—  1  —

N° 285

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273)

TOME XI

OUTRE-MER

PAR M. Johnny HAJJAR,

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Voir les numéros : 273 (Tome III, Annexe 32).

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION

PremiÈre partie : Le budget de la mission OUTRE-MER : UNE HAUSSE pour les deux tiers MÉCANIQUE ET BASÉE SUR UN PRÉVISIONNEL

I. Les crÉdits du programme 138 « Emploi outre-mer » sont en baisse en raison d’une mesure de pÉrimÈtre

1. Action n° 1 : Une baisse des crédits consacrés au « Soutien aux entreprises » en raison d’une mesure de périmètre résultant d’une rationalisation des modalités de compensation des exonérations de cotisations sociales patronales

2. Les crédits de l’action n° 2 « Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle » sont en hausse de 10,41 %, en raison de l’augmentation des crédits du SMA (+ 28 M€ en AE et + 35 M€ en CP)

3. Le volume des crédits consacrés à l’action n° 3 « Pilotage des politiques des Outre-mer » est en hausse de 80,95 % (+ 1,7 millions d’euros) par rapport à la LFI pour 2022

4. Les AE de l’action n° 4 « Financement de l’économie » demeurent inchangées, tandis que les CP sont en baisse

II. Les crÉdits du programme 123 : « Conditions de vie dans les Outre-Mer » font Également l’objet d’une hausse MESURÉEE (7 % EN AE ET 6 % EN CP)

SECONDE PARTIE : LA VIE CHÈRE DANS LES OUTRE-MER

I. La spirale inflationniste actuelle vient frapper les Outre- mer oÙ le niveau gÉnÉral des prix est dÉjÀ largement supÉrieur au niveau des prix hexagonaux

A. Les dÉterminants historiques et structurels de la vie chÈre : un ensemble de facteurs multidimensionnels expliquant un niveau gÉnÉral des prix supÉrieurs au niveau des prix hexagonaux

1. Des prix supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone

a. Un retard et un modèle de développement économique inhérent au passé colonial

b. L’insuffisance historique et l’absence de diversification de la production locale expliquent la très forte dépendance aux importations

c. L’éloignement géographique et l’insularité impliquent des coûts élevés d’approche des marchandises

i. Des coûts de stockage importants

ii. Des coûts d’approche et de transport très importants

iii. Des coûts d’infrastructure

d. Ces coûts sont renchéris par la présence de nombreux intermédiaires le long de la chaîne d’approvisionnement

e. Des marchés insuffisamment concurrentiels, en raison de l’étroitesse des débouchés

i. La difficulté de réaliser des économies d’échelle pour les entreprises locales

ii. L’étroitesse des débouchés explique la forte concentration des marchés ultramarins autour d’un petit nombre d’acteurs

f. Une fiscalité spécifique renchérissant le niveau général des prix mais de manière raisonnable

g. La TVA une autre fiscalité qui renchérit le coût de la vie et est appliquée de manière sélective territorialement malgré les contraintes structurelles de l’ensemble des territoires ultramarins

2. Un niveau de vie des populations locales inférieur à celui constaté dans l’Hexagone

a. Des revenus inférieurs et un taux de pauvreté élevé

b. Des taux de chômage supérieurs, notamment chez les jeunes

c. Une démographie souvent vieillissante et un manque de perspectives

3. Un sous-financement structurel des collectivités locales par rapport à celles de l’Hexagone

B. Les dÉterminants conjoncturels de la chertÉ de la vie : une inflation ÉlevÉe dans les Outre-mer, qui augmente d’autant la chertÉ de la vie en diminuant le pouvoir d’achat des populations

1. L’inflation affecte considérablement les économies ultra-marines

a. La croissance des prix concerne principalement l’alimentaire, l’énergie et les services

b. Un renchérissement majeur du coût du transport en fret maritime

c. Pour les entreprises ultramarines, un renchérissement significatif du coût des intrants

2. Un sous-financement aggravé des collectivités territoriales des 4 DOM par la mise en place d’une contribution solidaire au redressement des finances publiques (CRFP) à partir de 2014

3. Une augmentation de l’impôt des ménages par l’État qui grève le pouvoir d’achat des familles notamment celui des classes moyennes et les appauvrit.

C. Les instruments et institutions existants pour lutter contre LA vie chÈre produisent des effets certains mais qui sont cependant TRÈS insuffisants pour FAIRE FACE À la chertÉ de la vie

1. Le bouclier qualité-prix (BQP) produit des effets encore très insuffisants

2. Les Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR)

3. La réduction temporaire du coût du conteneur annoncée par la CMACGM ne résoudra pas la question de la vie chère

II. Face À la problÉmatique de la vie chÈre, il est nÉcessaire d’avoir une vision globale et de mettre en œuvre des actions À la fois de court, moyen et long-terme

A. La nÉcessitÉ d’accroÎtre l’intensitÉ concurrentielle dans l’ensemble des secteurs Économiques ultramarinS

1. Dans le secteur du fret maritime

2. Renforcer les moyens des OPMR pour une plus grande transparence sur les prix, marges et revenus de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement

B. Augmenter la capacitÉ de production locale

1. Favoriser le développement, l’accompagnement et la structuration en filières des productions locales afin de renforcer les taux de couverture des besoins locaux

2. Aménager les différents niveaux de la fiscalité pour agir directement sur les prix, les charges des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages dans l’objectif de baisser globalement le coût de la vie, de créer de l’activité, de la richesse et d’accompagner au mieux vivre

3. Développer les échanges économiques et commerciaux avec les bassins régionaux voisins

C. Prendre des mesures d’urgence visant À sanctuariser le pouvoir d’achat des populations :

1. Accroître la lisibilité et la pertinence du bouclier qualité-prix (BQP)

2. Résorber le sous-financement des collectivités territoriales et maintenir les dépenses fiscales de l’État afin de pouvoir accroître les marges d’intervention des pouvoirs publics, ne pas impacter davantage le pouvoir d’achat des ménages et ne pas plomber les entreprises

3. Proposer une tarification ad valorem du fret maritime

4. Accroître l’aide au fret maritime et aérien en mettant en avant l’impératif de continuité territoriale avec l’Hexagone

5. Garantir le désenclavement numérique à moindre coût et la continuité territoriale digitale des territoires ultramarins

6. Converger autour de l’appel de Fort-de-France pour libérer l’initiative locale

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES auditionnÉes

 


—  1  —

  INTRODUCTION

Ce budget est présenté pour de très nombreux territoires ultramarins dans un contexte de « cocktail » de crises, notamment économique, sociale, environnementale avec le réchauffement climatique et une augmentation des dégâts liés à l’intensité des intempéries, post-covid avec les effets de la crise sanitaire encore bien prégnants et une explosion de la vie chère.

Les crédits de la mission Outre-mer, qui représentent près de 12 % de l’effort budgétaire de l’État en faveur de l’Outre-mer, sont en hausse dans le projet de loi de finances pour 2023.

Ainsi, les moyens de la mission à périmètre constant s’élèvent à 2,93 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,757 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 298 millions d’euros en AE (+ 11,3 %) et de 285 millions d’euros en CP (+ 11,5 %) par rapport à 2022.

Votre rapporteur observe cette hausse de manière toute relative et pragmatique. En effet, elle provient essentiellement d’une hausse prévisionnelle et mécanique des compensations d’exonération de cotisations sociales (pour les deux‑tiers soit + 203 M€ en AE et en CP) après la baisse observée les années précédentes.

Le dispositif d’allègement de charges destiné à l’Outre-mer n’ayant pas évolué, cette hausse budgétaire basée sur les projections de la Sécurité sociale a un caractère évaluatif et ne traduit pas une volonté politique de l’État d’intensifier l’accompagnement destiné aux entreprises ultramarines.

Les autres crédits inscrits en augmentation, concernent le montant alloué au service militaire adapté (+ 28 M€ d’AE et + 35 M€ de CP), le renforcement du soutien budgétaire de l’État à certaines collectivités territoriales (+ 34 M€ d’AE et + 50 M€ de CP), ou encore le financement de l’AFD (+ 18 M€ en AE et + 12 M€ en CP).

Votre rapporteur regrette que certains crédits budgétés comme le FEI (Fonds exceptionnel d’investissement) proviennent en grande partie de la hausse de l’impôt sur les revenus des ménages des populations des DOM après la réforme de l’abattement spécifique aux DOM plutôt que par des dotations qui ne pèsent pas sur le pouvoir d’achat des populations ultramarines. Le recours à un financement local pour financer les investissements de l’État en Outre-Mer est d’autant plus paradoxal que les investissements de l’État y sont nettement plus faibles que dans l’Hexagone, en dépit des retards considérables observés en matière d’équipements et d’infrastructures de base.

Il regrette le sous-financement des collectivités territoriales : les communes des quatre DOM historiques (2 millions d’habitants) souffrent d’un déficit de financement depuis la baisse des dotations, ayant conduit l’État a prélevé près d’un milliard d’euros sur leur budget de fonctionnement à travers la contribution au redressement des finances publiques (CRFP) sans que ce prélèvement soit entièrement compensé par la hausse de la péréquation nationale qui demeure défaillante à leur égard. L’État les laisse supporter un déficit cumulé de près de 400 millions d’euros en 2022, ce qui se traduit par des délais de paiement rallongés et des capacités d’investissement et d’intervention auprès des populations ruinées, d’où le chaos social aux Antilles. Pour mémoire, l’État avait veillé à compenser à 100% la perte des dotations des communes défavorisées de l’Hexagone (plus de 17 millions d’habitants) afin d’éviter les désastres budgétaires (et sociaux) que l’on constate dans les DOM.

Il regrette que les priorités du budget Outre-Mer visent à gérer la crise en bout de chaîne, à travers le renforcement du SMA, les COROM et l’ingénierie de l’AFD quand il faudrait un traitement équitable des DROM en amont pour éviter les échecs scolaires qui mènent au SMA, les déficits qui mènent au COROM et l’incapacité de recruter des cadres qualifiés par les collectivités (plombées par un traitement social du chômage à travers la seule politique de contrats aidés) et qui mènent au recours à l’ingénierie financée par l’AFD.

Il regrette que certaines actions pourtant essentielles dans la compensation des contraintes structurelles ultramarines n’aient pas vu leurs moyens renforcés : c’est notamment le cas de l’action en faveur de la continuité territoriale, le logement ou encore de l’aide au fret.

En effet, garantir la continuité territoriale avec l’Hexagone, en limitant notamment le coût du fret, est une nécessité impérieuse pour limiter la vie chère dans les Outre-mer.

La vie chère, à laquelle votre rapporteur a décidé de consacrer la partie thématique de son avis budgétaire, est un phénomène ancien aux racines structurelles et aux conséquences humaines catastrophiques.

Mais la vie chère comporte aussi des déterminants conjoncturels. Une inflation inédite affecte actuellement nos Outre-mer, dans le contexte de la reprise vigoureuse de la demande mondiale post-covid et de la guerre en Ukraine. La hausse conjoncturelle des prix à la consommation renchérit encore un peu plus un coût de la vie devenu difficilement supportable pour les populations ultramarines. En effet, en plus de supporter des prix supérieurs aux prix hexagonaux, ces dernières reçoivent par ailleurs des revenus structurellement inférieurs par rapport à l’Hexagone, mais aussi un pouvoir d’achat bien moindre résultant notamment d’une évolution de l’impôt sur le revenu 5 fois plus élevée dans les DOM que dans l’Hexagone à la suite à l’abaissement de l’abattement spécifique aux DOM.

Aux termes d’une dizaine d’auditions conduites pendant le mois de septembre 2022, votre rapporteur entreprend d’analyser dans cet avis les déterminants structurels et conjoncturels de la vie chère, afin de pouvoir proposer des pistes d’action de court, moyen et long terme visant à lutter contre la cherté de la vie.

L’initiative du ministre délégué chargé des Outre-mer annonçant l’« Oudinot du pouvoir d’achat » est à saluer sur le principe d’agir contre la cherté de la vie.

Seulement le règlement sur le fond de cette problématique nécessite une vision globale, qui germe au sein de « l’appel de Fort-de-France » lancé en mai dernier par les présidents des régions de Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, Saint‑Martin et des collectivités territoriales de Martinique et de Guyane  afin de sortir définitivement du statut quo, pour plus de subsidiarité, pour faire reconnaître les réalités et les différences de ces territoires, pour libérer l’initiative locale et agir concrètement pour l’amélioration du quotidien de leurs populations respectives à partir de la maîtrise de nouveaux leviers au service de l’épanouissement humain, du développement et pour plus de responsabilités locales.

Le rapporteur émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

 


—  1  —

   PremiÈre partie :
Le budget de la mission OUTRE-MER : UNE HAUSSE pour les deux tiers MÉCANIQUE ET BASÉE SUR UN PRÉVISIONNEL

Les moyens de la mission Outre-mer augmentent sensiblement dans le projet de loi de finances pour 2023.

La structure de la mission, constituée des deux programmes « Emploi Outre‑mer » et « Conditions de vie dans les Outre-mer » demeure inchangée.

Le programme 138 « Emploi Outre-mer » est structuré en quatre actions, dont la principale (action n° 1) concentre 93 % des crédits hors titre 2 du programme :

– action n° 1 « Soutien aux entreprises » qui concerne la compensation des exonérations des cotisations sociales patronales ;

– action n° 2 « Aide à l’installation et à la qualification professionnelle » ;

– action n° 3 « Pilotage des politiques des Outre-mer » ;

– action n° 4 « Financement de l’économie ».

Le programme 123 « Conditions de vie Outre-mer » est quant à lui structuré en 8 actions :

– action n° 1 « Logement » ;

– action n° 2 « Aménagement du territoire » ;

– action n° 3 « Continuité territoriale » ;

– action n° 4 « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports » ;

– action n° 6 « Collectivités territoriales » ;

– action n° 7 « Insertion économique et coopération régionales » ;

– action n° 8 « Fonds exceptionnel d’investissement » ;

– action n° 9 « Appui à l’accès aux financements bancaires ».

I.    Les crÉdits du programme 138 « Emploi outre-mer » sont en baisse en raison d’une mesure de pÉrimÈtre

Le programme 138 vise à encourager la création et la sauvegarde d’emplois durables dans le secteur marchand et à lutter contre l’exclusion du marché du travail des publics les plus éloignés de l’emploi par des actions de formation professionnelle adaptées.

Pour rappel, si le programme 138 est structuré en quatre actions, près de 81 % des crédits du programme sont concentrés dans l’action n° 1 « Soutien aux entreprises », qui prend en charge la compensation des exonérations des cotisations sociales patronales.

Le dispositif d’allègement et d’exonération de cotisations de sécurité sociale dont bénéficient les entreprises et les travailleurs indépendants ultramarins constitue le principal axe financier d’intervention en matière de soutien à l’emploi. Il contribue de manière significative à la lutte contre le chômage et à la compétitivité des entreprises ultramarines grâce à la réduction du coût du travail.

1.   Action n° 1 : Une baisse des crédits consacrés au « Soutien aux entreprises » en raison d’une mesure de périmètre résultant d’une rationalisation des modalités de compensation des exonérations de cotisations sociales patronales

Au total, la compensation aux organismes sociaux des compensations d’exonérations de cotisations patronales spécifiques à l’Outre-mer représente 1,42 milliard d’euros en AE et en CP dans le PLF pour 2023. Les AE et CP votés dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 pour le soutien aux entreprises s’élevaient à 1,48 milliard d’euros, soit une baisse – dans le présent PLF – de 4,19 % des AE et CP. Cette baisse est expliquée par une mesure de périmètre.

En effet, dans le cadre des arbitrages relatifs au PLF 2023, une mesure de rationalisation des modalités de compensation des exonérations de cotisations sociales patronales est mise en œuvre afin de simplifier les relations financières entre l’État et la sécurité sociale.

Ainsi, comme cela a été fait dès 2022 pour les exonérations ciblées du ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, le « bandeau maladie » (baisse de 6 points de la cotisation des employeurs au titre de l’assurance-maladie, concernant les salaires de moins de 2,5 SMIC) fait l’objet d’une mesure de périmètre vers les administrations de sécurité sociale, soit une diminution de 264,53 millions d’euros en AE et en CP, sans modification du dispositif sur le fond. Cette baisse apparente des AE et CP ne devrait donc avoir aucun impact sur le montant des exonérations de cotisations.

En outre, cette mesure de périmètre est partiellement compensée par la hausse des compensations des exonérations de cotisations sociales au vu des prévisions des organismes de sécurité sociale et sans modification du dispositif (+ 203 M€ en AE et en CP).

Les compensations d’exonérations de cotisations sociales patronales ont pour objectif principal de réduire les handicaps structurels des départements et collectivités d’Outre-mer. Elles améliorent la compétitivité des entreprises en baissant le coût du travail dans les secteurs économiques stratégiques : industrie, environnement, tourisme, agriculture, numérique, communication, recherche et développement. Ces compensations d’exonération ont fait l’objet d’une démarche de rationalisation ces dernières années. Un niveau de zéro cotisations sociales patronales est désormais atteint au niveau du SMIC, qui est ensuite modulé selon les trois régimes d’exonérations définis dans les Outre-mer : régime de compétitivité, régime de compétitivité renforcée, et régime « innovation et croissance ». Aujourd’hui, près de 55 % des effectifs salariés sont concernés par ce dispositif.

Ainsi, le taux d’exonération s’élève à 40 % au niveau des rémunérations équivalentes au SMIC.

2.   Les crédits de l’action n° 2 « Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle » sont en hausse de 10,41 %, en raison de l’augmentation des crédits du SMA (+ 28 M€ en AE et + 35 M€ en CP)

L’action n° 2 représente 17,9 % des crédits du programme 128.

Elle finance le service militaire adapté (SMA), qui est un dispositif militaire d’insertion professionnelle à destination des jeunes volontaires ultramarins de 18 à 25 ans les plus éloignés de l’emploi.

Depuis 2017, 6 000 jeunes ultramarins sont accueillis chaque année au sein des huit formations du SMA, avec un taux d’insertion satisfaisant : près de trois jeunes sur quatre sont durablement insérés à l’issue du parcours de formation.

En 2023, le déploiement du plan SMA 2025+ initié à Mayotte en 2022 sera poursuivi et élargi à l’ensemble des unités du SMA. L’ambition du plan SMA 2025+ est notamment de renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux et la qualification des stagiaires sortants, ainsi que d’ouvrir le dispositif à des publics en grande difficulté (mères célibataires, mineurs décrocheurs). Afin de prévoir cette montée en puissance du programme, le budget 2023 du SMA est en hausse de 28 millions d’euros en AE et 35 millions d’euros en CP.

La masse salariale globale du SMA évoluera en parallèle de 12,8 % entre 2022 et 2023. Il convient de rappeler que le plafond d’emplois ministériel de la mission Outre-mer correspond exclusivement à celui du SMA, soit 6 049 équivalents temps pleins travaillé (ETPT) pour 2023.

Parmi les indicateurs de performance, il pourrait être pertinent d’inclure le nombre de stagiaires trouvant un emploi sur place, une des priorités du SMA étant la lutte contre l’exode de la jeunesse.

Votre rapporteur constate qu’afin de renforcer la mixité géographique et le creuset républicain, des étudiants venant de l’Hexagone seront recrutés pour encadrer les stagiaires ultramarins et découvrir l’Outre-mer. Il s’interroge sur cette priorité dans un contexte de chômage de masse. À cet égard, il est dommage que malgré cette augmentation de financement, le SMA n’accueille pas d’apprentis en 2023.

Enfin, les crédits de l’action n° 2 financent aussi un autre acteur majeur de la formation professionnelle, l’agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM), opérateur du ministère chargé des Outre-mer. LADOM a pour objectif d’accroître la qualification et l’insertion dans l’emploi des jeunes ultramarins au travers de parcours en mobilité. Ainsi, le passeport mobilité formation professionnelle (PMFP) constitue le principal dispositif d’accompagnement et de prise en charge financière de la mobilité à destination des jeunes ultramarins de 18 à 30 ans.

En 2023, les actions de formations qualifiantes de LADOM devraient être principalement concentrées sur des filières stratégiques telles que la transition écologique et numérique et s’inscriront en complémentarité avec les secteurs prioritaires définis par chaque région ultramarine. Par ailleurs, un accord-cadre triennal de partenariat entre LADOM et Pôle Emploi, signé le 14 septembre 2021 permettra d’enrichir l’offre de formation proposée par l’opérateur et devrait permettre de mieux accompagner les stagiaires afin de favoriser leur retour en emploi au sein de la collectivité d’origine à l’issue du parcours de formation en mobilité.

En 2023, mis à part les crédits du SMA, les dispositifs de formation professionnelle auront un budget stabilisé. Votre rapporteur regrette que le budget de LADOM ne fasse pas l’objet d’une hausse de crédits, afin d’accroître l’employabilité des jeunes ultramarins et les opportunités qui leurs sont offertes.

3.    Le volume des crédits consacrés à l’action n° 3 « Pilotage des politiques des Outre-mer » est en hausse de 80,95 % (+ 1,7 millions d’euros) par rapport à la LFI pour 2022

Les crédits inscrits à l’action n° 3 sont consacrés au financement des dépenses de fonctionnement du cabinet du ministre délégué et de la direction générale des outre-mer (DGOM).

