N° 3902

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2021.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE complétant l’article 1er de la Constitution
et relatif à la préservation de l’environnement,

PAR M. Christophe AREND

Député

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 Voir le numéro : 3787.


 

 


  1  

SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. UN ENGAGEMENT TOUJOURS PLUS IMPORTANT DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

1. La COP 21 qui s’est tenue à Paris en 2015 a marqué une avancée importante en termes de lutte contre le dérèglement climatique

2. Depuis 2015, les textes internationaux et communautaires renforcent les obligations de protection de l’environnement et contre le dérèglement climatique

II. La constitutionnalisation progressive de principes environnementaux dans le monde

1. Un phénomène mondial de constitutionnalisation de l’environnement

2. Une inscription consacrée en France par la Charte de l’environnement

3. La volonté d’une inscription, dans le texte même de la Constitution, de l’objectif de préservation de l’environnement

4. L’initiative de la Convention citoyenne pour le climat

III. UN NOMBRE CROISSANT DE CONTENTIEUX RÉCENTS QUI MONTRENT LES LIMITES DU DROIT CONSTITUTIONNEL ACTUEL

IV. LA Volonté du gouvernement D’AJOUTER à l’ARTICLE 1er DE LA CONSTITUTION la NÉCESSAIRE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

Travaux en commission

I. Discussion générale

II. examen de l’article unique

Avant l’article unique

Article unique

Après l’article unique

liste des personnes auditionnées


  1  

   introduction

L’actualité des dernières années aussi bien en France que dans de nombreux autres pays du monde ne peut qu’alerter les responsables politiques et plus généralement les citoyens sur la rapide dégradation des équilibres climatiques et sur la perte de biodiversité. Cette dégradation paraît encore plus sensible que l’on ne pouvait l’imaginer il y a une ou deux décennies. Les événements climatiques extrêmes (tempêtes, précipitations plus fréquentes, sécheresse), la succession d’années battant des records de chaleur, la fonte des glaces, l’élévation continue du niveau des océans, etc. sont autant d’exemples des conséquences du réchauffement climatique dues à l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, et en particulier de CO2.

Le cinquième et dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en novembre 2018 souligne la nécessité de limiter la hausse moyenne des températures à 1,5° d’ici la fin du siècle afin de garantir un habitat soutenable à l’ensemble des habitants de la planète. En conséquence, le rapport rappelle que pour ne pas dépasser cet objectif, la neutralité carbone doit être un objectif explicite des politiques publiques, cet objectif impliquant de développer la capacité à ne pas émettre plus de CO2 que les écosystèmes sont capables d’en capturer. Encore plus récemment, une étude publiée par Météo France illustre les scénarios possibles de la hausse moyenne des températures en France d’ici 2100, montrant que cette hausse pourrait aller jusqu’à 3 à 4 degrés de plus en moyenne qu’aujourd’hui ([1]).

La diversité biologique est aussi menacée par de multiples facteurs, dont le réchauffement climatique. En mai 2019, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) qui réunit différentes institutions onusiennes a ainsi constaté un dangereux déclin de la biodiversité avec plus de 1 million d’espèces animales et végétales qui seraient menacées ([2]).

Au vu de ces évolutions et de ces projections qui reflètent les déséquilibres affectant les écosystèmes naturels et le climat, le droit des individus à vivre dans un environnement sain paraît de plus en plus compromis. Néanmoins, depuis de nombreuses années, les gouvernements et représentants élus sont conscients du rôle qu’ils ont à jouer pour promouvoir des politiques respectueuses de l’environnement et contribuer à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Cette prise de conscience est aussi celles des citoyens qui se mobilisent dans de nombreux pays pour promouvoir la protection de l’environnement.

I.   UN ENGAGEMENT TOUJOURS PLUS IMPORTANT DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

1.   La COP 21 qui s’est tenue à Paris en 2015 a marqué une avancée importante en termes de lutte contre le dérèglement climatique

Depuis les années 1970 qui ont été marquées par une première prise de conscience des risques de dégradation de l’environnement et d’épuisement des ressources naturelles, de nombreuses initiatives internationales ont vu le jour pour que les États coordonnent leurs efforts afin de mener des politiques plus respectueuses de l’environnement, notamment pour limiter les effets des activités humaines sur celui-ci.

En 1972, un premier sommet international a lieu à Stockholm. Des sujets émergent alors comme la dégradation de la couche d’ozone, et progressivement celui des changements climatiques. Le changement climatique interroge dans un premier temps les scientifiques. La plupart d’entre eux estiment que la pollution causée par les activités humaines affecte les équilibres climatiques, notamment en raison de la concentration toujours croissante de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère que ces activités provoquent et qui conduit à une élévation tendancielle des températures.

En 1992, le sommet de la Terre à Rio fait réellement entrer la communauté internationale dans un système juridique et de dialogue pour limiter la dégradation du climat et de la biodiversité. C’est à l’occasion de ce sommet que les premières conventions internationales sur la protection de l’environnement et sur la diversité biologique sont élaborées. Le sommet de Rio conduit à la création de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) dont le secrétariat permanent est assuré par l’ONU. Cette Convention cadre prévoit la réunion régulière des pays signataires au sein de conférences des parties (COP). La conférence des parties qui a lieu à Kyoto en 1997 permet aux pays de s’accorder sur un premier objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Parallèlement, dès la fin des années 1980, des scientifiques se rassemblent au sein du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC ou IPCC en anglais), instance internationale de recherche et de partage des données. Ce groupe fait une recension régulière de ses travaux dans des rapports qui exposent les évolutions constatées du climat et expliquent les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur celui-ci ainsi que les quantités d’émissions qu’il faut viser ou ne pas dépasser pour limiter la hausse des températures.

Lors de la 21e conférence des parties à Paris en décembre 2015, un accord très ambitieux a été signé par l’ensemble des États parties. La présidence française de cette COP portait l’ambition de trouver un consensus mondial afin que tous les pays œuvrent pour que l’élévation de la température moyenne ne dépasse pas 1,5 degré d’ici la fin du XXIe siècle. 195 États du monde étaient présents à cette conférence et ont signé le 12 décembre 2015 l’accord dit accord de Paris, qui, selon son article 2, « vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, notamment en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. »

Pour respecter cet objectif, chaque État signataire doit établir sa contribution déterminée au niveau national (CDN) en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Ces contributions qui doivent être actualisées tous les cinq ans ont un caractère relativement contraignant pour les 183 pays qui, aujourd’hui, ont ratifié l’accord.

2.   Depuis 2015, les textes internationaux et communautaires renforcent les obligations de protection de l’environnement et contre le dérèglement climatique

La préservation de l’environnement ne se résume par ailleurs pas à la question du changement climatique et l’ONU élabore et actualise depuis plusieurs décennies des objectifs dits aujourd’hui de développement durable (ODD) afin de promouvoir les droits humains et le développement. Ces objectifs sont actuellement au nombre de 17 et touchent de nombreux domaines comme l’égalité entre les sexes ou le droit à l’éducation par exemple. Concernant le sujet qui nous intéresse plus particulièrement, outre l’objectif de protéger l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique, le développement du recyclage, la protection des forêts, la réduction de la consommation de plastique, ou encore le développement de transports durables constituent des objectifs de développement durable. En septembre 2015, l’ONU a adopté une résolution pour mettre en œuvre ces objectifs d’ici 2030 ([3]).

Si le droit international, notamment la Convention cadre des Nations Unies, a une portée contraignante relativement faible mais qui a été renforcée avec l’accord de Paris, il n’en est pas de même pour le droit communautaire qui oblige les États membres à agir dans un effort commun pour atteindre les objectifs fixés par l’Union européenne.

Le droit européen mentionne le développement durable ainsi que la préservation et la protection de l’environnement comme des objectifs et des domaines de la compétence de l’Union (compétence qu’elle partage avec les États membres).

Article 3 du traité sur l’Union européenne

« […]

« 5. Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité́, au développement durable de la planète, à la solidarité́ et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté́ et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations Unies. »

Article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

« 1. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :

— la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité́ de l’environnement,

— la protection de la santé des personnes,

— l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,

— la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.

« […] »

L’un des piliers de la politique européenne de lutte contre le changement climatique est le système d'échange de quotas d'émission (SEQE ou ETS en anglais) qui est un marché d’échange de droits d’émission de CO2 auxquels ont accès un certain nombre d’entreprises. Ce marché a été mis en place en 2005. Il fonctionne entre 30 pays, dont les 27 États membres de l’UE actuelle, concerne plus de 11 000 entreprises et le secteur aérien (soit environ au total 45 % des GES émis dans l’UE). Ce système d’échanges permet la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre car il sanctionne les entreprises qui ne pourraient pas prouver qu’elles ont couvert leurs émissions de GES par la quantité de quota correspondante. D’après la Commission européenne, en 2020, les émissions des secteurs couverts par le système seront inférieures de 21 % par rapport aux niveaux de 2005.

Par ailleurs, dix ans après le protocole de Kyoto, en 2007, l’Union européenne se fixe des objectifs pour 2020. Trois objectifs sont communs à tous les pays de l’UE : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % (par rapport aux niveaux de 1990), porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’UE et améliorer l’efficacité énergétique de 20 %. La traduction juridique de ces engagements a été finalisée en 2009.

En 2014, des engagements ont été pris pour 2030. Il a alors été prévu qu’en 2030, les émissions de gaz à effet de serre des pays de l’UE seraient réduites de 40 % par rapport au niveau d’émission de 1990. L’Union européenne s’est engagée sur cet objectif en tant que partie de l’accord de Paris. La part des énergies renouvelables doit également augmenter dans l’ensemble des énergies utilisées à 32 %, et l’efficacité énergétique doit être davantage améliorée (à 32 % aussi de baisse en comparaison d’une mesure historique).

À partir de 2016, pour approfondir le cadre européen de protection de l’environnement et pour inciter les États membres à respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, l’Union européenne a commencé à élaborer un ensemble de règlements et de directives qui s’est traduit en français par le « paquet Énergie propre » (ou « Clean energy for all European package »). Ont été affirmés à travers ces textes les objectifs d’amélioration de la part des énergies renouvelables, d’amélioration de l’efficacité énergétique, notamment de l’efficacité énergétique des bâtiments, et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Cette politique communautaire a institué, au cœur du paquet Énergie propre, un nouveau système de gouvernance qui doit conduire chaque État membre à élaborer un plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) explicitant les mesures qu’il va prendre pour réduire ses émissions de GES, promouvoir les énergies renouvelables et réduire la consommation d’énergie sur une première période de dix ans.

En septembre 2020, la Commission européenne a engagé l’Union sur des objectifs encore beaucoup plus ambitieux à l’horizon 2050, à savoir réduire d’au moins 80 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, et être un ensemble de pays neutres en termes d’émissions de CO2. Ce plan, présenté comme un « Green deal », illustre les ambitions de l’UE en matière de lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de la consommation d’énergie.

Ces engagements communautaires ont trouvé des traductions législatives en droit français avec le vote de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 pour la transition énergétique et la croissante verte qui a prévu l’élaboration de deux documents stratégiques décrivant les actions de la France à court et moyen termes pour réduire les émissions de CO2 et améliorer l’efficacité énergétique : d’une part, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PEE), et d’autre part, la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ces deux politiques entrent dans le cadre des PNEC. Elles traduisent l’engagement de la France à respecter les objectifs communautaires ([4]).

Enfin, avec le vote de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, la France s’est fixé des objectifs encore plus ambitieux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La loi, rappelant l’urgence climatique, affirme la volonté de la France de réduire de 40 % la consommation d’énergies fossiles par rapport à 2012 d’ici 2030 (ce qui va au-delà de ses engagements européens pour 2030) et instaure un Haut Conseil pour le climat ([5]).

Pour respecter les objectifs internationaux et les règlements communautaires, la France affirme pour la première fois son objectif d’atteindre « la neutralité carbone à l’horizon » 2050, en lieu et place d’une réduction par quatre des émissions de gaz à effet de serre mesurées entre 1990 et 2050.

L’ensemble des éléments brièvement exposés ci-dessus illustre le nombre important de textes internationaux, communautaires et nationaux qui obligent la France en termes de protection de l’environnement et plus particulièrement de lutte contre les changements climatiques, avec des politiques ambitieuses de réduction des émissions de GES.

II.   La constitutionnalisation progressive de principes environnementaux dans le monde

1.   Un phénomène mondial de constitutionnalisation de l’environnement

La mention des termes d’environnement et de développement durable, la nécessité de préserver l’environnement, la biodiversité ou encore les ressources naturelles, le droit des individus à un environnement sain, le droit des générations futures à bénéficier d’une terre habitable apparaissent aujourd’hui dans de nombreuses constitutions. Plus de 145 États dans le monde en font mention d’une manière ou d’une autre. Les États-Unis sont un des rares pays développés à ne faire aucune mention, dans la Constitution fédérale, de l’environnement et des droits des individus à un environnement sain ([6]).

Ces droits au développement durable et à l’environnement ainsi que l’émergence d’un droit interne contraignant les États à respecter la nature et à lutter contre la dégradation de l’environnement et de la biodiversité sont apparus comme une troisième génération de droits humains. Ils sont de plus en plus promus, dans la mesure où la jouissance des droits de l’homme apparaît de plus en plus conditionnée à la préservation des conditions de vie naturelles actuelles elles-mêmes menacées par le changement climatique et la raréfaction de certaines ressources.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé dans un arrêt de principe du 9 décembre 1994 (Lopez Ostra c/ Espagne, aff. n° 16798/90) que pouvait être déduit de l’article 8 de la Convention, qui proclame le droit à une vie privée et familiale normale, le droit de vivre dans un environnement sain.

Les pays européens n’apparaissent pas nécessairement comme les plus en pointe sur ces sujets, n’ayant pas toujours révisé leur Constitution dans cette perspective au cours des dernières décennies. L’Italie est le premier pays qui, adoptant une Constitution en 1947 à la sortie de la guerre, a proclamé en son article 9 que « La République (...) protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation ». La Constitution espagnole en 1976 a affiché une plus grande ambition en proclamant le droit de chacun à vivre dans un environnement adéquat tout en ayant le devoir de le protéger, et en obligeant les personnes publiques à veiller à la qualité de vie, en veillant à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et à la préservation de l’environnement (cf. article 45) ([7]).

Enfin, à titre de comparaison, l’Allemagne a complété sa Constitution en 1992 par l’article 20 A rédigé comme suit :

Les principes environnementaux dans la Loi fondamentale allemande

Article 20 A

« Assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l’État protège les fondements naturels de la vie et les animaux par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans les conditions fixées par la loi et le droit. »

 

La consécration constitutionnelle de la protection de l’environnement prend alors la forme d’une finalité assignée à l’État (Staatsziele). Elle oblige les responsables politiques et en particulier le législateur à agir dans ce sens, mais elle ne crée pas un droit pour les particuliers équivalant aux droits fondamentaux consacrés par le texte constitutionnel. Elle peut évoluer selon l’état des connaissances sur l’environnement, la situation économique et l’appréciation politique du législateur. Les « conditions naturelles de la vie » désignent ici l’environnement, ce qui comprend toutes ses composantes, parmi lesquelles l’eau, l’air, le sol, la biodiversité, le climat ou les paysages.

La protection de l’environnement y est envisagée dans une perspective anthropocentrée, alors que d’autres États, non européens pour la plupart, ont commencé à considérer la nature comme un sujet de droit qu’il faut protéger à la fois pour elle-même et pour les générations futures (cf. par exemple la constitution de l’Équateur adoptée en 2008 ([8])).

En comparaison, le nombre de pays ayant choisi de faire figurer explicitement les enjeux liés au changement climatique dans leur Constitution est relativement faible. Les dix pays qui actuellement font figurer la lutte contre le changement ou dérèglement climatique dans leur constitution l’ont fait assez récemment et sont dans l’ensemble des pays émergents dont certains sont particulièrement touchés par les conséquences du réchauffement climatique et la dégradation des habitats naturels. La liste de ces pays et des dispositions concernées sont présentées ci-dessous.

La république de Cuba qui a adopté, à la suite à d’un vote par référendum, une nouvelle constitution en 2019, met aussi l’accent sur la protection de l’environnement parmi les objectifs assignés à l’État (notamment dans ses articles 23 et 24 qui mentionnent les biens communs).

Pays

Citation

Article

Bolivie

« Les objectifs de la politique de l’État en matière de développement rural global, en coordination avec les entités territoriales autonomes et décentralisées sont les suivants :
[…]4. Protéger la production agricole et agro-industrielle contre les catastrophes naturelles et le climat défavorable et les catastrophes géologiques [...]. »

Art. 407

Côte d’Ivoire

« Nous, peuple de Côte d’Ivoire ;
[…] Exprimons notre engagement à :
[…] – contribuer à la préservation du climat et d’un environnement sain pour les générations futures. »

Préambule

République dominicaine

« La formulation et l’exécution, par la loi, d’un plan d’ordonnancement territorial qui assure l’utilisation efficace et durable des ressources naturelles de la Nation, conformément à la nécessité de l’adaptation au changement climatique, sont une priorité de l’État. »

Art. 195

Équateur

« L’État doit adopter des mesures adéquates et transversales pour atténuer les changements climatiques, en limitant les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation et la pollution de l’air ; il prend des mesures pour la conservation des forêts et de la végétation ; et il doit protéger la population à risque. »

Art. 414

Népal

« L’État poursuit les politiques suivantes :
[...] h. Politiques concernant les besoins fondamentaux des citoyens :
[...] 12. augmenter les investissements dans le secteur agricole en prenant les dispositions nécessaires pour une productivité, un approvisionnement, un stockage et une sécurité durables tout en les rendant facilement disponibles avec une distribution efficace des céréales vivrières en encourageant une productivité alimentaire adaptée aux sols et aux conditions climatiques du pays en accord avec les normes de souveraineté alimentaire. »

Art. 51

Thaïlande

« Des réformes nationales dans divers domaines doivent être menées pour au moins atteindre les résultats suivants :
[...] g. Autres domaines :
1. disposer d’un système de gestion des ressources en eau efficace, équitable et durable, en tenant dûment compte de toutes les dimensions de la demande en eau en combinaison avec les changements environnementaux et climatiques. »

Section 258

Tunisie

« L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la sécurité du climat. L’État fournit les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale. »

Art. 45

Venezuela

« C’est une obligation fondamentale de l’État, avec l’active participation de la société, de garantir que la population puisse se mouvoir dans un environnement libre de contamination, où l’air, l’eau, les sols, les côtes, le climat, la couche d’ozone, les espèces vivantes, soient particulièrement protégés, en conformité avec la loi. »

Art. 127

Vietnam

« L’État a une politique de protection de l’environnement ; gère et utilise efficacement et de manière stable les ressources naturelles ; protège la nature et la biodiversité ; prend des initiatives en matière de prévention et de résistance contre les calamités naturelles et répondant au changement climatique. »

Art. 53

Zambie

« L’État doit dans l’utilisation des ressources naturelles et dans la gestion de l’environnement :

[…] g) prendre et mettre en œuvre des mécanismes qui traitent du changement climatique »

Art. 257

Source : Tableau réalisé à l’aide des contributions de M. Michel Prieur et de Mme Christel Cournil.

2.   Une inscription consacrée en France par la Charte de l’environnement

L’introduction de la Charte de l’environnement dans le corpus constitutionnel français est une étape fondamentale de la constitutionnalisation de l’objectif de préservation de l’environnement et du droit de chacun à vivre dans un environnement sain. Cette charte a été introduite par le vote en Congrès de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 5 mars 2005 (cf. ci-dessous). Son élaboration avait été confiée à un comité de scientifiques et de personnalités, présidé par M. Yves Coppens. La Charte de l’environnement est l’aboutissement d’un long travail de réflexion sur la place de l’environnement dans notre société et sur la nécessité d’œuvrer pour un développement durable. La Charte est un texte « hybride » qui comporte des considérants rappelant des grands principes et objectifs et dix articles qui établissent des droits et devoirs pour toute personne, ce qui inclut les collectivités publiques, mais pas seulement. Ainsi la Charte s’adresse à tout un chacun et oblige le législateur à garantir certains droits, notamment le droit à l’information du public en son article 7. La Charte par ailleurs constitutionnalise le principe de précaution en son article 5.

S’il ne faisait aucun doute pour le constituant que cette Charte annexée au préambule de la Constitution qui la mentionne devait recevoir sa pleine valeur constitutionnelle au même titre que les autres textes mentionnés dans le préambule, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le Conseil Constitutionnel n’a confirmé cette hypothèse que dans une décision de 2008, alors qu’il était saisi d’une loi relative aux organismes génétiquement modifiés (DC 2008-564 du 19 juin 2008, loi relative aux organismes génétiquement modifiés). Il a alors énoncé dans un considérant de principe que l’ensemble de la Charte de l’environnement avait valeur constitutionnelle ([9]).

