le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les hôtels a bénéficié à 35 000 entreprises en 2018 ; son coût est évalué à 780 millions d’euros. Le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les terrains de camping classés, qui a bénéficié à 8 000 entreprises au total en 2018, est évalué à 219 millions d’euros. Enfin, l’exonération de la contribution patronale et de la participation financière du comité d’entreprise et des organismes à caractère social au financement des chèques vacances, qui a bénéficié à plus de 4,5 millions de ménages en 2018, représente un montant évalué à 70 millions d’euros.

Les crédits consacrés au tourisme dans la mission « Action extérieure de l’État » sont regroupés au sein du programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence », qui comprend la subvention pour charges de service public versée à l’opérateur Atout France. Atout France, unique opérateur de l’État dans le secteur du tourisme, contribue au renouvellement de l’offre touristique et veille à sa qualité, tout en favorisant le développement et la promotion des « marques de destinations » destinées à accroître la notoriété de nos régions à l’étranger. Son rôle est donc crucial.

La subvention pour charges de service public subit une baisse de près de 2 millions d’euros, soit près de 5 %, passant de 32,7 millions d’euros en 2018 et 2019 à 30,9 millions pour 2020. Et encore, la présentation de cette variation de crédits est trompeuse car elle tient compte d’une provision de 2,6 millions d’euros qui ne sera versée à l’opérateur que pour couvrir d’éventuels frais liés aux départs des personnels. En revanche, l’économie immobilière prévisionnelle de 1,4 million d’euros, le transfert vers la direction générale des entreprises de 1,5 million d’euros et les économies supplémentaires attendues de l’opérateur à hauteur de 1,5 million d’euros ne sont pas identifiables au premier regard.

Au total, c’est donc une baisse de 4,4 millions d’euros qui est imposée à l’opérateur, supérieure de 400 000 euros aux annonces du Gouvernement formulées au printemps dernier. Par ailleurs, le plafond d’emplois de l’opérateur est abaissé de dix équivalents temps plein travaillé (ETPT) par rapport à l’exercice précédent. Cette réduction me paraît peu cohérente avec nos ambitions et c’est pour cette raison que j’émettrai probablement un avis défavorable sur les crédits alloués au tourisme dans ce projet de loi de finances.

J’ai voulu, dans un deuxième temps, m’intéresser aux effets du numérique sur le secteur touristique. L’univers de l’e-tourisme, en perpétuelle évolution, requiert une attention constante de la part du législateur sous peine de maintenir un encadrement en décalage avec la situation.

L’e-tourisme est porteur d’opportunités et de risques. Les effets des plateformes de réservation, comme Booking, ou d’intermédiation, comme Airbnb, sont difficiles à caractériser, même si deux phénomènes semblent réels : d’une part, un élargissement du marché, avec une plus grande visibilité offerte à certains hôtels et à certaines zones, avec l’avènement d’une offre complémentaire de l’offre traditionnelle, visant une clientèle plus jeune et plus familiale ; d’autre part, dans les villes où le marché du logement est tendu, le développement de ces plateformes accentue la hausse des prix des loyers.

L’e-tourisme est donc susceptible d’avoir sur le phénomène de sur-tourisme des effets ambivalents : les plateformes contribueraient à une répartition plus équilibrée des flux touristiques sur les territoires mais les villes les plus exposées voient augmenter les prix de l’immobilier, ce qui contribue au ras-le-bol des populations locales. Aussi, Londres, Amsterdam, Berlin, Barcelone, San Francisco et New-York ont mis en place des réglementations, plus ou moins drastiques, pour encadrer le développement d’Airbnb.

