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N° 3488

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2020.

 

 

AVIS

 

 

PRÉSENTÉ

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2021,

 

 

TOME II

 

 

SOLIDARITÉ, INSERTION ET ÉGALITÉ DES CHANCES

 

 

 

PAR M. Brahim HAMMOUCHE,

 

Député.

——

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  3360, 3399 (annexe n° 41).

 

 

 


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« Si la liberté humaine est un principe, le droit à l’existence en est un aussi, nécessairement antérieur à tout autre, et l’État doit le garantir avant tout autre. »

Léon Bourgeois, « Solidarité, L’idée de solidarité et ses conséquences sociales », p. 55, Le Bord de L’eau éditions, Paris, 2008.


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. les crÉdits de la mission solidaritÉ, insertion et ÉgalitÉ des chances

A. Une trÈs lÉgÈre diminution des crÉdits du programme 304 inclusion sociale et protection des personnes

1. Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

2. L’action 11 « Prime d’activité et autres dispositifs » représente près de 90 % des crédits du programme

3. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

4. La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance

B. Une stabilisation des crÉdits du programme 157 Handicap et dÉpendance

1. Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

2. Le soutien à l’autonomie des personnes en situation de handicap

3. Une politique volontariste en faveur des personnes en situation de handicap

4. La politique de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance

C. Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes : des crÉdits en très nette augmentation

1. Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

2. La lutte contre les violences faites aux femmes

3. L’émancipation économique des femmes

4. L’accès aux droits et la diffusion de la culture de l’égalité

D. un changement de pÉrimÈtre du programme 124 conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales

II. La mise en place d’un revenu universel : une rÉponse à la situation de crise actuelle

A. un nombre croissant de personnes en situation de grande vulnérabilitÉ

1. Un état des lieux particulièrement alarmant

2. Le basculement d’un grand nombre de personnes dans la précarité suite à la crise du coronavirus

B. LE RSA, dans son fonctionnement actuel, ne permet pas d’apporter une rÉponse suffisante aux personnes prÉcaires

1. Les modalités du revenu de solidarité active

a. Des conditions liées à la situation personnelle du demandeur et des personnes composant son foyer

b. Des conditions liées aux ressources

2. Le RSA, insuffisamment sécure

a. Un reste à vivre insuffisant

b. Une prestation aux multiples défauts

C. Les contours possibles d’un revenu universel

1. La nécessité d’élargir les publics bénéficiaires

2. Un revenu universel sans conditions, si ce n’est le plafond de ressources

a. Un montant suffisamment élevé

b. L’absence de contreparties

c. L’automaticité du versement

3. Quels contours pour le revenu universel ?

a. La complexité du système actuel

b. Aller vers un revenu attaché à la personne

CONCLUSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. Audition des ministres

II. Examen des crÉdits

Article 33 et état B Crédits du budget général

Après l’article 58

annexe : personnes auditionnÉes par lE rapporteur


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   introduction

En 2021, les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances s’élèveront à 26,12 milliards d’euros, en légère baisse de 0,62 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2020.

Cette diminution s’explique par une importante modification de périmètre sur le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales. Néanmoins, les deux programmes qui structurent la mission (le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes et le programme 157 Handicap et dépendance) sont pour leur part stabilisés, tandis que le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes connaît une augmentation substantielle de plus de 37 %.

Par ailleurs, ainsi que l’a rappelé la Cour des comptes ([1]), deux faits caractérisent l’exécution budgétaire 2019. « D’une part, une modification de grande ampleur est intervenue entre la programmation initiale et la loi de finances initiale, à la suite du mouvement dit des "gilets jaunes", avec une augmentation de 2,79 milliards d’euros des crédits destinés à la prime d’activité. »

« D’autre part, l’exercice a été marqué par le niveau à nouveau élevé des ouvertures de crédits en fin de gestion, essentiellement pour financer cette prime : la loi de finances rectificative (LFR) a ainsi ouvert 818,17 millions d’euros de crédits, contre 261,5 millions d’euros en LFR 2018. Cette situation s’explique par le contexte d’urgence de l’élaboration de la réforme de la prime d’activité en décembre 2018, et par l’ampleur mal évaluée du succès de la mesure. »

« Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, la budgétisation de l’allocation aux adultes handicapés peut être qualifiée de sincère, l’ouverture de 41,3 millions d’euros de crédits en fin de gestion relevant d’un aléa de prévision. Cependant, compte tenu de l’importance des montants consacrés à ces deux dépenses de guichet, les efforts engagés pour les évaluer correctement en LFI doivent être poursuivis. »

Convaincu que la responsabilité de l’État, dans le domaine de la solidarité, de l’insertion et de l’égalité des chances, n’est pas seulement organisationnelle et budgétaire, le rapporteur pense qu’elle requiert avant tout de développer une véritable culture de l’attention aux autres. Suite au basculement d’un grand nombre de personnes dans la précarité avec la crise coronavirus, le rapporteur a à cet égard choisi de s’intéresser, dans le cadre de la partie thématique de ce rapport, à la perspective d’instauration d’un revenu universel – dont les contours restent à définir – afin de prévenir et de lutter contre la pauvreté ([2]).

L’annonce par le Président de la République, lors de la présentation du Plan pauvreté, de la création d’un revenu universel d’activité (RUA), témoigne de la pleine reconnaissance de cet enjeu ([3]). En septembre 2018, le Gouvernement a en effet lancé une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : c’est dans ce cadre que le président de la République a souhaité que soit instauré un RUA, une aide « qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l’État sera entièrement responsable » ([4]).

Ainsi que l’a indiqué le rapporteur général à la réforme du revenu universel d’activité, le projet de RUA vise à refonder l’ensemble des prestations de solidarité en France, c’est-à-dire les prestations monétaires sous conditions de ressources et dégressives avec le niveau de ressources. En effet le système actuel des prestations de solidarité, produit de l’histoire, est illisible : il génère des phénomènes de non‑recours et ne remplit par conséquent pas son objectif ; il mine la confiance de la partie de la population qui n’est pas aidée et est objectivement très difficile, pour ne pas dire impossible, à piloter. Le processus de concertation sur le RUA s’est de facto interrompu avec la crise sanitaire.

Chômage, inégalités et pauvreté sont étroitement liés. « Si les différents minima sociaux ont trouvé une place dans la protection sociale, c’est pour pallier les manques en matière de logement, de salaire, de retraite, de santé, ainsi que les insuffisances des protections garanties par le régime de l’assurance sociale fondé sur le statut lié au travail. La pauvreté ne peut se définir et s’analyser que dans le cumul de ses causes et de ses effets en termes monétaires, en privation de biens, en difficultés de vie, en éducation, culture, etc.

« Les assurances, considérées comme nobles, sont opposées à tort à la solidarité qui serait une sorte de pis-aller obligé. C’est une idée fausse. Il n’y a pas noblesse du contributif et indignité de l’impôt : d’un côté la cotisation qui ouvre des droits et de l’autre l’aide sociale qui les octroie. La véritable opposition est entre la solidarité en tant que principe politique (Constitution, Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et l’individualisme qui renvoie chaque individu à la défense de son propre intérêt. Si la solidarité est le principe, l’assurance et l’assistance sont les outils d’un système, la protection sociale. La fausse opposition entre le principe de solidarité et l’un de ces outils aboutit à constituer un droit des pauvres qui tendanciellement devient un pauvre droit. Or, c’est grâce à la redistribution du revenu disponible, permise par la protection sociale, que la France limite son taux de pauvreté à 15 % de la population, au lieu de 25 % si on en restait à la distribution primaire » ([5]).

Comme l’a souligné celui qui fût l’auteur d’un rapport portant sur la refondation des minimas sociaux ([6]), on parle beaucoup de la covid en termes sanitaires, en oubliant que les impacts sur les plus précaires auront une influence très lourde sur le taux de pauvreté. Les chiffres pointent des taux qui n’avaient pas été atteints depuis longtemps. En l’absence de réformes profondes, le risque est grand d’avoir un taux de pauvreté qui soit beaucoup plus élevé : en effet, une fois que les gens « entrent en pauvreté », ils mettent très longtemps à en sortir. Il s’agit d’une thématique qui n’est pas tant technique que politique. S’il existe à peu près autant de « revenus universels » que de personnes auditionnées, l’objectif du rapporteur est avant tout de remettre ce sujet en débat et de formuler quelques propositions concrètes pour avancer sur cette question.


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I.   les crÉdits de la mission solidaritÉ, insertion et ÉgalitÉ des chances

La mission est composée de quatre programmes rattachés au ministre des solidarités et de la santé, à la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, et à la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.

Elle comprend le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes, le programme 157 Handicap et dépendance, le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes, dont la directrice générale de la cohésion sociale (DGCS) est responsable, et enfin le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales, dont la directrice des finances, des achats et des services (DFAS) est responsable.

Comme l’a souligné la Cour des comptes s’agissant de l’exécution budgétaire 2019 ([7]), la mission est structurée par deux programmes principaux qui, depuis 2019, sont quasiment d’égale importance : le programme 157 (11,99 milliards d’euros en crédits de paiement) et le programme 304 (11,24 milliards d’euros). Les deux autres programmes mobilisent beaucoup moins de crédits : le programme 137 est le plus petit, avec 0,1 % des crédits de paiement exécutés et le programme support (124) représente 5,9 % des crédits de la mission.

La mission a fait l’objet de mesures de périmètre plus conséquentes en 2019 qu’en 2018. La principale d’entre elles a concerné le programme 304, avec la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) en Guyane et à Mayotte, opérée sur le principe de compensation intégrale des dépenses, pour un montant de 170,8 millions d’euros en LFI.

Les dépenses d’intervention de la mission poursuivent une évolution dynamique. Elles se sont encore accrues lors de l’exercice budgétaire 2019, pour représenter 94,1 % des dépenses, s’élevant à 23,25 milliards d’euros. Cette forte progression (+ 27 %) résulte de la réforme de la prime d’activité portée par le programme 304 (+ 61 % de crédits consommés sur ce seul programme). Deux dispositifs représentent la plus grande part de ces dépenses : l’allocation aux adultes handicapés (AAH) avec 10,32 milliards d’euros et la prime d’activité (9,57 milliards d’euros). Deux autres dispositifs ont coûté plus de 500 milliards d’euros en 2019 : les services tutélaires pour la protection juridique des majeurs et l’aide au poste au titre de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH).

A.   Une trÈs lÉgÈre diminution des crÉdits du programme 304 inclusion sociale et protection des personnes

1.   Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

Les crÉdits du programme 304

(en millions d’euros)

Programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes

LFI 2020

crédits de paiement

PLF 2021

crédits de paiement

Variation PLF 2021 / LFI 2020
en %

Action 11 – Prime d’activité et autres dispositifs

11 220,4

11 098,3

– 1,09

Action 13 – Ingénierie, outils de la gouvernance et expérimentations

1,7

1,7

0,00

Action 14 – Aide alimentaire

72,6

64,5

– 11,18

Action 15 – Qualification en travail social

5,3

5,7

+ 7,46

Action 16 – Protection juridique des majeurs

688,4

714,1

+ 3,72

Action 17 – Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables

206,8

246,3

+ 19,08

Action 18 – Aide à la vie familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine (AVFS)

0,5

1,7

+ 255,41

Action 19 – Stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes

215,0

252,6

+ 17,49

Total des crédits du programme 304

12 410,7

12 364,8

– 0,21

Source : projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes connaît une très légère diminution de 0,21 %. Il a pour objectif de soutenir diverses actions à fort enjeu : le financement de la prime d’activité, les dispositifs d’aide alimentaire qui s’inscrivent pour partie dans le cadre du fonds européen d’aide aux plus démunis, les actions relatives à la qualification et la professionnalisation en travail social, les dispositifs de protection juridique des majeurs ainsi que les actions de protection et d’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables. Par ailleurs, le programme porte depuis 2019 l’essentiel des moyens alloués à la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Depuis 2020, il comprend également les crédits destinés au financement de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2019-2022.

Il s’articule autour de huit actions qui permettent de financer :

 la prime d’activité et d’autres dispositifs concourant à la lutte contre la pauvreté ;

 les expérimentations œuvrant pour des pratiques innovantes ;

 la politique d’aide alimentaire. Les associations ayant reçu une subvention d’aide alimentaire de la DGCS en 2020 sont les suivantes :

Programmation des subventions au titre de l’aide alimentaire pour 2020
au 8 septembre 2020

(en euros)

Bénéficiaires

Aide alimentaire - Crédits nationaux

Épiceries sociales

Aide exceptionnelle -
crise sanitaire

Total

Croix-Rouge française

170 000

20 000

4 697 444

4 887 744

Les Restaurants du cœur

225 000

4 166 986

4 391 986

Fédération Française des Banques Alimentaires

1 000 000

4 502 000

4 488 785

9 990 785

Secours populaire français

171 600

4 200 000

4 371 600

Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES)

2 140 000

3 670 084

2 124 700

7 934 784

Fédération des Paniers de la mer

405 959

200 000

605 959

Imagine 84

72 308

140 000

61 500

273 808

Secours catholique

50 000

3 748 582

3 798 582

ReVIVRE dans le Monde

50 000

111 729

161 729

Vers un réseau d’achat en commun (VRAC)

55 000

60 000

115 000

Réseau Cocagne

180 000

226 957

406 957

UGESS

50 000

101 904

151 904

Société de Saint-Vincent-de-Paul

573 990

573 990

Entraide Protestante

252 829

252 829

Ordre de Malte

76 370

76 370

Emmaüs

318 289

318 289

Le Refuge

16 430

16 430

SOLAAL

230 000

230 000

TOTAL

4 569 867

8 332 084

25 426 795

38 328 746

Cette liste inclut les épiceries sociales mais ni les crédits du FEAD, ni les subventions attribuées au niveau local par les services déconcentrés de l’État. Il est à noter que les crédits ouverts en LFR pour faire face à la crise sanitaire représentent environ deux tiers des crédits programmés. Pour l’année 2021, la programmation des subventions n’est pas établie car elle dépendra des besoins recensés pour faire face à la crise sanitaire et sociale. Durant le confinement, dans les mesures gouvernementales, le secteur de l’aide alimentaire a pu bénéficier d’un soutien fort à hauteur de 94 millions d’euros.

Source : réponse au questionnaire budgétaire portant sur le projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

 les actions relatives à la qualification en travail social ;

 la protection juridique des majeurs ;

 la protection et l’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables. À cet égard, les conseils départementaux déclarent le nombre de jeunes reconnus comme mineurs non accompagnés (MNA) qu’ils prennent en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre de chaque année (donnée en stock). Ce nombre s’établit à : 20 969 au 31 décembre 2017 ; 28 411 au 31 décembre 2018 ; 31 009 au 31 décembre 2019 ([8]) ;

 l’aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) est désormais baptisée « aide à la vie familiale et sociale » des anciens migrants dans leur pays d’origine (AVFS). Les conditions d’attribution de l’aide ont été simplifiées, le nombre de bénéficiaires de l’ARFS ayant été largement en deçà de ce qui était initialement attendu. Le dispositif devrait progressivement monter en charge pour atteindre 1 500 bénéficiaires en 2024 ;

 la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté.

2.   L’action 11 « Prime d’activité et autres dispositifs » représente près de 90 % des crédits du programme

Créée en janvier 2016 en remplacement de la prime pour l’emploi et du volet « activité » du RSA, la prime d’activité est un complément de revenu mensuel versé aux travailleurs modestes dès 18 ans, sous conditions de ressources. Par dérogation, elle est également ouverte aux élèves, étudiants et apprentis qui perçoivent des revenus supérieurs à 0,78 SMIC.

En décembre 2019, les caisses d’allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (MSA) ont versé la prime d’activité à 4,5 millions de foyers résidant en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Parmi eux, 211 000 (soit 4,7 %) perçoivent une majoration de leur allocation liée à leur situation d’isolement avec enfant(s) à charge ou à naître et près de 770 000 (soit 17,1 %) ont entre 18 et 25 ans.

Les effectifs ont augmenté de plus de 47 % entre décembre 2018 et décembre 2019 sous l’effet de la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité ([9]). Couplée à la hausse du SMIC, cette revalorisation a augmenté de 100 euros le revenu disponible des travailleurs rémunérés au SMIC, conformément à l’engagement pris par le Président de la République dans le cadre de l’annonce des mesures d’urgence économiques et sociales.

Cette mesure avait été précédée par une revalorisation de 20 euros du montant forfaitaire de la prime d’activité en octobre 2018 ([10]). Le montant forfaitaire de la prime d’activité est fixé, depuis le 1er avril 2020, à 553,16 euros pour un foyer composé d’une personne seule sans enfant.

3.   La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté a été présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018 et mise en œuvre depuis 2019. Le programme 304 porte l’essentiel des crédits destinés à en traduire les engagements : 252,6 millions d’euros lui seront consacrés en 2021. S’ajoutent depuis également, les mesures annoncées par le Premier Ministre le 24 octobre 2020 de 1,8 milliard d’euros qui seront mobilisés en plus des 8 Mds d’euros de la stratégie pauvreté, des 1,5 milliard d’euros des mesures prises depuis le début de la crise sanitaire et des 6 milliards d’euros consacrés à la lutte contre la pauvreté du plan de relance.

Les crédits sont majoritairement fléchés vers la contractualisation avec les collectivités territoriales cheffes de file en matière d’action sociale, principalement les départements. Depuis 2020, la contractualisation s’est élargie aux métropoles et régions volontaires. En 2021, une enveloppe de 200 000 euros, en hausse par rapport à 2020, sera notamment consacrée à sa troisième année de déploiement. Les actions inscrites dans les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi portent notamment sur :

– la lutte contre les sorties sèches d’aide sociale à l’enfance (ASE) ;

– le renforcement de l’insertion et orientation socioprofessionnelle des bénéficiaires du RSA ;

– le financement de formations auprès des travailleurs sociaux travaillant en conseils départementaux ;

– la généralisation des démarches des premiers accueils sociaux inconditionnels et des référents de parcours ;

– la mise en place d’actions de maraudes mixtes État/conseil départemental ;

– un renfort de la prévention spécialisée à destination des jeunes vulnérables, y compris des actions spécifiques dans les quartiers de reconquête républicaine.

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté doit également s’adapter à la crise du coronavirus. À cet égard, France Stratégie a rappelé que celle-ci est articulée autour de deux axes majeurs – l’action dès le plus jeune âge pour éviter une reproduction sociale de la pauvreté, une sortie de la pauvreté par la formation et l’accompagnement vers l’emploi – et a émis un certain nombre de recommandations ([11]). France Stratégie souligne ainsi que le Premier ministre Jean Castex a indiqué en juillet 2020 dans son discours de politique générale que la stratégie serait adaptée « en fonction de la conjoncture ». Or, les plus vulnérables sont particulièrement exposés aux conséquences de la crise, et les aides gouvernementales mises en place pour limiter ses effets ne répondent pas à tous les besoins en matière de lutte contre la pauvreté qu’elle a révélés et générés. Les mesures du plan de relance doivent, quant à elles, permettre d’éviter des entrées massives dans la pauvreté, mais concernent peu les personnes qui y sont déjà. Il est donc nécessaire, selon son comité, de les compléter. Le comité de France Stratégie souhaite par conséquent exprimer des points de vigilance quant à la réponse politique à la crise du coronavirus qui serait apportée au travers d’une évolution de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

La crise du coronavirus et la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : les recommandations de France Stratégie

Recommandation 1 : La vision de long terme de la stratégie et les moyens associés n’ont pas été remis en cause avec le plan de relance. Ce cap est à maintenir. Il faut toutefois également s’assurer que le volume et les modalités notamment financières des mesures de la stratégie sont toujours en adéquation avec les besoins, et les accroître si nécessaire. La prise en compte de nouveaux besoins ne peut pas se faire à budget constant.

Recommandation 2 : Comme le panel citoyen l’a relevé, des différences territoriales importantes existent en matière de pauvreté. Il faut veiller à ce que les écarts constatés entre territoires en matière de besoins sociaux, de moyens financiers des collectivités territoriales et de différence des niveaux d’engagement dans les politiques de lutte contre la pauvreté ne créent pas des inégalités territoriales inacceptables.

Recommandation 3 : Le confinement a entraîné une baisse des démarches d’accès aux droits (accueils fonctionnant en mode dégradé, lourdeur des démarches, impossibilité de se déplacer, moindre instruction des dossiers). La crise va se traduire par de nouveaux bénéficiaires potentiels des prestations de solidarité, qui ne recourront pas forcément aux dispositifs auxquels ils ont droit et qui pourraient être difficiles à identifier par les organismes compétents. La lutte contre le non-recours est encore plus essentielle dans ce contexte. Elle doit s’appuyer sur des efforts de simplification des démarches et davantage d’automaticité dans l’accès aux droits.

Recommandation 4 : Les jeunes enfants et les enfants sont des victimes importantes de la crise, en particulier dans les milieux les plus modestes. Le confinement a renvoyé l’intégralité de leur vie en milieu familial, alors que la stratégie est orientée sur la mise en collectivité des enfants pour lutter contre les inégalités sociales. La rupture éducative importante qui a eu lieu durant plusieurs mois a produit des inégalités éducatives qu’il faudra rattraper. Le déficit de socialisation qui pèse sur leur qualité de vie et leur santé psychologique a des effets sur leur bien-être. Il faut leur consacrer des moyens suffisants et agir rapidement pour rattraper ces manques, tant pour les acquisitions scolaires que pour les activités périscolaires (jeux, sports, expressions artistiques, etc.).

Recommandation 5 : Le décrochage scolaire a augmenté avec le confinement. Une mise en œuvre immédiate de l’obligation de formation des 16-18 ans est nécessaire et son effectivité doit être suivie, en associant dès aujourd’hui tous les acteurs concernés.

Recommandation 6 : Le confinement a mis en lumière les conséquences de la fracture numérique, (zones blanches, littératie numérique, manque d’accès) et les limites du tout numérique. Il faut garantir un accès et un droit effectif de tous au numérique, et maintenir un système non numérique suffisamment solide pour garantir le droit de tous d’accéder physiquement aux services publics.

Recommandation 7 : Les mesures prises depuis le confinement ont permis de rapidement protéger ceux qui étaient déjà les mieux protégés, mais la crise a réduit les revenus et aggravé la situation des personnes peu touchées par les mesures du fait de leurs conditions d’attribution. Ces populations doivent faire l’objet d’une attention accrue. Il convient notamment de s’assurer avant toute nouvelle réforme qu’elle n’aggrave pas la situation des personnes en situation de pauvreté, déjà très fragilisées par la crise.

Recommandation 8 : Plusieurs associations ont témoigné de difficultés financières à la suite du confinement pour faire face à la hausse du nombre de personnes les sollicitant. Il conviendra de s’assurer de la bonne répartition et de l’adéquation de la somme qui leur est dédiée dans le plan de relance. Il faudra également, comme l’a précisé le 5e collège du CNLE, les soutenir dans leurs actions.

 

Source : France Stratégie, note d’étape du 1er octobre 2020, « La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus : recommandations du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ».

4.   La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance

Les travaux menés dans le cadre de la concertation lancée par M. Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance, ont abouti fin 2019 à la mise en œuvre d’une stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2019-2022, dont les priorités sont les suivantes :

– agir le plus précocement possible pour éviter que des enfants se retrouvent en danger et que leurs parents soient en difficulté ;

– sécuriser les parcours des enfants protégés et prévenir les ruptures ;

– donner aux enfants les moyens d’agir et garantir leurs droits ;

– préparer leur avenir et sécuriser leur vie d’adulte.

Afin d’accroître l’efficacité des politiques menées, ces priorités se déclinent en actions opérationnelles à travers une contractualisation entre l’État et les départements sur la base d’objectifs communs et d’engagements réciproques :

– renforcer les moyens, les ressources et la pluridisciplinarité des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ainsi que systématiser des protocoles ;

– systématiser un volet « maîtrise des risques » dans les schémas départementaux de protection de l’enfance, incluant un plan de contrôle des établissements et services ;

– systématiser la participation des enfants et des jeunes aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) ;

– renforcer les ODPE.

La contractualisation concerne trente départements dès 2020, pour une enveloppe de 50 millions d’euros. Elle sera étendue à de nouveaux départements en 2021, grâce à une enveloppe de crédits portée à 115 millions d’euros, l’objectif étant de couvrir l’ensemble du territoire en 2022. Elle reposera sur quatre engagements assortis d’objectifs précis et d’indicateurs de résultats :

– agir le plus précocement possible pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles, en répondant de manière réactive aux besoins de relayage des parents ;

– sécuriser les parcours des enfants protégés et prévenir les ruptures, en favorisant l’innovation et la diversification des interventions auprès de l’enfant protégé ;

– donner aux enfants les moyens d’agir et garantir leurs droits, en renforçant la participation des enfants aux décisions qui les concernent et en fluidifiant notamment l’accompagnement scolaire des enfants protégés ;

– préparer l’avenir en amont des 18 ans, pour faciliter l’accès au logement et aux droits des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance.

La majorité de ces actions repose sur la mise en place de contrats tripartites préfet/ARS/département, qui ont vocation à être déployés progressivement pour couvrir l’ensemble du territoire d’ici 2022. Cette contractualisation sera complétée par une refonte de la gouvernance nationale de la protection de l’enfance, pour mieux structurer le pilotage de la politique publique.

En 2021, des crédits supplémentaires seront par ailleurs mobilisés pour soutenir les futurs et jeunes parents lors des 1 000 premiers jours de vie de l’enfant ‑ essentiels à son développement ‑ selon les préconisations du rapport rendu en septembre 2020 par la commission d’experts présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.

Pris en charge par l’action 17, le plan 1 000 jours a ainsi pour objectif de proposer aux parents une solution intégrant tous les services et ressources dont ils ont besoin pour les accompagner les premières années de leur enfant. Afin de leur apporter une information de référence, accessible au plus grand nombre, adaptée à leur situation et au territoire dans lequel ils vivent, une application mobile des 1 000 jours, sera créée. Cette application personnalisable utilisera la géolocalisation et permettra également d’accomplir des démarches administratives.

En corollaire, une plateforme numérique liée à l’application mobile permettra l’accompagnement des professionnels de la petite enfance dans la construction de leur projet éducatif, avec la possibilité d’échanger, via la plateforme, avec d’autres professionnels mais également avec les parents. Des services (professionnels, initiatives locales) seront également recensés, labellisés 1 000 jours et proposés aux parents. Le développement de ces solutions numériques mobilisera 2,5 millions d’euros en 2021.

Par ailleurs, des unités d’accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED) ont été créées ces dernières années sur le territoire grâce à des partenariats locaux. Ils visent l’accueil par des professionnels de l’enfant victime de violence dans un lieu adapté et sécurisant, pour favoriser le recueil de sa parole et assurer une prise en charge globale (judiciaire et médico-psychologique).

Enfin, d’autres crédits seront destinés à la concrétisation de la mobilisation interministérielle nationale dans la lutte contre l’ensemble des formes de violences faites aux enfants (violences intrafamiliales, expositions aux violences numériques, etc.).

