N° 2305

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2020 (n° 2272)

 

 

TOME IV

 

 

DÉFENSE

 

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

PAR M. Thomas GASSILLOUD

Député

——

 

 Voir le numéro : 2301 (annexe 13)


 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : les crédits proposés pour 2020

I. Un budget de reconstruction du capital opérationnel

A. Des ressources qui se stabilisent après quatre années de remontée en puissance

1. Une stabilisation de la masse salariale après quatre ans de hausses consécutives

2. Un ralentissement normal des dépenses d’entretien programmé du matériel

B. Une augmentation des crédits à la main du chef d’état-major de l’armée de terre

1. Des financements supplémentaires pour la reconstruction du capital opérationnel de l’armée de terre

a. Des crédits en hausse pour la formation et l’entraînement des forces terrestres

b. Des ressources pour les équipements et la transformation

2. Des transferts de crédits de fonctionnement et d’investissement dans une logique de subsidiarité

II. Deux enjeux majeurs : la fidélisation et la modernisation

A. Une remontée en puissance achevée mais des fragilités

1. Un besoin impérieux de sous-officiers qualifiés

2. Une manœuvre RH toujours très consommatrice d’énergies

3. Un effort de fidélisation à soutenir dans la durée

B. Une modernisation toujours en cours

1. Des matériels vieillissants de moins en moins disponibles

2. Une grande vigilance à l’égard du renouvellement du segment des blindés médians

3. La poursuite de la réforme du MCO terrestre

Seconde partie : les réserves de l’armée de terre

I. Les réserves de l’armée de terre : des évolutions profondes et méconnues

A. Une vraie réussite pour l’armée de terre

1. Des objectifs de recrutement et d’emploi pleinement atteints

a. Une remontée en puissance réussie

b. Une réserve opérationnelle pleinement intégrée

c. Un statut très peu dérogatoire

2. Une réserve opérationnelle devenue indispensable

a. Un remède aux carences du soutien ou à des difficultés de recrutement

b. Un instrument de gestion des carrières et de valorisation des compétences

c. Une ressource flexible pour les armées

B. Un succès qui masque d’importantes fragilités

1. Des jeunes « ab initio » insuffisamment fidélisés

a. Une faible durée d’engagement, coûteuse pour l’armée de terre

b. Une hausse d’activité qui cache de fortes disparités entre réservistes

c. Des parcours peu attractifs pour les « ab initio »

2. Le sentiment d’un manque de reconnaissance et de considération

a. Une réserve opérationnelle largement méconnue des employeurs

b. Un besoin de considération de la part des armées

3. Une gestion sclérosante

a. Un budget croissant mais systématiquement sous-exécuté

b. Des insuffisances manifestes dans les infrastructures et le soutien

c. Des lourdeurs administratives

4. Un processus de rappel de la réserve de disponibilité dépassé

II. Un processus de réforme amorcé

A. Des réformes déjà engagées

1. Un nouveau processus de recours à la réserve de disponibilité (RO2)

2. Une rénovation des outils de gestion de la RO1

a. Le système d’information « ROC »

b. Des mises à disposition facilitées

c. La réduction des délais de versement de la solde

d. La réforme de la notation

e. Une meilleure information du réserviste sur sa protection sociale

3. Une évolution des mesures d’attractivité de la Garde nationale

B. Les propositions du rapporteur pour poursuivre cette amélioration

1. Lancer une réflexion dans la perspective de l’actualisation de la LPM en 2021

a. Se doter de nouveaux outils d’information

b. Évaluer les besoins en équipements, soutiens RH et infrastructure

2. Développer la capacité organique des unités de réserve opérationnelle

3. Mieux valoriser la réserve

a. Donner plus de visibilité aux réservistes

b. Valoriser les compétences acquises

4. Faire évoluer les règles de gestion

a. Donner de la prévisibilité

b. Supprimer certaines règles obsolètes

c. Mieux associer les réservistes à l’amélioration de leurs outils de gestion

5. Une articulation avec le service national universel (SNU) qui reste à construire

Conclusion

Travaux de la commission

I. Audition de M. Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre

II. Examen des crédits

Annexe I :  Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis et déplacements

Annexe II : Historique de l'organisation de la réserve opérationnelle des armées

Annexe III : Périmètre de la Garde nationale créée en 2015

Annexe IV : Activités des réservistes opérationnels de l’armée de terre

Annexe V : Fonctionnalités du système d’information « Réservistes opérationnels connectés » (ROC)


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   Introduction

Thomas Gassilloud, député du Rhône et rapporteur pour avis, a conduit ses travaux conjointement avec sa collègue Sereine Mauborgne, députée du Var.

*

*     *

Le projet de loi de finances pour 2020 constitue la deuxième marche de la programmation militaire 2019-2025 et il est parfaitement conforme à la trajectoire fixée par la loi du 13 juillet 2018. Pour l’armée de terre, 2020 sera une année de consolidation, après quatre années d’une remontée en puissance rapide, pour porter la force opérationnelle terrestre à l’effectif de 77 000. Le principal défi concerne les ressources humaines : il faut fidéliser la génération de soldats recrutés en 2015 et gagner la « bataille des compétences » qui, seule, permettra à l’armée de terre d’achever sa maturation et sa bascule vers les nouveaux modes de combat collaboratifs permis par les matériels Scorpion.

Cette ambition d’une armée de terre de haute technologie répond en partie aux mutations profondes de la conflictualité que nous connaissons actuellement. Dans une période de fortes turbulences marquée par l’incertitude, à l’heure des « guerres indiscernables et soudaines » qu’a évoquées le nouveau chef d’état-major de l’armée de terre devant les députés de la commission, dans lesquelles les modes de recours à la force se diversifient, elle ne doit toutefois pas nous éloigner d’une ambition plus vaste et plus profonde, celle de la résilience de la Nation toute entière.

Face au fanatisme, face au risque terroriste sur le territoire national, à la manipulation des perceptions qui caractérise les nouvelles stratégies d’agression et à l’éloignement de la guerre dans l'inconscient collectif de la société civile, chaque citoyen a un rôle à jouer. Comme leurs aînés depuis presque un millénaire, le sens du devoir, de la patrie, de la responsabilité a conduit certains d’entre eux à faire le choix de prendre part à la défense du pays, en complément des armées professionnelles, dans le cadre des réserves militaires. Héritiers de l’armée de Valmy, de la « Nation en armes », l’engagement de ces réservistes opérationnels est à la fois un témoignage, une réponse et un combat. Le rapporteur pour avis a décidé de leur consacrer la partie thématique de son troisième avis budgétaire.

Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à l’engagement important, qu’ils consentent, le plus souvent au prix de leurs loisirs ou de leur vie de famille. Il s’agit d’inviter à porter le regard sur ces réserves, qui ont profondément évolué depuis la fin de la conscription, et à penser leur devenir et leur rôle, dans les conflits modernes et dans le lien armée-Nation, auquel le service national universel (SNU) est amené à conférer une importance nouvelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2018, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 36 réponses sur 37 lui étaient parvenues, soit un taux de 97 %.


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   Première partie : les crédits proposés pour 2020

Les crédits proposés dans le projet de loi de finances pour 2020 sont conformes à la programmation militaire (LPM) 2019-2025 ([1]). Ils permettront à l’armée de terre de s’engager dans une phase de consolidation et de reconstruction de son capital opérationnel, après quatre années de remontée en puissance à marche forcée.

I.   Un budget de reconstruction du capital opérationnel

Dans son rapport de l’an dernier, consacré à la préparation opérationnelle des forces terrestres, le rapporteur pour avis avait mis en lumière les conséquences du sur-engagement opérationnel et de l’effort de recrutement et de formation inédit, consenti par l’armée de terre, sur les infrastructures, les matériels et les cadres expérimentés. Dès 2017, un réinvestissement a été engagé selon quatre priorités : la consolidation de la préparation interarmes, l’appropriation des nouveaux matériels Scorpion, la lutte contre les menaces émergentes (cyber, drones) et l’interopérabilité avec nos principaux partenaires. L’armée de terre accélère sa mutation et sa remontée en compétences. Le projet de loi de finances pour 2020 lui donne des ressources cohérentes avec cet objectif.

A.   Des ressources qui se stabilisent après quatre années de remontée en puissance

Après quatre années de recrutements massifs et de régénération des matériels, les ressources pour l’armée de terre se stabilisent et se concentrent désormais, conformément aux besoins d’une force opérationnelle terrestre (FOT) ayant achevé sa remontée en puissance, sur le financement de la préparation opérationnelle et de la modernisation des équipements.

1.   Une stabilisation de la masse salariale après quatre ans de hausses consécutives

Les annulations de suppressions d’effectifs programmées initialement par la LPM 2014-2019 ont été fortement orientées jusqu’en 2017 en faveur des forces terrestres, notamment pour porter la FOT, largement mobilisée par Sentinelle, à 77 000 hommes. Associées à un plan catégoriel dynamique visant à attirer et à fidéliser le personnel au sein de l’institution, dont notamment la mise en œuvre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) en 2017, elles ont porté les dépenses exécutées de 2018 à 6 850 millions d’euros.

Évolution des ressources pour l’armée de terre prévues en loi de finances initiale et exécutées par titre depuis 2018

Autorisations d’engagement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2018

2019

2020

Évolution PLF 2020/LFI 2019

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

7 188,8

6 849,0

7 151,7

ND

6 996,80

- 2,2 %

titre 3

1 272,8

1 394,6

2 442,9

ND

2 374,2

- 2,8%

titre 5

106,5

213,8

130,0

ND

210,1

+ 61,6%

titre 6

4,7

3,9

4,8

ND

4,7

- 2,1%

TOTAL HT2

1 384,00

1 581,36

2 577,70

ND

2 589,00

+ 0,44 %

TOTAL

8 572,8

8 461,3

9 729,4

ND

9 585,8

- 1,5 %

Crédits de paiement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2018

2019

2020

Évolution PLF 2020/LFI 2019

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

7 188,8

6 849,9

7151,7

ND

6 996,80

- 2,2 %

titre 3

1 200,1

1 291,7

1 310,4

ND

1 257,3

- 4,1 %

titre 5

104,5

233,5

127,4

ND

201,9

+ 58,5 %

titre 6

4,7

3,9

4,8

ND

4,7

- 2,1 %

TOTAL HT2

1 309,30

1 525,96

1 442,60

ND

1 463,90

+ 1,48 %

TOTAL

8 498,10

8 379,00

8 594,30

ND

8 460,70

- 1,6 %

(*) Titre  2 : dépenses de personnel. Les sommes inscrites en loi de finances depuis 2015 correspondent à celles de l’action 55 « Préparation des forces terrestres – Personnels travaillant pour le programme “Préparation et emploi des forces” » du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Titre 3 : dépenses de fonctionnement. Titre 5 : dépenses d’investissement. Titre 6 : dépenses d’intervention. LFI : loi de finances initiale. PLF : projet de loi de finances.

Source : direction des affaires financières du ministère des Armées.

En 2020, le budget prévu au titre de la masse salariale des forces terrestres baisse pour la deuxième année consécutive. Cet ajustement des prévisions n’empêche pas la masse salariale exécutée et le volume d’emplois de continuer à progresser depuis 2015. Après quatre années de recrutements à marche forcée, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre est quasiment achevée, en dépit de quelques postes à pourvoir à la 13e demi-brigade de légion étrangère (13e DBLE) et du 5e régiment de dragons (5e RD). Les ressources humaines de l’armée de terre entrent en phase de consolidation.

2.   Un ralentissement normal des dépenses d’entretien programmé du matériel

En 2019, la dotation pour les crédits d’entretien programmé du matériel (EPM) était très élevée (1 017 millions d’euros en CP). En 2020, le niveau de crédits est donc logiquement en légère baisse ; en AE (- 9 %) du fait de la notification en 2019 des principaux marchés pluriannuels de soutien des hélicoptères (Tigre et Fennec notamment) et en CP (- 11 %) du fait de l’extinction des ressources supplémentaires du « paquet EPM régénération » accordées en 2015 pour faire face à l’obsolescence et à l’usure de certains matériels.

Conformément à la trajectoire de la LPM 2019-2025, le niveau de ressources de l’EPM reste cependant haut, en raison de la poursuite de la stratégie de modernisation du maintien de condition opérationnelle (MCO) terrestre qui trouve sa traduction dans la généralisation de contrats globaux, incluant des objectifs de performance pour les industriels.

B.   Une augmentation des crédits à la main du chef d’état-major de l’armée de terre

Les ressources pilotées directement par le chef d’état-major de l’armée de terre, au sein du budget opérationnel de programme (BOP) Terre, continuent, elles, d’augmenter, pour accompagner la remontée en compétences d’une armée de terre profondément renouvelée et l’avènement de nouvelles responsabilités budgétaires, dans une logique de subsidiarité.

Évolution des ressources pilotées par l’état-major de l’armée de terre,
ventilées par opération stratégique*

(en millions d’euros de crédits de paiement)

Opération stratégique

LFI 2019

PLF 2020

AOP

160

187

FAS

70

98

EAC

195

209

EPM

1 017

909

dont EPM-Terre

613

513

dont EPM-Aéro

400

391

dont EPM-Naval

4

5

Infrastructures

0

62

TOTAL

1 443

1 464

(*) AOP : activités opérationnelles et préparation. FAS : fonctionnement et activités spécifiques. EAC : équipements d’accompagnement et de cohérence. EPM : entretien programmé des matériels.

Source : état-major de l’armée de terre.

1.   Des financements supplémentaires pour la reconstruction du capital opérationnel de l’armée de terre

Comme l’a mis en lumière le rapporteur pour avis l’an dernier, le niveau de préparation opérationnelle s’est brutalement effondré depuis 2015, en raison :

– du sur-engagement opérationnel, en opérations extérieures (OPEX) et sur le territoire national, avec notamment Sentinelle ;

– de l’effort considérable fourni par l’appareil de recrutement et de formation de l’armée de terre pour porter l’effectif de la FOT à 77 000.

L’équivalent d’un an d’entraînement cumulé a été perdu, avec des conséquences durables sur certains savoir-faire.

La reconstruction du capital opérationnel est désormais une priorité pour l’armée de terre. Cette reconstruction implique de réinvestir dans l’entraînement des forces terrestres, notamment au niveau métier ou interarmes, d’équiper les nouvelles recrues avec des matériels neufs et de développer des innovations visant à contrer les menaces émergentes (lutte anti-drones, renseignement…).

a.   Des crédits en hausse pour la formation et l’entraînement des forces terrestres

Les crédits de l’opération stratégique « activités opérationnelles » (AOP) financent les activités d’entraînement, de préparation opérationnelle et de formation des forces terrestres, en particulier la formation initiale, la préparation métier ou interarmes, ainsi que les grands exercices et les activités de mise en condition finale avant projection. Comme le montre le tableau précédent, ils augmenteront substantiellement en 2020 (+ 27 millions d’euros, soit une augmentation de 17 %), ce dont le rapporteur pour avis se félicite.

Cette évolution, en partie programmée en LPM, a été réévaluée pour tenir compte des montants exécutés en 2018, pour tenir pleinement compte de l’augmentation des dépenses d’activité opérationnelle nécessaire à l’atteinte des normes d’entraînement de la FOT. Le projet annuel de performance de la mission « Défense » annexé au projet de loi de finances pour 2020 précise que cette augmentation fait également suite à la notification du marché de location d’aéronefs au profit des sauts d’instruction de l’école des troupes aéroportées (ETAP), qui représente un coût d’environ 4,5 millions d’euros par an.

Le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025 inclut une liste détaillée d’indicateurs qui permet de mesurer les progrès quantitatifs et qualitatifs de la préparation opérationnelle de l’armée de terre. Ces indicateurs devraient évoluer favorablement en 2020.


Réalisation des nouvelles normes d’entraînement en 2019

Entraînement

par équipage

2018
Réalisation

2019 Prévision initiale

2019
Prévision actualisée

2020
Prévision

Objectif

LPM 2025

Normes d’entraînement

Char Leclerc

(en heures)

62

71

83

75

106

115

AMX 10 RCR/Jaguar

(en heures)

100

100

96

100

100

100

VAB/Griffon

(en kilomètres)

525

539

554

560

1 023

1 100

VBCI

(en heures)

86

93

86

95

119

130

CAESAR et pièces de 155 mm

(en coups tirés)

43

76

76

76

101

110

Hélicoptères Terre

(forces conventionnelles, en heures de vol)

154

160

173

171

200

200

Hélicoptères Terre

(forces spéciales, en heures de vol)

NC

160

185

185

220

220

Données actualisées le 17 décembre 2019.

Source : état-major de l’armée de terre.

L’atteinte de ces normes d’entraînement n’est qu’une première étape. La LPM prévoit en effet un redressement du niveau d’activité des forces terrestres en deux temps :

– jusqu’en 2022, un temps de stabilisation de l’activité à son niveau actuel, avec un effort consenti en faveur de la régénération des matériels, une priorité donnée à une préparation opérationnelle ciblée sur les engagements permanents (notamment au titre des fonctions « dissuasion » et « protection ») et sur la conduite des opérations en cours ;

– puis une progression permettant d’atteindre les objectifs en 2025, dont la reconquête de l’ensemble des savoir-faire du « haut du spectre ».

b.   Des ressources pour les équipements et la transformation

Le niveau de ressources de l’opération stratégique « équipements d’accompagnement et de cohérence » augmente de 41 % en AE et 7 % en CP par rapport à 2019, conformément aux besoins de l’armée de terre dans le domaine de l’innovation numérique.

Le projet de loi de finances pour 2020 devrait par ailleurs permettre la livraison des nouveaux équipements suivants, conformément à l’engagement de la représentation nationale et du Gouvernement en faveur d’une LPM « à hauteur d’homme » :

– 12 000 fusils d’assaut HK 416 F ;

– 1 350 ensembles de parachutage du combattant ;

– 2 018 jumelles de vision nocturne ;

– 290 mini-drones, micro-drones ou nano-drones.

L’appel d’offres pour le renouvellement de la trame petit calibre a été lancé en mars 2019, conformément au calendrier prévu.

Enfin, le rapporteur pour avis se réjouit que l’ensemble de la FOT sera prochainement doté de la tenue de sport rénovée de l’armée de terre, distribuée depuis juillet 2019. Un plan massif de livraison sera mis en œuvre dès la mi-novembre pour le personnel d’active et de réserve. Une attention particulière a été portée à l’ergonomie de chaque pièce convenant à la fois aux femmes et aux hommes qui porteront la même tenue.

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Source : Terre Info Magazine.

2.   Des transferts de crédits de fonctionnement et d’investissement dans une logique de subsidiarité

D’autres augmentations de crédits dans le tableau supra, qui présente les crédits par opération stratégique, reflètent en réalité des mesures dites « de périmètre », c’est-à-dire des transferts de crédits budgétaires venus d’autres programmes. Le ministère des Armées fait évoluer la maquette budgétaire dans un souci de subsidiarité et dans le but d’adopter une gouvernance plus adaptée à l’intensification de l’effort budgétaire en faveur de la défense.

Les crédits retracés à l’opération stratégique « fonctionnement et activité spécifique » (FAS) augmentent ainsi très significativement en 2020 (+ 40 %). Cette évolution, en partie programmée en LPM, a été réévaluée compte tenu des crédits exécutés en 2018, pour tenir pleinement compte de l’augmentation des dépenses de fonctionnement liées à la remontée en puissance de la FOT. Elle tient également compte du transfert de la responsabilité des contrats d’accueil, filtrage et gardiennage au profit de l’armée de terre. Ces crédits étaient auparavant retracés à l’action 5 du programme 178, parmi d’autres dépenses de soutien sous la responsabilité du service du commissariat aux armées (SCA).

Ensuite, la nouvelle ventilation des crédits d’infrastructure entre programmes 146, 178 et 212 provoque un transfert de crédits d’infrastructures technico-opérationnelles d’intérêt « terre » (hors programmes d’armement), supportées jusqu’alors par le programme 212. Ils forment désormais une nouvelle opération stratégique de l’action 2 du programme 178, pour un total de 67 millions d’euros en AE et 62 millions d’euros en CP.

Cette nouvelle ventilation est destinée à aligner les responsabilités budgétaires en matière d’infrastructure sur les responsabilités d’expression du besoin capacitaire et fonctionnel. Autrement dit, il s’agit d’une mesure de subsidiarité bienvenue qui permettra, du reste, d’améliorer l’information du Parlement sur les priorités budgétaires en termes d’infrastructures.

II.   Deux enjeux majeurs : la fidélisation et la modernisation

Les atouts et les fragilités de l’armée de terre, soulignées l’an dernier par le général Jean-Pierre Bosser, sont également au cœur des préoccupations de son successeur, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre depuis le 31 juillet 2019. À horizon 2020, l’armée de terre fait face à deux enjeux majeurs – la fidélisation et la poursuite de la modernisation – dont la réussite dépend d’autres acteurs, au niveau interarmées ou dans la sphère privée.

A.   Une remontée en puissance achevée mais des fragilités

1.   Un besoin impérieux de sous-officiers qualifiés

Quatre ans après la décision de cesser les déflations d’effectifs et de porter la FOT à 77 000 hommes, la remontée en puissance n’est toujours pas complètement « digérée ». L’armée de terre combine une grande maturité, qui se manifeste notamment dans ses succès opérationnels et sa capacité à fonctionner en coalition, avec une extrême jeunesse, celle de nombre de ses soldats. Cette extrême jeunesse, combinée avec des fragilités dans l’encadrement (entre 50 et 60 % des sous-officiers n’ont pas le brevet supérieur de technicien de l’armée de terre, ou BSTAT), impose un modèle de commandement adapté, appuyé sur la conscience de ces fragilités.

La reconstitution d’un socle de caporaux et de sergents expérimentés et bien formés est un objectif prioritaire pour l’armée de terre, plus particulièrement dans la période actuelle. En dépit de l’arrêt des réductions d’effectifs en 2015, les départs de sous-officiers se sont poursuivis.

L’armée de terre est en outre résolument engagée dans une « bataille des qualifications » pour accompagner l’avènement du système de combat info valorisé Scorpion. Ce programme ancre définitivement l’armée de Terre dans la haute technologie, en faisant du combattant Scorpion le soldat du « mix rusticité-technologie », capable de mettre en œuvre des matériels sophistiqués dans des conditions dégradées (Afghanistan, Mali, Irak, Guyane…). L’acquisition de ces nouvelles compétences est à la fois :

– indispensable pour la réalisation du contrat opérationnel et, au-delà, de l’Ambition 2030 ;

– coûteuse, compte tenu de l’effort de formation requis ;

– valorisable, ce qui renforce la concurrence de l’armée de terre avec d’autres employeurs civils.