En France, nous avons privilégié une approche plus équilibrée en encadrant les plateformes au moyen de nombreux dispositifs pour éviter les distorsions de concurrence et les pratiques déloyales : obligation de déclaration en mairie pour les locations saisonnières, obligation d’information incombant aux plateformes, limite de 120 jours de location par an d’une résidence principale, obligation d’enregistrement issue de la loi pour une République numérique, obligation pour les plateformes de collecter la taxe de séjour auprès des loueurs non professionnels, interdiction des clauses de parité tarifaire et, enfin, la toute récente taxe GAFA.

Il reste néanmoins quelques angles morts, comme le contrôle des avis sur internet. Ces avis déterminent aujourd’hui la vie ou la mort de certains établissements. En audition, certains professionnels ont soutenu que 40 % des avis étaient infondés : difficile de vérifier ce chiffre, mais il est significatif. Certains clients procèdent à un véritable chantage au commentaire pour obtenir des avantages indus de la part des restaurateurs et des hôteliers. Nous avions essayé, dans la loi pour une République numérique, de limiter ces dérives mais le dispositif est insuffisant. Je suggère donc de rendre obligatoire l’application de la norme mise en place par l’Association française de normalisation (AFNOR) en 2013 : d’application volontaire, elle vise à fiabiliser les avis de consommateurs en ligne en exigeant d’eux, par exemple, des preuves de consommation. Par ailleurs, la limite des 120 jours est largement contournée : il suffit pour cela de s’inscrire sur plusieurs plateformes, puisqu’il n’existe pas de moyen de contrôle centralisé.

Mais au-delà de ces angles morts, c’est l’évolution rapide des plateformes, de leur positionnement, des acteurs et de leur offre qui rend difficile l’exercice d’encadrement auquel nous nous livrons. Le marché de l’e-tourisme semble se résumer à quelques noms : Booking, Airbnb, Expedia. Ce sont effectivement les leaders du marché. Mais, en réalité, ils sont concurrencés par une myriade de sites qui se livrent aux mêmes activités et passent sous le contrôle de nos radars, tels Leboncoin ou Facebook. Une attention constante des pouvoirs publics est donc requise pour éviter les contournements de notre législation.

Depuis le 1er janvier 2019, les plateformes de location transactionnelles de meublés de tourisme entre particuliers ont l’obligation de collecter la taxe de séjour. Les modalités de calcul de celle-ci sont un casse-tête pour les communes et pour les professionnels chargés de sa collecte ainsi que pour les particuliers, les offices de tourisme et les plateformes. Je ne prétends évidemment pas proposer une solution simple à ce problème complexe mais la suppression de la taxe de séjour forfaitaire constitue un préalable indispensable à toute réforme.

Le tourisme est un secteur stratégique, qui se remet depuis deux ans d’un choc conjoncturel et pour lequel nous devons avoir une ambition réelle. La France est la première destination touristique mondiale : nous devons tout faire pour conserver cette place, alors que les attentes des consommateurs sont en pleine évolution.

Mme Valéria Faure-Muntian, présidente. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Anne-Laurence Petel. Avec près de 20 000 kilomètres de côtes, pas moins de cinq massifs montagneux et près de 17 millions d’hectares de forêts, la France possède un patrimoine naturel hors norme. Notre patrimoine culturel n’est pas en reste, avec pas moins de 39 sites culturels inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui nous place dans le peloton de tête mondial.

Cette France aux mille visages, véritable boule à facettes, est la première destination touristique au monde, riche d’une gastronomie qui excelle autant qu’elle innove, mais aussi de traditions régionales fortes. Les collectivités l’ont compris, qui valorisent le marketing territorial. La Provence, chère à mon cœur, n’est pas seulement la patrie de Cézanne, de Mistral ou de Pagnol, mais aussi une marque qui fait briller les yeux de nos interlocuteurs quand on prononce ce nom à l’autre bout de la Terre.

