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N° 4525

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2021

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 4482)
de finances pour 2022

TOME VIII

SÉCURITÉS

SÉCURITÉ CIVILE

 

PAR M. Mansour KAMARDINE,

Député

——

 

 

 Voir le numéro : 4524 – III – 39

 

 

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2021 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, 80 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.


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SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION............................................ 5

Première partie : les crédits de la sécurité civile pour 2022

I. Les crédits de la direction générale en augmentation

II. Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Seconde partie : la sécurité civile outre-mer face aux risques naturels, en particulier aux risques sismiques et volcaniques

I. Les territoires d’outre-mer concentrent l’essentiel des risques naturels auxquels la France est confrontée

A. Une large exposition des collectivités ultramarines à l’ensemble des risques naturels

1. Des espaces soumis aux aléas sismiques et volcaniques…

2. … ainsi qu’à de nombreux autres risques naturels, communs ou spécifiques à certains territoires

B. À Mayotte, des risques nombreux dont l’évolution récente appelle à la plus grande vigilance

II. Les moyens mobilisés pour anticiper les risques et réduire les dégâts occasionnés par un évènement naturel majeur demeurent insuffisants

A. Les moyens de la sécurité civile outre-mer

1. L’organisation de la sécurité civile outre-mer

2. Des moyens insuffisants pour satisfaire l’ensemble des besoins

B. Des marges de manœuvre insuffisantes pour anticiper au mieux les risques et réduire les dommages causés par un événement climatique de grande ampleur

1. Le nécessaire accroissement des moyens consacrés à l’analyse des risques

2. L’absence de « culture du risque »

3. Des politiques de prévention des risques à renforcer

Liste des propositions

Examen en commission

liste des personnes entendues

Annexe : contribution écrite des chercheurs de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris


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Mesdames, Messieurs,

Alors que s’achève la quinzième législature, le dernier budget de l’État du quinquennat consacré à la sécurité civile marque, en euro constant, une stagnation budgétaire sur la période 2018 à 2022.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, le programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » voit son budget fixé à 568,6 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse d’environ 8 % en euros constants – essentiellement due à l’acquisition de nouveaux équipements annoncée de longue date – après quatre ans d’alternance entre augmentations et diminutions.

Cette somme ne représente toutefois qu’une infime partie du budget total consacré à la sécurité civile, qui repose à hauteur d’un tiers sur l’État – via ce programme et d’autres programmes du budget général, et à travers la fiscalité transférée aux collectivités territoriales – et aux deux tiers sur les collectivités, qui financement largement les services départementaux d’incendie et de secours, au cœur des missions de secours, au plus près des populations.

Dans les outre-mer, la sécurité civile fonctionne de la même manière qu’en métropole, sous réserve de quelques adaptations liées aux particularités de certains territoires. Votre rapporteur a choisi, cette année, d’étudier comment les métiers et les acteurs de la sécurité civile se préparent aux nombreux risques naturels auxquels les collectivités ultramarines sont confrontées aujourd’hui et auxquels elles devront faire face à l’avenir.

Caractérisées, à l’exception de la Guyane, par leur insularité, ainsi que par leur éloignement de l’hexagone et par la forte densité de population sur les littoraux, ces collectivités sont en effet soumises à de nombreux aléas telluriques et climatiques dont certains sont récents, et donc encore méconnus, quand d’autres risquent de s’amplifier sous l’effet du réchauffement climatique. 

À l’issue d’une dizaine d’auditions et de tables rondes ayant permis d’entendre de nombreux élus des territoires concernés, des chercheurs des observatoires chargés de superviser l’évolution des risques, des membres des administrations centrales et des préfectures ainsi que des personnels de la sécurité civile, votre rapporteur formule onze recommandations visant à renforcer la sécurité des populations exposées et, plus largement, à améliorer le fonctionnement de la sécurité civile outre-mer afin de prévenir les ruptures d’égalité dans ces territoires, de protéger les populations et les services publics essentiels. 


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   Première partie : les crédits de la sécurité civile pour 2022

Les crédits consacrés par le projet de loi de finances pour 2022 à la sécurité civile stricto sensu sont inscrits au sein du programme 161 « Sécurité civile ». Ils ne représentent néanmoins qu’une petite proportion de l’ensemble des sommes affectées à la sécurité civile, d’autres programmes, ainsi qu’une part de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales, contribuant également à son financement.

I.   Les crédits de la direction générale en augmentation

Le programme 161 « Sécurité civile » fait partie de la mission « Sécurités » qui regroupe l’ensemble des moyens financiers relevant du ministère de l’Intérieur et concourant à la protection des populations sur tout le territoire, avec les programmes 176 « Police nationale », 152 « Gendarmerie nationale » et 207 « Sécurité et éducation routières ».

Il est placé sous la responsabilité de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) qui concourt à la politique interministérielle de sécurité civile, conformément aux orientations définies par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile aux termes de laquelle : « l’État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ; il en définit la doctrine et coordonne ses moyens ». La DGSCGC organise, prépare et met en œuvre les moyens nationaux d’intervention de la sécurité civile, notamment en situation de crise. Elle conduit la politique internationale française de sécurité civile et participe à la lutte contre le terrorisme.

La DGSCGC conserve, pour l’exercice 2022, les quatre objectifs de performance précédemment définis pour les exercices 2020 et 2021 : assurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de lutte contre les feux de forêt, assurer la disponibilité des moyens aériens et leur conformité aux besoins opérationnels, faire évoluer la cartographie des centres de déminage pour éliminer les munitions historiques et faire face à la menace terroriste et harmoniser les moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

Le périmètre du programme a néanmoins légèrement évolué en 2022. Les dépenses de matériel radio au profit des moyens nationaux de sécurité civile, qui figuraient initialement dans le périmètre du programme 216 relatif à la conduite et au pilotage des politiques de l’intérieur, ont été transférées à hauteur de 450 000 euros en crédits de paiement.

Les crédits demandés pour 2022 au titre du programme 161, d’un montant de 568,6 millions d’euros, sont en hausse de 9,6 % par rapport à la dotation consentie pour le précédent exercice.

ÉVOLUTION des CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME 161 « SÉCURITÉ CIVILE »

(en euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

Crédits de paiement

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

35 625 134

37 727 406

+ 5,9 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

341 365 926

378 425 040

+ 10,9 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

130 958 532

141 254 599

+ 7,9 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

10 821 284

11 222 909

+ 3,7 %

Total du programme 161

518 770 876

568 629 954 

+ 9,6 %

Source : projet annuel de performance de la mission « Sécurités » annexé au projet de loi de finances pour 2022.

En tenant compte des perspectives d’inflation pour l’année 2022 (+ 1,5 %) inscrites dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2022, le montant des crédits du programme augmente en réalité d’environ 8 %.

L’action 11 « Prévention et gestion de crises » porte sur la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, sur la solidarité nationale en cas de survenance d’une crise, sur la prévention opérationnelle et la protection des populations et, enfin, sur l’activité opérationnelle lors de crises. Près d’un tiers des crédits de paiement de cette action correspond aux dépenses d’achat de carburant des avions et des hélicoptères. La subvention aux organismes de recherche et acteurs de la gestion de crise – dont bénéficie notamment le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) – n’augmente pas par rapport à 2021.

L’action 12 « Préparation et intervention spécialisées des moyens nationaux » bénéficie de la dotation la plus importante, correspondant à 66,5 % des crédits du programme. Elle regroupe les moyens nationaux que l’État met à la disposition de la population, au quotidien ou lors de catastrophes naturelles ou technologiques, et se décline en cinq sous-actions, portant chacune sur un « métier » propre à la sécurité civile : avions, hélicoptères, moyens nationaux terrestres, de déminage et de soutien. La principale dépense concerne la maintenance des aéronefs hors plan de relance, qui représente plus de 22 % des crédits de paiement de cette action et près de 15 % de l’ensemble des crédits de paiement du programme.

L’action 13 « Soutien aux acteurs de la sécurité civile » correspond aux activités de coordination et de formation des services d’incendie et de secours et des associations de sécurité civile. Cette action comprend la contribution au régime d’indemnisation spécifique (RISP) et à la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) des sapeurs‑pompiers volontaires, ainsi que les participations au budget de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) – qui représente 68 % de ses crédits de paiement – et au budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP). Enfin, elle comprend la dotation de soutien à l’investissement des SDIS, qui finance le projet de système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile (NexSIS) porté par l’agence du numérique de la sécurité civile.

L’action 14 « Fonctionnement, soutien et logistique » réunit les fonctions de soutien général du programme 161 : services d’état-major, inspection générale de la sécurité civile (IGSC) et fonctions support. Le fonctionnement courant des services de la DGSCGC représente la dépense la plus élevée (2 millions d’euros, soit 18 % des crédits de paiement).

Les fonds de concours et avances de produits attendus, qui s’ajoutent au montant des crédits de paiement demandés pour 2022, s’élèvent à 995 538 euros : près de la moitié de ce montant correspond au financement par l’Union européenne de la mise à la disposition du programme RescEU d’un avion Dash de la sécurité civile.

L’évolution des crédits de paiement du programme 161 sur l’ensemble de la XVème législature

 

LFI 2018

LFI 2019

LFI 2020

LFI 2021

PLF 2022

Évolution en valeur  2018/2022

Évolution en euros constants ([1])

Action 11

36

35,4

29,9

35,6

37,7

+ 4,7 %

- 2 %

Action 12

338,9

338,9

347

341,4

378,4

+ 11,6 %

+ 4,47 %

Action 13

146,7

149,9

131,5

131

141,2

- 3,7 %

- 9 %

Action 14

10,6

12,8

9,7

10,8

11,2

+ 5,6 %

- 1,15 %

Total

532,3

537,1

518

518,8

568,6

+ 6,8 %

0 % 

Source : projets annuels de performance de la mission « Sécurités » annexés aux projets de loi de finances pour 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022, banque de France.

Entre 2018 et 2022, en tenant compte de l’inflation des années 2018, 2019 et 2020, ainsi que des perspectives d’inflation pour les années 2021 (+ 0,7 %) et 2022 (+ 1,5 %) inscrites dans le rapport économique, social et financier annexé aux projets de loi de finances pour 2021 et 2022, le montant des crédits du programme aura augmenté en réalité d’environ 1,04 % sur l’ensemble de la législature.

Or, les perspectives d’inflation pour l’année 2021 semblent finalement plus élevées : dans ses projections macroéconomiques pour 2021 publiées en septembre, la Banque de France évalue ainsi l’inflation totale à 1,8 % sur l’année 2021. Si ces prévisions s’avèrent exactes, le budget total de la sécurité civile sur le quinquennat n’augmenterait finalement pas en euros constants.

Les dépenses de personnel (titre 2) s’élèvent à 190,4 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse de 0,52 % par rapport à 2021. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, la direction du budget a fixé le schéma d’emplois du programme à + 1 ETPT, correspondant au recrutement d’un personnel technique.

Le plafond d’emplois a été défini à 2 487,56 ETPT, en baisse de 2,44 ETPT par rapport au plafond d’emploi de 2021. Il est réparti de la manière suivante :

– 1 412,18 personnels militaires ;

– 132,33 personnels administratifs ;

– 507,45 personnels techniques ;

– 49,93 ouvriers d’État ;

– 81 hauts fonctionnaires et personnels issus de corps de conception et de direction et de corps de commandement de la police nationale ;

– 304,67 personnels des corps d’encadrement et d’application de la police nationale.

Évolution des crédits de paiement du titre 2 et des effectifs

 

LFI 2018

LFI 2019

LFI 2020

LFI 2021

PLF 2022

Évolution en valeur 2018/2022

Évolution en euro constant  2018/2022

Titre 2

(crédits de paiement)

189,4

186,2

183,3

190,4

190,4

+ 0,5%

 

- 5,9 %

Effectifs (plafond)

2 490

2 479

2 498

2 490

487,56

- 0,1 %

 

Source : projets annuels de performance de la mission « Sécurités » annexés aux projets de loi de finances pour 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022

La DGSCGC emploie des personnels mis à sa disposition par la BSPP, les SDIS et le bataillon des marins-pompiers de Marseille. Ces effectifs ne sont pas comptabilisés dans le plafond d’emplois du programme : le remboursement des rémunérations correspondantes est imputé sur les crédits de fonctionnement (10,6 millions d’euros en crédits de paiement). Ce schéma, qui concernait en 2019 près de 38 % des agents affectés en administration centrale ([2]), crée une distorsion importante dans l’appréciation du respect du plafond d’emplois du programme.

Le budget de la DGSCGC hors titre 2 est en augmentation de 14,84 % en crédits de paiement.

Évolution des crédits de paiement hors dépenses de personnel (titre 2)

(en millions d’euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

24,1

26,1

+ 8,3 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

170,8

207,1

+ 21,2 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

128,3

138,5

+ 7,9 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

6,1

6,4

+ 4,9 %

Total du programme 161 hors titre 2

329,4

378,2

+14,8 %

Source : projets annuels de performance du programme « Sécurité civile » annexé aux projets de loi de finances pour 2021.

Une part significative des crédits de paiement hors titre 2 (plus de 47,3 %) concerne la maintenance, l’équipement, la modernisation et le carburant des aéronefs, ainsi que l’acquisition de nouveaux avions et la location d’hélicoptères EC 225 ([3]).

II.   Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Le programme 161 ne représente que 7 % des crédits globaux consacrés à la sécurité civile, dont le montant total s’élevait à environ 6,5 milliards d’euros en 2019.

L’État contribue au tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs autres programmes du budget général (354, 149, 205, 181, 204, 190, 159 et 161) et de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales (fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance – TSCA).

En 2019, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), qui représentent 86 % du budget global de la sécurité civile, étaient financés à hauteur de 42 % par les communes et EPCI, de 35 % par les départements et, indirectement par l’intermédiaire de la fraction de TSCA versée aux départements, de 23 % par l’État. Toutefois, au regard des modalités de financement des SDIS définies à l’article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, il revient aux départements de supporter tout accroissement des dépenses des SDIS.

Il est à noter que le montant de TSCA risque de se contracter à moyen et long terme en raison de la crise liée à l’épidémie de Covid‑19, diminuant ainsi les recettes des départements permettant de financer les SDIS.

Crédits exécutés de la sécurité civile en 2019

 

 

Montant en 2019

en %

Crédits des SDIS, de la BSPP et de la BMPM (1)

5 572 880 536 

86 %

dont fraction de la TSCA transférée aux départements pour les SDIS
et à la commune de Marseille pour la BMPM et subvention à la BSPP

1 255 000 000 €

19 %

Crédits du budget général de l’État

dont programme 161
(hors subvention BSPP)

460 526 284 

7 %

dont autres programmes (2)

451 900 335 

7 %

Sous-total

912 426 619 

14 %

Total

6 485 307 155 

100 %

(1) En raison des relations financières entre les différents acteurs, il existe des doubles comptes : ces éléments chiffrés représentent un indicateur.

(2) Programmes contributeurs identifiés dans le DPT « Sécurité civile » du PLF pour 2019

Sources : DGSCGC et Jaune sur les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales du PLF pour 2021

Rapporté à l’ensemble de la population française, le coût global de la sécurité civile s’élevait à environ 97 euros par an et par habitant en 2019.

Fraction de la TSCA transférée aux départements pour les sdis et à la commune de Marseille pour la BMPM

 

Montant (en milliards d’euros)

Proportion du budget total de la sécurité civile

Crédits exécutés 2018

1,14

18 %

Crédits exécutés 2019

1,17

18 %

LFI 2020

1,2

N.C.

PLF 2021

1,28

N.C.

Sources : DGSCGC et Jaune sur les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales du PLF pour 2021


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   Seconde partie : la sécurité civile outre-mer face aux risques naturels, en particulier aux risques sismiques et volcaniques

En septembre 2017, l’ouragan Irma causait la mort d’une quinzaine de personnes et occasionnait 1,9 milliard d’euros de dégâts sur le bâti. En 2018, d’importants séismes étaient ressentis, parfois quotidiennement, par les habitants de Mayotte, qui découvraient l’année suivante qu’un volcan sous-marin s’était formé à quelques kilomètres de leur île. À ces manifestations extrêmes des aléas naturels s’ajoutent de nombreux autres risques qui menacent les collectivités ultramarines et constituent un défi pour la sécurité civile de notre pays.

Alors que ces territoires, déjà très exposés, doivent affronter des menaces de plus en plus rudes causées par le changement climatique, votre rapporteur a choisi de consacrer la deuxième partie de son avis budgétaire à ce sujet éminemment important pour nos concitoyens habitant dans les outre-mer afin d’alerter la représentation nationale sur ces difficultés.  

I.   Les territoires d’outre-mer concentrent l’essentiel des risques naturels auxquels la France est confrontée

Les territoires ultramarins sont exposés à de nombreux aléas, qui peuvent être telluriques (volcanisme, séisme, mouvement de terrain, tsunami) ou climatiques (cyclone, inondation par submersion marine, évènement pluvieux, etc.).

Ils sont d’autant plus vulnérables qu’à l’exception de la Guyane, ces territoires présentent tous un caractère exigu et insulaire, voire multi-insulaire, et se caractérisent par une forte densité démographique, notamment sur le littoral, par un habitat précaire et par un éloignement de l’hexagone qui ne facilite pas les opérations de secours.

A.   Une large exposition des collectivités ultramarines à l’ensemble des risques naturels

1.   Des espaces soumis aux aléas sismiques et volcaniques…

● Un risque sismique particulièrement élevé dans les Antilles

Les Antilles sont particulièrement exposées au risque sismique ([4]), des séismes y étant enregistrés tous les jours – même si la majorité n’est pas ressentie par les habitants. En 1843, un séisme dévastateur avait ainsi causé la mort de plus de 1 500 personnes.

Comme l’ont expliqué les scientifiques de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Université de Paris dans leur contribution écrite ([5]), cette exposition sismique « s’explique par la présence d’une subduction avec la plaque Atlantique plongeant sous la plaque Caraïbe à une vitesse de convergence de deux centimètres par an environ. Cette subduction est à l’origine de séismes pouvant atteindre des magnitudes supérieures à 8 et pouvant engendrer des tsunamis. »

Source : observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe – Institut de physique du globe de Paris

● Des volcans actifs en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion

Les territoires de la Guadeloupe, la Martinique et de La Réunion comptent tous les trois la présence de volcans actifs à proximité d’habitations ([6]).

En Guadeloupe, la dernière éruption du volcan de la Soufrière date de 1976, tandis qu’en Martinique la Montagne Pelée est entrée en éruption pour la dernière fois en 1934. Ces deux volcans sont toutefois classés en vigilance jaune, c’est-à-dire en vigilance renforcée, du fait de leur activité sismo-volcanique récente.

Schéma des niveaux de vigilance et d’alerte de l’activité volcanique de la Montagne Pelée en Martinique

Schéma des niveaux de vigilance et d'alerte  de l'activité volcanique de la Montagne Pelée en Martinique

Source : Observatoire volcanologique et sismologique de Martinique et Institut de physique du globe de Paris

Les scientifiques de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris sollicités par votre rapporteur observaient, dans leur contribution écrite, que « la France fait face à une situation inédite depuis des siècles avec la réactivation importante de La Soufrière de Guadeloupe, en cours depuis 1992 et tout particulièrement depuis 2018, et celle de la Montagne Pelée depuis le printemps 2019, notamment depuis novembre 2020, avec l’occurrence de quatre à cinq éruptions par an au Piton de la Fournaise ».

Les scientifiques ont par ailleurs observé, en Martinique, un niveau d’activité sismique en augmentation significative. Cette activité a atteint son paroxysme en décembre 2020, « à un niveau tel qu’on ne peut pas exclure une évolution vers des phénomènes éruptifs dans les mois à années à venir ».

Selon le rapport du GAR15 sur l’activité volcanique mondiale ([7]), si l’on prend en compte la proportion totale de la population située dans un rayon de 30 kilomètres du volcan, les cinq territoires les plus menacés sont tous situés dans les Antilles ([8]). En fonction de l’intensité du phénomène éruptif dans ces territoires, 20 000 à 90 000 personnes seraient menacées par les volcans de La Soufrière et de la Montagne Pelée. 

2.   … ainsi qu’à de nombreux autres risques naturels, communs ou spécifiques à certains territoires

● Le risque cyclonique

Plusieurs territoires ultramarins sont concernés par la présence de cyclones (ou ouragans) qui affectent les régions tropicales. Il s’agit en particulier de la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, La Réunion et Mayotte.

Le risque cyclonique peut causer d’importants dégâts humains, matériels et environnementaux, du fait des vents violents, mais également en raison des inondations qu’ils peuvent générer (submersion marine et choc mécanique des vagues associé, débordements de cours d’eau, crues torrentielles…).

Le coût moyen du passage d’un cyclone de catégorie 5 ([9]) est de plusieurs milliards d’euros selon le territoire d’outre-mer considéré. La Réunion serait le plus gravement touché, les dégâts moyens étant estimés entre 5,2 milliards et 21,9 milliards d’euros ([10]). Quant à Mayotte, compte tenu des 40 % de population résidant dans des cases en tôle et du tiers des habitations situées sur des pentes à fort risque de glissement de terrain, un évènement cyclonique entraînerait des coûts humains incommensurables.

● Le risque d’inondation par submersion marine

L’occupation du littoral, conjuguée au changement climatique, occasionne un risque d’inondation par submersion marine qui concerne tous les territoires ultramarins.

Comme le relève la direction générale de la prévention des risques, « du fait de la montée du niveau de la mer, c’est l’un des risques naturels les plus sensibles au changement climatique : les évènements de submersion actuellement de période de retour centennale (dont le niveau a, chaque année, 1 % de chance d’être dépassé) […] deviendront vraisemblablement bien plus fréquents d’ici 2050, sous l’effet du changement climatique – les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), suggèrent que pour certains rivages, ils pourraient devenir annuels d’ici 2100. »

● Les feux de forêts

Les territoires ultramarins de La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont particulièrement concernés par les feux de forêts. À La Réunion, où il s’agit d’un des risques naturels les plus importants auxquels cette collectivité est régulièrement confrontée, un bombardier est dépêché chaque année depuis 2011, lors des saisons sèches, afin de limiter les dégâts causés par les flammes.

Ces feux de forêt s’expliquent tant par la sécheresse de la végétation que par la densité de population de ces territoires. Ils peuvent être d’origine naturelle
– par exemple, lorsqu’ils sont occasionnés par une éruption volcanique ou par la foudre – ou d’origine humaine, causés intentionnellement ou accidentellement.   

● Deux phénomènes émergents : le recul du trait de côte et les invasions d’algues sargasses

L’ensemble des territoires ultramarins est affecté par le phénomène d’érosion du trait de côte, dont le risque est accru par la montée des océans.

La cartographie ci-après, réalisée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) – dont votre rapporteur a auditionné le directeur général – présente l’érosion future du trait de côte dans l’hexagone ainsi que dans plusieurs territoires ultramarins.

cartographie de l’évolution du trait de côte 

Source : CEREMA (2018)

Enfin, depuis 2011, les côtes des Antilles et de la Guyane sont régulièrement touchées par une invasion d’algues sargasses, ce qui emporte des conséquences sanitaires – leurs émanations produisant du sulfure d’hydrogène et d’ammoniac – et affecte les activités touristiques et piscicoles. 

Une invasion d’algues sargasses sur la plage de Sainte-Anne en Martinique

 Sargasses sur la plage de Sainte-Anne en Martinique (illustration).

B.   À Mayotte, des risques nombreux dont l’évolution récente appelle à la plus grande vigilance

Depuis 2019, la collectivité de Mayotte connaît un épisode sismo-tellurique inédit dans son histoire contemporaine. En mai, un nouvel édifice volcanique actif à 3 300 mètres de profondeur a été découvert, à seulement 50 kilomètres au large des côtes de Petite-Terre. Il s’agit de la plus importante éruption volcanique connue depuis 1783.

Vue vers Mayotte de la ride volcanique

https://www.notre-planete.info/actualites/images/volcanisme/naissance-volcan-Mayotte.jpg

Source : campagne MAYOBS ([11])

Conséquence de cette activité volcanique, des panaches hydrothermaux sont observés dans une zone située entre 5 et 15 km de Petite-Terre, dans le secteur dit « du Fer à Cheval ». Ainsi que l’a précisé la direction générale de la prévention des risques, ces panaches sont actuellement régulièrement analysés par prélèvement, lors de campagnes océanographiques qui permettent notamment de surveiller l’apparition éventuelle de nouvelles coulées volcaniques et d’assurer la relève et le redéploiement des capteurs sismiques et capteurs de pression.

Nombre de séismes enregistrés à Mayotte (juillet 2019-décembre 2020)

Source : Bureau de recherche géologique et minière

Le volcan sous-marin de Mayotte est par ailleurs responsable d’une forte activité sismique, causée par la migration en surface du magma. Plusieurs séismes ont été ressentis par la population entre mai 2018 et janvier 2019 et, entre mai et juin 2018, ils étaient même ressentis tous les jours par les Mahorais.

Enfin, l’apparition de ce volcan provoque un déplacement de l’île de Mayotte vers l’Est, de l’ordre de 21 à 24 centimètres à ce jour, ainsi qu’un affaissement de l’île de 9 à 18 centimètres, les valeurs les plus élevées concernant Petite Terre.

Dans leur contribution écrite, les scientifiques de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris, dressent un tableau inquiétant des perspectives d’évolution de la situation volcanique à Mayotte :

« L’état de l’art en sciences de la Terre indique que plusieurs scénarios d’une évolution possible d’activité en cours pourraient présenter des aléas majeurs pour Mayotte dont l’impact pourrait être très significatif sans que nous puissions préciser les échéances temporelles, la nature de ces scénarios et comment ils se développeront, compte tenu de la dynamique et fortement non-linéaires des systèmes volcaniques complexes. Ces scénarios pourraient former une séquence en cascade, par exemple un fort séisme proche de Petite-Terre qui déclenche un glissement de terrain sous-marin tsunamigène. »


—  1  —

 

 

Mayotte, un évènement « cygne noir » à prendre en compte immédiatement pour limiter les risques sur la vie des populations

Selon l’IPGP, reconnu comme l’un des principaux instituts de recherche en volcanologie au monde :

« Les principaux risques telluriques identifiés à Mayotte sont :

 séisme(s) majeur(s) d’origine tectonique ou volcanique pouvant provoquer l’effondrement de bâtiments et la destruction d’infrastructures sur l’île ;

 mise en place possible d’un (ou plusieurs) volcan actif sur l’île ou sur le pied de pente de l’île de Mayotte à l’aplomb de Petite Terre et/ou dans la zone du Fer à Cheval (à l’endroit de l’essaim de séismes proximal, entre 5 et 15 km à l’Est de Petite-Terre) ;

 glissement de terrain sous-marin sur le pied de pente l’île de Mayotte à l’aplomb de Petite-Terre sans activité sismique particulière, ni formation d’un nouveau volcan ;

 glissement de terrain sous-marin d’une partie du nouveau volcan formé à 50 km à l’Est de Mayotte qui mesure près de 800 m de haut pour 5 km de diamètre (5 km3 de magma en 1 an) ;

 effondrement brutal de la chambre magmatique et formation d’une caldeira ;

 tsunami potentiel associé à certains de ses phénomènes, voire lié à un séisme tectonique majeur distant.