La « bataille des qualifications » s’inscrit par ailleurs dans un contexte marqué par une reprise économique, un fort engagement opérationnel et des attentes individuelles et familiales nombreuses.

2.   Une manœuvre RH toujours très consommatrice d’énergies

Dans la lignée de la précédente, l’année 2019 s’est caractérisée par une stabilisation des effectifs de l’armée de terre, avec une légère hausse de 131 personnels militaires (transferts compris), au prix d’une intense manœuvre de recrutement et de formation (voir tableau ci-dessous). Le volume de recrutement se maintient ainsi à un haut niveau en 2019 – 14 600 recrutements externes – en hausse de 4 % par rapport à 2018.

L’attrition reste un sujet de préoccupation. La dénonciation des sous-officiers, sur l’ensemble du 1er quadrimestre de 2019, est légèrement inférieure à celle de 2018 (19 % à deux mois de la consolidation des chiffres), ce qui est encourageant. L’objectif en 2019 est inchangé et consiste à maintenir à 15 % la dénonciation des engagés volontaires sous-officiers à l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA).

Pour les militaires du rang, les tendances de la dénonciation en 2019 sont légèrement inférieures à 2018 (30 % en 2018), mais restent supérieures à l’objectif fixé (25 %). Des statistiques obtenues par le rapporteur montrent une hausse spectaculaire du nombre de réformes pour raisons médicales (+ 40 % entre 2018 et 2019). L’équivalent d’un régiment entier a ainsi été réformé en 2019. Les premiers éléments indiquent que seraient plutôt concernés les jeunes soldats dans leur premier contrat appartenant à un domaine de la mêlée. Le service de santé des armées (SSA) est étroitement associé pour expliquer cette évolution, qui pourrait éventuellement avoir un lien avec l’intensité du rythme des opérations et avec les charges portées par les jeunes engagés dans l’opération Sentinelle.

Plan de recrutement de l’armée de terre pour 2019

Catégories de personnels

Recrutements

Recrutements 2019

Taux d'atteinte

programmés

Prévisions au 30-06-2019

des cibles 2019

externe

interne

externe

interne

externe

interne

Officiers

435

323

461*

330

104 %

102 %

Sous-officiers

1 406

1 672

1 429

1 753

102 %

105 %

Militaires du rang

11 312

420

11 709

386

104 %

92 %

    dont EVAT

10 067

420

10 496

386

104 %

92 %

dont EVLE

1 245

-

1 255

-

101 %

-

VDAT

1 000

998

100 %

Sous-total

14 153

2 415

14 597

2 469

103 %

102 %

TOTAL

16 568

17 066

103 %

ÉTAT : engagés volontaires de l’armée de terre. EVLE : engagés volontaires de la légion étrangère. VDAT : volontaires de l’armée de terre.

(*) Données au 25 juillet 2019, selon la directive de cadrage des flux 2020 de la DRH-MD du 25 juillet.

Source : réponses du ministère des armées au questionnaire du rapporteur pour avis, octobre 2019.

Que ce soit pour les militaires du rang ou les sous-officiers, l’impact de ces taux de dénonciation sur la réalisation des effectifs est maîtrisé car ils sont anticipés lors de la définition du plan de recrutement. Toutefois, cela représente une charge considérable pour les régiments et centres de formation.

Avec la remontée en puissance pour les officiers, l’objectif est également de lutter contre l’attrition initiale des officiers sous contrat (OSC), notamment au travers de mesures visant à améliorer l’information et à renforcer l’identité propre des jeunes contractuels.

Fidéliser un personnel formé et expérimenté permettrait à l’armée de terre de limiter les volumes de recrutement et de réduire sensiblement le volume d’encadrement nécessaire à la formation. L’année 2020 sera particulièrement sensible à cet égard : la plupart des contrats signés immédiatement après la décision de remontée en puissance devraient arriver à échéance cette année ainsi que les suivantes.

3.   Un effort de fidélisation à soutenir dans la durée

L’armée de terre a pris des mesures pour la fidélisation de son personnel, tant techniques et financières qu’organisationnelles.

S’agissant des militaires du rang et des sous-officiers, elle s’est engagée à construire des parcours professionnels attractifs, diversifiés et personnalisés. Il s’agit notamment :

– de rendre accessibles les parcours professionnels à tous les militaires afin de leur permettre de se projeter, en rénovant le système de qualification (brevet supérieur technique de l’armée de terre ou BSTAT) ou en installant une bourse aux emplois pour les sous-officiers titulaires des épreuves de sélection professionnelle (ESP) ;

– de faciliter le développement d’un dialogue de gestion individualisé ;

– de favoriser le renouvellement des contrats des militaires du rang et de déléguer certains actes de gestion aux commandants de formations administratives, comme le renouvellement de ces contrats.

Au cours de ses travaux, l’attention du rapporteur pour avis a été appelée sur l’enjeu de mieux utiliser la validation des acquis de l’expérience et les certifications professionnelles comme outil de fidélisation des militaires du rang et des sous-officiers. Certains sous-officiers pilotes de drones dans les formations subordonnées du COM-RENS, aujourd’hui régulièrement débauchés par des employeurs privés pour de l’imagerie de loisirs (e.g. le Puy-du-Fou), pourraient être tentés de rester plus longtemps dans l’active, s’ils avaient la possibilité d’exciper d’une qualification de coordonnateur, qui leur garantirait in fine une meilleure rémunération dans le privé.

La mise en œuvre de « liens au service » en fonction des formations reçues par le personnel militaire constitue l’instrument « coercitif  » d’une telle politique de fidélisation axée sur les qualifications ([2]). Elle a aussi son pendant incitatif : en 2019 ont ainsi été mises en œuvre les premières primes de « liens au service » (PLS) destinées à retenir les talents dont l’armée de terre a besoin au moment où ils pourraient être séduits par des opportunités en dehors de l’institution dans le cadre d’une transition professionnelle. Le bilan de la mise en place de la PLS est pour l’instant très positif avec des attributions qui pourraient même aller au-delà des prévisions initiales.

Pour faire fidéliser la population des officiers, en particulier contractuels, l’armée de terre a aussi créé une « Task Force officiers » dédiée. Cette politique de fidélisation ciblée repose sur cinq piliers :

– l’allongement des perspectives de carrière jusqu’à 11 ans, voire 17 ans, au travers de durées de contrat pouvant varier de 2 à 10 ans. Cette mesure a pour but de limiter la précarité associée au statut de contractuel, qui concerne 74 % du personnel militaire de l’armée de terre dont 100 % des militaires du rang ;

– l’élargissement des perspectives professionnelles pour favoriser la promotion interne ;

– l’ouverture des perspectives fonctionnelles pour permettre des réorientations vers des métiers propices à une future reconversion ;

– une formation continue accessible et efficace, qui offre des perspectives de carrière longue adaptée aux candidats ;

– la mise en place de régimes indemnitaires adaptés qui ciblent les métiers exigeant des formations à très forte valeur ajoutée et transposables dans le civil.

Elle a par ailleurs été décrite de manière très concrète et diffusée cette année à l’ensemble de l’armée de terre au sein d’un document de politique générale.

Outre ces mesures ciblées, propres à l’armée de terre, l’ensemble du ministère des Armées met en œuvre depuis 2018, grâce aux financements votés en LPM, une politique de fidélisation globale qui repose sur :

– une amélioration des modalités générales d’exécution du service (dotation en équipements individuels, disponibilité des matériels, soutien de proximité...) ;

– une amélioration des conditions de vie (infrastructures et offres d’hébergement, de restauration et de loisirs…) ;

– une meilleure conciliation de la vie personnelle et professionnelle via, notamment, de nouvelles pratiques structurantes (manœuvre des bâtiments à double équipage dans la marine nationale) ou les mesures de l’action sociale (prestations individuelles) et du plan « Famille ».

Le rapporteur pour avis tient aussi à souligner le rôle important que seront amenés à jouer la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et la réforme des retraites dans cette politique de fidélisation.

B.   Une modernisation toujours en cours

Le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres reste un enjeu crucial pour l’armée de terre, à la fois confrontée à l’usure accélérée de ses matériels en OPEX, en particulier dans la bande sahélo-saharienne, et à des besoins croissants pour accompagner la remontée en compétences d’une armée de terre profondément renouvelée et sollicitée.

1.   Des matériels vieillissants de moins en moins disponibles

Disponibilité des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels

Indicateur du projet annuel de performance

(en pourcentage)

Matériel

2017

2018

2019

2019

2020

2020

Réalisé

Réalisé

Prévision PAP 2019

Prévision actualisée

Prévision

Cible

Char Leclerc

93

85

96

85

91

96

AMX 10 RC

77

69

70

69

86

70

VAB

85

88

71

89 ; VCI = 58

93 ; VCI = 64

71

VBCI

84

74

75

69

64

75

Pièces de 155 mm

92

84

75

84

86

75

Hélicoptères de manœuvre

40

36

57

47

63

57

Hélicoptères d’attaque ou de reconnaissance

60

55

68

59

72

68

Source : projet annuel de performances de la mission « Défense », annexé au projet de loi de finances pour 2020.

En 2018, le char Leclerc a été pénalisé par des difficultés techniques (disponibilité de 85 %) qui devraient persister jusqu’en 2020. La disponibilité de l’AMX 10 RC (69 %) s’est avérée, quant à elle, légèrement en dessous des prévisions (- 3 %). Seul parc du segment blindé médian à pouvoir être engagé en opération extérieure jusqu’à l’arrivée progressive des EBRC Jaguar, ce matériel a fait l’objet d’un avenant au marché de soutien en service avec le maître d’œuvre industriel Nexter Systems, pour améliorer la chaîne d’approvisionnement des rechanges réparables et gagner en disponibilité.

Pour le VAB, la disponibilité 2018 (88 %), a permis d’honorer les droits en dotation des formations. Le marché de soutien en service permet, au prix d’investissements conséquents, le soutien d’un parc vieillissant et toujours très sollicité dans la bande sahélo-saharienne et en Centrafrique.

La disponibilité 2018 du VBCI était de 74 % en 2018. En 2019, elle reste limitée par les opérations de maintenance approfondie (dites « visites profondes »), décennales, d’une partie des matériels. Malgré une bonne anticipation des défaillances techniques et des approvisionnements, ce parc demeure également sous tension en matière d’approvisionnement en pièces détachées.

La disponibilité 2020 des chars Leclerc, des VAB, des VBCI et des canons de 155 mm devrait être conforme aux objectifs. La disponibilité des chars AMX 10RC devrait remonter fin 2020 et principalement en 2021.

2.   Une grande vigilance à l’égard du renouvellement du segment des blindés médians

Le vieillissement accéléré des matériels de l’armée de terre, employés en bande sahélo-saharienne dans des conditions volontiers qualifiés d « abrasives » par les états-majors, augmente mécaniquement le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) de ces matériels. C’est pourquoi le rapporteur pour avis avait proposé d’accélérer le renouvellement du segment des blindés médians, particulièrement sollicités, plutôt que d’engager des sommes importantes dans le maintien de l’existant.

Le programme Scorpion vise à renforcer l’aptitude opérationnelle des forces au contact, grâce au renouvellement des blindés médians (aujourd’hui : VAB, AMX 10 RCR, etc.) par de nouvelles plateformes de combat (Griffon, Jaguar, Serval, Leclerc rénové). Ce renouvellement s’accompagne d’un nouveau système d’information (SICS) et d’entraînement (SPO) qui doit permettre un combat collaboratif, grâce à l’interopérabilité des matériels entre eux. Le programme Scorpion permettra ainsi, notamment, un appui feu indirect au contact et un tir au-delà de la vue directe.

Le programme procède d’une démarche incrémentale : il doit être capable de capter l’innovation au fur et à mesure (systèmes automatisés, intelligence artificielle) et de faire face aux nouvelles menaces (protection cyber). Naturellement, la synchronisation des programmes devant être en interface (Contact, SI-Terre, C-Numtact, programme d’intégration Contact, Cerbere, missile moyenne portée - MMP, système d’information des armées – module Command and control, etc.) est essentielle pour la cohérence de cette transformation capacitaire.

La maîtrise d’œuvre du marché de développement, de production et de soutien initial des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds (dits Griffon) et des engins blindés de reconnaissance et de combat (Jaguar) est assurée en cotraitance solidaire par un groupement momentané d’entreprises constitué des sociétés Nexter Systems, Arquus et Thales SIX. La maîtrise d’œuvre du marché de rénovation du char Leclerc est assurée par Nexter Systems. Le système d’information et de combat Scorpion (SICS) est développé par ATOS. La maîtrise d’œuvre du marché d’acquisition de véhicules blindés multi-rôles légers (Serval) est assurée par Nexter Systems en cotraitance avec Texelis. La maîtrise d’œuvre du marché Architecte Intégrateur SCORPION est assurée par tns-Mars (groupement formé par les sociétés Thales, Nexter Systems, et Safran).

Dans un premier temps, l’objectif est de disposer d’un premier sous groupement tactique interarmes (SGTIA) apte à la projection en 2021, puis d’une brigade interarmes Scorpion en 2023.

Un trilogue renforcé entre l’armée de terre, la délégation générale à l’armement et les industriels a permis de préserver les calendriers de livraisons (92 Griffon en 2019). D’après les informations rassemblées par le rapporteur pour avis, le premier Griffon est toutefois arrivé avec quatre mois de retard au 1er régiment de chasseurs d’Afrique, à Canjuers, où aura lieu la formation des formateurs sur les nouveaux matériels. Comme l’a mis en évidence le rapporteur pour avis l’an dernier, l’évolution de la préparation opérationnelle de l’armée de terre est elle-même étroitement conditionnée par les livraisons Scorpion.

L’année 2020 sera celle d’une accélération des commandes et des livraisons (voir tableau ci-dessous), conformément à la trajectoire fixée en LPM.

Calendrier des commandes et des livraisons du programme Scorpion

Opérations

Avant 2019

2019

2020

2021-2025

Post 2025

Cible

GRIFFON

Commandes

339

 

271

606

656

1 872

Livraisons

 

92

128

716

936

1 872

SERVAL

Commandes

 

 

364

614

0

978

Livraisons

 

 

 

489

489

978

JAGUAR

Commandes

20

 

42

133

105

300

Livraisons

 

 

4

146

150

300

Leclerc rénovés

Commandes

 

 

50

150

0

200

Livraisons

 

 

 

122

78

200

SICS*

Commandes

1

 

Développement incrémental

Livraisons

 

1

(*) Le logiciel SICS livré en 2019 comportera des évolutions par incrément.

Source : réponses au questionnaire adressé par le rapporteur pour avis au ministère des Armées, octobre 2019.

Le programme d’équipement s’accompagne d’un soutien qui responsabilise les industriels et permet de préparer un marché de soutien en service conforme aux objectifs du projet de maintien en condition opérationnelle MCO terrestre 2025. Il est réalisé en cohérence avec un programme d’infrastructure technique dédiée.

3.   La poursuite de la réforme du MCO terrestre

Les ressources allouées depuis 2013 ont permis des avancées significatives s’agissant du MCO des matériels terrestres, sans pour autant couvrir complètement les besoins liés :

– aux sévères conditions d’emploi des équipements en opérations ;

– à la dégradation du fait de l’ancienneté des matériels ;

– à l’augmentation de l’activité aéroterrestre, pour laquelle la norme d’entraînement des équipages de 200 heures de vol par an devrait être atteinte en 2024-2025 ;

– à la remontée en puissance de la FOT à 77 000, avec des normes d’entraînements renforcées.

Les ressources prévues entre 2019 et 2020 devraient permettre d’atteindre et de maintenir les niveaux de disponibilité nécessaires pour les opérations et la préparation opérationnelle. La transformation et la modernisation du MCO-T, débutée en 2016, se poursuivra dans le cadre du plan « MCO-T 2025 », qui repose notamment sur les objectifs suivants :

– 1 800 matériels régénérés par an en 2024 ;

– un accroissement de la part de l’industrie privée dans la régénération jusqu’à 40 % et le développement des outils numériques associés (ICAR : interface de connexion automatique pour le recueil des données technico-logistique des matériels terrestres) ;

– la mise en place d’un partenariat renforcé au travers de marché de soutien en services (MSS) associant davantage les industriels à la performance du MCO-T ;

– la modernisation de l’outil étatique du MCO-T, alors que de nombreux départs en retraite vont imposer des recrutements et inviter à une réflexion sur le périmètre des activités susceptibles d’être sous-traitées ;

– la mise en œuvre d’une comptabilité analytique et de nouveaux modèles économiques grâce à une meilleure exploitation des données du système d’information logistique ;

– la « verticalisation » des contrats de soutien de certaines flottes d’hélicoptères (Tigre et Cougar-Caracal), afin de confier à un industriel principal la responsabilité d’atteinte des objectifs de performance d’une flotte donnée.

 


—  1  —

   Seconde partie : les réserves de l’armée de terre

Les attentats terroristes de 2015 ont suscité un engouement inédit par son ampleur pour les réserves opérationnelles d’emploi ou RO1 (par opposition aux réserves opérationnelles de disponibilité ou RO2).

La réserve opérationnelle existe sous diverses formes depuis 1791 (cf. annexe II) et sont le corollaire de la « Nation en armes », d’une République où « tous jurèrent de défendre tous » ([3]) pour reprendre les mots de Jules Michelet. Elle permet à chaque Français d’exercer « son droit à contribuer à la défense de la Nation », selon les termes de l’article L. 4211‑1 du code de la défense.

Dans le contexte tragique de 2015, face à une menace diffuse, aveugle, le Gouvernement a décidé la remontée en puissance de cette réserve de premier niveau (RO1) et fixé des objectifs ambitieux. Les effectifs de la RO1 sont aujourd’hui pleinement associés à la réalisation du contrat opérationnel, au même titre que l’armée d’active, en particulier sur le territoire national. La réserve opérationnelle participe de la résilience de la Nation, d’une sorte de « qui-vive républicain » pour reprendre les mots du Premier ministre Édouard Philippe à l’École militaire, le 18 octobre dernier ([4]).

Créée en octobre 2016, la Garde nationale a vocation à regrouper l’ensemble des réserves d’engagement (cf. annexe III) sous un vocable fédérateur et à fournir un cadre pour le renforcement de l’attractivité des réserves.

En 2018, le législateur a ensuite accompagné ce mouvement de remontée en puissance par plusieurs dispositions relatives au statut, à l’emploi ou à la protection sociale des réservistes dans la loi de programmation militaire (LPM) ([5]).

Quatre ans après les attentats de 2015, le rapporteur pour avis a estimé qu’il était temps de faire un premier bilan, d’autant qu’en seulement quatre ans, la réserve a pris une place décisive dans le fonctionnement de l’armée de terre, une place peut-être trop peu connue du grand public et de la représentation nationale.

Au terme de ses travaux, il propose de poursuivre le processus de réforme déjà amorcé et de renforcer l’information du Parlement dans la perspective de l’actualisation de la loi de programmation militaire prévue en 2021.

 


I.   Les réserves de l’armée de terre : des évolutions profondes et méconnues

L’article L. 4211‑1 du code de la défense distingue trois catégories de réservistes :

– les volontaires, qui forment la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) ;

– les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité, qui forment la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) ;

– les volontaires de la réserve citoyenne de défense et de sécurité, qui sont des collaborateurs bénévoles du service public et font partie de la réserve civique prévue par la loi n° 2017‑86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

L'article L. 4211-1 du code de la défense (extrait)

« I.- Les citoyens concourent à la défense de la nation. Ce devoir peut s'exercer par une participation à des activités militaires dans la réserve.

« II.- La réserve militaire s'inscrit dans un parcours citoyen qui débute avec l'enseignement de défense et qui se poursuit avec la participation au recensement, l'appel de préparation à la défense, la période militaire d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale et le volontariat. Ce parcours continu permet à tout Français et à toute Française d'exercer son droit à contribuer à la défense de la nation.

« III.- La réserve militaire a pour objet de renforcer les capacités des forces armées dont elle est une des composantes pour la protection du territoire national, comme dans le cadre des opérations extérieures, d'entretenir l'esprit de défense et de contribuer au maintien du lien entre la nation et ses forces armées. Elle est constituée :

« 1° D'une réserve opérationnelle comprenant :

« a) Les volontaires qui ont souscrit un engagement à servir dans la réserve opérationnelle auprès de l'autorité militaire ;

« b) Les anciens militaires soumis à l'obligation de disponibilité ;

« 2° D'une réserve citoyenne comprenant les volontaires agréés mentionnés à l'article L. 4241-2. [...] »

A.   Une vraie réussite pour l’armée de terre

1.   Des objectifs de recrutement et d’emploi pleinement atteints

À horizon 2019, l’armée de terre s’est vue fixer les objectifs suivants :

– porter les effectifs de la RO1 à 24 000 ;

– porter le nombre de jours d’emploi à 37 jours par réserviste et par an.

a.   Une remontée en puissance réussie

Avec 23 877 réservistes, l’armée de terre a atteint en août 2019 98 % de la cible de recrutement qui lui était fixée.

Effectifs des réserves opérationnelles EN AOûT 2019

Réserve opérationnelle de premier niveau (RO1)

23 877

fin août 2019

(objectif : 24 334

fin 2019)

16 021

personnels

au sein de 103 unités élémentaires de réserve (UER)

86 unités d’intervention de réserve (UIR)

17 unités spécialisées de réserve (USR)

8 313

compléments individuels (CI)

Réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2)

30 000 

dont 18 000 dans les forces terrestres

Source : état-major de l’armée de terre.

La majorité des réservistes de la RO1 est intégrée aux régiments sous la forme de compléments individuels et d’unités élémentaires de réserve (UER). Sur 103 UER, 86 sont des unités d’intervention de réserve (4 forment le 24e régiment d’infanterie, régiment atypique, créé en 2013 et composé presque exclusivement de réservistes) et 17 sont des unités spécialisées (USR) dans la circulation, le transport, le franchissement, le génie (comme le 6e régiment du Génie à Angers) ou le soutien du combattant. Les compléments individuels sont le plus souvent des sous-officiers et des officiers. Dans les UER, le nombre de militaires du rang est redevenu satisfaisant, corrigeant un déséquilibre constaté de longue date dans la pyramide des grades.

