—  1  —

N° 3400

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2020.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2021 (n° 3360)

TOME XI

ÉCONOMIE

INDUSTRIE

PAR Mme BÉnÉdicte Taurine

Députée

——

 

 Voir les numéros : 3360 et 3399 (Tome III, Annexe 22).

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

I. L’analyse des crÉdits

A. la stabilisation des actions de contrÔle

B. le recul des participations budgÉtaires aux actions de dÉveloppement Économique

C. L’alourdissement continu de la compensation carbone

D. des dÉpenses fiscales toujours massives

II. LE SOUTIEN aux sous-traitants de la filiÈre aÉronautique

A. Une solidaritÉ nationale vitale

1. Un des plus beaux fleurons de l’industrie française

a. Un secteur de poids

i. Une industrie stratégique

ii. Un tissu d’entreprises essentiel pour les territoires

b. Une filière en forte croissance avant la crise

2. Violemment frappé par une crise sans précédent

a. Des effets en chaîne

b. Une sortie de crise plus éloignée que prévu

B. Un plan d’aide de 15 milliards d’euros

1. Des mesures d’urgence bienvenues mais insuffisantes

a. Des mesures générales largement utilisées

b. Un dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) intéressant mais trop borné

2. Un plan de soutien indispensable

a. Le soutien à la demande

b. Le soutien à l’offre

c. Un accès encore difficile pour les PME

C. Mais un soutien qui doit servir les enjeux nationaux

1. L’environnement : l’avion « vert », une nécessité de soutenir des technologies innovantes mais des résultats, tant sur le plan technologique que sur le plan environnemental, encore incertains dans un futur proche

a. Un secteur qui avait réalisé quelques progrès…

b. … Désormais sommé par le Gouvernement d’accélérer sa transition

c. La nécessité d’avancer de concert sur le développement de l’hydrogène vert et la modernisation des flottes aériennes

2. La souveraineté nationale : l’urgence de protéger ses cartes maîtresses

a. Protéger les savoir-faire

b. Sécuriser les approvisionnements stratégiques

3. Les emplois industriels : un plan « Aéro » non contraignant pour les donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants

a. La crise ne doit pas être le prétexte pour accentuer les délocalisations

b. La charte d’engagements sur les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants est trop peu engageante

c. La nécessité de lier les commandes publiques à des fournitures nationales…

d. … Et l’occasion d’investir la formation des personnels

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

 


—  1  —

 

   Introduction

En six mois de crise due au Coronavirus, l’aéronautique, autrefois championne des créations d’emplois, est retombée dans le rouge. Depuis la crise de 2009, les constructeurs de l’aéronautique comme Airbus, Safran, Thalès ou Dassault avaient multiplié les embauches avec un solde net, avant la mi-mars 2020, de 11 783 créations d’emplois. À la fin septembre, selon les données recueillies par l’observatoire Trendeo de l’emploi et de l’investissement publiées lundi 5 octobre, le secteur a enregistré une perte nette de 11 950 emplois. Si on ajoute les soustraitants, on parvient même au chiffre de 13 354 postes supprimés. La crise a donc anéanti les créations d’emplois de ces dix dernières années dans le secteur. L’aéronautique a représenté à elle seule 62 % des suppressions de postes dans toute l’industrie française depuis janvier ([1]).

Le plan « Aéro » s’élèverait à 15 milliards d’euros (Md€), dont 7 Md€ pour Air France afin de permettre à la compagnie de boucler sa commande prévue de 60 appareils A220 auprès d’Airbus, dont le prix s’élève à 4,2 Md€.

Pourtant, la crise continue de toucher les gros donneurs d’ordre comme Airbus et Safran et la myriade de petites sociétés qui composent la chaîne des sous‑traitants sans qu’il soit possible de connaître à l’avance l’ampleur finale exacte.

Les sous-traitants emboîtent le pas aux donneurs d’ordre dans le lancement de plans de suppressions d’emplois. Valeo, qui a profité du chômage partiel et dont l’État est actionnaire via Bpifrance (5,13 %), a pourtant versé un dividende et ce, malgré les directives du ministre de l’économie et des finances. Le groupe prévoit aujourd’hui de supprimer 2 000 emplois et souhaite conclure un accord de performance collective (APC) pour faire baisser de 10 % les coûts salariaux en France.

Airbus, avec l’annonce de 5 000 suppressions d’emplois en France, occupe la plus haute marche de ce triste palmarès des réductions d’effectifs depuis mars. M. Michel Molesin, coordinateur du syndicat CGT pour le groupe Airbus, questionne néanmoins la direction du groupe qui, aussitôt après l’annonce du plan « Aéro », a décidé de mettre en place des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et des accords de performance collective (APC) sans attendre les effets du plan « Aéro ». Avec « la livraison d’au moins 500 des 900 avions prévus en 2020, Airbus retrouvera une trésorerie positive » a pourtant indiqué le cabinet d’expertise Stratorg. Mieux, souligne le syndicat, alors que le 737 MAX de Boeing est toujours interdit de vol, Airbus est en position de monopole de fait sur le segment du moyen‑courrier.

Toujours selon M. Michel Molesin, il s’agirait d’abaisser encore davantage les salaires et de précariser les conditions de travail pour augmenter la rentabilité du capital et les dividendes des actionnaires.

Force est de constater que ce déversement d’aides publiques inconditionnelles et l’orientation actuelle des mesures ne préservent pas l’emploi à la hauteur du sinistre social constaté.

Les syndicats ont remarqué que, bien que plus durement touchés, les sous‑traitants de la filière ont plus de mal à obtenir des soutiens de l’État, ou de leurs donneurs d’ordre. Si le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) conclut qu’il travaille à l’amélioration de la compétitivité des sous-traitants en favorisant leur regroupement, celui-ci fragiliserait le secteur selon l’avis de ces mêmes sous-traitants. Avant la crise, les entreprises de la filière demandaient surtout une meilleure planification des carnets de commandes. En cela, leur demande rejoint la proposition de loi n° 2916 déposée en mai 2020 par votre Rapporteure aux côtés de MM. les députés Régis Juanico et Pierre Dharréville sur la « Responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des soustraitants, des emplois et des territoires ». Cette proposition de loi a été rédigée de concert avec les ex-salariés de l’usine GM&S et vise à exiger des engagements de la part des donneurs d’ordre envers leurs sous-traitants. Cette proposition demeure sans inscription à l’ordre du jour de la commission des affaires économiques jusqu’à présent, malgré l’importance actuelle. Elle prévoit notamment l’intégration des entreprises de sous-traitance ainsi que de représentants du personnel dans les comités de groupe des donneurs d’ordre ou, à défaut, dans un comité inter-entreprises aux fins d’une meilleure assimilation des objectifs des donneurs d’ordre, d’une meilleure compréhension de leurs stratégies pour permettre des ajustements de production et une réorientation du tissu industriel afin de préserver les bassins d’emploi et de vie.

Par ailleurs, les conditionnalités aux aides accordées brillent par leur absence dans chacune des mesures gouvernementales annoncées tandis que trois enjeux sont pourtant présentés comme prioritaires : la transition écologique, la préservation de nos savoir-faire et capacités à faire ainsi que la sauvegarde des emplois nationaux.

Le plan gouvernemental évoque bien « des engagements de la filière », contreparties de son aide, à savoir réussir les transformations nécessaires à la transition écologique et préserver les savoir-faire et les compétences présents en France ; mais il s’agit plutôt des objectifs du plan que de vraies promesses de la filière. Il y a pourtant urgence à préserver les capacités et les compétences, souvent uniques, de cette filière, en limitant les licenciements et les fermetures définitives.

Votre Rapporteure relève enfin qu’aucune mesure ne s’attelle à la reconversion des salariés en perte d’emploi vers des filières telles que le ferroviaire. De la même façon, aucun plan n’est prévu pour recenser les outils de production possiblement reconvertibles des sites amenés à fermer définitivement, notamment via des relevés de compétences.

Ces trois objectifs doivent être plus que des orientations mais des exigences de l’État, des conditions de son soutien.

Votre Rapporteure souligne particulièrement les responsabilités des donneurs d’ordre, premiers bénéficiaires des financements publics, dans la mise en œuvre de ces engagements et insiste sur leurs responsabilités à l’égard de leurs sous-traitants, bien au-delà des fournisseurs de rang 1.

Il est temps que les stratégies industrielles des donneurs d’ordre ne soient plus seulement dictées par des raisonnements court-termistes de rentabilité mondialisée, comme cela était de plus en plus le cas depuis une dizaine d’années.

Le ministre de l’économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire a bien indiqué l’objectif de retrouver le niveau de trafic aérien de décembre 2019 et de renouer avec la croissance de ce trafic, sans considération de la crise climatique. L’ONG Greenpeace déplore des contreparties environnementales « floues, peu ambitieuses, voire carrément problématiques » des plans ([2]).

Alors que l’extractivisme et l’importation de matières premières ne sont pas sans conséquence sur l’environnement, le plan « Aéro » ne contient aucun point pour soutenir voire astreindre la production de matériaux sur le territoire national ou soutenir le recyclage des aéronefs alors que la France héberge un leader européen du stockage, de la maintenance et du recyclage des avions en fin de vie : Tarmac Aerosave ; et que la société française Éramet annonce pouvoir recycler les copeaux de titane envoyés actuellement aux États-Unis pour y être traités. En outre, une grande partie de l’aluminium utilisée par Airbus est importée des États-Unis tandis que la plus grande fonderie d’aluminium d’Europe est basée à Dunkerque.

S’agissant de l’avion « vert », les biocarburants sont encore trop peu produits et leur mode de production est encore trop sujet à caution quant à leur impact sur l’environnement. La stratégie nationale bas-carbone ne prévoit d’incorporer que 2 % de biocarburants dans le kérosène en 2025.

L’avion à hydrogène demeure l’objectif phare du plan « Aéro » sans aucune forme, là encore, d’engagements. Il y a plusieurs modes de production d’hydrogène. Il peut être produit à partir de gaz générant plus de CO2 que le kérosène. Si l’hydrogène provient de l’électrolyse, il faudrait que l’ensemble des aéroports permettent le ravitaillement et le stockage de ce liquide dans de grandes proportions. Prévoir l’équipement de l’ensemble des aéroports nécessite en soi une planification conséquente. Il y a tout lieu de penser que nombre de pays et d’aéroports ne pourraient pas se permettre de développer de telles infrastructures, ce qui retarderait d’autant et compliquerait l’introduction massive d’avions à hydrogène en Europe et dans le monde. Par ailleurs, le collectif de chercheurs ATECOPOL avance que cet hydrogène « vert » nécessiterait 16 réacteurs nucléaires pour permettre l’électrolyse nécessaire au décollage et à l’atterrissage de l’ensemble des avions de l’aéroport Charles de Gaulle ([3]).

En raison de l’urgente nécessité de ne plus vivre à crédit sur les ressources de la Terre et de préserver celle-ci, ainsi que nos espaces de vie, l’ensemble de ces constats amènent à s’interroger sur la pertinence de maintenir à tout prix et à toute force les densité et flux actuels du trafic aérien. Ainsi, il apparaît nécessaire d’organiser la planification de la décroissance indispensable des flux actuels en fonction des besoins et en concertation avec les salariés qui ne doivent pas supporter le prix de la nécessaire bifurcation écologique.

Au terme de son analyse, votre Rapporteure émet donc un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie », pour ce qui concerne l’industrie.

 


I.   L’analyse des crÉdits

CRÉDITS BUDGÉTAIRES du programme 134 consacrÉs À l’industrie

(En millions d’euros)

 

AE (1) votées en LFI (2) pour 2020

AE prévus en PLF 2021

CP (3) votés en LFI pour 2020

CP prévus en PLF 2021

Évolution des crédits de paiement entre 2020 et 2021

Dépenses de fonctionnement (autres que dépenses de personnel)

5,5

5,4

6,4

6,9

- 6,5 %

 Dont, surveillance du marché

0,7

0,7

0,7

0,7

0

Dépenses d’intervention

310,9

431,6

319,7

436,1

+ 36,4 %

 Dont, contributions aux organismes internationaux

2,7

2,9

2,7

2,9

0

 Dont, comité français d’accréditation

0,2

0,2

0,2

0,2

0

 Dont, association française de normalisation

6,4

6,4

6,4

6,4

0

 Dont, centres techniques industriels et organismes assimilés

7,9

6,8

7,9

6,8

- 13,6 %

 Dont, actions de politique industrielle mises en œuvre et financées en région par les services déconcentrés des DIRECCTE (4)

13,9

12,4

16

13,6

- 15,3 %

 Dont, politiques industrielles mises en œuvre en administration centrale – action de soutien à la compétitivité hors prix des PME

0,4

0

4,2

3.3

- 21,6 %

 Dont, compensation carbone des sites très électro-intensifs

279,5

402,9

279,5

402,9

+ 44,2 %

Source : Réponses aux questionnaires budgétaires de votre rapporteur.

(1) Autorisations d’engagement

(2) Loi de finances initiale

(3) Crédits de paiement

(4) Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi

Le présent avis n’examine que les crédits de l’action n° 23 « Industrie et services » du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie », qui visent, selon le projet annuel de performances, à améliorer la compétitivité de l’industrie française.

Mais l’on notera que le programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises » au sein de la mission « Investissements d’avenir » contient également des crédits budgétaires consacrés à l’industrie, ainsi que plusieurs actions du plan de relance, comme on le verra dans la partie thématique de cet avis.

Comme en 2020, les dotations de l’action n° 23 progresseront fortement, de 16,4 % et de 36,4 % pour les seules dépenses d’intervention, mais toujours en raison de la dynamique de la compensation carbone des sites électro-intensifs. Les autres dotations seront stabilisées, au mieux, et parfois sensiblement réduites.

A.   la stabilisation des actions de contrÔle

Outre les contributions aux organismes internationaux, les dotations budgétaires destinées aux trois grandes activités de suivi et d’encadrement des activités industrielles seront reconduites au même niveau que 2020 :

– Les actions publiques de surveillance du marché permettent ainsi de lutter contre la non-conformité à la réglementation des produits commercialisés sur le marché français ou dans le marché intérieur européen via la France. Les crédits prévus par le programme 134 financeront une partie des essais réalisés sur des produits industriels prélevés par les autorités de contrôle.

