N° 2303

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

TOME VII

 

 

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

 

 

PAR Mme Valérie Boyer

Députée

——

 

 

Voir le numéro : 2301.


 


— 1 —

 

SOMMAIRE

Pages

introduction

I. LA problÉmatique migratoire demeure forte en dÉpit dune baisse relative

A. Les flux migratoires ENREGISTRENT une diminution mais imposent néanmoins une vigilance de tous les instants

1. Les flux irréguliers vers lEurope sont en baisse mais restent préoccupants

2. Les demandes dasile enregistrées en Europe sont en diminution continue

B. le cas français se révèle singulier face à la problématique migratoire

1. La pression migratoire continue de peser fortement sur la France

a. La pression des flux irréguliers en direction de la France

b. La nécessité dune meilleure coopération avec les pays dorigine ou de transit

2. Les demandes dasile enregistrées en France sont en hausse constante

a. Une hausse imputable à deux phénomènes : les mouvements secondaires et la libéralisation du régime des visas pour certains pays

b. Une harmonisation européenne en matière dasile apparaît comme une nécessité

II. le régime français de protection sociale des personnes étrangÈres Apparaît contestable

A. Laccès aux soins des personnes étrangères

1. Le nécessaire encadrement de laide médicale de lÉtat

2. La nécessité dune refonte de ladmission au séjour pour raisons de santé

a. Un dispositif extrêmement généreux et unique en Europe

b. La réforme de la procédure d’admission au séjour pour soin a permis des avancées certaines en matière de lutte contre la fraude qui doivent désormais être confirmées

B. la prise en charge dun public vulNérable : le cas des mineurs non accompagnés

1. Lafflux exponentiel des mineurs non accompagnés expose le dispositif daccueil et de protection à une surchauffe

a. Le nombre de mineur non accompagné est en hausse constante en France

b. Laccueil de ce public vulnérable représente une lourde charge à laquelle les départements ne parviennent que difficilement à faire face

2. Le nouveau dispositif dappui à lévaluation de la minorité semble faire ses preuves et mériterait une généralisation sur tout le territoire

a. Lévaluation est impérative pour protéger ceux qui nécessitent effectivement une protection

b. La mise en place du fichier national produit des résultats satisfaisants

CONTRIBUTION DE M. JEAN-MICHEL CLÉMENT AU NOM DU GROUPE LIBERTÉS ET TERRITOIRES

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Présentation DE l’avis devant la commission des affaires étrangÈres

EXAMEN DES CRÉDITS

Liste des personnes auditionnées par lA rapporteurE

ANNEXE


— 1 —

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA RAPPORTEURE

Recommandations d’ordre général :

1) Réduire l’immigration légale à son strict minimum en fixant, chaque année, des plafonds limitatifs d’immigration, votés par le Parlement ;

2) Donner instructions aux préfets pour exécuter toutes les mesures d’éloignement, dont les obligations de quitter le territoire français (OQTF) notifiées aux personnes en situation irrégulières, notamment les déboutés du droit d’asile, et qui trop souvent restent aujourd’hui lettre morte ;

3) Redonner aux forces de l’ordre les moyens de donner force à la loi et de faire respecter la réglementation en matière de séjour en rétablissant notamment le délit de séjour irrégulier supprimé par la loi du 31 décembre 2012 ;

4) Conditionner strictement l’aide au développement accordée par la France aux pays d’origine à une collaboration renforcée pour permettre la fiabilisation des documents d’identité de leurs ressortissants et faciliter le retour de leurs ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national ;

5) Conditionner l’accès aux prestations sociales à une durée de résidence légale de 10 ans en France ;

6) Restreindre l’acquisition de la nationalité française en la subordonnant à une entrée légale sur le territoire, y compris pour les mineurs, sauf pour les personnes ayant la qualité de réfugié ;

7) Empêcher strictement l’accès à la nationalité française à toute personne constituant une menace grave pour l’ordre public, ayant été condamnée en dernier ressort en France pour crimes ou délits, quelle que soit l’infraction considérée, ayant été inscrite au fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste ;

8) Renforcer la protection effective des frontières extérieures de l’Union européenne en s’appuyant notamment sur un véritable corps de gardes‑frontières européens. Procéder urgemment à la refondation de l’espace Schengen, en facilitant, en cas de besoin, le rétablissement des frontières nationales et en suspendant la participation à l’espace Schengen de tout État n’assumant pas correctement ses obligations ;

9) Améliorer globalement les outils statistiques (répartition par nationalité des bénéficiaires de l’AME, durée de l’AME, âge et distinction par sexe des personnes appréhendées en situation irrégulière…) dont votre rapporteure déplore l’inexistence ou la faiblesse. Mise en place également d’une véritable comptabilité analytique permettant de retracer précisément le coût de l’ensemble des procédures en lien avec les questions migratoires afin de renseigner au mieux nos concitoyens sur la réalité de l’immigration en France.

Recommandations concernant l’asile :

10) Adapter, au plus vite, les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile (allocation perçue par les demandeurs et financement des structures d’hébergement) dont le coût ne cesse d’augmenter en raison d’un afflux de demandeurs d’asile en France, chaque année plus important ;

11) Refondre rapidement le régime d’asile européen commun afin d’harmoniser les pratiques et les règles régissant l’asile s’agissant notamment des taux de protection ;

12) Généraliser l’examen des demandes d’asile au sein de « hot spots » installés à proximité de zones de conflit ;

13) Soumettre, chaque année, la liste des « pays d’origine sûrs » à l’examen et au vote du Parlement ;

14) Faciliter le refus ou le retrait de la qualité de réfugié à tout individu qui serait condamné en dernier ressort pour tout crime ou tout délit, quelle que soit la durée d’emprisonnement ;

Recommandations concernant l’accès aux soins des personnes étrangères

15) Repenser et resserrer le dispositif de l’aide médicale de l’État (AME) (848 millions d’euros en 2018) en vue de le limiter le panier de soins à une « aide médicale d’urgence » ne couvrant que les soins urgents et vitaux. À défaut, instaurer pour les soins particulièrement coûteux, une obligation d’agrément préalable des caisses d’assurance maladie. Œuvrer, par ailleurs, pour l’instauration d’une « aide médicale d’urgence » (AMU) unifiée au niveau de l’Union européenne afin d’éviter tout « nomadisme » entre États ;

16) Repenser et resserrer le dispositif de l’admission au séjour pour raisons de santé, dont la générosité est unique en Europe, en révisant le panier de soins, afin de réduire l’attractivité de la France vis‑à‑vis des candidats à l’immigration. Renforcer, par ailleurs la lutte contre l’usurpation d’identité et la fraude aux analyses biologiques, en liant l’attribution d’une carte donnant accès aux soins à une identité fiable ;

17) Œuvrer pour la mise en place de dispositifs efficaces permettant aux hôpitaux publics de recouvrer le plus tôt possible les créances des patients étrangers non‑résidents. Rendre, par ailleurs, de toute urgence pleinement opérationnel le protocole de soins bilatéral entre la France et l’Algérie ;

18) Faciliter pour les caisses primaires d’assurance‑maladie le recours et le croisement de l’ensemble des fichiers (visabio, eurodac et d’appui à l’évaluation de la minorité) afin de permettre un meilleur suivi des personnes étrangères en France et ainsi restreindre au maximum toute possibilité d’abus et de fraudes.

Recommandations concernant la protection des mineurs non accompagnés

19) Recentraliser la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), les départements ne pouvant plus faire face à leur afflux exponentiel. Cette prise en charge ne concerne pas uniquement la protection de l’enfance mais comporte également une dimension migratoire relevant, à ce titre, d’une compétence régalienne ;

20) Généraliser de manière obligatoire sur l’ensemble du territoire le recours au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) qui fournit de très bons premiers résultats et permet de lutter efficacement contre la fraude ou le « nomadisme » entre départements ;

21) Améliorer les recherches concernant l’identité des MNA et systématiquement rechercher les parents de ces derniers lorsqu’ils arrivent en France au nom du devoir d’humanité et de responsabilité des parents à l’instar de qui se fait à Malte.

 


     

   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration du projet de loi de finances pour 2020. Cette mission comporte deux programmes : le programme 303 Immigration et asile et le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française.

Cette mission se structure autour de trois grands axes d’action : la maîtrise des flux migratoires, l’intégration des personnes immigrées en situation régulière et la garantie du droit d’asile.

Comme l’an passé, le budget de la mission Immigration, asile et intégration est en augmentation. Les crédits de la mission inscrits au projet de loi de finances pour 2020 sont en hausse de 4,47 % en autorisation d’engagement (AE) et de 7,68 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, et représentent ainsi respectivement 1,93 et 1,82 milliard d’euros.

Le programme 303 Immigration et asile voit ses crédits pour 2020 portés à 1,50 milliard d’euros en AE et 1,38 milliard d’euros en CP, en hausse respectivement de 53,8 millions d’euros et de 100,8 millions d’euros. Cette hausse vise principalement l’action 2 Garantie de lexercice du droit dasile, avec une hausse de 118,6 millions d’euros en AE et 138,8 millions d’euros en CP, afin de renforcer les capacités d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, tandis que l’action 3 Lutte contre limmigration irrégulière enregistre une baisse significative, de l’ordre de ‑26,39 % en AE et ‑9,98 % en CP par rapport à l’an passé, ce qui ne manque pas d’interpeller fortement votre rapporteure au regard des défis que notre pays doit relever en la matière.

Pour leur part, les crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française atteignent 408 millions d’euros, soit une hausse marquée par rapport à 2019, à hauteur de 28,9 millions d’euros en AE et de 28,9 millions d’euros en CP.

Votre rapporteure estime que le budget de la mission Immigration, asile et intégration n’est pas à la hauteur des enjeux. Les crédits sont globalement en hausse mais ils ne permettront pas de répondre aux défis migratoires à laquelle la France est confrontée et aux attentes légitimes de nos concitoyens en la matière.

Cette année les travaux de votre rapporteure se sont essentiellement portés sur la dimension sociale de l’immigration en France et plus particulièrement sur la question de l’accès aux soins et de la prise en charge du public vulnérable que constituent les mineurs non accompagnés (MNA). Ces dispositifs, que votre rapporteure estime dysfonctionnels, représentent souvent une charge pour les finances publiques et ont le tort, pour certains d’entre eux, de renforcer l’attractivité de la France aux yeux des candidats à l’immigration.

En dépit d’une diminution des mouvements migratoires vers l’Europe, de l’ordre de 29 % par rapport à l’an passé ([1]), la France demeure, entre autres, exposée à une forte augmentation des demandes d’asile conduisant à une saturation du système. En 2018, la France a enregistré 123 000 demandes d’asile – un record – soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile diminuait de 10 % dans le reste de l’Europe. Cette diminution s’est particulièrement illustrée en Italie (– 58 %), en Hongrie (– 80 %), en Autriche (– 46 %) et en Allemagne (– 17 %).

La France se trouve ainsi dans une situation singulière vis-à-vis de ses partenaires européens en raison de deux phénomènes :

– les mouvements migratoires secondaires en provenance d’autres pays européens. En moyenne 30 % des demandeurs d’asile en France ont déjà déposé un dossier dans un autre État membre de l’Union européenne (UE) et ne relèvent pas en principe de notre responsabilité ;

– la part importante de demandes d’asile émanant de ressortissants de pays que la France considère comme sûrs. Un pays est considéré d’origine sûre, sur la base de la convention de Genève et de la directive européenne sur les procédures d’asile, lorsqu’un système démocratique y est en place et que de façon générale et permanente, il n’y a pas de persécution, pas de torture, ni de traitement ou punitions inhumains ou dégradants, pas de menace de violence, et pas de conflit armé (cf. annexes).

La hausse importante de la demande d’asile en France a mécaniquement des conséquences sur le coût de l’allocation perçue par les demandeurs et le financement des structures d’hébergement. À titre d’illustration, s’agissant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), la loi de finances initiale pour 2018 prévoyait un montant de 317,7 millions d’euros en CP, celui‑ci s’est finalement situé à 424,2 millions d’euros en exécution.

Bien qu’aucune solution politique satisfaisante n’ait été proposée pour répondre à ces deux phénomènes, l’ensemble des prévisions du Gouvernement reposent pour 2020 – comme l’an passé – sur une stabilisation de la demande d’asile. Votre rapporteure, au regard de la situation actuelle, estime celle‑ci au mieux irréaliste, au pire irresponsable.


— 1 —

I.   LA problÉmatique migratoire demeure forte en dÉpit d’une baisse relative

A.   Les flux migratoires ENREGISTRENT une diminution mais imposent néanmoins une vigilance de tous les instants

1.   Les flux irréguliers vers l’Europe sont en baisse mais restent préoccupants

Au 4 août 2019, 47 939 arrivées irrégulières ont été recensées, soit une moyenne 221 personnes par jour, et une diminution de 39 % par rapport à la même période en 2018. Les flux se maintiennent néanmoins à des niveaux élevés, et le risque d’une recrudescence n’est pas écarté, tant la situation économique et politique au voisinage de l’Europe reste difficile. Par ailleurs, les « stocks » s’accumulent d’année en année.

Le tableau, ci‑après, présente l’évolution de la proportion d’immigrés en France métropolitaine de 1946 à 2017 en pourcentage :

Source : recensements et EAR, Insee

La géographie des routes migratoires est en perpétuelle recomposition : alors que la route de Méditerranée orientale et des Balkans dominait en 2015, puis la route de Méditerranée centrale entre 2016 et 2017, la route de Méditerranée occidentale, via l’Espagne, était devenue prédominante en 2018. En 2019, c’est la route orientale qui est redevenue la principale route migratoire vers l’Europe. Une pression inquiétante sur Chypre doit notamment être relevée.

À la date du 4 août 2019, les flux se répartissent principalement comme suit :

– en Méditerranée orientale, avec 25 342 personnes arrivées en Europe par la Turquie au lieu de 28 030 à la même période en 2018, majoritairement vers la Grèce (24 300) et dans une moindre mesure vers l’Italie (911) et la Bulgarie (131). Cette voie représente 53 % des arrivées. Les nationalités les plus représentées arrivant en Grèce sont les Afghans (7 870), les Syriens (3 304), les Turcs (2 890), les Irakiens (2 227) et les Congolais (1 425). La Turquie continue à faire face à une pression migratoire importante avec 137 035 migrants appréhendés depuis le début de l’année 2019. Les arrivées depuis la Turquie ont lieu dans les îles grecques et également par voie terrestre. Sur les îles grecques, les capacités d’accueil des hotspots sont saturées. Par ailleurs une pression migratoire constante s’exerce depuis la Grèce vers les Balkans occidentaux ;

– en Méditerranée centrale, 5 559 entrées irrégulières ont été recensées (en baisse de l’ordre de 71 % par rapport à la même période en 2018). Les nationalités les plus représentées sont les Tunisiens (911), les Soudanais (830), les Pakistanais (660), les Ivoiriens (493), les Irakiens (357), les Algériens (352), les Bangladais (253) et les Érythréens (179). La Tunisie constitue le principal pays de départ vers l’Italie, tandis que la Libye est le seul pays de départ vers Malte. Entre juillet 2018 et juillet 2019, l’île de Malte a connu une hausse des arrivées de l’ordre de 473 % (1 443 arrivées contre 252 à la même période) ;

– en Méditerranée occidentale, 17 038 arrivées ont été constatées via l’Espagne ([2]) en 2019 en baisse de l’ordre de 37,1 % par rapport à la même période en 2018. Les principales nationalités d’origine sur cette voie sont les Marocains (3 553), les Maliens (1 645), les Guinéens (1 621), les Ivoiriens (1 378) et les Sénégalais (1 093).

Les actions des navires d’associations intervenant en Méditerranée

Les obligations des États en matière de recherche et sauvetage (Search And Rescue  SAR en anglais) sont fixées par la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) du 1er novembre 1974 et la convention SAR du 27 avril 1979. Ces conventions imposent trois types d’obligations : obligation de prévoir des moyens de recherche et de secours en mer, obligation de secourir les personnes en détresse, obligation de procéder à leur débarquement dans un lieu sûr.

L’État côtier concerné est responsable de la coordination des opérations de sauvetage réalisée dans sa zone SAR et les États limitrophes sont tenus par une obligation de coopération en la matière. Le principe de liberté de la haute mer veut que seul l’État du pavillon du navire puisse contrôler et arraisonner ce dernier dans les eaux internationales.

L’action des associations en mer doit impérativement s’inscrire dans ce cadre régi par les obligations internationales du droit de la mer et du droit national des États côtiers et du pavillon. Or, votre rapporteure constate que de nombreux navires d’associations ne sont pas équipés pour effectuer des opérations de secours en mer, se limitant parfois à donner leurs coordonnées géographiques en mer sur Twitter, ce qui a pour effet d’encourager les manœuvres des trafiquants.

Votre rapporteure s’insurge contre ces actions qui ont pour effet de susciter un « appel dair » qui porte in fine préjudice aux personnes en détresse et aggrave la situation migratoire de l’Europe. Lors de son déplacement à Malte, les autorités locales lui ont fait part de l’existence de navires d’associations opérant à proximité des côtes libyennes ou interceptant directement des radeaux, sans les avoir préalablement informées de la situation. Les associations doivent pourtant obligatoirement agir en lien avec les États concernés. De tels agissements sans aucune coordination ne sont pas acceptables et doivent conduire à des sanctions.

Les flux en cause touchent particulièrement quatre États : l’Italie, la Grèce, l’Espagne et Malte. Ces États ont du mal à accueillir dans de bonnes conditions des migrants et des demandeurs d’asile qui arrivent toujours plus nombreux sur leurs côtes. C’est ainsi que le gouvernement italien a décidé de fermer ses ports à l’immigration au cours de l’été 2018.

La France admet qu’en cas de pression migratoire disproportionnée sur un État côtier, celui-ci doit, en contrepartie de la mise en œuvre de ses obligations au titre du sauvetage, des contrôles frontaliers et de l’éloignement, pouvoir bénéficier de la solidarité de ses partenaires pour l’accueil de personnes en besoin de protection. C’est dans ce contexte que la France prend part aux opérations de relocalisations. Entre 2015 et 2017, la France a relocalisé 5 029 personnes (4 394 à partir de Grèce et 635 à partir de l’Italie). En outre, à la suite de la politique de fermeture des ports italiens durant l’été 2018, des relocalisations ad hoc et volontaires ont eu lieu pour certains des débarquements intervenus à Malte, en Italie et en Espagne. Au total, au 25 juillet 2019, 380 personnes sont arrivées en France par ce biais.

Dans l’attente d’une refonte de l’intégralité du régime d’asile européen commun la France travaille à dégager avec ses partenaires européens une solution temporaire s’agissant de ces débarquements. Une déclaration conjointe a été adoptée, en ce sens, à La Valette le 23 septembre dernier à l’initiative de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de Malte proposant un mécanisme coordonné et transitoire pour faire face aux débarquements consécutifs à des sauvetages en mer. Cet arrangement temporaire se fonde sur une participation volontaire et vise à remplacer les relocalisations ad hoc précitées par des règles pérennes en matière de débarquement suite aux opérations SAR et de relocalisation de demandeurs d’asile. Cette initiative transitoire a notamment reçu le soutien de l’Irlande, de la Lituanie, du Luxembourg et du Portugal mais se heurte néanmoins aux réticences de nombreux autres États membres de l’Union.

Dans le cadre de ce mécanisme, il est prévu que le port de Marseille soit un port d’accueil, parmi d’autres, des migrants de Méditerranée en provenance du continent africain. Il n’est pas juste d’évoquer uniquement le port de Marseille alors que la ville de Marseille n’a donné ni son avis ni son aval. Votre rapporteure a interpelé le Premier ministre, le 7 octobre 2019, lors du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe sur les accords passés à La Valette à ce sujet sans obtenir de réponse de sa part. Elle s’insurge contre cette idée, avancée sans aucune consultation préalable des élus locaux, alors que la ville de Marseille est actuellement confrontée à de nombreux défis socio‑économiques d’envergure. Compte tenu de sa fragilité actuelle, Marseille ne peut en cas endosser cette responsabilité. Votre rapporteure restera extrêmement vigilante sur ce point.

2.   Les demandes d’asile enregistrées en Europe sont en diminution continue

Au 4 août 2019, 395 094 demandes d’asile ont été recueillies dans l’UE, en Suisse et en Norvège, dont 81 830 en Allemagne (21 %), 81 194 en France (21 %), 65 320 en Espagne (17 %), 36 856 en Grèce (9 %), 23 598 au Royaume‑Uni (6 %) et 22 562 en Italie (6 %). Les trois premières nationalités concernées au titre de 2019 sont les Syriens (32 864 demandes), les Afghans (28 235), les Vénézuéliens (25 637) et les Irakiens (19 571).

Les neuf pays européens principaux destinataires des demandes d’asile sont en 2019, d’après le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et Eurostat : l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grèce, le Royaume‑Uni, l’Italie, les Pays‑Bas, la Belgique et la Suède.

Le tableau, ci‑après, montre l’évolution du nombre de demandes d’asile par pays au sein de l’UE pour la période 2015‑2018.

Évolution du nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne
pour la période 2015‑2018

Demandes d’asile
Pays/Année 

 

2015

2016

2017

2018

Variation

2017 - 2018

Union européenne-28 États

 

1 322 845

1 260 910

712 235

646 060

- 9.3 %

Allemagne

 

476 510

745 155

222 560

184 180

-17.1 %

France

 

76 165

84 270

99 330

120 425

21.2 %

Espagne

 

14 780

15 755

36 605

54 050

47,6 %

Grèce

 

13 205

51 110

58 650

66 965

13.8 %

Royaume-Uni

 

40 160

39 735

34 780

37 730

8.8 %

Italie

 

83 540

122 960

128 850

59 950

-53.9 %

Pays-Bas

 

44 970

20 945

18 210

24 025

33.3 %

Belgique

 

44 660

18 280

18 340

22 530

22.2 %

Suède

 

162 450

28 790

26 325

21 560

-19.2 %

Source : ministère de l’intérieur.

Si la demande d’asile est en baisse depuis 2015 au niveau de l’UE, ainsi qu’en Allemagne, en Italie – qui passe de la deuxième position en 2015, 2016 et 2017 à la quatrième en 2018 et à la sixième en 2019 – et en Suède, on observe en revanche une hausse de la demande d’asile en France du fait notamment des mouvements secondaires et de la demande en provenance d’Albanie et de Géorgie, et en Espagne, du fait d’une arrivée accrue de ressortissants d’Amérique latine (Venezuela et Colombie) et de l’augmentation des arrivées par la Méditerranée occidentale.

Depuis le début de l’année 2019, la Grèce connaît une baisse de 17 % des arrivées irrégulières sur son territoire. Elle avait enregistré, au 4 août 2019, 36 854 demandes d’asile la plaçant au quatrième rang des États membres recevant le nombre le plus important de demandes de protection internationale.

En Italie, le nombre d’arrivées sur les six premiers mois de l’année 2019 a diminué de 79 % par rapport à la même période en 2018. L’Italie avait enregistré, au 4 août, 22 562 demandes de protection internationale, la plaçant au sixième rang des États membres recevant le nombre le plus important de demandes d’asile au sein de l’Union.

En Espagne, depuis le début de l’année 2019, une baisse de l’ordre 25 % des arrivées sur son territoire est constatée. Le niveau des arrivées demeure cependant élevé : l’Espagne avait ainsi enregistré, au 4 août 2019, 65 320 demandes d’asile, la plaçant au troisième rang des États membres recevant le nombre le plus important de demandes de protection internationale.

À Chypre, 7 623 demandes d’asile, ont été enregistrées au 4 août 2019, plaçant l’île méditerranéenne au onzième rang des États membres recevant le nombre le plus important de demandes de protection internationale.

Enfin Malte a connu une augmentation importante des arrivées en 2019. Elle avait enregistré, au 4 août, 1 773 demandes d’asile la plaçant au dix-septième rang des États membres recevant le nombre le plus important de demandes de protection internationale.