Répartition des réservistes opérationnels par affectation (2019)

Source : état-major de l’armée de terre.

La RO1 comprend des réservistes de diverses origines : des anciens du contingent, des anciens de l’armée d’active (soit sous contrat, soit de carrière) ainsi que des jeunes dits « ab initio » sans passé militaire. Dans une combinaison harmonieuse, l’effet intergénérationnel permet la transmission des savoir-faire techniques professionnels et comportementaux.

Répartition des réservistes de la RO1
par origine du recrutement au 30 juin 2019

« ab initio » ; « ex-contingents » (ex-CTG) ; « ex-carrière contrats » (ex-CCT) ou « ex-active ».

Source : état-major de l’armée de terre.

L’objectif assigné par l’état-major des armées en 2016 fut d’être capable de déployer 1 000 hommes/jour dans la durée dans la fonction de protection du territoire national, dont 800 pour l’armée de terre. 4 000 réservistes sont employés chaque jour dans les armées, dont 1 000 en protection du territoire national, dont 800 pour l’armée de terre. Cet objectif est donc pleinement rempli.

La limite du nombre de jours d’activités autorisés de droit commun a été portée par l’article 16 de la LPM 2019-2025 de 30 à 60 jours par an. Ce volume peut être porté à 150 jours pour répondre aux besoins des forces armées (contre 60 auparavant) voire 210 jours par an, à titre exceptionnel. Cette modification permet en particulier de répondre aux besoins de l’opération Sentinelle et vise à augmenter la durée moyenne d’activité annuelle des réservistes. Le taux d’emploi (40,4 jours/homme/an) est satisfaisant et dépasse même les objectifs fixés pour 2019 (37 jours/homme/an).

Conformément à la LPM 2019-2025, la réserve de l’armée de terre a par ailleurs bénéficié en 2019 d’un effort budgétaire notable (masse salariale en hausse, de 38 millions d’euros en 2014 à 89,9 millions d’euros en 2019) pour accompagner la montée en puissance de ses effectifs (+ 50 %) et de son activité (+ 130 %)

Pour l’armée de terre, l’atteinte de ces cibles demande un effort permanent et coûteux. Comme l’a souligné le général Walter Lalubin, délégué interarmées aux réserves (DIAR), le recrutement de réservistes, essentiellement local, n’est pas facile ; les viviers de recrutement ne sont pas illimités.

Le flux de sorties est à peu près constant depuis 2015 et s’établit entre 18 et 22 % de l’assiette. 60 % de ces sorties sont inéluctables (atteinte de la limite d’âge, notamment). 10 % des sortants quittent la réserve pour un engagement dans l’armée d’active. Pour maintenir l’effectif de 24 000 réservistes, la générale Dominique Vitte, déléguée aux réserves de l’armée de terre (DRAT), estime qu’il sera nécessaire de recruter de l’ordre de 5 000 entrants par an, ce qui va imposer une révision à la hausse des directives annuelles relatives à la formation initiale des réservistes (FMIR) qui ne prévoient pour l’instant la formation que de 4 500 recrues par an. Le maintien d’un volume de réservistes élevé oblige donc à un effort de recrutement et de formation important et qui devra être encore accru.

b.   Une réserve opérationnelle pleinement intégrée

Comme l’a rappelé le DIAR, chaque chef d’état-major est responsable de l’emploi des forces. Les réserves ne sont donc pas une force autonome. Il n’y pas de mission dédiée à la réserve, pas plus qu’il n’y a de mission dédiée à l’armée d’active. Mais aucune mission ne peut aujourd’hui être remplie sans l’apport des réservistes.

En 2018, les réservistes opérationnels de l’armée de terre ont réalisé plus de 873 000 jours d’activité, soit l’équivalent de 4 157 équivalents temps plein travaillés (ETPT), en couvrant un spectre de missions allant de Sentinelle à des opérations extérieures, en passant par des prestations de formations, de rayonnement ou du travail d’état-major opérationnel ou organique.

La réserve de l’armée de terre est donc une réserve d’emploi, intégrée à l’armée d’active. Elle est un complément indispensable pour remplir les missions assignées à l’armée de terre, et n’a certainement pas une fonction seulement honorifique ou symbolique. « On ne recrute pas des réservistes pour recruter des réservistes », a insisté le général Bréthous, sous-chef d’état-major opérations aéroterrestres de l’état-major de l’armée de terre (SCOAT).

En particulier, les réservistes opérationnels contribuent de manière déterminante à la posture de protection terrestre (PPT). En 2018, sur les 2 400 réservistes engagés quotidiennement, 600 étaient en mission opérationnelle sur le territoire national, dont 350 dans l’opération Sentinelle. L’opération Sentinelle représente donc 54 % des engagements opérationnels des réservistes.

Les forces terrestres participeront en complément des forces de sécurité intérieure à la sécurisation des grands événements à venir, comme la coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de 2024 et la réserve y prendra sa juste part.

La réserve opérationnelle a aussi vocation à renforcer les armées engagées sur le territoire national en cas de catastrophe naturelle ou technologique, de menace aux frontières ou de troubles internes.

Enfin, elle est expressément mentionnée dans l’instruction ministérielle 10100 du 3 mai 2015, relative à l’engagement des armées sur le territoire national en cas de crise majeure, comme le complément indispensable qui permettrait de maintenir 10 000 hommes sur le territoire national dans la durée. Seul le volume global de la RO1 et de la RO2 permettrait ainsi à l’armée de terre de s’engager dans une opération de coercition telle que définie par la LPM et le contrat opérationnel des armées, tout en maintenant la posture de protection terrestre et la situation opérationnelle de référence.

Pour toutes ces raisons, la formation des réservistes opérationnels est la même que celle des militaires d’active. Elle leur permet d’atteindre au minimum le standard opérationnel de niveau 1 (SO1) indispensable pour exercer les missions communes de l’armée de terre (MICAT). D’autres formations leur confèrent souvent des spécialités (montagne, renseignement…).

c.   Un statut très peu dérogatoire

« La cohésion est la force principale des armées ; en vertu de ce principe, les réserves sont étroitement intégrées et même assimilées à l’armée d’active. Le réserviste est un militaire à temps partiel, certes, mais un militaire à part entière », a rappelé le général Lalubin. Les réservistes portent la même tenue que les militaires d’active et ont le même équipement. « Ils y sont très attachés, de même qu’à l’appartenance à un régiment », a souligné le général Bréthous.

Un réserviste doit cependant être en service, et donc disponible et volontaire, pour être soumis aux obligations de l’état militaire. En somme, il échappe seulement à l’obligation de disponibilité en tout temps et en tous lieux.

Conformément à l’instruction n° 10100 DEF/DEF/SGA/DRH-MD du 18 juin 2013 relative aux droits financiers du personnel militaire, de ses ayants droit ainsi que de ses ayants cause : « Les droits à la solde (du personnel militaire de la réserve opérationnelle) ainsi qu’aux primes et indemnités qui s’y attachent sont identiques à ceux des militaires d’active de même grade, de même ancienneté et titulaires des mêmes qualifications, certificats, diplômes et brevets militaires placés dans la même situation. » Seules différences :

– la solde des réservistes n’est pas imposée au titre de l’impôt sur le revenu ;

– certains éléments de rémunération sont spécifiques au personnel d’active, en particulier ceux qui compensent les sujétions liées au statut militaire (mobilité) ou qui sont liés à l’engagement ;

– certains accessoires de la solde ne sont attribués qu’aux réservistes (allocation d’études, participation au financement du permis de conduire, prime de fidélité…).

2.   Une réserve opérationnelle devenue indispensable

La réserve opérationnelle est devenue indispensable pour remplir le contrat opérationnel. Le rapporteur pour avis a aussi eu l’occasion de constater que la réserve remplissait bien d’autres fonctions : vivier de recrutement pour l’active, vivier de compétences rares, développement du lien armée-Nation, valorisation des compétences des anciens militaires d’active, formation d’équipes-projet, remède aux lacunes du soutien, aux réductions d’effectifs, moyen d’assouplir certaines contraintes budgétaires ou réglementaires… alors que la conscription est suspendue, dans un monde où la souplesse, la réactivité et des compétences rares issues du civil sont nécessaires, la réserve apporte bien plus que les missions qui lui étaient initialement assignées.

a.   Un remède aux carences du soutien ou à des difficultés de recrutement

Après plusieurs années de déflations des effectifs, la plupart des formations de l’armée de terre font face à un manque criant de sous-officiers, ce qui pose un problème d’encadrement mais entraîne aussi des carences dans certaines fonctions support, en particulier des fonctions de gestion des ressources humaines, comme la chancellerie, ou les soutiens. Heureusement, la plupart des chefs de corps peuvent compter sur d’anciens sous-officiers d’active, revenus dans la réserve opérationnelle de premier niveau comme compléments individuels. Des fonctions complètes sont ainsi tenues aujourd’hui par des réservistes, notamment dans le soutien.

Les réservistes sont par ailleurs très présents dans des domaines en pointe comme la cyberdéfense ou la transformation numérique. Le rapporteur pour avis s’est rendu au commandement du renseignement, à Strasbourg, mais aussi à Lyon, au centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), où œuvrent de nombreux réservistes, dont des réservistes spécialistes. En application de l’article L. 4221‑3 du code de la défense, les forces armées et formations rattachées peuvent en effet avoir recours à des spécialistes volontaires pour exercer des fonctions déterminées correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique. Le grade attaché à l'exercice de cette fonction de spécialiste dans la réserve opérationnelle est conféré par arrêté de la ministre des Armées. Il ne donne pas droit à l'exercice du commandement hors du cadre de la fonction exercée. Ces réservistes spécialistes sont particulièrement employés dans la cyberdéfense.

Le rapporteur pour avis prend note du recours à des réservistes opérationnels pour répondre à des besoins de compétences ponctuels. Faute de crédits suffisants pour le paiement de prestations de service, certains chefs de corps emploient des réservistes pour rénover le site Internet du régiment, par exemple.

Les carences dans le soutien santé peuvent aussi créer la tentation de recruter comme réservistes opérationnels des kinésithérapeutes, par exemple. Las ! Leur solde de militaire du rang réserviste est sans commune mesure avec la perte financière qu’entraîne une journée de convocation. Des chefs de corps réclament alors davantage de souplesse dans la fixation des rémunérations.

Le rapporteur pour avis s’interroge sur ce recours à la réserve dont il faut s’assurer qu’il ne se fasse pas au préjudice de sa pleine capacité opérationnelle. L’aptitude physique, l’acquisition des normes comportementales propres au milieu militaire, doivent rester des conditions sine qua non de l’appartenance à la réserve. Cela ne doit pas interdire de mesurer, à l’aune de ces exemples, les besoins de souplesse dans les armées, les carences du soutien ou encore le manque d’attractivité de certains postes.

b.   Un instrument de gestion des carrières et de valorisation des compétences

Les mouvements de départs encouragés jusqu’en 2015, couplés à la possibilité de cumuler pension à jouissance immédiate avec une solde de réserviste, ont fait de la RO1 un dispositif d’aide au départ pour les militaires partants les moins employables dans le civil. À partir de 2015, la remontée en puissance accélérée demandée au ministère des Armées a recréé d’impérieux et urgents besoins opérationnels, comblés par des pensionnés, qualifiés, revenant parfois travailler au même poste. Ces derniers échappent aux sujétions les plus emblématiques du statut militaire : la mobilité et la disponibilité. La solde, défiscalisée, est un complément de revenu intéressant. Le rapporteur pour avis s’est ainsi demandé si cette situation ne risquait pas de favoriser le départ des sous-officiers d’active et de constituer un « effet d’aubaine », avec un coût excessif pour les finances publiques.

Le délégué interarmées aux réserves a rappelé que, jusqu’en 2015, on incitait aux départs via des pécules. « On a pu voir coïncider deux intérêts : celui de l’institution, retrouver des compétences parties en trop grand nombre, et celui des militaires, qui y ont trouvé intérêt. » Pour le DIAR, ces sous-officiers « coûtent » du reste moins cher en tant que réservistes. Le réserviste n’est payé que les jours travaillés, autrement dit 20/30e de solde par mois. Quand il travaille 20 jours par mois, son collègue d’active avec les mêmes jours de présence est payé 34 jours, en comptant les quatre jours de permissions. L’effet d’aubaine serait du reste limité puisque les officiers ou sous-officiers concernés ont généralement atteint leur limite d’âge. Le dispositif est par ailleurs encadré par les limites d’âge (de cinq années plus élevées que celles des militaires d’active seulement).

De fait, le statut de réserviste est désormais envisagé comme un moyen d’échapper à certaines sujétions inhérentes au statut militaire. En témoigne le recours au dispositif prévu à l’article 12 de la loi de programmation militaire 2019-2025 pour permettre de concilier la vie militaire et la vie familiale. Un militaire placé en congé pour convenances personnelles pour élever un enfant de moins de huit ans peut théoriquement demander à souscrire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle. En témoigne également la récente proposition du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) d’utiliser la réserve pour permettre un mi-temps thérapeutique incompatible avec le statut militaire ([6]).

Il n’est pas certain qu’il faille s’alarmer de ces évolutions. La réserve opérationnelle participe peut-être de l’émergence d’un nouveau modèle d’engagement militaire, à l’appui d’armées « agiles » ? Cependant, ces évolutions doivent être suivies avec attention par le législateur.

c.   Une ressource flexible pour les armées

Comme l’a souligné le DIAR, « la réserve offre aux chefs de corps une marge de manœuvre en termes d’effectifs. C’est la seule. Les états-majors de brigade sont en manque d’officiers. Ils ne peuvent fonctionner aujourd’hui qu’en se renforçant de réservistes, qui sont recrutés en fonction de la disponibilité à laquelle ils s’engagent. Les chefs de corps sont libres d’avoir recours à cette ressource. » Le général a rappelé qu’après des années de déflations et de réorganisation, il manquait 900 officiers en gestion dans l’armée de terre et 4 000 sous-officiers brevetés (BSTAT). La réserve donne aujourd’hui de la plasticité au modèle de l’armée de terre. La masse compense le manque de disponibilité.

La contribution des réservistes aux missions de protection du territoire national concourt à la résilience de la Nation et à celle de l’armée de terre en particulier, qui peut ainsi projeter davantage de soldats d’active en opérations extérieures ou de les former davantage. Elle permet ainsi à l’armée de terre d’active de combler son déficit de préparation opérationnelle : en 2018, l’engagement quotidien des réservistes a rendu possible la préparation opérationnelle métier ou interarmes de 12 sections d’active, ce qui n’est absolument pas négligeable. Sans la réserve, l’offre de formation de l’École de l'aviation légère de l'armée de terre (EALAT) serait réduite de 15 %. Par sa contribution à l’opération Sentinelle, la réserve libère des mécaniciens aéronautiques qui peuvent se concentrer sur la maintenance des appareils.

Le rapporteur pour avis a rencontré deux jeunes sergents qui ont expliqué partager leur temps entre la réserve opérationnelle et des emplois d’intérimaires. Ils semblent tous deux y trouver un équilibre personnel et financier, compte tenu notamment des primes liées à l’intérim et de la défiscalisation de leur solde. L’un est moniteur de techniques d’interventions opérationnelles rapprochées dans la réserve, conducteur de véhicules funéraires par intérim et père divorcé de deux enfants. L’autre travaille dans la mécanique. Il a le projet d’intégrer les forces spéciales mais n’est pas encore décidé. Ces deux situations pourraient justement illustrer de nouveaux modes d’engagement souhaités par les jeunes. Les avantages et inconvénients de ce schéma restent cependant à explorer. En particulier, il conviendrait de savoir si cette situation est vraiment profitable au réserviste (notamment eu égard à la précarité de son emploi civil et à ses droits à pension futurs).

B.   Un succès qui masque d’importantes fragilités

L’importance et le succès de la réserve opérationnelle de l’armée de terre sont bien réels et ne doivent pas être minorés. Ils masquent toutefois quelques fragilités sur lesquelles le rapporteur pour avis juge utile de se pencher.

1.   Des jeunes « ab initio » insuffisamment fidélisés

La première fragilité réside dans la faible durée de l’engagement des réservistes dits « ab initio », c’est-à-dire des jeunes volontaires sans passé militaire, en particulier pour les militaires du rang qui sont, de loin, devenus majoritaires parmi cette catégorie de réservistes opérationnels aujourd’hui.

a.   Une faible durée d’engagement, coûteuse pour l’armée de terre

Si la durée moyenne d’engagement des réservistes dits « ab initio » est de trois ans, celle de ceux d’entre eux qui sont militaires du rang tombe à deux ans.

Nombre d’années de service des réservistes ayant quitté l’armée de terre dans les douze derniers mois

Source : réponses du ministère des Armées au questionnaire du rapporteur, octobre 2019.

Or, la générale Dominique Vitte (DRAT) évalue à cinq ans, sur la base d’une activité de 37 jours par an et par réserviste en moyenne, le délai nécessaire pour avoir un retour sur l’investissement consenti en formation. L’atteinte des cibles de recrutement de réservistes opérationnels par le ministère des Armées cache donc un effort de recrutement et de formation permanent, coûteux, et des vulnérabilités.

Une part importante et croissante des 24 000 réservistes opérationnels de l’armée de terre serait encore en formation. Au 7e bataillon de chasseurs alpins (7e BCA), les officiers ont invité à apprécier avec prudence les délais nécessaires pour former un réserviste. Si, en théorie, un jeune peut être engagé sur l’opération Sentinelle au bout d’un mois de formation, en pratique, cette performance est souvent rendue difficile par des contraintes d’organisation. En outre, un mois de formation ne confère pas au réserviste une expérience, une maturité et une résistance au stress suffisantes. Un officier a ainsi donné l’exemple d’une patrouille de réservistes chevronnés, qui a eu la lucidité de ne pas tirer sur un illuminé équipé d’une ceinture d’explosifs factice au marathon de Grenoble.

Cette évolution n’a pas échappé au DIAR, qui a souligné que « le suivi de tous ces réservistes [restait] quand même une charge importante » et déploré ce fort turnover chez les jeunes réservistes, analogue à celui qui s’observe chez les militaires d’active de la même génération.

Pour les jeunes réservistes que le rapporteur pour avis a rencontrés, la volonté de s’engager n’est pas en cause. Ils se disent freinés par leur manque de disponibilité, dont les causes, variées, sont explorées plus avant dans le présent avis, par diverses rigidités et par un manque de visibilité sur leur évolution dans la réserve.

b.   Une hausse d’activité qui cache de fortes disparités entre réservistes

Cause ou conséquence ? Les difficultés de fidélisation des réservistes « ab initio » sont corrélées avec une faible part dans l’activité globale de la réserve opérationnelle.

La majorité des jours d’activité est réalisée par une minorité de réservistes, pour l’essentiel d’anciens militaires d’active, qui consomment une part sans doute plus importante encore du budget de la réserve du fait qu’ils rejoignent la RO1 avec leur grade et la solde afférente à leur échelon au moment de leur départ. Ils sont immédiatement employables tandis que les réservistes « ab initio » ont une formation, limitée.

D’après les chiffres fournis par la DRAT :

– 33 % des réservistes « ab initio » ont une activité incluse entre 10 et 30 jours par an ;

– 27 % une activité comprise entre 31 et 60 jours par an ;

– 21 % une activité supérieure à 60 jours par an.

Près de la moitié des réservistes « ab initio » réalisent donc quand même plus de trente jours d’activité annuels, ce qui témoigne d’un engagement remarquable au service de la Nation, souvent sur leur temps personnel.

La répartition des anciens du contingent en fonction du nombre de jours d’activité est à peu près la même. En revanche, les anciens militaires d’active, en moyenne plus âgés et, pour la majorité d’entre eux, pensionnés, ont une activité comprise entre :

– 10 et 30 jours à 24 % ;

– 31 et 60 jours à 25 % ;

– supérieure à 60 jours par an, à 40 %.

Cet emploi massif d’anciens militaires d’active dans la RO1 est louable en ce qu’il répond à un besoin opérationnel mais il peut avoir pour conséquence de favoriser l’éviction des réservistes dits « ab initio », moins employables à court terme, avec, à la clé, des risques pour le lien armées-Nation comme pour la résilience.

La DRAT a bien identifié cet enjeu puisqu’elle considère que « c’est bien sur ce dernier segment que des progrès restent à accomplir » en termes de fidélisation. Un défi réside dans le fait que la majorité des réservistes « ab initio » est constituée d’étudiants, dont la priorité est la recherche d’un emploi à temps plein. La gestion des jeunes « ab initio » doit donc être pensée sur le long terme, dans une logique d’investissement et de parcours.

c.   Des parcours peu attractifs pour les « ab initio »

Le recrutement direct de sous-officiers et d’officiers « ab initio » a été supprimé en 2017, sauf dans le cadre de conventions avec certaines grandes écoles ou dans les états-majors pour les réservistes spécialistes. Cette évolution n’est pas contestée dans son principe par les jeunes réservistes « ab initio » que le rapporteur pour avis a rencontrés. En revanche, ces dispositions ne sont pas sans conséquence pour la fidélisation. Pour des jeunes entrés dans la réserve à 23 ou 24 ans, le grade d’officier n’est pas atteint avant 27-28 ans, l’âge auquel il est déterminant de bâtir sa réputation professionnelle. Beaucoup de réservistes quittent alors la réserve et l’institution peine à les faire revenir.

L’Association nationale des réservistes de l’armée de terre (ANRAT) observe une tendance croissante à former les réservistes « ab initio » pour un emploi unique : garder des emprises ou Sentinelle. « On ne leur offre pas spontanément de perspectives de développement de leurs qualifications. On emploie donc les réservistes essentiellement pour décompresser l’active. Au bout de trois ans, sans perspectives, les réservistes peuvent se lasser. L’évaporation augmente depuis 2016. Le nombre de nouveaux contrats est fortement contrebalancé par les départs massifs », ont déploré les officiers de réserve entendus par le rapporteur pour avis.

Au commandement du renseignement, le rapporteur pour avis a rencontré un jeune officier de réserve « ab initio », qui a souligné la singularité de son parcours, une singularité symptomatique, selon lui, du manque d’attention porté aux carrières des réservistes et du manque de perméabilité entre les postes de commandement et les postes en état-major, eux-mêmes en petit nombre. Ces postes pourraient être davantage présentés comme une suite de carrière pour des réservistes de corps de troupe, avec éventuellement une incitation en termes d’avancement ou de notation.

