N° 4526

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2022 (n° 4482),

 

 

TOME IV

 

  

DÉFENSE

 

 

PAR Mme Michèle TABAROT

Députée

——

 

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 4482


 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

Partie budgétaire : Un budget pour 2022 conforme à la programmation qui n’a pas fait l’objet des actualisations nécessaires

I. Si l’exécution depuis 2019 respecte la programmation militaire, cette dernière aurait dû faire l’objet d’une actualisation plus sincère

A. L’exécution globale est jusqu’ici conforme à la programmation budgétaire, mais le plan de relance n’a pas pris en compte les effets de la pandémie sur la défense

1. L’exécution des budgets de la défense en 2019 et 2020 respecte la trajectoire fixée par la LPM

2. En dépit des conséquences de la pandémie, le plan de relance a largement esquivé la défense

B. Le Gouvernement a manqué à son engagement de mettre en œuvre une actualisation de la LPM en 2021

C. À compter de 2023, il sera plus difficile d’assurer la conformité de l’exécution à la prévision budgétaire

II. dernier du Quinquennat, le budget de la défense pour 2022 correspond à la quatrième annuité de la LPM

A. Le programme 212 Soutien de la politique de défense

1. Les dépenses de titre II

2. Les dépenses hors titre II

B. Le programme 178 Préparation et emploi des forces

1. L’équipement programmé du matériel

2. Les surcoûts des OPEX et des MISSINT

3. Le service de santé des armées

C. Le programme 146 Équipement des forces

D. Le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense

Partie thématique : L’opération Corymbe et la lutte contre l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée

I. Le golfe de Guinée est devenue la zone maritime la plus dangereuse au monde

A. L’insécurité est principalement le fait de la piraterie et du brigandage maritime

B. L’instabilité dans le golfe de Guinée tire son origine du nigéria, qui cumule les difficultés

C. La dégradation de la situation sécuritaire est néfaste pour la région ainsi que pour les intérêts français et européens

1. La menace pour la région

2. La menace pour les intérêts français et européens

II. L’efficacité de la réponse régionale à l’insécurité dans le golfe de Guinée est très limitée

A. Les Etats côtiers déploient des réponses variables mais sont le plus souvent démunis

B. Embryonnaire, la coopération régionale se heurte à d’importantes difficultés

III. De nombreux acteurs, dont la France et l’Union Européenne, tentent de soutenir la réponse régionale

A. Par l’opération Corymbe, la France défend ses intérêts nationaux et apporte un appui aux acteurs régionaux

1. Le volet opérationnel de la mission Corymbe

2. Le volet partenarial de la mission Corymbe

B. D’autres pays et d’autres enceintes déploient des initiatives dans le golfe de Guinée

1. Les pays occidentaux, en particulier européens, sont les pays les plus présents dans le golfe de Guinée

2. La communauté internationale, en particulier l’Union européenne, est impliquée dans le renforcement des capacités locales

a. L’appui de la communauté internationale

b. L’appui de l’Union européenne

IV. Le renforcement de la coordination entre marines européennes est prometteur mais devra s’accompagner d’autres réponses pour en finir avec l’insécurité maritime

A. Renvendication portée par les armateurs, le déploiement d’une force internationale n’est pas envisagé

B. L’Union Européenne renforce la coordination des marines européennes dans le golfe de Guinée

C. En complément de la PMC, l’Union européenne et la France doivent mobiliser d’autres moyens

1. Un levier opérationnel : renforcer le soutien de Corymbe aux armateurs

2. Un levier diplomatique : convaincre les pays riverains d’accepter le recours par les transporteurs à des équipes de protection embarquées

3. Un levier institutionnel : simplifier et unifier la réponse

Liste des propositions de la partie thématique

travaux de la commission

annexe n° 1 : liste des personnes auditionnées par la rapporteure pour avis


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   introduction

Dernier du quinquennat, le budget de la défense pour 2022 est l’occasion de faire un point d’étape sur la mise en œuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025, tant du point de vue de ce qui a été accompli depuis 2019 que des défis qui restent à relever pour atteindre les objectifs à l’horizon 2025.

Votre rapporteure constate d’abord avec satisfaction que, jusqu’à présent, les budgets de la défense ont été exécutés dans le respect de la trajectoire globale définie par la LPM. Cela a été le cas en 2019 puis, malgré les bouleversements induits et les ajustements rendus nécessaires du fait de la crise sanitaire, en 2020. Tout indique que l’exécution devrait être à nouveau conforme à la LPM en 2021.

En revanche, votre rapporteure déplore que l’actualisation de la LPM, qui devait intervenir au plus tard avant la fin de l’année 2021, n’ait pas fait l’objet d’une loi comme cela aurait dû légitimement être le cas. Le Gouvernement s’est contenté d’une simple déclaration devant chacune des deux chambres. Par ailleurs, sur le fond, le Sénat a méthodiquement démontré que l’actualisation avait été fortement sous-évaluée, avec pour conséquence regrettable de renvoyer les décisions difficiles qui en découlent après les élections de 2022.

Votre rapporteure regrette également certains renoncements capacitaires liés aux contrats de ventes récemment signés avec des partenaires européens de confiance. Les exportations ainsi réalisées sont de bonnes nouvelles mais se traduisent malheureusement par des prélèvements non compensés sur nos capacités actuelles, s’agissant des Rafale, ou de retards dans les livraisons pour ce qui concerne les frégates. Elle estime que ce choix de privilégier nos partenariats à nos capacités de défense souveraine aurait dû, a minima, faire l’objet d’un débat parlementaire.

En ce qui concerne l’avenir, le projet de budget pour 2022, même s’il ne lève pas toutes les inquiétudes, prévoit une hausse des crédits de la défense de 1,7 Md€ supplémentaires, comme les années précédentes et conformément à la LPM. Toutefois, à partir de 2023, la LPM prévoit que l’effort consenti chaque année pour nos armées ne sera plus de 1,7 Md€, mais sera porté à 3 Mds€. L’essentiel de l’effort est ainsi renvoyé à la prochaine majorité présidentielle, avec toutes les incertitudes que cela entraîne pour la remontée en puissance de nos armées.

Cet avis budgétaire a également été l’occasion pour votre rapporteure de se pencher sur une opération navale méconnue : l’opération Corymbe dans le golfe de Guinée. Si cette opération absorbe un budget relativement modeste – 10 à 15 M€ chaque année –, elle a pour zone d’action un espace maritime considéré comme le plus dangereux du monde. Les actes de piraterie ont atteint dans cette région un niveau alarmant, avec des conséquences importantes pour nos intérêts, à commencer par la fluidité du transport maritime depuis et vers l’Europe.

Dans ce contexte, la Marine nationale joue un rôle déterminant. Elle œuvre, d’une part, à la sécurité maritime dans la région plus de 330 jours par an. Elle soutient d’autre part le renforcement des capacités des États côtiers afin que ces derniers puissent assurer eux-mêmes la sécurité de leurs approches maritimes.

Votre rapporteure se félicite aussi que l’Union européenne (UE), trop souvent absente sur la scène internationale, soit de plus en plus investie dans le golfe de Guinée. Si le lancement d’une force internationale, sur le modèle de l’opération Atalante au large de la Somalie, n’est pas envisagé, l’UE a un rôle incontournable pour coordonner la présence des marines européennes dans la région.

Pour prolonger ces efforts, votre rapporteure fait d’autres propositions parmi lesquelles le renforcement de l’information donnée aux armateurs sur l’affectation des moyens navals dans la région, le déploiement de bâtiments de surface avec des moyens aéroportés, pour intervenir en urgence en cas d’attaque, et la conduite de démarches auprès des autorités de la région pour les convaincre d’autoriser l’emploi d’équipes de protection embarquées à bord des navires, en envisageant le cas échéant d’en faire un élément de conditionnalité des aides.

 

 



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   Partie budgétaire : Un budget pour 2022 conforme à la programmation qui n’a pas fait l’objet des actualisations nécessaires

I.   Si l’exécution depuis 2019 respecte la programmation militaire, cette dernière aurait dû faire l’objet d’une actualisation plus sincère  

A.   L’exécution globale est jusqu’ici conforme à la programmation budgétaire, mais le plan de relance n’a pas pris en compte les effets de la pandémie sur la défense

1.   L’exécution des budgets de la défense en 2019 et 2020 respecte la trajectoire fixée par la LPM

Rapporteur pour avis du budget de la défense au début de la législature, notre collègue Didier Quentin estimait que, « pour que la France continue d’être une nation militaire qui compte, l’effort budgétaire prévu par la loi de programmation militaire 2019-2025 est […] indispensable » bien que cet effort soit « insuffisant pour répondre aux défis croissants de notre environnement stratégique ». Ce dernier insistait, lors du premier budget de la LPM, sur la nécessité que « les crédits promis [soient] au rendez-vous » ([1]).

De fait, les budgets de la défense pour 2019 et 2020 ont à chaque fois respecté, dans la prévision comme dans l’exécution, la trajectoire budgétaire arrêtée dans le cadre de la LPM 2019-2025 qui repose, sur les premières années de la programmation, sur un effort annuel de 1,7 Md€ de crédits nouveaux.

 

Evolution du budget de la défense entre 2017 et 2022

Source : ministère des Armées.

Malgré les économies et les surcoûts involontaires liés aux effets de la pandémie de Covid-19, l’exécution budgétaire en 2020 a bien été conforme à la LPM. Au final, la crise sanitaire a occasionné 1,1 Md€ de moindres dépenses sur le budget en 2020 en raison de l’arrêt des usines et des chantiers d’infrastructure pendant le confinement et de la réduction de la formation et de la préparation opérationnelle des forces sur la période. Ces économies ont été compensées par 302 M€ de dépenses supplémentaires directement liées à la crise, une somme qui a été complétée par le ministère à hauteur de 763 M€ par des mesures d’accélération visant à soutenir l’activité et à compenser la sous-exécution budgétaire. Au total, les économies involontaires et les dépenses nouvelles ont ainsi été équilibrées, permettant de respecter la programmation budgétaire.

S’agissant du budget pour 2021, la secrétaire générale pour l’administration (SGA) du ministère des Armées, Mme Isabelle Saurat, fait valoir que « l’exécution en cours est strictement conforme ». Aucune mesure de régulation budgétaire n’a affecté le budget au-delà de la traditionnelle mise en réserve initiale. L’engagement des crédits au milieu de l’année est conforme à la prévision. S’agissant de la masse salariale (titre 2), le ministère des Armées tient les objectifs de recrutement et commence à percevoir les bénéfices des efforts de fidélisation dans les armées, qui se sont traduits par la mise en œuvre de la prime de lien au service (PLS) ([2]). Le ministère des Armées fait toutefois état de difficulté à recruter sur certains métiers, notamment dans le cyber, la médecine et l’ingénierie en BTP. Pour les crédits hors masse salariale (hors titre 2), il resterait début octobre près de 14 Mds€ à engager au titre notamment de plusieurs grands programmes (Rafale, drone MALE et contrat de maintien en condition opérationnelle sur le Mirage 2000).

2.   En dépit des conséquences de la pandémie, le plan de relance a largement esquivé la défense

Dans un rapport publié en juillet 2020, les députés MM. Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot alertaient sur le risque d’une fragilisation « profonde, peut-être irréversible » de l’industrie de défense compte tenu des conséquences de la pandémie tant sur l’offre que sur la demande, et estimaient qu’« un effort de relance [était] indispensable pour parer ce risque » ([3])

Le Gouvernement fait valoir que la défense a bénéficié de certaines mesures de relance. Un plan de soutien à l’aéronautique doté de 613 M€ en autorisations d’engagement (AE) a en effet permis d’accélérer certaines commandes initialement prévues pour les années à venir ([4]). Ce plan de soutien ne se traduit toutefois par aucune commande nouvelle et, étant contenu dans l’enveloppe financière de la LPM, a pour conséquence des arbitrages défavorables sur d’autres aspects de la programmation qu’il est difficile de mesurer.

En outre, les armées ont pu récupérer une partie des crédits du plan de relance : 205 M€ de crédits au titre de la transition énergétique et 13 M€ sur le volet numérique, pour le développement d’applications qui doivent être « interministérialisables ». Il est difficile de ne pas percevoir que la défense a été pour l’essentiel écartée du plan de relance. Alors que le budget de la défense est censé avoisiner les 2 % du produit intérieur brut (PIB), si l’on met de côté les effets produits conjoncturellement par la crise sanitaire, la défense n’a bénéficié à ce jour que de 0,2 % des 100 Mds€ contenus dans le plan de relance, soit dix fois moins que son poids réel dans l’Etat. Comme l’expliquait notre collègue Guy Teissier l’année dernière, « ces mesures incertaines, partielles et indirectes, ne peuvent être assimilées à un véritable plan de relance [pour la défense] » ([5]).  

B.   Le Gouvernement a manqué à son engagement de mettre en œuvre une actualisation de la LPM en 2021

La LPM 2019-2025 prévoit expressément à son article 7 qu’elle doit faire « l’objet d’actualisations, dont l’une sera mise en œuvre avant la fin de l’année 2021 ». Cette clause se justifie tant par le caractère évolutif des menaces, qui imposent des ajustements à notre modèle d’armée, que par la nécessité d’intensifier le contrôle parlementaire alors que l’effort budgétaire s’accroît. Votre rapporteure regrette cependant que le Gouvernement n’ait pas tenu son engagement.

Sur la forme, l’actualisation de la LPM a fait l’objet d’une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Or, tant la lettre de l’article 7 de la LPM que l’intention du législateur justifiaient que l’actualisation prenne une forme législative. L’argument de l’« encombrement législatif » ne saurait justifier une telle confusion.

Sur le fond, votre rapporteure regrette que la révision de la LPM se soit limitée à une mise à jour de l’analyse stratégique qui n’a pas donné lieu à une actualisation sincère de la programmation militaire.

L’actualisation de la revue stratégique en 2021 a en effet montré le renforcement de certaines menaces par rapport à 2017. La nécessité de répondre à l’accélération de certaines conflictualités comme à l’impact stratégique de la crise de la Covid-19 exigeait de réaliser des ajustements à la LPM. Les principes généraux des ajustements de la LPM se sont ainsi appuyés sur trois axes :

● axe 1 « mieux détecter et contrer » en améliorant la capacité à détecter les menaces et à attribuer les agressions, notamment dans les nouveaux espaces de conflictualité (378 M€) ;

● axe 2 « mieux se protéger » en consolidant les domaines santé – NRBC – lutte anti-drones, notamment dans la perspective des grands rendez-vous de 2023-2024 (210 M€) ;

● axe 3 « mieux se préparer » : mieux préparer nos armées à prendre l’ascendant sur des adversaires plus agiles dans tous les champs de la conflictualité (450 M€).