Cette première décision sur la Charte de l’environnement a incité les députés et sénateurs lors de saisines du Conseil constitutionnel a priori sur les lois non encore promulgués à invoquer la Charte. Cependant, le Conseil Constitutionnel a eu peu d’occasions de s’appuyer sur ce texte pour censurer des dispositions législatives. La Charte a également été invoquée lors de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à partir de 2010.

L’introduction de la QPC a montré les difficultés que les juges pouvaient rencontrer dans l’interprétation des considérants et articles de la Charte et dans le statut de ses dispositions au regard de l’article 61-1 de la Constitution. En effet, la question s’est posée à de nombreuses reprises de savoir si les articles de la Charte constituaient des « droits et libertés que la Constitution garantit ». En 2011, le Conseil a rendu une importante décision QPC (QPC du 8 avril 2011 n° 2011-116, Michel Z et autres) où il a établi que les articles 1er et 2 de la Charte peuvent être invoqués à l’appui d’une QPC (de même que l’article 7) et qu’ils créent des droits entre les particuliers comme entre l’État et les citoyens. Pour le Conseil, il existe donc un devoir de chacun de préserver l’environnement et une responsabilité en cas de manquement (qui constitue une forme de devoir de vigilance).

Dans le même temps et à travers d’autres décisions, le Conseil constitutionnel a refusé l’invocabilité, dans le cadre de QPC, d’autres articles de la Charte, comme son article 6. De même, les considérants de la Charte n’entrent pas dans la catégorie des droits et libertés garantis par la Constitution.

La Charte de l’environnement est davantage évoquée devant les juridictions administratives qui voient des actes réglementaires contestés pour non-respect des principes qu’elle proclame. Les juridictions administratives rappellent, elles aussi, la valeur constitutionnelle de la Charte et peuvent également censurer des actes réglementaires si une loi ne fait pas écran (notamment pour méconnaissance du principe de précaution) ou si le législateur a manqué ou n’a pas suffisamment encadré les règles relatives à l’information et à la participation du public.

Charte de l’environnement (loi constitutionnelle n° 2005-205 du 5 mars 2005 relative à la Charte de l'environnement)

Le peuple français,

Considérant :

Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;

Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;

Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;

Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,

PROCLAME :

Article 1er. Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2. Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Article 3. Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4. Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Article 5. Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Article 6. Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.

Article 7. Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Article 8. L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.

Article 9. La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.

Article 10. La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France.

Préserver l’environnement, protéger la biodiversité et lutter contre les changements climatiques apparaissent aussi comme des objectifs que le législateur a assignés au droit de l’environnement. Ce droit de l’environnement repose sur des principes et des objectifs, comme le rappelle l’article L. 110-1 du code de l’environnement, complété à plusieurs reprises. Nombre de ces principes sont ceux qui figurent dans la Charte de l’environnement mais ils sont ici exposés de manière plus précise. Cet article mentionne explicitement la biodiversité qui fait partie du patrimoine commun de la Nation et la lutte contre le changement climatique qui fait partie des objectifs de développement durable.

Par ailleurs, la législation française depuis au moins les années 1970 ne manque pas de textes visant à protéger l’environnement, par des réglementations relatives à la protection des paysages, de l’eau, de la montagne et des littoraux, à la réglementation de la chasse, à l’aménagement du territoire, à la réglementation des installations dangereuses ou polluantes et à l’information du public, ou encore à l’évaluation de l’impact environnemental des projets…

Article L. 110-1 du code de l’environnement (modifié pour la dernière fois par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement)

I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage.

Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.

On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.

On entend par géodiversité la diversité géologique, géomorphologique, hydrologique et pédologique ainsi que l'ensemble des processus dynamiques qui les régissent, y compris dans leurs interactions avec la faune, la flore et le climat.II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ;

Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ;

3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;

4° Le principe selon lequel toute personne a le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ;

5° Le principe de participation en vertu duquel toute personne est informée des projets de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dans des conditions lui permettant de formuler ses observations, qui sont prises en considération par l'autorité compétente ;

6° Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ;

7° Le principe de l'utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ;

8° Le principe de complémentarité entre l'environnement, l'agriculture, l'aquaculture et la gestion durable des forêts, selon lequel les surfaces agricoles, aquacoles et forestières sont porteuses d'une biodiversité spécifique et variée et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d'interactions écosystémiques garantissant, d'une part, la préservation des continuités écologiques et, d'autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d'un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité ;

9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.

III. - L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :

1° La lutte contre le changement climatique ;

2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu'ils fournissent et des usages qui s'y rattachent ;

3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;

4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;

5° La transition vers une économie circulaire.

IV. - L'Agenda 21 est un projet territorial de développement durable.

3.   La volonté d’une inscription, dans le texte même de la Constitution, de l’objectif de préservation de l’environnement

L’idée d’inscrire dans le texte même de la Constitution une disposition concernant l’environnement et sa préservation et plus particulièrement l’inscription d’une disposition concernant la lutte contre le changement climatique ne date pas de l’institution de la Convention citoyenne pour le climat en 2019. En 2005, lorsque le constituant a adopté la Charte de l’environnement, il a également complété l’article 34 de la Constitution relatif aux matières qui relèvent de la compétence du législateur pour y faire figurer « la préservation de l’environnement ». Lors de la révision du 23 juillet 2008, les compétences du Conseil économique, social et environnemental ont été élargies, précisément aux questions environnementales.

Depuis 2008, le texte constitutionnel n’a pas évolué. Néanmoins, la protection de l’environnement de manière générale, et plus particulièrement la lutte contre le changement climatique et la pollution de l’air, ou encore les enjeux liés à la consommation d’énergies fossiles n’ont cessé d’être au cœur de l’actualité et de susciter l’intérêt des citoyens comme du législateur qui, avec des gouvernements successifs et sous diverses majorités, a renforcé l’ambition de la France dans ces domaines en fixant des objectifs et en imposant de nouvelles obligations.

Ces évolutions se sont faites sans modification de la Constitution et dans un cadre juridique où la Charte de l’environnement restait appliquée avec une certaine prudence.

Dans ce contexte, des appels à une modification de la Constitution se sont fait entendre en France en 2015 lors de la COP 21 qu’elle organisait. Cet événement coïncidait avec les dix ans de la Charte de l’environnement. Un certain nombre d’éléments incitaient à un renforcement de la protection de l’environnement dans les politiques publiques et plus particulièrement pour un renforcement de la protection juridique du droit à un environnement sain et des obligations des États pour lutter contre les changements climatiques, lutte qui est l’objet même des réunions de la Conférence des parties.

D’une part, depuis les années 2000, de plus en plus de pays ont fait figurer dans leur Constitution des dispositions sur la préservation de l’environnement et des ressources naturelles et cela, de manière de plus en plus précise pour certains pays (comme en Équateur et en Colombie par exemple – cf. supra). D’autre part, la lutte contre le changement climatique a fait son apparition dans le corpus constitutionnel de certains pays comme un objectif pour les États, voire comme une obligation qui leur incombait.

Les pays européens, qui pour un certain nombre d’entre eux avaient fait apparaître des dispositions sur l’environnement dans leur Constitution au cours des décennies précédentes, n’avaient alors pas opéré de révision sur le seul thème du changement climatique.

Or entre l’élaboration de la Charte de l’environnement en 2003/2004 et le milieu des années 2010, la fréquence d’événements climatiques extrêmes constatés dans le monde entier, la succession de périodes battant des records de chaleur, les mesures sur la concentration de gaz à effet de serre, la perte de biodiversité, l’artificialisation des sols, la montée du niveau des océans ont montré l’urgence de limiter l’effet des activités humaines sur les écosystèmes naturels et le climat, et notamment la nécessité de limiter la hausse de la température moyenne à un horizon relativement court.

En 2017, alors que la CCNUCC préparait la COP 23 qui s’est déroulée à Bonn, plus de 15 000 scientifiques ont alerté sur les dangers inéluctables de l’élévation du niveau moyen des températures et l’urgence à agir.

La même année, à l’occasion de la campagne présidentielle, une réflexion est lancée sur le sujet de la constitutionnalisation non pas du droit de l’environnement qui existe dans le corpus législatif, mais des fondements de ce droit, c’est-à-dire des principes et objectifs que doit poursuivre l’État ou la République pour préserver l’environnement et garantir la pérennité des écosystèmes pour les citoyens d’aujourd’hui et de demain.

D’autres initiatives avaient émergé comme la plateforme « Notre affaire à tous », créée dès 2015 sous la forme d’une association cherchant à œuvrer pour la justice climatique et le développement d’outils juridiques permettant de faire avancer la protection de l’environnement. Cette association a participé avec plusieurs dizaines d’autres associations et ONG à l’élaboration de propositions pour modifier la Constitution française en ce sens.

Il est donc apparu à ces différents acteurs, comme également à un certain nombre de juristes et de scientifiques que le texte constitutionnel dans sa forme actuelle n’était plus suffisant ou adapté aux enjeux et à l’urgence climatique, parce qu’il laissait reposer l’ensemble du sujet sur la Charte de l’environnement qui connaît certaines limites.

Ces réflexions ont été entendues par le Gouvernement qui en 2018, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace a proposé de modifier l’article 34 de la Constitution. L’article 2 du projet de loi proposait la modification suivante : « Au quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution, après le mot : « environnement », sont insérés les mots : « et de l’action contre les changements climatiques ».

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’était saisie pour avis et avait adopté alors deux amendements, d’une part pour compléter les considérants de la Charte de l’environnement ([10]) et d’autre part, pour inscrire non à l’article 34 mais à l’article 1er de la Constitution l’objectif de la préservation de l’environnement à travers la phrase suivante : « Elle assure la préservation de l’environnement. » ([11]).

Il a été proposé, en conséquence, de supprimer l’article 2 du projet de loi afin de ne pas modifier l’article 34 de la Constitution.

Lors de la discussion en séance publique du projet de loi constitutionnelle précité, l’amendement suivant a été adopté :

Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. » La discussion du projet de loi n’est pas allée jusqu’à son terme. Le projet de loi a été retiré le 29 août 2019.

En 2019, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle n° 2203 pour un renouveau de la vie démocratique. Son article 1er dispose : « Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques. » Le projet de loi n’a pas été inscrit à l’ordre du jour.

4.   L’initiative de la Convention citoyenne pour le climat

La succession des grands débats ouverts en France à l’initiative du Président de la République a notamment conduit à la mise en place de la « Convention citoyenne pour le climat ». Elle a réuni, pendant plusieurs mois, 150 citoyens tirés au sort au sein d’un panel représentatif de la population française entre octobre 2019 et juin 2020 qui ont débattu et pu entendre experts scientifiques et juristes. La mission des participants consistait à définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990). Cette démarche innovante de participation directe de la population dans la réflexion sur les politiques environnementales et les actions à mener pour lutter contre le dérèglement climatique a mis en lumière la préoccupation croissante des Français pour l’écologie et la nécessité d’avoir des débats publics relatifs à la protection de l’environnement, à l’utilisation des ressources, à la consommation d’énergie, aux modes de production et de déplacement ou encore à l’alimentation.

À l’issue des travaux, parmi les 149 propositions de la Convention, figurait celle visant à compléter l’article 1er de la Constitution par la phrase suivante ; « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique. »

Pour les participants, il a semblé important de donner une portée concrète à leur volonté manifeste de préserver la biodiversité, l’environnement et de lutter contre le dérèglement climatique. Inscrire un tel objectif contraignant à l’article 1er de notre loi fondamentale démontrerait l’ambition de la France sur ces sujets.

Cet ajout à l’article 1er de notre Constitution voulu par la Convention citoyenne pour le climat renforcera le droit en matière d’environnement, de biodiversité et de lutte contre le dérèglement climatique. De même, le droit ainsi renforcé donnera un sens encore plus fort à la Constitution.

C’est pourquoi les participants de la Convention citoyenne pour le climat ont conçu la proposition d’une révision de la Constitution comme une démarche complémentaire à l’évolution nécessaire des normes législatives et réglementaires.

Dans l’esprit de la Convention citoyenne pour le climat, sa proposition de modification de la Constitution est donc nécessairement complémentaire de la mise en œuvre de ses autres propositions, dont un certain nombre seront traduites au travers du projet de loi dit « climat et résilience » déposé par le Gouvernement le 10 février 2021 devant notre Assemblée. 

III.   UN NOMBRE CROISSANT DE CONTENTIEUX RÉCENTS QUI MONTRENT LES LIMITES DU DROIT CONSTITUTIONNEL ACTUEL

La Charte de l’environnement a représenté une grande avancée en droit interne pour mettre en lumière l’importance de préserver l’environnement comme cadre de vie commun et d’œuvrer pour un développement durable. Comme nous l’avons rappelé, la Charte a une valeur constitutionnelle. Néanmoins, elle a fait l’objet d’une interprétation relativement prudente à la fois de la part des juridictions administratives et judiciaires et de celle du Conseil constitutionnel. Celui-ci n’a jamais consacré une prééminence du droit de l’environnement sur d’autres objectifs à valeur constitutionnelle, ni a fortiori sur les droits et libertés garantis par la Constitution, même s’il accepte de prendre en compte la conciliation nécessaire entre l’objectif de protection de l’environnement et les droits et libertés constitutionnels.

Le Conseil constitutionnel a souvent été amené à combiner plusieurs articles soit de la Charte et de la Constitution, soit de la Charte et d’autres dispositions du préambule pour tirer des conséquences des articles de la Charte en termes de droits ou d’obligations.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a pas, non plus, consacré un principe de non-régression qui empêcherait le législateur de revenir sur une législation visant la protection de l’environnement pour amoindrir celle-ci. Le Conseil constitutionnel estime que ce principe ne revêt pas de valeur constitutionnelle, même s’il dit dans une décision récente relative à la loi réautorisant temporairement l’usage d’insecticides contenant des néonicotinoïdes pour protéger les cultures de betteraves que le législateur ne peut ignorer le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement (DC 2020-809 du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières([12]).

Néanmoins, des avancées importantes sont à noter ces toutes dernières années. Ainsi, le Conseil constitutionnel a noté, et cela est remarquable, dans la décision DC 2020-809 précitée, qu’il ne peut être porté au droit à un environnement sain consacré par l’article 1er de la Charte que des restrictions justifiées par des motifs d’intérêt général suffisants : « Les limitations portées par le législateur à l'exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. » (cf. considérant 14 de la décision).

Une décision QPC du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020 (QPC n° 2019-823 soulevée par l’Union des industries de la protection des plantes) marque une avancée importante quant à la place de la préservation de l’environnement dans l’ensemble des normes constitutionnelles, le considérant 4 énonçant qu’« Aux termes du préambule de la Charte de l'environnement : « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel … l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Il en découle que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».

Ainsi, le Conseil se réfère explicitement aux considérants de la Charte et élève la protection de l’environnement au rang d’objectif à valeur constitutionnelle qui peut donc être mis en regard d’autres objectifs à valeur constitutionnelle ou droits et libertés définis dans le texte constitutionnel ou son préambule, comme en l’occurrence la liberté d’entreprendre, et justifier des limitations proportionnées à cette liberté.

Par ailleurs, les juridictions administratives, le Conseil d’État d’une part et le tribunal administratif de Paris d’autre part, ont rendu ces derniers mois deux décisions dans des affaires où, pour la première fois, les requérants cherchaient à mettre en cause la responsabilité de l’État en tant qu’il n’agit pas suffisamment ou pas assez rapidement pour lutter contre le changement climatique.

Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État a rendu son arrêt dans l’affaire dite « Grande Synthe », du nom de la commune qui avait contesté l’absence de réponse de l’État face à sa demande que soient prises des mesures plus fortes pour lutter contre le réchauffement climatique ([13]) . Si le Conseil d’État reste prudent dans son arrêt vis-à-vis de la responsabilité de l’État en cas de non-respect de ses engagements internationaux et communautaires, il demande à celui-ci de justifier que les mesures qu’il a prises et s’apprête à prendre d’ici 2030 sont et seront suffisantes pour réduire de 40 % les émissions de GES par rapport à 1990, doutant en l’état que la stratégie nationale de réduction des GES suffise. La haute juridiction administrative estime donc que la France est liée par l’accord de Paris et ses obligations communautaires.

La deuxième affaire qui pourrait faire date est celle dans laquelle le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement le 3 février 2021. Ce jugement statuant sur « l’Affaire du siècle », ainsi que les requérants ont nommé leur recours, constitue aussi une avancée. Le tribunal reconnaît que les requérants peuvent se prévaloir d’un préjudice écologique et que l’État commet un manquement fautif en ne respectant pas ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comme le précise le considérant 21 du jugement : « Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une "urgence à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine. ». ([14])

Dans ces deux affaires, les requérants invoquent à l’appui des droits qu’ils estiment avoir et des obligations devant être mises à la charge de l’État, la Charte de l’environnement, d’autres dispositions constitutionnelles, la Convention européenne des droits de l’homme, l’accord de Paris, les obligations fixées par les règlements communautaires et des textes de droit interne (notamment la loi dite « Énergie-Climat » et la stratégie nationale bas carbone).

Ces contentieux dits « climatiques », peu nombreux en France, sont en augmentation constante si l’on considère le sujet à un niveau mondial. Dans un certain nombre de pays, des organisations, ONG, associations de citoyens, collectivités locales se sont organisées pour saisir les juridictions nationales afin de faire reconnaître des carences de l’État dans son devoir de protection de l’environnement, et notamment dans son ambition de réduction des émissions de GES. L’une des affaires la plus emblématique en la matière est l’affaire Urgenda c/ Pays-Bas. Ce contentieux a pris fin le 20 décembre 2019 lorsque la Cour suprême des Pays-Bas a donné raison à l’association requérante représentant 886 citoyens néerlandais contre l’État néerlandais en reconnaissant que celui-ci avait l'obligation de définir et de respecter des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et donc au moins l’obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin de l’année 2020 de 25 % par rapport à 1990. La Cour suprême des Pays-Bas a fondé sa décision à la fois sur les droits que tirent les citoyens de la CEDH et sur l’engagement des Pays-Bas à respecter l’accord de Paris et ses objectifs.

IV.   LA Volonté du gouvernement D’AJOUTER à l’ARTICLE 1er DE LA CONSTITUTION la NÉCESSAIRE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

Le projet de loi constitutionnelle n° 3787 complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement propose de compléter l’article 1er de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Cette phrase viendrait s’insérer après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er qui dispose que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Le texte du projet de loi proposé à l’examen de la commission ne présente qu’un seul changement par rapport à la proposition votée par les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat. Il inverse les notions de « préservation de l’environnement » et de « diversité biologique ». À l’exception de cette modification, les mots choisis et la place de cette phrase au sein de l’article 1er sont inchangés.

Tous les termes de cette phrase témoignent de la volonté forte du Gouvernement, confortée par la Convention citoyenne pour le climat, de renforcer la valeur constitutionnelle de l’objectif de protection de l’environnement, mais aussi de préservation de la biodiversité et de lutte contre le dérèglement climatique.

Ces objectifs seraient ainsi élevés au même niveau que les autres principes et valeurs qui définissent la France comme République. Un tel ajout à l’article 1er, comme nous allons le voir, montrerait que la préservation de l’environnement au sens large est un sujet de préoccupation primordiale pour la France en tant que sujet de droit international et un objectif pour la France en tant qu’État vis-à-vis de ses citoyens. Cela montrerait également que c’est un sujet qui concerne tous les citoyens, dans un pays qui pourrait être de plus en plus vulnérable aux effets du réchauffement climatique.

Chaque terme de cette phrase est donc important. Il faut se rappeler les propositions antérieures pour mesurer la portée des termes proposés aujourd’hui.

« Elle », sujet de la phrase proposée, désigne la France, mais aussi par extension la République ou l’État selon les circonstances dans lesquelles l’article 1er est invoqué. « Elle » désignera la France en tant qu’elle est un sujet de droit international et notamment en tant qu’elle est partie à de nombreuses conventions internationales dont la CCNUCC, et l’État lorsqu’il s’agira d’évaluer la portée et les conséquences des décisions législatives ou réglementaires par rapport aux trois objectifs cités.

Le verbe « garantir » apparaît comme le plus satisfaisant car il proclame une ambition qui doit être portée par des actions concrètes. Si la proposition a été faite plusieurs fois d’utiliser le terme « favoriser », celui-ci n’apparaît plus assez ambitieux au regard des enjeux actuels. En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision QPC du 24 avril 2015 (n° 2015-465), l’alinéa de l’article 1er qui proclame que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux…» ne constitue pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution au sens de l’article 61-2 de la Constitution ([15]).