Plusieurs réservistes ont souligné la durée de certaines formations comme un facteur limitant. La formation NRBC, par exemple, s’étale sur trois semaines. Elle est valable cinq ans et il n’existe pas de possibilité de « recyclage » (actualisation des compétences dans un format plus court) à l’issue. Des formations plus concentrées permettraient de ne pas trop empiéter sur le potentiel opérationnel des réservistes et seraient plus compatibles avec leurs disponibilités.

2.   Le sentiment d’un manque de reconnaissance et de considération

Alors que la contribution de la réserve opérationnelle n’a jamais été si appréciée qu’aujourd’hui, les réservistes sont bien loin de recueillir les marques de reconnaissance qu’ils sont en droit d’attendre de leurs concitoyens.

a.   Une réserve opérationnelle largement méconnue des employeurs

Selon le colonel (R) Bernard Bon, président d’un groupe de travail sur les réserves au MEDEF et membre de l’ANRAT, l’entreprise n’a aucune idée de ce qu’est aujourd’hui la réserve, et plus largement de ce que sont les armées. « La méconnaissance est totale », a-t-il déploré, « et réciproque » : « pour une majorité d’officiers, la réserve, c’est un vivier de personnes disponibles pour de l’exécution. » Il faut saluer l’effort de la Garde nationale qui a signé plus de 300 conventions avec des entreprises, même si ces dernières sont généralement déjà proches des armées ou bien disposées à leur égard. En tout état de cause, cela ne concerne qu’un salarié sur mille. Une majorité de réservistes restent clandestins ou n’ont pas recours à la possibilité de servir sur leur temps de travail prévue à l’article L. 4221‑4 du code de la défense.

Les employeurs publics ne font pas mieux, en moyenne. Le rapporteur pour avis a rencontré un major de réserve, par ailleurs maître de conférences à l’université qui lui a indiqué avoir fait une croix sur sa carrière : faute de temps consacré à la recherche, il ne sera jamais professeur d’université. En dépit des trente jours de congés garantis par la loi à tous les fonctionnaires, sous réserve de l’accomplissement de leurs obligations de service par ailleurs, son université est peu encline à faciliter ses absences. De manière générale, les employeurs publics ne permettraient que très rarement ces absences, d’après les témoignages recueillis. Les réservistes sont très souvent amenés à prendre sur leurs congés, ce qui est vite difficile à concilier avec une vie de famille.

Ils font parfois état de préjugés antimilitaristes qui restent vivaces dans certains milieux, où persiste une méconnaissance de la réalité des armées.

b.   Un besoin de considération de la part des armées

Le rapport sur le moral (RSM) des réservistes établi chaque année après des tables rondes fait état d’une embellie notable depuis 2016. L’indice sur 6 (de 1 : « exécrable » ; à 6 : « excellent ») est monté progressivement de 3,8 en 2009 (« plutôt mauvais ») à 5 (« bon ») en 2016. Il est stable à ce niveau depuis.

Sont salués comme des facteurs positifs : la nature des activités, plus opérationnelles, les hausses budgétaires depuis 2016 et l’intégration des réservistes parmi leurs camarades d’active. Les critiques se concentrent essentiellement sur les difficultés rencontrées auprès des employeurs pour obtenir des disponibilités, les délais de paiement ainsi que d’autres lourdeurs administratives.

Enfin, l’ANRAT attiré l’attention du rapporteur pour avis sur les réservistes opérationnels admis à l’honorariat à l’issue d’un parcours bien rempli : « ils sont bénévoles. Ils sont totalement oubliés et même négligés par rapport aux réservistes citoyens, en dépit d’un réseau d’influence parfois significatif. La réserve honoraire n’est pas utilisée. Elle devrait bénéficier des mêmes avantages que les réservistes citoyens. » Les réservistes honoraires peuvent certes devenir réservistes citoyens mais on leur fait perdre leur grade et s’ils perdent le statut de réserviste citoyen par la suite, ils n’ont plus l’honorariat. « Les armées ont introduit une différence de considération considérable, parce que la réserve citoyenne est gratuite. Ce n’est que la transposition en fin de parcours de l’absence de visibilité de la réserve opérationnelle. »

Fonctionnement de la réserve citoyenne de défense et de sécurité (RCDS)

La réserve citoyenne de défense et de sécurité (RCDS) a pour objet d'entretenir l'esprit de défense et de renforcer le lien entre la Nation et ses forces armées. Elle permet aux citoyens français de mettre à la disposition des autorités militaires leurs compétences et leurs capacités relationnelles afin de contribuer au rayonnement de l'armée de terre et à son enracinement dans la société civile.

À ce titre, le réserviste citoyen a la qualité de collaborateur bénévole du service public de la défense. Un grade honorifique lui est conféré, en respectant les conditions d’âges minimaux requis dans la réserve opérationnelle. Il ne dispose pas du statut militaire et ne porte pas d’uniforme militaire.

Les missions confiées à la RCDS de l’armée de terre recouvrent cinq champs d’action :

– rayonnement auprès de la société civile par la promotion de l’esprit de défense et la contribution aux connaissances des forces armées et de l’armée de terre en particulier ;

– enseignement de défense en participant notamment à des formations dans le domaine de la citoyenneté ;

– contribution à la résilience de la Nation, par la participation à des travaux de réflexion et d’analyse des risques ;

– mise à disposition d’expertise ;

– relais avec la société civile en participant au recrutement et en appuyant la reconversion des militaires.

Le périmètre d’action du réserviste-citoyen est convenu lors de la signature de l’agrément qui le lie à son autorité militaire de rattachement (AMR) pour une durée de trois ans. Il se concrétise par une lettre de mission.

3.   Une gestion sclérosante

Au cours de sa rencontre avec le rapporteur pour avis, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre, a insisté sur le fait que l’armée de terre ne saurait plus fonctionner sans ses réservistes, admettant toutefois qu’à certains égards, ces derniers étaient « encore gérés comme en 1960 ». La gestion administrative peut progresser, tout comme la numérisation, et permettre aux réservistes de s’investir davantage pour des activités à plus haute valeur ajoutée.

a.   Un budget croissant mais systématiquement sous-exécuté

Crédits budgétaires inscrits en loi de finances
et exécutés par année depuis 2009

(en millions d’euros de crédits de paiement)

2009*

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020 (PLF)

Loi de finances initiale

40,2

41

39,6

38,2

38,3

38,3

46,6

59

86

89,6

100

100,1

Exécution

ND

ND

ND

ND

ND

ND

44,2

59,8

74,4

83

-

-

(*) Pour les crédits budgétaires, il n’est pas possible de remonter au-delà de 2009.

Source : réponses du ministère des Armées au questionnaire du rapporteur pour avis, octobre 2019.

Le fait que le budget disponible soit sous-exécuté est constitutif d’un paradoxe, pour l’ANRAT, qui signale une tendance à l’annulation des activités en fin d’année civile. Selon le colonel (R) Bernard Bon, « la mécanique de gestion conduit inévitablement à rendre du budget. La jointure de l’année est par ailleurs mal gérée par les systèmes d’information. Donc on ne convoque plus personne à partir de fin novembre. C’est difficile à comprendre de la base alors que le message en provenance d’en haut est celui d’un certain confort budgétaire. »

La promesse de visibilité se heurte aussi aux imprévus opérationnels des armées. La DRAT a toutefois admis que l’anticipation était un élément essentiel pour favoriser l’emploi des réservistes employés par ailleurs dans le civil. L’armée de terre a ainsi donné des directives dans le but de consommer l’intégralité de sa ressource budgétaire. Ce sera le cas fin 2019, a affirmé la DRAT.

b.   Des insuffisances manifestes dans les infrastructures et le soutien

La générale Dominique Vitte (DRAT) a estimé qu’une amélioration des délais de prévenance et une plus grande fiabilité passaient avant tout par la qualité du commandement et la disponibilité du soutien et des infrastructures.

Au cours de tous les déplacements du rapporteur pour avis et de sa collègue Sereine Mauborgne, les réservistes et les chefs de corps ont en effet pointé les insuffisances des capacités d’hébergement et les limites rencontrées en termes d’équipement (véhicules, transmissions). Les réservistes du 7e BCA sont ainsi logés sur des lits picots dans un hangar pendant leurs entraînements, faute d’un bâtiment pour les accueillir. Les réservistes du 24e régiment d’infanterie peinent à obtenir des véhicules en nombre suffisant pour aller s’entraîner à Satory ou en Champagne. À l’EALAT, les capacités d’hébergement sont saturées par les stagiaires et limitent donc le recours aux réservistes qui n’habitent pas près de l’école.

Plus généralement, le manque de personnel dans le soutien santé ou la chaîne de la gestion des ressources humaines entraînent des lenteurs préjudiciables à l’activité. La vérification de l’aptitude médicale des réservistes, prévue tous les deux ans, a tendance à saturer les capacités du service de santé des armées.

Parmi les améliorations souhaitées par tous les réservistes, en particulier les jeunes « ab initio », figure la réduction du délai de paiement de la solde, aujourd’hui supérieur à quatre mois en moyenne et d’une durée incompressible de 45 jours du fait du fonctionnement du SIRH de l’armée de terre, Concerto. En particulier, en vertu d’un régime d’autorisation très restrictif des flux de données dans ce SIRH, la saisie des activités des réservistes doit obéir à un impérieux calendrier et tout retard dans la saisie des activités entraîne d’emblée un décalage d’un mois. Au-delà des difficultés informatiques, les régiments sont souvent confrontés à un manque de personnel dans la chaîne RH et à l’archaïsme du mode d’agrégation des données d’activités (tableaux remplis sur papier puis numérisés).

c.   Des lourdeurs administratives

Corollaire de la micro-gestion qui caractérise la réserve opérationnelle aujourd’hui – chaque formation de l’armée de terre gère ses réservistes – la circulation des compétences n’est pas favorisée. Chaque employeur repère, recrute, forme et emploie ses réservistes. Le « prêt » entre unités n’est pas facilité.

À plusieurs reprises, l’attention du rapporteur pour avis a été appelée sur l’impossibilité de convoquer des réservistes pour des demi-journées. La DRAT a convenu que cette possibilité serait intéressante et était envisagée, un décret du Premier ministre ayant même prévu une convocation variant entre trois et six heures. Mais le système d’information ne l’a pas permis.

Plusieurs chefs de corps ont revendiqué la création de modalités de télétravail, une pratique que la DRAT n’envisage qu’avec réticence et juge nécessaire d’encadrer. La solde de jours fictifs est déjà une réalité de facto. Par exemple, ce sont des réservistes qui animent la plateforme d’appels pour orienter les candidats au recrutement. Ils sont rémunérés au forfait : 80 appels équivalent à une journée de convocation. Il y a donc une pratique tolérée – et d’ailleurs impossible à surveiller – de solde de jours fictifs. Les correspondants entreprises - défense (CRED) bénéficient également d’un tel forfait.

À ce propos, le général Lalubin a précisé que les systèmes de gestion des ressources humaines ne fonctionnaient pas sans indiquer des dates de convocation. C’est ainsi que le rapporteur pour avis a appris que l’article 12 de la LPM 2019-2025, qui est censé permettre à un militaire placé en congé pour convenances personnelles pour élever un enfant de moins de huit ans de s’engager dans la réserve pour effectuer un semblant de temps partiel, n’était toujours pas mis en œuvre aujourd’hui en raison d’un ensemble de freins réglementaires et techniques.

4.   Un processus de rappel de la réserve de disponibilité dépassé

L’article L. 4231-1 du code de la défense définit la RO2 comme l’ensemble formé par les « anciens militaires de carrière ou sous contrat et personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur lien au service. » La convocation de la RO2 – ou réserve de disponibilité – est régie par l’article L. 2171-1 du code de la défense. L’armée de terre a développé un mode opératoire de rappel de la RO2 centré sur les forces terrestres, en particulier pour contrôle d’aptitude : les exercices Vortex. Il s’agit de convocations partielles de la RO2 dans le cadre des cinq jours dont l’autorité militaire peut user librement durant les cinq ans d’obligation de disponibilité. L’ambition du calendrier tournant en vigueur est de contrôler chaque unité des forces terrestres tous les cinq ans.

Selon le sous-chef d’état-major opérations aéroterrestres de l’état-major de l’armée de terre, seuls 18 % des effectifs de la RO2 convoqués lors du dernier exercice Vortex se sont effectivement déplacés. « Les exercices ont moins vocation à faire du chiffre qu’à caler des procédures de convocation », a expliqué le général Bréthous. L’ambition porte majoritairement sur l’acquisition des procédures d’incorporation médicale et administrative (solde, RH, habillement, etc.). Un mémento de la convocation a ainsi été rédigé en 2017 et validé par l’état-major de l’armée de terre (EMAT) en février 2018. Il a été mis à jour en mai 2019.

Aucune disposition légale ne sanctionne véritablement la non présentation. Toutefois, le général Bréthous considère que le renforcement des contraintes légales pourrait être à terme contreproductif. L’EMAT privilégiera donc l’information, la pédagogie et des mesures d’attractivité.

BILAN DES DERNIERS EXERCICES VORTEX

Vortex 2016

(11e brigade parachutiste et 1ère brigade logistique)

Effectif théorique soumis à convocation

3 529

Effectif non convocable

120 (3 %)

Effectif convoqué

3 409 (97 %)

Effectif présent

1 462 (41 %)

Vortex 2017

(3e division et commandement pour le renseignement)

Effectif théorique soumis à convocation

3 372

Effectif non convocable

283 (8 %)

Effectif convoqué

3 089 (92 %)

Effectif présent

1 275 (38 %)

Vortex 2018

(1ère division et 7e brigade blindée)

Effectif théorique soumis à convocation

2 353

Effectif non convocable

495 (21 %)

Effectif convoqué

1 858 (79 %)

Effectif présent

427 (18 %)

Vortex 2019

Toussaint 2019

Source : état-major de l’armée de terre.

Cependant, ces exercices ont mis en évidence le besoin de mieux sensibiliser les soldats d’active, avant leur départ, sur la nécessité de signaler leurs changements d’adresse pendant les cinq années suivantes. Lors de l’exercice 2018, 31 % des convoqués n’habitaient plus à l’adresse conservée dans les fichiers.

II.   Un processus de réforme amorcé

Après les objectifs quantitatifs fixés en 2015, le temps d’une réflexion globale sur l’ensemble des réserves semble venu. Tous les acteurs rencontrés par le rapporteur pour avis au cours de ses travaux ont fait état de réflexions en cours en vue d’élaborer un nouveau modèle pour les réserves en général.

A.   Des réformes déjà engagées

1.   Un nouveau processus de recours à la réserve de disponibilité (RO2)

D’après les réponses de l’état-major de l’armée de terre au rapporteur, les exercices Vortex ont jusqu’à présent permis de retirer les principaux enseignements suivants :

– la mobilisation de la RO2 implique plusieurs chaînes de commandement de l’armée de terre ou interarmées et nécessite une préparation rigoureuse incluant l’action coordonnée des services et des soutiens ;

– le premier exercice Vortex a mis en évidence le besoin d’un mémento de convocation qui a été rédigé dans sa version initiale en 2017 et mis à jour en mai 2019 ;

– le maintien du lien entre les anciens militaires et leur ancienne unité au moyen de contacts réguliers et informels (événements régimentaires, lettres d’information, mise à jour régulière des fichiers, etc.) est essentiel.

Forte de ces retours d’expérience, l’armée de terre envisage donc de :

– mieux cibler la population de la RO2 à convoquer : lors de l’exercice Vortex 2019, seuls les réservistes atteignant deux et quatre ans de RO2 seront convoqués pour reconduire leur aptitude médicale pour deux ans ou les rayer des états, le cas échéant ;

– alléger le processus dans les formations d’emploi : en 2019, la perception d’effets militaires sera ainsi remplacée par un simple essayage destiné à renforcer les savoir-faire de la chaîne d’habillement sans consommer inutilement les ressources ;

– améliorer les convocations et utiliser les moyens modernes : en 2019, les convocations seront transmises par voie numérique ;

– poursuivre les efforts visant à mettre à jour les coordonnées des réservistes de la RO2 : l’enjeu est de disposer d’une liste de réservistes, si possible accessible sur réseau à l’échelle nationale et pouvant être mise à jour depuis l’internet par les intéressés eux-mêmes.

Le recours à la RO2 fait par ailleurs l’objet d’une réflexion dans un cadre interarmées sous l’égide de l’état-major des armées. La réserve de disponibilité n’est pas aujourd’hui équipée. Aussi, et en fonction des ambitions retenues, cela pourrait représenter des coûts importants.

Compte tenu de l’effort de formation consenti par les armées en leur faveur, il serait par ailleurs intéressant d’étudier la possibilité de créer une obligation de disponibilité pendant cinq ans pour les réservistes opérationnels après leur départ de la RO1.

2.   Une rénovation des outils de gestion de la RO1

Clé de la levée des freins à l’emploi des réservistes, la rénovation des outils de gestion de la RO1 a commencé, financée conformément à la LPM.

a.   Le système d’information « ROC »

Un portail des « réservistes opérationnels connectés » (ROC) est en cours de construction sous l’égide du DIAR. Il est réalisé par l’entreprise Cap Gemini pour un coût de 15 millions d’euros depuis le début du projet (trois ans). Certaines fonctionnalités sont déjà en service (cf. annexe V). Toute personne désireuse de s’engager est censée se faire recruter par ce portail. Elle est ensuite contactée par une plateforme d’appel armée par des réservistes. Puis c’est l’unité vers laquelle elle est orientée qui va réaliser le recrutement.

Le « e-billet » est la deuxième fonctionnalité à avoir été activée. Elle est saluée unanimement par les intéressés (« On est passé au XXIe siècle ! ») en dépit de quelques difficultés avec certains contrôleurs SNCF qui ne se sont pas encore approprié le dispositif.

Les premières formations sur le système ROC n’ont toutefois toujours pas été organisées. L’équipe projet, que le rapporteur pour avis est allé rencontrer à l’École militaire, s’appuie sur les retours d’expérience fournis par les officiers adjoints de réserve (OAR) des formations de l’armée de terre mais l’état d’avancée du projet paraît difficilement lisible dans les UER.

b.   Des mises à disposition facilitées

Les réservistes opérationnels peuvent servir au sein de leur propre armée, direction ou service, dans des organismes interarmées ou même à l’extérieur du ministère des armées. La DIAR a instauré une procédure, depuis août 2018, qui encadre et facilite les « mises à disposition » de réservistes entre les armées, directions et services (pour une mission donnée). Ces « mises à disposition » ont notamment pour objectif de pourvoir des compétences manquantes au sein d’une formation d’emploi.

Le système ROC, grâce à une fonctionnalité intitulée « Mes données personnelles » permettra au réserviste de mieux communiquer sur ses compétences. Reste à savoir si cela permettra effectivement d’identifier facilement ces compétences et d’y faire appel.

Selon le général Stephen Coural, commandant des opérations sur le territoire national, l’armée de terre aurait par ailleurs le projet de former un pool de 130 réservistes juristes, dits legal advisors.

c.   La réduction des délais de versement de la solde

À propos du délai de versement de la solde, le DIAR a envoyé une note récapitulant toutes les bonnes pratiques indispensables à l’amélioration des délais de versement de la solde. « On a gagné 20 jours entre janvier et juillet 2019 à la suite de la publication de ces documents », a-t-il affirmé.

Par ailleurs, le service du commissariat des armées (SCA) a récemment mis en place des « flux ciblés » pour traiter en priorité la solde des réservistes, fluidifier le traitement et ainsi réduire les délais de paiement.

d.   La réforme de la notation

Dans un contexte de tension sur les effectifs de l’armée de terre, en particulier dans le domaine de la chancellerie, le Gouvernement a pris un décret de simplification de la notation des réservistes.

En principe, la période de notation d’un réserviste s’étend de début juin de l’année n jusqu’à fin mai de l’année n+1. Avant la parution du décret précité, une notation n’était réalisée que lorsque dix jours d’activité avaient été effectués au cours de l’année de notation. La disponibilité des réservistes étant fluctuante, certains réservistes pouvaient être plusieurs années consécutives sous le seuil de notation.

Le nouveau système de notation glissante permettrait ainsi de mieux prendre en compte tous les jours effectués : le décret du 30 septembre 2019 précité prévoit que le réserviste soit « noté dès lors qu’il a accompli 40 jours de présence effective depuis la prise d’effet de son engagement ou sa notation précédente. » Le décret ajoute que « par dérogation au caractère annuel de la notation, cette période peut s’étendre sur plusieurs années. Le réserviste est alors noté au titre de l’année au cours de laquelle il atteint quarante jours d’activité depuis sa notation précédente. »

Enfin, et dans le but de laisser toute latitude aux armées et services dans le cadre de leur politique des ressources humaines, il est ajouté que « l’intéressé peut être noté avant l’accomplissement de quarante jours de présence effective lorsque l’autorité militaire dispose d’éléments d’appréciation suffisants ». La déléguée aux réserves de l’armée de terre (DRAT) a ainsi affirmé que l’armée de terre avait maintenu le principe d’une notation des réservistes tous les vingt jours d’activité.

La manière dont ce décret sera appliqué inquiète toutefois l’ANRAT, qui a pointé le risque de réduire encore la capacité des réservistes « ab initio » à progresser.

e.   Une meilleure information du réserviste sur sa protection sociale

Un autre objectif du système ROC est d’améliorer l’information et mise à disposition des moyens de protection sociale qui sont dus aux réservistes.

L’article 11 de la LPM 2019-2025 a remédié à des lacunes concernant la protection sociale des réservistes. Cet article prévoit une réparation intégrale du préjudice pour les dommages subis par les réservistes au cours de leurs activités de réserve en l’absence de faute de l’État. En cas de blessure (physique ou psychique), ils bénéficieront du régime de la responsabilité sans faute de l’État. Le principe de la présomption d’imputabilité au service est retenu en cas de blessures ou maladies survenues pendant le service (article 54 de la LPM). Le dispositif proposé par l’article 54 modifie notamment l’article L.121-2 du code de pensions militaires et de victimes de guerre et étend, pour les militaires, le périmètre de la présomption d’imputabilité au service de blessures ou de maladies.

