N° 2306

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2272)
de finances pour 2020

TOME IV

JUSTICE

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

 

PAR M. Bruno QUESTEL

Député

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 Voir les numéros : 2301 – III – 29


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En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2019 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, 74 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur pour avis.

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2020 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

I. LES CRÉDITS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

A. un effort significatif en direction des personnels

1. La création de 1 000 emplois

2. La poursuite de la politique d’amélioration catégorielle

B. des moyens importants consacrÉs au parc pÉnitentiaire

1. La construction de nouveaux établissements et la maintenance du parc existant

2. D’importants moyens alloués à la sécurité des établissements

C. Le soutien de la politique d’accompagnement des personnes placÉes sous main de justice

1. La politique de réinsertion en détention

2. Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

II. LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

A. des emplois supplÉmentaires pour anticiper la rÉforme de la justice pÉnale des mineurs

1. La création de 70 emplois

2. La réforme à venir de la justice pénale des mineurs

B. des moyens supplÉmentaires au service de la continuitÉ de la prise en charge Éducative

1. La poursuite de la restructuration du parc immobilier

2. Des dépenses d’intervention au soutien de la diversification des modes de prise en charge

SECONDE PARTIE : LA SANTÉ DES PERSONNES DÉTENUES

I. Une prise en charge sanitaire qui s’est améliorÉe

A. une offre de soins spÉcialisÉe

1. Une spécialisation en trois niveaux de l’offre de soins

2. Une structuration jugée globalement pertinente

B. un accÈs aux soins facilitÉ

1. La protection sociale des détenus

2. Un accès aux soins largement gratuit

C. un financement simplifiÉ de la prise en charge

1. Des circuits de financement auparavant complexes et opaques…

2. … désormais en grande partie simplifiés et clarifiés

II. … mais qui demeure incomplète et en partie inadaptÉe

A. une offre de soins À parfaire

1. Une offre de soins inaboutie

2. La nécessité d’amplifier les efforts pour compléter cette offre

B. pondre aux dÉfis dE LA SANTÉ MENTALE ET Du vieillissement de la population carcÉrale

1. Traiter en profondeur la prévalence des troubles mentaux

2. Anticiper la perte d’autonomie de la population carcérale

C. mieux prendre en charge les femmes dÉtenues enceintes

1. Des modalités spécifiques d’incarcération

2. La nécessité de mieux aménager leur prise en charge

EXAMEN EN COMMISSION

PERSONNES ENTENDUES


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   AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Pour la troisième année consécutive, les crédits de paiement du ministère de la Justice augmentent de manière significative, affichant une croissance de 2,8 % par rapport à l’année dernière ([1]), après une progression de 3,9 % et 4,5 % respectivement en 2018 et 2019.

Si ces crédits, d’un montant de 7,6 milliards d’euros hors charges de pensions, et les 1 520 emplois créés sont légèrement inférieurs à ceux inscrits dans la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([2]), ils n’en demeurent pas moins en forte augmentation et témoignent de l’importance accordée à la restauration des moyens de la justice.

Cet effort profite principalement à l’administration pénitentiaire, dont les crédits au sein du programme n° 107 augmentent de 6,2 % par rapport à l’année dernière. Cette hausse contribuera à continuer de répondre aux trois défis auxquels cette administration est confrontée : la suroccupation – 117 % au 1er juillet 2019 – des établissements pénitentiaires, qui accélère leur dégradation et, surtout, affecte les conditions de détention des personnes écrouées et de travail des personnels ; l’insuffisance des effectifs de surveillants, dont les conditions de travail rendent le métier peu attractif ; les dangers (violence, terrorisme, radicalisation…) et les vulnérabilités (précarité, troubles mentaux) d’une population carcérale qui doit pourtant être mieux préparée à la réinsertion, notamment grâce à la poursuite du programme de construction de 15 000 places de prison à horizon 2027 et à l’entrée en vigueur, en mars 2020, de la nouvelle politique des peines.

Le programme n° 182 dédié à la protection judiciaire de la jeunesse n’est pas en reste puisque ses crédits sont en hausse de 2,3 % par rapport à 2019 et que 70 emplois sont créés. Cette hausse permettra d’anticiper les effets de la réforme à venir de la procédure applicable aux mineurs délinquants, avec l’entrée en vigueur, après son examen par le Parlement et au plus tard le 1er octobre 2020, du nouveau code de la justice pénale des mineurs.

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*     *

Après avoir examiné, en 2017, la place de la justice des mineurs dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation et, en 2018, la pratique des cultes et le respect du principe de laïcité, votre rapporteur pour avis a choisi de s’intéresser, cette année, à la prise en charge de la santé des personnes détenues.

Trop souvent reléguée au rang d’accessoire de la politique pénale, cette question est en effet déterminante dans le processus devant conduire à la réhabilitation et à la réinsertion de la personne condamnée. Condition essentielle du respect de la dignité de la personne détenue, qui doit pouvoir accéder aux soins que son état requiert dans les mêmes conditions que le reste de la population, la prise en charge sanitaire dans les établissements pénitentiaires est aussi l’occasion de travailler en profondeur certaines causes du passage à l’acte pour mieux prévenir la récidive.

 

 


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   PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2020 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

L’effort financier dont bénéficie le ministère de la Justice se traduit par la création de 1 520 emplois, après les 1 100 et 1 300 nouvellement créés en 2018 et 2019, dont les deux tiers profitent à l’administration pénitentiaire et 70 à la protection judiciaire de la jeunesse. Hors masse salariale, cet effort se concrétise, pour l’administration pénitentiaire, par la poursuite du plan de construction de 15 000 nouvelles places de prison et de sécurisation du parc existant ainsi que la mise en œuvre de la réforme pénale. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, il permet le financement de la création de centres éducatifs fermés et la préparation de la réforme de la justice pénale des mineurs.

I.   LES CRÉDITS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Après avoir augmenté de 6,5 % en 2019, le budget de l’administration pénitentiaire pour 2020 bénéficie d’une nouvelle hausse de 6,2 % en crédits de paiement, qui atteignent, hors dépenses relatives aux pensions, 3,056 milliards d’euros. En incluant les dépenses relatives aux pensions, ce budget s’élève à 3,958 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 208 millions d’euros par rapport à l’année dernière.

Ces moyens permettent de poursuivre le travail entamé en 2017 en faveur des conditions de travail des personnels, de la modernisation et de la sécurisation du parc pénitentiaire et de la politique de réinsertion.

A.   un effort significatif en direction des personnels

1.   La création de 1 000 emplois

Le projet de loi de finances pour 2020 est marqué par le relèvement du plafond d’emplois de l’administration pénitentiaire à hauteur de 950 équivalents temps plein travaillés (ETPT), se concrétisant par la création de 1 000 emplois :

–  400, qui s’ajoutent aux 750 déjà ouverts depuis le début du quinquennat, seront destinés au renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) afin de réduire à 60 en 2022, contre 85 en 2017, le nombre de personnes suivies par conseiller et de mettre en œuvre la réforme des peines prévue par la loi de programmation pour la justice ;

–  300 serviront à combler les vacances de postes chez les personnels de surveillance, conformément au relevé de conclusions du 29 janvier 2018 signé à la suite des grèves de surveillants qui prévoyait la création de 1 100 ETPT de surveillants jusqu’en 2021 (100 en 2018, 400 en 2019, 300 en 2020 et 2021) ;

–  155 permettront de renforcer les équipes de sécurité, par l’affectation de 50 emplois aux extractions judiciaires, dont le transfert à l’administration pénitentiaire de la charge de les réaliser s’achèvera en novembre 2019 mais pour lesquelles des difficultés importantes demeurent, tout particulièrement en Bretagne et en Auvergne-Rhône-Alpes, et par le renforcement du réseau du renseignement pénitentiaire, déjà doté de 125 nouveaux postes depuis 2017, de 35 emplois ;

–  145 constitueront les recrutements nécessaires à la préparation de l’ouverture des premiers établissements construits dans le cadre du programme immobilier « 15 000 ».

2.   La poursuite de la politique d’amélioration catégorielle

L’augmentation de 4 % des crédits de personnels permettra de continuer de financer, à hauteur de 11,7 millions d’euros, plusieurs mesures d’amélioration des conditions de travail et de l’attractivité des métiers pénitentiaires :

–  la revalorisation de la prime de sujétions spéciales, de la prime de fidélisation, des indemnités « dimanches et jours fériés » et de l’indemnité pour charges pénitentiaires (3,4 millions d’euros) ;

–  la poursuite des mesures relatives au parcours professionnel de carrière et de rémunération (6,7 millions d’euros) ;

–  plusieurs réformes statutaires d’envergure, comme la refonte des statuts de la filière d’insertion et de probation, de la filière de commandement et de la filière technique (1,6 million d’euros).

Au total, ce sont près de 64 millions d’euros qui auront été consacrés à l’amélioration des carrières et du régime indemnitaire des personnels pénitentiaires depuis 2017.

B.   des moyens importants consacrÉs au parc pÉnitentiaire

1.   La construction de nouveaux établissements et la maintenance du parc existant

Les crédits d’investissement immobilier pour l’année 2020 s’élèvent à 327,4 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 34 % par rapport à l’année dernière.

Pour mettre en œuvre le programme immobilier pénitentiaire inscrit dans la loi de programmation pour la justice, qui prévoit la création de 7 000 places de prison supplémentaires d’ici fin 2022 et 8 000 d’ici fin 2027, soit un total de 15 000 places à horizon 2027, 180,6 millions d’euros serviront à financer les opérations de construction confiées à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice :

–  144,8 millions d’euros seront affectés à la première phase de 7 000 places, dont 27 millions d’euros pour les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) et 117,8 millions d’euros pour les autres opérations (Lutterbach, Bordeaux, Caen, Troyes, Baumettes 3, Baie-Mahault, Basse-Terre, Lille-Loos, Nîmes) ;

–  15 millions d’euros permettront les acquisitions foncières nécessaires à la poursuite du programme de la première vague de constructions ;

–  1,4 million d’euros financeront les études de la première vague d’établissements de la seconde phrase de 8 000 places, dont ceux de Saint‑Laurent-du-Maroni en Guyane, de Toulouse-Muret, d’Avignon-Entraigues, de Villepinte-Tremblay-en-France et de Melun ;

–  19,4 millions d’euros seront dédiés à la création du centre sécuritaire francilien et du centre de formation de Fleury-Mérogis, la rénovation des systèmes de sûreté active de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, l’extension de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) et la réalisation des schémas directeurs pour la réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes et de la maison centrale de Poissy.

Par ailleurs, 146,8 millions d’euros seront consacrés à des travaux, principalement de maintenance, conduits par les services déconcentrés, dont :

–  la rénovation, l’entretien et la maintenance des établissements existants (110 millions d’euros) ;

–  la poursuite de leur mise en accessibilité (14,3 millions d’euros) ;

–  les travaux d’urgence dans les centres pénitentiaires de Fresnes et la maison centrale de Poissy (8 millions d’euros) ;

–  la création d’un centre de détention de 120 places à Koné en Nouvelle‑Calédonie, dont les travaux débuteront en 2020 (14 millions d’euros), et d’un centre pénitentiaire de 10 places à Wallis-et-Futuna (500 000 euros).

Si l’augmentation des crédits alloués au programme immobilier est moins forte que prévue, c’est en raison des retards ou difficultés rencontrés dans l’avancement de plusieurs projets de construction de nouveaux établissements, comme en Seine‑Maritime, en Isère, à Rennes, à Strasbourg, en région parisienne, dans le Var et à Nice.

2.   D’importants moyens alloués à la sécurité des établissements

Comme les années précédentes, des moyens substantiels seront alloués, en 2020, à la sécurisation des établissements pénitentiaires pour laquelle 63,9 millions d’euros sont mobilisés, en hausse d’environ 8 millions par rapport à 2019 :

–  le déploiement du système de brouillage des téléphones mobiles, dont les crédits sont abondés de 25 % (24,8 millions d’euros) ;

–  la poursuite de la sécurisation des établissements (23 millions d’euros) ;

–  le renforcement du renseignement pénitentiaire (5,9 millions d’euros) ;

–  la poursuite de la rénovation du parc de caméras de vidéo-surveillance (5,6 millions d’euros) ;

–  la lutte contre les drones malveillants (3,6 millions d’euros) ;

–  le déploiement de dispositifs plus performants de détection des produits illicites ou dangereux et de sécurisation des personnels (1 million d’euros).

C.   Le soutien de la politique d’accompagnement des personnes placÉes sous main de justice

1.   La politique de réinsertion en détention

Les crédits alloués à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice, d’un montant de 89,7 millions d’euros, progresseront de 4,2 % par rapport à 2019. Ces crédits, qui permettent notamment de financer le partenariat avec l’éducation nationale (1,2 million d’euros) et la lutte contre la pauvreté en détention (3,7 millions d’euros), soutiennent principalement trois priorités :

–  le développement du travail en détention, dont les crédits, d’un montant de 43,7 millions d’euros, progressent de 4 %, avec pour objectif d’améliorer la rémunération horaire ;

–  la préparation à la sortie et à la réinsertion, par le développement et la diversification des activités proposées aux personnes détenues et le renforcement des partenariats en faveur du maintien des liens sociaux et familiaux, en lien avec les services de l’État, les collectivités territoriales et les partenaires privés (26,5 millions d’euros) ;

–  l’amélioration de la formation professionnelle des personnes détenues (14,6 millions d’euros).

2.   Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

Les aménagements de peines et les mesures alternatives à l’incarcération bénéficieront d’une dotation de 25 millions d’euros, à raison de :

–  17 millions d’euros pour le placement sous surveillance électronique, dont le nombre devrait croître à la suite des dispositions adoptées dans le cadre de la loi de programmation pour la justice ;

–  8 millions d’euros en faveur du placement extérieur, dont les crédits sont stabilisés par rapport à 2019.

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Votre rapporteur se félicite que, pour la troisième année consécutive, des moyens inédits soient mobilisés en faveur de l’administration pénitentiaire, de ses personnels et de son parc immobilier, ainsi que, plus généralement, pour la réussite de la nouvelle politique des peines adoptée dans le cadre de la loi de programmation pour la justice.

Deux orientations méritent toutefois d’être retenues pour que ces nouveaux moyens soient en adéquation avec les défis qui se posent à l’administration pénitentiaire.

Il s’agit, d’une part, de la nécessité de mieux accompagner les personnels dans les transformations de leur métier. Cet accompagnement s’impose d’abord à la sortie de l’ENAP des personnels de surveillance, avant leur prise de poste, dans le contexte de vagues de recrutements d’une ampleur inédite. Plusieurs personnes auditionnées ont témoigné de la situation de jeunes surveillants arrivant en détention en grande difficulté face à une population pénale difficile. L’administration centrale devrait également davantage penser et porter de manière uniforme sur l’ensemble du territoire la transformation du métier de surveillant en acteur de la détention, participant à ce titre à l’évaluation et à la réinsertion de la personne détenue. Enfin, la dotation des personnels de surveillance en matériels de sécurité plus adaptés aux risques qu’ils encourent devrait être précédée de la diffusion d’une doctrine d’emploi claire.

D’autre part, la refonte récente du droit des peines et la diversification accrue des établissements, notamment par la création des SAS, ne doivent pas rester lettres mortes faute de moyens suffisants pour les mettre en œuvre. Comme l’a souligné l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) dans sa contribution écrite, « la création de nouveaux établissements pénitentiaires et la perspective d’un recours accru au travail d’intérêt général et à la détention à domicile sous surveillance électronique devraient conduire à la création de postes de juge de l’application des peines ». D’autres personnes auditionnées par votre rapporteur ont insisté sur la nécessité de prévoir des moyens spécifiques en faveur des SAS, pour que des projets de réinsertion et de promotion de la santé s’y déploient en synergie avec le monde de l’entreprise, le secteur associatif et les professionnels de santé. L’administration pénitentiaire a indiqué à votre rapporteur que des unités sanitaires dédiées aux SAS seraient créées, pour la mise en place d’un projet de soins spécifique orienté vers la préparation à la sortie, par le renforcement de l’accompagnement aux rendez-vous médicaux et de la présence d’assistants sociaux.

II.   LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

La protection judiciaire de la jeunesse se voit également octroyer, quoique dans une moindre proportion, à raison de 18 millions d’euros supplémentaires, des moyens renforcés pour répondre au nombre croissant de mineurs que ses deux opérateurs – le secteur public et le secteur associatif habilité – sont appelés à prendre en charge chaque année ([3]) et pour davantage diversifier cette prise en charge.

Ces moyens interviennent au lendemain de l’adoption de plusieurs dispositions concernant les mineurs dans la loi de programmation pour la justice et à la veille d’une importante réforme de la justice pénale des mineurs par la modernisation de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante.

En autorisations d’engagement

 

Crédits votés en loi de finances pour 2019

Crédits demandés pour 2020

Évolution 2019-2020

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

772

774

+ 0,3 %

Soutien (Action 03)

96

117

+ 21,9 %

Formation (Action 04)

36

40

+ 11,1 %

Total

904

931

+ 3,0 %

En crédits de paiement

 

Crédits votés en loi de finances pour 2019

Crédits demandés pour 2020

Évolution 2019-2020

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

743

742

– 0,1 %

Soutien (Action 03)

95

112

+ 17,9 %

Formation (Action 04)

37

39

+ 5,4 %

Total

875

894

+ 10 %

(en millions d’euros)

Source : projet annuel de performance du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » annexé au projet de loi de finances pour 2020, pp. 156-157.

A.   des emplois supplÉmentaires pour anticiper la rÉforme de la justice pÉnale des mineurs

1.   La création de 70 emplois

Les dépenses de personnels augmenteront de 7,6 millions d’euros par rapport à 2019 pour atteindre, en 2020, 536,2 millions d’euros, afin de financer la création de 70 emplois et de 640 000 euros de mesures catégorielles au titre de la réforme relative aux parcours professionnels, carrières et rémunérations.

Les 70 emplois supplémentaires correspondent, dans le détail, à :

–  94 emplois créés pour anticiper la mise en œuvre de la réforme de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, qui entrera en vigueur au plus tard le 1er octobre 2020 après que le Parlement aura débattu des modifications que le Gouvernement envisage d’y apporter par voie d’ordonnance ;

–  5 emplois nouveaux affectés au fonctionnement des « internats tremplins », structures créés en septembre 2019 pour l’accueil des élèves perturbateurs plusieurs fois exclus de leur établissement scolaire et leur proposant un encadrement éducatif renforcé avec des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ;

–  la suppression de 29 emplois au titre de la restructuration des dispositifs de prise en charge.

2.   La réforme à venir de la justice pénale des mineurs

Prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, l’ordonnance portant création d’un code de la justice pénale des mineurs ([4]), qui entrera en vigueur, après sa ratification par le Parlement, le 1er octobre 2020, s’accompagne de modifications de la procédure de jugement des mineurs délinquants, qui vont avoir des répercussions importantes sur le travail des agents de la protection judiciaire de la jeunesse et des juges pour enfants.

L’objectif de ces nouvelles dispositions est notamment de réduire les délais de jugement des mineurs, de dix-huit mois en moyenne aujourd’hui. Pour ce faire, l’instruction devant le juge des enfants sera supprimée au profit de la saisine directe, après l’enquête, de la juridiction de jugement.

Hors les cas de faits de faible gravité ou lorsque le mineur est déjà connu de la juridiction, pour lesquels il sera possible de statuer en une même audience sur la culpabilité et la sanction, le mineur poursuivi sera convoqué devant le juge, à l’issue de l’enquête, dans un délai de dix jours à trois mois pour qu’il se prononce sur sa culpabilité.

La sanction n’interviendra que dans un délai de six à neuf mois à compter de ce premier jugement pour qu’il soit tenu compte non seulement des faits commis mais aussi des progrès accomplis dans l’intervalle ou de la commission de nouvelles infractions. Durant cette période, le mineur sera soumis à une mise à l’épreuve éducative au contenu modulable, rassemblant les multiples mesures existantes (placement réparation, prise en charge sanitaire, travail sur l’insertion, interdictions…) selon des modalités plus protectrices et structurantes pour les mineurs.

Enfin, la détention provisoire des mineurs sera limitée, le placement en centre éducatif fermé (CEF) devant être privilégié à titre de mesure de sûreté. S’agissant des mineurs de 13 à 15 ans en matière délictuelle, la loi de programmation pour la justice avait déjà limité les conditions de la révocation de leur contrôle judiciaire et réduit la durée de leur maintien en détention provisoire. La même loi a prévu la création de 20 nouveaux CEF : cinq dans le secteur public et quinze pour le secteur associatif habilité. 133 emplois seront créés d’ici la fin du quinquennat pour animer les CEF du secteur public et 35 millions d’euros sont consacrés à la construction des CEF publics et au financement des CEF du secteur associatif habilité.

