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N° 286 rect.

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÉME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273)

TOME VI

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

 

TRANSPORTS TERRESTRES ET FLUVIAUX

PAR M. David VALENCE

Député

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 Voir le numéro : 273

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUction

PremiÈre partie : prÉsentation des crÉdits du plf 2023 consacrÉs aux infrastructures de transport

I. Un budget en lÉGÈre hausse pour 2023 sur le pÉrimÈtre de l’AFIT France et du PROGRAMME 203

A. LES CRÉDITS DU Programme 203 SONT globalement STABLES POUR 2023

1. Des crédits de paiement en légère hausse par rapport à la LFI 2022 à structures constante et courante

2. L’action 41 « Ferroviaire » est en légère hausse

3. À l’exception de VNF, les plafonds d’emplois sont stables sur le périmètre du programme

B. Le budget de L’AFIT France est en hausse pour 2023

1. Les perspectives sur les recettes affectées à l’Afit France s’améliorent

2. La trajectoire haussière du budget de l’Afit France se poursuit en 2023 notamment pour financer des opérations hors du cadre de la LOM

3. La programmation détaillée des dépenses de l’Afit France sera fixée en 2023

II. le rythme des investissements engagÉs en 2021 et 2022 en faveur des infrastructures de transport dÉcarbonÉ SE poursuit en 2023

A. Le secteur ferroviaire bÉnÉficie d’un niveau d’investissements historique issu du plan de relance

1. La relance du secteur se poursuit en 2023

a. Des subventions d’exploitation en hausse

b. Les opérations engagées pour développer le réseau et les infrastructures ferroviaires se poursuivent en 2023

2. Toutefois, enrayer la trajectoire de vieillissement du réseau ferroviaire exigerait un effort budgétaire plus conséquent

a. La trajectoire d’investissements en régénération de SNCF Réseau à hauteur de 2,8 milliards d’euros par an est tenue mais les perspectives sont fragiles en l’absence de concours public dédié

b. La France continue d’accumuler un retard dans la modernisation de son réseau ferroviaire

B. Un investissement renforcÉ sur les modes dÉcarbonÉs, en particulier le mode fluvial et les mobilitÉs douces

1. La trajectoire volontariste d'investissements en régénération et en modernisation du réseau fluvial est tenue

2. Le nouveau plan « Vélo et mobilités actives » est doté d’un financement en forte hausse pour 2023

SECONDE PARTIE : un an aprÈs le lancement de la stratÉgie nationale de dÉveloppement du fret ferroviaire, LE fret ferroviaire regagne-t-il enfin du terrain ?

I. la stratÉgie nationale a ouvert la voie À des rÉformes et des investissements majeurs pour le fret ferroviaire

A. un diagnostic solide et partagÉ sur les rÉformes nÉcessaires pour relancer le secteur

B. Un soutien financier important confirmÉ dans le PLF 2023

1. Le plan fret de 170 millions serait reconduit jusqu’en 2027

2. Le rythme des investissements dans le réseau et les infrastructures de fret permis par le plan de relance se poursuit en 2023

II. La StratÉgie a permis des amÉliorations notables mais les principaux freins au dÉveloppement du fret ferroviaire restent À lever

A. un timide redressement du fret ferroviaire en France tirÉ par un regain de la demande

1. Une part modale en légère hausse en 2021 après des décennies de déclin

2. Un potentiel de croissance confirmé sur certains segments mais freiné par les capacités des infrastructures de fret

a. Le segment du wagon isolé est dynamique

b. Le potentiel de croissance élevé du transport combiné se confirme

B. l’amÉlioration des capacitÉs des circulations de fret, engagÉe par la stratÉgie, est prioritaire et doit Être poursuivie

1. Malgré des changements notables, la qualité de service de SNCF Réseau peut encore considérablement s’améliorer

2. Certains chantiers sur les infrastructures de fret peuvent être priorisés et accélérés

3. Les opérateurs ferroviaires pourraient être davantage incités à renouveler leur matériel roulant via le recours aux certificats d’économies d’énergie

C. Le risque d’un report modal inversÉ face À la crise de l’ÉlectricitÉ appelle des mesures d’accompagnement À court terme

Examen en commission

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Contributions écrites


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   INTRODUction

Le présent avis porte sur le budget dédié aux transports terrestres et fluviaux dans le projet de loi de finances pour 2023, et tout particulièrement sur le périmètre du programme 203 consacré aux « Infrastructures et transports terrestres ». Sa spécificité est d’être abondé par d’importants fonds de concours de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France).

Ce programme finance les actions engagées en faveur de la politique des transports de l’État pour les modes ferroviaires, portuaire, fluvial et routier. Il n’inclut pas les transports maritimes et aériens qui font l’objet d’avis budgétaires distincts.

Votre rapporteur pour avis se félicite d’abord d’un budget globalement orienté à la hausse pour 2023 et qui bénéficie, depuis 2021, de nombreux crédits de la mission « Plan de relance ». Ces crédits ont permis d’engager des investissements d’envergure et nécessaires au bénéfice d’infrastructures stratégiques, notamment dans les domaines ferroviaire et fluvial. Les projets engagés à ce titre se poursuivent en 2023.

Le budget dédié aux transports terrestres et fluviaux pour 2023 poursuit par ailleurs résolument un objectif de verdissement des infrastructures de transport. Il donne une nette priorité au développement des modes décarbonés (ferroviaire, fluvial, portuaire, combiné et mobilités douces) qui mobilisent près de 90 % des crédits du programme 203. L’annonce, en septembre dernier, par la Première ministre, d’un nouveau plan « Vélo et mobilités douces », doté de 250 millions d’euros pour la seule année 2023, en est une des illustrations.

Dans cette perspective, outre une présentation globale des crédits du programme 203 tels que complétés par le budget de l’Afit France pour 2023, votre rapporteur pour avis a choisi de faire un examen détaillé de la situation du fret ferroviaire en France. Ce secteur a été fortement réinvesti récemment par les pouvoirs publics. Ses bénéfices environnementaux par rapport au transport routier de marchandises sont considérables. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a ainsi fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire de 9 % à 18 % d’ici 2030.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, une Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF) a été dévoilée le 13 septembre 2021 par le ministre délégué chargé des transports, M. Jean‑Baptiste Djebbari. Cette stratégie s’est notamment traduite par un « plan fret » de 170 millions d’euros par an composé d’aides à l’exploitation des services de fret ferroviaire et par un programme d’investissements de 1 milliard d’euros dédié au réseau et aux infrastructures de fret ferroviaire ([1]). Le maintien de ces financements, confirmé pour 2023 dans le présent projet de loi de finances, apparaît d’ores et déjà essentiel pour confirmer la tendance au redressement du secteur dont la part modale dépasse le seuil de 10,5 % pour l’année 2021.

Dans le cadre de cet avis, l’ensemble des acteurs du secteur du fret ferroviaire, dont l’alliance 4F (« Fret ferroviaire français du futur «), SNCF Réseau, des opérateurs de fret et de transport combiné, des entreprises « chargeurs » et leurs représentants, ont été auditionnés. L’objectif était d’établir un premier bilan des mesures et financements engagés un an après le lancement de la SNDFF, de mesurer son impact à très court terme sur le développement du secteur, segment par segment, et enfin, d’évaluer l’ampleur des investissements qu’il reste à engager pour réussir ce doublement de part modale.


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   PremiÈre partie : prÉsentation des crÉdits du plf 2023 consacrÉs aux infrastructures de transport

Il est à noter, à titre préliminaire, que le budget de l’État consacré aux transports terrestres et fluviaux est dispersé entre plusieurs sources de financement. Il manque ainsi d’une vision consolidée. Les crédits budgétaires du programme 203 « Infrastructures et services de transports » n’offrent qu’une vision partielle de l’ensemble des financements concernés.

Ce budget total dédié aux transports terrestres et fluviaux peut être estimé à 9,255 milliards d’euros en 2023, en augmentation d’environ 6 % par rapport à la loi de finance initiale (LFI) pour 2022. Le programme 203 ne représente donc que 44 % de l’ensemble de cette estimation budgétaire qui inclue :

 Le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) estimé à 3,811 milliards d’euros, qui comprend également environ 500 millions d’euros de la mission « Plan de relance », dont 80 millions d’euros du programme 364 « Cohésion » (développement et modernisation du réseau routier national, renforcement des ponts) et 420 millions d’euros du programme 362 « Écologie » (réseaux cyclables, soutien au secteur ferroviaire, transports collectifs et verdissement des ports).

Une partie du budget de l’Afit France est versée au programme 203 sous la forme de fonds de concours (2,157 milliards en 2023) ; le reste est versé sous la forme de paiements directs (notamment à destination de SNCF Réseau, SNCF Gares & connexions, Voies navigables de France, et des sociétés concessionnaires d’autoroutes) ;

 Le programme 203 « Infrastructures et services de transports », doté de 4,073 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), hors fonds de concours de l’Afit France ;

– Les taxes affectées à la Société du Grand Paris (SGP) et la redevance hydraulique versée à Voies navigables de France (VNF) pour un montant total de 983 millions d’euros dans le PLF 2023 ;

 Le programme 869 « Charles de Gaulle express » doté de 388 millions d’euros en CP.

Le périmètre du présent avis inclut le programme 203 et le budget de l’Afit France, notamment pour la partie reversée au programme sous la forme de fonds de concours. Il inclut certains crédits de la mission « Plan de relance » et porte également sur le programme 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État ».

I.   Un budget en lÉGÈre hausse pour 2023 sur le pÉrimÈtre de l’AFIT France et du PROGRAMME 203

A.   LES CRÉDITS DU Programme 203 SONT globalement STABLES POUR 2023

1.   Des crédits de paiement en légère hausse par rapport à la LFI 2022 à structures constante et courante

En 2023, le programme 203 représente 13 % des autorisations d’engagement (AE) et 15 % des crédits de paiement (CP) de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Il s'inscrit en hausse dans le PLF 2023, surtout au niveau des crédits de paiement (+ 5,2 % à structure courante).

Évolution globale des crédits du programme 203
entre la LFI 2022 et le PLF 2023

 

LFI 2022

En millions d’euros

PLF 2023

En millions d’euros

Évolution en %

Crédits de paiement (CP)

3 870

4 073

+ 5,2 %

Autorisations d’engagement (AE)

3 825

3 841

+0,42 %

Source : projet de loi de finances pour 2023

À structure constante, le programme 203 est doté de 3,9 milliards d’euros de CP, en augmentation d’environ 1,2 % par rapport à la loi de finances 2022. Cette augmentation résulte principalement d’une hausse des crédits de l’action 41 « Ferroviaire » d’environ 140 millions d’euros.

À ce montant de 3,9 milliards d’euros s'ajoute un transfert interne au budget de l’État de 152 millions d’euros pour le financement du congé de fin d’activité des conducteurs routiers inscrit à l’action 50 « Transport routier ». À structure courante, l’augmentation des crédits du programme est ainsi d'environ 5,2 % pour un total de près de 4,1 milliards d'euros de CP.

