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N° 3404

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2020

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 3360)
de finances pour 2021

TOME VI

RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

 

PAR Mme Émilie GUEREL

Députée

——

 

 

 Voir les numéros :3399 – III – 36

 

 

 

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2020 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, 90 % des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteur pour avis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

Introduction................................................ 5

I. l’éVOLUTION DES CRédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales »

A. le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements »

1. Les dotations d’investissement

a. Le soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements

b. Le soutien à l’investissement des départements et des régions

2. Les dotations de décentralisation

3. La dotation de soutien à l’investissement local exceptionnelle

B. Le programme 122 « Concours spécifiques et administration »

1. L’action n° 1 « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales »

2. L’action n° 2 « Administration des relations avec les collectivités territoriales »

3. L’action n° 4 « Dotations outre-mer »,

C. Les mesures prévues par les articles rattachés

1. L’article 57 : application progressive de la date d’entrée en vigueur de l’automatisation du FCTVA

2. L’article 58 : répartition de la dotation globale de fonctionnement

II. MIEUX ADAPTER L’action des collectivités territoriales aux spécifiCItés locales : les enjeux de la différenciation des compétences

A. le cadre JURIDIQUE DE DéTERMINATION DES COMPéTENCES DES COLLECTIVITéS TERRITORIALES

1. Le cadre constitutionnel

2. Le cadre législatif

B. des différenciations de compétences encore marginales

1. Les collectivités à statut particulier

2. La différenciation pour des motifs d’intérêt général

a. L’attribution de compétences particulières

b. Les modalités différenciées d’exercice de certaines compétences

3. Les délégations de compétences

a. Les délégations entre collectivités territoriales

b. Les délégations de l’État à une collectivité

4. Les transferts de compétences en direction des métropoles

C. répondre aux besoins de proximité et d’efficacité par une meilleure répartition des compétences

Examen en commission

PERSONNES ENTENDUES


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Mesdames, Messieurs,

Les deux programmes de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » représentent un total de 4,1 milliards d’euros d’autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2021.

L’État poursuit, avec son effort financier en faveur des collectivités territoriales, trois objectifs principaux :

– attribuer des ressources aux collectivités territoriales au moyen de critères objectifs et rationnels permettant notamment de soutenir les territoires les plus fragiles. Les dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF), régulièrement renforcées, progresseront encore une fois de 220 millions d’euros en 2021 ;

– accompagner l’investissement local, notamment en milieu rural, dans une logique de projet et d’effet « de levier » ;

– compenser les charges qui leur sont transférées dans le cadre de la décentralisation ou les pertes de produit fiscal induites par des réformes des impôts locaux.

Le plan de relance consacre 5,2 milliards d’euros au soutien des collectivités territoriales, dont 1 milliard au titre de la dotation exceptionnelle de soutien à l’investissement local. Ce soutien du Gouvernement s’est traduit par une ouverture de crédits dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des crédits de paiement à hauteur de 100 millions d’euros pour couvrir les premiers engagements liés à cette dotation exceptionnelle.

Après avoir présenté les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », votre rapporteure pour avis a fait le choix, cette année, de se pencher sur les enjeux représentés par la différenciation des compétences des collectivités territoriales. Alors que les élus locaux et nos concitoyens ont exprimé, à l’occasion du Grand Débat national, le besoin d’une plus grande proximité et d’une plus grande lisibilité de l’action publique, le temps est venu de faire un pas en avant dans le sens d’une plus grande adaptation des collectivités territoriales aux spécificités et aux besoins de leurs territoires.

 

 


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I.   l’éVOLUTION DES CRédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales »

A.   le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements »

Le programme 119 comprend deux types de dotations :

– les dotations d’investissement assurent le soutien de l’État aux projets d’investissement des collectivités territoriales pour 2,03 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 1,71 milliard en crédits de paiement (CP) ;

– les dotations de décentralisation assurent la compensation des charges supportées par les collectivités territoriales à la suite d’un transfert de compétence pour 1,86 milliard d’euros en AE et 2,01 milliards d’euros en CP.

Au total, ce programme représente ainsi près de 3,89 milliards d’euros en AE et 3,72 milliards d’euros en CP dans le projet de loi de finances pour 2021.

éVOLUTION DES CRédits du programme 119

(en millions d’euros)

 

LFI 2020

PLF 2021

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 – Soutien aux projets des communes et groupements de communes

1,82

1,61

1,82

1,60

0

- 0,55 %

02 – Dotation générale de décentralisation des communes

0,13

0,13

0,13

0,13

0

0

03 – Soutien aux projets des départements et des régions

0,21

0,10

0,21

0,16

0

+ 52,73 %

04 – Dotation générale de décentralisation des départements

0,26

0,26

0,26

0,26

0

0

05 – Dotation générale de décentralisation des régions

0,91

0,91

1,20

1,20

+ 32,03 %

+ 32,03 %

06 – Dotation générale de décentralisation concours particuliers

0,23

0,23

0,25

0,25

+ 7,19 %

+ 7,19 %

09 – DSIL exceptionnelle

 

 

 

0,10

0

 

Total

3,58

3,26

3,89

3,72

+ 8,63 %

+ 13,97%

Source : projet annuel de performances pour 2021.

1.   Les dotations d’investissement

Le soutien de l’État aux projets d’investissement des collectivités territoriales s’effectue par le biais de deux actions : l’action n° 1 « Soutien aux projets des communes et groupements de communes » et l’action n° 3 « Soutien aux projets des départements et des régions ».

a.   Le soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements

L’action n° 1 regroupe sept dotations budgétaires qui permettent permettant à l’État d’allouer des subventions à des communes ou à des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sur la base des projets qu’ils présentent aux préfets :

– la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) subventionne des dépenses d’équipement des communes et de leurs groupements, essentiellement en milieu rural. Les critères retenus par les préfets pour l’attribution de ces aides sont la population et la richesse fiscale de la collectivité. Le montant de la dotation, fixé à 996 millions d’euros en 2017, avait été augmenté de 50 millions d’euros par la loi de finances pour 2018 pour atteindre 1,046 milliard d’euros et ainsi compenser la suppression de la réserve parlementaire. Le présent projet de loi propose de reconduire en 2021 le montant prévu en 2020 : les autorisations d’engagement s’élèvent ainsi à 1,046 milliard d’euros et les crédits de paiement à 888 millions d’euros ;

– la dotation de soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements (DSIL) concourt, depuis sa création en 2016, au financement de projets structurants définis entre l’État et les communes et leurs groupements : rénovation thermique, transition énergétique, mise aux normes et sécurisation des équipements publics, développement du numérique, etc. Pour 2021, les crédits s’élèvent à 570 millions d’euros en AE et 526 millions d’euros en CP, au même niveau qu’en 2020. Les attributions au titre de la DSIL « habituelle » devront se faire en cohérence avec celles de la DSIL exceptionnelle abondée de 1 milliard d’euros par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et dont une partie des crédits sera reportée sur l’exercice 2021 ;

– la dotation politique de la ville (DPV) apporte un soutien financier aux communes de métropole et d’outre-mer les plus défavorisées. Les conditions d’éligibilité de cette dotation ont été révisées par la loi de finances pour 2019 afin de limiter les effets de seuil. Son montant est maintenu à 150 millions d’euros en AE, comme en 2020, et à 129 millions d’euros en CP ;

– la dotation forfaitaire pour la délivrance de titres sécurisés (DTS) est accordée aux communes qui ont sollicité l’installation de stations de recueil des demandes de passeports biométriques. En 2019, 2 292 communes bénéficiaient de cette dotation pour le déploiement de 4 023 stations. Pour 2021, les crédits, en AE et en CP, s’établissent à 46 millions d’euros, comme en 2020 ;

– la dotation communale d’insularité, créée par la loi de finances pour 2017, reste stable, comme les années précédentes, à 4 millions d’euros en AE et CP. Elle a pour objet de prendre en compte les charges spécifiques liées à l’insularité pour les « îles-communes » métropolitaines ;

– la dotation pour les régisseurs de police municipale au titre de la perception du produit de certaines contraventions (IRPM) constitue le remboursement par l’État de l’obligation pour les communes de verser pour le compte de celui-ci une indemnité de responsabilité aux régisseurs visant à compenser leurs charges de cautionnement (500 000 euros en AE et CP, reconduits en 2021) ;

– la dotation biodiversité (ex-Natura 2000), créée par un amendement gouvernemental à la loi de finances pour 2019, est stable en 2021, à 10 millions d’euros en AE et CP. Elle vise à prendre en compte, pour les communes concernées, les charges induites par la présence sur leur territoire d’une zone protégée, au titre du dispositif « Natura 2000 », des parcs nationaux ou des parcs marins ;

– la dotation protection fonctionnelle élu local, enfin, créée par la loi de finances pour 2020, assure, pour les communes de moins de 3 500 habitants, la compensation de l’obligation de souscrire une assurance destinée à couvrir les coûts engendrés par l’octroi de la protection fonctionnelle, selon un barème fixé par décret. Cette mesure, issue de la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019, permet de sécuriser les élus locaux dans l’exercice de leur mandat. Pour 2021, les AE et CP, qui s’élèvent à 3 millions d’euros, sont stables.

b.   Le soutien à l’investissement des départements et des régions

L’action n° 3 « Soutien aux projets des départements et des régions » regroupe uniquement les crédits affectés à la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), créée en 2019 en remplacement de la dotation globale d’équipement (DGE) des départements.

La plus grande part (77 %) de cette dotation est très proche de la DSIL des communes : le préfet de région attribue ces crédits sous forme de subventions d’investissement dans les domaines jugés prioritaires au niveau local. La seconde part est répartie au bénéfice des départements, proportionnellement à l’insuffisance de leur potentiel fiscal.

Pour 2021, les crédits s’élèvent à 212 millions d’euros en AE et 105 millions en CP, dans la continuité de ceux demandés en 2020.

2.   Les dotations de décentralisation

Les dotations de décentralisation sont au nombre de quatre :

 l’action n° 2 « Dotation générale de décentralisation (DGD) des communes » assure la compensation financière de certaines charges des communes et de leurs groupements, lorsque ces dernières résultent d’un transfert, d’une création ou d’une extension de compétences. Cette compensation financière concerne notamment le financement des services communaux d’hygiène et de santé, l’élaboration des documents d’urbanisme ou encore l’entretien de la voirie nationale de la ville de Paris. La DGD est stable en valeur depuis 2009, à hauteur de 130 millions d’euros en AE et CP pour 2021 ;

 l’action n° 4 « Dotation générale de décentralisation des départements » est dotée, comme en 2020, de 265 millions d’euros en AE et CP pour compenser des charges transférées aux départements ne pouvant faire l’objet d’une compensation sous forme de fiscalité (collèges à sections binationales et internationales, monuments historiques, etc.) ;

– suivant le même objet, l’action n° 5 « Dotation générale de décentralisation des régions » assure la compensation financière de charges transférées aux régions. Elle comprend notamment la dotation de collectivité territoriale attribuée à la collectivité de Corse, la DGD versée au syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) en compensation des charges liées aux transports scolaires, la compensation de charges résultant de divers transferts, extensions ou créations de compétences. Pour 2021, cette action bénéficie de 292,7 millions d’euros supplémentaires au profit des conseils régionaux : il s’agit de compenser, du fait de la suppression de la taxe d’habitation, l’arrêt du versement aux régions des frais de gestion de la taxe d’habitation et de lui substituer une dotation de l’État égale aux frais versés en 2020. Au total, les crédits de l’action n° 5 s’élèveront en 2021 à 1,2 milliard d’euros en AE et CP ;

 l’action n° 6, enfin, « Dotation générale de décentralisation concours particuliers », dotée de 253,4 millions d’euros en AE et CP, regroupe des compensations attribuées indistinctement aux communes, départements, régions ou groupements de collectivités territoriales. Elles comprennent ainsi des concours en faveur des autorités organisatrices des transports urbains (87,9 millions d’euros), en faveur des ports maritimes (53,3 millions d’euros), des aérodromes (4,1 millions d’euros), de la gestion du domaine public fluvial (2,7 millions d’euros) ou des bibliothèques municipales et départementales (88,4 millions d’euros). Elles comprennent par ailleurs, pour la première fois cette année, des dotations de compensation de la réduction des taxes additionnelles de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriété bâties (TFPB), pour un montant de 17 millions d’euros.

3.   La dotation de soutien à l’investissement local exceptionnelle

Pour répondre à la crise sanitaire du Covid-19, le Gouvernement et le Parlement ont doté, avec la troisième loi de finances rectificative pour 2020, la DSIL d’un milliard d’euros supplémentaire en AE afin d’accompagner un effort de relance rapide et massif des projets des communes et de leurs groupements.

Les crédits de la DSIL exceptionnelle sont répartis selon les mêmes critères que ceux de l’enveloppe de la loi de finances initiale pour 2020. Trois thématiques prioritaires ont été retenues : les projets relatifs à la transition écologique, ceux ayant trait à la résilience sanitaire et ceux visant à soutenir la préservation du patrimoine public. Les AE non consommées en 2020 seront reportées en intégralité sur l’exercice 2021.

100 millions d’euros de CP sont demandés en 2021 pour ces AE exceptionnelles.

B.   Le programme 122 « Concours spécifiques et administration »

Le programme 122 regroupe les dispositifs destinés à soutenir les collectivités territoriales faisant face à des situations exceptionnelles (action n° 1), les moyens attribués à la direction générale des collectivités territoriales (action n° 2) et les dotations d’outre-mer (action n° 3). Pour 2021, ses crédits s’élèvent à 194,15 millions d’euros en AE et 191,93 millions d’euros en CP.

éVOLUTION DES CRédits du programme 122

(en millions d’euros)

 

LFI 2020

PLF 2021

Évolution

Numéro et intitulé de l’action

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 – Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales

99

57,92

49

46,81

- 50,51 %

- 19,17 %

02 – Administration des relations avec les collectivités territoriales

0,63

0,60

0,63

0,60

0

0

142,03 – Dotations outre-mer

142,93

144,51

144,52

144,52

+ 1,11 %

+ 1,11 %

Total

242,56

201,45

194,15

191,93

- 19,96 %

- 4,73 %

Source : projet annuel de performances pour 2021.

1.   L’action n° 1 « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales »

L’action n° 1 « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales » comprend différentes subventions destinées à soutenir les collectivités touchées par des difficultés particulières. Elle est dotée pour 2021 de 49 millions d’euros en AE et 46,8 millions d’euros en CP. Elle regroupe :

– les subventions exceptionnelles aux communes en difficulté (2 millions d’euros en AE et CP) ;

– les subventions exceptionnelles pour la réparation des dégâts causés par les calamités publiques (40 millions d’euros en AE et 30 millions d’euros en CP) ;

– les subventions pour travaux divers d’intérêt local (7,82 millions d’euros en CP) ;

– le remboursement des frais de garde des élus locaux (7 millions d’euros en AE et CP). Afin d’améliorer les conditions d’exercice du mandat des élus locaux, la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 prévoit que les membres du conseil municipal bénéficient automatiquement d’un remboursement par la commune des frais de garde d’enfants ou d’assistance aux personnes âgées, handicapées ou ayant besoin d’une aide personnelle à leur domicile qu’ils ont engagés en raison de leur participation aux réunions obligatoires, dans la limite du SMIC horaire. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le remboursement auquel a procédé la commune est compensé par l’État par le biais de cette dotation.

Le fonds d’urgence pour les départements, qui avait permis de verser des aides à la collectivité de Saint-Martin à la suite des dégâts causés par l’ouragan Irma à l’automne 2017, ne comprend en revanche aucun nouveau crédit pour 2021.

2.   L’action n° 2 « Administration des relations avec les collectivités territoriales »

L’action n° 2 « Administration des relations avec les collectivités territoriales » prévoit les crédits de fonctionnement et d’investissement alloués à la direction générale des collectivités territoriales (DGCL) du ministère de l’Intérieur et au fonctionnement des organismes nationaux relatifs aux collectivités territoriales. Pour 2020, ces crédits s’élèvent à 0,55 million d’euros en AE et 0,51 en CP.