D’après le bleu budgétaire Outre-mer, ces crédits permettent de couvrir les dépenses de type fournitures et matériels de bureau, documentation, déplacements, frais de communication et de représentation, et plus généralement toutes les dépenses individualisables. Des besoins nouveaux sont identifiés notamment en matière d’infrastructures numériques avec des dépenses prévues afin d’améliorer la visibilité numérique du ministère chargé des Outre-mer. La hausse des crédits de l’action n°3 s’explique donc par le financement de l’enrichissement du site numérique Decigeom. Cet outil vise à obtenir une meilleure connaissance des territoires ultra-marins au moyen de deux portails décisionnels et géographiques, aujourd’hui opérationnels. Il constitue un outil pour le pilotage, l’élaboration et le suivi des politiques publiques ainsi qu’un outil d’information pour l’ensemble des citoyens. Votre rapporteur salue cet enrichissement des bases de données internet du ministère qui devraient permettre une meilleure connaissance des Outre-mer par l’ensemble des citoyens français.

Au total, les AE s’élèvent à 3,8 millions d’euros et les CP représentent 3,54 millions d’euros. L’action n° 3 représente 0,2 % des crédits du programme 138.

4.   Les AE de l’action n° 4 « Financement de l’économie » demeurent inchangées, tandis que les CP sont en baisse

Le volume des AE consacrées à l’action n° 4 demeure inchangé à 24,3 millions d’euros. En revanche, les CP sont en baisse de 5,07 % à 21,8 millions d’euros.

L’action n° 4 « Financement de l’économie » permet traditionnellement de mettre en œuvre des dispositifs d’aides spécifiques (prêt de développement Outre‑mer mis en œuvre par BPIFrance, soutien au micro-crédit), subventions d’investissement, ou aide au fret destinée à couvrir les surcoûts de transport de marchandises). Les crédits destinés à l’aide au fret s’élèvent à 8,30 millions d’euros en AE et 5,85 millions d’euros en CP, soit une baisse conséquente des CP par rapport à l’année précédente (7 millions d’euros).

Au regard des handicaps structurels inhérents à l’éloignement et l’insularité des territoires ultramarins et du contexte actuel marqué par une inflation galopante, votre rapporteur regrette que les crédits consacrés à l’aide au fret ne soient pas accrus dans le cadre du PLF pour 2023.

II.   Les crÉdits du programme 123 : « Conditions de vie dans les Outre-Mer » font Également l’objet d’une hausse MESURÉEE (7 % EN AE ET 6 % EN CP)

Le programme 123 « Conditions de vie Outre-mer » est mobilisé par le ministère des Outre-mer pour conduire des actions spécifiques en faveur des territoires ultramarins. Il enregistre une hausse de ses crédits dans le cadre du PLF pour 2023 : les AE progressent de 61 millions d’euros et les CP de 43 millions d’euros.

Au total, le budget du programme 123 est en progression par rapport à l’année précédente (+ 61 M€ en AE, soit une hausse de 7,2 % des AE et + 43 M€ en CP soit une hausse de 6,2 % des CP).

Les huit actions relevant de ce programme budgétaire financent :

 Le logement social, via la ligne budgétaire unique (action n° 1). Sur cette ligne, les AE demandées en 2023 sont en hausse par rapport aux crédits votés en LFI pour 2022 (+ 1,81 % à 238, 8 millions d’euros en AE), tandis que les CP sont en baisse de 10,57 % soit - 21, 2 millions d’euros.

L’action 1 représente 26,3 % des crédits du programme.

 L’aménagement territorial (action n° 2) : les crédits sont en légère hausse de 1,03 %.

L’action 2 représente 23,3 % des crédits du programme.

– La continuité territoriale (action n° 3) : les crédits sont stabilisés mais n’augmentent pas.

Ils représentent 5 % des crédits du programme.

– L’action sanitaire, sociale, la culture, la jeunesse et sports (action n° 4) dont les crédits sont en hausse de 70,80 %, pour un total de 5,65 millions d’euros en AE

Ces crédits représentent 1,1 % des crédits du programme.

 L’accompagnement des collectivités territoriales (action n° 6) est renforcé avec un effort budgétaire supplémentaire de 16,36 % en AE (+ 33.5 millions d’euros) ; ce qui porte le budget en AE de cette action à 238,5 millions d’euros. Cette hausse financera la subvention à la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), sous réserve du respect des engagements de l’accord structurel (budgétisation de 20 M€ complémentaires par rapport à 2022 pour financer les 40 M€ contractualisés), la subvention pour l’eau en Guadeloupe (10 M€) et la construction d’abris anticycloniques en Polynésie française (4 M€).

D’autres dispositifs sont poursuivis ou reconduits : soutien financier aux constructions scolaires en Guyane à la même hauteur que ce que prévoyait le plan d’urgence Guyane (PUG), soutien apporté aux collectivités en matière d’ingénierie pour la réalisation de leurs projets structurants (via le fonds Outre-mer, abondé de 10 M€ en AE), poursuite de l’aide aux collectivités dans la lutte anti-sargasses (3,5 M€), soutien de la société de gestion des fonds de garantie Outre-mer (+ 3 M€) qui intervient en faveur des PME et TPE dans les collectivités du Pacifique, et élargissement à ces mêmes collectivités de l’initiative Kiwa, destinée aux porteurs de projets de lutte contre les effets du changement climatique (dont l’engagement est reconduit à hauteur de 4  M€).

Au total, ces crédits représentent 26,3 % des crédits du programme.

 L’insertion économique et la coopération régionales (action n° 7) dont les crédits sont stabilisés à hauteur de 96,9 millions d’euros en AE et CP.

Ces crédits représentent 0,1 % des crédits du programme.

 Le Fonds exceptionnel d’investissement (action n° 8) dont les crédits en AE sont également stabilisés à hauteur de 110 millions d’euros.

Source: DGFIP

Ce sont les impôts des ultramarins des DOM qui financent le FEI en lieu et place de l’État.

Après abondement par l’IR des ménages des DOM à hauteur de 70 millions d’euros, l’enveloppe du FEI est passée à 110 millions d’euros (intégrant une part État), en AE, chaque année. Seuls environ 65 % des crédits ont été inscrits en CP, mais une bonne part d’entre eux ne sont pas consommés par les communes, en raison de la faiblesse de leur section de fonctionnement qui limite leur capacité à investir même pour des opérations largement subventionnées. Cela signifie que la part État affichée n’est pas non plus utilisée.

Les crédits du FEI représentent 12,1 % des crédits du programme.

 

 

 

 

 

Répartition du FEI entre 2019 et 2021 entre les territoires

 

 

Population

 

 

Montant 2019 à 2021

%

 en €/hab

TAAF

 

196

0,01 %

 

 

       2 130 000 €

1 %

ns

Saint-Pierre et Miquelon

 

9 685

0,3 %

 

 

     11 949 877 €

5 %

ns

Wallis et Futuna

 

12 158

0,4 %

 

 

       9 470 307 €

4 %

ns

Mayotte

 

267 008

9 %

 

 

     82 380 153 €

35 %

      309 €

Guyane

 

280 580

10 %

 

 

     18 898 789 €

8 %

        67 €

Polynésie Française

 

312 689

11 %

 

 

     15 500 942 €

7 %

        50 €

Nouvelle Calédonie

 

334 862

12 %

 

 

     13 548 549 €

6 %

        40 €

Martinique

 

386 436

13 %

 

 

     20 832 074 €

9 %

        54 €

Guadeloupe

 

413 703

14 %

 

 

     29 051 326 €

12 %

        70 €

La Réunion

 

875 018

30 %

 

 

     29 008 220 €

12 %

        33 €

Total général

 

2 892 139

100 %

 

 

   232 770 237 €

100 %

        80 €

Sources: DPT, 2019 à 2022

De plus, la répartition de ce FEI, financé par les contribuables des seuls DOM au profit de l’ensemble des DOM-COM, est très inéquitablement répartie entre ces mêmes territoires.

 L’Appui aux financements bancaires (action n° 9) dont les crédits sont en hausse de 46,77 %, de 36,3 à 53,35 millions d’euros en AE.

L’objectif cette action est de favoriser les investissements des acteurs publics en réduisant le coût des ressources empruntées et d’assurer l’accompagnement des collectivités ultramarines dans la mise en œuvre de leurs projets d’investissements. Cette action est mise en œuvre par l’intermédiaire de l’Agence française de développement (AFD).

Dans ce contexte de crises multiples et de vie chère, ce budget 2023 de la mission Outre-Mer, même s’il ne représente qu’une portion de l’action de l’État vis‑-à-vis des territoires d’Outre-Mer, ne marque pas une véritable volonté politique et un engagement concret à accompagner équitablement les populations ultramarines.

 


—  1  —

   SECONDE PARTIE :
LA VIE CHÈRE DANS LES OUTRE-MER

I.   La spirale inflationniste actuelle vient frapper les Outre- mer oÙ le niveau gÉnÉral des prix est dÉjÀ largement supÉrieur au niveau des prix hexagonaux

A.   Les dÉterminants historiques et structurels de la vie chÈre : un ensemble de facteurs multidimensionnels expliquant un niveau gÉnÉral des prix supÉrieurs au niveau des prix hexagonaux

1.   Des prix supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone

Selon la dernière enquête exhaustive de l’Insee en 2015 sur les prix dans les Outre-mer, le niveau général des prix y était de 7 à 12,5 % plus élevé qu’en France hexagonale (+ 12,5 % en Guadeloupe, + 12,3 % en Martinique, + 11,6 % en Guyane, 7,1 % à La Réunion et + 6,9 % pour Mayotte, hors loyers).

Ces écarts de prix sont particulièrement criants pour les produits alimentaires : de 28 % à La Réunion, 38 % à la Martinique, 34 % pour la Guyane et 33 % pour la Guadeloupe.

Il convient de noter également la tarification supérieure des télécommunications mobiles et des abonnements à internet par rapport à l’Hexagone. Dans un rapport remis en juillet 2022, l’Arcep soulignait que « Dans les départements d’outre-mer, les utilisateurs des réseaux mobiles dépensent, en moyenne, 20,1 euros HT par mois pour leurs services mobiles, un niveau de dépense 35 % plus élevé qu’au niveau national ». Le constat était le même concernant les abonnements internet : « La facture mensuelle moyenne des utilisateurs ultramarins progresse de 70 centimes en un an pour atteindre 46,7 euros HT en 2021. Au niveau national, cette dépense s’élève à 33,2 euros HT, soit environ 30 % de moins que celle des départements d’outre-mer. » ([1])

Le schéma ci-après, extrait de l’avis 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer, rend compte des écarts de prix substantiels entre l’Hexagone et les Outre-mer.

 

outre_mer_infographie

a.   Un retard et un modèle de développement économique inhérent au passé colonial

Les territoires ultramarins sont d’anciennes colonies qui se caractérisent par une spécialisation productive ancienne structurée autour du secteur agricole et des monocultures d’exportation (banane, canne). Ce modèle historique de développement explique en partie le niveau élevé des prix actuels.

Cette modalité d’insertion dans la division internationale du travail est inhérente aux économies dites « de plantation », liées organiquement avec la métropole, dans une relation asymétrique et coloniale de type centre/périphérie. Dans un récent rapport consacré aux freins et leviers vers l’autosuffisance alimentaire dans les Outre-mer, les experts du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) notent que « cette relation d’échange privilégiée assortie de dispositifs de protection marchands en faveur des économies périphériques a structuré un ordre économique non concurrentiel, transformant ces économies en marchés captifs (de type oligopolistique voire quasi-monopolistique pour certaines catégories de produits avec pour conséquence un niveau élevé de prix et une faible diversité de l’offre) et non compétitifs ».

Ce modèle de mal-développement a perduré. La départementalisation des Outre-mer est relativement récente. En effet, il faut attendre 1946 pour que la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion deviennent des départements français. La Constitution de la Vème République consacre le principe de l’identité législative des DOM et de l’ancienne métropole. En 2011, la départementalisation tardive de Mayotte en fait le 101ème département français.

b.   L’insuffisance historique et l’absence de diversification de la production locale expliquent la très forte dépendance aux importations

Le poids de l’ancien modèle de développement colonial explique la très forte dépendance aux importations des Outre-mer. Ainsi, dans les Antilles françaises, plus de 80 % de l’approvisionnement provient d’Europe.

Le manque de diversification dans la production locale notamment dans le domaine de l’agriculture est aussi une caractéristique qui consolide une relation captive des territoires ultramarins à l’importation.

Si certaines monocultures historiques sont exportatrices (banne, canne, rhum), elles ne parviennent pas à rétablir une balance commerciale largement déficitaire.

La dépendance aux importations s’accélère même dans certains territoires. Ainsi, d’après les éléments communiqués par l’OPMR de Mayotte, le déficit de la balance commerciale s’est creusé en 2021 pour atteindre 867 millions d’euros (+ 21,8 %, soit une dégradation de 155 millions d’euros). Cette dégradation est induite par une nouvelle augmentation des importations en valeur (+ 21,7 %), tandis que les exportations, marginales (7 millions d’euros), n’augmentent que de 9,7 %. Le taux de couverture reste quasi-stable à 0,8 % des besoins de la population mahoraise (- 0,1 point).

Plus généralement, la balance commerciale des DROM s’est dégradée de 28 % en l’espace de dix ans. Tous les territoires sont concernés par cette évolution, avec des taux de détérioration de leur balance variant de 8 % pour la Guadeloupe à 48 % pour La Réunion.

D’après l’avis précité de l’Autorité de la concurrence, la production locale représente un quart des approvisionnements de la grande distribution.

Les taux de couverture alimentaire ultramarins sont relativement disparates, selon les territoires et les productions alimentaires visées. Ainsi :

● La couverture des besoins en œufs est élevée pour l’ensemble des DROM, avec des taux de couverture supérieurs à 80 % en moyenne, et proche des 100 % pour la Martinique ;

● concernant les légumes, ces taux sont élevés pour la Guyane (90 % pour les produits bruts, 81 % pour l’ensemble des produits bruts et transformés), Mayotte (88 % pour les produits bruts, 72% pour l’ensemble des produits) et La Réunion (68 % pour les produits bruts, 48 % pour l’ensemble des produits) mais restent faibles aux Antilles (entre 26 et 39 % pour la Martinique et 43 et 55 % pour la Guadeloupe) ;

en ce qui concerne les viandes, les taux de couverture sont relativement faibles pour l’ensemble des DROM, si ce n’est à La Réunion, qui se distingue par des taux de couverture supérieurs pour la viande de volaille (95 %) et le porc (100 % à La Réunion, 80 % à la Guadeloupe), et la viande fraiche de lapin (100 %). De manière générale, les taux de couverture des filières bovines et caprines sont faibles, et plus élevés pour les filières volaille et porcine.

Enfin, pour le lait, les taux de couverture sont quasiment nuls dans les Antilles, tandis que Mayotte et La Réunion parviennent à couvrir respectivement 11 et 28 % de leurs besoins (estimation en produits bruts, 8 % dans ces deux territoires en estimation tous produits) ;

● Concernant les céréales, la production est quasi nulle dans les Outremer, alors que certaines céréales comme le riz constituent la base de l’alimentation dans certains territoires (Mayotte ou La Réunion).

Des taux de couverture faibles des besoins de la population locale induisent des niveaux d’importation élevés pour ces productions.

c.   L’éloignement géographique et l’insularité impliquent des coûts élevés d’approche des marchandises

Les territoires ultramarins sont donc très fortement dépendants des importations hexagonales et européennes. Ces dernières étant quasiment les seules sources d’approvisionnement.

Leur insularité et leur éloignement géographique vis-à-vis de l’Hexagone est un facteur majeur du renchérissement de la vie.

En effet, pour des raisons tenant principalement à l’impossibilité de commercer et de contractualiser simplement et directement avec leurs voisins proches géographiquement, à la non-équivalence des normes et au rôle du taux de change, les échanges avec les bassins régionaux sont très peu développés.

Le tableau ci-après décrit l’évolution des importations en valeur entre Mayotte et le reste du monde : ainsi, la France est le principal importateur (55,5 % des importations en 2021), alors que le proche environnement régional de l’Océan Indien ne fournit que 5,20 % des importations.

 

 

 

 

 

 

 

 

Évolution des importations (en valeur)

 

2019

2020

2021

 

 

 

 

 

En M d’euros

 

France

404

57,90 %

409

57,00 %

485

55,50 %

Union européenne (hors France)

84,6

12,10 %

97,1

13,50 %

138

15,80 %

Asie

71,2

10,20 %

81,1

11,30 %

95,5

10,90 %

Proche et moyen orient

79,6

11,40 %

70,3

9,80 %

85,2

9,50 %

Océan Indien

39,2

5,60 %

32,8

5,30 %

45,8

5,20 %

Dont Seychelles

9,7

24,90 %

9,9

26 %

 12,01

26,20 %

Dont La réunion

6,3

16,10 %

7,8

23,80 %

10,84

23,60 %

Dont Île Maurice

10,1

25,80 %

5,4

16,60 %

7,2

15,80 %

Dont Madagascar

2,7

7,00 %

           3

9,20 %

  3,5

7,70 %

Dont Afrique du Sud

8,4

21,50 %

6,8

20,80 %

10

22,00 %

L’hyper-dépendance aux importations dans un contexte d’éloignement géographique et d’insularité induit des coûts d’approche, de transport et de stockage importants qui renchérissent d’autant le prix des produits pour le consommateur final ultramarin.

i.    Des coûts de stockage importants

L’insularité et l’éloignement géographique impliquent des coûts de stockage importants, qui sont une charge supplémentaire pour les entreprises ultramarines (loyer pour espace de stockage, immobilisation de trésorerie).

ii.   Des coûts d’approche et de transport très importants

Dans les Outre-mer, le transport de marchandises se fait à plus de 95 % par voie maritime. De manière générale, le transport de marchandises par voie aérienne reste limité à des produits spécifiques, tels que les produits ultra-frais pour lesquels les délais d’acheminement doivent être courts, ou certains produits à très forte valeur ajoutée pour lesquels le coût du fret n’est pas le principal déterminant dans le coût global du produit.

L’Autorité de la concurrence a souligné le rôle majeur des coûts d’approche des produits importés dans la vie chère dans les Outre-mer. Le coût du transport maritime est partie intégrante des coûts d’approche.

D’après l’armateur CMA-CGM, le coût d’un conteneur « sec » de 20 pieds à destination des Outre-mer depuis l’Hexagone s’élève à 1475 euros pour la partie fret stricto sensu, à laquelle il faut rajouter 620 euros au titre de la BAF (« Bunker Recovery Adjustment Factor », coût variable lié à l’énergie et aux variations des prix du pétrole), soit un coût total de 2 095 euros par conteneur. Le coût d’un conteneur « froid » (produits réfrigérés) est quant à lui de 3 538 euros.

D’après les auditions menées par votre rapporteur, le coût du transport maritime par un armateur expliquerait au maximum 10 % du prix final du produit au consommateur ultramarin.

Le coût du fret maritime est par ailleurs accru pour les produits à faible valeur ajoutée. En effet, les armateurs facturent l’ensemble des conteneurs au même prix, quelle que soit la catégorie de marchandises transportée (« facturation à la boîte »). Ainsi, le coût du transport de marchandises à faible valeur ajoutée comme l’alimentaire (10 % des conteneurs à destination des Outre-mer) est considérablement renchéri par rapport au coût du transport des biens à haute valeur ajoutée. En effet, pour ce dernier type de biens, le coût fixe du transport en conteneurs est beaucoup plus vite amorti. En bout de chaîne, cela explique pourquoi les aliments de première nécessité sont beaucoup plus chers dans les Outre-mer qu’en Hexagone (+ 38 % sur l’alimentaire en Martinique).

En outre, les conteneurs avec un contenu alimentaire frais doivent subir des contrôles douaniers. Si ces opérations tardent, les conteneurs arrivent parfois impropres à la consommation, ce qui renchérit d’autant le coût de ces marchandises.

Au-delà du seul coût du fret, s’additionnent d’autres coûts. C’est cet empilement des coûts que le président de l’Union des ports de France qualifie de « coût du passage portuaire » :

– coûts fixes : déroutement du navire pour accéder au port, frais de pilotage, de remorquage, de lamanage et droits de port sur les navires, auxquels s’ajoutent dans certains ports les frais de signalement (procédure de déclaration d’escale faite à la capitainerie) et d’aide à la navigation portuaire ;

– coûts variables : frais de manutention, auxquels s’ajoutent les coûts du navire durant les opérations de chargement et de déchargement.

D’après l’Union des ports de France, les droits de port représentent moins de 5 % du coût du passage portuaire. Les coûts de manutention sont en général largement supérieurs.

Par ailleurs, la multiplication des intermédiaires renchérit le coût final du passage portuaire ; en effet, depuis son entrée jusqu’à la sortie du port, une cargaison sera prise en charge en moyenne par une douzaine d’interlocuteurs.

