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N° 341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 273)
de finances pour 2023

TOME VII

SÉCURITÉS

PAR M. Thomas RUDIGOZ,

Député

——

 

 

 Voir les numéros : 292 – III– 42

 


En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2022 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, la totalité des réponses au questionnaire thématique étaient parvenues à votre rapporteur pour avis qui souhaite remercier le Gouvernement et les services du ministère de l’Intérieur de leur diligence.


  1  

SOMMAIRE

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Pages

PREMIÈRE PARTIE :

LES CRÉDITS DE LA SÉCURITÉ POUR 2023

I. Les crédits du programme 176 Police nationale

A. Les dépenses de personnel

B. Les dépenses de fonctionnement

C. Les dépenses d’investissement

II. Les crédits du programme 152 Gendarmerie nationale

A. Les dépenses de personnel

B. Les dépenses de fonctionnement

C. Les dépenses d’investissement

SECONDE PARTIE :

L’activité de l’office anti-stupéfiants (OFAST)

I. L’OFAST exerce aujourd’hui un leadership indispensable afin de lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants

A. La naissance d’un chef de file de la lutte anti-stupéfiants

1. L’échec de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS)

2. L’émergence de l’OFAST en tant que service à compétence nationale

a. Son rôle

b. Son budget

c. Son effectif

B. Un leadership fondé sur trois piliers complémentaires

1. « Comprendre » : le pôle stratégie

2. « Cibler » : le pôle renseignement

3. « Agir » : le pôle opérationnel

C. Un maillage territorial cohérent

1. Les antennes

2. Les détachements

3. Les CROSS

a. Les CROSS départementales

b. Les CROSS thématiques

D. Des relations permanentes avec l’ensemble des acteurs institutionnels

1. Les liens avec l’autorité judiciaire, les autres administrations et les services de renseignement

a. Avec l’autorité judiciaire

b. Avec les autres administrations

c. Avec les services de renseignement

2. Un exemple d’outil coopératif : le fichier anti-stupéfiants (FAST)

3. La coopération européenne et internationale

a. En matière d’analyse stratégique

b. En matière de renseignement

c. En matière opérationnelle

d. Les actions menées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) au cours du premier semestre 2022

II. Une activité en pleine croissance confrontée à des enjeux complexes

A. Le bilan des saisies réalisées en 2021

B. Les enjeux multiformes de la lutte anti-stupéfiants

1. Le développement continu des trafics

2. La professionnalisation des groupes criminels

3. Les violences et pratiques corruptrices engendrées par les trafics

4. L’impact économique majeur des trafics

C. Les défis que l’OFAST doit relever

1. Les défis organisationnels

2. Les défis juridiques

3. Les défis opérationnels

Examen en commission

Déplacements effectués et personnes entendues


  1  

 

 

Mesdames, Messieurs,

Le budget présenté par le ministère de l’Intérieur dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 s’inscrit dans une trajectoire amorcée dès 2017. Les crédits de paiement affectés à la police nationale observent ainsi une augmentation de plus de 6 % et s’élèvent à 12,4 milliards d’euros. Les dépenses en faveur de la gendarmerie progressent de la même façon, et atteignent près de 10 milliards d’euros. Les budgets de la police et de la gendarmerie présentent donc une hausse cumulée de près de plus d’un milliard et trois cents millions d’euros par rapport à 2022. Cette évolution concrétise pleinement les engagements pris par le Président de la République à l’issue du « Beauvau de la sécurité » organisé au cours de l’année 2021, avant d’être prochainement entérinés par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur adopté en première lecture par le Sénat le 18 octobre dernier.

Le renforcement de l’ensemble des moyens dévolus aux forces de l’ordre, qu’il s’agisse de la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes à l’horizon 2027, du développement des outils numériques mis à leur disposition ou de la rénovation et construction de nouveaux locaux, est une condition indispensable au bon accomplissement de leurs missions. Les efforts budgétaires consentis depuis le début de la précédente mandature sont à la hauteur des enjeux auxquels la police et la gendarmerie sont confrontées sur le terrain, afin de lutter efficacement contre la délinquance et la criminalité.

Outre l’analyse de l’évolution des crédits de la mission Sécurités, la partie thématique du présent rapport pour avis est consacrée à l’activité de l’Office anti-stupéfiants (OFAST). Le plan national anti-stupéfiants élaboré en 2019 a ainsi permis la création de l’OFAST, organe interministériel placé sous l’autorité de la direction centrale de la police judiciaire et opérationnel depuis 1er janvier 2020. Près de trois ans après son lancement, il est apparu nécessaire d’établir un premier bilan de son action en tant que chef de file de la lutte anti-stupéfiants.

La hausse du volume des saisies de cannabis, de cocaïne et d’héroïne témoigne autant de la réussite des administrations engagées dans la lutte contre le trafic de drogue – police, gendarmerie, douane, finances publiques, armées… – que de l’augmentation de la production et du transit de stupéfiants sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Le rôle qu’exerce l’OFAST contribue aujourd’hui à combattre ce fléau sécuritaire, sanitaire et social, dont la dimension transfrontalière exige l’intensification de la coopération européenne et internationale en la matière.

 


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   PREMIÈRE PARTIE :

   LES CRÉDITS DE LA SÉCURITÉ POUR 2023

Le budget des deux programmes Police nationale et Gendarmerie nationale continue de croître en 2023, poursuivant la trajectoire définie dès le début de la précédente mandature.