B.   le cas français se révèle singulier face à la problématique migratoire

1.   La pression migratoire continue de peser fortement sur la France

a.   La pression des flux irréguliers en direction de la France

La France demeure, à différents égards, une destination privilégiée pour les flux migratoires en Europe. En tant que pays de destination d’une part, choisi notamment par les ressortissants des pays du Maghreb et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (Congo, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, République démocratique du Congo, Sénégal…), ou encore d’Europe de l’Est (Albanie, Roumanie, Géorgie).

Par ailleurs, la France apparaît comme un point d’étape privilégié pour des migrants en situation irrégulière désireux d’atteindre d’autres pays européens, comme le Royaume‑Uni. Dans ce but, le candidat à l’émigration peut agir en autonomie, en détournant simplement la législation (en se maintenant illégalement sur le territoire à l’expiration de son visa) ou en sollicitant l’aide de réseaux structurés proposant des alternatives plus ou moins coûteuses (immigration clandestine par voie maritime, constitution d’un dossier de demande de visa sous une autre identité, fourniture de documents de voyage authentiques ou falsifiés, fourniture de kits de faux documents en vue d’obtenir un titre authentique, etc.). En 2018, 321 filières dédiées à l’immigration irrégulière ont été démantelées sur l’ensemble du territoire national. Ce nombre est en constante augmentation depuis la fin des années 2000. Les services de lutte ont principalement mis au jour des filières proposant de l’aide à l’entrée et au séjour (144 structures), ainsi que des réseaux de fraude documentaire et à l’identité (92). Depuis le début de l’année 2019, 201 filières ont été démantelées. Par ailleurs, votre rapporteure tient à rappeler ce qu’elle considère comme une faute politique, la suppression du délit de séjour irrégulier par la loi du 31 décembre 2012 qui rend plus difficile le travail des forces de l’ordre dans leur lutte contre l’immigration irrégulière.

Le nombre des demandes d’asile enregistrées (cfinfra), des non‑admissions à la frontière et des interpellations d’étrangers en situation irrégulière constituent trois indicateurs permettant de prendre la mesure de cette pression migratoire qui s’exerce sur la France.

Le tableau et le graphique ci‑après présentent l’évolution des non‑admissions entre 2013 et 2018.

Non-admissions

Année

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2018/ 2017

Non admissions

12 030

11 537

15 849

63 845

85 408

71 179

 16,7 %

Source : direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) (PAFISA).

 

Source : DCPAF (PAFISA).

Le tableau ci‑après, présente l’évolution des dix nationalités faisant l’objet d’une non-admission depuis 2015.

Principales nationalités faisant l’objet d’une non-admission depuis 2015

Source : ministère de l’intérieur.

Le tableau et le graphique, ci‑après, présentent l’évolution des interpellations d’étrangers en situation irrégulière entre 2013 et 2018.

Interpellations d’étrangers en situation irrégulière

Année

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2018/ 2017

Nombre dinterpellations

74 223

101 349

114 266

97 111

119 635

110 691

 7,5 %

Source : DCPAF (PAFISA).

Source : DCPAF (PAFISA).

Sur la voie terrestre, la pression migratoire s’exerce principalement aux frontières avec l’Italie, avec l’Espagne et dans une moindre mesure à celles avec la Belgique, l’Allemagne et la Suisse.

À la frontière franco-italienne, la pression migratoire demeure importante, en dépit de la baisse des arrivées en Italie. Elle s’exerce essentiellement dans les Alpes-Maritimes, dans les Hautes-Alpes, en Savoie et en Haute-Savoie et concerne notamment des ressortissants tunisiens, pakistanais et ivoiriens. Au total, sur les sept premiers mois de l’année 2019, 17 358 non admissions et réadmissions ont été prononcées, en baisse de 21 % par rapport à la même période en 2018.

À la frontière avec l’Espagne, dans un contexte où la route de la Méditerranée occidentale est passée au deuxième rang en matière de flux en direction de l’espace Schengen, la pression migratoire est stabilisée. Ainsi, 6 700 refus d’entrée et réadmissions ont été prononcés sur les sept premiers mois de l’année 2019 contre 6 701 pour la même période en 2018.

Aux frontières franco‑belge et franco‑allemande, si le nombre de non admissions est en baisse, respectivement de l’ordre de 75 et de 51 % par rapport aux sept premiers mois de l’année 2018, la hausse des interpellations d’étrangers en situation irrégulière dans les départements frontaliers suggère le maintien d’une pression migratoire élevée.

Concernant le vecteur aérien, le nombre global de mesures prononcées est en hausse de 9 % sur les sept premiers mois de l’année 2019, en comparaison avec la même période de l’année 2018. Plus précisément, 71 % des détections globales sont opérées à l’aéroport Paris‑Charles‑de‑Gaulle (4 285 détections pour les sept premiers mois de 2019, soit une augmentation de 7 % par rapport à la même période de référence en 2018) et 8 % à l’aéroport Paris‑Orly (480 détections, ce qui correspond à une hausse de 23 % par rapport à la même période l’année précédente). Elles concernent principalement des ressortissants marocains. L’aéroport de Beauvais occupe le troisième rang avec 390 détections pour les sept premiers mois de 2019. Cela représente une hausse de 39 % par rapport à la même période l’année précédente, qui s’explique notamment par les flux en provenance de Géorgie (192) et des Balkans.

Le tableau, ci‑après, présente la répartition des 20 nationalités les plus représentées parmi les étrangers appréhendés en situation irrégulière en 2018.

Interpellations d’étrangers en situation irrégulière en 2018

 

 

 

Nationalité

2018

Toutes nationalités

110 691

20 premières nationalités

algérienne

13 048

irakienne

10 535

marocaine

8 246

tunisienne

7 512

érythréenne

4 829

albanaise

4 356

afghane

4 181

malienne

3 874

roumaine

3 677 

guinéenne

3 577

soudanaise

3 494

pakistanaise

3 010

ivoirienne

2 784

iranienne

2 722

égyptienne

2 353

sénégalaise

2 262

indienne

1 905

libyenne

1 528

syrienne

1 442

géorgienne

1 441

Source : DCPAF – DSED.

 

Selon votre rapporteure, ces statistiques devraient être affinées. Elle a pu, à plusieurs reprises, constater au cours de ses travaux des manques importants dans la collecte d’informations qui pourraient utilement renseigner nos concitoyens sur la réalité de l’immigration en France. Elle souhaiterait notamment qu’à l’avenir soient systématiquement renseignés l’âge et la distinction par sexe des personnes appréhendées en situation irrégulière.

 

Point sur les prisonniers étrangers incarcérés

Selon le ministère de l’intérieur, les données statistiques 2018‑2019 révèlent une meilleure prise en compte des détenus en situation irrégulière dans le processus d’éloignement par les préfectures, les greffes des établissements pénitentiaires, ainsi que les services territoriaux de la police aux frontières.

Les services sont également plus attentifs aux possibilités d’éloignement anticipé prévues par la loi puisque l’on relève une augmentation de 20 % du nombre de libérations conditionnelles‑expulsions réalisées au cours du premier trimestre 2019, de l’ordre de 120. La libération conditionnelle‑expulsion subordonne la libération conditionnelle d’un détenu étranger à l’exécution effective de la mesure complémentaire dont il est l’objet (interdiction du territoire, expulsion, obligation de quitter le territoire, interdiction de retour, extradition, remise dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen). En 2018, 3 755 détenus en situation irrégulière ont ainsi été éloignés.

b.   La nécessité d’une meilleure coopération avec les pays d’origine ou de transit

Afin de maîtriser les flux migratoires en direction de la France, la diplomatie française concentre une part de ses efforts sur les principaux pays d’origine ou de transit. L’objectif étant de les amener à lutter plus résolument contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, à mieux contrôler leurs frontières et prévenir les départs irréguliers, et à améliorer significativement leur coopération consulaire en vue de faciliter l’identification de leurs ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire et leur réadmission.

Cette politique migratoire s’est notamment traduite par l’adoption d’une feuille de route nationale « asile-immigration » à l’été 2017, qui concernait six pays prioritaires (Maroc, Tunisie, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali) puis sept pays à partir de 2018 (ajout de l’Algérie). Elle est mise en œuvre par les ministères de l’intérieur et de l’Europe et des affaires étrangères, avec le concours de l’ambassadeur chargé des migrations. D’autres dialogues bilatéraux sont également menés, notamment avec l’Égypte, l’Irak et l’Afghanistan. En ce qui concerne les pays du G5 Sahel, on constate qu’il n’existe pas d’homogénéité en matière migratoire car certains constituent uniquement des pays de transit s’agissant de la migration vers l’Europe (à l’instar du Burkina Faso et du Tchad) alors que d’autres sont d’importants pays de départ vers la France (le Mali).

Ces dialogues ont permis d’améliorer l’efficacité de la politique d’éloignement en 2018, les éloignements non aidés et aidés (19 957) ont augmenté de 13,6 % par rapport à 2017 (17 567), et de 11,8 % pour les sept premiers mois de l’année 2019 par rapport à la même période de 2018.

Votre rapporteure s’interroge cependant sur la pertinence des aides au retour. Ces dispositifs peuvent en effet permettre d’afficher une amélioration significative des éloignements mais ils se révèlent dans les faits très coûteux et ne sont pas exempts de tout risque d’effets d’aubaine. Votre rapporteure s’interroge : ces dispositifs sont‑ils réellement efficaces ou ne sont‑ils qu’un artifice permettant de présenter une hausse des éloignements ? À titre d’illustration, les dispositifs d’aides au retour de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui concernent les ressortissants étrangers en situation irrégulière présents depuis au moins six mois sur le territoire, incluent l’organisation et la prise en charge financière des retours par l’OFII ainsi que le versement d’une aide financière. Le barème des aides financières varie selon que les bénéficiaires soient ressortissants de pays tiers dispensés de visa (300 euros par personne) ou ressortissants de pays tiers soumis à visa (650 euros par personne).

Bilan des majorations des aides au retour de l’OFII

Dans le contexte particulier du démantèlement camp de la Lande à Calais, fin octobre 2016, une majoration de l’aide au retour a été mise en place par l’arrêté du 9 novembre 2016 qui a augmenté le montant de l’aide financière en faveur des ressortissants de pays tiers soumis à visa :

-           2 000 euros par personne pour les pays de retour disposant d’un programme de réinsertion (y compris allocation forfaitaire de 650 €) ;

-           2 500 euros par personne pour les pays retour non couvert par un programme de réinsertion (y compris allocation forfaitaire de 650 €).

Ce dispositif d’aide majorée exceptionnelle a pris fin le 31 décembre 2016.

Pendant cette période, 604 dossiers ont été enregistrés avec une aide majorée exceptionnelle. 40 % des demandes ont été enregistrées par la direction territoriale OFII de Paris et 15 % par celle de Lille (migrants de l’ex‑camp de la Lande de Calais). Elles concernaient essentiellement des ressortissants afghans (43,5 %) et pakistanais (9,5 %).

Une majoration exceptionnelle a aussi été mise en place, en 2017 et reconduite en 2018, en vue d’augmenter significativement le nombre de départs dans le contexte des campagnes de promotion du retour volontaire aidé dans les structures accueillant les migrants. Cette mesure visait l’ensemble du public hébergé en centre de préparation au retour, ainsi que ceux dont la présence en CADA était indue ou toujours présents dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO), y compris les personnes faisant l’objet d’une « procédure Dublin », susceptibles de renoncer à leur demande d’asile pour accepter un retour aidé.

Une majoration du pécule a ainsi été attribuée au demandeur sur saisine du Préfet de département et avec accord du Directeur général de l’OFII. Plafonnée initialement à 350 euros, cette majoration a été reconduite avec :

-          un plafond de 1 350 euros pour les pays tiers avec réinsertion, pour un pécule total de 2 000 euros ;

-          un plafond de 1 850 euros pour les pays tiers sans réinsertion, pour un pécule total de 2 500 euros.

Au 31 décembre 2017, 1 411 bénéficiaires de l’aide au retour avaient bénéficié d’une majoration. Les principaux bénéficiaires de ce dispositif étaient des ressortissants afghans, pakistanais (9,1 %) et chinois. Le coût total de cette opération a été estimé à à plus de deux millions d’euros (2 100 250 euros).

La délivrance des laissez-passer consulaires (LPC) constitue une étape indispensable, en dehors de l’UE, pour aboutir à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Le taux de délivrance des laissez‑passer consulaires dans les délais utiles à l’éloignement, tous pays confondus, est en progression : de 51,04 % en 2017, il est passé à 53,71 % en 2018.

La délivrance des LPC dépend de la coopération des autorités du pays d’origine et on constate en la matière une grande hétérogénéité des pratiques.

Le tableau, ci‑après, présente l’évolution du taux de délivrance des LPC entre 2017 et 2019.

Évolution du taux de délivrance des LPC

Rang (LPC demandés en 2018)

 

Taux de délivrance des LPC en 2017

Évolution du nombre de LPC demandés en 2018

Taux de délivrance des LPC en 2018

Évolution du nombre de LPC demandés au 1er semestre 2019

Taux de délivrance des LPC au 1er semestre 2019

 

Tous pays

 

+ 51 %

54 %

+ 3 %

65 %

 

7 pays prioritaires*

42 %

+ 44 %

45 %

+ 10 %

56 %

1

Algérie*

50 %

+ 70 %

47 %

+ 16 %

55 %

2

Albanie

91 %

 

99 %

 

99 %

3

Maroc*

30 %

+ 74 %

42 %

+ 0 %

57 %

4

Tunisie*

40 %

+ 62 %

39 %

+ 3 %

51 %

5

Mali*

11 %

+ 43 %

49 %

+ 33 %

76 %

6

Côte dIvoire*

47 %

+ 59 %

50 %

+ 22 %

48 %

7

Guinée*

52 %

+ 116 %

74 %

+ 3 %

90 %

8

Irak

18 %

+ 37 %

2 %

– 42 %

17 %

9

Afghanistan

43 %

– 79 %

40 %

– 63 %

67 %

10

Pakistan

35 %

– 34 %

82 %

– 39 %

69 %

11

Bangladesh

29 %

+ 4 %

44 %

– 25 %

87 %

12

Nigéria

45 %

 

42 %

 

42 %

13

Soudan

63 %

– 10 %

34 %

+ 29 %

69 %

14

Sénégal*

33 %

+ 36 %

49 %

+ 32 %

48 %

15

RDC

36 %

 

59 %

 

85 %

Source : ambassadeur en charge des migrations.

On constate sur la période 2017‑2019, une nette amélioration pour les sept pays prioritaires. Les taux de délivrance de LPC ont sensiblement augmenté ces deux dernières années, tant pour l’ensemble des sept pays prioritaires (42 % en 2017, 45 % en 2018 et 56 % pour le premier semestre 2019). Compte tenu de notre implication importante au Mali, pour la sécurisation de la région et l’appui à la lutte contre les groupes armés terroristes, menée dans le cadre de l’opération Barkhane qui a pris la suite de l’opération Serval, votre rapporteure estime que les autorités maliennes se doivent de coopérer au mieux, en retour, avec la France sur les questions migratoires.

On constate par ailleurs une nette amélioration avec le Pakistan (12,1 % en 2016, 82 % en 2018) grâce à la mise en œuvre de l’accord de réadmission UE‑Pakistan signé en 2010. Mais le tassement constaté au premier semestre 2019 appelle néanmoins à la vigilance.

En revanche, la coopération avec certains pays se révèle décevante. S’agissant de l’Irak, la faiblesse du taux de délivrance ne concerne pas que la France. En effet, bien que l’accord de partenariat UE‑Irak comporte une clause sur la réadmission, Bagdad s’oppose par principe à tout retour forcé, sauf pour les criminels condamnés. S’agissant de l’Afghanistan, les résultats encourageants enregistrés au premier semestre 2019 (taux de délivrance de l’ordre de 67 %, contre 40 % en 2018), qui s’inscrivent dans la dynamique de l’accord sur les procédures signé avec l’UE en 2016 (accord dit « Joint Way Forward »), doivent néanmoins être confirmés.

Afin de renforcer la délivrance des laissez-passer consulaires, voire de la rendre dans les faits quasi‑automatique, votre rapporteure estime impératif de conditionner strictement l’aide au développement accordée par la France aux pays d’origine à une collaboration renforcée pour le retour de leurs ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national.

Pour prévenir les départs irréguliers dans les principaux pays de départ et de transit, la France s’est mobilisée pour que des programmes visant à lutter contre les filières et renforcer les capacités de nos partenaires à gérer leurs frontières soient adoptés dans le cadre des instruments de financement de l’action extérieure (Fonds européen de développement, Instrument européen de voisinage) et du Fonds fiduciaire d’urgence UE‑Afrique (FFU).

Depuis 2015, la prévention des départs constitue un axe majeur de la politique menée par l’UE dans le domaine migratoire. Au printemps 2015, qui était alors marqué par une hausse des flux migratoires et la multiplication des drames humains en mer Méditerranée, les conclusions d’une réunion extraordinaire du Conseil européen appelaient à « renforcer notre coopération politique avec les partenaires africains à tous les niveaux afin de sattaquer à la cause de la migration illégale et de lutter contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains ».

Pour concrétiser ces engagements, plusieurs projets ont été mis en œuvre dans les principaux pays de départ et de transit, afin de soutenir ces pays dans la maîtrise des flux migratoires et la gestion de leurs frontières. Le bilan opérationnel satisfaisant de ces projets démontre leur pertinence en matière de prévention des départs.

À titre d’illustration, au Niger, le projet d’équipe conjointe d’investigation, lancé en décembre 2016 (6 millions d’euros pour la période 2016‑2019, 5 millions d’euros pour la période 2020‑2023) a permis le démantèlement de 20 filières internationales et de 13 filières nationales de trafic soit l’interpellation de 264 individus dont 94 % ont été déférés. Au Sénégal, un projet de 9 millions d’euros, adopté en septembre 2018, permet de soutenir une division de la police nationale en charge de la lutte contre les trafics qui a enregistré de bons résultats en matière de lutte contre la fraude documentaire pour les demandes de visa (165 interpellations en 2018).

La France joue un rôle moteur au niveau européen pour que des projets visant à fiabiliser et sécuriser l’identité dans les pays prioritaires soient adoptés dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence. Doté à son lancement en 2015 de 1,8 milliard d’euros, le FFU dispose aujourd’hui de 4,5 milliards d’euros et a permis la mise en œuvre de plus de 200 projets, dont plusieurs pour renforcer l’état civil au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en Guinée pour un montant global de 113 millions d’euros. Pour l’ensemble de ces projets, l’opérateur français Civipol est chargé de la mise en œuvre.

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, la réussite de ces projets visant à fiabiliser l’état civil, requiert d’aller de pair avec une action structurelle plus large visant à améliorer la gouvernance au sein des administrations publiques.

Au plan bilatéral, la France a financé un programme d’appui en matériels et équipements au bénéfice des services tunisiens chargés de la surveillance et du contrôle aux frontières, sous forme d’un don de 10 millions d’euros dont la gestion a été confiée à la société Civipol, dans le cadre de l’accord bilatéral de gestion concertée des flux migratoires (2009). Un volet a été consacré à la modernisation du système automatique de reconnaissance des empreintes digitales (AFIS), fournie par la société Morpho‑Idémia à hauteur de 3,8 millions d’euros. Ce système permettra aux autorités tunisiennes d’identifier quasi‑instantanément toute personne dont la fiche biométrique est présente dans la base (10 millions de fiches seront numérisées d’ici septembre 2019 et consultables à distance dans les consulats tunisiens).

Point sur l’accord entre la Turquie et l’Union européenne

La déclaration politique UE‑Turquie, agréée en mars 2016, prévoit notamment un renforcement des contrôles par les autorités turques en sortie du territoire, de façon à réduire les flux en direction de l’UE et un mécanisme de reprise par la Turquie des demandeurs d’asile syriens déboutés depuis les îles grecques. En contrepartie, l’UE s’est engagée à organiser la réinstallation ou l’admission humanitaire de réfugiés syriens depuis le territoire turc. L’UE a également apporté un soutien financier de l’ordre de 3 milliards d’euros pour l’accueil des réfugiés en Turquie et s’est engagé au déblocage d’une seconde tranche d’aide, du même montant, en fonction des dépenses réalisées dans le cadre de la première tranche. Le Conseil européen du 28 juin 2018 a agréé le principe du déblocage de la seconde tranche et la programmation a débuté à la fin de l’année 2018.

En 2015, 885 386 personnes étaient entrées en Europe via la Turquie. Dès 2016, à la suite de cet accord, ce chiffre était tombé à 173 000 soit une baisse de l’ordre de 79 %.

Selon les données à disposition dans le cadre des rapports hebdomadaires de la Commission européenne, 21 374 personnes sont arrivées dans l’Union depuis la Turquie entre le 1er janvier et le 14 juillet 2019, contre 24 861 à la même période en 2018, soit une diminution de 14 %.

Les opérations de réinstallations, ou d’admission à titre humanitaire, continuent à un rythme soutenu. Le nombre total de ces opérations depuis la Turquie est de 23 037 (dont 4 397 en 2019) d’après la délégation de l’UE en Turquie.

S’agissant des retours, entre le 21 mars 2016 et le 14 juillet 2019, 1 892 migrants ont dû retourner en Turquie dans le cadre de la déclaration et 601 dans le cadre du protocole bilatéral Grèce‑Turquie. En outre, près de 16 600 sont volontairement repartis dans leur pays d’origine, dans le même délai.

Si cet accord a produit des résultats et a incontestablement permis de faire baisser l’afflux des migrants en Europe, celui‑ci représente, aux yeux de votre rapporteure, un coût financier et surtout politique colossal. Ainsi, la Turquie dispose à notre encontre d’un moyen de pression sans commune mesure que le Président turc, Recep Tayyip Erdoğan, ne manque pas d’utiliser pour affaiblir ou diviser l’UE. Ainsi, le jeudi 10 octobre 2019, il a déclaré en réponse aux condamnations européennes vis‑à‑vis de l’offensive turque dans le Nord‑Est syrien : « Ô Union européenne, reprends-toi. Je te le dis encore une fois. Si tu essayes de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et tenverrons 3,6 millions de migrants. » Une telle instrumentalisation de la question migratoire n’est pas acceptable pour votre rapporteure et montre hélas les limites d’un accord de ce type. Nous payons en l’état les inconséquences de la chancelière allemande, Mme Angela Merkel. Ainsi l’UE donne plus à la Turquie (1 400 euros par migrant) qu’au Liban (600 euros) alors que ce pays de 4,6 millions d’habitants seulement accueille pour sa part près d’un million de réfugiés syriens.

2.   Les demandes d’asile enregistrées en France sont en hausse constante

a.   Une hausse imputable à deux phénomènes : les mouvements secondaires et la libéralisation du régime des visas pour certains pays

Le nombre de demandes enregistrées en France croît depuis 2015 : 76 165 en 2015, 84 270 en 2016, 99 330 en 2017, 120 425 en 2018, et 83 785 à la date du début du mois de septembre 2019, soit une hausse de 18 % par rapport aux enregistrements sur la même période en 2018. En l’absence de comptabilité analytique – ce que déplore fortement votre rapporteure – il n’a pas été possible de lui indiquer une estimation précise du coût de l’examen d’une demande d’asile. Cependant elle a pu évaluer cette charge à 573 euros en rapportant le budget de l’OFPRA aux nombres de décisions rendues. Par ailleurs, le coût d’un entretien de demande d’asile est estimé par l’OFPRA à environ 180 euros en moyenne.

Les caractéristiques sociodémographiques des demandeurs d’asile en 2018 évoluent lentement, notamment la répartition par sexe : la part des femmes est de 33,2 % et l’âge moyen baisse légèrement à 30,9 ans.

Les jeunes adultes, de 18 à 34 ans représentent plus de la moitié du flux de nouveaux demandeurs d’asile en 2018. La part des 35-64 ans a reculé depuis 2015 tandis que celle des jeunes de moins de 18 ans augmente. Ces derniers ont connu la plus forte progression en quatre ans, de l’ordre de 78 %.

Les femmes sont plus représentées au sein des demandes en provenance du continent européen (44 %), alors que leur part la plus faible concerne la demande asiatique (23 %). Les premiers pays de provenance pour les femmes demandeuses d’asile sont l’Albanie (4 171 demandes, mineures incluses), la Géorgie (3 124) et la Syrie (2 356).