Il est regrettable qu’ils ne soient toujours pas à la hauteur des besoins, face aux trop nombreux produits non conformes que l’on retrouve sur le marché français ;

– L’élaboration de normes (volontaires) est un des outils au service de la croissance des entreprises dans la mesure où l’homogénéisation des spécifications des produits et des services favorise leur accès aux marchés mondiaux. L’Association française de normalisation (AFNOR) est chargée de la mission d’intérêt général consistant à orienter, animer et coordonner l’élaboration des normes françaises, européennes et internationales. Alors que ses missions se sont élargies et qu’il y a un véritable enjeu à participer à la définition de normes de niveau européen, la stabilisation de sa dotation à 6,43 millions d’euros (M€) maintient en réalité un manque à gagner de 3,55 M€ par rapport au montant alloué en 2018 ;

– L’accréditation vise enfin à garantir la compétence technique et l’impartialité des organismes d’évaluation de la conformité des produits. Si cette activité s’autofinance, l’État verse néanmoins une subvention au seul organisme d’accréditation français, le comité français d’accréditation (COFRAC), pour sa participation aux instances européennes et internationales.

B.   le recul des participations budgÉtaires aux actions de dÉveloppement Économique

Il s’agit d’un processus de désengagement initié depuis quelques années.

S’agissant des centres techniques industriels (CTI) et des comités professionnels de développement économique (CPDE), qui exercent diverses missions de développement économique et technique au service des entreprises d’une filière, le Gouvernement met en avant le fait que des taxes sont affectées à certains des organismes concernés. Deux organismes continuent cependant à percevoir des subventions de l’État : l’Institut français de la mode qui n’a pas vocation à percevoir des taxes ; et l’Institut français du textile habillement (IFTH), qui bénéficie d’une année supplémentaire de prise en charge. Or, ces dotations vont diminuer de 13,6 % en 2021 par rapport à 2020, sans justification particulière ni contestation de leur rôle essentiel pour le tissu industriel.

Les autres postes de dépenses ont été mis en extinction, considérant que le soutien aux activités économiques a été transféré aux régions depuis la loi NOTRe ([4]).

Ainsi, les crédits de paiement ouverts en loi de finances pour 2021 couvriront uniquement les restes à payer sur les engagements pris avant le 31 décembre 2018 sur les « actions de politiques industrielles », en recul de 21,6 %. Ces aides soutenaient, principalement sous forme d’appels à projets, des opérations initiées par les filières professionnelles, plus particulièrement en faveur des petites et moyennes entreprises (PME), pour faire face à des enjeux de compétitivité.

Il est vrai qu’en réponse à la grave crise que notre pays traverse, le Plan de relance réintroduit diverses mesures de soutien massif par l’État de la compétitivité des entreprises françaises (dont la partie thématique de l’avis étudiera certains dispositifs). Néanmoins, votre Rapporteure craint qu’une fois la reprise amorcée, ce processus de désengagement, regrettable, ne reprenne.

De la même façon, les crédits qui permettent à l’État de cofinancer avec les régions le fonctionnement des pôles de compétitivité amorcent un net reflux, de plus de 15 %. Les 11,50 M€ prévus en AE et 12,7 M€ en CP sont cohérents avec la trajectoire financière définie par l’État depuis sa décision de régionaliser la politique des pôles de compétitivité fin 2019. Des conventions de transfert des crédits d’animation seront signées en 2021 entre l’État et chacune des régions. Les financements des projets labellisés par les pôles relèvent quant à eux d’une enveloppe unique au sein du programme d’investissements d’avenir (PIA). Ce processus a néanmoins créé une certaine incertitude sur l’avenir des 56 pôles existants alors qu’ils jouent un rôle important dans l’innovation de l’industrie française.

C.   L’alourdissement continu de la compensation carbone

La « compensation carbone » inscrite au programme 134 est un dispositif en faveur des entreprises électro-intensives (sidérurgie, papier/carton, chimie et autres) qui seraient tentées de se délocaliser (hors Union européenne) en raison des coûts du système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre répercutés sur les prix de l’électricité.

La dotation correspond à la compensation en 2021 de 75 % des coûts indirects de 2020, calculés sur la base du prix du marché 2019 du quota carbone. Elle est évaluée à près de 403 M€ en AE et CP, en progression de 123 M€ par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 (+ 44,2 %).

Votre Rapporteure comprend la nécessité de ce dispositif mais déplore qu’il incite peu ces entreprises à s’engager activement dans leur transition énergétique, alors qu’il coûte cher à l’État (sans compter les 1 590 M€ de dépenses fiscales en leur faveur). Par ailleurs, rien n’est dit sur le régime qui s’appliquera à l’échéance convenue avec la Commission européenne en 2021. On imagine pourtant mal que tout s’arrête brutalement.

D.   des dÉpenses fiscales toujours massives

En dépit de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse pérenne de cotisations sociales, mise en œuvre depuis 2019, les dépenses fiscales sur impôts d’État de la mission « Économie » sont encore évaluées à 15,9 milliards d’euros en 2021.

8 Md€ sont en effet prévus au titre des créances de CICE restantes qui sont imputables jusqu’en 2021.

Les autres dépenses évoluent peu. Mais votre Rapporteure souligne que ces prévisions n’intègrent pas les 10 Md€ de nouvelles dépenses fiscales qui seront accordées avec les réductions de taxes sur la production proposées par l’article 3 du présent projet de loi de finances pour 2021.

 


II.   LE SOUTIEN aux sous-traitants de la filiÈre aÉronautique

Votre Rapporteure a souhaité consacrer la partie thématique de cet avis sur la politique mise en œuvre en faveur de l’industrie aux moyens mobilisés par le Gouvernement pour soutenir les entreprises de la filière aéronautique française, confrontées à une crise d’une grande brutalité, et tout particulièrement les sous‑traitants des grands donneurs d’ordre.

A.   Une solidaritÉ nationale vitale

1.   Un des plus beaux fleurons de l’industrie française

a.   Un secteur de poids

L’industrie aéronautique, spatiale et de défense est une filière majeure pour l’emploi et l’économie française.

i.   Une industrie stratégique

La France est le seul pays, avec les États-Unis, à disposer d’une filière complète capable de développer, produire et commercialiser des aéronefs civils et militaires, autour de quatre grands donneurs d’ordre (Airbus, Dassault, Thalès, Safran). Elle est aussi est la première en Europe dans cette filière avec 30 % des emplois du secteur.

L’excellence de son savoir-faire est mondialement reconnue. En 2019, cette industrie a généré 63 Md€ de chiffres d’affaires induisant un solde positif du commerce extérieur de 30 Md€.

Le groupe européen Airbus est même devenu leader mondial sur le marché des moyens courriers avec sa gamme A320. Son carnet de commandes comptait 7 500 avions au début de la crise.

La filière est hautement stratégique pour l’Europe et à double titre pour la France puisqu’elle est aussi la base de son indépendance militaire. Les donneurs d’ordre ont tous, en effet une activité duale et leur activité militaire et spatiale fait travailler la même supply chain (chaîne logistique) que l’activité civile. Ces deux activités ont beaucoup de points communs en termes de compétences, savoir-faire, technologies et même de processus.

ii.   Un tissu d’entreprises essentiel pour les territoires

Fin 2019, la filière aéronautique française représentait :

– plus de 1 300 entreprises industrielles, de toutes tailles. Cependant, Airbus compte plus largement 6 500 fournisseurs, dont 3 000 PME ;

– implantées dans toutes les régions, particulièrement en Île-de-France, en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie où ses 90 000 emplois constituent près de 40 % de l’emploi industriel de la région ;

– 202 000 salariés sur les seules activités aéronautiques et spatiales des entreprises adhérentes au Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS, qui regroupe près de 400 entreprises très spécialisées ([5])) ; ([6])

Sur le seul périmètre du GIFAS, ces emplois sont composés à 43 % d’ingénieurs et cadres, 32 % d’employés, techniciens et agents de maîtrise et 25 % d’opérateurs et techniciens d’atelier.

Mais le GIFAS évalue à plus de 300 000, peut-être 350 000, l’ensemble des emplois très qualifiés directement ou indirectement concernés par cette industrie, en comptant les fournisseurs et les agences d’intérim dont elle ne constitue pas le seul débouché, et parce qu’au–delà de l’activité industrielle, la filière draine également un grand nombre de laboratoires de recherche et de bureaux d’ingénierie, employant directement près de 35 000 personnes en recherche et développement (R&D) en France.

b.   Une filière en forte croissance avant la crise

Portée par la croissance exponentielle du trafic aérien ([7]) et, par suite, de la demande mondiale d’avions, l’industrie aéronautique civile française a connu deux décennies de croissance ininterrompue et était poussée, selon les mots d’Airbus, par « des perspectives de développement infinies ».

Pour suivre cette dynamique, confrontée par ailleurs à un besoin de renouveler ses compétences, la profession a fortement augmenté ses embauches ces dernières années : entre 2015 et 2019, elle a recruté 67 000 personnes en France, sur le seul périmètre du GIFAS, dont 19 000 sur 2019 (en progression de 25 % par rapport à 2018), contribuant à créer 4 000 emplois nets dans notre pays l’an dernier.

Les recrutements de 2019 ont été composés de près de la moitié d’ingénieurs et cadres, de 30 % d’opérateurs qualifiés et plus de 20 % de techniciens et employés. 21 % étaient des jeunes diplômés.

Selon le bilan du GIFAS encore, la profession a poursuivi son investissement dans l’alternance, avec environ 8 000 apprentis et contrats de professionnalisation présents dans les effectifs début 2020 (en hausse de 8 % par rapport à 2019). Elle aura ainsi doublé son effectif d’alternants en 10 ans.

La filière n’était pas exempte de fragilités : l’A380 vivait ses dernières années, n’ayant pas trouvé de vraies demandes malgré ses belles performances ; le marché des longs courriers restait compliqué pour l’avionneur européen ; et après l’arrêt de la production de son B737 MAX, la crise de Boeing a ébranlé certains fournisseurs français (mais conforté Airbus dans une position de quasi-monopole sur le segment des moyens courriers). Ce sont surtout les nombreuses petites entreprises du secteur qui paraissaient fragiles dans un marché très concurrentiel. Une étude de la Banque de France, commandée par le GIFAS, aurait montré qu’un tiers connaissait des difficultés. La filière s’inquiétait également des problèmes de succession posés par certaines PME. Toutefois, le GIFAS a dit à votre Rapporteure qu’il travaillait à améliorer leur compétitivité en favorisant les regroupements.

Et de fait, avant la crise, les entreprises de la filière demandaient une meilleure planification des carnets de commandes. Mais elles s’inquiétaient surtout de leurs capacités à trouver les compétences nécessaires pour répondre aux augmentations des cadences et de charges à venir. Un EDEC (engagement de développement de l’emploi et des compétences) aéronautique avait ainsi été signé en novembre 2018 sur les métiers en tension afin de déterminer comment répondre aux besoins des grands donneurs d’ordre.

2.   Violemment frappé par une crise sans précédent

a.   Des effets en chaîne

Au début de la pandémie, les liaisons aériennes, intérieures et internationales, ont chuté de 50 % au niveau européen et de plus de 90 % au niveau mondial. Plus tard, les règles sanitaires en Europe et aux États-Unis ont neutralisé une partie des sièges, ne permettant pas d’assurer la rentabilité des vols. Les difficultés rencontrées par les compagnies aériennes ont eu des répercussions immédiates et en chaîne sur toute la filière aéronautique civile, dont le trafic aérien représentait 78 % du chiffre d’affaires en 2018.

Avec des trésoreries fortement dégradées, les compagnies aériennes se sont retrouvées en effet dans l’incapacité d’honorer leurs carnets de commandes en cours et ont fortement réduit la signature de commandes futures.

Le principal constructeur concerné, Airbus, a immédiatement ralenti son activité. Mais ce sont ses sous-traitants de rang 1 (équipementiers, systémiers, fabricants d’aérostructures, motoristes), de rang 2 (fournisseurs de pièces et matières premières) et ceux plus loin encore dans sa chaîne d’approvisionnement, ainsi que les maintenanciers de la filière qui ont le plus lourdement encaissé le choc. De fait, plus l’entreprise se trouve en amont de la chaîne logistique, plus l’onde de choc est forte et plus la reprise sera décalée (certains sous-traitants évaluent ce décalage entre 6 et 15 mois).

Car les montées en cadence de la production avant la crise sanitaire ont laissé des stocks importants qui seront logiquement consommés en priorité avant toute nouvelle commande. Plusieurs usines ont ainsi dû arrêter presque toute leur production et même fermer temporairement. D’autres ont réduit leur activité de 50 à 60 %. Ces stocks pèsent en outre sur les comptes d’exploitation et donc les trésoreries des sous-traitants ; et leur déstockage préalable retardera d’autant la reprise de la production, allongeant l’arrêt de certaines chaînes et les difficultés des fournisseurs.

Au reste, les règles sanitaires vont aussi entraîner une baisse de productivité sur les chaînes de production, qui diminuera encore la rentabilité financière des entreprises.

Comme ses sous-traitants, dès le début de la crise, Airbus a mis fin à la mission de ses intérimaires et des consultants. Notamment 10 000 salariés du numérique, des ingénieurs pour la plupart ([8]). Les organisations syndicales redoutent un plan à deux vitesses qui laisserait de 1 000 à 1 500 salariés sous la menace de départs contraints. En plus des suppressions d’emplois chez Airbus et le sous‑traitant Valeo, ADB, une petite entreprise tarbaise de quarante salariés spécialisée, notamment, dans le décolletage, le tournage et l’usinage de pièces de moteurs d’avion, a taillé dans sa main-d’œuvre. Mais sans licencier. « Nous avons mis nos salariés en activité partielle depuis mars et nous avons arrêté les contrats à durée déterminée et les intérimaires » ([9]). L’équipementier aéronautique Daher prévoit de supprimer 679 postes, a confirmé la direction le 9 octobre ([10]). L’équipementier Mecachrome vient d’annoncer, à la toute fin septembre, un plan de sauvegarde de l’emploi de 306 suppressions de postes sur 950 salariés en France ([11]). Enfin, Assistance Aéronautique et Aérospatiale envisagent de supprimer 720 postes sur près de 1 600 sur les différents sites de France ([12]).

Or, prenant acte de la persistance de la crise, Airbus a confirmé en juillet 2020 une réduction d’environ 35 à 40 % des cadences de production de ses principaux programmes. La crise du SRAS ne les avait ralenties que de 5 %.

De son côté, Safran, misant sur les futurs besoins de maintenance des moteurs immobilisés pendant des mois, a plutôt parié sur un accord de transformation, grâce auquel sa chaîne logistique souffre un peu moins. Quant à la chaîne de Thalès, elle ne serait pas touchée.

b.   Une sortie de crise plus éloignée que prévu

Le secteur a réagi en deux temps. Jusqu’à l’été, il a cru à une reprise presque totale de l’activité économique en fin d’année ou début 2021. L’enjeu de cette première période fut d’éviter les plans sociaux massifs pour passer le cap.

