N° 2306

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE LADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2272)
de finances pour 2020

 

 

 

TOME IX

SÉCURITÉS

 

SÉCURITÉ CIVILE

PAR M. ARNAUD VIALA

Député.

 

 

 

 Voir le numéro : 2301–III40


 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2019 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, la totalité des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS

introduction

I. Le modèle français de sécurité civile en crise

A. Un financement partagÉ entre lÉtat et les collectivités territoriales

1. Le programme 161 dans le budget global de la sécurité civile

2. Une diminution des crédits de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises

B. Un pilotage insuffisant des ressources humaines

1. Des effectifs en stagnation face à laccroissement continu des sollicitations opérationnelles

2. Des effectifs à recentrer sur les missions relevant du cœur de métier des sapeurspompiers

3. Une gestion prévisionnelle défaillante au niveau national

4. De dangereuses tergiversations sur le temps de travail

5. Des mesures insuffisamment incitatives pour les employeurs de sapeurspompiers volontaires

II. LES plateformes communes de réception des appels durgence

A. Un engagement présidentiel À la suite de plusieurs expÉrimentations

1. La décision du Président de la République du 6 octobre 2017

2. Une multiplicité de canaux de réception et de traitement des appels durgence

3. Des expérimentations de plateformes communes plus ou moins intégrées entre SAMU et SDIS (1518112)

4. Une expérimentation de plateforme commune entre la police et la brigade des sapeurspompiers de Paris (1718112)

B. Une mise en œuvre sans cesse différÉe, en labsence de véritables choix politiques

1. Une absence de décision à la suite du rapport de lIGA et de lIGAS de 2018

2. Des projets informatiques juxtaposés sans stratégie densemble

3. Lévolution du référentiel commun SUAP-AMU, source de tensions entre les SDIS et les SAMU

4. De nouveaux groupes de travail et missions interministériels aboutissant à de nouvelles expérimentations

Examen en Commission

personnes entendues

 


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   introduction

Mesdames, Messieurs,

Le modèle français de sécurité civile traverse une crise profonde. Les sapeurs‑pompiers sont pris en étau entre une stagnation de leurs effectifs et un accroissement continu de leur sollicitation opérationnelle, en raison de l’augmentation de près de 64 % de leurs missions de secours d’urgence à personne au cours des quinze dernières années.

Ils subissent également une crise d’identité. Ils étaient des soldats du feu. Ils sont devenus des substitutifs de notre système de santé, chargés des urgences pré-hospitalières et utilisés comme un recours gratuit et toujours disponible dans les « déserts médicaux », qu’ils soient ruraux ou urbains.

Les sapeurs‑pompiers doivent enfin faire face à une perte de sens de leurs missions. Leur sur-sollicitation rend d’autant plus insupportables les missions « indues » dont on les charge, très éloignées du secours d’urgence. Dernier recours quand les autres services publics n’ont plus les moyens d’intervenir, ils sont confrontés à la détresse ou la violence de personnes qu’ils secourent. Laisser dériver une telle situation pourrait provoquer une grave crise des vocations de sapeur‑pompier volontaire ou professionnel.

Les sapeurs‑pompiers expriment aujourd’hui une souffrance, mais le Gouvernement ne semble pas les entendre. Ils sont dans l’attente d’une meilleure reconnaissance du rôle qu’ils jouent dans la société et d’une clarification de leurs missions au sein des systèmes de secours et de santé. Ils ont également besoin d’un meilleur pilotage de la ressource précieuse qu’ils représentent au niveau national, d’une gestion prévisionnelle plus perspicace et d’une clarification des règles qui leur sont applicables en matière de temps de travail.

Face à cette situation, la perspective de la mise en place de plateformes communes de réception des appels d’urgence avec le SAMU, la police et la gendarmerie, comme s’y était engagé le Président de la République, ne représente pas la panacée. Elle permet toutefois d’envisager de meilleures interconnexions entre les services chargés de l’urgence et une organisation plus efficace pour les sapeurs‑pompiers, leur permettant de se recentrer sur leur cœur de métier. Toutefois, tandis que le Gouvernement multiplie les missions, rapports et expérimentations à ce sujet, faute de décision politique au niveau national, rien ne change dans l’activité quotidienne d’un modèle à bout de souffle.

Au fil des auditions et des échanges, il est clairement apparu que des contradictions profondes empêchent la mise en place de ces outils et retardent sine die la progression des axes de mutualisation et d’optimisation. Au sein même du ministère de l’Intérieur, alors que l’état‑major se dit favorable au maintien du niveau départemental de coordination et à la création de plateformes communes, on incite la police à développer des plateformes spécifiques à ses services sur un plan interdépartemental ou même régional. Entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Solidarités et de la santé, manifestement, les avis divergent. Le ministère des Solidarités et de la santé, très soucieux de conserver la mainmise sur la régulation médicale, refuse toute avancée et ne répond pas véritablement à la question des moyens supplémentaires indispensables si l’on veut délester des interventions indues les sapeurs‑pompiers en les transférant au secteur ambulancier, par exemple.

Votre rapporteur a donc fait le choix, cette année, de mettre l’accent sur cette question, importante, des plateformes communes de réception des appels d’urgence.

Au plan budgétaire, et dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, le présent rapport porte sur le programme 161 relatif à la sécurité civile. Ce programme, d’un montant de 519,5 millions d’euros, en baisse de 3,3 % par rapport à l’exercice précédent, correspond aux crédits de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Il ne représente qu’une faible part des 6 milliards d’euros de crédits consacrés chaque année à la sécurité civile en France.


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I.   Le modèle français de sécurité civile en crise

A.   Un financement partagÉ entre l’État et les collectivités territoriales

1.   Le programme 161 dans le budget global de la sécurité civile

Le programme 161 « Sécurité civile » fait partie de la mission « Sécurités » qui regroupe l’ensemble des moyens financiers relevant du ministère de l’Intérieur et concourant à la protection des populations sur tout le territoire, avec les programmes 176 « Police nationale », 152 « Gendarmerie nationale » et 207 « Sécurité et éducation routières ».

Il est placé sous la responsabilité de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) qui concourt à la politique interministérielle de sécurité civile, conformément aux orientations définies par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile aux termes de laquelle : « lÉtat est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ; il en définit la doctrine et coordonne ses moyens ». La DGSCGC organise, prépare et met en œuvre les moyens nationaux d’intervention de la sécurité civile, notamment en situation de crise. Elle conduit la politique internationale française de sécurité civile et participe à la lutte contre le terrorisme.

Le programme 161 ne représente toutefois que 8 % des crédits globaux consacrés à la sécurité civile, dont le montant total s’élevait à environ 6,3 milliards d’euros en 2018.

Crédits exécutés de la sécurité civile en 2018

 

 

Montant en 2018

%

Crédits des SDIS, de la BSPP et de la BMPM (1)

5 355 804 412 €

85 %

dont fraction de la TSCA transférée aux départements pour les SDIS
et à la commune de Marseille pour la BMPM

1 140 000 000 €

18 %

Crédits du budget général de lÉtat

dont programme 161

515 098 458 €

8 %

dont autres programmes (2)

464 358 897 €

7 %

Sous-total

979 457 355 €

15 %

Total

6 335 261 767 €

100 %

(1) En raison des relations financières entre les différents acteurs, il existe des doubles comptes : ces éléments chiffrés représentent un indicateur.

(2) Programmes contributeurs identifiés dans le DPT « Sécurité civile » du PLF pour 2019

Sources : DGSCGC et Jaune sur les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales du PLF pour 2020

L’État contribue au tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs autres programmes du budget général (354, 149, 205, 181, 204, 190, 159 et 161) et de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales (fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance – TSCA).

En 2016, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), qui représentent 85 % du budget global de la sécurité civile, étaient financés à hauteur de 42 % par les communes et EPCI, de 34 % par les départements et, indirectement par l’intermédiaire de la fraction de TSCA versée aux départements, de 24 % par l’État. Toutefois, au regard des modalités de financement des SDIS définies à l’article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, il revient aux départements de supporter tout accroissement des dépenses des SDIS.

Rapporté à l’ensemble de la population française, le coût global de la sécurité civile s’élèverait à environ 95 euros par an et par habitant.

2.   Une diminution des crédits de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises

Les crédits demandés pour 2020 au titre du programme 161, d’un montant de 519 millions d’euros, sont en baisse de 3,3 % par rapport à la dotation consentie pour le précédent exercice.

ÉVOLUTION des CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME 161 « SÉCURITÉ CIVILE »

(en euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

Crédits de paiement

LFI 2019

PLF 2020

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

35 449 074

29 872 057

- 15,7 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

338 926 680

348 408 663

+ 2,8 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

149 932 009

131 527 405

- 12,3 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

12 807 953

9 665 649

- 24,5 %

Total du programme 161

537 122 716

519 473 774

- 3,3 %

Source : projet annuel de performance du programme « Sécurité civile » annexé au projet de loi de finances pour 2020.

En tenant compte des perspectives d’inflation pour l’année 2019 (+ 1,2 %) inscrites dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2020, le montant des crédits du programme diminue en réalité de 4,4 %.

L’action 11 « Prévention et gestion de crises » porte sur la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, sur la solidarité nationale en cas de survenance d’une crise, sur la prévention opérationnelle et la protection des populations et, enfin, sur l’activité opérationnelle lors de crises.

L’action 12 « Préparation et intervention spécialisées des moyens nationaux » bénéficie de la dotation la plus importante, correspondant à 67 % des crédits du programme. Elle regroupe les moyens nationaux que l’État met à la disposition de la population, au quotidien ou lors de catastrophes naturelles ou technologiques, et se décline en cinq sous-actions, chacune portant sur un « métier » propre à la sécurité civile : avions, hélicoptères, moyens nationaux terrestres, de déminage et de soutien.

L’action 13 « Soutien aux acteurs de la sécurité civile » correspond aux activités de coordination et de formation des services d’incendie et de secours et des associations de sécurité civile. Cette action comprend la contribution au régime d’indemnisation spécifique (RISP) et à la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) des sapeurs‑pompiers volontaires et les participations au budget de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) et au budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP). Enfin, elle comprend la dotation de soutien à l’investissement des SDIS (DSIS2), qui finance le projet de système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile (NexSIS) porté par l’agence du numérique de la sécurité civile.

 

La dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS (DSIS2)

À la suite d’une importante diminution des investissements des SDIS en 2015, il est apparu nécessaire de créer une nouvelle dotation en remplacement du fonds d’aide à l’investissement (FAI), progressivement mis en extinction à compter de 2012. Une dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS (DSIS2) a donc été créée par l’article 17 de la loi n° 2016-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs‑pompiers professionnels et aux sapeurs‑pompiers volontaires.

Cette dotation est destinée à financer des dépenses d’investissement « concourant à la mise en œuvre de projets présentant un caractère structurant, innovant ou dintérêt national ». Elle est financée par un prélèvement sur la contribution que l’État versait jusqu’alors annuellement aux conseils départementaux au titre de sa participation au financement de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) des sapeurs‑pompiers volontaires, dont le montant a été considérablement réduit (de 25 à 3,8 millions deuros) grâce à la création de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR).

En 2017, la DSIS2 sélevait à 22,2 millions deuros, dont 7 millions deuros consacrés à des projets nationaux (tels que la mise en place de la mission de préfiguration pour le développement de NexSIS – 2 millions d’euros), 10 millions deuros pour un soutien à des projets locaux d’intérêt national portés par les SDIS, sélectionnés à la suite d’un appel à projets et 5,2 millions deuros pour des accompagnements ponctuels, comme celui du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie au titre du transfert de la compétence sécurité civile.

En 2018, la DSIS2 a été réduite à un montant de 10 millions deuros, soit une diminution de 55 %. Elle a financé « très majoritairement » le projet NexSIS (la ventilation des crédits n’étant pas précisée).

En 2019, la DSIS2 a été maintenue à 10 millions deuros, dont 7 millions d’euros consacrés à la nouvelle Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) qui porte le projet NexSIS. Les subventions octroyées en 2017 pour des projets locaux ont été liquidées.

Dans le projet de loi de finances pour 2020, le montant proposé de DSIS2 a de nouveau été réduit, pour atteindre 7 millions deuros, soit une diminution de 30 % : désormais, la dotation ne finance plus que l’ANSC.

L’action 14 « Fonctionnement, soutien et logistique » réunit les fonctions de soutien général du programme 161 : services d’état-major, inspection générale de la sécurité civile (IGSC) et fonctions support.

Les fonds de concours et avances de produits attendus, qui s’ajoutent au montant des crédits de paiement demandés pour 2020, s’élèvent à 2 052 318 euros : plus de 80 % de ce montant correspond au financement par l’Union européenne de la mise à la disposition du programme RescEU d’un avion Dash de la sécurité civile.

Les dépenses de personnel (titre 2) s’élèvent à 186,2 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse de 1,6 % par rapport à 2019. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, la direction du budget a fixé le schéma d’emplois du programme à + 12 ETP, à périmètre constant, correspondant aux recrutements autorisés dans le cadre du renouvellement de la flotte aérienne. Le plafond d’emplois a été défini à 2 479 ETPT, répartis de la manière suivante : 1 415 personnels militaires, 131 personnels administratifs, 477 personnels techniques, 70 ouvriers d’État, 81 hauts fonctionnaires et personnels issus de corps de conception et de direction et de corps de commandement de la police nationale et 305 personnels des corps d’encadrement et d’application de la police nationale. La DGSCGC emploie des personnels mis à sa disposition par la BSPP et les SDIS. Ces effectifs ne sont pas comptabilisés dans le plafond d’emplois du programme : le remboursement des rémunérations correspondantes est imputé sur les crédits de fonctionnement. Ce schéma, qui concerne près de 38 % des agents affectés en administration centrale, crée une distorsion importante dans l’appréciation du respect du plafond d’emplois du programme.

Le budget de la DGSCGC hors titre 2 est en baisse de 1,6 % en crédits de paiement, à périmètre constant.

La création de la direction du numérique (DNUM) du ministère de l’Intérieur s’est traduite par un transfert des crédits liés aux systèmes d’information et de communication vers le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’Intérieur ». Les crédits liés à l’INPT et à ANTARES, le volet informatique du SAIP et les différents projets informatiques de la DGSCGC ont été retirés du périmètre du programme 161, soit un montant de 14,9 millions d’euros en crédits de paiement hors titre 2. Les unités opérationnelles relatives à ces projets ont donc été supprimées, à l’exception de celle qui comprend les dépenses d’installation des sirènes du SAIP.

Évolution des crédits de paiement hors dépenses de personnel (titre 2)

(en millions d’euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

LFI 2019

PLF 2020

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

24,0

18,5

- 22,9 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

176,5

180,8

+ 2,4 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

147,1

129,0

- 12,3 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

6,2

5,0

- 19,1 %

Total du programme 161 hors titre 2

353,8

333,3

- 5,8 %

CP transférés au programme 216 en 2020

-

14,9

-

Total du programme 161 hors titre 2 à périmètre constant

353,8

348,2

- 1,6 %

Source : projets annuels de performance du programme « Sécurité civile » annexé aux projets de loi de finances pour 2020.

Une part significative des crédits de paiement (près de 47 %) concerne la maintenance, l’équipement, la modernisation et le carburant des aéronefs, ainsi que l’acquisition de nouveaux avions.

La flotte davions de la sécurité civile

La flotte de bombardiers d’eau de la sécurité civile est actuellement composée de douze Canadair CL 415, sept Tracker et trois Dash 8 Q400 MR.

Les sept Tracker, en service en moyenne depuis plus de soixante-trois ans, seront progressivement retirés du service entre 2020 et 2023 : deux en 2020, un en 2021 et quatre en 2023. En août 2019, un accident aérien a entraîné la perte d’un Tracker et le décès de son pilote. En septembre 2019, un autre Tracker, parti se ravitailler sur le pélicandrome de Béziers Cap‑d’Agde, a connu un grave incident au décollage. Ces évènements ont amoindri le potentiel opérationnel des Tracker au cours de la saison des feux, en raison de la nécessité de contrôler l’ensemble des appareils de la flotte.

Le marché d’acquisition de six avions multirôles (bombardier d’eau, transport de personnes et de fret, évacuation sanitaire), destinés à remplacer les Tracker, a été notifié en janvier 2018 à la société Conair. Le montant du marché d’acquisition des Dash 8 Q400M s’élève à 364,45 millions d’euros.

Programmation budgétaire de lacquisition des Dash 8

(en millions deuros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

TOTAL

Commande

6

-

-

-

-

-

6

Livraison

-

1

2

1

1

1

6

Autorisations dengagement

322,06

2,21

10,38

8,89

9,72

11,19

364,45

Crédits de paiement

34,35

64,56

82,48

71,01

64,92

47,13

364,45

Source : DGSCGC.

La DGSCGC a indiqué, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, que le renouvellement des Canadair, en service en moyenne depuis plus de vingt-deux ans, devrait intervenir à compter de 2024 ou 2025. Elle s’orienterait vers une augmentation du nombre de Canadair composant la flotte (quinze à seize aéronefs, d’un montant d’environ 35 millions d’euros par avion) pour répondre à l’évolution des risques liée au changement climatique.

 

La DGSCGC conserve, pour l’exercice 2020, les quatre objectifs de performance précédemment définis pour l’exercice 2019 : assurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de lutte contre les feux de forêt, assurer la disponibilité des moyens aériens et leur conformité aux besoins opérationnels, faire évoluer la cartographie des centres de déminage pour éliminer les munitions historiques et faire face à la menace terroriste et harmoniser les moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

B.   Un pilotage insuffisant des ressources humaines

1.   Des effectifs en stagnation face à l’accroissement continu des sollicitations opérationnelles

Les effectifs de sapeurs‑pompiers volontaires (SPV) stagnent depuis une dizaine d’années, passant de 196 825 en 2009 à 196 317 en 2018. Entre 2017 et 2018, leur nombre a légèrement progressé, à hauteur de 0,7 %. En 2018, ils représentent 83 % des sapeur‑pompiers des SDIS. Le montant total des indemnités perçues par les volontaires atteignait près de 578 millions d’euros en 2017, soit un quart des dépenses de rémunération des SDIS.

Le modèle français de sécurité civile repose sur le volontariat. Des plans d’action en faveur des SPV se sont succédé depuis dix ans, sans toutefois parvenir à donner un nouvel essor à leur recrutement. Le Gouvernement a présenté, en septembre 2018, un nouveau plan d’action 2019‑2021 comprenant 37 mesures visant à attirer de nouveaux publics vers le volontariat, à fidéliser les SPV déjà engagés et à s’assurer du suivi des objectifs du plan et de la diffusion des bonnes pratiques entre les SDIS. La DGSCGC indique que 18 des 37 mesures ont déjà été mises en œuvre, comme la féminisation des tenues d’intervention et la possibilité de contracter un engagement diérencié permettant de n’effectuer que des missions de secours à personne.

Les effectifs de sapeurs‑pompiers professionnels (SPP) ont augmenté de 37 % au cours des vingt dernières années, à la suite de la départementalisation des services d’incendie et de secours. Ils ont toutefois diminué de 1,1 % au cours des cinq dernières années. Les SPP, qui représentent 17 % des sapeurs‑pompiers des SDIS, sont des fonctionnaires territoriaux. Il est à noter que 45 % d’entre eux cumulent leur engagement professionnel et un engagement de SPV. Selon la DGSCGC, le coût de la masse salariale des SPP avoisine les 3 milliards d’euros pour l’année 2018.

Le 15 octobre 2019, les SPP ont manifesté à Paris à l’appel d’une intersyndicale représentant 85 % des personnels statutaires des SDIS : ils dénonçaient notamment la diminution des effectifs face à l’accroissement du nombre d’interventions.

Les sapeurs‑pompiers militaires (SPM) relèvent de la BSPP, du bataillon des marins‑pompiers de Marseille (BMPM) ou des formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC). Leur effectif global était de 12 109 SPM en 2017. En 2018, l’effectif total de la BSPP était d’environ 8 600 personnels et celui du BMPM d’environ 2 300. La BSPP a indiqué au cours des auditions qu’elle était actuellement en sous-effectif de 300 personnes (postes budgétés mais non pourvus), principalement des sous-officiers du rang.

Le volume annuel d’interventions des SDIS, de la BSPP et du BMPM a fortement progressé au cours des quinze dernières années (+ 25 %), passant de 3,7 millions en 2003 à 4,6 millions en 2017. Cela représente une intervention toutes les 6,8 secondes en 2017.

Sur la même période, le nombre d’interventions de secours à personne est passé de 2,2 millions à 3,6 millions, soit une augmentation de 64 %. En 2018, il atteindrait 3,8 millions, soit une progression de 5 %, et cette forte croissance se poursuivrait au premier trimestre 2019.

Si le secours à personne ne représentait que 59 % de l’ensemble des interventions des SDIS en 2003, cette part est aujourd’hui passée à 78 % (hors accidents de circulation). Il s’agit d’une véritable mutation du métier : en 2017, les incendies ne représentaient plus que 7 % de l’ensemble des interventions.

La BSPP effectue à elle seule 11 % de l’ensemble des interventions et connaît une croissance annuelle de son activité de 4 à 5 %. En 2018, elle a effectué plus de 520 000 interventions, représentant en moyenne 1 432 interventions par jour. L’accroissement continu de son activité est porté par le secours à personne qui représente plus de 84 % de ses interventions.

2.   Des effectifs à recentrer sur les missions relevant du cœur de métier des sapeurs‑pompiers

Les SDIS sont confrontés à une forte tension entre la stabilité de leurs effectifs globaux et l’accroissement continu des sollicitations opérationnelles qu’ils subissent.

Aux termes de l’article L. 1424‑2 du code général des collectivités territoriales, les SDIS sont, en premier lieu, « chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies ». Ils concourent en outre, « avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à lévaluation et la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi quaux secours durgence ».

Le secours d’urgence à personne (SUAP) est toutefois devenu l’activité principale des SDIS et a fait d’eux des acteurs majeurs de notre système de santé. Ils sont le dernier recours dans les « déserts médicaux », qu’ils soient ruraux ou urbains, en lien avec l’évolution de la carte médicale et du fait de la diminution des permanences médicales de proximité. Le maillage territorial des centres de secours des sapeurs‑pompiers compense les restructurations du système de santé. Les sapeurs‑pompiers, privilégiés pour leur proximité, leur rapidité et la gratuité de leurs interventions, sont amenés à assumer un rôle de substitution.

En matière de prise en charge de l’urgence, la législation distingue le SUAP, non médicalisé et qui relève de la sécurité civile, de l’aide médicale urgente (AMU), médicalisée, qui relève de la santé publique. Le référentiel commun du 25 juin 2008 relatif à l’organisation du SUAP et de l’AMU organise les relations entre les SDIS et les services d’aide médicale urgente (SAMU). Cependant, dans la pratique, les situations d’urgence peuvent voir les activités de secours et d’assistance médicale s’entremêler, voire même se substituer l’une à l’autre en cas de saturation du système d’AMU. La Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France (FNSPF) estime que les sapeurs‑pompiers assument seuls près de 95 % des urgences pré-hospitalières.

Les sapeurs‑pompiers sont ainsi fréquemment sollicités pour des interventions ne relevant pas de leurs compétences, entraînant une sur‑sollicitation qui dégrade le potentiel opérationnel des services au détriment de leurs véritables missions.

Pour la Cour des comptes ([1]), « le système a atteint ses limites opérationnelles (…). En dépit de mesures expérimentées au niveau local, laugmentation régulière des missions consacrées au SUAP et leur complexification napparaissent pas soutenables à court-moyen terme. » Elle recommande donc de procéder à une « revue des missions » des SDIS afin de clarifier leur étendue. Elle évoque la mise à jour du modèle d’organisation des secours, des moyens qui y sont consacrés et de la régulation médicale.

Les SDIS sont notamment amenés à intervenir, à la demande du SAMU, en cas d’indisponibilité des ambulances privées. Ces interventions de transport sanitaire représentent actuellement 10 % de l’activité des SDIS. Elles sont indemnisées par le ministère des Solidarités et de la santé, mais le forfait de remboursement, fixé à 123 euros, ne couvre pas les charges réellement supportées par les SDIS. En 2017, le montant des carences à la charge des agences régionales de santé (ARS) s’élevait à 32 millions d’euros.

Les carences ambulancières représentent un important point de tension entre les SDIS et les SAMU. Leur nombre même fait l’objet de désaccords : le volume de carences estimé par les SDIS est 1,8 fois supérieur à celui déclaré par les SAMU au niveau national. Cet écart découle de désaccords entre les SDIS et les SAMU sur la qualification de certaines interventions en carence ambulancière.

La direction générale de l’offre de soins (DGOS) a indiqué, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, qu’une réforme était en cours d’élaboration sur le transport sanitaire urgent, qui devrait revaloriser la profession, modifier son modèle économique et permettre de mieux gérer les gardes ambulancières. Elle devrait avoir un effet sensible sur les SDIS en diminuant les carences ambulancières.

Toutefois, en raison du vieillissement de la population, les sapeurs‑pompiers sont de plus en plus fréquemment sollicités pour des missions d’assistance aux personnes, d’ordre social. Une grande part des interventions de SUAP ne nécessite même pas que les sapeurs‑pompiers ouvrent leur sac de secours.

Des associations de sécurité civile disposant de l’agrément « secours aux personnes », telles que la Croix rouge française ou la Fédération nationale de protection civile, souhaiteraient que le dernier alinéa de l’article L. 225-5 du code de la sécurité intérieure soit modifié afin de leur permettre, sur l’ensemble du territoire, de transporter les personnes qu’elles secourent vers un établissement de santé.

Actuellement, elles ne procèdent à ce transport qu’à Paris et Marseille. C’est pourtant à cette condition qu’elles peuvent véritablement prendre part au SUAP, à la place d’équipes de sapeurs‑pompiers. Ainsi, des ambulances de ces associations interviennent depuis plusieurs années à Paris, sous la responsabilité et le commandement de la BSPP, dans le cadre d’une convention. En outre, les associations agréées effectuent déjà ce type de mission, dans toute la France, dans le cadre des dispositifs prévisionnels de secours, lors de grands rassemblements de personnes.

Les associations agréées indiquent qu’elles disposent des moyens et de l’expertise nécessaire pour assurer les missions liées à cet élargissement de compétences, a minima dans toutes les grandes métropoles. Une telle mesure répondrait à une demande croissante des SDIS et des SAMU. Les associations agréées pourraient notamment intervenir dans le cadre des carences ambulancières. En outre, si elles disposent de ressources et de compétences en matière de secourisme, ces associations ont les capacités pour intervenir dans les domaines de la prévention et du social.

Votre rapporteur pour avis propose délargir le champ dintervention des associations agréées de sécurité civile en matière de SUAP, afin de leur permettre de devenir un meilleur soutien des SDIS sur lensemble du territoire.

3.   Une gestion prévisionnelle défaillante au niveau national

Le métier des sapeurs‑pompiers s’est transformé au cours de ces dernières années. Les pompiers attendent maintenant une reconnaissance de ces évolutions et du rôle qu’ils jouent dans la société ainsi qu’une redéfinition, plus précise et adaptée, du périmètre de leurs missions.

L’État est le garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. La DGSCGC prépare et met en œuvre les textes réglementaires relatifs aux SPP, définit le cadre juridique de l’activité des SPV et anime la politique nationale en faveur du volontariat. Elle s’occupe également de certains actes de gestion des personnels officiers des SDIS et opère un suivi de leur encadrement supérieur. Cette production réglementaire peut avoir des effets importants sur la masse salariale des SDIS et leur capacité opérationnelle, qu’ils soient directs, comme à la suite des réformes statutaires intervenues depuis 2012, ou indirects, comme dans le cas des normes d’armement des véhicules. Une évaluation précise de ces conséquences est donc nécessaire.

La DGSCGC ne définit pas de schéma d’emploi des SDIS. La Cour des comptes souligne à ce propos ([2]) que « la direction générale apparaît en retrait des attributions que la loi du 13 août 2004 lui a conféré ». Dans le projet annuel de performance du programme 161, la DGSCGC indique en outre que : « lannée 2020 sera marquée par les différentes mesures visant à déléguer aux services dincendie et de secours la plupart des compétences en matière de gestion des ressources humaines exercées encore au niveau central ».