Par ailleurs, le verbe « garantir » est déjà utilisé à plusieurs reprises dans la Constitution, notamment dans le préambule de la Constitution de 1946. Pour un certain nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, il n’implique pas a priori une obligation de résultat mise à la charge de l’État, mais une obligation de moyens renforcés, c’est-à-dire une obligation de prendre des mesures qui garantissent que l’environnement ne sera a minima pas dégradé et au mieux qu’il sera préservé, voire restauré. Votre rapporteur pour avis rejoint cette analyse, le texte constitutionnel ne pouvant instaurer une obligation de résultat dans un domaine en constante évolution, mais une obligation de moyens et une obligation de tenir les engagements internationaux pris par la France.

Dans le même esprit, les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont proposé le verbe « lutter » pour « lutter contre le dérèglement climatique », terme repris par le Gouvernement. Il faut voir ces mots également comme un engagement fort de la France dans ce domaine. Comme le rappellent les scientifiques associés au GIEC, la lutte contre le changement climatique est primordiale à la fois en ce qui concerne la limitation des causes de ces changements et en ce qui concerne les mesures d’adaptation face au changement climatique avéré.

Ensuite, le choix a été fait de ne pas seulement parler de la préservation de l’environnement, mais de souligner qu’à côté de cet objectif général, deux éléments devaient particulièrement être pris en compte, à savoir la préservation de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique. Comme nous l’avons dit précédemment, ces deux éléments paraissaient moins cruciaux il y a encore une quinzaine d’années, et en particulier l’urgence de lutter contre le dérèglement climatique. Le terme de climat ou de changement climatique ne fait l’objet d’aucune mention dans le texte de la Charte de l’environnement alors qu’il constitue certainement le sujet de préoccupation le plus important des négociations internationales en matière d’environnement et l’un des principaux champs des politiques communautaires dans ce domaine.

Choisir de parler de « dérèglement climatique » n’apparaît pas en contradiction avec le terme souvent employé de changement climatique (au singulier ou au pluriel) dans les textes internationaux. Le dérèglement climatique a été évoqué à de nombreuses reprises lors des discussions entre États membres au moment de la COP 21. Ce terme met l’accent sur le rôle des activités humaines dans les perturbations qu’a connues le climat par rapport à l’ère préindustrielle (c’est-à-dire à peu près au début du XIXe siècle) en raison des émissions croissantes de gaz à effet de serre qu’elles engendrent. Le terme de dérèglement climatique met donc l’accent indirectement sur ce qui peut être fait en termes de politiques publiques pour limiter le réchauffement climatique.

Par ailleurs, de nombreuses raisons plaident pour une inscription à l’article 1er de la Constitution, plutôt que pour une modification de la Charte de l’environnement. D’une part, la Charte de l’environnement n’a peut-être pas tout à fait acquis la valeur que pensaient lui conférer ses rédacteurs ; du moins toutes les conséquences en termes de droits pour les citoyens et d’obligations pour les pouvoirs publics n’ont peut-être pas été tirées. D’autre part, l’ajout de la phrase envisagée à l’article 1er ne pourrait que venir renforcer la Charte de l’environnement, notamment son article 1er qui dispose que tout personne a le droit de vivre dans un environnement sain.

L’ajout à l’article 1er de la Constitution permettrait ainsi de faire de la préservation de l’environnement et de la biodiversité, comme certainement de la lutte contre le changement climatique, des droits et des libertés que garantit la Constitution au sens de la question prioritaire de constitutionnalité. C’est le cas pour les autres valeurs et principes énoncés au premier alinéa de l’article 1er, des requérants pouvant par exemple soulever en QPC qu’une disposition législative est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi proclamé à l’article 1er. Le Conseil constitutionnel l’a tout aussi solennellement déclaré concernant le principe de laïcité (voir QPC n° 2012-297 du 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité([16]).

L’intérêt de cette phrase est par ailleurs de ne pas avoir comme sujet « toute personne », comme cela est le cas dans la Charte de l’environnement, mais bien de manière extensive les personnes publiques sur qui pèsent des obligations.

Dans le même temps, le choix de la rédaction proposée illustre aussi la volonté de ne pas faire primer l’objectif de préservation de l’environnement sur les autres droits et objectifs à valeur constitutionnelle, mais de rendre possible l’atteinte de cet objectif sans que les autres objectifs priment nécessairement. La rédaction proposée permettrait d’apporter aux autres droits constitutionnels des restrictions proportionnées.

En conséquence, l’écriture proposée par le projet de loi mettrait au même niveau, d'un côté, les exigences de préservation de l'environnement, de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique et de l'autre, par exemple, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété, alors qu'actuellement seule la protection de l'environnement est reconnue (et souvent timidement) par les juridictions comme un objectif à valeur constitutionnelle tiré de la Charte de l'environnement qui peut être mis en balance avec la liberté d'entreprendre ou le droit de propriété.

Plusieurs des personnes auditionnées ont souligné que la nouvelle rédaction de l’article 1er permettrait éventuellement au Conseil constitutionnel d’accepter de la part du législateur des restrictions plus importantes que celles qu’il admet aujourd’hui apportées à d’autres droits constitutionnels ou objectifs à valeur constitutionnelle, comme le droit de propriété ou la liberté d’entreprendre, dans la mesure où les exigences en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique auront acquis leur pleine valeur de droit et exigence constitutionnels.

Le Conseil constitutionnel, s'il était saisi a priori ou bien à l'occasion d'une QPC, pourrait contrôler la nature et le bien-fondé de la restriction, mais il serait confronté à deux droits ou exigences de même valeur. Il aurait donc à apprécier que ne soit pas apportées, par exemple à la liberté d’entreprendre, des limitations ou une entrave manifestement disproportionnées par rapport à l’objectif recherché (c’est-à-dire au sens large, la protection de l’environnement).

À l'inverse, cela impliquera aussi que le Conseil constitutionnel et les juridictions administratives et judiciaires à leur niveau seront davantage fondés à contrôler que le législateur met en œuvre concrètement des mesures pour préserver l'environnement (ou à censurer ou écarter les dispositions qui ne garantiraient pas cet objectif). Pour prendre une situation type inverse à celle envisagée ci-dessus, s’il était soulevé devant lui qu’une loi déférée présente des risques de dégradation de l’environnement, c’est-à-dire par exemple de dégradation des écosystèmes naturels, de la biodiversité, de la qualité de l’air, fait peser des risques sur la santé humaine et donc va à l’encontre des objectifs exposés à l’article 1er, le Conseil constitutionnel pourrait contrôler que l’objectif de préservation de l’environnement n’est pas manifestement violé et que des mesures de réparation, de compensation ou d’adaptation sont prévues par le législateur.

En conséquence il peut sembler que cet ajout à l’article 1er créerait les conditions d’un meilleur équilibre entre la protection de l’environnement et les autres droits garantis par la Constitution et son préambule.

De l’avis partagé par de nombreuses personnes lors des auditions, l’ajout de cette phrase à l’article 1er aurait donc comme effet général de renforcer l’attention que le législateur doit porter à l’environnement et à l’effet des décisions publiques sur la préservation de celui-ci, dans tous les domaines, que ce soit en matière de préservation des écosystèmes, des ressources naturelles et de la biodiversité, en matière de qualité de l’air ou en matière de préservation des équilibres climatiques.

Cela pourrait également renforcer certaines obligations pesant sur les pouvoirs publics, notamment concernant les études d’impact accompagnant les projets de loi prévues à l’article 39 de la Constitution. Le Gouvernement pourrait ainsi être amené à prendre davantage en compte les conséquences des mesures proposées sur l’environnement et sur les émissions de gaz à effet de serre dans les études d’impact.

Par ailleurs, les juridictions ne peuvent pas contraindre le législateur à prendre des dispositions législatives, mais elles peuvent établir que la responsabilité de l'État est engagée s'il n'a pas pu remplir ses engagements. De tels contentieux surviennent notamment lorsque la justice est saisie par des particuliers, des associations, des collectivités. Dans de nombreux pays qui ont renforcé la présence de l’environnement dans leur Constitution, que ce soit comme droits des individus ou comme obligations pesant sur les collectivités publiques, les contentieux n’ont pas connu une augmentation importante. L’apparition de contentieux climatiques se constate dans de nombreux pays du monde sans être nécessairement corrélée à la vigueur des dispositions constitutionnelles, mais davantage parce que la sensibilité des citoyens pour ces questions augmente.

Par rapport aux contentieux récents cités précédemment et notamment dans l’arrêt rendu par le Conseil d’État dans le contentieux introduit par la commune de Grande-Synthe, la modification proposée de l’article 1er de la Constitution serait probablement à même de faciliter la reconnaissance de la responsabilité de l’État en matière de lutte contre le dérèglement climatique, ou du moins d’en déduire qu’un ensemble d’obligations pèsent sur l’État français en la matière, pas seulement en vertu du droit international mais en vertu d’une exigence constitutionnelle.

Cet ajout à l’article 1er de la Constitution apparaîtrait donc comme une injonction forte émise par les citoyens aux pouvoirs publics à poursuivre les efforts dans tous les domaines de la protection de l’environnement et à rehausser par une obligation de moyens renforcée les exigences qui pèsent à la fois sur le législateur et sur le pouvoir exécutif dans ce domaine. Il apparaîtrait aussi comme un engagement et un symbole fort pour les générations futures.

 


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   Travaux en commission

I.   Discussion générale

Lors de ses réunions des lundi 15 et mardi 16 février, la commission a procédé à la discussion générale puis à l’examen pour avis, sur le rapport de M. Christophe Arend, du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mme la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et moi-même avons souhaité procéder conjointement à l’audition de M. le garde des sceaux, ainsi qu’à la discussion générale sur le projet de loi.

Il est de tradition que le garde des sceaux présente les projets de révision constitutionnelle. Monsieur le ministre, nous sommes particulièrement impatients de vous entendre sur celui-ci, qui est la concrétisation de l’une des propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat, dont nous avons suivi attentivement le déroulement car elle constitue un exercice démocratique particulièrement innovant et intéressant. J’ai souvent eu l’occasion de rappeler que de tels exercices sont parfaitement complémentaires avec nos travaux et qu’ils ne nous placent pas en concurrence avec nos concitoyens. Cette complémentarité prend notamment forme en ce moment tant attendu par les parlementaires, qui ouvre la phase de l’examen parlementaire.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent parmi nous pour entamer l’examen de ce projet de loi.

La commission du développement durable a naturellement souhaité se saisir du texte pour avis, comme elle l’a fait du précédent projet de révision constitutionnelle, au mois de juin 2018. Nous avions eu à cette occasion un débat nourri, au sein de notre commission, puis au sein de la commission des lois, sur les moyens juridiques de renforcer la préservation de l’environnement, en agissant directement sur la norme constitutionnelle. Ces débats ont permis de trancher un point important : la nécessité d’inscrire nos exigences environnementales à l’article 1er de la Constitution. Tel est le choix du Gouvernement dans le présent projet, ce dont nous nous réjouissons.

Il ne s’agit pas de procéder ainsi à une modification cosmétique ou symbolique, mais de dépasser le débat technique sur la modification de l’article 34 de la Constitution, visant à déterminer la répartition des compétences d’élaboration des normes. Il s’agit de poursuivre une évolution engagée par l’adoption de la Charte de l’environnement, pour faire de l’environnement et, désormais, des enjeux climatiques, de véritables objets juridiques, créateurs de droits et de devoirs. Il s’agit de placer la préservation de l’environnement à un rang constitutionnel, ce qui permet d’en assurer l’effectivité, sans la subordonner systématiquement à d’autres principes de même rang, tels que la liberté d’entreprendre, qui devront désormais être conciliés avec cet impératif. Il s’agit d’inscrire l’urgence climatique et environnementale au cœur de nos politiques publiques et de notre droit, en fixant un objectif constitutionnel à la France, comprise comme sujet international de droit et comme État responsable devant les citoyens.

Le présent projet de loi constitutionnelle marque une avancée majeure. Je ne doute pas que nos débats permettront de lever les interrogations soulevées par la rédaction proposée, qui est très proche de celle à laquelle nous avions abouti lors de nos précédentes discussions mais en diffère légèrement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il a reçus le 29 juin 2020, le Gouvernement a déposé devant le Parlement un projet de réforme constitutionnelle qui vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce projet est le fruit d’un long travail de consultation inédite de nos concitoyens, dans le cadre du grand débat national, puis de la Convention citoyenne pour le climat. Cette dernière a formulé 149 propositions, parmi lesquelles la révision de l’article 1er de la Constitution pour y faire figurer la préservation de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République qui s’est engagé, si le présent texte est adopté en des termes identiques par les deux chambres, à la soumettre au référendum.

Le projet de loi qui vous est soumis est la traduction de cet engagement. Il comporte une disposition unique ayant pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France garantit la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique, et lutte contre le dérèglement climatique. Il vise deux objectifs essentiels : rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d’action des pouvoirs publics à cette fin.

S’agissant de l’inscription de la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels, je rappelle que notre loi fondamentale comporte d’ores et déjà des dispositions relatives à la préservation de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, issue de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Mentionnée dans le préambule de la Constitution, elle fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par deux décisions récentes, a conféré une importance accrue à la protection de l’environnement promue par la Charte.

En premier lieu, dans sa décision du 31 janvier 2020, il a jugé que la préservation de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif à valeur constitutionnelle et non, comme il le jugeait auparavant, un objectif d’intérêt général. En second lieu, dans sa décision du 10 décembre 2020, il a jugé que les limitations portées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Le Gouvernement n’en nourrit pas moins l’ambition de renforcer encore la place de la protection de l’environnement dans notre texte constitutionnel.

L’inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente une valeur symbolique forte, voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Désormais, ce principe figurera au cœur des grands principes qui guident notre République. Ce positionnement dans notre Constitution exprime la volonté de la Nation tout entière de placer le combat contre le dérèglement climatique au cœur de notre action et donnera une nouvelle impulsion à notre engagement.

Je tiens à préciser que « rehaussement » ne signifie pas « hiérarchie ». Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. La force nouvelle que nous lui conférons trouvera sa traduction, en premier lieu, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je tiens à préciser également qu’il ne s’agit pas davantage d’introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d’environnement qui, s’il existe dans la loi, n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, telle la protection de la santé, ce qui peut s’avérer particulièrement important, par exemple dans un contexte de crise sanitaire tel que celui que nous connaissons.

Le second objectif du projet de loi est d’introduire un véritable principe d’action des pouvoirs publics nationaux et locaux en faveur de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Gouvernement entend insuffler dans chaque politique publique la préoccupation environnementale, dont il estime qu’elle doit innerver son action à l’échelle nationale et internationale. Dans cette optique, le projet qui vous est soumis prévoit que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

L’emploi du verbe « garantir » exprime la force de cet engagement. Certes, il ne constitue pas une innovation dans notre Constitution. L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Toutefois, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle lui donne pour sujet la France et non la loi, contrairement à l’article 4 de la Constitution et à l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatifs respectivement au pluralisme politique et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette formulation est à la fois plus large, car elle s’impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n’est pas le seul débiteur de cette obligation garantie.

Il n’en reste pas moins que les conséquences de l’emploi de ce verbe ne sont pas neutres. Telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s’agissant de l’engagement de sa responsabilité en matière environnementale. D’ores et déjà, l’action des pouvoirs publics est conditionnée à la préservation de l’environnement et la responsabilité de l’État peut être engagée à ce titre. Pour s’en tenir à deux exemples récents, citons l’arrêt du Conseil d’État du 10 juillet 2020, décidant d’une astreinte à l’encontre de l’État afin que le Gouvernement prenne des mesures pour réduire la pollution de l’air, et le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 dans l’« affaire du siècle », reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et considérant que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Le projet de loi constitutionnelle que nous proposons consacre davantage encore la responsabilité des pouvoirs publics, auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat.

À l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse, qui est la première due à l’action humaine, il importe que notre loi fondamentale traduise le choix de la Nation de mener le combat contre le dérèglement climatique, qui est le combat de notre siècle. Désormais, il incombe au Parlement de débattre du projet de révision constitutionnelle. S’il est adopté par les deux chambres dans les mêmes termes, il sera soumis aux Français par voie de référendum, conformément à l’engagement du Président de la République.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Au cours des deux dernières semaines, nous avons mené, avec mon collègue M. Christophe Arend, de très nombreuses auditions sur le présent projet de révision constitutionnelle.

Si les avis divergent sur certains aspects, tous se rejoignent sur un point : il y a urgence. Il est urgent d’agir, d’adapter notre droit et de prendre des mesures écologiques fortes. Au mois de décembre dernier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a appelé les dirigeants du monde à déclarer l’état d’urgence climatique. Ces propos font suite à une multitude de rapports, dont chacun ici a entendu parler, notamment ceux du GIEC – le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, de Météo France et du Haut Conseil pour le climat. Ces études sont toutes alarmantes. Elles estiment que d’ici la fin du siècle, la hausse de la température moyenne serait de quatre degrés Celsius, voire de six degrés dans les pires scénarios.

Malheureusement, l’urgence écologique ne se limite pas à la seule question climatique. Nous le savons : la sixième extinction de masse a commencé. Un million d’espèces animales et végétales sont menacées de disparition, soit une espèce sur huit. Il s’agit d’un désastre sans précédent. Si nous n’agissons pas rapidement, nous exposerons notre planète et les générations futures à de graves et inexorables menaces.

Ces constats alarmants dictent des actions d’urgence et étayent le présent projet de révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de la première révision consacrée à la préservation de l’environnement. Toutefois, cette révision est unique dans l’histoire de la Ve République : elle est le fruit d’un exercice démocratique inédit, la Convention citoyenne pour le climat, elle-même aboutissement du grand débat national voulu par le Président de la République. Le projet de loi que nous examinons reprend fidèlement, quasi textuellement, l’une des propositions formulées par les 150 membres de la Convention. Pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur un texte écrit par des citoyens tirés au sort. Son adoption définitive sera soumise, selon la volonté du Président de la République, à la procédure référendaire prévue par l’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, c’est-à-dire à la consultation directe du peuple français.

L’équilibre entre démocratie directe et démocratie représentative constitue le deuxième enjeu de cette révision. Si nous parvenons à l’assurer, la France sera non seulement l’un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, mais se placera en outre à l’avant‑garde de la démocratie participative. Notre objectif est clair : nous souhaitons que nos concitoyens puissent s’exprimer par référendum sur le texte proposé par la Convention citoyenne pour le climat, adopté par ses membres à une écrasante majorité.

Enfin, le troisième enjeu réside dans la portée juridique de la réforme. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés légitime l’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique dans notre ordre juridique, en les dotant d’une force accrue. Si nous voulons être au rendez-vous des enjeux écologiques cruciaux qui se présentent à nous et répondre aux aspirations de la société française, alors nous devons graver dans le marbre de l’article 1er de la Constitution, qui rappelle les grands principes sur lesquels est fondée notre République, la protection de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Tel est précisément l’objet de l’article unique du présent projet de loi, qui propose une rédaction à la fois ambitieuse et équilibrée.

La rédaction est ambitieuse, car les termes choisis ne sont pas neutres. Nous n’énonçons pas de simples intentions de principe ; nous utilisons des verbes d’action, tels que « garantir » et « lutter ». Ces mots, au fond, nous obligent. Ma conviction est la suivante : faute d’un principe constitutionnel fort, affirmant avec force que l’objectif environnemental est un fondement de l’action de la France, nous passerons à côté de l’essentiel. Une formulation insuffisamment engageante rendrait la réforme purement symbolique. En choisissant de tels termes, nous renforçons, dans l’ordre juridique, l’enjeu environnemental, tout en consolidant les principes de la Charte pour l’environnement promulguée le 1er mars 2005, dont je rappelle qu’elle ne mentionne pas la question climatique.

La rédaction est équilibrée, car elle n’instaure aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Je rappelle que la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé de réécrire le préambule de la Constitution afin de donner à l’environnement la prééminence sur nos autres valeurs fondamentales. Le Président de la République n’a pas souhaité reprendre cette proposition, qu’il considère comme contraire à nos textes constitutionnels et à l’esprit de nos valeurs. Le juge continuera donc de placer les principes de valeur constitutionnelle sur un même plan, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, de la liberté d’entreprendre ou du droit de propriété.

Tout au long de nos auditions, des interrogations ont été exprimées de façon récurrente. Tous les avis s’accordaient sur l’existence d’une urgence écologique, mais nous avons aussi entendu des doutes, parfois des réserves. J’aimerais donc connaître, Monsieur le garde des sceaux, votre analyse sur les points suivants : quelles sont les conséquences juridiques attendues de l’emploi des mots « garantir » et « lutter »? Quel sera l’apport de la présente révision par rapport à la Charte de l’environnement, et comment s’articuleront ces deux textes ?

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est avec la conscience de la responsabilité qui nous incombe que je vous présente les conclusions de nos travaux. Nous avions travaillé sur cet enjeu en 2018, hélas sans aboutir. Saluons donc le fait que la Convention citoyenne pour le climat en ait fait une priorité et que le Président de la République s’en soit pleinement saisi ! Inscrire la préservation de l’environnement dans notre loi fondamentale est un geste fort, qui exprime la volonté de la communauté nationale. Cette prise de conscience et cette envie d’agir excèdent la seule volonté de la puissance publique, ce dont il faut se réjouir.