Une illustration : le renforcement de la préparation opérationnelle

La perspective d’un affrontement plus exigeant nécessitant une manœuvre interarmées mettant en oeuvre un large panel de moyens (chars lourds, aviation de combat et de transport, artillerie, drones, C2, numérisation et systèmes de communication) dans un cadre de conflit hybride (cf. Donbass en Ukraine) ou entre États puissances fait partie de l’horizon stratégique.

L’entraînement des armées doit donc être complété à court terme pour faire face à des menaces plus dures : menaces sous-marine de haut niveau, menaces aériennes dont drones, frappes de précision dans la profondeur, cyberattaques, brouillages.

Les armées doivent ainsi opérer plus tôt un « changement d’échelle » dans leurs entraînements, dans une logique d’élargissement et d’équilibrage de compétences opérationnelles aujourd’hui parfois réduites à un noyau d’expertises. Il s’agit d’être pleinement capable de commander et de faire manœuvrer les grands ensembles qui permettront de dominer un adversaire symétrique.

Outre les ajustements portés par les axes 1 et 2, il s’agit, via les efforts portés par l’axe 3, d’améliorer le potentiel et les activités d’entraînement contenant des scénarios d’engagement du « haut du spectre » et en milieux non permissifs.

Source : ministère des Armées.

Le Gouvernement a fait le choix d’inscrire l’ajustement, évalué à 1 Md€ sur la période 2022-2025, dans le volume de besoins d’un montant de 295 Mds€ porté par la LPM, qui n’a pas été modifié.

Pour tenir dans l’enveloppe, les nouvelles dépenses mises en lumière par l’actualisation budgétaire sont compensées par des arbitrages défavorables, qui concernent en particulier les commandes et livraisons d’équipements qui étaient prévues entre 2023 et 2025. L’ajustement produira par exemple un décalage du lancement en réalisation des programmes de la capacité hydro-océanographique future (CHOF), du système de lutte anti-mine futur (SLAMF), de l’étape 2 du système de drone tactique (SDT) et du remplacement des poids lourds 4/6 tonnes. D’autres programmes pourraient souffrir d’arbitrages défavorables.

En outre, le Gouvernement est contraint d’assumer que plusieurs objectifs fixés par la LPM ne seront pas atteints. Compte tenu de la cession des Rafale d’occasion à la Croatie, l’armée de l’air et de l’espace ne disposera que de 117 Rafale en 2025 alors que la cible fixée par la LPM était de 129. Il en est de même pour l’armée de terre, dont le nombre prévu de véhicules blindés légers régénérés et de véhicules des forces spéciales est revu à la baisse. S’agissant de la Marine nationale, sur les trois frégates dont la vente à la Grèce a été annoncée fin septembre, deux exemplaires seront prélevés sur la série qui doit être livrée à la France, ce qui occasionne un décalage de plusieurs mois sur le calendrier prévisionnel.

Ces sacrifices – assumés ou non – ne sont vraisemblablement qu’une petite partie des déconvenues auxquelles il faut s’attendre. Dans un rapport récent, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a en effet estimé, au terme d’un travail particulièrement dense et documenté que votre rapporteure salue, que le périmètre d’actualisation de la LPM a été fortement sous-évalué par le Gouvernement ([6]). Alors que ce dernier identifie un périmètre d’actualisation à 1 Md€, le Sénat l’évalue à 8,6 Mds€.

Le Sénat distingue, d’un côté, les surcoûts constatés (7,4 Mds€) et, d’autre part, les surcoûts à prévoir (1,2 Md€) pour atteindre les objectifs de la LPM en matière de préparation des forces. Parmi les surcoûts constatés, le Sénat identifie notamment les anticipations des commandes dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique, l’impact des opérations exceptionnelles de soutien à l’export, comme les cessions de Rafale à la Grèce et à la Croatie, les surcoûts nets liés aux opérations extérieures et aux missions intérieures ou encore l’accélération de programmes dans le renseignement et le cyberespace. À cela, il faut ajouter les surcoûts qui ont trait à des dépenses à prévoir pour atteindre les objectifs 2025, en particulier ceux liés à la préparation opérationnelle et à la haute intensité.

Votre rapporteure estime que l’incertitude économique liée à la crise sanitaire, qui rendait difficile de procéder à des ajustements, ne peut justifier à elle seule la sous-évaluation à laquelle le Gouvernement a procédé. En sous-évaluant le périmètre d’actualisation de la LPM, le Gouvernement n’assume pas les décisions difficiles qui en découlent – des arbitrages défavorables à enveloppe budgétaire constante, une hausse des crédits pour faire face aux dépenses imprévues ou la révision à la baisse des ambitions de la LPM – avec pour conséquence de renvoyer ces arbitrages à la prochaine majorité.

C.   À compter de 2023, il sera plus difficile d’assurer la conformité de l’exécution à la prévision budgétaire

Au rang de ses principales faiblesses, la LPM prévoit un rythme déséquilibré de progression des crédits sur la période couverte. Alors que, jusqu’en 2022, chaque annuité se traduit par une augmentation des crédits de 1,7 Md€, à partir de 2023 commence la partie la plus raide de l’ascension avec une augmentation annuelle des crédits fixée à 3 Mds€ jusqu’en 2025. Si les gestionnaires du ministère des Armées ont rassuré votre rapporteure sur la capacité du ministère à absorber des augmentations de crédits aussi importantes, il est regrettable que l’essentiel de l’effort budgétaire soit renvoyé à une majorité potentiellement différente, avec toutes les incertitudes qu’une telle décision comporte pour la remontée en puissance de nos armées.

Votre rapporteure rejoint également la préoccupation exprimée par le Sénat sur la nécessité de déterminer, pour les dernières annuités de la LPM, une trajectoire budgétaire en valeur et non en pourcentage car les fluctuations de la richesse nationale, notamment le recul constaté en 2020 du fait de la pandémie, ne permettent pas d’assurer que l’objectif de 2 % du PIB consacré au budget de la défense représentera effectivement 50 Mds€ en 2025.

 

II.   dernier du Quinquennat, le budget de la défense pour 2022 correspond à la quatrième annuité de la LPM

En 2022, le budget de la défense augmentera à nouveau de 1,7 Md€ par rapport à 2021 et s’élèvera ainsi à 40,9 Mds€, hors CAS Pensions. Cette hausse des crédits de 4,3 % est conforme à la trajectoire tracée par la LPM 2019-2025.

Répartition des crédits de la mission « Défense » par programme*

*Hors ressources issues de cessions et hors pensions

Source : ministère des Armées.

A.   Le programme 212 Soutien de la politique de défense

1.   Les dépenses de titre II

Le programme 212 centralise les crédits de personnel de l’ensemble du ministère des Armées. En l’occurrence, les crédits de titre 2, hors CAS Pensions, progresseront de 306 M€ par rapport à la LFI pour 2021.

Cette hausse doit permettre d’atteindre les objectifs de recrutement fixés dans la LPM. Le PLF pour 2022 prévoit la création de 450 postes à destination du renseignement, du cyber, du soutien aux exportations et des unités opérationnelles. En sus des 135 ETP prévus sur le cyber dans le cadre de la LPM, un coup d’accélérateur doit conduire à la création de 241 ETP supplémentaires dans ce domaine, ce qui représente 376 nouveaux postes dans le cyber en 2022. Votre rapporteure salue cette évolution qui permet une meilleure prise en compte de l’enjeu majeur que représente le cyber pour l’avenir de notre défense.

Le PLF 2022 permettra par ailleurs la mise en œuvre de mesures nouvelles en faveur des personnels civils et militaires pour plus de 170 M€.

Les personnels du ministère des Armées bénéficieront en particulier de plusieurs mesures interministérielles décidées par le Gouvernement, dont 50 M€ au titre de la participation à la protection sociale complémentaire des agents. Les militaires du rang bénéficieront par ailleurs d’une extension de la mesure de revalorisation des personnels civils de catégories C prévue au 1er janvier 2022.

Surtout, le programme 212 prévoit 70 M€ de crédits supplémentaires pour mettre en œuvre la deuxième étape de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Comme l’explique M. Christophe Mauriet, directeur des affaires financières du ministère des Armées, la NPRM « vise à regrouper les régimes indemnitaires en une matrice compacte réduisant les effets aléatoires et permettant de fixer des objectifs RH ». Elle poursuit ainsi un objectif de simplicité pour les personnels et de prévisibilité pour l’administration. La première étape en 2021 a consisté en la création, grâce à une enveloppe de 38 M€, de l’indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM). En 2022, trois autres primes      – l’indemnité de sujétions d’absence opérationnelle, la prime de performance et la prime de compétences spécifiques – fusionneront diverses indemnités préexistantes en un régime juridique unique, chacune en ce qui la concerne.

2.   Les dépenses hors titre II

Hors titre 2, le programme 212 rassemble les financements des fonctions de soutien interarmées et des politiques transverses du ministère, comme la politique immobilière ([7]). Comparativement à 2021, la ressource en autorisations d’engagements (AE) du programme 212 hors masse salariale augmente de 120 M€, ce qui représente une hausse de 9 %, pour atteindre 1,465 Md€ ([8]).

Dans le détail, un effort budgétaire, correspondant à une augmentation de 29,4 M€ des engagements en 2022, permettra de poursuivre les investissements de construction et de mise à niveau des ensembles d’hébergement en enceintes militaires. Cet investissement ciblé sur les programmes d’hébergements, dont le niveau atteindra 266 M€ l’année prochaine, se traduiront en 2022 par la livraison de 4 000 à 4 500 places d’hébergement et par l’ouverture de quatre crèches.

S’il ne figure pas dans les documents budgétaires, votre rapporteure estime nécessaire de signaler la mise en œuvre dès l’année prochaine d’un nouveau type de contrat de concession des biens domaniaux du ministère des Armées. En effet, le ministère a lancé un appel d’offres pour céder l’entretien et la gestion locative d’un parc domanial de 10 000 logements à une entreprise qui sera également chargée de construire 3 000 logements supplémentaires. Les réponses à l’appel d’offres sont parvenues au ministère des Armées après que les arbitrages ont été rendus, ce qui explique que les 3 Mds€ en AE représentés par ce contrat – pour lequel Eiffage est pressenti – ne figurent pas dans le PLF pour 2022.

En outre, le ministère maintient ses efforts en 2022 en matière de transition écologique, avec 68,6 M€ en AE qui seront mobilisés pour le financement des investissements de performance énergétique. Le montant des AE en 2022 permettra notamment le déploiement de trois contrats de performance énergétique (CPE) ([9]) sur les douze contrats prévus entre 2020 et 2025 par la stratégie ministérielle de performance énergétique. De plus, des travaux de mise aux normes environnementales seront engagés, principalement sur les réseaux d’eau et les installations classées pour l’environnement dont le ministère est exploitant.

B.   Le programme 178 Préparation et emploi des forces

Le programme 178 regroupe les crédits qui financent la conduite des opérations et la préparation des forces, en particuliers les crédits qui se rattachent à la préparation des forces terrestres, navales et aériennes, aux fonctions de soutien opérationnel et aux surcoûts générés par les opérations extérieures (OPEX) et les missions intérieures (MISSINT). En 2022, le programme 178 voit ses crédits baisser de 22 % en AE et augmenter de 4 % en CP.

1.   L’équipement programmé du matériel

Ces évolutions de crédits sont en grande partie attribuables à l’effort réalisé sur l’entretien programmé du matériel (EPM) afin de permettre un relèvement des taux de disponibilité des équipements majeurs des forces et du niveau d’activité vers les normes prévues par la LPM. Comme le précise M. Mauriet, la réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique repose sur « une politique de contractualisation avec les industriels » qui conduit « chaque année à faire basculer de nouvelles flottes dans ces nouveaux contrats ». En 2022 seront ainsi concernés les Alphajet, les Puma et les Gazelle. Ces contrats globaux, qui portent sur des durées longues, justifient de prévoir un niveau élevé d’AE. L’apparente diminution des AE, qui passent de 11,1 Mds€ en 2021 à 8,6 Mds€ en 2022, traduit simplement le fait qu’une grande partie des marchés structurants a déjà été notifiée. La hausse des CP, qui effectuent un bond de 8 % pour atteindre 4,45 Mds€ en 2022, reflète la dynamique de mise en œuvre de ces marchés.

Evolution programmée des CP de l’EPM par domaine entre 2021 et 2022

Source : ministère des Armées.

2.   Les surcoûts des OPEX et des MISSINT

Votre rapporteure souhaite insister sur deux points d’inquiétude que notre collègue Guy Teissier avait déjà eu l’occasion de rappeler dans le cadre de ses deux avis budgétaires sur les budgets de la défense pour 2020 et 2021.

La première inquiétude a trait à la dotation prévisionnelle annuelle destinée à financer les OPEX et les MISSINT. Comme le rappelait Guy Teissier l’année dernière, « pendant longtemps, cette dotation prévisionnelle était largement sous-estimée par rapport au coût réel que représentent ces engagements pour les armées. Pour financer le surcoût net venant en dépassement de la provision initiale, le ministère des Armées était obligé, chaque année, de réduire ses ressources financières en fin de gestion, en particulier celles destinées à financer les programmes d’armement, qui s’inscrivent sur le temps long. »

Votre rapporteure reconnaît que la LPM s’est traduite par un progrès notable dans la « sincérisation » du financement des OPEX et des MISSINT au travers de l’augmentation de la provision pour la rapprocher progressivement du coût réel. Après l’avoir progressivement augmentée ces dernières années, la LPM prévoit, depuis 2020, une provision stable, fixée à 1,2 Md€.

Grâce à ce nouveau montant, le reste à couvrir en fin de gestion est certes plus faible qu’il ne l’était auparavant, ce qui ne suscite pas les mêmes difficultés que par le passé. Pour autant, le surcoût net qui demeure – il était d’environ 200 M€ en 2020 – ne peut être considéré comme une dépense tout à fait marginale. Sous réserve d’autres engagements opérationnels qui pourraient survenir, le redéploiement – pour ne pas dire la contraction – de l’opération « Barkhane » devrait bien induire une baisse des surcoûts à l’avenir. Mais, en attendant, le coût de la transition induit par le mouvement logistique en cours devrait amener les surcoûts au-delà de 1,4 Mds€ en 2022, laissant à nouveau présager un reste à charge important.