B.   Une stabilisation des crÉdits du programme 157 Handicap et dÉpendance

1.   Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

Les crÉdits du programme 157

(en millions d’euros)

Programme 157 Handicap et dépendance

LFI 2020

crédits de paiement

PLF 2021

crédits de paiement

Variation PLF 2021 / LFI 2020
en %

Action 12 – Allocations et aides en faveur des personnes handicapées

12 508,2

12 497,1

– 0,09

Action 13 – Pilotage du programme et animation des politiques inclusives

28,6

36,5

+ 27,43

Total des crédits du programme 157

12 536,8

12 533,6

– 0,03

Source : projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le programme 157 Handicap et dépendance vise à permettre aux personnes handicapées et aux personnes âgées en perte d’autonomie de choisir librement leur mode de vie en leur facilitant l’accès au droit commun et en leur offrant des dispositifs adaptés à leurs besoins évalués de façon individualisée. Le programme finance essentiellement une ressource d’existence (l’allocation aux adultes handicapés) ainsi que les mécanismes d’accompagnement vers l’activité professionnelle (aide au poste versée aux établissements et services d’aide par le travail, emploi accompagné) et les actions mises en œuvre pour renforcer les dispositifs de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

2.   Le soutien à l’autonomie des personnes en situation de handicap

Le soutien à l’autonomie des personnes en situation de handicap et des personnes âgées est un des leviers nécessaires à l’inclusion de la société, permettant à tous de vivre une vie « comme les autres, au milieu des autres » selon les mots du Président de la République : 1,7 million de personnes sont concernées.

En 2021, les politiques visant à l’autonomie des personnes en situation de handicap mettront l’accent sur l’accès et le retour durable dans l’emploi. Cette stratégie s’inscrit en particulier dans un contexte post-crise sanitaire afin d’accompagner les personnes en situation de handicap particulièrement touchées par l’épidémie.

Les crédits dédiés à l’emploi accompagné s’élèveront à 15 millions d’euros en 2021, en progression de 50 %. Une enveloppe de 100 millions d’euros destinée à apporter une aide à l’embauche des travailleurs en situation de handicap est par ailleurs inscrite dans le plan de relance, dont 15 millions d’euros supplémentaires pour le dispositif d’emploi accompagné. Les jeunes en situation de handicap bénéficieront pour leur part de l’investissement massif de 6,5 milliards d’euros du plan « 1 jeune, 1 solution », pour un objectif d’embauche de 8 000 jeunes en situation de handicap.

Cette politique en faveur des travailleurs en situation de handicap est particulièrement opportune. En effet, comme le souligne la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail ([12]), les personnes handicapées ont nettement plus de difficultés à trouver un emploi. Entre 2016 et 2018, 36 % des personnes de 15 à 64 ans ayant un handicap reconnu en France (hors Mayotte) avaient un emploi, contre 65 % pour le reste de la population de la même tranche d’âge. Les personnes handicapées ont en outre plus de difficultés à obtenir des postes qualifiés. Elles occupent plus souvent des postes d’ouvriers ou d’employés que les personnes sans handicap et sont nettement moins fréquemment cadres ou professions libérales. La Dares note également qu’elles ont accès à une variété plus réduite d’emplois. Selon la loi, tout employeur d’au moins vingt salariés doit avoir parmi son effectif au moins 6 % de personnes en situation de handicap. À défaut, il doit verser une contribution annuelle variant selon la taille de l’entreprise.

L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés

Depuis la loi du 10 juillet 1987, renforcée par celle du 11 février 2005, une obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) s’applique aux établissements d’au moins vingt salariés des secteurs privé et public, à hauteur de 6 % de leurs effectifs. L’emploi direct est l’une des modalités pour répondre à cette obligation ; les établissements peuvent aussi recourir à l’emploi indirect (par la sous-traitance ou l’emploi de travailleurs handicapés mis à disposition), à un accord collectif ou encore verser une contribution financière.

L’OETH est modifiée par loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui vise à encourager l’emploi des travailleurs handicapés. Le handicap peut faire l’objet d’une reconnaissance administrative validée par différents organismes et donner droit à des aides financières ou des cartes prioritaires. Certaines reconnaissances ouvrent droit à l’OETH : la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), la pension d’invalidité (PI), les reconnaissances accordées suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle ayant entraîné une incapacité permanente d’au moins 10 % (AT‑MP), les mutilés de guerre et assimilés et, depuis la loi de 2005, la carte d’invalidité (CI) dont le taux d’incapacité est au moins égal à 80 % et enfin l’allocation aux adultes handicapés (AAH). La définition d’une personne reconnue handicapée correspond dans l’enquête Emploi à une personne déclarant bénéficier d’une reconnaissance administrative d’un handicap ou d’une perte d’autonomie.

Source : « Quelles sont les spécificités des professions occupées par les personnes handicapées ? » ; N° 31 ; Dares analyses ; septembre 2020.

3.   Une politique volontariste en faveur des personnes en situation de handicap

Les crédits du programme 157 Handicap et dépendance contribuent très majoritairement au soutien du revenu des personnes handicapées par le financement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui représente 86 % des dépenses du programme.

La revalorisation de l’AAH, destinée à lutter contre la pauvreté des personnes en situation de handicap, constitue un engagement majeur du Président de la République. Porté à 860 euros par mois au 1er novembre 2018, réévalué en novembre 2019, le montant de l’AAH s’élève désormais à 902,70 euros. Cette revalorisation exceptionnelle de la prestation a fait augmenter son montant de 11 % par rapport à son niveau de 2017 et constitue un engagement sans précédent, à hauteur de 2 milliards d’euros, sur l’ensemble du quinquennat.

Plusieurs mesures de simplification de la prestation ont été introduites :

– les dispositifs de soutien complémentaire aux bénéficiaires de l’AAH (le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome) ont été simplifies, à compter du 1er décembre 2019, au profit d’un complément unique : la majoration pour la vie autonome ;

– l’AAH peut, depuis le 1er janvier 2019, être attribuée sans limitation de durée aux personnes qui présentent un taux d’incapacité permanente égal ou supérieur à 80 % et des limitations d’activité non susceptibles d’évolution favorable ;

– depuis le 1er juillet 2020, les bénéficiaires de l’AAH qui atteignent l’âge légal de départ à la retraite n’ont plus l’obligation de déposer une demande de pension de retraite auprès des organismes de retraite. En effet, la liquidation des droits est désormais automatisée sans démarche à accomplir ;

– enfin, plusieurs mesures ont été mises en œuvre pendant la période d’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19, afin de garantir le maintien et la continuité des droits aux prestations sociales, notamment s’agissant de l’AAH. D’autres dispositions ont également été prévues afin de garantir le maintien des droits à l’allocation d’éducation pour les enfants handicapés pour le bénéficiaire qui atteindrait l’âge limite pendant la période d’état d’urgence sanitaire et la simplification des procédures en cas d’atteinte de l’âge légal de départ à la retraite.

Conformément aux annonces du Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap du 11 février 2020, les critères et les conditions d’attribution de l’AAH feront l’objet de travaux afin de favoriser l’accès et le maintien en emploi, la sécurisation des parcours et la prévisibilité des ressources pour les personnes en situation de handicap.

Le programme 157 finance également une « aide au poste » versée par l’État aux établissements et services d’aide par le travail (ESAT), au titre de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH). Cette aide bénéficie à quelques 120 000 personnes employées en ESAT.

Afin de soutenir et d’accompagner les ESAT ‑ particulièrement fragilisés par l’impact économique de la crise sanitaire et ne pouvant bénéficier du dispositif du chômage partiel ‑ et les travailleurs en situation de handicap dont la santé est particulièrement vulnérable, l’État a mis en place un dispositif de compensation de salaire prenant en charge l’ensemble du coût de la rémunération garantie des travailleurs handicapés d’ESAT ainsi que les cotisations sociales obligatoires afférentes. Cette compensation s’est poursuivie jusqu’au 10 octobre 2020.

Le programme 157 porte également les financements dédiés à l’emploi accompagné, renforcés en 2021 d’une nouvelle enveloppe de 5 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2020 (15 millions d’euros). Ce renforcement s’inscrit dans la continuité des mesures déployées dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire ayant simplifie le recours à l’emploi accompagné – jusque-là réservé aux MDPH – en étendant sa prescription au service public de l’emploi.

L’emploi accompagné fait également partie des leviers identifiés dans le cadre du Plan de relance en soutien à l’emploi des personnes en situation de handicap. Une enveloppe de 15 millions d’euros de financement de l’emploi accompagnée est prévue en 2021 et 2022 en appui d’un ambitieux programme d’aide à l’embauche (85 millions d’euros).

4.   La politique de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance

La politique mise en place par l’État pour lutter contre ce phénomène entend protéger les personnes vulnérables en raison de leur âge ou de leur handicap en facilitant le signalement des faits de maltraitance et en renforçant les contrôles opérés au sein des établissements sociaux ou médico-sociaux. Elle vise également à prévenir et à repérer les risques de maltraitance en accompagnant les institutions et les professionnels dans la mise en œuvre d’une politique active de bientraitance.

Afin d’offrir un dispositif d’écoute téléphonique adapte aux victimes (personnes âgées et adultes handicapés) et aux témoins de faits de maltraitance, le programme 157 finance un numéro national unique d’accueil téléphonique et de traitement des appels : le 3977, mis en place en 2008. La gouvernance de ce dispositif a été progressivement renforcée, avec la création de la « Fédération 3977 contre la maltraitance » en février 2014.

En 2021, les actions de la Fédération au niveau central se porteront sur l’accompagnement technique relatif à l’extension de l’accessibilité du 3977 (traitement des appels en dehors des plages horaires, taux d’appels traités), l’évolution du logiciel de traitement pour améliorer l’exploitation des données statistiques, le renforcement de la communication et de l’animation du réseau territorial.

Au sein des centres de proximité du réseau 3977, il s’agira de lancer le plan d’action pluriannuel 2021-2023, destiné à renforcer la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance qui s’inscrit dans les travaux de la Commission de lutte contre la maltraitance et le projet de loi « Grand âge et autonomie ».

C.   Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes : des crÉdits en très nette augmentation

1.   Présentation des crédits alloués au programme pour 2021

Les crÉdits du programme 137

(en millions d’euros)

Programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes

LFI 2020

crédits de paiement

PLF 2021

crédits de paiement

Variation PLF 2020 / LFI 2021 en %

Action 21 – Politiques publiques - Accès au droit

22,7

32,0

+ 41,05

Action 22 – Partenariats et innovations

5,9

7,9

+ 33,90

Action 23 – Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes

1,6

1,6

0,00

Total des crédits du programme 137

30,2

41,5

+37,53

Source : projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes vise à impulser et coordonner les actions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale, à la promotion des droits et à la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes. La politique de l’égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit ainsi dans une démarche interministérielle et partenariale qui permet, par effet de levier budgétaire, de mobiliser des partenaires (européens, nationaux, territoriaux, mais aussi des entreprises et des branches professionnelles), ainsi que leurs financements sur les champs d’intervention du programme.

Le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes inscrit son action autour de trois axes d’intervention prioritaires :

– la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes ;

– l’émancipation économique des femmes ;

– l’accès aux droits et la diffusion de la culture de l’égalité.

2.   La lutte contre les violences faites aux femmes

La lutte contre les violences faites aux femmes constitue une priorité du Président de la République et de son gouvernement, s’inscrivant dans le cadre de la grande cause du quinquennat en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Cette priorité s’est notamment concrétisée au cours des trois dernières années par la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 relative à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, par les mesures adoptées lors du Grenelle contre les violences conjugales dont découlent l’adoption des lois du 29 décembre 2019 et du 31 juillet 2020 renforçant la prévention mais également la répression à l’encontre des actes de violences au sein du couple.

La crise sanitaire et le contexte très particulier du confinement, avec un risque redoublé d’exposition à des violences conjugales, ont donné lieu au lancement et à la mise en œuvre de mesures nouvelles de prévention et de lutte contre les violences : points d’accueil éphémères dans des centres commerciaux pour permettre aux femmes victimes de violence de se signaler et de s’informer, numéro d’écoute d’auteurs de violence afin de prévenir le passage à l’acte ou la récidive, plateforme d’orientation vers un hébergement d’urgence afin de faciliter l’éviction des conjoints violents, en subsidiarité de l’hébergement de droit commun, financement exceptionnel de nuitées d’hôtel pour les femmes victimes de violences, moyens supplémentaires pour que les associations puissent adapter leurs modalités de travail.

Ces dispositifs ont bénéficié de 4 millions d’euros de crédits complémentaires dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 ainsi que de la levée anticipée de la réserve de précaution 2020, à hauteur de 1,2 million d’euros. En 2021, ces efforts seront amplifiés avec la mobilisation de 11,3 millions d’euros de crédits supplémentaires, qui permettront :

‑– de déployer une plateforme d’écoute téléphonique en continu pour les femmes victimes de violences, avec une meilleure accessibilité pour les femmes des territoires ultramarins et les femmes en situation de handicap, dans le cadre d’un marché public lancé fin 2020. Il s’agit également de répondre aux obligations fixées par la convention d’Istanbul, préconisant la mise en place d’une permanence nationale gratuite accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pour toutes les violences faites aux femmes ;

– d’accroitre le soutien financier aux associations informant les femmes sur leurs droits ainsi qu’aux lieux accueillant et accompagnant les femmes victimes de violences au plus près de leur domicile ;

– de pérenniser les dispositifs de prévention des actes violents dans la sphère conjugale mis en place durant la période d’urgence sanitaire et de compléter, par l’ouverture de quinze nouveaux centres, le dispositif de prise en charge des auteurs de violences conjugales, dont la mise en œuvre a débuté fin 2020.

Par ailleurs, le financement apporté aux associations chargées d’accompagner les personnes en situation de prostitution, via des actions de rencontres (maraudes), d’accueil et de prise en charge, sera pérennisé à hauteur de 2,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Seront plus particulièrement fléchées les personnes ayant obtenu l’agrément pour la mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution.

La Fédération des acteurs de la solidarité regrette pour sa part l’absence d’évolution de ces crédits, en contradiction avec le récent rapport de l’IGAS ([13]) qui fait état du sous-financement de cette politique. L’IGAS relève ainsi que si la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées « a amélioré l’accès aux droits des personnes en sortie de prostitution, celui-ci demeure perfectible, que ce soit en matière d’accès au logement (les hébergements étant souvent insuffisants pour répondre à la demande), d’obtention d’un titre de séjour, d’insertion professionnelle ou d’accès aux soins. L’amélioration de cet accès ne peut passer que par un renforcement des moyens des associations, premières actrices au contact des personnes se prostituant. En effet, leurs ressources n’ont pas été revalorisées à la hauteur du travail fourni dans la mise en œuvre des parcours ni dans la conduite des actions de réduction des risques prévues par la loi. » L’intégration d’un nouvel indicateur dans le projet annuel de performances de la mission, mesurant le nombre de personnes bénéficiaires du parcours de sortie de la prostitution, permettrait à cet égard de valoriser et d’encourager cette politique.

3.   L’émancipation économique des femmes

L’autonomie économique des femmes constitue un enjeu sociétal, social et économique. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([14]) a permis le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultats autour de cinq grands objectifs à la fois réalistes et ambitieux : la suppression des écarts de salaire entre les femmes et les hommes, à poste et âge comparables ; la même chance d’avoir une augmentation pour les femmes que pour les hommes ; la même chance d’obtenir une promotion pour les femmes que pour les hommes ; l’augmentation de toutes les salariées à leur retour de congé maternité, dès lors que des augmentations ont été données en leur absence ; la parité parmi les femmes et les hommes parmi les dix plus hautes rémunérations.

La crise sanitaire a mis en lumière la répartition sexuée des métiers ainsi que la part importante des femmes dans des métiers insuffisamment valorisés socialement et financièrement. En 2021, le volet « mixité » des métiers sera renforcé et l’entreprenariat des femmes sera soutenu, notamment avec la consolidation voire le développement d’aides au financement ciblées pour les femmes entrepreneures et de dispositifs d’accompagnement ou de mentorat adaptés aux besoins spécifiques des femmes créatrices d’entreprise (une expérimentation avec BPI France étant en cours).

L’accès au marché du travail des femmes éloignées de l’emploi constitue également un enjeu majeur. Ainsi en 2021, un effort particulier sera fait en direction des familles monoparentales et des femmes éloignées de l’emploi afin qu’elles puissent plus rapidement retrouver le chemin de l’insertion professionnelle : réforme du versement des pensions alimentaires, développement des crèches à vocation sociale, mobilisation accrue des bureaux d’accompagnement et d’insertion vers l’emploi (BAIE) au sein de certains centres d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF), qui bénéficieront de crédits supplémentaires dans cet objectif.

4.   L’accès aux droits et la diffusion de la culture de l’égalité

En 2021, un soutien budgétaire accru sera apporté aux réseaux associatifs des CIDFF et des espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS, ex‑EICCF) ainsi qu’aux associations nationales ou de proximité intervenant en faveur de la promotion de la culture de l’égalité. La diffusion de la culture de l’égalité doit s’opérer dès le plus jeune âge ; la mise en œuvre de la convention interministérielle entre tous les ministères ayant la responsabilité de politiques éducatives sera déclinée dans les territoires afin de mieux répondre aux besoins sociétaux tant en matière de mixité des métiers, de respect mutuel, d’éducation à la sexualité que de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et les cyberviolences. La diffusion de la culture de l’égalité s’inscrit également dans le cadre de l’expérimentation du service national universel (SNU) avec l’introduction de la thématique de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le module « Citoyenneté et institution ».

Dans le champ des médias, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a lancé, le 6 mars 2018, en lien avec l’Union des annonceurs, les agences de publicité et l’autorité de régulation professionnelle de la publicité, une charte d’engagements pour la lutte contre les stéréotypes sexistes, sexuels et sexués dans la publicité. De même, le 13 mars 2019, a été signée avec dix-huit grands médias la charte « Pour les femmes dans les médias », portée par l’association éponyme, pour lutter contre le harcèlement et les agissements sexistes dans les médias. Suite au rapport remis le 9 septembre 2020 par Mme Calvez ([15]), le ministère en charge de l’égalité lancera, en lien avec le ministère de la culture, des travaux d’expertise technique et pratique avec les différentes parties prenantes, dont le CSA. De même, le ministère en charge de l’égalité intensifiera son action, en partenariat avec le ministère en charge des sports sur la place des femmes dans le sport, le développement des pratiques sportives et de la mixité. Ainsi, le programme national « Héritage 2024 » mis en place à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 sera particulièrement mobilisé afin que l’égalité entre les femmes et les hommes soit un objectif opérationnel lors de cet événement de rayonnement mondial.

Les thématiques relatives aux enjeux de l’égalité femmes-hommes sont désormais pleinement inscrites parmi les objectifs de l’État et des collectivités territoriales, tant pour l’outre-mer (dans les contrats de convergence et de transformation pour l’outre-mer) que dans les mandats contractuels en cours de négociation entre l’État et les régions (dans le cadre des contrats de plan État-région 2021-2027). Quatre priorités ont ainsi été retenues : observer son territoire et évaluer les politiques publiques à l’aune de l’égalité entre les femmes et les hommes, lever les freins à la place des femmes dans la sphère économique et l’emploi, faire des grands projets structurants des leviers de l’égalité entre les femmes et les hommes, lutter contre les violences faites aux femmes et prévenir les passages à l’acte violents par une meilleure prise en charge des auteurs de ces violences (centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violences).

En 2021 devraient également commencer les travaux de préparation de la présidence française de l’Union européenne prévue en 2022, dont les pourraient être organisées autour des thèmes suivants : « mainstreaming 2.0 » : mieux intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans les processus centraux de l’Union européenne ; lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; autonomisation économique des femmes ; santé des femmes, droits sexuels et reproductifs.

D.   un changement de pÉrimÈtre du programme 124 conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales

Les crÉdits du programme 124

(en millions d’euros)

Programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales

LFI 2020

crédits de paiement

PLF 2021

crédits de paiement

Variation
PLF 2021 / LFI 220
en %

Action 10 – Fonctionnement des services

16,1

15,0

– 6,56

Action 11 – Systèmes d’information

48,5

58,5

+ 20,62

Action 12 – Affaires immobilières

56,7

55,2

– 2,65

Action 14 – Communication

5,5

7,6

+ 38,18

Action 15 – Affaires européennes et internationales

4,7

3,9

– 16,88

Action 16 – Statistiques, études et recherche

9,3

10,6

+13,05

Action 17 – Financement des agences régionales de santé

562,1

594,2

+ 5,70

Action 18 – Personnels mettant en œuvre les politiques sociales et de la santé

231,5

240,3

+ 3,82

Action 19 – Personnels mettant en œuvre les politiques du sport, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (ancienne)

156,5

0

– 100,00

Action 20 – Personnels mettant en œuvre les politiques pour les droits des femmes

13,5

13,8

+ 2,17

Action 21 – Personnels mettant en œuvre les politiques de la ville, du logement et de l’hébergement

55,3

53,1

– 4,12

Action 22 – Personnels transversaux et de soutien

119,0

81,8

– 31,28

Action 23 – Politique des ressources humaines

25,7

25,4

– 1,39

Total des crédits du programme 124

1 304,4

1 159,2

– 11,13

Source : projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales est un programme d’appui et de soutien aux services mettant en œuvre ces politiques publiques, dans les domaines suivants : ressources humaines, fonctionnement courant, systèmes d’information, immobilier, conseil juridique, logistique, documentation, études, recherche et statistiques, communication, affaires internationales et européennes. Il porte également la subvention pour charges de service public versée aux agences régionales de santé.

La crise sanitaire a conduit à reporter à 2021 les réorganisations territoriales qui devaient initialement intervenir en 2020 :

– le rattachement au ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports des missions relatives au sport, à la jeunesse, à l’éducation populaire, et à la vie associative ; les emplois, la masse salariale et les moyens de fonctionnement correspondants sont dès lors transférés au programme 214 Soutien de la politique de l’éducation nationale ;

– à compter du 1er avril 2020, les missions relatives à la cohésion sociale jusqu’ici exercées dans les D(R)(D)JSCS ([16]) seront confiées à de nouvelles directions régionales qui engloberont aussi l’ensemble des missions jusqu’ici réalisées par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), dont les moyens relèvent du ministère du travail. L’objectif est de créer un nouveau réseau territorial, au plus près des citoyens, capitalisant les compétences d’insertion sociale et d’insertion professionnelle pour donner corps au service public de l’insertion (SPI) ;

L’ensemble de ces transferts conduira au départ de plus de 30 % des effectifs rémunérés en 2020 sur le programme 124. Tous les territoires de métropole et d’outre-mer sont concernés par ces transferts, qui totalisent un montant de 179 millions d’euros en crédits de personnels (soit 173,6 millions d’euros vers le ministère de l’éducation nationale et 5,4 millions d’euros vers le ministère de l’intérieur). Le programme 124 se recentrera donc sur les missions sanitaires et sociales, ce que traduit son nouvel intitulé.

Les conséquences organisationnelles de ces deux mouvements se traduisent par la disparition du réseau déconcentré des DRJSCS et à la création, courant 2021, des directions régionales en charge de l’économie, du travail, de l’emploi et des solidarités (DRETS), fusionnant le volet cohésion sociale des ex‑D(R)JSCS avec les missions exercées dans le champ travail et emploi dans les DIRECCTE.


II.    La mise en place d’un revenu universel : une rÉponse à la situation de crise actuelle

A.   un nombre croissant de personnes en situation de grande vulnérabilitÉ

1.   Un état des lieux particulièrement alarmant

La présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) a rappelé quelques chiffres-clés concernant les personnes en situation précaire :

– fin 2019, 4,5 millions de personnes – soit 10 % de la population – étaient allocataires de l’un des dix minima sociaux (y compris les conjoints et les enfants). Le nombre d’allocataires a augmenté de 0,6 % entre 2017 et 2018 ;

– les personnes pauvres ont, au sens statistique, un niveau de vie inférieur à 1 041 euros par mois ;

– les prestations sociales représentent 41 % du revenu disponible des ménages pauvres (les allocations logement 14 %, les minima sociaux 13 %, les prestations familiales 11 %). Elles augmentent de 346 euros par mois en moyenne le niveau de vie des personnes pauvres ;

– après redistribution, 14 % de la population est en situation de pauvreté. Sans redistribution, ce chiffre serait de 22 % ;

– en 2018, le niveau de vie des ménages aux bas revenus s’est replié, en raison d’une baisse des allocations logement induite par la réforme de la réduction du loyer de solidarité (le niveau de vie des ménages les plus aisés augmentant pour sa part nettement du fait des revenus du patrimoine) ;

– une personne bénéficiaire du RSA sur cinq est dans le dispositif depuis dix ans (tandis que deux sur cinq sont entrées, sorties, revenues dans le dispositif) ; 61 % des bénéficiaires de minima sociaux sont pauvres en termes de conditions de vie.

Le projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021 précise pour sa part que d’après les évaluations de l’INSEE ([17]), en 2018, 9,3 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, qui s’élève à 1 041 euros par mois pour une personne seule. La pauvreté toucherait ainsi 14,7 % de la population française, proportion stable de 2014 à 2017, mais en hausse de 0,6 point entre 2017 et 2018.

Le niveau de pauvreté est très lié au statut d’activité. En 2017, 37,6 % des chômeurs vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, contre 8,2 % des salariés. S’agissant des actifs, occupés ou au chômage, le taux de pauvreté varie fortement selon la catégorie socioprofessionnelle. En 2017, les retraites enregistraient le taux de pauvreté le plus bas (7,6 %). S’agissant des autres inactifs (comprenant les étudiants), le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé : 31,3 %. Les familles monoparentales sont particulièrement touchées par la pauvreté. En 2017, 33,6 % des personnes vivant dans une famille monoparentale étaient pauvres, soit une proportion 2,4 fois plus élevée que dans l’ensemble de la population.

La pauvreté en France

D’après l’INSEE, en 2017, 8,9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire. Ce seuil est fixé par convention en Europe à 60 % du niveau de vie médian de la population de chaque pays, et s’élève en 2017 pour la France à 1 041 euros par mois. Le revenu mensuel pour atteindre ce niveau de vie dépend de la configuration familiale : il est de 1 561 euros pour un couple sans enfants et de 2 186 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. Parmi les 8,9 millions de personnes pauvres, un peu plus de 5 millions ont un niveau de vie inférieur à 50 % du niveau de vie médian de la population, soit 867 euros par mois.

Le taux de pauvreté monétaire, c’est-à-dire la part de personnes pauvres dans la population, est de 14,1 %, un chiffre quasi stable par rapport à 2016. Au cours des vingt dernières années, le taux de pauvreté a atteint son minimum en 2004, à 12,7 %. Il est ensuite remonté entre 2005 et 2007, puis plus fortement après la crise économique de 2008. En 2017, il est à un niveau supérieur de près de 1 point à celui de 2008 (13,2 %). Le niveau de vie médian des personnes pauvres est de 837 euros par mois. L’intensité de la pauvreté, qui mesure l’écart au seuil de pauvreté est donc de 19,6 %. Elle a peu varié depuis 2008, oscillant dans une fourchette comprise entre 19,5 % et 20,1 %, à l’exception d’un point haut en 2012 (21,4 %). La pauvreté en conditions de vie touche 11,0 % des ménages en 2017.

L’indicateur de pauvreté en conditions de vie des ménages ([18]) mesure la part de la population incapable de couvrir les dépenses liées à certains éléments de la vie courante considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie « acceptable ». Pour être considéré pauvre en conditions de vie, un ménage doit déclarer rencontrer au moins huit difficultés parmi une liste de vingt-sept ayant trait à une insuffisance de ressources, des retards de paiement, des restrictions de consommation ou des difficultés de logement. Cette approche de la pauvreté par les difficultés matérielles complète l’approche monétaire de la pauvreté. En 2017, 11,0 % des ménages sont pauvres en conditions de vie. Tout comme pour la pauvreté monétaire, la pauvreté en condition de vie touche plus fréquemment les ménages dont la personne de référence est au chômage ou est ouvrier ou employé, ainsi que les familles monoparentales et les couples avec trois enfants ou plus.

