N° 337

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

TOME III

 

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

 

 

PAR Mme Nadège Abomangoli

Députée

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 Voir le numéro : 273

 

 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. des crédits globalement en hausse

A. deux programmes principaux concourant à la politique d’aide au développement

1. Le programme Aide économique et financière au développement

a. L’aide économique et financière multilatérale

b. L’aide économique et financière bilatérale

c. Le traitement de la dette des pays pauvres

2. Le programme Solidarité à l’égard des pays en développement

a. La coopération bilatérale

b. La coopération multilatérale

c. La coopération européenne

3. Le Fonds de solidarité pour le développement

B. deux programmes liés aux besoins en capital de l’AFD et à la lutte contre la corruption transnationale

1. Le programme Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement

2. Le programme Restitution des « biens mal acquis »

II. crises de la faim : une menace croissante pour les pays du SUD

A. Une situation qui empire

1. L’augmentation du nombre de personnes en insécurité alimentaire

2. Un fléau qui touche particulièrement l’Asie et l’Afrique

B. Des raisons de fond et des aggravations conjoncturelles

1. Des causes structurelles anciennes

2. Des facteurs conjoncturels aggravants

III. Des initiatives utiles

A. deux programmes budgÉtaires au soutien de la sécurité alimentaire

1. Le programme 110 en appui du FIDA

2. Le programme 209 portant l’aide alimentaire programmée et les contributions multilatérales

a. L’aide alimentaire programmée

b. Les versements à des organisations internationales

B. des opérateurs mobilisés

1. L’AFD : des trajectoires positives qui méritent d’être amplifiées

2. L’action d’Expertise France

3. L’implication complémentaire du CIRAD

C. L’initiative farm : des rÉsultats À concrÉtiser

1. De bonnes intentions

2. Une efficacité réelle à démontrer

IV. sécurité alimentaire : il faut aller plus loin

A. Protéger concrètement les pays en développement

1. Protéger les marchés locaux

2. Promouvoir une agriculture durable

B. Se donner les moyens politiques de changer les choses

1. Relever le défi de la spéculation

2. Donner tout son rôle au Comité de la sécurité alimentaire mondiale

CONCLUSION

Liste des propositions

CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU  GROUPE de la Gauche démocrate et républicaine

Travaux de la commission

I. Audition de Mme catherine coloNna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

II. présentation de l’avis devant la commission des affaires étrangères et examen des crédits

Liste des auditions menÉes par lA rapporteurE


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   introduction

 

La mission Aide publique au développement (APD) porte les crédits budgétaires dédiés à la politique de développement et de solidarité internationale de la France.

Les crédits budgétaires prévus pour cette mission dans le projet de loi de finances pour 2023 s’inscrivent dans le cadre fixé par le Parlement dans la loi de programmation du 4 août 2021 ([1]), qui a assigné comme objectifs de porter l’aide publique au développement de la France à 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022 et à 0,7 % du RNB en 2025.

Les crédits de paiement (CP) de la mission APD passent de 5,1 milliards d’euros en 2022 à 5,9 milliards d’euros dans le présent projet de loi de finances, en hausse de 16,04 %. La mission se compose de deux principaux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, porté par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (40 % des crédits de la mission), et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (58 % des crédits de la mission). Les crédits de paiement du premier augmenteront l’année prochaine de 25 % et ceux du second de 12 %.

La « lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition » fait partie des tout premiers objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, mentionnés à l’article 1er de la loi du 4 août 2021 (bien qu’elle ne figure pas parmi les cinq priorités définies par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement en 2018).

Alors qu’en 2022 tous les indicateurs sont au rouge sur cette question, il a paru impératif à la rapporteure pour avis, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, de faire porter son avis budgétaire plus particulièrement sur la sécurité alimentaire. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la guerre en Ukraine pourrait se traduire par un accroissement supplémentaire de 8 à 13 millions de personnes souffrant de la faim ([2]). Toutefois, contrairement à une idée reçue, la crise alimentaire mondiale a commencé bien avant l’invasion de ce pays. Entre 2014 et 2021, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire grave dans le monde a augmenté de plus de 350 millions, passant de 565 millions à 924 millions ([3]).

La rapporteure pour avis dressera un état des lieux de la situation et rappellera les initiatives déjà prises par la France pour aider les pays en développement à affronter la crise alimentaire. Elle montrera aussi que les dispositifs actuels, qui ont leur utilité, sont néanmoins insuffisants pour faire face à l’ampleur du défi. Celui-ci appelle en effet des réponses politiques d’une tout autre échelle. La rapporteure les résumera en sept propositions, qui sont autant de pistes pour renouveler en profondeur notre politique de développement solidaire.

 

 


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I.   des crédits globalement en hausse

Les moyens consacrés à l’aide publique au développement ont augmenté au cours des dernières années, répondant à un souhait partagé par l’ensemble des forces politiques, comme l’a manifesté en 2021 l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. L’APD française a ainsi dépassé le seuil des 10 milliards d’euros en 2017 et s’est établie à 13,1 milliards d’euros en 2021, soit 0,52 % du RNB, contre 0,53 % en 2020.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, les crédits de paiement de la mission Aide publique au développement passent de 5,1 milliards d’euros (en loi de finances initiale pour 2022) à 5,9 milliards d’euros, en hausse de 16,04 %. Pour les années à venir, le Gouvernement prévoit qu’ils seront portés à 6,25 Md€ en 2024 et à 6,99 Md€ en 2025. Aux crédits budgétaires s’ajoutent des taxes affectées à hauteur de 0,74 Md€. Rappelons que ces crédits et ces taxes affectées ne représentent pas la totalité mais environ un tiers (correspondant pour l’essentiel aux dépenses dites « pilotables ») de l’APD française, telle qu’elle est comptabilisée selon les critères de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) ([4]).

Le Gouvernement indique ([5]) que l’APD « devrait pouvoir » s’établir à 14,8 Md€ en 2022, soit « environ » 0,55 % du RNB, objectif fixé par le législateur dans la loi de programmation du 4 août 2021. La représentation nationale sera d’autant plus attentive à ce que cet objectif soit réellement atteint que ce ratio a reculé entre 2020 et 2021, passant de 0,53 % à 0,52 %. Rappelons que la loi précitée prévoit une cible intermédiaire de 0,61 % en 2023 et comprend l’objectif tendant à consacrer 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement en 2025. Le Parlement sera tout aussi vigilant quant au contenu du tableau indicatif actualisé des cibles intermédiaires du Gouvernement qu’il doit présenter d’ici la fin de l’année.

A.   deux programmes principaux concourant à la politique d’aide au développement

La mission interministérielle APD se décompose principalement en deux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, mis en œuvre par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).

1.   Le programme Aide économique et financière au développement

Pour 2023, les crédits du programme 110 Aide économique et financière au développement s’élèvent à 3 836,9 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2 337,9 millions d’euros en CP, en hausse respectivement de 19 % et de 25 %. Ils se répartissent entre trois actions.

a.   L’aide économique et financière multilatérale

Le programme 110 comporte d’abord une part importante de crédits destinés à des institutions multilatérales de développement (action n° 1 Aide économique et financière multilatérale), pour un montant prévu de 2 012,3 millions d’euros en AE et de 1 672,7 millions d’euros en CP.

Les principales contributions à des fonds généralistes concernent l’Association internationale de développement (AID) ([6]) et le Fonds africain de développement (FAD) ([7]), qui sont les guichets de financement concessionnel respectivement de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. Elles bénéficieront également à des fonds sectoriels, en particulier ceux liés au climat comme le Fonds Vert pour le Climat ([8]) et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), dont la France souhaite qu’il devienne le principal fonds multilatéral dédié à la thématique de l’environnement et en particulier à la biodiversité.

Les représentants des pays donateurs de l’AID ont décidé d’avancer d’une année la vingtième reconstitution de cette dernière (AID-20), qui est intervenue en 2022 au lieu de 2023. Ainsi, le premier versement de la contribution française à cette reconstitution aura lieu dès 2023, tout comme le dernier versement de la dix-neuvième reconstitution (AID-19). Le total de ces deux versements représente 39 % des crédits de paiement du programme en 2023.

Les négociations des reconstitutions du Fonds vert pour le climat et du Fonds africain de développement ont débuté et les versements commenceront en 2023. Les engagements prévus sont de 959 millions d’euros sur la période 2023-2026 pour le premier et de 580 millions d’euros sur la période 2023-2025 pour le second. Les crédits de paiement prévus pour l’un et l’autre sont respectivement de 208,36 millions d’euros et de 193 millions d’euros pour 2023.

b.   L’aide économique et financière bilatérale

Le programme 110 comprend ensuite des crédits d’aide bilatérale (action n° 2 Aide économique et financière bilatérale), pour un montant global de 1 723,3 millions d’euros en AE et de 549,2 millions d’euros en CP.

Ces crédits recouvrent en particulier des crédits de bonification visant à abaisser pour les pays emprunteurs le coût des prêts de l’Agence française de développement (AFD), axe très souvent employé dans l’aide bilatérale française.

Outre ces prêts concessionnels, l’effort en faveur de l’Afrique subsaharienne passe, pour des montants plus réduits, par des aides budgétaires globales, qui visent à apporter un soutien de stabilisation macroéconomique ou un appui aux stratégies nationales ou régionales de développement. À cela s’ajoute le financement de dispositifs de coopération technique visant à renforcer les capacités des pays bénéficiaires de l’aide française en matière de gestion des finances publiques, de développement économique et d’intégration commerciale.

Le programme 110 finance enfin des dispositifs de recherche et d’innovation dans le domaine du développement (Fonds d’innovation pour le développement ([9]), chaire de recherche en économie du développement, Pôle de recherche en économie du développement de Clermont-Ferrand) et contribue au renforcement de l’expertise française.

c.   Le traitement de la dette des pays pauvres

Le programme 110 concentre enfin une part de crédits destinés au financement des annulations de dette bilatérales et multilatérales (action n° 3 Traitement de la dette des pays pauvres), décidées parfois il y a plusieurs années, pour un montant prévu de 101,3 millions d’euros en AE et de 116,1 millions d’euros en CP.

Le programme 110 intervient, d’une part, dans un cadre bilatéral, en compensant à l’AFD les annulations de dettes décidées au sein du Club de Paris ou au titre des accords de Dakar I et II, et, d’autre part, en tenant les engagements pris par la France en 2005 au G8 de Gleneagles. Rappelons qu’il avait été décidé, à ce sommet, d’annuler la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) ([10]) envers l’Association internationale de développement (AID). À l’instar de ses partenaires, la France s’était engagée à participer à la compensation auprès de l’AID du coût de cette annulation, dans le cadre de l’Initiative d’annulation de la dette multilatérale (IADM). De même, la France s’est engagée, comme ses partenaires, à compenser le Fonds africain de développement (FAD) du coût de l’annulation de la dette des PPTE.

2.   Le programme Solidarité à l’égard des pays en développement

Le programme 209, piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), voit sa dotation augmenter de 383,1 millions d’euros pour atteindre 3 436 millions d’euros en crédits de paiement (+13 %). Les autorisations d’engagement s’élèvent à 4 055 millions d’euros (+26 %).

Les crédits du programme 209 se répartissent entre trois actions (Coopération bilatérale, Coopération multilatérale, et Coopération communautaire), auxquelles s’ajoute une action relative aux dépenses de personnel. Ils couvrent les grandes priorités sectorielles définies par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) lors de sa réunion du 8 février 2018 et réaffirmées par la loi de programmation du 4 août 2021 : la santé, le climat et la biodiversité, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les fragilités ([11]), l’éducation ainsi que la gouvernance démocratique et la sécurité alimentaire.

a.   La coopération bilatérale

La coopération bilatérale est mise en œuvre soit directement par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (crédits de gestion et de sortie de crise, aide humanitaire et aide alimentaire, FSPI (Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain) ([12]), soutien aux dispositifs de volontariats, appui à la société civile et à la coopération décentralisée), soit par des opérateurs, en particulier l’Agence française de développement, Expertise France, Canal France International, l’Institut Pasteur, l’IRD ([13]) et le CIRAD ([14]). Le Parlement, dans la loi du 4 août 2021, a souhaité renforcer la composante bilatérale de l’aide publique française au développement. En conformité avec cet objectif, les moyens alloués à la coopération bilatérale sont en augmentation dans le présent projet de loi de finances (+517 millions d’euros en CP) et s’établissent à 2 075 millions d’euros en CP (et 2 166,2 millions d’euros en AE).

L’augmentation des crédits bilatéraux porte en particulier sur l’aide humanitaire bilatérale, qu’il s’agisse du Fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation (+30 millions d’euros pour atteindre 200 millions d’euros en AE et en CP), de l’aide alimentaire programmée (+41,7 millions d’euros pour atteindre 160 millions d’euros en AE et en CP) ou encore de l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission) pour laquelle une contribution de 75 millions d’euros est prévue. Au total, en 2023, les crédits d’action humanitaire programmés sur la mission APD (crédits dédiés à la gestion et sortie de crise, auxquels s’ajoute une partie importante des contributions multilatérales) s’établissent à 642 millions d’euros, contre 500 millions en 2022.

Les crédits de l’aide‑projet (AFD et FSPI) sont portés à 1 068 millions d’euros en CP, soit +84 millions, dont 10 millions abonderont l’enveloppe allouée aux FSPI (plébiscités par les ambassadeurs), qui sera portée à 80 millions d’euros (en AE et en CP).

Les crédits bilatéraux incluent par ailleurs une « provision pour crises majeures » devant permettre à la France de réagir de façon rapide et ciblée aux évolutions brusques de la situation mondiale, principalement dans les domaines de l’humanitaire et de la santé (par exemple en cas d’aggravation soudaine de la crise alimentaire, pour renforcer le soutien à la population ukrainienne, etc.). Créée par la loi de finances pour 2022, cette réserve est destinée à répondre, dans des délais très courts, à des engagements non anticipés. Le projet de loi de finances pour 2023 porte cette provision à 270 millions d’euros (en AE et en CP), soit une augmentation de 247 millions par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

b.   La coopération multilatérale

L’action Coopération multilatérale recouvre les contributions volontaires aux agences et programmes des Nations Unies et aux fonds multilatéraux ainsi que les contributions à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Un peu plus de 1,35 milliard d’euros en AE et 825,4 millions d’euros en CP sont globalement alloués à cette action dans le présent projet de loi de finances.

Les crédits dédiés aux fonds multilatéraux financent les grandes priorités sectorielles fixées par le CICID de 2018, les décisions prises à l’occasion du sommet du G7 de Biarritz et la réponse internationale à la pandémie de Covid-19. La dotation 2023 permettra aussi d’honorer les engagements de la France pris au titre du Partenariat mondial pour l’éducation (PME).

Un effort particulier est porté sur les contributions volontaires aux Nations Unies (CVNU), tant sur le volet humanitaire (+19,5 millions d’euros) que non humanitaire. Ces contributions s’élèveront pour 2023 à 370 millions d’euros en AE et à 334,8 millions d’euros en CP. En conformité avec les priorités énoncées par la loi du 4 août 2021, elles incluent des contributions afférentes au climat (+10 millions d’euros) et à la santé mondiale. En plus des 70 millions d’euros permettant de solder la reconstitution 2020-2022, sont inscrits 399,1 millions d’euros en AE et 145,5 millions d’euros en CP au titre de la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP) pour le triennium 2023-2025.

c.   La coopération européenne

Une part du programme 209 (action Coopération communautaire) est consacrée à la coopération européenne, à travers le Fonds européen de développement (FED). Elle s’élèvera à 374,1 millions d’euros (en AE et en CP) en 2023. Cette part est en diminution (-23 %) par rapport à 2022 et continuera à s’amenuiser au cours des prochaines années. En effet, en 2021, le FED a été fusionné dans l’Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale dit « NDICI ([15]) ». Ce nouvel instrument de coopération européen est financé entièrement sur le budget général de l’Union européenne. L’adoption du NDICI entraîne la « budgétisation » du FED au sein de cet instrument unique. La contribution de la France au NDICI pour 2021-2027 se réalisera donc via sa contribution au budget général de l’Union européenne. Néanmoins, les États membres continueront de contribuer au FED jusqu’à épuisement du « reste à liquider » vers 2028. Le programme 209 continuera donc à être mobilisé, sur des volumes qui iront en diminuant, jusqu’à cette date.

3.   Le Fonds de solidarité pour le développement

Les ressources du programme 209, tout comme celles du programme 110, sont complétées par le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), géré par l’AFD pour le compte de l’État. Doté de 738 millions d’euros, ce fonds est alimenté par une fraction du produit de deux taxes affectées : la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et la taxe sur les transactions financières (TTF). Alors même que ces taxes innovantes avaient été créées notamment pour financer le développement et lutter contre les excès de la mondialisation, les recettes affectées au FSD demeurent plafonnées à 210 millions d’euros pour la TSBA (depuis 2015) et à 528 millions d’euros pour la TTF (depuis 2017).

Le FSD poursuivra en 2023 le financement de plusieurs fonds multilatéraux dans les domaines de la santé (Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, contribution française à la Facilité internationale de financement pour la vaccination (IFFiM) de l’Alliance pour les vaccins GAVI, Unitaid ([16])) et de l’éducation (Partenariat mondial pour l’éducation). Le FSD financera également une contribution au Fonds vert pour le climat sur la période 2023-2026.

B.   deux programmes liés aux besoins en capital de l’AFD et à la lutte contre la corruption transnationale

Les programmes 110 et 209 sont complétés par deux programmes plus récents et de moindre ampleur, nés d’une part du besoin de renforcer l’AFD en fonds propres, compte tenu des exigences de solvabilité et du ratio de risques auxquels elle est soumise, et d’autre part du souhait de restituer les avoirs issus de la corruption internationale aux populations des États concernés, via le financement d’actions de coopération et de développement.

1.   Le programme Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement

Le programme 365 Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement a vu le jour dans la loi de finances pour 2021. Mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il comporte une action unique.

Les crédits du programme 365 permettent de doter l’AFD en capital en 2023. Les besoins de fonds propres de l’agence s’expliquent en particulier par l’application de règles prudentielles auxquelles elle est assujettie en tant que société de financement. Une évolution législative européenne (entrée en vigueur du règlement européen CRR2) a introduit une modification de la comptabilisation des fonds propres. Depuis juin 2021, les prêts de « ressources à condition spéciale » (RCS), octroyés dans des conditions très concessionnelles par l’État à l’AFD, ne sont plus pris en compte au titre des fonds propres pour le calcul du ratio « grands risques » auquel l’agence est soumise. Techniquement, l’opération prend la forme d’une conversion en fonds propres de base des prêts de ressources à condition spéciale.

Le programme 365 est doté en autorisations d’engagement et en crédits de paiement d’un montant égal aux versements de RCS à l’AFD effectués en 2023, à mesure des décaissements par cette dernière des prêts concessionnels aux États étrangers adossés à des RCS, soit 150 millions d’euros. Symétriquement, ces prêts seront remboursés de façon anticipée par l’agence sur le programme 853 ([17]), si bien que l’opération de conversion sera neutre pour le budget de l’État.

2.   Le programme Restitution des « biens mal acquis »

En application de l’article 2 de la loi de programmation du 4 août 2021 ([18]), un programme 370, placé sous la responsabilité du MEAE et comprenant une seule action, a été créé par la loi de finances pour 2022 en vue de la restitution des « biens mal acquis ». Ce programme vise à permettre de redonner aux populations concernées, sous forme de projets de coopération et de développement, les recettes issues de la cession par l’Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (AGRASC) de ces biens. Auparavant, le produit des biens mal acquis définitivement confisqués par la justice était versé au budget général de l’État français ([19]).

Le projet de loi de finances pour 2023 ne prévoit pas d’ouverture de crédits pour le programme 370. Ce programme sera doté au fur et à mesure de l’encaissement du produit de la vente des biens mal acquis sur le budget général de l’État. La première restitution pourrait concerner la Guinée équatoriale.

Synthèse du budget de l’APD pour 2023

 

Mission interministérielle Aide publique au développement

Autorisations d’engagement : 8 042 millions d’euros (M€) (+21 %)

Crédits de paiement : 5 924 M€ (+16 %)

 

Programme 110 Aide économique et financière au développement (MEFSIN)

Autorisations d’engagement : 3 837 M€ (+19 %)

Crédits de paiement : 2 338 M€ (+25 %)

 

Programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement (MEAE)

Autorisations d’engagement : 4 055 M€ (+26 %)

Crédits de paiement : 3 436 M€ (+12 %)

 

Cumul des crédits de paiement des programmes 110 et 209 : 5,77 milliards d’euros (Md€) (+17 %)

 

Fonds de solidarité pour le développement (FSD) : 738 M€

(financement de fonds multilatéraux dans la santé, l’éducation et le climat)

 

Points saillants concernant le programme 110 :

Forte augmentation de l’aide bilatérale : +46 % en AE (maintien de taux d’emprunt très bas pour les pays en développement dans un contexte de remontée générale des taux)

Financement du Fonds vert pour le climat de 959,48 M€ en AE dans le cadre du doublement de la contribution française pour la période 2019-2023

 

Points saillants concernant le programme 209 :

Accroissement des moyens dédiés à l’aide humanitaire (portés à 642 M€)

Augmentation de la provision pour crises majeures (passant de 23 M€ à 270 M€)

Maintien du don-projet AFD et du don-ONG à un niveau supérieur à 1 Md€

 

 

II.   crises de la faim : une menace croissante pour les pays du SUD

L’année 2021 a connu une augmentation de près de cinquante millions du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. L’année 2022, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine et ses répercussions sur les exportations de céréales et les prix de l’énergie, a vu la situation empirer. Des facteurs à la fois structurels et conjoncturels se conjuguent pour mettre en place les conditions d’une crise alimentaire particulièrement grave, qui frappe avant tout les pays en développement. Compte tenu de l’urgence de cette menace, la rapporteure pour avis a souhaité cette année faire un focus spécifique sur ce sujet. Elle illustrera son propos par le cas, particulièrement préoccupant, du Burkina Faso.

A.   Une situation qui empire

1.   L’augmentation du nombre de personnes en insécurité alimentaire

La sécurité alimentaire se définit comme la capacité, pour un être humain, de se procurer une nourriture en quantité et en qualité suffisantes afin de mener une vie saine. Elle implique, d’une part, un accès à la nourriture qui soit à la fois économique et qualitatif (qualité nutritionnelle notamment) mais aussi physique (volumes disponibles). Elle requiert, d’autre part, une stabilité dans le temps de cet accès. L’insécurité alimentaire se mesure selon l’indice IPC (Integrated food security Phase Classification), qui s’étend sur une échelle allant de 1 à 5 (plus on se rapproche de 5, plus l’état d’insécurité alimentaire est élevé, signalant une situation d’urgence qui nécessite une action immédiate).

Selon le dernier rapport disponible des Nations Unies ([20]), 828 millions de personnes, soit 9,8 % de la population mondiale, ont été touchées par la faim (insécurité alimentaire chronique) en 2021, donc avant la guerre en Ukraine. Ceci représentait une hausse de 46 millions par rapport à 2020 et de 150 millions par rapport à 2019. D’après le rapport mondial sur les crises alimentaires ([21]), qui concerne les formes les plus aigües de l’insécurité alimentaire (niveaux 3 à 5 de l’indice IPC), 205 millions de personnes seraient en situation de crise alimentaire aigüe en 2022 (en hausse de plus de quarante millions par rapport à 2020), dans quarante‑cinq pays ou territoires.

2.   Un fléau qui touche particulièrement l’Asie et l’Afrique

Plus de la moitié des personnes sous-alimentées dans le monde vivent en Asie (424,5 millions) et plus du tiers en Afrique (278 millions). Sur le continent africain, une personne sur cinq a été confrontée à la faim en 2021. Selon la FAO ([22]) et le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Afghanistan, l’Éthiopie, le Nigeria, le Soudan du Sud, la Somalie et le Yémen sont les pays où le niveau d’alerte est le plus élevé.

Douze des dix‑neuf foyers névralgiques de crises alimentaires identifiés par le PAM et la FAO se situent en Afrique subsaharienne. Dans la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Kenya, Somalie), 16 millions de personnes avaient besoin d’assistance alimentaire immédiate (niveaux 3 à 5 de l’indice IPC) en juillet 2022. L’UNICEF estime à 1,8 million le nombre d’enfants qui nécessitent un traitement d’urgence pour une malnutrition aiguë sévère ([23]). Dans les régions du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, 27,3 millions de personnes avaient besoin d’assistance alimentaire immédiate en mars-mai 2022 : 14,5 millions au Nigeria, 3,3 millions au Niger et 2,3 millions au Burkina Faso. C’est la troisième année consécutive que cette zone fait face à une crise alimentaire et nutritionnelle majeure.

Les cartes ci-après retracent l’aggravation de la situation d’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel, de mars à août 2022.

situation courante : mars-mai 2022

Situation projetée : juin-août 2022

Source : Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA)

B.   Des raisons de fond et des aggravations conjoncturelles

Loin d’être liée à une insuffisance globale de la production agricole dans le monde, la crise alimentaire actuelle trouve son origine dans la conjugaison de raisons de fond et de circonstances récentes.