Il est indispensable de répondre à ces risques volcaniques et sismiques à Mayotte qui sont là pour durer, comme pour tous les autres volcans actifs du territoire français et d’autres volcans dans le monde.

Mayotte devra intégrer dans son développement et son mode vie à court (<1 an), moyen (entre 5 et 10 ans) et long terme (>50 ans), celui de vivre avec les risques telluriques majeurs tels que ceux générés par le volcanisme, la sismicité, les instabilités gravitaires, les tsunamis.

Compte tenu de ces scénarios d’aléas, l’effort doit être porté sur la détection des signaux précurseurs de manière à alerter les autorités le plus en amont possible et permettre la mise en œuvre des mesures de protection de la population. Pour certains processus sismo-volcaniques, cette anticipation pourrait être de l’ordre de quelques heures, de quelques jours voire quelques mois. »

Ainsi, un évènement majeur, imprévisible, mettant en jeu la vie de très nombreuses personnes à Mayotte, compte tenu de la densité de population du 101ème département, notamment en Petite-Terre (3 000 habitants au km²), est à prendre en compte immédiatement, même si le risque en est statistiquement très faible à court terme.

C’est pourquoi votre rapporteur considère comme essentiels la constitution et le lancement, sans délai, d’une mission interministérielle consacrée aux risques d’évènement majeur, même statistiquement faibles, liés à l’émergence du phénomène sismo-volcanique à Mayotte. C’est l’objet de la proposition n° 9.

 

 

Carte de Mayotte

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4b/Mayotte_road_map-fr.png

La population mahoraise est particulièrement exposée à ces risques. Selon les données communiquées par la préfecture de Mayotte, 92 % de la population est en effet concernée par un aléa, tous niveaux confondus, dont près de la moitié de la population par un aléa fort. De surcroît, 54 000 logements – représentant 78 % du parc d’habitations de la collectivité – sont concernés par un aléa naturel d’inondation, de mouvement de terrain, de submersion marine ou de recul du trait de côte. Près de la moitié de ces logements sont des habitations précaires.

Or, comme le relève la préfecture dans sa contribution écrite, « la grande variété des phénomènes naturels et leur intensité potentielle se conjuguent avec une très forte densité de population (800 habitants / km²) marquée par la pauvreté, 77 % de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté ».

L’ensemble de ces éléments expose ainsi durablement la population aux risques naturels. 

Synthèse des aléas rencontrés dans les territoires ultramarins

Source : délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer  

II.   Les moyens mobilisés pour anticiper les risques et réduire les dégâts occasionnés par un évènement naturel majeur demeurent insuffisants

La prévention des risques naturels est une préoccupation des pouvoirs publics et votre rapporteur a pu apprécier, au fil de ses auditions, les efforts consentis par tous les acteurs de la sécurité civile afin de prévenir et de limiter les dégâts occasionnés par les évènements climatiques auxquels les outre-mer sont exposés. Il formule plusieurs recommandations afin de rendre les politiques publiques de prévention plus efficaces et plus opérationnelles à l’avenir.

A.   Les moyens de la sécurité civile outre-mer

Si l’organisation de la sécurité civile outre-mer obéit, en principe, aux mêmes règles que celles établies pour le reste du territoire national, toutes les collectivités ultramarines ne sont pas dotées des mêmes moyens. Ceux-ci paraissent d’ailleurs insuffisants pour faire face aux risques grandissants auxquels ces collectivités sont confrontées. 

1.   L’organisation de la sécurité civile outre-mer

Ainsi qu’en dispose l’article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure, l’État est garant de la sécurité civile au plan national.

Son organisation obéit outre-mer aux mêmes règles qu’en métropole. La planification de crise se construit ainsi à travers le dispositif d’organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC), décliné en plans zonaux, départementaux et maritimes. Ces plans comprennent à la fois des dispositions générales et des dispositions spéciales propres à certains risques identifiés dans le territoire considéré, ainsi que la réponse opérationnelle prévue et à la préparation de celle-ci.

Cette planification est pilotée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise du ministère de l’Intérieur et est déclinée localement par les préfets, les dispositifs de secours étant par ailleurs organisés, au niveau communal, dans le cadre de plans communaux de sauvegarde ([12]) exécutés sous la responsabilité du maire.

En cas de survenance d’une crise, le préfet, chargé du commandement des opérations de secours, peut mobiliser l’ensemble des moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), de la gendarmerie et de la police nationales. Il peut, lorsque cela lui apparaît nécessaire, solliciter auprès du préfet de zone des moyens spéciaux ou des renforts. Quand ces renforts relèvent du niveau national, le préfet de zone saisit la DGSCGC à cette même fin.

Cette organisation a été adaptée dans certains territoires ultramarins :

– en Nouvelle-Calédonie, la sécurité civile a été entièrement transférée aux autorités calédoniennes depuis 2014. Le haut-commissaire demeure néanmoins compétent en cas de carence avérée ;

– il n’existe pas de SDIS dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ainsi que l’a précisé la direction générale des outre-mer à votre rapporteur, l’organisation de la sécurité civile repose, dans ce territoire, sur le chef de circonscription ;

– un service territorial d’incendie et de secours a été mis en place en 2017 à Saint-Barthélemy et dépend directement de cette collectivité ;

– enfin, il n’existe pas de centre de traitement des appels à l’échelle des territoires de Polynésie Française et de Nouvelle-Calédonie.   

L’organisation des secours : la chaîne opérationnelle ([13])

Source : direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (2019)

2.   Des moyens insuffisants pour satisfaire l’ensemble des besoins

● Les moyens dévolus à la sécurité civile outre-mer au sein du budget de l’État

Les crédits alloués à l’outre-mer au sein du programme 161 consacrés à la sécurité civile sont d’un montant légèrement supérieur à 9 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022.

 

 

 

Moyens financiers déployés par la sécurité civile dans les territoires ultramarins (2018-2022) ([14])

                                 (en euros)

 

Exécution 2018

Exécution 2019

Exécution 2020

2021

PLF 2022

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Guadeloupe

2 107 498

2 105 886

807 990

781 161

1 832 817

1 822 486

3 466 180

2 855 180

1 866 933

1 861 433

Guyane

2 378 477

2 378 960

2 212 980

2 214 379

3 274 487

3 190 191

3 916 705

3 364 882

2 326 944

2 319 244

Martinique

1 866 630

1 869 266

1 486 186

1 480 768

1 600 243

1 602 379

2 877 405

2 263 565

1 470 757

1 472 597

La Réunion

1 845 474

1 845 474

1 975 964

1 975 964

2 196 846

2 125 009

2 357 551

2 366 232

2 007 509

2 034 735

Mayotte

-

121 926

379 130

379 130

921 361

279 611

1 033 973

1 041 998

-

-

Nouvelle-Calédonie

153 724

153 724

134 107

134 107

166 555

167 591

104 606

104 606

130 700

130 700

Polynésie française

296 118

296 118

317 042

317 042

352 324

352 324

305 499

305 499

368 938

368 938

îles Wallis et Futuna

120 564

120 564

83 388

83 388

122 300

73 378

151 600

138 183

111 600

111 600

Saint-Pierre-et-Miquelon

73 802

73 802

98 317

98 317

103 255

109 984

120 000

120 000

96 000

96 000

Saint-Martin

5 009 224

5 622 666

2 638

2 638

-

-

-

-

-

-

Saint-Barthélemy

-

-

3 349

3 349

-

-

-

-

-

-

Crédits non répartis

-

-

-8 183 678

-8 112 811

112 883

58 844

112 800

163 875

612 800

612 800

Total

13 851 514

14 588 389

-682 587

-642 567 ([15])

10 683 071

9 781 797

14 446 319

12 724 020

8 992 181

9 008 047

Source : direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises

Trois investissements en équipements sont prévus pour les prochaines années :

– le système d’alerte et d’information de la population (SAIP) : il s’agit de sirènes dont l’installation était envisagée dès 2020 mais a pris du retard du fait de l’épidémie de Covid-19. Les SAIP ont commencé à être déployés en 2021 : 23 sirènes ont été installées à Mayotte et 12 autres le seront au début de l’année 2022 en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin ;

– l’alerte des populations par téléphone mobile « FR-Alert » en Guyane, Martinique, ainsi qu’à Mayotte, à La Réunion et en Guadeloupe : le déploiement de ce dispositif, piloté par la direction du numérique du ministère de l’Intérieur, est prévu pour juin 2022. Il n’est pas financé par le programme 161, mais a bénéficié du plan de relance de l’économie, avec des crédits sur le programme budgétaire 363 (« compétitivité »).

– des investissements immobiliers en Guadeloupe : un projet d’établissement d’une base commune d’hélicoptères, initiée fin 2020 avec la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), sera financé pour partie par le fonds Barnier (voir infra) et par la DGSCGC, à hauteur de 3 millions d’euros. La programmation de ce projet est prévue pour l’année prochaine et sa livraison, pour 2025.

Les activités de la sécurité civile outre-mer à travers les actions et sous-actions du programme 161

Action

Sous-action (SA)

Description

11 – prévention et gestion de crise

 

Cette action intègre le système d’alerte et d’information de la population (SAIP), ainsi que le financement des exercices de gestion des crises dans les départements et les collectivités d’outre-mer. Ponctuellement, lors de crises importantes, la DGSCGC peut piloter l’intervention de colonnes de renfort issues des SDIS et participer aux opérations de soutien aux populations.

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

SA 1 – interventions des avions de la sécurité civile outre-mer

Dans le cadre de cette sous-action, des renforts métropolitains peuvent être envoyés au profit des acteurs locaux afin de lutter contre les feux de forêts : un bombardier d’eau DASH est déployé à La Réunion chaque année pendant la saison des feux de forêt, entre début octobre et mi-décembre. Des renforts ponctuels supplémentaires peuvent être également envoyés selon les besoins.

SA2 – missions de formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC)

L’action des ForMiSC outre-mer consiste notamment en l’envoi programmé ou inopiné de renforts – en astreinte permanente en métropole – au profit des acteurs locaux. Ces renforts sont opérationnels 48 heures après le déclenchement de l’alerte grâce à une projection par voie aérienne et à des modules d’intervention entraînés à toutes les situations. Les moyens nationaux terrestres entretiennent par ailleurs, en lien avec les états-majors interministériels, des stocks de matériels de la réserve nationale prépositionnés dans les outre-mer.

 

Les ForMiSC participent aussi à la prévention et à la politique de formation des personnels des collectivités locales ou de certains acteurs du secours, soit par des missions d’assistance programmée et planifiée, soit par des appuis réguliers à des formations professionnelles. En 2020, les dépenses de renfort des états-majors interministériels des zones de défense et de sécurité, au titre de la gestion de la pandémie de Covid-19, ont été imputées sur cette action (Antilles et Réunion) ainsi qu’une mission d’appui à Mayotte.

SA 3 – hélicoptères de la sécurité civile

La DGSCGC compte une base d’hélicoptères en Guadeloupe, une en Martinique et une en Guyane. Chacune de ces bases est équipée d’un hélicoptère EC 145 et est dotée de 7 à 9 agents. L’année 2020 a été marquée par le renforcement des moyens héliportés mobilisés dans le cadre de la gestion de la pandémie due à l’épidémie de Covid-19, avec la mise à disposition en Martinique d’un hélicoptère supplémentaire prélevé sur le dispositif métropolitain. Au titre de la pandémie, les machines présentes outre-mer en 2020 ont réalisé 120 missions, représentant 173 heures de vol au profit de 90 patients.

SA 4 – missions du groupement d’intervention du déminage de la sécurité civile

Un centre de déminage est installé en Guadeloupe et un autre l’est en Guyane. Les démineurs qui y sont affectés travaillent essentiellement pour sécuriser l’activité de lancement du Centre national d’études spatiales (CNES). Cette sous-action porte les acquisitions de matériel du déminage.

SA 5 – préparation et intervention des moyens nationaux de soutiens

Cette sous-action porte notamment les dépenses relatives aux crises exceptionnelles qui nécessitent l’engagement global des moyens nationaux. Les dépenses immobilières et les dépenses de fonctionnement des moyens nationaux ne pouvant être rattachées aux autres sous actions s’imputent sur cette action.

13 – soutien aux acteurs de la sécurité civile

 

Cette action correspond aux activités de coordination et de formation des autres acteurs de sécurité civile, notamment les services d’incendie et de secours et les associations de sécurité civile. Cette action porte les subventions qui sont versées aux services d’incendie et de secours des outre-mer.

14 – soutien à la politique de la sécurité civile

 

Cette action comprend les fonctions de soutien général du programme, notamment les dépenses télécom et informatiques des implantations des moyens nationaux outre-mer ainsi qu’une partie des dépenses de déplacement depuis la métropole.

Source : direction générale de la sécurité civile et de la gestion des risques

Outre le budget dévolu à la sécurité civile dans le cadre du programme 161, le ministère des outre-mer mobilise également des moyens pour financer deux outils pouvant être utilisés par les collectivités ultra-marines :

– le fonds de secours pour l’outre-mer, permettant de débloquer des crédits en cas d’extrême urgence, après la survenance d’une catastrophe naturelle. Mobilisable par le préfet, ce fonds finance la réparation des dommages aux biens essentiels des collectivités et des particuliers. Il a été réévalué en 2015, passant d’un montant de 1,6 million d’euros en autorisation de paiement à 10 millions d’euros, ce montant étant demeuré constant depuis ;

– l’aide financière aux équipements de sécurité civile, qui permet de financer certains équipements et dispositifs de sécurité civile dans les territoires ultramarins. Ce fonds a notamment permis de financer des abris de survie en Polynésie française et le service d’incendie et de secours de Wallis-et-Futuna, créé en juin 2020.

les crédits de l’aide financière aux équipements de sécurité civile

 

Autorisation d’engagement

Crédits de paiement

LFI 2020

216 000

186 000

LFI 2021

332 000

357 000

Source : direction générale des outre-mer

● Une réflexion en cours sur les moyens de la sécurité civile outre-mer

Durant son audition, M. le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, a précisé à votre rapporteur qu’une réflexion sur les moyens de la sécurité civile outre-mer est en cours, avec l’ensemble des préfectures situées dans les territoires ultramarins.

Cette réflexion est nécessaire. Ainsi que l’expliquait à votre rapporteur M. Olivier Neis, directeur du SDIS de Mayotte, il faudrait 350 sapeurs-pompiers volontaires, au lieu des 229 actuellement en poste, pour répondre aux demandes d’intervention en hausse régulière.

En 2018, au moment de la parution du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer consacré aux risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins ([16]), Wallis ne comptait que 17 pompiers et Futuna, 12, ceux-ci travaillant en outre dans de mauvaises conditions matérielles, alors même que ces territoires sont isolés de l’hexagone et de la Nouvelle-Calédonie.

Ce même rapport déplorait la baisse des moyens militaires dans les territoires ultramarins, alors qu’ils mobilisables par le préfet en cas de survenance d’une crise grave.

Les effectifs de gendarmerie dans les territoires ultramarins

Source : document transmis par les représentants de la gendarmerie nationale lors de leur audition par le Sénat le 21 février 2018 dans le cadre des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer

Votre rapporteur espère ainsi que la réflexion engagée par le Gouvernement s’accompagnera de financements supplémentaires pour les collectivités ultramarines, les risques auxquelles elles sont confrontées justifiant pleinement cette augmentation.  

Proposition n° 1 : accroître les moyens financiers dévolus à la sécurité civile outre-mer

B.   Des marges de manœuvre insuffisantes pour anticiper au mieux les risques et réduire les dommages causés par un événement climatique de grande ampleur

La survenance d’une catastrophe climatique ne peut pas être empêchée. En revanche, elle peut être prévenue et ses conséquences pour les populations peuvent être limitées. Beaucoup d’efforts sont déjà mobilisés par les pouvoirs publics à cette fin, mais les outils déployés sont perfectibles et des marges de progression existent pour en renforcer l’efficacité. Cela implique, d’une part, d’accroître les moyens consacrés à l’analyse des risques, notamment en augmentant les dotations des observatoires, de renforcer la « culture du risque », trop peu développée dans certains territoires ultramarins, et de réviser les politiques de prévention afin de mieux les adapter aux réalités locales.

1.   Le nécessaire accroissement des moyens consacrés à l’analyse des risques

● La regrettable absence d’observatoire de plein exercice à Mayotte

Pour faire face au nouveau risque volcanique apparu à Mayotte, le Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA) a été mis en place en urgence après la découverte du volcan sous-marin. Il rassemble l’IPGP, le CNRS, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Un observatoire sismo-volcanique, adossé à celui de La Réunion, a été créé dans ce cadre.

Le REVOSIMA est cofinancé, à part quasi égales, par le ministère de la Transition écologique, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et le ministère des Outre-mer et dispose, pour l’année 2021, d’un budget total de 2,6 millions d’euros.

Plusieurs autres projets ont été lancés pour Mayotte, avec le même objectif de mieux comprendre les origines et l’évolution attendue du nouveau volcan, à l’instar du projet MARMOR, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objet est de documenter les fonds marins de Petite Terre. Depuis mai 2018, des campagnes MAYOBS sont réalisées avec les instituts impliqués (IPGP, IPGS, BRGM, IFREMER) pour suivre l’évolution du phénomène sismique et volcanique qui affecte l’île. Enfin, sous l’égide du BRGM, le projet DEEPMAYMT permettra à l’avenir aux pouvoirs publics de bénéficier d’une imagerie 3D profonde permettant de mieux représenter le système volcanique sur et aux alentours immédiats de la collectivité.

Votre rapporteur salue ces évolutions, mais regrette l’absence d’observatoire de plein exercice à Mayotte. Les auditions réalisées dans le cadre de la préparation du présent avis budgétaire ont en effet souligné l’intérêt d’une telle structure, qui permettrait, d’une part, de favoriser le recrutement de scientifiques issus de la collectivité et, d’autre part, de renforcer la confiance de la population dans les prévisions réalisées par l’observatoire.

En outre, comme l’a fait remarquer M. Thierry Suquet, préfet de Mayotte, le choix de se reposer sur l’observatoire déjà déployé à La Réunion présente un inconvénient lié à la gouvernance de cette structure et aux choix d’études qui pourraient être faits. Il risque également de compliquer l’association des acteurs mahorais aux travaux de recherche de cet observatoire.

Proposition n° 2 : mettre en place un observatoire sismo-volcanique de plein exercice à Mayotte associant les scientifiques mahorais

● Des observatoires aux financements incertains

Les scientifiques sollicités par votre rapporteur ont majoritairement regretté les faibles financements accordés aux observatoires. Dans leur contribution écrite, les scientifiques de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris, constatent qu’« en excluant le tout récent consortium REVOSIMA à Mayotte, les observatoires volcaniques et sismologiques de l’IPGP ([17]) sont des structures relativement modestes composées de 8 à 16 personnes par observatoire (soit un total de 34 personnes environ) dont au moins 7 agents en CDD, voire plus dont les financements ne sont pas pérennisés » et espèrent la pérennisation des moyens opérationnels de ces observatoires.  

Ce manque de financement pose par ailleurs des limites matérielles à leur fonctionnement. Il rend par exemple plus difficile la mise en place de capteurs de signaux précoces permettant de détecter les évolutions en temps réel. Or, comme le relevaient ces mêmes scientifiques dans leur contribution écrite, il est nécessaire « d’avoir, aux Antilles, Guadeloupe et Martinique, des réseaux câblés fibre optique et sous-marins dans les zones de ruptures sismiques attendus, à l’instar de ce qui va être développé à Mayotte dans le cadre du projet MARMOR ».

Proposition n° 3 : augmenter et pérenniser les financements consacrés aux observatoires volcanologiques et sismologiques en les inscrivant dans un cadre pluriannuel

● Une meilleure collaboration de tous les acteurs impliqués dans la sécurité civile outre-mer

L’augmentation des financements des observatoires doit aller de pair avec le développement d’une approche partenariale entre les scientifiques, les agences de l’État, les acteurs de la prévention des risques et de l’aménagement du territoire, ainsi que la société entière. Plusieurs scientifiques auditionnés par votre rapporteur ont ainsi appelé les pouvoirs publics à travailler à une meilleure collaboration entre la sécurité civile et le monde de la recherche pour mieux comprendre les crises, modéliser leurs conséquences et planifier les scenarii de protection des populations en fonction. 

Proposition n° 4 : mutualiser les moyens humains d’alerte des observatoires et interconnecter les outils de télémesure pour garantir la permanence 24h/24h de la surveillance sismo-volcanique en outre-mer

Ce rôle aurait utilement pu être rempli par la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer, dont la suppression a été décidée, après deux ans de fonctionnement, en février 2021 – ce que votre rapporteur regrette vivement.

Le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer

Le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer a été créé par décret le 24 avril 2019 et était, jusqu’à sa suppression en février 2021, rattaché au ministère chargé de l’environnement. Il coordonnait ses actions avec les directions d’autres ministères, notamment ceux en charge des finances, du logement ou des outre-mer.

Le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer était chargé d’animer et coordonner les politiques d’acquisition de connaissances et de prévention des risques majeurs spécifiques aux collectivités ultramarines.

Il devait notamment s’assurer de la bonne mise en œuvre des plans d’actions décidés par le Gouvernement en matière de prévention de certains risques spécifiques aux collectivités ultramarines.

Sous l’égide du délégué interministériel aux risques majeurs, le délégué interministériel animait et coordonnait les politiques d’acquisition de connaissances et de prévention des risques en matière de risques naturels majeurs.

Il conduisait des actions de pilotage et de dynamisation du Plan séismes Antilles et présidait le comité de direction de ce plan. Il avait en outre la charge de la mise en œuvre d’outils visant à accélérer la protection parasismique et paracyclonique des bâtiments, y compris les bâtiments de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que la résilience des réseaux.

Le délégué interministériel animait et coordonnait la mise en œuvre du plan d’actions interministériel relatif à la prévention et à la lutte contre les sargasses et contribuait à l’amélioration de la réponse opérationnelle face aux échouages de sargasses, menée sous la responsabilité des représentants de l’État concernés.

Source : Sénat, rapport d’information n° 122 (2019-2020) fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer par M. Guillaume Arnell, précité, à partir de l’exposé des motifs du décret n° 2019-353 du 24 avril 2019.

Les auditions menées par votre rapporteur ont en effet souligné le rôle de coordinateur de cette délégation et de son délégué, qui a notamment permis à l’IFREMER de monter plusieurs de ses projets. Votre rapporteur partage ce constat et souhaite, à l’avenir, la mise en place d’une structure analogue qui favorise et centralise les actions menées outre-mer en matière de prévention des risques naturels.

Il rejoint en cela la recommandation des sénateurs MM. Guillaume Arnell, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, rapporteurs au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer du rapport d’information sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, dont la recommandation n° 40 préconisait « d’assurer le maintien dans le temps de la délégation interministérielle aux risques naturels majeurs outre-mer auprès du ministre responsable de l’écologie et organiser des suivis réguliers auprès des instances parlementaires ».

Dans sa contribution écrite, la direction générale des outre-mer a indiqué à votre rapporteur qu’un « travail ministériel – avec les directions générales de la prévention des risques (DGPR), de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC), de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), de l’outre-mer (DGOM) et le secrétariat général de la défense national (SGDSN) – est actuellement mené pour poursuivre les missions et travaux précédemment engagés par la délégation ».

En outre, le décret n° 2021-857 du 30 juin 2021 abrogeant le décret n° 2019-353 du 24 avril 2019 instituant un délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer prévoit la création d’une mission d’appui aux politiques publiques de prévention des risques majeurs aux territoires ultramarins (MAPPPROM) qui aura, selon la DGOM, « pour vocation de répondre, d’une part, aux attentes techniques, juridiques et scientifiques de la gestion des risques et, d’autre part, aux spécificités locales des territoires ultramarins en lien avec les préfectures. Elle a également vocation à développer des actions de prévention pour développer la culture du risque dans les différents territoires. »

Tout comme les personnes qu’il a auditionnées, votre rapporteur ne dispose pas d’assez de recul pour évaluer le travail de cette mission. Il espère néanmoins qu’elle jouera un rôle de coordination et de centralisation des politiques menées en matière de prévention des risques naturels outre-mer, qui incombait précédemment à la délégation.

Proposition n° 5 : permettre à la mission d’appui aux politiques publiques de prévention des risques majeurs aux territoires ultramarins d’exercer un rôle de coordination et d’impulser des partenariats entre le monde de la recherche et les acteurs de la sécurité civile outre-mer

2.   L’absence de « culture du risque »

Durant son audition, M. le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, a reconnu un retard, dans les outre-mer, s’agissant des exercices d’évacuation.

Ce n’est cependant pas le cas en Guadeloupe, où une initiative intéressante, les « journées japonaises » aux risques telluriques, permet à l’ensemble de la société de consacrer un jour par an à des exercices de prévention, sous l’égide de la préfecture. La dernière édition, du 24 au 29 juin 2021, a permis l’organisation d’actions de sensibilisation en milieu scolaire, d’ateliers thématiques organisés sous format de webinaires, ainsi que d’un « exercice volcanique sur table » à la préfecture qui a mobilisé la cellule de crise et l’ensemble des acteurs concernés.

Lors de son audition par la commission des Lois dans le cadre de la présentation des crédits consacrés à la mission « Sécurités », mardi 12 octobre 2021, M. le ministre de l’Intérieur s’est montré favorable, à titre personnel, à la généralisation de cette initiative, sous l’égide du ministère chargé des outre-mer. Votre rapporteur s’en félicite et veillera au déploiement de cette initiative dans les outre-mer.  

Proposition n° 6 : généraliser à l’ensemble des outre-mer le dispositif des « journées japonaises » de prévention mises en place en Guadeloupe

Outre la mise en place de journées de prévention, il importe également de déployer plus largement des contenus pédagogiques sur les risques naturels, qui doivent être accessibles à tous et multilingues.

