N° 3403

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2021 (n° 3360),

 

TOME V

 

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

 

PAR M. Jean François MBAYE

Député

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 Voir le numéro : 3360.

 


 


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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR....... 7

introduction

Première partie : le financement des politiques publiques de l’environnement

I. Une mobilisation française renforcée au service d’une croissance verte et de la préservation de la nature et du vivant

A. Les orientations générales de la mission Écologie, développement et mobilité durables

B. l’Évolution des crédits des différents programmes de la mission Écologie, développement et mobilité durables

II. Une mobilisation européenne de l’ordre de 100 milliards d’euros sur dix ans au profit de la préservation de l’environnement

A. Le contenu et les moyens du Pacte vert pour l’Europe

B. Les premières initiatives lancées dans le cadre du pacte vert pour l’europe

Deuxième partie thématique :  les défis de l’eau à l’échelle mondiale

I. L’EAU une ressource vitale pour l’humanité

A. Une ressource abondante mais inégalement répartie

1. Une répartition géographique différenciée

2. Des indicateurs en trompel’œil

3. Une inégale capacité de mobilisation en fonction des États

B. Une ressource sous pression

1. L’augmentation exponentielle des besoins en eau

2. Une ressource à la qualité menacée

a. Une ressource surexploitée et polluée

b. Les mesures permettant de protéger la qualité de la ressource en eau

II. La ressource en eau, un enjeu géopolitique

A. les principales règles de droit international régissant la protection et le partage de la ressource en eau

1. Les conventions d’Helsinki et de New York

2. Les relations bilatérales nouées par la France s’agissant des fleuves ou des lacs transfrontaliers

B. L’eau, une ressource entre tensions et coopérations

1. Une ressource disputée

a. L’eau, un révélateur de tensions préexistantes

b. Une ressource pouvait entraîner des rapprochements via des coopérations interétatiques renforcées

2. L’exemple des tensions dans le bassin du Nil

III. Une action résolue de la France en faveur de l’eau

A. une diplomatie environnementale française mobilisée autour des enjeux hydriques

B. La mobilisation de l’aide publique au développement dans le domaine de la ressource en eau

1. Les actions de l’Agence française de développement

a. Des actions visant à favoriser l’accès à la ressource

b. Une montée en puissance des actions menées dans le domaine de l’eau et de l’assainissement

2. Le rôle particulier de la coopération décentralisée

3. La mobilisation du Partenariat français pour l’eau (PFE)

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par LE RAPPORTEUR

annexe  2 : convention d’helsinki du 17 mars 1992, sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux

annexe  3 : convention de new-york du 21 mai 1997, sur LE DROIT RELATIF AUX UTILISATIONS DES COURS D’EAU INTERNATIONAUX À DES FINS AUTRES QUE LA NAVIGATION

ANNEXE N° 4 : Résolution des nations-unies sur l’eau du 28 juillet 2010

annexe  5 : résolution de la soixante-quatrième assemblée mondiale de la santé du 24 mai 2011 : eau potable, assainissement et santé

ANNEXE N° 6 : RÉSOLUTION des Nations-Unies du 18 décembre 2019 sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement

 


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SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR

1) Promouvoir la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau sous l’égide des Nations unies afin de conférer une visibilité accrue aux nombreux défis sanitaires, socio‑économiques et environnementaux liés aux questions hydriques ;

2) Appuyer les actions de la diplomatie française en faveur de l’adoption d’un agenda dédié à l’avancement de l’objectif de développement durable (ODD) n 6 en vue de la prochaine conférence des Nations unies dédiée à l’eau et à l’assainissement en 2023 ;

3) Mettre en place un ambassadeur thématique pour la ressource en eau, afin de renforcer la visibilité du sujet et d’améliorer le pilotage de la diplomatie environnementale française sur cette question ;

4) Poursuivre et amplifier, à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne de janvier à juin 2022 et à la suite de la présidence slovène, la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie européenne consacrée à la gestion de l’eau à l’échelle internationale ;

5) Renforcer et valoriser les mécanismes de coopérations décentralisées en matière d’eau et d’assainissement ;

6) Promouvoir le déploiement d’un dialogue interparlementaire spécifique sur la réalisation des ODD et notamment sur l’indicateur n°6 visant à « garantir à tous l’accès à l’eau et l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».

 

 


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   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2021. Cette mission comporte neuf programmes : le programme 203 Infrastructures et services de transports, le programme 205 Affaires maritimes,  le programme 113 Paysages, eau et biodiversité, le programme 159 Expertise, économie sociale et solidaire, information géographique et météorologie, le programme 181 Prévention des risques, le programme 174 Énergie, climat et aprèsmines, le programme 345 Service public de l’énergie, le programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement de la mobilité durable, et le programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État.

Votre rapporteur salue l’évolution à la hausse des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de pouvoir porter une tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. Votre rapporteur estime que le présent projet de loi de finances pour 2021 lui en donne pleinement les moyens.

L’examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères l’occasion d’examiner les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie environnementale. Par ailleurs, cette année, votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux aux défis de l’eau à l’échelle mondiale. Cet avis vise à donner au Gouvernement les recommandations de la commission des affaires étrangères sur les objectifs que doit porter la France sur la question de l’accès à cette ressource vitale.

La préservation d’une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio‑économique et environnemental considérable. À l’échelle internationale, trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40% de la population mondiale. Chaque jour, près de mille enfants décèdent de maladies liées à la consommation d’eaux impropres. Dans le même temps des milliers de litres d’eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques ([1]).

Cette ressource indispensable au développement de la vie est présente en abondance sur Terre mais elle est très inégalement répartie. Elle peut alors devenir une ressource disputée à l’origine de fortes tensions entre États. L’eau représente un patrimoine commun menacé en raison de la hausse des pressions exercées sur la ressource. En effet, les besoins – agricole, industrielle, domestique – ne cessent d’augmenter en même temps que la démographie mondiale. La ressource en eau se trouve, par ailleurs, exposée à de nombreuses pollutions d’origine qui en détériorent la qualité et hypothèquent parfois dangereusement les possibilités d’utilisation pour les générations futures.

Reconnaissant l’eau et l’assainissement comme un secteur prioritaire de l’aide publique au développement (APD), la France avait adopté en 2005 une première stratégie sectorielle. Ce plan avait notamment permis de structurer l’aide publique au développement et les interventions de la France à l’international dans le domaine hydraulique. La volonté́ de s’inscrire pleinement dans la réalisation des 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies – dont l’ODD n°6 vise à « garantir à tous l’accès à l’eau et l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau » – a imposé une reconfiguration de la politique de coopération dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, en prenant notamment en compte les effets du changement climatique et en élargissant les champs d’intervention aux problématiques d’hygiène et à la gestion intégrée et durable de la ressource en eau à l’échelle mondiale.

La France s’est ainsi dotée, le 24 février 2020, d’une nouvelle stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement pour la période 2020‑2030. Pilotée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce nouveau plan d’action de la diplomatie environnementale a été élaboré de manière inclusive et participative avec l’ensemble des acteurs français du secteur de l’eau.

Un rapport publié par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, le 15 septembre 2020, sur les progrès réalisés concernant six ODD liés à l’agriculture et à l’alimentation indique que malgré des progrès enregistrés, l’avancement vers la réalisation des indicateurs reste insuffisant ([2]) . Ce rapport met, par exemple, en exergue des situations inquiétantes dans des régions telles que l’Asie centrale, l’Asie du Sud et l’Afrique du Nord où le niveau de stress hydrique demeure très élevé, avec des taux supérieurs à 70%. Ce rapport appelle notamment les gouvernements à adopter des mesures urgentes pour économiser l’eau et accroître l’efficacité de l’utilisation de la ressource dans les régions les plus touchées par un stress hydrique élevé. La diplomatie environnementale de la France doit, en s’appuyant notamment sur les actions de l’Agence française de développement (AFD) ainsi que sur l’expertise française dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, apporter son appui pour permettre la réalisation de l’ODD°6.

   Première partie : le financement des politiques publiques de l’environnement

I.   Une mobilisation française renforcée au service d’une croissance verte et de la préservation de la nature et du vivant

A.   Les orientations générales de la mission Écologie, développement et mobilité durables

Les crédits des programmes qui composent la mission Écologie, développement et mobilités durables sont essentiels pour permettre la mise en œuvre de la transition écologique devant conduire à une amélioration au quotidien de la qualité de vie de nos concitoyens et à la préservation de la biodiversité, substrat indispensable au bien‑être de l’humanité.

Les détériorations des écosystèmes, auxquels l’humanité appartient et dont nous avons impérativement besoin, imposent une prise de conscience et des actions tant aux échelles locale que nationale, européenne et mondiale. Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations bilatérales ou multilatérales. Ainsi la diplomatie environnementale apparaît comme l’instrument crucial à même de renforcer notre action collective au service de la nature et du vivant.

La préservation de la diversité biologique et des ressources naturelles de notre planète, telle la ressource en eau à laquelle votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique du présent rapport, constitue un enjeu écologique de premier ordre mais également un impératif d’ordre sanitaire, culturel et socio‑économique.

Les mois qui viennent seront riches en opportunités permettant de faire valoir sur la scène internationale les ambitions de la France en la matière. Le prochain congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui doit se dérouler à Marseille en 2021 après plusieurs reports dus au contexte sanitaire, constituera une occasion exceptionnelle pour mobiliser les chefs d’État et de Gouvernement, la communauté scientifique mondiale ainsi que l’opinion publique internationale sur cette thématique. De même, la prochaine conférence des Parties (COP15) à la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui se réunira, à Kunming, en 2021, représentera une étape cruciale dans le combat contre l’érosion de la biodiversité mondiale. À cette occasion, la France devra ainsi porter une nouvelle impulsion à même de déboucher sur l’adoption d’un cadre international plus ambitieux et plus opérationnel en faveur de la nature et du vivant.

Pour porter efficacement une tel message sur la scène internationale, la France doit nécessairement conduire sur son propre territoire une action écologique ambitieuse et exemplaire afin de favoriser, à l’instar de ce qu’elle a su faire pour le climat, un élan collectif au service de la préservation de la nature et du vivant à l’échelle de la planète.

Ainsi, avec le présent projet de loi de finances pour 2021 le Gouvernement entend pleinement favoriser la mobilité verte et la préservation de l’environnement comme en atteste la hausse significative des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables que votre rapporteur salue. En effet, les crédits enregistrent de notables augmentations en comparaison avec ceux inscrits, en 2020, en loi de finances initiale et dans les lois de finances rectificatives. Les autorisations d’engagement (AE) pour l’ensemble de la mission s’élevaient ainsi en 2020 à 13 198 millions d’euros et atteignent 21 088 millions d’euros pour 2021. Les crédits de paiements (CP), quant à eux, s’élevaient à 13 246 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2020 contre 20 763 millions dans le présent projet de loi de finances pour 2021. En revanche, les équivalents temps plein travaillé (ETPT) de la mission Écologie, développement et mobilités durables sont en légère baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 passant de 37 355 à 36 241.

Votre rapporteur salue, par ailleurs, l’innovation que constitue le « budget vert » intégré dans le présent projet de loi de finances qui vise à renforcer la transparence et à alimenter le débat public concernant l’impact environnemental du budget de l’État. La France est le premier pays à s’engager dans cette démarche novatrice en réponse à une initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques ([3]).

En outre, l’intégration à la mission Écologie, développement et mobilités durables de deux nouveaux comptes d’affectation spéciale (CAS), Services nationaux de transports conventionnés de voyageurs et Transition énergétique permet d’accroître la lisibilité des moyens consacrés à cette politique publique.

Enfin, l’examen du budget est, cette année, marqué par le plan France relance qui après la mise en œuvre, ces derniers mois, de mesures d’urgence d’une ampleur sans précédent prévoit une enveloppe de 100 milliards d’euros pour accélérer et amplifier la reprise de l’activité et minimiser les effets de la crise sur le long terme. Votre rapporteur tient à souligner que près du tiers de l’enveloppe totale du plan de relance sera consacré à la transition écologique. Ce plan de relance qui est organisé en trois programmes distincts comporte notamment un programme 362 Écologie regroupant l’ensemble des crédits qui contribueront à la transition écologique de notre économie. Les ouvertures de crédits s’élèvent le concernant à 18 358 millions d’euros en AE et 6 586 millions d’euros en CP. Ce programme comporte notamment un volet relatif aux rénovations énergétiques des bâtiments publics et privés ainsi qu’un volet relatif aux financements de technologies et d’infrastructures vertes. Par ailleurs, les crédits de ce programme doivent permettre d’œuvrer en faveur de la lutte contre l’artificialisation des sols et pour la préservation de la biodiversité.

B.   l’Évolution des crédits des différents programmes de la mission Écologie, développement et mobilité durables

-         Programme 203 Infrastructures et services de transport

Le programme 203 voit ses AE augmenter de 552 millions dans le cadre du présent projet de loi de finances. Cette hausse porte ainsi l’ensemble des AE de ce programme à 3 945 millions d’euros. En CP, le programme 203 enregistre également une hausse de 305 millions d’euros, pour une valeur totale de 3 723 millions d’euros. Ces augmentations s’inscrivent dans la volonté d’améliorer la qualité des infrastructures de transport portée par le Gouvernement. Ils devraient permettre également de mener de réelles politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports routiers via la promotion de solutions alternatives (réseau ferroviaire, mobilités douces, covoiturage, etc.).

-         Programme 205 – Affaires maritimes

Le programme 205 connaît une légère baisse de ses AE et de ses CP par rapport aux crédits alloués par la loi de finances initiale pour 2020 et les lois de finances rectificatives. Les AE passent ainsi de 160 millions d’euros environ à un peu plus de 155 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. Les CP quant à eux passent de 161 millions d’euros à un peu plus de 159 millions d’euros.

-         Programme 113 – Paysages, eau et biodiversité

Le programme 113 constitue le cœur de cible de l’action gouvernementale en matière d’écologie. En cohérence avec les annonces gouvernementales, les AE de ce programme passent de 196 millions d’euros en 2020 à 230,5 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. Les CP connaissent eux aussi une croissance, portant les crédits à 230 millions d’euros dans le projet loi de finances contre 202 millions d’euros lors de l’exercice précédent. Ce programme retient tout particulièrement l’attention de votre rapporteur puisqu’il porte notamment sur les politiques publiques liées à la gestion de la ressource en eau. La politique de l’eau en France s’appuie sur l’application de la directive cadre sur l’eau qui fixe des objectifs de « protection et de restauration de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques ».  Pour atteindre ces objectifs, les autorités disposent de trois leviers majeurs :

1)     La planification, à travers la mise en œuvre des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) depuis 2017. Les SDAGE ont comme objectif de fournir une cartographie complète de l’état des ressources en eau sur le territoire national. Leurs travaux révèlent en 2019 que 44% des masses d’eau de surface françaises sont en bon état écologique. Si leurs travaux ont pu être retardés par la crise sanitaire en 2020, ils conservent néanmoins l’objectif d’un maillage complet du territoire avant 2027. À cette date, 100% des masses d’eau françaises devront être en bon état écologique (hors zone dérogatoires) ;

2)     L’accompagnement des collectivités territoriales pour atteindre le « zéro pesticide » fixé par la loi Labbé du 6 février 2014 qui interdit l’utilisation de produits phytosanitaires au sein des espaces publics depuis 2017. Elle organise également l’attribution du label « terre saine – commune sans pesticide » afin d’encourager les collectivités territoriales à se détacher de l’usage de ces produits ;

3)     La réglementation et les contrôles. Ces derniers tendent à une meilleure protection des captages en coopération avec les régions et à un suivi renforcer des installations de collecte et de traitement des eaux usées.

- Programme 159 Expertise, information géographique et météorologie

Le programme 159 connaît une légère baisse de ses AE et de ses CP. Les AE et les CP diminuent tous les deux de 25 millions d’euros environ par rapport à l’année 2020, pour atteindre 480 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances.

-         Programme 181 – Prévention des risques

Les AE du programme 181 enregistre une forte hausse dans le présent projet de loi de finances, qui porte les crédits à 1 033 millions d’euros environ, contre 821 millions l’an passé. Les CP connaissent également une forte progression et augmentent d’environ 170 millions pour atteindre 992,6 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021. Dans le cadre de ce programme, les objectifs annoncés sont les suivants : limiter les impacts des pollutions industrielles et agricoles sur les personnes, les biens et l’environnement, réduire l’impact des déchets sur les personnes les biens et l’environnement, réduire la vulnérabilité des personnes ou encore assurer un contrôle performant de la sûreté nucléaire.