1.   Des causes structurelles anciennes

L’insécurité alimentaire a des causes de fond qui tiennent en partie à la croissance démographique et aux événements climatiques extrêmes, en lien avec le changement climatique. Elle trouve surtout ses racines dans une fragilité économique structurelle dans les territoires ruraux de certains pays, exacerbée par les conflits. Ainsi, dans la plupart des pays en développement, l’insécurité alimentaire est d’abord rurale. Elle renvoie à la crise de l’agriculture paysanne, à sa faible productivité, à des prix agricoles insuffisants et au manque de soutien de la part des autorités publiques. Dans les zones urbaines, l’insécurité alimentaire est davantage liée au sous-emploi et à la pauvreté, ainsi qu’à une nombreuse population issue des campagnes (en lien donc avec la crise des agricultures paysannes). Au‑delà de ces éléments, l’insécurité alimentaire a des raisons politiques, liées notamment à la volatilité des prix et à l’inégale distribution des ressources productives dans le monde, sur lesquelles la rapporteure pour avis reviendra plus loin.

2.   Des facteurs conjoncturels aggravants

Après avoir été accélérée par la pandémie de Covid-19 en 2020-2021, la crise alimentaire a reçu une nouvelle impulsion avec la guerre en Ukraine. On sait que les conflits restent le déclencheur principal des crises alimentaires. Celui qui se déroule actuellement en Ukraine accentue les risques d’insécurité alimentaire pour des millions de personnes, en particulier dans la cinquantaine de pays qui dépendent fortement des importations de blé, de maïs et d’autres denrées de base en provenance de Russie ou d’Ukraine, situés principalement en Afrique du Nord, en Asie et au Proche-Orient. En 2021, l’Érythrée a importé la totalité de son blé soit de Russie (53 %) soit d’Ukraine (47 %). La Somalie en a importé plus de 90 % de ces deux pays. Le Yémen s’approvisionne pour près de la moitié de ses besoins en blé auprès de ces deux États. Le Soudan est lui aussi particulièrement exposé. De manière plus générale, les céréales et les huiles représentent 40 % des importations agricoles en Afrique et, pour ces produits, la part de marché de la Russie et de l’Ukraine est supérieure à 30 %. La crise russo-ukrainienne représente donc un risque majeur pour la sécurité alimentaire, en particulier en Afrique.

La guerre en Ukraine produit des effets en cascade sur la sécurité alimentaire. Elle a en effet été suivie par une brusque flambée des prix agricoles et alimentaires mondiaux qui s’est propagée à la plupart des marchés nationaux. Les cours mondiaux ont atteint des records historiques. L’indice des prix alimentaires de la FAO a atteint un niveau supérieur de 20 % au pic de juin 2008. La flambée a surtout concerné le blé, le maïs et les oléagineux. Les prix mondiaux avaient toutefois déjà fortement augmenté avant le conflit. D’après Oxfam, les prix du blé avaient déjà augmenté de 80 % entre avril 2020 et décembre 2021.

En plus des céréales, la Russie est aussi fournisseur de biens non agricoles, et notamment de pétrole et de gaz, dont la forte hausse des prix a des conséquences non seulement sur le coût de la vie et des transports des populations, mais aussi sur celui des engrais (issus de l’industrie pétrochimique). Dans beaucoup de pays, les paysans n’ont pu accéder aux engrais en raison des prix élevés et des retards de livraison. Les difficultés d’approvisionnement en engrais sur les marchés internationaux des pays de la CEDEAO pourraient entraîner une réduction de 20 % à 30 % de la production céréalière en 2022. Cette réduction de production pourrait s’aggraver en 2023 dans des proportions difficilement estimables si ces difficultés d’approvisionnement en engrais se maintiennent.

Le cas du Burkina Faso

Le cas du Burkina Faso illustre de manière emblématique la problématique de la crise alimentaire.

3,5 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en insécurité alimentaire au Burkina Faso. Quant au taux d’insécurité alimentaire sévère, il a quasiment doublé en 2022 par rapport à 2021, avec près de 630 000 personnes touchées en août 2022. L’état nutritionnel des enfants de moins de cinq ans est de plus en plus préoccupant avec 9,7 % qui souffrent de malnutrition aigüe (contre 7,5 % en 2019 et 8,9 % en 2020).

Le Nord du Burkina Faso compte historiquement parmi les régions les plus touchées par l’insécurité alimentaire (Sahel, Nord et centre-Nord et une partie de la boucle du Mouhoun). C’est aussi au Nord que la situation alimentaire se dégrade le plus rapidement. À l’heure actuelle, près de 40 % des terres cultivables dans cette zone ont été abandonnées du fait de l’insécurité. Celle‑ci est liée aux intimidations des groupes armés terroristes (GAT), à l’interdiction faite aux paysans de circuler ou cultiver, l’inaccessibilité pour les convois transportant des intrants agricoles, etc. Les axes routiers et les ponts menant au Nord du pays ont été particulièrement ciblés au cours des six derniers mois (notamment celui de Naré, dynamité trois fois de suite).

C’est aussi le Nord du pays qui comptabilise le plus de zones dites « sous blocus » des GAT : Mansila, Kelbo, Djibo, Solhan, Sebba, Arbinda… Ce sont dans ces zones que le risque de famine est le plus élevé. Par exemple, à Sebba, sous blocus depuis trois mois, les ravitaillements n’entrent qu’au compte-gouttes, par voie héliportée. Dans cette ville de 35 000 habitants, les céréales et les légumes sont presque introuvables. L’accès à l’eau pose problème dans la ville : les habitants vont jusqu’à boire l’eau des mares, voire des flaques. À Mansila, sous blocus depuis dix mois, les cas de malnutrition sévères se multiplient, ainsi que les empoisonnements dus à la consommation de feuilles d’arbres non comestibles. De premiers décès dus à la famine y sont reportés.

Outre l’insécurité, les principaux facteurs explicatifs de la crise alimentaire sont l’environnement désertique peu favorable à l’agriculture (faible pluviométrie, médiocre qualité des sols…), le changement climatique, l’insuffisance d’investissements et d’infrastructures dans le domaine agricole (dans la recherche notamment) et, depuis quelques années, les déplacements internes. Il faut également incriminer la gouvernance. La SONAGESS, organisme chargé de la gestion des stocks nationaux de sécurité, fait face à des dysfonctionnements internes récurrents (en dépit des fonds dédiés au renforcement de ses capacités par le PAM et la Banque Mondiale) : fraude, détournements de fonds, problèmes de ressources humaines, etc. La gestion logistique des réserves est catastrophique : en septembre 2022, plus de trois tonnes ont encore été retrouvées moisies et impropres à la consommation dans les entrepôts de la SONAGESS à Dédougou.

De manière plus conjoncturelle, la pandémie de Covid-19 a augmenté les délais de livraison et pesé sur des chaînes logistiques déjà en flux tendus (le PAM, par exemple, connaît régulièrement des ruptures de stocks de plusieurs jours à plusieurs semaines). Quant à la crise en Ukraine, elle a créé une pression sur la disponibilité en céréales et en intrants agricoles, ce qui se traduit par un taux d’inflation record en 2022 (18,6 % en juillet 2022 contre 3,5 % en juillet 2021).

Le coup d’État du 30 septembre dernier, faisant suite à celui du début de l’année, ne laisse malheureusement pas augurer une amélioration de la situation.

III.   Des initiatives utiles

Face aux enjeux de sécurité alimentaire, un certain nombre d’initiatives positives ont été mises en place, aussi bien sur le plan strictement budgétaire (via les programmes 110 et 209) que dans le cadre des missions des opérateurs publics de l’aide au développement, ou encore au niveau international.

A.   deux programmes budgÉtaires au soutien de la sécurité alimentaire

1.   Le programme 110 en appui du FIDA

Sur le programme 110, une seule dépense, celle relative au FIDA (Fonds international de développement agricole), concerne spécifiquement les enjeux de sécurité alimentaire et de développement agricole. Le FIDA est un partenaire‑clé de la France dans le renforcement de la résilience des populations rurales et la promotion de pratiques agricoles durables. En 2018, la France a augmenté sa contribution à cette organisation de 50 %, en combinant une contribution en don (46,6 millions de dollars) et un prêt concessionnel (50 millions d’euros, dont 21 millions d’élément-don). Cela a permis de placer la France au sixième rang des contributeurs. En janvier 2021, à l’occasion de la douzième reconstitution du FIDA pour la période 2022‑2024, une nouvelle hausse de 50 % de la contribution française a été annoncée, uniquement en dons (106 millions de dollars). Compte tenu des financements moindres qu’espérés des Pays-Bas et de la Chine ainsi que de l’absence de contribution britannique, cette contribution a fait remonter la France au deuxième rang des financeurs du FIDA. En 2022, la contribution française estimée devrait atteindre 41,1 millions d’euros. Le deuxième décaissement interviendra en 2023 pour un montant de 28,3 millions d’euros ([24]).

2.   Le programme 209 portant l’aide alimentaire programmée et les contributions multilatérales

a.   L’aide alimentaire programmée

En 2020 ([25]), la France a dédié 502,9 millions d’euros de son aide bilatérale et multilatérale à la sécurité alimentaire, à la nutrition et à l’agriculture durable, dont 50,6 en aide alimentaire programmée. L’aide alimentaire programmée (AAP), financée sur le programme 209, est le principal instrument français de réponse aux crises alimentaires. Elle est allouée par le biais d’un Comité interministériel de l’aide alimentaire (CIAA), qui examine les demandes de subventions émanant des organisations internationales, de la Croix Rouge ou encore des ONG. L’AAP est mise en œuvre par le canal d’organisations internationales (très majoritairement le Programme alimentaire mondial mais aussi l’UNICEF ([26]), la FAO, l’OIM ([27]), ONU Femmes, etc.) et celui d’organisations de la société civile (y compris le Comité international de la Croix-Rouge). En 2021, son budget total s’est élevé à 90,4 millions d’euros. Ce sont près de 140 millions d’euros qui devraient être alloués en 2022 aux financements d’AAP. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit des crédits d’AAP à hauteur de 160 millions d’euros en 2023 (en AE et en CP).

En 2021 et 2022 (hors troisième tranche restant à attribuer pour l’année en cours), respectivement 43,30 % et 56 % des crédits d’AAP ont bénéficié à des pays prioritaires de la France pour l’APD ([28]). Près de 60 % de cette aide a bénéficié à l’Afrique, et notamment au Sahel (pays du G5), première zone récipiendaire. La guerre en Ukraine a donné lieu à une mobilisation des crédits de l’AAP en faveur de ce pays à hauteur de 3 millions d’euros pour l’instant. La France s’efforce de prévenir tout effet d’éviction aux dépens des autres crises alimentaires, en particulier pour les pays prioritaires de l’APD française. Au total, 8 millions d’euros de crédits d’AAP devraient bénéficier à l’Ukraine au terme de l’exercice 2022.

Sur le plan de la lutte contre la malnutrition, à laquelle doivent être consacrés 50 % des financements de l’AAP, la France donne la priorité à la prévention de la sous‑nutrition et à la période cruciale dite des « mille premiers jours » (de la fécondation à l’âge de deux ans).

L’AAP finance des actions en matière d’alimentation scolaire dans les pays en situation de crise alimentaire, la France ayant rejoint en 2021 la « Coalition mondiale pour l’alimentation scolaire », lancée par le PAM. En lien avec l’engagement français pour l’égalité de genre et pour une diplomatie féministe, plus de 86 % des projets financés par l’AAP intégraient une dimension « genre » en 2021 (niveaux 1 ou 2 des indicateurs du Comité d’aide au développement de l’OCDE).

Enfin, l’AAP répond aux obligations internationales fixées par la convention de Londres relative à l’assistance alimentaire, ratifiée par la France, qui invite à privilégier les achats sur les marchés locaux ou régionaux. Les interventions nutritionnelles recouvrent une large palette d’instruments (dépistage et traitement de la malnutrition, formations à la diversification alimentaire et aux bonnes pratiques en matière de nutrition, supplémentation nutritionnelle, soutien aux cantines scolaires…). Les outils de soutien à la résilience présentent aussi une grande variété : distributions d’intrants agricoles (outils, semences…), formations aux pratiques agricoles, formations dans les domaines de la nutrition ou des techniques agricoles, travaux de réhabilitation des terres, etc.

b.   Les versements à des organisations internationales

Le programme 209 finance la contribution de la France au PAM, à la FAO et au CGIAR. Confronté à la multiplication des crises alimentaires et à la flambée des coûts, le PAM estime ses besoins à 24 milliards de dollars en 2022. Cette année, la France double sa contribution financière au PAM, pour atteindre 150 millions d’euros. S’agissant de la FAO, chargée par les Nations Unies de suivre les conséquences de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire et d’élaborer des plans d’appui aux pays les plus touchés, elle bénéficiera d’une contribution française dépassant 23 millions d’euros cette année. Quant au CGIAR, réseau de centres de recherche en agronomie pour le développement dont le siège est à Montpellier, il vise à faire progresser la science et l’innovation en agriculture et en alimentation en vue d’accroître la productivité agricole et d’améliorer la subsistance, en particulier des publics les plus vulnérables. La France contribue annuellement au CGIAR, à hauteur de 4 millions d’euros par an. Elle a par ailleurs signé avec cette organisation, au début de l’année 2021, un plan d’action bilatéral portant sur trois axes thématiques de collaboration : l’agriculture et le changement climatique, la transition agroécologique et la nutrition et les systèmes alimentaires durables.

B.   des opérateurs mobilisés

1.   L’AFD : des trajectoires positives qui méritent d’être amplifiées

L’AFD a indiqué à la rapporteure pour avis avoir engagé, en 2021, 500 millions d’euros dans les domaines de l’agriculture, du développement rural et de la biodiversité. Environ la moitié de ces financements (247 millions) ont été dirigés vers le continent africain, dont 22 % (54 millions) dans les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad), en soutien à la sécurité alimentaire et à la résilience des territoires. Les projets financés en Afrique portent sur le développement des territoires ruraux et la gestion des ressources naturelles, le soutien aux filières et les services de conseil aux agriculteurs, l’irrigation ou encore l’appui aux politiques publiques et aux institutions régionales. Le montant des subventions représente 167 millions d’euros, soit 33 % des financements de l’AFD dans le secteur en 2021. Ces subventions se concentrent principalement en Afrique (55 %). Le montant des prêts en 2021 est de 333 millions d’euros (67 %).

Au total, l’AFD dit avoir engagé, entre 2013 et 2021, 8,3 milliards d’euros en faveur de l’agriculture, du développement rural et de la biodiversité, avec une concentration géographique de son action en Afrique (près de 50 % des octrois annuels), le reste étant dirigé vers l’Asie et l’Amérique latine. Les bénéficiaires de ces engagements se répartissent entre les États, les collectivités territoriales, les institutions financières, les ONG, les entreprises publiques ou privées et les fonds d’investissements. Ces dernières années, les financements du groupe AFD dans ce secteur restent principalement orientés vers les acteurs publics, bien que les fonds dédiés aux entreprises ainsi qu’aux organisations de la société civile soient en croissance. C’est, par exemple, le cas de l’appel à projets visant au soutien des organisations de la société civile engagées dans le développement des protéines végétales sur la zone de la Grande Muraille Verte.

En Afrique subsaharienne, le groupe AFD a engagé entre 2013 et 2021 3,9 milliards d’euros contre l’insécurité alimentaire. Sur la période 2013-2021, 48 % des financements octroyés pour la sécurité alimentaire dans la région l’ont été sur subvention (incluant les engagements sur contrats de désendettement et de développement et les subventions déléguées par d’autres bailleurs de fonds à l’AFD).

Certains projets sont cofinancés par l’AFD et le FIDA. Il en va ainsi, par exemple, du projet visant à améliorer l’approvisionnement de Kinshasa en denrées alimentaires locales de qualité et en développement de filières robustes, de la production à la commercialisation (50 millions d’euros). C’est le cas également d’un projet visant la structuration des filières riz et oignon au Nord et à l’ouest du Cameroun (ce projet du FIDA de 60 millions d’euros bénéficiera d’ici la fin de l’année d’un cofinancement de l’AFD de 5 millions).

Ces engagements ne peuvent qu’être salués. L’aggravation de la crise alimentaire depuis quelques mois exige toutefois qu’ils soient non seulement confirmés mais amplifiés, d’une part, et tournés encore davantage vers un modèle agroécologique et durable, d’autre part ([29]).

Par ailleurs, il est important de rappeler que de tels engagements ne peuvent se faire sans la publication de bilans chiffrés et standardisés dans un souci de transparence et de redevabilité, tel que cela est évoqué dans la loi du 4 août 2021.

Proposition n° 1 : Confirmer et amplifier les engagements de l’AFD au soutien du développement agricole et de la sécurité alimentaire.

2.   L’action d’Expertise France

Expertise France, filiale de l’AFD dédiée à l’assistance technique internationale, s’est engagée dans l’appui apporté aux pays du Sud en matière d’alimentation et de développement agricole. Elle a aujourd’hui un portefeuille de 90 millions d’euros de projets portant sur l’alimentation et le développement agricole, financés sur fonds européens (pour 70 % d’entre eux) ou, de manière croissante, sur fonds AFD (pour 30 % d’entre eux) : programme d’appui au secteur de l’agriculture en Algérie, programme d’appui au développement du secteur privé dans le domaine agricole au Liban, programme d’appui à la compétitivité de l’Ouest au Mali, assistance technique au dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires au Niger, assistance technique au ministère de l’élevage en Guinée, etc. Expertise France mobilise dans ce cadre différents outils : appels à projets à destination des organisations de la société civile, conduite d’études, formations et renforcement de capacités, mise en place de projets pilotes, etc. Ce portefeuille en forte croissance (avec environ 30 millions d’euros de nouveaux projets par an) est synthétisé dans le tableau ci-après.

Liste des principaux projets d’Expertise France en cours sur la thématique de l’alimentation et du développement agricole

 

Nom du projet

Pays

Thématique principale

Bailleur

Montant

Durée

Démarrage

Fin

Private sector development program

Liban

filières cerise, raisin de table, avocats

UE

15,10 M€

7 ans

25/02/2016

25/01/2023

PEFFAG Projet d’établissement des fondamentaux de la filière avicole

Guinée

filière avicole

AFD

5,40 M€

4 ans

20/05/2020

19/05/2024

PACAO Projet d’Appui à la Compétitivité du Mali

Mali

filières karité, mangue, horticulture

UE

4,20 M€

3 ans

08/09/2021

08/09/2024

AFIDEV Projet d’appui aux filières d’exportation et de développement rural

Comores

vanille, girofle, Ylang Ylang, maraichage

AFD

20 M€

5 ans

01/09/2020

28/02/2025

PASA Programme d’Appui au Secteur de l’Agriculture

Algérie

filière oléicole

UE

5,85 M€

5 ans

01/10/2018

31/12/2023

Economie bleue - Pêche et aquaculture

Algérie

Pêche et aquaculture

UE

20,7 M€

4 ans

02/12/2021

30/11/2025

Euroclima biodiversité

Amérique latine

Biodiversité

UE

11,1 M€

5 ans

01/09/2016

31/07/2022

Euroclima resilient food production

Amérique latine

Agriculture résiliente

UE

2 M€

5 ans

01/05/2017

30/04/2022

Euroclima phase 4 dialogues pays

Amérique latine

Dialogues pays biodiversité / agriculture

UE

3,50 M€

3,5 ans

01/05/2020

31/12/2024

 Source : Expertise France

Expertise France déploie par ailleurs un expert technique international auprès de la FAO pour travailler sur les circuits alimentaires des villes du Sud et développer des partenariats Sud-Sud et Nord-Sud. Cet expert y développe notamment l’Initiative « Villes Vertes », un programme d’accompagnement des villes du Sud dans la transformation de leurs systèmes alimentaires et la mobilisation de l’agriculture et de la foresterie urbaine et périurbaine, pour des écosystèmes mieux à même de lutter contre les effets du changement climatique et de contribuer à une santé renforcée (alimentation, qualité de l’air, activité physique).

3.   L’implication complémentaire du CIRAD

Le CIRAD, organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable, prend également une part importante dans les efforts français de renforcement de la sécurité alimentaire. Cet organisme est lié par un accord stratégique avec l’AFD, qui finance 15 % de ses ressources privées (l’AFD siégeant au conseil d’administration du CIRAD et inversement).

Le CIRAD promeut des projets de développement de protéines végétales, notamment au sein de l’initiative Grande Muraille Verte au Sahel. Il mène des travaux sur l’anacarde en Afrique, à la demande d’un certain nombre de gouvernements, travaux qui bénéficient d’une évaluation conjointe avec l’AFD. En Afrique centrale, il accompagne des acteurs locaux des cultures forestières dans la banane et l’hévéa. Le CIRAD dispose aussi d’une unité de recherche appelée « Innovation », spécialisée sur le stockage de ressources, en particulier au Sahel. Des travaux y sont menés sur les céréales locales, le type d’irrigation possible et la qualité des intrants. Le CIRAD travaille par ailleurs, toujours au niveau local, au développement de vaccins pour les animaux contre des maladies comme la peste des petits ruminants, en parallèle d’une importante surveillance épidémiologique et de formation d’équipes sur place.

Le CIRAD contribue enfin à l’évaluation des systèmes alimentaires via des outils tels que son projet « Food System Assessment » (né d’une initiative conjointe de la FAO, du CIRAD et de l’Union européenne).

C.   L’initiative farm : des rÉsultats À concrÉtiser

Mentionnée notamment dans les conclusions du Conseil européen des 24‑25 mars 2022 et des 30-31 mai 2022, ainsi que dans les conclusions du Conseil du 20 juin 2022 sur la sécurité alimentaire, la mission de résilience alimentaire et agricole (Initiative FARM) vise à soutenir les pays les plus touchés par la crise alimentaire mondiale. Si les objectifs affichés ne peuvent qu’être salués, seuls des résultats tangibles permettront de juger de la pertinence de cette initiative.

1.   De bonnes intentions

L’initiative européenne FARM (Food and Agriculture Resilience Mission) a été lancée en avril 2022 par la France pendant sa présidence de l’Union européenne (PFUE), avec pour objectif de remédier aux conséquences de la guerre en Ukraine en matière de disponibilité des céréales et des denrées alimentaires de première nécessité. Elle est organisée autour de trois piliers : commerce, solidarité et production durable. Y contribuent à ce jour, outre la France et l’Union européenne, des organisations internationales (PAM, FIDA, OMC) mais aussi des acteurs du secteur privé et des organismes de recherche (CIRAD). La France, en ce qui la concerne, a inscrit 75 millions d’euros en AE et en CP dans le projet de loi de finances pour 2023 pour le financement de l’initiative FARM.

C’est dans ce cadre qu’un mécanisme de solidarité, permettant au PAM d’acheter des denrées alimentaires à prix réduit par rapport au marché, a été lancé fin juillet. Le FIDA a présenté au même moment une « feuille de route » pour la résilience des systèmes alimentaires des pays en développement. Une coalition d’entreprises « engagées » a vu le jour à la fin du mois de juin. De premiers projets cofinancés par l’AFD ont aussi été annoncés, notamment au Cameroun. L’OMC a pris, de son côté, des décisions visant à améliorer le fonctionnement des marchés agricoles.

La rapidité de lancement de l’initiative et sa volonté de réunir des acteurs divers, issus du monde institutionnel, économique ou académique peut être saluée.

2.   Une efficacité réelle à démontrer

D’autres initiatives internationales multilatérales ont été lancées, parallèlement à FARM, en vue de répondre à la crise alimentaire déclenchée par la guerre en Ukraine, telles que « Global food security alliance » dite GAFS (lancée par le G7 sous présidence allemande), « Global Crisis Response Group on Food, Energy, and Finance » (promue par le secrétaire général des Nations Unies) ou « African Crisis Response Initiative » (issue du FIDA). La GAFS, qui déclare viser une coopération mondiale contre la faim et la malnutrition, a annoncé la mobilisation de fonds à hauteur de 4,5 milliards de dollars.

La juxtaposition de ces différentes initiatives traduit un manque de synergie, voire l’existence de doublons. Il est impératif aujourd’hui de renforcer la coordination de ces projets, non seulement entre eux mais aussi avec les organisations internationales existantes. L’Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire (GAFS), en particulier, devrait collaborer plus étroitement avec les agences onusiennes reconnues pour leur rôle dans la gouvernance internationale de l’alimentation et de l’agriculture, notamment le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA). Il a également été indiqué à la rapporteure pour avis que l’Union européenne pourrait s’approprier davantage l’initiative FARM, aujourd’hui encore très « franco-centrée ».

Proposition n° 2 : Renforcer la coordination du programme FARM avec les autres initiatives internationales en cours.


IV.   sécurité alimentaire : il faut aller plus loin

Si l’on ne saurait minimiser ni les efforts déjà réalisés, ni l’implication de nombreuses personnes engagées au service du développement, il reste que la réponse au défi de la sécurité alimentaire nécessite aujourd’hui de changer d’échelle. Les précédents de 2008 et de 2011 n’ont pas empêché la survenue d’une nouvelle crise alimentaire. Ce sont donc des solutions de plus grande ampleur, de nature non plus seulement technique mais profondément politique, que réclame la crise actuelle.

A.   Protéger concrètement les pays en développement

1.   Protéger les marchés locaux

Il n’y aura pas de réponse efficace à la crise alimentaire dans les pays du Sud sans réduction de leur dépendance au marché mondial, et donc sans un effort pour les aider à « reterritorialiser » leurs systèmes alimentaires. Deux pistes sont ici à explorer.

Premièrement, il apparaît nécessaire de permettre aux pays les plus vulnérables de mener des politiques de stockage (stockage public et privé, y compris chez les agriculteurs), que ce soit pour faire face à des situations d’urgence (stocks d’urgence), pour réguler les marchés au cours du temps (stocks régulateurs) ou pour garantir la distribution d’aliments aux publics les plus fragiles. Ces stocks permettent de se prémunir non seulement contre la volatilité des prix mondiaux mais aussi contre l’irrégularité de la production agricole interne, du fait notamment des aléas climatiques. L’Inde offre ici un exemple intéressant.