L’organisation de nos travaux a été la suivante : nous avons commencé par vérifier que la formulation proposée par le Gouvernement répond le mieux possible aux aspirations exprimées par les citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat. Les auditions que nous avons menées ont confirmé l’importance et l’utilité de chaque mot retenu, notamment « environnement », « diversité biologique » et « dérèglement climatique ». Ce faisant, le texte permet d’aller plus loin que la Charte de l’environnement, d’une part en étant plus précis, d’autre part, en rehaussant l’importance de chacune de ces notions dans la hiérarchie des normes constitutionnelles.

Ensuite, nous nous sommes assurés, grâce à de nombreuses auditions, que le texte proposé ne crée aucune difficulté juridique majeure, voire impossible à résoudre. Les auditions ont démontré qu’il procède à un apport significatif et équilibré. En raison de l’introduction d’une obligation de moyens renforcée, le législateur et le pouvoir réglementaire devront développer un réflexe environnemental. Il en résultera notamment des exigences accrues en matière d’études d’impact et de mesures compensatoires en cas d’atteinte avérée à l’environnement.

Notre loi fondamentale dicte des principes généraux. Des mesures législatives et réglementaires complémentaires sont indissociables du présent projet de révision constitutionnelle, pour fixer concrètement les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre à cette fin. Ainsi, le juge disposera d’une vision plus précise que celle offerte par la Charte de l’environnement, dont il pourra exploiter tout le potentiel. Il aura également la possibilité de sanctionner l’inaction des pouvoirs publics. Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il pourrait même sanctionner une loi antérieure incompatible avec ce nouveau cadre juridique.

Enfin, nous avons vérifié que le projet de révision constitutionnelle constitue bien un apport juridique en faveur de la préservation de l’environnement au sens large et qu’il offre la possibilité d’une réponse équilibrée, dans l’hypothèse où plusieurs principes ou objectifs de valeur constitutionnelle seraient mis en balance, par exemple un objectif environnemental, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Je ne doute pas que Monsieur le ministre, dans les débats qui suivront, précisera l’appréciation du Gouvernement sur les conséquences du projet de révision constitutionnelle.

Quant à la méthode de révision constitutionnelle choisie, consistant à recourir au référendum, elle est conforme au souhait exprimé par la Convention citoyenne pour le climat. Les débats que suscitera le référendum permettront d’amplifier, dans le débat public français, les enjeux relatifs à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi qu’à la lutte contre le dérèglement climatique.

En conclusion, le texte proposé par le Gouvernement répond aux aspirations de la Convention citoyenne pour le climat. Il répond de façon satisfaisante et équilibrée au but recherché. Il ne nous semble ni utile ni souhaitable de le modifier. Dans le même esprit que la Convention citoyenne pour le climat, les auditions ont démontré que le présent projet de révision constitutionnelle atteindra son plein potentiel si – et seulement si – il est complété par des mesures législatives et réglementaires définissant des objectifs quantifiables, ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. Il constituera alors une véritable injonction à l’action, en précisant le droit et en l’améliorant. Toute la hiérarchie des normes s’en trouverait renforcée, sans menacer le nécessaire équilibre entre les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.

M. Jacques Krabal. Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons s’inscrit dans un contexte tout à fait novateur. À l’issue du grand débat national, le Président de la République a pris l’initiative de convoquer une Convention citoyenne pour le climat au mois d’octobre 2019. Cette démarche innovante de démocratie participative est sans précédent. Elle n’enlève rien au rôle du Parlement au sein de l’architecture institutionnelle, au contraire. Pour nous, parlementaires, elle offre l’occasion d’une réforme constitutionnelle qui est un rendez-vous démocratique important.

La modification de l’article 1er de la Constitution est l’une des mesures les plus emblématiques adoptées, le 21 juin 2020, par 81 % des participants à la Convention citoyenne. Ce chiffre montre à quel point l’attente est forte parmi nos concitoyens ; il nous oblige. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle. Cette décision nous honore collectivement. Sur ce sujet fondamental, nous devons démontrer notre capacité à dépasser les clivages partisans et à nous rassembler autour d’une expression commune.

Le texte que nous examinons reprend la proposition, sans modification substantielle. Son article unique permettra d’affirmer la nature prioritaire de la cause environnementale, aux côtés des principes fondamentaux de la République. Après la proclamation, en 1789, des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, après la reconnaissance, à la Libération, de ses droits économiques et sociaux, l’heure est venue d’inscrire dans la loi fondamentale la dimension écologique de notre contrat social.

La constitutionnalisation progressive des principes environnementaux n’est pas un acte isolé ou marginal. L’excellent rapport de M. Christophe Arend démontre que cette démarche a été entreprise dans d’autres pays. La France a été à l’origine de l’accord de Paris sur le climat, conclu le 12 décembre 2015. Elle doit continuer à être à la pointe de ce combat. Si la Charte de l’environnement a constitué une grande avancée en droit interne, elle est désormais insuffisante. Il est donc temps de sécuriser le rehaussement – je préfère ce mot, que je vous emprunte, Monsieur le ministre, à celui d’« élévation », que j’ai écrit – de la préservation de l’environnement au rang des principes à valeur constitutionnelle.

Le présent projet de révision constitutionnelle nous en donne l’occasion. Il vise à inscrire l’urgence climatique dans la norme fondamentale. Il va plus loin que le droit en vigueur, car il introduit un principe d’action des pouvoirs publics. Une réforme constitutionnelle est tout sauf un acte anodin. Il s’agit d’un acte fondateur, par lequel la Nation affirme sa cohésion et rappelle ce qui est prioritaire à ses yeux, ainsi que d’un exercice exigeant, auquel on ne se livre « que d’une main tremblante », comme le rappelait Montesquieu. Plusieurs interrogations ont été formulées, ainsi que des réserves, notamment sur le principe de précaution, l’utilisation du verbe « garantir » et le principe de non-régression. J’invite tout un chacun à lire le rapport de M. Pieyre-Alexandre Anglade, rédigé à l’issue de nombreuses auditions. Sur chacune de ces questions, il apporte des clarifications précises et rassurantes.

Oui, nous sommes prêts. Faut-il ajouter que 85 % des membres de la Convention citoyenne pour le climat souhaitent l’organisation d’un référendum ? Alors, écoutons-les. « En toute chose il faut considérer la fin », écrit, dans sa fable Le Renard et le Bouc, Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry et dont nous fêterons en 2021 le quatre-centième anniversaire de naissance.

Quelle est la finalité ? Ensemble, nous pouvons, d’une part, accélérer la lutte contre le dérèglement climatique et préserver la biodiversité, d’autre part, redonner des couleurs à la démocratie, en donnant la parole au peuple. Cette révision est l’émanation de la volonté du peuple. Les constituants que nous sommes doivent la porter avec conviction. Elle mérite d’être adaptée pour que nous soyons armés face au plus grand défi que nous ayons connu. C’est pourquoi, avec conviction, avec confiance, les députés du groupe La République en Marche soutiendront pleinement ce projet de loi constitutionnelle.

M. Julien Aubert. En préambule de mon intervention, rappelons que la famille politique que je représente n’a pas à rougir pour ce qui est des initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Georges Pompidou a créé le premier ministère chargé de l’environnement, qui fête d’ailleurs ses cinquante ans cette année. C’est sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que le législateur s’est intéressé à la protection du littoral, notamment face à l’urbanisation croissante et massive, puisqu’il a créé, par la loi du 10 juillet 1975, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. C’est sous la présidence de Jacques Chirac que fut adoptée la Charte de l’environnement. C’est enfin sous la présidence de Nicolas Sarkozy que fut conduit le Grenelle de l’environnement qui a permis de traiter de nombreux sujets relatifs à la protection de l’environnement et qui a été suivi de deux lois.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé vise à ajouter au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. C’est ce que vous appelez une protection rehaussée dans la Constitution, aux côtés des autres principes essentiels de la République. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette inscription lui donne une force particulière, ce que vous avez d’ailleurs rappelé, Monsieur le ministre. Ce projet est issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, adoptées en juin dernier. Contrairement à ce que prétend M. Krabal, ce projet n’émane pas du peuple mais bien de quelques citoyens tirés au sort.

En l’examinant attentivement, force est de constater, toutefois, que cette réforme est, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse. Elle est inutile, en effet, car une place importante est déjà accordée à la protection de l’environnement dans le droit existant, normes constitutionnelles comprises. En termes parlementaires, on vous dirait que votre amendement est déjà satisfait, chers collègues ! Ainsi, la Charte de l’environnement de 2004, qui fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, prévoit dans son article 1er et son article 2 des mesures fortes en la matière. Le Conseil d’État relève, dans son avis sur le présent projet de loi, que le principe de protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes et que la cause environnementale fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part de tous les juges. Il relève d’ailleurs deux récentes décisions du Conseil constitutionnel qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement. Du coup, quel serait l’apport ? Sauf à ce que le juge constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi régulièrement à ce sujet, cherche à donner une interprétation contraignante à votre nouvelle disposition, celle-ci relève d’un artifice de communication. Rappelons tout d’abord que son inscription à l’article 1er ne lui confère pas plus de valeur que les dispositions des autres articles. D’ailleurs, Monsieur le ministre, l’autorité judiciaire apparaît péniblement à l’article 64 de la Constitution, après les traités de commerce qui figurent à l’article 53, ce qui ne veut pas dire que vous soyez moins important que le ministre chargé du commerce…

Vous avez également déclaré que cette inscription aurait une valeur symbolique forte, ce qui donnerait plus de poids à ce principe tout en le maintenant à égalité avec les autres. Il suffit de relire l’article 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Ce que vous avez dit en est l’exacte paraphrase. D’ailleurs, le sujet de l’environnement dépasse largement le seul dérèglement climatique. L’un de mes collègues évoquait une étude d’impact : je le renvoie à l’article 5 de cette même Charte qui prévoit des procédures d’évaluation.

Cette réforme est également dangereuse. La Constitution est là pour établir des règles, pas pour donner des objectifs. On ne va pas commencer à inscrire dans la Constitution que le Gouvernement lutte contre le désendettement, contre l’immigration ou pour la sauvegarde des baleines, sinon notre Constitution se trouvera rapidement très alourdie. De plus, le Conseil d’État a relevé qu’en prévoyant que la France « garantit » la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Le Conseil d’État suggère le terme « préserve ». Ce serait d’ailleurs plus prudent pour vous puisque vous fermez les centrales nucléaires qui concourent à la lutte contre le réchauffement climatique…

S’agissant de la protection de l’environnement, certains juristes, comme M. Arnaud Gossement, estiment au contraire que cette disposition, en cas d’interprétation contraignante, opérerait un retour en arrière. L’article 2 de la Charte serait plus protecteur en ce qu’il dispose que toute personne a le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement.

Ce projet de loi comporte d’importantes incertitudes et, M. Krabal l’a rappelé, une réforme constitutionnelle n’est pas un acte anodin. Il conviendrait de revoir la formulation pour éviter toute instrumentalisation de l’enjeu.

Jean de La Fontaine vient d’être cité. Napoléon, quant à lui, disait qu’il ne faut jamais interrompre un ennemi qui est en train de faire une erreur. Pour le coup, nous voterons sans doute contre.

M. Jimmy Pahun. Les nations se sont engagées, en signant l’accord de Paris, à limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2 degrés Celsius. Pourtant, selon le tout récent rapport de Météo France, les rapports du GIEC et le rapport du Haut Conseil pour le climat, cette température moyenne pourrait augmenter de 4 degrés en France d’ici 2100. Il faudra donc s’attendre à des événements climatiques extrêmement plus fréquents et plus violents, à la destruction d’écosystèmes entiers et à la disparition massive d’espèces. On le sait et on agit. Que les membres de la Convention citoyenne pour le climat n’oublient pas ce que nous faisons depuis près de quatre ans : la loi « Egalim », relative à l’alimentation, la programmation pluriannuelle de l’énergie, la loi d’orientation des mobilités, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le plan de relance qui consacre 30 milliards d’euros à la transition écologique, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets... Du concret, du quotidien, du structurant, du long terme : voilà ce dont le pays a besoin, à l’opposé d’une écologie des grands mots qui dit parfois plus qu’elle n’agit. Nul besoin de parler plus fort pour agir avec détermination. C’est ce même souci qui nous guide dans l’examen du présent projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution.

Nous voulons hisser au plus haut sommet de l’ordre constitutionnel la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les termes exacts et précis du projet de loi comptent peut-être moins que cette volonté que nous aurons exprimée avec force et clarté. Oui, la protection de l’environnement compte autant que les libertés et les droits les plus fondamentaux reconnus et garantis par la République. Le socle de notre République se renforce d’un nouveau pilier, ce dont je me félicite au nom de mon groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés. Nous attendons de cette réforme des effets concrets et substantiels pour être à la hauteur du double défi climatique et démocratique puisque, in fine, cette question sera soumise au référendum. Ce référendum marquera la France de l’après‑covid. Nous aurons vu, nous aurons réfléchi à ce que nous sommes et faisons, nous dirons collectivement notre volonté de changement. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être également attentif à tout cela.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je reviendrai sur l’articulation entre la nouvelle rédaction qui nous est proposée de l’article 1er de la Constitution et la Charte de l’environnement. Le choix d’inscrire le mot « garantit » dans la Constitution est extrêmement important. Dès lors qu’il ne figure pas dans la Charte, il n’aurait pas pour seul effet de consacrer l’état actuel de la protection constitutionnelle de l’environnement et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. En effet, en prévoyant que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont mis en garde contre le risque que « la créature échappe à son créateur ». Qu’en pensez-vous, Monsieur le ministre ?

M. Gérard Leseul. Je salue une nouvelle fois les travaux réalisés par la Convention citoyenne pour le climat, qui témoignent de l’ampleur du défi climatique auquel nous faisons face. Elle a proposé un ensemble de mesures ambitieuses, dont la modification de notre Constitution. Si les citoyens, après plusieurs parlementaires, en particulier mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, par la voix de Mme Cécile Untermaier, ont proposé de modifier la Constitution, ce n’est pas un hasard, mais bien parce que nous constatons tous un manque dans notre loi fondamentale. Je reprendrai simplement une phrase de la conclusion des travaux de la convention qui doit rester le fil rouge de notre engagement et de nos discussions : « Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. »

Je remercie les rapporteurs MM. Pieyre-Alexandre Anglade et Christophe Arend, avec qui nous avons mené les auditions pour préparer l’examen de ce projet de loi constitutionnelle. Nous avons ainsi reçu des constitutionnalistes, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) ou d’associations, ou encore des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour la quasi-totalité des constitutionnalistes interrogés, la modification de notre Constitution, telle qu’elle est envisagée, n’emportera sans doute aucune obligation nouvelle pour le législateur, malgré sa forte portée symbolique. De même, le juge ne sera pas plus éclairé en l’absence de notions et de cadre plus précis qui devraient être énoncés dans notre Constitution. Notre Constitution est nourrie et inspirée par la libre propriété. Elle a été conçue dans une période d’après-guerre et de reconstruction du pays, sacralisant les libertés et droits individuels fondamentaux. Cependant, certains principes comme le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, appliqués de manière absolue, peuvent sembler en contradiction avec la protection des biens communs, donc avec la préservation de l’environnement. Ainsi, certaines notions fondamentales qui ont permis autrefois l’émancipation des hommes face à l’arbitraire peuvent se retourner contre l’intérêt général. C’est ce qu’avait justement rappelé mon collègue M. Dominique Potier lors de l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle déposée en mai 2020. Lutte contre le changement climatique, lutte contre la fraude fiscale, lutte contre l’accaparement des terres agricoles : autant de propositions de réformes censurées, vidées de leur substance ou avortées ces dernières années, suite à des avis ou des décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, rendus au nom de la défense du droit de propriété et de la liberté des entreprises.

L’urgence environnementale nous pousse, aujourd’hui, à revoir la nécessaire conciliation des libertés individuelles avec les droits humains, la protection de la nature et l’amélioration de l’environnement qui conditionnent la vie humaine sur Terre. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est déjà capable de faire preuve d’initiative pour protéger l’environnement et le vivant. Ainsi, dans une décision rendue le 31 janvier dernier, il a reconnu pour la première fois que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Le conseil des sages, parfois très inspiré, sait manier le clair-obscur et l’estompe mais est-ce suffisant pour faire face à l’urgence climatique ? Le Conseil d’État, dans un avis rendu le 21 janvier dernier, prévient quant à lui que le mot « garantir », qui est proposé pour la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique, imposerait une quasi‑obligation de résultat aux pouvoirs publics, ce que nous souhaitons vivement. Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour ne pas avoir tenu ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si une obligation de moyens semble découler de cette décision, l’obligation de résultat est encore loin d’être garantie, de notre point de vue.

Si l’adoption de la Charte a permis une première prise de conscience des défis environnementaux et climatiques, il reste à formaliser l’urgente action climatique. En effet, à la lecture des travaux préparatoires de la Charte, on constate que les changements climatiques, leur existence, leur manifestation mais surtout les moyens pour y faire face, n’ont été que peu soulignés ou n’apparaissent qu’incidemment.

Pourtant, l’objectif de la neutralité carbone est désormais fixé par le Gouvernement à travers sa stratégie nationale bas carbone. Il ne pourra être atteint sans gros efforts dans certains secteurs, ce qui risque de conduire à d’importants imbroglios juridiques si les cadres normatifs ne sont pas adaptés et précisés. Le cas récent des néonicotinoïdes, à nouveau autorisés pour au moins deux ans, en est la parfaite illustration. Dès lors, ne faut-il pas profiter de l’occasion qui nous est donnée par le Président de la République de modifier la Constitution pour intégrer des notions structurantes déjà évoquées, comme les limites planétaires ? Contrairement à ce que dit le ministre, il me semble important d’inscrire des principes de non-régression et des mesures d’impact.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI et Indépendants souhaite rappeler en préambule que les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat, tirés au sort, ne représentent pas les Français, même si leur travail mérite d’être souligné. Seuls les députés peuvent y prétendre, aussi le dernier mot doit-il leur appartenir dans le cadre de nos institutions.

Nous regrettons que les tentatives de réforme institutionnelle ou constitutionnelle sur d’autres sujets tout aussi importants n’aient pas abouti depuis 2017, qu’il s’agisse de la reconnaissance du vote blanc, de l’introduction d’une dose de proportionnelle ou de la différenciation territoriale, aussi tenterons-nous d’y remédier par voie d’amendement.

Notre groupe n’a pas d’opposition de principe à cet ajout dans la Constitution. Le changement climatique est le défi des prochaines générations et la formation à l’écologie, une priorité. Cependant, des actes seraient bien plus efficaces pour la planète qu’une révision constitutionnelle. Fermer une centrale nucléaire en laissant fonctionner les centrales à charbon est l’un des mauvais exemples de notre situation énergétique actuelle.

Le Gouvernement n’est pas clair sur les effets concrets du projet de loi. Beaucoup de professionnels, en particulier des juristes et des universitaires, considèrent que cette modification constitutionnelle ne changera rien. Nous sommes sceptiques et nous craignons que l’inscription de cette nouvelle règle à l’article 1er de la Constitution n’ait pas plus de valeur que l’introduction de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution. Le Conseil d’État relève ainsi que cette inscription revêt surtout une portée symbolique et qu’elle ne lui confère aucune prééminence juridique sur les autres normes constitutionnelles. Si cette mesure devait avoir de réelles conséquences, notamment pour les décisions de justice, une étude d’impact aurait dû être fournie aux parlementaires ; nous l’attendons toujours. Le Conseil d’État avait également appelé l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’emploi du terme « garantit » et avait demandé des précisions. Nous ne les avons pas reçues avant ce soir. Appliquons déjà le droit existant et améliorons son contrôle. Qui plus est, l’approche des élections nous fait douter de la possibilité d’organiser un référendum avant la fin de ce quinquennat, sans parler du report prévu des élections locales en juin.

Parmi les réformes envisagées, Monsieur le ministre, vous aviez évoqué celle du parquet, que vous vous étiez engagé à mener avant la fin du quinquennat, ce qui semble compliqué. Confirmez-vous cet engagement ? N’aurait-il pas été possible de profiter de cette réforme pour prévoir l’inscription d’autres principes dans la Constitution ? Qu’apporte cette réforme par rapport à la Charte de l’environnement ? Quand pourrait-elle être définitivement adoptée ? Pensez-vous pouvoir organiser le référendum envisagé par le Président de la République ?

M. François-Michel Lambert. La manœuvre politique qui se cache derrière ce projet de réforme de notre Constitution soulève de nombreuses questions. Beaucoup a déjà été dit des débats entre constitutionnalistes ou de l’articulation avec la Charte de l’environnement mais j’y reviens tout de même.