-         Programme 174 – Énergie, climat et après-mines

Le programme 174 s’articule autour de trois objectifs majeurs ; mettre en œuvre une politique énergétique intelligente, accompagner la transition énergétique et accompagner la transition économique, sociale et environnementale des territoires. Il a connu une évolution particulière au cours de l’année 2020. Initialement doté de 2 488 millions d’euros en AE et 2 398 millions d’euros en CP dans la loi de finances initiale pour 2020, les lois de finances rectificatives ont par la suite dégagé à son profit 723 millions d’euros d’augmentation des AE et des CP. Dans le présent projet de loi de finances, les AE et les CP de ce programme retrouvent un niveau équivalent à celui de la loi de finances initiale pour 2020 avec 2 554 millions d’euros en AE et 2 467 millions d’euros en CP. Ces grandes évolutions ont eu lieu sous l’effet de l’intégration du compte d’affectation spéciale Transition énergétique au sein du présent programme.

-         Programme 345 – Service public de l’énergie

Le programme 345 est le programme qui enregistre la plus forte hausse sur l’ensemble de la mission. Les AE inscrits en loi de finances initiale puis dans les lois de finances rectificatives en 2020 s’élevaient à 2 596 millions d’euros. Ils sont désormais portés à 9 146 millions d’euros dans le cadre du présent projet de loi de finances. Les CP suivent cette même dynamique et passent de 2 673 millions d’euros à 9 149 millions d’euros. Les CP et les AE de ce programme connaissent ainsi une hausse de plus de 6 500 millions d’euros. Ces évolutions tiennent au fait que le programme 345 doit regrouper, à terme, l’ensemble des dépenses budgétaires associées aux charges de service public de l’énergie.

-         Programme 217 – Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durable

Le programme 217 qui constitue avant tout un programme de pilotage des politiques publiques menées en matière environnementale connaît, dans le cadre du présent projet de loi de finances, une légère baisse de ses AE et de ses CP. Les AE passent ainsi de 2 879 millions d’euros à 2 849 millions d’euros entre 2020 et 2021, les CP passant quant à eux de 2 907 à 2 869 millions d’euros.

-         Programme 355 – Charge de la dette de la SNCF Réseau reprise par l’État

Le programme 355 enregistre pour sa part une augmentation de ses AE et de ses CP qui passent de 283,2 millions d’euros en 2020 à 692 millions d’euros dans le cadre du présent projet de loi de finances.

Votre rapporteur estime la mobilisation de la France en matière environnementale particulièrement importante et pertinente. Il soutient l’évolution générale des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables et invite la commission des affaires étrangères à émettre un avis favorable à leur adaptation afin de permettre à notre pays de continuer à œuvrer pour la préservation de la nature et du vivant.

II.   Une mobilisation européenne de l’ordre de 100 milliards d’euros sur dix ans au profit de la préservation de l’environnement

Le Pacte vert pour l’Europe (ou « Green Deal » en anglais), présenté par la Commission européenne en décembre 2019 se veut la clef de voûte de toutes les actions et politiques sectorielles de l’Union européenne pour les cinq prochaines années.

Dans l’ensemble, les États membres ont salué de façon unanime la vision ambitieuse et transversale de ce Pacte vert européen en vue de répondre aux défis climatique et environnementaux. La France soutient particulièrement ce plan européen qui correspond sur de nombreux points à ses attentes en matière environnementale. Sa mise en œuvre reste, par ailleurs, une priorité en dépit de la crise sanitaire actuelle.

A.   Le contenu et les moyens du Pacte vert pour l’Europe

Le Pacte vert pour l’Europe repose sur une approche intégrée des objectifs climatiques et environnementaux, avec une dimension sociale affirmée, dans l’ensemble des politiques de l’Union européenne. La stratégie présentée par la Commission européenne s’articule autour de trois piliers : la transformation de l’économie européenne, l’action internationale et le pacte pour le climat européen.

La transformation de l’économie européenne va faire l’objet de très nombreuses propositions de la Commission européenne conformes en de nombreux points aux ambitions françaises. Elle passe notamment par l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 et par le rehaussement de l’ambition pour 2030. Cette transformation devra mobiliser l’industrie en faveur d’une économie propre et circulaire, mettre l’accent sur la rénovation énergétique des bâtiments, accélérer le passage à une mobilité durable et intelligente, et œuvrer à la conception d’un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement. La préservation et la restauration des écosystèmes et de la biodiversité apparaît, en outre, comme une priorité. L’ensemble de ces actions doivent s’inscrire dans un cadre de financement et d’investissement verts et permettre d’assurer une transition écologique juste. La Commission européenne prévoit ainsi, outre des propositions législatives, la publication de nombreuses stratégies ou plans d’actions visant à coordonner les politiques nationales et les plans de relance économique à venir.

L’action internationale de l’Union européenne vise à encourager les autres États à mettre en œuvre des politiques climatiques, environnementales et énergétiques ambitieuses. Ces orientations sont conformes aux ambitions françaises, notamment au sujet de la volonté de faire du respect de l’accord de Paris sur le climat de 2015 une clause essentielle pour tous les futurs accords commerciaux.

Le financement du Pacte vert européen repose principalement sur le plan d’investissement pour une Europe durable dévoilé par la Commission européenne le 14 janvier 2020 et qui doit permettre de mobiliser plus de 1 000 milliards d’euros sur dix ans (2020‑2030). La moitié de cette enveloppe est constituée des crédits consacrés aux objectifs climatiques dans le cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne 2021‑2027 qui reste pour sa part globalement similaire à l’exercice précédent avec une dotation de 1074,3 milliards d’euros. Le reste de financements provient de co‑financements privés ou publics, notamment des prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI). Le Pacte vert européen prévoit un mécanisme de transition écologique juste destiné à accompagner les territoires où la transition vers la neutralité carbone engendre des conséquences socio‑économiques très importantes à l’image des régions charbonnières. Ce mécanisme est doté de 100 milliards de subventions et de prêts sur la période 2021‑2027. Suite au Conseil européen des 17 et 21 juillet 2020 qui a confirmé que 30% du plan de relance comme du CFP 2021‑2027 devront être alloués au financement des objectifs climatiques, le plan de relance va apporter 225 milliards d’euros supplémentaires de subventions et de prêts jusqu’en 2023 pour financer la transition écologique sur le territoire de l’Union dont 10 milliards de subventions complémentaires pour le mécanisme de transition juste.

B.   Les premières initiatives lancées dans le cadre du pacte vert pour l’europe

La Commission européenne a présenté le 4 mars 2020 une proposition de règlement, dite « loi européenne sur le climat pour l’Europe », inscrivant l’objectif de neutralité carbone en 2050 dans le droit européen et proposant de rehausser l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, qui pourrait aller jusqu’à -55%. Ce nouvel objectif sera ensuite transmis officiellement comme nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) de l’Union européenne à la Convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCCC) ce qui pourrait permettre d’enclencher un effet d’entraînement auprès d’autres pays, notamment les plus forts émetteurs de gaz à effet de serre. L’objectif de l’actuelle présidence allemande du Conseil de l’Union européenne est de finaliser cette négociation avant la fin de l’année 2020.

En mars 2020, la Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie industrielle comprenant un plan d’actions pour l’économie circulaire en phase avec les priorités françaises. La stratégie industrielle fait de la transition verte et numérique ainsi que de l’autonomie stratégique de l’Union européennes des questions centrales. Ce plan d’action encourage des initiatives en faveur de plus de sobriété et d’une production locale en utilisant les circuits courts. Il prévoit, par ailleurs, des actions renforcées sur des secteurs prioritaires (plastiques, textiles, constructions, produits électroniques) et un renforcement des droits des consommateurs (affichage environnemental).

La Commission européenne a publié en mai 2020 une stratégie européenne pour la biodiversité à horizon 2030 avec des actions spécifiques dès 2021. Cette stratégie inclut les objectifs clefs français comme la protection d’au moins 30% de la superficie terrestre et maritime de l’Union européenne, l’augmentation des moyens dédiés aux mesures de restauration, la réduction de 50% de l’utilisation des pesticides, l’augmentation significative des surfaces en agriculture biologique, ainsi que la prise en compte des questions liées à la biodiversité dans les accords commerciaux négociés par l’Union. La stratégie inclut en outre un objectif d’augmentation des surfaces forestières et la plantation de 3 milliards d’arbres d’ici 2030. Cependant la déclinaison opérationnelle de ces objectifs reste à définir et votre rapporteur appelle à la plus grande vigilance sur ce point.

Conjointement, la Commission européenne a présenté la stratégie « De la ferme à la table » visant notamment à réduire les pressions exercées par l’agriculture sur l’environnement. Elle fixe des objectifs ambitieux tels que la réduction des produits phytopharmaceutiques ou le développement de l’agriculture biologique et de l’agriculture à haute valeur environnementale.

Une stratégie sur l’intégration du système énergétique a été publiée conjointement avec une stratégie sur l’hydrogène le 8 juillet 2020. La première stratégie fait des propositions visant à planifier et exploiter de manière plus coordonnée le système énergétique dans son ensemble. L’objectif de la stratégie sur l’hydrogène est de faire passer sa part dans le mix énergétique final de l’Union européenne de moins de 2% à 14% d’ici 2050 en se focalisant en priorité sur la production d’hydrogène bas‑carbone produit par de l’électricité renouvelable ou nucléaire.


   Deuxième partie thématique :
les défis de l’eau à l’échelle mondiale

I.   L’EAU une ressource vitale pour l’humanité

Comme l’écrivait dans L’eau et les rêves ([4]) , le philosophe et historien des sciences, Gaston Bachelard : « l’eau est un organe du monde ». Elle constitue un des éléments les plus précieux sur Terre, un de ses traits caractéristiques, puisqu’elle a permis le développement de la vie. Souvent comparée à d’autres ressources naturelles comme le pétrole –  en atteste son qualificatif « d’or bleu » par analogie avec « l’or noir » – l’eau se révèle d’une importance toute autre puisqu’elle n’est pas substituable. En revanche, elle est renouvelable. Le problème de la ressource en eau sur notre planète n’est pas tant celui de sa quantité globale disponible – qui est très importante – mais plutôt celui de son inégale répartition temporel et géographique, de sa qualité ainsi que de la capacité des États à la mobiliser.

A.   Une ressource abondante mais inégalement répartie

1.   Une répartition géographique différenciée

L’eau salée représente près de 97,5% de l’eau présente sur Terre – valant à notre planète son surnom de « planète bleue » –  contre seulement 2,5% pour l’eau douce ([5]). L’essentiel de cette ressource est, par ailleurs, contenu dans les deux inlandsis que sont l’Antarctique et le Groenland quand l’eau douce facilement accessible (fleuves, lacs, aquifères…) ne représentent in fine que 0,7% du stock d’eau mondial ([6]). Cependant cela représente toute de même environ 40 millions de kilomètres cubes (km3) d’eau, soit 5 700 mètres cubes (m3) par habitant et par an, constituant ainsi un stock hydrique considérable à même de couvrir les besoins humains et le fonctionnement des écosystèmes.

Le cycle de l’eau se caractérise par une évaporation annuelle sous l’effet de l’énergie solaire au‑dessus des océans de l’ordre de 500 000 km3 d’eau, la majeure partie retombant sous forme de précipitations dans les océans et 10% étant transférés, de manière très différenciée, sur les continents. Les régions les plus arrosées étant les zones équatoriales ainsi que les régions situées entre 20° et 40° de latitude sur la façade Est des continents (Chine, États-Unis) et entre 40° et 60° de latitude sur leur façade Ouest (Europe occidentale, Canada) ([7]). À l’opposé, les précipitations sont faibles dans les régions éloignées des océans (Asie centrale) ou dans les deux bandes désertiques qui s’étendent le long des tropiques du Cancer (Sahara, désert d’Arabie, désert des Mojaves, désert de Sonora…) et du Capricorne (désert du Namib, désert du Kalahari, grand désert de Victoria…).

La partie la plus importante de l’eau douce présente sur Terre se trouve piégée dans les glaciers de l’Antarctique (environ 28 millions km3 d’eau) et du Groenland (environ 2,6 millions km3 d’eau). Cependant les connaissances scientifiques et techniques ainsi que des considérations environnementales, ne permettent pas d’envisager, à ce jour, une exploitation de ces ressources considérables ([8]).

Les eaux de surface ou eaux superficielles et les eaux souterraines constituent les sources principales d’approvisionnement en eau des besoins humains. Les eaux souterraines, relativement bien réparties entre les continents, représentent environ 10,5 millions km3 mais sont en général difficiles d’accès ([9]). Les eaux de surface sont essentiellement concentrées dans les grands lacs – comme la mer Caspienne, les Grands Lacs d’Amérique du Nord ou le lac Victoria – qui constituent les plus grands réservoirs d’eau douce superficielle du monde (123 000 km3). En comparaison le volume d’eau présent dans les cours d’eau paraît négligeable s’élevant à seulement 1 300 km3 pour les fleuves.

À l’échelle mondiale quelques États disposent d’une ressource très abondante comme le Brésil (41 600 m3/hab./an), la Russie (31 500 m3/hab./an et le Canada (80 000 m3/hab./an). À l’opposé, quelques pays ont des ressources en eau quasi inexistantes à l’instar du Koweït (7 m3/hab./an) et de certaines îles comme Malte (120 m3/hab./an) ou les Maldives (82 m3/hab./an) ([10]).

2.   Des indicateurs en trompe‑l’œil

Différents indicateurs ont été proposés pour permettre d’appréhender, à travers le monde, l’état des ressources en eau et les seuils de pénurie. L’un des plus connus et des plus utilisés est l’indice de stress hydrique développé, en 1989, par l’hydrologue suédoise Malin Falkenmark. Il permet de distinguer différentes catégories de pays en fonction de la disponibilité en mètres cubes d’eau « bleue » ([11]) par personne et par an sur leur territoire :

- Si les ressources en eau sont comprises entre 1 500 et 1 000 m3 par habitant et par an, le pays en question se trouve en situation de stress hydrique ;

- Si les ressources en eau sont comprises entre 1 000 et 500 m3 par habitant et par an, le pays en question doit faire face à une situation de rareté chronique ;

- Si les ressources en eau se situent en dessous de 500 m3 par habitant et par an, le pays considéré est alors en situation critique ([12]).

La carte, ci‑après donne à voir l’état des ressources en eau par État, en 2007, selon l’indice de stress hydrique :

Niveau de disponibilité en eau renouvelable par État

Cependant cet indice se révèle imparfait voire trompeur puisqu’en se basant sur la moyenne annuelle à l’échelle nationale il a tendance à homogénéiser des situations très différentes. Ainsi, la Namibie, pays doté d’une très faible population de l’ordre de 2,3 millions d’habitants en 2013, paraît un géant de l’eau avec 20 247 m3 par habitant. Or ce chiffre est en réalité exagérément gonflé par la présence de deux grands fleuves – l’Orange et l’Okavango – se situant aux extrémités du pays à plusieurs centaines de kilomètres des zones densément peuplées ([13]). De même, l’Espagne présente à première vue un bilan global positif avec un ratio de l’ordre de 2 500 m3 par habitant et par an, ce qui cache néanmoins de très grandes disparités entre les régions atlantiques du pays très arrosées (3 666 m3/hab/an) et la façade méditerranéenne plus aride (1 716 m3/hab/an) ([14]).

Comme le relève David Blanchon, enseignant‑chercheur à l’Université Paris‑Nanterre, entendu par votre rapporteur dans le cadre de ses travaux et auteur de la Géopolitique de l’eau, l’indice de stress hydrique développé par Malin Falkenmark outre ses limites méthodologiques ne prend pas en compte les capacités des États à mobiliser la ressource en eau, c’est‑à‑dire la manière dont les sociétés humaines parviennent à s’adapter aux contraintes du milieu en construisant des ouvrages hydrauliques permettant notamment d’extraire l’eau, de l’acheminer et de la stocker.

3.   Une inégale capacité de mobilisation en fonction des États

La capacité des États à mobiliser la ressource en eau, au‑delà des seules contraintes temporels ou géographiques est déterminante pour mieux comprendre les grands enjeux actuels liés à la ressource en eau. Ainsi, des pays dont la ressource en eau « bleue » se révèle pourtant faible comme Israël (281 m3/hab.) ou Malte (40 m3/hab.) se trouvent dans une situation satisfaisante en comparaison avec d’autres pays comme l’Égypte (936 m3/hab.) qui apparaît pourtant à première vue mieux dotée grâce au bassin du Nil ([15]).