Ainsi, le coût du passage portuaire contribue très significativement à expliquer le différentiel de coût de la vie entre les Outre-mer et l’Hexagone. D’après la présidente de l’ACCIOM, un conteneur de 22 tonnes de pommes de terre acheté 0,27 € le kilo en Hexagone coûte déjà 0,75 € le kilo à son arrivée en Martinique, sans taxes.

Par ailleurs, certains facteurs de surcoût peuvent venir encore majorer ce coût global d’approche du produit. Ces facteurs ont trait notamment aux contraintes d’infrastructures : ainsi, la Guyane ou Mayotte ne disposent pas de port en eaux profondes et de grand port maritime, à la différence de la Martinique ou de la Guadeloupe, ce qui implique des coûts logistiques ainsi que des coûts de cabotage et de transbordement supérieurs.

iii.   Des coûts d’infrastructure

Ce type de coûts joue notamment pour les services de télécommunications. Selon les opérateurs, les conditions spécifiques rencontrées en Outre-mer justifient les surcoûts constatés dans les abonnements : d’une part, l’éloignement des serveurs entraîne des frais d’interconnexion et, d’autre part, les opérateurs doivent faire face à des coûts d’entretien plus élevés. Ces coûts d’entretien résultent des conditions climatiques et naturelles défavorables pour les équipements (air salin, humidité, température élevée…) et des contraintes topographiques notamment pour les zones à faible densité de population.

d.   Ces coûts sont renchéris par la présence de nombreux intermédiaires le long de la chaîne d’approvisionnement

Une fois les marchandises arrivées dans les territoires ultramarins, le recours aux grossistes-importateurs est souvent nécessaire pour les distributeurs compte tenu des prestations assurées pour leur compte (stockage, mise en rayon et animation commerciale), Dans son avis précité, l’Autorité de la concurrence concluait que le recours aux grossistes-importateurs comptait pour 16 % du coût d’un produit pour un distributeur.

L’autorité a décomposé l’ensemble de la structure des coûts des produits. Il résulte de son enquête que les prix majorés dans les Outre-mer ne découlent pas d’un maillon particulier de la chaîne d’approvisionnement qui ferait des surprofits, mais bien d’un empilement de marges tout au long de la chaîne, en raison de l’existence de nombreux intermédiaires.

Si elle n’a pas noté de pratiques anticoncurrentielles majeures, l’Autorité a cependant souligné le déficit concurrentiel caractérisant certains marchés.

e.    Des marchés insuffisamment concurrentiels, en raison de l’étroitesse des débouchés

i.   La difficulté de réaliser des économies d’échelle pour les entreprises locales

Les marchés ultramarins sont des petits marchés. Ainsi, 372 900 habitants vivent en Guadeloupe en 2022. L’exiguïté des marchés rend difficile l’atteinte d’un volume critique de production permettant de dégager des économies d’échelle. Cette étroitesse des marchés explique en partie le manque de structuration des filières locales, et le manque de compétitivité des produits locaux par rapport aux produits importés, en dépit des coûts d’approche et de la fiscalité spécifique aux DROM.

À cet égard, le rôle négatif des produits dits de « dégagement » est bien connu. Ces produits européens arrivant sur les marchés ultramarins et déstabilisant l’organisation des marchés locaux empêchent de facto toute structuration des filières de diversification. Ils constituent en effet des résidus de la production écoulée sur les marchés européens et hexagonaux, affichant une très bonne compétitivité-prix en raison notamment de la possibilité de bénéficier d’économies d’échelle dans le processus de production.

ii.   L’étroitesse des débouchés explique la forte concentration des marchés ultramarins autour d’un petit nombre d’acteurs

Les marchés ultramarins sont dans l’ensemble très concentrés autour d’un petit nombre d’acteurs (configuration oligopolistique). D’après les données communiquées par le président de l’OPMR de Mayotte, 5 % des entreprises mahoraises réalisent 60 % de la valeur ajoutée totale (industrie, commerce de détail et construction).

– les relations entre les grossistes-importateurs et les distributeurs :

La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite « loi Lurel », a interdit les accords exclusifs d’importation afin d’intensifier la concurrence sur les prix entre enseignes. L’Autorité de la concurrence a déjà été amenée à sanctionner à 5 reprises des fournisseurs et distributeurs qui n’avaient pas mis fin à ces exclusivités et a vu progresser la connaissance de ces nouvelles règles par les acteurs locaux.

Auditionnée par vos rapporteurs, l’Autorité a relevé par ailleurs qu’une part non négligeable des groupes de distribution dans les Outre-mer est également présente en tant que grossistes-importateurs sur le marché de la vente en gros. Cette intégration verticale (présence d’un acteur aux différents niveaux de la chaîne) est susceptible de soulever des risques de concurrence, en particulier en matière d’allocation des budgets de coopération commerciale (avantages tarifaires accordés par le fournisseur au distributeur pour la mise en avant de ses produits dans les rayons ou catalogues). Un acteur intégré pourrait en effet être incité à privilégier ses enseignes au détriment de ses concurrents. Ainsi, l’Autorité de la concurrence recommande d’introduire dans le code de commerce une nouvelle disposition qui permettrait de sanctionner un acteur intégré disposant d’une exclusivité de fait, qui discriminerait ses clients tiers afin de favoriser les ventes internes au groupe.

– la vente au détail : le cas du commerce à prédominance alimentaire :

Cette concentration est particulièrement forte dans le secteur du commerce alimentaire. À Mayotte, le commerce à prédominance alimentaire est structuré autour de trois acteurs qui représentent 85 % des part de marchés le groupe Sodifram, le groupe Bernard Hayot, et le groupe Somaco). À La Réunion, le groupe Hayot est en duopole avec le groupe Leclerc.

D’après l’OPMR de la Réunion, chaque secteur est en effet dominé par un ou deux acteurs qui sont en capacité d’imposer leur prix. Cela vaut aussi bien pour la vente de biens intermédiaires (comme dans le secteur du BTP) que pour la vente au détail. L’OPMR de La Réunion a souligné devant votre rapporteur le poids considérable du groupe Bernard Hayot (GBH), aujourd’hui présent dans tous les secteurs de la vente au détail avec des parts de marché qui avoisinent les 40 %, en particulier depuis le rachat du groupe de distribution Vindémia.

L’OPMR a rappelé que le groupe GBH réalisait 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires essentiellement dans les Outre-Mer, dont 1,3 milliard uniquement à La Réunion ([2]). Il est présent dans les secteurs de la distribution généraliste (Carrefour), des articles de sport (Decathlon) et de bricolage (M. Bricolage), de la restauration rapide (Brioche Dorée), des cosmétiques (Yves Rocher), des pneus, des pièces détachées, de le vente automobile (Renault, Jeep, Volkswagen, Mercedes, Mitsubishi, Skoda, Audi), de la vente de camion, des centres auto (Norauto, Speedy), de la location de voiture (Hertz, Rent a Car). Ce conglomérat s’étend aussi dans la production locale (usine Sorelait), la distribution quasi-exclusive de grandes marques alimentaires (filiale Bamyrex) et la logistique.

Concernant les marges pratiquées par les entreprises ultramarines, l’Autorité de la concurrence a constaté que les taux de marge réalisés par certains acteurs sont plus importants que ceux réalisés dans l’Hexagone, ce qui laisse apparaître « une marge de manœuvre – parfois limitée – mais réelle ». Néanmoins, l’Autorité n’a pas identifié de sur-marges qui seraient responsables, prises isolément, d’une part significative des écarts de prix avec la métropole.

C’est donc bien dans l’accumulation des marges des acteurs tout au long de la chaîne de production et de distribution des produits de grande consommation qu’il faut en partie rechercher une explication des écarts de prix avec l’Hexagone.

– la position dominante de l’armateur CMA-CGM dans la desserte des Outre‑mer via le fret maritime :

L’armateur CMA-CGM est en position dominante pour la desserte en fret maritime des territoires ultramarins, qui représentent environ 1 % de son chiffre d’affaires au niveau mondial. L’armateur fournit les équipements conteneur, la prestation de transport maritime, et peut également proposer à ses clients une prestation de transport en amont ou en aval de la desserte du port.

L’armateur réalise 61 % des parts de marché en Martinique, et 35 % des parts de marché à La Réunion. À Mayotte, le groupe CMA-CG représentait 77 % du trafic total de conteneurs en 2021.

L’annonce récente du retrait de l’armateur Maersk de la ligne Europe‑Antilles, à partir du 31 décembre prochain, laisse présager un renforcement de la position dominante de la CMA-CGM, et donc un risque accru d’abus de position dominante de sa part. En effet, Maersk réalisait entre 12 et 15 % du fret maritime sur la desserte Europe-Antilles.

Face à ce risque concurrentiel, l’Autorité de la concurrence contrôle les opérations de concentrations dans les Outre-mer, avec des seuils adaptés pour l’économie ultramarine, ainsi que la détection et la répression des pratiques anticoncurrentielles (ententes et abus de position dominante).

f.   Une fiscalité spécifique renchérissant le niveau général des prix mais de manière raisonnable

L’octroi de mer est une fiscalité spécifique s’appliquant historiquement à l’ensemble des marchandises importées par voie de mer, de protection de la production locale et de financement des besoins de services publics par les collectivités territoriales locales

L’octroi de mer

Instauré en 1670, l’octroi de mer disparaît en 1789 puis est réintroduit en Martinique en 1819. Son application est étendue en 1825 à la Guadeloupe, en 1850 à La Réunion et en 1878 à la Guyane. Les conseils généraux reçoivent la compétence de voter les tarifs d’octroi de mer qui doivent toutefois être soumis à l’approbation du pouvoir central. L’octroi de mer est pérennisé lors de la départementalisation en 1946.

La loi du 2 août 1984 relative aux compétences des quatre régions de Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion transfère aux conseils régionaux la compétence pour fixer les tarifs de l’octroi de mer dans ces départements.

Aujourd’hui, l’octroi de mer est très largement régi par des règles européennes au titre des « mesures spécifiques » concernant les régions ultrapériphériques. En mai 2021, l’existence de l’octroi de mer a été pérennisée jusqu’au 31 décembre 2027.

Taux

Un différentiel de taux entre les biens produits localement (octroi de mer interne) et les biens identiques importés (octroi de mer externe) est instauré afin de permettre aux économies ultramarines de compenser les handicaps structurels auxquelles elles doivent faire face.

Le taux de l’octroi de mer est fixé de manière indépendante par délibération de chaque conseil régional (en Guadeloupe et à La Réunion), des collectivités territoriales uniques (en Guyane et en Martinique) ou du conseil départemental (à Mayotte). Il ne peut excéder 60 % sauf pour les alcools et le tabac.

Les opérations soumises à l’octroi de mer sont les suivantes :

– les importations de marchandises ;

– les livraisons de biens, faites à titre onéreux, par des personnes qui y exercent des activités de production (les « assujettis ») dont le chiffre d’affaires est supérieur à 300 000 euros.

Assiette

La base d’imposition est constituée :

– pour les importations de biens (octroi de mer externe), par la valeur en douane au sens de la réglementation communautaire ;

– pour les livraisons de biens produits localement (octroi de mer interne) par le prix hors taxe sur la valeur ajoutée et hors accises.

Opérations exonérées

Les exonérations obligatoires définies par la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer modifiée par la loi du 29 juin 2015 :

– les exportations (article 4-1° et 3° de la loi) ;

– les importations de productions locales dans le cadre du marché antillo-guyanais (article 4‑2° de la loi) sauf pour certains biens listés au I de l’article 5 ;

– les importations de biens bénéficiant des franchises applicables aux autres droits et taxes en vigueur (article 8 de la loi).

Les exonérations facultatives (articles 6, 7 et 7-1 de la loi) : les conseils régionaux (ou le conseil général à Mayotte) ont la faculté d’exonérer :

– les importations de certains types de biens (article 6 de la loi) ;

– les livraisons de biens réalisées par des personnes assujetties par la fixation d’un taux zéro ou d’un taux réduit (article 7 de la loi) ;

– les importations, mises à la consommation et livraisons de biens destinés à l’avitaillement des navires et aéronefs et de carburants destinés à un usage professionnel (article 7-1 de la loi).

En 2021, le produit de l’octroi de mer s’est élevé à 1,4 Md€, soit une hausse de 13,56 % par rapport à 2020 et une évolution de 23,34 % par rapport à 2015. Cet impôt est donc très dynamique avec une évolution en moyenne de 3,17 % entre 2015 et 2021.

Les auditions menées par votre rapporteur ont permis d’entendre les doléances de certains acteurs ultramarins à l’égard de cette taxe :

– complexité de la taxation en raison du cumul de l’octroi de mer interne et externe et des exonérations obligatoires et facultatives dont elle fait l’objet ;

– les conseils régionaux semblent avoir des pratiques de fixation des taux différentes (fixation par catégorie douanière ou code douanier par code douanier) ;

– maintien de la pratique pourtant illégale consistant à inclure l’octroi de mer dans l’assiette de la TVA ;

– absence de lisibilité du dispositif lorsque des produits n’ayant pas d’équivalent local sont taxés ou lorsque la production locale ne bénéficie pas d’un taux d’octroi de mer interne plus favorable.

En outre, les représentants du monde de l’entreprise ont souligné que les taux d’octroi de mer étaient tendanciellement à la hausse sur la longue période : ainsi, en Martinique le taux moyen était de 11,59 % en 2006, contre 12,33 % en 2020.

D’après l’avis de l’Autorité de la concurrence précité, l’octroi de mer renchérit indubitablement les frais d’approche des produits consommés dans les Outre-mer, mais dans une proportion raisonnable.

L’Autorité a pondéré le poids des différents facteurs de vie chère dans le prix final au consommateur, aboutissant à la décomposition suivante :

– le prix des marchandises (dont recours aux grossistes-importateurs pour 16 %) expliquerait 63 % du prix du produit final ;

– l’éloignement (dont octroi de mer pour 7 %) compterait pour16 % ;

– l’immobilier pour 2 % ;

– le coût du travail pour 7 % ;

– autres coûts d’exploitation pour 12 %.

g.   La TVA une autre fiscalité qui renchérit le coût de la vie et est appliquée de manière sélective territorialement malgré les contraintes structurelles de l’ensemble des territoires ultramarins

Malgré les contraintes structurelles (éloignement, insularité, exiguïté du territoire) de la très grande majorité des territoires ultramarins, un niveau de vie très inférieur de leur population par rapport à celui de la France hexagonale, des revenus inférieurs et une augmentation de la précarité et de la pauvreté, la TVA d’État est encore appliquée mais uniquement en Guadeloupe, Martinique, La Réunion (DOM), ce qui renchérit encore davantage le coût de la vie.

2.    Un niveau de vie des populations locales inférieur à celui constaté dans l’Hexagone

a.   Des revenus inférieurs et un taux de pauvreté élevé

D’après une étude du CESER de La Réunion, citée par la CPME réunionnaise, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix.

Les revenus sont structurellement inférieurs dans les Outre-mer par rapport à l’Hexagone, en raison notamment de taux de pauvreté plus élevés et d’un accroissement des inégalités.

Ainsi, d’après une enquête Insee datant de 2017, les dépenses mensuelles moyennes par ménages en Guadeloupe sont de 1 900 euros par mois contre 2 300 euros dans l’Hexagone.

En 2018, le niveau de vie annuel médian était de 10 990 € en Guyane et de 3 140 € à Mayotte (à titre de comparaison, la même année le revenu médian en Île‑de-France était de 23 860 € et de 15 500 € à 17 000 € dans les trois autres départements d’outre-mer ([3])). Le taux de pauvreté serait passé de 44 % à 53 % de la population en trois ans en Guyane, où le salaire moyen est compris entre 700 et 800 euros mensuels.

Le transport pèse pour 19,7 % du budget des ménages, l’alimentation pour 15,8 %, le logement pour 13,7 % et les services et télécommunications 5,2 %. Pour les plus de 55 ans aux faibles revenus, qui représentent 35 % des ménages guadeloupéens, la part de l’alimentation dans le budget grimpe à 29 %.

Pour les familles aux faibles revenus, les télécommunications représentent jusqu’à 8% de leur budget.

De plus, les postes : transport, logement et télécommunications sont des dépenses contraintes.

D’après des données de 2019, le taux de pauvreté était de 19 % à la Guadeloupe, de 21% à la Martinique, de 16 % à La Réunion, de 42 % à Mayotte. Ainsi, le taux de pauvreté moyen était de 24 %, contre une moyenne de 14 % dans l’Hexagone.

b.   Des taux de chômage supérieurs, notamment chez les jeunes

Les territoires ultramarins se caractérisent par leur niveau élevé de chômage.

Ainsi, pour la Guadeloupe, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s’établit à 17 % de la population active âgée de 15 ans ou plus en moyenne pour l’année 2020, plus de deux fois supérieur à celui de la France hexagonale (8 %). Le taux de chômage des 15‑29 ans est de 35 %.

À La Réunion, sur la période 2014-2018, le taux de chômage a diminué de deux points (passant de 26 % à 24 %), mais il affecte toujours fortement les jeunes, avec 42 % de chômage chez les moins de 30 ans.

À Mayotte, le taux de chômage est dramatiquement élevé, à 35 % de la population active.

c.   Une démographie souvent vieillissante et un manque de perspectives

La démographie des territoires ultramarins, hors Mayotte et Guyane, est déclinante.

Ainsi, d’après l’enquête Insee précitée, sur la période 2008-2013, la croissance de la population a été nulle, et elle a même subi une baisse de 0,8 % entre 2013 et 2019. Selon les chiffres communiqués par le ministère, en 2030, les plus de 65 ans devraient représenter plus de 28 % de la population totale guadeloupéenne et plus d’un tiers de la population en Martinique.

Par ailleurs, ces territoires subissent une fuite des cerveaux des jeunes actifs, ce qui accentue le déclin démographique à l’œuvre ; alors que ces territoires supportent les coûts sociaux, d’éducation et de formation de cette population jeune.

3.   Un sous-financement structurel des collectivités locales par rapport à celles de l’Hexagone

Le rapport remis en décembre 2019 au Premier ministre par les sénateurs Georges Patient et Jean-René Cazeneuve a relevé que si les communes ultramarines bénéficient de recettes importantes grâce à l’apport de la fiscalité indirecte, elles souffrent aussi des dépenses structurellement supérieures aux communes hexagonales, qui peuvent s’expliquer notamment par des facteurs géographiques (les risques naturels, les distances, le climat), démographiques (en particulier à Mayotte et en Guyane), sociaux (pauvreté, chômage) ou juridiques.

D’après les rapporteurs, « L’analyse des comptes des communes des DROM confirme une dégradation très marquée : sur 129 communes, 46 ont des délais de paiement supérieurs à 30 jours, 84 sont inscrites au réseau d’alerte des finances locales, 26 font l’objet d’un plan de redressement et 24 ont vu leur budget arrêté par le préfet en 2018, dont 16 pour la troisième fois consécutive. 20 communes cumulent l’ensemble de ces critères d’alerte. Ces difficultés sont la traduction d’une rigidité budgétaire qui génère une faible capacité d’autofinancement. Les conséquences de cette situation sont importantes pour ces territoires : faibles capacités d’investissement du bloc communal, retards de cotisations sociales, délais de paiement aux entreprises allongés, fragilisation des services publics locaux ».

B.    Les dÉterminants conjoncturels de la chertÉ de la vie : une inflation ÉlevÉe dans les Outre-mer, qui augmente d’autant la chertÉ de la vie en diminuant le pouvoir d’achat des populations

1.    L’inflation affecte considérablement les économies ultra-marines

a.   La croissance des prix concerne principalement l’alimentaire, l’énergie et les services

Nourrie par la reprise de l’économie mondiale post-covid, la désorganisation des chaînes de valeur mondiale et l’éclatement du conflit ukrainien, l’inflation est forte en Hexagone comme dans les DROM. Cette inflation est notamment tirée par la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie.

Ainsi, d’après les données communiquées par le ministère des Outre-mer en juillet 2022, l’inflation des prix de l’alimentaire oscille autour des 3 % dans les Antilles sur un an. Elle est légèrement plus marquée en Guyane (+ 4,2 %), et sensiblement plus forte à La Réunion (+ 5,4 %) et à Mayotte (+ 7,8 %). Sur un an, les prix de l’alimentation augmentent de 5,7 % en Nouvelle Calédonie (au mois de juin), et de 8,7 % en Polynésie française.

Les prix de l’énergie ont également fortement progressé sur un an, autour de 19 % dans les Antilles- Guyane, de 23,3 % à La Réunion et de 26,6 % à Mayotte. En Nouvelle-Calédonie, sur les douze derniers mois, les prix de l’énergie grimpent de 19 %. La hausse des prix de l’énergie affecte d’autant plus les DROM qui sont très dépendants de la voiture au quotidien : ainsi, en Guadeloupe en 2019, 84,5 % de la population utilisait une voiture, un camion ou fourgonnette pour aller au travail.