La DGSCGC souffre par ailleurs de la faiblesse des indicateurs de suivi des ressources humaines dont elle dispose. La Cour des comptes note que « la fiabilité et lexhaustivité des informations qui remontent des SDIS vers ladministration centrale ne sont pas assurées, les données nétant ni traçables ni documentées. La mise à jour des informations est réalisée manuellement, ce qui implique des risques derreurs et de redondances. Enfin, la publication des statistiques annuelles des services dincendie et de secours par la DGSCGC (…) est constituée à partir de données déclaratives qui sont, pour partie, retraitées. Ladministration centrale ne dispose donc pas de données suffisantes pour sassurer de la cohérence de lorganisation des secours au niveau des SDIS. » ([3])

Les SDIS sont confrontés à un vieillissement progressif de leurs effectifs : l’âge moyen des SPP est passé de 37 ans en 2006 à 42 ans en 2017, 35 % d’entre eux avaient alors plus de 45 ans. La fidélisation des SPV est par ailleurs une priorité du plan d’action pour le volontariat 2019-2021 présenté par le Gouvernement en 2018.

Mais votre rapporteur pour avis ayant demandé à la DGSCGC de lui fournir des projections de départ à la retraite des SPP et de fin d’engagement des SPV et des estimations des besoins en recrutement pour les prochaines années, celle-ci lui a répondu que « les statistiques fournies par les SDIS dans le cadre de lenquête annuelle ne permettent pas dapporter une réponse à cette question ». Il en est allé de même s’agissant des motifs de non‑renouvellement de l’engagement ou de démission des SPV. Le plan d’action prévoyait pourtant « de travailler à la remontée dindicateurs plus qualitatifs permettant au Conseil national des SPV danalyser les évolutions de lengagement des SPV pour adapter les politiques de recrutement ». Les travaux préparatoires à la déclinaison de cette mesure ne devraient débuter qu’à la fin de l’année 2019.

Votre rapporteur pour avis sétonne de labsence de données de gestion prévisionnelle et dindicateurs qualitatifs de suivi au niveau national, alors que ces éléments paraissent indispensables pour élaborer une politique pertinente en faveur du volontariat.

4.   De dangereuses tergiversations sur le temps de travail

La directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail encadre le temps de travail au sein de l’Union européenne afin de garantir la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Elle dispose que le temps de travail hebdomadaire moyen, heures supplémentaires comprises, ne peut dépasser 48 heures et que le temps de repos doit être de 24 heures tous les sept jours et de 11 heures par tranches de 24 heures. Des dérogations au repos journalier de 11 heures ou au travail de nuit de 8 heures sont possibles, notamment pour les sapeurs‑pompiers, mais elles ne peuvent porter sur la durée hebdomadaire maximale de 48 heures, soit 2 304 heures par an.

L’arrêt rendu le 21 février 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak, assimile les SPV à des travailleurs au sens de la directive précitée et plafonne donc le nombre total de leurs heures de travail à 2 304 heures par an : ceux d’entre eux qui ont une activité salariée principale à temps plein (1 607 heures) ne pourraient donc plus consacrer que 697 heures par an à leurs activités de SPV. Cet arrêt tend également à assimiler leurs périodes d’astreinte à du temps de travail. Il réduit donc fortement la disponibilité des SPV pour les SDIS.

Les SPV réalisent en moyenne 36 % des gardes diurnes et 43 % des gardes nocturnes au niveau national, mais cette part est bien plus importante dans les SDIS ruraux et de montagne. Ils réalisent 66 % du temps d’intervention au niveau national, mais 78 % dans les SDIS de catégorie C. La mise en conformité avec la directive supposerait donc une réorganisation du temps de travail dans les SDIS, alors même qu’ils couvrent déjà difficilement leurs besoins en SPV. Elle nécessiterait également le recrutement de nouveaux SPP ou SPV pour atteindre un seuil d’engagement opérationnel journalier suffisant, avec d’importantes conséquences financières pour les SDIS. Elle supposerait enfin une modification du maillage territorial des centres d’incendie et de secours et un approfondissement des mutualisations entre les SDIS, car il ne serait pas envisageable de remplacer chaque SPV par un SPP dans les zones de faible activité opérationnelle : il pourrait en découler une augmentation des délais d’intervention dans certains secteurs qui subissent déjà des restructurations des services publics.

En outre, les SPV assurent 96 % des astreintes de jour et 97 % des astreintes de nuit des SDIS. Pour éviter une requalification de ces astreintes en temps de travail, certains SDIS ont déjà mis en œuvre un système de gardes pour lesquelles les volontaires se déclarent disponibles, sans être contraints par des règles de présence physique ou de délai.

Par ailleurs, le cas des SPP cumulant leur activité professionnelle avec un engagement de SPV pose question. En effet, ces « pro‑vo » interviennent fréquemment comme SPV durant leurs repos réglementaires. Certains SDIS ne tiennent pas compte de ces repos pour programmer les gardes. Plus généralement, les SDIS ne sont pas en mesure de contrôler l’activité de leurs SPP sous double statut lorsqu’ils exercent leur activité de SPV dans un autre département.

Pourtant, l’encadrement de la durée du travail par la directive européenne vise à protéger les sapeurs‑pompiers, mais aussi les personnes auxquelles ils portent secours, en garantissant le caractère pleinement opérationnel des intervenants et la sécurité des opérations.

La Commission européenne n’a engagé aucune procédure à l’encontre de la France visant à imposer une transposition de la directive, comme ce fut le cas en octobre 2013 pour le temps de travail des officiers de police. Toutefois, les juridictions nationales, saisies d’un problème similaire à celui de l’arrêt « Matzak », seront tenues par celui-ci. Le tribunal administratif de Strasbourg s’était d’ailleurs déjà prononcé, en novembre 2017, dans le sens d’une applicabilité de la directive aux SPV.

La DGSCGC a indiqué que le ministère de l’Intérieur, conjointement avec le secrétariat général des Affaires européennes (SGAE), avait engagé des discussions avec la direction générale de l’Emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission européenne « en vue de saccorder formellement sur un positionnement le plus clair et le plus satisfaisant possible des sapeurspompiers volontaires français au regard de la directive ». Il s’agit, à moyen terme, de parvenir à exempter le volontariat de l’application de cette directive. La rédaction d’un texte européen sur l’engagement citoyen est également évoquée. Ces orientations supposent des négociations longues et complexes avec l’Union européenne et ses États membres. En tout état de cause, le Gouvernement français est actuellement dans l’attente de l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne pour reprendre les négociations.

La Cour des comptes, dans la conclusion générale de son rapport sur les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile de mars 2019 soulignait que : « si le sapeurpompier volontaire est indéniablement un “travailleur” à qui les protections minimales de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 doivent en principe sappliquer, ce nétait pas là loption défendue jusquà présent par les pouvoir publics. Il leur appartient désormais de tirer les conséquences de la décision de la Cour de justice de lUnion européenne du 21 février 2018 qui a le mérite de révéler les ambiguïtés du modèle français. En létat du droit, le scénario de la mise en conformité avec le droit européen apparaît incontournable à court terme. Il est essentiel à cet égard que lÉtat, les SDIS et les collectivités territoriales identifient les conséquences organisationnelles et financières de lapplication de la directive (…). Cest aux autorités demploi des sapeurspompiers quil revient denvisager – dans le cadre de leur obligation générale de sécurité – les mesures individuelles et collectives propres à prévenir les risques auxquels sont confrontés les personnels et, indirectement, les personnes auxquelles il est porté secours. »

Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, la DGSCGC a précisé qu’elle étudiait les adaptations nécessaires dans les textes réglementaires existants et les règlements opérationnels en vue d’une mise en conformité avec la directive européenne. Celle-ci offre en effet des possibilités de dérogations qu’il conviendrait de transposer en droit interne.

Votre rapporteur pour avis souhaiterait obtenir des précisions sur les mesures que le ministère de lIntérieur entend mettre en œuvre à brève échéance pour assurer la mise en conformité du modèle français de sécurité civile avec les règles européennes relatives au temps de travail, dans lattente dune éventuelle modification du droit européen.

5.   Des mesures insuffisamment incitatives pour les employeurs de sapeurs‑pompiers volontaires

De nombreux SPV éprouvent des difficultés à concilier le volontariat avec les impératifs de leur vie professionnelle. Sur le terrain, ces contraintes professionnelles semblent souvent mises en avant pour expliquer le non‑renouvellement d’un engagement. De leur côté, les employeurs font état de l’impact d’un tel engagement sur l’organisation du travail et observent que la présence de ces salariés représente une charge financière pour l’entreprise. Environ 40 % des SPV dont l’activité professionnelle est connue sont des salariés du secteur privé, selon le rapport de la mission « volontariat sapeur‑pompier » de 2018.

L’article 7 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs‑pompiers prévoit la possibilité pour l’employeur de percevoir les indemnités horaires du SPV qu’il emploie à la place de celui-ci, en cas de maintien de sa rémunération et des avantages y afférents (et dans la limite de ceux-ci) pendant son absence sur le temps de travail effectif.

La loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations et la circulaire du 14 novembre 2005 relative au développement du volontariat chez les sapeurs‑pompiers ont permis aux entreprises employant des SPV de bénéficier du mécanisme de réduction d’impôt prévu par l’article 238 bis du code général des impôts, à hauteur de 60 % de leur montant et dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires, pour les heures de travail à titre gratuit au profit des SDIS. Ce dispositif a été élargi aux disponibilités accordées par les employeurs au titre de la formation à compter du 1er janvier 2018.

Les employeurs de sapeurs‑pompiers volontaires bénéficient également, au titre de l’article L. 723-11 du code de la sécurité intérieure, d’un abattement de 10 % sur la prime d’assurance dommages incendie dès lors qu’ils ont établi une convention de disponibilité signée avec un SDIS. Cette convention peut leur permettre d’obtenir des compensations financières au-delà d’un seuil d’absence préalablement défini.

Enfin, les employeurs ont la possibilité de comptabiliser, dans leur contribution au financement de la formation professionnelle, la part de la rémunération et des charges sociales correspondant à l’absence pour formation du sapeur-pompier volontaire pendant son temps de travail effectif.

Les entreprises privées ont peu recours à ces mesures, souvent méconnues, jugées trop complexes et insuffisamment incitatives. En outre, la DGSCGC souligne que l’évaluation de ces dispositifs est difficile, en l’absence de données. Elle a indiqué à votre rapporteur pour avis qu’« aucune donnée [sur le dispositif de subrogation] nest collectée auprès des services dincendie et de secours pour évaluer [le nombre d’]employeurs concernés et les montants reversés à ceux-ci ». En outre, la DGSCGC a adressé une demande à la direction générale des finances publiques en août 2019, « afin de pouvoir évaluer le dispositif de mécénat en faveur des employeurs de sapeurspompiers volontaires. À ce jour, le ministère de lIntérieur ne dispose pas encore de données permettant dévaluer ce dispositif. »

Le plan d’action du Gouvernement sur le volontariat prévoit « un recensement et une expertise des mécanismes techniquement pertinents susceptibles dinciter les employeurs à favoriser lengagement comme sapeur-pompier volontaire au sein de leur personnel ». Mais aucune mesure n’a été annoncée pour le moment.

Votre rapporteur pour avis estime quil est indispensable et prioritaire de prévoir, en contrepartie de la disponibilité des SPV pendant leur temps de travail, un mécanisme, fiscal ou social, de compensation de charges pour lensemble des entreprises privées.

Ainsi, la majoration du coefficient de réduction prévue au IV de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale pourrait s’appliquer aux salariés ayant souscrit un engagement de sapeur-pompier volontaire. Votre rapporteur pour avis a proposé cette mesure dans le cadre de la proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours et à valoriser les sapeurs‑pompiers professionnels et volontaires, examinée par l’Assemblée nationale en avril dernier mais renvoyée en commission. Un amendement en ce sens avait également été adopté par le Sénat, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, mais cette disposition avait ensuite été supprimée par l’Assemblée nationale.

 


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II.   LES plateformes communes de réception des appels d’urgence

A.   Un engagement présidentiel À la suite de plusieurs expÉrimentations

1.   La décision du Président de la République du 6 octobre 2017

Dans son discours du 6 octobre 2017 de remerciement aux forces mobilisées sur les feux de forêts et ouragans, le Président de la République avait indiqué que : « ce quinquennat doit être (…) loccasion (…) de mettre en place des plateformes uniques de réception des appels durgence. Aux États-Unis, il suffit de faire le 911. En Europe, et tout particulièrement en France, cest beaucoup plus compliqué. Au moment de la mise en place, en lan 2000, au niveau européen, du numéro dappel durgence unique 112, de nombreux États européens ont réorganisé leur numéro dappel comme lEspagne, le Portugal, le Luxembourg, la Finlande ou la Suède, souvent pour nen conserver quun seul. Mais la France a conservé le 15, le 17, le 18 et elle a rajouté le 112 et le 115. Nous navions pas alors saisi tout le potentiel et lopportunité offerte par cette réforme pour nos concitoyens, mais nous avons besoin dune plateforme commune, de simplifier les choses (…). Des innovations ont été faites sur certains territoires, des centres commun ont émergé dans une quinzaine de départements : je souhaite que nous puissions aller plus loin, simplifier les choses pour quun meilleur service, une plus grande simplification, ces réflexes du quotidien soient pleinement adoptés. »

Le Président de la République a donc décidé de mettre en œuvre un numéro unique d’appel d’urgence géré par des plateformes communes de réception des appels d’urgence. Afin de procéder à une nécessaire simplification, le numéro européen 112 se substituerait aux numéros d’appel d’urgence des services d’aide médicale urgente (SAMU – le 15), de la police et de la gendarmerie (le 17) et des sapeurs‑pompiers (le 18).

2.   Une multiplicité de canaux de réception et de traitement des appels d’urgence

Les trois numéros d’urgence historiques (15, 17 et 18) sont à l’image des quatre grands services qui en assurent le traitement : ils disposent de missions propres et de cultures professionnelles spécifiques. L’obligation de secours, qui découle notamment du droit à la sûreté, relève de la police administrative : elle est principalement assurée par les forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie et services d’incendie et de secours). L’aide médicale urgente (AMU) relève du service public de la santé : elle est assurée par les SAMU.

Le 112, numéro d’appel d’urgence unique européen, est venu s’ajouter aux trois numéros historiques. Il a été institué par la décision du Conseil n° 91/396/CEE du 29 juillet 1991 : il s’agit d’un numéro commun aux pays de l’Union, mis en œuvre parallèlement aux numéros d’urgence existants et n’impliquant pas nécessairement leur suppression. Le préfet de chaque département détermine le service d’urgence chargé de la gestion du 112 : dans la grande majorité des départements (80 %), il a été confié aux SDIS, mais il est géré par le SAMU dans 20 % d’entre eux.

Un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’octobre 2018 ([4]) estime qu’un total de 70 millions d’appels d’urgence aurait été adressé aux numéros 15, 17, 18 et 112 en 2016, dont 18 % décrochés par les sapeurs‑pompiers, 32 % par la police et la gendarmerie et 42 % par le SAMU. Le nombre d’appels est en croissance constante : en 2017, plus de 30 millions d’appels ont été reçus par le SAMU et 18 millions par les SDIS.

Répartition des appels d’urgence en 2016

Source : rapport de l’IGA et de l’IGAS « Évaluation de la mise en œuvre du référentiel du SUAP et de l’AMU et propositions d’évolutions », octobre 2018

3.   Des expérimentations de plateformes communes plus ou moins intégrées entre SAMU et SDIS (15‑18‑112)

Vingt départements disposent actuellement d’une plateforme commune SAMU‑SDIS (15, 18, 112) et sept autres projettent de mettre en place un tel dispositif, selon la DGSCGC ([5]). Le niveau de coopération des équipes varie selon les plateformes, allant d’une simple co‑localisation à un fonctionnement plus intégré. Les personnels travaillent le plus souvent sur un plateau commun. Des outils communs de réception et de traitement de l’appel (arbres communs d’aide à la décision) peuvent avoir été créés pour certaines plateformes. Un système d’information intégré, propre à la plateforme, peut parfois avoir été développé, comme en Haute-Savoie. Un décroché commun, indifférencié au 15 et au 18, peut également être prévu, comme en Indre-et-Loire ou dans les Vosges.

Lorsqu’elles sont l’occasion de mettre en place une organisation véritablement intégrée, ces plateformes permettent de mettre fin à des incompréhensions et de développer une culture commune entre les personnels des SDIS et des SAMU. Elles permettent également une optimisation des moyens en mutualisant les ressources des deux services. Elles améliorent enfin les échanges avec les victimes et entraînent une meilleure fluidité et une plus grande rapidité dans les réponses qui leur sont apportées.

Toutefois, la fréquente implantation des plateformes hors de l’hôpital peut représenter un problème pour le ministère des Solidarités et de la santé. Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, la DGOS a souligné qu’elle ne mettait aucun frein à la création de nouvelles plateformes communes, mais restait vigilante sur l’utilisation de la ressource rare que représentent les personnels urgentistes dans le cadre de ces projets, ces derniers étant souvent mutualisés avec les services d’urgence. Par ailleurs, ces plateformes peuvent entraîner des coûts supplémentaires liés au paiement d’un loyer par le SAMU. En outre, en termes de ressources humaines, certaines expérimentations de plateformes communes ont pu susciter du ressentiment de la part des assistants de régulation médicale, lorsque leur activité est perçue comme plus forte que celle des opérateurs des SDIS et leur rémunération plus faible.

La direction générale de l’offre de soins (DGOS) estime que le bilan des expérimentations de plateformes communes varie d’un département à l’autre : leur réussite paraît davantage liée aux acteurs concernés au niveau local qu’à des principes généraux d’organisation. La DGOS a indiqué qu’elle ne met en œuvre aucune politique de développement de ces plateformes au niveau national, celles‑ci relevant de la compétence des agences régionales de santé (ARS), sans toutefois chercher à en freiner la création.

À l’opposé de ces expérimentations de plateformes communes, il est à noter qu’il n’existait pas encore, à la fin de l’année 2018, de ligne téléphonique dédiée et prioritaire entre le centre de réception et de régulation des appels du 15 et le centre de traitement des appels du 18 dans environ un quart des départements français, malgré les préconisations du référentiel commun sur le SUAP et l’AMU de 2008. Le bon fonctionnement de ces liaisons téléphoniques doit être vérifié avant la fin de l’automne 2019. De même, l’interopérabilité des systèmes d’information n’est pas atteinte sur une grande partie du territoire : les doubles saisies informatiques sont encore fréquentes entre SDIS et SAMU dans près de la moitié des départements.

4.   Une expérimentation de plateforme commune entre la police et la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (17‑18‑112)

Dans le contexte très particulier de la préfecture de police, la plateforme des appels d’urgence (PFAU) regroupe le traitement des appels d’urgence destinés à la police nationale et à la brigade des sapeurs‑pompiers, à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Cette plateforme a connu une montée en charge progressive de juin 2016 à novembre 2018. Elle décroche environ 9 000 appels par jour.

Lorganisation de la plateforme des appels durgence (PFAU)
de la préfecture de police de Paris

Le traitement des appels d’urgence au sein de la PFAU se répartit en trois niveaux :

– le premier niveau, purement technique, met les appelants en relation avec une boîte vocale durant sept secondes : cette étape permet d’éliminer 32 % des appels (1,5 million d’appels sur les 4,8 millions reçus) en permettant aux personnes ayant fait une erreur de numérotation de raccrocher ;

– le deuxième niveau, mutualisé entre la police et les sapeurs‑pompiers (quatre opérateurs en permanence), est chargé de l’accueil et du filtrage des appels (le « débruitage »). Il s’appuie sur un arbre décisionnel commun défini par la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) et la BSPP permettant de déterminer si l’appel est urgent et s’il concerne la police ou les sapeurs‑pompiers : 50 % des appels sont éliminés à ce stade ;

– le troisième niveau est organisé selon une spécialisation liée au métier de la sécurité ou du secours (onze opérateurs en permanence). Les opérateurs de la DSPAP et de la BSPP, co-localisés, sont chargés de l’instruction des appels relevant de leur cœur de métier. Les opérateurs de la BSPP intervenant à ce niveau reçoivent une formation de quatre semaines et présentent tous un niveau minimal de chef d’agrès. Ils doivent déterminer le degré d’urgence de l’appel.

Ce dispositif à trois niveaux a permis de traiter plus efficacement les urgences vitales et prioritaires, en les identifiant rapidement dans le flux des appels d’urgence, notamment lors de pics d’appels : le temps d’attente au troisième niveau est de sept secondes pour les appels très urgents et de douze secondes pour les appels moins urgents.

Il a également permis de mieux sécuriser les interventions, en facilitant la coordination des services dès le traitement des appels (14 % des interventions de la BSPP concernent également la police), et d’apporter une réponse plus adaptée aux appels grâce aux conseils et à l’orientation dès le premier niveau de leur traitement.

Le SAMU et la BSPP communiquent uniquement par voie téléphonique, mais cela représente près de 600 échanges par jour. Près de 80 % des interventions de la BSPP concernent également le SAMU. Or, le système d’information de traitement des appels ne permet pas d’effectuer des transferts de fichiers avec le SAMU. Une interconnexion avec le système d’information du SAMU représenterait un gain de temps considérable pour les opérateurs.

Depuis le 4 juillet 2019, un protocole d’accord signé entre la préfecture de police de Paris, l’agence régionale de santé, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, les quatre SAMU et la BSPP a permis d’étendre le champ des études concernant la distribution des appels d’urgence aux centres de réception et de régulation des appels (CRRA) du SAMU de l’agglomération parisienne.

Une étude est en cours avec le SAMU du Val‑de‑Marne pour évaluer les appels qui pourraient lui être transférés dès le premier niveau de traitement de la plateforme.

Votre rapporteur pour avis estime que la plateforme des appels durgence de la préfecture de police de Paris pourrait servir de modèle dans la mise en œuvre de plateformes départementales sur lensemble du territoire.

B.   Une mise en œuvre sans cesse différÉe, en l’absence de véritables choix politiques

1.   Une absence de décision à la suite du rapport de l’IGA et de l’IGAS de 2018

En janvier 2018, les ministres de l’Intérieur et de la Santé ont missionné conjointement l’IGA et l’IGAS afin d’évaluer la mise en œuvre du référentiel du secours d’urgence à la personne (SUAP) et de l’aide médicale urgente (AMU) et de définir des scénarios d’évolution pour la réception et le traitement des appels d’urgence.

Ce rapport proposait quatre scenarii de réception et de traitement des appels d’urgence, en privilégiant le premier et le dernier d’entre eux :

– le premier reposait sur un maintien du 15, du 17 et du 18 : cette solution serait compatible avec une amélioration du service rendu sous réserve de s’appuyer sur un « pilotage resserré » du SUAP et de l’AMU et permettrait de mener à son terme l’effort de modernisation des systèmes d’information qui a été engagé ;

– le deuxième scénario envisageait une fusion du 17 et du 18 dans le 112, qui deviendrait un numéro de « secours », parallèlement au maintien du 15 qui deviendrait un numéro unique de « santé » : une telle solution pourrait toutefois créer un cloisonnement des organisations sans répondre à l’exigence de simplification et en risquant de dégrader la réponse aux urgences vitales ;

– le troisième scénario proposait une fusion du 15 et du 18 dans le 112 par la généralisation des plateformes communes départementales : malgré le bilan globalement positif des expérimentations, une telle généralisation ne tiendrait pas compte de la nécessaire mutualisation des ressources urgentistes au sein des établissements de santé et rendrait difficile toute intégration ultérieure du 17 dans le 112 ;

– le dernier scénario suggérait une fusion du 15, du 17 et du 18 au sein du 112 par la mise en place de plateformes supra‑régionales de premier niveau : ces plateformes réceptionneraient les appels, les trieraient, déclencheraient les départs réflexe des SDIS et transmettraient les appels aux services compétents.

Le rapport de l’IGA et de l’IGAS n’était pas public, mais a été diffusé par voie de presse. Il a suscité l’indignation de la Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France (FNSPF) qui a dénoncé son « contenu partial et profondément défavorable aux sapeurs‑pompiers ». Celle-ci estimait en outre que : « le rapport ignore l’option consistant à faire du 112 l’unique numéro d’urgence en s’appuyant sur les synergies de proximité et les expériences départementales réussies ». La FNSPF et l’Assemblée des départements de France (ADF) défendent en effet depuis longtemps la généralisation de plateformes communes de niveau départemental.

De ce point de vue, une autre difficulté apparaît : les SAMU ont entrepris une mutualisation progressive du traitement des appels au 15 au niveau régional. La gendarmerie nationale a également initié un mouvement de mutualisation régionale.

À la suite de ce rapport, la DGSCGC et la DGOS ont identifié cinq mesures prioritaires ([6]) à mettre en œuvre pour répondre à la pression opérationnelle pesant sur les SAMU et les SDIS :

– généraliser les coordonnateurs ambulanciers au sein des SAMU ;

– réduire l’attente des sapeurs‑pompiers au sein des services d’urgence ;

– étudier la possibilité de permettre aux SDIS d’effectuer des interventions avec une équipe composée uniquement de deux sapeurs‑pompiers ;

– mettre en place et dynamiser la concertation entre les SDIS, les SAMU, et les ARS (réunions communes) ;

– se tenir mutuellement informés des évolutions de moyens en place sur le territoire, s’agissant notamment de la carte hospitalière.

La question des plateformes communes n’est pas même évoquée.

2.   Des projets informatiques juxtaposés sans stratégie d’ensemble

En matière de traitement des appels d’urgence, la construction des systèmes d’information modèle les pratiques professionnelles. Il s’agit d’un enjeu stratégique car le bon fonctionnement de la chaîne opérationnelle dépend en grande partie de la circulation efficace des flux d’informations. Si ces flux se concentraient historiquement sur la téléphonie, la place de l’informatique s’est considérablement accrue au cours des dernières années. L’efficacité de la réponse apportée dépend en effet de la capacité à collecter rapidement une information fiable et à la traiter dans les meilleurs délais en suivant des protocoles préétablis et en ayant une visibilité précise sur les moyens disponibles.

Les systèmes d’information associés au traitement des appels et interventions d’urgence sont à l’image de la fragmentation des métiers qui en ont la charge. Ce morcellement a été renforcé par l’autonomie de gestion des SAMU et des SDIS : chaque entité départementale a élaboré son système d’information financé par ses ressources propres.

Si l’interconnexion téléphonique, permettant de relayer un appel d’urgence entre le 15 et le 18 sans rupture de contact avec l’appelant, est assurée dans la plupart des SDIS et des SAMU, l’interconnexion informatique demeure très limitée. Cependant, dans le cadre des expérimentations de plateformes communes 15‑18‑112, un module de gestion des appels commun au SDIS et au SAMU a parfois pu être mis en place, comme à Tours. Au sein de la plateforme de Haute-Savoie, un système d’information unique et totalement intégré a même été créé, qui couvre l’ensemble des besoins des deux métiers, du traitement de l’appel jusqu’à l’intervention.

Par ailleurs, il n’existe actuellement aucune interopérabilité entre les systèmes d’information de la police et de la gendarmerie s’agissant des appels au 17, les transferts se limitant à la téléphonie, sans possibilité de transmettre l’information sous forme numérique.

Le projet NexSIS 18-112 de la sécurité civile découle d’un accord conclu entre le ministère de l’Intérieur et les conseils départementaux. Il vise à élaborer un système national unifié de traitement des alertes et de gestion des opérations des services d’incendie et de secours. Ce système doit assurer une interopérabilité entre les SDIS et une compatibilité avec les autres services chargés des appels d’urgence (police, gendarmerie et SAMU). Le projet NexSIS est géré, depuis novembre 2018, par l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC).

L’agence du numérique de la sécurité civile (ANSC)

L’agence du numérique de la sécurité civile, établissement public national créée par un décret du 8 octobre 2018, est la structure qui porte le programme « NexSIS 18-112 ». Ce programme a été initié en avril 2017 pour mettre en place un système d’information et de commandement unifié qui sera notamment doté d’un système de gestion des alertes (SGA) pour traiter les alertes en provenance du 18 et du 112, d’un système de gestion des opérations (SGO) permettant la mobilisation des moyens et la conduite opérationnelle et d’un système de gestion de crise (SGC) facilitant le pilotage des interventions multiples ou de grande ampleur.

L’ANSC, sous tutelle du ministère de l’intérieur, agit en qualité de prestataire de services de l’État et a pour missions l’étude, la conception, le développement, le déploiement et la mise à disposition des systèmes et applications de NexSIS ainsi que la formation, l’assistance, l’entretien, la maintenance et l’exploitation, l’organisation et la gestion technique, administrative et financière des services offerts par ce système.