La capacité d’adaptation des États permettant de faire face à la rareté de l’eau pour un usage agricole, industriel ou domestique repose sur trois facteurs principaux ([16]) :

-         Une expertise technique à même de concevoir, construire et entretenir des ouvrages hydrauliques (barrages, canaux, usine de dessalement de l’eau de mer, station d’épuration…) ;

-         Une capacité financière pour mettre en œuvre ces ouvrages ;

-         Une volonté politique permettant de soutenir et concrétiser ces projets de valorisation de la ressource en eau.

L’exemple de Dubaï aux Émirats arabes unis prouve qu’une ville pourtant situé au cœur d’une zone désertique mais disposant de ces trois facteurs peut s’assurer un accès à la ressource en eau au‑delà même de ses besoins vitaux.

En 2002, des chercheurs du Centre d’écologie et d’hydrologie de Wallingford (Royaume-Uni) ont proposé un nouvel indicateur : l’indice de pauvreté en eau. Celui‑ci permet, au‑delà de la ressource disponible de prendre en compte l’accès à l’eau, la pression sur les ressources, les investissements, la préservation de l’environnement ([17]). Plus cet indice est faible plus la pauvreté en eau est importante. Il fait ainsi apparaître une carte très différente de celle dessinée en se fondant sur l’indice de stress hydrique. Lors de son élaboration, l’un des pays les mieux dotés était la Finlande avec un indice de 78. La France était également très bien positionnée avec un indice de 68. À l’opposé des pays comme le Niger ou Haïti, cumulant des ressources en eau faibles et des difficultés techniques et financières importantes se trouvaient dans une situation hydrique particulièrement critique avec un indice de 35. Israël pour sa part, malgré une faible ressource enregistrait un indice de 53 alors que la République démocratique du Congo qui dispose pourtant d’une ressource abondante enregistrait un indice de 46 traduisant une pauvreté en eau critique ([18]).

La carte, ci‑après donne à voir l’état de pauvreté en eau, par État, en 2002 :

Niveau de pauvreté en eau par État

L’indice de pauvreté en eau apparaît ainsi comme un indicateur pertinent permettant de mettre en exergue les défis de l’eau à l’échelle de la planète en révélant que les « crises de l’eau » sont avant tout la conséquence du sous‑développement et des inégalités sociales.

B.   Une ressource sous pression

1.   L’augmentation exponentielle des besoins en eau

Selon le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau de 2019 ([19]), l’eau sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio‑économique et de l’évolution des modes de consommation est une ressource de plus en plus sollicitée. Son utilisation augmente ainsi annuellement d’environ 1 % depuis les années 1980. Le volume total d’eau prélevé au niveau mondial s’élevait en 2016 à 4 000 km3 selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, soit 535 m3/hab./an, ce qui équivaut à 9% des ressources renouvelables ([20]).

Le diagramme ci‑après présente l’évolution spectaculaire des prélèvements d’eau depuis un siècle :

Évolution des prélèvements en eau en fonction des usages

Alors que la population mondiale a quadruplé au cours du XXe siècle, les prélèvements d’eau ont pour leur part été multipliés par sept sur la même période. Selon ce même rapport des Nations unies, la demande mondiale en eau devrait continuer à croître à un rythme soutenu jusqu’en 2050, laissant augurer une augmentation de 20 % à 30 % à la fin de la période. Pour autant, cette hausse de la consommation de la ressource – aggravée par les effets du dérèglement climatique – ne devrait pas fondamentalement modifier la répartition actuelle des prélèvements : 69% étant destinés à l’agriculture, 19% aux usages industriels et seulement 12% à la consommation domestique. Seule la part de la consommation agricole devrait légèrement baisser au profit de la consommation domestique reflétant ainsi la croissance de la population mondiale, le développement socio‑économique mondial et l’évolution des modes de consommation. Il est, par ailleurs, nécessaire de relever que ces chiffres globaux de répartition entre les usages agricoles, industriels et domestiques masquent de grandes diversités régionales.

Selon Aquastat ([21]), dans les pays les moins avancés, près de 90 % des prélèvements d’eau douce ont lieu dans les zones rurales principalement pour l’irrigation des cultures agricoles ([22]). Ainsi, l’agriculture représente plus de 80% des prélèvements en Asie et en Afrique et plus de 70% en Amérique du Sud. En revanche dans les pays développés, on constate que les prélèvements de la ressource en eau dominent au profit de l’industrie (53% pour l’Amérique du Nord et 30% pour l’Europe) accompagnés d’une part importante consacrée aux usages domestiques (13% pour l’Amérique du Nord et 36% pour l’Europe).

La carte, ci‑après, présente la répartition des usages selon les continents :

Répartition régionale des usages de la ressource en eau

Un habitant d’Amérique du Nord consomme en moyenne 250 litres par jour, contre 150 litres pour un résident français et moins de 10 litres pour un habitant d’Afrique subsaharienne ([23]).

2.   Une ressource à la qualité menacée

L’eau est une ressource menacée par les activités humaines comme a pu l’illustrer en 1986 l’incendie de l’entrepôt d’une usine chimique de la firme Sandoz à proximité de Bâle en Suisse. Cette catastrophe a entraîné le déversement par les pompiers de 15 000 m3 d’eau qui se sont mélangés à d’importantes quantités de produits chimiques et ont fini par ruisseler dans le Rhin. Cette pollution de grande ampleur des eaux du fleuve a eu pour effet de causer la mort de milliers de tonnes de poissons sur des centaines de kilomètres en aval de Bâle.

Selon les analyses statistiques du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture dégradent de plus en plus les eaux de surface et les eaux souterraines. Par ailleurs, les disparités s’accentuent, avec l’assèchement des zones humides et des eaux de surface dans les régions arides. L’imperméabilisation et la dégradation des sols ainsi que la déforestation, réduisent directement la capacité d’infiltration des sols, et ce faisant, la recharge des aquifères, et augmentent le ruissellement, les risques d’inondation et de sécheresse. De même, la déforestation aggrave l’érosion des sols et le transfert de sédiments nuisant ainsi à la qualité des eaux.

a.   Une ressource surexploitée et polluée

Les activités humaines et les besoins grandissants en eau qui les accompagnent ont pour effet d’engendrer une nette détérioration de la qualité des ressources en eau faisant alors peser des risques sur la santé humaine et la préservation des écosystèmes.

i.   La surexploitation des ressources souterraines

Les ressources souterraines, qui restent peu connues de la communauté scientifique, apparaissent souvent comme inépuisables dans l’imaginaire collectif. Un autre mythe les concernant tient à leur pureté supposée alors qu’elles peuvent également subir de manière durable les effets de la pollution ([24]). Le pompage excessif de ces eaux souterraines tend, dans certaines régions du monde, à excéder leur taux de renouvèlement annuel et les expose ainsi à un risque d’assèchement.

Ainsi, les prélèvements dans les eaux souterraines ont triplé dans le monde ces cinquante dernières années. Ils atteignent aujourd’hui 1 000 km3 par an, soit 26 % des prélèvements totaux en eau. Dans son rapport de 2012 sur le sujet, l’Organisation des Nations unies ([25]) a qualifié ce phénomène de véritable « révolution silencieuse ». L’agriculture est de loin le principal bénéficiaire de cette ressource (67 % des volumes prélevés), suivie par les usages domestiques (22 %) et l’industrie (11 %).

Au niveau mondial, les eaux souterraines fournissent la moitié de l’eau potable pour la consommation humaine, et pourvoient à l’irrigation de 113 millions d’hectares sur les 300 millions irrigués dans le monde, assurant ainsi la sécurité alimentaire de 1,5 milliard de foyers ruraux dans les régions pauvres d’Asie et d’Afrique. Les eaux souterraines sont essentielles à la sécurisation des approvisionnements en eau, tout particulièrement dans les régions arides, mais également dans l’ensemble des régions du monde. Les eaux souterraines contribuent à l’équilibre des échanges entre les aquifères et les eaux de surface.

Près de 1,7 milliard de personnes, soit le quart de la population mondiale, vivent dans des régions où les ressources en eaux souterraines sont surexploitées.

La carte ci‑dessous montre le niveau de stress des eaux souterraines par pays. Les pays dans lesquels ce stress est le plus important sont notamment le Pakistan, l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Libye, et la Syrie :

Niveau de stress des eaux souterraines

Source : Centre international d'évaluation des ressources en eaux souterraines (IGRAC), 2014.

Le pompage des eaux souterraines a souvent été perçu comme une solution miraculeuse dans des zones où l’accès à l’eau de surface est très limité. Ainsi, ont pu émerger des fermes en plein milieu de zones désertiques en Arabie saoudite, s’approvisionnant directement et intensivement dans les nappes fossiles pour la plupart non renouvelables. Ce système visant à puiser dans les eaux souterraines semble avoir déjà atteint ses limites tant l’épuisement de la ressource a conduit les autorités à forer des puits toujours plus profonds, pour un coût toujours plus élevé. Par ailleurs, ces opérations ont tendance à accentuer les tensions sociales puisqu’elles ont pour effet de diminuer drastiquement les dotations en eau des puits traditionnels, enclenchant par ricochet des migrations forcées qui peuvent se muer par la suite en troubles sociaux.

La surexploitation des eaux souterraines fait peser des menaces sur les population et l’environnement en entraînant des risques d’affaissement des sols, ce qui est notamment le cas dans certaines villes comme Mexico ou Jakarta. Elle peut également conduire à dégradation de la qualité des eaux en entraînant une augmentation de la concentration en polluants. Enfin elle peut aussi induire une perte de biodiversité, les eaux souterraines constituant un support de vie essentiel pour les écosystèmes notamment pour la conservation des zones humides, mais également la préservation des sols, des végétaux et des espaces forestiers. Par ailleurs, lorsqu’une nappe souterraine s’épuise, les sources qui en dépendent finissent par tarir et l’on assiste alors à des phénomènes d’infiltration d’eau de mer en provenance des zones côtières. Ces infiltrations rendent alors les forages définitivement impropres à la consommation ([26]).

De ce fait, l’exploitation durable et raisonnée des ressources en eau souterraine est un enjeu majeur pour la pérennité des usages, qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux.

ii.   Les pollutions d’origine agricole

Les pollutions d’origine agricole sont liées à l’essor de l’agriculture intensive et à l’usage massif d’intrants (engrais et pesticides). Les rejets d’eaux saturées en nitrates ou en phosphate dépassent, en certains endroits, les capacités d’autoépuration des milieux naturels.

L’agriculture intensive engendre trois grands bouleversements. Elle provoque, en premier lieu, une salinisation des ressources en eau liée à une mauvaise maîtrise des systèmes de drainage et à une accumulation de minéraux. Un tel phénomène semble être à l’origine du déclin des premières civilisations en Mésopotamie et concerne aujourd’hui plus de 8% des superficies irriguées à l’échelle internationale. En second lieu, l’agriculture intensive provoque une pollution au nitrate et au phosphate qui constituent des éléments essentiels pour la croissance des plantes mais qui sont parfois utilisés dans des proportions démesurées. L’excès de nutriments a pour effet de favoriser le développement de végétations aquatiques absorbant une large partie de l’oxygène dissous menaçant par là même la biodiversité des milieux concernés. Enfin, l’utilisation excessive de pesticides représente la troisième grande source de pollutions agricoles. Ainsi, nous retrouvons des traces de ces produits phytosanitaires dans 91% des eaux de surface et dans 55% des eaux souterraines. À certains endroits, la teneur en pesticide est tellement importante que l’eau peut être déclarée impropre à la consommation ([27]).

iii.   Les pollutions d’origine industrielle

Au Moyen‑Âge, les eaux usées évacuées des tanneries et des orfèvreries occasionnées déjà des intoxications au mercure et engendrées une détérioration de cours d’eau entiers. Le traitement des eaux usées est une des réponses permettant de gérer ce type de pollution.

Le taux de traitement des eaux usées s’élève dans les pays d’Europe occidentale à plus de 75%. Néanmoins, des produits nocifs comme les polychlorobiphényles – qui furent largement utilisés dans l’industrie dans les années 1970 avant d’être progressivement interdits – demeurent très présents dans les sédiments des cours d’eau et peuvent encore gravement porter atteinte à la biodiversité aquatique. Les traitements mis en œuvre pour contrer les effets de cette pollution résiduelle s’avère souvent très onéreux, de l’ordre de 100 euros par m3 ([28]).

iv.   Les pollutions urbaines

La hausse des pollutions liées à l’usage domestique de la ressource en eau est liée à l’augmentation démographique ainsi qu’à l’expansion des grands centres urbains à l’échelle mondiale.

L’enjeu majeur pour les grands centres urbains réside dans le développement de systèmes d’assainissement efficaces. Dans certains pays, et plus particulièrement dans les pays du Sud, moins de 30% des habitants des aires urbaines ont accès à des systèmes d’assainissement. Dans ces cas, les eaux usées non traitées, contenant notamment des déchets organiques, sont généralement rejetées et participent directement à la pollution des ressources en eau en ruisselant vers les fleuves ou les nappes souterraines représentant un risque pour la santé publique.

Il est ainsi estimé qu’au moins un million de personnes meurent chaque année de maladies liées au manque d’eau potable. En outre, 90% de ces victimes sont des enfants de moins de cinq ans. Parmi les maladies liées à l’eau, le choléra est sans doute la pathologie la plus connue. Elle a été éradiquée dans les pays du Nord mais a connu une recrudescence au Pérou en 1991 ou en Afrique du Sud dans les années 2000. D’autres maladies peuvent se développer en cas de pollution sévère de la ressource en eau ou en l’absence de système d’assainissement performant à l’image de la typhoïde (17 millions de personnes infectées chaque année), du trachome (6 millions de personnes infectées chaque année), de la bilharziose (200 millions de personnes infectées) ([29]).

b.   Les mesures permettant de protéger la qualité de la ressource en eau

En Europe, le cadre réglementaire communautaire a permis de considérablement améliorer la qualité des ressources et de leur gestion. En effet, la directive cadre sur l’eau, la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, la directive relative aux eaux de baignade et celle relative au milieu marin ont joué un rôle important dans l’amélioration de la qualité de la ressource.

Les principaux freins à l’atteinte du bon état écologique des masses d’eau en Europe restent cependant l’agriculture intensive et l’accroissement de l’urbanisation. Si, à ce jour, l’objectif de « bon état écologique » des masses d’eau européennes n’est pas encore atteint – seules 40% bénéficient d’un « bon statut » – des améliorations sont globalement observées, notamment pour les eaux souterraines dont 74% sont désormais classées en « bon statut ».

La France figure parmi les pays d’Europe ayant le moins de masses d’eau de mauvaise qualité. Cependant, comme ailleurs, les ressources sont également soumises à une forte pression, avec des situations contrastées entre les régions et les saisons. Selon les régions, l’intensité des épisodes de sécheresse, qui se multiplient ces dernières années, varie. Par ailleurs, d’un point de vue qualitatif des disparités sont notables, avec une qualité moindre dans le nord de la France (Seine‑Normandie, Artois‑Picardie). En France, l’une des principales sources de dégradation des eaux de surface et des eaux souterraines demeure la pollution chimique provenant des activités industrielles, agricoles ou urbaines. Il s’agit notamment des nitrates, des pesticides, des médicaments et des perturbateurs endocriniens. À titre d’exemple, les pesticides sont présents dans la quasi‑totalité des cours d’eau en France. En ce qui concerne les aquifères, l’amélioration de la qualité se révèle très lente. En effet, malgré les efforts entrepris, la pollution par les nitrates ne diminue guère.

La pression que les activités humaines font peser sur les hydrosystèmes soumet à rude épreuve leur résilience et leur capacité d’autoépuration. Lorsque la ressource en eau est polluée, celle‑ci devient alors impropre pour les usages humains voire toxique pour les écosystèmes dans leur ensemble. Par la suite, toute opération de dépollution nécessite des moyens considérables. De plus, la possibilité de recouvrer une eau saine et de bonne qualité n’est jamais assurée. Pour ces raisons, la protection de la ressource en eau doit constituer un enjeu de politique publique de premier ordre aux échelles nationale, régionale et internationale.

II.   La ressource en eau, un enjeu géopolitique

A.   les principales règles de droit international régissant la protection et le partage de la ressource en eau

1.   Les conventions d’Helsinki et de New York

Deux conventions internationales encadrent le partage et la protection des masses d’eau transfrontalières, les conventions sur l’eau d’Helsinki (1992) et de New York (1997).

