N° 2303

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

TOME IX

 

PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN

 

 

PAR M. Pascal BRINDEAU

Député

——

 

 

 

 

 

 

 Voir le numéro : 2301.

 


 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. une participation française stable À un budget européen contraint

A. un projet de budget sinscrivant dans un contexte incertain

1. Les prémices dune nouvelle crise économique ?

2. Le flou persistant autour du Brexit

B. un prÉlÈvement sur recettes estimÉ À 21,3 milliards deuros, prévision encore soumise à des incertitudes

1. Le projet de budget 2020 en expansion

2. La contribution française stable mais encore soumise à aléas

II. Des propositions de la commission pour le prochain cadre financier pluriannuel À affiner

A. Une augmentation probable de la contribution franÇaise

1. Le cadre financier pluriannuel dans un contexte contraint, mais avec de nouvelles priorités

2. La contribution française nécessairement en progression après le retrait du Royaume-Uni

3. Les suites du rapport Monti toujours suspendues au retrait du Royaume-Uni et à un accord sur les nouvelles ressources propres

B. des propositions de recettes intÉressantes mais encore insuffisantes

1. Lindispensable suppression des rabais

2. La nécessaire modernisation des ressources propres

a. Ladaptation des ressources propres existantes : un pas dans la bonne direction

b. Lintroduction de trois nouvelles ressources propres proposée par la Commission européenne

c. La réflexion sur la taxation des activités numériques, saisir loccasion de laccord « Macron-Trump » au G7 de Biarritz

d. Le relèvement du plafond des ressources propres

C. Des réponses aux nouveaux défis sans négliger les politiques traditionnelles

1. Les nouvelles priorités correspondant aux défis de demain

2. Le caractère perfectible de laction en faveur du climat et de la biodiversité

3. Les politiques traditionnelles à ne pas négliger

a. Refuser une baisse destinée à la politique agricole commune (PAC) inacceptable

b. Rejeter une réduction des fonds structurels inappropriée à lheure de la montée des populismes et du sentiment anti-européen

c. Revoir les propositions relatives aux corridors maritimes

d. Mieux utiliser le Fonds européen dajustement à la mondialisation

4. La maîtrise insuffisante des dépenses administratives de lUnion européenne

5. La meilleure lisibilité du budget

6. La consolidation nécessaire lUnion économique et monétaire pour soutenir la croissance et faire face aux crises économiques et financières

III. un calendrier encore incertain À un an de lentrÉe en vigueur thÉorique

A. Des nÉgociations longues et difficiles

B. Une synchronisation attendue du cadre financier avec le cycle politique des institutions européennes

conclusion

CONTRIBUTION DE M. JEAN-LUC MÉLENCHON AU NOM DU GROUPE LA France INSOUMISE

EXAMEN EN COMMISSION


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   introduction

La commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis de l’article 36 du présent projet de loi de finances pour 2020 qui évalue le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne (PSR‑UE) à 21,33 milliards d’euros.

Le budget 2020 sera le septième et dernier de l’actuel cadre financier pluriannuel (CFP) pour 2014-2020. Il se place, dans une large mesure, dans la continuité des précédents.

Les travaux pour l’élaboration du prochain CFP ont commencé. La Commission européenne a présenté le 2 mai 2018 des propositions pour un nouveau cadre qui couvrira la période 2021-2027, notamment en simplifiant le système existant et en diversifiant les sources de recettes. La proposition de réforme du système des ressources propres comprend un « panier » de nouvelles ressources propres, ce dont se félicite votre rapporteur.

En effet, au lendemain d’élections européennes dont les résultats interpellent les responsables politiques nationaux et européens, tant la fragmentation des forces politiques et l’arrivée massive d’élus ouvertement anti-européens ont encore pris encore de l’ampleur, il devient urgent, à la faveur du renouvellement des instances dirigeantes de l’Union européenne, d’aboutir à la modernisation du budget européen, de ses ressources et de la réorientation de ses dépenses vers le soutien à l’activité. Car les sujets budgétaires ne sont pas uniquement des sujets techniques, qu’ils conviendraient de laisser aux techniciens mais bien des sujets éminemment politiques qui engagent la crédibilité de l’Union et sa légitimité aux yeux des peuples.

Parallèlement, le traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, dit traité d’Aix-la-Chapelle, dont nous avons autorisé la ratification le 3 octobre dernier, témoigne de la volonté du couple franco-allemand de faire progresser le projet européen et de soutenir une Europe démocratique, compétitive, prospère, défendant son modèle économique et social. C’est un levier nouveau de dynamisation du projet européen auquel il convient de donner toute sa portée.

À la faveur des remarques ci-après, votre rapporteur se prononce en faveur de l’adoption de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020.


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I.   une participation française stable À un budget européen contraint

A.   un projet de budget s’inscrivant dans un contexte incertain

L’exécution du budget 2020 aura lieu dans un contexte particulier, avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, prévu pour le 31 octobre 2019, et l’installation d’une nouvelle Commission, prévue le 1er novembre 2019.

Le projet de budget 2020 est le dernier du CFP portant sur les années 2014-2020 qui prévoit un plafond de dépenses de 1 027 milliards d’euros de crédits de paiement sur les sept années. Il est bâti sur les prévisions de recettes et de dépenses ainsi que sur les reports de crédits 2019. Au total, le projet de budget de la Commission prévoit un montant de 167,8 milliards d’euros en crédits d’engagement et de 153,2 milliards d’euros en crédits de paiement. Cela représente, par rapport au budget voté en 2019, une augmentation de 0,6 % pour les crédits d’engagement et de 3,3 % pour les crédits de paiement.

Les recettes reposent sur les données prévisionnelles de la Commission européenne, issues du comité consultatif des ressources propres qui s’est réuni à Bruxelles en mai 2019. Comme chaque année, ces données feront l’objet d’une réévaluation en mai de l’année prochaine.

1.   Les prémices d’une nouvelle crise économique ?

L’économie mondiale connaît depuis près d’un an un ralentissement marqué qui touche à titre principal l’Union européenne, la Chine et certains pays émergents comme le Brésil. Les États-Unis, où la croissance est restée soutenue jusqu’à la mi-mai 2019, voient leur climat des affaires se dégrader. Les prémices d’une nouvelle crise économique d’ampleur semblent s’accumuler. Ces ralentissements ont particulièrement touché l’industrie, qui a été affectée de surcroît par la mise en place de mesures protectionnistes.

La croissance de la zone euro a fléchi à 1,2 % en glissement annuel au deuxième trimestre 2019 contre 2,3 % un an auparavant. Le ralentissement a surtout touché l’Allemagne et son modèle exportateur assis sur l’industrie (+ 0,4 %) ainsi que l’Italie (– 0,1 %) qui a du mal à rétablir la confiance, notamment du fait de sa vie politique erratique. Elle a moins touché la France (+ 1,4 %), tandis que l’Espagne récolte enfin les fruits de ses efforts (+ 2,1 %).

Les incertitudes encore nombreuses – retrait du Royaume-Uni avec ou sans accord, nouvelles hausses des tarifs douaniers aux États-Unis, tensions géopolitiques au Moyen-Orient avec leurs conséquences sur le prix du baril de pétrole – sont porteuses de risques majeurs pour la croissance et la stabilité de la zone euro.

Le ralentissement de l’activité dans la zone euro a néanmoins été atténué par une orientation budgétaire légèrement expansive, le maintien d’une politique monétaire accommodante et par la dépréciation de l’euro face au dollar.

Évidemment, nous sommes encore loin d’un policy mix ([1]) suffisant et efficace, capable de faire face aux conséquences d’éventuelles crises et de soutenir la croissance économique. Le budget européen est encore bien trop modeste pour pouvoir jouer ce rôle.

2.   Le flou persistant autour du Brexit

Le Royaume-Uni est, derrière l’Allemagne, le deuxième contributeur net du budget de l’Union européenne. En effet, le rapport financier annuel de la Commission européenne fait apparaître une contribution nette britannique de 7,5 milliards d’euros pour la période 2012-2016.

À cette perte de recettes qui résulterait du retrait du Royaume-Uni, s’ajoute un montant de 3 milliards d’euros de droits de douane perçus par la partie britannique. La perte totale de recettes, par conséquent, s’élèverait à plus de 10 milliards d’euros.

Dès le début des négociations sur le Brexit, l’Union européenne par la voix de son négociateur Michel Barnier, a confirmé que la partie britannique se devrait d’honorer ses engagements financiers concernant le CFP 2014-2020, cadre financier auquel se rattache le budget 2020. Cette hypothèse est évidemment soumise à un accord de retrait de l’Union européenne. En revanche, plusieurs expressions publiques britanniques ont laissé entendre qu’ils « ne paieraient pas » en cas de « no deal », c’est-à-dire de retrait sans accord.

Les incertitudes liées aux modalités de la contribution britannique sont encore plus prégnantes pour la période qui va au-delà de 2020. Elles seraient levées dès lors qu’un accord Royaume-Uni - Union européenne destiné à régler de façon pérenne leurs relations futures pourraient être trouvé.

La question de la participation du Royaume-Uni aux différents programmes européens devra être réglée à cette occasion. Sur le plan budgétaire, la participation des États tiers à un programme européen est comptabilisée comme une recette affectée, qui n’est pas incluse dans le budget européen. Il ne devrait donc pas y avoir d’impact sur le financement du prochain CFP.

La France souhaite néanmoins que des garde-fous soient mis en place, afin de s’assurer que, sur chacun des programmes, les retours vers un État tiers ne soient pas supérieurs à la contribution versée par celui-ci. Il s’agirait d’éviter les effets d’aubaine, grâce à un mécanisme automatique, dont les instruments restent à définir juridiquement.

B.   un prÉlÈvement sur recettes estimÉ À 21,3 milliards d’euros, prévision encore soumise à des incertitudes

1.   Le projet de budget 2020 en expansion

Le 5 juin 2019, la Commission européenne a présenté son projet de budget pour 2020 qui poursuit les priorités définies par le cadre financier qui s’achève, à savoir l’emploi, la croissance, la jeunesse, le changement climatique et la sécurité.

Les hausses de crédits prévues concernent au premier chef le programme de recherche Horizon 2020 et les programmes spatiaux, ainsi que les moyens alloués au Fonds européen de défense et à l’Agence européenne des garde-côtes et garde-frontières (Frontex) afin de constituer un corps permanent de 10 000 garde-frontières d’ici 2027.

L’estimation des dépenses est fondée sur une hypothèse relative au besoin de financement de l’Union européenne, au regard des discussions budgétaires inter-institutionnelles en cours. En effet, après la présentation par la Commission européenne de son projet de budget pour 2020, le Conseil a fixé sa position le 3 septembre 2019 en réduisant notamment les engagements de 1,5 milliard d’euros par rapport au projet de la Commission. Les États membres ont insisté sur la prudence et la discipline budgétaires. Ils veulent ménager une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour permettre à l’Union européenne de réagir aux imprévus telles que des catastrophes naturelles ou des crises humanitaires.

Le Parlement européen devrait adopter ses amendements à la position du Conseil le 23 octobre, ce qui ouvrira une période de conciliation de trois semaines, qui débutera le 29 octobre et prendra fin le 18 novembre. Ce processus de conciliation a pour objectif l’obtention d’un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur le budget 2020 de l’Union. Ce n’est qu’à l’issue de cette phase que les prévisions de dépenses seront connues avec certitude, ce qui pourra éventuellement amener le gouvernement à réviser l’estimation de prélèvement sur recettes pour l’Union européenne présentée dans le projet de loi de finances pour 2020.

Le tableau suivant présente les dépenses inscrites au projet de budget 2020.

TABLEAU COMPARATIF DU BUDGET 2019 ET DU BUDGET 2020

(en millions d’euros)

Rubrique

Budget 2019

Projet Budget 2020 Commission

Position du Conseil - Budget 2020

Écart Position Conseil/Budget 2019

CE

CP

CE

CP

CE

CP

CE

CP

Rubrique 1a Compétitivité pour la croissance et lemploi

23 435

20 552

24 716

22 109

23 969

22 004

+ 2,3 %

+ 7,2 %

Rubrique 1b Cohésion économique sociale et territoriale

57 192

47 035

58 612

50 042

58 470

50 007

+ 2,2 %

+ 6,3 %

Rubrique 2 Croissance durable : ressources naturelles

59 642

57 400

59 995

58 014

59 751

57 774

+ 0,2 %

+ 0,7 %

Rubrique 3 Sécurité et citoyenneté

3 787

3 527

3 729

3 724

3 603

3 689

-4,9 %

+ 4,6 %

Rubrique 4
Europe dans le monde

11 319

9 358

10 308

8 986

10 114

8 946

-10,6 %

-4,4 %

Rubrique 5 Dépenses administratives

9 943

9 945

10 324

10 327

10 269

10 272

+ 3,3 %

+ 3,3 %

Total hors instruments spéciaux

165 318

147 787

167 684

153 202

166 176

152 693

+ 0,5 %

+ 3,5 %

Source : annexe budgétaire au présent projet de loi de finances pour 2020, Relations financières avec lUnion européenne.

Ce projet appelle plusieurs remarques :

– votre rapporteur se félicite de l’augmentation des dotations des rubriques 1a et 1b qui traduit une montée en puissance des programmes Horizon 2020 (+ 6,4 %), EGNOS et Galileo (+ 75 %) et du programme COSME (+ 12,5 %), fondamentaux pour l’indépendance technologique de l’Union européenne ;

– la baisse des crédits de la rubrique 4 s’explique notamment par l’arrêt de la seconde tranche de la facilité pour les réfugiés en Turquie ;

– votre rapporteur reviendra enfin sur l’augmentation des dépenses administratives inscrites dans le budget 2020, alors que les chefs d’États et de gouvernement s’étaient entendus sur un objectif de réduction des effectifs de l’ordre de 5 % entre 2013 et 2017. Il ne saurait être question de rattraper les embauches qui n’ont pas été effectuées durant cette période.

2.   La contribution française stable mais encore soumise à aléas

Sur la base de cette proposition, il est fait l’hypothèse, pour la France, d’un prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne de 21,337 milliards d’euros pour 2020, ce qui correspond à une quasi-stabilité par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 où 21,443 milliards d’euros étaient inscrits. Il est à noter que le PSR-UE pour 2019 devrait in fine être diminué de 249 millions d’euros à la suite de l’adoption de quatre budgets rectificatifs pour 2019 ([2]).

Les hypothèses de solde reporté de 2019 à 2020, sachant que l’exécution du PSR-UE 2019 dépend des budgets rectificatifs et reste difficile à prévoir à ce stade, ainsi que les modifications qui seront apportées au projet de budget 2020 en cours d’adoption et les rectifications en cours d’exécution, conduiront mécaniquement à de légères évolutions du PSR-UE de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros.

Le tableau ci-après illustre la ventilation du prélèvement en 2020 entre ces différentes composantes :

VENTILATION DU PRÉLÈVEMENT EN 2019 ET 2020

(en millions deuros)

Ressource

2019

2020

Ressource taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

4 757

4 771

Dont correction britannique

1 421

1 344

Ressource revenu national brut (RNB)

16 437

16 566

Prélèvement total

21 194

21 337

Source : annexe relative aux Évolutions des voies et moyens pour 2020.

Comme le précise l’annexe budgétaire (« jaune ») au présent projet de loi de finances relative aux Relations financières avec lUnion européenne », la contribution française au budget de l’Union européenne est en progression tendancielle depuis plus de vingt ans et sa part s’accroît dans les recettes fiscales nettes de l’État. Le montant de celle-ci, constituée du prélèvement sur recettes et des ressources propres traditionnelles nettes des frais d’assiette et de perception, a été multiplié par cinq en valeur entre 1982 et 2019, passant de 4,1 milliards d’euros en 1982 à 21,5 milliards d’euros en 2019 à périmètre constant et à 21,3 milliards d’euros en 2020.

Ce prélèvement est souvent perçu comme un coût pour les budgets nationaux, alors que ceux-ci ont pour objectif le contrôle de leur déficit. Votre rapporteur souligne à cet égard que le financement de l’Union européenne n’est pas satisfaisant, dans la mesure où le Parlement européen se prononce sur les dépenses, alors qu’il revient aux Parlements nationaux de se prononcer sur les contributions nationales. Elles peuvent être, de ce fait, mal acceptées.