Plus prosaïquement, le tourisme en France est un secteur économique fort, qui représente 7,2 % du PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects. Cette activité fait vivre les métropoles comme les zones rurales, met en valeur nos territoires, favorise tous types d’emplois, qualifiés ou non, dans des domaines très divers – hôtellerie, restauration, culture. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, cela représente 140 000 emplois directs ; cette terre de festivals attire des millions de visiteurs. Notre majorité est très soucieuse de donner aux acteurs du tourisme les moyens de se développer.

Dans votre rapport, vous soulignez que notre pays est la première destination touristique au monde et qu’il accueille chaque année un nombre croissant de touristes. Toutefois, dans notre budget, les crédits relatifs au tourisme sont trop dispersés pour rendre compte clairement des investissements, des mesures de soutien aux entreprises et des politiques publiques dont il bénéficie. Il faudrait qu’un programme budgétaire lui soit entièrement dédié.

Notre désaccord, vous le comprendrez, concerne votre appréciation des crédits pour 2020. À mon sens, investir dans le tourisme, c’est aussi promouvoir les atouts touristiques français à l’étranger. Cela suppose d’agir dans tous les territoires en investissant dans des infrastructures de transport performantes et en soutenant des entreprises vivant du tourisme ; cela passe par des crédits d’investissement et de fonctionnement, mais aussi par des dépenses fiscales et des aides non quantifiables économiquement. Les investissements dans les mobilités que nous avons adoptés dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM) ou les moyens que nous avons déployés pour la protection et la valorisation du patrimoine créent les conditions d’une meilleure attractivité de notre pays et profitent au secteur touristique.

Autre point de désaccord : à vous entendre, le tourisme serait déconsidéré car les moyens qui lui sont consacrés sont compris dans le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Notre rayonnement international me paraît au contraire lui être favorable car il dépend aussi de la présence économique et culturelle de la France à l’étranger. Prenons un exemple de promotion indirecte du tourisme en France : l’enseignement du français à l’étranger. Dans tous les collèges et lycées étrangers, si les moyens le permettent, des voyages sont organisés pour permettre aux élèves de se familiariser avec la langue vivante qu’ils apprennent. Cela peut vous paraître dérisoire mais la promotion de la francophonie ou l’enseignement du français à l’étranger contribuent à amplifier les flux touristiques dans notre pays. Ils sont donc primordiaux pour notre attractivité. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons augmenté les crédits alloués à l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE).

Malgré vos inquiétudes, que je comprends en partie, Monsieur le rapporteur, le groupe La République en Marche est favorable à l’adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » concernant le tourisme.

M. Vincent Rolland. Je veux tout d’abord saluer l’excellence et surtout la pertinence du rapport de notre collègue.

Non, non et non ! Ne me dites pas que la France est le premier pays touristique au monde. C’est un mensonge, un concept marketing destiné à nous vendre l’idée que tout irait bien pour notre pays. Il ne faut pas confondre le nombre de visiteurs, en augmentation, et le chiffre d’affaires généré par le tourisme en France. Si l’on prend ce dernier critère, nous chutons de la première à la troisième marche du podium, ce qui est insatisfaisant.

Plus inquiétant encore, notre pays passe à côté de la croissance mondiale touristique, dont le rythme est autrement plus rapide que celui de l’augmentation du nombre de nos visiteurs et du chiffre d’affaires que nous en dégageons. La France serait-elle une belle endormie ? Peut-être bien. Elle jouit pourtant d’atouts précieux entre montagnes, chères à mon cœur, littoraux, campagnes, villes formidables, histoire et gastronomie remarquables.

Quels sont les problèmes ? Vous les avez rappelés : absence de programme budgétaire dédié, statistiques à la fiabilité faible, crédits proprement misérables au regard de l’importance de cette activité économique pour notre pays. Notre balance commerciale est encore largement excédentaire en matière de tourisme. Mais pour combien de temps ?

Vous avez souligné l’insuffisance des crédits consacrés à Atout France, qui est le seul organisme national de promotion touristique à l’étranger. Nous savons que 2,6 millions d’euros de crédits sont prévus pour accompagner le départ de certains collaborateurs. Va-t-on encore appauvrir cet opérateur ?