3.   L’action n° 4 « Dotations outre-mer »,

L’action n° 4 « Dotations outre-mer », d’un montant de 144 millions d’euros en AE et CP pour 2021, regroupe quatre dotations destinées à compenser les charges résultant des transferts de compétences au profit de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Saint-Martin et à financer le fonctionnement des provinces de Nouvelle-Calédonie.


C.   Les mesures prévues par les articles rattachés

1.   L’article 57 : application progressive de la date d’entrée en vigueur de l’automatisation du FCTVA

Le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) est un prélèvement sur recettes versé par l’État aux collectivités territoriales et à leurs groupements destiné à assurer une compensation de la charge de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu’ils supportent sur leurs dépenses d’investissement. D’un montant de 5,949 milliards d’euros en 2019, il constitue le principal dispositif de soutien de l’État à l’investissement public local.

Il est prévu d’automatiser la gestion du FCTVA par le biais du recours à une base comptable des dépenses engagées et mises en paiement, ce qui doit permettre une dématérialisation quasi-intégrale de la procédure d’instruction, de contrôle et de versement du fonds.

L’article 249 de la loi de finances pour 2020 avait prévu un report de l’entrée en vigueur de la réforme, soit au 1er janvier 2021, afin de s’assurer du respect de la neutralité budgétaire de l’automatisation et rechercher un consensus avec les associations d’élus tant sur l’assiette d’éligibilité au FCTVA que sur les modalités d’application de la réforme.

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, « les analyses menées cette année démontrent qu’il demeure un surcoût résiduel pouvant aller jusqu’à 235 millions d’euros selon les années considérées du cycle électoral ». C’est pourquoi le Gouvernement souhaite privilégier une mise en œuvre progressive de la réforme pour les dépenses payées à compter du 1er janvier 2021, en fonction des régimes de versement applicables aux bénéficiaires du fonds.

Ainsi, l’article 57 prévoit qu’au 1er janvier 2021, l’automatisation ne s’appliquera qu’aux collectivités territoriales qui reçoivent le FCTVA l’année de la réalisation de la dépense, parallèlement à la poursuite des déclarations écrites. Cette première étape s’accompagnera d’un bilan permettant d’identifier l’éventuel surcoût de l’automatisation sur l’ensemble des régimes de versement.

2.   L’article 58 : répartition de la dotation globale de fonctionnement

L’article 58 comprend plusieurs évolutions des modalités de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et des départements :

– il prévoit notamment de majorer de 180 millions d’euros les dotations de péréquation des communes et de 10 millions d’euros les dotations de péréquation des départements, afin de renforcer l’effort de solidarité au sein des concours financiers de l’État ;

– il poursuit la progression de la péréquation versée aux communes des départements d’outre-mer, qui bénéficient actuellement d’une quote-part, la « dotation d’aménagement des communes d’outre-mer » (DACOM), à la suite des annonces de « rattrapage » des dotations de péréquation versées aux communes ultra-marines formulées par le Président de la République lors du Grand Débat national, tout en renforçant leur efficacité. À ce titre, le taux de majoration démographique permettant de fixer le montant de la DACOM est à nouveau augmenté par le présent article, passant de 40,7 % à 48,9 % (contre 35 % en 2019). Ce taux traduit une accélération de la dynamique de rattrapage, en réalisant en 2021 le tiers du rattrapage restant à réaliser, afin de tenir compte des difficultés financières spécifiques des communes des départements d’outre-mer dans le contexte de crise économique ;

– il prévoit la minoration de la DGF des départements afin de tenir notamment compte de la recentralisation des compétences de certains départements en matière sanitaire, en application des dispositions de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 ;

– il prévoit un ajustement du calcul des populations utilisées pour le calcul des dotations et fonds destinés à Mayotte. Dans l’attente de la mise en œuvre effective du changement des modalités de recensement de la population à Mayotte, introduit par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer, il est en effet nécessaire de prévoir des modalités de calcul transitoires. Il s’agit de permettre d’actualiser les dotations et fonds calculés sur le fondement des chiffres de population recensés et versés aux collectivités, durant la période allant de 2021 jusqu’à la publication de la nouvelle population légale, en 2026 ;

– il prévoit, enfin, des modalités d’ajustement du calcul des indicateurs financiers utilisés dans le calcul des dotations et fonds de péréquation pour tirer les conséquences de la réforme du panier de ressources des collectivités locales prévue à l’article 16 de la loi de finances pour 2020 mais également de la réforme des modalités d’évaluation des locaux industriels prévue à l’article 4 du projet de loi de finances pour 2021. Ces évolutions, largement issues des travaux menés par le comité des finances locales, visent à tenir compte du nouveau panier de ressources des collectivités et ainsi retranscrire le plus fidèlement possible le niveau de ressources des collectivités.


II.   MIEUX ADAPTER L’action des collectivités territoriales aux spécifiCItés locales : les enjeux de la différenciation des compétences

Pour répondre au besoin d’une plus grande proximité et lisibilité de l’action publique exprimé par les élus locaux et nos concitoyens lors du Grand Débat national, le Président de la République a affirmé, le 25 avril 2019, sa volonté d’ouvrir « un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire. »

Le mouvement de décentralisation engagé depuis 1982 a constitué une avancée majeure pour notre pays. Il a rapproché la prise de décision publique des citoyens et donné aux collectivités territoriales les moyens d’une meilleure adaptation des politiques publiques aux spécificités locales.

Si ce mouvement a privilégié, dans la première partie des années 2010, la constitution d’organisations toujours plus vastes – intercommunalités, grandes régions – le besoin de proximité est aujourd’hui plus prégnant. La crise sanitaire que nous traversons depuis plusieurs mois maintenant est venue rappeler avec une acuité nouvelle l’impossibilité d’apporter une réponse uniforme à des situations différentes et la nécessité de prendre les décisions à l’échelon territorial le plus approprié.

Dès le début du quinquennat, le Président de la République avait fait part de sa volonté d’ouvrir aux collectivités territoriales un « droit à la différenciation », c’est-à-dire, d’une part, leur ouvrir la possibilité de disposer de compétences dont ne disposeraient pas toutes les collectivités de leur catégorie et, d’autre part, leur donner celle de déroger de façon durable à certaines normes.

Alors que le Gouvernement vient de reprendre la concertation dans les différents territoires sur le projet de loi dit « 3D » – décentralisation, différenciation, déconcentration – votre rapporteure a souhaité se pencher sur les enjeux représentés par la différenciation des compétences des collectivités territoriales.

Ainsi que l’exprimait la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault, lors de son audition par la commission des Lois le 30 septembre dernier, « le vieux rêve du jardin à la Française – une place pour chaque chose et chaque chose à sa place » a vécu et il est temps de faire un pas en avant en direction d’une plus grande adaptation aux spécificités et aux besoins des territoires.

A.   le cadre JURIDIQUE DE DéTERMINATION DES COMPéTENCES DES COLLECTIVITéS TERRITORIALES

Le cadre juridique de détermination des compétences des collectivités territoriales trouve ses fondements dans la Constitution de 1958 qui en réserve la définition au législateur.

1.   Le cadre constitutionnel

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a donné une assise institutionnelle au mouvement de décentralisation engagé depuis 1982 ([1]) en inscrivant notamment à l’article 1er de la Constitution que l’organisation de la République était décentralisée. Elle constitue le fondement du droit des collectivités territoriales applicable aujourd’hui, les articles consacrés aux collectivités n’ayant été que marginalement modifiés par la révision du 23 juillet 2008.

Le texte constitutionnel opère une distinction entre, d’une part, les collectivités d’outre-mer et les collectivités à statut particulier et, d’autre part, les collectivités de droit commun – communes, départements et régions. Si les premières, au regard de leurs caractéristiques ([2]), peuvent recevoir des attributions particulières ou exercer leurs compétences dans des conditions dérogatoires (cf. infra), il n’en va pas de même pour les secondes pour lesquelles la Constitution ne prévoit aucune adaptation des lois et règlements pour prendre en compte des caractéristiques propres.

L’essentiel du régime applicable aux collectivités territoriales de droit commun est inscrit à l’article 72 de la Constitution :

– l’alinéa 2 expose le principe général du cadre d’exercice des compétences des collectivités territoriales en disposant que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». C’est le principe de subsidiarité qui est ici posé, et qui donne son sens aux dispositions, législatives ou réglementaires, qui organisent une affectation des compétences en adéquation avec l’échelon territorial le plus à même de les exercer ;

 le principe de libre administration des collectivités figure à l’alinéa suivant : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Il ne signifie pas une liberté sans condition car c’est bien dans les conditions prévues par le législateur que celle-ci s’exerce ([3]) . Les collectivités ne peuvent en effet s’abstraire du cadre législatif qui détermine les conditions de leur administration ;

 l’alinéa 4 rappelle cette primauté de la loi pour déroger au cadre juridique de l’exercice des compétences à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences. ». Ce droit à la différenciation est toutefois limité au mode d’exercice de compétence (cf. infra) ;

 le cadre d’exercice des compétences ne peut conduire, par ailleurs, à l’exercice d’une tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre mais autorise, dans le cadre d’une action commune, que l’une d’entre elles en assure l’organisation : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune. » Cette rédaction, introduite par la révision de 2003, a une finalité précise : favoriser l’exercice concerté de compétences sans que l’exception constitutionnelle de « tutelle » ne puisse être opposée. Cependant, cette possibilité est là encore soumise à une condition précise : que l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités.

Dans le respect des règles et principes rappelés ci-dessus ainsi que, notamment, des principes d’égalité, d’indivisibilité de la République et de souveraineté nationale ([4]), il revient à la loi, en application de l’article 34 de la Constitution, de déterminer « les principes fondamentaux […] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. »

De la lecture du cadre constitutionnel en vigueur, il ressort que le législateur dispose, pour mettre en place une différenciation entre collectivités territoriales, de marges de manœuvres contraintes :

– par le principe d’égalité, qui n’autorise la différenciation des compétences ou de leur exercice que pour des raisons d’intérêt général ou du fait de différences de situations ;

– par l’article 72 de la Constitution, qui implique que les collectivités territoriales de droit commun aient le même statut et, par suite, disposent des mêmes compétences.

Le Conseil d’État, saisi par le Gouvernement d’une consultation sur ce point, l’avait confirmé dans un avis rendu en 2017 ([5]).

2.   Le cadre législatif

Depuis 1982, le législateur a largement utilisé ses prérogatives en matière de détermination des compétences des collectivités territoriales puisque ce ne sont pas moins d’une vingtaine de lois qui ont été adoptées pour poursuivre le mouvement de décentralisation.

Si la répartition des compétences entre collectivités territoriales issue du mouvement de décentralisation est aujourd’hui assez éloignée du « jardin à la Française » initialement envisagé, elle demeure encore largement marquée par le modèle « unitaire » d’origine.

Le législateur avait en effet pensé l’organisation des compétences des collectivités territoriales comme devant répondre à deux principes essentiels :

– l’attribution de compétences est la même pour chaque niveau de collectivité territoriale ;

– les compétences sont réparties par ensembles homogènes et cohérents, que traduisait à l’origine de la décentralisation le terme de « bloc de compétence ».

Les lois promulguées depuis 2010 ont tenté, sinon de rompre, du moins de faire évoluer ce modèle unitaire afin de répondre aux aspirations à plus de libertés locales :

– la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 ([6]) a ainsi introduit un dispositif général de compétences entre collectivités territoriales ;

– la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 ([7]) a élargi le cadre de cette délégation en ouvrant à l’État la possibilité de déléguer par convention à une collectivité territoriale certaines de ses compétences. Cette loi a par ailleurs renforcé la technique du chef de filât, qui permet à une collectivité territoriale d’exercer un rôle de coordination de l’action commune des collectivités, créé des « conférences territoriales de l’action publique » (CTAP), organes de concertation entre les collectivités, et réorganisé le régime juridique des métropoles ;

– la loi NOTRe du 7 août 2015 ([8]) a, pour sa part, complété le régime des délégations de compétences. Dans le même temps, et à rebours des aspirations à plus de libertés locales, elle a accéléré le mouvement de l’intercommunalité et rationnalisé l’organisation territoriale en supprimant la clause générale de compétence pour retenir le principe de spécialisation des compétences des régions et des départements. Seules les communes conservent donc la clause générale de compétences, qui leur permet de disposer d’une capacité d’intervention générale, sans que la loi ne procède à une énumération de ses attributions.

 

Les compétences des collectivités territoriales

Les compétences entre les niveaux de collectivités se répartissent aujourd’hui comme suit :

– lieux de l’administration de proximité, les communes bénéficient de la clause de compétence générale leur permettant de régler par délibération toutes les affaires relevant de leur niveau. Les principales compétences exercées relèvent des domaines suivants : urbanisme, logement, environnement, gestion des écoles préélémentaires et élémentaires. La loi NOTRe du 7 août 2015 a renforcé les compétences optionnelles et obligatoires transférées des communes aux intercommunalités en matière notamment de développement économique, de promotion du tourisme, d’urbanisme, d’eau et assainissement ou encore d’accueil des gens du voyage ;

– les départements sont, depuis la loi MAPTAM du 27 janvier 2014, les chefs de file en matière d’aide sociale et de solidarité des territoires. Ils exercent ainsi leurs compétences dans les domaines suivants : action sociale (enfance, personnes handicapées, personnes âgées, prestations légales d’aide sociale), infrastructures (ports, aérodromes, routes départementales), gestion des collèges, aide aux communes ;

–les régions se voient attribuer essentiellement des fonctions de programmation, de planification et d’encadrement de l’action des collectivités situées dans leur ressort. Elles exercent ainsi principalement leurs compétences dans les domaines du développement économique, de l’aménagement du territoire, des transports non urbains, de la gestion des lycées ou encore de la formation professionnelle.

Les trois niveaux de collectivités se partagent par ailleurs les compétences dans les domaines du sport, du tourisme, de la culture, de la promotion des langues régionales ou encore de l’éducation populaire.

B.   des différenciations de compétences encore marginales

Malgré un cadre constitutionnel contraignant, il est possible pour le législateur de prendre en compte des situations différentes pour l’attribution de compétences différenciées aux collectivités territoriales. Les dispositifs existants demeurent toutefois assez marginaux.

1.   Les collectivités à statut particulier

Une voie de différenciation des règles de compétence des collectivités territoriales de droit commun passe par la création, au moyen d’une loi, d’une collectivité territoriale à statut particulier, ainsi que le premier alinéa de l’article 72 de la Constitution le permet. Cette option est d’autant plus simple que le Conseil constitutionnel admet de longue date la création de statuts particuliers applicables à une seule collectivité déterminée : dans sa décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, il avait ainsi jugé que « la disposition de la Constitution aux termes de laquelle " toute autre collectivité territoriale est créée par la loi " n’exclut nullement la création de catégories de collectivités territoriales qui ne comprendraient qu’une unité ».

Les collectivités à statut particulier sont au nombre de six : le département de Mayotte, la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité territoriale de Martinique, la métropole de Lyon, la collectivité de Corse et la ville de Paris.