La DGSCGC précise, dans ses réponses au questionnaire budgétaire, que « le coût complet de NexSIS 18-112 (réalisation, déploiement, fonctionnement, maintenance évolutive) est actuellement estimé à 217 millions deuros sur les dix premières années ». Elle rapproche ce montant du coût des systèmes d’information utilisés par les SDIS au cours des dix dernières années : 600 millions d’euros.

Le financement du projet est assuré par la dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours (DSIS²) à hauteur de 37 millions d’euros entre 2017 et 2023. Dans le projet de loi de finances pour 2020, il est proposé de faire de L’ANSC l’unique bénéficiaire de la DSIS2 : elle percevrait ainsi 7 millions d’euros.

L’agence est également financée par les SDIS à hauteur de 180 millions d’euros. Dans un premier temps, un mécanisme de préfinancement par subvention d’investissement, sur la base du volontariat, a été mis en place. Plus d’une trentaine de SDIS seraient déjà candidats à ce mécanisme pour les années 2021 et 2022. Par la suite, ce sont les contributions des SDIS bénéficiant des services de NexSIS qui constitueront l’essentiel des recettes de l’agence, par l’intermédiaire d’une redevance d’exploitation.

Le plafond d’emploi de l’agence est fixé à 12 ETP pour 2020. Cet effectif est complété par des agents mis à disposition par les SDIS et la BSPP.

Le déploiement de NexSIS dans les SDIS devrait intervenir de manière progressive entre 2021 et 2026 : le nouveau système serait déployé dans un premier département à compter de la fin de l’année 2020, puis dans six à huit autres SDIS en 2021. Le directeur de l’ANSC a indiqué à votre rapporteur pour avis que le déploiement de NexSIS dans chaque SDIS devrait durer environ dix-huit mois.

La brigade des sapeurs-pompiers de Paris a indiqué, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, qu’elle est un observateur vigilant des avancées du programme NexSIS et met deux officiers supérieurs à la disposition de l’Agence du numérique de la sécurité civile. Le système d’information de la plateforme des appels d’urgence est lui-même en cours de modernisation : le projet, lancé en 2015 et présentant un budget de 8 millions d’euros, doit être pleinement opérationnel pour les Jeux Olympiques de 2024. Toutefois, si NexSIS devait être plus abouti à l’approche de cette échéance, la BSPP envisage un basculement vers ce nouveau système d’information.

Parallèlement au développement de NexSIS, le ministère des Solidarités et de la santé a décidé d’unifier les systèmes d’information des différents SAMU, afin d’homogénéiser le fonctionnement des centres de réception et de régulation des appels sur l’ensemble du territoire. Le projet SI‑SAMU a été confié à un opérateur national, l’Agence des systèmes d’information partagée de santé (ASIP Santé), et son coût global devrait s’élever à 166 millions d’euros. Son déploiement a commencé en 2018 et devrait s’achever en 2024. SI-SAMU, contrairement à NexSIS, ne fait pas de distinction entre système de gestion des appels (SGA) et système de gestion opérationnelle (SGO) et a choisi une solution plus intégratrice.

La gendarmerie nationale, de son côté, a mis en place en 2011 la base de données de sécurité publique (BDSP), système d’information et de commandement, dont un module permet de traiter les appels d’urgence au 17 qui proviennent de la zone gendarmerie.

La direction générale de la police nationale a été confrontée à l’obsolescence technique de son dispositif de traitement des appels au 17, dont le déploiement avait été limité à moins de la moitié des départements métropolitains. Elle a donc lancé, en 2017, le projet de modernisation des centres d’information et de commandement, qui doit comporter un système de gestion des appels qui s’interfacera avec le système de gestion opérationnelle « PEGASE 2 ». Moins ambitieux que les projets des SDIS et du SAMU, ce module ne prévoit pas la possibilité de contact avec l’usager par un autre canal que le téléphone. Le montant du projet devrait s’élever à environ 31,6 millions d’euros et le déploiement s’achever en 2022. L’interopérabilité avec les systèmes d’information des autres services chargés de l’urgence ne devrait intervenir que dans le cadre d’une deuxième version du module.

En vue d’assurer la mise en œuvre d’un cadre d’interopérabilité des situations d’urgence (CISU), le ministère de l’intérieur a créé, en janvier 2017, un groupe de travail animé par la mission de gouvernance ministérielle des systèmes d’information et de communication et composé des représentants de la police, de la gendarmerie, de la préfecture de police de Paris et de la sécurité civile. Ce groupe de travail doit définir l’interopérabilité de leurs systèmes d’information unifiés, dans les domaines fonctionnels et techniques. L’ANSC contribue à ces travaux aux côtés de la DGSCGC. Le ministère des Solidarités et de la santé y participe également avec l’ASIP Santé, notamment au sein d’un groupe dédié aux secours d’urgence aux personnes et à l’aide médicale urgente.

Ce groupe de travail n’est pas chargé des aspects organisationnels ou juridiques. Il s’occupe uniquement de la définition d’un langage commun, d’une expression commune de l’information et d’aspects techniques tels que les formats de données et d’échanges. Au début de l’année 2019, ce groupe de travail a ainsi constitué les premiers éléments d’un référentiel commun relatif au traitement des appels pour les échanges entre les systèmes d’information nationaux de la police, de la gendarmerie, des SDIS et du SAMU. Le CISU doit orienter les spécifications fonctionnelles et techniques de NexSIS visant à assurer son interopérabilité avec les systèmes d’information des autres services chargés de la gestion de l’urgence.

Toutefois, le rapport de l’IGA et de l’IGAS d’octobre 2018 ([7]) souligne que « la configuration SI qui se met en place (…) apparaît peu propice à lémergence dune interopérabilité avancée. Fondamentalement, les deux projets majeurs [NexSIS et SI-SAMU] ont été conçus en partant des logiques métiers telles quelles existent depuis toujours et non à partir dune évolution que rendrait probablement inéluctable la mise en œuvre dun numéro unique. En effet, linteropérabilité nest, dans ce schéma, quune fonctionnalité parmi dautres ; elle nest pas le cœur du dispositif et, de ce fait, pas la priorité. »

Le directeur de l’ANSC a d’ailleurs précisé, lors de son audition, que le numéro unique ne fait pas partie des projets de l’agence : celle-ci n’a vocation à s’occuper que des alertes provenant des numéros d’appel 18 et 112.

Votre rapporteur pour avis estime que le lancement sans stratégie d’ensemble des projets de modernisation des systèmes dinformation traitant les appels durgence aboutit à une juxtaposition de ces outils qui risque de compromettre une mise en œuvre rapide et efficace du numéro unique. Si leur interopérabilité semble prévue, les logiques et besoins différents qui les structurent risquent de limiter les possibilités déchanges de données à l’avenir.

3.   L’évolution du référentiel commun SUAP-AMU, source de tensions entre les SDIS et les SAMU

La Fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France a fréquemment remis en cause « lintangibilité du principe de régulation médicale » qui implique des décisions qui ne sont « pas prises par un médecin mais par des permanenciers auxiliaires de régulation médicale » et génèrent des « délais incompatibles avec lurgence ». Le secours d’urgence à personne serait, selon elle, « sous tutelle exclusive de la Santé, alors que les sapeurs-pompiers assurent seuls 95 % de cette mission dans les territoires : les services dincendie et de secours en sont les premiers acteurs et le ministre de lIntérieur doit en être le pilote légitime ».

Le SAMU dispose en effet du monopole de la régulation médicale d’urgence sur l’ensemble du territoire, à l’exception de Paris et de la petite couronne, où la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) bénéficie de la régulation médicale de son propre service de santé et de secours médical. Le référentiel commun de 2008 a consacré la pertinence de la régulation médicale de tout appel de secours d’urgence à personne ou d’aide médicale urgente, quel que soit le numéro d’urgence composé par l’appelant : la régulation intervient a posteriori en cas de départ réflexe des sapeurs‑pompiers ou a priori dans tout autre cas.

La coordination médicale de la BSPP

La coordination médicale de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris sert de trait d’union entre la plateforme des appels d’urgence (PFAU) et les quatre centres de réception et de régulation des appels (CRRA) de Paris et sa petite couronne.

Elle participe à l’évaluation des appels d’urgence dans le cadre du secours aux victimes, en liaison avec les opérateurs de la PFAU. Elle reçoit et traite les bilans transmis par les chefs d’agrès en cours d’intervention, qu’il s’agisse d’équipes de la BSPP (médicalisées ou non) ou des moyens associatifs engagés à son profit. Elle active et gère les moyens du service médical d’urgence de la BSPP et, le cas échéant, informe le commandement dans le respect du secret médical. Enfin, elle assure l’interface opérationnelle avec les SAMU, les établissements de santé et les structures de permanence des soins.

Elle traite 1 300 appels par jour, dont environ 1 000 bilans transmis lors d’interventions et 300 demandes de véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) de la part des SAMU. Elle est placée sous la responsabilité d’un médecin coordinateur chef, qui est de garde 24 heures sur 24 et son effectif est composé de trois médecins, un infirmier et huit opérateurs de coordination médicale.

Pour la DGOS, les deux tiers des appels d’urgence concernent la médecine d’urgence : ils nécessitent donc une expertise médicale lors du décroché que seule la régulation médicale peut apporter. Or cette régulation relève, par définition, du champ médical et non de celui du secours.

Les SDIS sont dotés de services de santé et de secours médical (SSSM) qui comprenaient, en 2018, 571 personnels statutaires (204 médecins, 180 infirmiers, 101 pharmaciens et 86 cadres de santé), 52 personnels contractuels et 11 606 volontaires (3 602 médecins, 7 252 infirmiers, 447 pharmaciens et 305 vétérinaires). Votre rapporteur pour avis n’a toutefois pu obtenir de la DGSCGC aucun élément statistique sur leur participation aux missions de service d’urgence aux personnes. Le rapport de l’IGA et de l’IGAS ([8]) souligne que « les infirmiers sapeurspompiers interviennent désormais dans la plupart des cas dans le cadre de protocoles dintervention coconstruits par les sociétés savantes, ce qui permet de mobiliser une ressource paramédicale utile dans un cadre plus consensuel ». Il ajoute que : « dans un contexte marqué par la raréfaction de la ressource urgentiste, (…) cette ressource utile demeure (…) encore trop peu mobilisée en intervention. »

De son côté, la Cour des comptes ([9]) évoque l’intérêt d’envisager le « développement de la réponse paramédicale, voire dun éventuel élargissement des compétences des sapeurspompiers vers des gestes considérés aujourdhui comme médicaux, permettant des interventions plus souples et rapides des services de santé des SDIS ».

La FNSPF appelle de ses vœux la reconnaissance d’un statut de « technicien de secours d’urgence » aux sapeurs‑pompiers, qui pourraient disposer, après avoir été formés, de compétences et de prérogatives élargies à des gestes qui sont aujourd’hui réservés aux professionnels de la santé.

La révision en cours du référentiel commun SUAP‑AMU pourrait permettre de clarifier la répartition des missions entre SDIS et SAMU. Ces travaux devraient commencer par l’évaluation de la mise en œuvre des départs réflexes, des protocoles infirmiers de soin d’urgence (PISU) et de la gestion des carences ambulancières.

Votre rapporteur pour avis s’interroge sur la pertinence dune révision du référentiel commun menée parallèlement aux missions sur le traitement des appels durgence et les plateformes communes : les deux sujets paraissent en effet indissociables et nécessitent une orientation commune préalablement définie.

4.   De nouveaux groupes de travail et missions interministériels aboutissant à de nouvelles expérimentations

En juillet 2019, les ministres de l’Intérieur et des Solidarités et de la santé ont chargé un médecin et un lieutenant‑colonel sapeur‑pompier d’une mission sur « l’amélioration de la prise en charge des appels d’urgence ». Des propositions d’actions et, le cas échéant, d’évolutions devraient être formulées à la fin de l’année 2019. Sur la base des arbitrages qui seront alors rendus, une mise en œuvre de leurs préconisations pourra s’engager à partir de 2020.

La DGOS a souligné, lors de son audition par votre rapporteur pour avis, que cette mission étudiera les scénarios possibles de rapprochement plus étroit et de meilleure articulation des SDIS et des SAMU, en vue d’une amélioration de la qualité du service rendu, tout en s’attachant à la faisabilité technique des mesures proposées. Du point de vue de la DGOS, si le numéro unique 112 représente un élément emblématique, la priorité réside dans une réelle interconnexion des services, pour répondre aux attentes de la population. Les plateformes communes n’impliquent pas nécessairement une localisation commune.

De son côté, la DGSCGC a indiqué, lors de son audition, qu’une gestion centralisée du numéro unique 112 lui paraissait nécessaire en vue d’un traitement de l’alerte dans de bonnes conditions. Il s’agit de passer d’une logique verticale déterminée par les différents métiers de l’urgence à une logique horizontale qui supposerait une porte d’entrée unique pour un traitement de premier niveau de tous les appels, puis une redistribution de deuxième niveau vers les services compétents (police, gendarmerie, SDIS ou SAMU). De nouvelles plateformes communes pourraient émerger progressivement, au niveau local, sur le modèle des expérimentations déjà menées, soit par agrégation du 15 et du 18, soit par rapprochement du 17 et du 18. La DGSCGC estime par ailleurs que la gestion des appels d’urgence est devenue un métier à part entière, qui doit être clairement distingué de la réponse opérationnelle.

Une multiplicité dacteurs locaux inégalement favorables au numéro unique
et à une plateforme commune : lexemple du département de lAveyron

Votre rapporteur pour avis a auditionné, dans le département de l’Aveyron, le directeur du SDIS, le responsable du SAMU, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) et le commandant du groupement de gendarmerie départementale (GGD).

Le SDIS a traité 98 000 appels en 2018. Le SAMU, de son côté, a traité près de 66 000 appels entrants au 15, auxquels s’ajoutent 58 000 appels sortants. La DDSP, de son côté, a traité 4 000 appels, dont 560 concernaient le SDIS, et le GGD a traité 59 000 appels.

Le SAMU et le SDIS ont effectué 28 700 interventions communes en 2018, dont 65 % impliquaient la régulation du SAMU. Le directeur du SDIS estime que la régulation médicale fonctionne bien dans le département, car le CTA et le CRRA disposent d’un arbre décisionnel commun et suivent des formations communes. Les deux services, qui ont souligné leur lien fort et leur bonne entente, communiquent par radio. Leurs systèmes informatiques respectifs n’ont pas pu être interconnectés en raison du coût de l’opération.

Le commandant du GGD a estimé que la circulation des informations entre la police, la gendarmerie et le SDIS est déjà effective sans plateforme commune et qu’ils entretiennent de bonnes relations entre eux.

La DDSP ne dispose pas de système d’information et de communication, contrairement au SDIS et à de nombreuses autres DDSP, et aucun fonctionnaire n’est spécifiquement formé pour traiter les appels au 17. Pour son directeur, le mode de fonctionnement de la PFAU à Paris semble être un système efficace.

Le commandant du GGD a rappelé qu’au sein des services de gendarmerie, le centre de réception des appels est aussi un centre de commandement opérationnel. Partager la même salle avec d’autres services pourrait en outre présenter un problème de confidentialité des données.

À Rodez, le SAMU a toujours été en sous-effectif, malgré la mutualisation avec le service des urgences. De juillet à octobre 2019, il a fonctionné avec 11 ETP au lieu des 21 prévus. Le service dispose actuellement d’un effectif de 16,5 ETP.

Le commandant du GGD s’est inquiété des effectifs qui seront ponctionnés dans chaque service pour alimenter une plateforme commune. Ses effectifs s’élèvent à 500 gendarmes dans le département, dont 12 gendarmes présents chaque jour au centre opérationnel pour répondre aux appels.

D’après le responsable du SAMU, l’agence régionale de santé (ARS) a validé le principe d’une plateforme commune avec le SDIS, mais ce projet a été bloqué au niveau interministériel.

Le numéro unique n’a pas semblé souhaitable au responsable du SAMU, car il n’offrirait pas d’alternative aux appelants en période de saturation des services. En revanche, un regroupement entre le 39 66 (médecine de garde) et le 15 lui paraît cohérent au niveau départemental, voire en association avec un autre département. Une plateforme commune de niveau régional lui paraissait, en tout état de cause, inappropriée.

Les directeurs du SDIS et de la sécurité publique ont estimé que le niveau départemental est le plus cohérent pour la mise en place d’une plateforme commune. Toutefois, il existe un projet de gestion interdépartementale des appels au 17, en association avec les DDSP du Gard et de la Lozère.

Le commandant du GGD a estimé qu’une plateforme commune, même de niveau départemental, représenterait une strate organisationnelle supplémentaire. En tout état de cause, une plateforme opérationnelle de niveau régional ne lui paraissait pas pertinente, car la connaissance du terrain y serait insuffisante pour déclencher une opération. Un centre de « débruitage » et d’aiguillage régional serait envisageable, mais peu opérationnel.

Par ailleurs, la ministre des Solidarités et de la santé a annoncé, le 13 octobre dernier, que le « numéro unique d’accès aux soins », destiné à désengorger les services d’urgences, devrait être opérationnel avant l’été 2020. Ce numéro, qui sera accompagné d’un service en ligne, permettra aux patients d’accéder à toute heure et à distance à un professionnel de santé qui leur fournira un conseil, une téléconsultation ou les orientera vers une structure hospitalière ou libérale. Il serait à la fois proche du 15 (SAMU) et du 116-117 (permanence des soins ambulatoires) et permettrait d’apporter une réponse aux tensions entre les médecins libéraux et les services des urgences. Une équipe‑projet, composée de responsables de SAMU et de médecins libéraux ainsi que de sapeurs‑pompiers, devrait formuler des propositions à ce sujet avant le mois de décembre 2019.

La question de la coordination de ce « numéro unique » avec les numéros d’appel d’urgence existants reste entière : en remplacera-t-il certains ou s’ajoutera‑t-il aux numéros existants ? La création du service d’accès aux soins (SAS) paraît compliquer davantage encore la mise en œuvre de plateformes communes en abordant la question du numéro unique sous le seul angle de la santé et des soins, qu’ils soient urgents ou ne le soient pas. En écartant la notion de secours, il exclut nécessairement la police et la gendarmerie de sa mise en œuvre.

De son côté, la FNSPF a estimé que le SAS permettrait d’introduire une distinction entre le 112, numéro unique d’appel des secours d’urgence, et le 116‑117, numéro unique de conseil médical et de demande de soins non programmés.

Il conviendrait de préciser rapidement le périmètre du numéro unique d’accès aux soins ainsi que sa coordination avec les autres numéros d’urgence en vue de la mise en place de plateformes communes.

Le 15 octobre dernier, lors des questions au Gouvernement, M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, a indiqué « quune équipe projet avait été mise en place par les ministères de lIntérieur et de la Santé sur le numéro unique durgence. Sa tâche est dexpérimenter, dès lannée prochaine, le numéro unique dans certains départements, notamment ceux disposant déjà de telles plateformes. »

Faute de décision politique forte pour l’ensemble du territoire, le numéro unique et les plateformes communes devraient donc en rester au stade de l’expérimentation pour le moment.

Votre rapporteur pour avis constate que les missions, groupes de travail et rapports se succèdent depuis plusieurs années, mais quaucune décision politique nintervient pour choisir le scénario le plus pertinent de mise en œuvre du numéro unique et des plateformes communes de réception des appels d’urgence.

 


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   Examen en Commission

Lors de sa première réunion du jeudi 24 octobre 2019, la Commission auditionne M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2020.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. La mission « Sécurités » englobe l’ensemble du budget de nos forces de sécurité intérieure, mais aussi la sécurité civile, qui joue un rôle déterminant dans la lutte contre les inondations récentes dans le sud de la France. J’ai participé récemment aux commémorations des inondations survenues l’année dernière dans l’Aude, et Élisabeth Borne passera une partie de cette journée dans les zones actuellement touchées, sans la présence du ministre de l’Intérieur puisque j’ai le plaisir d’être en votre compagnie. Les formes de sécurité évoluent, tout comme les risques.

Je souhaite évoquer en premier lieu le risque terroriste. La menace reste forte, bien qu’elle ait évolué au cours des dernières années. Alors qu’en 2015 les projections exogènes constituaient le risque principal, la menace s’est transformée et il existe aujourd’hui un risque endogène. L’un n’a pas chassé l’autre : le risque exogène peut profiter des développements actuels en Syrie, sujet d’inquiétudes pour chacun ; tandis que le risque endogène peut se développer sous une diversité de formes, nous l’avons évoqué s’agissant de lutte contre la radicalisation lors de la discussion du budget des cultes.

Il est toujours facile d’évaluer l’action de ses prédécesseurs a posteriori, je ne le dis pas pour vous dissuader de juger mon action… mais les vérités de 2013 ne sont pas celles de 2015, ni celles de 2019 ou 2020. Le risque terroriste n’était pas au cœur des préoccupations en matière de sécurité, mais il s’y est installé, et au vu de son importance, tous les gouvernements ont décidé d’en faire une priorité.

Dans le même temps, les risques liés à la sécurité du quotidien sont réels et ne doivent pas être négligés. C’est toute la difficulté des arbitrages : répondre aux urgences sans renoncer aux autres priorités. Notre montée en puissance dans la lutte contre la radicalisation ne doit pas se faire au détriment de notre vigilance au risque terroriste. Ce sont deux choses différentes, le risque terroriste est distinct des problèmes de radicalisation violente, d’islamisme ou de communautarisme, qui eux-mêmes n’ont rien à voir avec l’Islam, je le répète ici. Nous devons accompagner ces différentes strates politiques avec différents outils, et ne pas déshabiller la politique de la sécurité du quotidien, qui reste au cœur de nos priorités.

Le budget que nous consacrons à la sécurité en 2020 sera de 13,8 milliards d’euros, en hausse de 4 %, soit 525 millions de plus par rapport à 2019. C’est une hausse importante, que nous n’avions pas connue en 2018 ou en 2019 alors que la dynamique était déjà extrêmement forte.

La part de ce budget attribuée aux seules forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie, s’élève à 13,2 milliards, en hausse de 8,7 %. Depuis le début du quinquennat, ce budget a augmenté de 1,06 milliard, ce qui illustre bien les efforts de ce Gouvernement pour la sécurité depuis trois ans.

Ce budget doit permettre de renforcer nos forces de sécurité, d’abord en poursuivant la politique de recrutement. Nous nous sommes engagés à recruter 10 000 policiers et gendarmes sur la durée du quinquennat. 2 000 recrutements sont budgétés pour l’année 2020. Les moyens accordés à nos policiers et gendarmes sont également en hausse, leur rémunération est significativement revalorisée.

Il existe évidemment un déséquilibre entre les crédits hors titre II et ceux du titre II, c’est-à-dire les dépenses de personnel, et je suis prêt à vous répondre à ce sujet. Les dépenses de personnel représentent 87 % des crédits, nos marges de manœuvre permettront de financer 1 398 équivalents temps plein, ce qui représente le recrutement de 1 465 policiers et plus de 500 gendarmes.

S’agissant des dépenses hors titre II au sein de l’action 176 « Police nationale », la réserve civile est maintenue à 29 millions, comme en 2019. C’est un appui indispensable au quotidien pour les policiers sur le terrain.

Le protocole d’accord du 19 décembre a des conséquences sur la rémunération des corps d’encadrement et d’application de la police, et son application représente une dépense de 145 millions en année pleine.

Cette année, pour la première fois, nous avons prévu 26,5 millions d’euros pour indemniser le flux d’heures supplémentaires des effectifs hors CRS – les heures supplémentaires des CRS étant déjà financées. Je souhaite commencer à rembourser le stock d’heures supplémentaires, tout en veillant à ce qu’il ne se renouvelle pas indéfiniment. Rappelons que les premières heures supplémentaires impayées remontent à 2005. Les massives réductions d’effectifs survenues ensuite ont alimenté ce stock, puis, en 2015, nos forces de sécurité ont été fortement sollicitées, ce qui aboutit au montant total de 240 millions d’heures supplémentaires impayées.

Je souhaite payer ces heures supplémentaires, mais sans remplir un tonneau percé. Nous allons donc commencer à honorer dès 2019 un nombre important d’heures supplémentaires en attente, grâce aux 26,5 millions prévus. Par ailleurs, nous avons travaillé avec les organisations syndicales à une réforme du cycle horaire que nous allons expérimenter, dans l’espoir qu’elle améliore les conditions de travail des forces de sécurité et qu’elle évite la reconstitution de stocks d’heures supplémentaires. Toutes les heures ne seront pas systématiquement payées, certains services, comme le service de la protection, ne souhaitant pas toucher la totalité du paiement. Enfin, le paiement se fera en tenant compte des mesures de défiscalisation et de désocialisation des heures supplémentaires votées en loi de finances, que vous avez assorties d’un plafond. Nous ferons en sorte que le paiement de ces heures supplémentaires ne soit pas fiscalisé.

S’agissant du budget de fonctionnement et d’investissement, il reste stable à un peu plus de 1 milliard, en diminution de 9 millions une fois les effets de transfert neutralisés, il est important de le préciser. Il ne faut pas s’affoler de la baisse apparente de 123 millions d’euros à périmètre courant, c’est la conséquence de la création de la direction du numérique, qui entraîne un transfert de 100 millions vers le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ». Il est essentiel que les dépenses d’immobilier et de fonctionnement ne soient pas sacrifiées aux dépenses de soutien à nos forces, notamment les améliorations salariales. Ainsi, pour la police, 193 millions seront dédiés à l’investissement et à la maintenance lourde, ce qui permettra de poursuivre un plan triennal 2018-2020 ambitieux. Vingt-neuf opérations nouvelles sont prévues.

En réalité, les dépenses d’immobilier pour la police s’élèvent entre 305 et 310 millions, car nous avons décidé d’acheter un terrain important pour créer le nouveau siège de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Cette réalisation sera matérialisée dans le budget de l’État, nous avons trouvé les bonnes imputations avec le ministère des Comptes publics. Cette somme – 315 millions pour la seule police – n’a jamais été atteinte dans l’histoire du ministère.

Les budgets d’équipement sont en augmentation de 13 %, pour s’établir à 74,1 millions. Il est prévu d’investir 55 millions dans l’achat de 2 500 véhicules légers neufs, soit 25 % de plus que la moyenne des années précédant 2017.

Nous avons l’ambition d’équiper nos forces de 100 000 terminaux NEOPOL pour en faire bénéficier tous les policiers, dont ces équipements facilitent le travail quotidien.

La révision du schéma national du maintien de l’ordre a été lancée, nous avons prévu d’y consacrer 10 millions dans ce budget. Les travaux se poursuivent sur cette question au sein d’un comité d’experts composé de nos forces et de personnalités extérieures.

Nous avons également présenté une nouvelle structuration et un nouveau plan de cinquante-cinq mesures pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Nos services seront équipés de matériel technique plus adapté pour être au niveau de nos adversaires, 5 millions seront dédiés à cette fin.

S’agissant du programme 152 « Gendarmerie nationale », le montant des crédits est de 5,5 milliards, en hausse de 2,5 %. Depuis 2017, la hausse atteint presque 6 %, soit 304 millions supplémentaires. Les recrutements représentent 490 équivalents temps plein, il convient d’être attentif aux effets de transfert pour éviter les mauvaises interprétations : l’essentiel, ce sont les fiches de paie supplémentaires que nous délivrons chaque année, et je vous confirme qu’au total, nos forces de sécurité intérieure compteront 2 000 équivalents temps plein supplémentaires en 2020.

La réserve opérationnelle pour la gendarmerie est maintenue à 70,7 millions, comme en 2019. L’application des dispositions du protocole du 19 décembre 2018, car il nous semblait évident d’appliquer les mêmes améliorations salariales aux sous-officiers de gendarmerie qu’aux corps d’encadrement et d’application de la police, représentera 91 millions d’euros en 2020.

100 millions d’euros y sont dédiés à l’investissement et à la maintenance lourde pour la gendarmerie, et nous nous sommes engagés sur quarante-sept nouvelles opérations. Plus inhabituel, 15 millions sont prévus pour la sécurisation des casernes. J’en ai fait une priorité pour nos gendarmes et leurs familles, suite à la multiplication des agressions contre les casernes au cours des derniers mois. Tous conviendront que la sécurité des gendarmes et de leurs familles n’est pas négociable.

Nous prévoyons d’acheter 2 000 véhicules neufs, et tous les gendarmes devraient être équipés d’un terminal NEOGEND.