Une telle politique de stockage peut d’ailleurs être menée au niveau régional. La CEDEAO a ainsi mis en place, à l’échelle de sa zone, un stock de sécurité alimentaire dont le Burkina Faso, par exemple, a bénéficié cette année avec la mise à disposition d’urgence d’un stock de 10 000 tonnes. Les initiatives de stocks régionaux de l’ASEAN en Asie du Sud-Est constituent aussi un exemple à méditer.

Deuxièmement, il apparaît tout aussi indispensable de permettre aux pays en développement de pratiquer des droits de douane à un niveau suffisant pour protéger leur production agricole face aux géants de l’exportation. Ceci est le seul moyen de garantir aux agriculteurs locaux des prix suffisamment rémunérateurs et stables pour qu’ils puissent être en mesure de développer leur production.

Les règles du commerce international devraient soutenir le développement des systèmes alimentaires locaux et éviter la concurrence déloyale des grands conglomérats agro-industriels. Or, en l’état actuel, les règles de l’OMC n’autorisent pas la mise en place de systèmes de prélèvement variables, les droits de douane fixes étant les seuls autorisés, et bien souvent à des niveaux excessivement faibles pour assurer une protection réelle des productions nationales. Les règles de l’OMC ne permettent pas non plus la mise en œuvre de politiques fondées sur des stocks régulateurs visant à protéger à la fois les agriculteurs et les consommateurs. S’agissant de l’Inde, l’accord de Bali de 2013 a certes abouti à un compromis, notamment avec les États-Unis, l’Inde étant autorisée à poursuivre sa politique de régulation dans l’attente d’un accord définitif. Cependant, nul autre État n’est autorisé à mettre en place des politiques nouvelles reposant sur des principes similaires.

Proposition n° 3 : Aider les pays en développement à renforcer leur souveraineté alimentaire par des politiques de stockage et de prélèvement douaniers.

2.   Promouvoir une agriculture durable

Au-delà de la réponse à l’urgence, il importe de proposer une réponse de long terme aux pays partenaires de l’APD française en vue de renforcer leur souveraineté alimentaire. Ceci passe par le renforcement des filières agricoles et des systèmes alimentaires, notamment en Afrique, en privilégiant l’échelle locale et la durabilité. La FAO et de très nombreuses recherches ont montré le rôle essentiel de l’agroécologie paysanne pour répondre aux défis sociaux, alimentaires et environnementaux contemporains. Rappelons que, sur le continent africain, 85 % des agricultures sont familiales. C’est en soutenant prioritairement l’agriculture paysanne que l’on peut limiter l’exode rural, et donc l’expansion de la pauvreté dans les villes, et prévenir les conflits internes et la dépendance alimentaire structurelle vis-à-vis des marchés mondiaux.

Or, dans le cadre de l’aide française, c’est encore trop, au contraire, le modèle de l’agriculture industrielle qui prédomine. D’après Oxfam, depuis dix ans, la France a plus financé le développement de l’agro-industrie des pays du Sud que le développement de l’agroécologie. Comme l’explique le CCFD-Terre solidaire ([30]), « les représentants de l’agriculture industrielle mènent une bataille féroce partout dans le monde contre les rares avancées environnementales obtenues. Ce fut le cas par exemple l’an dernier lors du sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (…) Chaque nouvelle crise, chaque nouvelle déstabilisation du système agricole et alimentaire mondial, est l’occasion de demander la fin des normes environnementales au nom du “produire plus pour nourrir le monde”. »

Au demeurant, le souci du développement durable n’est nullement antithétique du développement de la production agricole dès lors qu’il est fondé sur une gestion raisonnée des ressources, limitant la dégradation des écosystèmes.

L’expertise du CIRAD peut ici être très précieuse. Cet organisme incite à réduire l’utilisation d’intrants chimiques, qui tendent à appauvrir la biodiversité végétale, animale et bactériologique des sols sans permettre une augmentation significative de la production agricole sur le long terme. Surtout, le CIRAD accroît continuellement sa collection d’espèces et de semences végétales. Certaines semences anciennes conservées par le CIRAD et non utilisées aujourd’hui pourraient offrir des solutions d’adaptation des sols au changement climatique (par exemple en Namibie ou au Sénégal où les entrées d’eau salée nécessitent le passage à d’autres types de récoltes). La diversification des cultures constitue un moyen de réduire les risques d’insécurité alimentaire en cas de catastrophe naturelle : l’apparition d’espèces nuisibles dans des espaces de monocultures peut en effet conduire à une destruction quasi-totale des récoltes. Dans des cultures d’espèces différentes et variées, au contraire, les espèces nuisibles ont plus de mal à se reproduire et à se propager que dans des monocultures où les résistances naturelles sont moindres et plus longues à se mettre en place. Favoriser les biorésistances constitue donc un enjeu fondamental.

Des techniques relevant de l’agroécologie ont été mises au point dans certains pays du Sahel (Burkina Faso), avec des résultats très probants. Il en va ainsi, par exemple, de la technique du « Zaï », système traditionnel de réhabilitation de la productivité des terres pauvres consistant à creuser manuellement des trous pour y concentrer les eaux de ruissellement et les matières organiques. Outre la restauration des sols, de bons résultats ont été obtenus en termes d’agroforesterie et de développement de la fumure organique. Il convient désormais d’élargir ces nombreuses techniques et de les généraliser. Dans ce cadre, la place réservée à la recherche agronomique est essentielle.

Un regard particulier doit aussi être porté aux phénomènes, en partie incontrôlés, de substitution en Afrique des céréales traditionnelles (mil, sorgho, niébé…) par de nouvelles céréales (riz, blé tendre, maïs…). La culture de ces nouvelles céréales peut être une bonne chose dans une optique de diversification, ainsi que de développement de filières exportatrices susceptibles d’apporter des devises aux pays concernés. Elle ne doit pas toutefois conduire à supplanter totalement des cultures adaptées aux sols, qui nourrissent sur place la population et dont les qualités nutritionnelles sont reconnues.

Ce sont avant tout les filières alimentaires locales les plus durables qu’il convient de soutenir. Pour l’Afrique, il s’agira de produits tels que les racines et tubercules (manioc ou macabo), les bananes plantain, le sorgho, le mil, le fonio et ce qui relève du maraîchage et des filières horticoles domestiques.

Il est donc impératif que la France contribue positivement au développement de modèles agricoles et alimentaires durables tout en étant exemplaire en matière de transparence et de redevabilité. Son soutien doit être réorienté en faveur de l’agroécologie et intégrer davantage des objectifs de lutte contre la crise climatique, de soutien à l’agriculture familiale et d’amélioration de la situation nutritionnelle des populations.

Proposition n° 4 : Orienter davantage l’aide française vers la promotion d’une agroécologie locale et durable.

B.   Se donner les moyens politiques de changer les choses

1.   Relever le défi de la spéculation

Les perturbations apportées tant aux exportations russes et ukrainiennes de céréales qu’aux récoltes dans les champs de l’Est de l’Ukraine ont poussé à une augmentation du prix du blé et des autres céréales. Cependant, les volumes totaux de blé et de maïs échangés sur les marchés internationaux de matières premières agricoles n’ont pas varié de manière massive par rapport à l’année dernière (d’autres pays fournisseurs ayant pallié le manque d’exports russes et ukrainiens). Le prix des céréales n’est pas actuellement corrélé aux volumes disponibles. Comme l’a indiqué l’agroéconomiste Laurent Levard à la rapporteure pour avis lors de son audition, c’est en réalité surtout la spéculation sur les marchés, dont profitent les grandes entreprises de négoce de blé et de maïs, qui a amplifié la dynamique de hausse des prix. Les fonds spéculatifs ont en effet massivement investi les marchés financiers agricoles depuis le début du XXIe siècle. Quatre firmes de négoce en situation d’oligopole (Archer Daniels Midland, De Bunge, Cargill et Louis Dreyfus, nommées les « ABCD ») contrôlent 70 % à 90 % des volumes échangés sur les marchés physiques. Ces firmes conjuguent les spéculations sur les marchés physiques et financiers.

Comme l’explique CCFD-Terre solidaire ([31]), « cette spéculation financière constitue le principal facteur de la flambée des prix des céréales et provoque une forte volatilité des prix. La tonne de blé oscille ainsi depuis le début du conflit entre 200 et 440 euros, dépassant à plusieurs reprises ses plus hauts niveaux en 14 ans (avec pour le moment un record absolu le lundi 16 mai 2022 avec une tonne de blé s’échangeant à 438,25 euros). Les prix du maïs atteignent leur plus haut niveau historique. Il y a une corrélation directe entre les achats/ventes de spéculateurs privés et les pics observés sur les cours mondiaux du maïs et du blé. »

Laurent Levard confirme à cet égard que la flambée de février-mars 2022 a été liée à un afflux massif de fonds spéculatifs ayant misé sur la hausse des cours et ayant de ce fait contribué à la provoquer. Les enseignements des crises alimentaires de 2007-2008 et de 2010-2011 n’ont manifestement pas été retenus.

Il n’est pas acceptable, alors même que des millions de personnes peinent tous les jours à se nourrir, que les plus grands négociants mondiaux de matières premières agricoles réalisent des bénéfices records. Il importe que les États prennent collectivement des mesures de nature à freiner la spéculation. L’une des pistes pourrait être, par exemple, de limiter et même de réduire la production et l’usage d’agrocarburants, ce qui donnerait le signal sur les marchés spéculatifs qu’une quantité supplémentaire de céréales à destination de la consommation humaine sera disponible. La fin des soutiens publics aux agrocarburants de première génération, qui entrent en concurrence directe avec les utilisations alimentaires, répondrait d’ailleurs aussi à un objectif de lutte contre la déforestation et les changements climatiques.

À plus long terme, la mise en place d’un dispositif de régulation des marchés mondiaux fondé sur des stocks régulateurs mobilisables à des prix raisonnables en cas de flambée des prix, impliquant pays exportateurs et acteurs commerciaux, constituerait un moyen efficace de lutter contre la spéculation. Des outils plus techniques sont également envisageables, comme le fait de convenir d’une « limite de position agrégée » restreignant la part globale des positions détenues sur les marchés à terme agricoles par l’ensemble des acteurs spéculatifs. Laurent Levard rappelle que, avant la ruée des fonds financiers sur les marchés à terme agricoles dans les années 2000, ceux-ci fonctionnaient correctement avec pas plus de 20 % à 30 % des positions détenues à des fins de spéculation financière, alors que cette proportion est aujourd’hui de 65 % sur le marché à terme français du blé (MATIF) et de plus de 80 % aux États-Unis. Un certain nombre d’autres recommandations pour lutter contre la volatilité des prix agricoles et alimentaires ont été formulées par les experts du HLPE (High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition), l’équivalent du GIEC pour les questions de sécurité alimentaire  [32]).

Proposition n° 5 : Prendre collectivement des mesures de nature à contrer la spéculation sur les marchés internationaux de céréales.

2.   Donner tout son rôle au Comité de la sécurité alimentaire mondiale

Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) est l’instance intergouvernementale des Nations Unies chargée des questions de sécurité alimentaire et de nutrition. Créé en 1974, puis réformé après les « émeutes de la faim ([33]) » de 2008, le CSA est l’enceinte qui permet le mieux d’impliquer dans l’ensemble de ses décisions les pays et populations les plus affectés par l’insécurité alimentaire. Il réunit en effet les gouvernements, la société civile (organisations de producteurs, peuples autochtones et ONG), le secteur privé international, les instituts de recherche, les institutions financières internationales, les organisations spécialisées des Nations Unies (FAO, PAM, etc.) et les fondations. Seuls les États, toutefois, y disposent d’un droit de vote.

Il importe que l’ensemble des questions liées à la sécurité alimentaire mondiale, et notamment à la lutte contre la volatilité des prix agricoles, puisse être traité au sein de ce comité, qui donne la parole aux organisations de la société civile, et non dans des « forums » divers où les États les plus puissants et les multinationales de l’agrobusiness sont en mesure d’influencer les discussions. Le risque est grand, à défaut, que, comme on a pu l’observer après la flambée des prix de 2007 et 2008, la crise alimentaire ne serve de prétexte à pousser à la fuite en avant vers un modèle productiviste fondé sur un recours massif aux intrants chimiques, aux dépenses énergétiques et aux OGM, modèle qui mène à une impasse sociale et écologique.

Proposition n° 6 : Faire du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies l’enceinte privilégiée pour traiter au niveau international des questions de sécurité alimentaire.

 

 


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   CONCLUSION

Les crédits de la mission budgétaire Aide publique au développement connaissent dans le projet de loi de finances pour 2023 une augmentation sensible, conformément aux exigences posées par la loi du 4 août 2021 sur le développement solidaire. Le renforcement de la capacité d’action humanitaire de la France, le décuplement de la provision pour crises majeures et l’accroissement de la part bilatérale de l’aide, en particulier, correspondent aux axes posés par le législateur dans ce texte fondateur. La rapporteure pour avis de la Commission des affaires étrangères en prend acte et recommande de ce fait d’émettre un avis favorable à l’adoption de ces crédits.

S’il convient donc à ses yeux de ne pas s’opposer à l’adoption des crédits concernés, la rapporteure n’en appelle pas moins à la vigilance sur un certain nombre de points. Le recul du ratio APD/RNB de 0,53 % en 2020 à 0,52 % en 2021 laisse ainsi planer un doute sur l’atteinte effective des objectifs de 0,55 % en 2022 et de 0,7 % en 2025. Surtout, l’APD française risque de rester en partie lettre morte si elle se contente de soigner essentiellement des symptômes sans s’attaquer aux raisons profondes des obstacles au développement.

Ceci est particulièrement vrai s’agissant des questions de crise alimentaire, domaine dans lequel le non-respect de la souveraineté des États, le poids de l’agrobusiness, le productivisme oublieux de l’écologie et la spéculation jouent un grand rôle. La planète produit aujourd’hui largement de quoi nourrir l’ensemble de ses habitants. Ce sont des dysfonctionnements avant tout politiques qui y font obstacle, et ceux-ci appellent donc des solutions politiques. Par ailleurs, ce sujet est d’autant plus important qu’il touche des thématiques transverses : lutter pour la sécurité alimentaire c’est réduire les inégalités, favoriser l’égalité femmes-hommes, combattre la mortalité infantile…

Les orientations du prochain Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), annoncé pour février ou mars 2023, seront un indicateur décisif de la volonté réelle du Gouvernement non seulement de placer les enjeux de sécurité alimentaire au cœur de la politique française de solidarité internationale, mais aussi de s’attaquer aux sources mêmes de la faim dans le monde. Un signe fort, à cet égard, serait de mentionner explicitement la sécurité alimentaire parmi les priorités de la politique d’aide au développement, ce qui n’avait pas été le cas en 2018 ([34]).

Proposition n° 7 : Acter lors de la prochaine réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) l’insertion expresse de la sécurité alimentaire parmi les priorités de la politique française d’APD.

 


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   Liste des propositions

 

Proposition n° 1 : Confirmer et amplifier les engagements de l’AFD au soutien du développement agricole et de la sécurité alimentaire.

Proposition n° 2 : Renforcer la coordination du programme FARM avec les autres initiatives internationales similaires.

Proposition n° 3 : Aider les pays en développement à renforcer leur souveraineté alimentaire par des politiques de stockage et de prélèvement douaniers.

Proposition n° 4 : Orienter davantage l’aide française vers la promotion d’une agroécologie locale et durable.

Proposition n° 5 : Prendre collectivement des mesures de nature à contrer la spéculation sur les marchés internationaux de céréales.

Proposition n° 6 : Faire du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies l’enceinte privilégiée pour traiter au niveau international des questions de sécurité alimentaire.

Proposition n° 7 : Acter lors de la prochaine réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) l’insertion expresse de la sécurité alimentaire parmi les priorités de la politique française d’APD.

 


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CONTRIBUTION PRÉSENTÉE AU NOM DU
GROUPE de la Gauche démocrate et républicaine

 

Protection sociale universelle

 

Après trois années marquées par la pandémie de Covid-19 et après neuf mois de guerre en Ukraine, le système mondial semble à bout de souffle.

Inflation, pénuries alimentaires voire famines, catastrophes climatiques, le monde que nous connaissons aujourd’hui change rapidement, violemment, et il n’y a aucune visibilité sur la fin potentielle d’une telle période.

Face à ces incertitudes, la protection sociale universelle devrait être l’un des outils les plus efficaces pour réduire les inégalités sociales et de genre, et lutter contre la faim.

Extrêmement redistributive, la protection sociale universelle favorise l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Elle comprend l’accès à des services publics indispensables comme la santé physique et mentale, l’eau, l’hygiène et l’assainissement, et la petite enfance notamment.

Il s’agit de :

Reconnaître la valeur du travail de soins, par exemple en accordant des congés parentaux indemnisés, même pour les travailleuses de l’économie informelle ;

Réduire cette quantité de travail, en assurant des services d’eau, d’hygiène et d’assainissement ou de santé accessibles géographiquement et financièrement, réduisant drastiquement le nombre d’heures que les femmes dédient à la collecte de l’eau ou à se rendre à des centres de santé ;

Redistribuer ce travail, des femmes vers les hommes, mais aussi des familles vers les institutions, par exemple en proposant des services de garde d’enfants accessibles et de qualité.

Tous ces facteurs ont des conséquences sur l’autonomie financière des familles et des communautés, et in fine sur leur sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Cela est fondamental lorsque l’on sait qu’au cours de la première année de la pandémie de Covid-19, la couverture en santé pour les femmes, les enfants et les adolescents a chuté jusqu’à 25 % en raison de l’interruption des services dans les pays les plus pauvres, et qu’on estime que pour chaque décès directement imputable au Covid-19, il faut compter deux femmes et enfants supplémentaires qui ont perdu la vie du fait de l’interruption des services de soins essentiels.

Cette crise pandémique a mis en exergue le besoin impérieux d’avancer sur la protection sociale, et notamment sur les questions sanitaires.

Et les Français ne s’y trompent pas, car le soutien à la Sécurité sociale telle que mise en place par le ministre communiste Ambroise Croizat au sortir de la Seconde Guerre mondiale est fort, et l’attachement des Français au service public hospitalier est également très fort.

Suivant cet exemple réussi et les recommandations sur les socles de protection sociale no 202 promues par l’Organisation internationale du travail, la France doit soutenir l’universalité de la protection sociale.

Car, si les droits humains et les normes internationales du travail reconnaissent clairement que la garantie d’une protection sociale adéquate relève de la responsabilité des gouvernements nationaux, la coopération internationale joue un rôle important pour aider les pays à assumer cette responsabilité.

À rebours de ce besoin d’universalité, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), et la France en leur sein promeuvent des mesures qui limitent la capacité des États à développer des espaces fiscaux nécessaires pour le financement de services sociaux publics de base.

En tant que premier bailleur de fonds en matière de protection sociale, la Banque mondiale promeut simplement des « filets sociaux » destinés aux plus pauvres, dont l’approche est contraire aux droits humains et très inefficace en matière de lutte contre la pauvreté.

De plus, ce genre de pratique de ciblage met en compétition les pauvres entre eux et met à mal la cohésion sociale. Ces méthodes sont arbitraires, leurs effets sont stigmatisants, leurs coûts financiers et administratifs empêchant même les gouvernements les mettant en place de se diriger ensuite vers un système universel.

De son côté, le FMI, en tant que créditeur des pays du Sud, impose toujours les mêmes mesures d’austérité, afin de limiter leurs taux d’endettement au détriment des services essentiels publics et les systèmes de protection sociale universels.

La déstructuration des tissus sociaux et des services publics, notamment dans les États qui ont subi les terribles « politiques d’ajustement structurel » du FMI a été extrêmement forte, et il faut désormais changer en profondeur ces méthodes.

L’exemple le plus frappant de la terrible alliance entre les « filets sociaux » de la Banque mondiale et les restructurations de dépenses publiques du FMI se trouve à Madagascar. Là-bas, le programme de filets sociaux de sécurité, majoritairement financé par la Banque mondiale à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars, ne couvre que 5 % des ménages extrêmement pauvres, pendant que le FMI recommande au pays de couper ses dépenses en matière des services publics.

Madagascar se voit donc obligé par la Banque mondiale de dépenser le peu de ressources qu’il a pour trier les bénéficiaires des non-bénéficiaires, tout en étant obligé de diminuer le reste de ses dépenses à cause du FMI.

Pourtant, la recherche démontre que la création de systèmes universels, même dans les pays les plus pauvres, est possible en commençant par des prestations universelles par catégories de populations. Par exemple, il est remarqué qu’un système venant en aide à tous les enfants de 0 à 6 mois ou à toutes les femmes enceintes est plus efficace qu’un système faisant le tri entre les plus pauvres.

Cela d’autant plus qu’une fois une universalité mise en place, il est possible de mobiliser des ressources pour étendre progressivement au reste de la population certaines prestations.

À ce titre, la mission Aide publique au développement est un des instruments que la France pourrait mobiliser pour soutenir les États à développer des systèmes de protection sociale. Malheureusement, elle s’aligne sur les modèles de « filets sociaux » de la Banque mondiale. Le Programme « Protection sociale adaptative pour le Sahel » mis en place en 2014 en est un exemple.

La France gagnerait donc à questionner sa participation à ce genre de programme, dont l’évaluation se borne à compter le nombre « d’extrêmes pauvres » bénéficiant du programme, sans se questionner sur son rôle à soutenir des pays souverains dans le développement de systèmes de protection sociale conforme aux droits humains.

La Sécurité sociale française a été l’une des réussites les plus emblématiques de ses politiques publiques du XXe siècle. En tant que cinquième contributrice à l’Association internationale de développement et l’un des membres les plus influents du Conseil d’administration de la Banque mondiale, la France se doit de promouvoir ce système dans le monde.

Alors que nous célébrons cette année les dix ans de la résolution 202 de l’Organisation internationale du Travail sur les socles universels de protection sociale, il est temps de changer le paradigme de nos interventions en promouvant le développement de services publics essentiels et de systèmes de protection sociale universels transformateurs des inégalités de genre en concertation avec les sociétés civiles locales.


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   Travaux de la commission

I.   Audition de Mme catherine coloNna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Lors de sa réunion du 4 octobre 2022, la commission a entendu Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, Madame la ministre, d’avoir accepté de venir dès le début de la session ordinaire 2022-2023 nous présenter le budget de votre ministère pour l’an prochain, qui déterminera vos marges d’action. Vous vous inscrivez dans une certaine continuité, puisque chaque premier mardi d’octobre le ministre de l’Europe et des affaires étrangères vient traditionnellement devant notre commission.

J’observe, pour commencer, que le budget de votre ministère, tel qu’il est prévu dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 devrait s’établir à un peu plus de 6,6 milliards d’euros, en progression de 542 millions d’euros, soit une augmentation assez importante de 9 %. Ce n’est pas trop décevant dans une période marquée par un souci de maîtrise des dépenses budgétaires – il ne faut pas dire qu’il s’annonce prometteur, car il ne faut jamais être trop optimiste.

Notre commission a désigné neuf rapporteurs pour avis. Dans les prochaines semaines du long marathon budgétaire qui s’ouvre, ils vont nous éclairer sur l’usage des crédits qui financent, directement ou indirectement, l’action extérieure de l’État, la politique d’influence et le rayonnement culturel de notre pays à l’étranger. Trois de ces rapporteurs ont la responsabilité d’examiner plus spécifiquement les programmes qui dépendent de votre département ministériel. En effet, le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) se répartit de manière un peu schématique entre deux missions : la mission Action extérieure de l’État et la mission interministérielle Aide publique au développement. Au sein de celle-ci, un programme budgétaire relève du Quai d’Orsay.

Les crédits de la mission Action extérieure de l’État s’élèvent à 3,1 milliards d’euros. Ils sont donc en hausse de 6,9 %. Pour mémoire, les dépenses de fonctionnement du ministère ne représentent que 17 % du total. Il faut saluer leur modestie. Quant aux contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, elles en représentent environ 27 %. Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, au début du mois de septembre, vous avez vous-même annoncé que le temps du « réarmement » de notre diplomatie était venu, bien entendu au service de la paix.

De fait, nous pouvons nous réjouir collectivement que la mission Action extérieure de l’État bénéficie l’an prochain de la création nette de 100 équivalents temps plein (ETP). L’enjeu est de répondre aux besoins prioritaires que sont la présence dans la zone indopacifique, la capacité d’analyse politique, la sécurisation des emprises diplomatiques et la cybersécurité. S’y ajouteront 6 ETP pour la nouvelle délégation à l’encadrement supérieur. Cette création nette d’emplois est une première depuis 1993, même si votre prédécesseur avait eu le grand mérite de mettre un coup d’arrêt à la longue érosion des ressources humaines du Quai d’Orsay, qui était la norme de cet infortuné ministère depuis trop longtemps.

En matière d’immobilier, les moyens continueront leur progression. Nous y sommes très sensibles au sein de cette commission, comme en témoignent les critiques qui ont été effectuées dans le passé sur une gestion immobilière qui se voulait économe et qui était marquée du sceau de la ladrerie – ladrerie imposée au MEAE en interministériel… Les moyens continueront donc leur progression, pour atteindre 50,5 millions d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 20 %. Le plan de sécurisation des emprises de nos ambassades pourra ainsi être poursuivi, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.