En revanche, les ménages pauvres au sens monétaire ne sont pas tous pauvres en conditions de vie, et vice versa : 4,7 % seulement des ménages sont à la fois pauvres au sens monétaire et au sens des conditions de vie, et 19,2 % des ménages sont touchés par l’une ou l’autre des formes de pauvreté. Certains ménages aux ressources monétaires très limitées ressentent relativement moins de difficultés matérielles, bénéficiant d’une épargne ou de peu de charges de logement. Cela peut être le cas d’agriculteurs, par ailleurs bénéficiant d’une production domestique. À l’inverse, certains ménages aux ressources conséquentes peuvent être pauvres en conditions de vie, comme certains accédants à la propriété ayant saturé leurs conditions d’emprunt. Globalement pourtant, la pauvreté en conditions de vie est très liée au revenu : près de 80 % des ménages pauvres en condition de vie ont un niveau de vie les situant dans les quatre dixièmes de ménages aux revenus les plus modestes.

Source : Note d’étape du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ; mars 2020 ; France Stratégie.

À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rappelé sa définition de la grande pauvreté et des populations concernées. La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut-être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible.

Le CESE rappelle également l’évolution historique des minima sociaux ([19]). Le revenu minimum d’insertion (RMI) a été créé par la loi du 1er décembre 1988. Le RMI visait à garantir un revenu minimum à toute personne résidant légalement sur le territoire et âgée d’au moins 25 ans ou assumant la charge d’au moins un enfant né ou à naître. Les personnes devaient s’engager à suivre des actions visant à favoriser leur insertion. La collectivité (État, collectivités territoriales, opérateurs de l’emploi, etc.) s’engageait à les accompagner dans cette entreprise. La loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a étendu le dispositif d’intéressement à la reprise d’activité prévu pour le RMI, permettant aux allocataires d’autres minima sociaux de cumuler temporairement allocation et revenu professionnel concernant des personnes d’âge actif.

Des difficultés particulières d’insertion des seniors se font jour au début des années 2000 ; aussi note-t-on la création d’un minimum social spécifique aux départements d’outre-mer et la création de l’allocation équivalent retraite (AER). La loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de RMI et créant un revenu minimum d’activité (RMA) a visé à améliorer le volet insertion du dispositif en misant sur l’accroissement des responsabilités des conseils généraux, le renforcement de l’accompagnement des bénéficiaires du RMI dans leur parcours d’insertion et la création d’un contrat aidé spécifique : le contrat insertion-revenu minimum d’activité (CIRA).

La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a simplifié le champ des contrats aidés en créant quatre contrats dont deux ciblés sur les allocataires du RMI, de l’allocation parent isolé (API), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l’AAH : le contrat d’avenir dans le secteur non marchand et le contrat insertion – revenu minimum d’activité dans le secteur marchand (il s’agit du CIRA « révisé » par rapport à la loi du 18 décembre 2003, c’est-à-dire recentré sur le secteur marchand et avec des droits sociaux contributifs désormais calculés sur l’intégralité du revenu d’activité).

La loi du 23 mars 2006 relative au retour à l’emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux a réformé le dispositif d’intéressement à la reprise d’activité, dans l’objectif affiché de le rendre plus lisible et plus attractif. La loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA réforme également les politiques d’insertion en faveur des foyers en situation précaire. Elle vise notamment à encourager une meilleure articulation entre les politiques d’insertion menées par les conseils généraux, responsables du RSA et les actions du service public de l’emploi. Par ailleurs, elle crée un nouveau contrat aidé : le « contrat unique d’insertion ».

Au 1er septembre 2010, un RSA jeunes a été créé pour les jeunes actifs de moins de 25 ans à la condition d’avoir travaillé au moins deux ans au cours des trois dernières années. La prime pour l’emploi (PPE), portée par la loi du 30 mai 2001 et ses réformes successives, fournit une autre illustration de cette politique visant l’accroissement des gains à la reprise d’emploi. Si la PPE en elle‑même concerne un public très large (plus de 8 millions de foyers fiscaux), les réformes du milieu des années 2000 ont consisté à accroître très sensiblement le montant de la prime pour les personnes ne travaillant qu’à temps partiel ou bien seulement une fraction de l’année. Plus ou moins explicitement, ces réformes avaient donc pour objectif d’accroître les gains à la reprise d’emploi pour les publics les plus éloignés d’une norme d’emploi stable à temps complet, notamment les bénéficiaires de minima sociaux.

L’architecture de ces minima sociaux a encore évolué depuis la mise en place du RSA. Plusieurs mesures ont été prises dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013, concernant les minima sociaux ou des dispositifs proches :

– l’instauration de la prime d’activité, effective depuis le 1er janvier 2016 et résultant de la fusion du RSA « activité » avec la prime pour l’emploi ;

– l’instauration d’une garantie jeunes pour les 18-25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation, dont la généralisation a été décidée par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

En outre, la feuille de route 2015-2017 de ce plan pluriannuel prévoit l’ouverture d’un chantier de simplification des minima sociaux, envisageant notamment une fusion du RSA et de l’ASS ([20]). C’est dans ce cadre qu’une mission de réflexion a été confiée à Christophe Sirugue, dont les préconisations de simplification font d’ores et déjà pour certaines l’objet d’une mise en œuvre, notamment :

– la mise en place de l’effet figé à trois mois pour la prime d’activité, puis le RSA, à compter du 1er janvier 2017 ;

– la prolongation de la durée maximale d’attribution de l’AAH à vingt ans ;

– la simplification des démarches de liquidation des droits à la retraite pour les bénéficiaires de l’AAH basculant sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). La création successive de dispositifs « sur mesure » visant à répondre aux difficultés spécifiques rencontrées par certaines catégories de population a conduit à un système extrêmement complexe : variabilité des montants maximaux des allocations ; appréciation différente des ressources et prise en compte variable de la composition du foyer pour le calcul du droit à l’allocation ; variabilité des droits connexes attachés aux minima sociaux. Le mode de calcul des ressources initiales des personnes, qui sert à définir le droit à l’allocation, varie également d’un minimum social à l’autre avec des différences concernant la période de référence au cours de laquelle est apprécié le montant ou la nature des ressources prises en compte (inclusion totale, partielle ou exclusion des prestations familiales, pensions alimentaires, allocations logement, revenus d’activité).

Les modalités de prise en compte de la configuration familiale dans le calcul du droit à l’allocation sont également diverses ; certaines allocations étant simplement « conjugalisées », leur montant varie alors selon la présence ou non d’un conjoint (minimum vieillesse, minimum invalidité, ASS), d’autres étant également « familialisées », leur montant tient compte en plus du nombre éventuel d’enfant(s) (RSA, API), l’AAH participant par ailleurs d’une logique mixte et l’allocation veuvage étant une allocation strictement individuelle.

2.   Le basculement d’un grand nombre de personnes dans la précarité suite à la crise du coronavirus

On compterait un million de nouveaux pauvres fin 2020 en raison de la crise due au covid-19 ([21]), qu’ils soient étudiants, intérimaires, chômeurs, mais aussi autoentrepreneurs et artisans. Selon les associations caritatives, la crise sanitaire a en effet fait basculer dans la pauvreté un million de Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté monétaire – à 1 063 euros par mois et par unité de consommation, soit 14,8 % des ménages en 2018, selon l’Insee. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a pour sa part augmenté d’environ 30 %. On compte 20 % de demandeurs du RSA en plus en moyenne sur l’ensemble du pays et 10 % de dépenses de RSA supplémentaires.

Toutes les associations qui œuvrent contre la précarité ont confirmé avoir vu un grand nombre de personnes basculer dans la précarité suite à la crise du coronavirus. Les représentants des Restaurants du cœur ont indiqué avoir accueilli de nouvelles personnes bénéficiaires qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir, des étudiants, des familles. Forts de l’expérience de la précédente crise, ils n’ont pas la certitude d’être en capacité de satisfaire cette hausse de fréquentation sur les plans financier et humain. La crise de 2008-2009 s’était en effet traduite par une hausse de 15 % des bénéficiaires en 2008, et de 25 % sur les trois années allant de 2008 à 2010, sans qu’une quelconque diminution n’intervienne par la suite. La présidente du Secours catholique a précisé qu’un million de personnes supplémentaires avaient basculé sous le seuil de pauvreté, entre 2008 et 2010. Les représentants de l’Assemblée des départements de France ont signalé une hausse de 9 % des bénéficiaires du RSA entre août 2019 et août 2020, avec des variantes selon les départements, correspondant à 50 % d’offres d’emploi en moins pour les territoires (60 % à 70 % pour les territoires les plus touchés).

Selon un récent rapport de la Banque mondiale ([22]), « de nombreux pays connaissent une chute des revenus du travail d’une magnitude jusqu’ici rarement observée ». Pour la première fois depuis près d’un quart de siècle, l’extrême pauvreté va augmenter dans le monde. La crise liée au covid-19 va faire basculer, d’ici à la fin de 2021, jusqu’à 150 millions de personnes sous le seuil d’extrême pauvreté, fixé à 1,90 dollar (1,61 euro) par jour. Celle-ci devrait toucher entre 9,1 % et 9,4 % de la population mondiale en 2020. La pauvreté ne se résume pas au seul revenu. Elle se mesure également à la privation d’école, de services de soins, de nourriture ou d’accès à internet. La crise sanitaire frappe les plus fragiles dans tous les aspects de la vie quotidienne, les enfermant plus que jamais dans le piège de l’impécuniosité. « Les plus vulnérables dépendent de l’accès aux services publics. Or, ces services publics se sont retrouvés saturés ou hors d’état de fonctionner avec la pandémie de Covid-19. ([23]) » Les conséquences peuvent être dramatiques sur le long terme.

France Stratégie ([24]) confirme que la crise du coronavirus a touché en particulier les plus démunis. La crise sanitaire et le confinement en place entre mars et mai 2020 ont entraîné des difficultés importantes et spécifiques pour les plus vulnérables, notamment en matière de subsistance (recours important aux distributions alimentaires), de santé (exposition plus forte au virus et risque plus élevé de développer une forme grave de la maladie, situations de discontinuité des soins) ou encore d’accès à l’éducation à distance (manque d’équipement, difficultés d’accompagnement par les familles, exiguïté du logement). Une surmortalité en lien avec les conditions de santé, de logement et d’emploi de la population a été observée dans les communes les plus pauvres. La crise sanitaire a ainsi servi de révélateur des manques des politiques en matière de lutte contre la pauvreté. Elle a montré combien le logement se trouve au cœur de la pauvreté, et jeté une lumière crue sur les poches de pauvreté qui existent aujourd’hui en France, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les outre-mer. Les plus démunis ont été particulièrement affectés par le confinement. Il convient d’en tenir compte dans les réponses apportées à la crise, sans quoi s’installeront des situations qui seront coûteuses humainement et financièrement sur le long terme.

France Stratégie ([25]) précise également quels sont les effets attendus de la crise sur la pauvreté. Ainsi, la crise économique et sociale découlant de l’épidémie et des mesures prises pour la combattre aura certainement un effet intense sur la pauvreté qui se manifestera à différentes échelles temporelles. Après avoir entraîné de manière immédiate des baisses de revenus et des hausses de dépenses pour une partie de la population, on peut s’attendre à ce que le reflux majeur de l’activité économique entraîne à court terme de fortes pertes d’emplois, des faillites en grand nombre ou des chutes d’activité importantes, notamment pour les travailleurs indépendants. Les revenus des personnes en emploi devraient diminuer. La dégradation économique fragilise les bénéficiaires du RSA présents sur le marché du travail ou qui étaient peu éloignés de l’emploi avant la crise. Elle va peser sur les revenus d’activité des jeunes de 18 à 24 ans en études et compliquer à l’automne l’entrée sur le marché du travail des jeunes sortis d’études.

La crise entraîne par ailleurs l’entrée dans la précarité de personnes appartenant à des catégories professionnelles qui en étaient éloignées jusqu’alors. L’exposition très forte à la crise des indépendants par exemple est inédite. Leur entrée en pauvreté pourrait être vécue très difficilement par des personnes qui ne faisaient pas partie jusqu’à présent de ce groupe. On ne sait pas aujourd’hui les effets sociaux et politiques à en attendre. On pourrait ainsi assister dans les prochains mois à une hausse importante du nombre de bénéficiaires potentiels des prestations sous conditions de ressources et des minima sociaux, en particulier du nombre d’allocataires du RSA, par suite de la baisse des ressources financières et de l’offre de travail.

La crise pourrait avoir des effets genrés auxquels il faudra porter attention, de nombreux secteurs affectés par la crise sanitaire (services, tourisme, etc.) étant très féminisés et recourant au temps partiel. Et ce d’autant plus que les femmes ont assuré une grande part de la prise en charge des enfants durant le confinement.

Une augmentation du nombre de décrocheurs parmi les enfants et les jeunes suite à la rupture éducative aura des effets durables sur leurs possibilités d’accès à l’emploi. D’une manière générale, la rupture éducative et les troubles psychologiques causés par la pandémie et par les mesures de « distanciation sociale » qu’elle entraîne auront, au-delà de leurs effets immédiats, des conséquences significatives sur le long terme.

B.   LE RSA, dans son fonctionnement actuel, ne permet pas d’apporter une rÉponse suffisante aux personnes prÉcaires

1.   Les modalités du revenu de solidarité active

Pour prétendre à une ouverture de droit au revenu de solidarité active (RSA), les demandeurs ainsi que les personnes du foyer du demandeur doivent remplir différentes conditions.

Ces conditions sont de deux ordres.

a.   Des conditions liées à la situation personnelle du demandeur et des personnes composant son foyer

Ainsi, sauf exceptions (conditions liées au RSA pour les jeunes actifs, charge d’un enfant né ou à naître), pour prétendre au RSA, le demandeur doit être âgé d’au moins 25 ans. Si le demandeur est de nationalité étrangère, n’est pas un ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne, de la Confédération suisse ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), il doit disposer d’un titre de séjour l’autorisant à travailler depuis au moins cinq années à la date de la demande de RSA. Toutefois, certaines catégories de personnes de nationalité étrangère ne sont pas soumises à cette condition : il s’agit des réfugiés, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides. Sont également exclus de cette règle, les personnes ouvrant droit à la majoration pour isolement, ainsi que les personnes titulaires d’une carte de résident ou d’un titre de séjour prévu par les traités et accords internationaux et conférant des droits équivalents.

Les conjoints, concubins ou partenaires doivent remplir les mêmes conditions de titre de séjour pour être pris en compte dans le foyer du bénéficiaire du RSA. Les enfants quant à eux doivent ouvrir droit aux prestations familiales ou répondre à des conditions spécifiques.

Si le demandeur est un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, de la Confédération suisse ou d’un État partie à l’accord sur l’EEE, il doit justifier d’un droit au séjour.

Certaines situations personnelles sont en outre incompatibles avec le bénéfice du RSA. Il en va, par exemple, ainsi des personnes en disponibilité ou en congé parental.

b.   Des conditions liées aux ressources

Le RSA, en tant que dernier filet de sécurité, est une prestation différentielle qui porte les ressources du foyer au niveau d’un revenu garanti calculé en fonction de la configuration familiale.

L’article R. 262-6 du code de l’action sociale et des familles précise, en effet, que l’intégralité des ressources, de quelque nature qu’elles soient, perçues par tous les membres composant le foyer, doit être prise en compte dans le calcul du montant de l’allocation, notamment les avantages en nature ainsi que les revenus procurés par des biens mobiliers et immobiliers et par des capitaux.

Par ailleurs, le RSA est une prestation subsidiaire aux droits sociaux et à la solidarité familiale en vertu de l’article L. 262-10 du code de l’action sociale et des familles. Le caractère subsidiaire du RSA implique que l’allocataire qui souhaite en bénéficier fasse valoir préalablement ses droits aux prestations sociales et à créances alimentaires pour l’ensemble des membres du foyer.

Aussi, sauf exceptions dûment prévues par les textes, toutes les ressources du foyer doivent être retenues pour le calcul du RSA. Par ailleurs, les revenus d’activité (salariés et non-salariés) doivent également être retenus selon les mêmes modalités. Le montant total des ressources du foyer doit donc être inférieur au montant garanti pour qu’un droit au RSA soit versé à ce même foyer.

BarÈme du RSA dans l’Hexagone et les DOM (Hors Mayotte)
Montants forfaitaires par foyer (en euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire portant sur le projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

 

BarÈme du RSA à Mayotte
montants forfaitaires par foyer

Source : réponse au questionnaire budgétaire portant sur le projet annuel de performances de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

2.   Le RSA, insuffisamment sécure

a.   Un reste à vivre insuffisant

Toutes les associations caritatives et de lutte contre la pauvreté entendues par le rapporteur ont plaidé pour une augmentation du RSA et des minima sociaux, considérant que le niveau du RSA est bien trop faible pour permettre de vivre décemment : « ce n’est pas avec 550 euros par mois qu’on peut s’en sortir ».

Fatiha, d’ATD Quart Monde, signale ainsi que « les revenus minima aujourd’hui ne permettant pas de vivre dignement, les plus pauvres ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière ». Elle précise qu’une personne seule ne touche pas 564,78 euros, mais seulement 497,01 euros (car on déduit le forfait APL de 67,77 euros), qu’un couple ne touche pas 847,17 euros mais seulement 711,62 euros (car on déduit le forfait APL de 135,55 euros) et qu’un couple avec un enfant, se voyant en théorie octroyer 1 016,60 euros, ne touche en réalité que 848,86 euros (après déduction du forfait APL de 167,74 euros), soulignant au demeurant que pour les couples avec des enfants, les allocations familiales sont en partie comptabilisées dans le RSA.

« Après avoir payé mes factures logement et charges liées, il me reste 47 euros pour toutes les dépenses le reste du mois » ajoute-t-elle. « On ne peut que payer les factures principales, jamais se faire plaisir. Je veux exprimer mon ras le bol de : devoir vivre et dépendre de l’État, de vivre juste pour survivre, de devoir tout compter, de devoir juste regarder et de ne pas pouvoir acheter ni pouvoir se faire et profiter d’un petit plaisir, et toujours devoir dire non aux enfants. Ras le bol des aides du CCAS ou du colis de dépannages, de passer de services en services pour étaler et ré étaler ta vie privée. On veut pouvoir payer, faire, et acheter avec notre propre dignité tout simplement vivre sans rien devoir et demander à personne. Je ne veux plus aller mendier des bons alimentaires au CCAS, parfois je n’ai plus rien, mais je n’y vais pas : cela évite de remettre les bons alimentaires à la caissière du supermarché et qui attira l’attention et le rejet des autres personnes. Je n’en peux plus de dépendre du bon vouloir des autres. »

 

Le RSA de Fatiha (en euros)

 

Mon RSA : 709,50

 

Mes charges :

Loyer : 384,78

Chauffage : 72,68

EDF : 63,48

Eau : 55

Assurance habitation : 23,10

Téléphone/internet : 45

Mutuelle maman : 18

_________________

= 662,04

 

TOTAL : 709,50 – 662,04 = 47,46

 

Mon reste à vivre : 47,46

Fatiha prône « un système qui permette de prendre rapidement en compte des ressources qui baissent pour ajuster le revenu minimum versé, et plus lentement les ressources qui augmentent, pour éviter les ruptures. Une telle proposition repose sur un a priori de confiance des administrations. S’il y a indus, leur remboursement devrait pouvoir être fortement étalé dans le temps, selon un accord avec les personnes ».

Les représentantes d’ATD Quart Monde ont par ailleurs relevé que « le RSA est un plafond, non cumulable avec d’autres sources de revenu Il n’est donc ni lisible, ni stable. La pauvreté est faite d’insécurités, et empêche de se projeter. Les modalités de versement du RSA augmentent cette insécurité. La stabilité d’un vrai revenu minimum permettrait de sécuriser davantage la famille. Quand on vit avec des revenus très bas, quelques euros de moins peuvent faire basculer tout l’équilibre d’une famille. Aujourd’hui avec le RSA, on ne vit pas, on survit. »

La présidente de l’UNCCAS a pour sa part indiqué que, dans le cadre de leur démarche d’évaluation et d’accompagnement social, nombreux sont les CCAS à faire du calcul du reste à vivre des personnes un élément d’appréciation dans l’attribution de leurs aides facultatives.

En mai 2017, la mission régionale d’information sur l’exclusion (MRIE) Rhône Alpes et l’UDCCAS du Rhône et de la Métropole de Lyon ont publié avec le soutien des UDCCAS de l’Ardèche, l’Isère, la Loire, la Savoie et la Haute-Savoie et 111 CCAS rhônalpins, un ouvrage intitulé Reste pour vivre, reste pour survivre : quel(s) budget(s) pour les ménages en situation de pauvreté ?

Cette enquête fait état d’un reste pour vivre moyen calculé sur l’ensemble des ménages de 101 euros, une fois les charges contraintes (coût lieu de vie, charges, dettes, télécommunications, frais de santé, etc.) déduites des ressources. Ce reste pour vivre varie selon le profil des personnes : personnes âgées aux petites retraites, personnes en situation de handicap, personnes isolées en situation de pauvreté, etc. Par exemple, pour 30 % des ménages enquêtés, ce reste pour vivre moyen s’élève à 57 euros ; pour 13 % des ménages enquêtés, il est de 97 euros, s’agissant notamment des publics allocataires de l’AAH ou de pension d’invalidité.

Source : UNCCAS

b.   Une prestation aux multiples défauts

Un rapport paru récemment ([26]) met en exergue les défauts du RSA.

 Le RSA, une réalité massive

Au 31 décembre 2019, la France comptait 1,88 million de foyers allocataires du RSA. Environ 3,85 millions de personnes (soit 5,8 % de la population) en dépendent donc pour vivre. Et par définition, ce chiffre n’inclut pas les ménages (environ 30 %) qui y ont droit mais ne le demandent pas. Le risque est fort que le nombre d’allocataires s’envole dans les mois qui viennent, du fait des impacts économiques et sociaux de la crise sanitaire.

 Le RSA est également un contrat inégal

Selon que les allocataires recherchent immédiatement un emploi ou qu’ils souhaitent au préalable faire des démarches d’insertion sociale, ils doivent, pour pouvoir toucher le RSA, signer un « projet personnalisé d’accès à l’emploi » avec Pôle emploi, ou un « contrat d’engagements réciproques » avec le conseil départemental. Cependant, de leur côté, les institutions n’ont pas réellement d’obligation à respecter leur part du contrat. En revanche, si le contrat ou son renouvellement n’est pas signé dans les délais prévus, du fait de l’allocataire, ou si ce dernier ne respecte pas les « obligations contractuelles », ou encore s’il refuse un contrôle, son RSA peut être diminué de 50 %, voire de 80 %, l’ultime sanction étant la radiation.

 Le besoin de se justifier en permanence

Les allocataires vivent ainsi sous la menace d’une suspension de leur allocation qui dépend de leur capacité à expliquer quelles démarches ils ont mis en œuvre pour faire « avancer » leur situation. Les équipes pluridisciplinaires mises en place par les départements pour opérer cette évaluation sont bien souvent vécues comme une réminiscence des conseils de discipline...

 Nettoyer les fichiers

Du côté des administrations, les pratiques sont très différentes d’un département à l’autre, non sans interroger le principe d’égalité devant la loi. Certains font une interprétation jusqu’au-boutiste de la loi et, encouragés par l’objectif de 100 % de contractualisation avec les allocataires fixé par le Gouvernement, semblent prêts à éliminer les allocataires de leur listing au moindre faux pas. Il faut dire que le RSA, qui représente un sixième du budget cumulé des départements (67 milliards d’euros de budget total), est une variable‑clé de maîtrise budgétaire.

 L’insertion, une ambition mais une insuffisance moyens

La Stratégie pauvreté de 2018 voulait « mettre l’accent sur l’insertion des bénéficiaires du RSA » en demandant aux départements de signer un contrat avec 100 % des allocataires et de réduire les délais d’orientation. Mais ces objectifs louables se heurtent à un cruel manque de moyens. Un accompagnement de qualité suppose des travailleurs sociaux disponibles. Or, entre 2013 et 2018, les dépenses d’allocation du RSA ont augmenté de 25 %, tandis que les dépenses d’insertion liées au RSA diminuaient de 6 %. Et le « pacte de Cahors » de décembre 2017, par lequel l’État contraint les départements à limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an maximum, ne les encourage guère à renforcer leur budget d’insertion. Pour faire des économies, certains sous-traitent l’orientation des allocataires, au risque de diminuer la qualité de l’accompagnement.

 Des vies au bord de l’abîme

Une vision purement comptable serait de courte vue. Les procédures de contrôle et les sanctions sont elles-mêmes coûteuses, dans la mesure où les départements sont conduits à mettre en place des équipes dédiées, quand ils n’investissent pas aussi dans des logiciels de contrôle des données. Surtout, les tableaux de chiffres du ministère des finances ne rendent pas compte des vies détruites, ruinées, parce que le budget déjà serré du ménage vire au rouge vif, parce que le désespoir et la honte l’emportent. Car toute diminution de ressources, dans un budget géré à l’euro près, peut avoir des conséquences dramatiques.

Les personnes qui subissent la pauvreté parlent souvent de leur situation comme d’un équilibre précaire, une trajectoire qui ne tient qu’à un fil et où le risque de chute est toujours imminent, et donc l’angoisse du lendemain permanente, pour soi et pour ses proches. La pauvreté telle qu’elles la vivent va bien au-delà de l’insuffisance des revenus : privations matérielles, privation des droits, isolement, dégradation de la santé, peur de l’avenir, sentiment d’humiliation, de maltraitance par les institutions ou la société, non-reconnaissance des compétences, impression de devoir se battre en permanence. L’insuffisance, l’instabilité et l’imprévisibilité des revenus en sont, bien souvent, le facteur sous-jacent.

Ces situations déjà très fragiles peuvent se dégrader très vite sous le coup d’un retrait total ou partiel du RSA. En revanche, il faut beaucoup de temps pour se rétablir après une chute. Concrètement, confrontées à des sanctions financières, des personnes aux faibles revenus peuvent accumuler des retards de paiement, se retrouver avec des frais d’incidents bancaires à payer : dès lors, la spirale du surendettement n’est plus très loin ([27]). Sans ressources, les arbitrages du quotidien obligent à des renoncements importants : manger ou se chauffer, soigner ses dents ou acheter un vêtement pour l’hiver, réparer sa voiture pour chercher du travail ou encore payer son loyer ([28]). Les familles sont extrêmement fragilisées par ces privations incessantes et, souvent, la perte de confiance en soi, la culpabilité, voire la honte de ne pouvoir offrir d’autres conditions de vie à ses enfants. Quand les impayés de loyer aboutissent à l’expulsion de son logement, la chute est brutale, il devient très difficile de rétablir la situation. S’ensuit souvent la galère de la rue et des hébergements d’urgence.