L’Union nationale des officiers de réserve (UNOR) estime toutefois que l’amélioration de la couverture sociale des réservistes serait une mesure d’attractivité plus utile et plus appréciée que les mesures d’attractivité de la Garde nationale : « à notre sens, le grand point d’amélioration serait que l’État, second employeur des réservistes, via leurs ESR, accepte de prendre en charge mutuelle et prévoyance aux bénéfices de ces citoyens qui s’engagent aux côtés de leurs camarades d’active. En effet, dans un emploi civil, l’assurance maladie complémentaire est obligatoire, mais ne couvrira pas les périodes de réserve. Or, l’employeur militaire n’a pas les mêmes obligations et le réserviste doit compléter sa couverture sociale à titre personnel sur sa solde. Il en est de même pour l’assurance. Il pourrait être prévu que l’employeur civil prenne en charge ce petit surcoût, en échange de déduction fiscale. » ([7])

3.   Une évolution des mesures d’attractivité de la Garde nationale

Afin d’accroître la participation des jeunes Français aux réserves, plusieurs mesures d’attractivité ont été mises en œuvre sous l’égide de la Garde nationale, notamment :

– une prime de fidélité ([8])  sous condition d’activité et de renouvellement de contrat (250 euros) ;

– une allocation d’études spécifique conditionnée à un engagement à servir (100 euros par mois) ;

– une participation au financement du permis de conduire « B » sous condition d’activité (1 000 euros) ;

– un mécénat d’entreprise via une réduction d’impôt pour les entreprises facilitant l’engagement de leurs salariés dans la réserve opérationnelle ;

– une valorisation des compétences acquises par le réserviste en facilitant l’accès sous condition des réservistes opérationnels aux métiers de la sécurité privée ([9]) ;

– des droits à formation sur le compte épargne citoyen issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail, effectif depuis le 1er janvier 2017, acquis à partir de 90 jours d’activité sur une année civile, dans la limite de 20 heures de droit à formation, selon un taux de conversion horaire fixé par le décret n° 2018-1349 du 28 décembre 2018 relatif aux montants des droits acquis. Ces droits sont plafonnés à 720 euros sur trois ans.

Au cours de ses déplacements, le rapporteur pour avis a constaté un succès limité des mesures d’attractivité mises en œuvre par la Garde nationale, sans qu’il soit facile d’en déterminer les raisons : manque de pertinence ou manque d’information ?

Le recours aux mesures incitatives de la Garde nationale

Années

2017

2018

Fin septembre 2019

FIDERES*

7

633

1 539

ALLOCRES*

7

843

3 427

PERMRES*

2

59

93

Total

16

1 535

5 059

(*) ALLOCRES : allocation étudiant - FIDERES : prime pour resignature d’un contrat de 5 ans - PERMRES : subvention permis de conduire

Source : DRAT.

La DRAT reconnaît que « les premiers versements ont été lents à se mettre en place du fait d’un mode de paiement manuel lourd et complexe ». Par ailleurs, « les conditions d’éligibilités très restrictives – engagés entre 18 et 25 ans, 37 jours d’activité minimum – expliquent au moins en partie, le moindre succès initial de ces mesures. » La secrétaire générale de la Garde nationale (SGGN), la générale Anne Fougerat, a également dressé un premier bilan. Bien que les dispositifs soient désormais bien installés, ces mesures ne semblent en effet pas adaptées aux objectifs de fidélisation des forces armées, formations rattachées ou forces de sécurité intérieure. Le SGGN travaille donc actuellement à un aménagement du dispositif qui sera prochainement soumis à la validation des ministres.

Le SGGN travaille également à d’autres mesures d’attractivité visant à améliorer la reconnaissance de l’engagement des réservistes. Certaines, sont actuellement en vigueur et le SGGN s’attelle à leur mise en œuvre (valorisation de l’engagement étudiant ([10]), accès à certaines activités privées de sécurité, médaille des réservistes volontaires de défense et de sécurité intérieure ([11]), gratuité des musées), d’autres sont en cours d’étude (notamment pour l’accès aux concours de la fonction publique).

La DRAT a pour sa part fait réaliser une enquête sociologique à la fin du premier semestre 2019 auprès de plus de 10 500 réservistes. La synthèse des résultats n’est pas encore disponible mais elle devrait permettre d’identifier les leviers incitatifs les plus pertinents.

Les armées, directions et services, sous l’égide du DIAR, ont par ailleurs proposé les mesures suivantes :

– conserver les trois mesures en vigueur mais assouplir les conditions d’octroi (déclencher l’octroi de la prime de fidélité non pas sur un renouvellement de contrat mais plutôt sur une durée de service et descendre le seuil de 37 à 30 jours) ;

– rendre fongibles les montants prévus pour adapter le dispositif aux profils des réservistes à recruter (la prime « permis de conduire » de 1 000 euros n’est pas attractive et pourrait être utilisée pour augmenter celle relative à la fidélité) ;

– octroyer automatiquement ces mesures sans attendre la demande du réserviste (ce que fait la gendarmerie nationale) pour dynamiser les effets recherchés ;

– tester pendant deux ans le dispositif rénové tout en réfléchissant à d’autres évolutions.

B.   Les propositions du rapporteur pour poursuivre cette amélioration

« La question est : quelle réserve veut-on ? Aujourd’hui, la réserve est, d’une part, un vivier pour l’armée de terre, un vivier de jeunes où elle pioche de la ressource ultra-flexible, et d’autre part, un instrument RH pour gérer les fins de carrière et répondre à des besoins de compétences ponctuels liés aux transformations », ont résumé le colonel (R) Jean-Franck Bertin et le colonel (R) Bernard Bon, de l’ANRAT.

La doctrine de l’OTAN définit quatre fonctions pour la réserve opérationnelle :

– fournir ponctuellement des compétences (capabilities) ;

– pallier des besoins dans les unités d’active (complement) ;

– compléter l’action de l’active (supplement) ;

– remonter en puissance, faire masse dans des circonstances exceptionnelles (surge).

L’ANRAT déplore que la réserve opérationnelle française ne soit aujourd’hui tournée que vers la seconde fonction.

Pour sa part, le rapporteur pour avis garde en mémoire l’incroyable mobilisation des réservistes de la gendarmerie après le passage de l’ouragan Irma dans les îles du nord de l’arc antillais en 2017. En quelques heures, 700 réservistes ont répondu à l’appel à volontaires de la gendarmerie pour un engagement de trois mois dans des conditions difficiles ; 145 ont été déployés, dont 91 étaient des réservistes opérationnels « ab initio ». Cet épisode révèle une volonté d’engagement toujours vivace chez nos concitoyens et l’existence de marges de manœuvre inexploitées, qui permettraient d’envoyer davantage de réservistes opérationnels de l’armée de terre en opérations.

Développer l’emploi de la réserve présente un intérêt indéniable pour le lien armées-Nation et pour la résilience de la Nation. Mais une telle évolution aura un coût. La Nation doit donc être en mesure de déterminer si cet investissement est justifié, au regard des menaces actuelles et futures, et quelles évolutions du cadre légal doivent éventuellement l’accompagner.

1.   Lancer une réflexion dans la perspective de l’actualisation de la LPM en 2021

À l’issue de ses travaux, le rapporteur pour avis préconise d’engager une réflexion élargie à l’ensemble des réserves dans la perspective de l’actualisation de la LPM en 2021, qui fournira un vecteur législatif pour d’éventuelles modifications du cadre légal.

Il proposera à la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées de constituer une mission d’information sur les réserves militaires, c’est-à-dire les réserves des trois forces armées et de la gendarmerie, afin que les parlementaires prennent toute leur part à cette réflexion.

Le présent rapport est donc une première contribution à ce travail d’ensemble que le rapporteur pour avis appelle de ses vœux.

a.   Se doter de nouveaux outils d’information

Les indicateurs suivis actuellement à propos de la réserve doivent être enrichis et complétés. Dans la perspective d’un prochain « Plan Réserve » et d’une actualisation du cadre légal, le Parlement doit être mieux informé sur la nature des activités exercées par les différentes catégories de réservistes, la part de jours effectués par catégories, le délai moyen de versement de la solde ou encore les difficultés d’application des dispositions législatives adoptées en 2018, à l’instar de celles constatées pour l’article 12 de la LPM.

Certains de ces indicateurs devraient logiquement figurer dans les projets et rapport annuels de performance annexés au projet de loi de finances.

b.   Évaluer les besoins en équipements, soutiens RH et infrastructure

La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit des livraisons d’équipement pour la Garde nationale à partir de 2021 :

– 14 300 gilets pare-balles (structures modulaires balistiques) : 2 200 en 2021, 4 950 en 2023 et 7 150 en 2025 ;

– 680 véhicules légers de type VT4 : 340 en 2022 et 340 en 2023 ;

– 120 véhicules poids lourds : 30 par an entre 2026 et 2029.

Mais comme le révèlent les travaux du rapporteur pour avis, les besoins de capacités d’hébergement et de personnel supplémentaire dans la chaîne RH sont patents. L’expression de besoins en hébergement devrait être systématiquement majorée d’environ 5 % pour tenir compte des besoins de la réserve opérationnelle, ont estimé certaines personnes entendues par le rapporteur pour avis et sa collègue Sereine Mauborgne.

2.   Développer la capacité organique des unités de réserve opérationnelle

Depuis 2015, de nombreux cadres de la réserve se sont trouvés en situation de commandement au niveau groupe, section, compagnie ou état-major tactique, dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Le rapporteur pour avis estime qu’entretenir une capacité organique de certaines unités de réserve permettrait d’envisager l’envoi de telles unités en OPEX, ce qui confèrerait aux officiers de réserve de vraies qualités de commandement, utiles en cas de crise majeure. L’entretien de cette capacité organique serait un facteur de résilience pour la Nation et de fidélisation pour les réservistes.

Le DIAR a exclu a priori la recréation d’unités dérivées, bien connues des anciens du service national. « Dans les armées, et dans l’armée de terre en particulier, qui est la seule à avoir des modules de réserve et même un régiment de réserve, en réalité, l’emploi organique groupé de réservistes est impossible. Ces unités de réserve sont nécessaires pour l’instruction, la cohésion, l’entraînement… mais pour l’emploi, on modularise toujours », a fait valoir le général Lalubin. Le général a rappelé que l’armée de terre était une armée de flux et une armée modulaire, en renouvellement permanent. Compte tenu de la rétractation des formats, les structures organiques des armées ont surtout une utilité dans la cohésion, les apprentissages, la préparation opérationnelle mais sont systématiquement recomposées pour des opérations. « C’est le paradigme depuis le passage à une armée professionnelle », a complété le général.

Le rapporteur pour avis note toutefois que l’état-major de l’armée de terre réfléchit actuellement à l’opportunité de doter chaque garnison d’un « kit Sentinelle » (incluant véhicules, plaques pare-balles, transmissions, caches pour fusils d’assaut) pour l’équivalent d’une voire deux unités Proterre. Chaque régiment aurait ainsi la possibilité de générer une ou deux unités Proterre en quelques heures. Aujourd’hui, les équipements Sentinelle sont mutualisés au niveau du service du commissariat des armées, ce qui interdit cette réactivité. La création de ces stocks tactiques au niveau régimentaire serait déjà un progrès dans le sens d’une capacité organique pour la réserve.

Interrogée par le rapporteur pour avis, la DRAT fait part d’un objectif de disposer d’une capacité des réserves à être engagées en « pions tactiques », avec une UP1 (c’est-à-dire une section de 27 hommes) dans chaque unité élémentaire de réserve, et onze états-majors tactiques de réserve, qui permettront aux officiers et sous-officiers de réserve de pouvoir exercer pleinement leurs compétences d’encadrement.

Reste l’enjeu de la disponibilité des réservistes, qui est et restera, selon le DIAR, disparate. Le rapporteur pour avis estime pour sa part qu’une amélioration des durées de préavis et des modalités de gestion de la réserve pourrait favoriser les déploiements de compagnies entières de réservistes « ab initio » intégrées dans des formations d’active, une perspective intéressante dans la perspective de la coupe du monde du rugby ou des Jeux olympiques, mais aussi pour acquérir des compétences indispensables en cas de crise majeure.

3.   Mieux valoriser la réserve

a.   Donner plus de visibilité aux réservistes

Le rapporteur propose d’améliorer la visibilité des réservistes et de mieux valoriser leur engagement au travers de trois mesures :

– une revalorisation de la présence de la réserve au niveau territorial, avec le développement de jumelages entre des villes et des unités de réserve ;

– une association plus systématique des réservistes aux commémorations par les délégués militaires départementaux (DMD) ;

– la possibilité pour les réservistes de porter leur uniforme sur leur lieu de travail une journée par an, par exemple lors de la Journée nationale des réserves.

Chaque année, le secrétariat général de la Garde nationale organise la Journée nationale des réserves (JNR), qui en réalité s’étale sur une période d’un mois, afin de mettre en valeur l’engagement des réservistes. Pendant cette période, de nombreuses cérémonies sont organisées (55 en 2018).               En outre, une cérémonie de ravivage de la Flamme du Souvenir sur la tombe du Soldat inconnu associe majoritairement des réservistes pour l’ouverture ou la clôture de la JNR.

Le rapporteur pour avis se réjouit que ces initiatives existent mais note qu’elles n’apportent pas encore assez de visibilité en dehors de la communauté des personnes déjà intéressées par la défense. Il suggère d’étudier la transposition en France d’une pratique en vigueur au Canada, où les réservistes ont la possibilité d’arborer leur uniforme pendant toute une journée sur le lieu de travail et d’expliquer leur engagement. De toute évidence, cela impliquerait de revenir sur l’interdiction faite aux militaires de porter leur uniforme en milieu ouvert, mesure qui mériterait au moins d’être réexaminée.

Par ailleurs, des progrès lui paraissent pouvoir être obtenus au niveau local. Beaucoup de réservistes de l’armée de terre sont impliqués dans l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD). Les équipes des délégués militaires départementaux (DMD) sont majoritairement composées de réservistes, qui sont rarement valorisés. Les DMD pensent rarement à solliciter les réservistes pour des commémorations.

Les réservistes du 6e régiment du Génie (Angers) rencontrés par le rapporteur ont fait état d’une innovation consistant à jumeler une unité élémentaire de réserve avec une commune, Nantes en l’occurrence. Cette pratique contribue à lutter contre le phénomène des déserts militaires, offre aux réservistes une implantation locale qui étend le vivier de recrutement et offre à la collectivité des effectifs militaires supplémentaires pour organiser des commémorations ou d’autres événements autour de la défense et de la mémoire. Le rapporteur pour avis estime qu’elle doit être encouragée.

b.   Valoriser les compétences acquises

Il est regrettable que les réservistes ne soient pas en mesure de valoriser leurs savoir-faire et leurs apprentissages auprès de leurs employeurs civils, qui ignorent majoritairement ce qu’ils font dans la réserve opérationnelle. Ils détiennent pourtant des qualifications valorisables : formation aux premiers secours, management, gestion d’une situation de crise, organisation de mesures de confinement, sécurité incendie, etc.

Plusieurs responsables de l’état-major de l’armée de terre confirment que celle-ci pourrait réfléchir aux voies et moyens de délivrer des attestations ou des brevets.

S’agissant de la certification des compétences militaires des officiers dans le civil, « le certificat d’état-major a été évalué au niveau licence et le cours supérieur ORSEM a une équivalence de master en organisation. C’est très bien. Mais ce sont les deux seuls cas », selon l’ANRAT.

4.   Faire évoluer les règles de gestion

Pour permettre aux réservistes d’exercer des missions valorisantes et de suivre des parcours valorisants, il est indispensable de leur donner davantage de prévisibilité.

a.   Donner de la prévisibilité

Nombreux sont les chefs de corps, notamment au 24e régiment d’infanterie, à avoir adopté une programmation annuelle élaborée en n-1. Elle est évidemment la garantie d’une meilleure disponibilité des réservistes.

À l’instar de ce qui se pratique en Suède, les armées auraient pu proposer des « conventions » ou toutes autres formes d’accord impliquant le réserviste, l’armée et son employeur, pour fixer une planification. La proposition a été formulée en juin 2018 et s’est heurtée à un refus catégorique du secrétariat général de la Garde nationale (SGGN). La raison invoquée est qu’il n’est pas question de perdre le réservoir de tous les réservistes clandestins qui sont aujourd’hui nombreux. « En somme, pour avoir des réservistes clandestins, nombreux, on assume l’impasse sur la relation avec l’entreprise », estime l’ANRAT. La loi permet au réserviste de s’absenter suite à une convocation militaire pour une durée de 8 jours (5 jours pour les entreprises de moins de 250 salariés) sans que son employeur puisse s’y opposer et à condition de respecter un préavis de trente jours. Mais « tant que l’employeur ne trouvera pas une forme d’intérêt ou de sollicitude à libérer ses réservistes, on n’y arrivera pas. Les armées ne privilégient pas l’ancrage dans la société. En Suisse, tous les chefs d’entreprise sont officiers de réserve. Cela contribue à l’image des armées », a ajouté le colonel (R) Bernard Bon. Les Britanniques ont beaucoup travaillé sur la relation avec l’employeur, et notamment sur la communication. Ce sont eux aussi qui ont poussé le plus loin la comparaison entre l’emploi de l’active et celui de la réserve en matière de coût, au-delà d’un simple ratio « masse de rémunération/jours d’activité totaux », comme on le voit trop souvent.

Au sein du système ROC, l’état-major de l’armée de terre a demandé un bloc fonctionnel permettant de signaler la disponibilité et/ou un module « Mes alertes » qui permettrait à un chef de corps de lancer une alerte sur un périmètre géographique donné. Il faut espérer que cette évolution du système d’information accompagne une évolution des pratiques de commandement et des relations entre employeurs et réservistes.

b.   Supprimer certaines règles obsolètes

Certains réservistes, anciens militaires d’active, ont alerté le rapporteur pour avis à propos des limites d’âge. Une extension des limites d’âge a été permise par l’article 19 de la LPM 2019-2025 mais uniquement pour les réservistes spécialistes (active + 10 ans dans la limite de 72 ans). Selon le général Lalubin, il serait effectivement possible de profiter de l’actualisation de la LPM en 2021 pour envisager un relèvement de ces limites d’âge. Mais cela comporterait le risque de porter atteinte à l’impératif de jeunesse et à la cohérence du statut militaire. Pour le DIAR, la question de l’aptitude médicale trouve aisément sa solution dans le fait que le commandement peut passer outre l’avis médical.

Le DIAR et le SSA envisagent par ailleurs d’expérimenter un passage de la durée de l’aptitude médicale de deux à quatre ans pour les réservistes, à des fins de simplification. Mais cela n’est pas sans risque : tout ce qui dissocie le traitement du réserviste du militaire d’active est à éviter, estime le DIAR.

Dans la perspective de la prochaine réforme des retraites, une réflexion sur la prise en compte des activités militaires dans le calcul des droits à retraite – aujourd’hui profondément diverse du fait de la variété des régimes – doit être envisagée. Le rapporteur pour avis note que beaucoup les anciens militaires d’active font l’objet de deux mesures d’interdiction – celle de cumuler la pension militaire et une solde de réserviste de trente jours, et celle de cumuler une aide au départ ou à la reconversion avec une solde de réserviste. Le rapporteur pour avis estime que ces interdictions méritent d’être réexaminées.

c.   Mieux associer les réservistes à l’amélioration de leurs outils de gestion

Au cours de leurs déplacements, l’attention du rapporteur pour avis et de sa collègue Sereine Mauborgne a fréquemment été appelée sur la nécessité de constituer de mieux associer les réservistes à l’amélioration des outils de gestion en constituant des groupes « test ».

Le rapporteur pour avis a par ailleurs signalé la vulnérabilité que constituait l’envoi de notes par messageries instantanées ou autres clouds, aujourd’hui, faute des fonctionnalités équivalentes proposées par les armées, relevée par beaucoup des réservistes qu’il a rencontrés.

5.   Une articulation avec le service national universel (SNU) qui reste à construire

Au même titre que l’armée de terre a joué un rôle dans la mise en œuvre de l’échelon de préfiguration du SNU (formation des formateurs et participation à l’encadrement des premiers volontaires), elle assumera celui qui lui sera confié dans la phase de montée en puissance. Dans ce cadre, elle définira la proportion de réservistes à engager dans cette mission, aux côtés et en complément de leurs camarades d’active. Les modalités sont en cours de définition par l’état-major de l’armée de terre.

Après la première période du SNU, qui doit avoir lieu en hébergement collectif, sous la responsabilité de l’Éducation nationale, les quinze jours prévus au titre de la deuxième période, effectués dans un environnement militaire, sont susceptibles de déboucher sur une volonté d’engagement à servir dans la réserve dès la dernière phase du SNU. Dans cette optique, il serait judicieux qu’une formation initiale du réserviste (FMIR) puisse compter au titre de la deuxième phase du SNU (15 jours, 84 heures de service, un an après la première phase). Les FMIR peuvent être effectuées dès 17 ans. Cela permettrait d’entretenir un lien entre le jeune et l'institution militaire et aurait un impact positif, y compris pour les recrutements dans l’active.

En tout état de cause, si chaque jeune qui s’engage dans la réserve (ou dans l’armée d’active) est réputé avoir rempli ses obligations au titre du SNU, le nombre de candidats devrait logiquement augmenter. Les infrastructures et les unités de l’armée de terre devront pouvoir absorber cet afflux nouveau.


 

   Conclusion

 

Le rapporteur pour avis, et sa collègue Sereine Mauborgne, tiennent à remercier chaleureusement les unités de l’armée de terre qui les ont à nouveau accueillis à l’occasion de leur travaux. Ils saluent notamment l’engagement des réservistes qu’ils ont rencontrés au service des armes de la France.

Cet avis, réalisé en quelques semaines à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, constitue une modeste contribution du rapporteur pour avis à une réflexion plus vaste et approfondie qu’il appelle de ses vœux, sur l’ensemble des réserves militaires.

Les réserves opérationnelles représentent un potentiel exceptionnel et une nécessité pour le bon fonctionnement des armées. Elles sont  aussi une chance pour notre pays. La République, ce sont des valeurs, des droits et des devoirs. La réserve opérationnelle démontre la soif d’engagement de nos concitoyens en même temps qu’elle traduit l’évolution de leurs aspirations et de leurs modes de vie.

Alors que le service national universel voulu par le président de la République est sur le point d’être étendu, après l’expérimentation conduite en 2019, il paraît essentiel de créer les conditions d’une rencontre entre la jeunesse et les armées par l’intermédiaire d’une réserve transformée, mieux à même de l’accueillir.