Les moyens humains mobilisés en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse tendent donc à anticiper la mise en œuvre de cette réforme. Le Gouvernement a indiqué à votre rapporteur prévoir le recrutement, en 2020, de 240 éducateurs, 19 directeurs des services et 40 psychologues, le volume de recrutement  des éducateurs étant plus élevé que les années précédentes afin d’anticiper les besoins liés aux ouvertures de CEF en 2021 et 2022 ([5]). Ces moyens sont complémentaires de ceux dégagés par le programme « Justice judiciaire », qui prévoit la création de 100 emplois de magistrats et de 284 emplois de fonctionnaires, dont une partie sera dédiée à l’accompagnement de la mise en œuvre de cette réforme.

B.   des moyens supplÉmentaires au service de la continuitÉ de la prise en charge Éducative

Les crédits hors dépenses de personnels mobilisés en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent de plus de 2,9 % par rapport à l’année dernière, passant de 347 à 357 millions d’euros, afin de poursuivre l’objectif fixé par sa direction à partir de 2014 : garantir la continuité du parcours éducatif de chaque jeune pris en charge en faisant du service de milieu ouvert du secteur public le socle de l’intervention éducative.

1.   La poursuite de la restructuration du parc immobilier

La qualité de la prise en charge des mineurs repose sur la disponibilité du parc immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse, historiquement composé de bâtiments dispersés, de petite taille, anciens et dégradés.

C’est pourquoi le projet de budget pour 2020 consacre 39 millions d’euros en autorisations d’engagement et 18 millions d’euros en crédits de paiement à l’investissement immobilier, dont l’enveloppe financière croît ainsi de 5 millions d’euros par rapport à 2019. Ces moyens serviront à :

–  la poursuite du programme de construction de cinq centres éducatifs fermés du secteur public : ceux de Dordogne, du Gers, du Calvados, du Doubs et du Pas-de-Calais (19,9 millions d’euros en autorisations d’engagement et 4,3 millions d’euros en crédits de paiement) ;

–  des travaux de maintenance lourde dans les unités éducatives d’hébergement collectif d’Évreux, de Lorient, de Rennes, d’Auxerre, de Béthune, de Toulouse, de Bagneux et de Valence, les unités éducatives en milieu ouvert de Marseille et Béthune, l’unité éducative d’activités de jour de Perpignan, les centres éducatifs renforcés de Poix-du-Nord et de Cuinchy ainsi que l’unité éducative d’hébergement diversifié de Béthune (10,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 7,7 millions d’euros en crédits de paiement) ;

–  la remise à niveau des bâtiments les plus dégradés (6 millions d’euros en autorisations d’engagement et 3 millions d’euros en crédits de paiement) ;

–  l’adaptation des locaux à la diversification des modes de prise en charge (2,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 3 millions d’euros en crédits de paiement).

Par ailleurs, 6,1 millions d’euros seront affectés à la réparation des dégradations dont sont l’objet les locaux des unités éducatives et à leur entretien.

2.   Des dépenses d’intervention au soutien de la diversification des modes de prise en charge

Les crédits consacrés à l’intervention du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, qui passent de 8,6 millions d’euros en 2019 à 11,7 millions d’euros l’année prochaine, anticipent une hausse des besoins de financement des actions entreprises à la suite des dispositions votées dans le cadre de la loi de programmation pour la justice :

–  le placement séquentiel, qui permet au juge ou au tribunal des enfants d’autoriser le centre éducatif fermé qui prend en charge un jeune à organiser son accueil temporaire dans d’autres lieux (foyer, famille d’accueil, hébergement autonome en appartement…) afin de remédier aux difficultés de préparation à la sortie et de répondre aux situations ponctuelles de crise, sans qu’il soit nécessaire de révoquer le contrôle judiciaire ou la mise à l’épreuve ;

–  l’expérimentation d’une mesure éducative d’accueil de jour, consistant en « une prise en charge pluridisciplinaire en journée, collective, et dont la continuité est garantie à partir d’un emploi du temps individualisé, adapté aux besoins spécifiques du mineur » ([6]), mesure intermédiaire entre l’accompagnement du mineur en milieu ouvert et son placement.

Les crédits d’intervention du secteur associatif habilité sont en baisse de 1,8 million d’euros, passant de 239,1 à 237,3 millions d’euros entre 2019 et 2020, alors que la trajectoire initialement prévue durant le quinquennat était une hausse de 239,1 à 242,2 millions d’euros, soit une augmentation de 3,1 millions d’euros. D’après les informations recueillies par votre rapporteur, dont l’attention a été appelée sur cette question par les représentants de la fédération Citoyens et Justice, cette baisse s’explique par le non-fonctionnement de trois structures d’hébergement spécialisé de ce secteur – en raison de la fermeture de deux CEF et de la suspension d’un centre éducatif renforcé – qui engendre une « économie » conjoncturelle de 5 millions d’euros et des difficultés de prise en charge sur les territoires concernés, qu’il conviendra de pallier dès que possible.

 

 


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   SECONDE PARTIE : LA SANTÉ DES PERSONNES DÉTENUES

La prise en charge de la santé des personnes détenues est une problématique insuffisamment explorée aux yeux de votre rapporteur, alors qu’elle conditionne la bonne exécution d’une mesure privative de liberté et a des conséquences sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Participant au respect des droits fondamentaux des personnes détenues, en particulier de leur dignité, elle contribue également à l’une des fonctions de la peine de prison – la réadaptation sociale et l’amendement de la personne condamnée – dans la mesure où une réponse médicale ou psychologique peut prévenir la réitération de certains actes.

Garanti pour tous les citoyens par le préambule de la Constitution de 1946 ([7]), le droit à la protection de la santé s’applique aux personnes privées de liberté, comme le rappellent plusieurs dispositions nationales et internationales ([8]). Dans les faits, les personnes écrouées n’ayant souvent eu qu’un recours limité aux soins avant leur incarcération, les pathologies révélées en détention n’en sont que plus importantes et difficiles à prendre en charge. Aux problématiques somatiques s’ajoute la surexposition de la population carcérale à des facteurs de risques (marginalité, précarité, défaut de maîtrise de la langue française…) qui sont à l’origine de troubles psychologiques ou psychiatriques, d’addictions, d’infections ou de pathologies bucco-dentaires.

D’importants efforts ont été entrepris au cours des vingt-cinq dernières années pour rendre ce droit effectif et proposer en détention une prise en charge sanitaire adaptée. Si l’accès aux soins des personnes détenues s’est amélioré, grâce à une offre accessible et diversifiée et un financement clarifié, des progrès restent à accomplir pour parfaire cette offre et répondre à tous les besoins d’une population carcérale particulièrement vulnérable.

I.   Une prise en charge sanitaire qui s’est améliorÉe…

Depuis son transfert, en 1994, du ministère de la Justice au ministère de la santé, la prise en charge sanitaire des personnes en milieu carcéral s’est améliorée. Justifié par le constat de conditions de santé précaires au sein de la population carcérale de l’époque et d’une couverture sociale des détenus déficiente, ce transfert a permis l’intervention des hôpitaux dans la mise en œuvre des soins auprès des personnes écrouées et l’affiliation de l’ensemble des détenus à la sécurité sociale.

A.   une offre de soins spÉcialisÉe

La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a permis que les personnes détenues bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers (médecins, dentistes, psychologues, infirmiers…) au sein des établissements pénitentiaires lorsque c’est possible ou dans des établissements publics de santé à l’occasion de consultations d’urgence ou spécialisées ou d’hospitalisations longues. L’organisation des soins, prodigués à trois niveaux selon une logique de spécialisation somatique et psychiatrique, est jugée globalement pertinente par les professionnels pénitentiaires et de santé.

1.   Une spécialisation en trois niveaux de l’offre de soins

Au premier niveau, 178 unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP), implantées dans chaque établissement pénitentiaire, prennent en charge, pour les soins somatiques, les consultations de médecine générale et de spécialité, dont celles dentaires, et, pour les soins psychiatriques, les consultations, entretiens et activités thérapeutiques ([9]).

Les soins somatiques de deuxième niveau, requérant une prise en charge à temps partiel, sont prodigués dans 176 chambres sécurisées implantées dans les établissements hospitaliers de rattachement tandis que les soins psychiatriques le sont au sein de l’un des 26 services médico‑psychologiques régionaux (SMPR), équipés de cellules d’hébergement de nuit permettant aux personnes détenues souffrant de troubles mentaux de ne pas être éloignées de l’unité de soins.

Les soins de troisième niveau sont réalisés dans un établissement de santé :

–  sur le plan somatique, des chambres sécurisées au sein des établissements de santé de rattachement hébergent les personnes détenues hospitalisées pour une durée inférieure à 48 heures ou pour des soins non programmés tandis que les hospitalisations programmées ou plus longues ont lieu dans l’une des 8 unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), représentant 170 places, et de l’établissement public de santé national de Fresnes, doté de 80 lits de médecine et de soins de suite et réadaptation ;

–  sur le plan psychiatrique, les 9 unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), pourvues de 440 places, assurent les hospitalisations de personnes détenues présentant un trouble de santé mental, avec ou sans consentement ; à défaut, les centres hospitaliers autorisés en psychiatrie de rattachement peuvent être sollicités ainsi que les unités pour malades difficiles en cas de dangerosité psychiatrique caractérisée.

Organisation de l’offre de soins pour les personnes dÉtenues

2.   Une structuration jugée globalement pertinente

Cette organisation est jugée globalement satisfaisante, permettant une prise en charge progressive et adaptée des pathologies présentes en détention. L’ouverture dans les années 2000 des premières UHSI et UHSA, dispositifs spécifiques de prise en charge sanitaire, a constitué un progrès important de l’aveu de nombreuses personnes auditionnées par votre rapporteur.

En 2015, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté constatait déjà « une amélioration des soins offerts aux personnes détenues depuis la création de ces nouveaux dispositifs (…) en dépit des difficultés observées et des efforts restant à accomplir » ([10]).

B.   un accÈs aux soins facilitÉ

La prise en charge sanitaire en détention repose également sur un système de protection sociale permettant aux personnes écrouées d’accéder en principe gratuitement aux soins.

1.   La protection sociale des détenus

Depuis 1994, toutes les personnes détenues sont obligatoirement affiliées au régime général de l’assurance maladie et maternité, dès leur incarcération et quelle que soit leur situation ([11]).

À défaut de rendre l’affiliation automatique, le choix a été fait, pour plus de fluidité, de centraliser la gestion de la procédure d’affiliation de ces personnes auprès de deux caisses primaires d’assurance maladie, celles du Lot et de l’Oise, qui forment le Centre national de la protection sociale des personnes écrouées (CNPE) et se répartissent les dossiers des établissements pénitentiaires des neuf directions interrégionales des services pénitentiaires ([12]). Par ailleurs, les échanges entre les établissements pénitentiaires et le CNPE ont été dématérialisés, afin de fiabiliser l’envoi des informations et réduire les délais de traitement des dossiers.

Les personnes écrouées ont droit aux prestations en nature de l’assurance maladie, c’est-à-dire les remboursements de soins de droit commun. Leurs dépenses de santé sont prises en charge à 100 %, dans la limite du plafond de la sécurité sociale. Les personnes en situation irrégulière doivent faire une demande d’aide médicale d’État.

À leur libération, les personnes écrouées ne bénéficiant pas d’assurance maladie à un autre titre peuvent faire valoir leurs droits au titre de la protection maladie universelle, qui permet une prise en charge de leurs frais de santé en cas de maladie ou de maternité par les organismes chargés de la gestion du régime général jusqu’à l’exercice d’une activité professionnelle.

Les personnes détenues ont également droit aux prestations en nature de l’assurance maternité. Dès l’envoi de la déclaration de grossesse, l’assurance maternité prend en charge intégralement les examens de prévention réalisés pendant et après la grossesse. Entre le premier jour du sixième mois de grossesse et le douzième jour après l’accouchement, l’assurance maternité prend en charge à 100 % toutes les prestations remboursées par l’assurance maladie. Votre rapporteur, qui a consacré une partie de ses travaux à la situation des femmes détenues enceintes, reviendra plus en détail sur les règles qui s’appliquent à elles.

Enfin, les personnes bénéficiant des prestations en nature au titre de l’assurance accident du travail ou maladies professionnelles (AT-MP) avant leur incarcération continuent d’en bénéficier pendant celle-ci. Les personnes détenues exécutant un travail pénitentiaire ne perçoivent pas les indemnités journalières durant la période de leur détention mais bénéficient des prestations en nature de la branche AT-MP, pour les accidents survenus par le fait ou à l’occasion de ce travail.

2.   Un accès aux soins largement gratuit

Cette protection sociale permet un accès gratuit aux soins par les personnes détenues, d’autant que les dépassements d’honoraires sont interdits à l’égard des personnes écrouées depuis 2014 ([13]).

Il ne reste à la charge de ces personnes que les coûts des prothèses et appareillages (dentaires, optiques, auditifs), pour lesquels elles peuvent bénéficier d’une complémentaire santé. Si elles disposent de faibles ressources, cette complémentaire santé peut être gratuite grâce à la couverture maladie universelle complémentaire ou être partiellement prise en charge grâce à l’aide au paiement d’une complémentaire santé.

C.   un financement simplifiÉ de la prise en charge

Longtemps jugé opaque et complexe, le financement des dépenses de santé des personnes détenues a été récemment clarifié et simplifié.

1.   Des circuits de financement auparavant complexes et opaques…

Ce financement reposait auparavant sur l’assurance maladie, prenant en charge la part « obligatoire », et l’État, dont l’administration pénitentiaire finançait les dépenses susceptibles d’être prises en charge par une assurance complémentaire (ticket modérateur et forfait journalier hospitalier) ([14]).

Ce système déconcentré, considéré comme lourd et complexe, conduisait les établissements de santé concernés à transmettre des factures à la direction interrégionale des services pénitentiaires compétente afin qu’elle les rembourse. Par ailleurs, l’État versait, au nom des personnes écrouées qui ne travaillaient pas, une cotisation à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), en contrepartie de leur affiliation au régime général d’assurance maladie.

2.   … désormais en grande partie simplifiés et clarifiés

Le législateur a mis un terme à ces circuits de financement complexes :

–  à partir de 2016 ([15]), l’assurance maladie a avancé l’ensemble des frais de santé des personnes détenues aux établissements de santé concernés, ce qui a permis à l’administration pénitentiaire, destinataire d’une facture globale correspondant à tous les frais correspondant à la part « complémentaire », de procéder à un versement unique à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ;

–  depuis le 1er janvier 2018 ([16]), la participation de l’État à la prise en charge des frais de santé des personnes écrouées, d’un montant de 136 millions d’euros, a été supprimée et le financement des dépenses de santé des détenus est, depuis lors, assuré directement par l’assurance maladie.

La centralisation de la gestion des frais de santé des personnes détenues a simplifié leur prise en charge et permis de mieux connaître la structure et la dynamique de ces dépenses. Seules les dépenses de santé des personnes détenues en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les régimes de sécurité sociale sont hors champ de l’ACOSS, restent aujourd’hui à la charge de l’administration pénitentiaire, pour un montant de 3,5 millions d’euros en 2020.

II.   … mais qui demeure incomplète et en partie inadaptÉe

A.   une offre de soins À parfaire

L’organisation des soins en détention s’avère en pratique incomplète en raison de difficultés structurelles qu’il convient de surmonter.

1.   Une offre de soins inaboutie

La première de ces difficultés réside, au premier niveau des soins, dans la surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt, qui a un impact sur la charge de travail des praticiens dont les effectifs sont fixés en fonction de la population théorique des établissements et non du nombre réel de personnes détenues. Le sous-effectif chronique des personnels soignants dans les unités est aggravé par les difficultés générales de démographie médicale et par l’éloignement géographique de certains établissements pénitentiaires construits loin des centres d’activités. Ainsi, en 2015, il était relevé que « 22 % des postes de spécialistes budgétés [n’étaient] pas pourvus et 15,5 % des postes budgétés de psychiatres (…), avec des effets de concentration » de moyens dans certaines USMP ([17]).

Ce défaut d’attractivité se retrouve dans l’offre de soins de deuxième niveau. Cette offre pâtit également des difficultés d’extractions médicales vers les hôpitaux de rattachement, en raison de problèmes de disponibilité des escortes, d’un manque d’articulation entre l’unité sanitaire et le centre hospitalier de rattachement et des conditions de réalisation des consultations et examens hospitaliers dans ces hôpitaux, qui dissuadent les détenus de s’y rendre. S’agissant des soins psychiatriques, la pénurie générale de psychiatres s’ajoute au nombre insuffisant de SMPR, qui couvrent imparfaitement l’ensemble du territoire et ne respectent pas toujours leur vocation régionale.

Au troisième niveau des soins, l’architecture des UHSI, en particulier l’absence de cour intérieure, conduit à un nombre important de refus d’hospitalisation de la part des personnes détenues qui ne souhaitent pas que leur admission dans l’unité conduise à une détérioration de leurs conditions de vie par rapport à celles qu’elles connaissent en détention (impossibilité de fumer et de s’aérer). Sur le plan psychiatrique, de nombreux établissements pénitentiaires sont encore éloignés des UHSA et le nombre de places disponibles au sein de ces unités, loin des 17 prévues initialement pour 705 places au total, ne permet pas d’accueillir l’ensemble des personnes à hospitaliser.

Enfin, des carences sont constatées en matière d’exécution des injonctions de soins prononcées dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. Les personnes condamnées à de telles injonctions devraient être incarcérées dans l’un des 22 établissements pour peines spécialisés dès lors que leur peine d’emprisonnement est supérieure à deux ans. Or ces établissements s’avèrent en pratique saturés ou situés en dehors des grands centres urbains, limitant de fait l’offre de soins qui y est proposée. À titre d’exemple, au centre de détention de Melun, qui accueille 280 condamnés pour des faits de violences sexuelles, seuls deux psychologues travaillent à temps plein et deux psychiatres y assurent des vacations à raison d’une journée par semaine seulement.

2.   La nécessité d’amplifier les efforts pour compléter cette offre

Votre rapporteur salue les initiatives d’ores et déjà prises ainsi que celles envisagées par le Gouvernement dans la feuille de route sur la santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 pour remédier à ces difficultés.

Deux de ces initiatives visent à répondre au défaut d’attractivité de l’activité médicale en prison et aux problèmes de démographie médicale auxquels sont confrontés certains territoires :

–  d’une part, l’augmentation du nombre de stages en milieu pénitentiaire proposés aux internes en médecine, pour qu’ils couvrent l’ensemble des régions et connaissent l’activité de médecin en milieu carcéral ;

–  d’autre part, le développement de l’offre de télémédecine, qui devrait se déployer dans l’ensemble des USMP afin d’améliorer les conditions d’accès aux spécialités absentes en détention et éviter le recours aux extractions médicales.

Sur le plan psychiatrique, votre rapporteur renvoie aux préconisations qu’a formulées M. Stéphane Mazars en conclusion des travaux du groupe de travail sur la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques en 2018 ([18]). En particulier, il souligne tout l’intérêt qu’il y aurait à définir un ratio minimal d’encadrement médical dans les USMP, rétablir la vocation régionale des SMPR et lancer la seconde tranche des UHSA, qui, malgré leur coût élevé, satisfont un besoin réel.

B.   rÉpondre aux dÉfis dE LA SANTÉ MENTALE ET Du vieillissement de la population carcÉrale

Toutes les personnes vulnérables à un titre ou à un autre ont le droit d’accéder aux soins dont elles ont besoin sur le plan somatique ou psychiatrique.

Parmi elles, les personnes détenues en situation de handicap appellent toute la considération de l’administration pénitentiaire, afin de concilier leur handicap avec les conditions de la détention. Votre rapporteur se félicite à cet égard que plus de 14 millions d’euros soient consacrés, en 2020, à la poursuite de la mise en accessibilité des établissements. Par ailleurs, la mise en œuvre du plan de construction des 15 000 nouvelles places de prison est l’occasion d’adapter notre parc pénitentiaire aux handicaps des personnes détenues, en développant, à hauteur de 3 % dans chaque établissement, le nombre de cellules adaptées pour les personnes à mobilité réduite et pour les personnes en situation de handicap ([19]).

Il demeure cependant un important effort à accomplir pour que les établissements existants soient mis aux normes pour l’accueil des personnes détenues handicapées. Par ailleurs, ces personnes devraient être mieux accompagnées dans leurs démarches pour bénéficier de la prestation de compensation de handicap afin que puisse être financée l’intervention en détention d’un service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), seuls 38 établissements ayant conclu une convention avec un SAAD.

Deux autres sources de vulnérabilité ont tout particulièrement retenu l’attention de votre rapporteur.

1.   Traiter en profondeur la prévalence des troubles mentaux

Il s’agit d’abord de la prévalence des problèmes de santé mentale dans la population carcérale. Au-delà des améliorations « matérielles » susceptibles d’être apportées à la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques, votre rapporteur considère qu’une réflexion en profondeur sur les causes conduisant à l’incarcération de ces personnes et à leur maintien en détention devrait être conduite.