Votre rapporteure regrette que l’article 4 de la LPM, qui prévoit une solidarité interministérielle dans le financement des surcoûts OPEX, ce qui se justifie par le fait que la ministre des Armées n’a pas la main sur le niveau d’engagement opérationnel des forces – qui relève du plus haut niveau de l’État –, ne soit pas respecté d’année en année. Le surcoût net est systématiquement laissé à la charge du seul budget de la défense, avec les sacrifices qui l’accompagne et un impact nécessairement fort sur le besoin d’actualisation de la LPM.

3.   Le service de santé des armées

La seconde inquiétude de votre rapporteure concerne les crédits du service de santé des armées (SSA). La crise sanitaire due à la Covid-19 a mobilisé de manière inédite sur le territoire national toutes les composantes du SSA, qui a dû continuer à assurer à l’étranger sa mission première de soutien médical des forces armées. Le SSA reste aujourd’hui très engagé en outre-mer – l’hôpital de campagne se trouvant en Martinique – et dans les centres de vaccination.

Le SSA est aujourd’hui en tension compte tenu de l’importance de son engagement opérationnel et de la faiblesse des effectifs, qui ont diminué d’environ 10 % entre 2014 et 2018. Si le Gouvernement a entrepris d’arrêter la déflation des effectifs, le SSA reste confronté à un déficit très préoccupant de médecins. Ce déficit est encore plus accentué dans certaines spécialités médicales et paramédicales, dans la médecine des forces mais aussi dans la composante hospitalière où le SSA est confronté, dans les spécialités sous tension (chirurgie, médecine d’urgence, psychiatrie, etc.), à une forte concurrence du secteur civil.

C.   Le programme 146 Équipement des forces

Le programme 146 agrège les crédits relatifs aux armements et matériels nécessaires à la réalisation des missions des armées. En 2022, les AE du programme 146 sont en baisse de 19 % et les CP sont en hausse de 6 %. L’agrégat « équipement » absorbe à lui seul la moitié de la hausse du budget de la défense.

En 2022 sont prévues certaines livraisons de matériels très importants dont un système de satellites CERES, deux avions de transport A400M Atlas, trois avions ravitailleur multi-rôle transport tanker (MRTT) Phénix, un avion de combat Rafale, une frégate multi-mission (FREMM), un sous-marin Barracuda et 245 véhicules blindés liés à la mise en œuvre du programme SCORPION.

L’année 2022 devrait également être très lourde en termes de conduite de programmes d’armement avec la poursuite du programme SCORPION, la rénovation du missile M51 dans le cadre de la dissuasion nucléaire et les premières étapes du programme de porte-avions nouvelle génération (PANG).

Votre rapporteure se félicite du fait que, selon les gestionnaires du ministère des Armées, les retards accumulés en 2020 du fait des effets de la crise sanitaire seront « totalement rattrapés fin 2021 », nonobstant les arbitrages défavorables induits par l’actualisation de la LPM.

Cette dernière souhaite néanmoins qu’une attention particulière soit portée aux « petits équipements » (treillis, fusils d’assaut, gilets pare-balles, etc.) qui concourent directement à la sécurité et au mieux-être de nos militaires. En effet, d’après le baromètre de la LPM mis en ligne par le ministère des Armées, des écarts sont constatés entre la trajectoire définie et les livraisons effectives.

D.   Le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense

Le programme 144 rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des Armées sur l’environnement stratégique présent et futur, afin d’orienter les évolutions de la politique de défense. En 2022, le niveau des ressources du programme 144 progressera de 5,5 % en CP par rapport à la LFI pour 2021, ce qui doit permettre de couvrir les deux priorités sur le renseignement et les études.

Le projet de budget prévoit en particulier le franchissement, en 2022, du cap du milliard d’euros consacré en CP aux études amont, contre 0,7 Md€ en moyenne dans la LPM précédente. L’effort sur la recherche et développement se fera principalement au bénéfice de la cyberdéfense, du spatial, de la défense NRBC et des études pour les programmes en coopération européenne comme le SCAF.

Répartition des crédits des études amont en fonction des domaines

Source : ministère des Armées.

 

 


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   Partie thématique : L’opération Corymbe et la lutte contre l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée

« Le golfe de Guinée demeure la zone [maritime] la plus dangereuse du monde ». Cette appréciation livrée par l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine nationale, en préface du rapport 2020 du MICA Center ([10]), a de quoi surprendre qui n’est pas initié aux questions de sécurité et de défense.

D’autres espaces maritimes, de la mer de Chine méridionale au détroit d’Ormuz, suscitent en effet des inquiétudes bien plus élevées, en raison des tensions entre puissances qui font craindre la possibilité d’un conflit de haute intensité. Par ailleurs, si l’on ne s’intéresse qu’aux menaces dites du « bas du spectre », la piraterie semble davantage prévaloir au large de la corne de l’Afrique ou dans les détroits d’Asie du Sud-Est, en particulier le détroit de Malacca.

Cette représentation est toutefois datée. Les attaques de pirates au large de la Somalie ont largement diminué depuis la mise en place de l’opération Ocean Shield de l’OTAN et de l’opération Atalante de l’Union européenne à la fin des années 2000. Si l’insécurité n’a pas disparu en Asie du Sud-Est, le golfe de Guinée est aujourd’hui l’épicentre mondial de la piraterie et du brigandage maritime.

Espace maritime qui s’étend au large de 6 000 kilomètres de côtes du Sénégal à l’Angola, le golfe de Guinée est une zone aussi riche en ressources naturelles qu’importante pour le commerce mondial. Chaque jour, ce sont environ 1 500 navires – bateaux de pêche, cargos et pétroliers – qui naviguent dans cette zone. L’expansion continue de l’insécurité maritime, de la piraterie aux trafics, menace toutefois le développement et la stabilité de toute la région.

La France appuie, par le biais de l’opération Corymbe, la réponse militaire des États côtiers. Ni ce soutien, ni celui apporté par d’autres pays ou organisations internationales ne paraissent cependant suffisants pour susciter une véritable mobilisation régionale et juguler la menace sur cette façade de l’Afrique. Des armateurs du monde entier ont récemment lancé un appel à la création d’une opération multinationale pour mettre un terme à la piraterie et au brigandage maritime. Si cette solution ne répond pas aux problématiques spécifiques du golfe de Guinée, d’autres solutions doivent être envisagées.

I.   Le golfe de Guinée est devenue la zone maritime la plus dangereuse au monde

A.   L’insécurité est principalement le fait de la piraterie et du brigandage maritime

Contrairement à d’autres espaces maritimes qui sont l’objet d’une forte concurrence entre entités étatiques, la principale menace dans le golfe de Guinée résulte du comportement d’acteurs privés qui se livrent à des actes de piraterie et de brigandage.

Après avoir constamment progressé depuis la première décennie des années 2000, la menace dans le golfe de Guinée a atteint son plus haut niveau en 2019 et 2020. Les données contenues dans le bilan annuel 2020 du MICA Center ([11]) font état de 114 incidents en 2020, dont 21 actes de piraterie ([12]).

nombre D’incidents dans le Golfe de Guinée en 2020

Source : MICA Center.

La zone à risque, initialement limitée aux eaux territoriales du Nigéria, s’est étendue au large et dans les eaux territoriales des pays voisins, de sorte que le Nigéria ne représente plus que 25 % des actes de piraterie. Cette dispersion géographique de la menace résulte en partie des mesures préventives et coercitives mises en œuvre, avec une certaine efficacité, par le Nigéria, qui ont conduit les pirates à agir au-delà des eaux nigérianes, du Ghana jusqu’au Congo-Brazzaville.

 

L’extension du rayon d’action des pirates entre 2005 et 2020

 

Source : Office des Nations unies contre les drogues et le crime.

Le mode opératoire des pirates a récemment évolué. Si les pirates ciblaient surtout les navires pétroliers pour leurs cargaisons, la chute du prix du baril durant une longue période, en amoindrissant la lucrativité des attaques, les a conduits à privilégier le kidnapping groupé des équipages. Le nombre de kidnappés a suivi une progression alarmante, passant de 60 en 2017 à 142 en 2020, de sorte que le golfe de Guinée représente aujourd’hui la très grande majorité des kidnappings dans le monde. L’ambassadeur de France au Nigéria, S.E. M. Jérôme Pasquier, a décrit à votre rapporteure le mode opératoire des pirates, qui montent à bord des navires – pour l’essentiel des petits navires, plus lents et donc plus vulnérables –, prennent des otages, les ramènent à terre et les libèrent contre rançon ; dans la majorité des cas, les prises d’otages se règlent au bout de quelques semaines et font peu de victimes.

 


Nombre de kidnappés par année

Source : MICA Center.

Dernière évolution notable, les attaques sont de plus en plus violentes et sophistiquées. Le choix privilégié des kidnappings d’équipages s’accompagne d’un recours plus important à la violence – forçage de portes, ouverture du feu – avec un nombre croissant de marins touchés physiquement. Les pirates emploient par ailleurs des techniques d’abordage de plus en plus élaborées, comme en témoigne un incident survenu le 7 février dernier. Ce jour-là, au large de Port Gentil, des pirates abordent et prennent le contrôle d’un navire de pêche gabonais, le Lianpengyu, ce qui leur permet de capturer 10 membres d’équipage, majoritairement chinois, qui sont débarqués au Nigéria, puis relâchés après un mois de détention contre le paiement d’une rançon. Le Lianpengyu sera ensuite utilisé par les pirates pour lancer deux autres attaques (manquées), au large de Sao Tomé, contre un pétrolier, le Maria M, et un navire gazier, le Madrid spirit.

L’insécurité maritime dans le golfe de Guinée ne se résume pas aux seuls actes de piraterie et de brigandage maritime. Les populations riveraines sont exposées au pillage des ressources halieutiques lié à une pêche illicite intense, pratiquée en grande partie par des pêcheurs chinois. Cet espace maritime est par ailleurs le théâtre de trafics en tout genre – drogue, armes, êtres humains, minerais, médicaments contrefaits – qui affaiblissent les institutions des États riverains. Comme l’explique l’ambassadeur de France au Cameroun, S.E. M. Christophe Guilhou, les trafics d’armes, de drogue ou de pétrole concernent en particulier les régions frontalières du Cameroun et du Nigéria. S’agissant uniquement des trafics de pétrole, le Nigéria occuperait la première place du classement des pays les plus touchés par la contrebande de pétrole dans le monde ([13]).

Ces dernières années, les signes d’une expansion de la présence djihadiste dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest se sont multipliés, avec pour effet de dessiner un continuum de l’insécurité depuis la bande sahélienne jusqu’à la côte. Selon le capitaine de vaisseau Ludovic Poitou, coordinateur ministériel des espaces maritimes, en dépit de « la porosité liée aux trafics », le lien entre le terrorisme dans le nord des pays du golfe du Guinée et la piraterie est « difficile à objectiver ». Plus de 1 000 kilomètres séparent les terroristes de Boko Haram du delta du Niger. Pirates et djihadistes n’ont par ailleurs aucune affinité idéologique.

B.   L’instabilité dans le golfe de Guinée tire son origine du nigéria, qui cumule les difficultés

La criminalité maritime dans le golfe de Guinée, dont l’origine est essentiellement nigériane, représente en large partie une extension de l’économie criminelle du delta du Niger. Selon S.E. M. Jérôme Pasquier, le Nigéria est « le pays le plus peuplé et plus riche d’Afrique mais c’est un pays qui a beaucoup de problèmes de développement, de pauvreté et de mortalité infantile. »

La faiblesse de la gouvernance est l’un des premiers éléments de l’instabilité. L’incapacité de l’Etat nigérian à fournir des services publics de base alimente la criminalité et le développement d’une économie parallèle.

Le Nigéria dispose pourtant d’importants gisements offshore qui sont à la source d’une importante activité économique et maritime. Cette rente pétrolière est cependant une des principales sources de corruption. Ses retombées en matière de développement des États du delta sont par ailleurs limitées, ce qui nourrit un ressentiment des populations les plus délaissées à l’égard des États du nord, qui selon ces dernières profiteraient de la rente de façon illégitime.

Ces difficultés sont accentuées par un emballement démographique. Compte tenu d’une fécondité élevée, la population du golfe de Guinée devrait passer de 490 millions en 2020 à plus d’un milliard en 2050. Dans ce contexte, les difficultés d’accès aux écoles et au marché de l’emploi d’une population qui ne cesse de croitre et de rajeunir favorise le chômage et la misère sociale.

Les performances économiques des pays de la zone, souvent limitées, ne permettent pas de compenser ces déséquilibres. Le manque de diversification de l’économie, dépendant de matières premières subissant les aléas de la fluctuation des prix, comme l’illustre le secteur des hydrocarbures au Nigéria, constitue un obstacle majeur à la mise en place de politiques économiques adaptées.

C.   La dégradation de la situation sécuritaire est néfaste pour la région ainsi que pour les intérêts français et européens

1.   La menace pour la région

L’insécurité maritime a des conséquences pour les États riverains du golfe de Guinée, bien que ces conséquences soient variables d’un pays à l’autre.

Les activités criminelles menacent d’abord l’équilibre économique de la région. Elles gênent considérablement l’activité des ports dont les pays côtiers sont très dépendants pour leurs approvisionnements (ils importent 90 % de leurs biens de consommation par voie maritime) et l’exportation de leur production (agriculture, produits miniers et pétroliers). La pêche illégale contribue par ailleurs à la raréfaction des ressources halieutiques, ce qui n’est pas sans conséquence pour les pêcheurs locaux ainsi que pour la sécuritaire alimentaire de la région.

Plus généralement, et comme les autres menaces qui affectent toute la région, dont le terrorisme, les mouvements sécessionnistes, la criminalité et les trafics, l’insécurité maritime a pour conséquence un affaiblissement des États. La taxation des activités économiques des régions côtières est une source de ressources publiques significatives: à titre d’exemple, le port de Cotonou représente 80 % des recettes douanières du Bénin et 45 % des ressources fiscales du pays. Les activités illicites tels que les trafics et la pêche illégale entrainent des pertes de revenus pour les États, dont les budgets nationaux restent faibles, entravant en retour la capacité à répondre aux multiples menaces.

D’un point de vue stratégique, l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée contribue à l’instabilité des États d’Afrique occidentale et centrale. Les trafics par voie maritime participent à la prolifération des drogues et à l’équipement en armement de groupes terroristes ou de bandes criminelles.

2.   La menace pour les intérêts français et européens

La dégradation de la situation sécuritaire fait également peser une menace sur les intérêts français et européens dans le golfe de Guinée. Outre la présence de 400 000 ressortissants européens dont 80 000 Français, la France et l’Europe ont des intérêts économiques importants dans la région. 