Mais avec le rebond de la pandémie cet automne, et en l’absence de coordination des exigences des États, l’incertitude est désormais totale sur ce qui va se passer dans l’année à venir.

Si les trafics ont nettement repris en Asie, ils restent faibles en Europe et entre l’Europe et les États-Unis. Aussi les organisations internationales comme l’International air transport association (IATA) et les compagnies aériennes n’anticipent un « retour à la normale » – soit plus précisément au niveau de l’activité soutenue de 2019 – des « monocouloirs » qu’en 2022, ce qui, selon le GIFAS, peut se traduire par une relance des achats de moyens courriers, mais ne permettra un retour à la normale de l’ensemble de la filière aéronautique qu’en 2023-2024 (voire dans 7 ans pour les gros porteurs).

Les syndicats ont indiqué à votre Rapporteure que les entreprises n’osent même pas faire le pari d’une reprise à moyen terme ; les fermetures de sites et plans de licenciements se multiplieraient, menaçant un grand nombre d’emplois à forte valeur ajoutée et l’équilibre économique de territoires entiers.

Au-delà du drame social d’un alourdissement du chômage, ces pertes laisseront des traces durables dans une filière se caractérisant par des cycles longs de production (30 ans entre les études préliminaires et le retour sur investissement) et des besoins en fonds de roulement (BFR) élevés car ils supposent des investissements massifs et risqués et par conséquent difficiles à mobiliser pour recréer rapidement de nouvelles usines.

D’où l’urgente nécessité, pour préparer la reprise, de préserver les capacités et les compétences, souvent uniques, de cette filière en limitant les licenciements et les fermetures définitives.

B.   Un plan d’aide de 15 milliards d’euros

1.   Des mesures d’urgence bienvenues mais insuffisantes

a.   Des mesures générales largement utilisées

Pour faire face à ce choc, la filière a joué de tous les leviers à sa disposition, notamment grâce aux mesures exceptionnelles de soutien mises en place par le Gouvernement dès les premiers mois pour toutes les entreprises du pays.

● La première urgence était d’éviter les licenciements. Divers dispositifs ont été réaménagés et sont depuis largement mobilisés :

– le dispositif d’activité réduite pour maintien de l’emploi (dit ARME) qui permet de réduire le temps de travail et la rémunération des salariés, en contrepartie de quoi l’entreprise prend des engagements en termes d’emploi ;

– le chômage partiel, notamment grâce au dispositif européen, qui permet à l’employeur de faire prendre en charge tout ou partie de la rémunération de ses salariés. Dans le dispositif exceptionnel d’activité partielle, les demandes de prise en charge peuvent être faites pour 12 mois. La direction générale des entreprises (DGE) a indiqué que 651 sites industriels du secteur de fabrication de matériel de transport hors automobiles ont demandé l’autorisation de mettre en place l’activité partielle pour quelques 110 000 salariés ;

– enfin, la loi du 17 juin 2020 ([13]), dite loi « d’urgence 2 », a créé un nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) permettant à une entreprise confrontée à une réduction durable de son activité mais dont la pérennité n’est pas menacée de diminuer durablement l’horaire de travail de ses salariés, sur la base d’un accord collectif et avec des engagements en termes de maintien dans l’emploi et de formation. En contrepartie, l’indemnisation des heures chômées par l’employeur est en partie compensée par l’État et l’Unedic.

Les syndicats disent veiller au bon usage de ces dispositifs.

Si l’absence de statistiques différenciées ne permet pas de mesurer précisément l’ampleur de leur usage par le secteur, tous les acteurs auditionnés par votre Rapporteure en ont témoigné.

● Par ailleurs, pour réduire leurs problèmes de solvabilité, 1,5 milliard d’euros de prêts garantis par l’État (PGE) avaient été accordés aux entreprises de la filière de construction aéronautique et spatiale à la mi-mai. La DGE souligne que ces soutiens ont beaucoup aidé mais les demandes augmentent. Et la crise dure. Ainsi, bien qu’ayant obtenu 60 millions d’euros de PGE, Latécoère a déjà épuisé cette aide. L’entreprise a fini par annoncer un plan social et envisageait de délocaliser son nouveau site 4.0 de Toulouse vers la République tchèque.

● On relèvera enfin la réforme des impôts dits de production proposée par l’article 3 du projet de loi de finances pour 2021 : elle vise à baisser la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à hauteur de la part affectée aux régions, c’est-à-dire de moitié, et à ajuster de 3 à 2 % le taux du plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée.

Votre Rapporteure n’approuve pas cette réforme. Pour l’ensemble du monde de l’entreprise, un quart de cette baisse profitera à 280 sociétés, tandis que 250 000 d’entre elles, les plus petites, n’y gagneront que 125 euros. Là encore, aucune garantie d’efficacité économique, aucunes conditions écologiques et sociales ne sont fixées. Cette baisse d’impôt n’est pas davantage accompagnée d’une hausse de la fiscalité du capital, de l’éco-conditionnalité des aides versées aux entreprises, d’une interdiction de versement des dividendes, ni encore d’un engagement à la relocalisation des secteurs stratégiques. La perte de ces recettes est censée être compensée pour les régions ; mais elle représentera pour l’État un nouveau manque à gagner de 10 milliards d’euros (selon les chiffres annoncés par le projet de loi de finances).

Il reste à démontrer qu’en l’absence de conditionnalités pour la préservation de l’emploi sur le territoire national, ces allègements apporteront une aide financière supplémentaire efficace pour traverser la crise et contribueront à améliorer durablement la compétitivité des industries manufacturières françaises et l’emploi.

b.   Un dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) intéressant mais trop borné

Les syndicats saluent le nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) qui permet de conserver les emplois alors qu’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ([14]) fait perdre durablement les compétences. Cependant ils relèvent que l’APLD n’ouvre aucune nouvelle cotisation et entraînera donc une déstabilisation des comptes sociaux.

Les entreprises auditionnées considèrent aussi qu’il apporte une réponse adaptée à une crise qui se prolonge.

Elles relevaient cependant que quelques points réglementaires restaient à éclaircir et soulignent que le dispositif s’adresse plus difficilement aux fonctions support et aux bureaux d’études, qui sont alors les premiers sacrifiés.

Quoi qu’il en soit, fin septembre, les syndicats constataient que le nouveau dispositif tardait à être mis en œuvre. Bien que créé en juin, aucun accord n’aurait encore été signé.

Plus fondamentalement, ils voyaient les entreprises de la filière s’orienter plutôt vers des PSE et/ou des accords de performance collective (APC) – les accords de préservation de compétitivité créés en 2017 ([15]). Et même là où un dispositif d’APLD est envisagé, il s’accompagne d’un APC. La difficulté serait qu’il n’est ouvert que pour deux ans, au maximum, et qu’il interdit la mise en œuvre ultérieure d’un PSE même si la situation se dégrade. Les entreprises, doutant que la crise soit résolue d’ici-là, préféreraient commencer par engager un PSE et conserver l’alternative APLD pour ceux qui restent.

Tous les acteurs auditionnés demandent donc que cette limite des deux ans soit levée, ou qu’un dispositif spécifique soit prévu pour la filière.

2.   Un plan de soutien indispensable

Au regard des enjeux, de l’ampleur et de la durée particulières de la crise dans la filière, le Gouvernement a donc annoncé le 9 juin dernier un plan dit « Aéro » « de soutien à l’aéronautique, pour une industrie verte et compétitive ».

Le GIFAS, qui a été étroitement associé à son élaboration, précise qu’il est construit autour de deux grands axes : l’un vise à amortir la crise, l’autre à réorganiser et consolider le tissu industriel dans la perspective de la reprise.

En tout état de cause, il agit à la fois sur la demande (les commandes d’aéronefs) et sur l’offre (la production).

Le plan annonce 15 milliards d’euros pour la filière industrielle cependant il comprend 7 milliards d’euros pour Air France qui ne sont finalement que des prêts garantis avec contreparties (à rembourser in fine en principe). Air France devra, en renouvelant sa flotte auprès d’Airbus, réduire de 50 % les émissions de CO2 des vols métropolitains au départ d’Orly et de région à région d’ici la fin 2024. Il est à déplorer que cette exigence ne soit imposée que pour les vols métropolitains.

Le plan comporte 832 millions d’euros de commandes publiques militaires et parapubliques simplement accélérées et 3,5 milliards d’euros de garantie export à rembourser plus tard par les compagnies aériennes. Ce premier volet rassemble donc des avances de trésorerie.

Les fonds réellement débloqués pour le secteur s’élèveraient à 630 millions d’euros pour le fonds d’investissement, 300 millions sur trois ans dans un fonds pour rattraper le retard des PME du secteur en matière de numérisation et de robotisation, 1,5 milliard d’euros sur trois ans pour l’innovation ainsi que des mesures transverses pour sauvegarder l’emploi (chômage partiel entre autres).

M. Michel Molesin, coordinateur du syndicat CGT pour le groupe Airbus, constate : « Pendant vingt ans, Airbus a versé des dividendes à tout-va, et à la première difficulté, ils appellent l’État à la rescousse sans que celui-ci n’impose des contreparties et des contrôles en échange de ces aides publiques ».

a.   Le soutien à la demande

Le plan « Aéro » décline ainsi une série de mesures destinées à soutenir l’activité de la filière :

– le renforcement de l’assurance-crédit export de Bpifrance vise à éviter les annulations de commande et soutenir les exportations ([16]) ;

– un moratoire – jusqu’en mars 2021 – sur les remboursements en principal des crédits à l’exportation déjà octroyés aux compagnies aériennes a été mis en place, contre leur engagement à respecter les contrats commerciaux, à adopter des stratégies de réduction et/ou de compensation de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et à ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires jusqu’au complet remboursement des crédits reportés. En pratique, l’État fait l’avance de ces règlements et sera remboursé plus tard ;

– un assouplissement temporaire des modalités de remboursement des futurs achats d’aéronefs peut être également envisagé ;

– le soutien direct de l’État à Air France-KLM, dont l’une des principales raisons, selon le plan, est la poursuite et même l’accélération du renouvellement d’une partie importante de sa flotte, contribue aussi à soutenir la filière par ses commandes. En mai, la filiale Air France devait bénéficier d’un prêt bancaire garanti par l’État de 4 milliards d’euros et d’une avance en compte courant d’actionnaire de l’État de 3 milliards d’euros ;

– mais la filière compte particulièrement sur l’anticipation de commandes d’avions, hélicoptères et drones militaires, pour un total de 832 millions d’euros, accompagnée d’une accélération des règlements (cf. l’action n° 06 « Commandes militaires » du programme 363) Compétitivité du plan de relance ».

De fait, le projet de loi de finances pour 2021 annonce que le plan de relance financera l’acquisition de 10 hélicoptères par la Gendarmerie nationale et de 2 par la Sécurité civile pour un total de 232 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et près de 42 millions d’euros en crédits de paiement (CP) dès 2021.

Par ailleurs, le programme 146 « Équipements des forces » de la mission « Défense » prévoit des versements en CP de 231 millions d’euros en 2020, 55 millions en 2021 et 314 millions en 2022 pour les commandes d’aéronefs de l’Armée.

Ces commandes publiques vont permettre de décaler la production civile dans le temps. Elles apparaissent vitales à la filière aéronautique française pour tenir dans la durée sans s’enfoncer davantage.

Quant au contexte dans lequel cette demande s’exprime, les acteurs auditionnés évoquent les campagnes de « dénigrement » à l’égard de l’avion. Cependant la direction d’Airbus affirme que la réflexion actuelle sur une diminution du trafic intérieur ne saurait influer grandement sur sa production à destination du marché français, dont la proportion s’avère assez faible sur l’ensemble de ses commandes.

b.   Le soutien à l’offre

● Du côté des entreprises sous-traitantes de la filière, un des problèmes les plus bloquants sont les importants stocks de matières et de pièces inutilisées accumulés avec le ralentissement des activités. Ils pèsent lourdement sur leurs trésoreries, menaçant les chaînes de production – ainsi que les projets de recherche et technologie qui sont pourtant essentiels au maintien de l’avance technologique de la filière.

Déjà avant la pandémie, la crise de Boeing avait incité les petites entreprises à demander qu’on anticipe le transfert des immobilisations. Or, les auditions ont montré que les donneurs d’ordre ont eu tendance, dans les premiers temps de la crise au moins, à refuser la livraison de certaines commandes pour étaler leurs charges.

Pour ces diverses raisons, une solution collective de prise en charge de ces stocks apparaît comme une des clés pour accélérer la reprise des soustraitants.

Le plan « Aéro » n’apporte pas de réponse à ce problème. Il indique toutefois qu’un groupe de travail a été mis en place entre les donneurs d’ordre, les sous-traitants et le milieu bancaire pour voir comment répartir la charge de ces stocks. Enfin, en audition, sans donner de précision, la direction générale des entreprises a assuré que les refus de livraison des donneurs d’ordre étaient en voie d’être réglés.

● Dans une approche plus structurelle, le plan « Aéro » a mis en place trois nouveaux dispositifs de soutien financier.

Un fonds d’investissements aéronautique financera en fonds propres et quasi-fonds propres des PME et ETI de la filière pour les renforcer et les accompagner par fusion, acquisition, réorganisation ou refinancement et restructuration de bilan.

Il a eu un précédent : l’« Aerofund », créé en 2004 et géré par la Caisse des dépôts puis Bpifrance jusqu’en 2013, pour investir dans les PME fournisseurs de rang 1 ou 2 des grands donneurs d’ordre de la filière aéronautique, « que ces entreprises soient en phase de fort développement ou dans une logique de consolidation par croissance externe » ([17]).

Dénommé « Ace Aéro Partenaires », le nouveau fonds a été créé le 28 juillet avec une participation de l’État de 200 millions d’euros (dont 50 millions d’euros de Bpifrance), 200 millions d’euros des quatre grands donneurs d’ordre ([18]) ainsi que 230 millions d’euros de la société de gestion d’actifs et d’investissement Tikehau Capital. Ces sommes sont immédiatement mobilisables mais les contributeurs espèrent atteindre à terme 1 milliard d’euros d’encours (en dette et fonds propres) grâce à de nouvelles levées de fonds. Le fond a la double mission d’éviter la disparition d’entreprises stratégiques et de favoriser les regroupements. Cependant votre Rapporteure note que le fonds est géré par ACE Management, filiale de Tikehau Capital, dirigée par l’ancien directeur de la stratégie d’Airbus, M. Marwan Lahoud. Le fonds sera donc soumis à la seule vision d’un ancien dirigeant d’un donneur d’ordre. M. Michel Molesin suggère que le fonds soit géré par une instance publique telle la BPI.