Or, il ne faut pas se contenter de mesurer le solde net des contributions qu’un État verse à l’Union européenne et se limiter à la logique du « juste retour » qui donne une vision incomplète du fonctionnement du budget européen. L’approche par la valeur ajoutée européenne doit être retenue, ce que propose la Commission dans son projet de nouveau cadre financier.


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II.   Des propositions de la commission pour le prochain cadre financier pluriannuel À affiner

A.   Une augmentation probable de la contribution franÇaise

1.   Le cadre financier pluriannuel dans un contexte contraint, mais avec de nouvelles priorités

La proposition de CFP 2021-2027 et de décision sur les ressources propres a été rendue publique par la Commission européenne le 2 mai 2018. Celle-ci s’inscrit dans le contexte budgétaire contraint du fait du retrait de l’Union du Royaume-Uni, le troisième contributeur net au budget de l’Union européenne.

La commission a pour objectif :

– de traduire dans le budget les nouvelles priorités de l’Union et les défis auxquels elle doit faire face, en plus des politiques traditionnelles que sont la politique agricole commune (PAC) et la cohésion ;

– de moderniser le budget de l’Union afin de le simplifier, de le rendre plus transparent, plus flexible et donc plus performant. Celui-ci doit en outre traduire une réelle « valeur ajoutée européenne ».

La Commission propose un CFP de 1 279 milliards d’euros en engagements sur la période 2021-2027, soit 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l’Union européenne à vingt-sept membres, ce qui revient globalement à maintenir l’effort par rapport au CFP actuel (1,13 % du RNB de l’Union à vingt-sept) malgré le départ du Royaume-Uni (lequel entraînerait en tendance une perte annuelle comprise entre 12 et 14 milliards d’euros).

Le cadre financier est le suivant :

Proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 – à périmètre courant

(crédits d’engagement en milliards d’euros)

Politique

Montant

Marché unique, innovation et numérique :

187,37

Cohésions et valeurs

442,41

dont cohésion économique, sociale et territoriale

372,99

Ressources naturelles et environnement

378,92

dont dépenses liées au marché et paiements directs

286,19

Migration et gestion des frontières

34,90

Sécurité et défense

27,56

Voisinage et le monde

123

Administration publique européenne

85,28

Total des crédits dengagement (en pourcentage du RNB)

1 279 (1,11 %)

Total des crédits de paiement (en pourcentage du RNB)

1 246 (1,08 %)

Source : Commission européenne.

2.   La contribution française nécessairement en progression après le retrait du Royaume-Uni

Le prochain cadre financier devrait être le premier après le retrait du Royaume-Uni, dont le départ représente une perte de recettes nettes d’environ 10 milliards d’euros. Le maintien de l’effort global par rapport au précédent cadre se traduira par conséquent mécaniquement par une augmentation très substantielle de la contribution des plus gros contributeurs, dont la France.

Compte tenu de la faible probabilité d’adoption des ressources propres et notamment celle issu de l’assiette harmonisée d’impôt sur les sociétés, l’ajustement devrait encore pour un certain nombre d’années s’opérer par le biais de la ressource fondée sur le RNB.

Dans ce cas, l’augmentation prévue en moyenne annuelle de la contribution française serait de l’ordre de 6,3 milliards d’euros, soit plus de + 30 % par rapport au CFP 2014-2020. Cette estimation tient compte de l’augmentation du volume global de dépenses proposé par la Commission.

Toutefois, cette estimation ne tient pas compte des futures relations financières entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et de la contribution de ce pays aux financements de certains programmes auxquels il continuera d’être partie.

3.   Les suites du rapport Monti toujours suspendues au retrait du Royaume-Uni et à un accord sur les nouvelles ressources propres

La Commission, dans le cadre des travaux préparatoires au CFP 2014-2020 avait présenté, en 2011, des propositions pour une réforme des ressources propres de l’Union. Mais les négociations trilatérales avec le Conseil et le Parlement n’avaient abouti qu’à des modifications mineures. Il avait cependant été décidé de créer à ce sujet un groupe de travail de haut niveau. La modernisation du volet recettes s’appuie de ce fait sur les recommandations formulées par le groupe de travail sur le « financement futur de l’Union européenne » présidé par M. Mario Monti. Son rapport, rendu en 2016, affirme que la réforme du financement du budget de l’Union ne doit pas alourdir la charge fiscale globale du contribuable européen.

La France, en tant que contributeur majeur au budget européen soucieux de maîtriser les dépenses publiques, est prête à un budget à vingt-sept en expansion mais sous plusieurs conditions :

– une modernisation des politiques dans une optique d’efficacité et de convergence ;

– la mise en œuvre de nouvelles ressources propres ;

– la suppression des rabais sous toutes leurs formes dès 2021 dans un souci de transparence et d’équité ;

– l’instauration de conditionnalités dans l’accès aux fonds de solidarité de l’Union.

Le départ du Royaume-Uni donne en effet l’occasion historique de réformer le système des ressources propres et de mettre un terme au système de corrections financières (les rabais) qui contrevient au principe de solidarité budgétaire.

B.   des propositions de recettes intÉressantes mais encore insuffisantes

1.   L’indispensable suppression des rabais

Depuis le sommet européen de Fontainebleau en 1984, Le Royaume-Uni a obtenu d’être remboursé à hauteur de 66 % de la différence entre sa contribution et ce qu’il reçoit en retour du budget. Le coût en est réparti entre les États membres proportionnellement à leur contribution calculée en fonction du revenu national brut, la France étant le premier contributeur au financement de ce rabais, pour un quart environ.

D’autres mécanismes de correction ont été mis en place depuis 2002, certains pays bénéficient d’un « rabais sur le rabais ». En effet, le coût de la correction britannique est limité à 25 % de sa valeur pour certains pays dont la charge a été estimée excessive : l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède, ce qui accroît la charge des autres États membres au prorata de leur part dans le RNB de l’Union et, notamment, pour la France. Par la suite, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Autriche ont également obtenu des réductions forfaitaires de leurs versements annuels de ressources RNB.

En outre, alors que le taux d’appel de droit commun de la ressource TVA est fixé à 0,30 %, certains États membres, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, ont obtenu un taux réduit de 0,15 %.

Il en résulte donc un système particulièrement complexe, illisible et inéquitable, notamment pour la France, qu’il convient de remettre à plat. Le montant total des rabais, sans prendre en compte le rabais britannique, représente un montant annuel de 5 milliards d’euros par an.

Profitant du retrait du Royaume-Uni de l’Union, la Commission propose de supprimer toutes corrections apportées au volet « recettes » du budget et de ramener de 20 % à 10 % le montant que les États conservent lorsqu’ils perçoivent les droits de douane pour le budget de l’Union.

Mais cette suppression apparaissant trop brutale, la Commission a proposé des réductions forfaitaires à leurs contributions fondées sur le RNB, qui seront progressivement supprimées sur une période de cinq ans et disparaîtront en 2026 au plus tard.

Pour la France, pays contributeur net supportant la plus grosse charge du « rabais » britannique et ne bénéficiant d’aucune correction, la suppression de tout mécanisme de correction doit disparaître le plus rapidement possible après le retrait de l’Union du Royaume-Uni. Votre rapporteur soutient la suppression la plus rapide possible.

2.   La nécessaire modernisation des ressources propres

Le budget de lUnion est financé à 99 % par des ressources propres, soit des recettes qui reviennent en propre à lUnion sans que les États puissent sy opposer, et dont la définition et le versement font lobjet dune « décision relative au système des ressources propres » ratifiée par les États membres ([3]). Les recettes annuelles doivent couvrir complètement les dépenses annuelles, lUnion ne pouvant se financer par lemprunt.

Les ressources propres sont de deux ordres :

­ Les « ressources propres traditionnelles », soit les droits de douane et les cotisations sur le sucre (20,1 milliards deuros en 2016, représentant 14 % des recettes), perçues auprès des opérateurs économiques par les États membres pour le compte de lUnion ;

 Les ressources faisant lobjet dun prélèvement sur recettes des États membres, soit :

● une ressource propre constituée dun pourcentage du revenu estimatif de TVA des États membres (15,9 milliards deuros en 2016, soit 11,1 % des recettes totales) ;

● une ressource propre fondée sur un pourcentage fixe du revenu national brut (RNB) des États membres (95,6 milliards deuros en 2016, soit 66,6 % des recettes totales, en constante augmentation).

Cette dernière ressource fondée, si elle était, à lorigine, conçue comme une recette déquilibrage, en est venue à jouer un rôle essentiel à mesure que le produit des droits de douane diminuait. Elle représente 71 % du budget 2018 au lieu de 41 % vingt ans plus tôt. En outre, si elle est calculée en fonction du poids économique de chaque État dans lUnion et si, en cela, elle représente une ressource particulièrement équitable, elle ne lest que dans la limite du système des rabais octroyés à certains États. Par ailleurs, chaque État, souhaitant légitimement « en avoir pour son argent », recherche un juste retour. Mais ce financement éloigne lUnion européenne de ce que doit être une véritable union, où la dimension de transfert des régions riches vers les régions moins aisées est essentielle.

Dans le cadre du train de mesures relatives au CFP présenté en mai 2018, la Commission a proposé de moderniser le financement du budget de l’Union européenne, en simplifiant les ressources propres existantes et en diversifiant les sources de recettes.

a.   L’adaptation des ressources propres existantes : un pas dans la bonne direction

La France salue la proposition de la Commission d’abaisser le taux des frais de perception sur les droits de douane de 20 % à 10 %, afin qu’ils correspondent mieux aux coûts réels de collecte, même si les droits de douane ne représentant plus que 15 % des ressources, le gain demeure marginal.

S’agissant de la ressource TVA, la France note avec intérêt la volonté de simplification de la Commission mais considère qu’il convient d’être plus ambitieux, en supprimant cette ressource qui a peu de lien avec les politiques de l’Union et qui demeure trop complexe. Du fait des différentiels de taux de contribution, la suppression de cette ressource conduirait à une diminution de 100 millions d’euros de la contribution française en moyenne annuelle, selon les estimations de la direction du budget.

b.   L’introduction de trois nouvelles ressources propres proposée par la Commission européenne

Dans la résolution du 14 mars 2018, le Parlement européen a insisté notamment sur lobjectif double que devrait avoir la réforme du système des ressources propres, à savoir de parvenir à une réduction substantielle  de lordre de 40 %  de la part des contributions fondées sur le RNB des États membres, tout en couvrant le manque à gagner résultant du retrait du Royaume-Uni. Aucune augmentation de la pression fiscale globale ne devrait peser sur le contribuable européen à la suite de cette réforme.

Votre rapporteur appuie cet objectif dès lors quil permettra, dune part, de réaliser des économies dans les budgets des États membres, qui pourront en même temps baisser les prélèvements obligatoires et réduire leur déficit budgétaire, et, dautre part, de déconnecter le budget européen dun financement trop direct des États membres pour en faire un véritable outil communautaire.

Cependant, le budget européen doit également permettre le financement dun niveau plus élevé de dépenses de lUnion dans le cadre du CFP après 2020. Il est donc impératif dinventer de nouvelles ressources propres.

La Commission européenne a proposé dinstaurer trois nouvelles ressources plus vertueuses car assises sur la pollution plutôt que sur le travail ou la consommation. Les assiettes imposables et les taux ont été calibrés de telle sorte que, pour le prochain CPF, le produit de ces nouvelles ressources représente 12 % du budget européen. Il est permis cependant de douter que lobjectif puisse être atteint dès lannée 2021 dès lors que la mise en place de ces nouvelles ressources pourrait prendre plusieurs années.

Ces contributions seront :

 la contribution sur les déchets plastiques : cette contribution serait directement proportionnelle à la quantité de déchets demballages en plastique non recyclés produits dans chaque État membre et déclarée chaque année à lorganisme européen de statistiques Eurostat. Les contributions des États membres seraient calculées par lapplication à cette quantité dun taux dappel de 0,80 euro/kg, ce qui pourrait rapporter quelque 7 milliards deuros par an. Elle inciterait les États membres à réduire ces flux de déchets et à contribuer ainsi à la réalisation des objectifs de la stratégie sur les matières plastiques et de léconomie circulaire.

Votre rapporteur salue une ressource qui sinscrit parfaitement dans le double objectif de donner des ressources propres à lUnion corrélées dun financement direct des États membres et de lutter contre la pollution, notamment par les matières plastiques. Comme toute fiscalité à visée écologique, elle tend cependant à orienter les comportements et atteint son efficacité ultime lorsque son produit devient nul avec la disparition de son assiette. Il salue donc dune ressource vertueuse mais souligne que sa pérennité est sujette à caution ;

 lassiette commune consolidée sur limpôt sur les sociétés (ACCIS) : il sagit dune ressource propre fondée sur limpôt sur les sociétés. Cette ressource serait prélevée en contrepartie des avantages procurés par le marché unique. Si les écarts de taux dimposition entre États membres ne sont pas un obstacle majeur à une ressource propre fondée sur limpôt sur les sociétés, labsence dassiette harmonisée de cet impôt avait jusquà présent empêché lUnion européenne de prendre des mesures spécifiques en la matière. Si elles étaient adoptées, les propositions de la Commission de 2016 concernant une assiette commune pour limpôt sur les sociétés et une assiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés permettraient néanmoins dinstaurer un système harmonisé dimposition des sociétés qui jetterait les fondements dune nouvelle ressource propre équitable et transparente par la consolidation et la répartition de lassiette imposable. La proposition de décision de la Commission prévoit quà raison dun taux dappel de 3 % pour lUnion, lassiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés pourrait rapporter en moyenne quelque 12 milliards deuros par an sur la période.

Votre rapporteur soutient bien évidemment cette proposition qui repose sur un avantage procuré aux entreprises par lUnion. En outre, le rapprochement des différentes assiettes de limpôt sur les sociétés est un premier pas vers une harmonisation de cet impôt dont les taux particulièrement disparates autorisent une concurrence fiscale dommageable pour lensemble des économies européennes et dont ne profitent que les grands groupes dans leur stratégie doptimisation fiscale. Il est néanmoins fort peu probable que cette contribution voit le jour dans un avenir prévisible du fait de la nécessaire unanimité requise au Conseil en matière fiscale ;

 la contribution ETS (pour Emission Trading Scheme en anglais) : avec son système déchange de quotas démission, lUnion a créé un instrument commun de lutte contre le changement climatique. Ce système déchange de quotas démission sinscrit dans le cadre des objectifs communs en matière de climat, des stratégies datténuation et des engagements internationaux. Il est harmonisé au niveau de lUnion et les recettes vont pour lheure aux budgets nationaux. La proposition consiste à allouer une part de 20 % de ces recettes au budget de lUnion. Selon les prévisions, les recettes moyennes pourraient varier de 1,2 à 3 milliards deuros par an en fonction du prix du marché pour les quotas du système déchange de lUnion, mais aussi du volume annuel de quotas mis aux enchères, lui-même corrélé au cycle économique.

Votre rapporteur soutient là aussi une ressource liée à un mécanisme mis en place par lUnion et à la priorité absolue quest la défense de lenvironnement. De plus, elle est parfaitement réalisable dès lors que le marché des droits à polluer existe déjà. La seule incertitude concerne le prix de la tonne de dioxyde de carbone et de son évolution.

En définitive, votre rapporteur soutient les efforts de la Commission visant à doter lUnion européenne de ressources propres, stables, dynamiques et communautarisées. Dans cette optique, il soutiendra toutes les propositions relatives au passage de lunanimité à la majorité qualifiée en matière de fiscalité. En effet, les négociations, notamment sur la mise en place dune taxe sur le chiffre daffaires des grandes entreprises du numérique dont le produit pourrait venir abonder le budget de lUnion européen, butent sur lopposition de quelques pays qui refusent de sengager dans une coopération plus étroite en matière de fiscalité, et parviennent à créer une inertie difficilement surmontable. À ce titre, la même observation sapplique dun CFP à lautre : léchec à mettre en œuvre de nouvelles ressources propres appuyées sur une fiscalité communautarisée risque de se répéter.

c.   La réflexion sur la taxation des activités numériques, saisir l’occasion de l’accord « Macron-Trump » au G7 de Biarritz

Dans la réflexion relative aux ressources propres, votre rapporteur souhaite que ces ressources propres soient complétées par la taxe intérimaire sur les activités numériques, afin de restaurer une certaine équité dans la fiscalité des entreprises au niveau européen. Il est indispensable de combler l’écart très important existant aujourd’hui entre la faible taxation des activités numériques et la valeur ajoutée très élevée qu’elles génèrent.

