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N° 3465

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 octobre 2020.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2021 (n° 3360)

 

 

TOME IV

 

 

DÉFENSE

 

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

PAR Mme Sereine MAuborgne

Députée

——

 

 Voir le numéro : 3399 (annexe 14).

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : les crédits proposés pour 2021

I. Des ressources en progression

A. La poursuite de l’effort de recrutement

1. Une manœuvre de recrutement encore plus ambitieuse en 2021

2. Des efforts renouvelés pour améliorer la fidélisation

B. La poursuite de l’effort de régénération

1. Des crédits en hausse pour l’entretien des matériels

2. La livraison des matériels de 4e génération

II. Deux points de vigilance pour respecter la programmation

A. Une relance de la préparation opérationnelle à conforter

1. Des normes d’entraînement hors d’atteinte à ce jour

2. Une activité grevée par des surcoûts imprévus en LPM

B. Une priorité donnée au « petit équipement » qui peine à se concrétiser

1. Une hausse à poursuivre et à accélérer

2. Des crédits à préserver en gestion

Seconde partie : le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres

I. Le MCO-T : une organisation profondément réformée depuis dix ans

A. Les grands principes de l’organisation du MCO

1. Une organisation par milieu

2. Deux grandes catégories de maintenance, trois types de maîtres d’œuvre

3. Des parcs partagés

B. L’armée de terre, responsable de la maintenance de « tout ce qui roule »

1. Des parcs hétérogènes

2. Un budget important, un patrimoine colossal, des volumes « astronomiques »

3. Des personnels sous trois types de statut

C. Une modernisation en cours, source d’économies

1. L’entrepôt central de Moulins

2. La fabrication additive ou « impression 3D »

3. Le recours à la robotique

4. La maintenance connectée

D. Une activité de contractualisation soutenue depuis 2010

1. La recherche d’une complémentarité public / privé

2. De nouveaux besoins de recrutements

II. Des orientations qui pourraient avoir atteint leurs limites

A. Alerte n° 1 : une gestion des équipements qui pénalise l’activité

1. Les limites de la mutualisation de certains équipements

2. Les limites de l’externalisation du soutien de certains matériels

B. Alerte n° 2 : à deux ans d’un pic du coût du MCO-Terrestre

1. Des matériels très sollicités et encore prolongés

2. Les « obsolescences » : une évolution préoccupante pour le MCO-T

3. Une maintenance industrielle privée saturée à court terme

4. Un MCO terrestre inévitablement plus coûteux dans les prochaines années

C. Alerte n° 3 : des stocks ayant atteints un seuil critique

1. Une complémentarité publique – privée perfectible

2. Des faiblesses dans la sécurité des approvisionnements mises en lumière par la crise sanitaire

3. Un besoin financier estimé à 75 millions d’euros

D. Alerte n° 4 : la régénération des matériels Scorpion, pas prévue ni financée à ce stade

1. Le modèle « à flux » des matériels de 4e génération

2. Des surcoûts probables

3. L’urgence d’organiser la montée en capacité du SMITer sur les matériels Scorpion

Conclusion

Travaux de la commission

I. Audition de M. Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre

II. Examen des crédits

Annexe 1 :  auditions et déplacements de la rapporteure pour avis

Annexe 2 : la politique de fidélisation pour l’armée de Terre


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   Introduction

 

Conformément aux engagements du président de la République et comme l’a confirmé la ministre des Armées, Florence Parly, le projet de loi de finances pour 2021 suit « à la lettre » la trajectoire fixée par la loi du 13 juillet 2018 de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et ce, pour la troisième année consécutive. Avec 39,2 milliards d’euros, le ministère des Armées dispose déjà de sept milliards de plus qu’en 2017, une hausse inédite dans l’histoire des lois de programmation militaire.

L’armée de Terre voit donc ses ressources augmenter de manière significative (+ 5 % de crédits de paiement hors titre 2) pour atteindre près de 10 milliards d’euros, qui soutiendront son effort de régénération et de modernisation, dont les effets sont désormais bien perceptibles sur le terrain. Au 30 septembre 2020, 146 Griffon avaient été livrés permettant aux instructeurs, soldats et maintenanciers de commencer à s’approprier ces nouveaux matériels, dont le premier déploiement est toujours prévu pour 2021.

À cet égard, la rapporteure pour avis tient à rendre hommage aux maintenanciers de l’armée de Terre, civils comme militaires, ainsi qu’à toutes les autres professions qui contribuent au maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres et aux salariés des entreprises du secteur de la Défense, dont la mobilisation a permis de continuer d’opérer aussi bien sur le territoire national que sur les théâtres d’opérations extérieures pendant la crise sanitaire et de maintenir, jusqu’à maintenant le calendrier des livraisons.

La crise sanitaire a profondément modifié nos habitudes depuis plusieurs mois. Elle remet en cause nos façons de faire, parfois pour le mieux. Ayant repris du service à l’agence régionale de santé (ARS) en Provence-Alpes-Côte d’Azur, la rapporteure pour avis a été impressionnée par les capacités d’innovation et la réactivité manifestées à l’occasion de l’évacuation de patients atteints de la Covid‑19 par des hélicoptères de l’armée de Terre. En quelques jours, une électrification de la soute a pu être réalisée pour brancher des respirateurs pendant la durée du vol. Mais dans le contexte actuel d’incertitude stratégique et d’extension des champs de la conflictualité, cette crise nous invite aussi à une réflexion sur nos capacités de résilience.

 

La rapporteure pour avis avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2020, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 23 réponses sur 26 lui étaient parvenues, soit un taux de 88,4 %.