I.   Les crédits du programme 176 Police nationale

Les crédits du programme Police nationale pour 2023 s’élèvent à environ 12,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 12,37 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), contre respectivement 12 et 11,63 milliards d’euros en AE et en CP en loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cela représente une hausse de 5,86 % pour les AE et de 6,38 % pour les CP. Cette augmentation porte l’effort budgétaire global en faveur de la sécurité à hauteur de + 700 millions d’euros pour 2023.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME N° 176 POLICE NATIONALE

(en euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Programme et actions

Ouverts en LFI 2022

PLF 2023

Évolution

2022/2023

Ouverts en LFI 2022

PLF 2023

Évolution 2022/2023

176 Police nationale

11 999 246 390

12 702 800 038

+ 5,86 %

11 630 482 080

12 372 926 960

+ 6,38 %

01 – Ordre public et protection de la souveraineté

1 467 793 550

1 488 463 529

+ 1,41 %

1 467 793 550

1 488 463 529

+ 1,41 %

02 – Sécurité et paix publiques

3 370 144 824

2 831 071 118

– 16,00 %

3 370 144 824

2 831 071 118

– 16,00 %

03 – Sécurité routière

470 684 852

398 355 293

– 15,37 %

470 684 852

398 355 293

– 15,37 %

04 – Police des étrangers et sûreté des transports internationaux

1 060 938 948

1 046 278 161

– 1,38 %

1 060 938 948

1 046 278 161

– 1,38 %

05 – Missions de police judiciaire et concours à la justice

3 194 736 209

2 765 912 363

– 13,42 %

3 194 736 209

2 765 912 363

– 13,42 %

06 – Commandement, ressources humaines et logistique

2 434 948 507

4 172 719 574

+ 71,37 %

2 066 183 697

3 842 846 496

+ 85,99 %

Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2023.

A.   Les dépenses de personnel

Les crédits de titre 2 pour l’année 2023 s’élèvent à 10,83 milliards d’euros en AE et en CP, en augmentation de 4,96 % par rapport à l’année précédente.

Le plafond d’emplois du programme atteint 151 020 ETPT. En 2023, les effectifs de la police nationale progresseront de 1 907 emplois. Ces créations contribuent à atteindre l’objectif de recrutement de 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires sur la période 2023-2027, à la suite des 10 000 recrutements réalisés entre 2017 et 2022.

 

 Catégorie d’emplois

Evolution des effectifs par rapport à 2022

Personnels administratifs de catégorie A

+ 91

Personnels administratifs de catégorie B

+ 331

Personnels administratifs de catégorie C

+ 331

Personnels techniques

+ 40

Ouvriers de l’État

– 10

Hauts fonctionnaires, corps de conception et de direction et corps de commandement

– 213

Corps d’encadrement et d’application

+ 1 462

Personnels scientifiques

+ 87

Adjoints de sécurité

– 212

Total

+ 1 907

       Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2023.

B.   Les dépenses de fonctionnement 

Les dépenses de fonctionnement (titre 3), imputées exclusivement sur l’action n° 6, connaissent en 2023 une augmentation de 5,86 % en AE, s’élevant à 1,12 milliard d’euros contre 1,06 milliard d’euros ouverts en LFI pour 2022.

Cette évolution s’explique notamment par l’enveloppe de 21 millions d’euros consacrée au renouvellement pour quatre ans du marché de téléphone.

Le montant des dépenses consacrées à la formation atteint 43,3 millions d’euros en 2023, soit une hausse de près d’un million et demi d’euros par rapport à 2022, ce qui permet de financer le recrutement des réservistes de la police nationale, à la suite de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure qui a créé la réserve opérationnelle. Renouvelée en 2023, la gratuité du train pour les policiers dans le cadre de la mesure « Voyager – Protéger » s’élève à près de 38 millions d’euros.

Les crédits du titre 3 permettent également de renforcer les moyens notamment dévolus à l’entretien et à la réparation des véhicules ([1]) et à l’achat d’équipements de protection et d’intervention destinés aux unités de sécurité publique engagées dans des opérations de maintien de l’ordre ([2]).

Votre rapporteur pour avis approuve plus particulièrement l’effort budgétaire consenti en faveur de la transformation numérique et technologique de la police, à hauteur de 170 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 23 % des dépenses en la matière par rapport à 2022. Cette trajectoire s’inscrit dans le cadre de la création de l’agence numérique des forces de sécurité intérieure prévue en 2023.

C.   Les dépenses d’investissement

Les crédits d’investissement (titre 5) demandés pour 2023 s’élèvent à 712,8 millions d’euros en AE et 458,52 millions d’euros en CP, ce qui constitue une augmentation annuelle de plus de 20 %.

Outre la poursuite du renouvellement du parc automobile incluant le déploiement des nouveaux véhicules de maintien de l’ordre, l’essentiel de l’enveloppe budgétaire est consacré à la construction et à la rénovation du parc immobilier, soit 476,4 millions d’euros en AE et 226,18 millions d’euros en CP. Comme les années précédentes, ces nouvelles ressources serviront à financer l’achèvement de diverses opérations de travaux et la réalisation de nouveaux projets immobiliers tels que la construction de l’hôtel des polices de Marseille.

II.   Les crédits du programme 152 Gendarmerie nationale

Les crédits demandés pour 2023 au titre du programme Gendarmerie nationale atteignent 10,37 milliards d’euros en AE et 9,91 milliards d’euros en CP contre 9,94 milliards d’euros ouverts en AE en loi de finances initiale pour 2022 et 9,31 milliards d’euros en CP. Cela représente une hausse de 4,29 % en AE et de 6,39 % pour les CP.

 

 

 

 

 

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME n° 152 GENDARMERIE NATIONALE

(en euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Programme et actions

Ouverts en LFI 2022

PLF 2023

Évolution

2022/2023

Ouverts en LFI 2022

PLF 2023

Évolution

2022/2023

152 – Gendarmerie nationale

9 941 164 076

10 367 449 313

+ 4,29 %

9 315 038 356

9 910 086 369

+ 6,39 %

01 – Ordre et sécurité publics

3 612 061 779

3 892 444 875

+ 7,76 %

3 612 061 779

3 892 444 875

+ 7,76 %

02 – Sécurité routière

744 705 379

767 429 771

+ 3,05 %

744 705 379

767 429 771

+ 3,05 %

03 – Missions de police judiciaire et concours à la justice

2 252 632 779

2 412 873 179

+ 7,11 %

2 252 632 779

2 412 873 179

+ 7,11 %

04 – Commandement, ressources humaines et logistique

1 054 396 908

1 103 072 495

+ 4,62 %

1 054 396 908

1 103 072 495

+ 4,62 %

05 – Exercice des missions militaires

140 825 571

159 753 050

+ 13,44 %

140 825 571

159 753 050

+ 13,44 %

Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2023.

A.   Les dépenses de personnel

Les crédits de titre 2 demandés pour 2023 sont en hausse de 6,91 % par rapport à la loi de finances pour 2022, s’élevant ainsi à 8,35 milliards d’euros en AE et en CP. Le plafond d’emplois s’élève à 102 162 ETPT. En 2023, les effectifs de la gendarmerie nationale progresseront de 950 emplois.