La hausse continue constatée trouve son origine dans le phénomène des mouvements secondaires – en moyenne 30 % des demandeurs d’asile en France ont déjà déposé un dossier dans un autre État membre de l’Union européenne et ne relèvent pas en principe de notre responsabilité – et les mécanismes de libéralisation des visas qui conduisent des personnes à déposer une demande d’asile, alors qu’elles ne relèvent pas d’un besoin de protection puisque ressortissante d’un pays d’origine sûr ([3]).

La singularité française s’agissant de la demande d’asile concerne également les pays d’origine des demandeurs d’asile, les flux relevés en France se démarquant de ceux constatés dans le reste de l’UE.

En 2018, les cinq principaux pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’UE étaient la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan et l’Iran. En France, si les ressortissants afghans sont aussi les plus nombreux à demander l’asile, ce sont ensuite les nationalités albanaise, géorgienne, guinéenne et ivoirienne qui constituent les nationalités les plus représentées dans la demande d’asile. La France est ainsi le premier pays de destination en Europe des demandeurs d’asile albanais (44 % du total des demandes de l’UE), géorgiens (37 %), guinéens (49 %) et ivoiriens (62 %).

Le tableau ci‑après présente l’évolution, par nationalité, des demandes d’asile en France pour les années 2017 et 2018.

Source : ministère de l’intérieur.

Depuis le 1er janvier 2019, les dix premières nationalités à avoir enregistré une demande d’asile sont les suivantes : afghane, géorgienne, albanaise, guinéenne, ivoirienne, nigériane, malienne, bangladaise, haïtienne et congolaise (République démocratique du Congo).

La dotation inscrite dans le projet de loi de finances pour 2020 de l’ordre de 448 millions d’euros d’AE a été construite sur l’hypothèse d’une stabilisation de la demande d’asile en 2020 par rapport à 2019. Néanmoins votre rapporteure émet de très forts doutes concernant une éventuelle stabilisation de la demande d’asile en France l’année prochaine, la dynamique en cours laissant hélas présager une poursuite de la tendance à la hausse de la demande d’asile dans notre pays.

Le tableau ci‑après présente les hypothèses d’évolution de la demande d’asile retenues pour la construction des projets de loi de finances pour 2015, 2016, 2017 et 2018 et l’évolution de la demande d’asile réellement constatée auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sur ces mêmes années.

Année

2015

2016

2017

2018

Hypothèse de hausse des flux OFPRA pour le PLF

7,5 %

+ 10 %

+ 10 %

+ 10 %

Hausse des flux OFPRA constatée

+ 23,5 %

+ 7,5 %

+ 17,5 %

+ 22 %

Flux Dublin constaté sur l’année en guichet unique pour demandeur d’asile (*)

n.d.

n.d.

35 967

40 190

(*) Donnée « Dublin » annuelle non disponible en 2015 et 2016 en raison du déploiement progressif des systèmes d’information dans les guichets uniques.

Source : ministère de l’intérieur.

Les mouvements secondaires liés aux dysfonctionnements du règlement « Dublin » restent importants. Aujourd’hui, on estime qu’un demandeur d’asile sur deux en France est connu de la base Eurodac (51 % en 2018), 80 % des signalements Eurodac correspondent à des demandes d’asile enregistrées dans un autre État membre de l’UE et seuls 20 % correspondent à la comptabilisation de la simple entrée irrégulière. Ainsi, lorsqu’un ressortissant afghan dépose une demande d’asile en France, il a en moyenne déjà déposé une demande dans 1,7 État de l’UE avant l’enregistrement de sa demande dans notre pays.

Pour réduire cette demande d’asile qui ne relève pas de la protection de la France, il nous faut donc appliquer rigoureusement le règlement « Dublin » en transférant effectivement les demandeurs dont la demande ne relève pas de la responsabilité de la France. En 2018, près de 3 500 transferts ont été réalisés soit plus de sept fois le nombre de transferts réalisés en 2015. Cependant votre rapporteure souligne qu’une marge de progression importante existe encore en la matière, comme le montre le tableau ci‑après.

évolution du taux de transferts réalisés dans le cadre
du règlement Dublin

Années

Nombre de demandeurs placés en procédure Dublin

Taux de transferts

Nombre de transferts

2015

12 094

7 %

626

2016

25 963

9 %

1 276

2017

41 482

9 %

2 495

2018

46 037

12 %

3 488

Source : ministère de l’intérieur.

Afin de mettre un terme à cette singularité française – qui pèse sur les finances publiques et prive par ailleurs les personnes nécessitant réellement une protection d’un traitement rapide de leur dossier – votre rapporteure suggère d’adapter au plus vite les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, afin d’éviter toute incitation injustifiée et de réduire l’attractivité de la France en la matière.

S’agissant de la charge que cette hausse de la demande d’asile représente pour les finances publiques françaises, l’évolution du coût global de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) permet d’en donner une idée partielle. Le tableau, ci‑après, présente le nombre d’individus et de ménages bénéficiaires de l’ADA en moyenne chaque mois, ainsi que les montants versés aux demandeurs d’asile pour chaque période renseignée ([4]).

L’évolution du coût global et du nombre de bénéficiaires de l’ADA (2015‑2018)

Année

2015

(deux mois) (*)

2016

2017

2018

2019

(sept mois)

Allocations versées par l’OFII (en euros)

29 038 234

307 223 391

350 221 175

417 110 516

287 797 839

Ménages bénéficiaires

(moyenne par mois)

n.d.

68 638

80 836

91 936

105 464

Individus bénéficiaires

(moyenne par mois)

54 070

95 247

112 499

130 127

148 113

(*) 2015 : l’ADA, qui s’est substituée à l’allocation temporaire d’attente (ATA) et à l’allocation mensuelle de subsistance (AMS), a commencé à être versée aux allocataires à partir du 1er novembre 2015. Auparavant, l’ATA était versée par Pôle Emploi et l’AMS par les CADA.

Source : ministère de l’intérieur.

Le tableau, ci‑après, présente pour sa part, les coûts à la place des différentes structures d’hébergement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.

Coût à la place des différentes structures d’hébergement du dispositif national d’accueil

Dispositif d'hébergement

Coût cible journalier/place 2019

Commentaires

Centres d'accueil et d'examen des situations (CAES)

25 euros

coût fixé en 2018 lors de la création du dispositif et inchangé depuis cette date (en moyenne plus élevé en Île-de-France)

Centres d'accueil et d'orientation
(CAO)

23 euros

coût fixé à compter du 1er janvier 2019 (24 euros en 2018)

Centres d'accueil des demandeurs d'asile
(CADA)

19,5 euros

coût fixé depuis 2015 et inchangé depuis

Hébergement d'urgence des demandeurs d'asile
(HUDA local)*

16,25 euros
(18 euros en Île-de-France)

coût fixé à compter du 1er janvier 2019 (16 euros en 2018 hors Île-de-France)

Programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile
(PRAHDA)

16,83 euros (17,73 euros en Île-de-France)

coût fixé lors de la conclusion du marché public en 2017 et revalorisé chaque année compte tenu des clauses particulières du marché

Ex-Centres d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM) d'Île-de-France transformés en HUDA local à compter du 1er janvier 2019

35 euros

coût fixé à compter du transfert du dispositif au 1er janvier 2019. Le coût à la place diminuera à compter du 1er janvier 2020 conformément aux engagements budgétaires de la DGEF dans le cadre du transfert sur le programme 303 (31,50 euros en 2020)

* Depuis le 1er janvier 2019, lHUDA local comprend aussi lancien dispositif daccueil temporaire et service de lasile (ATSA).

La hausse importante de la demande d’asile en France a mécaniquement eu des conséquences sur le coût de l’allocation perçue par les demandeurs et le financement des structures d’hébergement. Comme le relevait la Cour des comptes, en mai 2019, dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire : « Les crédits initialement inscrits en loi de finances initiale sur ces deux postes de dépenses ont été, comme précédemment, en-deçà des besoins de financement précédemment constatés. Comme chaque année depuis 2010, les besoins sont couverts par la levée de la mise en réserve de la totalité des crédits gelés du programme 303 et par l’ouverture de crédits complémentaires dans le cadre d’un décret d’avance ou d’une loi de finances rectificative. » ([5])

Le tableau, ci‑après, présente les dépenses d’hébergement et de prise en charge financières des demandeurs d’asile en millions d’euros (2012‑2018).

De nouveau, au regard des dynamiques à l’œuvre votre rapporteure estime que les prévisions du Gouvernement se fondant sur une stabilisation des flux des demandeurs d’asile ne sont hélas pas réalistes. En conséquence, une sur‑exécution de la mission est à nouveau à craindre en 2020 en raison des dépassements annuellement constatés du programme 303 Immigration et asile qui finance la garantie de l’exercice du droit d’asile. Il faut, par ailleurs, noter que ne sont pas ici pris en compte d’autres coûts importants induits par la prise en charge des demandeurs d’asile et des réfugiés, notamment en matière de santé – ces derniers considérés comme en situation régulière ont droit à la protection maladie universelle – ou de scolarisation des enfants. De même ne sont pas pris en compte les subventions attribuées aux associations en charge de l’accueil des personnes étrangères en France. Votre rapporteure estime impératif la mise en place d’un suivi consolidé afin de permettre à nos concitoyens de connaître facilement le coût réel de l’ensemble de ces charges.

S’agissant des délais de traitement, le délai moyen constaté d’un dossier à l’OFPRA, toutes procédures confondues, était de 4 mois et 28 jours en 2018. Sur les six premiers mois de l’année 2019, le délai moyen s’établit à 5 mois et 13 jours. Cet allongement des délais de traitement est lié à la recrudescence du stock de dossiers et à son ancienneté croissante, dues à la hausse importante des flux en 2018 et à leur maintien à un niveau élevé en 2019.

À la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le délai moyen de traitement d’un dossier toutes procédures confondues était de 6 mois et 15 jours en 2018. Au premier semestre 2019, les délais constatés demeurent élevés, avec une durée supérieure à sept mois.

Par ailleurs, une nouvelle fois, votre rapporteure s’étonne que des outils statistiques complets et transparents ne soient pas disponibles. Ils permettraient de renseigner au mieux nos concitoyens sur la réalité de l’immigration en France et plus particulièrement sur son coût. L’OFPRA a, par exemple, indiqué à votre rapporteure au cours de ses auditions, ne pas disposer d’un outil de comptabilité analytique lui permettant de calculer le coût complet résultant du traitement d’une demande d’asile. L’Office n’a pu apporter qu’une information très parcellaire en se fondant sur un contrôle récemment mené par la Cour des comptes qui a estimé le coût moyen d’un entretien de demande d’asile à 180 euros.

Point sur le retrait du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire

Le statut de réfugié ou la protection subsidiaire peuvent être retirés pour différentes raisons.

En vertu de l’article 1C de la convention de Genève, repris à l’article L 711-4 alinéa 1 du CESEDA, la protection cesse si la personne protégée

1) a volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité ;

2)  ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement recouvrée ;

3) a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité ;

4) est retournée volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée ;

5) les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ;

6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle.

En 2019, 125 personnes se sont vues retirer leur protection pour cette raison‑là.

L’OFPRA peut aussi retirer la protection, lorsqu’il constate que la personne protégée s’est rendue coupable d’actes susceptibles de l’exclure du bénéfice de la protection selon l’article 1F de la Convention, repris dans l’article L 711‑4 alinéa 1-2° et alinéa 2‑3° du CESEDA comme « un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » ou « un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés » ou « d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ». Ces actes peuvent avoir été commis avant l’obtention du statut de réfugié sans que l’OFPRA en ait eu connaissance (comme par exemple des génocidaires rwandais) ou après l’obtention du statut (comme par exemple un militant du PKK ayant commis des assassinats politiques). En 2019, 5 personnes se sont vues retirer leur protection à ce titre‑là.

Le statut de réfugié peut également être retiré par l’OFPRA, lorsque l’Office constate que « la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'État » ou lorsque « la personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État tiers (…) dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française ». En 2019, 34 personnes se sont vues retirer leur protection pour cette raison‑là.

Un réfugié peut également se voir retirer sa protection, en vertu de l’article 1F de la convention de Genève, repris dans l’article L 711-4 alinéa 1-2° et alinéa 2-3° du CESEDA, lorsque l’OFPRA a été informé que la personne protégée avait fait des déclarations mensongères sur sa nationalité ou son parcours ou avait déposé plusieurs demandes d’asiles et obtenu plusieurs protections. En 2019, 9 personnes se sont vues retirer leur protection pour cette raison‑là.

Enfin, la protection subsidiaire peut également être retirée « lorsque les circonstances ayant justifié l'octroi de cette protection ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment significatif et durable pour que celle-ci ne soit plus requise ». En 2019, 21 personnes se sont vues retirer leur protection pour cette raison‑là.

Au total, en 2019, 194 personnes se sont vues retirer leur protection à ces divers titres contre 414 en 2018 et 258 en 2017.

b.   Une harmonisation européenne en matière d’asile apparaît comme une nécessité

En mai puis en juillet 2016, la Commission européenne a soumis sept propositions de textes visant à refondre intégralement le régime d’asile européen commun (RAEC). Ces propositions visaient notamment à rendre le système européen plus résistant aux crises, à renforcer la convergence entre les systèmes nationaux de l’asile, à améliorer l’efficacité du système et à mieux prendre en compte les impératifs sécuritaires ainsi qu’à réduire le phénomène des mouvements secondaires.

Trois ans après les propositions de la Commission européenne, la négociation est avancée sur cinq des sept textes du paquet asile (Qualification, Accueil, Eurodac, Réinstallation, Agence européenne de l’asile) mais elle est toujours en cours principalement sur deux autres (Procédures et Dublin).

Selon l’approche dite « en paquet », privilégiée par plusieurs États membres lors du Conseil de l’Union européenne Justice et affaires intérieures (JAI) de mars 2019, qui consiste à vouloir adopter l’ensemble des sept textes simultanément, les textes finalisés susmentionnés n’ont pas été adoptés, dans l’attente de l’aboutissement des négociations sur les deux textes restants.

Les principaux points de blocage portent :

– sur le règlement « Procédures » et plus précisément sur les modalités et le champ d’application de la procédure d’asile obligatoire à la frontière (délais, privation de liberté, application aux franchissements irréguliers de frontière et aux opérations de sauvetage en mer) et sur le règlement « Dublin » ;

– sur le règlement « Dublin », lequel n’a plus fait l’objet d’aucune proposition de texte depuis juin 2018. L’enjeu de cette refonte consiste à garantir qu’un État membre et un seul est l’unique responsable de manière stable de l’examen d’une demande d’asile, afin d’éviter les demandes d’asile multiples et les mouvements secondaires. Les discussions achoppent actuellement sur l’équilibre entre responsabilité de la demande d’asile et les modalités de solidarité entre les États membres (notamment la relocalisation, la prise en compte des débarquements suite aux opérations de sauvetage en mer).

– sur le règlement « Agence européenne de l’asile » : le texte a rencontré un blocage début 2019, mené par l’Espagne et l’Italie, sur la possibilité d’intervention qui serait donnée à l’agence, suite à une décision du Conseil constatant des défaillances graves d’un État membre en matière d’asile.

En outre, les négociations des règles européennes en matière d’asile doivent désormais être liées à la refondation de l’espace Schengen, dans la mesure où le bon fonctionnement du régime d’asile européen commun est une condition du bon fonctionnement de l’espace Schengen.

Votre rapporteure tient à souligner la nécessité d’avancer rapidement sur ces questions d’harmonisation à l’échelle de l’Union. Une liste européenne commune de pays sûrs devrait notamment être élaborée et servir de référence unique à tous. La nouvelle Commission européenne devra, dans les plus brefs délais, apporter des réponses aux nombreux dysfonctionnements constatés afin que l’Europe puisse se montrer plus résiliente face aux flux migratoires.

À titre d’illustration, entre les différents États membres, le taux d’octroi de l’asile à des personnes d’une même nationalité peut varier du simple au triple. Cette situation n’est pas tenable. Il nous faut collectivement et urgemment harmoniser les pratiques et les règles régissant l’asile dans l’UE.

Le tableau, ci‑après, présente les taux de protection en première instance, pour la période 2015‑2018 des neuf États membres principaux de l’UE destinataires des demandes d’asile.

Taux de protection, en première instance, dans l’Union européenne 2015‑2018

État / Taux de protection

2015

2016

2017

2018

Union européenne

48 %

56 %

39 %

32 %

Belgique

54 %

60 %

52 %

51 %

Allemagne

56 %

65 %

42 %

37 %

Grèce

42 %

24 %

43 %

47 %

Espagne

31 %

67 %

34 %

24 %

France

26 %

33 %

29 %

28 %

Italie

19 %

19 %

16 %

11 %

Pays-Bas

78 %

71 %

45 %

32 %

Suède

64 %

67 %

42 %

32 %

Royaume-Uni

32 %

28 %

28 %

31 %

Source : Eurostat.

Les variations sont tributaires du nombre, de la qualité et de l’origine des demandes qui peuvent varier selon les États membres. Par exemple, pour la France, en 2018, les pays d’origine principaux sont l’Afghanistan, l’Albanie et la Géorgie. Or, les ressortissants de ces deux derniers États bénéficient d’un taux de protection assez faible. En comparaison, en Allemagne, les pays d’origine principaux sont la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan bénéficiant de taux de protection plus élevés.

Des variations de taux de protection entre les États membres sont aussi observées pour une même nationalité et cela est bien plus problématique aux yeux de votre rapporteure. Le taux de protection représente le taux de décisions positives dans le nombre total de décisions. Dans le cas de l’Afghanistan par exemple, on observe les variations de taux de protection suivantes :

Variations du taux de protection pour les ressortissants afghans pour la période 2015‑2018

État / taux de protection

2015

2016

2017

2018

Union européenne

58 %

37 %

31 %

38 %

Belgique

67 %

60 %

59 %

51 %

Allemagne

52 %

31 %

23 %

19 %

Grèce

55 %

47 %

76 %

75 %

Espagne

91 %

89 %

83 %

86 %

France

83 %

82 %

84 %

67 %

Italie

92 %

96 %

89 %

87 %

Pays-Bas

45 %

29 %

27 %

27 %

Suède

26 %

25 %

35 %

29 %

Royaume-Uni

27 %

22 %

27 %

37 %

Source : Eurostat.

Il y a en effet au sein de l’Union européenne des pays, comme l’Allemagne, qui considèrent qu’il existe des régions sûres en Afghanistan et accordent de ce fait un taux de protection plus faible que d’autres à l’égard des ressortissants afghans. La France n’applique pas ce concept et considère l’Afghanistan dans son ensemble. Ainsi deux demandeurs d’asile afghans sur trois reçoivent un statut en France, moins d’un sur deux en Allemagne, et seulement un sur trois en Suède. Rien ne justifie que des États de droit appliquant les mêmes textes internationaux et européens, arrivent à des résultats aussi différents. Ces divergences ne sont pas acceptables : elles sont injustes, illisibles, favorisent le « nomadisme » et induisent donc des coûts supplémentaires.

Il est impératif pour votre rapporteure que le BEAA, qui a son siège à La Valette, travaille au nécessaire rapprochement des pratiques et par conséquent des taux de protection entre États membres. Votre rapporteure estime que ces moyens devraient être rapidement renforcés compte tenu de la situation à laquelle l’UE et en particulièrement certains États, dont la France, doivent faire face. Il serait urgent que le BEAA se mue en une véritable agence européenne de l’asile, disposant de moyens renforcés, afin de permettre une harmonisation des pratiques et une convergence des taux protection au sein de l’UE afin d’éviter tout phénomène de « shopping de lasile ».

 

 

II.   le régime français de protection sociale des personnes étrangÈres Apparaît contestable

A.   L’accès aux soins des personnes étrangères

1.   Le nécessaire encadrement de l’aide médicale de l’État

L’aide médicale de l’État (AME) vise à assurer une couverture maladie aux personnes démunies qui résident en France en situation irrégulière, en poursuivant une triple logique : humanitaire (donner un accès aux soins aux personnes fragiles), de santé publique (éviter la propagation de maladies) et économique (prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l’urgence grâce à l’accès aux soins de ville).

Néanmoins, au regard de la hausse soutenue des dépenses d’AME, votre rapporteure s’interroge fortement sur l’efficience d’un tel dispositif. Au 31 décembre 2018, 318 106 personnes en étaient bénéficiaires, pour un montant de dépenses de 848 millions d’euros.

Le tableau et le graphique ci‑après présentent l’évolution des dépenses et du nombre de bénéficiaires de l’AME entre 2008 et 2018.

l’évolution des dépenses et du nombre de bénéficiaires de l’AME 2008‑2018

Source : ministère des solidarités et de la santé.

l’évolution des dépenses et du nombre de bénéficiaires de l’AME 2008‑2018

Source : ministère des solidarités et de la santé.

La prise en charge par l’AME n’est pas immédiate puisqu’elle nécessite une présence ininterrompue de plus de trois mois sur le territoire national. Elle est en outre délivrée sous condition de ressources.

Si l’évolution des dépenses d’AME est corrélée au nombre de bénéficiaires, par nature difficile à anticiper, elle dépend également des types de soins consommés ce qui explique que l’évolution des dépenses et celle des bénéficiaires ne soient pas systématiquement parallèles.

Le nombre de bénéficiaires a chuté en 2011 du fait de l’instauration par la loi de finances d’un droit annuel forfaitaire de 30 euros conditionnant le bénéfice de l’AME pour les majeurs. Un phénomène de rattrapage a ensuite été constaté en 2012 du fait de l’abrogation de cette disposition.

La population bénéficiaire de l’AME est jeune – 21 % sont des mineurs – et près de la moitié ont entre 18 et 40 ans. Les hommes représentent par ailleurs 55 % de l’effectif total. Les bénéficiaires de l’AME présentent globalement un état de santé plus dégradé que celui de la population générale, comme en témoigne le fort taux de prise en charge des soins à l’hôpital – qui représente les 65 % de la dépense totale – et le taux de séjours hospitaliers présentant une sévérité particulière – qui représente près de 25 % des séjours.

S’agissant des séjours hospitaliers, près de la moitié relèvent du champ de la médecine, essentiellement en hépato‑gastro‑entérologie (15 % des séjours), pneumologie (13 %), puis en neurologie médicale, affections cardio‑vasculaires et diabète-maladies métaboliques qui concentrent chacun 7 % des séjours de médecine. Les autres motifs de séjours hospitaliers concernent les séjours en obstétrique (28 %) et en chirurgie (19 %).

S’agissant des séances des patients bénéficiaires de l’AME, il s’agit pour moitié de séances de dialyse, de chimiothérapie (29 %) et de radiothérapie (18 %).

S’agissant des dépenses de soins de ville, qui représentent 35 % de la dépense totale, elles sont constituées essentiellement des frais liés aux médicaments (45 %) et des honoraires des médecins, dentistes et auxiliaires médicaux.

Les bénéficiaires de l’AME bénéficient d’une prise en charge à 100 % des frais de santé remboursables par l’assurance maladie, en tiers payant. Les médicaments princeps et les médicaments à 15 %, ainsi que les actes, médicaments, produits et examens spécifiques à la procréation médicalement assistée (PMA) et les cures thermales en sont exclus.

L’AME ne couvre pas les dépenses allant au-delà du tarif de la base de remboursement de la sécurité sociale pour les prothèses dentaires, les lunettes et audioprothèses ainsi que sur les consultations de spécialistes.

Le tableau, ci‑après, présente les soins les plus consommés par les bénéficiaires de l’AME en 2018.

les soins les plus consommés par les bénéficiaires de l’AME en 2018

Source : ministère des solidarités et de la santé.