En effet, les grandes entreprises du numérique profitent largement de ces écarts pour minorer leurs impôts. Si les multinationales de léconomie digitale opèrent dans des secteurs différents, elles ont la particularité commune de proposer leurs services sur internet, ce qui leur permet de localiser leur siège social, et par conséquent leurs bénéfices, dans un pays différent de celui où se trouvent leurs utilisateurs. Or, dans les pays européens, les règles actuelles d’imposition des bénéfices sont fondées sur le principe de létablissement stable. L’entreprise paie des impôts sur ses bénéfices dans le pays où elle est présente physiquement. En l’absence d’harmonisation, ces entreprises s’implantent dans le pays ayant le taux d’imposition le plus faible, ce qui leur permet de diviser, en moyenne, leur taux d’imposition par deux par rapport aux entreprises plus traditionnelles.

À la suite d’une initiative franco-allemande, la Commission européenne avait dévoilé le 21 mars 2018 un projet de taxe sur les services numériques (TSN). La taxe serait assise sur le chiffre d’affaires généré par certaines activités numériques à un taux de 3 %. Elle serait due dans chaque État membre, en proportion de l’utilisation des services numériques qui y sont offerts. Les assujettis seraient les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires mondial annuel supérieur à 750 millions d’euros, dont 50 millions imposables dans l’Union européenne, soit 120 à 150 entreprises. Le produit pourrait être de 5 milliards d’euros par an pour l’ensemble de l’Union européenne.

Si la Chancelière allemande, Angela Merkel, s’est engagée, dans la déclaration de Meseberg, en juin 2018, à « parvenir, dici à la fin de 2019, à un accord de lUE sur une taxation équitable du numérique », l’Allemagne a, dans les faits, été plus que réticente à apporter son soutien à ce projet, notamment par crainte de représailles américaines sur ses exportations. Les réticences sont également venues de la Suède, du Danemark et de la Finlande, sans évoquer le cas de l’Irlande et du Luxembourg hostiles à toute harmonisation fiscale et qui accueillent les sièges des plus grandes entreprises du numérique grâce à leur attractivité fiscale.

En attendant un accord européen, la France a adopté, le 11 juillet 2019, une taxe nationale ([4]) sur les activités numériques dont le produit est estimé à 400 millions d’euros en 2019 et 650 millions d’euros en 2020.

À la suite du sommet du G7 de Biarritz et des menaces sur les exportations françaises aux États-Unis, la France s’est engagée à supprimer sa taxe nationale une fois qu’un accord aura été trouvé sur une taxe numérique internationale au niveau des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Cet accord « Macron-Trump » donne un nouveau souffle à la mise en place d’une taxe internationale.

Votre rapporteur salue cette initiative française qui a relancé l’idée d’une taxation des multinationales opérant dans le domaine du numérique en assumant un rapport de force avec les États-Unis. Le choix de l’OCDE comme cadre de négociation risque toutefois d’éloigner la perspective d’affecter le produit de cette taxe au budget européen.

d.   Le relèvement du plafond des ressources propres

La Commission prévoit également un plafond pour les appels de ressources propres afin de procurer des certitudes et une prévisibilité aux États membres en vue de leur planification financière et budgétaire nationale. Ce plafond est aujourd’hui fixé à 1,11 % du revenu national brut de l’Union européenne. À la suite du retrait du Royaume-Uni, ce plafond diminue automatiquement d’environ 16 % (soit la part de celui-ci dans le RNB de l’Union).

Le 14 novembre 2018, le Parlement a précisé son mandat de négociation, qui prévoit de porter le plafond du CFP pour les engagements devrait passer à 1,3 % du RNB de l’Union européenne à vingt-sept, soit 1 324 milliards en euros courants, c’est-à-dire 16,7 % de plus que ce que prévoit la proposition de la Commission.

Il pourrait, en effet, s’avérer nécessaire de relever le plafond dans l’optique de faire du budget européen un véritable outil de régulation conjoncturelle alors que les budgets nationaux ne peuvent plus jouer ce rôle de manière massive.

C.   Des réponses aux nouveaux défis sans négliger les politiques traditionnelles

Le budget étant modeste par rapport à la taille de l’économie européenne et des budgets nationaux, la Commission considère comme crucial qu’il investisse des domaines où la mise en commun des ressources permet d’obtenir des résultats que les États membres ne pourraient obtenir seuls. La nécessité de financer de nouvelles priorités rend cette approche indispensable. Il faut une vraie subsidiarité, sans laquelle la politique européenne n’est pas compréhensible, et bien distinguer ce qui relève des États nationaux et ce qui incombe à l’Union européenne.

1.   Les nouvelles priorités correspondant aux défis de demain

La Commission européenne a présenté de nouvelles priorités destinées à garantir lapprofondissement et la poursuite des ambitions européennes sur des sujets davenir  linvestissement dans la recherche  ou dont la prise en charge devrait reposer sur une plus grande solidarité des États membres comme la sécurité et les migrations. Elle propose un montant global de crédits de 1 279 milliards en euros courants, soit une augmentation de 20 % par rapport au cadre précédent à périmètre comparable, dans un contexte où lUnion doit faire au départ du troisième contributeur net au budget, le Royaume-Uni.

Source : Commission européenne.

Les priorités de la Commission sont les suivantes :

– la recherche, l’innovation : les dépenses devraient augmenter de 64 % par rapport au cadre financier actuel pour atteindre 187 milliards d’euros. Cette augmentation va permettre une intensification des investissements dans la recherche, l’infrastructure stratégique, la transformation numérique et le marché unique avec des programmes comme Horizon Europe – programme européen pour la recherche et le développement – ou le nouveau programme InvestEU
– financement d’entreprises à usage de demain notamment dans le domaine de la santé. Le renforcement de la puissance technologique et numérique de l’Europe constitue une priorité française. Il est à noter qu’un accord partiel entre les trois institutions – Commission, Conseil, Parlement européen – a été dégagé sur les programmes liés à ces priorités ;

– la jeunesse : le financement du projet Erasmus + est également doublé pour atteindre 30 milliards d’euros. Le projet d’avis du Parlement européen propose une augmentation de l’enveloppe financière présentée par la Commission. Les co-législateurs sont disposés à négocier. Le trilogue pourrait commencer sur ce point dès l’installation de la nouvelle Commission ;

– Les migrations et la maîtrise des frontières : le soutien aux frontières de l’Union et notamment aux pays situés sur la rive nord de la mer Méditerranée mais également l’amélioration d’un système d’asile qui n’est plus calibré pour le flux actuel est évidemment une priorité absolue. Les effectifs de Frontex devraient passer de 1 200 agents à 10 000 d’ici 2027. À Meseberg, Français et Allemands ont appelé à un « renforcement ambitieux » de l’agence « en termes de personnel et de mandat ». Le Fonds asile, migration et intégration (FAMI) et le Fonds de gestion intégrée des frontières verront leur capacité renforcer. Le montant mis à disposition de cette rubrique augmenterait de 252 % par rapport au cadre précédent pour atteindre 35 milliards d’euros. Le trilogue n’a pas encore commencé sur ces priorités dès lors que la question migratoire va bien au-delà de la question budgétaire et reste très sensible dans des pays comme l’Italie ou la Grèce ;

– la sécurité et la défense : la prise en compte des besoins de l’Europe de la défense contribuera à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Ce domaine devrait connaître une augmentation de 112 % à périmètre comparable. Les investissements liés à la sécurité augmentent de 40 % (4,8 milliards d’euros) et un Fonds de la défense, doté de 13 milliards d’euros, est proposé pour la première fois. Les investissements destinés à faciliter la mobilité militaire seront financés à hauteur de 6,5 milliards d’euros. Votre rapporteur ne peut que se féliciter que le Fonds européen de défense figure parmi les priorités stratégiques et géostratégiques. Des commissaires des affaires étrangères ont en effet demandé, à plusieurs reprises, que l’Union européenne contribue à notre effort militaire au Sahel ;

– les actions extérieures : leur financement croît de 30 % (123 milliards d’euros).

Votre rapporteur soutient pleinement la démarche ambitieuse de la Commission en faveur d’une refondation du budget de l’Union et le financement de nouvelles priorités. Avec le gouvernement français, il considère que la proposition de la Commission constitue un premier pas important dans la refondation de l’Europe, en faisant du budget de l’Union un instrument d’action et de protection au service des citoyens européens, en Europe et dans le monde.

2.   Le caractère perfectible de l’action en faveur du climat et de la biodiversité

Compte tenu de l’importance des enjeux climatiques et conformément aux engagements de l’Union de respecter l’accord de Paris et les objectifs de développement durable des Nations unies, la Commission a proposé de porter à de 20 % à 25 % la part du budget consacré à la mise en œuvre des objectifs climatiques. Cet engagement est un progrès, il manque néanmoins d’ambition.

La France demande donc l’adoption d’un objectif de « verdissement » du budget européen à hauteur de 40 %. Cet objectif pourrait concerner, par exemple, le second pilier de la PAC, la recherche, la biodiversité, le programme d’action extérieure, ainsi que la politique de cohésion, avec le « verdissement » des projets d’infrastructures.

Il est en outre prévu une hausse de 72 % du programme LIFE en faveur de l’environnement et de l’action pour le climat. Le montant est toutefois modeste et pourrait atteindre 5 milliards d’euros pour les sept années 2021 à 2027.

3.   Les politiques traditionnelles à ne pas négliger

Votre rapporteur considère que les politiques les plus anciennes ne doivent pas être ajustées au-delà de l’impact du Brexit. Il soutient les efforts du gouvernement français qui a demandé, avec vingt autres États membres, à ce que le budget alloué à la PAC soit maintenu à son niveau actuel à vingt-sept États membres.

Le Gouvernement a enfin fait savoir au rapporteur qu’il accordera une attention particulière à la défense des intérêts des régions ultra périphériques et des pays et territoires d’outre-mer (PTOM).

a.   Refuser une baisse destinée à la politique agricole commune (PAC) inacceptable

La Commission propose d’allouer 373 milliards d’euros à la politique agricole et maritime, stable par rapport au cadre financier précédent alors que le budget est en pleine expansion. Pour la PAC stricto sensu, l’enveloppe serait de 365 milliards d’euros, soit une baisse de 3 % en valeur et de 15 % en volume par rapport à l’enveloppe déduite des retours britanniques.

Votre rapporteur estime qu’en l’absence d’une réflexion globale et sans tabou de la PAC, il ne saurait être question d’utiliser une politique du rabot pour fragiliser un édifice déjà attaqué de toute part. Une PAC ambitieuse est en effet vitale pour garantir la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’Union européenne. Celle-ci est historiquement la première politique européenne et des financements à hauteur des enjeux sont indispensables.

Les autorités françaises, dans le même esprit, s’opposent aux coupes envisagées par la Commission dans les paiements directs, qui constituent le premier filet de sécurité des agriculteurs. Celles-ci pourraient emporter des risques sur la viabilité des exploitations et susciter une incompréhension de la part des agriculteurs européens, en contradiction avec les efforts de réforme qui leur sont demandés dans le même temps. Les moyens alloués à la PAC constituent l’essentiel du revenu de nombre d’agriculteurs. En outre, cette réduction des crédits risque de porter préjudice principalement aux petites villes et aux territoires ruraux, qui sont le plus confrontés à la mondialisation et souffrent déjà
– indépendamment de la PAC – de la concentration des investissements sur les métropoles.

Par ailleurs, l’agriculture européenne risque d’être confrontée dans un futur proche à des épisodes climatiques extrêmes – sécheresse, inondations – plus fréquents du fait du dérèglement climatique. La PAC se doit de protéger les agriculteurs et de les accompagner dans la nécessaire transition environnementale afin de préserver l’autonomie alimentaire de l’Europe.

La France demeure toutefois le premier bénéficiaire des aides de la PAC après 2020 dans la proposition de la Commission, en particulier sur le premier pilier ([5]). Le montant des aides directes pour la France s’établirait à 50 milliards d’euros pour 2021-2027, contre 52 milliards d’euros pour la période actuelle, ce qui se traduirait par une réduction de 3,9 % en valeur. En intégrant les transferts effectués du premier au second pilier ([6]) au cours de la programmation actuelle, la proposition de la Commission aboutirait à une stabilisation en valeur. Sur le second pilier, la France bénéficierait d’une enveloppe de 8,5 milliards d’euros, soit un montant en baisse de 3,5 milliards d’euros (– 30 %) par rapport à l’enveloppe dont elle dispose dans le cadre de la programmation actuelle, en tenant compte des transferts effectués entre les deux piliers depuis 2014. En outre, la proposition de la Commission de rehausser les taux de cofinancements nationaux reporterait sur le budget national une partie des crédits à financer.

Avec cinq autres États membres, la France a cosigné le 31 mai 2018 à Madrid un mémorandum demandant le maintien du budget de la PAC à son niveau actuel pour l’UE 27.

À ce stade, ni le Parlement européen, ni le Conseil n’ont réussi à dégager une position quant aux crédits destinés à la PAC. La nouvelle Commission devrait s’atteler à ce chantier en priorité dès son installation.

b.   Rejeter une réduction des fonds structurels inappropriée à l’heure de la montée des populismes et du sentiment anti-européen

Pour dégager des marges de financement des nouvelles priorités, le projet de CFP 2021-2027 inclut une baisse très décriée par les pays concernés des deux premiers postes de dépense de l’Union européenne, à savoir outre la PAC, les fonds structurels alloués au titre de la politique de cohésion.

La Commission propose une diminution des dépenses affectées à la politique de cohésion de 6 %.

Les autorités françaises ont exprimé le souhait que la politique de cohésion soit modernisée, simplifiée et mieux ciblée mais non pas qu’elle soit rabotée. Votre rapporteur soutient cette position. La politique de cohésion doit être mieux ciblée, au profit des régions les plus fragiles et des populations les plus vulnérables, alors que le critère d’allocation des fonds de cohésion continue de reposer sur l’unique critère du PIB par habitant. En effet, les critères sociaux et territoriaux sont essentiels comme l’a montré et continue de le montrer en France la « crise des gilets jaunes ». L’Union européenne a, avec une politique de cohésion efficace, l’occasion de prouver son utilité auprès des populations à l’euroscepticisme le plus prégnant.

En outre, du fait de leur éloignement géographique et de leurs caractéristiques propres, une attention particulière devra être accordée aux régions ultrapériphériques, afin de dynamiser la politique de convergence.

La proposition de la Commission prévoit d’allouer à la France une enveloppe de 18 milliards d’euros au titre de cette politique, soit une hausse de 9 % par rapport au cadre financier précédent. Notre pays resterait toutefois très largement contributeur net. Votre rapporteur estime que ce transfert monétaire entre les régions riches et les régions plus fragiles est un des piliers de l’Union et ce qui tend à faire de notre espace économique, un espace intégré.

Sur ce point, le trilogue devrait pouvoir débuter dès l’installation de la Commission.

c.   Revoir les propositions relatives aux corridors maritimes

En prévision du Brexit, la Commission européenne a proposé, le 1er août 2018, de redessiner un corridor maritime entre la mer du Nord et la Méditerranée qui évite les ports français. Comme l’a écrit Élisabeth Borne, alors ministre des transports, il est indispensable de compléter les propositions de la Commission afin d’y inclure les liaisons entre l’Irlande et les ports français.

L’an dernier, les membres de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale se sont légitimement émus de ce projet qui ne tient pas compte notamment de Calais et de Dunkerque. Cet « oubli » est d’autant plus regrettable que les corridors maritimes se greffent sur les corridors ferroviaires de fret européen, financés par des fonds européens.

En effet, l’enjeu financier est considérable. Afin de pouvoir bénéficier de subventions européennes via le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, les ports doivent être intégrés aux réseaux transeuropéens de transport. Ces subventions représentent près de 26 milliards d’euros sur la période 2014-2020. Ces financements devraient être complétés par l’instauration d’un fonds d’urgence destiné à combler d’éventuelles pertes de trafic liées aux nouveaux tarifs douaniers et à l’augmentation des temps de contrôle des marchandises dès l’instauration d’une nouvelle frontière avec le Royaume-Uni.

Depuis lors, le Parlement européen s’est prononcé en faveur de l’intégration des ports français le 10 janvier 2019. Les amendements inscrits pour modifier la proposition de la Commission incluent les ports de Calais, du Havre et de Dunkerque au corridor mer du Nord-Méditerranée et les ports de Brest, Roscoff, Saint-Nazaire, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Le Havre, Rouen, Nantes, Paris et Boulogne au corridor Atlantique.