Le golfe de Guinée joue un rôle clé dans les approvisionnements stratégiques de l’Europe, notamment en hydrocarbures. 13 % des importations européennes de pétrole proviennent de cette région, qui est la première région pétrolière d’Afrique. L’industrie pétrolière et parapétrolière française (Total, Ponticelli, Vallourec) est d’ailleurs très bien représentée dans le delta du Niger. Les effets de la piraterie sur la sécurité énergétique de la France et de l’Europe restent limités mais une dégradation progressive n’est pas exclue.

Le secteur maritime privé est par ailleurs fortement représenté dans cette zone où transite un quart du trafic maritime africain. Selon Armateurs de France, seule organisation professionnelle représentant les transports et les services maritimes français, les armateurs français exploitent chaque année environ 190 navires de commerce dans le golfe de Guinée. Les secteurs d’activité principalement concernés sont les services maritimes pour l’exploitation des ressources offshore, auxquels participent le groupe Bourbon et Jifmar, le transport de conteneurs, avec la CMA CGM, et le transport de vracs liquides avec des navires pétroliers, gaziers et chimiquiers, avec notamment V. Ships France et Gazocéan. Selon M. Jacques Gerault, président du comité sécurité-sûreté d’Armateurs de France, la piraterie dans le golfe de Guinée a « un lourd impact sur les compagnies de transport et de service maritime ». Les armateurs rencontrent de plus en plus de difficultés à affréter des navires pour fréquenter la zone et les marins employés sont plus réticents à exercer leur métier dans une zone aussi dangereuse. Les navires sont par ailleurs soumis au paiement de polices d’assurance plus chères et doivent avoir recours à des sociétés de sécurité privée pour se protéger.

Enfin, plusieurs autres entreprises françaises sont implantées dans la région, dont Bolloré, Orano (ex-Areva) et Orange. Bolloré est présent dans tous les grands ports de la région (Abidjan, Lomé, Accra, Cotonou, Lagos). Orange réalise environ 10 % de son chiffre d’affaires en Afrique de l’Ouest.

II.   L’efficacité de la réponse régionale à l’insécurité dans le golfe de Guinée est très limitée

Si la lutte contre la piraterie avait pris la forme d’une opération européenne et internationale au large de la Somalie, la communauté internationale s’est entendue sur un principe clair dans le cadre du golfe de Guinée : l’appropriation des enjeux de sûreté maritime par les États côtiers. Les résolutions n° 2018 et n° 2039 adoptées en 2011 et 2012 par le conseil de sécurité des Nations Unies soulignent en effet la responsabilité première des États de la région pour la sécurisation de leur domaine maritime. En pratique, l’implication des États et des organisations régionales est variable et le plus souvent modeste.

A.   Les Etats côtiers déploient des réponses variables mais sont le plus souvent démunis 

Au niveau national, la mobilisation des États contre l’insécurité maritime dépend du niveau de la menace dans leurs eaux territoriales, de leurs capacités financières, matérielles et humaines ainsi que de la volonté politique des autorités. Certains États ont cherché à se doter de véritables capacités, notamment de surveillance et d’intervention navale, et en ont fait une priorité politique.   

Le Nigéria se singularise dans la région en ayant fait de la sécurité maritime une préoccupation majeure. Selon S.E. M. Jérôme Pasquier, la marine nigériane est « une marine sérieuse et professionnelle, qui est une des plus importantes et mieux équipées en Afrique ». Les forces spéciales de la marine sont les mieux entraînées de la région et sont capables d’intervenir en mer. Signe d’une réelle volonté de sécuriser son espace maritime et ses ports principaux, le gouvernement nigérian a lancé, en juin 2021, un grand projet de développement capacitaire de la marine appelé « Deep Blue », financé à hauteur de 195 millions de dollars. Ce projet s’est traduit par l’acquisition de plusieurs bâtiments, de drones et de moyens de communication et de commandement. Les opérations de sûreté menées en mer, cumulées au renforcement du système judiciaire permettant désormais de traduire les pirates en justice, ont entraîné une baisse significative du nombre d’évènements aux abords du Nigéria qui, s’il est capable de contrôler ses eaux territoriales, n’est pas encore en capacité de sécuriser l’ensemble de sa zone économique exclusive (ZEE). Du fait des mesures vigoureuses prises par le Nigéria, où se situe l’origine de la piraterie mais qui « a la volonté de devenir la solution », le capitaine de vaisseau Ludovic Poitou estime que l’on peut être « raisonnablement optimiste » vis-à-vis de la situation dans le golfe de Guinée. Ce dernier constate que le Togo est en train de suivre la voie tracée par le Nigéria, dont les efforts favoriseraient la mobilisation régionale.

Le Sénégal est un autre État de la sous-région à avoir beaucoup investi en matière de sécurité maritime, en particulier depuis la découverte de gisements d’hydrocarbures offshore à la frontière avec la Mauritanie. Ce pays dispose ainsi de l’une des marines les plus fiables de la région. Il tire parti de l’escale de Dakar, principal port civil et militaire entre Tanger et Lomé, pour faciliter les synergies (formations, déploiements conjoints, partage de renseignements) avec les marines étrangères lors du passage de leurs bâtiments. Le Sénégal souhaite aujourd’hui moderniser sa flotte et professionnaliser ses équipages.

Directement impacté par la proximité du delta du Niger, le Cameroun accorde également une grande importance aux questions de sécurité maritime. Le pays accueille, dans sa capitale, le centre interrégional de coordination (CIC) qui est la pierre angulaire de l’architecture régionale de sécurité maritime (cf. infra). Au niveau national, les forces armées camerounaises comptent en leur sein quatre bataillons d’intervention rapide (BIR) à vocation maritime, qui sont des unités d’élite très bien équipées et entraînées qui assurent la souveraineté dans les eaux territoriales et la protection des installations pétrolières offshore. En appui, la Marine nationale camerounaise est relativement bien équipée, ses bâtiments ayant été reconstruits et modernisés. Selon S.E. M. Christophe Guilhou, « sous l’effet de l’intervention du BIR et, dans une moindre mesure, de la Marine camerounaise […] le phénomène a rapidement été jugulé au large des côtes camerounaises », ce qui n’est en revanche pas le cas dans la ZEE et en haute mer. Par ailleurs, selon l’ambassadeur, « s’il a rapidement traité le phénomène de la piraterie maritime, le Cameroun souffre encore de lacunes importantes s’agissant de la lutte contre la pêche illégale, illicite et non déclarée, et de la lutte contre les trafics ».

Si des États affichent un certain volontarisme, les moyens navals des marines locales sont, dans l’ensemble, largement insuffisants et ne permettent pas de réaliser des missions loin des côtes. Malgré un affichage positif et une volonté de moderniser sa flotte, la marine ivoirienne souffre d’importantes limites capacitaires et les autorités nationales peinent à se saisir des problématiques maritimes. Le Bénin ne dispose pas de capacités d’intervention, à l’exception d’un seul patrouilleur. Le renforcement des capacités des marines riveraines se heurte, non seulement au manque de moyens, mais également à la multiplication des menaces qui entraîne une mobilisation accrue des forces de défense et de sécurité qui doivent s’engager sur plusieurs fronts. De fait, l’insécurité maritime n’est pas le principal problème de sécurité auquel sont exposés de nombreux pays de la région. Le Nigéria, par exemple, doit aussi bien faire face à Boko Haram aux abords du lac Tchad, à la piraterie dans le golfe de Guinée et au banditisme qui s’est développé pratiquement partout dans le pays. Aujourd’hui, les pays côtiers frontaliers du Sahel se mobilisent également pour réinvestir leurs espaces les plus au nord qui sont touchés par l’expansion du djihadisme. 

B.   Embryonnaire, la coopération régionale se heurte à d’importantes difficultés

Ainsi que l’a expliqué S.E. M. Christophe Guilhou à votre rapporteure, « ni le Cameroun, ni aucun État du golfe de Guinée, ne pourra traiter seul le problème de l’insécurité maritime le long de ses côtes. » Aussi la réponse des États à l’insécurité passe-t-elle nécessairement par la coopération régionale. 

Sous l’impulsion des Nations unies et de l’Organisation maritime internationale, un sommet à Yaoundé, en juin 2013, a réuni les représentants de vingt-cinq États d’Afrique occidentale et centrale sur la thématique de l’insécurité dans le golfe de Guinée. Ce sommet a permis de poser les bases d’une stratégie régionale de sécurité maritime et a abouti, pour la mettre en œuvre, à la création d’un dispositif régional de sécurité maritime, appelé « architecture de Yaoundé ».

Assez complexe, cette architecture de sûreté maritime se décline sur quatre niveaux avec pour objectif de donner aux pays riverains les moyens d’assurer eux-mêmes la sécurité et la sûreté maritimes dans le golfe de Guinée.

Au niveau politique, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que la Commission du golfe de Guinée (CGG) exercent la tutelle et la direction de l’architecture de Yaoundé.

Créé pour mettre en œuvre la stratégie régionale de sûreté et de sécurité maritimes, le Centre interrégional de coordination (CIC) basé à Yaoundé assure la supervision stratégique de l’architecture régionale, à travers quatre grandes missions : une mission d’harmonisation des corpus juridiques, le partage de l’information maritime, l’organisation de standards de formation et d’entraînements à travers le recensement des besoins en formation et la résolution des problématiques frontalières maritimes du golfe de Guinée (litiges territoriaux entre le Togo et le Ghana ainsi qu’entre le Gabon et le Cameroun).

Cette structure d’échange d’informations et de coordination fait la jonction entre deux centres régionaux, le centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO) basé à Abidjan et le centre régional de sécurité maritime de l’Afrique centrale (CRESMAC) situé à Pointe-Noire, qui ont pour mission de coordonner les initiatives des États et de partager les informations maritimes. 

De ces deux centres régionaux dépendent cinq centres multinationaux de coordination (CMC), chacun compétent sur une zone maritime différente. Les CMC, qui pilotent l’action des centres des opérations maritimes nationaux, sont chargés d’assurer un contrôle opérationnel sur les moyens déployés par les États en mer : marines, polices et gendarmeries maritimes, douanes.

Huit ans après son lancement, le bilan du « processus de Yaoundé » paraît très modeste. Avec le soutien de l’Union européenne (cf. infra), le CIC est parvenu à établir une connaissance de la situation maritime, qui reste encore limitée. Son action en matière de standardisation des formations enregistre quelques résultats prometteurs, au regard des conventions signées avec plusieurs centres de formation de la région ([14]).  Le CIC n’obtient en revanche aucun progrès s’agissant de l’harmonisation des législations nationales en matière d’action de l’État en mer : les États côtiers n’ont même pas encore partagé leurs corpus juridiques existants. Quant aux centres régionaux et aux centres multinationaux, seule une partie d’entre eux a effectivement été mise en place et est fonctionnelle, dont celui installé à Douala, au Cameroun. À titre d’illustration, le CMC de Luanda n’est qu’à l’état de projet : à ce jour, l’Angola se contente de convertir son centre des opérations maritimes national en CMC à l’occasion des exercices régionaux. M. Emmanuel Besnier, sous-directeur de l’Afrique occidentale au Quai d’Orsay, en conclut ainsi que, malgré quelques progrès, ce système « marche mal ».

L’opérationnalisation et la montée en puissance du CIC et de l’ensemble de l’architecture de Yaoundé se heurtent à deux difficultés principales.

La première réside dans le manque de confiance qui demeure entre partenaires africains. Le code de conduite qui sous-tend l’architecture de Yaoundé n’ayant pas une valeur juridiquement contraignante, sa mise en œuvre dépend donc de la volonté politique des différents États membres. Or, les disparités importantes entre les ambitions politiques, les rivalités de leadership et la persistance de conflits frontaliers sont autant de facteurs qui freinent l’action collective, et notamment l’animation politique de l’architecture de Yaoundé. Par exemple, le poids du Nigéria dans la région suscite la méfiance des autres pays ; en conséquence, le Nigéria n’a pas des relations très denses avec ses voisins.

La seconde difficulté est celle du manque de moyens capacitaires, financiers et humains à la disposition de l’architecture régionale. Ainsi qu’il a été rappelé, les capacités maritimes des États riverains, même mieux coordonnées, ne suffisent pas pour affronter le défi posé par l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée. Sur le plan budgétaire, la CEDEAO, la CEEAC et le CCG, qui ont la responsabilité partagée d’assurer le financement du CIC, ne versent pas les fonds requis. Plus encore, les États côtiers sont dans l’incapacité de fournir le personnel compétent qui serait nécessaire, ce qui est le signe d’une négligence collective à l’égard des structures de l’architecture de Yaoundé. Comme l’expliquait à votre rapporteure S.E. M. Christophe Guilhou, moins de la moitié des 26 postes du CIC de Yaoundé sont pourvus, dont le poste de directeur exécutif lui-même.

Ces difficultés conduisent à un essoufflement de la dynamique initiale et risquent de remettre en cause un processus coûteux dont les progrès ne sont pas à la hauteur du niveau d’insécurité persistant dans la région. Ce constat pose la question du soutien extérieur qui est apporté à la coopération régionale.

III.   De nombreux acteurs, dont la France et l’Union Européenne, tentent de soutenir la réponse régionale

A.   Par l’opération Corymbe, la France défend ses intérêts nationaux et apporte un appui aux acteurs régionaux

La France est présente dans la région à travers des éléments prépositionnées en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon, et une opération maritime permanente, Corymbe. L’opération Corymbe est une mission de présence quasi permanente des forces armées françaises dans le golfe de Guinée.

Créée en 1990, cette opération comporte deux volets. Le premier volet, de nature opérationnelle, est destiné à garantir les intérêts nationaux dans la région : la protection de nos ressortissants et intérêts économiques, la garantie de notre liberté d’action et la stabilisation de la région en soutien des acteurs locaux. Le second volet, d’ordre partenarial, vise à appuyer le renforcement des capacités des marines riveraines et l’architecture régionale de sécurité maritime, dans la logique d’appropriation des enjeux de sûreté maritime par les acteurs régionaux. Une partie de la coopération échappe au champ strict de la mission Corymbe.

1.   Le volet opérationnel de la mission Corymbe

 Au cours de ses trente années d’existence, l’opération Corymbe a évolué à mesure des différents mandats conduits par les bâtiments de la Marine nationale. Dispositif destiné à l’origine à protéger les 80 000 ressortissants français de la zone ainsi que nos intérêts stratégiques, l’opération Corymbe a su évoluer afin d’aboutir à un volet centré sur la sûreté maritime dans le golfe de Guinée.