– le département de Mayotte ([9]), la collectivité de Guyane et la collectivité de Martinique ([10]) sont des collectivités uniques qui exercent les compétences attribuées à la fois aux départements d’outre-mer et aux régions d’outre-mer ;

– la métropole de Lyon a été créée par l’article 26 de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 précitée. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2015, ses compétences s’exercent dans les limites territoriales anciennement reconnues à l’ancienne communauté urbaine de Lyon. Pour mémoire, le conseil départemental du Rhône a pour territoire l’ensemble des communes de la circonscription administrative du Rhône qui ne sont pas dans la Métropole de Lyon. L’article L. 3641-2 du code général des collectivités territoriales permet à la métropole de Lyon d’exercer de plein droit les compétences confiées par le législateur au département. Elle exerce également les compétences d’une métropole ;

– la collectivité de Corse, créée par l’article 30 de la loi NOTRe du 7 août 2015 précitée, est une collectivité à statut particulier qui a succédé à la collectivité territoriale de Corse et aux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. La collectivité de Corse exerce à la fois les compétences attribuées aux départements et aux régions ;

– la ville de Paris, collectivité à statut particulier, a été créée par la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 en lieu et place de la commune de Paris et du département de Paris. Elle exerce de plein droit, conformément à l’article L. 2512-1 du CGCT, les compétences attribuées par la loi à la commune et au département.

2.   La différenciation pour des motifs d’intérêt général

Si les règles d’attribution des compétences sont, en principe, les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales de droit commun, communes, départements et régions, le cadre constitutionnel autorise, au nom de l’intérêt général, quelques adaptations.

a.   L’attribution de compétences particulières

Dans son avis sur le projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace, le Conseil d’État avait rappelé que la loi ne pouvait attribuer des compétences différentes à des collectivités territoriales d’une même catégorie que pour des raisons d’intérêt général ou pour des motifs tirés d’une différence de situation, dans le cadre de transferts limités et précisément identifiés.

Selon une jurisprudence constante, en effet, le principe constitutionnel d’égalité, applicable aux collectivités territoriales, « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » ([11]).

Ainsi, dans ce cadre, le législateur a pu, s’agissant de la différenciation des compétences, attribuer à la Collectivité européenne d’Alsace, issue du regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, une compétence en matière d’exploitation et de gestion des routes nationales et des autoroutes non concédées, dont ne disposent pas les autres départements, en raison des problématiques inhérentes au transport routier dans le sillon rhénan ([12]). Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État avait estimé que, « au vu des problématiques inhérentes au transport routier dans le sillon rhénan, le transfert des routes et autoroutes non concédées du domaine public routier national, ainsi que des compétences qui y sont associées, répond tant à des motifs d’intérêt général qu’à une situation propre au territoire alsacien. Un tel transfert de compétences ne méconnaît donc, en lui-même, aucun principe constitutionnel. »

En revanche, quand sont en jeu des libertés publiques, le Conseil constitutionnel fait prévaloir le principe d’égalité sur celui de la libre administration des collectivités territoriales. Il juge effectivement que « si le principe de libre administration des collectivités territoriales a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d’application d’une loi organisant l’exercice d’une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire » ([13]).

b.   Les modalités différenciées d’exercice de certaines compétences

Dans le cadre des politiques publiques que mettent en œuvre les collectivités territoriales, il est souvent possible de caractériser, au sein d’une même catégorie de collectivités territoriales, des différences de situation justifiant, dans le respect du principe d’égalité, des règles différentes d’exercice des compétences.

Les critères de distinction peuvent être démographiques ou liés à l’environnement immédiat. Il est ainsi loisible au législateur de dispenser les communes non urbanisées, les communes isolées et les petites communes de l’obligation de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux : elles sont placées dans une situation différente des autres communes au regard de l’objectif assigné par la loi. Toutefois, l’urbanisation particulière de la région Île-de-France « justifie que soient comprises dans le champ d’application de la loi les communes de cette région dont la population est au moins égale à 1 500 habitants, alors que le seuil retenu pour les autres régions est de 3 500 habitants » ([14]).

Par ailleurs, des critères démographiques, géographiques et sociaux peuvent se combiner pour imposer, dans l’exercice de leurs compétences, des obligations particulières à certaines communes et non à d’autres ([15]).

La loi « Montagne » représente probablement l’engagement symbolique le plus fort du législateur en faveur d’un territoire, puisqu’elle prévoit que les « dispositions de portée générale ainsi que les politiques publiques (…) sont, éventuellement après expérimentation, adaptées à la spécificité de la montagne ou à la situation de chaque massif » ([16]).

3.   Les délégations de compétences

Introduits par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 précitée, les différents dispositifs de délégation de compétences ont vocation à apporter un peu de souplesse au cadre juridique de répartition et d’exercice de compétences.

Ces délégations de compétences peuvent s’effectuer, d’une part, entre collectivités territoriales relevant de catégories différentes et, d’autre part, de l’État vers une collectivité territoriale.

a.   Les délégations entre collectivités territoriales

Le code général des collectivités territoriales prévoit aujourd’hui plusieurs modalités de délégations de compétences entre collectivités territoriales.

● Le mécanisme de délégation de l’article L. 1111-8 a été introduit par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales afin de prévoir une modalité souple, non obligatoire, d’exercice des compétences, selon une logique de subsidiarité.

L’article L. 1111-8 précise que cette délégation, possible vers une collectivité territoriale d’une autre catégorie ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, ne peut concerner qu’une compétence dont la collectivité délégante est attributaire. Cette délégation de compétence est régie par une convention, qui en fixe la durée et qui définit les objectifs à atteindre et les modalités du contrôle de l’autorité délégante sur l’autorité délégataire. Le délégataire exerce ensuite la compétence ou la partie de compétence déléguée au nom et pour le compte de la collectivité territoriale qui est en est attributaire. Toute subdélégation est proscrite.

Depuis sa création, le dispositif semble ne pas avoir séduit les élus locaux et son usage demeure aujourd’hui assez limité, ainsi que le souligne le rapport de mai 2017 de l’inspection générale de l’administration sur la délégation de compétence et la conférence territoriale de l’action publique ([17]). Parmi les raisons souvent invoquées figure chez les élus le sentiment que la procédure, détaillée à l’article R. 1111-1 du code général des collectivités territoriales, est trop complexe. Une autre raison est que certains perçoivent parfois la délégation comme une forme de tutelle déguisée, comme un « mécanisme de sujétion d’une autorité sur l’autre, même si le droit ne le comprend pas comme tel » ([18]).

● On trouve par ailleurs d’autres dispositifs de délégations de compétences, dans des domaines plus spécifiques :

– l’article L. 3111-9 du code des transports prévoit ainsi la possibilité pour une région de déléguer tout ou partie de l’organisation des transports scolaires notamment au département. Cette possibilité est toutefois de moins en moins utilisée. À la rentrée 2017, seuls neuf départements exerçaient ainsi la compétence en matière de transport scolaire par délégation de la région, soit l’Ain, l’Allier, le Cantal, la Haute-Garonne, la Haute-Loire, l’Isère, la Loire, l’Orne et le Puy-de-Dôme. À la rentrée 2020, ils ne sont plus que cinq, l’Allier, la Haute-Garonne, la Haute-Loire, l’Isère et la Loire. À la rentrée 2021, seule la Haute-Garonne demeure ;

– l’article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales prévoit pour sa part la possibilité pour la région de déléguer vers des communes ou leurs groupements l’octroi d’aides aux entreprises.

b.   Les délégations de l’État à une collectivité

● L’article L. 1111-8-1 du code général des collectivités territoriales prévoit la possibilité pour l’État, sauf lorsque sont en cause des intérêts nationaux, de déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui en fait la demande l’exercice de certaines de ses compétences. Les compétences déléguées sont exercées au nom et pour le compte de l’État. Elles ne peuvent habiliter les collectivités territoriales et les établissements publics concernés à déroger à des règles relevant du domaine de la loi ou du règlement.

La demande de délégation répond à une procédure spécifique, en ce qu’elle est soumise à la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) prévue à l’article L. 1111-9-1 du même code, puis transmise au ministre par le préfet de région. Elle est acceptée par décret et mise en œuvre par une convention entre l’État, autorité délégante et la collectivité territoriale ou l’EPCI demandeur, agissant en qualité d’autorité délégataire.

Les conférences territoriales de l’action publique (CTAP)

Les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) sont des instances de coordination à l’échelon régional, instaurées dans chaque région par la loi MAPTAM de 2014.

Elles réunissent les exécutifs des différentes collectivités territoriales (communes, départements et régions) et de leurs groupements.

Les CTAP répondent au triple objectif de coordination, de simplification et de clarification des interventions publiques au sein d’une même région. Elles sont ainsi chargées de favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.

Elles peuvent débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l'exercice de compétences et à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements d’une part, entre les acteurs territoriaux et l’État d’autre part.

À cet effet, elles peuvent élaborer des conventions territoriales d’exercice concerté d’une compétence.

Si elles sont à présent installées dans le paysage institutionnel, le bilan des CTAP demeure mitigé.

Là aussi, comme dans le cas de délégations entre collectivités territoriales, il y a peu d’exemples de mise en œuvre. On peut simplement citer le décret n° 2015-1918 du 30 décembre 2015 portant délégation de compétences du ministère de la Culture et de la communication à la région Bretagne : par ce décret l’État a délégué à la région Bretagne ses compétences en matière culturelle, dans le domaine du soutien aux filières du livre, du cinéma ainsi que du patrimoine culturel immatériel.

● Il existe par ailleurs des dispositifs sectoriels de délégation d’une compétence de l’État vers une collectivité territoriale :

– l’article L. 5311-1 du code du travail permet à l’État de déléguer à une région la mission de veiller à la complémentarité et de coordonner l’action des différents intervenants, notamment les missions locales, les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, Cap emploi et les maisons de l’emploi, ainsi que de mettre en œuvre la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences. Il n’existe, à ce jour, pas d’exemple de mise en œuvre de cette délégation ;

– l’article L. 6412-4 du code des transports prévoit la faculté pour l’État de déléguer à une collectivité territoriale demanderesse tout ou partie de l’organisation de services de transport aérien intérieurs au territoire français soumis à des obligations de service public. Les liaisons aériennes ayant fait l’objet d’une telle délégation sont une dizaine aujourd’hui. Les délégations de l’État sont intervenues essentiellement au profit de syndicats mixtes constitués pour la gestion d’aérodrome, parfois en faveur de chambres de commerces et d’industrie ou de la collectivité départementale. L’État cofinance la plupart de ces lignes qui demeurent essentielles pour le développement économique et social des territoires concernés ;

– plusieurs régions, enfin, se sont vues confier par décret la mission prévue au I ter de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques. C’est le cas des régions Bretagne, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Grand Est. Une procédure de même nature est en cours pour la région Pays de la Loire.

4.   Les transferts de compétences en direction des métropoles

La loi « NOTRe » du 7 août 2015 a entendu renforcer le rôle et le poids des métropoles en leur ouvrant la possibilité d’exercer, par voie de transfert ou par simple délégation, une partie des compétences des départements.

Elle a introduit pour cela à l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales une procédure qui permet aux départements et aux métropoles de s’entendre, par convention, sur l’étendue et les modalités d’exercice de ces compétences. À défaut de convention conclue à une date déterminée par la loi, il était prévu que les neuf blocs de compétences départementales proposés par la loi ([19]) soient d’office transférés aux métropoles, par arrêté du préfet.

Ce mécanisme a été mis en œuvre pour les métropoles existantes à la date du 1er janvier 2017 – à l’exception de la métropole du Grand Paris, écartée par la loi, et de la métropole de Lyon, non concernée par principe, car exerçant déjà sur son territoire les compétences du département du fait de son statut particulier. L’ensemble s’est conclu sans que l’État n’ait à intervenir : à la date du 1er janvier 2017, terme fixé par le législateur, des conventions avaient pu être conclues dans tous les départements et métropoles concernés.

Cet article L. 5217-2 a été également mis en œuvre pour sept autres métropoles constituées après le 28 février 2017, soit Clermont-Ferrand, Dijon, Metz, Orléans, Saint-Etienne, Toulon et Tours. Il convient de noter que l’intervention du préfet de la Côte-d’Or a été requise en application de l’antépénultième alinéa du IV de l’article L. 5217-2 en vue du transfert de l’ensemble des blocs de compétences à la métropole après l’échec des négociations entre les exécutifs de la métropole et du département. Le préfet est également intervenu à ce titre en Moselle sur la compétence voirie, une convention ayant été par ailleurs signée dans les délais prévus par la loi pour un transfert minimal de trois compétences hors voirie.

Le bilan de ces transferts est assez mitigé. D’une manière générale, le choix fait à chaque fois par les élus a été de porter ces transferts, dans la plupart des cas, sur le socle minimal de compétences transférées que prévoit la loi, soit trois groupes : le fonds de solidarité pour le logement, l’aide aux jeunes en difficulté et les actions de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu.

C.   répondre aux besoins de proximité et d’efficacité par une meilleure répartition des compétences

Le Grand Débat national a mis en lumière la nécessité d’adapter les règles applicables, dans de nombreux domaines, aux particularités objectives du territoire national. Selon leurs caractéristiques géographiques, leur situation économique ou démographique, les collectivités territoriales, quel que soit leur niveau, sont en effet, pour de larges pans de services publics locaux, dans des situations différentes, qui appellent la mise en œuvre de situations différentes.

Pour répondre au besoin d’une plus grande proximité et d’une meilleure lisibilité de l’action publique, le Président de la République avait affirmé, le 25 avril 2019, à l’issue du Grand Débat national, sa volonté d’ouvrir « un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire » avec un principe : la différenciation territoriale.

La crise sanitaire de l’année 2020 est venue renforcer cet impératif de différenciation que les Français et les élus locaux appellent de leurs vœux.

La Constitution n’ayant pu être modifiée pour desserrer la contrainte qui s’impose au législateur, le Gouvernement a engagé une grande concertation nationale sur la répartition et l’exercice des compétences dans la perspective de la future loi « 3D » – décentralisation, différenciation, déconcentration.

Lors de son audition par la commission des Lois le 30 septembre dernier, la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault, en avait expliqué la philosophie :

« Le projet de loi « 3D » traitera de décentralisation et portera sur la transition écologique, le logement, et le transport. Nous tirerons aussi les leçons de la crise sanitaire dans le domaine de la santé et des solidarités. Avec ce nouveau texte, nous donnerons aux collectivités les bons outils pour accélérer les transitions sur ces quatre piliers notamment en examinant, politique publique par politique publique, les doublons qui existent entre l’action de l’État et celle des collectivités. Nous transférerons également aux collectivités locales des outils réglementaires qui leur donneront les mains libres pour agir dans leur champ de compétences. Ainsi, la norme sera prise par une délibération de la collectivité concernée et non par le biais d’une réglementation venue de Paris. La collectivité prendra donc ses responsabilités sur le plan réglementaire, dans son champ de compétences. Nous nous attacherons en outre à donner aux collectivités territoriales les moyens de mieux se répartir les compétences entre elles à travers des outils de gouvernance partagée. »

La révision constitutionnelle suspendue de 2018

Le projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, discuté à l’Assemblée nationale à l’été 2018 avant que son examen soit suspendu, comprenait une disposition intéressante en matière de différenciation de compétences.

Suivant les recommandations du Conseil d’État exprimées dans son avis de 2017 précité, l’article 15 du projet de loi proposait de compléter l’article 72 de le Constitution par une phrase visant à permettre à la loi de prévoir que « certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie ».

Il s’agissait, en inscrivant le principe de ces transferts dans la Constitution, de conduire le Conseil constitutionnel à assouplir son contrôle sur le fondement du principe d’égalité, qui exige (cf. supra) une caractérisation de l’intérêt général pour justifier une telle dérogation.

L’adoption de cette disposition aurait permis à une commune, une région ou un département d’intervenir dans un domaine dont les autres communes, départements ou régions ne pouvaient pas connaître, pour tenir compte des spécificités de cette collectivité territoriale et des enjeux qui lui étaient propres. La compétence départementale relative à la gestion des collèges aurait pu, par exemple, être confiée à une région pour des raisons de synergie avec celle des lycées

La circulaire du Premier ministre du 15 janvier 2020 a fixé les principes directeurs de cette concertation, organisée sous l’égide des préfets et engagée à compter de janvier 2020. Elle doit porter, dans chaque région et département :

– sur les modalités de l’exercice local des compétences, qu’il s’agisse de la décentralisation, de la différenciation ou de la déconcentration, avec l’ambition de transformer les relations entre l’État et les collectivités territoriales, en partant des besoins et des projets du terrain ;

– dans les domaines de compétences spécifiques sur lesquels le chef de l’État a demandé d’orienter les travaux, à savoir la transition écologique, le logement et les transports.