Des financements seront également consacrés à la lutte contre la désinformation, notamment en Afrique. Notre stratégie d’influence se verra renforcée, grâce en particulier à des dotations en faveur de l’alliance internationale pour la protection du patrimoine des zones de conflit (ALIPH). Des crédits seront également affectés à la préparation de l’exposition universelle de 2025 à Osaka, et au soutien du réseau d’enseignement du français. Une aide spécifique de 10 millions d’euros a été octroyée aux établissements français du Liban. Pour être allé dans ce pays il y a quelques mois, je peux témoigner que ce ne sera pas du luxe.

Les dotations inscrites dans le programme 209 Solidarité avec les pays en développement de la mission Aide publique au développement s’élèvent à 3,3 milliards d’euros au total. Principal outil d’aide publique au développement du MEAE, elles augmenteront de 379,4 millions d’euros. Cette hausse devrait notamment permettre de plus que décupler la provision pour crise majeure, en la faisant passer de 23 millions d’euros à 270 millions d’euros. Les crédits destinés à la composante bilatérale de l’aide publique au développement (APD) française vont s’accroître de 300 millions d’euros et passer à 1,8 milliard d’euros. Cela correspond aux engagements pris à l’article 2 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui constitue l’essentiel de l’œuvre législative de cette commission lors de la précédente législature. Elle a pour nous un caractère absolu.

Au titre de l’action humanitaire, les crédits globaux s’élèveront à 642 millions d’euros, contre 500 millions d’euros l’an passé et 154 millions en 2017. Ce n’est quand même pas rien ! L’aide alimentaire augmentera de 42 millions d’euros et le fonds d’urgence humanitaire bénéficiera d’une revalorisation de 30 millions d’euros. À cela s’ajouteront 75 millions d’euros pour l’initiative Food and agricultural resilience mission (FARM).

En définitive, chacun conviendra que le Gouvernement s’emploie à travers le PLF 2023 à revaloriser substantiellement les moyens accordés à nos services et à notre diplomatie. Je dois dire que, dans l’Assemblée nationale actuelle, il est infiniment préférable d’être président de la commission des affaires étrangères que rapporteur général du budget.

Ce rapide panorama me porte à croire que vous êtes, Madame la ministre, plutôt satisfaite des arbitrages effectués à l’occasion de ce projet de budget. Si vous trouvez que ce n’est pas assez, nous vous suivrons… Pour ma part, je vois beaucoup de points positifs dans les équilibres qui ont été trouvés.

Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Le 2 septembre 2022, lors de la Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, j’avais réaffirmé qu’accroître notre ambition diplomatique impliquait d’augmenter les moyens du MEAE – comme cela avait déjà eu lieu depuis plusieurs années pour les autres ministères régaliens. Une augmentation avait été amorcée prudemment ces deux dernières années ; elle est renforcée dans le projet de budget qui vous est soumis. La hausse sensible des moyens du ministère bénéficie tant à la mission Action extérieure de l’État qu’à notre politique en matière d’APD. Vous l’avez souligné, ce budget prévoit aussi une hausse de nos moyens humains, inédite en près de trente ans, ce qui est très important pour le ministère.

Cette évolution prend tout son sens à la lumière de l’environnement international, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant votre commission et qui ne s’est guère amélioré depuis. Un environnement brutal où il est urgent que la diplomatie intervienne encore plus activement. Les moyens supplémentaires que je m’apprête à vous présenter répondent à ces enjeux. Ils nous permettront de déployer une diplomatie combative, agile et innovante ; une diplomatie de résultats concrets, au service des Français.

Dans un premier temps, je vous présenterai l’économie générale de ce budget. Le MEAE comprend deux missions. La mission Action extérieure de l’État comporte les programmes 105 Action de la France en Europe et dans le monde, 151 Français à l’étranger et affaires consulaires et 185 Diplomatie culturelles et d’influence. La mission Aide publique au développement comprend le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, qui relève du Quai d’Orsay.

La trajectoire d’augmentation de notre budget se confirme et s’amplifie. En 2023, il devrait ainsi atteindre 6,65 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), pour l’ensemble de ses missions, avec une augmentation de 543 millions d’euros – soit une progression de 9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Cette hausse bénéficiera à hauteur de 160 millions d’euros à la mission Action extérieure de l’État, qui atteindra 3,218 milliards d’euros. Cela constitue une augmentation substantielle. Elle s’inscrit en outre dans la trajectoire d’augmentation des moyens de la mission Aide publique au développement. Le programme 209, rattaché au Quai d’Orsay, en bénéficiera à hauteur de 383,1 millions d’euros. Il atteindra 3,436 milliards d’euros et deviendra donc prépondérant dans le budget du ministère.

J’ajoute que les deux programmes de la mission Aide publique au développement, qui est pilotée par ce ministère et regroupe les programmes 209 et 110, atteindront 5,77 milliards d’euros. Cela représente une hausse de 17 % par rapport à 2022 et un doublement des crédits par rapport à 2017.

Par ailleurs, fait particulièrement notable cette année, nos effectifs vont croître pour la première fois en trente ans, avec 100 ETP supplémentaires. Les effectifs avaient baissé de 30 % au cours des deux dernières décennies et de 17 % depuis 2006 – et cela sans modification substantielle du périmètre du ministère. Le PLF 2023 marque une rupture avec cette tendance, qui n’était plus soutenable. Mon prédécesseur parlait d’hémorragie des emplois. Cette évolution était d’autant plus intenable que la situation internationale ne s’est pas améliorée et que les moyens de nos principaux partenaires ont crû ces dernières années. Le plafond d’emplois du ministère est ainsi porté à 13 634 équivalents temps pleins travaillés (ETPT). Pour un ministère comme le nôtre, il s’agit d’une augmentation substantielle. Elle visera pour l’essentiel à mieux répondre à des besoins accrus par la multiplication des crises internationales.

Afin de financer à la fois la hausse de notre plafond d’emplois et la poursuite des réformes en cours au sein du ministère, sa masse salariale connaîtra une hausse de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022.

Ces moyens nouveaux permettront d’accélérer la réforme des ressources humaines, au bénéfice de toutes les catégories d’agents : titulaires, contractuels ou de droit local. Ces moyens nouveaux s’établissent à 15,7 millions d’euros. Ils permettront de financer la poursuite de la mise en œuvre du plan de modernisation des ressources humaines, amorcée dans le cadre de la loi de finances pour 2022, ainsi que des mesures nouvelles à hauteur de 8 millions d’euros.

Grâce à ces moyens, nous continuerons à renforcer l’attractivité des métiers diplomatiques, en agissant tout au long des carrières. Lors du recrutement d’abord, en adaptant les épreuves des concours à l’exercice de nos métiers mais aussi en diversifiant les viviers de recrutement, afin que le ministère reflète tous les visages de notre pays. Je veillerai ainsi à ce que soit poursuivie l’expérience très réussie des deux premières académies diplomatiques d’été de La Courneuve, où est implantée une partie du ministère.

Nous amplifierons ensuite notre effort de formation, initiale et continue, afin que nos agents disposent de toutes les compétences nécessaires à l’exercice de leurs métiers. C’est le sens de l’école pratique des métiers de la diplomatie (EDI), implantée à La Courneuve et créée à l’initiative de Jean-Yves Le Drian.

Enfin, les rémunérations doivent pouvoir garantir des conditions de vie et d’exercice professionnel satisfaisantes. Nous avons veillé à ce que les mesures bénéficient à toutes les catégories d’agents. Après le plan ressources humaines financé en 2022, qui a notamment permis une augmentation des rémunérations des titulaires comme des contractuels en administration centrale, nous poursuivrons en 2023 la mise en œuvre du plan de convergence des rémunérations entre agents titulaires et contractuels, en lui consacrant 6,4 millions d’euros. J’insiste sur ce point, parce que le MEAE emploie 52 % de contractuels. Il entend rester pionnier dans la mise en œuvre du principe « à fonction égale, salaire égal ». Une dotation de 1,6 million d’euros sera également consacrée à la revalorisation des volontaires internationaux, ces jeunes collègues qui font un travail remarquable dans nos ambassades. Enfin, 3 millions d’euros sont prévus pour l’harmonisation des rémunérations des agents de droit local.

Ces mesures salariales s’accompagnent en outre de dépenses visant à améliorer la vie et le parcours de nos agents. Le budget de 4,8 millions d’euros consacré à l’école pratique des métiers de la diplomatie, fortement augmenté en 2022, est reconduit en 2023. Il s’agit ainsi de consolider l’offre de formation accessible à tous les agents.

Pour répondre aux besoins, une attention particulière sera portée au logement social, y compris d’urgence, avec un budget de 2 millions d’euros, qui prolonge l’important effort d’augmentation du parc de logements consenti l’an dernier.

Face aux effets de l’inflation, nous avons prévu une provision de 24 millions d’euros destinée à soutenir la rémunération de nos agents à l’étranger, y compris ceux de droit local.

Enfin, le ministère va poursuivre la mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique, en faisant évoluer son organisation et son fonctionnement, afin de jouer pleinement son rôle de chef de file interministériel de l’action extérieure de l’État, rôle rappelé par le président de la République et la première ministre.

Après cette présentation générale, j’en viens à la mission Action extérieure de l’État, qui regroupe les programmes 105, 151 et 185.

Le PLF 2023 consacre le renforcement durable des moyens de notre diplomatie au service de trois priorités. La première concerne le programme 105. Il s’agit de nous donner les moyens d’agir efficacement dans un monde en voie de fracturation.

En ce sens, il est essentiel de maintenir un outil diplomatique universel, capable de se déployer partout dans le monde et d’agir dans la quasi-totalité des organisations régionales et internationales. La France dispose du troisième réseau diplomatique mondial, fort de 163 ambassades, de 16 représentations permanentes et de 90 consulats généraux. Nous sommes présents partout, et nous sommes en mesure de parler à tout le monde. C’est un atout majeur pour bâtir les coalitions qui nous permettent d’obtenir des votes favorables à l’organisation des Nations Unies (ONU), comme par exemple lors de la dernière Assemblée générale, où nous sommes parvenus à faire condamner l’agression en Ukraine et à isoler la Russie, ce qui n’était pas acquis. C’est également un outil puissant au service de nos ressortissants. C’est grâce à ce réseau universel que nous avons été en mesure de les aider pendant la pandémie de Covid-19, partout dans le monde.

Ainsi, en 2023, le programme 105 verra ses crédits croître de 77,9 millions d’euros, hors dépenses de personnel, pour s’établir à 1,308 milliard d’euros.

Cela concerne tout d’abord les contributions de la France aux organisations internationales et aux Nations Unies, qui matérialisent notre engagement en faveur du multilatéralisme, du maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi qu’en faveur de la souveraineté de l’Union européenne (UE).

Au sein du programme 105, les contributions augmenteront de 45,5 millions d’euros pour tenir compte notamment des effets de change : plus de la moitié de nos versements sont réalisés en dollars américains, devise utilisée par les Nations Unies. Elles s’établiraient ainsi à 829,1 millions d’euros.

La contribution du MEAE à la facilité européenne pour la paix (FEP), fortement sollicitée dans le cadre des actions de soutien à l’Ukraine, s’élève à 67,8 millions d’euros ; l’autre part de la contribution française est financée par le ministère des armées.

Je me réjouis également de la hausse de 2,3 millions d’euros de la contribution française au budget de la Cour pénale internationale (CPI), dont l’activité augmente depuis l’agression russe en Ukraine et dont le travail est essentiel pour poursuivre les exactions et crimes de guerre perpétrés par la Russie. La lutte contre l’impunité est un axe fort de notre action car il n’y a pas de paix sans justice. J’ai ainsi reçu Karim Khan, le procureur de la CPI. De même, la contribution française au Conseil de l’Europe augmente de 4,8 millions d’euros, conséquence de l’exclusion de la Russie.

Enfin, nous poursuivons l’effort mené depuis 2020 pour les contributions volontaires sur les thématiques climatiques et de développement, assurées par le programme 209, qui augmenteront de 59 millions d’euros cumulativement avec celles retracées par le programme 105.

Alors que nos partenaires décident de hausses importantes de leurs contributions, cet effort vise à conforter l’action des organisations internationales sur des sujets prioritaires pour nos intérêts, ainsi qu’à consolider l’influence française dans le système multilatéral.

Les crédits du programme 105 augmenteront aussi pour l’entretien et la modernisation de l’exceptionnel patrimoine immobilier du ministère, en France comme à l’étranger. Ce patrimoine est un outil de travail mais aussi de rayonnement et d’influence. En 2023, nous pourrons nous appuyer sur les moyens supplémentaires affectés à la direction des immeubles et de la logistique du ministère, qui disposera d’un budget de 119,7 millions d’euros. Les crédits supplémentaires permettront de poursuivre la mise en œuvre de notre programmation immobilière.

J’ai par ailleurs décidé de quintupler la dotation annuelle aux projets de verdissement des ambassades et des consulats, qui atteindra ainsi la somme de 1 million d’euros. Ils ont été pionniers en la matière et aux avant-postes de la sobriété énergétique dans le service public dès la préparation de la COP 21. Ils ont été exemplaires et doivent le rester.

Dans un contexte de persistance et souvent d’aggravation de la menace, les moyens nouveaux du programme 105 concernent aussi la sécurisation des emprises. L’enveloppe croît de 5 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 3 millions d’euros en CP. Cela permettra notamment de renforcer la sécurité des postes d’Islamabad, de Bagdad ou d’Addis-Abeba et, plus largement, de sécuriser les ambassades là où nos agents sont exposés à des situations de crise ou d’instabilité.

La progression des crédits du programme 105 bénéficiera aussi au numérique, pour lequel nous continuons à consentir des investissements soutenus. Il s’agit d’améliorer l’efficacité de nos outils, de pallier les inégalités de déploiement selon les pays et de renforcer la cybersécurité de notre réseau, le deuxième le plus attaqué après celui de la présidence de la République.

La stratégie d’investissement numérique se poursuivra donc en 2023 et les moyens de la direction du numérique s’établiront à 52,2 millions d’euros, en augmentation de 4,4 millions d’euros.

Enfin, la hausse des crédits du programme 105 s’appliquera à la communication stratégique. C’est un enjeu de plus en plus pressant, alors que nous sommes confrontés à des opérations de désinformation et de propagande hostiles, souvent d’origine russe, qui visent à attiser les discours antifrançais sur les réseaux sociaux, notamment en Afrique ou en Europe. Afin de mieux lutter contre ces pratiques, nous augmenterons de 2,5 millions d’euros les moyens de la direction de la communication et de la presse.

S’agissant de communication stratégique, la deuxième priorité assignée à la mission Action extérieure de l’État et au programme 185 est de renforcer notre politique d’influence, à l’heure où nos compétiteurs en font un véritable outil de puissance. L’influence est au cœur de batailles mondiales de plus en plus féroces. Elle est nécessaire pour maintenir un espace de dialogue et de coopération avec les sociétés civiles, alors que les tensions entre États s’aggravent. L’apprentissage du français, l’enseignement supérieur ou le rayonnement de nos industries culturelles et créatives sont autant d’enjeux stratégiques.

En 2023, la diplomatie culturelle et d’influence verra ainsi ses crédits augmenter de 11 millions d’euros, après transfert de la subvention de l’opérateur Atout France au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle. À périmètre constant, cela représente une augmentation de près de 40 millions d’euros. Le programme 185 disposera donc d’un budget total de 671,2 millions d’euros, hors dépenses de personnel.

Cette hausse permettra de soutenir les axes centraux de la diplomatie culturelle et d’influence.

Premier axe : l’éducation en français et à la française. Avec 566 établissements et près de 390 000 élèves dans 138 pays, le réseau d’enseignement français à l’étranger est un instrument unique d’influence. L’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) poursuit la mise en œuvre de son plan de développement, conformément à l’objectif de doublement du nombre d’élèves à horizon 2030, réaffirmé par le président de la République en mars 2018. Les moyens de l’agence seront renforcés à hauteur de 30 millions d’euros.

Deuxième axe : la diplomatie économique et la politique d’attractivité. Nous voulons aider l’offre française à rayonner à travers le monde et convaincre toujours plus d’entreprises étrangères d’investir en France. Pour la troisième année consécutive, la France a été en 2021 le pays européen qui a accueilli le plus d’investissements étrangers directs. Dans cette perspective, nous financerons en 2023 des contributions additionnelles à des événements qui renforceront la visibilité internationale de l’excellence française : coupe du monde de rugby et sommet Choose France en 2023, Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, Exposition universelle d’Osaka en 2025, entre autres. Le projet « marque France » va aussi monter en puissance dans les prochains mois. Cet effort, que l’opérateur Business France aura la charge de mettre en œuvre sous le pilotage du Quai d’Orsay, sera financé à la fois par des redéploiements et par des crédits nouveaux.

Enfin, l’année 2023 marquera la poursuite et le renforcement des dispositifs d’intervention du ministère en administration centrale et dans le réseau culturel, avec la reconduite des moyens de 2022. À cela s’ajouteront 2 millions d’euros pour les projets d’influence dans la zone indopacifique, pour renforcer l’attractivité française en matière d’expertise muséale et pour créer un fonds consacré aux innovations dans le domaine de la diplomatie d’influence.

La troisième priorité de la mission Action extérieure de l’État, c’est de mieux protéger et aider les Français de l’étranger. Comme chacun a pu le constater lors de la pandémie, le Quai d’Orsay est aussi le grand service public de nos concitoyens qui vivent hors de France.

En 2023, l’action consulaire retracée par le programme 151 sera dotée de 141,1 millions d’euros, hors dépenses de personnel – soit une légère baisse d’environ 900 000 euros en CP par rapport à 2022, année électorale. Le coût de l’organisation des élections présidentielle et législatives s’est élevé à 13,5 millions d’euros, somme qu’il est inutile d’inscrire en 2023 compte tenu de l’absence d’élections nationales. Pour autant, il est prévu d’augmenter de 12,6 millions d’euros les moyens consacrés aux Français de l’étranger et à l’action consulaire. La qualité du service rendu à nos compatriotes ne sera donc en rien entamée.

Alors que nombre d’entre eux sont confrontés à des contextes économiques dégradés, ils pourront continuer à compter sur une gamme d’aides sociales inégalée chez nos partenaires. Je voudrais que l’on mesure mieux qu’on ne le fait à quel point le niveau de service offert par les consulats et les ambassades est sans comparaison dans le monde.

Les bourses scolaires destinées aux enfants français qui étudient dans les établissements du réseau de l’AEFE retrouveront leur niveau de 2021, avec un budget de 105,8 millions d’euros, qui comprend des bourses spécifiques pour les enfants en situation de handicap. Des crédits supplémentaires seront alloués à l’aide sociale, les inégalités ayant progressé pendant la crise pandémique (16,2 millions d’euros en 2023, soit 1 million de plus qu’en 2022). Le dispositif de secours occasionnel de solidarité – dit « SOS Covid » –, qui représentait 12 millions d’euros en 2021 et 4,3 millions d’euros en 2022, sera remplacé par une aide sociale classique pour ceux de nos compatriotes qui en auraient besoin. Ils pourront en outre compter sur le soutien des organismes locaux d’entraide et de solidarité (dotés de 1,4 million d’euros en 2023) et sur celui des associations agissant en faveur des Français de l’étranger, grâce au dispositif de soutien au tissu associatif des Français à l’étranger (STAFE) – 2 millions d’euros en 2023. Toutes ces aides sont distribuées en liaison avec les élus consulaires, qui constituent de précieux relais des besoins des Français de l’étranger et de nos actions.

Être aux côtés des Français de l’étranger, c’est aussi leur faciliter la vie en simplifiant leurs démarches. En ce sens, nous poursuivrons la modernisation de l’action consulaire à travers trois projets phares : la numérisation du registre de l’état-civil ; l’amélioration continue du dispositif de vote par internet ; la mise en place de l’expérimentation du service France Consulaire. Depuis ses débuts en octobre 2021, celui-ci a été étendu à treize pays : Croatie, Danemark, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldavie, Norvège, République tchèque, Roumanie, Slovénie et Suède. Son extension en Europe se poursuivra jusqu’en 2023, avec la Grèce dès cette année, puis la Bulgarie ou encore Chypre, avant de se prolonger dans le reste du monde en fonction des moyens disponibles.

Aider les Français de l’étranger, c’est également développer de nouveaux services, comme l’expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, qui débutera en 2023 au Canada et au Portugal. Ou encore le déploiement à grande échelle de la nouvelle application de rendez-vous consulaires.

J’en viens maintenant à notre action de solidarité à l’égard des pays en développement, conduite par le programme 209. La priorité du PLF 2023 est claire : renforcer et moderniser l’APD.

Ses crédits sont gérés par les programmes 209, qui relève du Quai d’Orsay, et 110, qui dépend de Bercy. La progression importante de ces crédits traduit les engagements pris lors du vote de la loi de programmation du 4 août 2021. Cet effort doit permettre de concrétiser l’ambition du président de la République en matière d’APD, en conservant une trajectoire très dynamique en volume. Cela représente près de 860 millions d’euros d’augmentation sur l’ensemble de la mission, dont 383,1 millions d’euros pour le programme 209 et 476 millions pour le programme 110.

En attendant le prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui devrait se tenir d’ici à la fin de l’année sous l’égide de la première ministre, nos priorités restent celles fixées par celui de 2018, confirmées par la loi du 4 août 2021. Il s’agit de cinq priorités sectorielles et de priorités géographiques. Les premières concernent la santé, le climat, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’éducation, la prévention des crises et le traitement des fragilités. Les secondes nous amènent à concentrer l’aide sur dix-huit pays d’Afrique subsaharienne et sur Haïti.

Au-delà de ces priorités, la capacité à répondre aux crises humanitaires est aujourd’hui un enjeu majeur. Ce projet de budget en prend pleinement la mesure. L’aide humanitaire programmée atteint ainsi 642 millions d’euros par le biais de trois canaux principaux : 200 millions d’euros mis en œuvre par le fonds d’urgence et de stabilisation (+ 30 millions d’euros) ; 160 millions d’euros destinés à l’aide alimentaire programmée (AAP) (+ 41,7 millions d’euros) ; 200 millions d’euros pour les contributions volontaires humanitaires aux Nations Unies (+ 19,5 millions d’euros). L’initiative FARM recevra 75 millions d’euros, afin de répondre à l’aggravation de l’insécurité alimentaire mondiale provoquée par l’invasion de l’Ukraine et par le blocus de la mer Noire.

Afin d’être les plus réactifs possible, cette programmation a été doublée par la constitution d’une provision pour crises majeures, que nous avons réussie à plus que décupler, en la portant de 23 millions à 270 millions d’euros. Un tel saut quantitatif devient qualitatif et il doit permettre de répondre efficacement à de nouvelles urgences humanitaires. En tout, ce sont donc 912 millions d’euros qui sont susceptibles d’être consacrés à l’aide humanitaire en 2023.

Je voudrais enfin rappeler que, conformément à la loi du 4 août 2021, la part d’aide bilatérale sera rehaussée, passant de 1,6 milliard d’euros en 2022 à 2,1 milliards d’euros en 2023. Outre l’aide humanitaire que je viens d’évoquer, cela se traduit par une augmentation de l’aide-projet (+ 84 millions d’euros), dont 20 millions d’euros pour les projets mis en œuvre par les organisations non gouvernementales (ONG) et 10 millions d’euros pour l’enveloppe allouée au fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI). Ces projets sont plébiscités par les ambassades du fait de leur impact rapide et visible. Leur enveloppe sera donc portée à 80 millions d’euros. Enfin, 20,6 millions d’euros supplémentaires seront affectés aux experts techniques internationaux (ETI), conformément à l’objectif présidentiel de doublement de leur nombre à l’horizon 2023.

La santé mondiale restera une priorité l’année prochaine. Je pense notamment au fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), qui a sauvé 50 millions de vies en vingt ans d’existence et qui, comme l’a rappelé récemment le président de la République, a l’ambition de faire disparaître ces maladies d’ici à 2030. Nous y prendrons toute notre part. Outre 70 millions d’euros pour la reconstitution 2020-2022 du fonds, nous allons lui consacrer 300 millions d’euros supplémentaires pour le prochain cycle triennal 2023-2025, soit près de 1,6 milliard d’euros sur l’ensemble de la période.

La part du programme 209 consacrée à la coopération européenne s’établira à 374 millions d’euros à travers le fonds européen de développement (FED). Elle poursuivra sa diminution jusqu’à extinction des projets démarrés dans le cadre du 11e FED, qui sera définitivement remplacé en 2027 par le nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI).

Les ressources du programme 209, comme celles du programme 110, sont complétées par le fonds de solidarité pour le développement (FSD), géré par l’Agence française de développement (AFD) pour le compte de l’État. Doté de 738 millions d’euros, dont 487 millions d’euros au titre de la quote-part du MEAE, le FSD poursuivra le financement de plusieurs fonds multilatéraux dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Avant de conclure, un mot du nouveau mécanisme de restitution des biens mal acquis, créé au sein de la mission Aide publique au développement par la loi de finances pour 2022. Sous la responsabilité du MEAE, le programme 370 doit permettre, à terme, de restituer sous la forme de projets de coopération et de développement avec les populations concernées les recettes issues de la cession de biens mal acquis. Les financements vont progressivement se mettre en place dès que les procédures judiciaires aboutiront. Le MEAE suit attentivement la montée en puissance de ce dispositif, qui dépend de l’avancée des procédures judiciaires.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Vincent Ledoux (RE). Après avoir rapporté pour avis pendant cinq années sur le budget de l’action extérieure de l’État et après avoir déploré la lente érosion de ses moyens – tout en saluant l’action de votre prédécesseur pour atténuer et inverser la tendance – je ne peux qu’être heureux aujourd’hui de voir une rupture fondamentale. J’espère qu’elle se maintiendra tout au long de la législature qui commence.