Pour votre rapporteure, une évolution du dispositif apparaît plus que nécessaire. En l’état, il ne paraît pas viable sur le long terme. Cependant, une suppression pure et simple du dispositif n’est pas souhaitable, car elle comporterait de graves risques humains et sanitaires comme l’atteste le récent exemple espagnol. En 2012, pour les migrants en situation irrégulière, l’Espagne avait supprimé toute prise en charge médicale alors qu’elle disposait d’un dispositif similaire à celui de l’AME. Cette situation inhumaine avait entraîné une forte dégradation de l’état de santé des migrants en situation irrégulière avec hausse du taux de mortalité de l’ordre de 15 %. Cette situation a finalement conduit au rétablissement du dispositif en 2018.

Cependant, compte tenu de la charge qu’il représente, votre rapporteure estime que le dispositif devrait être fortement resserré et se limiter à une « aide médicale durgence » ne couvrant que les soins urgents et vitaux. À défaut, la prise en charge des soins particulièrement coûteux devrait être a minima soumise à l’agrément préalable des caisses d’assurance maladie.

L’Allemagne, le Royaume‑Uni, l’Italie et la Suède couvrent un périmètre plus restreint en la matière se limitant au traitement des maladies graves et douleurs aiguës, certaines maladies infectieuses et sexuellement transmissibles, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs, les vaccinations réglementaires ainsi que les examens préventifs. Le dispositif « d’aide médicale d’urgence » mis en place en Belgique prévoit que la décision de prise en charge revienne aux professionnels de santé, en fonction de l’urgence du soin.

Votre rapporteure déplore à nouveau la faiblesse de certaines données statistiques. Il n’existe, en effet, aucun outil statistique permettant de connaître la répartition par nationalité des bénéficiaires de l’AME. Or, cet interdit imposé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), selon les réponses apportées par la direction de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé, nous empêche de suivre au mieux les populations d’un point de vue migratoire et épidémiologique. Un tel outil n’a en aucun cas pour but de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées mais permettrait simplement d’offrir, de façon anonyme, des éléments statistiques pertinents.

Le déploiement de la centralisation de l’instruction des demandes d’AME en métropole au sein de trois caisses (Paris, Bobigny et Marseille), actuellement en cours et qui devrait être pleinement opérationnel d’ici la fin de l’année 2019, est un élément d’amélioration dans le cadre de la lutte contre la fraude que votre rapporteure tient à saluer. Les contrôles effectués par les services de l’agent comptable seront ainsi renforcés : 12 % de dossiers devraient être contrôlés dès 2020 au lieu de 10 % aujourd’hui, et menés systématiquement a priori afin de prévenir les indus. Votre rapporteure estime cependant nécessaire d’aller plus loin notamment sur la sécurisation des cartes AME afin d’améliorer les contrôles d’identité au moment de la délivrance des soins.

2.   La nécessité d’une refonte de l’admission au séjour pour raisons de santé

a.   Un dispositif extrêmement généreux et unique en Europe

Comme le relève le rapport du service médical de l’OFII sur la procédure d’admission au séjour pour soins en 2017, « la France a, en Europe, la législation la plus favorable aux personnes étrangères gravement malades ne pouvant accéder à des soins appropriés dans leur pays dorigine » ([6]). Cette description sans équivoque ne peut, aux yeux de votre rapporteure, que renforcer « l’attractivité » de la France pour les candidats à l’immigration.

L’admission au séjour pour soins est le prolongement d’une protection contre l’éloignement consacrée pour la première fois par le législateur en 1997 par la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration. Afin de sécuriser le droit au séjour de ces personnes à l’encontre desquelles une mesure d’éloignement forcé ne pouvait être prise, le législateur a, par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, créé un régime d’admission au séjour de plein droit.

Ce régime prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. Il est encadré par le 11° de l’article L. 313-11-11 et le 10° de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

En 2017, la majorité des demandeurs étaient des hommes (55 %), une proportion comparable à celle des années précédentes. Les mineurs représentent pour leur part 6 % de l’ensemble des demandeurs. Deux demandeurs sur trois sont issus du continent africain (66,9 %). Les bénéficiaires sont principalement les Algériens (11,5 %), les Congolais de la République démocratique du Congo (7,7 %), les Comoriens (5,5 %), les Camerounais (5,3 %) et les Ivoiriens (4,6 %). Si en moyenne, les demandeurs sont présents depuis 4,8 ans, 23,2 % seraient entrés en France moins d’un an avant leur passage en préfecture.

Le graphique, ci-après, indique le nombre d’avis favorables pour les cinq nationalités le plus représentées chez les demandeurs en 2017 :

avis favorables pour les cinq nationalités
les plus représentées en 2017

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Source : rapport du service médical de l’OFII sur la procédure d’admission au séjour pour soins en 2017.

Si toutes les pathologies sont potentiellement éligibles dès lors que le défaut de prise en charge est susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, les soins majoritairement consommés dans le cadre de ce dispositif sont : les troubles mentaux (21,9 % de l’ensemble des demandeurs) et certaines maladies infectieuses et parasitaires, principalement le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les hépatites virales (21,6 % de l’ensemble des demandeurs). Suivent le diabète, les tumeurs et les maladies de l’appareil respiratoire.

En mars 2013, le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale de l’administration (IGA) ont à juste titre dénoncé une procédure d’instruction « mal maîtrisée » et un dispositif « à bout de souffle ». Il était urgent d’harmoniser l’examen médical des demandeurs, anciennement dévolu aux médecins inspecteurs de santé publique et confié depuis 2011 aux médecins des agences régionales de santé (ARS), en vue d’assurer aux usagers une égalité de traitement. Ainsi, la mission a fort utilement recommandé le transfert de la compétence en matière d’avis médical des médecins des agences régionales de santé (MARS) aux médecins de l’OFII, mais également un renforcement des moyens propres à réduire la fraude. Ces recommandations ont été efficacement consacrées dans la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, comme l’illustre le graphique ci-après :

Transposition effective des recommandations de la mission IGA‑IGAS

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Source : rapport du service médical de l’OFII sur la procédure d’admission au séjour pour soins en 2017.

b.   La réforme de la procédure d’admission au séjour pour soin a permis des avancées certaines en matière de lutte contre la fraude qui doivent désormais être confirmées

Les évolutions législatives s’agissant de la procédure d’admission au séjour pour soins ont ainsi permis d’instaurer la collégialité des avis, le recours systématique à une base de données dédiée, mais aussi des moyens permettant de vérifier la sincérité des demandes.

L’état de santé de l’étranger malade est toujours apprécié selon que le défaut d’une prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité mais la possibilité ou non pour l’étranger de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine est réintroduite et se mesure, d’une part, au regard de « loffre de soins », d’autre part, au regard des « caractéristiques du système de santé » existants. Par ailleurs, la procédure d’examen a évolué avec le transfert à l’OFII de l’examen du dossier médical destiné à éclairer le préfet, autrefois dévolu aux ARS. Cette mission doit s’exercer dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Depuis le 1er janvier 2018, 72 888 avis ont été émis par le collège de médecins de l’OFII et 52,1 % de leurs avis ont conclu que les conditions médicales d’admission au séjour étaient remplies.

Ce dispositif a été complété par des dispositions réglementaires qui ont grandement amélioré la qualité des informations médicales nécessaires au traitement des dossiers : un collège de trois médecins de l’OFII rend un avis, sur la base d’un rapport établi par un médecin rapporteur exerçant en direction territoriale. Ce médecin rapporteur ne siège pas au sein du collège par souci d’impartialité. Il effectue son rapport à partir du certificat médical adressé par le demandeur, son médecin ou son praticien habituel. Ce certificat médical vierge au départ, accompagné d’une notice d’information sur la procédure, est remis par le préfet à l’étranger, au moment où ce dernier dépose sa demande de titre de séjour pour raisons de santé, il appartient à l’étranger de le faire remplir par son médecin et de l’adresser à l’OFII. La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a sécurisé le dispositif en permettant aux médecins de l’OFII de demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

Enfin, certaines dispositions permettent désormais de vérifier plus efficacement la sincérité des demandes. La mission d’inspection de l’IGA‑IGAS soulignait la fréquence significative de comportements frauduleux, en particulier des usurpations d’identité en notant notamment que « les médecins praticiens ne vérifient pas lidentité de la personne qui fait lobjet de la consultation et du rapport médical » ou « au seul vu du dossier médical sans même préciser quils nont pas examiné le patient ». La loi de 2016 a fort heureusement instauré une procédure de vérification de l’identité du demandeur en préfecture d’une part, et au cours de l’instruction du dossier par l’OFII d’autre part.

Depuis le 1er janvier 2017, la photo d’identité du demandeur, qui doit être prise en préfecture, figure sur le certificat médical vierge à faire remplir par le médecin soignant. Au cours de l’instruction du dossier, la nouvelle procédure, encadrée par l’arrêté interministériel du 27 décembre 2016, prévoit que le médecin rapporteur puisse effectuer des examens complémentaires. Ainsi en 2017, 49,5 % des demandeurs ont été soumis à un examen médical, soit 18 146 personnes. De plus, 18 % des personnes se sont vues proposer un prélèvement biologique avec identito‑vigilance. Ces analyses sont réalisées dans le respect des exigences tenant à l’information du demandeur (notice d’information remise en préfecture, information orale lors de la convocation en direction territoriale, convocation mentionnant le prélèvement) et au recueil de son consentement (accord écrit de l’intéressé qui peut s’y opposer). Enfin, un contrôle d’identité est assuré systématiquement avant chaque examen médical par un agent de l’OFII ([7]).

Les résultats très satisfaisants produits par ces diverses évolutions, prouvent aux yeux de votre rapporteure que la lutte contre les abus et les fraudes en matière d’immigration peut se révéler efficace pour peu que l’on fasse preuve de volonté politique. À la suite de ces réformes, une hausse très nette des avis défavorables rendus a été constatée passant d’environ trois quarts d’avis favorables à la moitié, aussi bien pour les premières demandes de titres de séjour que pour leur renouvellement. En 2013, soit avec les diverses évolutions décrites, sur les 42 329 avis rendus, 77,7 % étaient favorables. En 2017, ce chiffre était tombé à 52,7 % de l’ensemble des demandeurs qui ont reçu un avis favorable. Par rapport à 2013, cela équivaut à une baisse de 32 %. Ces résultats permettent de mieux protéger ceux qui en ont réellement besoin tout en limitant le coût pour les finances publiques.

Le tableau, ci-après, indique l’évolution du nombre d’étrangers admis au séjour pour soins depuis 2010.

Les motifs présentés sont très divers. Cependant l’OFII relève que certains se rapportent davantage à une prise en charge médico‑sociale qu’à un véritable traitement médical. Il faut noter que les mineurs, les femmes et les demandeurs atteints de maladies hématologiques, du VIH, d’hépatites virales, de maladies de l’appareil génito-urinaire (insuffisance rénale), de tumeurs (cancers) bénéficient plus fréquemment d’un avis favorable ([8]). Par ailleurs, si les demandes de soin relèvent toujours majoritairement des troubles mentaux et des maladies infectieuses et parasitaires, on doit noter une hausse significative des affections chroniques liées au mode de vie (diabète, hypertension, obésité, apnée du sommeil, etc.). Votre rapporteure s’interroge très fortement : est‑ce à la solidarité nationale française de supporter le coût de ces traitements de maladies chroniques et pathologies non aiguës ne relevant pas de l’urgence, alors même que des personnes ayant cotisé toute leur vie ne sont pas prises en charge à une telle hauteur ?

Le graphique, ci-après, indique la répartition des avis par pathologies en 2017 ([9]):

Répartition des avis par pathologies en 2017

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Source : rapport du service médical de l’OFII sur la procédure d’admission au séjour pour soins en 2017.

Dans le cas de figure où un avis défavorable est rendu par le collège, il appartient aux préfets de décider si le demandeur relève d’un dispositif de régularisation à un autre titre ([10]). En outre, votre rapporteure tient à rappeler qu’un refus de tire au séjour pour soins ne conduit pas à une impossibilité totale d’accès aux soins en France, les personnes déboutées pouvant en fonction de leur statut bénéficier de la protection universelle maladie (PUMA), s’ils sont en situation régulière ([11]) et remplissent toutes les conditions afférentes ou de l’AME, s’ils sont en situation irrégulière. En France, les demandeurs d’asile, dès l’enregistrement de ladite demande, bénéficient de la PUMA car leur statut de demandeur l’asile leur ouvre les mêmes droits que des personnes en situation régulière. Les déboutés du droit d’asile continuent, par ailleurs, à bénéficier de la PUMA pendant une année supplémentaire. Votre rapporteure estime que pour assurer un meilleur suivi de ce public particulier devrait être instauré un dispositif spécifique distinct de la PUMA afin de limiter au maximum les abus et la fraude. Cette protection sociale spécifique aurait pour particularité de s’arrêter le jour de la notification d’une décision négative définitive qui devrait être automatiquement transmise aux caisses d’assurance‑maladie. Un tel dispositif permettrait également de mieux évaluer l’éventuelle bascule du régime de la PUMA à celui de l’AME.

La dette des patients étrangers non‑résidents : une lourde charge pour les hôpitaux publics à travers l’exemple de l’AP‑HM et de l’AP‑HP

La catégorie des patients étrangers dits non‑résidents recouvre deux caractéristiques : l’absence de couverture sociale en France d’une part et la résidence à l’étranger d’autre part. Sont exclus de cette catégorie les patients relevant de l’AME et des dispositifs de facturation « soins urgents » et « relations internationales ». Peuvent cependant être inclus dans cette catégorie les patients français résidants à l’étranger, sans couverture sociale en France.

La créance étrangère recouvre le crédit des particuliers étrangers non‑résidents, le crédit des organismes de santé étrangers publics et privés et le crédit des ambassades étrangères. Pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP‑HP), au 31 décembre 2018, cette dette – quelle que soit l’année de la créance initiale – atteignait 116 712 015 euros, soit 8 % des restes à recouvrer totaux. Au 30 juin 2019, les principaux débiteurs étaient des ressortissants algériens (26 188 443 euros), marocains (10 121 014 euros), américains (7 706 537 euros), britanniques (4 296 052 euros), koweïtiens (4 069 626 euros) et tunisiens (3 508 938 euros). Pour l’Assistance publique‑Hôpitaux de Marseille (AP‑HM), au 31 décembre 2018, cette dette s’élevait à 7 260 613 euros, soit 5 % des restes à recouvrer totaux. Comme pour l’AP‑HP, cette dette est marquée par l’ancienneté et le montant de la créance algérienne de l’ordre de 2,2 millions d’euros au titre des personnes morales de droit public dont les plus anciennes datent de 1979 et concernent le ministère de la santé algérien.

Depuis 2014, les cinq premières pathologies traitées concernent des tumeurs malignes du sein, les tumeurs malignes de la prostate, les maladies rénales chroniques de stade 5, les tumeurs malignes de l’encéphale et les tumeurs malignes du rectum. On note en 2018 une forte augmentation des cas de leucémie lymphoblastique aiguë. Les actes les plus fréquemment exercés sont les oscillographies, les mammographies, les oxygénothérapies, les électrocardiographies et les radiographies du thorax.

Sans documents permettant d’attester de ses droits, toute admission programmée d’un patient étranger non‑résident sera soumise au principe du paiement d’avance systématique. Aucune hospitalisation ni aucun acte programmé ne peuvent être dispensés sans que le service concerné n’ait l’assurance du recouvrement des frais médicaux. Le paiement est donc effectué d’avance sur la base d’un devis, et aucune admission n’est initiée sans son règlement intégral. En 2014, le paiement d’avance systématique a été étendu à tous les organismes étrangers (hors régime des conventions internationales passant par le dispositif de facturation « relations internationales »), ainsi qu’à tous les patients non assurés sociaux qu’ils présentent une adresse à l’étranger ou en France.

Concernant les admissions directes des patients non‑résidents sans droits, la prise en charge médicale du patient prévaut pour les soins urgents. Les éléments permettant la facturation et le recouvrement sont collectés a posteriori. C’est précisément ce cas de figure qui complique la régulation de la dette des patients étrangers non‑résidents pour les hôpitaux publics. Votre rapporteure déplore, par ailleurs, le fait que les personnels médicaux ou de direction se retrouvent souvent en première ligne face à l’incompréhension des familles en cas de refus de prise en charge d’un patient. Cette situation exige que les pouvoirs publics se saisissent de cette question afin de rappeler le caractère non systématique de la prise en charge, en dehors de l’urgence vitale.

Les principales difficultés rencontrées par les hôpitaux concernent les patients entrant en urgence, qui ne nécessitent pas exclusivement des soins vitaux immédiats mais également des soins urgents à court terme avant qu’ils ne deviennent des urgences vitales, comme les dialyses, par exemple. Une fois le patient présent, il est très difficile pour l’équipe soignante de refuser une prise en charge, même si celle‑ci se révèle possible dans le pays d’origine. Par exemple, on constate depuis deux ans une hausse très marquée du nombre de patientes étrangères non‑résidentes venant accoucher en France. Ces patientes, qui ont, dans bien des cas, des droits ouverts dans leur pays d’origine se voient facturer les soins liés à leur accouchement. Dans la mesure où elles regagnent leur pays d’origine après l’accouchement et où les poursuites des services de recouvrement sont impuissants à recouvrer les créances à l’étranger, une perte nette s’ensuit pour les hôpitaux publics. Celle‑ci était supérieure à 2 millions d’euros pour les exercices 2017 et 2018 pour l’AP‑HM. Votre rapporteure appelle de ses vœux à la mise en place de dispositifs efficaces permettant aux hôpitaux publics de recouvrer le plus tôt possible leurs créances, une fois les soins d’urgence vitale effectués.

En règle générale, l’hôpital est confronté, d’une part, à un refus de prise en charge par la sécurité sociale française car le patient ne relève pas de soins urgents au sens strict – a fortiori quand il dispose d’un visa touristique – et d’autre part au refus du système de protection sociale du pays d’origine qui estime que le patient pouvait pris en charge localement. S’agissant des pathologies chroniques, les soins ne sont, par ailleurs, jamais couverts par les assurances voyages. Enfin, les ambassades des pays de résidence des patients concernés considèrent ces créances comme « privées » et n’apportent aucune aide pour leur recouvrement. L’existence de conventions internationales bilatérales est certes un moyen efficace de prévenir les créances non recouvrées. Mais force est de constater que le nouveau protocole de soins bilatéral entre la France et l’Algérie n’est toujours pas opérationnel au sein de l’AP‑HP et à l’AP‑HM. Votre rapporteure invite la direction de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé à œuvrer le plus rapidement possible en ce sens. Par ailleurs, votre rapporteure estime que devra être sérieusement abordée et effectivement résolue la problématique de l’apurement de la dette ancienne.

Un dispositif de signalement des patients étrangers endettés existe auprès de certains consulats et ambassades. Cette procédure permet d’accélérer les formalités de prises en charge par le pays d’origine, de manière à ne pas augmenter la dette détenue par le patient envers l’hôpital, et peut également conduire, dans des cas précis, à un blocage du visa lors des prochains déplacements. Votre rapporteure ne peut que recommander une généralisation et renforcement de cette politique de signalement. Il faut toutefois rappeler que les ressortissants de certains pays ne nécessitent pas de visa et que les refus de visa ne sont pas efficaces lorsque les patients concernés transitent par d’autres pays de l’espace Schengen. De la sorte, une coordination européenne sur ce point devrait être explorée.

Lors du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, le 7 octobre 2019, la Ministre de la Santé a annoncé que « les caisses d’assurance maladie auront accès dès la fin de l’année à la base Visabio du ministère de l’intérieur, laquelle permettra d’identifier les demandeurs dissimulant un visa et n’ayant donc aucunement vocation à bénéficier de l’AME ni aux soins urgents ».

Votre rapporteure estime que même si cette mesure va dans le bon sens cela ne réglera pas le problème des pays d’origine qui refusent de régler les factures des soins. Aussi, elle estime qu’une réflexion doit s’ouvrir sur les moyens de contraintes dont nous disposons pour obliger ces pays à payer les factures de leurs ressortissants.

B.   la prise en charge d’un public vulNérable : le cas des mineurs non accompagnés

1.   L’afflux exponentiel des mineurs non accompagnés expose le dispositif d’accueil et de protection à une surchauffe

a.   Le nombre de mineur non accompagné est en hausse constante en France

Les mineurs non accompagnés (MNA), qui se caractérisent au sens d’un arrêté de référence du 17 novembre 2016 ([12]) comme non accompagnés d’une personne majeure qui serait leur « responsable légalement sur le territoire national » ou qui prendrait effectivement en charge l’enfant et manifesterait la volonté de se le voir confier durablement, sont pris en charge en France par les départements. Si leur estimation exacte se révèle difficile, on constate cependant une très forte hausse des arrivées de MNA en France, ces dernières années.

Les conseils départementaux déclarent avant le 31 mars de chaque année le nombre de MNA qui leur ont été confiés sur décision judiciaire et qu’ils prenaient encore en charge au 31 décembre de l’année précédente agrégeant donc le flux et le stock. On comptait, selon les chiffres du secrétariat d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé en charge de la protection de l’enfance : 9 970 personnes reconnues MNA en 2015, 13 038 en 2016, 20 969 en 2017 et 28 411 en 2018. Au cours du premier semestre 2019, 12 000 jeunes ont été évalués mineurs au lieu de 10 500 sur la même période en 2018. La tendance reste donc lourde et inquiétante pour votre rapporteure.

La progression du nombre de MNA pris en charge par les départements s’est notablement renforcée à compter de l’année 2017 avec une hausse de l’ordre de 85 % par rapport à 2016. Cependant, un léger ralentissement a été observé entre 2017 et 2018 avec une augmentation de l’ordre de 14 %. Pour mémoire, selon des chiffres de l’Assemblée des départements de France (ADF), le nombre des MNA était de 264 en 1999, de 1 077 en 2001 et 2 500 environ en 2004 démontrant la hausse exponentielle à laquelle notre pays est confronté en la matière.

Selon des données de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) du ministère de la justice et du secrétariat d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé en charge de la protection de l’enfance, les MNA arrivant en France sont majoritairement originaires du continent africain et particulièrement de l’Afrique subsaharienne (de l’ordre de 67 contre 60 % en 2017) notamment de la Guinée (31 %), du Mali (20 %) et de la Côte d’Ivoire (16 %). Depuis 2016, on constate une augmentation d’arrivées de mineurs venant d’Afghanistan, d’Albanie ou encore du Bangladesh. S’agissant des pays du Maghreb (9,5 % du total des jeunes reconnus MNA), une augmentation sensible a été observée en passant de 1 035 jeunes en 2017 à 1 617 jeunes en 2018. Cette tendance semble se poursuivre en 2019.

Le tableau, ci‑après reprend les cinq pays nationalités les plus représentées parmi les MNA, entre 2016 et le 31 juillet 2019.

Nationalités les plus représentées parmi les MNA entre 2016 et 2019

Nationalités les plus représentées ( %)

2016

2017

2018

Au 31 juillet 2019

Guinée

17,77 %

Guinée

28,63 %

Guinée

30,71 %

Guinée

27,91 %

Mali

16,35 %

Côte dIvoire

16,86 %

Mali

20,14 %

Mali

26,13 %

Côte dIvoire

11,27 %

Mali

16,08 %

Côte dIvoire

16,25 %

Côte dIvoire

13,33 %

Afghanistan

7,86 %

Afghanistan

4,83 %

Tunisie

3,88 %

Algérie

3,60 %

Albanie

6,72 %

Albanie

4,15 %

Algérie

3,64 %

Bangladesh

3,49 %

Autres nationalités

40 %

Autres nationalités

29,45 %

Autres nationalités

25,38 %

Autres nationalités

25,54 %

Source : direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

Par ailleurs, selon des données du ministère de la justice, les garçons représentaient, en 2018, 95,4 % des MNA et les filles 4,45 %. Entre 2017 et 2018, est cependant observée une légère augmentation du nombre de jeunes filles de l’ordre de 23,8 %.

 

Le graphique, ciaprès, présente lévolution du nombre de MNA confiés en les distinguant par sexe pour la période 20162018.

Évolution du nombre de MNA confiés 2016‑2018

Source : DPJJ.

À titre de comparaison, la prise en charge des MNA dans les autres pays de l’UE se révèle très hétérogène. Certains pays, comme la France, considèrent les MNA comme des enfants en danger, ce sont alors les protocoles classiques de la protection de l’enfance qui s’appliquent. Dans ce cas de figure, il n’existe pas de dispositif dédié, en particulier en termes d’accueil physique. Dans d’autres pays, les MNA relèvent de la catégorie des migrants, leur minorité n’invitant au mieux qu’à une attention plus bienveillante. Dans le cas où ils peuvent prétendre à une protection conventionnelle, ces derniers bénéficient généralement rapidement d’un statut de réfugié comme au Royaume-Uni. Par ailleurs, certains pays appliquent des procédures de rétention (cas de Chypre), et d’expulsion des MNA. Certains pays notamment d’Europe centrale et orientale sont vraisemblablement dans le déni puisque déclarant ne pas accueillir de MNA alors que les experts et les statistiques d’Eurostat tendent à prouver l’inverse (cas de la Croatie et de la Roumanie).

b.   L’accueil de ce public vulnérable représente une lourde charge à laquelle les départements ne parviennent que difficilement à faire face

En France, les MNA relèvent du droit commun de la protection de l’enfance et donc de la compétence des conseils départementaux. Il leur incombe notamment d’effectuer les procédures liées à la vérification des documents d’état civil, de procéder à la mise à l’abri des jeunes migrants, d’opérer l’évaluation de leur minorité si nécessaire et enfin d’assurer leur protection une fois leur qualité de mineurs isolés reconnue.

Les départements accueillant le plus grand nombre de MNA correspondent à des zones d’arrivées ou de transit en vue d’un départ vers un autre pays : les Bouches‑du‑Rhône, la Haute‑Garonne, la Gironde, l’Isère, le Nord, Lyon‑métropole et la Seine‑Saint‑Denis.

Face à cette situation difficile, le Gouvernement a consenti, en 2018, un appui financier exceptionnel en direction des départements. Ce financement a été apporté sur la base de 30 % du coût correspondant à la prise en charge de MNA supplémentaires accueillis par les départements au 31 décembre de l’année 2017 par rapport à l’année 2016. Le montant total des aides apportées en 2018 s’élève ainsi à 96,2 millions d’euros.

Le dispositif d’aide exceptionnelle a été prolongé, sur la base de 6 000 euros par jeune MNA supplémentaire pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre 2018 par rapport au 31 décembre 2017 pour 75 % des jeunes concernés. Le montant total de cette aide s’établit donc à 33,6 millions d’euros en 2019.

Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à renforcer, à compter du 1er janvier 2019, la participation forfaitaire de l’État aux dépenses engagées, en amont, par les conseils départementaux au titre de la mise à l’abri et de l’évaluation de la situation des personnes se présentant comme MNA. Cette aide correspond à une prise en charge de l’ordre de 500 euros au titre de l’évaluation sociale et d’une première évaluation des besoins en santé, et de l’ordre de 90 euros par personne et par jour dans la limite de quatorze jours puis 20 euros par personne et par jour dans la limite de neuf jours complémentaires au titre de la mise à l’abri. Pour les évaluations intervenues antérieurement, le précédent barème reste applicable, soit 250 euros par jour et par jeune dans la limite de cinq jours.

La contribution exceptionnelle de l’État aux dépenses d’aide sociale à l’enfance au titre des MNA mise en œuvre en 2018 et en 2019 est reconduite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 au sein la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.

Votre rapporteure estime l’aide globale apportée par l’État insuffisante et en décalage avec la réalité des dépenses supportées par les départements.

Compte tenu de l’arrivée massive de jeunes migrants se déclarant MNA sur le territoire national et de leur errance à travers les États de l’Union européenne, votre rapporteure s’interroge sur la faillite du dispositif en place qui engendre des coûts exorbitants – la prise en charge est estimée entre 30 000 euros et 40 000 euros par MNA – une saturation des structures d’accueil, un effet d’éviction vis‑à‑vis des autres mineurs protégés et l’épuisement des agents en charge de la protection de l’enfance. Le système est actuellement confronté à une situation de surchauffe qu’il serait dangereux de laisser perdurer. Il doit être intégralement repensé pour mieux protéger les mineurs qui doivent effectivement l’être et soulager les départements qui ne peuvent faire face à cet afflux continu de jeunes migrants. La problématique des MNA n’est pas qu’une question relative à la protection de l’enfance, c’est également une question migratoire à part entière et elle doit, à ce titre, relever de compétences régaliennes. Pour cette raison, votre rapporteure estime qu’une recentralisation de l’évaluation, de la mise à l’abri et de la protection des MNA constitue une piste qu’il faudrait explorer.

À titre d’illustration, le nombre de MNA pris en charge dans les Bouches‑du‑Rhône était de 227 au 31 décembre 2015. Il s’élève à 1 025 au 31 août 2019, soit une multiplication par 4,5 en quatre ans. Le coût de cette prise en charge représentait 11 millions d’euros en 2015 contre 37 millions en 2018.

De manière préoccupante, la mission mineurs non accompagnés (MMNA) du ministère de la justice a indiqué à votre rapporteure avoir eu connaissance de l’absence de mise à l’abri de personnes se déclarant MNA, mais également de l’inexécution de décisions judiciaires ordonnant le placement de MNA à l’issue de la phase d’évaluation démontrant la faillite du système dont les premières victimes sont ces jeunes mineurs en situation de grande fragilité.

2.   Le nouveau dispositif d’appui à l’évaluation de la minorité semble faire ses preuves et mériterait une généralisation sur tout le territoire

a.   L’évaluation est impérative pour protéger ceux qui nécessitent effectivement une protection

L’évaluation de la minorité et de l’isolement des personnes se présentant comme MNA est une obligation essentielle, dès lors qu’elle conditionne l’accès à un dispositif de protection dédiée exclusivement aux mineurs en danger. En effet, si l’évaluation de la minorité et de l’isolement confirme que la personne est bien mineure et non accompagnée, elle entraîne la saisine de l’autorité judiciaire par le président du conseil départemental, afin que la personne évaluée mineure soit confiée à l’aide sociale à l’enfance (ASE).

Lévaluation de la minorité et de lisolement est une obligation qui repose essentiellement sur les présidents des conseils départementaux. Larticle R. 22111 du code de l’action sociale et des familles dispose que le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence. Au cours de cette période, le président du conseil départemental procède ou fait procéder par une association habilitée, aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de cette personne. Cette évaluation est encadrée par l’arrêté du 17 novembre 2016, pris en application du décret du 24 juin 2016, qui définit un cadre d’évaluation commun à l’ensemble des départements.

Le processus d’évaluation est complexe car il doit permettre d’infirmer ou de confirmer le plus objectivement possible les éléments qui pourraient faire douter de la minorité et de l’isolement de la personne. Ce processus débute par une évaluation sociale durant laquelle les sept points suivants sont explicitement abordés : l’état civil, la composition familiale, la présentation des conditions de vie dans le pays d’origine, l’exposé des motifs de départ, le parcours migratoire, les conditions de vie depuis l’arrivée en France et le projet du jeune. Si des doutes subsistent à l’issue de l’évaluation sociale et que la personne présente des documents dont l’authenticité ou la réalité apparaissent douteuses aux évaluateurs, une vérification documentaire peut être demandée par le président du conseil départemental ou par l’autorité judiciaire. Les documents sont alors présentés à la police aux frontières pour expertise. En dernier recours, le président du conseil départemental peut également saisir l’autorité judiciaire pour que celle-ci requière, si elle l’estime nécessaire, un examen radiologique osseux encadré par l’article 388 du code civil. Ces examens ne permettent pas d’obtenir une évaluation exacte et subsiste une marge d’erreur de dix-huit mois, ce qui pose d’autant plus de problèmes que de nombreux mineurs présumés sont proches de la majorité comme le montre le tableau, ci‑après.

 

Nombre de MNA répartis par tranches d’âge pour la période 2016‑2018

Âge

2018

% 2018

2017

% 2017

2016

% 2016

 10 ans

28

0,16 %

46

0,31 %

21

10  12 ans

95

0,56 %

113

0,76 %

129

1,60 %

13  14 ans

1 808

10,62 %

1 669

11,20 %

1 105

13,72 %

15 ans

5 561

32,67 %

4 171

27,98 %

2 074

25,75 %

16 ans

7 495

44,04 %

6 662

44,69 %

3 575

44,39 %

17 ans

2 035

11,94 %

2 247

15,07 %

1 150

14,28 %

Total

17 022

100,00 %

14 908

100,00 %

8 054

100,00 %

Source : DPJJ.

La mission bipartite de réflexion sur les MNA dont le rapport a été remis en février 2018 observait une grande hétérogénéité des évaluations d’un département à autre. Elle faisait ainsi état d’une mise en œuvre variable, malgré l’existence du référentiel commun institué par arrêté le 17 novembre 2016, du nombre et de la durée des entretiens, du recours éventuel à un interprétariat, de la nature des investigations sur l’identité et le contrôle documentaires. Cette hétérogénéité conduisait selon la mission à une inégalité de traitement entre personnes se déclarant MNA, à une multiplication des réévaluations et à une augmentation des recours. Conséquence directe du défaut d’harmonisation en matière d’évaluation et de la mise à l’abri, l’apparition de tensions entre départements a été relevée au cours des travaux de votre rapporteure. A été notamment déplorée l’absence de mise à l’abri de personnes se déclarant MNA dans certains départements entraînant un flux d’arrivées dans le département voisin, l’inexécution des décisions judiciaires ordonnant la prise en charge des personnes reconnues MNA, la réévaluation ou la réalisation d’expertises complémentaires suivies d’un refus de prise en charge, la remise en cause de la qualité des évaluations d’un département tiers ainsi que la mauvaise communication entre les départements. Cette situation est inquiétante à plusieurs titres pour votre rapporteure : elle conduit à une dégradation de l’accueil des plus vulnérables et entraîne des surcoûts inutiles pour les finances publiques.

b.   La mise en place du fichier national produit des résultats satisfaisants

Pour pallier ces difficultés, le Gouvernement s’est engagé à apporter un appui opérationnel via la mise en place d’un outil d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM). L'article L. 611‑6‑1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018, sur le fondement duquel la base de données AEM a été créée, a été validé récemment par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ([13]). Le dispositif AEM est aujourd’hui opérationnel dans quarante-huit départements volontaires, et devrait l’être prochainement dans vingt-six autres. Si son utilisation s’accompagne d’une nette diminution des flux de MNA enregistrés, ce dispositif a suscité l’opposition d’une quinzaine de départements dont Paris, la Seine‑Saint‑Denis et la Meurthe‑et‑Moselle.

Le président du conseil départemental a, grâce à cet outil, la faculté de solliciter, à chaque étape de l’évaluation, le concours du préfet pour l’évaluation de la situation de la personne se disant MNA. Les agents préfectoraux procèdent alors à l’enrôlement des empreintes digitales, de l’image numérisée du visage et des informations biographiques (état civil, nationalité, filiation, coordonnées…) de la personne concernée dans la base de données AEM ainsi qu’à l’interrogation des traitements VisaBio et AGDREF à partir des empreintes digitales de la personne se disant MNA. Il transmet ensuite les informations recueillies de manière sécurisée aux agents dûment habilités par le président du conseil départemental qui les prend en compte dans le cadre de l’évaluation de la situation de la personne concernée. Il peut ainsi s’assurer que la personne qui se présente comme MNA n’a pas déjà été évaluée dans un autre département et recueillir les autres informations éventuellement connues des services de l’État quant à son identité.

Votre rapporteure note que les premiers résultats qui ont suivi le déploiement de ce nouvel outil se révèlent très satisfaisants. Il a été précisé au cours de ses auditions que son utilisation s’accompagne d’une réduction massive des flux observés dans les départements l’utilisant. Le fichier AEM permet ainsi efficacement de lutter efficacement contre la fraude ou le « nomadisme » entre départements. Par là même, il réduit les dépenses afférentes à cette prise en charge qui pouvait se révéler indue s’agissant de jeunes migrants en réalité majeurs. Votre rapporteure y voit un très bon signal envoyé aux filières d’immigration clandestine qui pouvaient jusqu’à présent utiliser les brèches du dispositif d’accueil des MNA. Pour cette raison, elle prône une généralisation obligatoire du dispositif sur tout le territoire.

Selon les données du ministère de l’intérieur, à la date du 19 septembre 2019, 3 119 personnes sont enregistrées dans la base AEM ; 374 personnes enregistrées ont été considérées comme MNA ; 617 personnes ont été considérées comme majeures sans préjudice de la décision finale du juge des enfants et le résultat de l’évaluation n’a pas encore été communiqué à la préfecture pour 2 081 personnes enregistrées. Les majeurs représentent 61 % des décisions communiquées par les départements. Les décisions concernent majoritairement des ressortissants originaires de Guinée (23,8 %), du Mali (19,4 %) et de Côte d’Ivoire (17 %). Ces trois nationalités représentent plus de 60 % des personnes enregistrées.

Le Gouvernement s’est par ailleurs engagé à renforcer le cadre réglementaire de l’évaluation de la minorité et de l’isolement pour favoriser une harmonisation et une convergence des pratiques. Ainsi, un nouveau référentiel relatif à l’évaluation de la minorité et de l’isolement sera publié au dernier semestre de l’année 2019, qui précisera notamment les obligations des conseils départementaux en matière de formation des évaluateurs et de pluridisciplinarité. Ce nouveau référentiel sera en outre accompagné d’un guide de bonnes pratiques en cours de finalisation par la direction générale de la cohésion sociale dans le cadre d’un groupe de travail associant l’ensemble des ministères concernés ainsi que des représentants de conseils départementaux et d’associations.


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   CONTRIBUTION DE M. JEAN-MICHEL CLÉMENT AU NOM DU GROUPE LIBERTÉS ET TERRITOIRES

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent globalement de 162 millions d’euros, soit + 9,8 % par rapport au budget passé. L’évolution à la hausse de ces crédits est en partie le reflet de l’augmentation du nombre de personnes ayant obtenu l’asile dans notre pays.

Rappelons que pour élaborer la Loi de finances pour 2019 et adapter aux évolutions du contexte migratoire les crédits de la mission relatifs à l'asile, le Gouvernement avait retenu une hypothèse faible de progression de la demande d'asile : + 10 % seulement en 2018 et 0 % en 2019, puis en 2020. En réalité, les chiffres ont été relativement différents et il convient qu’en conséquence les moyens budgétaires suivent.

La hausse du budget du programme « Immigration et Asile », d’à peine plus de 100 millions d’euros, n’est dès lors pas satisfaisante, et cela d’autant plus que l’expérience des précédents projets de loi de finances témoigne d'une sous-évaluation chronique de la demande d'asile, comme si on ne voulait pas voir la réalité du monde en face.

D’aucuns prennent le prétexte de cette hausse des demandes d’asile pour au contraire vouloir renoncer à notre politique d’accueil, en brouillant à dessein les différences entre migrants et réfugiés, sans distinction des causes : immigrations économiques, contraintes sécuritaires ou, plus encore demain, contraintes climatiques.

Rappelons que l’asile est avant tout une protection accordée à un individu parce qu’il est susceptible d’être persécuté et qu’il va trouver refuge dans un autre État que le sien. Il ne s’agit pas d’éloigner des étrangers, mais de les protéger.

Lorsqu’ils décident de quitter leur pays, les demandeurs d’asile souhaitent d’abord aller dans un pays limitrophe du leur, et les chiffres des migrations internationales observés depuis de nombreuses années par le laboratoire « MIGRINTER » de l’université de Poitiers le prouvent.

En réalité, la politique d’asile de la France est devenue aujourd’hui un instrument de sa politique migratoire. L’application systématique du règlement inique de Dublin en est un exemple flagrant, puisqu’il est utilisé par la puissance publique comme un déterminant essentiel pour maîtriser la dépense publique et notamment, celle de l’Allocation pour demandeurs d’asile.

Yannick Blanc, ancien directeur de la police générale à la préfecture de Paris, n’a-t-il pas déclaré que « le tableau Excel l’emporte de loin sur le code » ? En disant cela, il dénonce l’obsession permanente que représente le chiffre, le fait que tout soit normé par la pression du chiffre.

Ainsi, nous devrions infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d’étrangers qui arrivent dans notre pays, quelle qu’en soit la cause. Et c’est là que le bât blesse, parce que la réalité est bien différente de celle que l’on veut nous laisser croire, au-delà de la simple hausse des demandeurs d’asile. Il s’agit de regarder lucidement les choses.

En 2018, le Haut-Commissariat aux Réfugiés a recensé plus de 70 millions de personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou déplacées internes dans le monde.

Par ailleurs, alors que l’Union européenne verse plusieurs milliards d’euros à la Turquie pour gérer les flux migratoires, plus de 300 000 déplacés sont à déplorer depuis le début de l’offensive de l’armée turque.

De même, il est à déplorer que l’on sous-traite la traque aux migrants à des pays comme la Libye dont on renforce les capacités des garde-côtes, alors que ceux-ci se livrent à des exactions documentées.

S’il y a de nombreux domaines dans lesquels nous devons aider les pays confrontés aux crises humanitaires, c’est surtout par le renforcement de notre aide au développement, pour le porter au niveau de nos voisins européens.

Et la France dans tout cela ? Serions-nous face à une submersion qui nécessiterait d’ériger des murs sur la base de dispositifs plus contraignants encore ? Si, la France est le deuxième pays européen d’accueil des demandeurs d’asile derrière l’Allemagne et devant la Grèce, lorsque l’on rapporte le nombre de demandes d’asile au nombre d’habitants, la France se place au onzième rang en Europe !

Aussi malgré ces chiffres, le discours ambiant énonce à tous crins qu’il faudrait, en même temps, plus d’humanité et de fermeté. Dans les faits, cela signifie une instruction plus rapide des demandes d’asile et, des enfants plus longtemps en centres de rétention administrative.

Or, la France reste l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus en rétention et les délais de longue rétention augmentent.

Ainsi, en 2018, près de 2 000 personnes ont été enfermées plus de quarante jours dans les centres de rétention administrative (CRA). Ce chiffre est en augmentation de 20 % à 30 % par rapport à 2016 et 2017. Cette politique exacerbe les tensions au quotidien. L’effet sur la santé, voire la sécurité des personnes, se traduit par une recrudescence des actes désespérés.

Le doublement, depuis le 1er janvier 2019, de la durée maximale de rétention, passée de quarante-cinq jours à quatre-vingt-dix jours, oblige le Gouvernement à améliorer les conditions de rétention.

Ainsi, le Projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse des dépenses d’investissement immobilier en matière de rétention de 20,7 millions d’euros en crédits de paiement. L’accroissement des places de centres de rétention administrative sera de 480 places. Des travaux sont également menés pour améliorer le cadre de vie au sein de ces centres, notamment à destination des familles. Vastes et beaux projets.

Ces crédits amènent deux réflexions :

-         D’une part, ils demeurent insuffisants au regard des conditions de vie dans les centres de rétention : le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont effet rendu des avis très critiques concernant l’enfermement des enfants, et ont constaté de graves manquements dans la prise en charge sanitaire des personnes placées en rétention ;

-         D’autre part, ces crédits pourraient être considérés comme suffisants si la politique du Gouvernement en faveur de l’enfermement quasi systématique était revue.

En effet, bien souvent cette politique de l’enfermement viole les droits des personnes et les juges judiciaires ou administratifs prononcent des libérations dont les taux atteignent des niveaux très élevés : 38 % en métropole et 25 % Outre-mer.

« Rendre la France moins attractive », cela passerait également par la restriction de l’accès à l’aide médicale d’État ou à la couverture maladie universelle. Comment croire que cela va permettre de construire un mur pour dissuader les étrangers de venir en France, comme s’ils venaient pour cela ! Quand on sait que 36% ont besoin de soins urgents, quelle image enverrons-nous ? Cette mesure serait d’ailleurs totalement contreproductive en termes budgétaires puisque l’économie réalisée à court terme ne prend pas en compte les coûts que générerait une propagation des affections contagieuses au sein de la population, qui pourraient se révéler bien plus élevés.

Lorsque nous décidons de nous emparer des sujets relatifs à la politique d’immigration, d’asile et d’intégration, loin de voguer sur les peurs de beaucoup de nos concitoyens, peu ou mal informés, qui rencontrent de sérieuses difficultés dans leur quotidien, il convient inlassablement de faire preuve d’humilité et de responsabilité. Il s’agit d’insister sur la nécessité de ne pas céder à la hiérarchisation des douleurs humaines.

En cela, les efforts budgétaires doivent se montrer à la hauteur des défis imposés, ce qui n’est pas suffisamment le cas pour cette mission budgétaire relative à l’immigration, l’asile et l’intégration. Notre groupe ne votera pas ces crédits, non pas parce que nous refusons les moyens, mais les motifs qui les justifient.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

   Présentation DE l’avis devant la commission
des affaires étrangÈres

Au cours de sa réunion du mercredi 23 octobre 2019, la commission des affaires étrangères examine le présent avis.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Notre ordre du jour appelle maintenant l’examen des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, dont la rapporteure pour avis est Valérie Boyer.

Je ne doute pas qu’un certain nombre de ses propositions vont créer du débat. Je l’ai dit et redit dans l’hémicycle, sur la question migratoire, nous devons changer de paradigme. Nous devons penser une politique globale qui ne soit plus l’apanage d’un seul ministère. Nous devons recentrer le droit d’asile, faute de quoi il mourra, alors que c’est un droit fondamental. Nous devons poser sur la table l’ouverture de voies économiques légales avec des visas multiples, c’est-à-dire favoriser les allers et retours, faute de quoi nous n’arriverons pas à recentrer le droit d’asile. Nous devons, enfin, repenser un partenariat totalement en rupture avec l’Afrique et lui permettre de vivre de ses propres ressources, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas.

Je vous donne la parole, Madame la rapporteure. Puis nous aurons une contribution de Jean-Michel Clément, au nom du groupe Libertés et Territoires.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Madame la présidente, je partage l’intégralité de vos propos, même si ma présentation ne reprendra pas les quatre points que vous venez d’évoquer. D’évidence, sur les questions d’asile et d’immigration, il est urgent de changer de paradigme. Il y va de l’unité nationale et de la paix sociale.

La France est aujourd’hui confrontée à un véritable défi migratoire, et ce ne sont pas des successions de discours qui nous permettront d’y faire face. Je rappellerai que dans les années 1960, le grand démographe Alfred Sauvy avertissait déjà que le phénomène de l’immigration de masse extracommunautaire aurait des conséquences civilisationnelles, sociales, économiques et sécuritaires majeures et probablement hautement sismiques si des mesures de sélection et de contrôle n’étaient pas prises.

Jusqu’à présent, le chef de l’État expliquait qu’il n’y avait pas de crise migratoire. Il s’est même prononcé en faveur de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans et de l’ouverture de l’espace Schengen à la Roumanie. Je constate aujourd’hui qu’il change de discours. Il a même déclaré en septembre que « la France ne peut pas accueillir tout le monde ».

Je citerai quelqu’un que l’on ne cite pas souvent mais dont certains d’entre nous se souviennent. En 1980, Georges Marchais disait : « Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés. Nous posons le problème de l’immigration. »

Nous le savons, le problème n’est pas derrière nous, car la pression migratoire aux frontières de l’Europe ne devrait cesser de croître au cours des prochaines années. Nous ne pouvons augmenter le budget Immigration à l’infini. Cela ne changera que si nous conduisons une nouvelle politique migratoire. La commission des affaires étrangères s’est donc saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration du projet de loi de finances pour 2020.

Cette mission est articulée autour de trois grands axes d’action : la maîtrise des flux migratoires ; l’intégration des personnes immigrantes en situation régulière et la garantie du droit d’asile.

Comme l’an passé, le budget de la mission est en augmentation. Les crédits de la mission inscrits au projet de loi de finances pour 2020 sont en hausse de 4,47 % pour les autorisations d’engagement et de 7,68 % en crédits de paiement, par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Cette hausse s’explique notamment par la nécessité de renforcer les capacités d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile dont l’afflux continu et important en direction de la France ne peut que nous inquiéter.