Enfin, le CESE insiste sur la nécessité de lutter contre le non-recours aux droits ([29]). Le phénomène du non-recours aux droits sociaux est en effet loin d’être marginal. Le taux de non-recours est de près de 35 % pour le RSA. L’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) explique ce non-recours principalement par un manque d’information sur les droits et par la complexité des procédures, parfois jugées non acceptables car trop contraignantes et intrusives. Le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) distingue pour sa part huit raisons : la mauvaise image de la prestation, le manque d’information, l’absence de proactivité de la part des usagers, l’éligibilité inconnue, un déficit de médiation et d’accompagnement, la complexité de la prestation, la rupture du processus d’instruction et enfin, un faible intérêt pour la prestation ou sa concurrence avec d’autres. Le non-recours aux droits s’explique également par les conditionnalités souvent bien compliquées et intrusives. Quelles qu’en soient les raisons, le non-recours aux droits contribue à aggraver la pauvreté et l’exclusion.

C.   Les contours possibles d’un revenu universel

Les associations auditionnées par le rapporteur considèrent qu’un revenu minimum garanti constituerait un outil essentiel de lutte contre la pauvreté et qu’il gagnerait à remplir les conditions suivantes :

– s’adresser à tous les publics qui en ont besoin sans exclure quiconque (moins de 25 ans, retraités, demandeurs d’asile, etc.) ;

– s’établir à un montant qui se situe à un niveau suffisant ;

– la conditionnalité à l’activité doit idéalement ne pas être et en tout état de cause ne saurait constituer le seul critère d’accès à ce revenu.

1.   La nécessité d’élargir les publics bénéficiaires

Actuellement, les jeunes de 18 à 24 ans en situation de précarité ne bénéficient pas du RSA. Or, donner aux jeunes les moyens de sortir de la précarité figure parmi les priorités du Gouvernement. Celui-ci a ainsi mis en place différentes mesures pour leur venir en aide face aux conséquences de la crise sanitaire liée au covid-19. Une aide exceptionnelle de 200 euros pour les foyers comprenant des jeunes de moins de 25 ans bénéficiaires d’une aide personnelle au logement a été mise en place par le décret n° 2020-769 du 23 juin 2020. Cette aide a été versée par les caisses d’allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole en juin.

Cette aide a pu se cumuler avec d’autres aides également créées en réponse à la crise sanitaire, notamment l’aide pour les étudiants salariés bénéficiaires des APL ayant perdu leur emploi et l’aide exceptionnelle de solidarité à la condition que le jeune de moins de 25 ans, bénéficiaire des APL et ayant un ou des enfants à charge, ne soit pas bénéficiaire du RSA.

Toutefois, le Gouvernement privilégie les actions de fond en faveur de l’intégration des jeunes dans le monde du travail comme solutions à la lutte contre la précarité. La création d’une allocation spécifique qui ne serait pas arrimée à un dispositif efficace d’insertion socioprofessionnelle, comme la garantie jeunes, n’est donc actuellement pas envisagée. À cet égard, les réflexions en cours sur le futur revenu universel d’activité et le service public d’insertion intègrent la dimension des jeunes et devront aboutir à des réponses adéquates.

Le Gouvernement a pris plusieurs initiatives pour favoriser l’insertion par l’activité professionnelle des jeunes. Il a annoncé le lancement du plan jeunes le 23 juillet 2020. Celui-ci comprend diverses mesures pour faciliter l’entrée dans la vie professionnelle, orienter et former vers les secteurs et les métiers d’avenir, accompagner les jeunes éloignés de l’emploi : aides financières à l’embauche, renforcement des parcours emploi compétences et contrat initiative emploi, ouverture de places en service civique ou encore l’octroi de moyens pour le déploiement de mesures au niveau local (missions locales, Pôle emploi).

Créée par le décret n° 2020-982 du 5 août 2020, une aide financière est accordée aux entreprises embauchant un jeune âgé entre 18 et 25 ans pour un contrat d’une durée minimale de trois mois. D’un montant de 4 000 euros maximum, soit 1 000 euros par trimestre pendant un an, cette aide sera ouverte jusqu’à deux SMIC, et concernera les embauches de jeunes conclues entre août 2020 et janvier 2021.

Une prime supplémentaire de 4 000 euros sera également versée pour 1 000 jeunes recrutés en volontariat territorial en entreprise dans des TPE et PME sur des métiers centrés sur la transformation écologique des modèles économiques et sur la transmission des savoirs du numérique.

Le plan jeunes doit permettre de former 200 000 jeunes vers les secteurs et les métiers d’avenir. Avec le plan d’investissement dans les compétences (PIC), il s’agit de proposer aux jeunes sans qualification, ou en échec dans le supérieur, 100 000 formations qualifiantes ou préqualifiantes tournées vers les secteurs d’avenir : les métiers de la transition écologique, du numérique (5 000 formations certifiantes au numérique souhaitées en 2020 et 10 000 en 2021), du soin et de la santé (plus de 6 000 infirmiers et 10 000 aides-soignants formés en 2021), et les secteurs prioritaires du plan de relance, fortement impactés par la crise (tourisme, industrie, agriculture et agro-alimentaire, etc.). Ces dispositifs de formation concourront aux 300 000 parcours d’insertion sur mesure qui seront proposés.

Plusieurs dispositifs sont ainsi prévus pour accompagner au mieux les jeunes les plus éloignés du monde du travail vers l’emploi :

– 60 000 parcours emploi compétences (PEC) supplémentaires seront ouverts. Il s’agit de contrats CDI ou CDD qui permettent de développer « des compétences transférables, avec un accompagnement tout au long du parcours tant par l’employeur que par le service public de l’emploi » ;

– 10 000 contrats initiative emploi (CUI-CIE) pour les jeunes en 2020 et 50 000 en 2021. Il s’agit d’un CDD d’au moins six mois ou d’un CDI qui permet à une personne sans emploi rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle ou sociale de s’engager dans une expérience professionnelle tout en étant suivi. L’employeur perçoit en contrepartie une aide au paiement du salaire (jusqu’à 47 % du taux brut du SMIC par heure travaillée dans la limite de 35 heures par semaine) ;

– 35 000 entrées dans l’insertion par l’activité économique (IAE) en 2021, accompagnement destiné aux personnes très éloignées de l’emploi ;

– 50 000 places supplémentaires en garantie jeunes (dispositif d’accompagnement intensif en emploi, avec versement d’une allocation durant douze mois) ;

– 80 000 parcours d’accompagnement contractualisé vers l’emploi et l’autonomie (PACEA). Ils consisteront en un accompagnement contractualisé auprès des missions locales qui englobe phase de formation, expériences professionnelles, etc.

Au-delà et en sus de ces dispositifs, de nombreux organismes et associations plaident pour que les jeunes de moins de 25 ans en situation de précarité puissent bénéficier d’une aide.

Ainsi, par exemple, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) recommande que le projet de RUA intègre une allocation sous conditions de ressources pour les jeunes de 18 à 25 ans, permettant de les accompagner et de sécuriser leur parcours de vie et d’insertion ([30]).

Beaucoup d’associations souhaitent en effet rendre accessible le revenu minimum dès 18 ans, ainsi qu’aux étrangers en situation régulière ([31]). Les jeunes et les étrangers figurent parmi les populations les plus durement touchées par la grande pauvreté dans notre pays. Faute d’être éligibles au RSA, un grand nombre vivent dans des logements très précaires, chez des tiers, dans des squats ou à la rue. Or le droit à la vie dans la dignité est inconditionnel, rappelle la CNCDH : il s’applique à tous, sans condition d’âge, d’état de santé, de situation sociale, d’activité ou de nationalité. Dès lors, sauf à être rattachés au foyer fiscal de leurs parents, les jeunes devraient pouvoir accéder au revenu minimum garanti dès l’âge de 18 ans, dans les mêmes conditions que les autres adultes. De même, les étrangers devraient se voir reconnaître le droit à un revenu minimum dès l’obtention de leur premier titre de séjour.

Les jeunes doivent être une priorité dès 18 ans ([32]). Selon l’étude du Haut Conseil de la famille intitulée « Les jeunes de 18 à 24 ans », il convient de noter plusieurs caractéristiques qui émaillent la vie des jeunes :

« – l’allongement de la période d’insertion durable sur le marché du travail (l’âge médian du premier emploi stable est de 28 ans) ;

«  une forte dépendance des jeunes vis-à-vis de leurs parents ;

«  la modestie des ressources des jeunes adultes qui entrave leur souhait d’indépendance et en soumet certains à de fortes contraintes. » ([33])

Par ailleurs, selon la CNCDH ([34]), on ne peut parler d’un revenu universel s’il n’est pas accessible aux personnes étrangères. La Commission rappelle que les demandeurs d’asile sont interdits de travailler pendant les six mois suivant le dépôt de leur demande, et qu’ils doivent survivre avec une allocation d’un montant de 204 euros par mois s’ils sont hébergés et de 426 euros s’ils ne le sont pas. D’autre part, pour pouvoir bénéficier des aides sociales, et en particulier du RSA, les ressortissants étrangers hors espace économique européen doivent être titulaires, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour les autorisant à travailler.

Dans sa recommandation n° 7, la CNCDH préconise ainsi que les étrangers en situation régulière et les demandeurs d’asile présents sur le territoire national soient pleinement inclus dans le dispositif de revenu minimum, dans les mêmes conditions que les citoyens français.

Dans la mesure où le montant des minimas sociaux ne permet pas de vivre décemment, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) demande pour sa part une revalorisation et une ouverture des droits aux jeunes dès 18 ans, ainsi qu’aux étrangers justifiant présence réglementaire en France depuis deux ans (contre cinq ans actuellement).

2.   Un revenu universel sans conditions, si ce n’est le plafond de ressources

a.   Un montant suffisamment élevé

Toutes les associations considèrent que les minima sociaux doivent être portés à un niveau suffisamment élevé, qui permette de vivre décemment. Ainsi par exemple, le représentant de la Fondation Abbé Pierre, soulignant qu’il était impossible de vivre avec 500 euros par mois, a plaidé pour un montant se situant entre 900 et 1 000 euros mensuels. Le Secours catholique, mais aussi l’UNIOPSS, souhaitent quant à eux un revenu minimum garanti égal à 50 % du niveau de vie médian.

D’autres ([35]) proposent également d’établir ce revenu à 50 % du revenu médian (867 euros par mois en 2017, pour une personne seule), soit une hausse de 54 % par rapport au niveau actuel du RSA. Ce montant situerait le revenu minimum en deçà du seuil de pauvreté (60 % du revenu médian), plus loin encore du revenu minimum décent, estimé en 2015 à 1 424 euros par mois pour une personne seule, selon l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Le revenu minimum garanti représenterait ainsi 60 % de la rémunération minimale d’un emploi à temps plein (salaire + prime d’activité).

Rappelant que trop de personnes n’ont aucun revenu (certains jeunes, certains migrants, certains adultes qui ne peuvent faire les démarches pour obtenir les revenus auxquels ils ont droit), ATD Quart Monde estime pour pouvoir vivre dignement implique de ne pas percevoir moins de 800 euros mensuels.

Enfin, la présidente de l’UNCCAS a mis en exergue les budgets de référence. Paru en 2015, le rapport de l’ONPES tente de répondre à la question : « De quel budget a-t-on besoin pour mener une vie décente ? » Issus d’une recherche menée depuis trois ans par l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), les budgets de référence fournissent un nouveau repère dans le débat public sur la pauvreté. Globalement les budgets de référence pour une participation à la vie sociale se situent (pour un ménage logé dans le parc social) entre 1 424 euros pour une personne active seule et 3 284 euros pour un couple avec deux enfants. Les postes les plus importants sont dans l’ordre le logement, le transport, l’alimentation, la garde d’enfant et la cantine.

b.   L’absence de contreparties

Comme beaucoup d’autres, l’UNIOPSS combat l’idée d’un revenu universel qui se substituerait à la protection sociale : il ne saurait être conditionné.

À cet égard et considérant la réforme en cours, la CNCDH proposait une approche centrée sur la dignité et les droits inconditionnels de la personne humaine ([36]). « Le Gouvernement prépare une vaste réforme des minima sociaux, auxquels seraient associées les aides au logement. Ce chantier concerne un grand nombre de personnes. 4,25 millions sont allocataires d’un minimum social, ce qui représente – avec les conjoints et les enfants – au moins 7 millions de personnes. En y ajoutant la prime d’activité et les prestations pour le logement (6,5 millions de ménages), 15 millions de personnes sont concernées, et même près de 20 millions si on y inclut les personnes ne faisant actuellement pas valoir leurs droits. Fusionner plusieurs prestations pour créer le RUA présente cependant des risques.

« La CNCDH a donc souhaité mesurer les risques et les opportunités de cette réforme dans le cadre d’une approche par les droits. Contrairement à une opinion répandue, l’établissement de droits en matière sociale n’implique pas qu’ils doivent être conditionnés à l’exécution de « devoirs ». La mise en place du revenu de solidarité active (RSA) a été la manifestation de cette transformation de conception, en passant d’une solidarité conçue comme une construction collective inconditionnellement garantie par l’État sous forme de droits, à une interprétation contractuelle de la solidarité, selon laquelle les individus doivent mériter leurs prestations dans une logique de contrepartie et d’activation. Cette conception rendant les personnes responsables, voire coupables de leur situation, est contraire au respect des droits de l’homme. Ces droits sont inaliénables et viennent de notre commune humanité. La contribution à la société est une demande et une aspiration des personnes exclues du travail. Elles doivent être prises en compte dans les politiques publiques, par un accompagnement sans lien de conditionnalité avec les prestations.

« La CNCDH, conformément à sa constante prise de position sur le refus de la conditionnalité des droits, recommande ainsi que des devoirs ne soient pas exigibles pour bénéficier de droits reconnus par la législation française (recommandation  3).

« La reconnaissance de la dignité inhérente à la personne humaine est un principe fondateur de nombreux textes européens et internationaux auxquels la France est partie. Elle implique le droit à la vie dans la dignité, reconnu notamment par le Comité des droits de l’homme dans son observation générale n° 366. La France a par ailleurs l’obligation de prendre des mesures appropriées pour permettre la réalisation du droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille. Le préambule de la Constitution de 1946 affirmait déjà ce principe. La CNCDH considère que la mise en place d’un revenu minimum accessible à tous, sans discrimination, contribuerait à la mise en œuvre de ces obligations, ainsi qu’à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD). Elle rappelle que ces droits sont inconditionnels : ils s’appliquent à tous, sans condition d’âge, d’état de santé, de situation sociale, d’activité ou de nationalité. »

c.   L’automaticité du versement

Là encore, de nombreuses associations la revendiquent. Ainsi par exemple, la présidente du Secours catholique plaide pour un revenu qui serait versé automatiquement. En effet, 30 % des personnes susceptibles d’en bénéficier n’ont actuellement pas recours au RSA et aux allocations familiales. Il s’agirait selon elle d’un témoignage de confiance a priori, à l’instar de celui qui existe s’agissant de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). En outre, ce type d’automaticité existe déjà puisque l’automatisation du renouvellement de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) pour les allocataires du revenu de solidarité active est entrée en vigueur début avril 2019.

Le représentant de la Fondation Abbé Pierre revendique un accompagnement qui ne soit pas basé sur la peur : toutes ces contreparties sont des filtres pour les plus vulnérables, qui se retrouvent à la rue.

Le directeur général d’Emmaüs-France a pour sa part insisté sur la nécessité de ne pas demander cinquante fois les mêmes documents : il faut un accueil inconditionnel de proximité déployé de façon massive.

Les représentants du Secours populaire sont favorables à tout ce qui va dans le sens d’une simplification et qui permette de vivre dignement.

Il s’agit globalement de simplifier la vie des allocataires en automatisant et en sécurisant le versement du revenu ([37]). Pour réduire le non-recours et simplifier l’obtention du revenu minimum, il faudrait l’automatiser afin qu’il soit versé a priori à toute personne éligible et non suite à la présentation d’une multitude de justificatifs intrusifs pour la vie privée (notamment les relevés de compte bancaires). Afin de sécuriser les allocataires sur leur revenu prévisible, et dans l’esprit de la loi sur une société de confiance ([38]), il serait également souhaitable d’interdire la suspension du versement des prestations sociales du fait du réexamen du dossier.

Pour le CESE, la dématérialisation n’est pas la seule piste de simplification et une automatisation du versement de la prestation est souhaitable ([39]). « Le contenu des démarches doit être lui-même allégé, le nombre d’informations ou de documents requis, réduit dans la mesure du possible. La simplification des critères d’attribution du revenu minimum social garanti ainsi que son individualisation, peuvent y contribuer. Comme le souligne le rapport de la mission de Christophe Sirugue, il convient d’interconnecter les systèmes d’information des différents opérateurs impliqués. La dématérialisation des procédures inter-administratives doit permettre d’éviter la redondance des demandes de justificatifs ou de documents, à l’image du programme "dites-le nous une fois" mené par le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. Ces échanges de données doivent néanmoins être sécurisés et assurés dans le respect de la vie privée et des données personnelles, exigences auxquelles le CESE a rappelé son attachement dans son avis sur "les données numériques : un enjeu d’éducation et de citoyenneté" (Éric Pérès, 2015). L’interopérabilité des systèmes d’information constitue le préalable pour envisager l’automatisation du versement de la prestation. En effet pour notre assemblée, la mise en œuvre d’un revenu minimum social garanti doit être l’occasion de passer d’une logique de droit quérable à une logique de droit automatique. L’automatisation du revenu minimum social garanti serait un progrès décisif en termes d’amélioration de l’accès aux droits, de simplification et de lutte contre le non-recours. Cette automatisation pourrait être permise par le découplage entre la mise en paiement de l’allocation, déclenchée dès lors que la condition de ressource est vérifiée, et la phase d’instruction notamment pour mettre en place le volet d’accompagnement. Cette automatisation pourra se fonder sur les données de l’administration fiscale, ce qui suppose d’impliquer ses services dans le schéma de gestion de la future prestation. À l’occasion de la mise en œuvre du revenu minimum social garanti, le CESE souhaite l’application des dispositions évitant l’interruption des paiements. »

3.   Quels contours pour le revenu universel ?

a.   La complexité du système actuel

Le représentant de la Fondation Abbé Pierre a mis en exergue la multiplication des prestations en nature, complexes, coûteuses à gérer et destructrices pour l’autonomie des personnes, à l’instar de l’allocation de rentrée scolaire. Il souhaite que l’on puisse sortir de cette relation infantilisante avec les bénéficiaires des minimas sociaux.

L’auteur du rapport « Repenser les minima sociaux » ([40]) nous rappelle pour sa part que les minima sociaux sont un des piliers de notre système social. Non contributifs, ils ont pour objectif d’assurer un revenu minimal à une personne ou à sa famille. Leur développement depuis la Seconde Guerre mondiale est le signe que la France a su se doter d’un système de solidarité ambitieux. La France compte aujourd’hui dix minima sociaux dont bénéficient 4 millions d’allocataires : le RSA, l’ASPA, l’AAH, l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation veuvage (AV), le revenu de solidarité outre-mer (RSO), la prime transitoire de solidarité (PTS), l’allocation temporaire d’attente (ATA) et l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Pour préserver leur rôle indispensable, les dispositifs existants doivent toutefois faire l’objet d’une réforme en profondeur.

Particulièrement sollicités, les dix minima sociaux existants se caractérisent en effet par la complexité et la diversité des règles applicables aux allocataires. Cette complexité est double : elle concerne tant la compréhension de l’ensemble du système et l’articulation entre les différents dispositifs existants que le parcours propre de l’usager dans chacun des minima et les démarches qu’il doit entreprendre pour avoir accès à ses droits. La diversité des règles applicables se manifeste pour sa part par l’application de règles hétérogènes de prise en compte de la situation de vie des personnes dans l’attribution d’une aide : nombre d’enfants, niveau de revenus pris en compte, montants servis, etc. Les dix minima sociaux existants fonctionnent donc selon des règles bien différentes, au risque parfois de rendre le système inéquitable.

Cette situation n’est pas sans conséquence : elle alimente les phénomènes de non-recours qui privent chacun de nos concitoyens d’un accès aux prestations auxquelles il a droit, elle nuit à l’efficacité de nos politiques publiques de solidarité et elle nourrit les critiques trop souvent infondées de notre système de solidarité qui se nourrissent des rancœurs et crispations ainsi créées. Face à ce constat, il est indispensable de passer à l’étape suivante et de modifier en profondeur les règles en vigueur. Clarifier l’architecture des minima sociaux, c’est donc renforcer son acceptabilité et fonder le consentement de tous à l’effort de solidarité.

Il n’existe pas de modèle unique ni optimal de réforme de l’architecture des minima sociaux ; les trois scénarios de réforme élaborés par le rapport Sirugue ont été successivement examinés au regard de six principes : leur simplicité pour l’usager, leur effet sur la lutte contre le non-recours aux droits, les garanties qu’ils offraient sur les montants versés aux allocataires actuels, les progrès permis en matière d’égalité de traitement des bénéficiaires, leur caractère opérationnel ainsi que leur soutenabilité financière. Sur ce dernier point toutefois, souligne l’auteur du rapport ([41]), il est bien des dépenses publiques que nous devons pouvoir assumer fièrement et celles consacrées aux minima sociaux en font incontestablement partie.

Plaidant pour l’accès des 18-25 ans au RSA, il signale que le fait de priver la très grande majorité des jeunes de l’accès à notre dispositif universel de lutte contre la pauvreté ne lui paraît plus acceptable. Cette condition d’âge apparaît bien singulière au regard de la situation de nos voisins européens et, surtout, elle empêche de lutter efficacement contre la pauvreté des plus jeunes, dont la hausse depuis 2008 est malheureusement frappante.

Par ailleurs, ATD Quart Monde insiste sur la nécessité de simplifier des démarches et les dossiers. En effet, la complexité actuelle, pour obtenir ou maintenir tel ou tel minimum social, décourage certains et contribue à des taux exorbitants de non-recours. Elle oblige certains professionnels à gaspiller un temps considérable dans les démarches administratives. Elle entretient la suspicion à l’égard des bénéficiaires. Elle est, selon l’association, « un gâchis inadmissible ».

Enfin, si l’on veut poursuivre l’analyse des effets de la mise en œuvre d’une allocation universelle jusqu’au bout, il est nécessaire de préciser la manière dont celle-ci peut s’inscrire dans le système de protection sociale existant. L’UNIOPSS ([42]) souligne à cet égard que deux situations sont envisageables :

– soit il s’agit de compléter la couverture actuelle des branches de la sécurité sociale ; on parle alors d’allocation complétive ;

– soit il s’agit d’opérer un remplacement d’une partie, voire de la totalité, des prestations existantes ; on parle alors d’allocation substitutive.

S’agissant de la première hypothèse, l’allocation universelle apparaît comme une généralisation des minima sociaux unifiés. Avec un taux unique pour l’ensemble de la population, la dépense supplémentaire serait d’un peu moins de 400 milliards d’euros pour 540 euros par mois (soit le RSA actuel) et d’un peu moins de 600 milliards pour 800 euros par mois (soit l’ASPA actuelle). Dans le premier cas, 18 % du PIB, et dans le second, 28 %, seraient prélevés puis redistribués sous forme d’allocation universelle. Cependant, l’acceptatibilité collective d’une telle réforme est problématique, d’autant plus que les nombres respectifs de gagnants et de perdants varient sensiblement selon les modalités du financement.

C’est pourquoi, souligne l’UNIOPSS, la seconde hypothèse le plus souvent avancée est la substitution de l’allocation universelle à une liste variable des prestations sociales existantes : les minima sociaux, les allocations familiales mais également la couverture maladie universelle complémentaire, voire les allocations logement, la retraite et dans les positions les plus radicales, les prestations d’assurance maladie. La mise en place d’une allocation universelle implique alors un coût d’opportunité qu’il faut prendre en compte. Ainsi, pour atteindre un montant équivalant seulement au minimum vieillesse actuel, toute la protection sociale devrait être abandonnée si l’on écarte des prélèvements supplémentaires. En revanche, ceux-ci restent indispensables si l’abandon de la protection sociale n’est que partiel. « Les défenseurs du revenu universel présentent, à cet égard, une palette de suppression de prestations qui est tellement variable qu’on ne peut s’y retrouver. En revanche, l’attachement des Français à la sécurité sociale est indéniable et constant, malgré toute l’idéologie qui les invite à y renoncer depuis la crise financière. » ([43])

b.   Aller vers un revenu attaché à la personne

Selon le CESE ([44]), de nombreuses prestations et mécanismes fiscaux dépendent aujourd’hui de la composition des ménages. Par souci de cohérence avec le régime fiscal, le CESE propose d’utiliser les mêmes références quant aux revenus et à la prise en compte de la situation du ménage (par exemple les ménages pacsés ou mariés bénéficiant du quotient conjugal voire familial s’ils ont des enfants).

Afin que les politiques publiques soient neutres sur le choix de vie des personnes et ne créent pas de dépendance forcée entre les membres d’une famille, souligne encore le CESE ([45]), il convient de solidifier les droits de chaque personne pour les ruptures aux conséquences trop difficiles.

Dans le même ordre d’idées, ATD Quart Monde invite à distinguer revenus de la personne et revenus du ménage :

– en individualisant les minima sociaux. Actuellement certains minima sociaux tels que le RSA sont des revenus versés sur la base de la composition du ménage et de l’ensemble des revenus des membres du ménage ; cela renforce la suspicion et le contrôle de leurs bénéficiaires. Cela conduit dans certains cas à des décohabitations non souhaitées (couple, ou parents et grands enfants) lorsque la cohabitation a une incidence financière sur l’ensemble des revenus du ménage. Que ce soit dans le cadre d’un revenu universel ou d’une refonte des minima sociaux, l’accès à des moyens convenables d’existence doit se faire pour chaque personne ;

– en distinguant revenus du ménage et revenus de la personne s’agissant notamment du logement. Les dépenses liées au logement correspondent aux dépenses du ménage qui occupe ce logement. Il est donc logique que les aides financières permettant d’assumer le loyer et les charges du logement soient versées au ménage et non à chaque personne le composant. Cependant, on peut actuellement prélever sur le revenu individuel, presque sans limite, des dépenses ou des remboursements (trop perçus, dettes) liés au logement. La « fongibilité des indus » introduite il y a quelques années a aggravé cette situation. Le Mouvement ATD Quart Monde demande ainsi une séparation claire entre la garantie de revenu individualisé et l’imputation des dépenses liées au logement ;

– en mettant fin aux allocations différentielles, qui rendent le système illisible pour les bénéficiaires et introduit une logique qui consiste à passer du « revenu minimum » au « revenu maximum ».

Le CESE ([46]) prône pour sa part l’instauration d’un « revenu minimum social garanti (RMSG) qui se substituerait à sept des huit minima sociaux existants : revenu de solidarité active (RSA), allocation de solidarité spécifique (ASS), allocation adulte handicapé (AAH), allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), allocation supplémentaire vieillesse (ASV), allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), allocation veuvage (AV). Les prestations familiales et les allocations logement devront être maintenues hors du champ de ce futur revenu.