Le Conseil n’a pas encore trouvé d’accord sur le sujet. Le gouvernement français devra être particulièrement vigilant sur la question.

d.   Mieux utiliser le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation

Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation aide les personnes ayant perdu leur emploi à la suite de changements structurels majeurs survenus dans le commerce international en raison de la mondialisation – fermeture d’entreprise ou délocalisation hors de l’Union européenne –, ou du fait de la crise économique et financière mondiale. Il dispose d’un budget annuel maximum de 150 millions d’euros pour la période 2014-2020. Il peut financer jusqu’à 60 % du coût des projets destinés à aider les personnes ayant perdu leur emploi à retrouver du travail ou à créer leur propre entreprise. Il ne peut intervenir que lorsque plus de 500 travailleurs ont été licenciés par une seule entreprise, ou si un grand nombre de travailleurs sont licenciés au sein d’un secteur particulier dans une ou plusieurs régions avoisinantes.

Les projets du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation sont généralement gérés et mis en œuvre par les autorités nationales ou régionales. Chaque projet a une durée de deux ans.

Les commissaires ont souligné qu’il était en général sous-utilisé et qu’il devait pouvoir bénéficier aux salariés des petites et moyennes Entreprises (PME).

Votre rapporteur appelle non seulement à mieux l’utiliser, mais également à le renforcer et à l’orienter vers les bassins les plus éloignés des grandes métropoles où la fermeture d’une usine est toujours une tragédie.

4.   La maîtrise insuffisante des dépenses administratives de l’Union européenne

La Commission propose une forte hausse de l’ordre de 23 % en euros courants des dépenses administratives pour les porter à 85 milliards d’euros et ce, malgré le retrait du Royaume-Uni de l’Union. La part des dépenses administratives passe de 6 % à 6,7 % des dépenses totales. Votre rapporteur rappelle que le budget européen est un budget d’intervention et n’a pas vocation à « administrer ». Cette proposition est en outre, en contradiction avec les politiques de maîtrise des dépenses publiques demandées aux États, notamment depuis la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), dit pacte budgétaire européen.

La France appelle, dans un contexte de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, la Commission à présenter des mesures d’économie comme « ladoption dune nouvelle cible de réduction globale des effectifs, une révision ciblée du statut des fonctionnaires pour garantir la soutenabilité du système des pensions, pour réviser lajustement salarial automatique […] ou encore moderniser le système dimposition des fonctionnaires européens ».

Votre rapporteur rejoint cette position. Il n’est en effet pas efficient de supprimer des effectifs dans la fonction publique nationale pour en créer d’autres, encore plus loin du terrain.

5.   La meilleure lisibilité du budget

L’Union européenne souffre de son trop grand éloignement des citoyens. Ceux-ci la perçoivent trop souvent comme un objet technocratique, générateur de normes, alors qu’elle intervient, par le biais de financements directs, dans la vie quotidienne de chacune et chacun d’entre nous.

Le budget n’est évidemment pas le seul outil mais sa présentation est encore trop difficile à déchiffrer, même pour les représentants des peuples européens. En effet, à titre d’exemple, la présentation initiale de la Commission sur les taux d’augmentation de la politique de cohésion et de la PAC était très opaque.

Depuis le 2mai dernier, la Commission a fait des efforts de transparence afin que les États membres aient une vision plus précise des évolutions proposées. Néanmoins, elle doit encore fournir de très nombreuses données afin que nous puissions mieux comprendre les sous-jacents budgétaires des propositions, notamment de pouvoir répondre aux questions simples : qui finance quelle politique publique ? Quels sont les critères d’évaluation ?

Par ailleurs, l’exécution budgétaire, toujours aléatoire, et la multiplication des évènements imprévus – crise migratoire, épisode climatique extrême –, commandent la mise en œuvre du CFP plus réactif et flexible. Cet impératif de flexibilité rend indispensable un effort de simplification et de lisibilité du budget.

Enfin, le corollaire de la lisibilité est l’information. Les décisions européennes demeurent encore trop absconses. Il faut que les éventuels bénéficiaires des fonds européens sachent qu’ils peuvent y avoir droit. Il est en outre hautement souhaitable que les parlementaires français soient associés aux choix faits par les instances européennes et que, inversement, l’exécutif prenne en compte leurs avis.

L’opacité conduit de trop nombreux citoyens à la certitude de ne pas maîtriser les choix réalisés et in fine de voir leur avenir décidé sans eux et par conséquent contre eux.

6.   La consolidation nécessaire l’Union économique et monétaire pour soutenir la croissance et faire face aux crises économiques et financières

Dans une optique d’efficacité et sur une initiative française, le couple franco-allemand a proposé la mise en place d’un véritable budget de la zone euro – avec des recettes et des dépenses permanentes – qui serait un instrument d’action et de protection au service des citoyens européens. En effet, la déclaration de Meseberg du 19 juin 2018 prévoit que le budget pourrait être financé par des contributions nationales, si possible par l’affectation de recettes fiscales et par des ressources européennes. Il pourrait financer des dépenses favorables à la croissance dans l’innovation et le capital humain. Il pourrait être en outre doté d’une fonction de stabilisation consistant en une suspension temporaire de la contribution au budget pour les pays touchés par un choc significatif.

La proposition la Commission de mécanisme de stabilisation des investissements ne constitue pas la réponse à la volonté de créer un budget de la zone euro, comme demandé par la France et l’Allemagne. Cette proposition est néanmoins une contribution utile au débat. Elle manifeste notamment la reconnaissance par la Commission qu’il y a un besoin de stabilisation spécifique à l’Union économique et monétaire (UEM), sur financement communautaire, ce qui est bienvenu. L’Espagne, le Portugal, l’Irlande et l’Italie ont d’ailleurs salué la proposition de la Commission, estimant qu’elle allait dans le bon sens et envoyait un signal politique appréciable. A contrario, plusieurs États, en particulier les Pays-Bas, la Finlande, la Lituanie et lEstonie, se sont montrés sceptiques sur cette proposition.

Votre rapporteur soutient la démarche française de se doter d’un outil qui permettra d’apporter une réponse massive à une nouvelle crise financière et économique afin d’éviter qu’elle ne devienne une crise sociale et politique qui emporterait l’Union européenne.


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III.   un calendrier encore incertain À un an de l’entrÉe en vigueur thÉorique

Les dirigeants européens ont, le 9 mai dernier, fait la déclaration suivante : « Nous nous donnerons les moyens de nos ambitions. Nous doterons lUnion des moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs et mener à bien ses politiques. » Les enjeux sont dès lors définis clairement.

A.   Des nÉgociations longues et difficiles

Le CFP actuel avait donné lieu à un accord politique conclu le 27 juin 2013 entre le président de la Commission européenne, le président du Parlement européen et le Premier ministre irlandais qui assurait la présidence du Conseil, à la suite d’un compromis péniblement atteint après deux ans et demi de négociation. La date très tardive a entraîné des retards préjudiciables dans la mise en œuvre de certains programmes.

Concernant le prochain cadre financier, comme précisé supra, la Commission a présenté ses propositions en mai 2018 avant que ne commence une période de travaux techniques au Parlement européen et au Conseil. Les discussions ont surtout porté sur les parts à attribuer à chacune des politiques de l’Union dans le cadre du budget européen.

En décembre 2018, le Conseil européen a invité la future présidence roumaine à « élaborer une orientation pour la prochaine étape des négociations, afin quun accord puisse intervenir au sein du Conseil européen à lautomne 2019 ».

Le 19 février 2019, la présidence roumaine du Conseil a présenté l’état des travaux sur le CFP pour la période 2021-2027. Elle a fixé le programme provisoire des travaux jusqu’en avril 2019.

Le 19 mars, les ministres ont tenu un débat d’orientation sur les aspects relatifs au climat et aux migrations du CFP. Le 9 avril, l’échange a concerné la politique de cohésion et la PAC. Le 21 mai, les ministres ont axé leur débat sur les propositions de la Commission européenne relatives au fonds européen de développement et à l’instrument européen de voisinage.

Le 18 juin, le Conseil a tenu un débat d’orientation sur le CFP pour 2021-2027, dans la perspective du Conseil européen de juin. Les ministres ont procédé à un échange de vues sur le projet révisé de cadre de négociation que leur a adressé la présidence roumaine.

Le 20 juin, le Conseil européen a salué les travaux réalisés sous la présidence roumaine sortante concernant le paquet relatif au CFP 2021-2027. Les dirigeants de l’Union ont invité la future présidence finlandaise à affiner encore le cadre de négociation, clarifiant ainsi les options possibles. Le Conseil européen procédera à un échange de vues sur cette base en octobre 2019, en vue de parvenir à un accord sur le budget à long terme de l’UE avant la fin de l’année.

Le 9 juillet 2019, les ministres avaient fait le point des discussions concernant le paquet législatif sur les ressources propres, dans le contexte du CFP pour la période 2021-2027. Le Conseil a envisagé notamment la possibilité de nouvelles sources de recettes au-delà de celles que la Commission européenne avait initialement proposées en mai 2018. Il est à noter que les travaux techniques sur l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés se sont poursuivis en vue du débat que le Conseil européen a tenu sur le CFP lors de sa session d’octobre.

Le 18 juillet, la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne a informé les ministres de ses intentions concernant les travaux relatifs au CFP pour 2021-2027.

Le 16 septembre, suivant l’orientation reçue de la part des dirigeants de l’Union, la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne a prévu de présenter avant la fin de l’année un cadre de négociation révisé comportant des chiffres. Parallèlement, les travaux se poursuivront sur les différentes propositions sectorielles afin de progresser encore sur les mandats du Conseil ou de conclure des « ententes communes » supplémentaires avec le Parlement européen.

Un accord ambitieux et équilibré, permettant de lancer les nouveaux programmes, est aujourd’hui possible mais il reste conditionné par un leadership politique fort. Il constituerait une base essentielle pour un accord avec le Parlement européen et laisserait le temps nécessaire pour mener à bien les travaux techniques sur les 37 programmes thématiques.

Le CFP 2021-2027 devra alors être adopté par le Conseil à l’unanimité, après avis conforme du Parlement européen à la majorité simple. L’entrée en vigueur du CFP serait le 1er janvier 2021.

La France entend les appels de la Commission européenne pour clore la négociation rapidement, en trouvant un accord sur les grandes lignes du CFP. Il est très souhaitable qu’un accord politique intervienne le plus tôt possible et suffisamment en amont de la nouvelle programmation afin de pouvoir disposer d’assez de temps pour mettre en œuvre l’ensemble des règlements portant relatifs aux programmes nécessitant des dépenses de crédits. En effet, l’adoption tardive du CFP 2014-2020, avait conduit à des retards dans l’engagement des crédits des fonds structurels en particulier.

Votre rapporteur se félicite cependant que le cadre financier n’ait pas été conclu avant l’élection du nouveau Parlement européen et l’installation de la nouvelle Commission. Il s’agit en effet de respecter le choix des électeurs européens en n’imposant pas aux nouveaux élus des engagements financiers destinés à se prolonger au-delà de la fin de leur mandat.

B.   Une synchronisation attendue du cadre financier avec le cycle politique des institutions européennes

Se pose également la question de la synchronisation progressive de la durée du cadre financier avec le cycle politique quinquennal des institutions européennes. La Commission européenne convient de l’importance d’une synchronisation progressive de la durée du cadre financier avec le cycle politique quinquennal des institutions européennes. En effet, les députés européens élus en mai 2014 ont dû prendre acte des conclusions d’un vote intervenu en 2013. Toutefois, elle estime que « le passage à un cycle quinquennal en 2021 ne déboucherait pas sur un alignement optimal. Le cycle de sept ans proposé donnera à la Commission qui prendra ses fonctions après les élections européennes la possibilité de présenter, si tel est son choix, un nouveau cadre dune durée de cinq ans, à partir de 2028 ».

Votre rapporteur soutient cette proposition destinée à faire du Parlement européen un Parlement exerçant toutes ses prérogatives, autorisant les recettes et les dépenses d’un budget ayant vocation à devenir un véritable budget fédéral.

 


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   conclusion

Au bénéfice de ces remarques, votre rapporteur se prononce en faveur de l’adoption de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020.


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   CONTRIBUTION DE M. JEAN-LUC MÉLENCHON
AU NOM DU GROUPE LA France INSOUMISE

Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est estimé pour l’année 2020 à 21,3 milliards d’euros. Ce montant est stable par rapport à 2019 mais il est à un point haut historique. Depuis 2017, ce montant est en hausse de 15%. Cette évolution plutôt exceptionnelle est à mettre en perspective avec les baisses de crédits importantes subies par certaines politiques sociales de l’État. Ainsi, la mission « Cohésion des territoires », qui réunit notamment les aides au logement, les subventions pour le logement social a perdu dans la même période 17% de son budget. La mission « Travail et emploi » qui finance les dispositifs de retour à l’emploi des chômeurs a baissé de 25%. Le premier constat est donc que le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne échappe aux coupes budgétaires et aux diminutions des crédits publics imposés par les deux dernières lois de finances aux fonctions sociales de l’État.

Bien sûr, une partie de notre contribution au budget de l’Union européenne nous revient ensuite sous la forme d’aides de la politique agricole commune ou bien d’aides régionales. Il n’en reste pas moins qu’après avoir soustrait ces subventions, la France reste une contributrice nette au budget européen. Nous donnons chaque année environ 9 milliards d’euros de plus que nous ne recevons. Cela fait de nous le deuxième pays contributeur net. La France participe donc de manière importante au budget européen alors même qu’elle est, au regard des règles des traités européens dans un mauvais état comptable. En effet, ses budgets publics ne respectent ni la règle du déficit maximal de 3% du PIB, ni celle de l’endettement public maximal de 60%.

Le montant de notre contribution nette représente environ 10% du total de notre déficit public. C’est donc une dépense somptuaire. Il est notable que la France compense le rabais obtenu par le Royaume-Uni ainsi que le « rabais sur le rabais » obtenu en 2001 par l’Allemagne. Autrement dit, nous finançons une part de la contribution allemande alors que son excédent budgétaire dépasse les 50 milliards d’euros. 9 milliards d’euros de plus dans les caisses de l’État permettraient par exemple de financer la construction de 60 000 logements HLM, ou de recruter 180 000 professeurs en plus dans l’éducation nationale. D'après le rapport d’information de nos collègues de la commission des affaires sociales Caroline Fiat et Monique Iborra, c’est plus que le budget nécessaire pour régler le problème de la maltraitance dans les EPHAD.

Les sommes que nous consentons à verser chaque année nourrissent un budget particulièrement mal géré. En effet, le caractère pluriannuel de ce budget conduit à ce que chaque année il y ait des sommes promises mais non encore payées par l’Union. La technocratie de la commission européenne appelle ces sommes des «  reste à liquider  ». Ils sont de plus en plus importants chaque année. Ces restes s’élevaient à 188 milliards d’euros en 2014, à la fin de l’exercice budgétaire précédent. Ils ont conduit à une crise des paiements de l’Union européenne : 25 milliards d’euros de factures impayées. Aujourd’hui, ces restes à liquider s’élèvent à 300 milliards d’euros. Une telle augmentation nous conduit tout droit vers de nouveaux défauts de paiement de l’Union européenne à la fin de l’exercice budgétaire en cours, l’année prochaine.