Entrée en vigueur en 1996, la convention d’Helsinki relative à la protection et à l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux fournit un cadre juridique et institutionnel de coopération et de dialogue entre États pour améliorer la gestion des eaux transfrontières de surface et souterraines. À l’origine paneuropéenne – Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) – la convention d’Helsinki est depuis 2016 ouverte à tous les États membres des Nations unies. Elle compte désormais 44 parties dont le Tchad et le Sénégal qui sont les deux premiers pays hors zone CEE-ONU à l’avoir signée en 2018, ainsi que le Ghana qui l’a rejointe en juin 2020. Parmi la vingtaine de pays ayant officiellement marqué leur intérêt pour la convention, certains comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Togo sont à un stade avancé dans le processus d’adhésion. La France joue un rôle particulier dans la promotion de cette convention en tant membre actif du bureau depuis 2012 et cheffe de file du programme d’ouverture et de promotion à l’international.

La convention de New York des Nations unies de 1997 relative à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation constitue un instrument juridique majeur concernant la protection et le partage des cours d’eau transfrontaliers et la gestion durable et intégrée des ressources. Elle est entrée en vigueur en 2012 et compte actuellement 37 parties. Elle constitue également un instrument juridique majeur pour la protection et le partage des cours d’eau transfrontaliers et la gestion durable et intégrée des ressources.

Ces deux conventions constituent les seuls instruments multilatéraux dédiés à la gestion de l’eau à l’échelle de la planète. Trois grands principes régissent ainsi la protection et le partage des ressources en eau :

1) La règle de l’utilisation équitable et raisonnable (article 5 de la convention de New York) qui repose sur le principe de souveraineté limitée des États et qui répond à la nécessité de concilier le principe de souveraineté absolue des États sur les ressources de leur territoire et sur le principe d’intégrité territoriale. Si cette règle n’inclut pas de priorité dans l’utilisation de la ressource, une attention spéciale doit cependant être accordée à la satisfaction des besoins humains essentiels (article 10) ;

2) L’obligation de ne pas causer de dommages significatifs (article 7 de la convention de New York) ;

3) Le principe de coopération et de règlement pacifique des différends (convention d’Helsinki).

L’ensemble de ces principes a été repris dans de nombreux accords régionaux tels que la convention sur le Danube (1994), l’accord sur le Mékong (1995) ou encore la charte sur les eaux du fleuve Sénégal.

Ces deux conventions complémentaires se distinguent par le niveau de prescription qu’elles contiennent sur certains thèmes. Ainsi, la convention d’Helsinki comporte l’obligation pour les États parties de conclure des accords et créer des organes communs pour la gestion des eaux partagées, ainsi que celle de respecter le principe du règlement pacifique des différends, tandis que la convention de New York le recommande seulement. À l’inverse, la convention de New York confère une force obligatoire au principe de l’utilisation équitable et raisonnable des ressources en eau, et l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs et de coopérer pour protéger et préserver les écosystèmes.

En encourageant le bon voisinage, le dialogue et la coopération politique et technique, ces deux conventions contribuent au maintien de la sécurité aux niveaux régional et international, y compris dans les bassins versants couverts par ailleurs par des accords régionaux ou bilatéraux. En effet, l’adhésion des États aux conventions sur l’eau permet de disposer d’un cadre juridique international, solide, et abordant avec précision l’ensemble des enjeux des bassins transfrontières. Elles offrent ainsi une sécurité supplémentaire aux États, dont l’adhésion à ces conventions contribue par ailleurs à renforcer la gestion intégrée et la coopération à l’échelle transfrontalière sur la scène internationale. Elles constituent également des instruments privilégiés de mise en œuvre des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, notamment les objectifs 6 (eau et assainissement, gestion durable des ressources en eau), 2 (sécurité alimentaire, nutrition et agriculture durable) et 16 (paix, justice, renforcement des institutions).

Au cours des dernières décennies, le droit international de l’eau douce s’est étoffé, notamment à travers une reconnaissance croissante des enjeux humains afférents à la répartition et la protection des ressources. En 1999, les États membres de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies ont adopté le protocole sur l’eau et la santé relatif à la convention d’Helsinki qui vise à renforcer la protection de la santé publique grâce à une meilleure gestion de l’eau et des écosystèmes liés à l’eau. Il s’agit du premier accord ayant force obligatoire qui lie la gestion durable de l’eau à la réduction des maladies liées à l’eau, favorisant ainsi les liens entre la mise en œuvre des droits de l’Homme, la santé, la protection de l’environnement et le développement durable. Autre étape majeure de cette évolution, la reconnaissance, il y a 10 ans, par l’Assemblée générale des Nations unies de l’accès à l’eau potable et salubre et de l’assainissement comme « un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme » ([30]).

Néanmoins, le droit international de l’eau apparaît comme un droit morcelé et incomplet. S’il permet d’encadrer la majorité des problématiques et des enjeux, le droit international de l’eau ne répond pas en revanche à la nécessité de plus en plus pressante d’une approche transversale, multisectorielle et intégrant les enjeux climatiques globaux auxquels la planète est confrontée. Pour y parvenir votre rapporteur suggère une intégration systématique des principes et règles liés à la préservation et au partage de la ressource dans les diverses branches du droit international voire la création d’une convention globale dédiée aux objectifs de préservation et de partage de la ressource d’une part mais également aux objectifs d’accès à l’eau et à l’assainissement d’autre part.

2.   Les relations bilatérales nouées par la France s’agissant des fleuves ou des lacs transfrontaliers

La France partage une partie de ses ressources en eau avec onze pays riverains. Les huit bassins transfrontaliers principaux sont les suivants :

- Le bassin de la Meuse partagé avec l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ;

- Le bassin de l’Escaut partagé avec la Belgique et les Pays-Bas ;

- Le bassin du Rhin partagé avec l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, Suisse, le Liechtenstein, l’Autriche, la Belgique (région de Wallonie) et l’Italie ;

- Le bassin Moselle et Sarre partagé avec l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique (région de Wallonie) ;

- Le bassin versant du Rhône lémanique, qui constitue un sous‑bassin que la France partage avec la Suisse (cantons de Genève, Vaud et Valais) ;

- Le bassin du Doubs, sous‑bassin du Rhône partagé avec la Suisse (cantons du Jura et de Neufchâtel) ;

- Le bassin du Maroni partagé avec le Surinam ;

- Le bassin de l’Oyapock qui marque la frontière avec le Brésil.

À l’heure actuelle, seuls les fleuves Maroni et Oyapock ne font pas l’objet d’un accord ou d’une instance de dialogue pour la gestion concertée entre pays riverains. Les six autres bassins sont couverts par des arrangements ou des accords transfrontaliers opérationnels. Les domaines de coopération visés par les accords et arrangement sont les suivants :

- les questions procédurales et institutionnelles telles que la prévention et la résolution des litiges et l’établissement d’organe commun ;

- la définition des thèmes de coopération, qui, selon les enjeux locaux, peuvent varier : navigation, santé, protection des écosystèmes, quantité ou allocation de la ressource, lutte contre les inondations ou les sécheresses, adaptation au changement climatique, qualité de l’eau, perspectives et objectifs communs de gestion, usages de l’eau (tourisme, énergie, agriculture, pêche) ;

- la surveillance et l’échange d’informations, par exemple à travers l’établissement de procédures communes d’alerte ou l’élaboration d’objectifs communs en matière de qualité de l’eau ;

- la planification et la gestion communes, via l’établissement de plans d’action internationaux ou communs, ou la gestion d’infrastructures partagées.

Concernant le lac Léman et les débits du Rhône qui passent la frontière franco‑suisse, des discussions sont en cours depuis 2011. Il n’existe à ce stade aucun accord qui garantisse à la France les quantités d’eau disponibles dans le Rhône en sortie du lac Léman. L’alimentation en eau du quart sud‑est de la France en dépend, notamment l’alimentation en eau potable de la métropole de Lyon (plus d’un million d’habitants), la production d’électricité (hydroélectricité et électricité nucléaire) et les nombreux usages agricoles de l’eau tout au long du fleuve jusqu’à son delta. Le changement climatique modifie d’ores et déjà le régime du fleuve et aura des effets encore plus marqués dans les prochaines années, notamment via la fonte des glaciers alpins. Jean‑Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a eu l’occasion de rappeler à son homologue suisse lors de sa visite du 18 septembre 2020 toute l’importance que revêtait la conclusion d’un tel accord.

En parallèle sont également menées des discussions pour établir entre la France et la Suisse une convention‑cadre bilatérale pour la gouvernance du bassin du Rhône qui permettrait de disposer d’une instance de dialogue et d’avoir une vision globale des enjeux de l’eau au niveau du bassin versant. À ce jour, six accords thématiques ont été conclus entre la France et la Suisse, ainsi qu’une dizaine d’accords locaux signés entre les collectivités territoriales françaises et suisses. La multiplicité des instances et des instruments sur le Rhône ne permet pas une vision globale contrairement à ce que prévoit la convention d’Helsinki.

B.   L’eau, une ressource entre tensions et coopérations

1.   Une ressource disputée

L’inégale répartition des ressources en eau sur la planète et les conditions de leur accessibilité peuvent engendrer des situations de fortes tensions interétatiques. En sens inverse, elles peuvent également imposer un nécessaire dialogue entre les États riverains d’un même bassin versant voire susciter des coopérations régionales renforcées. À l’échelle mondiale, l’eau est une ressource que les États ont en partage puisque 263 bassins transfrontaliers majeurs ont été répertoriés représentant à eux seuls environ 60% des ressources en eau de surface ([31]).

a.   L’eau, un révélateur de tensions préexistantes

Les avancées technologiques des dernières décennies ont permis l’installation de grandes infrastructures hydrauliques sur les principaux fleuves de la planète (barrages, pompes, canaux de détournement, etc.). Mais la construction de tels ouvrages peut conduire à une aggravation des tensions aux échelles locale, régionale et internationale en modifiant le cours ou le débit des cours d’eau concernés et en exacerbant la dépendance des pays situés en aval par rapport à ceux situés en amont. C’est notamment le cas de l’Irak qui dépend à 53% des eaux en provenance de Turquie ou du Pakistan qui dépend à 76% des eaux en provenance de la région très disputée du Cachemire.

Comme indiqué à votre rapporteur au cours de ses travaux, notamment à l’occasion des auditions de David Blanchon et Franck Galland, le risque de « guerres de l’eau » n’est, semble‑t‑il, pas à craindre à ce jour. En effet, mobiliser des ressources alternatives (exploitation de ressources souterraines, dessalement des eaux de mer, modification des usages…) paraît politiquement beaucoup moins risqué que l’engagement d’un conflit armé en vue de s’accaparer la ressource en eau. Cependant la question de l’accès à l’eau peut effectivement s’ajouter à d’autres conflits préexistants et rajouter de la crise à la crise. Elle devient alors un facteur d’aggravation des tensions en cours ou un élément de négociation ([32]).

Dans les régions particulièrement exposées à des épisodes de stress hydrique comme le Moyen‑Orient, les tensions entre pays voisins peuvent dès lors se cristalliser sur la question de l’accès à la ressource en eau. Ainsi, le contrôle des eaux du Jourdain dont le bassin se trouve à la jonction des territoires de quatre acteurs régionaux majeurs (Israël, Jordanie, Syrie, Territoires palestiniens) exacerbe des situations de crises déjà fortes. La construction de nombreux ouvrages sur le Jourdain et ses affluents au cours des dernières décennies et l’augmentation des prélèvements ont notamment conduit à une baisse sans précédents du niveau d’eau de la mer Morte. Ce lac salé avait atteint, en 1960, un niveau historiquement bas (390 mètres sous le niveau de la mer) qui se trouve aujourd’hui largement dépassé (430 mètres sous le niveau de la mer). La question de l’eau au Proche-Orient se révèle éminemment géopolitique et est traitée comme un enjeu de puissance et de survie par l’ensemble des acteurs en présence. La très grande sensibilité de cette question en a d’ailleurs rendu le traitement impossible lors de la négociation des accords d’Oslo de 1993. Aujourd’hui encore, cette question de l’eau reste en suspens et continue de susciter des tensions régulières dans la région.

Avec l’augmentation généralisée des besoins en eau en raison d’une hausse des pressions démographiques et économiques la situation devrait, dans les années à venir, se détériorer plus encore dans de nombreux bassins versants. En 2025, plus de trente bassins versants majeurs pourraient ainsi être requalifiés en « zones de stress hydrique majeur » ce qui correspondrait à une situation d’insécurité hydrique pour environ la moitié de la population mondiale.

b.   Une ressource pouvait entraîner des rapprochements via des coopérations interétatiques renforcées

Comme souligné par David Blanchon au cours de son audition : « l’eau est plus un révélateur de tensions qu’un facteur déclenchant : elle envenime les conflits préexistants mais elle peut aussi au contraire accélérer, par la construction de projets communs, les réconciliations ».

De manière générale, s’agissant de la ressource en eau, la coopération interétatique semble, en effet, la règle. Selon le géographe Aaron Wolf, qui a recensé 1 863 événements liés à l’eau, il n’y a jamais eu de « guerre de l’eau » depuis 4 500 ans ([33]). Les résultats de ses travaux montrent que bien souvent, les pays préfèrent la coopération à l’escalade militaire.

La convention de New York adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies sur les droits relatifs aux usages des cours d’eau internationaux réaffirme le concept « d’utilisation raisonnable et équitable de la ressource en eau ». Elle affirme également une obligation générale de coopération entre les États. Les principes fondamentaux posées par cette convention ont conduit à l’émergence de nombreuses commissions régionales permanentes qui coordonnent en bonne intelligence les différentes politiques publiques sur un même bassin versant. La coopération internationale mise en place, en Europe, s’agissant du Danube a fait la preuve de son efficacité. En 1815, les treize États riverains de ce fleuve long de 2 875 kilomètres ont proclamé l’ouverture du Danube à la navigation internationale. Depuis 1994, la convention sur la protection du Danube constitue l’instrument juridique global de coopération en matière de gestion des eaux transfrontalières dans le bassin du Danube, elle vise notamment à garantir que les eaux de surface et les eaux souterraines du bassin du Danube sont gérées et utilisées de manière durable et équitable. D’autres instances similaire de coopération régionale sont vu le jour en Asie (Commission du Mékong depuis 1995) ou en Afrique (L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal depuis 1972). Enfin, le cas de la commission permanente de l’Indus impliquant l’Inde et le Pakistan demeure, depuis 1960, un exemple de coopération internationale dans une région sujette à de fortes tensions géopolitiques. Le caractère vital de la ressource en eau explique la préférence exprimée par les États pour la coopération et le dialogue.

2.   L’exemple des tensions dans le bassin du Nil

Au cours de ses travaux, votre rapporteur a eu l’opportunité d’analyser le regain de tensions dans la région du bassin du Nil, notamment provoquées par la mise en eau du barrage de la Renaissance construit par l’Éthiopie sur le Nil bleu. Pour mieux comprendre les ressorts de cette « crise de l’eau » concernant un fleuve stratégique pour toute une région votre rapporteur a choisi de se rendre en Égypte afin d’y rencontrer les autorités nationales et divers acteurs de la société civile œuvrant dans les domaines économiques, scientifiques et environnementaux. Désirant entendre tous les points de vue sur ce sujet particulièrement sensible, votre rapporteur a également tenu à rencontrer dans le cadre d’une audition l’ambassadeur d’Éthiopie en France.

Le bassin versant du Nil couvre près de 3 millions de km2 partagés entre onze États, comptant environ 174 millions d’habitants. Le fleuve représente la principale source d’approvisionnement en eau pour la majeure partie des pays de la région, dont les ressources hydriques naturelles sont très inégales. L’essentiel des flux hydriques qui alimentent le fleuve est accumulé dans les pays qui utilisent le moins les ressources du fleuve, puisque l’intégralité du cours du fleuve est formée avant de traverser la frontière égyptienne. La plupart des pays du bassin occidental du Nil bénéficient de précipitations importantes – la pluviosité est notamment excellente dans la région du lac Victoria, où elle est supérieure à 1000 mm par an. Le Nil bleu, qui prend sa source dans les hauts plateaux éthiopiens, apporte jusqu’à 86% des eaux du bassin. À Khartoum, point de confluence entre le Nil bleu et le Nil blanc, le premier représente de 50 à 55 milliards de m3 d’eau, contre seulement 20 à 25 milliards pour le second.

La carte, ci‑après, présente l’enjeu du partage des eaux du fleuve dans le bassin du Nil :

L’enjeu du partage des eaux du Nil

Un facteur important dans cette région de l’Afrique orientale est l’augmentation très rapide de la population entraînant une aggravation de la pression sur la ressource en eau en raison d’une augmentation de la demande agricole et de la production hydroélectrique. Cette situation impose donc des coopérations entre les États riverains du fleuve et n’est pas sans susciter des tensions récurrentes comme l’atteste la construction du barrage de la Renaissance en Éthiopie.