Outre les prix de l’alimentation et de l’énergie, l’inflation des services est également très forte dans les territoires ultramarins : plus de 3 % dans les Antilles, + 2 % en Guyane, + 5,3 % à Mayotte, et 1,5 % à La Réunion sur un an.

b.   Un renchérissement majeur du coût du transport en fret maritime

La pandémie de covid-19, les confinements subséquents, puis la soudaine reprise mondiale ont allongé les délais et réduit la fréquence des dessertes maritimes ultramarines.

La reprise rapide de l’économie mondiale en 2021 a entraîné mécaniquement une hausse du coût du fret maritime, dans un contexte où la hausse du coût de l’énergie a renchéri les coûts d’exploitation, d’affrètement et d’équipement des navires pour les armateurs.

Si CMA-CGM a affirmé devant votre rapporteur avoir stabilisé le tarif du fret pour la desserte Outre-mer, la compagnie a toutefois augmenté le coût variable lié à l’énergie et aux variations des prix du pétrole (« Bunker Recovery Adjustment Factor »). Ainsi, la BAF de CMA-CGM a augmenté de 50 % entre 2020 et 2022.

c.   Pour les entreprises ultramarines, un renchérissement significatif du coût des intrants

L’inflation affecte considérablement le tissu économique ultramarin, constitué à 95 % de très petites entreprises (TPE). D’après les données communiquées par le cabinet du ministre des Outre-mer, l’augmentation des prix de ventes résulte essentiellement du renchérissement des charges (matières premières et coût du fret). À La Réunion, 70 % des entreprises sont concernées depuis le début de l’année 2022 par une augmentation des coûts, liée à la hausse des prix des matières premières et du fret. Cela concerne 85 % des entreprises interrogées en Guadeloupe et plus de 95 % en Martinique. Pour la majorité d’entre elles, ce renchérissement est répercuté, dans une moindre mesure, sur les prix de vente. Les secteurs de l’agriculture-pêche et des industries agroalimentaires sont particulièrement sensibles à l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières.

En outre, les conséquences inflationnistes de la guerre en Ukraine et les difficultés d’approvisionnement sont une source d’inquiétudes pour les chefs d’entreprise. En conséquence, les entreprises ont augmenté leurs stocks de façon massive : jusque 8 mois ou 1 an de réserve en matières premières par exemple dans certaines aires géographies, ce qui tire fortement à la hausse les besoins en fonds de roulement.

2.   Un sous-financement aggravé des collectivités territoriales des 4 DOM par la mise en place d’une contribution solidaire au redressement des finances publiques (CRFP) à partir de 2014

Afin de financer le redressement de la dette publique, l’État a fait participer les collectivités territoriales des 4 DOM, malgré leurs difficultés reconnues, à partir de 2014.

Après un échelonnement pendant 3 ans, entre 2014 et 2017, la dotation globale de fonctionnement des collectivités territoriales a été amputée de 11 milliards d’euros à partir de 2017 : soit 169 millions d’euros perdus par les collectivités des 4 DOM historiques chaque année. Pour les communes de ces 4 DOM, la baisse a été de 115 millions d’euros par an.

Mayotte et les collectivités d’Outre-mer ont été exemptés de CRFP.

Pour éviter cette baisse de ressources ne pénalise les communes fragiles de l’Hexagone, l’État avait considérablement augmenté leurs dotations de péréquation. Cette progression de la péréquation a compensé à plus de 100 % leurs pertes dès 2017, contre à peine 35 % pour les communes des DOM.

Par exemple en 2017, la perte nette des communes des DOM était de l’ordre de 70 millions d’euros.

En cumulé depuis 2014, l’État a prélevé 869 millions d’euros sur le budget des communes des DOM, ce qui après la hausse cumulée en compensation par la péréquation génère un déficit net de 396 millions d’euros en 2022. D’où le fait que les communes ultramarines sont sinistrées financièrement avec des délais de paiement à rallonge pour les entreprises.

L’État qui a prélevé 869 millions d’euros sur le budget des communes des DOM, ne les soutient qu’en leur reversant 30 millions d’euros, échelonnés sur 3 ans à travers les COROM.

La Cour des comptes a dénoncé en 2017 un traitement inéquitable des DOM. Selon ses évaluations, par rapport aux communes éligibles de l’Hexagone, les DOM perdent 50 €/habitant pour la DACOM (dispositif de péréquation ‑ Dotation d’aménagement des communes d’outre-Mer) soit une perte de 100 millions d’euros par an. La Cour des Comptes a donc demandé que soient réalisées des simulations d’application du droit commun aux DOM, pour la DACOM et le FPIC (autre dispositif de péréquation – fonds de péréquation des ressources intercommunales). Pour la DACOM, les simulations montrent que globalement les DOM perdent 165 millions d’euros par rapport au droit commun. Ensuite la DGCL a intégré, de manière dérogatoire, l’octroi de mer dans le potentiel financier des DOM, ce qui a eu pour effet de réduire le montant dû aux DOM, l’écart avec l’Hexagone ayant été ramené à 55 millions d’euros.

Pour le FPIC, si on appliquait aux DOM le droit commun, tous les EPCI des DOM gagneraient au total 30 millions d’euros.

Le retard des DOM en matière de péréquation est d’environ de 200 millions d’euro en 2017.

En 2019, le Président de la République a reconnu que la péréquation destinée aux DOM était insuffisante et s’est engagé à un rattrapage de 85 millions d’euros : 55 millions pour la DACOM (en intégrant l’octroi de mer dans le potentiel financier des DOM) et 30 millions pour le FPIC.

Seul le rattrapage de la DACOM a été réalisé, de manière échelonnée entre 2020 et 2023.

En 2021, lors de la réforme des indicateurs de richesses, le CFL (Comité des finances locales) n’a pas retenu l’octroi de mer comme un indicateur de richesse.

Par conséquent, le rattrapage de la DACOM a été insuffisant : il manque encore 125 millions d’euros aux communes d’Outre-Mer pour parvenir à l’équité avec leurs homologues défavorisés de l’Hexagone.

Depuis la réforme de la DACOM en 2020, l’enveloppe des DOM est en partie péréquée entre toutes les communes d’Outre-Mer, avec l’instauration de la DPOM (Dotation de péréquation des départements d’Outre-Mer). Au final, les Antilles, en dépit de leurs grandes difficultés et de leur déclin financier sont considérées comme « riches » parmi les pauvres, et ne bénéficient pas des 55 millions d’euros de rattrapage.

Les communes antillaises ne peuvent donc ni investir, ni accompagner leurs populations, ni abaisser leur fiscalité pour diminuer le coût de la vie.

3. Une augmentation de l’impôt des ménages par l’État qui grève le pouvoir d’achat des familles notamment celui des classes moyennes et les appauvrit.

En 2018, l’État a augmenté les impôts des ménages des DOM, en réduisant l’abattement de 30 % de l’impôt sur le revenu (IR), 40 % en Guyane et Mayotte, pour près d’un ménage sur deux redevables de cet impôt. Les ménages ultramarins ont subi une perte directe de pouvoir d’achat disproportionnée dans ce contexte où « la vie chère » représente un défi majeur.

Annoncée pour un montant de 70 millions d’euros, il est possible que la ponction de l’État ait été plus élevée. La somme de 90 millions d’euros a même été évoquée lors des débats parlementaires en 2019.

De plus, cette ponction a été ciblée sur 10 % des ménages les plus « riches » (environ la moitié des 25 % des ménages qui paient l’impôt dans les DOM), comprenant en réalité essentiellement la classe moyenne.

Or, l’on peut aisément considérer que l’abattement de l’impôt sur le revenu dans les DOM est, tel qu’il a été institué, légitime pour tous, étant donné que les ultramarins ne bénéficient pas de services publics au niveau de ceux dispensés par l’État dans l’Hexagone et qu’ils supportent de nombreux surcoûts.

Les Outre-Mer ne bénéficient pas non plus de dotations de continuité territoriale « équitables », mais seulement d’une enveloppe de 45 millions d’euros pour 2.7 millions d’habitants, contre 190 millions d’euros pour la Corse, peuplée d’environ 330 000 habitants et éloignée de 200 kilomètres des côtes françaises.

Enfin, à contrecourant de sa politique appauvrissant les classes moyennes des DOM (idem pour les travailleurs indépendants qui ont vu leurs exonérations plafonnées en fonction de leurs revenus), l’État a offert aux plus grandes fortunes un cadeau fiscal sans précédent en se privant de 4 milliards d’euros de recettes avec la suppression de l’impôt sur la fortune.

L’État a justifié l’augmentation de l’IR pour financer ses investissements dans les DOM par l’abondement du FEI à hauteur de 70 millions d’euros. Or les investissements de l’État dans les DOM sont nettement plus faibles que dans l’Hexagone. Ainsi avait été créé en 2017 un grand plan d’investissement (GPI) d’un montant de 57 milliards d’euros, dont un milliard était réservé à l’Outre-mer soit 1,75% de l’enveloppe alors que l’Outre-mer représente 4 % de la population totale. Il en est de même pour le Plan de relance post-covid doté de 100 milliards d’euros où 1.5 % ont été prévus pour l’Outre-Mer.

C.    Les instruments et institutions existants pour lutter contre LA vie chÈre produisent des effets certains mais qui sont cependant TRÈS insuffisants pour FAIRE FACE À la chertÉ de la vie

1.   Le bouclier qualité-prix (BQP) produit des effets encore très insuffisants

Institué par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, le BQP est un dispositif de régulation négociée des prix. Il est en vigueur dans les DROM, à Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Il consiste en une liste de produits de première nécessité dont le prix total est plafonné par arrêté préfectoral après consultation des observatoires des prix, des marges et des revenus et une négociation conduite par le représentant de l’État avec « les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs, ainsi qu’avec les entreprises de fret maritime et les transitaires ».

La logique du BQP est de réguler les prix tout en permettant la concurrence. En n’identifiant pas des marques mais des produits, il permet une concurrence hors prix sur la qualité des produits. En fixant un prix global à la liste, il permet une concurrence sur les prix de chaque produit de la liste pris individuellement.

Le BQP semble globalement efficace, puisque la progression de son prix est plus limitée que l’inflation.

Il présente cependant de nombreuses insuffisances avec encore quelques possibilités d’amélioration qui ne sont pas nécessairement de l’ordre normatif :

– visibilité insuffisante auprès des consommateurs ; la liste BQP ne visant pas des marques particulières, chaque enseigne a son propre BQP. Des efforts de communication, par exemple avec des espaces réservés en tête de gondole, pourraient être faits par les enseignes ;

– identification à des produits de moindre qualité et parfois éloignés des habitudes de consommation locale, ce qui amène les consommateurs à s’en détourner. Des efforts de communication sont faits par certaines préfectures sur le sujet, notamment à La Réunion qui organise des jeux-concours pour apprendre à cuisiner avec le BQP ;

– objectifs trop nombreux : préservation du pouvoir d’achat, compétitivité hors-prix, mise en lumière de la production locale ;

– participation inégale des acteurs à son élaboration : les populations locales ne sont pas toujours associées, les distributeurs participent parfois aléatoirement (en 2021, seul le groupe Bourbon distribution Mayotte s’était engagé dans le dispositif à Mayotte), tandis que les OPMR ne sont pas toujours consultés lors de son élaboration ;

– cantonnement du BQP aux produits alimentaires et d’hygiène exclusivement.

La Réunion bénéficie de la forme la plus développée du BQP parmi les DROM : depuis 2021, 153 produits sont couverts pour un montant total maximum de 348 €. La proposition d’un BQP de proximité par des commerçants indépendants et une montée en gamme des produits a eu lieu en 2021. D’après l’OPMR de La Réunion, le dispositif souffre néanmoins d’un certain manque de visibilité malgré sa relative ancienneté et la communication assurée par l’État et les acteurs privés.

Le tableau ci-après rend compte de l’évolution du prix global maximum du BQP à Mayotte depuis 2013, et des différents signataires :

Année

Nombre de produits

Prix global maximimun

Signataires

2013

76

190,71 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2014

78

215,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2015

78

214,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2016

78

214,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2017

78

214,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2018

78

210,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2019

77

193,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2020

77

200,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram et Somaco

2021

77

200,00 €

Bourbon distribution Mayotte

2022

74

200,00 €

Bourbon Distribution Mayotte/Sodifram

À la suite de l’avis de l’Autorité de la concurrence précité, l’État a enrichi le BQP par l’ajout d’une segmentation de la liste des produits en trois sous-catégories (produits alimentaires, produits d’hygiène et produits pour la petite enfance) et par la prise en compte de la production locale.

2.    Les Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR)

Définies à l’article L.910-1 A du code de commerce, ces instances collégiales sont composées des parlementaires des territoires, d’élus locaux, des représentants de l’État, de représentants des chambres consulaires, de représentants d’organisations syndicales des salariés des secteurs public et privé, de représentants d’associations de consommateurs, des conseils économique, social et environnemental régionaux  ainsi que de personnalités qualifiées et des directeurs de l’Institut d’émission des départements et territoires d’Outre-mer. Le président, choisi parmi les magistrats des chambres régionales des comptes, est nommé par le premier président de la Cour des comptes pour un mandat de 5 ans.

Dans les départements d’Outre-mer, dans les collectivités de Saint‑Barthélemy, Saint- Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et dans les îles de Wallis et Futuna, les OPMR analysent le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et informent les pouvoirs publics de leurs évolutions respectives. Ils enquêtent sur la fixation de ces prix et peuvent mener des études rendues publiques susceptibles d’être transmises à l’Autorité de la concurrence.

L’OPMR est un des outils majeurs dont se prévalent les pouvoirs publics dans la lutte contre la vie chère. À La Réunion, dans le sillage des mouvements sociaux de 2018, 50 citoyens volontaires ont été associés aux travaux de l’OPMR.

Toutefois, les moyens des OPMR pour mener à bien leurs missions semblent clairement insuffisants notamment sur toute la partie des marges et des revenus.

Ainsi, à Mayotte, une chargée de mission affectée au SGAR effectue un mi‑temps auprès de l’OPMR depuis 2019. Le constat est similaire à La Réunion, où une chargée de mission du SGAR (secrétariat général pour les affaires régionales) est partiellement affectée auprès de l’OPMR et où l’OPMR ne dispose pas de locaux spécifiques. Le manque de crédits des OPMR les contraint dans le nombre d’études menées : ainsi, à La Réunion, l’OPMR a pu conduire deux études seulement en cinq ans.

En raison de l’absence de pouvoir d’enquête, le rôle de l’OPMR est en réalité fort limité. D’après le président de l’OPMR de La Réunion, « les études sur la décomposition des prix et sur les chaînes de valeur n’ont pas été totalement inutiles mais se sont toujours révélées assez frustrantes en raison des difficultés d’accès aux données (secret statistique et des affaires et refus de coopération des acteurs concernés). L’OPMR dispose d’un certain pouvoir d’interpellation sur ces sujets qu’il convient de ne pas négliger. Il fait partie du paysage institutionnel local. Si des reproches lui sont souvent adressés, ses travaux rencontrent un certain écho et permettent de poser des questions qui ne le seraient pas autrement. Il permet donc selon moi d’élargir le débat public et de mettre des mots sur des craintes, des frustrations, qui pourraient prendre d’autres formes d’expression moins pacifiques si cette expression venait à disparaître ».

Si la participation des OPMR aux négociations du BQP n’est pas officiellement prévue, les préfets peuvent les y convier. Ainsi, pour le président de l’OPMR réunionnais, « La participation de l’OPMR à la négociation sur le BQP à compter de 2020 a ainsi beaucoup contribué à remettre à plat le dispositif à La Réunion et à le rendre plus pertinent. Au vu de ce succès, une modification réglementaire permettant de formaliser cette participation serait non seulement très bien accueillie mais aussi fort opportune. Cinq groupes de travail ont officiellement été mis en place lors de la dernière assemblée plénière de l’OPMR du 29 avril 2022. Ils portent sur les thèmes suivants : contrats courts, octroi de mer, fret maritime, accès à l’eau potable, formation des prix des fruits et légumes. La mise en place de ces 5 ateliers s’ajoute aux trois commissions " historiques " de l’OPMR (…) sur les carburants, le BQP et enfin les études. Le pilotage de quatre d’entre eux par des citoyens associés aux travaux de l’OPMR est une grande satisfaction. »

Interrogé sur le renforcement des moyens des OPMR qui a résulté des conclusions de l’avis précité de l’Autorité de la concurrence, le président de l’OPMR réunionnais s’est montré sceptique : « Cela n’a eu que très peu de répercussions au niveau du fonctionnement des OPMR. Le budget est limité (100 000 euros en théorie). Il n’est pas suffisamment sanctuarisé et la fongibilité se fait souvent à son détriment. Surtout, les moyens humains et matériels manquent et limitent considérablement son action. L’OPMR fonctionne quotidiennement avec des bouts de ficelle et la bonne volonté de ceux qui s’impliquent de manière essentiellement bénévole dans son fonctionnement (…). Cela est apparu de manière particulièrement flagrante à l’occasion de l’intégration des 50 citoyens tirés au sort à la suite du mouvement des gilets jaunes. Imposée par le ministère des Outre-mer, cette décision n’a été suivie d’aucune mise à disposition de moyens supplémentaires pour l’OPMR qui a dû se débrouiller seul, sans aucune préparation et avec les moyens du bord pour faire face à cette nouvelle situation. Dès le début, il était évident que cela ne pourrait pas fonctionner de manière satisfaisante, même si des résultats positifs ont tout de même pu apparaître (comme pour le BQP) ».

3.   La réduction temporaire du coût du conteneur annoncée par la CMA‑CGM ne résoudra pas la question de la vie chère

À la suite de la croissance du marché mondial du fret post-pandémie, le chiffre d’affaires des armateurs a considérablement cru ; ainsi le chiffre d’affaires de CMA-CGM a augmenté de 50 % entre la période pré-covid et post-covid. Face à ces évolutions, le Gouvernement a souhaité que l’armateur français, en position dominante pour la desserte Europe-Antilles, concède une baisse du coût du conteneur pour la destination Antilles.

Ainsi, depuis le 1er août 2022, le transporteur maritime accorde une réduction de 750 euros par conteneur de 40 pieds pour l’ensemble des importations en France hexagonale et en Outre-Mer. Cela représente un effort de l’ordre de 25 % du coût du fret pour la compagnie.

S’il salue cette décision, votre rapporteur exprime plusieurs inquiétudes relatives à cette réduction.

Tout d’abord, la baisse tarifaire ne sera que temporaire. Par ailleurs, si CMA-CGM concède aujourd’hui une baisse de ses tarifs, rien ne permet de penser à ce stade que cette baisse sera ensuite répercutée par l’ensemble des maillons de la chaîne d’importation et d’approvisionnement. Devant votre rapporteur, la direction de la CMA-CGM a en effet souligné qu’elle ne constatait pour le moment aucune répercussion de sa baisse tarifaire.

Enfin, l’annonce du retrait d’un des principaux concurrents de la CMA‑CGM de la ligne Europe-Antilles à partir de décembre fait courir un risque accru de pratiques anticoncurrentielles de la part de la CMA-CGM, dont la position dominante sur la desserte des Antilles sera renforcée.

II.   Face À la problÉmatique de la vie chÈre, il est nÉcessaire d’avoir une vision globale et de mettre en œuvre des actions À la fois de court, moyen et long-terme

A.    La nÉcessitÉ d’accroÎtre l’intensitÉ concurrentielle dans l’ensemble des secteurs Économiques ultramarinS

1.   Dans le secteur du fret maritime

Lors de ses auditions, votre rapporteur a manqué de moyens et d’informations pour apprécier véritablement le poids de la position dominante de la CMA-CGM et les éventuels abus de cette position dominante que réaliserait l’armateur. La construction des prix de la compagnie n’est pas aisément compréhensible, et il serait opportun de mieux appréhender le comportement concurrentiel de l’armateur.

À cette fin, votre rapporteur souhaiterait que l’Autorité de la concurrence se saisisse à l’égard de l’armateur CMA-CGM des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article L. 752-27 du code de commerce.

Article L. 752-27 du code de commerce

Version en vigueur depuis le 5 décembre 2020 - Modifié par LOI n°2020-1508 du 3 décembre 2020 - art. 37 (V)

I. –Dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en cas d’existence d’une position dominante, détenue par une entreprise ou un groupe d’entreprises exerçant une activité de commerce de gros ou de détail, l’Autorité de la concurrence peut, eu égard aux contraintes particulières de ces territoires découlant notamment de leurs caractéristiques géographiques et économiques, adresser un rapport motivé à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause si elle constate que cette position dominante soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés pratiqués par l’entreprise ou le groupe d’entreprises en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur concerné.

L’entreprise ou le groupe d’entreprises peut, dans un délai de deux mois, lui proposer des engagements, dans les conditions prévues à l’article L. 464-2.

II. – Si l’entreprise ou le groupe d’entreprises conteste le constat établi dans les conditions prévues au I ou ne propose pas d’engagements ou si les engagements proposés ne lui paraissent pas de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, un rapport est notifié par l’Autorité de la concurrence à l’entreprise ou au groupe d’entreprises, qui peut présenter ses observations dans un délai de deux mois.