Le législateur de la loi de programmation militaire de 2018 ne pourra se désintéresser du sort des réservistes lors de l’actualisation de 2021. Les nombreuses dispositions qu’il a votées l’an dernier devront être évaluées et confrontées à la réalité. Et plus généralement, de nouvelles dispositions pourront être envisagées afin que soldats d’active comme de réserve continuent de former ensemble une armée de Terre à la hauteur des enjeux de demain !


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   Travaux de la commission

I.   Audition de M. Thierry Burkhard,
chef d’état-major de l’armée de terre

La Commission a entendu M. Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2020 ( 2272), au cours de sa réunion du mardi 2 octobre 2019.

Le compte rendu de cette audition est disponible sous le lien suivant :

http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/19-20/c1920004.asp

 

 


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II.   Examen des crédits

La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Thomas Gassilloud, les crédits relatifs à la « préparation et emploi des forces : Forces terrestres » de la mission « Défense », pour 2020, au cours de sa réunion du 23 octobre 2019.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis (préparation et emploi des forces – forces terrestres). Pour commencer, je souhaiterais m’associer à l’hommage que notre collègue Jean-Charles Larsonneur a rendu aux cinquante-cinq parachutistes du 1er régiment de chasseurs parachutistes qui trouvèrent la mort le 23 octobre 1982 à Beyrouth dans l’attentat contre l’immeuble qu’ils occupaient. Ce triste exemple nous rappelle que les forces terrestres subissent l’essentiel des pertes au combat : on dit souvent que l’armée de terre est l’armée du sang versé. Raison supplémentaire pour nous d’être attentifs à son budget.

Le budget pour 2020 est marqué par une régénération du capital opérationnel, conforme à la LPM.

Après quatre années de recrutement à marche forcée, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre à 77 000 soldats est achevée. Les ressources humaines de l’armée de terre entrent donc dans une phase de consolidation où la fidélisation devient un enjeu fondamental, à la fois pour le maintien de la masse et le développement des compétences, comme nous l’avions mis en évidence l’an dernier.

Les crédits du BOP Terre, le budget opérationnel de programme géré directement par le chef d’état-major de l’armée de terre, continuent d’augmenter. Les crédits d’entretien programmé du matériel (EPM) qui avaient significativement augmenté depuis 2015 dans le cadre du « paquet EPM régénération » diminuent légèrement mais se maintiennent à un niveau élevé, conformément à la trajectoire fixée par la LPM. Ils répondent à la poursuite du maintien en condition opérationnelle des équipements terrestres.

Les autres ressources du BOP Terre – entraînement, petits équipements de cohérence – continuent leur progression pour accompagner la remontée en compétences d’une armée de terre profondément renouvelée ces dernières années. La reconstruction du capital opérationnel, mis à mal par le surengagement opérationnel et l’effort de recrutement des quatre dernières années, pourra s’appuyer sur des crédits en hausse de 27 millions d’euros cette année, soit une augmentation de 17 % par rapport à l’an dernier.

Le PLF 2020 permettra par ailleurs la livraison de nouveaux équipements.

Citons d’abord la poursuite du programme SCORPION : 128 Griffon seront livrés et 271 nouveaux exemplaires de ces blindés seront commandés tandis que les quatre premiers Jaguar seront livrés et 42 autres commandés. À cela s’ajoute la commande de 364 Serval ; les premiers essais de ce blindé se sont déroulés ces dernières semaines sur les pistes d’expertise et d’essai de la Délégation générale de l’armement (DGA). Sept nouveaux NH90 Caïman viendront renforcer les moyens de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT). Enfin, mille véhicules légers tactiques polyvalents (VT4) seront livrés et 1 500 seront commandés pour remplacer les P4, après plusieurs dizaines années de service.

Conformément à l’engagement en faveur d’une LPM « à hauteur d’homme », le PLF 2020 prévoit également la livraison de 12 000 HK 416 F, en remplacement du FAMAS, cinquante postes de missiles de moyenne portée (MMP) et 290 minidrones, microdrones ou nanodrones.

Enfin, l’ensemble de la force opérationnelle terrestre sera prochainement équipée de la tenue de sport rénovée de l’armée de terre… Il semblerait que l’amendement qui réclamait son renouvellement l’année dernière ait porté ses fruits.

La partie thématique de notre rapport porte cette année sur la réserve de l’armée de terre.

La professionnalisation a conduit à la mise en place d’unités de réserve plus réduites mais mieux entraînées et parfaitement intégrées dans les unités d’active. En 2015 ont été fixés pour 2019 des objectifs ambitieux de remontée en puissance de la réserve opérationnelle et d’augmentation du nombre de jours d’activité. Ces objectifs seront atteints avec près de 24 000 réservistes opérationnels dans l’armée de terre sur un total de 40 000 toutes armées confondues. Il s’agit de la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1). La réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) est quant à elle composée des 18 000 anciens militaires de l’armée de terre soumis à une obligation de disponibilité pendant cinq ans.

Les réservistes opérationnels de l’armée de terre sont devenus une ressource absolument indispensable à son fonctionnement, y compris en temps de paix. L’ensemble des entretiens que nous avons menés a mis en évidence l’utilité de leur apport.

Le succès des réserves masque toutefois des fragilités importantes auxquelles nous devons être attentifs. Si le processus de réforme est d’ores et déjà amorcé par les armées en interne, bon nombre de dispositions régissant le fonctionnement des réserves sont de nature législative. Elles renvoient notamment au code du travail.

En 2018, nous avons adopté des mesures concernant la LPM dont il serait bon de faire l’évaluation. Nous avons, par exemple, appris que l’une des dispositions que nous avions votée permettant à un militaire placé en congé pour convenance personnelle pour élever un enfant de moins de huit ans de servir dans la réserve opérationnelle n’était purement et simplement pas appliquée du fait des limites des règles statutaires et des systèmes de gestion.

L’actualisation de la LPM en 2021 nous offrira une occasion unique de continuer à faire évoluer le cadre légal des réserves militaires. Les évolutions stratégiques récentes replacent en effet la réserve au cœur des enjeux de défense et de résilience de notre pays, qu’il s’agisse du retour possible d’un conflit majeur, de l’intervention sur le territoire national ou du lien armée-nation. Cet enjeu a d’ailleurs été évoqué par le Premier ministre samedi dernier dans son discours devant l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ; il a déclaré qu’il souhaitait qu’une réflexion soit engagée sur les moyens de « faciliter le recrutement des réserves et la conciliation avec la vie familiale et professionnelle ».

Notre rapport fera état des autres propositions actuellement discutées au sein des états-majors sur les outils de gestion, la protection sociale des réservistes, leur formation, leur emploi dans les forces pour les opérations intérieures ou extérieures ou encore leur fidélisation. J’en citerai deux.

La première consiste à renforcer la mobilisation d’une capacité collective à agir afin que la réserve opérationnelle puisse générer après un court préavis des unités Proterre équipées pour répondre à une crise. Cet objectif pourrait s’inscrire dans les ambitions actuelles de l’armée de terre en matière de recréation de stocks d’équipements stratégiques afin de donner à chaque régiment une capacité de réaction rapide sur le territoire national. Une amélioration de nos outils de gestion de la réserve pourrait augmenter cette réactivité. Je me souviens, pour ma part, de l’extraordinaire mobilisation des réserves de la gendarmerie lors de l’ouragan Irma : en quelques heures, 700 réservistes ont répondu à l’appel.

La deuxième proposition concerne la valorisation de la réserve au niveau national et auprès de leurs employeurs. Sereine Mauborgne nous en dira plus dans un instant sur la certification des compétences acquises. Nous pourrions nous inspirer de la journée des réserves canadienne au cours de laquelle les réservistes ont la possibilité de porter leur uniforme, notamment sur leur lieu de travail, ce qui permet de valoriser leur engagement dans la vie de tous les jours.

Enfin, il importe de réfléchir aux moyens de mieux articuler les réserves avec le service national universel (SNU) qui monte en puissance. Cette année, 2 000 jeunes l’ont effectué et l’année prochaine, il est prévu que ce chiffre monte à 30 000 – sur un objectif initial de 40 000, il est vrai. Un engagement dans la réserve constituerait une suite logique au SNU. Il pourrait exonérer de la mission d’intérêt général de quinze jours correspondant à la seconde phase du service. Cela constituerait un double avantage pour les armées, puisqu’un grand nombre de réservistes s’engagent chaque année dans l’active.

Pour toutes ces raisons, madame la présidente, je souhaiterais vous proposer avec Sereine Mauborgne de constituer une mission d’information portant sur l’ensemble des réserves militaires, avant l’actualisation de la LPM en 2021. Ce serait l’occasion pour nos collègues rapporteurs sur les crédits de la marine, de l’armée de l’air ou de la gendarmerie de mettre en lumière des problématiques spécifiques.

Je donne un avis favorable à l’adoption des crédits relatifs aux forces terrestres du PLF 2020 et vous remercie pour l’attention que vous voudrez bien porter à la question des réservistes.

M. Thibault Bazin. Vous avez annoncé la livraison attendue des nouveaux équipements du programme SCORPION. J’appelle l’attention sur les conditions dans lesquelles ceux-ci seront utilisés : c’est bien de les recevoir, mais c’est encore mieux de pouvoir les entretenir, ce qui ne relève pas forcément des mêmes budgets. Je pense en particulier aux infrastructures de maintenance.

Je citerai le cas du régiment de transmissions de Lunéville qui doit effectuer la maintenance de son matériel sur un deuxième site, à une vingtaine de kilomètres de ses quartiers. Vous imaginez les inconvénients liés à cette situation : près de soixante hommes et femmes sont mobilisés et le déplacement de certains équipements n’est pas toujours aisé. Or les crédits nécessaires au déménagement ne sont attendus que pour dans huit ans. J’appelle à une mise en cohérence des politiques publiques. La réception de nouveaux équipements ne suffit pas ; l’intendance doit suivre.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis. La question qui se pose est de savoir comment l’armée de terre accompagne la montée en puissance de SCORPION. Ce programme a été pensé depuis plus d’une dizaine d’années et les livraisons d’équipements ont été synchronisées. En 2018, nous avions consacré la partie thématique de notre rapport à ce sujet. Lors de notre visite auprès du troisième régiment d’infanterie de marine (RIMA) de Vannes, nous avions pu constater que les infrastructures nécessaires à l’accueil des véhicules SCORPION étaient programmées, notamment pour les Griffon, beaucoup plus hauts que les VAB (véhicules de l’avant blindés).

Compte tenu de la forte interdépendance de ces agendas, nous prêtons une attention particulière à la livraison des 92 Griffon en temps et en heure. Un décalage aurait des conséquences préjudiciables sur l’ensemble des plannings pensés pour rendre la coordination optimale.

Mme Sereine Mauborgne, corapporteure. SCORPION est un programme qui change fondamentalement le rapport au combat : c’est une révolution dans les technologies, les savoir-faire mais aussi les savoir-être.

Le premier régiment de chasseurs d’Afrique implanté à Canjuers est le premier à avoir reçu les nouveaux véhicules – avec quatre mois de retard certes, mais tout de même en 2019. Le service d’infrastructure de la défense (SID) a conçu les nouveaux espaces et Nexter, qui assure le MCO, est intégré sur l’emprise militaire. Pour le régiment que vous évoquez, monsieur Bazin, je ne sais pas quand seront perçus les nouveaux véhicules mais sans doute l’installation des locaux pour le MCO se fera-t-elle au même moment. L’augmentation des crédits du SID laisse entrevoir la possibilité d’une accélération des travaux, même si vous savez que, à côté des autorisations d’engagement, il a besoin de moyens humains pour gérer la totalité des crédits.

M. Laurent Furst. Le député de l’opposition que je suis voit bien que le ton employé témoigne d’un super-enthousiasme pour la LPM… À entendre certains, elle aurait tout bouleversé. Elle marque évidemment une rupture, une inversion du processus, je ne saurai le nier, mais il faut raison garder. Les crédits progressent de 4,5 % d’une année sur l’autre, autrement dit de 3 % si l’on tient compte de l’érosion monétaire : on ne peut pas dire que ce soit la révolution du siècle. Sans compte le fait que l’augmentation de 1,7 milliard l’année dernière a été en grande partie absorbée par l’intégration des OPEX.

M. Jean-Charles Larsonneur. C’est faux !

M. Jean-Jacques Bridey. Nous en sommes à la séquence des questions, et non des déclarations !

M. Thibault Bazin. Il a le droit de s’exprimer !

M. Laurent Furst. Je n’en dirai pas plus : je laisse la majorité à ses certitudes !

Mme la présidente Françoise Dumas. Des progrès considérables ont été accomplis et vos collègues vous le rappelleront s’il en est besoin. La parole est à monsieur Gouttefarde.

M. Fabien Gouttefarde. La réserve a deux composantes : les anciens militaires et les salariés. La réserve salariée augmente-t-elle au sein de l’armée de terre ? L’enjeu est d’importance pour l’approfondissement du lien armée-nation.

Par ailleurs, sauf erreur de ma part, la solde de réserviste ne donne pas droit à pension de retraite. Dans la perspective de la réforme des retraites qui promeut un système à points, des changements sont-ils envisagés ?

Mme Sereine Mauborgne, corapporteure. Monsieur Furst, il est bien loin le temps où l’on cirait les pneus des véhicules pour le défilé du 14 juillet… La ministre s’est engagée à une plus grande sincérité budgétaire dans la prise en compte des crédits dédiés aux opérations extérieures. Nous passons notre temps auprès des unités terrestres ; et sur le terrain, nous constatons les effets concrets de la LPM, notamment pour ce qui est des équipements individuels des soldats qui ont été un point clef des investissements les deux premières années. Vous ne pouvez pas laisser croire que l’augmentation budgétaire est insincère. Elle est bien réelle.

Monsieur Gouttefarde, merci d’appeler notre attention sur la retraite des réservistes. Environ 70 % d’entre eux sont « en sous-marin » dans leur entreprise, ce qui est regrettable : non seulement notre société devrait être fière d’eux, mais ils ne sont pas en mesure de valoriser leurs compétences, leurs savoir-faire, leur savoir-être auprès de leurs employeurs civils qui ignorent souvent ce qu’ils font dans la réserve opérationnelle. Par exemple, un moniteur de premiers secours ne peut pas faire valoir sa qualité dans son entreprise… Pire encore, s’il est employé dans un autre ministère que celui de la défense, il ne peut pas y être moniteur de premiers secours ! Il faut vraiment remettre en cause cette organisation en silo des compétences, qui a toujours posé problème pour la valorisation des acquis de l’expérience.

La valorisation des acquis des réservistes se limite à une équivalence au niveau licence pour le certificat d’état-major, tandis que le cours supérieur des officiers de réserve spécialistes d’état-major donne droit à une équivalence en master en organisation. L’armée de terre envisage de délivrer des attestations et des brevets et a admis qu’il conviendrait d’avancer sur ces questions. Cela contribuerait à fidéliser les réservistes, à les valoriser, à convaincre leurs employeurs de les libérer et à augmenter les capacités de résilience de la nation. Le rapport entre les réservistes et les employeurs, qui bénéficieraient de compétences nouvelles apportées par le milieu de la défense, serait davantage « win-win ».

M. Thibault Bazin. Vous voulez dire gagnant-gagnant…

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis. L’activité des réservistes est prise en compte pour le calcul des retraites mais selon des modalités très diverses. C’est un sujet qu’il faudrait prendre en compte dans le cadre de la réforme en cours.

Il importe de distinguer la RO2, composée d’anciens militaires d’active soumis à une obligation de disponibilité dans la réserve pendant cinq ans, de la RO1, composée d’anciens d’active ou de civils qui signent un engagement à servir dans la réserve, avec en moyenne 37 jours d’activité par an. Nous pourrions progresser pour mieux mobiliser la RO2 en cas de nécessité. Les retours d’expérience de l’exercice VORTEX (Vérification de l’aptitude opérationnelle de la réserve Terre – exercice) sont à cet égard plutôt mitigés.

M. Christophe Blanchet. Je ne peux qu’adhérer, monsieur le rapporteur, à votre proposition de créer une mission d’information sur la réserve et ses liens avec le service national universel. Vous avez souligné que le nombre de recrues du SNU serait sans doute revu à la baisse, mais nous savons bien que cela renvoie à des problèmes de formation des recruteurs et des encadrants, mais aussi d’accès aux lieux d’accueil, qui ne seront pas militaires : ils appartiennent à l’éducation nationale. Autant de difficultés organisationnelles qui devront être résolues d’ici à la prochaine session qui aura lieu dans huit mois.

Ma question porte sur les contrats dans les armées. Considérez-vous qu’ils sont à la hauteur des attentes et des enjeux ? Leur durée vous semble-t-elle être adaptée ?

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis. Dans l’active, il existe toute une palette de contrats en fonction des catégories et leur durée varie entre deux et huit ans pour les engagés volontaires, cœur battant de l’armée de terre. Celle-ci est soumise à une injonction contradictoire puisqu’elle doit à la fois disposer de forces de plus en plus compétentes et formées et renouveler en profondeur ses personnels afin d’être assurés qu’ils sont en pleine possession de leurs moyens physiques. Les contrats actuels me semblent répondre à ce double impératif.

Un dialogue s’instaure entre le soldat et son chef pour déterminer la progression de sa carrière professionnelle. Les chefs sont mobilisés pour fidéliser leurs troupes afin d’avoir des caporaux ou caporaux-chefs, ou des sous-officiers, adjudants et adjudants-chefs, formés à l’encadrement et dotés de compétences spécifiques. En 2015 a été engagé le processus de remontée en puissance de l’armée de terre avec beaucoup de contrats de cinq ans. En 2020, quand ils arriveront à échéance, nous aurons donc à faire face à un nouveau « surge ». Pour garantir un renforcement rapide des effectifs, il faudra que l’armée de terre veille à fidéliser tous ceux qui ont signé en 2015.

M. Jean-Charles Larsonneur. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, ce budget est un bon budget pour l’armée de terre car il contribue à sa remontée en puissance. C’est un bon budget pour les familles et pour le logement : 60 millions sont consacrés au plan Famille et à l’hébergement. C’est un bon budget à hauteur d’homme et de femme : 376 millions d’euros en crédit de paiement sont dédiés aux petits matériels, qui sont essentiels comme nous l’avons vu avec la tenue de sport – même si elle est de fabrication italienne…

Mme Natalia Pouzyreff. Cela reste l’Europe…

M. Jean-Charles Larsonneur. Le principal point de vigilance concerne le suivi des engagements de calendrier pour les programmes à base industrielle et le MCO. Quel est votre diagnostic pour les livraisons de matériel et la conduite du MCO externalisé ?

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis. Le plan de transformation de maintien en condition opérationnelle terrestre est un enjeu extrêmement important. Avec Sereine Mauborgne, nous suivons sa mise en œuvre avec attention. La ministre a fait des annonces au cours de l’année pour procéder à un rééquilibrage entre part publique et part externalisée. Ce plan commence déjà à produire ses effets : la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels s’améliore.

En outre, il me semble bon de préciser que les véhicules du programme SCORPION sont équipés de capteurs qui permettront de faire de la maintenance prédictive : avant même que le pneu éclate ou que le moteur tombe en panne, il sera possible d’anticiper et d’intervenir en fonction des conditions d’utilisation. Ajoutons que les équipements sont totalement rationalisés : aujourd’hui, quand vous partez avec un VAB, il faut emporter sept ou huit types de pneumatiques ; avec un Griffon, un seul suffira. Cela allégera considérablement la charge logistique du MCO

Mme Sereine Mauborgne, corapporteure. Pour le MCO, qu’il soit effectué en interne ou externalisé, nous rencontrons le même problème structurant : l’apprentissage et la formation initiale de nos jeunes. Il faut impérativement rendre plus sexy les métiers du monde de la défense, armées et soutien industriel confondus. Cela suppose de favoriser les Erasmus de l’apprentissage grâce aux programmes européens et à l’implantation internationale des entreprises.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez bien fait de rappeler que SCORPION est une révolution, attendue depuis plus de dix ans. Cela changera profondément les métiers et les comportements des militaires professionnels. L’état-major prévoit-il des formations spécifiques, compte tenu des connaissances fines que suppose l’utilisation d’équipements hausse pointus ?

M. Thomas Gassilloud, rapporteur pour avis. Vous avez raison : il ne suffit pas d’avoir de bons outils, encore faut-il savoir les utiliser correctement. Le passage de matériels relativement rudimentaires comme les VAB à des Griffon exige, au-delà des connaissances de base, une formation extrêmement pointue. La simulation notamment a été prise en compte nativement dans SCORPION – jusqu’alors, on prenait le véhicule existant et on y ajoutait des capteurs pour reproduire son utilisation sur le champ de bataille. Thales a mis au point un environnement très réaliste qui permet d’ores de déjà de s’entraîner au combat SCORPION. J’ajoute que les centres d’entraînement collectifs, notamment le centre d’entraînement au combat (CENTAC) de Champagne, vont bientôt l’intégrer afin d’acquérir une capacité collective afin que SCORPION produise ses meilleurs effets.

Mme Sereine Mauborgne, corapporteure. Cet univers extrêmement connecté suppose une grande attention et une grande concentration : il faut donc que les soldats fassent preuve, non seulement d’endurance physique, mais aussi d’une grande résistance à la connexion permanente, qui sollicite beaucoup le cerveau et peut être très fatigante.

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

M. Joaquim Pueyo. Madame la présidente, je tiens à vous remercier de me donner la parole maintenant. Des impératifs m’obligent à quitter notre réunion vers onze heures cinquante.

Comme nous sommes plusieurs à nous exprimer sur ce budget, je ne vais pas revenir longuement sur les grandes évolutions budgétaires des missions « Défense » et « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Je tiens à saluer l’augmentation de 1,6 milliard d’euros des crédits de la mission « Défense », ce qui place le budget à plus de 37 milliards d’euros pour l’année 2020, hors pensions. L’effort de notre pays permet de consacrer 1,86 % du produit intérieur brut aux dépenses de défense, ce qui nous rapproche de l’objectif de 2 % fixé à l’horizon 2025 par la LPM.

Plusieurs évolutions sont à saluer.

Les budgets relatifs à la défense sont spécifiques, nous le savons. Ils doivent être considérés sur le temps long. Les investissements matériels se développent sur plusieurs années. Il est donc essentiel de maintenir des budgets de recherche importants afin de concevoir les matériels du futur. Cela évitera des ruptures capacitaires qui viendraient mettre en cause l’autonomie de la France dans ses opérations. L’augmentation des crédits alloués aux études en amont est donc particulièrement pertinente.