Il faut aussi analyser les politiques hostiles que l’excédent français sert à financer. Une grand partie du budget européen subventionne des politiques contraires aux intérêts du peuple français. Dans le budget pluri-annuel 2014-2020, 451 milliards d’euros sont consacrés aux fonds structurels. Ces fonds permettent d’aider au développement économique des régions pauvres de l’Union européenne. Cependant, cette aide au développement économique ne s’accompagne d’aucune convergence sociale et fiscale. Ces dernières sont d’ailleurs formellement interdites ou empêchées par le traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ainsi, nous contribuons donc à subventionner des Etats qui pratiquent délibérément une course vers le bas en matière de normes sociales. Sur la période 2014-2020, la Pologne aura bénéficié de 86 milliards d’euros au titre des fonds structurels. Dans le même temps, 61 000 travailleurs détachés polonais sont présents en France. Cette situation exerce une pression à la baisse sur notre régime de sécurité sociale. Le député Jean-Luc Mélenchon et les députés du groupe La France insoumise ont déposé une proposition de loi pour l’interdiction du régime européen de travail détaché sur le territoire français. Elle s’appuie notamment sur la non conformité de la directive européenne avec la convention n°97 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette convention, signée par la France en 1954, stipule que l’égalité de traitement entre salariés nationaux et étrangers doit être parfaite, y compris en matière de sécurité sociale. Pourtant, par le biais du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, nous subventionnons la mise en concurrence des travailleurs et des systèmes de sécurité sociale. Les fonds structurels financent aussi des États européens considérés par plusieurs ONG comme des paradis fiscaux. Ainsi, sur la période en cours, l’Irlande a reçu 3,3 milliards d’euros alors que son taux officiel d’impôt sur les sociétés est de 12,5%. Le seul objectif d’une imposition si faible des entreprises est d’attirer en Irlande des sièges sociaux de sociétés européennes, ce qui prive la France de recettes fiscales. Par notre contribution au budget de l’Union européenne, nous encourageons donc l’évasion fiscale à l’intérieur de l’Union européenne.

L’augmentation constante des contributions des États au budget européen est par ailleurs une conséquence du libre-échange. Ces trente dernières années, l’Union européenne a été l’un des plus grands promoteurs de la libéralisation des échanges au niveau mondial. D’abord en étant moteur des cycles de négociation de l’Organisation Mondiale du Commerce puis en signant des accords bilatéraux. Ainsi, dernièrement, des accords de libre-échange avec le Canada (CETA) et avec le Japon (Jefta) ont été signés. Cette politique est une catastrophe écologique. Elle favorise la norme environnementale la plus faible et l’augmentation des transports routiers et maritimes avec leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est aussi une catastrophe sur le plan social puisqu’il incite les pays les pays les moins développés à baser leur économie sur la faiblesse des salaires et la spécialisation de la production dans les secteurs d’exportation. Dans les pays développés, le libre-échange a conduit à la délocalisation des productions. Le développement du libre-échange a aussi affecté les recettes de l’Union européenne. En 1988, les droits de douanes représentaient 30% des recettes du budget européen et les contributions des Etats seulement 10%. Aujourd’hui, les droits de douanes ne pèsent plus que pour 14% du budget et les contributions des Etats pour 66%. Continuer d’accepter l’augmentation régulière de notre contribution revient donc à cautionner la fuite en avant vers le libre-échange de l’Union européenne.

L’Union européenne définie par ses traités actuels ne convient ni la France ni à de nombreux peuples européens, notamment dans sa partie Méditerranéenne. Les règles budgétaires placent les États et leurs services publics dans un étau perpétuel. Elles empêchent les investissements publics nécessaires pour la transition écologique. L’indépendance de la banque centrale européenne met les peuples dans la main des marchés financiers. Le dogme de la concurrence soit disant libre et non faussée entraine vers le bas les droits sociaux dans tous les pays. Le libre-échange tous azimuts fait obstacle à la relocalisation des productions dans les pays européens. Mieux vaudrait sortir de ces traités et proposer d’autres règles de fonctionnement pour les peuples européens. Il faut permettre aux gouvernements de mener souverainement une politique budgétaire de relance, mettre en place le protectionnisme solidaire, placer la banque centrale sous contrôle politique et arrêter la mise en concurrence systématique des services publics. La Franc peut le faire dans le cadre d’une négociation et d’un rapport de force avec ses partenaires. Dans cette discussion, l’importance de la contribution nette de notre pays au budget de l’Union européenne. Il n’y pas d’Europe sans la France et cette Europe-là ne convient plus aux Français : c’est ce que nous voulons montrer en votant contre le prélèvement sur recette au profit de l’Union européenne.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent avis au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2019.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, après avoir entendu M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur le budget, il y a une quinzaine de jours, nous démarrons aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances pour 2020. La commission est saisie pour avis de neuf budgets.

Aujourd’hui, trois avis sont inscrits à notre ordre du jour. Le premier concerne le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, avec un rapport de Pascal Brindeau, lequel a succédé à Maurice Leroy, que je salue car il nous regarde peut-être de Moscou – ce n’est cependant pas l’œil de Moscou (Sourires). Jean-Luc Mélenchon présentera une contribution sur cette même question, avant que nous examinions les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » avec le rapport de Jean-François Mbaye, puis ceux de la mission « Médias, livre et industries culturelles : Action audiovisuelle extérieure », avec un rapport d’Alain David.

Le premier avis qui nous est présenté aujourd’hui porte sur un prélèvement de 21,33 milliards au profit du budget 2020 de l’Union, qui est stable par rapport à l’an dernier. Dernier budget du cadre financier pluriannuel, il est dans la continuité des précédents, même s’il sera exécuté dans un moment de ralentissement de la croissance de la zone euro et d’incertitudes liées aux tensions géopolitiques et au Brexit.

S’agissant du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, nous avions exprimé certaines inquiétudes quant aux propositions de la Commission l’année dernière, et fait des propositions à destination des autorités françaises que je vais reprendre.

En ce qui concerne le Fonds de cohésion, notre commission avait insisté sur la nécessité de lier le versement des fonds structurels à la réalisation de progrès dans l’harmonisation fiscale et sociale. Sur la politique agricole commune, nous nous étions élevés contre la baisse des moyens que prévoit la Commission européenne.

Nous avions aussi invité à réfléchir pour avancer vers une participation financière accrue de l’ensemble des pays européens à notre défense commune, en particulier au Sahel, où la France assume la sécurité collective de l’Europe.

Nous avions particulièrement insisté sur les ressources propres, une question qui est toujours d’actualité. La commission a proposé de nouvelles ressources propres – une taxe sur les déchets plastiques, une fraction du produit des quotas des droits à polluer, une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. Ceux qui suivent ce dossier le savent, nous sommes quelques-uns à batailler depuis plusieurs décennies sur cette question. Nous tenons notamment à l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés en Europe, pour que celui-ci serve enfin de ressource propre européenne.

D’autres propositions sont sur la table, comme la taxe sur le numérique.

Tout cela se déroule, je l’ai dit, dans un contexte de contraintes financières aggravées par la perspective du départ du contributeur net au budget commun qu’est le Royaume-Uni. Nous appelions l’année dernière à mieux anticiper cette perte.

Dans un souci de respecter les choix démocratiques, j’avais également souligné la nécessité de faire enfin coïncider les dates des cadres financiers pluriannuels avec le cycle électoral quinquennal, ce qui n’est toujours pas le cas. Il est extrêmement choquant qu’un parlement élu soit aussitôt privé de ses prérogatives financières et budgétaires.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. Notre commission est saisie pour avis de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020, qui évalue le prélèvement sur recettes (PSR) de l’État au profit du budget de l’Union européenne. Comme la présidente l’a rappelé, ce montant devrait être de 21,33 milliards pour l’année 2020. Bien que non encore stabilisé, puisque la procédure d’élaboration du budget de l’Union ne sera achevée qu’à la fin du mois de novembre, le PSR pour 2020 s’inscrit dans le cadre financier pluriannuel déterminé pour la période 2014-2020.

Cette inscription budgétaire intervient dans un contexte pour le moins incertain. D’une part, des éléments de conjoncture économique et le ralentissement de la croissance économique au sein de la zone euro, laquelle a fléchi à 1,2 % au second trimestre 2019, laissent craindre qu’une nouvelle crise mondiale majeure n’émerge. La faiblesse du budget européen et des ressources propres trop modestes ne permettent pas de contrecarrer les effets d’une éventuelle crise mondiale sur la croissance économique de l’Europe.

D’autre part, l’absence de certitudes sur les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pèse fortement. Le Royaume-Uni est, derrière l’Allemagne, le deuxième contributeur net du budget de l’Union européenne. À la perte de recettes qui résulterait du potentiel Brexit s’ajoutent 3 milliards de droits de douane perçus par le Royaume-Uni. C’est donc un différentiel de plus de 10 milliards qu’il conviendrait d’intégrer dans le futur cadre financier pluriannuel (CFP), l’hypothèse d’un retrait sans accord venant encore complexifier la situation.

Celle-ci pose en outre la question de la participation des États tiers à des programmes européens. La France a souhaité poser comme principe que sur chacun des programmes, les retours vers un État tiers ne puissent être supérieurs aux contributions de celui-ci. Il reste malgré tout à déterminer le cadre juridique de ce principe.

Nonobstant ces remarques, le prélèvement pour 2020 apparaît stable, à hauteur de 21,33 milliards d’euros, contre une inscription initiale en 2019 de 21,443 milliards d’euros, dont il convient de retrancher 249 millions d’euros à la suite des budgets rectificatifs adoptés au sein de l’Union européenne tout au long de l’année 2019.

Si l’on se projette dans le futur cadre financier pluriannuel 2021-2027, une augmentation de la contribution française est probable. Outre les conséquences du Brexit, les futures priorités d’action définies par la Commission ne devront pas avoir pour conséquences des diminutions d’intervention dans les politiques historiques et structurantes de l’Union européenne. Je pense évidemment en particulier à la politique agricole commune. La France ne peut accepter la perspective d’une diminution de cette politique, qui est vitale pour notre continent.

Par ailleurs, la détermination du nouveau cadre financier doit, de notre point de vue, voir enfin la disparition des rabais, issus du sommet européen de Fontainebleau en 1984, et de la fameuse conception du I want my money back (« Je veux qu’on me rende mon argent »), source de tous les égoïsmes budgétaires nationaux. Depuis 2002, certains pays de l’Union européenne bénéficient des rabais sur le rabais, c’est-à-dire d’une limitation de la valeur de leur contribution supplémentaire, issue de la correction britannique.

Le nouveau cadre financier se devra également de réformer et de moderniser les ressources propres de l’Union européenne, Mme la présidente l’a dit. La Commission européenne a avancé trois propositions, qui me semblent devoir être soutenues. Il s’agit tout d’abord d’une contribution sur les déchets plastiques produits par les États, donc non recyclés ; ensuite, de l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, dont il a été question à l’instant ; et enfin, de la contribution ETS (pour « système d’échange d’émissions » ou emission trading scheme), un instrument commun de lutte contre le changement climatique, qui va forcément dans le bon sens.

Nous devrons également saisir cette occasion pour faire aboutir la réflexion sur la taxation des GAFA. Nous étions en effet plusieurs à penser qu’instaurer cette taxe à l’échelle nationale n’aurait que peu d’effet.

Enfin, il nous faudra insister sur une meilleure maîtrise des dépenses administratives de l’Union européenne, alors que la Commission propose une forte augmentation de ce poste, de l’ordre de 23 % dans le prochain cadre financier pluriannuel. Cette politique, qui va à l’encontre de la vocation d’intervention, plutôt que d’administration, des budgets de l’Union est également en contradiction avec les efforts de maîtrise budgétaire et, par conséquent, de baisse des dépenses publiques, demandés aux États membres.

Après ces quelques remarques et pistes d’action pour la construction du futur cadre financier pluriannuel, je vous propose de vous prononcer en faveur de l’adoption de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Vous avez la parole, monsieur le contributeur.

M. Jean-Luc Mélenchon. Contributeur net ! J’ai donc un nouvel attribut (Sourires.) Suave ornamenta ! Les distinctions sont douces ! Je n’avais pas compris ce titre, que je découvre, quoique je sois président de groupe. Tant mieux !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Vous avez la possibilité de vous exprimer en tant que contributeur.

M. Jean-Luc Mélenchon. Mon propos ne vous surprendra pas puisque j’ai déjà eu l’avantage de le présenter en séance publique.

La France paie à l’Union 9 milliards d’euros de plus que ce qu’elle en reçoit. On pourrait y voir une œuvre de solidarité, d’amour et de fraternité – pourquoi pas. Mais cela serait valable si nous y trouvions notre compte et si les principes auxquels notre pays est attaché étaient un tant soit peu respectés.

Mme Loiseau, d’heureuse mémoire ici, la première fois que j’avais présenté mes objections à cette contribution nette de 9 milliards d’euros, avait répondu que j’avais en quelque sorte le cœur sec : « Soyons clairs : déplorer le principe d’un solde négatif net pour la contribution française est désolant, monsieur Mélenchon. Oui, la France est un contributeur net, comme tous nos grands partenaires, d’ailleurs ; oui, au fur et à mesure des élargissements, les taux de retour des États fondateurs se sont dégradés. Mais ce solde net a un sens : c’est d’abord l’expression de la solidarité européenne avec des pays en rattrapage économique. La solidarité, vous savez, ce beau mot, ce principe sur lequel repose le projet européen tout entier ! » Je m’étais donc fait donner la leçon, sans trop sourire.

J’ai noté que Mme Loiseau avait changé d’avis puisque, le 11 avril, au cours de la campagne électorale, elle déclarait : « Les fonds européens que reçoivent les pays européens les plus pauvres visent à réduire les écarts de pauvreté entre les Vingt-huit. C’est très bien. Mais comment expliquer au contribuable français que la France est le deuxième plus gros contributeur au budget de l’Union européenne, et qu’on n’exige aucune contrepartie en matière sociale. Il n’est pas normal qu’un travailleur français fasse un chèque à la Hongrie, pour financer indirectement un dumping social dans ce pays. Exemple, la nouvelle loi sur le travail en Hongrie permet aux employeurs d’exiger jusqu’à 400 heures supplémentaires par an… payables trois ans plus tard. »

Je m’aperçois donc que certains arguments ont fait leur chemin et sont entendus. La question n’est pas de savoir si la France peut ou doit être solidaire ou pas. Évidemment, la France a toujours été solidaire, et je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd’hui, mais ce ne peut être qu’à l’intérieur d’un cadre qui soit respectueux des principes auxquels nous sommes attachés.

Notre présidente a rappelé que la dernière fois que nous nous sommes exprimés, cela a été pour demander que des efforts de convergence sociale et fiscale soient réalisés, nonobstant certains articles du Traité qui la rendent impossible. Il y avait donc bien une volonté politique, que nous attachions à notre contribution, car l’on n’imagine pas contribuer sans avoir aucun avis sur la finalité de ce que l’on fait.

Ma remarque est donc une protestation liée au fait que la France pourrait user de cette contribution nette pour obtenir un changement de comportement, notamment sur les questions de convergence sociale et fiscale. Nous disposons là d’un moyen de pression.

Ceci dit, si l’on met de côté les bonnes intentions, et que l’on en vient aux mouvements qui remplissent les caisses et qui les vident, on s’apercevra qu’au fil du temps, l’Union européenne, en proie à une idéologie bien connue de nous, a diminué la contribution réclamée aux entreprises et augmenté celle de l’État. Les droits de douane représentaient 30 % du budget de l’Union européenne et les contributions des États, 10 % non pas à sa fondation, mais en 1988. Les premiers représentent aujourd’hui 14 % et les seconds, 66 % du budget de l’Union. Nous sommes passés de 10 % à 66 %, alors que la contribution des entreprises baissait !

Et que personne n’objecte qu’il s’agit là de rendre le territoire de l’Europe plus attractif. Il n’en a pas besoin, il est naturellement attractif : c’est le premier producteur, le premier commerçant mondial. Par conséquent, content ou pas content, c’est ici qu’il faut vendre. Les entreprises acquittent donc ce qu’elles doivent payer, cela fait partie de leurs charges.

Deuxième remarque, s’agissant non plus de ce qui entre mais de ce qui sort, on peut dire que c’est la gabegie, le chaos, et que ceux qui nous donnent des leçons sont les plus mal placés pour le faire. À la fin de chaque cadre financier, il y a ce que la langue européenne appelle des restes à liquider, qui, n’importe où ailleurs, seraient qualifiés de déficits. Pour ce poste, nous sommes passés de 188 milliards d’euros à la fin du cadre précédent, en 2014, à 300 milliards d’euros en 2019. Ce n’est pas rien. C’est dire combien tout cela est bien géré : les 300 milliards d’euros représentent ni plus ni moins deux ans du budget de l’Union européenne. Par conséquent, on doit s’attendre à un nouvel écart à la fin de ce cadre pluriannuel.

Quand un pays, qui est régulièrement montré du doigt pour ses déficits, donne 9 milliards d’euros de contribution nette, il fait ce qui s’appelle une dépense somptuaire, dont il n’a pas les moyens.