Je ne reviendrai pas sur la question des « lits froids » non prise en compte dans le budget ni sur la qualité de l’accueil réservé aux touristes ou encore sur le report de la mise en service du CDG-Express.

Le groupe Les Républicains suivra votre avis défavorable, monsieur le rapporteur.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Ayant été corapporteure d’une mission d’information sur le tourisme, présidée par mon collègue Vincent Rolland, je ne peux que souscrire à ses remarques sur notre économie touristique. Elle souffre d’un manque de lisibilité et nous avons milité pour que des clarifications soient faites afin que l’on saisisse mieux ce qu’elle représente. Cela doit commencer par les crédits qui lui sont dédiés. Si l’on cumulait toutes les sommes qui lui sont consacrées au niveau national, régional, départemental et intercommunal, on parviendrait à un montant tout à fait significatif.

Tout n’est d’ailleurs pas affaire de budget. Notre pays souffre d’une certaine réputation, avec un accueil peu sympathique et une propreté pas toujours au top…

Cela dit, le comité de filière du tourisme, créé dans le prolongement des travaux de la mission conduite par notre collègue Frédérique Lardet, contribuera à donner davantage de lisibilité à ce secteur économique et le comité interministériel du tourisme (CIT) agira pour mieux coordonner les actions. Ce n’est pas suffisant mais ce sont de premières étapes.

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés donnera un avis favorable à l’adoption des crédits de cette mission concernant le tourisme.

Mme Sylvia Pinel. Monsieur le rapporteur, je partage vos constats sur l’importance de l’industrie du tourisme dans notre pays, sujet qui m’est particulièrement cher.

Parmi les points positifs, notons les retombées économiques de la fréquentation touristique sur le PIB et les emplois directs ou indirects.

Quant aux points négatifs, pour les faire disparaître, nous devons nous mobiliser de manière plus unanime que par le passé : soyons tous des ambassadeurs de la marque « France », quels que soient nos territoires. Évitons la compétition à laquelle se livrent les régions – j’ai pu la mesurer dans une autre vie à l’occasion de salons internationaux.

Vous avez mis en exergue, Monsieur le rapporteur, le suivi budgétaire compliqué des crédits éparpillés entre diverses actions et programmes. Je regrette notamment qu’il n’y ait pas un ministère spécifique  au tourisme ; j’ai pu en éprouver la pertinence en d’autres temps. Certes, le tourisme a à voir avec l’influence de la France dans le monde et à ce titre, son rattachement au ministère des affaires étrangères – qui n’est pas une nouveauté de cette majorité – peut se comprendre, mais il ne faut pas oublier qu’il a aussi une dimension intérieure. Il apparaît nécessaire de mobiliser les professionnels du tourisme et de coordonner les actions des collectivités locales.

Je déplore comme vous la diminution des crédits alloués à Atout France. Nous savons tous la compétence et le sérieux de cet opérateur de l’État.

Ma première question porte sur le tourisme durable. Il existe une fracture territoriale entre zones très fréquentées et zones qui le sont beaucoup moins. La surfréquentation touristique dans certains territoires en vient à faire naître des conflits d’usage. Que préconisez-vous pour protéger l’environnement des sites sensibles ?

Vous avez évoqué l’e-tourisme et l’intermédiation. Je voudrais souligner l’émoi qu’a soulevé chez les professionnels la signature d’un protocole d’accord entre l’Association des maires ruraux de France et Airbnb. Notre législation est-elle suffisante pour protéger les professionnels du tourisme ?