Nombre de personnes détenues gagneraient à ne pas être placées en détention compte tenu des troubles psychiatriques qu’elles présentent. Comme l’ont indiqué les représentants des professionnels de santé intervenant en prison lors de leur audition, la nature des pathologies psychiatriques présentes en détention conduit les médecins à se concentrer sur la prise en charge des personnes qui souffrent des troubles les plus graves, au détriment des soins des autres détenus et d’un travail en profondeur sur les causes du passage à l’acte de l’ensemble de la population carcérale (impulsions, addictions…).

Cette situation a des causes profondes, en partie étrangères à l’administration pénitentiaire. D’une part, le mouvement de « désinstitutionnalisation » psychiatrique a généré la fermeture de nombreux lits d’hospitalisation et le report de la prise en charge d’une population vulnérable vers le milieu carcéral. D’autre part, les magistrats ne disposent souvent pas des éléments de personnalité suffisants pour connaître avec précision l’état de la personne au regard de la maladie mentale, particulièrement en cas de comparution immédiate, ce qui conduit à de nombreux emprisonnements, en détention provisoire ou en exécution d’une condamnation, sans prise en considération de la vulnérabilité particulière du détenu.

Votre rapporteur invite donc les pouvoirs publics à se saisir de cette question, qui dépasse de loin l’avis que la commission des Lois est appelée à formuler sur le projet de loi de finances pour 2020. Des dispositifs de suspension de peine ou de mise en liberté pour raisons médicales existent mais sont trop rarement appliqués ([20]), en particulier en raison du faible nombre d’experts psychiatres acceptant de se rendre en détention pour procéder aux missions d’expertise nécessaires à la mise en œuvre de ces dispositions. De surcroît, lorsque les conditions légales de la mesure de suspension ou de mise en liberté sont réunies, il n’est pas rare que le manque de places dans une structure adaptée à la pathologie de la personne empêche sa mise en œuvre.

Les mineurs délinquants, qu’ils évoluent en milieu ouvert ou fermé, sont aussi exposés aux troubles mentaux. Les représentants de la protection judiciaire de la jeunesse ont tous souligné la nécessité pour les structures accueillant des mineurs atteints de tels troubles de nouer des partenariats solides avec le secteur de psychiatrie de rattachement, afin de faire du pédopsychiatre un maillon dans la chaîne de prise en charge des mineurs, aux côtés des éducateurs. C’est d’ailleurs ce constat qui a conduit à l’abandon, en 2013, de l’expérimentation lancée en 2008 des CEF à prise en charge pédopsychiatrique renforcée, qui, par la concentration des moyens sur certaines structures au détriment d’autres, avait entraîné une spécialisation des orientations de publics dits « difficiles » vers certains CEF et une inégalité de traitement entre les mineurs pris en charge.

Enfin, chez les majeurs comme chez les mineurs, la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiatriques gagnerait en qualité si un protocole de travail était élaboré entre les personnels de surveillance, les éducateurs ou les conseillers d’insertion et de probation et les professionnels de santé, permettant la transmission et l’échange d’informations utiles, sans levée du secret médical.

2.   Anticiper la perte d’autonomie de la population carcérale

Représentant aujourd’hui près de 4 % de la population carcérale, le nombre des personnes détenues âgées de plus de 60 ans est appelé à croître dans les années à venir. Une majorité d’entre elles exécute de longues peines à la suite de condamnations pour des infractions sexuelles. Et comme le rappelle la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, « la tendance au vieillissement de la société, l’allongement de la durée des peines et des prescriptions pénales sont autant de facteurs expliquant l’augmentation du nombre de personnes âgées en détention » ([21]).

La vulnérabilité de cette population, aggravée par les conditions de détention, mériterait d’être mieux prise en compte par l’administration pénitentiaire.

Parmi les nombreuses améliorations possibles, figure d’abord, comme en matière de santé mentale, la mise en œuvre des dispositifs permettant l’aménagement ou la suspension de la peine ou la remise en liberté de la personne pour motif médical, dont l’application est très faible, seules 222 mesures de suspension et d’aménagement de peine pour raison médicale ayant été suivies par les SPIP en 2018. Au-delà, votre rapporteur suggère d’avancer dans trois directions.

En premier lieu, les conditions dans lesquelles ces personnes accèdent aux aides financières, humaines et techniques pour répondre à leurs besoins en détention pourraient être facilitées. Il est fréquent que les aides à la vie quotidienne soient en pratique assurées par un codétenu bénévole, un auxiliaire du service général ou un surveillant, alors qu’elles devraient l’être par des intervenants extérieurs spécialement formés. Alors que les personnes âgées de plus de 60 ans devraient bénéficier de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) dès lors qu’elles justifient d’une prescription médicale, seule une quinzaine d’établissements pénitentiaires a, à ce jour, conclu une convention avec un SSIAD. Pour remédier à cette situation, des conventions devraient être signées entre les services pénitentiaires, les conseils départementaux, les établissements de santé, les maisons départementales des personnes handicapées ainsi que les SAAD et les SSIAD pour permettre d’évaluer le niveau d’autonomie de la personne et de la faire bénéficier de l’octroi d’une aide financière, notamment l’allocation personnalisée d’autonomie, et du soutien humain, en détention, d’organismes ou d’associations extérieurs.

Il convient, en deuxième lieu, d’améliorer l’orientation, à leur sortie de détention, des personnes détenues dépendantes vers des structures de santé ou médico-sociales adaptées à l’hébergement et à la prise en charge de ces personnes, comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La direction de l’administration pénitentiaire a indiqué, lors de son audition, avoir déjà expérimenté à cette fin l’instauration d’un guichet unique, dont les résultats sont en cours d’évaluation.

Votre rapporteur se félicite que ces deux pistes aient été retenues dans la feuille de route sur la santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022.

En dernier lieu, votre rapporteur estime opportun de développer davantage la spécialisation de certains établissements pour l’exécution des peines de prison de personnes dépendantes dont l’état de santé n’est pas incompatible avec la détention, allant au-delà des expériences existantes, comme l’unité de soutien et d’autonomie du centre de détention de Bédenac ou l’aile d’hébergement du centre de détention de Toul. Une telle évolution rejoint d’ailleurs les réflexions en cours sur la nécessaire diversification des établissements pénitentiaires en matière de sécurité et de prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques.

C.   mieux prendre en charge les femmes dÉtenues enceintes

La problématique sanitaire se pose avec une acuité particulière pour les femmes détenues, qui représentent 3,6 % de la population carcérale.

Elles disposent en effet d’un accès souvent plus limité aux soins, les quartiers pour femmes dans les établissements avec une majorité d’hommes ne disposant ni d’équipes, ni de locaux sanitaires dédiés et adaptés (absence de gynécologue à temps plein, manque d’accès aux dépistages des cancers, précarité menstruelle…). Il importe donc que la meilleure attention soit portée à ce public, notamment en lui donnant, à l’incarcération, un kit comportant des produits adaptés à sa situation et en lui proposant, durant la détention, un cantinage adéquat.

Parmi ces femmes, celles enceintes ou ayant gardé leur bébé auprès elles jusqu’à ses dix-huit mois ([22]) doivent faire l’objet d’une attention particulière et bénéficier « de conditions de détention appropriées » ([23]).

1.   Des modalités spécifiques d’incarcération

Dès la déclaration de grossesse en détention, la personne détenue doit être accompagnée par les services sanitaires et sociaux. Elle peut bénéficier, au-delà de douze semaines de grossesse, d’une mesure d’aménagement ou de suspension de peine ou d’une mise en liberté pour motif médical. Son accompagnement, pris en charge à 100 % par l’assurance maternité, comprend un entretien prénatal précoce, sept séances de préparation à la naissance, un suivi prénatal adapté au risque maternel ou fœtal, trois échographies obstétricales par une équipe de gynécologie obstétrique en collaboration avec les médecins de l’USMP.

Elle doit être affectée dans un établissement doté de cellules « mère‑enfant » spécialement aménagées ([24]), au plus tard au septième mois de la grossesse.

Tout accouchement, sans aucune exception, doit se dérouler sans menottes ni entraves, hors la présence du personnel pénitentiaire.

L’enfant n’est pas écroué à l’établissement mais seulement hébergé, ce qui le soustrait aux règles ordinaires de la détention. Il doit être accueilli avec sa mère dans ces cellules « mère-enfant », qui peuvent être intégrées dans un quartier dédié (nurserie) incluant des espaces de vie collectifs (cuisine, salle de jeu, cour extérieure…). À défaut, l’enfant peut accéder à une salle d’activité et à une cour extérieure sur des créneaux dédiés. Dans certains établissements, une équipe de surveillantes est chargée de s’en occuper. L’accompagnement social et sanitaire de l’enfant n’est pas assuré par l’établissement pénitentiaire mais par les services de droit commun dans les conditions prévues par un partenariat spécialement établi avec l’établissement pénitentiaire, lorsqu’il existe : la protection maternelle et infantile (PMI), l’aide sociale à l’enfance, le médecin de ville…

En 2018, 31 établissements pénitentiaires proposaient 79 cellules « mère‑enfant ». 80 femmes étaient hébergées dans ces cellules, dont 67 déjà enceintes – 46 ayant accouché en détention et 21 étant sorties avant d’avoir accouché – et 13 avec un enfant déjà né ; 59 enfants avaient intégré avec leur mère ces cellules ([25]). Ces chiffres ne reflètent toutefois pas la totalité des femmes enceintes en détention, seules celles en phase avancée de grossesse étant ainsi prises en charge.

2.   La nécessité de mieux aménager leur prise en charge

Un important travail est mené en faveur d’une amélioration des conditions de cette prise en charge, allant au-delà des seules cellules « mère‑enfant » et des nurseries qui présentent plusieurs limites.

D’abord, ces structures, axées sur le soin, n’existent pas dans tous les établissements accueillant des femmes.

Ensuite, leur configuration ne permet pas à celles‑ci de s’absenter de leur cellule pour effectuer des démarches administratives, consulter un avocat, suivre une formation ou travailler, sauf à confier le bébé à une codétenue.

Par ailleurs, les pratiques divergent notablement selon les établissements, comme en matière d’accueil et de prise en charge des jeunes enfants pendant la détention. Alors que la maison d’arrêt pour femmes de Fleury‑Mérogis a récemment ouvert une micro-crèche en son sein, celle des Baumettes a fait le choix d’avoir recours à des crèches extérieures à l’établissement, solution qui permet de diversifier le mode de socialisation de l’enfant et de préparer la séparation avec la mère.

Enfin, les personnes auditionnées ont regretté le caractère daté et incomplet des dispositions régissant les conditions de prise en charge de ces femmes et de leurs enfants, qui remontent à une circulaire du 16 août 1999 qualifiée par la direction de l’administration pénitentiaire elle-même de « lacunaire et ancienne ». A par exemple été évoqué le flou juridique et sanitaire entourant les règles applicables aux femmes enceintes en détention provisoire qui, en cas de naissance précoce, n’auraient pas la possibilité de visiter leur bébé prématuré hospitalisé dès leur retour en détention.

Dans ces conditions, outre la nécessaire actualisation des règles établies par la circulaire de 1999, votre rapporteur est d’avis de concentrer les efforts en faveur d’une intervention plus importante de la PMI en détention, seule à même de permettre une prise en charge satisfaisante du jeune enfant, sur le plan social et sanitaire. De ce point de vue, il serait opportun d’intégrer dans les missions de ce service, telles qu’elles sont fixées par les articles L. 2111-1 et suivants du code de la santé publique, des actions en faveur de la prise en charge de ces enfants.


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première réunion du mardi 22 octobre 2019, la Commission auditionne Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8277499_5daf2121d9f44.commission-des-lois--audition-de-mme-nicole-belloubet-garde-des-sceaux-22-octobre-2019

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous sommes réunis cet après‑midi pour procéder à l’audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, en vue d’examiner et de voter les crédits de la mission « Justice », dont les rapporteurs sont M. Bruno Questel, pour le budget relatif à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse, et M. Dimitri Houbron, pour le budget relatif à la justice et à l’accès au droit. Je donnerai également la parole à M. Patrick Hetzel en tant que rapporteur spécial de la commission des Finances.

Madame la garde des Sceaux, vous avez la parole.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de la Justice est en forte augmentation. Avec près de 7,6 milliards d’euros, il progresse de 4 % en 2020, après avoir augmenté de 4,5 % en 2019 et de 3,9 % en 2018. Ce sont près de 300 millions d’euros de plus qu’en 2019, en tenant compte de l’inscription sur le budget de la justice de l’intégralité du financement de l’aide juridictionnelle, dans une logique de plus grande transparence. L’année prochaine, 1 520 emplois seront créés, portant à 3 920 le nombre d’emplois créés depuis 2018.

Vous ne manquerez sans doute pas de relever que le budget est un peu inférieur aux 7,7 milliards d’euros qui figuraient dans la loi de programmation. Cela ne traduit en rien une révision à la baisse de nos ambitions : il ne s’agit que de coller au plus près de nos besoins en crédits de paiement en 2020, au vu de l’avancement réel des projets. Quelques opérations immobilières ont pris un peu de retard, soit du fait de difficultés à trouver un terrain, soit du fait d’opérations inhérentes aux projets eux‑mêmes. Nous venons par ailleurs d’obtenir en complément 35 millions d’euros de financement de la part du fonds pour la transformation de l’action publique pour les prisons expérimentales d’insertion par le travail, ce qui montre le caractère innovant du projet.

Avec une telle progression des crédits, le Gouvernement confirme très clairement la priorité accordée à la justice. Ces moyens renforcés nous permettent de mettre en œuvre la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ses premiers effets se font déjà sentir de manière très concrète dès aujourd’hui : tout citoyen peut désormais suivre en ligne son affaire civile ; les majeurs protégés peuvent voter, se marier, divorcer sans autorisation préalable d’un juge ; les démarches à accomplir par les personnes chargées de leur protection sont simplifiées et accélérées ; les premières audiences des cours criminelles départementales se sont tenues, évitant la correctionnalisation des procédures ; la justice antiterroriste est renforcée avec la création en juin 2019 du parquet national antiterroriste et du juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme.

Voilà quelques exemples des évolutions très concrètes qui ont été traduites grâce à la loi de réforme pour la justice et aux financements qui l’accompagnent. L’effort d’investissement pour une justice de qualité se poursuivra en 2020, pour améliorer le service rendu aux citoyens et aux justiciables.

La réforme de l’organisation judiciaire, notamment la création au 1er janvier 2020 des tribunaux judiciaires par fusion des tribunaux d’instance et de grande instance, constitue une priorité importante. Cette réforme rendra la justice de première instance plus lisible et permettra de mieux traiter les contentieux les plus techniques, tout en laissant plus de souplesse d’organisation. Dans un souci de proximité, tous les lieux de justice seront maintenus et un juge des contentieux de la protection sera créé. Certains tribunaux de proximité verront même leurs compétences renforcées.

Par ailleurs, 384 créations d’emplois sont prévues dans les services judiciaires par le budget 2020. Elles favoriseront la mise en œuvre de cette réforme, l’adaptation des organisations de travail et la création du tribunal judiciaire. Elles permettront aussi de poursuivre la résorption des vacances dans les greffes, le développement de l’équipe autour du magistrat et l’augmentation des effectifs de magistrats dans les domaines prioritaires que constituent, pour l’année prochaine, la justice pénale des mineurs et la lutte contre la délinquance financière. D’ores et déjà, à la fin de l’année 2019, les vacances d’emplois de magistrats seront presque totalement résorbées, puisque le taux est de 0,95 %, soit le plus bas que nous ayons connu ces dernières années.

La nouvelle programmation immobilière judiciaire, qui a été dotée en 2019 de 450 millions d’euros d’autorisations d’engagement supplémentaires, est désormais bien lancée. Ainsi, 161 millions d’euros de crédits de paiement seront ouverts en 2020 et permettront d’accompagner la réforme de l’organisation judiciaire. Des opérations importantes vont ainsi passer en phase travaux comme les tribunaux de Bourgoin-Jallieu, Vienne ou Pau. Les moyens de fonctionnement des juridictions, qui avaient été fortement revalorisés en 2019, à hauteur de 9 %, sont consolidés à un niveau très élevé de 375 millions d’euros pour garantir le bon fonctionnement de la justice du quotidien.

Deuxièmement, l’entrée en vigueur de la nouvelle politique des peines en mars 2020 constituera également une étape majeure de la réforme de la justice, nécessitant un accompagnement fort des juridictions et des services pénitentiaires, pour promouvoir le prononcé de peines autres que les courtes peines d’emprisonnement ainsi que les alternatives à la détention provisoire. Aussi 400 emplois seront‑ils créés en 2020 dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, portant à 950 le nombre d’emplois créés en trois ans dans ces services. L’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice continuera sa montée en puissance, avec pour objectif, entre autres, d’atteindre une offre de 30 000 postes de travaux d’intérêt général (TIG) d’ici à trois ans.

Pendant de la réforme des peines, la réalisation du programme de construction de 15 000 places de prison à l’horizon de 2027 avance résolument, en dépit du décalage de quelques opérations lié à des difficultés locales pour obtenir des terrains. Pour les 7 000 premières places qui devaient être livrées en 2022, le programme est finalisé pour près de 80 % d’entre elles, les marchés de maîtrise d’œuvre sont passés pour plus de la moitié et 22 % sont en travaux. Dans le budget 2020, 327 millions d’euros de crédits de paiement sont inscrits dans le budget 2020 pour la construction et la rénovation des établissements pénitentiaires, soit une progression de 34 % par rapport à 2019, traduisant le passage de nombreux projets en phase opérationnelle. D’ici à 2022, 2 000 places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) seront ouvertes. Qui plus est, 145 emplois sont d’ores et déjà créés en 2020 pour préparer les prochaines ouvertures d’établissements.

Plus généralement, avec 1 000 créations d’emplois, dont 300 pour le comblement de vacances de poste de surveillants, 50 pour les extractions judiciaires et une progression de ses crédits de 6,2 %, c’est toute l’administration pénitentiaire qui poursuit sa consolidation pour améliorer le fonctionnement au quotidien des établissements pénitentiaires.

La sécurité des établissements pénitentiaires est toujours un enjeu fort. Les crédits en sa faveur atteindront cette année 58 millions d’euros, soit 16 % de plus que l’an dernier. Ils nous permettront de poursuivre l’installation de systèmes de brouillage des communications illicites, de lutte contre les drones et de vidéosurveillance.

Troisièmement, 2020 sera l’année de la réforme de la justice pénale des mineurs, maintes fois mise sur le métier par les gouvernements précédents, sans jamais être conduite à son terme. L’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ouvre la voie à une rénovation profonde de la prise en charge des mineurs délinquants. Cette réforme simplifie la procédure pénale qui leur est applicable, en apportant une réponse plus rapide aux victimes, tout en assurant une meilleure prise en charge éducative des mineurs. Elle entrera en vigueur au 1er octobre 2020, pour permettre au Parlement d’en débattre, comme je m’y étais engagée devant vous, et aux juridictions et services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de préparer sa mise en œuvre.

Des moyens importants sont consacrés à cette réforme dans le budget 2020 : 70 emplois de magistrats et 100 emplois de greffiers sont créés à cette fin, ainsi qu’une centaine d’emplois d’éducateurs à la protection judiciaire de la jeunesse. Ces moyens devraient nous permettre de respecter les délais de jugement prévus dans le code pour les nouvelles procédures, sans dégrader le traitement des procédures engagées selon les dispositions de l’ordonnance de 1945.

Les crédits de la PJJ progresseront de 17 millions d’euros en 2020, permettant également de poursuivre la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants, la construction de vingt centres éducatifs fermés et la rénovation de son parc immobilier.

Quatrièmement, pilier indispensable de toutes ces réformes, la transformation numérique progresse de manière visible. Le ministère a augmenté de 75 % son budget informatique annuel depuis 2017, ce qui nous permet de rattraper notre retard. Nous avons renforcé l’infrastructure technique et les équipements informatiques, préalables indispensables à la dématérialisation des procédures, progressent rapidement. Le réseau haut débit sera effectif sur un millier de sites fin 2020, y compris outre-mer. Qui plus est, 20 000 ordinateurs vont être remplacés au premier semestre 2020. Près de 1 900 équipements de visioconférence sont opérationnels, permettant notamment d’éviter 20 % des extractions judiciaires.

Nous développons également de nouvelles applications autour du portail du justiciable, qui est l’un des objets de la vie quotidienne que le Gouvernement suit dans le cadre du comité interministériel de transformation publique. Nous travaillons également avec Christophe Castaner à développer une procédure pénale numérique de bout en bout, qui aille de la plainte jusqu’au jugement, ce qui facilitera considérablement le travail des personnels de justice et de la police judiciaire. Dans le cadre de ce travail, la plainte en ligne est évidemment un sujet majeur.

Face à l’ampleur de la transformation qui est en train de se jouer, l’accompagnement des agents est primordial. Un projet de formation et d’accès au droit à l’ère du numérique, réunissant le secrétariat général de mon ministère, les directions et les quatre écoles du ministère, a été lancé pour mieux accompagner la montée en compétence des agents du ministère.

Cinquièmement, dans ce contexte de transformation importante de la justice, l’accès au droit et l’aide aux victimes sont également essentiels.