C’est à partir de ces principes directeurs que les préfets ont engagé des concertations avec les élus, les administrations et les acteurs de la société civile pour nourrir la réflexion, au travers d’ateliers. Les trois thématiques n’excluant pas de porter la réflexion sur d’autres thématiques liées aux compétences des collectivités, dans les domaines de l’emploi, du sport, de la culture, de certaines compétences scolaires et sociales. Des sujets relatifs à l’économie circulaire ou l’artificialisation des sols ont par exemple alimenté les travaux et les concertations.

La ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault, a présidé ces concertations, accompagnée parfois par d’autres membres du Gouvernement, à Arras, Agen, Dijon, Châlons-en-Champagne, Metz, Pontivy et Manosque. Les travaux ont dû être suspendus en raison de la crise sanitaire qui a frappé notre pays en mars.

Ces concertations ont repris à l’automne en vue d’alimenter le projet de loi « 3D ». Des réunions de concertation seront ainsi tenues par la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales dans l’ensemble des régions dans les semaines qui viennent. La première s’est tenue le 5 octobre en Occitanie.

La ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a confirmé, lors de son audition précitée, que le projet de loi « 3D » serait inscrit à l’ordre du jour du Parlement au cours du premier semestre 2021.


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   Examen en commission

Lors de sa seconde réunion du mercredi 14 octobre 2020, la Commission auditionne Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (Mme Émilie Guérel, rapporteure pour avis).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9656930_5f8710af9a1ae.commission-des-lois--mme-jacqueline-gourault-ministre-de-la-cohesion-des-territoires-et-des-relati-14-octobre-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, dans le cadre de l’examen pour avis des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT), nous entamons l’examen des avis budgétaires en recevant Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation à échanger sur les mesures prises en faveur des collectivités locales dans le projet de loi de finances pour 2021. Ce budget est marqué par une particularité, de sorte que nous ne discuterons cet après-midi que d’une fraction des dispositifs qui bénéficieront aux collectivités : une partie importante du plan de relance bénéficiera aux projets des élus locaux. Les dotations supplémentaires ouvertes pour financer la rénovation thermique des bâtiments communaux, départementaux et régionaux, par exemple, ne figurent pas dans cette mission, mais dans la mission « Plan de relance ». Bien entendu, vous pouvez compter sur moi pour veiller à ce que les élus locaux aient accès facilement et rapidement aux crédits.

Les crédits inscrits au titre de la mission RCT confirment les orientations fixées et tenues durant les trois premières années du quinquennat, en particulier la stabilité de l’enveloppe. L’année prochaine, les collectivités recevront des dotations un peu plus élevées que cette année : l’enveloppe des concours financiers augmente de 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement. Pour mémoire, l’enveloppe totale s’élève à plus de 50 milliards d’euros. Cette augmentation résulte de plusieurs facteurs.

D’un côté, les principales dotations sont stables. C’est le cas, hors mesures de périmètre, de la dotation générale de fonctionnement (DGF), fixée à 26,8 milliards d’euros en 2021. Ce le sera aussi des autorisations d’engagement mobilisées pour la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), avec 1,046 milliard d’euros, de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), avec 570 millions d’euros, de la dotation politique de la ville (DPV), avec 150 millions d’euros, et de la dotation de soutien à l’investissement départemental (DCID), avec 212 millions d’euros. Vous connaissez bien ces chiffres, puisque ce sont à peu près les mêmes chaque année. C’est bien la preuve que lorsque nous voulons tenir des engagements plusieurs années de suite, nous pouvons le faire. Je prends le temps de le signaler, car j’entends les appréhensions d’élus qui craignent que l’État ne remette en cause certains acquis, notamment les compensations attribuées lors de la suppression ou de la diminution d’impôts locaux. Pour avoir longtemps été une élue locale, je comprends bien ces craintes. Je crois que la meilleure réponse que nous puissions apporter, c’est la constance dans l’imposition et la persévérance dans nos actions.

De l’autre côté, les mesures de relance et les soutiens aux investissements ne sont pas plafonnés, ce qui conduit à un dépassement significatif de l’enveloppe. Je me contenterai de citer les mesures de soutien adoptées par la loi de finances rectificative, qui ne sont pas gagées : ce sera le cas des crédits de paiement associés à la DSIL exceptionnelle et des sommes nécessaires pour alimenter en 2021 le filet de sécurité sur les recettes fiscales et domaniales du bloc communal de 2020. Par ailleurs, le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) devrait connaître une progression de 546 millions d’euros l’année prochaine, du fait de la très bonne tenue des investissements locaux en 2019 et au début de l’année 2020. Au total, la loi de finances ouvrira plus de 6,5 milliards d’euros de crédits sur cette ligne. C’est une bonne nouvelle, qui peut redonner confiance aux élus pour recommencer à investir.

Vous constatez vous-mêmes que les moyens budgétaires mobilisés pour l’investissement local sont sans précédent : 2 milliards d’euros pour les dotations habituelles de la mission ; 1 milliard d’euros de DSIL exceptionnelle sur les exercices 2020 et 2021 ; une augmentation de 500 millions d’euros du FCTVA ; ce à quoi viennent s’ajouter 600 millions d’euros de crédits sur les investissements de régions actés dans l’accord de partenariat signé il y a quinze jours par le Premier ministre et près de 1 milliard d’euros de nouveaux fonds dans le plan de relance pour la rénovation thermique des bâtiments communaux et départementaux. Pour la DSIL, s’additionnent ainsi la dotation habituelle de 570 millions d’euros, la dotation exceptionnelle de 1 milliard d’euros, obtenue avec Sébastien Lecornu, et enfin le milliard d’euros de rénovation du plan de relance.

S’agissant du FCTVA, nous allons enfin vous proposer l’automatisation de sa procédure de versement, qui entrera en vigueur en 2021. Déjà reportée deux fois, c’est une mesure de simplification pour les collectivités locales et les préfectures : elle consiste à passer d’un système de remboursement sur la base de dossiers papier de plusieurs dizaines de pages à un remboursement automatisé sur la base des dépenses inscrites dans les comptes de la collectivité. Les petites communes seront les premières à en bénéficier. Cette réforme sera un atout pour les communes et dans la relance. Sa mise en œuvre sera progressive : en 2021, elle ne concernera que les collectivités dont les dépenses sont éligibles au FCTVA l’année de la dépense, ce qui permettra de vérifier que la nouvelle procédure fonctionne correctement et n’entraîne pas de surcoût de gestion par rapport au régime actuel. La procédure habituelle sera maintenue transitoirement pour certains aux fins de comparaison, avant généralisation.

Le PLF 2021 est aussi marqué par l’augmentation de la solidarité entre les territoires, autrement dit des crédits consacrés à la péréquation au sein de la DGF, pour un montant de 220 millions d’euros. Cet effort bénéficie à trois grandes familles de territoires : 90 millions d’euros iront à la dotation de solidarité urbaine (DSU) ; 90 millions d’euros à la dotation de solidarité rurale (DSR) ; 30 millions à la dotation d’intercommunalité ; 10 millions enfin à la péréquation des départements. Ces chiffres sont identiques à ceux de 2020. Il est bien entendu toujours possible d’en faire plus, mais l’exercice est contraint par le fait que ces hausses sont financées par le redéploiement d’autres composantes de la DGF, qui est une enveloppe fermée. Faire plus de péréquation amène à piocher dans la dotation forfaitaire ou dans la dotation de compensation. C’est pourquoi nous y allons progressivement.

Le PLF acte une mesure forte en faveur des communes d’outre‑mer. Vous vous souvenez qu’un rattrapage a été décidé l’an dernier pour ajuster progressivement le montant de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre‑mer (DACOM) au montant qui devrait être perçu si les communes des DOM percevaient les dotations de péréquation dans les mêmes conditions que celles de métropole. Le système adopté l’année dernière avait été élaboré avec le comité des finances locales (CFL), dans un groupe de travail qui avait rendu ses conclusions à l’été. Ce rattrapage a permis d’attribuer l’année dernière aux communes des DOM 11,5 millions d’euros de plus, soit un cinquième du rattrapage total. Nous proposons d’accélérer cette dynamique, pour tenir compte des effets de la crise sur les finances déjà fragiles des communes des DOM, en réalisant en 2021 le tiers du rattrapage restant : la DACOM augmenterait au final de 17 millions d’euros.

Je vous confirme également l’engagement pris devant vous l’année dernière sur les indicateurs financiers, pour tenir compte de la réforme de la fiscalité locale, en particulier de la taxe d’habitation (TH). Les modifications inscrites dans le texte sont celles qui avaient été présentées devant le comité des finances locales et avaient reçu son assentiment. Les évolutions sont de deux ordres.

Une première mesure reconstruit des indicateurs fonctionnels, en intégrant les nouvelles ressources destinées à compenser la perte de la TH : le foncier bâti pour les communes et la TVA pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les départements.

La deuxième mesure neutralise les conséquences de la première sur le niveau des indicateurs, tout en laissant libre la dynamique : une fraction de correction sera calculée, égale à l’écart entre les nouveaux et les anciens produits, qui correspond au pur effet de bord lié à la réforme. Cette fraction serait retranchée ou ajoutée aux indicateurs de la nouvelle formule, de manière transitoire et dégressive pour certains d’entre eux, comme l’indicateur du potentiel fiscal et de l’effort fiscal des communes, de façon pérenne pour d’autres, comme celui du potentiel fiscal des départements, ou pas du tout pour ce qui est de l’indicateur du potentiel fiscal des EPCI.

Tout cela a fait l’objet de discussions hyper-techniques. Les paramètres, notamment la portée et la durée de la mesure de neutralisation, pourront être modifiés : le système n’est pas verrouillé. Je propose que, l’année prochaine, nous rediscutions du dispositif au CFL afin de vérifier qu’il fonctionne bien.

Enfin, les impôts de production, c’est-à-dire les taxes qui pèsent sur les facteurs de production des entreprises, indépendamment de leur résultat, baisseront de 10 milliards d’euros en 2021. Cette mesure correspond à la suppression de la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) affectée aux régions, ainsi qu’à la réduction de moitié des impôts fonciers acquittés sur les locaux industriels – taxe foncière et cotisation foncière des entreprises (CFE). Le Gouvernement a pris des engagements très clairs pour que ces décisions soient compensées de manière pérenne et dynamique. J’y ai personnellement veillé lors des arbitrages. La compensation de la part régionale de la CVAE sera assurée par de la TVA. Le nouveau système est avantageux pour les régions, qui perdent une ressource appelée à diminuer au profit d’une ressource stable, voire dynamique : elles n’y ont du reste vu aucune difficulté lors des discussions.

Pour ce qui est du bloc communal, la compensation passera par la création d’un nouveau prélèvement sur les recettes de l’État. Son montant individuel sera calculé pour combler l’écart entre le montant de la taxe sur le foncier bâti et de CFE, payés par chaque local ou établissement industriel une année donnée, et le montant qui aurait été payé en appliquant les taux pratiqués en 2020.

J’entends les craintes et les critiques sur le thème de la fin de l’autonomie fiscale des maires, et je veux y répondre. Les 3,3 milliards d’euros supprimés du fait de la disparition de la taxe d’habitation doivent être rapportés aux 42,5 milliards d’euros d’impôts fonciers concernés : autrement dit, la réforme ne supprime qu’une part très minoritaire – 5,7 % – de ces taxes. Au demeurant, elle n’abolit aucun pouvoir de taux ; elle actualise des bases dont tout le monde convient qu’elles étaient surévaluées. On ne peut pas se résoudre à ne jamais rien changer. Ce qui compte, c’est que les maires s’y retrouvent à la fin dans leur budget. Enfin, je rappelle qu’il s’agissait d’un engagement pris par le Président de la République devant les Français pendant la campagne présidentielle. Cette disparition est compensée par un autre impôt local, la taxe foncière, qui a un pouvoir de taux.

Le Gouvernement souhaite également que des mesures de soutien soient prises en faveur des départements. Nous soutiendrons l’amendement visant à abonder le fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) que les présidents de département avaient mis au point eux-mêmes, en particulier M. Jean‑René Lecerf. Si le fonds n’atteint pas la cible de 1,6 milliard d’euros fixée par la loi de 2020, du fait des baisses de DMTO, l’État ouvrira une dotation par prélèvement sur ses recettes, afin de combler l’écart. C’est un engagement fort pris devant l’Assemblée des départements de France (ADF), qui s’était mobilisée dès 2019, pour faire inscrire dans la loi un fonds de péréquation très ambitieux. C’est la première fois que l’État soutient directement un fonds de péréquation entre collectivités : à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Nous avons indiqué à l’ADF que nous proposerons une seconde mesure de soutien sur les recettes, avec l’ouverture de crédits d’urgence ou de stabilisation fléchés dans le fonds de stabilisation, pour un montant de 115 millions d’euros.

Ces mesures s’ajoutent aux mesures déjà acquises ou inscrites dans le plan de relance : 250 millions d’euros de TVA supplémentaires en 2021, 93 millions d’euros de FCTVA en plus et 300 millions d’euros sur le milliard inscrit dans le plan de relance pour financer la rénovation énergétique des bâtiments départementaux.

Le Gouvernement défendra également une mesure pour soutenir les autorités organisatrices de la mobilité. Comme vous le savez, un accord avait été trouvé avec Île‑de‑France Mobilités. Mon ministère a demandé de mettre au point un système de compensation qui s’inspire de ce modèle, portant sur les recettes fiscales et sur les recettes tarifaires perçues en 2020.

Enfin, nous proposons de neutraliser l’impact des variations de TVA sur la TVA versée aux départements et aux EPCI, à compter de 2022. Je reviendrai sur cette mesure à l’occasion des questions à venir.

Mme Émilie Guerel, rapporteure pour avis. Madame la ministre, mes chers collègues, je ne souhaite pas revenir sur le détail des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui viennent de nous être présentés de manière très exhaustive. L’usage, à la commission des Lois, est que le rapporteur pour avis mette plutôt l’accent sur une politique publique, une thématique que les crédits présentés permettent de financer. Je pense que le thème retenu cette année vous plaira tout particulièrement, madame la ministre, puisque je me suis intéressée aux enjeux de la différenciation de compétences des collectivités territoriales.

Pour répondre aux besoins de plus grande proximité et de plus grande lisibilité de l’action publique exprimée par les élus locaux et nos concitoyens, notamment lors du grand débat national, et alors que la crise sanitaire nous rappelle chaque jour la difficulté d’apporter des réponses uniformes à l’ensemble du pays, il est temps de faire un pas en avant en direction d’une plus grande adaptation aux spécificités et aux besoins des territoires. Selon vos propres mots, madame la ministre, ici‑même, il y a quinze jours, le vieux rêve du jardin à la française – « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place » – a vécu. Le cadre constitutionnel et son principe d’égalité contraignent le législateur mais permettent de prendre en compte des situations différentes pour l’attribution de compétences différenciées aux collectivités territoriales. L’usage que nous en faisons demeure toutefois largement marginal.