 

Catégorie d’emplois

Évolution des effectifs par rapport à 2022

Personnels administratifs de catégorie A

+ 10

Personnels administratifs de catégorie B

+ 91

Personnels administratifs de catégorie C

– 4

Personnels techniques

+ 123

Ouvriers de l’État

– 20

Officiers de gendarmerie

– 159

Officiers du corps technique et administratif

– 2

Sous-officiers de gendarmerie

+ 1 809

Sous-officier de soutien technique et administratif

+ 202

Volontaires

– 1 100

Total

+ 950

       Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2023.

B.   Les dépenses de fonctionnement

La dotation de titre 3 s’élève en 2023 à 1,75 milliard d’euros en AE et 1,29 milliard d’euros en CP, contre 1,80 milliard d’euros en AE et 1,21 milliard d’euros en CP en LFI pour 2022, soit une hausse significative de 6,54 % en CP.

Outre l’augmentation des dépenses relatives à la formation initiale et continue des gendarmes (20 millions d’euros en CP, soit une hausse de 24,5 % par rapport à 2022), un effort budgétaire massif est réalisé afin des renforcer les moyens technologiques nécessaires à la coordination des unités de gendarmerie : 120,7 millions d’euros en CP sont ainsi consacrés à l’acquisition de nouveaux moyens de télécommunication et à la modernisation des systèmes informatiques, contre 86 millions d’euros l’année dernière.

C.   Les dépenses d’investissement

Après une augmentation majeure de 2021 à 2022 (+ 65 %), le budget d’investissement s’élève à 250,9 millions d’euros en AE et 260,7 millions d’euros en CP, soit une diminution d’environ 8,37 % par rapport à l’année précédente. Cette baisse s’explique principalement par l’achèvement progressif du plan de renouvellement des véhicules de la gendarmerie mobile initié en 2020.

Conformément à la trajectoire définie par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), 86,5 millions d’euros en CP sont affectés à des projets de réhabilitation immobilière, tels que la rénovation du centre national de formation des unités mobiles de la gendarmerie à Saint-Astier et de l’école des officiers de la gendarmerie nationale à Melun.


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   SECONDE PARTIE :

   L’activité de l’office anti-stupéfiants (OFAST)

La lutte contre le trafic de stupéfiants constitue l’une des priorités du ministère de l’Intérieur. Le démantèlement des réseaux criminels exige une mobilisation totale de l’ensemble des administrations concernées par ces enjeux. Appréhender les trafics de drogue sous tous leurs aspects sécuritaires, judiciaires, économiques, sanitaires, internationaux implique de mener des actions combinées, simultanées et coordonnées afin d’affaiblir la production, l’acheminement et la consommation de stupéfiants sur le territoire national, où plus de 900 000 usagers quotidiens de cannabis sont aujourd’hui dénombrés ([3]). La violence engendrée par ces trafics, qui représentent 80 % des règlements de comptes et 25 % des armes saisies chaque année ([4]), alimente chaque jour l’insécurité caractérisant de nombreuses zones urbaines densément peuplées et déjà confrontées à des situations sociales difficiles.

Dans ce contexte, le plan national de lutte contre les stupéfiants publié le 17 septembre 2019 a abouti à la création de l’Office anti-stupéfiants (OFAST), opérationnel depuis le 1er janvier 2020. Structure interministérielle placée sous l’autorité de la direction générale de la police nationale, l’OFAST constitue le visage national de la lutte anti-stupéfiants. Il exerce à ce titre un leadership indispensable à la réussite de la stratégie des pouvoirs publics contre le trafic de drogue (I). Si son activité semble aujourd’hui porter ses fruits, les enjeux et défis auxquels l’OFAST est confronté demeurent nombreux, appelant des réponses tant organisationnelles, juridiques qu’opérationnelles (II).

I.   L’OFAST exerce aujourd’hui un leadership indispensable afin de lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants

A.   La naissance d’un chef de file de la lutte anti-stupéfiants

1.   L’échec de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS)

Créé par le décret du 3 août 1953 en réponse aux recommandations de la Convention internationale sur les stupéfiants du 26 juin 1936 ([5]), l’office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) présentait une dimension essentiellement opérationnelle, ayant pour mission de procéder à des enquêtes en matière de trafics nationaux et internationaux de stupéfiants.

Rattaché à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) au sein de la sous-direction pour la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF), l’OCRTIS est progressivement apparu comme un organe insuffisamment structuré et dépourvu de l’autorité nécessaire afin de conduire, à l’échelle nationale, le combat contre le trafic de drogue. Inchangées depuis 1953, les dispositions réglementaires régissant son action témoignaient d’une organisation et d’un fonctionnement obsolètes, présentant des dysfonctionnements majeurs.

La multiplicité des services impliqués, un partage lacunaire des informations recueillies et le travail trop cloisonné des services pouvaient alors nuire à la qualité des enquêtes menées par l’OCRTIS. Un double reproche lui fut ainsi adressé : être, d’une part, un « prédateur de dossiers » et non un coordinateur efficace des services de police, de gendarmerie ou de douane et, d’autre part, ne pas disposer d’un leadership suffisant afin de mettre fin à une forme de concurrence malsaine susceptible d’exister entre ces derniers.

La création de l’OFAST décidée en 2019 visait donc à mettre un terme à cette situation, dans le but d’identifier de façon claire et univoque un véritable chef de file de la lutte anti-stupéfiants.

2.   L’émergence de l’OFAST en tant que service à compétence nationale

a.   Son rôle

Initialement décidée lors du Conseil de défense et de sécurité nationale du 25 juin 2019, la création de l’OFAST a été opérée par le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019, complété par l’arrêté du 27 décembre 2019 portant création de ses antennes et détachements territoriaux. Mis en place le 1er janvier 2020, l’OFAST répond à une volonté de mieux organiser et structurer la lutte contre le trafic de stupéfiants, dans le prolongement du plan national de lutte contre les stupéfiants du 17 septembre 2019, dont il se voit le confier le pilotage.