Trois axes principaux sous-tendent votre action dans le monde. D’abord une vision réaliste des relations internationales car la violence et la force sont bien souvent nichées au cœur des stratégies d’influence. Votre prédécesseur avait l’habitude de dire que l’influence est une forme de guerre par d’autres moyens. Nous ne pouvons pas être dupes du hard qui prend les apparences du soft. Nous saluons donc l’augmentation des moyens destinés à lutter contre la désinformation et les propagandes toxiques, qui s’exercent violemment à l’encontre de la France – notamment en Afrique, mais pas seulement. Il faut impérativement répliquer à la hauteur des attaques que nous subissons, telle que celle qui est hélas intervenue ce week-end au Burkina Faso contre un établissement symbole du rayonnement culturel francophone.

Après la vision réaliste, je saluerai l’esprit d’ouverture. Nous ne pouvons et nous ne devons pas nous recroqueviller sur nous-mêmes, animés d’un esprit de défaitisme. C’est le sens de votre politique d’influence et de l’augmentation des moyens pour favoriser la présence de la France dans les grandes organisations internationales des Nations Unies. Parce que la conflictualité augmente, il faut plus que jamais réinventer toutes les formes de discussion, dans tous les forums possibles. Comme vous l’avez dit, nous devons parler partout et avec tout le monde.

Enfin, j’évoquerai le terme de réinvention – vous employez celui de réarmement – car le piège serait de se contenter d’énumérer les organismes et les dispositifs qui composent notre réseau d’influence. Vous avez heureusement choisi de conforter la vision du rôle du diplomate tel un ensemblier au service des divers atouts de notre diplomatie – et Dieu sait que j’ai pu constater l’excellence de nos diplomates pendant ces cinq années écoulées. Ce PLF constitue l’occasion de saluer leur action de par le monde, leurs qualités, leur dévouement et leur bonne volonté à mettre en œuvre cette feuille de route que je souhaite que nous votions. Le groupe Renaissance vous soutiendra pour l’appliquer et en assurer le plein succès.

Mme Marine Le Pen (RN). Ma première question est d’une actualité brûlante, puisqu’il semblerait qu’une émission du magazine d’investigation Complément d’enquête évoque la distraction ou la disparition de mobilier national à des hauteurs insoupçonnées, notamment dans votre ministère. Allez-vous ouvrir une enquête au sein du MEAE concernant le vol de ce qui appartient aux Français ?

Je vous remercie pour tous les chiffres que vous nous avez communiqués. Cependant, comme le disait Jean Bodin : « Il n’est de richesse que d’hommes ». Et j’ajouterai : que d’hommes de qualité car leur nombre ne fait pas tout. Je souhaite appeler votre attention sur la mise en extinction du corps des ministres plénipotentiaires et de celui des conseillers des affaires étrangères à partir du 1er janvier 2023, décidée par le président de la République. Le décret procédant pour cela à la fusion de ces deux corps a été signé le 16 avril 2022. Ces diplomates auront le choix entre demeurer dans un corps dit d’extinction ou être intégrés au corps des administrateurs de l’État, uniformisé et interministériel. Il s’agit de facto de privatiser la haute fonction publique et de promouvoir le népotisme, sous le prétexte de favoriser l’innovation et le dynamisme.

Ce projet est mortifère, notamment parce que les spécialités des hauts fonctionnaires ne sont pas interchangeables. Tous les fonctionnaires n’ont pas la fibre internationale, ni les diplomates la fibre préfectorale. Ce décret de mise en extinction vise un ministère déjà très éprouvé par une réduction d’effectifs de 50 % au cours des trente dernières années. Il est d’autant moins justifié que le Quai d’Orsay est l’une des administrations les plus ouvertes et diversifiées, avec 19 % des ambassadeurs et 41 % des chefs de service qui ne sont pas diplomates. Il en est de même pour les 52 % d’agents contractuels.

Lorsqu’on a choisi de consacrer sa vie au rayonnement et à la promotion de la France sur la scène internationale, à l’issue du concours le plus sélectif de la fonction publique, il serait absurde d’être contraint de mener une carrière systématiquement interministérielle et indifférenciée.

Il s’agit en réalité de la fin de toute spécialisation, pourtant gage de performance du réseau diplomatique. C’est la fin de la transmission de la mémoire de l’institution, de l’accumulation de l’expérience, du façonnement d’une culture et de compétences particulières. C’est condamner notre personnel diplomatique à l’éternel noviciat. À l’heure du retour de la guerre en Europe, de l’effondrement de l’influence française en Afrique et de la remise en cause de l’ordre international né en 1945, l’urgence est de renouer avec une politique étrangère puissante.

Ma question est simple : qu’en est-il des états généraux de la diplomatie, promis par le président de la République et censés être une plateforme de négociation au sujet de cette réforme ? Notre outil diplomatique et consulaire garantissait à la France de tenir un rang conforme à son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et à son statut historique de grande puissance. Le professionnalisme et la qualité dont est empreinte notre diplomatie sont salués dans toutes les enceintes internationales, par les alliés comme par les rivaux. Avec les deux concours du cadre d’Orient, cette diplomatie incarne l’exception française, que vous devriez protéger et non détruire. La fusion interministérielle serait fatale à la survie de l’excellence diplomatique française. Nous ne pouvons pas nous le permettre, à l’heure ou la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Turquie et les États-Unis renforcent leurs réseaux diplomatiques et consulaires.

Plus que jamais, je suis convaincue que nous devons renouer avec le concept d’État stratège, sans recours excessif à la privatisation de ses fonctions régaliennes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je tiens à rappeler que notre commission a désigné deux rapporteurs d’information, MM. Ledoux et Le Gall, sur cette question tout à fait importante de la réforme du corps diplomatique.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). En cette période de résurgence des conflits sur le continent européen et d’aggravation des crises de tous ordres au niveau mondial, la France se doit de disposer d’une action extérieure forte et d’un programme ambitieux de solidarité internationale. À la lecture du PLF 2023, nous notons quelques évolutions positives, comme l’augmentation des crédits alloués à la mission Action extérieure de l’État, ainsi que l’augmentation du plafond d’emplois du MEAE de 106 ETP.

Cette annonce nous semble néanmoins tardive et insuffisante, après des décennies d’affaiblissement de notre diplomatie. En effet, les effectifs du ministère ont été réduits de moitié en l’espace de trente ans. Le détricotage du troisième plus grand réseau diplomatique au monde serait de plus amplifié par la réforme prévoyant la suppression des corps diplomatiques. Les personnels de votre ministère ont lancé un mouvement de grève inédit en juin dernier pour dénoncer une réforme qui porterait aux nues le nivellement par le bas et l’ubérisation de notre diplomatie, tout en augmentant le pouvoir discrétionnaire sur les nominations des hauts fonctionnaires. Emmanuel Macron proclame sa volonté de dialoguer et de tenir des états généraux de la diplomatie, tout en répétant qu’il ne reviendra pas sur une réforme pourtant unanimement critiquée.

Quelles mesures envisagez-vous pour défendre une diplomatie professionnelle, capable de peser sur la scène internationale ? Cela passe par l’interruption de cette réforme et par l’engagement d’une politique volontariste, pour être à même d’assurer les vastes missions dévolues au ministère.

Je souhaite également attirer votre attention sur les moyens consacrés au programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, pour lequel le PLF 2023 prévoit une légère hausse des crédits. Nombre de Français à l’étranger font face à des délais d’attente considérables pour effectuer des démarches administratives. Il faut s’interroger sur l’objectif de dématérialisation des services consulaires alors que nos concitoyens à l’étranger peinent à trouver un interlocuteur et un accueil humain. Quelles sont les mesures que vous prévoyez pour garantir une action consulaire de qualité ?

Le PLF 2023 ambitionne de porter à près de 6 milliards d’euros les crédits alloués à l’APD, afin que 0,55 % du revenu national brut y soit consacré. Cette hausse des crédits doit pourtant nous amener à une réflexion sérieuse et critique sur la manière dont elle est déployée. En effet, nous avons émis de nombreuses critiques quant à la transparence et au ciblage, géographique et thématique, des projets financés par l’APD. Il est en particulier regrettable que la politique d’aide au développement soit menée par une banque, ce qui constitue une contrainte structurelle qui implique la prééminence de prêts et entretient une logique de dépendance et d’endettement des pays bénéficiaires.

Quelles solutions peuvent être adoptées pour recourir davantage aux dons et aux subventions plutôt qu’aux prêts, afin de faire de l’APD un outil qui soit réellement au service de la solidarité internationale ?

M. Michel Herbillon (LR). Le 15 août 2022, les derniers militaires français de l’opération Barkhane ont quitté le Mali, ce qui met fin à neuf ans de lutte contre le terrorisme menée d’abord dans le cadre de l’opération Serval. Au total, cinquante-huit soldats français sont morts en moins d’une décennie en combattant les groupes armés salafistes djihadistes et pour défendre les valeurs auxquelles la France, l’Europe et plus largement le monde occidental, sont particulièrement attachés.

Samedi dernier, des manifestants ont tenté d’incendier l’ambassade de France, à Ouagadougou. C’est dans cette ville que le président Macron avait tenu un discours sur la refondation des relations entre la France et le continent africain en novembre 2017… L’institut français de Bobo-Dioulasso a été également pris pour cible. Au Mali comme au Burkina Faso, la France fait l’objet de nombreuses campagnes de désinformation. Notre pays et ses ressortissants y sont attaqués. Difficile de ne pas y voir l’action de la Russie et des milices du groupe Wagner, qui jouent un rôle majeur pour déstabiliser notre présence dans cette région de monde. En mars 2022, lors du vote sur la résolution à l’ONU contre la guerre en Ukraine, le Sénégal – avec qui la France entretient des relations étroites de longue date – a fait partie des pays africains qui se sont abstenus.

À l’occasion de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République et vous-même avez fortement insisté pour que notre diplomatie publique soit beaucoup plus offensive en Afrique. Vous avez pour cela nommé une ambassadrice chargée de la diplomatie publique en Afrique. Si je salue cette initiative, il n’en demeure pas moins qu’il convient de tirer les conclusions de cette année catastrophique pour l’influence de la France sur ce continent. Quelle analyse faites-vous de la situation et dans quelle mesure vous conduit-elle à redéfinir la stratégie de la France en Afrique ?

Par ailleurs, les priorités de la politique de développement au cours de ce quinquennat et la trajectoire de l’APD feront prochainement l’objet d’un comité interministériel. À cette occasion, et bien que cela puisse être malheureusement préjudiciable pour les populations, allez-vous défendre la remise en cause de l’APD dans des pays qui sont désormais résolument hostiles à la France ?

Toujours lors de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le président de la République a annoncé la tenue d’états généraux de la diplomatie d’ici à l’automne. Cette annonce fait suite notamment à la grève, historique, de nombreux diplomates contre la réforme de la haute fonction publique qui prévoit l’extinction du corps des conseillers des affaires étrangères et de celui des ministres plénipotentiaires. Je ne suis pas certain que cette réforme vise à, je vous cite, « renforcer l’attractivité du métier diplomatique ». Il est parfaitement anormal, madame la ministre, que la commission des affaires étrangères n’ait pas été saisie de ce dossier, ni même informée. Le calendrier électoral ne saurait justifier ce défaut d’information.

Quand ces états généraux seront-ils organisés ? Et le seront-ils pour acter un état de fait ou peuvent-ils remettre en question cette réforme, qui risque de profondément affaiblir notre corps diplomatique pourtant considéré comme l’un des meilleurs au monde ?

Mme Laurence Vichnievsky (DEM). Avant d’en venir au budget, je souhaiterais connaître les modalités de retour de femmes et des enfants de djihadistes détenus sur le territoire syrien, en cours d’étude au sein du MEAE.

Le budget que vous présentez comporte de bonnes nouvelles. Il est en augmentation de 9 % ; il faut le souligner et s’en féliciter. Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) se réjouit de la création de plus d’une centaine de nouveaux emplois, pour la première fois depuis près de trente ans. Je tiens ici à saluer le travail de votre prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, qui a beaucoup œuvré pour mettre fin au cycle néfaste de réduction des effectifs, entamé depuis de trop nombreuses années. Ces nouveaux emplois permettront de répondre à des besoins essentiels pour l’action de la France, notamment le renforcement de la capacité d’analyse politique dans les directions du ministère les plus exposées, afin de permettre de mieux anticiper les mouvements à venir dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe.

Renforcer la présence française dans la zone indopacifique doit aussi être une priorité. Les événements actuels à l’Est de l’Europe ne doivent pas faire oublier que c’est dans cette zone que se situent de nombreux enjeux pour l’avenir du monde et sa stabilité. Il faut également saluer la revalorisation des moyens accordés à la diplomatie culturelle et d’influence, avec notamment la hausse du budget de l’AEFE, dont une partie viendra soutenir l’action, essentielle, de cette institution au Liban, pays qui nous est si cher.

L’augmentation des crédits de l’APD est essentielle ; avec de près de 380 millions d’euros, elle se situe dans la droite ligne de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Il est en effet primordial que la France continue d’être un acteur majeur dans l’accompagnement du développement équilibré des pays les moins avancés, pour aider les populations et préserver leur environnement.

Je terminerai par une interrogation au sujet du renforcement du budget destiné à la lutte contre la désinformation anti-française, comme celle que l’on connaît en Afrique, mais pas seulement. Pourriez-vous nous détailler cette mission et ses objectifs ?

Pour conclure, je vous assure du soutien de notre groupe lors de l’examen de ce bon budget, qui sera examiné par notre commission très prochainement.

M. Alain David (SOC). Je vous remercie pour cette présentation, qui reprend les informations qui figurent dans le dossier de presse. Nous aurions sans doute eu besoin de plus d’éléments, et notamment des projets annuels de performances, pour disposer d’une meilleure vue du PLF. Mais je ne doute pas qu’avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés nous présenterons quelques amendements, comme nous en avons l’habitude.

Les arbitrages budgétaires sont liés aux évolutions de la situation internationale et, en particulier, au conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine.

S’agissant du rayonnement de la France à l’étranger, le secteur audiovisuel public extérieur est aussi l’une des voix de notre pays. France Médias Monde diffuse dans le monde entier – ou presque – une information objective et non partisane, lutte contre la désinformation, accompagne notre diplomatie ainsi que le commerce extérieur et transmet nos valeurs, en promouvant la francophonie.

La suppression de la redevance audiovisuelle va provisoirement être compensée par une part de TVA jusqu’en 2025. Après, c’est l’incertitude. Cette absence de visibilité suscite des inquiétudes. Vous avez à diverses reprises affirmé votre soutien à France Médias Monde. Pouvez-vous le confirmer de nouveau à l’occasion de ce projet de budget ?

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Tout d’abord, nous nous félicitons de la hausse des crédits accordés à votre ministère. Je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le déficit commercial, qui va atteindre cette année un niveau record du fait de la conjoncture internationale, de l’envolée de la facture énergétique et de la dépréciation de l’euro.

Moteur traditionnel de notre commerce extérieur, le secteur aéronautique est confronté à de très sévères difficultés. Cette filière est dans une situation paradoxale. Le marché mondial de l’aviation commerciale reste en effet dynamique, grâce au renouvellement important de la flotte par des avions de nouvelle génération, qui consomment jusqu’à 25 % de carburant en moins. Durant la crise sanitaire, Airbus et ses sous-traitants ont su conserver une avance technologique indéniable, tout en avançant fortement vers la décarbonation. Pourtant, ils ne peuvent pas répondre à la demande, principalement en raison de la rupture d’approvisionnement de matériaux comme le titane – indispensable à la fabrication de certaines pièces – et de composants électroniques.

Le rapport remis au Gouvernement en janvier 2022 par Philippe Varin a souligné la fragilité des chaînes d’approvisionnement et la nécessité de retrouver une souveraineté industrielle. Cela concerne aussi bien l’aéronautique que les producteurs de batteries électriques ou le secteur éolien. Plusieurs rapports récents mettent en garde contre la menace de pénurie mondiale de certains matériaux, indispensables pour répondre au défi de la transition énergétique.

Les outils d’accompagnement des entreprises présentes sur le marché international sont appréciés et jugés performants. Il faut d’ailleurs saluer le travail de la direction de la diplomatie économique du MEAE. Mais ne faudrait-il pas se montrer plus innovants et plus combatifs, compte tenu de la menace de rupture des approvisionnements. Si elle n’est pas nouvelle, elle prend une tout autre ampleur dans le contexte géopolitique actuel.

Comment la puissance publique pourrait-elle aider davantage les acteurs concernés à sécuriser ces approvisionnements internationaux, à commencer par ceux de la filière aéronautique ?

M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). Je joins ma voix à celle de mes collègues pour vous dire que nous sommes satisfaits de l’augmentation sensible des crédits du MEAE, en particulier de celle de plus de 850 millions d’euros de la mission Aide publique au développement. Cette hausse devrait permettre de répondre aux objectifs de programmation financière, dans la continuité des augmentations opérées lors de la législature précédente. Nous espérons aussi qu’elle permettra de se rapprocher de l’objectif de 0,7 % du PIB, fixé par la communauté internationale dès les années 1960. Je souhaiterais à cet égard saluer le travail de notre commission au cours de la précédente législature car c’est un amendement qui a permis d’inscrire dans la loi de programmation l’objectif de 0,7 % en 2025.

Nous serons vigilants au sujet de l’allocation de ces ressources et du respect des objectifs et des priorités que vous avez vous-même rappelées. Pour ce qui est des instruments, la priorité doit être donnée aux dons plutôt qu’aux prêts.

La loi a défini dix-neuf pays prioritaires. Je voudrais rappeler à notre collègue Michel Herbillon que l’aide au développement ne se limite pas à l’aide budgétaire. Certains parmi ces pays prioritaires souffrent des crises actuelles, de la guerre et du terrorisme. Des ONG, à Bamako notamment, continuent malgré tout leur travail, ce qui permet de maintenir l’APD et de ne pas abandonner ces pays. Je tiens à rappeler aussi l’importance de l’aide bilatérale, dont le rattrapage budgétaire ne doit pas se faire au détriment de l’aide multilatérale, qui est indispensable contrairement à certaines idées reçues.

Je souhaite aborder la question du fonds de solidarité pour le développement et, en particulier, de la taxe sur les transactions financières (TTF). La part de cette taxe qui est consacrée au développement est plafonnée à 528 millions d’euros. Depuis maintenant plus de dix ans, les recettes augmentent mais ne profitent pas à l’objet pour lequel la taxe a été créée, c’est-à-dire l’APD. L’augmentation des recettes va en effet uniquement au budget général. J’essaie depuis des années de convaincre mes collègues et le rapporteur général du budget de mettre un terme à cette anomalie. Je n’y suis pas encore parvenu, malgré le soutien du ministre Jean-Yves Le Drian. J’espère que l’on arrivera enfin à faire en sorte que l’augmentation des recettes de la taxe sur les transactions financières soit effectivement affectée à l’APD.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Notre groupe se félicite de la hausse du budget du MEAE. J’espère pour ma part que ces moyens supplémentaires signifieront plus d’activisme de vos services en faveur de Mayotte et une diplomatie plus agressive pour défendre ce département français sur la scène internationale.

Le mercredi 28 septembre dernier, la commission des lois a auditionné Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer. Durant cette audition, la situation de Mayotte et la question de l’immigration comorienne ont été abordées par plusieurs collègues. En 2021, plus de 10 000 naissances ont eu lieu à Mayotte. On décrit souvent l’hôpital de Mamoudzou comme la première maternité d’Europe mais c’est oublier que parmi les 10 000 bébés qui y naissent, 7 400 le sont de mères comoriennes, souvent en situation irrégulière et qui espèrent accéder à la nationalité française grâce à ces enfants. La machine démographique et la poussée migratoire comorienne à l’œuvre à Mayotte déstabilisent profondément notre département. Violence, accaparement des terres, saturation des services publics, prolifération des trafics et croissance de l’économie clandestine, destruction de l’écosystème ne cessent d’être dénoncés et condamnés par les gouvernements successifs.

En même temps, ces gouvernements déploient depuis plusieurs décennies une stratégie d’aide financière aux Comores, en faisant d’ailleurs totalement abstraction de leur revendication territoriale sur Mayotte. Cette aide est présentée comme un investissement pour endiguer le flux migratoire. Lors de son audition, le ministre chargé des outre-mer a indiqué que 150 millions d’euros avaient ainsi été donnés à Mayotte.

Les crédits de la mission Aide publique au développement vont progresser de 37 %, pour atteindre 7 milliards d’euros en 2025. Des augmentations pour les crédits bilatéraux et multilatéraux sont prévues, dont les Comores vont bénéficier. Au regard de la hausse continue de l’immigration comorienne à Mayotte, quelle est la rentabilité de cet investissement en aide publique ? Va-t-on continuer à dépenser l’argent des contribuables français en pure perte au profit des Comores ? Peut-on continuer à financer un pays qui colonise et déstabilise ouvertement un département français ?

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Tout le monde se félicite de la hausse des effectifs de votre ministère après tant d’années de réductions.

Concernant l’attractivité du métier, bon courage ! Parce que vous êtes celle qui est chargée d’enterrer le corps diplomatique, si j’ai bien compris. Comment rendre un métier attractif quand on détruit des siècles d’expérience ? C’est catastrophique et il faudra bien entendu revenir sur cette réforme. Mais l’attractivité dépend aussi d’une certaine idée de la France, que doit servir notre diplomatie.

J’ai été très surpris de voir votre ministère, et donc vous-même, se borner à « prendre acte » de l’enquête de Bakou sur le massacre des prisonniers arméniens par les soldats azéris. J’ai l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. Est-ce que les massacres sont seulement perpétrés par les Russes ? Quant à ceux commis par les Ukrainiens, par l’Arabie saoudite au Yémen ou par les Azéris, votre ministère en prend acte, mais il ne les condamne pas. Cela a beaucoup choqué les Arméniens, où qu’ils soient. J’aimerais connaître votre réaction sur ce communiqué très surprenant.

Que pensez-vous du sabotage des gazoducs Nord Stream ? Et de la déclaration de M. Zelinski, qui a dit vouloir tuer chaque Russe tant que Poutine sera au pouvoir ? N’avez-vous pas le sentiment qu’on bascule progressivement d’une protection légitime de l’Ukraine à une volonté de déstabilisation complète de la Russie ? Est-ce l’intérêt de la France ?

Enfin, trouvez-vous normal que Mme von der Leyen s’exprime au nom de la France ? Elle n’a été élue ni par les Français, ni par personne. La France, et donc le président de la République, accepte de plus en plus que Mme von der Leyen s’exprime en son nom, pour des sanctions, pour des remarques et pour jeter de l’huile sur le feu en Ukraine. Est-ce acceptable et est-ce conforme à une certaine idée de notre pays ? Au fond, n’y a-t-il pas un lien entre la destruction de notre corps diplomatique et la fin d’une France indépendante ?

Mme Catherine Colonna, ministre. Vous me contraignez à un choix cruel en me demandant de répondre, dans un temps imparti nécessairement bref, sur le budget et à des questions d’actualité, voire de politique générale. Je m’efforcerai de faire un peu des deux, en risquant ainsi de mécontenter tout le monde et de ne donner satisfaction à personne.

Monsieur Ledoux a parlé du réarmement et même de la réinvention de notre outil diplomatique. Je tiens à préciser que nous sommes un ministère pacifique, même s’il faut parfois préparer la guerre pour assurer la paix. En employant le terme « réarmement », je m’inscrivais dans le mouvement général observé ces dernières années pour les ministères régaliens. Certains en avaient déjà amplement bénéficié, comme les ministères des armées, de l’intérieur et, désormais, de la justice. Il était temps qu’il en soit de même pour le Quai d’Orsay.

Le terme de réinvention est un bon terme. En évoquant ce concept, je voulais aussi dire qu’il faut que le MEAE développe davantage une culture de l’innovation. Le monde change, nous devons être agiles. Nous le ferons en matière de communication, dans la limite de nos moyens. Nous le faisons aussi à travers les stratégies d’influence, qui sont devenues capitales. Je crois au terrain et je soutiendrai les propositions qui en émaneront, si elles paraissent prometteuses. C’est ce que nous avons fait, monsieur Julien-Laferrière, dans le domaine du développement. Nous avons soutenu des idées émises par les ambassades, avec des projets souvent modestes, rapidement réalisables, adaptés aux besoins locaux et visibles par les populations. Nous allons donc développer la flexibilité et la réactivité. Je concède que nous étions un peu en retard en la matière.

Madame Le Pen, je me réjouirais presque de vous entendre plus souvent. Merci de rappeler la qualité des ambassadeurs, des diplomates en général et celle de notre outil diplomatique. Mais j’aimerais tenter de corriger une confusion. La disparition de certains corps ne signifie ni la disparition des individus, ni celle des emplois. Au contraire, nous créons des emplois. Il fallait le faire, car il faut des gens pour assurer les missions et garantir que la machine fonctionne. Au demeurant, le décret du 16 avril dernier ne supprime pas les deux corps que vous citez. C’est au contraire le texte réglementaire qui matérialise les garanties obtenues par mon prédécesseur.