La réforme de l’aide juridictionnelle doit entrer dans une phase concrète, avec la construction d’un nouveau système d’information, qui permettra une saisine en ligne et s’accompagnera d’une simplification du dispositif. Elle se traduira également par la simplification des modalités de contractualisation entre les barreaux et les juridictions et la possibilité d’expérimenter, avec les barreaux volontaires, des structures dédiées à la défense des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.

Le réseau d’accès au droit sera optimisé avec notamment la présence de conciliateurs de justice dans chaque maison France Service. Un effort particulier sera réalisé dans le budget 2020 pour développer les espaces de rencontre médiatisés, qui bénéficieront de 2 millions d’euros supplémentaires, afin de consolider l’action de ces structures indispensables à la préservation des liens parents-enfants en cas de crises familiales graves. Les crédits consacrés à l’aide aux victimes continueront leur progression – plus 10 % depuis 2017 –, avec un effort tout particulier pour les victimes de violences conjugales, dans le cadre des travaux du Grenelle ouvert le 3 septembre 2019.

Toutes ces réformes ne pourront réussir qu’avec l’engagement de tous les agents du ministère. Ainsi, 20 millions d’euros de crédits seront consacrés en 2020 à la valorisation de leur travail et de leurs compétences et à l’accompagnement des réformes. Ils financeront notamment la réforme de la chaîne de commandement et de la filière technique de l’administration pénitentiaire ; la revalorisation des astreintes des magistrats du parquet, qui est très attendue ; l’évolution des directeurs de greffe de tribunal judiciaire ; la poursuite de la mise en œuvre du protocole parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) ; la création du corps des cadres éducatifs ; ainsi que la poursuite du versement de compléments indemnitaires annuels au mérite.

L’action sociale en faveur des agents du ministère continuera de progresser, grâce à une augmentation de 8 % des crédits en 2020 et de 27 % depuis 2017, pour poursuivre l’action engagée en faveur du logement, de la restauration et de la petite enfance, à l’appui de notre politique d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Pour conclure, 2018 et 2019 ont été des années de conception et de pose des premières briques des chantiers de réforme de la justice ; 2020 sera celle de la réalisation et du suivi des premiers résultats. La loi n’est en effet que la condition nécessaire à la modification des pratiques ou des organisations, non la condition suffisante. Nous sommes entrés dans le temps de l’application. Les indicateurs de performance qui figurent dans les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2020 ont été revisités à cette occasion, pour rendre compte de la mise en œuvre de la loi de programmation et de réforme pour la justice et mieux mesurer l’atteinte des résultats attendus. Ce budget devrait nous permettre de mener à bien les transformations profondes de notre justice que vous avez votées dans la loi du 23 mars dernier.

M. Bruno Questel, rapporteur pour avis du programme « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse ». Je ne reviendrai pas sur l’évolution des moyens de l’administration pénitentiaire et de la PJJ. Nul ne peut contester que des efforts sans doute inédits sont consentis en faveur de ces administrations, qui sont confrontées à d’importants défis. La première doit faire face à la surpopulation carcérale et, par ailleurs, anticiper la refonte à venir du droit des peines pour mieux prévenir la récidive. La seconde doit, quant à elle, diversifier ses modes d’intervention et se préparer à la réforme prochaine de la justice pénale des mineurs, que Mme la ministre a évoquée.

S’agissant des crédits de l’administration pénitentiaire, je souhaite appeler l’attention sur deux sujets.

Pour ce qui est des surveillants, les recrutements massifs en cours, destinés à combler les vacances de postes et à améliorer les conditions de travail, peuvent parfois conduire à des affectations précipitées pour de jeunes surveillants qui ne disposent pas toujours des prérequis indispensables à l’exercice de leur fonction. Ils mériteraient d’être davantage accompagnés. Par ailleurs, la revalorisation du rôle du surveillant dans la détention, pour en faire un acteur de l’évaluation et de la réinsertion de la personne détenue, devrait être mieux pensée et davantage soutenue dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.

Concernant l’amélioration de la diversification des établissements et des régimes de détention, le programme de construction de 15 000 places de prison d’ici à 2027 est très attendu. Mais des difficultés d’implantation locales le ralentissent. Or il est essentiel qu’il se concrétise rapidement pour mieux prendre en compte la dangerosité des détenus et mieux préparer leur sortie de détention. Les deux établissements expérimentaux pensés autour du travail et les SAS qui vont voir le jour devront s’accompagner de réels projets de réinsertion et d’une véritable prise en charge sanitaire.

Cette année, j’ai choisi de m’intéresser dans mon rapport au thème de la santé des personnes détenues. Dans ce domaine, d’incontestables progrès ont été réalisés, notamment grâce au transfert des prises en charge sanitaires au ministère de la santé, à l’affiliation obligatoire au régime général de l’assurance maladie des personnes détenues, qui conduit aujourd’hui à la gratuité des soins, à la structuration de l’offre en trois niveaux et à la spécialisation somatique et psychiatrique de cette offre.

Malgré des progrès, la situation demeure insatisfaisante à plusieurs égards. L’offre des soins est fragile et incomplète ; les effectifs de praticiens fixés en fonction de la population théorique des établissements sont notoirement insuffisants dans les maisons d’arrêt surpeuplées ; les difficultés en démographie médicale obligent à recourir à des extractions difficiles à mettre en œuvre ; le nombre de structures de prise en charge psychiatrique –services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) – est insuffisant.

Madame la ministre, comment le Gouvernement entend‑il pallier ces carences ? Prendra‑t‑il des mesures pour accroître l’attractivité des fonctions médicales en prison et augmenter l’offre de télémédecine ? Est‑il par ailleurs envisagé de construire la deuxième tranche des UHSA ?

Mes chers collègues, à cette difficulté d’organisation s’ajoute la problématique de la vulnérabilité de la population carcérale en matière de santé. Elle est principalement de deux ordres : la prévalence des troubles mentaux, à laquelle notre collègue Stéphane Mazars, sous l’impulsion de la présidente de la commission des Lois, s’était intéressé en 2018, et la perte d’autonomie en raison d’un handicap ou de l’âge.

Une nouvelle étude sur la fréquence de ces troubles devrait prochainement permettre de mieux en connaître les contours et l’ampleur. Au‑delà, une réflexion profonde devrait être conduite sur les causes d’incarcération et de maintien en détention des personnes qui en sont atteintes : mouvement général de désinstitutionnalisation ; faiblesse de l’expertise psychiatrique qui freine la bonne application des dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale, à la suspension des peines et à la mise en liberté pour motif médical.

Quant à la perte d’autonomie, elle risque de s’amplifier avec le vieillissement de la société, ainsi que l’allongement de la durée des peines et des prescriptions. L’état de dépendance, s’il ne conduit pas à la libération pour motif médical, devrait justifier une prise en charge financière, humaine et matérielle, à la hauteur des besoins des personnes. Tel n’est pas toujours le cas, comme en témoignent les difficultés de perception de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’absence d’intervention en détention des services des soins infirmiers ou d’aide à l’accompagnement à domicile, les défauts d’orientation en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou le manque de spécialisation des établissements.

Comment l’administration pénitentiaire envisage‑t‑elle de répondre à ce terrible défi ? Des réflexions sont‑elles en cours pour améliorer l’accès aux aides financières, l’intervention en prison d’organismes ou d’associations extérieurs, l’orientation des détenus les plus âgés à leur sortie de détention dans des structures de santé adaptées et la spécialisation des établissements dans la prise en charge de ces détenus ?

Enfin, l’examen de la question de la santé des personnes incarcérées ne serait pas complet si nous n’évoquions pas la situation des femmes enceintes. L’accès aux soins des femmes détenues, de manière générale, est plus limité que celui des hommes. Nous en avions débattu lors de l’examen de la loi portant réforme pour la justice, notamment à propos de la précarité menstruelle. S’agissant des femmes détenues enceintes, des modalités spécifiques d’incarcération existent : suivi de grossesse, prise en charge de l’assurance maternité, affectation dès le septième mois de grossesse dans un établissement doté de cellules mère‑enfant ou encore d’une nurserie.

Néanmoins, des progrès restent à accomplir dans la répartition territoriale des cellules mère‑enfant et des nurseries, ainsi que dans les modalités d’hébergement des enfants. Surtout, la circulaire de 1999, qui régit les conditions d’accueil de ces enfants, qui peuvent rester aux côtés de leur mère jusqu’à leur dix‑huit voire vingt‑quatre mois, apparaît aujourd’hui datée et parfois lacunaire.

Quelles dispositions pensez‑vous prendre, madame la ministre, pour sécuriser sur le plan juridique et sanitaire la prise en charge des détenues enceintes et de leurs jeunes enfants ? Une réflexion peut‑elle être menée pour accroître l’intervention de la protection maternelle et infantile en détention ?

M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis du programme « Justice et accès au droit ». 2020 sera la première année pleine de mise en œuvre de la loi du 23 mars 2019. Le budget prévu pour la justice en 2020 tire les premières conséquences en matière de moyens humains et budgétaires de la réforme d’ampleur du système judiciaire prévue par la loi de programmation, que ce soit en matière de simplification des procédures civiles et pénales, de renforcement de l’efficacité et du sens de la peine ou encore de l’amélioration de l’efficacité de l’organisation judiciaire. Il prévoit de porter les moyens en faveur de la justice de 9,1 milliards d’euros en 2019 à 9,4 milliards en 2020, soit une progression de plus de 3,5 % en crédits de paiement. Après une augmentation de 4,5 % en 2019, cette progression conforte la volonté du Gouvernement d’une mise à niveau des moyens de la justice, en accordant une attention particulière à l’administration pénitentiaire.

En 2020, les moyens prévus pour la justice et l’accès au droit devraient progresser, à périmètre courant, de près de 2,4 % en crédits de paiement pour atteindre 4 536 millions d’euros. Les autorisations d’engagement devraient diminuer de 4,6 % pour s’établir à 4 587 millions d’euros. Un effort important est réalisé en faveur des créations d’emplois, qui devraient s’élever à 450, dont 384 nouveaux emplois dans les juridictions, afin de rénover la justice des mineurs, d’accroître la lutte contre la délinquance financière et de renforcer les équipes autour des magistrats.

Après avoir étudié en 2018 la question de l’aide juridictionnelle, j’ai choisi de m’intéresser cette année à la médiation familiale. Mais j’aurais une question liminaire sur l’évolution de l’aide juridictionnelle : une fois la budgétisation des taxes jusqu’alors affectées au Conseil national des barreaux (CNB) retraitée, c’est une baisse de près de 14 millions d’euros, soit de 3,2 % qui semble prévue. Les moyens prévus dans le projet de loi de finances pour 2020 seront‑ils suffisants ? Comment allez‑vous assurer la montée en charge de la généralisation de la représentation obligatoire prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice ?

La médiation familiale connaît un véritable essor, tant dans sa dimension conventionnelle que judiciaire. Elle a progressé de 42 % entre 2013 et 2018, avec une nette accélération en 2018, sous l’effet de l’expérimentation relative à la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), à peine d’irrecevabilité, avant toute saisine du juge aux affaires familiales visant à modifier une précédente décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. Les premiers résultats sont très encourageants et confirment l’intérêt de la médiation familiale. Ils montrent en effet que le taux d’accord entre les parties s’élève à 26 %, soit à un niveau proche de celui atteint dans le cadre de la médiation familiale conventionnelle.

Certains tribunaux de grande instance constatent une diminution du nombre de saisines contentieuses et une augmentation significative des demandes d’homologation d’accords parentaux sans audience, dans des dossiers entrant dans le champ de la TMFPO. Les magistrats et les médiateurs familiaux soulignent aussi qu’au moment de l’audience les relations entre les parties soumises à cette obligation sont apaisées, même en l’absence d’accord résultant de la tentative de médiation, et que la médiation permet de concentrer les débats sur les questions juridiques.

Enfin, cette expérimentation est intéressante, en ce qu’elle permet de diffuser la culture de la médiation auprès de nouveaux publics, de préciser le rôle de chacun des intervenants et de remettre en question le rôle du médiateur familial en le conduisant à adopter d’autres postures professionnelles.

Au vu de ces premiers résultats encourageants et compte tenu du retard pris dans la mise en œuvre de cette expérimentation, je souhaiterais qu’elle soit prolongée d’un an. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement en ce sens.

La médiation familiale apparaît comme un outil efficace dont les potentialités doivent encore être développées. Pour cela, je vous soumets, madame la ministre, plusieurs propositions : prolonger l’expérimentation d’une année et procéder aux ajustements nécessaires, en particulier à l’harmonisation des procédures en matière de recevabilité ; étendre le champ de l’obligation de médiation préalable à l’ensemble des affaires familiales, à l’exception des cas de violences conjugales et, plus généralement, des affaires communicables au ministère public ; améliorer l’information sur la médiation familiale par la généralisation de l’organisation de permanences en même temps que les audiences des juges aux affaires familiales ou par la projection, les jours d’audience, d’un film sur la médiation familiale dans la salle d’attente des affaires familiales, afin de sensibiliser les parties à l’intérêt de cette démarche.

Mais il faut également : généraliser la double convocation ; sensibiliser les agents sur la nécessité d’informer les personnes souhaitant saisir le juge aux affaires familiales ; affermir le rôle des conseils départementaux de l’accès au droit, pour que l’implantation des maisons de justice et du droit et des structures d’accès au droit se poursuive en lien avec le développement des maisons France Service et que l’information relative à la médiation familiale soit largement assurée ; lancer une campagne d’information nationale ; enrichir l’information relative à la médiation familiale sur le site justice.gouv.fr.

Une autre proposition vise à mieux encadrer la profession de médiateur familial, en créant un conseil national de la médiation familiale, qui serait notamment chargé de la définition des conditions d’agrément des médiateurs familiaux et du contrôle des conditions d’exercice de la profession, en enrichissant la formation des médiateurs familiaux, car il ressort de l’exercice actuel de la profession une certaine impression d’anarchie. Il est aujourd’hui nécessaire d’élaborer un référentiel de formation et de définir des conditions d’accréditation des organismes de formation.

Il est également nécessaire de promouvoir la médiation familiale auprès des magistrats qui en ont un usage encore inégal. Cela peut passer par le renforcement de la place de la médiation familiale dans le cadre de la formation initiale et continue des magistrats, mais également par une prise en compte du recours à la médiation familiale dans les statistiques du traitement des litiges. Il faut aussi encourager les avocats dans cette voie, en les sensibilisant davantage, au cours de leur formation, et en réévaluant l’indemnisation des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle dans le cadre des médiations familiales – on a constaté qu’il était plus rémunérateur d’aller en contentieux que dans ces phases de médiation.

Il serait intéressant de développer la conclusion de partenariats tripartites en faveur de la médiation familiale dans chaque juridiction, entre les juges, les médiateurs familiaux et les avocats. Nous pourrions également réfléchir aux pistes d’évolution du financement de la médiation familiale, comme la mise en place d’un ticket médiation dans les entreprises ou encore une prise en charge dans le cadre de l’assurance de protection juridique, par exemple. Est aussi ressortie la nécessité de supprimer la procédure de consignation, qui est trop lourde au regard des enjeux financiers.

Enfin, il semble nécessaire de mener une réflexion sur l’opportunité de revoir le barème national des participations des familles, puisqu’il va de 2 à 131 euros de participation, alors qu’une médiation coûte plus de 1 000 euros, à raison de 2,6 séances en moyenne pour aller jusqu’à son terme.

Telles sont, madame la ministre, les principales propositions que je vous soumets, en espérant que vous voudrez bien leur donner une suite favorable.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des Finances. Madame la ministre, je me concentrerai sur deux remarques et quatre questions.

Comme viennent de le dire les deux rapporteurs pour avis, ce budget est le premier après le vote de la loi de programmation pour la justice, promulguée le 23 mars dernier. Lorsque l’on compare ce que nous avons voté il y a sept mois et ce qui figure dans le budget 2020, on s’aperçoit qu’il y a déjà 200 millions d’euros qui manquent sur les 400 prévus. La justice, contrairement à ce que vous dites, est encore une fois sacrifiée, puisque l’on a à peine la moitié du budget que vous‑même, madame la ministre, aviez prévu : il y a un décalage entre le discours et le fait. Je trouve d’ailleurs assez étonnant qu’en l’espace de quelques mois on se retrouve dans une situation où le Gouvernement revient sur ce qui a été voté solennellement au Parlement. Cela pose très sérieusement la question de la crédibilité de la parole publique gouvernementale.

Deuxième remarque : alors que la situation du budget de l’aide juridictionnelle reste problématique et que le seuil d’éligibilité demeure faible, le budget 2020 ne fait que l’augmenter, sans apporter aucune réponse pour améliorer ni son accès, ni son financement.

Mes deux premières questions concernent le volet de la justice judiciaire. Si les objectifs du programme 166 sont louables, on peut douter de l’efficacité des financements, lorsque l’on constate que son budget est en augmentation d’à peine plus de 10 millions d’euros et qu’il est annoncé dans le même temps une augmentation des effectifs, notamment de 100 emplois de magistrats et de 284 emplois de fonctionnaires. Dans la mesure où cette augmentation n’est pas répercutée au niveau du titre 2, on peut s’interroger sur la manière dont, très concrètement, ces postes seront financés, à moins qu’il ne s’agisse que d’un nouvel effet d’annonce et qu’un certain nombre de postes ne soient pas pourvus, auquel cas on peut s’interroger sur la sincérité du budget.

Pour ce qui est du délai de traitement des affaires pénales concernant les mineurs, la cible de 2020 est fixée à quinze mois, ce qui est ambitieux. D’ailleurs, le bleu budgétaire le précise lui‑même. Rappelons que la hausse régulière des affaires et du nombre de mineurs suivis au pénal comme au civil alourdit la charge de travail pesant sur les juges des enfants. Ma question est très simple : comment allez‑vous faire pour atteindre vos objectifs ?

Ma troisième question a trait à l’administration pénitentiaire. En début de quinquennat, le Président de la République avait annoncé, de manière très tonitruante, la création de 15 000 places de prison au cours de son mandat. Sans doute souhaite‑t‑il exercer un deuxième mandat présidentiel, parce qu’il faudra aller jusqu’à 2027 au moins pour atteindre ce nombre de places ! Vous êtes obligés de reconnaître qu’au mieux vous arriverez à atteindre les 7 000 places en fin de quinquennat. Qui a dit faux ? Est-ce le président Macron qui s’est trompé dans ses promesses aux Françaises et aux Français ou est‑ce vous qui ne respectez pas ce que souhaitait faire le Président de la République ? Le taux d’occupation des places en maisons d’arrêt continue d’augmenter. La question de leur suroccupation est une vraie préoccupation. Or on a l’impression que le Gouvernement reste très largement en deçà de ce qu’il faudrait faire en la matière.

Enfin, s’agissant de la PJJ, le budget consacrera pas loin de 20 millions d’euros à la poursuite du programme de construction des cinq nouveaux centres éducatifs fermés du secteur public. Pourriez‑vous nous préciser sur quelles bases ont été choisis les lieux d’implantation de ces sites ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Questel, vous avez évoqué la question du recrutement massif des surveillants pénitentiaires. Notre plan de recrutement répond à un protocole d’accord qui avait été signé avec l’une des organisations syndicales. Il permettra de combler les vacances d’emploi, ce qui se sent déjà sur le terrain. Grâce à des efforts de communication importants de l’administration pénitentiaire, à des indemnités de fidélisation et à la formation de six mois, nous pouvons désormais recruter tous les surveillants pénitentiaires dont nous avons besoin. Pour ce qui est de leur affectation, nous pouvons les stabiliser dans leur premier poste, grâce à la prime de fidélisation instaurée dans un nombre important d’établissements pénitentiaires.

S’agissant de la nécessaire revalorisation de leur rôle, depuis mon arrivée au ministère, je souhaite que les surveillants pénitentiaires, qui sont les premiers acteurs de la détention et qui sont ceux qui connaissent le mieux les personnes en détention, voient leur travail valorisé. Nous l’avons fait de différentes manières : sur un plan indemnitaire, en répondant à des souhaits d’équipement ou de prise en charge différenciée des détenus. Nous diversifions également leurs fonctions, ce qui fait qu’au cours de leur carrière, ils pourront exercer différentes missions – surveillance sur la coursive, extractions judiciaires, participation aux équipes régionales d’intervention et de sécurité, présence en quartiers d’évaluation de la radicalisation et dans d’autres lieux. Nous essayons de montrer aux surveillants pénitentiaires qu’ils n’effectueront pas les mêmes tâches durant toute leur carrière. Nous avons aussi travaillé sur l’enrichissement de leur mission. La direction de l’administration pénitentiaire a diffusé, à la fin de l’année 2018, une note sur le surveillant acteur, laquelle vise à valoriser et à prendre réellement en compte les observations faites par les surveillants dans le cadre de leur mission et à les impliquer dans l’évaluation des détenus et dans la prise de décision les concernant.