Cette stratégie ne peut pas se limiter à de la prévention en milieu scolaire mais doit, plus largement, associer les personnels de la sécurité civile. Ces derniers devraient être sensibilisés à ces risques, dans le cadre d’ateliers de sensibilisation et de formation, voire par l’intermédiaire de séjours professionnels permettant à ces personnels d’aller sur le terrain avec des chercheurs et les équipes des observatoires pour analyser, sur place, l’évolution des risques et favoriser le travail de synergie que votre rapporteur appelle de ses vœux (voir supra).

Depuis avril 2021, la DGSCGC a créé dix groupes de travail afin d’adapter les pratiques opérationnelles de la sécurité civile au changement climatique. Ceux-ci sont composés des services de cette direction, des services d’incendie et de secours, de spécialistes de Météo France ainsi que d’autres opérateurs de l’État ou spécialistes du sujet. Le renforcement des synergies avec les chercheurs aurait pu pleinement trouver sa place dans le cadre de ces instances, censées aboutir à l’élaboration d’une feuille de route pluriannuelle présentée au ministre de l’Intérieur en janvier 2022.

Proposition n° 7 : mieux sensibiliser les personnels de la sécurité civile outre-mer aux risques naturels en les associant notamment aux campagnes de terrain réalisées par les observatoires

 

3.   Des politiques de prévention des risques à renforcer

● Le plan séisme Antilles

Pour réduire la vulnérabilité des Antilles au risque sismique, les pouvoirs publics ont mis en place un plan séisme Antilles, prévu pour trente ans.

Le plan séisme Antilles

Pour faire face au risque cyclonique particulièrement prégnant dans les Antilles, le plan séisme Antilles a été mis en place par le Gouvernement en 2007, pour une durée de 30 ans, avec l’objectif de réduire la vulnérabilité sismique du bâti antillais.

Lors des premières phases (2007-2020), 1,2 milliard d’euros ont été investis, principalement dans des actions dites matérielles (mises aux normes parasismiques). Pour accélérer la mise en œuvre du plan, plusieurs mesures ont été votées par le Parlement en 2019 : augmentation du taux de soutien du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FNPRM, dit « fonds Barnier ») à 60 % au lieu de 50 % pour les établissements scolaires, introduction de la possibilité de financement FPRNM à un taux de 50 % des bâtiments domaniaux utiles à la gestion de crise.

Cette année, le plan entre dans sa troisième phase (2021-2027), préparée en collaboration avec les collectivités territoriales. Cette nouvelle phase permet notamment le financement des études de diagnostics et de travaux de réduction de la vulnérabilité dans la zone du territoire français la plus exposée au risque sismique.

Source : direction générale de la prévention des risques

● Les plans de prévention des risques naturels

Les pouvoirs publics peuvent également mettre en place des plans de prévention des risques naturels, adaptés aux différents aléas rencontrés par les territoires qu’ils concernent.

Prévenir les risques : les plans de prévention des risques naturels

Créé par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, le plan de prévention des risques naturel (PPRN) s’est substitué aux différentes procédures préexistantes en matière de prévention des risques naturels. Conformément à l’article L. 562-1 du code de l’environnement, il a notamment pour objet d’élaborer des règles d’urbanisme, de construction et de gestion selon la nature et l’intensité des risques. Il peut également définir des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde devant être prises par les collectivités et par les particuliers, ainsi que des mesures de prévention sur les biens existants devant être prises par les propriétaires, les exploitants ou les utilisateurs. Il vaut servitude d’utilité publique et il est annexé aux documents d’urbanisme (article L. 562-4 du code de l’environnement). Les dispositions législatives et réglementaires relatives au PPRN sont codifiées par les articles L. 562-1 à L. 562-9 et R. 562-1 à R. 562-20 du code de l’environnement.

Les outre-mer sont exposés à des aléas multiples dans leur nature, leur intensité et leur occurrence. Ils sont pris en compte par les PPRN, qui peuvent être divisés en deux catégories : ceux couvrant les risques terrestres et ceux anticipant les risques d’inondations et affectant les littoraux.

Risques terrestres :

PPR argile : la sinistralité liée au retrait-gonflement des argiles (RGA) est beaucoup plus faible outre-mer qu’en métropole. Il n’existe donc pas de PPR argile dans les différents territoires ultramarins.

PPR mouvements de terrain (MVT) : les caractéristiques physiques et géologiques des îles de la Guadeloupe, Réunion, Martinique et de Mayotte expliquent qu’elles sont soumises à des risques de mouvements de terrain. Ces territoires sont pourvus de nombreux PPR : 32 PPR MVT approuvés en Guadeloupe, 33 en Martinique, 22 à la Réunion et 10 à Mayotte. On peut noter par ailleurs 3 PPR MVT approuvés en Guyane, 1 à Saint-Barthélemy et 1 à Saint-Martin.

PPR séisme et volcan : toutes les communes de Guadeloupe et de Martinique sont dotées d’un PPRN multirisques qui comporte un volet sur les séismes et les volcans. Concernant le risque sismique, le PPRN rappelle la réglementation à laquelle sont soumises les nouvelles constructions et les constructions existantes qui font l’objet de travaux. Concernant le risque volcanique, il est défini et des cartes d’aléa précisent l’emprise spatiale du risque volcanique. Dans le cas de Mayotte, le phénomène volcanique en cours, évolutif et dont les aléas sont par conséquent à ce jour imparfaitement connus dans la durée, ne rend pas pertinente à ce jour l’introduction d’un volet risque volcanique dans les PPRN. Un tel volet pourrait toutefois devenir nécessaire compte tenu de l’évolution des événements et de leur connaissance. Il est à noter qu’en cas de risque explosif, le volet « volcanisme » d’un PPRN n’a qu’une utilité limitée, l’essentiel de la gestion du risque reposant sur l’évacuation de la population des zones à risque.

Risques d’inondation et littoraux : les territoires d’outre-mer sont particulièrement exposés aux risques d’inondation et aux risques littoraux. La directive Inondation ([18]) identifie ainsi 12 territoires ultramarins à risques important d’inondation, dont :

la Martinique : les PPRN multirisques approuvés qui couvrent les 33 communes de Martinique traitent notamment des aléas inondations, submersion marine, érosion littorale et houle. Ils rappellent par ailleurs : « Quel que soit le site d’implantation d’un projet, il doit être conçu et mis en œuvre conformément aux normes parasismiques et paracycloniques en vigueur. Si les dispositions relèvent à la fois de ces normes et du présent règlement, c’est la prescription la plus sécuritaire qui doit être retenue. »

- la Guadeloupe : les PPRN multirisques approuvés qui couvrent les 32 communes de Guadeloupe traitent notamment des aléas inondations et houle cyclonique. Ils ne traitent pas de la submersion marine ni de l’érosion littorale sur ce territoire.

La Réunion : sur les 25 communes de l’île, 23 communes (toutes, exceptés Mafate et Cilaos) sont couvertes par un plan de prévention des risqus d’inondation (PPRi) approuvé ; 10 d’entre elles ont par ailleurs un plan de prévention des risques littoraux(PPRL) approuvé (érosion littorale et submersion marine).

- la Guyane : 8 communes sont couvertes par un PPRi approuvé ; 6 communes ont un PPRL approuvé.

Mayotte : l’ensemble du littoral mahorais a été identifié comme territoire à risque important d’inondation dans le cadre de la directive inondation (concerne 16 communes) mais aucun PPRL n’est approuvé à ce jour ; toutefois, 10 des 16 communes littorales mahoraises ont un PPRL et un PPRi prescrits, dont l’élaboration est en cours.

Saint Martin : le territoire est couvert par un PPR multirisque approuvé intégrant notamment les aléas inondation, submersion marine et hou    le cyclonique.

Source : direction générale de la prévention des risques

Toutefois, les travaux réalisés récemment par le Sénat sur ce point ont révélé que certains territoires, notamment du Pacifique, n’en sont pas dotés, et que les plans, quand ils existent, ne sont pas toujours actualisés, voire parfois indisponibles ([19]). C’est toujours le cas, deux ans après la publication de ce rapport, dans la collectivité de Mayotte.  Le développement des PPRN doit donc être accéléré et leur actualisation, réalisée dans les plus brefs délais.

Proposition n° 8 : accélérer l’élaboration des plans de prévention des risques naturels dans les territoires ultramarins qui en sont dépourvus et assurer l’actualisation régulière de ces plans dans ceux où un PPRN existe

Le déploiement de ces PPRN permet de débloquer des financements assurant la résilience des infrastructures exposées. Comme l’a expliqué M. Olivier Neis, directeur du SDIS de Mayotte, en cas de survenance d’un évènement climatique extrême, l’aéroport de Mayotte ne serait plus utilisable pendant plusieurs jours. Il en serait de même pour certains axes routiers, au demeurant régulièrement saturés.

La survenance d’un tel évènement s’accompagnerait d’une probable rupture des communications, rendant plus difficiles les opérations d’évacuation et de mise à l’abri de la population. Après le passage de l’ouragan Irma, en septembre 2017, le réseau téléphonique avait ainsi été coupé pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours.

Proposition n° 9 : constituer et lancer, sans délai, une mission interministérielle pour intégrer au plus vite l’émergence du phénomène sismo-volcanique aux plans de prévention des risques et au plan ORSEC et préfigurer la projection du secours national en cas d’évènement majeur à Mayotte    

Ce risque plaide pour le déploiement d’une offre de communication satellitaire, qui ne dépendrait ainsi pas d’infrastructures à terre et serait utilisable même en cas de survenance d’un évènement climatique extrême. 

Votre rapporteur a interpellé M. le ministre de l’Intérieur à ce sujet, qui lui a assuré que ce déploiement était prévu dans plusieurs territoires ultramarins. Votre rapporteur veillera au respect de cet engagement et à l’efficacité de ces dispositifs.

Proposition n° 10 : déployer des dispositifs de communication satellitaire dans les territoires ultramarins

● Un nécessaire élargissement du fonds Barnier

Créé par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », a pour objectif de financer les indemnités d’expropriation des biens exposés à un risque naturel majeur, ainsi que les dépenses liées à la limitation de l’accès et à la démolition éventuelle de ces biens, afin d’en empêcher toute occupation future.

Ce fonds tire ses ressources du dispositif d’indemnisation des catastrophes naturelles créé par la loi du 13 juillet 1982, permettant la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle puis l’indemnisation par les assureurs.

Montants délégués au fond de prévention des risques naturels majeurs (2017-2020) ([20])

Montants délégués

en millions d’€

2 017

2018

2019

2020

Total

Guadeloupe ([21])

12,7

13,5

6,7

13,2

46,1

Guyane

3,8

0,7

1

1,5

7

Martinique

4,4

20,5

15,9

12,2

53

Mayotte

0,7

1,7

2,5

1,5

6,4

La Réunion

2,1

1,4

3,7

3,8

11

Saint-Pierre et Miquelon

0

0

0,1

0

0,1

Total

23,7

37,8

29,9

32,2

123,6

Source : direction générale de la prévention des risques

Il se décompose en trois branches principales :

– une première branche consacrée à la délocalisation des personnes les plus menacées, par le rachat de leur foncier, ou leur expropriation en dernier recours, pour laisser vierges d’habitations les zones dangereuses. Cette action permet également la résorption de l’habitat indigne en zone dangereuse, notamment outre-mer. Ce fonds permet une évacuation temporaire puis une solution de relogement des personnes déplacées ;

– une deuxième branche de réduction de la vulnérabilité face aux risques, comprenant des opérations de reconnaissance et de comblement des cavités souterraines de toute nature ([22]) ;

– une troisième branche consacrée à l’élaboration des plans de prévention des risques naturels ainsi que des documents d’information préventive.

Le Fonds organise enfin des campagnes d’information préventive afin de faire connaître aux populations exposées les procédures administratives et assurantielles d’indemnisation.

Comme l’observait la délégation parlementaire aux outre-mer du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer ([23]), les conditions d’utilisation de ce fonds ont été progressivement élargies ([24]).

Toutefois, certaines catastrophes ne sont pas éligibles à ce fonds. C’est notamment le cas de recul du trait de côte, comme l’a confirmé M. Thierry Suquet, préfet de Mayotte, pendant son audition, alors même que Mayotte a connu, en l’espace de quelques mois, l’équivalent de cinquante années cumulées de recul. Or, l’éligibilité de ce phénomène au fonds Barnier permettrait de mobiliser des crédits plus importants, nécessaires à l’adaptation des territoires à ce phénomène inexorable et que le changement climatique risque d’accélérer.  

Proposition n° 11 : élargir les conditions de recours au fonds Barnier et permettre notamment son utilisation dans le cadre de l’adaptation des territoires au phénomène de recul du trait de côte


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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : accroître les moyens financiers dévolus à la sécurité civile outre-mer

Proposition n° 2 : mettre en place un observatoire sismo-volcanique de plein exercice à Mayotte associant les scientifiques mahorais

Proposition n° 3 : augmenter et pérenniser les financements consacrés aux observatoires volcanologiques et sismologiques en les inscrivant dans un cadre pluriannuel

Proposition n° 4 : mutualiser les moyens humains d’alerte des observatoires et interconnecter les outils de télémesure pour garantir la permanence 24h/24h de la surveillance sismo-volcanique en outre-mer

Proposition n° 5 : permettre à la mission d’appui aux politiques publiques de prévention des risques majeurs aux territoires ultramarins d’exercer un rôle de coordination et d’impulser des partenariats entre le monde de la recherche et les acteurs de la sécurité civile outre-mer

Proposition n° 6 : généraliser à l’ensemble des outre-mer le dispositif des « journées japonaises » de prévention mises en place en Guadeloupe

Proposition n° 7 : mieux sensibiliser les personnels de la sécurité civile outre-mer aux risques naturels en les associant notamment aux campagnes de terrain réalisées par les observatoires

Proposition n° 8 : accélérer l’élaboration des plans de prévention des risques naturels dans les territoires ultramarins qui en sont dépourvus et assurer l’actualisation régulière de ces plans dans ceux où un PPRN existe

Proposition n° 9 : constituer et lancer, sans délai, une mission interministérielle pour intégrer au plus vite l’émergence du phénomène sismo-volcanique aux plans de prévention des risques et au plan ORSEC et préfigurer la projection du secours national en cas d’évènement majeur à Mayotte    

Proposition n° 10 : déployer des dispositifs de communication satellitaire dans les territoires ultramarins

Proposition n° 11 : élargir les conditions de recours au fonds Barnier et permettre notamment son utilisation dans le cadre de l’adaptation des territoires au phénomène de recul du trait de côte


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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mardi 12 octobre 2021, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, sur les crédits des missions « Sécurités » (M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » ; M. Mansour Kamardine, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile »)

M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Je suis très heureux de défendre une nouvelle fois les crédits du ministère de l’Intérieur au moment où son budget connaît une progression sans précédent : 3,4 milliards d’euros sur les cinq exercices budgétaires, et 1,7 milliard d’euros au titre du projet de loi de finances pour 2022.

Je remercie donc le Président de la République, le Premier ministre et les ministres financiers d’avoir rendu possible cette progression à laquelle il faut ajouter le reste des crédits du plan France Relance dont la plus belle illustration reste les automobiles de modèle 5008 fabriquées en France qui équipent désormais policiers et gendarmes.

J’en viens, en remerciant les rapporteurs pour avis pour leur travail, aux quatre programmes de la mission « Sécurités » : « Police nationale », « Gendarmerie nationale », « Sécurité et éducation routières » et « Sécurité civile », dont les crédits augmentent de 1,02 milliard d’euros.

Le fonctionnement du ministère de l’Intérieur a été grandement handicapé par la « maladie du titre 2 », c’est-à-dire de la masse salariale, largement supérieure aux crédits « hors titre 2 », ce qui a été préjudiciable à son parc immobilier, à son matériel technologique et à sa transformation numérique. Nous vous proposons depuis deux ans la stratégie inverse : une augmentation du hors T2 bien supérieure à celle de la masse salariale. Ainsi, 95 % des crédits annoncés par le Président de la République lors de son discours de Roubaix se rapportent au matériel, 5 % seulement relevant du catégoriel. Police comme gendarmerie sont évidemment concernées par ces transformations.

Un mot tout d’abord sur les créations de postes annoncées par le Président de la République depuis son élection. Si l’on intègre le PLF 2022, 10 000 postes supplémentaires auront bien été créés sur les cinq exercices budgétaires. Ces créations ont en premier lieu bénéficié à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et aux services de renseignement, notamment territoriaux – 1 900 postes –, ainsi qu’à la sécurité publique, c’est-à-dire aux policiers sur le terrain puisque la quasi-intégralité des effectifs sortant des écoles de police est désormais affectée dans les commissariats de France.

Les gendarmes ont bénéficié, quant à eux, d’un tiers de ces 10 000 postes. En 2022, ils seront ainsi plus nombreux dans les brigades, partout sur le territoire national, et les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) pourront être densifiés. Le projet de loi de finances prévoit d’ailleurs la transformation d’une partie des gendarmes adjoints volontaires en sous-officiers au sein de ces PSIG, ce qui va professionnaliser l’activité de la gendarmerie nationale.

L’augmentation très importante des effectifs de police, ainsi que des moyens donnés à la police et à la gendarmerie nationales, permet de faire naître deux grands projets de transformation dans le cadre du prochain budget qui sous-tendent la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) annoncée par le Président de la République. J’ai d’ailleurs commencé les négociations salariales et syndicales s’y rapportant.

Il s’agit tout d’abord de la réforme des cycles horaires, si attendue dans la police nationale, avec la fin de la vacation forte. Je prendrai un arrêté afin de lister, à partir du 1er janvier, les nouveaux cycles sur la base desquels les directions départementales de la sécurité publique (DDSP) pourront négocier avec les policiers. L’objectif est de mettre plus de « bleu » sur le terrain tout en accompagnant le repos normal. Je n’ai pas de cycles horaires privilégiés : il y en aura toujours plusieurs, mais je ferai supprimer ceux qui consomment des forces de façon excessive. S’il y a plus de moyens, il doit y avoir plus de monde sur le terrain.

Il s’agit ensuite de mener un travail avec les syndicats de police et l’ensemble de la police nationale pour que les policiers puissent aller là où on a besoin d’eux, au sens budgétaire et sécuritaire. Actuellement, en effet, le ministre de l’Intérieur ne peut envoyer, si j’ose dire de force, dans un territoire donné que ceux qui sortent des écoles de police. Sans obliger les policiers à rester des années là où ils ne le souhaitent pas, il faut néanmoins faire en sorte que les effectifs se trouvent là où la délinquance est la plus forte. Nous avons entamé ces transformations dans le PLF 2022.

Il s’agit également de disposer des crédits nécessaires pour que le lien police- population soit le meilleur possible. J’ai lancé cette année avec la ministre déléguée un plan prévoyant des stages et des contrats d’apprentissage au sein de la police et de la gendarmerie nationales pour 10 000 jeunes. Les crédits inscrits au PLF 2022 permettront de les concrétiser dans les locaux de police ou de gendarmerie ainsi que dans les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI). Soulignons au passage que le Gouvernement ayant proposé que les apprentis ne soient plus pris en compte dans les plafonds d’emplois des ministères, l’apprentissage dans le secteur public va s’en trouver amélioré.

La progression de la masse salariale du programme « Police nationale » est de 0,2 %, et celle du programme « Gendarmerie nationale » de 0,3 %. Non, nous n’avons rien « acheté » à la veille de la campagne électorale. Les crédits ne visent pas à financer des primes mais bien du matériel et des transformations technologiques. Si la question des salaires se pose à coup sûr dans toute la fonction publique, et donc parmi les policiers et les gendarmes, il ne s’agit pas de faire comme avant, c’est-à-dire de prévoir des primes parce que l’on se trouve à la veille des élections.

L’augmentation des moyens dits hors T2, comme ceux consacrés au temps de formation ou aux investissements, m’intéresse en premier lieu. Il s’agit d’abord de permettre une meilleure gestion des ressources humaines, notamment en prolongeant, à partir de l’année prochaine, la formation des policiers et des gendarmes de quatre mois, qui passera ainsi de huit à douze mois. Je précise d’emblée à monsieur Bernalicis que la préparation au concours d’officier de police judiciaire (OPJ), qui sera lui-même revu, n’est pas incluse dans cette durée supplémentaire. Nous y reviendrons à l’occasion de la présentation de la LOPPSI.

Il s’agit également de renforcer l’action sociale du ministère de l’Intérieur : entre 2021 et 2022, 5,7 millions d’euros supplémentaires lui seront consacrés. S’y ajoutent des mesures que les policiers attendaient depuis bien longtemps, notamment la gratuité totale des transports, effective à partir du 1er janvier 2022, en contrepartie de leur sécurisation, et la protection sociale complémentaire qui sera versée à tous les agents et qui s’inscrit dans le cadre de la réforme de la fonction publique.

L’an prochain, 11 000 nouveaux véhicules seront achetés pour les forces de l’ordre, ce qui équivaut à trois années budgétaires normales. Ainsi 25 % des véhicules des brigades anticriminalité (BAC) seront remplacés, soit 270 véhicules sur un parc de 850. Nous changeons l’intégralité des véhicules blindés de la gendarmerie et des forces de maintien de l’ordre, puisque 360 nouveaux véhicules les équiperont. Enfin, 1 600 nouvelles motos, moitié pour la police, moitié pour la gendarmerie, seront également commandées.

Au total, en intégrant l’année dernière, 70 % du parc automobile de la police et de la gendarmerie nationales sera renouvelé, alors qu’auparavant, un véhicule n’était changé que tous les neuf ans. Les crédits que vous allez voter vont donc permettre une transformation radicale des moyens de ces forces.

La nouvelle tenue des policiers, dont le dessin a été confié à des écoles de mode et n’a rien coûté à l’État, a été présentée – je remercie notamment celle de Bordeaux dont le projet a été sélectionné. Elle permettra de leur fournir 250 000 polos, désormais confectionnés en France – et non plus à Madagascar. Ce sera le cas à 100 % en 2023.

Je me dois également d’évoquer le budget consacré aux matériels, et notamment la numérisation du ministère de l’Intérieur, qui permettra de mettre en œuvre le passage de la préplainte à la plainte en ligne et de mieux équiper les policiers et les gendarmes pour accompagner la simplification de la procédure judiciaire.

L’année prochaine, 26 000 écrans doubles seront achetés pour équiper l’intégralité des commissariats et des brigades de gendarmerie, ainsi que 234 000 smartphones et tablettes, dits nouvel équipement opérationnel (NEO), et un certain nombre de terminaux Ubiquiti permettant le dépôt de plainte à domicile – 3 100 gendarmes en seront notamment équipés.

Parmi les grands chantiers numériques, le réseau radio du futur permettra au policier, à la veille des Jeux olympiques, de ne plus utiliser qu’un seul outil : le smartphone multiservice.

Nous allons également intervenir sur le parc immobilier de notre ministère, et donc changer radicalement la vie de 700 brigades de gendarmerie et d’unités de police. Nous lancerons par exemple un énième plan Poignées de portes, à hauteur de 50 millions d’euros, qui permettra aux commissaires et aux commandants de groupement de décider des travaux à faire.

Enfin, des crédits seront mobilisés en faveur des hôtels de police de Nice et de Marseille, de l’extension du site d’Interpol à Lyon que pour l’instant l’État prend intégralement en charge, de la reconstruction de la caserne de gendarmerie de Saint-Martin-Vésubie, de la caserne de gendarmerie de Balma à Toulouse et d’un certain nombre de commissariats comme celui de Valenciennes.

S’agissant de la sécurité civile, je veux rappeler les moyens extrêmement importants que nous lui avons consacrés – 54 millions d’euros supplémentaires. Les commandes d’avions et d’hélicoptères – portant notamment sur deux H145-D3 – passées lors des années précédentes se concrétiseront. Ce sera également le cas des six nouveaux hélicoptères Dash commandés en 2019, trois ayant d’ores et déjà été livrés. La modernisation des matériels terrestres des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC) bénéficiera, elle, de 13 millions d’euros de crédits.

Je rappelle que nous avons connu l’été dernier l’incendie le plus important depuis 1990 : 7 000 hectares de végétation ont été détruits dans le Var autour de Gonfaron. Les forces de sécurité civile ont dû intervenir plusieurs jours durant dans des conditions extrêmement difficiles. Nous devons donc protéger notre système de sécurité civile dont l’efficacité est remarquable.

C’est d’ailleurs ce que vous avez fait en adoptant la proposition de loi de Fabien Matras, et ce que nous faisons en aidant les effectifs de la sécurité civile, et notamment les courageux pilotes et mécaniciens opérateurs de bord (MOB) – l’un d’entre eux a récemment encore trouvé la mort lors d’une intervention en Isère. Nous avons accédé à leurs demandes en matière de rémunération.

Nous avons également consacré des crédits à la modernisation des systèmes d’alerte de sécurité civile, à la suite notamment de l’incendie de l’usine Lubrizol : ils utilisent désormais les smartphones.

Je ne veux pas oublier la sécurité routière : d’importants crédits sont destinés cette année à l’achat de kits de détection de stupéfiants, la consommation de cannabis, notamment, étant de plus en plus responsable d’accidents sur la route et de morts.

Nous avons également étendu la plateforme Rendez-vous permis, qui permet de réserver en ligne des places d’examen, et amplifié le système de mise à disposition des agents de La Poste pour réduire les délais de passage.

Les crédits de la mission « Sécurités » augmentent de façon considérable, surtout s’agissant du matériel. Elle permettra à la police et à la gendarmerie de continuer leur grande transformation dont vous voyez les résultats tous les jours.

M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Nous sommes réunis afin d’examiner pour avis les crédits de la mission « Sécurités », et plus précisément ceux des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.

Le dernier projet de loi de finances de la législature s’inscrit cette année dans un contexte particulier : le Beauvau de la sécurité, ouvert en janvier 2021, a été clôturé par le Président de la République en septembre dernier. L’organisation de ces états généraux a permis de mettre en lumière le dévouement de l’ensemble des forces de l’ordre, dont les missions au service de nos compatriotes se situent au cœur de notre pacte républicain. Ce moment d’échanges et de rencontres a aussi été l’occasion d’objectiver les multiples difficultés auxquelles ces femmes et ces hommes sont confrontés au quotidien.