Monsieur le ministre, admettons que cette réforme aille à son terme : dans quelles proportions permettra-t-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quels bénéfices pourrons-nous en attendre pour le climat, l’environnement, la biodiversité, les ressources ? Je ne vois rien, dans la réforme constitutionnelle, qui pourrait permettre une telle transformation. Cette réforme aurait-elle permis d’éviter que l’usage des néonicotinoïdes soit à nouveau autorisé, l’accord économique et commercial global (le CETA) ratifié, l’accord avec le Mercosur signé ? On pourrait multiplier les exemples. Vous me répondrez que je ne suis pas un constitutionnaliste mais, fort de mon expérience dans le domaine de l’environnement, je constate que les objectifs sont toujours lointains et rarement contraignants. Qui plus est, les moyens pour atteindre ces objectifs sont rarement à la hauteur. Ce quinquennat ne déroge pas à cette habitude. Je me souviens encore des annonces, mi-mandat, d’un virage, d’une accélération écologique ! Que reste-t-il aujourd’hui ? J’ai l’impression que tous les écologistes sont partis à la suite de Nicolas Hulot.

Lorsque le Président de la République, qui n’avait plus d’écologistes dans sa majorité, a convoqué 150 citoyens, nous avons espéré franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le dérèglement climatique. Hélas, la présentation du projet de loi dit « climat et résilience », la semaine dernière, a confirmé nos craintes et, d’un projet de loi qui aurait repris l’intégralité des propositions, nous sommes passés à un texte lacunaire.

Il n’est pas interdit de se demander si la révision constitutionnelle ne servirait pas à camoufler d’autres renoncements. Les Français ne s’y trompent pas, d’ailleurs, puisqu’ils sont 64 % à y voir une manœuvre politique. Nous ne sommes pas dupes de la portée symbolique d’une telle réforme et l’absence d’engagement nous angoisse pour l’avenir. Une vision plus ambitieuse du droit de l’environnement suffirait. J’espère que nous progresserons en matière de justice climatique. L’« affaire du siècle » est la preuve que l’on peut aller de l’avant. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a également évolué puisqu’elle a reconnu en 2020, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Cette position est suffisamment claire pour rendre inutile une modification de la Constitution. Notre justice est parfaitement capable de relever ces enjeux. En revanche, notre Constitution présente quelques lacunes. Par exemple, l’inscription du principe de non-régression aurait empêché que l’on autorise à nouveau l’usage des néonicotinoïdes. Autrement dit, quel est l’intérêt d’ajouter une phrase à l’article 1er de la Constitution puisque la Charte de l’environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité ? Des spécialistes parlent de garantir, d’agir, de favoriser, mais où sont les résultats ?

Les débats autour de la modification de la Constitution nous donneront l’occasion de réaffirmer collectivement notre volonté de faire face aux défis écologiques. Pour ma part, je crains que cette réforme tienne surtout de la diversion politique et de l’opération de communication. J’aurais préféré que le Gouvernement et la majorité reprennent la proposition de Nicolas Hulot de créer un poste de vice‑Premier ministre chargé du développement durable. M. Emmanuel Macron avait inscrit cette mesure dans son programme de candidat à la présidentielle de 2017 mais il en aurait été empêché, par la suite, en raison de la Constitution. Il aurait fallu une réforme de la Constitution pour nommer ce vice-Premier ministre du temps long. Ces considérations nous dépassent, nous, politiques du temps court. Cette réforme-là nous aurait permis d’agir et de contrebalancer la politique d’un Premier ministre davantage préoccupé par la gestion du quotidien que par la préparation du temps long.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Jean de La Fontaine qui écrivait dans une lettre à Jean Racine : « Un sot plein de savoir est toujours plus sot qu’un autre homme ». Sommes-nous sots au point de préférer la communication à l’action alors que nous savons l’urgence ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Depuis 2017, les gouvernements ont beaucoup fait pour l’écologie et nombre des mesures qu’ils ont prises sont à inscrire à leur actif. J’aurai sans doute l’occasion de le rappeler au banc car j’entends bien les regrets de certains députés : les actions seraient insuffisantes, il aurait fallu créer un poste de vice-Premier ministre – ce poste serait d’ailleurs peut-être vacant. Nous en reparlerons le moment venu.

Dans ce domaine, le débat parlementaire est essentiel et je n’entends pas substituer la réflexion de 150 de nos concitoyens à la vôtre. Cependant, gardons‑nous d’opposer les uns aux autres. Le mot « urgence » est fréquemment revenu. Nombre d’entre vous avez aussi évoqué, à juste titre, l’exemplarité de la France dans ce domaine. La France, en effet, a un rôle à jouer au plan international et elle a déjà démontré à quel point elle pouvait être à la pointe sur ces sujets.

Monsieur Julien Aubert, vous dites que la Convention citoyenne pour le climat ne représente pas le peuple. Rappelons qu’elle rassemble 150 de nos concitoyens, aussi pardonnez-moi de penser qu’elle le représente tout de même un peu. Certes, ils ont été tirés au sort, mais ils ont beaucoup travaillé, ils ont été entourés d’experts et ils ont consulté toutes les associations. Pour avoir vécu ce débat à propos du Conseil économique, social et environnemental (CESE), je pense qu’on ne peut pas opposer 150 de nos concitoyens de bonne volonté à la représentation nationale. Ce serait même légèrement condescendant. Dans le registre de la saillie drolatique, vous avez ajouté, Monsieur Aubert, qu’on n’allait pas réformer la Constitution pour tout, sinon pourquoi ne pas y inscrire les baleines. Je suis bien d’accord avec vous, il serait difficile de réserver un article aux baleines dans la Constitution, mais surtout ce serait inutile car, si cette réforme aboutit, la garantie de la diversité biologique permettra de lutter contre la disparition de certaines espèces, en particulier des baleines. J’espère vous avoir ainsi rassuré…

Plus sérieusement, la préservation de l’environnement ne sera plus un objectif à valeur constitutionnelle mais un principe à valeur constitutionnelle à part entière. Vous semblez le craindre. Moi, pas du tout. Vous avez rappelé que les lois en faveur de l’environnement n’avaient pas manqué depuis cinquante ans. Le résultat est-il satisfaisant ? Avons-nous remarqué une amélioration pour l’environnement ? Sûrement pas. Il faut donc aller plus loin et c’est à ce défi que le Gouvernement entend répondre en donnant une force nouvelle à la protection de l’environnement dans la Constitution. Voilà en quoi réside l’utilité de cette réforme : l’obligation d’agir.

Quant au mot « garantir », que vous craignez tant, je rappelle qu’il figure déjà à quatre reprises dans la Constitution. En rendrait-il les dispositions concernées inutiles ? Dangereuses ? L’enjeu de l’urgence écologique nous impose de dépasser les positions politiciennes.

Merci, Monsieur Anglade, pour la qualité de votre travail et de votre réflexion. On ne peut pas opposer le travail de 150 citoyens et celui de la représentation nationale. Vous n’allez pas prendre pour argent comptant ce qu’a dit la Convention citoyenne : vous allez examiner les mots choisis. Vous avez, bien sûr, un véritable rôle à jouer.

Il y a eu récemment une condamnation de l’État, c’est vrai. Je ne vais pas la commenter, puisque je suis le garde des sceaux. L’environnement est l’affaire de tout le monde – de ces 150 concitoyens et de chacun d’entre nous. Ne plus jeter les mégots de cigarette par terre, ne pas polluer quand on est un industriel, aller de l’avant avec ce texte, c’est notre responsabilité compte tenu du constat que l’environnement se dégrade. Nos enfants, nos adolescents le savent parfaitement. Ils ont très souvent fait leur ce combat.

La Charte de l’environnement, qui date en réalité de 2004, a donné à la protection de l’environnement une valeur constitutionnelle. Cela permet au législateur de prendre des mesures importantes. Dans la Charte, la protection de l’environnement est un objectif vers lequel nous devons tendre. Par le présent texte, nous vous proposons d’en faire une obligation constitutionnelle, à la charge des pouvoirs publics. C’est ce que signifie l’emploi des termes « garantir » et « lutter » que nous voulons introduire à l’article 1er de la Constitution.

Je me déplace d’habitude avec un code pénal et un code de procédure pénale ; j’irai en séance publique avec un dictionnaire. Je rappellerai à ceux qui l’ont oublié, ou qui feignent de ne plus le savoir, que « garantir » revient à assurer sous responsabilité l’exécution de quelque chose dans des conditions parfaitement définies. C’est le mot juste et cela ne doit pas susciter je ne sais quels fantasmes ou je ne sais quelles peurs.

Je voudrais simplement vous remercier, Messieurs Arend, Krabal et Pahun, pour votre enthousiasme et votre envie d’aller de l’avant – vos interventions ne comportaient pas de questions. Vous avez parfaitement compris l’importance de cette réforme, pourquoi et comment elle doit être menée. Il a été question à plusieurs reprises de l’urgence et de l’exemplarité de la France : je reprends ces termes à mon compte. Ce texte – ce qu’il est actuellement et ce que vous en ferez – nous honorera. Il résulte de l’engagement du Président de la République et du choix de citoyens français. La représentation nationale existe, mais il y a aussi le peuple et on ne peut pas le négliger.

Il y a une toute petite modification, il faut le souligner, par rapport aux propositions de la Convention citoyenne : il est question de préservation non pas de la « biodiversité » mais de la « diversité biologique », car c’est le terme le plus adéquat. Le reste est inchangé : il s’agit, par ailleurs, de garantir la préservation de l’environnement et de lutter contre le dérèglement climatique, ce qui n’est prévu, jusqu’à présent, nulle part – certains d’entre vous m’ont interrogé sur l’apport du texte. Nous savons à quel point c’est essentiel : il suffit de regarder les dernières inondations pour comprendre qu’il y a un dérèglement. On ne peut plus être climatosceptique. Les preuves, cela a été dit, ont été apportées sur le plan scientifique.

La question que vous avez posée, Madame Jacquier-Laforge, est extrêmement importante. La Charte de l’environnement énumère précisément les principes constitutionnels en la matière, en particulier le droit de vivre dans un environnement sain, l’obligation de participer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, ainsi que les principes de responsabilité environnementale, de précaution et de participation à l’élaboration des décisions publiques. Le projet de révision constitutionnelle n’ajoute pas d’autres principes à cette liste. En revanche, il donnera une force plus grande à la préservation de l’environnement dans la Constitution. Le contenu des exigences constitutionnelles en matière environnementale ne sera pas modifié : c’est leur portée qui le sera.

Selon vous, Monsieur Leseul, ce texte n’irait pas assez loin. Il ne placera pas la protection de l’environnement au-dessus des autres principes constitutionnels mais il lui donnera une force nouvelle dont le Conseil constitutionnel tiendra compte dans sa jurisprudence. Il ne s’agit pas davantage, je le confirme, de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi mais il n’a pas sa place dans la Constitution : il est indispensable de laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme celui de la protection de la santé, par exemple dans un contexte de crise sanitaire.

Monsieur Zumkeller, ce projet de loi constitutionnelle n’a pas vocation à se substituer à toutes les mesures concrètes en matière environnementale. Je rappelle qu’un projet de loi a été préparé en parallèle pour reprendre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Le présent texte a pour vocation de créer un principe d’action positive des pouvoirs publics : ils seront appelés à intégrer la préservation de l’environnement dans les politiques qui sont menées. À défaut, la quasi-obligation de résultat que nous proposons de créer pourra avoir des conséquences sur le plan de leur responsabilité.

Monsieur Lambert, vous m’avez questionné sur les économies qui seront réalisées en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Dois-je vous rappeler qu’il s’agit d’une réforme constitutionnelle ? Ses effets ne se mesurent en kilos de CO2… Une révision constitutionnelle impose des obligations générales – ce qui ne signifie pas qu’elles n’ont pas d’effet.

Vous dites que le référendum prévu est une manœuvre politique et qu’il n’y a pas d’engagement du Gouvernement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Vous oubliez tout ce que ce gouvernement et le précédent ont fait depuis 2017. J’aurai l’honneur de rappeler, grâce aux débats qui auront lieu, le bilan de l’action engagée par le Président de la République en la matière.

Enfin, le principe de non-régression figure déjà à l’article L. 110-1 du code de l’environnement mais il n’y a pas lieu de le constitutionnaliser, je l’ai dit.

M. Gabriel Serville. Que l’on soit favorable ou non à cette réforme, tout le monde est d’accord sur le fait que la révision de l’article 1er de la Constitution que vous proposez n’aura aucun effet juridique immédiat sur la protection de notre environnement, contrairement à d’autres textes qui ont détricoté notre droit en la matière – je pense notamment à la récente loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

On ne saurait parler d’atteintes à l’environnement sans évoquer l’écocide que constitue le pillage des ressources aurifères de la Guyane. Voilà des années que nous déplorons l’inadaptation totale du cadre pénal à ces crimes très spécifiques, même si nous avons réussi à faire adopter sous la précédente législature quelques améliorations, comme l’adaptation des conditions de garde à vue et la création du délit de possession d’or natif ou de matériel minier sans autorisation.

L’article 21 du projet de loi « climat et résilience », qui a été présenté mercredi dernier au conseil des ministres, habilite le Gouvernement à prendre toutes mesures susceptibles de renforcer et d’adapter le dispositif pénal de répression de l’orpaillage illégal en Guyane. Si on ne peut que déplorer le recours à une ordonnance, je dois vous dire mon enthousiasme sur le fond, alors que la commission d’enquête sur l’orpaillage illégal, dont je suis membre, doit commencer ses travaux après-demain. Pouvez-vous nous en dire plus, Monsieur le garde des sceaux, sur le renforcement du dispositif pénal ? Vous avez là une belle occasion de conduire une réforme qui aura vraiment un effet très positif sur notre environnement.

M. Paul-André Colombani. Vous êtes sûrement familier, Monsieur le garde des sceaux, du concept des « limites planétaires », qui sont au nombre de neuf : ce sont les limites physiques que l’humanité doit s’astreindre à respecter afin de préserver les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer. D’après un rapport du ministère de la transition écologique, la France dépasse actuellement six de ces limites, notamment celles concernant les émissions de CO2, toujours trop élevées, ou encore l’érosion de la biodiversité. Cela menace de saper les bases physiques des systèmes socio-économiques et de mener à une réduction importante du niveau de vie et à une augmentation des inégalités. Il est urgent de sanctuariser le respect de ces limites, et le présent projet de loi constitutionnelle en est l’occasion.

Il a été démontré à l’échelle de la planète que les dispositions constitutionnelles favorables à l’environnement sont directement corrélées à une baisse des émissions nationales de gaz à effet de serre. La constitutionnalisation des limites planétaires conduirait à faire évoluer le droit et la pratique législative en direction de l’approche systématique qui est indispensable pour assurer la cohésion de toutes les politiques publiques et pour accélérer la transition écologique. Avec la Charte de l’environnement adoptée en 2005, la France était l’un des derniers pays industriels à faire entrer cette question dans sa Constitution. Êtes-vous prêt à faire de la France un leader de la transition écologique en faisant de notre pays le premier à intégrer le respect des limites planétaires dans sa Constitution ?

M. Erwan Balanant. Nos collègues de la majorité ont dit que ce texte était l’émanation d’une réflexion des citoyens et qu’il ne faudrait peut-être pas trop toucher à leur travail. Je suis en partie d’accord avec cette idée. Les citoyens ont très bien travaillé et je les en félicite : un débat démocratique extrêmement important a eu lieu. Néanmoins, la Constitution fait de nous des constituants. Nous devons avoir un débat et nous poser certaines questions. C’est utile et même nécessaire. Le sujet dont nous parlons dépasse la sphère de la politique, puisqu’il est d’essence philosophique.

Le Conseil d’État a formulé dans son avis des observations que je trouve extrêmement pertinentes. Pourriez-vous revenir sur l’articulation entre notre droit de l’environnement et la rédaction qui nous est proposée ?

J’aimerais, par ailleurs, qu’on profite de cette révision constitutionnelle pour renforcer certains outils. Il faudrait en particulier avoir une véritable évaluation climatique des lois. Une telle boussole nous permettrait d’éviter des querelles stériles.

Mme Cécile Untermaier. La préservation de l’environnement est un enjeu vital pour les générations présentes et futures. Un pas en avant doit être effectué grâce à l’inscription, à l’article 1er de la Constitution, de la nécessité de protéger l’environnement et la diversité biologique et de lutter contre les changements climatiques. Ce n’est pas anodin de le faire dans un article qui consacre les grands principes de la République et qui est la clef de voûte de notre loi fondamentale.

L’article unique de ce texte, voulu par la Convention citoyenne pour le climat, correspond peu ou prou à ce qui était proposé dans le cadre de la révision constitutionnelle du début du quinquennat. Je ne sais pas si c’est un motif de satisfaction, de regret ou d’exaspération… Faut-il en conclure que nul n’est prophète en son pays et qu’il fallait passer par une Convention citoyenne pour être entendu ? Je laisse chacun en juger. Nous avions beaucoup débattu du verbe qu’il fallait utiliser – « garantir » ou « agir ». Nous avions, pour notre part, milité pour l’emploi du premier terme. M. Nicolas Hulot avait obtenu que la Constitution soit révisée, ce qui représentait un grand pas en avant, mais en utilisant le verbe « agir ». Ne boudons pas notre plaisir aujourd’hui.

Nous allons déposer des amendements, notamment au sujet du principe de non-régression que nous avions eu du mal à inscrire dans la loi dite « Biodiversité » de 2016. Nous pensons qu’il serait utile de l’insérer dans la Constitution, en prévoyant une amélioration constante, une action en continu en faveur de l’environnement.

Ceux qui s’inquiètent toujours de telles dispositions doivent savoir qu’elles ne sont ni inutiles ni dangereuses : ce serait une bonne chose de faire évoluer en ce sens l’article 1er de la Constitution. Si la révision échoue au Sénat, tant pis : nous aurons quand même travaillé sur cette question et il n’en restera pas rien.

J’aimerais vous demander, Monsieur le garde des sceaux, sous la forme d’une plaisanterie, s’il faut passer par une Convention citoyenne pour faire aboutir, enfin, la réforme du parquet que nous souhaitons depuis un certain temps ? (Rires sur plusieurs bancs).

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous venons de créer, Monsieur Serville, à l’occasion du projet de loi relatif à ce qu’on a appelé le parquet européen, des juridictions spécialisées en matière d’environnement. J’étais tout à fait favorable à ce qu’il ne s’agisse pas d’une juridiction ayant compétence nationale et installée à Paris. Lorsque nous avons travaillé sur ces questions, nous avons évidemment pensé à la Guyane et à la question de l’orpaillage. Il fallait que les juridictions soient au plus près des pollutions spécifiques, dans les régions. Il y aura donc une juridiction spécialisée en matière d’environnement par cour d’appel. Cet outil nouveau sera mis en place à compter du mois d’avril.

J’ajoute que la convention judiciaire d’intérêt public est un outil extraordinairement efficace sur le plan pénal.

Il y aura certainement d’autres textes de nature pénale, notamment en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, même s’il est encore un peu tôt pour en parler. Compte tenu du sujet, cela entrera naturellement dans le périmètre du ministère de la justice.

Vous voyez grand, Monsieur Colombani, si vous me permettez d’utiliser cette expression. Il va de soi que la protection de l’environnement a une dimension régionale – je viens de le rappeler – mais aussi nationale et planétaire. Néanmoins, la notion de « limites planétaires » ne fait pas l’objet d’un consensus et n’a pas un degré de précision tel qu’on pourrait l’inclure dans notre loi fondamentale. Vos propos sont extrêmement intéressants mais il serait un peu compliqué de leur donner une traduction dans la Constitution. Restons-en, pour le moment, à quelque chose d’un peu plus modeste, tout en veillant à préserver notre exemplarité dans le monde – nous avons été à la pointe dans ce domaine.

Je me souviens, Monsieur Balanant, que vous avez été rapporteur du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental. Des écueils ont été évités. Vous faites partie de ceux qui savent qu’on ne peut pas opposer les citoyens et les parlementaires – des craintes s’étaient déjà exprimées à cette époque.

La question de l’évaluation est importante. J’ai vu que vous aviez déposé un amendement visant à modifier l’article 24 de la Constitution en ce qui concerne l’évaluation des politiques publiques. Puis-je vous dire dès à présent que j’y serai sans doute défavorable ? Des outils d’évaluation existent déjà. L’exécutif dispose de moyens en la matière, comme le Parlement. Mon sentiment est qu’il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution sur ce point.

Je suis ravi que le verbe « garantir » vous fasse plaisir, Madame Untermaier. J’ai toujours plaisir à vous faire plaisir – et à travailler avec vous.