« Le RMSG constituera le socle de droit commun. Il sera attaché à la personne et sera accessible, sous certaines conditions, dès dix-huit ans pour les jeunes qui ne sont ni en étude, ni en emploi, ni en formation. Pour ces derniers, ce dispositif sera assorti d’un accompagnement et de la contractualisation avec un dispositif d’insertion. Pour le CESE, un principe simple pourrait être retenu pour en fixer le montant : personne en France ne devrait vivre avec moins de 50 % du revenu médian. Toute personne percevant le RMSG a droit à un accompagnement social et à un accompagnement vers et dans l’emploi avec un objectif d’autonomisation. Le CESE précise également que pour les bénéficiaires de l’ASPA et l’AAH, un complément spécifique sera nécessaire pour tenir compte de leur situation. Le RMSG doit être expérimenté de manière approfondie, en associant les personnes concernées à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation de l’expérimentation. Cette évaluation prendra en compte toutes les dimensions économiques et sociales. »

Trois scénarios de réforme ont également été présentés dans le rapport de Christophe Sirugue ([47]).

Le premier scénario proposé visait à mettre en œuvre douze mesures de simplification de l’architecture des minima sociaux, tandis que le deuxième scénario proposait de réduire par deux le nombre de dispositifs existant, en passant de dix minima sociaux à cinq à horizon 2020. Le troisième scénario, recommandé par l’auteur, était celui qui permettait la plus grande simplification du système des minima sociaux, tout en préservant la situation des bénéficiaires.

Ce troisième scénario recommande la création d’une « couverture socle commune » qui viendrait remplacer les dix minima actuels. Cette réforme permettrait de simplifier radicalement le système existant et repose sur trois principes : la nécessité de maintenir un dispositif spécifiquement consacrée à la lutte contre la pauvreté, la possibilité que cette couverture socle unique soit accessible à tout individu dès 18 ans sans tenir compte de la composition de son foyer et, enfin, un versement, à terme, automatique de l’aide attribuée. Ce dispositif commun serait complété par deux compléments distincts : un « complément d’insertion » permettant à tout actif de plus de 18 ans de bénéficier d’un accompagnement ad hoc ainsi qu’un « complément de soutien » pour préserver les ressources des personnes en situation de handicap ainsi que des personnes âgées.

Ce dernier scénario permet aussi une amélioration de l’accès des bénéficiaires aux minima sociaux, et assure une meilleure cohérence d’ensemble, garante de l’équité du système. Les coûts plus importants qu’il implique en termes budgétaire et administratif semblent ainsi pleinement justifiés, dans la mesure où ils constituent un investissement de long terme.

Traiter la question de la réforme des minima sociaux n’aurait toutefois, soulignait encore l’auteur du rapport, guère de sens si cette réflexion n’était pas complétée par des propositions relatives à l’insertion des allocataires. En effet, au‑delà de l’objectif de fournir aux personnes concernées une garantie minimale de ressources, les minima sociaux doivent également viser à ce que leurs allocataires puissent voir leur situation s’améliorer, notamment à travers ces démarches d’insertion.

Enfin, au niveau décentralisé, le département de la Meurthe-et-Moselle, avec dix-huit autres départements, avait souhaité expérimenter le revenu de base sur son territoire. Il s’agissait de proposer une réforme de la structure des prestations sociales à partir de l’expérimentation de deux modèles : soit une fusion du RSA et de la prime d’activité, soit une fusion du RSA, de la prime d’activité et des aides au logement. Trois principes ont ensuite été mis en exergue :

– l’inconditionnalité et l’automatisation du dispositif pour résorber le non‑recours, contemporanéiser les prestations et encourager la pluriactivité ;

– l’ouverture aux jeunes de moins de 25 ans ;

– la dégressivité du revenu de base en fonction des revenus d’activité.

Plusieurs objectifs se sont rapidement dégagés : réduire la pauvreté, soutenir les travailleurs à bas revenus, émanciper les jeunes, sécuriser les parcours, favoriser l’insertion sociale et professionnelle, reconnaître la pluriactivité et simplifier le système de prestations sociales.

Aujourd’hui, dans le contexte du coronavirus, le revenu de base reviendra en force dans le débat. En effet, cette crise révèle une évidence concrète que les minima des temps ordinaires restent encore insuffisants et plus que nécessaires pour rétablir une trajectoire d’insertion et de correction des incertitudes du quotidien. Les minima sociaux ne sont plus des filets de sécurité, ils ne suffisent plus : un choix politique est à porter, un choix de société !

 


CONCLUSION

En 1991, dans une évaluation des trois premières années de mise en œuvre du RMI, le Mouvement ATD Quart Monde écrivait que, « pour qu’il y ait droit :

«  il faut que l’environnement social et l’opinion en général le considèrent ainsi et considèrent comme sujets de droits ceux qui y accèdent ;

«  il faut aussi que le droit soit clair et accessible à tous ;

«  il faut qu’il y ait des lieux accessibles de recours, des personnes avec qui on puisse dialoguer, une certaine forme de réciprocité dans la relation ;

«  il faut que ce droit débouche sur les autres droits ».

Cela reste vrai et la période actuelle est propice à l’instauration de ce « droit à des moyens convenables d’existence ».

Ainsi, « soixante-quinze ans après la création de la sécurité sociale, en octobre 1945, le moment est propice. Depuis des années, en France comme ailleurs dans le monde, des mouvements citoyens, des chercheurs, des institutions (dont 19 départements, en France), cherchent à promouvoir ou expérimenter une forme de revenu minimum. La crise du Covid-19 a souligné l’importance du système de protection sociale en France, mais elle en a aussi mis à nu les failles. Un grand nombre de ménages se sont retrouvés en difficulté pour assurer les dépenses vitales. Chacun a pu prendre conscience de notre vulnérabilité, individuelle et collective. Ce qu’expriment avant tout nos concitoyens dans les enquêtes d’opinion, c’est un besoin de protection. Non pas contre un ennemi imaginaire, mais contre les aléas bien réels de la vie. Beaucoup ont pris conscience que le risque de basculer dans la pauvreté n’était pas réservé aux autres.

« La proposition d’un revenu minimum garanti s’inscrit délibérément dans les pas des fondateurs de la Sécurité sociale. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ils avaient pour projet de permettre à chacun de "se libérer de la peur de l’avenir". L’impératif demeure, et nous avons besoin d’un socle social robuste pour affronter les grandes transformations auxquelles nous appelle le défi écologique, mais les risques ont évolué. Le risque d’être durablement privé de revenus en est un qu’il nous faut aujourd’hui reconnaître, et assumer collectivement, afin que quiconque se retrouve en difficulté soit assuré d’un minimum de sécurité financière garanti par la société. » ([48])

Comme le rappelle le CESE ([49]), il n’est plus possible d’accepter une société duale où les plus pauvres seraient traités dans des dispositifs spécifiques qui ne feraient que les maintenir dans une situation de marginalité et de non‑effectivité de leurs droits. Ces droits, il faut le rappeler sans relâche, sont indivisibles. Les personnes en situation de grande pauvreté ont les mêmes droits fondamentaux que toutes et tous pour exercer leurs responsabilités de citoyens et de citoyennes, de parents, de travailleurs et de travailleuses, de patients et de patientes : mener une vie familiale digne, s’instruire, se former, se cultiver, se soigner, participer à la vie associative, partir en vacances, aller en justice, être consultés et représentés... Les formes et les visages de la précarité et de l’exclusion ont depuis beaucoup évolué, le contexte également. Les crises économiques contribuent à maintenir les personnes dans la grande pauvreté, elles aggravent la situation des personnes pauvres et risquent encore d’en accroître le nombre (jeunes, familles monoparentales, migrants). Les crises environnementales font peser sur elles de nouveaux risques.

Il s’agit aussi de repenser l’accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux et notamment le service public de l’insertion et de l’emploi, pour définir un bon accompagnement de ces publics spécifiques, pour que les bonnes solutions soient mobilisées au bon moment. À cet égard, à l’initiative de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du travail, des expérimentations sont en cours pour une « bonne gouvernance » des bénéficiaires des minimas sociaux, c’est-à-dire sur la façon d’accompagner au mieux ces publics spécifiques.

Beaucoup d’études techniques, retracées pour certaines dans le présent avis, existent sur le revenu universel. Mais il s’agit avant tout d’un choix politique. Le rapporteur, sans se focaliser sur une dénomination particulière ou des modalités techniques trop précises, a essentiellement souhaité remettre cette thématique au cœur du débat politique, pour que vivent les alinéas 10 et 11 suivants du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, laquelle fait partie de notre bloc de constitutionnalité :

« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

« Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

Quel que soit le nom qu’on lui donne, le revenu universel doit en effet avant tout être un revenu facteur d’émancipation et une garantie active de mobilités sociales !


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   Audition des ministres

Au cours de sa troisième réunion du mercredi 28 octobre 2020, la commission des affaires sociales procède, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021 (seconde partie), à l’audition de Mmes Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie, Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, sur les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances (M. Brahim Hammouche, rapporteur pour avis) ([50]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi de finances pour 2021. C’est pour notre commission un honneur de recevoir trois femmes ministres ! Cela change de certaines tribunes.

Nous examinons les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, mission qui revêt un caractère particulier cette année. Face à la crise sanitaire, mais également économique et sociale, que nous traversons, la solidarité et la protection des publics les plus vulnérables constituent des enjeux prioritaires.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. La mission Solidarité, insertion et égalité des chances contient quatre programmes relevant de plusieurs ministères. Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, présentera le programme 157 Handicap et dépendance. Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes est porté par Élisabeth Moreno. Je m’attacherai au programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes et au programme portant les crédits de fonctionnement des ministères sociaux, le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales.

Telle est la budgétisation proposée dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Elle traduit les engagements présidentiels en matière d’inclusion, de protection des personnes vulnérables et de lutte contre les inégalités, pris dans le cadre de l’acte II du quinquennat.

L’action du Gouvernement vise à apporter des réponses concrètes aux attentes de nos concitoyens. De ce point de vue, les crédits présentés en PLF 2021 s’inscrivent dans la continuité des crédits de la loi de finances initiale pour 2020, qui avaient augmenté de 10 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019 : près de 2,4 milliards d’euros de crédits supplémentaires ont ainsi conforté les politiques en faveur des travailleurs pauvres, des familles vulnérables, des personnes dépendantes ou en situation de handicap, ainsi que la lutte contre les inégalités et les violences faites aux femmes.

Les principales réformes portées et financées par le présent projet de loi visent deux priorités.

D’une part, l’amplification de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présentée par le Président de la République en 2018 : en 2021, 252,6 millions d’euros de crédits du programme 304 seront consacrés à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Des mesures importantes lancées en 2019, emblématiques et concrètes, ont été poursuivies et amplifiées en 2020 : tout d’abord, la contractualisation avec les départements, chefs de file de l’action sociale, est une méthode novatrice de l’action publique. Elle porte sur des mesures d’accompagnement, particulièrement quatre d’entre elles : l’insertion professionnelle des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), la prévention spécialisée, la prévention des sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance et les maraudes mixtes autour de l’hébergement des familles à la rue.

Cette démarche novatrice porte ses fruits. Elle permet à l’État de conforter son rôle de garant du modèle social et de déployer des politiques sociales adaptées aux contextes locaux, dans le respect de la libre administration des collectivités. Cette contractualisation engage les conseils départementaux dans leur quasi-totalité, à l’exception des Yvelines et des HautsdeSeine. La contractualisation avec les conseils régionaux et les métropoles est en cours de développement, mais reste réduite.

Les crédits consacrés par l’État à cette contractualisation poursuivent leur montée en charge en 2021 : 200 millions, après 175 millions en 2020 et 135 en 2019. La stratégie repose également sur des mesures pilotées par l’État central ou déconcentré dont le principal objectif est de réduire les inégalités dès l’enfance, en garantissant à tous un accès au droit et en prévenant les situations de privation matérielle : accès à la crèche pour les plus défavorisés, accès à un petit déjeuner à l’école, cantine à 1 euro dans les territoires ruraux les plus pauvres, lutte contre le surendettement avec la labellisation de 250 nouveaux points conseil budget. Deux ans après son lancement, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présente des réalisations concrètes dans nos territoires.

En outre, depuis le 1er janvier 2019, dans le cadre des mesures d’urgence économiques et sociales, la prime d’activité est revalorisée de 90 euros au niveau du SMIC. Cette réforme permet d’augmenter les montants moyens des primes versées, mais également d’ouvrir leur bénéfice à de nombreux foyers devenus éligibles : en un an, fin 2019, le nombre d’allocataires avait crû de 52 %, soit 1,25 million de nouveaux bénéficiaires. Cette hausse se poursuit en 2020, à hauteur de 3 %, malgré les effets de la crise sanitaire sur l’emploi. Couplée à la hausse du SMIC, elle offre un gain mensuel de pouvoir d’achat pouvant aller jusqu’à 100 euros pour un travailleur rémunéré au SMIC. Les crédits de la prime d’activité inscrits au PLF 2021 s’élèvent ainsi à plus de 11,2 milliards d’euros, en hausse de 0,7 milliard.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Le programme 157 Handicap et dépendance finance les actions engagées en faveur des personnes en situation de handicap et des personnes âgées en perte d’autonomie. En 2021, il est doté de 12,808 milliards d’euros, en progression de 2,2 %. Ce budget soutient deux principales mesures : le financement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ; l’accompagnement des travailleurs handicapés en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) et en milieu ordinaire, à travers l’emploi accompagné.

Avec plus de 11 milliards de crédits, la dépense d’AAH représente le poste le plus important du programme. Cet engagement majeur du Président de la République a été tenu. Grâce à deux revalorisations exceptionnelles en deux ans, l’AAH s’élève désormais à 900 euros par mois. Cette année encore, les crédits progressent de plus de 200 millions d’euros afin de répondre aux besoins. La revalorisation a bénéficié à plus d’un million de personnes et représente 2 milliards d’investissements sur le quinquennat.

En parallèle, le Gouvernement se mobilise au profit de l’insertion professionnelle des personnes handicapées en mettant en place deux mesures exceptionnelles, la première dans le cadre de mesures d’urgence face à la crise sanitaire, la seconde dans le cadre du plan de relance.

L’État a mis en place durant la crise un dispositif de soutien au profit des ESAT afin de garantir la rémunération de leurs près de 120 000 employés et de pallier les pertes d’activité commerciale, pour un montant total de 160 millions durant huit mois – de mars à octobre.

Dans les temps incertains qui s’annoncent, les ESAT bénéficient du plein soutien de l’État pour garantir leur pérennité et s’adapter au nouveau contexte, en se transformant structurellement. Les crédits au bénéfice des emplois accompagnés ont été multipliés par deux l’année dernière ; en 2021, ils progressent encore de 5 millions d’euros, et sont complétés de 15 millions de crédits du plan de relance. Le plan France Relance prévoit au total 100 millions d’euros pour financer une mesure d’aide au recrutement de 4 000 euros pour un travailleur handicapé, sans limite d’âge, et pour le soutien de l’emploi accompagné.

De surcroît, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) et le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) ont mobilisé presque 40 millions de crédits pour des aides complémentaires en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées recrutées ou en poste.

L’objectif du Gouvernement était de descendre sous la barre symbolique des 500 000 chômeurs : il a été franchi en janvier et février 2020 mais, du fait de la crise, n’a pu être tenu plus longtemps. Les mesures que je viens de présenter visent à revenir à la situation que nous connaissions avant la crise sanitaire et économique : c’est pour cela que nous sommes tous mobilisés.

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. J’ai une pensée pour Mme la rapporteure Stella Dupont, qui ne peut être parmi nous. J’ai l’honneur de vous présenter les crédits du programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes, rattachés à mon ministère.

En 2021, le budget du ministère va connaître une augmentation historique : le programme 137 s’élèvera à 48,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 41,5 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 40 % par rapport à 2020, 11,3 millions d’euros de budget supplémentaire.

Par cet effort important, le Gouvernement souhaite renforcer son action en faveur de la grande cause du quinquennat dans trois directions. Il s’agit d’abord de répondre aux besoins d’écoute et d’orientation des femmes victimes de violences, en développant des lieux d’information et d’accueil de proximité sur tout le territoire national, en métropole et outre‑mer.

Il s’agit ensuite de soutenir les associations qui interviennent auprès des victimes en prévention des actes de violence conjugale et des récidives. Enfin, il s’agit d’améliorer l’insertion professionnelle des femmes, notamment par la création d’entreprise et l’accompagnement par la formation.

La lutte contre les violences faites aux femmes constitue une priorité de la grande cause pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle s’est concrétisée au cours des trois dernières années par le vote de trois lois et par les mesures adoptées lors du Grenelle contre les violences conjugales.

Suite à la période de confinement, cette politique a bénéficié de crédits complémentaires votés lors de la troisième loi de finances rectificative, à hauteur de 4 millions d’euros, ainsi que de la levée anticipée de la réserve de précaution 2020, à hauteur de 1,2 million d’euros.

En 2021, le ministère en charge de l’égalité amplifiera ses efforts contre les violences faites aux femmes, avec la mobilisation de crédits supplémentaires qui permettront l’accomplissement de trois chantiers principaux. Dans le cadre d’un marché public lancé fin 2020, nous déploierons une plateforme d’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, sept jours sur sept, vingt‑quatre heures sur vingt-quatre. Elle sera plus facilement accessible aux femmes des territoires ultramarins, ainsi qu’aux femmes en situation de handicap.

Ces crédits nous permettront également d’accroître le soutien financier aux associations informant, accueillant et accompagnant les femmes victimes de violences.

Enfin, nous financerons le déploiement de nouveaux centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violences conjugales, en leur proposant un suivi médical et thérapeutique ainsi qu’un suivi social, l’objectif étant de mieux protéger les victimes et de lutter contre la récidive. Ces centres compléteront les seize qui seront mis en place d’ici à la fin de l’année.

M. Brahim Hammouche, rapporteur pour avis. En 2021, les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances s’élèveront à 26,12 milliards d’euros, avec une importante modification de périmètre du programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales, près de 30 % des effectifs rémunérés sur ce programme étant transférés.

Les deux programmes qui structurent la mission – le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes et le programme 157 Handicap et dépendance – sont stables, tandis que le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes connaît une augmentation substantielle de plus de 37 %.

Je salue cette hausse inédite du budget du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui inscrit son action autour de trois axes d’intervention prioritaires : la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes ; l’émancipation économique des femmes ; l’accès aux droits et la diffusion de la culture de l’égalité.

Il a deux ans, je m’étais intéressé à la thématique de la lutte contre la maltraitance et de la promotion de la bientraitance, déclinée dans les quatre programmes que comporte la mission, dont le programme 137, bien sûr, qui permet de lutter contre toutes les formes d’agissements et de violences sexistes et sexuelles.

Le Président de la République a déclaré que l’égalité entre les femmes et les hommes était la grande cause du quinquennat et qu’elle devait mobiliser tout le Gouvernement : le budget pour 2021 témoigne de la volonté de tenir cette promesse et de l’engagement du Gouvernement en faveur de cette stratégie forte et ambitieuse.

Je suis par ailleurs convaincu que la responsabilité de l’État dans le domaine de la solidarité, de l’insertion et de l’égalité des chances n’est pas seulement organisationnelle et budgétaire ; elle requiert avant tout de développer une véritable culture de l’attention aux autres.

À cet égard, dans la partie thématique de mon rapport, suite au basculement d’un grand nombre de personnes dans la précarité avec la crise du coronavirus, j’ai choisi de m’intéresser à la perspective de l’instauration d’un revenu universel – dont les contours restent bien sûr à définir – afin de prévenir et de lutter contre la pauvreté.

Lors de la présentation du plan pauvreté, l’annonce par le Président de la République de la création d’un revenu universel d’activité (RUA) a témoigné, s’il le fallait, de la pleine reconnaissance de cet enjeu. En septembre 2018, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : c’est dans ce cadre que le Président de la République a souhaité que soit instauré un RUA, c’est-à-dire une aide qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l’État sera entièrement responsable.

Il s’agirait de refonder l’ensemble des prestations de solidarité en France, prestations monétaires sous conditions de ressources et dégressives avec le niveau de ressources. En effet, le système actuel des prestations de solidarité, produit de l’histoire, est illisible : il génère des phénomènes de non-recours et ne remplit par conséquent pas son objectif ; il mine la confiance de la partie de la population qui n’est pas aidée ; il est objectivement très difficile, pour ne pas dire impossible à piloter.

Hélas, le processus de concertation sur le RUA s’est de fait interrompu avec la crise sanitaire.

On parle beaucoup de la crise sanitaire que constitue le covid, en oubliant parfois ses conséquences sur les plus précaires, qui auront une influence très lourde sur le taux de pauvreté, et risque d’atteindre un niveau historique. En l’absence de réformes profondes, structurelles, le risque est grand d’une hausse importante du taux de pauvreté : une fois que les gens « entrent en pauvreté », ils mettent très longtemps à en sortir, parfois plus de dix ans.

La thématique n’est pas tant technique que politique : s’il existe à peu près autant de revenus universels que de personnes auditionnées, mon objectif est avant tout de remettre ce sujet en débat et de formuler quelques propositions concrètes pour avancer. Je suis à cet égard impatient de connaître l’avis des ministres.

J’ai noté avec une grande satisfaction que le Premier ministre a décliné, samedi dernier, des mesures à l’intention des plus précaires, avec un plan de 1,8 milliard d’euros, qui s’ajoutent aux mesures prises durant la crise, soit 1,5 milliard d’euros, et à celles du plan de relance, pour 6 milliards d’euros. Il a déclaré que « l’attention aux plus démunis et aux plus vulnérables est plus que jamais au centre des priorités du Gouvernement ». Je salue ces premières annonces.

Il est vrai que les chiffres sont accablants et que les signaux d’alerte se multiplient ; toutes les associations qui œuvrent contre la précarité l’ont confirmé : 1 million de personnes supplémentaires sont en train de basculer dans la pauvreté suite à la crise sanitaire – étudiants, intérimaires, chômeurs, mais aussi autoentrepreneurs et artisans. Elles s’ajoutent aux 9,3 millions vivant déjà au‑dessous du seuil de pauvreté monétaire – 1 063 euros par mois –, soit 14,8 % des ménages en 2018 selon l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté d’environ 30 %. On constate également une augmentation de 10 % des dépenses du RSA, et une hausse de 20 % des demandeurs, non à cause des nouvelles entrées mais en raison d’un nombre moindre de sorties vers l’emploi.

Mesdames les ministres, pouvez-vous nous en dire davantage sur les mesures que le Gouvernement envisage de prendre, ainsi que la façon dont elles seront déclinées dans vos domaines de compétences respectifs ?

Trois principes me semblent devoir guider la mise en place d’un futur revenu universel : l’inconditionnalité et l’automatisation du dispositif pour résorber le non-recours, l’ouverture aux jeunes de moins de 25 ans et la dégressivité en fonction des revenus d’activité. Il s’agit aussi de réduire la pauvreté, de soutenir les travailleurs à bas revenus et de simplifier le système de prestations sociales.

Avec la crise du covid, le revenu universel – ou revenu de base, ou encore revenu minimum garanti, peu importe son nom – va revenir en force dans le débat. En effet, cette crise révèle une évidence : les minima des temps ordinaires restent insuffisants, bien que nécessaires, pour rétablir une trajectoire d’insertion et de correction des incertitudes du quotidien. Les minima sociaux ne sont plus des filets de sécurité ; ils ne suffisent plus. Un choix politique s’impose, un choix de société. Il n’est plus possible d’accepter une société duale, où les plus pauvres sont traités dans des dispositifs spécifiques qui les maintiennent dans une situation de marginalité et de non-effectivité de leurs droits.

Ces droits, il faut le rappeler sans relâche, sont indivisibles. Les personnes en situation de grande pauvreté ont les mêmes droits fondamentaux que les autres pour exercer leurs responsabilités de citoyens, de parents, de travailleurs, de patients : mener une vie familiale digne, s’instruire, se former, se cultiver, se soigner, participer à la vie associative, partir en vacances, ester en justice, être consulté, être représenté.

Les formes et les visages de la précarité et de l’exclusion ont évolué, le contexte également. Chômage, inégalités et pauvreté sont étroitement liés. Les crises économiques contribuent à maintenir les personnes dans la grande pauvreté ; elles aggravent la situation des personnes pauvres et risquent encore d’en accroître le nombre – jeunes, familles monoparentales, migrants. Les crises environnementales font peser sur elles de nouveaux risques.

Beaucoup d’études techniques, pour certaines retracées dans mon rapport, existent sur le revenu universel. Mais il s’agit avant tout d’un choix politique. Sans me focaliser sur une dénomination particulière ou des modalités techniques trop précises, j’ai souhaité remettre cette thématique au cœur du débat politique, pour que vivent les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, laquelle fait partie de notre bloc de constitutionnalité : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Quel que soit le nom qu’on lui donne, le revenu universel doit avant tout être un revenu facteur d’émancipation et une garantie active de mobilité sociale.

J’ajouterai que cette proposition s’inscrit dans les pas des fondateurs de la sécurité sociale. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ils avaient pour projet de permettre à chacun de se débarrasser des incertitudes du lendemain. L’impératif demeure, et nous avons besoin d’un socle social robuste pour affronter les grandes transformations auxquelles nous appelle le défi écologique, mais les risques ont évolué. Le risque d’être durablement privé de revenus en est un. Il nous faut le reconnaître, et l’assumer collectivement, afin que quiconque se retrouve en difficulté soit assuré d’un minimum de sécurité financière garanti par la société.

Je conclurai en faisant miens les mots de Léon Bourgeois en 1896 dans Solidarité : l’idée de solidarité et ses conséquences sociales : « Si la liberté humaine est un principe, le droit à l’existence en est un aussi, nécessairement antérieur à tout autre et l’État doit le garantir avant tout autre. »

Mme Stéphanie Atger. Je remercie mes collègues, Stella Dupont et Brahim Hammouche, pour leurs travaux. La mission que nous examinons est très large. Je concentrerai mon propos sur la lutte contre la pauvreté et sur l’égalité entre les femmes et les hommes – mais les autres programmes budgétaires sont tout aussi essentiels,

Les crédits pour 2021 sont en augmentation de 1 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Nous ne pouvons que nous réjouir de la hausse de 252 millions d’euros des crédits affectés à la stratégie de lutte contre la pauvreté. Notre groupe votera bien évidemment ces crédits en hausse substantielle, d’autant qu’une enveloppe de 49,5 millions d’euros, ouverte au titre du plan de relance, viendra s’y ajouter.

Les crédits bénéficieront aux associations qui œuvrent pour la lutte contre la pauvreté. Ils permettront également à quatre-vingt-dix-neuf départements qui ont contractualisé avec l’État de compléter leurs actions en matière de lutte contre les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance, de financer la formation de travailleurs sociaux ou la mise en place de maraudes mixtes État-conseil départemental, particulièrement utiles pour identifier les familles dans le besoin ; or elles ne sont pourtant actives que sur dix-sept territoires, alors qu’il faut lutter d’urgence contre la prostitution des mineurs. Les crédits permettront de déployer ces maraudes de manière plus conséquente, en lien avec les tissus associatifs locaux, tout en se nourrissant de leur expertise.

Les crédits de paiement du programme 137, consacrés à l’égalité entre les femmes et les hommes, s’élèveront à 41,5 millions d’euros, soit une augmentation de 37,5 % par rapport à 2020. Ils permettront notamment de mener des actions d’information, d’orientation et d’accès au droit, en finançant les centres d’information sur les droits des femmes et des familles, principal réseau d’information, ou les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle.

Les politiques de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dont les crédits ont été abondés lors du Grenelle des violences conjugales, incluent une offre d’intervention en direction des auteurs de violences conjugales. Il s’agit de contribuer à une meilleure prévention et protection des victimes.