La question des eaux du Nil est un sujet primordial pour les Égyptiens et les nombreuses démarches initiées par Le Caire sur ce dossier sont là pour en témoigner confirmant à nouveau la célèbre citation d’Hérodote selon laquelle « l’Égypte est un don du Nil ». Le pays dépend, en effet, à 98% des eaux du fleuve pour son agriculture et son adduction en eau potable.

Le Soudan dépend également largement du Nil en termes de ressources hydriques, mais cela relève davantage d’un héritage historique. En effet, contrairement à l’Égypte, le Soudan dispose d’une alternative importante grâce aux précipitations qui créent des rivières saisonnières – les wadis – et à ses réserves aquifères.

Pour les Éthiopiens, la question de l’eau fait l’objet d’un très large consensus et a tendance à fédérer le pays. En outre, hormis quelques gisements de pétrole en région Somali, l’Éthiopie dispose essentiellement de ses importantes ressources en eau – le Nil bleu ne représente même pas la moitié des ressources en eau de l’Éthiopie – pour assurer ses projets de développement. La construction de barrages répond ainsi avant tout à des besoins hydroélectriques plutôt que d’irrigation. Les trois quarts des 105 à 110 millions d’Éthiopiens n’ont, en effet, pas accès à l’électricité en 2020. Les capacités hydroélectriques du pays sont considérables et Addis-Abeba entend les mettre en valeur grâces à la construction de barrages. Il s’agit donc d’un levier majeur de développement pour l’Éthiopie ainsi qu’un moyen de rééquilibrer sa balance commerciale structurellement déficitaire en exportant de l’électricité aux pays voisins, notamment le Soudan.

La carte, ci‑après, présente les capacités des barrages existants en 2013 dans le bassin du Nil :

Capacité des barrages hydroélectriques sur le Bassin du Nil

Le barrage de la Renaissance est un projet initié par Meles Zenawi, premier ministre éthiopien de 1991 à 2012. Dès son origine, le barrage de la Renaissance a été présenté comme le symbole du réveil économique de l’Éthiopie. Le barrage a été entièrement autofinancé, dont une partie par une large campagne d’emprunt national. Les fonctionnaires éthiopiens ont également été contraints de verser un mois de leur salaire pour financer l’édifice. Le chantier lancé en 2011 aurait dû prendre fin en 2018 mais a accusé des retards importants. Actuellement, la partie génie civil est quasiment terminée mais deux à trois ans seront encore nécessaires pour que la partie hydromécanique soit totalement opérationnelle. Les treize turbines du barrage devraient générer 6450 mégawatts (MW) alors que la production de l’ensemble des centrales éthiopiennes ne dépasse pas actuellement 4500 MW. Une fois terminée, le barrage de la Renaissance sera le plus grand barrage d’Afrique et l’un des dix plus grands du monde.

Il est fort probable que les Éthiopiens initient d’autres projets de barrage à l’avenir pour mettre à profit le savoir‑faire acquis, mais également en anticipation d’une croissance démographique soutenue dans les décennies à venir (150 millions d’habitants en 2035 contre 105 aujourd’hui).

La gestion du Nil a longtemps été l’apanage de l’Égypte, constituant en l’espèce un cas unique : un État de l’aval dictant ses impératifs hydriques aux États de l’amont. L’Égypte dans ce dossier met en avant ses droits « historiques » sur le fleuve consacrés par les accords de 1929 et de 1959 qui sont toujours en vigueur pour les Égyptiens et auxquels l’Éthiopie n’est pas partie. Le premier, signé par l’Égypte et la puissance coloniale britannique, prévoyait un droit de veto sur tout barrage ou construction en amont du cours du Nil susceptible de réduire son débit. L’accord de 1959, signé entre l’Égypte et le Soudan, a autorisé la construction du barrage d’Assouan et fixait une répartition de l’utilisation des eaux du Nil entre Le Caire (69,5 milliards de m3) et Khartoum (18,5 milliards de m3).

L’Initiative du bassin du Nil (IBN), lancée en 1999, visait initialement à un partage d’information entre les dix États riverains des deux bras du fleuve. L’IBN se voulait être un cadre de recherche commun pour un nouveau cadre juridique pour la gestion du Nil, afin d’éviter tout conflit lié aux questions hydriques dans une région déjà touché par de nombreux conflits internes.

En 2010, la signature de l’accord‑cadre sur la coopération dans le bassin du Nil ou accord d’Entebbe visait à dépasser les accords de 1929 et de 1959, pour rechercher un nouveau cadre international pour le Nil. Signé par l’Éthiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie, qui ont été rejoints peu après par le Burundi et le Kenya, cet accord autorise les pays en amont du fleuve à développer des projets d’irrigation et de barrages hydroélectriques sans être tenus d’obtenir l’accord préalable du Caire. Surtout, les décisions sont désormais prises à la majorité et non à l’unanimité. L’accord de 2010 permettait ainsi aux États de l’amont de mettre fin au statu quo qui restait jusqu’à présent favorable au Caire et à Khartoum. L’Égypte et le Soudan, qui s’étaient opposés à l’adoption de cet accord‑cadre, se sont par la suite retirés de l’Initiative du bassin du Nil.

Depuis 2010, la gestion des ressources hydriques dans le bassin du Nil est devenue complexe du fait de l’absence d’une gestion concertée et d’un cadre agréé par tous. De facto, le retrait de l’Égypte et du Soudan de l’IBN a rendu l’organisation beaucoup moins utile pour régler les différends, comme ceux en lien avec le barrage de la Renaissance.

Suite à la signature de la déclaration de principes en 2015 entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan, les trois pays s’étaient accordés pour s’appuyer sur une étude d’impact environnemental avant la mise en eau du barrage. Les cabinets français BRL et Artelia ont été adjudicataires de l’appel d’offres. Néanmoins, les trois États ne se sont jamais accordés pour valider conjointement le rapport préliminaire des cabinets français, présenté en avril 2017. L’Éthiopie contestait, entre autres, la mention d’un état de la répartition actuelle des eaux du Nil, interprétée comme une acceptation tacite des accords de 1929 et de 1959, auxquels l’Éthiopie n’est pas partie. Suite à ce blocage, BRL et Artelia ont interrompu leur étude.

Depuis l’annonce du projet du barrage de la Renaissance, les négociations entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan avancent très difficilement et aucun accord complet n’a été conclu depuis la déclaration de principes de 2015. Selon cette déclaration de principes, Addis‑Abeba s’engage à des consultations préalables avec le Soudan et l’Égypte, avant toute décision sur la mise en eau du réservoir du barrage. En contrepartie, l’Égypte et le Soudan reconnaissent le droit légitime de l’Éthiopie à conduire des projets hydriques utiles au développement de son économie.

Depuis 2015, l’Égypte cherche à obtenir que l’Éthiopie signe un accord contraignant pour sauvegarder la part qu’il reçoit des eaux du fleuve, incluant des garanties fermes sur les volumes d’eau relâchés par le barrage, un mécanisme de règlements des différents ainsi qu’un large partage des données techniques du barrage permettant une coordination avec le barrage d’Assouan. Les Éthiopiens, quant à eux, perçoivent ces exigences égyptiennes comme un empiétement sur leur souveraineté et veulent s’en tenir à un accord non contraignant. Ils souhaitent par ailleurs éviter de conclure un accord qui pourrait ressembler à un accord de partage des eaux, estimant que ce type d’accord doit absolument être discuté entre les 11 pays du bassin du Nil.

L’Éthiopie a refusé l’intervention de médiateurs extérieurs dans ce dossier, jusqu’en novembre 2019, date à laquelle Addis‑Abeba a accepté une facilitation américaine. Lors de cette médiation américaine, les trois délégations étaient parvenues à un accord sur certains points techniques comme le phasage du remplissage du bassin et la prise en compte de possibles périodes de sécheresse. Mais l’accord global, proposé par les Américains en février 2020, n’a pas été accepté par l’Éthiopie qui le jugeait trop défavorable à ses intérêts.

Pour votre rapporteur, la France doit continuer à conserver la position d’équilibre et de neutralité qui est la sienne sur ce dossier, l’Éthiopie et l’Égypte étant deux pays amis et partenaires. Durant la présidence française du Conseil de sécurité des Nations unies, en juin 2020, le sujet du barrage a été évoqué. La France s’est alors attachée à dégager un consensus parmi tous les membres du Conseil pour déterminer une position sur un sujet qui, d’ordinaire, ne relève pas de sa compétence.

L’Afrique du Sud, membre non‑permanent du Conseil de sécurité, s’est par la suite mobilisée pour que l’Union africaine (UA), dont elle assure la présidence, se saisisse du dossier. Durant l’été 2020, les négociations soutenues par l’UA, avec la participation d’observateurs de l’Union européenne et des États-Unis, ont permis la tenue de plusieurs sommets politiques entrecoupés de réunions techniques et juridiques. Les principaux points bloquants (nature juridique de l’accord, partage des informations sur le fonctionnement du barrage et mécanisme de règlements des différends) n’ont toutefois pas été levés et les trois parties (Égypte, Éthiopie et Soudan), qui devaient revenir mi-septembre vers l’UA avec une base commune d’accord n’y sont pas encore parvenues à ce stade. Des experts de l’UA ont été mandatés par les ministres chargés de l’irrigation des trois pays pour prendre le relais des États, sous la tutelle de Smaïl Chergui, commissaire paix et sécurité de l’UA.

III.   Une action résolue de la France en faveur de l’eau

A.   une diplomatie environnementale française mobilisée autour des enjeux hydriques

Qu’il s’agisse de l’amélioration de l’accès aux services d’eau et d’assainissement ou de la gestion durable des ressources en eau, la France fait preuve depuis de nombreuses années d’un engagement actif sur la scène internationale. Très impliquée pour la reconnaissance du droit humain à l’eau et à l’assainissement, portée dans l’enceinte des Nations unies en 2010, la France a largement contribué à la création de l’objectif de développement durable (ODD) 6 qui vise à « garantir à tous l’accès à l’eau et l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».

En outre, la France a notamment joué un rôle prépondérant pour donner de la visibilité aux problématiques d’assainissement, jusqu’alors parent pauvre du secteur. L’assainissement présente deux enjeux : des enjeux humains et sanitaires (l’accès aux latrines et aux dispositifs d’hygiène) et des enjeux environnementaux (la collecte et le traitement des eaux usées avant rejet au milieu naturel). La mise en valeur de la transversalité des enjeux de la préservation et de l’accès aux ressources constitue un axe diplomatique important pour la France qui a, entre autres, participé activement à l’élaboration de deux résolutions notables sur le sujet : la résolution sur l’eau potable, l’assainissement et la santé adoptée en 2011 par l’Assemblée mondiale de la santé ([34]) et la résolution sur les droits de l’Homme à l’eau potable et à l’assainissement ([35]) adoptée en 2019 par l’Assemblée générale des Nations unies qui a permis de reconnaître l’enjeu sanitaire particulièrement pour les femmes et les filles liées aux questions de santé menstruelle mais également d’égalité des genres que sous-tend l’accès à l’assainissement.

Cet engagement de la France liant respect des droits humains et préservation de la ressource constitue pour la diplomatie française un enjeu majeur de stabilité et de paix. Il a d’ailleurs été réaffirmé dans le cadre de l’ambitieuse stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement (2020-2030) dont s’est dotée la France le 24 février 2020.

Par ailleurs, au sein de l’Union européenne, le Conseil affaires étrangères a adopté le 19 novembre 2018 de nouvelles conclusions sur la diplomatie de l’eau. Le Quai d’Orsay a activement contribué à la rédaction et à la négociation de ce document. Ainsi le Conseil entend renforcer l’action diplomatique de l’Union dans le domaine de l’eau en tant qu’instrument de paix, de sécurité et de stabilité et condamner fermement l’utilisation de l’eau comme arme de guerre. Il note que les risques liés à l’eau peuvent avoir des coûts humains et économiques graves, avec potentiellement des conséquences directes pour l’Union européenne, y compris en termes de flux migratoires. Le Conseil insiste sur sa détermination à promouvoir une gestion intégrée et transfrontalière des ressources en eau ainsi qu’une gouvernance effective de l’eau.

Cet engagement passe également par un soutien aux différents cadres internationaux et outils de suivi et d’évaluation de l’ODD°6. La France, représentée par le ministère de la santé, a occupé la place vice-présidence du protocole sur l’eau et la santé de la convention d’Helsinki entre 2007 et 2019 et est membre du bureau depuis 2016. Elle promeut la ratification de ce protocole parmi les membres de la CEE-ONU et y pilote les travaux sur l’accès équitable à l’eau potable et à l’assainissement. En parallèle, la France, représentée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, est un membre actif du bureau de la convention d’Helsinki sur l’eau et cheffe de file du programme d’ouverture. Signe de son implication, en 2018 et 2019 les contributions françaises au bénéfice du secrétariat de la convention sont passées de 40 000 euros à 70 000 euros. En 2020, la France a renouvelé son appui à hauteur de 70 000 euros. La France soutient également les outils multilatéraux de suivi et d’évaluation des ODD : le Programme commun de surveillance (ou Joint Monitoring Programme en anglais), le rapport annuel d’analyse et évaluation mondiales sur l’assainissement et l’eau potable élaboré par ONU-Eau, ainsi que l’évaluation de l’indicateur n°6.5.2 sur la coopération transfrontalière pour l’eau élaboré par la CEE-ONU et l’UNESCO.

Cette défense de la thématique de l’eau sur la scène internationale repose par ailleurs sur l’organisation d’événements, comme le 6e Forum mondial de l’eau organisé à Marseille en 2012. La prochaine édition du Forum, la 9e, devrait se tenir à Dakar du 22 au 27 mars 2021. La France s’est engagée à accompagner le Sénégal dans son organisation.

Afin de conférer une visibilité accrue à la question de la protection de la ressource en eau et de renforcer les actions dans ce domaine, votre rapporteur est favorable à la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau sous l’égide des Nations unies. Suivant cette même logique de renforcement de l’efficacité des actions et des engagements politiques, votre rapporteur appuie la diplomatie française qui œuvre en faveur de l’adoption d’un agenda dédié à l’avancement de l’ODD°6 en vue de la prochaine conférence des Nations unies dédiée à l’eau et à l’assainissement en 2023, ce qui constituera une première depuis la conférence des Nations unies sur l’eau de Mar del Plata en 1977.

À l’échelle européenne, la France a activement participé à l’élaboration des différents cadres communautaires régulant la gestion de l’eau en Europe. La Slovénie, qui présidera le Conseil de l’Union européenne de juillet à décembre 2021, souhaite, par ailleurs, mettre à l’ordre du jour de sa présidence le développement d’une nouvelle stratégie de l’Union européenne à l’international pour la gestion de l’eau. Votre rapporteur estime que la France, qui assurera dans la foulée la présidence de l’Union de janvier à juin 2022, devrait poursuive et amplifier les travaux lancés par la présidence slovène.

B.   La mobilisation de l’aide publique au développement dans le domaine de la ressource en eau

1.   Les actions de l’Agence française de développement

La France, grâce à son réseau diplomatique et au levier de l’aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser en soutien à des actions de terrain bilatérales et multilatérales dans le domaine hydrique. L’accès durable à la ressource en eau constitue un vecteur de santé publique, de développement économique, de réduction de la pauvreté, mais aussi d’amélioration de l’émancipation des femmes. En effet, l’eau constitue un véritable révélateur de inégalités sociales et de genre.

La France se mobilise notamment dans le domaine de l’eau au travers des actions de l’Agence française de développement (AFD) qui s’articulent autour de la poursuite des Objectifs du développement durable (ODD), et notamment de son objectif°6 qui vise à garantir « l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ». Ces actions s’inscrivent également dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat de 2015. Au 31 décembre 2019, plus de 220 projets suivis par l’AFD étaient en cours d’exécution dans le secteur de l’eau et de l’assainissement attestant de la forte mobilisation de l’AFD dans ce secteur.

a.   Des actions visant à favoriser l’accès à la ressource

L’AFD s’est donnée, dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, un cap clair en se reposant sur les grands axes de la politique internationale de la France en la matière. Les deux principaux objectifs de l’Agence consistent ainsi à apporter une réponse efficace aux défis du changement climatique et fournir un soutien efficace aux populations les plus vulnérables et situées dans des territoires en crise.

La ressource en eau est, en effet, directement touchée par les effets du dérèglement climatique pouvant susciter une exacerbation des situations de stress hydrique, des sécheresses prolongées et des perturbations météorologiques. Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) prévoit ainsi des sécheresses plus importantes et plus fréquentes dans les zones déjà arides, réduisant par conséquent les ressources en eau disponibles. En Afrique du Nord et au Moyen‑Orient, les ressources en eau douce ont déjà baissé de deux tiers ces quarante dernières années.