L’Autorité de la concurrence peut, par une décision motivée, prise après réception des observations de l’entreprise ou du groupe d’entreprises en cause et à l’issue d’une séance devant le collège, lui enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet les prix ou les marges élevés constatés. Elle peut, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder, dans un délai qui ne peut être inférieur à six mois, à la cession d’actifs, y compris de terrains, bâtis ou non, si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective. L’Autorité de la concurrence peut sanctionner l’inexécution de ces injonctions dans les conditions prévues à l’article L. 464-2.

Dans le cadre des procédures définies aux I et II du présent article, l’Autorité de la concurrence peut demander communication de toute information dans les conditions prévues aux articles L. 450-3, L. 4507 et L. 450-8 et entendre tout tiers intéressé.

Votre rapporteur estime par ailleurs opportun qu’à plus long terme, l’Autorité de la concurrence puisse se saisir de cet article du code de commerce à l’encontre de l’ensemble des acteurs ultramarins en position dominante, notamment dans le secteur de la grande distribution.

2.   Renforcer les moyens des OPMR pour une plus grande transparence sur les prix, marges et revenus de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement

L’objectif serait de conforter l’OPMR comme un lieu d’expertise, de contrôle et de veille, ouvert à l’ensemble des acteurs locaux et à la participation citoyenne. L’OPMR doit être à même de pouvoir mener des enquêtes, d’obtenir des éléments chiffrés de la part des entreprises locales, et de garantir au final une transparence accrue sur l’ensemble des prix, marges et revenus pratiqués par les multiples acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Ce pouvoir doit s’effectuer en étroite coopération avec les DEETS (direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), la DGCCRF et l’Autorité de la concurrence. En cas de détection d’indices pouvant laisser penser à un abus de position dominante ou à des ententes, les OPMR pourraient saisir à un stade précoce l’Autorité de la concurrence ou la DGCCRF. Auditionné par votre rapporteur, l’OPMR de la Réunion a notamment suggéré que l’OPMR mette en place un baromètre pérenne sur les prix élargi à l’ensemble des secteurs de la consommation (grande distribution, bricolage et matériaux de construction, parapharmacie, pièces détachées automobiles, etc.).

Le renforcement des missions et compétences des OPMR suppose un accroissement des dotations matérielles, humaines, financières et logistiques des OPMR (locaux pleinement affectés à l’OPMR, création d’équivalents temps plein exclusivement affectés aux travaux de l’OPMR, meilleure mobilisation des moyens du SGAR et plus largement de tous les services déconcentrés de l’État pour l’animation éventuelle de réunions et l’appui aux travaux de l’OPMR).

B.   Augmenter la capacitÉ de production locale

1.   Favoriser le développement, l’accompagnement et la structuration en filières des productions locales afin de renforcer les taux de couverture des besoins locaux

Il existe de nombreux freins à la structuration des filières de productions locales, tenant principalement à la taille étroite et à l’insularité des marchés, aux charges des entreprises, rendant difficile la réalisation d’économies d’échelle, au vieillissement de la population agricole locale, à la cherté du foncier agricole, aux pollutions des terres agricoles, ou encore à la petite taille des exploitations agricoles individuelles.

En outre, les DROM (hormis la Guyane) sont caractérisés par une part relativement faible de la surface agricole utile (SAU) sur leur territoire : 33 % en moyenne, soit 19 points en dessous de la moyenne hexagonale. Le caractère insulaire et souvent montagneux des DROM ; pour la plupart densément peuplés, implique par ailleurs une proportion plus grande de surface non exploitable (sols artificialisés, côtes, roches, etc.)

Au total, plusieurs leviers majeurs doivent être actionnés pour parvenir à développer substantiellement la production locale : un meilleur accompagnement technique et administratif des agriculteurs, l’arrêt de l’artificialisation des terres pour accroitre la SAU, un renforcement de l’accès des producteurs locaux aux marchés publics, la promotion des démarches en circuits courts et la mise en valeur des labels de production « pays » (comme les produits « péyi » à la Guadeloupe).

Votre rapporteur note qu’au sein du PLF pour 2023 présenté par le Gouvernement, les moyens du ministère délégué aux Outre-mer en faveur de la diversification agricole seront doublés (6 millions d’euros en AE et en CP) et s’ajouteront à la contribution du ministère de l’agriculture pour renforcer la production locale et améliorer l’autonomie alimentaire des territoires ultramarins.

Votre rapporteur salue l’initiative, même si cela ne sera sans doute pas suffisant pour contribuer à permettre la mise en place d’une véritable politique ambitieuse en matière de souveraineté alimentaire outre-mer.

2.   Aménager les différents niveaux de la fiscalité pour agir directement sur les prix, les charges des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages dans l’objectif de baisser globalement le coût de la vie, de créer de l’activité, de la richesse et d’accompagner au mieux vivre

Pour agir directement et concrètement sur l’évolution des prix, il apparaît nécessaire de mettre en œuvre un aménagement de l’octroi de mer étant entendu que selon l’Autorité de la concurrence son impact sur les prix demeure raisonnable.

Afin de lutter contre la vie chère, la collectivité territoriale de Martinique a déclaré « l’état d’urgence sur les prix » au printemps 2022. Elle s’est engagée sur une baisse des prix de 1 000 produits de première nécessité, en négociation avec l’État et les acteurs de la chaîne du prix, via notamment une révision des mécanismes de fiscalité et plus particulièrement de l’octroi de mer. Votre rapporteur salue cette initiative et invite l’ensemble des départements d’Outremer à engager des démarches et réflexions similaires.

Afin de ne pas diminuer les niveaux de services publics des territoires avec des communes déjà sous-financées, il importe donc de concilier cet aménagement de l’octroi de mer avec la nécessité de garantir aux collectivités territoriales ultramarines un niveau équivalent de recettes fiscales, selon le principe de compensation. Le dynamisme des ressources des collectivités devra aussi être préservé, de même qu’une réforme pour une véritable autonomie fiscale locale est souhaitable.

De manière conjuguée une action plus équitable avec une TVA à 0 % pour tous les territoires ultramarins permettra également d’agir concrètement et à très court terme.

De même, rétablir l’abattement de 30 % et 40 % sur l’impôt sur le revenu des ménages des DOM redonnera immédiatement du pouvoir d’achat.

Enfin, l’idée d’une exonération des charges des entreprises sur 5 ans au moins sous conditions permettra de les accompagner à faire face aux crises, de créer de l’activité et de l’emploi pour diminuer le chômage, la pauvreté et redonner du pouvoir d’achat.

3.   Développer les échanges économiques et commerciaux avec les bassins régionaux voisins

Afin d’accroître les économies d’échelle pour la production locale, favoriser les échanges commerciaux et économiques, entre autres, votre rapporteur estime urgent de débloquer et de développer les relations institutionnelles entre les territoires ultramarins et les pays des bassins régionaux voisins. Aujourd’hui, l’intégration régionale est en effet très peu développée en raison de l’impossibilité de négocier directement et politiquement entre territoires ultramarins et pays voisins, de l’absence de l’équivalence de normes entre territoires, mais aussi des effets désincitatifs liés au taux de change.

Pour ce faire, il importe également de développer le trafic de transbordement, par exemple depuis les grands ports maritimes de Guadeloupe et de Martinique, en prévoyant de desservir toute la Caraïbe afin d’interconnecter les Antilles. Le trafic de transbordement est actuellement relativement peu développé ; par exemple, pour la Guadeloupe, 340 000 conteneurs arrivent annuellement et 180 000 sont destinés au marché domestique, le reste étant acheminé en transbordement.

Votre rapporteur a accueilli positivement l’annonce faite par la CMA-CGM d’un tel projet de développement du trafic de transbordement dans les Antilles. Ainsi, CMA-CGM a annoncé vouloir interconnecter la Martinique avec la Grenade, Saint-Vincent, la Barbade à partir de novembre, et entend doubler le trafic de transbordement dans la grande Caraïbe par rapport au trafic actuel.

Votre rapporteur invite à augmenter les investissements publics dans le renforcement et la modernisation des infrastructures portuaires ultramarines, en conditionnant les investissements publics consentis à des engagements relatifs à la transparence et la maîtrise des prestations de la part des exploitants, dans un objectif de limitation de la vie chère.

Votre rapporteur invite également l’État à donner, pour des raisons de subsidiarité évidente, le droit, les moyens et la possibilité simplifiée pour territoires ultramarins de développer ces échanges économiques, dans le cadre d’une diplomatie territoriale et régionale plus responsable et autonome.

C.   Prendre des mesures d’urgence visant À sanctuariser le pouvoir d’achat des populations :

1.   Accroître la lisibilité et la pertinence du bouclier qualité-prix (BQP)

Dans son avis précité, l’Autorité de la concurrence recommandait de renforcer l’efficacité du bouclier qualité-prix. Pour ce faire, l’Autorité suggérait notamment :

– d’élargir le dispositif en amont à d’autres acteurs que les seules enseignes de distribution et de mettre en place un comparateur de prix afin de donner une meilleure visibilité du dispositif pour les consommateurs ;

– de davantage cibler les objectifs du BQP, en fonction des intentions et besoins de chaque territoire (exemple : rechercher des prix bas ou mettre en valeur de la production locale) ;

– d’associer davantage les populations locales à l’élaboration du dispositif afin d’en accroître la visibilité auprès des populations locales.

Votre rapporteur soutient ses propositions d’évolutions du BQP. Il salue la négociation actuelle dans chaque territoire de boucliers qualités prix élargis, dénommés « BQP + ».

Les nouveaux BQP + devraient entrer en vigueur au début de l’année 2023. Ils devraient correspondre davantage aux habitudes de consommation des ménages les plus modestes, et être étendus à certains services, dont les opérateurs de téléphonie. Les bailleurs sociaux devraient également être concernés par les négociations, afin de contenir l’augmentation des loyers.

Cette renégociation du BQP s’inscrit dans le souhait du ministre délégué aux Outre-mer d’ouvrir un « Oudinot du pouvoir d’achat ». Lors d’un déplacement à La Réunion, le ministre s’était engagé à ce que le BQP traditionnel soit élargi à un panier de produits représentant au total 5 % de la consommation des ménages. Votre rapporteur sera particulièrement vigilant à la bonne mise en œuvre de cet engagement ministériel.

2.   Résorber le sous-financement des collectivités territoriales et maintenir les dépenses fiscales de l’État afin de pouvoir accroître les marges d’intervention des pouvoirs publics, ne pas impacter davantage le pouvoir d’achat des ménages et ne pas plomber les entreprises

Traiter les problèmes des territoires et notamment par rapport à l’enjeu fondamental de la vie chère, en amont, nécessite de redonner des marges de manœuvre aux communes qui sont les garantes de la cohésion sociale. C’est ainsi qu’après la révolte des banlieues en 2005, l’État a considérablement augmenté les dotations de péréquation de ces communes. De même, en 2021, l’État a apporté un soutien massif à la commune de Marseille pour 1.5 milliards d’euros, quand, face à l’urgence, les communes des DOM bénéficient d’un contrat de redressement sur mesure (COROM) doté de 30 millions d’euros en 3 ans et pour leurs investissements du FEI, financé, en grande part par la hausse de l’impôt sur les revenus des ménages après la réforme de l’abattement spécifique aux DOM.

Un rattrapage de la DACOM a certes été opéré pour 55 millions d’euros, mais le retard des DOM en matière de péréquation nationale est de près de 150 millions d’euros, si l’on se réfère à l’écart initial de 200 millions d’euros figurant dans le rapport Cazenave/Patient. Or la péréquation nationale est le seul levier efficace pour équilibrer le budget des communes défavorisées.

Par ailleurs, la réforme de la DACOM ciblée sur la Guyane et Mayotte, et dans une moindre mesure La Réunion, laisse les communes antillaises dans une impasse budgétaire totale.

À l’égal de l’intervention de l’État auprès de la commune de Marseille, une intervention équitable de l’État s’impose dans les DOM, au-delà des plans d’urgence de Guyane et de Mayotte, pour éviter que ne s’accroissent progressivement un chaos social.

Le soutien de l’État en faveur des territoires d’Outre-mer s’est en partie appuyé sur des dispositifs existants au sein de la mission « Outre-mer » (ligne budgétaire unique, fonds exceptionnel d’investissement, soutien aux collectivités), mais également sur des engagements politiques ponctuels, visant à répondre à des situations de crise, dont l’un des exemples récents trouve sa traduction dans le plan de relance.

S’agissant de l’action n° 6 « collectivités locales », il conviendrait de créer un fonds d’urgence pour le fonctionnement des communes d’Outre-mer, alimenté par les crédits non consommés et annulés de la mission « Outre-Mer » (estimés à près de 80 millions d’euros par an). Ce fonds ne signifie pas, par conséquent, une dépense nouvelle pour l’État, mais des marges de manœuvres plus grandes pour les communes qui ne parviennent pas, en raison de blocages persistants, à l’équité avec les collectivités de l’Hexagone sur le plan de la péréquation nationale.

Les communes d’Outre-mer pourraient aussi bénéficier des crédits du Plan de relance de l’État, dont seulement 1.5 % des 100 milliards d’euros est prévu pour l’Outre-Mer qui représente pourtant 4.3 % de la Population nationale. Un fonds spécial pourrait être alimenté par un redéploiement plus équitable des crédits du Plan de relance de l’État, ou par les crédits non mobilisés par les DOM.

Ce fonds spécial permettrait d’apurer les dettes auprès de leurs fournisseurs des communes et leurs dettes sociales, à hauteur de la perte de leurs dotations non compensées par la péréquation nationale de manière injuste et injustifié. L’apurement d’une partie des dettes « fournisseurs » des communes favoriserait une véritable relance de l’économie ultramarine, plombée indirectement par des politiques publiques inéquitables

De même, les communes ne seront plus contraintes d’augmenter continuellement le coût des services publics et les impôts, toutes choses qui participent à la baisse du pouvoir d’achat et à la cherté de la vie.

Votre rapporteur souligne que dans le cadre de la programmation des finances publiques de 2023 à 2027, les populations des DOM seront à nouveau appelées à des efforts pour réduire le déficit de l’État via les collectivités territoriales. Or, ces dernières, amenées à pallier la faiblesse du tissu économique (sans en être responsables comme le voudrait une analyse officielle ciblant de manière unilatérale la faiblesse de l’ingénierie « locale »), ne pourront, eu égard à une crise sociale aggravée par la baisse des dotations de l’État, faire face à une nouvelle contribution au redressement des finances publiques (quelle que soit la forme), sauf à accélérer la transformation de ces territoires en poudrière sociale, comme on le voit déjà aux Antilles.

Parallèlement, tout un ensemble de dispositifs qui soutiennent l’économie et le pouvoir d’achat des ménages ultramarins a déjà été ponctionné et est menacé de disparaître afin de réduire le déficit de l’État : La TVA NPR (non perçue récupérable) des entreprises (supprimées pour 100 millions d’euros en 2018), l’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants (diminuée de 40 millions d’euros à partir de 2018), l’abattement de l’IR comme évoqué précédemment (diminué de 70 millions d’euros au moins en 2018 avec une visée finale de 400 millions d’euros), la défiscalisation (passée de 1 milliard d’euros en 2011 à moins de 500 millions d’euros en 2022 ; à cela s’ajoute la menace de suppression de l’octroi de mer et son remplacement par une TVA de 19.6 %.

Les DOM nettement plus pauvres subissent une double peine.

Répartition de la population selon les situations de pauvreté

Par ailleurs, votre rapporteur relève que l’État doit apporter des garanties à la Commission européenne concernant la réduction de son déficit et que ses garanties reposent en particulier sur la suppression de ses dépenses fiscales dites « inefficaces ».

Il s’inquiète du récent rapport de la Cour des comptes sur les financements de l’État en Outre-Mer, où la Cour considère que nombre de dépenses fiscales de l’État dans les DOM seraient opportunément « inefficaces », ce qui justifierait une accélération du mouvement qui a conduit à une augmentation de l’IR dans les DOM, à contrecourant de ce qui se produit dans l’Hexagone.

Votre rapporteur rappelle qu’il appartient à l’État de garantir l’équité et l’égalité des droits sur tout le territoire.

Il convient donc d’exempter les outre-Mer d’une nouvelle contribution au redressement des finances publiques (quelle que soit la forme) et de maintenir les dépenses fiscales de l’État, voire de rétablir certaines.

D’autre part, votre rapporteur souhaite pour des raisons d’équité évidentes que soit substantiellement accrue l’enveloppe budgétaire consacrée à la continuité territoriale avec les territoires ultramarins, sur le modèle corse.

Dans le projet de loi de finances pour 2023 présenté par le Gouvernement, les moyens de cette enveloppe sont maintenus à hauteur de 44,98 millions d’euros en AE. Le soutien à la continuité territoriale relève également du financement de l’aide à la formation professionnelle en mobilité, assuré par LADOM. Le PLF pour 2023 prévoit pour ce faire un budget de 33,39 millions d’euros en AE et de 28,12 millions d’euros en CP. Ce budget aussi est stable alors que les besoins augmentent.

Votre rapporteur regrette que le montant de la dotation budgétaire relative à la continuité territoriale ne soit pas significativement augmenté, dans le contexte de vie chère que nous connaissons. Il ne peut que déplorer le différentiel budgétaire existant entre la dotation de continuité territoriale corse et celle prévue pour les Outre-mer.

En Corse en effet, la dotation de continuité territoriale est un concours financier particulier alloué par l’État à la collectivité territoriale ayant pour objectif d’organiser les liaisons aériennes et maritimes de la Corse avec Paris, Marseille et Nice. Instaurée pour la première fois en 1976 – et ne s’appliquant alors que pour le secteur des transports maritimes –, elle est destinée à « atténuer les contraintes de l’insularité » par « des dessertes dans des conditions d’accès, de qualité, de régularité et de prix » qui ne seraient pas de nature à handicaper l’île par rapport aux autres régions du territoire national. Prévu par l’article L. 4425-26 du code général des collectivités territoriales, son montant est maintenu constant depuis 2013 à hauteur de 187 millions d’euros par an.

3.   Proposer une tarification ad valorem du fret maritime

Aujourd’hui, la tarification du fret maritime au conteneur accroit significativement le coût relatif du transport maritime de marchandises à faible valeur ajoutée. Au contraire, le coût du transport maritime des biens à haute valeur ajoutée est relativement insignifiant par rapport au prix déjà élevé des biens.

Ce mode de tarification contribue grandement à renchérir le coût de la vie des populations ultramarines les plus précaires, dont le budget est constitué pour une large part des produits de première nécessité.

Votre rapporteur souhaite donc engager les armateurs à proposer une évolution de la tarification des conteneurs en fonction de la valeur du contenu, afin de baisser significativement le coût de transport des biens à faible valeur ajoutée.

4.   Accroître l’aide au fret maritime et aérien en mettant en avant l’impératif de continuité territoriale avec l’Hexagone

Le régime de l’aide au fret dans les collectivités territoriales de l’article 73 de la Constitution

Pour les régions ultrapériphériques, les autorités françaises ont obtenu de la Commission Européenne la mise en œuvre d’un régime cadre de soutien au fret destiné à compenser ce handicap
(SA. 49772). L’article 24 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, modifié par l’article 71 de la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer, crée une aide nationale aux entreprises situées dans les départements d’outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna. L’objectif de cette aide est d’abaisser le coût du fret.

Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et à Saint-Martin, peuvent bénéficier de cette aide les entreprises qui exercent une activité de production ou une activité de collecte, de transit, de regroupement, de tri ou de traitement de déchets, à l’exception des entreprises des secteurs de l’industrie automobile, de la sidérurgie, de l’industrie charbonnière et de la pêche.

Le transport ou le transfert des produits des entreprises qui ne peuvent être localisées ailleurs, notamment les produits d’extraction et les centrales hydroélectriques, n’est pas éligible au bénéfice de l’aide au fret.

Le montant de l’aide est arrêté au regard des critères fixés dans le cadre du régime d’aide d’État SA.39 297 (2014/X) concernant les mesures de soutien au transport.

La base éligible de l’aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport le plus économique, maritime ou aérien, incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement et, s’agissant des déchets, les coûts spécifiques de conditionnement, de contrôles de sûreté et de sécurité d’affrètement :

– des matières premières ou produits importés par l’entreprise depuis l’Union européenne ou les pays tiers ou acheminés depuis ces collectivités territoriales pour y entrer dans un cycle de production ;

– des matières premières ou produits issus de la production locale, expédiés vers l’Union européenne, y compris vers ces collectivités territoriales ;

– des déchets importés de l’Union européenne, y compris depuis ces collectivités territoriales ou des pays tiers, aux fins de traitement ;

– des déchets expédiés vers l’Union européenne, y compris vers ces collectivités territoriales, aux fins de traitement.

Le montant de l’aide apportée par l’État ne peut dépasser 25 % de la base éligible, lorsque l’entreprise bénéficie d’une aide financière dans le cadre de l’allocation additionnelle spécifique de compensation des surcoûts liés aux handicaps des régions ultrapériphériques prévue par le Fonds européen de développement économique régional ou d’une aide des collectivités territoriales ou de leurs groupements.

En l’absence de ces aides, le montant de l’aide apportée par l’État peut être porté à 50 % de la base éligible.