L’OFAST a été désigné chef de file de la lutte contre les trafics de stupéfiants, à l’image du rôle qu’exerce la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en matière de lutte antiterroriste. À ce titre, l’OFAST représente donc le maître d’œuvre de la politique publique définie par le Gouvernement.

L’interministérialité caractérise la composition et le fonctionnement de l’OFAST : outre la collaboration avec de nombreux partenaires ministériels (secrétariat général de la mer, ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère des armées, etc.), l’OFAST réunit l’ensemble des services concernés par la lutte contre le trafic de stupéfiants : police, gendarmerie, douane, autorité judiciaire, administration pénitentiaire et finances publiques. Cette interministérialité est rendue nécessaire par la nature même de ses missions, laquelle mobilise différents acteurs dans leurs champs de compétence respectifs. En tant que chef de file, l’OFAST joue un rôle structurant dans la coordination et l’animation du réseau d’acteurs intervenant à différents niveaux dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, ce qui implique leur adhésion au dispositif mis en œuvre.

Contrairement à l’OCRTIS, l’OFAST dispose du statut de service à compétence nationale, directement rattaché à la direction centrale de la police judiciaire. Cette forme juridique souple favorise une certaine autonomie de gestion et d’organisation interne nécessaire au pilotage des missions qui lui sont dévolues.

Enfin, la création de l’OFAST répond à un certain nombre d’objectifs qui constituent des points de césure par rapport à l’OCRTIS :

   professionnaliser le renseignement grâce aux 104 cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département métropolitain et ultramarin et au développement des unités permanentes de renseignement ;

   créer une division de l’appui opérationnel pour la conduite des enquêtes financières ou patrimoniales et développer la coopération internationale ;

   approfondir l’analyse stratégique.

b.   Son budget

S’il ne bénéficie pas d’un budget en propre, l’OFAST dépend du budget opérationnel de programme (BOP) de la DCPJ et de son unité d’œuvre (UO) pour les services centraux, relevant du programme 176 (police nationale) de la mission « Sécurités ».

Le budget global (dépenses de fonctionnement) alloué à l’OFAST au titre de l’année 2022, s’élève à 628 000 euros en autorisation d’engagement et 658 300 euros en crédits de paiement ([6]) .

Le fonds de concours « drogues », constitue également une source de financement importante pour les projets dédiés à la lutte contre les trafics de stupéfiants retenus à la suite d’un appel à projets. Au titre de l’année 2022, la DGPN a alloué à la DCPJ la somme de 6,7 millions d’euros pour financer 33 projets dont 20 sont directement portés par l’OFAST à hauteur de 1,4 millions d’euros, tels que l’acquisition d’équipements et l’organisation d’actions de coordination et de missions de coopération opérationnelles et de renseignement.

c.   Son effectif

Compte tenu de la diversité des corps d’appartenance et des administrations de rattachement représentées au sein de l’OFAST, le recrutement présente une dimension protéiforme : le mode de sélection dépend à la fois du corps d’appartenance et du pôle recruteur ([7]).

La procédure de recrutement diffère également selon les pôles de l’OFAST, en raison de leurs missions propres. Ainsi, alors qu’au sein des pôles stratégie et renseignement, le recrutement s’effectue sur dossier et entretien, les recrutements pour le pôle opérationnel, ainsi que pour le groupe d’appui observation (GAO) ([8]), s’effectuent sur la base d’un stage probatoire et de tests et épreuves physiques, afin de s’assurer de l’aptitude physique et psychologique des candidats à assumer des missions spécifiques.

En toute hypothèse, tout recrutement est nécessairement précédé d’un entretien. Si aucun examen de recrutement n’est organisé, quel que soit l’administration de rattachement ou le poste à pourvoir, une habilitation secret-défense peut néanmoins constituer un prérequis à l’occupation de certains postes.

Toutefois, contrairement à certains de ses homologues étrangers, telle la Drug Enforcement Administration (DEA) aux États-Unis, l’OFAST ne fait pas procéder à des enquêtes patrimoniales, pas plus qu’à des tests de détection de produits stupéfiants, lors de ses recrutements. Si l’absence de ces enquêtes ou tests ne semble pas avoir soulevé de véritable difficulté jusqu’à présent, votre rapporteur pour avis considère cependant qu’il serait pertinent de mettre en œuvre des procédures similaires, aussi bien lors de la phase de recrutement des agents qu’après leur entrée en fonctions.

Au 1er septembre 2022, l’OFAST comprend un effectif de 190 ETP au service central basé à Nanterre ([9]) et de 475 ETP au niveau territorial.

Pour conduire ses missions, l’office est dirigé par un contrôleur général de la police nationale, secondé par un magistrat de l’ordre judiciaire, détaché dans un emploi de contrôleur général.

L’OFAST central comprend 51 femmes (soit 27 % de l’effectif global) et 139 hommes. Cet effectif se compose de personnels issus d’administrations variées (police, gendarmerie, douane, finances publiques, administration pénitentiaire, justice), ainsi que de 6 officiers de liaison étrangers.

 

 

Composition de l’effectif de l’OFAST central au 1er septembre 2022

Police nationale

Gendarmerie

Douane

Justice

Impôts

Officiers de liaison

TOTAL

151

24

7

1

1

6

190

Parmi les effectifs de la police nationale, 128 sont membres des services actifs ([10]) et 23 des personnels administratifs, techniques et scientifiques (PATS) dont seize administratifs, six contractuels et un apprenti.

Ces personnels exercent des fonctions diverses selon leur affectation : enquête et investigation, analyse, production documentaire ou de statistiques, évaluation, suivi de l’activité et prospective, gestion de la coopération internationale, coordination et pilotage de l’activité de l’OFAST.

Votre rapporteur pour avis considère que la composition de l’OFAST reflète utilement la dimension interministérielle de son action, en intégrant en son sein l’ensemble des administrations parties prenantes. Il suggère de poursuivre et d’amplifier l’ouverture des recrutements à d’autres corps d’agents publics, à l’image, par exemple, de la marine nationale ou de l’aviation civile, au regard des problématiques spécifiques inhérentes à l’acheminement par la voie maritime ou aérienne des produits stupéfiants. La diversification des profils est une condition de la réussite des missions dévolues à l’OFAST en tant que chef de file du combat contre la drogue.