Sur la question de la santé des personnes détenues, il faut d’abord souligner que, dans chaque établissement pénitentiaire, les unités médicales accueillent avec beaucoup de présence et de permanence les détenus et qu’elles jouent un rôle très important. Par ailleurs, nous avons souhaité développer la télémédecine, ce qui nous permet d’éviter des extractions et, dans un certain nombre de cas, de consulter des spécialistes, notamment en dermatologie ou en anesthésie. Nous venons de bénéficier, de la part du fonds pour la transformation de l’action publique, de presque 3 millions d’euros pour développer l’offre de télémédecine en détention. Deux projets ont été financés, ce qui est assez rare : les prisons expérimentales d’insertion par le travail, avec 35 millions d’euros, et le développement de la télémédecine.

S’agissant de la mise en œuvre de la deuxième tranche d’UHSA, comme vous le savez, monsieur le rapporteur, nous avons une compétence partagée avec le ministère de la Santé. C’est ce ministère qui dispose de l’essentiel des budgets. Le principe de la construction d’une deuxième vague d’UHSA n’est absolument pas discuté. Nos deux ministères travaillent actuellement pour nous assurer de la localisation et de l’ampleur des travaux à réaliser et à suivre.

Pour ce qui est des soins psychiatriques, ce sujet essentiel fait partie des mesures importantes que je ne vais pas détailler devant vous mais que j’ai présentées avec la secrétaire d’État auprès de la ministre de la Santé Christelle Dubos. Nous avons présenté une feuille de route en juillet dernier, qui apporte des réponses importantes sur la continuité de la prise en charge psychiatrique des détenus, dans le parcours mais aussi en sortie de détention. Au moment de leur passage en SAS, les détenus bénéficient d’une prise en charge singulière, qui les conduit à être pris en charge non plus entre les murs de la structure pénitentiaire mais déjà hors des murs.

Concernant la vulnérabilité, la feuille de route 2019‑2022 consacre son action 19 à l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap, de fragilité ou de perte d’autonomie. Je ne détaille pas l’ensemble des mesures qui feront suite à cette action. À la sortie de détention, les personnes dépendantes seront orientées vers des structures de santé ou médico‑sociales, qui seront adaptées à une prise en charge spécifique. La direction de l’administration pénitentiaire a ainsi conventionné avec plusieurs structures, dont la Croix rouge ainsi que, dans certaines villes, des fondations importantes.

Sur la question des femmes enceintes, vous avez cité à juste titre le manque de cellules mère‑enfant. Mais, comme vous le savez, monsieur le député, nous devons créer de nouvelles places d’hébergement pour les femmes détenues. Alors que le quart sud‑ouest de la France ne permet d’accueillir aucune femme, dans le programme immobilier pénitentiaire une structure d’accueil est prévue à Toulouse. Dans toutes les nouvelles structures, nous construirons bien évidemment des lieux d’accueil pour les femmes enceintes.

Monsieur Houbron, vous avez évoqué la médiation familiale, qui est un sujet essentiel. Vous avez également parlé de l’aide juridictionnelle ; je vous répondrai sur ce point en même temps qu’à M. Hetzel.

En ce qui concerne la médiation familiale, et plus particulièrement l’intérêt de l’expérimentation qui a été conduite, je me suis effectivement rendue dans certains des lieux concernés. Le mot « apaisement », que vous avez prononcé, est très juste dans ce type de situations. Vous me demandez de prolonger l’expérimentation d’un an ; cette proposition me paraît tout à fait pertinente et justifiée pour nous permettre d’en tirer tous les enseignements. Vous avez également fait une série de propositions très précises, souhaitant notamment étendre la médiation familiale, sauf en cas de violences intraconjugales. Toutes ces propositions méritent d’être étudiées. Certaines sont, en l’état, tout à fait intéressantes ; d’autres mériteraient peut-être que l’on y réfléchisse davantage. Par exemple, j’ai quelques doutes au sujet de la généralisation de la double convocation, car celle-ci ne me semble pas toujours adaptée. Cela dit, nous pourrions en rediscuter.

Vous avez évoqué notamment la nécessité de mieux encadrer les médiateurs familiaux. Il y a de cela trois ou quatre jours, un Livre blanc sur la médiation m’a été remis par le collectif Médiation 21. On y trouve une synthèse sur le sujet et des propositions d’évolution du cadre de la médiation. Comme vous le savez, la médiation est pour nous un point important, car nous avons fait des modes alternatifs de règlement des litiges un préalable obligatoire dans un grand nombre de cas. Les médiateurs qui m’ont remis le Livre blanc m’ont dit que certains points leur semblaient très importants : d’une part, le référentiel de formation, dont vous parliez vous-même, et, d’autre part, un meilleur encadrement global des médiateurs, avec notamment la mise en place d’un Conseil national de la médiation. Je suis très intéressée par ces propositions, et j’ai promis de revenir vers leurs auteurs. Du reste, c’est l’un de vos collègues parlementaires qui m’avait incitée à participer à cette rencontre. Il y a là des idées extrêmement intéressantes, qui méritent d’être creusées. En ce qui concerne les autres points que vous évoquiez – les juges, les médiateurs familiaux et les avocats –, ils participent de la même logique et tendent à souligner l’importance de la médiation, singulièrement de la médiation familiale.

Monsieur Hetzel, la première de vos remarques portait sur les 200 millions manquants. Ce sont en réalité 153 millions qui sont inscrits en moins par rapport au budget que nous avions envisagé dans le cadre de la loi de programmation. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, ces sommes manquantes sont liées aux retards de certaines opérations, notamment dans l’immobilier pénitentiaire, et s’expliquent, pour l’essentiel, par deux phénomènes : premièrement, l’absence de réponse probante à nos appels d’offres, ou encore certaines difficultés rencontrées dans les marchés que nous passons – cela arrive – ; deuxièmement, la difficulté à trouver des terrains, à laquelle s’ajoute le fait que, pour certains de ceux qui avaient été repérés, nous nous heurtons à l’opposition de plusieurs élus. J’espère que les choses s’amélioreront dans les mois à venir. Quoi qu’il en soit, cela ne remet pas en cause la création des 15 000 places de prison promises par le Président de la République. Vous m’avez dit que nous créerions, dans le meilleur des cas, 7 000 places à la fin du quinquennat. Le débat entre nous sur ce point n’est pas nouveau, monsieur le rapporteur pour avis : nous l’avons déjà eu, vous avez lancé les mêmes affirmations au moment du vote de la loi de programmation. Je vous avais alors exposé clairement la manière dont nous allions conduire le programme immobilier pénitentiaire.

Vous avez évoqué également le budget de l’aide juridictionnelle en me disant que je n’apportais pas de réponse concernant l’accès à cette aide et son financement. Or le financement de l’aide juridictionnelle augmente : les crédits progressent de 60 millions entre 2019 et 2020, puisqu’ils passent de 423 à 484 millions d’euros. Cette augmentation intègre 83 millions d’euros issus de la rebudgétisation des taxes affectées au CNB. Nous sommes parfaitement transparents sur ce point : effectivement, nous opérons une rebudgétisation.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas seulement de la transparence : je ne suis pas sûr que le CNB soit très content !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux. C’est tout simplement un souci de transparence qui nous conduit à regrouper tous les crédits sur le budget de l’État.

Si les crédits de l’aide juridictionnelle n’augmentent pas d’autant – c’est-à-dire de 83 millions d’euros –, c’est pour des raisons techniques ; cela ne signifie pas une baisse de l’effort en faveur de l’aide juridictionnelle. D’une part, il y a un apurement de produits de contributions pour l’aide juridique, restés sur un compte d’attente. Ce produit sera réalisé d’ici à la fin de l’année et apportera 9 millions de ressources supplémentaires pour le financement de l’aide juridique. D’autre part, l’évolution tendancielle de la dépense, qui fait apparaître une baisse, conduit à diminuer l’enveloppe de 20 millions d’euros environ : la dépense constatée en 2018 n’était que de 464 millions d’euros. Cela dit, la dotation inclut une enveloppe de 4,5 millions destinée à financer l’extension de la représentation obligatoire et 5 millions visant à développer la contractualisation avec les barreaux et à financer, entre autres, la création de structures dédiées à la défense des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.

Par ailleurs, comme je vous le disais tout à l’heure, nous avons développé le suivi informatisé des affaires juridiques, c’est-à-dire la numérisation de l’aide juridictionnelle. En outre, nous prendrons comme critère unique le revenu fiscal de référence. Cela nous permettra d’obtenir un traitement à la fois plus équitable et plus performant de l’aide juridictionnelle. J’y reviendrai si vous le souhaitez.

Vous m’avez également interrogée, monsieur Hetzel, sur le financement des postes créés dans le domaine judiciaire. Vous pensez que, dans le titre 2, les crédits ne sont pas à la hauteur du nombre d’emplois créés. Or il a bel et bien été budgété pour financer les 384 créations d’emplois, à savoir 100 magistrats et 284 greffiers supplémentaires : 22 millions ont été prévus à cette fin.

Vous m’avez demandé comment je comptais améliorer les délais de traitement de la justice des mineurs, qui sont actuellement de l’ordre de dix-sept mois, en effet. Nous avons indiqué, dans les documents qui vous ont été transmis, que les délais devraient passer à quinze mois en 2020. Notre idée est très simple : nous allons affecter à la justice des mineurs 70 magistrats et 100 emplois de greffiers supplémentaires. Nous espérons qu’avec cet apport, et avec le travail sur les procédures que nous allons effectuer, nous pourrons diminuer les délais dans les proportions que j’indiquais.

Enfin, vous m’avez demandé comment les lieux d’implantation des centres éducatifs fermés avaient été choisis. C’est très simple : nous sommes partis de l’évaluation des besoins en matière de justice des mineurs – étant entendu que les centres éducatifs fermés ne sont que l’une des réponses possibles pour les mineurs délinquants – et avons lancé des appels à projets afin de les satisfaire.

Mme Alexandra Louis. Je voudrais commencer en rappelant que nos concitoyens sont très attachés à la justice et qu’ils attendent, très légitimement, que celle-ci soit plus lisible, plus efficace, mais aussi – évidemment – plus rapide. C’est dans cet esprit que le budget de la justice pour 2020 donne la priorité à la simplification et à la modernisation de la justice engagées par la loi de programmation, avec une augmentation de 3,5 % des crédits de paiement. Je ne reviendrai pas en détail sur l’ensemble des objectifs de ce budget, qui ont été rappelés préalablement ; je mettrai l’accent sur le renforcement de la PJJ, l’accès au droit ‑ particulièrement à travers l’aide juridictionnelle – et la transformation numérique.

Premièrement, le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » accompagne la réforme de la justice des mineurs, dont vous avez parlé, madame la garde des Sceaux. Il va favoriser la mise en place d’une nouvelle procédure, de nouvelles dispositions qui permettront d’avoir une justice plus claire, plus lisible et plus rapide. Je me dois de rappeler également que cette réforme a fait l’objet d’une longue concertation et qu’elle est à la hauteur de nos ambitions. Une justice plus claire, avec une présomption de discernement fixant le seuil de la responsabilité pénale à 13 ans ; une justice plus rapide, avec un jugement sur la culpabilité du mineur et sur l’indemnisation des victimes intervenant dans un délai de trois mois maximum, contre près de dix-sept mois actuellement – il s’agit, bien sûr, d’un point important de la réforme – ; une justice plus lisible, avec, entre autres, une mise à l’épreuve éducative de six à neuf mois avant la décision sur la sanction, prenant en compte l’évolution du mineur, sa personnalité, les efforts qu’il a accomplis ou les incidents éventuels. Pour favoriser cette évolution que beaucoup de professionnels appellent bien évidemment de leurs vœux, il est prévu un renforcement des moyens humains, avec la création de 94 emplois au sein de la PJJ, 70 emplois de magistrats et 100 emplois de greffiers en juridiction. Il me semble important de préciser que ces nouveaux postes de magistrats vont bénéficier à la justice pénale des mineurs, évidemment, mais aussi à la justice civile, notamment à la protection de l’enfance.

Deuxièmement, la politique d’accès au droit et de développement des modes alternatifs de règlement des litiges va bénéficier de 17 % de moyens supplémentaires. L’accès au droit sera favorisé par les conseils départementaux de l’accès au droit et par le réseau judiciaire de proximité, constitué par les 147 maisons de la justice et du droit (MJD), avec à la clé un budget de 8,6 millions d’euros. Je profite de cette occasion, madame la garde des Sceaux, pour vous remercier de l’attention particulière que vous avez portée à la création de la première MJD de Marseille, qui, je l’espère, verra le jour prochainement. La question de l’accès au droit est particulièrement liée, bien entendu, à celle de l’aide juridictionnelle. La réforme de l’aide juridictionnelle annoncée lors des débats parlementaires autour de la loi de programmation entrera dans sa phase opérationnelle en 2020. Elle s’appuiera sur le travail mené par l’inspection générale des finances et l’inspection générale de la justice, ainsi que sur les propositions contenues dans le très intéressant rapport de mes collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin : je saisis cette occasion de saluer leur travail.

M. Philippe Gosselin. Merci, chère collègue !

Mme Alexandra Louis. Le projet de loi de finances fait état d’une dotation pour l’aide juridictionnelle, de 484,3 millions d’euros, à laquelle s’ajoute, vous l’avez rappelé, un reliquat de 9 millions, soit 493,3 millions au total. L’aide juridictionnelle, indispensable en ce qu’elle permet aux plus démunis de faire valoir leurs droits en justice, mérite évidemment que l’on poursuive à l’avenir la réflexion et le travail entrepris – je pense notamment à la prise en charge des frais de justice pour les femmes victimes de violences conjugales, qui, à mon sens, nécessite une réflexion. Je rappelle, par ailleurs, que la dématérialisation des procédures de l’aide juridictionnelle représente un enjeu particulier : c’est extrêmement important car cela va faciliter l’accès à la justice pour les justiciables, mais aussi faciliter la vie des greffiers, des magistrats et des avocats. À cet égard, madame la garde des Sceaux, pourriez-vous nous donner des éléments d’information sur la nature et les moyens qui vont être mis en œuvre pour renforcer l’aide juridictionnelle et sur votre vision quant à l’avenir des conditions de prise en charge ?

Troisièmement, de manière plus générale, la révolution du numérique va renforcer l’accès au service public de la justice, avec une augmentation de 13 millions d’euros des crédits du ministère consacrés à l’informatique, ou encore la création de 50 emplois. Sur ce point, nous allons d’ailleurs connaître prochainement une révolution, avec la dématérialisation de l’aide juridictionnelle, dont je parlais à l’instant. Je tiens à rappeler également la création de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes, qui fonctionne sous forme de tchat, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et produit d’ores et déjà d’excellents résultats. Elle devrait être élargie en 2020 – et je souhaite qu’elle le soit – aux faits de violences conjugales, de cyberharcèlement et de discrimination. Cependant, la plainte en ligne n’est pas encore effective, dans la mesure où elle nécessite le déploiement de l’intégralité de la procédure pénale numérique, tout au long de la chaîne pénale, et une collaboration entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Il me paraît primordial d’insister sur l’importance de ce processus, qui constituera une avancée pour les victimes, eu égard à l’extrême difficulté qu’il y a souvent à faire le premier pas, c’est-à-dire la révélation des faits au commissariat. Pourriez-vous, madame la garde des Sceaux, nous donner des précisions sur la nature des contraintes rencontrées à l’heure actuelle quant à la mise en place des plaintes en ligne, et nous indiquer à quel horizon vous estimez envisageables leur fonctionnement et leur généralisation ?

Pour conclure, je tiens à saluer votre volonté de poursuivre les chantiers qui ont été ouverts, non seulement par les moyens accordés, mais surtout par l’effectivité du processus de simplification et de modernisation de notre justice.

M. Antoine Savignat. La justice est une priorité – tout au moins c’est ce qu’a affirmé le Président de la République, mais aussi le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale en 2017, et vous l’avez vous-même rappelé à de multiples reprises, madame la garde des Sceaux.

Par ailleurs, comme en faisait tout à l’heure la remarque mon collègue Patrick Hetzel en présentant son rapport, l’article 1er de la loi de programmation et de réforme pour la justice prévoit une révision de la loi de programmation au plus tard fin 2021. Vous êtes extrêmement en avance de ce point de vue : comme Patrick Hetzel, j’ai noté qu’il manque 153 millions d’euros.

M. Erwan Balanant. La garde des Sceaux s’est expliquée sur ce point !

M. Antoine Savignat. Je vais y venir !

Cela veut dire, sauf erreur de ma part, qu’au lieu d’augmenter de 400 millions en 2020, comme c’était initialement prévu, les crédits de la justice ne croissent que de 247 millions d’euros. D’ailleurs, vous les financez par un petit tour de passe-passe : je pense aux 83 millions récupérés auprès du CNB pour les affecter à l’aide juridictionnelle, mais aussi au fait que les crédits seront inexorablement absorbés par les 160 millions d’euros restant à payer au titre de l’immobilier occupant – car un bon budget, c’est aussi un budget qui permet de régler l’ensemble de ses créanciers, et il n’est pas question que ce ne soit pas le cas de celui-ci.

Concernant le programme 166 « Justice judiciaire », qui va porter le gros de la réforme qui été votée, nous notons, selon les chiffres qui nous ont été communiqués, une augmentation de 11 millions d’euros. Un calcul rapide, peut-être basique mais révélateur, montre que cela représente 66 000 euros pour chacun des 178 tribunaux judiciaires – je n’ai même pas compté les autres. Or quand on lit, par exemple, le communiqué qui a été publié cette semaine au sujet du tribunal de grande instance d’Annemasse – vous avez dû le voir passer –, on apprend qu’il manque 50 % des postes de greffiers, qu’il faut six mois pour avoir une date d’audience et à peu près autant pour obtenir une décision, compte tenu précisément de l’absence de greffiers. Dès lors, on peut se demander si les moyens affichés sont suffisants pour mettre en place la réforme tout en consolidant le système existant. Il manque également 100 postes par rapport à ce que prévoyait la loi de programmation. De plus, ce texte n’incluait pas la réforme de la justice des mineurs. Or je note que, s’agissant des nouveaux postes annoncés, 94 seront affectés à la mise en place de la réforme de la justice des mineurs. Ce sont donc 194 postes qui manquent par rapport à ce qui avait été initialement prévu.

Nous souhaiterions donc savoir, madame la garde des Sceaux, quel sera le coût de la création des tribunaux judiciaires – car elle en aura forcément un, et il sera même important, tout au moins pendant la période de transition. À propos de période de transition, combien coûtera celle pendant laquelle, dans le cadre de la réforme de l’ordonnance de 1945 relative à la jeunesse délinquante, il y aura un doublon entre les anciennes procédures et les nouvelles ? Quel sera, enfin, le coût de la mise en place de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance économique ?

Autre sérieux sujet d’inquiétude – je ne les aborderai pas tous : mon collègue Patrick Hetzel en a déjà évoqué certains, et mes autres collègues des Républicains en feront de même –, nous notons, concernant l’action « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales », une baisse de 2,2 % : 27 millions d’euros en moins par rapport à 2019. Est-ce vraiment une démission totale en matière pénale ? Évidemment, si on ne poursuit plus et si on ne juge plus, on va régler le problème de l’administration pénitentiaire, mais est-ce vraiment la solution ? J’ai rencontré récemment un maire qui avait reçu un avis de classement sans suite de la plainte qu’il avait déposée pour lutter contre des dépôts sauvages. L’auteur des faits avait été identifié – c’était clairement indiqué dans l’avis de classement sans suite –, mais il n’y avait pas les moyens de le chercher. On peut légitimement s’inquiéter de telles pratiques.

Je voudrais, enfin, évoquer un dernier sujet d’inquiétude. Vous aviez annoncé que vous réformeriez régulièrement la justice tout au long de la législature : quelles sont donc les prochaines réformes à venir, en dehors de celle relative à l’ordonnance de 1945 ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Il y en a beaucoup !

M. Antoine Savignat. Certes, mais sans argent pour les financer : c’est inquiétant. Vous comprendrez que nous souhaitions être éclairés sur ce point.

M. Erwan Balanant. L’avis budgétaire dont nous sommes saisis est indéniablement l’un des plus importants du PLF. Il nous permet de débattre du budget et donc des conditions de fonctionnement d’une institution qui est au fondement de notre démocratie et de notre contrat social : la justice. Le groupe MODEM et apparentés se félicite de l’augmentation de près de 4 % des crédits alloués au ministère de la Justice, bien que cette hausse soit légèrement plus faible que celle qui était prévue initialement – mais vous nous en avez expliqué les raisons, madame la garde des Sceaux.

Le PLF participe ainsi clairement à l’ambition du Gouvernement d’augmenter le budget de la justice de 24 % d’ici à 2022, comme le prévoyait la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En effet, une telle augmentation est cruciale pour mettre pleinement en œuvre les dispositifs introduits par la réforme de la justice et, en conséquence, pour faire face aux trop nombreuses carences qui affectent notre appareil judiciaire. Les difficultés sont sérieuses : juridictions sous-dotées et encombrées, vacances de postes, délais de traitement excessifs – je pourrais continuer la liste, hélas. Notre système carcéral est également en proie à de nombreux maux, tels que la surpopulation systémique et l’insalubrité des locaux pénitentiaires, qui ont transformé certains établissements en lieux de déshumanisation.