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   Première partie : les crédits proposés pour 2021

Le montant des crédits proposés dans le projet de loi de finances pour 2021 est conforme à la programmation militaire (LPM) 2019-2025 ([1]), pour la troisième année consécutive. La trajectoire fixée est pleinement respectée et la hausse du budget de la Défense, inédite.

I.   Des ressources en progression

Évolution des ressources pour l’armÉe de terre prÉvues en loi de finances initiale et exÉCUTÉes par titre depuis 2019

Autorisations d’engagement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2019

2020

2021

Évolution PLF 2021/LFI 2020

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

7 151,7

7 005,7

6 996,8

nd

7 062,7

+ 0,9 %

titre 3

2 442,9

2 437,7

2 374,2

nd

1 816,9

-23,5 %

titre 5

130,0

179,2

210,1

nd

274,0

+ 30,5 %

titre 6

4,8

4,9

4,7

nd

4,7

-0,6 %

TOTAL HT2

2 577,7

2 621,8

2 589,0

nd

2 095,6

-19,1 %

TOTAL

9 729,5

9 627,6

9 585,8

nd

10 069,6

+ 5,0 %

Crédits de paiement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2019

2020

2021

Évolution PLF 2021/LFI 2020

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

7 151,7

7 005,7

6 996,8

nd

7 062,7

+ 0,9 %

titre 3

1 310,4

1 487,8

1 257,3

nd

1 326,4

+ 5,5 %

titre 5

127,5

162,5

201,9

nd

206,8

+ 2,4 %

titre 6

4,8

5,9

4,7

nd

4,7

-0,6 %

TOTAL HT2

1 442,7

1 656,2

1 463,9

nd

1 537,9

+ 5,0 %

TOTAL

8 594,4

8 661,9

8 460,7

nd

9 511,8

+ 12,4 %

(*) Titre 2 : dépenses de personnel. Les sommes inscrites en loi de finances depuis 2015 correspondent à celles de l’action 55 « Préparation des forces terrestres – Personnels travaillant pour le programme “Préparation et emploi des forces” » du programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Titre 3 : dépenses de fonctionnement. Titre 5 : dépenses d’investissement. Titre 6 : dépenses d’intervention. LFI : loi de finances initiale. PLF : projet de loi de finances.

Source : réponse du ministère des Armées au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

Les ressources pour l’armée de Terre poursuivent leur augmentation. Après une forte hausse en 2018 et 2019 du fait de la mise en place des nouveaux marchés pluriannuels de maintenance aéronautique, les autorisations d’engagement (AE) reviennent à un niveau normal, ce qui explique la baisse observée de ‑ 23,5 %. La tendance à la contractualisation pluriannuelle des marchés de soutien des matériels aéroterrestres se poursuivra en 2021, mais dans des volumes moins importants.

Les dépenses d’investissement (titre 5) augmentent fortement du fait du transfert de crédits d’infrastructure du programme 212 vers le programme 178 dans le cadre de la nouvelle architecture budgétaire décidée l’an dernier. En particulier, les montants dédiés à l’infrastructure augmentent de 97 % par rapport à 2020 du fait de l’affectation de 56 millions d’euros d’AE sur tranches fonctionnelles, pour rénover des infrastructures d’entraînement.

A.   La poursuite de l’effort de recrutement

Entre 2015 et 2017, l’armée de Terre a connu une période de recrutement importante, afin de reconstituer une force opérationnelle terrestre (FOT) de 77 000 soldats. En 2018 et 2019, les effectifs de l’armée de Terre se sont ensuite stabilisés. Le recrutement a pourtant dû être maintenu à un niveau élevé – 14 783 militaires, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2018 – pour compenser des départs qui sont, en 2019 encore, plus nombreux qu’escomptés.

1.   Une manœuvre de recrutement encore plus ambitieuse en 2021

Pour 2021, l’objectif est de recruter 16 000 recrues, soit plus de 1 000 recrues supplémentaires par rapport à 2019 (+ 7,5 %). Le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2021 (page 157) évoque même 16 600 recrues voire 17 000. Selon le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), la crise sanitaire du premier semestre 2020 a en effet entraîné un déficit de 2 000 recrutements chez les militaires du rang, qui sera difficile à rattraper d’ici la fin de l’année, compte tenu des capacités des dispositifs de formation. Le déficit devrait toutefois être limité à ‑ 400 militaires à la fin de l’année 2020, dette qui devrait pouvoir être compensée dans les premiers mois de 2021.

Les cibles de recrutement sont atteintes à 100 %, en acceptant de dégrader, de manière mesurée, le taux de sélection pour les officiers et sous-officiers (voir encadré infra).

La fidélisation et l’attrition, facteurs de forte incidence (voir infra, 2. sur la fidélisation), font l’objet d’un suivi tout particulier et d’une prise en compte constante afin de déterminer au mieux les cibles de recrutement. Dans ce contexte, le recrutement interne agit dans une certaine mesure en complément du recrutement externe.

 

Taux de sélection par profil de candidat (grade et spécialité)

Recrutés au grade de sous-lieutenant*, les élèves admis à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr connaissent un taux de sélection de 1 pour 11,9 candidats en 2020, tandis que celui des officiers sur titre est de 1 pour 7,5. Pour comparaison, le taux de sélection des élèves officiers en formation initiale en Allemagne (EOFIA) est de 1 pour 7,7. Concernant les officiers contractuels recrutés au grade de sous-lieutenant, le taux de sélection 2019 était de 1 pour 1,4 candidat pour les officiers sous contrat en filière encadrement et de 1 pour 3,6 pour les officiers sous contrat en filière « spécialiste » ;

Les sélections 2020 des sous-officiers sont en cours. Le taux de sélection des engagés volontaires sous-officiers est de 1 pour 1,3 candidat. Celui des sous-officiers de l’école militaire de haute montagne est de 1 pour 2,8.