Je veux ici saluer le travail accompli par les 250 000 policiers et gendarmes qui représentent collectivement notre « force publique instituée pour l’avantage de tous » selon les mots de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette force publique nécessite bien sûr des moyens. Depuis 2017, le Gouvernement et notre majorité ont fait le choix de les augmenter année après année, face à la réalité des besoins et aux demandes légitimes exprimées par nos concitoyens. Ainsi, entre 2017 et 2022, les crédits de la police et de la gendarmerie auront bénéficié d’une hausse globale de près de trois milliards d’euros, soit une croissance d’environ 14 % sur l’ensemble du quinquennat.

Le projet de loi de finances pour 2022 accentue considérablement cette trajectoire : en crédits de paiement, c’est plus d’un milliard d’euros supplémentaire qui sera engagé par l’État dès l’année prochaine, en intégrant les dotations prévues au titre du Plan de relance.

La traduction budgétaire de cet engagement en faveur de la sécurité se décline à tous les niveaux.

Au niveau humain, d’abord, grâce au recrutement de 761 policiers et 185 gendarmes supplémentaires, dans le cadre du plan de création de 10 000 emplois à l’horizon 2022. La progression des effectifs est une condition sine qua non du renforcement de la présence des « bleus » sur le terrain, au contact direct de la population.

Au niveau matériel, ensuite, grâce au renouvellement des équipements dont disposent les forces de l’ordre, qu’il s’agisse de leurs véhicules d’intervention, des outils technologiques qu’ils peuvent ou pourront bientôt utiliser afin d’accomplir leurs tâches – je pense ici aux caméras-piétons, aux caméras embarquées ou aux drones – et de la rénovation, essentielle, des systèmes d’information et de communication.

Au niveau immobilier, enfin, grâce à la mise en œuvre de projets immobiliers d’envergure : il s’agit de poursuivre la réhabilitation des commissariats et des casernes pour améliorer concrètement les conditions de travail des agents.

Si elle est bien entendu capitale, la traduction budgétaire des réformes qu’il convient de mener n’est pas suffisante. L’action réformatrice du Gouvernement et du Parlement depuis le début de la législature a nécessité une adaptation et un renforcement constant du cadre légal et réglementaire dans lequel évoluent nos forces de l’ordre.

Les lois adoptées depuis 2017, souvent d’ailleurs à l’initiative de parlementaires issus de la majorité – je pense plus particulièrement à la loi dite « sécurité globale » du 25 mai 2021 à la suite des travaux menés par nos collègues Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ou de la loi du 3 août 2018 consécutive au rapport remis par notre collègue Natalia Pouzyreff – ont donné à la police et à la gendarmerie de nouveaux moyens juridiques pour lutter efficacement contre la délinquance et la criminalité.

La recherche d’un équilibre optimal entre efficacité opérationnelle et protection des libertés fondamentales est évidemment complexe. C’est l’honneur, mais aussi le devoir du législateur que de définir les règles applicables en la matière, en évitant les deux écueils que représentent, d’une part, la surenchère et, d’autre part, le déni de réalité. Le Parlement y est notamment parvenu dans le domaine sensible de la lutte contre le terrorisme grâce à la loi du 30 juillet dernier.

Ce travail législatif de longue haleine se poursuit jusqu’à la fin de la législature, comme en témoigne le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure adopté en première lecture par notre assemblée le mois dernier.

Il aboutira aussi, je l’espère, à une grande loi d’orientation dès l’année prochaine, ce qui permettra de tracer des perspectives d’avenir à la suite des orientations définies par le Beauvau de la sécurité.

Le renforcement des moyens humains et technologiques, la meilleure prise en charge des victimes et la simplification de la procédure pénale constituent les principales pistes d’amélioration que nous devons explorer afin d’adapter la police et la gendarmerie aux enjeux de la sécurité à l’horizon 2030.

La transformation à venir de la réserve civile de la police nationale en véritable réserve opérationnelle, ainsi que le développement des formations initiale et continue des membres des forces de l’ordre, représentent des réponses indispensables aux défis auxquels nous devons répondre.

Je conclus en évoquant le sujet thématique que j’ai choisi d’aborder cette année en tant que rapporteur pour avis de notre commission : l’activité des forces d’intervention spécialisée de la police et de la gendarmerie.

L’action du RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion), de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est à la fois médiatisée lors des crises d’ampleur nationale – le procès des attentats du 13 novembre 2015 nous le rappelle – mais paradoxalement relativement méconnue le reste du temps.

J’ai eu le privilège de rencontrer chacune de leurs unités, à Bièvres pour le RAID, à la préfecture de police de Paris pour la BRI, et encore ce matin même à Versailles s’agissant du GIGN.

La sensibilité extrême mais aussi la diversité des missions qui leur incombent impliquent des qualités physiques et morales hors du commun, que ce soit à l’épreuve de preneurs d’otages, de terroristes ou plus quotidiennement de forcenés.

Je tiens ici à leur rendre l’hommage qu’ils méritent et à leur témoigner la reconnaissance sincère de la Représentation nationale.

Monsieur le ministre, l’amélioration constante de leur fonctionnement, de leur capacité de projection et de leur interopérabilité est une garantie de la réussite de leurs interventions, cinq après la mise en œuvre du schéma national défini par votre prédécesseur Bernard Cazeneuve.

J’ai notamment été sensibilisé à certaines problématiques logistiques récurrentes, à l’image de la rigidité des règles de la commande publique en matière d’approvisionnement de matériels de haute technologie.

Je me permets donc d’appeler votre attention sur ces questions qui, si elles peuvent apparaître subsidiaires peuvent aussi, hélas, si elles ne sont pas traitées, entraîner des dysfonctionnements majeurs qu’il convient donc d’anticiper.

M. Mansour Kamardine, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile ». Les crédits demandés pour 2022 au titre du programme « Sécurité civile », d’un montant de 568,6 millions d’euros, sont en hausse de 9,6 % par rapport au précédent exercice. En tenant compte des perspectives d’inflation pour l’année prochaine de 1,5 %, le montant des crédits du programme augmente en réalité d’environ 8 %.

Au sein de ce programme, l’action 12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux bénéficie de la dotation la plus importante, correspondant à 66,5 % des crédits du programme. Elle regroupe les moyens nationaux que l’État met à la disposition de la population, au quotidien ou lors de catastrophes naturelles ou technologiques. Cette dotation est en augmentation de plus de 10 %, principalement du fait du coût élevé de la dépense liée à la maintenance des aéronefs.

Si sur l’ensemble de la législature, les crédits de paiement consacrés au programme ont augmenté de 6,8 %, cette progression est beaucoup plus modeste en euros constants : une fois corrigée de l’inflation, elle n’est que de 1 % environ. C’est peu, notamment quand on sait qu’une part significative des crédits de paiement hors titre 2 – soit plus de 47,3 % – concerne la maintenance, l’équipement, la modernisation et le carburant des aéronefs, ainsi que l’acquisition de nouveaux avions et la location d’hélicoptères.

Les crédits du programme « Sécurité civile » représentent finalement une proportion faible, de l’ordre de 7 %, de l’ensemble des crédits consacrés à la sécurité civile dans notre pays, dont le montant s’élève à environ 6,5 milliards d’euros. L’État contribue au tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs autres programmes du budget général et de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales. Le reste est assumé par ces mêmes collectivités.

Pour vous donner un ordre d’idée, la sécurité civile coûte à chaque Français moins d’une centaine d’euros par an, pour un service indispensable et d’une grande qualité, assuré par des femmes et des hommes auxquels je souhaite rendre un hommage appuyé.

Ayant pour la première fois l’honneur d’être rapporteur pour avis du programme « Sécurité civile », j’ai choisi de m’intéresser à la préparation des pouvoirs publics et en particulier de la sécurité civile pour faire face aux risques naturels dans les territoires ultramarins.

Les territoires ultramarins sont exposés à de nombreux aléas, qui peuvent être telluriques – volcanisme, séismes, mouvements de terrain et tsunamis – ou climatiques – cyclones, inondations par submersion marine ou événements pluvieux extrêmes. Ces risques sont détaillés dans l’avis budgétaire : pour ne prendre qu’un seul exemple, la collectivité dont je suis originaire, Mayotte, connaît un épisode sismo-tellurique inédit dans son histoire contemporaine.

En mai 2019, un nouvel édifice volcanique actif à 3 300 mètres de profondeur a en effet été découvert, à seulement cinquante kilomètres au large des côtes de Petite-Terre : il s’agit à la fois de la plus importante éruption volcanique connue depuis 1783 et de la première éruption sous-marine au monde à pouvoir être observée.

La création de ce volcan s’est accompagnée de séismes très réguliers, voire quotidiens, entre mai et juin 2018, qui ont été ressentis par les habitants et ont suscité une légitime inquiétude, d’autant que la population mahoraise est particulièrement fragile pour faire face à ces risques. Selon les données communiquées par la préfecture de Mayotte, 92 % de la population est concernée par un aléa, tous niveaux confondus, et près de la moitié de la population par un aléa fort.

En outre, la grande variété des phénomènes naturels se conjugue avec une très forte densité de population marquée par la pauvreté, 77 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté.

Pour faire face à ces risques, l’État a notamment établi des plans de prévention des risques naturels, déclinés dans les territoires ultramarins en fonction de leurs spécificités, ainsi qu’une réglementation particulière en matière de construction et d’urbanisme.

Malgré cela, les auditions menées dans le cadre de la préparation de cet avis budgétaire ont permis de soulever plusieurs difficultés concernant la sécurité civile dans ces collectivités.

Tout d’abord, les infrastructures dont sont dotés les territoires ultramarins ne paraissent pas suffisamment résilientes en cas de survenance d’un événement climatique majeur. À Mayotte, l’aéroport et certains axes routiers, déjà saturés en temps normal, deviendraient tout à fait inutilisables, et l’accès à l’eau potable serait brutalement rompu dans l’ensemble du département. D’après les responsables du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Mayotte, que j’ai auditionnés, les communications seraient difficiles, voire impossibles. Monsieur le ministre, l’État va-t-il mobiliser des moyens pour renforcer la résilience de nos infrastructures et inciter les collectivités à déployer un dispositif de communication satellitaire, certes coûteux mais nécessaire ?

En outre, certains territoires ultramarins, heureusement protégés depuis longtemps contre une catastrophe climatique, n’ont cependant pas une culture du risque suffisante pour faire face à un événement extrême. Tel n’est pas le cas aux Antilles, où une initiative intéressante, la « journée japonaise », permet à l’ensemble de la société de consacrer un jour par an à des exercices de prévention des risques telluriques, sous l’égide de la préfecture. Il ressort des auditions que j’ai menées que de telles initiatives devraient être généralisées, les exercices actuellement prévus demeurant insuffisants dans certains territoires. Ce type de mesure retient-il votre attention, monsieur le ministre ? Le cas échéant, quel rôle les préfectures et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises pourraient-elles jouer dans cette généralisation de la culture du risque ?

Par ailleurs, les territoires ultramarins sont confrontés à un phénomène d’usure accélérée des véhicules. Par exemple, un véhicule qui pourrait être utilisé pendant vingt ans en métropole ne peut l’être que pendant douze ans à Mayotte. L’allocation de moyens supplémentaires pourrait-elle être envisagée afin de soutenir les collectivités dans leur effort d’investissement ?

Enfin, je sais qu’une réflexion est en cours concernant les moyens de la sécurité civile outre-mer, la crise sanitaire ayant montré les limites de ses moyens et la nécessité d’envoyer des renforts dans certaines collectivités. Pour ne parler que des effectifs, selon le directeur du SDIS de Mayotte, il faudrait plusieurs dizaines de sapeurs-pompiers supplémentaires pour répondre aux demandes d’intervention en augmentation constante. Pourriez-vous nous indiquer le calendrier de cette consultation ainsi que ses premières conclusions ?

M. Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir apporté des éléments d’éclairage pour l’examen des crédits de la mission « Sécurités ». Vous avez consacré une partie importante de votre propos aux forces de sécurité intérieure.

Depuis le début du quinquennat, les moyens consacrés à la police et à la gendarmerie ont augmenté de manière inédite. Dans un premier temps, il s’est agi de rattraper un retard qui s’était accumulé au cours des décennies précédentes. L’effort a été fait. Désormais, le mouvement se poursuit, dans l’objectif de moderniser plus encore nos forces de sécurité, de répondre aux défis d’aujourd’hui et de nous préparer aux grands défis de demain.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, on constate traditionnellement que la rémunération des personnels et les mesures catégorielles représentent une large part des budgets alloués à la police et à la gendarmerie. Des améliorations ont été apportées pour que ceux qui nous protègent soient mieux considérés du point de vue pécuniaire et dans le déroulement de leur carrière. Depuis 2018, l’accent est mis en outre sur les moyens et les matériels nécessaires à la réalisation des missions, ce qui était attendu depuis longtemps.

Je tiens à souligner l’importance du plan de rénovation des commissariats et des casernes, de même que celle du renouvellement des véhicules, les conditions de travail jouant un rôle prépondérant dans le maintien des vocations. Cette préoccupation a été maintes fois rappelée lors de débats dans notre assemblée et d’auditions devant notre commission ainsi que dans plusieurs ateliers du Beauvau de la sécurité – je vous remercie de nouveau de m’avoir permis d’y participer, monsieur le ministre.

Il a aussi beaucoup été question de formation, qu’elle soit initiale ou continue. Le Président de la République a d’ailleurs insisté sur ce point lorsqu’il a conclu les travaux du Beauvau de la sécurité, à Roubaix, à la fin du mois de septembre. Du point de vue budgétaire, quelles seront les suites concrètes du Beauvau ? D’une part, comment allez-vous articuler dans le temps les importants budgets débloqués et quelles seront les orientations retenues, s’agissant notamment des matériels ? D’autre part, quelle part sera consacrée aux formations, dont je souligne à nouveau l’importance ?

La loi pour une sécurité globale envisageait, dans son article 1er, une vaste expérimentation permettant aux polices municipales de recourir aux amendes délictuelles forfaitaires dans un certain nombre de domaines. Le Président de la République a réitéré ce souhait lors de la clôture du Beauvau. Cette expérimentation réapparaîtra-t-elle dans la future LOPPSI ? Si tel est le cas, de quelle manière sera-t-elle financée ? Bien entendu, les observations du Conseil constitutionnel devront être respectées. À cet égard, pourquoi ne pas détacher dans les polices municipales des officiers de police judiciaire (OPJ) qui feraient le lien avec les magistrats du parquet ?

La sécurité des Français doit être assurée au quotidien et en tout lieu. Nous devons être en mesure de déployer des forces de sécurité partout où c’est nécessaire sur le territoire, pour tout type d’activité. Pouvez-vous nous faire part de vos idées pour fidéliser les policiers dans les secteurs difficiles ?

Mme Emmanuelle Anthoine. La sécurité est au cœur des préoccupations des Français, après plusieurs années marquées par des attaques terroristes aussi odieuses qu’effroyables. Le défi migratoire, la délinquance, qui affecte l’ensemble du territoire, et les incivilités du quotidien, devenues insupportables, appellent des réponses de la part des pouvoirs publics. Pour lutter efficacement contre l’insécurité qui préoccupe nos concitoyens, il faut des moyens. C’est l’objet des crédits que nous examinons.

Permettez-moi d’abord de constater que la promesse présidentielle en matière de recrutement n’a été que très partiellement tenue : l’objectif de 10 000 postes de policiers et de gendarmes créés au cours du quinquennat n’est pas atteint, puisqu’on dénombre seulement un peu plus de 8 500 postes supplémentaires sur cinq ans. Si l’on additionne les 6 133 créations de postes recensées dans les rapports annuels de performances de 2018 à 2020 aux 1 462 prévues en loi de finances initiale pour 2021 et aux 946 inscrites dans le projet annuel de performances pour 2022, on en arrive en effet à un total de 8 541 postes.

Si nous saluons ces recrutements au sein des forces de sécurité intérieure, nous ne pouvons que déplorer leur insuffisance. En effet, le besoin de sécurité des Français augmente en même temps que l’on observe une hausse de la violence dans notre pays. Les statistiques publiques sur l’insécurité et la délinquance publiées dans Interstats par le ministère de l’Intérieur parlent d’elle-même : si l’on compare les neuf premiers mois de l’année 2021 aux neuf premiers mois de 2017, on observe que les homicides sont en hausse de 13 %, les coups et blessures volontaires, de 31 %, et les violences sexuelles, de 83 %. Dire que le bilan de votre ministère est mauvais en la matière relèverait de l’euphémisme, monsieur le ministre.

Dans ce contexte, nous ne pouvons que saluer les augmentations de moyens récemment décidées en faveur de nos forces de l’ordre ; elles sont appréciables et seront appréciées. Les décisions qui font suite aux Beauvau de la sécurité sont d’autant plus bienvenues qu’elles étaient attendues depuis longtemps.

Néanmoins, on ne peut que s’interroger sur cette attention soudaine portée à ceux qui œuvrent au quotidien pour notre sécurité, à quelques mois seulement d’une échéance électorale majeure. Ne nous y trompons pas, cet effort en faveur des forces de sécurité intérieure est trop tardif. Les statistiques que je viens d’évoquer en témoignent : il eût été nécessaire d’agir plus tôt pour enrayer une tendance inquiétante.

Nous attendions avec impatience un projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure qui n’est jamais venu en discussion. Vous le présenterez opportunément à la veille des prochaines élections, mais il ne pourra pas être inscrit à l’ordre du jour parlementaire et ne trouvera donc pas de concrétisation immédiate. Ce ne seront que des annonces, qu’il faudra considérer comme telles.

Mme Isabelle Florennes. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la présentation de ces crédits fait suite au Beauvau de la sécurité ; le contexte n’est pas anodin. Ainsi, la hausse significative des crédits alloués à la mission « Sécurités » doit permettre la mise en œuvre opérationnelle des mesures décidées dans le cadre du Beauvau. Ces mesures étaient attendues, notamment celles qui concernent la formation au maintien de l’ordre et celles qui tendent à simplifier la conduite des enquêtes. Le groupe Démocrates et apparentés en est convaincu, elles vont toutes dans le bon sens.

Le Gouvernement a maintenu ses efforts et tenu ses engagements tout au long du quinquennat. Les crédits de la mission n’ont pas connu de baisse, ce qui nous semble primordial dans le contexte que nous avons connu et que nous connaissons : terrorisme, mobilisations nombreuses et violentes, crise sanitaire.

J’en viens aux quelques points qui ont retenu notre attention.

Nous notons et saluons l’intention du Gouvernement de poursuivre les mesures sociales en faveur des gendarmes et des policiers. Les 7 millions d’euros supplémentaires que vous avez évoqués permettront de mieux accompagner les forces de l’ordre dans leur évolution, tant professionnelle que personnelle. Les mesures porteront sur les carrières, mais aussi sur le logement, question importante pour les agents de votre ministère, notamment en région parisienne, où il y a un véritable problème.

À l’instar des collègues qui se sont exprimés, nous saluons le renforcement des moyens humains. La création de 761 nouveaux emplois dans la police nationale est une excellente chose, même si l’on reste malheureusement encore loin des objectifs du « plan des 10 000 ». Nous nous réjouissons également du renforcement significatif des effectifs de la direction générale de la sécurité intérieure, de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, de la sous-direction de lutte contre la cybercriminalité et du service national des enquêtes administratives et de sécurité (SNEAS), lequel joue un rôle primordial dans la lutte que nous menons contre les séparatismes.

S’agissant des moyens matériels, un réel effort est engagé pour répondre aux besoins exprimés par les forces de l’ordre. À cet égard, je me dois de signaler l’enveloppe consacrée à l’acquisition de véhicules. Le cahier des charges permettra-t-il aux constructeurs français d’avoir des chances d’être choisis ?

Le mois dernier, mes collègues Natalia Pouzyreff et Robin Reda ont remis un rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les rodéos motorisés. Je n’ai rien vu de spécifique à ce sujet dans les documents budgétaires. Pourriez-vous m’éclairer sur les mesures prises en la matière ?

Mme Marietta Karamanli. Le projet de loi de finances pour 2022 marque une évolution positive des crédits affectés à la sécurité de nos concitoyens. Les crédits de paiement du programme 176 « Police nationale » et du programme 152 « Gendarmerie nationale » augmenteront respectivement de 4,33 % et de 3,5 %.

Néanmoins, cette augmentation doit être quelque peu relativisée au regard de plusieurs éléments. D’une part, l’inflation, estimée à 1,5 % ou un peu plus en 2021 et à 1,2 % en 2022, épuisera mécaniquement une part de l’évolution. D’autre part, les dépenses de personnel, qui représentent 89 % de l’ensemble des crédits du programme 176 et 84 % de ceux du programme 152, augmenteront respectivement de 1,64 % et de 1,08 %.

Mes questions portent sur l’évolution des effectifs en équivalents temps plein travaillés (ETPT) présentée dans le projet annuel de performances. Vous avez mis l’accent, monsieur le ministre, sur l’augmentation des moyens matériels. Or, en face de ces moyens, nous avons besoin d’hommes et de femmes, d’où mon insistance sur les effectifs. Si l’évolution en la matière est globalement positive, les organisations syndicales évoquent un objectif de rattrapage.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ça, c’est sûr !

Mme Marietta Karamanli. Qui plus est, on ignore quelles seront les missions exercées. Une part importante des créations de postes concernerait les fonctions support. Ces agents seront certainement utiles, mais n’assureront pas de présence sur la voie publique. Vous avez pourtant souligné vous-même l’importance d’une présence dissuasive, là où la population le souhaite. On ne connaît pas non plus la nature des emplois créés : s’agira-t-il de postes statutaires, occupés par des agents formés et exerçant à temps plein ? Ou bien les postes relèveront-ils d’autres catégories, comme les policiers adjoints ou les cadets ? Enfin, rien n’est dit sur les vacances de postes à l’échelle nationale, alors que ce phénomène a été constaté dans plusieurs départements. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces différents points, soit aujourd’hui même, soit dans les jours qui viennent par l’intermédiaire de vos services ?

Par ailleurs, si l’on recoupe l’évolution des postes avec les actions et sous-actions de chaque programme, il est difficile de se faire une idée des affectations prioritaires. Pouvez-vous nous donner le nombre de postes par action, à savoir, pour le programme 176, Ordre public et protection de la souveraineté, Sécurité et paix publiques, Sécurité routière et Police des étrangers et sûreté des transports internationaux ?

De même, il est difficile d’interpréter l’évolution des indicateurs de performance. Il est indiqué, par exemple, que le nombre d’heures de patrouilles effectuées par la police nationale sur la voie publique a augmenté de plus de 6 % en 2020 par rapport à 2019. Or on sait qu’en 2020, le premier confinement a donné lieu à un renforcement des contrôles sur la voie publique. S’agissant des indicateurs, aucune précision n’est donnée, ni aucune tendance, sauf à la hausse.

Le groupe Socialistes et apparentés vous serait reconnaissant de vos réponses, monsieur le ministre, en vue de l’examen des crédits en séance publique, dans deux semaines.

M. Christophe Euzet. Le groupe Agir ensemble envisage le budget de la mission « Sécurités » avec beaucoup de bienveillance, car il tend à rendre opérationnelles les décisions du Beauvau de la sécurité et nous permet, dans l’attente de la LOPPSI, de nous projeter vers ce que seront les forces de sécurité intérieure à l’horizon 2030. Surtout, il nous semble avoir pris la mesure des problèmes de sécurité auxquels sont confrontés nos concitoyens – vous avez évoqué en détail leur augmentation, monsieur le ministre.

D’une manière générale, nous nous félicitons de l’augmentation substantielle des crédits. Qui plus est, l’accent est mis sur certains points que nous considérons comme essentiels : la numérisation, les investissements massifs en matériel, les investissements immobiliers, la réalisation du « plan des 10 000 » dans la police et la gendarmerie. Sont également importantes, à nos yeux, les mesures sociales – notamment en matière de logement –, la mobilisation contre les suicides et l’amélioration de la formation – celle des gardiens de la paix en école sera portée à douze mois. Une sécurité de haut niveau suppose en effet une formation de haut niveau.

Le Président de la République avait annoncé la création d’un centre de formation au maintien de l’ordre pour les policiers. Y a-t-il une traduction de cette annonce dans le budget que vous nous soumettez, monsieur le ministre ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Le groupe Libertés et Territoires salue à son tour la hausse des crédits consacrés aux moyens matériels des forces de sécurité. Celles-ci travaillent souvent, nous le savons, dans des conditions déplorables, avec du matériel hors d’âge ou des voitures défectueuses. Nous nous réjouissons en outre du déploiement des nouvelles caméras-piétons pour assurer la tranquillité des relations entre les agents et les citoyens. À l’inverse, le développement des drones à usage de surveillance de la population nous semble hautement problématique au regard des atteintes à la vie privée. Nous avons déjà exprimé cette position à de nombreuses reprises, notamment lors de l’examen de la proposition de loi pour une sécurité globale et, plus récemment, lors de la discussion du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

Ce projet de loi de finances annonce une montée en puissance de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, l’objectif étant un effectif de 50 000 réservistes en 2024. Néanmoins, il ne faudrait pas que les forces de sécurité reposent sur les réservistes au détriment des forces professionnelles. De plus, il est légitime de s’interroger sur la qualité de la formation des réservistes, sachant qu’ils pourront porter une arme lors de certaines interventions.

Nous notons avec intérêt le début d’une politique de mobilisation contre les suicides, afin de tenir compte des difficultés psychologiques que peuvent rencontrer les forces de l’ordre. À cet égard, la généralisation du port d’arme hors service, encouragée par le Gouvernement pour lutter contre la menace terroriste, suscite des interrogations, car c’est très souvent avec son arme que l’agent porte atteinte à sa vie.

J’en viens à la gratuité des billets de train pour les policiers hors service. N’est-ce pas une mesure quelque peu démagogique et, au fond, dangereuse, à quelques mois des élections ? N’ouvre-t-on pas la boîte de Pandore ? Les soignants ne devraient-ils pas eux aussi bénéficier de la gratuité dans la mesure où ils peuvent intervenir pour secourir une personne ? À notre sens, il aurait été plus judicieux de renforcer sensiblement la présence des policiers dans les transports, sur leur temps de travail.

À l’instar de plusieurs collègues, nous vous avions alerté sur les difficultés rencontrées par les victimes d’agression sexuelle ou de viol lorsqu’elles déposent une plainte dans les commissariats. Vous aviez répondu que leur accueil s’était sensiblement amélioré. C’est exact, mais nous avons recueilli plusieurs témoignages en sens contraire. Ainsi, une manifestation a eu lieu très récemment devant le commissariat de Montpellier pour dénoncer une prise en charge inadaptée des personnes déposant plainte pour violences sexuelles.