On peut en effet attribuer, sans méconnaître le principe d’égalité, des compétences différenciées à une collectivité, si cela est justifié par des motifs d’intérêt général ou pour des motifs tirés d’une différence de situation dans le cadre de transferts limités et précisément identifiés. Nous avons exploité cette possibilité une seule fois pour le moment, avec la loi du 2 août 2019 relative aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace, qui transfère notamment une compétence en matière d’exploitation et de gestion des routes nationales et des autoroutes non concédées. Les délégations de compétences entre collectivités territoriales, inscrites depuis 2010 à l’article L. 1111‑8 du code général des collectivités territoriales, sont un dispositif intéressant, mais très peu utilisé par les élus locaux, étant donné qu’il est assez complexe à mettre en œuvre. Les délégations de compétences de l’État en direction des collectivités territoriales, autorisées par l’article L. 1111‑8‑1, sont encore plus rares. Un seul exemple : en 2015, l’État a délégué à la région Bretagne quelques compétences en matière culturelle dans le domaine du soutien aux filières du livre, du cinéma ainsi que du patrimoine culturel immatériel. Là aussi, la procédure est lourde et complexe du fait notamment des conférences territoriales d’action publique (CTAP).

Madame la ministre, vous avez engagé en début d’année une grande concertation nationale sur la répartition et l’exercice des compétences dans la perspective de la future loi relative à la décentralisation, la différenciation et la déconcentration, la loi « 3D » ou « 4D », si l’on ajoute la décomplexification. Sans préjuger des résultats de cette concertation et du contenu de la future loi, j’aurai trois questions. Avez-vous identifié des compétences de l’État qui pourraient être transférées non pas à toutes les collectivités mais à quelques-unes, du fait de situations différentes ? La loi d’orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 avait accordé une grande confiance aux collectivités, en proposant le transfert d’aéroports, de ports maritimes non autonomes et de canaux et ports fluviaux à tout niveau de collectivité territoriale qui se sentait apte et intéressé pour gérer ces grandes infrastructures. Dans le cas où plusieurs collectivités auraient été candidates, la loi a prévu de confier au préfet le soin d’effectuer le choix après avoir organisé une concertation locale. Pensez-vous que l’on puisse étendre ce type de mécanisme à d’autres compétences ? Enfin, même si elles sont désormais installées dans le paysage institutionnel local, les conférences territoriales de l’action publique (CATP) font l’objet de nombreuses critiques de la part des élus locaux. Comment redynamiser ces outils qui pourraient être très utiles à l’avenir ?

Mme la ministre. Je vous remercie, Madame la rapporteure, d’avoir défendu le développement de l’expérimentation et, partant, de la différenciation, dans un cadre constitutionnel qui restera inchangé, mais qui sera assoupli par le projet de loi organique que nous commencerons à examiner le 2 novembre au Sénat. Il permettra un accès plus facile à l’expérimentation et mettra fin au caractère binaire de ce qui se produisait lorsqu’elle arrivait à échéance : jusqu’à présent, la loi disposait qu’après un certain nombre d’années l’expérimentation était soit étendue à l’ensemble du territoire, soit arrêtée. L’objectif est de rendre possible une expérimentation pérenne pour une collectivité. Elle pourra bien sûr toujours s’étendre à d’autres collectivités, mais elle pourrait aussi rester cantonnée à une seule. Nous avons en tête plusieurs projets, dont celui d’une expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA), réclamée par plusieurs départements, mais pas par tous. Aussi nous semble-t-il difficile d’opérer un transfert systématique dans la future loi « 3D ». Passer par l’expérimentation serait une bonne idée : c’est ce que demandent la Seine‑Saint‑Denis, la Somme, l’Ille‑et‑Vilaine, la Gironde et le Loir‑et‑Cher. N’hésitez pas à nous faire part d’expérimentations que voudraient lancer certaines collectivités, puisque nous devrons les lister dans la loi simple – le principe étant posé dans la loi organique.

S’agissant de la loi LOM, je préfère ne pas répondre à l’aveugle, sans exemple concret. Mais je suis prête à examiner les propositions que vous pourriez nous faire.

Quant aux CTAP, elles sont utiles au débat dans les collectivités territoriales. Je crois pouvoir vous dire qu’il y a une région où elles fonctionnent bien et se réunissent régulièrement : la Bretagne. J’ai moi-même été invitée à assister à des CTAP et à y intervenir. Nous prévoyons de modifier le projet de loi « 3D » pour faciliter l’exercice.

M. Rémi Rebeyrotte. Madame la ministre, M. le Premier ministre et vous-même avez construit avec l’Association des régions de France, le 30 juillet dernier, un accord de méthode qui a permis la conclusion d’un accord de partenariat le 28 septembre dernier, dans le cadre du plan de relance. Pouvez-vous indiquer en quoi celui-ci consiste ? Aura-t-il des incidences dès le projet de loi de finances pour 2021 en cours d’examen ? Si oui, à quelle hauteur ? Les préfets de région et les présidents de région devront-ils décliner sur le terrain cet accord global ? Autant de questions qui appellent réponses avant que le résultat de ce travail en commun de l’État et des régions ne soit mis en application.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la ministre, je vous remercie pour cette présentation très technique et détaillée. Avec ce troisième projet de loi de finances, nous comprenons peu à peu que votre stratégie budgétaire, financière et fiscale en matière de relations de l’État avec les collectivités territoriales s’inscrit bel et bien dans une cohérence d’ensemble. Derrière ce qui pouvait initialement apparaître comme des mesures de bon sens, des mesures d’ajustement, parfois purement techniques, ou de simples cadeaux fiscaux, se construit progressivement une vision d’ensemble de votre relation avec les collectivités territoriales, dans laquelle nous ne nous retrouvons absolument pas.

Sa première caractéristique est de revenir toujours davantage, de façon progressive mais certaine, par une sorte de mécanisme de cliquet interdisant tout retour en arrière, sur l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Vous nous avez fait part de votre réflexion sur ce sujet lorsque nous vous avons auditionnée il y a quelques jours. Est-il pertinent de parler d’autonomie fiscale des collectivités territoriales ? Est-ce vraiment souhaitable ? C’est en tout cas ce que j’ai retenu de vos propos.

Ce qui est sûr, c’est que vous avez apporté une réponse à ces questions : par le biais de la suppression progressive de la taxe d’habitation, déjà prévue, et surtout de la réduction des impôts de production, en supprimant la part qui revenait aux collectivités territoriales, vous revenez bel et bien sur leur autonomie fiscale.

J’entends que l’on puisse souhaiter débattre de ce sujet. Ce qui nous refroidit largement, c’est que ce débat est amené de façon insidieuse, en suivant un cap imaginé bien en amont, qui n’avait pas été annoncé comme tel, mais qui se révèle petit à petit.

C’est d’autant plus ennuyeux que les collectivités territoriales ont été au rendez-vous face à la crise, grâce à leur souplesse d’organisation, à leur inventivité, à leur créativité, aux libertés d’action dont elles jouissent et à leur capacité d’adapter l’action publique à une échelle pertinente. Au demeurant, vous-même en convenez, puisque vous promettez depuis trois ans une réforme des collectivités territoriales visant à renforcer la décentralisation, et même à introduire une possible différenciation. Pourtant, votre stratégie fiscale est à rebours de ce discours, puisqu’elle rend les collectivités territoriales captives de logiques de dotation et de fléchage.

D’un point de vue strictement budgétaire, on peut se réjouir que d’importants fonds du plan de relance soient consacrés aux collectivités territoriales ; encore faut-il préciser que c’est sûrement un des moyens les plus efficaces pour qu’ils soient effectivement dépensés. On peut également se réjouir que leur fléchage vers la rénovation des bâtiments soit précis : c’est cohérent avec les choix politiques nationaux, c’est une très bonne nouvelle pour l’écologie, mais du point de vue de l’autonomie des collectivités territoriales et de leur capacité d’action, ce n’est pas forcément réjouissant. Car cela signifie qu’elles seront complètement dépendantes de la volonté de l’État.

C’est un choix, à nos yeux plus que discutable, car il revient sur bon nombre de libertés locales. Je ne prétends pas que les collectivités territoriales doivent aller systématiquement contre l’action du Gouvernement, notamment en matière d’environnement, d’isolation des bâtiments et d’économie d’énergie ; mais je soutiens que notre responsabilité est d’aller jusqu’au bout de la logique de confiance avec les collectivités territoriales et de leur confier l’autonomie fiscale qu’elle suppose.

M. Vincent Bru. Dans le contexte de crise sanitaire que notre pays connaît depuis plusieurs mois, la mission « Relations avec les collectivités territoriales » revêt une extrême importance. Ce budget doit être porteur non seulement d’espoir, mais également d’un soutien concret à nos collectivités. L’association des petites villes de France le disait récemment : ce projet de loi de finances pour 2021 ne peut pas être un budget comme les autres. Complétant et matérialisant le plan de relance, il doit être un budget de crise, mais également de défis.

Nos territoires sont la résilience de notre pays. C’est par eux et avec eux qu’il pourra surmonter cette grave crise sanitaire, économique et sociale. L’État doit jouer pleinement son rôle d’accompagnateur, pour décliner le plan de relance au plus près des réalités de nos territoires.

Au mois de juillet dernier, le Premier ministre déclarait dans son discours de politique générale : « Les crises ont ceci de singulier qu’elles jouent le rôle de révélateur ». Ainsi, ce budget de crise sera révélateur de la place que l’État accorde aux collectivités territoriales, non seulement pour traverser la tempête, mais également pour préparer l’avenir et contribuer au sursaut économique.

S’agissant du renouvellement du soutien apporté à l’investissement local, le Gouvernement annonce que la dotation d’équipement des territoires ruraux reste au niveau élevé atteint en 2018. Mais la stabilité à ce niveau, si haut soit-il, est-elle suffisante dans un contexte où chaque territoire doit combattre la Covid-19 et jeter les bases d’un avenir nécessairement différent de ce que nous avons connu ?

Notre groupe s’interroge également – et il vous interroge, madame la ministre – sur la dotation « politique de la ville », qui reste stable depuis 2017. Est-elle à la hauteur des enjeux et des attentes des élus, donc de nos concitoyens ?

La dotation de soutien à l’investissement local est maintenue au même niveau depuis trois ans. Surtout, elle sera exceptionnellement abondée de 1 milliard d’euros supplémentaires afin d’accompagner, dans des domaines prioritaires, l’effort de relance des projets consenti par les communes et par leurs groupements. En outre, 1 milliard d’euros est prévu pour la rénovation des bâtiments. Au total, plus de 5 milliards d’euros seront inscrits dans le plan de relance, en soutien à nos collectivités territoriales.

Nous saluons cet effort exceptionnel. Comme l’a indiqué le directeur général des collectivités territoriales au mois de juin dernier, la DSIL a un fort effet levier : pour 1 euro de dotation, les communes et les groupements à fiscalité propre engagent 4,85 euros en investissement.

Toutefois, ce soutien financier ne doit pas occulter la question de l’ingénierie. Si massif que soit le plan de relance, le temps de mise en œuvre est extrêmement limité : les collectivités auront besoin d’une ingénierie renforcée pour appuyer et réaliser leurs projets. Pouvez-vous indiquer ce qu’il en est de l’aide en matière d’ingénierie dans le présent projet de loi de finances ?

Enfin, plusieurs élus s’inquiètent de la déclinaison du plan de relance dans nos territoires. L’effectivité de ce budget se mesurera aussi à son appropriation par les collectivités, ce qui soulève la question de la lisibilité de sa territorialisation et de la simplification des procédures, ainsi que de la rapidité de traitement des dossiers. Nous aimerions connaître votre sentiment sur ce point.

Sous réserve de ces observations, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés se déclare favorable aux crédits de la mission RCT.

M. Hervé Saulignac. Madame la ministre, je salue votre propos liminaire.

Face à la crise sanitaire et économique, les départements ont bénéficié uniquement de mesures budgétaires, et non de mesures financières, contrairement aux autres collectivités territoriales : le bloc communal et les régions ont bénéficié de compensations et de garanties du maintien de leurs recettes et, d’une manière générale, d’un soutien peut-être plus actif. Or les départements sont des acteurs clés, des instruments privilégiés pour lutter contre l’exclusion et amortir toutes les conséquences sociales de la crise que nous traversons.

Par ailleurs, des difficultés majeures se profilent à l’horizon des départements, notamment le fameux effet de ciseaux qu’ils connaissent tous, entre l’augmentation prévisible du RSA – en réalité, elle est déjà là et ne cessera de croître au cours des mois à venir – et la diminution de leurs recettes, notamment de la CVAE et des DMTO. Vous venez de vous déclarer disposée à accepter un amendement visant à abonder le fonds national de péréquation des DMTO. Excellente nouvelle ; reste à savoir à quelle hauteur vous accepteriez de l’abonder.

Je souhaiterais vous interroger sur le niveau de prélèvement sur les recettes de l’État, que vous avez évoqué dans votre propos liminaire. Chacun comprendra que les fonds de péréquation horizontaux entre départements, en raison des pertes de recettes fiscales provoquées par la crise, perdront de leur efficience dans des proportions considérables : qui dit perte de recettes dit baisse de la contribution à la péréquation, et par voie de conséquence des montants à redistribuer. Le rapport de Jean-René Cazeneuve, particulièrement précieux à cet égard, prévoit une perte de DMTO de l’ordre de 20 % pour l’année 2020. Bien entendu, il ne chiffre rien pour l’année 2021, mais il laisse entendre que les DMTO ont peu de chances de repartir à la hausse. Par ailleurs, chacun sait que les conséquences de la crise sur les recettes des départements ne se feront pleinement sentir qu’en 2021, et pour partie en 2022. Le prélèvement sur les recettes de l’État permettra-t-il de maintenir le fonds national de péréquation des DMTO à un niveau identique à celui de 2019 ?

M. Christophe Euzet. Madame la ministre, la crise que nous traversons met effectivement à rude épreuve notre pays tout entier, ainsi que la cohésion de nos territoires. Le logement, la rénovation énergétique et les nouvelles dynamiques territoriales en général se retrouvent face à un immense défi.

Les membres du groupe Agir ensemble se réjouissent de la réponse budgétaire apportée à ces problèmes nouveaux. Nous considérons qu’elle est à la mesure des efforts demandés. Le budget de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » augmente de 12,88 % en crédits de paiement. Les crédits consacrés aux dotations de péréquation connaissent également une augmentation significative.

Plus globalement, le plan de relance prévoit une augmentation exceptionnelle de la dotation de soutien à l’investissement local, et consacre 1 milliard d’euros de crédits à la rénovation thermique des bâtiments communaux et départementaux. Ce soutien renforcé à l’investissement des collectivités territoriales va dans le bon sens, et suit une trajectoire indispensable pour restaurer la confiance dans le tissu économique local. La diminution des impôts de production participe de cette logique d’ensemble. De ce point de vue, l’action menée est tout à fait louable.

Nous nous réjouissons également de l’examen prochain d’un projet de loi ouvrant la possibilité d’une différenciation territoriale, dont Mme la rapporteure a fait état. La crise sanitaire, désormais sociale, a démontré que la différenciation entre les territoires peut constituer une réponse adaptée à nos problèmes, même si cela ne va pas sans difficultés.

Manifestement, il est souhaitable, et notre groupe y est tout à fait favorable, de développer un droit permettant de différencier les collectivités, en donnant à certaines d’entre elles des compétences dont ne disposent pas forcément leurs homologues, ou en leur permettant de déroger à certaines normes : il en est ainsi de certains projets en cours de réalisation dans ma circonscription, qu’il s’agisse de la lutte contre la perspective dramatique de l’érosion du littoral, de ce projet pharaonique d’une installation photovoltaïque sur l’étang de Thau ou du développement d’infrastructures écologiques de transport sur son pourtour. Tout cela appelle indubitablement des investissements, des compétences et des dispositifs normatifs très spécifiques. De ce point de vue, nous considérons d’un très bon œil ce projet de loi dont l’examen est annoncé pour les prochains mois.

Le problème est que la différenciation induit parfois des différences de traitement, donc des inégalités ou des inéquités, et les Français n’y sont pas toujours préparés ni enclins à les accepter. La différenciation a toutes les chances d’accroître mécaniquement les inégalités ou les inéquités entre les territoires, ce qui n’ira pas sans poser difficulté.