Plusieurs livraisons de matériel attendues par nos soldats seront effectuées cette année. Citons 138 blindés dans le cadre du programme SCORPION et les hélicoptères NH90, particulièrement bienvenus car la fonction stratégique de protection pâtit des tensions sur le parc des aéronefs. La livraison des A400M Atlas et la commande du C-130 rénové viendront soulager le transport aérien.

Les évolutions positives des budgets consacrés à l’entretien programmé des matériels (EPM) et au maintien en condition opérationnelle (MCO) sont également appréciables.

Face à un engagement élevé des matériels sur des zones de combat éprouvantes, nous devons nous assurer que les personnels déployés disposent des équipements nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Notons toutefois qu’une attention particulière devra être portée à la réforme du MCO aéronautique dans les mois à venir. Beaucoup d’aéronefs sont issus de programmes menés en coopération avec d’autres États européens et comme le précisait un avis budgétaire de 2018, « l’amélioration de la disponibilité de ces équipements dépend donc d’une démarche européenne et non du seul bon vouloir de la France ».

La création de 300 équivalents temps plein pour renforcer les services de renseignement et de cyberdéfense est à souligner. C’est une augmentation indispensable compte tenu de la conjoncture géopolitique qui évolue très vite. Face à la menace grandissante dans le domaine numérique, notre pays doit se doter de tous les moyens nécessaires pour se défendre et répondre aux agressions de plus en plus fréquentes venues d’États ou d’entités proches de certains pouvoirs.

Cependant, certains points appellent notre vigilance.

Se pose tout d’abord la question des restes à payer, que j’avais déjà soulignée lors des auditions. Le volume des engagements non couverts par des paiements au 31 décembre 2018 connaît une croissance inédite : il atteint 3,8 milliards d’euros. La trajectoire prévisionnelle de maîtrise puis de réduction du report de charges prévue par la LPM est de 16 % en 2019 et de 10 % d’ici à 2025. Cela reste un objectif ambitieux qui pose question.

Il y a ensuite la fidélisation. Nous reconnaissons les efforts consentis : 40 millions lui sont consacrés ainsi qu’à l’attractivité ; 12,5 millions d’euros sont dédiés à une prime de lien au service, qui permettra d’accorder entre 5 000 et 25 000 euros à des personnels opérant dans des spécialités sous tension face au privé. Cependant, c’est bien l’ensemble des militaires qui sont affectés par les défauts de fidélisation, notamment les militaires du rang. Il est donc temps de réfléchir sérieusement à étendre ces primes ou, de manière plus ambitieuse, à réévaluer le point d’indice afin d’améliorer le pouvoir d’achat des militaires.

Autre point important, l’immobilier. Je salue l’effort de 120 millions effectué dans le cadre de l’action soutenant la politique immobilière. Il permettra la création et l’adaptation de logements. Toutefois, nous assistons à une baisse du budget fléché vers les aides au logement, notamment celles destinées à soutenir les familles dans les zones tendues comme la région parisienne.

Enfin, certains matériels font toujours défaut, ce qui entame les contrats opérationnels. Je pense notamment aux MRTT ou aux nouveaux patrouilleurs outre-mer dont les premières livraisons ne sont prévues qu’après 2022, selon le bleu budgétaire.

Concernant les anciens combattants, j’ai trois motifs d’inquiétude, mais notre rapporteur a déjà donné des éléments de réponse.

Tout d’abord, les crédits de l’action « Politique de mémoire » du programme 167 « Liens entre la nation et son armée » diminuent de 30 %. La ministre des anciens combattants m’avait donné à ce sujet une réponse dont je ne suis pas totalement satisfait. Cette baisse sera en partie compensée, nous dit-on, par des ressources prélevées sur la trésorerie de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Les documents budgétaires évoquent pour le service militaire volontaire 2,5 millions d’euros pour 1 000 stagiaires ; or le Gouvernement prévoit 1 200 stagiaires en 2019 et 1 500 pour 2020, avec un budget identique. C’est une bonne chose de développer le service militaire volontaire ; encore faudrait-il que son budget évolue suffisamment pour accueillir ces jeunes dans de bonnes conditions.

L’ONACVG se voit imposer plusieurs baisses, qu’il s’agisse des crédits qui lui sont dévolus en tant qu’opérateur de l’État, des montants affectés à la sous-action 03.34 « Action sociale en faveur du monde combattant », en diminution de 400 000 euros, ou de la ponction de 4,4 millions d’euros de trésorerie ; ce à quoi s’ajoute la suppression de trente-trois emplois. Nous nous inquiétons de cette évolution et tenons à rappeler que les actions de l’ONACVG doivent toujours être liées aux départements si nous voulons assurer un accompagnement au plus proche du terrain.

Pour répondre aux diverses préoccupations que je viens d’exprimer, nous avons déposé plusieurs amendements. Cela dit, nous abordons ce budget de manière très positive.

M. Fabien Gouttefarde. La guerre, dont Clausewitz a dit qu’elle était un véritable caméléon, connaît de nouvelles mutations : elle se réinstalle au premier plan de l’histoire mais, surtout, elle change de nature. Elle devient un état permanent, mêlant conflit et paix. Elle est hybride, à la fois intérieure et extérieure, civile et militaire, régulière et irrégulière.

Les mesures d’économie prises pour boucler la LPM précédente ont poussé sa cohérence aux limites de la rupture, d’autant que cette mise à la diète s’est opérée sans réévaluation globale de la stratégie de défense arrêtée en 2008. La nouvelle loi de programmation budgétaire, dans laquelle nous sommes engagés depuis deux ans, vise à remédier à de nombreuses fragilités capacitaires héritées de la période antérieure. Le projet de budget pour 2020 a ainsi pour objet de garantir qu’à chaque instant, la France est à la hauteur de sa mission suprême, celle de protéger les Français.

L’on dit généralement que l’encre d’une loi de programmation militaire n’est pas encore sèche que la loi de finances qui suit s’écarte déjà sensiblement des ambitions fixées. Le budget de 2020 pour la défense est un budget dont nous pouvons être fiers, car il est au rendez-vous des engagements pris. En hausse pour la troisième année consécutive, avec plus de 1,7 milliard de ressources nouvelles à périmètre constant, il s’approche un peu plus de l’objectif d’atteindre 2 % du PIB. C’est un budget encore plus sincère, puisqu’il prévoit des dépenses intégralement financées sur les crédits budgétaires et comporte 1,1 milliard d’euros de provisions pour les OPEX et les MISSINT en 2020 – contre, je vous le rappelle, 450 millions en 2017. Ainsi le financement des opérations est désormais mieux sécurisé.

Le budget des armées s’inscrit, par ailleurs, dans les territoires, au profit de ces derniers. L’État lui-même doit repenser son action sur le terrain en ayant une autre approche de sa présence dans le territoire. Le ministère des armées ne fait pas exception à cette règle et se délocalise, au plus près des Français : la cyberdéfense à Rennes, la direction des ressources humaines à Tours, le commandement de l’espace à Toulouse.

Le projet de budget profite à l’ensemble des territoires, sans exclusive : 2,5 milliards pour la Bretagne, 4 milliards pour la Nouvelle Aquitaine, près de 2 milliards pour le Grand Est. Cette lecture territoriale du budget peut également s’appliquer aux principales livraisons de matériel en 2020. Ainsi, 24 véhicules Griffon arriveront à Fréjus et deux Mirage 2000D rénovés à Nancy, tandis qu’Orléans accueillera deux A400M et Uzein, dans le Sud-Ouest, sept hélicoptères Caïman Terre.

Si le budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » est effectivement en diminution, l’ensemble des dispositifs de reconnaissance et de réparation sont maintenus. Il n’est pas aberrant qu’un budget dont les dépenses d’intervention représentent 96 % des crédits – c’est-à-dire dont 96 % des crédits correspondent à des aides économiques, des transferts financiers aux anciens combattants ou à leurs ayants droit – s’adapte à la diminution du nombre de ses bénéficiaires.

Au demeurant, la majorité actuelle a fait beaucoup pour les anciens combattants : augmentation de 100 euros de l’allocation de reconnaissance pour les Harkis en 2017, hausse de deux points de la retraite du combattant depuis le 1er septembre 2017, attribution de la carte du combattant au titre de la période 1962-1964, à propos de laquelle des membres de l’opposition nous disaient encore, il y a peu : « Il est regrettable que depuis si longtemps, les gouvernements se succèdent avec toujours la même rengaine, toujours la même ritournelle : cette mesure est toujours renvoyée aux calendes grecques ». Cette mesure, nous l’avons adoptée : 35 000 cartes seront produites fin 2019. Enfin, le monument aux morts en OPEX, qui, de l’avis de l’ensemble des groupes ici présents, aurait dû être édifié depuis de nombreuses années, sera inauguré par le Gouvernement dans quelques jours.

En conclusion, le redressement économique de la France et le rétablissement de la sécurité intérieure et extérieure sont indissociables. De fait, il n’existe pas de développement sans sécurité, non plus que de sécurité sans croissance, laquelle peut, seule, assurer l’effort financier requis pour notre défense.

C’est donc avec fierté que le groupe La République en Marche émettra un avis favorable à l’adoption des crédits de ces missions.

M. Jean-Louis Thiériot. Le groupe Les Républicains a examiné très attentivement les crédits de ces missions, en ayant à l’esprit trois idées fortes.

Premièrement, la défense nationale est liée au rayonnement et à la puissance de la France dans le monde ; elle est au cœur de la souveraineté, du domaine régalien et de l’intérêt national. Son budget doit par conséquent être examiné avec le plus grand sang-froid, la plus grande attention et sans aucun esprit partisan.

Deuxièmement, la remontée en puissance de ce budget demande nécessairement du temps. Rappelons-nous les propos du général Lecointre qui, lors d’une audition par notre commission, a déclaré que l’effort consenti était « juste nécessaire » pour disposer d’un modèle d’armée complet, de nature à relever le nouveau défi que représente l’accroissement probable de la conflictualité et des risques dans les années qui viennent.

Enfin, troisièmement, nos décisions budgétaires ont un impact direct sur la vie des femmes et des hommes de nos armées, présents sur le terrain pour défendre la France, et peuvent se payer au prix du sang.

J’en viens au projet de budget lui-même. Premier constat : son augmentation de 5 % mérite d’être saluée. Pour la première fois depuis fort longtemps, la loi de programmation militaire respecte le Livre blanc et son exécution s’inscrit dans le même esprit. De fait, nous avons tous pu constater, lors de nos déplacements auprès de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air, que nos soldats ont le sentiment que l’enjeu de la défense est à nouveau pris en compte.

Cette satisfaction mérite néanmoins d’être relativisée. Tout d’abord, compte tenu de l’inflation, le budget augmente, en fait, non pas de 5 %, mais de 3 %. Ainsi, l’ambition d’atteindre 2 % du produit intérieur brut, soit 50 milliards d’euros – ambition à laquelle nous souscrivons – ne se réalisera probablement pas dans les délais prévus, compte tenu du ralentissement de la croissance. En somme, pour nos armées, ce n’est ni Fontenoy ni Austerlitz, mais ce n’est pas non plus Sedan ou Gravelotte. Aussi notre groupe aurait-il tendance à voter ce budget.

Toutefois, le diable se cache dans les détails. J’exprimerai trois réserves à cet égard.

Premièrement, on sait que les réserves ont des conséquences très fâcheuses sur l’exécution des budgets ; elles doivent donc faire l’objet de la plus grande vigilance. Deuxièmement, nous saluons le fait qu’1,1 milliard d’euros soient inscrits dans le projet de budget pour 2020 au titre des OPEX, mais il reste 400 millions à trouver pour 2018 et 2019. Or, ils risquent fort d’être imputés sur le programme 146, consacré à l’équipement des forces. Troisièmement, le financement du Service national universel (SNU) demeure obscur. Ainsi, nous ne comprenons pas l’augmentation de 9 millions du budget des personnels chargés de la Journée défense et citoyenneté (JDC), puisque 30 000 jeunes de moins suivront cette journée. C’est pourquoi nous aurions souhaité, comme l’a demandé le président de la commission de la défense du Sénat, qu’une ligne spécifique soit consacrée au budget du SNU.

Ces éléments conduisent notre groupe à opter, à ce stade, en commission, pour une abstention positive, ce qui ne préjuge en rien de son vote en séance publique. Nous nous concerterons à ce sujet, mais je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’un certain nombre d’entre nous voteront ce budget, et que je serai l’un d’entre eux.

Mme Josy Poueyto. Je veux tout d’abord remercier l’ensemble des rapporteurs pour l’éclairage que nous ont apporté ces premiers éléments du contrôle parlementaire de l’exercice budgétaire.

Pour le groupe MODEM et apparentés, les documents budgétaires qui nous sont soumis se caractérisent par leur sincérité et leur cohérence avec nos travaux sur la LPM. À cet égard, je tiens à souligner les mesures qui, conformément à l’esprit de cette loi de redressement conçue à hauteur d’homme, témoignent de l’attention portée aux conditions de vie de nos forces et de l’importance accordée à l’investissement, que nous pouvons unanimement saluer après des années de restrictions.

La trajectoire de livraison des matériels suit son cours nominal tout en intégrant de nouveaux projets fondamentaux pour notre avenir, notamment dans le secteur spatial. Cohérent, programmé, le budget n’en est pas moins capable de s’adapter en fonction du contexte stratégique. On observe un maintien, à hauteur d’1,450 milliard, des efforts de soutien à l’innovation et à la commande publique, alors que nous savons la pression toujours plus grande qui s’exerce sur certains ministères. Rappelons cependant qu’au-delà du rôle inestimable de notre défense pour la nation, un euro investi dans la défense, c’est 2 euros dans le PIB à l’horizon de dix ans.

Nous saluons, par ailleurs, un budget sincère qui, avec une augmentation d’1,7 milliard à périmètre constant, suit la trajectoire de la LPM, y compris en ce qui concerne les OPEX, qui n’a jamais fait l’objet d’un tel effort de « sincérisation ».

Mais ce qui nous donne une plus grande confiance encore dans ce budget, c’est la capacité de nos ministres à allier ambition budgétaire et annonces concrètes. Nous saluons ainsi la possibilité, annoncée il y a quelques jours, pour les militaires de disposer de chambrées de quatre avec salle d’eau à leur niveau au lieu de chambrées de huit actuellement. Cet élément concret, parmi tant d’autres, témoigne de la solide ambition de la politique immobilière du ministère – que nos collègues Fabien Lainé et Laurent Furst évaluent en ce moment – au service des problématiques du quotidien de nos forces.

Saluons également la mise en œuvre du plan de rénovation énergétique, de dépollution et de déploiement des Énergies renouvelables (ENR) sur nos emprises. Ces investissements sont une source d’économies et de financements innovants et maintiennent notre pays dans le concert des nations responsables.

Sincérité et innovation sont des objectifs que nous soutiendrons toujours.

S’agissant de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », nous souhaitions souligner à nouveau la qualité de l’exécution du budget, notamment le succès des commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Malgré la fin progressive de cette séquence, le budget présenté maintient un effort conséquent en vue des importantes commémorations qui auront lieu l’année prochaine, ce dont nous nous félicitons.

Le maintien du financement des dispositifs en faveur du monde combattant, notamment la carte du combattant 62-64 et la revalorisation de la pension militaire d’invalidité (PMI) des conjoints survivants de grands invalides, issues d’un travail de concertation sans précédent avec les associations, témoigne, là encore, de la détermination à maintenir un objectif commun de reconnaissance à l’égard du monde combattant pour toutes les générations du feu.

Notre groupe souscrit ainsi aux positions de notre collègue Philippe Michel-Kleisbauer, qui fait de la reconnaissance, du ciblage budgétaire et de la co-construction les maîtres mots de la confiance acquise dans ce domaine en 2018, en 2019 et maintenant en 2020.

En ce qui concerne la mission « Sécurités », nous ne souhaitons pas commenter outre mesure sur le fond ce budget cohérent, caution faite de la question de mon collègue Cubertafon sur les réserves. Je me permettrai cependant de proposer, avec mes collègues du groupe MODEM et apparentés, que nous renforcions notre intérêt pour le continuum sécurité-défense, compte tenu des risques auxquels nous devons faire face.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous émettrons un avis favorable aux projets de budgets examinés par notre commission.

Selon Napoléon, « la guerre est un art simple mais tout d’exécution ». Nous voterons donc sans réserves ce budget cohérent, sincère et innovant, mais comptez sur notre groupe pour rester vigilants quant à son exécution, en particulier sur les sujets qui nous tiennent à cœur : condition des personnels, soutien au renouveau de la réserve opérationnelle, cohérence du lien entre innovation et rationalité budgétaire, et ce, jusqu’à la prise en compte effective d’un continuum stratégique entre l’économie, l’information, la culture, la sécurité et la défense.

M. Joachim Son-Forget. Puisque nous examinons le projet de budget correspondant à la deuxième année de mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2019-2025, votée en mars 2018, je tiens, tout d’abord, à saluer, en mon nom et au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, le Gouvernement qui, par ce budget, respecte les engagements qu’il a pris dans ce texte.

Nos armées, après avoir connu des décennies de lacunes budgétaires, d’abandons capacitaires et de réductions de leurs moyens humains, se réhabituent progressivement au fait que des déclarations politiques fortes peuvent être suivies d’actes concrets. Avec une augmentation des crédits de la mission « Défense » de 1,7 milliard par rapport à l’année 2019 et un budget qui atteint 37,5 milliards en 2020, la France progresse à un bon rythme vers son objectif de consacrer, comme elle s’y est engagée, 2 % du PIB aux dépenses de défense à l’horizon 2025. Cette augmentation de crédits mérite d’autant plus d’être saluée qu’elle s’inscrit, rappelons-le, dans un contexte budgétaire qui nous oblige à contenir les dépenses publiques.

Ainsi notre pays est en bonne voie pour disposer, à l’horizon 2030, d’un modèle d’armée équilibré, complet et efficient, permettant de répondre aux défis et aux menaces qui lui font face, comme le terrorisme, les crises migratoires, les démonstrations de force de grandes puissances militaires, la prolifération des armements ou encore les bouleversements climatiques. Gardons toutefois à l’esprit qu’un tel modèle d’armée ne sera jamais le gage d’une sécurité absolue. Il suffit pour s’en convaincre d’observer nos alliés Américains. Ceux-ci disposent depuis un certain temps maintenant de l’armée la plus complète et la plus équilibrée du monde. Pourtant, la diversité et l’intensité des menaces, tant intérieures qu’extérieures, auxquelles ils sont confrontés ne se sont jamais évanouies.

Même si toutes les qualités de ce budget ont été largement soulignées par les rapporteurs pour avis et les différents orateurs, je souhaite revenir sur certaines d’entre elles.

Premièrement, notre groupe salue la poursuite du déploiement du plan « Famille », qui contribue à l’amélioration des conditions de vie de nos soldats et de leur famille, de même que l’amélioration de leurs conditions d’hébergement et d’équipement. Face à la rude concurrence du secteur privé, nos armées doivent, plus que jamais, être capables d’attirer les talents de notre pays et de les conserver. Dans ces conditions, nous approuvons pleinement la création d’une enveloppe de 40 millions d’euros destinée à la fidélisation du personnel et à la préservation de l’attractivité des carrières. Par ailleurs, la création de 300 emplois nets contribuera au renforcement de nos armées dans des domaines aussi stratégiques et prioritaires que le renseignement et la cyberdéfense.

Au plan capacitaire, la livraison de nombreux équipements, tels que le premier sous-marin de classe Barracuda, les 128 véhicules Griffon, les quatre blindés Jaguar ou le ravitailleur MRTT Phénix supplémentaire, ainsi que les différentes commandes prévues par la programmation 2020 sont des signes visibles et concrets de la remontée en puissance de nos armées.

Alors que de nombreuses puissances militaires, reléguées hier au rang de puissances de seconde zone, luttent avec acharnement pour rattraper leur retard, nos armées se doivent de garder « un coup d’avance » pour faire, le cas échéant, la différence sur les théâtres d’opérations. Dans un secteur de plus en plus compétitif, innover demeure une question de survie. L’augmentation de 8,3 % des crédits alloués à l’innovation témoigne du fait que le Gouvernement semble avoir pris la mesure de l’urgence en la matière.

Concernant le financement des OPEX et des Missions intérieures, notre groupe ne peut que saluer l’effort de « sincérisation » et le respect des engagements pris dans le cadre de la LPM. Avec une réserve de 1,1 milliard, contre 850 millions en 2019 et 450 millions lors du précédent quinquennat, le financement des engagements de la France sera sécurisé et facilité.

Pour ce qui est de la mission « Anciens combattants », certains des députés de notre groupe estiment qu’un signal fort aurait pu être envoyé à nos vétérans en prolongeant, en 2020, le budget 2019. Toutefois, nous saluons les différentes mesures de justice et de bon sens que comportent les programmes de la mission, qu’il s’agisse du maintien des droits acquis à reconnaissance et réparation, de la revalorisation de la PMI pour les conjoints de grands invalides et de celle de l’indemnité de transport pour les jeunes convoqués à la JDC ou de la mise en œuvre d’actions pédagogiques de sensibilisation contre la haine et les préjugés à destination des plus jeunes.

Pour toutes ces raisons, ce projet de budget aura le plein soutien du groupe UDI, Agir et Indépendants.

M. Yannick Favennec Becot. Il faut reconnaître, et le groupe Libertés et territoires le reconnaît, que le projet de budget de la défense pour 2020 traduit fidèlement les orientations que nous avons votées dans la LPM 2019-2025. Le panorama des menaces établi tant par la revue stratégique que par la LPM est aujourd’hui marqué par une augmentation significative des crises et de l’instabilité internationale. Nous devons donc répondre à ces enjeux et assurer notre autonomie stratégique.

Ainsi une augmentation très significative des moyens était nécessaire. Cet effort budgétaire annuel de 1,7 milliard est important ; il le sera plus encore entre 2023 et 2025. Il doit permettre d’amorcer une remontée en puissance de nos armées ; c’est la fonction que nous lui avons attribuée. Cette hausse témoigne de l’engagement de la France de renforcer les moyens de nos armées, dans un contexte international instable et dangereux.