J’en viens au programme 161 « Sécurité civile », d’un montant de 466 millions. Sa légère diminution, de 0,4 %, soit 1,9 million, ne doit pas masquer la forte augmentation de 6,2 % enregistrée depuis le début du quinquennat. Les variations sont liées à des jeux d’écritures, concernant notamment la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, financée à parité par la ville de Paris et le ministère de l’Intérieur. La ville de Paris s’est engagée à un effort supplémentaire de 5 millions, et le ministère accompagnera la BSPP en tant que de besoin.

Il est nécessaire de moderniser notre flotte aérienne. Un premier appareil Dash a été livré en juin 2019 et cinq autres suivront d’ici à 2022, représentant un investissement exceptionnel de 365 millions d’euros. Ce n’est pas moi qui ai choisi ce modèle d’avion, mais ceux qui ont porté attention aux feux de forêts qui ont eu lieu cet été ont pu constater qu’il est le plus pertinent, même si une certaine nostalgie à l’égard du Canadair était apparue à l’heure du choix. Le Dash se déplace à 800 kilomètres par heure et permet d’attaquer un feu avec un cône d’intervention de 700 mètres de long sur 100 mètres de large. Ces moyens aériens sont indispensables pour notre stratégie de gestion des feux de forêts, qui vise à neutraliser l’essentiel des feux de forêts avant que plus d’un hectare n’ait brûlé. Les nouveaux Dash nous permettront de cantonner et neutraliser ces feux. Chacun sait que notre flotte aérienne est vieillissante. Bien que le tragique accident qui a coûté la vie à Franck Chesneau cet été n’ait pas de lien avec l’âge de l’avion Tracker qu’il pilotait, un modèle auquel il était très attaché, je pense à lui en cet instant.

Nous n’avons pas prévu d’évolutions budgétaires à la suite de la grève des pompiers professionnels, car toutes les mesures indemnitaires demandées, notamment la hausse de 29 % de la prime au feu, relèvent des SDIS et des collectivités territoriales. De mon point de vue, celui qui paie décide. Je ne déciderai pas d’augmentations salariales que d’autres devront payer. En revanche, j’ai réuni à plusieurs reprises le comité des financeurs, c’est-à-dire l’Association des maires de France et l’Assemblée des départements de France. Nous sommes convenus de rencontrer les partenaires sociaux dans quelques jours.

D’autres revendications des pompiers relèvent du ministère de l’Intérieur. Nous travaillons notamment sur le numéro unique et le moyen de remédier à la forte augmentation du recours aux services d’urgence aux personnes au cours de ces dernières années. Les demandes concernant des renforts en personnel sont de la compétence des SDIS et leur seront évidemment adressées.

Nos capacités d’intervention propres, notamment la formation militaire de la sécurité civile et le déminage, sont financées par des fonds dédiés. Enfin, le projet NEXSIS 18-112, système de gestion des alertes et de gestion opérationnelle mutualisée et interopérable entre SDIS se poursuit. Il sera doté de 7 millions d’euros en 2020.

Je souhaite terminer en détaillant le programme 207 « Sécurité routière », sujet majeur, combat majeur. Nous avons évoqué le président Jacques Chirac, il a montré en ce domaine combien des choix courageux peuvent changer la donne. La prévention et la sécurité routières faisaient partie des trois objectifs pour la nation qu’il avait fixés, et nous pouvons constater que la volonté publique a porté ses fruits. Bien sûr, chacun proteste lorsqu’il est verbalisé par un radar, mais nous savons que cette politique publique est efficace, et il est rare de voir un engagement public se traduire de la sorte.

Les crédits proposés dans ce programme sont de 42,6 millions, en augmentation de 7,3 %, hors compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routier » auquel sont affectées les recettes des radars. Cette somme doit nous permettre de faire face aux différents besoins sur ce sujet : la sécurité routière et la modernisation du permis de conduire.

S’agissant de ce dernier, notre objectif est de diminuer le coût pour les candidats et de réduire les délais de passage de l’examen, c’est une priorité de ce Gouvernement et le Président de la République ainsi que le Premier ministre y sont très attentifs. Nous avons prévu le recrutement de vingt-cinq examinateurs du permis de conduire, pour moitié en Île-de-France. Ce seront d’anciens salariés du groupe La Poste, qui connaît d’importantes évolutions structurelles. Ils permettront de réduire les délais de passage de l’épreuve pratique du permis dans les zones en tension. Nous allons également moderniser le système d’information du permis de conduire, pour un budget de 15 millions, afin de moderniser l’inscription à l’épreuve comme prévu dans le plan « Dix mesures pour un permis moins cher. »

À mon sens, la mission « Sécurités » me semble constituer un bon budget, même s’il ne permet pas de tout régler. Que les choses soient claires : nous avons besoin de sécurité, nous avons besoin d’améliorer encore les conditions de travail de nos forces de sécurité, mais nous y travaillons quotidiennement – hebdomadairement, pour ce qui est de nos rapports avec les partenaires sociaux – et, si des progrès restent à accomplir, force est de constater que le budget du ministère de l’Intérieur a connu ces derniers temps des évolutions d’une ampleur inédite : à elle seule, la police nationale a bénéficié d’un milliard d’euros supplémentaires en trois budgets portés par ce gouvernement, ce qui montre bien à quel point la sécurité de nos concitoyens constitue pour nous une priorité.

M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis (programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale »). J’ai le plaisir de rapporter pour avis pour la première fois cette année les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités ».

Pour ce faire, j’ai auditionné à la fois les administrations – directions générales de la police nationale, direction générale de la gendarmerie nationale, préfecture de police – et les représentants des fonctionnaires de la police nationale – organisations syndicales – et des militaires de la gendarmerie – Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG). Une bonne partie de ces auditions a pu être réalisée conjointement avec les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, que je remercie pour cette collaboration en bonne intelligence.

J’ai également tenu à me rendre au plus près de nos forces, en allant les rencontrer sur le terrain à Rodez – dans mon département – et à Toulouse, des villes où les forces de l’ordre sont particulièrement mises à l’épreuve depuis près d’un an.

Le budget de la mission « Sécurités » dans son ensemble continue d’enregistrer une hausse globale de près de 2 % en autorisations d’engagement. Cette programmation haussière dans un environnement budgétaire pourtant contraint traduit notre engagement envers nos policiers et nos gendarmes, qui œuvrent au quotidien pour notre sécurité dans des conditions que nous savons très difficiles.

Les enjeux en matière de sécurité sont en effet très divers et requièrent un engagement sans faille de tous les acteurs concernés : lutte contre le terrorisme et les formes les plus graves de criminalité, action contre l’insécurité et la délinquance du quotidien, maintien de l’ordre lors des manifestations sur la voie publique…

Les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale », qui font l’objet de mon avis, rassemblent respectivement 11 et 9,7 milliards en autorisations d’engagement. Ils sont respectivement en hausse de 1 % et de 2,8 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2019. Cette hausse budgétaire est largement due à l’augmentation des dépenses de personnel, en lien avec le plan quinquennal de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes. En 2020, ce sont 1 473 emplois qui vont être créés dans la police au titre de ce plan, et 527 dans la gendarmerie. Je salue la poursuite de ce plan présidentiel qui permet d’assurer une meilleure sécurité du quotidien pour nos concitoyens et de renforcer considérablement nos services de renseignement.

Le poids du titre II, c’est-à-dire des dépenses de personnel, dans les deux programmes, est prépondérant. Il ne doit néanmoins pas se faire, tant pour la police que pour la gendarmerie, au détriment des dépenses d’investissement. Il convient de rester vigilant en la matière car, malgré les importants efforts consentis au cours des dernières années, qui ont permis d’améliorer considérablement la situation, nos forces continuent d’avoir des besoins importants pour exercer leur travail dans de bonnes conditions – pour elles-mêmes et pour le service de tous.

Les prochains mois seront par ailleurs marqués par la préparation puis l’examen d’un projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, annoncé le 12 juin dernier par le Premier ministre lors de son discours de politique générale. Cette loi permettra de fixer un cadre pérenne et ambitieux pour notre police et notre gendarmerie. Elle sera la suite logique du livre blanc sur la sécurité intérieure qui est en cours d’élaboration. Très attendue, monsieur le ministre, elle peut être véritablement fondatrice d’un nouvel élan donné à l’ensemble des systèmes de sécurité en France.

Madame la présidente, en conclusion de cette première partie de mon intervention, vous comprendrez que j’annonce d’ores et déjà que je donnerai tout à l’heure un avis favorable sur les crédits de la mission « Sécurités » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

Au-delà de ces observations liminaires sur le budget, j’ai souhaité que mon avis soit, cette année, consacré au thème de l’évolution de la doctrine de maintien de l’ordre, en particulier suite au mouvement des gilets jaunes. Ce mouvement, qui a surgi dans notre paysage politique et médiatique il y a presque un an maintenant, a été l’occasion de graves troubles à l’ordre public, avec notamment des destructions, des incendies et des pillages. Des groupes d’individus violents et structurés, le plus souvent sans lien avec les manifestations, ont tiré profit des cortèges pour s’y mêler avec pour seul objectif de se livrer à des exactions, de s’en prendre aux forces de l’ordre et, plus largement, aux symboles du « système » dénoncé par eux, à savoir les institutions publiques ou encore les établissements financiers. Ces groupes d’individus, préparés à l’affrontement et équipés en conséquence, ont aussi pu instrumentaliser les foules tant pour les « retourner » et les conduire à se joindre aux violences que pour s’en servir de bouclier.

Le mouvement des gilets jaunes a été une nouvelle illustration de l’évolution des formes de mobilisation et de contestation constatée au cours des dernières années, marquée par le recul des acteurs structurés et organisés traditionnels, tels que les syndicats, au profit de mouvements moins déclarés et moins encadrés, et de la présence croissante de groupes organisés ultra-violents. Le ministère de l’Intérieur a, en conséquence, commencé à faire évoluer dès décembre 2018 la doctrine, les méthodes et les moyens des forces de l’ordre, pour gagner en efficacité, en souplesse et réactivité.

Je voudrais ici revenir sur quelques-unes de ces nouvelles orientations, en particulier l’enjeu de la mobilité. Le nombre de forces statiques a beaucoup diminué et l’espace entre les forces positionnées à distance et les effectifs en civil intégrés aux cortèges a été comblé. La capacité d’intervention des forces de l’ordre repose sur des principes tactiques révisés : réactivité accrue de la prise de décision, mobilité des unités et moyens matériels pour conserver l’initiative, adaptation permanente des moyens engagés en fonction de l’évolution de la situation, notamment pour prévenir la naissance ou la résurgence de foyers de violences.

Par ailleurs, de nouveaux équipements tactiques ont été déployés afin d’améliorer la réponse publique, en particulier avec l’utilisation de drones. Localement – notamment lors de mon déplacement à Toulouse –, on m’a dit combien ces outils étaient aujourd’hui précieux.

Enfin, il ne faut pas oublier que le législateur a pris sa part dans cette adaptation aux nouvelles formes d’expression de la contestation, avec l’adoption de la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et à garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, dont notre collègue Alice Thourot était rapporteure.

J’en viens aux quelques questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre.

Pouvez-vous nous donner des indications sur les solutions envisagées pour apurer le stock d’heures supplémentaires et éviter sa reconstitution ? Le DPGN que nous avons auditionné nous a indiqué les pistes étudiées actuellement, mais tous les arbitrages n’étaient pas encore rendus. Je voudrais notamment savoir à quel taux seraient indemnisées les heures supplémentaires et si ce taux resterait forfaitaire.

Par ailleurs, les policiers que j’ai entendus m’ont fait part du désir de certains agents de conserver la possibilité de ne pas voir les heures supplémentaires indemnisées, mais de les récupérer. On m’a ainsi indiqué que, dans certains services de la police nationale tels que le service de la protection (SDLP), le nombre d’heures supplémentaires accumulé était tel qu’il pouvait permettre à des agents de partir à la retraite de facto avec plusieurs années d’avance. Cette situation n’est pas sans poser problème pour ces services, puisque les postes restent théoriquement occupés et ne peuvent donc pas être pourvus.

Monsieur le ministre, comme je l’ai expliqué dans mon intervention, j’ai consacré la partie thématique de mon avis à l’évolution de la doctrine de maintien de l’ordre. Je me suis notamment rendu à Toulouse pour discuter avec les acteurs locaux, puisque cette ville a été particulièrement touchée par le mouvement des gilets jaunes. Il faut garder à l’esprit que la violence en marge des manifestations n’a pas été constatée uniquement à Paris, mais également dans plusieurs grandes et moyennes villes de province – c’est le cas de Toulouse, pratiquement sans discontinuer depuis près d’un an.

Je voudrais donc savoir si des mesures particulières ont été prises en prévision de la date anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Mes auditions m’ont en effet permis de constater qu’il existait une certaine appréhension d’une recrudescence du mouvement à cette occasion.

Pour ce qui est du parc automobile, comme vous le savez, le projet de budget consacré à l’investissement suscite des interrogations chez les professionnels, au sein tant de la police que de la gendarmerie. Beaucoup s’inquiètent, notamment, sur la capacité à renouveler ce parc. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais conclure par une question, qui, si elle n’est pas directement liée au projet de loi finances pour 2020, a été évoquée systématiquement au cours des auditions que j’ai menées : la question des retraites, un sujet anxiogène s’il en est pour nos forces de l’ordre. Pourriez-vous rassurer nos forces de sécurité intérieure en leur garantissant que les conditions particulières d’exercice de leur métier seront prises en compte dans le cadre de la réforme à venir ?

Mme Nadia Hai, rapporteur spéciale (« Police, gendarmerie, sécurité routière »). Je vous remercie de m’accueillir au sein de la commission des Lois pour me permettre de m’exprimer sur les crédits alloués au programme « Police, gendarmerie, sécurité routière » et de me permettre d’échanger avec M. le ministre sur quelques points spécifiques. Je salue M. le ministre ainsi que M. Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, et vous prie d’excuser l’absence de mon collègue Romain Grau, qui a dû retourner en circonscription en toute urgence ce matin.

Avant toute chose, je tiens à rendre hommage à l’engagement des policiers et des gendarmes durant une année particulièrement éprouvante pour eux. Le drame qu’ont vécu ce mois-ci les fonctionnaires de la préfecture de police nous rappelle que les forces de sécurité intérieure nous protègent chaque jour, mais qu’il est également de notre devoir de leur garantir le droit d’exercer leurs fonctions en toute sécurité.

Pour en revenir à des considérations budgétaires, ce PLF se caractérise à mon sens par une double dynamique : il s’inscrit à la fois dans un mouvement de continuité, engagé dès le début du quinquennat, et dans une dynamique de changements considérables.

Pour ce qui est du mouvement de continuité, les forces de sécurité intérieure bénéficient d’une augmentation conséquente de leurs crédits de personnels : de 3,61 % pour la police et de 2,51 % pour la gendarmerie.

Cette hausse s’inscrit dans une dynamique de long terme qui traduit concrètement un engagement très fort, celui du plan de recrutement quinquennal annoncé par le Président de la République. Pour rappel, ce plan repose sur le recrutement de 7 500 policiers et de 2 500 gendarmes. Ces effectifs supplémentaires seront fléchés vers des priorités que nous jugeons tous primordiales.

En premier lieu, le renforcement du lien entre la police et la population est un axe privilégié : la police de sécurité du quotidien (PSQ) et les quartiers de reconquête républicaine (QRR) sont deux dispositifs qui bénéficieront de ces nouveaux recrutements. En outre, la persistance d’un haut niveau de menace terroriste implique des efforts spécifiques : la création de postes dédiés au renseignement sera permise par le déploiement du plan quinquennal. Monsieur le ministre, pouvez-vous exposer et préciser quels seront les moyens mis à disposition pour former ces nouvelles recrues ?

Je voudrais également profiter du temps de parole qui m’est donné pour répondre aux inquiétudes souvent exprimées par les représentants des forces de l’ordre que nous rencontrons. Il s’agit du caractère déséquilibré de cette mission, dont les dépenses de personnel représentent, il est vrai, une part des dépenses plus que conséquente – environ 90 % pour la police. Le fait que les dépenses de personnels aient un poids important ne me paraît pas présenter de difficultés en soi. Nous sommes tous d’accord pour dire que la sécurité publique, comme d’autres politiques publiques, fonctionne grâce à la présence physique et à l’engagement concret de femmes et d’hommes.

Pour ce qui est du projet de budget pour 2020, je rappelle qu’une attention particulière est maintenue quant aux investissements immobiliers et dans les véhicules. Aucun de nous ne peut en effet se satisfaire d’un parc automobile dont l’âge moyen est de 7,4 ans pour la gendarmerie et la police, et peut être bien plus élevé pour certaines catégories : l’âge moyen des véhicules blindés est de 44,6 ans. Une attention spécifique à ces sujets doit être maintenue sur le long terme.

Pour ce qui est des changements profonds, nous avons noté, lors des auditions que nous avons menées, qu’un très grand nombre de réflexions, d’initiatives et de changements avaient actuellement lieu au sein des forces de sécurité intérieure, et nous saluons cette dynamique d’ouverture et de coopération entre les forces.

Le PLF pour 2020 accompagne cette dynamique de changement par la mobilisation de ressources budgétaires, notamment pour le solde des stocks d’heures supplémentaires, mais également de ressources humaines, au service de réformes d’ampleur que nous suivrons avec intérêt dans les mois et années à venir – je pense aux nouveaux cycles horaires ou à la sécurisation des casernes de gendarmerie.

On peut citer d’autres grands chantiers en cours et à venir, qui s’inscrivent dans cette dynamique de changement.

Tout d’abord, je salue l’ambitieuse expérimentation menée en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, visant à une réforme territoriale de la police nationale attendue par de nombreux professionnels. Si cette réforme va évidemment soulever des questions concrètes et complexes dans son déploiement, il s’agit d’un projet ambitieux, apprécié par bon nombre d’acteurs des forces de sécurité intérieure.

Le PLF pour 2020 comporte également un renforcement et une restructuration de la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants. À ce titre, monsieur le ministre, pouvez-vous préciser quels seront le rôle et les moyens alloués à l’office anti-stupéfiants (OFAST), nouvelle instance de coordination de la lutte contre les trafics ?

Je salue encore la création de deux services ministériels, visant à poursuivre le mouvement de mutualisation engagé par la police et la gendarmerie nationales. Une direction numérique unifiée et un service ministériel des achats seront en effet créés en 2020, et devraient permettre des économies importantes pour les deux forces, tout en renforçant leurs synergies.

Enfin, nous traitons également de la sécurité routière dans le rapport spécial qui sera présenté demain en commission des finances. En termes budgétaires, ces crédits sont portés par le programme 207 de la mission « Sécurités » et le compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». La hausse des moyens alloués à ces deux supports, respectivement de 2,30 % et de 21,30 %, souligne l’attention portée par le Gouvernement à cette problématique. Si 2 018 a été l’année la moins meurtrière jamais enregistrée sur les routes de France, nous nous devons de maintenir un haut niveau d’exigence sur ce sujet éminemment important, comme le montre la trajectoire enregistrée au cours des trois premiers trimestres de 2019.

Nous maintiendrons également une surveillance sur la réforme et la modernisation des permis de conduire.

M. Arnaud Viala, rapporteur pour avis (« Sécurité civile »). Le budget de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, d’un montant de 519,5 millions d’euros, est en baisse cette année de 3,3 %, notamment en raison de transferts de crédits vers un autre programme, tandis que les crédits hors titre II, à périmètre constant et inflation comprise, reculent de 2,8 %. Ce programme comporte cependant des éléments positifs, comme la poursuite du renouvellement progressif de la flotte d’avions.

Le programme que nous examinons ce matin ne représente qu’une faible part des 6 milliards de crédits consacrés chaque année à la sécurité civile en France. L’État contribue à hauteur du tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs programmes du budget général et de la fraction de taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) transférée aux départements pour le financement des services d’incendie et de secours.

En tant que rapporteur pour avis du programme « Sécurité civile », je me suis tout particulièrement intéressé, cette année, d’une part à la question des effectifs des sapeurs‑pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires, d’autre part aux plateformes communes de réception des appels d’urgence. Les deux sujets sont intimement liés puisque, ces derniers temps, les plateformes communes ont été présentées par le Gouvernement comme la réponse aux maux des sapeurs-pompiers. La mise en œuvre effective de ce projet reste toutefois problématique et des arbitrages sont attendus de la part du Gouvernement.

Le modèle français de sécurité civile traverse aujourd’hui une crise profonde. Les sapeurs-pompiers sont pris en étau entre une stagnation de leurs effectifs et un accroissement sans fin de leur sollicitation opérationnelle. Leurs missions de secours d’urgence aux personnes ont augmenté de 64 % au cours des quinze dernières années. Alors qu’en 2003, elles ne représentaient que 59 % de l’ensemble des interventions des services d’incendie et de secours, elles représentent aujourd’hui 78 % de leur activité. Comme le souligne la Cour des comptes dans son récent rapport, le système a atteint ses limites opérationnelles. Les sapeurs-pompiers eux-mêmes crient leur détresse et leur ras-le-bol depuis plusieurs mois, et ont défilé dans les rues de Paris il y a quelques jours encore. Le système est à bout de souffle, monsieur le ministre, et des solutions de court terme sont attendues de manière urgente.

Il en découle une crise d’identité chez les sapeurs-pompiers. Ils étaient des soldats du feu, ils sont devenus des substitutifs de notre système de santé, chargés des urgences pré-hospitalières et utilisés comme un recours gratuit et toujours disponible dans les déserts médicaux, qu’ils soient ruraux ou urbains.

Les sapeurs-pompiers subissent également une perte de sens de leurs missions. Leur sur-sollicitation rend d’autant plus insupportables les missions indues dont on les charge, qui sont très éloignées du secours d’urgence. Par ailleurs, les phénomènes climatiques censés être exceptionnels, mais qui le sont de moins en moins, s’accroissent en fréquence et en intensité. On ne peut qu’avoir une pensée ce matin pour les très nombreux secouristes mobilisés sur le pourtour méditerranéen.

Les pompiers représentent le dernier recours quand les autres services publics n’ont plus les moyens d’intervenir et, de ce fait, sont confrontés à la détresse, et parfois à la violence, des personnes auxquelles ils portent secours. Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes au cœur d’une véritable crise des vocations de sapeur-pompier volontaire ou professionnel.

Je trouve encore plus préoccupant la différence de point de vue, de langage et de vision de l’avenir entre votre ministère, plutôt enclin à chercher des solutions, et le ministère de la Santé, qui n’a pas du tout la même approche. Il aurait d’ailleurs fallu, pour que cette audition soit exhaustive, que la ministre de la Santé puisse être parmi nous. Mais elle est actuellement dans l’hémicycle, où l’on débat du PLFSS.

Je souhaite vous poser plusieurs questions s’adressant au Gouvernement dans son ensemble. Alors que des annonces sur les pompiers volontaires ont été formalisées par votre prédécesseur il y a plus d’un an et demi, rien de concret n’a encore été fait. Cela entraîne une exacerbation des tensions, comme en témoigne le débat très difficile qui a eu lieu la nuit dernière dans l’hémicycle sur un amendement au PLFSS relatif aux mesures incitatives en faveur des employeurs de sapeurs‑pompiers volontaires – je dois dire que personne n’a compris la violence des réactions du rapporteur général de la commission des Affaires sociales.

Quelles décisions entendez-vous prendre, Monsieur le ministre, conjointement avec la ministre de la Santé, au sujet des carences ambulancières ? Des moyens supplémentaires sont indispensables si l’on veut délester les sapeurs-pompiers des interventions indues en les transférant au secteur ambulancier. Il faut aussi élargir les compétences des associations agréées de sécurité civile en leur permettant de transporter vers l’hôpital les personnes qu’elles secourent.

Les sapeurs-pompiers expriment aujourd’hui une souffrance. Vous savez, Monsieur le ministre, qu’ils ne peuvent plus attendre. Ils demandent une meilleure reconnaissance du rôle qu’ils jouent dans la société, une clarification de leurs missions au sein des systèmes de secours et de santé et un meilleur pilotage de la ressource précieuse qu’ils représentent au niveau national, nécessitant une gestion prévisionnelle plus perspicace et une clarification des règles qui leur sont applicables en matière de temps de travail.

Quelles réponses entendez-vous apporter aux demandes des sapeurs-pompiers professionnels qui ont manifesté en nombre à Paris la semaine dernière ? Et aux demandes des sapeurs-pompiers volontaires, encore plus nombreux, que l’on ne pourra plus longtemps retenir de faire de même ?

Quelles mesures de court terme envisagez-vous de prendre pour assurer la mise en conformité du modèle français de sécurité civile avec les règles européennes relatives au temps de travail, comme le recommande la Cour des comptes, dans l’attente d’une éventuelle modification du droit européen ?

Par ailleurs, allez-vous enfin prévoir, en contrepartie de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires pendant leur temps de travail, un mécanisme fiscal ou social de compensation de charges pour l’ensemble des entreprises privées ?

J’en reviens aux plateformes communes de réception des appels d’urgence avec le Samu, la police et la gendarmerie ainsi qu’au numéro unique d’appel d’urgence. Il s’agit d’un engagement du Président de la République traduisant une volonté, à laquelle on ne peut que souscrire, de tendre vers une meilleure interconnexion entre les services chargés de l’urgence et une organisation plus efficace pour les sapeurs-pompiers, leur permettant de se recentrer sur leur cœur de métier.

Mais qu’en est-il réellement deux ans après cette annonce du Président de la République ? Au fil des auditions que j’ai menées, j’ai clairement constaté que des contradictions profondes empêchent ou retardent la mise en œuvre de ces outils et reportent sine die la mutualisation et l’optimisation des moyens des services impliqués. Au sein même de votre ministère, vous incitez la police et la gendarmerie à développer des plateformes interdépartementales ou régionales, spécifiques à leur service, ce qui compromet tout projet de plateformes communes départementales.

Ces orientations divergentes sèment le trouble sur le terrain. Les habitudes de travail tissées entre les services au fil des ans, au niveau départemental, ont pourtant permis de faire des avancées importantes, reposant sur un attachement très fort à l’échelon de la proximité, garant d’une excellente réactivité. Les responsables que nous avons auditionnés abondent dans ce sens. J’ai également constaté cet état d’esprit dans mon département de l’Aveyron, où les services travaillent déjà main dans la main depuis de nombreuses années. Ils ont du mal à comprendre les mutualisations interdépartementales que vous encouragez pour la police et pour la gendarmerie. L’Aveyron est d’ailleurs parfaitement emblématique de nombreux territoires où le bon sens a largement permis de contourner certains obstacles dans l’attente d’orientations claires de la part du Gouvernement. Monsieur le ministre, allez-vous mettre fin à ces projets interdépartementaux et privilégier clairement les plateformes départementales de réception des appels d’urgence ?

À cela s’ajoutent des divergences manifestes entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Santé qui durent depuis des années, notamment au sujet de la régulation médicale. On peut notamment s’interroger sur le devenir du numéro unique d’appel d’urgence face à l’annonce d’un nouveau numéro unique d’accès aux soins qui devrait être opérationnel dès l’an prochain. Quels seront, monsieur le ministre, les périmètres respectifs de ces deux « numéros uniques » et comment vont-ils se coordonner ?

Parallèlement, le lancement sans stratégie d’ensemble des projets de modernisation des systèmes d’information traitant les appels d’urgence reçus par les pompiers, le SAMU, la police et la gendarmerie aboutit à une juxtaposition de ces outils qui risque de compromettre une mise en œuvre rapide et efficace du numéro unique. Si leur interopérabilité semble prévue, elle reste accessoire. Les logiques et besoins différents qui les structurent limiteront les possibilités d’échanges de données à l’avenir. Qu’entendez-vous faire, monsieur le ministre, pour mettre en œuvre une réelle interopérabilité fonctionnelle entre les systèmes d’information de vos services ? Cela impliquerait davantage une évolution de leurs cultures « métier » qu’une simple modification de langage informatique.

Après de multiples expérimentations de plateformes communes, de nombreuses missions et une succession de rapports, que nous propose-t-on aujourd’hui ? Si j’en crois les propos du secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, tenus la semaine dernière dans l’hémicycle alors que les pompiers professionnels manifestaient dans la rue, il n’est prévu que de nouvelles expérimentations.