De nombreux députés de notre groupe sont opposés au « tout-sécuritaire » pour lutter contre le trafic de stupéfiants. La France mène en la matière une des politiques les plus restrictives et elle est, en même temps, le premier pays consommateur d’Europe. Peut-être est-il temps de réfléchir tous ensemble à ce paradoxe, tout en combattant inlassablement, bien entendu, les trafiquants qui détruisent la vie de nos enfants en détresse.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Un réel effort budgétaire est réalisé pour la sécurité civile. Sur les six bombardiers d’eau Dash en cours d’acquisition, deux seront livrés prochainement, de même que deux hélicoptères H145D3.

Je salue en outre l’effort réalisé par la sécurité civile en matière de mutualisation des hélicoptères. La Lozère a bénéficié de la présence de deux hélicoptères en juillet et août derniers, grâce notamment à l’action du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, M. Thirion. Je sais les difficultés que vous avez rencontrées, l’objectif étant de passer de trente-quatre à trente-huit hélicoptères. Pouvez-vous nous préciser de quelle manière a évolué la doctrine s’agissant des Canadair et des Tracker ?

La mutualisation des hélicoptères « blancs » et « rouges » entre les services de santé et le ministère de l’Intérieur pose souvent des difficultés. Nous avons tous voté la proposition de loi de Fabien Matras, que vous avez saluée. Nous aurons l’occasion d’en reparler, car j’en suis le rapporteur d’application. J’insiste sur la nécessité de pérenniser le budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) et signale que le statut de l’école pose quelques problèmes.

Cette semaine se tient le congrès national des sapeurs-pompiers de France, où j’aurai le plaisir de vous retrouver. Je reviens une nouvelle fois sur le soutien financier qu’il conviendrait d’accorder aux employeurs pour faciliter le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires (SPV). Le Sénat avait adopté une disposition en ce sens. Peut-on espérer une avancée en la matière ?

M. Ugo Bernalicis. Le budget de la mission « Sécurités » appelle de nombreuses remarques. J’évoquerai tout d’abord la formation. Dans son discours, le Président de la République a clairement souhaité que tous les policiers suivent la formation d’OPJ. Tous ne réussiront peut-être pas l’examen, a-t-il précisé, mais tous auront suivi la formation. Or, à ma connaissance, les policiers sont déjà formés à la procédure pénale, même s’ils n’ont pas tous la qualification d’OPJ. Surtout, avec cette formation supplémentaire de quatre mois, vous allez porter la formation initiale à douze mois, mais sans construire de nouvelles structures – il n’en est toujours pas question dans ce budget ; la formation continuera à se faire dans les mêmes écoles de police. Dès lors, vous serez peut-être amenés à moins recruter, ce qui n’est guère opportun au regard de la pyramide des âges dans la police.

Qui plus est, vous nous avez fait voter, tout au moins en première lecture, la création d’une réserve opérationnelle. Selon l’étude d’impact, il y a aura dès l’année prochaine un effectif de 2 000 à 3 000 réservistes. Mais où donc allez-vous les former ? Et à quel moment ? Entre deux promotions de gardiens de la paix en formation initiale ? J’appelle votre attention sur une incohérence : vous tenez un discours très ambitieux sur la formation initiale et continue, mais cela ne se traduira pas par une hausse sensible des crédits consacrés à la formation, ni par la construction de nouvelles structures. Autrement dit, vous voulez recruter davantage de personnes, mais il n’y a pas assez de moyens pour assurer leur formation – on retombe sur le problème que vous avez évoqué : trop de titre 2, pas assez de hors titre 2. Nous déposerons des amendements à ce sujet pour la séance publique, n’ayant pas eu le temps de le faire pour l’examen en commission.

J’en viens aux dépenses de fonctionnement. Vous allez consacrer 20 à 30 millions d’euros à l’équipement des policiers et des gendarmes en caméras-piétons. En la matière, il n’est pas évident de s’y retrouver : nous ne disposons pas de chiffre précis en ce qui concerne la police ; une partie des crédits proviendra du budget de la mission, une autre du plan de relance. En tout cas, il s’agira d’un coût substantiel, d’autant qu’il faudra racheter régulièrement des caméras. Lorsque l’on compare ce montant avec le million d’euros prévu pour la prévention des suicides, on se dit que l’allocation des crédits pourrait être meilleure. Il y a toujours des policiers et des gendarmes qui mettent fin à leurs jours, et la prévention des suicides devrait être une politique publique prioritaire. Elle serait d’ailleurs plus efficace si l’on mettait un terme à la politique du chiffre – ce qui ne se fera que si nous prenons votre place en 2022 !

Plusieurs collègues ont dénoncé, parfois publiquement, l’idée de rendre les billets de train gratuits pour les policiers. Selon vous, un policier est policier vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par conséquent, il doit pouvoir garder son arme hors service – on ne sait jamais, s’il arrive quelque chose… Dès lors, quand il prend le train, il est un peu en service ; il vaudrait donc mieux que le train soit gratuit pour lui. C’est une fuite en avant : les policiers finiront effectivement par être policiers vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais sans être payés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, bien évidemment.

À des sujétions correspondent en principe des contreparties. Ainsi en est-il pour les militaires, qui ont une carrière particulière : ils peuvent notamment partir en retraite plus tôt que les policiers. La contrepartie prévue ici, à savoir la gratuité des billets de train, est assez démagogique. Si un policier prend le train avec sa famille et veut bénéficier de la gratuité – car les billets ne sont pas donnés ! –, il devra donc voyager en famille tout en gardant son arme de service ? On va créer des situations un peu étranges…

S’agissant de la sécurité civile, nous relevons une stagnation des crédits affectés à la prévention des feux de forêt et une baisse des moyens alloués à l’achat de produits retardants. Or, nous en avons eu la démonstration en 2021, les feux de forêt se multiplient et touchent des zones de plus en plus vastes, sachant que les choses ne vont pas s’améliorer, compte tenu du changement climatique. Ne faudrait-il pas faire un effort budgétaire en matière de prévention, plutôt que de subir la situation ?

Concernant la lutte contre le trafic de stupéfiants, je partage l’analyse de notre collègue Acquaviva : vous dépensez beaucoup, pour des résultats assez médiocres au regard des objectifs que vous avez vous-mêmes fixés. Peut-être serait-il temps d’allouer les moyens de manière différente.

Mme Marie-George Buffet. Vivre en sécurité doit être un droit pour chacun. Cela suppose de la prévention, de l’éducation, parfois aussi de l’aide à la parentalité, mais aussi des forces de l’ordre en mesure de protéger nos compatriotes. Vous annoncez une progression importante des moyens, que l’on ne peut que saluer car ils faisaient défaut – je pense notamment aux véhicules, qui étaient très anciens. Nous avons quand même une réserve s’agissant des drones, dont la loi pour une sécurité globale facilite l’emploi, alors qu’ils représentent une menace pour la vie privée et l’action collective.

La question des moyens est importante, mais celle des effectifs l’est tout autant. L’appel à une réserve opérationnelle me pose problème. Quels seront les moyens alloués à la formation des réservistes, pour faire en sorte qu’ils se comportent de manière responsable et qu’ils aident vraiment les forces de l’ordre ? S’agissant de la future loi de programmation, dix ans après la dernière, quels objectifs vous donnez-vous en termes d’effectifs pour les dix ans à venir ?

En ce qui concerne l’action sociale, je me félicite que l’on parle enfin de l’état parfois désastreux des casernes de gendarmerie, où vivent non seulement les gendarmes mais aussi leurs familles. Mettre les moyens nécessaires pour qu’ils puissent vivre dans de bonnes conditions me semble être une urgence absolue. Il en va de même, bien sûr, pour l’entretien des commissariats.

Se pose aussi la question du logement des policiers. On voit bien, en Seine-Saint-Denis, qu’il importe de faciliter l’accès des jeunes policiers à un logement si l’on veut qu’ils aient envie de poursuivre leur action dans certaines zones de ce département où le métier est peut-être plus difficile qu’ailleurs. Un système de primes pourrait favoriser leur maintien. Or, plus un policier reste longtemps dans un territoire, plus il construit des relations avec la population et plus son action est efficace.

Dans le domaine des violences intrafamiliales, notamment celles visant les femmes, des enquêtes ont eu lieu à la suite de plusieurs décès. Quels enseignements en ont été tirés et quand les mesures seront-elles prises ?

Enfin, la commission a reçu le nouveau président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Celui-ci a beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer les moyens techniques dont dispose cet organisme, compte tenu des enjeux, notamment dans le domaine de l’informatique. Qu’en pensez-vous ?

Mme Nicole Dubré-Chirat. L’objectif consistant à dématérialiser les procédures et à renforcer les équipements numériques se trouve concrétisé dans ce budget, ce qui contribue à rendre les démarches plus rapides et plus efficaces pour les citoyens – je pense notamment au dépôt de plainte en ligne – et à améliorer la qualité de vie au travail des forces de l’ordre. Avez-vous un premier bilan du déploiement de la plateforme moncommissariat.fr, mise en service l’an passé ?

Il ne faut pas oublier, toutefois, qu’un certain nombre de citoyens sont trop éloignés du numérique pour faire ces démarches en ligne, en raison soit de leur âge soit de difficultés d’accès aux outils, ou encore parce qu’ils vivent dans des zones blanches ou ne maîtrisent pas la langue. Quelles actions ont été mises en œuvre pour conserver un double système – même s’il s’agit d’une opération chronophage pour les forces de l’ordre, malgré l’augmentation des effectifs ?

M. Éric Poulliat. Vous êtes particulièrement attentif, monsieur le ministre, au déploiement d’investissements dans l’immobilier et dans les équipements des forces de l’ordre, afin de garantir aux policiers et aux gendarmes les meilleurs outils possibles pour assurer la sécurité des Français au quotidien. Je vous remercie en particulier pour les « kits stups » que vous avez annoncés : ils augmenteront l’efficacité, tout comme l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour l’usage de stupéfiants – dispositif résultant d’une initiative parlementaire.

Je félicite à mon tour l’école Supmode, à Bordeaux, qui va réaliser les uniformes des policiers. Lorsque j’ai échangé avec les étudiants sur les réseaux sociaux, ils me disaient que cela leur paraîtrait bizarre de croiser dans la rue des policiers qu’ils auraient eux-mêmes habillés…

Vous avez annoncé une remise à niveau importante dans le domaine de l’immobilier, à raison de 185 millions d’euros pour la police et de 95 millions pour la gendarmerie. Cette mesure a été accueillie très favorablement sur le terrain. Les besoins étaient réels. Comment envisagez-vous de répartir ces budgets ? Vous avez évoqué le plan Poignées de portes : quel plan d’action souhaitez-vous mettre en œuvre pour sécuriser les brigades et les commissariats ? Ces moyens seront-ils aussi mobilisés pour financer certains grands chantiers de la police et de la gendarmerie ? Je pense notamment, dans ma circonscription, au projet de nouveau commissariat à Mérignac, qui a déjà reçu un financement de plus de 7 millions d’euros – je remercie d’ailleurs le ministère d’avoir mis la main à la poche. Ce commissariat sera, à n’en pas douter, un pôle essentiel de la sécurité dans l’ouest de la métropole bordelaise. Des moyens complémentaires seront-ils affectés à ce très beau commissariat, qui s’inscrit d’ailleurs dans la logique de réorganisation des circonscriptions de police de la métropole bordelaise ?

M. Thomas Rudigoz. La mission « Sécurités » comporte une partie spécifique destinée à aider les municipalités à se doter d’équipements de vidéoprotection et à se raccorder aux centres de supervision urbains. Vous vous êtes rendu récemment à Lyon, monsieur le ministre, où vous avez eu l’occasion de proposer au maire de développer son réseau de vidéoprotection, lequel stagne, malheureusement, depuis plus d’un an et demi, alors qu’auparavant une politique ambitieuse était menée en la matière. La nouvelle municipalité, bien qu’elle reconnaisse parfois l’efficacité du dispositif, ne souhaite pas le développer. Combien de municipalités et d’agglomérations demandent son soutien au Gouvernement pour développer ce type de dispositifs, qui sont extrêmement utiles dans la lutte contre la délinquance ?

M. Jean-Michel Mis. La mission « Sécurités » prévoit le financement de projets numériques structurants, notamment dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques de 2024. Pourriez-vous expliciter ces projets de manière un peu plus précise ?

M. Philippe Gosselin. Étant moi-même réserviste, je voudrais avoir un peu plus de détails en ce qui concerne la réserve opérationnelle. Nous sommes nombreux à soutenir son développement ; encore faut-il que les financements permettent d’assurer la formation et de faire en sorte que cette réserve soit réellement opérationnelle.

La prévention des suicides est également un point important : il serait bon que nous disposions d’éléments supplémentaires.

En ce qui concerne la sécurité civile, il convient d’avoir une approche particulière dans les outre-mer. La semaine dernière, nous étions en mission dans les Antilles avec la présidente de la commission et Stéphane Mazars. Notre attention a été appelée, une fois de plus, sur la dégradation des matériels – notamment celle des véhicules – liée aux conditions climatiques particulières qui y règnent. Vous avez évoqué l’arrivée de 11 000 véhicules l’année prochaine ; au-delà de l’achat, il faut prendre en compte les conditions de leur maintenance dans les outre-mer.

Depuis plusieurs années, des associations appellent à la convocation d’états généraux de la sécurité routière. J’ai d’ailleurs relayé leur demande, notamment à travers une proposition de résolution. Où en est cette idée ? Il y a beaucoup à faire en la matière : la sécurité routière, ce n’est pas seulement la répression, notamment à travers les radars, c’est aussi l’entretien des routes et cela suppose d’échanger avec les associations d’automobilistes et de motards, entre autres.

M. Stéphane Peu. Nous nous félicitons de l’augmentation du budget et du renforcement des effectifs, mais il y a une difficulté : monsieur le ministre a signalé qu’il n’y avait pas d’affectations obligatoires et que les arrivées ne compensaient pas toujours les départs. Pour compenser les pertes d’effectifs dans certains départements, et en attendant que les discussions paritaires au sein du ministère de l’Intérieur aboutissent, on pourrait jouer davantage sur les arrivées.

Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, entre 2007 et 2021, et en tenant compte de l’évolution du périmètre – car, entre-temps, la police d’agglomération et les compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI) ont été créées –, les effectifs dans les commissariats sont passés de 3 953 policiers, tous grades confondus, à 3 424, alors que, dans le même temps, la population a considérablement augmenté et que le département est confronté à d’énormes problèmes de sécurité publique. Il est vrai que le nombre de policiers a baissé continûment jusqu’en 2018 mais augmente depuis lors : je le reconnais volontiers et m’en félicite. Quoi qu’il en soit, en dépit de toutes les annonces relatives au renforcement des effectifs, la population a observé, durant la période, une diminution du nombre de policiers dans les commissariats et dans les rues de leur ville. La tendance est plus nette encore si l’on considère le nombre d’officiers : il est passé de 241 à 109, soit une diminution de moitié. Cela en dit long sur l’encadrement des policiers dans ce département.

Mme Cécile Untermaier. Nous saluons nous aussi le renforcement du budget et des effectifs. Toutefois, en dépit de l’augmentation importante des effectifs enclenchée depuis dix ans, on n’est pas encore revenu au niveau de l’an 2000. Souvent, dans les commissariats ou dans les gendarmeries, des personnes nous disent qu’elles sont très contentes d’avoir des voitures neuves et de constater que leurs effectifs comptent désormais 140 policiers ou gendarmes, mais elles nous font observer qu’il y en avait 180 en l’an 2000.

Je me félicite également de la présence d’intervenants sociaux dans les gendarmeries et les commissariats. À cet égard, je tiens à remercier Christophe Castaner et Marlène Schiappa, qui ont joué un rôle important dans cette évolution, fruit d’une longue maturation. Ce dispositif est extrêmement important pour lutter contre les violences intrafamiliales. Il est essentiel de proposer un accueil aux victimes. Je voudrais simplement m’assurer que vous considérez qu’il est nécessaire de sanctuariser budgétairement le dispositif.

Dans ma circonscription, après une longue instruction du dossier, l’accord a été obtenu pour la construction d’une gendarmerie à Tournus. Le commissariat, quant à lui, aura un nouveau toit. Pour la réfection des fenêtres, en revanche, il faudra encore attendre – mais cela viendra certainement. Nous avons mis dix ans pour obtenir la construction de la gendarmerie, et nous craignons que l’achèvement de l’opération prenne encore plusieurs années. Le problème, par ailleurs, est que, dès lors qu’un projet est lancé et que les plans sont approuvés, les modifier est quasiment mission impossible, même si, de toute évidence, pour des raisons d’organisation territoriale, il est absolument nécessaire de le faire. Pourriez-vous introduire une certaine flexibilité dans les procédures, de manière que le produit définitif corresponde vraiment aux réalités du jour de l’inauguration ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Anthoine, je suis très étonné des chiffres que vous avancez. Depuis l’élection du Président de la République, les cambriolages ont diminué de 25 %, les vols de véhicules de 40 % ; s’agissant des violences sur les personnes, les vols avec arme ont baissé de 18 % et les vols sans arme de 26 %. Certes, les violences physiques ont augmenté, mais sur les 39 000 faits supplémentaires, 37 000 sont des violences familiales. Or c’est le Grenelle des violences conjugales qui explique cette évolution : il a permis de mettre des mots sur certaines choses, mais celles-ci existaient déjà. Les statistiques en elles-mêmes n’ont pas beaucoup d’importance, mais puisque vous fondiez votre constat sur des éléments chiffrés, je peux vous dire, madame, que nous n’avons aucun problème à présenter notre bilan en la matière.

Il en va de même s’agissant de l’augmentation des effectifs et des matériels. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, les véhicules avaient en moyenne neuf ans, et cela faisait même quarante-deux ans que les véhicules de maintien de l’ordre des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et des gendarmes mobiles n’avaient pas été renouvelés. Quant aux commissariats, monsieur Ciotti, par exemple, s’il était encore parmi nous, aurait pu vous dire que cela faisait à peu près vingt ans qu’il attendait la construction d’un nouveau commissariat à Nice. Je constate d’ailleurs que monsieur Ciotti ne s’est pas exprimé ce soir ; son silence vaut sans doute approbation…

Il convient de saluer l’effort sans précédent consenti par le gouvernement de la République, ce que tout le monde a fait, y compris les syndicats de police et de nombreux dirigeants politiques, et c’est tant mieux, car il faut que nous construisions cette politique ensemble, dans tous les territoires. Cet effort ne date pas non plus de cette année, à l’approche des élections : l’augmentation des effectifs et du matériel a commencé en 2017. Entre le moment où les recrutements ont été décidés et celui où les personnels supplémentaires arrivent sur le terrain, il faut former ces derniers. Qui plus est, il n’y a pas assez de centres de formation, de sorte qu’une personne reçue au concours de gardien de la paix attend jusqu’à un an et demi avant d’entrer en école de police.

En ce qui concerne les violences conjugales, personne ne couvrait de tels agissements, bien entendu ; il n’est donc pas question d’instruire quelque procès politique que ce soit. Force est toutefois de constater que, depuis 2017, grâce en soit rendue à Gérard Collomb et à Marlène Schiappa – qui s’occupait de la question dans ses fonctions précédentes, et continue à le faire –, nous avons mené un énorme travail de sensibilisation et de formation dans la police et la gendarmerie, de manière à améliorer l’accueil des personnes qui viennent porter plainte pour des faits de violences conjugales.

On peut encore améliorer les choses, bien entendu. D’abord, il faut continuer à former beaucoup mieux les policiers et les gendarmes. Ensuite, il faut procéder à des travaux qui permettront une amélioration des conditions d’accueil dans les commissariats et les brigades de gendarmerie. Nous prévoyons de débloquer des crédits pour l’année prochaine à cette fin. Il s’agit d’aménager des locaux spécifiques, d’une part, pour éviter que les personnes venant porter plainte pour violences conjugales soient placées dans la même file que tout le monde, et, d’autre part, pour assurer leur accueil par une assistante sociale ou un psychologue. À cet égard, nous avons largement augmenté le nombre d’intervenants sociaux : il y en a désormais 404, contre 270 en 2017. Il faut poursuivre en ce sens. Ils sont payés en partie sur le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) – dont nous augmentons encore la dotation dans le budget que nous vous présentons –, le reste étant parfois assumé par les départements et les communes. Je salue d’ailleurs ce partenariat.

Nous avons, par ailleurs, beaucoup augmenté le nombre de maisons de confiance et de protection des familles – il y en a une cinquantaine, dont certaines sont situées dans des territoires très ruraux – ainsi que celui des brigades spécialisées dans la protection des familles. La consigne est claire : dans toutes les directions départementales de la sécurité publique (DDSP), dans tous les commissariats, il doit exister une brigade spécialisée dans la prise en charge des violences contre les personnes et, lorsque c’est possible, à l’intérieur de celle-ci, une équipe chargée des violences conjugales, lesquelles supposent une technicité particulière.

Lorsque des fautes sont commises par des policiers et des gendarmes, y compris quand il s’agit de défauts de transmission au parquet, le ministère de l’Intérieur doit prendre ses responsabilités. C’est qui s’est passé à la suite du drame de Mérignac. Les violences conjugales sont un sujet beaucoup trop important pour que l’on considère que les fautes commises dans ces affaires entrent dans le pourcentage d’erreurs qu’il est possible d’accepter.

À l’occasion de ce drame, j’ai découvert que la police et la gendarmerie comptaient dans leurs rangs quelques personnes ayant fait l’objet de condamnations définitives pour des faits de violences conjugales. Certes, le nombre en est infime au regard des 250 000 policiers et gendarmes de France, mais il y en a. Ces individus ne sauraient rester en contact avec le public. Ils ne devraient d’ailleurs plus être policiers ou gendarmes. Quand j’ai appris ce qui s’était passé au commissariat de Mérignac, j’en ai tiré toutes les conclusions, aussi bien pour le policier qui avait recueilli la plainte de la victime, qui a été tuée par la suite, que dans l’organisation du service, car les chefs auraient dû voir le dysfonctionnement. Il y a eu une faute d’organisation de la part du ministère de l’Intérieur.

J’ai donné comme consigne au directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), au directeur général de la police nationale (DGPN) et au préfet de police que les policiers et gendarmes condamnés de façon définitive pour violences conjugales ne soient plus en contact avec le public et même qu’ils ne fassent plus partie de l’institution. Marlène Schiappa a cosigné le document. J’ai précisé aux directeurs généraux que ces instructions devaient être appliquées à la lettre. Si, pour une raison ou une autre, un recours venait à mettre en cause cette décision, en tout état de cause, les personnes en question ne sauraient être à l’avenir en contact avec le public.

Il ne s’agit en aucun cas de jeter l’opprobre sur l’ensemble des policiers et gendarmes, dont je salue le courage, le travail et l’abnégation, y compris dans la prise en charge des affaires de violences conjugales, qui sont particulièrement délicates, mais ils se doivent d’être irréprochables.

L’affaire de Montpellier pose problème, en effet : certaines questions ne sauraient être posées à une femme venue déposer plainte. Du reste, ce n’est pas au policier de dire s’il y a eu véritablement violences conjugales : le procureur engage les poursuites puis le juge se prononce. Monsieur le garde des Sceaux, Marlène Schiappa et moi-même avons d’ailleurs rappelé la règle : dans tous les cas, un signalement doit être fait. Je m’enorgueillis de constater que c’est effectivement ce qui se passe : 100 % des enquêtes font désormais l’objet d’un signalement au procureur et celui-ci engage une procédure, même quand il s’agit d’une femme battue par son mari qui se présente au commissariat mais ne dépose pas plainte, se contentant d’une main courante, ou bien qui retire sa plainte par la suite.

De même, les policiers et les gendarmes remplissent systématiquement une grille d’évaluation du danger ; s’ils ne le font pas, c’est une faute. Ils demandent également si l’auteur des violences détient des armes, et si c’est le cas, une perquisition est organisée pour les saisir. Dans un très grand nombre de cas, les individus soupçonnés sont placés en garde à vue, parfois quelques dizaines de minutes seulement après l’enregistrement de la plainte. Dans l’affaire de Montpellier, Marlène Schiappa et moi-même avons demandé à la nouvelle responsable de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), nommée la semaine dernière en Conseil des ministres, de se rendre sur place pour comprendre ce qui s’est passé. Nous en tirerons toutes les conséquences.

Les consignes sont donc extrêmement claires. Cet enjeu est notre priorité absolue. Avec quasiment 400 000 procédures par an, cela devient un phénomène de masse. C’est un défi pour la police et la gendarmerie, car il faut veiller à ce que les moyens soient en adéquation avec le nombre de cas.

Avec la ministre déléguée, nous lancerons à la fin de l’année une expérimentation consistant à permettre aux policiers et aux gendarmes de recueillir les plaintes ailleurs qu’au commissariat ou à la brigade de gendarmerie : ils pourront se rendre au bureau d’une assistante sociale, à la mairie ou encore chez les amis ou les parents des personnes victimes de violences conjugales. En effet, certaines d’entre elles ont peur d’aller au commissariat, de l’accueil qui pourrait leur être réservé, du regard des autres. Des moyens sont prévus dans le budget pour financer ce dispositif dès 2022.

Le garde des Sceaux et la ministre déléguée m’ont signalé des innovations intéressantes en Espagne ; nous nous rendrons sur place pour les étudier.

Nous faisons donc tout ce qui est possible pour progresser. L’accueil des victimes de violences conjugales s’est considérablement amélioré. Tout le monde a bien pris conscience du phénomène, ce qui explique l’augmentation très importante des chiffres, que nous ne dissimulons pas, bien évidemment. Est-il possible de faire encore mieux ? Très certainement, et nous nous y attachons. Chaque erreur dans ce domaine nous touche, car elle peut entraîner la mort d’une femme ou de nouvelles violences, contre elle ou contre ses enfants.

Pour ce qui est des moyens immobiliers, je ne ferai pas le tour de tous les commissariats mais que monsieur le député Poulliat se rassure, 16,4 millions ont été inscrits pour le commissariat de Mérignac. Monsieur le député Kamardine, les études sont lancées pour l’extension du commissariat de Mamoudzou, promise depuis longtemps. Beaucoup de projets immobiliers sont en cours et des efforts sans précédent ont été consentis. Pour ce qui est des rénovations, j’ai souhaité mettre l’accent sur l’accueil dans les commissariats et la sécurisation des logements des brigades de gendarmerie. Les crédits sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2022.