Je tiens à vous faire part de la satisfaction qu’inspire au groupe Libertés et territoires l’effort consenti en faveur de l’amélioration de l’hébergement des personnels militaires via le plan « Famille », dédié à l’amélioration des conditions de vie des familles et bien sûr des militaires eux-mêmes.

L’effort réalisé en faveur de l’équipement des forces est également particulièrement attendu. En augmentation de 1,3 milliard, il se concrétisera, en 2020, par la livraison du sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération Suffren, par le déploiement du programme SCORPION (Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), la livraison du Griffon ou d’un avion ravitailleur MRTT supplémentaire. Permettez-moi néanmoins de m’interroger, comme chaque année, sur l’externalisation en OPEX et les affrètements, comme l’ont d’ailleurs révélé la Cour des comptes ainsi que plusieurs rapports parlementaires, notamment celui de notre collègue François Cornut-Gentille. Les contrats pluriannuels d’entretien, innovation de cet exercice, devront faire l’objet d’un suivi attentif, compte tenu des montants engagés.

Par ailleurs, 2019 a été marquée par la création d’un grand commandement de l’espace, qui montera progressivement en puissance au cours de la programmation, avec une équipe de 220 personnes. Notre groupe souhaite partager ses doutes quant aux moyens alloués à un tel programme. En effet, alors que les États-Unis souhaitent investir annuellement 8 milliards de dollars, la LPM française prévoit un budget de 3,6 milliards d’euros pour toute la durée de la programmation. Ces moyens semblent insuffisants face aux défis qui nous attendent.

La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » joue, bien entendu, un rôle essentiel, en ce qu’elle incarne l’hommage que la nation rend à nos armées pour l’engagement et le sacrifice de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Ce budget est en baisse par rapport à l’année dernière en raison de la décroissance naturelle du nombre de bénéficiaires. Néanmoins, certaines dispositions permettent, dans certains cas, l’augmentation des droits ou l’extension du champ des bénéficiaires. Ainsi, dans la loi de finances initiale pour 2019, les conditions d’attribution de la carte du combattant aux forces françaises présentes en Algérie ont été étendues aux soldats présents entre le 2 juillet 1962 et le 1er janvier 1964 ; nous nous en réjouissons, bien sûr. La montée en charge de cette mesure se poursuit, pour un coût budgétaire annuel estimé à 30 millions d’euros.

En outre, fin 2018, le gouvernement a présenté un plan Harkis prévoyant une revalorisation des dispositifs de reconnaissance et de réparation pour les anciens supplétifs et leurs ayants droit, des initiatives mémorielles et une aide personnalisée au retour à l’emploi. Cette mesure nous paraît juste et légitime, car très attendue ; il faut donc la saluer.

Parmi les revendications des anciens combattants, que j’ai l’occasion de rencontrer régulièrement dans mon département de la Mayenne, figure la revalorisation des prestations, le plus souvent calquée sur celle du point d’indice de la fonction publique. Une mesure nouvelle est prévue en 2020 afin de tenir compte, dans le calcul de la pension de réversion, des soins apportés par les conjoints survivants de grands invalides de guerre pendant une longue période. Je tiens à saluer, au nom de mon groupe, cette nouvelle mesure qui conduit à augmenter le montant de la pension perçue par les conjoints survivants de grands invalides ayant prodigué des soins constants pendant au moins quinze ans.

J’exprimerai cependant quelques regrets. Je pense notamment, je l’ai indiqué tout à l’heure, au fait qu’aucune mesure de réparation ne soit prévue pour les pupilles de la nation et les orphelins de guerre. Le rapporteur m’a apporté une réponse, que je comprends. J’espère néanmoins que ce dossier sera rouvert avant la fin du quinquennat. Autre regret : la non-revalorisation du point de retraite de nos anciens combattants, dont la progression est à nouveau bloquée alors qu’il s’agit d’une légitime reconnaissance de la nation.

Cela étant dit, au nom de l’intérêt de nos armées et des difficiles missions que nous leur demandons d’accomplir pour la défense de notre pays et pour notre sécurité et notre liberté, le groupe Libertés et territoires, qui restera vigilant sur les points que j’ai indiqués, votera ce projet de budget.

*

*      *

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense »

Article 38 et ÉTAT B

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».

Avant l’article 47.

La commission examine l’amendement II-DN2 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet. Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les conséquences économiques et sociales de la loi de programmation militaire 2019-2025. L’investissement dans la défense est régulièrement cité en exemple puisqu’il s’agirait d’euros investis utilement dans des emplois non délocalisables et au bénéfice d’industries d’excellence. Après avoir progressé de 1,8 milliard en 2018 et de 1,7 milliard en 2019, le budget de la défense doit continuer d’augmenter, suivant la trajectoire prévue par la LPM.

Si le budget de la défense n’est pas soumis cette année à l’effort général, il convient d’anticiper plutôt que de réagir au dernier moment. Il est temps de monter des barricades, chers collègues, et de faire savoir que les investissements réalisés par le ministère et les armées ont des conséquences économiques et sociales dans les territoires, notamment sur l’emploi. Conformons-nous au précepte de Sun Tzu, dans L’Art de la guerre, « Généralement celui qui occupe le terrain le premier et attend l’ennemi est en position de force, celui qui arrive sur les lieux plus tard et se précipite au combat est déjà affaibli ». Il ne s’agit pas de considérer les autres commissions comme des armées ennemies, mais d’anticiper, plutôt que de subir !

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Nous n’avons pas attendu pour souligner l’importance des investissements de défense dans nos territoires, et ce qu’ils apportent au tissu économique et social. Beaucoup d’études ont été réalisées sur le sujet, notamment par l’Observatoire économique de la défense (OED) et par la chaire « économie de défense » de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Notre commission joue aussi son rôle et éclaire nos concitoyens sur la question.

Il convient toutefois de rappeler que lorsque l’on investit dans les armements de défense, ce n’est pas simplement pour faire jouer le multiplicateur keynésien, mais pour répondre aux besoins de nos forces. Ce peut être un « achat sur étagère » de drones reaper, par exemple, mais cela peut aussi prendre la forme de coopérations européennes pour penser les équipements de demain. Il ne faut pas toujours penser local. Je vous invite à retirer cet amendement.

M. Didier Baichère, rapporteur pour avis. En présentant le programme 144 ce matin, nous avons souligné que la direction des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) souhaitait consacrer une part de ses crédits en augmentation au développement de l’économie de la défense. Cela signifie que des universitaires pourront continuer à travailler dans ce domaine et fournir ainsi les éléments que vous demandez par le biais de ce rapport.

M. Fabien Gouttefarde. En effet, il est très important de parler de l’impact économique de la LPM et du budget pour 2020 sur les territoires. J’aurais souhaité que cette évaluation se fasse dans le cadre du chapitre II du titre Ier de la LPM, qui comporte les dispositions relatives au contrôle parlementaire et prévoit une clause de revoyure en 2021.

Mme la présidente Françoise Dumas. Je comprends vos préoccupations, que nous sommes nombreux à partager. La commission pourrait travailler sur cette question avant la clause de revoyure, en procédant à des auditions ou en lançant une mission flash.

M. Christophe Blanchet. Notre objectif est le même, réussir. Nous voulons que les crédits soient maintenus au même niveau et expliquer à nos compatriotes l’intérêt économique et social de ce budget, au-delà de sa dimension géopolitique et militaire. La journée défense et citoyenneté (JDC), par exemple, permet de repérer et de récupérer certains des 90 000 décrocheurs annuels, dont le coût pour la société est estimé à 220 000 euros, et de réaliser ainsi des économies.

Je souhaite vous soumettre une autre proposition. Il existe depuis 1999 à l’Assemblée nationale une mission d’évaluation et de contrôle (MEC), dont l’objet est de veiller à l’efficience de la dépense publique. Cette mission, coprésidée par un député de la majorité et un député de l’opposition, est composée de seize membres. Vous pourriez, Madame la présidente, demander à la commission des finances de charger la MEC d’évaluer la vertu économique de l’utilisation des crédits de la défense. Cela nous permettrait d’anticiper la clause de revoyure, servirait l’intérêt général et renforcerait la transparence que nous devons à nos concitoyens.

Mme la présidente Françoise Dumas. J’ai entendu votre proposition et me propose d’en examiner les modalités. Retirez-vous cet amendement ?

M. Christophe Blanchet. Il faut aller au bout de ses convictions et j’ai pour habitude de toujours défendre mes amendements.

La commission rejette l’amendement.

Après l’article 75.

La commission examine l’amendement II-DN4 de Mme Lise Magnier.

Mme Lise Magnier. La LPM précédente a entraîné d’importantes opérations de restructuration des sites de défense, avec la dissolution d’un certain nombre de régiments et la réorganisation des armées, laissant certains territoires en très grande difficulté. Dans ma circonscription, celle de Châlons-en-Champagne, 1 200 emplois militaires ont été supprimés en l’espace d’un an et 130 hectares de friches ont été libérés.

La loi de finances pour 2015 a prévu un dispositif qui permet à l’État de céder jusqu’en 2021 ces friches à l’euro symbolique, dans les territoires particulièrement touchés par ces opérations de restructuration. L’objet de cet amendement est de reporter la fin du dispositif à 2024. En effet, de nombreux sites n’ont pas encore été repris car trouver des porteurs de projets demande du temps.

Je précise que ce report, qui permettrait de laisser mûrir les projets de reconquête, représenterait une économie pour l’État et non une dépense supplémentaire. En effet, si l’État se voyait obligé de céder ses friches au prix des domaines, il ne trouverait pas de repreneur et serait contraint d’assumer les frais de gardiennage et de sécurisation des sites.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. Cet amendement répond aux attentes des territoires concernés. Toutefois, sa rédaction n’est pas satisfaisante dans la mesure où il fait référence, en son I, à un alinéa 1, alors qu’il porte lui-même un article additionnel. Je vous propose de le retirer et de le présenter en séance sous une nouvelle rédaction.

M. Christophe Lejeune. Sur le territoire de la commune dont j’étais maire se trouve une enclave militaire, abandonnée par la base aérienne de Luxeuil-Saint-Sauveur. Nous aimerions reprendre cette friche mais cette volonté est contrariée par les prix et la mission pour les réalisations des actifs immobiliers (MRAI). Cet amendement nous ôterait une épine du pied.

M. Philippe Chalumeau. Quand on connaît le temps que prennent les procédures, qui font entrer en jeu notamment les architectes des bâtiments de France, et le montage des dossiers de financement, on ne peut que souhaiter que ce dispositif soit prolongé. Je voterai pour cet amendement.

M. Fabien Gouttefarde. Après avoir entendu nos collègues et à titre personnel, je voterai pour cet amendement.

Mme Josy Poueyto. Je voterai moi aussi pour cet amendement.

Mme Lise Magnier. Je vous remercie pour votre soutien. Effectivement, cet amendement comporte une erreur de forme ; nous avons beaucoup travaillé avec le cabinet de la ministre des armées sur son placement, en oubliant de supprimer la première phrase. Je vous suggère de le sous-amender, à défaut de quoi je le maintiendrai. Je souhaiterais en effet que votre commission prenne une position sur cet amendement, que je défendrai ce soir devant la commission des finances.

Mme la présidente Françoise Dumas. Cet amendement, sur le fond, fait l’unanimité. Je propose que, forte de notre soutien moral, vous le redéposiez en séance sous une autre forme ou que nous le sous-amendions ici même.

M. Joachim Son-Forget. Il est important de marquer le coup dans la mesure où nous avons trouvé un consensus. Pour une fois que notre commission n’est pas soumise au secret, il serait bon d’aller jusqu’au bout de notre démarche !

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. Je propose donc un sous-amendement visant à supprimer le premier alinéa.

La commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement sous-amendé.

Puis la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense».


   Annexe I :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis et déplacements

(Par ordre chronologique)

 

1. Auditions

  État-major de l’armée de terre

 M. le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre ;

 M. le général Patrick Bréthous, sous-chef d’état-major opérations aéroterrestres de l’armée de terre (SCOAT) ;

– M. le général Stephen Coural, commandant des opérations sur le territoire national (COM-TN) ;

 Mme la générale Dominique Vitte, déléguée aux réserves de l’armée de terre (DRAT) ;

  Délégation de réservistes du 6e régiment du génie : M. le chef de bataillon (R) Éric Bougro, M. le capitaine (R) Cyril Dubreil, M. le capitaine (R) Dominique Nitka, Mme la lieutenante (R) Vinciane Ledain, Mme la sergente (R) Frédérique Dijoux, M. le sergent (R) Mathieu Baranger ;

  Association nationale des réserves de l’armée de terre (ANRAT) – M. le colonel (R) Jean-Franck Bertin, président, M. le colonel (R) Bernard Bon et M. le colonel (R) Donation Lebastard ;

  Conseil supérieur de la réserve militaire  Mme la générale Anne Fougerat, secrétaire générale de la garde nationale et du conseil supérieur de la réserve militaire ;

  État-major des armées – M. le général Walter Lalubin, délégué interarmées aux réserves (DIAR) ;

  Groupe Airbus – M. Philippe Coq, secrétaire général permanent pour les affaires publiques.

2. Déplacements

  14 et 15 juillet – Strasbourg – 54e régiment de transmissions ;

  26 septembre – Varces – 7e bataillon de chasseurs alpins ;

  3 octobre – Strasbourg – commandement du renseignement (COM-RENS) ;

  10 octobre – Vincennes – 24e régiment d’infanterie ;

  14 octobre – Lyon – Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) ;

  16 octobre – Le Cannet des Maures – École de l'aviation légère de l'armée de terre (EALAT).

 


   Annexe II : Historique de l'organisation de la réserve opérationnelle des armées

Période

Organisation

Commentaires

Modèle

Objectifs

La Révolution :

un besoin croissant d'hommes pour protéger les frontières et mener les guerres extérieures

1791

Enrôlement libre...

Destiné à renforcer les 150 000 hommes de l'Armée Royale.

La Garde nationale, institution à statut civil, avait été créée par La Fayette en 1790.

... puis combinaison du tirage au sort et des réquisitions.

Pour pallier l'insuffisance de volontaires.

1798

Loi Jourdan

Instaure la conscription pour la première fois avec un service militaire obligatoire de 5 ans.

L'objectif est d'assurer à l'armée un recrutement stable. La conscription permet de lever des armées suffisamment nombreuses pour faire face aux menaces d'invasion et mener les guerres du Premier Empire.

La France est alors le pays le plus peuplé d'Europe et militairement le plus puissant.

Le principe de conscription est assorti de nombreuses exemptions et dispenses.

1799-1804

Consulat

Les conscrits sont classés par tirage au sort d'un numéro.

Naissance d'un premier corps de réservistes, puis d'une nouvelle Garde nationale.

La Garde nationale, forte de centaines de milliers de volontaires est destinée à assurer principalement la sécurité interne. Napoléon ne fera appel qu'à elle dans ses campagnes, et non aux réservistes.

Les numéros inférieurs au contingent autorisé par la loi mais supérieurs au contingent effectivement levé font partie de la réserve et peuvent être rappelés en cas de nécessité.

De la Restauration au Second Empire :

une réserve en désuétude dans une période sans conflits majeurs

1818

Loi Gouvion Saint-Cyr

Mise en place d'une procédure d'appel.

Vise à compenser en cas de besoin des armées l'insuffisance des engagements volontaires.

Ce recrutement complémentaire procédait de la convocation annuelle de 40 000 hommes désignés par le sort parmi les jeunes gens de 20 ans. Après leur libération – au terme d'un service de 6 ans – soldats et sous-officiers sont versés, pendant 5 ans, dans une réserve instruite, la « vétérance ».

1832

Loi Soult

Recrutement sur l'appel (tirage au sort et possibilité de remplacement).

Inverse les principes prévus par la loi de 1818.

Au terme d'un service de sept ans, les soldats demeurent tenus à des revues et exercices périodiques.

1868

Loi Niel

Affirme le principe de l'obligation militaire soit dans l'armée active, soit dans une « Garde nationale mobile ». Le tirage au sort et le remplacement sont conservés.

La Garde nationale mobile était destinée à renforcer l'armée en tant de guerre. La loi Niel vise à instaurer un système de réserve inspiré de l'exemple prussien.

L'instruction de la Garde nationale mobile, destinée à renforcer l'armée active est négligée et les troupes de réserve, peu formées, mal organisées et médiocrement commandées sont incapables de résister à l'invasion allemande et de défendre Paris.

 

Période

Organisation

Commentaires

Modèle

Objectifs

La Troisième République : après le traumatisme de la bataille de Sedan, une prise de conscience de l'importance de la réserve opérationnelle et la mise en place d'un système pérenne

1872

Loi du 27 juillet

Rétablit le principe de l'universalité assorti de nombreuses exemptions. « Tout Français (...) peut être appelé, depuis l'âge de 20 ans jusqu'à celui de 40 ans, à faire partie de l'armée active et des réserves. »

Les réserves ont pour objectif principal la défense de la Nation contre les invasions étrangères.

Cette loi met en place les principes de la réserve militaire valides jusqu'en 1999. À l'origine, les obligations militaires des citoyens sont ainsi fixées : un service national dans l'armée active qui dure 5 ans ; puis 4 ans dans la réserve de l'armée active, 5 ans dans l'armée territoriale et 6 ans dans la réserve de l'armée territoriale.

L'armée mobilise alors toutes les ressources physiques du pays pour assurer la garde aux frontières ou former des unités de seconde ligne. La prééminence démographique de la France disparaît, et le poids du nombre devient alors primordial.

1889

Loi du 15 juillet

Porte à 25 années la durée des obligations militaires.

Permet plus de flexibilité et de répondre aux besoins particuliers des armées.

Cette loi impose aux membres de la réserve de l'armée active de participer à deux manœuvres de 4 semaines chacune et aux membres de l'armée territoriale à une période d'exercice de 2 semaines.

1905

Loi du 21 mars

Exclut toute dispense, au nom du principe de l'égalité, à l'obligation du service militaire actif dont la durée est ramenée à 2 ans.

 

1913

Loi du 7 août

Rétablit le service militaire à 3 ans. La durée totale des obligations militaires est portée à 28 ans.

Cette loi reconnaît aux officiers de réserve la possibilité de participer à des périodes annuelles de 15 jours en contrepartie de la perception d'une solde.

1914

Mobilisation

L'armée active est complétée par l'armée de réserve (hommes de 24 à 33 ans - durée de 11 ans), par l'armée territoriale (hommes de 34 à 39 ans, durée de 7 ans), par la réserve de l'armée territoriale (hommes de 40 à 45 ans, durée de 7 ans).

Il s'agit de faire face aux besoins de la Première Guerre mondiale.

8,4 millions d'hommes âgés de 18 à 45 ans sont mobilisés de 1914 à 1918, soit 20 % de la population.

 

1923

Loi du 1er avril

Durée du service actif réduite à 18 mois.

 

Légère modification du système des réserves : l'appellation de « réserve de l'armée active » est remplacée par celle de « disponibilité ». L'armée territoriale est remplacée par une 1ère réserve pour les réservistes âgés de moins de 40 ans et une 2e réserve pour les autres.

1928

Loi du 31 mars

Les réservistes peuvent participer à la défense en dehors des périodes auxquelles ils sont astreints.

Les hommes de la 2e réserve sont affectés à des corps spéciaux.

 

Réduction à 16 mois de la durée du service national. Maintien de la disponibilité à trois ans.

1936

Loi du 17 mars

Ces lois ne modifient pas fondamentalement le système des réserves.

Entre septembre 1939 et juin 1940, 4,9 millions d'hommes sont mobilisés dans la guerre contre l'Allemagne. Entre 1954 et 1962, 1,18 million d'hommes sont mobilisés en Algérie.

1950

Loi du 30 novembre

1963

Loi du 15 octobre

1971

Loi du 10 juin

Réduction du service national à 12 mois. Durée de disponibilité portée à 4 ans au lieu de trois. Regroupement des 1ère et 2e réserves.

Cette loi s'applique jusqu'au 31 décembre 2002, date de la suspension du service national.

1993

 

Plan « Réserves 2000 » et loi du 4 janvier

Mise en place d'une réserve moins nombreuse et sélectionnée, permettant aux anciens militaires appelés, volontaires ou engagés de signer un engagement spécial pour servir dans la réserve (ESR).Trois catégories de réservistes sont définis : disponibles, volontaires, spécialistes.

Nécessité d'alléger le système des réserves.

Concentration de la gestion et de l'administration sur les seules réserves « utiles » ; fidélisation des réservistes motivés et compétents grâce à la création d'un cadre contractuel destiné à ajuster la ressource aux besoins.

Source : Étienne Daum et Olivia Cahuzac-Soave, « La réserve opérationnelle en France : opportunités et défis d'une réforme attendue », Note stratégique CEIS, 215 in M. Jean-Marie Bockel et Mme Gisèle Jourda, Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la garde nationale, Sénat, session ordinaire de 2015-2016, n° 793, 13 juillet 2016.

 


   Annexe III : Périmètre de la Garde nationale créée en 2015

Source : revue annuelle de la condition militaire 2018, HCECM.


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   Annexe IV : Activités des réservistes opérationnels de l’armée de terre

 


   Annexe V : Fonctionnalités du système d’information « Réservistes opérationnels connectés » (ROC)

Source : réponses du ministère des Armées au questionnaire du rapporteur, octobre 2019.


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([1]) Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. 

([2]) La liste des formations spécialisées et les durées des « liens au service » associées est fixée par l’arrêté  du 6 août 2018 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée.

([3]) Jules Michelet, Les soldats de la révolution, 1878 (posthume).  

([4]) Allocution d’Édouard Philippe devant les sessions nationales de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), le vendredi 18 octobre 2019, à l’École militaire.

([5])  Articles 16 à 22 de la loi n° 2018‑607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([6])  Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, La mort, la blessure la maladie, 13e rapport thématique, juillet 2019, page 120.

([7]) Contribution écrite de l’Union nationale des officiers de réserve adressée au rapporteur le 18 octobre 2019.

([8]) Décret n° 2017-328 du 14 mars 2017 portant création d’une prime de fidélité et d’autres mesures d’encouragement au profit des réservistes de la Garde nationale.

([9]) Décret n° 2017-606 du 21 avril 2017relatif aux conditions d’exercice des activités privées de sécurité.

([10]) Articles L. 611-9, L. 611-11 et D. 611-7 à D. 611-9 du code de l’éducation.

([11]) Décret n° 2019-688 du 1er juillet 2019 relatif à la médaille des réservistes volontaires de défense et de sécurité intérieure.