Vous avez demandé, en disant que c’était en souriant, s’il fallait une Convention citoyenne en ce qui concerne le parquet. C’est à la main du Président de la République. Voilà ce que je peux vous répondre.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Merci beaucoup, Monsieur le garde des sceaux.

J’ajoute qu’une mission flash relative à la création d’un référé spécial en matière environnementale, dont les rapporteures sont Mmes Cécile Untermaier et Naïma Moutchou, rendra ses conclusions le 10 mars prochain. Cette mission pourra éventuellement avoir des suites législatives dans le cadre du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

 

 


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II.   examen de l’article unique

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Mes chers collègues, lors d’une audition conjointe avec la commission des lois qui s’est tenue hier, M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, nous a présenté le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

Notre commission a été saisie pour avis. La discussion générale ayant déjà eu lieu, nous en venons à l’examen de l’article unique du projet de loi constitutionnelle, qui sera examiné demain, au fond, par la commission des lois. Trente-huit amendements sont en discussion.

Avant l’article unique

La commission examine l’amendement CD36 de M. Hubert Wulfranc.

M. Hubert Wulfranc. Nous souhaitons reprendre l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat – au sujet de laquelle le Président de la République a utilisé son joker – et insérer, après le premier alinéa du préambule de la Constitution, un alinéa ainsi rédigé : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité. »

Une telle rédaction ouvrirait la voie à une remise en cause de l’exercice abusif du droit de propriété et à un encadrement plus strict de la liberté d’entreprendre. Ce serait un premier pas vers la reconnaissance effective de l’environnement comme bien commun intéressant l’ensemble de l’humanité – cette notion de « bien commun » nous est particulièrement chère.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Il y a deux manières d’interpréter votre amendement.

Dans le premier cas, il est déjà satisfait par l’ensemble du texte constitutionnel et par la manière dont il s’applique. En effet, la jurisprudence constitutionnelle ne fait apparaître aucun droit ni aucune liberté constitutionnelle comme supérieur, ou au-dessus des autres. La préservation de l’environnement est un droit – ou une exigence constitutionnelle – qui devra être concilié avec les autres droits sans leur être subordonné ou considéré comme inférieur. C’est bien l’objectif de la réforme proposée.

Dans le deuxième cas, vous souhaitez placer l’objectif de préservation de l’environnement au-dessus des autres droits et libertés – pour entraver le droit de propriété, par exemple. Nous ne souhaitons pas placer cet objectif au-dessus des autres, considérant justement que des conciliations doivent être recherchées.

Quel que soit le sens de votre amendement, nous devons donc émettre un avis défavorable.

Mme Delphine Batho. Je soutiens cet amendement, d’abord parce que c’était l’une des trois propositions de nature constitutionnelle de la convention citoyenne, ensuite parce que la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, en particulier celle qui a validé la loi sur le retour des néonicotinoïdes, a montré toute la pertinence et la nécessité de cette évolution.

M. Hubert Wulfranc. Cette idée de conciliation rend impossible le débat sur la notion de « bien commun ». Elle évacue un débat qui, compte tenu de la réalité de nos sociétés et de notre système économique, est pourtant majeur.

La commission rejette l’amendement.

Article unique

La commission examine, en discussion commune, les amendements CD8 de Mme Delphine Batho, CD1 de Mme Jennifer de Temmerman et CD29 de Mme Mathilde Panot.

Mme Delphine Batho. La réécriture de l’article unique que je propose vise trois objectifs. Le premier, c’est d’inscrire dans notre Constitution que la France est une République écologique. Le deuxième, c’est de préciser le sujet de la phrase qu’il est proposé d’insérer, en spécifiant que c’est la loi qui « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Le troisième consiste à inscrire le principe d’« amélioration constante » de la préservation de l’environnement – ce serait l’avancée la plus importante de cette révision constitutionnelle.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Nous avions déjà débattu de ces questions à l’occasion de l’examen du projet de réforme constitutionnelle de 2018. Les auditions auxquelles nous avons procédé n’ont pas fait évoluer notre position.

Vous souhaitez, premièrement, définir la France comme une République « écologique ». Le mot « écologie » est extrêmement polysémique : l’écologie est à la fois une science – l’étude des interactions des êtres vivants avec leur milieu –, une valeur et un courant politique – et cette liste n’est pas exhaustive. Il me semble donc délicat d’insérer cet adjectif après « démocratique et sociale ». De plus, si un comportement peut être qualifié d’écologique, on voit moins ce que recouperait l’expression « République écologique ».

Vous souhaitez, ensuite, modifier le sujet de la phrase que le projet de loi propose d’insérer dans la Constitution, en remplaçant la France par « la loi ». Ce faisant, vous voulez faire peser l’obligation d’agir sur le législateur. Or nous pensons que la réforme proposée est plus ambitieuse, puisqu’en se référant à la France, ou à la République – car nous nous sommes assurés que la France représentait bien l’État et la République dans l’intégralité de l’article 1er de notre Constitution –, le pronom « elle » désigne tous les pouvoirs publics. C’est bien sur eux, dans leur ensemble, que pèsera l’obligation d’agir pour préserver l’environnement, et non sur le seul législateur. Pour ces différentes raisons, je suis défavorable à votre amendement.

M. Matthieu Orphelin. J’aimerais, au-delà des problèmes de rédaction posés par cet amendement, poser une question plus globale qui va concerner tous les amendements à venir. Monsieur le rapporteur pour avis, à quelle date ce référendum aura-t-il lieu, selon vous ?

J’ai été très surpris d’entendre le rapporteur de la commission des lois, M. Pieyre-Alexandre Anglade, dire que le référendum aurait lieu en septembre. Lorsque nous avons examiné les possibilités de report des élections régionales et départementales, nous avons constaté – c’est ce que dit le rapport de M. Debré – qu’aucun scrutin national ne peut avoir lieu entre septembre et novembre, pour au moins trois raisons : la situation sanitaire, d’abord ; le fait, ensuite, qu’il serait absurde, si le référendum devait avoir lieu en septembre, de faire campagne aux mois de juillet et d’août ; le problème qui se poserait, enfin, s’agissant des comptes de campagne. Imaginons que le Président de la République décide de s’engager en faveur du référendum, ce qui serait bien son droit : faudra-t-il imputer les dépenses liées à cette campagne sur ceux de la campagne pour l’élection présidentielle ? Selon vous, quand ce référendum aura-t-il lieu ? Et, surtout, pourquoi serait-il possible ?

M. François-Michel Lambert. Monsieur le rapporteur pour avis, l’un de vos arguments m’inquiète : vous dites qu’on ne peut pas inscrire le mot « écologique » dans la Constitution, parce que ce terme renvoie à un courant politique. Mais c’est vrai aussi des mots « social » et « démocratique », qui apparaissent dans l’intitulé de certains partis et qui sont pourtant inscrits dans notre Constitution. Avec ce genre de raisonnement, il faudrait supprimer bien des mots de ce texte...

Plus fondamentalement, je suis extrêmement inquiet à l’idée que l’on joue avec la Constitution pour pas grand-chose. Nous dépensons beaucoup d’énergie : pour quel résultat ? Nous devrions être dans l’action, non dans l’affichage. Notre commission ferait mieux de réfléchir aux transformations écologiques nécessaires à notre société.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Monsieur Orphelin, vous imaginez bien que je ne peux pas vous donner la date du référendum, puisque vous venez vous-même de montrer qu’il est impossible de la fixer pour l’instant. J’ajoute que cette réforme constitutionnelle n’aboutira à un référendum que si l’Assemblée nationale et le Sénat tombent d’accord sur la même formulation, et que le nombre de navettes n’est pas limité. Il me paraît important d’aller jusqu’au référendum, afin de sensibiliser encore davantage nos compatriotes à la problématique environnementale.

Monsieur Lambert, il nous semble que la question de l’écologie est déjà couverte par la rédaction proposée qui parle de « préservation de l’environnement » et qui reprend les deux piliers essentiels mis en évidence depuis 2018 que sont la « diversité biologique » et le « dérèglement climatique ».

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je vous rappelle que notre débat ne porte pas sur le référendum, mais sur le projet de loi constitutionnelle.

M. Matthieu Orphelin. Il me paraissait préférable d’avoir ce débat une bonne fois pour toutes, plutôt que d’y revenir à propos de chaque amendement. Je comprends que votre position vous impose une certaine prudence, Monsieur le rapporteur pour avis, mais vous ne m’avez pas du tout rassuré. Si nous ne travaillons que pour la beauté du geste ou pour montrer que le Sénat n’est pas assez écolo, cela n’a pas de sens. Vous ne pouvez pas nous garantir que le référendum aura lieu à l’automne. Cela signifie qu’il n’y aura pas de référendum, puisqu’on ne va pas l’organiser au début de l’année 2022.

M. Loïc Prud’homme. Je pense moi aussi qu’il vaut mieux avoir ce débat maintenant : cela nous permettra d’aller plus vite sur les amendements. Arrêtons de nous raconter des histoires et de faire semblant que nous travaillons pour quelque chose. Nous sommes là pour la forme car ce référendum n’aura pas lieu : M. Orphelin a raison. Il faut que le texte soit adopté conforme par le Sénat et cela n’arrivera pas. Nous sommes là pour faire de l’occupationnel et repeindre en vert quelques éléments d’une politique qui ne l’a jamais été depuis trois ans et demi. Ne nous racontons pas d’histoires : si vous ne pouvez pas nous donner la date du référendum, Monsieur le rapporteur pour avis, c’est parce qu’il n’aura pas lieu. C’est un enfumage complet : nous perdons du temps dans une opération de communication gouvernementale.

M. Jean-Marc Zulesi. Je ne peux pas laisser dire que nous perdons du temps. La volonté du groupe La République en Marche est très claire : nous voulons inscrire au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Je ne crois pas que ce soit le rôle des parlementaires, à ce stade, de donner la date du référendum, mais ce qui est très clair, c’est que nous voulons aller au bout de ce processus démocratique.

M. François-Michel Lambert. Si la volonté d’inscrire dans la Constitution l’importance de l’engagement du pays en faveur de l’environnement et dans la lutte contre le réchauffement climatique, en accord avec la promesse faite à la Convention citoyenne pour le climat, peut être louable, se limiter à cette seule question serait réducteur.

Les fortes oppositions qui se sont manifestées au moment de la hausse de la taxe carbone ont démontré que si les Français sont sensibles à ces questions qui impactent de plus en plus leur quotidien, ils continuent de s’inquiéter de la situation économique et sociale.

Nous devons veiller à réconcilier ces visions : c’est ce que permettent la notion de développement durable et l’Agenda 2030. Cet amendement propose donc d’aller plus loin en affirmant qu’environnement, économie et social ne sont pas incompatibles et qu’il est possible de proposer une vision globale pour le bien commun des Français.

Je pense que nous ferions mieux de nous concentrer sur l’examen du projet de loi dit « climat et résilience », plutôt que de réviser la Constitution. Mais si nous révisons la Constitution, alors faisons-le vraiment, en adoptant l’amendement CD1 de ma collègue Jennifer de Temmerman.

M. Loïc Prud’homme. L’amendement CD29 fait écho à celui de notre collègue Hubert Wulfranc : nous estimons que l’écologie et la protection de l’environnement doivent passer avant les intérêts privés. C’est pourquoi nous demandons que l’État soit le garant des biens communs que sont l’eau, l’air, le vivant et l’énergie. C’est ce que nous prônons quand nous demandons l’avènement d’une VIe République, émanant d’une Assemblée constituante. Ce serait autre chose que ce faux débat sur une réforme constitutionnelle qui n’aura pas lieu.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Permettez-moi de développer un peu ma réponse, car c’est un débat important.

Nous ne souhaitons pas inscrire la notion de « limites planétaires » dans la Constitution. En nous opposant aux amendements qui proposent d’introduire l’idée selon laquelle il y aurait des limites planétaires à ne pas dépasser, nous ne voulons pas amoindrir la portée scientifique de ce concept et son utilité.

Les limites planétaires ont été établies par une équipe internationale de chercheurs en 2009 ; leur nombre – neuf – et leur contenu sont discutés dans la littérature scientifique. Des mesures sont réalisées et actualisées pour établir où nous nous situons au niveau mondial par rapport à ces limites et certaines semblent déjà dépassées.

Il est certain qu'en inscrivant la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution, nous intégrons des notions qui sont prises en compte par les limites planétaires. Néanmoins, introduire dans la Constitution la notion de « limites planétaires » reviendrait à introduire un concept scientifique qui évolue avec le temps et dont la pertinence peut être remise en cause. Dire que la France agira dans le respect de ces seuils constitue un engagement sur l’avenir dont rien ne garantit que l’on puisse le tenir. De plus, une telle rédaction occulterait le fait que cela ne dépend pas de l’action d’un seul pays. On introduirait ainsi une notion scientifique évolutive dans un texte juridique, ce qui n'est pas souhaitable. La Constitution n’est pas le lieu pour introduire un système de mesures.

La fin de l'amendement propose d’introduire un principe de non-régression. Nous sommes opposés à l’introduction d'un tel principe au niveau constitutionnel, pour plusieurs raisons. Le principe de non-régression est présent dans le code de l’environnement, à l’article L. 110-1, depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité. Il ne s’applique, en pratique, qu’à des normes de rang inférieur à la loi, c’est-à-dire aux règlements. Le Conseil constitutionnel a validé ce principe dans sa décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, où il confirme que « le principe de non-régression, de valeur législative, s’impose au pouvoir réglementaire, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière » et qu'il « ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ».

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a récemment estimé, dans sa décision n° 2020‑809 DC du 10 décembre 2020 sur la réintroduction de l’usage d’insecticides contenant des néonicotinoïdes, que le législateur ne pouvait pas être contraint par des lois antérieures, ce qui ne l’empêchait pas de poursuivre l’objectif de préservation de l’environnement et de ne porter atteinte à cet objectif que de manière pleinement justifiée et proportionnée par rapport aux objectifs poursuivis.

Introduire un principe de non-régression, que ce soit en l’explicitant dans la Constitution ou en faisant de l’objectif d’amélioration constante un objectif constitutionnel, obligerait le législateur pour l’avenir. Cela laisserait à des institutions autres que le pouvoir législatif la capacité de déterminer les normes minimales et de statuer sur ce qui constituerait ou non un retour en arrière. Un tel principe suppose d’identifier le sens du progrès en matière d’environnement et le degré plus élevé de protection des droits et interdit de diminuer ce degré de protection. De plus, implicitement, un tel principe impliquerait que la préservation de l’environnement prime sur d’autres exigences ou d’autres droits constitutionnels et empêcherait à l’avenir la conciliation nécessaire entre différents objectifs ou droits et libertés constitutionnels.

Le fait de ne pas introduire le principe de non-régression dans la Constitution n’est toutefois pas incompatible avec l’idée d’amélioration de l’environnement, qui est présente dans la Charte de l’environnement, comme le devoir de tout un chacun – à l’article 2. Le fait d’inscrire dans la Constitution que la République garantit la préservation de l’environnement implique par ailleurs, en lui-même, l’ambition de progresser dans ce domaine. Pour toutes ces raisons, j’émettrai un avis défavorable sur l’amendement CD1.

S’agissant de votre amendement CD29, Monsieur Prud’homme, le titre que vous proposez d’insérer soulève plusieurs remarques. Le 4-1 et le 4-5 sont déjà satisfaits par l’état actuel du droit ; la réforme proposée ne remet nullement en cause les droits définis dans les textes du préambule. Par ailleurs, beaucoup d’éléments listés au 4-2 font partie de notre économie des marchandises, à commencer par l’alimentation. Cet article heurte donc une réalité qu’il n'est pas possible de faire évoluer à une échelle globale. Le 4-4, enfin, ne définit pas le principe de préjudice écologique, qu’il est par conséquent difficile de mettre en œuvre. Pour toutes ces raisons, j’émettrai un avis défavorable à votre amendement.

M. Loïc Prud’homme. Vous nous dites, Monsieur le rapporteur pour avis, que les limites planétaires ne seraient pas une réalité scientifique avérée. J’avais pourtant cru comprendre que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Vous êtes en train de nous vendre une croissance infinie, alors que les ressources de notre planète sont finies. Toute personne dotée d’un minimum de sens mathématique, et tout simplement de bon sens, pourrait comprendre que cela ne peut pas fonctionner et que les limites planétaires s’imposent à nous. Voilà pourquoi il faudrait les inscrire dans la Constitution, pour qu’elles s’imposent aussi à notre façon de décliner notre corpus législatif.

S’agissant de cette croissance infinie qui reste votre paradigme, je pense que vous faites une erreur sémantique : dans votre start-up, vous opposez « croissance » et « décroissance », mais la décroissance n’est pas la récession. La décroissance, c’est la prise en compte des limites planétaires, c’est le fait de s’y adapter pour que la vie soit toujours possible demain sur cette planète.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le rapporteur pour avis, l’article unique dispose que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Cela signifie que de votre point de vue, la disparition de certaines ressources, si elle n’a un impact ni sur la diversité biologique, ni sur le dérèglement climatique, n’est pas un problème. Je songe aux ressources minérales : la disparition de certains métaux rares, comme le tantale, pourrait être aussi grave que celle de la biodiversité – il existe d’ailleurs un comité pour les métaux stratégiques au sommet de l’État. Ces métaux manqueront aux générations futures et la rédaction que vous avez choisie n’empêchera pas leur disparition. Il reste beaucoup de travail à faire avant d’organiser un référendum, car votre projet de réforme néglige de nombreuses données.

Mme Delphine Batho. La notion de « limites planétaires » est fondamentale. Ce n’est pas un concept flou, c’est un fait : certaines limites physiques déterminent l’espace de sécurité dans lequel l’humanité a pu s’épanouir et se développer sur terre. C’est une notion qui est reconnue à l’échelle internationale et qui est déjà inscrite dans notre droit, puisqu’elle figure à l’article L. 110-1-1 du code de l’environnement. Je ne souscris pas du tout à votre argumentation, Monsieur le rapporteur pour avis. Le rapport sur l’état de l’environnement en France, depuis 2019, est fait sur la base de la grille de lecture des limites planétaires : c’est une notion étayée, qui a du sens. Elle a d’autant plus de sens que la réforme constitutionnelle proposée introduit une différence avec la rédaction de la Charte de l’environnement, en dissociant « environnement », « biodiversité » et « climat ». Il manque, dans votre texte, la notion de « ressources ».

S’agissant du concept de « non-régression », je souhaite bonne chance au juge constitutionnel qui devra interpréter l’intention du constituant, dans l’hypothèse où cette révision constitutionnelle aboutirait. Pour ma part, je ne crois pas que ce sera le cas et, pour tout dire, je ne souhaite pas qu’un référendum ait lieu sur ce sujet car je crois qu’il se retournerait contre l’écologie. Le seul intérêt d’une révision constitutionnelle, au regard de la jurisprudence actuelle et de la Charte de l’environnement, consisterait à inscrire le principe de non-régression dans la Constitution. Sinon, la phrase que vous proposez d’ajouter n’apporte rien.

La Convention citoyenne a fait ses propositions au mois de juin et c’est le 8 août qu’a été annoncé le projet de loi sur le retour des néonicotinoïdes en France, qui constitue la plus grave régression du droit de l’environnement de ces dernières années. Si la Convention citoyenne avait fait cette expérience avant de rendre ses conclusions, elle en aurait tenu compte. Il faut inscrire noir sur blanc le principe de non-régression dans la Constitution.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Il y a une contradiction entre M. Prud’homme qui cite Anaxagore – lequel fut plagié par Lavoisier avec « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » – et Mme Batho et M. Lambert qui expliquent que des ressources vont disparaître.

Plusieurs constitutionnalistes ont confirmé que la rédaction retenue dans le projet de loi va potentialiser les considérants de la Charte de l’environnement. Nos débats nourris éclaireront les juges chargés de l’interpréter.

M. Matthieu Orphelin. Le principe de non-régression et la question des limites planétaires sont des sujets sérieux. Mais encore une fois : nous discutons du sexe des anges ! C’est un mensonge de faire croire qu’il peut y avoir un référendum avant la fin du quinquennat. Lors de la présentation à la commission des lois de son rapport sur la tenue des prochaines élections départementales et régionales, M. Jean-Louis Debré a expliqué que l’automne ne serait pas le bon moment pour un scrutin national – en raison de la difficulté à conduire le débat pendant la période estivale, sans même parler des délais d’ouverture des comptes de campagne. Je continue de soutenir la modification de l’article 1er de la Constitution, et la convocation du Congrès est la seule solution pour y parvenir.

M. Gérard Leseul. Les expressions très diverses sur ce texte aboutissent parfois à des avis convergents, malgré des différences d’appartenance politique. Je ne sais pas s’il s’agit d’un mensonge – nous verrons. La question est de savoir si l’on poursuit un but symbolique ou si l’on souhaite avoir de l’ambition. Pour être ambitieux, il faut aller plus loin que ce qui est proposé.