Mme Frédérique Lardet. Monsieur le rapporteur, je regrette tout comme vous qu’aucun programme spécifique ne soit réservé au tourisme et que les crédits qui lui sont consacrés relèvent de treize missions différentes. Toutefois, il importe de rappeler que sa dimension profondément interministérielle contraint notre architecture budgétaire. Nous nous réjouissons d’autant plus du rôle que remplit le comité interministériel du tourisme (CIT), qui répond au besoin impérieux de coordination, et nous nous félicitons de la récente création de son bras armé, le comité de filière du tourisme, instance de concertation collective des acteurs du tourisme. Il permettra de formaliser les échanges entre branches en ce qui concerne l’emploi et la formation, formulera des avis à destination des pouvoirs publics, constituera un lieu d’échanges de bonnes pratiques et favorisera l’élaboration de plans d’action fondés sur les problématiques identifiées par les professionnels.

Dans votre rapport, vous considérez que la centralisation des compétences et des moyens budgétaires au ministère de l’Europe et des affaires étrangères tend à donner le sentiment que le tourisme est un simple volet de l’action extérieure de l’État et non un élément structurant de l’économie française. Selon moi, rien ne laisse penser que ce soit le cas.

Rappelons ici quelques chiffres. Quatre dépenses fiscales viennent soutenir les cafés, hôtels et restaurants (CHR) pour un total de 4 millions d’euros, ce qui montre notre volonté d’accompagner ce secteur déterminant pour le tourisme. Le CIT a fixé l’objectif de 15 milliards d’euros d’investissements touristiques par an d’ici à 2022 et a annoncé la création de France Tourisme Ingénierie. Ce dispositif doté d’un budget de 15 millions d’euros sur cinq ans, créé au sein d’Atout France avec le soutien de la Banque des territoires, vise à accélérer le rythme des investissements touristiques dans les territoires et développer les projets à haute valeur ajoutée. Cela montre qu’indépendamment des crédits budgétaires, il est possible de mener des actions pour développer le tourisme en France.

M. Éric Pauget. Beaucoup ont souligné la nécessité d’un ministère spécifique au tourisme : il serait bien plus cohérent qu’il y ait dans l’architecture gouvernementale un ministre délégué ou un secrétaire d’État au tourisme rattaché à Matignon, comme c’est le cas du CIT, plutôt qu’aux affaires étrangères.

Par ailleurs, pour préserver un tourisme de qualité, j’estime qu’on ne s’exonérera pas d’une réflexion sur le lien entre tourisme et impact écologique. Dans les Alpes-Maritimes, les populations acceptent de moins en moins le tourisme de masse alors même qu’elles en vivent. Les bateaux de croisière déversent des milliers de personnes sur nos côtes avec un impact environnemental très lourd car à la pollution des navires s’ajoute celle dégagée par les cars utilisés pour les excursions.

M. Éric Straumann, rapporteur pour avis. Je partage certaines de vos analyses sur l’attractivité et la mobilité. Si la fréquentation touristique est importante dans notre pays, c’est notamment en raison de la présence de l’aéroport Charles-de-Gaulle, porte d’entrée principale de notre pays. De petits efforts pour améliorer l’état de l’autoroute entre Roissy et Paris et les liaisons par RER contribueraient à rehausser l’image de la France à l’étranger.

Certains d’entre vous évoquaient les actions menées pour promouvoir la France à l’étranger. La volonté de conquérir les marchés émergents asiatiques correspondait à une démarche logique il y a une dizaine d’années, mais on a minoré l’importance du marché européen et du marché de proximité. En Alsace, on a tout simplement oublié les Allemands et nous avons attiré les touristes asiatiques jusqu’à souffrir d’un sur-tourisme. C’est ainsi que des touristes chinois viennent en bus par milliers à Colmar dans le seul but de voir le lieu de tournage d’une émission de téléréalité à succès…

S’agissant de la lisibilité, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il faut l’améliorer. Il n’y a pas forcément de cohérence dans les actions menées par les départements et les régions et même à l’intérieur d’une même région. On a ainsi dépensé 1,3 million d’euros pour faire la promotion des marchés de Noël alsaciens à New-York alors même qu’ils sont déjà si fréquentés qu’il faut aller en Allemagne ou à Belfort pour trouver un hôtel au moment où ils se tiennent. Comment voulez-vous dans ces conditions accueillir de nouveaux touristes ?