Enfin le taux de sélection des militaires du rang était de 1 pour 1,1 candidat en 2019.

(*) Seul le taux de sélection 2020 des officiers de carrière est consolidé.

Source : réponse du ministère des Armées au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

Cibles de recrutements de l’armÉe de Terre entre 2019 et 2021

(individus)

Catégories

2019

(réalisé)

2020

(prévisions) (1)

2021

(prévisions) (2)

Officier (3)

446

459

467

Sous-officier

1 467

1 414

1 466

Militaire du rang (4)

11 783

11 524

12 284

Volontaire de l’armée de terre (5)

1 087

1 023

1 079

Total

14 783

14 420

15 296

(1) Entrées nouvelles externes (ENE) sur le plafond interministériel des emplois autorisés (PMEA) 2020 pour 2020 et 2021. Chiffres prenant en compte l’impact de la Covid-19 chiffres sujets à évolution. (2) Entrées nouvelles externes (ENE) sur le PMEA 2020 pour 2020 et 2021. (3) Recrutement officiers de gendarmerie inclus. (4) Recrutement engagé volontaire Légion étrangère (EVLE) inclus. (5) Hors volontaires aspirants de l’armée de Terre.

Source : réponse du ministère des Armées au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

La dynamique de recrutement a été perturbée au premier trimestre 2020 par les effets du contexte social de la fin d’année 2019 qui n’a pas facilité la mobilité des candidats lors de la réalisation de leurs dossiers de candidature. Par la suite, la crise sanitaire a eu trois conséquences majeures : la fermeture des centres d’évaluation, la fermeture au public des centres de formation et de recrutement pendant deux mois et le report des incorporations d’avril et de mai sur le mois de juin. Néanmoins, parallèlement, le travail de prospection s’est poursuivi avec des moyens de travail adaptés.

Depuis la fin du confinement, un nombre important de dossiers ont été ouverts. La mobilisation du service de santé des armées (SSA) pour l’évaluation de l’aptitude des recrues devait permettre d’absorber quelques 4 200 dossiers en attente d’évaluation au 12 mai 2020, les capacités du SSA demeurant un point d’attention. Ainsi, le mois de juin 2020 a enregistré un nombre record de signatures (1 710 militaires du rang). Une nouvelle campagne de recrutement diffusée à la rentrée 2020, doublée de mesures de fidélisation des militaires du rang en service, devrait permettre à l’armée de Terre d’atteindre quasiment ses effectifs en militaires du rang au 31 décembre 2020, démontrant ainsi sa capacité à résorber les retards pris lors du confinement.

Les recrutements des officiers étant plus tardifs et ceux des sous-officiers ayant été légèrement décalés, ils devraient être totalement réalisés en fin d’année.

2.   Des efforts renouvelés pour améliorer la fidélisation

Outre le recrutement, la fidélisation des militaires de l’armée de Terre reste un point d’attention et un axe d’effort majeur pour l’armée de Terre comme pour les autres armées, directions et services.

Pour les personnels militaires, le taux de dénonciation des contrats est l’indicateur le plus surveillé à cet égard. Pour les sous-officiers, il s’établit à 20 % au premier semestre 2020, en légère hausse par rapport à 2019. L’objectif reste inchangé et consiste à maintenir à 15 % la dénonciation des engagés volontaires sous-officiers à l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA).

Pour les militaires du rang, le niveau de dénonciation reste stable mais supérieur à l’objectif fixé (25 %).

Que ce soit pour les militaires du rang ou les sous-officiers, l’effet de ces taux de dénonciation sur la réalisation des effectifs est maîtrisé car ils sont anticipés lors de la définition du plan de recrutement. Toutefois, ils représentent une charge pour les régiments et centres de formation, notamment au titre de l’effort de formation des militaires du rang.

Au bilan, seuls 45 % des militaires du rang recrutés en 2015 étaient encore employés par l’armée de Terre en 2020 (conformément à l’objectif fixé). Mais parmi ceux-ci, au 21 juillet 2020, 90,7 % ont renouvelé leur contrat pour servir au-delà de 2020 (bien au-delà de l’objectif de 75 %). La rapporteure pour avis a interrogé le chef d’état-major de l’armée de Terre sur l’effet potentiellement délétère de la mission Sentinelle sur le taux de dénonciation des contrats dans les premières années. Le CEMAT a reconnu qu’une génération de jeunes militaires, qui avait fondé son engagement sur une représentation sans doute quelque peu fantasmée des opérations en Afghanistan, avait pu être déçue par les débuts de la mission Sentinelle. Il a rappelé qu’après ces débuts, caractérisés par des gardes statiques, un manque d’autonomie certain et des conditions d’hébergement indignes, la mission avait profondément évolué. Il est néanmoins indispensable de sensibiliser les jeunes recrues à l’importance des missions sur le territoire national.

La mission Sentinelle pourrait continuer d’évoluer. Le CEMAT défend le projet de doter en matériel Sentinelle l’équivalent d’une section par régiment pour offrir aux autorités civiles une force de réaction rapide, localement. La rapporteure pour avis souscrit à ce projet, qui préserve voire augmente la capacité de réaction rapide sur le territoire national, tout en libérant du temps pour l’activité d’entraînement.