M. Patrick Loiseau. Nous sommes réunis ici pour examiner le contenu de ce projet de loi et non pour discuter de l’éventualité d’un référendum.

La commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine l’amendement CD7 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Je n’ai pas été convaincue par les observations rédactionnelles du rapporteur pour avis sur la question importante du sujet de la phrase lors de la discussion de mon précédent amendement. S’agit-il des pouvoirs publics ? La Charte de l’environnement a retenu les mots « toute personne ».

L’amendement CD7 a pour objet d’inscrire la notion d’écologie à l’article 1er de la Constitution, en complément des principes fondamentaux de la République, c’est-à-dire son indivisibilité et son caractère laïc, démocratique et social.

Je rappelle le sens de l’adjectif « écologique » : qui respecte l’environnement ou qui se réclame de l’écologie comme science. C’est un complément que nous souhaitons apporter à l’identité historique de la République française.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement CD32 de M. Hubert Wulfranc

La commission examine les amendements identiques CD9 de M. Emmanuel Maquet et CD15 de M. Martial Saddier.

M. Emmanuel Maquet. Mon amendement prévoit de remplacer « garantir » par « préserver ».

Dans son avis du 21 janvier, le Conseil d’État a émis des réserves quant à l’utilisation du verbe « garantir », qui pourrait imposer aux pouvoirs publics « une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles » que les dispositions actuellement inscrites dans la Charte de l’environnement.

M. Martial Saddier. Je souhaite rappeler que l’adoption de la Charte de l’environnement avait été précédée par la mise en place d’une commission de préparation présidée par Yves Coppens, faisant suite aux débats durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2002. Il avait ensuite fallu de longs travaux parlementaires sur le projet de loi constitutionnelle afin de convaincre une majorité d’adopter la Charte lors d’une réunion du Congrès, le 28 février 2005.

Je pense que le choix du verbe « préserver » reprendrait les termes de la Charte et de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel.

Contrairement à ce qu’a dit le garde des sceaux lors de son audition hier, si l’on reprend les travaux préparatoires très complets sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, il est clair que les enjeux climatiques étaient bien pris en compte par le constituant.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Nous abordons le chantier de cette modification constitutionnelle avec précaution et humilité. Si nous comprenons la réflexion conduite par le Conseil d’État dans son avis sur l’utilisation du verbe « garantir », nous pensons que cela implique, non pas une obligation de résultat, mais plutôt une obligation de moyens renforcée. Comme nous l’avons rappelé hier, nous sommes prêts à assumer la potentialité du verbe « garantir », qui montre l’importance et l’urgence qu’il y a à poursuivre nos efforts en matière de préservation de l’environnement et de la diversité biologique.

D’une certaine manière, dire que la France se contente de « préserver l’environnement » n’est pas assez ambitieux ou pas assez précis quant aux obligations que cela entraîne ou aux droits que cela confère.

M. Martial Saddier. Cela nous ramène à l’essentiel des débats intervenus il y a plus de quinze ans sur la Charte de l’environnement : la portée de ses articles était-elle directe ou indirecte ? À l’issue des discussions, seul le fameux principe de précaution figurant à l’article 5 était directement applicable par le juge ; les autres articles ne pouvaient être appliqués qu’après l’intervention d’une loi. Pour avoir été rapporteur pour avis du texte constitutionnel relatif à la Charte de l’environnement pour la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, je peux dire que « garantir » ou « préserver », c’est exactement la même discussion. Le Conseil d’État le confirme : le premier verbe donnera une portée directe, et ce n’est pas une petite différence.

M. Gabriel Serville. Au vu de mon expérience quotidienne en Guyane, je me demande si nous ne sommes pas plongés dans un doux rêve.

J’entends les discussions sur les différences entre obligation de résultat et obligation de moyens renforcée. Je suis perplexe, même si je devrais me réjouir du choix du terme « garantir », qui obligera les services de l’État à se doter du nécessaire pour éviter de se retrouver dans les impasses que nous connaissons. En matière d’orpaillage illégal, les autorités peuvent être tentées de seulement juguler un phénomène qu’elles pensent ne pas pouvoir éradiquer.

Ce débat aura des conséquences extrêmement lourdes, d’où l’importance de bien peser les mots.

Mme Delphine Batho. Même le garde des sceaux a parlé d’une quasi-obligation de résultat. Si l’on ne retient pas le verbe « garantir », ce n’est plus la peine de réviser la Constitution.

M. Gérard Leseul. J’entends bien qu’on a pu avoir ce débat sur la Charte il y a quinze ans, mais il n’aura échappé à personne que depuis lors, la situation s’est dégradée et que l’urgence est plus pressante. Je comprends à peine cette discussion ; il faut être sérieux. La proposition de « garantir » constitue la seule ambition de ce texte. Si on l’enlève, il ne reste plus rien.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. « Garantir » traduit bien le plus haut niveau d’exigence.

M. Martial Saddier. J’aurais aimé que nous disposions de deux ans pour faire cette réforme, plutôt que le calendrier qui nous est imposé. Je relève de plus que deux débats vont se superposer en commission et en séance publique : l’un sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, l’autre sur ce projet de loi constitutionnelle.

Toutes les interventions doivent permettre de nourrir le débat de fond pour que chacun puisse voter en son âme et conscience. Encore une fois, ayant eu la chance d’avoir été rapporteur pour avis du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, je cherchais modestement à éclairer les conséquences juridiques respectives des verbes « garantir » et « préserver ». Si l’on pouvait éviter de porter des jugements les uns sur les autres lors des longues discussions qui s’annoncent, chacun y gagnerait.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Il ne m’a pas semblé que l’on ait porté le moindre jugement.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CD27 de M. Jimmy Pahun.

M. Patrick Loiseau. Cet amendement propose d’inscrire la préservation de la biodiversité et de l’environnement marins à l’article 1er de la Constitution.

En 2018, lors des débats sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, l’Assemblée nationale avait souhaité consacrer cet enjeu en l’intégrant à l’article 34 de la Constitution.

La nécessité d’agir pour la protection de l’océan mérite de figurer au sommet de l’ordre juridique national.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. La diversité biologique est le terme le plus inclusif possible pour parler de toutes les espèces vivantes, animales et végétales. L’ajout n’apporterait pas de précision supplémentaire puisque la diversité biologique concerne aussi bien le milieu terrestre que marin. L’amendement est donc satisfait.

De plus, en mentionnant les diversités biologiques terrestre et marine, n’exclurait-on pas le milieu aérien ?

M. Patrick Loiseau. On pourrait l’ajouter dans l’énumération.

M. François-Michel Lambert. On pourrait aussi parler des marins d’eau douce ! La notion de milieu marin exclut les eaux douces. On pourrait inscrire beaucoup d’autres éléments nécessaires à la biodiversité. Ce qui manque avant tout dans ce texte, ce sont les matières fossiles.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CD10 de M. Emmanuel Maquet ainsi que les amendements identiques CD16 de M. Martial Saddier et CD25 de M. Jimmy Pahun.

M. Emmanuel Maquet. L’amendement prévoit de remplacer « lutter » contre le dérèglement climatique par « œuvrer », afin de tenir compte des réserves du Conseil d’État s’agissant des conséquences potentielles pour les pouvoirs publics de l’interprétation par le juge.

M. Martial Saddier. Quand on lutte, c’est toujours avec retard. En proposant d’« agir » contre le dérèglement climatique, on incite davantage à l’anticipation.

M. Patrick Loiseau. Je fais la même proposition visant à substituer le verbe « agir ».

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Il est vrai que le terme « œuvrer » contre le dérèglement climatique ne paraît pas en contradiction avec le texte soumis à notre examen, puis qu’il montrerait l’engagement de l’État dans ce domaine crucial. Mais après avoir entendu de nombreuses personnes sur la question, nous sommes intimement convaincus que le verbe « lutter » est le plus approprié au but recherché, parce que c’est le terme le plus fort et engageant.

Il s’agit de celui choisi par les membres de la Convention citoyenne pour le climat, et sans faire de cet élément un argument d’autorité, nous souhaitons le conserver.

Comme « garantir », « lutter » implique au moins une obligation de moyens pesant sur les pouvoirs publics. D’un strict point de vue sémantique, il révèle mieux l’urgence à agir et le combat que chacun peut mener, les pouvoirs publics en premier lieu, pour conduire des politiques compatibles avec la stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Au passage, je réponds à Mme Batho : notre intention est bien que ce soient les pouvoirs publics qui agissent, pas la loi.

Le Conseil d’État a estimé dans son avis que le verbe « lutter » ne convenait pas, mais uniquement pour dire que d’autres verbes conviendraient mieux. Il faut noter par ailleurs que ce verbe apparaît à de très nombreuses reprises dans le code de l’environnement, notamment en matière de changements climatiques.

C’est pourquoi mon avis sur ces amendements est défavorable.

M. Jean-Marie Sermier. J’ai cosigné l’amendement de M. Saddier car il va au-delà d’une simple modification rédactionnelle. « Agir » relève d’une vision globale plus préventive et apaisante. Même s’il est urgent d’agir pour l’environnement – le Président de la République Jacques Chirac avait ouvert la voie avec son discours de Johannesburg – il faut le faire sans connotation négative et dans le but de mieux organiser la planète pour les générations futures.

M. François-Michel Lambert. Il n’y aurait de lutte ou d’action que contre le dérèglement climatique ? Où est-il question des pollutions ? Le changement climatique est l’un des impacts sur l’environnement ; c’est donc d’une certaine manière une redite. Quitte à en avoir une, autant que l’énumération soit complète. Ou alors restons-en à « elle garantit la préservation de l’environnement et la diversité biologique ».

La construction de ce texte n’est pas aboutie. Pour une fois, les travaux parlementaires vont peut-être servir à quelque chose.

Quelle est notre marge de manœuvre pour être à la hauteur d’un projet de loi constitutionnelle ? Changer la Constitution n’est pas anodin : c’est symbolique et crucial. Allons-nous dire à nos enfants que nous luttons contre le dérèglement climatique, alors qu’eux perçoivent avant tout les effets mortels de la pollution atmosphérique ? Je regrette qu’il n’y soit pas fait allusion.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CD3 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Cet amendement, le plus important, vise à inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe d’amélioration constante. En effet, dans son avis, le Conseil d’État relève que jusqu’à présent, la jurisprudence du Conseil constitutionnel estime que l’article 2 de la Charte de l’environnement ne permet pas de reconnaître le principe de non-régression, principe que la France soutient sur la scène internationale dans le cadre du Pacte mondial pour l’environnement. L’adoption de cet amendement marquerait donc une véritable avancée. Certes, il compléterait la proposition de la Convention citoyenne pour le climat mais, je le rappelle, le projet du Gouvernement a lui-même apporté deux modifications à cette proposition.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Je ne reprendrai pas le très long argumentaire que j’ai développé précédemment. Je rappellerai simplement que nous ne voulons pas faire primer un principe à valeur constitutionnelle sur un autre : cela empêcherait le juge de mettre en balance les différents principes et d’user de sa liberté d’appréciation. Avis défavorable, donc.

Mme Delphine Batho. Pardon d’insister. Non seulement la majorité ne respecte pas les principes qu’elle nous propose d’inscrire à l’article 1er de la Constitution, puisqu’elle a adopté récemment une loi qui autorise de nouveau l’utilisation des néonicotinoïdes, mais elle refuse d’inclure le principe de non-régression dans cette révision constitutionnelle. On se moque du monde !

M. Gérard Leseul. Sans aller jusqu’à dire que l’on se moque du monde, je rejoins Mme Batho. Si l’on veut que le texte soit ambitieux, il faut indiquer une direction ferme qui empêche tout retour en arrière, en inscrivant le principe d’amélioration constante dans la Constitution.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CD28 de Mme Mathilde Panot, CD21 de M. Paul-André Colombani et CD4 de Mme Delphine Batho.

M. Loïc Prud’homme. Je vous avertis, Monsieur le rapporteur pour avis : vous risquez de vous évanouir. En effet, nous proposons que la France garantisse la préservation de l’environnement, dans le respect des limites planétaires par l’application du principe de non-régression et – pour couronner le tout – de la règle verte, étant précisé, d’une part, que le principe de non-régression correspond à une amélioration constante de la préservation de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, et, d’autre part, que la règle verte implique de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle ne peut supporter sur une année. Tout le reste n’est que verbiage.

Mme Batho a dit que refuser ce principe, c’est se moquer du monde. Soyons clairs : c’est du foutage de gueule ! J’ajoute que le référendum n’aura pas lieu puisqu’il faudrait pour cela que le texte soit adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, ce qui ne se produira jamais.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, j’ai pour chacun d’entre vous le plus profond respect. À aucun moment, je ne me permettrais de penser ce que vous suggérez. M. Leseul sait, pour avoir assisté à de nombreuses auditions, avec quelles précautions et quelle humilité j’ai abordé nos travaux, lesquels détermineront ce que sera le texte une fois qu’il aura été adopté à la suite du référendum.

Monsieur Prud’homme, je crois que nous nous comprenons mal. J’adhère aux principes qui figurent dans votre amendement, mais je crois qu’ils ont leur place dans la loi, et non à l’article 1er de la Constitution, d’autant que certains d’entre eux sont déjà satisfaits. Quant à la règle verte, je sais que votre groupe y tient particulièrement et je ne peux que saluer l’énergie que vous mettez à la défendre. Néanmoins, j’émettrai un avis défavorable à votre amendement.

M. Loïc Prud’homme. Ne vous méprenez pas, Monsieur le rapporteur pour avis, le respect est réciproque. Ce n’est pas votre personne mais bien le texte que nous attaquons. Il n’y a pas d’incompréhension entre nous : nous défendons l’un et l’autre des choix politiques radicalement opposés. Nous estimons quant à nous qu’il n’est plus temps de tergiverser : la règle verte doit primer sur la préservation des intérêts économiques. C’est sur ce point que nous divergeons.

M. Paul-André Colombani. Nous souhaitons quant à nous insister sur la notion de limites planétaires, que le ministre a qualifiée hier de floue et peu consensuelle. Cette notion est cruciale pour l’avenir de la planète. Les limites planétaires sont des limites physiques que l’humanité doit s’astreindre à respecter, sous peine de détruire les conditions favorables à son existence. Elles sont au nombre de neuf, dont six ont d’ores et déjà été dépassées par la France : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, la modification des usages des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère. Ces limites sont précises et font l’objet d’un consensus scientifique. Depuis 2012, elles sont évoquées à l’ONU, au niveau européen et en France – notamment par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). La lutte contre le changement climatique requiert le recours à des outils adaptés tel que celui-là. Aussi, je regrette que l’on renonce à l’utiliser au plan constitutionnel.

Mme Delphine Batho. Par l’amendement CD4, nous proposons – j’ai déjà expliqué pourquoi – de faire référence au respect des limites planétaires en tant qu’objectif.

Monsieur le rapporteur pour avis, à la différence de la Charte de l’environnement, qui retient une approche globale de la notion d’environnement, comprenant aussi bien la biodiversité et le climat que l’impact sur la santé humaine ou la question des ressources, le projet de loi introduit une distinction puisqu’y sont explicitement mentionnés l’environnement, la diversité biologique et le changement climatique. Ainsi, il n’est question ni des ressources ni de la santé humaine. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point, qui préoccupe non seulement des parlementaires, dont je fais partie, mais aussi des juristes spécialistes du droit constitutionnel lié à l’environnement ?

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Monsieur Colombani, la métrique inhérente à la notion de limites planétaires nous semble importante, mais nous estimons que celles-ci n’ont pas leur place à l’article 1er de la Constitution. Je note que l’introduction de cette notion a été rejetée par référendum en Suisse.

Je suis d’autant plus défavorable à votre amendement que ce qui y est suggéré se trouve déjà dans les considérants de la Charte de l’environnement : « Le peuple français, considérant :

« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;

« Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

« Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ; [...]

« Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins […] ».

À ce propos, Madame Batho, les considérants de la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle, mais ils ne confèrent aucun droit, dans la mesure où ils ne peuvent pas être invoqués dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel ne prend en effet en compte que les articles. Or, la rédaction que nous proposons – beaucoup de constitutionnalistes nous l’ont confirmé – leur conférerait leur pleine valeur.

Enfin, en 2018, nous avons privilégié une approche englobante de l’environnement – nous avions d’ailleurs débattu de longues heures sur la notion de morcellement. Mais, depuis, a été publié le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui montre bien que deux des piliers sont dans une situation d’urgence extrême : la diversité biologique et le climat. Cela ne signifie pas pour autant que la notion d’environnement est morcelée : elle continue de désigner l’ensemble des milieux – animal, végétal, minéral – avec lesquels l’être humain interagit. Avis défavorable également à l’amendement CD4.

Mme Delphine Batho. Depuis sa décision QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel reconnaît les considérants de la Charte comme ayant des conséquences juridiques puisque c’est sur le fondement du considérant selon lequel la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation que la loi qui interdit le transport, la circulation et la production de pesticides a été jugée conforme à la Constitution. Pour être précise, il n’est pas possible de poser une QPC sur le fondement de ces considérants, mais ceux-ci peuvent être pris en compte dans la décision.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le rapporteur pour avis, dans quelques mois, la pollution par le plastique sera une urgence, au même titre que le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Dès lors, soit nous adoptons un amendement visant à mentionner cette problématique dans le projet de loi, soit nous revoyons la rédaction qui nous est proposée.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Madame Batho, il a tout de même fallu quinze ans pour que le Conseil constitutionnel accepte de donner une valeur constitutionnelle à l’environnement sur le fondement de la Charte. Nous souhaitons ne pas attendre quinze années de plus pour que toutes les conséquences soient tirées de ses considérants. Or, des constitutionnalistes nous ont donné l’assurance qu’ils seraient potentialisés par la rédaction proposée.

Monsieur Lambert, notre intention n’est pas de morceler la notion d’environnement. Il y a un environnement, et un seul. Mais, en tant que constituants, nous nous devons d’entendre les aspirations profondes du peuple français, dont les principales préoccupations concernent la biodiversité et le dérèglement climatique, qui sont depuis 2008 deux piliers de la préservation de l’environnement.

Mme Delphine Batho. Tout d’abord, on révise la Constitution, non pas pour « potentialiser » une Charte, mais pour créer de nouvelles règles constitutionnelles. À cet égard, cette révision ne peut avoir de véritable intérêt que si elle permet d’inscrire le principe de non-régression dans la Constitution – je ferme la parenthèse.

Par ailleurs, je ne dis pas qu’il faut entrer dans le détail de ce que recouvre la notion d’environnement et mentionner la biodiversité, le climat, les ressources, etc. Je souligne simplement le fait que, à la différence de la Charte de l’environnement, le projet de loi entre dans le détail et qu’il le fait de façon incomplète. L’une et l’autre sont donc contradictoires. Or, en s’abstenant de clarifier l’intention du constituant sur ce point, on s’en remet au juge constitutionnel. Peut-être y reviendrons-nous ultérieurement en commission des lois, mais la rédaction qui nous est proposée pourrait être interprétée, par exemple, comme excluant les ressources naturelles – puisqu’elles ne figureront pas à l’article 1er –, alors qu’elles sont prises en compte dans la Charte. Si nous ne souhaitons pas que cela puisse être le cas, il faut que les choses soient clairement dites.

M. Gérard Leseul. Je souscris à l’argumentation de Mme Batho. Ou bien nous parlons d’environnement de manière globale, ou bien nous nous efforçons de compléter intelligemment la liste qui nous est proposée. Monsieur le rapporteur pour avis, je salue la manière dont vous avez mené les diverses auditions, mais je m’interroge : avons-nous la possibilité de modifier ne serait-ce qu’une virgule de ce texte ?

M. François-Michel Lambert. Monsieur le rapporteur pour avis, la biodiversité et le dérèglement climatique correspondent, dites-vous, à une attente forte de nos concitoyens. Mais si, dans quelques mois, ils expriment une forte préoccupation concernant la pollution de l’air – qui est à l’origine de 50 000, voire de 100 000 morts par an – ou de la pollution par le plastique – qui pourrait causer d’ici à vingt ans la destruction de la Méditerranée –, faudra-t-il que nous révisions à nouveau la Constitution ?

M. Martial Saddier. En 2004, nous avions fait le choix de retenir une formule large à l’article 1er de la Charte de l’environnement et de faire référence, dans les travaux préparatoires, notamment les rapports, au climat, à la biodiversité, aux ressources naturelles, à la qualité de l’eau et de l’air... Aujourd’hui, nous ne savons pas très bien où nous en sommes. Il est proposé que le dérèglement climatique apparaisse explicitement dans la Constitution, mais les autres problématiques ne sont pas citées, de sorte que le juge constitutionnel pourrait s’interroger demain sur la véritable pensée du constituant. Il ne faudrait pas que la volonté louable d’aller plus loin que la Charte aboutisse in fine à une régression.