Placée sous le contrôle opérationnel de l’amiral commandant la zone maritime Atlantique (CECLANT) basé à Brest, Corymbe est une opération quasi permanente, avec environ 330 jours de présence dans la région chaque année. Pour le contre-amiral Emmanuel Sagorin, adjoint au chef du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’état-major des armées, ce qui caractérise Corymbe est d’abord « la flexibilité de l’opération ». Elle mobilise dans cette zone un bâtiment français (exceptionnellement deux), de type patrouilleur de haute mer, frégate de surveillance ou porte-hélicoptères amphibie. Ce bâtiment peut bénéficier de l’appui d’un avion de surveillance maritime stationné à Dakar. Les effectifs évoluent selon le type de bâtiment engagé et les embarquements de détachements complémentaires. Les porte-hélicoptères amphibies peuvent en effet embarquer, en complément de leur équipage, un groupement tactique embarqué et/ou un groupement aéromobile à dimension interarmées ([15]). Le coût de l’opération est relativement stable, entre 10 et 15 millions d’euros par an.

Année 2021 non terminée

ND : non disponible

Source : ministère des Armées.

Le soutien de l’opération Corymbe est assuré par les forces françaises prépositionnées au Sénégal et en Côte d’Ivoire en lien avec un officier du centre des opérations maritimes de Brest. Par ailleurs, le MICA Center met en œuvre la coopération maritime dans le golfe de Guinée, en facilitant le dialogue entre la Marine nationale et les acteurs du monde maritime civil et militaire. 

2.   Le volet partenarial de la mission Corymbe

Destinée à garantir les intérêts nationaux dans la région, l’opération Corymbe a également un rôle important pour soutenir le renforcement des capacités des pays de la région et, partant, l’autonomie des partenaires africains dans la maîtrise de leurs approches maritimes. Ces actions sont également appuyées par les éléments français au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon.

En matière de coopération opérationnelle, les bâtiments déployés en mission Corymbe réalisent régulièrement des exercices et des entraînements au profit de nos partenaires africains du golfe de Guinée. Les missions Corymbe organisent chaque année trois ou quatre exercices d’entraînement, appelés « African Nemo », pour former les marines riveraines à diverses interventions. Depuis 2018, la France organise également chaque année un exercice annuel de plus grande envergure, dénommé « Grand African Nemo (GANO) », sous l’égide des instances de l’architecture de Yaoundé, auquel participent les marines riveraines ainsi que les marines partenaires présentes régulièrement dans la zone comme l’Espagne, le Portugal ou les États-Unis (cf. infra([16]). Selon le capitaine de vaisseau Ludovic Poitou, le succès est tel que « les marines locales nous demandent de rehausser le niveau d’ambition de ces exercices ». En outre, les escales conduites dans les différents ports de la région sont l’occasion de mener auprès de nos partenaires africains des périodes d’instruction pour contribuer à la montée en compétence des marines locales. Au total, 150 périodes d’instruction opérationnelle en escale sont réalisées chaque année dans le golfe de Guinée, ainsi que 15 périodes de préparation opérationnelle en coopération en mer.

La France est également liée aux États côtiers du golfe de Guinée par des actions de coopération structurelle pilotées par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du Quai d’Orsay. La DCSD entretient un réseau de quinze officiers insérés dans les marines des pays de l’architecture de Yaoundé, ce qui représente les deux tiers de nos coopérations « Actions de l’État en mer » dans le monde. Elle appuie également deux écoles de formation aux problématiques maritimes à vocation régionale : l’Institut de sécurité maritime interrégional (ISMI) à Abidjan, qui dispense des formations de courte à longue durée sur la sécurité maritime, à destination des militaires, civils mais aussi du secteur privé, et l’École nationale à vocation régionale (ENVR) de Tica, en Guinée équatoriale, qui forme des officiers et officiers mariniers des flottes de la région sur un large volet de compétences. Enfin, depuis 2015, la France organise chaque année un symposium des chefs d’état-major des marines du golfe de Guinée dans l’objectif de permettre aux marines régionales de partager leurs retours d’expérience et leurs bonnes pratiques ([17]).

Enfin, la coopération de défense comporte également un volet capacitaire. Si l’on laisse de côté la question des exportations d’armement à destination des pays riverains du golfe de Guinée, il importe de souligner l’appui de la France au pendant maritime du programme « Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix (RECAMP) » qui se traduit concrètement par des cessions d’équipements et des achats de matériels au profit des marines africaines.

B.   D’autres pays et d’autres enceintes déploient des initiatives dans le golfe de Guinée

1.   Les pays occidentaux, en particulier européens, sont les pays les plus présents dans le golfe de Guinée

À côté de la France, plusieurs pays occidentaux, notamment européens, s’organisent pour déployer une présence navale dans le golfe de Guinée.

Engagés dans la zone depuis longtemps, les États-Unis opèrent un programme de coopération sur la sûreté maritime en Afrique, appelé l’Africa Partnership Station (APS), qui vise à améliorer la connaissance du théâtre et à développer les capacités des marines africaines et la sécurité des infrastructures portuaires. Dans ce cadre, l’US Naval Forces Africa organise un exercice régional annuel, Obangame Express, auquel participe une trentaine de partenaires dont la France. En outre, un bâtiment de commandement de la VIe Flotte, l’USS Hershel « Woody » Williams, a été affecté de manière permanente à l’Africa Command en 2021, ce qui constitue un fait inédit et témoigne de la volonté américaine de renforcer sa présence dans cette région.

Désengagé du golfe de Guinée pour des motifs d’ordre capacitaire, bien que des liens soient maintenus avec le Nigéria et le Ghana notamment, le Royaume-Uni semble vouloir se réengager dans la région, en particulier à la suite de sa nouvelle revue stratégique adoptée en début d’année. Le Royaume-Uni a ainsi annoncé envoyer un patrouilleur dans les eaux du Golfe à la fin de l’année 2021 et participer à l’exercice régional annuel GANO. Il est un partenaire important de la France dans le golfe de Guinée dans le domaine du partage de l’information maritime. Nos deux pays mettent en œuvre conjointement depuis 2016 le Maritime Domain Awareness for Trade-Gulf of Guinea (MDAT-GoG), mécanisme intégré au MICA Center qui assure une évaluation 24 heures sur 24 de la situation maritime dans la région et alerte les navires en cas de danger, ce qui bénéficie fortement à l’industrie maritime.

La présence navale des pays européens dans le golfe de Guinée

L’Espagne est historiquement présente dans le golfe de Guinée, qu’elle considère comme un espace d’intérêt stratégique. La marine espagnole assure une présence opérationnelle significative et régulière dans la région. À ce titre, elle participe aux exercices français GANO et américain Obangame Express.

Le Portugal assure également une présence ancienne dans la zone, en lien avec ses anciennes colonies (Angola, Cap-Vert, Sao-Tomé, Guinée-Bissau). Il participe également à GANO et Obangame Express. Le Portugal a fait de la sécurité maritime l’une des priorités de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) au premier semestre 2021, le conduisant à se mobiliser sur le golfe de Guinée avec notamment la nomination d’un envoyé spécial.

L’Italie est présente dans le golfe de Guinée de façon plus récente, avec pour objectif principal de rassurer l’armateur MSC et le pétrolier ENI, tous deux de nationalité italienne. Elle a déployé pour la première fois une frégate multi missions dans la région en 2020 et a récemment validé le principe d’un double déploiement annuel dans le cadre d’une opération nationale anti-piraterie, nommée « Gabinia ».

Investi traditionnellement dans les actions de renforcement des capacités des États de la région, le Danemark a souhaité depuis peu s’impliquer également militairement, sous la pression de ses armateurs Maersk et Torm. Le gouvernement danois a ainsi décidé de déployer une frégate à l’automne 2021 pour une durée de cinq mois. Il a aussi nommé un représentant spécial pour la sûreté maritime, essentiellement tourné vers le golfe de Guinée.

À l’exception du Brésil, qui déploie ponctuellement des patrouilleurs depuis 2020 et participe aux exercices GANO et Obangame Express, les marines des États non occidentaux sont largement absentes du golfe de Guinée. Ni la Russie, ni la Chine, ni la Turquie, ni l’Inde ne déploient de moyens maritimes militaires dans le Golfe. Mais cette situation pourrait évoluer. La Russie aurait des velléités de déployer un bâtiment dans le Golfe tandis que la Chine aurait un projet de base navale sur la façade atlantique du continent africain.

2.   La communauté internationale, en particulier l’Union européenne, est impliquée dans le renforcement des capacités locales

a.   L’appui de la communauté internationale

Si les Nations Unies ne mènent pas de programme particulier dans le golfe de Guinée en faveur de la stabilisation de la région, l’appui le plus visible de la communauté internationale se traduit au travers du G7++ Friends of the Gulf of Guinea (G7++ FoGG). Ce forum international a le mérite d’assurer la coordination au niveau politico-militaire des initiatives internationales dans la région, malgré l’existence de quelques rivalités regrettables mais classiques.

Composé d’une vingtaine de membres ([18]), dont l’UE, auxquels s’ajoutent les 19 États riverains, le G7++ FoGG est co-présidé chaque année par un membre du G7 – ou, par délégation, un État partenaire – et un pays du golfe de Guinée. La France a assuré la co-présidence du G7++ FoGG en 2019 aux côtés du Ghana. Après une année 2020 très perturbée par la crise sanitaire, la feuille de route de la présidence assurée en 2021 par le Royaume-Uni et le Sénégal est principalement tournée vers le financement et l’opérationnalisation de l’architecture de Yaoundé.

b.   L’appui de l’Union européenne

Si l’UE est insuffisamment présente dans la plupart des grands enjeux internationaux, votre rapporteure se félicite que celle-ci soit en revanche de plus en plus présente dans le golfe de Guinée. Dans sa stratégie de sûreté maritime adoptée en 2014, l’UE reconnaît le Golfe comme une « zone de grande intérêt stratégique » et a fait du soutien aux objectifs de l’architecture de Yaoundé sa priorité.

Selon les mots de M. Emmanuel Besnier, l’UE est devenu « un acteur majeur de la réponse internationale » aux problématiques de la région. Principal financeur de l’architecture de Yaoundé, l’UE a par ailleurs pris l’initiative d’un ensemble de programmes axés sur le renforcement des capacités locales des États côtiers de la région dans des domaines aussi variés que l’harmonisation juridique, la formation, la fourniture d’équipements et le partage d’informations.

Votre rapporteure souhaite évoquer trois projets européens dont l’objet est de renforcer la sécurité maritime dans la région. Dans le cadre du projet GOGIN (Gulf of Guinea inter-regional network), l’UE a mobilisé 9,2 millions d’euros entre 2016 et 2020 pour renforcer la collecte et le partage de l’information maritime, qui est le préalable à la mise en œuvre de capacités d’alerte et d’intervention efficaces. Un autre projet intitulé WECAPS (Western and Central Africa Port Security), lancé début 2019 pour une durée de quatre ans, conduit l’UE à financer le renforcement de la sécurité des ports à hauteur de 8,5 millions d’euros. Enfin, M. Stefano Tomat, directeur « Approche intégrée pour la sécurité et la paix » au service européen d’action extérieure (SEAE), a expliqué à votre rapporteure que la Facilité européenne pour la paix, nouvel instrument européen au service de la politique étrangère et de sécurité commune, permettra de soutenir le financement des capacités d’équipements navals des pays partenaires.

L’action européenne ne se limite cependant pas à la lutte contre la piraterie et porte sur tout le champ de l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée. L’UE appuie ainsi les acteurs régionaux dans la lutte contre les trafics illicites et les réseaux criminels associés et dans la lutte contre la pêche illicite, pour la soutenabilité de la pêche et pour la sauvegarde des fonds marins.

IV.   Le renforcement de la coordination entre marines européennes est prometteur mais devra s’accompagner d’autres réponses pour en finir avec l’insécurité maritime

Malgré l’appui apporté par différents pays et organisations, la difficulté à enrayer l’insécurité maritime conduit à s’interroger sur la possibilité d’une présence militaire renforcée dans le golfe de Guinée. Dès lors que les moyens nationaux déployés dans la région sont contraints, l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée figurant rarement parmi les priorités de quelque pays que ce soit, la conjugaison des efforts internationaux est aujourd’hui la piste la plus prometteuse. Au sujet de la mission Corymbe, l’ambassadeur de France au Cameroun estime ainsi que « la présence d’un à deux bâtiments nationaux en mer, pour sécuriser quelque 6000 km de côtes du Sénégal à l’Angola, qui concentrent 95 % des enlèvements en mer à l’échelle mondiale, apparaît dérisoire. Cette même présence peut porter un réel effet dissuasif, et offrir une capacité d’action rapide, si elle est planifiée en concertation avec les partenaires qui déploient également des moyens sur zone. » D’autres mesures apparaissent aussi nécessaires.

A.   Renvendication portée par les armateurs, le déploiement d’une force internationale n’est pas envisagé

Depuis plusieurs années, les armateurs revendiquent le déploiement d’une force militaire européenne et internationale pour mettre un terme à la piraterie et au brigandage maritime dans le golfe de Guinée. Fin janvier, après l’attaque brutale d’un porte-conteneurs, Armateurs de France a réitéré cette revendication. Début mars, le danois Maersk, plus grand transporteur maritime au monde, a lancé un appel similaire. En mai, une centaine de transporteurs et compagnies du secteur maritime internationale, réunis par le Baltic and International Maritime Council (BIMCO), qui est l’une des principales associations mondiales de transporteurs maritimes, ont signé une déclaration appelant à créer une coalition internationale. Ces propositions sont largement inspirées du dispositif mis en œuvre par la communauté internationale dans l’océan Indien, où les actes de piraterie ont nettement diminué pendant les années 2010.

Si ces revendications soulignent une prise de conscience assez forte et la nécessité de trouver de vraies solutions dans le golfe de Guinée, la réplication d’une opération multinationale sur le modèle de l’opération Atalante pourrait ne pas répondre aux problématiques spécifiques du golfe de Guinée. Pour le contre-amiral Sagorin, une opération internationale serait « illusoire » compte tenu de la différence de contexte entre le golfe d’Aden et le golfe de Guinée.