Concernant la réserve opérationnelle, certains la couvrent d’éloges, d’autres de critiques, ce que je comprends mal car ses effectifs s’ajoutent à ceux de la police nationale et de la gendarmerie nationale, en plus des 10 000 créations de postes. Ses crédits, d’ailleurs, sont souvent annulables…

M. Philippe Gosselin. Ils sont souvent annulés d’ailleurs.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous allons changer cela ! Le ministère de l’Intérieur doit gérer son budget plus sérieusement. S’il nous arrive d’annuler des crédits, c’est pour répondre à la solidarité ministérielle suite à la survenue d’un événement exceptionnel, ou en cas de gel budgétaire. Je suis favorable à ce que, dans la future loi de programmation, figure un montant de crédits non annulables des réserves opérationnelles car elles participent à l’amélioration du lien entre la police et la gendarmerie d’une part, la population de l’autre. La proposition de loi relative à la sécurité globale des députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot prévoyait déjà de doter la police nationale d’une réserve opérationnelle mais cette disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel qui l’avait considérée comme un cavalier. Elle est reprise aujourd’hui. Cette réserve s’inspire du modèle de celle de la gendarmerie nationale mais elle s’adresse aussi à tous ceux qui souhaitent s’investir dans une cause défendue par la police nationale ou la gendarmerie, comme la lutte contre les violences conjugales, parce qu’ils sont avocats, président d’association ou concernés à un autre titre. Ces personnes peuvent trouver leur place dans la réserve de la police nationale même si elles n’ont pas envie de s’occuper de la sécurité routière. Et inversement. En tout cas, les crédits sont prévus et il ne manquera plus que la validation du Conseil constitutionnel si le Sénat vote conformément à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, nous avons conservé leur qualité d’officier de police judiciaire à ceux qui l’étaient déjà avant de prendre leur retraite, ce qui nous aidera dans l’attente du plan concernant les OPJ.

Je n’ai pas le temps de détailler tous les moyens matériels prévus mais j’insisterai sur trois points. Tout d’abord, on achète français, par l’intermédiaire de l’Union des groupements d’achats publics (UGAP), notamment les véhicules. Les crédits sont élevés mais nous aurons du mal à les dépenser car les usines accumulent les retards de production à la suite de la pénurie de semi-conducteurs. Je préfère pourtant que nous continuions à acheter chez Renault et Peugeot plutôt qu’à l’extérieur. J’ai donc écrit à leurs dirigeants mais, je vous le dis tout de go, si nous devons nous passer des semi-conducteurs, nous le ferons et les véhicules seront équipés de compteurs à aiguilles classiques au lieu de l’affichage digital. L’essentiel est que la gendarmerie nationale et la police nationale disposent de véhicules en nombre suffisant.

Bien évidemment, certains problèmes sont spécifiques à l’outre-mer et je me rendrai dans les Antilles après Mayotte. Le ministère de l’Intérieur a deux défauts : il achète de manière globale et il ne négocie pas directement le prix des véhicules avec les constructeurs – ce que font les armées. Nous devrons profiter de la réforme du secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) pour améliorer le matériel et la maintenance. Le secrétariat général du ministère, à ma demande, a engagé la réflexion. La LOPPSI que nous vous présenterons témoignera de notre volonté de négocier directement avec les constructeurs des véhicules spécifiques, adaptés à nos besoins. Bien sûr, cela coûte cher de demander à un constructeur un véhicule qu’il ne fabrique pas en masse mais nous y gagnerons sur le long terme.

Pour ce qui est des effectifs, je vous confirme que nous aurons recruté 10 000 policiers et gendarmes d’ici à 2022. Le ministère de l’Intérieur a respecté l’objectif de maîtrise des effectifs de la fonction publique, comme l’avait prescrit la loi de programmation des finances publiques dès 2017, mais le chiffre que je vous donne est le bon.

Madame Karamanli m’a demandé le détail des mesures. Je peux lui donner le nombre des postes déjà créés dans la police nationale mais je m’engage à lui écrire : 800 postes pour lutter contre l’immigration irrégulière, 1 300 pour la sécurité du quotidien, 2 700 de plus à la sécurité publique, ce qui fait un total de 4 000, 303 dans l’ordre public, plus de 300 en personnels de soutien. Les policiers dont les postes ont été créés par la loi de finances pour 2021 ne sont pas encore sur le terrain puisque leur formation n’est pas terminée et il manque ceux prévus par le projet de loi de finances pour 2022. Si l’on prend l’exemple de la gendarmerie nationale, 87 % des effectifs supplémentaires sont directement affectés dans les brigades de gendarmerie.

J’en viens au drame des suicides dans la police nationale. Il y en a toujours trop, bien évidemment, mais en 2019, nous en avons déploré cinquante-neuf contre trente-deux en 2021 – je laisse de côté l’année 2020, qui fut très particulière. Cette baisse a plusieurs causes qu’il s’agisse de l’amélioration des conditions de travail, de l’augmentation des effectifs ou du travail de la direction générale de la police nationale pour accompagner les policiers en souffrance. Beaucoup reste à faire, cependant, et la direction des ressources humaines de la police nationale tient réellement à cette tâche.

Concernant la formation continue, elle sera proposée aux fonctionnaires au moment où s’appliqueront les nouveaux cycles horaires, pour qu’ils puissent en profiter plus largement plutôt que de réaliser leurs trois tirs administratifs en décembre. Cela suppose d’ouvrir davantage de centres de tir, de renforcer la mutualisation des formations de policiers, de gendarmes et de douaniers. Nous avons lancé un centre de formation régional pour l’ordre public à Paris et des centres de formation régionaux. Quant à la formation initiale, nous reverrons une partie du concours des officiers de police judiciaire.

Pour ce qui est de la fidélisation, je ne suis pas convaincu que la prime soit la meilleure solution. Imaginons une agglomération où la vie est chère et la violence, forte. Offrir une prime aux policiers pour qu’ils restent présenterait trois inconvénients. Tout d’abord, la prime ne compense jamais l’augmentation des loyers ou le prix de l’immobilier – surtout, les policiers habitent rarement dans la circonscription où ils exercent. Par ailleurs, les effets de bord seraient considérables. Ainsi, les policiers qui habitent dans l’Eure mais travaillent dans les Yvelines recevraient la prime tandis que ceux qui habitent dans les Yvelines mais travaillent dans l’Eure n’en profiteraient pas. Or, je vous mets au défi de distinguer la frontière des circonscriptions de police entre les Yvelines et l’Eure. Enfin, ce dispositif pourrait créer des disparités entre les agglomérations de police en fonction du montant de la prime.

Je n’exclus pas la possibilité de l’instaurer mais l’expérience, déjà menée à Nice, n’a pas résolu les problèmes d’effectifs.

On peut conserver les policiers dans un territoire par des mesures contraignantes et des mesures d’accompagnement ou de progression sociale. Le dispositif du contrat figure parmi les mesures contraignantes. C’est ce qui a été instauré en région parisienne : les policiers s’engageaient à y rester huit ans. Cette mesure permet d’augmenter les effectifs mais une grande partie cherche à partir et surtout, des jeunes, souvent provinciaux, sont envoyés dès leur sortie d’école, dans des sites extrêmement violents, ce qui pose de nombreux problèmes. C’est comme envoyer des professeurs de 22 ans dans les zones d’éducation prioritaire.

Il est également possible de limiter les plafonds de mutation. Lorsqu’on ouvre des postes aujourd’hui, on ne prend pas garde au nombre de départs alors qu’on pourrait les limiter, en les conditionnant à l’ancienneté, aux résultats, à l’avancement. Ce n’est cependant pas facile à organiser.

L’avancement est un autre moyen d’inciter les policiers à s’installer dans des circonscriptions difficiles. L’on peut aussi envisager de signer un contrat avec le policier, aux termes duquel, à l’issue d’une certaine période d’exercice dans une circonscription difficile, il peut être le premier à choisir le service dans lequel il se rendra, un service de sécurité publique ou spécialisé. L’attribution d’une rémunération ou d’une prime supplémentaires sont d’autres pistes.

On peut encore signer un contrat gagnant-gagnant avec le policier, dans le cadre d’une véritable politique sociale menée par le ministère de l’Intérieur, par exemple en réservant des logements à ces policiers dans les logements sociaux. Les concours régionalisés sont une idée également. Bref, il n’y a pas une solution pour conserver les policiers sur place mais beaucoup de voies possibles. Nous en discuterons avec les syndicats de police. Je ne souhaite pas contraindre exagérément les policiers à se rendre dans les territoires difficiles. On risque d’y envoyer des jeunes inexpérimentés, sans espoir de partir s’ils veulent fonder leur famille ailleurs, et beaucoup démissionneront.

Pour ce qui est de l’encadrement, les effectifs manquaient au sein de la police nationale aussi avons-nous ouvert depuis deux ans de nombreux postes d’officiers. Il ne s’agit pas seulement de commissaires mais de brigadiers. Parfois, il vaut mieux de nombreux brigadiers-chefs qui encadrent les policiers sur le terrain que trop d’officiers qui n’ont pas la même vocation. Nous devons également réfléchir à ce que représente l’encadrement au sein de la police nationale. Ce fut le sujet d’une table ronde lors du Beauvau de la sécurité.

Concernant la sécurité civile outre-mer, les moyens de communication satellitaire sont prévus pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte.

Pour ce qui est des 500 millions d’euros prévus pour la mise en œuvre des premières mesures du Beauvau de la sécurité, ils se sont ajoutés aux crédits que j’avais déjà négociés avec le ministre délégué chargé des comptes publics. Ainsi, 44 millions d’euros sont consacrés à la formation, ce qui permet de passer de huit à douze mois celle destinée aux gardiens de la paix. Nous augmenterons également le nombre de centres de formation et recruterons de nouveaux formateurs, pour 2 millions d’euros. Par ailleurs, 200 millions d’euros permettront d’assurer le renouvellement des moyens mobiles, 78 millions d’euros de crédits de paiement seront affectés à la construction et à la rénovation immobilière – l’hôtel des polices de Nice, l’école nationale de police de Oissel, en Seine-Maritime, le commissariat de Valenciennes, la caserne de Balma, les travaux d’amélioration de la sécurité des commissariats et des brigades.

Pas moins de 114 millions d’euros seront conscarés aux projets stratégiques et numériques, qu’il s’agisse de la procédure pénale, des caméras-piétons, des équipes NEO, du réseau radio du futur, ou du gendarme ou policier à domicile – 5 millions d’euros ont été prévus pour mener les expérimentations. Je peux citer encore les 27 millions d’euros affectés aux réserves et à la modernisation des tenues, le lien entre la police et la population, 9 millions d’euros de plus pour le maintien de l’ordre, 6 millions d’euros pour l’augmentation des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (SPIG), 3 millions d’euros pour les nouveaux dispositifs de projection rapide et 28 millions  d’euros pour les mesures catégorielles, qui incluent l’augmentation des indemnités pour les policiers et gendarmes de haute montagne.

Pour la réserve opérationnelle et la captation d’images, sont prévus 30 000 réservistes de premier niveau (RO1), 28 000 en deuxième niveau (RO2) et 120 spécialisés.

S’agissant de la sécurité civile, les moyens miliaires sont mobilisables à tout moment, notamment dans les territoires ultramarins pour faire face aux risques volcaniques.

Concernant les états généraux de la sécurité routière, j’y suis favorable mais il est difficile de les mettre en place immédiatement. L’année 2019-2020 fut particulière et ne se prête pas aux comparaisons. On peut se féliciter de la baisse du nombre de morts sur les routes, mais ce bilan positif est à porter au crédit du confinement et les restrictions de circulation font qu’il est difficile de tirer un bilan de cette année, tant au niveau des recettes des radars que du fonctionnement de la sécurité routière. Je vous propose de laisser s’écouler l’année 2021 et d’en tirer les conclusions, avant l’élection présidentielle ou juste après. Pour l’heure, constatons simplement que le bilan de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens sans séparateur central est positif.

Le site « moncommissariat.fr » est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En moyenne, le tchat donne lieu à 500 conversations par jour entre les policiers du site et les usagers, avec des pics d’activité à 2 000, contre soixante-dix lors de sa création. Pas moins de 5 300 trafics de stupéfiants ont été signalés.

Pour ce qui est de l’ENSOSP, 220 000 euros sont affectés au remboursement de l’emprunt immobilier et 72 000 euros à l’augmentation des dépenses de l’établissement.

Je répondrai à la question des Jeux olympiques après la réunion que le Président de la République compte organiser à ce sujet.

Quant à la « journée japonaise », monsieur Kamardine, je ne vois aucun inconvénient à votre proposition que j’ai transmise au ministre des outre-mer et qui prendra la décision.

Article 20 et état B

Amendements II-CL12, II-CL13, II-CL10 et II-CL11 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit de renforcer les moyens affectés à la police nationale pour la formation des policiers et des gendarmes mais aussi les effectifs en créant 1 000 emplois supplémentaires dans la police et 1 000 autres dans la gendarmerie.

M. Stéphane Mazars, rapporteur pour avis. Le budget de la mission « Sécurités » a régulièrement augmenté depuis 2017. Cette année encore, il augmente de manière importante. Votre proposition s’apparente à un jeu de chaises musicales, en réaffectant à un poste des fonds que vous enlevez à un autre, ce qui remet en cause l’ensemble de l’équilibre budgétaire voulu par le Gouvernement et soutenu par la majorité. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Le ministre n’a pas répondu à ma question relative aux moyens pour la formation et la construction de nouvelles écoles. Si on veut former des gens, il faut construire des écoles ! Les bras m’en tombent quand on nous dit que ne plus être obligé d’attendre deux ans pour incorporer l’école de police est une grande avancée ! Qui est responsable de cette situation si ce n’est le ministère lui-même, en poussant à des recrutements extraordinaires pour afficher dans les documents budgétaires que le concours a eu lieu ? La situation s’est aggravée depuis les attentats de 2015 : vous avez voulu afficher votre volonté de créer des postes mais sans ouvrir de nouvelles écoles ! Où seront formés les futurs réservistes ? Il n’y a pas de réponse. Les crédits prévus pour la réserve opérationnelle de la gendarmerie n’évoluent pas alors que nous aurons besoin de nouveaux réservistes pour encadrer les Jeux olympiques de 2024 ! Comment augmenter le nombre de réservistes avec les mêmes moyens ?

Mme Marietta Karamanli. Nous avons salué l’évolution des crédits mais vous ne pouvez pas dire qu’elle ne date que de 2017. Sans mettre en cause qui que ce soit, relevons simplement que la suppression de 10 000 postes est antérieure à 2012. Depuis, la situation s’est améliorée, reconnaissez-le, dans un contexte autrement plus compliqué du fait des attentats.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’affecter des crédits au détriment d’autres missions mais de respecter l’article 40 de la Constitution, qui nous contraint à cet exercice.

M. Philippe Gosselin. Je voudrais, à mon tour, insister sur l’importance des réserves. Je me réjouis de la création d’une réserve opérationnelle dans la police, d’autant plus qu’elle a montré son efficacité au sein de la gendarmerie pour assurer la sécurité d’événements exceptionnels ou durant la période estivale. Je regrette, à cet égard, que les budgets des réserves soient la variable d’ajustement. Nous allons organiser de grands événements aussi faudrait-il accompagner la montée en puissance de ces réserves, ce qui suppose d’ouvrir des formations, de signer des engagements etc. Il faudra des moyens humains mais aussi financiers.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Sécurités ».


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   liste des personnes entendues

(par ordre chronologique)

   Mme Stéphanie Fréchet, directrice par intérim

   Mme Charlotte Mucig, directrice régionale

   M. Éric Humler, directeur

   M. Tristan Riquelme, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet

   Mme Aude Comte, chargée de mission « Appui à la gestion de crise » - service risques énergie déchets

   M. Roberto Moretti, directeur

   M. Ywenn de la Torre, directeur régional

   M. Fabrice Fontaine, directeur et responsable scientifique

   Mme Jordane Corbeau, directrice adjointe

   M. Thierry Suquet, préfet

   M. Jérôme Josserand, directeur adjoint

   Mme Claire Daguzé, cheffe de la mission de pilotage des politiques publiques de prévention et de gestion des risques naturels en outre-mer

   M. le Préfet Alain Thirion, directeur général

   M. Yves Hocde, sous-directeur de la préparation, de l’anticipation et de la gestion des crises

   M. André Dorso, conseiller territorial et outre-mer

   Pr. Frédéric Leone, directeur

   Mme Stéphanie Defossez, directrice adjointe

   M. François Houllier, président

   M. Jean-Marc Daniel, directeur de département

   M. Pascal Berteaud, directeur général

   M. Abdoul Kamardine, président

   M. Olivier Neis, directeur du SDIS de Mayotte

   M. Frédéric Joram, directeur général adjoint

   Mme Camille Goyet, directrice de cabinet

   M. Michel Marquer, préfet chargé de mission risques naturels majeurs

   M. Matthieu Danen, chargé de mission sécurité civile au cabinet

   M. André Dorso, conseiller territorial et outre-mer au cabinet du DGSCGC

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Votre rapporteur remercie vivement J-C Komorowski, M. Chaussidon, A. Le Friant, A. Lemarchand, A. Charlot, J-M Saurel, A. Peltier, P. Kowalski, C. Brunet, F. Lauret, R. Moretti, S. Deroussi, F. Fontaine, J. Corbeau, ainsi que leur collaborateur, pour leur contribution écrite.


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   Annexe : contribution écrite des chercheurs de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris

 

 

 

 

 

Note avec des éléments de synthèse dans le cadre de la demande d’information, faite à plusieurs membres de l’IPGP, par Monsieur le député Mansour Kamardine, député de Mayotte, concernant l’avis budgétaire qu’il doit rendre sur le thème « la préparation de la sécurité civile outremer face aux risques naturels, en particulier face aux risques sismiques et volcaniques »

Auteur : J-C Komorowski, M. Chaussidon, A. Le Friant, A. Lemarchand, A. Charlot, J-M Saurel, A. Peltier, P. Kowalski, C. Brunet, F. Lauret, R. Moretti, S. Deroussi, F. Fontaine, J. Corbeau, REVOSIMA, et collaborateurs.

Date : 2021-09-16

Dans ce cadre, M. le rapporteur souhaiterait en particulier bénéficier d’informations sur les éléments suivants :             

– Quels sont les risques naturels auxquels la Guadeloupe est confrontée ?

– En quoi se rapprochent-ils et se distinguent-ils des risques naturels rencontrés sur les autres territoires d’outre- mer ?

– En particulier, comment les risques sismiques et volcaniques ont-ils évolué ces dernières années dans ces territoires, en particulier en Guadeloupe et à Mayotte ?

– Les politiques publiques de prévention répondent-elles pleinement aux enjeux ? Comment devraient-elles évoluer, selon vous ?

– Les moyens consacrés à la sécurité civile dans ces territoires vous semblent-ils suffisants ?

– Quels sont les risques naturels auxquels la collectivité de Mayotte est confrontée ? En quoi se rapprochent-ils et se distinguent-ils des risques naturels rencontrés sur les autres territoires d’outre-mer ?

Éléments de réponse pour l’IPGP :

À ces questions très pertinentes il est primordial de rajouter le territoire de la Martinique compte tenu de la réactivation sismique de la Montagne Pelée observée par l’OVSM-IPGP depuis le printemps 2019 et le passage au niveau jaune vigilance établi le 4 décembre 2020, ainsi que l’exposition de la Martinique à l’aléa sismique et tsunami en plus du risque cyclonique. Les aléas volcaniques et les risques associés sont mieux connus et leur gestion et prévention plus aboutie à La Réunion. Il est toutefois, important d’avoir une vision intégrée et de ne pas exclure de l’analyse les scénarios éruptifs à La Réunion, rares et hors-cadre, mais potentiellement impactants.

Les réponses de l’IPGP concerneront de manière générale uniquement le risque sismique, volcanique et les tsunamis associés, et les mouvements gravitaires sur lesquels l’IPGP a des missions nationales, des compétences, et de l’expérience à La Réunion, à la Guadeloupe, en Martinique, et en co-responsabilité avec le BRGM et partenariat avec le consortium REVOSIMA pour Mayotte. Pour les autres territoires majeurs de l’Outremer, la Guyanne, la Polynésie, et la Nouvelle-Calédonie il est suggéré de contacter le CEA, l’IRD et le BRGM.

– Quels sont les risques naturels auxquels la Guadeloupe est confrontée ?             

En Outremer, la Guadeloupe, mais aussi la Martinique, Mayotte et La Réunion sont des territoires soumis à de nombreux risques naturels majeurs, à des niveaux et des fréquences d’occurrence différents, dont les cyclones, crues de rivières, les séismes, les éruptions volcaniques, les tsunamis et les mouvements gravitaires ou mouvements de terrain. On ne peut pas évoquer ces risques sur la Guadeloupe et Mayotte uniquement. Il est primordial d’inclure dans cette discussion aussi la Martinique et La Réunion. Les risques sismiques, volcaniques, et tsunami sont plus élevés aux Antilles et à Mayotte qu’à La Réunion.

 En quoi se rapprochent-ils et se distinguent-ils des risques naturels rencontrés sur les autres territoires d’outre- mer ?

Bien que ces territoires soient tous confrontés essentiellement aux mêmes phénomènes, les aléas telluriques ont des caractéristiques très différentes dans ces 4 territoires tout en restant des phénomènes représentant des risques majeurs pour les populations et la société civile. Il est pertinent de ne pas faire trop de généralités mais de prendre en compte les risques pour chaque territoire en relation aux spécificités du territoire.

Le risque peut se quantifier par le produit arithmétique de la probabilité d’occurrence d’un aléa d’une certaine intensité par le nombre et la typologie des enjeux exposés à cet aléa multiplié par un facteur de vulnérabilité de ces enjeux à cet aléa (Risque = aléa x enjeux exposés x vulnérabilité des enjeux). Pour un phénomène particulier, par exemple une éruption volcanique, il y a plusieurs aléas qui peuvent être impactants ce qui génère des niveaux de risques différents et spécifiques (par exemple l’aléa chute de cendres sur les toits, l’aléa coulée de lave, l’aléa gaz volcaniques, l’aléa écoulements pyroclastiques ou nuées ardentes etc… Pour les cyclones aussi il y a plusieurs aléas qui peuvent être présents dans un cyclone tels que le vent, la pluie, les vagues, la marée de tempête. Ensemble ces divers aléas constituent le risque cyclonique. L’aspect cumulatif des aléas constitue une problématique bien spécifique aux risques naturels.

On ne peut pas diminuer ni agir sur l’aléa naturel mais on peut diminuer le risque en réduisant les enjeux exposés (nombre, typologie, spatialisation) et en réduisant leur vulnérabilité et en agissant sur la prévention (surveillance, alerte, protection, éducation, information, communication, formation, sensibilisation, préparation à la gestion de l’urgence et de la crise, c’est-à-dire les scénarios hors-cadre). On reconnaît des enjeux humain, infrastructurels et systémiques (réseaux, fonctionnement de la société, systèmes). Les risques augmentent de manière significative pour les systèmes d’organisation très complexes, imbriqués et très connectés qui sont particulièrement vulnérables aux impacts en cascade (effet domino, chaîne du risque).

Les Antilles (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy) sont caractérisées par la présence d’une subduction avec de la plaque Atlantique plongeant sous la plaque Caraïbe à une vitesse de convergence de 2 cm par an environ. Cette subduction est à l’origine de séismes pouvant atteindre des magnitudes supérieures à 8 (1839 et 1843 par exemple) et pouvant engendrer des tsunamis. C’est aussi la subduction, lorsque la plaque plongeante refond partiellement ou cause par sa déshydratation la fusion du manteau, qui est à l’origine des volcans Antillais. L’île de La Réunion est un point chaud, avec un volcanisme typiquement effusif. Il y a une faible sismicité profonde, parfois ressentie, sous les anciens massifs volcaniques de la Roche Ecrite et du Piton des Neiges, et une sismicité volcanique qui peut être très intense mais rarement ressentie lors des éruptions du Piton de la Fournaise. L’île de Mayotte est située sur une frontière de plaques dont le fonctionnement est toujours débattu. D’après les derniers travaux, le volcanisme y serait lié à un contexte trans-tensif facilitant la remontée du magma dans des zones de fracture et de faiblesse de la croûte terrestre. Les séismes enregistrés et ressentis depuis mai 2018 sont générés par les mouvements de magma vers la surface.

 En particulier, comment les risques sismiques et volcaniques ont-ils évolué ces dernières années dans ces territoires, en particulier en Guadeloupe et à Mayotte ?

Depuis quelques années, la France fait face à une situation inédite depuis des siècles avec la réactivation importante de La Soufrière de Guadeloupe  ([25]) en cours depuis 1992 et tout particulièrement depuis 2018, et celle de la Montagne Pelée depuis le printemps 2019 et notamment depuis novembre 2020 ([26]), avec l’occurrence de quatre à cinq éruptions par an au Piton de la Fournaise ([27]), et enfin avec une éruption sous-marine majeure en cours à Mayotte depuis mai 2018 ([28]) et qui a conduit à la formation d’un volcan nouveau à 50 km à l’est de Mayotte et l’émission de près de 6 km3 de lave.

Il est fondamental de parler aussi de la Martinique car depuis le printemps 2019 le niveau d’activité sismique de la Montagne Pelée a significativement augmenté pour atteindre un pic en décembre 2020, à un niveau tel qu’on ne peut pas exclure une évolution vers des phénomènes éruptifs dans les mois à années à venir. De plus, les scientifiques pensent avoir des indices scientifiques robustes suggérant qu’une éruption phréatique était proche d’avoir eu lieu en avril 2018 à la Soufrière de Guadeloupe. Le niveau d’alerte volcanique pour la Soufrière de Guadeloupe est jaune (vigilance) depuis juillet 1999. Le niveau d’alerte volcanique pour la Montagne Pelée à la Martinique est jaune (vigilance) depuis le 4 décembre 2020. L’échelle des alertes volcaniques intégrées dans les plans ORSEC et utilisées par la communauté internationale des observatoires volcanologiques comporte 4 niveaux, vert (pas d’alerte, niveau de base), jaune (vigilance), orange (pré-alerte), rouge (alerte).