Quant aux plateformes hôtelières, je ne les critique pas : elles permettent d’irriguer l’ensemble du territoire. Les hôteliers qui pratiquent des prix adaptés, plutôt à la baisse, attirent la clientèle étrangère ailleurs que sur les points les plus touristiques. En outre, ces plateformes contribuent à la qualité de l’accueil grâce à leurs systèmes de notation. Si 40 % des appréciations sont fausses, 60 % reflètent une expérience réelle et elles poussent les hôteliers à améliorer leurs prestations.

Faut-il faire évoluer la législation face à Airbnb ? Les élus locaux nous disent qu’elle serait complexe à mettre en œuvre. Certaines villes ont pris des mesures pour limiter les transformations de logements en chambres d’hôtes, mais il faut peut-être attendre un ou deux ans pour avoir suffisamment de recul et mesurer les effets de cette réglementation.

Mme Valéria Faure-Muntian, présidente. Nous en venons à l’examen des amendements.

 

Article 38 et État B

 

La commission est saisie de l’amendement IICE85 du rapporteur pour avis.

M. Éric Straumann, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à rétablir les crédits alloués à Atout France au titre de sa subvention pour charges de service public. Cet opérateur, dont le travail est reconnu par tous les professionnels du tourisme, a un budget très faible par rapport à ses homologues espagnols, allemands ou suisses.

M. Vincent Rolland. J’espère que nous voterons tous ensemble en faveur de cet amendement important. Atout France a besoin de crédits supplémentaires pour assurer la promotion de notre tourisme. Nos concurrents étrangers déploient des moyens énormes. Il suffit de se rendre dans certains salons : la France donne l’impression d’être recroquevillée sur elle-même et écrasée par les autres destinations, au point qu’il devient parfois difficile de susciter des partenariats avec les agences régionales de tourisme et les territoires.

Je vous en conjure, mes chers collègues, votez cette augmentation de crédits.

M. Jean-Baptiste Moreau. Le groupe La République en Marche soutiendra cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Mme Valéria Faure-Muntian, présidente. La modification apportée par l’amendement vous conduit-elle à émettre un autre avis sur les crédits du tourisme, Monsieur le rapporteur ?

M. Éric Straumann, rapporteur pour avis. Pour tout vous dire, j’avais hésité à déposer cet amendement en me disant que cela allait nous faire perdre du temps. Compte tenu de la position de la majorité, mon avis sera favorable.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de la mission « Action extérieure de l’État » pour ce qui concerne le tourisme.

 

 


—  1  —

   Liste des personnes auditionnées

(par ordre alphabétique)

Airbnb France *

Mme Juliette Langlais, directrice des affaires publiques

Mme Sarah Prot, responsable affaires publiques

Mme Alexandra Kerjean, juriste

Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AhTOP) *

M. Serge Cachan, président

M. Quentin Michelon, délégué général

Booking.com

Mme Vanessa Heydorff, directrice pour la France, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni et l’Irlande

M. Alexis Darmois, directeur des affaires publiques pour la France, l’Espagne et le Portugal

Mme Clémentine Pinet, conseil de Booking.com (Euros Agency) *

Mme Mathilde Moch, conseil de Booking.com (Euros Agency) *

Direction générale des entreprises (DGE)

Mme Emma Delfau, sous-directrice du tourisme

M. Olivier Lacoste, chef du bureau compétitivité et développement des activités touristiques et adjoint à la sous-direction du tourisme

Direction de la diplomatie économique du Ministère de lEurope et des Affaires étrangères (MEAE)