La différence de contexte tient d’abord à la différence de physionomie du trafic maritime entre ces deux régions. Alors que le golfe d’Aden est un passage maritime, permettant la mise en œuvre d’un « rail de navigation » où les navires de commerce peuvent être protégés en convois par des navires de guerre, dans le golfe de Guinée, la zone est constituée par des routes maritimes très variées, conduisant à une grande dispersion des bâtiments de commerce. Si l’on ajoute à la géographie le fait que le golfe d’Aden est traversé chaque jour par quatre fois moins de bateaux que le golfe de Guinée, il apparait nettement que ce dernier est bien plus difficile à contrôler que le détroit de Bab-el-Mandeb.

En outre, sur le plan politique, une opération internationale se heurterait aux souverainetés nationales. Bien que les États du golfe de Guinée soient en prise avec des difficultés, on ne constate pas un écroulement total de leur autorité comme pour la Somalie. Les États côtiers du Golfe sont en effet souverains et veillent étroitement au respect de leur souveraineté dans leurs eaux territoriales, ce qui rend difficile d’y intervenir. Compte tenu de ces éléments, l’objectif à long terme ne peut être que de responsabiliser les pays riverains à la protection de leurs approches maritimes, la présence européenne ou internationale ne pouvant être envisagée que comme complémentaire. Pour de nombreux acteurs, l’approche partenariale doit ainsi être privilégiée et les efforts doivent se poursuivre en vue d’assurer l’appropriation à terme par les marines régionales de leurs enjeux de sécurité. Pour le contre-amiral Sagorin, « on préfère la coordination à une opération qui déresponsabilise. »

Votre rapporteure estime que le constat de la difficulté à « dupliquer » l’opération Atalante dans le golfe de Guinée ne doit cependant pas faire renoncer à l’objectif d’un renforcement et d’une meilleure coordination des présences européennes et internationales dans cette zone maritime.

B.   L’Union Européenne renforce la coordination des marines européennes dans le golfe de Guinée

Pour garantir des voies maritimes libres et sûres, le renforcement de la coopération internationale doit tenir compte du respect des souverainetés et de la nécessité de collaborer avec les pays riverains. Consciente que sa faiblesse majeure réside dans l’éparpillement de ses moyens, l’UE tente de renforcer la coordination entre acteurs européens, en lien avec les acteurs régionaux. Selon M. Stefano Tomat, dans le golfe de Guinée, « ensemble, on serait plus puissant ».

C’est dans cet objectif que les ministres de la défense européens ont décidé à Helsinki, en 2019, de lancer, sous la forme d’un projet « pilote », le concept de « Présences Maritimes Coordonnées » (PMC) dans le golfe de Guinée. L’opérationnalisation du concept de PMC a été lancée en janvier 2021.

La PMC, au même titre que l’opération Corymbe, s’appuie sur deux piliers. Le premier, le pilier opérationnel, vise à renforcer la coordination des marines européennes volontaires pour leurs déploiements dans la zone. Une plateforme destinée à assurer la coordination des déploiements de navires européens dans la région a été mise en œuvre afin de créer des synergies et d’éviter des lacunes et des double-emplois dans l’utilisation des moyens navals. Comme l’explique M. Tomat, la PMC « n’est pas une opération PSDC (politique de défense et de sécurité commune) », sur le modèle des opérations Atalante dans l’océan Indien ou Irini en Méditerranée, car les moyens navals de chaque pays restent subordonnés aux chaînes de commandement nationales. La PMC intervient « de manière plus souple et devrait avoir des effets similaires » à une opération PSDC dont le propre est d’être soumise à un commandement centralisé.

L’autre pilier, qui relève de la coopération structurelle, est un volet de conseil et de renforcement des capacités des pays riverains, en appui à l’opérationnalisation de l’architecture de Yaoundé. Ce volet d’accompagnement, difficile et pourtant prioritaire, reste en discussion dans les instances européennes.

Proposition n° 1 : suivre avec attention les discussions européennes sur le volet structurel de la PMC, qui pourrait permettre d’importants progrès, compte tenu des difficultés auxquelles l’architecture de Yaoundé reste confrontée.

Proposition n° 2 : envisager de conditionner le soutien apporté par l’Union européenne à la bonne volonté des autorités de la région du point de vue de leur participation aux objectifs de l’architecture de Yaoundé, s’agissant notamment des moyens dédiés, du partage d’informations et des coopérations.

La France est aujourd’hui partie prenante à la PMC aux côtés de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal, ce qui n’est en revanche pas le cas du Danemark.

Proposition n° 3 : convaincre le Danemark, qui milite pour la création d’une coalition militaire internationale, de rejoindre la PMC.

 

La mission Corymbe, une opération européenne ?

Partie prenante à la PMC, la France a intégré la mission Corymbe dans ce nouveau dispositif. Sans passer sous mandat européen, l’opération Corymbe prend ainsi de fait une dimension européenne.

Cette dimension était déjà présente au cours de chaque mandat de l’opération Corymbe par des coopérations avec les unités d’autres marines de l’UE (exercices « Euromarsec » avec l’Espagne, l’Italie et le Portugal) et au cours des exercices GANO auxquels celles-ci prennent part (Italie et Espagne en 2020). Le MICA Center intègre aussi une forte dimension européenne au travers des officiers de liaison.

La mise en place d’un nouveau mécanisme de coordination européen permet de renforcer la visibilité de l’action française dans le golfe de Guinée sans modifier le mandat de l’opération Corymbe. Par ailleurs, la France, par son expertise du théâtre et la quasi-permanence sur zone d’une unité navale, est en mesure de jouer un rôle fédérateur pour la coopération dans la région.

Traçant un premier bilan de la PMC, M. Stefano Tomat constate que « les effets sont si positifs que les États membres commencent à nous demander à faire d’autres PMC dans d’autres régions du monde ». Votre rapporteure se félicite que l’UE s’affirme comme un acteur majeur dans le domaine de la sûreté maritime.

Proposition n° 4 : envisager la création d’autres PMC dans d’autres zones maritimes d’intérêt.

Proposition n° 5 : communiquer sur l’action européenne dans le domaine de la sûreté et de la sécurité maritime qui donne de la substance à l’idée d’une Europe stratège.

C.   En complément de la PMC, l’Union européenne et la France doivent mobiliser d’autres moyens

Malgré les bénéfices d’une coopération européenne grandissante, qui est appelée à s’approfondir davantage, votre rapporteure estime peu probable que la PMC suffise à résoudre le problème de l’insécurité dans le golfe de Guinée. On aurait tort de se fier aux statistiques du premier semestre 2021, qui font état d’une baisse du nombre d’attaques, cette évolution pouvant s’expliquer tant par des facteurs d’optimisme, comme la montée en puissance de la PMC ou l’implication grandissante du Nigéria dans la région, que par certains éléments conjoncturels, tels que la désorganisation du trafic maritime dans le contexte de la pandémie. Votre rapporteure identifie trois leviers qui permettraient de faire reculer la piraterie et le brigandage maritime ou, à tout le moins, d’atténuer ses effets.

1.   Un levier opérationnel : renforcer le soutien de Corymbe aux armateurs

Compte tenu du manque de fiabilité des capacités locales, les armateurs comptent sur les moyens européens pour assurer leur sécurité dans la région. Si les responsables d’Armateurs de France saluent le MICA Center comme un « superbe outil », ces derniers appellent à améliorer encore le partage d’informations entre la Marine nationale et les armateurs, ceci afin de permettre à ces derniers de mettre en perspective les capacités de soutien d’urgence des navires déployés sur zone.

Proposition  6 : renforcer l’information des armateurs sur l’affectation des moyens navals en matière de lutte contre la piraterie dans la région.

À défaut d’une opération internationale, les armateurs souhaitent un renforcement des moyens navals déployés par la France dans la région. Votre rapporteure n’est pas sans ignorer que le golfe de Guinée n’est pas un théâtre prioritaire ni que les moyens de la Marine nationale sont comptés. Pour le contre-amiral Sagorin, un renforcement des moyens militaires dans la zone requerrait une décision politique « qui nécessiterait de déshabiller d’autres théâtres ». La pertinence de la PMC réside précisément dans le fait qu’elle ne nécessite aucun moyen supplémentaire et qu’elle s’appuie sur les actions déjà entreprises par les États membres.

Votre rapporteure souligne qu’un effort relativement limité, consistant à déployer dans la région des bateaux avec des moyens aéroportés capables d’intervenir en urgence, moyens qui ont démontré leur efficacité dans l’océan Indien, serait de nature à rassurer les armateurs. Un tel effort serait cohérent avec le constat partagé selon lequel le golfe de Guinée est devenu la zone maritime la plus dangereuse au monde. Il ne serait pas non plus irréaliste de considérer que la présence maritime française pourrait être à l’avenir plus importante en fonction de l’allègement projeté d’autres opérations extérieures.

Proposition n° 7 : déployer plus souvent, dans le cadre de la mission Corymbe, des bâtiments de surface avec des moyens aéroportés.

2.   Un levier diplomatique : convaincre les pays riverains d’accepter le recours par les transporteurs à des équipes de protection embarquées

En l’absence de solution militaire et institutionnelle pérenne dans le Golfe, les armateurs et l’industrie maritime doivent adopter les bonnes pratiques pour se protéger, malgré le coût qu’elles peuvent représenter. Total s’est beaucoup protégé et n’est pas inquiété sur ses exploitations offshore dans la région. Les gros transporteurs, qui peuvent prendre de la vitesse, sont rarement inquiétés. De façon générale, les risques sont limités par la mise en œuvre des « best management practices (BMP) West Africa », un document élaboré par le MICA Center à destination des armateurs qui croisent dans le golfe de Guinée ([19]).

Cependant, peu nombreux sont les États de la région à accepter, dans leurs eaux territoriales, l’usage d’équipes de protection embarquées à bord des navires. Un pays comme le Ghana, qui n’a pas de réglementation spécifique sur ce sujet, interdit de fait la présence de gardes armés à bord. Le Togo applique le même régime même si ce pays donne des signes de vouloir faire évoluer les procédures. Au Nigéria, la loi interdit les navires d’avoir des équipes de protection embarquées et confie la sécurisation des bateaux à des sociétés privées investies par les agences étatiques, ce qui est à l’origine d’un commerce très profitable à ces sociétés. Selon Armateurs de France, seul le Bénin autoriserait la présence de gardes armés sur les navires, à condition de ne pas embarquer ni débarquer ces derniers sur son territoire, ce qui est très contraignant. A contrario, le modèle camerounais constitue une réponse relativement cohérente et d’ailleurs relativement bien acceptée par les armateurs. Si les équipes de protection embarquées sont interdites de fait, le Cameroun a systématisé la mise en place d’équipes du BIR à bord des navires de commerce dans ses eaux territoriales. Son point faible est d’imposer aux navires de commerce de naviguer sans protection dans la ZEE.

Aucun modèle proposé par les pays riverains n’étant pleinement satisfaisant, les armateurs souhaitent faciliter l’emploi de gardes armés privés à bord des navires de commerce sans dépendre des sociétés privées locales. Votre rapporteure comprend naturellement qu’une telle solution dans les eaux territoriales représente une atteinte à la souveraineté des pays de la région. Pour autant, la piraterie représente en elle-même une atteinte à la souveraineté et l’autorisation d’équipes de protection embarquées, en contribuant à la réduction de l’insécurité maritime et à l’augmentation de l’activité économique dans les ports de la région, doit être perçue comme un « mal nécessaire » participant, temporairement, au retour de la pleine souveraineté. L’expérience de la lutte contre la piraterie au large de la Somalie montre que le recours à des équipes de protection embarquées a pu constituer une partie de la solution.

Proposition n° 8 : entreprendre des démarches diplomatiques auprès des autorités des pays de la région pour convaincre ces dernières de l’intérêt d’autoriser l’emploi d’équipes de protection embarquées à bord des navires et envisager de faire des efforts entrepris un élément de conditionnalité des aides.

3.   Un levier institutionnel : simplifier et unifier la réponse

À quelque niveau que ce soit, régional, européen ou français, la réponse institutionnelle à l’insécurité maritime dans le Golfe apparait souvent éclatée.

Le golfe de Guinée est caractérisé par un grand nombre d’institutions, d’organisations et d’initiatives régionales. L’architecture de Yaoundé elle-même, qui repose sur de multiples structures positionnées à quatre niveaux différents (cf. supra), parait elle-même très complexe. Ces redondances nuisent à l’utilisation rationnelle des moyens déjà précaires des États de la région. Dans ce contexte, le lancement en mai dernier, à l’initiative du Portugal, d’une nouvelle organisation, appelée l’Atlantic Center, basée aux Açores, dont les missions recoupent largement les dispositifs et les programmes existants, est un nouvel élément de redondance susceptible d’accroître les difficultés de financement.

L’action européenne dans le golfe de Guinée est aussi éclatée, entre la Commission et le SEAE, et entre les services du SEAE lui-même. Aussi est-il envisagé la nomination d’un coordinateur européen sur le golfe de Guinée.

Le suivi des enjeux dans le golfe de Guinée n’est pas non plus facilité au Quai d’Orsay. Il est actuellement éclaté entre la sous-direction de l’Afrique occidentale et la sous-direction de l’Afrique centrale du ministère. À l’heure où le Portugal a nommé un envoyé spécial sur le golfe de Guinée, et que le Danemark a nommé un représentant spécial pour la sûreté maritime, essentiellement tourné vers cette région, la France a quant à elle fait le choix de supprimer le poste d’ambassadeur thématique à la lutte contre la piraterie.

Proposition n° 9 : Simplifier, à toutes les échelles, le cadre institutionnel qui concourt à la lutte contre l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée afin d’unifier les programmes et actions et d’assurer leur cohérence.

    


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   Liste des propositions de la partie thématique

 

Proposition n° 1 : suivre avec attention les discussions européennes sur le volet structurel de la PMC, qui pourrait permettre d’importants progrès, compte tenu des difficultés auxquelles l’architecture de Yaoundé reste confrontée.

Proposition n° 2 : envisager de conditionner le soutien apporté par l’Union européenne à la bonne volonté des autorités de la région du point de vue de leur participation aux objectifs de l’architecture de Yaoundé, s’agissant notamment des moyens dédiés, du partage d’informations et des coopérations.

Proposition n° 3 : convaincre le Danemark, qui milite pour la création d’une coalition militaire internationale, de rejoindre la PMC.

Proposition n° 4 : envisager la création d’autres PMC dans d’autres zones maritimes d’intérêt.

Proposition n° 5 : communiquer sur l’action européenne dans le domaine de la sûreté et de la sécurité maritime qui donne de la substance à l’idée d’une Europe stratège.

Proposition n° 6 : renforcer l’information des armateurs sur l’affectation des moyens navals en matière de lutte contre la piraterie dans la région

Proposition n° 7 : déployer plus souvent, dans le cadre de la mission Corymbe, des bâtiments de surface avec des moyens aéroportés.