Vous avez prévenu que l’augmentation des différentes dotations de péréquation sera par force limitée, sous peine de devoir ponctionner la dotation forfaitaire ou la dotation de compensation. S’agit-il là de perspectives auxquelles vous avez songé ? Envisagez-vous de renforcer les mécanismes de péréquation, voire d’innover ? À ce sujet, les dispositions récemment proposées par l’Assemblée des départements de France pour faire face aux besoins supplémentaires que suscitera l’entrée dans notre droit du principe de différenciation pourraient être une source d’inspiration.

Au-delà de ces remarques, le groupe Agir ensemble se déclarera favorable aux crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

M. Pascal Brindeau. Madame la ministre, les collectivités territoriales, particulièrement les collectivités de proximité que sont le bloc communal et les départements, ont été en première ligne lorsque la crise sanitaire a frappé. Elles y sont toujours, aux côtés de l’État, face à la crise économique et sociale qui s’amorce, et qui s’aggravera à mesure que les semaines passeront. La situation appelle des mesures exceptionnelles. Tel est le sens du budget tel qu’il est proposé dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales », dont les crédits de paiement sont en forte progression, ce qui doit être salué.

Ces crédits doivent financer des mesures destinées à permettre l’investissement des collectivités, et c’est là que le bât blesse : pour que les collectivités territoriales puissent investir massivement, encore faut-il que leurs capacités d’autofinancement ne se dégradent pas. Or, depuis le début de la crise sanitaire, la plupart d’entre elles ont connu une hausse assez significative de leurs dépenses de fonctionnement, ne serait-ce que pour acheter des masques et fournir certaines protections à la population, et un effondrement simultané de certaines de leurs recettes de fonctionnement en raison de la fermeture de services et d’équipements dont elles facturaient l’usage.

Le maintien de l’enveloppe globale de la dotation générale de fonctionnement est un sujet de préoccupation. Certes, l’enveloppe de la dotation de solidarité urbaine et de la dotation de solidarité rurale, destinée aux communes supportant des charges de centralité en milieu urbain ou en milieu rural, est en hausse. C’est un phénomène assez tendanciel depuis plusieurs années, qui a vocation à compenser l’augmentation constante des charges de centralité, mais cela risque de ne pas suffire. Surtout, cela ne bénéficiera pas à toutes les collectivités territoriales qui voient leurs dépenses réelles de fonctionnement progresser.

Cette évolution doit être mise en regard de la stratégie que vous développez en matière de relation financière de l’État avec les collectivités territoriales. Je n’entrerai pas dans le débat ouvert par notre collègue Schellenberger sur l’autonomie fiscale ; j’en resterai à leur autonomie financière, autrement dit leur capacité à conduire, grâce à leurs recettes, qu’elles proviennent des dotations de l’État ou de leur fiscalité, leurs politiques publiques et à faire face à leurs compétences de manière satisfaisante. Ainsi, les départements financent l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), le revenu de solidarité active (RSA) et la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) ; or le mécanisme des dotations ne prévoit ni évolutivité ni clause de revoyure permettant de tenir compte des accidents ou des évolutions tendancielles. Ce qui, à terme, menace leur autonomie financière. Le vrai débat est là.

Enfin, j’aimerais vous interroger sur deux sujets, dont un que vous n’avez pas abordé. Vous avez indiqué que la compensation de la diminution des impôts de production pour le bloc communal, notamment pour les EPCI, sera financée par un mécanisme de prélèvement sur les recettes de l’État qui tiendrait compte des taux de la fiscalité appliquée aux entreprises en 2020. La question est de savoir comment sera apprécié cet écart dans le temps, dans la mesure où l’on peut imaginer que la recette CVAE notamment, jusqu’alors plutôt dynamique, le sera beaucoup moins. Est-il prévu de mettre en place un mécanisme évolutif ?

Ma seconde question porte sur les contrats dits « de Cahors ». Conclus avant la crise, ils visaient à faire en sorte que les collectivités territoriales maîtrisent, voire contraignent leurs dépenses de fonctionnement et maîtrisent, voire contraignent leur niveau d’endettement. Cet objectif est-il toujours d’actualité ? Ou est-on passé à un autre paradigme ?

Mme Danielle Obono. Madame la ministre, nous venons d’apprendre par les médias qu’un décret rétablissant l’état d’urgence sanitaire à compter de vendredi a été signé ce matin, en Conseil des ministres. Puisque vous êtes parmi nous, et que vous venez semble-t-il d’avoir le Premier ministre au téléphone, pouvez-vous confirmer que tel sera le cas ? De nombreuses informations, pas toujours exactes, circulent dans la presse. En outre, cette situation contraint énormément les débats budgétaires. C’est à l’aune de la crise sanitaire, ainsi que de ses conséquences sur la population et sur les territoires, que nous jugerons le budget de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » que vous proposez.

D’après une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publiée au mois de juillet dernier, les inégalités constatées au sein de la population et des territoires avant la crise ont été amplifiées par la pandémie, tant dans l’hexagone qu’outre-mer. Si le budget que vous présentez aujourd’hui affiche une hausse relative, il reste largement insuffisant compte tenu de la crise sanitaire et de ses conséquences.

Je rappelle que la perte de recettes subie par les collectivités territoriales en raison de la crise est estimée à 7,25 milliards d’euros. Elle devrait être au moins équivalente en 2021. Ce montant représente plus de 20 % de leur épargne nette. Pour sa part, l’Association des maires de France (AMF) estime que le coût de la crise sanitaire s’élèvera pour les communes à au moins 8 milliards d’euros sur trois ans, dont 6 milliards pour l’année 2020.

Dans ce contexte, les départements connaîtront une forte progression de leurs dépenses sociales à court terme. En effet, la catastrophe sociale est déjà là, suscitant des dépenses accrues en matière de revenu de solidarité active, de prise en charge des tarifs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de soutien aux associations ainsi qu’aux entreprises, en très grande difficulté. Au regard d’une telle situation, la réalité de votre budget ne peut être que décevante, d’autant que le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une baisse relative de la dotation globale de fonctionnement. Quant au prélèvement sur recettes de l’État destiné à compenser les pertes fiscales des communes, il ne couvre ni les pertes tarifaires et les dépenses nouvelles induites par la crise, ni la diminution des impôts de production, d’ailleurs envisagée avant la crise.

Du reste, c’est l’AMF elle-même qui le dit : sous couvert de plan de relance, le Gouvernement a réactivé son projet de remplacement des recettes fiscales locales par des dotations de l’État. Cela démontre en creux, et même en clair, que le processus de décentralisation, vanté et mis en œuvre depuis des décennies, a consisté en réalité à confier des responsabilités supplémentaires aux départements sans leur donner les moyens de les exercer, ce qui s’est finalement traduit par une reconcentration.

Certes, le pourcentage de recettes fiscales issues de l’État est modeste, mais cela n’empêche pas l’affaiblissement des moyens des collectivités, donc l’accroissement des disparités entre les collectivités. Au demeurant, le projet de loi « 3D », dont vous vous félicitez, sous couvert de différenciation, s’apparente de notre point de vue à une forme d’institutionnalisation d’un séparatisme territorial. Tout porte à craindre, et d’autres l’ont relevé, qu’il n’en résulte une aggravation des inégalités, d’autant plus qu’elle sera validée par les nouveaux principes que vous souhaitez inscrire dans la loi.

Enfin, du point de vue de la stratégie environnementale, le compte n’y est pas. Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit 740 millions d’euros pour la rénovation thermique, et le plan de relance 2 milliards. Or le ministère de la Transition écologique estime à 25 milliards d’euros par an le budget nécessaire à la rénovation des passoires thermiques, dans lesquelles vivent notamment les locataires et les propriétaires les plus modestes.

En conclusion, le budget de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » n’est clairement pas à la hauteur de la crise sociale, économique et écologique à laquelle nous sommes confrontés.

Je vous repose la question, madame la ministre : pouvez-vous confirmer que nous serons à nouveau en état d’urgence sanitaire à partir de vendredi minuit ?

Mme la ministre. M. Rémy Rebeyrotte m’a interrogée sur le contenu de l’accord de méthode et de l’accord de partenariat signés avec les régions.

Premièrement, pour ce qui est de l’accord de méthode, le Premier ministre a débattu avec les représentants des régions des priorités en matière d’action publique qui seront au cœur des prochains contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027. Le Premier ministre et le président de Régions de France ont notamment décidé d’augmenter la participation des régions aux CPER. Celles-ci ont convenu de mobiliser au moins 20 milliards d’euros, soit une progression de 4,7 milliards d’euros de leurs engagements par rapport aux CPER 2015-2020.

Deuxièmement, il a été décidé que des accords de relance pourront être signés par les régions une fois le budget 2021 adopté. En parallèle, les prochains CPER seront pré-signés, afin de les aligner sur le plan de relance. En effet, la signature des CPER suit des procédures de consultation diverses et variées, par exemple la consultation de l’autorité environnementale, qui ne figurent pas dans le plan de relance, ce qui oblige à attendre la fin du printemps 2021 pour les finaliser définitivement. Les fonds alloués dans le cadre de la relance devant être engagés dans les deux ans qui viennent, il fallait prendre en compte le fait que certains projets ne verraient pas leur aboutissement dans le cadre du plan de relance et devraient être poursuivis dans celui des CPER.

L’accord de partenariat prévoit l’affectation de crédits du plan de relance, à hauteur de 600 millions d’euros, aux projets d’investissement des régions. Ils seront répartis entre les régions en fonction de critères démographiques et affectés par les préfets de région et les présidents de conseils régionaux.

Est également prévue une refonte de la péréquation entre régions. Les départements ont instauré un système assez vertueux, procédant d’eux-mêmes au renforcement de la péréquation horizontale, en vue de partager les richesses et d’équilibrer les inégalités territoriales. Nous avons demandé aux régions de réformer leur péréquation, car le système en vigueur est un peu cheap, si je puis dire… Nous leur demandons d’élaborer un plan de péréquation plus solide, incluant, comme l’ont fait les départements, un objectif clair et des montants accrus. Un article du projet de loi de finances pour 2021 en arrêtera les modalités et le dispositif sera finalisé d’ici à 2022.

M. Raphaël Schellenberger, et après lui Pascal Brindeau, a posé la question de l’autonomie fiscale et financière des collectivités. Notre pays a été habitué à défendre le principe de l’autonomie fiscale, avec des impôts locaux et un pouvoir de taux. Je tiens à faire remarquer que bloc communal fonctionne toujours, majoritairement, de cette manière.

Il est vrai que le bloc départemental connaît de sérieux problèmes financiers, et le fait qu’il n’ait pas été prévu de réévaluer les charges qui pèsent sur eux pose effectivement problème : l’effet de ciseaux ne peut durer éternellement. Plusieurs méthodes sont envisageables : la recentralisation du RSA en est une, mais il peut y avoir d’autres solutions. En tout cas, c’est un travail qu’il faut entamer avec les départements.

Les régions se sont peu à peu éloignées de l’autonomie fiscale, puisque l’ensemble de leurs recettes fiscales provient désormais d’une part d’un impôt national qui leur est reversé. Le remplacement, opéré par le précédent gouvernement, de la dotation globale de fonctionnement par une faction de TVA, à l’évolution plus dynamique, a été pour elles salutaire. C’est ce qui explique qu’elles n’aient pas hésité à accepter le remplacement de la CVAE par une part de TVA.

Le débat se poursuit, en tout cas parmi les élus – je ne suis pas sûre qu’il se pose réellement dans l’opinion publique. Cela dit, on a beau défendre l’autonomie fiscale, mais je remarque que dès que la crise est arrivée, les collectivités se sont immédiatement tournées vers l’État pour lui demander ce qu’il allait faire pour compenser les pertes… C’est là qu’on a inventé le filet de sécurité pour les communes. Nous sommes dans un pays où l’on revendique les libertés locales et l’autonomie fiscale, mais sitôt que survient le moindre problème, on se tourne vers l’État pour qu’il compense les baisses de recettes ! C’est une vraie question, et ce n’est pas forcément lié au fait que le système doit décentralisé ou pas : en Allemagne, le Bundestag, le Bundesrat et le Gouvernement fixent la dotation que l’État verse chaque année aux Länder, à charge pour eux ensuite de se débrouiller avec leur enveloppe. Mais je sais qu’un certain nombre d’élus commencent à se poser ces questions.

Monsieur Vincent Bru, la DPV reste effectivement stable depuis 2017, tout comme la DETR. Je rappelle que les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) bénéficient prioritairement de plusieurs financements. Ils sont affectataires de la hausse de la DSU. Par ailleurs, certains des fonds prévus par le plan de relance au titre de la solidarité seront destinés aux populations les plus en difficulté. De même, dans le cadre de la transition écologique, des travaux de rénovation énergétique seront réalisés dans les QPV.

Alors qu’on demande actuellement aux collectivités de se presser de présenter des dossiers pour bénéficier du plan de relance, vous avez raison de rappeler l’importance fondamentale de l’ingénierie. C’est d’ailleurs pour cela que je me suis battue, et je continue à me battre, avec l’appui du Gouvernement, pour réduire autant que possible le nombre d’appels à projets nationaux. En effet, les petites communes et même les communes de taille moyenne ne peuvent y répondre, car elles ne disposent pas de l’ingénierie suffisante. C’est la raison pour laquelle je plaide, autant que faire se peut, pour la territorialisation la plus affirmée possible de la relance. Cela ne signifie pas qu’il faille réduire ces appels à projets nationaux à zéro, car ils peuvent se révéler utiles dans certains domaines.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), créée le 1er janvier dernier, finance des dépenses d’ingénierie. Dans le cadre de l’initiative « Petites villes de demain », nous allons financer des chefs de projets pour monter des programmes dans les communes, au moyen de crédits de l’ANCT, dans le cadre de partenariats avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) et la Banque des territoires. Il en va de même pour Action cœur de ville. Par ailleurs, les crédits de la mission RCT ne regroupent pas l’ensemble des aides : ainsi, le programme 122 « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » prévoit le versement de crédits au titre du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT). Ces crédits servent à financer le recyclage du foncier, c’est-à-dire à requalifier des friches urbaines.

M. Saulignac a affirmé qu’on avait davantage aidé les communes que les départements. Ce n’est pas faux, mais ça s’explique par le fait qu’un certain nombre de communes ont été confrontées de manière immédiate à la crise. On a institué un mode de calcul fondé sur le rapport entre les trois dernières années et l’année 2020. Comme il l’a lui-même reconnu, c’est surtout en 2021 que les départements éprouveront des difficultés, du fait de la baisse de la CVAE. Cela étant, nous ne sommes pas restés inactifs : nous avons accordé des avances de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) – quarante départements nous en ont fait la demande. Les montants finaux seront sans doute supérieurs, car ces fonds ont été calculés à partir de l’activité du dernier trimestre 2019 et du premier semestre de 2020. Les chiffres définitifs seront établis sur l’ensemble de l’année 2020, et nous ferons un deuxième tour de table, au début de l’année prochaine, pour identifier ceux qui ont réellement besoin d’aide. Nous ne serions évidemment pas opposés à l’idée de continuer à soutenir les départements si la crise se prolongeait.

Nous avons également permis aux départements d’étaler leurs charges sur cinq exercices. Ce matin, Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France (ADF), nous a remerciés de cette décision. Il m’a demandé à combien s’élèverait l’abondement de la péréquation ; on ne sait pas très bien, car on a promis d’abonder jusqu’au seuil de 1,6 milliard, qui est l’objectif de péréquation alimenté par les DMTO. On paiera la différence, qui devrait se situer, d’après les estimations, autour de 60 millions d’euros.

Enfin, nous avons mis en place le fonds d’urgence.

En stratégie politique comme en matière budgétaire, la communication est essentielle. Les annonces que nous avions faites concernant le troisième projet de loi de finances rectificative visaient essentiellement les communes et, à titre accessoire, les départements, mais pas les régions. Il a fallu ensuite « ramer » pour faire comprendre aux régions qu’on allait aussi s’occuper d’elles, et expliquer aux départements qu’on allait approfondir le travail en leur faveur. Il faut toujours prendre le temps de s’adresser à chacun.