M. Clément Laloux, chef de la mission tourisme

Groupement national des indépendants (GNI) *

M. Didier Chenet, président du GNI et du GNI-SYNHORCAT

M. Franck Trouet, directeur des relations parlementaires et de la communication

Syndicat national des résidences de tourisme (SNRT) *

Mme Pascale Roque, présidente

Mme Pascale Jallet, déléguée générale

M. François Sabatino, administrateur

M. Emmanuel Fatout, trésorier

Union des métiers et des industries de lhôtellerie (UMIH) *

M. Laurent Duc, président de la branche hôtellerie

M. Jean-Virgile Crance, président du groupement national des chaînes

Mme Julie Besse, directrice juridique et des affaires réglementaires et européennes

Mme Ophélie Rota, directrice de la communication et des relations institutionnelles

Union nationale pour la promotion de la location de vacances (UNPLV) *

M. Thimotée de Roux, président de l’UNPLV, directeur général d’HomeAway

M. Philippe Bauer, directeur des affaires publiques France d’Expedia

Mme Dorothée Dayrault-Jullian, conseil de l’UNPLV

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*  Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants dintérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants dintérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

liste des contributions écrites reçues

Atout France


([1]) Agrégation de toutes les dépenses tirées de l’activité touristique : hébergement, restauration, transports non urbains, etc.

([2]) Deprez-Audebert (Marguerite) et Martin (Didier), députés, rapport d’information sur le tourisme, 24 juillet 2019, n° 2190

([3]) Données communiquées à votre rapporteur par la direction générale du Trésor

([4]) Données communiquées à votre rapporteur par Atout France

([5]) Le 4 pages de la DGE n° 88 juillet 2019, Plus de 89 millions de touristes étrangers en France en 2018

([6]) Cazeneuve (Jean-René) et Lescure (Roland), députés, rapport sur les coûts économiques, sociaux et budgétaires des blocages, violences et dégradations commis en marge du mouvement des « gilets jaunes », 17 juillet 2019

([7]) Audition de Mme Mme Emma Delfau et de M. Olivier Lacoste, le 24 septembre 2019

([8]) Bonnivard (Émilie), députée, annexe n° 2 « action extérieure : tourisme » au rapport n° 1990 de M. Joël Giraud sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018 (n° 1947)

([9]) Chiffre communiqué par Atout France à votre rapporteur

([10]) Chiffres transmis à votre rapporteur par le DGE

([11]) Audition de Mmes Juliette Langlais, directrice des affaires publiques d’Airbnb France, Sarah Prot, responsable affaires publiques et Alexandra Kerjean, juriste au sein d’Airbnb, le mercredi 2 octobre 2019

([12]) Chiffres issus du rapport de Mmes Viviane Artigalas et Patricia Morhet-Richaud, sénatrices, Airbnb, Booking... : pour une régulation équilibrée et efficace, p. 23

([13]) Chiffres issus du rapport de Mmes Viviane Artigalas et Patricia Morhet-Richaud précité

([14]) Audition de Mmes Vanessa Heydorff, Clémentine Pinet, Mathilde Moch et M. Alexis Darmois, le 10 octobre 2019

([15]) Audition de MM. Laurent Duc, Jean-Virgile Crance et MMes Julie Besse et Ophélie Rota, le 25 septembre 2019

([16]) Ces chiffres sont issus de l’étude La distribution européenne des hôtels publiée en 2018 par l’HOTREC, association regroupant les syndicats hôteliers européens

([17]) Audition de MM. Timothée de Roux, Philippe Bauer et Mme Kaïssa Brennemann, le mercredi 2 octobre 2019

([18]) Audition de Mmes Pascale Roque et Pascale Jallet et MM. François Sabatino et Emmanuel Fatout, le 10 octobre 2019

([19]) Bonnivard (Émilie), députée, annexe n° 2 « action extérieure : tourisme » au rapport n° 1990 de M. Joël Giraud sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018 (n° 1947)