Votre rapporteur déplore que les dispositifs nationaux ou européens d’aide au fret existants soient trop peu connus des entreprises ultramarines.

En outre, la base éligible de l’aide au fret devrait être étendue aux importations de produits agricoles et aux produits de première nécessité, et non aux seules matières premières et aux seuls produits importés entrant dans le cycle de production comme c’est aujourd’hui le cas.

Dans le PLF pour 2023, l’aide au fret bénéficie de 8,30 millions d’euros en AE et de 5,85 millions d’euros en CP, soit une baisse des CP par rapport à l’année dernière où ils atteignaient les 7 millions d’euros. Votre rapporteur le regrette fortement.

5.   Garantir le désenclavement numérique à moindre coût et la continuité territoriale digitale des territoires ultramarins

La diminution du coût de la vie passe nécessairement par le développement de la digitalisation à moindre coût et le désenclavement numérique des territoires ultramarins. Les coûts de l’internet et des télécommunications sont donc des enjeux majeurs à la fois pour le quotidien des populations et des entreprises mais aussi pour favoriser l’intégration des territoires ultramarins dans leur bassin géographique régional et donc garantir des échanges notamment économiques bénéfiques.

Pour ce faire, plusieurs pistes peuvent être étudiées, approfondies voire combinées, en ce qui concerne les coûts internet et ceux des services mobiles :

– assurer le développement de la concurrence, tout en restant vigilant sur les risques d’ententes face à des populations captives est un déterminant important pour avoir les meilleurs prix ;

– financer un réseau de câbles sous-marins « souverain » pour la zone Antilles, à l’image du câble Guadeloupe Câble Numérique (GCM-1) avec une meilleure gestion et une gouvernance interrégionale ;

– poursuivre la défiscalisation des investissements sur les câbles sous‑marins,

– continuer à financer la Continuité Territoriale Numérique engagée en 2017. À cette période le ministère de l’Outre-Mer avait octroyé 50 millions d’euros aux opérateurs pour financer la mise en œuvre de cette Continuité Territoriale Numérique. Il s’agit pour autant d’imposer une conditionnalité à l’obtention d’aides publiques ou à minima un contrôle plus strict des évolutions du prix au consommateur pour assurer une équité des prix par rapport au territoire hexagonal.

– Inciter les opérateurs à créer un « forfait social » minimal surtout sur l’internet ou recréer un service universel pour les territoires avec la désignation d’un opérateur ;

– prévoir une prise de participation de l’État ou des collectivités au capital des opérateurs locaux ;

– accompagner les collectivités régionales ou territoriales à la construction de Réseau d’intérêt Public (RIP).

6.   Converger autour de l’appel de Fort-de-France pour libérer l’initiative locale

Votre rapporteur a souligné tout au long de la présente contribution comment vus de Paris, les enjeux des DOM sont de plus en plus obscurcis notamment par une approche comptable discriminatoire, de sorte que par exemple, les baisses des prélèvements obligatoires qui sont une dépense salutaire pour l’économie et les populations, dès lors qu’ils concernent des dispositifs spécifiques aux DOM, sont assimilées à des dépenses « inefficaces », puis rabotées ou supprimées, faisant ainsi supporter par l’échelon local des dépenses autrefois supportées par l’État.

Après le lourd tribu de la période coloniale, l’équité et l’égalité réelle demeurent déniée aux DOM, mêmes dans des domaines où elles devraient être les plus évidentes comme celui de la péréquation nationale.

Il convient de changer de paradigme.

À cet égard, votre rapporteur soutient entièrement l’appel de Fort-de-France signés par les présidents des régions de Guadeloupe, Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane.

L’appel de Fort-de-France insistait notamment sur la refondation de la relation entre les territoires ultramarins et la République, pour solutionner concrètement les problèmes structurels de ces territoires, par la construction et la prise en main de manière endogène d’outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux réels.

Votre rapporteur considère que l’Appel de Fort-de-France est porteur de véritables perspectives. Il est convaincu de la capacité des collectivités territoriales ultramarines à s’emparer de l’ensemble des leviers disponibles pour œuvrer à une au développement économique et à l’épanouissement des populations.

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 11 octobre 2022, la commission des affaires économiques a examiné les crédits de la mission « Outre-mer », sur le rapport de M. Johnny Hajjar.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. C’est pour moi un honneur, en tant que nouveau parlementaire de la troisième circonscription de Martinique, de rapporter le budget de la mission Outre-mer. Si celle-ci ne représente que 12 % de l’effort budgétaire consacré par l’État aux Outre-mer, elle n’en reflète pas moins des enjeux majeurs de politique publique dans ses programmes Emploi Outre-mer et Conditions de vie Outre-mer.

Ce budget est présenté dans un contexte se caractérisant, dans un grand nombre de territoires ultramarins, par un ensemble de crises dans les domaines économique, social, environnemental et sanitaire – les suites de la pandémie de covid se font encore sentir –, sans oublier l’explosion du problème de la vie chère.

Pour l’année 2023, les moyens de la mission, à périmètre constant, s’élèvent à 2,93 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,75 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une hausse de 298 millions d’euros en AE et de 285 millions d’euros en CP par rapport à 2022.

Toutefois, il convient de relativiser cette hausse, qui provient pour les deux tiers de l’accroissement prévisionnel et mécanique des compensations d’exonérations de cotisations sociales, à raison de 203 millions d’euros supplémentaires en AE et en CP, après une baisse observée les années précédentes. Dans la mesure où le dispositif d’allégement de charges destiné à l’Outre-mer n’a pas évolué, la hausse budgétaire est fondée sur les projections des administrations de sécurité sociale. Elle ne traduit pas une volonté politique d’intensifier l’accompagnement des entreprises ultramarines.

Les autres crédits en augmentation concernent le montant alloué au service militaire adapté (SMA), le renforcement du soutien budgétaire de l’État à certaines collectivités territoriales, ou encore le financement de l’Agence française de développement (AFD).

Plusieurs motifs d’insatisfaction à l’égard des choix politiques que traduit le budget de la mission expliquent l’avis défavorable que j’émettrai.

Je déplore en effet que certains crédits budgétés, comme ceux du fonds exceptionnel d’investissement (FEI), proviennent en grande partie de la hausse de l’impôt sur le revenu payé par les ménages des départements d’Outre-mer (DOM) consécutive à la réforme de l’abattement spécifique qui a frappé ces territoires. J’aurais préféré que ces crédits supplémentaires proviennent de dotations ne pesant pas sur le pouvoir d’achat des populations.

Le recours à un financement local dans les quatre DOM historiques pour financer les investissements de l’État dans tout l’Outre-mer est d’autant plus paradoxal que ces derniers y sont nettement plus faibles que dans l’Hexagone, en dépit des retards considérables observés en matière d’équipements et d’infrastructures de base.

Alors que les collectivités territoriales sont garantes de la cohésion sociale et du développement endogène, je regrette également que s’ajoute au sous-financement structurel des collectivités ultramarines, démontrées par le rapport Patient-Cazeneuve de 2019, un sous‑financement conjoncturel, qui d’ailleurs s’aggrave. Les communes de ces quatre départements – Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion –, qui comptent 2 millions d’habitants, souffrent d’un déficit aggravé de financement depuis la baisse des dotations. En effet, l’État a prélevé près de 1 milliard d’euros sur leur budget de fonctionnement à travers la contribution au redressement des finances publiques (CRFP), sans que ce prélèvement soit entièrement compensé par la hausse de la péréquation nationale. Ainsi, l’État laisse supporter à ces collectivités un déficit cumulé s’élevant à près de 400 millions d’euros en 2022. Les conséquences en sont l’allongement des délais de paiement et la ruine des capacités d’investissement et d’intervention auprès des populations. Cette situation explique la crise sociale aux Antilles. Pour mémoire, l’État avait veillé à compenser à 100 % la perte des dotations des communes défavorisées de l’Hexagone afin d’éviter les désastres budgétaires et sociaux que l’on constate dans les DOM. Je regrette le traitement inéquitable et discriminatoire que subissent les populations des territoires ultramarins par rapport à celles de l’Hexagone.

Je constate, par ailleurs, que les priorités politiques du budget des Outre‑mer consistent à gérer la crise en bout de chaîne, par le renforcement du SMA, les contrats de redressement en Outre-mer (Corom) et l’ingénierie de l’AFD, quand il faudrait un traitement équitable en amont, pour éviter l’échec scolaire qui mène au SMA, le déficit qui mène aux Corom et l’incapacité des collectivités à recruter des cadres qualifiés qui mène au recours à l’ingénierie financée par l’AFD.

Pour faire le lien avec la partie thématique de mon rapport, consacrée à la vie chère, je regrette que certaines actions pourtant essentielles pour compenser les contraintes structurelles auxquelles sont confrontés les Outre-mer – l’éloignement, l’insularité ou encore l’exiguïté des territoires – n’aient pas vu leurs moyens renforcés. C’est notamment le cas des actions en faveur de la continuité territoriale, du logement ou encore de l’aide au fret.

J’en arrive à la partie thématique du rapport. La vie chère est un phénomène ancien, dont les racines sont à chercher dans l’histoire. Le problème est structurel, mais des déterminants conjoncturels s’y ajoutent, dont les conséquences sur le plan humain sont dramatiques.

La vie chère dans les Outre-mer résulte d’un modèle de mal-développement économique inhérent au passé colonial et qui s’explique par la conjonction de plusieurs phénomènes. Premièrement, les prix y sont structurellement plus élevés que dans l’Hexagone. Deuxièmement, le niveau de vie et les revenus y sont significativement moins élevés. Troisièmement, le sous-financement des collectivités territoriales est structurel. Celles-ci sont pourtant garantes de la cohésion sociale. Cet état de fait empêche le développement de l’ingénierie locale, affaiblit les investissements endogènes, voire les ruine, et impose une fiscalité locale élevée pour assurer les services publics, au détriment du pouvoir d’achat des ménages et de l’épanouissement des populations. Quatrièmement, le traitement que réserve l’État aux territoires ultramarins est inéquitable et injuste en comparaison avec l’Hexagone.

Historiquement, les territoires ultramarins entretenaient avec la métropole une relation asymétrique et coloniale de type centre-périphérie, avec des échanges privilégiés structurant un ordre économique non concurrentiel, ce qui a transformé leurs économies en marchés captifs et non compétitifs. Ce modèle de mal‑développement économique a perduré malgré les évolutions institutionnelles et statutaires : la production locale est faible, non diversifiée, et ces territoires dépendent à plus de 80 % des importations.

Selon la dernière enquête exhaustive menée en 2015 par l’Insee sur les prix dans les Outre-mer, le niveau général y était de 7 % à 12,5 % plus élevé qu’en France hexagonale, avec des écarts de prix particulièrement criants pour les produits alimentaires : 28 % de plus à La Réunion et jusqu’à 38 % à la Martinique.

Plusieurs facteurs structurels expliquent ces écarts de prix majeurs. L’insularité et l’éloignement géographique par rapport à l’Hexagone induisent des coûts d’infrastructure, notamment pour les télécommunications, mais aussi des coûts d’approche, de transport et de stockage très importants. Les coûts d’approche et de transport comprennent notamment le fret maritime ou aérien. Je présenterai un amendement à ce propos.

Ces coûts sont renchéris par la présence de nombreux intermédiaires tout au long de la chaîne d’approvisionnement. En outre, l’étroitesse structurelle des marchés intérieurs conduit à une grande faiblesse concurrentielle, l’activité étant concentrée autour d’un petit nombre d’acteurs : c’est la configuration oligopolistique qui domine. C’est le cas, par exemple, dans le transport maritime, avec la CMA-CGM, sachant que Maersk se retirera bientôt des Antilles. Dans le commerce à prédominance alimentaire, ce sont les groupes GBH, Sodifram et Somaco qui dominent à Mayotte ; à La Réunion, les groupes GBH et Leclerc forment un duopole.

L’Autorité de la concurrence note que l’intégration verticale, c’est-à-dire la présence d’un même acteur aux différents niveaux de la chaîne, joue également sur la concurrence, et que l’accumulation des marges par les acteurs tout au long de la chaîne de production et de distribution des produits de grande consommation explique les écarts de prix par rapport à l’Hexagone.

La fiscalité doit aussi être prise en compte dans la formation des prix. L’octroi de mer renchérit le prix – quoique de manière raisonnable –, de même que la TVA, du reste appliquée de manière discriminatoire dans les DOM, car elle n’existe qu’à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. La situation est d’ailleurs ubuesque, puisque l’octroi de mer est inclus de manière illégale dans l’assiette de calcul de la TVA.

Aux écarts de prix structurellement plus élevés s’ajoute la hausse conjoncturelle due au renchérissement du coût des transports et des intrants, notamment, en lien avec les crises mondiales – je pense à la guerre en Ukraine.

Les revenus, quant à eux, sont structurellement inférieurs dans les Outre-mer en raison des taux de pauvreté, de chômage et de précarité et de l’accroissement des inégalités. En 2018, le niveau de vie médian était de 11 000 euros annuels environ en Guyane et de 3 000 euros à Mayotte. Dans les trois autres départements d’Outre-mer, il se situait entre 15 500 euros et 17 000 euros. À titre de comparaison, la même année, il était de 23 860 euros en Île-de-France.

Le taux de pauvreté serait passé de 44 % à 53 % en Guyane, où le salaire moyen est compris entre 700 et 800 euros mensuels. Le niveau de vie dans la plupart des DOM est d’autant plus faible que les ménages de la classe moyenne ont souffert de la réforme de l’abattement fiscal sur l’impôt sur le revenu en 2018 : la disposition a touché 50 % des ménages assujettis et provoqué une perte du pouvoir d’achat directe – et disproportionnée – de plus de 70 millions d’euros.

De plus, du fait de la diminution de l’abattement, l’évolution de l’impôt sur le revenu est cinq fois plus élevée dans les DOM que dans l’Hexagone. Pourtant, on est en droit d’estimer que l’abattement est légitime étant donné que les Ultramarins ne bénéficient pas de services publics du même niveau que dans l’Hexagone et qu’ils supportent de nombreux surcoûts.

Les Outre-mer ne bénéficient pas non plus de dotations de continuité territoriale équitables : l’enveloppe est de 45 millions d’euros pour 2,7 millions d’habitants, contre 190 millions d’euros pour la Corse, peuplée d’environ 330 000 habitants et située à seulement 20 kilomètres des côtes françaises.

Enfin, à contre-courant de sa politique appauvrissant les classes moyennes des DOM, l’État a offert aux plus grandes fortunes un cadeau fiscal sans précédent : il s’est privé de 4 milliards d’euros de recettes en supprimant l’impôt sur la fortune.

Le sous-financement des collectivités locales d’Outre-mer par rapport à celles de l’Hexagone est lui aussi structurel. En 2019, il était estimé à près de 200 millions d’euros, et compensé seulement à hauteur de 50 millions d’euros environ par des dotations de péréquation. Le sous-financement s’est encore aggravé dans les quatre DOM historiques, car les collectivités sont soumises depuis 2014 à la contribution au redressement des finances publiques. L’État a ainsi prélevé au total 869 millions d’euros sur le budget de ces communes. En tenant compte de la compensation par la péréquation et des 30 millions d’euros – échelonnés sur trois ans – versés dans le cadre des Corom, le déficit net s’élève à près de 400 millions d’euros en 2022. Les communes sont sinistrées sur le plan financier, avec pour conséquence, notamment, l’allongement des délais de paiement pour les entreprises. La Cour des comptes a dénoncé en 2017 ce traitement inéquitable des DOM, et le Président de la République lui-même l’a reconnu.

Ce traitement se traduit également par le fait que plusieurs dispositifs soutenant l’économie et le pouvoir d’achat des ménages ultramarins ont déjà été ponctionnés ou sont menacés de disparition afin de réduire le déficit de l’État. La TVA non perçue récupérable des entreprises a été supprimée en 2018, ce qui a provoqué la perte de 100 millions d’euros. L’allégement de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants – mécanisme qui concerne donc les très petites entreprises – a été diminué de 40 millions d’euros à partir de 2018, avec pour objectif final de gagner 400 millions d’euros. La réforme de l’abattement sur l’impôt sur le revenu a fait économiser 70 millions d’euros à l’État. Le coût de la défiscalisation est passé de 1 milliard d’euros en 2011 à moins de 500 millions en 2022. À cela s’ajoute la menace d’une suppression de l’octroi de mer et de son remplacement par une TVA à 19,6 %.

Quelles solutions à court, moyen et long terme peut-on envisager pour lutter contre la vie chère ? Il importe d’avoir une vision globale, pragmatique et prenant en compte les réalités locales.

Des mesures d’urgence sont indispensables, avec pour objectif de sanctuariser le pouvoir d’achat des populations. La pertinence du bouclier qualité-prix doit être améliorée.

Il faut également proposer, pour le fret maritime, une tarification ad valorem, c’est‑à‑dire une taxe proportionnelle à la valeur du bien transporté. Il convient d’accroître l’aide au fret ainsi que l’enveloppe consacrée à la continuité territoriale, dans un souci d’équité.

Les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) doivent être renforcés, pour une plus grande transparence des prix, des marges et des revenus de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement.

Les différents niveaux de fiscalité doivent être aménagés pour agir directement sur les prix, les charges des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages, avec pour objectifs de faire baisser globalement le coût de la vie, de créer de l’activité et de la richesse et d’accompagner les populations vers le mieux-vivre. Il faut une TVA à zéro pour cent en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, comme en Guyane et à Mayotte. Il importe de rétablir les abattements de 30 % et de 40 % sur l’impôt sur le revenu. Un dispositif zéro charge pendant cinq ans pourrait être mis en place pour les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises, qui représentent l’essentiel du tissu économique de ces territoires. L’objectif est de ne pas voir diminuer davantage le pouvoir d’achat et de ne pas plomber les entreprises.

Il faut résorber le sous-financement des collectivités territoriales et maintenir les dépenses fiscales de l’État afin d’accroître les marges d’intervention des pouvoirs publics locaux. Il importe de compenser par une péréquation nationale les 150 millions d’euros manquants, à l’instar du 1,5 milliard d’euros fourni en 2021 par l’État à Marseille. Une intervention équitable de l’État s’impose dans les DOM, au-delà des plans d’urgence de Guyane et de Mayotte, pour éviter que ne s’aggrave progressivement la crise sociale.

Sous l’action 06, Collectivités territoriales, il faut créer un fonds d’urgence pour le fonctionnement des communes d’Outre-mer, alimenté par les crédits non consommés et annulés de la mission Outre-mer, lesquels sont estimés à près de 80 millions d’euros par an. Les communes d’Outre-mer pourraient aussi bénéficier des crédits du plan de relance : seuls 1,5 % des 100 milliards d’euros sont prévus pour l’Outre-mer, qui représente pourtant 4,3 % de la population nationale.

Il convient d’exempter les Outre-mer de la nouvelle contribution au redressement des finances publiques prévue à partir de 2023, quelle qu’en soit la forme, et de maintenir les dépenses fiscales de l’État, voire d’en rétablir certaines.

L’intensité concurrentielle doit être accrue dans l’ensemble des secteurs économiques ultramarins. Il faut garantir le désenclavement numérique à moindre coût et la continuité territoriale digitale pour les territoires ultramarins.

L’augmentation de la capacité de production locale permettra de se diriger vers l’autonomie alimentaire. Cela suppose d’accompagner la diversification – j’ai déposé un amendement à cette fin – et la structuration de filières de production locales. Il faut développer les échanges économiques et commerciaux avec les bassins régionaux voisins.

Tous les acteurs doivent converger autour de l’appel de Fort-de-France pour libérer l’initiative. Il s’agit de changer de paradigme, de résoudre concrètement les problèmes structurels par la création endogène d’outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux, pour œuvrer au développement économique et à l’épanouissement des populations.

Enfin, pour approfondir la démarche eu égard à ces enjeux essentiels, je propose de créer une commission d’enquête parlementaire sur la vie chère dans les Outre-mer. Les DOM et les collectivités d’Outre-mer (COM) constituent une richesse qu’il faut développer.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Annaïg Le Meur (RE). Les crédits de la mission, qui représentent près de 12 % de l’effort budgétaire de l’État en faveur de l’Outre-mer, sont en hausse. Ainsi, les moyens de la mission, à périmètre constant, s’élèvent à 2,93 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 2,757 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 11,3 % pour les AE et de 11,5 % pour les CP par rapport à 2022.

Cette hausse s’explique surtout par des compensations d’exonérations de cotisations sociales, après la baisse observée les années précédentes. Ainsi, ce budget vise à défendre la compétitivité des entreprises, qui passe d’abord par des dispositifs adaptés de réduction des cotisations sociales patronales afférentes aux salaires et aux revenus tirés de l’activité indépendante. La baisse du coût de la main-d’œuvre qui en résulte permet de soutenir l’emploi dans les secteurs économiques stratégiques dans les Outre-mer, tels que l’industrie, l’environnement, le tourisme, l’agriculture, ainsi que le numérique, la communication et la recherche et développement.