Concernant les officiers, l’objectif est également de lutter contre l’attrition initiale des officiers sous-contrat (OSC), notamment au travers de mesures visant à améliorer l’information et à renforcer l’identité propre des jeunes contractuels. Entendu par la rapporteure pour avis, le CEMAT a insisté sur le fait que les OSC seront dorénavant formés durant un an contre 4 à 6 mois auparavant.

Concernant le corps des sous-officiers, le taux de renouvellement des primo contrats est plutôt stable depuis 2015 avec une amélioration sensible en 2019 et des prévisions pour 2020 qui devraient confirmer cette tendance.

Pour les militaires de tous grades, la mobilité géographique et la disponibilité, inhérentes au statut militaire, suscitent des difficultés à concilier la vie professionnelle et la vie familiale ou limitent la capacité à acquérir sa résidence principale. La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) ainsi que le plan « Famille », qui continue de s’enrichir de nouvelles propositions grâce à la concertation poursuivie par la ministre des Armées, ont vocation à mieux compenser ces sujétions et à alléger les contraintes qui en découlent (déménagement, notamment).

Le CEMAT considère néanmoins qu’il doit être possible de mieux répondre aux attentes des militaires en termes de visibilité et de localisation. La direction des ressources humaines de l’armée de terre (DRHAT) expérimente désormais l’organisation des carrières dans de grandes aires géographiques avec une affectation de référence, ce qui peut favoriser la sédentarisation des familles et l’acquisition de résidences principales stables. Pour certaines affectations isolées, les militaires qui y seront affectés « cotiseront », a admis le CEMAT, autrement dit, ces sujétions devront être équitablement réparties, et il faudra des infrastructures d’hébergement adéquates.

À cet égard, la rapporteure pour avis ne saurait trop insister sur l’urgence d’améliorer l’état de certains hébergements. À l’instar des rapporteurs de la mission d’information sur la politique immobilière du ministère des Armées, elle considère en effet que « le toit est la première brique de la fidélisation ».

La prime de lien au service (PLS) versée en échange d’une prolongation de contrat d’une durée de trois ans (voir annexe 2) donne aussi de bons résultats. Elle a favorisé une augmentation de 17 % de renouvellement des primo-contrats des militaires du rang, permettant ainsi d’améliorer la fidélisation des cohortes importantes de soldats recrutés en 2015. Pour les officiers, la PLS est le tout premier outil à la main des gestionnaires RH pour fidéliser dans cette catégorie d’emploi. Cette prime a par exemple contribué directement à la fidélisation de 22 médecins spécialistes (chirurgiens, urgentistes) du SSA et de 17 officiers sous contrats (OSC) pilotes en 2019. Pour les sous-officiers, l’efficacité du dispositif reste inégale selon les métiers et les profils des candidats. Si le dispositif s’est montré attractif pour le renouvellement de primo-contrats, son efficacité pour la fidélisation des sous-officiers au-delà de 17 ans de service dépend directement de la filière professionnelle.

L’armée de Terre doit donc poursuivre ses efforts pour garder ses sous-officiers expérimentés ou détenteurs de compétences rares, grâce à une gestion de plus en plus individualisée des carrières et des mesures ciblées.

B.   La poursuite de l’effort de régénération

Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une hausse des ressources directement pilotées par l’état-major de l’armée de Terre par rapport à la loi de finances 2020.

Évolution des ressources pilotÉes par l’État-major de l’armÉe de terre,
ventilÉes par opÉration stratÉgique*

(en millions d’euros de crédits de paiement)

Opération stratégique

LFI 2019

Exécution 2019

LFI 2020

PLF 2021

AOP

160

188

187

188

FAS

70

105

98

123

EAC

195

255

209

217

EPM

1 017

1 109

909

942

dont EPM-Terre

613

633

513

524

dont EPM-Aéro

400

472

391

411

dont EPM-Naval

4

4

5

7

Infrastructures

0

0

62

68

TOTAL

1 443

1 656

1 464

1 538

(*) AOP : activités opérationnelles et préparation. FAS : fonctionnement et activités spécifiques. EAC : équipements d’accompagnement et de cohérence. EPM : entretien programmé des matériels.

Source : réponse du ministère des Armée au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

Cette hausse des crédits concerne bien évidemment l’entretien programmé des matériels (EPM) qui représente plus de 60 % des moyens à la disposition du CEMAT et poursuit une croissance dynamique, conformément aux priorités de la LPM.

Sur 942 millions de crédits de paiement consacrés à l’EPM, 43 % sont dédiés au maintien en condition opérationnelle des hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de Terre, un poste budgétaire en forte croissance, à la suite de la conclusion des nouveaux marchés de soutien externalisé en 2018.

1.   Des crédits en hausse pour l’entretien des matériels

Le graphique ci-dessous montre l’effort financier consenti dans le domaine de l’entretien programmé des matériels depuis 2010. Les montants de 2016 en AE traduisent l’effort de régénération des matériels décidé en 2015 dans un contexte d’engagement soutenu et d’alerte maximale sur le territoire national. Les crédits de paiement (CP) associés au titre de ce « paquet régénération » ont été mis à disposition en 2018 et 2019.

Évolution des crÉdits d’entretien programmé des matÉriels
de l’armÉe de terre

Source : données issues de la réponse du ministère des Armées au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

Les montants d’AE en forte augmentation en 2019 et 2020 correspondent à la mise en place des nouveaux marchés pluriannuels de maintenance aéronautique par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) pour améliorer le MCO des hélicoptères. Ces marchés sont d’une durée de 5 à 10 ans.