De toute évidence, il manque à la mise en œuvre du projet présidentiel, énoncé dès 2017 et répété de manière constante depuis, un véritable arbitrage interministériel. Il faut une décision forte, prise au plus haut niveau, pour déterminer les modalités de mise en œuvre de plateformes communes et du numéro unique. Nous nous proposons donc, avec d’autres parlementaires, de contribuer utilement et positivement à ce travail en échangeant avec vous et éventuellement avec le Président de la République sur les remontées et les expériences de terrain qui nous paraissent justifier une mise en œuvre rapide dans le respect de tous les professionnels engagés au service de la sécurité des Français.

M. Bruno Duvergé, rapporteur spécial (« Sécurité civile »). Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre Commission. Je remercie tout particulièrement Arnaud Viala pour le travail qu’il a effectué sur le thème de la sécurité civile.

Je souhaite tout d’abord rappeler le rôle primordial de l’État en matière de sécurité civile. En effet, il lui appartient d’assurer la cohérence de la politique de sécurité civile au niveau national, d’en fixer la doctrine et d’en coordonner les moyens. Il met aussi à disposition des territoires des moyens d’intervention aériens et terrestres qui viennent compléter les dispositifs des SDIS.

Cependant, ce sont les SDIS qui constituent l’essentiel des moyens d’intervention. Cela se traduit dans leurs budgets respectifs. Le budget de l’État consacré à la sécurité civile représente environ 500 millions d’euros, alors que les budgets consolidés de l’ensemble des SDIS sont de l’ordre de 5 milliards d’euros, soit dix fois plus. Le programme 161 « Sécurité civile » représente 2,5 % de l’ensemble de la mission « Sécurités », qui finance principalement la police, la gendarmerie, et la sécurité routière.

Avant de parler plus en détail de ce budget, je crois qu’il est utile de rappeler les tendances de notre temps, qui ont une influence majeure sur la sécurité civile. Tout d’abord le changement climatique, qui fait croître le nombre de feux de forêt et les fait apparaître de plus en plus au nord de notre pays. Le changement climatique multiplie aussi les tempêtes, les inondations et les coulées de boue. Par ailleurs, l’évolution de notre société, ainsi qu’un manque de coordination de l’ensemble des services publics, conduisent à une sollicitation croissante des sapeurs-pompiers pour des interventions d’assistance à personne, c’est-à-dire des tâches qui ne sont pas forcément de leur ressort mais qui représentent désormais l’essentiel de leur activité.

Je pense donc que nous devons garder en tête ces tendances quand nous examinons le budget du programme 161. Pour 2020, 492 millions d’euros en autorisations d’engagement et 519 millions d’euros en crédits de paiement sont demandés, ce qui est peu ou prou une somme équivalente à celle accordée en 2019.

Ces chiffres doivent cependant être relativisés à l’aune d’une mesure de périmètre impactant le programme en 2020. Près de 15 millions d’euros sont transférés vers le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ». Ce transfert intervient à l’occasion de la mutualisation de l’ensemble des projets informatiques de l’intérieur, désormais placés sous l’égide de la nouvelle direction du numérique du ministère.

En 2020, les priorités du budget du programme concernent avant tout le maintien en condition opérationnelle (MCO) des flottes aériennes : 102 millions d’euros en autorisations d’engagement et 72 millions d’euros en crédits de paiement y sont consacrés, notamment pour financer le renouvellement du marché de maintien en condition opérationnelle des hélicoptères.

Toutefois, cet effort doit être mis en regard de la dégradation du taux de disponibilité des avions et des hélicoptères de la sécurité civile en 2019. Marquées par la perte d’un de leurs pilotes au cours de l’été dernier, nos forces doivent pouvoir compter sur l’État pour garantir l’entretien de leurs outils de travail.

En lien avec ces éléments, le budget de la sécurité civile est également marqué par le renouvellement de la flotte d’avions, mobilisée chaque été dans la lutte contre les feux de forêt. En 2020, ce sont 66 millions d’euros qui seront décaissés pour l’arrivée de deux nouveaux appareils.

Par ailleurs, le programme participe au soutien et à la coordination des acteurs de la sécurité civile. Je tiens à souligner l’évolution de la participation de l’État à l’investissement réalisé par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Le programme 161 porte depuis 2017 une dotation de soutien, qui a constamment diminué. Cette dernière est encore en baisse de 3 millions d’euros en 2020. En conséquence, les transferts financiers directement opérés par l’État au profit des SDIS sont réduits à la portion congrue. J’aimerais connaître votre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Au-delà de cette alerte que je tenais à émettre, il convient de rappeler que les 7 millions d’euros toujours portés par cette dotation financent désormais un vaste projet de modernisation, mené par l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Ce nouvel opérateur est chargé de développer le projet NexSIS 18-112, une plateforme numérique qui permettra d’harmoniser les systèmes de gestion des alertes et des crises de nos forces de sécurité. À terme, des outils tels que la géolocalisation pourront être mis en place à travers cette plateforme. Encore une fois, les événements de l’été dernier en Italie, nous rappellent que nous ne pouvons faire l’économie de tels progrès.

Enfin, je veux consacrer un dernier mot à nos sapeurs-pompiers. La grève lancée par les organisations syndicales le 26 juin dernier est un appel à résoudre les dysfonctionnements affectant l’organisation des secours. Les sapeurs-pompiers sont aujourd’hui sur-sollicités, et leur sécurité n’est plus suffisamment garantie. Les travaux menés par le Gouvernement sur le numéro unique, et les dernières annonces de la ministre des solidarités et de la santé en matière d’accès aux soins, pourront je l’espère favoriser une baisse de la pression opérationnelle. Pour ce qui est de la sécurité des sapeurs-pompiers, l’expérimentation des caméras individuelles est une première mesure dont il conviendra d’évaluer l’efficacité, et j’aimerais également connaître vos intentions sur ce point, monsieur le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. M. Mazars m’a interrogé au sujet des heures supplémentaires, un problème que nous avons l’intention de traiter au moyen d’une triple action.

La première consiste à apurer dans le temps le stock d’heures supplémentaires déjà constitué, c’est-à-dire la dette que le ministère de l’Intérieur a vis-à-vis de ses agents. Depuis 2005, ce sont 25 millions d’heures qui se sont accumulées et n’ont pas été payées. Cette situation n’est pas normale, et tout le monde le dit depuis de longues années, mais je revendique d’être le premier ministre de l’Intérieur à avoir pris ce dossier à bras-le-corps afin qu’il soit traité.

La deuxième consiste à faire en sorte que ce stock ne se reconstitue pas chaque année : pour cela, je vous propose de voter 26,5 millions d’euros dans le cadre du budget pour 2020.

La troisième, également destinée à éviter le renouvellement, consiste à améliorer le futur encadrement des heures supplémentaires, grâce à la mise en application d’un accord sur le temps de travail.

Vous avez évoqué, Monsieur le député, le fait que certains services tels que le service de la protection (SDLP) souhaitent conserver les heures supplémentaires accumulées afin de pouvoir partir en retraite de façon anticipée. Je considère que les règles en usage ne peuvent être rayées d’un trait de plume au motif que la politique aurait changé, et j’entends la demande formulée par certains policiers, qui ont d’ores et déjà intégré ce dispositif. Cela dit, je ne souhaite pas généraliser un tel dispositif, qui n’est pas sain, et nous devons donc faire en sorte de revenir à un système où les heures supplémentaires sont soit récupérées, soit payées. En tout état de cause, ce qui sera payé en fin d’année, en fonction de chiffres dont je ne dispose pas encore, correspond à des volumes qui n’auront pas d’incidence sur le choix consistant à partir parfois plusieurs années avant la date normalement prévue pour le départ en retraite.

J’insiste sur le fait que le système de départ en retraite par anticipation n’est vraiment pas sain. Si, demain, un agent du SDLP voulait être nommé à Nice, par exemple, son recruteur ne manquerait pas d’hésiter en examinant son dossier, qui ferait apparaître qu’il a sept ans d’heures supplémentaires à récupérer – ce qui implique qu’à son départ, cet agent soit encore compté dans les effectifs et ne puisse donc pas être remplacé.

Cela dit, je le répète, je suis conscient du fait que les personnels de certains services ont intégré à leur parcours de vie la perspective de partir en retraite de façon anticipée, et je ne souhaite pas imposer un paiement généralisé des heures supplémentaires pour tous.

Le taux d’indemnisation envisagée est celui en vigueur actuellement, à savoir 12,47 euros brut de l’heure. Nous souhaitons avoir une approche du paiement des heures tenant compte d’un encadrement : conformément à ce qui a été négocié avec les syndicats, les heures supplémentaires ne seront payées qu’à partir d’un total de 160 heures par personne ; par ailleurs, un maximum de 400 heures sera appliqué, afin de limiter l’incidence fiscale du paiement d’un grand nombre d’heures.

Le fait que nous retenions un taux de 12,47 euros de l’heure est plutôt une bonne nouvelle, car il faut avoir en tête que le dispositif de défiscalisation n’était initialement pas prévu – du moins sa généralisation ne l’était-elle pas.

Je rappelle donc les principales modalités du dispositif prévu : paiement du stock sur plusieurs années, paiement des heures supplémentaires l’année prochaine – en dehors de celles des CRS, qui étaient déjà financées – et non-reconstitution, grâce à un accord global sur le temps de travail.

Vous avez évoqué les manifestations de gilets jaunes, et notamment la situation de Toulouse. Il y a quinze jours, il y avait encore 4 000 manifestants à Toulouse, dont des black blocs qui se sont livrés à des provocations et sont immédiatement allés au contact des forces de sécurité – évidemment, certains se sont empressés de mettre en ligne des vidéos tronquées pouvant laisser croire à une anomalie dans le comportement des forces de l’ordre. Effectivement, Toulouse n’a pas connu une semaine sans mobilisation depuis plusieurs mois, et les personnes qu’on voit dans les rues ne sont pas des manifestants classiques, mais des individus multipliant les exactions : de ce point de vue, la préfecture de Haute-Garonne est sans doute l’endroit où s’exerce la plus grosse pression sur nos forces depuis le 17 novembre de l’année dernière. Cela étant, comme vous l’avez dit, d’autres villes sont régulièrement confrontées à une situation nécessitant l’intervention de nos services d’ordre, et je vous remercie d’avoir salué leur action.

Vous m’avez demandé si des mesures particulières étaient prévues pour l’anniversaire des gilets jaunes, le week-end du 16 au 17 novembre. L’ordre public n’a pas à être rythmé par ce genre d’anniversaire et, sans vouloir faire de la provocation, je vais vous dire que rien de particulier n’est prévu à l’instant présent – évidemment, nous prévoirons ce qu’il faut le moment venu, comme nous le faisons tous les samedis, en fonction des informations recueillies par les services de renseignement sur la mobilisation et en tenant compte de la situation de chaque commune. Puisque vous m’avez posé la question, je vous précise que, bien entendu, mon souhait serait de ne rien avoir à prévoir…

La question des véhicules constitue un vrai sujet, compte tenu du vieillissement de notre parc automobile. L’effort de renouvellement de la flotte de véhicules, déjà significatif, va se poursuivre en 2020. Je rappelle que nous avons acheté 6 000 véhicules neufs en 2018, et 5 500 en 2019. Je souhaite que, pour 2020, il y ait 2 500 véhicules supplémentaires pour la police nationale, et 2 000 pour la gendarmerie. Par ailleurs, il faudrait accomplir un effort particulier pour certains types de véhicules – je pense aux cars qui servent à transporter les forces de gestion de l’ordre public, en particulier dans la gendarmerie, où les véhicules sont très vieillissants. En plus de ces dotations, 10 millions d’euros seront dédiés à l’équipement en matière de gestion de l’ordre public.

Est-ce que cela suffit ? La réponse est clairement non : cela ne suffit pas pour pallier le vieillissement du parc automobile. L’idéal serait de pouvoir faire plus, mais des arbitrages doivent se faire à un très haut niveau, et il faut tout de même reconnaître qu’il y a une amélioration significative de la situation depuis quelques années.

Pour ce qui est des retraites, nous sortons un peu du cadre budgétaire, mais je vais vous répondre en vous disant ce que j’ai déjà dit et que le haut-commissaire aux retraites a également dit la semaine dernière, le 18 octobre, lors de la rencontre que j’avais organisée entre lui et les organisations syndicales de la police. Une autre rencontre a eu lieu le 3 octobre entre le CFMG, la ministre des Armées et le haut-commissaire, mais je ne parlerai que de la police, le statut des militaires étant particulier. Notre volonté est de prendre en compte, dans le cadre de la réflexion qui s’est ouverte, la dangerosité des missions régaliennes – ce n’est pas une annonce, le Président de la République s’étant déjà exprimé à ce sujet.

Il y a actuellement un débat sur la fonctionnalité : toute fonction dans la police implique-t-elle une dangerosité ou pas ? J’ai déjà livré mon sentiment sur ce point et je ne le referai pas mais, pour ce qui est des organisations syndicales, elles ont une position assez claire, consistant à considérer que le fait d’être policier constitue de nos jours un risque constant : en d’autres termes, le simple fait d’être policier en poste dans un commissariat représente une situation de risque. Il ne faut pas seulement envisager l’hypothèse où un policier serait personnellement attaqué, mais aussi celle où il devrait intervenir pour neutraliser une personne représentant une menace : cela n’est pas sans incidence sur le plan psychologique, même si tous les policiers sont formés pour faire face à une situation de ce type – je pense à ce jeune homme qui a dû intervenir à la préfecture de police alors qu’il n’était en poste que depuis six jours. Peu de métiers sont confrontés à cette réalité, et je considère que c’est une forme de dangerosité que de devoir neutraliser un adversaire.

Aujourd’hui, un policier peut être menacé jusque dans sa vie privée, et même à son domicile, comme l’a malheureusement montré le drame qui s’est déroulé en 2016 à Magnanville. Par ailleurs, la situation actuelle exige que nous mobilisions chaque samedi sur le terrain des femmes et des hommes qui ne l’étaient pas habituellement, et qui ont accepté sans rechigner de l’être. Pour toutes ces raisons, les organisations syndicales souhaitent l’extension la plus large possible de la notion de dangerosité.

Il y a des corps de métier dans lesquels la dangerosité n’est pas prise en compte – je pense notamment à la police technique et scientifique (PTS) qui, à l’heure actuelle, ne bénéficie pas de la bonification du cinquième. Certains considèrent que tous les personnels de police doivent se voir appliquer la notion de dangerosité, d’autres qu’elle ne doit être étendue qu’à certaines catégories de policiers. Tous les sujets sont sur la table, et nous sommes ouverts à la discussion, dont les futures étapes constituent d’ores et déjà un calendrier.

Le cumul emploi retraite est une revendication défendue par les syndicats. Le droit à pension, pour un gendarme, est immédiatement mobilisable, ce qui n’est pas le cas pour un policier. Ce dernier part plus tôt, mais ne dispose pas de la possibilité de cumul. Je ne vous annonce rien ce jour, car cette question fera l’objet d’un débat qui valorisera et prendra en compte la dangerosité spécifique de la mission régalienne endossée par les gendarmes, ayant un statut militaire, et par les policiers.

J’ai souhaité organiser une rencontre entre les organisations syndicales des sapeurs-pompiers professionnels et le Haut Commissaire aux retraites. En effet, la question se pose également de l’évolution des retraites des sapeurs-pompiers, bien qu’il en ait peu été question dans le débat public ; elle se pose aussi au sujet des policiers municipaux, pour lesquels la dangerosité doit être prise en considération. J’en ai parlé avec le Haut Commissaire aux retraites et les discussions à ce sujet débuteront prochainement, suivant le rythme et les orientations décidées par le Premier ministre.

J’ai souhaité qu’une réflexion soit lancée au sujet de l’organisation et de la durée de la formation. En effet, le niveau de la formation initiale est très haut, et ce, concernant les deux forces. Nous devons réfléchir à une évolution tenant compte de la formation initiale, mais laissant plus de places à l’alternance sur le terrain, afin de mieux orienter les choix de nos forces ; actuellement, ces choix ne sont pas toujours effectués en fonction de la réalité des métiers. Je souhaite également travailler à la question de la formation tout au long de l’activité, car les métiers changent très vite. L’une des possibilités consisterait à raccourcir la formation initiale, afin d’obtenir une opérationnalité sur le terrain plus rapide ; parallèlement, les moyens consacrés à la formation continue des cadres seraient renforcés. Cependant, il reste difficile de quitter son poste pour suivre une formation, même lorsque l’on y a droit, car cela fait peser sa charge de travail sur ses camarades. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’un dispositif favorisant la formation tout au long de la vie professionnelle est préférable à celui qui mise tout sur la formation initiale.

J’ai d’ores et déjà évoqué les volumes globaux concernant la question de l’immobilier ; nous la traiterons plus en détail ultérieurement.

Vous avez abordé le vieillissement des véhicules blindés de la gendarmerie et vous n’avez pas tort. Ces engins coûtent très cher et nous devrons réfléchir à la répartition de l’enveloppe de 10 millions d’euros dédiée aux moyens matériels pour la gestion de l’ordre public. À ce stade, aucune décision n’a été prise. Nous avons travaillé notamment à rendre viables à nouveau d’anciens VBRG (véhicules blindés à roues de la gendarmerie), par le biais d’un prototype, ainsi qu’à l’acquisition de nouveaux types de matériels. Un partenariat a été noué avec le ministère des armées : certains matériels seront mis à notre disposition et pourraient permettre d’améliorer la gestion de l’ordre public. Il s’agit de matériels inadaptés aux théâtres d’intervention du ministère des armées, en particulier à l’étranger, mais que nous pouvons adapter à nos missions.

La réforme territoriale menée dans les outre-mer doit être au cœur des réflexions du Livre blanc. Je reconnais l’existence d’une spécificité, mais je ne suis pas convaincu qu’il faille limiter la réforme aux outre-mer. Quoi qu’il en soit, la question est posée et nous évoluerons concernant ce sujet.

S’agissant du « plan stup’ » et de l’Office anti-stupéfiants (OFAST), 5 millions d’euros de moyens supplémentaires seront consacrés au développement de techniques particulières, au sujet desquelles je ne m’étendrai pas. Nous réinventons notre façon d’intervenir : il s’agit de s’appuyer sur une organisation territoriale autour de l’OFAST, qui sera pleinement opérationnel le 1er janvier 2020. Cet office rassemblera policiers, gendarmes, magistrats, douaniers, ainsi que des représentants du ministère des armées et du ministère des affaires étrangères, non pas sous son autorité, mais afin d’en assurer la coordination. Le numéro 2 de l’OFAST est un procureur ; ce choix, que j’assume, a fait débat au sein de mon ministère. Il est en effet indispensable que les magistrats assurent pleinement leur rôle dans les orientations politiques du ministère de l’Intérieur, car ils les dirigent sur le terrain.

L’organisation territoriale s’articulera autour de seize antennes et de plusieurs cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS). Cela permettra de disposer d’une structure de partage entre tous les acteurs œuvrant de près ou de loin à la sécurité des Français. Les CROSS ont été instaurées avant même l’élaboration du plan d’action comptant 55 mesures. Les approches seront différenciées entre les aires urbaines et de plus vastes territoires, car les trafics de stupéfiants ne sont pas uniquement urbains. Des logistiques se mettent en place dans des départements ruraux, et nous devons les combattre. En effet, certaines grandes villes avaient le monopole de la gestion opérationnelle sur des territoires plus vastes. Nous constatons désormais un essaimage plus large : ainsi, les règlements de comptes qui étaient circonscrits à quelques villes se déroulent maintenant dans des villes intermédiaires situées à proximité. Nous devons tenir compte de cette nouvelle cartographie. Par ailleurs, certaines villes, telles que Besançon ou Dreux, présentent des spécificités au sein d’une organisation régionale du trafic de drogue. Une approche territoriale est donc indispensable.

Il nous faut également assumer la société de la vigilance évoquée par le Président de la République, qui concerne l’ensemble des sujets de sécurité. Cette notion a suscité un débat au sujet de la lutte contre la radicalisation ; elle s’apparente en réalité à ce que pratiquent déjà nos concitoyens lorsqu’ils signalent un bagage abandonné dans un aéroport. Nous avons proposé la création d’une plateforme de signalement, qui fera l’objet d’une expérimentation. Elle permettra aux informations utiles aux CROSS d’être traitées en respectant l’anonymat, protégeant ainsi contre tout risque les personnes contribuant à la mise en œuvre d’une vérité et d’un plan d’action.

Monsieur Viala, votre diagnostic concernant le secours d’urgence aux personnes (SUAP) et la crise des pompiers est juste. Plus de 80 % de l’activité de ces derniers est liée aux SUAP. Cette situation ne relève pas d’un problème entre le ministère des Solidarités et de la santé et le ministère de l’Intérieur, mais est liée au vieillissement de la population et à l’évolution des pratiques des professionnels de santé. Chaque année, nous constatons une très forte augmentation de l’activité de SUAP. Dans les missions assurées par les sapeurs‑pompiers, qui ne relèvent pas de leurs attributions, je distingue les interventions classiques des interventions de confort. Les interventions classiques sont par exemple celles qui ont lieu en fin de semaine dans les quartiers festifs. Les interventions de confort, qui révèlent un véritable dysfonctionnement, sont celles où les pompiers pallient les carences ambulancières. Dans une société où certains considèrent qu’ils ont des droits plutôt que des devoirs, les pompiers sont parfois appelés pour un simple transfert à l’hôpital.

La croissance des activités des SUAP ne cessera pas : c’est pourquoi l’organisation des interventions doit être plus efficace. Nous devons revoir totalement la gestion des carences ambulancières. La ministre Agnès Buzyn a annoncé qu’un régulateur ambulancier serait présent au sein de chaque plateforme. Si les SUAP demeurent dans le cœur de métier des pompiers, il est nécessaire de prendre en compte les évolutions et d’améliorer le système.

Venons-en à la plateforme unique. Je considère, en tant que ministre de l’Intérieur, que les pompiers y sont essentiels ; la ministre des Solidarités et de la santé estime quant à elle que les médecins y sont essentiels. Plutôt que nous opposer, nous avons décidé de confier à deux personnalités, l’une issue du monde des pompiers et l’autre issue du secteur de la santé, la rédaction d’un rapport. Celui-ci nous sera remis avant la fin de l’année 2019. Ainsi, nous serons en mesure de procéder à des expérimentations dès le début de l’année 2020 dans des plateformes physiques où travaillent déjà différents services. Là où existent de telles plateformes, l’amélioration du service rendu est réelle, grâce au dialogue et au partage d’une culture commune. Nous devons aller plus loin et identifier de nouvelles plateformes pour progresser. Nous opposer nous conduirait dans une impasse, car il ne s’agit pas uniquement d’une question de cartographie, mais aussi de culture. La cartographie est importante : les ARS sont organisées à l’échelle des régions, alors que les SDIS le sont au niveau départemental. Nous devons progresser en matière de culture commune, afin d’obtenir une meilleure régulation. Parallèlement, je souhaite que lorsque les pompiers pallient les carences ambulancières, ces interventions leur soient payées au juste prix ; tel n’est pas le cas actuellement. J’ai confié à l’inspection générale de l’administration la mission d’évaluer ce juste prix. Les SDIS, mais aussi le ministère de l’Intérieur, pourront ensuite s’appuyer sur cette évaluation.

Comment accompagner l’évolution sociétale en matière de rapport aux services publics, qu’il s’agisse des pompiers ou des acteurs du soin en général, pour faire en sorte que les pratiques aujourd’hui insupportables cessent et que les pompiers retrouvent leur cœur de métier ? Ces derniers n’ont rien à l’encontre des SUAP, mais ils souhaitent concentrer leur action là où ils sont véritablement utiles.

Vous m’avez interrogé sur la sécurité des pompiers face aux agressions. Celles-ci sont toutes insupportables, car finalement, agresser des pompiers, c’est s’agresser soi-même. Lors du congrès de la fédération nationale des sapeurs-pompiers volontaires (FNSPV) qui s’est tenu à Vannes en septembre dernier, son président a indiqué que le nombre d’agressions n’est pas en augmentation. Néanmoins, tous les acteurs, des SDIS jusqu’au ministère, souhaitent que des plaintes soient systématiquement déposées. Parallèlement, si le nombre d’agressions n’augmente pas, certains ont le sentiment que leur violence s’accroît. Par conséquent, un certain nombre d’expérimentations seront menées. Ainsi, des caméras-piétons seront installées dans les SDIS qui le souhaitent. Elles suscitent des réserves, comme cela avait été le cas au sein de la police nationale. L’expérience de terrain a levé les derniers doutes et les policiers ont souligné à quel point ces caméras ont modifié leur rapport aux agresseurs potentiels, en particulier lors des contrôles d’identité. Nous souhaitons expérimenter ce système de prévention auprès des pompiers ; tel est d’ores et déjà le cas à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) notamment. L’équipement en gilets pare-lames est également un sujet à l’étude.

Les plateformes communes permettront d’informer les pompiers lorsqu’ils interviennent auprès de personnes présentant des troubles psychiatriques. Une telle intervention, il y a un an, avait entraîné le décès d’un pompier de la BSPP. En outre, j’ai demandé à tous les préfets, dans chaque département, de revoir les plans d’intervention quartier par quartier, afin de coupler l’intervention des pompiers et celle des forces de l’ordre. Cependant, dans certains quartiers, cela n’est pas simple pour les pompiers : rester dans leur camion en attendant que la police arrive peut susciter l’incompréhension de nos concitoyens et provoquer des tensions. Néanmoins, je considère que garantir la sécurité des pompiers est indispensable. Pour y travailler, nous disposons de nombreuses mesures : la généralisation des coordinateurs ambulanciers, la révision des dispositifs relatifs aux carences ambulancières, la prise en compte du prix réel des interventions ambulancières, la réduction du temps d’attente aux urgences, la systématisation des départs réflexes et, enfin, l’identification et généralisation des bonnes pratiques.

Concernant la question des différents numéros, pour le soin et pour l’urgence, le plan d’action évoqué par Agnès Buzyn concerne uniquement le soin. Par conséquent, il ne relève pas de la plateforme unique. Le ministère de l’Intérieur est pleinement associé aux travaux du ministère des solidarités et de la santé concernant ce premier volet, mais nous devons faire preuve de vigilance afin de ne pas mélanger des éléments distincts. En tout état de cause, vous pouvez compter sur nous pour progresser sur ce sujet, pour vous en rendre compte et pour vous associer à nos réflexions.

Le soutien à l’investissement des SDIS peut se faire par le biais de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), dans le cadre de discussions territorialisées. Je rappelle que la DETR a fortement augmenté au cours du précédent quinquennat ; nous l’avons maintenue à ce niveau. Comme je l’ai indiqué à Vannes lors du congrès de la FNSPV, j’ai demandé aux préfets de prendre contact avec les présidents de département et les présidents de SDIS, afin de travailler à un plan d’investissement dans la durée. Des moyens d’État pourraient y être affectés, afin de continuer à progresser et d’apporter davantage de clarté dans la durée. Je ne tiens pas particulièrement au formalisme de ces conventions, qui n’auront pas nécessairement besoin d’être contractualisées.

S’agissant des crédits propres du ministère de l’Intérieur, l’habitude a été prise progressivement de ne pas intervenir ponctuellement sur tel ou tel SDIS, mais plutôt d’investir massivement dans des objets servant à tous, tels que NexSIS. Si une forme de résistance à cet outil s’était développée lors de son lancement, nous sommes parvenus à un fonctionnement donnant toute satisfaction, mais qui peut encore progresser.

En matière de mesures de recrutement et d’augmentation salariale par la prime au feu, le principe selon lequel « qui paie décide » me semble tout à fait pertinent. La gestion des SDIS est décentralisée ; bien que l’un d’entre eux m’ait envoyé un courrier demandant leur recentralisation, je ne suis pas certain qu’il s’agisse de la position des associations des départements et des maires de France. Nous devons bien évidemment travailler de concert, mais dans le respect de ce que nous sommes. Concernant les revendications relatives aux embauches et à l’augmentation du montant de la prime au feu, je ne déciderai pas pour les autres, mais avec eux s’ils le souhaitent et j’exécuterai leur décision. En effet, je ne saurais donner des leçons de prodigalité aux collectivités locales quand je suis moi-même parfois contraint de rejeter des sollicitations de militaires relevant de mon autorité.