Monsieur Euzet, vous avez souligné à juste titre l’importance de la péréquation, qui se traduit par une hausse de 90 millions de la DSU et de la DSR. Vous demandez pourquoi on n’en fait pas plus. Au sein du comité des finances locales, qui discute de cette question chaque année, les élus demandent, depuis plusieurs exercices, qu’on n’augmente pas la péréquation. Cela ne nous a pas empêchés de négocier avec les régions un accroissement des fonds faisant l’objet de la péréquation, ce qui me paraît une bonne chose. Mais la péréquation verticale, qui vient de l’État, doit être distinguée de la péréquation horizontale, que nous proposons aux régions. Nous pouvons toutefois compenser exceptionnellement, comme on l’a dit, la péréquation départementale.

Vous avez également parlé, et Mme Obono également, de la différenciation. Rappelons d’abord que nous agissons à droit constitutionnel constant. Nous avions prévu d’aller plus loin en matière d’expérimentation et de différenciation en engageant une révision de la Constitution, qui n’a pu avoir lieu. Nous allons donc élargir, dans le cadre constitutionnel actuel, la possibilité de recourir à l’expérimentation. On m’objecte parfois que cela risquerait d’accentuer les différences entre les territoires ; or j’ai la conviction que la différenciation est une forme de reconnaissance de la diversité des territoires. Par exemple, dans notre pays, deux lois ont été consacrées à la montagne – je signale que le congrès de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM) se tiendra demain à Corte. Ces textes se justifient par des spécificités : les contraintes de déplacement ou d’alimentation en eau, par exemple. Faire de la différenciation, c’est aussi s’adapter aux réalités des territoires.

C’est aussi aider ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons conclu, avec le conseil régional des Hauts-de-France et les conseils départementaux de l’Aisne et du Nord, l’accord Sambre-Avesnois-Thiérache pour aider des territoires qui ont le taux de chômage le plus élevé de France – le cas de Maubeuge est particulièrement illustrant. Il en va de même avec les zones de revitalisation rurale (ZRR) sur lesquelles on m’a encore interrogée lors de la séance des questions d’actualité, hier. La mise en place de tous ces dispositifs répond à la volonté de prendre des mesures spécifiques pour la ruralité, afin d’assurer la pérennité ou de développer les implantations d’entreprises. Le rôle de l’État est de garantir l’efficacité de ces mécanismes, en respectant les spécificités de chaque territoire. La Creuse, ce n’est pas les Hauts-de-Seine, et les Hauts-de-Seine, ce n’est pas la Seine-Saint-Denis, madame Obono… Un contrat va être signé avec la Seine-Saint-Denis pour faire en sorte que les fonctionnaires y viennent et restent au moins cinq ans : c’est cela aussi, la différenciation. L’État doit assurer l’équité et l’égalité entre nos concitoyens. C’est pourquoi on ne peut pas faire de la différenciation dans tous les domaines. Certaines mesures ne seraient pas acceptables ni acceptées par les Français, qui sont extrêmement attachés à l’équité.

Monsieur Brindeau, la suspension des contrats dits « de Cahors » devrait perdurer en 2021, compte tenu de la prolongation de la crise sanitaire. Mais cela n’empêche pas l’État et les collectivités territoriales de parler de trajectoires. Par exemple, si l’on veut travailler sur la fiscalité des départements, il faudra bien qu’on examine les charges qu’ils continueront à assumer, comme les dépenses d’insertion – et quand je parle de recentraliser le RSA, il ne s’agit pas de reprendre la compétence liée à l’insertion : seuls le financement et la gestion du dispositif seraient concernés.

Madame Obono, je ne dispose pas des réponses à votre question sur l’état d’urgence sanitaire. Je vous invite à écouter le Président de la République qui interviendra sur ce sujet à 20 heures.

M. Arnaud Viala. Madame la ministre, vous n’avez pas parlé, dans votre propos liminaire, de la péréquation horizontale, qui suit, depuis plusieurs années, une trajectoire problématique pour certaines collectivités : elle les prive d’une dynamique de développement économique – je pense ici au fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR) et au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Avez-vous envisagé de modifier la trajectoire de ces deux fonds de péréquation afin que les collectivités qui en subissent le plus lourdement les conséquences, et qui mènent des politiques dynamiques, n’éprouvent pas un sentiment d’injustice ? En effet, les territoires qui font beaucoup de choses sont davantage pénalisés que ceux qui se révèlent un peu moins ambitieux et entreprenants. Par ailleurs, il a été annoncé que le dispositif des ZRR serait prolongé de deux ans. Comment imaginez-vous la suite ?

M. Pacôme Rupin. Le projet de loi de finances procède, cette année encore, à une révision de la fiscalité locale, cette fois pour les entreprises, avec la suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l’allégement de moitié de la fiscalité des établissements industriels. La baisse des impôts de production est essentielle pour la relance de notre économie. Elle est intégralement compensée par l’octroi d’une nouvelle fraction de TVA aux régions, d’une part, et par un prélèvement sur les recettes de l’État pour les communes et les EPCI, d’autre part, autrement dit par une réaffectation du produit d’impôts et de taxes nationaux. Ce choix fait suite à une autre réforme majeure du quinquennat : la suppression de la taxe d’habitation, pour laquelle les collectivités locales ont également bénéficié d’une compensation intégrale de l’État. Le groupe La République en marche approuve évidemment ces mesures, qui se justifient, pour les unes, par la nécessité de soutenir les entreprises dans le contexte de la crise sanitaire et économique et, pour l’autre, par une exigence de justice fiscale, alors que la taxe d’habitation était un impôt particulièrement injuste pour nos concitoyens.

Cela étant, ces dispositions s’inscrivent dans un mouvement plus large de suppression d’impôts locaux au profit de recettes nationales, puisque l’État compense la disparition des recettes des collectivités locales. Une part croissante des budgets locaux est en réalité financée par des impôts qui, pour nos concitoyens, sont levés par l’État. Cela peut poser la question de la lisibilité de l’impôt et de la manière dont il est dépensé. De nombreux citoyens avaient évoqué ce sujet lors du grand débat national, en exprimant notamment le souhait d’être mieux informés sur l’impôt, sur ce à quoi ils contribuent et sur ce dont ils bénéficient. Comment pourrait-on mieux les informer sur l’impôt qu’ils paient au niveau national, mais dont le produit sert à abonder les budgets des collectivités territoriales ?

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Les équipes municipales ont été mises en place tardivement, cette année, d’autant que certaines ont vu leur sort suspendu à des jugements prononcés à la suite de recours. Les délais fixés initialement pour solliciter des dotations – DETR, DSIL –, à savoir le 30 septembre et, cette année, le 30 décembre, ont laissé assez peu de temps aux nouvelles équipes pour remplir les dossiers. Vous avez partiellement répondu à la question que je voulais vous poser sur les moyens que vous comptez employer pour favoriser le recours à ces aides et accompagner les communes dans leurs démarches. Vous avez appelé à une relance territorialisée et rappelé le rôle de l’ANCT pour financer l’action de chefs de projets. Pourriez-vous détailler les mesures prévues pour que les communes désireuses de bénéficier rapidement des aides puissent soumettre leurs projets et être accompagnées ? Le temps, c’est de l’argent : plus vite elles seront prêtes, plus la relance de l’investissement local sera rapide.

M. Dimitri Houbron. Vous prévoyez de proroger les principaux dispositifs zonés, parmi lesquels les zones de revitalisation rurale et les zones franches urbaines, qui arrivent à échéance le 31 décembre prochain. Ce sont des mécanismes essentiels au regard de la crise actuelle. Grâce à l’engagement pour le renouveau du bassin minier, les exonérations dans les bassins urbains à dynamiser ont été instituées pour accélérer les créations d’emplois dans les TPE et les PME, au profit des habitants du bassin. Ce dispositif concerne 150 communes du Nord et du Pas-de-Calais et regroupe 1 million d’habitants, dont le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale et le niveau de revenus inférieur à celui du reste de la France. Il s’agit d’un système fiscal spécifique, qui permet aux nouvelles entreprises d’obtenir une exonération totale de plusieurs impôts pendant cinq ans. Comme les dispositifs zonés, celui-ci s’interrompra le 31 décembre prochain. Prévoyez-vous de le proroger, et si oui, pour combien de temps ?

Par ailleurs, j’ai été rassuré par votre réponse sur les droits de mutation à titre onéreux. En effet, vous avez souligné que, si les départements se trouvaient en grande difficulté financière, l’État serait à leurs côtés. Pourriez-vous apporter quelques précisions sur les dispositifs qui pourraient être institués à titre de soutien complémentaire ?

M. Guillaume Gouffier-Cha. Que faisons-nous pour les finances des territoires de la métropole du Grand Paris ? Cette question se pose cette année car la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) avait instauré une période transitoire, qui s’achève en 2021. Ensuite, la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la dotation d’intercommunalité, qui sont perçues actuellement par les établissements publics territoriaux, seront transférées à la métropole du Grand Paris. Les territoires perdront alors tout lien fiscal avec les politiques de développement économique et d’urbanisme qu’ils conduisent aujourd’hui. Or ils sont les principaux investisseurs dans leur périmètre : ils portent plus d’une centaine d’opérations. Ils ont besoin de stabilité, de lisibilité dans le temps ; ils doivent pouvoir entamer sereinement leur nouveau mandat et mener à bien les contrats qu’ils ont conclus avec l’État. Ils ont besoin de conserver le pouvoir fiscal sur la CFE. Par ailleurs, leurs compétences dans le domaine du logement montent en puissance.

Madame la ministre, à l’heure où le plan de relance gouvernemental demande à être concrètement et rapidement réalisé, il paraît indispensable que les moyens financiers des territoires soient à tout le moins stabilisés, afin de ne pas faire peser une contrainte financière supplémentaire sur les communes membres de la métropole.

Les élus franciliens de la majorité sont nombreux à souhaiter une réforme plus large de l’organisation territoriale de la métropole du Grand Paris. Cela permettrait notamment de fixer les équilibres financiers entre les établissements publics territoriaux et la métropole, et éviterait ainsi de remettre chaque année ce sujet en débat lors de l’examen du projet de loi de finances.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais dire un mot des pompiers. Bien que ce sujet n’entre pas dans votre domaine de compétences immédiat, il a un impact sur les finances des conseils départementaux, par le biais des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Le Gouvernement a revalorisé, à juste titre, la prime de feu, par un décret de juillet dernier. Fin août, le ministre de l’intérieur a indiqué, dans le cadre de ses échanges avec les syndicats de pompiers, qu’il serait décidé, par la loi, de supprimer la surcotisation qui est affectée à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) depuis une loi de 1990. Je m’attendais à trouver trace de cet engagement dans le PLF ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), mais ce n’est pas le cas. Le Gouvernement a-t-il l’intention de proposer cette mesure, sachant que la dépense s’élève à 45 millions d’euros pour les budgets des conseils départementaux ? Si le Gouvernement ne déposait pas d’amendement, je le ferais, pour que cette question soit débattue dans l’hémicycle. Les pompiers comme les SDIS attendent cette décision, et espèrent que le sujet sera réglé de manière tout à la fois diligente et consensuelle.

M. Sacha Houlié. Je remercie Mme la ministre d’avoir confirmé que, dans le cadre de la différenciation, l’État pourrait reprendre certaines compétences des départements. S’agissant du RSA, ce serait une réponse financière à l’effet « de ciseaux » frappant les départements, qui ne peuvent plus pourvoir aux dépenses du RSA en raison de l’augmentation significative des demandes et de la perte de ressources.

S’agissant du versement mobilité, la compensation de la perte de recettes sera-t-elle équivalente quelle que soit l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) ? À l’heure actuelle, la compensation porte sur le seul versement mobilité ou, dans le cas d’un EPCI, prend la forme d’une péréquation reposant sur un panier de recettes. Un correctif sera-t-il appliqué ?

Enfin, le projet de loi de finances pour 2020 avait instauré un mécanisme expérimental dans la collectivité du Grand Poitiers, qui permettait à un EPCI de décider, à l’unanimité, d’affecter 5 à 10 % de la DGF à la péréquation interne. Peut-on envisager que ce dispositif soit reconduit par un amendement en séance ?

Mme Emmanuelle Ménard. Les Français plébiscitent la décentralisation, comme on le voit tous les jours, depuis la crise des gilets jaunes, et comme la crise sanitaire le montre à nouveau. Ils nous demandent toujours plus de différenciation, de territorialisation. On ne peut évidemment pas comparer la situation d’une métropole à celle d’une ville moyenne ou d’une commune rurale, comme on ne peut pas mettre sur le même plan une ville du littoral et une ville de montagne ou du centre de la France. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’adapter certains crédits. Je pense aux fonds dédiés à la politique de la ville, qui pourrait être beaucoup plus efficace si les exonérations d’impôt étaient couplées à d’autres mécanismes, comme les ZFU ou Action cœur de ville. Il faut aussi favoriser la différenciation en faveur de communes qui ont difficilement accès à certains mécanismes, en raison du zonage. Je pense au dispositif Pinel, pour lequel des communes, comme Poitiers ou Angers ont bénéficié d’un surclassement en zone B1, quand d’autres, comme Béziers ou Narbonne, qui avaient pourtant des marchés très prometteurs, en ont été exclus.

Je présenterai tout à l’heure, madame la ministre, des amendements essentiellement symboliques ou d’appel, qui plaident en faveur de la décentralisation, de la différenciation, de la territorialisation – sujets qui vous tiennent à cœur. Ces amendements répondent aussi à l’inquiétude manifestée par certaines communes à l’idée de perdre la liberté de lever l’impôt. Vous avez évoqué cette question dans votre propos liminaire. L’autonomie financière est un sujet essentiel. Dans certains cas – je ne parle pas de la taxe d’habitation –, la compensation financière est loin d’être intégrale et parfois même franchement déficitaire. Je développerai ces sujets en défendant les amendements.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Depuis trois ans, l’État attribue des ressources aux collectivités territoriales pour leur permettre d’investir, pour les soutenir et pour compenser leurs pertes de recettes. Le plan de relance ouvre des crédits supplémentaires pour permettre la réalisation de projets adaptés à la spécificité et aux besoins des territoires. Le Gouvernement a accompagné les collectivités et a compensé pour partie les dépenses qu’elles ont engagées dans le cadre de l’épidémie de covid, notamment en matière d’équipement. Toutefois, les retours des élus mettent en avant des pertes financières – sans toujours décompter les recettes ou les économies liées aux charges non consommées ou aux manifestations non réalisées.

Alors que s’ouvre la perspective d’un approfondissement de la différenciation, de la déconcentration et de la décentralisation, comment comptez-vous prendre en compte la demande forte d’autonomie ou la crainte de perte d’autonomie des élus, ainsi que leur volonté de s’engager et d’assumer leurs responsabilités financières dans leurs domaines de compétence ?

Dans le cadre de l’expérimentation et de la différenciation, comment entendez-vous gérer les écarts entre des collectivités qui peuvent avoir tendance, sur un même territoire, à se comparer, et qui peinent parfois à se distinguer ? Quand je me regarde, je me désole et, quand je me compare, je ne me console pas toujours…

Trois milliards devaient être engagés sur six ans dans le cadre du projet « Petites villes de demain ». En a-t-on inscrit une part dans le PLF 2021 ?

S’agissant des petites communes, je voulais vous poser la même question qu’Élodie Jacquier-Laforge : un accompagnement est-il prévu pour aider les élus à présenter des dossiers en temps utile dans le cadre du budget et du plan de relance ?