Les états généraux de la diplomatie vont s’ouvrir dès ce mois d’octobre, la décision ayant été prise par le président de la République et par la première ministre, sur ma proposition. Il est nécessaire de mener une réflexion avec tous ceux qui sont concernés : les élus, des partenaires extérieurs, les jeunes diplomates et toutes nos forces vives. Cette réflexion doit se projeter au-delà de la réforme des corps et permettre de répondre au besoin de sens du personnel tout en lui faisant connaître les priorités que l’État fixe. Un premier bilan de ces états généraux devrait pouvoir être réalisé au début de l’année prochaine. Il s’agira alors de dessiner les lignes directrices qui permettront de renforcer notre diplomatie.

Je n’ai pas vu l’émission de Complément d’enquête mais nous la regarderons avec attention. Le thème que vous mentionnez a déjà été exploré par le passé. Si des faits nouveaux qui relèvent de la justice étaient révélés, il y aurait bien entendu matière à enquête. Les registres du mobilier des ambassades sont très précisément tenus et font l’objet d’un examen annuel. Chaque ambassadeur doit signer les documents d’inventaire au début et à la fin de ses fonctions : il engage ainsi sa propre responsabilité.

Madame Leboucher a évoqué les services consulaires aux Français et les délais d’obtention de rendez-vous. Sans doute avez-vous perçu dans le vœu que j’ai formé une petite critique sur la situation actuelle. La pandémie de Covid-19 et les confinements successifs ont empêché pendant plusieurs mois les personnels de travailler au même rythme que d’habitude. Même si les services consulaires français n’ont jamais fermé – contrairement à ceux d’autres pays –, un retard certain s’est partout accumulé. Nous pensons pouvoir améliorer la situation dès la fin de cette année grâce à une nouvelle plateforme de prises de rendez-vous. Je profite de l’occasion pour appeler nos compatriotes à la responsabilité. Trop de rendez-vous sont pris mais ne sont pas honorés et restent bloqués car on ne prend pas la peine de les annuler. La nouvelle plateforme est en cours de déploiement et va être mise en place très bientôt. Dans les pays où les besoins sont les plus urgents, des renforts ponctuels d’effectifs pourront être déployés. Nous avons également travaillé avec le ministère de l’intérieur pour faciliter certaines démarches administratives, notamment en supprimant la deuxième comparution lors des renouvellements de passeport. Des expérimentations en ce sens sont menées dès cette année dans deux pays.

L’AFD est en effet une banque, et c’est nécessaire si nous voulons qu’elle lève des fonds sur les marchés internationaux et assure son rôle. Ne confondons pas l’instrument et le pilotage. L’AFD est un opérateur de l’État. Elle est placée sous la triple tutelle du MEAE, de Bercy et du ministre délégué chargé des outre-mer. Une programmation et un pilotage politique sont donc assurés et j’espère qu’un CICID se tiendra bientôt. Un comité du développement présidé par le président de la République sera peut-être même organisé, ce qui serait une bonne chose en début de législature.

Il faut relever que les dons ont nettement plus progressé que les prêts : c’est le résultat de ce pilotage politique. Ces dons représentent 1 milliard d’euros au titre de l’aide-projet, 80 millions d’euros s’agissant du FSPI – avec des projets innovants qui sont très utiles localement – et 600 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire. Cela permet de concentrer les efforts dans les pays les plus fragiles, alors que les prêts vont bénéficier aux pays dits intermédiaires, que les ratios actuels d’endettement rendent éligibles aux mécanismes d’emprunts.

J’en viens au Burkina-Faso, premier sujet évoqué par Monsieur Herbillon. Notre priorité est et demeure la sécurité des ressortissants français. La situation a évolué dans le sens d’un relatif retour au calme. Néanmoins, nous avons pris tout de suite les mesures nécessaires. Un dispositif a été arrêté à cet effet, sur lequel je ne m’étendrai pas. Je rappelle qu’il s’agit d’une crise politique intérieure au Burkina Faso. Elle ne nous concerne pas directement et nous n’en sommes pas partie prenante. Il y a eu des actions de désinformation, très clairement organisées par des petits groupes qui ont peut-être été manipulés. Je ne ferai pas de commentaires sur les commanditaires potentiels ; certaines images en disent plus que je ne peux le faire dans ma fonction. Des appels irresponsables ont eu lieu sur les réseaux sociaux. Nous avons demandé qu’ils cessent. Nous avons pu arrêter des tentatives d’intrusion. La situation a évolué un peu plus favorablement mais nous restons mobilisés et prudents. Parallèlement, des missions diplomatiques s’organisent. Une mission de haut niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se déroule sur place. Nous espérons qu’elle pourra apporter un peu de raison et rappeler que le Burkina Faso a besoin du respect du calendrier de retour à l’ordre constitutionnel, perturbé depuis trop longtemps. Les dommages subis par l’ambassade de France sont évalués entre 2 millions et 2,5 millions d’euros.

La situation générale au Sahel mériterait à elle seule un débat. Je rappelle simplement que, par notre engagement, nous avons évité que le Mali ne bascule et que Bamako ne soit prise par les groupes djihadistes. Mais cela n’a pas suffi à assurer la stabilité du pays. Je vous remercie d’avoir rendu hommage aux soldats français qui ont perdu la vie dans cette noble mission, qui a permis de marquer des points contre les groupes terroristes armés (GAT). Malheureusement, les autorités maliennes – issues d’un double coup d’État – n’ont pas poursuivi la même politique. Par leur action et par leurs alliances avec des mercenaires, elles ne font pas preuve de beaucoup d’efficacité dans la lutte contre les GAT.

Je reviens brièvement sur les questions de communication et de lutte contre la désinformation soulevées par madame Vichnievsky. Nous voulons mieux anticiper les attaques informationnelles et voir d’où elles proviennent, en accroissant nos capacités de veille sur les réseaux sociaux. Une nouvelle sous-direction de la direction de la presse et de la communication du Quai d’Orsay sera désormais chargée de le faire. Une fois que l’on a veillé, observé et identifié, il faut ensuite agir. Nous nous employons à toucher de nouveaux publics, sur de nouvelles plateformes et dans de nouvelles langues, ce qui suppose des moyens. Il faut aussi que les ambassades soient en mesure d’être plus réactives, en augmentant leurs moyens à l’aune de ceux qui nous sont donnés. Il faut toujours se souvenir que les pays où sévit la désinformation sont les mieux armés pour lutter contre elle. L’action d’influence que nous menons et l’APD que nous leur apportons sont des moyens dont il ne faut pas oublier l’importance dans cette lutte contre les fausses informations.

Peut-être avez-vous appris qu’une nouvelle opération de rapatriement d’enfants retenus dans des camps en Syrie a été menée aujourd’hui. Je ne comptais pas la confirmer mais le parquet national antiterroriste l’a fait. Nous essayons de ramener ces enfants lorsque c’est possible et si nous pensons que les conditions locales le permettent. Nous n’assurons pas, bien évidemment, le contrôle effectif de ces territoires et les conditions sur place sont très difficiles. Ce sont des opérations délicates, sur lesquelles nous ne communiquons jamais en amont pour des raisons évidentes. Je rends hommage à tous les services de l’État qui sont impliqués dans ces opérations d’une très grande complexité.

Monsieur David, quelles que soient les modalités de financement de l’audiovisuel public, le MEAE restera vigilant à ce que les moyens accordés à l’audiovisuel extérieur soient maintenus, voire augmentés. Il est indispensable que ces médias puissent répondre à leur mission de presse libre et indépendante, qu’ils diffusent une information professionnelle et de qualité et qu’ils luttent contre la désinformation qui se répand à bas bruit. L’année 2023 sera celle de la consolidation du rôle de cet audiovisuel extérieur. Nous avons par exemple mis en place un dispositif d’accueil de journalistes ukrainiens en exil, grâce à France Médias Monde. Par le biais de RFI Romania, nous pouvons émettre une information fiable et de qualité, en ukrainien et en russe. Quant à votre réflexion sur le contrat d’objectifs et de moyens, elle dépasse ma compétence et concerne les années 2024 et 2025.

Monsieur Portarrieu a posé deux questions sur le déficit commercial. Je crois avoir répondu par anticipation en ce qui concerne les moyens que le MEAE peut consacrer à l’amélioration de l’attractivité de la France, avec plutôt de bons résultats. Cela ne suffit pas à réduire le déficit commercial mais c’est un sujet qui dépasse la compétence du seul MEAE. Vous avez également abordé la question de l’autonomie et de la résilience de certaines filières industrielles. Nous sommes bien informés des points d’attention particuliers que la société Airbus a évoqués s’agissant de certains métaux nécessaires. De manière plus générale, il faut diversifier nos fournisseurs. C’est ce qu’Airbus a entrepris de faire mais il lui faudra encore quelques mois pour être moins dépendante, d’un pays en particulier.

Monsieur Julien-Laferrière, les sommes mobilisées dans le cadre du FSD ne sont pas considérables. Il s’agit cependant d’un outil intéressant qui est plébiscité, tant par les ambassadeurs que par les pays ou les populations qui peuvent en bénéficier. Ce qui compte, ce n’est pas la provenance des crédits de l’APD, c’est leur total – et il augmente considérablement en volume. Vous me direz probablement que ce total ne progresse pas suffisamment en pourcentage. Mais l’objectif de 0,5 % prévu par la loi du 4 août 2021 pour cette année est atteint. Pour ce qui est des années suivantes, vous avez formulé un vœu par voie d’amendement, auquel je souscris. J’observe que la croissance du produit intérieur brut (PIB) permet une augmentation considérable en volume de notre aide au développement. Elle a doublé depuis 2017, ce qui est un beau résultat. Il est plus facile d’assurer le pilotage politique de l’APD dans le cadre de la mission Aide publique au développement plutôt qu’en dehors de celle-ci. Je souscris à la demande de votre assemblée d’assurer un pilotage politique étroit de ces activités, et notamment de l’AFD.

Madame Youssouffa, j’ai bien noté votre préoccupation. Nous sommes conscients des difficultés économiques, sociales et migratoires à Mayotte. Vous m’aviez interrogée à ce sujet lors des questions au Gouvernement. J’avais à cette occasion rappelé les chiffres des expulsions, qui sont très importants. Le faible niveau de développement de certains territoires, comme les Comores, conduit nombre de leurs habitants à émigrer. Nous ne sommes, par conséquent, pas favorables à la fin de l’APD. Au contraire, il faut trouver des solutions pour que les pays les moins avancés se développent, afin qu’il y ait moins d’émigration. On ne réglera pas ce problème si l’on n’agit pas sur les causes de ces migrations. Pour les Comores, un plan de développement de 150 millions d’euros est prévu. Il a pour objectif d’agir sur les causes pour prévenir davantage les départs de migrants clandestins vers Mayotte. Il s’agit de favoriser et de multiplier les possibilités de développement économique aux Comores, en ciblant en particulier l’île d’Anjouan.

Monsieur Dupont-Aignan, j’ai dit aujourd’hui même lors des questions aux Gouvernement que la France se tenait sans ambiguïté aux côtés du peuple arménien. J’ai rappelé notre souhait, qui est celui de tous les amis de l’Arménie, qu’une solution négociée et pacifique soit trouvée au conflit entre ce pays et l’Azerbaïdjan. Enfin, j’ai rappelé qu’en droit international exécuter des prisonniers de guerre constitue un crime de guerre. Il faudra donc que les auteurs de ces faits soient jugés. Nous avons immédiatement demandé une enquête indépendante.

En ce qui concerne l’Ukraine, ne confondons pas les choses. Si quelqu’un punit la Russie, ce sont ses responsables politiques et en particulier le premier d’entre eux, le président Poutine. N’oublions pas non plus que c’est l’armée russe qui est en Ukraine et non l’inverse. Elle y commet des crimes, des crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l’humanité. Elle devra rendre des comptes. La position de la France a été rappelée hier par la première ministre et par moi-même lors du débat consacré à l’Ukraine, au titre de l’article 50-1 de la Constitution.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Nicolas Metzdorf. Les 28 et 29 septembre 2022, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, M. Louis Mapou, s’est rendu à Washington à l’invitation du président Joe Biden pour participer au premier sommet des pays insulaires du Pacifique. Je me félicite que la Nouvelle-Calédonie, ainsi que la Polynésie française, aient pu y être représentées. Cependant, je trouve regrettable l’absence d’un représentant du Gouvernement français, quel que soit son rang. La participation de l’ambassadeur relève du service minimal et ne peut constituer une présence politique suffisante lorsqu’on rencontre le président de la première puissance mondiale. Cela peut être perçu par bon nombre de nos concitoyens, notamment en Nouvelle-Calédonie, comme un abandon de souveraineté.

Que les collectivités autonomes du Pacifique soient mises en avant et deviennent, en quelque sorte, les porte-avions de la stratégie indopacifique est une excellente nouvelle. Mais cela n’exonère en aucun cas la République de sa responsabilité dans cette région du monde. Les collectivités autonomes sont des atouts et non des substituts. Pourriez-vous m’indiquer votre position et celle du Gouvernement lors des discussions à venir sur la coopération dans la zone indopacifique et la place que vous comptez y prendre ?

M. Vincent Seitlinger. Comme vous le savez, notre commission m’a nommé rapporteur pour avis sur les crédits de l’action diplomatique consulaire dans le cadre du PLF 2023. Que dire de ce budget ? Il ressort de votre présentation que plusieurs postes budgétaires bénéficieront de légères hausses et il faut s’en satisfaire, même s’il aurait été bien préférable de disposer des bleus budgétaires avant votre audition, et ce d’autant plus que le Gouvernement a promis d’associer plus étroitement le Parlement à la préparation du budget.

Il faut souligner deux choses. D’une part, ces hausses ne sont parfois que la prise en compte des effets de l’inflation, d’effets de change ou de l’évolution de quotes-parts. D’autre part, ce projet de budget laisse une impression générale de saupoudrage et il est difficile d’y déceler les principes directeurs. Vous parlez de réarmement de notre outil diplomatique ; je crois pour ma part qu’il s’agit au mieux de colmatage.

Cela étant dit, je souhaite vous interroger sur les crédits alloués à l’entretien immobilier. Le parc du ministère n’a cessé de se dégrader sous l’effet d’une politique insoutenable conduite depuis des années. Dans ce contexte, je salue bien sûr le renforcement des moyens en 2022 et ceux qui sont prévus pour 2023. J’ai appris toutefois que le ministère n’avait pas bénéficié cette année des 36 millions d’euros devant être versés par le compte d’affectation spéciale (CAS) 723 Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l’État. Sans ces moyens – que la représentation nationale a pourtant votés – c’est la moitié du plan de rattrapage immobilier qui ne sera pas financée, tandis que de nombreux besoins ne seront pas satisfaits.

Comment envisagez-vous de récupérer ces crédits, dont votre ministère a fortement besoin ? Dès lors que le projet de budget que vous présentez repose à nouveau sur cette hypothèse de 36 millions d’euros de recettes provenant du CAS 723, quelle garantie avez-vous de ne pas être confrontée à la même difficulté en 2023 ?

Mme Nadège Abomangoli. Ce PLF présente un certain nombre d’éléments satisfaisants, que ma collègue Élise Leboucher a évoqués, mais également de grandes incertitudes liées au contexte de forte inflation en ce qui concerne la trajectoire des lignes budgétaires qu’elle a mentionnées. Comme mes collègues, je souligne qu’il est nécessaire que nous disposions bien plus en amont des annexes budgétaires, afin de poser des questions plus précises.

Je souhaite vous interroger sur les volets humain et financier de l’APD. Quels sont les moyens prévus en termes d’effectifs pour répondre aux ambitions affichées pour l’APD par la loi du 4 août 2021 ? Certes, le budget passe à près de 2 milliards d’euros en deux ans mais, pour ce qui est des emplois, le solde est négatif sur la même période : 29 ETP ont été perdus en 2022, 5 sont gagnés en 2023 ; le déficit est donc de 24 ETP. Quelle est la trajectoire prévue pour les emplois dans les années à venir ?

Du point de vue financier, une part trop faible de l’APD est financée par la TTF. Le montant annuel collecté par l’État bat régulièrement des records. Pourtant, la part destinée à la solidarité internationale reste bridée à un niveau inférieur aux besoins actuels, tandis que le taux de la taxe est inchangé depuis 2017. La modification de son taux et une affectation plus massive de cette taxe au FSD ne seraient-elles pas des mesures rapides et efficaces pour assurer le maintien de l’APD à un niveau élevé ?

Enfin, pourquoi la France mène-t-elle au Tchad une politique complaisante vis-à-vis de la junte de Déby, qui vient d’engager son pays dans une phase de transition permanente ? On a ajouté vingt-quatre mois aux dix-huit mois précédents, ce qui s’apparente désormais à une transition dynastique et pas à une transition démocratique. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont réagi. Qu’en est-il de la France ?

Mme Eléonore Caroit. Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, ancien révolutionnaire sandiniste, et la vice-présidente qui est aussi son épouse, Rosario Murillo, mènent une politique agressive, répressive et totalitaire. Des centaines d’opposants ont été abattus ou ont disparu et pas moins de 200 sont actuellement emprisonnés. Hier, la cour de justice de Managua a indiqué que deux Franco-Nicaraguayennes étaient actuellement détenues et seraient jugées pour avoir conspiré, porté atteinte à l’intégrité nationale et diffusé de fausses nouvelles. Le MEAE a affirmé suivre de très près cette situation et avoir pris contact avec les autorités nicaraguayennes. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Le réseau de l’AEFE contribue à un enseignement d’excellence à la française et constitue, je vous cite, « l’un de nos meilleurs vecteurs d’expansion de la francophonie et d’une façon de voir le monde, de nos valeurs ». Or à la suite d’un recours, l’AEFE a été contrainte de modifier dans l’urgence le décret qui régit la situation administrative des personnels détachés qu’elle emploie. Cette modification entraîne un surcoût. De manière plus générale, l’ambition de doublement des effectifs à horizon 2030 nécessite un renforcement des moyens, notamment budgétaires, de l’AEFE. Une concertation générale est très attendue sur ce sujet et devait avoir lieu en octobre. Pourriez-vous aussi nous apporter des précisions sur ce sujet ?

Enfin, je vous remercie pour les créations d’emplois dans votre ministère, une première depuis trente ans. Comment ces 106 ETP vont-ils être répartis, notamment d’un point de vue géographique ?

M. Arnaud Le Gall. Je souhaitais aborder le sujet de la réforme des corps diplomatiques mais il a déjà été largement évoqué. Ce n’est pas hors sujet par rapport à l’examen du PLF pour lequel nous sommes réunis. Les budgets n’ont un sens que s’il y a des gens pour les mettre en œuvre. Contrairement aux libéraux, je pense que la destruction est rarement créatrice.

Le budget prévu pour l’action extérieure de la France bénéficie d’une très légère hausse au regard de l’inflation, mais d’une hausse malgré tout. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette augmentation des moyens, qui suit la précédente, était nécessaire, compte tenu de la saignée opérée au cours des trente dernières années. Pourtant, cette hausse ne doit pas empêcher de poser certaines questions de fond. L’an dernier, les 43 ETP qui avaient été créés portaient, sauf erreur de ma part, sur des postes d’apprentis. J’ai beaucoup de respect pour ces derniers et pour l’apprentissage, mais il n’en reste pas moins que ce ne sont pas des postes de diplomates occupant des postes à responsabilités et qu’il ne s’agit pas d’emplois pérennes. Quelles sont la nature et la répartition géographique des 106 ETP qui vont être créés ?

Pour revenir rapidement sur la situation au Sahel, nous avons condamné les tentatives inacceptables d’intrusion dans notre ambassade au Burkina Faso. Nous ne sommes pas dupes des propagandes qui sont menées, par les uns et par les autres. Il n’en reste pas moins que ces propagandes n’auraient aucune prise si notre action n’avait pas fait preuve de certains errements. Va-t-on assister à une révision profonde de la stratégie française au Sahel dans les mois qui viennent ?

Mme Sabrina Sebaihi. Je souhaiterais vous alerter sur le cas de M. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien et défenseur des droits humains, en détention administrative en Israël de manière totalement arbitraire depuis mars 2022. Il est soumis à l’isolement et ne peut voir ni sa femme, ni ses enfants. L’acharnement israélien à son encontre lui a déjà fait perdre huit ans de sa vie dans les geôles de ce pays. L’ambassadeur de France en Israël, Éric Danon, et les services consulaires sont engagés pour soutenir cet homme. Cependant, la grève de la faim qu’il a entamée il y a dix jours pour réclamer le respect de ses droits l’a considérablement affaibli. Deux mesures d’urgence s’imposent. La première est de faire en sorte que Salah Hamouri accède en détention à des ressources de sucre et de sels minéraux. La seconde est de s’assurer qu’il ne soit plus placé à l’isolement.

Par ailleurs, je m’étonne que la France n’ait encore jamais réclamé clairement sa libération. Au vu des efforts de terrain restés lettres mortes, une prise de position publique du Gouvernement serait de nature à affirmer notre fermeté vis-à-vis de l’État d’Israël. Celui-ci méprise une fois de plus les droits humains des militants palestiniens. Que comptez-vous faire ?

Mme Ersilia Soudais. Je me joins également à ces propos sur Salah Hamouri, qui depuis près de vingt ans subit le harcèlement de l’État d’Israël : ce n’est rien pour un État, mais c’est une éternité pour un homme.

Il mène une grève de la faim depuis le 25 septembre 2022, avec vingt-neuf autres prisonniers politiques. Pour le punir, il a été placé à l’isolement dans une cellule de quatre mètres carrés sans fenêtre, avec seulement un matelas et des toilettes. Il n’a pas le droit de sortir, ni de voir la lumière du jour. Salah Hamouri est amaigri, affaibli et souffrant. On refuse de lui donner du sel, qu’il est vital de consommer pendant une grève de la faim. La santé de notre compatriote ne cesse de se dégrader. Aussi avons-nous été contraints de vous interpeller, par voie de communiqué, puis à vous adresser une demande urgente d’audience. Nous vous remercions d’ailleurs, madame la ministre, pour la rapidité de votre réponse. Nous espérons qu’une date de rendez-vous nous sera très vite communiquée.

Salah Hamouri est un symbole de tous ces Palestiniens opprimés par l’État d’Israël, qu’un rapport d’Amnesty International a associé en février 2022 au système de l’apartheid. Salah Hamouri est aussi le symbole de ces familles que l’on brise, par racisme et par mépris des droits humains. Enfin, parce qu’il est notre compatriote, il est le symbole d’une France qu’on humilie au-delà de ses frontières. Ainsi, pour avoir écrit au président de la République française le 14 juillet 2022, Salah Hamouri a été transféré à Hadarim, une prison de haute sécurité.

La pression diplomatique de la France est-elle à la hauteur ou les autorités israéliennes nous baladent-elles en jouant la montre, le temps jouant contre Salah Hamouri ? Nous ne pouvons pas nous résoudre à attendre sa mort pour que la France hausse le ton. En répondant rapidement à notre courrier, vous semblez indiquer que vous prenez la mesure de l’urgence de la situation. Quelle mesure concrète envisagez-vous de prendre pour que l’État d’Israël respecte les droits de notre compatriote à vivre librement, où il le désire, entouré de sa famille ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez bien perçu madame la ministre combien cette commission est inquiète non pas sur le budget mais sur les évolutions de la situation internationale et sur la manière pour la France d’y faire face. Le dialogue que nous aurons lors des prochaines semaines sera donc des plus soutenus.

Mme Catherine Colonna, ministre. Monsieur Metzdorf, les États membres du Forum des îles du Pacifique (FIP) ont été conviés par le président américain à Washington à la fin du mois de septembre 2022. La France n’est pas membre du FIP. En revanche, elle a obtenu en 2016 que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française puissent en devenir membres à part entière et être ainsi mieux insérées dans leur environnement. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, que nos territoires ont été invités par les États-Unis. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, j’ajoute que c’est bien par l’intermédiaire de l’État français que cela a été fait. La France a autorisé les gouvernements de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française à se rendre à Washington pour participer à cette réunion. Il n’y a donc pas d’atteinte à la souveraineté de l’État, avec laquelle nous ne saurions transiger.

Monsieur Seitlinger m’a interrogée sur les questions immobilières. Si l’on prend un peu de recul, on peut relever qu’au cours des dix dernières années le MEAE a procédé à 188 cessions, pour un montant de 789 millions d’euros. Sur ce total, 200 millions d’euros ont contribué au désendettement de l’État. Cette politique de cessions est aujourd’hui moins dynamique, d’abord parce qu’il y a moins de biens à vendre, ensuite parce que le marché immobilier est plus déprimé, ce qui rend les ventes moins intéressantes. Nous ne pouvons pas compter sur une ressource aléatoire pour répondre à des besoins permanents d’entretien des ambassades et résidences. C’est la raison pour laquelle le ministère a obtenu, grâce à la représentation nationale, un renforcement significatif de ses crédits budgétaires. Pour la troisième année consécutive, notre dotation augmente. Elle est aujourd’hui portée à presque 57 millions d’euros en AE. Cette tendance devra être confortée à l’avenir car nos besoins restent importants à l’étranger. Ils sont estimés non pas à 57 millions d’euros par an mais plutôt à 80 millions d’euros. Il y a donc encore beaucoup à faire.

Concernant l’autre volet de ce dossier des cessions de biens à l’étranger, nous devons encore récupérer 36 millions d’euros de versements issus du CAS 723. L’arbitrage rendu par nos autorités a été favorable. Nous attendons donc la fin de gestion pour les récupérer, comme il se doit. Je n’ai pas manqué de le rappeler à mon collègue ministre délégué chargé des comptes publics.