Fort de ses mots, le Gouvernement a, jusqu’à présent, été assez faible dans les actes pour juguler l’immigration de masse. Nous en voulons pour preuve une baisse des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière de 26,39 % en autorisations d’engagement et de presque 10 % en crédits de paiement, ce qui ne manque pas de m’interpeller fortement au regard des défis auxquels notre pays est confronté en la matière. En fait, les crédits de la mission augmentent, mais les crédits de lutte contre l’immigration irrégulière baissent de 10 %, au moment même où nous aurions dû faire porter là nos efforts.

Mme Bérengère Poletti. C’est scandaleux !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Bien qu’il soit extrêmement compliqué d’obtenir des informations sur le coût de l’immigration, à savoir la différence entre ce qu’elle rapporte et ce qu’elle coûte, il paraît qu’il avoisinerait 12,2 milliards, dont 8,5 milliards pour l’immigration légale et presque 4 milliards pour l’immigration illégale. D’après certains experts, ce chiffre pourrait être plus élevé encore, puisque l’immigration illégale serait en hausse chaque année, ce qui augmenterait naturellement le coût total de l’immigration – un économiste, Jacques Bichot, a réalisé des études sur le coût de l’immigration, dans un ouvrage que je vous recommande – qui s’élèverait au moins à 8,5 milliards au titre des aides sociales et de santé, 4,47 milliards pour les frais de justice, 10 milliards pour l’école et l’enseignement supérieur, 1 milliard pour le logement, 500 millions pour les services publics de transport, dont beaucoup d’études ne tiennent pas compte, soit, en réalité, quelque 25 milliards.

La grosse difficulté à laquelle j’ai été confrontée au cours de cette mission est l’organisation de l’opacité au sein de nos services pour ne pas avoir de comptabilité analytique. Si l’on veut changer de paradigme, il est temps de dire la vérité aux Français. On ne peut plus continuer avec des fantasmes sur les chiffres de l’immigration et surtout avec une organisation administrative qui passe son temps à faire en sorte que nous n’ayons pas d’informations consolidées. Cela n’est pas normal.

Pour autant, j’ai décidé de concentrer mes travaux sur la dimension sociale de l’immigration, en particulier la santé, et sur l’accès aux soins des personnes étrangères et la prise en charge du public vulnérable que constituent les mineurs non accompagnés (MNA). Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. J’estime qu’il y a des failles dans les dispositifs offerts par notre pays. Ils ne sont pas pleinement efficaces et représentent une très lourde charge pour les finances publiques. Par ailleurs, certains d’entre eux ont le tort de contribuer à l’attractivité de la France aux yeux des candidats à l’immigration et de favoriser un « tourisme médical ».

Avant de détailler le régime de protection social des étrangers en France, je ferai le point sur la situation migratoire en Europe et en France, parce que, là aussi, la France occupe une position atypique.

Vous le savez, en dépit d’une diminution d’environ 29 % des mouvements migratoires vers l’Europe par rapport à l’an passé, la France demeure exposée à une forte augmentation des demandes d’asile conduisant à une véritable saturation du système. En 2018, la France a enregistré 123 000 demandes d’asile – record absolu –, soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente, qui était déjà extrêmement élevée. Vous pouvez le constater dans les graphiques figurant dans le rapport. Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile diminuait de 10 % dans le reste de l’Europe. Cette diminution s’est illustrée en Italie (– 58 %), en Hongrie (– 80 %), en Autriche (– 46 %), en Allemagne
(– 17 %).

La France se trouve ainsi dans une situation totalement singulière vis-à-vis de ses partenaires européens en raison de deux phénomènes détaillés dans le rapport : les mouvements migratoires secondaires en provenance d’autres pays européens – 30 % des demandeurs d’asile en France ont déjà déposé un dossier dans un autre État membre de l’Union et ne relèvent pas, de notre responsabilité, ce sont les « dublinés » – et la part importante de demandes d’asile émanant de ressortissants de pays que la France considère comme sûrs, c’est-à-dire des pays dans lesquels les droits et libertés sont respectés. D’ailleurs, en 2018, les cinq principaux pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’Union européenne sont la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan et l’Iran. Cependant, en France, si les ressortissants afghans sont aussi les plus nombreux, ce sont ensuite les nationalités albanaise, géorgienne, guinéenne, ivoirienne qui sont les plus représentées dans la demande d’asile. La France est ainsi le premier pays de destination en Europe des demandeurs d’asile albanais (44 % du nombre total de demandes de l’Union européenne) et géorgiens (37 %). On voit bien que les failles de notre système nourrissent cet appel d’air.

Nous assistons à un détournement massif du droit d’asile à des fins d’immigration illégale.

La hausse importante de la demande d’asile en France a mécaniquement des conséquences sur le coût de l’allocation perçue par les demandeurs et des financements des structures d’hébergement, conduisant chaque année, comme le relevait au printemps dernier la Cour des comptes, à une surexécution de la mission. Le budget est insincère puisque, chaque année, depuis 2010, les besoins relatifs à la garantie du droit d’asile sont couverts par la levée de la mise en réserve de la totalité des crédits gelée du programme 303 et par l’ouverture de crédits complémentaires dans le cadre d’un décret d’avance ou de la loi de finances rectificatives. Pour ne pas annoncer des dépenses qui explosent, on diminue à chaque fois le budget que nous examinons, puis, en milieu d’année, on est dépassé et on est obligé de faire des rallonges. Cela pourrait servir pour examiner, l’année suivante, un budget consolidé, sincère et réel, mais non ! on continue à minimiser ce budget et à voter en cours d’année, à la va-vite, des crédits de rattrapage. À titre d’illustration, en 2018, s’agissant de l’allocation demandeur d’asile (ADA), la loi de finances initiale prévoyait un montant de près de 318 millions de crédits de paiement. Il a finalement atteint 424 millions en exécution, soit 106 millions de plus, c’est-à-dire 25 % de plus. Est-il raisonnable de voter des budgets qui sont pour le quart non financés ?

Bien qu’aucune solution politique satisfaisante n’ait été proposée à ce stade aux échelles nationales et européenne pour résoudre ces deux phénomènes, l’ensemble des prévisions du Gouvernement reposent, en 2020 comme l’an passé, sur une stabilisation de la demande d’asile, alors que vous constaterez dans le rapport, notamment dans les graphiques, que pour les premiers mois de 2019, l’augmentation est déjà de près de 20 %. Il est évident que cette demande d’asile ne pourra pas baisser. Pourtant, on nous propose de donner un avis favorable au vote de ces crédits. Vous avez compris que je ne les voterai pas.

Nous devons avancer rapidement sur l’harmonisation à l’échelle de l’Union européenne. Il faudrait élaborer une liste européenne commune de pays sûrs qui servirait de référence unique à tous. Là encore, Madame la présidente, nous nous rejoignons. La nouvelle Commission européenne devra, dans les plus brefs délais, apporter des réponses aux nombreux dysfonctionnements constatés, afin que l’Europe se montre plus résiliente face aux flux migratoires et sur la stabilisation du nombre des demandes d’asile. Je propose même que cette liste soit votée par le Parlement, car il n’y a pas de raison qu’on ne se saisisse pas cette question et qu’elle soit traitée dans le secret des bureaux de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Il est impossible aujourd’hui de se dessaisir de cette mission, surtout quand on siège à la commission des affaires étrangères.

Compte tenu des dynamiques à l’œuvre en matière migratoire, il est évident que des prévisions du Gouvernement fondées sur une stabilisation des flux des demandeurs d’asile font preuve, encore une fois, d’une certaine naïveté. L’insincérité dont j’ai parlé apparaît évidente pour qui sait lire un graphique. Une surexécution de la mission est donc de nouveau à craindre. Alors que le système français est déjà en état de saturation, nous savons que ces budgets vont encore exploser.

Il est complexe de faire état des chiffres relatifs de l’immigration illégale, mais certaines données permettent de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Je pourrais citer Michèle Tribalat, que j’ai auditionnée, mais aussi d’autres démographes de l’Institut national d’études démographiques (INED), qui estiment, à partir de recoupements de chiffres d’interpellations, placements en centres de rétention, aides médicales d’État, déboutés du droit d’asile, etc., que l’immigration illégale représente 200 000 à 400 000 personnes. Jamais la France n’a compté autant d’immigrés sur son sol, réguliers comme irréguliers.

Face à cette crise, les sujets sont multiples : regroupement familial, asile, immigration, étranger condamné, et nous pourrions en débattre pendant des semaines. Mais, dans le rapport, j’ai souhaité insister sur le système de protection sociale des étrangers en France, l’aide médicale de l’État (AME), qui vise à assurer une couverture maladie aux personnes démunies qui résident en France en situation irrégulière en suivant une triple logique : humanitaire, c’est-à-dire donner accès aux soins des personnes fragiles ; de santé publique, afin d’éviter la propagation des maladies ; économique, pour prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l’urgence. Si nous sommes tous d’accord sur ces principes, au regard de la hausse soutenue des dépenses d’AME, nous ne pouvons que nous interroger fortement sur l’efficience d’un tel dispositif, puisqu’au 31 décembre 2018, plus de 300 000 personnes en étaient bénéficiaires, pour un montant de dépense de 848 millions. Mais nous savons que ce chiffre est bien évidemment dépassé.

Une évolution du dispositif apparaît donc plus que nécessaire. L’AME devrait être fortement encadrée et se limiter à une aide médicale d’urgence ne couvrant que les soins urgents et vitaux, à l’instar d’autres pays d’Europe. À défaut, la prise en charge de soins particulièrement coûteux devrait, a minima, être soumise à l’agrément préalable des caisses d’assurance maladie ou de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), mais on ne peut plus continuer le système tel qu’il est aujourd’hui présenté.

La restriction de l’AME permettrait donc à l’État d’économiser près d’un milliard d’euros par an, somme non négligeable à l’heure où le Gouvernement n’hésite pas à procéder à des coupes budgétaires sur les dépenses sanitaires ou les retraites et à l’heure où l’hôpital est au bord de l’explosion. Bien que le Président soit décidé à ne pas supprimer cette aide médicale de l’État – il a dit lui-même qu’une suppression serait ridicule –, il semble avoir pris conscience des excès qui y sont liés, puisqu’il compte réévaluer le panier de soins.

Malheureusement, là aussi, et je le déplore fortement, il n’existe aucun outil statistique permettant de connaître la répartition par nationalité, par âge et par maladie des bénéficiaires de l’AME. On ne peut donc obtenir des statistiques de santé publique dont on doit absolument disposer quand on travaille dans un domaine comme celui de la santé, surtout la santé des plus fragiles, c’est-à-dire les personnes en situation irrégulière. Cet interdit dogmatique nous empêche de suivre au mieux les populations du point de vue migratoire et épidémiologique. Cette opacité doit absolument cesser. Un tel outil n’a pas pour but de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées mais d’offrir des éléments statistiques pertinents. On ne saurait se priver de ces éléments statistiques. Là encore, la transparence doit être de mise.

Quant à la protection universelle maladie (PUMA), toute personne travaillant ou résidant en France de manière stable et régulière peut bénéficier de cette prise en charge sans jamais avoir cotisé. Les personnes éligibles à la PUMA bénéficient de la même prise en charge qu’une personne qui a cotisé toute sa vie ! C’est le cas des demandeurs d’asile, dès le moment où ils déposent une demande d’asile, pendant toute l’instruction de leur demande, et encore quand ils ont été déboutés du droit d’asile, comme 70 % d’entre eux, une année supplémentaire. En effet, la PUMA relève du droit commun. Or, quand vous avez bénéficié de la sécurité sociale, une année après la clôture de vos droits, vous avez encore droit à la sécurité sociale pendant une année. Les demandeurs d’asile sont éligibles à la PUMA, y compris lorsqu’ils sont déboutés, et comme personne n’en prévient la caisse d’assurance maladie, ils continuent à bénéficier de cette aide. Surtout, puisqu’ils relèvent du droit commun, ils ne sont pas identifiés en tant que demandeurs d’asile. Là encore, nous nous privons de données épidémiologiques, nous ne savons pas comment les personnes, pendant la durée d’instruction de leur dossier, bénéficient de soins : quels soins ? pour qui ? quand ? quel âge ?

Vous le savez, votre numéro de sécurité sociale est composé du sexe, de l’année de naissance et du département de naissance. Pour les bénéficiaires de la PUMA, c’est 99, c’est-à-dire « né à l’étranger », que vous soyez né à Hong Kong ou Singapour ou que vous soyez ressortissant d’un autre pays. Il en est de même pour les demandeurs d’asile. Si leur demande a abouti, il me paraît logique ils bénéficient du droit commun, mais il est d’autant plus aberrant qu’ils en bénéficient pendant la durée de l’instruction que 70 % d’entre eux sont déboutés. C’est une injustice sociale et un manque de transparence auquel il convient de mettre un terme, d’autant que la décision de l’OFPRA n’est pas communiquée aux caisses d’assurance maladie. On voit bien comment le droit asile est détourné.

Il existe un troisième dispositif, unique au monde en matière de santé, la procédure « étrangers malades », prise en charge par l’OFII, qui bénéfice actuellement à 300 000 personnes. À la suite d’un très grand nombre d’abus, des rapports parlementaires ont montré qu’il n’était plus possible de continuer dans de telles conditions. Vous trouverez dans le rapport des analyses détaillées à ce sujet. Aujourd’hui, ce dispositif semble maîtrisé par l’OFII, tant du point de vue sanitaire qu’humanitaire, mais il ne peut que renforcer l’attractivité de notre pays. Je salue les réformes récentes qui ont permis à ce dispositif d’être moins dévoyé. Le nombre de demandes est passé de 44 000 demandes en 2018 à 33 000 personnes aujourd’hui. Cette procédure « étrangers malades » s’ajoute à l’AME et à la PUMA.

Le panier de soins est essentiel pour lutter contre les filières organisées. Interrogeons-nous aussi sur l’usurpation d’identité, la fraude documentaire. Je souhaiterais aussi que les pays d’origine soient mieux accompagnés et que l’on exige la modernisation de leur état civil afin de lutter contre la fraude documentaire, notamment à l’identité. Le système actuel n’est plus fiable. Des pays de l’Union européenne ont beaucoup moins de difficultés que nous dans ce domaine. Ainsi, nous ne connaissons pas la part des personnes qui, après avoir été déboutées du droit d’asile, retournent à l’AME un an après leur couverture à la PUMA. Aucune statistique ne permet de connaître le parcours des personnes, alors que 95 % des déboutés restent en France.

Enfin, s’agissant des mineurs non accompagnés, selon le secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance, 12 000 jeunes ont été reconnus mineurs non accompagnés au cours du premier semestre de 2019, contre 10 500 pour la même période de 2018. La tendance est donc lourdement inquiétante. Ces jeunes sont majoritairement originaires du continent africain, en particulier de l’Afrique subsaharienne, pour 67 % d’entre eux. Ils sont à 95,5 % de sexe masculin.

En France, les MNA relèvent du droit commun de la protection l’enfance et de la compétence des conseils départementaux, qui ne sont plus en mesure de les accueillir correctement et de supporter leur accueil et leur protection. Le sujet est d’une extrême gravité, nos systèmes sont au bord de l’explosion. La faillite du dispositif entraîne des coûts exorbitants. Le montant de la prise en charge des MNA par les départements est estimé entre 30 000 et 40 000 euros par an et par personne, sans compter les frais de santé et les frais de scolarité. On constate une saturation des structures d’accueil dans les départements et un effet d’éviction vis-à-vis des autres mineurs protégés.

J’insiste également dans mon rapport sur l’épuisement des agents en charge de la protection de l’enfance et sur la situation des mineurs, qui méritent traditionnellement notre protection. Cette mise en concurrence n’est plus tenable. Le département des Bouches-du-Rhône, avec Marseille, est un des trois où le nombre de mineurs non accompagné a dépassé le chiffre de mille pour une année. Les étrangers non accompagnés représentent 25 % des mineurs pris charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Entre 2018 et 2019, le coût pour le département est passé de 26 à 37 millions, soit une augmentation de plus de 44 %. La prise en charge des MNA est extrêmement lourde.

Je ne vois pas pourquoi cette compétence est abandonnée aux départements. Vous l’avez dit, Madame la présidente, cela relève plutôt du domaine régalien. On peut d’autant moins maintenir cette situation qu’il existe des difficultés de coordination entre la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les départements et des problèmes d’application du droit. Plusieurs départements ont refusé le dispositif d’appui à l’évaluation de la minorité, le fameux fichier AEM, qui a pourtant fait ses preuves. Il n’est pas normal que sur des sujets aussi sensibles, la règle commune ne s’applique pas à l’ensemble du territoire. La réponse de l’État me paraît très insuffisante, en total décalage avec la réalité des difficultés auxquelles sont exposés les départements.

Au cours des auditions, j’ai eu connaissance de cas d’absence de mises à l’abri de personnes qui se déclaraient MNA et d’inexécutions de décisions judiciaires ordonnant le placement des MNA à l’issue de la phase d’évaluation, ce qui démontre bien la faillite du système, dont les premières victimes, j’y insiste, sont des mineurs en situation de grande fragilité. La problématique des MNA ne relève vraiment pas de la seule protection de l’enfance, c’est avant tout une question migratoire à part entière. Par conséquent, elle doit relever de la compétence et des moyens de l’État, à titre humanitaire. Je propose également que nous recherchions les parents des MNA présents en France. Il est incroyable que l’on n’entreprenne aucune démarche pour rechercher leurs parents. Sous prétexte qu’ils viennent d’Afrique, on accepte qu’ils soient abandonnés par leurs parents. Quand un mineur est seul et en dehors de son territoire, le premier devoir d’humanité, c’est de rechercher sa famille.

En conclusion, le budget de la mission Immigration, asile et intégration n’est pas à la hauteur des enjeux. J’insiste sur la baisse des crédits pour la lutte contre l’immigration irrégulière. Même si les crédits sont globalement en hausse, ils ne répondent pas au défi migratoire auquel la France est confrontée ni aux attentes légitimes de nos concitoyens en la matière. Au-delà des recommandations que vous trouverez dans le rapport, je vous invite, mes chers collègues, à émettre un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. Rousseau disait : « Il n’y a point de bonheur sans courage ni de vertu sans combat. » Pour nous prononcer correctement, nous devrions être informés. Or, depuis des années, on nous propose de voter des budgets sous-estimés, on s’organise pour que nous ne disposions pas de comptabilité analytique. Compte tenu de la crise migratoire actuelle, cette situation n’est pas tenable et il est de notre devoir de parlementaires d’exiger des informations à la fois sur les coûts et sur les filières.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je donne la parole à Jean-Michel Clément, contributeur au nom du groupe Libertés et Territoires.

M. Jean-Michel Clément. Madame la présidente, avant d’en venir à mon propos, je vous informe que je viens d’apprendre que trente-neuf corps ont été découverts cette nuit au Royaume-Uni, dans un camion en provenance de Bulgarie. Autant dire que le sujet reste plus que d’actualité. Par ailleurs, je saisis l’occasion pour vous dire que j’ai beaucoup apprécié vos propos dans le débat sur l’immigration.

Les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmentent globalement de 162 millions, en hausse de 9,8 % par rapport au budget passé. L’évolution à la hausse de ces crédits est en partie le reflet de l’augmentation du nombre de personnes ayant obtenu l’asile dans notre pays.

Rappelons que pour élaborer la loi de finances pour 2019 et adapter aux évolutions du contexte migratoire les crédits de la mission relatifs à l’asile, le Gouvernement avait retenu une hypothèse faible d’augmentation de la demande : 10 % seulement en 2018 et 0 % en 2019 et 2020. En réalité, les chiffres ont été relativement différents. Il convient, en conséquence, que les moyens budgétaires suivent. La hausse du budget du programme « Asile et immigration », d’à peine plus de 100 millions, n’est dès lors pas satisfaisante, d’autant plus que l’expérience des précédents projets de loi de finances témoigne d’une sous-estimation chronique de la demande d’asile, comme si on ne voulait pas voir la réalité du monde en face.

D’aucuns prennent le prétexte de cette hausse du nombre des demandes d’asile pour renoncer à notre politique d’accueil en brouillant à dessein les différences entre migrants et réfugiés sans distinction des causes : immigration économique, contraintes sécuritaires ou, plus encore demain, contraintes climatiques. Rappelons que l’asile est avant tout une protection accordée à un individu, parce qu’il est susceptible d’être persécuté et qu’il va trouver refuge dans un autre État que le sien. Il ne s’agit pas d’éloigner des étrangers mais de les protéger.

Lorsqu’ils décident de quitter leur pays, les demandeurs d’asile souhaitent d’abord aller dans un pays limitrophe du leur, comme le prouvent les chiffres des migrations internationales observés depuis de nombreuses années par le laboratoire Migrinter, de l’université de Poitiers.

En réalité, la politique d’asile de la France est aujourd’hui devenue un instrument de sa politique migratoire. L’application systématique du règlement inique de Dublin en est un exemple flagrant, puisqu’il est utilisé par la puissance publique comme un déterminant essentiel pour maîtriser la dépense publique, notamment celle de l’allocation pour demandeur d’asile. Yannick Blanc, ancien directeur de la police générale à la préfecture de Paris, n’a-t-il pas déclaré que le tableau Excel l’emporte de loin sur le code ? En disant cela, il dénonce l’obsession permanente du chiffre, le fait que tout soit normé par la pression du chiffre. Ainsi, nous devrions infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d’étrangers arrivant dans notre pays, quelle qu’en soit la cause. C’est là que le bât blesse, parce que la réalité est bien différente de celle à laquelle on veut nous laisser croire.

Au-delà de la simple hausse du nombre de demandeurs d’asile, il convient de regarder lucidement les choses. En 2018, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a recensé plus de 70 millions de personnes réfugiées, demandeuses d’asiles ou déplacées internes dans le monde. Par ailleurs, alors que l’Union européenne verse plusieurs milliards d’euros à la Turquie pour gérer les flux migratoires, plus de 300 000 déplacés sont à déplorer depuis le début de l’offensive de l’armée turque. De même, il est à déplorer que l’on sous-traite la traque aux migrants à des pays comme la Libye, dont on renforce les capacités des garde-côtes, alors que ceux-ci se livrent à des exactions documentées.

S’il est de nombreux domaines dans lesquels nous devons aider les pays confrontés aux crises humanitaires, le premier est le renforcement de notre aide au développement, pour le porter au niveau de nos voisins européens.

Et la France, dans tout cela ? Serions-nous face à une submersion qui nécessiterait d’ériger des murs au moyen de dispositifs plus contraignants encore ? Si la France est le deuxième pays européen d’accueil des demandeurs d’asile, derrière l’Allemagne et devant la Grèce, en rapportant le nombre de demandeurs d’asile au nombre d’habitants, la France ne se place qu’au onzième rang en Europe.

Derrière ces chiffres, le discours ambiant énonce à tous crins qu’il faudrait en même temps plus d’humanité et de fermeté. Dans les faits, cela signifie une instruction plus rapide des demandes d’asile et des enfants plus longtemps en centre de rétention administrative. Or, la France reste l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus en rétention, et les délais de rétention augmentent. Ainsi, en 2018, près de deux mille personnes ont été enfermées plus de quarante jours dans les centres de rétention, chiffre en augmentation de 20 à 30 % par rapport à 2016 et 2017. Cette politique exacerbe les tensions au quotidien. L’effet sur la santé, voire la sécurité des personnes se traduit par une recrudescence d’actes désespérés.

Le doublement, depuis le 1er janvier 2019, de la durée maximale de rétention, passée de 45 jours à 90 jours, oblige le Gouvernement à en améliorer les conditions. Ainsi le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse des dépenses d’investissement immobilier en la matière, de 20 millions en crédits de paiement. L’accroissement du nombre de places de centres de rétention administrative est fixé à 480. Des travaux sont également menés pour améliorer le cadre de vie au sein de ces centres, notamment à destination des familles. Vaste et beau projet !

Ces crédits me conduisent à faire deux observations.

D’une part, ils demeurent insuffisants au regard des conditions de vie dans les centres de rétention, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont rendu des avis très critiques concernant l’enfermement des enfants et constaté de graves manquements dans la prise en charge sanitaire des personnes placées en rétention.