La directive européenne sur le temps de travail (DETT) soulève une contradiction entre les sapeurs‑pompiers professionnels, qui revendiquent un plan d’embauche massif pour remplacer les sapeurs-pompiers volontaires, et ces derniers, qui ne souhaitent aucune modification de leur temps de travail. Je suis raisonnablement optimiste quant à notre capacité à obtenir, d’ici à la fin de l’année, une lettre de confort de la Commission européenne. Par conséquent, nous devrions être en mesure de gérer cette situation sans provoquer de drame. J’ai voulu mener deux fronts concomitamment : d’une part, utiliser toutes les dérogations possibles de la DETT, la Commission étant très ouverte comme l’avait fait savoir son président à celui du Sénat ; d’autre part, ne pas exclure la possibilité de défendre une directive européenne consacrée à l’engagement au sens large. En effet, si la DETT protège les travailleurs, elle est problématique s’agissant de l’engagement des sapeurs-pompiers, en particulier en cas de garde casernée. Une directive européenne consacrée à l’engagement irait bien évidemment au-delà des seuls sapeurs-pompiers et pourrait concerner les maires, par exemple. La fédération nationale des sapeurs‑pompiers français (FNSPF) a d’ores et déjà évoqué ce sujet avec des acteurs européens et j’ai moi-même commencé à en parler avec plusieurs de mes homologues.

M. Fabien Matras. L’examen des missions « Sécurité » du PLF pour 2020 est pour le groupe La République en marche l’occasion de revenir sur une notion essentielle, celle de l’engagement. L’engagement tout d’abord des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, qui concourent chaque jour à la protection du pays. L’engagement, ensuite, du Gouvernement qui depuis le début du quinquennat fournit un effort budgétaire croissant en matière de sécurité intérieure. En effet, cette année encore les budgets de sécurité sont en augmentation. Ce sont ainsi près d’un demi-milliard d’euros supplémentaires qui sont attribués à l’ensemble des missions de sécurité. En y ajoutant les précédentes augmentations, la hausse de ces budgets s’élève à plus d’un milliard en trois ans. Il s’agit ici non seulement de la preuve que notre majorité a su entendre les besoins que les forces de sécurité ont fait remonter du terrain, mais également de la reconnaissance du travail quotidien que ces hommes et ces femmes ont fourni dans un climat social tendu. En effet, je crois important de mettre ici en avant la mobilisation d’une intensité inédite des forces de l’ordre dans leur mission de protection de l’ordre public et des populations, dans un contexte terroriste qui demeure malgré tout très critique. Le travail mené au sujet des heures supplémentaires est à saluer.

Le respect des engagements du Président de la République en matière de recrutement est indéniable. Ce sont ainsi 2 000 effectifs supplémentaires qui seront recrutés dans la police et la gendarmerie cette année, s’ajoutant aux 4 500 déjà arrivés depuis le début du quinquennat. Dans la police nationale, le recrutement est en constante progression, notamment en matière de sécurité publique, de police des étrangers ou de transports nationaux. Le Gouvernement poursuit son engagement pour la sécurité des Français avec 1 400 créations d’emplois en 2020.

Dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, plus de 350 contrats opérationnels de protection, impliquant élus et populations, ont été passés.

Enfin, l’entrée en vigueur des 32 quartiers de reconquête républicaine se poursuit avec le renforcement des effectifs qui leur seront attribués en 2020.

En matière d’investissement, l’État consacre des efforts budgétaires importants, notamment par le biais d’une nouvelle mesure qui sera consacrée à l’acquisition de matériels dédiés aux techniques spéciales d’enquête dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants. La gendarmerie nationale n’est pas oubliée, avec la poursuite de l’objectif de 2 500 recrutements au cours du quinquennat. Ce seront 550 emplois cette année, dont 27 ETP dans le cadre de la seule montée en puissance du renseignement.

En matière d’investissements numériques, nous saluons la transformation dans le sens de la proximité numérique avec les usagers ; 71 millions supplémentaires seront dédiés à l’acquisition de terminaux NéoGend et à l’investissement dans la lutte contre les cyber menaces grâce à des dispositifs comme Cybergend.

Je me réjouis que la ruralité ne soit pas oubliée dans ce budget, avec la montée en puissance des brigades territoriales de contact dans plus de cinquante circonscriptions. Leurs effectifs seront déchargés des tâches administratives pour se consacrer à une approche de proximité.

La consolidation de la sécurité civile se poursuit également avec la modernisation des moyens nationaux d’intervention. Ainsi, trois des six avions multi-rôles seront acquis d’ici à la fin de l’année 2020 pour un coût de 66 millions. Ils intégreront le dispositif de lutte contre les feux de forêt. Je souhaite ici saluer la mobilisation de nos sapeurs-pompiers durant la saison estivale ; la proportion de plus de 95 % d’incendies de forêt éteints avant de dépasser le seuil des cinq hectares en témoigne.

La poursuite du plan volontariat est indispensable, et nous nous réjouissons que d’ores et déjà les deux tiers des préconisations aient été ou soient en passe d’être effectives. N’oublions jamais que 80 % de nos sapeurs-pompiers sont des volontaires. Pourriez-vous nous en dire davantage quant à l’avancée de ces travaux ?

Enfin, soyez assuré du soutien qui est le nôtre dans la démarche engagée à la demande du Président de la République et qui a vocation à revoir le mécanisme de gestion des appels d’urgence dans l’optique du numéro unique. Ce travail entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des solidarités et de la santé est indispensable pour répondre à la hausse constante du nombre d’interventions de secours aux personnes. Chaque année, les sapeurs-pompiers reçoivent de plus en plus d’appels à l’aide. Rappelons qu’ils interviennent une fois toutes les six secondes. Pour cela et pour leur engagement, ils méritent toute notre reconnaissance.

Pour conclure, je constate que le Gouvernement est extrêmement ambitieux pour la sécurité des Français. Nous sommes à la hauteur de la menace, des attentes de nos concitoyens et de l’engagement de nos forces de sécurité.

M. Éric Ciotti. Ce budget s’inscrit dans un contexte d’une particulière gravité pour les forces de l’ordre, qui sont confrontées à la violence terroriste islamiste. La tragédie qui a frappé la préfecture de police, faisant quatre victimes parmi ses fonctionnaires, en est l’illustration. La police et la gendarmerie font face à une activité très dense, une augmentation de la violence et des tensions, ainsi qu’à une crise migratoire durablement installée. Cette tension s’est exprimée dans les rues : plus de 20 000 policiers ont manifesté le 2 octobre dernier. L’ampleur inédite de cette manifestation traduit la colère et le malaise des forces de l’ordre, confrontées à une violence en augmentation et exposées à des menaces de plus en plus nombreuses, sans que leurs moyens y soient adaptés.

Les sapeurs-pompiers ont également exprimé dans la rue leur légitime colère. Les réponses que vous avez apportées, reportant les décisions sur les collectivités locales, ne peuvent les satisfaire.

Nous prenons acte de l’augmentation de ce budget, mais nous considérons qu’il n’est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Cela n’est pas inédit et vous n’êtes pas personnellement en cause, monsieur le ministre. Depuis plusieurs législatures en effet, chaque ministre de l’Intérieur fait au mieux pour apposer quelques rustines, alors que la maison entière manque cruellement de moyens, compte tenu de la tâche à laquelle les forces de l’ordre sont confrontées. Je rappelle que sur 1 000 euros de dépenses publiques, à peine 25 sont consacrés à la sécurité. Cette somme est dérisoire au regard de la situation du pays. Nous attendons avec impatience la loi d’orientation que vous avez annoncée ; il y a longtemps déjà que je l’appelle de mes vœux. Ce texte, issu du Livre blanc en cours de rédaction, ne sera déposé qu’à l’automne 2020 ; cela signifie qu’une loi serait promulguée à la mi-2021 et que les décisions budgétaires concerneraient la loi de finances pour 2022. Autrement dit, rien ne serait concrétisé au cours du présent quinquennat, ce qui n’est guère rassurant.

Ce budget ne fait qu’apposer des rustines et cache une situation très dégradée. L’augmentation des effectifs se fait au détriment des moyens de fonctionnement et d’équipement. La Cour des comptes l’a dénoncé et nous le signalons également. Le bleu budgétaire en témoigne : les dépenses de fonctionnement en autorisation de programme pour la police diminuent de 16,18 % et les dépenses d’investissement de 23,84 %. Vous avez évoqué la somme de 55 millions pour le remplacement des véhicules, soit une diminution de 17 millions. M. le rapporteur Mazars l’a rappelé également.

Quoi qu’il en soit, ce budget n’est pas à la hauteur des menaces, de la gravité de la situation, des tensions qui traversent les forces de l’ordre et qui s’expriment par ce chiffre tragique de 54 suicides de policiers depuis le début de l’année. C’est en pensant à ces derniers que nous devons répéter, collectivement, que le budget du ministère de l’Intérieur n’est pas à la hauteur des missions que ses fonctionnaires assurent pourtant avec un courage exemplaire. Nous devons rehausser ce budget ; le groupe Les Républicains a fait des propositions en ce sens. Une proposition de loi a été débattue dans le cadre d’une niche parlementaire ; elle vise à porter en cinq ans l’effort budgétaire en faveur de missions de sécurité à 1 % du PIB. Nous devons en effet donner à ceux qui nous protègent les moyens d’assurer leur mission, en témoignage de notre reconnaissance et de notre respect.

M. Philippe Latombe. La mission « Sécurité » est essentielle pour le quotidien des Français, car son objectif principal consiste à protéger et à secourir les citoyens dans l’ensemble du territoire. Elle est constituée de quatre programmes concernant la police, la gendarmerie, la sécurité routière et la sécurité civile.

Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés se félicite que ce budget poursuive sa hausse, puisqu’il progresse cette année de 500 millions d’euros. Le plan « 10 000 recrutements » continue à être appliqué : 2 000 recrutements seront réalisés en 2020. Il faut notamment souligner la création de 1 020 postes de policiers supplémentaires cette année.

Les forces de police et de gendarmerie partagent les mêmes objectifs, dans des périmètres certes différents. Elles sont toutes deux très impliquées dans la lutte contre la délinquance, le maintien de l’ordre et la lutte contre la criminalité organisée, avec un effort particulier contre le trafic de stupéfiants, qui s’inscrit dans le cadre du plan de lutte contre l’addiction. En outre, les forces de l’ordre sont toujours particulièrement mobilisées dans la lutte contre le terrorisme. Il faut d’ailleurs souligner qu’elles bénéficieront des réformes prévues dans la loi de programmation et de réforme de la justice : de nouveaux outils et des procédures plus efficaces faciliteront leur travail.

Le ministère de l’Intérieur œuvre également pour la valorisation d’une culture de la prévention au sein de la police nationale et pour la promotion d’une culture de la proximité dans la gendarmerie. Ce sont des démarches tout à fait positives qu’il est nécessaire de poursuivre. À ce titre, je note une proposition intéressante introduite par le Sénat dans le projet de loi « Engagement et proximité » : elle prévoit une meilleure information des élus locaux, grâce à une présentation annuelle aux conseils municipaux, par le chef de la circonscription de sécurité publique, de l’action de l’État en matière de sécurité et de prévention de la délinquance dans la commune. Peut-être pourriez-vous nous indiquer ce que vous en pensez ?

Concernant la gendarmerie, je tiens à souligner les efforts importants en matière d’outils numériques, à travers le déploiement de NéoGend et, surtout, grâce au réseau Cybergend qui monte véritablement en puissance. En effet, l’effectif, actuellement de 4 000 personnels, devrait atteindre 7 000 personnels en 2022. Cette brigade numérique a su développer une véritable expertise dans la lutte contre la délinquance sur internet.

La sécurité routière est importante dans mon territoire de la Vendée, qui est malheureusement très mal classé malgré les efforts du préfet, que je souhaite souligner. Le bilan pour 2018 est encourageant, puisque la mortalité a fortement baissé avec 196 décès en moins qu’en 2017. Nous espérons que cette tendance se poursuivra en 2019. Par ailleurs, où en sommes-nous au sujet des dégradations des radars automatiques depuis un an ? Des effets sont-ils à craindre en termes d’accidentalité ?

Pour conclure, je souhaite également vous interroger sur les mesures qui seront prises par le ministère en matière de lutte contre les violences conjugales, dans le prolongement du Grenelle et de la proposition de loi d’Aurélien Pradié. Pourriez-vous nous indiquer quels seront les moyens engagés dans l’accueil et l’accompagnement des victimes ? Il y a là un véritable enjeu de sensibilisation et de formation des agents, pour garantir une écoute attentive et une prise en compte effective du danger auquel ces victimes sont exposées. Il faudrait, en plus des démarches judiciaires, que les forces de l’ordre puissent orienter les victimes vers les juges aux affaires familiales, afin d’améliorer le recours aux ordonnances de protection. Je tenais également à relayer les propos de ma collègue Josy Poueyto qui avait souligné l’importance des contrats locaux de sécurité et la possibilité de proposer des services d’assistance sociale dans les commissariats et les gendarmeries, afin d’accompagner au mieux les victimes de violences conjugales.

Mme George Pau-Langevin. Nous nous félicitons du recrutement de 2 000 policiers et militaires. Cependant, une telle décision n’est pas anormale compte tenu de la situation, que nous connaissons tous, dans laquelle se trouve notre pays. Toutefois, nous nous demandons comment ces recrutements seront réalisés, puisque la Cour des comptes a pointé un écart significatif entre les plafonds d’emplois prévus et les effectifs réels. Cet effectif sera-t-il véritablement atteint ?

Par ailleurs, une forte diminution du nombre d’adjoints de sécurité est prévue. Nous le regrettons, car il s’agit d’une voie d’accès à la fonction publique qui est appréciée par les jeunes. Il est également prévu dans le bleu des mesures d’adaptation aux évolutions récentes des mouvements revendicatifs tel que celui des gilets jaunes. Pouvons-nous avoir des précisions à ce sujet ? S’agit-il de moyens techniques ou de véhicules ? Ce point manque de clarté.

Nous apprécions l’effort de recrutement mené dans la police, ainsi que la résorption des heures supplémentaires. Toutefois, nous avons noté la faiblesse des mesures relatives aux bas salaires, alors que les salaires ne sont pas exorbitants dans la police, en particulier en début de carrière. Si les gendarmes ne se plaignent pas de leurs conditions de rémunération, ils ont souligné les conditions matérielles pour le moins acrobatiques dans lesquelles ils doivent exercer leur fonction.

Nous aimerions disposer des résultats d’une importante expérimentation, celle des caméras piétons destinées à lutter contre les contrôles au faciès. Qu’est-il prévu dans le budget pour sa poursuite ou son extension ?

Vous êtes revenu à police de proximité, que vous avez rebaptisée police de sécurité du quotidien. Comment sera-t-elle concrètement appliquée, non seulement dans les 32 quartiers de reconquête républicaine, mais aussi dans les autres quartiers, où existe un certain nombre de difficultés ?

Nous avons également des interrogations au sujet de la sécurité civile. Vous avez évoqué le malaise chez les pompiers, auxquels les policiers ont répondu sans ménagement. Pourriez-vous nous expliquer ce que le ministère de l’Intérieur envisage pour améliorer cette situation ?

M. Christophe Naegelen. Le budget que nous examinons est capital, en particulier dans le contexte actuel. S’agissant du programme « Sécurité civile », que pensez-vous de la possibilité de sortir du dispositif Cahors – de « décahorsiser » – les contributions des conseils départementaux aux SDIS ? Cette possibilité correspond à une demande des sapeurs-pompiers ; elle avait été appliquée l’année dernière s’agissant des mineurs non accompagnés. Cela permettrait aux conseils départementaux volontaires de contribuer de manière plus importante aux budgets des SDIS.

La DETT est un sujet majeur, que nous avons déjà évoqué. Certains acteurs, tels que les sapeurs-pompiers volontaires, demandent davantage de professionnalisation. En France, sur 248 000 sapeurs-pompiers, 80 % environ sont des volontaires. Dans les Vosges, ces derniers représentent 95 % des 2 950 sapeurs-pompiers. Quel serait le coût de leur professionnalisation ? Le statut de sapeur-pompier ne risquerait-il pas d’être galvaudé ? Les finances publiques seraient-elles capables d’assumer ce coût ?

Par ailleurs, dans les Vosges, il existe d’ores et déjà une plateforme commune entre le SAMU et les sapeurs-pompiers. Cette expérimentation, entrée en vigueur il y a plus de deux ans, a des résultats très positifs.

Je voudrais revenir sur les crédits des programmes 176 et 152 à la lumière du rapport sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité que j’ai présenté avec Jean-Michel Fauvergue. Il y a des aspects positifs : les crédits augmentent globalement, mais on peut avoir de vraies interrogations quand on entre un peu dans le détail et qu’on regarde les demandes des policiers et des gendarmes.

Les crédits du titre II augmenteront pour la police, mais comment la hausse des moyens va-t-elle être fléchée ? Pour quels postes va-t-on recruter ? Confirmez-vous que cela concernera les compagnies républicaines de sécurité (CRS) ? C’est extrêmement important : on a vraiment besoin d’une augmentation des moyens pour le maintien de l’ordre, et cela vaut aussi bien pour les CRS que pour les escadrons de gendarmerie mobile. Or je ne vois rien dans le PLF en ce qui les concerne. Que prévoyez-vous ? Nous avions évoqué avec vous la question du « redispatching » des 5e pelotons entre les différents escadrons dans le cadre de la commission d’enquête et nous avions constaté qu’il faudrait encore à peu près 800 recrutements pour les escadrons de gendarmerie mobile. Comment voyez-vous les choses ?

Vous avez parlé de l’expérimentation relative aux nouveaux cycles horaires. Ils sont appliqués au commissariat de Remiremont, et les policiers ont un avis positif sur ce sujet – il faut le souligner.

Je regrette, en revanche, la baisse des dépenses de fonctionnement, et la question de leur fléchage se pose aussi. Les policiers demandent de pouvoir maîtriser beaucoup mieux leurs budgets. Dans certains commissariats, il faut faire une demande au directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), voire plus haut, quand on veut acheter une ampoule coûtant 2 euros : on marche un peu sur la tête. Il ne suffit pas d’avoir un budget assez conséquent : il faudrait aussi être capable de le flécher, de le donner aux DDSP, voire directement aux commissariats. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez évoqué un montant de 75 millions d’euros pour la réserve opérationnelle. Or on sait très bien qu’il faut environ 100 millions pour avoir une réserve opérationnelle qui fonctionne, qui soit capable d’apporter un soutien permanent à nos gendarmes. Une baisse drastique, d’à peu près 40 % des crédits, a eu lieu l’année dernière : la réserve opérationnelle sert de variable d’ajustement. Pourrait-on sanctuariser son budget pour être sûr d’avoir les crédits nécessaires ? Il risque d’y avoir encore des ajustements en 2020.

En ce qui concerne les VBRG, l’option du rétrofitage a-t-elle été étudiée ? Vous avez parlé d’un prototype tout à l’heure, ce qui signifie que vous optez plutôt pour un renouvellement. Pourquoi ? Par ailleurs, qu’en est-il du renouvellement des Irisbus ?

S’agissant des dépenses d’investissement, la sécurisation des casernes constitue clairement une priorité, ce qui est un point positif. Que prévoyez-vous pour la réfection de certaines de ces casernes, mais aussi des commissariats ?

Nous voterons en faveur de ce budget parce qu’il est en hausse, mais il faudrait améliorer le fléchage et prévoir davantage de moyens en matière de fonctionnement et d’investissement.

M. Jean-Félix Acquaviva. Les moyens de la mission « Sécurités » augmenteront de presque 2 % – ils seront supérieurs à 20 milliards d’euros en 2020 – mais cette évolution ne permettra pas de répondre aux problématiques sécuritaires que connaît notre pays et d’apporter aux forces de l’ordre le soutien qu’elles doivent avoir.

Vous envisagez quatre solutions complémentaires afin de résorber le stock des heures supplémentaires non payées, dont le paiement annuel d’une partie du flux à partir de 2020 : vous prévoyez de consacrer 26,5 millions d’euros à l’indemnisation des heures récupérables. Nous ne savions rien, jusqu’à présent, des modalités envisagées. Vous avez apporté des précisions – dont acte. Nous suivrons l’évolution prévue.

Il est indispensable que nos concitoyens retrouvent confiance dans la doctrine du maintien de l’ordre. Lors de la crise des « gilets jaunes », force est de constater qu’il n’y a pas eu de juste équilibre entre le respect des libertés publiques et le nécessaire maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre et nos concitoyens ont pâti des hésitations et des flottements que l’on a constatés. On doit faire évoluer la doctrine, les méthodes et les moyens des forces de l’ordre, aussi bien sur le plan humain que sur le plan financier, pour atteindre et préserver le juste équilibre qui est la pierre angulaire d’un État de droit.

Malgré les augmentations de crédits, nous ne pensons pas que ce budget permettra, en l’état, d’accompagner les évolutions nécessaires. Vous prévoyez environ 11 milliards d’euros, en crédits de paiement, pour le programme « Police nationale », soit presque le même montant que dans le cadre de la loi de finances initiale (LFI) pour 2019, alors que le pragmatisme et l’esprit de responsabilité devraient inciter à faire plus et mieux. Il en est de même pour le programme « Gendarmerie nationale » : vous prévoyez 8,9 milliards d’euros en crédits de paiement, contre 8,8 milliards d’euros en LFI pour 2019.

Ce budget est celui des illusions perdues – mais ce terme est peut-être un peu dur – ou en tout cas des promesses non financées. Quand on y regarde de plus près, on voit que les effectifs de la police nationale vont en réalité diminuer de près de 2 500 postes. Certes, les effectifs seront en légère hausse dans la gendarmerie nationale – il y aura environ 180 nouveaux emplois – mais il n’y a pas matière à se réjouir : on est loin des 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires annoncés sur l’ensemble du quinquennat – je parle des forces de l’ordre sur le terrain, et non de l’administration territoriale de l’État ou du pilotage des politiques de l’intérieur.

Le groupe Libertés et territoires souhaite que vous nous éclairiez sur l’avenir de la direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris. Le secrétaire d’État, M. Nunez, semble partisan d’un découpage entre la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le service central du renseignement territorial (SCRT). Qu’en sera-t-il réellement ? Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer quels moyens vous entendez déployer concrètement et rapidement pour renforcer le renseignement en matière de terrorisme et pour protéger les services qui sont au cœur de notre dispositif dans ce domaine ?

Les acteurs de la sécurité civile doivent être soutenus et accompagnés. Vous prévoyez pourtant une baisse de 4,4 % des crédits alloués à cette politique si l’on tient compte des perspectives d’inflation. La tension entre la stabilité des effectifs globaux et l’accroissement continu des interventions n’est plus tenable : c’est un fait reconnu. De plus, la nature de la mission des sapeurs-pompiers change. La situation actuelle est révélatrice de l’inadéquation de notre système de sécurité civile aux évolutions de la société en matière de secours.

Nous sommes particulièrement inquiets, comme beaucoup ici, de l’avenir des sapeurs-pompiers volontaires. Le volontariat, qui est un des piliers du modèle français de sécurité civile, est menacé par un risque d’assimilation avec le statut de travailleur en raison d’une directive européenne de 2003 et de l’arrêt « Matzak » de la Cour de justice de l’Union européenne. Il faut se poser la question : que serait la chaîne de secours dans nos territoires sans le formidable maillage assuré grâce aux centres de secours et à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires ? Ces derniers réalisent en moyenne 36 % des gardes diurnes et 43 % des gardes nocturnes au plan national, et ces proportions sont encore bien plus importantes dans les SDIS ruraux et de montagne. Les sapeurs-pompiers volontaires représentent, par ailleurs, 66 % du temps d’intervention au niveau national, et le taux passe à 78 % dans les SDIS de catégorie C, dont la Corse fait partie. Pouvez-vous nous dire concrètement quelle est l’action du Gouvernement pour protéger notre modèle de sécurité civile, basé sur le volontariat ? Avez-vous avancé quant à la manière dont on pourrait enrayer les effets de la directive européenne de 2003 ?

En ce qui concerne la Corse, pourriez-vous vous engager à renouveler la colonne de réserve territoriale qui est affectée aux deux SDIS insulaires, compte tenu de l’aggravation du risque de feux de forêts à cause du dérèglement climatique ? Seriez-vous également prêt à assurer, dans le cadre d’un contrat opérationnel annuel, une réactivité accrue en matière de moyens aériens ? On pourrait envisager, par exemple, le retour dans l’île d’un hélicoptère bombardier d’eau de grande capacité, de type Aircrane. Et puisqu’on peut aisément mutualiser des moyens avec nos partenaires sardes pour réaliser des interventions, pourquoi ne pas discuter d’une flotte européenne basée en Corse ?

Nos sapeurs-pompiers souffrent, monsieur le ministre, mais le Gouvernement ne semble pas les entendre pour l’instant. Notre modèle de sécurité civile s’essouffle, et on ne débloque pas assez de crédits pour sa réorganisation. Mon groupe ne votera pas, pour l’heure, en faveur de ce budget.

M. Ugo Bernalicis. Il est un peu compliqué d’analyser ce budget car il y a un certain nombre de transferts, notamment en ce qui concerne le programme 216 : il n’est pas évident de s’y retrouver. Vous avez dit qu’il y aura globalement une augmentation de 9 millions d’euros des crédits de fonctionnement et que le budget sera « sanctuarisé » si l’on prend en compte les divers transferts. Quand on intègre les projections d’inflation, on voit tout de suite que ce budget est en réalité en baisse – d’autant qu’une grande partie des crédits de fonctionnement pour la police et la gendarmerie est constituée de dépenses de carburant – il n’y a pas de tendance à la baisse dans ce domaine. Rien que pour cette raison, la situation sera plus un peu plus compliquée que l’année dernière pour les services de police, de gendarmerie et de sécurité civile.

Par ailleurs, je ne sais vraiment pas quoi penser de la hausse des effectifs. Nous venons d’examiner la loi de règlement pour 2018 : il y a eu, rien que dans le cadre du programme 176, un écart de 3 159 ETPT entre le plafond d’emplois voté et ce qui a été réalisé. Je veux bien vous croire sur parole, mais nous regarderons quand même, en 2021, le rapport annuel de performances pour 2020.

Si les effectifs augmentent, tant mieux, mais il y a une difficulté que vous aviez d’ailleurs soulignée, monsieur le ministre, lors des auditions conduites par nos collègues Jean-Michel Fauvergue et Christophe Naegelen : les crédits de fonctionnement augmentent moins vite que les recrutements de personnel. Or il faut équiper les personnes qu’on recrute, pour qu’ils aient les moyens de faire leur travail, sinon on crée des frustrations, de la souffrance, ce qui n’est certainement pas l’objectif. Vous déplorez cette situation, mais quelle est la trajectoire prévue d’ici à 2022 ? Comptez-vous réaliser des économies – je ne le crois pas – ou obtenir des arbitrages budgétaires encore plus favorables pour le ministère de l’Intérieur ?

Autre difficulté, la formation initiale continue à être raccourcie à neuf mois afin d’aider à réaliser le plan de recrutement de 2 000 personnes par an – qui n’est, d’ailleurs, pas vraiment respecté. Quand allez-vous ouvrir une nouvelle école, voire plusieurs ? Nous allons avoir besoin d’écoles supplémentaires, ne serait-ce que pour rester à effectifs constants, et la durée de formation initiale ne peut pas rester indéfiniment à neuf mois. Il serait raisonnable de revenir à une durée d’un an, et on pourrait même se fixer l’objectif, ambitieux, de passer à deux ans de formation initiale, comme beaucoup de grandes démocraties et de grandes républiques l’ont fait dans le monde. Le fait de passer à un an, en 1989, constituait une grande avancée, mais 1989 c’était il y a trente ans – j’en sais quelque chose.

En ce qui concerne la formation, avez-vous un commentaire à faire – même si je sais que cela n’entre pas dans le cadre de cette mission budgétaire – sur la suppression de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) ? On se demande bien pourquoi vous voulez supprimer cet institut au moment même où beaucoup de questions se posent à propos du maintien de l’ordre, du risque terroriste et de la police de sécurité du quotidien, qui a fait l’objet d’une expérimentation. Compte tenu du suivi et du partage d’informations qui sont nécessaires sur ces questions, je ne vois pas l’intérêt de supprimer l’INHESJ.

On pourrait aussi se demander quels moyens vous prévoyez pour l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Il ne faudrait pas que l’examen des plaintes dure un an, deux ans, trois ans, voire davantage – qui sait ? Il n’est rien ressorti, jusqu’à présent, des plaintes déposées par un certain nombre « gilets jaunes ».