Madame Abomangoli, le programme 209 dispose de 1 458 ETP en 2022. Les choix de répartition pour 2023 seront examinés lors des réunions de programmation avec la direction des ressources humaines du ministère, au plus près des besoins. Il faudra prendre en compte l’augmentation de l’APD, et donc le besoin de personnel qualifié pour la mettre en œuvre. Tous les choix ne sont pas encore faits. J’en reste à me réjouir de cette augmentation des effectifs du ministère, la première depuis trente ans.

Quant à la TTF, comme j’ai pu le dire à monsieur Julien-Laferrière, ce qui compte n’est pas d’où viennent les crédits mais qu’ils arrivent et qu’ils augmentent.

Nous suivons de très près la situation de nos deux compatriotes au Nicaragua, Madame Caroit. L’ambassade de France et les autorités françaises à Paris sont mobilisées. Nous avons déposé une demande d’accès consulaire à ces deux ressortissantes, cet accès étant garanti par la convention de Vienne.

Quant à l’AEFE, elle a réformé le statut de ses personnels expatriés et ses modalités de recrutement. C’est donc une avancée par rapport à la situation que vous avez évoquée. On peut s’en réjouir collectivement, en premier lieu pour les personnels concernés. Cette réforme entraîne un surcoût pour l’AEFE, que l’on évalue à environ 15 millions d’euros pour 2023. Le MEAE soutiendra l’AEFE en prenant en charge près de la moitié de cette somme, soit 7 millions d’euros.

Monsieur Le Gall, la répartition précise des 100 emplois créés cette année n’est pas encore finalisée, au-delà de la répartition générale de deux-tiers d’emplois à l’étranger et d’un tiers en France. J’éviterai le saupoudrage, au demeurant difficile au vu du nombre d’emplois créés. Toutes les catégories sont concernées par ces nouveaux postes de titulaires, en France et à l’étranger, expatriés et recrutés locaux. Permettez-moi de réserver les choix finaux à la direction des ressources humaines et à la direction générale de l’administration et de la modernisation du ministère.

Nous suivons le cas de notre compatriote Salah Hamouri depuis le départ, et pas seulement depuis la lettre que vous m’avez adressée, Madame Soudais. La diplomatie française a multiplié les contacts à tous les niveaux – à Paris, à Tel Aviv et à Jérusalem –, afin d’obtenir des explications et des assurances sur ses conditions de détention. Notre droit de visite consulaire a déjà été exercé à cinq reprises depuis le mois de mars, tandis que la famille de M. Hamouri a été reçue à de nombreuses reprises au Quai d’Orsay ; ce fut le cas hier encore.

Pour le reste, je ne commenterai pas vos propos sur la nature de l’État d’Israël, afin de ne pas avoir à m’en distancier.

J’indiquerai néanmoins que nous évoquons bien entendu la situation de M. Hamouri avec les autorités israéliennes. Le président de la République, lui-même, l’a fait lorsqu’il a reçu le premier ministre Lapid, il y a très peu de temps.

M. Hamouri doit être libéré. Il doit pouvoir mener une vie normale, là où il le souhaite, y compris à Jérusalem, où il est né et où il réside. Ses enfants et son épouse doivent en outre pouvoir s’y rendre et le retrouver. C’est ce que nous ne cessons de dire aux autorités de l’État d’Israël, y compris au plus haut niveau.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame la ministre, je formulerai trois remarques.

La première est que cette commission est convaincue que la France doit disposer d’un service diplomatique à caractère universel et convenablement doté. Nous estimons que l’avantage qu’en retire la France en matière d’image et d’influence sur tous les continents excède très largement les dépenses engagées.

La deuxième est que nous avons été très choqués par la politique immobilière menée par le passé – et heureusement interrompue par M. Jean-Yves Le Drian –, qui consistait à vendre des actifs appartenant à la France, à verser le produit de ces ventes au budget général pour financer le déficit, et à présenter cela comme une mesure de rigueur financière. Il s’agissait en réalité d’un appauvrissement puisque nous perdions des actifs immobiliers, qui disparaissaient dans un puits sans fond. Nous sommes heureux que ce soit terminé et nous voulons désormais inverser la tendance. Des bâtiments historiques qui contribuaient à l’image de la France ont été perdus.

Troisièmement, nous estimons qu’il n’est pas possible d’imaginer faire des économies de gestion sur un budget aussi limité que celui du Quai d’Orsay car on arrive tout de suite à l’os et cela aboutit à des désastres. Conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, je suis très attaché aux efforts de réduction de la dépense publique, mais comme le disait Georges Marchais : « Il faut prendre l’argent là où il est ».

 

II.   présentation de l’avis devant la commission des affaires étrangères et examen des crédits

Au cours de sa réunion du mercredi 12 octobre 2022, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Les montants inscrits dans le PLF pour 2023 au titre de la mission Aide publique au développement (APD) s’élèvent à 5,9 milliards d’euros au total, soit une hausse de 800 millions d’euros. Au sein de cette enveloppe, les dotations inscrites dans le programme 209, plus particulièrement piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, s’établissent à 3,3 milliards.

Vous avez choisi, madame la rapporteure pour avis, de consacrer la partie thématique de vos travaux à l’importante question de la sécurité alimentaire. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’en 2021, près de 2,3 milliards de personnes se trouvaient déjà en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, soit 29,3 % de la population mondiale.

Dans ce contexte, l’initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), prise par les autorités françaises à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine mais aussi à cause du changement climatique, n’a que plus d’importance pour aider à répondre aux urgences, réguler en anticipant les crises alimentaires et accroître les capacités endogènes de production des pays en développement.

J’indique à la commission que le groupe de la gauche démocrate et républicaine-NUPES (GDR-NUPES), par la voix de monsieur Jean-Paul Lecoq, a décidé de présenter une contribution écrite sur cette mission budgétaire. Je rappelle en effet que les deux groupes politiques qui n’ont pu désigner cette année de rapporteur pour avis, à savoir les groupes GDR-NUPES et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), se sont vus reconnaître par le bureau de notre commission cette possibilité, en annexe au rapport pour avis de leur choix.

Mme Nadège Abomangoli, rapporteure pour avis. Je suis heureuse de vous présenter le fruit de plusieurs semaines de travail au cours desquelles j’ai procédé à une douzaine d’auditions et eu des échanges fournis avec une trentaine d’interlocuteurs. Je salue la disponibilité et l’implication de l’ensemble des personnes auditionnées.

L’insécurité alimentaire n’est pas une problématique nouvelle, mais ses effets ont été démultipliés ces derniers mois à l’échelle mondiale – d’où l’initiative FARM.

Nous avons transmis l’été dernier un questionnaire à nos interlocuteurs institutionnels. À ce jour, le taux de réponse est de 46 %, ce qui peut s’expliquer par le manque dramatique d’effectifs dans les ministères…

La mission APD se compose de deux programmes principaux : le programme 110, Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le programme 209, Solidarité à l’égard des pays en développement, piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes augmentent de plus de 17 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, pour atteindre 5,77 milliards d’euros.

Le programme 110 connaît en particulier une très forte augmentation, de 46 %, des autorisations d’engagement concernant l’aide bilatérale. Cette hausse traduit le choix fait par la France de maintenir des taux d’emprunt très bas pour les prêts qu’elle accorde aux pays en développement, dans un contexte de remontée générale des taux qui fait que notre pays, quant à lui, emprunte beaucoup plus cher sur les marchés. Cette intention louable doit s’accompagner d’une remise en cause de la part prise par les prêts dans l’APD au détriment des dons et subventions : la France est le troisième pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à recourir à autant de prêts dans le cadre de son APD.

Le programme 110 finance par ailleurs les grandes institutions multilatérales de développement. En 2023, 39 % des crédits du programme sont destinés à l’association internationale de développement (AID), institution de la Banque mondiale qui accorde des prêts concessionnels et des dons aux pays les plus pauvres. Cela vient du fait qu’il a été décidé d’avancer d’une année la reconstitution de l’AID, si bien que 2023 verra coïncider le dernier versement de la précédente reconstitution et le premier versement de la nouvelle reconstitution. C’est également le programme 110 qui porte la rémunération de l’Agence française de développement (AFD), qui reste stable, à 7 millions d’euros.

Les crédits du programme 209 augmentent de 12 % en crédits de paiement, ce qui les porte à 3,436 milliards, et de 26 % en autorisations d’engagement, à hauteur de 4,055 milliards. On peut noter avec satisfaction l’augmentation des fonds consacrés à l’aide humanitaire, que celle-ci intervienne dans un cadre bilatéral ou dans le cadre multilatéral des Nations Unies. Ils atteignent 642 millions d’euros, contre 500 millions en 2022.

La pérennisation de la « provision pour crises majeures », dont les crédits sont portés à 270 millions d’euros, me paraît aussi une très bonne chose. Cette provision permettra à la diplomatie française d’être réactive, grâce à des moyens massifs, face à l’irruption de crises graves. Celles-ci se multiplient, notamment à cause de décennies d’inaction climatique. On peut aussi relever, parmi les points positifs, l’augmentation des crédits destinés à soutenir les projets mis en œuvre par les ONG françaises et internationales et par les acteurs de la coopération décentralisée. Elle était demandée dans la loi du 4 août 2021.

Cette même loi est à l’origine du nouveau programme Restitution des « biens mal acquis », qui apparaît dans le budget depuis l’année dernière. Il est destiné à recevoir les fonds issus de la cession de biens saisis par la justice, afin de financer des projets de développement dans les pays concernés. Malheureusement, aucune somme n’y est inscrite dans le présent budget mais ce sera le cas lorsque les procédures judiciaires en cours auront définitivement abouti – on ne sait quand.

Les crédits de la mission APD sont complétés par les recettes du fonds de solidarité pour le développement, doté de 738 millions d’euros, dont 528 millions proviennent de la taxe sur les transactions financières. Le maintien de ce plafonnement à 528 millions d’euros pose d’ailleurs question s’agissant d’une taxe dont les recettes ont fortement augmenté.

J’en viens au sujet que j’ai souhaité approfondir dans mon avis budgétaire : l’insécurité alimentaire.

La lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition est citée parmi les tout premiers objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales mentionnés à l’article 1er de la loi du 4 août 2021. Or, en la matière, tous les indicateurs sont au rouge. En 2021, 828 millions de personnes, soit pas moins de 9,8 % de la population mondiale, ont souffert d’insécurité alimentaire chronique. La FAO estime que la guerre en Ukraine pourrait se traduire par un accroissement supplémentaire de 8 à 13 millions du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Ce sont 205 millions de personnes qui sont en situation de crise alimentaire aigüe. Plus de la moitié des personnes sous-alimentées vivent en Asie et plus du tiers en Afrique. Sur le continent africain, une personne sur cinq a été confrontée à la faim en 2021. La situation est dramatique dans une bande qui va du Sénégal à la Somalie.

Au Burkina Faso, 3,5 millions de personnes se trouvent en insécurité alimentaire, dont 630 000 en insécurité alimentaire aiguë. Nous avons auditionné l’ambassadeur de France au Burkina Faso ainsi que la conseillère de coopération et d’action culturelle et le directeur de l’AFD sur place. Le taux de malnutrition des enfants de moins de cinq ans y est passé de 7,5 % en 2019 à 9,7 % aujourd’hui. La situation institutionnelle risque d’aggraver les choses : les problèmes sécuritaires sont un accélérateur d’insécurité alimentaire du fait de l’abandon des terres agricoles, de la mise en péril des stockages, de la perturbation de l’approvisionnement et des échanges commerciaux et des réquisitions par des groupes armés.

Toutes les personnes que nous avons auditionnées ont rappelé que la crise alimentaire mondiale a commencé bien avant l’invasion de l’Ukraine, même si celle-ci en a constitué un facteur aggravant, révélant la dépendance aux importations de blé ou de maïs, mais aussi de gaz et de pétrole pour l’acheminement des engrais. Entre 2014 et 2021, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire grave dans le monde a augmenté de plus de 350 millions.

Les causes de l’insécurité alimentaire sont profondes et structurelles. Elles tiennent en partie aux événements climatiques extrêmes, en lien avec le changement climatique, mais surtout à une fragilité économique structurelle dans les territoires ruraux de certains pays, souvent exacerbée par les conflits. Ainsi, dans la plupart des pays en développement, l’insécurité alimentaire, d’abord rurale, renvoie à la crise de l’agriculture paysanne, à sa faible productivité, à des prix agricoles insuffisants et au manque de soutien de la part des autorités publiques locales.

L’action de la France pour lutter contre l’insécurité alimentaire peut être soulignée, aussi bien sur le plan budgétaire, avec les programmes 110 – qui abonde le fonds international de développement agricole (FIDA) – et 209 – qui profite au Programme alimentaire mondial (PAM) et à la FAO –, que par le biais des différents opérateurs : l’AFD, Expertise France ou le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), organisme français qui œuvre pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes.

Concernant l’initiative FARM, lancée lors de la présidence française de l’Union européenne, en mars 2022, la rapidité de son lancement est à saluer mais les résultats concrets se font attendre. De plus, la multiplication d’initiatives concurrentes, dont témoignent celles de l’Allemagne et des États-Unis, laisse perplexe : il faudrait les coordonner. Surtout, il faudra observer leurs orientations et leur contenu politique.

La réponse au défi de la sécurité alimentaire ne saurait en effet être seulement technique. Il s’agit de savoir comment nous concevons les relations entre les États les plus riches et les États en développement et comment doivent être répartis les revenus et les ressources productives. J’évoque, dans mon avis budgétaire, plusieurs pistes pour changer d’échelle dans notre réponse au défi de la sécurité alimentaire.

Je propose de réorienter notre aide vers la promotion d’une agroécologie locale et durable, tournée vers la restauration des sols et la diversification des semences. Il me paraît aussi essentiel d’aider nos partenaires du Sud à renforcer leur souveraineté alimentaire et à mieux protéger leurs marchés – un aspect souligné par plusieurs de nos interlocuteurs –, grâce à la possibilité de pratiquer des politiques de stockage et de prélèvements douaniers sur certaines importations, à un niveau suffisant pour protéger les productions locales face aux géants de l’exportation. Actuellement, les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’autorisent pas les systèmes de prélèvements variables.

On ne peut non plus esquiver la question fondamentale de la spéculation. C’est un fait incontestable que la flambée des prix de février-mars 2022 était liée à un afflux massif de fonds spéculatifs ayant misé sur la hausse des cours des matières premières agricoles. Des solutions de régulation existent.

Enfin, si nous voulons discuter de sécurité alimentaire mondiale, il y a une enceinte à privilégier : le comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies, où l’on donne la parole aux organisations de la société civile et aux organismes de recherche et où l’on est plus préservé qu’ailleurs des pressions intéressées.

Ne répétons pas les mêmes erreurs que lors des crises alimentaires de 2008 et de 2011 et donnons-nous les moyens de relever le défi d’une subsistance alimentaire digne et saine pour tous.

L’augmentation des crédits de l’aide publique au développement, en conformité avec les objectifs fixés par le législateur dans le texte fondateur de 2021, m’incite à vous recommander de donner un avis favorable à leur adoption. Toutefois, je vous invite aussi à la vigilance.

D’abord, concernant la poursuite des efforts tendant à atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l’aide publique au développement en 2025. Nous y serons d’autant plus attentifs que ce ratio a reculé entre 2020 et 2021, passant de 0,53 % à 0,52 %, et que le Gouvernement laisse planer un doute quant à l’atteinte effective de l’objectif de 0,55 % en 2022.

Ensuite, quant à ce qui sera décidé pour prendre à bras le corps le problème de la crise alimentaire. L’aide humanitaire ne suffit pas et ne résout pas les problèmes à leur racine. Le temps long compte car la sécurité alimentaire est étroitement liée au développement agricole, moins rapidement visible que le développement d’infrastructures. Il y a des raisons politiques à l’insécurité alimentaire – le sous-emploi, la pauvreté –, qui appellent des solutions politiques. La lutte contre les inégalités est d’ailleurs le leitmotiv de toutes celles et ceux que nous avons rencontrés.

Les orientations du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), annoncé pour février ou mars 2023, seront un indicateur décisif. Nous espérons que la sécurité alimentaire, qui ne faisait pas partie des cinq secteurs prioritaires définis par le CICID en 2018, y figurera en 2023.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’enjeu alimentaire est l’un des grands sujets sur lesquels nous souhaitons travailler au sein de la commission. Votre avis budgétaire représente une introduction utile et bienvenue à ces travaux.

Mme Chantal Bouloux (RE). Le budget de la mission interministérielle Aide publique au développement connaît une augmentation significative et continue depuis le début du précédent quinquennat. Les deux principaux programmes de la mission APD devraient ainsi atteindre 5,9 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 17 % par rapport à 2022 et un doublement des crédits par rapport à 2017. Cette évolution est le fruit d’un souhait exprimé par le président de la République dès son élection et réaffirmé, il y a quelques mois, devant nos compatriotes.

Le conflit déclenché aux portes de l’Europe par le régime russe illustre parfaitement le changement d’époque. Il nous impose de manifester notre pleine solidarité avec la nation ukrainienne, ce qui suppose que les moyens financiers soient à la hauteur de nos engagements. Tel est le sens de l’augmentation significative des fonds d’aide humanitaire et des provisions pour crise.

Les 75 millions d’euros alloués à l’initiative FARM élaborée par la France en réponse à l’aggravation de l’insécurité alimentaire mondiale provoquée par la guerre en Ukraine en sont une parfaite illustration. De manière générale, la crise du Covid a démontré l’impérieuse nécessité de penser à l’échelle internationale nos réponses aux crises, qu’elles soient sanitaires, énergétiques ou même militaires. Face à des crises d’une forme et d’une ampleur nouvelles, l’efficacité de la réponse implique la concertation, l’association et la solidarité de la communauté internationale avec les pays exposés en première ligne.

S’il répond à un nécessaire et louable élan de solidarité, le travail en liaison avec les pays en voie de développement revêt en outre une dimension stratégique, à laquelle la France prend toute sa part en menant une politique d’aide au développement ambitieuse. Si les pays les plus fragiles sont souvent les premiers à être touchés par les crises, ils sont également les premiers à devoir être aidés à travers une politique de prévention efficace, de manière à éviter que les crises ne s’étendent à l’échelle mondiale et nous frappent à notre tour. C’est pourquoi le projet de budget prévoit une augmentation de la contribution française aux institutions multilatérales œuvrant pour la promotion d’un accès universel à la santé, telles que le fonds mondial de lutte contre le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA), la tuberculose et le paludisme, ou en faveur de la défense du climat.

Chers collègues, en votant en faveur de l’adoption des crédits de cette mission, nous donnerons à la France les moyens nécessaires au rayonnement de sa diplomatie à travers le monde. Soyons-en fiers, et dignes.

Mme Marine Hamelet (RN). Un mois après l’audition de M. Rioux, directeur général de l’AFD, notre commission est de nouveau appelée à se pencher sur la thématique de l’aide au développement. Le Gouvernement nous demande d’augmenter son montant à plus de 8 milliards d’euros immédiatement disponibles sous la forme d’autorisations d’engagement.

Nombreuses sont les questions qui restent sans réponse. Pourquoi l’aide au développement n’est-elle pas rattachée à un ministère soumis à des exigences de transparence ? Comment s’assurer que les pays aidés ne détournent pas une partie des financements ? Pourquoi n’y a-t-il aucun contrôle, aucun bilan des actions menées ? Au nom de quoi devrait-on accepter que l’État dépense plus pour les étrangers, au moment même où les Français souffrent d’une crise de l’énergie sans précédent ? Pourquoi aider des pays qui refusent de coopérer avec la France sur d’autres dossiers, notamment sur le dossier migratoire ? Et que dire du versement de cette aide à des pays que l’on ne peut plus considérer comme étant en voie de développement ? Nous avons ainsi versé une aide de 140 millions d’euros à la Chine en 2020 ! Ce n’est pas sérieux. On dilapide l’argent des Français au moment où ils en ont le plus besoin. Ces aides sont un gouffre financier. D’ailleurs, la Cour des comptes critique les objectifs peu réalistes, trop nombreux et pas assez hiérarchisés de l’aide au développement.

Les crédits de la mission Aide publique au développement augmenteraient spectaculairement de plus de 1 milliard d’euros par rapport à l’année précédente, au moment même où nos concitoyens ne sont pas assurés de passer l’hiver au chaud ! Notre groupe politique s’interroge sur le sens des priorités de l’exécutif.

Le Rassemblement national considère comme louable la volonté d’améliorer les conditions de vie des étrangers si leur pays est pauvre, mais pas lorsque celles des Français se détériorent et qu’il est urgent de les améliorer. De surcroît, le contexte géopolitique défavorable provoque un fort ressentiment à l’égard des pays occidentaux, en particulier en Afrique envers la France, et des répercussions négatives sur l’image de notre pays à l’international.

J’appelle en outre votre attention sur le fait que les crédits de cette mission ne représentent qu’une partie du montant total de l’aide française. Celle-ci s’élevait l’année dernière, selon l’OCDE, à plus de 15 milliards de dollars, dont seulement 42 % étaient distribués par l’AFD. N’oublions pas enfin que les projets aidés bénéficieront toujours d’autres financements, notamment européens, auxquels la France contribue déjà généreusement, comme nous l’avons vu lors de l’examen pour avis de l’article 25 du PLF.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national votera contre l’augmentation des crédits de la mission Aide publique au développement.

M. Michel Herbillon (LR). Merci, madame la rapporteure, pour votre travail extrêmement intéressant sur l’aide alimentaire.

Je veux signaler, en préambule, les conditions dans lesquelles la représentation nationale est appelée à examiner le projet de loi de finances pour 2023. Mardi dernier, notre commission auditionnait la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, sur le projet de loi de finances alors que nous ne disposions même pas des bleus budgétaires, qui furent publiés le lendemain seulement. Dans aucun Parlement au monde il ne se passe ce genre de choses. De même, les jaunes budgétaires et le projet d’avis de la rapporteure ne nous ont été communiqués que lundi, soit moins de quarante-huit heures avant l’examen du texte. Je ne mets pas en cause notre rapporteure, mais la rapidité avec laquelle les parlementaires doivent étudier ce projet de loi de finances est parfaitement déraisonnable. Cela affaiblit grandement notre capacité à remplir notre mission cruciale de contrôle du Gouvernement, à laquelle vous êtes, monsieur le président, si attaché. Si nous ne pouvons la mener à bien, c’est la négation même de l’Assemblée nationale.

Cela ayant été dit, le groupe Les Républicains se réjouit de constater que l’augmentation des crédits de la mission Aide publique au développement est conforme aux objectifs définis par la loi du 4 août 2021, qui avait été, je le rappelle, adoptée à l’unanimité. Les membres du groupe Les Républicains avaient largement participé aux discussions et contribué à la formation de cette unanimité.

La ministre de l’Europe et des affaires étrangères a annoncé, à l’occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, que les priorités politiques, sectorielles et géographiques de la politique de développement seraient réaffirmées ou réévaluées à l’occasion du CICID prévu au début de l’année 2023. À cet effet, il me semble que la politique de la France en matière d’aide publique au développement doit être profondément réévaluée au regard de la situation internationale. Les événements survenus récemment au Mali et au Burkina Faso doivent conduire le comité interministériel à revoir son action en direction de ces pays devenus résolument hostiles à la France, tout en prenant évidemment en considération les conséquences que cela pourrait avoir pour les populations locales.

Autre sujet qui avait été évoqué lors de l’examen du projet de loi et auquel le groupe Les Républicains est extrêmement sensible : la conditionnalité de l’aide publique au développement à la délivrance de laissez-passer consulaires. Cela fait longtemps que nous l’appelons de nos vœux et cette mesure est plus que jamais d’actualité.

Je voudrais pour terminer soulever une fois de plus la question de l’efficacité et de la transparence des aides versées par la France. L’indice de la transparence de l’aide 2022 de Publish What You Fund, qui évalue la transparence des cinquante plus grands organismes d’aide, ne classe l’AFD qu’au vingt-huitième rang. Ce n’est pas terrible ! Enfin, nous attendons toujours l’installation de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement, qui devait être effective cet automne. Madame la ministre l’avait annoncée pour octobre : nous y sommes.

Nonobstant ces attentes, le groupe Les Républicains émettra un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.

Mme Laurence Vichnievsky (DEM). Notre groupe se réjouit, comme beaucoup dans cette commission, de l’augmentation de l’enveloppe budgétaire consacrée à l’aide publique au développement. C’était une promesse du président Emmanuel Macron et elle a été tenue, puisque les crédits sont en hausse de 15,7 %. Grâce à la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, du 4 août 2021, nous devrions assister à une croissance régulière de ce budget. Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD en 2025.

Pour l’année 2023, il faut saluer les efforts consentis, notamment pour le programme Solidarité à l’égard des pays en développement, mis en œuvre par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Les fonds dédiés à l’aide humanitaire augmentent en particulier : ils représenteront au minimum 642 millions d’euros. Cette enveloppe permettra notamment de soutenir les fonds humanitaires des Nations Unies et de renforcer les crédits alloués à l’initiative française FARM. Comme vous vous êtes concentrée sur l’insécurité alimentaire, madame la rapporteure pour avis, je n’insisterai pas davantage sur ce sujet, mais il y a urgence à agir compte tenu de la guerre en Ukraine.