D’autre part, ces crédits pourraient être considérés comme suffisants si la politique du Gouvernement en faveur de l’enfermement quasi-systématique était revue. Bien souvent, cette politique viole les droits des personnes, et les juges administratifs et judiciaires prononcent des délibérations dont les taux atteignent des niveaux très élevés : 38 % en métropole et 25 % en outre-mer.

Rendre la France moins attractive passerait également par la restriction de l’accès à l’aide médicale d’État ou à la couverture de maladie universelle. Comment croire que cela puisse revenir à ériger un mur capable de dissuader les étrangers de venir en France ? Comme s’ils venaient pour cela ! Quand on sait que 36 % ont besoin de soins urgents, quelle image enverrions-nous ? Cette mesure serait d’ailleurs totalement contre-productive en termes budgétaires, puisque l’économie réalisée à court terme ne prendrait pas en compte les coûts générés par la propagation des infections contagieuses au sein de la population, qui pourraient se révéler bien plus élevés.

En nous emparant des sujets relatifs à la politique d’immigration, d’asile et d’intégration, loin de voguer sur les peurs de beaucoup de nos concitoyens peu ou mal informés, notamment de ceux qui rencontrent de sérieuses difficultés dans leur quotidien, il convient inlassablement de faire preuve d’humilité et de responsabilité. Il convient d’insister sur la nécessité de ne pas céder à la hiérarchisation des douleurs humaines. En cela, les efforts budgétaires doivent se montrer à la hauteur des défis imposés, ce qui n’est pas suffisamment le cas de cette mission budgétaire relative à l’immigration, à l’asile et à l’intégration. C’est pourquoi notre groupe considère que cette politique migratoire n’est pas la bonne. Les crédits qui en sont le reflet ne sont pas suffisants et nous voterons contre.

Mme Marion Lenne. Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement et le groupe La République en Marche regardent en face la politique migratoire avec l’engagement de faire évoluer le cadre européen, ou encore, à travers la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, promulguée en septembre 2018.

Plus récemment, lors de la déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, de nouvelles orientations ont été présentées par le Premier ministre. Les objectifs poursuivis sont clairs. Tout d’abord, sur l’asile, dans le prolongement du plan d’action pour garantir le droit d’asile et mieux maîtriser les flux migratoires, nous continuerons d’agir en 2020 pour redonner sa pleine portée au droit d’asile, en simplifiant et en accélérant le traitement des demandes d’asile, en assurant l’efficacité du dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile et en sécurisant le droit au séjour pour les personnes en besoin de protection.

Madame le rapporteure, vous parlez de détournement de la demande d’asile ou des abus du système de soins. Vous venez de mentionner la nécessité d’encadrer l’aide médicale de l’État. L’enjeu est avant tout de faire converger au niveau européen les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Nous poursuivrons également nos efforts pour les éloignements contraints et pour les moyens d’action de lutte contre l’immigration irrégulière. Le Président de la République l’a rappelé hier, à Mayotte.

Enfin, concernant les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière, autrement dit l’immigration économique, nous envisageons de réviser la liste des métiers en tension établie en 2008 et jamais réactualisée, sachant qu’aujourd’hui, seulement 15 % des métiers de cette liste sont encore en tension. Nous souhaitons aussi simplifier les procédures d’accès au marché de l’emploi afin de lutter contre le travail illégal et durcir les conditions d’accès à la nationalité française.

Notre majorité s’est engagée à faire plus et mieux en matière d’intégration et à renforcer la prise en compte des compétences rares et des talents. Nous menons actuellement une politique d’intégration ambitieuse, avec 100 000 contrats d’intégration républicaine signés chaque année et des formations linguistiques et civiques renforcées.

Merci, Madame la rapporteure, pour ce rapport fourni et détaillé, toutefois très alarmiste. Vous venez encore de nous en faire la démonstration. Vous parlez de problématique migratoire, ce qui sous-entend que le migrant est un problème ou que les flux migratoires nécessitent une vigilance de tout instant ou restent préoccupants. Or, comme nous l’a rappelé en commission Bertrand Badie, professeur à Sciences Po, le migrant est l’avenir du monde. Ce principe doit être intégré dans le nouveau logiciel des relations internationales. Ce qu’il faut résoudre avant tout, c’est la clandestinité en gouvernant les migrations dans le respect des pays de départ, d’arrivée et des migrants eux-mêmes. Là-dessus, nous sommes d’accord.

Notre majorité s’attelle à maîtriser les flux migratoires tout en souhaitant bien accueillir les réfugiés et migrants réguliers. Ces engagements se concrétisent dans le projet de loi de finances pour 2020, avec une augmentation globale des crédits de la mission. Le groupe La République en Marche donnera donc un avis favorable aux crédits de la mission Immigration, asile et intégration, afin d’assurer une gestion de l’immigration en France plus humaine et efficace, comme s’y est engagé notre Président, le 25 septembre, à New York.

Mme Bérengère Poletti. Madame la présidente, j’ai également apprécié vos propos dans le débat sur l’immigration, comme j’ai apprécié l’exposé de Valérie Boyer. Je considère que nous sommes face à un sujet tabou depuis de nombreuses années. Cela ne date même pas du mandat précédent...

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Depuis Georges Marchais !

Mme Bérengère Poletti. … puisque cela fait des dizaines d’années qu’on se voile la face.

Il faut définir des stratégies en matière d’immigration légale et illégale, en ce qui concerne l’AME, les MNA, la demande d’asile, sujets qui doivent être approfondis et réfléchis. Or Valérie Boyer a raison de dire que nous n’avons pas connaissance des éléments réels nous permettant de juger de ce que la France peut décider de faire. Il y a pourtant urgence au regard des enjeux auxquels nous-mêmes mais aussi l’Europe et les pays développés sont confrontés. Dans les pays en développement, l’explosion démographique, le danger climatique et écologique, les conflits armés à venir font de l’immigration un sujet majeur pour les dix ans qui viennent. Renoncer à faire les analyses nécessaires traduirait un terrible manque de courage. Certes, on peut avoir un débat sur les stratégies à définir, mais comment ne pas s’accorder sur l’exigence de notre commission à obtenir les chiffres et les analyses nécessaires ? Il est temps de regarder les choses en face et de définir ce que veut faire la France dans ce domaine.

Les MNA relèvent de la compétence nationale. Dans mon département des Ardennes, il s’agit uniquement de garçons âgés de seize à dix-sept ans. On n’a pas fait l’effort de comprendre le phénomène. La prise de leur prise en charge, notamment par le département des Ardennes, s’élève à plusieurs millions d’euros, et il lui est très difficile d’assumer cette compétence.

Quelles sont les propositions précises de Valérie Boyer au sujet des MNA ? Comment les coûts sont-ils évalués ? Quel serait le coût global si cette compétence devait être reprise au niveau national ?

Bien entendu, notre groupe suivra l’avis défavorable de Valérie Boyer.

M. Michel Fanget. Nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission Immigration, droit d’asile et intégration du projet de loi de finances pour 2020. La rapporteure, Valérie Boyer, a fourni un travail très fouillé et nous la remercions pour les précisions fort utiles qu’elle a apportées, notamment pour l’accueil des mineurs vulnérables. Notre assemblée a eu récemment l’occasion de débattre au fond du sujet qui nous occupe aujourd’hui, et notre groupe, au travers de l’implication personnelle de notre présidente, a rappelé que la solution ne pouvait passer que par une redéfinition de la politique d’immigration dans son ensemble.

Nous faisons tous le constat de l’inefficacité de la politique de reconduite à la frontière, de notre incapacité à faire appliquer les lois que nous votons et de notre manque d’anticipation des phénomènes migratoires, dont nous savons qu’ils vont s’amplifier dans les années à venir. Nous accorder sur ce constat, c’est nous donner également les moyens d’y répondre. C’est pourquoi nous saluons la hausse globale du budget de la mission, même si elle recouvre de fortes disparités entre les différents programmes.

Dans vos propositions, nous vous savons gré, Madame la rapporteure, de traiter de sujets variés qui montrent bien que l’approche doit être globale. Si nous ne partageons pas l’ensemble de ces recommandations, il convient cependant de s’interroger sur l’ambition d’une politique migratoire que nous attendons toujours. Elle concerne bien entendu le ministère de l’intérieur, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère des solidarités et de la santé, mais elle doit aussi concerner le ministère de la culture et de l’éducation nationale.

Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en discuter prochainement à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur l’aide publique au développement. Comme cela a déjà été avancé plusieurs fois, et vous faites une recommandation en ce sens, beaucoup souhaiteraient faire de cette aide un levier de lutte contre l’immigration. Il faut regarder cette proposition avec prudence, car elle risquerait de créer de la confusion en laissant croire à nos concitoyens à une solution du problème migratoire, alors que nous savons bien qu’il est plus complexe et qu’elle nous empêcherait de nous interroger sur les adaptations à prévoir dans notre disposition d’accueil.

Madame la rapporteure, je souhaiterais connaître votre avis sur la concordance entre l’aide publique au développement et la lutte contre l’immigration illégale, ainsi que sur la nécessité ou non de prévoir la création d’un visa de migration circulaire qui permettrait des allers et retours entre pays d’origine et pays d’accueil, pour le travail, par exemple.

Mme Laurence Dumont. Dans le rapport de Mme Boyer, je ne peux que regretter l’étude partielle et partiale du sujet et un mélange odieux de l’immigration régulière, de l’immigration irrégulière et de l’asile. Faut-il ici, en commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, comme l’a dit Jean-Michel Clément, faire le distinguo entre un migrant et un réfugié ? L’asile ne peut pas être une variable d’ajustement de la politique migratoire en France. Cela ne répond qu’à nos engagements internationaux de la convention de Genève.

Le rapport traite de sujets importants mais essentiellement sous l’angle financier, qu’il s’agisse des flux, de la santé ou des mineurs isolés étrangers. Je partage certains constats, tels que la non-sincérité du budget de l’asile, la nécessité de revoir le dispositif d’accueil des MNA, qui ne peut être laissé à la responsabilité des départements et souffrir d’une grande différence de traitement selon territoires, et la nécessité de revoir le règlement de Dublin, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que notre rapporteure. En revanche, je déplore le traitement fait de l’étranger malade, toujours considéré comme un imposteur ; je déplore le discours tenu sur un afflux plus massif en France qu’ailleurs, alors que les chiffres démontrent notre accueil bien timoré ; je déplore la proposition de fixation de quotas, qui méconnaîtrait les conventions internationales qui nous lient et la dignité des personnes ; je déplore l’orientation souhaitée de l’aide publique au développement, c’est-à-dire un tarissement des flux par des mesures sécuritaires et non des actions sur les causes de l’immigration, sujet dont nous discuterons la semaine prochaine. Je déplore aussi la proposition visant rétablir le délit de séjour irrégulier, dont l’abrogation découle, je le rappelle, de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour de cassation. Je déplore enfin l’absence totale de prise en compte de la situation des étrangers actuellement en situation régulière sur notre territoire, qui par l’action des services de l’État et des délais de traitement, se retrouvent en situation irrégulière.

J’en arrive au projet de budget. On ne peut que regretter qu’il soit fondé sur l’hypothèse d’une stabilisation de la demande d’asile et d’une baisse de 10 % du nombre de demandeurs placés sous procédure Dublin, hypothèse qui avait déjà sous-tendu le budget pour 2019 et qui a rapidement été dépassée. La sous-estimation systématique des montants dédiés à l’allocation aux demandeurs d’asile ne permet pas l’établissement sincère du budget, puisque 444 millions d’euros y sont aujourd’hui dédiés, soit une hausse de 32 % par rapport à la loi de finances initiale.

Concernant l’immigration, le projet de budget ne pointe pas les moyens dédiés à l’accueil et au traitement de la situation des étrangers en situation régulière et irrégulière sur le territoire français par les préfectures. Il serait nécessaire d’étudier le programme 354 Administration territoriale de l’État, qui prévoit les moyens des préfectures en matière de délivrance des titres. Pour 2020, le budget qu’il est prévu d’allouer à ce programme est en baisse de plus de 16 % et de 471 équivalents temps plein. Les associations d’accompagnement des étrangers ont récemment manifesté pour dénoncer les conditions d’accueil et de traitement de ces dossiers. En effet, aujourd’hui, en France, des personnes en situation régulière ayant un emploi et un logement se retrouvent précarisées et sans papiers, uniquement en raison des délais de traitement de leur dossier par les préfectures. Je ne compte plus dans ma circonscription, et je ne dois pas être la seule, le nombre de personnes dont la situation bascule uniquement en raison de ces délais de traitement, ce qui est absolument inacceptable.

En résumé, nous donnerons un avis défavorable aux crédits de cette mission.

Mme Frédérique Dumas. Je voudrais compléter la contribution de mon collègue et resituer le sujet dans son contexte au travers de ses crédits, comme l’on fait des orateurs précédents.

Nous déplorons la conséquence de décisions prises par ailleurs, en dehors de cette mission. En matière d’immigration, il existe un véritable problème de gouvernance de l’aide publique au développement. Pourtant de nouveaux modèles permettraient de mettre en place des écosystèmes vertueux à partir des pays de départ et de transit, qui tiennent compte de l’ensemble des problématiques que sont le développement de l’emploi, la prise en compte de la condition de la femme ou la nécessité du développement durable. Ce chantier qui devrait être une priorité est sans cesse décalé.

D’autres collègues ont noté les limites de la délégation de la gestion de la gouvernance de l’immigration à d’autres pays. C’est une des raisons qui nous empêche d’intervenir dans le nord-est syrien.

Par ailleurs, en commission des affaires européennes, nous avons adopté une proposition de résolution visant à protéger, à renforcer le droit d’asile et à en faire une politique parallèle à la politique d’immigration pour éviter des amalgames, même si j’ai indiqué qu’une manière de résoudre en partie les problèmes serait de s’attaquer à ce qui se passe notamment en Afrique.

M. Jean-Paul Lecoq. Valérie Boyer a commencé son rapport par une citation de Georges Marchais. Si les citations sorties de leur contexte sont souvent destinées à la manipulation, ce n’était pas le cas. Georges Marchais ajoutait toutefois que l’immigration pouvait être un sujet pour l’avenir de la France, parce que certains en profitaient, les travailleurs migrants permettant à certains de s’enrichir. Il disait que leurs conditions de vie étaient indignes de la société française, puisqu’à l’époque, il existait des camps de travailleurs migrants pour accueillir des gens ayant un emploi et exploités.

Mme Bérengère Poletti. Il y en a encore !

M. Jean-Paul Lecoq. Il ajoutait que la Françafrique favorisait l’immigration, puisque notre pays exploitait les richesses des pays africains sans leur permettre de se développer et de subvenir par eux-mêmes aux besoins de leur population. Dites-vous que depuis cette époque, rien n’a changé.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Cela s’est même aggravé !

M. Jean-Paul Lecoq. Je vous l’accorde, avec les guerres que nous avons suscitées. J’exclus de ce « nous » les communistes, dont le groupe a voté contre l’entrée en guerre en Libye.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Il n’a pas été le seul !

M. Jean-Paul Lecoq. Si, le seul groupe !

Cette guerre contre la Libye, que vous avez soutenue, Madame la rapporteure, a eu pour conséquence l’instabilité que nous connaissons aujourd’hui. Je le dis avec tristesse, mais peut-être que les jeunes filles qui ont fui les guerres ou les dictatures au sud du Sahara n’ont pas franchi la Méditerranée parce qu’elles sont passées par la Libye où elles connaissent une existence que nul ne saurait accepter. Notre pays devrait s’en inquiéter, pour les sortir des griffes entre lesquelles elles sont tombées. Il est très bien d’avoir posé la question des jeunes filles.

Notre pays continue à soutenir des régimes qui favorisent l’immigration. Je pense au Tchad, avec Déby, au Cameroun, à la Côte d’Ivoire, avec Ouattara, à Djibouti avec Omar Guelleh, au Ghana, au Congo, au Maroc et aux Comores, où se trouve actuellement le Président de la République. Le soutien de notre pays à ces « démocraties » ne favorise pas les choses.

Je partage le point de vue de ceux qui estiment que notre pays n’est pas à la hauteur pour le régime des réfugiés et de vie en attente. Je ne développerai pas les crédits pour l’accueil des mineurs non accompagnés. Le manque de moyens est une des raisons du mouvement social actuel à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

J’ai eu le plaisir d’entendre un représentant de La République en Marche citer Bertrand Badie, qui est venu nous apporter des explications. Or, curieusement, quand nous traitions de l’immigration dans la commission, ceux qui affichent les positions les plus fermes sur ces questions n’étaient pas présents, alors qu’à la tribune d’aucuns avaient expliqué que ce n’était pas aussi dramatique qu’on voulait bien le dire dans certains discours.

J’évoquerai enfin brièvement l’aide médicale. Je suis député d’un port, et quand des marchandises entrent dans un port, les services vétérinaires commencent par vérifier qu’elles n’apportent pas de maladies. L’aide médiale pour les migrants vise aussi à faire en sorte que leur santé soit la meilleure possible. Il est notre responsabilité de financer cette action. Notre sécurité se profile derrière l’aide médicale, il faut la considérer comme étant salutaire pour les Français eux-mêmes.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci pour ce rapport excellent, qui montre le déni de réalité qui s’est emparé des décideurs politiques et de l’appareil d’État depuis des années. On n’est même pas capable de nous fournir les vrais chiffres, parce qu’il ne faut pas les connaître, le sujet est tabou.

Il n’y a pas d’argent pour les infirmières, il n’y a pas d’argent pour les retraités, il n’y a pas d’argent pour les pompiers, il n’y a pas d’argent pour les étudiants et l’aide personnalisée au logement (APL), il n’y a pas d’argent pour ceux qui travaillent, qui ont cotisé, mais il y a de l’argent, bien sûr, pour les migrants, pour l’aide médicale, pour le détournement du droit d’asile, pour subventionner l’immigration. Nous sommes un des rares pays d’Europe qui subventionne l’immigration, alors que des pays voisins, qui ne sont pas des États dangereux, comme le Danemark et l’Allemagne, ont pris des mesures que la majorité se refuse même à imaginer.

Je me réjouis que le Président de la République, qui était dans le déni de réalité, commence à ouvrir les yeux, parce que les faits sont implacables et tragiques dans notre pays. Je me réjouis aussi que Mme Boyer et le groupe Les Républicains passent des paroles aux actes.

Je leur propose de signer le projet de référendum d’initiative partagée que j’avais envoyé avec le sénateur Masson à tous les parlementaires. Celui-ci proposait cinq mesures précises : premièrement, rétablir le contrôle de nos frontières, car si on ne contrôle pas nos frontières, on ne peut pas savoir qui entre ; deuxièmement, mettre en place des quotas par profession et nationalité pour les besoins du pays ; troisièmement, supprimer toute aide sociale pendant cinq ans tant qu’il n’y a pas de cotisation, car ceux qui cotisent ont le droit de recevoir mais pas ceux qui viennent dans notre pays pour profiter des aides sociales. Tout le monde connaît l’appel d’air social. Je rappelle que Mme Merkel l’a fait dans certaines conditions en Allemagne. Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant pour nos concitoyens de savoir que lorsqu’on travaille, on a le droit de les percevoir, mais lorsqu’on ne travaille pas, on ne peut pas vivre au crochet de la société. Ce projet de référendum d’initiative partagée proposait, quatrièmement, de revoir les règles du regroupement familial et du droit du sol, ce qui s’est fait dans beaucoup de pays européens. Le droit du sol n’existe pas en Italie, le Danemark a revu les règles du regroupement familial. Il proposait, enfin, une mesure en vigueur dans la plupart des pays du monde, l’expulsion des délinquants étrangers au terme de leur peine. Je ne vois pas pourquoi nos prisons sont pleines de délinquants étrangers qui ont été condamnés quarante fois, alors même que la plupart des pays du monde le font. (Protestations de plusieurs commissaires du groupe La République en Marche.) Je vois aux réactions de certains membres de la majorité qu’ils ne sont pas prêts à suivre votre Président de la République dans la révolution idéologique qu’il semble proposer. Malheureusement, il n’en aura pas les moyens !

Mme Aina Kuric. Il est toujours intéressant d’aborder ce sujet, mais je constate qu’au stade de l’avis sur les crédits, le débat se porte sur des choix politiques et idéologiques.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est le principe d’une commission !

Mme Aina Kuric. Les crédits sont-ils ou non satisfaisants, sont-ils suffisants ou insuffisants ? À titre personnel, je les voterai, car c’est toujours mieux que zéro, même s’ils ne sont pas encore à la hauteur de nos objectifs en termes d’efficacité. Au-delà de l’effet d’humanité et de fermeté, l’efficacité de nos politiques publiques et la volonté de changer de paradigme importent principalement. En tout cas, ce n’est pas en allant dans le sens des recommandations de Mme la rapporteure que nous en changerons.

En France, on ne constate pas une baisse du nombre de demandes d’asile comme c’est le cas en Allemagne. Mais nous ne saurions nous comparer à ce pays en valeur absolue, compte tenu du nombre de personnes enregistrées sur son territoire.

Cette hausse du budget doit s’accompagner d’une nouvelle approche. Il est inutile de susciter de l’inquiétude parmi les personnes qui nous écoutent ou parmi nos concitoyens au sujet de l’AME, qui représente un enjeu de santé publique. On évoque un tourisme de la santé, alors que le panier de soin est bien plus réduit pour leurs bénéficiaires que pour ceux bénéficiant d’une sécurité sociale.

Quant à la PUMA, je ne vois pas la pertinence de la comparaison avec le chiffre de référence 99 dans le numéro de sécurité sociale, puisqu’il désigne des personnes nées à l’étranger mais aussi des personnes aujourd’hui françaises et nées à l’étranger.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est bien le problème !

Mme Aina Kuric. On n’a jamais compté autant d’immigrés en France, et cela crée la confusion entre les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes qui ne représentent pas du tout les mêmes publics.

Le droit du sol a déjà un peu disparu, puisqu’il a été restreint au fil des années. Aujourd’hui, l’acquisition de la nationalité française par déclaration est déjà très restreinte sur le sol français.

M. Jérôme Lambert. Mes chers collègues, à mon sens, le problème est moins l’immigration que les conditions dans lesquelles elle s’opère et l’intégration de ces populations dans notre pays.

Bien entendu, il convient d’évoquer avant tout toute notre politique d’aide au développement, qui pose un problème.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Tout à fait !

M. Jérôme Lambert. Ces personnes viennent chez nous à cause de problèmes ou de drames survenus dans le pays dont ils sont originaires. Notre souci, est de faire en sorte que chacun soit bien chez soi. Grand pays pratiquant une politique étrangère dans le cadre des institutions, nous devons nous soucier de notre environnement, sur le plan général et sur le plan humain.

Je le répète, pour moi, l’immigration en soi n’est pas un problème. Si elle ne s’opérait pas historiquement depuis toujours dans notre pays, une grande partie d’entre nous ayant dans sa lignée un ancêtre immigré ne seraient pas là. Si la France est historiquement une terre de migration, elle doit sérieusement se poser la question de l’intégration de ces êtres humains dans la société française d’aujourd’hui. Le chômage, les grandes difficultés du service public, l’éducation, la santé, les services administratifs dont on évoquait tout à l’heure les difficultés d’accès, ajoutent non seulement aux difficultés de tous les Français, mais aussi et surtout à celles des Français les plus fragiles et des étrangers en situation d’extrême difficulté. Nous devons y faire face et apporter des réponses.

Je tiens à témoigner que la Charente est une terre d’accueil, non seulement de citoyens anglais ou européens, mais aussi de Maliens, Yéménites, Afghans et Syriens qui sont reçus en grand nombre dans nos petites communes, au bénéfice de tous. Je tiens à vous le dire, à remercier les élus, les associations et les citoyens, qui ouvrent les portes et les cœurs et ont toujours des réponses pour nos frères immigrés.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je trouve le rapport de Mme Boyer techniquement intéressant, en particulier le volet dans lequel elle dénonce les insuffisances du contrôle administratif, statistique, comptable et financier. Nous n’avons pas les outils juridiques, statistiques, intellectuels qui nous permettraient de proposer une politique pleinement satisfaisante. Mais au-delà, je suis profondément choqué par le ton de son rapport et de certaines interventions.