1,2 million d’euros sont prévus pour l’aide financière d’insertion sociale et professionnelle (AFIS) de sortie de la prostitution. La commission des finances a adopté un amendement de Stella Dupont qui devrait permettre aux bénéficiaires de l’AFIS de percevoir la nouvelle aide exceptionnelle de solidarité, dont la concrétisation est attendue dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020.

Les actions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dépassent le strict cadre du programme. L’enveloppe interministérielle allouée à cette grande cause du quinquennat atteignait 1,1 milliard d’euros en 2020, montant deux fois plus élevé que celui voté en 2019. Ce budget exceptionnel s’était traduit par un soutien massif aux associations œuvrant dans le secteur de l’égalité professionnelle et des études, soutien renouvelé en cette année de crise inédite.

Je ne pourrai aborder tous les sujets, mais je tiens à saluer la tarification sociale des cantines dans les communes rurales défavorisées, les petits déjeuners à l’école ou les subventions à destination des associations œuvrant à l’inclusion sociale et dans le secteur de l’aide alimentaire.

Je terminerai, mesdames les ministres, par une question relative aux annonces du Premier ministre de samedi dernier, annonçant la seconde phase du Plan pauvreté : comment seront-elles traduites dans le budget ?

Mme Josiane Corneloup. Le budget de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances connaît une relative stabilité, avec une augmentation pour le programme Égalité entre les femmes et les hommes et une forte diminution pour le programme Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales, en raison du transfert des emplois liés au sport et à la vie associative au ministère de l’éducation nationale. Cette mission comprend quatre programmes, dont les deux principaux sont le programme 157 Handicap et dépendance et le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes.

Pour ce qui concerne le handicap, l’année 2020 s’est ouverte avec la cinquième conférence nationale du handicap à la suite de laquelle cinq chantiers ont été lancés. Peu de temps après, la crise sanitaire et ses conséquences sont venues frapper de plein fouet le secteur médico-social.

La réponse sur le handicap est globalement positive, notamment avec l’aide de 100 millions d’euros pour dynamiser le recrutement sans limite d’âge de près de 30 000 personnes en situation de handicap et amplifier le dispositif d’emploi accompagné ainsi qu’avec le plan « Un jeune, une solution », qui a pour objectif d’embaucher 8 000 jeunes en situation de handicap.

On peut toutefois déplorer les inégales revalorisations des salaires des personnels, prévues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ces revalorisations touchent majoritairement les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mais touchent inégalement les personnels des établissements spécialisés dans le handicap.

Force est de constater que le chantier de l’autonomie est à l’arrêt. À l’exception des mesures visant à compenser les surcoûts issus de la crise et des revalorisations prévues à la suite du Ségur de la santé, la loi sur le grand âge et l’autonomie tant annoncée est encore et toujours repoussée. Après le rapport de nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat en 2018, et celui du haut fonctionnaire Dominique Libault en mars 2019, fort de 175 propositions, suivi six mois plus tard de ceux de Myriam El Khomri et de Laurent Vachey, vous avez décidé, madame la ministre déléguée chargée de l’autonomie, de lancer une nouvelle phase de concertation, le « Laroque de l’autonomie ». Je le regrette.

Les crédits du programme ne sont pas entièrement révélateurs, puisque, outre cette mission budgétaire, les dispositifs instaurés sont répartis dans le PLFSS et le plan de relance. Cette précision est d’importance lorsque l’on voit que ces crédits stagnent cette année.

De manière générale, 86 % des crédits de la mission sont consacrés à l’AAH. Une première revalorisation a été décidée par le décret du 31 octobre 2018 relatif à la revalorisation de l’AAH et à la modification du plafond de ressources pour les bénéficiaires en couple. On peut toutefois regretter que des mesures soient venues atténuer cette revalorisation. Rappelons qu’en 2019, elle s’est accompagnée du gel du plafond de ressources pour les couples, du fait du repli du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, qui est passé de 2 à 1,89, puis, à partir du 1er novembre 2019, de 1,89 à 1,81, privant ainsi nombre de personnes handicapées de la revalorisation de l’AAH. Nous pouvons également regretter l’absence de revalorisation, au 1er avril 2019, en fonction du taux d’inflation.

Le programme porte également sur les financements dédiés à l’emploi accompagné. En 2021, une nouvelle enveloppe de 5 millions d’euros vient renforcer les crédits de la loi de finances pour 2020, qui avait attribué 15 millions d’euros.

Le programme Égalité entre les femmes et les hommes est en hausse significative par rapport aux budgets précédents. Depuis le PLF 2019, le programme est entièrement réorganisé, avec de nouvelles actions, notamment l’accès aux soins, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les partenariats et innovations, le soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes. Je ne peux que le saluer.

Enfin, deux autres programmes complètent cette mission. Le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales, tout d’abord, a été renommé par le PLF 2021, afin de le recentrer sur ses objectifs sanitaires et sociaux. Les moyens dédiés au sport, à la jeunesse, à l’éducation populaire et à la vie associative sont rattachés au ministère de l’éducation nationale.

Quant au programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes, il est en légère baisse, après avoir connu de fortes hausses, en particulier dans le précédent PLF, tirées par l’augmentation de la prime d’activité, conséquence du mouvement des « gilets jaunes ». Il connaît en outre des disparités importantes.

À la suite du basculement d’un grand nombre de personnes dans la pauvreté du fait de la crise du covid, vous avez choisi, monsieur le rapporteur, de vous intéresser dans la partie thématique de votre rapport à la perspective d’un revenu universel d’activité, qui vise à prévenir et à lutter contre la pauvreté. Les contours restent encore à définir, mais la perspective d’une fusion des aides va dans le bon sens : le système actuel, illisible, ne remplit pas son objectif. Il est également difficile à piloter. Il est donc impératif de le faire évoluer.

Mme Perrine Goulet. La mission Solidarité, insertion et égalité des chances inclut de nombreux sujets, en lien avec l’humain. C’est pourquoi son étude doit être minutieuse, surtout dans la période de crise sanitaire que nous connaissons, dont les effets affecteront nécessairement 2021.

Je veux tout d’abord évoquer le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes. On ne peut que se féliciter de la nouvelle augmentation du budget consacré à la protection et à l’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, En trois collectifs budgétaires, ces crédits auront progressé de 90 millions d’euros, pour s’établir à 246 millions d’euros.

J’appelle votre attention sur le montant stabilisé consacré au service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger : avec la crise, le 119 pourrait à nouveau devoir faire face à une augmentation des appels. Des crédits supplémentaires me semblent nécessaires pour assurer une ouverture élargie non seulement aux enfants d’outre-mer, mais également aux enfants en situation de handicap. J’aimerais savoir, madame la ministre, ce que vous en pensez.

On peut également se satisfaire des 114,8 millions d’euros alloués à la contractualisation avec les départements dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance. Ils permettront, je l’espère, de réduire les différences territoriales de prise en charge, qui conduisent à une inégalité de traitement des enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance dans notre pays.

La stratégie de lutte contre la pauvreté voit son budget monter en puissance depuis son lancement, avec une progression de 107 millions d’euros en trois ans, pour s’établir à plus de 252 millions. Les 25 millions supplémentaires alloués dans le cadre de la contractualisation permettront, je l’espère, de lutter plus efficacement contre les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ASE), notamment dans le contexte sanitaire actuel.

Dans ces deux plans – de protection de l’enfance et de lutte contre la précarité –, le budget national vient abonder par contractualisation les budgets des départements de manière importante, à hauteur de 314 millions d’euros. Pour les années à venir, je souhaiterais que la représentation nationale que nous sommes soit plus éclairée sur la répartition de ces fonds entre les départements, ainsi qu’entre les objectifs, sur l’utilisation des fonds et leur efficacité. Madame la ministre, comment envisagez-vous ce retour au parlementaire ?

Eu égard à la crise que nous vivons, deux budgets m’interrogent. Celui de la prime d’activité, d’abord, est revalorisé de 200 millions d’euros mais le nombre de foyers bénéficiaires est évalué au même niveau pour 2020, soit 4,2 millions. Ne pensez-vous pas que leur nombre risque d’augmenter avec la crise ?

Venons-en au budget de la prévention et de la lutte contre la précarité alimentaire. Du fait de la crise économique, le besoin social est particulièrement important, avec une précarité qui augmente. Pourtant, la contribution de l’État au Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) baisse de 11 millions d’euros. Madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer ce choix, en sachant que des incertitudes pèsent sur le FEAD, puisqu’il doit être rediscuté au premier trimestre 2021 ?

Le programme 157, qui porte sur le handicap et la dépendance, est en très légère augmentation de 2 millions d’euros, pour un budget de 12,536 milliards d’euros.

L’aide au titre de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés connaît une légère augmentation en montant, mais pas en nombre de personnes accompagnées. Or, avec la crise, il est à craindre que les entreprises embauchent moins de personnes en situation de handicap et que la demande soit plus forte auprès des ESAT. Madame la secrétaire d’État, quelle est votre opinion à ce sujet ? Comment envisagez-vous ces accompagnements ?

Le 11 février se tenait la cinquième conférence nationale du handicap. Je souhaiterais connaître votre stratégie pour accélérer le déploiement des solutions adaptées aux personnes ayant les besoins les plus soutenus, donc lutter contre l’exil en Belgique.

Je tenais également à vous remercier pour l’envoi, la semaine dernière, du lien du baromètre de suivi des relations entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les personnes en situation de handicap, permettant de suivre l’efficacité de ces établissements. Nous avons besoin que les droits des personnes soient octroyés plus rapidement, et que le traitement des dossiers soit homogénéisé dans toute la France.

Le programme 137 présente une partie du budget consacré à la grande cause du quinquennat, l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit notamment de permettre aux femmes d’avoir un meilleur accès à leurs droits, en particulier en matière d’interruption volontaire de grossesse ou d’accès à la contraception, de lutter contre les mutilations génitales ou les mariages forcés, ou de mieux accompagner les femmes victimes de violences, par exemple en rendant la plateforme d’écoute accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’aucuns diront que ce n’est pas assez, d’autres que c’est trop, mais ce budget en augmentation de 40 %, qui s’établit dorénavant à plus de 48 millions, est une avancée significative.

Une petite partie de ce budget – 2,1 millions d’euros – est consacrée aux associations chargées d’accompagner les personnes en situation de prostitution. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que ce budget nécessiterait d’être amendé, pour permettre la prise en charge de ce nouveau fléau qu’est la prostitution des mineurs ?

Enfin, s’agissant du programme 124, pouvez-vous préciser les effets de la séparation des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et ses incidences dans les territoires ruraux ?

Mme Gisèle Biémouret. Nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances pour 2021, alors que de nouvelles annonces sur la pauvreté ont été faites par le Premier ministre il y a quelques jours et qu’un PLFR, comportant notamment des mesures en faveur des plus démunis, sera examiné en novembre. Cela rend difficilement lisible l’exercice qui nous réunit aujourd’hui, et consacre l’insuffisance des crédits qui y sont affectés.

Le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter depuis 2017. Aux personnes en situation de pauvreté nous devons ajouter tous ceux qui ont basculé ou vont basculer dans la précarité en raison de la crise – leur nombre est estimé à 1 million, portant à plus de 10 millions le nombre de Français en situation de pauvreté.

La baisse des crédits du programme 304 pour 2021, même légère, est donc un mauvais signal. Pour nombre de nos concitoyens, l’urgence c’est leur capacité à payer leur loyer, à se nourrir, à se chauffer et à se soigner. Or les mesures de relance du Gouvernement ont oublié les personnes en situation de précarité, en ne prévoyant que peu de dispositions pour soutenir leur pouvoir d’achat. Le plan de relance du Gouvernement ne consacre ainsi que 0,8 % de ses crédits aux plus démunis, et les quelques aides ajoutées, toujours appréciables, resteront conjoncturelles alors que des mesures structurelles devaient être prises.

Devant les alertes de l’opposition et des associations, et face à une stratégie pauvreté en perte de vitesse, le Premier ministre a été obligé d’annoncer samedi de nouvelles mesures en faveur des plus précaires, pour plus de 700 millions d’euros. Certaines sont bienvenues, mais c’est toujours aussi peu comparé aux 100 milliards du plan de relance et aux 20 milliards de baisses d’impôts de production décidés pour les entreprises. Nous regrettons que le Gouvernement persiste dans son refus d’augmenter les minima sociaux, dont il fait le fil rouge de sa politique.

Lors de sa création, le revenu minimum d’insertion représentait 50 % du SMIC. Aujourd’hui, il n’en représente plus que 39 %, du fait de ses trop faibles valorisations. Refuser l’augmentation du RSA dans une période où de plus en plus de Français doivent y avoir recours pour survivre est incompréhensible. L’insertion par l’économie, proposée par le Gouvernement, est une des réponses, mais elle ne suffira pas à absorber la pauvreté car elle est à trop long terme. Les personnes précaires ont besoin de réponses immédiates. Le RUA, qui devait être le pan majeur de la lutte contre la pauvreté dans ce quinquennat, a d’ailleurs été repoussé aux calendes grecques.

Quand le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a bondi de 30 à 45 % selon les associations, les crédits d’aide alimentaire ont baissé de plus de 11 %. Ces fonds ont peut-être été affectés à d’autres dispositifs comme celui des tickets service, mais il faut reconnaître que, là encore, nous manquons de lisibilité.

De plus, le Gouvernement n’apporte toujours aucune réponse aux jeunes, qui ont été les premières victimes de la crise et seront les derniers à profiter de la reprise, à ces étudiants qui ont perdu le petit job qu’ils occupaient dans un bar ou un restaurant pour payer leur scolarité, à ces nouveaux diplômés qui ne trouvent aucune offre d’emploi, à ces jeunes précaires, qui ne trouvent plus de mission d’intérim.

Nous avons fait certaines propositions en faveur de ces jeunes depuis juin, que nous avons notamment présentées lundi, en séance publique, à l’occasion de l’examen du plan de relance ; vous les avez refusées. Le groupe Socialistes et apparentés plaide également depuis longtemps pour l’instauration d’un revenu de base, d’un minimum jeunesse, comme il existe un minimum vieillesse. À défaut d’ouvrir le RSA aux jeunes de 18 à 25 ans, madame la ministre chargée de l’autonomie, quelles mesures entendez-vous prendre pour soutenir durablement notre jeunesse ?

Enfin, madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, quel sera le devenir de la plateforme Violences femmes info et du numéro d’appel 3919, fragilisés par l’annonce d’un marché public ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. La mission Solidarité, insertion et égalité des chances rend compte de l’effort public particulier en faveur de la lutte contre la pauvreté, de la réduction des inégalités et de la lutte pour les plus vulnérables. L’engagement de l’État en faveur de ces publics spécifiques traduit la solidarité particulière que notre société doit aux plus démunis. « La fraternité n’est qu’une idée humaine, la solidarité est une idée universelle », écrivait Victor Hugo. Nous devons aujourd’hui en examiner les modalités de mise en œuvre.

L’examen des crédits de la mission revêt une importance particulière cette année en raison de la pandémie de covid-19. Les plus fragiles sont toujours davantage exposés en cas de crise. En France, notre politique sociale est conçue pour en amortir les effets les plus graves et cette crise sanitaire, qui sera suivie d’une crise économique et sociale, verra plus que jamais la nécessité pour nos mécanismes de solidarité de s’exercer, et ce pour de longs mois.

Pourtant, la période que nous vivons se distingue par l’arrivée de nouveaux visages de la pauvreté : intérimaires dans la restauration, le bâtiment ou le nettoyage, professionnels de la culture, de l’événementiel ou du sport, artisans, commerçants, entrepreneurs. Les associations d’aide aux plus démunis le confirment, qui doivent non seulement augmenter les volumes distribués, mais également accompagner de nouveaux bénéficiaires.

Parallèlement, l’État a instauré de nombreuses aides et dispositifs, pour exprimer concrètement la solidarité de la Nation. Ainsi, une aide exceptionnelle de solidarité, de 150 à 550 euros, a été versée aux foyers les plus modestes. Les étudiants et jeunes précaires ont perçu par ailleurs un chèque de 200 euros et près de 95 millions d’euros ont été bloqués pour l’aide alimentaire dans le PLFR. Le quatrième PLFR permettra de prendre d’autres mesures de soutien ciblées en direction des publics précaires. D’ici à la fin de l’année, 150 euros seront versés aux 400 000 jeunes qui touchent les aides personnalisées au logement (APL) et aux étudiants boursiers, pour les aider à traverser cette passe difficile.

Ce soutien spécifique s’ajoute à la prime de 150 euros qui sera versée à chaque personne bénéficiant du RSA ou de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), avec 100 euros supplémentaires par enfant. Il faudra néanmoins être vigilant à l’augmentation importante des bénéficiaires du RSA : les chiffres donnés par les départements sont à cet égard inquiétants.

Pour rendre compte de l’effort de l’État sur le périmètre de cette mission, il faut également ajouter les moyens spécifiques du plan de relance avec une aide exceptionnelle de 100 millions d’euros, qui permettra de dynamiser le recrutement, sans limite d’âge, de près de 30 000 personnes en situation de handicap, ainsi que d’amplifier le dispositif d’emploi accompagné pour assurer l’insertion et, tout aussi important, le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés recrutés.

Les jeunes en situation de handicap bénéficieront également de l’investissement massif du plan « Un jeune, une solution », pour un objectif d’embauche de 8 000 jeunes en situation de handicap.

Nous tenons aussi à souligner l’augmentation importante des crédits de l’AAH, qui ont permis de respecter l’engagement fort du Président de la République en ce sens.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé des mesures prévues dans le deuxième axe de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il s’agit d’un signal essentiel, pour lequel nous avions formulé des propositions qui ont été écoutées.

Concernant la lutte contre les violences faites aux femmes dans le programme 137, les mesures prises lors du premier confinement ont-elles été évaluées ? Le temps n’a peut-être pas permis de le faire. Seront-elles maintenues dans les années à venir ? Pour les professionnels de santé, notamment les pharmaciens, elles ont montré des effets intéressants. Je salue aussi l’instauration de la plateforme qui permettra une écoute sept jours sur sept. La mesure est importante et attendue.

Le groupe Agir ensemble se prononcera favorablement sur les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.

Mme Valérie Six. La mission Solidarité, insertion et égalité des chances témoigne de l’effort public particulier qui est réalisé dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités. Derrière la crise que traversent la France et l’Europe, ce sont autant de drames humains qui frappent nos territoires. Face à la détresse de tous ces hommes et ces femmes, nous devons tenir un discours volontaire, afin de leur redonner confiance en l’avenir.

Ainsi, alors que cette mission devrait être l’une des plus importantes du budget pour 2021 compte tenu de l’impact de la crise sanitaire, ses crédits sont en diminution de 0,62 % par rapport à 2020 à périmètre constant. Nous notons cependant que l’ensemble des crédits nouveaux alloués aux objectifs de cette mission sont inscrits dans le plan de relance. Il conviendra d’être vigilant quant à l’adoption des mesures pérennes d’accompagnement des personnes en situation de précarité lors de l’examen des exercices budgétaires des années 2022 et suivantes.

Mon intervention portera sur deux points : la lutte contre les violences faites aux femmes et le soutien à l’autonomie des personnes en situation de handicap.

Pour le programme 137, qui concerne la politique d’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale du quinquennat, nous reconnaissons l’effort d’augmentation des crédits de paiement à hauteur de 11,3 millions d’euros par rapport à l’année dernière, soit une hausse de 37,53 %. Cet effort est essentiel dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, alors que la période de confinement a provoqué une hausse importante du nombre de signalements, en raison d’une augmentation liée non seulement à une aggravation des faits de violence, mais aussi à une grande mobilisation des proches, en particulier du voisinage.

Cependant, certains engagements concrets peinent à être appliqués car ils dépendent souvent d’une action interministérielle complexe. Par exemple, le centre hospitalier de Roubaix, dans ma circonscription, attend la réouverture de son service de médecine légale, promise depuis plus de deux ans par le Gouvernement.

Pour ce qui concerne le programme 157 Handicap et dépendance, ses crédits contribuent très majoritairement – pour 86 % – à soutenir les revenus des personnes handicapées par le biais du financement de l’AAH. Cette allocation est une garantie de ressources pour les adultes atteints d’un certain degré d’incapacité, dû à un handicap ou à une maladie chronique. Son montant, porté à 860 euros par mois au 1er novembre 2018 puis réévalué en novembre 2019 et avril 2020, s’élève à 902,70 euros. L’aide est toutefois conditionnée aux revenus du conjoint ou de la conjointe du bénéficiaire : si celles-ci atteignent 1 275 euros par mois, la personne en situation de handicap ne peut bénéficier de l’AAH.

Cette prise en compte des ressources du conjoint crée de nombreuses difficultés morales et financières. Elle est, selon nous, contraire au principe même de l’allocation, qui est de garantir l’autonomie du bénéficiaire. C’est pourquoi, madame la ministre, considérant la situation exceptionnelle que le pays connaît, pensez-vous que le Gouvernement puisse envisager l’individualisation de l’AAH, une mesure de justice sociale ?

Pour conclure, en écho aux mesures présentes dans la mission Plan de relance du PLF 2021, je souhaite soulever la nécessité de favoriser l’accès des personnes handicapées aux professions médicales et paramédicales, et vous interroger sur les axes d’action décidés par votre ministère concernant non seulement l’installation des personnes handicapées, mais aussi le suivi dans leur carrière.

Je pense notamment aux kinésithérapeutes non ou mal voyants, qui sont environ 2 000 sur les 80 000 professionnels que compte la profession. Voie privilégiée d’insertion professionnelle et d’intégration, celle-ci n’est cependant pas d’une pratique évidente au quotidien. Ces personnes doivent faire face à la difficulté de disposer d’appareils spécifiques et adaptés : les logiciels, le mode de télétransmission et la gestion des prescriptions sont souvent des actions complexes pour un malvoyant et, surtout, une source de surcoûts importants pour leur adaptation. Il faut tenir compte de la spécificité de leur handicap durant l’installation et le déroulement de leur carrière. Je vous remercie pour les éléments d’éclairage que vous pourrez nous apporter à ce sujet.

Mme Jeanine Dubié. Mesdames les ministres – cela fait plaisir de le dire, puisqu’il n’y a que des femmes –, la crise sanitaire plongera 1 million de nos concitoyens dans la pauvreté. Il s’agit certes d’une hypothèse, mais qui part des observations du terrain et qui ne peut nous laisser indifférents. Depuis le confinement généralisé du printemps dernier, un grand nombre de nos concitoyens s’enfoncent dans la pauvreté, ce que nous constatons lors des rendez-vous dans nos permanences.

Les dépenses du RSA sont en hausse de 10 % ; les demandes, de 20 %. L’inquiétude est vive pour les salariés précaires concernés par l’emploi de courte durée, qui se sont retrouvés sans emploi et souvent sans revenu en quelques semaines.

Les banques alimentaires constatent une hausse de la demande de 20 à 25 %. Les associations comme le Secours populaire français nous alertent : elles voient affluer des personnes qui ne venaient pas avant la crise sanitaire, et de nombreux jeunes. Nous nous devons d’être attentifs à cette aggravation : une fois entré dans le cercle vicieux de la précarité et de la pauvreté, il est bien difficile, voire impossible d’en sortir.

La mission qui nous occupe aujourd’hui voit ses crédits légèrement diminuer par rapport à 2020, ce qui pourrait surprendre à première vue, mais nous comprenons qu’il s’agit essentiellement de mesures de périmètre. Nous notons en revanche une augmentation des crédits alloués à la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, engagée depuis septembre 2018 ; celle-ci repose principalement sur une contractualisation avec les départements et, depuis 2020, avec les métropoles et régions volontaires. Nous nous réjouissons de voir que l’enveloppe de 200 millions d’euros ait été prévue pour 2021, en hausse par rapport à l’an dernier.

Néanmoins, cette stratégie doit être adaptée à la crise actuelle et toucher davantage les personnes concernées.

Or les principales dispositions prises depuis le début de la crise et dans le cadre du plan de relance, si elles sont nécessaires, ne permettent pas toujours de toucher les plus démunis, dans la mesure où elles restent principalement tournées vers l’insertion et l’emploi. Il faut bien sûr les appliquer, mais sans oublier de porter une grande attention aux plus précaires, à ceux qui, par exemple, sont durablement éloignés du marché du travail.

Nous regrettons par exemple qu’une revalorisation des prestations et minima sociaux n’ait pas été envisagée. Par ailleurs, nous le savons, les jeunes sont particulièrement touchés. Dès lors, nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement refuse d’ouvrir le RSA aux jeunes de 18 à 25 ans. L’aide de 150 euros pour les bénéficiaires du RSA, de l’ASS ainsi que pour les étudiants boursiers et les non-étudiants touchant les APL est une avancée bien modeste. Elle ne sera versée qu’une seule fois ; pourtant, la crise va durer et les perspectives d’emplois ne vont pas aller en s’améliorant.

Surtout, le groupe Libertés et Territoires s’inquiète du non-recours aux droits, qui risque de s’aggraver avec la crise. Les restrictions des déplacements dégradent l’accueil physique des personnes ou entraînent un allongement des démarches. Alors que le nombre de bénéficiaires de la prime d’activité a augmenté de 47 % entre décembre 2018 et décembre 2019, du fait notamment des mesures d’urgence liées au mouvement des « gilets jaunes », mesdames les ministres, pouvez-vous nous indiquer ce qu’il en est depuis le début de la crise ?

Dans un tel contexte de précarité, il ne faudrait surtout pas que les personnes éligibles aux différentes prestations n’y aient pas accès, par manque d’information ou à cause de difficultés techniques ou matérielles.

Cela m’amène à un point toujours en suspens, celui du revenu universel d’activité. Où en sommes-nous aujourd’hui ? La crise socio-économique vous invite-t-elle à revoir certaines orientations ?

Nous saluons l’augmentation des crédits en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap. Néanmoins, après des revalorisations bienvenues de l’AAH en 2018 et 2019, nous regrettons de ne pas pouvoir avancer sur l’individualisation de son calcul par la déconjugalisation, réclamée depuis de nombreuses années. L’Assemblée avait adopté cette mesure en début d’année, à l’occasion d’une proposition de loi que j’avais déposée, mais qui doit encore être examinée par le Sénat.

Pour conclure, deux évolutions positives sont à noter dans ce budget : l’augmentation des crédits du programme Égalité entre les femmes et les hommes – c’était une nécessité, le confinement l’a dramatiquement rappelé – et la poursuite de la stratégie de protection et de prévention de l’enfance, qui s’effectue dans une démarche de contractualisation entre l’État et les départements, une démarche à développer et à encourager.

M. Hervé Pellois, suppléant Mme Stella Dupont, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Merci de me permettre de transmettre mon salut amical à Stella Dupont, rapporteure spéciale, qui m’a demandé de donner lecture de sa contribution :

« Je vous remercie de m’accueillir à nouveau dans le cadre de l’examen pour avis des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances ; je tiens à saluer l’engagement budgétaire important, pour une nouvelle fois en 2021, sur le champ de la mission, dont les crédits s’élèvent à 26,1 milliards d’euros.

« Je souhaiterais néanmoins vous faire part de deux points d’attention que j’ai pu identifier au cours de mes travaux.

« Le premier relève de la politique d’aide alimentaire, dans la mesure où toutes les difficultés en matière de gestion des crédits européens n’ont pas été levées. La crise sociale que nous traversons et le nombre croissant des bénéficiaires de l’aide alimentaire confirment la nécessité d’une meilleure gestion et d’une meilleure optimisation du FEAD.