Comme le met en évidence le graphique, les crédits de paiement d’EPM sont systématiquement « sur-exécutés », c’est-à-dire que la consommation est supérieure aux dépenses prévues en loi de finances initiale. Cette sur-exécution est en grande partie imputable au mécanisme de couverture des besoins de financements additionnels pour les opérations extérieures et les missions intérieures (Opex-Missint), qui implique d’ouvrir des crédits supplémentaires au programme en cours de gestion. Néanmoins, à mesure que la « sincérisation » du budget Opex-Missint progresse, l’ampleur de cette sur-exécution devrait se réduire.


La réforme de la maintenance des hélicoptères de l’armée de Terre

Les principaux jalons de la transformation de l’organisation du soutien des flottes d’hélicoptères de l’armée de terre sont :

1. – La mise en œuvre du marché de soutien totalement externalisé des 18 Fennec de l’école de l’aviation légère de l’armée de Terre (EALAT, du Luc en Provence) notifié en janvier 2019. Alors qu’il reste deux aéronefs à transférer au titulaire du marché Hélidax, d’ici la fin de l’année 2020, ce dernier respecte ses engagements contractuels et permet la réalisation d’une activité conforme aux besoins. Ainsi, en 2019, 3 655 heures de vol ont été réalisées, contre un peu moins de 2 500 sur l’année 2018.

2. – Le contrat « Global Support » Tigre, signé en novembre 2019 via l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar), a permis dès mars 2020 la mise en place de guichets logistiques auprès des utilisateurs. Une amélioration des délais de livraison des rechanges est déjà observée (délais inférieurs à 5 jours pour des besoins non programmés, délais inférieurs à 10 jours pour les besoins programmés).

3. – Le marché dit « de verticalisation » Cougar / Caracal / EC225 de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air (marché Chelem), notifié en novembre 2019, est encore en phase de montée en puissance. Ce contrat comprend un volet logistique pour lequel une fiabilisation des délais de livraison de pièces est déjà constatée. Une diminution de l’attente logistique est attendue dès début 2021. L’engagement de mise à disposition d’heures de vol pour une partie du parc des Cougar de l’armée de Terre, dont le soutien est totalement externalisé, donne entièrement satisfaction aux utilisateurs (objectif de transfert de 5 Cougar d’ici 2021 avec 300 heures de vol annuelles par hélicoptère). En 5 mois, le rythme d’activité des 2 premiers Cougar transférés au titulaire a considérablement augmenté, confirmant cet objectif.

Le soutien des NH90/Caïman, déjà largement globalisé, porte ses fruits en matière de disponibilité bien que le parc en exploitation soit fortement pénalisé par une importante immobilisation structurelle liée aux entretiens préventifs prévus dans le plan d’entretien. L’effort est à poursuivre pour la réduction du nombre d’aéronefs immobilisés au niveau du soutien industriel. Des actions concrètes sont déjà en cours à ce sujet, comme l’espacement des fréquences de visite de 600 à 900 heures, avec des premiers effets probables d’ici à fin 2020.

Source : réponse du ministère des Armées au questionnaire de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

2.   La livraison des matériels de 4e génération

L’armée de Terre poursuit sa modernisation, qui requiert toutefois une attention soutenue.

Un trilogue renforcé entre l’armée de Terre, la DGA et les industriels a permis de respecter le calendrier de livraison des 92 premiers exemplaires du Griffon (le véhicule blindé multi-rôles lourd du programme Scorpion) en 2019, rattrapant ainsi le retard pris en 2018. Il a vocation à remplacer le véhicule de l’avant-blindé (VAB), La rapporteure pour avis s’en félicite et salue ces efforts collectifs.

En revanche, la crise sanitaire du premier semestre 2020 a fortement désorganisé les chaînes industrielles et pourrait entraîner des décalages de livraisons de 2020 en 2021, en dépit de la mobilisation de Nexter, Arquus et Thales.

Les 4 engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar qui devaient être livrés en 2020 le seront en 2021, avec un rétablissement sur la cible LPM fin 2021 (20 engins livrés).

Calendrier des commandes et des livraisons du programme Scorpion

Opérations

Avant 2020

2020

2021

Post 2021

Cible

GRIFFON

Commandes

339

271

 

1 208

1 818 (1)

Livraisons

92

90

157

1 479

1 818 (1)

SERVAL

Commandes

 

364

 

614

978

Livraisons

 

 

 

978

978

JAGUAR

Commandes

20

42

 

238

300

Livraisons

 

 

20

280

300

Leclerc rénovés

Commandes

 

50

 

150

200

Livraisons

 

 

 

200

200

SICS (2)

Commandes

1

 

 

 

1

Livraisons

 

Développement incrémental

1

(1) Dans le projet annuel de performance du PLF 2020, la cible était de 1 872. En 2020, une 7e opération constituante a en effet été ajoutée au programme d’armement, prévoyant la réalisant d’un mortier de 120 mm embarqué pour l’appui au contact (MEPAC) ayant vocation à équiper l’artillerie. Ces 54 Griffon MEPAC ne figurent plus dans la cible actualisée des véhicules Griffon mais sont comptabilisés à part.

(2) Le logiciel SICS livré en 2019 comportera des évolutions par incrément.

Source : projet annuel de performance de la mission « Défense » annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le blindé léger multirôle Serval est quant à lui toujours en cours de développement ainsi que les capacités de simulation Semba (simulation embarquée) et Serket, dont les premières livraisons sont attendues en 2022. Enfin, le calendrier de rénovation du Leclerc est « en cours de consolidation ».