Je regrette que l’on continue à consentir cette dépense sans exiger de contrepartie. Je ne dis même pas que ces 9 milliards d’euros devraient nous revenir – ils représenteraient plusieurs dizaines de milliers de postes d’enseignants et régleraient presque entièrement le problème de la mise à flot des établissements d’hébergement des personnes âgées (EHPAD) dans notre pays –, mais il faut au moins que l’Union tienne compte des exigences de la France sur les critères de convergence sociale et fiscale.

Je crois que j’ai à peu près tout dit de ce que j’avais à dire de désagréable sur le sujet. Cela doit vous remplir de joie de penser que parmi ces 9 milliards d’euros d’excédents, 6 milliards d’euros sont donnés aux Turcs, de manière à ce qu’ils gardent leurs frontières de la manière que vous savez à l’égard des immigrés qui souhaitent la franchir.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je remercie Pascal Brindeau et Jean-Luc Mélenchon. Le débat est ouvert.

Mme Nicole Trisse. Je vous remercie, cher collègue Brindeau, pour cet exposé. Le sujet extrêmement important qui nous mobilise ce matin est non pas tant une question de chiffres, de budget, de prélèvement, que, surtout, la construction européenne.

La contribution de la France au budget européen représente, il est vrai, un effort considérable, qui s’élève à environ 21,3 milliards. Il me semble toutefois que cet effort est indispensable pour maintenir et poursuivre le projet européen que nous souhaitons.

Vous l’avez justement rappelé dans la première partie de votre exposé, ce budget s’insère dans un contexte politique et européen plutôt incertain. Les récentes élections européennes, notamment, ont favorisé l’arrivée massive d’élus antieuropéens, qui menacent la pérennité des institutions. Il est primordial que la France s’oppose à cet euroscepticisme et fasse progresser le projet européen, malgré ce contexte particulier. Vous avez parlé à ce titre de la sortie du Royaume-Uni, qui est plus que probable à la fin du mois.

La contribution de la France au budget européen doit être au niveau de notre ambition européenne. Votre rapport nous permet d’affirmer que nous allons dans la bonne direction. Les premières propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel laissent d’ailleurs entrevoir une Europe plus compétitive et plus solide. À travers le prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne, c’est cette Europe que nous souhaitons.

De ce fait, le groupe La République en marche votera pour l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020. Cependant, je souhaiterais obtenir quelques précisions sur trois points de votre rapport, notamment sur sa deuxième partie consacrée au prochain cadre financier pluriannuel.

Tout d’abord, concernant la nécessaire modernisation des ressources propres, existe-t-il un risque que certains pays européens, tout comme la réticence de l’Allemagne, et le choix de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme cadre de négociation fassent échec à la perspective d’une taxe européenne affectée au budget européen ?

Le rapport indique que la Commission européenne a fait des actions extérieures l’une de ses nouvelles priorités. Pensez-vous que le budget alloué à ce poste soit suffisant pour permettre l’émergence d’une culture stratégique commune, comme le souhaite le Président de la République, Emmanuel Macron ?

Enfin, s’agissant des politiques traditionnelles, qu’entendez-vous par la nécessité de « mieux utiliser le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation » ? Pouvez-vous en donner des exemples concrets ?

M. Pierre Cordier. Je souhaiterais rebondir sur un sujet que nous avons abordé la semaine dernière, celui des crédits fléchés en direction des territoires. Nous avons évoqué la technicité et la complexité des dossiers que doivent remplir les structures souhaitant bénéficier de fonds européens, quelle que soit la nature de ces fonds.

Qu’en est-il des crédits non consommés ? Repartent-ils dans une caisse commune ou sont-ils redistribués à d’autres pays ? Sont-ils considérés comme des sortes de restes à réaliser, comme cela se passe dans certaines collectivités, Jean-Luc Mélenchon y a fait allusion, c’est-à-dire des crédits qui seront reportés sur l’année d’après, en direction de la France ?

En ce qui concerne les frais de fonctionnement, c’est-à-dire le train de vie des structures de l’Union européenne, pouvez-vous nous dire, peut-être sous la forme de diagrammes, avec des chiffres précis, s’ils progressent ou si des efforts sont réalisés depuis quelques années ? On parle souvent de la mutualisation des frais, pour permettre à tous de faire des économies. Qu’en est-il sur ce point, ainsi que sur le nombre d’emplois dans ces structures ?

Ces questions de fonctionnement nous intéressent. Nous sommes tous orientés vers l’investissement, qui est crucial pour nos territoires comme pour les pays européens qui ont encore des retards à rattraper. Il n’en demeure pas moins que la maîtrise des frais de fonctionnement et les économies réalisées permettent de dégager de l’argent pour investir.

M. Sylvain Waserman. Le groupe MODEM et apparentés soutiendra cet avis. Je souhaiterais cependant revenir sur un point du rapport, qui me semble essentiel, ainsi que sur les propos du contributeur.

Madame la présidente, dans votre parcours politique, vous vous êtes souvent exprimée au sujet des ressources propres, comme l’a fait le groupe MODEM et apparentés, par votre voix et par d’autres. J’aimerais finalement poser le sujet exactement de la même façon qu’il se pose pour nos collectivités territoriales.

Dans nos territoires, lorsque l’on crée une communauté de communes, plus celle-ci a de ressources propres, plus elle s’affirme dans son existence propre.

Il en va de même pour l’Union. Plus l’Union sera la concaténation de budgets nationaux, plus ses politiques risquent d’être cantonnées à des concaténations de décisions nationales. L’intérêt communautaire de l’Union dépend intrinsèquement de la marge de manœuvre qu’elle se crée, par ses ressources propres. Le sujet n’est donc pas uniquement budgétaire, mais aussi fortement politique.

Je partage ainsi l’inquiétude du contributeur, même si j’en viens à une conclusion tout à fait différente. En vingt ans, nous sommes passés de 60 % de ressources propres à un peu moins de 30 %. Cette diminution des ressources propres est à l’origine d’une crise de la valeur ajoutée de l’Union. Nous devons repenser profondément ses ressources propres car elles ont d’autant plus de sens qu’un pays, pris individuellement, n’est pas capable de les générer.

L’exemple de la taxe GAFA est parlant. La France a avancé sur ce sujet, mais le sens même de cette taxe est d’être européenne, car, en matière de collecte et de pouvoir de négociation avec les GAFA, l’Union obtient davantage de résultats qu’aucun pays pris individuellement. Il en va de même pour la taxe carbone.

Sur tous ces grands défis, où l’Union a de plus grandes possibilités qu’un État pris individuellement, les ressources propres sont naturellement un enjeu budgétaire, mais surtout politique. C’est ainsi que l’Union pourra pleinement jouer son rôle et exprimer son ambition.

M. Christian Hutin. Je laisserai pour ma part Alain David exprimer la position du groupe Socialistes et apparentés, et parlerai en mon seul nom.

Nous sommes contributeurs nets au budget de l’Union européenne. Tous nos électeurs pensent à juste titre que nous donnons beaucoup plus d’argent à l’Union que nous n’en recevons. J’ai été maire pendant vingt-trois ans, durant lesquels les contributions reçues de l’Europe, certes sympathiques, n’ont jamais été à la hauteur de ce que nous donnions.

Cela pose un sérieux problème. La France paie pour un certain nombre de projets européens, ce que je peux comprendre, mais tout cela commence à peser sur le sentiment de nos concitoyens à cet égard.

Ce qui se passe actuellement à la frontière syrienne est exceptionnel. Or il n’y a pas d’Union européenne sur ce dossier. La Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie ne sont pas dans le même esprit que nous, aujourd’hui. L’Europe, en tant que telle, n’existe pas au niveau international.

En tant que contributeurs nets, nous devons aller jusqu’au bout de notre ambition européenne, mais, comme le disait M. le contributeur – je ne sais pas ce que cela représente exactement –, nos concitoyens perçoivent une sorte de dissociation entre l’idée que nous avons de l’Europe et de l’amitié des peuples, de notre esprit commun, et ce qui existe aujourd’hui face à une vraie guerre, où nous ne sommes pas capables de nous mettre d’accord.

Quand aurons-nous une forme de conscience de tout cela ? Je suis d’accord pour dire que tout est merveilleux, que, grâce à notre contribution, la Pologne se développe, et que l’Union offre des possibilités. Mais, à un moment, il faudra que nous mettions tout sur la table, pour rediscuter de ce qu’est vraiment l’Europe face à ce qui existe aujourd’hui.

M. Christophe Naegelen. Je remercie Pascal Brindeau pour son rapport, dont on peut retenir que le prélèvement a atteint un niveau historique, à 21,3 milliards d’euros. Plusieurs députés, ainsi que Mme la présidente, l’ont rappelé, la France est un contributeur net, un contributeur étant, je l’ai bien retenu, celui qui donne des contributions. (Sourires.)

Cet argent est destiné à de vrais projets, notamment le développement de l’Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes (Frontex), qui doit employer 10 000 garde-frontières et garde-côtes d’ici à 2027, – il y a là un vrai problème européen – ou la lutte contre le changement climatique. Là encore, la transition écologique est un problème non pas national, mais international, donc européen.

On nous dit qu’il faut non pas se contenter de mesurer le solde net, mais prendre en compte la valeur ajoutée européenne. Il ne serait cependant pas illogique d’avoir un retour plus important de l’Union européenne, en particulier pour le secteur agricole français.

Grâce à la politique agricole commune (PAC), les agriculteurs reçoivent des aides, qui sont élevées. Nous connaissons toutefois leur situation actuelle, en France, y compris, dans la filière bovine, et les inquiétudes que suscitent différents accords internationaux signés par l’Union européenne. Un retour un peu plus élevé ne serait donc pas illogique.

Lorsque l’on est en responsabilité, on doit faire des arbitrages. Quand on voit l’état de notre secteur hospitalier, de nos casernes, de nos commissariats, on peut regretter de ne pas réussir à trouver quelques centaines de millions d’euros – je ne parle pas de milliards –, qui pourraient améliorer de manière concrète, pragmatique, le quotidien de nos concitoyens.

À l’inverse, ce prélèvement de 21,33 milliards d’euros conduit à un manque à gagner de 9 milliards d’euros, bien qu’il faille prendre en considération la valeur ajoutée de l’Union européenne. Nous devons faire des arbitrages : pensons aussi au secteur public français !

M. Jean-Michel Clément. Nous nous prononçons ce matin sur l’article 36 du projet de loi de finances. Je ne sais pas si chacun des commissaires doit apporter une contribution, mais je le ferai pour ma part, en ajoutant quelques remarques.

Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, ce budget s’inscrit dans un contexte politique incertain, avec le plus faible taux de croissance mondiale constaté depuis dix ans, selon l’OCDE. Ce ralentissement marqué touche principalement l’Union européenne, la Chine et certains pays émergents, comme le président de la Cour des comptes a pu l’expliquer lors de son audition par la commission des finances, il y a quelques jours. Si quelques facteurs peuvent atténuer ces ralentissements dans la zone euro, les rebondissements à répétition de l’épineux dossier du Brexit inscrivent l’exécution du budget 2020 dans un contexte marqué du sceau de l’incertitude, tant pour celui-ci que pour le prochain cadre financier pluriannuel.

Le risque est bien évidemment celui d’une sortie sans accord du Royaume-Uni, deuxième ou troisième contributeur net au budget, selon les estimations. Ce départ entraînera mécaniquement une augmentation substantielle de la contribution des plus gros contributeurs, dont la France. Il est question d’une hausse de 6,3 milliards d’euros, soit plus de 30 % par rapport au cadre financier pluriannuel passé. Nous nous accordons à dire que cette augmentation exigera encore plus de vigilance.

Pour ce dernier budget du cadre financier pluriannuel 2014-2020, la France devra donc verser 21,3 milliards d’euros. Ce budget, qui reflète les priorités définies dans le cadre financier qui s’achève – l’emploi, la croissance, la jeunesse, le changement climatique, la sécurité –, nécessite que des investissements soient réalisés dans des secteurs majeurs. Le groupe Libertés et territoires salue la hausse des crédits concernant en particulier la recherche, l’espace et les moyens dévolus à Frontex, tout en se montrant préoccupé.

En effet, un rendez-vous important nous attend, celui du futur budget de la PAC. Si le gouvernement français a annoncé vouloir maintenir celui-ci à son niveau actuel, même à 27 membres, nous sommes inquiets de la baisse de 365 millions d’euros qui a été évoquée quand, dans le même temps, le changement climatique et ses conséquences écologiques touchent de plus en plus d’exploitations agricoles. Il est déterminant de financer substantiellement ces risques par des mécanismes assurantiels pour contribuer à assurer la pérennité des exploitations agricoles et son corollaire, la souveraineté alimentaire.

Ceci étant, j’aurais quelques questions à poser :

Les prévisions de dépenses ne seront connues avec certitude qu’après la période de conciliation, qui prendra fin le 18 novembre. En fonction de cela, le Gouvernement pourrait être conduit à réviser l’estimation du prélèvement sur recettes pour l’Union européenne de ce projet de loi de finances. Pensez-vous que le montant dont nous débattons aujourd’hui pourrait être modifié ? Si oui, au regard de quelles considérations ?

Alors que l’Union européenne doit engager des réformes ambitieuses en matière d’asile et d’immigration et soutenir la recherche et l’innovation, tout en renforçant leur application à l’espace, la réduction des engagements du Conseil de 1,3 milliard d’euros le 3 septembre dernier peut surprendre. Quel regard portez-vous sur cette décision ?

Je m’interroge aussi sur l’augmentation des dépenses administratives, qui passent de 6 à 6,7 % des dépenses totales, alors que l’Union demande à tous les États membres de maîtriser leurs dépenses publiques.

Ma dernière question concerne les 900 millions d’euros prélevés au titre de l’aide publique au développement, pour l’utilisation desquels nous ne disposons d’aucune donnée. Pouvez-vous fournir quelques explications ?

M. Jean-Paul Lecoq. Les communistes, vous l’avez remarqué, ne sont pas contributeurs à cette Europe, ni à ce projet européen. Le débat sur le prélèvement obligatoire nous semble un éternel recommencement, alors que rien ne bouge.

La contribution française est stable, mais très élevée ; le budget est européen se veut contraint ; l’Union européenne est morose, aux abonnés absents sur la scène internationale. Nous le voyons encore dans le drame qui se joue en ce moment dans le Rojava, alors que la Turquie, Jean-Luc Mélenchon l’a dit, perçoit une somme importante de l’Europe. Si nous cherchons des leviers pour faire reculer la Turquie, en voici un : il suffit de ne pas céder au chantage d’Erdogan, en ne payant pas.

Cette année, le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne s’élèvera donc à 21,33 milliards, dans la continuité des précédents. Plus que les années précédentes, le vote français de l’accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement, CETA) en juillet dernier a souligné combien l’Union européenne gère mal ses ressources propres.

Les autorités européennes sabrent leurs seules recettes, les droits de douane, en signant des accords de libre-échange qui, au nom du dogme ultralibéral, les suppriment. L’Union européenne diminue donc volontairement sa seule ressource, ce qui oblige les États membres à compenser la perte de revenus de l’Union. En trente ans, cela a été dit, la part des droits de douane dans le budget de l’Union européenne a fondu de 12 points, passant de 28 % à 16 %.

D’un autre côté, l’Union limite volontairement les dépenses de ses États membres à travers l’article 140 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, qui énonce les critères de Maastricht, que vous connaissez tous. C’est l’autorité perpétuelle, qui oblige à un déficit public annuel n’excédant pas 3 % du produit intérieur brut et à une dette publique inférieure à 60 % du PIB : l’austérité prévaut pour les États, quand l’Union européenne peut faire ce qu’elle veut.

Il n’est pas acceptable que l’Union européenne se permette d’un côté, de signer des traités internationaux qui détruisent ses sources de revenus, et, de l’autre, de mettre la main à la poche, en octroyant des compensations. C’est sans compter que les accords de libre-échange contribuent très largement à la pollution de notre planète et à aggraver les changements climatiques actuels. L’Union européenne n’est définitivement pas à la hauteur des enjeux de notre époque. Cela a été dit, et cela le sera encore.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera donc contre l’article 36 du projet de loi de finances.

M. Jacques Maire. Ma première question porte sur l’effort de sécurité et de défense de l’Union, qui est l’une des priorités de la Commission pour la période à venir, puisque ses crédits doivent augmenter de 112 %, à périmètre comparable. Si le rapport se félicite de l’activité du Fonds européen de la défense, la question de l’accompagnement et du renforcement des politiques de sécurité de nos partenaires, en particulier des pays du G5 Sahel, se pose également. Quels moyens accompagnent le renforcement de cette force conjointe ? Le financement de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, très peu dotée, notamment en Somalie, pourra-t-il être renforcé ?