Par ailleurs, très peu de décisions constitutionnelles portent sur la Charte de l’environnement, la procédure des QPC est relativement récente et celles-ci ne sont pas très fréquentes. Le juge a donc attendu d’avoir l’opportunité d’apporter des précisions sur les considérants de la Charte de l’environnement.

Quoi qu’il en soit, nous sommes plusieurs, de différentes sensibilités, à souligner que le projet de loi semble rompre un équilibre.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Nous avons constaté la prudence des juges concernant la Charte et nous avons acquis, au fil des auditions, la conviction que la formulation retenue lui donnerait force et vigueur.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CD37 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Madame la présidente, je tiens à saluer votre volonté de laisser les uns et les autres s’exprimer, quitte à susciter l’impatience de quelques-uns.

Il s’agit ici de mentionner le principe de subsidiarité afin de faire toute sa place à la dynamique des territoires dans la poursuite de ces objectifs planétaires. Il serait bon que, dans une France de plus en plus verticale, on comprenne que, s’agissant des enjeux collectifs, tout acteur, à commencer par ceux de nos territoires, peut apporter sa contribution.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Vous abordez la question intéressante de l’échelon pertinent pour agir en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique. Appliquer le principe de subsidiarité signifie que l’État ne devrait agir et définir des politiques nationales que si cela n’est pas possible au niveau local. Il est vrai que l’ambition qu’il nous est proposé d’inscrire à l’article 1er de la Constitution implique tous les niveaux des collectivités locales et de l’administration déconcentrée, mais le texte du projet de loi n’empêcherait en aucun cas une gestion à la fois nationale et locale de la politique environnementale. Cet ajout n’est donc pas nécessaire.

Par ailleurs, l’article 72 de la Constitution précise que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Par conséquent, en matière de décentralisation, le principe de subsidiarité est un principe général qui n’a pas besoin d’être rappelé. C’est pourquoi nous sommes défavorables à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CD5 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Il s’agit d’inscrire la notion de biens communs dans la Constitution.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. La notion de biens communs dépasse le cadre du droit constitutionnel français et ne correspond pas à l’objet de la révision constitutionnelle proposée. Nous ne pouvons nier que l’eau, l’air, la terre, le climat constituent des biens fondamentaux mais notre texte constitutionnel ne peut affirmer que certains de ces éléments n’appartiennent à personne. Inscrire une telle assertion dans la Constitution aurait des conséquences que nous ne mesurons pas. L’usage de ces éléments considérés comme des biens communs, s’il ne se traduit pas nécessairement par un droit de propriété, se traduit par un droit d’exploitation. Adopter un tel amendement reviendrait ainsi à remettre en cause des pans entiers de notre droit. C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable.

M. Hubert Wulfranc. La position du rapporteur pour avis est tout à fait logique. Il s’agit ici d’un débat de société, voire de civilisation. La notion même de biens communs implique celle de lutte ; elle heurte, de fait, un certain nombre de principes, de libertés et de droits propres à la démocratie libérale, en particulier le droit de propriété. Nous nous inscrivons, à cet égard, dans nos logiques respectives. Pour ma part, je voterai l’amendement, tout en respectant les arguments du rapporteur pour avis et en sachant que ce texte ne pourra aller bien au-delà de la logique de la démocratie libérale.

Mme Delphine Batho. Le Préambule de 1946 proclame que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». En 2021, nous considérons que les biens communs doivent être préservés ; tel est le sens de la République écologique. Préserver ne signifie pas nationaliser, car un bien commun n’appartient à personne.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er sans modification

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

Après l’article unique

La commission examine l’amendement CD18 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il s’agit de rester dans la cohérence de l’initiative lancée en 2006 par Nicolas Hulot en faveur du Pacte écologique, que nous avons essayé de traduire dans le Grenelle de l’environnement, après l’élection de Nicolas Sarkozy. Je salue, d’ailleurs, mes collègues MM. Martial Saddier et Bertrand Pancher qui, à l’époque, ont participé à ce travail de « crantage » qui a permis d’éviter des régressions ultérieures. Malgré nos espoirs, cela n’a pas abouti à grand-chose, ce qui explique peut-être la très forte mobilisation actuelle, les 2 millions de signataires de l’« affaire du siècle » et la Convention citoyenne pour le climat.

En 2006, Nicolas Hulot avait bien senti qu’il faudrait aller au-delà des belles paroles et contrebalancer la mécanique naturelle court-termiste de la conduite de la France, rythmée par les prochaines élections, nationales ou locales, et qui bloque toute capacité d’agir. Dans le Pacte écologique, il avait proposé la création d’un vice-Premier ministre chargé du temps long et du développement durable. Un certain Emmanuel Macron, candidat à la Présidence de la République, avait trouvé cette proposition très intéressante mais indiqué qu’elle lui serait impossible à mettre en œuvre, la Constitution ne le permettant pas. Quinze ans après la proposition de Nicolas Hulot, voici venu le temps de la réforme constitutionnelle et avec elle, de l’avènement du vice-Premier ministre en charge du temps long, c’est-à-dire du développement durable.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Quelle belle aspiration que ce vice-Premier ministre ! Mais quelle position au sein du Gouvernement lui donnerait son pouvoir de vérification de la conformité de l’action de ses collègues avec les principes de la Charte de l’environnement ? On comprend de la rédaction que ses pouvoirs et son positionnement constitutionnels semblent exactement les mêmes que ceux du Premier ministre – il pourrait même contresigner ses actes. C’est là toucher directement à l’organisation du pouvoir exécutif et à l’architecture constitutionnelle du Gouvernement. Je vous propose de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. François-Michel Lambert. Je reconnais une rédaction perfectible, mais vous n’avez pas répondu sur le fond : est-ce un problème de se situer dans la continuité du Pacte écologique – que d’autres avec moi avaient signé – et surtout de l’engagement du candidat M. Emmanuel Macron, en 2017, d’agir pour donner les moyens, pour « cranter » et pour aller de l’avant ?

Quant au contreseing du vice-Premier ministre, il n’est qu’un contreseing. Nous‑mêmes, lorsque nous déposons des rapports, nous n’en sommes pas les seuls auteurs ; bien souvent, nous les cosignons avec un ou plusieurs collègues d’une sensibilité différente de la nôtre. C’est un usage assez régulier. À moins, donc, d’estimer que des beaux mots valent mieux que des moyens utiles à la transformation écologique de notre société, il ne faut pas repousser cet amendement.

Pensez-vous vraiment, monsieur le rapporteur pour avis, qu’il n’apporterait rien qui puisse éviter tout ce qu’il y aurait de critiquable ?

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Notre objet est d’introduire dans la Constitution la défense de l’environnement et de la diversité biologique ainsi que la lutte contre les dérèglements climatiques, pas un vice-Premier ministre.

M. Martial Saddier. M. François-Michel Lambert soulève une question que nous avons souvent évoquée au sein de cette commission : le périmètre du ministère de l’environnement.

L’idée du vice-Premier ministre a émergé au fil des législatures et des grands débats qui les ont régulièrement animées sur le point de savoir si le numéro deux du Gouvernement devait être ministre d’État ou avoir une vision globale sur un certain nombre de sujets, ou encore si le ministère de l’environnement devait ou non avoir la main sur l’énergie. Il est vrai qu’au cinquième, sixième ou septième rang du Gouvernement, s’il n’a pas la main sur certains éléments stratégiques, il lui est difficile d’avoir un réel pouvoir d’impulsion.

Je n’irai pas jusqu’à soutenir l’amendement, mais il a tout de même le mérite de poser la question des périmètres ministériels, qu’il serait bon de ne pas changer systématiquement d’un gouvernement à l’autre, pour permettre aux ministères de conserver une impulsion dans le temps, et à celui chargé de l’environnement de ne pas se retrouver le parent pauvre sous certaines législatures.

M. Patrick Loiseau. Depuis 2017, les ministres de la transition écologique sont placés aux premiers rangs. Ce n’est pas un poste de vice-Premier ministre, mais ministre d’État ou juste en dessous, c’est tout de même très important.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. La ministre de la transition écologique est numéro trois du Gouvernement : on progresse !

M. François-Michel Lambert. Nicolas Hulot était numéro deux.

Mme Chantal Jourdan. Je soutiens cet amendement. La proposition est tout à fait cohérente avec l’article unique, dans la mesure où il s’agit d’une fonction transversale à toutes les politiques publiques qui doivent garantir la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’environnement devrait être une matière transversale et constituer le maître étalon auquel vérifier chacune de nos lois. Avec l’inscription dans la Constitution telle que nous la proposons, le Parlement aurait la capacité de mener des études d’impact directes et indirectes sur chacune des lois à venir, et les questions prioritaires de constitutionnalité sur les lois passées deviendraient possibles. Oui, donc, à la transversalité, mais toujours non au vice‑Premier ministre.

M. François-Michel Lambert. Nicolas Hulot, quand bien même il était ministre d’État et malgré sa personnalité, a perdu quelque 300 réunions interministérielles et n’en a gagné qu’une dizaine : il ne disposait pas d’un contreseing. Ce sont des faits – je les rappelle à notre collègue M. Jean-Marc Zulesi qui semble les avoir oubliés. À la fin, l’arbitrage était rendu par le cabinet du Premier ministre, voire plus haut, ce qui est fortement dommageable.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous n’avez toujours pas répondu sur le fond : cela nous permettrait d’agir.

M. Jean-Marc Zulesi. Je n’ai oublié ni les combats ni l’engagement de Nicolas Hulot au sein du Gouvernement, mais je constate aujourd’hui que la ministre Mme Barbara Pompili s’engage avec beaucoup d’abnégation. Cela change de ce que l’on a pu connaître avec Nicolas Hulot : elle échange et est à nos côtés pour défendre nos dossiers – par exemple, la cause de l’étang de Berre.

Je suis un peu étonné : vous considérez que nous ne sommes pas à la hauteur avec l’inscription de la préservation de l’environnement au sein du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, mais vous-même ne répondrez pas du tout au défi du réchauffement climatique avec ce poste de vice-Premier ministre auquel vous semblez très attaché. Votre amendement est satisfait par l’engagement de MmeBarbara Pompili sur tous les sujets.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CD26 de M. Jimmy Pahun et CD38 de M. François-Michel Lambert.

M. Patrick Loiseau. L’amendement CD26 vise à prendre en compte la préconisation du Conseil d’État de prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux « du droit » de l’environnement, une notion qui recouvre les trois objectifs qui seraient désormais inscrits à l’article 1er.

M. François-Michel Lambert. Selon le rapporteur pour avis, les études d’impact rendraient inutile un vice-Premier ministre : l’étude d’impact sur le projet de loi « climat et résilience » nous invite en effet vraiment à agir différemment. Si nous avions un vice-Premier ministre, cela irait.

Quand j’en avais proposé l’institution en 2018, la garde des sceaux m’avait répondu, en séance publique : « À quoi bon, on a le meilleur, on a Nicolas Hulot ! » En deux ans et demi, l’appréciation portée sur M. Hulot a beaucoup changé ! Il faut dire qu’un mois après ce débat, il claquait la porte du Gouvernement.

M. Jean-Marc Zulesi. Quel courage !

M. François-Michel Lambert. Oui, c’est faire preuve de courage que de dire que l’on va dans le mauvais sens, surtout vis-à-vis des générations futures.

Quant à l’amendement, on ne peut pas ne pas le voter. Il est nécessaire de passer de la « préservation » de l’environnement, qui est un terme « gentillet », au « droit » de l’environnement, qui affirme un principe.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Il n’est en rien nécessaire d’établir un parallélisme entre l’article 1er, qui mentionnerait la préservation de l’environnement, la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique, et l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel « la loi détermine les principes fondamentaux relatifs à la préservation de l’environnement ». Le législateur demeurera compétent sur tous les sujets qui touchent à la préservation de l’environnement au sens le plus large. Nous ne voyons donc pas quel apport auraient ces amendements sur le domaine de la loi. De surcroît, ils rompraient avec la logique de l’énumération. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CD19 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il s’agit d’inscrire une référence au climat au cinquième considérant de la Charte de l’environnement, de manière à mettre en relief l’interaction entre l’exploitation excessive des ressources naturelles, le climat et la diversité biologique. L’article 1er de la Constitution tel que vous l’avez rédigé introduit déjà un déséquilibre par l’absence de référence à l’exploitation excessive des ressources naturelles. Essayons d’en trouver une au moins au climat, en le mentionnant là où c’est nécessaire, en attendant de revenir sur l’article 1er en commission des lois ou dans l’hémicycle. Tout doit être pris en compte à l’article 1er !

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. La Charte de l’environnement a privilégié une acception très large et englobante de l’environnement. Même si ses considérants énumèrent des éléments affectés par les activités humaines, parmi lesquels compte sans aucun doute le climat, nous estimons qu’il n’est pas opportun de la modifier, à l’instar des autres composantes du Préambule. La Charte a été adoptée au terme d’une longue réflexion, et il ne paraît pas indispensable d’y faire entrer une notion qui sera introduite dans la Constitution par l’ajout du terme « dérèglement climatique ».

La Charte et la Constitution se compléteront. Ni les pouvoirs publics ni les juridictions ne pourront ignorer que la préservation de l’environnement, au sens de la Charte, implique la préservation des équilibres climatiques et l’adoption de mesures pour lutter contre le dérèglement climatique, notamment par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avis défavorable.

M. François-Michel Lambert. Je ne comprends pas les équilibres qui sont proposés. L’article 1er de la Constitution mentionnera la lutte contre le dérèglement climatique, alors qu’on aurait pu être tout aussi clair en écrivant simplement que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique » – quoiqu’on aurait pu aussi évoquer la question des limites planétaires en faisant référence à la surexploitation des ressources naturelles. De son côté, la Charte de l’environnement sera bancale puisque, rédigée à une époque où le dérèglement climatique ne suscitait pas une telle angoisse quant au devenir de l’humanité, celui-ci n’était pas mentionné. Pourquoi, alors que vous l’introduisez à l’article 1er de la Constitution, ne pourrait-il pas figurer dans la Charte de l’environnement ?

Il faut faire preuve de cohérence pour que ceux qui s’appuieront sur la Constitution et la Charte de l’environnement puissent s’y retrouver. De deux choses l’une : soit vous avez tort d’introduire la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er, soit vous avez raison de le faire et il faut compléter la Charte en ce sens. D’où cet amendement. Peut-être n’est-il pas adéquat en faisant référence au « changement climatique », aussi serais-je ravi que vous proposiez un sous-amendement tendant à y substituer le mot « dérèglement ». Ainsi serions‑nous en parfaite cohérence avec l’article 1er de la Constitution.

M. Gérard Leseul. Je soutiens pleinement cet amendement, qui apporte de la cohérence rédactionnelle. On aurait pu privilégier une acception plus large de l’environnement à l’article 1er de la Constitution, sans entrer dans le détail. À partir du moment où on précise les choses, il serait cohérent de suivre la même logique dans la Charte.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement CD20 de M. François-Michel Lambert.

La commission examine l’amendement CD17 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il s’agit d’introduire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression. En vertu de ce principe, tout retour en arrière serait impossible une fois que des mesures auraient été prises pour améliorer notre quotidien, préparer un avenir meilleur pour nos enfants, renforcer la protection de l’environnement, parfois même le régénérer en permettant le retour d’une vie plus riche, d’une biodiversité plus forte, d’un équilibre plus harmonieux des systèmes environnementaux. Ainsi, une nouvelle majorité ne pourrait pas imprimer un recul et abîmer les efforts, parfois colossaux, et les sacrifices consentis par ceux qui l’ont précédée.

Bien évidemment, si les avancées scientifiques montrent qu’un choix n’a pas donné les résultats bénéfiques attendus, il faudra le remettre en cause et les mesures législatives ou réglementaires devront être corrigées – je pense, par exemple, aux néonicotinoïdes.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. Pour les raisons déjà évoquées au début de la discussion, nous sommes défavorables à l’inscription du principe de non‑régression, que ce soit dans la Constitution de 1958 ou dans la Charte de l’environnement. Notre cadre constitutionnel, qu’il est essentiel de conserver, ne permet pas de hiérarchiser les droits. Seul le juge constitutionnel peut apprécier l’équilibre entre les principes constitutionnels. Le principe de non-régression contraindrait le législateur au regard des dispositions qu’il a adoptées, mais empêcherait aussi de ne pas faire passer la protection de l’environnement avant d’autres principes fondamentaux – par exemple, le droit à la santé. Au demeurant, la référence, à l’article 2 de la Charte, à « l’amélioration de l’environnement » s’apparente à une forme de non-régression. Avis défavorable.

M. François-Michel Lambert. Le principe de non-régression étant inscrit dans la seule Charte de l’environnement, il ne s’appliquerait qu’aux domaines qu’elle couvre – telle est l’interprétation qu’en ferait un constitutionnaliste. Il ne figure pas à l’article 1er, auquel vous avez fait le choix de circonscrire le débat. En tant que parlementaire, je ne vois pas la modification de la Constitution comme un temps fort de mes mandats. D’ailleurs, j’aurais préféré qu’on n’y touche pas si c’était pour se limiter à l’article 1er, sans avoir de réflexion globale.

M. Gérard Leseul. Je crains fort, monsieur le rapporteur pour avis, que nous ne puissions changer la moindre virgule de ce texte : vous ne voulez pas de limites ; vous refusez le principe de non-régression. La proposition de M. Lambert est pourtant frappée au coin du bon sens et, de surcroît, mesurée puisqu’il sera tenu compte des connaissances scientifiques et techniques du moment. Le principe est affirmé, mais les limites que vous en craignez ne sont pas gravées dans le marbre. Il y a là beaucoup de modestie et d’humilité. Je suis favorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble du projet de loi constitutionnelle sans modification.

 


  1  

   liste des personnes auditionnées

(par ordre chronologique)

 

M. Arnaud Gossement, avocat

M. Dominique Bourg, professeur émérite à l’université de Lausanne

Mme Marie-Anne Cohendet, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

M. Stéphane Crouzat, ambassadeur pour le climat chargé des négociations pour la COP

Fondation pour la Nature et l’Homme

M. Samuel Leré, responsable « Environnement et Mondialisation »

Greenpeace France

Mme Clara Gonzales, chargée de campagne juridique

Notre affaire à tous

Mme Marine Izquierdo, avocate

M. Christian Huglo, avocat

Mme Marine Fleury, maîtresse de conférences en droit public

Ministère de la transition écologique et solidaire

M. Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable, délégué interministériel au développement durable

Mme Aurélie Bretonneau, directrice des affaires juridiques

Mme Christel Cournil, maîtresse de conférences en droit public

Ministère de la justice

M. Frédéric de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau

Mme Aude Richard, cheffe du bureau du droit constitutionnel et du droit public général

Mme Christelle Hilpert, conseillère affaires civiles et prospectives

M. Guillem Gervilla, conseiller parlementaire du ministre

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

M. Jean Jouzel, climatologue, directeur de recherche émérite, membre du Conseil économique, social et environnemental, ancien membre du GIEC

Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Bureau du GIEC, co-présidente du groupe de travail n° 1 du GIEC

Membres de la Convention citoyenne pour le climat

M. Victor Costa, membre du groupe de travail « Se loger »

Mme Mélanie Blanchetot, membre du groupe de travail « Se nourrir »

M. Kisito Ondongo, membre du groupe de travail « Se nourrir »

M. Guy Kulitza, membre du groupe de travail « Se nourrir »

M. Pierre Fraimbault, membre du groupe de travail « Consommer »

M. Pascal Hector, ministre plénipotentiaire à l’ambassade d’Allemagne

 


([1]) https://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/meteo-france-eclaire-le-climat-en-france-jusquen-2100

([2]) https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr

([3]) https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/development-agenda/ - Résolution du 25 septembre 2015 en Assemblée générale A/RES/70/1.

([4]) Pour une présentation plus exhaustive :  https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2019%2002%2014%20projet%20de%20PNIEC%20France_Version%20consolidee.pdf

 

([5])  L’article 2 de la loi n°2019-1147 mentionne qu’« Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. »

([6]) Cf. Précis Dalloz – Droit de l’environnement, Michel Prieur et alii. 8ème édition, 2019.

([7]) L’environnement dans les Constitutions étrangères, Jacqueline Morrand Deviller, in Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 43.

([8]) Son préambule disposant que “la nature ou Pacha Mama a le droit d’exister, de persister, de maintenir et de régénérer ses cycles, structures, fonctions et processus vitaux ».

([9]) Considérant 18 : « que ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ; ».

([10]) Amendement CD79: Après le huitième alinéa de l’article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Que le climat est affecté par des changements qui représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète ; ». 

([11]) Amendement n° CD47.

([12])  Considérant 13 : « S'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement. »

([13]) CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe req n° 427301.  

([14]) http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf  

([15]) « Considérant que cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa méconnaissance ne peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. »

([16])  « 5. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit… »