 

 

 

 

 

2.   L’action 41 « Ferroviaire » est en légère hausse

Évolution par action des crÉdits de paiement du programme 203 entre la LFI 2022 et le PLF 2023

(En millions d’euros)

 

 

Crédits budgétaires

Fonds de concours et attributions de produits

Actions

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

01 – Routes Développement

0

0

0

647

796

04 - Routes – Entretien

282

300

+18

611

658

41 - Ferroviaire

2 564

2 705

+141

441

639

Dont TER

1 892

1957

+65

NR

NR

Dont Intercités

537

556

+19

NR

NR

Dont fret

133

198

+65

NR

NR

42 - Voies navigables

248

253

+5

3

1,8

43 - Ports

99

94

-5

87

89

44 – Transports collectifs

316

307

-9

392

443

45 – Transports combinés

182

136

-46

145

71

47 - Fonction support

47

47

0

1,9

1,9

50 - Transport routier

6

158

+152

0,4

0

52 - Transport aérien

92

72

-20

0

0

53 - Dotation exceptionnelle Afit France

32

0

-32

0

0

Total général

3 870

4 073

203

2 373

2 744

Source : projet de loi de finances pour 2023.

NR = non renseigné.

Des ajustements opérationnels et des mouvements de crédits sont seulement à relever au sein du programme.

L’action 41 « Ferroviaire », tout d’abord, affiche une hausse de crédits significative de 140 millions d’euros entre 2022 et 2023. Cette augmentation résulte d’une part, d’une hausse des subventions d’exploitation versées à SNCF Réseau pour les lignes régionales et le réseau Intercités notamment, mais aussi, d’autre part, de la réorganisation des aides à l’exploitation pour le fret ferroviaire au sein du programme.

L’aide complémentaire sur les péages de fret de 65 millions d’euros, mise en place par la loi de finances pour 2021 et initialement inscrite au sein de l’action 45 « Transports combinés », est en effet transférée au niveau de l’action 41 dans le PLF 2023, aux côtés de la compensation fret (aide historique aux péages de fret).

Ce transfert explique par ailleurs la baisse artificielle observée au niveau des crédits de l’action 45 qui inclut désormais principalement les aides au transport combiné, au wagon isolé et au démarrage de nouveaux services de fret ferroviaire dont les montants sont stables pour 2023 (à hauteur de 105 millions d’euros).

Le financement de l’entretien du réseau routier national (action 4), financé par programme 203 (300 millions d’euros) et l’Afit France (615 millions d’euros) pour un total d’environ 915 millions d’euros en 2023, est légèrement supérieur à celui prévu par la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite « LOM », sur le périmètre du réseau en 2023 (910 millions d’euros).

La hausse de 5 millions d’euros des crédits observée pour les voies navigables (action 42) compense l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires décidée par le Gouvernement ; la subvention pour charges de service public (SCSP) de Voies navigables de France (VNF) demeurant stable par ailleurs.

La dotation pour les travaux de dragage des ports (action 40) est également stable entre 2022 et 2023. La diminution de 5 millions d’euros sur cette action correspond à l’arrêt prévu du financement du dispositif de pénibilité portuaire fin 2022.

Les SCSP de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et l’Autorité de régulation dans les transports (ART), inscrites à l’action 47 « Fonctions support », sont stables pour 2023.

Enfin, la baisse de 32 millions d’euros de dotation exceptionnelle à l’Afit France à l’action 53 correspond à un changement de voie de financement du plan « Marseille en grand » qui sera financé par voie de taxe affectée à l’Afit France à compter de 2023.

3.   À l’exception de VNF, les plafonds d’emplois sont stables sur le périmètre du programme

La mise en œuvre du programme 203 est assurée par les agents du ministère des transports, soit 9 165 ETPT, inscrits à l’action 8 du programme 217 « Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables », et répartis entre :

– l’administration centrale, notamment la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) et les services techniques centraux ;

– les services déconcentrés, notamment les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et les directions interdépartementales des routes (DIR).

Par ailleurs, une part importante du programme est mise en œuvre par des opérateurs, entreprises publiques et délégataires :

– les gestionnaires d’infrastructures (SNCF Réseau, Voies navigables de France, les grands ports maritimes, les ports autonomes fluviaux, les sociétés concessionnaires d’autoroutes et la Compagnie nationale du Rhône) ;

– les organismes délégataires de prérogatives régaliennes, à savoir l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) ainsi que l’Autorité de régulation des transports (ART) ;

– les entreprises publiques de transport, notamment la RATP ;

– l’Agence de financement des infrastructures de transport de France ;

– la Société du Grand Paris (SGP) et la société franco-italienne Tunnel euralpin Lyon-Turin (TELT).

Évolution des plafonds d’emplois des opérateurs du programme

 

LFI 2022

PLF 2023

SGP

1 025

1 025

VNF

4 068

4 028

EPSF

106

106

Source : PLF 2023

B.   Le budget de L’AFIT France est en hausse pour 2023

1.   Les perspectives sur les recettes affectées à l’Afit France s’améliorent

Les recettes estimées pour 2023 s’élèvent à 3,811 milliards d’euros. Elles augmentent ainsi d’un peu plus de 250 millions d’euros par rapport au budget rectificatif n° 3 de juin 2022 qui prévoit une recette totale de 3,528 milliards euros.

Ces prévisions favorables sont tirées par une forte hausse de l’ex-taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) (1,9 milliard d’euros de recettes estimées pour 2023) et de l'éco-contribution sur les billets d’avion (163 millions d’euros contre 91 millions en 2022). Cette contribution, créée par la LOM, a été versée pour la première fois par le secteur aérien en septembre 2022 après deux années de crise du secteur lié au Covid-19, au titre d’un premier versement anticipé de 21 millions d’euros.

Le plan de relance continue de contribuer au budget de l’Afit France en 2023 à hauteur de 498 millions d’euros pour financer la poursuite de la réalisation des opérations engagées.


Recettes prévisionnelles de l’AFIT France en 2022 et 2023

(En millions d’euros)

 

Recettes

Budget rectificatif n° 3
(juin 2022)

Prévisions 2023

Taxe d’aménagement du territoire

561

561

Redevance domaniale

367

370

Amendes radars

250

250

Plan autoroutier SCA

61

61

TICPE

1 248

1 908

Contribution du secteur aérien

91

163

Plan de relance

870

498

Opération « Marseille en Grand »

32

0

Total

3 528

3 811

Source : DGITM.

Les perspectives de recettes de l’Afit France pour 2023 apparaissent ainsi plus fiables et sécurisées que les années précédentes, même si l’agence demeure soumise à des aléas sur certaines recettes affectées. Des incertitudes persistent en particulier en 2022 et probablement en 2023 sur les produits des amendes radars (perte estimée de recettes de 150 millions d’euros en 2022 par rapport aux 250 millions prévus initialement) et sur la contribution des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Toutefois, les écarts entre les recettes estimées et perçues renvoient à des ordres de grandeur inférieurs aux années précédentes. Les deux années de crise sanitaire, 2020 et 2021, avaient en effet été marquées par une baisse significative des recettes prévisionnelles (de l'ordre de 500 millions d’euros en 2021) qui avaient été compensées par des affectations complémentaires de recettes et des subventions en loi de finances rectificative.

Si les estimations pour 2023 apparaissent plus favorables que pour les années précédentes, la volatilité des recettes affectées à l’Afit France, notamment pour les amendes radars, doit demeurer un point de vigilance.

2.   La trajectoire haussière du budget de l’Afit France se poursuit en 2023 notamment pour financer des opérations hors du cadre de la LOM

Au titre des orientations prévues par la loi n° 20191428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) pour la politique d’investissement de l’État en matière de transports et de mobilités, l’Afit France finance des projets visant les objectifs suivants : l’entretien et la modernisation des réseaux ; la résorption de la saturation des grands nœuds ferroviaires ; le désenclavement ; le développement des mobilités décarbonées et partagées et le soutien à une politique de transport de marchandises ambitieuse. Elle doit disposer, pour cela, d’un budget annuel correspondant à la trajectoire fixée par la LOM suite aux travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, pour la période 2019-2023, puis 2023-2027.

Outre ces dépenses engagées dans le cadre de la LOM, l’Afit France finance désormais plusieurs autres opérations dont le canal Seine-Nord Europe, l’opération ferroviaire Lyon-Turin et l’opération « Marseille en Grand » (32 millions dans le budget rectificatif n° 3 de juin 2022) ainsi que des projets spécifiques du plan de relance.

Si la trajectoire pluriannuelle d’investissements définie par la loi d’orientation des mobilités a donc été largement respectée et même dépassée pour 2019-2023 (15,8 milliards d’euros de dépenses réalisées sur la période par rapport aux 13,7 milliards prévus par la LOM), l’agence couvre également de plus en plus des grands projets spécifiques complémentaires à la LOM. Récemment, elle devrait par exemple abonder des fonds pour soutenir le projet Eole (prolongement du RER E).

Trajectoire financiÈre de l’AFIT France prévisionnelle (LOM) et réelle

(En millions d’euros)

 

Trajectoire financière

2019

2020

2021

2022

2023

Total

Prévisionnelle (LOM)

2 683

2 982

2 687

2 580

2 780

13 712

Dépenses réalisées

2 464

2 824

3 051

3 655

3 811

15 805

Source : LOM, DGITM.

3.   La programmation détaillée des dépenses de l’Afit France sera fixée en 2023

La programmation détaillée des dépenses de l’Afit France n’est pas encore fixée à ce jour. Le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) doit notamment remettre des propositions à la fin de l’année 2022 pour établir des priorités en matière d’investissement dans les infrastructures pour la période 2022‑2032 et réactualiser la trajectoire d’investissements pluriannuelle de l’Afit France pour 2023‑2027 pour un montant de 14,3 milliards d’euros. Pourront s’y ajouter 3,2 milliards d’euros pour les projets Lyon-Turin, canal Seine-Nord Europe et les restes à payer du plan de relance. Cette trajectoire sera soumise au Parlement, conformément aux dispositions de la LOM ([2]).

Les dépenses estimatives cumulées par mode de transport sont néanmoins d’ores et déjà estimées à ce jour à 3,664 milliards d’euros pour 2023, dont 1,2 milliards respectivement pour la route et le ferroviaire, auxquelles s’ajoutent 150 millions de crédits supplémentaires pour répondre aux besoins identifiés par le COI dans son rapport intermédiaire du printemps 2022 ([3]) dont la ventilation n’est pas encore définie.

RÉpartition des dÉpenses de l’AFIT par mode de transports

(En millions d’euros)

 

Mode de transport

CP 2022

Prévision Afit France 2023

Routes

1 086

1 234

Ferroviaire

1 481

1 232

Voies navigables

312

310

Ports

87

89

Transports urbains et mobilités actives

631

629

Transports combinés

NR

96

Autres

57

74

Total

3 654

3 664

Source : Afit France, DGITM.

Les transports urbains constituent la troisième enveloppe en volume de dépenses avec 629 millions d’euros de dépenses prévues en 2023. L’Afit France constate néanmoins une forte sous-consommation de ces crédits en 2021 et probablement en 2022 dans le cadre des appels à projets « transports en commun » en site propre (TCSP) et « mobilités actives ».