Dans ce contexte, nous nous réjouissons tout particulièrement des augmentations de crédits alloués à des dispositifs qui nous tiennent à cœur et que nous avions activement soutenus il y a quelques mois lors de l’examen de la réforme. À cet égard, un effort significatif a été consenti pour moderniser l’administration pénitentiaire en prenant en compte les nombreux enjeux auxquels elle est confrontée. Ainsi, 14,6 millions d’euros sont affectés à l’amélioration de la formation professionnelle des personnes détenues. La rémunération horaire des détenus qui travaillent est elle aussi revalorisée. Les revendications des surveillants pénitentiaires grévistes ont également été entendues par le Gouvernement, avec la création de 150 postes supplémentaires destinés à renforcer les équipes de sécurité et 300 emplois permettant de combler les vacances de postes chez les personnels de surveillance.

De plus, en vue d’améliorer sensiblement les conditions de détention, un budget important est consacré à des travaux de maintenance, de rénovation et d’entretien des établissements ; 176 millions d’euros sont affectés à la création de 7 000 places de prison supplémentaires – je laisserai ma collègue Laurence Vichnievsky vous poser une question à ce propos. Le renforcement de l’objectif de réinsertion sociale et celui du principe de l’encellulement individuel me semblent également mériter notre plus vive attention. Je salue en particulier les efforts accrus pour le développement des centres de semi-liberté, ainsi que pour les nouvelles structures d’accompagnement vers la sortie. Ces dispositifs renforcent le respect effectif des droits fondamentaux des détenus à plusieurs égards : ils permettent non seulement de désengorger les maisons d’arrêt surpeuplées, mais également de favoriser la vie après la détention en luttant contre les sorties sèches.

Par ailleurs, l’augmentation de 13 millions d’euros des crédits du ministère consacrés à l’informatique contribuera à mettre utilement en œuvre le grand plan de numérisation de la justice. Ce dernier contient des avancées essentielles pour assurer de meilleures conditions de travail pour le personnel judiciaire ainsi qu’une proximité accrue de l’accès aux services de la justice pour les citoyens – je pense notamment à la dématérialisation de certaines procédures et à l’ouverture de dossiers en ligne.

Le groupe MODEM salue les augmentations de crédits, qui sont cruciales et à la hauteur de la réforme de la justice particulièrement ambitieuse que nous avons adoptée. Pour continuer à avancer dans le bon sens et moderniser notre système carcéral, je souhaiterais vous interroger sur deux sujets. Le premier est en lien avec la prise de conscience collective de l’urgence qu’il y a à améliorer la protection des femmes victimes de violences conjugales et leur accès à la justice. Quels crédits seront alloués à cet objectif ? En particulier, comment la prise en charge des bracelets électroniques visant à protéger les victimes sera-t-elle assurée ? Le second sujet concerne les modules de respect, qui permettent, entre autres, aux détenus de disposer de la clé de leur cellule. Quels crédits envisagez-vous d’allouer à ces modules, madame la garde des Sceaux ? Les résultats des expérimentations sont très encourageants et il me semblerait pertinent de poursuivre les efforts afin de généraliser ces modules.

Mme Cécile Untermaier. Tout d’abord, je voudrais m’excuser d’être arrivée en retard : j’étais retenue par la mission d’information mise en place par la Conférence des Présidents sur la concrétisation des lois, qui vient de commencer ses travaux, et dont l’objectif est de s’assurer que les lois que nous avons votées sont appliquées dans toute l’étendue de leur champ. Vous comprendrez, madame la garde des Sceaux, l’intérêt que je porte à cette mission.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Tout à fait.

Mme Cécile Untermaier. Je vais d’ailleurs devoir y retourner.

Le budget 2020 du ministère de la Justice s’élève à 7,5 milliards d’euros hors pensions, en hausse de 2,8 % par rapport à la loi de finances pour 2019. C’est la troisième année consécutive que ce budget connaît une majoration, après des hausses de 4,5 % en 2019 et 3,9 % en 2018, soit une moyenne de 3,7 % en trois ans. Ce chiffre doit être rapproché de ceux qui ont été constatés dans le passé, toutes majorités confondues, de Jacques Toubon, qui avait augmenté le budget de 1,6 % puis de 6,4 %, jusqu’à Christiane Taubira, qui avait obtenu, entre 2013 et 2017, une hausse de 8,5 %. La tendance s’était poursuivie en 2018, marquant ainsi une augmentation de 12,3 % par rapport à 2013. Il me semblait important de rappeler ces éléments dans le cadre de l’examen du présent projet de loi de finances.

Ce budget inscrit les réformes entérinées dans le cadre de la loi de réforme pour la justice : une nouvelle politique des peines et de réinsertion, avec la promotion du prononcé de peines alternatives à l’emprisonnement, une prise en charge des mineurs améliorée en termes de délais et d’accompagnement, la transformation numérique, le plan prison, les centres éducatifs fermés – toutes orientations pour lesquelles nous partageons vos préoccupations.

Je voudrais toutefois faire observer que l’examen du budget et le débat qu’il implique ne peuvent se faire, à mon sens, sans une lecture attentive du rapport de la Cour des comptes, opportunément demandé par certains commissaires aux Finances et remis début 2019. Ce rapport traite de l’organisation et de l’allocation des moyens de la justice. Il met en évidence des dysfonctionnements pendant plusieurs années – dont vous n’êtes évidemment pas la seule responsable, madame la garde des Sceaux – et constate surtout que l’administration du ministère ne dispose pas de tous les outils de connaissance et de pilotage nécessaires pour élaborer le budget. J’en conclus que nous travaillons quelque peu à l’aveugle. De fait, j’avoue que, lorsqu’on m’annonce qu’il y aura 70 magistrats en plus pour la justice des mineurs, je ne sais pas pourquoi ce doit être 70 plutôt que 80 ; je ne sais pas non plus quand ces 70 magistrats seront opérationnels sur le terrain. Toujours selon le même rapport, malgré une augmentation des crédits budgétaires, la situation se dégrade. Le Conseil de l’Europe relève quant à lui que les juridictions françaises bénéficient d’un effort budgétaire moindre, malgré la hausse significative de ces dernières années, par rapport aux États européens comparables au nôtre.

S’agissant de l’absence d’outils de connaissance et de pilotage que j’évoquais, nous avons vu ce qu’il en était à propos de la justice des mineurs : nous n’avions aucun élément statistique nous permettant de connaître, par exemple, les effets d’un passage en centre éducatif fermé sur la réinsertion d’un enfant. Or nous allons programmer l’ouverture de vingt centres. En fait, nous légiférons sans vraiment connaître l’activité judiciaire. Si nous ne nous trompons certainement pas en majorant globalement les crédits – et je vous remercie, bien sûr, de cette augmentation –, reconnaissons que nous allons un peu à l’aveugle pour ce qui est des missions elles-mêmes.

Ma dernière observation porte sur le programme 101 « Accès au droit et à la justice », notamment l’aide juridictionnelle. La politique en matière d’accès au droit et à la justice doit permettre à toute personne qui le souhaite d’avoir connaissance de ses droits et de les faire valoir, quelle que soit sa situation sociale ou le lieu de son domicile. Cette politique doit associer l’État, les collectivités locales et le milieu associatif, mais aussi, madame la garde des Sceaux, tous les professionnels du droit. C’est le sens du travail que nous avons mené dans le cadre de la loi de finances. Les crédits de ce programme s’élèvent à 530,5 millions d’euros en 2020, contre 466,8 millions d’euros en 2019. Il s’agit non pas d’une augmentation, contrairement à ce que j’ai lu dans la presse, mais du transfert vers le budget de l’État de 83 millions d’euros qui étaient affectés au CNB. Or, si l’on fait l’addition, 466,8 millions plus 83 millions, cela donne 549,8 millions et non 530,5. Je ne m’explique pas la différence.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Mon groupe note avec satisfaction l’augmentation des moyens de votre ministère : 4,3 %, soit 200 millions d’euros. C’est une bonne chose, même si cela ne doit pas cacher une sous-budgétisation chronique : bon nombre de magistrats dénoncent cette situation chaque année, en particulier les vacances de postes.

Nous prenons également acte du financement d’une première vague d’établissements pénitentiaires visant à créer 15 000 nouvelles places d’ici à 2027. Cela dit, je souhaite vous interroger une nouvelle fois sur les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) : quel est le budget prévu ? Vous le savez, c’est un sujet qui me tient à cœur. On parle de prison ouverte, mais vous retenez un autre terme. Je souhaiterais savoir ce qu’il en est, car je ne trouve pas de réponse dans le projet de loi.

Enfin, concernant les juridictions en milieu rural, dont les effectifs sont faibles, est-il envisagé de mieux les doter en augmentant le nombre de postes de magistrats ? Dans certaines juridictions, il est difficile de garantir un fonctionnement normal de la collégialité. Pourraient-elles également se voir affecter davantage de greffiers ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Dans le projet de loi de finances pour 2020, les crédits de la justice augmentent, ce dont nous nous réjouissons. Toutefois, leur montant – 7,5 milliards hors charge des pensions –, ainsi que les 1 520 emplois créés, sont en deçà de ce qui était inscrit dans la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice. Je rappelle que, selon le Conseil de l’Europe, les Français dépensent chaque année 65,9 euros par habitant pour leur justice, nettement moins que les Britanniques, sans parler des Allemands, pour lesquels le chiffre est quasiment deux fois plus important, ou des Suisses, qui y consacrent 215 euros. C’est un fait : nous ne dépensons pas assez pour notre justice.

Le groupe Libertés et Territoires s’interroge sur la pertinence des crédits que vous allouez à certaines actions, par exemple en ce qui concerne l’aide juridictionnelle. Vous inscrivez dans ce budget 401 millions au titre de l’aide juridictionnelle et de l’aide à la médiation, ce qui n’est pas assez pour faire face à la forte augmentation du nombre d’admissions ; et ce n’est pas la dématérialisation des procédures, sur laquelle vous souhaitez vous appuyer pour désengorger les bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) et faire des économies, qui vous permettra de répondre aux besoins, tant le budget est contraint.

J’aimerais également, madame la garde des Sceaux, que vous nous rassuriez sur un point précis. Dans le projet annuel de performances que nous examinons, il est fait état d’une « connexion avec les sociétés d’assurances qui proposent une assurance de protection juridique dans le cadre de la mise en œuvre du principe de subsidiarité ». Or ces sociétés s’appuient de plus en plus sur des algorithmes qui permettent de prédire l’issue d’un procès, et ainsi d’accepter ou non d’enclencher la protection juridique de l’assuré. Si une compagnie d’assurance refuse l’accès en raison d’un risque important de perte du procès, avons-nous la garantie que l’aide juridictionnelle prendra le relais, sans se fonder sur ces algorithmes de justice prédictive ? Nous devons être très vigilants car, face au développement de ces techniques, il y a un véritable risque de déni d’accès à la justice.

Notre groupe avait aussi des interrogations en ce qui concerne l’administration pénitentiaire, notamment l’augmentation des crédits alloués aux programmes immobiliers, les engagements et les 7 000 nouvelles places à l’horizon 2022, mais vous y avez répondu. Notre groupe s’interroge également sur le montant des crédits consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires. Leur augmentation s’impose, dans un contexte marqué par des menaces sécuritaires, mais, là encore, le budget nous paraît insuffisant, en particulier en ce qui concerne la sécurisation des établissements ou le renforcement du renseignement pénitentiaire, lequel est d’autant plus crucial qu’il permet de prévenir le terrorisme.

La lutte contre la radicalisation violente en prison est un enjeu majeur, comme chacun sait. L’attaque au couteau menée par un détenu contre deux surveillants dans la prison de Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne, en mars dernier, en est une douloureuse illustration. La majorité des 1 520 créations de postes inscrites dans la mission « Justice » est destinée à l’administration pénitentiaire, dont 155 nouveaux postes pour les extractions, le renseignement et la sécurité pénitentiaire. Pouvez-vous nous indiquer précisément combien de postes sont fléchés vers le renseignement pénitentiaire ?

Enfin, je ne saurais terminer mon intervention sans aborder un sujet qui nous est cher. Je veux parler, évidemment, du rapprochement des détenus, qu’ils soient basques, corses ou autres. En septembre dernier, vous aviez confirmé que le rapprochement des prisonniers basques se poursuivait. Nous nous en réjouissons, car il est important de faire œuvre de droit dans ces affaires. De plus, comme chacun le sait, maintenir les liens familiaux est essentiel pour faciliter la réinsertion et prévenir la récidive. Ainsi, nous pensons qu’il est temps que le rapprochement soit systématique, à défaut de quoi les détenus se voient infliger une double peine indigne d’un État de droit.

M. Ugo Bernalicis. Je me suis dit, avant le début de cette audition, que je devais arrêter de poser des questions techniques : en définitive, non seulement je n’obtiens pas des réponses techniques, mais cela n’intéresse pas grand monde. Je vais donc essayer d’être aussi général que possible, de sorte qu’on comprenne bien les enjeux de ce dont nous sommes en train de parler. Le budget de la justice augmente, grosso modo, de 4 %, soit moins que ce qui était prévu.

M. Erwan Balanant. La loi de programmation est sur quatre ans !

M. Ugo Bernalicis. Rien que pour cela, on se demande à quoi cela sert de nous faire voter des lois de programmation si, à la fin, il y a moins que prévu. Qui plus est, la loi en question n’est pas si vieille que cela, même s’il est vrai que dès le moment où elle a été adoptée, c’est-à-dire au mois de mars, elle n’était pas très sincère – mais laissons cela de côté.

On nous explique qu’il va y avoir 100 magistrats supplémentaires. Très bien ; c’est mieux que 100 de moins, nous en sommes d’accord. Mais, pour l’essentiel, les postes seront fléchés vers la justice des mineurs – j’entends parler de 70 depuis tout à l’heure. Par déduction, il n’y en aura donc que 30 pour la lutte contre la délinquance économique et financière. C’est une bonne nouvelle pour les juridictions concernées, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il y a aussi une question dont nous avons parlé pas plus tard que la semaine dernière, si je ne m’abuse, à savoir la délivrance des ordonnances de protection en six jours. Il y avait un lien vague avec les violences sexuelles et sexistes et les violences conjugales, que subissent essentiellement les femmes. Or nous nous sommes dit que, pour avoir une ordonnance de protection en six jours, il fallait un nombre important de juges aux affaires familiales. Combien sont prévus en plus pour 2020 ? Si je compte bien, 100 moins 70 moins 30 égale zéro. Le TGI de Lille, par exemple, dont les juges aux affaires familiales tirent la langue comme ce n’est pas permis, n’aura pas de renforts l’année prochaine. Nous avons donc, une fois de plus, voté une loi dont l’application concrète risque de décevoir aussi bien les professionnels que les personnes qui ont affaire au service en question.

On peut se féliciter du fait que le taux de vacance soit de 0,9 %, mais il faudra se demander, à un moment donné, si l’effectif cible correspond vraiment aux besoins des juridictions. En ce qui me concerne, la réponse est non. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le dire : mon procureur général et mon président de tribunal le disent aussi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Votre procureur ? Votre président ?

M. Ugo Bernalicis. Eh bien oui, ils dépendent aussi de moi, madame la garde des Sceaux, et pas seulement de vous. (Sourires.) C’était un clin d’œil à l’allocution radiophonique dans laquelle vous disiez « mes procureurs ». Je vois que vous suivez les débats ; c’est très bien.

M. Erwan Balanant. Vous vous voyez déjà garde des Sceaux ?

M. Ugo Bernalicis. Plus tard, peut-être…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Au vu de votre conception de l’indépendance de la justice, ce n’est pas rassurant !

M. Ugo Bernalicis. … même si mon choix se porterait plutôt sur le ministère de l’Intérieur. Mais vous me direz qu’aujourd’hui c’est à peu près la même chose.

Revenons-en à notre débat budgétaire. Il y a 383 créations de postes, et 413 greffiers supplémentaires – pour un effectif total de 10 000, soit 4 % d’augmentation. Ce n’est pas mal, sauf que, l’année dernière, on n’a pas été très bons s’agissant du recrutement de greffiers et que, rien qu’à Lille, il en manque plus de 200, selon les effectifs cibles du ministère. J’espère donc que la moitié des greffiers recrutés seront affectés à Lille, même si je sais bien que ce ne sera pas le cas, ce que je déplore dès à présent.

Cela dit, on observe aussi une diminution de 150 ETPT dans les catégories C, parmi les personnels administratifs et techniques. Je ne sais pas pourquoi il faut diminuer leur nombre de 150 personnes, d’autant que les tribunaux judiciaires devront être mis en place, sans parler des autres réformes qu’il faudra conduire. D’ailleurs, dans le programme 166 « Justice judiciaire », le budget de fonctionnement – le titre 3, comme il convient de l’appeler – diminue entre 2019 et 2020. C’est étrange : comment faites-vous pour conduire des réformes et augmenter les effectifs tout en affichant un budget de fonctionnement en baisse ? Dans ces conditions, madame la garde des Sceaux, je n’ai pas envie d’être à votre place. Pour le moment, je ne vous envie pas.

M. Erwan Balanant. Nous voilà rassurés !

M. Ugo Bernalicis. En outre, le programme 166 connaît une augmentation de 0,3 % seulement, ce qui tranche avec les 4 % de hausse pour la mission dans son ensemble. Il est vrai que l’on sait très bien où va l’argent : il faut construire des prisons. Pour ma part, je suis en désaccord avec cette approche. Pour le titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel, vous réussissez une autre prouesse : il y a une baisse entre 2019 et 2020 concernant la justice pénale, comme l’a rappelé tout à l’heure mon collègue Antoine Savignat. Je me demande comment on peut faire mieux avec moins.

Avant de conclure, je voudrais dire un mot au sujet du placement à l’extérieur, dont il a été beaucoup question. C’est une mesure que l’on voulait mettre en avant comme une solution alternative à l’incarcération. Dans le budget 2017, c’est-à-dire avant que vous ne soyez au pouvoir, on y consacrait 9,5 millions d’euros ; en 2018, 7 millions, soit une diminution importante, mais il paraît que c’était pour coller à la réalité, car on n’arrivait pas à dépenser les crédits ; en 2019, 8 millions ; en 2020, 8 millions. Autrement dit, c’est une priorité, mais les crédits n’augmentent pas : voilà qui est quand même étrange.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en arrivons aux questions. Compte tenu de l’heure et du fait que Mme la garde des Sceaux doit vous répondre, je vous demande d’être concis.

M. Guillaume Vuilletet. Le 10 octobre, nous avons examiné une proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes, et l’avons adoptée quelques jours plus tard à la quasi-unanimité – et même à l’unanimité en tenant compte des mises au point au sujet du vote. Cette unanimité s’explique notamment par une prise de conscience de la nation à l’égard des violences conjugales. Elle s’explique aussi – et cela justifiait le fait que nous allions vite et que nous agissions ensemble – par l’une des dispositions du texte, à savoir la mise en place du bracelet anti-rapprochement, sujet déjà ancien : à cet égard, je salue à mon tour le travail de nos collègues Philippe Gosselin et Ugo Bernalicis. Nous avons donc mené un travail de co-construction entre la majorité, l’opposition et le Gouvernement pour arriver à un texte que nous voulons efficace et entrant rapidement en vigueur. Or ce ne sera le cas que si des moyens financiers sont débloqués. Au nom des 124 femmes qui ont été victimes de leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année, mais aussi de celles qui ont été simplement blessées et dont on parle moins, je voudrais savoir où nous en sommes dans la mise en œuvre de ce dispositif absolument nécessaire.

Mme Laetitia Avia. Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, pour votre exposé et les précisions éclairantes que vous nous avez apportées sur le budget alloué cette année à la justice. En ma qualité de rapporteure sur le projet de loi de programmation, j’ai été particulièrement sensible à l’adéquation entre le budget voté en mars dernier et celui que nous examinons aujourd’hui. Je vous remercie pour la clarté de vos explications, qui nous invitent bien, non pas à un recul de l’ambition en matière de réforme de la justice et de budget, mais bien à un décalage dans le temps, lequel est expliqué, ciblé et ne concerne aucunement les recrutements, notamment de magistrats et de personnel des greffes, sur lesquels l’attention s’est concentrée lors de ces débats.

Je souhaite vous interpeller notamment sur la transformation numérique de la justice, qui va de pair avec la réforme engagée. Vous avez évoqué un certain nombre d’évolutions structurelles, de mises à niveau. Le portail numérique que vous avez évoqué tout à l’heure participe de cette évolution. Dans le cadre de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, que nous avons adoptée cet été, vous avez également validé la création d’un parquet spécialisé dans le numérique, ce dont je vous remercie. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai une nouvelle fois eu l’occasion de rencontrer des victimes de cyberharcèlement. Or on voit qu’il y a une véritable difficulté à fournir une réponse pénale adaptée – je veux parler aussi bien de la prise en compte des plaintes que des jugements qui sont prononcés in fine. Il y a donc, en effet, urgence à agir, ce que vous faites, ce qui se traduit par des moyens, des effectifs et la mise en œuvre de certaines techniques. Vous avez évoqué tout à l’heure la plainte en ligne : pourriez-vous revenir plus avant sur le dispositif ?