B.   Un leadership fondé sur trois piliers complémentaires

Les missions de l’OFAST se définissent autour de trois piliers qui structurent son organisation interne :

   « Comprendre » : à travers le pôle stratégie qui analyse et diffuse de la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes d’acheminement notamment via la production d’un document annuel intitulé « état de la menace » ;

   « Cibler » : à travers le pôle renseignement qui développe le recueil du renseignement sur le territoire national et à l’étranger ;

   « Agir » : à travers le pôle opérationnel qui assure la conduite des investigations (cyber, financières, internationales) dans le cadre des enquêtes judiciaires, leur coordination à travers le réseau des CROSS et les relations avec les partenaires internationaux.

1.   « Comprendre » : le pôle stratégie

Dirigé par une administratrice des douanes, le pôle stratégie est principalement chargé de trois missions.

La première consiste à diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes, en établissant notamment chaque année un « état de la menace » sur la base de ses travaux.

L’état de la menace

 

Élaboré pour la première fois en mai 2021, l’état de la menace est un document d’une cinquantaine de pages analysant la physionomie des trafics de stupéfiants, les évolutions de la production mondiale et européenne, le rôle des cartels étrangers, l’analyse des zones de transit et de consommation, les modes d’acheminement, les profils, stratégies et moyens des groupes criminels, les caractéristiques de la délinquance et de la criminalité entourant le trafic de drogue, les réseaux de blanchiment d’argent et les menaces, notamment sanitaires, induites par la consommation de stupéfiants. Ce document a vocation à être actualisé à la fin de l’année 2022.

La deuxième mission vise à réaliser un bilan statistique des saisies de stupéfiants et à garantir le suivi du plan national de lutte contre les stupéfiants et du plan de lutte contre les addictions mis en œuvre par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).

La troisième mission a pour objet d’engager les actions internationales de coopération stratégique, institutionnelle ou technique utiles à l’OFAST. Dans cette optique, mais aussi au profit des acteurs nationaux, il produit, en lien avec les structures dédiées de formation (police, gendarmerie, douane, Justice, centre interministériel de formation anti-drogue), des outils de formation adaptés aux besoin des acteurs chargés de la lutte contre les stupéfiants.

2.   « Cibler » : le pôle renseignement

Appartenant au second cercle des services de renseignement ([11]), l’OFAST met en œuvre les techniques de renseignement conformément aux articles  L. 811-2 et L.811-4 du code de la sécurité intérieure ([12]).

Dirigé par un colonel de la gendarmerie nationale, le pôle renseignement est notamment chargé de :

   recueillir les renseignements opérationnels relatifs aux trafics de stupéfiants susceptibles de concerner le territoire national ou impliquant des ressortissants français ;

   analyser et enrichir les renseignements par des investigations administratives à l’étranger comme sur le territoire national ;

   diffuser, selon les règles de protection du secret, le renseignement élaboré au profit de l’OFAST, des services et unités d’enquête nationaux et étrangers et des services nationaux de renseignement.

3.   « Agir » : le pôle opérationnel

Dirigé par un commissaire divisionnaire de police, le pôle opérationnel est chargé d’assurer la conduite des enquêtes judiciaires et leur coordination, lorsque plusieurs autres services y prennent part.

Outre une volonté de développer la coopération internationale opérationnelle, en systématisant la relation avec Europol et les autres acteurs de la coopération policière internationale, de nouvelles missions d’appui viennent compléter son activité :

   un groupe d’appui et d’observation (GAO) permanent, dédié aux surveillances et à l’intervention ;

   une cellule financière, interface des services plus spécialisés et pouvant développer le premier niveau d’investigations financières et patrimoniales ;

   une cellule cyber, en capacité d’exploiter des informations circulant sur les réseaux dans les affaires de trafic de stupéfiants du niveau de l’office.

Votre rapporteur pour avis considère que la mise en place d’équipes communes d’enquête rassemblant temporairement des forces de sécurité de plusieurs pays européens pour une durée limitée et dans un but précis, constitue un vecteur de réussite des investigations conduites par l’OFAST, au regard du caractère souvent transfrontalier des affaires sur lesquelles l’Office travaille ([13]). Parce qu’elles permettent la collecte et l’échange directs d’informations et d’éléments de preuve sans devoir passer par les canaux traditionnels de l’entraide judiciaire, ces équipes communes d’enquête représentent un outil de coopération performant qui facilite la coordination des enquêtes et des poursuites menées simultanément dans plusieurs États.

En outre, le pôle opérationnel comprend une entité implantée dans les deux grands aéroports parisiens, la brigade des plateformes aéroportuaires (BPA) qui comprend trois groupes d’enquêtes judiciaires : deux groupes implantés à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et un groupe à l’aéroport d’Orly, pour un total de 22 agents. Elle vise notamment à lutter contre les groupes criminels chargés de l’importation de stupéfiants sur le territoire français opérée par des passeurs (« mules »).

L’ensemble des effectifs de l’OFAST dispose d’une compétence nationale d’officier de police judiciaire.

C.   Un maillage territorial cohérent

À l’échelon local, le réseau de l’OFAST se décline en 14 antennes et 10 détachements ([14]), notamment chargés d’animer les 104 CROSS.

Le maillage territorial de l’OFAST se trouve ainsi particulièrement étendu et son pouvoir d’action s’en trouve décuplé, lui permettant de tisser un véritable réseau, notamment en outre-mer, et de couvrir l’intégralité des ressorts juridictionnels. La liste des antennes et détachements est fixée par l’arrêté du 27 décembre 2019. Le réseau des antennes et détachements de l’OFAST n’est cependant pas figé. Il peut ainsi être étendu ou modifié, en fonction de nécessités opérationnelles ou stratégiques identifiées par l’OFAST.

1.   Les antennes

L’OFAST compte 14 antennes dont 12 sont rattachées à la direction générale de la police nationale : Ajaccio, Bordeaux, Cayenne, Fort de France, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg, Versailles. Créées en 2021, Les antennes de Papeete et de Saint-Denis de la Réunion sont rattachées à des groupements de Gendarmerie.

Véritables chefs de file dans les territoires, elles sont ainsi chargées du pilotage des CROSS implantées dans leur ressort, mais également de la remontée centralisée de l’information opérationnelle et de l’élaboration d’un état de la menace au niveau territorial. À ces fins, elles pilotent directement la CROSS du chef-lieu de leur implantation et sont le point de contact unique des autres CROSS de leur ressort.