La rapporteure pour avis insiste à nouveau sur l’importance du respect du calendrier de livraisons pour l’armée de Terre. Tout décalage perturbe considérablement le processus de prise en main de ces nouveaux matériels par les militaires qui vont les utiliser, les réparer ou organiser la formation de leurs camarades, dans un contexte où le rythme des opérations offre assez peu de marges de manœuvre.

Interrogé par la rapporteure pour avis sur les conséquences des derniers accidents d’aéronefs sur le parc de l’armée de Terre et son renouvellement, le commandant de l'aviation légère de l'armée de Terre (COM-ALAT) attend lui aussi le renouvellement de ses appareils d’ancienne génération. Les nouveaux appareils sont en effet plus résistants, plus sécurisants et plus performants.

Le 15 avril dernier, à Pau, un hélicoptère Cougar a fait une chute de cent mètres. Cinq des sept membres d’équipage sont saufs. Le Cougar rénové est en effet beaucoup plus sûr que la Gazelle ou le Puma (appareils d’ancienne génération). Les nouveaux appareils sont plus « durcis », offrent de meilleures résistances à la guerre. « On a intérêt à accélérer tout ce qu’on peut », estime donc le COM-ALAT. L’urgence est de remplacer les sept derniers Puma (SA330) vieux de plus de cinquante ans : « On ne fera bientôt plus voler ces appareils tellement le coût de la maintenance augmentera ! » En somme, le COM-ALAT espère le remplacement de ces sept appareils et des trois appareils détruits.

Après la livraison de 4 NH90-TTH (version terrestre de l’hélicoptère NH90) dits Caïman, en 2020, cinq nouveaux appareils devraient être livrés en 2021. Avec ces nouveaux appareils, plus sophistiqués, toutefois, il conviendra de ne pas sous-estimer le fait que le coût du maintien en condition opérationnelle augmentera. Le coût de l’heure de vol du NH90 / Caïman était en effet de 22 274 euros en 2019 contre 13 386 euros pour le Puma.

II.   Deux points de vigilance pour respecter la programmation

Héritage de l’exécution des précédentes LPM, certains déséquilibres persistent et mettent plus de temps que prévu à être corrigés.

A.   Une relance de la préparation opérationnelle à conforter

Depuis 2015 et l’engagement dans l’opération Sentinelle, l’armée de Terre cherche des marges de manœuvre pour la relance de sa préparation opérationnelle. La loi de programmation militaire 2019-2025 avait innové en incluant, dans son rapport annexé, des normes d’entraînement sur matériel qui reflétaient le souci d’un entraînement de qualité. ([2]) L’ambition d’une « armée de Terre durcie » présentée par le CEMAT dans sa « vision stratégique » présentée en juin 2020 n’a fait que renforcer ces impératifs mais s’inscrit pleinement dans la LPM.

1.   Des normes d’entraînement hors d’atteinte à ce jour

Or, l’armée de Terre s’entraîne encore trop peu. Au cours de son audition par la commission (voir compte-rendu annexé au présent rapport), le CEMAT a insisté sur l’enjeu que constituait le « drill » pour une armée plus technologique, face à un ennemi disposant lui aussi de capacités modernes.

Ainsi, bien que le nombre de jours de préparation opérationnelle (JPO) paraisse à peu près satisfaisant (81 jours contre 90 prévus par la LPM et 83 en cible pour 2023), la pertinence de cet indicateur, eu égard à son mode de calcul inadapté, n’est pas avérée, comme M. Olivier Gaillard l’avait mis en évidence dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2020. ([3])

Le tableau ci-dessous montre des résultats beaucoup plus mitigés sur les principaux matériels de l’armée de Terre. Comme le confirme la documentation budgétaire, au global, l’armée de Terre ne réalise que 56 % de ses objectifs en termes d’entraînement sur matériels majeurs. ([4])

Réalisation des normes d’entraînement fixÉes
par la loi de programmation militaire

Entraînement

par équipage

Réalisation

2019

Prévision initiale 2020

Prévision actualisée 2020

Prévision 2021

Objectif

LPM 2025

Normes d’entraîne-ment

Char Leclerc

(en heures)

79

75

63

54

106

115

AMX 10 RCR/Jaguar

(en heures)

71

100

67

72

100

100

VAB/Griffon

(en kilomètres)

477

560

604

602

1023

1 100

VBCI

(en heures)

90

95

69

79

119

130

Caesar et pièces de 155 mm

(en coups tirés)

71

76

69

76

101

110

Hélicoptères Terre

(forces conventionnelles, en heures de vol)

173

171

171

142

200

200

Hélicoptères Terre

(forces spéciales, en heures de vol)

185

185

185

146

220

220

Source : réponse de l’état-major de l’armée de Terre aux questions complémentaires de la rapporteure pour avis, octobre 2020.

En 2021, le temps d’entraînement d’un équipage de char Leclerc sera ainsi moitié moindre que ce qu’il devrait être. Le nombre d’heures d’activité sur ce matériel chutera de 20 000 heures en 2019 à 13 000 heures prévues en 2021.

2.   Une activité grevée par des surcoûts imprévus en LPM

Selon l’état-major de l’armée de Terre (EMAT), cette sous-performance s’explique par :

– l’intensité opérationnelle, qui réduit le temps disponible pour la préparation opérationnelle ;

– l’indisponibilité des matériels, elle-même en partie subie pour des raisons de coûts.

L’armée de Terre s’est attachée à résoudre ces difficultés en fixant un temps réservé à la préparation opérationnelle tout en maintenant le chiffre des jours hors domicile (JHD) sous la cible de 135 jours, afin de préserver la vie familiale des soldats. Mais le temps consacré à la préparation opérationnelle reste insuffisant, notamment en raison de rigidités liées au partage des matériels, que la rapporteure pour avis étudie dans le détail dans la seconde partie du présent rapport.