Mme Naïma Moutchou. Madame la garde des Sceaux, je voudrais d’abord saluer votre engagement en faveur du budget de la justice, puisque celui-ci est en augmentation : contrairement à ce que l’on pourrait croire en entendant certains de nos collègues, il ne stagne pas, ni ne baisse. Nos débats sur le budget de la justice sont aussi l’occasion de parler de la réforme de l’aide juridictionnelle – comme vous l’avez fait vous-même, madame la garde des Sceaux. Philippe Gosselin et moi-même avons longuement travaillé sur la question dans le cadre d’une mission de la commission des Lois.

Après plusieurs mois d’auditions, nous pouvons dire deux choses. D’une part, l’aide juridictionnelle est un bon dispositif ; elle est même essentielle au fonctionnement de la justice, puisqu’elle garantit l’accès au droit pour tous, en particulier les plus démunis. Mais, d’autre part, elle doit être réformée. En effet, le dispositif est victime de son succès, avec près de 1 million de demandes par an, nécessitant quasiment un demi-milliard de ressources. Il faut donc adapter le dispositif. Notre rapport contient 35 propositions opérationnelles. C’est un choix que nous avons fait : il ne s’agissait pas, pour nous, de faire un nouveau rapport sur le sujet. Nous avons conçu des mesures pratiques qui, mises bout à bout, peuvent changer la donne pour simplifier et moderniser le système de l’aide juridictionnelle, avec évidemment comme objectif d’aller vers une justice plus inclusive. Je ne citerai pas l’ensemble des propositions que nous avons faites ; ma collègue Alexandra Louis en a d’ailleurs égrené quelques-unes, ce dont je la remercie. Parmi les plus symboliques, ou emblématiques, je mentionnerai le choix du revenu fiscal de référence comme critère d’éligibilité, la volonté de regrouper un certain nombre de BAJ pour fluidifier le fonctionnement de l’aide juridictionnelle, ou encore la possibilité de relever le plafond d’admission au niveau du SMIC net. Une autre mesure nous tient particulièrement à cœur, et est d’ailleurs défendue par un grand nombre d’entre nous : il faut permettre aux femmes victimes de violences de bénéficier plus largement de l’aide juridictionnelle. À cet égard, nous avons la possibilité, dans le cadre de ce projet de loi de finances, d’avancer et d’améliorer le dispositif pour l’avenir. Nous pouvons y travailler ensemble, madame la garde des Sceaux, et aboutir très prochainement, au moment de l’examen en séance publique.

Pour finir, je souhaite évoquer l’article 52 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui prévoit une revalorisation au niveau de l’inflation des pensions de retraite inférieures à 2 000 euros. Cet article applique la même règle aux pensions des avocats, supprimant ainsi la faculté pour la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) de fixer le montant des pensions qu’elle verse. Certains avocats ont vu dans cette disposition la volonté détournée de leur imposer par anticipation la réforme des retraites. Il n’en est rien, évidemment, puisque le Gouvernement a toujours dit sa volonté de dialoguer et de mener une concertation avec les forces représentatives des avocats, ce qu’il fait – ce que vous avez fait, madame la garde des Sceaux. Je crois néanmoins que, par souci de clarté, il faut supprimer cette disposition du PLFSS.

M. Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, je voudrais vous interroger sur le manque de places dans les établissements pénitentiaires pour la prise en charge des détenus ou des prévenus atteints de troubles psychiatriques. Les places en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) font cruellement défaut, en particulier à la prison de Nice – je vous ai adressé une demande en ce sens, ainsi qu’à Mme Buzyn. Les prisons prennent en charge certaines personnes faute de lits dans des établissements médicaux adaptés et spécialisés. C’est un problème majeur, une source d’énormes difficultés. Même si une augmentation du nombre de places est prévue, elle n’est pas à la hauteur des enjeux, malheureusement.

Par ailleurs, au moment où débutait cette réunion, j’ai pris connaissance d’un article, paru dans Le Canard enchaîné de cette semaine, qui évoque des notes émanant de vos services, qui laissent à penser que les suppressions de postes de juges d’instruction dans les tribunaux – 50 sont prévues – se feraient en fonction de critères purement électoraux : elles dépendraient notamment du score de La République en marche et de la présence de parlementaires appartenant au parti. Il est ainsi écrit : « Nous serions preneurs d’une réunion avec X. Chinaud » – je précise que Xavier Chinaud est conseiller du Premier ministre et spécialiste de la carte électorale – « et les experts des élections municipales de LaREM pour que nous puissions avoir une idée des communes potentiellement concernées qui représenteraient des cibles électorales pour les municipales afin de faire différer les annonces par les chefs de cour des schémas retenus. » Je voudrais savoir, madame la garde des Sceaux, si cette note est authentique, et si oui, de qui elle provient, et si vous en condamnez l’esprit, car elle est contraire à tous les principes républicains.

M. Éric Diard. Madame la ministre, le 10 juillet dernier, lorsque je vous ai remis le rapport que j’ai rédigé avec Éric Poulliat sur les services publics face à la radicalisation, j’ai regretté que, dans le cadre de l’évaluation de la radicalité des détenus, priorité ait été donnée aux terroristes islamistes plutôt qu’aux détenus de droit commun, qui sont, hélas ! les plus enclins au prosélytisme dans nos prisons. Ces derniers seront désormais également évalués, au rythme de 200 à 300 par an. Un tel rythme permettra-t-il de répondre à l’urgence, sachant que vous estimez à environ 1 000 le nombre des détenus suivis pour risque de radicalisation ?

Par ailleurs, je rappelle qu’au moins une dizaine de surveillants pénitentiaires sont inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Aussi, je m’étonne que le criblage systématisé de ces personnels, qui devait être effectué en 2019, ne figure pas dans la présentation stratégique du projet annuel de performance. À propos de son objectif numéro 3, intitulé « Renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires », il est indiqué : « aucune évolution n’est à noter ». Je souhaiterais donc obtenir des précisions sur la mise en œuvre du criblage systématique des personnels pénitentiaires par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), criblage qui nous permettrait de savoir si des agents pénitentiaires sont inscrits au FSPRT et sont susceptibles d'être écartés pour incompatibilité.

Mme Laurence Vichnievsky. Merci, madame la garde des Sceaux, pour toutes les précisions que vous nous avez apportées et pour ce budget. J’ai en effet connu une époque où le budget du ministère de la justice ne représentait même pas 1 % de celui de l’État. Il est vrai qu’en le doublant, on n’atteint que 2 %, mais enfin, c’est tout de même un doublement.

Nous avons bien compris que les 15 000 places de prison supplémentaires ne pourraient pas être livrées avant 2027, à l’issue de la prochaine législature. Cependant, pourriez-vous nous préciser la date à laquelle les 7 000 places relevant du premier volet doivent être livrées et quels types d’établissement en bénéficieront ? Enfin, en 2022, de combien de places supplémentaires l’administration pénitentiaire disposera-t-elle par rapport à 2017 ?

Mme Nicole Dubré-Chirat. Madame la ministre, je vous remercie pour votre exposé liminaire. Mon intervention sera brève, car ma question, qui porte sur la construction des nouvelles places de prison inscrites dans la loi de programmation, recoupe celle de Mme Vichnievsky. Les projets dont la réalisation est prévue après 2022 seront-ils maintenus ? Ma circonscription est particulièrement concernée puisque la construction d’une maison d’arrêt y a été reportée à plusieurs reprises.

Par ailleurs, on sait que les surveillants de prison sont souvent affectés, à l’issue de leur formation, en région parisienne et qu’ils souhaitent ensuite être mutés en province. Cette situation évoluera-t-elle après la création du dispositif de fidélisation dont vous êtes à l’origine ? J’ajoute, à ce propos, que les personnels issus des territoires d’outre-mer, qui sont, quant à eux, d’abord affectés en province souhaitent souvent repartir outre-mer. Cela leur est cependant difficile en raison du faible nombre de postes disponibles. Or, le fait qu’ils ne souhaitent pas rester en métropole complique parfois leur intégration dans les équipes.

M. Philippe Gosselin. Madame la ministre, je vous remercie pour votre présence et vos réponses intéressantes. Je relève néanmoins quelques éléments en trompe-l’œil concernant le budget de la loi de programmation. Je pense, par exemple, aux 200 millions d’euros qui ont été retranchés du budget cet été et à la rebudgétisation d’une partie de l’aide juridictionnelle, à hauteur de 82 millions d’euros.

Ce constat me conduit à vous poser deux questions. Tout d’abord, vous avez évoqué un retard dans les appels d’offres liés aux programmes immobiliers – nous avions souligné ce risque dès le printemps dernier – et des problèmes fonciers – c’était, là aussi, couru d’avance – alors que le département de la Manche, par exemple, était prêt, puisqu’il disposait de réserves foncières d’une superficie de 15 hectares purgées de tout recours. Pourriez-vous faire un point d’étape sur cette question ?

Ensuite, je rejoins, naturellement – et avec bonheur – le propos de Naïma Moutchou concernant l’aide juridictionnelle, puisqu’elle et moi avons eu le plaisir de vous remettre, il y a quelque temps, un rapport sur le sujet. En la matière, l’argent ne résout pas tous les problèmes, certes, mais il peut contribuer à leur résolution, notamment si nous voulons relever les plafonds de l’aide juridictionnelle et étendre celle-ci à un public un peu plus large. Se pose également la question du droit de timbre, que nous avons évoquée dans notre rapport. Bref, où en sommes-nous de la réforme de l’aide juridictionnelle, qui doit permettre à la justice d’être plus inclusive ? Je vous sais sensible à cette question, mais il faudrait que cette ambition se traduise d’ores et déjà par des actes, notamment dans ce budget.

M. Didier Paris. La loi de programmation et de réforme pour la justice a profondément remanié l’échelle des peines et placé les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) au cœur du dispositif. J’en veux pour preuve le fait que les agents sont chargés de constituer et d’instruire le dossier unique de personnalité, l’extension du placement sous bracelet électronique, les placements extérieurs, la libération sous contrainte ou la création de l’Agence nationale du travail d’intérêt général.

Le budget fait la part belle à l’administration pénitentiaire : les 400 postes créés en 2020 – sur un total de 1 000 – en sont l’éclatante démonstration. Or, les SPIP sont, à ce jour, dans une situation relativement délicate. Leurs agents attendent donc une nette amélioration qualitative de leur travail, amélioration qui dépend de la charge de travail qui incombe à chacun d’entre eux. Il est prévu, dans le budget, que chaque agent traite, en moyenne, 60 dossiers – soit presque la moitié de la charge de travail que certains assument actuellement. Cet objectif me semble donc vertueux et relativement conforme aux standards. Cette mesure était essentielle pour maintenir la confiance de l’ensemble de la chaîne pénale, notamment des magistrats, dans un dispositif efficace.

Ma question est simple. Comment percevez-vous cette évolution ? Avez-vous déjà élaboré les indicateurs de performance que vous avez évoqués tout à l’heure ? Avez-vous des éléments complémentaires à nous transmettre sur l’effectivité des moyens alloués aux SPIP ?

M. Jean-Michel Mis. Madame la ministre, vous avez fait de la transformation numérique du ministère de la Justice l’une des priorités de votre action, et le budget de plus d’un demi-milliard d’euros prévu dans la loi de programmation en témoigne. Cette politique correspond à une attente forte du ministère, qui a connu des retards considérables dans ce domaine. Elle est sans doute l’un aussi des moyens clés qui permettront de rapprocher la justice des justiciables en la rendant plus accessible. Pourriez-vous nous faire part de l’avancée de ce chantier et des crédits qui seront déployés pour soutenir cette politique ?

M. Aurélien Pradié. Madame la garde des Sceaux, je souhaiterais vous poser quatre questions précises auxquelles, je l’espère, vous pourrez apporter une réponse précise.

Je ne reviens pas sur la question du financement du bracelet anti-rapprochement. Cependant, il est impératif que les crédits annoncés apparaissent dans le budget que nous allons voter et qu’ils soient affectés de manière précise. Ces deux conditions sont solidaires : nous devons y voir très clair, car les efforts que nous avons collectivement consentis et qui ont abouti au vote en première lecture de la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes ne doivent pas se solder par un manque de crédits.

Deuxièmement, je souhaiterais que vous puissiez isoler les crédits affectés au dispositif « Téléphone grave danger » au sein du programme destiné à l’aide aux victimes, en particulier l’action 03. Il m’est en effet difficile d’identifier précisément les crédits alloués respectivement à ce dispositif et à l’aide aux associations.

Troisièmement, sur les 100 postes de magistrats supplémentaires, combien seront des postes de juge aux affaires familiales ?

Enfin, en ce qui concerne la proposition de soins, prévue dans la proposition de loi, il m’est, là encore, difficile d’identifier, dans le « bleu » budgétaire, les crédits qui y sont précisément affectés et l’évolution qu’ils auraient pu connaître entre 2019 et 2020. Ces questions sont, certes, très précises, mais il est nécessaire que vous y répondiez pour que nous puissions y voir clair sur l’application des mesures législatives que nous avons adoptées.

Mme Danièle Obono. Je souhaite, pour ma part, revenir sur la question de la protection judiciaire de la jeunesse. Vos services, que j’avais interrogés à ce sujet en novembre 2018, m’ont répondu en septembre 2019, mais cette réponse demeure incomplète. Je suppose que ce retard est dû à la surcharge de travail des personnels, liée au manque d’effectifs. Je n’en fais donc pas grief à vos services, d’autant que leur réponse est intéressante puisqu’ils m’indiquent la création de 51 emplois et l’augmentation des crédits de fonctionnement dans le cadre du budget de 2019, en mentionnant le problème des centres éducatifs fermés et le fait que l’incarcération doit demeurer une décision de dernier ressort.

À cet égard, votre budget fait apparaître une hausse faciale des crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse qui masque des choix problématiques. De fait, cette hausse ne concerne, en réalité, que l’investissement dans les centres éducatifs fermés – choix que votre ministère semble également réprouver. On constate, en outre, une baisse des dépenses de personnel et de fonctionnement pour 2019 et 2020.

J’en viens à ma question, à laquelle souscrivent sans doute l’ensemble des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, qui sont déjà mobilisés contre la réforme à venir et qui subissent beaucoup de pressions et de souffrance au travail, dès lors qu’ils sont dans l’incapacité de mener à bien leurs missions de justice et, surtout, de protection de l’enfance en danger. Comment pensez-vous pouvoir faire mieux avec moins de personnels et de dépenses de fonctionnement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Louis, j’ai abordé la question des frais de justice des victimes de violences conjugales avec Mme Moutchou et M. Gosselin lorsqu’ils m’ont remis leur rapport. Nous avons en effet commencé à réfléchir à la manière dont ces personnes pourraient avoir recours à l’aide juridictionnelle. En tout état de cause, nous trouverons le moyen de leur apporter une réponse. C’est une de nos préoccupations importantes.

S’agissant de la dématérialisation de cette aide, le système d’information de l’aide juridictionnelle permettra, non pas de faire des économies, comme je l’ai entendu ici ou là, mais d’apporter une réponse plus harmonisée, plus rapide et mieux à même de donner satisfaction aux personnes qui la demandent, sur la base d’un critère – je reprends ici les préconisations de Naïma Moutchou et Philippe Gosselin – qui sera le revenu fiscal de référence. Cette harmonisation et cette dématérialisation s’accompagneront d’une réorganisation des bureaux d’aide juridictionnelle, mais, je le précise, la numérisation n’interdira nullement l’accueil physique des personnes, qui continuera d’être assuré dans tous les services d’accueil unique du justiciable.

Monsieur Savignat, vous avez évoqué, ainsi que Mme Untermaier, la rebudgétisation des 83 millions de l’aide juridictionnelle. Il n’y a là aucun artifice : je vous l’ai annoncé clairement et distinctement. Oui, nous réintroduisons ces crédits dans le budget de l’État, afin que les choses soient présentées de manière plus claire.

Vous avez également mentionné le manque de moyens dont pâtissent un certain nombre de tribunaux, en vous appuyant sur l’exemple du tribunal d’Annemasse. La justice a toujours besoin de moyens supplémentaires – il ne s’agit pas, ici, d’afficher une satisfaction béate ou naïve. Mais, lorsque l’on regarde les chiffres, force est de constater que les vacances de postes ont considérablement diminué dans les tribunaux. Du reste, je n’ai pas reçu beaucoup de demandes en la matière. Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas besoin de magistrats supplémentaires ; nous continuons d’ailleurs à en recruter. Mais j’observe que l’on ne me dit plus, comme c’était le cas il y a deux ans, qu’il manque cinq ou dix magistrats dans tel tribunal. Par ailleurs, vous avez raison, nous avons besoin de personnels de greffe, mais ce besoin sera couvert. Là encore, nous résorbons peu à peu les postes vacants. Actuellement, l’École nationale des greffes recrute jusqu’à trois promotions par an, précisément pour satisfaire ces besoins. Il est ainsi prévu dans le budget de 2020 d’affecter 284 personnels de greffe supplémentaires dans les tribunaux. J’ajoute, à ce propos, que les moyens de fonctionnement des juridictions s’élèvent aujourd’hui à 374 millions d’euros, soit 20 millions de plus qu’en 2017. Nous avons donc, et c’est un point très important, entièrement apuré les charges à payer.

À Annemasse, le problème n’est pas propre à cette juridiction : il est dû, non pas tant à l’impossibilité de combler ses besoins qu’à la moindre attractivité de certains territoires, dans lesquels nous pourvoyons les postes manquants en recourant uniquement aux sorties d’école.

Par ailleurs, la création des tribunaux judiciaires dans le cadre de l’ordonnance de 1945 a peut-être un coût lié à la numérisation, car nous devons accompagner les réformes par une mise en adéquation des processus numériques, mais elle n’a pas de coût en tant que telle.

Il manque 100 postes, dites-vous. Toutefois, ces derniers concernent, non pas les juridictions, mais l’administration pénitentiaire, et ce manque s’explique par le décalage des programmes que j’évoquais tout à l’heure. De fait, dès lors que l’ouverture des établissements prend un peu de retard, la création des postes de surveillant dont nous avons besoin est reportée.

Quant à la baisse des crédits en matière de politique pénale, elle correspond – c’est en tout cas ce que je comprends de vos propos – au déploiement de la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) qui nous permet, comme nous l’avions prévu, de réaliser des économies importantes, de l’ordre de 11 millions d’euros cette année.

S’agissant des réformes à venir, beaucoup de sujets pourraient être évoqués. Je n’en citerai que deux : la réforme de la responsabilité civile, qui sera le pendant de la réforme des contrats – que j’espère pouvoir vous présenter l’année prochaine –, et celle de la procédure d’adoption. J’aurais pu citer également le parquet européen, qui fera l’objet d’un texte que vous examinerez prochainement.

Monsieur Balanant, vous avez dressé un état des lieux très juste de la situation actuelle de la justice française, en évoquant les délais de traitement, les audiences qui demeurent chargées ou l’amélioration des droits fondamentaux des détenus. Certains éléments sont positifs, d’autres doivent être améliorés : je partage pleinement votre opinion. Soulignant l’urgence de la protection des femmes victimes de violences, vous me demandez quel est le montant du budget consacré à cette politique, notamment au bracelet anti-rapprochement. Ainsi que je l’ai indiqué en séance publique il y a quelques jours, nous allouons à ce dispositif 5 millions, qui viennent s’ajouter aux 7,1 millions d’euros affectés, en 2020, à l’effort en faveur des femmes victimes de violences. Ces crédits nous permettront – je réponds, ici, également à votre question, monsieur Pradié – de financer les « Téléphones grave danger », à hauteur, je crois, de 1,6 million d’euros.

M. Aurélien Pradié. Ce 1,6 million fait-il partie de l’enveloppe de 5 millions que vous venez d’évoquer ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Non, nous consacrons 7 millions aux actions contre les violences faites aux femmes, qui comprennent notamment le soutien aux associations et, à hauteur de 1,6 million, le dispositif Téléphone grave danger.

M. Aurélien Pradié. Quel était le montant de ces crédits en 2019 ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il était sans doute moindre. Je ne suis pas en mesure de vous le dire, mais je m’engage à vous donner une réponse précise sur ce point. Je précise que le dispositif « Téléphone grave danger » relève du programme 101. Quant au bracelet anti-rapprochement, qui sera financé à hauteur de 5 millions, il relève à la fois du programme 101 et du programme consacré au développement numérique du ministère.

M. Ugo Bernalicis. Eh oui, il a bien fallu trouver de l’argent quelque part…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Non. On fait ce que l’on veut avec l’argent que l’on a, sous le contrôle du Parlement.