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. J’espère que vous savez que c’est faux. Le procureur de la République s’est exprimé à ce sujet.

M. Ugo Bernalicis. Je connais une enquête à propos de laquelle le procureur de la République s’est exprimé : celle concernant Steve. J’espère que vous pourrez m’apporter des réponses détaillées. J’en prendrai connaissance en streaming, car je ne pourrai pas être présent tout à l’heure.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Pour ma part, je resterai jusqu’au bout, même si c’est parfois douloureux…

M. Ugo Bernalicis. Par ailleurs, il faudrait peut-être créer une ligne spécifique pour la prévention des suicides dans la police et la gendarmerie. J’ai vu la note relative à la « convivialité ». Le million d’euros qui était prévu a-t-il été utilisé ? Y a-t-il des barbecues organisés pendant le temps de travail, et pas en dehors ? Y a-t-il, surtout, des psychologues supplémentaires à l’extérieur des services de police et de gendarmerie, ou en leur sein, afin d’aider ?

En ce qui concerne la lutte contre les stupéfiants, je ne comprends pas pourquoi un magistrat est le numéro 2 et pas le numéro 1 du nouveau dispositif – je le dis très clairement. Il y a d’autres services, dans les douanes, par exemple, qui sont dirigés par des magistrats et qui fonctionnent parfaitement. Il serait dommage de ne pas remettre vraiment les choses à l’endroit.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. J’ai confiance en la police.

M. Ugo Bernalicis. Vous avez vous-même souligné que ce sont des magistrats qui conduisent les enquêtes, et non des policiers. Par ailleurs, les 55 mesures qui ont été annoncées étaient déjà dans les tuyaux ou déjà appliquées. Vous les avez habilement réchauffées pour faire un plan de communication.

S’agissant du programme 161, je ne comprends pas pourquoi les crédits de l’action « Prévention et gestion de crises » vont diminuer, alors qu’une réduction des moyens est également prévue du côté du ministère de la transition écologique et solidaire. On voit bien les catastrophes qui peuvent se produire, comme celle de Lubrizol, et les questions climatiques qui se posent, notamment l’inquiétante sécheresse de nos forêts – de plus en plus d’arbres en meurent.

M. Stéphane Peu. Puisque j’ai l’avantage, ou l’inconvénient, d’avoir la parole en dernier, je fais miennes toute une série de remarques qui ont déjà été faites. Je vais pouvoir me concentrer sur quelques sujets.

Nous nous félicitons, comme l’an dernier, de la hausse des crédits, mais nous avons quand même un certain nombre de questions.

Les effectifs vont globalement passer d’environ 151 000 à 149 000 postes dans la police. On peut toujours mettre en avant des transferts ou des réaffectations, mais il est inquiétant de voir que le budget augmente alors que les effectifs baissent.

Je partage aussi les inquiétudes qui ont été formulées à propos des baisses de crédits pour les véhicules et les équipements de protection.

Il y a également l’immense question des heures supplémentaires, dont vous avez parlé. Un effort est réalisé, et il faut le reconnaître, mais une inquiétude persiste. Vous n’avez pas ouvert de perspective pour le stock des 24 millions d’heures supplémentaires. Cela figurera peut-être dans le Livre blanc…

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Nous en reparlerons avant.

M. Stéphane Peu. En tout cas, il n’y a pas aujourd’hui de trajectoire budgétaire pour la résorption du stock des heures supplémentaires.

Les départs anticipés à la retraite qui sont liés à l’accumulation des heures supplémentaires posent un immense problème dans tous les commissariats, au-delà du Service de la protection, qui a été évoqué tout à l’heure par Stéphane Mazars, car il en résulte un écart très préjudiciable entre les effectifs théoriques et ceux vraiment disponibles. Ne pourrait-on pas adopter une doctrine, peut-être à titre temporaire, qui permettrait de recruter en tenant compte des effectifs réels ?

En ce qui concerne les SDIS, vous avez souligné qu’il y a un écart entre l’accroissement des missions et la stagnation des effectifs. C’est une des causes de la souffrance des pompiers. Vous avez déclaré que les payeurs doivent être les décideurs, mais le budget de l’État contribue aussi au financement des SDIS, à hauteur de 24 %, à travers le reversement d’une partie de la taxe sur les conventions d’assurance. L’État n’est donc pas qu’un simple conseilleur en la matière : il est aussi payeur, via cette taxe. Une proposition concernant la prime de feu a été mise sur la table pour essayer d’apporter au moins une première réponse au malaise des pompiers : il s’agit de majorer, de 90 millions d’euros, le montant de la TSCA qui est reversé par l’État aux départements pour le financement des SDIS. Cela pourrait être une partie de la solution – on pourrait également annuler la surcotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Sans entrer davantage dans les détails, je tiens à souligner qu’il existe une proposition concrète pour apporter une réponse dans le cadre de la prime de feu – et cette mesure est très attendue.

Dernière question, ne pourrait-on pas créer, à l’image du programme 152 – les gendarmes ont un statut militaire mais sont rattachés au ministère de l’Intérieur –, un programme relatif au budget des pompiers de Paris et des marins-pompiers de Marseille, qui jouent un rôle important en matière de sécurité ? Ils s’expriment moins que d’autres, étant militaires, mais leur malaise est réel – je suis député d’une circonscription relevant des pompiers de Paris. Il faudrait examiner cette question.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Compte tenu de l’heure tardive, je vous propose d’interrompre nos travaux. Nous poursuivrons l’examen de cette mission cet après-midi, à partir de quatorze heures trente.

*

Lors de sa seconde réunion du jeudi 24 octobre 2019, la Commission poursuit l’audition de M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Sécurités ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux sur les crédits de la mission « Sécurités ».

Le ministre va répondre aux orateurs des groupes, puis nous passerons à une nouvelle série de questions.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Vous m’avez interrogé sur les sapeurs-pompiers, le volontariat dans ce cadre et la directive européenne relative au temps de travail (DETT). La volonté d’accompagner le volontariat – M. Matras le sait encore mieux que d’autres – est présente partout dans nos territoires, compte tenu des enjeux que cela représente. La question des sapeurs-pompiers volontaires, qui a également été évoquée par M. Naegelen, concerne les services rendus dans nos territoires mais elle implique aussi une philosophie de la citoyenneté et de l’engagement. Il est indispensable de préserver notre modèle du volontariat.

La tendance à la baisse s’est inversée : il y a eu une légère remontée des engagements, de 0,8 %. Nous en sommes maintenant à 196 600 sapeurs-pompiers volontaires. Cela va dans le bon sens, et vous savez que nous avons élaboré un plan d’action. On est en avance pour un certain nombre de mesures, la situation a bien progressé pour d’autres, mais on traîne un peu dans certains cas. Je sais que vous travaillez, notamment avec mes services, monsieur Matras, à une proposition de loi sur laquelle nous pourrons sans doute nous retrouver, si l’agenda parlementaire le permet. Une réaffirmation est nécessaire sur le plan politique, par des moyens mais aussi à travers le combat que nous devons mener au sujet de la DETT. Je ne reviens pas sur ce dernier point, car j’ai présenté ce matin ma vision raisonnablement optimiste de la possibilité de protéger notre modèle contre les menaces liées à la DETT et à l’arrêt « Matzak ».

Il est également essentiel de rechercher comment moderniser le volontariat, notamment par sa féminisation. Le taux d’engagement des femmes reste insuffisant. Il est important d’agir : l’accueil du personnel féminin fait partie du plan national pour le volontariat. Une autre manière d’élargir le cercle de ceux qui s’engagent est d’accepter une spécialisation, qui peut être liée à la profession exercée – on peut être conduit à ne participer qu’aux opérations de secours d’urgence aux personnes quand on travaille dans le secteur de la santé, ou qu’aux interventions liées à des incendies pour d’autres personnes. Cela doit être possible. Par ailleurs, nous souhaitons que le temps passé comme jeune sapeur-pompier volontaire rende éligible à certaines décorations. Ce n’est pas seulement une question symbolique pour moi : un tel engagement a aussi une force, et il ne me paraît pas bon d’écarter ces personnes. Il faut également ouvrir davantage les possibilités d’engagement, à des grades d’aspirant ou de lieutenant, à des étudiants, par exemple en pharmacie ou en médecine, qui pourraient nous aider. La dernière piste que je souhaite évoquer consiste à permettre aux sapeurs-pompiers volontaires d’accéder à l’encadrement fonctionnel et opérationnel dans les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Nous sommes mobilisés avec vous sur ces questions, monsieur Matras.

La question de la reconnaissance du volontariat au titre de la retraite se pose également. C’est un sujet pendant, sur lequel je n’ai pas d’éléments particuliers, mais nous pourrons y travailler ensemble.

M. Ciotti a fait état du contexte difficile que connaissent nos forces de l’ordre compte tenu de certains événements et de l’augmentation de la violence. La manifestation du 2 octobre dernier a notamment été évoquée. C’est un sujet auquel nous sommes évidemment attentifs, et nous le sommes aussi à propos des suicides dans le cadre du plan d’action que nous avons adopté.

Je suis surpris que M. Ciotti – je le dis bien qu’il ne soit pas présent cet après-midi – n’ait pas noté, malgré tout son talent, que la baisse des dépenses hors titre 2 par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2019 n’est qu’apparente : elle doit être corrigée, comme je l’ai déjà indiqué, d’un effet de périmètre. Comme 123 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 113 millions d’euros en crédits de paiement (CP) sont transférés vers le programme 216, principalement au titre de la création de la direction du numérique – pour 97 millions d’euros – et du transfert des personnels administratifs des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) – à hauteur de 17 millions d’euros –, on ne peut pas établir de comparaison si on ne fait pas de différence entre le périmètre courant et le périmètre constant. Ces transferts ne doivent pas être considérés comme une baisse des moyens de la police nationale, puisqu’ils accompagnent des transferts de charges correspondants.

Par ailleurs – je ne fais plus référence à M. Ciotti –, il est temps que nous fassions tous la différence entre les schémas d’emplois et les emplois ouverts, qui seront pourvus par concours, après une formation, mais je reviendrai plus tard sur ce point.

M. Ciotti a dit, s’agissant des sapeurs-pompiers, que nous reportons sur d’autres nos responsabilités. Je suis prêt à proposer aux membres du groupe Les Républicains d’assurer le service après-vente d’une augmentation de 29 % de la prime de feu, en assurant son financement par les départements et les communes : si c’était la volonté claire d’un groupe politique, je pourrais en faire état devant les présidents de l’Assemblée des départements de France (ADF) et de l’Association des maires de France (AMF). Je pense que le principe de ne pas décider de créer, de mon côté, des dépenses qui relèvent des départements et des communes va dans le bon sens.

M. Naegelen m’a interrogé sur le « dispositif de Cahors ». Il n’est pas nécessaire d’en sortir car la hausse des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales est de 0,6 %, alors que le plafond a été fixé à 1,2 % par an : s’il y avait une volonté politique d’augmenter les dépenses, par exemple de 0,2 %, ce qui serait largement supérieur à ce qu’il faudrait pour renforcer la prime de feu et réaliser des embauches, les départements en auraient tout à fait la possibilité compte tenu de la gestion assez rigoureuse qui est la leur d’une manière globale. Ce n’est pas le « dispositif de Cahors » qui bloque.

M. Latombe m’a interrogé sur l’adoption par le Sénat d’un amendement au projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique aux termes duquel les chefs des circonscriptions de sécurité publique devront rendre compte aux conseils municipaux. Je suis favorable, par principe, à ce que l’on rende des comptes et à ce que l’on aille au-delà des acteurs traditionnels en matière d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, c’est-à-dire les parlementaires, en permettant aux acteurs de terrain d’agir aussi dans ce domaine. Pour moi, il est tout à fait conforme à l’esprit de la police de sécurité du quotidien de prévoir une évaluation par les collectivités locales et des débats. L’intérêt est de permettre une réorientation – c’est ce que j’attends de la police de sécurité du quotidien – et une confrontation avec l’opinion des élus locaux. Cette disposition ne me pose donc pas de difficulté. Je voudrais néanmoins suggérer une amélioration : je propose d’associer le préfet, le sous-préfet ou un représentant – la personne qui est responsable de la sécurité – lorsque le chef de la circonscription de sécurité publique rend compte de la situation.

À peu près 50 % du parc de radars a été touché d’une façon ou d’une autre dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, et un tiers a été dégradé. On doit réparer ces radars. Néanmoins, nous avons fait le choix de ne pas nous engager dans une course à la réparation tant que les tensions étaient présentes et qu’il pouvait y avoir de nouvelles destructions. Je précise qu’il faut en moyenne 7 jours pour assurer les réparations. Nous prévoyons d’installer 400 nouveaux radars « tourelles » avant la fin de l’année, et nous espérons que nous aurons alors récupéré à peu près 90 % de nos capacités.

Les radars « tourelles » ne sont pas une réponse aux gilets jaunes : je crois que la décision de les installer a été prise en 2015, par Manuel Valls, afin d’améliorer les conditions de contrôle. Ces radars ont plusieurs vertus : ils permettent d’élargir l’action, notamment à la question du défaut d’assurance – c’est un sujet sur lequel nous pouvons tous nous rassembler, à mon avis – et ils ont surtout une véritable vertu pédagogique. En effet, toutes les installations ne sont pas équipées d’un système d’enregistrement, mais elles semblent l’être. Par ailleurs, il y a une mobilité des contrôles à la faveur de l’entretien des installations : on peut avoir un radar mais quatre tourelles, ce qui signifie quatre fois plus de lieux où réaliser efficacement de la pédagogie. Nous souhaitons développer le parc actuel afin d’avoir 4 400 radars opérationnels dans l’ensemble du territoire national.

S’agissant des violences faites aux femmes, je voudrais rappeler que dix mesures fortes ont été annoncées par le Premier ministre le 3 septembre dernier. Certaines d’entre elles ont un effet immédiat, et d’autres à court ou moyen terme. Le ministère de l’Intérieur, qui est concerné, a proposé plusieurs actions.

La première est l’amélioration de l’accueil des victimes. Des dispositifs vont permettre de guider les entretiens dans le cadre de l’accueil et du dépôt de plainte, puis du rapport qui est entretenu, pendant l’instruction, avec les femmes victimes de violences. Chaque jour, 200 femmes sont accompagnées par la police et la gendarmerie dans notre pays. Je ne suis pas capable de vous dire combien sont sauvées de violences supplémentaires ou sauvées tout simplement. On a vu dans certains cas, et je ne le conteste pas, que les conditions d’accueil et d’accompagnement ou la prise de décision n’étaient pas à la hauteur. Nous devons améliorer la situation.

C’est pourquoi nous avons souhaité que 400 casernes de gendarmerie et commissariats de police soient évaluées dans le cadre de visites anonymes qui permettront à nos services de tester la qualité de l’accueil. Nous le ferons avant la fin de l’année pour voir concrètement où on en est, mais aussi pour mettre la pression en ce qui concerne la qualité de l’accueil. Par ailleurs, nous allons contacter 500 femmes qui ont déposé plainte ou qui se sont rendues dans un commissariat de police ou une caserne de gendarmerie, afin de tester la façon dont elles ont été accueillies – nous avons commencé à le faire. L’objectif est de sensibiliser nos services à l’exigence de qualité en matière d’accueil et de regarder quels aménagements peuvent avoir lieu pour réaliser un accueil de qualité à 100 % – cela doit être l’objectif – et pour ne jamais rater ce qui permettrait d’éviter des situations plus graves par la suite.

Je voudrais néanmoins rappeler que nous sommes confrontés à un contentieux de masse dans ce domaine : il y a environ 200 000 cas chaque année. Quand on est aux prises avec un contentieux de masse, on ne peut pas avoir un dispositif adapté à 100 %, permettant toujours de percevoir quel est le bon moment pour agir. On peut se tromper pour de nombreuses raisons – même s’il ne faut jamais le faire. Remettons les choses à leur place : non, les policiers et les gendarmes ne sont pas responsables des violences commises – ce sont leurs auteurs qui en sont responsables ; oui, en revanche, les policiers et les gendarmes, puis la justice, doivent avoir les moyens de tout faire pour empêcher des drames. Hélas, il y en a, et quelquefois des erreurs d’appréciation se produisent. Nous devons donc rester attentifs et améliorer le dispositif.

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé que l’on pourra déposer plainte dans les hôpitaux. Nous travaillons sur le recueil de preuve à l’hôpital afin d’éviter tout problème le moment venu, c’est-à-dire lorsque la victime décide de porter plainte – mon sentiment est que cela doit être immédiat, mais on peut comprendre qu’une victime ne le fasse pas tout de suite. Lorsqu’on porte plainte deux semaines, un mois ou quatre mois plus tard, il y a souvent une difficulté liée aux preuves. Nous avons lancé, avec le ministère de la Santé, une mission commune qui doit regarder comment on doit procéder dans ce cadre au recueil et à la conservation des preuves, afin qu’elles puissent être produites lorsqu’une instruction est engagée.

À cela s’ajoutent le renforcement de la formation des policiers et des gendarmes à ces questions et la création de nouvelles enceintes de travail associant les préfets et les procureurs, y compris sur le plan de la formation, afin de développer une méthode de travail en commun qui nous permettra d’être encore plus efficaces dans ce domaine.

Enfin, nous maintenons 12 millions d’euros pour le financement d’actions de prévention dans le cadre du FIPDR – Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Mme Pau-Langevin a évoqué les caméras-piétons, dont j’avais parlé dans mon intervention liminaire. Je voudrais rappeler dans quel contexte ce dispositif a vu le jour. Il y avait un débat sur la délivrance de récépissés dans le cadre des contrôles d’identité, et le ministre de l’Intérieur avait résisté à un engagement pris, pendant sa campagne, par le Président de la République de l’époque, parce qu’il estimait que ce n’était pas nécessairement la meilleure idée.

Les caméras-piétons étaient à l’origine un outil contraignant, visant à éviter une multiplication des contrôles dits au faciès et donc des tensions. Néanmoins, ce que je retiens de mes échanges avec des membres des forces de sécurité qui en sont équipés, c’est qu’ils ne le vivent plus comme une contrainte – le fait de devoir allumer la caméra-piéton – mais comme une protection et un instrument de prévention. Je suis donc assez confiant en ce qui concerne ce dispositif.

Il y a 2 078 caméras-piétons dans la police nationale et nous allons en déployer 284 de plus dans la gendarmerie nationale. Nous avons désormais un cadre légal stabilisé, et très formalisé. Quand un policier ou un gendarme revient dans son commissariat ou dans sa caserne, il n’a pas accès aux images. Elles sont conservées et ne servent qu’en cas de procédure. Les images sont vraiment protégées, ce qui me paraît indispensable. Nous faisons globalement un bilan positif en ce qui concerne la prévention et la protection des forces de l’ordre : le comportement de certaines personnes a pu changer. C’est un dispositif efficace dont j’ai souhaité l’extension aux sapeurs-pompiers, qui peuvent aussi être confrontés à des interventions difficiles.

Afin de massifier le dispositif, nous étudierons dans le cadre du livre blanc la possibilité d’exploiter les terminaux NEOPOL et NEOGEND en tant que caméras-piétons. C’est peut-être faisable techniquement, mais il faudra que le cadre légal évolue – nous aurons alors besoin de faire appel à vous.

Pour ce qui est des adjoints de sécurité (ADS), je précise qu’il s’agit seulement de prévisions. Il y a généralement une évolution à la hausse de leur nombre en cours d’année, afin de remédier à des défections d’élèves gardiens de la paix. Nous souhaitons donner la priorité au recrutement de ces derniers, mais pas à n’importe quel prix, notamment en termes de concours à organiser. Nous augmentons nos ambitions lors de l’ouverture du concours de gardien de la paix, mais en prévoyant que les adaptations aient lieu – si nécessaire – par l’embauche d’ADS. Cela représente deux cheminements différents qu’il ne faut pas opposer, car ils sont tous les deux utiles compte tenu des parcours suivis : bien souvent, les ADS passent ensuite le concours de gardien de la paix – ce n’est pas inintéressant.

M. Naegelen a beaucoup parlé de la gendarmerie nationale, et je peux le comprendre car elle le mérite. En ce qui concerne la réserve, un objectif très ambitieux a été fixé en 2015 mais il n’a jamais été vraiment financé. Nous avons néanmoins assuré la montée en puissance du dispositif. S’agissant de 2020, 71 millions d’euros sont prévus, contre 35 millions en 2014, 40 millions en 2015, puis 62 millions en 2016 et 2017. Le montant prévu pour l’année prochaine correspond à l’exécution des crédits en 2019. Il y a eu des évolutions importantes, qui devraient être renforcées par un accord que j’ai négocié avec mon homologue britannique pour le déploiement de forces de réserve de la gendarmerie sur les côtes britanniques afin de lutter contre les départs en small boats vers le Royaume-Uni. Les crédits inscrits dans le PLF pour 2020 représentent 1 530 réservistes par jour, ce qui est significatif.

La ventilation des effectifs nouveaux n’est pas encore fixée. Dans ce domaine, les décisions sont prises au moment des sorties d’écoles, c’est-à-dire deux fois par an, en fonction des besoins. Ces derniers sont liés aux départs à la retraite et aux mutations, que nous ne connaissons pas à l’avance. C’est dans ce cadre que nous mettons des effectifs nouveaux dans les quartiers ou les services considérés comme prioritaires : il faut aussi prendre en compte les autres mouvements. J’ajoute que notre objectif est toujours de combiner l’arrivée d’agents ayant une certaine expérience et celles de profils qui n’en ont pas nécessairement autant.

Vous m’avez également interrogé sur les sapeurs-pompiers volontaires. Je n’ai plus le chiffre en tête, mais la professionnalisation aurait un coût faramineux. Un professionnel ne peut pas intervenir seulement d’une manière ponctuelle, dix heures par semaine : il a des heures de bureau, si je puis dire – elles ont lieu dans des casernes. Dans les territoires ruraux, que vous connaissez bien, et moi aussi, la professionnalisation conduirait à remplacer cinq casernes par une seule, et les temps de transport causeraient des problèmes considérables. C’est pourquoi il faut absolument préserver notre modèle, qui n’est d’ailleurs pas unique en Europe. J’ai évoqué un certain nombre d’éléments lorsque j’ai répondu à M. Matras.

S’agissant des véhicules blindés à roue de la gendarmerie (VBRG), doit-on faire du rétrofitage ou acheter des véhicules neufs ? Ce n’est pas décidé. Le problème est que ces équipements coûtent extrêmement cher. Aucune décision n’a été prise pour l’instant : j’attends les conclusions du groupe d’experts qui travaille sur le schéma national du maintien de l’ordre public, que je validerai avec Laurent Nunez – je vous ai proposé, madame la présidente, d’en faire une présentation devant vous. Les 10 millions d’euros prévus seront utilisés d’une manière que je ne connais donc pas encore.

Vous avez déclaré, monsieur Acquaviva, qu’il y aurait 2 500 agents en moins dans la police nationale. C’est faux : j’ai donné tout à l’heure les chiffres exacts à propos des créations de postes. Il me semble que nous sommes tous suffisamment au point, sur le plan technique, pour comprendre ce qu’est un schéma d’emplois. On peut arriver à des incohérences si on ne prend pas en compte les mouvements dans la police. Nous allons ouvrir 2 000 emplois de policiers et de gendarmes de plus que le nombre des départs à la retraite. Je ne maîtrise pas tous les départs annuels – nous partons d’un chiffre moyen, en prenant en considération l’âge des agents –, mais il est important de ne pas dire tout et n’importe quoi. Il n’y aura pas 2 500 agents en moins dans la police nationale : nous allons créer environ 1 480 postes, qui seront budgétés.

S’agissant de la sécurité civile en Corse, je voudrais commencer par rappeler les moyens permanents qui y sont installés : il y a une unité d’instruction et d’intervention à Corte, qui compte 187 militaires, et une base d’hélicoptères à Bastia, qui est dotée d’une vingtaine d’agents. S’y sont ajoutés cette année des renforts aériens saisonniers, qui n’étaient pas prévus mais que j’ai moi-même demandés – même si les feux de forêts ont été moins graves cet été, en Corse, que ce que l’on pouvait craindre compte tenu du passé. Des renforts saisonniers sont prépositionnés chaque année à Bastia et à Ajaccio pour agir contre le feu.

Par ailleurs, je crois que nous devrons engager ensemble une réflexion sur la mobilisation du volontariat. Il faut mener un chantier spécifique à la Corse en ce qui concerne notre capacité à mobiliser les volontaires toute l’année, y compris l’été. On observe en effet un véritable décrochage des effectifs pendant la saison estivale. Il serait intéressant de créer un groupe de travail pour travailler sur cette question avec les SDIS concernés. Compte tenu de ce décrochage et des difficultés d’intervention dans certains territoires en Corse, la réponse n’est pas toujours au niveau le plus adapté.

Des capacités sont également mobilisées dans le cadre de la solidarité nationale. Face aux inondations, nous avons ainsi projeté en Corse 60 personnels de la sécurité civile en renfort, qui étaient opérationnels ce matin, dès sept heures trente. Cette réactivité est importante, en Corse comme dans l’ensemble du territoire national.

M. Bernalicis a souhaité des efforts encore plus considérables dans le cadre du budget de l’année prochaine, ce que j’ai pris pour un satisfecit. Je ne suis pas sûr de cette interprétation, mais M. Bernalicis n’est plus là pour en parler (Sourires). Il a posé, en tout cas, une bonne question : il est toujours difficile de lire un budget dont le périmètre évolue – c’est vrai pour les crédits et les effectifs.

S’agissant des suicides, M. Bernalicis a espéré la création d’une ligne téléphonique. Il y en a deux. La deuxième a été confiée à une société, un prestataire extérieur, qui s’appuie sur un réseau de 1 200 psychologues – je cite ce chiffre de mémoire – pour répondre vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux membres des forces de sécurité. J’ai souhaité que l’on renforce les possibilités en interne – nous avons un service dédié – mais aussi qu’il y ait une ouverture vers l’extérieur car je peux comprendre que certains policiers, lors d’un moment de mal-être, ne souhaitent pas en parler au sein de la « boutique ». C’est pour cette raison que nous avons passé un marché permettant de prendre également un appui à l’extérieur.

Ce n’est qu’un des éléments du plan de lutte contre les suicides. La réorganisation du temps de travail est aussi un aspect de la réponse. Quand un week-end sur six est disponible pour la vie privée et de famille, on peut comprendre que cela suscite quelques difficultés. L’organisation du temps de travail que nous avons proposée – certains d’entre vous ont évoqué les expérimentations conduites dans leur territoire – permet d’avoir un week‑end sur deux, d’une durée de trois jours, et un mercredi sur deux. Je crois que cela peut changer la situation, même si tous les problèmes ne seront pas réglés de cette manière.

Je voudrais que l’on arrête de se moquer de la circulaire du directeur général de la police nationale relative à la convivialité. Ce document ne portait que sur ce point, en effet, mais personne n’a pensé que la convivialité permettrait, à elle seule, de régler le problème des suicides dans la police. Aborder la question de la convivialité revenait à adresser un message extrêmement fort, en termes de management, à l’ensemble des cadres. Il y a aussi la formation. J’ai participé, à Metz, à une formation au cours de laquelle près de 1 500 commissaires et cadres ont été formés à la bonne appréhension des signes précurseurs.

L’année où je suis devenu ministre, on enregistrait des records de suicides chez les gendarmes. C’est le premier sujet que j’ai abordé avec eux, à ma propre initiative, avant que la question soit médiatisée. Cela faisait déjà plusieurs semaines que je recevais, le matin, des textos m’informant qu’un policier ou un gendarme s’était suicidé à tel endroit, « pour des raisons personnelles ».

Il y a toujours un facteur déclenchant, qui est généralement une raison personnelle, mais chacun sait que ce n’est pas la cause du suicide : c’est un ensemble, un environnement. Quand votre activité professionnelle vous conduit à passer un week-end sur six avec votre conjoint et vos enfants, on peut comprendre que cela produise du désordre sur le plan familial. Nous traitons donc cette question, mais aussi celle de la convivialité.

Les organisations syndicales – et ce n’est pas un reproche que je leur adresse – sont très présentes dans les commissariats : beaucoup de chefs ont pris l’habitude de traiter directement avec le représentant syndical. Or le management consiste aussi à entendre, voire à sentir, la désespérance d’un policier qui ne vient plus du tout prendre le café avec le groupe, alors qu’il le faisait tous les matins. C’est un signe : il doit être interprété et il faut qu’il y ait un accompagnement.