Disposant de capacités d’analyse, elles collectent les renseignements et informations en provenance des CROSS qui viennent alimenter un état de la menace, qu’elles élaborent, à leur niveau, selon leur ressort de compétence territoriale. Ces productions sont diffusées à l’ensemble des services partenaires au niveau local (police, gendarmerie, douanes, autorités préfectorales et judiciaires).

Outre la conduite de leurs propres enquêtes en lien avec l’autorité judiciaire locale, les antennes de l’OFAST exercent également des missions de conseil et d’appui opérationnel au profit de l’ensemble des autres services de la sécurité publique ou de la gendarmerie nationale en charge de la lutte contre les trafics au plan local. Les antennes diffusent également, à leur initiative ou à la demande des services et unités, des notes et documentations sur les nouveaux phénomènes constatés localement ainsi que sur les tendances du trafic.

2.   Les détachements

L’OFAST compte à ce jour 10 détachements (Bayonne, Grenoble, Le Havre, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Perpignan, Pointe-à-Pitre, Toulouse, Saint-Martin). Placés sous l’autorité des antennes dont ils dépendent, les détachements ont une vocation exclusivement opérationnelle. Ils ne mettent en œuvre aucune mission d’analyse ou de coordination. En revanche, ils pilotent la CROSS du chef-lieu de leur implantation et, à ce titre, s’assurent de la bonne transmission des informations et du renseignement à destination de l’antenne dont ils dépendent.

3.   Les CROSS

a.   Les CROSS départementales

Les CROSS sont chargées de capter et de faire circuler le renseignement opérationnel en matière de stupéfiants. Qu’elles soient permanentes ou non, en fonction de l’intensité ou de l’étendue des trafics, les CROSS représentent des structures d’échange et de partage du renseignement sur les trafics.

Elles sont ainsi chargées d’organiser et d’animer l’échange de renseignements afin de :

   centraliser et analyser toute l’information sur les trafics existant dans leur ressort, y compris celle qui est adressée par les citoyens  ([15])  en vue d’élaborer une territorialisation de la menace ([16])  ;

   mettre à disposition de tous les services et unités contributeurs, l’ensemble du renseignement, les informations opérationnelles portant sur le segment supérieur de trafics, les éléments relatifs aux cibles d’intérêt prioritaire, puis les transmettre à l’antenne de l’OFAST territorialement compétente ;

   proposer aux instances de coordination, réunissant l’ensemble des chefs de service (police, gendarmerie, douane) et animée par le pilote, de procéder, le cas échéant, aux « déconflictions » ([17]) nécessaires entre services le plus en amont possible de la saisine judiciaire ;

   transmettre, dans le cadre des instances stratégiques de coordination, les informations ainsi consolidées au procureur de la République compétent pour qu’il définisse la stratégie judiciaire à adopter : ouverture de procédure, cible, saisine du ou des service(s) en charge de l’enquête, stratégie d’enquête ;

   proposer aux autorités locales (préfets et procureurs de la République), dans le cadre des instances de pilotage renforcé, une stratégie locale permettant d’améliorer la lutte contre les trafics.

Instances de partage interservices à finalité opérationnelle implantées dans chaque département métropolitain et ultramarin  ([18]), les CROSS n’ont pas vocation à réaliser elles-mêmes des enquêtes administratives ou judiciaires. Cependant, elles peuvent communiquer à l’un des acteurs de leur ressort tout renseignement utile, soit pour diligenter une enquête administrative ou judiciaire, soit pour mettre en œuvre des techniques de renseignement.

Des représentants de chacune des forces de police ([19]), de gendarmerie et de la douane sont présents au sein des CROSS.

Les CROSS permanentes et non-permanentes

 

Le fonctionnement des CROSS diffère selon qu’il s’agisse de CROSS permanentes ou non.

Les CROSS permanentes disposent d’effectifs propres. Le pilote de la CROSS organise, à échéance régulière, des réunions pour favoriser le partage de l’information et pour fixer les orientations de recherche et de captation du renseignement en fonction des stratégies définies dans le cadre de l’instance de pilotage renforcé. La complémentarité recherchée de l’action des services d’investigation agissant dans les cadres judiciaire et administratif vise le démantèlement durable des réseaux et la prévention de la résurgence des trafics.

Dans le cadre de CROSS non-permanentes, il appartient au pilote de définir, en lien avec les autres partenaires, la périodicité des réunions, en veillant à ce qu’elles se réunissent au moins une fois par mois.

Depuis le 1er septembre 2022, une évolution du dispositif visant à rationaliser les structures existantes est envisagée afin d’adapter le réseau des CROSS aux spécificités propres à chaque territoire, tout en conservant le cadre du département comme base de référence.

b.   Les CROSS thématiques

Au-delà des CROSS déployées dans les départements, deux CROSS thématiques ont été créées en septembre 2021 afin de renforcer la lutte contre le trafic de stupéfiants dans les ports et les aéroports. Ces entités non permanentes sont co-pilotées par l’OFAST et la DNRED.

D’une part, une CROSS portuaire a été mise en place afin de répondre à l’enjeu majeur que constitue l’acheminement de cocaïne par voie maritime à destination de la France et de l’Europe, ce qui représente 84 % de la cocaïne saisie en France en 2021. Associant la gendarmerie maritime, la police aux frontières, le service central du renseignement territorial et les services territoriaux concernés, cette instance de coordination vise à recueillir, traiter, enrichir et diffuser les renseignements relatifs au trafic de stupéfiants via les ports commerciaux. Elle doit ainsi favoriser l’identification des groupes criminels impliqués, des personnels privés et publics compromis, ainsi que des nouvelles routes ou modes opératoires, dans le but d’éclairer et de permettre la coordination des stratégies d’entrave les plus adaptées.

D’autre part, suivant les mêmes finalités, une CROSS aéroportuaire co-pilotée par les mêmes acteurs a été créée dans le but de cerner les enjeux qui entourent le trafic de stupéfiants sur les plateformes aéroportuaires. Dans ce cadre, la thématique du vecteur postal constitue un sujet primordial traité au sein de cette instance.