La hausse s’explique également par le montant alloué au service militaire adapté : 28 millions d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement et 35 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à la LFI de 2022. Le service militaire adapté est un dispositif militaire d’insertion socioprofessionnelle destiné aux jeunes – volontaires – les plus éloignés de l’emploi au sein des Outre-mer français. C’est un outil majeur de l’action en faveur des jeunes.

Par ailleurs, le soutien budgétaire de l’État aux collectivités est renforcé, avec 34 millions d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement et 50 millions en crédits de paiement. Il comporte notamment des aides spécifiques apportées à certains territoires, comme l’aide à la collectivité territoriale de Guyane, dans le cadre de l’accord signé le 27 septembre 2021, et l’aide financière au syndicat mixte de la gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), prioritairement pour l’investissement et l’assistance technique, et sous réserve du respect d’engagements de performance.

Enfin, le financement de l’Agence française de développement connaît une augmentation notable, avec 18 millions d’euros en autorisations d’engagement. Au moyen de prêts qu’elle octroie au profit du secteur public, mais aussi par son rôle d’appui technique et d’accompagnement, l’AFD favorise le financement des projets d’investissement et de réalisation d’infrastructures et d’équipements publics, notamment dans les domaines de l’adduction d’eau potable, de l’assainissement, de la gestion des déchets, ainsi que de la cohésion sociale et de l’aménagement urbain.

Le groupe Renaissance se félicite de l’ensemble de ces évolutions et de la hausse générale du budget de l’Outre-mer, qui traduit l’ambition du ministère de répondre aux préoccupations légitimes des Ultramarins. Le dispositif sera complété par de nouvelles mesures en faveur des Outre-mer, qui seront annoncées à l’issue d’un conseil interministériel des Outre-mer, prévu début 2023.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. La hausse de 203 millions d’euros repose essentiellement sur un mécanisme qui existe déjà et n’a pas évolué. Elle est fondée sur les évaluations de la sécurité sociale. Elle n’est en aucun cas liée à une volonté politique majeure de l’État de remédier à la crise et au contexte social dramatiques que connaissent les Outre-mer.

Mme Florence Goulet (RN). L’augmentation des crédits de paiement alloués à la mission relève, comme beaucoup de ce que fait le Gouvernement, du coup de communication. Elle est en effet en trompe-l’œil : elle résulte pour l’essentiel – 203 millions d’euros – d’un phénomène de hausse des compensations d’exonérations patronales, sans que le régime soit modifié. Pour le reste, 35 millions supplémentaires seront consacrés à l’augmentation du service militaire adapté, créé en son temps par Michel Debré, et dont le RN souhaite l’extension à la métropole. Cette hausse servira à la constitution de deux nouvelles compagnies.

La lutte contre le changement climatique dans le Pacifique se voit doter de 5 millions supplémentaires, 4 millions sont affectés à la construction d’abris anticycloniques en Polynésie française et 20 millions aux chantiers structurants de Guyane, alors même que cette collectivité est assise sur un tas d’or et des nappes d’hydrocarbures – nos compatriotes guyanais ne comprennent pas pourquoi le Gouvernement ne se donne pas les moyens de les exploiter. Les prévisions, en matière d’extraction aurifère, font état de 85 tonnes d’or par an, de quoi faire aisément vivre cette collectivité.

Le syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe est doté de 10 millions, auquel ne manquera plus qu’un environnement : 490 millions pour faire en sorte qu’au XXIème siècle l’un des départements de la septième puissance mondiale ait accès à l’eau courante avant les quatre années – au mieux – annoncées par le syndicat en question. Il serait temps que le Gouvernement prenne ses responsabilités en la matière, particulièrement à la suite de la tempête Fiona, qui a privé d’eau 60 % de nos compatriotes de Guadeloupe.

En ce qui concerne la lutte contre les algues sargasses, 3,5 millions sont prévus. M. Carenco s’enorgueillit de l’action du Gouvernement dans ce domaine. Ce n’est pas l’avis de nos compatriotes de Martinique et de Guadeloupe qui, lassés d’un deux poids, deux mesures qui leur donne le sentiment d’être traités comme des citoyens de seconde zone, ont en mémoire la création d’une mission interministérielle qui débloqua 300 millions en 2007 pour le traitement des algues vertes en Bretagne.

Le groupe Rassemblement national ne peut que déplorer l’absence de vision en faveur des Outre-mer, alors que ces territoires subissent un coût de la vie exorbitant, une augmentation de la criminalité et des homicides, une submersion migratoire – notamment à Mayotte et en Guyane –, un déficit de plusieurs milliers de logements sociaux, des taux de chômage élevés – et je pourrais citer d’autres problèmes encore, que le rideau de fumée institutionnel ne fera pas oublier à nos compatriotes ultramarins. Nous sommes défavorables à ce budget en trompe-l’œil et dénué de véritable ambition pour l’Outre-mer.

M. Maxime Laisney (LFI-NUPES). Si, selon le ministère chargé des Outre-mer, le budget est en hausse, et si les Outre-mer émargent à d’autres programmes du budget national, force est de constater que les crédits de la mission ne répondent ni aux priorités ni aux besoins des peuples d’Outre-mer.

C’est le cas du logement : la ligne budgétaire unique (LBU) connaît une hausse de seulement 1,81 % en autorisations d’engagement. Comment, dès lors, rendre possible l’accès à un logement social pour les 80 % de ménages qui peuvent y prétendre – et 70 % à un logement très social ? Les plans se suivent et se ressemblent ; les objectifs ne sont jamais atteints. À La Réunion, par exemple, 35 990 dossiers pour des logements sociaux sont toujours en attente.

L’emploi est une autre priorité. Or le thème est abordé avant tout sous l’angle de la compétitivité des entreprises, autrement dit des allégements ou des exonérations de cotisations sociales patronales. Ce n’est pas le tour de passe-passe consistant à retirer la ligne budgétaire qui y était consacrée dans la mission Outremer pour la globaliser avec des dépenses de même type dans l’article relatif aux relations entre l’État et la sécurité sociale qui changera la donne. Le montant atteint cette année par ces cadeaux fiscaux est considérable, mais pour quel résultat ? L’écart entre le taux de croissance de l’emploi salarié dans les entreprises d’Outre-mer et celui des entreprises analogues de France hexagonale reste au même niveau depuis des années : 2,7 points. En outre, en l’absence de documents fiables, exhaustifs et territorialisés chiffrant ces dépenses fiscales, c’est un chèque en blanc qui nous est demandé. Le Gouvernement continue donc à diminuer les cotisations sociales ou à exonérer les entreprises de leur paiement, espérant ainsi faire baisser le chômage, mais cela n’a pas de conséquences visibles sur la création d’emplois.

Lorsque le Gouvernement évoque l’emploi, il parle surtout du SMA, dont les crédits sont en hausse, mais cela ne saurait masquer le fait que les autres dispositifs de formation professionnelle ne voient pas leur budget augmenter.

Nous nous interrogeons également sur la consommation des crédits, notamment ceux du fonds de relance. Ils n’ont pas été utilisés, pour l’essentiel parce que le cadre imposé ne correspondait ni aux problèmes ni aux spécificités de chaque territoire d’Outre-mer. Le même problème se pose pour les fonds liés aux contrats de convergence et de transformation : on observe une sous-exécution et des questions se posent à propos de l’utilisation des fonds non consommés, le risque étant de les voir disparaître.

Quant à la question de la vie chère, elle n’est même pas abordée directement. C’est dire le décalage entre les attentes légitimes des territoires d’Outre-mer et ce projet de loi de finances.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez déjà fait part de votre avis, que nous partageons, mais nous souhaiterions vous entendre de nouveau sur le point suivant : pensez-vous que nous parvenions, avec un budget qui n’est qu’un copier-coller de ce qui a été fait jusque-là, à ce que les Ultramarins réclament, à savoir la construction de nouveaux rapports entre les Outre-mer et la France ?

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Bien sûr que non. Il faut effectivement changer de paradigme, adopter un autre regard. Plutôt que de chercher à traiter les problèmes en bout de chaîne, il faut les régler en amont.

Si la France est la deuxième puissance maritime mondiale, c’est grâce aux Outre-mer ; si elle possède une biodiversité aussi grande, c’est grâce aux Outre‑mer ; si elle dispose d’un potentiel aussi fort en matière d’énergies renouvelables, c’est grâce aux Outre-mer ; si elle occupe une position géostratégique majeure – le soleil ne s’y couche jamais car elle est présente sur les cinq continents et dans les cinq océans –, c’est grâce aux Outre-mer.

Nos territoires sont porteurs de richesses incommensurables, mais ils sont également confrontés à des charges en rapport avec l’insularité, l’éloignement, l’exiguïté des territoires, ainsi que l’affaiblissement démographique. Autant la population augmente à Mayotte et en Guyane, autant elle diminue et vieillit en Martinique, en Guadeloupe et dans une moindre mesure à La Réunion. Ces territoires souffrent également d’une fuite des cerveaux. Or c’est parce qu’il est impossible de trouver de l’ingénierie localement que l’on s’en remet aux financements de l’AFD, restant ainsi sous tutelle. On ne permet pas à nos jeunes ingénieurs de rester dans leur territoire et de participer à son développement.

M. Frantz Gumbs (Dem). Je tiens tout d’abord à saluer l’effort budgétaire que fait le Gouvernement pour les Outre-mer, ne serait-ce que par la progression de 11 % des crédits de cette mission. Cela traduit une volonté de poursuivre, et même de renforcer, l’accompagnement dont l’Outre-mer a plus que jamais besoin, compte tenu des crises successives qui l’ont frappé, plus violemment encore que le reste de la France. Je salue également les interventions conjoncturelles prévues pour aider les collectivités ultramarines à faire face à des situations inextricables telles que la prolifération des sargasses ou les problèmes liés à la distribution de l’eau en Guadeloupe.

Je souhaite mettre l’accent sur un sujet qui m’importe particulièrement, l’autonomie alimentaire. La dépendance trop grande de nos territoires vis-à-vis des importations de denrées alimentaires n’est pas soutenable et elle contredit tous les préceptes du développement durable et de la sobriété écologique, ces principes vertueux vers lesquels nous devrions tendre. Tendre vers plus d’autonomie alimentaire, c’est favoriser la création de valeur dans chacun des territoires ultramarins. Nous serons donc très attentifs à la manière dont les dotations en faveur de la diversification agricole seront mises en œuvre. Elles doivent nous permettre d’avoir des prix compétitifs et des aliments de qualité.

Certaines collectivités ne disposant pas de la technostructure nécessaire pour mener à bien des projets d’envergure, le quatrième axe prioritaire de la mission, l’accompagnement des collectivités territoriales, notamment en matière d’ingénierie, leur sera fort utile, surtout si cet accompagnement débouche sur un enrichissement des expertises issues du territoire.

J’appelle votre attention sur la nécessité de répartir équitablement les moyens de l’État entre les villes administratives des grandes îles, d’une part, et les campagnes isolées ou les îles éloignées, d’autre part.

Je me réjouis de l’évolution globale des crédits de cette mission, mais nous veillerons à ce que la coconstruction de feuilles de route garantisse leur exécution.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Je défendrai un amendement relatif à la diversification agricole, car la lutte contre la vie chère passe effectivement par l’augmentation de notre capacité de production locale et par la structuration de nos filières. Il faut sortir de la monoculture, qui a prévalu historiquement, et aller vers la diversification.

S’agissant du développement endogène et de la répartition des moyens entre les Outre-mer, je regrette que le FEI, qui finance les investissements dans les territoires ultramarins, provienne des impôts des DOM eux-mêmes, plutôt que d’un système de péréquation et de la solidarité nationale. Cela a un impact à la fois sur le pouvoir d’achat des Ultramarins et sur les capacités de fonctionnement et d’investissement des collectivités locales.

M. Jérôme Nury (LR). Il importe de redynamiser l’économie et l’emploi dans les régions ultrapériphériques (RUP) européennes, notamment à Mayotte, où le taux de chômage dépasse les 30 %.

La création de zones économiques spéciales (ZES), fiscales et douanières, a fait ses preuves dans certaines régions ultrapériphériques (RUP) européennes et l’on pourrait envisager d’en créer dans nos départements d’Outre-mer. Un tel dispositif pourrait dynamiser l’activité économique par l’arrivée d’investisseurs extérieurs, favoriser la croissance des entreprises par un réinvestissement des bénéfices, mais aussi l’émergence d’entreprises compétitives et les créations d’emplois. Monsieur le rapporteur pour avis, que diriez-vous d’un rapport analysant la pertinence d’une telle mesure ?

Les résultats de la zone économique canarienne, créée au sein de la RUP espagnole des Canaries, militent fortement pour qu’un dispositif similaire soit mis en place dans les RUP françaises. En effet, la zone spéciale Canaries (ZEC) génère 140 millions d’investissements et 1 000 emplois par an, ce qui fait des Canaries la région ultrapériphérique européenne la plus dynamique en matière économique et en termes de créations d’emplois. La RUP portugaise des Açores, qui bénéficie du même dispositif, est également un exemple de réussite. Les Outre-mer français, éloignés de la métropole, confrontés à de multiples défis, nécessitent des dispositifs spécifiques d’intégration économique.

Monsieur le rapporteur pour avis, que diriez-vous de la création d’une zone économique spéciale ?

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Toute mesure susceptible de développer l’activité et l’emploi est la bienvenue. Il faut avoir à l’esprit une réalité structurelle : l’étroitesse des marchés intérieurs des territoires ultramarins. Le marché antillais représente 2,7 millions d’euros. La Caraïbe, ce sont 42 millions d’habitants : il y aurait donc tout intérêt à développer des liens commerciaux avec nos voisins. Il faut que les territoires ultramarins puissent non seulement importer, mais aussi exporter des biens vers les États voisins.

Si l’on veut de l’activité, il faut une zone de diffusion des ressources, mais il faut aussi produire localement, ce qui suppose un abaissement des charges. Les normes françaises font que les territoires ultramarins ne sont pas compétitifs par rapport à leurs voisins, avec lesquels il n’y a ni équivalence, ni réciprocité des normes. Le coût du travail y est également trop élevé. Un abaissement des charges permettrait effectivement d’ouvrir le marché et de créer de l’emploi et de la richesse localement.

M. Philippe Naillet (SOC). Nous sommes passés, depuis les réformes engagées en 2018 par Mme Annick Girardin lorsqu’elle était ministre des Outre-mer, d’une solidarité nationale à une solidarité ultramarine. La crainte que nous formulions à l’époque a été confirmée lorsque la majorité gouvernementale a voté la réforme de l’abattement sur l’impôt sur le revenu en Outre-mer pour approvisionner le FEI.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous soulignez les problèmes liés aux délais de paiement qui, après une légère amélioration, s’allongent à nouveau et mettent en difficulté de très nombreuses entreprises. Là encore, les déclarations gouvernementales sont restées vaines, alors que nous avions proposé des solutions de paiement pour les entreprises, notamment via BPIfrance. Les retards de paiement sont un frein au développement des entreprises ultramarines. Le dernier rapport de l’Observatoire des délais de paiement, en 2021, montre que ce délai a augmenté de 2,7 jours entre 2020 et 2021.

Le fret est une contrainte structurelle et, depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, un boulet pour les économies ultramarines. C’est un problème pour nos acteurs économiques, mais qui a aussi des conséquences sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Il faut agir pour limiter la flambée du coût des intrants, mais aussi encourager une stratégie de diversification des approvisionnements. Il faut aller plus loin que la protection de la production locale et tendre vers la souveraineté alimentaire, en veillant sur l’augmentation des prix. Il faut aussi des contrôles renforcés pour garantir une saine concurrence.

Le coût de l’énergie est une autre contrainte conjoncturelle, particulièrement pour les entreprises. Je pense à Runéo, acteur de l’eau potable à La Réunion, dont la facture d’électricité a littéralement explosé. Sans adaptation du bouclier tarifaire pour les entreprises ultramarines, une adaptation que nous demandons depuis plusieurs mois, que va-t-il advenir des prix en ce début d’été austral dans les Outre-mer, où 47 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté ?

J’en viens à la question du logement. Il n’y a pas de projet de vie ni d’épanouissement possible sans un logement digne. Alors que les demandes de logement augmentent, la baisse de 10 % des crédits de paiement de la LBU est inquiétante. La question du logement en Outre-mer ne sera résolue que lorsque des solutions fortes et innovantes seront mises en œuvre : loi de programmation, maîtrise à coût raisonnable du foncier et de son aménagement, adaptation des normes pour une baisse des coûts de construction. À La Réunion, ce sont 35 000 demandes de logement qui ne sont pas traitées.

Offrir des logements accessibles aux personnes les plus modestes est un enjeu majeur de politique publique. La vie chère étrangle nos familles. On ne peut pas se contenter de dire que l’inflation est moins forte dans les territoires ultramarins que dans l’Hexagone, et la pauvreté, beaucoup plus importante chez nous. Je suis sûr que si je vous proposais de prendre dans l’Hexagone les 37 % de Réunionnais qui vivent sous le seuil de pauvreté et de nous donner vos 6 % d’inflation, vous n’accepteriez pas. En 2021, 150 000 colis d’aide alimentaire y ont été distribués à La Réunion.

À La Réunion, le prix d’une boîte d’œufs a augmenté de 39 % et celui d’une brique de lait, de 20 %. Les prix explosent et le Gouvernement ne semble pas mesurer l’ampleur de la crise. Ce budget, dont la hausse est principalement mécanique, ne permettra pas de répondre efficacement aux urgences et il ne prépare pas l’avenir. Je déplore l’absence de stratégie et de concertation avec les territoires. Nous ne relèverons pas les défis d’aujourd’hui – vie chère, pauvreté, chômage, logement, coût des intrants – avec les réponses d’hier. Sortons des sentiers battus, faisons des réalités de chacune de nos régions, de nos spécificités ultramarines, des atouts géostratégiques, des leviers au service du développement humain et de la réduction des inégalités. Enfin, faisons de nos territoires des terres innovantes pour la protection de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique.

M. Jiovanny William (GDR-NUPES). Je souhaite évoquer, en premier lieu, le programme 123, Conditions de vie Outre-mer. Dans l’action 01, Logement, les crédits alloués au développement du logement social sont en hausse de 4 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit 1,8 % d’augmentation. Il est regrettable que les crédits de paiement, eux, soient en baisse, alors qu’il importe d’accélérer la construction du parc social Outre-mer, après les reports de chantiers dus à la crise sanitaire. Le groupe GDR regrette en outre que les indicateurs de performance ne soient pas communiqués concernant Mayotte.

Nous regrettons aussi que les crédits de paiement destinés à assurer la continuité territoriale n’augmentent pas, à un moment où l’inflation est telle que les Ultramarins n’ont plus les moyens de se rendre en France hexagonale, que ce soit pour étudier, pour se soigner ou pour commercer.

Les crédits de l’action 04, Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport, sont en augmentation. Le volet sanitaire et social regroupe des crédits dédiés à l’environnement, comme la lutte contre le chlordécone aux Antilles, mais aussi à divers problèmes de santé publique, comme la dengue, le diabète ou le paludisme. Le fait que les dépenses ne soient pas précisément ventilées entre ces différents postes ne permet pas au Parlement d’exercer pleinement sa fonction de contrôle. Par ailleurs, nous regrettons que ces enjeux de santé soient confondus avec ceux qui relèvent de l’épanouissement de la jeunesse.

L’aide aux collectivités pour lutter contre les sargasses atteint 3,5 millions d’euros, en hausse de 1 million. Nous aimerions connaître la part de ces crédits qui sera affectée au fonctionnement du service public antisargasse, dont la création a été annoncée par la direction générale des Outre-mer (DGOM).

J’en viens au programme 138, Emploi Outre-mer. Les crédits de l’action 01, Soutien aux entreprises, sont en baisse, alors que le mur de la dette des prêts garantis par l’État est annoncé pour 2023. Nous déplorons que cet effet n’ait pas été anticipé pour mieux protéger notre tissu économique.

Dans l’action 02, Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle, on note une augmentation des crédits consacrés au service militaire adapté (SMA) – de 28 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 35 millions en crédits de paiement. Mais nous relevons aussi qu’il n’accueillera pas d’apprentis en 2023, ce qui peut légitimement nous faire nous interroger, voire nous inquiéter. Enfin, il est regrettable qu’aucun dispositif spécifique ne soit proposé pour endiguer le chômage des jeunes de moins de 25 ans.

Le groupe GDR constate que ces crédits ne traduisent pas un effort budgétaire, ni une volonté politique, mais une augmentation purement comptable.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. La question de la continuité territoriale et de la fuite des cerveaux est très préoccupante. Actuellement, par le biais de Ladom (L’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité), les Ultramarins peuvent bénéficier d’une aide lors du départ pour des études ou pour une formation professionnelle vers l’Hexagone, mais il faudrait aussi favoriser le chemin inverse, c’est-à-dire le retour au pays de nos jeunes ingénieurs qui ont réussi. J’ai déposé un amendement en ce sens.