« Le second point touche la prise en charge des mineurs non accompagnés et la modification du montant du forfait d’évaluation pour les départements qui n’utilisent pas le fichier d’appui à l’évaluation de minorité. Je regrette que les critères d’évaluation ne soient pas homogènes sur le territoire, ce qui mène à des réévaluations en chaîne et à la remise à la rue de certains jeunes pourtant évalués mineurs, à la suite des contestations des évaluations par les conseils départementaux, comme ce fut le cas en Maine-et-Loire. Le manque de structures d’accueil pour les jeunes majeurs au sortir de l’ASE pose également un vrai problème.

« Par ailleurs, nous devons définir de nouveaux outils pour apporter un soutien accru aux personnes en situation de grande précarité. À cette fin, je propose d’étendre le bénéfice de l’aide exceptionnelle de solidarité aux personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution percevant l’AFIS. L’amendement que j’ai déposé en ce sens a été adopté en commission des finances. Je propose également de modifier les paramètres de la prime d’activité, afin de cibler les personnes perdant leur emploi ou dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Il serait également possible, me semble-t-il, de créer une allocation additionnelle temporaire mensuelle, d’un montant compris entre 100 et 150 euros, qui viendrait s’ajouter aux minima sociaux. Un tel outil permettrait de répondre à l’urgence de la crise en attendant une refonte d’ensemble : nous devons nous projeter dans une réorganisation des minima sociaux, pour trouver le bon équilibre entre l’exercice de la solidarité nationale, l’effort de résorption du non-recours aux droits et la bonne gestion des finances publiques. Une telle refonte pourra avoir lieu, je l’espère, dans le cadre de la mise en place du RUA que j’appelle de mes vœux. Je salue le travail de M. le rapporteur pour avis à ce sujet ; particulièrement éclairant, il devrait, me semble-t-il, nous permettre d’avancer sur ce dispositif de justice sociale. »

Mme Monique Limon. Madame la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, la lutte contre la prostitution dans nos territoires ruraux est un sujet que les élus locaux sont de plus en plus amenés à affronter et face auquel ils sont bien souvent démunis. Depuis le début de mon mandat, des élus comme des habitants me rapportent régulièrement qu’une forme d’habitude s’y est trop souvent développée à l’égard de la présence de camionnettes et de divers autres lieux de rendez-vous. Cette acceptabilité a atteint ses limites. Les populations exercent, à juste titre, une pression croissante sur leurs élus, tant le phénomène est prégnant et gênant dans leur vie quotidienne.

Les nouvelles équipes municipales sont peut-être encore plus sensibles au phénomène de la prostitution. Elles sont demandeuses de solutions pérennes et humaines pour ces jeunes femmes, qui sont elles-mêmes victimes de réseaux de proxénètes. Les collectivités locales peuvent compter sur l’appui de l’État, notamment des procureurs et des forces de gendarmerie, pour prendre en charge l’aspect répressif du problème. Dans ma circonscription, nous sommes déterminés à mener un travail de fond sur cette situation, avec le concours de la délégation départementale aux droits des femmes et à l’égalité, des élus locaux et des associations.

Nous devons mieux accompagner nos élus locaux dans la façon d’appréhender ce problème, et non nous contenter de leur offrir des solutions juridiques qui n’aboutissent au final qu’à déplacer l’activité de prostitution dans une commune voisine, sans régler le problème de fond. Madame la ministre déléguée, pouvez-vous préciser les moyens que vous entendez mobiliser pour intensifier l’action des associations, particulièrement sur ces territoires jusqu’alors dépourvus de moyens et pourtant fortement concernés ?

M. Bernard Perrut. M. le rapporteur pour avis a choisi de s’intéresser à la perspective de l’instauration du revenu universel, dont les contours et le nom même restent à définir, afin de prévenir et combattre la pauvreté et à lutter. Pourquoi pas ? Je partage en tout cas avec lui, et sans doute avec chacun ici, le constat dressé dans son rapport : le système des prestations de solidarité en vigueur, produit de l’histoire, est illisible ; il provoque des phénomènes de non-recours aux droits, ce qui l’empêche d’atteindre son objectif ; il mine la confiance de la population qui ne perçoit pas d’aides ; enfin, il est objectivement très difficile, pour ne pas dire impossible à piloter.

La crise sanitaire, dont les conséquences touchent d’abord les plus précaires, a mis en exergue ces caractéristiques. On dénombre 1 million de nouveaux pauvres en 2020. Ces victimes de la crise sanitaire sont notamment des étudiants, des adultes au chômage, des artisans, des commerçants, des auto-entrepreneurs ; et j’ai une pensée particulière pour les personnes âgées percevant de petites retraites et les personnes en situation de handicap. Nous en mesurons tous les conséquences : aggravation des inégalités selon le lieu de vie, difficultés croissantes dans l’accès aux droits, décrochage scolaire, rupture éducative, déficit de socialisation pour les jeunes, aggravation de la fracture numérique, pertes d’emploi, troubles psychologiques...

Le processus de concertation sur le RUA s’est interrompu avec la crise sanitaire. Mesdames les ministres déléguées, madame la secrétaire d’État, pouvez‑vous préciser vos intentions à ce sujet ? Quelles actions nouvelles comptez‑vous mener pour accompagner celles et ceux qui en ont besoin ?

Par ailleurs, je constate que les moyens consacrés à l’aide alimentaire diminuent, passant de 74 millions à 64 millions d’euros. Les aides aux associations œuvrant sur le terrain, qui connaissent des difficultés particulières, sont pourtant maintenues. Pouvez-vous fournir des explications sur ce point ? La lutte contre la pauvreté est certainement un objectif qui peut nous rassembler, sur tous les bancs de cette commission.

M. Thierry Michels. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie des propos que vous avez tenus et de l’action que vous menez. Les mesures que vous venez d’exposer confirment que les personnes handicapées ne sont pas oubliées dans cette crise, et que les dispositifs en vigueur sont bel et bien mobilisés pour répondre aux problèmes particuliers auxquels elles sont confrontées.

J’aimerais vous interroger sur le devenir de la plateforme Solidaires Handicaps, installée au mois de mars 2020, en collaboration avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées, pour faire face à la crise du covid‑19. Comment comptez-vous la mobiliser pour mieux affronter collectivement la seconde vague ?

J’aimerais également revenir sur le dispositif de l’emploi accompagné, qui bénéficiait à près de 3 000 personnes au 31 décembre 2019. Il peut désormais être prescrit par le service public de l’emploi, et non plus par les seules MDPH, ce qui est une bonne nouvelle. Le présent projet de loi de finances lui attribue un budget de 15 millions d’euros. Pouvez-vous indiquer, sur la base du retour d’expérience des premiers déploiements, les aides nécessaires et vos priorités pour l’extension de ce dispositif prévue au cours des deux années à venir ?

M. Thibault Bazin. Madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, l’AAH a été revalorisée, ce qui est une très bonne chose. Mais en même temps, le plafond de ressources des ménages a été abaissé : la prise en compte des revenus du conjoint nuit à l’autonomie des personnes en situation de handicap. Envisagez-vous de revenir sur ce point ?

Par ailleurs, j’aimerais faire état de plusieurs inquiétudes exprimées par le secteur du handicap. Les budgets annexes de production commerciale des ESAT souffrent frontalement du ralentissement économique général. Ils sont en première ligne face à la deuxième vague de l’épidémie de covid-19. Envisagez-vous d’inclure le secteur médico-social chargé du handicap dans les accords conclus dans le cadre du Ségur de la santé, dont ils sont exclus depuis le mois d’août ? Ils n’ont plus de ressources humaines disponibles. En Lorraine, des professionnels partent travailler chez nos voisins belges, luxembourgeois et suisses, où les rémunérations plus importantes. La situation devient très inquiétante ; nous avons besoin de réponses de la part du Gouvernement.

J’aimerais aussi évoquer la situation de nos concitoyens pris en charge à l’étranger, faute de place disponible dans nos structures, ce qui représente un coût pour le budget de l’État – sur une ligne budgétaire relative à l’international, certes. Vous avez mené une expérimentation très intéressante en Meurthe-et-Moselle, conjointement avec l’office d’hygiène sociale Lorraine et l’association départementale des amis et parents d’enfants inadaptés ; vous vous êtes même déplacée pour en annoncer le lancement et accueillir les premières personnes rentrées en France. Il s’agit d’augmenter temporairement les capacités d’accueil. Comptez-vous pérenniser ce dispositif en ajustant les capacités disponibles ? Cela soutiendrait l’emploi local par le biais des métiers induits, ce dont nous avons bien besoin.

M. Belkhir Belhaddad. Après M. Bazin et M. le rapporteur pour avis, un autre Lorrain prend la parole...

J’aimerais interroger Mme Sophie Cluzel sur la fluidification des parcours des travailleurs handicapés. Au cours des dernières années, l’accent a été mis, à juste titre, sur le dispositif de l’emploi accompagné. Un groupe de travail composé des principaux acteurs de l’emploi des personnes handicapées a publié un guide de l’emploi accompagné.

D’autres initiatives essaiment dans les territoires et donnent des résultats très encourageants. Citons notamment les essais de transition développés par l’association Messidor, dont l’objectif est de servir de passerelle vers le milieu du travail ordinaire. Les travailleurs atteints d’un handicap psychique sont suivis par une équipe réduite, composée d’un responsable d’unité de production et d’un conseiller d’insertion. Sans considérer que ces ESAT de transition constituent une réponse adaptée au problème, ne pourrait-on pas envisager de mobiliser des moyens de l’État pour donner un cadre national à cette expérimentation innovante ?

Mme Annie Chapelier. Madame la secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur le maintien de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul du plafond de versement de l’AAH, qui a pour effet d’instaurer une relation de dépendance de la personne en situation de handicap vis-à-vis de son conjoint ou de sa conjointe.

Le Gouvernement argue qu’aucun allocataire en couple ne subira une baisse de l’allocation en raison de cette mesure, le fait qu’elle soit conjuguée avec la revalorisation de l’allocation garantissant que le niveau d’allocation des couples resterait croissant et supérieur au seuil de pauvreté. Mais dans la pratique, cela aboutit à créer des situations de minorité au sein du couple, et par le fait une triple peine : aux problèmes de santé dus au handicap s’ajoutent les problèmes d’argent, qui mettent parfois en péril les couples – sans même évoquer les cas malheureux de violences.

Cette mesure est en contradiction profonde avec la volonté de favoriser l’autonomie financière de l’individu au sein du couple, qui est un des piliers de la politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes : d’après une étude menée par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales en 2016, les femmes en situation de handicap sont précisément celles qui subissent le plus de violences physiques et sexuelles au sein du couple. Le maintien de ces modalités de calcul en vient parfois à les entretenir.

Nous demeurons convaincus que l’AAH n’est pas un minimum social comme les autres. La situation des personnes handicapées étant malheureusement le plus souvent irréversible, il n’est pas possible de le comparer au RSA. Notre assemblée a adopté au mois de février la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, défendue par notre collègue Jeanine Dubié, que je salue, supprimant la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH ainsi que dans son plafonnement. Cette initiative parlementaire mérite de prospérer. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme la ministre déléguée chargée de l’autonomie. Nous partageons tous ici, par-delà la diversité de nos parcours, la volonté de lutter contre la pauvreté, mais aussi l’inquiétude de devoir le faire alors que sévit une crise sanitaire d’une ampleur inégalée, et qui n’est pas terminée, tant s’en faut – des annonces nous attendent tout à l’heure. Chacun doit donc faire preuve d’une grande humilité en abordant de tels sujets et de tels budgets. Je tenais à vous remercier pour la mesure dont chacun a fait preuve dans ses propos en admettant que nous apportons des améliorations substantielles, quitte à relever qu’elles n’allaient pas toujours aussi loin que vous le souhaiteriez. J’ai en tout cas beaucoup apprécié la teneur de toutes vos interventions. Je commencerai par résumer notre action depuis le début de la crise sanitaire, avant de vous répondre sur des points plus précis.

Rappelons pour commencer que nous avons pris en faveur des plus précaires un ensemble de mesures sociales d’urgence d’une ampleur jusqu’alors inconnue dans ce pays et qui s’est élevé à 3 milliards d’euros de soutien direct, sous des formes différentes : une aide exceptionnelle de solidarité versée automatiquement, le 15 mai, à 4,1 millions de foyers en difficulté, une aide de 200 euros versée à 800 000 jeunes en difficulté, une revalorisation exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire, pour un montant de 530 millions d’euros, auxquels est venue s’ajouter une nouvelle série d’aides, annoncées au début du mois d’octobre, pour un montant de 1 milliard d’euros – 150 euros pour les bénéficiaires du RSA, de l’ASS et aux jeunes percevant les APL, plus 100 euros supplémentaires par enfant.

Parallèlement, la politique nationale d’hébergement a été renforcée ; la fin de la trêve hivernale a été reportée. Les acteurs de l’aide alimentaire ont été aidés par la distribution massive de chèques alimentaires, notamment aux sans-abri. S’agissant de la lutte contre les inégalités en santé, 100 millions d’euros ont été prévus dans le Ségur de la santé. De son côté, le plan de relance prévoit des mesures de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté et en faveur de l’hébergement, pour un montant de 100 millions d’euros.

À travers toutes ces mesures, prises au fil de l’eau, le Gouvernement a montré sa réactivité. Outre ces mesures financières, le Gouvernement a matériellement protégé les plus démunis en fournissant 53 millions de masques aux plus précaires, plus 52 millions de masques jetables mis à disposition des préfectures et 2 millions des associations – et cette aide est évidemment, compte tenu du contexte, en cours de renouvellement.

Enfin, il ne faut pas oublier que lutter contre la pauvreté, c’est avant tout à permettre aux gens de garder leur emploi : rappelons que l’indemnisation de l’activité partielle de plusieurs millions de salariés a coûté 7,6 milliards d’euros. Sans oublier le soutien aux auto‑entrepreneurs.

J’aimerais féliciter les réseaux d’élus qui ont participé à cet effort national, et continueront à y participer, par la force des choses. Ils méritent qu’on leur rende hommage, et on ne le fait pas assez. Il en est de même des bénévoles des associations, qui ont été sur le terrain et le seront encore, et des centres communaux d’action sociale, qui ont fait preuve d’une capacité d’innovation extraordinaire. On devrait en parler plus souvent, car tout cela participe de cet effort de solidarité nationale dans ces temps de crise sanitaire.

S’agissant de l’aide alimentaire, je remercie Jeanine Dubié d’avoir précisé qu’il faut tenir compte des périmètres respectifs du FEAD et de l’aide alimentaire nationale. Les fonds dédiés à l’aide alimentaire seront sanctuarisés. Nous y tenions, c’était une promesse du Président de la République. La France défend une certaine vision de l’Europe sociale alors que le modèle de financement européen de l’aide alimentaire avait été quelque peu mis à mal. Je tiens à vous rassurer : le passage du FEAD au Fonds social européen (FSE+) se fera en douceur et nous permettra d’être à la hauteur de ces enjeux essentiels, particulièrement cruciaux dans cette période.

Vous avez été plusieurs à souhaiter des explications sur la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Au total, 252,6 millions d’euros dans le programme 304 seront consacrés à sa mise en œuvre. Nous avons adopté un mode de fonctionnement innovant, avec des collaborations étroites avec les départements, notamment sous forme de contractualisations avec les conseils départementaux – tous sauf deux, que je ne nommerai pas à nouveau, car cela ne serait pas gentil... – et des mesures pilotées par l’État, de manière tout à la fois centrale et déconcentrée, particulièrement pour ce qui concerne l’aide sociale à l’enfance.

Cette contractualisation est en cours ; l’axe n° 2 a été présenté, qui vise plus particulièrement l’insertion sociale et professionnelle. Certains considèrent que ce secteur ne devrait pas être ciblé en priorité ; j’estime au contraire que, en période de précarité accrue, il faut accompagner les gens. Plusieurs viviers d’emplois, notamment dans le domaine sanitaire, ne sont pas pourvus, alors même qu’ils pourraient l’être. Nous utiliserons les leviers disponibles pour booster le parcours emploi compétences, notamment en augmentant le plafond de l’aide accordée aux employeurs à 80 % du SMIC, ce qui les rend bien plus attractifs pour les collectivités territoriales et les associations désireuses de recruter, d’autant plus qu’ils s’accompagnent d’une formation et donc parfois d’une possibilité de sortie positive.

La prime d’activité a été augmentée massivement – on se souvent dans quelles conditions – en fin d’année, dans le cadre de mesures d’urgence. Son champ d’application a été notablement élargi ; les crédits inscrits pour son financement s’élèvent à plus de 11,2 milliards d’euros, en hausse de 0,7 milliard. Des mesures exceptionnelles ont été prises pour aider les travailleurs pauvres : les droits des allocataires n’ayant pas renseigné leur déclaration de ressources trimestrielle ont été maintenus et les actions de contrôle ont été suspendues. Par ailleurs, la prime d’activité a été cumulable avec le chômage partiel. Nous réfléchissons à la possibilité de maintenir ces dispositions tant que durera la crise sanitaire.

Perrine Goulet, Jeanine Dubié et d’autres ont évoqué l’aide sociale à l’enfance, sujet qui nous est cher. L’ASE est un axe important de notre politique, et nous sommes nombreux ici à y avoir travaillé d’une façon ou d’une autre. L’objectif, qui constitue une mesure socle des conventions signées par les conseils départementaux, est d’aider 100 % des jeunes devenus majeurs, sur la base de quatre-vingt-douze départements. En 2019, près de 20 000 jeunes relevant de l’ASE sont devenus majeurs. Plus de 50 % d’entre eux – 10 567 exactement – ont fait l’objet d’une prise en charge dans le cadre du référentiel de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Nous avions, vous vous en souvenez, élaboré une charte des droits des enfants protégés ; aujourd’hui, les résultats sont là, même s’ils sont très hétérogènes et on ne peut que le déplorer. Beaucoup trop de disparités demeurent entre départements et ce constat vaut pour de nombreuses autres politiques sociales. Les contractualisations devront être revues au vu des résultats obtenus. En tout état de cause, des messages ont été adressés aux départements afin qu’ils ne procèdent à aucune sortie « sèche » de l’ASE tant que durera l’état d’urgence sanitaire. Pour les jeunes qui seraient malheureusement sans abri, des mesures d’hébergement d’urgence ont été prises. Les maraudes ont été reprises. Nous essaierons de circonscrire au maximum les effets de cette crise.

La question des mineurs non accompagnés (MNA) est assez compliquée à aborder dans le cadre d’un projet de loi de finances, car elle dépasse largement le seul aspect des crédits. La stratégie retenue consiste à préserver leur répartition au sein des compétences départementales, en travaillant avec un soutien financier et technique accru de la part de l’État, car il restait jusqu’alors insuffisant. L’indemnisation des départements durant la phase d’évaluation des MNA est améliorée, notamment grâce à la mise en place d’un forfait de 500 euros par évaluation, incluant un bilan de santé, un allongement de la durée d’indemnisation plus longue et une mise à l’abri – la seconde composante de l’aide de l’État étant attribuée au titre de la mise à l’abri des personnes qui se présentent comme MNA.

Le fichier d’aide à l’évaluation de la minorité, créé pour éviter des réévaluations de jeunes dans les différents départements, comporte une base nationale de recensement. Il a d’abord été expérimenté dans trois départements – l’Isère, l’Essonne et le Bas-Rhin – à partir du mois de février 2019 et ouvert aux autres le 1er avril de la même année : près de quatre-vingts départements utilisent désormais cet outil. Mentionnons également la refonte de l’arrêté relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, ainsi que le maintien du financement exceptionnel de la prise en charge des MNA dans le cadre du dispositif dit « Cazeneuve ».

Madame Corneloup, vous avez évoqué le futur projet de loi relatif au grand âge et à l’autonomie ; même si cela n’entre pas dans le cadre de ce budget, je tiens néanmoins à vous rassurer sur deux points.

Tout d’abord, nous ne partons pas de rien, je suis bien placée pour le savoir. Nous avons travaillé à ce sujet, et nous mènerons des évaluations et des concertations, qui serviront de base, aux côtés du travail parlementaire, pour anticiper et prévoir l’examen de ce projet de loi, qui est toujours prévu pour le premier trimestre 2021.

Pour ce qui est du « Laroque de l’autonomie », il ne s’agit pas, contrairement à l’interprétation qui en a été largement diffusée par certains réseaux, d’une énième concertation, mais bien d’une coconstruction, un peu dans le même esprit que le Ségur de la santé. C’est exactement ce que nous voulons faire : organiser quelques semaines de concertation pour coconstruire la loi, rien d’autre. La crise sanitaire reprenant de plus belle, son organisation déconcentrée et territorialisée est quelque peu mise en difficulté ; nous allons devoir procéder sous forme de visioconférences. Nous allons repenser le modèle, mais le fond demeurera inchangé. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’une énième concertation, je le redirai partout où j’irai.

S’agissant du RUA, le chantier, annoncé par le Premier ministre, a lui aussi été mis en pause. De nombreux problèmes restent à régler : force est de constater que de nombreux organismes ne souhaitent pas que les prestations qu’ils versent soient intégrées dans le RUA.

Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Je remercie les orateurs d’avoir souligné les efforts accomplis en faveur du soutien à l’autonomie des personnes handicapées, notamment en matière d’emploi.

Quatre députés au moins sont revenus sur la demande de déconjugalisation de l’AAH. L’AAH est une prestation sociale destinée à assurer des conditions de vie dignes aux personnes handicapées dont les ressources sont les plus faibles, l’objectif étant de concentrer la solidarité nationale vers ceux qui en ont le plus besoin. À ce titre, son calcul, comme celui des autres minima sociaux, tient compte de l’ensemble des ressources du foyer du bénéficiaire, en cohérence avec l’objectif de lutte contre la pauvreté. Le seuil de pauvreté monétaire est apprécié en ramenant les ressources du foyer à sa composition. Le principe de solidarité entre conjoints sous-tend les mécanismes redistributifs, pour cibler la solidarité nationale au bénéfice des ménages les plus précaires.

Toutefois, les modalités de prise en compte des ressources du conjoint, du concubin ou du partenaire d’un bénéficiaire de l’AAH sont plus favorables qu’elles ne le sont pour tous les autres minima sociaux, au point d’en faire une prestation quasi individualisée. Les règles de calcul de l’AAH tiennent pleinement compte des besoins spécifiques de ses bénéficiaires. Ainsi, la base de calcul du plafond de ressources est réduite aux seules ressources imposables à l’impôt sur le revenu, et un abattement spécifique de 20 % sur la prise en compte des revenus du conjoint s’applique. Le plafond de ressources retenu est donc supérieur à celui applicable aux autres minima sociaux.

Il existe aussi des situations où la prise en compte des revenus du conjoint peut s’avérer favorable au bénéficiaire de l’AAH. Ainsi, un allocataire qui travaille et dont le conjoint ne travaille pas peut cumuler l’allocation à taux plein avec son revenu, par exemple en complément d’un SMIC. Depuis le mois de novembre 2019, il peut, dans ce cas précis, percevoir 900 euros en complément de son revenu d’activité rémunérée au SMIC. Si l’on ne prend plus en compte les ressources à l’échelle du foyer, cet allocataire ne pourra plus prétendre qu’à 344 euros mensuels au titre de l’AAH : ce serait pour lui un manque à gagner. Autrement dit, l’individualisation fera des gagnants et des perdants.

Ajoutons que cette mesure, défendue par Mme Dubié dans sa proposition de loi, renchérirait le budget de l’AAH de 560 millions d’euros par an, ce qui correspond à environ cinq fois ce que coûtera la création dans le cadre du plan de relance de l’aide à l’embauche visant à favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap, dont l’effet de levier sera bien plus important sur le plan de l’autonomie ; c’est précisément à cet objectif que nous nous attachons à travers l’emploi accompagné. Je tenais à préciser le mode de fonctionnement de l’AAH, ainsi que la façon dont elle accroît les revenus des personnes qui en ont le plus besoin.

Plusieurs questions ont été posées sur l’emploi et la préservation des ESAT. Pendant la crise sanitaire, nous avons été aux côtés de ces établissements pour favoriser le maintien du revenu des personnes qui y travaillent et l’ensemble des ressources des établissements. Je l’ai dit tout à l’heure, 160 millions d’euros ont été consacrés aux ESAT entre le mois de mars et maintenant. Nous avons à notre disposition plusieurs leviers, dont celui du dispositif d’emploi accompagné.

Actuellement, 60 % des travailleurs handicapés bénéficiant de l’emploi accompagné sont en emploi durable. C’est donc un levier majeur pour l’entrée et le maintien dans l’emploi, c’est un accompagnement de la personne et du collectif de travail, et c’est ce que nous demandent vraiment les entreprises et les personnes en situation de handicap. Nous allons déployer ce dispositif d’emploi accompagné sur l’ensemble du territoire. À ce jour, plus de 70 % des départements disposent un dispositif emploi accompagné ; nous le transformons en plateforme afin de pouvoir servir l’ensemble des situations de handicap, sachant qu’à l’origine il était destiné au handicap déficience intellectuelle ou handicap psychique. Je tiens à saluer l’action de Messidor et de Clubhouse sur l’accompagnement des handicaps psychiques qui sont de vrais leviers : ESAT de transition, ESAT hors les murs, dispositif d’emploi accompagné, contrats à durée déterminée (CDD) dit « tremplin » à partir des entreprises adaptées. L’État est pleinement mobilisé puisque nous doublons les aides aux postes dans les entreprises adaptées. Elles ne sont pas inscrites dans ce budget-là mais elles contribuent à l’emploi et l’insertion professionnelle.

Le CDD « tremplin » est un véritable sas vers le milieu ordinaire ; nous sommes en train de réfléchir avec les ESAT sur les moyens d’accéder à ce dispositif. L’idée est de fluidifier les parcours en les sécurisant. C’est tout l’enjeu du grand rapport de l’Inspection générale des affaires sociales réalisé sur la transformation des ESAT. À cause de la crise sanitaire, nous avons été contraints de faire une pause, mais nous y travaillons dans chaque territoire, et des expérimentations très intéressantes sont en cours. Nous avons les leviers, nous avons les passerelles. Sécuriser le parcours, assurer la fluidité : tel est vraiment l’enjeu.

Je tiens à remercier Mme Goulet pour ses propos sur l’accès à ces droits, si fondamental, à travers le baromètre des MDPH. Deux de vos collègues, Agnès Firmin Le Bodo et Cécile Rilhac, font partie de la gouvernance nationale, donc du suivi de la feuille de route des MDPH. Je vous engage à vous en assurer dans vos territoires : comme certains l’ont dit, il est important de pouvoir vérifier que leur accès est bien une réalité. Vous serez certainement sollicités, dans le cadre de la gouvernance territoriale, pour accompagner dans vos circonscriptions cette transformation des MDPH, qu’il s’agisse des délais de traitement, de l’accès aux droits, et bien sûr de l’octroi des droits à vie, si important pour les personnes en situation de handicap. Il y va de leur dignité, et cela permet d’alléger la charge administrative qui pèse sur les épaules des familles et des personnes elles-mêmes.