Les ressources d’ACE Aéro restent limitées. « Sur les 630 millions d’euros, nous prévoyons d’en consacrer environ 46 %, soit 290 millions d’euros, pour permettre aux entreprises en difficulté de passer la crise, explique-t-on en interne. Mais le plus gros sera consacré aux opérations de consolidation, qui nécessitent des moyens plus importants sur une plus longue période » ([19]).

Airbus considère, lui, qu’il offre déjà « une belle puissance de frappe ».

Dans l’idée des co-financeurs, ce fonds vise à consolider les entreprises, à faciliter les rapprochements et à les protéger des investisseurs étrangers « rapaces » qui sont « déjà en chasse ».

– Selon la présentation du plan « Aéro », le fonds d’accompagnement public à la diversification, à la modernisation et à la transformation environnementale des procédés doit permettre aux entreprises de la filière de « gagner en compétitivité » par des prestations de conseil pour « identifier les pistes de diversification et/ou les adaptations de l’outil productif vers l’usine 4.0 (digitalisation, robotisation…) » et par des subventions directes pour accompagner les projets d’investissement (comme la mise en place de lignes de production innovantes et robotisées dans l’usinage et l’électronique) et les projets de R&D (pour accompagner, par exemple, les projets de diversification ou reconversion de leurs activités de certaines entreprises du secteur).

Le plan indique qu’en parallèle, le réseau des entreprises de la filière doit poursuivre sa transformation digitale et les grands donneurs d’ordre se coordonner pour une plus grande standardisation des solutions pour les entreprises.

L’État a prévu d’apporter 300 millions d’euros sur trois ans. Dans le cadre de ce programme dit « de modernisation Aéro », doté de 100 millions d’euros dès 2020, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été ouvert pendant un mois fin juin. Bpifrance a ensuite ouvert, jusqu’au 17 novembre, un appel à projets (AAP) « Soutien aux investissements de modernisation »

L’appel à projets « Soutien aux investissements de modernisation »

Sa fiche de présentation précise que « le présent appel à projets (AAP) est destiné aux entreprises de la filière qui souhaitent investir dans leurs outils de production en faveur d’une industrie compétitive et tournée vers les évolutions et les modèles économiques d’avenir, à développer des processus innovants grâce aux outils numériques et/ou en faveur de l’environnement, dans une logique compétitive.

« Cet AAP vise à recenser des projets dont la finalité est d’investir en vue d’accélérer :

« – une diversification ou investissement dans de nouvelles activités ;

« – une modernisation industrielle des sites de production ;

« Ces projets d’investissement visent à renforcer la compétitivité industrielle des entreprises qui les portent, à accroître leur performance et à réduire les cycles de développement et d’industrialisation. Ils portent sur la modernisation des procédés industriels, des équipements et des outils de production au sein des entreprises de la sous‑traitance aéronautique. Il pourra s’agir de projets d’investissement matériels individuels visant la fabrication industrielle et la mise sur le marché de produits à forte valeur ajoutée et à fort potentiel de croissance. (…)

« – une transformation numérique (industrie du futur) ;

« – une amélioration de la performance environnementale des sites de production, notamment leur contribution à l’économie circulaire ;

« – et une consolidation de la filière [ou mutualisation des moyens industriels]. »

– Le plan « Aéro » prévoit enfin d’intensifier le soutien aux efforts de R&D « pour faire de la France l’un des pays les plus avancés dans les technologies de l’avion « vert » [et pour] gagner fortement en efficacité (réduction des coûts et des délais...) ». Chacune des vingt grandes thématiques retenues par le plan devra porter en dix ans un démonstrateur d’échelle 1. Le plan précise que « tous les écosystèmes territoriaux, notamment les PME, y seront associés ».

Le plan annonçait un budget public de soutien aux travaux sur la décarbonation de la filière de 300 millions d’euros dès 2020, qui devrait monter à 600 millions d’euros en 2021 et en 2022 en s’appuyant sur une contribution de 200 millions d’euros du plan de relance européen et sur le programme d’investissements d’avenir (PIA) dans la propulsion hydrogène. L’ensemble représenterait un montant de financement public de 1,5 milliard d’euros sur 3 ans.

Concrètement, après des premiers renforts apportés en loi de finances rectificative pour 2020, le financement du plan de relance présenté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 prévoit 1 365 millions d’euros en AE pour soutenir la recherche dans le domaine de l’aéronautique civile (répartis entre son programme 362 Écologie et 270 millions d’euros du programme 190 « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables » de la mission « Recherche et enseignement supérieur »). Ces fonds passent par la programmation du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC). Là encore, les syndicats relèvent que ce groupement est dominé par les donneurs d’ordre.

S’y ajoute un soutien en fonds propres aux filières aéronautique et automobile de 300 millions d’euros (issus du programme 358 « Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire »).

Ce sont ces programmes qui doivent permettre un retour compétitif de la filière une fois la reprise amorcée.

Mais pour M. Guillaume Hue, directeur associé au sein du cabinet Archery Strategy Consulting, « les PME et ETI ont du mal à naviguer entre les aides et les niveaux Europe, État, régions ».

Si l’État français, l’Europe et les régions ont débloqué beaucoup d’argent pour la filière aéronautique, les versements ne seraient pas encore arrivés dans les entreprises au 9 octobre 2020 ([20]).

c.   Un accès encore difficile pour les PME

Les syndicats ont remarqué que, bien que plus durement touchés, les sous‑traitants de la filière ont plus de mal à obtenir des soutiens de l’État, ou de leurs donneurs d’ordre.

Il faut en outre distinguer les fournisseurs de rang 1 avec lesquels les donneurs d’ordre ont une interdépendance forte, qui les incite à les soutenir activement, des sous-traitants de sous-traitants moins bien suivis et plus fortement menacés.

De leur côté, les entreprises soulignent que les solutions sont longues à être mises en place et les procédures encore trop administratives.

La direction générale des entreprises (DGE) reconnaît que le formulaire de l’AAP du fonds de modernisation est lourd, avec de nombreuses pièces à fournir. Cela répond aux exigences européennes en matière d’aides d’État aux entreprises. Mais elle travaille à simplifier les éléments demandés sur les petits projets.

Il reste que ce fonds est toujours dans la phase initiale de soumission des projets. Quant aux 630 millions d’euros levés par le fonds d’investissements aéronautiques, ils « arriveraient au compte-goutte ». Le jour de son audition, la DGE confirmait qu’aucun apport en capital n’avait encore été réalisé. Ces dispositifs ne répondraient donc pas tout à fait à l’urgence des besoins des PME.

La plupart des acteurs ont enfin dit leur regret qu’un observatoire n’ait pu être créé pour suivre l’usage des fonds d’investissement, les donneurs d’ordre préférant garder la main.

Airbus et le plan Aéro

Airbus s’est dit très satisfait du plan gouvernemental, ainsi que de la convergence des efforts de l’État et des régions. Il a, pour sa part, choisi de se débrouiller seul les trois premiers mois de la crise, considérant que les aides gouvernementales devaient bénéficier en priorité aux plus petites entreprises de la filière. Il a ainsi levé 15 milliards d’euros de capitaux auprès d’investisseurs pour porter sa trésorerie à 30 milliards d’euros. Mais 12,5 milliards ont déjà été dépensés au premier semestre. Il s’est donc retrouvé confronté à la nécessité de réduire ses coûts.

Sur ses 90 000 employés (environ), il a annoncé la suppression de 15 000 postes dans le monde (à raison de 15 % en France, 22 % en Allemagne, 23 % au Royaume Uni...). S’agissant des 5 000 postes concernés en France (sur 33 386), l’entreprise s’efforce de limiter les licenciements, en jouant sur toutes les solutions à sa disposition ou en privilégiant les départs volontaires : soit, outre le non-remplacement de départs en retraite, des départs en pré‑retraite, des départs avec prime, des congés sabbatiques ; et, faisant le pari de la reprise, 1 500 employés des ateliers de production seront placés en APLD. Grâce à ses investissements dans la recherche, le CORAC permet par ailleurs de sauver environ 500 emplois d’ingénieurs. Le groupe réfléchit néanmoins encore à des accords de performance collective (APC) face à la durée prévue de la crise.

Airbus a surtout bénéficié des premières mesures prises par le Gouvernement pour les entreprises en général. Du plan de soutien à la filière, il attend avant tout les incitations au report des commandes, escomptant le fait que les compagnies aériennes ne voudront pas perdre leurs créneaux de livraison quand la reprise se fera.

Il bénéficiera aussi, au premier chef, des investissements gouvernementaux dans l’avion vert, affirmant que celui-ci était déjà au cœur de sa stratégie de développement. Il est convaincu que cette option deviendra un facteur de compétitivité majeur. Le choix d’une rupture technologique radicale est certes risqué, parce qu’il suppose que les aéroports soient équipés pour alimenter en hydrogène les futurs aéronefs ; mais il a été pris collectivement au sein du CORAC. Et le groupe se dit plutôt bien positionné.

C.   Mais un soutien qui doit servir les enjeux nationaux

La filière – et notamment Airbus et ses sous-traitants – s’est en effet développée grâce à 60 ans d’investissements soutenus de l’État français. Encore ces dernières années, dans un contexte exceptionnellement porteur, le budget national apportait toujours 135 millions d’euros par an à la recherche aéronautique civile, en parallèle du bénéfice du crédit d’impôt recherche.

Le plan gouvernemental évoque bien « des engagements de la filière », contreparties de son aide, à savoir réussir les transformations nécessaires à la transition écologique et préserver les savoir-faire et compétences présents en France ; mais il s’agit plutôt des objectifs du plan que de vraies promesses de la filière.

Votre Rapporteure observe que ces objectifs doivent être plus que des orientations mais des exigences de l’État, des conditions de son soutien.

Elle souligne particulièrement les responsabilités des donneurs d’ordre, premiers bénéficiaires des financements publics, dans la mise en œuvre de ces engagements et insiste sur leurs responsabilités à l’égard de leurs sous-traitants, bien au-delà des fournisseurs de rang 1.

Il est temps que leurs stratégies industrielles ne soient plus seulement dictées par des raisonnements court-termistes de rentabilité mondialisée, comme cela était de plus en plus le cas depuis une dizaine d’années.

Trois enjeux sont particulièrement prioritaires : la transition écologique, la préservation de nos savoir-faire et capacités à faire et les emplois nationaux.

1.   L’environnement : l’avion « vert », une nécessité de soutenir des technologies innovantes mais des résultats, tant sur le plan technologique que sur le plan environnemental, encore incertains dans un futur proche

Les investissements massifs de l’État dans la recherche en aéronautique civile répondront à ces trois enjeux : ils permettront de soutenir les emplois de chercheurs et d’ingénieurs tout en donnant des moyens enfin significatifs pour relever le défi de la décarbonation des transports.

Il est bien évident que l’ensemble des savoir-faire doivent être absolument maintenus sur le territoire national en soutien à l’innovation dans son ensemble car leur utilité ne se confine pas au seul secteur aéronautique.

Mais ce faisant, les résultats de ces travaux offriront à notre industrie aérospatiale un atout majeur à jouer dans la compétition commerciale des prochaines décennies. Si l’attente sociétale est forte en Europe, l’objectif d’un avion vertueux est moins prioritaire sur d’autres continents, notamment en Asie où les distances étant beaucoup plus grandes, ce moyen de transport est très apprécié. Mais en visant le zéro carbone, l’aéronautique européenne espère entraîner à terme le reste du monde.

a.   Un secteur qui avait réalisé quelques progrès…

Le trafic aérien croissant de 5 % par an, ses émissions de gaz à effet de serre (GES) ont également beaucoup augmenté à l’échelle mondiale.

Mais cette croissance cache de réels efforts du secteur, qui a été le premier des transports à s’engager dans la réduction de ses émissions polluantes. Selon le GIFAS, ses émissions de CO2 par passager et par kilomètre parcouru auront été divisée par deux en 30 ans. Le secteur ne contribuerait plus qu’à 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2 et à seulement 14 % de celles de la filière transport.

Par ailleurs, pour des raisons économiques il vrai, la consommation des avions aurait diminué de plus de 80 % en 30 ans – les progrès technologiques ayant divisé la consommation unitaire d’un appareil par 5 en 60 ans. Les nouveaux avions n’utiliseraient que 2 à 3,5 litres de kérosène aux 100 km par passager.

Leurs nuisances sonores ont été également sensiblement atténuées.

S’il reste des progrès à faire dans la conception, l’utilisation et le recyclage des avions, le secteur s’inscrivait ainsi dans une démarche plus vertueuse, sans s’arrêter à ces premiers résultats puisqu’avant la crise sanitaire, l’International air transport association (IATA) donnait l’objectif de diviser ses émissions de GES par deux d’ici 2050 par rapport à 2005.

Et, consciente de ces enjeux, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI ([21])) avait mis en place un système de compensation carbone en attendant des technologies plus performantes ([22]).

Outre l’allègement et la sobriété en carburant, la filière aéronautique doit intégrer une contrainte de recyclabilité des appareils.

b. … Désormais sommé par le Gouvernement d’accélérer sa transition

En temps normal, l’État identifie des pistes de recherche à privilégier mais n’oriente pas spécifiquement les programmes. C’est le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), réunissant les ministères compétents et les grands acteurs de l’industrie et de la recherche, qui arrête les choix stratégiques.

Avant la crise, les sujets biocarburants et hydrogène et plus généralement la décarbonation des avions étaient déjà inscrits dans ses programmes de recherche, bénéficiant d’un budget prévisionnel de 135 millions d’euros par an entre 2018 et 2022. Mais ces travaux s’inscrivaient sur un temps long.

En lançant son plan « Aéro », couplé au volet hydrogène du plan de relance, l’État a exigé une accélération du programme de l’avion vert avec des premiers résultats opérationnels en 2035 au lieu de l’horizon 2050 initialement envisagé. 150 à 200 millions d’euros supplémentaires ont été apportés dès cette année sur le 1,5 milliard d’euros du fonds créé pour le soutien de la R&D.

Le CORAC mise avant tout sur des solutions hydrogène, la propulsion électrique par batteries n’étant pas envisageable en raison de leur poids. Et si les biocarburants existent déjà, leur coût est supérieur au kérosène et leur impact sur l’exploitation des terres trop problématique.

Le motoriste Safran travaille encore sur un carburant de synthèse. Plus simple, l’approche sera, de fait, plus rapide, mais aussi moins écologique car elle ne neutralisera que le bilan carbone du carburant.

Sans abandonner l’étude d’autres pistes permettant d’améliorer encore les économies en carburant et en émissions polluantes (comme l’optimisation des trajectoires d’avion, etc.), le CORAC a décidé de porter activement de plus grandes ambitions. Il est ainsi programmé, d’abord, un avion régional à propulsion hybride permettant de diminuer les émissions de CO2 de 30 %, qui entrerait en service à la fin de la décennie, avant un « moyen-courrier décarboné » en 2035.

Présentées en septembre, les trois pistes privilégiées par Airbus, tournent toutes autour d’une technologie de l’hydrogène vert : un avion de configuration classique (avec un réservoir cylindrique logé à l’intérieur du fuselage) pouvant emporter jusqu’à 200 passagers avec un rayon d’action de plus de 3 500 km ; un avion à hélice et pile à combustible pouvant embarquer environ 100 personnes sur des trajets plus courts ; et un appareil plus disruptif d’aile volante d’environ 200 places qui permet d’étudier une configuration complètement différente pour le stockage de l’hydrogène et la propulsion.

L’Allemagne soutient également le programme hydrogène du groupe.

La production d’hydrogène se fait actuellement principalement par vapo‑réformage du méthane, une technique très émettrice en CO2 : ainsi, en 2018, la production mondiale de 70 millions de tonnes d’hydrogène ‒ utilisées principalement pour la production d’engrais et le raffinage du pétrole ‒ a engendré l’émission de 800 millions de tonnes de CO2 ([23]), un chiffre comparable aux émissions du transport aérien commercial (918 millions de tonnes en 2018). L’hydrogène produit par vapo-éformage étant plus émetteur que le kérosène à énergie égale, l’utiliser aujourd’hui dans des avions à hydrogène conduirait à une augmentation des émissions. La propreté des futurs avions à hydrogène dépend uniquement de la capacité – et de la volonté – de notre société de fournir des millions de litres d’hydrogène « bas-carbone » au secteur aéronautique sous forme liquide obtenue par électrolyse. Cette méthode nécessite une quantité importante d’électricité qui doit elle aussi être « bas-carbone ». À titre d’exemple, la projection en électricité nécessaire pour faire voler les avions à destination et en provenance de Paris-Charles-de-Gaulle, deuxième aéroport européen en nombre de passagers, s’établit à 5 000 km² d’éoliennes (entre 10 000 et 18 000 éoliennes réparties sur la surface d’un département français), 1 000 km² de panneaux photovoltaïques, ou 16 réacteurs nucléaires. Sans compter que l’adaptation des structures aéroportuaires à l’irruption de l’hydrogène rendrait nécessaire de repenser le système de production, de stockage et d’acheminement d’un tel carburant dans les aéroports, ce qui impliquerait des travaux conséquents et prendrait du temps ‒ le cas de l’A380 a démontré que les aéroports ne pouvaient pas tous se permettre de conduire de tels travaux. Il convient dès lors de demeurer prudent face à des développements futurs incertains.

c. La nécessité d’avancer de concert sur le développement de l’hydrogène vert et la modernisation des flottes aériennes

Pour présenter un bilan carbone vertueux, et convaincre de futurs acheteurs, l’avion à hydrogène suppose évidemment que celui-ci soit produit à un coût accessible et dans des conditions vertueuses, ce qui est encore loin d’être le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, si le constructeur s’engage franchement dans cet axe de recherche, il ne lui voit d’avenir que si les avions développés pourront aller à peu près partout. Le développement de la production d’hydrogène vert dans nos pays et le reste du monde déterminera donc le rythme des travaux à venir.

À tous ces titres, la mobilisation en parallèle de 2 milliards d’euros en faveur de l’hydrogène vert (pour la mise au point de systèmes de production bas-carbone et leurs premiers déploiements), dans le cadre du plan de relance, est une des conditions de la réussite du projet.

En tout état de cause, d’ici l’aboutissement de cette révolution technologique, le Gouvernement doit continuer à inciter les compagnies aériennes à renouveler leurs flottes pour des avions modernes moins gourmands en carburant. Ce renouvellement n’est pas incompatible avec l’ambition de proposer un avion vert en 2035. La montée en production de ce dernier prendra, de toute façon, plusieurs années supplémentaires. La transition écologique ne peut attendre encore vingt ans. Les progrès du secteur doivent s’accélérer.

Toutefois, comme il s’agit d’immobilisations longues, ce renouvellement devrait être planifié pour optimiser l’enchaînement des matériels. En cinq ans, la durée de vie moyenne d’un avion est passée de 31 à 26 ans ([24]). Cette utilisation raccourcie, couplée à la hausse du trafic aérien, rendent indispensable un renforcement de la filière recyclage des aéronefs. Selon l’Aircraft Fleet Recycling Association (AFRA), la valeur cumulée de ces pièces d’occasion (vendues à environ 50 % du prix du neuf) atteindrait tout de même 3,3 milliards de dollars par an. Quant à l’aluminium, qui constitue le matériau majoritaire d’un modèle comme l’A380, il est recyclable indéfiniment. Il n’existe en France que deux sites affectés au recyclage des aéronefs. Le plus ancien, sur l’aéroport de Châteauroux, est opéré par Bartin Aero Recycling depuis 2005. Cette filiale de Veolia spécialisée dans le recyclage des métaux démantèle une dizaine d’avions chaque année. À Tarbes, Tarmac Aerosave assure, depuis 2009, la maintenance ou le démantèlement des avions en fin de vie. Face à la demande qui explose, un second site de 340 hectares a été ouvert sur l’aéroport de Teruel en Espagne. La société se présente comme le leader européen du stockage, de la maintenance et du recyclage des avions en fin de vie, avec plus de 50 avions démantelés à ce jour.

Cette planification présenterait en outre l’avantage de donner une meilleure visibilité sur les carnets de commandes des donneurs d’ordre, permettant aux sous-traitants de mieux s’organiser. Il s’agit, en tout état de cause, d’une demande forte des PME de la filière.

2.   La souveraineté nationale : l’urgence de protéger ses cartes maîtresses

a.   Protéger les savoir-faire

Développer l’« industrie 4.0 » – une des cibles du fonds de modernisation créé par le plan « Aéro » – permettra seulement de rattraper les chaînes de montage déjà développées en Chine et dans quelques autres pays.

Les premiers atouts de notre pays sont ses savoir-faire ; et certains sont uniques. Par exemple, parce qu’elles en ont le brevet, le processus spécifique de production et les compétences nécessaires, certaines de nos entreprises sont les seules à savoir fabriquer quelques alliages très spéciaux, nécessaires aux matériels de pointe ou offrant des possibilités d’utilisation très prometteuses pour les développements technologiques à venir.

Si ces brevets, procédés et matériels spécifiques ne sont pas protégés, ils peuvent être rachetés par des intérêts étrangers ou confiés à des fournisseurs étrangers qui se les approprieront au détriment de notre pays. Or, les crises facilitent ces « fuites ».

La France perdra alors des avantages compétitifs, voire l’usage de ces procédés – alors qu’ils ont souvent été largement financés par le budget de l’État.

Avec ses 630 millions d’euros, le nouveau fonds d’investissement offre certes des moyens non négligeables pour sauvegarder des entreprises menacées. Ce suivi en période de crise doit être assuré par le GIFAS, en plus du suivi par Airbus. Il est à espérer que ce fonds ne s’adresse pas en priorité aux entreprises considérées comme stratégiques par les donneurs d’ordre, soit en réalité leurs fournisseurs de rang 1, quand bien même des savoir-faire précieux seraient détenus par d’autres sous‑traitants.

Dans la conjoncture actuelle, il importerait donc de prendre au moins les mesures pouvant limiter ces pertes dommageables. Votre Rapporteure relève qu’il existe notamment un dispositif de protection contre l’espionnage industriel assez facile à mettre en œuvre dans les secteurs stratégiques : l’inscription dans une « zone à régime restrictif ».

Un dispositif de protection des savoir-faire et procédés à exploiter davantage

Une zone à régime restrictif (ZRR), en France, est une zone à accès réglementé dans le cadre de la protection du potentiel scientifique et technique national, notamment à l’encontre des menaces pour les « intérêts économiques de la Nation ». Il comporte cinq niveaux de protection imbriqués :

– une liste de secteurs scientifiques et techniques dits « protégés », objets d’un « annuaire national » recensant leurs laboratoires ;

– une liste de spécialités dont les savoir-faire sont susceptibles d’être détournés à des fins de terrorisme ou de prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs, établie par un arrêté confidentiel Défense ;

– des « zones protégées », délimitées soit par des autorités militaires, soit par des autorités civiles ;

– dans les laboratoires relevant d’un secteur protégé, parmi les zones protégées, des ZRR, dont l’accès (physique ou électronique) est soumis à autorisation spéciale ;

– à l’intérieur des ZRR, éventuellement, des « locaux sensibles », à la protection renforcée.

Le dispositif s’appuie notamment sur les articles 413-7 et R 413-5-1 du code pénal et sur le décret n° 2011-1425 du 2 novembre 2011 portant application de l’article 413-7 du code pénal et relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation.

Une ZRR est créée par simple arrêté du ministre compétent pour le domaine des activités de l’entreprise concernée, sur la base d’un dossier de demande. Et toute entreprise concernée par un périmètre relevant de cette protection peut contacter les services du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère concerné pour obtenir toute information sur le dispositif et créer, si nécessaire, une ZRR.

Peu apprécié par la communauté scientifique, attachée à la liberté des échanges scientifiques, il est également peu connu des entreprises auxquelles il offre pourtant une solution de protection accessible.

Votre Rapporteure relève par ailleurs la contradiction qu’il y aurait de prévoir un fonds public pour accompagner le déploiement de l’« industrie 4.0 » dans nos chaînes de production tout en laissant vendre à l’étranger les sites innovants déjà existants (comme celui de Latécoère à Toulouse, dont le projet a été heureusement stoppé).

b.   Sécuriser les approvisionnements stratégiques

La crise sanitaire a clairement montré les dangers des politiques d’achats monosources, en particulier quand ces sources sont étrangères, et a fortiori extra‑européennes. Le manque d’approvisionnement peut bloquer toute une chaîne de production. Cette vulnérabilité pourrait prendre une acuité particulière s’agissant de métaux comme l’aluminium et le titane, très utilisés dans l’aéronautique mais dont les qualités de résistance et de légèreté pourraient devenir plus essentielles encore à l’avion vert.

Même en temps ordinaire, une stratégie d’achats très délocalisée pose question car elle porte en germe la tentation de rapprocher les chaînes de production de leurs approvisionnements en matériaux. Bien avant la crise, certains choix d’achats des donneurs d’ordre de la filière aéronautique représentaient déjà une menace pour la conservation des moyens et des compétences en France. Et ce, sans que leur rationalité économique soit toujours avérée : par exemple, une grande partie de l’aluminium utilisée par Airbus est importée majoritairement d’autres pays d’Europe (67 %) et des États-Unis (25 %). Peut-être inspiré au début par des stratégies commerciales et de change, ce choix n’apporte en tout état de cause plus aucun avantage en termes de coûts car, en situation de quasi-monopole en son pays, le producteur américain a fortement renchéri ses prix, auxquels se rajoutent des frais de transport et des taxes qui ont beaucoup augmenté.

De même, le sous-traitant MKAD, spécialisé dans l’usinage de titanium, n’a aujourd’hui plus de contrat avec Airbus qui envoie dorénavant ses pièces en titanium à usiner aux États-Unis.

Pourtant, notre pays disposerait non seulement des compétences mais aussi des capacités pour produire les matériaux nécessaires – notamment à Dunkerque où le prix de revient de la production aluminium serait l’un des plus bas au monde grâce au branchement direct de l’usine sur une centrale nucléaire.

Cela suppose bien sûr que notre pays ait un accès aux approvisionnements en minerais ; mais les États-Unis ne sont pas mieux positionnés sur ce plan. Des entreprises françaises seraient également capables de recycler des matières premières stratégiques, à condition d’avoir les débouchés. L’entreprise Éco‑titanium, leader en Europe, propose une élaboration de titane de qualité aéronautique à partir de copeaux de titane ([25]). Éco-Titanium permettrait à l’industrie aéronautique européenne de disposer d’une voie d’approvisionnement nouvelle, innovante, indépendante et moins onéreuse que par voie d’extraction. Mais, aujourd’hui, ces copeaux partent aux États-Unis.

Pourtant, la sécurisation des approvisionnements stratégiques apparaît plus que jamais comme une priorité.

L’action n° 02 « Souveraineté technologique et résilience » du programme 363 « Compétitivité » du plan de relance prévoit précisément un soutien à l’innovation et à la relocalisation afin d’assurer l’indépendance et la résilience de l’économie française. 501 millions d’euros en AE (600 millions à terme) sont notamment budgétés pour la relocalisation et la sécurisation des approvisionnements critiques ; et un appel à projets « Résilience » vient d’être lancé, qui vise en particulier les projets relatifs aux alliages stratégiques et au titane.

Il suscite un vrai espoir chez les sidérurgistes français. Couplés aux 251 millions d’euros en AE (400 millions à terme) également ouverts pour soutenir la relocalisation des projets industriels dans les territoires, ces financements pourraient faciliter les réimplantations d’activités essentielles au bon fonctionnement de la chaîne logistique aéronautique française. À condition que les donneurs d’ordre jouent le jeu…

3.   Les emplois industriels : un plan « Aéro » non contraignant pour les donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants

Votre Rapporteure défend le principe que les investissements de l’État, quand ils sont aussi massifs que les plans « Aéro » et de relance, doivent être conditionnés à la préservation des entreprises, notamment les PME et ETI, et des emplois en France.

a.   La crise ne doit pas être le prétexte pour accentuer les délocalisations

Les auditions qu’elle a menées ont montré une certaine ambivalence des donneurs d’ordre de la filière aéronautique.

Ils ont certes conscience qu’ils auront besoin du tissu industriel français pour repartir dès la reprise. Ils s’inquiètent réellement de conserver les qualifications, qui pourraient partir ailleurs, les approvisionnements et les capacités de production pour redémarrer rapidement la fabrication des avions commandés. Mais cela concerne surtout les sous-traitants de rang 1.

Et cette solidarité ne doit pas occulter les évolutions menaçantes qui se dessinaient avant la crise. Presque tous les acteurs rencontrés ont confirmé que les donneurs d’ordre exerçaient depuis plusieurs années une forte pression sur les sous-traitants français :

– pour augmenter les cadences, au point que les PME réclamaient une meilleure planification des carnets de commandes pour tenir le rythme sans être mises en difficulté ;

– et souvent obtenir des baisses de prix, avec des encouragements non voilés à délocaliser. Ces baisses ont représenté jusqu’à 20 % des coûts des entreprises sur les dix dernières années, soit bien au-delà des marges bénéficiaires d’une entreprise normale.

En période de croissance, les PME ont accepté ces exigences et se sont même endettées pour adapter leurs outils de production. Mais elles se sont aussi fragilisées.

Cela n’aura pas, pour autant, empêché les donneurs d’ordre de favoriser, dans le même temps, un approvisionnement de plus en plus mondialisé de leurs fournitures : 34 % des achats d’Airbus se font en France ; le reste viendrait des trois autres pays fondateurs, mais l’avionneur reconnaît quelques accords industriels avec d’autres pays et la moitié des moteurs proviendrait des usines basées aux États‑Unis. S’agissant des moteurs – dont le choix appartient pour l’essentiel aux compagnies aériennes –, l’industrie américaine est un acteur majeur au travers de l’accord industriel Safran-GE CFM (50/50) pour les monocouloirs ainsi que pour les moteurs des gros-porteurs, en compétition avec Rolls Royce pour ce dernier segment. Airbus, pour accompagner son développement, a conclu par ailleurs des accords de coopération industrielle dans plusieurs pays, en particulier la Chine, les États-Unis ou encore la Turquie.

Et même si, sur l’ensemble de la filière, l’approvisionnement auprès de fournisseurs français resterait encore largement majoritaire, à hauteur de 70 % selon le GIFAS, nombre de ces sous-traitants auraient commencé à délocaliser leur production sous la pression de leurs donneurs d’ordre. Les syndicats indiquent que, dans le domaine des aérostructures, les entreprises françaises ont toutes implanté des delivery units hors Europe.

Certains ont fait valoir que la délocalisation des activités les moins compétitives peut accroître les emplois en France grâce aux gains de compétitivité. Ce raisonnement n’est cependant tenable qu’en phase de croissance.

Votre Rapporteure appelle les responsables publics à être vigilants sur la tentation que pourraient avoir les donneurs d’ordre de pousser un peu plus loin ces externalisations en cette période de bouleversement du tissu industriel français. En effet, cela s’est confirmé malheureusement plusieurs fois dans le passé dans le secteur de la sous-traitance industrielle.

Cette vigilance est d’autant plus nécessaire qu’il est apparu que la responsabilité des donneurs d’ordre à l’égard de leurs sous-traitants n’a pas été leur premier réflexe au début de la crise.

La compétition mondiale est forte, mais la filière française a encore une avance technologique par rapport à la Chine et n’est pas à la traîne par rapport à ses autres concurrents. Le plan de relance devrait aider à conserver ces avantages et à accompagner les entreprises nationales dans leurs nécessaires adaptations aux évolutions technologiques en cours ; enfin, le fonds d’investissement est censé les aider à gagner en robustesse.

Cependant, pour préserver les entreprises et les emplois sur notre territoire, les sous-traitants de la filière ont également besoin de visibilité sur les plans de production ainsi que de solidarité de leurs donneurs d’ordre.

Comme l’écrit la CFE-CGC, « il ne serait pas acceptable que les charges d’ingénierie soient retirées de sous-traitants français pour être transférées en Chine ou ailleurs. Ceci entraînerait une perte durable de savoir-faire sur notre territoire au profit de concurrents. De plus cela reviendrait à détourner de l’argent public (chômage et/ou activité partielle) au profit de création d’emplois dans des filiales étrangères ».

b.   La charte d’engagements sur les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants est trop peu engageante

En réponse aux tensions apparues entre les donneurs d’ordre et leurs fournisseurs, une charte a été adoptée en parallèle du plan « Aéro » par tous les acteurs de la filière – hormis l’État bien qu’il ait encouragé la démarche.

La charte d’engagements sur les relations entre donneurs d’ordre et soustraitants

Elle prévoit notamment :

– d’adopter, dans la sélection des fournisseurs, une approche basée sur le coût global de possession intégrant en particulier les critères de coûts logistiques, de risques, de qualité, ainsi que le coût environnemental ;

– de considérer de manière favorable l’offre de fournisseurs produisant en France et en Europe si celle-ci est de compétitivité équivalente à une offre localisée hors France et d’Europe en coûts totaux ;

– en dehors d’objectifs spécifiques de compensation commerciale, de ne pas donner d’objectifs a priori de localisation hors de France aux fournisseurs français ou d’Europe ;

– d’engager une réflexion sur le rapatriement de productions ou de savoir-faire technologiques stratégiques pour la filière française et européenne ;

– de développer des relations plus équilibrées entre donneurs d’ordre et fournisseurs et notamment respecter les commandes fermes.

Cette charte s’inscrit dans une démarche plus générale initiée par la remise, en juin 2019, du rapport de notre collègue Denis Sommer sur les relations entre les grands donneurs d’ordre et les sous-traitants dans les filières industrielles. Ce rapport a confirmé que les relations interentreprises sont plus dégradées en France que dans les pays comparables. Un constat identique avait, malheureusement, déjà été fait lors des États généraux de l’industrie de 2010 à la suite de quoi le « Rapport Gallois » de 2014 préconisait un changement des pratiques au sein du monde industriel.

Le problème n’est donc pas propre à la filière aéronautique, mais les évolutions des dernières années montrent que la situation ne s’est pas arrangée.

Se présentant comme un code de bonne conduite, la charte vise explicitement à dissuader les donneurs d’ordre d’imposer, directement ou indirectement, de délocalisation à leurs chaînes logistiques.

Les sous-traitants y voient une preuve de bonne volonté, à prendre sans naïveté. Les PME trouveraient cependant utile qu’un point soit fait sur les six premiers mois d’existence de la charte.

L’État dit ne pas pouvoir imposer ces objectifs, mais assure qu’il demandera des comptes sur leur respect. Au niveau de chaque fonds créé par le plan « Aéro », il vérifiera au cas par cas que ces aides aillent bien à des entreprises ayant une activité en France. Et pendant 3 à 5 ans, l’État pourra demander le remboursement de ses aides s’il constate une délocalisation manifeste.

Par ailleurs, l’État travaillerait à un système permettant de faire remonter les problèmes de manière anonyme, prenant acte du fait que les sous-traitants ne font jamais appel au Médiateur des entreprises (qui existait avant), peut-être par crainte des représailles.

Et si la charte ne prévoit pas d’observatoire, un dispositif a été mis en place au sein du GIFAS pour assurer un suivi de son respect :

– un groupe de travail a été constitué entre les quatre donneurs d’ordre pour partager les bonnes pratiques ;

– parallèlement, le GIFAS et le fonds d’investissement assurent une forme de veille sur les entreprises les plus stratégiques ; et des cellules de soutien seront constituées pour les accompagner en cas de difficultés.

Malheureusement, les appels à responsabilité restent des déclarations de bonnes intentions, comme en a attesté, en 2010, la charte de la médiation du crédit et de la CDAF (l’Association des acheteurs de France) régissant les relations entre grands donneurs d’ordre et PME.

En tout état de cause, votre Rapporteure voit dans ces rapports une nouvelle illustration de l’inégalité des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants et de la nécessité d’y remettre un peu de plus de droit, qui lui a inspiré une proposition de loi portant sur la responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des soustraitants, des emplois et des territoires.

La proposition de loi n° 2916 déposée par votre Rapporteure a pour but de contraindre les donneurs d’ordre à assurer socialement et financièrement les conséquences de leur désengagement auprès de leurs sous-traitants.

Afin de prendre en compte la dépendance structurelle des entreprises sous-traitantes et de réduire ses effets, la proposition vise à la mise en place de contrats types. Elle prévoit également l’intégration des entreprises sous-traitantes ainsi que des représentants du personnel dans les comités de groupe des donneurs d’ordre ou, à défaut, dans un comité inter-entreprises aux fins d’une meilleure assimilation des objectifs des donneurs d’ordre, pour permettre des ajustements de production et permettre de réorienter le tissu industriel afin de préserver les bassins d’emplois et de vie.

L’article 13 de cette même proposition de loi réduit le délai maximum légal de paiement d’une facture à 45 jours alors que les difficultés de trésorerie liées aux difficultés de paiement sont la cause de 150 000 faillites d’entreprises par an, soit 25 % des faillites.

Enfin, les donneurs d’ordre doivent assumer une responsabilité environnementale au regard des dégâts environnementaux que leurs choix stratégiques génèrent. Dans ce sens, l’article 11 de la proposition de loi instaure un principe de coresponsabilité du donneur d’ordre pour les dégâts environnementaux créés par l’activité du sous-traitant.

Qu’il s’agisse de l’insuffisante prise en compte des intérêts des sous‑traitants et de leurs salariés dans la gestion de l’entreprise donneuse d’ordres ou de certains comportements déloyaux en cas de difficultés, il est plus que temps que les donneurs d’ordre assument leurs responsabilités à l’égard de leurs chaînes logistiques – a fortiori quand ils bénéficient largement des financements publics.

c.   La nécessité de lier les commandes publiques à des fournitures nationales…

L’État devrait clairement conditionner ses propres commandes à des engagements en termes de préservation des activités et des emplois sur le territoire – et pas seulement facialement en recourant à des entreprises qui ont leur siège en France, mais produisent à l’étranger.

Aux dires des observateurs des marchés, Américains, Chinois et Russes ne se privent pas, pour leur part, d’imposer de passer par les chaînes nationales.

C’est non seulement un enjeu de sécurité stratégique, mais aussi une question de légitimité s’agissant d’investissements publics.

d.   … Et l’occasion d’investir la formation des personnels

Il serait enfin pertinent de profiter des dispositifs d’activité réduite pour compléter la formation des personnels du secteur.

Parmi les défis qu’elle avait à relever avant la crise, la filière devait se préparer aux métiers et technologies du futur, aux nouveaux modes de fabrication (impression 3D et usine 4.0) en particulier. Rappelons qu’au 1er mars 2020, le premier sujet de préoccupation était le manque de certaines compétences.

Les syndicats suggèrent d’utiliser l’APLD (en rétablissant une rémunération complète) pour organiser des formations à la hauteur des besoins.

Le GIFAS indique qu’une cellule l’associant à l’État, à la région et aux entreprises locales travaille à la coordination entre les plans nationaux et régionaux et qu’il a créé par ailleurs des antennes régionales pour servir d’interlocuteurs aux collectivités et aux clusters locaux.

Mais votre Rapporteure note l’absence d’une quelconque planification de la reconversion des personnels ainsi que de toute forme de planification du secteur industriel dans la filière de l’aéronautique par la puissance publique.

Il semble que la puissance publique ait fait le choix d’un « saupoudrage » de mesures, laissées dans les seules mains des grands groupes et donneurs d’ordre, en lieu et place d’une réelle stratégie industrielle dictée par elle, capable de défendre les intérêts nationaux, la relocalisation et l’emploi à la hauteur des enjeux et notamment celui de la planification écologique.

 

*

*     *

 

 

 


—  1  —

 

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 20 octobre 2020, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur les rapports de M. Rémi Delatte (Entreprises), de Mme Bénédicte Taurine (Industrie), de Mme Laure de la Raudière (Commerce extérieur), de M. Éric Bothorel (Communications électroniques et économie numérique), et de Mme Barbara Bessot-Ballot (Économie sociale et solidaire) les crédits de la mission « Économie ».

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. La crise actuelle est inédite. Elle bouscule même des secteurs considérés comme les plus prospères et les mieux assis de notre économie. Ainsi, selon l’observatoire Trendeo, l’aéronautique représente à elle seule 62 % des suppressions d’emplois dans l’industrie depuis janvier dernier. Cela concerne des fleurons nationaux, de puissants donneurs d’ordre représentant des milliers d’emplois à travers l’Europe, mais aussi une myriade de sous-traitants qui forment un tissu industriel souvent innovant et font de la France un pays en pointe, mais qui sont surtout les derniers pourvoyeurs d’emplois dans des bassins de vie au solde migratoire négatif. Nous attendions du budget national des réponses à la hauteur de ces enjeux. Il n’y a malheureusement rien de tel dans les crédits dont vous m’avez confié l’examen.

Les dotations consacrées à l’industrie par l’État au sein de la mission budgétaire « Économie » sont réunies dans l’action n° 23 « Industrie et services » du programme 134 « Développement des entreprises et régulations ».

Hors dépenses de personnel, les crédits en faveur de la compétitivité de nos industries passeront en 2021 à 840 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 846 millions d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation d’environ 36 %. Dans les faits, néanmoins, cette évolution n’est que la traduction d’un alourdissement de 44 % de la compensation carbone des sites électro-intensifs, qui mobilisera près de 403 millions d’euros. C’est un poste de dépenses important pour l’État, mais le dispositif n’incite pas les entreprises à s’engager activement dans leur transition énergétique.

Toutes les autres sous-actions seront, au mieux, stabilisées, notamment les crédits destinés à l’encadrement des activités industrielles ou à la surveillance des marchés, qui ne sont toujours pas à la mesure des constats de non-conformité qui sont faits. S’agissant de la participation de l’État aux actions de développement économique, le désengagement amorcé depuis des années, au prétexte des nouvelles responsabilités des régions, se poursuivra. Par ailleurs, les documents budgétaires restent discrets sur le manque à gagner de 10 milliards d’euros lié à la réforme des taxes sur la production prévue par l’article 3 du projet de loi de finances.

À l’exception des dépenses fiscales, qui profitent aussi aux grandes entreprises, la mission « Économie » ne contribue plus suffisamment à l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE). En cette période de crise, néanmoins, il est vrai que le gros des moyens mobilisés en faveur de notre industrie est inscrit ailleurs, en particulier dans le plan de relance. Je me suis attachée à apprécier son adéquation et son efficacité à travers l’examen du soutien apporté par l’État à la filière aéronautique.

La chute du trafic aérien a entraîné un ralentissement et même un quasi-arrêt de l’activité de nombreuses PME sous-traitantes. Chaque jour, la presse énumère de nouveaux plans de restructuration sur l’ensemble du territoire.

Les sous-traitants ont pu bénéficier des mesures d’aide exceptionnelles déployées durant les premiers mois de la crise. Les prévisions ne permettant pas d’espérer une reprise significative du secteur aéronautique avant 2022, voire 2024, le Gouvernement a lancé en juin un plan dit « Aéro », de 15 milliards d’euros, dont 7 milliards pour un prêt et une avance accordés à Air France. La moitié de cette somme doit lui permettre de boucler une commande de soixante appareils auprès d’Airbus. Une grande partie du plan vise en effet à soutenir le transport aérien et les commandes d’aéronefs, essentiellement par des avances financières, devant être remboursées, notamment dans le cadre d’un moratoire sur les remboursements des crédits à l’exportation déjà octroyés aux compagnies aériennes. Quant aux 832 millions d’euros de commandes publiques militaires et parapubliques qui sont inscrits dans le plan de relance, il s’agit d’une accélération des projets préexistants.

Les fonds réellement débloqués pour le secteur s’élèvent à environ à 200 millions d’euros, déjà versés, pour constituer un fonds d’investissement aéronautique de 630 millions avec les grands donneurs d’ordre et, dans le cadre du plan de relance, à 300 millions sur trois ans, dans le cadre d’un fonds de modernisation pour le rattrapage du retard des PME de ce secteur en matière de numérisation et de robotisation. Sont également prévus 1,5 milliard d’euros sur trois ans pour l’innovation et le développement de l’« avion vert ». Il me semble donc que la mobilisation de l’État est moins massive que ce qui avait été annoncé.

L’utilisation de ces fonds publics pose en outre un certain nombre de questions. Les nouveaux crédits pour la recherche permettront au moins de sauver plusieurs centaines d’emplois de chercheurs et d’ingénieurs, mais notre territoire héberge des PME faisant partie des plus créatives au monde et il est impératif de soutenir l’ensemble des innovations, dans l’intérêt de notre rayonnement, en prenant en compte les différentes trajectoires susceptibles de conduire aux technologies à venir.

Le soutien à l’« avion vert » est salutaire, mais un avion propulsé à l’hydrogène est-il seulement concevable à l’horizon 2035 alors que 90 % de l’hydrogène est actuellement produit par une méthode plus émettrice en CO2 que le kérosène ? Le ravitaillement et le stockage de l’hydrogène nécessiteront, par ailleurs, une restructuration de l’ensemble des aéroports par lesquels de tels avions transiteront. De plus, le stockage à haute pression et la production par électrolyse ne sont ni compétitifs, ni totalement finalisés à l’heure actuelle pour des productions de cette ampleur. Enfin, selon certains collectifs de chercheurs, il faudrait chaque année l’équivalent en électricité de la production de seize réacteurs nucléaires pour alimenter l’ensemble des avions atterrissant et décollant à l’aéroport Charles‑de‑Gaulle…

Autre difficulté, les investissements de consolidation peuvent avoir leur utilité mais, concrètement, ils ne seront probablement destinés qu’aux sous-traitants de premier rang que les donneurs d’ordre voudront sauver. Selon les cofinanceurs, le fonds vise à faciliter les rapprochements dans ce secteur : on sait, en gros, ce que cela signifie…

La gestion du fonds d’investissement Ace Aéro Partenaires a été confiée à Ace Management, filiale de Tikehau Capital, qui a à sa tête l’ancien directeur de la stratégie d’Airbus. Je m’interroge sur ce choix : pour quelles raisons la gestion du fonds n’est-elle pas revenue à une instance publique telle que la Banque publique d’investissement (BPIfrance) ?

Il semble que les aides financières de ce fonds, comme celles du fonds de modernisation, n’étaient toujours pas parvenues aux entreprises au début du mois, ce qui est un réel problème. S’agissant de l’accès à l’ensemble des aides, qu’elles soient européennes, régionales ou de l’État, les rouages administratifs demeurent complexes pour les PME, alors qu’elles sont les plus durement touchées par la crise.

Mais le principal problème de la stratégie gouvernementale de soutien à la filière aéronautique est de ne pas avoir obtenu de vrais engagements des donneurs d’ordre pour préserver les savoir-faire, les capacités à faire et les emplois dans notre pays. C’est pourtant une attente légitime à l’égard des premiers bénéficiaires des milliards d’euros d’argent public qui sont engagés, en plus des investissements massifs et continus de l’État depuis soixante ans en faveur du donneur d’ordre Airbus – qui versait encore 1,3 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires pour l’exercice 2018 et qui demeure en tête du CAC40.

Il faudrait que les objectifs du plan Aéro soient davantage que des orientations de la part du Gouvernement : il devrait s’agir d’exigences, de conditions pour le versement des crédits publics massifs qui sont prévus.

Les auditions m’ont alertée sur des évolutions menaçantes qui se dessinaient dans la filière avant la crise, notamment les dangereuses stratégies d’achats monosources extra-européens des donneurs d’ordre et les encouragements à délocaliser adressés aux sous-traitants. Il ne faudrait pas que les bouleversements économiques actuels facilitent ces dérives, alors que le ministre de l’économie a affiché parmi ses priorités une volonté de relocalisation – que nous approuvons, mais dont nous avons du mal à voir la traduction dans le plan « Aéro ».

Face à ces menaces graves, la charte d’engagement sur les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants qui a été adoptée par la filière ne me paraît pas suffisamment engageante : elle ne permet pas de protéger et de soutenir réellement nos PME, alors que certaines sont alignées sur les objectifs du futur. Le plan « Aéro » ne contient aucune mesure visant à soutenir la production de matériaux sur le territoire national, voire à y astreindre, ou à soutenir le recyclage des avions en fin de vie, alors que la France héberge un leader européen en la matière.

L’exécution pratique des mesures prévues par le plan gouvernemental est laissée entre les seules mains des grands groupes et donneurs d’ordre, alors qu’il faudrait une réelle stratégie industrielle dictée par la puissance publique pour défendre les intérêts nationaux, la relocalisation et l’emploi à la hauteur des enjeux, notamment celui de la planification écologique.

Pour toutes ces raisons, je donnerai un avis défavorable aux crédits de la mission « Économie » s’agissant de l’industrie.

M. le président Roland Lescure. Nous en venons aux orateurs des groupes, en commençant par La République en Marche.

M. Damien Adam (LaREM). Notre commission est saisie pour avis du volet « industrie » de la mission « Économie ». Les crédits correspondants sont en hausse de 17 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Cette augmentation s’explique notamment par la montée en puissance des moyens alloués à la compensation carbone en faveur des entreprises électro-intensives – papier, sidérurgie, chimie – exposées à un risque significatif de délocalisation.

Compte tenu du contexte particulier de cette année, je crois que la véritable question à se poser est de savoir si ce projet de loi de finances (PLF) permettra à notre industrie de traverser la crise et de rebondir. Pour répondre à la question, il est indispensable d’évoquer les mesures fortes de ce budget, notamment celles du plan de relance. Vous soulignez dans votre projet d’avis, Madame la rapporteure, que le plan de relance réintroduit, en réponse à la grave crise que notre pays traverse, diverses mesures de soutien massif à la compétitivité des entreprises françaises.

Quels sont les objectifs ? C’est d’abord la réindustrialisation, avec 1 milliard d’euros pour des appels à projets visant à encourager la relocalisation industrielle, à ouvrir de nouvelles chaînes de production, à innover, à numériser, à préserver l’emploi et à développer de nouvelles compétences. Chaque entreprise industrielle doit pouvoir y trouver de l’argent pour l’aider. Il s’agit aussi de financer l’industrie de demain, grâce au quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA 4), et de défendre les secteurs prioritaires – automobiles, aéronautique, santé, agroalimentaire et électronique. S’agissant de la réduction des impôts de production, dont j’avais chaque année souligné la nécessité depuis 2017, je ne peux que me réjouir de la baisse pérenne, de 10 milliards d’euros par an, prévue dans le PLF pour 2021. Sans oublier, enfin, le renforcement de l’initiative Territoires d’industries, à hauteur de 400 millions d’euros, dont 150 millions dès 2020 pour des subventions destinées à des projets d’investissement.

Vous regrettez, Madame la rapporteure, les difficultés d’accès des PME à ces mesures. Ces entreprises sont, au contraire, le cœur de cible de la politique France Relance et, globalement, du rebond post-covid, dans le cadre de la baisse des impôts de production, du chômage partiel, des appels à projets ou encore des prêts garantis par l’État (PGE).

Le deuxième objectif est la décarbonation. Contrairement à une idée reçue, l’industrie est un des secteurs qui ont le plus baissé leurs émissions de gaz à effet de serre ces vingt dernières années, même si une partie de cette évolution est liée aux délocalisations, il faut le dire. L’industrie représente désormais seulement 20 % desdites émissions en France. Le PLF pour 2021 constitue un tournant en mettant des moyens inédits pour accélérer la décarbonation de ce secteur. Une enveloppe massive, de 1,2 milliard d’euros est prévue pour la période 2020-2022.

L’industrie représente près de 14 % des emplois en France. Abandonnée depuis trente ans, elle doit être soutenue : soutenir un emploi industriel, c’est en réalité en soutenir trois, celui dans l’industrie et deux dans les services qui lui sont liés. C’est ce qui permettra à notre pays de sortir de la crise et du chômage. Les moyens sont là, à nous de les voter pour qu’ils puissent être utilisés et que la stratégie s’applique.

Je reviens sur ce que vous avez déclaré au sujet de l’aéronautique, Madame la rapporteure. Je ne sais pas si vous faites de la gymnastique, mais vous pratiquez, en tout cas, le grand écart : vous avez parlé de la problématique de l’emploi, qui existe effectivement dans ce secteur, mais vous avez semblé dire, en même temps, que ce même secteur devrait s’adapter à la transition écologique ; et votre mouvement politique répète à tout bout de champ que l’aéronautique ne peut pas rester sans rien faire… Doit-on sauver l’emploi, sauver la planète ? Faut-il une mise à jour dans ce secteur, pour qu’il aille vers l’hydrogène ? Vous devriez régler votre problème de grand écart : au bout d’un moment, cela commence à faire mal aux adducteurs (Sourires).

M. Rémi Delatte (LR). Je remercie la rapporteure pour son travail, notamment sur la situation de l’aéronautique. Le choix était pertinent : c’est un secteur d’excellence emblématique particulièrement touché. Il était également intéressant de prendre en considération la recherche et l’innovation, qui contribueront à la relance en redynamisant l’aéronautique, mais pas seulement : on sait que la recherche menée dans ce secteur a des effets ailleurs ; notre économie l’attend.

L’examen des crédits n’est pas forcément aisé – je le répéterai tout à l’heure lorsque je présenterai mon propre avis budgétaire –, en raison d’un manque de lisibilité lié à l’instabilité récurrente des maquettes et de l’absence de coordination entre la nouvelle mission « Plan de relance » et les programmes habituels. Du coup, l’exercice est complexe, et il sera encore plus difficile, ensuite, de contrôler et d’évaluer les politiques menées.

Le groupe Les Républicains estime néanmoins que toutes les mesures du programme « Compétitivité » en faveur de l’économie, notamment de l’emploi, vont dans le bon sens.

M. Jean-Luc Lagleize (MoDem). L’année 2020 a été particulièrement critique pour le tissu industriel français. Face à la crise sanitaire, qui a entraîné une crise économique, l’État a su se montrer à la hauteur en créant des aides exceptionnelles pour soutenir l’ensemble des filières industrielles. L’activité partielle, les exonérations de charges ou encore les prêts garantis par l’État ont permis et permettent encore de sauvegarder les activités économiques, notamment industrielles, et les emplois dans nos territoires. Le pilotage et l’ajustement de ces outils au plus près des réalités du terrain et de l’évolution de la crise dans les semaines et les mois à venir demeureront indispensables pour nous permettre de nous relever.

Permettez-moi d’insister, comme l’a fait notre rapporteure, sur l’industrie aéronautique, qui me tient particulièrement à cœur. Ce secteur est en grande souffrance, et ses difficultés seront amenées à durer de nombreuses années, compte tenu du coup d’arrêt massif et brutal auquel fait face le transport aérien. Comptant près de 300 000 emplois, la filière aéronautique est un véritable pilier de l’industrie française, mais les difficultés financières et les pertes de chiffre d’affaires que connaissent actuellement les entreprises de ce secteur mettent en jeu sa survie, dans sa globalité. J’ai échangé, pas plus tard que la semaine dernière, avec les dirigeants de Latécoère : ce pionnier de l’aviation dans notre pays, à l’origine de l’Aéropostale, prévoit de supprimer le tiers de ses effectifs en France.

La spécificité de ce secteur, qui pourrait ne retrouver son niveau d’activité de 2019 qu’en 2025, nous oblige à innover davantage dans nos politiques publiques en ce qui concerne la préservation des compétences professionnelles : l’activité partielle n’est malheureusement pas génératrice de croissance, ni de richesse, et elle ne pourra perdurer pendant plusieurs années. Il faudra trouver d’autres moyens d’enjamber la crise.

Les entreprises peuvent notamment recourir au prêt de main-d’œuvre. L’employeur met alors des salariés à la disposition d’une autre entreprise pendant une durée déterminée. Mais ce dispositif est inefficace en période de crise, car aucune structure n’est disposée à supporter de nouveaux salaires et charges. Il doit donc être accompagné. Je propose de rapprocher les dispositifs d’activité partielle et de prêt de main-d’œuvre entre entreprises en faisant en sorte que l’État prenne intégralement en charge les salaires du personnel détaché vers des secteurs définis comme stratégiques. Un salarié de Latécoère à Toulouse pourrait ainsi être détaché pour une durée déterminée dans un centre de recherches travaillant sur la mobilité douce, l’intelligence artificielle ou les carburants du futur. Un tel dispositif, crucial pour l’industrie aérospatiale, mais pas uniquement, nous permettrait de développer de nouvelles filières d’excellence dans nos territoires tout en sauvegardant de précieuses compétences.

Un autre enjeu de la relance du secteur aéronautique est la transition écologique – il en a déjà été question – et le maintien de la faculté des entreprises à fabriquer les prochaines générations d’aéronefs. À cet égard, le groupe MoDem se félicite du plan de soutien à l’aéronautique, présenté par le Gouvernement en juin dernier, qui prévoit des investissements en faveur de la décarbonation et de la compétitivité. Parmi les premières mesures appliquées, le fonds de modernisation, de diversification et de verdissement des procédés de la filière aéronautique, doté de 100 millions d’euros en 2020 et de 300 millions d’euros sur trois ans, permettra aux acteurs de cette filière de rebondir en développant des chaînes de valeur d’avenir, afin de sortir de la crise par le haut, en préservant des compétences durement acquises et en préparant l’avion vert du futur. Je salue, au nom de mon groupe, les dix-neuf premiers projets lauréats, qui ont déjà bénéficié d’un montant total d’aide de 13,5 millions d’euros, et j’appelle les entreprises qui ne l’auraient pas encore fait à répondre à l’appel à projets, valable jusqu’au 17 novembre prochain.

M. Olivier Falorni (LT). En vingt ans, le poids de l’industrie dans notre PIB est passé de 17 à 12 %. Ce déclin, loin d’être anodin, s’est traduit par une hausse du chômage, une dégradation de notre balance commerciale et un retard dans nos capacités de recherche et développement. La désindustrialisation a également accentué la fracture territoriale. Des territoires entiers ont vu disparaître leurs usines et, avec elles, leurs commerces et leurs habitants.

La désindustrialisation a aussi accru notre dépendance à l’égard de puissances industrielles étrangères dans certains secteurs tels que la santé. Un certain nombre des difficultés auxquelles nous avons fait face dans la gestion de la crise actuelle viennent de ce déclin industriel : la pénurie de masques, de respirateurs et de tests que nous avons connue en est l’exemple le plus frappant.

Depuis le début de la crise, le Gouvernement a annoncé qu’il voulait reprendre en main le destin industriel de la France, et ce projet de loi de finances devait en être la traduction. Pourtant, l’action « Industrie et services » est loin de comporter les solutions nécessaires : principalement centrée sur le mécanisme de compensation carbone pour les industries électro-intensives, elle néglige le reste de la politique industrielle. Les mesures phares du PLF en la matière se trouvent donc en première partie ou dans d’autres programmes.

Je pense, par exemple, à la baisse des impôts de production. Le groupe Libertés et Territoires soutient cette mesure, qui est nécessaire pour restaurer la compétitivité de nos entreprises. Toutefois, nous regrettons que le Gouvernement choisisse de compenser la perte de recettes pour les collectivités territoriales au lieu d’accroître leur autonomie fiscale. Nous estimons qu’il aurait fallu miser sur davantage de décentralisation, afin que les collectivités conservent leurs marges de manœuvre fiscale et puissent adapter leurs mécanismes de soutien à l’économie.

Je me réjouis, par ailleurs, que ce budget prenne en charge, partiellement, la transformation des industries, en prévoyant une enveloppe totale de 1,2 milliard d’euros pour accompagner les investissements en matière de décarbonation.

Je terminerai en évoquant un point essentiel mais qui ne figure pas dans ce projet de loi, et plus globalement dans la réflexion politique sur la réindustrialisation : l’absence de compétence industrielle en France dans certains secteurs clés comme l’électronique. Notre pays forme actuellement deux fois moins d’ingénieurs que l’Allemagne, et la filière industrielle souffre d’un véritable déficit d’attractivité, notamment auprès des femmes. C’est une question qui me semble particulièrement importante. Je regrette qu’elle n’ait pas été abordée.

M. le président Roland Lescure. Je rappelle à tous que nous nous sommes également saisis pour avis de la première partie, notamment de l’article 3 qui concerne les impôts de production. Il est vrai qu’il est un peu difficile de suivre, compte tenu de la multiplicité des avis, mais nous nous sommes saisis de tout ce dont nous pouvions nous saisir…

M. François Ruffin (LFI). Je voudrais répondre à M. Adam à propos du grand écart qu’il y aurait entre le souci de l’écologie et celui de l’emploi en matière d’aéronautique. Comme nous avons rarement l’occasion de débattre ici, profitons‑en…

Je me suis rendu sur le site de Méaulte, où se trouvent l’entreprise Stelia Aerospace et tous ses sous-traitants. Une énorme casse a lieu : des centaines d’emplois sont en train de disparaître. Je me trouvais notamment aux côtés des salariés des entreprises AAA et Simra. Les avocats trouvaient le plan social tellement délirant qu’ils ne croyaient même pas que de telles modalités pouvaient exister… Pour le congé de reclassement, la proposition était de quatre mois avec 65 % du salaire. Les salariés ont finalement eu droit à six mois, mais l’État garantit normalement douze mois… Du jamais vu, aux dires des avocats.

Y a-t-il une contradiction dans notre démarche ? C’est une vue extrêmement superficielle. Que se passe-t-il ? C’est le marché qui broie les salariés, qui écrase les emplois, qui, parce qu’on l’a laissé faire ainsi, a empêché toute diversification, qui a conduit ce territoire-là à la mono-industrie et qui empêche d’en penser la sortie. Que voudrions-nous faire pour ce secteur ? Non pas laisser faire la main invisible, mais penser, organiser la sortie de cette mono-industrie, et pas dans la brutalité, comme c’est le cas aujourd’hui, mais au contraire dans la durée.

Il faut évidemment être aux côtés des salariés : ce n’est pas à eux de payer les mauvais choix dans la durée, l’absence de pensée industrielle. Le terme « politique industrielle » a été interdit par l’Europe à partir des années 1980. Il serait temps de redonner une politique industrielle à ce pays.

Que vont devenir les compétences ? Rien. Elles vont repartir dans la nature. Des gens qui ont travaillé pendant dix ans, quinze ans, dans des postes spécialisés, sur des machines de grande précision, vont être évacués : ils iront peut-être ouvrir une pizzeria ou se retrouver dans la logistique… Tout ce savoir-faire, ces compétences promises à la disparition, je suis convaincu, moi aussi, qu’elles ne sont pas seulement utiles pour l’avion de demain mais aussi pour les pompes à chaleur, l’éolien ou le rail-route. Une étude menée au sujet de Lucas Aerospace, qui était une entreprise aéronautique britannique, a montré que ce type de compétences et de machines pouvait très bien servir des projets pour la transition écologique.

La question – centrale, à mon avis – que nous posons est de savoir qui doit décider. Le marché peut-il décider de broyer les salariés, que c’est fini, ou est-ce à nous, tous ensemble, de décider démocratiquement de réorienter, de bifurquer, sans en faire payer le prix aux salariés ? Alors que les actionnaires ont engrangé l’année dernière 1,2 milliard d’euros et que l’État, premier actionnaire d’Airbus, verse 15 milliards d’euros pour l’aéronautique, peut-on laisser les sous-traitants partir en short, malgré toutes les chartes qui ont été signées ? Nous sommes convaincus que c’est à nous, ensemble, de décider. Veut-on produire des pneus en France ? Si c’est oui, il faut s’organiser en conséquence ; sinon, ce n’est pas aux salariés de Bridgestone, de Goodyear ou de Dunlop de payer la délocalisation.

Il y a donc une profonde cohérence dans le fait de souhaiter non pas la disparition du trafic aérien mais sa diminution et de se demander comment on réorganise la production et à quoi les salariés peuvent être utiles.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. Monsieur Adam, ma circonscription compte de nombreux sous-traitants du secteur aéronautique, qui se trouve dans une situation catastrophique. J’ai été, comme les chefs d’entreprises concernés, stupéfaite en voyant cette économie, qui semblait tellement solide, s’effondrer du jour au lendemain. Le secteur aérien doit aujourd’hui effectuer sa transition compte tenu du fait que, comme ils nous l’ont tous dit, l’avion est remis en question du point de vue écologique.

L’idée d’un avion à hydrogène est mise en avant. Mais comment peut-on être sûr de réussir un tel saut technologique, sachant que la production du carburant nécessaire pour faire voler ces avions, en l’état actuel de nos connaissances, mobiliserait la puissance de seize réacteurs nucléaires ? La recherche a un rôle évidemment essentiel, mais fermer les PME de ce secteur revient à condamner à disparaître leurs compétences et leur savoir-faire alors qu’ils pourraient bénéficier à d’autres secteurs. Comment les soutenir ? Il nous est remonté que certaines d’entre elles se heurtent à des difficultés de méthode pour compléter les dossiers permettant d’obtenir des aides auxquelles elles peuvent prétendre. En tout état de cause, l’avion à hydrogène n’est pas forcément la panacée. Il faut y travailler, mais également voir dans quelle mesure cette piste peut évoluer. Il faut également réfléchir à une diminution du trafic aérien, en abandonnant les liaisons courtes distances – moins de deux heures, par exemple – au profit du train.

M. Julien Dive. Je ne sais pas si les politiques publiques doivent remplacer le marché : le marché nous avale, car il est mondial, et non plus national. Mais les politiques publiques peuvent orienter la politique industrielle de notre pays, sans privilégier la mono-industrie, comme l’a déploré à juste titre notre collègue François Ruffin, mais précisément la transversalité des compétences et des savoir-faire : ce que l’on est capable de faire dans l’aéronautique, on peut le transposer dans le ferroviaire ou dans l’automobile. Et lorsqu’un marché s’effondre, comme aujourd’hui l’aéronautique, et peut-être demain l’automobile, nous pouvons être capables de résister et de réagir grâce à une politique industrielle transversale, qui s’applique à plusieurs débouchés, plusieurs marchés, plusieurs filières. Mais cela suppose une réelle ambition de l’État, qui doit définir tout à la fois les enjeux et les besoins en amont, notamment en termes de formation, et les débouchés en aval.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. Je vous rejoins sur ce point : certaines entreprises ont d’ores et déjà transféré leurs compétences et adapté leurs machines à la production d’autres produits : j’en ai récemment visité une qui est passée de la production de tissus pour l’automobile à celle du géotextile, des tissus destinés à fabriquer des masques, des surblouses, etc., à partir de fibres de lin. Le problème, c’est que cette entreprise ne trouve pas de débouchés pour ces nouveaux produits pourtant tout à fait innovants. C’est précisément là où l’État doit aider au transfert de compétences ainsi qu’à la mobilité des productions. Or, pour l’heure, il est impossible à cette entreprise de répondre aux appels d’offres tels qu’ils sont présentés. On marche sur la tête !

M. le président Roland Lescure. Avant de mettre aux voix l’ensemble des crédits de la mission « Économie », je rappelle que, parmi les rapporteurs pour avis et pour les crédits qui les concernent, Mme Laure de La Raudière, M. Éric Bothorel et Mme Barbara Bessot Ballot se sont déclarés favorables à l’adoption, tandis que Mme Bénédicte Taurine et M. Rémi Delatte ont émis un avis défavorable.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.

 

 


—  1  —

 

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(Par ordre chronologique)

Direction générale des entreprises (DGE)

M. Adrien Kippelen directeur de projet aéronautique

GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales)

M. Christophe Cador, président du comité Aéro-PME, trésorier du GIFAS

M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques

AIRBUS *

M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques pour la France

Mme Anne-Sophie de la Bigne, directeur des affaires civiles

Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations avec le Parlement

Aluminium Sabart

M. Thierry Cavinato, directeur de l’entreprise

Éramet *

M. Julien Burdeau, directeur de la transformation et de la stratégie, division alliages haute performance, de l’entreprise

Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Mme Françoise Vallin, coordinatrice CFE-CGC Groupe AIRBUS et membre du Comité stratégique de filière aéronautique

M. Ludovic Andrevon, président du syndicat CFE-CGC Aéronautique, espace et défense

Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

M. Denis Jeambrun, responsable fédéral aéronautique et défense – Fédération métallurgie CFTC

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) https://www.ladepeche.fr/2020/10/06/loccitanie-a-lepreuve-des-plans-sociaux-9120283.php

([2]) https://www.actu-environnement.com/ae/news/plan-aerien-filiere-aeronautique-decarbonation-35620.php4

([3]) https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/290920/avion-hydrogene-quelques-elements-de-desenfumage

([4]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République

([5]) Le GIFAS réunit 19 constructeurs et systémiers, 157 équipementiers du Groupe des équipements aéronautiques et de défenses (GEAD), 203 PME réunies au sein du comité Aero-PME, et 18 membres associés (sociétés de services, clusters…).

([6]) Selon le bilan du GIFAS, ces effectifs se décomposent en 15 000 pour le spatial et 187 000 dans l’aéronautique ; 98 000 chez les équipementiers, 80 000 chez les systémiers et 24 000 chez les motoristes. Le travail temporaire représentait 13 900 personnes en 2019 (11 500 en 2015).

([7]) Selon l’IATA (l’Association internationale de transport aérien), 4,5 milliards de passagers transportés en 2019, et la perspective, avant la crise, d’un doublement du trafic dans les 15 à 20 ans.

([8]) le Monde du 6 octobre 2020

([9]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/05/en-six-mois-le-secteur-de-l-aeronautique-a-perdu-la-totalite-des-postes-crees-entre-2009-et-2019_6054747_3234.html

([10]) https://www.lantenne.com/Daher-revoit-son-plan-social-a-la-baisse_a53752.html

([11]) https://www.lefigaro.fr/flash-eco/aeronautique-mecachrome-prevoit-300-suppressions-de-postes-en-france-20200928

([12]) https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/aeronautique-une-reunion-au-siege-du-groupe-3a-ce-lundi-sur-les-postes-menaces-dont-139-a-meaulte-1595249048

([13]) Loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne

([14]) En cas de licenciement pour motif économique, l’employeur doit mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Ce plan vise à éviter les licenciements, à en limiter le nombre, et à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement est inévitable. Il est établi en fonction du nombre de salariés dont le licenciement est envisagé. Il doit faire l’objet d’une validation ou d’une homologation de son contenu par la Direccte.

([15]) Un accord de performance collective (APC) peut être conclu afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver (ou de développer) l’emploi. Il peut ainsi aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ; aménager la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques définis par convention de branche ; déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

([16]) Les garanties publiques de soutien à l’export (les garanties couvrant des opérations d’assurance-crédit et investissement, la garantie du risque exportateur, la garantie de change, la garantie du risque économique, l’assurance prospection), gérées au nom, sous le contrôle et pour le compte de l’État par Bpifrance Assurance Export, sont retracées dans les comptes de commerce du budget de l’État.

([17]) En plus d’opérations traditionnelles de capital-développement qui constituent la base de ses interventions, le fonds « Aerofund » pouvait prendre des participations majoritaires, seul ou en chef de file d’un tour de table, consacrer une partie de ses engagements dans des entreprises basées hors de France et investir dans des entreprises en situation de retournement (cf. le site de Bpifrance).

([18]) Soit 116 millions d’euros apportés par Airbus, 58 millions par Safran, 13 millions par Dassault Aviation et 13 millions par Thales.

([19]) https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/le-plan-de-soutien-a-laeronautique-entre-dans-le-concret-1231821

([20]) https://www.bfmtv.com/economie/plan-filiere-aeronautique-les-pme-et-eti-ont-du-mal-a-s-y-retrouver-parmi-les-aides_AV-202010090332.html

([21]) OACI ou ICAO en anglais, organisation dépendant de l’Organisation des Nations unies.

([22]) Sur la base des accords de l’OACI, les États se sont engagés à stabiliser les émissions du secteur à partir de 2020, malgré la croissance du trafic aérien. Quatre leviers sont actionnés : poursuite des progrès technologiques, amélioration de la gestion du trafic aérien et des opérations aéroportuaires, développement des biocarburants aéronautiques durables et mesures de compensation (CORSIA - Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation).

([23]) https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/290920/avion-hydrogene-quelques-elements-de-desenfumage

([24]) https://www.usinenouvelle.com/article/le-casse-tete-du-recyclage-des-avions.N337147

Le modèle économique des compagnies low cost repose sur une utilisation limitée aux six premières années puis sur la revente des avions à bon prix, pour éviter la première maintenance lourde. Air France les conserve de 25 à 30 ans.

([25]) Pour produire une pièce d’1 kg de titane, il faut en usiner 10 kg.