Je souligne, en revanche, la contribution de quasiment 1,6 milliard pour le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, sur laquelle le chef de l’État s’est engagé le 21 septembre à New York, où il a appelé à un monde sans ces trois maladies d’ici à 2030. Notre contribution à ce fonds est en hausse de 300 millions d’euros par rapport à la période 2020-2022, ce qui marque la détermination de la France à atteindre notre objectif. La crise du coronavirus a beaucoup pesé sur les systèmes de santé, notamment en Afrique, en perturbant l’accès aux traitements pour ces trois maladies et en diminuant de 22 % le nombre de dépistages du SIDA. Notre groupe soutient la hausse de la contribution française, qui maintient notre pays dans sa position de premier contributeur de l’Union européenne et de deuxième donateur historique après les États-Unis.

Enfin, je voudrais évoquer le Fonds vert pour le climat, bras armé de l’accord de Paris. La deuxième reconstitution de ce fonds interviendra en 2023 et le montant de la contribution française ne sera connu qu’à l’issue des discussions qui auront lieu à ce moment‑là. Quelles sont, néanmoins, les avancées qui pourraient être négociées lors de la prochaine conférence des parties (COP) ? Nous sommes censés mobiliser 100 milliards de dollars par an depuis 2020 pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique mais nous n’y sommes pas. Malgré cette réserve, le groupe Démocrate est évidemment favorable aux crédits de la mission Aide publique au développement.

M. Guillaume Garot (SOC). Je salue la qualité de votre travail, madame la rapporteure pour avis.

Nous partageons l’inquiétude que vous avez exprimée concernant le montant global des crédits de la mission. Malgré leur hausse nominale, on s’écarte de la cible fixée l’an dernier par la loi de programmation. Par ailleurs, on ne peut pas dire qu’on ait le cœur sur la main en matière d’aide au développement dès lors qu’on signe des accords commerciaux qui contreviennent aux objectifs fixés. Si l’on n’est pas capable de mettre en accord ce qu’on dit et ce qu’on fait, on n’est pas crédible aux yeux des partenaires avec lesquels on doit engager des coopérations. Il faut également être exigeant en matière de fléchage. Dans le monde plus juste que nous souhaitons, et qui doit en particulier permettre aux producteurs de vivre dignement de leur travail, il faut veiller à ce que les agriculteurs bénéficient réellement du partage de la valeur.

J’objecterai enfin à l’oratrice du groupe Rassemblement national, pour conclure, qu’on ne doit pas couper le robinet de l’aide au développement. On ne s’en sort jamais seul, on a toujours besoin des autres. Face aux défis climatiques, économiques, alimentaires et agricoles qui sont les nôtres, il faut des coopérations beaucoup plus étroites entre les peuples de notre planète. Je crois à la solidarité : plus c’est dur pour chacun, plus on a besoin des autres et plus il faut être solidaire.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Dans cette période où les crises internationales se superposent, on ne peut que saluer la hausse de l’enveloppe budgétaire consacrée à l’aide publique au développement. Cet effort confirme la place de la France parmi les cinq premiers bailleurs de fonds mondiaux. L’augmentation des crédits prévus pour 2023 s’inscrit dans le cadre fixé par la loi de programmation du 4 août 2021 et permet d’envisager la réalisation de l’engagement de la France de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement. Cette volonté est d’autant plus importante que nous devons agir, avec les autres États européens, pour bâtir une alternative aux nouvelles routes de la soie chinoises et aux investissements américains. Le groupe Horizons et apparentés votera donc en faveur de cette mission budgétaire mais restera attentif à la question des crises alimentaires, qui a été soulignée par madame la rapporteure pour avis.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Je remercie la rapporteure pour avis pour la grande qualité de son travail et pour son développement sur l’insécurité alimentaire. C’est un enjeu dont nous devons tous nous préoccuper.

Nous saluons l’augmentation des crédits de paiement de ce budget, dont nous espérons qu’elle se poursuivra les années suivantes. S’agissant des axes prioritaires, la mise en place d’un fonds de provision pour crises majeures est également une très bonne chose. On voit avec la crise en Ukraine que la France doit se doter de moyens pour répondre à l’insécurité dans le monde et être en mesure de venir en aide à ceux qui seraient frappés par une crise soudaine et imprévue – on pourrait également citer, à ce titre, la crise du Covid. Globalement, l’évolution et l’attribution des crédits de l’aide au développement s’inscrit dans une logique positive.

Selon les experts qui essaient d’anticiper les catastrophes liées au changement climatique, lesquelles s’accompagneront de grands mouvements de population, ce sont avant tout les pays du Sud qui seront touchés. En la matière, la France n’a pas pleinement joué son rôle. En 2009, les pays développés s’étaient engagés à transférer 100 milliards de dollars par an aux pays vulnérables pour les aider à faire face au dérèglement climatique, étant précisé que ces pays ne sont pas ceux qui contribuent le plus à ce phénomène. L’Afrique ne représente ainsi que 4 % des émissions de gaz à effet de serre. D’après un nouveau bilan de l’OCDE, malgré une augmentation globale de 4 % des financements depuis 2019, et de 40 % pour l’adaptation au changement climatique, il manque toujours plus de 16 milliards.

Je reviens également sur le Fonds vert pour le climat, instrument essentiel de l’accord de Paris car il est la principale source de financement pour la lutte contre les changements climatiques. Jusqu’à présent, ce fonds a financé 173 projets, représentant 8,4 milliards de dollars d’engagements qui ont permis de mobiliser globalement 30,3 milliards de financement, afin d’éviter l’émission de 1,8 milliard de tonnes de CO2. On peut s’en féliciter, mais nous avons besoin d’aller vraiment beaucoup plus loin.

Selon une récente étude de la Banque mondiale, 5 % des flux d’aide au développement sont détournés vers des comptes offshore abrités dans des paradis fiscaux. Disposons-nous à l’heure actuelle de statistiques permettant d’évaluer l’évaporation de certains crédits, y compris ceux alloués à la lutte contre le réchauffement climatique ? Quels mécanismes la France met-elle en place pour lutter contre ces détournements et comment pourrions-nous assurer un suivi plus précis de l’utilisation de cet argent ?

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le budget de l’aide publique au développement augmentera l’année prochaine de 800 millions, ce dont nous pourrions nous satisfaire si de nombreux points ne se prêtaient pas à la critique.

S’agissant de l’équilibre entre les prêts et les dons, on constate, comme toujours, que le programme 110, relatif aux prêts, concentre la plus grande partie de l’augmentation budgétaire de l’APD. Or c’est par le programme 209 que les dons et les actions les plus concrètes sont rendus possibles, comme les services sociaux ou les projets des organisations de la société civile et des ONG. Les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine ne cessent de dire que l’aide publique au développement doit servir aux États les plus fragiles.

Plusieurs collègues ont déjà parlé de la transparence de l’APD. Le pilotage de cette politique est assuré tous les cinq ans lors d’une réunion du CICID, qui fixe les grandes orientations de l’APD française. Or ce comité exclut les organisations de la société civile, les ONG et même le Parlement. La politique en matière d’APD est décidée par Matignon en lien avec les ministères, ce qui pose un problème de débat démocratique. Nous espérons que le Gouvernement finira par entendre qu’il faut de la transparence et que les décisions ne doivent pas toutes être prises par quelques-uns. Par ailleurs, alors que le CICID se réunissait presque annuellement à une époque, son rythme est devenu quinquennal. Pourquoi ? Un tel rythme nous fait totalement rater l’actualité internationale, dont chacun connaît pourtant l’intensité et la volatilité.

Ainsi, le budget de cette année aurait pu être acceptable s’il n’y avait eu ni inflation, ni guerre en Ukraine, entraînant famine et désorganisation de beaucoup de services. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a indiqué récemment que 90 % des pays avaient vu cette année leur indice de développement humain reculer, ce qui est extrêmement grave. Si ce budget est intéressant, il ignore que les besoins en matière d’aide publique au développement ont explosé. Le cadre prévu en 2018 par Matignon ne pouvait anticiper ces évolutions. Une instance d’orientation se réunissant plus souvent aurait plus de légitimité.

J’en viens aux efforts budgétaires consentis par les secteurs économiques pour faire avancer l’aide publique au développement. Tous tentent d’y contribuer, sauf un, la finance. Vous refusez obstinément de faire évoluer la taxe sur les transactions financières (TTF) en vous réfugiant derrière une hypothétique TTF européenne. Notre rapporteure pour avis sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne nous a dit à ce sujet, à l’occasion de la présentation de son avis budgétaire, qu’il faudrait attendre. Il est grand temps que la France évolue. C’est pourquoi nous proposons de porter de 0,3 à 0,7 % le taux de la taxe française, ce qui permettrait d’ajouter près de 1,5 milliard d’euros à l’aide publique au développement. Nous proposons également d’élargir l’assiette du dispositif, afin que davantage d’entreprises y soient éligibles, et de viser les transactions intrajournalières. Les leviers pour récupérer des fonds existent et il est temps d’arrêter avec votre dogmatisme ultralibéral – en disant cela, ce n’est pas à la rapporteure pour avis que je m’adresse mais à la majorité – et d’assumer de prendre de vraies décisions.

En attendant, les députés du groupe GDR ne seront pas en mesure de voter pour ce budget imaginé avant la crise et qui, par dogmatisme et opacité, n’évolue pas en fonction des urgences d’aujourd’hui.

M. Bertrand Pancher (LIOT). L’aide au développement représente pour nous à la fois la défense de notre civilisation, la défense de l’humanité et la défense de la France. Il est donc important de continuer à s’engager dans des politiques d’aide au développement très fortes. Beaucoup de pays totalitaires utilisent le prétexte de cette aide pour déstabiliser des pays, notamment francophones et ayant l’amour de la France. Il faut non seulement continuer mais aussi amplifier nos efforts.

Nous nous félicitons que nous soyons arrivés à consacrer 0,55 % du RNB à l’aide au développement, même si c’est encore insuffisant par rapport à nos engagements internationaux. Il faut veiller, par ailleurs, à faire en sorte que cette aide soit bien mise en œuvre.

Nous estimons qu’il est indispensable de continuer à augmenter très fortement la part des dons par rapport aux prêts dans notre aide au développement et de soutenir les petits projets d’aide au développement. Il n’est pas normal que l’AFD continue à concentrer ses aides sur de très gros projets car ce n’est pas ce que demandent les populations des pays en grande difficulté et ce n’est pas non plus ce qui se passe ailleurs.

De réels efforts sont nécessaires en matière de transparence. Nous l’exigeons depuis des années pour nos stratégies d’aide au développement. Quand une administration est pilotée par beaucoup de ministères, l’exercice est certes difficile mais il y va du contrôle parlementaire.

Nous souhaitons qu’on concrétise de façon très claire les objectifs de la dernière loi de programmation, que nous avons votée à l’unanimité : il faut, en particulier, conditionner vraiment nos aides à la situation des femmes et des droits de l’homme. C’est évidemment difficile mais nous devons évoluer. Rien n’a été clairement engagé dans ce domaine.

Nous souhaitons une priorisation des pays destinataires et une meilleure stratégie en matière de santé. Par ailleurs, il faut cesser certaines aides comptabilisées dans l’APD mais contreproductives.

Notre groupe déposera des amendements visant à augmenter l’aide au développement grâce à un renforcement de la TTF – car ce n’est pas un sujet tabou en matière de régulation de l’économie – et grâce à l’affectation d’une partie plus importante du produit de cette taxe aux stratégies d’aide au développement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je donne à présent la parole aux collègues qui ont souhaité intervenir à titre individuel, avant la que notre rapporteure pour avis apporte ses réponses.

M. Vincent Seitlinger. Madame la rapporteure pour avis, vous proposez notamment de favoriser une agriculture plus durable et écologique, d’œuvrer pour l’égalité hommes-femmes et de lutter pour la sécurité alimentaire. Lorsque l’on compare notre politique d’aide au développement avec celle de certains voisins européens, on voit que c’est le contrôle par le Parlement qui fait défaut chez nous. Au Royaume-Uni, il existe une commission indépendante sur l’impact de l’aide au développement ; en Allemagne, un comité parlementaire ad hoc est chargé du contrôle de cette politique. Notre ancienne collègue Bérengère Poletti avait proposé en 2018, dans un rapport, la création d’une commission indépendante sur le modèle britannique mais cette idée n’a jamais été suivie d’effet. Ne pensez-vous pas, madame la rapporteure pour avis, qu’il faudrait bouger sur cette question ?

Mme Emmanuelle Ménard. En 2019, les aides françaises au développement pour le monde francophone ne représentaient que 20,5 % des aides publiques françaises, soit beaucoup moins que les aides destinées à une douzaine de pays membres de l’Union européenne. Cette politique est contraire à toute logique économique et géopolitique, d’abord parce que les pays de l’Union européenne que nous aidons se tournent presque toujours vers l’Allemagne, dont la part de marché est d’environ 20 % quand la nôtre est d’à peu près 4 %. Les aides publiques françaises pour les pays de l’Union européenne profitent donc pleinement aux exportations allemandes. Toutes les études économiques démontrent pourtant que les échanges sont bien plus importants entre des pays et des peuples qui partagent une même langue.

Dans son discours tenu lors de la conférence des ambassadeurs de 2019, le président Emmanuel Macron avait annoncé son souhait d’un changement de méthode. Quelle sera la part des aides publiques françaises pour le monde francophone en 2023 et, si elle est évaluable, quelle sera leur efficacité ? On voit à quelle vitesse la Russie parvient à nous supplanter en Afrique subsaharienne.

M. Bruno Fuchs. Je veux féliciter la rapporteure pour avis pour la qualité de son travail et la remercier d’avoir insisté, au-delà des chiffres, sur la vision politique de l’aide au développement. Vous avez ainsi parlé, chère collègue, de l’insécurité et de la souveraineté alimentaire ou encore de la réorientation de notre aide. C’est par ce biais qu’il faut prendre la question.

Vous faites état, dans votre rapport, d’une évolution de la politique européenne en matière d’aide publique au développement, le fonds européen de développement (FED) étant appelé à s’effacer au profit de l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, le NDICI, qui fusionne une dizaine de mécanismes préexistants – cela permettra certainement une simplification. Notre contribution au NDICI étant diluée dans la contribution française au budget de l’Union européenne, la création de ce nouvel instrument est-elle de nature à favoriser une vision politique ou au contraire à diluer l’approche française et le rôle que le Parlement peut avoir ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je voudrais quant à moi faire écho à deux préoccupations qui se sont exprimées.

La première concerne les priorités données à l’aide française au développement. Je signale que cette question a fait l’objet de discussions approfondies dans le cadre de la préparation de la loi du 4 août 2021. Les priorités que nous avons souhaitées ne sont pas de nature commerciale : nous avons insisté sur les grands enjeux de développement, la situation de pauvreté de certains pays mais aussi la francophonie, parce que nous estimons que nous avons à la fois un devoir et des facilités particulières à son égard.

Vous avez également fait des observations concernant le contrôle parlementaire. Certains se sont inquiétés du fait que la politique française est menée par une agence et non par le Gouvernement. Ce qui est considéré comme une anomalie a été partiellement corrigé par la nomination d’une secrétaire d’État chargée du développement dans le gouvernement actuel. Il en résulte une sorte de situation bicéphale qui ne sera pas facile à transformer en véritable équilibre. S’agissant de la commission d’évaluation, évoquée par Michel Herbillon, nous devons être très attentifs : le Gouvernement n’a pas fait preuve jusqu’à présent de beaucoup de zèle pour créer cette instance, qui doit comprendre une représentation parlementaire. C’est par ce biais que nous devons exercer un contrôle. Différents orateurs ont également parlé de la fréquence et de l’ordre du jour des réunions du CICID : je crois qu’il faut développer cet instrument.

Il serait sans doute utile que j’adresse en votre nom à tous un courrier à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères pour rappeler ces différents points, en particulier la nécessité d’organiser, sur des bases satisfaisantes, le contrôle de l’AFD. Nous avons décidé de faire passer l’aide au développement par cette agence, c’est un choix qui a sa logique, dans laquelle nous sommes entrés en donnant notre avis sur la nomination du directeur général de l’AFD, M. Rioux, mais cette logique a aussi des contreparties en matière de contrôle, auxquelles nous avons veillé lors de l’élaboration de la loi. Le Gouvernement doit vraiment se mettre en mesure de nous permettre d’exercer le contrôle très légitime qui nous revient.

Mme Nadège Abomangoli, rapporteure pour avis. Madame Bouloux, je vous remercie pour vos observations. Je n’ai pas parlé du Covid dans ma présentation mais il est vrai qu’il a compté dans l’aggravation récente de l’insécurité alimentaire. Il en est question dans mon rapport écrit.

Madame Hamelet, l’existence de l’AFD est un état de fait mais nous pensons également que l’aide publique au développement doit être rattachée à un grand ministère. Le détachement de l’APD préfigurait, d’une certaine manière, l’affaiblissement du corps diplomatique.

En revanche, je m’inscris en faux contre votre conception de l’aide publique au développement. Comme l’a rappelé monsieur Garot, cette aide constitue aussi des partenariats dans lesquels chacun doit pouvoir se retrouver. Face à la crise climatique et sécuritaire actuelle, les interdépendances sont plus fortes que jamais et la solidarité doit être davantage de mise.

J’ai rappelé qu’il fallait exercer une vigilance sur la trajectoire budgétaire mais je ne considère pas qu’il s’agit d’un gouffre, bien au contraire.

Vous avez parlé, ainsi que monsieur Herbillon, d’un ressentiment à l’égard des Français. Je ne pense pas que notre peuple soit montré du doigt, ce n’est pas à ce niveau que se posent certains problèmes. C’est la ligne politique et diplomatique française qui est contestée.

Notre rôle en tant que députés est de regarder la manière dont les aides sont fléchées. Elles doivent aller aux populations.

Je suis d’accord avec monsieur Herbillon concernant le délai de transmission des bleus et des jaunes budgétaires.

J’ai déjà parlé du CICID, que monsieur Lecoq a lui aussi évoqué. Il est regrettable que ses réunions ne soient pas plus régulières. Il existe néanmoins une instance intermédiaire, le conseil national pour le développement et la solidarité internationale, qui s’est notamment réuni en septembre 2022. Je pense aussi que le CICID devrait préciser davantage les orientations suivies et la manière dont se coordonnent et se mobilisent l’ensemble des ministères et la société civile.

Mes différents interlocuteurs m’ont également beaucoup parlé de la transparence et de l’évaluation. S’agissant de la commission d’évaluation, nous sommes dans l’attente d’un décret pour lequel la perspective est début 2023. Les ONG ont besoin d’indicateurs fiables pour la modélisation de leurs projets et elles sont parfois très critiques à l’égard de l’AFD, dont elles estiment notamment que les bilans ne sont pas assez précis. Il existe un consensus sur la nécessité d’une amélioration de l’évaluation.

Mesdames Vichnievsky et Sebaihi ont parlé du Fonds vert pour le climat. Je pense aussi qu’il faut le renforcer mais je n’ai pas eu d’indications concernant une réorientation.

La redevabilité correspond à une demande forte des ONG. La question des détournements et celle des moyens consacrés au fonctionnement font partie des enjeux de l’évaluation. J’en ai parlé avec Expertise France, qui a notamment pour mission de réduire les doutes pouvant exister et de faire en sorte que tout se passe mieux.

La cible à atteindre doit effectivement être réaffirmée, monsieur Garot. Nous attendons beaucoup du prochain CICID. Je vous remercie d’avoir souligné la cohérence nécessaire entre les accords commerciaux et les objectifs d’aide au développement. Je ne peux également qu’être d’accord avec vous au sujet du partage de la valeur.

Je suis également d’accord avec monsieur Lecoq concernant la répartition entre les prêts et les dons, la transparence et la TTF.

Monsieur Pancher, vous avez parlé de questions de civilisation à propos de l’APD. Je rappelle que celle-ci est fondée sur des partenariats, sur un accord avec les pays bénéficiaires et sur le respect, y compris des cultures et des goûts locaux.

Il se trouve que l’aide publique au développement coïncide avec la francophonie. Je n’ai pas d’indicateurs à ce sujet mais je souligne que notre action en matière de développement agricole repose sur le CIRAD, qui a une expertise longue de plusieurs décennies parce que la France était déjà présente dans un certain nombre de pays africains.

Je souscris à l’ensemble des observations portant sur le contrôle parlementaire, qui est un sujet qui me tient à cœur. L’Assemblée nationale est représentée au conseil d’administration de l’AFD mais ce n’est pas suffisant.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie. Cette discussion a vu se dégager un certain nombre de préoccupations auxquelles il faudra répondre.

*

Article 27 et état B : Crédits du budget général

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Aide publique au développement non modifiés.

 


   Liste des auditions menÉes par lA rapporteurE


([1]) Loi n° 2021­­-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

([2]) FAO, The state of food security and nutrition in the world 2022, https://www.fao.org/3/cc0639en/online/sofi-2022/food-security-nutrition-indicators.html

([3]) Eric Toussaint et Omar Aziki, La crise alimentaire internationale et les propositions pour en sortir, 5 septembre 2022, site du CADTM, https://www.cadtm.org/La-crise-alimentaire-internationale-et-les-propositions-pour-en-sortir

([4])  La totalité de cet effort est retracée dans le document de politique transversale intitulé « Politique française en faveur du développement ».

([5]) Projet annuel de performance « Aide publique au développement » annexé au projet de loi de finances pour 2023, p. 8.

([6]) L’Association internationale de développement, créée le 24 septembre 1960, est une des trois filiales de la Banque mondiale qui octroie des prêts et des dons aux pays les plus pauvres pour soutenir leur essor économique.

([7]) Le Fonds africain de développement contribue à promouvoir le développement économique et social dans trente-huit pays africains parmi les moins avancés, en mettant à leur disposition des financements à taux concessionnels.

([8]) Le Fonds vert pour le climat est un mécanisme financier des Nations Unies, rattaché à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il vise à transférer des fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables pour mettre en place des projets combattant les effets des changements climatiques ou d’adaptation au changement climatique.

([9]) Hébergé à l’Agence française de développement et présidé par Esther Duflo.

([10]) L’initiative PPTE a été lancée en 1996 au sommet du G7 de Lyon. Cette action coordonnée de la communauté financière internationale, créanciers bilatéraux et institutions multilatérales, visait à réduire à un niveau « soutenable » le poids de la dette extérieure de trente-neuf pays éligibles.

([11]) Sont visés les États et les sociétés fragiles, y compris les États accueillant des réfugiés et des déplacés internes.

([12]) Les Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) sont mis à la disposition des ambassadeurs pour financer des projets de court terme, contrairement aux projets de l’AFD qui s’inscrivent davantage dans le moyen et long terme. Les FSPI sont ainsi des instruments souples qui permettent d’être réactif sur le terrain en complétant ou en anticipant l’action de l’Agence. Très visibles, ils contribuent au renforcement de l’image de la France.

([13]) Institut de recherche pour le développement.

([14]) Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

([15]) Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument.

([16]) Unitaid est une organisation internationale d’achats de médicaments, chargée de centraliser les achats de traitements médicamenteux, afin d’obtenir les meilleurs prix possibles, en particulier à destination des pays en développement.

([17]) Programme 853 : « Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers ».

([18]) « Sont restituées, au plus près de la population de l’État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l’une des infractions prévues aux articles 314-1, 432-11 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-4, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-10 du Code pénal, lorsque la décision judiciaire concernée établit que l’infraction d’origine a été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique d’un État étranger, chargée d’un mandat électif public dans un État étranger ou d’une mission de service public d’un État étranger, dans l’exercice de ses fonctions (…) »

([19]) Sauf si les autorités de l’État d’origine déposaient une demande d’entraide judiciaire auprès des autorités françaises ou introduisaient une action devant les tribunaux français.

([20]) Rapport 2022 sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI : State of Food Security and Nutrition in the World).

cf. https://www.fao.org/newsroom/detail/un-report-global-hunger-SOFI-2022-FAO/fr

([21]Global report on food crises 2022 (Global Network against Food Crises).

([22]) Food and Agriculture Organization.

([23]) Regional Call to Action, Horn of Africa Drought Crisis : Climate Change is Here Now (UNICEF)

cf. UNICEF-Regional-CTA-HoA-Drought-July-2022(1).pdf

([24]) Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit donc à ce titre des crédits de paiement à hauteur de 28,30 M€ sur le programme 110 (action n° 1 Aide économique et financière multilatérale).

([25]) Derniers chiffres OCDE disponibles.

([26]) Fonds des Nations Unies pour l’enfance.

([27]) Organisation internationale pour les migrations.

([28]) La liste des dix-neuf pays prioritaires de l’APF française a été définie par le CICID de février 2018.

([29]) Cf. infra.

([30]) CCFD-Terre solidaire, Agriculture, alimentation et guerre en Ukraine : un décryptage en 11 questions, p. 5.

([31]) CCFD-Terre solidaire, Agriculture, alimentation et guerre en Ukraine : un décryptage en 11 questions, p. 9 et 10.

([32]) Sur toute la problématique de la spéculation, voir la note d’analyse de M. Laurent Levard (Gret) pour Coordination Sud : « Les leçons de la récente flambée des cours mondiaux, Se donner les moyens de lutter efficacement contre la volatilité des prix agricoles et alimentaires », octobre 2022.

([33]) L’année 2008 a été marquée par une généralisation de crises dénommées « émeutes de la faim » en Afrique, à Haïti, en Asie (Indonésie, Philippines, etc.), et en Amérique latine (Pérou, Bolivie, etc.).

([34])  La « sécurité alimentaire et nutritionnelle » apparaissait dans le relevé de conclusions du 8 février 2018 mais n’était pas rangée parmi les cinq secteurs prioritaires de l’APD : traitement des crises et fragilités, éducation, environnement, égalité femmes-hommes, santé.