Proposition n° 8 : entreprendre des démarches diplomatiques auprès des autorités des pays de la région pour convaincre ces dernières de l’intérêt d’autoriser l’emploi d’équipes de protection embarquées à bord des navires et envisager de faire des efforts entrepris un élément de conditionnalité des aides.

Proposition n° 9 : Simplifier, à toutes les échelles, le cadre institutionnel qui concourt à la lutte contre l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée afin d’unifier les programmes et actions et d’assurer leur cohérence.

 

 

 


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   travaux de la commission

Lors de sa réunion du 19 octobre 2021, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Michèle Tabarot a constaté que la trajectoire fixée dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 était respectée – il est assez inquiétant que le respect d’une loi de programmation doive être souligné ! Toutefois, la rapporteure pour avis nourrit quelques inquiétudes sur l’exécution de la LPM à partir de 2023.

Elle a choisi pour thème un sujet qui lui est cher, la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, devenu « l’épicentre mondial de la piraterie et du brigandage maritime » et où la France est engagée, dans le cadre de l’opération Corymbe. Ce thème permet de s’interroger sur les moyens déployés par les États côtiers et la mise en œuvre difficile d’une coordination internationale.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. Ce budget n’est pas le dernier de la LPM, dont l’un des objectifs est de porter l’effort de défense à 2 % du PIB en 2025, mais il est le dernier du quinquennat.

En 2019, Didier Quentin estimait dans son rapport sur le premier budget de la LPM que le Gouvernement avait tenu ses engagements. En 2020, la crise sanitaire aurait pu faire dévier la trajectoire mais les économies induites par la crise ont permis de compenser les dépenses nouvelles. L’an dernier, Guy Teissier s’est inquiété du fait que la défense était la grande oubliée du plan de relance, avec 0,2 % seulement des 100 milliards d’euros prévus, alors qu’elle devrait être concernée par les investissements d’avenir.

Pour l’année 2021, l’exécution budgétaire globale devrait à nouveau être conforme à la prévision. Par ailleurs, une échéance majeure était prévue pour le Parlement : l’actualisation de la LPM. Contrairement aux engagements du Gouvernement, celle-ci n’a pas fait l’objet d’une loi, mais d’un simple débat. Sur le fond, elle est restée très en deçà de ce qui était attendu, puisque le Gouvernement a inscrit un ajustement de 1 milliard d’euros à enveloppe constante. De ce fait, plusieurs programmes prendront du retard et certains objectifs ne seront pas tenus.

Ce renoncement n’est qu’une petite part des déconvenues à venir. L’actualisation de la LPM ne tient compte ni de certains surcoûts passés, ni des surcoûts futurs, notamment ceux qu’induira le renforcement de la préparation aux conflits de haute intensité. Le Sénat a estimé le périmètre de l’actualisation à 8,6 milliards d’euros. Le Gouvernement l’a donc sous-évalué, remettant les décisions difficiles à l’après 2022.

Dernier point de vigilance : les ventes d’équipements majeurs. Les contrats conclus récemment avec nos partenaires de confiance européens sont de très bonnes nouvelles, mais je regrette que nous devions déposséder nos armées pour les honorer. Les douze Rafale d’occasion cédés à la Croatie ne seront pas compensés dans l’immédiat. Une nouvelle commande a été annoncée, mais pas encore passée. En 2025, l’armée de l’air et de l’espace devrait disposer de 117 Rafale au lieu des 129 attendus. De même, deux des frégates vendues à la Grèce seront prélevées parmi celles destinées à la marine nationale, dont le calendrier de livraison est décalé de plusieurs mois. Ces décisions pèsent sur le respect de la LPM et sur notre souveraineté. Nous demandons de la clarté à ce sujet.

Le budget de la défense pour 2022 comporte plusieurs points positifs, notamment la hausse des crédits de 1,7 milliard, conformément à la LPM, l’accélération des recrutements dans le cyber – un enjeu majeur –, la priorité accordée à l’entretien programmé des matériels (EPM) et le milliard d’euros consacré aux études amont. Toutefois, ce projet de budget ne lève pas toutes les inquiétudes : persistance d’un surcoût net des opérations extérieures (OPEX) systématiquement absorbé par le budget des armées, contrairement à ce que prévoit la LPM ; situation du service de santé des armées (SSA), qui affronte une pénurie de médecins ; retards de livraison de petits équipements qui participent directement à la sécurité des soldats.

Que se passera-t-il après 2022 ? À partir de 2023, la LPM 2019-2025 prévoit une hausse annuelle des crédits, non de 1,7 milliard, mais de 3 milliards. L’essentiel de l’effort prévu relèvera donc de la prochaine majorité. Celle-ci devra être d’autant plus vigilante que la crise sanitaire a fait reculer la richesse nationale et qu’il n’est pas acquis que la proportion de 2 % du PIB équivaudra à 50 milliards en 2025. Je considère que la trajectoire de la LPM doit être fixée en valeur et non en pourcentage et que cette évolution devrait faire l’objet d’un projet de loi d’actualisation.

J’ai consacré la partie thématique de mon rapport à l’opération Corymbe, dans le golfe de Guinée. Son budget, de l’ordre de 10 à 15 millions, est modeste, mais les enjeux sont substantiels, ne serait-ce que pour les 80 000 Français présents dans cette zone. D’après le chef d’état-major de la marine (CEMM), le golfe de Guinée est devenu la zone maritime la plus dangereuse du monde. Les trafics, la pêche illégale, la piraterie ainsi que les kidnappings y ont atteint des niveaux alarmants. Cela a des conséquences directes sur nos intérêts, au premier rang desquels le transport maritime depuis et vers l’Europe.

Face à cette menace, qui s’étend et se durcit, la marine nationale joue un rôle déterminant. Elle œuvre à la sécurité maritime dans cette région plus de 330 jours par an et soutient le renforcement des marines des États riverains, qui aspirent à maîtriser seuls la piraterie au large de leurs côtes. Je salue les efforts de la France pour former et soutenir les capacités de ces pays. Je tiens à souligner le travail remarquable du centre d’information, de coopération et de vigilance maritimes (MICA Center) de Brest, qui évalue en permanence la situation et alerte les navires en cas de danger.

Par ailleurs, l’Union européenne, dont nous savons qu’elle est peu visible sur la scène internationale, a pris de nombreuses initiatives dans le golfe de Guinée, par le biais de programmes visant à soutenir les capacités autonomes des États. J’espère que cet effort suscitera d’autres initiatives démontrant enfin que l’Europe a sa place dans la sécurité du monde.

Dans ce cadre, la marine française est amenée à jouer un rôle de plus en plus fédérateur dans la région. Plusieurs points peuvent être améliorés.

Tout d’abord, il faut amener les États côtiers à accepter la présence d’équipes de protection privée à bord des navires, conformément au souhait des armateurs. Il faut mener un effort diplomatique, voire en faire une condition des aides. En Somalie, cette solution a fait partie de la réponse.

Ensuite, il faut simplifier et mieux coordonner les actions. Sur le plan international, c’est l’objectif de la présence maritime coordonnée (PMC) dans le golfe de Guinée, conformément au concept élaboré par l’UE. Sur le plan régional, il faut assurer le partage des informations et le développement des moyens de sécurité maritime.

Enfin, à défaut d’une opération internationale, il faut renforcer Corymbe, en privilégiant le déploiement de navires dotés de moyens aéroportés, capables d’intervenir en urgence en cas d’attaque. Alors même que nous allégeons notre dispositif au Sahel, il est fort à craindre, hélas, que nous entendions de plus en plus parler de cette région.

Je m’abstiendrai sur ce budget, car trop d’incertitudes l’entourent.

Jacques Maire (LaREM). Le groupe La République en Marche a pris, en début de législature, l’engagement de renforcer les capacités des forces armées. Pour la quatrième année consécutive, en dépit de la crise, le budget de la défense augmente, de 1,7 milliard, soit une hausse de 4,3 % par rapport à 2021 et de 27 % par rapport à 2017. Cette hausse respecte-t-elle l’esprit et la lettre des engagements fixés par la LPM ? Il me semble que tel est le cas, madame la rapporteure : certes, d’inévitables problèmes d’exécution se posent, mais l’article 3 de la loi, que nous avons voté ensemble, prévoit bien un montant de 41 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) pour 2022.

Les conséquences sont concrètes et positives : l’appareil militaire est plus complet et plus équilibré, ce qui permet dès à présent à notre armée de mieux mener, sur le territoire national et dans le monde, les actions destinées à protéger les Français. Quatre objectifs sont assignés à ce budget : améliorer la condition des soldats ; renforcer l’autonomie stratégique, notamment dans les domaines du renseignement et du cyber ; anticiper les nouvelles menaces en renouvelant et en modernisant les équipements ; renforcer l’effort sur la scène européenne et les théâtres extérieurs car, comme le montre l’opération Corymbe, notre action, malgré le potentiel, a encore peu d’impact sur le terrain.

Le Fonds européen de la défense (FED) a été approuvé par le Parlement européen le 29 avril. Doté d’un budget de 8 milliards d’euros, il permet d’engager dès maintenant 1,2 milliard auprès des entreprises françaises, des investissements supplémentaires qui solidifieront notre filière.

Les gouvernements précédents ont tous péché en sous-finançant les OPEX. Avec plus de 820 millions, ce budget n’en assure certes pas le financement intégral, mais il est bien plus sincère. Toutefois, les conséquences de l’évolution de Barkhane sont très difficiles à anticiper, compte tenu de nos relations difficiles avec certains de nos partenaires, notamment le Mali – qui ne sait plus vraiment où il habite.

Ce budget confirme le renforcement de notre autonomie stratégique aux échelles nationale et européenne. Il permet d’améliorer la sécurité des Français, en métropole, outre-mer et à l’étranger. Le groupe LaREM votera ces crédits.

M. Michel Fanget (Dem). La défense étant le bras armé de la diplomatie, il est naturel que notre commission se prononce sur les crédits de la mission Défense.

Avec 1,7 milliard d’euros de crédits additionnels pour l’année 2022, le budget affiche une forte hausse. Nous saluons cet effort, plus que jamais nécessaire pour soutenir l’armée face à des défis complexes et variés.

Les travaux que nous avons menés tout au long de la législature le montrent : les conflits du XXIe diffèrent en tout point de ceux du XXe siècle, car ils sont caractérisés par la multiplication des zones de conflit, la dissémination des menaces et leur format asymétrique. Dans ce cadre, conformément à la trajectoire fixée par la LPM, la hausse des moyens permettra de moderniser les équipements, de sincériser le budget et surtout de financer des priorités comme la cybersécurité, la dissuasion nucléaire et le soutien aux soldats. Il s’agira aussi de poursuivre la dynamique engagée.

Un effort constant est consenti en faveur de la modernisation et du maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements. Nous nous réjouissons de l’effort de 8,1 milliards, en hausse de 6,6 %, engagé pour les programmes d’armement, et des 4,5 milliards consacrés à l’EPM. Cette hausse des crédits permettra de doter les armées des moyens nécessaires pour répondre aux nouvelles menaces. La modernisation des forces opérationnelles terrestres (FOT) se poursuivra grâce à la livraison de véhicules du programme de synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation (SCORPION). La marine recevra en 2022 son deuxième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de classe Barracuda et sa seconde frégate multimissions à capacité de défense aérienne renforcée (FREMM-DA).

Mais moderniser les équipements ne suffit pas pour garantir l’efficacité de la politique de défense, il faut aussi apporter le soutien nécessaire aux agents chargés de sa mise en œuvre. Le PLF traduit plusieurs engagements pris dans le cadre de la LPM.

Il prévoit la création de 492 emplois, notamment dans les domaines du renseignement et de la cyberdéfense, décisifs pour gérer les conflits de demain. Les efforts d’attractivité et de fidélisation des personnels se poursuivent, notamment par la mise en œuvre de la deuxième marche de la nouvelle politique de rémunération des militaires. Des efforts significatifs permettront l’amélioration des conditions d’hébergement des personnels, dans le cadre du plan Ambition logements, et des conditions d’exercice de leur métier, grâce à la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat.

Notre groupe soutient l’augmentation de 6,6 % du budget alloué à la dissuasion nucléaire, qui demeure un élément central de notre défense, à l’heure où nous militons pour une autonomie stratégique aux échelles nationale et européenne.

Conscient des efforts et des défis futurs, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés salue un budget conforme à la ligne tracée, qui renforce assurément notre capacité à agir dans le monde qui vient.

M. Alain David (SOC). On peut s’interroger sur la pérennité des hausses de crédits prévues, dans la mesure où la marche à franchir, à partir de 2023, sera plus haute : les augmentations annuelles de crédits devront être non plus de 1,7 milliard, mais de 3 milliards en moyenne. Dans la mesure où les autorisations d’engagement d’aujourd’hui sont les paiements de demain, on peut légitimement se demander si les objectifs financiers de la LPM seront respectés.

Vous proposez que la trajectoire budgétaire des dernières années de la LPM soit fixée en valeur et non en pourcentage, car les fluctuations de la richesse nationale dues à la pandémie ne permettent pas d’assurer qu’une proportion de 2 % du PIB consacrée au budget de la défense équivaudra à 50 milliards d’euros en 2025. Comptez-vous présenter un amendement en ce sens ?

M. Jean-Michel Clément (LT). Les militaires français ont beaucoup donné à leur pays en 2021, comme en témoigne leur engagement récent en Afghanistan. Il est donc juste que l’État leur accorde les moyens budgétaires nécessaires à leur action.

Le budget se conforme à la trajectoire inscrite dans la LPM, qui prévoit une hausse de 1,7 milliard. Toutefois, nous sommes surpris de l’heureux hasard remettant les hausses les plus fortes après l’élection présidentielle. Rien ne garantit que le prochain gouvernement acceptera de suivre ces engagements, ni surtout qu’il en sera capable. Les propos de Charles de Courson à ce sujet résonnent encore à mes oreilles.

Nous savons que la rupture du contrat avec l’Australie entraînera d’importantes pertes pour Naval Group, mais nous ne savons toujours pas quel est le manque à gagner pour l’État. Devrons-nous réviser la trajectoire fixée par la LPM ?

Dans le domaine du cyber, le budget de la mission Défense prévoit des recrutements importants, un effort qu’il convient de saluer compte tenu de l’augmentation du nombre de cyberattaques. Toutefois, il faut bien constater qu’alors même que nous intensifions nos investissements en la matière depuis que la LPM est appliquée, nous sommes toujours en retard sur la Chine, les États-Unis et la Russie.