Ma seconde question a trait à la politique commerciale. Mme Von der Leyen a proposé la création d’un poste de responsable de l’application de la législation commerciale, ce qui correspond exactement au souhait du président de la République de renforcer le contrôle des accords commerciaux à travers le procureur commercial européen. Au-delà de ce poste, il en va de la santé et de la sécurité de nos consommateurs, comme de la protection de nos producteurs, notamment les agriculteurs.

Nous devons donc obtenir une bonne vision des moyens alloués à ce poste. Aujourd’hui, la direction générale du commerce (DG Commerce) n’agit qu’en matière de développement et de négociation, et n’exerce aucun contrôle de mise en œuvre. C’est cela qu’il faut rééquilibrer.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je suis bien d’accord avec vous.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Chaque année, bien que nous entendions les mêmes vœux pieux, nous donnons toujours autant d’argent à une organisation qui nous fait tant de mal.

En dix ans, nous sommes passés d’une contribution nette de 5,5 milliards d’euros à un total de 9 milliards d’euros. Certes, nous pouvons imaginer être solidaires. Je ne suis pas hostile à une contribution nette, mais qu’en penser alors que 500 000 travailleurs détachés ne paient pas leurs charges sociales dans notre pays, que la France, après avoir été rejetée sur la taxe GAFA, est obligée de l’appliquer seule, que la politique migratoire n’est pas coordonnée, et que les accords de libre-échange signés par la Commission ont des conséquences dramatiques pour nos agriculteurs. Cette situation est surréaliste.

Il n’y a pas d’argent lorsque les infirmières demandent des postes pour les urgences ni lorsque les policiers ou les pompiers manifestent. Et quand nos entreprises, petites et moyennes, affrontent une concurrence déloyale, on ne peut pas baisser les charges de manière suffisante. En revanche, lorsqu’il s’agit de l’Union européenne, on ne surveille plus rien.

Sans multiplier les exemples, cités dans les rapports, j’insisterai sur l’affaire de la Turquie : au moment où des atrocités sont commises au Kurdistan, les chiffrent montrent qu’entre 2014 et 2023, si cela continue ainsi, la Turquie aura touché de l’Union européenne au moins 10,5 milliards d’euros. Le 4 mars 2019, le Parlement européen a voté les crédits de préadhésion 2021-2027, dont 1,8 milliard d’euros pour la Turquie. J’ai creusé un peu : la Turquie reçoit 1 500 euros par réfugié, contre 600 euros pour le Liban ou la Jordanie. Devons-nous continuer ainsi ? C’est la vraie question.

J’ai aussi découvert un taux d’appel réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 0,15 % au lieu de 0,30 % pour l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et un rabais particulier de 695 millions d’euros pour les Pays-Bas et la Suède. On parle toujours du rabais britannique, mais il n’est pas le seul !

Cette commission, qui donne des leçons de bonne gestion à la terre entière, présente des dépenses administratives en hausse constante, de 4,7 milliards d’euros en 2000 à près de 10 milliards d’euros en 2019. Et je ne parle pas des coûts de pension de retraite des fonctionnaires européens, des effectifs, ou des 300 milliards d’euros de restes à réaliser. Ce qui se passe est ahurissant !

J’entendais les propos de ma collègue de la République en marche : vous croyez rendre service à l’Union européenne en acceptant l’inacceptable, mais les Français, et les peuples d’Europe, comprennent très bien qu’il n’y a pas d’argent pour eux, quand il y en a toujours pour l’Union européenne et ses oligarques. Vous ne rendez pas service à l’Europe. Tout au contraire, vous êtes en train de la tuer à petit feu.

M. Jérôme Lambert. S’agissant des politiques publiques en France, et du manque de moyens pour satisfaire les nombreux besoins et corriger de nombreuses injustices dans notre pays, ces choix budgétaires, que je considère comme des fautes, ne sont pas entièrement imputables à l’Union européenne. De ce fait, elles ne doivent pas rejaillir sur l’Union et son budget.

Certes, comme un grand nombre d’entre nous, je suis favorable à ce que les politiques de l’Union européenne changent dans de nombreux domaines, afin d’obtenir des retours différents sur le terrain. Telle est ma position, depuis très longtemps.

Les exemples ne manquent pas. Ils ont été donnés par plusieurs d’entre nous. Pour autant, s’il nous arrivait de ne pas voter la contribution demandée, nous bloquerions tout, en particulier la PAC. Bien que le retour que nous recevons ne nous satisfasse pas, il y a un combat à mener à l’échelle européenne. J’espère que nos parlementaires européens agissent en ce sens, et nous aussi, en tant que parlementaires français.

Il ne faut cependant pas tout confondre. Pour ma part, je voterai ce budget, un peu contraint, mais en vous certifiant que je continue de me battre car beaucoup de choses ne me conviennent pas aujourd’hui.

Mme Valérie Boyer. Je suis toujours très perturbée et déchirée quand il s’agit de discuter des budgets européens. Si je crois en l’Europe – nous sommes une civilisation européenne et nous avons intérêt à nous inscrire dans ce cadre –, j’éprouve une forme de désespoir quand je vois à quel point l’Europe est incapable de faire face, y compris à l’indicible, comme en ce moment, au Kurdistan. Dans la crise actuelle, l’Union, incapable d’avoir une action, même diplomatique, n’a même pas rappelé tous ses ambassadeurs, d’un côté comme de l’autre.

Par ailleurs, nous donnons une contribution nette, alors que, sur de grands sujets, le débat n’est pas clair pour les Français. Aujourd’hui, tout ce que nous faisons en matière d’Europe, la fait détester des Européens. Pour moi, c’est une déchirure.

Je voudrais insister sur les migrations et la maîtrise des frontières, qui font partie des priorités de la Commission européenne, comme on le lit dans l’excellent rapport de notre collègue : « Le soutien aux frontières de l’Union et notamment aux pays situés sur la rive nord de la mer Méditerranée mais également l’amélioration d’un système d’asile qui n’est plus calibré pour le flux actuel est évidemment une priorité absolue. »

Néanmoins, Mme Merkel a décidé seule du sort des réfugiés, avant de nous présenter l’addition : la négociation s’est faite avec elle. Aujourd’hui, la Turquie nous menace de déverser des réfugiés sur nos frontières, que nous sommes incapables de garder. Elle reçoit pourtant 1 500 euros par réfugié, alors que ce montant est moitié moins élevé pour les autres pays qui accueillent des réfugiés. Or ces pays ne nous menacent pas en permanence.

Je note que les effectifs de Frontex devraient passer de 1 200 agents à 10 000 d’ici à 2027. Mais c’est maintenant, non en 2027, que nous avons besoin de ces postes !

Quant au Fonds asile, immigration et intégration (FAMI) et au Fonds de gestion intégrée des frontières, ils verront leurs capacités renforcées : « Le montant mis à disposition de cette rubrique augmenterait de 252 % par rapport au cadre financier précédent, pour atteindre 35 milliards d’euros. » Je reviendrai prochainement sur toutes les difficultés de ce secteur dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Je souhaiterais cependant que nous réfléchissions à ce à quoi l’Europe nous sert concrètement. S’agissant de l’augmentation du budget, je livre cette phrase de Jean Jaurès à votre sagacité : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Aujourd’hui, je pense qu’il faut être courageux. Je ne peux pas voter le budget tel qu’il nous est présenté car il témoigne d’une incohérence totale entre nos objectifs et ce que l’on nous demande de faire au niveau européen.

M. Sylvain Waserman. Je reprends la parole à titre personnel, pour poser une question et faire une proposition concernant le Brexit. Le rapport indique que la contribution nette britannique s’élève à environ 10 milliards d’euros, dont la perte conduirait à une augmentation de la contribution française de 5 à 6 milliards d’euros dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Il serait intéressant d’étudier l’impact du Brexit en termes financiers, toutes choses étant égales par ailleurs. Du fait de la construction budgétaire, on mélange deux effets : l’impact direct de la perte de recettes, que les États membres restants doivent se répartir ; et le coût d’une ambition nouvelle que l’on peut vouloir porter. Notre commission pourrait, dans les mois à venir, essayer de détourer ces deux sujets, afin que nous passions du mythe à la réalité des chiffres.

Par ailleurs, nous avons souvent évoqué, par euphémisme, le fait que nos collègues britanniques avaient une vision de l’Union assez différente de la nôtre, notamment qu’ils freinaient certaines évolutions. Le Brexit, qui est un problème en soi, constitue aussi une opportunité pour relancer une approche plus volontariste de l’Union, ce que traduira peut-être le budget. Nos travaux budgétaires à venir devront donc bien détourer l’impact du Brexit.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il faut « détourer » ce sujet sur le plan budgétaire, mais on doit aussi attendre de voir quelles décisions vont être prises par les Britanniques. Notre commission devra se saisir dès que possible de la question du futur partenariat entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je rejoins bien des critiques qui ont été formulées. Si on essayait un instant de prendre de la hauteur pour regarder ce qu’elles ont en commun, on s’apercevrait que, quel que soit notre point de départ en ce qui concerne le projet européen, nous arrivons maintenant à des exigences assez communes.

Si un point de vue français s’exprimait en Europe, la situation évoluerait autrement. Il y a un point de vue allemand dans les discussions : le gouvernement allemand, les députés et les cadres politiques de ce pays interviennent tous dans le même sens. Ils chassent en meute au Parlement européen, au sein duquel nous sommes un certain nombre à avoir siégé – vous ne me contredirez pas, madame de Sarnez… Tous ces acteurs sont toujours d’accord entre eux dès qu’on touche à des sujets relevant de leur Volksgeist, leur esprit public, notamment sur des points de doctrine économique.

Il y a également un certain nombre de points sur lesquels nous sommes tous d’accord, nous qui sommes français, nonobstant toutes nos oppositions. Je pense notamment à la place de l’État et aux solidarités sociales, même s’il y a des variations. Cela fait partie de notre vision de la vie en société. Or ce point de vue ne s’exprime jamais. Nous n’avons jamais fait de proposition au sujet de la laïcité, que nous avons tous à fleur de peau. Lors de la fameuse convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing, beaucoup de membres se sont regroupés par pays et par thèmes, mais les Français n’ont jamais fait la moindre proposition en ce qui concerne la laïcité. Il ne faut pas s’étonner de ne pas être entendu si on ne dit rien.

Vous avez manifesté des inquiétudes à propos de l’avenir, et vous avez raison. Les changements à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) font qu’il y a une majorité de responsables hostiles à la politique que M. Draghi avait fort heureusement imaginée en matière de facilités monétaires. Cela veut dire que la politique menée va être beaucoup plus restrictive en pleine période de récession, sous les applaudissements des banquiers allemands qui trouvent que c’est une bonne idée parce que cela garantit la stabilité de la monnaie – de leur monnaie – et qu’ils veulent une meilleure rétribution des fonds placés par les banques auprès de la BCE. Cela va donc aller plus mal : c’est une certitude. Comme on ne change rien aux autres politiques, on ne voit pas pourquoi la situation s’améliorerait.

La question de la politique agricole commune a aussi été évoquée. Ce n’est pas un cadeau accordé aux Français : nous donnons 21 milliards d’euros et nous en récupérons 14 milliards d’euros. C’est notre argent qui est utilisé d’une manière communautaire. La PAC a permis d’arriver en vingt ans à l’autosuffisance alimentaire, sauf pour une marchandise, le soja, que nous avons abandonnée au marché mondial. Il y a des leçons à en tirer alors que nous allons ouvrir les marchés et faire de l’ensemble des productions agricoles un marché comme les autres.

On voit quel est le résultat dans les urnes. Je me souviens des discussions que nous avions lorsque je siégeais, avec certains d’entre vous, au parti socialiste, à propos de l’entrée de dix pays en même temps au sein de l’Union européenne. On nous disait qu’on ne pouvait pas refuser à ces pays d’entrer, parce qu’ils l’espéraient tellement et qu’ils aimaient tant le projet européen. Regardez les taux d’abstention ! C’est absolument inouï : ils sont de 80 % dans certains pays de l’ex-Europe de l’Est. Cela veut bien dire que quelque chose a déraillé. Il est temps d’y remédier.

J’ajoute, car je n’ai pas indiqué ce chiffre tout à l’heure, que 9 milliards d’euros représentent 10 % de notre déficit : ce n’est pas une petite somme. C’est pourquoi je me suis permis de parler de contribution somptuaire.

Je connais la fermeté des convictions de mon ami Jérôme Lambert, qui a dit que cela fait des années qu’il demande des changements. Si rien ne bouge, il faut se poser une question : pourquoi ? Ce n’est pas parce que les gens sont méchants, mais tout simplement parce que les conditions ne permettent pas le changement. Nous sommes un peu au pied du mur. Or il est évident qu’il ne se passera rien, comme d’habitude. Jacques Delors m’a donné raison, une fois, au bureau national du parti socialiste, en disant qu’il fallait provoquer des crises. Le fait que Jacques Delors tombait d’accord avec moi était un événement de portée intergalactique (Sourires).

M. Jean-Louis Bourlanges. D’ailleurs, il va très mal.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’était il y a longtemps, et je lui souhaite un prompt rétablissement, autant que possible.

Ce qui est sûr, c’est qu’on ne fait bouger l’Europe que par des crises. Je le répète, même si je sais que vous n’aimez pas m’entendre le dire, car vous l’interprétez d’une mauvaise manière. Il n’est pas possible que l’Europe continue à être l’Europe allemande. Ou bien elle est l’Europe européenne ou bien elle ne fonctionnera jamais, et il n’y a pas d’Europe européenne sans les Français.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. Comme nous n’avons pas beaucoup de temps, je vais commencer par évoquer certains aspects assez généraux et politiques, au-delà des données financières, et je répondrai à quelques-unes des questions très précises qui ont été posées – je ne les traiterai pas toutes, mais je pourrai faire des réponses écrites.

Beaucoup d’entre vous soulignent, et c’est aussi la critique principale de Jean-Luc Mélenchon, que nous sommes contributeurs nets. Vous dites qu’on peut l’accepter dans un esprit de solidarité européenne générale, mais que le niveau de notre contribution nette est trop élevé et que nous attendons des retours dans des domaines stratégiques tels que la sécurité des frontières et le contrôle des migrations.

Je crois qu’il ne faut pas s’en tenir à une vision seulement comptable si on veut apprécier les retours réels par rapport à la contribution de la France. Dans le domaine de la PAC, le retour sur investissement pour l’agriculture française et nos agriculteurs est bien supérieur aux milliards d’euros que nous récupérons car il y a des effets d’entraînement pour un certain nombre de filières agricoles qui peuvent investir pour mieux produire et surtout pour être plus compétitives sur les marchés internationaux – c’est ainsi que l’agriculture se développe aujourd’hui. Sans les montants liés à la PAC, nous n’aurions pas la même capacité à nous projeter sur un certain nombre de marchés internationaux.

L’absence de voix européenne en matière de politique étrangère, par exemple au sujet de ce qui se passe à la frontière syrienne, ou dans le domaine du contrôle des migrations, n’est pas une question budgétaire. Cela concerne le fonctionnement politique de l’Union européenne et non pas son fonctionnement administratif – au sens où nous discutons aujourd’hui des moyens consacrés à l’Union européenne pour mettre en œuvre ses politiques, qu’elles soient historiques ou nouvelles.

Nicole Trisse m’a interrogé sur les risques d’échec des discussions relatives à la taxe GAFA dans le cadre de l’OCDE. Je pense que l’Allemagne craignait la position des États-Unis. À partir du moment où une forme d’accord a été trouvée entre le président Trump et le président Macron sur ce sujet, on peut imaginer – même si on ne peut pas en être certain – que la position de l’Allemagne évoluera favorablement.

Jean-Michel Clément a demandé quels pourraient être les ajustements à la fin de la procédure budgétaire européenne. En général, les ajustements sont plutôt à la baisse et ils prennent la forme d’arbitrages sur les moyens de fonctionnement. Il y a aussi la question du Brexit, qui pourrait intervenir le 31 octobre dans des conditions que l’on ne connaît pas encore. Il est donc difficile d’en dire plus.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je voudrais réagir aux remarques du rapporteur pour avis et de Jérôme Lambert. Le vote d’un budget est un acte éminemment politique : vous ne pouvez pas dire qu’on ne doit pas confondre le budget, la gestion, et la politique. C’est le seul levier dont dispose la France, qui est contributrice nette. Si on n’est pas capable de faire un geste politique vis-à-vis de ce qui se passe en Turquie et au Kurdistan, des travailleurs détachés ou de la taxe GAFA, à quoi sert-on dans cette commission ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Je voudrais faire deux remarques en écho à ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon.