Cette importante activité volcanique sur le territoire français pourrait évoluer vers de l’activité éruptive explosive à La Soufrière de Guadeloupe et/ou à La Montagne Pelée en Martinique, bien qu’il soit impossible de prévoir avec certitude la date d’occurrence d’un tel scénario, son intensité, son évolution, sa durée. Aux Antilles, les volcans de La Soufrière de Guadeloupe et de La Montagne Pelée en Martinique menacent directement, selon le scénario éruptif qui aura lieu et à des degrés divers, de l’ordre de 20 000 à 90 000 personnes chacun, voire plus indirectement dans la partie de l’île où seront évacuées les populations les plus menacées ainsi que dans la région. Toute éruption magmatique explosive pourrait durer plusieurs semaines voire des mois où des années engendrant des nuisances multiples qu’il faudra gérer dans le long terme. De plus, une éruption d’un des deux volcans pourrait engendrer des nuisances voire des risques pour les populations dans la région comme ce fut le cas avec l’éruption de Soufrière Hills (Montserrat, 1995-2010) et celle de St Vincent en 2021. À Mayotte la plus grosse éruption effusive au monde depuis 1783 (éruption du Laki en Islande) est en cours en domaine sous-marin à 50 km à l’Est de Mayotte. Cependant le niveau d’activité sismique proche de Mayotte associé à cette éruption sous-marine en cours qui affecte une vaste zone de la croûte terrestre et les nouvelles connaissances acquises sur le passé volcanique de Mayotte font que le risque volcanique à Mayotte est plus élevé qu’il avait été évalué par le passé. Ainsi, l’activité éruptive sous-marine, actuellement localisée à distance de Mayotte est observée de près par la communauté scientifique afin d’anticiper au mieux une potentielle évolution qui pourrait engendrer des risques pour la population. À La Réunion, le volcan du Piton de la Fournaise est l'un des plus actifs de la planète. Principalement de style effusif, ses éruptions, dont au moins 263 ont été documentées depuis 1640 produisent des fontaines de lave qui nourrissent des coulées s’épanchant sur plusieurs kilomètres. Les risques sont limités tant que l'activité éruptive reste effusive et se développe à l'intérieur de la grande structure de l'Enclos. En revanche, la probabilité de nouvelles éruptions hors Enclos ou que l'activité soit plus explosive, comme à plusieurs reprises par le passé, constitue un risque pour une partie des 55 000 personnes qui résident dans un rayon de 10 km autour du volcan voire au-delà.

Ainsi, de manière générale, malgré les progrès réalisés dans la connaissance et la prévention, les risques telluriques et notamment les risques volcaniques ont augmenté ces dernières années du fait de l’augmentation des enjeux exposés et de leur vulnérabilité qui reste importante. D’ailleurs en 2015, l’ISDR de l’ONU a publié pour la première fois un rapport d’analyse du risque volcanique à l’échelle globale ([29]).

Les données scientifiques montrent que les risques volcaniques dépendent aussi de la manière dont on considère la relation au territoire. Le rapport du GAR15 sur l'activité volcanique ([30]) mondiale a élaboré deux indices qui peuvent être couplés de manière différente afin de déterminer la vulnérabilité d'un pays ou d'une région aux risques volcaniques. La mesure 1 prend en compte le nombre de volcans actifs de la région, une estimation de la population exposée à 30 km de distance et l'index d'aléa volcanique moyen des volcans du pays ou de la région. Selon cette mesure, les cinq pays les plus menacés par le risque volcanique de manière générale sont, dans l'ordre, l'Indonésie, les Philippines, le Japon, le Mexique et l'Éthiopie. L'Italie, pays le plus menacé en Europe, est 8ème. Compte tenu du nombre de volcans, de leur dangerosité et de sa démographie, à elle seule l'Indonésie représente 66 % de la menace volcanique globale contre près de 11 % pour les Philippines.

Cependant la mesure 1 peut minimiser le risque pour certains pays et certaines régions dont la proportion de la population qui est exposée aux risques volcaniques se révèle très importante, ce qui est notamment le cas pour les petits états et territoires insulaires. La mesure 2 représente la valeur de la menace volcanique de manière indépendante à la taille du pays en fonction de la proportion totale de la population exposée jusqu'à 30 km du volcan. Selon cette mesure, les cinq pays les plus menacés par le risque volcanique sont tous situés dans les Petites Antilles : Montserrat (Royaume-Uni), St Vincent et les Grenadines, Guadeloupe et Martinique (France), St Kitts-et-Nevis et la Dominique. Si la région du Sud-Est asiatique (Indonésie, Philippines, Japon) représente près de 84 % de la menace volcanique globale, la région des Petites Antilles est la plus menacée proportionnellement car elle comporte de nombreux états et territoires insulaires à forte démographie dont la population est en grande partie voire complètement exposée aux impacts de l'activité volcanique. Il s’agit de territoires de modeste extension, pas excessivement peuplés, déjà vulnérables aux enjeux du changement climatique sur le moyen / long terme et très fragiles en cas d’impact et de dysfonctionnement majeurs et soudains occasionnés par les cyclones, et surtout les tremblements de terre, tsunamis et éruptions volcaniques. Toute forme de mitigation étant limitée par la disponibilité en local de ressources et moyens, seule une vraie culture du risque et prévention (« preparedness ») peux permettre une vraie adaptation résiliente face aux catastrophes naturelles. Ces deux mesures sont complémentaires et révèlent des particularités du risque volcanique différentes qui sont à prendre en compte dans une stratégie de réduction des risques volcaniques intégrant les autres risques naturels. Ce rapport a été réalisé en 2015 et Mayotte n’avait pas été considéré pour le risque volcanique. Il est hautement probable, compte tenu des nouvelles connaissances sur le volcanisme à Mayotte et de l’activité actuelle, de l’ampleur des enjeux exposés et de leur vulnérabilité et des spécificités du territoire, que le risque volcanique soit aussi élevé à Mayotte voire plus qu’au Petites Antilles (Guadeloupe, Martinique).

Malgré les progrès accomplis par le Plan National Séisme, le risque sismique reste particulièrement élevé aux Antilles (Guadeloupe, Martinique) du fait de l’aléa élevé dans cette zone qui n’a pas connu un séisme dommageur depuis longtemps, du fait de nouvelles connaissances, des enjeux exposés qui sont conséquents, de la vulnérabilité du bâti ancien et des infrastructures, et des réseaux notamment le réseau d’eau potable. En l’état actuel de l’art, on ne sait toujours pas prévoir précisément quand, où aura lieu le prochain séisme et quelle magnitude il atteindra. La Guadeloupe et la Martinique font partie des régions au risque sismique le plus élevé au niveau national. La survenue d’un nouveau séisme majeur de magnitude ≥ M7 localisé dans ou en amont du plan de subduction à une certaine distance des îles, similaire à celui de 1843 en Guadeloupe ou en 1839 Martinique, à une forte probabilité d’engendrer plusieurs milliers de morts, de blessés, et des dommages catastrophiques sur les infrastructures et les réseaux systémiques. D’autres séismes de magnitude plus faible entre M5,5 et M7 qui peuvent avoir lieu sur des failles dîtes intraplaque et seraient localisés sous les zones peuplées voire à proximité pourraient engendrer des dommages importants aussi. Les séismes majeurs sont susceptibles, selon leurs caractéristiques, de générer des tsunamis. L’augmentation de la démographie et des enjeux exposés à proximité des côtes contribuent à une augmentation du risque tsunami mais qui peut être en partie réduite grâce aux nombreuses actions de sensibilisation et les mesures de prévention et de contingences qui ont été mises en place. En raison du contexte géodynamique de La Réunion, point chaud à l’intérieur d’une plaque, loin de frontières de plaques tectoniques, le risque sismique y est moins élevé qu’aux Antilles. À Mayotte, en revanche, le contexte tectonique en bordure de plaque tectonique et en périphérie du rift East Africain, la faible connaissance que l’on a sur les structures potentiellement sismogènes et les nouvelles données qui ont été acquises récemment couplés aux enjeux exposés très élevés et très vulnérables à Mayotte font que le risque sismique y est bien plus élevé qu’à La Réunion, plus élevé que ce qui était connu et sujet actuellement à une révision de son niveau.

 Les politiques publiques de prévention répondent-elles pleinement aux enjeux ? Comment devraient-elles évoluer, selon vous ?

Le nombre de morts engendrés par les éruptions volcaniques importantes a diminué de manière significative depuis deux décennies, ce qui montre que les progrès de la science et de la surveillance ont un impact sur la gestion et la réduction des risques volcaniques.

Cependant, seulement 40 % des volcans actifs dans les derniers 10 000 ans sont surveillés par un observatoire et font l'objet d'une analyse quantitative des risques. Les défis sont énormes en particulier pour ce qui concerne les volcans actifs menaçant de grandes métropoles et les volcans n’ayant pas eu d’éruption importante depuis longtemps.

Compte tenu du niveau d’activité élevé et inédit depuis des siècles, des volcans français aux Antilles, à La Réunion et à Mayotte avec 4 volcans actifs en Outre-Mer et 2 fréquemment en éruption (La Fournaise, Mayotte), l’ampleur des risques volcaniques dans les territoires d’Outre-mer, et compte tenu du niveau élevé du risque sismique dans ces territoires, les politiques publiques de prévention ne répondent pas pleinement aux enjeux exposés aux risques telluriques dans les territoires insulaires d’Outremer.

– Pour information, sur la période 2012-2017 le coût total du financement hors salaire des permanents (financements récurrents et projet concurrentiels) des 3 observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP (La Réunion, Guadeloupe, Martinique excluant le REVOSIMA pour Mayotte) était de 7303,86 k€ (6 ans) ce qui revient à 1217,31 k€ par an pour les 3 OVS ensemble et environ 405,77 k€ par observatoire par an. Les financements récurrents relativement stabilisés ne représentent que 45 % du total.

 Si on inclut les salaires des permanents, le coût total du financement (financements récurrents et projet concurrentiels) des 3 observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP (La Réunion, Guadeloupe, Martinique excluant le REVOSIMA pour Mayotte) était de 28 014,03 k€ (6 ans) ce qui revient à 4669,05 k€ par an pour les 3 OVS ensemble et environ 1156,35 k€ par observatoire par an.

 En excluant le tout récent consortium REVOSIMA (Mayotte), les Observatoires Volcanologiques et sismologiques de l’IPGP sont des structures relativement modestes composées de 8 à 16 personnes par observatoire (total de 34 personnes environ) dont au moins 7 agents en CDD voire plus dont les financements ne sont pas pérennisés.

Il est primordial et urgent d’agir en parallèle de manière intégrée et co-construite sur différentes thématiques, et notamment de :

 réduire la vulnérabilité institutionnelle en renforçant les capacités et le rôle des observatoires volcanologiques et pérennisant les moyens opérationnels des observatoires, leurs réseaux de surveillance, et les instituts impliqués dans la recherche et la prévention des risques en structurant les acteurs (moyens, rôles, missions, responsabilités, valorisation) -> convention multi-ministères et textes fondateurs. Par exemple, au moins plus de 53 % des financements hors salaires des permanents des observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP, sur la période 2012-2017 qui est représentative, provient de projets concurrentiels qu’il faut élaborer et gagner chaque année. Cela représente un investissement énorme en temps et une incertitude quant aux actions, qui elles ne sont pas juste annuelles mais permanentes, au détriment du temps passé aux missions principales. Il est fondamental de mettre en place un partenariat de financement stable et acquis sur une longue durée (par exemple 5 ans comme pour GNS en Nouvelle-Zélande par exemple) basé sur des missions nominales, des objectifs pluri-annuels, des seuils minimaux de ressources disponibles, afin de garantir nos missions de surveillance et d’en augmenter l’efficacité et l’ampleur. La participation des réassureurs en matière de risques naturels (CCR) pourrait être intéressante dans le montage financier comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande via la National Earthquake Commission.

 financer la recherche appliquée et fondamentale interdisciplinaire sur le long terme avec une vision innovante, structurée à la hauteur des enjeux et des défis (opérationnelle (temporalités courtes déclenchement éruptif, cycle sismique, précurseurs des séismes majeurs et des éruptions volcaniques, effets dominos, forçages)

 impulser et pérenniser un transfert de connaissance et savoir-faire et un travail permanent de collaboration active, de la sphère scientifique aux agences de l’état, aux acteurs de la prévention des risques, de l’aménagement du territoire et à la société entière (appropriation, co-construction). Il faut notamment impulser une dynamique de partenariat entre la sécurité civile et la recherche opérationnelle (surveillance) dans les observatoires et dans institutions de recherche qui se place en amont de la survenance des crises pour comprendre, modéliser les aléas et leurs impacts, élaborer les mesures de contingences à l’instar de ce qui est développé en Italie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis et dans d’autres pays.

 amplifier et motiver une réelle stratégie de pédagogie sur les risques naturels dans la société civile en renforçant fortement les moyens d’éducation, sensibilisation, formation, information, communication, préparation de tous les acteurs de la société civile et en partie au niveau des communes et avec l’éducation nationale (Rectorat). Il faut notamment financer la production, dissémination et formation sur de nouveaux contenus pédagogiques sur les aléas, les impacts, expériences analogues et donc les risques et l’implémenter pour du multi-public et multilingue (dont créole) et pluriformat, plurimedias. Un certain nombre d’initiatives ont produit des supports (ex : IVHHN, www.ivhhn.org ; VOLFILMS : https://vimeo.com/volfilm/videos). Elles pourraient être complétées par d’autres produits. Par exemple lors des séances de travail sur l'alerte aux tsunamis dans l'ICG, il a été rapellé que l'éducation faisait elle aussi partie du système d'alerte (si vous ressentez un séisme même très faiblement pendant vingt, trente secondes ou plus, quittez les bords de mer…). Ces messages doivent être amplifiés et déclinés et il faut réfléchir à ceux concernant le risque volcanique.

 développer et implémenter une méthode de gouvernance de l’expertise qui puisse prendre en compte l’influence des dires d’experts et de leur incertitude dans les avis que les scientifiques fournissent dans le but de contribuer à éclairer la décision publique. Les scientifiques impliqués dans la surveillance des volcans actifs par exemple et dans l’évaluation quantitative des aléas et des risques doivent en fait déduire des observations, principalement de surface, l’état interne du système volcanique afin de faire une prévision (« forecast ») ou un diagnostic sur l’éventualité de l’occurrence d’un phénomène éruptif et de ses conséquences. Étant donnée la complexité des réseaux de surveillance et les différents types d’observables indirects de l’activité volcanique, leur interprétation intégrée en devient difficile. Pendant une crise éruptive les décisions doivent être prises à très court terme typiquement avec une information limitée et dans un contexte de forte incertitude. L’objectif premier est de minimiser les pertes et les dommages liés à tout événement, mais les pertes sociales et économiques qui résultent de fausses alarmes ou d’évacuations non suivies de l’occurrence d’un phénomène dangereux doivent également être prises en compte. La décision de gérer les conséquences sociétales d’une crise et de déclencher une évacuation est de la stricte responsabilité des autorités. Cependant, les scientifiques sont de plus en plus sollicités pour évaluer les risques et présenter des informations scientifiques et leurs incertitudes de manière à permettre aux autorités de prendre des décisions d’évacuation urgentes ou d’autres procédures de politiques publiques de réduction des risques. Des progrès remarquables ont été réalisés lors de la gestion de l’éruption de Soufrière Hills à Montserrat, ainsi que dans d’autres éruptions, afin de développer de manière opérationnelle une évaluation probabiliste des scénarios possibles à partir des dires d’un groupe d’experts dont on peut quantifier le degré d’information, l’incertitude sur ces informations, et l’influence que cela peut avoir sur un avis de groupe proposé dans un contexte d’incertitude. Il est important de mettre en place ces méthodologies qui offrent un traçage des arguments, données, hypothèses, de leur probabilité et de leur incertitude dans le processus d’expertise.

 ces stratégies doivent se mettre en place de manière transversale à toute la société, de l’échelle locale et territoriale, à l’échelle nationale en créant une réelle adhésion sur un projet commun co-construit et tourné vers l’avenir et une meilleure maîtrise de son destin par anticipation.

 renforcer les synergies internationales et interdisciplinaires entre géosciences, sciences humaines, sciences de l'ingénieur et de la décision.

 d’opérer un changement de paradigme : passer d'une culture de réparation et de perception limitée et mal partagée des risques telluriques, notamment volcaniques, à une culture assumée de prévention qui soit cohérente avec les autres enjeux de développement durable auxquels l'humanité doit faire face. Il est primordial que ce changement de paradigme ait lieu bien avant l’occurrence de nouvelles crises. Dans cet objectif il sera important d’amplifier les travaux dans les sciences sociales sur la compréhension des modes de résilience, les comportements en situation de risque avant pendant et après crise pour améliorer le mieux vivre et réduire les vulnérabilités.

 l’amélioration de la connaissance scientifique et l’évacuation ne sont pas les seules solutions pour réduire les risques : il est fondamental d’avoir une stratégie multiple, intégrée, et partagée qui aborde d’autres aspects plus spécifiques transverses aux communautés et notamment la gestion dans le moyen/long terme des nuisances et de dysfonctionnements avant, pendant et après une éruption, les plans de continuité d’activité, les éruptions qui peuvent durer plusieurs années avec des périodes d’accalmies suivies de périodes plus intenses d’activité. Il faut donc impulser la réflexion sur une gestion à long terme du territoire, pragmatique mais raisonnée, intégrant la prévention des risques dans une stratégie de développement du territoire porteuse de nouveaux savoir-faire et de richesses (PPR risque volcanique, préconisations…) et permettant de développer la résilience positive de la société. Développer et penser les infrastructures (par exemple les routes, communications, transport, réseaux et systèmes d’eau potable, d’électricité, etc) qui permettront de mieux résister à une crise et de reconstruire la société après la crise aura pour conséquence aussi de mieux vivre avant que la crise ait lieu, de concevoir ces investissements de manière positive comme des investissements d’avenir.

– il est essentiel d’évaluer et d’analyser les conséquences des changements globaux de l’Anthropocène sur les risques telluriques, d’éventuelles relations de causalité et les effets cumulés.

– les défis sont considérables pour faire progresser l’état de l’art dans les domaines de la compréhension et de la simulation des processus éruptifs, de la surveillance volcanologique (la détection des précurseurs, l’imagerie fonctionnelle multi-dimensions des systèmes volcaniques), de la reconstruction du passé éruptif des volcans dangereux, de l’analyse quantitative des aléas, de l'élaboration d’outils probabilistes d'aide à la décision et de l’évaluation des vulnérabilités sociales, structurelles et environnementales.

Une approche utile serait de mettre en place un PLAN NATIONAL RISQUE VOLCANIQUE au sens large (incluant les instabilités gravitaires de volcan et les tsunamis d’origine volcanique) car ce dernier a été le moins abordé de manière structurée par l’État et les différents acteurs concernés. Les problématiques du risque sismique et du risque tsunami ont été fortement impulsées depuis 2004. Le risque cyclonique et le risque inondation sont largement pris en compte malgré les difficultés et défis qui existent tout comme le risque d’instabilité gravitaire hors terrain volcanique.

 Les moyens consacrés à la sécurité civile dans ces territoires vous semblent-ils suffisants ?

Il nous semble évident que les moyens consacrés à la sécurité civile doivent être amplifiés pour mieux prendre en compte les divers risques telluriques et notamment le risque volcanique et le risque sismique.

 Les scientifiques des Observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP ne fonctionnent pas en H24 7j/7j sur site mais en astreintes volontaires sur déclenchement H24 d’alarme sms lorsque des seuils de paramètres de surveillance ou de phénomènes critiques sont dépassés. Ils suivent après un protocole de traitement des signaux et d’alerte des autorités qui a été établi (par exemple séisme ressenti, lahar, éruption, explosive, éruption effusive, escalade des paramètres de surveillance, message VONA aux autorités de l’aviation civile en cas de menace d’émission de cendres volcaniques dans l’atmosphère). En période éruptive ce dispositif est renforcé et parfois nécessite une astreinte sur site avec des rotations. Se pose donc le problème de mieux cadrer, formaliser, accompagner et valoriser le travail d’astreinte et d’avoir les ressources humaines redondantes pour permettre une gestion du temps de travail adéquate et optimale et ceci sur la durée d’une urgence ou d’une crise (cela peut être des semaines voire des mois en cas d’éruption aux Antilles).

 favoriser, impulser un transfert de savoir-faire, d’outils méthodologiques, des notions de science opérationnelle vers les intervenants de sécurité civile et la connaissance de la gestion de l’urgence et la gestion de crise vers les scientifiques et les observatoires. Il serait intéressant de pouvoir travailler avec la sécurité civile sur des aspects spécifiques concernant la dynamique de phénomènes et leurs impacts, construire une représentation co-partagée de ce que peut-être une éruption volcanique par exemple et ses impacts à partir de retours d’expériences concrets. Ceci pourrait conduire à des ateliers de sensibilisation et de formation pour les acteurs de la surveillance et les acteurs de la réponse de sécurité civile. En particulier il serait très important de mettre en place des référents risques naturels / risques telluriques au sein des acteurs de sécurité civile et dans les agences de l’état en charge de la gestion du risque pour palier au changement d’acteurs très fréquent et à l’exode de connaissance et d’expertise qui l’accompagne. On pourrait aussi former chez les scientifiques des personnes qui auraient une formation d’initié à l’interaction avec la sécurité civile. Enfin, ce transfert de connaissance et d’expertise pourrait se faire aussi en finançant des séjours professionnels d’acteurs de la sécurité civile sur le terrain avec les équipes des observatoires pour avancer chaque année sur des objectifs cadrés et précis dans le cadre de scénarios co-élaborés.

 développer la capacité de mise en place d’un OVS virtuel en COD Préfecture (outils numériques, visualisation, communication) afin de permettre au responsable de la structure de rester avec son équipe en observatoire tout en assurant un lien permanent un flux de données entre l’observatoire et les autorités (Préfecture, EMZ). Ceci passe la mise en place de moyens de transmissions redondants par fibre optique voire par satellite. Actuellement les réseaux internet entre les acteurs ont une très faible bande passante et sont défaillants déjà hors urgence et hors crise.

 mise en place de réseaux d’acquisition et de transmission redondants données de surveillance temps réel (backbone wifi) non vulnérables en temps de crise (cendres, gaz, explosions, écoulements) et accessibles, en s’appuyant aussi sur des technologies plus résilientes (transmission par satellite VSAT, capteurs en forages profonds)

 impulser le développement de capteurs, réseaux, d’outils permettant la détection de signaux précoces et l’alerte montante scientifique : par exemple la nécessité d’avoir aux Antilles, Guadeloupe et Martinique, des réseaux cablés fibre optique et sous-marins dans les zones de ruptures sismiques attendues (type séisme de 1843 en Guadeloupe et séisme de 1839 en Martinique) pour un séisme majeur de magnitude M>7 à l’instar de ce qui va être développé à Mayotte dans le cadre du projet MARMOR et de ce qui a été mis en place en 2021 sur la faille de Roseau proches des Saintes dans le cadre du projet INTEREG PREST)

 développer la capacité de mise en place observatoire mobile redondant virtuel et opérationnel hors zone évacuation et/ou de menaces afin de continuer à suivre, analyser le développement d’une crise tellurique et d’informer les autorités et la population

 diffusion en temps réel publique et miroir SIDPC – EMZ de données synthétiques sur l’activité des 4 volcans (principaux observables : sismicité, déformation station référence, flux et chimie des gaz, observations visuelles, etc.)

 concevoir l’ingénierie et implémenter régulièrement des exercices de scénario d’urgence et de crise y compris des scénarios hors cadre complexe avec effets domino. Y compris en grandeur nature avec la population, et élaborer des retex détaillés, y compris sur d’autres crises volcaniques et d’autres exercices.

 Quels sont les risques naturels auxquels la collectivité de Mayotte est confrontée ? En quoi se rapprochent-ils et se distinguent-ils des risques naturels rencontrés sur les autres territoires d’outre-mer ?

Comme la Guadeloupe, la Martinique, et la Réunion, Mayotte est un territoire soumis à de nombreux risques naturels majeurs dont, pour les principaux, les cyclones, les séismes, les éruptions volcaniques, les tsunamis, les mouvements gravitaires ou mouvements de terrain ainsi que la submersion du trait de côte et des crues torrentielles, les éboulements de falaise.

Le risque volcanique à Mayotte se distingue de celui des autres îles volcaniques sur le territoire national par :

– l’existence d’une zone volcanique sous-marine qui a été très active par le passé et qui a produit des très nombreuses éruptions dont certaines très récemment (on ne connaît pas la chronologie et on a très peu d’information)

– que la chaîne de volcans sous-marins à Mayotte s’étend entre le site du nouveau volcan, les volcans émergés récents (moins de 5000 ans) de Petite-Terre voire du nord de Grande Terre

– qu’on assiste actuellement à un phénomène géologique exceptionnel et non observé par ailleurs, à savoir la plus grosse éruption effusive au monde depuis 1783 (éruption du Laki en Islande) et la plus grosse éruption sous-marine documentée, une éruption d’une exceptionnelle longévité qui dure depuis Juin-Juillet 2018 à au moins fin janvier 2021 voire plus, une éruption qui a produit un très gros volume de magma (≥ 6,65 km3), un magma qui est remonté dans ses phases finales rapidement en une trentaine de jours pour les derniers 20 km, qui est très riche en gaz, et qui provient de réservoirs profonds, que les premiers résultats d’imagerie sismique suggèrent que la géométrie et la structure de la zone magmatique de Mayotte pourraient contenir à différentes profondeurs des zones de résidence du magma dont une fraction pourrait toujours donner naissance à de l’activité éruptive particulièrement dans la zone proche du Fer à Cheval, et qu’on assiste à la réactivation d’une grande zone de la croûte terrestre sur près de 50 km de largeur et 4 à 50 km de hauteur (Feuillet et al., 2021).

Le risque sismique et le risque volcanique sont significatifs à Mayotte du fait des lacunes de connaissance sur l’aléa, de l’absence de stations de mesures géophysiques avant la crise sismique de mai 2018 et l’éruption sous-marine qui en a résulté, et bien entendu d’un grand nombre d’enjeux exposés de divers types et de leur importante vulnérabilité. Il faut souligner qu’un grand nombre des infrastructures de Mayotte sont situées sur Petite Terre sur les reliefs et les produits des dernières éruptions explosives, à terre dont les scientifiques considèrent qu’elles datent, en l’état actuel incertain des connaissances, de moins de 6 000 ans. De plus une majorité de la population à Mayotte vit à proximité de la côte ce qui la rend vulnérable aux aléas vagues, marée de tempête, tsunami, submersion marine.