Le projet de défense européenne est au point mort. Le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 prévoit une dotation de 7,9 milliards d’euros pour la défense, un montant dérisoire à l’aune des enjeux.

Les crédits consacrés aux OPEX soulèvent également des interrogations. La France a annoncé que son engagement au Sahel allait évoluer, mais on ignore dans quelle mesure cela affectera notre présence sur place. Surtout, nos alliés européens sont toujours aux abonnés absents, tant en matière d’effectifs militaires que du point de vue budgétaire, alors même que l’opération Barkhane est censée assurer la sécurité de tous les citoyens européens. Si rien n’est fait, nous devrons encore faire appel à nos ressources.

Dans ces conditions, le groupe Libertés et Territoires s’abstiendra sur ce budget.

Mme Liliana Tanguy. Le budget de défense augmente pour la quatrième année consécutive, conformément à la LPM. Cet effort pour le moins significatif permet à notre pays de préparer l’avenir.

Toutefois, vous émettez plusieurs réserves, madame la rapporteure pour avis. Vous considérez notamment que le plan de relance a esquivé la défense. Il faut pourtant avoir à l’esprit que la défense n’a pas été affectée par la crise sanitaire au même degré que d’autres secteurs et que certaines dépenses n’ont pas été effectuées.

Par ailleurs, le Gouvernement a toujours été présent pour tous les secteurs d’activité, défense comprise. Celle-ci a bénéficié de mesures d’accélération des investissements à hauteur de 763 millions d’euros. Vous suggérez que certains besoins ne sont pas couverts par le budget 2022 : lesquels ?

Mme Nicole Le Peih. La trajectoire de la LPM ayant été toujours respectée, nous travaillons en confiance. Les présentations budgétaires de ce gouvernement sont fidèles aux budgets exécutés. De 2018 à 2022, le budget de la défense augmente de 27 %, ce qui est remarquable. Il importe d’autant plus de le rappeler que les dotations aux armées ont souvent été des variables d’ajustement pour les gouvernements, de droite ou de gauche. Appartenant à l’opposition, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat lui-même s’est réjoui de cette dynamique inédite, qui permet non seulement de renforcer les capacités militaires, mais aussi d’améliorer les conditions de vie et la sécurité des soldats – une façon de saluer leur engagement.

Les particularités de la zone, dans le golfe de Guinée, rendent impossible selon vous la réplication des opérations Ocean Shield et Atalante, au large de la Somalie, car l’espace d’intervention est plus vaste et plus difficile à sécuriser. La PMC n’a pas pris la forme d’une opération relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ce qui offrirait l’avantage d’un commandement intégré. Vous suggérez le développement de nouvelles PMC, ailleurs. Pourquoi ne pas plaider pour le développement d’une véritable PSDC ? Quels sont les blocages, ou les désavantages, à la mise en œuvre d’une politique de défense européenne intégrée ?

M. Jean-François Portarrieu. L’amiral Vandier a jugé que la zone maritime concernée par l’opération Corymbe, au large du Nigeria et de l’Angola, était la plus dangereuse du monde, en raison de l’explosion du nombre d’actes de piraterie et de brigandage. Cette zone à risque, longtemps limitée aux eaux territoriales du Nigeria, s’étend désormais jusqu’au large du Sénégal. Cette délinquance, en augmentation sensible, peut-elle être contaminée par l’expansion des groupes djihadistes de Boko Haram vers les zones côtières ?

M. Christian Hutin. J’aimerais soulever une question très technique, mais d’actualité puisqu’elle a été abordée par plusieurs candidats à la présidentielle : la France ne produit plus d’armes individuelles, une première depuis plus de 2 000 ans. C’est très étonnant, dans la mesure où nous disposons encore de fabricants comme Manufrance. Notre commission et celle de la défense s’interrogent, à juste titre, sur la commande de fusils d’assaut allemands. Se déroule-t-elle comme prévu ? À l’heure où nous prônons une forme de souverainisme sur le Doliprane, il ne faudrait pas négliger un armement dont nous nous équipons avec volontarisme pour lutter contre le terrorisme !

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. J’ai mentionné les points positifs du budget de la défense pour 2022, en soulignant l’augmentation de 1,7 milliard et le respect, même partiel, de la trajectoire fixée par la LPM. Toutefois, il était de mon devoir, en cette dernière année de mandat présidentiel, de donner des perspectives sur ce qui nous attend, notamment l’augmentation annuelle de 3 milliards.

Par ailleurs, le Parlement n’a pas abordé l’actualisation de la LPM dans le cadre de l’examen d’un projet de loi. Nous devons fixer des orientations ensemble, tant en matière d’exportations que de niveau capacitaire des armées, mais le Gouvernement décide seul !

Exporter des matériels est une bonne chose, notamment dans les pays européens. Toutefois, il s’avère que cette avancée est obtenue au détriment de l’armée française, qui recevra plusieurs matériels bien plus tard que prévu. Sur ce sujet hautement stratégique, il faut savoir ce que nous voulons en priorité : équiper notre armée ou exporter notre savoir-faire ? Quel est le bon équilibre ? Certes, des efforts financiers ont été réalisés, mais la future majorité devra en consentir d’autres.

La sincérisation du budget des OPEX n’est pas totale, dans la mesure où 200 millions resteront à payer. Par ailleurs, la LPM prévoyait une solidarité interministérielle en la matière : il n’en est rien.

Le PLF prévoit la création de 376 postes dans le domaine cyber, qui connaît des difficultés de recrutement. Cet effort est indispensable car les conflits de demain exigeront des belligérants qu’ils soient bien équipés en la matière et servis par des personnes de qualité.

Plusieurs orateurs ont évoqué l’amélioration de la situation matérielle de nos armées, notamment la mise à leur disposition de logements et de places en crèche. Plusieurs actions sont menées en ce sens, notamment un partenariat avec le groupe Vinci qui permet d’acheter des logements insalubres en vue de les rénover.

Je rejoins vos inquiétudes sur la possibilité de respecter la trajectoire de 2023 à 2025 et je pense, moi aussi, qu’il faut exprimer les objectifs financiers en valeur et non en pourcentage. Le prochain gouvernement devra faire sérieusement le point sur l’actualisation de la LPM, afin qu’elle soit aussi sincère que possible et tienne compte des analyses, qui sont nombreuses à prévoir des conflits de haute intensité. Nous devons nous demander comment orienter la politique d’exportation et la politique d’équipement de nos armées en fonction de ces prévisions.

Je le répète, le plan de relance ne s’est pas caractérisé par un effort particulier en faveur de la défense : seuls 0,2 % de ses crédits sont destinés à cette mission. Bien qu’il soit orienté vers le social, le numérique et l’écologie, l’armée y avait sa place, notamment pour financer les programmes d’avenir, et pouvait espérer des crédits plus élevés.

Dans le golfe de Guinée, la marine effectue un travail extraordinaire, reconnu par tous les armateurs français et étrangers. C’est une zone stratégique, puisque 80 000 ressortissants français et 400 000 ressortissants européens y résident. Le trafic maritime y est intense. L’opération Corymbe se distingue nettement de l’opération Atalante, qui avait été menée dans le golfe d’Aden en application des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies : la configuration des lieux permettait d’avoir un rail, et l’opération était rendue légitime par le fait que la Somalie était un État totalement défaillant.

 Dans le golfe de Guinée, les États souverains limitent quelque peu l’action souhaitée par la France et l’Europe. Au côté de la France, l’Espagne, l’Italie, et, comme cela est annoncé, le Danemark, mènent des opérations coordonnées. L’architecture de Yaoundé, établie en 2013, définit la participation de chaque État, mais les règles ne sont pas totalement appliquées. Sur des points précis, l’Europe peut avoir une action concrète et conditionner son aide à certaines actions dans le golfe de Guinée. La responsabilisation des États côtiers est essentielle. Plusieurs d’entre eux accomplissent un gros effort, et d’autres suivent peu à peu.

La transformation de Barkhane suscite des inquiétudes. Les foyers de terrorisme peuvent en effet se déplacer. On aura besoin, dans les mois à venir, d’un renforcement important des marines européennes dans le golfe de Guinée, voire d’une intervention internationale. Pour l’heure, les Américains et les Chinois y sont peu présents, si ce n’est, s’agissant des Chinois, pour pratiquer une pêche un peu sauvage en haute mer.

Je n’ai pas d’information particulière sur l’importation des armes de petit calibre. Un travail est à mener, sur le plan national, par le Gouvernement. Il devra également être conduit à l’échelle européenne si l’on veut faire émerger l’Europe de la défense.

Ce projet de budget présente des aspects positifs, tandis que d’autres soulèvent des interrogations. Nous sommes frustrés par le fait que le Parlement est un peu absent de la prise de décision, dans des domaines pourtant stratégiques.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ferai deux observations. Premièrement, les OPEX sont budgétées à hauteur de 800 millions sur un total de 1 milliard, ce qui constitue un progrès considérable en matière de transparence budgétaire. Auparavant, ces opérations étaient totalement sous-évaluées, ce qui conduisait à récupérer des crédits un peu partout. Le Gouvernement doit aller plus loin et achever cet effort de clarification.

Deuxièmement, établir la trajectoire de la LPM en valeur et non en pourcentage contribuerait peut-être à accroître la sincérité budgétaire mais il n’est pas certain que le calcul serait gagnant compte tenu de la dynamique de la croissance post-pandémie.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense sans modification.

 

 


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   annexe n° 1 :
liste des personnes auditionnées
par la rapporteure pour avis

● Ministère des Armées

–  Contre-amiral Emmanuel Sagorin, adjoint au chef du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) à l’état-major des armées (EMA) ;

–  Capitaine de vaisseau Ludovic Poitou, coordinateur sécurité maritime et adjoint au chef du service des affaires de sécurité internationale de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) ;

–  Mme Isabelle Saurat, secrétaire générale pour l’administration, colonel Hubert Serizier, chef de cabinet de la secrétaire générale pour l’administration, et M. Christophe Mauriet, directeur des affaires financières.

 

 Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

–  M. Emmanuel Besnier, sous-directeur Afrique occidentale à la direction Afrique et océan Indien ;

–  S.E. M. Jérôme Pasquier, ambassadeur de France au Nigéria ;

–  S.E. M. Christophe Guilhou, ambassadeur de France au Cameroun.

 

 Service européen d’action extérieure

–  M. Stefano Tomat, directeur de l’approche intégrée pour la sécurité et la paix.

 

 Armateurs de France

–  M. Jacques Gérault, président du comité sécurité-sûreté d'Armateurs de France, M. Thibault Soubrier, responsable sûreté de la compagnie Bourbon Offshore Surf, M. Simon Delfau, directeur sûreté du groupe CMA CGM, et M. Pierre-Antoine Rochas, chargé des affaires techniques d’Armateurs de France.

 


([1])  Avis budgétaire réalisé par M. Didier Quentin sur la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2019 au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, publié en octobre 2018.

([2]) L’enveloppe affectée à la fidélisation pour l’année 2021 s’élève à 64,6 M€ dont 55,6 M€ au titre de la PLS.  

([3]) Rapport de MM. Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot en conclusion d’une mission « flash » sur la place de l’industrie de défense dans la politique de relance au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, publié en juillet 2020.  

([4]) Le plan de soutien à l’aéronautique prévoit la livraison anticipée de trois Airbus A330-200 ayant vocation à être transformés en MRTT ultérieurement, huit hélicoptères H225M Caracal « light », un avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) et des systèmes de mini-drones de la marine (SMDM).   

([5])  Avis budgétaire réalisé par M. Guy Teissier sur la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021 au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, publié en octobre 2020.

([6]) Rapport d’information sur l’actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 par M. Christian Cambon et M. Jean-Marc Todeschini au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, publié le 16 juin 2021. 

([7]) Pour rappel, dans le cadre de la LFI pour 2020, les crédits d’infrastructure pour l’accueil des programmes d’armement ont été transférés au programme 146 et les crédits destinés aux infrastructures à caractère opérationnel ont été transférés au programme 178. Le programme 212 conserve les crédits des infrastructures liées aux réseaux et bâtiments d’intérêt général ainsi qu’aux conditions de vie et de travail des personnels et des familles.

([8]) En revanche, les crédits de paiement diminuent de 2 %, pour l’essentiel en raison de la baisse du besoin de paiement sur les opérations de restructuration ainsi que la diminution du niveau de reste à payer sur les opérations de maintenance lourde antérieures à la mise en œuvre de la nouvelle architecture budgétaire des crédits d’infrastructure en 2020.  

([9]) Sur les sites du régiment de Noailles-Dragon et des bases aériennes de Solenzara et Nancy-Ochey.  

([10]) Le MICA Center (Maritime Information Coordination Awareness Center) basé à Brest, centre français de veille permanente et d’analyse de la situation maritime mondiale, contribue directement à la sécurité maritime grâce aux échanges entre la marine nationale et les acteurs du monde maritime.

([11]) Le rapport annuel 2020 du MICA Center est accessible ici.  

([12]) Les actes de piraterie visent les évènements au cours desquels les assaillant ont eu le contrôle du navire ou de son équipage.

([13]) Selon la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), 7 millions de litres quitteraient chaque jour le Nigéria en contrebande pour les pays voisins, notamment le Cameroun.  

([14]) Dont l’Institut de sécurité maritime interrégional (ISMI) basé à Abidjan et l’École navale à vocation régionale (ENVR) de Tica, en Guinée équatoriale.

([15]) Ainsi, au cours du premier semestre 2021, le porte-hélicoptère amphibie Dixmude a embarqué un groupement tactique de 300 soldats et 80 véhicules afin de disposer d’éléments directement projetables.

([16]) En 2022, le budget que la France prévoit de consacrer à l’ensemble du cycle de l’exercice GANO (conférences et réunions de planification, VIP Day, déplacements) est d’environ 110 000 euros.

([17]) Cette année, le Congo accueillera le symposium des chefs d’état-major des marines du golfe de Guinée en novembre, à l’issue de l’exercice « GANO 2021 ».  

([18]) Le G7++ FoGG est composé de 16 États et 4 organisations internationales : le Canada, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l’Inde, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la Corée du Sud, l’Espagne, la Suisse, l’Union européenne, l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime, l’Organisation maritime internationale et Interpol.    

([19]) Les BMP West Africa, qui conseillent par exemple aux armateurs de prendre de la vitesse dans les zones affectées par la piraterie ou de faire construire des « citadelles » sur les navires, est consultable ici.