On ne peut pas aborder la question de l’immigration avec ce ton méprisant à l’égard du sort de personnes de courage, de souffrance, qu’on traite comme des imposteurs ou des profiteurs, des victimes qu’on traite en coupables, des pauvres hères qui cherchent souvent à sauvegarder leur vie et qu’on traite comme des délinquants. Où est le Bon Samaritain ? On ne doit pas adopter ce ton, notamment dans cette commission tournée vers l’étranger, vers les relations internationales. On ne peut pas parler de millions de gens qui sont dans cette situation avec ce ton condescendant et arrogant !

Compte tenu des problèmes que nous nous posons, le point de vue du rapport est trop étroit. L’approche du rapport de notre présidente était beaucoup plus large. Les problèmes sont d’ordre géopolitique. La question des migrations se pose totalement différemment d’il y a quarante ans. Il faut prendre cette affaire en main, à bras-le-corps avec d’autres pays, avec les Européens, avec le reste du monde et ne pas s’enfermer dans une vision comptable étriquée. Vous avez raison, nous avons besoin de statistiques et d’outils de connaissance meilleurs mais, que diable, abordons cette affaire avec générosité, avec intelligence et avec le souci de l’ouverture et de la prospective sur le monde de demain !

Mme Isabelle Rauch. Difficile de passer après mon collègue Jean-Louis Bourlanges dont je partage tous les mots. J’ai souhaité prendre la parole ce matin pour exprimer mon opposition à ce rapport dont je n’approuve pas le ton. Il faut remettre de l’humanité et de la conscience politique dans le traitement du sujet et s’extraire des fantasmes et des clichés. Je le répète, je souscris entièrement aux propos de mon collègue Jean-Louis Bourlanges qui a très bien exprimé ce que je ressens. Je voterai pour les crédits, mais si nous pouvions voter contre le rapport, je le ferais volontiers.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Il s’agit d’un rapport budgétaire et non d’un rapport de mission d’information. De fait, les dysfonctionnements que je dénonce créent de l’inhumanité. Personne ne se réjouit que les MNA soient maltraités, personne ne se réjouit de voir des gens dormir porte de la Chapelle, personne ne se réjouit de voir des départements ou des villes qui souffrent, comme la Seine-Saint-Denis et Marseille. Personne ne se réjouit de voir des gens mourir en mer parce qu’on leur fait de fausses promesses. Que valent les leçons d’humanité quand on est confortablement assis dans son fauteuil, quand on n’habite pas des zones difficiles et quand on n’est pas confronté à cette souffrance quotidienne ?

Monsieur Bourlanges et vos collègues qui vous ont chaleureusement applaudi, parce que vous êtes de bons Samaritains et moi une méchante, je vous invite à aller porte de la Chapelle pour voir si les personnes ne souffrent pas, celles qui dorment sur les trottoirs comme celles qui habitent le quartier. Je vous invite à aller voir les conditions dans lesquelles sont accueillis les mineurs non accompagnés par les services de l’ASE, les conditions dans lesquelles les enfants les plus vulnérables sont confrontés à des jeunes adultes qui ont vu le pire. Ce qui se passe dans les foyers de l’ASE est lamentable.

L’organisation de notre impuissance en rendant les statistiques indisponibles nous empêche d’avoir un débat. Preuve en est qu’à chaque fois qu’on parle de ces questions, il y a, d’un côté, les gentils, et, de l’autre côté, les méchants. Depuis l’apparition, dans les années 1970, du système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus (SAFARI), notre pays est traumatisé par les statistiques. Tous les interlocuteurs ont dit qu’on nous empêchait d’avoir accès aux informations. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette impuissance. Je m’y refuse aujourd’hui.

J’ai été interrogée sur la délivrance des laissez-passer consulaires. Les taux d’éloignement, tout confondu, restent faibles, à peine un sur deux. S’il y a des souffrances dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), c’est parce que les pays d’origine ne veulent pas reprendre leurs ressortissants. Dans le rapport, je m’interroge sur nos relations avec les pays d’origine. Comment imaginer qu’un pays comme le Mali refuse ses ressortissants !

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est incroyable !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Nous avons des soldats qui meurent pour assurer la paix au Mali et ce pays refuse ses ressortissants !

Mme Isabelle Rauch. Cela s’est amélioré !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Cela s’est amélioré, mais ce n’est même pas un sur deux. Je vous invite à consulter les tableaux indiquant avec précision les taux de retour.

Vous avez évoqué Mayotte où le Président de la République est actuellement en déplacement. Je ne citerai que quelques chiffres. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), malgré une sous-estimation notoire, 64 % des naissances à Mayotte sont de mères étrangères, 48 % de la population officielle est étrangère. Les demandes d’asile ont augmenté de plus de 110 % entre 2018 et 2017. Pourtant, 30 % de l’habitat ne possèdent pas d’eau courante et 40 % ne possèdent même pas de toilettes, et 40 % de l’habitat est composé d’habitats en tôle, situation en augmentation de 30 % en cinq ans. Plus de 60 % des enfants scolarisés sont de parents étrangers. Il y a des enfants abandonnés sans parents dans les rues de Mayotte. L’insécurité est grande. Le système hospitalier est devenu un immense service d’urgences, sous-tendu par des urgentistes métropolitains. L’absence d’AME à Mayotte a permis de sous-estimer l’AME nationale d’environ 100 millions d’euros et le nombre de bénéficiaires de 100 000 personnes. La situation est identique à Maripasoula, en Guyane.

Il faut être réaliste. Quand le Président de la République propose d’expulser les clandestins, il n’en expulserait qu’un tiers, bien loin des besoins de Mayotte, ce territoire au bord de l’explosion sur tous les plans. Il est franchement lamentable que nous en soyons là aujourd’hui.

Quant à la maîtrise des flux migratoires, elle nécessite une volonté politique.

Madame Lenne, le délai moyen de transfert d’un dossier de l’OFPRA est de cent cinquante jours, soit quatre mois et vingt-huit jours. Après une amélioration, en 2017, des délais de demandes d’étude, on constate une nouvelle dégradation. Vous trouverez à la page 33 du rapport des précisions sur une augmentation de plus d’un mois et demi, compte tenu du dévoiement de la procédure d’asile. Je souscris à ce qu’a dit la présidente. Je suis pour cette procédure, mais son dévoiement pose un problème, notamment aux personnes qui ont réellement besoin d’être accueillies, comme notre pays l’a toujours fait. On ne peut pas continuer à dévoyer l’asile. J’ai cité les nationalités qui demandent le plus l’asile.

Madame Dumas, vous avez parlé de la Turquie. C’est scandaleux, on ne peut pas dire que je ne me suis pas insurgée contre ce qui se passe. Vous trouverez le détail à la page 25 de mon rapport. La semaine dernière, on déplorait un coût de 1 500 euros pour un réfugié en Turquie et 600 euros au Liban, ce qui est lamentable. C’est surtout céder à la diplomatie de la menace de M. Erdogan qui ne se prive pas de nous menacer constamment. Au moment où cela s’est produit, j’ai déploré ce que Mme Merkel a fait dans notre dos, en nous mettant devant le fait accompli.

Monsieur Fanget, les visas circulaires sont une piste à explorer, mais il faudrait absolument, et c’est très loin d’être le cas, sécuriser les documents d’identité. Il y a aujourd’hui une fraude massive à l’identité, parfois d’État. Certains pays la pratiquent, soit parce qu’ils n’ont pas un état civil stabilisé, soit par façon d’être. Comme cela est détaillé dans le rapport, nous avons dépensé des sommes extrêmement importantes dans le cadre de l’aide au développement pour aider ces pays à stabiliser leur état civil. C’est très loin d’être aujourd’hui le cas. De surcroît, nous ne faisons pas le lien entre des documents stabilisés et une carte de santé pour l’accès aux soins. Or il est impératif d’établir un lien entre une identité vérifiée et l’accès aux soins, notamment pour des personnes en procédure de demande d’asile. On ne peut pas continuer à voir notre système nous échapper. Lutter contre la fraude à l’identité est d’une urgence absolue.

Monsieur Lecoq, à plusieurs reprises dans cette commission et ailleurs, j’ai déploré l’uberisation de notre société. Par exemple, je suis choquée que l’Assemblée nationale autorise le remboursement de nos frais de transport par Uber. C’est scandaleux.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

Mme Valérie Boyer. On est à la limite de l’esclavage. Je ne comprends pas comment une personne en situation irrégulière peut travailler dans des conditions proches de l’esclavage et se prévaloir de ce travail pour dire qu’elle est depuis trois mois en France. Vous avez tous lu des articles sur des sociétés comme Uber qui emploient des gens pour la moitié du tarif et dans des conditions lamentables. J’y suis totalement opposée. Notre système non seulement le permet mais le suscite. Il faut donc être cohérent, j’essaie de l’être, et c’est de l’humanité.

M. Nicolas Dupont-Aignan. C’est la vraie humanité !

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Monsieur Lecoq, je vous invite à vous reporter à la page 37 du rapport. L’AME vise un triple objectif – humanitaire, de santé publique et économique –, auquel je souscris. Je propose une harmonisation européenne et la création d’une aide médicale d’urgence qui prenne en compte le panier de soins d’urgences et pas au-delà.

Mes chers collègues, et cela est détaillé dans le rapport, nous sommes confrontés à des demandes relevant du médico-social mais aussi à des maladies chroniques, au premier rang desquelles, le diabète, première maladie dans le monde. Il n’est pas possible que la France puisse soigner gratuitement, dans ces conditions, des maladies chroniques. Des pays développés comme l’Espagne ou l’Allemagne ne les prennent pas en compte. Si nous avons autant de différence en termes de flux migratoire avec les autres pays européens, c’est évidemment pour des raisons de santé et d’hébergements sociaux. Les aides délivrées sont détaillées à la page 22 du rapport. Les aides pour relocalisation en Afrique peuvent atteindre 6 000 euros pour quelqu’un créant une entreprise ou un petit boulot, contre 600 à 1 500 euros pour des pays sans visa. Je vous invite à prendre connaissance de la générosité française. Il est impératif que nous ayons plus d’information et que cela soit mieux réglé.

Sachez, mes chers collègues qu’une personne bénéficiant d’une aide au retour en France peut très bien la faire valoir dans un autre pays de l’Union, car le système est totalement poreux. Comment, dans l’espace Schengen, peut-il exister de telles différences de taux de protection, par exemple pour l’Afghanistan entre la France et l’Allemagne ? Une personne qui demande une aide au retour en France peut très bien la demander au Danemark ou en Allemagne, où elles sont beaucoup plus nombreuses que les expulsions. Il existe une sorte de business, soutenu par des réseaux de trafic d’êtres humains. J’ai pu obtenir des informations, malheureusement pas énormément, sur le nombre élevé de démantèlements de filières liées aux migrations.

Madame Kuric, concernant les personnes incarcérées, je le répète, nous manquons d’informations. Le ministère de l’Intérieur ne nous a pas répondu. Le seul chiffre dont nous disposons est celui de 3 755 éloignements. À la page 33 sont détaillées les conditions requises pour ne plus faire bénéficier les personnes du statut de réfugié. L’année dernière, seules 194 personnes se sont vues refuser le statut de réfugié. Je ne comprends pas qu’en France, une personne qui s’est livrée à des actes délictueux puisse conserver le statut de réfugié. Pour être allée à Malte, je peux vous dire que ces questions-là ne sont même pas abordées. Or l’actualité a montré que le statut de personnes ayant commis des assassinats était toujours en cours d’examen. Je me souviens d’une affaire qui m’avait particulièrement choqué. Dans le sud-ouest de la France, un demandeur d’asile syrien connu pour violences conjugales, qui avait violé et assassiné une jeune femme, continuait à bénéficier de la protection française et de l’examen de son dossier. Sur ces questions-là non plus, on ne peut plus continuer de cette façon. Il est indispensable que le ministère de l’Intérieur nous communique les informations qui nous sont nécessaires.

Enfin, pour en revenir aux questions de santé que j’ai essayé d’explorer dans le rapport, il est incroyable qu’aujourd’hui, on ne sache pas combien de temps une personne bénéficie de l’AME, son âge et sa nationalité. On ne sait pas comment on passe du statut de débouté du droit d’asile, c’est-à-dire de la PUMA, à l’AME. On ne connaît pas les gens. On ne peut pas les suivre sur le plan épidémiologique. Cela n’est pas tenable. Il est impératif que nous nous organisions pour connaître ces éléments afin de prendre les bonnes mesures. De la même manière, il n’est pas normal de ne pas connaître les décisions de l’OFPRA. Pour quels motifs les personnes demandent-elles l’asile et pour quels motifs cet asile leur est-il accordé ? Aujourd’hui l’opacité est totale. La représentation nationale se doit de connaître tous ces sujets.

Ce sera le seul moyen d’avancer sur ces questions et de cesser, comme vous venez de le faire, Monsieur Bourlanges, avec une facilité d’une autre époque, de se jeter des anathèmes, alors que mon document est un rapport budgétaire et non un rapport de mission d’information. Monsieur Bourlanges, vous n’avez pas le monopole de l’humanité. Quand on crée des conditions pour que des personnes se noient en mer, pour que des personnes vivent comme je l’ai décrit tout à l’heure, porte de la Chapelle ou ailleurs, je ne sais pas où est l’humanité. Sûrement pas dans le mauvais traitement qu’on inflige aux MNA, sûrement pas dans le mauvais traitement fait aux personnes qui se pressent sous nos ponts et dans nos rues.

M. Jean-Michel Clément. Si je dois être un Bon Samaritain, pourquoi pas ? Quand j’anime une association qui vient en aide à des gens qui sont dans un centre d’accueil et d’orientation et que je regroupe autour de moi une centaine de personnes dans un milieu rural que l’on dit oublié, je me dis que l’humanité est aussi présente au fond de chacun de nous. C’est celle-là qu’il faut révéler et mettre en avant.

Monsieur Dupont-Aignan, je ne comprendrai jamais comment on peut raisonner en opposant des êtres humains les uns aux autres, quelles que soient leur nationalité ou leurs origines.

Mme Anne Genetet. J’ai bien écouté votre argumentaire, Madame Boyer, et nous ne sommes absolument pas en phase avec vous. Nous ne revendiquons pas le monopole de quoi que ce soit, nous sommes profondément inscrits dans notre époque, profondément réalistes, profondément conscients des enjeux. Nous étions très nombreux pour l’audition de M. Bertrand Badie, comme l’a rappelé ma collègue Marion Lenne, qui était « décoiffante ». Je remercie beaucoup Mme la présidente de l’avoir organisée, car nous avons été parfaitement éclairés par son propos. Nous ne sommes ni naïfs ni cruels, nous sommes inscrits dans notre époque. Nous avons l’ambition chevillée au corps et au cœur de prendre les problèmes migratoires dans le bon sens. Nous accueillons. Ma collègue Marion Lenne a parfaitement décrit ce que nous avons mis en place.

Nous sommes en désaccord complet avec votre rapport, fût-il budgétaire, et avec les propos que vous avez prononcés. En revanche, nous soutenons les crédits et nous les voterons. Ils nous semblent essentiels et en cohérence parfaite avec la politique que nous menons.

Mme Laurence Dumont. Madame la rapporteure, vous avez évoqué, comme à regret, le fichier SAFARI. Je rappellerai que, dans les années 1970, la mobilisation féroce contre le fichier SAFARI avait donné naissance à la loi relative à informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978. La France s’honore d’avoir été la première à mettre en place une législation assez draconienne sur la gestion des fichiers.

M. Jean-Louis Bourlanges. Madame la rapporteure, je ne crois pas mériter l’accusation d’anathème. J’ai rendu hommage à votre rapport.

Je m’adresse à vous, Madame la rapporteure…

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Oui !

M. Jean-Louis Bourlanges. Oui, dites-vous, d’une voix douce et accueillante.

J’ai prononcé des paroles très positives sur votre dénonciation des insuffisances administratives et statistiques du traitement de la question de l’immigration, matière essentielle de votre rapport qui, à ce titre, est une contribution intéressante. Je maintiens que dans vos propos et dans ceux de certains collègues qui soutiennent votre approche, comme M. Dupont-Aignan, il y avait une morgue, une arrogance, un mépris dont je me réjouis de constater que mon intervention vous a conduite à vous éloigner. Je suis heureux que vous ayez adopté dans la seconde partie de votre intervention un ton beaucoup plus humain à l’égard des sujets que vous abordez

M. Nicolas Dupont-Aignan. La tartufferie de M. Bourlanges est étonnante. Comment oser nous faire des procès en sorcellerie de manque d’humanité, alors que par votre politique, vous êtes responsable de souffrances, de noyades en Méditerranée, alors que vous avez pratiqué la politique de l’autruche depuis tant d’années et que vous êtes toujours dans la même ? Vous devriez vous interroger.

Monsieur Clément, vous faites des choix budgétaires, et je vois que vous privilégiez toujours une immigration folle au détriment de nos concitoyens, qu’ils soient français ou étrangers. C’est une réalité que vous ne voulez pas accepter.

Enfin, nous pourrions avoir un débat avec des désaccords, mais à partir de faits, notamment sur la question de l’aide au développement, car la vraie question, vous le savez tous, c’est le doublement de la population africaine dans les trente ans qui viennent, qui pose à toute l’Europe un problème géopolitique considérable. Mais là encore, vous pratiquez la politique de l’autruche, la tête dans le sable. C’est une folie. À vos réactions aujourd’hui – les Français le verront car nos débats sont télévisés –, je m’inquiète de la suite, car cela veut dire que vous n’êtes même pas capable de voir le problème. On peut être en désaccord sur les solutions, mais arrêtons de nous envoyer à la figure des leçons d’humanité !

Mme Valérie Boyer, rapporteur pour avis. Je présente un rapport, vous me posez des questions, vous faites des remarques, qui plus est sur mon ton, ce qui me semble totalement déplacé dans une commission comme la nôtre. Vous n’êtes ni mon père, ni ma mère, ni un censeur. Les remarques paternalistes, voire sexistes de M. Bourlanges sur ma voix douce, sur la façon dont je m’adresse à lui me semblent totalement déplacées.

En revanche, j’aurais aimé vous entendre poser des questions sur la différence en matière d’asile entre la France et les autres pays d’Europe. Pourquoi le nombre de demandes est-il en augmentation en France et pourquoi est-il en baisse ailleurs ? Pourquoi n’est-ce pas la même population qui vient en France et dans d’autres pays ? De telles remarques de fond nous auraient peut-être permis d’avancer.

Comme l’a dit mon excellente collègue Bérengère Poletti, ce sujet est tellement tabou que l’on réagit avec des sentiments et des a priori parce que je suis députée du groupe Les Républicains et non pas en se préoccupant des questions de fond.

Quant à SAFARI, Madame Dumont, les chercheurs nous ont dit que le mode de fonctionnement de la CNIL empêchait d’avoir des données statistiques qui nous permettraient d’avancer sur ces sujets. Moi qui connais bien les questions de santé, je peux dire qu’en ce qui concerne les données épidémiologiques, nous avons un trésor dont nous ne nous servons pas. Il est indispensable d’évoluer.

Vous avez fait allusion une audition à laquelle je n’ai malheureusement pas pu participer, alors que j’ai réalisé plus d’une vingtaine d’auditions pour ce rapport, dont un déplacement à Malte. J’ai essayé d’être la plus factuelle possible dans le rapport en détaillant les insuffisances de notre législation.

Je ne voterai pas ce projet de budget, parce qu’il est en baisse pour l’immigration irrégulière, alors qu’il est en augmentation pour l’immigration régulière.

Mme Nicole Trisse. Je répondrai à la question relative au retour en Afghanistan. Il existe une différence de traitement entre l’Allemagne et la France parce que l’Allemagne considère qu’un retour peut être opéré même dans un pays en guerre dès lors qu’on y trouve une petite région non officiellement touchée. Or vous savez très bien les horreurs qui se commettent actuellement en Afghanistan avec Al-Qaida, Daech, les talibans. Le pays est en guerre et les civils écopent terriblement. La France a la dignité de considérer que, même si une parcelle de région est épargnée, l’Afghanistan est un pays en guerre et qu’il faut aider les gens. Voilà la différence entre un pays européen comme l’Allemagne et un pays européen comme la France ! En tant que Française et Européenne, je considère que nous avons encore la dignité, la bienveillance et l’humanité qui doivent nous animer en organisant des retours aux pays.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. L’Allemagne et la Suède qui, que je sache, ne manquent pas d’humanité, n’ont pas cette vision. Dans le rapport, je demande la mise en œuvre d’une politique européenne et d’une harmonisation de traitement entre les pays sûrs. Ces personnes viennent en France après avoir été examinées en Suède ou en Allemagne, et il n’est pas normal que les procédures européennes fonctionnent ainsi. Je le déplore et j’appelle à une harmonisation européenne dans ce cadre et à ce que la France vote une liste de pays sûrs. Ces questions ne peuvent être traitées ici avec l’OFPRA.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, je voudrais exprimer une très forte conviction intime. La question des migrations est un des enjeux essentiels des décennies à venir, pas seulement pour la France, pas seulement pour l’Europe, mais pour le monde.

Mme Bérengère Poletti. Tout à fait !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. C’est un défi majeur pour les pays d’origine, pour les pays de transit, pour les pays de destination et pour les pays d’accueil. Je suis convaincue qu’en situant cette grande question à la bonne hauteur, nous parviendrons à trouver sinon l’unanimité, du moins des convergences sur un certain nombre de principes fondamentaux qui vaudront pour les pays d’origine et pour les pays d’accueil, ainsi que pour l’équilibre de l’Europe et du monde. Je suis persuadée non seulement que c’est dans cette direction qu’il nous faut aller, mais aussi que c’est de notre responsabilité d’aller dans cette direction et de traiter cette immense question au niveau où elle doit l’être. C’est ce que les peuples, nos concitoyens, nos compatriotes et les citoyens du monde attendent de nous. Je forme le vœu que nous soyons à la hauteur de ces attentes-là.

Nous allons maintenant nous prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration sur lesquels je n’ai été saisie d’aucun amendement.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. Je rappelle que mon avis est défavorable aux crédits de la mission.

 


— 1 —

   EXAMEN DES CRÉDITS

Contrairement aux conclusions de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis favorable à ladoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration sans modification.

 

 

 


— 1 —

   Liste des personnes auditionnées par lA rapporteurE

 

 

Déplacement à Malte (à La Valette) du 29 septembre au 1er octobre 2019

 

Contributions écrites reçues

 

 


— 1 —

   ANNEXE

 


([1]) La rapporteure tient néanmoins à relativiser cette baisse compte tenu des arrivées massives constatées, ces dernières années. Pour mémoire, en 2015, environ 1,2 million de migrants avaient atteint l’Europe. Selon l’Organisation internationale des migrations, au 3 octobre 2018, 103 172 migrants et réfugiés étaient arrivés en Europe, toutes voies confondues, 84 345 personnes étant arrivées par la mer.

([2]) Ces arrivées comprennent à la fois les franchissements irréguliers à Ceuta et Melilla et les passages par voie maritime.

([3]) En vertu des dispositions de l’article L 722‑1 du CESEDA, le conseil d'administration de l’OFPRA « fixe la liste des pays considérés comme des pays d'origine sûrs, dans les conditions prévues à l'article 37 et à l'annexe I de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ».

([4]) Ce tableau n’inclut pas les frais de gestion.

([5])  Note exécution budgétaire sur la mission Immigration, asile et intégration, Cour des comptes, mai 2019.

([6]) Page 82.

([7]) Ibid.

([8]) Ibid.

([9])  Première année pour laquelle nous disposons de telles informations consolidées grâce à la reprise en main du dispositif par l’OFII.

([10]) à ce sujet aucune donnée statistique n’a été communiquée à votre rapporteure

([11]) Par ailleurs, à l’expiration du titre de séjour ou des documents justifiant de la régularité du séjour, les personnes concernées restent assurées pendant un délai de douze mois.

([12]) Arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

([13]) Décision n° 2019‑797 QPC du 26 juillet 2019.