Les systèmes volcaniques actifs, et leur contexte tectonique et géodynamique, qui se situent à proximité de territoires habités où sont susceptibles d’affecter des territoires et des réseaux systémiques à distance, doivent faire l’objet sur le long terme :

– de l’implémentation et du maintien de réseaux de surveillance opérationnelle, intégrés et pluri-paramètres, du comportement des systèmes volcaniques et de leur évolution afin : i) d’établir un niveau de base, ii) de comprendre les variations de ce niveau de base, iii) de détecter des changements qui peuvent être précurseurs de situations de criticalité du système et d’évolution vers les scénarios à risque, et iv) d’informer les autorités des changements d’activité ;

– de l’implémentation pérenne d’une stratégie multidisciplinaire de gestion de crise, de réduction des risques et de développement pragmatique et raisonné des territoires ;

– du développement et de soutien de programmes de recherche pluridisciplinaires sur le long terme pour améliorer la connaissance fondamentale de ces systèmes volcaniques et tectoniques complexes et permettre d’en définir le comportement, leur dynamique et leur évolution possible.

Le réveil de volcans inconnus, non surveillés, ou après des millénaires d’inactivité tels que le Chichon (1982, Mexique), le Pinatubo (1991, Philippines), le Chaiten (2008, Chili), voire de volcans pour lesquels la surveillance fut abandonnée temporairement suite à une baisse apparente d’activité (Montagne Pelée, l’observatoire créé par A. Lacroix en 1902 après l’éruption catastrophique de 1902, s’est arrêté de fonctionner avant la nouvelle éruption de 1929 à 1932 et n’a été reconstruit qu’en 1935) nous montre qu’il est absolument fondamental que l’effort de surveillance et d’acquisition des connaissances soit pérennisé si on veut réduire au mieux possible l’impact de l’activité éruptive sur les populations et les enjeux structurels et systémiques exposés.

Depuis le mois de mai 2018, une activité sismo-volcanique affecte l’île de Mayotte. Cette activité est liée à une éruption volcanique sous-marine à 50 km à l’est de Mayotte. Cette éruption volcanique est l’éruption effusive la plus intense enregistrée dans le monde depuis 1783 avec près de 6,55 km3 ([31]) de lave émise sur le plancher océanique, et l’une des plus longue voir la plus longue. Pour l’heure cette activité volcanique majeure affecte Mayotte, sa population et ses infrastructures, de manière modérée via deux phénomènes principaux qui sont : 1) une sismicité fréquemment ressentie par la population, généralement de faible magnitude mais pouvant occasionnellement atteindre une magnitude plus élevée (ex. Mw5,9 le 15 mai 2018) ; et 2) un déplacement de l’île de Mayotte vers l’Est qui se poursuit de près de 21 à 24 cm et un affaissement de Mayotte de l’ordre de 9 à 18 cm, avec les valeurs les plus élevées pour Petite Terre.

L’activité actuelle enregistrée depuis plusieurs mois ([32]) montre toujours une activité sismique certes plus faible qu’en 2018 mais importante (environ 700 à 500 séismes enregistrés par mois) avec encore plusieurs séismes ressentis de magnitude modérée > à M4 dont un séisme de M5.3 dans les 9 derniers mois). Malgré le ralentissement du taux de déformation depuis avril-mai 2019 (subsidence et déplacement horizontal vers l’est), la stabilité du taux de sismicité volcanique et la présence récurrente d’essaims de séismes longue-période et de séisme très longue-période indiquent que des circulations de fluides magmatiques sont toujours présentes dans la lithosphère entre environ 50 km de profondeur et la surface, alimentant une activité éruptive toujours en cours en date de la fin janvier 2021 (Campagne MAYOBS17).

Les données acquises par le REVOSIMA lors des campagnes océanographiques Mayobs1-19 et leur interprétation montre que la zone du Fer à Cheval, située entre 5 et 15 km de distance de Petite Terre, se caractérise par :

– une importante activité sismique au sein de deux essaims qui sont stables dans leur position dont l’essaim de sismicité proximal situé entre 5 et 15 km à l’Est de Petite-Terre ;

– une diversité de styles éruptifs (effusif et explosif) ;

– une variété d’édifices volcaniques, certains de taille importante ;

– une diversité de composition de magma émis par le passé, provenant de différents réservoirs sources ;

– des coulées de lave volumineuses, dont certaines sont très récentes (très probablement moins de 10 000 ans voire plus récentes) ;

– des signatures d’anciennes déstabilisations de flanc d’édifices sous-marins ;

– la présence de nombreuses fractures éruptives et de potentielles structures et failles tectoniques ;

– la localisation de l’essentiel de l’activité sismique très soutenue associée à l’éruption volcanique en cours au large de Mayotte depuis mai 2018 ;

– la présence de plusieurs points d’émission de fluides hydrothermaux voire magmatiques qui forment des panaches, identifiés lors des campagnes océanographiques Mayobs, dont l’intensité, le nombre et la distribution continue d’augmenter et d’évoluer depuis leur découverte en mai 2019.

Il est donc fort probable que la zone du Fer à Cheval cela soit la région volcanique qui ait été la plus active récemment en durée et en volume de magma émis au sein de la zone volcanique orientale de Mayotte, et qu’elle le soit toujours, renfermant en profondeur du magma susceptible d’être érupté qui a la capacité de produire des éruptions d’une grande diversité (volumineuses, explosives ou effusives, avec une prédominance de magmas phonolitiques évolués riches en gaz).

La probabilité d’occurrence d’éruptions futures reste la plus élevée pour la zone du Fer à Cheval eu égard au passé géologique. Il est donc impératif de mieux la surveiller et de mieux comprendre les liens génétiques et phénoménologiques avec l’activité volcanique explosive des derniers 10 000 ans sur Petite Terre et du NE de Grande Terre et l’activité éruptive actuelle sur le site du nouveau volcan 50 km à l’Est de Petite Terre. L’activité actuelle pourrait migrer vers l’ouest voire en surface avec des temporalités pouvant être courtes (quelques jours à 1 mois), comme observées par le passé.

L’état de l’art en sciences de la Terre indique que plusieurs scénarios d’une évolution possible d’activité en cours pourraient présenter des aléas majeurs pour Mayotte dont l’impact pourrait être très significatif sans que nous puissions préciser les échéances temporelles, la nature de ces scénarios et comment ils se développeront, compte tenu de la dynamique et fortement non-linéaires des systèmes volcaniques complexes. Ces scénarios pourraient former une séquence en cascade, par exemple un fort séisme proche de Petite-Terre qui déclenche un glissement de terrain sous-marin tsunamigène.

Les principaux risques telluriques identifiés à Mayotte sont :

– séisme(s) majeur(s) d’origine tectonique ou volcanique pouvant provoquer l’effondrement de bâtiments et la destruction d’infrastructures sur l’île ;

– mise en place possible d’un (ou plusieurs) volcan actif sur l’île ou sur le pied de pente de l’île de Mayotte à l’aplomb de Petite Terre et/ou dans la zone du Fer à Cheval (à l’endroit de l’essaim de séismes proximal, entre 5 et 15 km à l’Est de Petite-Terre) ;

– glissement de terrain sous-marin sur le pied de pente l’île de Mayotte à l’aplomb de Petite-Terre sans activité sismique particulière, ni formation d’un nouveau volcan ;

– glissement de terrain sous-marin d’une partie du nouveau volcan formé à 50 km à l’Est de Mayotte qui mesure près de 800 m de haut pour 5 km de diamètre (5 km3 de magma en 1 an) ;

– effondrement brutal de la chambre magmatique et formation d’une caldeira ;

– tsunami potentiel associé à certains de ses phénomènes, voire lié à un séisme tectonique majeur distant.

Il est indispensable de répondre à ces risques volcaniques et sismiques à Mayotte qui sont là pour durer, comme pour tous les autres volcans actifs du territoire français (Piton de la Fournaise à La Réunion, Soufrière de Guadeloupe, Montagne Pelée à la Martinique) et d’autres volcans dans le monde. Mayotte devra intégrer dans son développement et son mode vie à court (<1an), moyen (entre 5 et 10 ans) et long terme (>50 ans), celui de vivre avec les risques telluriques majeurs tels que ceux générés par le volcanisme, la sismicité, les instabilités gravitaires, les tsunamis.

Compte tenu de ces scénarios d’aléas, l’effort doit être porté sur la détection des signaux précurseurs de manière à alerter les autorités le plus en amont possible et permettre la mise en œuvre des mesures de protection de la population. Pour certains processus sismo-volcaniques, cette anticipation pourrait être de l’ordre de quelques heures, de quelques jours voire quelques mois. Les derniers résultats scientifiques indiquent que des magmas peuvent remonter de leurs zones de stockage situées à quelques dizaines de kilomètres de profondeur (20 à 40 km) vers la surface pour faire éruption, avec effusion de lave où comme souvent de manière explosive, avec des délais très courts de l’ordre de quelques jours à un mois, en particulier lorsque la zone est déjà réactivée comme c’est le cas à Mayotte (Berthod et al., 2021a ; 2021b, REVOSIMA).

La stratégie de surveillance pluri-paramètres permanente doit être renforcée et maintenue sur le long terme sans diminution de moyens, en l’associant de manière intégrée et stratégique à un effort parallèle d’augmentation de la connaissance fondamentale sur les systèmes naturels, et en implémentant une stratégie qui permettra de réagir vite avec des moyens de surveillance renforcés si l’activité de base est modifiée et qu’elle augmente laissant présager l’occurrence de nouvelles éruptions.

L’état de l’art de la surveillance tellurique en contexte volcanique actif repose sur 6 champs thématiques fondamentaux et obligatoires :

– sismicité ;

– déformation y compris les instabilités gravitaires ;

– physico-chimie des fluides hydrothermaux et magmatiques ;

– phénoménologie et dynamique éruptive (cartographie, échantillonnage, analyses géologiques multi-techniques des produits éruptés) ;

– connaissance géologique du passé (volcanique, sismique, instabilité, tsunamis), définition et modélisation des scénarios d’aléas ;

– imagerie géophysique multi-paramètres.

Pour le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA), à court et moyen terme et compte tenu des spécificités de la surveillance de phénomènes telluriques en contexte sous-marin, il est impératif en mode opérationnel nominal de :

 maintenir, optimiser et amplifier le réseau de surveillance sismique, GNSS, et physico-chimie des fluides à Terre ;

– de réaliser 3 à 4 fois par an une campagne de récupération et déploiement des instruments de mesures continues fond de mer (sismomètres, capteur de pression, hydrophones, stations magnéto-telluriques) pour avoir des données en différé tous les 3 mois ;

– de réaliser 3 à 4 fois par an une campagne océanographique courte 4-5 jours de cartographie des fonds marins (bathymétrie, réflectivité, sondeur de sédiment 3,5 kHz) et d’imagerie des panaches dans la colonne d’eau sur les zones actives du volcan actif et de la zone du Fer à Cheval. Ces campagnes pourraient, si nécessaire, faire appel à d’autres navires océanographiques d’opportunité afin de mutualiser et optimiser les moyens ;

– de réaliser 1 à 2 fois par an des campagnes océanographiques plus longues (10 jours) pendant lesquelles les observations de base seraient assurées (cartographie des fonds marins, bathymétrie, réflectivité, sondeur de sédiment 3,5 kHz ; imagerie des panaches dans la colonne d’eau sur les zones actives du volcan actif et du Fer à Cheval) et couplées à des prélèvements des fluides dans la colonne d’eau et des mesures CTD Rosette, des dragages de roche, des mesures à la caméra SCAMPI si possible, et de la bathymétrie haute résolution avec AUV, voire à des prélèvements par ROV (en fonction des disponibilités) ;

 de surveiller le mieux possible l’évolution des zones d’émission de fluides dans la colonne d’eau dans la zone du Fer à Cheval (localisation, nombre de sites, dimensions, dynamique, estimation du flux, composition chimique) ;

On pourra réduire ces objectifs de surveillance à condition uniquement :

– que l’activité baisse sensiblement pour une période longue et en dessous de seuils multi-paramètres à définir ;

– de garder un réseau de surveillance intégré sous-marin et terrestre multi-paramètres cohérent permettant d’assurer ces missions de surveillance ;

– que la stratégie de surveillance pluri-paramètres permanente soit renforcée et maintenue sur le long terme sans diminution de moyens, en l’associant de manière intégrée à un effort parallèle d’augmentation de la connaissance fondamentale sur les systèmes naturels, et en implémentant une stratégie qui permettra de réagir vite avec des moyens à la mer de surveillance renforcés si l’activité augmente laissant présager l’occurrence de nouvelles éruptions ;

– qu’il puisse être mis en place une stratégie de mobilisation rapide de moyens océanographiques (quitte à mutualiser avec d’autres acteurs nationaux voire internationaux d’opportunité) pour à nouveau augmenter la fréquence de mesures très rapidement en fonction de l’évolution des données acquises, ceci afin d’éviter la latence de mobilisation qui a affecté la première phase de suivi de l’éruption entre mai 2018 et mai 2019.

L’état de l’art en volcanologie y compris sur les volcans sous-marins (par exemple Axial Seamount, Loihi) montre que ces systèmes peuvent être actifs pendant de très longues périodes de temps, et générer de manière récurrente de nouvelles éruptions qui peuvent durer quelques jours à quelques mois et qui sont ensuite séparées de la prochaine éruption par des durées variables en temps. Certains volcans sont en activité permanente. L’activité n’est pas forcément localisée au même endroit et peut migrer en réactivant d’autres zones actuellement en état de quiescence.

Les réseaux de surveillance géophysique actuels à terre, financés par l’État (MESRI, MTES, MOM, MI) dans le cadre du REVOSIMA, ne permettent pas, seuls, de contraindre de manière suffisamment précise ni les sources de déformation, ni la localisation et la profondeur de la sismicité, ni leur évolution temporelle. Il est pour l’instant fondamental de continuer de déployer régulièrement des instruments en mer mais ceci engendre des délais de traitements des données qui arrivent en différé tous les 4 à 6 mois. Ce mode de fonctionnement ne permet donc pas d’assurer un suivi optimal en temps-réel de l’activité au large de Mayotte et de son évolution possible. Ces réseaux ne sont donc pas suffisants pour implémenter l’alerte scientifique montante vers les autorités et éclairer la réponse de sécurité civile dans le cas d’une évolution rapide de l’activité volcanique et des scénarios impactants.

À moyen et long terme, dès que cela est technologiquement possible et réalisable, il est donc fondamental de mettre en place et de pérenniser un observatoire multidisciplinaire sous-marin à Mayotte avec un réseau de stations câblées à terre de manière électro-optique et optique qui permettra une surveillance continue multi-paramètres en temps réel. Ceci a fait l’objet du projet MARMOR (pilotage IFREMER) qui a été financé en 2021 par le PIA3 du Programme d’Investissements d’Avenir de l’État. Un tel système devra continuer de s’appuyer et d’être intégré, tel que le réseau de surveillance du volcan Axial Seamount (OOI), à des campagnes récurrentes annuelles de mesures ponctuelles et de maintenance du réseau.

Le volcanisme sous-marin représente en gros 70 % du volcanisme terrestre. Il reste très peu connu et mal suivi du fait de la complexité technologique et opérationnelle des actions scientifiques océanographiques, de leur coût humain et financier, de l’étendue géographique concernée. Les grands volcans sous-marins actifs connus tels qu’Axial Seamount (Juan de Fuca Ridge, Pacifique Nord), West Mata (Bassin de Lau, région de Fidji, Pacifique), NW Rota-1 (Mariannes, Pacifique) se situent principalement, sauf Loihi (Hawaii), à grande distance de populations directement menacées. Si certains, tels Axial Seamount sont surveillés par des réseaux câblés en temps réel de manière continue ([33]) par le système de l’Ocean Observatories Initiative ([34]), d’autres font uniquement l’objet de campagnes océanographiques récurrentes. En revanche, aucun de ces volcans sous-marins majeurs actifs ne se situe aussi près de territoires insulaires fortement peuplés comme l’est la zone du Fer à Cheval à 11 km à l’Est de Mayotte dont les systèmes volcaniques restent actifs mais en phase de quiescence.

Cette situation constitue à Mayotte des enjeux et des défis scientifiques et opérationnels pluridisciplinaires particulièrement importants à relever pour le court, moyen et long terme.

Références citées :

Berthod, C. Médard, E., Bachèlery, B., Gurioli, L., Di Muro, A., Peltier, A., Komorowski, J-C., Benbakkar, M., Devidal, J-L., Langlade, J., Besson, P., Boudon, G., Rose-Koga, E., Deplus, C., Le Friant, A., Bickert, M., Nowak, S., Thinon, I., Burckel, P., Hidalgo, S., Kaliwoda, M., Jorry, S., Fouquet, Y., Feuillet, N. (2021). The 2018-ongoing Mayotte submarine eruption : magma migration imaged by petrological monitoring. Earth Planetary Science Letters, 57, 117085

Berthod, C., Médard, E., Di Muro, A., Hassen Ali, T., Gurioli, L., Chauvel, C., Komorowski, J-C., Bachèlery, P., Peltier, A., Benbakkar, M., Devidal, J-L., Besson, P., Le Friant, A., Deplus, C., Nowak, S., Thinon, I., Burckel, P., Hidalgo, S., Feuillet, N., Jorry, S., Fouquet, Y. (2021) Mantle xenolith-bearing phonolites and basanites feed the active volcanic ridge of Mayotte (Comoros archipelago, SW Indian Ocean), Contributions to Mineralogy and Petrology (in press), CTMP-D- 21-00089R1

Feuillet, N., Jorry, S., Crawford, W.C., Deplus, C., Thinon, I., Jacques, E., Saurel, J-M., Lemoine, A., Paquet, F., Satriano, C., Aiken, C., Foix, O., Kowalski, P., Laurent, A., Rinnert, E, Cathalot, C., Donval, J-P., Guyader, V., Gaillot, A., Scalabrin, C., Moreira, M., Peltier, A., Beauducel, F., Grandin, R., Ballu, V., Daniel, R., Pelleau, P., Gomez, J., Besançon, S, Geli, L., Bernard, P., Bachelery, P., Fouquet, Y., Bertil, D., Lemarchand, L., Van der Woerd, J. (2021) Birth of a large volcanic edifice offshore Mayotte via lithosphere-scale dike intrusion, Nature Geoscience, https://doi.org/10.1038/s41561- 021-00809-x

 

https://www.pmel.noaa.gov/eoi/rsn/index.html; https://www.pmel.noaa.gov/eoi/nemo/index.html

REVOSIMA : www.ipgp.fr/revosima

http://www.ipgp.fr/fr/ovsg/actualites-ovsg

http://www.ipgp.fr/fr/ovsm/actualites-communiques-publics-de-lovsm http://www.ipgp.fr/fr/ovpf/actualites-ovpf http://www.ipgp.fr/fr/revosima/actualites-reseau http://www.preventionweb.net/english/hyogo/gar/2015/en/home/index.html

http://www.preventionweb.net/english/hyogo/gar/2015/en/bgdocs/GVM,%202014a.pdf


([1]) L’évolution en euros constants n’est qu’une estimation : elle dépend des perspectives d’inflation pour les années 2021 et 2022.

([2]) Cour des comptes, Les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile. Des défis à relever, des perspectives à redéfinir, mars 2019.  

([3]) Il s’agit, plus précisément, des dépenses ci-après : carburant des avions et des hélicoptères (11 496 492 euros), produit retardant (4 032 000 euros), location d’aéronefs (6 048 000 euros), hélicoptères « dauphins polynésiens » (567 770 euros), maintenance des aéronefs hors plan de relance (84 545 375 euros), acquisition d’aéronefs (66 260 000 euros) modernisation et équipement des aéronefs (5 799 767 euros).

([4]) Ce risque est néanmoins aussi présent à La Réunion. Il s’est également accentué à Mayotte (voir infra).

([5]) La liste des nombreux contributeurs de cette contribution figure en annexe du présent avis budgétaire.  

([6]) Il existe aussi un volcan actif terrestre en Polynésie française, sur un îlot inhabité, ainsi que des volcans endormis à Mayotte, en Polynésie française et dans les Terres australes.  

([7]) Te 2 015 Global Assessment Report on Disaster Risk Reduction (GAR15), Global volcanic hazards and risks, janvier 2015.  

([8]) Il s’agit de Montserrat, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Guadeloupe et Martinique, Saint-Christophe-et-Niévès et la Dominique. Les scientifiques de l’IPGP, du CNRS et de l’Université de Paris expliquent cependant, dans leur contribution écrite aux travaux de votre rapporteur, qu’il est probable que le risque volcanique à Mayotte soit tout aussi élevé, l’enquête ayant été réalisée avant l’émergence du volcan sous-marin à proximité immédiate de cette collectivité.  

([9]) Il existe cinq catégories de cyclones d’après l’échelle de Saffir-Simpson. La catégorie 5 correspond aux cyclones dits « dévastateurs », avec des vents de plus de 250 km/heure.  

([10]) Selon une étude réalisée par la Caisse centrale de réassurance (CCR), portant sur l’évolution du risque cyclonique en Outre-mer à l’horizon 2050 (CCR, Météo France et RiskWeatherTech), citée par la direction générale de la prévention des risques dans sa réponse au questionnaire que votre rapporteur lui a adressé.

([11]) Pour plus de détails sur cette campagne, voir infra (II, B).

([12]) Les plans communaux de sauvegarde déterminent, selon les risques connus, les mesures immédiates de sauvegarde et de protection des personnes. Ils prévoient également l’organisation nécessaire à la diffusion de l’alerte et des consignes de sécurité, recensent les moyens disponibles et définissent la mise en œuvre des mesures d’accompagnement et de soutien de la population en cas de survenance d’une crise. Ils doivent être compatibles avec les dispositions du plan ORSEC.  

([13]) Le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) est l’instance de commandement de gestion des crises de la sécurité civile, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Il analyse et gère les catastrophes naturelles et technologiques, assure la remontée d’informations ainsi que l’interface avec les centres opérationnels des autres ministères.

 La cellule interministérielle de crise (CIC) est activée par le Premier ministre en cas de crise d’une particulière intensité. Elle est composée des représentants des ministères concernés ainsi que d’experts ou d’opérateurs. La CIC a par exemple été activée lors du passage de l’ouragan Irma en septembre 2017 aux Antilles.

 Le centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) coordonne l’acheminement de l’aide aux pays frappés par une catastrophe, tels que les articles de première nécessité, les équipes de protection civile et le matériel spécialisé. 

([14]) La DGSCGC a précisé à votre rapporteur que certains crédits ne sont pas identifiés par territoires et apparaissent dans la ligne des « crédits non répartis ». Par ailleurs, l’outre-mer bénéficie de manière indirecte des autres dépenses de la DGSCG, à l’instar de dépenses de fonctionnement et d’investissement au bénéfice des forces projetables outre-mer ou du fonctionnement des structures de gestion de crise, sans qu’il ne soit possible d’identifier un montant précisé et de l’inscrire dans ce tableau, qui ne présente qu’un ordre de grandeur.   

([15]) Les deux valeurs négatives pour 2019 s’expliquent par le fait que, dans le cadre du cyclone IRMA, le programme 161 a bénéficié de l’aide Fonds de Solidarité de l’Union Européenne (FSUE) pour un montant de 9 878 419 €. Les dépenses correspondantes, initialement effectuées sur le programme 161 ont été réimputées sur le programme 123 (procédure de rétablissement de crédits).

([16]) Sénat, rapport d’information n° 122 (2019-2020) fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer par M. Guillaume Arnell, rapporteur coordinateur, et MM. Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, rapporteurs, 14 novembre 2019.

([17]) La prévention du risque volcanique repose sur le travail des observatoires volcanologiques de l’IPGP en Guadeloupe (OVSG – observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe), en Martinique (OVSM – observatoire volcanologique et sismologique de la Martinique) et à la Réunion (OVPF – observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise). 

([18]) Directive 2007/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.

([19])  Sénat, rapport d’information de M. Guillaume Arnell, précité.

([20]) La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna ainsi que Clipperton et les Terres australes et antarctiques françaises ne figurent pas dans le périmètre d’application du FPRNM.

([21]) Y compris Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

([22]) Plus précisément, cette deuxième branche comprend le financement des études et travaux de réduction de la vulnérabilité imposés par les plans de prévention des risques naturels, l’aide aux collectivités par des études, équipements, ouvrages et travaux de prévention, le financement d’études et de travaux de mesures parasismiques dans les zones exposées, ainsi que le financement d’études et de travaux de mise en conformité des digues domaniales contre les crues et submersions marines.

([23])  rap. cit.

([24]) Le rapport cite les élargissements ci-après :

- une augmentation du taux de subvention de 40 à 80 % pour les travaux de réduction de la vulnérabilité aux inondations des biens d’habitation dans le cadre des programmes d’action de prévention des inondations (PAPI). Le soutien du fonds est ouvert à d’autres personnes que les seuls propriétaires des logements (utilisateurs) ;

- le relèvement du plafonnement des études et travaux de confortement des digues domaniales est assoupli - de 15 millions d’euros par an, il passe à 75 millions d’euros pour 5 ans ;

- le taux d’intervention du FPRNM applicable à la mise aux normes parasismiques des établissements scolaires passe de 50 % à 60 % ;

- le plafonnement annuel des travaux de mise aux normes parasismiques des services départementaux d’incendie et de secours et des habitations à loyer modéré est assoupli pour passer à 13 millions d’euros par an - contre 8 pour les SDIS et 5 pour les HLM auparavant ;

- le fonds Barnier peut dorénavant financer à hauteur de 50 % les études et travaux de prévention du risque sismique pour les immeubles domaniaux utiles à la gestion de crise ; cette mesure est plafonnée à 5 millions d’euros par an.

([25]) http://www.ipgp.fr/fr/ovsg/actualites-ovsg

([26]) http://www.ipgp.fr/fr/ovsm/actualites-communiques-publics-de-lovsm

([27]) http://www.ipgp.fr/fr/ovpf/actualites-ovpf   

([28]) http://www.ipgp.fr/fr/revosima/actualites-reseau  

([29]) GAR15 : http://www.preventionweb.net/english/hyogo/gar/2015/en/home/index.html  

([30]) http://www.preventionweb.net/english/hyogo/gar/2015/en/bgdocs/GVM,%202014a.pdf

([31]) www.ipgp.fr/revosima

([32]) Voir bulletins REVOSIMA www.ipgp.fr/revosima  

([33])  https://www.pmel.noaa.gov/eoi/rsn/index.html ; https://www.pmel.noaa.gov/eoi/nemo/index.html

([34]) https://oceanobservatories.org/ ; National Science Foundation, USA