La mise en place des nouveaux contrats de soutien « verticalisés » (soutien unifié de tout un parc d’équipements par un titulaire engagé sur une performance globale donnée) en 2019 sous l’égide de la DMAé augmente le nombre d’hélicoptères disponibles au profit des forces. Mais les ressources dédiées à l’EPM, si elles ont augmenté concomitamment conformément à la LPM, n’ont pas augmenté de manière à couvrir tous les besoins financiers créés par ces nouveaux contrats sans préjudice pour l’activité. Ce hiatus oblige l’armée de Terre à réduire l’activité. Bien que performants, ces contrats forfaitaires « rigidifient » en effet la dépense. Les besoins financiers qu’ils suscitent viennent par ailleurs alourdir une « dette » constituée par l’accumulation de besoins non satisfaits pendant toute la décennie 2010, imparfaitement apurée par le « paquet régénération » de 2015-2016 et surtout considérablement alourdie par l’emploi intensif des matériels de deuxième et troisième génération en opérations extérieures. Comme l’avaient mis en évidence les députés Joaquim Pueyo et François André en 2018 dans leur rapport sur l’exécution de la programmation militaire 2014-2019 ([5]), le pari du vieillissement des matériels a montré ses limites et se révèle in fine ruineux.

Autre facteur : la contribution du programme 178 au financement des surcoûts liés aux opérations extérieures et intérieures. Depuis 2019, l’article 4 de la LPM n’est pas respecté. Les surcoûts liés aux opérations extérieures non prévus en loi de finances initiale sont intégralement supportés par le ministère des Armées. Bien que la provision pour ces surcoûts Opex/Missint ait été portée à 950 millions d’euros en 2019 et 1,2 milliard d’euros en 2020, conformément à la LPM, un reliquat reste tout de même à financer : 446 millions d’euros en 2019. D’après les investigations de la rapporteure pour avis, tous les programmes contribuent au financement de ces surcoûts en cours d’année, ce qui se révèle particulièrement pénalisant pour les forces qui ont peu de marges de manœuvre en gestion, si ce n’est l’entraînement. Au-delà de ce problème, qui devrait bientôt être résolu grâce à la hausse de la provision au niveau des surcoûts constatés, l’état-major de l’armée de Terre devra toujours constituer une réserve de précaution. En effet, les dépenses consenties au titre des Opex sont avancées par les états-majors et seulement une partie de celles qui sont éligibles au budget opérationnel de programme « Opex », au titre de la suractivité ou surintensité, leur sont ensuite remboursées. Cela oblige les états-majors à constituer des provisions, sans absolue certitude qu’elles ne feront pas l’objet de mesures de fin de gestion.

La conjonction des deux facteurs – rigidification de la dépense à la suite de la mise en place des contrats de maintenance aéronautique « verticalisés » plus onéreux que prévus et mode de financement des surcoûts Opex – oblige donc l’armée de Terre à renoncer à des activités d’entraînement, seule variable d’ajustement budgétaire restante, ou à des opérations de régénération de matériels, ce qui revient in fine au même.

Le constat est particulièrement amer : alors que les budgets n’ont jamais été aussi élevés depuis plus d’une décennie, que la LPM est respectée à la lettre et que les armées se sont dotées de contrats de maintenance performants, l’armée de Terre peine à intensifier sa préparation opérationnelle, conformément à la « vision stratégique » du CEMAT.

L’armée de Terre a donc un besoin urgent de voir son potentiel libéré, sans quoi les dépenses continueront de croître avec, à la clé, des résultats mitigés en termes d’entraînement, dans un contexte d’aggravation des menaces de conflits qui ne permet pas de surseoir plus longtemps à l’impératif de remontée en puissance de la préparation opérationnelle.


B.   Une priorité donnée au « petit équipement » qui peine à se concrétiser

Comme l’ont mis en évidence les députés André Chassaigne et Jean-Pierre Cubertafon dans un rapport récent ([6]), les « petits équipements » sont le « ciment capacitaire » de l’armée de Terre et un élément essentiel de l’axe « à hauteur d’homme » de la LPM.

Les « petits équipements » dans la maquette budgétaire

Les « petits équipements » sont financés par plusieurs programmes budgétaires. Tous les équipements qui peuvent être achetés sur catalogue (munitions non complexes, cibles de tir, équipement d’entraînement, couteaux de campagne, articles de bagagerie, tenues de sport…) relèvent des « équipements d’accompagnement et de cohérence » du programme 178 tandis que tous ceux qui nécessitent un développement répondant à un cahier des charges précis (jumelles de vision nocturne, pistolet semi-automatique, équipements de guidage laser, mini, micro et nano drones…) sont prévus au titre des « autres opérations d’armement » (AOA) conduites par la DGA et retracées sur le programme 146.

Source : rapport précité de MM. Chassaigne et Cubertafon.

1.   Une hausse à poursuivre et à accélérer

Cité par nos deux collègues précités, le général Charles Beaudouin, sous-chef Plans - Programmes à l’époque de leurs travaux, a évalué à 500 millions d’euros par an les crédits d’AOA dont l’armée de Terre a besoin pour entretenir ses capacités. Ce seuil n’a malheureusement plus été atteint depuis 2013.