En ce qui concerne « l’Europe allemande », je voudrais qu’on regarde la situation avec un peu plus d’équilibre et d’équité. On ne doit pas sous-estimer en France l’évolution qui a eu lieu au cours des vingt dernières années du côté des Allemands. S’agissant du bail-out, par exemple, l’idée de se porter au secours d’un État en difficulté, comme la Grèce, était totalement exclue auparavant. Les Allemands ont « mangé » leurs convictions dans ce domaine. Par ailleurs, il était totalement inenvisageable d’adopter une initiative de défense. Celle qui se trouve sur la table est certes tout à fait insuffisante, compte tenu des moyens dont l’Europe dispose, mais un tabou a été brisé. Dans le domaine économique, les Allemands étaient sur une ligne absolument ordolibérale il y a vingt ans : il fallait simplement ne pas avoir de déficit. Avec le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui a été contesté, les Allemands ont introduit la notion de déficit structurel, ce qui ouvre la voie à la prise en compte du cycle économique. Ce sont des évolutions lentes et insuffisantes, bien sûr, mais il ne faut pas croire que tout est figé.

Pour ce qui est du prélèvement européen, je crois qu’il faut vraiment cesser de raisonner selon une logique stupidement « donnant-donnant », autour de la notion de contributeur net. S’il devait y avoir un équilibre budgétaire parfait entre les contributions et les retours, ce ne serait pas la peine d’avoir un budget européen. Ce qui le justifie n’est pas que tel ou tel pays est satisfait mais l’existence d’intérêts communs. Quand on les prend en compte, on voit bien que nous sommes aussi bénéficiaires. On a peut-être mal utilisé la PAC, mais elle a drainé des fonds considérables en direction de la France. De même, nous subissons l’immigration, mais beaucoup moins nettement et directement que les pays de premier accueil. En ce qui concerne la politique de cohésion, qui est la grande source de dépenses au plan européen, il faut regarder les résultats. Si la Pologne a vu son niveau de vie augmenter puissamment, ce qui nous arrange, et il en est de même pour sa stabilité, c’est en grande partie grâce à la politique de cohésion. La vraie devise des Européens est : « égoïsme bien ordonné commence par les autres ».

M. Frédéric Petit. Quand on me demande ce qu’est l’Europe à mes yeux, je réponds que c’est chez moi. Je voudrais évoquer un chiffre que l’on oublie toujours dans les calculs d’épiciers autour de la notion de contribution nette : il s’agit des investissements français en Europe, qui sont de l’ordre d’une centaine de milliards d’euros, ce qui est considérable. Investir en Pologne ne signifie pas investir à l’extérieur de ce qui concerne : c’est investir chez nous. Cela aide nos entreprises et 200 000 emplois dans deux pays que je connais bien, la Pologne et la Roumanie.

M. Pascal Brindeau, rapporteur pour avis. On pourrait prolonger ce débat très longtemps. Je ne dis pas que l’adoption du budget n’est pas un acte politique, mais que refuser de voter en faveur de la contribution française à l’Union européenne ne réglera pas, à l’évidence, la situation des Kurdes à la frontière turque : cela dépend d’une éventuelle position commune au sein de l’Union européenne et, au-delà, de la position des États-Unis dans la région. Budget européen ou non, la question qui se pose est de savoir si les puissances occidentales se mettent d’accord sur une position commune.

M. Claude Goasguen. Je trouve qu’il y a des limites à l’engouement européen des années 1960. La situation a considérablement évolué et le budget européen n’est pas un veau d’or devant lequel on doit se courber à chaque évolution de la situation internationale. Si le budget européen doit être considéré comme intouchable, ce n’est pas la peine de nous le présenter. Excusez-moi, mais je ne voterai pas ce budget.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut qu’il y ait une évolution de notre manière d’intervenir : on ne doit pas rester enfermé dans la situation actuelle. Si ceux qui critiquent sont nécessairement des xénophobes, repliés sur eux-mêmes, et des nationalistes, tandis que les autres sont les bons amis de l’humanité, on ne peut plus parler. Je critique la construction de l’Union européenne car c’est un objet qui a changé alors que les discours ne bougent pas. L’Europe n’est pas la même quand il y a 6, 12, 15 ou 28 États membres. Quand on utilisait des fonds communs pour aider l’Espagne et le Portugal à faire du rattrapage, nous étions 15. Il y a aujourd’hui 28 États membres, et la forme même de l’Europe a changé : alors que l’Allemagne était la frontière extérieure à l’Est, elle est maintenant le centre géographique de l’espace européen. Si la géographie, l’histoire et la politique n’ont aucune influence sur la nature des discours, on peut dire qu’on psalmodie.

Il y a des gens qui, comme Marielle de Sarnez et quelques autres, chacun le sait, défendent des positions visant à faire évoluer la structure européenne : ils ne disent pas qu’elle est bien actuellement. Nous avons la même posture. Mon avis personnel n’a pas toujours été le même : j’ai été un fédéraliste européen, à une époque, car je pensais que c’était une forme d’accomplissement d’une certaine idée, mais j’ai compris. D’où la remarque que j’ai adressée à Jérôme Lambert : quand rien ne change alors qu’on veut ça évolue, il y a une raison. Ce qui est vicié, à mon avis, c’est la nature des traités, et cela ne va pas s’arranger.

S’agissant du Brexit, on commettrait une erreur si on ne regardait pas ce qu’il y a dans l’accord envisagé. Il est pire que la situation actuelle, car les Britanniques auront un accord de libre-échange avec l’Union européenne sans aucune des contraintes prévues pour les États membres. Je souhaite un Brexit sans accord : nous aurons ainsi un meilleur rapport de force pour imposer aux Britanniques des contraintes si nous concluons un pacte avec eux.

Il est absolument erroné de dire que les Allemands ont évolué positivement parce qu’ils ont brisé certains tabous. Personne n’a aidé la Grèce : on lui a donné de l’argent pour rembourser les banques, et c’est tout. Si Alexis Tsipras était sorti de la salle en disant, comme je lui avais conseillé de le faire, qu’il aurait bien voulu payer mais qu’il ne le pouvait pas, je vous garantis que François Hollande et Angela Merkel auraient couru dans le couloir pour le rattraper. Le système assurantiel du mécanisme financier européen représente 65 milliards d’euros pour les Allemands et 45 milliards d’euros pour les Français. Si Alexis Tsipras avait déclaré la banqueroute, il aurait trouvé un meilleur arrangement.

Il n’est pas exact de dire que les choses ont bougé autrement que par la force et dans le cadre d’une crise. Faisons en sorte de la provoquer nous-mêmes, pour une fois. Notre solde de 9 milliards d’euros est un instrument dans la discussion : essayons de peser et demandons une autre orientation pour l’Europe. On la rend odieuse aux Européens, cela a été dit. Il faut s’en émouvoir.

Quand je parle d’une « Europe allemande », je me réfère à un livre écrit par un Allemand et préfacé par M. Cohn-Bendit, qui est un thuriféraire habituel de l’Europe, quoi qu’elle fasse. L’expression que j’ai utilisée n’est pas excessive. Si vous ne voulez pas voir, au sein de La République en Marche, que vous venez de vous faire rouler, à deux reprises, par Mme Merkel, c’est votre affaire. Mais moi, en tant que Français, je ne suis pas d’accord pour que l’on soit traité de cette manière. Il y a quelqu’un qui nous a plantés dans cette affaire. Je pense des choses qui ne vous plairaient peut-être pas au sujet de Mme Goulard, mais c’est quand même la France qui vient de déguster.

L’aide donnée à la Turquie a été évoquée – 1 500 euros par réfugié. Il y a quand même un problème de budget quand on donne, dans le même temps, 600 euros aux Libanais alors que ce sont nos amis et nos alliés dans la région et que les migrants représentent dans ce pays le tiers de la population.

Rééquilibrer ne veut pas dire détruire, et je crois que nous pourrions nous accorder. Il y a un levier possible. Si nous votions contre ce budget, cela créerait une ambiance de travail, comme on dit.

Mme Valérie Boyer. Je pense qu’il n’y a personne, parmi nous, qui n’aime pas la France et l’Europe. Néanmoins, le monde a vraiment changé entre le moment où nous avons commencé à voter pour l’Europe, même s’il est vrai que certains sont plus jeunes que d’autres, et aujourd’hui. Nous traversons une crise de sens qui nous fait tous souffrir compte tenu de nos convictions profondes, aussi bien patriotiques qu’européennes. C’est ce que je ressens, en tout cas. Je ne peux pas dire « oui » à ce budget : il faut discuter point par point la contribution française dans la situation sociale extrêmement douloureuse qui est la nôtre et dans le chaos que connaît l’Europe.

Je l’ai dit tout à l’heure : rappeler nos ambassadeurs ne coûte rien, mais on ne le fait même pas en ce qui concerne la Turquie. Elle est, comme nous, membre de l’OTAN et elle occupe, dans l’indifférence générale, une partie d’un autre pays de l’Union européenne, Chypre. Personne ne s’en émeut, et cela dure depuis 1974.

Le moment est venu de dire à quoi nous croyons. C’est pourquoi je voterai contre ce budget. Il manque les réponses et les solutions que je souhaite. Par ailleurs, je trouve qu’il serait malhonnête de faire croire aux Français que nous agissons contre les exactions de la Turquie tout en votant pour un budget dans lequel se trouvent des crédits pour ce pays. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas cohérent. Et ce n’est même pas digne.

M. Jean-Louis Bourlanges. En ce qui concerne la Turquie, il est quand même étonnant que l’on ne se rappelle pas comment on en est arrivé là. J’appartiens, comme Marielle de Sarnez, à une famille politique qui s’est absolument opposée à l’adhésion de la Turquie. M. Giscard d’Estaing s’est exprimé à l’Assemblée nationale contre une telle idée. C’est d’abord le président Chirac, que tout le monde honore aujourd’hui, qui a défendu ce projet. Il a trouvé, lors du sommet qui s’est tenu à Helsinki en 1999, qu’il était très bien d’ouvrir, sans raison, des négociations d’adhésion avec un pays qui, comme cela a été dit, occupait une partie d’un Etat européen. Essayons de nous souvenir des responsabilités des uns et des autres. Pour ma part, j’ai pris des positions très claires sur ce sujet. Il faudrait quand même essayer de ne pas tout mélanger. Ce n’est pas l’Europe qui est en cause, en tant qu’Union européenne, mais des partis politiques et des États.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que nous ne regardons pas l’avenir. Toute la politique budgétaire est centrée, depuis des années, sur la cohésion, qui a été essentiellement relancée par l’ouverture de l’Europe à l’Est – elle a été prise en compte –, et on voit bien aujourd’hui, quand on regarde les projets de la Commission, que toutes les priorités envisagées correspondent à celles que nous voulons. Il y a simplement deux choses qui ne vont pas. D’une part, il n’y a pas de moyens, puisque les États ne veulent pas donner des moyens importants à l’Union européenne, nous sommes tous d’accord sur ce point.

M. Claude Goasguen. Non !

M. Jean-Louis Bourlanges. D’autre part, nous n’arrivons pas à avoir une distribution rationnelle des compétences entre l’Union européenne et les États membres, car tout le discours des anti-européens a consisté à dire qu’il fallait moins de pouvoir pour l’Europe. Dieu se rit, comme le dit Bossuet, de ceux qui maudissent les conséquences des causes qu’ils chérissent (Applaudissement sur quelques bancs).

M. Jérôme Lambert. L’intérêt des discussions que nous avons en commission depuis quelque temps est qu’on a l’occasion d’entendre les arguments des uns et des autres. Après avoir écouté Jean-Luc Mélenchon – et d’autres collègues –, je suis amené à réfléchir. Quand on se bat pour certaines conceptions, en matière de politique européenne ou en ce qui concerne seulement la France, on ne peut pas dire « oui » à tout. J’ai indiqué tout à l’heure que je ne voyais pas vraiment l’intérêt de ne pas voter en faveur de ce budget, dans la mesure où il serait inutile de bloquer la situation : on se tirerait une balle dans le pied, d’une certaine manière, et rien ne nous empêche d’exprimer, par ailleurs, certaines vérités. Or je vais réviser la conclusion à laquelle je suis parvenu tout à l’heure : compte tenu de ce que j’ai entendu, je ne vais pas voter en faveur de ce budget.

M. Christophe Naegelen. Quand on voit la hausse de la contribution française depuis des années et le coût administratif de l’Union européenne, on ne peut pas dire que celle-ci n’a pas d’argent. Il y a simplement un mauvais fléchage des crédits en termes de priorités. On n’est pas capable d’imposer à l’Europe ce qu’on veut faire de l’argent qui lui est donné. De vrais problèmes se posent – j’ai parlé tout à l’heure de Frontex et de l’écologie, et il y a aussi la question des Kurdes en Turquie et en Syrie. Si on avait un réel pouvoir, c’est vers ces sujets qu’il faudrait flécher l’argent que l’on met à la disposition de l’Europe. On n’est pas capable de le faire, mais il ne faut pas dire que l’Union européenne n’a pas d’argent. Quand des Français ou des ressortissants d’autres États membres qui ont du mal à joindre les deux bouts voient la manière dispendieuse dont vit l’Union européenne, ce n’est tout simplement pas un argument qu’ils peuvent entendre.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous allons maintenant clôturer ce débat, que j’ai trouvé extrêmement intéressant : il est important de pouvoir aller au fond de telles questions.

Il y a, me semble-t-il, une forme de consensus au sein de la commission : nous voulons que ce budget soit un levier politique. La France doit porter et défendre une vision politique. Toute la question est là. Un budget n’est pas qu’une affaire budgétaire au sens comptable du terme : c’est d’abord une question de vision politique. Un budget est au service d’une vision. C’est ce que nous devrons rappeler lundi dans l’hémicycle. Si nous pouvions tous le faire, chacun avec ses mots, sa sensibilité et sa vision de la situation, ce serait utile.

Je pense qu’il faut faire bouger des choses. S’agissant de la BCE, je défends depuis toujours l’idée qu’il faut modifier sa mission – elle ne doit pas concerner uniquement la stabilité des prix, mais aussi le plein-emploi, à l’image de ce que fait la Banque centrale américaine. Il faut apporter certains changements. Nous avons aussi besoin d’une politique commune en matière de migrations et d’asile au plan européen et d’un budget qui prenne en compte ces questions.

Si nous pouvions, les uns et les autres, chacun à sa place, défendre cette vision en séance publique, ce serait une bonne chose. Il faut que l’exécutif prenne en compte ces exigences : c’est l’intérêt de la France, et je ne doute pas que le Président de la République et le Premier ministre auront la volonté politique de le faire. C’est maintenant qu’il faut être au rendez-vous.

Mme Valérie Boyer. Bravo !

Suivant lavis favorable du rapporteur, la commission émet un avis favorable à ladoption de larticle 36 du projet de loi de finances pour 2020.


([1]) Combinaison optimale entre politique budgétaire et monétaire.

([2]) Budgets rectificatifs n°1 (report du solde excédentaire de l’année antérieure), n°2 (mobilisation de crédits d’engagement pour le renforcement des programmes Erasmus et Horizon 2020), n°3 (intervention du Fonds de solidarité de l’Union européenne en Autriche, Italie et Roumanie) et n°4 (actualisation des CA et CP pour les rubriques « Cohésion économique, sociale et territoriale », « Sécurité et citoyenneté », et « Administration » ; actualisation des bases et clés de contribution des 28 États membres à la suite du comité consultatifs des ressources propres (CCRP) de mai 2019).

([3]) Ensemble de textes dont la décision 2014/335/UE Euratom du Conseil du 26 mai 2014 relative aux ressources propres de l’Union européenne.

([4]) Taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé en France concernant les entreprises dont ledit chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros à l’échelle mondial et 25 millions d’euros en France.

([5]) Le premier pilier, qui représente environ 80 % des dépenses de la PAC porte sur les mesures de soutien aux marchés et aux revenus des exploitants agricoles : il est financé par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA).

([6]) Le second pilier porte sur la politique sur développement rural.