Enfin, l’Afit France contribuera également étroitement au financement de la part État du volet « mobilités » des prochains contrats de plan État-région (CPER) 2023‑2027 (ou des avenants aux CPIER 2021-2027 signés).

Le périmètre des financements de l’Afit France pour les CPER évolue pour la période 2023-2027 et serait étendu à d’autres types d’opérations, notamment aux services express métropolitains, aux projets de mise aux normes ferroviaires (passages à niveau, accessibilité, bruit), aux véloroutes, etc.

L’enveloppe disponible pour les financements État des CPER sur les mobilités serait d’un peu moins de 1 milliard d’euros par an selon les dispositions actuelles de la trajectoire prévue par la LOM. Mais celle-ci sera précisément définie d’ici la fin de l’année, à l’issue des travaux du COI.

II.   le rythme des investissements engagÉs en 2021 et 2022 en faveur des infrastructures de transport dÉcarbonÉ SE poursuit en 2023

A.   Le secteur ferroviaire bÉnÉficie d’un niveau d’investissements historique issu du plan de relance

1.   La relance du secteur se poursuit en 2023

Les concours publics annuels versés par l’État au secteur ferroviaire sont composés de subventions d’exploitation, inscrites au programme 203, et de financements d’investissements qui transitent via l’Afit France. Les subventions d’exploitation, d’une part, versées à SNCF Réseau et dans une moindre proportion, à SNCF Voyageurs, sont orientées à la hausse en 2023, notamment dans le contexte inflationniste. Les financements engagés pour le développement du réseau, d’autre part, ont été portés à un niveau historiquement haut par le plan de relance ; les opérations engagées à ce titre en 2021 et 2022 se poursuivent en 2023.

a.   Des subventions d’exploitation en hausse

SNCF Réseau perçoit un concours de l’État inscrit à l’action 41 du programme d’un montant global de 2,695 milliards d’euros, en hausse pour 2023, dont :

– 1,957 milliard d’euros pour la redevance d’accès des trains régionaux de voyageurs (TER) ;

– 556 millions d’euros pour la redevance d’accès des TET (trains nationaux classiques de voyageurs dits « Intercités ») ;

– 191 millions d’euros au titre de la « compensation fret », qui inclut désormais la prise en charge par l’État d’une partie de la redevance de circulation nette (RDC) à hauteur de 65 millions d’euros, mise en place par la LFI 2021 dans le cadre du « plan fret » 2021-2024. La reconduction de cette aide supplémentaire jusqu’en 2027 est par ailleurs esquissée dans le projet annuel de performances (PAP) du programme 203 du PLF 2023.

Dans le cadre de la convention d’exploitation des trains d’équilibre du territoire (TET) sur la période 2022-2031 signée le 17 mars 2022 par l’État et SNCF Voyageurs, l’État verse également à SNCF Voyageurs une compensation au titre de l’exploitation des TET estimée à 247 millions d’euros pour 2023 (239 millions en 2022).

SNCF Voyageurs perçoit également d’autres subventions d’exploitation de l’État, dont notamment une compensation sur les tarifications sociales nationales en hausse (respectivement 9,32 et 16,4 millions d’euros en 2022 et 2023). Toutefois, la majorité de ses subventions d’exploitation proviennent des collectivités territoriales (6,755 milliards d’euros en 2021), dont la moitié d’Île-de-France Mobilités.

b.   Les opérations engagées pour développer le réseau et les infrastructures ferroviaires se poursuivent en 2023

Un effort sans précédent en 2021 et 2022 a été consenti pour soutenir l’investissement dans le réseau et les infrastructures ferroviaires. Il se poursuit dans le PLF 2023 à différents niveaux.

Cet effort s’est d’abord traduit par plusieurs opérations financières visant à améliorer la situation financière et les perspectives d’investissement du gestionnaire de réseau :

– La reprise de dette de SNCF Réseau de 35 milliards d’euros, à hauteur de 25 milliards d’euros dans la loi de finances 2020 et 10 milliards d’euros dans la LFI 2022, a permis d’assainir la situation financière de SNCF Réseau et surtout de la décharger d’une part importante de frais financiers générés par sa dette ;

Les charges d’intérêt reprises par l’État sont inscrites au programme 355 de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Elles s’élèvent à 900 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 2,1 milliards d’euros de remboursement au principal pour 2023. La dette de SNCF Réseau s’élève désormais à 18,7 milliards d’euros au 30 juin 2022 ;

– La recapitalisation du groupe SNCF à hauteur de 4,05 milliards d'euros, reversée au fonds de concours de SNCF Réseau, a permis de soutenir les dépenses d’investissement du gestionnaire de réseau, et notamment de maintenir l’effort de régénération du réseau (porté à 2,8 milliards par le contrat de performance État-SNCF Réseau 2021-2030) dans le contexte de la crise sanitaire. Le versement s’est étalé sur la période 2021-2023 à hauteur de 1,645 milliard d’euros en 2021, puis 1,761 milliard d’euros en 2022. Le dernier versement s’élève à 0,644 milliard d'euros pour 2023 ;

– Enfin, une opération de cession d’actifs du groupe SNCF demandée par l’État en contrepartie de la reprise de dette, a permis de dégager 600 millions d’euros fléchés pour 2023 et 2024 vers des dépenses visant l’amélioration de la programmation des plages de travaux par rapport aux besoins des opérateurs de fret ferroviaire (210 millions), et la remise en état des lignes de desserte fine (LDFT) (70 millions).

Dans le cadre du plan de relance, l’enveloppe de 650 millions d’euros dédiée au secteur ferroviaire a permis de cibler trois priorités d’investissements :

 Les « petites lignes » ou lignes de desserte fines du territoire (LDFT) : le rapport Philizot ([4]) avait identifié un besoin d’investissement de plus de 7 milliards d’euros sur dix ans et plus de 9 000 km concernés. L’État a mobilisé 550 millions d’euros sur la période 2020-2022 pour ces lignes, dont 300 millions issus du plan de relance ;

 La relance des trains de nuit, pour une enveloppe de 100 millions d’euros, s’est traduite par des opérations de rénovation du matériel roulant (93 voitures concernées), et d’aménagement des installations de service et des gares (installation d’un espace d’accueil et de douches à Paris-Austerlitz et à Toulouse, allongement des quais de Marseille-Blancarde pour la ligne Paris-Nice, par exemple). Le programme devrait se terminer en 2023 ;

 Les infrastructures de fret ont bénéficié d’une enveloppe de 250 millions d’euros pour répondre à l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 inscrit dans la LOM et poursuivi par la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire, dont le présent avis fait un bilan détaillé dans la deuxième partie.

Concernant spécifiquement les « services express métropolitains », un schéma directeur avait été remis au ministre chargé des transports par SNCF Réseau en mars 2020 ([5]). Les premières études ont été engagées et ont pu s’appuyer sur un financement issu du plan de relance (30 millions d’euros sur deux ans).

Enfin, les financements de l’Afit France au titre de la trajectoire prévue par la LOM, hors plan de relance, soutiennent plusieurs autres dépenses d’investissement au bénéfice du secteur ferroviaire, en particulier le renouvellement du matériel roulant engagé depuis 2013, à hauteur de 275 millions d’euros en 2022 et 180 millions en 2023 versés à SNCF Voyageurs. Ces financements concernent principalement les régions Centre-Val-de-Loire et Hauts-de-France dans le cadre de la reprise de lignes TET.

SchÉma des principaux flux ferroviaires entre l’État, l’AFIT France et la SNCF en 2022 (montants en milliards d’euros HT)

Source : DGITM.

2.   Toutefois, enrayer la trajectoire de vieillissement du réseau ferroviaire exigerait un effort budgétaire plus conséquent

Si le soutien de l’État en faveur du développement du réseau ferroviaire depuis 2020 apparaît ainsi historique, enrayer la trajectoire de vieillissement du réseau exigerait un effort budgétaire pluriannuel et plus soutenu au niveau des dépenses de régénération et de modernisation. Or, à ce jour, aucun crédit budgétaire dans le PLF 2023 n’est prévu à cet effet.

a.   La trajectoire d’investissements en régénération de SNCF Réseau à hauteur de 2,8 milliards d’euros par an est tenue mais les perspectives sont fragiles en l’absence de concours public dédié

La trajectoire d’investissements en régénération a été augmentée et relevée à 2,8 milliards d’euros par an dans le cadre du contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau pour 2021-2030. Le contrat prévoit 2 875 millions d’euros en 2023, 2 900 millions en 2024 et 2 856 millions en 2025 ([6]). Cette trajectoire, bien que soutenue à titre transitoire par l’État dans le contexte de la crise sanitaire via l’opération de recapitalisation du groupe, repose surtout sur les fonds propres de SNCF Réseau.

 

 

DÉpenses de rÉgÉnération de SNCF RÉseau (hors modernisation)

 

(En millions d’euros)

 

 

2017

2018

2019

2020

2021

Budget 2022

Dépenses de régénération

2 668

2 725

2 714

2 538

2 740

2 772

Source : DGITM.

 

DÉpenses de rÉgÉnération et de modernisation de SNCF RÉseau rÉalisÉees en 2021 et au 30 juin 2022

 

(En millions d’euros)

Source : DGITM.

L’Agence de régulation des transports (ART) a par ailleurs souligné dans son avis du 8 février dernier ([7]), les limites du modèle de financement de cette trajectoire qui repose en particulier sur deux fondements incertains :

– Une trajectoire particulièrement dynamique des dividendes de SNCF Voyageurs reversés à SNCF Réseau : après des versements d'environ 170 millions d’euros en 2022 et 2023, qui apparaissent soutenables au regard du bon redémarrage des activités de transport de voyageurs, les dividendes attendus pour alimenter le fonds de concours reversé à SNCF Réseau sont multipliés par six en 2024 pour atteindre 925 millions d’euros, sans que le contrat de performance ne détaille les mesures prévues pour permettre un tel versement. Il est prévu que près de 20 % de l’investissement de SNCF Réseau soit assis sur les dividendes de SNCF Voyageurs à l’horizon 2030 ;

Contribution des dividendes de SNCF Voyageurs au fonds de concours reversÉ À SNCF RÉseau à l’horizon 2030

Source : Agence de régulation des transports.

– Une hausse des produits des péages ferroviaires d’environ 55 % entre 2021 et 2030 : le contrat de performance anticipe une hausse significative des trafics mesurés en trains-kilomètres de près de 30 % en 2021 et 2030 (en rupture avec la période 2011-2017 durant laquelle le trafic a baissé de -0,7 % par an en moyenne) et également des montants des péages (dans un contexte où les redevances payées par les entreprises ferroviaires en France sont parmi les plus élevés d’Europe).

D’après l’Agence de régulation des transports, ces prévisions, en rupture avec les équilibres économiques actuels, apparaissent donc particulièrement volontaristes. Elles font peser un sérieux doute sur la capacité de SNCF Réseau à pouvoir financer la trajectoire d’investissements en régénération prévue par le contrat de performance.

Par ailleurs, le respect de cette trajectoire est présenté dans le contrat de performance comme secondaire par rapport à la priorité donnée au retour à l’équilibre financier à court terme. Celui-ci prévoit notamment un mécanisme d’ajustement des investissements à la baisse lorsqu’il est anticipé ou constaté que la trajectoire de retour à l’équilibre budgétaire, et plus spécifiquement, les objectifs sur le niveau de marge opérationnelle, ne sont pas respectés.

Outre les limites du modèle actuel de financement des investissements de régénération, et dans l’hypothèse où la trajectoire retenue de 2,8 milliards d’euros par an serait respectée, ce montant demeure insuffisant pour enrayer l’état de vieillissement du réseau, au regard de sa consistance actuelle, résultat de décennies de sous-investissement. L’indice de consistance de la voie (ICV) ([8]) est en effet inférieur à la valeur optimale de 55 (qui assure la pérennité du patrimoine) pour l’ensemble du réseau et ses différentes composantes. Plus de 30 % des LDFT peuvent être considérées comme hors d’âge (ICV inférieur à 10 ans).

Indice de consistance de la voie pour l’ensemble du rÉseau et ses différentes composantes en 2022

Source : Agence de régulation des transports.

Dans son avis, l’ART identifie un déficit a minima de plus de 4 milliards d’euros d’investissement sur l’ensemble de la période du contrat (2021-2030), un ordre de grandeur sans doute sous-évalué à ce stade en raison de l’inflation qui réduit en volume le niveau des opérations pouvant être financées par une même enveloppe budgétaire.

b.   La France continue d’accumuler un retard dans la modernisation de son réseau ferroviaire

Les besoins d’investissement actuels sur le réseau concernent non seulement sa régénération mais aussi sa modernisation, essentielle pour assurer la performance et la compétitivité du mode ferroviaire, et in fine, son développement par rapport à d’autres modes plus émetteurs de GES. Le déploiement de la commande centralisée du réseau (CCR) et celui de l’ERTMS (« European rail trafic management system ») constituent les deux grands chantiers de modernisation du réseau ferroviaire, pour lesquels la France a accumulé beaucoup de retard depuis des décennies.

Le budget alloué par SNCF Réseau à la CCR, estimé à 334 millions d’euros dans son budget 2022, financé sur fonds propres, sans concours public dédié ni nouvelles recettes, apparaît insuffisant.

À ce jour, seuls 44 secteurs de circulation sur les 323 ciblés ont été mis en service ([9]) ; les CCR les plus avancées se situant en Bourgogne Franche-Comté et en Auvergne Rhône-Alpes. 16 nouveaux secteurs sont prévus pour 2023 et 2024. Le programme se déploie extrêmement lentement. Lancé il y a dix ans, il ne sera entièrement déployé qu’en 1970 au rythme actuel d’investissements. Un déploiement à l’horizon 2040 nécessiterait un investissement supplémentaire de l’ordre de 10 milliards d’euros.

À titre de comparaison, l’Allemagne a entamé son déploiement dans les années 1990, le Royaume-Uni, la Suisse et l’Italie dans les années 2000. Leurs réseaux sont respectivement équipés à 90 %, 60 %, 100 % et 70 % (contre 15 % en France).

Le déploiement de l’ERTMS, jugé moins prioritaire que le rattrapage du retard sur les CCR par SNCF Réseau, avance également très lentement. En l’absence de budget dédié dans le contrat de performance, seulement 2 500 kilomètres d’ERTMS seraient déployés à l’horizon 2030 par rapport à un objectif européen fixé à 17 000 kilomètres. Un déploiement a minima par rapport aux exigences européennes sur 8 000-9 000 kilomètres nécessiterait un investissement de 17 milliards d’euros sur la période 2023-2040 ; un déploiement total nécessiterait un investissement de 35 à 40 milliards d’euros.

Pour pouvoir disposer d’un réseau digitalisé dont une grande partie bénéficierait de la commande centralisée et dont les principaux corridors et les lignes à grande vitesse seraient équipés de l’ERTMS à l’horizon 2040, l’ART recommande un effort annuel de l’ordre de 2 milliards d’euros là où l’effort prévu par SNCF Réseau est plutôt de l’ordre de 500 millions par an. Des concours publics apparaissent indispensables pour soutenir ces investissements.

En septembre dernier, le président-directeur général de la SNCF, M. Jean-Pierre Farandou, a ainsi avancé le besoin d’une allocation supplémentaire de 1,5 milliard d’euros dès 2023 (dont 500 millions pour amortir les surcoûts des travaux de régénération liés à l’inflation) et un investissement de 100 milliards d’euros à l’horizon 2030-2035 pour enrayer le vieillissement du réseau et accélérer sa modernisation (CCR, ERTMS notamment) ainsi que son développement (RER métropolitains, lignes nouvelles de fret).

Dans ce contexte, les crédits supplémentaires alloués à l’Afit France en 2023 (150 millions d’euros) pourraient être fléchés pour financer des dépenses d’investissement de modernisation du réseau ferroviaire.

B.   Un investissement renforcÉ sur les modes dÉcarbonÉs, en particulier le mode fluvial et les mobilitÉs douces

1.   La trajectoire volontariste d'investissements en régénération et en modernisation du réseau fluvial est tenue

Conformément à l’article L. 4311-8 du code des transports, introduit par la loi d’orientation des mobilités, VNF et l’État ont signé le 30 avril 2021 un contrat d’objectifs et de performance (COP) pour la période 2020-2029. Prenant acte de l’état dégradé du réseau fluvial, qui constitue un frein important au développement du report modal vers le transport fluvial, ce contrat fixe une trajectoire volontariste d’investissements en régénération et modernisation, hors développement, de 190 millions d’euros par an à l'horizon 2027.

Outre le soutien de l’Afit France fléché sur ces dépenses, en hausse pour 2023, conformément à la trajectoire du COP (114 millions d’euros en 2022, puis 127 millions prévus entre 2023 et 2027), l’enveloppe du plan de relance de 175 millions d’euros, dont a bénéficié VNF, est venue également renforcer la trajectoire, ce qui a permis à l’opérateur d’atteindre 230 millions d’euros d’investissements en moyenne, hors dépenses de développement, sur les années 2021, 2022 et 2023.

Pour l’année 2022, VNF a ainsi engagé 144 millions d’euros en CP pour environ 300 opérations de régénération réalisées (dont près de 52 millions d’euros du plan de relance) et 90 millions d’euros (dont 47 millions du plan de relance) pour près de 150 opérations de modernisation du réseau.

Par ailleurs, VNF bénéficie de ressources dynamiques pour 2023 :

 La subvention pour charges de service public (SCSP) versée à VNF s’élève à 253,7 millions d’euros en AE et en CP pour 2023. Ce montant est conforme au COP avec un ajout d’environ 5 millions d’euros pour la compensation de la hausse du point d’indice des fonctionnaires décidée par le Gouvernement ;

– Les ressources propres comprenant les péages pour le fret et le tourisme, les redevances domaniales et diverses autres recettes tirées d’activités hydroélectriques, qui représentent 7 % des recettes de VNF en 2022, augmentent légèrement en 2023 (environ 47 millions d'euros en 2022 et 51,4 millions d'euros prévus en 2023). En revanche, la redevance hydraulique, qui représente 19 % des ressources de l’établissement, demeure plafonnée à 127,5 millions d’euros (plafond fixé à l’article 43 de la loi de finances pour 2012), alors que son rendement total avoisine 244 millions d’euros par an. La question de son déplafonnement mériterait d’être posée ;

– VNF perçoit également une dotation annuelle de l’Afit France pour des projets de développement, en sus de la dotation relative à la régénération et à la modernisation, ainsi que des subventions européennes et des collectivités territoriales qui doivent être reconduites pour 2023.

Au regard du dynamisme de son budget et des objectifs ambitieux fixés à VNF pour la période du COP, votre rapporteur pour avis s’inquiète de la diminution parallèle des effectifs de l’opérateur et des plafonds d’ETP fixés dans les lois de finances successives. VNF a déjà diminué ses effectifs d’une centaine d’ETP par an en 2020 et 2021. Dans le PLF 2023, le plafond d’emplois est diminué de 40 ETPT en 2023, s’établissant à 4 028 ETPT contre 4 068 ETPT en 2022 (auxquels il convient d’ajouter une autorisation hors plafond de 35 apprentis). Ce plafond pourrait être relevé notamment pour permettre à VNF de maintenir en emploi 60 emplois contractuels en 2023, la SCSP étant par ailleurs suffisante pour couvrir ces dépenses de personnel.

Évolution des plafonds d’ETPT de VNF

 

LFI 2020

LFI 2021

LFI 2022

PLF 2023

Plafond d’ETP

4 152

4 073

4 068

4 028

Source : projets de loi de finances.

2.   Le nouveau plan « Vélo et mobilités actives » est doté d’un financement en forte hausse pour 2023

En septembre 2022, un nouveau plan « Vélo et mobilités actives » a été annoncé par la Première ministre. Il reconduit le Fonds national mobilités actives, issu du premier plan Vélo (2018-2022), et le dote d’un budget de 250 millions d’euros pour la seule année 2023, dédiés aux infrastructures cyclables (200 millions d’euros) et au stationnement sécurisé (50 millions d’euros).

À titre de comparaison, pour l’ensemble de la période 2018-2022, ce Fonds mobilités actives était doté d’un montant de 350 millions d’euros, abondé par le plan de relance à hauteur de 145 millions d’euros. Les cinq appels à projets « aménagements cyclables » lancés à compter de 2019 ont rencontré un franc succès dans les territoires et ont permis de financer 933 projets d’aménagements cyclables, dont 604 situés en zones peu denses et 46 en outre-mer.

L’abondement conséquent du fonds pour la seule année 2023 réaffirme la priorité donnée aux mobilités actives. Il s’accompagne d’un portage ministériel de haut niveau avec la création d’un comité interministériel du vélo et des mobilités actives, présidé par la Première ministre et appelé à se réunir tous les six mois.

La Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) rappelle toutefois l’ampleur des investissements qui restent à réaliser pour atteindre l’objectif fixé par le premier plan Vélo qui visait à passer de 2,7 % à 9 % la part du vélo dans les déplacements d’ici 2024. Pour atteindre cette part modale, l’Ademe recommandait en effet, dans une étude de 2020 ([10]), de doubler le linéaire de pistes cyclables et voies vertes (actuellement de 53 708 kilomètres par rapport à un objectif de 100 000 kilomètres) pour un coût estimé en moyenne à 200 000 euros par kilomètre et un budget d'investissement total de 2,5 milliards d’euros de la part de l’État sur cinq ans pour accompagner les collectivités locales.

À la différence du premier Plan Vélo, il serait souhaitable que la moitié au moins des crédits du nouveau plan soit destinée aux collectivités du bloc communal comptant moins de 100 000 habitants et puisse être gérée de façon territorialisée, sans appel à projets.

Le programme 203 pour 2023 soutient également les mobilités partagées. Un second plan national pour le covoiturage, faisant suite à un premier plan lancé en 2019, actuellement en cours d’élaboration, est annoncé dans le projet annuel de performances du programme 203. Il prévoit notamment des expérimentations de voies réservées au covoiturage.

En conclusion, l’architecture globale du programme 203, telle que renforcée par le budget de l’Afit France orienté à la hausse pour 2023, réaffirme ainsi résolument la priorité donnée au développement des infrastructures des modes de transport décarbonés.

Votre rapporteur pour avis se félicite en particulier de la hausse des subventions d’exploitation versées à SNCF Réseau ainsi que de la poursuite des investissements de développement et de régénération du réseau ferroviaire en 2023. Les financements engagés pour le secteur ferroviaire, à des niveaux historiquement hauts bien qu’encore insuffisants pour enrayer définitivement le vieillissement du réseau ferré national, sont bien de nature à accélérer le report modal vers le mode ferroviaire. La seconde partie du présent avis propose, dans cette perspective, un éclairage plus détaillé sur la situation spécifique du fret ferroviaire.


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SECONDE PARTIE : un an aprÈs le lancement de la stratÉgie nationale de dÉveloppement du fret ferroviaire, LE fret ferroviaire regagne-t-il enfin du terrain ?

I.   la stratÉgie nationale a ouvert la voie À des rÉformes et des investissements majeurs pour le fret ferroviaire

A.   un diagnostic solide et partagÉ sur les rÉformes nÉcessaires pour relancer le secteur

La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF), prise en application de l’article 178 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et conformément aux recommandations de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), poursuit l’objectif de doubler la part modale du fret ferroviaire de 9 % à 18 % d’ici 2030.

Elle s’inscrit dans l’objectif global de décarbonation du secteur des transports, responsable de près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les bénéfices environnementaux du fret ferroviaire sont en effet majeurs : à la tonne par kilomètre transportée, par rapport à la route, le ferroviaire représente neuf fois moins d’émissions de CO2, six fois moins d’énergie consommée, et huit fois moins d’émissions de particules nocives. Alors que le transport ferroviaire de fret représente près de 10 % du transport intérieur de marchandises, sa contribution aux émissions de GES est négligeable (de l’ordre de 0,3 % des émissions du secteur). Ainsi, y compris dans l’hypothèse où le transport routier de marchandises serait en mesure d’accélérer le verdissement de sa flotte de véhicules lourds, le fret ferroviaire conserve un avantage environnemental indéniable qui justifie aujourd’hui un soutien public renforcé.

La SNPFF a été présentée le 13 septembre 2021 par le ministre délégué chargé des transports, M. Jean-Baptiste Djebbari, accompagnée d’un pacte d’engagement signé avec les principaux acteurs du secteur (l’alliance 4F « Fret ferroviaire français du futur », SNCF Réseau et l’Association des utilisateurs de transport de fret - AUTF), puis approuvée par le décret n° 2022-399 du 18 mars 2022. Son élaboration a bénéficié des recommandations du COI qui a remis son avis au Gouvernement le 15 septembre 2021 ([11]) et d’un avis favorable du Haut Comité du système de transport ferroviaire.

Elle identifie 72 mesures et se décline autour de trois axes :

1) Faire du fret ferroviaire un mode de transport attractif, fiable et compétitif : les actions prises sur cet axe visent l’amélioration de la qualité de la réponse au client et de la qualité de service du gestionnaire de réseau, ainsi que le développement d’innovations et de nouveaux usages dans l’objectif d’optimiser l’utilisation des véhicules et des réseaux de fret, et de décarboner davantage le secteur ;

2) Agir sur tous les potentiels de croissance du fret ferroviaire : des actions spécifiques sont dédiées au développement des différents segments de marché (trains entiers, wagon isolé, transport combiné, autoroutes ferroviaires) et des synergies avec les ports maritimes et le transport fluvial ;

3) Accompagner la modernisation et le développement du réseau : ce dernier axe vise l’adaptation du réseau et des infrastructures de fret, indispensable pour donner les moyens au secteur de répondre à une hausse des trafics de fret.

Le suivi de la stratégie est assuré à un rythme trimestriel par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) qui préside un comité de pilotage réunissant les opérateurs (via l’alliance 4F), SNCF Réseau, l’État, les chargeurs, l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Au 20 septembre 2022, le taux d'avancement global de mise en œuvre la stratégie est estimé à 40 %. Pour 62 mesures (soit 85 % des mesures prévues), des actions ont été engagées.

L’ensemble des personnes auditionnées a souligné la dynamique très positive insufflée par la stratégie. Celle-ci a été élaborée en concertation avec l’ensemble des acteurs qui se sont solidarisés à cette occasion au sein de l’alliance 4F. Elle a su prendre en compte les demandes du secteur et permis de faire émerger un diagnostic partagé sur les faiblesses du secteur et les axes d'amélioration possibles.

Cette dynamique ne doit néanmoins pas s’essouffler. C’est pourquoi la stratégie doit pouvoir bénéficier sur le long terme d’un suivi renforcé et régulier qui continue d’associer étroitement l’ensemble des acteurs du secteur.

B.   Un soutien financier important confirmÉ dans le PLF 2023

La SNPFF s’est notamment traduite par un soutien financier conséquent apporté au secteur à partir de 2021 avec d’une part, de nouvelles aides à l’exploitation des services de fret ferroviaire à hauteur de 170 millions d’euros supplémentaires par an jusqu’en 2024, et d’autre part, des investissements structurels dans les infrastructures et le réseau de fret dans le cadre d’un programme de relance du fret ferroviaire estimé à 1 milliard d’euros incluant des cofinancements des collectivités territoriales et de l’Union européenne.

Ce soutien financier, essentiel au développement du fret ferroviaire, se confirme dans le PLF pour 2023.

1.   Le plan fret de 170 millions serait reconduit jusqu’en 2027

Le plan fret annuel de 170 millions d’euros, mis en place dans la LFI 2021 et prolongé jusqu’en 2024 au moins, renforce les deux aides historiques bénéficiant au secteur (aides au péage de fret et au transport combiné) et crée deux nouvelles aides pour soutenir le segment du wagon isolé et le démarrage de nouveaux services :

 Les aides au péage de fret : l’aide historique, dite « compensation fret », mise en place en 2010, vise à couvrir auprès du gestionnaire de réseau la différence entre le coût marginal d’utilisation de l’infrastructure ferroviaires par les trains de fret et les redevances facturées aux opérateurs de fret (la « redevance de circulation nette »), de façon à limiter l'impact des péages de fret sur la compétitivité des opérateurs. Elle s’élève à 134,2 millions d’euros en 2023.

Elle a été complétée dans le cadre du plan fret par une enveloppe supplémentaire annuelle de 65 millions d’euros. Ces deux aides sont inscrites à l’action 41 du programme 203 dans le PLF 2023.

Pour l’année 2022, une enveloppe exceptionnelle de 26 millions d’euros s’y est également ajoutée pour aider les entreprises ferroviaires de fret à faire face à la hausse des coûts de l’énergie, portant le niveau des aides au péage de fret à un niveau historique de 217,4 millions d’euros en 2022.

Évolution des aides au péage de fret pour 2019-2023

(En millions d’euros)

 

 

2019

2020

2021

2022 (prévisions)

2023 (prévisions)

Compensation fret

97,9

89,0

118,4

126,4

134,2

Prise en charge d’une part de la « RC nette »

0

64,9

65,0

65,0

65,0

Compensation exceptionnelle

0

0

0

26,0

0

Total

98,0

153,9

183,4

217,4

199,2

Source : DGITM.

 Les aides au transport combiné dites « aides à la pince » sont allouées annuellement depuis 2003 aux opérateurs de transport combiné, qui, pour des services réguliers, transbordent des unités de transport intermodales (UIT) (caisses mobiles, conteneurs maritimes, semi-remorques, etc.). Elles visent ainsi à réduire le surcoût induit par ces opérations de transbordement et améliorer la compétitivité du transport combiné. Ces aides ont été augmentées dans le cadre du plan fret par une enveloppe complémentaire de 20 millions d’euros pour atteindre 47 millions d’euros par an au total pour 2021-2024.

 L’aide aux services de wagons isolés est une nouvelle aide mise en place en 2021 dans le cadre du plan fret visant à soutenir spécifiquement le segment du wagon isolé. Elle s’élève à environ 70 millions d’euros par an, dont environ 50 millions d’euros ont été versés à Rail logistics Europe (ex-Fret SNCF) en 2021 et 2022.

 Les aides au démarrage de nouveaux services : des subventions sont également prévues pour des projets d’autoroute ferroviaire spécifiques, notamment celui entre Sète et Valenton, et Sète et Calais.

Ces aides à l’exploitation du fret ferroviaire, saluées par l’ensemble du secteur, ont permis de soutenir la compétitivité du fret ferroviaire par rapport à la route en 2021 et 2022. Il y a une forte attente pour que les engagements jusqu’en 2024 soient tenus et un besoin de visibilité sur la reconduction probable mais encore méconnue de ces aides pour les acteurs du secteur jusqu’en 2027. La continuité du niveau des aides de l’État à moyen terme apparaît en effet indispensable pour en faire un levier de développement du fret ferroviaire au regard de l’importance des coûts des services d’exploitation dans les décisions de report modal des chargeurs et des logisticiens ainsi que les décisions d’investissement des industriels et des opérateurs.

Votre rapporteur pour avis recommande ainsi d’annoncer rapidement la pérennisation de l’enveloppe annuelle de 170 millions d’euros, vitale pour maintenir la compétitivité du secteur, jusqu’en 2027 au moins, pour donner de la visibilité au secteur. Ce prolongement des aides jusqu’en 2027 est actuellement bien évoqué dans le projet annuel de performances (PAP) du programme 203 du PLF 2023 sans être officiellement confirmé.

Si ces subventions d’exploitation sont vitales pour assurer au secteur une compétitivité-prix face à la route, il convient toutefois de souligner qu’elles présentent certaines limites. Les aides au péage de fret (compensation fret, complétée par l’aide complémentaire du plan fret) ne suffisent notamment pas à compenser la tendance haussière du coût des péages de fret en France pour les opérateurs qui demeurent élevés en comparaison européenne, ni à inciter financièrement le gestionnaire de réseau à investir dans le fret (du fait d’un taux de couverture du coût complet d’utilisation du réseau pour les circulations de fret qui demeure très faible).

2.   Le rythme des investissements dans le réseau et les infrastructures de fret permis par le plan de relance se poursuit en 2023

Un programme d’environ 1 milliard d’euros d’investissements consacré spécifiquement aux infrastructures de fret ferroviaire a été annoncé par le Premier ministre le 22 octobre 2021 après le lancement de la SNDFF ([12]). Ce montant inclut un volet spécifique du plan de relance (250 millions d'euros), des financements de l’État prévus par la LOM et des cofinancements de l’Union européenne et des collectivités territoriales.

Les retombées de ce programme d’investissements historique sont particulièrement attendues après des décennies de sous-investissement qui ont laissé de nombreuses infrastructures de fret dans un état vieillissant, voire obsolète. L’ensemble des acteurs auditionnés souligne toutefois un manque de lisibilité sur les financements et les projets engagés dans le cadre de ce plan qui ne repose que pour moitié sur le budget de l’État.

S’agissant spécifiquement des crédits du plan de relance, 64,38 millions d’euros de crédits ont été engagés en 2021 et 185,65 millions d’euros d’engagements estimés pour 2022. Les opérations soutenues financièrement par l’État, qui vise un taux de cofinancement moyen cible de 50 %, concernent :

1° Les lignes capillaires de fret : 65 millions d’euros supplémentaires ont été ajoutés par l’État aux 10 millions d’euros par an qu’il consacre à ces lignes depuis 2015. Au total, 210 millions d’euros d'investissements devraient être engagés en cofinancements pour 2021-2022 pour des opérations de régénération couvrant environ 700 kilomètres de lignes.

Sous réserve de la signature des conventions de financement, les principaux projets financés sur des lignes capillaires de fret sont les suivants en 2022 :

– Grand Est : Coolus – Luyères, Troyes – Polisot, Oiry-Esternay, Pont-Saint-Vincent – Rosières, Saint-Hilaire – Suippes et Vitry – Brienne (lignes militaires) ;

– Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) : Les Arcs – Draguignan (ligne militaire) ;

– Bretagne : Auray – Pontivy – Saint-Gérand ;

– Hauts-de-France : Mézy – Artonges et Desvres – Hesdigneuls ;

– Nouvelle-Aquitaine : Parthenay – Saint-Varent ;

– Pays de la Loire : Château-Gontier – Sablé-sur-Sarthe ;

– Centre – Val de Loire : Gien – Nevoy ;

– Occitanie : Rivesaltes – Axat.

2° Les voies de service et les infrastructures de triage : 69 millions d’euros supplémentaires ont été investis par l’État en 2021 et 2022, en supplément du budget de 20 millions d’euros alloué depuis 2019 ;

3° La création et la régénération d’installations terminales embranchées (ITE) : 25 nouveaux projets ont émergé en 2022. L’enveloppe du plan de relance prévoit un investissement de l’État à hauteur de 10,7 millions d’euros ;

4° La digitalisation des interfaces entre SNCF Réseau et les opérateurs de fret : ces opérations, bénéficiant d’une enveloppe de 35 millions d’euros du plan de relance, visent à simplifier la gestion des circulations et des capacités sur le réseau ;

5° La création de nouveaux terminaux de transport combiné et la modernisation des terminaux existants, qui bénéficient d’une enveloppe de 26 millions d’euros.

D’après les retours de SNCF Réseau qui possède la maîtrise d’ouvrage d’environ 70 % des opérations du programme de relance global des infrastructures de fret de 1 milliard d’euros et qui investit actuellement environ 140 millions d’euros par an pour le fret, le rythme d’engagement des projets et des travaux est très variable d’un chantier à l’autre.

Les projets qui avancent le plus vite concernent les capillaires de fret, les voies de service et la digitalisation des services. En revanche, le rythme est plus lent pour les terminaux de transport combiné, la mise au gabarit et l’amélioration de l'accès au réseau des trains longs et lourds en raison d’études longues et de cofinancements plus difficiles à réunir.

Des projets importants demeurent ainsi en étude. C’est le cas d’une demi-douzaine de terminaux du transport combiné, du projet de rehaussement de gabarit sur l’axe atlantique et du tunnel vosgien.

II.   La StratÉgie a permis des amÉliorations notables mais les principaux freins au dÉveloppement du fret ferroviaire restent À lever

A.   un timide redressement du fret ferroviaire en France tirÉ par un regain de la demande

1.   Une part modale en légère hausse en 2021 après des décennies de déclin

À titre préliminaire, il convient de rappeler que le mode ferroviaire est en déclin pour le transport de marchandises depuis plusieurs décennies en France. Entre 2000 et 2019, le mode ferroviaire a connu une contraction de ses volumes de plus de 43 %. Sa part de marché sur le transport intérieur de marchandises a baissé de 8 points depuis 2000 pour se stabiliser à environ 9 % au milieu des années 2010 (contre 18 % en moyenne au sein de l’Union européenne).

Outre des faiblesses internes à l'organisation du secteur en France, ce déclin du mode ferroviaire s’explique aussi en grande partie pour des raisons structurelles et conjoncturelles tenant à la baisse de la part de l’industrie manufacturière dans l’économie française et à l’inégale répartition des bassins industriels sur le territoire, mais aussi à l’évolution des besoins des chargeurs qui réduisent leurs volumes de flux logistiques et en augmentent la fréquence (modèle du « juste à temps »).

Le mode ferroviaire souffre aujourd’hui surtout de la concurrence du mode routier, plus compétitif, réputé plus adapté aux besoins des chargeurs (en termes de flexibilité), et offrant une meilleure qualité de service (en termes de régularité, ponctualité, suivi, réactivité face aux demandes urgentes, etc.). Avec une part modale égale à 87,3 % en 2021, le transport routier demeure hégémonique dans le secteur du transport de marchandises.

Dans ce contexte, le timide redressement du fret ferroviaire observé en 2021 est particulièrement notable et encourageant. Le trafic du fret ferroviaire et sa part modale ont en effet opéré un rebond en 2021 qui semble se poursuivre en 2022 avec près de 35,9 milliards de tonnes par kilomètre transportées (+6,53 % de croissance par rapport à 2019) et une part modale qui atteint 10,7 % en 2021.

Évolution de la part modale et des trafics du fret ferroviaire

(En %)

Part modale

2018

2019

2020

2021

Ferroviaire

10,4

10,0

9,6

10,7

Fluvial

2,1

2,2

2,0

2,0

Poids lourds

87,6

87,8

88,3

87,3

 

(En milliards de tonnes kilomètres)                            

Niveaux de trafics

2018

2019

2020

2021

Ferroviaire

33,8

33,9

31,3

35,8

Poids lourds

286,2

296,8

287

292

Fluvial

6,7

7,4

6,5

6,8

Source : SDES enquête « Transport routier de marchandises «, Eurostat, DGEC, VNF

Outre l’impact positif à court terme de la SNPFF et notamment du renforcement conséquent des aides à l’exploitation qui ont permis de soutenir la compétitivité-prix du secteur par rapport à la route, le secteur bénéficie de facteurs conjoncturels de croissance favorables qui orientent la demande de fret ferroviaire à la hausse.

Le secteur a tout d’abord bénéficié de la crise du transport routier (crise sanitaire, pénurie de chauffeurs routiers en Europe, hausse des prix du gazole et du gaz, délais de livraison des camions, etc.) qui a incité de nombreux chargeurs au report modal.

De façon plus durable, de plus en plus de chargeurs peuvent faire le choix du fret ferroviaire ou du transport combiné dans le cadre de leurs engagements pour la responsabilité sociale des entreprises (RSE) en matière de neutralité carbone voire de sobriété énergétique (un train de fret consommant cinq fois moins d’énergie par tonne.km qu’un poids lourd). C’est le cas par exemple de l’entreprise Cereco qui déploie le mode ferroviaire depuis 2018 pour environ 10 % de ses trafics dans le cadre du programme Fret 21.

Le programme Fret 21

Ce programme, développé par l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), piloté par l’Ademe et financé par les certificats d’économies d’énergie (CEE), vise à accompagner les chargeurs dans leurs démarches de réduction de leur empreinte carbone liée à leurs activités de transport. 245 entreprises ont été suivies dans le cadre du programme entre 2018 et 2022.

Le programme comprend notamment une action sur le report modal vers le rail qui représente près d’un tiers de la totalité des réductions des émissions de GES permises par le programme, estimées à 108 447 tonnes de CO2.

Ce programme est une bonne illustration du potentiel de report modal des chargeurs lorsqu’ils bénéficient d’un environnement favorisant le partage de bonnes pratiques et d’un accompagnement suffisant pour s’orienter vers le ferroviaire, autrement perçu comme un mode de transport complexe, coûteux et pouvant manquer de fiabilité, et qui nécessite également de mobiliser des compétences spécifiques au sein des entreprises.

Il apparaît toutefois que les objectifs environnementaux ne suffiront pas en eux-mêmes pour assurer la croissance du secteur à moyen terme. D’une part, le coût du transport demeure un facteur d’arbitrage essentiel entre le rail et la route pour les chargeurs et les logisticiens ; l’avantage demeure au mode routier, du moins pour les courtes et moyennes distances. D’autre part, le report modal des chargeurs pourrait se retrouver assez rapidement freiné par les capacités limitées du secteur à répondre à une demande en forte hausse. Pour consolider la tendance amorcée en 2021 et 2022, il est souhaitable que le fret ferroviaire révolutionne son modèle de croissance et passe résolument d’une économie tirée par la demande à une économie de l’offre. À ce stade, les auditions conduites dans le cadre de cet avis montrent que cette révolution est encore à peine esquissée.

Un tableau du secteur, segment par segment, confirme ce diagnostic : le potentiel de croissance par la demande se confirme pour 2021 et 2022 sur certains segments spécifiques, notamment le wagon isolé et le transport combiné, mais apparaît limité par les capacités des infrastructures, du réseau et du matériel roulant.

2.   Un potentiel de croissance confirmé sur certains segments mais freiné par les capacités des infrastructures de fret

a.   Le segment du wagon isolé est dynamique

Le fret conventionnel n’est pas identifié par la SNDFF comme le segment dont le potentiel de croissance est le plus élevé. La demande serait déjà particulièrement saturée pour les trains entiers à destination directe des sites industriels ou agricoles connectés au réseau ferré par des installations terminales embranchées (ITE). Les entreprises chargeurs qui ont intérêt à y recourir en raison des volumes transportés et de la nature de leurs marchandises le font pour la plupart déjà. Ce segment pourrait se développer à la marge via des chargeurs déjà présents sur le marché et qui prendraient la décision d’accroître leurs volumes d’opérations de transport.

En revanche, les perspectives pour le wagon isolé (WI) sont plus encourageantes. L’activité du wagon isolé a connu en 2021 en France, pour la première fois depuis trente ans, un rebond de la demande (+ 14 % par rapport à 2020), qui devrait se confirmer pour 2022.

Ce segment a notamment pu bénéficier d’un soutien financier significatif dans le cadre du plan fret avec une aide dédiée d’environ 70 millions d’euros par an. RLE (ex-Fret SNCF), qui perçoit plus de 70 % de cette aide, a notamment lancé un programme de relance du wagon isolé avec l’objectif d’un alignement sur la performance de la route en termes de délais (objectif cible égal aux délais de la route, auxquels s’ajouterait un délai de 24 heures pour la majorité des flux d’ici 2025) de nature à augmenter les capacités d’acheminement et convaincre les industriels à s’engager davantage dans un report modal. RLE prévoit une croissance de 1,2 milliard de tonnes par kilomètre supplémentaires entre 2022 et 2025, portée par la hausse de la demande des secteurs de la sidérurgie et de la chimie (qui représentent déjà près de 80 % de la demande de WI).

Toutefois, l’état critique des quatre plus importants sites de triage – Woippy, Sibelin, Miramas et le Bourget – constitue un frein majeur au développement du wagon isolé. SNCF Réseau a estimé à 116,5 millions d’euros les investissements nécessaires d’ici 2030, dont 77,5 millions à déployer d’ici 2025. Seulement 30 millions sont actuellement financés, notamment dans le cadre du plan de relance.

b.   Le potentiel de croissance élevé du transport combiné se confirme

La SNDFF poursuit un objectif de triplement de l’activité du transport combiné. Les données récentes sont encourageantes : le transport combiné railroute enregistre une croissance de ses trafics de 16 % en 2021 par rapport à 2020. La tendance confirme que le transport combiné a un potentiel de croissance élevé auprès des chargeurs ; ces derniers s’y engagent généralement plus facilement que pour le fret conventionnel.

Il semble en être de même sur le segment des autoroutes ferroviaires. Naviland Cargo, par exemple, a vu ses volumes augmenter de plus de 50 % en 2022 par rapport à 2019, notamment dans le contexte de crise traversée par le transport routier.

Toutefois, si la demande est soutenue, les opérateurs de transports combinés et d’autoroutes ferroviaires alertent sur les capacités des infrastructures de fret à y répondre. L’état des terminaux multimodaux est notamment un sujet de préoccupation majeur. En l’absence d’investissements importants au cours des quinze dernières années, nombre d’entre eux sont vieillissants et saturés du fait de la croissance rapide observée par le secteur, et constituent aujourd’hui un frein au développement du trafic.

Pour permettre à cette croissance de se poursuivre, il est essentiel d’augmenter la capacité des terminaux existants et d’en créer de nouveaux. Si le programme de relance du fret prévoit bien une relance des investissements sur les terminaux, SNCF Réseau constate qu’il est difficile de réunir les financements pour des projets, notamment à Vénissieux, Valenton, Avignon et Les Aubrais. Une réflexion sur les évolutions des modes de gestion des terminaux pour diversifier les sources de financement serait à engager.

Les nœuds ferroviaires (Île-de-France, Lyon notamment) traversés par les itinéraires majeurs de fret sont également rapidement saturés et constituent un frein capacitaire au développement.

Ainsi, le redressement du fret ferroviaire observé en 2021 et 2022 apparaît particulièrement encourageant et témoigne d’un premier impact positif de la SNDFF et des financements mis en place. Les efforts restent à poursuivre, en particulier sur le réseau et les infrastructures de fret, pour actionner le passage d’une économie de la demande à une économie de l’offre.

B.   l’amÉlioration des capacitÉs des circulations de fret, engagÉe par la stratÉgie, est prioritaire et doit Être poursuivie

1.   Malgré des changements notables, la qualité de service de SNCF Réseau peut encore considérablement s’améliorer

L’amélioration de la qualité de service de SNCF Réseau offerte aux opérateurs de fret ferroviaire est une condition nécessaire au développement de ce mode. Elle impacte étroitement les capacités des circulations de fret, la qualité de service offerte aux chargeurs et in fine, la fiabilité et l’attractivité du mode ferroviaire dans son ensemble.

Les principaux problèmes identifiés par la SNDFF et l’ensemble des acteurs du secteur concernent les critères et la procédure d’allocation des sillons et l’impact des travaux pour les circulations de fret. D’une façon générale, la priorité donnée au transport de voyageurs par le gestionnaire de réseau sature les sillons en trame horaire en heure de pointe, au détriment des besoins des entreprises de fret, tandis que les travaux programmés le plus en amont possible et sur des plages longues en période nocturne entrent fréquemment en conflit avec les circulations de fret dont un tiers environ aurait lieu entre 21 heures et 6 heures du matin. L’attribution des sillons continue également de relever de procédures très complexes pour les opérateurs.

Dans la continuité de la SNDFF, des efforts et des améliorations de la part du gestionnaire du réseau ont été relevés, au cours des auditions, par les opérateurs, même si les effets n’en sont pas encore toujours perceptibles sur le terrain. Un changement d’approche et de « culture » semble s’être amorcé au sein de SNCF Réseau pour revaloriser la place du fret ferroviaire dans sa stratégie. Des réformes internes ont été engagées :

– Un programme d’atténuation de l’impact des travaux, dit « programme de sécurisation des sillons », a été lancé en novembre 2021 par SNCF Réseau, et doté d’une enveloppe de 210 millions d’euros. Le programme se concentre sur certains chantiers et grands axes de fret. Chaque million d’euros du programme pourrait permettre de « sauver » entre 50 et 100 sillons de fret. À ce stade, en 2022, 1 912 sillons ont été préservés grâce au programme pour sept chantiers concernés ;

– SNCF Réseau observe une augmentation de sa note de satisfaction de la clientèle s’agissant de l’attribution des sillons, de 5,3 à 6,6/10 entre novembre 2021 et juillet 2022. L’information et les procédures de négociation auprès des opérateurs se seraient notamment améliorées grâce à la mise en place d’une direction commerciale dédiée. SNCF Réseau engage également des actions pour améliorer la ponctualité des circulations de fret.

Pour le service annuel 2023, le taux de sillons attribués conforme à la commande s’élève à 61 % pour VIIA, 42 % pour Lorry-Rail, 63 % pour Naviland Cargo, 76 % pour Captrain France et près de 80 % pour RLE. Même si ces données démontrent une légère amélioration en comparaison des services précédents (+5 points au global), les marges de progression sont indéniables.

La récente décision de règlement des différends du 28 juillet 2022 rendue par l’ART ayant opposé les sociétés Captrain France, T3M, Europorte France et Régiorail à SNCF Réseau concernant les conditions techniques et opérationnelles d’accès au réseau ferré national (RFN) témoigne de ces difficultés persistantes.

Dans sa décision, l’ART a enjoint à SNCF Réseau d’améliorer la transparence du mécanisme d’allocation des sillons (entre les circulations de fret, les circulations de voyageurs et les travaux), de mettre en place des mécanismes de pénalités financières afin de l’inciter à respecter les engagements pris auprès des opérateurs, et de rééquilibrer les principes et procédures d’indemnisation des opérateurs ferroviaires. L’ART a également recommandé au gestionnaire de procéder à une refonte globale de son processus de répartition des sillons afin de tendre vers une utilisation plus optimale et équitable du réseau. Ces injonctions ne sont pas nouvelles et avaient déjà fait l’objet de précédentes décisions et avis de l’autorité.

Les opérateurs ferroviaires attendent beaucoup de la décision de l’ART et de sa traduction prochaine dans les projets de document de référence de réseau (DRR) de 2023 et 2024 pour rééquilibrer l’allocation des sillons, les opérations de travaux et les procédures d’indemnisation et de réclamation des opérateurs ferroviaires.

Mais les difficultés rencontrées par SNCF Réseau pour améliorer sa qualité de service sur le segment du fret sont aussi d’ordre financier. Le gestionnaire de réseau est effet particulièrement peu incité à développer le fret ferroviaire sur le plan budgétaire. Les péages de fret représentent en effet moins de 5 % des péages totaux alors que le fret représente environ 15 % des circulations.

Le taux de couverture du coût complet du réseau pour les circulations de fret ne s’élève qu’à 30 % (contre 61 % au niveau des services conventionnés de voyageurs et 35 % au niveau des services librement organisés de voyageurs), soit environ 250 millions d’euros de recettes pour un coût complet d’environ 950 millions d’euros et un déficit annuel estimé à plus de 600 millions d’euros. Autrement dit, chaque train de fret coûte à SNCF Réseau près de quatre fois ce qu’il lui rapporte ([13]).

Les opérateurs de fret n’acquittent eux-mêmes que 60 % du coût marginal d’utilisation du réseau ; l’État couvre l’écart restant dans le cadre de la « compensation fret ». Bien que récemment majorés par l’aide complémentaire aux péages de fret issue du « plan fret », ces montants engagés sont bien loin de couvrir les coûts complets et d’inciter le gestionnaire de réseau à prioriser les circulations de fret.

2.   Certains chantiers sur les infrastructures de fret peuvent être priorisés et accélérés

L’état de vieillissement et de vétusté atteint par les infrastructures de fret sur l’ensemble du territoire constitue un second frein majeur au développement du fret ferroviaire à l’horizon 2030.

En dépit de quelques difficultés de cofinancements rencontrés sur certains projets, le programme d’investissements de 1 milliard d’euros déployé depuis 2021 constitue une première avancée pour répondre aux besoins d’entretien et de régénération.

Toutefois, les montants engagés demeurent insuffisants, notamment pour la rénovation et le développement des terminaux du transport combiné, la régénération des installations de tri à la gravité (notamment à Woippy), le rehaussement de gabarit pour les trains de semi-remorques, les voies d’évitement pour les trains longs et l’ensemble des besoins liés aux capillaires de fret.

Lors de son audition, RLE a estimé plus précisément un besoin d’investissement supplémentaire de l’ordre 3,5 milliards d’euros pour les terminaux de transport combiné, les triages, les connections portuaires et l’optimisation de l’accessibilité de certains itinéraires (extension du gabarit, installations de contre-sens, évitements, voies de service, etc.), auxquels pourraient s’ajouter 7 milliards d’euros sur les nœuds ferroviaires (contournements de Lyon, Paris et désaturation de Lille).

De ce point de vue, l’inégalité des stratégies régionales en matière de fret ferroviaire, et tout particulièrement sur les chantiers de rénovation des capillaires de fret, peut être regrettée. Les exemples cités en auditions ont montré que le cofinancement des collectivités territoriales était souvent déterminant pour lancer des projets de rénovation sur ces lignes avec des entreprises locales utilisatrices. Or, certaines régions se mobilisent davantage : la région Grand Est, par exemple, dont les capillaires de fret représentent 15 % du réseau national et un quart des tonnes transportées à l’échelle nationale, va doubler ses financements pour la période 2022-2028, de 22,92 et à 47,98 millions d’euros.

Au niveau national, votre rapporteur pour avis recommande d’accélérer le rythme des engagements au titre du programme de relance du fret ferroviaire de 1 milliard d’euros, et de cibler les prochains investissements dans le cadre d’une programmation pluriannuelle et par ordre de priorité sur :

– Les principaux terminaux de transport combiné et gares de triages ;

– L’amélioration de la desserte ferroviaire des grands ports.

Le faible degré de connectivité du réseau de fret ferroviaire avec les grands ports maritimes français (Dunkerque, Le Havre, Marseille) est apparu effectivement, au cours des auditions, comme l’une des faiblesses majeures du modèle français : seulement 13 % des marchandises sont acheminées actuellement par voie ferroviaire à destination ou en provenance des ports français (contre 45 % par exemple dans le port d’Hambourg). Lever ce verrou permettrait d’accroître considérablement le potentiel de développement du fret ferroviaire français à moindre coût.

3.   Les opérateurs ferroviaires pourraient être davantage incités à renouveler leur matériel roulant via le recours aux certificats d’économies d’énergie

Le matériel roulant des opérateurs ferroviaires atteint un stade de vieillissement et de vétusté avancé. Outre des gains de performance et de compétitivité, il y aurait également un intérêt environnemental fort à accélérer le renouvellement de ce parc dans la mesure où les wagons et locomotives plus modernes sont aussi plus légers et moins consommateurs d’énergie.

Outre les investissements importants à engager pour renouveler ce matériel pour des opérateurs dont les marges d’investissement peuvent être réduites du fait de situations financières difficiles et majorées par la crise sanitaire, l’absence de filière industrielle française, notamment pour la production de locomotives bi‑mode, pèse sur l’offre industrielle disponible. En outre, les incitations financières au renouvellement font défaut.

Une solution intéressante de soutien au financement pourrait être de rendre éligibles les opérations de renouvellement de matériel roulant au dispositif des certificatifs d’économies d’énergie (CEE), auquel les opérateurs de fret ferroviaire et de transport combiné ne parviennent pas à avoir accès en l’état actuel des critères des CEE.

C.   Le risque d’un report modal inversÉ face À la crise de l’ÉlectricitÉ appelle des mesures d’accompagnement À court terme

À plus court terme, le potentiel de développement du fret ferroviaire pourrait être très fortement impacté par la crise énergétique actuelle. Dans un contexte où les prix des carburants se stabilisent au bénéfice des transporteurs routiers, la hausse du coût de l’électricité risque en effet de dégrader significativement la compétitivité-prix du fret ferroviaire. La route pourrait devenir encore plus compétitive que le mode ferroviaire qu’elle ne l’est déjà. Les opérateurs alertent donc sur le risque réel d’un report modal inversé vers la route. Les gains en compétitivité récemment obtenus, notamment grâce aux aides sur les péages et à l’aide à la pince, pourraient s’envoler du fait des surcoûts énergétiques à venir.

Entre 2021 et 2022, le prix de l’énergie avait déjà plus que doublé pour la plupart des entreprises de fret ferroviaire, pour des surcoûts estimés à plus de 50 millions d’euros. Dans ce contexte, une aide complémentaire de 26 millions d’euros a été attribuée en LFR pour 2022, visant à prendre en charge une part des redevances acquittées à SNCF Réseau.

Cette aide complémentaire devrait être a minima reconduite en 2023. Les besoins estimés par le secteur pour 2023 sont bien supérieurs – des montants de 100 millions d’euros ont été avancés par plusieurs auditionnés – dans un contexte où le prix de l’électricité sur le marché pour les opérateurs va être multiplié par un facteur cinq.

La mise en place de mesures d’accompagnement pour faire face aux surcoûts engendrés par la hausse des prix de l’électricité en 2023 est donc urgente pour soutenir les perspectives de réforme et d’investissements du secteur et confirmer la dynamique de marché positive observée en 2021 et 2022, tout juste un an après le lancement de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.

Pour conclure, un an après le lancement de la SNDFF, les premières retombées de celle-ci sont encourageantes. La stratégie a permis une véritable mobilisation des acteurs du secteur autour d’un diagnostic partagé et d’objectifs communs. Le plan fret mis en place en 2021 pour renforcer les aides à l’exploitation des services de fret ferroviaire, reconduit dans le PLF 2023 et probablement jusqu’en 2027, permet actuellement de soutenir la compétitivité du secteur, tandis que les investissements engagés pour enrayer le vieillissement et développer les capacités des infrastructures et du réseau de fret ferroviaire, amélioreront à moyen terme les perspectives de croissance du secteur.

Outre des facteurs conjoncturels, la stratégie semble déjà avoir porté quelques fruits puisque la part modale du fret ferroviaire s’affiche en hausse pour 2021 et probablement également en 2022 pour atteindre 10,7 %. Toutefois, cette dynamique positive reste à confirmer, notamment dans le contexte de la crise énergétique qui impactera massivement le secteur en 2023 et nécessitera un soutien public renforcé.

De façon plus structurelle, les capacités du fret ferroviaire demeurent insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés. Le passage d’une économie tirée par la demande à une économie de l’offre est à ce jour encore à peine esquissé. Les investissements engagés à l’issue du plan de relance vont assurément dans le bon sens, mais ils sont encore loin de répondre aux besoins, estimés à plus de 10 milliards d’euros, pour remettre en état et moderniser les infrastructures de fret.

Les investissements devront être priorisés dans les années à venir sur des opérations stratégiques que sont les terminaux multimodaux de transport combiné, les sites de triage et l’amélioration de la connectivité entre les grands ports et le réseau ferroviaire. C’est à ces conditions seulement que l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire pourra être atteint.

 

 


   Examen en commission

Après avoir auditionné M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le 27 septembre 2022, M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, le 4 octobre 2022, Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la transition énergétique, le 5 octobre 2022, et Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’écologie, le 12 octobre 2022, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » le mercredi 19 octobre 2022, matin, après-midi et soir (voir tome XI de l’avis 286 rect. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/plf_2023).

À l’issue de cet examen, elle a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission modifiés.

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(Par ordre chronologique)

 

Rail Logistics Europe (Fret SNCF) *

M. Nicolas Gindt, directeur de la stratégie

Mme Nina Bourgier, responsable des relations institutionnelles

Mme Laurence Nion, directrice des affaires publiques

Table ronde réunissant des entreprises engagées dans une démarche de report modal et multimodal

 Cereco BIO

M. Clément Barbier, gestionnaire « Transport et flux »

M. Etienne Pacaud, responsable logistique

 BSH électroménager (filial du groupe Bosch)

M. Gabriel Schumacher, directeur logistique

 Coopérative agricole et agroalimentaire du grand Ouest (Cooperl)

M. Denis Olivry, directeur de Cooperl Nutrition

M. Bertrand Convers, en charge des relations extérieures

 Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF)

Mme Sophie Chapellier, chargée de mission du programme Fret 21

M. Lionel Lemaire, directeur transports du groupe Soufflet-Invivo

Groupement national des transports combinés (GNTC)

M. Aurélien Barbé, délégué général

M. Thibault Fruitier, directeur général de Novatrans

Fret ferroviaire français du futur (4F)

M. Luc Aliadière, conseiller pour les affaires européennes à la Fédération des industries ferroviaires (FIF)

M. André Thinières, délégué général d’Objectif OFP

Union des ports de France (UPF) *

M. Stéphane Raison, président du directoire du grand port fluvio-maritime Haropa Port, vice-président de l'UPF 

M. Olivier Carmes, directeur général de port Sud de France

M. Nicolas Ménard, directeur des infrastructures du grand port maritime de La Rochelle

Mme Mathilde Pollet, responsable des affaires économiques et européennes

Table ronde sur le transport combiné multimodal

 Groupement national des transports combinés (GNTC)

M. Aurélien Barbé, délégué général

 Naviland Cargo

M. Charles Puech d’Alissac, président

Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire du groupe SNCF

 Union des entreprises Transport et logistique de France (TLF)

M. Jean Philippe Delmont, directeur de VTG Europe France

 T3M

M. Patrick Ben Arous, directeur général du pôle ferroviaire

Association française du rail (AFRA) *

M. Alexandre Gallo, président

M. Claude Steinmetz, vice-président

M. Franck Tuffereau, délégué général

Voies navigables de France (VNF)

M. Thierry Guimbaud, directeur général

M. Laurent Hénart, président du conseil d'administration

Mme Muriel Mournetas, directrice générale chargée des relations institutionnelles

M. Regis Bac, directeur juridique, économique et financier

Table ronde d’associations environnementales

 Réseau action climat (RAC) *

M. Valentin Desfontaines, responsable « Mobilités durables »

 France Nature Environnement (FNE) *

M. Thomas Lesperrier, responsable du pôle « Transition »

Mme Geneviève Laferrere, pilote du réseau « Territoires et mobilités durables »

Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF)

M. Fabrice Accary, délégué général

Mme Valérie Cornet, déléguée aux transports terrestres

France logistique *

Mme Anne-Marie Idrac, présidente

Mme Constance Maréchal-Dereu, directrice générale

Autorité de régulation des transports (ART)

M. Philippe Richert, président par intérim

M. Jordan Cartier, secrétaire général

Agence de financement des infrastructures de transports de France (Afit France)

Mme Katrin Moosbrugger, secrétaire générale

Ministère de la transition écologique – Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Mme Sandrine Chinzi, directrice générale par intérim

M. Etienne Dereu, sous-directeur du budget et responsable du programme 203

Mme Delphine Hardy, conseillère « Élus et communication »

Agence de la transition écologique (Ademe)

Mme Tholance, cheffe du service « Transports et mobilités »

M. Yann Tremeac, chef de service adjoint au service « Transports et mobilités »

SNCF Réseau

M. Alain Quinet, directeur général exécutif « Stratégie et affaires corporate »

Mme Isabelle Delon, directrice générale adjointe « Clients et services »

Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire du groupe SNCF

SNCF Direction

M. Laurent Trevisani, directeur général délégué « Stratégie finances »

Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire du groupe SNCF

Agence des participations de l’État

Mme Auréliane Labourdette, directrice de participations adjointe aux transports

M. Frédéric Gilbert, chargé de participations SNCF Réseau et Air France-KLM

Ministère de l’économie et des finances – Direction du budget – Bureau des transports

M. Laurent Pichard, sous-directeur

M. Frédéric de Carmoy, chef du bureau des transports

M. Victor Mabille, adjoint au chef de bureau

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


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   Contributions écrites

 

Région Grand Est

Entreprises fluviales de France (E2F) *

Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) *

Fédération des industries ferroviaires (FIF)

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 


([1]) Dossier de presse « La relance du fret ferroviaire », déplacement du Premier ministre dans les Pyrénées-Orientales, 22 octobre 2021.

([2]) Article 3 de la loi d’orientation des mobilités : « La programmation financière et opérationnelle des investissements de l'État dans les transports fixée par la présente loi fait l'objet d'une première actualisation au plus tard le 30 juin 2023, puis tous les cinq ans. »

([3]) Conseil d’orientation des infrastructures, « Bilan et perspectives des investissements pour les transports et les mobilités », mars 2022.

([4]) Rapport de M. François Philizot, « Devenir des lignes de desserte fine des territoires », février 2020.

([5]) SNCF Réseau, « Étoiles ferroviaires et services express métropolitains. Schéma directeur ». Mars 2020.

([6]) Annexe 2, p. 86 du contrat de performance État-SNCF Réseau pour 2021-2030.

([7]) Avis de l’Agence de régulation des transports  n° 2022-009 du 8 février 2022 relatif au projet de contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau pour la période 2021-2030.

([8]) L’ICV est un indicateur d’âge moyen relatif de la voie au regard de sa durée de vie. Cette dernière dépend des caractéristiques physiques de la voie et de son intensité d’utilisation. Un tronçon neuf a une valeur de 100 et un actif en fin de vie prend la valeur 10.

([9]) Rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la situation de la SNCF et ses perspectives, par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel. Mars 2022.

([10]) Ademe, Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France en 2020. Avril 2020.

([11]) Avis du Conseil d’orientation des infrastructures sur la stratégie de développement du fret ferroviaire, mai 2021.

([12]) Dossier de presse « La relance du fret ferroviaire », déplacement du Premier ministre dans les Pyrénées-Orientales, 22 octobre 2021.

([13]) Rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la situation de la SNCF et ses perspectives, par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, mars 2022.