ExÉcution des crÉdits de petits Équipements au profit de l’armÉe de Terre

(en millions d’euros)

Crédits de paiement

2017

2018

2019

2020

2021

évolution 2021/2020

LFI

exécu-tion

LFI

exécu-tion

LFI

exécu-tion

LFI

exécu-tion

PLF

(en %)

Part de l’agrégat « autres opérations d’armement » au profit de l’armée de Terre (P146)

441

395

389

323

409

338

367

nd

394

+ 7,4 %

Part de l’agrégat « équipements d’accompagnement et de cohérence » au profit de l’armée de Terre (P178)

197

189

189

235

195

255

209

nd

217

+ 3,8 %

Source : état-major de l’armée de Terre.

La LPM 2019-2025 prévoit bel et bien une augmentation des crédits d’AOA au profit de l’armée de Terre pour retrouver un niveau identique à celui d’avant 2011, soit 500 millions d’euros. Ces ressources restent cependant contraintes jusqu’en 2023. La hausse prévue est, par conséquent, trop tardive et trop faible pour répondre à l’ensemble des besoins. Par exemple, dans le projet de loi de finances pour 2021, les crédits d’AOA sont en hausse de 7,4 % par rapport à 2020 mais ils sont inférieurs de 10 % aux crédits votés en 2017.

2.   Des crédits à préserver en gestion

De facto, les AOA demeurent une variable d’ajustement pour le programme budgétaire 146. Les crédits d’AOA sont en effet systématiquement sous-exécutés en CP d’environ 17 %, comme le montre le tableau ci-dessus.

Pour les crédits d’équipement d’accompagnement et de cohérence (EAC, « dans la main » du CEMAT), l’exécution est significativement plus élevée que la prévision depuis 2018. Mais elle s’explique par l’affectation de surcoûts liés à la consommation de munitions en Opex, en hausse significative sur 2017-2019, en raison du déploiement des canons d’artillerie Caesar dans le cadre de l’opération Chammal au Levant. La forte activité du détachement d’artillerie (Task force Wagram) s’est traduite par une consommation de munitions (notamment en obus de 155mm) particulièrement élevée, nécessitant de nouvelles commandes (dès 2017) pour reconstituer les stocks. Ces acquisitions par l’intermédiaire de marchés pluriannuels se sont traduites par une augmentation des paiements en EAC telle que constatée depuis 2018. Il convient de noter qu’en 2019, une part de l’augmentation (9,5 millions d’euros) est liée à un transfert d’AOP vers EAC au titre de dépenses diverses d’instruction, reconnues comme dépenses d’équipement.


—  1  —

   Seconde partie : le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres

Compte tenu des défis mis en évidence par l’analyse des crédits exécutés depuis le début de la période de programmation militaire et prévus par le projet de loi de finances pour 2021, la rapporteure pour avis a choisi d’approfondir le thème du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T), étant entendu que la maintenance des aéronefs de l’armée de Terre a fait l’objet d’une réforme récente qui satisfait pleinement ses utilisateurs, nonobstant les surcoûts non compensés qu’elle induit.

I.   Le MCO-T : une organisation profondément réformée depuis dix ans

Le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres a fait l’objet d’une profonde transformation en dix ans, sans avoir suscité le même intérêt, en tout cas dans les rapports parlementaires. La maintenance est pourtant un élément essentiel de l’activité des forces et les défis relevés par les services chargés du MCO terrestre forcent l’admiration et méritent qu’on s’intéresse aux problèmes qu’ils rencontrent.

A.   Les grands principes de l’organisation du MCO

La grande réforme du maintien en condition opérationnelle est advenue il y a dix ans, après la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Rompant avec la tradition militaire (« Un chef, une mission, des moyens »), la nouvelle organisation avait pour objectif de faire des économies en mutualisant les parcs de matériels et en regroupant les personnels chargés de la maintenance industrielle. Rien que dans le MCO terrestre, plus de 6 000 postes de maintenanciers ont ainsi été supprimés.

1.   Une organisation par milieu

Organisé par armée jusqu’en 2010, le MCO est aujourd’hui organisé par milieu. Sous la responsabilité du chef d’état-major de l’armée de Terre, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) est responsable de « tout ce qui roule » et du multi technique (radios, jumelles…) au profit des trois armées, quand le service de soutien de la flotte (SSF) s’occupe de « tout ce qui flotte » et que la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), désormais placée sous l’égide du chef d’état-major des armées (CEMA), s’occupe de « tout ce qui vole ».

L’organisation par milieu
du maintien en condition opÉrationnelle

Source : schéma fourni par le DC-SIMMT lors de la visite de la rapporteure pour avis le 1er octobre 2020 à Satory.

2.   Deux grandes catégories de maintenance, trois types de maîtres d’œuvre

Ces entités, qui sont comptables de la performance globale, s’appuient sur trois types de maîtres d’œuvre :

les forces, pour la maintenance opérationnelle ;

un acteur étatique à caractère industriel pour la régénération profonde ;

des acteurs privés à caractère industriel qui participent à l’un ou l’autre type de maintenance (présentés infra).

Les deux maîtrises d’œuvre Étatiques

Source : schéma fourni par le DC-SIMMT lors de la visite de la rapporteure pour avis le 1er octobre 2020 à Satory.

3.   Des parcs partagés

Jusqu’en 2010, chaque formation de l’armée de Terre (de la Marine ou de l’armée de l’Air) était propriétaire de son matériel. La rationalisation opérée en 2010 a abouti à une mutualisation des parcs.

La politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) est née à cette époque, remplacée depuis par la PAC (Parcs Au Contact). Cette politique de mutualisation concerne aussi d’autres équipements que les véhicules (plaques des systèmes modulaires balistiques, notamment).

Les visites de la rapporteure pour avis reprÉSENTÉe
sur l’organiramme de l’armÉe de Terre