Madame Untermaier, nous avons évidemment lu avec beaucoup d’attention le rapport de la Cour des comptes. Nous nous dotons, du reste, d’outils de suivi, d’une part, pour l’application de la loi de réforme pour la justice – des indicateurs très précis ont été élaborés, que j’ai déjà eu l’occasion de présenter à certains d’entre vous – et, d’autre part, pour l’activité des magistrats. Nous menons ainsi actuellement une réflexion avec eux pour élaborer un tableau qui permette de bien mesurer leur activité.

M. Morel-À-L’Huissier m’a interrogée sur les moyens affectés aux structures d’accompagnement vers la sortie. Ainsi que je l’ai indiqué, 2 000 places seront livrées. Certaines sont d’ores et déjà ouvertes à Marseille et 27 millions d’euros ont été programmés en 2020 pour construire de nouvelles structures. Les premières d’entre elles seront livrées, l’an prochain, notamment à Poitiers, Bordeaux et Longuenesse. Quant aux juridictions rurales, je dois mentionner, là encore, le problème de leur attractivité qui nous contraint, pour pourvoir les postes ouverts, à faire principalement appel, comme dans un certain nombre d’autres lieux, aux sorties d’école.

Monsieur Acquaviva, vous avez évoqué, à propos de l’aide juridictionnelle, la « connexion avec les sociétés d’assurance juridique ». Vous craignez que nous travaillions dans un schéma de justice prédictive. Ce n’est pas du tout notre intention. Nous voulons uniquement nous assurer que les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle n’ont pas souscrit par ailleurs une assurance juridique, car le mécanisme de prise en charge n’est pas le même. C’est tout : il n’est pas question d’aller au-delà. Par ailleurs, nous menons, depuis notre arrivée au ministère, une politique de rapprochement des prisonniers. Ainsi, nous avons eu l’occasion de rapprocher des détenus corses et des détenus basques, en prenant en considération un certain nombre d’éléments et de critères objectifs, et nous continuons à travailler sur cette base.

Monsieur Bernalicis, l’effectif cible concernant notamment les magistrats est-il l’effectif idéal ? Je ne le crois pas. Je suis parfaitement lucide : les tâches des magistrats évoluent sans cesse. C’est la raison pour laquelle, prenant appui sur le rapport de la Cour des comptes, nous avons décidé, avec le directeur des services judiciaires, de réfléchir, avec les représentants des magistrats, les conférences et les organisations syndicales, à l’élaboration d’une nouvelle clé de répartition, qui concerne aussi bien les magistrats que les greffiers.

Sur la baisse des crédits de la justice pénale, je vous ferai la même réponse qu’à M. Savignat : elle est due à l’impact de la PNIJ. Par ailleurs, oui, nous transformons des postes de catégorie C en postes de catégorie B, car nous considérons que l’évolution des tâches confiées aux services dans les juridictions nécessite davantage de personnels de catégorie B.

Enfin, vous avez évoqué la question du déploiement des ordonnances de protection et de la création de nouveaux JAF. Nous ne fonctionnons pas ainsi : nous revoyons, grâce à la réforme de la justice, notre organisation juridictionnelle de manière à soulager les JAF. Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion de la proposition de loi de M. Pradié, nous allons élaborer des systèmes de traitement de l’urgence spécifiques, analogues à celui qui a cours à Créteil pour les juridictions comparables. Nous serons ainsi en mesure de respecter les délais qui seront fixés dans la proposition de loi.

Enfin, une enveloppe de 8 millions d’euros est prévue pour les placements à l’extérieur.

M. Ugo Bernalicis. En effet.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Eh bien, pour une fois, nous sommes complètement d’accord.

M. Ugo Bernalicis. Mais c’est le même montant que l’an dernier : ce n’est pas suffisant.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous entends, monsieur le député.

Monsieur Vuilletet, en ce qui concerne le dispositif du bracelet anti-rapprochement – que vous avez, vous aussi, beaucoup soutenu –, nous sommes déjà en train de travailler à la rédaction des marchés que nous devrons passer afin d’être à pied d’œuvre le jour où la proposition de loi sera adoptée. Je me suis ainsi engagée à ce que ces bracelets soient disponibles en 2020. C’est une préoccupation très importante.

Madame Avia, vous m’avez interrogée sur la transformation numérique de la justice, notamment sur les délais dans lesquels nous pourrons appliquer les dispositifs de plainte en ligne autorisés par la loi de réforme pour la justice. Depuis le début de l’année, plus de 4 100 chats ont été recensés sur la plateforme consacrée aux violences sexuelles et sexistes, qui fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et environ 1 300 signalements ont été transmis par les policiers et gendarmes qui travaillent sur cette plateforme. Nous souhaitons étendre ce dispositif, dans le courant de l’année 2020, aux faits de violences conjugales, de cyberharcèlement et de discrimination. La plainte en ligne, quant à elle, sera liée à la procédure pénale numérique. Celle-ci, vous le savez, est actuellement expérimentée à Blois et à Amiens. Elle suppose une modification radicale des manières de travailler de nos magistrats et des personnels de greffe et nécessitera donc un accompagnement très important, de sorte qu’il ne sera probablement pas possible de déposer une plainte en ligne directe avant 2021 ou 2022 – mais nous y travaillons d’arrache-pied.

Madame Moutchou, nous allons beaucoup nous inspirer des propositions opérationnelles que vous avez faites avec Philippe Gosselin sur l’aide juridictionnelle, notamment pour ce qui concerne la lutte contre les violences conjugales, la numérisation et les bureaux d’aide juridictionnelle. Le rétablissement d’un droit de timbre, en faveur duquel vous vous êtes prononcés dans votre rapport, doit être étudié. De fait, si ce droit de timbre était appliqué à toutes les personnes qui entament une action juridictionnelle, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle pourraient en être exonérés. On peut également imaginer des droits différenciés suivant qu’il s’agit d’une personne morale ou d’une personne physique. Je souhaite étudier ces différentes hypothèses et en parler avec vous avant d’aller au-delà, mais cette idée me semble pouvoir prospérer.

Par ailleurs, nous avons pris connaissance de la disposition de l’article 52 du PLFSS pour 2020, adopté en commission, qui concerne les avocats ; le Gouvernement va en demander le retrait. Je crois que c’est plus sage, car nous sommes en train de travailler avec les avocats – pour ne rien vous cacher, je les reçois demain avec Jean-Paul Delevoye. Or, cette disposition n’est pas tout à fait conforme au dialogue que nous entretenons avec eux.

Monsieur Ciotti, en ce qui concerne le manque de places dans les UHSA, je crois avoir déjà répondu : nous étudions avec le ministère de la Santé la manière dont nous pouvons financer ces places. Quoi qu’il en soit, la deuxième vague d’UHSA n’est absolument pas remise en cause.

Vous m’avez ensuite interrogée sur un article qui paraît dans Le Canard enchaîné de demain, selon lequel, dites-vous, des postes seraient supprimés dans les juridictions sur le fondement d’une appréciation politique. Sur ce point, je vous réponds deux choses.

Tour d’abord, il n’est pas question de supprimer des postes puisque, – je l’ai toujours dit devant vous lors de l’examen de la loi de réforme pour la justice – nous nous efforçons, au contraire, de respecter un équilibre entre les différentes juridictions d’un territoire et nous réfléchissons à la possibilité de spécialiser certaines d’entre elles autour de certains contentieux. Quant aux juges d’instruction, il est souhaitable, dans un certain nombre d’hypothèses, d’éviter qu’ils travaillent de manière isolée, voire à temps partiel, parce que, dans leur juridiction, le volume d’affaires à l’instruction les y conduit. C’est pourquoi vous avez voté une disposition qui nous permet de procéder à des regroupements autour de pôles d’instruction un peu denses et à un rééquilibrage consistant à confier aux tribunaux qui subiraient de telles évolutions le traitement d’autres contentieux.

Ensuite, le document auquel vous faites allusion comporte ces critères objectifs, liés notamment aux affaires traitées et, comme pour toute décision politique, des critères contextuels parmi lesquels figurent – il serait irresponsable de ne pas le dire – des éléments politiques, c’est-à-dire une appréciation du contexte politique comme de la gestion des services publics dans les territoires concernés ainsi que le souci de préserver l’équilibre de ces derniers. Les documents auxquels Le Canard enchaîné fait allusion sont ainsi des documents d’aide à la décision ; ils ne sont en aucun cas une décision.

Monsieur Diard, vous avez évoqué la question des détenus suivis pour radicalisation. On dénombre, en effet, 800 détenus de droit commun radicalisés et un peu moins de 500 terroristes islamistes. Je ne vous rappellerai pas le dispositif que nous avons mis en œuvre, qui me semble assez pertinent – peut-être avez-vous pu consulter le résultat d’études menées sur le sujet. Quant au criblage des personnels pénitentiaires, il est effectué, je le rappelle, à chaque entrée en fonction. Actuellement, tous les surveillants pénitentiaires, mais aussi les personnels des SPIP, font l’objet d’un tel criblage dans le cadre des concours, au stade de l’admissibilité. Ne sont ainsi autorisés à passer les épreuves d’admission que ceux pour lesquels le criblage n’a pas révélé de difficultés. Nous avons déjà renoncé à certaines candidatures de ce fait. J’ajoute qu’il n’y a pas d’impact budgétaire sur le travail effectué par le SNEAS.

Madame Vichnievsky, en ce qui concerne les 15 000 places de prison supplémentaires que nous avons annoncées, le mode de calcul est extrêmement simple : nous partons du nombre des places existantes en mai 2017 – soit environ 60 000 – et nous nous engageons à ce qu’il y en ait 15 000 de plus, c’est-à-dire 75 000. Au moment où je vous parle, le nombre des places de prison s’établit à 62 000, puisque 2 000 places ont déjà été livrées depuis 2017. Notre premier objectif est de parvenir à 67 000, et nous y travaillons.

Madame Dubré-Chirat, vous espérez que les projets prévus après 2022 seront maintenus. Ils le sont, notamment en ce qui concerne la prison d’Angers : le programme se déroulera tout à fait normalement. Cependant, un certain nombre de programmes post-2022 seront légèrement décalés ; je cite souvent l’exemple de Baumettes 3 à Marseille, dont le lancement dépend du règlement de quelques défaillances affectant Baumettes 2.

Monsieur Gosselin, je crois vous avoir déjà répondu.

Monsieur Paris, la loi de programmation prévoit la création, dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, de 1 500 places supplémentaires, dont 400 sont d’ores et déjà inscrites dans le budget pour 2020. De fait, nous avons grand besoin de ces services, à différentes étapes. Nous nous sommes dotés d’indicateurs de performance, puisque les SPIP vont contribuer au développement des TIG. Nous souhaitons atteindre en 2020, après l’entrée en vigueur de la loi, un taux de 26 % des personnes sous écrou placées sous bracelet électronique, en placement extérieur ou en semi-liberté, contre 21 % actuellement. Quant au nombre des postes de TIG, il augmentera de 20 % l’an prochain, grâce à la création de l’Agence du TIG. Nous avons besoin des moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs. Je dois ajouter que nous avons des indicateurs de suivi de la loi de réforme pour la justice, liés notamment au taux de récidive, ce qui signifie que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation joueront un rôle important.

Monsieur Mis, les crédits consacrés au soutien de la politique numérique sont très importants, puisqu’ils s’élèvent à 176 millions d’euros pour 2020, soit une progression de 8 % qui correspond à l’ensemble des évolutions positives que nous constatons. En effet, en 2019, 3 millions de bulletins de casier judiciaire ont été délivrés par l’intermédiaire du numérique – 80 % des demandes sont effectuées de cette manière-là – et, chaque mois, 800 000 demandes d’état civil sont effectuées par voie dématérialisée sur la plateforme COMEDEC (Communication électronique des données d’état civil), qui permet des échanges entre l’état civil et les professionnels. Depuis le 1er septembre, nous avons ouvert la communication électronique avec les avocats. Je pourrais citer d’autres exemples : le portail du justiciable est désormais accessible ; les requêtes seront possibles dès la fin de l’année en matière de tutelle et début 2020 pour les conseils de prud’hommes. Nous progressons, et les crédits suivent cette progression.

Monsieur Pradié, je crois vous avoir répondu, en précisant le montant des crédits alloués respectivement au TGD et au bracelet. Je vous indiquerai très précisément les lignes sur lesquelles ils se trouvent, car, vous avez raison, c’est important.

Enfin, madame Obono, il faudrait, dites-vous à propos de la protection judiciaire de la jeunesse, faire mieux avec moins ?

Mme Danièle Obono. C’est ce que vous semblez dire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Non, puisque, j’ai eu l’occasion de l’indiquer, nous allons créer 94 emplois d’éducateurs supplémentaires pour accompagner la réforme, auxquels s’ajoutent les 100 personnels de greffe et les 70 juges des enfants. Nous allons donc faire mieux avec plus.

Mme Danièle Obono. Avec un budget en baisse en personnel et en fonctionnement ? C’est magique !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne crois pas que cela soit magique. Je vous ai répondu : nous avons le souci que des personnels appuient la politique qui vous sera présentée au cours de l’année 2020.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci beaucoup, madame la ministre, pour ces réponses très complètes.

À l’issue de l’audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Justice » (M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).

Article 38 et état B : Crédits du budget général

La Commission est saisie de l’amendement II-CL36 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement a pour objet d’appeler l’attention sur le coût des partenariats public-privé (PPP). En l’espèce, nous avons fait le choix, arbitraire – le programme « Administration pénitentiaire » étant également concerné –, de proposer de transférer, du programme « Justice judiciaire » vers le programme « Accès au droit et à la justice », des crédits d’un montant de 53,3 millions, montant qui correspond, selon l’analyse qui en est faite, au surcoût des partenariats public-privé. Sachez en effet, chers collègues, que les sommes en cause dans ce type de décisions politiques, qui engagent d’ailleurs les gouvernements successifs, sont loin d’être négligeables. Ces partenariats pourraient être dénoncés, mais il faudrait, pour cela, un peu plus de volonté politique. Lorsqu’on sait que le dispositif du bracelet anti-rapprochement, par exemple, coûte 5 millions d’euros, on mesure ce que ces fichus partenariats public-privé empêchent de faire.

M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis. Votre amendement vise à transférer 53,3 millions d’euros du programme « Justice judiciaire » vers le programme « Accès au droit et à la justice ». Vous souhaitez manifester ainsi votre opposition aux PPP, mais, une fois que ceux-ci sont lancés, il faut bien les honorer et prévoir les loyers correspondants. Je ne peux qu’émettre un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. On peut parfaitement casser un contrat si l’on estime qu’il pose problème. En tout état de cause, il serait intéressant d’évaluer le coût de cette procédure car les surcoûts de ces partenariats sont tels qu’il pourrait être plus économique d’y mettre fin, d’autant qu’en l’espèce – nous aimerions que ce soit le cas dans d’autres domaines –, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’ils sont une grave erreur. Plutôt que de persévérer dans l’erreur, nous pourrions avoir intérêt à payer moins maintenant en cassant ces contrats.

La Commission rejette l’amendement.

Conformément aux conclusions de M. Dimitri Houbron, rapporteur pour avis « Justice et accès au droit », et de M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2020.

 


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   PERSONNES ENTENDUES

REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL

     M. Sébastien Nicolas, secrétaire général

     Mme Camille Le Boulanger, membre

     M. David Besson, secrétaire général adjoint

     M. Wilfried Fonck, secrétaire national

     M. Alexandre Caby, délégué local

     M. François Jean, secrétaire général adjoint

     Mme Béatrice Carton, présidente

     M. Fadi Meroueh, vice-président

     Mme Blandine Barut, médecin psychiatre hospitalier, chef de service et de pôle Soins en milieu carcéral à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes et au centre de détention de Salon‑de‑Provence

     Mme Laurence Cardonna, médecin psychiatre hospitalier exerçant à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes

     Mme Sonia Ollivier, secrétaire nationale

     M. Josselin Valdenaire, membre de la commission exécutive nationale

     Mme Audrey Eugène, membre

REPRÉSENTANTS ASSOCIATIFS

     M. Jérôme Voiturier, directeur général

     Mme Marie Lambert-Muyard, conseillère technique Enfance, Familles, Jeunesses

     M. Michel Doucin, membre du conseil d’administration de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques

     Mme Sophie Diehl, conseillère technique Justice des enfants et des adolescents

     Mme Stéphanie Lassalle, conseillère technique Post-sententiel

     M. Alain Bouregba, directeur

     M. Ludovic Fossey, vice-président

MINISTÈRES ET ADMINISTRATIONS

     M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire

     M. Pierre Azzopardi, chef de service de l’administration

     M. Pierre Souchet, sous-directeur du pilotage et du soutien des services

     Mme Audrey Farrugia, sous-directrice de l’insertion et de la probation

     Mme Madeleine Mathieu, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

     M. Edouard Thieblemont, adjoint au sous-directeur du pilotage et de l’optimisation des moyens

     M. Thierry Kurt, chef du bureau Prises en charge post aiguës, pathologies chroniques et santé mentale (R4)

     M. Patrick Ambroise, adjoint à la sous-directrice Santé des populations et prévention des maladies chroniques

     M. Christophe Michon, chargé de mission à la sous-direction Santé des populations et prévention des maladies chroniques

     Mme Chloé Ravouna, chargée de mission

AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

     Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

REPRÉSENTANTS D’AVOCATS

     Mme Virginie Bianchi, avocate au barreau de Paris, experte auprès de la commission Libertés et droits de l’homme du CNB

     Mme Anne-Charlotte Varin, directrice des affaires publiques du CNB

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) Hors compte d’affectation spéciale « Pensions ».

([2]) L’article 1er de cette loi prévoyait, pour 2020, 7,7 milliards d’euros de crédits de paiement hors charges de pension et la création de 1 620 emplois.

([3]) Alors que 143 327 mineurs avaient été suivis à titre pénal et civil par la protection judiciaire de la jeunesse en 2018, ils devraient être 144 000 en 2019 et 146 000 en 2020, un chiffre en augmentation de 1,5 % pour le secteur public et de 2,1 % pour le secteur associatif habilité. Cela représenterait près de 223 000 mesures mises en œuvre pour l’année 2019, en hausse de plus de 3 % par rapport à 2018, et un peu plus de 226 000 pour 2020. C’est dans le champ des investigations que la progression de l’activité est la plus importante, en raison du nombre croissant de recueils de renseignements socio-éducatifs en secteur public et des mesures judiciaires d’investigation éducative confiées au secteur associatif habilité.

([4]) https://www.legifrance.gouv.fr/eli/ordonnance/2019/9/11/JUSX1919677R/jo/texte.

([5]) Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.

([6]) Article 94 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([7]) Dont le onzième alinéa garantit à tous « la protection de la santé ».

([8]) L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique la protection par les États de l’intégrité physique des personnes détenues, notamment par l’administration de soins médicaux, et l’interdiction des traitements dégradants. L’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit que « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ».

([9]) Ce premier niveau de soins prend également en charge les missions communes aux deux dispositifs : les actions d’éducation et de prévention pour la santé, la continuité des soins à la sortie et la prise en charge des personnes présentant une conduite addictive.

([10]) Avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé.

([11]) La protection sociale dont bénéficient les personnes incarcérées est étendue, depuis la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, aux personnes écrouées en aménagement de peine, à l’exception de celles exerçant une activité professionnelle dans les conditions d’un travailleur libre.

([12]) Les personnes écrouées dans les établissements pénitentiaires ultra-marins restent de la compétence des caisses locales de sécurité sociale.

([13]) En vertu du I bis de l’article L. 162-5-13 du code de la sécurité sociale.

([14]) À l’exception des patients atteints d’une affection longue durée ou en maternité bénéficiant d’une exonération de la part « complémentaire », dont les dépenses de santé étaient prises en charge par l’assurance maladie.

([15]) Loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015.

([16]) Loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

([17]) Inspection générale des affaires sociales et Inspection générale des services judiciaires, Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice, 2015, p. 5.

([18]) Rapport (n° 808, XVe législature) fait par les groupes de travail sur la détention au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, Repenser la prison pour mieux réinsérer, mars 2018, pp. 37-43.

([19]) Il existe à ce jour 472 cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite réparties dans 90 établissements pénitentiaires.

([20]) Les articles 147-1 et 720-1-1 du code de procédure pénale permettent à une personne placée en détention provisoire ou exécutant une peine d’emprisonnement de solliciter une remise en liberté ou une suspension de peine pour motif médical, dès lors qu’il est établi, sur la base d’une expertise médicale, qu’elle est atteinte « d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que [son] état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention ».

([21]) Avis du 17 septembre 2018 relatif à la prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires.

([22]) L’article D. 401-1 du code de procédure pénale prévoit que cette limite d’âge peut être reculée à la demande de la mère, « sur décision du directeur interrégional des services pénitentiaires territorialement compétent, après avis d’une commission consultative ».

([23]) Article D. 400-1 du même code.

([24]) Une circulaire de 1999 prévoit que ces cellules doivent être d’une superficie au moins égale à 15 m2, équipées d’eau chaude et dotées d’une séparation délimitant un espace pour la mère et un espace pour l’enfant et d’un petit équipement nécessaire au quotidien de l’enfant (lit, chauffe biberon, petite baignoire…).

([25]) Source :réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.