En outre, les tensions en lien avec la ressource en eau ont souvent pour effet d’ajouter de la crise à la crise en amplifiant des inégalités déjà existantes sur de nombreux territoires et en aggravant ainsi les conditions de vie de populations déjà fragiles entières. Afin d’apporter des réponses adéquates à ces situations critiques, l’AFD a décidé de déployer sa présence dans le cadre de trois temporalités :

- en amont des crises, pour préparer et former les populations et les autorités locales ;

- au cours des crises, afin d’accompagner aux mieux les personnes sinistrées ;

- en aval des crises, dans le but de permettre une reconstruction efficace et une protection maximale des populations sinistrées.

Les projets de l’AFD doivent permettre de faciliter et d’élargir l’accès aux ressources en eau pour le plus grand nombre. Les missions thématiques de l’AFD dans le domaine de l’eau sont très diversifiées et vont du renforcement des gouvernances nationales et locales à l’amélioration des quantités et des qualités d’eau disponible, en passant par le déploiement de services durables et accessibles pour tous ou encore par la mise en place d’un volet de formation à la culture du risque.

b.   Une montée en puissance des actions menées dans le domaine de l’eau et de l’assainissement

L’AFD a dépensé 1 288 millions d’euros en 2019 au bénéfice du secteur de l’eau et de l’assainissement, soit plus du double de la somme allouée à ce secteur en 2014 et 34% de plus qu’en 2018. Au total, cette somme représente environ 10% du budget global de l’agence démontrant ainsi la volonté de mobilisation de l’ADF dans ce domaine.

La majorité de ces fonds est attribuée via des prêts de l’agence aux pays ou aux organismes qui dirigent les projets sur le terrain. En 2019, ces projets ont permis la construction d’infrastructures, le développement de nouvelles solutions hydrauliques mais aussi l’accompagnement des populations les plus vulnérables. Les efforts de l’AFD ont particulièrement porté sur deux continents 757 millions d’euros ayant été mobilisés au profit de la zone géographique de l’Asie et du Moyen‑Orient et 450 millions d’euros au profit de l’Afrique.

La carte, ci‑après, présente la répartition des interventions de l’AFD dans le domaine de l’eau et de l’assainissement en 2019.

Les actions de l’AFD dans le domaine de l’eau sont tout à la fois quantitatives et qualitatives. En effet, il ne s’agit plus désormais uniquement d’assurer un élargissement de l’accès aux ressources mais aussi de lutter contre la dégradation de la qualité de la ressource (salinisation des nappes suite à la montée des eaux de mer, infiltration de produits chimiques…). Ainsi les activités humaines en favorisant le développement de situations d’eutrophisations anthropiques menacent directement les équilibres naturels et le maintien de la richesse biologique dans certains territoires.

C’est notamment le cas dans la région du lac Victoria en Afrique où l’AFD se mobilise depuis 2008. Suite à une baisse significative de la biodiversité et à l’accélération de l’urbanisation à ses abords, l’AFD a soutenu de nombreux projets dans les villes riveraines (Jinja ou à Kampala en Ouganda, à Kisumu au Kenya ou encore à Musoma et Mwanza en Tanzanie) ayant permis une amélioration de la qualité de l’eau et l’endiguement du phénomène d’eutrophisation. Au total, ces projets représentent plus de 550 millions d’euros d’investissements et concernent plus de 5 millions de personnes. L’Ouganda en est le premier bénéficiaire avec plus de 230 millions d’euros engagés depuis dix ans, et un projet de 40 millions d’euros en cours de préparation à Kampala. Grâce à cette stratégie d’investissement, l’AFD peut ainsi mobiliser le savoir‑faire technique français dans plusieurs pays de la région à des fins communes, préserver la qualité des eaux et optimiser la gestion de la ressource hydraulique dans la région du lac Victoria. L’AFD s’applique à apporter des solutions à des défis du même ordre au Sénégal aux alentours du lac de Guiers ou encore en Côte-d’Ivoire aux abords de la lagune d’Aghien. Ces différents exemples d’interventions de l’AFD démontrent la complexité technique des sujets ayant trait à la gestion de la ressource en eau qui font appel à des savoir‑faire de pointe. À ces considérations techniques, s’ajoute, en outre, le fait que nombre de ces ressources en eau se trouvent dans des aires frontalières ou des zones de tensions géopolitiques. Les projets de l’AFD voient donc souvent leurs réalisations conditionnées à la convergence de nombreux intérêts et à l’implication des différents acteurs locaux. Ce travail nécessite donc une compréhension fine des enjeux et des réalités de terrain permettant d’apporter des réponses justes, efficaces et techniquement réalisables au profit des besoins des populations locales.

Par ailleurs, afin d’assurer une gestion durable des ressources en eau, l’AFD forme et accompagne les autorités compétentes au niveau local en amont et en aval des projets qu’elle accompagne sur le terrain. Sa stratégie dans ce domaine repose sur quatre piliers : la connaissance de la ressource, la gouvernance, la planification et l’autonomie. Il existe, en la matière, de véritables exemples de réussites à l’image de l’office de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) qui gère des barrages pour le compte de plusieurs États ou encore l’autorité du bassin du Niger.

Enfin, l’AFD souhaite dans le cadre de ses projets développer un volet comprenant un accompagnement plus poussé des populations. Celui‑ci prend corps grâce à une coopération accrue avec les ONG présentes sur le terrain.

L’Agence estime que dans les prochaines années, 5,3 millions de personnes supplémentaires pourront bénéficier d’un service en eau potable géré en toute sécurité et que 1,3 million de personnes auront accès à un service élémentaire d’alimentation en eau potable. Au total, ces évolutions pourraient mener à une augmentation de 592 000 mètres cube d’eau potable en plus chaque jour. Au‑delà de l’accès stricto sensu à l’eau potable, l’AFD prévoit de nettes améliorations en termes d’accès aux services d’assainissement.

Même si l’ensemble de ces chiffres vont dans le bon sens, une mobilisation vigilante et résolue demeure nécessaire aux yeux de votre rapporteur afin de parvenir à la réalisation des objectifs de l’ODD°6.

Les actions de l’AFD en Égypte en faveur d’une meilleure gestion et d’un meilleur accès à la ressource

Lors de son déplacement en Égypte, votre rapporteur a eu l’opportunité de rencontrer les partenaires de l’AFD et de mener un état des lieux des projets en cours. Il a notamment pu participer à l’inauguration d’une station d’épuration d’eau de Mahalla à proximité de Tanta dans le delta du Nil, fruit d’une coopération entre l’Agence française de développement (AFD), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) et le gouvernement égyptien, pour un financement total de 295 millions d’euros. Votre rapporteur a également pu constater l’avancée des travaux d’un projet d’implantation d’un réservoir au sol d’une capacité de 6000 mètres cube et d’une station de relevage dans la région d’Ard El Lewa à proximité du Caire.

Depuis 2015, l’AFD soutient l’Initiative Bassin du Nil (IBN) dans ses activités, et dans le développement de son expertise technique. Avec le concours de plusieurs agences de l’eau, l’AFD a pu investir 1,4 million d’euros sur différents projets du programme équatorial de l’IBN.

En dix ans, l’AFD a engagé 150 millions d’euros sur des projets en lien avec la gestion de la ressource en eau. Sur ces 150 millions d’euros, 100 millions ont déjà été engagés sur des actions diverses, telles la construction d’une station d’épuration à Alexandrie‑Est ou la rénovation d’infrastructures d’irrigation. Par ailleurs, 50 millions d’euros seront investis dans la fabrication d’une nouvelle station d’épuration à Helwan dans les mois à venir. Ces investissements sont d’une importance capitale dans une région où les pressions démographiques, économiques, environnementales, énergétiques ne cessent de s’accroîtrent.

2.   Le rôle particulier de la coopération décentralisée

L’aide publique au développement française se caractérise également par une mobilisation spécifique de la coopération décentralisée dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, impliquant de nombreux acteurs locaux français. Au total, près de 300 millions d’euros de dons ont ainsi été mobilisés ces dernières années par les collectivités territoriales françaises et par les agences de l’eau. Cette vague de dons a été initiée par la loi Oudin‑Santini de 2005 qui permet aux collectivités territoriales, aux syndicats et aux agences de l’eau de mobiliser jusqu’à 1% de leur budget « eau et assainissement » pour financer ou mettre en œuvre des projets de solidarité internationale dans ce secteur.

Au total, près de 300 millions d’euros de dons ont été mobilisés entre 2005 et 2018 par les collectivités territoriales françaises et les agences de l’eau. Entre 2007 et 2019, les agences de l’eau ont ainsi engagé près de 165 millions d’euros pour accompagner des actions de coopération et de solidarité internationale. Les montants engagés dans le cadre de la loi Oudin‑Santini ont plus que doublé en dix ans, passant de 10,8 millions d’euros en 2007 à 30,8 millions d’euros en 2019.

Le graphique, ci‑après, présente l’évolution des contributions financières au mécanisme « 1% eau » sur la période 2007‑2019 :

évolution des contributions financières au mécanisme « 1% eau » 2007‑2019

Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature du ministère de la transition écologique

Le « 1% eau » permet de financer des projets de toute taille, qui ont essentiellement pour objectif d’améliorer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement des populations vulnérables. Cependant, les projets de solidarité peuvent également viser à limiter les pollutions d’origine industrielle ou agricole, à gérer de façon économe la ressource en eau, à préserver des milieux aquatiques remarquables ou à sensibiliser à la santé et à l’environnement.

En 2019, la mobilisation via le mécanisme du « 1 % eau » s’élève à 14,4 millions d’euros pour les agences de l’eau, et à 16,4 millions d’euros pour les 170 collectivités ou groupements qui ont soutenu financièrement la solidarité internationale pour l’eau et l’assainissement. La marge de progression reste importante. 90% des contributions comptabilisés en 2019 concernent 25 organismes. Par ailleurs, on estime à 50 millions d’euros le montant qui pourrait être engagé par an au titre du mécanisme « 1% eau ».

Le graphique, ci‑après, présente les vingt‑cinq principaux contributeurs du mécanisme « 1% eau » :

principaux contributeurs du mécanisme « 1% eau »

Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature du ministère de la transition écologique

Le diagramme, ci‑après, montre la répartition en 2019 des sommes engagées et du nombre d’acteurs engagés par type de collectivités dans le cadre du mécanisme « 1% eau » :

Sommes engagées nombre d’acteurs engagés par type de collectivités dans le cadre du mécanisme « 1% eau »

Source : Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature du ministère de la transition écologique

En 2019, plus de 200 projets incluant des acteurs territoriaux français ont été initiés de la sorte. Ces projets financés ou suivis par des acteurs locaux français ont permis la création de puits ou de pompes dans des zones reculées à l’exemple du projet de création de six puits à Boura et à Niabouri au Burkina Fasso en 2019, suite à la mobilisation de financements de l’Agence de l’eau Rhône‑Méditerranée, du syndicat des eaux d’Île‑de‑France, de la ville de Valbonne et de la régie des eaux du canal Belletrud.

En 2015, les études du Programme Solidarité Eau estimaient que les projets financés par ce biais avaient permis de donner un accès à l’eau potable à environ 4,6 millions de personnes.

Les projets peuvent être menés conjointement par plusieurs collectivités. C’est notamment le cas du projet de réhabilitation et prolongation du réseau d’eau de la ville de Kalemie en République démocratique du Congo, foyer local de choléra, qui a permis d’améliorer les conditions de vie des près de 300 000 habitants, et dont la phase 4 de près de 1,2 millions d’euros a été financé à 100% par des collectivités françaises de tailles et mandat variés (agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, ville de Blois, le syndicat des eaux d’Île‑de‑France, l’agence de l’eau Loire‑Bretagne, le Pays voironnais).

La coopération décentralisée permet de renforcer et d’améliorer l’action de la France dans ce domaine ainsi que de valoriser le savoir‑français en la matière. La coopération décentralisée apparaît, aux yeux de votre rapporteur, comme un outil précieux qu’il convient de développer et d’encourager.

3.   La mobilisation du Partenariat français pour l’eau (PFE)

Le Partenariat français pour l’Eau (PFE) est la plateforme de référence des acteurs français de l’eau et de l’assainissement, publics et privés, actifs à l’international. Créé le 22 mars 2007 à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, ce partenariat vise à faire connaître et à promouvoir au plan international l’approche et l’expertise française en matière de gestion de l’eau, innovante et multi‑acteurs.

La France dispose d’acteurs privés reconnus dans le monde entier pour leur savoir-faire et leur expertise dans le domaine de la gestion des ressources en eau (Véolia, Suez ou Saur, par exemple). Ces sociétés ont fortement progressé au niveau mondial ces dernières années : à titre d’exemple, le chiffre d’affaires de Veolia dans les pays en développement est passé de 751 millions d’euros en 2005 à 1 856 millions d’euros en 2017. En 2019, elle a réalisé un chiffre d’affaire de 27,2 milliards d’euros dont 70 % à l’étranger (10,5 en Europe hors France, 1,6 en Afrique et au Moyen‑Orient, 3,5 en Asie, Australie et Nouvelle Zélande, 2,5 en Amérique du Nord et près d’un milliard en Amérique Latine). Ces « champions nationaux » dans le domaine de l’eau sont des acteurs clés de l’action française pour la protection et le développement de la ressource en eau dans le monde. Ainsi les actions de ces entreprises couplées aux missions de l’AFD, permettent, à l’échelle mondiale, un maillage resserré de nombreux territoires.

Le PFE a pour objectif de produire et promouvoir des messages représentatifs de la diversité de ses membres et de porter la voix de « l’équipe France » dans les enceintes et les grands rendez-vous internationaux.

La mission du PFE s’articule ainsi autour de trois axes principaux :

1) plaider pour faire de l’eau une priorité politique internationale et européenne, sensibiliser l’opinion publique aux enjeux de l’eau et intégrer l’eau au sein des thématiques structurantes que sont la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat et la protection de la biodiversité aquatique ;

2) échanger entre acteurs français et internationaux sur les enjeux de l’eau afin d’élaborer des messages communs et renforcer les synergies entre les acteurs et les différents secteurs en s’appuyant un fonctionnement participatif et multi-acteurs ;

3)  valoriser l’expertise et le savoir-faire des acteurs français. L’association assure notamment la coordination et la représentation du secteur français de l’eau et de l’assainissement lors de grands événements nationaux (Assises de l’eau notamment) et internationaux (notamment les conférences des parties aux conventions climat et biodiversité de l’Organisation des Nations unies, les Forums mondiaux de l’eau, les Congrès de l’UICN).

L’activité du PFE, pour les trois prochaines années, s’inscrit dans le cadre de la préparation du 9e Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Dakar en mars 2021 et dont la France est partenaire. En vue de cet évènement, le PFE assure notamment l’organisation et l’animation du Pavillon France et la coordination des acteurs du secteur dans le processus préparatoire du Forum.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 14 octobre 2020, la commission des affaires étrangères examine le présent avis budgétaire.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Le rapporteur pour avis, Jean François Mbaye, a cette année décidé d’étudier un aspect capital de la diplomatie environnementale : la gestion de la ressource en eau. Son rapport présente un état des lieux de cette ressource vitale dont la disponibilité est inégalement répartie dans le monde. Les enjeux politiques sont considérables et les tensions causées par le partage de cette ressource ou son accès s’aggravent.

L’exemple du bassin du Nil, retenu par Jean François Mbaye, est très significatif. La France peut et doit jouer un rôle dans l’accès à cette ressource mais également pour sa gestion durable.

L’accès à l’eau et à l’assainissement est devenu, en 2015, l’un des dix-sept objectifs de développement durable de l’agenda 2030 de l’Organisation des Nations unies. Notre diplomatie promeut activement la réalisation de cet objectif.

L’Agence française de développement a un rôle particulier à jouer. Elle dépense près de 1,3 milliard d’euros chaque année pour financer des projets d’accès à l’eau et d’assainissement. Cette somme a doublé en six ans, ce qui témoigne de la prise de conscience des enjeux diplomatiques et humains dans ce domaine. La France mobilise également son aide publique au développement dans le domaine de l’eau au travers de nombreuses coopérations décentralisées. M. le rapporteur pour avis nous expliquera cela en détails.

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères est saisie pour avis afin de se prononcer sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables du projet de loi de finances pour 2021. Je tiens, dès à présent, à saluer l’évolution à la hausse des crédits de cette mission qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement.

Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de porter un tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. J’estime que le projet de loi de finances pour 2021 lui en donne les moyens.

L’examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères, l’occasion d’examiner, chaque année, les instruments, les objectifs et les modalités de ce qui est communément appelé la diplomatie environnementale. J’ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mes travaux aux défis de l’eau à l’échelle mondiale.