M. Max Mathiasin (LIOT). Alors que je regardais, il y a quelques jours, un documentaire sur Mayotte, j’ai été sidéré de constater que la France consacre dix fois moins de moyens par habitant à Mayotte qu’aux autres départements ou territoires ultramarins. Quels sont les projets de la France, de l’État français, et surtout du Gouvernement actuel, pour les Outre-mer, qui représentent une richesse et un atout indéniable pour l’ensemble français ?

J’ai sous les yeux la feuille de route du ministre délégué aux Outre-mer, M. Jean‑François Carenco. Il dit vouloir trouver par le dialogue et la coconstruction des solutions concrètes aux problèmes de la vie quotidienne des habitants des Outre‑mer. Il connaît les Outre-mer, puisqu’il a été préfet de la Guadeloupe, et j’ai eu l’occasion de travailler avec lui à l’époque. Nous sommes enclins à entamer ce dialogue : c’est ce que me disent tous mes collègues ultramarins. Mais si, au terme de celui-ci, notre économie est toujours aussi déstructurée ; si, dans cinq ans, nous faisons toujours les mêmes constats – ceux que l’on faisait déjà il y a dix ans –, alors nous aurons échoué et nous serons en droit de demander un changement de la stratégie de l’État vis-à-vis des Outre-mer.

L’engagement pris au début du quinquennat par M. Jean-François Carenco peine à se concrétiser. Dans aucun des textes que nous avons examinés, on ne peut se targuer d’avoir introduit un réflexe ultramarin. Les trop rares avancées ont été arrachées par mon groupe : l’adaptation du bouclier loyer ou la mise en place de règles spécifiques pour l’assurance chômage en Outre-mer en sont quelques exemples. Et ce projet de loi de finances ne déroge pas à la règle. Certes, les crédits de la mission sont en hausse de 11 %, mais cela ne traduit aucune inflexion politique. Comme l’a justement souligné le rapporteur pour avis, cette augmentation des moyens n’en est pas vraiment une, puisqu’elle provient essentiellement d’une hausse prévisionnelle des compensations d’exonérations de cotisations sociales – après plusieurs années de baisse, qui plus est.

Les crédits consacrés au logement restent relativement stables, alors que le parc de logements sociaux est notoirement insuffisant. On note les mêmes carences s’agissant des aides à la continuité territoriale, ce qui peut créer des situations tragiques. Certains parents doivent se rendre dans l’Hexagone pour faire soigner leurs enfants gravement malades et les moyens prévus pour les aider sont insuffisants.

Pour le moment, nous sommes sceptiques quant à l’efficacité des mesures prévues dans le budget de cette mission.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur pour avis, votre rapport est remarquable, mais je m’étonne que vous n’abordiez pas vraiment la question de l’accès à l’eau, notamment à l’eau potable, dont il a pourtant été beaucoup question sous la précédente législature, particulièrement à gauche. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur le coût et sur la gestion de l’eau potable ? C’est sans doute l’une des clés du pouvoir d’achat et du pouvoir de vivre pour les Outre-mer.

Mme Estelle Youssouffa. Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour votre travail et votre esprit d’équipe, au service des solidarités ultramarines.

Il est vrai que les questions relatives à l’accès à l’eau potable et à sa production ne sont pas abordées dans ce PLF. Une aide de 10 millions est prévue pour la Guadeloupe, mais rien pour Mayotte. J’arrive d’une réunion de la délégation aux Outre-mer, où nous avons interrogé le ministre à ce sujet, mais nous n’avons pas eu de réponse.

M. Guillaume Vuilletet. Je ne suis que de passage dans votre commission, mais j’aimerais répondre à M. le rapporteur pour avis au sujet du FEI. Certes, il est alimenté, à hauteur de 70 millions d’euros, par les contribuables d’Outre-mer, du fait de la réforme de l’abattement, mais ses crédits s’élèvent à 110 millions, soit 40 millions de plus. On ne peut pas dire que ce sont les Outre-mer qui le financent ; il y a aussi un effort de solidarité de la Nation.

Par ailleurs, si les crédits de la mission Outre-mer représentent un peu plus de 2,5 milliards d’euros, ce sont près de 20 milliards que la Nation consacre en réalité à l’Outre-mer, par le biais des missions dépendant d’autres ministères. J’appelle en particulier votre attention sur les efforts qui sont faits en matière d’emploi. Enfin, il ne faut pas oublier les aides sectorielles qui passent par l’AFD, à hauteur de 14 millions, et qui concernent notamment l’agriculture.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. La question de l’eau est effectivement essentielle. Le développement des infrastructures est très inégal d’un territoire à l’autre : à la Martinique, il s’agit de réhabiliter des installations, tandis qu’il faut en créer à Mayotte.

L’eau est un bien commun. La production, l’assainissement, le traitement et la distribution de l’eau nécessitent des investissements très lourds, donc une intervention de l’État, en partenariat avec les collectivités territoriales. Des crédits sont effectivement prévus pour la Guadeloupe, mais pas pour Mayotte : c’est un vrai problème.

Monsieur Vuilletet, vous dites que le FEI s’élève à 110 millions d’euros, mais les 70 millions qui viennent de l’impôt des Ultramarins ne peuvent pas être utilisés par les collectivités territoriales et les communes, pour des raisons de trésorerie. C’est comme si on plaçait une somme à deux mètres de haut mais qu’on ne donnait pas l’échelle pour l’atteindre. L’affichage ne suffit pas car, en matière d’ingénierie, les collectivités territoriales n’ont pas de moyens de financement.

Quant à l’AFD, c’est un mécanisme totalement différent, qui ne favorise pas le développement endogène de nos territoires. Il faut faire en sorte que les jeunes ingénieurs martiniquais puissent travailler en Martinique. Le problème, c’est que les collectivités locales ne peuvent pas payer leur salaire. Que fait l’État ? Il maintient une tutelle, par le biais de l’AFD, et fait venir des ingénieurs de l’extérieur, qui ne sont ni intégrés localement, ni connaisseurs de la réalité de ces territoires. On a donc une ingénierie de prestation, alors qu’il faudrait une ingénierie endogène, pour permettre à ces territoires de se développer par eux-mêmes, de développer une production locale et de créer de la richesse localement.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-CE87 du rapporteur pour avis

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. L’aide au fret a diminué par rapport à l’année dernière, alors que les coûts ont considérablement augmenté. Je propose donc d’abonder l’aide au fret de 5 millions d’euros. Cette mesure ne réglera pas un problème qui est en grande partie structurel, mais elle permettra, à court terme, de faire baisser le coût des produits importés, donc de lutter contre la vie chère.

M. Guillaume Vuilletet. Il faut distinguer deux problèmes. L’aide au fret dont bénéficient les entreprises pour l’importation étant indexée sur l’inflation, il n’y a pas de difficulté de ce point de vue. Le vrai problème, c’est que le système est tellement complexe que les entreprises ne recourent pas toujours à cette aide : sur ce point, il y a clairement une marge de progression. Nous ne sommes pas favorables à une augmentation de l’aide au fret. Dans la mesure où l’inflation est prise en compte dans l’assiette de l’aide, je ne crois pas qu’il faille y toucher pour l’instant.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Je ne partage pas votre avis, car le problème est aussi structurel. La vie chère crée une situation explosive dans nos territoires. Une augmentation de l’aide au fret de 5 millions d’euros serait déjà quelque chose.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CE43 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. Je suis habitué à ce que le groupe Renaissance vote comme un seul homme dès que nous présentons un amendement qui intéresse des territoires que nous connaissons très bien, et où les populations vivent dans une misère incommensurable ; des territoires où le plus petit des camemberts est vendu 6 euros et où une barquette de poulet, qui coûtait autrefois 11 euros, en coûte désormais 29. Je suis habitué à ce genre de comportement et à cette manière péremptoire de parler des Outre-mer sans les connaître vraiment.

Je propose d’abonder de 4 millions d’euros les crédits consacrés à l’aménagement du territoire, plus précisément aux filières agricoles de diversification, en vue de tendre vers la souveraineté alimentaire. Alors qu’en Guadeloupe et en Martinique, la terre est chlordéconée à 50 %, l’objectif partagé par tous est la souveraineté alimentaire. Les filières agricoles de diversification jouent un rôle essentiel et elles doivent être soutenues. C’est l’objet des crédits du comité interministériel des Outre-mer (Ciom) de la mission Agriculture.

Il convient toutefois de noter que ces crédits ne sont pas accessibles à tous, et même qu’ils ne sont pas nécessairement sollicités par les exploitants agricoles et leurs organisations de Guadeloupe et des autres territoires, en raison de la longueur des délais de versement, de l’insuffisance de valorisation de l’agroécologie et de la complexité des dispositifs qui ne leur permettent pas de programmer sereinement leurs productions de fruits et légumes. J’ajoute que la Guadeloupe vient de subir une catastrophe terrible et que la mobilisation de tous s’impose. Il est vrai que le ministre s’est rendu sur place, mais nous attendons des éléments concrets. Monsieur Vuilletet, je pense que vous ne connaissez pas bien les Outre-mer. Il faudrait peut‑être vous y rendre un peu si vous voulez savoir ce qu’il s’y passe.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet. Monsieur Mathiasin, je vous ai déjà connu plus aimable et plus disposé à travailler avec nous. Autres temps, autres mœurs !

M. Max Mathiasin. J’ai toujours gardé ma liberté de pensée !

M. Guillaume Vuilletet. J’ai simplement remarqué que votre ton était plus aimable autrefois.

M. Max Mathiasin. Vous ne faites preuve d’aucune compassion à l’égard des Outre-mer.

M. Guillaume Vuilletet. Je recommanderai aux membres du groupe Renaissance de voter contre cet amendement, parce que le Gouvernement a déjà fait passer la ligne de soutien à l’agriculture de 3 à 6 millions d’euros, ce qui représente un geste important.

M. Jiovanny William. Vous nous parlez d’un geste, mais à cause du chlordécone, des terres ne peuvent plus être cultivées et les marins pêcheurs doivent s’éloigner des côtes pour pêcher. On invite les marins pêcheurs, qui pratiquent une pêche artisanale, à acheter de nouveaux bateaux et on dit à nos agriculteurs qu’ils devraient faire autrement. Mais avec quels moyens ? Ils n’ont pas voulu cette pollution qui, je le rappelle, est due à des dérogations décidées par l’État.

Nous ne quémandons pas de l’argent. Nous disons simplement que nos agriculteurs et nos marins pêcheurs ne peuvent plus exercer leur métier.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CE88 de M. Johnny Hajjar

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Il s’agit de transférer 1 million d’euros au sein de la mission, au bénéfice de la continuité territoriale, afin de financer une aide spécifique pour le retour au pays. Il est important de créer une incitation au retour, du fait de la situation démographique préoccupante des territoires.

M. Guillaume Vuilletet. La difficulté que vous soulevez est bien réelle. Il est d’ailleurs regrettable que les habitants de ces territoires acquièrent souvent leurs compétences dans l’Hexagone. Il faudrait inciter les jeunes à revenir et à soutenir des projets Outre-mer. Dans l’attente de la réponse du Gouvernement, nous nous abstiendrons.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-CE38 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. Cet amendement vise à abonder de 100 000 euros les crédits consacrés à la continuité territoriale, afin de prendre en charge les frais de transport des parents résidant dans un territoire d’Outre-mer qui n’ont pas d’autre choix, pour la survie de leurs enfants, que de se rendre dans l’Hexagone pour les y soigner.

Nous assistons à une recrudescence des cancers d’enfants, notamment de leucémies. Souvent, lorsqu’ils sont diagnostiqués, les parents doivent quitter les départements et territoires d’Outre-mer de toute urgence, sans connaître d’avance la durée de leur séjour dans l’Hexagone.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet. Du côté du Gouvernement, on m’indique que votre demande serait satisfaite, les évacuations sanitaires (Evasan) incluant cette possibilité. Mais votre amendement me semble plus large car il inclut la prise en charge lors du diagnostic, du début du traitement, mais également après. Je recommanderai donc aux commissaires du groupe Renaissance de le voter.

La commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Amendement II-CE40 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. Le sujet préoccupe M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, comme il nous l’a dit lors de sa visite en Martinique. Souvent, les enseignants néotitulaires originaires d’Outre-mer sont affectés en métropole – même lorsque des postes sont vacants dans leur territoire, ce qui résulte de la politique de l’éducation nationale en général. Ils doivent donc payer un billet d’avion pour l’Hexagone, et trouver un logement. En attendant, ils sont souvent logés par des parents ou des amis.

L’amendement vise à financer ce billet d’avion et une partie des frais de logement à leur arrivée en métropole.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet. Nous ne serons pas favorables à cet amendement. Vous évoquez deux sujets différents. S’agissant de l’affectation, les discussions sont en cours avec le ministre afin de sortir d’une situation que l’on peut qualifier de kafkaïenne. L’attribution d’une aide supplémentaire pour l’installation et les déplacements de ces fonctionnaires créerait quant à elle une rupture d’égalité entre fonctionnaires.

Mme Marie-Noëlle Battistel. L’exposé sommaire de l’amendement précise que le dispositif ne concerne que la prise en charge du premier titre de transport entre la collectivité de résidence et l’Hexagone, afin que l’agent prenne son poste.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Monsieur Vuilletet, la rupture d’égalité est structurelle. Ces fonctionnaires n’ont pas choisi d’être affectés en France hexagonale après avoir réussi le concours de l’éducation nationale, mais eux sont obligés de prendre l’avion, beaucoup plus cher que le train. Elle est là, la rupture d’égalité !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CE90 de M. Johnny Hajjar

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Il s’agit de financer la diversification agricole. Comment lutter contre la vie chère sans sortir de la monoculture ? Affecter 6 millions d’euros à cet objectif représente une goutte d’eau, mais ce serait un signal contrebalançant le manque d’ambition politique de ce budget.

M. Guillaume Vuilletet. Le signal est là puisque la ligne budgétaire passe de 3 à 6 millions d’euros, ce qui est significatif. Nous sommes donc défavorables.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CE41 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. La sous-consommation de certaines lignes de crédits de la mission Outre-mer est souvent mise sur le compte d’un défaut ou d’une faiblesse d’ingénierie. C’est un peu le serpent qui se mord la queue…

Ainsi, en Guadeloupe, beaucoup de ponts ont été emportés par les intempéries et 42 millions d’euros sont affectés à leur reconstruction, mais il faut soutenir les collectivités afin qu’elles développent leur ingénierie et utilisent mieux ces crédits. C’est l’objectif de ces 2 millions d’euros.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis très favorable.

M. Guillaume Vuilletet. Des crédits, abondés à hauteur de 10 millions d’euros, visent déjà à financer l’ingénierie locale. On peut donc considérer que votre demande est satisfaite.

En outre, on ne peut pas dire que c’est à cause de l’État que les collectivités ont été amenées à souscrire aux Corom : outre l’aide à l’ingénierie, l’État a fait un effort considérable, de 50 millions d’euros – maintenu en 2023 –, afin de redresser les finances des collectivités concernées, par solidarité.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Soyons précis au sujet des Corom. Le rapport Patient-Cazeneuve de 2019 démontre un sous-financement structurel des collectivités territoriales locales s’élevant à 200 millions d’euros. La Cour des comptes et le Président de la République ne disent pas autre chose. Vous évoquez 50 millions ; il reste donc 150 millions d’euros non compensés. En outre, lors de la signature des Corom, l’État a récupéré 869 millions d’euros dans les dépenses de fonctionnement des collectivités, compensées seulement à hauteur de 400 millions d’euros de déficit. Dans un tel contexte, trouvez-vous équitable de consacrer 30 millions d’euros aux Corom ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CE42 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. Il vise à abonder de 2 millions d’euros les crédits consacrés aux collectivités territoriales, plus précisément au fonds de secours, doté de 10 millions d’euros. Les catastrophes naturelles se multiplient dans les territoires d’Outre-mer. Ainsi la tempête Fiona a-t-elle fait des ravages fin septembre en Guadeloupe. Les crédits du fonds de secours sont très insuffisants face aux dégâts, en particulier pour indemniser les biens des particuliers non assurés ou les dégâts provoqués chez les particuliers, les agriculteurs ou les entrepreneurs par une cause non reconnue dans l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

Ainsi, l’arrêté concernant la tempête Fiona ne reconnaît que les inondations et les coulées de boue. En conséquence, un particulier, déplorant 60 000 euros de dégâts à la suite d’un glissement de terrain déclenché par la tempête, n’a pas été indemnisé par son assurance. Ce type de situation crée une détresse terrible.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet. Nous ne voterons pas l’amendement, mais je serai attentif à la réponse du Gouvernement concernant les exemples que vous donnez, car il ne faut pas que le dispositif comporte des angles morts. Quant au montant du fonds, il est toujours difficile de prévoir l’imprévisible ; au cours des dernières années, le fonds a été en moyenne consommé à hauteur de 12 millions d’euros en AE alors que seuls 10 millions étaient budgétés, car la République répond toujours présente en cas de catastrophes naturelles.

La commission rejette l’amendement.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. J’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Outre-mer modifiés.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Outre-mer modifiés.

Après l’article 44

Amendement II-CE39 de M. Max Mathiasin

M. Max Mathiasin. Il vise à rassembler dans un rapport tous les éléments relatifs aux crédits des différentes missions du budget de l’État consacrés à l’aide aux collectivités territoriales pour la distribution d’eau potable et l’entretien des systèmes d’assainissement. Ainsi, la représentation nationale pourra évaluer l’adéquation des moyens aux besoins des territoires.

Dans les documents budgétaires, l’absence de ventilation des crédits par territoire ne permet pas de vérifier cette adéquation. Je pense en particulier à la Guadeloupe, mais aussi à Mayotte ou d’autres collectivités d’Outre-mer qui rencontrent le même type de difficulté. Cela permettrait pourtant au Parlement de travailler plus efficacement.

M. Johnny Hajjar, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Guillaume Vuilletet. J’encourage la Représentation nationale à rédiger elle‑même ce rapport, auquel je serai heureux d’apporter ma contribution : ce n’est pas au Gouvernement de s’autoévaluer. Lors de la précédente législature, une commission d’enquête s’est penchée sur la gestion de l’eau en Guadeloupe. Rien n’empêche des parlementaires de se saisir à nouveau du sujet pour faire le bilan de l’action de l’État, qui n’est pas négligeable : transformation du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) en syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de la Guadeloupe (SMGEAG) – le directeur de cabinet du ministre ayant même été missionné pour y remettre de l’ordre ; 50 millions d’euros pour les réseaux d’eau et d’assainissement dans le cadre du plan de relance ; une enveloppe de 10 millions pour le syndicat dans le cadre du présent budget ; 130 millions d’euros au nom de la santé publique bien que l’eau soit, je le rappelle, une compétence locale.

La commission rejette l’amendement.

 


—  1  —

   LISTE DES PERSONNES auditionnÉes

FEDOM (Fédération des entreprises des Outre-mer) *

M. Hervé Mariton, président

CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) *

M. Dominique Vienne, membre du comité exécutif de la CPME, en charge du pôle CPME ultramarines, ancien Président de la CPME Réunion, président du CESER Réunion, président du Haut conseil de la commande publique de La Réunion, chef d’entreprise.

Mme Céline Rose, cheffe d’entreprise, présidente CPME Martinique.

M. Jean-Christophe Bélivier, chef d’entreprise, président CPME Guadeloupe.

M. Adrien Dufour, chargé de mission affaires publiques et organisation

Union des Ports de France *

M. Jean-Pierre Chalus, président

Association des chambres de commerce et d’industrie d’Outre-mer

Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente

M. Pierre Dupuy, chargé de mission affaires publiques ultramarines et relations avec le Parlement

Observatoire des prix, des marges et des revenus

M. Nicolas Péhau, président des chambres régionales des comptes de La Réunion et de Mayotte et président de l’OPMR de Mayotte

M. Bertrand Huby, président de l’OPMR de la Réunion

M. Patrick Plantard, président de l’OPMR Guadeloupe, Guyane, Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

Mme Nicole Bélon, chargée de mission SGAR Guadeloupe

M. Marc Solinhac, chef de bureau, bureau de la règlementation économique, SGAR Martinique

Autorité de la concurrence

M. Stanislas Martin, rapporteur Général

Mme Gwenaëlle Nouet, rapporteure générale adjointe

CMA-CMG *

M. Bernard Poudevigne, directeur général Martinique

M. Grégory Fourcin, directeur central en charge du développement commercial dans les Outre-mer

CTM (Collectivité territoriale de Martinique)

M. Alexandre Ventadour, président de la commission attractivité, développement économique, numérique et tourisme, président de Martinique Développement

Ministère chargé des Outre-mer

Mme Lou Le Nabasque, conseillère parlementaire au cabinet du Ministre délégué

M. Guillaume Vaille, conseiller budget et finances locales au cabinet du Ministre délégué

M. Marc Demulsant, sous-directeur de l’évaluation, de la prospective et de la dépense de l’État, Direction générale des Outre-mer

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques, Direction générale des Outre-mer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*  Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) https://www.arcep.fr/fileadmin/reprise/observatoire/march-an2021/obs-marches-2021-OUTRE-MER_juil2022.pdf

 

([2]) chiffre d’affaires avant le rachat de Vindémia

([3]) source : PLF pour 2023