D.   Des relations permanentes avec l’ensemble des acteurs institutionnels

1.   Les liens avec l’autorité judiciaire, les autres administrations et les services de renseignement

a.   Avec l’autorité judiciaire

L’OFAST est le point de contact naturel et l’interlocuteur privilégié de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) ([20]), implantée au tribunal judiciaire de Paris et agissant sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 706-75 du code de procédure pénale.

Sous la direction de la JUNALCO, des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou, le cas échéant, des juridictions territoriales non-JIRS, l’OFAST conduit des enquêtes judiciaires en propre, principalement sur le segment supérieur des trafics de stupéfiants correspondant aux cibles d’intérêt prioritaires ou High Value Targets ([21]).

Favorisant l’approche globale de la lutte contre les trafics, l’OFAST sollicite dans ce cadre, et en tant que de besoin, la co-saisine de structures spécialisées dans la lutte contre le blanchiment ([22]). Les co-saisines sont aussi territoriales et concernent le réseau territorial de l’OFAST ou d’autres services et unités de la gendarmerie nationale.

L’autorité judiciaire occupe une place prépondérante dans l’action et les échelons de direction de l’OFAST, l’adjoint au chef de service étant par ailleurs un magistrat en position de détachement.

b.   Avec les autres administrations

Afin d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique publique de lutte contre les stupéfiants, le plan de 2019 prévoit un comité de pilotage interministériel associant les ministres de l’intérieur, de la justice, de la santé, de la défense, des affaires européennes, des douanes, de l’outre-mer, ainsi que le secrétaire général à la mer, qui se réunit une fois par an. Chacune des 55 mesures du plan de lutte contre les stupéfiants est pilotée par un service relevant de différents ministères. Le pilotage de l’ensemble, comme la coordination interservices, incombent à L’OFAST.

Dans une démarche d’évaluation de la performance, chacune de ces mesures a été déclinée en plans d’action assortis d’indicateurs et d’échéanciers. De nombreuses mesures ont, à ce jour, connu des avancées significatives, voire sont, pour certaines d’entre elles, considérées comme finalisées  ([23]).

Les relations régulières avec la douane présentent un caractère particulièrement constructif. Avec 16 douaniers affectés à la structure centrale de l’OFAST et dans les territoires, la participation de la douane est indispensable au bon fonctionnement de l’Office, en permettant une meilleure mise en commun des pratiques, ainsi qu’un partage accru du renseignement. La mise en place d’instances de partage et de coordination stimule les liens entre l’OFAST et la douane qui co-pilotent conjointement les CROSS thématiques.

Interlocuteur privilégié de l’OFAST, la direction générale des finances publiques (DGFiP) contribue également à la mutualisation d’informations. Elle apporte son expertise, notamment en matière de lutte contre l’économie souterraine, en identifiant le patrimoine provenant des trafics de stupéfiants. Au niveau central, l’OFAST bénéficie d’un agent de la DGFiP à plein temps apportant une expertise spécifique sur les questions patrimoniales et financières. À l’échelle territoriale, certaines antennes bénéficient de la présence d’agents de la Brigade nationale d’enquêtes économiques (BNEE). Les CROSS disposent aussi de référents de la DGFiP. En application de la convention d’accès aux applications de la DGFiP entre la DGPN et la DGFiP signée le 6 septembre 2021, l’OFAST dispose enfin d’un accès aux fichiers relevant de la DGFiP dans le cadre de ses missions d’investigation ([24]).

Par ailleurs, au regard de l’importance du vecteur maritime dans l’acheminement des stupéfiants, l’OFAST est aussi un interlocuteur du secrétariat général à la mer, notamment dans le cadre des demandes d’interception en mer prévues par l’article 17 de la convention de Vienne du 19 décembre 1988.

c.   Avec les services de renseignement

L’OFAST entretient des relations régulières avec les services de renseignement du premier cercle : DNRED, TRACFIN, DGSI et DGSE. Elle se traduisent par des échanges d’informations opérationnelles et d’analyses stratégiques. Tous ont été sollicités pour contribuer à l’élaboration de « l’état de la menace » dont ils ont été rendus destinataires.

Depuis sa création, l’OFAST a été destinataire de 49 notes stratégiques et opérationnelles émanant de la DGSE, dont sept ont permis d’initier des dossiers de renseignements et deux des enquêtes judiciaires. La coopération avec TRACFIN s’est développée s’agissant des cibles d’intérêts prioritaires et des « mules » identifiées en Guyane et de l’envoi réciproque de notes de renseignement et de signalement.

Relevant des services du second cercle, le service national de renseignement pénitentiaire (SNRP) entretient des rapports croissants avec l’OFAST. Le détachement d’un personnel de l’administration pénitentiaire issu du SNRP auprès du pôle renseignement a contribué à améliorer le suivi des individus condamnés pour trafic de stupéfiants et à faciliter l’élaboration de stratégies communes visant des objectifs d’intérêt prioritaire.

En outre, le service central du renseignement territorial (SCRT) a transmis à l’OFAST plusieurs notes de renseignement portant notamment sur « l’ambiance dans les quartiers » et les liens éventuels avec les trafics de stupéfiants. Ce service participe aux CROSS thématiques portuaire et aéroportuaire. Il est associé aux comités de pilotage relatifs à la mise en œuvre du plan anti-stupéfiants et est intégré à la liste de diffusion des productions d’analyses stratégiques de l’OFAST.

2.   Un exemple d’outil coopératif : le fichier anti-stupéfiants (FAST)

Le Fichier anti-stupéfiant (FAST) est une version modernisée du Fichier national des objectifs stupéfiants (FNOS). Sa création a été annoncée à l’occasion du comité interministériel de lutte contre les stupéfiants en date du 28 mai 2021. L’objectif est d’aboutir à « alimentation exhaustive » du fichier par tous les services engagés dans la lutte anti-stupéfiants.

 

Le Fichier national des objectifs stupéfiants (FNOS)

 

Encadré par l’arrêté du 11 juillet 2012 portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « fichier national des objectifs en matière de stupéfiants » (FNOS), ce fichier permet l’inscription d’individus constituant des objectifs des services conduisant des enquêtes en matière de stupéfiants.