La préservation d’une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique et environnemental considérable. À l’échelle mondiale, un tiers de la population n’a pas accès à l’eau potable. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Chaque jour, près de 1 000 enfants décèdent de maladies liées à la consommation d’eaux impropres. Dans le même temps, des milliers de litres d’eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques. On estime, par ailleurs, qu’au cours des cent dernières années la planète a perdu la moitié de ses zones humides naturelles. Le taux de perte est ainsi trois fois plus élevé que celui des forêts. Nous l’avions évoqué l’année dernière et j’avais émis des recommandations.

Selon le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau de 2019, l’eau, sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l’évolution des modes de consommation, est une ressource de plus en plus sollicitée. Son utilisation augmente chaque année d’environ 1 % depuis les années 1980. La demande mondiale en eau devrait continuer à croître à un rythme soutenu jusqu’en 2050, laissant augurer une augmentation de 20 à 30 % à la fin de la période. Pour autant, cette hausse de la consommation de la ressource, aggravée par les effets du dérèglement climatique, ne devrait pas fondamentalement modifier la répartition actuelle des prélèvements : 69 % étant destinés à l’agriculture, 19 % aux usages industriels et seulement 12 % à la consommation domestique. Il est, cependant, important de relever que ces chiffres globaux de répartition entre les usages agricoles, industriels et domestiques masquent de grandes diversités régionales.

Un habitant d’Amérique du Nord consomme ainsi en moyenne 250 litres d’eau par jour, contre 150 litres pour une personne résidant en France et moins de dix litres pour un habitant d’Afrique subsaharienne.

Par ailleurs, selon les analyses statistiques du programme des Nations unies pour l’environnement, l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture dégradent de plus en plus la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines. Leur pollution et leur surexploitation représentent ainsi une menace silencieuse grandissante pour les populations et l’environnement.

L’eau, cette ressource indispensable au développement de la vie, est présente en abondance sur terre mais elle est très inégalement répartie. À l’échelle mondiale, quelques États disposent d’une ressource très abondante comme le Brésil, le Canada et la Russie. À l’opposé, quelques pays ont des ressources en eau quasi inexistantes à l’image du Koweit et de certaines îles comme Malte ou les Maldives.

La carte que je vous présente donne à voir l’état des ressources en eau par État selon l’indice de stress hydrique qui permet de distinguer différentes catégories de pays en fonction de la disponibilité en mètres cubes d’eau bleue par personne et par an. Mais comme l’ont relevé certains chercheurs en audition, cet indice de stress hydrique peut se révéler trompeur car il ne prend pas en compte les capacités des États à mobiliser la ressource en eau, c’est-à-dire la manière dont les sociétés humaines parviennent à s’adapter aux contraintes du milieu en construisant des ouvrages hydrauliques permettant notamment d’extraire une eau de qualité, de l’acheminer et de la stocker.

Cette capacité d’adaptation qui repose sur trois facteurs – l’expertise technique, la capacité financière et la volonté politique – permet de dessiner une toute autre carte. L’indice de pauvreté en eau qui, au-delà de la disponibilité de la ressource, prend en compte les pressions exercées, les investissements réalisés et la préservation de l’environnement, nous permet de mieux saisir les enjeux mondiaux de la crise de l’eau. Selon cet indice, l’un des pays les mieux dotés est la Finlande. La France est également très bien positionnée. À l’opposé, des pays comme le Niger ou Haïti, qui cumulent des ressources en eau faibles et des difficultés techniques et financières importantes, se trouvent dans une situation hydrique particulièrement critique. Israël, pour sa part, malgré une faible ressource en eau, enregistre de bons résultats alors que la République démocratique du Congo, qui dispose pourtant d’une ressource abondante, est confrontée à une inquiétante pauvreté en eau.

L’inégale répartition des ressources en eau sur la planète et les conditions de leur accessibilité peuvent ainsi engendrer des situations de fortes tensions interétatiques comme le montrent les crispations actuelles entre l’Égypte et l’Ethiopie au sujet de la construction du grand barrage de la Renaissance sur le Nil bleu.

Inversement, les eaux transfrontalières peuvent également susciter des coopérations régionales renforcées comme en témoigne, en Europe, la convention sur la protection du Danube. À l’échelle mondiale, l’eau est une ressource que les États ont en partage puisque 263 bassins transfrontaliers majeurs ont été répertoriés, représentant à eux seuls environ 60 % des ressources en eau de surface.

Le risque d’une guerre de l’eau n’est, semble-t-il, pas à craindre aujourd’hui. En effet, mobiliser des ressources alternatives, comme l’exploitation de ressources souterraines, le dessalement des eaux de mer, la modification des usages, paraît, d’un point de vue politique, beaucoup moins risqué qu’un conflit armé en vue de s’accaparer la ressource en eau. Cependant, la question de l’accès à l’eau peut s’ajouter à d’autres conflits préexistants et ajouter de la crise à la crise. Elle devient alors un facteur d’aggravation des tensions en cours ou un élément de négociation.

Qu’il s’agisse de l’amélioration de l’accès aux services d’eau et d’assainissement ou de la gestion durable de la ressource, la France fait preuve, depuis de nombreuses années, d’un engagement actif sur la scène internationale. Très impliquée pour la reconnaissance du droit humain à l’eau et à l’assainissement, portée dans l’enceinte des Nations unies en 2010, la France a largement contribué à l’inscription de l’objectif de développement durable n° 6, qui vise à garantir à tous l’accès à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau.

Cet engagement, qui lie respect des droits humains et préservation de la ressource, constitue un enjeu majeur de stabilité et de paix pour la diplomatie française. Il a d’ailleurs été réaffirmé dans le cadre de l’ambitieuse stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement entre 2020 et 2030, dont s’est dotée la France le 24 février dernier.

Notre pays, grâce à son réseau diplomatique et au levier de l’aide publique au développement, doit continuer de se mobiliser pour soutenir des actions de terrain bilatérales et multilatérales dans le domaine hydrique. L’accès durable à la ressource en eau constitue un vecteur de santé publique, de développement économique, de réduction de la pauvreté mais aussi d’amélioration de l’émancipation des femmes. En effet, l’eau constitue un véritable révélateur des inégalités sociales et entre les genres.

Afin de rendre le sujet de la protection de la ressource en eau plus visible et de renforcer les actions dans ce domaine, je serais favorable à la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau, sous l’égide des Nations unies, comme cela est déjà le cas pour le climat. Par ailleurs, la désignation d’un ambassadeur thématique pour la ressource en eau pourrait renforcer la visibilité de la problématique auprès de nos concitoyens et de nos partenaires internationaux.

Notre diplomatie environnementale est résolument mobilisée autour des enjeux hydriques mais elle devrait être mieux valorisée.

Enfin, pour porter efficacement un tel message sur la scène internationale, la France doit conduire, dans son propre territoire, une action écologique ambitieuse et exemplaire afin de favoriser, à l’instar de ce qu’elle a su faire pour le climat, un élan collectif au service de la préservation de la nature et du vivant, à l’échelle de la planète.

J’invite par conséquent la commission des affaires étrangères à émettre, à l’issue de cette réunion, un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables pour 2021.

Mme Marion Lenne. Je remercie le rapporteur pour sa présentation, riche et dense, des défis de l’eau à l’échelle mondiale. Députée d’une circonscription où se trouvent de prestigieuses eaux minérales ainsi que le cluster eau lémanique Evian, je sais, comme vous, combien la préservation de la qualité de l’eau et de sa circularité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique, environnemental et même patrimonial, majeur.

Ainsi, le quart sud-est de la France dépend du lac Léman, que nous partageons avec la Suisse, notamment pour l’alimentation en eau potable de la métropole de Lyon, la production d’électricité et de nombreux usages agricoles tout le long du Rhône jusqu’à son delta. Je salue le travail remarquable de l’Association pour la protection de l’impluvium de l’eau minérale Évian, l’APIEME, ainsi que de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman, la CIPEL, commission intergouvernementale franco-suisse chargée de surveiller l’évolution de la qualité des eaux du lac Léman, du Rhône et de leurs affluents.

Trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre. La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Consciente de cet enjeu, dès 2005, la France fait de l’eau et de l’assainissement sa première stratégie sectorielle de l’aide publique au développement. Depuis, elle les reconnaît comme secteur prioritaire. Le 24 février dernier, notre pays s’est également doté d’une stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement sur la période allant de 2020 à 2030.

Monsieur le rapporteur pour avis, quelles sont les actions menées par la France à l’échelle internationale afin de développer les infrastructures et l’expertise de nos partenaires qui souffrent de la pollution de l’eau ? Le choléra, la typhoïde, le trachome transmis par l’eau souillée causent encore des ravages dans le monde entier, ce qui fait de l’assainissement une vraie question de santé publique.

En 2019, l’Agence française de développement a dépensé plus de 1 300 millions d’euros en faveur du secteur de l’eau et de l’assainissement. Pourriez-vous détailler l’usage qui a été fait de cette enveloppe dont l’importance témoigne de l’intérêt que nous portons à ce domaine.

M. Olivier Dassault. Mon intervention portera sur le paiement vert de la PAC. Pour en bénéficier, un agriculteur doit maintenir ou établir des surfaces d’intérêt écologique sur l’équivalent de 5 % de sa surface en terres arables. Les agriculteurs ont donc semé de la verdure avant le 31 août. Or, en septembre, de nombreux départements, notamment celui de l’Oise, ont été frappés par la sécheresse. Sans eau, les graines ne lèvent pas. Or, en cas de contrôle, l’Agence de services et de paiement est catégorique : pas de vert, pas de paiement vert. L’agence ne cherche pas à comprendre, ne se déplace pas pour relever l’état des sols ou constater la situation. Leur décision est catégorique malgré la bonne foi des agriculteurs. Or, une telle décision remet en cause la pérennité des exploitations en retardant le versement de ce paiement. Faut-il donner un tel pouvoir discrétionnaire à ces agences ?

M. Frédéric Petit. Il est extrêmement plaisant de suivre votre travail au fil des années, monsieur le rapporteur pour avis, car, parallèlement à la poursuite de l’analyse budgétaire, vous approfondissez chaque année un sujet particulier.

S’agissant du droit international de l’eau, une spécificité française me marque car on la retrouve rarement dans d’autres pays : la notion de bassin versant, transposée dans le droit administratif. Nous sommes l’un des rares pays à compter des agences de bassin. Ainsi, les regroupements multilatéraux autour du Danube, du Rhin, ne manquent pas mais avez-vous perçu cette notion de travail en bassin au niveau des administrations internationales dans le cadre du green deal, le pacte vert pour l’Europe ?

Par ailleurs, d’un point de vue diplomatique, je suis d’accord avec vous : il est probable qu’aucune guerre ne soit déclenchée. Bien souvent, au contraire, lorsque les situations sont tendues, l’eau est le dernier refuge : on ne se bat pas parce que c’est un domaine qui se place au-dessus des contentieux. En revanche, une gestion commune de l’eau pourrait-elle contribuer à pacifier les relations, sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui, en son temps, à permis de construire l’Europe ? Vous avez cité l’exemple du Nil. Celui des relations entre l’Inde et le Pakistan en est un autre puisque la gestion de l’eau a permis de les pacifier, au-delà de la résolution du problème particulier de l’eau. La diplomatie de l’eau pourrait-elle aller plus loin ?

Nous avons un ambassadeur du climat : peut-il être en charge du dossier de l’eau ou faudrait-il créer un poste d’ambassadeur dédié ?

Enfin, on regrette souvent l’absence de régulation par le droit international sur certaines zones maritimes. Ne devrions-nous pas relier cette question à celui de l’eau ? Je regrette d’ailleurs que la mission concernée soit la seule du ministère dont les crédits aient été réduits.

M. Alain David. Merci pour cette présentation éclairante mais un certain flou continuera d’entourer les périmètres du budget dédié à l’écologie. Le Gouvernement semble avoir manqué l’occasion que lui offrait ce premier projet de loi de finances post-coronavirus, de réorienter structurellement nos politiques publiques vers une transition écologique, juste et solidaire, afin de placer notre pays à la hauteur des ambitions que nous avions contribué à fixer lors des accords de Paris.

Les mesures en faveur des entreprises ne font l’objet d’aucune éco-conditionnalité et le dispositif prévu pour la rénovation thermique est bien trop faible pour espérer résorber les 7 millions de passoires énergétiques du pays. Aucune politique publique ne peut être menée efficacement sans moyens humains. Or, le ministère de la transition écologique continue de réduire ses effectifs : le projet de loi de finances pour 2021 prévoit de supprimer environ 1 000 postes en équivalents temps plein, ce qui en fait le deuxième ministère le plus concerné par les baisses d’effectifs.

Ce PLF n’est pas davantage à la hauteur de l’enjeu des mobilités durables. Alors que la loi d’orientation des mobilités prévoyait une trajectoire pluriannuelle pour le financement des infrastructures de transport, la crise sanitaire pourrait tout remettre en cause, faute d’un financement stable et de garanties suffisantes de l’État. En effet, le développement du ferroviaire, du fluvial et de l’ensemble des mobilités durables dépend en grande partie de la capacité de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France de garantir les financements prévus par la LOM. Or, les ressources de cet organisme, en partie tirées du produit de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, ont diminué en raison de la crise. Faute d’un véritable plan de sauvetage, les investissements prévus risquent d’être durablement gelés.

M. M’Jid El Guerrab. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, pour cet excellent état des lieux. L’évolution à la hausse des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » devrait permettre à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l’environnement. Les écosystèmes ne connaissent pas le concept de frontières mais leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales.

Afin de pouvoir porter un tel message sur la scène internationale, la France doit impérativement conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. La France s’est ainsi dotée, le 24 février 2020, d’une nouvelle stratégie internationale pour l’eau et l’assainissement pour la période 2020-2030. Piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce nouveau plan d’action de la diplomatie environnementale a été élaboré de manière inclusive et participative, avec l’ensemble des acteurs français du secteur de l’eau.

La situation de pénurie en eau est une réalité quotidienne pour 40 % de la population mondiale. Chaque jour, près de 1 000 enfants décèdent de maladies liées à la consommation d’eau impropre. Dans le même temps, des milliers de litres d’eau sont gaspillés dans certains pays, tous les jours, en raison de la vétusté des infrastructures hydrauliques. La préservation d’une eau de qualité constitue un enjeu sanitaire, socio-économique et environnemental considérable. À l’échelle internationale, trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre ; un Africain sur deux n’a pas accès à l’eau potable et 90 % des populations rurales n’ont pas accès à l’eau potable sur le continent.

Je rentre de Niamey, au Niger – c’est la raison pour laquelle j’arbore ce magnifique masque. Le Sahel est marqué par des dérèglements chroniques du climat : sécheresse et inondations sont fréquentes, ainsi qu’un déficit structurel d’infrastructures hydrauliques. Les dernières inondations au bord du Niger ont été catastrophiques. Par ailleurs, le manque d’accès à l’eau a été aggravé par les conflits ou l’insécurité. Il en résulte que de nombreuses populations du Sahel souffrent de vulnérabilité ou de stress hydrique, d’autant plus que la disponibilité en eau par habitant a diminué de plus de 40 % au cours des vingt dernières années dans les pays sahéliens.

Sans aller jusqu’à parler de guerre de l’eau, l’instabilité déjà présente dans certains pays du Sahel, tels que le Mali, ne risque-t-elle pas de provoquer des conflits très graves dans ces zones-là ? Quel peut être le rôle de la diplomatie française ? Enfin, j’approuve votre proposition de créer un ambassadeur de l’eau.

M. Jean-Paul Lecoq. Je tiens à remercier chaleureusement mon collègue Jean-François Mbaye pour son bon rapport – je ne peux pas dire très bon parce que je n’en partage pas toutes les conclusions – sur le thème de l’eau dans le monde, question fondamentale pour l’avenir. Il a raison de poursuivre ce travail et de nous interpeller régulièrement sur ce sujet. Nous ferions preuve d’une grande responsabilité en relayant son travail au plus haut niveau de l’État, y compris à l’échelle de l’Europe, pour bien montrer que cela fait partie des enjeux du futur. Les six recommandations qui sont faites sont très pertinentes et les députés communistes pourraient tout à fait s’y associer.

Cependant la question écologique se fait de plus en plus pressante alors que, chaque année, nous battons au niveau international toujours plus de records – records de sécheresse, de chaleur, de précipitations, d’hectares brûlés, d’hectares ravagés par les insectes, et j’en passe.