M. Peu m’a interrogé sur les effectifs dans la police. Je sais vraiment qu’on peut se faire confiance. Il y aura bien des créations nettes d’effectifs.

J’ai déjà apporté une réponse à propos des véhicules. Ce que nous prévoyons est de haut niveau, mais il est certain qu’il serait mieux de pouvoir faire davantage compte tenu de l’état de vétusté et de dégradation du matériel.

S’agissant des heures supplémentaires, on doit en effet mener un combat pour liquider le stock. Cela ne figure pas dans le budget pour 2020, ni dans celui pour 2019, mais j’ai bon espoir d’être en mesure d’apurer une partie du stock avant la fin de cette année. Des discussions ont eu lieu avec les organisations syndicales, et nous sommes en train de regarder ce que l’on pourrait faire avec les budgets qui nous seraient accordés. Il n’y a pas de trajectoire budgétaire pour l’année prochaine en ce qui concerne le stock d’heures supplémentaires car nous espérons bénéficier dès cette année d’un arbitrage du Premier ministre – c’est sa volonté – qui permettrait d’honorer maintenant une partie de la dette. Je rappelle qu’une partie des heures supplémentaires dues remonte à 2005.

S’agissant des SDIS, je n’ai pas suivi le débat portant sur la proposition de majorer la taxe sur les assurances, mais je comprends les réserves vis-à-vis de l’augmentation d’une taxe. Je suis disposé à trouver des formes de financement nouvelles pour abonder le budget des SDIS, dont l’engagement a considérablement augmenté après la départementalisation – je ne leur reproche pas, cela a permis une mise à niveau – mais vous connaissez notre opposition à la multiplication des taxes.

Monsieur Bernalicis m’a interrogé sur le budget de l’IGPN, je confirme qu’il a augmenté de 10 % pour prendre en compte la hausse du nombre d’instructions suite aux manifestations des gilets jaunes. Son niveau sera maintenu en 2020.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, j’ai appris aujourd’hui que vous aviez lancé une mission de préfiguration pour la mutualisation du 15 et du 18. Je vous annonce officiellement que le département de l’Yonne est candidat à un rôle pilote.

Les élus de tous bords – le maire d’Auxerre, le président du conseil départemental et votre serviteur – sont très structurés sur cette question. Nous souhaitons préserver le 15, que l’agence régionale de santé veut nous retirer pour le régionaliser, et nous constatons que la mutualisation physique du 15 et du 18 serait utile. L’inspection générale de l’administration a mené une mission dans l’Yonne il y a un an, mais elle n’a pas complètement abouti. Si vous vous lancez à fond dans ce projet, l’Yonne est candidate pour le mener le plus rapidement possible.

Dans un tout autre domaine, je souhaite partager avec mes collègues de la Commission mon inquiétude au sujet de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Je sais que son budget ne relève pas du ministère de l’Intérieur mais des crédits interministériels, toutefois j’aimerais comprendre pourquoi le Gouvernement supprime le seul lieu où les magistrats de l’ordre judiciaire, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent échanger de manière prospective, au-delà de la gestion quotidienne des dossiers. Nous avons besoin d’une gestion opérationnelle des questions de sécurité, mais aussi de lieux permettant d’éclairer le Gouvernement et le Parlement, avec des scénarios prospectifs et des échanges avec les universitaires.

J’aimerais comprendre les raisons d’un tel choix, d’autant plus étonnant que le ministère des Armées perpétue l’Institut des hautes études de la défense nationale, qui a prouvé son utilité dans la durée. La suppression de l’INHESJ semble totalement contradictoire avec la démarche, par ailleurs intéressante, du Livre blanc, et il est absurde de se priver de ce lieu de prospective alors qu’il paraît que le Président de la République s’intéresse plus que jamais aux questions régaliennes.

Mme Marie Guévenoux. Ce budget montre une fois de plus la volonté du Gouvernement de mettre tous les moyens nécessaires à la disposition de nos forces de sécurité pour faire face aux grands enjeux actuels en matière de lutte contre toutes les formes d’insécurité.

Le Président de la République s’est engagé à créer 10 000 nouveaux postes au cours du quinquennat, et ce budget prévoit le recrutement de 2 000 policiers et gendarmes en 2020, ce dont je me réjouis.

Quelle sera la clé de répartition pour décider de l’affectation de ces nouveaux effectifs ? Dans quelle mesure prendrez-vous en compte la démographie, l’évolution des chiffres de la délinquance, le vieillissement des effectifs des zones de sécurité prioritaires, ou d’autres critères ?

Sans en faire une question locale, mon département de l’Essonne connaît une démographie très dynamique, et les nombreux quartiers sensibles – voire très sensibles – recensés en zone police sont des terrains propices à la commission d’actes de violences urbaines, en forte progression. Les effectifs supplémentaires y sont donc très attendus.

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord vous adresser mes félicitations, car pour une fois, ma circonscription n’a pas eu à déplorer la suppression d’une brigade de gendarmerie rurale. J’espère que vous y serez plus attentif que M. Bernard Cazeneuve – un Normand, pourtant ! – qui a débité à la hache nos gendarmeries rurales, obéissant aux vœux des généraux de gendarmerie plutôt qu’à ceux de la population. Nous ne le regretterons pas ! (Sourires.)

En second lieu, j’ai l’impression qu’à la suite des mécontentements quant au paiement des soldes et des heures supplémentaires, la gendarmerie a adopté une nouvelle méthode de gestion : les promotions fracassantes. Je suis maire d’une commune qui héberge une brigade de quatorze gendarmes. Il y a quinze ans, elle était commandée par un sergent. Deux ans après, par un adjudant, puis un major, et un lieutenant. Aujourd’hui, nous avons un capitaine. À quand un maréchal de France pour commander la gendarmerie de Moult, monsieur le ministre ? (Sourires.) Je ne vois aucune raison de s’arrêter, après tout, l’armée mexicaine a bien démontré ses capacités…

Par ailleurs, nous devons gérer les écoles et les gendarmeries en fonction des évolutions de la population. Selon une vieille règle, il fallait un gendarme pour 10 000 habitants, est-ce toujours une référence pour la nomination de nouveaux gendarmes ?

Vous avez mentionné les conditions dans lesquelles les femmes battues sont accueillies dans les gendarmeries et les commissariats, et des moyens de les améliorer. Je peux vous donner une explication très simple, car j’ai été pendant trente-six ans le maire d’une même commune – jusqu’à ce qu’une loi scélérate, votée par les socialistes, m’interdise de cumuler mon mandat de maire et celui de député. Je crois d’ailleurs que vous étiez dans la même situation…

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Mais moi, j’ai voté cette loi…

M. Alain Tourret. Vous avez voté cette loi scélérate ? Moi je l’ai combattue !

Quoi qu’il en soit, pendant trente-six ans, tous les ans, une réunion de l’ensemble des gendarmeries était organisée pour donner un bilan de l’action menée, recensant les délits poursuivis et résolus par les gendarmes. Et pendant trente-six ans, je n’ai entendu que des bilans positifs ! Moult est devenu un territoire de criminalité négative ! J’ai demandé aux gendarmes de m’expliquer, car nous avions de bonnes relations – je suis fils d’un colonel de cavalerie – et ils m’ont répondu qu’il s’agissait d’une conséquence de la politique du chiffre de M. Sarkozy. Chaque fois qu’une plainte était déposée, si elle était enregistrée, les chiffres de la gendarmerie passaient dans le rouge. Plus les plaintes étaient nombreuses, moins bien la gendarmerie était traitée. On a fini par expliquer à ceux qui venaient porter plainte qu’ils ne devaient surtout pas le faire, sinon la gendarmerie n’aurait plus les moyens d’assurer leur défense.

C’est invraisemblable, mais c’est ce qui s’est passé. Et chaque fois que je recevais ces malheureuses femmes qui avaient été battues par leur compagnon, leur conjoint ou leur mari, elles me faisaient ce même témoignage. Une action en profondeur doit être menée au sein de la gendarmerie pour y remédier.

M. Christophe Naegelen. Monsieur le ministre, vous avez parlé de la réserve opérationnelle, et des 75 millions d’euros qui lui sont affectés. Mais ce montant est budgété, il ne reflète pas les crédits effectivement utilisés. L’année dernière, ils ont servi de variable d’ajustement : ils ont été utilisés à d’autres fins pour répondre à la crise des « gilets jaunes ». Ne conviendrait-il pas de sanctuariser ces crédits pour en faire un budget fixe, avec un objectif fixe ?

S’agissant toujours de la réserve opérationnelle, ne pourrait-on maintenir le statut d’officier de police judiciaire des officiers de gendarmerie qui entrent dans la réserve au moment de leur départ en retraite, au moins pendant deux ou trois ans ? Aujourd’hui, ce n’est plus le nombre de gendarmes par brigade qui compte, mais les officiers de police judiciaire présents. Les réservistes et les gendarmes d’active sont tous plutôt favorables à cette mesure, qui permettrait de donner un vrai coup de main.

Enfin, à propos du « dispositif de Cahors », je souhaite partager l’exemple des Vosges. Le directeur du SDIS local demande une augmentation de près de 3 % de son budget, rendue nécessaire par l’augmentation du nombre de sapeurs-pompiers volontaires à la suite d’une grande campagne de recrutement. Mais le « dispositif de Cahors » limite la hausse du budget à 1,2 %. Si le département n’est pas hostile à la hausse demandée, il serait obligé de réduire d’autres dépenses pour l’accorder. Si la dotation au SDIS était exclue du « dispositif de Cahors », il ne serait pas nécessaire de réduire les autres budgets pour l’accorder.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Monsieur Naegelen, le montant prévu pour la réserve opérationnelle correspond aux dépenses exécutées. Il n’est pas possible de les sanctuariser pour l’année prochaine car, si des dépassements imprévus surviennent dans le budget de la gendarmerie, il est juste et conforme aux règles de bonne gestion de demander à la gendarmerie quelles sont les pistes pour les compenser. Il est important de responsabiliser chacun, et les propositions de la gendarmerie pourront porter sur la réserve opérationnelle.

De plus, nous appliquons le principe du gel budgétaire, et d’un surgel au sein du ministère de l’Intérieur. Nous dégelons les crédits pour dégager quelques marges de manœuvre, d’autant plus précieuses qu’au sein de la police et de la gendarmerie, les frais de déplacements dépassent parfois significativement le budget prévisionnel, c’est un sujet sur lequel nous devons être plus efficaces.

Néanmoins, les 71 millions prévus dans cette mission correspondent effectivement aux crédits que nous aurons consommés en fin d’année, en anticipant les deux mois à venir.

Alain Tourret, après son hommage à mon prédécesseur (sourires), a évoqué les promotions dans la gendarmerie. Je peux lui confirmer ce mouvement de promotions, et l’augmentation du nombre de généraux. Peut-être qu’un jour, Moult, après sa fusion avec Chicheboville, verra un général à la tête de sa brigade ? Une négociation a été menée par Bernard Cazeneuve, prenant en compte le protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » et la feuille de route sociale dans la gendarmerie, et une montée en puissance des différents grades au sein de la gendarmerie a été décidée. Je respecte les engagements pris par mon prédécesseur, et je poursuis leur application.

Permettez-moi de corriger un point : il n’y a pas un gendarme pour 10 000 habitants en zone rurale, mais un pour 1 000, et un pour 800 en zone périurbaine. La méthodologie mérite d’être affinée en fonction d’autres critères, comme le taux de délinquance, et nous mènerons une expérimentation en 2020 pour faire évoluer ce référentiel.

Les statistiques offrent des indicateurs utiles, mais j’ai clairement indiqué à mon entrée en fonction qu’il fallait en finir avec la politique du chiffre, qui peut induire des effets pernicieux, comme éviter d’enregistrer une plainte. Nous parlions des violences faites aux femmes, il ne faut jamais éviter d’enregistrer une plainte.

Nous constatons une augmentation des statistiques de délinquance sur des sujets préoccupants, tels que les atteintes violentes aux personnes, mais aussi une augmentation très forte de la fraude numérique. Je ne reprocherai pas aux gendarmes de Moult d’enregistrer une forte augmentation des détournements de cartes de crédit, la politique du chiffre a donc de réelles limites et elle n’est pas au cœur de la méthodologie du ministère de l’Intérieur sous mon autorité. Les statistiques sont toutefois des indicateurs intéressants permettant de constater les évolutions d’une année sur l’autre, et d’en tenir compte.

Madame Guévenoux, la répartition se fait en fonction d’indicateurs objectifs, tels que la population et la délinquance, qui permettent d’élaborer l’effectif départemental de fonctionnement annuel (EDFA). C’est en référence à cet indicateur que l’on vous explique toujours qu’il va manquer dix ou quinze emplois dans un commissariat. Et quand les effectifs dépassent l’EDFA, ce qui arrive, on ne le signale pas et l’on continue à dire qu’il manque des policiers. Dans tous les cas, qu’un commissariat soit au-dessus ou en dessous de l’EDFA, on vous y dira qu’il manque des policiers.

L’EDFA doit évoluer pour prendre en compte la démographie et la délinquance, mais aussi les priorités politiques. Si nous décidons de mener un combat contre le trafic de stupéfiants, nous devrons réorganiser nos effectifs pour traduire les priorités du ministère, et il en va de même pour les quartiers de reconquête républicaine qui contribuent à la lutte contre les radicalisations. Ces politiques demandent des moyens dédiés.

Monsieur Larrivé, vous m’avez fait part de la candidature de l’Yonne pour l’expérimentation du numéro unique d’appel d’urgence, les Vosges peuvent également entrer en lice ! C’est dans les départements où il existe déjà une plateforme commune de réception des appels d’urgence que nous mènerons l’expérimentation. Je préfère rester très prudent dans mes propos, car j’ai dit il y a quelques jours que deux départements contigus allaient vers une plateforme unique – je pensais à une mutualisation entre le 15 et le 18 – et la presse locale a compris qu’il s’agissait d’une plateforme commune aux deux départements. Dans certains départements, il existe déjà des plateformes uniques, localisées en un même lieu et qui disposent d’habitudes de travail en commun : ce sont de bons endroits pour avancer vers une meilleure collaboration.

Les crédits de l’INHESJ ne sont pas rattachés au ministère de l’Intérieur, mais à Matignon. Le Premier ministre souhaite simplifier notre organisation administrative, ses instituts et structures multiples et les frais généraux qui y sont liés. Les ministères de la Justice et de l’Intérieur tiennent à un certain nombre de sessions d’échanges et de formation organisées par l’INHESJ, compte tenu de leur qualité : elles seront internalisées. Le travail en commun sera maintenu, ce lieu d’échanges est essentiel, mais nous pouvons l’internaliser. Nous avons pour mauvaise habitude de créer un grand nombre de structures dont nous ne maîtrisons pas toujours les évolutions budgétaires. Nous faisons porter les efforts sur les structures que nous contrôlons, et les structures externalisées ne prennent pas part aux efforts dont elles sont pourtant parfois les prescriptrices.

S’agissant enfin de la proposition de maintenir le statut d’officier de police judiciaire (OPJ) aux anciens gendarmes entrant dans la réserve opérationnelle, je n’y suis pas hostile, mais il faudrait changer la loi, et ce travail devra être mené avec le ministère de la Justice. Je connais la qualité des interventions des anciens OPJ incorporés dans cette réserve, auxquels il est de plus en plus souvent fait appel. Il nous faut trouver un véhicule législatif et travailler avec le ministère de la Justice, le fait d’être OPJ implique un engagement particulier, je peux comprendre que des réserves existent vis-à-vis de la possibilité d’assumer cette fonction en étant à la retraite.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le ministre, je vous remercie. La Commission va maintenant examiner les amendements et se prononcer sur les crédits.

La Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Sécurités » (MM. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis « Sécurité » et M. Arnaud Viala, rapporteur pour avis « Sécurité civile »).

Article 38 et État B : Crédits du budget général

La Commission est saisie de l’amendement II-CL14 de Mme George Pau-Langevin.

Mme Marietta Karamanli. Nous proposons de créer 1 000 emplois supplémentaires dans la police. Pour ce faire, cet amendement augmente le montant des autorisations d’engagement du programme 176 « Police nationale », en particulier l’action 02 « Sécurité et paix publique », et compense cette dépense par un prélèvement d’un montant équivalent sur le programme 152 « Gendarmerie nationale », en particulier l’action 04 « Commandement, ressources humaines et logistique ».

M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis. Tout d’abord, certes du fait des contraintes de l’article 40, votre amendement propose d’augmenter les effectifs de la police au détriment du budget de la gendarmerie, ce qui n’est pas très satisfaisant.

S’agissant plus généralement de l’augmentation des effectifs, les choix du Gouvernement sont salués par tout le monde, notamment les organisations syndicales. Les efforts sont conséquents : sur cinq ans, plus de 10 000 emplois seront créés, 2 000 au cours de l’année à venir, les deux tiers dans la police et un tiers dans la gendarmerie.

Par ailleurs, vous proposez d’augmenter les effectifs sans prendre en compte les coûts de fonctionnement induits : vous ne prévoyez pas de budget pour la formation de ces nouveaux effectifs, leur encadrement, ni les infrastructures immobilières nécessaires pour accompagner cette montée en charge des effectifs. Cette remarque vaut également pour l’amendement que vous avez déposé à propos des effectifs de gendarmerie.

Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Vous savez bien que notre marge de manœuvre est réduite, puisque nous sommes obligés de transférer des sommes au sein des mêmes missions, donc de déshabiller Paul pour habiller Jacques.

Cet amendement manifeste notre souhait de poursuivre la hausse des effectifs, ce qui implique naturellement l’équipement et la formation nécessaires. Nous partageons cette préoccupation sur le fond, mais sur le terrain, nous constatons qu’on manque de candidats lorsque des postes sont disponibles. Nous en avons débattu il y a quelques mois, dans le contexte des manifestations des gilets jaunes : il faut plus de recrutements, avec la formation et les moyens nécessaires pour accompagner les policiers et les gendarmes sur le terrain.

La Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, elle rejette successivement les amendements II-CL15 et II-CL16 de Mme George Pau-Langevin.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Messieurs les rapporteurs, quel est votre avis sur les crédits ?

M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Arnaud Viala, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

Conformément aux conclusions de M. Stéphane Mazars, mais contrairement à l’avis de M. Arnaud Viala, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Sécurités » pour 2020.

 

Après l’article 78

La Commission est saisie des amendements II-CL69, II-CL70 et II-CL71 de M. Arnaud Viala, rapporteur pour avis.

M. Arnaud Viala. Mon amendement II-CL69 porte sur les associations agréées de sécurité civile. À Paris et à Marseille, elles peuvent utiliser leurs propres ambulances pour transporter les personnes qu’elles secourent vers un établissement de santé. Mais, dans le reste du territoire, elles doivent attendre l’arrivée d’un véhicule de pompiers ou du SAMU, ce qui entraîne des délais supplémentaires, une rupture dans la prise en charge de la victime et empêche ces associations d’assurer des gardes et de prendre le relais des pompiers lorsque ces derniers sont débordés.

Je propose d’étendre le dispositif prévu à Paris et Marseille, de manière expérimentale, afin de décharger les sapeurs-pompiers de certaines missions indues, comme une partie des carences ambulancières, ce qui permettra de réaliser des économies pour le budget de l’État et des collectivités territoriales puisque les interventions des associations sont réalisées par des bénévoles, avec leurs ambulances et matériel, et qu’elles se disent en capacité de le faire.

Mon amendement II-CL70 demande au Gouvernement un rapport sur le financement des plateformes communes de réception des appels d’urgence et du numéro unique d’appel d’urgence. Le Président de la République s’est engagé en 2017 à mettre en place un numéro unique, géré par des plateformes communes, traitant l’ensemble des appels d’urgence adressés aux pompiers, au SAMU, à la police et à la gendarmerie, afin de simplifier l’accès des usagers à ces services.

Deux ans plus tard, ce projet en reste au stade des expérimentations faute d’arbitrages politiques forts sur les modalités de sa mise en œuvre. Des projets concurrents de mutualisations régionales voient le jour au sein de la gendarmerie et du SAMU, et rendent impossible la mise en place de nouvelles plateformes départementales communes. Le lancement sans stratégie d’ensemble des projets de modernisation des systèmes d’information traitant les appels d’urgence reçus par les SDIS, le SAMU, la police et la gendarmerie risque d’en limiter l’interopérabilité et met en péril la perspective d’un numéro unique. Cet amendement permettrait d’éclairer le Parlement sur les moyens dédiés à ce projet.

Mon amendement II-CL71 consiste également en une demande de rapport, sur les allégements fiscaux et sociaux qui existent en faveur des entreprises qui emploient des sapeurs‑pompiers volontaires et sur leurs possibilités d’évolution.

M. Fabien Matras. Le groupe La République en marche n’est pas opposé au principe de l’amendement II-CL69. Cependant, nous voterons contre en Commission, afin de nous donner le temps d’analyser le dispositif plus en détail d’ici à la séance. Nous souhaiterions en particulier connaître son impact sur les budgets autres que celui du ministère de l’Intérieur ou des collectivités territoriales, par exemple le budget du ministère des Solidarités et de la santé. Bien que les associations agréées de sécurité civile soient en effet bénévoles, comme l’amendement II-CL69 l’affirme, faire reposer de nombreuses interventions pour carence sur elles n’est pas un modèle durable dans le temps.

Quant à la demande de rapport de l’amendement II-CL70, elle est prématurée puisqu’une mission est menée sur cette question par deux personnalités, l’une issue des sapeurs-pompiers, l’autre du ministère de la Santé, qui doivent rendre leurs conclusions d’ici à la fin de l’année. Le ministre s’est engagé, encore ce matin, à lancer des expérimentations locales dans l’ensemble du territoire. Le rapport ne pourra être intéressant qu’une fois que les expérimentations auront eu lieu. Nous voterons donc contre l’amendement II‑CL70, tout en estimant qu’un tel rapport sera pertinent à l’issue des expérimentations.

Quant au dernier rapport, qui concerne les employeurs, il n’est pas susceptible de nous donner des solutions. Plusieurs rapports ont déjà été remis. Nous devons maintenant agir. La vraie difficulté consiste aujourd’hui à trouver une solution qui ne pèse pas trop sur le budget de l’État. L’année dernière, nous avions déposé des amendements visant à exonérer certains employeurs de charges patronales, dont le coût s’élevait à plusieurs milliards d’euros. Cela n’était pas raisonnable – les pompiers eux-mêmes l’avaient entendu. Nous y travaillons actuellement avec le ministère de l’Intérieur dans le cadre d’un projet de loi, qui sera présenté prochainement.

Parmi les autres pistes de travail, on peut citer l’amélioration du mécénat ou la labellisation des employeurs privés, qui pourraient se voir récompensés, lorsqu’ils s’engagent avec les sapeurs-pompiers volontaires. Outre les baisses de charges, de nombreuses solutions sont donc possibles.

L’avis est donc défavorable pour les trois amendements, l’amendement II-CL69 concernant les associations agréées de sécurité civile pouvant être rediscuté en séance.

M. Arnaud Viala, rapporteur pour avis. J’entends ce que vous dites concernant l’amendement II-CL71 mais hier soir encore, dans l’hémicycle, le rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a indiqué manquer d’éléments permettant d’évaluer les dispositifs existants. Un rapport d’impact paraît donc nécessaire.

S’agissant de l’amendement II-CL70, on peut se demander, dans le traitement des appels d’urgence, s’il faut privilégier une interopérabilité entre les services à un niveau départemental, interdépartemental ou régional. Cette question mérite d’être approfondie car le ministre ne m’a donné qu’un début de réponse.

En revanche, je retire l’amendement II-CL69, afin qu’il ne soit pas rejeté, et vous demande que nous puissions en reparler d’ici à la séance. Certes, les associations agréées de sécurité civile sont indemnisées dans le cadre de leur participation aux dispositifs prévisionnels et le seraient aussi dans le cadre du secours d’urgence aux personnes. Mais les fonds collectés leur permettent d’acquérir leur matériel et leurs ambulances. Leurs personnels sont des bénévoles et leurs interventions sont donc réalisées à un coût inférieur à celui des sapeurs‑pompiers. Cela est vérifiable à Paris et Marseille, où le dispositif proposé est déjà en place.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous prenons note de votre engagement réciproque à retravailler cette thématique.

L’amendement II-CL69 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements II-CL70 et IICL71.

 


—  1  —

   personnes entendues

   M. Jérôme Gerreau, conseiller sécurité civile au sein de la mission opérationnelle de sécurité et de défense auprès du ministre de l’Intérieur

   M. Alain Thirion, directeur général

   Mme Claire Chauffour-Rouillard, sous-directrice des Affaires internationales, des ressources et de la stratégie

   M. Antonin Flament, chef du bureau des Ressources humaines et des finances

   Mme Mireille Larrede, sous-directrice de la Doctrine et des ressources humaines

   Mme Sophie Wolfermann, sous-directrice des Moyens nationaux

   Mme Sylvie Escalon, sous-directrice adjointe de la régulation de l’offre de soins

   Mme Elsa Vergier, cheffe du bureau Premier recours

   M. Michel Monneret, directeur

   M. Jean-Yves Lambrouin, directeur adjoint

   M. Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne, président de la CNSIS, vice‑président de la commission SDIS de l’ADF

   M. Jacques Merino, conseiller sécurités de l’ADF

   Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère relations avec le Parlement de l’ADF

   M. Grégory Allione, président

   M. Guillaume Bellanger, directeur de cabinet

   M. André Goretti, président de la FA SPP-PATS

   M. Sébastien Perrier, membre du bureau exécutif de la FA SPP-PATS

   M. Frédéric Monchy, président du SNSPP-PATS

   Mme Isabelle Leroy, conseillère technique du SNSPP-PATS

   M. Noël Auray, collectif CGT des agents du SDIS

   M. Sébastien Delavoux, animateur du collectif fédéral CGT des agents des SDIS

   M. Jérôme François, secrétaire général de l’UNSA‑SDIS

   M. Jean-Philippe Gallian, conseiller social de l’UNSA‑SDIS

   M. Thierry Foltier, représentant de la CFDT-INTERCO CFDT

   M. Christophe Sansou, secrétaire général de l’union nationale FO‑SIS

   M. Nicolas Corneloup, secrétaire général adjoint de l’union nationale FO‑SIS

   M. Frédéric Delfau, membre du bureau national FO‑SIS

   M. Laurent Ferlay, président

   M. Stéphane Morin, directeur du SDIS 22

   M. Bertrand Kaiser, directeur adjoint du SDMIS 69

   Colonel Joseph Dupré la Tour, chef d’état-major

   Chef de bataillon Eric Faraon, chef du centre opérationnel

   M. Alain Rissetto, directeur de l’urgence et des opérations de secours

   M. Philippe Testa, responsable santé et réduction des risques de catastrophe

   M. Hervé Bidault de l’Isle, secrétaire général

   M. Guillaume Coelho

   Docteur Pierre Rodriguez, responsable du service

   Colonel Florian Souyris, directeur

   M. Jérôme Buil, directeur

   M. Pierre Delmas, directeur‑adjoint

   Lieutenant‑colonel Yann Fagard, commandant

 


([1]) Rapport sur les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile, mars 2019.

([2]) Rapport sur les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile, mars 2019.

 

([4]) « Évaluation de la mise en œuvre du référentiel du secours d’urgence à personne et de l’aide médical urgente et propositions d’évolution », IGA et IGAS, octobre 2018.

([5]) La DGOS a, de son côté, indiqué qu’il existe actuellement dix-sept plateformes communes.

([6]) Il est à noter que la DGSCGC ajoute à cette liste l’extension du champ des gestes techniques de secourisme que les sapeurs‑‑pompiers sont autorisés à effectuer, alors que la DGOS souligne que « ce sujet étant très sensible dans le domaine de la santé, il n’est pas apparu opportun d’inscrire cette mesure dans les priorités à traiter pour 2019 » (réponse de la ministre des Solidarités et de la santé au rapport de la Cour des comptes de mars 2019 sur les personnels des services d’incendie et secours (SDIS) et de la sécurité civile).

([7]) Évaluation de la mise en œuvre du référentiel du secours d’urgence à personne et de l’aide médicale urgente et propositions d’évolutions, IGA-IGAS, octobre 2018.

([8]) « Évaluation de la mise en œuvre du référentiel du secours d’urgence à personne et de l’aide médical urgente et propositions d’évolution », IGA et IGAS, octobre 2018.

([9]) Rapport sur les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile, mars 2019.