Mme la ministre. M. Viala m’a interrogée sur la péréquation en parlant de pénalités. Il ne s’agit pas de cela : c’est une solidarité entre les territoires. Allons-nous faire quelque chose cette année ? Oui, pas dans le cadre du FPIC, mais dans celui du FNGIR. Le Gouvernement soutiendra un ou des amendements visant à compenser la contribution des communes ayant perdu leurs bases – je ne peux pas ne pas citer, en présence de M. Schellenberger, le cas de Fessenheim.

S’agissant des ZRR, le projet n’est pas encore arrêté, mais la question, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, est de savoir si on laisse la moitié des communes en ZRR ou si on aide davantage celles qui souffrent le plus. Nous avons notamment lancé un travail de fond, très important, que poursuit Joël Giraud, désormais en charge de la ruralité, et qui est mené avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur la définition même de la ruralité. Et il fera naturellement l’objet d’un partage avec vous.

En ce qui concerne la lisibilité de l’impôt, vous avez tout à fait raison, monsieur Rupin. La taxe d’habitation était un impôt local, pour laquelle les collectivités avaient un pouvoir en matière de taux, et dont les Français savaient qu’elle allait dans les caisses des communes et parfois des intercommunalités, en cas de taxe additionnelle. Je crois, à titre personnel, que l’impôt avec pouvoir de taux est plus adapté au bloc communal qu’aux autres collectivités. Je suis assez favorable à ce qu’on en maintienne pour le bloc communal, comme la contribution foncière des entreprises et la taxe foncière sur les propriétés bâties, étant entendu que la TH existera toujours pour les résidences secondaires. Bercy a fait une présentation assez didactique sur le thème « à quoi servent vos impôts ». Nous devrions faire de même, s’agissant des collectivités, avec Olivier Dussopt et l’AMF.

Les zonages, qui sont nombreux en France, monsieur Houbron, sont prorogés pour deux ans.

S’agissant des départements, j’ai déjà apporté beaucoup d’explications sur ce que nous faisons, qu’il s’agisse des avances de DMTO, de la dotation de l’État pour financer la péréquation ou du fonds de soutien d’urgence.

Mme Jacquier-Laforge m’a posé une question sur l’accompagnement des élus, particulièrement des petites communes, en matière d’accès aux subventions. Plusieurs canaux existent.

Je rappelle, d’abord, que l’État a une organisation territoriale à laquelle les élus sont extrêmement attachés : les sous-préfets – mais également les préfets de département – sont en général très à l’écoute, ils accompagnent les démarches. Il est vrai que les nouveaux élus ne savent pas toujours très bien à qui s’adresser ; c’est à cela que sert la formation que nous avons encouragée et développée dans le cadre de la loi « engagement et proximité ». Il faut aussi que les associations d’élus, dans les départements, fassent leur travail, qui est d’intérêt public.

À cela s’ajoutent les crédits relatifs à l’ingénierie, dont j’ai déjà parlé et qui sont très importants. Quand un maire veut construire une salle des fêtes, il peut appeler l’ANCT ; nous l’avons créée exprès pour cela. Des marchés de conseil en ingénierie ont été conclus. On trouvera à proximité, dans la région, des gens pour aider. Les députés eux aussi peuvent accompagner les communes, en apportant des explications.

J’en profite pour souligner que vous pouvez faire remonter les projets dont vous avez connaissance, s’agissant des petites communes, même si le mieux n’est pas de contacter directement le ministre. Plutôt que de chercher à « squeezer » les fonctionnaires de l’État dans les territoires, comme certains le croient, on a tout intérêt au contraire à passer par eux. En général, les préfets et les sous-préfets sont bons. Nous allons créer des sous-préfets à la relance, mais je tiens à dire que nous avons des sous-préfets en place tellement bons qu’il n’est pas nécessaire d’en ajouter d’autres qui le seront moins…

M. Vincent Bru. Et qui ne connaîtront rien !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est dit…

Mme la ministre. Je rappelle que la DSIL et la DETR sont compatibles. À tel point que des représentants de France urbaine m’ont dit récemment qu’ils en avaient assez de voir les ruraux prendre une partie des fonds de la DSIL… Des préfets font peut-être certains partages, mais je répète que la DSIL et le DETR sont compatibles. Rien n’empêche un dossier de rénovation énergétique d’un gymnase ou d’une mairie dans une zone rurale de bénéficier de la DSIL, mais il pourra prétendre sans problème à la DETR.

Pour ce qui est du schéma financier de la Métropole du Grand Paris, Monsieur Gouffier-Cha, certains élus préviennent qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs en tranchant sur le plan financier les questions institutionnelles. Il faut une réflexion sur la dimension structurelle. Nous n’allons pas apporter de changement en matière financière, afin de ne pas compliquer l’affaire.

La question de la surcotisation sur la prime de feu dépend effectivement du ministère de l’intérieur, monsieur Larrivé – puisque cela concerne la sécurité civile –, et relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans un premier temps, puis d’un décret. Le Président de la République annoncera lui-même des mesures lors du congrès des pompiers qui va bientôt se tenir – ne vous inquiétez pas, ces mesures iront dans le bon sens (Sourires).

M. Guillaume Larrivé. Sauf que le congrès qui devait avoir lieu à Marseille a été annulé. Il y aura, en revanche, me semble-t-il, une assemblée générale à Paris. Est-ce à dire qu’il y aura un amendement du Gouvernement ?

Mme la ministre. Je ne sais pas, car cela n’entre pas dans mon domaine de compétences, mais la question va se régler.

Monsieur Houlié, nous faisons pour les AOM de province exactement pareil que pour Île-de-France Mobilités. J’ai beaucoup milité en ce sens car je ne me voyais pas expliquer qu’on n’aurait pas droit à la même chose à Poitiers, à Autun ou à Bayonne. Pour ce qui est de la mise en commun de la DGF, c’est une disposition pérenne ; sa reconduction est assurée.

Nous ne sommes pas éloignées, madame Ménard, en ce qui concerne l’analyse de l’autonomie financière – nous avons déjà eu l’occasion d’échanger à ce sujet. Nous examinerons vos amendements d’appel, même si certains ne concernent pas directement cette mission.

Madame Dubré-Chirat, la part des crédits pour « petites villes de demain » n’est pas complètement arrêtée – c’est un programme pluriannuel –, mais il y aura plusieurs dizaines de millions d’euros, avec des financements relevant de la Banque des territoires, de l’ANAH et de l’ANCT. Nous reviendrons plus tard vers vous avec des chiffres un peu plus précis. J’ajoute que ce programme concerne des communes de moins de 20 000 habitants, sans plancher. Il s’agit de villes jouant un rôle de centralité – c’est le critère premier – tout en étant petites. Certaines communes de moins de 20 000 habitants sont proches d’une grande ville et ne font pas centralité ; d’autres oui, comme Decize dans la Nièvre. En dehors de Decize, on peut rouler longtemps sans croiser âme qui vive… (Sourires.)

Nous allons aider à peu près mille communes dans ce cadre. Cela pourra concerner le logement et les commerces – je ne parle pas de centres commerciaux, naturellement –, mais aussi le patrimoine. On trouve souvent dans les petites communes un bâti magnifique qui mérite d’être rénové. Outre le dispositif « Denormandie » pour l’ancien, nous sommes en train de conclure un accord avec la Fondation du patrimoine.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il me reste à vous remercier, madame la ministre. Nous allons maintenant en venir à l’examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

La Commission examine les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Article 33 et État B

La Commission est saisie des amendements CL4, CL5, CL6, CL8, CL9 et CL7 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Si vous en êtes d’accord, je vais présenter en même temps mes différents amendements.

Les communes craignent que la compensation prévue à la suite de la réforme de la taxe d’habitation ne soit pas complète dans les années à venir. La compensation des exonérations de taxe foncière s’était déjà traduite par un désengagement de l’État : ainsi, à Béziers, elle est passée de 1,29 million d’euros en 2009 à 369 000 euros, ce qui représente une baisse de 69 %. D’où mon amendement CL4.

Par ailleurs, la crise sanitaire a des conséquences pour les communes. À Béziers, on estime son incidence à 3 millions d’euros. L’amendement CL5 vise, symboliquement, à apporter une compensation et à appeler l’État à s’engager financièrement aux côtés des communes.

L’amendement CL6 a pour objet d’augmenter l’enveloppe consacrée à la politique de la ville pour permettre aux communes les plus en difficulté de mieux soutenir leurs quartiers prioritaires, qui ont vraiment besoin d’être accompagnés.

Le CL8 est un autre amendement d’appel, qui tend à renforcer les moyens alloués au réseau Natura 2000, les risques naturels étant de plus en plus fréquents.

L’amendement CL9 concerne le soutien aux collectivités frappées par des intempéries. En octobre dernier, nous avons subi de graves inondations dans l’Hérault. La ministre, qui était alors Mme Borne, s’était déplacée et avait promis aux communes touchées, dont Béziers, mais pas seulement – la commune de Villeneuve-lès-Béziers, juste à côté, avait aussi été dramatiquement frappée –, des aides de l’État, notamment en ce qui concerne les biens non assurables, dans le cadre d’une procédure accélérée de catastrophe naturelle. Un an plus tard, désillusion totale : à la fin du mois d’août dernier, nous avons reçu un courrier nous informant que nous n’allions en fait rien toucher, alors que les dégâts causés par les inondations avaient été estimés à environ 3 millions d’euros.

L’amendement CL7, lui aussi d’appel, vise à renforcer la décentralisation en attendant la fameuse loi 3D, dont la ministre nous a annoncé qu’elle serait examinée au Sénat au début du mois de novembre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est le projet de loi organique qui devrait être examiné au Sénat début novembre, puis à l’Assemblée nationale au premier trimestre 2021. Le projet de loi ordinaire, quant à lui, est toujours attendu au premier semestre 2021.

Mme Émilie Guerel, rapporteure pour avis. La suppression de la taxe d’habitation, dont nous avons déjà débattu l’année dernière, est destinée à redonner du pouvoir d’achat aux Français : c’était un engagement fort du Président de la République lors de sa campagne. Le projet de loi de finances pour 2020 a prévu le transfert aux communes de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties et, dans le cas où le produit de cette taxe ne suffirait pas, l’État doit abonder les recettes des communes. Comme le Gouvernement s’y est engagé à de nombreuses reprises, il y aura une compensation à l’euro près, ce qui devrait normalement rassurer les communes. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement CL4.

L’État doit soutenir les communes durement touchées par la crise sanitaire. C’est ce que prévoit le plan de relance, qui consacrera 5,2 milliards d’euros au soutien aux collectivités territoriales, dont 1 milliard au titre de la dotation exceptionnelle de soutien à l’investissement local – ce n’est pas une somme symbolique. Avis défavorable, donc, à l’amendement CL5.

Même position en ce qui concerne l’amendement CL6. La dotation pour la politique de la ville est un élément essentiel dans le soutien apporté aux quartiers prioritaires. C’est pourquoi le Gouvernement maintient année après année cette dotation à un niveau qui est déjà très élevé – 150 millions d’euros.

La dotation « biodiversité » – anciennement « dotation Natura 2000 » – est aussi un élément très important dans ce projet de budget. L’enveloppe, de 10 millions d’euros, qui lui est consacrée restera à un niveau très élevé l’année prochaine. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement CL8.

L’action « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales » du programme 122 comprend des subventions destinées à soutenir les collectivités touchées par des difficultés particulières. Les crédits prévus pour 2021 s’élèvent à 49 millions d’euros, dont 40 millions au titre de subventions exceptionnelles pour la réparation de dégâts causés par des calamités publiques. Il est donc un peu exagéré de dire qu’aucune aide n’est prévue. Avis défavorable à l’amendement CL9.

Je suis d’accord avec l’idée qu’il faut certainement plus de liberté au niveau local – c’est l’objet de mon rapport pour avis. Dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement fait preuve d’un engagement fort aux côtés des collectivités territoriales. Même avis défavorable, par conséquent, en ce qui concerne l’amendement CL7.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai bien entendu ce que vous avez dit à propos de la taxe d’habitation, mais il faut comprendre l’inquiétude des communes, car il y a des précédents : j’ai évoqué les exonérations de taxe foncière. L’État s’était engagé – en 2009, c’était donc un autre gouvernement – à les compenser à 100 %. Or nous subissons, dans ma commune, une baisse de la compensation de plus de 69 %.

Je ne remets pas en cause la parole du gouvernement actuel, mais certains maires sont inquiets. La suppression de la taxe d’habitation est actuellement compensée à 100 % et c’est très bien, mais si on change d’avis dans trois ans et que la compensation se réduit, les communes en seront pour leurs frais. Il y a déjà eu une expérience malheureuse en ce qui concerne la compensation des exonérations de taxe foncière.

M. Vincent Bru. Ce n’est pas le même système.

Mme Emmanuelle Ménard. Mais le cheminement est le même.

Vous avez dit que l’enveloppe pour la politique de la ville est stable. C’est vrai, mais j’aurais aimé, s’agissant des quartiers prioritaires, que la dotation soit augmentée. D’où mon amendement d’appel qui propose un transfert de crédits d’une action à une autre. À Béziers – pardon de toujours évoquer ce cas, mais c’est celui que je connais le mieux –, nous avons trois quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville : ce n’est pas rien pour une commune d’un peu moins de 80 000 habitants, cela nécessite vraiment des engagements financiers importants.

S’agissant du soutien aux collectivités frappées par des intempéries, j’entends que vous prévoyez 40 millions d’euros, et j’espère que les communes qui ont subi des intempéries l’année dernière pourront en bénéficier. Malgré les promesses faites en octobre 2019 par la ministre en personne, je le redis, nous avons reçu fin août – et Béziers n’est pas la seule commune concernée – un courrier nous annonçant que, finalement, l’État ne prendrait pas part à l’indemnisation, notamment pour les biens non assurables.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sans modification.


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   PERSONNES ENTENDUES

   M. Stanislas Bourron, directeur général

   Mme Carine Riou, conseillère finances

   M. Jérôme Briend, conseiller juridique

   M. Charles-Éric Lemaignen, premier vice-président

   Mme Montaine Blonsard, responsable des relations parlementaires

   Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit public

   M. Yohann Marcon, conseiller finances locales au cabinet de la ministre

   Mme Lila Mahanne, conseillère parlementaire


([1]) Loi du 2 mars 1982, complétée par la loi du 22 juillet 1982.

([2]) Par exemple, « sa qualité de siège des pouvoirs publics » pour Paris (décision n° 2009‑588 DC du 6 août 2009), ou encore « les caractéristiques géographiques et économiques de la Corse » (décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002).

([3]) Décision n° 2016-565 QPC du 16 septembre 2016, Assemblée des départements de France.

([4]) Conseil constitutionnel, décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

([5]) Conseil d’État (Assemblée générale), avis n° 393651, 7 décembre 2017.

([6]) Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales

([7]) Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

([8]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([9]) Loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte et loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte.

([10]) Loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique

([11]) Conseil constitutionnel, décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991.

([12]) Loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace

([13]) Décision n° 84‑185 DC du 18 janvier 1985, Loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’État et les collectivités territoriales, cons. n° 18.

([14]) Conseil constitutionnel, décision n° 2000‑436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. n° 42.

([15]) Conseil d’État (Assemblée générale), avis n° 391883 des 8 et 13 septembre 2016 sur un projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, à propos d’obligations imposées à des communes touristiques situées en zone de montagne.

([16]) Article 8 de la loi n° 85‑30 du 9 janvier 1985 modifié par la loi n° 2016‑1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Le caractère réellement contraignant de cette disposition est cependant sujet à caution.

([17]) Bruno Acar et Patrick Reix, Délégation de compétences et conférence territoriale d’action publique, de nouveaux outils au service de la coopération territoriale, mai 2017.

([18]) Ibid, p. 35.

([19]) Développement et d'aménagement économique, social et culturel ; aménagement de l'espace métropolitain ; politique locale de l'habitat ; politique de la ville ; gestion des services d'intérêt collectif ; protection et de mise en valeur de l'environnement et de politique du cadre de vie.