Le projet de loi de finances français et le projet de relance européen font pourtant pâle figure face à cette urgence. Alors que les 150 citoyens de la convention pour le climat ont demandé un engagement formel du Président de la République en faveur de l’environnement, nous débattons, comme toujours, sans cohérence globale. Sur la première partie du projet de loi de finances, par exemple, la baisse des impôts de production entérine l’obsession du Gouvernement de faire gonfler le chiffre d’affaires des grandes entreprises, sans aucune contrepartie sociale, en termes d’emploi ou encore d’écologie – donner 36 milliards sans contrepartie, quel scandale ! Pas d’abaissement de la TVA sur les transports en commun, une aide à la rénovation des logements timide, et bien trop peu pour aider l’agriculture française à rester compétitive tout en restant écologiquement ou en devenant écologiquement performante…

Côté ministère des affaires étrangères, il y a aussi une grande marge d’amélioration : rien pour changer les habitudes extractivistes de certaines grandes entreprises multinationales et françaises ; pire, la diplomatie aide systématiquement ces entreprises à s’installer dans les pays, ce qui est regrettable pour l’avenir de la planète et de ses habitants. Rien sur le respect des objectifs du traité de Paris ou sur la préservation de l’environnement dans les traités ou les conventions internationales : à chaque fois que nous en débattons dans notre commission, le ministre nous répond que ce sera pour la prochaine fois. Rien non plus, au niveau national et européen, concernant un moratoire sur les accords de libre-échange, alors que cela constituerait un vrai pas en avant écologique : oui, importer des produits d’Australie quand on les fabrique chez nous est une absurdité, un vrai crime écologique !

Enfin, les députés communistes pensent qu’il serait très pertinent que la France s’engage plus fortement dans les fonds multinationaux pour la préservation de l’environnement ou pour favoriser les actions sur le terrain. Voilà les chantiers que les députés communistes proposent pour une vraie diplomatie environnementale ; en attendant, nous donnons un avis défavorable à ce budget.

M. Jean-Michel Clément. Je souhaite moi aussi féliciter notre rapporteur pour l’excellent travail qu’il conduit sur la problématique de l’eau à l’échelle mondiale. Tous ceux qui ont fait de la coopération décentralisée connaissent l’importance de ce vecteur de développement, notamment dans les pays africains.

Conduire une politique environnementale ambitieuse et exemplaire en France pour porter ce message à l’international : tel est le vœu que vous formulez, monsieur le rapporteur pour avis, dans l’introduction de votre rapport. Vous estimez que le projet de loi de finances dont nous débattons lui en donne les moyens. Je dois vous dire d’emblée que je ne partage pas votre enthousiasme, tant les changements de modèles que nous devons opérer dans de nombreux domaines sont importants.

Tout d’abord, dans le domaine des transports, ce ne sont pas les mobilités douces ou durables – peu importe l’appellation – qui nous feront progresser rapidement dans la réduction des gaz à effet de serre, mais bien la réduction des véhicules thermiques au profit des hybrides et des électriques, sans pour autant pénaliser ceux qui n’auront pas les moyens de les acquérir ou de les utiliser. Sans moyens appropriés, les fractures sociale et territoriale risquent encore de se creuser ; je ne sais pas comment le projet de budget pour l’écologie va répondre à cela.

Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, nous n’arrivons toujours pas à nous défaire des modèles agricoles qui ont structuré l’agriculture jusqu’à maintenant et auxquels s’accroche encore la pensée agricole dominante. Le retour des néonicotinoïdes et le maintien du glyphosate, toujours autorisé, ne participent pas à l’exemplarité souhaitée.

S’agissant de la problématique de l’eau, en quoi sommes-nous exemplaires ? Selon la loi, l’eau appartient au patrimoine commun de la nation ; pourtant, ce bien commun est encore trop souvent privatisé par des groupes financiers concessionnaires de collectivités locales, lesquelles ont parfois beaucoup de difficultés à se défaire de ces concessions de longue durée.

L’eau est également privatisée par des usagers au nom d’une prétendue participation positive à la balance commerciale. Je suis originaire d’une région rurale et agricole et, chez nous, le maïs est en train d’envahir les plaines parce qu’il y a un port à La Rochelle pour exporter le maïs. Un kilo de maïs contient 48 % d’eau : cela veut dire qu’on exporte 48 % d’eau lorsque l’on exporte un kilo de maïs. Quelle est cette hérésie ? À l’échelle mondiale, 79 % de l’eau est utilisée pour l’agriculture. Nous pourrions peut-être commencer par réduire notre participation dans cette production.

Par ailleurs, certains affirment que, pour lutter contre la sécheresse, il faudrait stocker l’eau qui tombe en hiver pour l’utiliser en été. Or cette eau est souvent complétée par des prélèvements en subsurface, une eau de qualité, davantage destinée à la consommation qu’à un usage agricole. Le débat sur les bassines, qui agite le Poitou-Charentes chaque week-end, mériterait autre chose que cette vision de l’économie agricole.

À l’échelle mondiale, l’accès à l’eau deviendra, à n’en pas douter, un enjeu géopolitique majeur. Si la France se veut être un modèle, il lui reste beaucoup à faire. Les opérations de coopération décentralisée, certes très utiles, sont malheureusement insuffisantes compte tenu des moyens dévolus aux collectivités locales. La transition écologique devrait être une feuille de route obligatoire. Une mission « Écologie, développement et mobilité durables » dans le budget ne suffit pas : cette dimension devrait être prise en compte de manière transversale dans chaque budget. Alors seulement nous pourrions faire figure de modèle pour les autres pays.

M. François de Rugy. Merci beaucoup à Jean François Mbaye pour sa présentation et pour son travail : nous ne pouvons qu’appuyer ses propos sur l’enjeu que représente l’eau.

Je voudrais tout d’abord dire quelques mots sur la dimension internationale : l’eau ne sera peut-être pas directement la cause de conflits armés entre pays, mais elle constitue un facteur de tension supplémentaire dans certaines régions du monde. Les responsables des pays concernés, à commencer par le président du Niger, affirment eux-mêmes que la réduction de l’alimentation en eau du lac Tchad est l’une des causes du développement de l’islamisme radical et du terrorisme dans cette région. On ne peut pas faire comme si on ne voyait pas les conséquences que cela peut avoir : il est absolument nécessaire d’étudier la question du rôle de la pénurie en eau ou des difficultés d’accès à l’eau dans la déstabilisation de ces régions, parfois très peuplées, comme dans le Nigeria voisin.

C’est un enjeu pour la France également, même s’il est sous-estimé. Notre rôle de responsables politiques est, sinon d’alerter, du moins d’éclairer nos concitoyens sur le fait que l’alimentation en eau potable dans certaines régions pourrait poser problème du fait du réchauffement climatique. Même en limitant les émissions de gaz à effet de serre, nous n’échapperons plus à un certain nombre d’effets du réchauffement climatique, raison pour laquelle nous devons lutter à la fois contre ses causes et ses effets, même s’il est parfois difficile de faire partager ce raisonnement dans notre pays.

Il nous faudra faire preuve d’innovation et nous appuyer sur de nouvelles méthodes, telles que la renaturation, certaines pratiques agricoles – j’ai vu des exemples très intéressants en Afrique –, ainsi que sur des innovations technologiques concernant le traitement de l’eau, son recyclage – qui n’est pas beaucoup pratiqué dans notre pays – ou encore son stockage. Or des responsables politiques de premier plan de notre pays s’opposent frontalement à toute politique du stockage de l’eau. On a ainsi pu constater le week-end dernier que M. Mélenchon et M. Jadot, s’opposaient à des mesures qui avaient pourtant été négociées sur le terrain. Cette incapacité à prendre en compte la nouvelle donne sur l’eau est assez inquiétante. Cela soulève également la question des progrès de la génétique : on ne pourra pas indéfiniment balayer d’un revers de la main les progrès dans ce domaine, notamment dans l’agriculture et la sylviculture, qui nous permettraient de faire face au phénomène de sécheresse prolongée.

Enfin, notre rapporteur pour avis pourrait-il nous donner des informations complémentaires sur la politique française de soutien à la coopération internationale et au développement local concernant l’utilisation des différentes techniques de traitement de l’eau pour un meilleur accès à l’eau potable ?

M. Jean François Mbaye, rapporteur pour avis. Je souhaite vous remercier pour les mots chaleureux que vous avez eus à mon égard. Je remercie également les interlocuteurs que nous avons rencontrés, notamment en Égypte, particulièrement notre ambassadeur en Égypte ainsi que la consule générale d’Alexandrie. Celle-ci fait d’ailleurs un travail remarquable en se déplaçant chaque année en France pour tenter de monter des projets de coopération décentralisée sur le thème de l’eau, par exemple avec la ville de Marseille et la métropole Aix‑Marseille. Ce travail considérable témoigne de l’implication de notre réseau diplomatique sur ces questions.

Notre objectif est non seulement d’assurer une amélioration de l’accès à l’eau, mais également de lutter contre la dégradation de sa qualité. Il est très important de noter que les activités humaines, en favorisant le développement de l’eutrophisation anthropique, avec le rejet de quantité d’éléments nutritifs – phosphore, azote –, stimulent la croissance d’algues qui menacent directement l’équilibre et le maintien des écosystèmes et de la biodiversité.

On rencontre cette situation dans la région du lac Victoria, en Afrique de l’Est. L’Agence française de développement (AFD) y est mobilisée depuis 2008 à la suite d’une baisse significative de la biodiversité et de l’accélération de l’urbanisation de ses abords. L’AFD a soutenu de nombreux projets dans des villes riveraines – Kampala en Ouganda, Kisumu au Kenya, ou encore Musoma et Mwanza en Tanzanie –, ce qui a permis une amélioration de la qualité de l’eau et l’endiguement du phénomène d’eutrophisation. Au total, ces projets représentent plus de 550 millions d’euros d’investissement et concernent plus de 5 millions de personnes. Grâce à cette stratégie d’investissement, l’AFD peut ainsi mobiliser le savoir‑faire technique français, préserver la qualité des eaux et optimiser la gestion de la ressource hydraulique.

Concernant le lac Léman, les discussions sont en cours depuis 2011. À ce stade, il n’existe aucun accord qui garantisse à la France les quantités d’eau disponibles dans le Rhône en sortie du lac Léman. Or l’alimentation en eau du quart Sud‑Est de la France dépend notamment de l’alimentation en eau potable de la métropole de Lyon – plus d’un million d’habitants –, de la production d’électricité et des nombreux usages agricoles de l’eau tout au long du fleuve, jusqu’à son delta. Lors de son déplacement en Suisse, le 18 septembre 2020, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a eu l’occasion de rappeler à son homologue toute l’importance que revêtait la conclusion d’un tel accord.

Le Pacte vert pour l’Europe vise à encourager les États à définir une politique climatique, environnementale et énergétique ambitieuse. La question de l’eau et des bassins-versants sera certainement au cœur de cette ambition. Je vous propose de pousser un petit peu plus loin la réflexion sur le sujet et de revenir vers vous avec des éléments plus précis sur cette question, liée au Pacte vert pour l’Europe.

Je dois dire, en toute transparence, que je n’ai pas d’éléments techniques à fournir sur le conditionnement des aides européennes à l’existence de zones vertes et à leur évolution en cas de sécheresse – cette question importante ne peut d’ailleurs être discutée en commission des affaires étrangères. Je reviendrai vers vous dès que j’aurai des informations complémentaires des ministères de l’agriculture et de la transition écologique.

Si j’ai indiqué que les guerres de l’eau ne semblaient pas à l’ordre du jour, j’ai également précisé que la question de l’accès à l’eau pouvait venir se greffer sur d’autres conflits préexistants et ainsi aggraver la crise ; j’ai moi-même pu le constater lors de mon déplacement en Égypte sur la question du bassin du Nil. On retrouve également cette situation dans le bassin du Jourdain ou dans celui du Mékong.

La France doit conserver la position d’équilibre et de neutralité qui est la sienne dans le dossier de l’eau. Elle doit impérativement œuvrer en faveur du dialogue et de l’établissement d’une gestion concertée des eaux, comme cela a été fait avec succès avec l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, créée en 1972.

Dans le rapport, je dresse une liste des bassins transfrontaliers de la France. J’aimerais que notre commission se saisisse de deux d’entre eux et interroge le Quai à ce sujet : le fleuve Oyapock, avec le Brésil, et le fleuve Maroni, avec le Suriname. Ces deux fleuves ne font l’objet d’aucun accord de coopération entre la France et ces pays riverains, alors même que des discussions peuvent être engagées. C’est un peu plus complexe que cela, mais il serait bienvenu que notre commission s’y intéresse pour appuyer la conclusion d’un accord de coopération concernant ces deux fleuves.

Nous ne sommes pas encore exemplaires et le chemin sera très long avant d’atteindre un seuil optimal de préservation de la nature et du vivant. Toutefois nous œuvrons dans cette direction : l’augmentation des crédits de la mission le prouve. D’année en année, nous devrons intensifier nos efforts, adapter nos modes de consommation. S’agissant de l’eau, nous pouvons dire que, sur plusieurs points, nous sommes un exemple puisque nous disposons d’un savoir technique exceptionnel en la matière. Ces efforts sont encore méconnus ; nous devons, pour cette raison, les valoriser auprès de nos concitoyens et de nos partenaires internationaux.

Il nous faut alerter nos concitoyens : la crise de l’eau est silencieuse – je pense notamment aux effets désastreux de la surexploitation des ressources souterraines, du gaspillage induit par la vétusté de certaines infrastructures hydrauliques, mais aussi de nos modes de consommation, que nous pouvons et devons améliorer.

Concernant la coopération internationale sur le traitement de l’eau, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les partenaires de l’AFD en Égypte et de mener un état des lieux des projets en cours. J’ai d’ailleurs pu participer à l’inauguration d’une station d’épuration d’eau à proximité de la ville de Tanta, dans le delta du Nil, fruit d’une coopération entre l’Agence française de développement, la Banque européenne d’investissement, l’agence allemande de développement et le gouvernement égyptien, pour un montant total de 295 millions d’euros. J’ai aussi constaté l’avancée des travaux d’un projet d’implantation d’un réservoir au sol d’une capacité de 6 000 mètres cubes à proximité du Caire. Ces investissements sont d’une importance capitale dans une région où les pressions démographique, économique, environnementale et énergétique ne vont cesser de s’accroître.

Il faut être conscient que la diplomatie environnementale est très mobilisée sur ces questions. Je le dis en toute honnêteté, le chemin sera encore très long, mais je suis persuadé que la France agit sur le climat, sur la biodiversité, et qu’elle continuera à le faire. J’en veux pour preuve notre agenda international, qui abordera très prochainement ces questions, avec le prochain congrès mondial de la nature, qui se tiendra à Marseille. Nous attendons du Gouvernement qu’il contribue à en faire un exemple. Ce ne sera pas le seul : les rendez-vous internationaux sont nombreux, tels que la prochaine conférence des parties (COP) sur la biodiversité ou les cinq ans de l’accord de Paris.

Je partage votre inquiétude, je la relaie aussi, mais je ne peux pas vous laisser penser que ce projet de loi n’est pas sur la bonne voie sur les questions environnementales : l’ambition de la France dans ce domaine est très grande.

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » tels qu’ils figurent à l’état B annexé à l’article 33 du projet de loi de finances pour 2021.

 

 


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par LE RAPPORTEUR

   M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable

   M. Yannick Tagand, sous‑directeur Égypte‑Levant

   M. Stéphane Pailler, sous-directeur en charge de l’environnement et du climat à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international

   M. Vincent Szleper, chef de pôle pollution eaux, à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international

   Mme Eugénie Avram, rédactrice eau à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international

   M. Nabil Hajlaoui, sous‑directeur Afrique orientale

   S.E. M. Henok Teferra Shawl, ambassadeur

   M. Mesfin Mersha Sahilu, deuxième Ministre conseiller

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   M. David Blanchon, enseignant-chercheur à l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense et au Gecko, laboratoire de géographie comparée des Nords et des Suds, auteur de Géopolitique de l'eau : entre conflits et coopérations

   M. Franck Galland, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, président de Environmental emergency & security service, auteur de Le grand jeu : chroniques géopolitiques de l'eau

   M. Frédéric Maurel, responsable adjoint division eau et assainissement de l’Agence française de développement (AFD)

 

 

 

 

Déplacement en Égypte du 13 au 18 septembre 2020

   M. Mohamed Abdelatti Khalil, ministre de l’eau et de l’irrigation

   M. Hamdi Loza, vice‑ministre des affaires étrangères, chargé des affaires africaines

   M. Stéphane Romatet, ambassadeur de France en Égypte

   Mme Mme Janaïna Herrera, consule générale de France à Alexandrie

   M. le professeur El-Naggar, spécialiste des questions de l’eau à Alexandrie

 


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   annexe n° 2 :
convention d’helsinki du 17 mars 1992, sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux