N° 337

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

TOME II

 

ACTION EXTÉRIEURE DE L’ÉTAT

 

Diplomatie culturelle et d’influence – francophonie

PAR M. Frédéric PETIT

Député

——

 

 

Voir le numéro :.273


 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

les points d’attention prioritaires du rapporteur pour avis

I. UN BUDGET dynamique accompagnant la mise en œuvre de la feuille de route de l’influence

A. une stabilitÉ budgÉtaire qui vient confirmer une tendance au renforcement des moyens alloués à la diplomatie d’influence

B. un réseau CULTUREL ET SCIENTIFIQUE qui demeure VIVANT

C. une approche à la fois plus cohérente et plus souple de notre diplomatie d’influence

1. Des améliorations transversales en matière de pilotage et de cohérence de notre action dans le monde

2. Une diversification des acteurs et outils de notre diplomatie d’influence

II. L’action et la coopération éducatives et linguistiques

1. L’amélioration de la qualité de l’enseignement et la maîtrise de la langue française

2. Le développement du réseau d’établissements homologués et de l’enseignement bilingue francophone

III. L’ACTION ET la COOPÉRATION CULTURELLEs ET ARTISTIQUEs

1. La montée en puissance de la stratégie de promotion des industries culturelles et créatives

2. La valorisation de l’expertise et des savoir-faire français

3. Le soutien aux artistes et à la création

IV. L’Action et la coopération universitaires et scientifiques

1. Le renforcement de l’attractivité universitaire française

2. La diversification de notre diplomatie scientifique et patrimoniale

V. pOUR UN NOUVEAU DÉCOUPAGE STRATÉGIQUE DE LA DIPLOMATIE D’INFLUENCE : les spécificités du continent européen ENTRE SOFT ET HARD POWER

A. l’union européenne apparaît comme un nouveL échelon de notre diplomatie culturelle et d’influence

B. le continent européen occupe une place déterminante dans notre dispositif d’influence

Travaux de la commission

I. Audition de Mme catherine coloNna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

II. présentation de l’avis devant la commission des affaires étrangères et examen des crédits

ANNEXE N° 1 : liste des personnes entendues  ou rencontrées par votre rapporteur pour avis


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   introduction

Le 14 décembre 2021, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de l’Europe et des affaires étrangères, présentait la feuille de route de l’influence de la diplomatie française ([1]). Ce document est venu donner à notre diplomatie d’influence des lignes directrices, en promouvant une approche transversale et décloisonnée que le rapporteur pour avis a appelé de ses vœux dès 2017. La feuille de route dépasse ainsi le champ du programme budgétaire 185, objet principal du présent avis budgétaire, pour proposer une approche programmatique et plus cohérente de l’action et de la présence françaises dans le monde.

Cette feuille de route projette notre diplomatie d’influence sur le long terme, après deux années marquées par la crise liée à la pandémie de Covid-19. Elle vient également s’inscrire dans un monde où l’influence se fait de plus en plus offensive et s’impose comme un aspect incontournable de la politique étrangère. En 2022, un lycée français homologué par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse est à la fois un élément du quotidien pour des Français expatriés, un vecteur d’influence et de promotion de la langue française, un outil indirect de diplomatie économique et un symbole. C’est aussi une composante d’un réseau en expansion, dont le développement impose de faire évoluer les méthodes et les outils employés.

De son élaboration à sa mise en œuvre, la diplomatie d’influence mobilise un grand nombre d’acteurs, qui doivent pouvoir regarder dans une même direction tout en conservant leurs expertises propres. Pour le rapporteur pour avis, qui avait été surpris en 2017 de constater la multiplicité des découpages régionaux du monde utilisés par ses interlocuteurs, la cohérence renforcée de notre action ainsi que la valorisation accrue de notre réseau culturel permettent une articulation entre vision globale et présence locale. Aujourd’hui, une ligne de partage gagnerait toutefois à être mieux prise en compte : celle qui sépare le continent européen du reste du monde. En effet, l’Europe apparaît à la fois comme un nouvel échelon pour la diplomatie culturelle et d’influence et comme un terrain d’action occupant une place particulière, qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de l’Europe continentale. Dans un contexte où la perspective européenne est devenue un marqueur géopolitique puissant, l’influence est appelée à jouer un rôle déterminant dans l’avenir du continent.

 

 

 

les points d’attention prioritaires du rapporteur pour avis

1°) Lutter contre les silos hérités dans l’organisation de notre diplomatie d’influence et de notre action dans le monde

Il y a cinq ans, le rapporteur pour avis avait alerté sur l’existence d’une spirale minant de l’intérieur le programme 185, indépendamment des difficultés liées aux financements publics qui abondaient les différentes lignes budgétaires et actions :

• Pas numéro un de la spirale : les actions menées pour faire vivre notre diplomatie d’influence s’ancrent dans des histoires très diverses, qui ont ouvert la voie à la formation de silos au cours des décennies de la Cinquième République. Du lycée français de Berlin - accessible gratuitement depuis quatre siècles - à l’alliance française du Cambodge, chacun avait son histoire, son canal de financement et sa stratégie de sauvegarde dans le dispositif.

• Pas numéro deux de la spirale : depuis l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, une grande partie des crédits du programme 185 ont été largement saupoudrés.

• Pas numéro trois de la spirale : la contradiction entre d’une part l’effort engagé par la LOLF il y a un peu plus de dix ans, pour créer des synergies et mettre les différentes actions en cohérence, et, d’autre part, une « tradition » de dispersion des financements et des décisions, qui suscite trois types d’effets :

- un manque de visibilité générale des actions, même les plus remarquables ;

- un éclatement du management des ressources, non seulement financières, mais aussi humaines ;

- certains résultats questionnables, des incohérences, une efficacité aléatoire de certains dispositifs.

• Pas numéro quatre de la spirale : les financements ainsi morcelés et difficiles à inscrire dans la cohérence nécessaire à la bonne mise en œuvre de la LOLF se trouvaient rabotés un à un d’une année sur l’autre.

Le rapporteur pour avis se réjouit de pouvoir constater que nous sommes sortis de cette spirale, jusqu’à la reprise historique de l’augmentation des crédits et des postes. Même si tout n’est pas encore parfait, nous sommes passés de cette spirale mortifère à une construction stratégique, logique, qui peut devenir vertueuse : des décisions stratégiques, en ligne avec notre diplomatie et nos priorités dans le monde, qui se trouvent déclinées en aval par les services et jusqu’aux opérateurs. Le rapporteur pour avis vous renvoie à titre d’exemple aux évolutions modèles notées dans ses précédents avis budgétaires : la construction de l’opérateur Expertise France ou les évolutions du centre national pour l’éducation à distance (CNED) et de France éducation internationale (FEI).

Le rapporteur pour avis se réjouit ainsi de cette évolution générale, qu’il constate de façon croissante sur le terrain. Elle demandera encore du temps pour être efficiente dans tous les domaines, mais sa pertinence semble aujourd’hui présente et reconnue tant dans les postes que dans l’administration centrale, et même chez la plupart des opérateurs. Depuis 2017, non seulement nous avons arrêté le rabot, mais les financements ont trouvé des formes dynamiques : fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), financements utiles à notre action extérieure coordonnés avec d’autres ministères ou échelons territoriaux en France, meilleure adéquation des profils et des compétences pour certains métiers qui, bien qu’exercés à l’étranger, n’en sont pas moins spécifiques, etc.

2°) La différenciation de nos actions culturelles et d’influence en fonction des différents pôles géographiques est devenue essentielle, voire critique.

Dans un monde multipolaire, les différences de stratégies dans chacun des domaines ne doivent plus être uniquement permises pour plus de souplesse : elles doivent structurer plus profondément nos actions.

Alors que nous affichons dans la feuille de route de l’influence des stratégies fort logiquement différenciées, les acteurs sur le terrain ou les opérateurs ne relayent pas systématiquement ces lignes stratégiques dans leur organisation interne. C’est non seulement un risque de sous-efficacité, mais également un risque pesant sur la pertinence de choix financiers.

Le rapporteur pour avis suggère a priori que trois régions du monde devraient plus profondément structurer le travail de la direction générale de la mondialisation (DGM) et de nos opérateurs :

- l’Union européenne, où notre diplomatie d’influence doit s’inscrire dans des objectifs d’intégration et de réciprocité. Ainsi, l’enseignement du polonais et du bulgare en France sont complémentaires du développement de l’enseignement français en Pologne et en Bulgarie ; cette réciprocité n’est pas vraie dans les Amériques ou au Moyen Orient, bien que notre réseau d’enseignement français à l’étranger doive aussi s’y développer, selon d’autres ressorts et stratégies.

- l’Afrique subsaharienne, où notre diplomatie d’influence doit s’inscrire dans des objectifs d’aide publique au développement, conformément à la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ainsi, la mise en place d’une coopération scientifique ou universitaire bilatérale avec le Niger est un sujet qui touche autant, sinon plus, nos objectifs de développements : cela n’est pas vrai d’une coopération scientifique avec l’Australie, bien que nous devions aussi coopérer avec le monde scientifique australien, selon d’autres ressorts et stratégies.

- L’indopacifique, où notre stratégie d’influence doit s’inscrire dans un objectif de maintien et de renforcement de notre présence, en particulier grâce aux territoires ultra-marins. Ainsi, former des professeurs de français et former des enseignants aux méthodes françaises à Madagascar, en Afrique de l’est ou en Australie, développer le réseau des alliances françaises dans ces régions, tout cela renforce notre présence voire notre légitimité et prend un caractère diplomatique qui peut être essentiel : cela n’est pas vrai de la création d’une nouvelle alliance française en Espagne ou en Bavière, bien que nous devions également développer notre réseau culturel au sein de l’Union européenne, selon d’autres ressorts et stratégies.


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I.   UN BUDGET dynamique accompagnant la mise en œuvre de la feuille de route de l’influence

A.   une stabilitÉ budgÉtaire qui vient confirmer une tendance au renforcement des moyens alloués à la diplomatie d’influence

Présentée en décembre 2021 par M. Jean-Yves Le Drian, la feuille de route de l’influence se présente comme un document programmatique déclinant les priorités du Président de la République en matière de rayonnement et d’attractivité et proposant un cadre d’action pour consolider et développer l’influence de la France dans le monde. Loin de se limiter aux actions du programme 185, elle promeut une vision large et décloisonnée de l’influence, à laquelle le rapporteur pour avis est attaché.

En 2022, la mise en œuvre de la feuille de route s’est traduite par un soutien budgétaire de près de 17,7 millions d’euros, portant sur des initiatives ciblées telles que le réengagement français au fonds de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH) (4,3 millions d’euros), le retour à un volume de crédits dédié aux bourses à 64 millions d’euros (+ 6 millions d’euros par rapport à 2021) ou encore la promotion des industries culturelles et créatives (ICC) et le développement de l’enseignement supérieur via l’établissement de campus « franco-X ».

Plusieurs projets structurants ont été mis en œuvre, tels que :

-         la promotion de la langue française et du développement de l’enseignement français à l'étranger dans le cadre du « plan pour la langue française et le plurilinguisme » ;

-         la promotion de l’influence culturelle et intellectuelle de la France à travers le soutien à l’export des industries culturelles et créatives via l’accompagnement de projets de promotion et de développement des industries culturelles et créatives dans le réseau (1,585 million d’euros) et aux projets de résidences d’artistes, notamment la  Villa Albertine (voir infra) ;

-         le renforcement de la politique d’attractivité universitaire et scientifique, en lien avec la stratégie « Bienvenue en France » présentée en 2018 ;

-         la transformation numérique du réseau en ciblant l’équipement des instituts français et des alliances françaises, la formation des agents et le développement de stratégies numériques à destination des publics.

-         le renforcement de l’attractivité économique et touristique de la France.

L’année 2023 doit marquer la poursuite et la montée en puissance des dispositifs d’intervention du ministère en centrale et dans le réseau culturel, avec la reconduite des moyens de 2022 auxquels s’ajoutent 2 millions d’euros supplémentaires pour la mise en œuvre de la feuille de route, qui seront consacrés au développement de projets d’influence dans la zone indo-pacifique, notamment en Australie et autour du développement des campus franco-X (Inde et Australie), au renforcement de l’attractivité française en matière d’expertise muséale et au soutien de nos ICC.

Au total, en 2023, le programme 185 bénéficiera d’une hausse de 11 millions d’euros par rapport à 2022, pour s’établir à 671,2 millions d’euros. Ce chiffre tient compte du transfert sortant (35,5 millions d’euros) de la compétence tourisme (subvention d’Atout France et une partie des crédits du Plan de reconquête et de la transformation du tourisme) au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Le PLF pour 2023 vient ainsi confirmer une tendance pluriannuelle de hausse des crédits alloués à la diplomatie culturelle, après une première revalorisation de 3 millions d’euros intervenue entre 2020 et 2021.

Cette hausse doit permettre de soutenir trois axes majeurs de notre diplomatie d’influence, via la mise en œuvre de la feuille de route mais aussi le déploiement de notre diplomatie économique et de notre politique d’attractivité. Les moyens supplémentaires permettront de financer des contributions additionnelles à plusieurs dispositifs et projets (exposition universelle d’Osaka, Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle, Choose France, etc). Enfin, l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) verra ses moyens augmenter.

Concernant les emplois, le plafond d’emplois du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) a pour rappel été établi en 2020 à 3 411 emplois temps plein, après la mise en œuvre entre 2018 et 2020 de la « réforme des réseaux de l’État à l’étranger », dans le cadre d’Action publique 2022 et qui prévoyait une suppression de 416 ETP sur 2018-2022. En 2021, on comptait ainsi dans le réseau culturel 1 645 agents sous plafond d’emplois du MEAE, auxquels s’ajoutaient 3 073 agents de droit local (ADL) recrutés par les établissements à autonomie financière (EAF) (hors plafond d’emplois ministériel).


évolution de la masse salariale et des effectifs réels du ministère sur le périmètre des programmes 105, 151 et 185 depuis 2012

Source : MEAE

Concernant les opérateurs, les moyens alloués suivront la répartition suivante :

-         l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) bénéficie d’une subvention de 446,9 millions d’euros ([2]), grâce à un renforcement de ses moyens à hauteur de 30 millions d’euros, dans le but de soutenir les établissements scolaires du réseau libanais (+  10 millions d’euros) et de financer la moitié des surcoûts liés à la réforme des statuts des personnels détachés dans le réseau (7 millions d’euros, voir infra) et l’impact de l’augmentation du point d’indice dans la fonction publique (13 millions d’euros),  à laquelle s’ajoutent 3,7 millions d’euros au titre des bourses « Excellence Major » et 0,5 million d’euros pour la subvention destinée au lycée franco-australien de Canberra ([3]) ;

-         la subvention de l’Institut français se maintient au niveau retrouvé en 2020, soit 28,3 millions d’euros ;

-         enfin, la subvention de Campus France s’élèvera à 3,47 millions d’euros, soit un montant stable par rapport en 2022, après une légère baisse de 300 000 euros par rapport à 2021 ([4]) .

Les subventions allouées à la Fondation des alliances françaises et aux alliances françaises locales seront également stables par rapport à 2022, avec un montant total de 7,2 millions d’euros.

Les ETPT des opérateurs seront ainsi répartis :

-         5 604 ETPT pour l’AEFE, stable par rapport à 2022 ;

-         143 ETPT pour l’Institut français, stable par rapport à 2022 ;

-         228 ETPT pour Campus France, stable par rapport à 2022.

B.   un réseau CULTUREL ET SCIENTIFIQUE qui demeure VIVANT

Comme le rapporteur pour avis le souligne régulièrement, le réseau culturel et scientifique français est un réseau dynamique et vivant, qui continue d’évoluer pour répondre aux besoins du terrain et s’adapter aux spécificités locales.

À l’été 2022, on comptait ainsi :

-         137 services de coopération et d’action culturelle (SCAC) et 6 services pour la science et la technologie (SST) au sein des ambassades ;

-         93 établissements à autonomie financière pluridisciplinaires (fonctionnant en mode fusionné avec les SCAC / dispositif unique sous l’appellation uniformisée d’Institut français / IF) et 133 antennes ;

-         3 EAF à compétences spécifiques ou non fusionnés au Brésil (Rio de Janeiro), en Iran et en Turquie (MICEL) ;

-         22 Instituts français de recherche à l’étranger (IFRE au statut d’EAF) et 5 centres de recherche intégrés aux IF suivants : Afrique du Sud, Maroc, Russie, Afghanistan et Inde ;

-         6 centres culturels franco-étrangers situés en Afrique subsaharienne et à Oman ;

-         832 alliances françaises (structures de droit local) implantées dans 128 pays et dont sont 424 conventionnées ou ont bénéficié d’un soutien du MEAE en 2021.

Dans l’ensemble, le réseau a relativement peu évolué entre 2021 et 2022 et a bien résisté à la crise sanitaire, malgré un impact fort sur les activités en 2020 et 2021, qui se résorbe progressivement. Les EAF ont ainsi retrouvé en 2022 un fonctionnement proche de la normale. En 2021, le taux d’autofinancement global a atteint 76 % et retrouvé ainsi son niveau de 2019, ce qui ne doit pas masquer des disparités régionales. Les recettes des EAF ont atteint, en 2021, 220 millions d’euros, en hausse de 14 % par rapport à 2020.

Aucune fermeture n’a eu lieu en 2022, en revanche, la création de l’Institut français d’Arménie a été actée par un arrêté du 17 janvier 2022 et de nouveaux locaux ont été inaugurés pour l’institut culturel franco-allemand de Ramallah. Les prévisions pour 2022 prévoient une forte progression des recettes de cours (+ 6 millions d’euros) et de parrainage (+ 4 millions d’euros), plus mesurée pour les droits d’examens et les recettes « Études en France » (+ 2 millions d’euros). Les EAF anticipent toutefois dans leurs budgets une diminution des dotations de l’État (- 4 millions d’euros).

Le dispositif de coopération en Géorgie : un exemple de déclinaison locale du réseau

Notre dispositif de coopération en Géorgie est composé d’un service de coopération et d’action culturelle / établissement à autonomie financière (SCAC-EAF) fusionné (Institut français de Géorgie, IFG), auquel s’ajoute un établissement d’enseignement conventionné à Tbilissi, l’École française du Caucase, entièrement homologué depuis septembre 2020, de la maternelle jusqu’à la terminale.

Les moyens accordés à la Géorgie sont stables en 2022 par rapport aux années précédentes : 249 146 euros sur le programme 185 et 9 800 euros sur le programme 209.

Les effectifs se composent de trois ETP sous plafond d’emploi ministériel : une COCAC-directrice de l’IFG et de deux chargées de mission, l’une affectée au SCAC pour la coopération technique et l’autre affectée à l’IFG pour la coopération universitaire. Un nouvel expert technique international (ETI) est actuellement en cours de recrutement.L’IF Géorgie compte treize ETP sous plafond d’emploi de l’EAF, soit quatorze agents de droit local. En outre, un ETI porté par Expertise France a été nommé auprès de l’Université franco-géorgienne (UFG) en septembre 2019 afin d’accompagner la création de l’université. Son contrat a pris fin en août 2022

Comme la plupart des EAF dans le monde, l’IF Géorgie est confronté à une reprise de l’inflation. Le MEAE a ainsi accordé une mesure coût-vie de 14,493 % aux agents de droit local de l’ambassade.

Source : MEAE, IFG

C.   une approche à la fois plus cohérente et plus souple de notre diplomatie d’influence

1.   Des améliorations transversales en matière de pilotage et de cohérence de notre action dans le monde

Parmi les problématiques transversales suivies par le rapporteur pour avis depuis 2017, on trouve deux points d’attention majeurs : le renforcement de la cohérence et du pilotage de la diplomatie culturelle et son corollaire le décloisonnement entre les acteurs concernés, qui pour rappel ne se situent pas tous dans le champ du programme 185.

Pour rappel, en 2016, le lancement de la réforme intitulée « MAEDI 21 », avait engagé le ministère dans une démarche de recentrage sur son rôle de pilote de l’action à l’international et d’élaboration des stratégies nécessaires à la projection de la France dans le monde. L’un des axes nécessaires à la réalisation de cette réforme a été le transfert aux opérateurs des compétences de mise en œuvre des projets qui concrétisent les politiques ministérielles. Dans ce contexte, un vade-mecum des relations entre les ambassadeurs et les opérateurs avait été élaboré en 2016.

Dans son rapport de février 2020 relatif à la tutelle stratégique des opérateurs du MEAE, la Cour des comptes a relevé des insuffisances en matière de tutelle en termes de qualité, de cohérence dans l’utilisation des outils ou encore de manque d’harmonisation des pratiques ([5]). Le nouveau vade-mecum des opérateurs ministériels, en cours de finalisation, vise ainsi, d’une part, à améliorer l’efficience de la tutelle administrative, financière et stratégique en administration centrale, et d’autre part à décloisonner les relations entre administration centrale, ambassades et opérateurs en renforçant la connaissance mutuelle et les interactions entre acteurs.

L’amélioration du pilotage a également nécessité une évolution des relations entre l’administration centrale et le réseau. Dans le sillage des conseils d’orientation stratégique ([6]), de nouveaux instruments sectoriels ont été déployés.

On peut citer les plans éducation, dont la réalisation a été demandée aux postes, sous l’égide des ambassadeurs, afin de répondre aux priorités présentées dans le plan pour la langue française et le plurilinguisme (20 mars 2018) et le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger (3 octobre 2019). Ces plans, que le rapporteur pour avis avait présentés en détails dans son rapport pour avis sur le programme 185 dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 ([7]), permettent aux postes de disposer d’une feuille de route sur quatre ans tout en favorisant le dialogue avec l’administration centrale. À ce jour, 132 plans éducation ont été transmis par les postes, qui couvrent au total 155 pays. En outre, les postes transmettent régulièrement à la direction de la diplomatie d’influence (DDI) des mises à jour de leur plan éducation et des bilans réguliers de leurs actions.

Le rapporteur pour avis suit également avec attention la montée en puissance des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), financés sur le programme 209 et permettant aux postes d’allouer sur deux ans des fonds (avec un plafond de 1 million d’euros) à des partenaires locaux, afin de mener sur le terrain des actions innovantes à impact rapide et à forte visibilité, au bénéfice des populations locales. Depuis 2017, 457 projets ont été financés dans 74 pays, dont 90 projets validés en 2022 et qui se termineront en 2023. Au total, depuis leur création, les FSPI ont mobilisé 217,2 millions d’euros dont 92,5 (soit 43 %) au bénéfice des 19 pays prioritaires de l’aide publique au développement (APD) française. L’enveloppe allouée aux FSPI pour 2023 sur le programme 209 s’élève à 77 millions d’euros ([8]), qui permettront de terminer les 90 projets ayant démarré en 2022 et de lancer un appel à projets pour en financer de nouveaux sur les thématiques identifiées comme prioritaires, allant de l’éducation à la société civile en passant par la santé et la recherche, et pour un nombre accru de pays éligibles (91 en 2022 contre 89 en 2021).

Sur ce sujet, des difficultés ont toutefois pu être signalées au rapporteur pour avis concernant la capacité des postes diplomatiques de taille réduite à gérer la mise en œuvre des FSPI, qui sont soumis à un contrôle particulièrement exigeant. La DDI a mis en place une série de mesures d’accompagnement (sessions de formation dédiées à la conception et à l’évaluation de projet, hausse de la part maximale des dépenses de recrutement de personnel local pour aider à la coordination du projet, etc.) et a accordé aux postes à présence diplomatique (dont les effectifs sont restreints) la possibilité de déposer des projets à hauteur de 70 000 euros. En outre, les FSPI peuvent être régionaux et permettre ainsi de dégager des ressources collectivement.

Concernant l’animation du réseau, le rapporteur pour avis est également revenu dans son précédent avis budgétaire sur l’amélioration constatée dans le renforcement des liens entre l’Institut français de Paris ([9]) et les instituts français constituant le réseau culturel mondial, qui s’est notamment manifesté durant la crise sanitaire et pour la mise en œuvre du plan de transformation numérique du réseau.

Cette évolution a trouvé une traduction dans l’organisation même de l’Institut français, dont le conseil d’administration a formellement adopté le 12 janvier 2022 la réforme interne. L’IF dispose désormais d’une direction de l’appui au réseau culturel, qui constitue une réelle plus-value dans l’appui apporté au réseau. Cette nouvelle direction, qui concentre des services et ressources auparavant très dispersées au sein de l’IF, assurera une lisibilité plus grande pour le réseau international et permettra à l’IF de renforcer son action menée aux côtés du MEAE en soutien aux postes.

En outre, depuis 2020, le nombre d’agents du réseau ayant bénéficié d’une formation de la part de l’Institut français est en forte augmentation, la tendance à l’augmentation s’étant confirmée en 2021 avec 984 agents du réseau formés. L’Institut français s’attache aussi à proposer au réseau culturel des offres de programmation innovantes, afin de soutenir la diffusion de nouvelles formes de création.

L’Institut français est aussi partie prenante d’une autre dynamique de renforcement de la cohérence de l’action de la France dans le monde qu’est le rapprochement entre acteurs. Le développement des « synergies entre toutes les parties prenantes de l’influence », que le rapporteur pour avis appelle de ses vœux depuis 2017, fait ainsi partie des objectifs fixés par la feuille de l’influence, dans le but de renforcer l’efficacité de l’action de la France et de constituer « l’équipe France de l’influence ».

Dès 2017, le président de la République a présenté le projet de rapprochement entre la Fondation des alliances françaises (FAF) et l’Institut français. Il s’est traduit par un rapprochement fonctionnel afin de favoriser les synergies et la mutualisation des ressources. La mission de soutien de l’Institut français de Paris au réseau culturel à l’étranger en matière de FLE (français langue étrangère), de démarche qualité et de diffusion culturelle a été élargie aux alliances françaises. L’IF Paris est également chargé de la professionnalisation du personnel des alliances, notamment pour l’adaptation à l’enseignement numérique, tandis que la FAF s’est recentrée sur ses missions historiques de gestion du label alliance française et d’animation du réseau mondial des alliances. Une convention tripartite entre le MEAE, la FAF et l’IF actant ce rapprochement fonctionnel a été signée en octobre 2019 et doit être renouvelée prochainement. 

En pratique, le dialogue entre les équipes de la fondation des alliances françaises et de l’Institut français a été renforcé et les dispositifs d’appui développés par l’Institut français pour le réseau culturel bénéficient de façon croissante aux alliances françaises (dispositif La Collection, Fonds langue française, cycle de formation au marketing numérique à destination des cadres du réseau culturel mis en place fin 2021 et qui a bénéficié pour moitié à des professionnels issus du réseau des alliances françaises).

Dans son précédent rapport, le rapporteur pour avis avait également souligné la pertinence de l’intégration d’Expertise France à l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre de la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ce rapprochement est venu compléter une dynamique de coordination déjà à l’œuvre sur le terrain et dont le rapporteur pour avis a pu à nouveau constater les effets lors de son déplacement en Géorgie, où est basée l’antenne régionale de l’AFD pour le Sud-Caucase. L’équipe d’Expertise France joue un rôle clef pour identifier des projets sur le terrain, dont l’expertise de l’AFD favorise ensuite la montée en puissance.

L’action du groupe AFD en Géorgie permet à la France de se positionner sur des projets d’envergure, principalement axés autour de la santé, de la protection sociale, de l’énergie et du développement agricole ([10]). Au total, le bureau de l’AFD pour le Sud-Caucase a engagé un milliard d’euros dans la région. Plus encore, c’est avant tout sur le terrain que les coopérations et synergies entre les bureaux de l’AFD et les SCAC prennent forme.

La coopération comme action transversale : l’exemple de la Géorgie

En Géorgie, la moitié du budget de coopération (programme 209) est dédiée à des actions en matière de santé et de protection de l’environnement, deux secteurs identifiés comme stratégiques par le poste.

L’immigration pour raisons de santé depuis la Géorgie vers la France reste soutenue et pose un problème de lutte contre les maladies infectieuses éradiquées en France, telles que la tuberculose. C’est pourquoi la formation et le développement de compétences en matière de santé sont promus par le SCAC, en complémentarité des projets de l’Agence française de développement décrits ci-dessous. L’accent a cette année été mis sur les psychopathologies, encore marquées par un stigma hérité de la période soviétique, freinant la prise en charge des patients.

La protection de l’environnement a été choisie comme secteur d’intervention prioritaire, en écho aux actions menées par le bureau de l’AFD en Géorgie, dont 90 % présentent une composante « Climat ». L’action du SCAC dans ce domaine se traduit par le financement de projets d’organisations de la société ciivle (OSC), l’organisation de ciné-débats et par la mise en place de coopérations de long terme (développement rural, agroforesterie, lutte contre les feux de forêts, adaptation au changement climatique…). C’est dans cette dynamique de partenariats durables que s’inscrit la visite d’étude de l’Agence géorgienne des forêts en France prévue pour octobre 2022 auprès de l’Office national des forêts français afin d’échanger sur la lutte biologique contre le chancre du châtaignier et la gestion durable des forêts.

Source : IFG

On peut également mentionner le rapprochement entre Unifrance et TVFI, opérateurs chargés respectivement de la promotion du cinéma et de la création audiovisuelle dans le monde, qui ont fait l’objet d’une fusion à l’été 2021, ou encore de l’intégration de Canal France international (CFI) en tant que filiale de France Médias Monde (FMM).

La feuille de route de l’influence invite à poursuivre la réflexion dans d’autres domaines tels que la mobilité internationale des étudiants, qui s’appuie à la fois sur Campus France pour la mobilité entrante et sur l’Agence Erasmus pour la mobilité sortante. D’après les informations transmises au rapporteur pour avis par le MEAE, les deux agences ont organisé conjointement un nombre croissant d’événements depuis 2019. Le développement de synergies entre les deux agences est un enjeu particulièrement important pour le MEAE et cet objectif a été inscrit dans le prochain contrat d’objectifs et de performance de Campus France. Un état des lieux partagé devra être établi avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESRI) et le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) afin d’établir les risques et les opportunités d’un rapprochement plus approfondi, en comparant notamment avec les modèles des partenaires européens tels que le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD) allemand.

2.   Une diversification des acteurs et outils de notre diplomatie d’influence

La modernisation de la diplomatie d’influence passe par une évolution des méthodes, qui implique aussi de mieux associer la société civile et de mieux accueillir l’innovation.

Si le MEAE dispose depuis les années 1970 de structures consacrées aux relations avec la société civile, l’actuelle délégation pour la société civile, l’engagement citoyen et la jeunesse, placée au sein de la direction générale de la mondialisation, se place comme point d’entrée des organisations de la société civile auprès du MEAE et comme responsable du suivi de l’action du ministère en faveur de l’engagement citoyen et de la jeunesse. En 2022, la délégation dispose d’une enveloppe de 535 000 euros issus du programme 185 pour le financement d’actions relevant d’échanges franco-allemands, l’essentiel du budget provenant du programme 209 (24,1 millions d’euros en 2022, mobilisés à 95 % par le volontariat (France Volontaires ([11]) et Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire - FONJEP).

Conformément aux annonces faites par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices en août 2022, la direction générale de la mondialisation (DGM) doit endosser le rôle de chef de file interministériel pour l’action internationale de l’État. Cela se traduira par la mobilisation d’acteurs divers et notamment par un renforcement du dialogue avec la société civile et les collectivités locales, dont l’expertise sera valorisée au sein de task forces qui seront pilotées par la DGM. Cela s’intègre dans un vaste chantier visant à renforcer la capacité du ministère à assurer le pilotage cohérent d'affaires globales dont la technicité ne cesse de croître.

Pour le rapporteur pour avis, qui est très attaché au renforcement de la dimension citoyenne de notre action extérieure ainsi qu’à l’attention apportée à la jeunesse, de nouvelles synergies pourraient également émerger entre des acteurs tels que l’Agence du service civique (groupement d’intérêt public), l’agence France Volontaires (qui doit devenir un groupement d’intérêt public au 1er janvier 2023) en charge du volontariat international ainsi que la délégation du MEAE susmentionnée et le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, en charge du service national universel, qui n’est pas à ce stade doté d’une branche internationale permettant de proposer des activités de solidarité internationale dans ce cadre, malgré une réflexion lancée en 2020.

Pour prolonger le renouvellement méthodologique, trois fonds de soutien à l'innovation doivent être créés en 2023 au sein du MEAE, dont un fonds dédié aux innovations dans le domaine de la diplomatie d'influence, afin que les propositions nouvelles des instituts français et services culturels et de coopération puissent bénéficier d'un appui pour leur amorçage ([12]).

 

II.   L’action et la coopération éducatives et linguistiques

Parmi les priorités stratégiques de la feuille de route de l’influence figure « la langue française au service du plurilinguisme, de l’éducation, de l’insertion professionnelle de la jeunesse », qui s’inscrit dans la continuité du plan pour la langue française et le plurilinguisme, présenté en 2018 par le Président de la République, autour de trois priorités.

1.   L’amélioration de la qualité de l’enseignement et la maîtrise de la langue française

La première priorité porte sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et la maîtrise de la langue française. Ainsi, en 2022, 12 nouveaux projets dans le domaine de la langue française ont été financés par des FSPI, dans le but notamment de répondre aux demandes des autorités éducatives locales souhaitant améliorer la qualité de l’enseignement du/en français. En 2021, le nombre de professeurs de français formés dans le cadre de la coopération éducative bilatérale s’est élevé à près de 53 000 (contre 37 500 en 2020), de même, les centres de langue des instituts français et des alliances françaises ont fait passer 591 710 certifications de français (contre 390 569 en 2020). 

Dans le domaine linguistique, plusieurs opérateurs et partenaires du MEAE sont mobilisés : l’AEFE (voir infra), mais aussi l’Institut français et le réseau des alliances françaises. Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire et ses conséquences financières (baisse de 25 % du nombre d’apprenants inscrits dans les alliances françaises et du chiffre d’affaires), l’année 2021 a vu une stabilisation de l’activité et plusieurs signes de reprise, concernant les certifications ou le volume des cours, qui se sont toutefois accompagnés de mesures de gestion difficiles (réduction de 3 % des effectifs, réduction des emprises immobilières). Le réseau des alliances reste dynamique, avec quatre nouvelles alliances créées en 2021 et cinq en 2022.

Pour ce qui est de l’Institut français, dont le deuxième axe stratégique du contrat d’objectifs et de performance pour 2020-2022 réaffirme la mission prioritaire en faveur de la promotion de la langue française et du soutien au centres de langue, la mobilisation des outils et expertises au service du réseau culturel opérée en réponse à la crise sanitaire, afin d’assurer la continuité des activités d'enseignement-apprentissage de la langue française, a permis d’atteindre les objectifs fixés à l’opérateur. Ainsi, en 2021, le nombre d’utilisateurs des plateformes numériques de l’Institut français a été de 117 863 (IF profs, culturethèque…). En outre, une action de promotion et de développement du français de spécialité a été également menée au travers du renforcement du partenariat entre l’Institut français et le français des affaires – CCI de Paris IdF- dans le cadre de la signature d’une convention de partenariat (dispositif « Clés du français pro », visant à accompagner le réseau culturel dans le développement du français professionnel).

Les médias : des enjeux stratégiques allant de la francophonie à la lutte contre la désinformation

Dans un contexte international marqué par une approche offensive de l’information, régulièrement décrite comme une « guerre », l’audiovisuel extérieur revêt des enjeux de plus en plus stratégiques, allant de la promotion de la francophonie et du plurilinguisme à la lutte contre la désinformation, en passant par le cœur de métier de nos médias qu’est la diffusion d’une information fiable et objective. La feuille de route de l’influence compte ainsi parmi ses priorités stratégiques « les médias pour une information internationale accessible, pluraliste et de qualité ».

Bien que France Médias Monde (qui regroupe France 24 et les radios RFI et MCD) et TV5 Monde ne soient pas financés par le MEAE mais par la redevance audiovisuelle – et à compter de 2023 par l’attribution d’une fraction du produit de la TVA –, le ministère est pleinement mobilisé par la dimension stratégique de notre audiovisuel extérieur, dans le plein respect de l’indépendance éditoriale. Signe de l’importance géostratégique de nos médias, FMM a fait l’objet de deux coupures cette année : au Mali en mars, suite à une décision arbitraire validée a posteriori par l’autorité de régulation, et en Russie en avril, en réaction à l’interdiction par l’Union européenne de Russia Today le 1er mars 2022 dans le cadre des sanctions prononcées pour condamner l’offensive menée en Ukraine depuis le 24 février 2022.

En outre, la création d’une nouvelle sous-direction « veille et stratégie » au sein de la direction de la communication et de la presse du MEAE vient souligner le caractère hautement stratégique du secteur des médias. En effet, ce service sera chargé de veiller et d’alerter nos autorités sur les dynamiques informationnelles relatives aux questions de politique étrangère, notamment sur les réseaux sociaux.

Le rapporteur pour avis suit également avec attention les activités de l’opérateur Canal France International (CFI), agence française de développement des médias financée sur le programme 209 et devenue une filiale de FMM.

L’actualité récente au Sahel et en Ukraine a mis en évidence l’urgence d’un renforcement des actions en matière de lutte contre la désinformation, rendant prioritaire pour notre diplomatie la montée en puissance des actions de CFI. Les projets confiés à CFI spécifiquement dédiés à cet objectif sont nombreux et bénéficient de financements issus de différentes sources publiques françaises telles que l’Agence française de développement ou les FSPI : projet Désinfox Afrique mis en œuvre dans plusieurs pays du continent (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, République Centrafricaine, Tchad, etc), ouverture par FMM et CFI au printemps d’un centre régional d’accueil des journalistes ukrainiens en exil à Bucarest, financé par le biais de l’outil FSPI et du centre de crise du ministère. Le projet bénéficie d’un ancrage au sein de la filiale de France Médias Monde en Roumanie, RFI Rômania. A terme, ce centre régional permettra à plus de 30 journalistes en provenance d’Ukraine et des pays limitrophes de poursuivre leur activité.

Source : DDI

Sur le terrain, la promotion et la diffusion de la langue française reposent sur l’action d’une série d’acteurs fonctionnant en réseau : SCAC et Institut français, alliances françaises, lycées français ainsi que sur différents partenaires locaux tels que les universités et écoles ou encore sur le relais de l’audiovisuel extérieur (voir encadré supra).

La diffusion du français en Géorgie : une diversité de relais dans un contexte complexe

La promotion de l’apprentissage et de l’enseignement du français ainsi que la promotion de la culture francophone ne sont pas évidentes en Géorgie, qui a connu plusieurs réformes de son système scolaire et où l’anglais et le russe sont les langues les plus prisées par les élèves et étudiants. L’apprentissage de la langue française fait toutefois l’objet d’un regain d’intérêt, favorisé par l’instauration d’une LV2 obligatoire en 2019. L’anglais reste la première langue étrangère enseignée (576 000 apprenants en 2019), suivi du russe (343 632 apprenants en 2019), de l’allemand (43 130 apprenants en 2019) et du français (14 248 apprenants en 2019 ; près de 15 000 en 2021). Toutefois, comme cela a été signalé au rapporteur pour avis lors de sa mission, l’offensive russe sur l’Ukraine, qui a suscité une importante vague de rejet à l’encontre de la Russie, est de nature à apporter un avantage relatif à l’apprentissage du français.

L’enseignement du français dans le paysage éducatif géorgien

Sur le plan scolaire

L’école française du Caucase, qui accueille cette année 432 enfants de la maternelle au lycée, est une référence en matière éducative dans le paysage scolaire géorgien et présente un haut potentiel de développement. L’établissement contribue au renforcement de l’image du réseau AEFE et à la diplomatie d’influence que souhaite développer la France en Géorgie. Depuis l’homologation de l’EFC par les autorités géorgiennes en 2021, les élèves inscrits sont pris en compte dans la base nationale des élèves, ce qui leur offre des équivalences entre les systèmes d'enseignement français et géorgien et le cas échéant, facilite au besoin leur retour dans le système géorgien.  En mars 2022, les enfants géorgiens représentaient 40  % des élèves scolarisés à l’Ecole du Caucase contre 30  % d’enfants provenant de pays tiers et 30  % d’enfants français.

Quatre autres écoles proposent un enseignement du français en LV1 : l’école franco-géorgienne Saint-Exupéry, premier établissement à recevoir le LabelFranceEducation, l’école Marie Brosset offrant un enseignement de la maternelle au primaire et proposant l’enseignement via le CNED du collège au lycée, l’école 23 de Tbilissi proposant le français en LV1 obligatoire dès la première classe du primaire et l’école franco-géorgienne Alexandre Dumas à Batoumi. Par ailleurs, dans le sillage de la réforme de 2019, presque toutes les écoles ont introduit le français comme LV2 à partir de la 5ème  classe. Ce regain d’intérêt ne se limite pas à la capitale. L’IFG bénéficie du soutien des régions (comme Koutaïssi, Batoumi, Zougdidi, Kakhétie, Lanchkhouti, Patardzéouli) dans le développement local de l’enseignement du français et y organise chaque année des évènements, notamment à l’occasion du mois de la francophonie, qui rencontre un franc succès.

La politique de promotion de l’apprentissage du français dans les écoles se traduit par des efforts continus pour intensifier les relations avec le ministère de l’éducation (élargissement récent du mémorandum de coopération avec le centre de formation des professeurs, aide à la préparation logistique et intellectuelle de la journée internationale des professeurs de français), mais aussi pour valoriser le métier d’enseignant de français.

Cela s’ajoute à l’implication directe du poste auprès des éditeurs et du ministère en vue du renouvellement progressif des manuels scolaires de français afin d’améliorer la dynamique d’apprentissage de notre langue. L’IFG a veillé à partir de 2019 à mettre à jour et renouveler ces ouvrages en coopération étroite avec le Ministère de l’Education géorgien (les manuels utilisés en Géorgie n’avaient pas été renouvelés depuis 1998).

         Le fonds Molière, un partenariat public-privé au service de la langue française

Face au constat de la diminution importante du nombre d’élèves apprenant le français en Géorgie tout au long de la décennie 2000, un fonds alimenté par des financements publics et privés français, géorgiens et suisses a été lancé par l’ambassade de France en 2012. Ce fonds assure le financement de cours de français dans des écoles primaires où son enseignement n’existait pas ou avait disparu. Le fonds a pour mission d’intervenir dans le primaire, en proposant aux écoles bénéficiaires de s’engager à assurer ensuite l’enseignement du français jusqu’au baccalauréat. À la rentrée 2021, le Fonds intervenait dans 16 écoles, permettant à 1 027 élèves de bénéficier d’une aide pendant l’année scolaire 2021-2022, à 28 enseignants de français de trouver un emploi à plein temps et à 10 enseignants d’effectuer un stage pédagogique en France. 75 % des élèves des écoles bénéficiant du fonds continuent le français en tant que LV2 au collège.

Une intensification de la communication sur l’utilité économique et les perspectives professionnelles liées à la langue française accompagne l’action du fonds Molière. A cet effet, les succès des entreprises françaises et francophones établies en Géorgie sont mis en valeur, de même que le positionnement de plusieurs pays de l’espace francophone (dont la France, mais aussi la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, le Canada notamment) comme grandes puissances économiques mondiales, phénomène encore trop peu connu en Géorgie.

Sur le plan universitaire

A l’heure actuelle, six établissements d’enseignement supérieur sont membres de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) : l’Université d’État Chota Roustavéli (Batoumi), Université d’État Akaki Tsérétéli (Koutaïssi), l’Université d’État de Tbilissi Ivane Javakhishvili, l’Université d’État Ilia, l’Université Grigol Robakidzé et l’Université de la Mer Noire. L’AUF soutient la radio étudiante francophone de Tbilissi et dirige un vaste réseau de campus numériques francophones (CNF) et de campus numériques francophones partenaires (CNFp) promouvant les technologies de l’information et de la communication pour l’éducation.

Le rayonnement de la langue française hors du système éducatif

Les cours et ateliers de l’IFG

L’Institut français de Géorgie propose traditionnellement des cours de langue française à un public varié (enfants, adolescents, adultes). Sur la période janvier-août 2022, 815 inscriptions ont été enregistrées et 379 élèves accueillis, chiffres en légère baisse par rapport à l’année précédente (1 309 inscriptions pour 530 élèves dans la période janvier-août 2021) en raison de l’inflation économique et de la pandémie de Covid-19. L’IFG a su s’adapter rapidement au contexte sanitaire dégradé : plus aucun cours n’a eu lieu en présentiel depuis mars 2020 et l’institut a développé une riche offre de cours en ligne, assurés par l’équipe pédagogique composée d’une vingtaine de professeurs.

Les cours ont progressivement repris en présentiel à partir de la mi-septembre 2022, dans les nouveaux locaux de l’IFG, qui a déménagé à l’été 2021. En plus des cours de français langue étrangère traditionnels, de nouveaux ateliers et activités vont être proposés, afin de diversifier l’offre de cours et dans le but de renouveler l’attrait de l’IFG auprès des apprenants mais aussi de conquérir un nouveau public. Ces nouvelles offres intégreront de nombreuses visites culturelles, des sorties et des activités ludiques qui ne pouvaient pas être proposés en période de pandémie ou dans les anciens locaux.

Médias et opérateurs

Sur le plan médiatique, Radio France Internationale, France 24 et TV5 Monde sont disponibles en Géorgie. Le Courrier international, Le Caucase (actualités en continu sur les régions et pays du Caucase, diffusé en français) et l’Agence France-Presse sont également présents en Géorgie.

Source : IFG

2.   Le développement du réseau d’établissements homologués et de l’enseignement bilingue francophone

La deuxième priorité du plan de 2018 porte sur la promotion de l’enseignement bilingue francophone via le développement du LabelFrancEducation ([13]). Si l’objectif quantitatif fixé par le président de la République de 500 établissements labellisés a été atteint en 2021, avec un an d’avance, l’ambition est désormais quantitative, dans le but d’améliorer la qualité de l’enseignement au sein du réseau de 587 filières et établissements labellisés et répartis dans 62 pays.

La troisième priorité porte sur le développement du réseau d’établissements homologués d’enseignement français à l’étranger. L’objectif fixé en 2019 de doublement du nombre d’élèves scolarisés dans le réseau à l’horizon 2030 a été réaffirmé par la feuille de route de l’influence. À la rentrée 2022, le réseau comptait ainsi 566 établissements (contre 495 en 2018) et scolarisait près de 386 551 élèves (376 895 en 2021).

La promulgation de la loi du 28 février 2022 visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et à créer les instituts régionaux de formation ([14]) a permis d’avancer dans la mise en œuvre du plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, en fournissant la base juridique requise pour la mise en œuvre de plusieurs axes :

Par ailleurs, des évolutions doivent être signalées concernant l’immobilier :

-         le nouveau dispositif d’octroi de garantie de l’État aux emprunts immobiliers des établissements conventionnés et partenaires visant à remplacer l’ancien dispositif porté par l’association nationale des écoles françaises de l’étranger (ANEFE) est désormais opérationnel ([16]) ;

-         concernant les établissements en gestion directe, conformément au contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2021-2023 de l’AEFE, un groupe de travail – dont les travaux n’ont pas encore abouti - a été mis en place pour étudier les possibilités de mobilisation des sources de financement interne au réseau des établissements, via la mutualisation des trésoreries notamment.

L’année 2022 a également été marquée par la réforme du statut des personnels détachés évoluant dans le réseau d’établissements homologués. Pour rappel, l’AEFE détache sur contrat, dans les 68 établissements en gestion directe et dans les 163 établissements conventionnés, près de 5 800 personnels titulaires sous statuts d’expatriés et de résidents. Suite à l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 15 mai 2020, l’Agence a travaillé à des nouveaux statuts pour ses personnels en abandonnant les statuts d’expatrié et de résident et en changeant notamment les modalités de recrutement des personnels résidents. En lien avec le MEAE, l’AEFE a proposé un nouveau dispositif dans le but de mettre fin à la pratique des résidents à recrutement différé, qui était permise par le décret n°2002-22 du 4 janvier 2002 modifié relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d’enseignement français à l’étranger.

Le décret n° 2022-896 du 16 juin 2022 modifie les modalités de recrutement, de rémunération et de gestion des personnels des établissements d’enseignement français à l’étranger. Le nouveau dispositif change la logique géographique qui présidait jusqu’à présent au recrutement des personnels détachés à l’étranger (expatriés recrutés hors du pays et résidents établis dans le pays d’affectation) au profit d’une approche fonctionnelle, par catégories d’emplois. Trois profils de détachés sont créés pour assurer dans le réseau les trois missions des personnels : les emplois d’encadrement, les emplois de formation des enseignants du réseau et les emplois d’enseignement, d’éducation et d’administration. Le décret liste expressément les métiers que recouvrent chaque emploi et les corps d’origine des agents susceptibles d’être recrutés.

Les modifications majeures concernent principalement le mode et les conditions de recrutement des personnels de la troisième catégorie : les personnels d’enseignement d’éducation et d’administration. Ces derniers peuvent désormais être recrutés hors du pays d’affectation. Ils bénéficient aussi de la prise en charge par l’AEFE du voyage pour se rendre sur leur lieu d’affectation pour eux-mêmes et leurs ayants droits, de l’indemnité de changement de résidence ainsi que du droit aux congés fixé dans chaque pays pour eux-mêmes et leurs ayants droits durant la durée du contrat qui les lie à l’AEFE.

Ce nouveau dispositif induit un coût budgétaire supplémentaire pour l’AEFE évalué à 0,5 million d’euros dès 2022, 15,5 millions d’euros en 2023, 30,2 millions d’euros en 2024 et 26 millions d’euros environ à partir de l’exercice 2025.

En matière de pilotage, le développement du réseau est appelé à s’appuyer sur plusieurs outils dont les plans éducation (voir supra) et sur le service de l’appui et du développement du réseau (SADR), qui a signé depuis sa création au sein de l’AEFE en 2019 des conventions d’accompagnement avec 71 établissements, au moyen de 482  prestations facturées ([17]) mises en œuvre par des experts de l’AEFE à Paris ou à l’étranger. Pour rappel, ces prestations visent à permettre une montée en compétence des établissements dans le cadre des critères de l’homologation, dont le respect est ensuite validé par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse dans le cadre des missions d’audit diligentées sur place et au cours de la commission interministérielle d’homologation.

Comme indiqué dans ses précédents avis budgétaires, le rapporteur pour avis demeure réservé sur la construction par l’administration centrale de l’AEFE de la direction du développement et de l’accompagnement du réseau. Cette direction, qui comporte en plus du SADR une sous-direction chargé de l’immobilier – alors même que l’immobilier n’est pas un prérequis systématique au développement –, une sous-direction en charge de l’aide à la scolarité et s’appuie sur différents secteurs géographiques, n’intègre pas les services chargés du Label France Éducation et du programme « français langue maternelle » (FLAM), pourtant consubstantiels de son point de vue au développement du réseau des établissements homologués. Pour le rapporteur pour avis, ce découpage mériterait d’être revu pour servir au mieux l’objectif présidentiel de développement du réseau.

Pour rappel, FLAM est un programme créé en 2001 avec pour objectif de permettre à des enfants français habitant à l’étranger de conserver un contact régulier et construit avec la langue et la culture françaises, dans le cadre d’activités extra-scolaires. Il peut également s’adresser à des familles d’autres nationalités dont les enfants ont une connaissance minimale de la langue française. On compte aujourd’hui 163 associations FLAM dans le monde, dont les plus gros « réseaux » se situent aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne. Le MEAE accorde chaque année un soutien financier au programme FLAM via une campagne de subventions, qui s’est élevée à 600 000 euros en 2022, en hausse par rapport aux années précédentes.

À ce sujet, le rapporteur pour avis déplore que le dispositif ne soit pas mieux intégré par l’administration centrale et par les postes dans les stratégies de promotion de la langue française, au-delà du soutien financier fourni. Il est éloquent à ce titre que le programme FLAM ne soit pas mentionné dans la feuille de route de l’influence. Des marges de progression existent en matière de communication entre les postes et les FLAM, notamment concernant l’attribution des subventions. Ces dernières sont par ailleurs soumises à des critères qui ne sont pas toujours bien compris des associations, et mériteraient d’être mieux explicités en amont.

III.   L’ACTION ET la COOPÉRATION CULTURELLEs ET ARTISTIQUEs

La promotion de l’influence culturelle et intellectuelle française constitue l’un des axes forts de la feuille de route de l’influence et se décline en plusieurs axes d’action.

1.   La montée en puissance de la stratégie de promotion des industries culturelles et créatives

L’année 2022 a été marquée par l’inscription des industries culturelles et créatives dans le plan de relance, avec la mise en œuvre d’une stratégie internationale offensive de soutien à l’export.

En 2022, une enveloppe spécifique de 1,585 million d’euros a été fléchée vers les actions de soutien aux ICC du réseau culturel, ce qui a permis de soutenir 102 projets. De nombreux projets ICC poursuivant des objectifs de structuration des écosystèmes locaux sont par ailleurs financés sur FSPI et portés par un certain nombre de postes du réseau. En outre, le MEAE soutient financièrement plusieurs organismes et institutions sectoriels (Unifrance, Bureau International de l’édition française BIEF, Centre national de la musique CNM, et Architectes Français à l’Export AFEX).

Pour rappel, le MEAE a confié une mission prioritaire ICC à 37 ambassadrices et ambassadeurs pour la période 2020-2022, tout en appelant à une forte implication de l’ensemble du réseau et des opérateurs au service des professionnels des ICC. Le ministère souhaite poursuivre et amplifier dès 2023 cette mission prioritaire en faveur des ICC, en appelant l’ensemble du réseau à soutenir le développement de nos ICC sur les marchés internationaux. La promotion des ICC et le développement des coopérations dans les différents domaines qu’elles englobent font partie des missions fondamentales des SCAC, qui s’attachent à tenir compte des spécificités locales dans l’élaboration leur action.

L’exemple de l’Institut français de Géorgie : une action culturelle multiforme au service du dialogue interculturel

L’Institut français de Géorgie affirme depuis plusieurs années sa priorité au soutien à l’audiovisuel, mode d’expression artistique privilégié par les jeunes générations.

Audiovisuel

L’IFG soutient les principaux festivals de cinéma en Géorgie, à Tbilissi et en région, et sur des types de production variés : documentaire avec Cinedoc-Tbilisi, jeune public avec le Taoba Youth Film Festival, animation avec le festival international TOFUZI ainsi que les festivals du film d’animation de Tbilissi et de Nikozi, et enfin, cinéma d’auteur avec le festival international du film de Tbilissi-Prométhée, celui de Svaneti et celui de Batoumi. La forme courte est aussi mise à l’honneur avec la participation et le soutien de l’IFG au festival du court-métrage de Koutaïssi ainsi que l’organisation chaque année en Géorgie de la fête du Court-métrage.

Cette présence dans la sphère audiovisuelle est complémentaire de l’action politique menée par l’ambassade, puisque des séquences de débat d’idées et des conférences accompagnent quasi-systématiquement les diffusions de films français. L’organisation d’une rétrospective Agnès Varda au festival international du Film de Tbilissi a par exemple été accompagnée d’une conférence sur les droits reproductifs et la santé sexuelle, réunissant des représentantes d’organisations de la société civile militant pour les droits des femmes.

L’action de l’IFG dans le domaine de l’audiovisuel s’est inscrite dans la durée avec l’institution de rendez-vous cinématographiques annuels et un soutien constant à l’organisation des festivals partenaires, passant tant par la traduction de films que par la proposition de personnalités prestigieuses en tant que membre des jurys.

La sphère audio-visuelle est aussi un moyen d’approfondir les relations de l’IFG avec ses partenaires européens et francophones. Ainsi, dans le cadre du mois de la francophonie en mars, l’IFG organise traditionnellement des journées du cinéma francophone auxquelles participent les ambassades de Suisse, du Canada et de Roumanie.  En juin, l’IFG co-organise avec l’Institut Goethe les journées du cinéma franco-allemand à Batoumi et à Koutaïssi.

Enfin, la fin des restrictions sanitaires permet à l’IFG de reprendre les projections régulières dans le cadre de son ciné-club français, proposant tous les premiers mercredis du mois un film français contemporain sous-titré en géorgien.

En dehors du cinéma, on peut notamment mentionner la photographie, qui fait l’objet d’une coopération naissante.

L’IFG soutient activement le festival international de la photographie de Tbilissi, premier de ce genre dans le Sud-Caucase et figurant parmi les évènements artistiques les plus importants de la région. Ce festival est organisé au musée de la photographie et du multimédia de Tbilissi (TPMM), unique lieu de ce type en Géorgie, qui a ouvert ses portes en 2018. Il a été créé par Mme Nestan Nijaradze, directrice francophone du TPMM, avec qui le rapporteur pour avis s’est entretenu en Géorgie, et M. Lionel Charrier rédacteur photo en chef à Libération, qui entretiennent des liens étroits avec l’équipe organisant les rencontres de la photographie d’Arles.

 

Bien que l’IFG mette l’accent sur son soutien à la production audiovisuelle, une programmation de qualité est assurée dans les autres domaines artistiques.

Littérature

En matière littéraire, l’accent est mis sur la promotion de la littérature et de la pensée francophone contemporaine, en dépit de moyens limités, qui ne permettent plus de prendre part directement à la venue d’écrivains : programme d’aide à la publication de l’IF Paris et présentation d’ouvrages français traduits en géorgien, soutien à la participation d’universitaires français aux débats d’idées, accueil à la médiathèque d’Alumni venant présenter les travaux réalisés par eux lors de leurs études en France.

L’IFG s’est associé aux événements organisés à l’occasion de la venue, sur invitation de partenaires extérieurs, de deux écrivains français en Géorgie cette année : M. Beigbeder et M. Coatalem, prix Goncourt de Géorgie. La coopération décentralisée entre les villes de Nantes et Tbilissi se concentre également sur les échanges littéraires (résidences croisées d’auteurs).

Musique

La programmation de l’IFG et sa politique de soutien à la création musicale sont volontairement variées, afin de toucher un public large. L’IFG est un partenaire régulier du festival de la musique et d’art de Batoumi, qui accueille des artistes français et valorise la pédagogie de Michel Sogny visant à promouvoir l’émergence des jeunes talents pianistiques issus de milieux défavorisés. Les musiques actuelles sont aussi mises en valeur avec le soutien de l’IFG au festival Tbilisi Open Air, qui se tient chaque année en juin. L’IFG soutient également la venue de groupe français très appréciés en Géorgie, tels que L’Impératrice ou Vendredi sur Mer.

Art contemporain et urbain

Traditionnellement, le Fest i Nova, festival d'art contemporain annuel organisé à la Villa Garikula, accueille chaque année au minimum un artiste français contemporain. Afin de promouvoir la création d'œuvres d'art urbain ou « street art » français, l’IFG soutient la venue d’un artiste français pour réaliser la peinture murale à l’occasion du festival « Niko – Street Art ». 

Protection du patrimoine

Enfin, l’IFG a fait de la valorisation du patrimoine urbain l’une de ses priorités, notamment dans le cadre du programme EU4Culture (voir infra).

Source : IFG

Conformément à la stratégie ICC et dans le cadre de sa nouvelle organisation interne (voir supra) incluant une direction dédiée à la création artistique et aux industries culturelles, l’Institut français a sensiblement renforcé sur la période récente son soutien aux ICC. L’IF a notamment pu mettre en œuvre cette année un appel à projets doté de 1,4 million d’euros en faveur du réseau culturel pour soutenir les ICC à l’international, en venant en appui aux 37 postes prioritaires : 116 projets de tous secteurs culturels ont pu être accompagnés dans le cadre de cet appel à projets, dont 95 portés par des Institut français, 17 par des SCAC, un par un centre binational et trois par des alliances françaises.

Comme rappelé de façon plus générale dans les deux points d’attention prioritaires présentés en exergue du rapport, le rapporteur pour avis se réjouit de ces exemples illustrant l’évolution récente de la stratégie de notre pays, qui fait peu à peu sortir notre action extérieure de ses silos historiques et qui tarit la source d’incohérences fréquentes sur le terrain.

2.   La valorisation de l’expertise et des savoir-faire français

La valorisation de l’expertise française se développe notamment dans le domaine muséal, qui constitue un exemple abouti de mise en œuvre de l’expertise culturelle française à l’étranger, comme en témoignent l’implantation de Centres Pompidou à Malaga, Shanghai et Bruxelles ou l’exemple emblématique du Louvre Abu Dhabi. Dans un contexte marqué par une concurrence internationale accrue sur ce marché de l’expertise culturelle, le MEAE ainsi que le ministère de la culture, avec les opérateurs concernés (Expertise France, AFD, Institut français, Business France, Atout France), ont mis en place un comité conjoint de l’expertise culturelle, qui s’est réuni quatre fois entre décembre 2019 et l’été 2022, afin de structurer le positionnement d’une offre française coordonnée pour les prochaines années. En 2023, de nouveaux moyens dédiés permettront de financer des missions d’expertise et des études de faisabilité pour des projets dans plusieurs pays, dont l’Australie, l’Inde et la Bulgarie. Ces moyens supplémentaires permettront également d’accompagner les postes dans la captation des offres, l’accompagnement politique et la concrétisation d’accords en matière d’expertise culturelle. Il s’agit d’un exemple illustrant la dynamique de renforcement de la cohérence de notre diplomatie d’influence actuellement à l’œuvre et explicitée par le rapporteur pour avis en préambule.

Il faut également mentionner la diplomatie des idées, soit la promotion des idées et du savoir et le rayonnement de la scène intellectuelle française, permis par l’action menée au sein du réseau culturel et au niveau de l’Institut français de Paris qui déploie de nombreux dispositifs (organisation de colloques, de débats d’idées ou d’événements phares comme la nuit des idées).

En 2022, la Nuit des Idées a mis les sujets européens à l’honneur dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. En 2023, elle sera déclinée dans de nouvelles modalités, avec un calendrier plus souple et une programmation renforcée dans dix postes prioritaires. Dans le secteur du livre, la promotion des auteurs et des éditeurs ainsi que le soutien à la traduction permettent aussi la diffusion de la pensée française à l’étranger. Le réseau des SCAC organise par exemple des tournées littéraires nationales d’auteurs français, favorisant les rencontres entre écrivains français et étrangers et les lecteurs.

3.   Le soutien aux artistes et à la création

Enfin, la France poursuit son action en faveur des artistes, notamment sous la forme des résidences d’artistes, qui constituent des dispositifs de mobilité très précieux pour la projection internationale des artistes et le dialogue culturel.

La Villa Albertine : une résidence d’artistes contribuant à la réinvention de notre action d’influence aux États-Unis

La France a inauguré à l’automne 2021 la Villa Albertine, une institution ayant vocation à aider les artistes français aux États-Unis et à promouvoir la culture française tout en ayant une approche novatrice. En effet, la villa n’est pas située dans une seule ville mais déclinée dans dix grandes villes américaines : New York, Washington, Boston, Miami, Atlanta, La Nouvelle Orléans, Chicago, Houston, Los Angeles et San Francisco.

Cette approche permet aux artistes de choisir un lieu marquant un intérêt particulier pour leurs projets, tout en offrant la possibilité d’effectuer une itinérance entre les différents foyers de création d’outre-Atlantique.

La Villa Albertine accueille environ 60 artistes par an, sur des périodes d’un à trois mois, et dans tous les domaines artistiques : architecture, arts plastiques, bande dessinée, cinéma, danse, design, histoire de l’art, jeu vidéo, littérature, musées, musique, photographie, podcast, réalité virtuelle et théâtre. Par exemple, l’écrivaine et journaliste Leïla Slimani fait partie des lauréats 2023.

Depuis la création de la Villa Albertine, le poste diplomatique a levé plus de 2,5 millions d’euros auprès de mécènes et a obtenu des financements publics dédiés : soutien du MEAE de 500 000 euros en 2020 et du ministère de la culture à hauteur de de 150 000 euros en 2022. Le budget 2022 de la Villa s’élève à 1,9 million d’euros.

L’estimation présentée par le poste conduit à évaluer à 1,5 million d’euros le besoin budgétaire annuel pour garantir l’équilibre du dispositif « Villa Albertine ». D’après le poste, ce besoin devrait être réparti de la manière suivante : 0,5 million d’euros apportés par le MEAE, 0,5 million d’euros par le ministère de la culture et 0,5 million d’euros via le mécénat.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route influence le MEAE a pu, en 2022, apporter un soutien exceptionnel de 1 million d’euros en faveur du programme de résidences de la Villa Albertine. Dans le cadre du PLF 2023, un soutien de 500 000 euros du ministère est prévu à ce stade.

Source : MEAE

IV.   L’Action et la coopération universitaires et scientifiques

L’enseignement supérieur et la recherche scientifique occupent une place centrale dans notre diplomatie culturelle, relayée par la feuille de route de l’influence, dont l’une des six priorités stratégiques concerne « l’enseignement supérieur, la recherche et un réseau scientifique au service des biens publics mondiaux ».

1.   Le renforcement de l’attractivité universitaire française

La feuille de route réaffirme la stratégie « Bienvenue en France », présentée en 2018 et fixant une série d’objectifs, dont l’accueil de 500 000 étudiants étrangers en 2027. Elle prend également acte du recul de la France dans les classements internationaux évaluant l’attractivité universitaire. Selon le classement de l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), la France est passée de la 5ème à la 6ème place des pays d’accueil en 2018, puis à la 7ème place en 2019 (sur la base des dernières données disponibles publiées en septembre 2021), ayant été devancée par la Russie, puis par le Canada ([18]). Plusieurs causes ont été identifiées pour expliquer ce recul : dynamisme et nombre accru de concurrents (Emirats Arabes Unis, Allemagne, Canada, Australie ou encore Turquie) ; problématiques d’accueil notamment autour du logement et des visas ; complexité et lisibilité de l’offre d’enseignement supérieur français ; barrière linguistique (l’enseignement en anglais restant une faiblesse en France par rapport à nos concurrents) ou encore la faiblesse des moyens consacrés à l’attractivité et au marketing.

Néanmoins, ces données sont antérieures à la pandémie de Covid-19, qui s’est traduite par une rupture inédite dans la croissance des mobilités. Les effets de cette crise se combineront aux deux autres chocs majeurs relatifs à la mobilité étudiante mondiale : le Brexit, d’une part (provoquant une hausse des frais d’inscription pour les étudiants communautaires), et la baisse attendue de la mobilité depuis la Chine, premier pays d’origine, dans un contexte de cloisonnement prolongé du pays, d’autre part. Enfin, la guerre en Ukraine a pour l’instant un impact difficile à évaluer, mais elle représente un autre facteur d’évolution rapide sur le continent européen, avec un impact sur la place de la Russie, mais aussi sur les flux d’étudiants du continent africain, présents en nombre sur le territoire ukrainien avant la guerre.

La mise en œuvre progressive de la stratégie Bienvenue en France a permis d’aborder les points définis comme problématiques pour l’attractivité de l’enseignement supérieur français.

Point d’étape sur la mise en œuvre de Bienvenue en France

La stratégie Bienvenue en France lancée par le Premier ministre en 2018 se fonde sur le constat que les étudiants internationaux rencontrent fréquemment des difficultés d'intégration, liées souvent à des difficultés de communication, à une culture académique différente de celle de leur pays d'origine ou encore à un choc culturel important. Il est donc apparu nécessaire de mettre en place ou de renforcer des pratiques facilitant l'intégration de ces étudiants. Les modalités d'accueil et d'intégration sont souvent des facteurs de l'attractivité d'un pays en termes de choix de mobilité pour un étudiant étranger, notamment avec un accompagnement des étudiants étrangers dans les procédures administratives, le développement de l'offre de formations en langue étrangère ou encore la mise en place des interactions entre étudiants locaux et étudiants internationaux.

Un fonds d’amorçage de 10 millions d’euros a été mis en place, avec 5 millions d’euros à destination des établissements pour renforcer les bureaux d’accueil des étudiants étrangers et 5 millions d’euros sur appel à projets selon 3 axes : le parrainage par les pairs, les cours de français langue étrangère ainsi que l'offre en langue étrangère et l'accueil multilingue.

Selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, près de 82 694 étudiants étrangers ont été touchés et 108 établissements ont bénéficié des AAP du fonds d’amorçage. En outre, 89,65 % des universités ont indiqué avoir recruté dans ce cadre. Le bilan de l’action de ce fond d’amorçage sur la période 2019-2022 s’articule autour de cinq types d’actions :  évènements d’intégration, traduction du site et guide d’accueil, formations en français langue étrangère (FLE) et français sur objectifs universitaires (FOU), kits de bienvenue et formation du personnel.

Emanation et bras opérationnel de la Stratégie Bienvenue en France, le comité de pilotage (COPIL) Bienvenue en France se réunit tous les quinze jours et comprend le MESR, le MEAE, ministère de l’Intérieur, Campus France, le cnous, la cnam et les conférences d’établissements.

Tout au long de la pandémie, le COPIL a été le principal lieu opérationnel de coordination pour la gestion de la situation des étudiants étrangers, avec des résultats tangibles :

- la mise en œuvre du maintien des frontières ouvertes pour les étudiants étrangers (actée par le décret d’août 2020) ;

- la reconnaissance de l’existence d’un motif impérieux de rejoindre le territoire français dans le cadre d’études longues pour les étudiants en long séjour en provenance des pays classés rouges ;

- la vaccination gratuite (août 2021).

Lancé en 2018 dans le cadre de la stratégie Bienvenue en France, le label Bienvenue en France certifie la qualité de l’accueil des étudiants internationaux au sein des établissements et assure une bonne visibilité à la France. Il évalue cinq champs : la qualité et l’accessibilité de l’information, la qualité et l’accessibilité des dispositifs d’accueil, laccompagnement des enseignements, la vie du campus et le suivi post diplômant. A ce jour, 138 établissements d’enseignement supérieur ont été labellisés sur 189 engagés dans la démarche. Une réflexion a été lancée à l’été 2022 concernant le développement du label.

Source : Campus France


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À l’occasion des journées du réseau le 21 juillet 2022, le renforcement de la stratégie Bienvenue en France a été confirmé par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, comme étant un objectif commun au MEAE et au MESRI, avec en point d’orgue la création d’une journée des Alumni en 2023.

Concernant le volet accueil, en 2021 et 2022, ce sont environ 6 000 étudiants boursiers qui ont été ou seront logés par Campus France, dont un peu moins de la moitié dans le quota accordé par le Crous soit 2 693 chambres Crous en 2022 (à comparer à 2 526 en 2021). Sur les 175 000 logements gérés par les Crous, 40 000 à 45 000 logements sont attribués à des étudiants internationaux, soit environ 25 % du parc. Pour pallier la pénurie de logements en Ile de France et accueillir les boursiers du Gouvernement Français, Campus France a recours à un parc de logements conventionnés auprès de la cité universitaire internationale de Paris (CIUP) et à ses deux résidences localisées dans la capitale. Campus France est également en négociation sur un projet immobilier avec le Crous de Paris pour assurer la gestion sur 25 ans d’une résidence étudiantes de prestige dans le centre de Paris (25 logements), après sa rénovation. 

Dans le contexte économique actuel, marqué par de fortes tensions inflationnistes, les partenaires de Campus France ont signalé des difficultés accrues en cette rentrée universitaire. La Fédération des associations générales étudiantes (fage) estime ainsi l’augmentation des dépenses étudiantes mensuelles à 7,38 %, ce qui porte la dépense mensuelle moyenne par étudiant à 2 527 euros, une hausse historique sur vingt ans. L’opérateur Campus France finalise actuellement une étude sur l’impact économique des étudiants étrangers en France. L’impact de la crise économique et de l’inflation sera un point d’attention dans l’analyse des conclusions de l’étude sur l’équilibre économique des étudiants et notamment sur les montants des bourses accordées.

Concernant les bourses, le rapporteur pour avis attirait déjà l’attention dans son précédent avis budgétaire sur le problème récurrent de la sous-utilisation des crédits alloués en loi de finances initiale, qui a atteint en 2020 32 millions d’euros pour 77 millions d’euros votés dans la LFI. D’après les informations transmises au rapporteur pour avis par Campus France, la situation tend toutefois à s’améliorer. Sur l’année 2022, l’écart total entre les fonds prévus dans la LFI et le budget initial est de 16 022 993 euros. Au regard des fonds reversés début septembre 2022 et au retard de programmation sur les missions et invitations, l’écart pourrait être de l’ordre de 20 millions d’euros (entre 3 et 5 millions d’euros de programmation à risque sur la fin de l’année). Pour le rapporteur pour avis, la mise en œuvre d’un outil simple de suivi et de contrôle partagé et en temps réel permettrait de mettre un terme à ce problème récurrent et dommageable.

Si l’enveloppe consacrée aux bourses a pu être stabilisée depuis 2018, les conséquences de la crise sanitaire ont toutefois conduit à une diminution des crédits en 2021. Malgré ce contexte, la consommation des crédits a augmenté en 2020 et 2021. Afin de conserver cette gestion dynamique en 2022 et d’atteindre l’engagement présidentiel en matière d’attractivité étudiante de la France (doublement des bourses du gouvernement français octroyées par le MEAE d’ici 2027) l’enveloppe dédiée aux bourses a retrouvé son niveau d’avant-crise de 64 millions d’euros, maintenu dans le PLF pour 2023.

L’attractivité de l’enseignement supérieur français : l’exemple de la Géorgie

 

En 2019, la France était la 8ème destination des étudiants géorgiens et attirait 3 % de ceux qui partaient en mobilité, derrière l’Allemagne, l’Ukraine, l’Arménie, la Russie et la Turquie.

En 2021-2022, 807 étudiants géorgiens étudiaient dans les établissements français, soit une évolution de + 10 % en 1 an et de + 28 % en 5 ans. Ces étudiants s’inscrivent majoritairement à l’université (77 %, 2/3 sont en licence, 31 % en master et 3 % en doctorat). Ils étudient les lettres, langues et sciences humaines et sociales à 41 %, le droit et les sciences politiques à 22 % et l’économie à 20 %.

Le réseau Alumni France-Géorgie compte aujourd’hui près de 700 membres, mobilisés lors d’évènements variés : webinaire « Rencontres professionnelles », promotion des Erasmus Days, conférences diverses organisées par l’IFG ou interviews afin de promouvoir les études en France.

En 2021, la délivrance des visas pour études avait quasiment retrouvé son niveau d’avant pandémie : 204 visas délivrés contre 236 en 2018. A noter que depuis le mois d’octobre 2021, les étudiants géorgiens désireux d’effectuer leurs études en France doivent s’inscrire sur la plateforme Études en France. Déjà mise en place dans de nombreux pays, cette interface créée par Campus France a été paramétrée par le poste pour convenir au public géorgien. Cette plateforme, dont l’accès est payant, permet de centraliser les candidatures au sein des universités françaises et les démarches pour le visa étudiant tout en augmentant la visibilité des études en France. Depuis l’ouverture de la plateforme, l’Institut français de Géorgie a réalisé 26 900 laris géorgiens de recette (soit approximativement 9 500 euros) grâce aux 134 étudiants s’étant acquittés de frais de dossiers pour un montant de 200 laris géorgiens (soit approximativement 70 euros par dossier).

L’espace Campus France de Tbilissi assure les missions d’information et d’orientation auprès des étudiants géorgiens. Il participe à une dizaine de salons étudiants pendant l’année et organise son propre salon « Choose France » avec le soutien de l’agence Campus France. L’édition 2021, qui s’est tenue en ligne, a compté la participation de 34 établissements français et 224 étudiants géorgiens. Par ailleurs, une large campagne de communication dans le métro et sur les arrêts de bus est réalisée chaque année à Tbilissi pour promouvoir les études en France.

La promotion de l’enseignement supérieur français se fait aussi dans un cadre européen. Mis en œuvre par un consortium européen et piloté par Campus France, le projet Study in Europe vise à augmenter la visibilité de l’Europe comme destination d’études auprès des étudiants des pays non-européens. La phase actuelle du projet (2020-2023) a permis l’organisation d’un salon étudiant en Géorgie le 30 septembre 2022, incluant sept établissements français. L’événement a été suivi d’un salon en Azerbaïdjan, organisé par Campus France le 2 octobre 2022.

Le budget global annuel dédié aux bourses en 2022 s’élève à 106 583 euros et finance au total 23 boursiers. Chaque année, les programmes de bourses du gouvernement français permettent de soutenir une vingtaine de boursiers. Le programme phare est le programme de bourses de master cofinancé par le gouvernement géorgien (programme administré par le GIEC - Georgian International Education Center). Chaque année 15 étudiants géorgiens bénéficient d’une bourse de master attribuée sur critères d’excellence académique. Le poste mobilise pour ce programme la quasi-totalité de son enveloppe de bourses (près de 99 000 euros), une somme équivalente étant apportée par le GIEC.

En plus de ce programme de master, chaque année l’ambassade de France apporte également son soutien aux filières francophones de l’enseignement du secondaire et du supérieur et finance une à trois bourses de stages pédagogiques de courte durée (SPCD) en France, destinées à des professeurs de français géorgiens.

Depuis 2020, trois bourses de mobilité doctorale sont attribuées par l’Université franco-géorgienne (voir infra) dans la continuité de ses formations de master, afin d’établir des pistes durables de cotutelles de thèse. 

Depuis 2021, deux séjours de recherche d’un mois en France sont proposés grâce à un programme post-doctoral cofinancé entre l’Institut français de Géorgie et la Fondation pour la science Shota Roustaveli. Ce programme, en plus de densifier les collaborations scientifiques, vise à encourager le développement de partenariats sur le long terme dans des secteurs stratégiques pour la Géorgie et la France. La mise en place de ce programme a permis de révéler un vivier important de chercheurs géorgiens demandeurs de coopération avec des partenaires français.

Le poste observe aussi depuis l’année 2021 une augmentation du nombre global de boursiers grâce à l’inauguration du programme de bourses Excellence Major, faisant suite à l’homologation de l’école française du Caucase. Réservé à des étudiants étrangers inscrits dans les établissements de l’AEFE, ce programme permet de soutenir des bacheliers ayant obtenu une mention « très bien » et souhaitant poursuivre leurs études en France.

Source : IFG

Dans le cadre de la feuille de route de l’influence, de nouvelles actions sont entreprises pour répondre aux objectifs fixés :

-         maintien des objectifs en matière d’accueil d’étudiants internationaux. En 2021-2022 ils étaient pour la première fois plus de 390 000 (contre 325 000 en 2017, selon la comptabilisation du MESRI qui diffère de celle de l’UNESCO), avec une reprise particulièrement marquée en Asie et en Amérique, continents fortement touchés par la crise sanitaire ;

-         diversification de la projection à l’international. Après un focus centré sur l’Afrique, qui reste une priorité (avec le plein déploiement du campus franco-sénégalais et la mise en place de mobilités croisées notamment avec l’Afrique du Sud et le Cameroun), de nouveaux projets de campus franco-X sont soutenus dans la région indo-pacifique : en Inde, où un projet sera lancé début 2023 sur les sciences pour la santé, et en Australie, où un projet doit être lancé prochainement sur les enjeux de transition énergétique.

2.   La diversification de notre diplomatie scientifique et patrimoniale

Sur le volet diplomatie scientifique, il faut rappeler le rôle, en plus du réseau de 27 unités mixtes de recherche implantées dans 34 pays et placées sous la double tutelle du MEAE et du CRNS ([19]), le réseau des opérateurs scientifiques, qui participent pleinement de notre action d’influence, dans un contexte où la pandémie de Covid‑19 a renforcé l’attention apportée aux collaborations scientifiques dans le domaine de la santé.

Le MEAE assure ainsi avec le MESRI la cotutelle de l’Institut de recherche pour le développement (IRD : 38 représentations dans le monde) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), qui dispose de 13 directions générales lui permettant de déployer des coopérations dans plus de 100 pays. Le MEAE a également signé un protocole d’accord relatif à la contribution du réseau international des Instituts Pasteur (33 instituts dans 25 pays) ([20]) à l’attractivité et au rayonnement de la France, et participe en outre à la gouvernance, ainsi qu’au renforcement des implantations de l’agence française de recherche sur les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) à l’étranger.

Ainsi, les thématiques prioritaires de notre diplomatie d’influence dans le champ scientifique trouvent une déclinaison opérationnelle à ces différents niveaux. Elles trouvent un écho dans les orientations inscrites dans le nouveau contrat d’objectifs et de performance de l’IRD adopté avant l’été, tandis que la dernière sélection de boursiers du programme Make our planet great again (MOPGA), qui comprend ¼ de jeunes chercheurs dans le champ des sciences de l’océan, a permis de rejoindre les priorités fixées par le Président de la République lors du One Ocean Summit qui s’est tenu en février dernier.

Sur le volet patrimoine, enfin, l’année a été marquée par la deuxième conférence des donateurs de l’Alliance pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH), fondation de droit suisse créée en 2017 sur une initiative franco-émirienne et qui constitue désormais un acteur central de la protection du patrimoine dans les zones en conflit et post-conflit. Organisée au Louvre le 31 janvier 2022, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, elle a permis de lever 90 millions de dollars de promesses de dons. De nouveaux pays comme l’Allemagne y ont signifié leur intention de rejoindre l’ALIPH. La France, pour sa part, s’est engagée à abonder ALIPH à hauteur de 30 millions de dollars, tout comme l’Arabie Saoudite. Surtout, ALIPH compte désormais la Commission Européenne parmi ses soutiens financiers. Attestant de sa capacité d’action rapide et réactive, régulièrement soulignée par le rapporteur pour avis, l’ALIPH a ainsi d’ores et déjà lancé, en réaction à l’offensive russe initiée le 24 février 2022, un plan d’action pour la protection du patrimoine en Ukraine, doté de 2,8 millions d’euros.

 

Une montée en puissance de la coopération universitaire franco-géorgienne

 

Depuis 2005 et l’intégration de la Géorgie au processus de Bologne, le gouvernement géorgien s’efforce de réorganiser le système d’enseignement supérieur afin de le rapprocher des standards européens. Ces réformes s’accompagnent d’une volonté affichée des grandes universités géorgiennes de gagner leur place au sein du réseau universitaire international, qui se traduit notamment par une recherche constante de nouveaux partenaires étrangers et d’opportunité pour développer des doubles diplômes.

 L’université franco-géorgienne (UFG) : un projet structurant de la coopération universitaire et scientifique franco-géorgienne

Créée par un accord intergouvernemental en 2018, l’UFG s’organise autour d’un consortium d’établissements géorgiens (université d’État de Tbilissi et Université technique de Géorgie) et français (Lyon 2, Rennes 1, Institut Agro Montpellier, Université d'Évry - membre de l’université Paris-Saclay). Elle propose des formations délocalisées de doubles-diplômes dans des secteurs stratégiques pour le développement de la Géorgie : master en tourisme et patrimoine culturel (lancé en 2020), licence professionnelle en technologies agro-alimentaires (2020), master en viticulture et œnologie (2022), licence en sciences informatiques (2022). D’autres projets de formation sont en cours de discussion en médecine vétérinaire, économie et microbiologie avec la perspective d’associer de nouveaux établissements au consortium (université catholique de Lille et école nationale vétérinaire de Nantes).

Depuis son ouverture, 61 étudiants se sont inscrits à l’UFG, 25 en sont diplômés (11 de la licence professionnelle technologies agro-alimentaires en 2021 et 13 du master tourisme en 2022). Parmi les étudiants diplômés de la licence professionnelle en technologies agro-alimentaires, près de la moitié poursuit son parcours dans le secteur agro-alimentaire en master ou bien en étant inséré directement dans le monde du travail.

L’UFG, afin d’assurer sa pérennisation, doit parvenir à relever plusieurs défis. D’abord celui de la soutenabilité financière, afin de renforcer un montage financier aujourd’hui fragile : prise en charge par le MEAE du poste de directeur, soutien du Ministère de l’éducation géorgien et des universités géorgiennes hébergeant l’UFG pour la rémunération des professeurs français enseignant en Géorgie et la prise en charge des frais d’inscription à l’université française selon les doubles diplômes, mécénat privé grâce à la fondation Cartu (créée en 1995 par Bidzina Ivanichvili, homme d’affaires et politique géorgien ayant occupé la fonction de Premier ministre entre 2012 et 2013), soutien aux mobilités étudiantes et enseignantes via le programme Erasmus + .

L’UFG cherche également à renforcer les instances de décision et l’institutionnalisation de l’établissement, afin d’apporter transparence, communication et vision stratégique à la structure et de permettre une meilleure coordination entre les universités membres du consortium, dans la perspective de lancer de nouveaux doubles-diplômes et d’inclure de nouveaux partenaires. Enfin, l’attractivité des formations doit encore se confirmer. Si certaines formations comme la licence professionnelle en technologies agro-alimentaires ne peinent pas à recruter (le double diplôme est une spécialisation insérée dans un cursus de licence déjà existant), d’autres filières comme le master en tourisme et patrimoine culturel semblent moins attractives et nécessitent d’accentuer les efforts de communication.

 

En 2022, en dehors de l’UFG, on comptait quatre autres doubles diplômes : deux proposés par l’université du Caucase (un master de management en coopération avec Grenoble école de management et une licence de commerce en coopération avec Rennes school of business) et deux autres proposés par l’école française de management Uniman et l’université médicale d’État de Tbilissi (Bachelor management et gestion des organisations sanitaires et sociales en français et un MBA management stratégique et gestion hospitalière).

Alors que 2021 marquait l’anniversaire des vingt-six ans de coopération entre la France et la Géorgie, à travers le programme Erasmus et l’ancien programme Tempus, il existe aujourd’hui dans le cadre de ce programme 47 projets de coopération en cours entre les établissements d’enseignement supérieur français et les établissements géorgiens. Le poste compte saisir les nouvelles opportunités qu’offre le programme Erasmus +  pour la période 2021-2027, et est actuellement en attente des résultats de nombreux appels à projets Erasmus +  pour lesquels des projets franco-géorgiens ont été déposés.

À noter que suite à l’offensive russe sur l’Ukraine, de nombreux établissements d’enseignement supérieur français ont mis un terme à leur coopération en Russie et se tournent à présent vers la Géorgie afin de proposer de nouvelles destinations de mobilité à leurs étudiants en recherche de destinations russophones. A ce phénomène s’ajoute un élan de mobilité suite à la levée des restrictions sanitaires. Aussi, depuis mars 2022, le poste a reçu la visite de représentants de 11 établissements d’enseignement supérieur français (l’université d’Angers, Sciences Po Paris, l’INSA Rennes, l’université Paris-Saclay, l’université Catholique de Lille, l’université Bordeaux Montaigne, Rennes School of Business, JUNIA école d’ingénieur, l’INALCO, Sciences Po Aix et l’université de Rennes 1). Ces visites ont chacune permis l’émergence de projets dont le poste suivra la concrétisation avec attention. Actuellement, 77 accords de coopération entre établissements d’enseignement supérieur français et géorgiens sont actifs.

En matière de coopération scientifique, 80 % des co-publications franco-géorgiennes sont produites par des unités de recherche affiliées au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (4ème partenaire mondial de co-publications de la Géorgie). Les recherches portent sur les sciences des matériaux, la mécanique, la physique et les mathématiques. De nombreux projets de recherche internationaux impliquant le CNRS sont en cours actuellement et un laboratoire international associé (LIA) a été créé en 2016 avec le musée national de Géorgie. Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Paris Saclay et l’Université Lyon 1 sont également des partenaires importants des organismes de recherche géorgiens, tout comme l’Institut Pasteur qui collabore étroitement avec l’Institut Eliava dans le domaine des bactériophages (conférence prévue en 2023 à Tbilissi).

Le poste s’attache à la promotion de la culture scientifique française en Géorgie. L’organisation et la participation à des évènements tel que le Festival annuel des Sciences de Géorgie témoignent de l’implication de l’ambassade dans la valorisation des activités de coopération scientifique et dans la mise en lumière de thématiques clés de ce domaine. Les conférences co-organisées avec l’UFG représentent également un atout majeur dans le domaine de la promotion et de la coopération scientifique. Elles offrent, à l’instar de celle co-organisée avec l’IFG sur le thème « État des lieux de la mise en œuvre de l’accord d’association entre la Géorgie et l’Union européenne dans le cadre du Partenariat oriental », l’opportunité de faire vivre et d’alimenter le débat d’idées en français en Géorgie et de créer des premières connexions cruciales entre acteurs français et géorgiens.

Source : IFG

 

V.   pOUR UN NOUVEAU DÉCOUPAGE STRATÉGIQUE DE LA DIPLOMATIE D’INFLUENCE : les spécificités du continent européen ENTRE SOFT ET HARD POWER

Pour le rapporteur pour avis, le renforcement de la cohérence de notre diplomatie d’influence passe aussi par un renouvellement de son déploiement stratégique, s’appuyant sur une grille de lecture thématico-géographique. En effet, les besoins en matière d’enseignement homologué ou du français diffèrent sensiblement selon que l’on se trouve à Vienne ou à Bamako. Si la force de notre réseau est de pouvoir se situer au plus près des spécificités locales, celles-ci doivent infuser notre diplomatie d’influence de son élaboration à sa mise en œuvre.

Le rapporteur pour avis a pu constater l’existence d’une coordination réelle entre les directions géographiques du MEAE et la direction de la diplomatie d’influence, en vue de définir les zones géographiques et thématiques prioritaires. Cette coordination se déploie aux différentes étapes de notre action extérieure. Ainsi, la programmation budgétaire associe la DDI aux directions géographiques, qui signalent les considérations politiques générales à prendre en compte. En audition, la direction de l’Europe continentale (DEUC) a donné l’exemple des lycées homologués, qui sont à la fois un élément essentiel du quotidien des Français expatriés, un vecteur majeur d’influence mais aussi un outil indirect pour la diplomatie économique et un symbole.

De façon générale, la préparation et la tenue des conseils d’orientation stratégique (voir supra) ainsi que les réunions régionales organisées au sein du réseau sont une occasion de renforcer les coopérations étroites entre la DDI et les directions géographiques. Ces dernières sont directement mobilisées par certains rendez-vous majeurs de notre diplomatie culturelle : ainsi les directions géographiques participent au comité d’orientation stratégique des unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger (UMIFRE).

Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) (voir infra), les priorités portées par la DDI ont ainsi été élaborées en étroite relation avec les autres services du ministère, au premier rang desquels la direction de l’Union européenne (DUE), la représentation permanente de la France auprès de l’UE (RPUE) et la délégation aux affaires francophones (NUOI/FR). Cette coordination s’est déclinée au gré des projets et évènements organisés par la France durant sa présidence, à l’instar de la conférence ministérielle sur « la diversité linguistique et la langue française au sein de l’Union européenne » qui s’est tenue à Pau le 15 mars 2022 et a été mise en œuvre conjointement par la DUE, la DDI et NUOI/FR.

A.   l’union européenne apparaît comme un nouveL échelon de notre diplomatie culturelle et d’influence

Dans ce contexte, si la feuille de route de l’influence compte parmi ses dix lignes de force la définition de « priorités géographiques claires », qui rappelle que l’universalité du réseau n’implique pas son uniformité, la dixième ligne de force invite à « être résolument européen ». L’Europe est décrite comme « revêtant un caractère essentiel pour la diplomatie d’influence de la France », auquel le rapporteur pour avis avait rapidement accordé une attention particulière.

D’une part, il s’agit d’identifier et de promouvoir le rôle de l’Union européenne en matière culturelle, qui dépend entièrement de la volonté politique des États membres ([21]). La France est étroitement impliquée dans le processus visant à faire émerger une diplomatie d’influence européenne.

La PFUE a donné l’occasion de renouveler l’engagement de la France en faveur d’une politique culturelle à l’échelle européenne, en faisant adopter par le Conseil de l’UE des conclusions sur la stratégie en matière d’industries culturelles et créatives ainsi que sur les problématiques de mobilité des acteurs de la culture.

L’implication de la France se fait dans la continuité des priorités portées au plan national, qui ont vocation à trouver un écho au niveau européen. Ainsi, les priorités par la France dans le cadre de la PFUE reflètent les lignes de force de la feuille de route de l’influence.

En matière linguistique, un appel à projets a été lancé au printemps 2022 par la DDI afin de soutenir nos postes diplomatiques dans l’Union européenne dans leurs actions et évènements en lien avec la diversité linguistique et le développement du plurilinguisme : 25 projets ont ainsi été soutenus, dans une quinzaine de pays de l’UE et pour une enveloppe globale de 110 000 euros. Par ailleurs, un soutien exceptionnel a été apporté à la formation linguistique des hauts fonctionnaires et des conseillers des représentations permanentes auprès de l’UE. Les cours de français proposés par la représentation permanente de la France, avec le concours de l’alliance française Bruxelles-Europe, ont bénéficié d’un budget exceptionnel en 2021 et en 2022 pour le programme intitulé « Millefeuille » (550 000 euros en 2021-2022, contre 204 232 euros au total de 2016 à 2020). 600 agents ont déjà été formés depuis 2021, et jusqu’à 550 personnes supplémentaires auront bénéficié de ces formations d’ici fin 2022.

Dans le domaine universitaire et scientifique, une forte priorité a été donnée aux alliances d’universités européennes. À l’origine de cette initiative portée par le discours de la Sorbonne de 2017, la France se classe parmi les pays les mieux représentés dans les consortia sélectionnés à la suite des trois appels à projet de la Commission européenne, en étant représentée dans 33 alliances sur 44. Deux événements majeurs ont été programmés dans le cadre de la PFUE : la conférence des universités pour le futur de l’Europe (26 janvier) et le campus des Universités européennes (30 juin).

En outre, la déclaration de Marseille du 8 mars 2022 ([22]), faite au nom de la présidence de l’UE, a permis de fournir un référentiel commun pour la définition des stratégies de diplomatie scientifique des États membres et marque le début d’un dialogue multilatéral sur ce sujet avec les principaux partenaires internationaux de l’UE. La conférence a permis de rappeler que les enjeux globaux réclament des solutions communes et que la coopération scientifique apparaît, à cet égard, plus que jamais essentielle.

Dans le domaine du patrimoine, deux conférences ont été organisées sur la lutte contre le trafic de biens culturels : une conférence dédiée au renforcement de la coopération européenne dans ce domaine le 1er février 2022 et un séminaire d’experts visant à réunir les acteurs européens de la lutte contre ces trafics. Les initiatives françaises en matière de protection du patrimoine en zones de conflits sont susceptibles de trouver un appui parmi les États membres et les institutions européennes, notamment l’ALIPH, pour laquelle la France souhaite l’adhésion et le soutien financier des partenaires européens, au premier rang desquels l’Allemagne qui s’est engagée en ce sens. Des échanges existent entre États membres pour lutter contre le trafic de biens culturels, mais aussi en matière de restitution d’œuvres acquises en contexte colonial ou encore pour promouvoir l’expertise française en matière de protection du patrimoine.

L’émergence d’une action européenne en matière de diplomatie culturelle passe également par une série de programmes structurels ou ponctuels.

La France joue ainsi un rôle de premier plan dans le réseau EUNIC des instituts culturels nationaux européens. Cette association de droit belge a été mandatée par les institutions européennes pour favoriser les synergies entre les diplomaties culturelles des États membres, aussi bien à Bruxelles et dans les capitales européennes que sur le terrain en pays tiers. EUNIC entretient un réseau de 38 institutions nationales au sein duquel la France est triplement représentée : (MEAE, Institut français de Paris et la fondation des alliances française). En l’absence de compétence de l’UE, EUNIC constitue un vecteur de déploiement d’une diplomatie culturelle européenne en construction et occupe une place plus ou moins marquée selon les pays. L’action d’EUNIC passe notamment par le « fonds pour les clusters », qui favorise la coopération européenne en proposant un soutien financier aux projets montés en partenariat par des instituts culturels des États membres. Le MEAE a contribué de manière exceptionnelle à ce fonds à l’occasion de la PFUE, en multipliant par quatre sa contribution annuelle (150 000 euros). 

Parmi les programmes ciblés, on peut citer EU4Culture et EU4 Dialogue, tous deux déployés en Géorgie.

Deux exemples d’action culturelle euroépenne en pays tiers :

EU4Culture et EU4Dialogue en Géorgie

 

Le programme EU4Culture 

Mis en œuvre par le Goethe-Institut (chef de file), l'Institut danois de la culture, les centres tchèques et l'Institut français en Géorgie, le programme européen EU4Culture a pour objectif de contribuer à faire de la culture un moteur de croissance et de développement social dans les six pays de la région du Partenariat oriental.

Dans ce cadre, l’Institut français de Géorgie a été chargé de coordonner sur une période de quatre ans, durée du projet, l’organisation de deux événements destinés à valoriser le patrimoine urbain. Un premier événement a eu lieu en octobre 2022 sous forme de trois tables rondes, le second pour la clôture du programme, en 2024. L’événement d’octobre 2022 a réuni cinq experts dans le domaine du patrimoine urbain, dont des experts de l’association Sites et Cités remarquables de France.

À ce titre, l’IF Géorgie est doté par l’Institut Goethe d’un budget de 5 729 euros pour 2022.

Le programme EU4Dialogue

Financé par l’Union européenne et associant sept partenaires européens parmi lesquels l’agence Campus France et le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD) allemand (chef de file), EU4Dialogue est un projet régional visant à contribuer à la transformation des conflits gelés dans la région du partenariat oriental (Abkhazie, Ossétie du Sud, Transnistrie et Haut-Karabagh). Le projet, d’une durée de 48 mois, doit s’achever en avril 2025 et dispose d’un budget global de 3,64 millions d’euros. En s’appuyant sur les services d’un expert français basé à Tbilisi, Campus France met en place les actions du volet enseignement supérieur du projet EU4Dialogue: visite d’études en France et en Italie dans le domaine du patrimoine culturel (octobre 2022), activités de renforcement des capacités, missions d’enseignement dans la région, et mise en place d’un projet pilote de bourses d’études de six mois en Europe.

Sources : IFG, DDI, Campus France

Parmi les programmes phares de la Commission européenne, qui bénéficient de relais nationaux, on peut mentionner Erasmus + et Europe créative.

Erasmus + contribue à la fois à construire un espace européen de l’éducation et de la formation et à répondre à différents objectifs transversaux, tels que les enjeux climatiques. Erasmus + s’appuie en France sur deux agences, l’une consacrée à l’éducation et à la formation et l’autre à la jeunesse et au sport. Ce programme européen représente une opportunité pour la compétitivité et l’attractivité de l’enseignement supérieur français et favorise la mise en œuvre de partenariats. Pour rappel, Erasmus + bénéficie d’une programmation pluriannuelle (l’actuelle portant sur 2021-2027) de 26 milliards d’euros pour tous les pays concernés et tous les secteurs éducatifs, en hausse de 80 % par rapport à la programmation précédente. À ce budget s’ajoutent 2,2 milliards d’euros issus d’instruments de politique extérieure de l’UE, pour financer les actions dédiées aux pays tiers non associés au programme.

Europe créative est un programme consacré aux secteurs culturels, créatifs et audiovisuels et associant plus de 30 pays, dans le but d’encourager la diversité culturelle et de renforcer la compétitivité des acteurs européens concernés. Le programme dispose pour 2021-2027 d’un budget de 2,44 milliards d’euros, utilisés principalement dans le cadre d’appels à projets dans les différents volets concernés. En France, c’est le relais culture Europe qui chargé de mettre en place nationalement le programme, en travaillant directement avec les opérateurs français susceptibles d’en bénéficier mais aussi avec les ministères de la culture et de l’Europe et des affaires étrangères.

B.   le continent européen occupe une place déterminante dans notre dispositif d’influence

Nouvel échelon de la diplomatie d’influence, l’Europe – qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de l’Europe dite continentale – est aussi une zone d’action pour la France, où l’influence apparaît comme un axe majeur de notre action extérieure, comme l’a souligné l’offensive russe sur l’Ukraine.

En matière de programmation des services de coopération et d’action culturelle dans la zone européenne, les enveloppes des postes européens totalisent près de 32 millions d’euros en 2022 sur le programme 185 (25 millions d’euros dans la zone Union européenne soit 20 % des crédits mondiaux, 8 millions d’euros dans la zone Europe continentale ([23]), soit 6 %). Sur le programme 209, la part de l’Europe est réduite à 1,2 million d’euros (7 pays de la zone DUE en bénéficient et dix-sept dans la zone EUC, représentant respectivement 4 % et 6 % des crédits mondiaux). Les enveloppes des pays du Partenariat oriental (Biélorussie, Moldavie, Ukraine, Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) totalisent 2 440 667 euros en 2022, soit 28,5 % des crédits de la zone EUC en 2022.

Au sein de l’Union européenne, les priorités de la feuille de route de l’influence trouvent une déclinaison spécifique.

En matière linguistique, le développement du plurilinguisme (voir supra) s’accompagne d’un objectif de renforcement de la place de la langue française comme langue étrangère au sein des systèmes éducatifs européens, comme langue de travail au sein des institutions de l’UE et comme langue favorisant la mobilité et l’employabilité.

Dans le domaine universitaire, la France est confrontée à une baisse de son attractivité depuis dix ans au sein de l’Union européenne. En effet, si la France est bien positionnée en ce qui concerne la mobilité d’échanges (en 2019-2020, la France est le 2ème pays d’origine et 2ème pays de destination au sein du programme Erasmus +), elle n’est que le cinquième pays d’accueil intra-communautaire avec près de 32 000 étudiants européens accueillis en 2019-2020 (13 % du contingent étudiant accueilli en France contre plus de 50 % en Allemagne).

Les enjeux d’attractivité universitaire et scientifique de la France en Europe font l’objet d’une stratégie spécifique d’attractivité, définie en septembre 2021 et reposant sur plusieurs axes, parmi lesquels la valorisation des réseaux France Alumni en Europe via la mobilisation des anciens boursiers du Gouvernement français, la valorisation des programmes centraux de bourses (Eiffel, MOPGA, etc.) ou encore le soutien aux alliances d’universités européennes et la création d’un programme de bourses spécifique pour la zone UE, France Excellence Europa.

Comme rappelé de façon plus générale en préambule, le rapporteur pour avis regrette cependant que cette différenciation logique de notre action entre l’Union européenne et le reste du monde ne soit pas systématiquement intégrée dans les stratégies déployées à chaque échelon et par chaque opérateur placé sous la tutelle de la DGM. Ainsi, rien dans l’organisation interne actuelle de l’AEFE ne pourrait lui permettre d’avoir une action différenciée dans l’Union européenne par rapport au reste du monde, qu’il s’agisse du développement des FLAM, des établissements labellisés France Education, de la formation des enseignants de français du système national local ou encore du développement des homologations.

Dans les Balkans et auprès des pays du Partenariat oriental, la diplomatie d’influence fait étroitement écho à la géopolitique européenne, où la question de l’élargissement de l’Union européenne apparaît incontournable.

Dans le cadre de sa stratégie pour les Balkans occidentaux ([24]), la France a intégré une série de priorités en matière d’influence, qui bénéficient pour partie d’une action coordonnée au niveau de l’Union européenne :

-          le renforcement de notre offre de coopération avec les systèmes éducatifs locaux, en développant le réseau des sections bilingues et leur labélisation LabelFrancEducation ([25]) , en soutenant la formation continue et initiale des professeurs de français, notamment dans le domaine du numérique (projet d’université d’été régionale à Struga en Macédoine du Nord), en appuyant le français professionnel, notamment le français du tourisme, secteur au fort potentiel dans cette région (deux nouvelles filières en projet pour septembre 2022 en Albanie) ou encore en encourageant les partenariats et les mobilités dans le cadre du programme Erasmus+ , notamment les échanges à distance entre classes « eTwinning » ;

-          la relance de l’enseignement de la langue française dans les 6 pays des Balkans occidentaux à travers un FSPI de 600 000 euros sur 2022-2023 ([26]) ;

-          le développement du réseau d’établissements scolaires à enseignement français, qui scolarise 1 057 élèves dans cinq pays (Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du nord, Albanie, Serbie), dont certains accueillent jusqu’à 70 % de nationaux ;

-          le renforcement de l’apprentissage du français auprès des hauts-fonctionnaires, des parlementaires et des diplomates locaux, en poursuivant les formations financées par les postes, en ouvrant de nouvelles formations grâce aux financement FSPI, et en étendant les formations de l’Initiative francophone nationale (IFN) de l’Organisation internationale de la Francophonie à de nouveaux pays (Serbie) ;

-          l’incitation de la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro à rejoindre l’observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe et la valorisation de la participation de l’Albanie, de la Macédoine du Nord et de la Serbie à l’observatoire ;

-          le doublement du budget Erasmus+ de la Commission européenne en 2021-2027, qui constitue une opportunité majeure pour renforcer notre coopération universitaire.

La PFUE a également mis en avant la nécessité d’une politique commune de réengagement et d’investissements pour renforcer l’ancrage européen des six pays des Balkans occidentaux, en y favorisant les échanges humains qui sont au cœur de notre coopération universitaire. Afin d’accompagner le réinvestissement de la zone par les acteurs français de l’enseignement supérieur et de la recherche, le MEAE a mis en place en 2021 le programme « ES-Balk » financé à hauteur de 500 000 euros dans le cadre d’un FSPI.

Dans les pays du Partenariat oriental, la diplomatie d’influence trouve pleinement sa place. Pour rappel, le Partenariat oriental a été créé à l’initiative de la Pologne et de la Suède au lendemain de la guerre russo-géorgienne de 2008, dans le but de renforcer notre association politique et l’intégration économique avec les pays du voisinage oriental, sans préjuger de l’adhésion.

Une réflexion est également en cours sur le Partenariat oriental de « l’après-juin » et la reconnaissance du statut de pays candidat à l’adhésion (Ukraine, Moldavie) ou de la perspective européenne pour plusieurs pays de ce format (Ukraine, Moldavie, Géorgie), qui a renforcé la différenciation en son sein et son articulation avec la Communauté politique européenne, lancée à Prague le 6 octobre dernier en présence des vingt-sept États membres de l’Union européenne et de dix-sept autres États.

Dans la région, la recherche et l’enseignement supérieur français bénéficient d’une importante visibilité, notamment grâce aux universités franco-étrangères implantées dans le Caucase. L’université franco-géorgienne (voir supra) créée en 2020 a ainsi été précédée dès 1998 par l’université française d’Arménie et par l’université franco-azerbaïdjanaise en 2016.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ambassade de France en Ukraine et notamment le service de coopération et d’action culturelle, a dû prendre les mesures imposées par la situation. Le dispositif d’action et de coopération culturelle se trouve donc réduit à son expression la plus restreinte.

 

 

L’impact de l’offensive russe sur le dispositifs de coopération en Ukraine

 

Pour rappel, le dispositif en Ukraine reposait jusqu’à la crise sur un SCAC-EAF fusionné situé à Kiev, l’Institut français d’Ukraine, huit alliances françaises, dont six encore en activité (les deux alliances françaises situées dans le Donbass ont été fermées en 2014) et trois établissements d’enseignement français homologués (le lycée français Anne de Kiev, l’école française internationale de Kiev et l’Ecole française privée d’Odessa). Ce dispositif s’appuyait sur quinze agents sous plafond d’emploi ministériel dont douze placés auprès de l’Institut français d’Ukraine, qui employait également 19 agents de droit local. Le dispositif d’enseignement français en Ukraine permettait la scolarisation, à la rentrée 2021, de 765 élèves, dont une grande majorité d’Ukrainiens et 114 Français.

Aujourd’hui, le SCAC se compose d’un COCAC et d’un attaché humanitaire. Le recrutement d’un secrétaire général expatrié pour l’EAF est en cours. L’Institut français d’Ukraine a rouvert ses portes le 1er septembre, 14 agents sur 19 étaient présents.

La situation actuelle a imposé une redéfinition des missions du dispositif de coopération. Les missions essentielles assurées par le service culturel, quel que soit leur format, impliquent d’une part le soutien à la société civile, via l’aide humanitaire aux Ukrainiens et le suivi de la reconstruction, et d’autre part le suivi et soutien des étudiants sur la plateforme « Etudes en France », ainsi que des boursiers du Gouvernement français et du vivier d’étudiants d’exilés en faveur desquels pourrait être mise en place une campagne de bourses. Dans le cadre du soutien français à la reconstruction, plusieurs initiatives sont en cours ou à l’étude, pour lesquelles le SCAC est amené à jouer un rôle. C’est par exemple le cas pour un projet de sécurisation du patrimoine (protection des bâtiments avant l’hiver) envisagé conjointement par la fondation ALIPH et par le ministère de la culture (évaluation du projet en cours).

Par ailleurs, des cours de français en direction des Ukrainiens réfugiés sont proposés dans les alliances françaises de Pologne et ont bénéficié d’une aide exceptionnelle de plus de 50 000 euros du MEAE. Une enveloppe de 113 400 euros a été utilisée entre mars et septembre 2022 pour appuyer et accompagner les alliances françaises d’Ukraine, devant être complétée par une enveloppe complémentaire d’ici la fin de l’année 2022. Actuellement, quatre alliances sur six sont matériellement fermées. Les alliances d’Odessa et de Lviv ouvrent à nouveau progressivement leurs portes, toutes offrent des cours en ligne qui sont suivis par près de 200 étudiants. La situation est beaucoup plus problématique pour les alliances françaises de Kharkiv et de Zaporijjia, situées dans des zones touchées par des combats très violents.

Au niveau du réseau scolaire, depuis le début du conflit, la priorité en Ukraine a été de garantir la sécurité des élèves et des personnels, français comme ukrainiens. Pour préserver au mieux la continuité des cours, un enseignement à distance a été mis en place. Une aide a également été fournie par l’AEFE aux familles souhaitant réinscrire leurs enfants en France ou à l’étranger.

Après une fin d’année scolaire 2021-2022 en distanciel, deux établissements d’enseignement français ont rouvert leurs portes à la rentrée, le lycée Anne de Kiev et l’école française internationale de Kiev. 80 élèves ont  fait leur rentrée en présentiel le 7 septembre, dans le respect des consignes de sécurité des autorités ukrainiennes, avec notamment sur chaque site la présence d’un abri homologué par la commission de sécurité ukrainienne.

Des facilités ont été mises en place pour accueillir les étudiants d’Ukraine en France. La plateforme « Urgence Ukraine », coordonnée par Campus France, permet de mettre en relation les étudiants déplacés d’Ukraine et bénéficiaires de la protection temporaire et les établissements d’enseignement supérieur français. A la date du 12 juillet 2022, on dénombrait 990 formulaires entièrement saisis (80 % d’Ukrainiens, majoritairement des femmes sur la plateforme). Au-delà de cette plateforme, les étudiants peuvent également s’inscrire directement auprès des établissements d’enseignement supérieur français, et ce à titre dérogatoire. Au 28 juillet, on dénombrait 1300 inscriptions d’étudiants en provenance d’Ukraine comptabilisées directement par les établissements d’enseignement supérieur dont 300 inscrits pour l’année universitaire 2022-2023.

Pour faciliter leur accueil en France, plusieurs dispositifs ont été mis en place : tout d’abord, le Crous a instauré un système d’aides d’urgence allant jusqu’à 500 euros mensuels. De plus, les étudiants ukrainiens ont le droit aux bourses sur critères sociaux, aux repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, ainsi qu’à un hébergement jusqu’à la rentrée dans les Crous. Les bénéficiaires de la protection temporaire peuvent bénéficier des allocations personnalisées au logement. Les préfectures ont également mis en place une offre de logement sur la plateforme https://parrainage.refugies.info/, qui permet de mettre en relation les personnes ayant besoin d’un logement avec les personnes morales ou les particuliers en proposant. D’autres acteurs de l’accueil des étudiants étrangers se sont également mobilisés, à l’instar de la cité universitaire internationale de Paris qui a élaboré un projet de « maison virtuelle de l’Ukraine » pour accueillir 500 chercheurs et étudiants ukrainiens dans ses 43 maisons. Ce projet a permis de recueillir des dons servant à octroyer un soutien financier, des aides au logement, et à proposer gratuitement des services disponibles au sein de la CIUP : sport, suivi social et médical, cours de langue… Enfin, des fonds d’urgence ont été créés, permettant de recueillir des dons pour l’accueil d’étudiants ukrainiens (ENS-Paris Saclay).

Pour les étudiants ressortissants de pays tiers et déplacés d’Ukraine, qui ne bénéficient pas de la protection temporaire, il est possible de s’inscrire directement dans un établissement d’enseignement supérieur français via une procédure dérogatoire. Pour ce faire, ils peuvent bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour, valide jusqu’au 31 octobre 2022.

Source : DDI

Au-delà de ces nécessaires aménagements de crise, la coopération vis-à-vis de l’Ukraine mais aussi de la Russie a fait l’objet d’une adaptation, qui atteste de la capacité de l’influence à maintenir ou réinventer des liens lorsque les autres canaux sont remis en question.

On peut mentionner la mise en place d’un centre régional d’accueil des journalistes ukrainiens en exil à Bucarest, avec l’appui de l’implantation locale de France Médias Monde et grâce à des financements FSPI et du Centre de crise et de soutien (voir supra). Concernant le réseau, la réouverture des lycées homologués de Kiev a suscité des réactions très positives sur les réseaux sociaux ukrainiens. Dans un contexte où les conditions concrètes de coopération restent dégradées, le réseau éducatif et notamment le lycée français Anne-de-Kiev apparaissent comme un outil majeur d’influence.

La diplomatie d’influence en zone de crise suppose une réaction immédiate et dans le même temps une projection sur le long terme, comme le rapporteur pour avis avait pu le souligner dans son précédent avis budgétaire à propos du Liban et de la Syrie. Ainsi que cela a été souligné, l’offensive russe sur l’Ukraine ayant déjà entraîné une forte dégradation de l’image de la Russie en Europe et notamment dans son voisinage le plus proche, des attentes sont susceptibles d’être nourries vis-à-vis de notre pays, en matière d’enseignement du français, d’enseignement supérieur ou plus généralement de coopération culturelle.

Plus encore, l’offensive russe et ses conséquences diplomatiques nous invitent à réorienter les moyens existants vers la société civile, en renouvelant nos moyens d’action par rapport à une diplomatie culturelle « classique ». Un des principaux sujets de réflexion et d’action porte actuellement sur les Russes dits « prioritaires » ou « d’intérêt » et issus d’une société civile désormais en exil. Face au discours monolithique du régime et dans un contexte contraint – le conseiller d’action et de coopération culturelle en poste à Moscou ayant dû quitter le pays – les liens avec la société civile apparaissent comme une voie de maintien du dialogue. Concrètement, tous les postes implantés dans les pays proches de la Russie – notamment ceux qui ont été en première ligne dans l’accueil des Russes ayant fui leur pays (États du Caucase, d’Asie centrale et États baltes) – ont été mobilisés pour identifier les personnes susceptibles d’être des interlocuteurs pertinents, y compris dans une perspective de restauration des liens sur le long terme.

Au plan financier, on peut toutefois déplorer l’insuffisante fongibilité budgétaire, qui n’a pas permis de réorienter vers ces postes des moyens précédemment alloués à la coopération avec la Fédération de Russie. En matière de moyens, l’objectif de renforcement du dispositif déployé en Moldavie est également apparu sous un jour nouveau depuis le début du conflit russo-ukrainien. Une extension du mandat de l’Agence française de développement en Moldavie a récemment été obtenu et cela fait partie du volet influence de l’action de la France sur place. En revanche, le SCAC ne compte que deux personnes (un COCAC et une attachée de coopération) et pourrait bénéficier d’un renforcement, éventuellement sous la forme d’un expert technique international.

En outre, la décision prise par le MEAE en vue de permettre une rentrée scolaire en présentiel au lycée français de Moscou a été très appréciée et la rentrée s’est déroulée sans difficulté majeure, permettant d’accueillir 730 élèves dont 50 % de Russes, 35 % de Français et 15 % d’autres nationalités.

Ce focus sur la société civile inclut les Biélorusses en exil, point auquel le rapporteur pour avis accorde une attention particulière. Dans les Balkans occidentaux, la diplomatie d’influence comporte un volet consacré à la société civile, portant notamment sur le thème de la réconciliation. Dans les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne ou bénéficiant d’une perspective européenne, l’inclusion de la société civile dans la coopération contribue à renforcer les liens avec l’espace européen.

En Géorgie, une promotion des valeurs françaises et européennes qui passe par la société civile

Le poste de Tbilissi veille à la promotion des droits de l’Homme en y consacrant chaque année plus de la moitié de son budget de coopération (programme 209). Depuis plusieurs années, l’ambassade de France figure parmi les principaux défenseurs des droits des femmes, des droits reproductifs et de la santé sexuelle, ainsi que des droits des LGBTQI+en Géorgie. Cela se traduit par le choix du thème du prix des Droits de l’Homme de l’ambassade, assorti d’une subvention pour l’organisation de la société civile lauréate, mais aussi par la proposition d’activistes militants pour ces droits aux programmes d’invitation des personnalités d’avenir du MEAE, par le choix de la programmation cinématographique et par la traduction en géorgien d’outils de lutte contre les violences domestiques. Pour la communauté LGBTQI+ , outre l’important soutien médiatique affiché par l’ambassadeur, l’action du poste passe également par le partage d’une expertise en matière de sécurisation de la Pride.

Par ailleurs, le poste s’est positionné comme défenseur des droits de l’enfant en participant à l’organisation chaque automne, aux côtés du bureau du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) en Géorgie, d’un événement de sensibilisation et de formation sur le sujet.

Les droits des personnes déplacées internes des territoires d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ainsi que les droits minorités ethniques (notamment tchétchène et arménienne) sont aussi soutenus de façon régulière par le service de coopération et d’action culturelle. Ce soutien se traduit par une promotion de la culture et de la langue française comme vecteur de développement. L’organisation de la Nuit des Idées autour du thème « (Re)construire ensemble » en janvier 2 022 a été l’occasion de mettre à l’honneur l’action de la France en Géorgie en faveur de ces minorités.

Enfin, le soutien à l’État de droit figure également parmi les priorités du poste, qui organisera d’ici la fin de l’année 2022 une conférence sur la lutte contre la manipulation de l’information et la liberté de la presse. Cet événement sera monté en coordination avec Reporters sans Frontières et avec l’Union de la presse francophone, qui vient de s’implanter à Tbilissi.  L’AFD envisage la création d’un instrument dédié au soutien aux réformes institutionnelles en Géorgie, qui pourrait être mobilisé pour ce type de projets. Enfin, le SCAC proposera plusieurs journalistes géorgiens prometteurs pour l’édition 2022 du Programme d’invitation de journalistes étrangers en France déployé par le MEAE afin de renforcer les compétences de la société civile géorgienne pour lutter contre la désinformation.

On peut également mentionner des initiatives sectorielles, par exemple dans le domaine du sport. À l’approche de la coupe du monde de rugby 2 023 et des Jeux olympiques 2024 organisés en France, l’ambassade de France en Géorgie est ainsi en train d’effectuer les démarches pour être labellisée « Terre de jeux » par le MEAE et promouvoir les valeurs inclusives portées par la diplomatie sportive française.

Source : IFG

 

 

 

   Travaux de la commission

I.   Audition de Mme catherine coloNna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Lors de sa réunion du 4 octobre 2022, la commission a entendu Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir accepté de venir dès le début de la session ordinaire 2022-2023 nous présenter le budget de votre ministère pour l’an prochain, qui déterminera vos marges d’action. Vous vous inscrivez dans une certaine continuité, puisque chaque premier mardi d’octobre le ministre de l’Europe et des affaires étrangères vient traditionnellement devant notre commission.

J’observe, pour commencer, que le budget de votre ministère, tel qu’il est prévu dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 devrait s’établir à un peu plus de 6,6 milliards d’euros, en progression de 542 millions d’euros, soit une augmentation assez importante de 9 %. Ce n’est pas trop décevant dans une période marquée par un souci de maîtrise des dépenses budgétaires – il ne faut pas dire qu’il s’annonce prometteur, car il ne faut jamais être trop optimiste.

Notre commission a désigné neuf rapporteurs pour avis. Dans les prochaines semaines du long marathon budgétaire qui s’ouvre, ils vont nous éclairer sur l’usage des crédits qui financent, directement ou indirectement, l’action extérieure de l’État, la politique d’influence et le rayonnement culturel de notre pays à l’étranger. Trois de ces rapporteurs ont la responsabilité d’examiner plus spécifiquement les programmes qui dépendent de votre département ministériel. En effet, le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) se répartit de manière un peu schématique entre deux missions : la mission Action extérieure de l’État et la mission interministérielle Aide publique au développement. Au sein de celle-ci, un programme budgétaire relève du Quai d’Orsay.

Les crédits de la mission Action extérieure de l’État s’élèvent à 3,1 milliards d’euros. Ils sont donc en hausse de 6,9 %. Pour mémoire, les dépenses de fonctionnement du ministère ne représentent que 17 % du total. Il faut saluer leur modestie. Quant aux contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, elles en représentent environ 27 %. Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, au début du mois de septembre, vous avez vous-même annoncé que le temps du « réarmement » de notre diplomatie était venu, bien entendu au service de la paix.

De fait, nous pouvons nous réjouir collectivement que la mission Action extérieure de l’État bénéficie l’an prochain de la création nette de 100 équivalents temps plein (ETP). L’enjeu est de répondre aux besoins prioritaires que sont la présence dans la zone indopacifique, la capacité d’analyse politique, la sécurisation des emprises diplomatiques et la cybersécurité. S’y ajouteront 6 ETP pour la nouvelle délégation à l’encadrement supérieur. Cette création nette d’emplois est une première depuis 1993, même si votre prédécesseur avait eu le grand mérite de mettre un coup d’arrêt à la longue érosion des ressources humaines du Quai d’Orsay, qui était la norme de cet infortuné ministère depuis trop longtemps.

En matière d’immobilier, les moyens continueront leur progression. Nous y sommes très sensibles au sein de cette commission, comme en témoignent les critiques qui ont été effectuées dans le passé sur une gestion immobilière qui se voulait économe et qui était marquée du sceau de la ladrerie – ladrerie imposée au MEAE en interministériel… Les moyens continueront donc leur progression, pour atteindre 50,5 millions d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 20 %. Le plan de sécurisation des emprises de nos ambassades pourra ainsi être poursuivi, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.

Des financements seront également consacrés à la lutte contre la désinformation, notamment en Afrique. Notre stratégie d’influence se verra renforcée, grâce en particulier à des dotations en faveur de l’alliance internationale pour la protection du patrimoine des zones de conflit (ALIPH). Des crédits seront également affectés à la préparation de l’exposition universelle de 2025 à Osaka, et au soutien du réseau d’enseignement du français. Une aide spécifique de 10 millions d’euros a été octroyée aux établissements français du Liban. Pour être allé dans ce pays il y a quelques mois, je peux témoigner que ce ne sera pas du luxe.

Les dotations inscrites dans le programme 209 Solidarité avec les pays en développement de la mission Aide publique au développement s’élèvent à 3,3 milliards d’euros au total. Principal outil d’aide publique au développement du MEAE, elles augmenteront de 379,4 millions d’euros. Cette hausse devrait notamment permettre de plus que décupler la provision pour crise majeure, en la faisant passer de 23 millions d’euros à 270 millions d’euros. Les crédits destinés à la composante bilatérale de l’aide publique au développement (APD) française vont s’accroître de 300 millions d’euros et passer à 1,8 milliard d’euros. Cela correspond aux engagements pris à l’article 2 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui constitue l’essentiel de l’œuvre législative de cette commission lors de la précédente législature. Elle a pour nous un caractère absolu.

Au titre de l’action humanitaire, les crédits globaux s’élèveront à 642 millions d’euros, contre 500 millions d’euros l’an passé et 154 millions en 2017. Ce n’est quand même pas rien ! L’aide alimentaire augmentera de 42 millions d’euros et le fonds d’urgence humanitaire bénéficiera d’une revalorisation de 30 millions d’euros. À cela s’ajouteront 75 millions d’euros pour l’initiative Food and agricultural resilience mission (FARM).

En définitive, chacun conviendra que le Gouvernement s’emploie à travers le PLF 2023 à revaloriser substantiellement les moyens accordés à nos services et à notre diplomatie. Je dois dire que, dans l’Assemblée nationale actuelle, il est infiniment préférable d’être président de la commission des affaires étrangères que rapporteur général du budget.

Ce rapide panorama me porte à croire que vous êtes, Madame la ministre, plutôt satisfaite des arbitrages effectués à l’occasion de ce projet de budget. Si vous trouvez que ce n’est pas assez, nous vous suivrons… Pour ma part, je vois beaucoup de points positifs dans les équilibres qui ont été trouvés.

Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Le 2 septembre 2022, lors de la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, j’avais réaffirmé qu’accroître notre ambition diplomatique impliquait d’augmenter les moyens du MEAE – comme cela avait déjà eu lieu depuis plusieurs années pour les autres ministères régaliens. Une augmentation avait été amorcée prudemment ces deux dernières années ; elle est renforcée dans le projet de budget qui vous est soumis. La hausse sensible des moyens du ministère bénéficie tant à la mission Action extérieure de l’État qu’à notre politique en matière d’APD. Vous l’avez souligné, ce budget prévoit aussi une hausse de nos moyens humains, inédite en près de trente ans, ce qui est très important pour le ministère.

Cette évolution prend tout son sens à la lumière de l’environnement international, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant votre commission et qui ne s’est guère amélioré depuis. Un environnement brutal où il est urgent que la diplomatie intervienne encore plus activement. Les moyens supplémentaires que je m’apprête à vous présenter répondent à ces enjeux. Ils nous permettront de déployer une diplomatie combative, agile et innovante ; une diplomatie de résultats concrets, au service des Français.

Dans un premier temps, je vous présenterai l’économie générale de ce budget. Le MEAE comprend deux missions. La mission Action extérieure de l’État comporte les programmes 105 Action de la France en Europe et dans le monde, 151 Français à l’étranger et affaires consulaires et 185 Diplomatie culturelles et d’influence. La mission Aide publique au développement comprend le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, qui relève du Quai d’Orsay.

La trajectoire d’augmentation de notre budget se confirme et s’amplifie. En 2023, il devrait ainsi atteindre 6,65 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), pour l’ensemble de ses missions, avec une augmentation de 543 millions d’euros – soit une progression de 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cette hausse bénéficiera à hauteur de 160 millions d’euros à la mission Action extérieure de l’État, qui atteindra 3,218 milliards d’euros. Cela constitue une augmentation substantielle. Elle s’inscrit en outre dans la trajectoire d’augmentation des moyens de la mission Aide publique au développement. Le programme 209, rattaché au Quai d’Orsay, en bénéficiera à hauteur de 383,1 millions d’euros. Il atteindra 3,436 milliards d’euros et deviendra donc prépondérant dans le budget du ministère.

J’ajoute que les deux programmes de la mission Aide publique au développement, qui est pilotée par ce ministère et regroupe les programmes 209 et 110, atteindront 5,77 milliards d’euros. Cela représente une hausse de 17 % par rapport à 2022 et un doublement des crédits par rapport à 2017.

Par ailleurs, fait particulièrement notable cette année, nos effectifs vont croître pour la première fois en trente ans, avec 100 ETP supplémentaires. Les effectifs avaient baissé de 30 % au cours des deux dernières décennies et de 17 % depuis 2006 – et cela sans modification substantielle du périmètre du ministère. Le PLF 2023 marque une rupture avec cette tendance, qui n’était plus soutenable. Mon prédécesseur parlait d’hémorragie des emplois. Cette évolution était d’autant plus intenable que la situation internationale ne s’est pas améliorée et que les moyens de nos principaux partenaires ont crû ces dernières années. Le plafond d’emplois du ministère est ainsi porté à 13 634 équivalents temps pleins travaillés (ETPT). Pour un ministère comme le nôtre, il s’agit d’une augmentation substantielle. Elle visera pour l’essentiel à mieux répondre à des besoins accrus par la multiplication des crises internationales.

Afin de financer à la fois la hausse de notre plafond d’emplois et la poursuite des réformes en cours au sein du ministère, sa masse salariale connaîtra une hausse de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022.

Ces moyens nouveaux permettront d’accélérer la réforme des ressources humaines, au bénéfice de toutes les catégories d’agents : titulaires, contractuels ou de droit local. Ces moyens nouveaux s’établissent à 15,7 millions d’euros. Ils permettront de financer la poursuite de la mise en œuvre du plan de modernisation des ressources humaines, amorcée dans le cadre de la loi de finances pour 2022, ainsi que des mesures nouvelles à hauteur de 8 millions d’euros.

Grâce à ces moyens, nous continuerons à renforcer l’attractivité des métiers diplomatiques, en agissant tout au long des carrières. Lors du recrutement d’abord, en adaptant les épreuves des concours à l’exercice de nos métiers mais aussi en diversifiant les viviers de recrutement, afin que le ministère reflète tous les visages de notre pays. Je veillerai ainsi à ce que soit poursuivie l’expérience très réussie des deux premières académies diplomatiques d’été de La Courneuve, où est implantée une partie du ministère.

Nous amplifierons ensuite notre effort de formation, initiale et continue, afin que nos agents disposent de toutes les compétences nécessaires à l’exercice de leurs métiers. C’est le sens de l’école pratique des métiers de la diplomatie (EDI), implantée à La Courneuve et créée à l’initiative de Jean-Yves Le Drian.

Enfin, les rémunérations doivent pouvoir garantir des conditions de vie et d’exercice professionnel satisfaisantes. Nous avons veillé à ce que les mesures bénéficient à toutes les catégories d’agents. Après le plan ressources humaines financé en 2022, qui a notamment permis une augmentation des rémunérations des titulaires comme des contractuels en administration centrale, nous poursuivrons en 2023 la mise en œuvre du plan de convergence des rémunérations entre agents titulaires et contractuels, en lui consacrant 6,4 millions d’euros. J’insiste sur ce point, parce que le MEAE emploie 52 % de contractuels. Il entend rester pionnier dans la mise en œuvre du principe « à fonction égale, salaire égal ». Une dotation de 1,6 million d’euros sera également consacrée à la revalorisation des volontaires internationaux, ces jeunes collègues qui font un travail remarquable dans nos ambassades. Enfin, 3 millions d’euros sont prévus pour l’harmonisation des rémunérations des agents de droit local.

Ces mesures salariales s’accompagnent en outre de dépenses visant à améliorer la vie et le parcours de nos agents. Le budget de 4,8 millions d’euros consacré à l’école pratique des métiers de la diplomatie, fortement augmenté en 2022, est reconduit en 2023. Il s’agit ainsi de consolider l’offre de formation accessible à tous les agents.

Pour répondre aux besoins, une attention particulière sera portée au logement social, y compris d’urgence, avec un budget de 2 millions d’euros, qui prolonge l’important effort d’augmentation du parc de logements consenti l’an dernier.

Face aux effets de l’inflation, nous avons prévu une provision de 24 millions d’euros destinée à soutenir la rémunération de nos agents à l’étranger, y compris ceux de droit local.

Enfin, le ministère va poursuivre la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique, en faisant évoluer son organisation et son fonctionnement, afin de jouer pleinement son rôle de chef de file interministériel de l’action extérieure de l’État, rôle rappelé par le président de la République et la première ministre.

Après cette présentation générale, j’en viens à la mission Action extérieure de l’État, qui regroupe les programmes 105, 151 et 185.

Le PLF 2023 consacre le renforcement durable des moyens de notre diplomatie au service de trois priorités. La première concerne le programme 105. Il s’agit de nous donner les moyens d’agir efficacement dans un monde en voie de fracturation.

En ce sens, il est essentiel de maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d’agir dans la quasi-totalité des organisations régionales et internationales. La France dispose du troisième réseau diplomatique mondial, fort de 163 ambassades, de 16 représentations permanentes et de 90 consulats généraux. Nous sommes présents partout, et nous sommes en mesure de parler à tout le monde. C’est un atout majeur pour bâtir les coalitions qui nous permettent d’obtenir des votes favorables à l’organisation des Nations Unies (ONU), comme par exemple lors de la dernière Assemblée générale, où nous sommes parvenus à faire condamner l’agression en Ukraine et à isoler la Russie, ce qui n’était pas acquis. C’est également un outil puissant au service de nos ressortissants. C’est grâce à ce réseau universel que nous avons été en mesure de les aider pendant la pandémie de Covid-19, partout dans le monde.

Ainsi, en 2023, le programme 105 verra ses crédits croître de 77,9 millions d’euros, hors dépenses de personnel, pour s’établir à 1,308 milliard d’euros.

Cela concerne tout d’abord les contributions de la France aux organisations internationales et aux Nations Unies, qui matérialisent notre engagement en faveur du multilatéralisme, du maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi qu’en faveur de la souveraineté de l’Union européenne (UE).

Au sein du programme 105, les contributions augmenteront de 45,5 millions d’euros pour tenir compte notamment des effets de change : plus de la moitié de nos versements sont réalisés en dollars américains, devise utilisée par les Nations Unies. Elles s’établiraient ainsi à 829,1 millions d’euros.

La contribution du MEAE à la facilité européenne pour la paix (FEP), fortement sollicitée dans le cadre des actions de soutien à l’Ukraine, s’élève à 67,8 millions d’euros ; l’autre part de la contribution française est financée par le ministère des armées.

Je me réjouis également de la hausse de 2,3 millions d’euros de la contribution française au budget de la Cour pénale internationale (CPI), dont l’activité augmente depuis l’agression russe en Ukraine et dont le travail est essentiel pour poursuivre les exactions et crimes de guerre perpétrés par la Russie. La lutte contre l’impunité est un axe fort de notre action car il n’y a pas de paix sans justice. J’ai ainsi reçu Karim Khan, le procureur de la CPI. De même, la contribution française au Conseil de l’Europe augmente de 4,8 millions d’euros, conséquence de l’exclusion de la Russie.

Enfin, nous poursuivons l’effort mené depuis 2020 pour les contributions volontaires sur les thématiques climatiques et de développement, assurées par le programme 209, qui augmenteront de 59 millions d’euros cumulativement avec celles retracées par le programme 105.

Alors que nos partenaires décident de hausses importantes de leurs contributions, cet effort vise à conforter l’action des organisations internationales sur des sujets prioritaires pour nos intérêts, ainsi qu’à consolider l’influence française dans le système multilatéral.

Les crédits du programme 105 augmenteront aussi pour l’entretien et la modernisation de l’exceptionnel patrimoine immobilier du ministère, en France comme à l’étranger. Ce patrimoine est un outil de travail mais aussi de rayonnement et d’influence. En 2023, nous pourrons nous appuyer sur les moyens supplémentaires affectés à la direction des immeubles et de la logistique du ministère, qui disposera d’un budget de 119,7 millions d’euros. Les crédits supplémentaires permettront de poursuivre la mise en œuvre de notre programmation immobilière.

J’ai par ailleurs décidé de quintupler la dotation annuelle aux projets de verdissement des ambassades et des consulats, qui atteindra ainsi la somme de 1 million d’euros. Ils ont été pionniers en la matière et aux avant-postes de la sobriété énergétique dans le service public dès la préparation de la COP 21. Ils ont été exemplaires et doivent le rester.

Dans un contexte de persistance et souvent d’aggravation de la menace, les moyens nouveaux du programme 105 concernent aussi la sécurisation des emprises. L’enveloppe croît de 5 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 3 millions d’euros en CP. Cela permettra notamment de renforcer la sécurité des postes d’Islamabad, de Bagdad ou d’Addis-Abeba et, plus largement, de sécuriser les ambassades là où nos agents sont exposés à des situations de crise ou d’instabilité.

La progression des crédits du programme 105 bénéficiera aussi au numérique, pour lequel nous continuons à consentir des investissements soutenus. Il s’agit d’améliorer l’efficacité de nos outils, de pallier les inégalités de déploiement selon les pays et de renforcer la cybersécurité de notre réseau, le deuxième le plus attaqué après celui de la présidence de la République.

La stratégie d’investissement numérique se poursuivra donc en 2023 et les moyens de la direction du numérique s’établiront à 52,2 millions d’euros, en augmentation de 4,4 millions d’euros.

Enfin, la hausse des crédits du programme 105 s’appliquera à la communication stratégique. C’est un enjeu de plus en plus pressant, alors que nous sommes confrontés à des opérations de désinformation et de propagande hostiles, souvent d’origine russe, qui visent à attiser les discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique ou en Europe. Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous augmenterons de 2,5 millions d’euros les moyens de la direction de la communication et de la presse.

S’agissant de communication stratégique, la deuxième priorité assignée à la mission Action extérieure de l’État et au programme 185 est de renforcer notre politique d’influence, à l’heure où nos compétiteurs en font un véritable outil de puissance. L’influence est au cœur de batailles mondiales de plus en plus féroces. Elle est nécessaire pour maintenir un espace de dialogue et de coopération avec les sociétés civiles, alors que les tensions entre États s’aggravent. L’apprentissage du français, l’enseignement supérieur ou le rayonnement de nos industries culturelles et créatives sont autant d’enjeux stratégiques.

En 2023, la diplomatie culturelle et d’influence verra ainsi ses crédits augmenter de 11 millions d’euros, après transfert de la subvention de l’opérateur Atout France au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle. À périmètre constant, cela représente une augmentation de près de 40 millions d’euros. Le programme 185 disposera donc d’un budget total de 671,2 millions d’euros, hors dépenses de personnel.

Cette hausse permettra de soutenir les axes centraux de la diplomatie culturelle et d’influence.

Premier axe : l’éducation en français et à la française. Avec 566 établissements et près de 390 000 élèves dans 138 pays, le réseau d’enseignement français à l’étranger est un instrument unique d’influence. L’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) poursuit la mise en œuvre de son plan de développement, conformément à l’objectif de doublement du nombre d’élèves à horizon 2030, réaffirmé par le président de la République en mars 2018. Les moyens de l’agence seront renforcés à hauteur de 30 millions d’euros.

Deuxième axe : la diplomatie économique et la politique d’attractivité. Nous voulons aider l’offre française à rayonner à travers le monde et convaincre toujours plus d’entreprises étrangères d’investir en France. Pour la troisième année consécutive, la France a été en 2021 le pays européen qui a accueilli le plus d’investissements étrangers directs. Dans cette perspective, nous financerons en 2023 des contributions additionnelles à des événements qui renforceront la visibilité internationale de l’excellence française : coupe du monde de rugby et sommet Choose France en 2023, Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, Exposition universelle d’Osaka en 2025, entre autres. Le projet « marque France » va aussi monter en puissance dans les prochains mois. Cet effort, que l’opérateur Business France aura la charge de mettre en œuvre sous le pilotage du Quai d’Orsay, sera financé à la fois par des redéploiements et par des crédits nouveaux.

Enfin, l’année 2023 marquera la poursuite et le renforcement des dispositifs d’intervention du ministère en administration centrale et dans le réseau culturel, avec la reconduite des moyens de 2022. À cela s’ajouteront 2 millions d’euros pour les projets d’influence dans la zone indopacifique, pour renforcer l’attractivité française en matière d’expertise muséale et pour créer un fonds consacré aux innovations dans le domaine de la diplomatie d’influence.

La troisième priorité de la mission Action extérieure de l’État, c’est de mieux protéger et aider les Français de l’étranger. Comme chacun a pu le constater lors de la pandémie, le Quai d’Orsay est aussi le grand service public de nos concitoyens qui vivent hors de France.

En 2023, l’action consulaire retracée par le programme 151 sera dotée de 141,1 millions d’euros, hors dépenses de personnel – soit une légère baisse d’environ 900 000 euros en CP par rapport à 2022, année électorale. Le coût de l’organisation des élections présidentielle et législatives s’est élevé à 13,5 millions d’euros, somme qu’il est inutile d’inscrire en 2023 compte tenu de l’absence d’élections nationales. Pour autant, il est prévu d’augmenter de 12,6 millions d’euros les moyens consacrés aux Français de l’étranger et à l’action consulaire. La qualité du service rendu à nos compatriotes ne sera donc en rien entamée.

Alors que nombre d’entre eux sont confrontés à des contextes économiques dégradés, ils pourront continuer à compter sur une gamme d’aides sociales inégalée chez nos partenaires. Je voudrais que l’on mesure mieux qu’on ne le fait à quel point le niveau de service offert par les consulats et les ambassades est sans comparaison dans le monde.

Les bourses scolaires destinées aux enfants français qui étudient dans les établissements du réseau de l’AEFE retrouveront leur niveau de 2021, avec un budget de 105,8 millions d’euros, qui comprend des bourses spécifiques pour les enfants en situation de handicap. Des crédits supplémentaires seront alloués à l’aide sociale, les inégalités ayant progressé pendant la crise pandémique (16,2 millions d’euros en 2023, soit 1 million de plus qu’en 2022). Le dispositif de secours occasionnel de solidarité – dit « SOS Covid » –, qui représentait 12 millions d’euros en 2021 et 4,3 millions d’euros en 2022, sera remplacé par une aide sociale classique pour ceux de nos compatriotes qui en auraient besoin. Ils pourront en outre compter sur le soutien des organismes locaux d’entraide et de solidarité (dotés de 1,4 million d’euros en 2023) et sur celui des associations agissant en faveur des Français de l’étranger, grâce au dispositif de soutien au tissu associatif des Français à l’étranger (STAFE) – 2 millions d’euros en 2023. Toutes ces aides sont distribuées en liaison avec les élus consulaires, qui constituent de précieux relais des besoins des Français de l’étranger et de nos actions.

Être aux côtés des Français de l’étranger, c’est aussi leur faciliter la vie en simplifiant leurs démarches. En ce sens, nous poursuivrons la modernisation de l’action consulaire à travers trois projets phares : la numérisation du registre de l’état-civil ; l’amélioration continue du dispositif de vote par internet ; la mise en place de l’expérimentation du service France Consulaire. Depuis ses débuts en octobre 2021, celui-ci a été étendu à treize pays : Croatie, Danemark, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldavie, Norvège, République tchèque, Roumanie, Slovénie et Suède. Son extension en Europe se poursuivra jusqu’en 2023, avec la Grèce dès cette année, puis la Bulgarie ou encore Chypre, avant de se prolonger dans le reste du monde en fonction des moyens disponibles.

Aider les Français de l’étranger, c’est également développer de nouveaux services, comme l’expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, qui débutera en 2023 au Canada et au Portugal. Ou encore le déploiement à grande échelle de la nouvelle application de rendez-vous consulaires.

J’en viens maintenant à notre action de solidarité à l’égard des pays en développement, conduite par le programme 209. La priorité du PLF 2023 est claire : renforcer et moderniser l’APD.

Ses crédits sont gérés par les programmes 209, qui relève du Quai d’Orsay, et 110, qui dépend de Bercy. La progression importante de ces crédits traduit les engagements pris lors du vote de la loi de programmation du 4 août 2021. Cet effort doit permettre de concrétiser l’ambition du président de la République en matière d’APD, en conservant une trajectoire très dynamique en volume. Cela représente près de 860 millions d’euros d’augmentation sur l’ensemble de la mission, dont 383,1 millions d’euros pour le programme 209 et 476 millions pour le programme 110.

En attendant le prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui devrait se tenir d’ici à la fin de l’année sous l’égide de la première ministre, nos priorités restent celles fixées par celui de 2018, confirmées par la loi du 4 août 2021. Il s’agit de cinq priorités sectorielles et de priorités géographiques. Les premières concernent la santé, le climat, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’éducation, la prévention des crises et le traitement des fragilités. Les secondes nous amènent à concentrer l’aide sur dix-huit pays d’Afrique subsaharienne et sur Haïti.

Au-delà de ces priorités, la capacité à répondre aux crises humanitaires est aujourd’hui un enjeu majeur. Ce projet de budget en prend pleinement la mesure. L’aide humanitaire programmée atteint ainsi 642 millions d’euros par le biais de trois canaux principaux : 200 millions d’euros mis en œuvre par le fonds d’urgence et de stabilisation (+ 30 millions d’euros) ; 160 millions d’euros destinés à l’aide alimentaire programmée (AAP) (+ 41,7 millions d’euros) ; 200 millions d’euros pour les contributions volontaires humanitaires aux Nations Unies (+ 19,5 millions d’euros). L’initiative FARM recevra 75 millions d’euros, afin de répondre à l’aggravation de l’insécurité alimentaire mondiale provoquée par l’invasion de l’Ukraine et par le blocus de la mer Noire.

Afin d’être les plus réactifs possible, cette programmation a été doublée par la constitution d’une provision pour crises majeures, que nous avons réussie à plus que décupler, en la portant de 23 millions à 270 millions d’euros. Un tel saut quantitatif devient qualitatif et il doit permettre de répondre efficacement à de nouvelles urgences humanitaires. En tout, ce sont donc 912 millions d’euros qui sont susceptibles d’être consacrés à l’aide humanitaire en 2023.

Je voudrais enfin rappeler que, conformément à la loi du 4 août 2021, la part d’aide bilatérale sera rehaussée, passant de 1,6 milliard d’euros en 2022 à 2,1 milliards d’euros en 2023. Outre l’aide humanitaire que je viens d’évoquer, cela se traduit par une augmentation de l’aide-projet (+ 84 millions d’euros), dont 20 millions d’euros pour les projets mis en œuvre par les organisations non gouvernementales (ONG) et 10 millions d’euros pour l’enveloppe allouée au fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI). Ces projets sont plébiscités par les ambassades du fait de leur impact rapide et visible. Leur enveloppe sera donc portée à 80 millions d’euros. Enfin, 20,6 millions d’euros supplémentaires seront affectés aux experts techniques internationaux (ETI), conformément à l’objectif présidentiel de doublement de leur nombre à l’horizon 2023.

La santé mondiale restera une priorité l’année prochaine. Je pense notamment au fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), qui a sauvé 50 millions de vies en vingt ans d’existence et qui, comme l’a rappelé récemment le président de la République, a l’ambition de faire disparaître ces maladies d’ici à 2030. Nous y prendrons toute notre part. Outre 70 millions d’euros pour la reconstitution 2020-2022 du fonds, nous allons lui consacrer 300 millions d’euros supplémentaires pour le prochain cycle triennal 2023-2025, soit près de 1,6 milliard d’euros sur l’ensemble de la période.

La part du programme 209 consacrée à la coopération européenne s’établira à 374 millions d’euros à travers le fonds européen de développement (FED). Elle poursuivra sa diminution jusqu’à extinction des projets démarrés dans le cadre du 11e FED, qui sera définitivement remplacé en 2027 par le nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI).

Les ressources du programme 209, comme celles du programme 110, sont complétées par le fonds de solidarité pour le développement (FSD), géré par l’Agence française de développement (AFD) pour le compte de l’État. Doté de 738 millions d’euros, dont 487 millions d’euros au titre de la quote-part du MEAE, le FSD poursuivra le financement de plusieurs fonds multilatéraux dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Avant de conclure, un mot du nouveau mécanisme de restitution des biens mal acquis, créé au sein de la mission Aide publique au développement par la loi de finances pour 2022. Sous la responsabilité du MEAE, le programme 370 doit permettre, à terme, de restituer sous la forme de projets de coopération et de développement avec les populations concernées les recettes issues de la cession de biens mal acquis. Les financements vont progressivement se mettre en place dès que les procédures judiciaires aboutiront. Le MEAE suit attentivement la montée en puissance de ce dispositif, qui dépend de l’avancée des procédures judiciaires.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Vincent Ledoux (RE). Après avoir rapporté pour avis pendant cinq années sur le budget de l’action extérieure de l’État et après avoir déploré la lente érosion de ses moyens – tout en saluant l’action de votre prédécesseur pour atténuer et inverser la tendance – je ne peux qu’être heureux aujourd’hui de voir une rupture fondamentale. J’espère qu’elle se maintiendra tout au long de la législature qui commence.

Trois axes principaux sous-tendent votre action dans le monde. D’abord une vision réaliste des relations internationales car la violence et la force sont bien souvent nichées au cœur des stratégies d’influence. Votre prédécesseur avait l’habitude de dire que l’influence est une forme de guerre par d’autres moyens. Nous ne pouvons pas être dupes du hard qui prend les apparences du soft. Nous saluons donc l’augmentation des moyens destinés à lutter contre la désinformation et les propagandes toxiques, qui s’exercent violemment à l’encontre de la France – notamment en Afrique, mais pas seulement. Il faut impérativement répliquer à la hauteur des attaques que nous subissons, telle que celle qui est hélas intervenue ce week-end au Burkina Faso contre un établissement symbole du rayonnement culturel francophone.

Après la vision réaliste, je saluerai l’esprit d’ouverture. Nous ne pouvons et nous ne devons pas nous recroqueviller sur nous-mêmes, animés d’un esprit de défaitisme. C’est le sens de votre politique d’influence et de l’augmentation des moyens pour favoriser la présence de la France dans les grandes organisations internationales des Nations Unies. Parce que la conflictualité augmente, il faut plus que jamais réinventer toutes les formes de discussion, dans tous les forums possibles. Comme vous l’avez dit, nous devons parler partout et avec tout le monde.

Enfin, j’évoquerai le terme de réinvention – vous employez celui de réarmement – car le piège serait de se contenter d’énumérer les organismes et les dispositifs qui composent notre réseau d’influence. Vous avez heureusement choisi de conforter la vision du rôle du diplomate tel un ensemblier au service des divers atouts de notre diplomatie – et Dieu sait que j’ai pu constater l’excellence de nos diplomates pendant ces cinq années écoulées. Ce PLF constitue l’occasion de saluer leur action de par le monde, leurs qualités, leur dévouement et leur bonne volonté à mettre en œuvre cette feuille de route que je souhaite que nous votions. Le groupe Renaissance vous soutiendra pour l’appliquer et en assurer le plein succès.

Mme Marine Le Pen (RN). Ma première question est d’une actualité brûlante, puisqu’il semblerait qu’une émission du magazine d’investigation Complément d’enquête évoque la distraction ou la disparition de mobilier national à des hauteurs insoupçonnées, notamment dans votre ministère. Allez-vous ouvrir une enquête au sein du MEAE concernant le vol de ce qui appartient aux Français ?

Je vous remercie pour tous les chiffres que vous nous avez communiqués. Cependant, comme le disait Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes ». Et j’ajouterai : que d’hommes de qualité car leur nombre ne fait pas tout. Je souhaite appeler votre attention sur la mise en extinction du corps des ministres plénipotentiaires et de celui des conseillers des affaires étrangères à partir du 1er janvier 2023, décidée par le président de la République. Le décret procédant pour cela à la fusion de ces deux corps a été signé le 16 avril 2022. Ces diplomates auront le choix entre demeurer dans un corps dit d’extinction ou être intégrés au corps des administrateurs de l’État, uniformisé et interministériel. Il s’agit de facto de privatiser la haute fonction publique et de promouvoir le népotisme, sous le prétexte de favoriser l’innovation et le dynamisme.

Ce projet est mortifère, notamment parce que les spécialités des hauts fonctionnaires ne sont pas interchangeables. Tous les fonctionnaires n’ont pas la fibre internationale, ni les diplomates la fibre préfectorale. Ce décret de mise en extinction vise un ministère déjà très éprouvé par une réduction d’effectifs de 50 % au cours des trente dernières années. Il est d’autant moins justifié que le Quai d’Orsay est l’une des administrations les plus ouvertes et diversifiées, avec 19 % des ambassadeurs et 41 % des chefs de service qui ne sont pas diplomates. Il en est de même pour les 52 % d’agents contractuels.

Lorsqu’on a choisi de consacrer sa vie au rayonnement et à la promotion de la France sur la scène internationale, à l’issue du concours le plus sélectif de la fonction publique, il serait absurde d’être contraint de mener une carrière systématiquement interministérielle et indifférenciée.

Il s’agit en réalité de la fin de toute spécialisation, pourtant gage de performance du réseau diplomatique. C’est la fin de la transmission de la mémoire de l’institution, de l’accumulation de l’expérience, du façonnement d’une culture et de compétences particulières. C’est condamner notre personnel diplomatique à l’éternel noviciat. À l’heure du retour de la guerre en Europe, de l’effondrement de l’influence française en Afrique et de la remise en cause de l’ordre international né en 1945, l’urgence est de renouer avec une politique étrangère puissante.

Ma question est simple : qu’en est-il des états généraux de la diplomatie, promis par le président de la République et censés être une plateforme de négociation au sujet de cette réforme ? Notre outil diplomatique et consulaire garantissait à la France de tenir un rang conforme à son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et à son statut historique de grande puissance. Le professionnalisme et la qualité dont est empreinte notre diplomatie sont salués dans toutes les enceintes internationales, par les alliés comme par les rivaux. Avec les deux concours du cadre d’Orient, cette diplomatie incarne l’exception française, que vous devriez protéger et non détruire. La fusion interministérielle serait fatale à la survie de l’excellence diplomatique française. Nous ne pouvons pas nous le permettre, à l’heure ou la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Turquie et les États-Unis renforcent leurs réseaux diplomatiques et consulaires.

Plus que jamais, je suis convaincue que nous devons renouer avec le concept d’État stratège, sans recours excessif à la privatisation de ses fonctions régaliennes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je tiens à rappeler que notre commission a désigné deux rapporteurs d’information, MM. Ledoux et Le Gall, sur cette question tout à fait importante de la réforme du corps diplomatique.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). En cette période de résurgence des conflits sur le continent européen et d’aggravation des crises de tous ordres au niveau mondial, la France se doit de disposer d’une action extérieure forte et d’un programme ambitieux de solidarité internationale. À la lecture du PLF 2023, nous notons quelques évolutions positives, comme l’augmentation des crédits alloués à la mission Action extérieure de l’État, ainsi que l’augmentation du plafond d’emplois du MEAE de 106 ETP.

Cette annonce nous semble néanmoins tardive et insuffisante, après des décennies d’affaiblissement de notre diplomatie. En effet, les effectifs du ministère ont été réduits de moitié en l’espace de trente ans. Le détricotage du troisième plus grand réseau diplomatique au monde serait de plus amplifié par la réforme prévoyant la suppression des corps diplomatiques. Les personnels de votre ministère ont lancé un mouvement de grève inédit en juin dernier pour dénoncer une réforme qui porterait aux nues le nivellement par le bas et l’ubérisation de notre diplomatie, tout en augmentant le pouvoir discrétionnaire sur les nominations des hauts fonctionnaires. Emmanuel Macron proclame sa volonté de dialoguer et de tenir des états généraux de la diplomatie, tout en répétant qu’il ne reviendra pas sur une réforme pourtant unanimement critiquée.

Quelles mesures envisagez-vous pour défendre une diplomatie professionnelle, capable de peser sur la scène internationale ? Cela passe par l’interruption de cette réforme et par l’engagement d’une politique volontariste, pour être à même d’assurer les vastes missions dévolues au ministère.

Je souhaite également attirer votre attention sur les moyens consacrés au programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, pour lequel le PLF 2023 prévoit une légère hausse des crédits. Nombre de Français à l’étranger font face à des délais d’attente considérables pour effectuer des démarches administratives. Il faut s’interroger sur l’objectif de dématérialisation des services consulaires alors que nos concitoyens à l’étranger peinent à trouver un interlocuteur et un accueil humain. Quelles sont les mesures que vous prévoyez pour garantir une action consulaire de qualité ?

Le PLF 2023 ambitionne de porter à près de 6 milliards d’euros les crédits alloués à l’APD, afin que 0,55 % du revenu national brut y soit consacré. Cette hausse des crédits doit pourtant nous amener à une réflexion sérieuse et critique sur la manière dont elle est déployée. En effet, nous avons émis de nombreuses critiques quant à la transparence et au ciblage, géographique et thématique, des projets financés par l’APD. Il est en particulier regrettable que la politique d’aide au développement soit menée par une banque, ce qui constitue une contrainte structurelle qui implique la prééminence de prêts et entretient une logique de dépendance et d’endettement des pays bénéficiaires.

Quelles solutions peuvent être adoptées pour recourir davantage aux dons et aux subventions plutôt qu’aux prêts, afin de faire de l’APD un outil qui soit réellement au service de la solidarité internationale ?

M. Michel Herbillon (LR). Le 15 août 2022, les derniers militaires français de l’opération Barkhane ont quitté le Mali, ce qui met fin à neuf ans de lutte contre le terrorisme menée d’abord dans le cadre de l’opération Serval. Au total, cinquante-huit soldats français sont morts en moins d’une décennie en combattant les groupes armés salafistes djihadistes et pour défendre les valeurs auxquelles la France, l’Europe et plus largement le monde occidental, sont particulièrement attachés.

Samedi dernier, des manifestants ont tenté d’incendier l’ambassade de France, à Ouagadougou. C’est dans cette ville que le président Macron avait tenu un discours sur la refondation des relations entre la France et le continent africain en novembre 2017… L’institut français de Bobo-Dioulasso a été également pris pour cible. Au Mali comme au Burkina Faso, la France fait l’objet de nombreuses campagnes de désinformation. Notre pays et ses ressortissants y sont attaqués. Difficile de ne pas y voir l’action de la Russie et des milices du groupe Wagner, qui jouent un rôle majeur pour déstabiliser notre présence dans cette région de monde. En mars 2022, lors du vote sur la résolution à l’ONU contre la guerre en Ukraine, le Sénégal – avec qui la France entretient des relations étroites de longue date – a fait partie des pays africains qui se sont abstenus.

À l’occasion de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République et vous-même avez fortement insisté pour que notre diplomatie publique soit beaucoup plus offensive en Afrique. Vous avez pour cela nommé une ambassadrice chargée de la diplomatie publique en Afrique. Si je salue cette initiative, il n’en demeure pas moins qu’il convient de tirer les conclusions de cette année catastrophique pour l’influence de la France sur ce continent. Quelle analyse faites-vous de la situation et dans quelle mesure vous conduit-elle à redéfinir la stratégie de la France en Afrique ?

Par ailleurs, les priorités de la politique de développement au cours de ce quinquennat et la trajectoire de l’APD feront prochainement l’objet d’un comité interministériel. À cette occasion, et bien que cela puisse être malheureusement préjudiciable pour les populations, allez-vous défendre la remise en cause de l’APD dans des pays qui sont désormais résolument hostiles à la France ?

Toujours lors de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République a annoncé la tenue d’états généraux de la diplomatie d’ici à l’automne. Cette annonce fait suite notamment à la grève, historique, de nombreux diplomates contre la réforme de la haute fonction publique qui prévoit l’extinction du corps des conseillers des affaires étrangères et de celui des ministres plénipotentiaires. Je ne suis pas certain que cette réforme vise à, je vous cite, « renforcer l’attractivité du métier diplomatique ». Il est parfaitement anormal, madame la ministre, que la commission des affaires étrangères n’ait pas été saisie de ce dossier, ni même informée. Le calendrier électoral ne saurait justifier ce défaut d’information.

Quand ces états généraux seront-ils organisés ? Et le seront-ils pour acter un état de fait ou peuvent-ils remettre en question cette réforme, qui risque de profondément affaiblir notre corps diplomatique pourtant considéré comme l’un des meilleurs au monde ?

Mme Laurence Vichnievsky (DEM). Avant d’en venir au budget, je souhaiterais connaître les modalités de retour de femmes et des enfants de djihadistes détenus sur le territoire syrien, en cours d’étude au sein du MEAE.

Le budget que vous présentez comporte de bonnes nouvelles. Il est en augmentation de 9 % ; il faut le souligner et s’en féliciter. Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) se réjouit de la création de plus d’une centaine de nouveaux emplois, pour la première fois depuis près de trente ans. Je tiens ici à saluer le travail de votre prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, qui a beaucoup œuvré pour mettre fin au cycle néfaste de réduction des effectifs, entamé depuis de trop nombreuses années. Ces nouveaux emplois permettront de répondre à des besoins essentiels pour l’action de la France, notamment le renforcement de la capacité d’analyse politique dans les directions du ministère les plus exposées, afin de permettre de mieux anticiper les mouvements à venir dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe.

Renforcer la présence française dans la zone indopacifique doit aussi être une priorité. Les événements actuels à l’Est de l’Europe ne doivent pas faire oublier que c’est dans cette zone que se situent de nombreux enjeux pour l’avenir du monde et sa stabilité. Il faut également saluer la revalorisation des moyens accordés à la diplomatie culturelle et d’influence, avec notamment la hausse du budget de l’AEFE, dont une partie viendra soutenir l’action, essentielle, de cette institution au Liban, pays qui nous est si cher.

L’augmentation des crédits de l’APD est essentielle ; avec de près de 380 millions d’euros, elle se situe dans la droite ligne de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Il est en effet primordial que la France continue d’être un acteur majeur dans l’accompagnement du développement équilibré des pays les moins avancés, pour aider les populations et préserver leur environnement.

Je terminerai par une interrogation au sujet du renforcement du budget destiné à la lutte contre la désinformation anti-française, comme celle que l’on connaît en Afrique, mais pas seulement. Pourriez-vous nous détailler cette mission et ses objectifs ?

Pour conclure, je vous assure du soutien de notre groupe lors de l’examen de ce bon budget, qui sera examiné par notre commission très prochainement.

M. Alain David (SOC). Je vous remercie pour cette présentation, qui reprend les informations qui figurent dans le dossier de presse. Nous aurions sans doute eu besoin de plus d’éléments, et notamment des projets annuels de performances, pour disposer d’une meilleure vue du PLF. Mais je ne doute pas qu’avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés nous présenterons quelques amendements, comme nous en avons l’habitude.

Les arbitrages budgétaires sont liés aux évolutions de la situation internationale et, en particulier, au conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine.

S’agissant du rayonnement de la France à l’étranger, le secteur audiovisuel public extérieur est aussi l’une des voix de notre pays. France Médias Monde diffuse dans le monde entier – ou presque – une information objective et non partisane, lutte contre la désinformation, accompagne notre diplomatie ainsi que le commerce extérieur et transmet nos valeurs, en promouvant la francophonie.

La suppression de la redevance audiovisuelle va provisoirement être compensée par une part de TVA jusqu’en 2025. Après, c’est l’incertitude. Cette absence de visibilité suscite des inquiétudes. Vous avez à diverses reprises affirmé votre soutien à France Médias Monde. Pouvez-vous le confirmer de nouveau à l’occasion de ce projet de budget ?

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Tout d’abord, nous nous félicitons de la hausse des crédits accordés à votre ministère. Je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le déficit commercial, qui va atteindre cette année un niveau record du fait de la conjoncture internationale, de l’envolée de la facture énergétique et de la dépréciation de l’euro.

Moteur traditionnel de notre commerce extérieur, le secteur aéronautique est confronté à de très sévères difficultés. Cette filière est dans une situation paradoxale. Le marché mondial de l’aviation commerciale reste en effet dynamique, grâce au renouvellement important de la flotte par des avions de nouvelle génération, qui consomment jusqu’à 25 % de carburant en moins. Durant la crise sanitaire, Airbus et ses sous-traitants ont su conserver une avance technologique indéniable, tout en avançant fortement vers la décarbonation. Pourtant, ils ne peuvent pas répondre à la demande, principalement en raison de la rupture d’approvisionnement de matériaux comme le titane – indispensable à la fabrication de certaines pièces – et de composants électroniques.

Le rapport remis au Gouvernement en janvier 2022 par Philippe Varin a souligné la fragilité des chaînes d’approvisionnement et la nécessité de retrouver une souveraineté industrielle. Cela concerne aussi bien l’aéronautique que les producteurs de batteries électriques ou le secteur éolien. Plusieurs rapports récents mettent en garde contre la menace de pénurie mondiale de certains matériaux, indispensables pour répondre au défi de la transition énergétique.

Les outils d’accompagnement des entreprises présentes sur le marché international sont appréciés et jugés performants. Il faut d’ailleurs saluer le travail de la direction de la diplomatie économique du MEAE. Mais ne faudrait-il pas se montrer plus innovants et plus combatifs, compte tenu de la menace de rupture des approvisionnements. Si elle n’est pas nouvelle, elle prend une tout autre ampleur dans le contexte géopolitique actuel.

Comment la puissance publique pourrait-elle aider davantage les acteurs concernés à sécuriser ces approvisionnements internationaux, à commencer par ceux de la filière aéronautique ?

M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). Je joins ma voix à celle de mes collègues pour vous dire que nous sommes satisfaits de l’augmentation sensible des crédits du MEAE, en particulier de celle de plus de 850 millions d’euros de la mission Aide publique au développement. Cette hausse devrait permettre de répondre aux objectifs de programmation financière, dans la continuité des augmentations opérées lors de la législature précédente. Nous espérons aussi qu’elle permettra de se rapprocher de l’objectif de 0,7 % du PIB, fixé par la communauté internationale dès les années 1960. Je souhaiterais à cet égard saluer le travail de notre commission au cours de la précédente législature car c’est un amendement qui a permis d’inscrire dans la loi de programmation l’objectif de 0,7 % en 2025.

Nous serons vigilants au sujet de l’allocation de ces ressources et du respect des objectifs et des priorités que vous avez vous-même rappelées. Pour ce qui est des instruments, la priorité doit être donnée aux dons plutôt qu’aux prêts.

La loi a défini dix-neuf pays prioritaires. Je voudrais rappeler à notre collègue Michel Herbillon que l’aide au développement ne se limite pas à l’aide budgétaire. Certains parmi ces pays prioritaires souffrent des crises actuelles, de la guerre et du terrorisme. Des ONG, à Bamako notamment, continuent malgré tout leur travail, ce qui permet de maintenir l’APD et de ne pas abandonner ces pays. Je tiens à rappeler aussi l’importance de l’aide bilatérale, dont le rattrapage budgétaire ne doit pas se faire au détriment de l’aide multilatérale, qui est indispensable contrairement à certaines idées reçues.

Je souhaite aborder la question du fonds de solidarité pour le développement et, en particulier, de la taxe sur les transactions financières (TTF). La part de cette taxe qui est consacrée au développement est plafonnée à 528 millions d’euros. Depuis maintenant plus de dix ans, les recettes augmentent mais ne profitent pas à l’objet pour lequel la taxe a été créée, c’est-à-dire l’APD. L’augmentation des recettes va en effet uniquement au budget général. J’essaie depuis des années de convaincre mes collègues et le rapporteur général du budget de mettre un terme à cette anomalie. Je n’y suis pas encore parvenu, malgré le soutien du ministre Jean-Yves Le Drian. J’espère que l’on arrivera enfin à faire en sorte que l’augmentation des recettes de la taxe sur les transactions financières soit effectivement affectée à l’APD.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Notre groupe se félicite de la hausse du budget du MEAE. J’espère pour ma part que ces moyens supplémentaires signifieront plus d’activisme de vos services en faveur de Mayotte et une diplomatie plus agressive pour défendre ce département français sur la scène internationale.

Le mercredi 28 septembre dernier, la commission des lois a auditionné Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer. Durant cette audition, la situation de Mayotte et la question de l’immigration comorienne ont été abordées par plusieurs collègues. En 2021, plus de 10 000 naissances ont eu lieu à Mayotte. On décrit souvent l’hôpital de Mamoudzou comme la première maternité d’Europe mais c’est oublier que parmi les 10 000 bébés qui y naissent, 7 400 le sont de mères comoriennes, souvent en situation irrégulière et qui espèrent accéder à la nationalité française grâce à ces enfants. La machine démographique et la poussée migratoire comorienne à l’œuvre à Mayotte déstabilisent profondément notre département. Violence, accaparement des terres, saturation des services publics, prolifération des trafics et croissance de l’économie clandestine, destruction de l’écosystème ne cessent d’être dénoncés et condamnés par les gouvernements successifs.

En même temps, ces gouvernements déploient depuis plusieurs décennies une stratégie d’aide financière aux Comores, en faisant d’ailleurs totalement abstraction de leur revendication territoriale sur Mayotte. Cette aide est présentée comme un investissement pour endiguer le flux migratoire. Lors de son audition, le ministre chargé des outre-mer a indiqué que 150 millions d’euros avaient ainsi été donnés à Mayotte.

Les crédits de la mission Aide publique au développement vont progresser de 37 %, pour atteindre 7 milliards d’euros en 2025. Des augmentations pour les crédits bilatéraux et multilatéraux sont prévues, dont les Comores vont bénéficier. Au regard de la hausse continue de l’immigration comorienne à Mayotte, quelle est la rentabilité de cet investissement en aide publique ? Va-t-on continuer à dépenser l’argent des contribuables français en pure perte au profit des Comores ? Peut-on continuer à financer un pays qui colonise et déstabilise ouvertement un département français ?

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Tout le monde se félicite de la hausse des effectifs de votre ministère après tant d’années de réductions.

Concernant l’attractivité du métier, bon courage ! Parce que vous êtes celle qui est chargée d’enterrer le corps diplomatique, si j’ai bien compris. Comment rendre un métier attractif quand on détruit des siècles d’expérience ? C’est catastrophique et il faudra bien entendu revenir sur cette réforme. Mais l’attractivité dépend aussi d’une certaine idée de la France, que doit servir notre diplomatie.

J’ai été très surpris de voir votre ministère, et donc vous-même, se borner à « prendre acte » de l’enquête de Bakou sur le massacre des prisonniers arméniens par les soldats azéris. J’ai l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. Est-ce que les massacres sont seulement perpétrés par les Russes ? Quant à ceux commis par les Ukrainiens, par l’Arabie saoudite au Yémen ou par les Azéris, votre ministère en prend acte, mais il ne les condamne pas. Cela a beaucoup choqué les Arméniens, où qu’ils soient. J’aimerais connaître votre réaction sur ce communiqué très surprenant.

Que pensez-vous du sabotage des gazoducs Nord Stream ? Et de la déclaration de M. Zelinski, qui a dit vouloir tuer chaque Russe tant que Poutine sera au pouvoir ? N’avez-vous pas le sentiment qu’on bascule progressivement d’une protection légitime de l’Ukraine à une volonté de déstabilisation complète de la Russie ? Est-ce l’intérêt de la France ?

Enfin, trouvez-vous normal que Mme von der Leyen s’exprime au nom de la France ? Elle n’a été élue ni par les Français, ni par personne. La France, et donc le président de la République, accepte de plus en plus que Mme von der Leyen s’exprime en son nom, pour des sanctions, pour des remarques et pour jeter de l’huile sur le feu en Ukraine. Est-ce acceptable et est-ce conforme à une certaine idée de notre pays ? Au fond, n’y a-t-il pas un lien entre la destruction de notre corps diplomatique et la fin d’une France indépendante ?

Mme Catherine Colonna, ministre. Vous me contraignez à un choix cruel en me demandant de répondre, dans un temps imparti nécessairement bref, sur le budget et à des questions d’actualité, voire de politique générale. Je m’efforcerai de faire un peu des deux, en risquant ainsi de mécontenter tout le monde et de ne donner satisfaction à personne.

Monsieur Ledoux a parlé du réarmement et même de la réinvention de notre outil diplomatique. Je tiens à préciser que nous sommes un ministère pacifique, même s’il faut parfois préparer la guerre pour assurer la paix. En employant le terme « réarmement », je m’inscrivais dans le mouvement général observé ces dernières années pour les ministères régaliens. Certains en avaient déjà amplement bénéficié, comme les ministères des armées, de l’intérieur et, désormais, de la justice. Il était temps qu’il en soit de même pour le Quai d’Orsay.

Le terme de réinvention est un bon terme. En évoquant ce concept, je voulais aussi dire qu’il faut que le MEAE développe davantage une culture de l’innovation. Le monde change, nous devons être agiles. Nous le ferons en matière de communication, dans la limite de nos moyens. Nous le faisons aussi à travers les stratégies d’influence, qui sont devenues capitales. Je crois au terrain et je soutiendrai les propositions qui en émaneront, si elles paraissent prometteuses. C’est ce que nous avons fait, monsieur Julien-Laferrière, dans le domaine du développement. Nous avons soutenu des idées émises par les ambassades, avec des projets souvent modestes, rapidement réalisables, adaptés aux besoins locaux et visibles par les populations. Nous allons donc développer la flexibilité et la réactivité. Je concède que nous étions un peu en retard en la matière.

Madame Le Pen, je me réjouirais presque de vous entendre plus souvent. Merci de rappeler la qualité des ambassadeurs, des diplomates en général et celle de notre outil diplomatique. Mais j’aimerais tenter de corriger une confusion. La disparition de certains corps ne signifie ni la disparition des individus, ni celle des emplois. Au contraire, nous créons des emplois. Il fallait le faire, car il faut des gens pour assurer les missions et garantir que la machine fonctionne. Au demeurant, le décret du 16 avril dernier ne supprime pas les deux corps que vous citez. C’est au contraire le texte réglementaire qui matérialise les garanties obtenues par mon prédécesseur.

Les états généraux de la diplomatie vont s’ouvrir dès ce mois d’octobre, la décision ayant été prise par le président de la République et par la première ministre, sur ma proposition. Il est nécessaire de mener une réflexion avec tous ceux qui sont concernés : les élus, des partenaires extérieurs, les jeunes diplomates et toutes nos forces vives. Cette réflexion doit se projeter au-delà de la réforme des corps et permettre de répondre au besoin de sens du personnel tout en lui faisant connaître les priorités que l’État fixe. Un premier bilan de ces états généraux devrait pouvoir être réalisé au début de l’année prochaine. Il s’agira alors de dessiner les lignes directrices qui permettront de renforcer notre diplomatie.

Je n’ai pas vu l’émission de Complément d’enquête mais nous la regarderons avec attention. Le thème que vous mentionnez a déjà été exploré par le passé. Si des faits nouveaux qui relèvent de la justice étaient révélés, il y aurait bien entendu matière à enquête. Les registres du mobilier des ambassades sont très précisément tenus et font l’objet d’un examen annuel. Chaque ambassadeur doit signer les documents d’inventaire au début et à la fin de ses fonctions : il engage ainsi sa propre responsabilité.

Madame Leboucher a évoqué les services consulaires aux Français et les délais d’obtention de rendez-vous. Sans doute avez-vous perçu dans le vœu que j’ai formé une petite critique sur la situation actuelle. La pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont empêché pendant plusieurs mois les personnels de travailler au même rythme que d’habitude. Même si les services consulaires français n’ont jamais fermé – contrairement à ceux d’autres pays –, un retard certain s’est partout accumulé. Nous pensons pouvoir améliorer la situation dès la fin de cette année grâce à une nouvelle plateforme de prises de rendez-vous. Je profite de l’occasion pour appeler nos compatriotes à la responsabilité. Trop de rendez-vous sont pris mais ne sont pas honorés et restent bloqués car on ne prend pas la peine de les annuler. La nouvelle plateforme est en cours de déploiement et va être mise en place très bientôt. Dans les pays où les besoins sont les plus urgents, des renforts ponctuels d’effectifs pourront être déployés. Nous avons également travaillé avec le ministère de l’intérieur pour faciliter certaines démarches administratives, notamment en supprimant la deuxième comparution lors des renouvellements de passeport. Des expérimentations en ce sens sont menées dès cette année dans deux pays.

L’AFD est en effet une banque, et c’est nécessaire si nous voulons qu’elle lève des fonds sur les marchés internationaux et assure son rôle. Ne confondons pas l’instrument et le pilotage. L’AFD est un opérateur de l’État. Elle est placée sous la triple tutelle du MEAE, de Bercy et du ministre délégué chargé des outre-mer. Une programmation et un pilotage politique sont donc assurés et j’espère qu’un CICID se tiendra bientôt. Un comité du développement présidé par le président de la République sera peut-être même organisé, ce qui serait une bonne chose en début de législature.

Il faut relever que les dons ont nettement plus progressé que les prêts : c’est le résultat de ce pilotage politique. Ces dons représentent 1 milliard d’euros au titre de l’aide-projet, 80 millions d’euros s’agissant du FSPI – avec des projets innovants qui sont très utiles localement – et 600 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire. Cela permet de concentrer les efforts dans les pays les plus fragiles, alors que les prêts vont bénéficier aux pays dits intermédiaires, que les ratios actuels d’endettement rendent éligibles aux mécanismes d’emprunts.

J’en viens au Burkina-Faso, premier sujet évoqué par Monsieur Herbillon. Notre priorité est et demeure la sécurité des ressortissants français. La situation a évolué dans le sens d’un relatif retour au calme. Néanmoins, nous avons pris tout de suite les mesures nécessaires. Un dispositif a été arrêté à cet effet, sur lequel je ne m’étendrai pas. Je rappelle qu’il s’agit d’une crise politique intérieure au Burkina Faso. Elle ne nous concerne pas directement et nous n’en sommes pas partie prenante. Il y a eu des actions de désinformation, très clairement organisées par des petits groupes qui ont peut-être été manipulés. Je ne ferai pas de commentaires sur les commanditaires potentiels ; certaines images en disent plus que je ne peux le faire dans ma fonction. Des appels irresponsables ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Nous avons demandé qu’ils cessent. Nous avons pu arrêter des tentatives d’intrusion. La situation a évolué un peu plus favorablement mais nous restons mobilisés et prudents. Parallèlement, des missions diplomatiques s’organisent. Une mission de haut niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se déroule sur place. Nous espérons qu’elle pourra apporter un peu de raison et rappeler que le Burkina Faso a besoin du respect du calendrier de retour à l’ordre constitutionnel, perturbé depuis trop longtemps. Les dommages subis par l’ambassade de France sont évalués entre 2 millions et 2,5 millions d’euros.

La situation générale au Sahel mériterait à elle seule un débat. Je rappelle simplement que, par notre engagement, nous avons évité que le Mali ne bascule et que Bamako ne soit prise par les groupes djihadistes. Mais cela n’a pas suffi à assurer la stabilité du pays. Je vous remercie d’avoir rendu hommage aux soldats français qui ont perdu la vie dans cette noble mission, qui a permis de marquer des points contre les groupes terroristes armés (GAT). Malheureusement, les autorités maliennes – issues d’un double coup d’État – n’ont pas poursuivi la même politique. Par leur action et par leurs alliances avec des mercenaires, elles ne font pas preuve de beaucoup d’efficacité dans la lutte contre les GAT.

Je reviens brièvement sur les questions de communication et de lutte contre la désinformation soulevées par madame Vichnievsky. Nous voulons mieux anticiper les attaques informationnelles et voir d’où elles proviennent, en accroissant nos capacités de veille sur les réseaux sociaux. Une nouvelle sous-direction de la direction de la presse et de la communication du Quai d’Orsay sera désormais chargée de le faire. Une fois que l’on a veillé, observé et identifié, il faut ensuite agir. Nous nous employons à toucher de nouveaux publics, sur de nouvelles plateformes et dans de nouvelles langues, ce qui suppose des moyens. Il faut aussi que les ambassades soient en mesure d’être plus réactives, en augmentant leurs moyens à l’aune de ceux qui nous sont donnés. Il faut toujours se souvenir que les pays où sévit la désinformation sont les mieux armés pour lutter contre elle. L’action d’influence que nous menons et l’APD que nous leur apportons sont des moyens dont il ne faut pas oublier l’importance dans cette lutte contre les fausses informations.

Peut-être avez-vous appris qu’une nouvelle opération de rapatriement d’enfants retenus dans des camps en Syrie a été menée aujourd’hui. Je ne comptais pas la confirmer mais le parquet national antiterroriste l’a fait. Nous essayons de ramener ces enfants lorsque c’est possible et si nous pensons que les conditions locales le permettent. Nous n’assurons pas, bien évidemment, le contrôle effectif de ces territoires et les conditions sur place sont très difficiles. Ce sont des opérations délicates, sur lesquelles nous ne communiquons jamais en amont pour des raisons évidentes. Je rends hommage à tous les services de l’État qui sont impliqués dans ces opérations d’une très grande complexité.

Monsieur David, quelles que soient les modalités de financement de l’audiovisuel public, le MEAE restera vigilant à ce que les moyens accordés à l’audiovisuel extérieur soient maintenus, voire augmentés. Il est indispensable que ces médias puissent répondre à leur mission de presse libre et indépendante, qu’ils diffusent une information professionnelle et de qualité et qu’ils luttent contre la désinformation qui se répand à bas bruit. L’année 2023 sera celle de la consolidation du rôle de cet audiovisuel extérieur. Nous avons par exemple mis en place un dispositif d’accueil de journalistes ukrainiens en exil, grâce à France Médias Monde. Par le biais de RFI Romania, nous pouvons émettre une information fiable et de qualité, en ukrainien et en russe. Quant à votre réflexion sur le contrat d’objectifs et de moyens, elle dépasse ma compétence et concerne les années 2024 et 2025.

Monsieur Portarrieu a posé deux questions sur le déficit commercial. Je crois avoir répondu par anticipation en ce qui concerne les moyens que le MEAE peut consacrer à l’amélioration de l’attractivité de la France, avec plutôt de bons résultats. Cela ne suffit pas à réduire le déficit commercial mais c’est un sujet qui dépasse la compétence du seul MEAE. Vous avez également abordé la question de l’autonomie et de la résilience de certaines filières industrielles. Nous sommes bien informés des points d’attention particuliers que la société Airbus a évoqués s’agissant de certains métaux nécessaires. De manière plus générale, il faut diversifier nos fournisseurs. C’est ce qu’Airbus a entrepris de faire mais il lui faudra encore quelques mois pour être moins dépendante, d’un pays en particulier.

Monsieur Julien-Laferrière, les sommes mobilisées dans le cadre du FSD ne sont pas considérables. Il s’agit cependant d’un outil intéressant qui est plébiscité, tant par les ambassadeurs que par les pays ou les populations qui peuvent en bénéficier. Ce qui compte, ce n’est pas la provenance des crédits de l’APD, c’est leur total – et il augmente considérablement en volume. Vous me direz probablement que ce total ne progresse pas suffisamment en pourcentage. Mais l’objectif de 0,5 % prévu par la loi du 4 août 2021 pour cette année est atteint. Pour ce qui est des années suivantes, vous avez formulé un vœu par voie d’amendement, auquel je souscris. J’observe que la croissance du produit intérieur brut (PIB) permet une augmentation considérable en volume de notre aide au développement. Elle a doublé depuis 2017, ce qui est un beau résultat. Il est plus facile d’assurer le pilotage politique de l’APD dans le cadre de la mission Aide publique au développement plutôt qu’en dehors de celle-ci. Je souscris à la demande de votre assemblée d’assurer un pilotage politique étroit de ces activités, et notamment de l’AFD.

Madame Youssouffa, j’ai bien noté votre préoccupation. Nous sommes conscients des difficultés économiques, sociales et migratoires à Mayotte. Vous m’aviez interrogée à ce sujet lors des questions au Gouvernement. J’avais à cette occasion rappelé les chiffres des expulsions, qui sont très importants. Le faible niveau de développement de certains territoires, comme les Comores, conduit nombre de leurs habitants à émigrer. Nous ne sommes, par conséquent, pas favorables à la fin de l’APD. Au contraire, il faut trouver des solutions pour que les pays les moins avancés se développent, afin qu’il y ait moins d’émigration. On ne réglera pas ce problème si l’on n’agit pas sur les causes de ces migrations. Pour les Comores, un plan de développement de 150 millions d’euros est prévu. Il a pour objectif d’agir sur les causes pour prévenir davantage les départs de migrants clandestins vers Mayotte. Il s’agit de favoriser et de multiplier les possibilités de développement économique aux Comores, en ciblant en particulier l’île d’Anjouan.

Monsieur Dupont-Aignan, j’ai dit aujourd’hui même lors des questions aux Gouvernement que la France se tenait sans ambiguïté aux côtés du peuple arménien. J’ai rappelé notre souhait, qui est celui de tous les amis de l’Arménie, qu’une solution négociée et pacifique soit trouvée au conflit entre ce pays et l’Azerbaïdjan. Enfin, j’ai rappelé qu’en droit international exécuter des prisonniers de guerre constitue un crime de guerre. Il faudra donc que les auteurs de ces faits soient jugés. Nous avons immédiatement demandé une enquête indépendante.

En ce qui concerne l’Ukraine, ne confondons pas les choses. Si quelqu’un punit la Russie, ce sont ses responsables politiques et en particulier le premier d’entre eux, le président Poutine. N’oublions pas non plus que c’est l’armée russe qui est en Ukraine et non l’inverse. Elle y commet des crimes, des crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l’humanité. Elle devra rendre des comptes. La position de la France a été rappelée hier par la première ministre et par moi-même lors du débat consacré à l’Ukraine, au titre de l’article 50-1 de la Constitution.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Nicolas Metzdorf. Les 28 et 29 septembre 2022, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, M. Louis Mapou, s’est rendu à Washington à l’invitation du président Joe Biden pour participer au premier sommet des pays insulaires du Pacifique. Je me félicite que la Nouvelle-Calédonie, ainsi que la Polynésie française, aient pu y être représentées. Cependant, je trouve regrettable l’absence d’un représentant du Gouvernement français, quel que soit son rang. La participation de l’ambassadeur relève du service minimal et ne peut constituer une présence politique suffisante lorsqu’on rencontre le président de la première puissance mondiale. Cela peut être perçu par bon nombre de nos concitoyens, notamment en Nouvelle-Calédonie, comme un abandon de souveraineté.

Que les collectivités autonomes du Pacifique soient mises en avant et deviennent, en quelque sorte, les porte-avions de la stratégie indopacifique est une excellente nouvelle. Mais cela n’exonère en aucun cas la République de sa responsabilité dans cette région du monde. Les collectivités autonomes sont des atouts et non des substituts. Pourriez-vous m’indiquer votre position et celle du Gouvernement lors des discussions à venir sur la coopération dans la zone indopacifique et la place que vous comptez y prendre ?

M. Vincent Seitlinger. Comme vous le savez, notre commission m’a nommé rapporteur pour avis sur les crédits de l’action diplomatique consulaire dans le cadre du PLF 2023. Que dire de ce budget ? Il ressort de votre présentation que plusieurs postes budgétaires bénéficieront de légères hausses et il faut s’en satisfaire, même s’il aurait été bien préférable de disposer des bleus budgétaires avant votre audition, et ce d’autant plus que le Gouvernement a promis d’associer plus étroitement le Parlement à la préparation du budget.

Il faut souligner deux choses. D’une part, ces hausses ne sont parfois que la prise en compte des effets de l’inflation, d’effets de change ou de l’évolution de quotes-parts. D’autre part, ce projet de budget laisse une impression générale de saupoudrage et il est difficile d’y déceler les principes directeurs. Vous parlez de réarmement de notre outil diplomatique ; je crois pour ma part qu’il s’agit au mieux de colmatage.

Cela étant dit, je souhaite vous interroger sur les crédits alloués à l’entretien immobilier. Le parc du ministère n’a cessé de se dégrader sous l’effet d’une politique insoutenable conduite depuis des années. Dans ce contexte, je salue bien sûr le renforcement des moyens en 2022 et ceux qui sont prévus pour 2023. J’ai appris toutefois que le ministère n’avait pas bénéficié cette année des 36 millions d’euros devant être versés par le compte d’affectation spéciale (CAS) 723 Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l’État. Sans ces moyens – que la représentation nationale a pourtant votés – c’est la moitié du plan de rattrapage immobilier qui ne sera pas financée, tandis que de nombreux besoins ne seront pas satisfaits.

Comment envisagez-vous de récupérer ces crédits, dont votre ministère a fortement besoin ? Dès lors que le projet de budget que vous présentez repose à nouveau sur cette hypothèse de 36 millions d’euros de recettes provenant du CAS 723, quelle garantie avez-vous de ne pas être confrontée à la même difficulté en 2023 ?

Mme Nadège Abomangoli. Ce PLF présente un certain nombre d’éléments satisfaisants, que ma collègue Élise Leboucher a évoqués, mais également de grandes incertitudes liées au contexte de forte inflation en ce qui concerne la trajectoire des lignes budgétaires qu’elle a mentionnées. Comme mes collègues, je souligne qu’il est nécessaire que nous disposions bien plus en amont des annexes budgétaires, afin de poser des questions plus précises.

Je souhaite vous interroger sur les volets humain et financier de l’APD. Quels sont les moyens prévus en termes d’effectifs pour répondre aux ambitions affichées pour l’APD par la loi du 4 août 2021 ? Certes, le budget passe à près de 2 milliards d’euros en deux ans mais, pour ce qui est des emplois, le solde est négatif sur la même période : 29 ETP ont été perdus en 2022, 5 sont gagnés en 2023 ; le déficit est donc de 24 ETP. Quelle est la trajectoire prévue pour les emplois dans les années à venir ?

Du point de vue financier, une part trop faible de l’APD est financée par la TTF. Le montant annuel collecté par l’État bat régulièrement des records. Pourtant, la part destinée à la solidarité internationale reste bridée à un niveau inférieur aux besoins actuels, tandis que le taux de la taxe est inchangé depuis 2017. La modification de son taux et une affectation plus massive de cette taxe au FSD ne seraient-elles pas des mesures rapides et efficaces pour assurer le maintien de l’APD à un niveau élevé ?

Enfin, pourquoi la France mène-t-elle au Tchad une politique complaisante vis-à-vis de la junte de Déby, qui vient d’engager son pays dans une phase de transition permanente ? On a ajouté vingt-quatre mois aux dix-huit mois précédents, ce qui s’apparente désormais à une transition dynastique et pas à une transition démocratique. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont réagi. Qu’en est-il de la France ?

Mme Eléonore Caroit. Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, ancien révolutionnaire sandiniste, et la vice-présidente qui est aussi son épouse, Rosario Murillo, mènent une politique agressive, répressive et totalitaire. Des centaines d’opposants ont été abattus ou ont disparu et pas moins de 200 sont actuellement emprisonnés. Hier, la cour de justice de Managua a indiqué que deux Franco-Nicaraguayennes étaient actuellement détenues et seraient jugées pour avoir conspiré, porté atteinte à l’intégrité nationale et diffusé de fausses nouvelles. Le MEAE a affirmé suivre de très près cette situation et avoir pris contact avec les autorités nicaraguayennes. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Le réseau de l’AEFE contribue à un enseignement d’excellence à la française et constitue, je vous cite, « l’un de nos meilleurs vecteurs d’expansion de la francophonie et d’une façon de voir le monde, de nos valeurs ». Or à la suite d’un recours, l’AEFE a été contrainte de modifier dans l’urgence le décret qui régit la situation administrative des personnels détachés qu’elle emploie. Cette modification entraîne un surcoût. De manière plus générale, l’ambition de doublement des effectifs à horizon 2030 nécessite un renforcement des moyens, notamment budgétaires, de l’AEFE. Une concertation générale est très attendue sur ce sujet et devait avoir lieu en octobre. Pourriez-vous aussi nous apporter des précisions sur ce sujet ?

Enfin, je vous remercie pour les créations d’emplois dans votre ministère, une première depuis trente ans. Comment ces 106 ETP vont-ils être répartis, notamment d’un point de vue géographique ?

M. Arnaud Le Gall. Je souhaitais aborder le sujet de la réforme des corps diplomatiques mais il a déjà été largement évoqué. Ce n’est pas hors sujet par rapport à l’examen du PLF pour lequel nous sommes réunis. Les budgets n’ont un sens que s’il y a des gens pour les mettre en œuvre. Contrairement aux libéraux, je pense que la destruction est rarement créatrice.

Le budget prévu pour l’action extérieure de la France bénéficie d’une très légère hausse au regard de l’inflation, mais d’une hausse malgré tout. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette augmentation des moyens, qui suit la précédente, était nécessaire, compte tenu de la saignée opérée au cours des trente dernières années. Pourtant, cette hausse ne doit pas empêcher de poser certaines questions de fond. L’an dernier, les 43 ETP qui avaient été créés portaient, sauf erreur de ma part, sur des postes d’apprentis. J’ai beaucoup de respect pour ces derniers et pour l’apprentissage, mais il n’en reste pas moins que ce ne sont pas des postes de diplomates occupant des postes à responsabilités et qu’il ne s’agit pas d’emplois pérennes. Quelles sont la nature et la répartition géographique des 106 ETP qui vont être créés ?

Pour revenir rapidement sur la situation au Sahel, nous avons condamné les tentatives inacceptables d’intrusion dans notre ambassade au Burkina Faso. Nous ne sommes pas dupes des propagandes qui sont menées, par les uns et par les autres. Il n’en reste pas moins que ces propagandes n’auraient aucune prise si notre action n’avait pas fait preuve de certains errements. Va-t-on assister à une révision profonde de la stratégie française au Sahel dans les mois qui viennent ?

Mme Sabrina Sebaihi. Je souhaiterais vous alerter sur le cas de M. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, en détention administrative en Israël de manière totalement arbitraire depuis mars 2022. Il est soumis à l’isolement et ne peut voir ni sa femme, ni ses enfants. L’acharnement israélien à son encontre lui a déjà fait perdre huit ans de sa vie dans les geôles de ce pays. L’ambassadeur de France en Israël, Éric Danon, et les services consulaires sont engagés pour soutenir cet homme. Cependant, la grève de la faim qu’il a entamée il y a dix jours pour réclamer le respect de ses droits l’a considérablement affaibli. Deux mesures d’urgence s’imposent. La première est de faire en sorte que Salah Hamouri accède en détention à des ressources de sucre et de sels minéraux. La seconde est de s’assurer qu’il ne soit plus placé à l’isolement.

Par ailleurs, je m’étonne que la France n’ait encore jamais réclamé clairement sa libération. Au vu des efforts de terrain restés lettres mortes, une prise de position publique du Gouvernement serait de nature à affirmer notre fermeté vis-à-vis de l’État d’Israël. Celui-ci méprise une fois de plus les droits humains des militants palestiniens. Que comptez-vous faire ?

Mme Ersilia Soudais. Je me joins également à ces propos sur Salah Hamouri, qui depuis près de vingt ans subit le harcèlement de l’État d’Israël : ce n’est rien pour un État, mais c’est une éternité pour un homme.

Il mène une grève de la faim depuis le 25 septembre 2022, avec vingt-neuf autres prisonniers politiques. Pour le punir, il a été placé à l’isolement dans une cellule de quatre mètres carrés sans fenêtre, avec seulement un matelas et des toilettes. Il n’a pas le droit de sortir, ni de voir la lumière du jour. Salah Hamouri est amaigri, affaibli et souffrant. On refuse de lui donner du sel, qu’il est vital de consommer pendant une grève de la faim. La santé de notre compatriote ne cesse de se dégrader. Aussi avons-nous été contraints de vous interpeller, par voie de communiqué, puis à vous adresser une demande urgente d’audience. Nous vous remercions d’ailleurs, madame la ministre, pour la rapidité de votre réponse. Nous espérons qu’une date de rendez-vous nous sera très vite communiquée.

Salah Hamouri est un symbole de tous ces Palestiniens opprimés par l’État d’Israël, qu’un rapport d’Amnesty International a associé en février 2022 au système de l’apartheid. Salah Hamouri est aussi le symbole de ces familles que l’on brise, par racisme et par mépris des droits humains. Enfin, parce qu’il est notre compatriote, il est le symbole d’une France qu’on humilie au-delà de ses frontières. Ainsi, pour avoir écrit au président de la République française le 14 juillet 2022, Salah Hamouri a été transféré à Hadarim, une prison de haute sécurité.

La pression diplomatique de la France est-elle à la hauteur ou les autorités israéliennes nous baladent-elles en jouant la montre, le temps jouant contre Salah Hamouri ? Nous ne pouvons pas nous résoudre à attendre sa mort pour que la France hausse le ton. En répondant rapidement à notre courrier, vous semblez indiquer que vous prenez la mesure de l’urgence de la situation. Quelle mesure concrète envisagez-vous de prendre pour que l’État d’Israël respecte les droits de notre compatriote à vivre librement, où il le désire, entouré de sa famille ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez bien perçu madame la ministre combien cette commission est inquiète non pas sur le budget mais sur les évolutions de la situation internationale et sur la manière pour la France d’y faire face. Le dialogue que nous aurons lors des prochaines semaines sera donc des plus soutenus.

Mme Catherine Colonna, ministre. Monsieur Metzdorf, les États membres du Forum des îles du Pacifique (FIP) ont été conviés par le président américain à Washington à la fin du mois de septembre 2022. La France n’est pas membre du FIP. En revanche, elle a obtenu en 2016 que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française puissent en devenir membres à part entière et être ainsi mieux insérées dans leur environnement. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, que nos territoires ont été invités par les États-Unis. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, j’ajoute que c’est bien par l’intermédiaire de l’État français que cela a été fait. La France a autorisé les gouvernements de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française à se rendre à Washington pour participer à cette réunion. Il n’y a donc pas d’atteinte à la souveraineté de l’État, avec laquelle nous ne saurions transiger.

Monsieur Seitlinger m’a interrogée sur les questions immobilières. Si l’on prend un peu de recul, on peut relever qu’au cours des dix dernières années le MEAE a procédé à 188 cessions, pour un montant de 789 millions d’euros. Sur ce total, 200 millions d’euros ont contribué au désendettement de l’État. Cette politique de cessions est aujourd’hui moins dynamique, d’abord parce qu’il y a moins de biens à vendre, ensuite parce que le marché immobilier est plus déprimé, ce qui rend les ventes moins intéressantes. Nous ne pouvons pas compter sur une ressource aléatoire pour répondre à des besoins permanents d’entretien des ambassades et résidences. C’est la raison pour laquelle le ministère a obtenu, grâce à la représentation nationale, un renforcement significatif de ses crédits budgétaires. Pour la troisième année consécutive, notre dotation augmente. Elle est aujourd’hui portée à presque 57 millions d’euros en AE. Cette tendance devra être confortée à l’avenir car nos besoins restent importants à l’étranger. Ils sont estimés non pas à 57 millions d’euros par an mais plutôt à 80 millions d’euros. Il y a donc encore beaucoup à faire.

Concernant l’autre volet de ce dossier des cessions de biens à l’étranger, nous devons encore récupérer 36 millions d’euros de versements issus du CAS 723. L’arbitrage rendu par nos autorités a été favorable. Nous attendons donc la fin de gestion pour les récupérer, comme il se doit. Je n’ai pas manqué de le rappeler à mon collègue ministre délégué chargé des comptes publics.

Madame Abomangoli, le programme 209 dispose de 1 458 ETP en 2022. Les choix de répartition pour 2023 seront examinés lors des réunions de programmation avec la direction des ressources humaines du ministère, au plus près des besoins. Il faudra prendre en compte l’augmentation de l’APD, et donc le besoin de personnel qualifié pour la mettre en œuvre. Tous les choix ne sont pas encore faits. J’en reste à me réjouir de cette augmentation des effectifs du ministère, la première depuis trente ans.

Quant à la TTF, comme j’ai pu le dire à monsieur Julien-Laferrière, ce qui compte n’est pas d’où viennent les crédits mais qu’ils arrivent et qu’ils augmentent.

Nous suivons de très près la situation de nos deux compatriotes au Nicaragua, Madame Caroit. L’ambassade de France et les autorités françaises à Paris sont mobilisées. Nous avons déposé une demande d’accès consulaire à ces deux ressortissantes, cet accès étant garanti par la convention de Vienne.

Quant à l’AEFE, elle a réformé le statut de ses personnels expatriés et ses modalités de recrutement. C’est donc une avancée par rapport à la situation que vous avez évoquée. On peut s’en réjouir collectivement, en premier lieu pour les personnels concernés. Cette réforme entraîne un surcoût pour l’AEFE, que l’on évalue à environ 15 millions d’euros pour 2023. Le MEAE soutiendra l’AEFE en prenant en charge près de la moitié de cette somme, soit 7 millions d’euros.

Monsieur Le Gall, la répartition précise des 100 emplois créés cette année n’est pas encore finalisée, au-delà de la répartition générale de deux-tiers d’emplois à l’étranger et d’un tiers en France. J’éviterai le saupoudrage, au demeurant difficile au vu du nombre d’emplois créés. Toutes les catégories sont concernées par ces nouveaux postes de titulaires, en France et à l’étranger, expatriés et recrutés locaux. Permettez-moi de réserver les choix finaux à la direction des ressources humaines et à la direction générale de l’administration et de la modernisation du ministère.

Nous suivons le cas de notre compatriote Salah Hamouri depuis le départ, et pas seulement depuis la lettre que vous m’avez adressée, Madame Soudais. La diplomatie française a multiplié les contacts à tous les niveaux – à Paris, à Tel Aviv et à Jérusalem –, afin d’obtenir des explications et des assurances sur ses conditions de détention. Notre droit de visite consulaire a déjà été exercé à cinq reprises depuis le mois de mars, tandis que la famille de M. Hamouri a été reçue à de nombreuses reprises au Quai d’Orsay ; ce fut le cas hier encore.

Pour le reste, je ne commenterai pas vos propos sur la nature de l’État d’Israël, afin de ne pas avoir à m’en distancier.

J’indiquerai néanmoins que nous évoquons bien entendu la situation de M. Hamouri avec les autorités israéliennes. Le président de la République, lui-même, l’a fait lorsqu’il a reçu le premier ministre Lapid, il y a très peu de temps.

M. Hamouri doit être libéré. Il doit pouvoir mener une vie normale, là où il le souhaite, y compris à Jérusalem, où il est né et où il réside. Ses enfants et son épouse doivent en outre pouvoir s’y rendre et le retrouver. C’est ce que nous ne cessons de dire aux autorités de l’État d’Israël, y compris au plus haut niveau.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame la ministre, je formulerai trois remarques.

La première est que cette commission est convaincue que la France doit disposer d’un service diplomatique à caractère universel et convenablement doté. Nous estimons que l’avantage qu’en retire la France en matière d’image et d’influence sur tous les continents excède très largement les dépenses engagées.

La deuxième est que nous avons été très choqués par la politique immobilière menée par le passé – et heureusement interrompue par M. Jean-Yves Le Drian –, qui consistait à vendre des actifs appartenant à la France, à verser le produit de ces ventes au budget général pour financer le déficit, et à présenter cela comme une mesure de rigueur financière. Il s’agissait en réalité d’un appauvrissement puisque nous perdions des actifs immobiliers, qui disparaissaient dans un puits sans fond. Nous sommes heureux que ce soit terminé et nous voulons désormais inverser la tendance. Des bâtiments historiques qui contribuaient à l’image de la France ont été perdus.

Troisièmement, nous estimons qu’il n’est pas possible d’imaginer faire des économies de gestion sur un budget aussi limité que celui du Quai d’Orsay car on arrive tout de suite à l’os et cela aboutit à des désastres. Conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, je suis très attaché aux efforts de réduction de la dépense publique, mais comme le disait Georges Marchais : « Il faut prendre l’argent là où il est ».


II.   présentation de l’avis devant la commission des affaires étrangères et examen des crédits

Au cours de sa réunion du mercredi 19 octobre 2022, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Les deuxième et troisième avis budgétaires inscrits à notre ordre du jour de ce matin sont ceux portant sur la mission Action extérieure de l’État, sur le rapport de MM. Vincent Seitlinger et Frédéric Petit. L’examen de cette mission fera l’objet d’une discussion globale, après la présentation de nos deux rapporteurs pour avis.

Les crédits de la mission Action extérieure de l’État s’élèvent à 3,1 milliards et sont en hausse de 6,9 %. Parmi les points remarquables, signalons la création de 100 équivalents temps plein (ETP).

M. Vincent Seitlinger, rapporteur pour avis (Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires). Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre Catherine Colonna a annoncé, non sans force : « Le temps du réarmement de notre diplomatie est venu ». Le projet de budget du Quai d’Orsay pour 2023 est-il à la hauteur de cette annonce ? Pour répondre à cette question, je me propose d’examiner l’évolution des crédits budgétaires et les priorités que ces évolutions permettent de financer, puis de m’intéresser aux moyens humains du ministère.

Les crédits de la mission Action extérieure de l’État augmenteront de 160 millions en 2023, ce qui paraît assez honorable. Il s’agit pourtant d’une hausse en trompe-l’œil. D’abord, parce qu’une grande partie de ces moyens nouveaux serviront à absorber les effets de l’inflation mondiale et du change, et non à financer de nouvelles actions ; ensuite, parce que le Gouvernement a préféré « saupoudrer » les moyens. Tout augmente mais il n’est pas facile de trouver un poste de dépense qui croît, en valeur réelle, de plus de quelques millions d’euros. Il s’agit donc moins d’un budget de « réarmement » de notre diplomatie que d’un budget de « colmatage ».

Je souhaite m’arrêter sur trois sujets qui me paraissent structurants pour l’avenir du ministère.

Le premier, c’est la communication. Notre pays est en train de perdre la guerre de l’information en Afrique, parce que nous n’avons pas pris ce sujet suffisamment au sérieux. Je rappelle qu’à ce jour, toutes nos ambassades ne tweetent pas et que, quand elles le font, leurs publications sont parfois accueillies sur les réseaux sociaux par un flot ininterrompu de commentaires hostiles à la France.

Il est vrai que ce budget prévoit une hausse de 2,5 millions d’euros des crédits alloués à la communication du ministère. Mais, d’une part cette somme paraît relativement modeste au regard des enjeux et, d’autre part, elle passe à côté du problème des compétences. Pour lutter contre la désinformation en Afrique de l’Ouest, le Quai a besoin de locuteurs en peul, en bambara et en wolof. Le Quai d’Orsay a également besoin de spécialistes des réseaux sociaux. La lutte contre la désinformation, c’est avant tout une question de ressources humaines.

Le deuxième sujet, ce sont nos contributions aux organisations internationales. Hors masse salariale, ces contributions représentent les deux tiers des crédits du programme 105. En moins de dix ans, notre pays a pourtant décroché du sixième au dixième rang dans le classement des contributeurs internationaux. Désormais, nous sommes très loin derrière des pays avec lesquels nous aimons nous comparer, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Pour tenter d’inverser cette tendance, le Quai est engagé dans un effort de remontée du niveau de nos contributions internationales. En 2023, c’est un nouvel effort qui sera fourni. Mais il faudra aller plus loin si nous voulons continuer à peser dans le système multilatéral.

Sur ce sujet, toujours, je tiens à alerter notre commission sur un point qui me paraît assez grave : nous ne savons pas combien la France verse à chaque organisation internationale. Tous les ministères versent des contributions mais il n’y a aucune consolidation des données. Il serait quand même utile d’y remédier.

Le troisième sujet qu’il me paraît important d’aborder, c’est celui de l’immobilier. Depuis quelques années, le Gouvernement a entrepris de rehausser la dotation budgétaire consacrée à l’immobilier. C’est évidemment une bonne chose car le financement et la gestion de l’immobilier étaient jusqu’ici très court-termistes. Mais, contrairement à ce qui était prévu, la hausse des moyens n’a pas eu lieu en 2022. En effet, la hausse des crédits cette année reposait sur une dotation de 36 millions sur le compte d’affectation spéciale (CAS) 723, un compte en banque de l’État alimenté par les recettes des cessions immobilières. Mais, à cause d’un véritable imbroglio administratif, le Quai n’a pas bénéficié des crédits promis.

Cette situation pose un double problème. Un problème de sincérité budgétaire, d’abord, dans la mesure où les documents budgétaires laissent penser que, non seulement le ministère a bénéficié de ces crédits en 2022, mais qu’il bénéficiera à nouveau de 36 millions sur le CAS 723 l’année prochaine. En réalité, il n’y a qu’une seule enveloppe de 36 millions – et pas deux –, que le ministère n’est même pas sûr de toucher. Cette situation pose surtout un problème pour le ministère puisque, sans cet argent, il faudra renoncer à des opérations prioritaires, tels que des travaux de mise aux normes pour prévenir des départs de feu ou des opérations de remise à niveau des voiries pour prévenir l’inondation des locaux.

Passons maintenant à la question des personnels. La grande annonce de ce budget, c’est la création de 100 ETP, une première depuis trente ans pour ce ministère. C’est évidemment une bonne chose mais cela reste marginal, au regard des milliers de postes qui ont été supprimés au cours des vingt dernières années. Le ministère a supprimé plus de postes sur la seule année 2019. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que la plupart des ETP dont bénéficiera le consulaire seront des missionnaires de renfort.

Ce budget risque de ne pas suffire à enrayer la dégradation rapide des conditions de travail au Quai d’Orsay. Plusieurs indicateurs attestent d’une situation qui empire, mais je n’en citerai qu’un : en un an, le nombre de missions de renfort a été multiplié par deux et, de l’aveu même de la directrice des ressources humaines du ministère, cela reste très insuffisant pour satisfaire tous les besoins qui s’expriment. Parmi les services qui souffrent le plus, il faut mentionner les consulats, en particulier les services des visas. À New Delhi, par exemple, les moyens ont été tellement réduits, que le service de l’état-civil est partiellement fermé et que le consulat a un retard d’environ 3 000 demandes de visas non traitées.

On comprend que, dans ce contexte déjà très difficile, la suppression du corps diplomatique soit vécue comme le coup de grâce par les personnels du ministère. Je rappelle que cette réforme, qui a été prise par ordonnance, n’a jamais fait l’objet d’aucune discussion devant notre assemblée.

En quoi consiste-t-elle ? Premièrement, elle rompt le contrat de confiance avec les personnels, qui ont choisi de devenir diplomates par vocation mais qui n’ont plus la garantie de pouvoir faire toute leur carrière au Quai d’Orsay. Deuxièmement, elle nie que les diplomates aient des compétences spécifiques et remet ainsi en cause l’idée même d’une diplomatie professionnelle, au moment où nous en avons le plus besoin. Troisièmement, elle ignore que, pour un ministère qui compte 20 % des postes d’encadrement occupés par des externes, le Quai d’Orsay est déjà une des administrations parmi les plus ouvertes. Quatrièmement, elle ouvre la voie à une politisation accrue des nominations au Quai d’Orsay en supprimant le garde-fou que représentait à cet égard l’existence de corps ministériels. Cinquièmement, elle sacrifie les secrétaires des affaires étrangères, dont l’évolution de carrière au sein du ministère risque d’être remise en cause.

Notre commission se penchera à nouveau sur ce sujet lorsque la mission d’information que nous avons créée sur cette réforme rendra ses conclusions, à la mi-décembre. Mais, parce qu’il y a une certaine urgence, j’appelle d’ores et déjà à suspendre la suppression du corps diplomatique, dans l’attente des états généraux de la diplomatie, qui débuteront prochainement, sous la houlette de l’ambassadeur Jérôme Bonnafont.

Le succès de ces états généraux dépendra de deux choses. D’une part, il faut que les organisateurs acceptent que les sujets de discussion soient déterminés par les personnels eux-mêmes, et non par une volonté imposée d’en haut. Deuxièmement, il faut qu’y soient associés tous ceux, chercheurs et parlementaires compris, qui peuvent contribuer à cette réflexion collective. Il serait périlleux d’oublier que l’état de notre diplomatie est une question qui doit concerner la société tout entière.

Je m’abstiendrai donc sur les crédits de cette mission.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis (Diplomatie culturelle et d’influence – Francophonie). La baisse des crédits est enrayée avec une hausse de 11 millions d’euros. Celle-ci intègre le transfert d’Atout France au ministère de l’économie, ce qui met un terme à un vieux débat entre notre commission et celle des affaires économiques. La majeure partie des crédits supplémentaires sont dédiés à l’enseignement français à l’étranger.

Plusieurs opérateurs sont concernés par le programme 185. L’Institut français a entamé il y a dix-huit mois une réforme que j’appelais de mes vœux. L’Institut de français Paris, dont l’organigramme a été modifié, sera désormais à même de jouer un rôle de tête de réseau des 94 instituts français dans le monde.

Le travail entrepris il y a quelques années commence aussi à porter ses fruits pour l’Alliance française. La Fédération des alliances françaises, financée par l’État, regroupe les quelque 850 alliances disséminées dans le monde pour former un outil très agile, dont l’impulsion part du bas.

Campus France fait face à un problème technique, d’ordre informatique, qu’il serait étonnant que l’État ne parvienne pas à régler : l’opérateur ne peut pas assurer le suivi de ses subventions car la gestion des bourses qu’il distribue entre dans le budget des différentes ambassades.

Les difficultés de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) l’empêchent pour le moment de remplir son objectif – le doublement, avant 2030, du nombre d’élèves accueillis dans l’enseignement homologué en France. Je vous présenterai, sous forme d’amendement, deux propositions. Le poste, hautement stratégique, de directeur de l’AEFE doit être retiré du mouvement des diplomates et le directeur nommé au titre de l’article 13 de la Constitution. Par ailleurs, un comité de gestion des établissements en gestion directe (EGD) doit être créé au sein de l’AEFE.

Si je suis d’accord avec mon collègue rapporteur pour dire qu’il existe un problème de gestion des ressources humaines au Quai d’Orsay, je serai plus prudent dans l’analyse. Je considère que ce problème tient moins au manque de moyens qu’au refus de considérer qu’il existe, au sein de la diplomatie française, des métiers techniques. L’école d’Orient n’est pas celle qui prépare le mieux à encadrer un service de visas, dont le fonctionnement s’apparente davantage à celui d’une sous-préfecture. Nos diplomates sont de grands serviteurs de l’État, mais leurs compétences ne correspondent pas toujours aux spécificités des postes qu’ils occupent.

La feuille de route de l’influence de la diplomatie française, publiée en décembre 2021 par l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian, trouve sa traduction dans ce budget. C’est un grand motif de satisfaction car les crédits ne sont plus saupoudrés mais octroyés selon des lignes directrices claires. La vision large et décloisonnée qu’elle promeut est en train d’infuser, les services se coordonnent. Je rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, certains ambassadeurs ignoraient ce qui se passait dans le pays car l’information passait par d’autres canaux. Si je reprends l’exemple de la communication, l’administration a la possibilité de s’appuyer sur des locuteurs peuls : ils travaillent à France 24, chaîne du groupe France Médias Monde, placé sous la tutelle du ministère de la culture. Il s’agit simplement de casser les silos et d’apprendre à travailler ensemble. De ce point de vue, de grands progrès ont été réalisés dans les actions du programme 185.

La feuille de route définit des priorités géographiques claires, l’Europe revêtant un caractère essentiel pour la diplomatie d’influence. Or nos actions culturelles ne sont pas différenciées selon qu’elles sont menées au sein de l’Union européenne ou en dehors. Je le regrette car, en termes d’influence, l’ouverture d’un lycée français à Cracovie ou à Stuttgart n’a pas la même signification que l’ouverture d’un lycée français en Afrique subsaharienne ou en Amérique du Sud.

J’ai choisi cette année de me rendre en Géorgie, dans le voisinage de l’Union européenne. Ce pays, marqué par la guerre, accueille beaucoup de Russes que la diplomatie d’influence appelle « prioritaires ». J’ai pu constater que la feuille de route avait percolé sur le terrain. La conseillère culturelle y effectue un travail décloisonné, où tout a son importance, où tout est lié, depuis la présence au conseil d’administration du lycée français jusqu’aux contacts avec l’université franco-géorgienne, en passant par le soutien à un projet autour du vignoble, financé par le fonds de solidarité des projets innovants (FSPI). Elle ne se contente pas d’agir çà et là, elle mène des actions cohérentes.

En conclusion, j’insiste une nouvelle fois sur l’importance de lutter contre les silos, qu’il s’agisse de l’organisation de la diplomatie d’influence ou de notre action dans le monde. Je considère que la différentiation de nos actions en fonction des pôles géographiques est essentielle et que notre positionnement ne doit pas être le même lorsque nous agissons au sein de l’Union européenne.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupes.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Rapportée à l’inflation, la légère hausse des crédits ne parvient pas à dissimuler la poursuite de la cure d’austérité. En trente ans, les effectifs ont été réduits de moitié, ce qui a rendu d’autant plus ardue la tâche de ces fonctionnaires dévoués. L’extinction des corps d’encadrement du ministère ayant été décidée par voie d’ordonnance, notre commission n’a pas été saisie ; je vous remercie d’avoir placé cette question au cœur des débats.

Car il y a péril en la demeure. Comment engager le ministère dans une démarche de recentrage sur son rôle de pilote de l’action à l’international tout en supprimant le corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ? Comment opérer le basculement vers un modèle de diplomatie tout en sapant les fondations même de son fonctionnement ? D’ailleurs, cette réforme est-elle le produit d’une réelle volonté politique ou la simple conséquence d’une logique budgétaire aveugle et brutale ? Ce n’est pas avec de tels crédits qu’on réglera les problèmes structurels du Quai d’Orsay.

Nous demandons au Gouvernement de suspendre ce projet de réforme désastreux. Le groupe La France insoumise votera contre l’adoption de ces crédits.

Mme Liliana Tanguy (RE). Le groupe Renaissance ne peut que se satisfaire de l’augmentation des crédits de la mission et du budget total du ministère – respectivement de 6,9 % et de 9 %. Les effectifs croîtront pour la première fois depuis 1993, avec 100 ETP supplémentaires. Le Quai d’Orsay pourra ainsi assurer la représentation de la France, de ses intérêts et de sa culture et rendre les services accessibles à nos compatriotes expatriés.

Le réseau diplomatique français doit son troisième rang mondial, après ceux des États-Unis et de la Chine, à son maillage et au dynamisme des structures chargées de renforcer l’influence économique et culturelle du pays. C’est un bien précieux qu’il faut préserver.

La hausse des crédits vise à faire face aux crises internationales d’une gravité inédite. Les déséquilibres nés de l’invasion de l’Ukraine et les conséquences de la pandémie sont autant de phénomènes qui incitent la France à réinvestir la scène internationale. Les violentes attaques contre l’ambassade et l’institut français de Ouagadoudou le montrent, nous devons être prêts à répondre aux menaces, d’où qu’elles viennent, et demeurer vigilants devant les opérations de désinformation. La hausse significative des moyens pour combattre les discours antifrançais est une bonne réponse, comme les investissements dans le numérique pour renforcer la cybersécurité.

L’augmentation des contributions permettra de financer le mécanisme de la facilité européenne pour la paix (FEP) et d’accroître notre sécurité collective.

La diplomatie culturelle et d’influence donne lieu à une compétition renouvelée. La revalorisation des crédits du programme est d’autant plus importante que notre pays dispose de réels atouts, comme le montre sa première place dans le classement international SoftPower30.

Nous saluons le renforcement des mesures de soutien à nos concitoyens de l’étranger, fragilisés par la crise sanitaire et économique.

Ce budget est adapté aux enjeux de cette année incertaine. Nous le voterons sans réserve.

M. Kévin Pfeffer (RN). Espérons que la mission d’information de notre commission fera la lumière sur les dessous de la suppression scandaleuse du corps diplomatique, décrétée par le président de la République sans aucun débat au Parlement et perçue comme un coup de grâce par les personnels, après trois décennies de suppressions de postes. Nous demandons une nouvelle fois la suspension de cette décision, qui entraînera une perte de compétences, au profit de nominations arbitraires.

La hausse des crédits, qui sera par ailleurs absorbée par l’inflation, ne suffira pas à réarmer la diplomatie et fera l’objet d’un saupoudrage.

La construction d’une diplomatie européenne, alors que la diplomatie devrait rester l’apanage des États nations, et de l’Europe de la santé, avec le renforcement du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), représentent des pertes évidentes de souveraineté pour la France.

« Le français sera la première langue de l’Afrique et peut-être du monde si nous savons faire dans les prochaines décennies » présageait avec optimisme Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou. Mais il faut de la volonté politique : renforcer les moyens pour l’enseignement ne suffit pas. Malgré les subventions, la francophonie est en recul et la France perd son influence en Afrique, au profit de la Chine et de la Russie. L’usage du français sur les réseaux sociaux régresse, conséquence de l’absence tragique de géants français et européens du net. Au sein de l’Union européenne ou de l’organisation des Nations Unies (ONU), le français, langue diplomatique par excellence, est menacé par l’omniprésence de l’anglais.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, le groupe Rassemblement national votera contre ces crédits.

M. Bruno Fuchs (DEM). Si nous sommes parvenus à une telle feuille de route, c’est en partie grâce à la persévérance de Frédéric Petit. L’influence française permet de préserver une vision du monde multilatérale, libérale et humaniste, contestée en de nombreux endroits du monde.

L’augmentation des crédits est certainement insuffisante au regard des crises successives, de l’inflation et de la hausse des prix de l’énergie. Je rejoins Vincent Seitlinger, il faut renforcer notre présence dans les grandes institutions internationales.

Il était temps de prendre à bras-le-corps le sujet de la désinformation antifrançaise en Afrique. Cette lutte exige des moyens humains supplémentaires, notamment des locuteurs dans les langues Ouest-africaines. Les crédits qui y sont dédiés – 2,5 millions d’euros – sont très en deçà de ce qui serait nécessaire pour faire face à l’urgence de la situation et à des concurrents très organisés. Que préconise le rapporteur dans ce domaine ?

Les refus de visas sont un drame pour de nombreux étrangers. La délivrance est complètement aléatoire, les critères de rejet obscurs. C’est, selon moi, la première cause d’insatisfaction, qui donne de la France une image très négative. Il faut d’urgence traiter cette question.

Remplir les engagements pris par le président de la République en 2017 et être à la hauteur de nos ambitions nécessite des moyens bien supérieurs. Nous courons un marathon : il nous faudra accélérer ces prochaines années.

M. Alain David (SOC). Compte tenu de l’inflation, la hausse des crédits est somme toute modeste, voire nulle. Elle ne peut pas dissimuler le tourment dans lequel se trouve la diplomatie française. Le corps diplomatique présentait certes des défauts mais la question de sa réforme aurait pu être au moins débattue au Parlement plutôt que réglée à bas bruit, en pleine campagne présidentielle. À la veille des états généraux de la diplomatie, c’est un bien mauvais signal.

Avant toute réforme, il conviendrait de définir les objectifs de la politique extérieure et de notre présence à l’étranger. Le président de la république s’est rendu au Liban en expliquant qu’il allait régler le problème en quelques semaines ; c’était il y a dix-huit mois et les Libanais ne veulent plus nous voir. Notre politique en Afrique est si désastreuse que nous avons été pratiquement chassés du Sahel. Au lieu de réfléchir, on tourne en rond et on décide de réformer la diplomatie. On est vraiment à côté de la plaque.

Le groupe Socialistes et apparentés demande au Gouvernement de suspendre la réforme, source d’un profond malaise et d’une rupture du contrat de confiance avec le personnel diplomatique. Nous demandons au président de la République, dont nous ne contestons pas la responsabilité en matière de politique extérieure, de définir clairement les contours de celle-ci. Nous nous abstiendrons lors du vote sur ces crédits.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous nous accordons tous pour constater que nous attendons beaucoup du rapport de notre mission d’information sur la réforme du corps diplomatique.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Dans un monde instable où les crises se succèdent, le groupe Horizons et apparentés salue la progression des moyens alloués à la diplomatie française, notamment la création d’une centaine de postes.

La cybersécurité, si importante pour l’influence et la crédibilité de la France, est enfin prise en compte. Nous nous réjouissons des crédits qui lui sont dédiés.

Il ne faut surtout pas relâcher les efforts en matière de lutte contre la désinformation en ligne et la propagande, voire les intensifier, tant cette menace est difficile à endiguer.

M. Aurélien Taché (ÉCOLO-NUPES). Je salue le travail de notre collègue Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l’État. Nous approuvons l’augmentation des crédits alloués à la promotion de la France, à l’enseignement de notre langue et de notre culture à l’étranger mais nous tenons pour une faute le maintien du plan « Bienvenue en France », qui trie les étudiants en fonction de leur classe sociale et de leurs origines. Un étudiant marocain qui souhaiterait venir étudier en France a non seulement aucune chance de se voir délivrer un visa de long séjour mais il doit avoir économisé l’équivalent de deux ans de salaire pour faire face aux frais.

La création de 100 ETP supplémentaires ne doit pas masquer les réductions d’effectifs : la moitié des postes ont été supprimés en trente ans, dont un tiers ces dix dernières années. La hausse est en trompe-l’œil, d’autant que le ministère des armées bénéficie, lui, de 3 milliards supplémentaires. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence le fait qu’Édouard Philippe a annoncé en 2018 une réduction de 10 % de la masse salariale du Quai d’Orsay et 110 millions d’économies avant 2022.

Les diplomates sont très mobilisés contre la réforme, une première en soixante-dix ans. Il faut rendre hommage à ces personnels très compétents, qui exercent leur métier aux dépens de leur vie de famille et, parfois, de leur propre sécurité. Pour réarmer l’arsenal diplomatique et lui redonner sa grandeur dans un monde incertain, nous devons pouvoir nous reposer sur un réseau diplomatique fort. La paix n’a pas de prix.

Gardons aussi à l’esprit que les consulats sont le seul guichet pour la communauté française résidant à l’étranger. Le manque de personnels rallonge les délais pour la délivrance des documents officiels, empêche de maintenir les liens humains et de faire face à de nouvelles problématiques comme la prise en charge de la dépendance.

Les états généraux de la diplomatie doivent être l’occasion de repenser le statut de diplomate. Le groupe Ecologiste-NUPES est opposé à la réforme et souhaite une loi de programmation pour ce ministère régalien, le seul à en être privé.

M. Jean-Paul Lecocq (GDR-NUPES). Nous ne pouvons que nous réjouir de cette augmentation de 160 millions d’euros mais elle demeure insuffisante pour le « réarmement » – selon la terminologie de la ministre – de la diplomatie, surtout si on la compare à la hausse de 3 milliards du budget du ministère des armées.

La grève sans précédent du Quai d’Orsay, en juin, a révélé l’ampleur du problème : des personnels à bout, une explosion du nombre de missions demandées à la diplomatie, un recours plus important aux contrats à durée déterminée (CDD) ou locaux, des conditions d’emploi médiocres. La réforme doit être suspendue dans l’attente des conclusions de la mission d’information de notre commission.

L’influence française ne peut être que renforcée par les contributions supplémentaires aux instances multilatérales, au premier rang desquelles les Nations Unies.

Je ne cesse de dire que la crédibilité de la France passe aussi par un respect absolu du droit international. Je pense ici au problème français de la colonisation illégale de Mayotte, qui appartient en droit à l’archipel des Comores.

Quel type d’influence l’exécutif vise-t-il lorsque la France s’impose comme l’un des plus grands exportateurs d’armes ? Si la France perd du terrain, c’est que le Gouvernement n’est pas à l’écoute des peuples ; l’exécutif s’est acharné à rester en Afrique de l’Ouest contre l’avis des populations et voilà notre armée quasiment interdite de séjour.

L’influence de la France, et sa force, résident aussi dans le maillage consulaire. Il faut pourtant faire un choix : investir suffisamment pour maintenir ce précieux réseau ou abandonner notre présence dans certains territoires. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine penche évidemment pour l’amélioration de la qualité du service et des conditions de travail des agents consulaires.

Malgré l’augmentation des crédits, que nous saluons, le compte n’y est pas. Nous voterons contre ce budget.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). J’allais dire que les députés du groupe LIOT voteraient les crédits de la mission Action extérieure de l’État, j’allais évoquer la politique d’influence française, l’argent public dépensé et l’exigence légitime de résultats de la part des contribuables, j’allais faire part des interrogations de certains sur l’orientation de la politique étrangère.

Mais vous entendez mon émotion : je dois subir à nouveau les sorties d’un suppôt de Moscou, qui vient propager le discours sur une colonisation de Mayotte.

M. Jean-Paul Lecocq. C’est moi que vous appelez suppôt de Moscou ? Monsieur le président, c’est une insulte, car nous nous trouvons dans une situation de guerre causée par la Russie !

Mme Estelle Youssouffa. Monsieur, c’est une insulte que de dire que mon territoire, qui est français depuis 1841, est un territoire colonisé.

(M. Lecocq quitte la salle).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame Youssouffa, c’est une grave erreur que d’avoir usé, à l’encontre de notre collègue, de termes connotés dans l’histoire de la polémique politique et tout à fait inacceptables. Je comprends votre émotion, mais je vous demande de retirer votre propos et de reprendre votre intervention sur le fond.

Mme Estelle Youssouffa. Je retirerai mon propos quand M. Lecocq cessera ses esclandres pour divertir l’attention et assumera d’avoir dit devant la représentation nationale que mon territoire, français depuis 1841, est illégalement français. L’insulte n’est pas faite à M. Lecocq, mais aux Mahorais, qui se sont battus pour rester français et qui le sont de droit. On permet ici de redessiner les cartes et de reprendre la propagande de Moscou…

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’indignation de M. Lecocq et ma propre réprobation portent sur une mise en cause personnelle. Cela ne remet pas en question la légitimité de votre analyse sur le statut de Mayotte et votre émotion de savoir qu’elle n’est pas partagée par l’ensemble de nos collègues. On ne peut accuser un parlementaire, qui n’a en aucune façon marqué son allégeance à qui que ce soit, d’être manipulé par une puissance étrangère.

Mme Estelle Youssouffa. Ce discours a été prononcé à de nombreuses reprises par le ministre Lavrov. Quand je parle d’un suppôt de Moscou, je parle de quelqu’un qui, devant la représentation nationale, reprend le discours de la diplomatie russe sur Mayotte. Ce ne sont pas des accusations gratuites, c’est un constat.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je suis en désaccord avec M. Lecoq sur bien des points, mais il s’est clairement distingué, à plusieurs reprises, des positions de l’État russe. L’expression « suppôt de » présente un caractère injurieux. Mme la présidente de l’Assemblée nationale a récemment rappelé à quel point il était abusif de se lancer des accusations de cet ordre. Cela ne s’est jamais fait dans cette commission, vis-à-vis d’aucun groupe. Je respecte tous les groupes et tous les députés, et demande à tous les membres de la commission d’en faire autant. À défaut, cette commission perdra ce qui fait l’essentiel de sa qualité : l’aptitude à s’écouter, à se respecter et à se répondre.

Vous avez tout à fait le droit de faire valoir votre analyse sur le statut de Mayotte, que je partage au demeurant. En revanche, je vous demande de faire l’effort de déclarer que vous n’auriez pas dû employer cette expression regrettable à l’adresse de M. Lecoq, quelle que soit l’intensité de votre critique à l’égard de sa position.

Mme Estelle Youssouffa. C’est la deuxième fois que M. Lecoq tient de tels propos sur Mayotte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Et ce n’est probablement pas la dernière. Il a ses convictions. Nous sommes habitués, par exemple, à entendre sa position sur la question du Sahara occidental.

Mme Estelle Youssouffa. J’estime et je maintiens que les propos de M. Lecoq sont insultants pour ma personne et pour Mayotte. Ce qui est sous-entendu, c’est que ma présence ici est illégitime, que je n’ai pas ici ma place en tant que députée parce que Mayotte n’est pas française. C’est d’une extrême gravité.

Je refuse cette mise en scène, ce faux esclandre, dont certains sont coutumiers, qui vise à faire passer une telle énormité. Je suis très claire : je n’ai pas d’excuses à présenter. N’inversons pas les charges : si quelqu’un a lancé une injure, c’est M. Lecoq, non seulement à ma personne, mais à tous les habitants de Mayotte et aux anciens qui se sont battus pour que Mayotte reste Française. Je ne baisserai jamais la tête face à pareille insulte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Personne ne vous demande de baisser la tête, mais votre refus de présenter des excuses après une injure personnelle est un fait grave, dont je vais être obligé de tirer les conséquences.

Mme Estelle Youssouffa. Ce n’est pas une injure personnelle : je n’ai pas nommé M. Lecoq ; c’est vous qui l’avez fait. S’il s’est senti visé, c’est son problème.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cette dernière affirmation est bien peu courageuse de votre part, madame. Je vous prie de poursuivre votre exposé concernant l’avis budgétaire.

Mme Estelle Youssouffa. J’en ai terminé.

(Mme Youssouffa quitte la salle).

M. Michel Herbillon (LR). J’espère que mon intervention suscitera moins de polémiques…

Je remercie les rapporteurs pour avis pour leurs travaux. Nous nous réjouissons que les crédits alloués à la mission Action extérieure de l’État soient une nouvelle fois en hausse cette année et que le budget global dépasse à nouveau la barre des 3 milliards d’euros, une première depuis 2016. Toutefois, à un moment où la situation exige que notre pays retrouve son rang sur la scène internationale, le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères souffre d’un certain manque d’orientation et de priorités stratégiques. Nous considérons en outre qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux, ce que le rapport pour avis de mon collègue Vincent Seitlinger met parfaitement en lumière. Les différentes hausses de crédits permettront de continuer à financer l’existant, mais non les nouvelles priorités du ministère.

Nous entendons, une nouvelle fois, de nombreuses envolées et déclarations incantatoires. « Le temps du réarmement de notre diplomatie est venu », nous dit-on. Derrière ces phrases se cache en réalité un petit saupoudrage sans réelle stratégie. Le rapport nous éclaire sur un élément très grave : le profond mal-être qui s’empare des agents du ministère. Celui-ci a été plus que mis à contribution ; il a été l’une des variables d’ajustement utilisées pour réduire les déficits au cours des dernières décennies : les effectifs du Quai d’Orsay ont diminué de 50 % en trente ans, de 30 % en dix ans et de 15,43 % entre 2016 et 2019.

À cela s’ajoute désormais la réforme de la haute fonction publique, qui plonge le Quai d’Orsay dans une crise profonde. Après une grève historique en juin dernier, les organisations syndicales du ministère ont déposé récemment un recours devant le Conseil d’État contre la suppression du corps diplomatique. Les agents et les diplomates du Quai d’Orsay, comme les parlementaires, sont toujours dans l’attente de la tenue des états généraux de la diplomatie. Lorsque nous l’avons interrogée à ce sujet, la ministre a indiqué qu’ils s’ouvriraient au mois d’octobre. Or celui-ci approche de sa fin, et nous ne connaissons toujours pas la date des états généraux.

Il s’agit d’une réforme très grave. Notre commission s’est d’ailleurs emparée du sujet, sous votre autorité, monsieur le président. Je m’étonne vraiment – si on ne s’en étonne pas à la commission des affaires étrangères, où le fera-t-on ? – qu’une telle réforme, qui met en cause un outil diplomatique dont l’excellence est reconnue dans le monde entier, n’entraîne aucune réaction, ni aucune question, et que le Gouvernement ne réponde pas aux légitimes interrogations des parlementaires à ce sujet. Elle n’a fait l’objet d’aucune discussion à l’Assemblée nationale. J’approuve l’avis exprimé par mon collègue Vincent Seitlinger : elle doit être suspendue, dans l’attente des conclusions des états généraux de la diplomatie. À défaut, ces états généraux seront une mascarade.

Dans un contexte international instable, incertain et dangereux, ce budget ne permettra pas à notre pays, de notre point de vue, d’être à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi le groupe Les Républicains s’abstiendra.

J’adresse trois questions aux rapporteurs pour avis : quelle est la stratégie du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux ? Dans quelles zones géographiques les nouveaux postes seront-ils affectés ? Quelles sont les garanties obtenues ou conservées dans le projet de réforme de la haute fonction publique ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Christopher Weissberg. Merci aux deux rapporteurs pour avis de leur travail remarquable. Je suis en tout point d’accord avec Frédéric Petit – sans doute est-ce notre prisme de députés des Français de l’étranger.

Pour pouvoir nous déterminer sur la stratégie générale, il nous manque un regard sur le travail de l’AEFE, qui exerce pourtant une mission essentielle pour le rayonnement et l’influence de la France à l’étranger. J’ai rarement vu un directeur de l’AEFE s’exprimer devant l’Assemblée nationale pour expliquer sa stratégie. En France, on attache beaucoup d’importance aux statuts – sans doute cela tient-il à notre rapport à l’Ancien Régime – et pas assez aux fonctions et à la capacité à changer de métier. Peut-être faudrait-il, à la tête de l’AEFE, un autre profil qu’un fonctionnaire du Quai d’Orsay, par exemple une personne qui ait davantage d’expérience en matière de développement. Nous devrions parler davantage du fond, moins des statuts.

De moins en moins d’élèves formés dans notre réseau poursuivent leurs études dans notre système universitaire. Il y a trente ou quarante ans, les enfants de l’élite québécoise venaient étudier à la Sorbonne ; aujourd’hui, ils vont ailleurs. Quel est votre avis à ce sujet ?

Ce budget prévoit un renforcement des moyens humains, ce qui est une très bonne nouvelle. Quelle part des postes sera affectée aux services consulaires ? Il s’agit de métiers distincts de la diplomatie et d’un véritable service public. Le ministère déploie actuellement le service France consulaire, dans le cadre d’une stratégie générale de modernisation des services publics pour les Français de l’étranger.

Mme Nadège Abomangoli. Je souhaite évoquer la question des démarches consulaires, en particulier la délivrance des visas. En 2022, le nombre de demandes de visas a connu une hausse rapide, compte tenu notamment des effets de rattrapage par rapport à la période précédente. L’annexe au projet de loi de finances nous apprend d’ailleurs qu’un retour au niveau antérieur à la pandémie est attendu d’ici à 2024.

Toutefois, cette hausse ne semble guère préoccuper le Quai d’Orsay, puisqu’il n’alloue pas de moyens substantiels pour y faire face. De façon contre-intuitive, ce sont plutôt les économies et la baisse des coûts qui orientent ses choix budgétaires pour ce qui constitue, rappelons-le, une mission de service public. D’abord, le ministère recourt de manière croissante aux agents de droit local, ce qui a de nombreuses conséquences sur le plan social, puisque la France profite ainsi d’un droit du travail souvent moins-disant. Ensuite, il opère une transition à marche forcée vers la dématérialisation – nous l’avons déjà évoquée à plusieurs reprises au sein de cette commission. C’est une façon de masquer le détricotage du réseau consulaire français et, par la même occasion, de supprimer des interlocuteurs identifiables à contacter en cas de problème.

Le phénomène le plus inquiétant, à nos yeux, est l’externalisation du traitement des dossiers vers des opérateurs privés. Relevons que les multinationales VFS Global et TLScontact ont obtenu le quart des contrats. De nombreux concitoyens nous signalent des points noirs concernant cette externalisation : opacité de la démarche, explosion des délais, interrogations sur le traitement des données. VFS Global a son siège à Dubaï, ce qui peut nous inspirer quelques craintes. Disposez-vous d’éléments concernant la part croissante du privé dans les démarches consulaires ? Cette évolution inquiète fortement nos concitoyens.

Mme Amélia Lakrafi. Je reviens d’un déplacement dans les deux Congos. Là-bas comme ailleurs dans ma circonscription qui va de Madagascar aux Émirats arabes unis, les Français me parlent de leurs difficultés à obtenir des rendez-vous dans les consulats. Pour nos compatriotes vivant à l’étranger, le consulat est à la fois la mairie et la préfecture. Si je salue la numérisation d’un nombre croissants de services, nécessaire pour les agents qui traitent les dossiers, nos compatriotes ont besoin de voir les agents pour accomplir certaines démarches.

Les agents des consulats fournissent un travail tout à fait remarquable, et je tiens à les en remercier ici. Tel a notamment été le cas durant la crise sanitaire. J’indique au passage à plusieurs collègues qui se sont exprimés à ce sujet que, pour obtenir un passeport, il faut compter deux semaines à Kinshasa et trois semaines à Brazzaville, contre trois ou quatre mois en région parisienne.

Outre des facteurs liés au contexte actuel, les diminutions successives d’effectifs dont vous faites part dans votre rapport pour avis, monsieur Seitlinger, ont eu des conséquences sur la qualité du service dans les consulats, notamment une augmentation sensible des délais d’attente pour nos compatriotes. Notons que le sentiment antifrançais est pour partie alimenté par les critiques contre les services des visas.

Vous l’avez souligné, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation des effectifs inédite depuis 1993, de 106 ETP. Notre majorité a su prendre pleinement la mesure des besoins exprimés par les agents du ministère et les Français de l’étranger. Je salue cette évolution. Néanmoins, la hausse pourrait être bien plus importante. Comment ces effectifs supplémentaires seront-ils alloués ? Combien de ces postes seront affectés à l’administration consulaire ? Quels consulats seront concernés par ces renforts en moyens humains ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’observe qu’aucun représentant de groupe n’a pris la défense de la réforme du Quai d’Orsay. Certains s’y sont opposés, d’autres n’ont rien dit, mais personne ne l’a défendue. C’est selon moi un fait politique significatif, dont le Gouvernement et le président de la République devraient s’aviser. Ce type de réforme est jugé au mieux comme inutile et, très souvent, comme nocive ou toxique. À l’instar de la plupart d’entre vous, je suis assez critique sur cette réforme. Il est notoire que notre commission est plutôt unie sur ce point. Il arrive que se dégage ainsi un consensus négatif.

M. Michel Herbillon. Hélas, cela n’empêche pas le Gouvernement d’avancer dans cette réforme !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ne nous élevons pas au-dessus de notre condition, monsieur Herbillon.

M. Vincent Seitlinger, rapporteur pour avis. Plusieurs d’entre vous – madame Leboucher, messieurs Pfeffer, David, Taché, Lecoq et Herbillon – souhaitent comme moi la suspension de la réforme du corps diplomatique. Au-delà de la mission d’information en cours, il faudra que nous soyons associés très étroitement aux états généraux de la diplomatie, pour pouvoir faire part de nos préoccupations. Monsieur Herbillon l’a souligné, nous sommes impatients de connaître la date de ces états généraux, annoncés il y a déjà un certain temps.

L’allongement des délais d’instruction des demandes de visas et de titres d’identité, relevée par monsieur Fuchs, monsieur Taché et madame Abomangoli, est en partie lié à l’épidémie de Covid, qui a été suivie par une forte augmentation des demandes. En outre, certains services se plaignent de recevoir de Paris des consignes qui ne sont pas nécessairement applicables dans leur pays ou leur zone géographique, ce qui complique la tâche des agents instructeurs. On leur demande parfois de retenir des critères qui ne sont pas pertinents.

Madame Abomangoli, l’externalisation porte non pas sur l’instruction des demandes de visas mais sur la phase qui la précède, à savoir l’accueil des demandeurs et le recueil des dossiers. Comme vous, je pense qu’il faut éviter que l’externalisation prenne trop d’ampleur mais il faut noter que de nombreux autres pays, notamment européens, se sont engagés dans cette voie.

Messieurs Fuchs et Herbillon, nous constatons tous que les 2,5 millions d’euros supplémentaires consacrés à la politique de communication ne seront pas suffisants au regard des enjeux en la matière. Il est prévu de renforcer la présence du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur les réseaux sociaux, notamment pour toucher les jeunes publics qui ont eu tendance à critiquer l’action de la France. Une chaîne vidéo destinée à la jeunesse africaine doit être créée. Le ministère veut en outre renforcer ses capacités de veille sur les réseaux sociaux pour être plus réactif.

Monsieur Herbillon et madame Lakrafi, les 106 ETP créés devraient prioritairement être affectés à la zone indo-pacifique et à l’Europe de l’Est. Pour le réseau consulaire, comme je l’ai relevé avec regret dans mon rapport, il s’agira pour l’essentiel de missionnaires de renfort, et non de postes destinés à regarnir les consulats de façon pérenne.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. S’il y a en ce moment une crise de la prise de rendez-vous dans les consulats, ce n’est pas en raison d’un manque d’effectifs ou de la réduction des crédits mais parce que l’on n’est pas capable, y compris à Paris, de commander un système informatique qui fonctionne et que les agents, au demeurant de grande qualité, ne savent pas utiliser ces systèmes – il y en a eu deux en trois ans. Les autres députés représentant les Français de l’étranger et moi pourrions vous raconter de nombreuses anecdotes attestant la désorganisation dans la prise de rendez-vous, y compris en Allemagne. Qui plus est, les consulats donnent parfois des réponses différentes, en s’appuyant sur les mêmes textes. C’est un problème d’organisation.

Nous saluons tous le temps que les fonctionnaires passent à traiter les dossiers. Qu’attend-on d’eux ? Qu’ils traitent des dossiers ou qu’ils répondent au téléphone pour noter des rendez-vous ? Il est évident qu’il faut numériser la prise de rendez-vous, tout le monde le fait désormais. Il faut que ce soit un système français et protégé, mis en place par des gens qui s’y connaissent. Les fonctionnaires traitent très bien les dossiers quand ils en ont le temps. S’ils doivent répondre au téléphone pour noter des rendez-vous, ils perdent du temps.

Parmi les 106 postes créés, six sont des postes de managers de la transition qui seront affectés à la direction des ressources humaines pour aider à la mise en œuvre de la réforme. Je m’en réjouis, car il est rare que l’on fasse ce genre de prévision.

Monsieur Pfeffer, le ministère a effectivement subi des réductions d’effectifs pendant trois décennies et a payé plus que sa part. En 2019, grâce à la mobilisation du Parlement – je rends grâce à tous les groupes qui se sont battus en ce sens au cours de la précédente législature –, nous avons heureusement mis fin à ces baisses.

Je suis évidemment opposé aux nominations arbitraires. Je propose d’ailleurs que notre commission se prononce désormais sur la nomination du directeur de l’AEFE. Mais ce n’est pas parce que l’on réforme une partie de la fonction publique qu’il y aura des nominations arbitraires ; le dire, c’est faire de l’affichage. Personne ne connaît exactement le contenu de la réforme. Nous verrons ce qu’il en sera et nous allons nous battre pour y être associés.

Il y a effectivement des divergences au sein de l’Union européenne mais nous les acceptons et elles ne nous empêchent pas d’être unis. Tel est précisément le message que nous avons à délivrer au monde : nous, Européens, avons des intérêts divergents et parlons vingt-quatre langues, mais nous ne nous faisons pas la guerre et nous travaillons ensemble. C’est notre modèle, et il faut le défendre, à plus forte raison en ce moment, car c’est ce que l’impérialisme moscovite est incapable de faire. Il ne faut pas avoir peur de ce modèle ; il ne faut pas renoncer en raison de ces divergences et rentrer chez soi.

Le discours de Ouagadougou affirme expressément que la francophonie, c’est le plurilinguisme. Depuis cinq ans, les langues véhiculaires sont enfin accueillies dans les écoles maternelles que nous aidons en Afrique. On ne peut pas commencer à éduquer un enfant en lui expliquant que sa mère et son père ne parlent pas la bonne langue ! Je suis d’accord avec vous, monsieur Fuchs, il faut consacrer davantage de moyens à la francophonie, et je me battrai en ce sens. Le modèle que nous défendons n’est pas celui de la russophonie. C’est un modèle très particulier, dans lequel nous acceptons les autres langues.

Plusieurs d’entre vous dénoncent une absence de volonté politique et en déduisent qu’il ne faut surtout pas faire la réforme du ministère. Celle-ci doit commencer par les ressources humaines, tout le monde constate que les blocages sont là. Je suis d’accord avec vous tous, le Parlement doit être associé, et je me battrai pour qu’il en soit ainsi. J’ai proposé au groupe de travail sur la réforme du corps diplomatique de m’auditionner car j’ai une expérience à partager. En tout cas, on ne peut pas en même temps pointer les problèmes et dire qu’il ne faut pas réformer.

M. Michel Herbillon. Pas détruire !

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Certes !

Vous dites qu’il n’y a pas de volonté politique. Or nous avons adopté la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Qu’est-ce donc sinon l’affirmation d’une volonté politique qui encadrera notre action pendant les dix ans qui viennent ?

M. Michel Herbillon. Cela n’a rien à voir ! Êtes-vous d’accord avec la réforme du corps diplomatique ?

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je n’en connais pas plus que vous le contenu. Je dis qu’il y a bel et bien une volonté politique : la feuille de route de l’influence, la loi de programmation relative au développement. Maintenant qu’elle a été affirmée, il va falloir, dans ce cadre, se demander quels sont les meilleurs profils.

Je prends souvent l’exemple qui suit dans les réunions publiques. Dans la feuille de route de l’influence, nous disons que nous voulons contribuer au projet de Grande Muraille verte en Afrique. Pour ce dossier, il faudra recruter un profil très particulier et non s’en remettre au jeu des affectations. J’espère que cette personne sera nommée pour dix ans et aura déjà planté un arbre au cours de sa vie, qu’elle ait réussi le concours d’Orient ou non !

M. le président Jean-Louis Bourlanges. On pourrait ajouter une épreuve d’horticulture au concours d’Orient. (Sourires.)

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je sais que nous ne sommes pas tout à fait d’accord, monsieur le président…

De même, il est évident que l’AEFE doit être dirigée par une personne qui a une connaissance du développement des lycées à l’étranger. Certains ambassadeurs ont fait un passage très réussi à la tête de l’AEFE mais nous devons vérifier que le directeur a bien cette compétence.

Il y a effectivement du mal-être, monsieur Herbillon ; c’est le cas chaque fois que l’on réorganise. Je le dis depuis longtemps, nous devons veiller à ce qu’il y ait, dans la réforme, un volet d’accompagnement des agents à la transformation. Manager la transition, c’est un métier, hélas ignoré par le Gouvernement et beaucoup d’administrations.

Madame Leboucher, vous semblez dire qu’il faut choisir entre piloter et faire. Si nous voulions continuer à faire sans piloter, nous aurions effectivement besoin de moyens supérieurs. Pour ma part, j’estime que nous devons piloter mais que nous devons d’abord nous interroger sur la manière de piloter et sur ce qui doit être ensemble.

Dans nos rapports pour avis, nous contrôlons désormais les indicateurs relatifs à l’effet de levier. Et celui-ci n’a rien à voir avec une quelconque vente de nos intérêts à l’étranger !

Le budget de l’AEFE s’établit à 1 milliard d’euros, dont 500 millions d’argent public. Or le budget total de l’enseignement français à l’étranger est de 4 milliards ! Le gouvernement de M. Orbán finance le lycée français de Budapest, à hauteur de 120 000 euros, parce qu’il apprécie ce qui s’y fait et que des Hongrois le fréquentent. C’est cela, l’effet de levier, et cela fonctionne de la même manière pour les instituts français et les alliances françaises, ces dernières ne coûtant rien au budget de l’État.

Je prends toujours l’exemple, très symbolique, du lycée français d’Erbil, au Kurdistan irakien. Il est contributif au budget de l’État et a tenu pendant trois ans, grâce à deux mères de famille, à 30 kilomètres du front. Voilà comment la France fait et fera de l’influence, et non du colonialisme.

*

Article 27 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-AE3 de M. Alain David.

M. Alain David. Cet amendement et les deux suivants sont défendus.

M. Vincent Seitlinger, rapporteur pour avis. La contribution française à la facilité européenne pour la paix est composée de deux quotes-parts, l’une versée par le ministère des armées, l’autre par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. En raison de la guerre en Ukraine, celle du ministère des armées, qui finance la livraison d’armes, a augmenté. Mécaniquement, celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui finance la livraison d’équipements non létaux, a diminué. J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE4 de M. Alain David.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à cet amendement, car il tend à prélever des crédits sur le programme Diplomatie culturelle et d’influence, dont je suis satisfait de voir le budget augmenter.

Pour le reste, le rattachement de l’opérateur Atout France fait l’objet d’une vieille querelle entre le Quai d’Orsay et Bercy. C’est une bonne chose qu’il ait passé un moment sous la tutelle du ministère des affaires étrangères car cela a permis de rompre avec le mode d’organisation antérieur. Désormais, l’opérateur fonctionne bien, avec le soutien des municipalités et des syndicats d’initiative, et il est assez présent à l’étranger. Techniquement, l’amendement n’est guère défendable car il vise à rétablir des crédits qui relèvent dorénavant de la mission Économie.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE5 de M. Alain David.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Cet amendement me va droit au cœur, car il porte sur le développement de la coopération franco-allemande en matière de diplomatie d’influence. Toutefois, il me paraît superfétatoire car Français et Allemands travaillent déjà en commun en Ukraine, y compris sur des sujets culturels et de diplomatie d’influence. D’une manière générale, la projection du franco-allemand dans le monde est faite. J’avais visité il y a quelques années l’institut culturel franco-allemand (ICFA) de Ramallah et cela fonctionne.

Il me semble peu opportun à ce stade d’affecter des crédits spécifiquement à la création d’un ICFA à Kiev, sachant que nous avons du mal à maintenir ouverte l’école française. En outre, je ne suis pas sûr que l’on puisse flécher des crédits de manière aussi précise. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Action extérieure de l’État non modifiés.

Après l’article 40 :

Amendement II-AE6 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. D’après ses statuts, l’AEFE accomplit deux missions : elle est chargée de développer le réseau d’enseignement à l’étranger, lequel comprend aujourd’hui environ 560 lycées et scolarise près de 400 000 élèves ; elle demeure gestionnaire directe d’une soixantaine d’établissements, dont le lycée de Madrid, par exemple.

Ces deux missions sont de plus en plus incompatibles, à un moment où l’on demande à l’AEFE de faire des missions de reconnaissance dans les zones géographiques où elle est susceptible d’étendre le réseau. De plus, elles sont entremêlées : il est très difficile d’identifier quelle part de la subvention de l’État aide les établissements en gestion directe et quelle part finance la mission de développement et d’influence de l’agence.

Je propose que, dans l’article L. 452-3 du code de l’éducation, relatif à l’AEFE, nous séparions ces deux missions, en créant, au sein de l’agence, un comité de gestion des établissements en gestion directe. L’ensemble du personnel et des fonctions de gestion de ces établissements serait rattaché au comité, qui percevrait les écolages versés par les familles, soit près de 300 millions actuellement. L’État subventionnerait l’agence de développement et d’animation du réseau dans son ensemble. Une convention de collaboration serait conclue entre le comité et l’agence.

Établir une telle distinction nous permettrait d’exercer un contrôle parlementaire beaucoup plus efficace sur l’agence et son budget, et de déterminer beaucoup plus précisément notre action en matière d’enseignement français à l’étranger.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’amendement tend-il à clarifier la manière dont les crédits sont répartis ? Ou bien s’agit-il de modifier l’affectation des crédits au profit des établissements gérés de manière autonome, au détriment des établissements gérés par la puissance publique ?

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. S’il existe aujourd’hui un déséquilibre, il est plutôt dans l’autre sens. Cet amendement permettra de faire la transparence sur l’utilisation de l’argent public.

Mme Liliana Tanguy. Le groupe Renaissance considère que cette question est légitime mais pas opportune dans un texte budgétaire. Nous souhaitons qu’un tel changement se fasse à l’issue d’une concertation entre l’AEFE et le ministère des affaires étrangères. Votre amendement implique, en effet, une modification de la structure de l’AEFE et de la gouvernance des établissements en gestion directe, de façon assez radicale. Nous appelons donc à voter contre.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Cela fait cinq ans que je parle de cette question avec les instances concernées et il y a au fond peu de résistance. Les gens sont conscients que la gestion est très différente selon que les lycées sont en gestion directe ou non, et ceux qui sont sur le terrain sont majoritairement d’accord avec moi. Il y a eu une concertation et l’évolution ne sera pas radicale. Par ailleurs, la Cour des comptes a repris l’AEFE : il y a eu des fausses factures, faites entre soi, pendant des années.

Nous n’atteindrons pas l’objectif fixé par le président de la République si nous ne séparons pas les fonctions à l’intérieur de l’opérateur. Tout le monde sait que le fait que l’AEFE soit d’un côté gestionnaire d’une soixantaine de lycées – je suis un défenseur des établissements en gestion directe, qui sont à la fois utiles et beaux – et, d’un autre côté, coordinatrice de l’ensemble du réseau pose des problèmes et nécessite une réorganisation. Chaque fois que je propose d’avancer, on me répond que ce n’est pas dans la loi définissant les statuts.

Mon amendement tend à réaliser enfin ce changement nécessaire, qui devra intervenir d’ici au 1er janvier 2024. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée qu’il faut prendre le temps, pour ne brutaliser personne, même si les gens sont prêts : certains ne travaillent que pour la soixantaine de lycées gérés par l’AEFE. Cela aidera l’Agence à faire son travail et à constituer des équipes pour développer le réseau.

M. Bruno Fuchs. Frédéric Petit fait le même constat année après année, et ce qu’il propose n’a rien d’un bouleversement radical. C’est une amélioration simple et nécessaire, qu’il faut apporter maintenant. Nous sommes nombreux à penser que l’action publique prend trop de temps. Le moment de passer à l’acte est venu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. On voit que le Gouvernement ne veut pas être gêné par cet amendement et annonce donc une grande réforme pour plus tard. M. Petit soulève un vrai problème, auquel il esquisse une solution dans son amendement. Je voterai pour, même si je ne suis pas sûr qu’il soit constitutionnel et donc recevable. Nous abordons en effet, dans le cadre d’un avis budgétaire, une question relative à l’organisation de l’éducation nationale, qui impliquerait une modification du code de l’éducation. Cela dit, cela ne me gêne pas. Nous pouvons voter pour et faire ainsi un signe politique précis, en étant simplement conscients que l’amendement pourrait être considéré en séance comme irrecevable.

La commission adopte l’amendement.

 

 


—  1  —

   ANNEXE N° 1 : liste des personnes entendues
ou rencontrées par votre rapporteur pour avis

À Paris :

  M. Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence

  M. Vincent Sciama, sous-directeur du réseau de coopération et d'action culturelle

  Mme Alice Toulemonde, chargée de mission auprès du directeur

 

  M. Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence

  M. Sylvain Guiaugué, directeur adjoint à la direction de l’Europe continentale

 

  M. Pascal Brunet, directeur et Mme Laurence Barone, directrice adjointe du Relais Culture Europe

  M. Sebastien Thierry, directeur et Mme Annabel Vuillier-Cools, conseillère technique dans le champ de l'éducation culturelle et artistique d’Erasmus + France

  Mme Adeline Cornet, secrétaire générale et M. Frédéric Bereyziat, directeur général délégué en charge des ressources d’Arte France

 

  Mme Donatienne Hissard, directrice générale

  M. Thierry Valentin, directeur général adjoint

 

  M. Olivier Brochet, directeur

  Mme Raphaëlle Dutertre, conseillère aux relations institutionnelles et référente égalité, service des relations extérieures

  Mme Anne-Charlotte Dommartin, déléguée pour la société civile, l’engagement citoyen et la jeunesse et référente ministérielle participation citoyenne

 

  Mme Anne-Hélène Bouillon, sous-directrice de la 7ème sous-direction (budgets de l'agriculture, de l'alimentation, de la forêt, des affaires rurales, de l'aide publique au développement, de l'action extérieure de l'État, de l'immigration, de l'asile et de l'intégration)

  M. Tài Nguyen, chef du bureau des affaires étrangères et de l’aide au développement

 

 

  Mme Marine Havel, présidente

 

Audition conjointe :

  M. Marc Cerdan, secrétaire général

  M. Jean-François Hans, délégué géographique

 

  M. Erol Ok, directeur

  M. Thomas Hannebique, secrétaire général

  M. Xavier Mabeka-Luccioni, directeur financier

  Mme Maud Grimaud, responsable du pôle coordination géographique, direction appui au réseau culturel français à l’étranger

 

Déplacement en Géorgie :

  M. Diego Colas, ambassadeur de France en Géorgie

  M. Richard Requena, chargé d’affaires

  Mme Camille Nora, COCAC et directrice de l’Institut français de Géorgie

  Mme Nana Laliashvili, directrice de la médiathèque de l’Institut français

  M. Guiorgui Kekelidze, directeur général de la Bibliothèque nationale du Parlement,

  M. Kamel Yassili, proviseur de l’École française du Caucase ;

  Mme Nestan Nijaradze, directrice du Musée de la photographie et des multimédias,

  M. Viktor KIPIANI (think-tank Geocase)

  M. Nodar Kharshiladze (think-tank GSAC)

 

  M. Nikoloz Samkharadzé, président de la Commission des relations internationales et MM. Giorgi Khelashvili et Grigol Vashadze, députés.

  Mme Maka Botchorishvili et M. Beka Odisharia, députés membres du groupe parlementaire d’amitié franco-géorgien

  M. Raphaël Jozan, directeur du bureau de l’Agence française de développement pour le Sud-Caucase, Mme Bérangère Callamand, directrice adjointe, Mme Catalina Garcia Pinilla, coordinatrice des programmes Expertise France en Géorgie, M. Audrius Bitinas et M. Antoine Pogorzelski d’Expertise France Géorgie

  M. Giga Kvartskhava, doyen de la faculté de sciences agraires de l’Université technique de Géorgie


([1])  https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-influence_print_dcp_v6_cle8f2fa5.pdf

([2]) L’AEFE bénéficie également d’une enveloppe de 105,7 millions d’euros en AE et en CP au titre de l’action 2 « Accès des élèves Français au réseau AEFE » du programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires » intégrant une aide à la scolarisation des élèves en situation de handicap élargie aux non boursiers (1,3 millions d’euros).

([3])  En application d’ un accord intergouvernemental franco-australien de 1983, l’AEFE reçoit une subvention du ministère chargé des affaires étrangères qui est transférée, après contrôle, au lycée franco-australien de Canberra – Telopea Park School  (école publique de Canberra et établissement homologué par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse avec statut de partenaire).

([4]) Campus France bénéficie également de 8,7 millions d’euros en transferts de crédits du programme 209 et de 66,65 millions d’euros sur le programme 185 pour des bourses, échanges d’expertise et partenariats Hubert Curien.

([5])  https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-pilotage-strategique-des-operateurs-de-laction-exterieure-de-lÉtat

([6])  Instances de coordination, d’évaluation, de concertation et d’élaboration de la politique du poste sur les programmes budgétaire 185 et 209 « Solidarité avec les pays en développement » réunissant dans un pays donné l’ensemble des éléments et acteurs du dispositif français de coopération et d’action culturelle (SCAC, Instituts français, IFRE, alliances française, réseau scolaire, agences et antennes de l’AFD, de l’IRD, de BF …), afin de s’assurer de leur bonne articulation et de renforcer le pilotage global.

([7]) Pour rappel, les plans éducation présentent la stratégie des postes en matière de coopération éducative et d’enseignement français homologué et les objectifs stratégiques et opérationnels associés. Ils décrivent les actions menées par les postes pour répondre aux trois priorités du MEAE : le soutien aux systèmes éducatifs locaux et la formation des enseignants, le développement du réseau d’enseignement français à l’étranger (EFE) et le renforcement de l’enseignement bilingue, notamment par le développement du LabelFrancEducation.

([8]) Auxquels s’ajoutent trois millions d’euros mis à disposition de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) pour le financement de programmes de renforcement capacitaire.

([9]) Créé par la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État, l’Institut français  de Paris n’est pas, malgré une ambition initialement envisagée et une confusion encore largement répandue, la tutelle des instituts français qui constituent le réseau culturel.

([10])  Les partenaires principaux de l’AFD en Géorgie sont la banque de développement allemande (KFW), la Banque asiatique de développement, la Banque européenne d’investissement et la Banque mondiale et l’Agence tchèque de développement (partenaire important dans le domaine social).

 

([11])  France Volontaires est une association loi 1901 appelée à devenir un groupement d’intérêt public à partir du 1er janvier 2023. Sa gouvernance associe l’État (MEAE en priorité mais aussi ministères de l’éducation nationale et de la jeunesse, de l’agriculture et des outre-mer), des associations de solidarité internationale et les collectivités locales membres de l’association.

([12]) Les deux autres fonds porteront respectivement sur la transition écologique et énergétique, afin d'appuyer des investissements permettant de réduire rapidement la consommation d'énergie sur l'ensemble du réseau, et sur la communication, pour soutenir les projets des ambassadeurs.

 

 

([13]) Créé en 2012, le label LabelFrancEducation est attribué par le MEAE aux filières bilingues d’excellence proposant un enseignement renforcé de la langue française et d’au moins une discipline non linguistique en français, conformément au programme officiel du pays d’accueil.

([14])  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045268755

([15])  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046187532

([16])  Ce nouveau dispositif donne la possibilité à ces établissements de financer leurs projets de rénovation ou d’extension de leurs capacités d’accueil. Les modalités d’application du nouveau dispositif ont fait l’objet d’un arrêté du ministre de l’économie, des finances et de la relance signé le 2 avril 2021.

([17])  Les prestations réalisées par le SADR sont facturées aux établissements ou aux porteurs de projet selon les tarifs approuvés par le conseil d’administration.

([18])  La définition introduite par l’UNESCO en 2013 comptabilise les étudiants « en mobilités internationales » c’est-à-dire ayant quitté provisoirement leur territoire national dans le but de poursuivre leurs études et qui sont inscrits dans un programme d’enseignement dans un pays étranger.

([19])  Le réseau des IFRE représentait un budget consolidé de 13,7 millions d’euros en 2021 dont 34 % supportés par le MEAE. Les dotations pour fonctionnement et opérations aux IFRE ont totalisé 4,7 millions d’euros.

([20]) Ces opérateurs bénéficient de financements français sur le programme 209, « Solidarité avec les pays en développement »

([21])  L’article 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que l’Union est compétente, dans le domaine de la culture, pour «mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres».

([22])  https://presidence-francaise.consilium.europa.eu/media/zr2i0uyl/d %C3 %A9claration-de-marseille.pdf

([23]) Caucase et Asie centrale (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kirghizistan), Russie et Europe orientale (Ukraine, Biélorussie, Moldavie), Europe balkanique (Serbie, Macédoine du Nord, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Albanie, Kosovo)

([24])  https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/europe/balkans-occidentaux/strategie-francaise-pour-les-balkans-occidentaux/

([25]) Deux nouveaux établissements labellisés en Bosnie-Herzégovine et en Serbie en 2021, un nouvel établissement labellisé en Albanie à la rentrée 2022, pour un total de quinze à la rentrée 2022

([26])  Ce projet vise à renforcer la place du français comme langue vivante dans les établissements scolaires et pré-scolaires, améliorer la qualité de l’enseignement du français et promouvoir le français comme langue de travail, de création et d’innovation.