Vous m’avez interrogée sur les expérimentations visant à faire revenir de Belgique les personnes des régions frontalières, mais également de territoires malheureusement très fragilisés, comme l’Île-de-France, le Nord et l’Est, où nous manquons de solutions pour accueillir les personnes en situation de handicap
– autistes sévères, troubles du comportement, polyhandicap. Nous accélérons le processus : des crédits ont été inscrits sur plusieurs lignes budgétaires, précisément pour éviter les départs en Belgique et trouver des solutions durant la crise sanitaire ; nous avons anticipé le lancement des communautés 360 par rapport à ce qu’avait programmé la conférence nationale du handicap, ce qui répond à la question de M. Thierry Michels : le numéro 0 800 360 360 est encore plus crucial dans cette période de crise sanitaire. Il permet de répondre aux appels au secours sur les besoins de répit, mais également d’accès aux soins qui sont un véritable problème pour les personnes en situation de handicap. C’est ainsi que nous pourrons vraiment venir en aide aux publics et aux familles qui en ont le plus besoin.

Pour ce qui est des victimes de violences, nous travaillons pour pouvoir déclencher, dès qu’une mise à l’abri est faite, la possibilité pour une femme en situation de handicap de toucher à nouveau en totalité son AAH afin de favoriser son autonomie et de disposer d’une ressource propre. C’est assez complexe à mettre en place, mais il s’agit d’un engagement pris lors de la conférence nationale du handicap. Demain doit se tenir un comité interministériel du handicap ; le Premier ministre a reçu toutes les associations lundi pour aborder l’ensemble de ces sujets et montrer la mobilisation nationale du Gouvernement aux côtés des personnes en situation de handicap. Il a également entendu la demande de revalorisation des carrières et des salaires des personnels du secteur médico-social ; nous y travaillons.

Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Les sujets que nous défendons toutes et tous ce soir revêtent une importance cruciale en cette période de crise sanitaire et économique ; et je tiens à vous remercier pour vos contributions, vos suggestions et vos questions. Merci également d’avoir souligné les efforts importants réalisés pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre les violences dont les femmes sont encore trop souvent victimes.

Madame Goulet, je vous confirme que nous allons continuer de financer le parcours de sortie de la prostitution en 2021 et apporter un soutien renforcé aux associations dans le cadre d’une action globale de prévention et de lutte contre la prostitution. J’en profite pour remercier les associations sur le terrain, qui réalisent un travail remarquable. S’agissant des mineurs, un travail de coordination sera engagé avec le ministre Adrien Taquet, et j’ai décidé de réunir d’ici à la fin de l’année, j’espère le plus rapidement possible, un comité interministériel de suivi de la loi pour nous assurer de ses effets bénéfiques.

Lors du Grenelle des violences conjugales, le Gouvernement s’est fixé l’objectif ambitieux d’une plateforme téléphonique d’écoute des victimes de violences conjugales disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, pour répondre notamment aux difficultés rencontrées dans les territoires ultramarins, du fait des décalages horaires, ainsi qu’aux demandes des personnes sourdes ou aphasiques. L’État entend faire de cette plateforme téléphonique d’écoute et d’orientation des victimes de violences conjugales un véritable service public. J’en profite pour souligner le travail remarquable réalisé par la Fédération nationale solidarités femmes depuis sa création, pour assurer l’écoute des victimes de violences conjugales, les soutenir et les accompagner.

Le cadre juridique dans lequel nous nous embarquons nécessite de passer une commande publique ; l’État étant à l’origine de cette démarche, il prendra en charge 100 % du financement de ces services. Bien évidemment, cette procédure est strictement encadrée par le droit des marchés publics ; elle garantira la qualité des projets présentés pour renforcer l’écoute et l’accompagnement des victimes de violences conjugales. Les candidats devront se conformer à un cahier des charges en cours de rédaction, extrêmement exigeant, qui devrait être publié d’ici à la fin de l’année. Compte tenu des délais juridiques nécessaires, la notification du marché public aura lieu d’ici au printemps prochain et le ministère et ses services seront particulièrement vigilants à la qualité des projets présentés, notamment en ce qui concerne la formation des écoutantes et des écoutants en matière de violences faites aux femmes, pour renforcer l’écoute et l’accompagnement des femmes et des enfants victimes de ces violences intrafamiliales.

Vous m’avez interrogée sur les différentes mesures prises pendant les périodes de confinement pour protéger les femmes et leurs enfants. Pour avoir vécu l’expérience du dernier confinement, nous savons que ce sont des périodes très anxiogènes qui augmentent encore les risques de violence. Nous nous sommes assurés que tous les dispositifs d’aide et d’écoute soient opérationnels : la ligne 3919 est là pour écouter, accompagner, guider et répondre à toutes les questions que les victimes peuvent se pose ; celles qui ne peuvent pas appeler peuvent envoyer un SMS au 114 et la plateforme gouvernementale arrêtonslesviolences.gouv.fr, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, est reliée directement aux forces de l’ordre pour aider les personnes qui en ont besoin. Il existe également des dispositifs créés au printemps dernier et qui sont toujours actifs ; certains d’entre eux seront renforcés. Évidemment, l’accueil des plaintes en pharmacie continuera à exister, tout comme les points d’accueil dans les centres commerciaux. En lien avec tous les acteurs associatifs mobilisés sur le terrain, nous resterons très attentifs à l’évolution de la situation afin que les femmes soient totalement prises en charge lorsque ce sera nécessaire. Nous communiquerons également partout sur les moyens et les dispositifs mis à disposition pour que les femmes ne se sentent pas seules dans ces périodes extrêmement difficiles. Nous rappellerons bien sûr que les femmes n’ont absolument pas besoin d’attestation de sortie lorsqu’elles se sentent en danger : pour elles, le confinement ne s’applique pas. Les forces de l’ordre sont évidemment mobilisées et formées sur ces sujets pour réagir en urgence.

Madame Limon, la loi de 2016 constitue une avancée majeure pour protéger les femmes victimes des réseaux de traite des êtres humains et lutter contre le proxénétisme. Je rappelle qu’elle pénalise les clients de la prostitution. Elle nous a aussi permis de créer une aide financière pour aider les femmes qui le souhaitent à sortir de la prostitution et destinée à une insertion socioprofessionnelle. Le cadre juridique est donc en place ; reste, vous avez raison, à le décliner et à l’appliquer partout sur le territoire. À ce jour, il existe soixante-quinze commissions départementales de lutte contre la prostitution, soit treize de plus qu’en 2019. Mais je conviens que ce n’est pas suffisant et que nous devons avoir une meilleure couverture sur l’ensemble du territoire. J’ai rencontré récemment l’association Le Mouvement du Nid qui mène sur tout le territoire un énorme travail de sensibilisation et d’accompagnement des femmes en situation de prostitution. Parce que ces associations doivent avoir les moyens de poursuivre leur mission partout, nous leur apportons un soutien financier substantiel, tant au niveau national ainsi qu’au niveau local : en 2020, 2,1 millions d’euros d’aides supplémentaires auront été apportés aux associations, qui s’ajoutent aux 2 millions d’euros consacrés à l’AFIS. Enfin, j’entends réunir d’ici à la fin de cette année un comité interministériel pour suivre l’exécution et l’application de la loi d’avril 2016.

Mme Michèle Peyron, présidente. Mesdames les ministres, ce fut une joie pour tous nos collègues ici présents de recevoir ensemble les trois « drôles de dames », si vous me permettez l’expression...

 


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II.   Examen des crÉdits

Puis la commission examine, pour avis, les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances (M. Brahim Hammouche, rapporteur pour avis) ([51]).

Article 33 et état B
Crédits du budget général

La commission est saisie de l’amendement II-AS2 de Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Cet amendement tend, dans un souci de respect de l’autonomie des personnes, à revenir sur la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul et le plafonnement de l’allocation aux adultes handicapés.

Quand une personne qui travaille se retrouve en situation d’invalidité, on ne tient pas compte des ressources de son conjoint pour calculer le montant de sa pension d’invalidité. Une personne qui présente une incapacité de plus de 80 % et bénéficie de l’AAH ne peut pas exercer d’activité professionnelle. Elle ne saurait être doublement pénalisée, à la fois par son handicap, qui l’empêche d’exercer une activité, et par le fait de vivre en couple, les ressources de son conjoint étant prises en compte dans le calcul de l’AAH !

Nous ne cessons d’être interpellés à ce sujet. J’ai bien conscience que cet amendement a très peu de chances d’être adopté ; considérez-le donc comme un amendement d’appel. Je demande au Gouvernement de travailler sur la question, car on ne peut s’en tenir au statu quo, et parler à tout bout de champ d’autonomie sans pour autant permettre aux personnes concernées de disposer de leurs propres ressources, voire de se séparer de leur conjoint – ce qui leur est impossible, puisqu’on les rend financièrement dépendantes de lui.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Mme la secrétaire d’État l’a souligné : faisant partie des minima sociaux, l’AAH tient compte de la solidarité qui s’exerce au sein du foyer. Qui plus est, elle a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle, son montant s’élevant, depuis avril 2020, à plus de 900 euros, alors qu’elle n’était, au 1er avril 2017, juste avant notre entrée en fonction, que de 810,89 euros, par suite d’une revalorisation de 2,43 euros seulement. Cela représente une augmentation de 11 % par rapport à 2017, et un engagement de près de 2 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat.

Je dois bien reconnaître qu’il y a deux ans, je m’étais moi-même interrogé sur les conséquences de la réforme. Or il s’avère que celle-ci a profité à 90 % des bénéficiaires ; 60 % des ménages, soit 162 000 personnes, ont bénéficié d’une revalorisation à plein et, pour les 40 % restants, le montant de l’AAH n’a pas diminué.

Enfin, je suis opposé à la diminution proposée des crédits de l’action 17 du programme 124, tout particulièrement dans le contexte sanitaire actuel. Nous avons besoin de renforcer l’action des agences régionales de santé, qui bénéficient dans le PLF 2021 d’une hausse de 5,7 % de leurs crédits, ce qui représente sur le terrain 500 agents supplémentaires, qui nous permettront d’être plus réactifs et de mieux coordonner nos actions pour lutter contre la crise sanitaire.

Mme Jeanine Dubié. Allons, monsieur le rapporteur ! Tout député bien informé sait que, du fait de l’article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances, nous sommes obligés de prendre des crédits quelque part ; mais rien n’empêche le Gouvernement de lever le « gage ». Votre argument est inaudible, et pour tout dire, petit...

Sur le fond, l’AAH est, comme son nom l’indique, une allocation. Elle relève du champ des prestations familiales, et elle est liée à l’état de handicap de la personne. Vous avez beau nous répéter ce qu’a dit Mme la secrétaire d’État, nous en sommes convaincus et continuerons à nous battre sur ce point.

Je le répète : il s’agit d’une question de dignité et d’autonomie. Vous qui ne cessez de parler d’autonomie, vous refusez aux personnes en situation de handicap la possibilité d’être autonomes grâce à la perception des revenus qui leur sont dus.

Mme Josiane Corneloup. Je veux abonder dans le sens de Jeanine Dubié : nous sommes très souvent interpellés sur cette question, et je trouve vraiment dommage que la revalorisation de l’AAH n’ait pas été pleinement effective : comme vous l’indiquiez vous‑même, monsieur le rapporteur pour avis, presque un foyer sur deux – 40 % contre 60 % – n’a pu en bénéficier. Pourtant, initialement, le but de cette revalorisation était de renforcer l’autonomie de la personne handicapée, à travers son indépendance financière. Mme la secrétaire d’État a beau expliquer que, pour toutes les prestations sociales, on tient compte du revenu du conjoint, je soutiens que l’AAH n’a rien à voir avec les autres prestations sociales dans la mesure où elle est liée à un handicap et à l’incapacité d’une personne à travailler. Pour quelle raison devrait-on tenir compte des revenus du conjoint ? Le Gouvernement devrait vraiment réfléchir à l’éventualité de déconjugaliser cette prestation.

Mme Gisèle Biémouret. Je suis d’accord avec ce que viennent de dire les oratrices précédentes. Une rectification à destination du rapporteur : l’AAH a bien été augmentée entre 2012 et 2017, puisqu’elle est passée de 743 à 808 euros. Ne laissez pas croire que rien n’a été fait avant vous !

M. le rapporteur. Le gage, c’est au Gouvernement de le lever, madame Dubié ; c’est donc à lui qu’il faut vous adresser. Et quoi qu’il en soit, on ne déshabille pas Pierre pour habiller Paul, ni Paul pour habiller Jacques... Vu le contexte sanitaire, toutes les lignes ont besoin d’être abondées.

Quant à la déconjugalisation de l’AAH, la secrétaire d’État vous a répondu.

Je maintiens mon avis défavorable.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Même si, à titre personnel, je serais favorable à un revenu universel individualisé, je trouve qu’il serait injuste de faire un cas spécifique d’un des minima sociaux. Quand on a épuisé ses droits au chômage et qu’on souhaite percevoir l’ASS, on est tributaire des revenus du couple...

Mme Jeanine Dubié. Mais on n’est pas handicapé !

Mme Michèle de Vaucouleurs. On n’en est pas moins dans une situation totalement subie : dans la mesure où l’on n’est pas en situation de retrouver un emploi, on se retrouve financièrement dépendant de son conjoint. Le fait de ne pas avoir la capacité de travailler est un autre problème, qui mérite toute notre attention et contre lequel nous luttons, puisque la politique du Gouvernement est aussi de faire en sorte que, même si l’on est lourdement handicapé et que l’on perçoit à ce titre l’AAH, on puisse accéder à un emploi compatible avec son handicap. Que tout le monde puisse accéder à l’emploi : telle est la volonté politique du Gouvernement. Pour les personnes qui se trouveraient néanmoins sans solution, je serais d’accord pour qu’une prestation de compensation du handicap individualisée soit versée, mais, s’agissant des minima sociaux, il n’y a aucune raison de faire une exception.

Mme Jeanine Dubié. Je le répète : contrairement au RSA, l’AAH ne fait pas partie des minima sociaux. C’est sur ce point que nous divergeons. Mais restons-en là.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur pour avis, elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances sans modification.

Après l’article 58

La commission examine l’amendement II-AS21 de M. Thierry Michels.

M. Thierry Michels. Cet amendement tend à revaloriser le travail des personnes handicapées. Dans un rapport d’octobre 2019 relatif aux ESAT, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) préconisent de mieux reconnaître le travail des usagers d’ESAT, en rehaussant la part de la rémunération directe dans leur salaire et en abaissant celle des prestations sociales. Les économies d’argent public ainsi réalisées serviraient à financer les dispositifs d’accompagnement des personnes handicapées vers le milieu ordinaire.

L’objet de cet amendement est de demander une étude de la faisabilité d’une telle mesure et de ses impacts sur les ESAT, dans une optique de concertation. De manière plus générale, c’est la question de l’emploi des personnes handicapées qui est posée, la logique de la sous-traitance incitant les ESAT à être compétitifs pour obtenir des marchés, donc à ne pas mieux payer les usagers handicapés. Les entreprises ne devraient-elles pas davantage payer les services et prestations des ESAT auxquels elles font appel dans le cadre de la responsabilité sociétale ?

Au-delà se pose la question de l’effort collectif à fournir pour permettre à nos concitoyens handicapés de trouver leur place pleine et entière dans la société, et, en définitive, de la pertinence et de l’efficacité des politiques publiques menées à cet effet. Les très nombreux dispositifs actuels atteignent-ils leur but ? Permettent-ils à nos concitoyens en situation de handicap de contribuer au mieux, dans la mesure de leurs possibilités, au monde du travail, dans le cadre d’une société plus inclusive ?

M. le rapporteur. Votre amendement est en effet inspiré d’un rapport de l’IGAS et de l’IGF ; le Gouvernement souhaitait lui-même faire évoluer le modèle des ESAT pour contribuer davantage à l’insertion des travailleurs handicapés en milieu ordinaire, mais cette réflexion a été interrompue par la crise sanitaire. Nous en sommes d’accord : il convient de renforcer la dimension inclusive des ESAT, et d’étendre le champ de leurs missions, notamment aux compétences d’expertise pour l’accompagnement des situations. Si le poids relatif de chacun des éléments de leur rémunération peut contribuer au sentiment de reconnaissance des travailleurs en ESAT, l’utilité des missions accomplies revêt une importance de premier plan.

Cependant, la secrétaire d’État l’a dit tout à l’heure, dans le contexte actuel, nous pouvons difficilement aller plus vite ; qui plus est, s’il était adopté, votre amendement risquerait même de fragiliser financièrement les ESAT. C’est pourquoi je vous invite à le retirer et à le redéposer en séance publique ; à défaut, mon avis serait défavorable.

M. Thierry Michels. Mon objectif était d’engager une réflexion sur cette question. Je vais donc retirer mon amendement pour le retravailler dans un sens peut-être plus global, afin que l’ensemble de ces dispositifs fassent l’objet d’un rapport du Gouvernement ou d’une mission d’information du Parlement, en vue d’assurer une meilleure inclusion des personnes handicapées dans le monde du travail et, au-delà, dans l’ensemble de la société.

L’amendement est retiré.

 

 

 


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   annexe :
personnes auditionnÉes par lE rapporteur

(par ordre chronologique)

 

     Table ronde des associations

– ATD Quart Monde France *Mme Marie-Aleth Grard, présidente, Mme Isabelle Doresse, chargée de mission sur les questions du revenu universel d’activité (RUA), et Mme Fatiha Ziane, militante Quart Monde

– Emmaüs-FranceM. Jean-François Maruszyczak, directeur général

– Fondation Abbé PierreM. Manuel Domergue, directeur des études

– Les Restos du cœur *M. Yves Mérillon, membre du bureau national, et M. Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles

– Secours catholique *Mme Véronique Fayet, présidente

– Secours populaire françaisM. Nicolas Champion, membre du bureau national, et M. Mathieu Humbert, directeur des relations et ressources institutionnelles

       Assemblée des départements de France (ADF) – M. Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, M. Jean-Michel Rapinat, directeur délégué Politiques sociales, Mme Myriam Stenger, directrice de cabinet du président du conseil départemental du Bas-Rhin, et Mme Ann-Gaëlle WernerBernard, conseiller Relations avec le Parlement

       Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) – M. Jérôme Voiturier, directeur général, et Mme Manon Jullien, conseillère technique Lutte contre l’exclusion

       Conseil économique, social et environnemental (CESE)Mme Martine Vignau, présidente du groupe UNSA, et Mme Marie-Aleth Grard, conseillère, présidente d’ATD Quart Monde

       Ministère des solidarités et de la santé  Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes  Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle

       Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Mme Virginie Lasserre, directrice générale

       Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) – Mme Joëlle Martinaux, présidente

       NEXEM *  Mme Marie Aboussa, directrice du pôle Offre sociale et médico-sociale, et Mme Aurélie Sabatier, chargée des relations institutionnelles

       Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Mme MarieHélène Boidin-Dubrule, et M. Stéphane Junique, rapporteurs de l’avis « Éradiquer la grande pauvreté à l’horizon de 2030 »

       M. Christophe Sirugue, ancien ministre, ancien vice-président de l’Assemblée nationale, auteur du rapport « Repenser les minima sociaux » (avril 2016)

       M. Fabrice Lenglart, rapporteur général à la réforme du revenu universel d’activité

       Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) – Mme Bénédicte Legrand-Jung, cheffe de service, adjointe au délégué général, et M. Morad Ben Mezian, adjoint au chef de département Stratégie

       Fédération des acteurs de la solidarité * – M. Alexis Goursolas, responsable du service Stratégie et analyse des politiques publiques, et Mme Laura Slimani, responsable du pôle Respirations, chargée de missions Europe, genre et prostitution

       Conseil départemental de la Meurthe-et-Moselle  Mme Valérie Beausert-Leick, présidente

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) « Mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 » ; Cour des comptes ; janvier 2020.

([2]) NB : bien que le revenu de solidarité active (RSA) relève des conseils départementaux, le programme 304 participe à son financement. En effet, depuis sa création au 1er septembre 2010, le RSA jeune actif est entièrement financé par l’État ; par ailleurs, le financement du RSA a été « recentralisé » pour les départements de la Guyane et de Mayotte en 2019, et sa recentralisation à La Réunion est proposée au 1er janvier 2020.

([3]) Le Gouvernement a engagé en 2019 une concertation nationale visant à étudier les conditions de mise en œuvre d’un revenu universel d’activité en parallèle de la création d’un service public de l’insertion. Lancée le 3 juin 2019, la concertation a permis de recueillir l’avis de représentants des collectivités territoriales, des partenaires sociaux ainsi que du monde associatif. Une consultation citoyenne a également été organisée en ligne, jusqu’au 20 novembre 2019, ainsi que par le biais d’ateliers citoyens dans toute la France jusqu’au 2 décembre 2019. Un jury citoyen représentatif de la diversité de la population française a ensuite été réuni en février 2020. En parallèle de cette concertation institutionnelle et de la consultation citoyenne, des travaux techniques inter-administrations ont été réalisés. Ceux-ci ont été temporairement suspendus du fait de la crise sanitaire mais devraient reprendre en septembre 2020 et permettront la remise d’un rapport au Gouvernement dans la perspective de l’élaboration d’un projet de loi.

([4]) Source : CNCDH, avis sur la création du revenu universel d’activité (RUA) du 23 juin 2020.

([5]) Ibid.

([6]) Rapport de M. Christophe Sirugue, « Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune » ; Mission confiée à M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire ; Rapporteurs : Clément Cadoret, inspecteur des affaires sociales ; Sébastien Grobon, administrateur INSEE ; avril 2016.

([7]) « Mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 » ; Cour des comptes ; janvier 2020.

([8]) Source : réponse au questionnaire budgétaire portant sur le projet annuel de performance de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances annexé au projet de loi de finances pour 2021.

([9]) Une revalorisation de 90 euros du montant maximal du bonus individuel de la prime d’activité a été mise en œuvre par le décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité.

([10]) Décret n° 2018-836 du 3 octobre 2018 portant revalorisation du montant forfaitaire de la prime d’activité et réduction de l’abattement appliqué aux revenus professionnels.

([11]) Source : France Stratégie, note d’étape du 1er octobre 2020, « La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus : recommandations du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ».

([12]) Source : « Quelles sont les spécificités des professions occupées par les personnes handicapées ? », N° 31 ; Dares analyses ; septembre 2020.

([13]) Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) portant sur l’évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ; décembre 2019.

([14]) Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

([15]) Rapport de la députée Céline Calvez sur la place des femmes dans les médias en période de crise.

([16]) Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et direction départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale.

([17]) Source : Insee Analyses n° 49 ; octobre 2019.

([18]) Un ménage est considéré comme pauvre en conditions de vie s’il subit au moins huit privations parmi une liste de vingt-sept possibles regroupées en quatre dimensions : insuffisance de ressources, retards de paiement, restrictions de consommation et difficultés de logement. Chacun des vingt-sept indicateurs correspond à la privation d’un élément de bien-être standard largement diffusé dans la population française.

([19]) Source : CESE, « Revenu minimum social garanti », avis présenté par Mmes Marie-Aleth Grard et Martine Vignau, rapporteures, avril 2017.

([20]) Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, bilan 2013-2014 et feuille de route 2015-2017, mars 2015.

([21]) Source : « Un million de nouveaux pauvres fin 2020 en raison de la crise due au Covid-19 » par Isabelle Rey-Lefebvre, Richard Schittly, Gilles Rof, Philippe Gagnebet, Benjamin Keltz et Jordan Pouille ; Le Monde ; 6 octobre 2020.

([22]) La pandémie de COVID-19 risque d’entraîner 150 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2021 » ; 7 octobre 2020 et « La pandémie de Covid-19 va faire basculer jusqu’à 150 millions de personnes dans l’extrême pauvreté » ; Le Monde ; 7 octobre 2020.

([23]) Source : Carolina Sanchez, l’une des autrices du rapport.

([24]) France Stratégie, « La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus : Recommandations du comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté », note d’étape du 1er octobre 2020.

([25]) Ibid.

([26]) Secours catholique et association Aequitaz, rapport « Sans contreparties – pour un revenu minimum garanti », 1er octobre 2020.

([27]) Une enquête de 2012 auprès d’allocataires du RSA montre que 55 % d’entre eux ont connu un découvert bancaire sur les dix-huit mois précédent l’enquête. 41 % ont été empêchés de rembourser leurs dettes (hors dettes de loyer), 28 % ont eu des dettes de loyer et 14 % ont eu au moins une fois un problème de surendettement.

([28]) En 2018, la moitié des ménages (49,4 % exactement) reçus par le Secours catholique sont en situation d’impayés. Secours Catholique, Rapport statistique 2019 sur l’état de la pauvreté en France, p. 43.

([29]) CESE, « Revenu minimum social garanti », avis présenté par Mmes Marie-Aleth Grard et Martine Vignau, rapporteures, avril 2017.

([30]) CNCDH, avis sur la création du revenu universel d’activité (RUA) du 23 juin 2020 (recommandation n° 4).

([31]) Par exemple, dans le rapport du 1er octobre 2020 « Sans contreparties – pour un revenu minimum garanti » du Secours catholique et de l’association Quittasse.

([32]) CESE, « Revenu minimum social garanti », avis présenté par Mmes Marie-Aleth Grard et Martine Vignau, rapporteures, avril 2017.

([33]) Haut Conseil de la famille, « Les jeunes de 18 à 24 ans » (Tome IV – Les termes des débats sur les aides publiques aux jeunes majeurs), avril 2016.

([34]) CNCDH, avis sur la création du revenu universel d’activité (RUA) du 23 juin 2020.

([35]) Secours catholique et association Quittasse, rapport « Sans contreparties – pour un revenu minimum garanti », 1er octobre 2020.

([36]) CNCDH, avis sur la création du revenu universel d’activité (RUA) du 23 juin 2020.

([37]) Source : Secours catholique et association Quittasse, rapport « Sans contreparties – pour un revenu minimum garanti », 1er octobre 2020.

([38]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

([39]) CESE, « Revenu minimum social garanti », avis présenté par Mmes Marie-Aleth Grard et Martine Vignau, rapporteures, avril 2017.

([40]) Rapport de M. Christophe Sirugue : « Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune » ; Mission confiée à M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire ; Rapporteurs : Clément Cadoret, inspecteur des affaires sociales ; Sébastien Grobon, administrateur INSEE ; avril 2016.

([41]) Ibid.

([42]) Avis du conseil de recherche et de prospective de l’UNIOPSS sur le revenu minimum universel suite à la demande du conseil d’administration – janvier 2017 : « Une allocation universelle complétive ou substitutive ? ».

([43]) Ibid.

([44]) Source : CESE, « Revenu minimum social garanti », avis présenté par Mmes Marie-Aleth Grard et Martine Vignau, rapporteures, avril 2017.

([45]) Ibid.

([46]) CESE, avis « Éradiquer la grande pauvreté à l’horizon 2030 » sur le rapport présenté par Mme Marie-Hélène Boidin Dubrule et M. Stéphane Junique.

([47]) Rapport de M. Christophe Sirugue : « Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune » ; Mission confiée à M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire ; Rapporteurs : Clément Cadoret, inspecteur des affaires sociales ; Sébastien Grobon, administrateur INSEE ; avril 2016.

([48]) Secours catholique et association Quittasse, rapport « Sans contreparties – pour un revenu minimum garanti », 1er octobre 2020.

([49]) CESE, avis « Éradiquer la grande pauvreté à l’horizon 2030 » sur le rapport présenté par Mme Marie-Hélène Boidin Dubrule et M. Stéphane Junique.

([50]) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9760362_5f99774fc4eae.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-finances-pour-2021-seconde-partie-28-octobre-2020

([51]) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9760362_5f99774fc4eae.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-finances-pour-2021-seconde-partie-28-octobre-2020