La création du FNOS est née du constat de la nécessité de se doter d’un outil de coordination mieux adapté, permettant de rapprocher les enquêtes qui convergent vers les mêmes objectifs et d’éviter ainsi des interactions imprévisibles susceptibles de nuire à la qualité des investigations, de fragiliser juridiquement les procédures, voire de mettre en danger la sécurité des personnels engagés dans des opérations de surveillance, filature ou interpellations.

Le FAST fonctionne sur des principes identiques au FNOS, notamment son organisation en quatre silos (DCPJ, DCSP, DGGN, DNRED), ainsi que le principe du hit / no hit  ([25]), afin de garantir un niveau élevé de confidentialité et de confiance entre services. Ainsi, lorsque la création d’une fiche par un service présente des similitudes avec une fiche créée antérieurement, un message est adressé au premier service inscripteur. Une mise en relation peut alors s’opérer et permettre aux services concernés de se coordonner.

Son fonctionnement repose sur trois principes :

   la prééminence du « judiciaire » sur le « pré-judiciaire » pour favoriser les futures « déconflictions » ;

   l’interdiction d’inscrire des objectifs non réellement travaillés en phase pré-judiciaire ;

   l’interdiction d’inscrire des sources humaines de renseignement.

Le FAST permet, d’une part, d’octroyer au chef de l’OFAST ainsi qu’à son adjoint, une visibilité sur les objectifs inscrits dans les quatre silos cités précédemment, et d’autre part, d’autoriser les services spécialisés à inscrire des objectifs travaillés dans un cadre administratif ([26]).

Par ailleurs, de nouveaux outils statistiques (nombre de fiches inscrites, nombre de hits…) ont été élaborés de manière à pallier les déficiences du FNOS en la matière.

Le FAST est un fichier d’inscription et de « déconfliction » et non de consultation : il n’est pas possible de consulter simplement le FAST pour savoir si un individu est inscrit comme objectif par un autre service. Les services inscripteurs sont principalement les services spécialisés de la police judiciaire (DCPJ, DRPJ Paris) et les unités spécialisées de la gendarmerie nationale (SR), et par exception, les services concourant aux missions dites de « sécurité publique » : les sûretés départementales (DCSP, DSPAP), le SCRT (DCSP), la DRPP (PP), et les brigades de recherches de la gendarmerie nationale (DGGN).

Une première version du FAST a d’ores et déjà été mise en production. Outre le changement du nom sur l’application, cette version comporte la création d’un profil spécial permettant au chef de l’OFAST et à son adjoint d’avoir une visibilité complète sur les quatre silos et la possibilité de procéder à des inscriptions dans le cadre des enquêtes administratives.

Parallèlement, une refonte complète de l’outil actuel (FAST v2) a été engagée et devrait aboutir au cours de l’année 2023. Les travaux portent notamment sur le développement technique de la future application, la déclaration juridique du nouvel outil et son homologation au regard des règles relatives à la sécurité des systèmes d’information (SSI).

3.   La coopération européenne et internationale

La position centrale de l’OFAST en matière de coopération européenne et internationale a été consacrée par le décret du 26 décembre 2019 qui prévoit notamment que l’OFAST constitue, pour la France, le point de contact central dans les échanges internationaux.

L’OFAST a placé la coopération internationale au cœur de son organisation, dans la mesure où l’Office est composé de trois pôles, dont chacun comporte une section ou un groupe dédié à l’international.

a.   En matière d’analyse stratégique

Deux principaux objectifs sont poursuivis : consolider un bouclier extérieur pour protéger la France des trafics de stupéfiants et mettre fin aux trafics qui ont réussi à atteindre le territoire national. Dans cette perspective, l’OFAST a identifié les États dans lesquels le trafic de stupéfiants cible fortement la France en termes de flux de produits (pays de production, de transit et de rebond), de groupes criminels (pays abritant des groupes criminels français ou étrangers en lien avec le territoire national) ou de flux financiers (pays où sont blanchis les avoirs criminels issus du trafic de stupéfiants en France) et avec lesquels il est nécessaire de construire, de rétablir ou de compléter la coopération. Pour chacun de ces pays, les outils de coopération bilatérale les plus adaptés ont été identifiés, notamment dans le cadre de missions institutionnelles réalisées dans les pays concernés ([27]).

S’agissant des États-membres de l’Union européenne, au-delà des relations qui ont pu être nouées dans un cadre bilatéral, l’OFAST a également développé une coopération stratégique singulière en s’engageant dans les programmes portés par les instances européennes (EUROPOL, EMPACT ([28]), FRONTEX, etc.) en matière de trafics de stupéfiants et de grande criminalité.

L’OFAST exerce ainsi le rôle de co-pilote de la priorité CCH (cannabis, cocaïne, héroïne) du cycle politique d’EUROPOL de lutte contre la grande criminalité. Cette position lui permet de contribuer aux orientations stratégiques de cette thématique, en portant la voix française auprès de ses partenaires étrangers. Également porteur de projets, l’OFAST s’implique dans plusieurs initiatives et programmes internationaux en s’appuyant sur les dispositifs de financement nationaux (fonds de concours MILDECA) et européens destinés à soutenir des actions d’ordre stratégique ou opérationnel au bénéfice de la France et de ses partenaires. Enfin, rattaché à l’antenne OFAST Caraïbe, le Centre interministériel de formation anti-drogue (CIFAD), service interministériel basé à Fort-de-France, participe à la transmission du capital de connaissances acquis par l’OFAST en réalisant des actions de formation en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants dans les États de la Caraïbe et d’Amérique latine, contribuant ainsi à son rayonnement sur la scène internationale.

b.   En matière de renseignement

L’OFAST est chargé de centraliser l’ensemble des renseignements opérationnels relatifs aux stupéfiants recueillis à l’étranger concernant des ressortissants français ou le territoire français, ou en France concernant des réseaux actifs sur le territoire national ou à l’étranger, et de traiter les demandes émanant des services français ou étrangers.

À l’étranger, le pôle renseignement procède à la collecte des renseignements, dans le cadre d’accords bilatéraux portant par exemple sur la surveillance et la filature, analyse et exploite les renseignements recueillis à l’étranger ou par le biais de partenaires étrangers et effectue tous les actes d’enquêtes administratives nécessaires à l’exploitation des renseignements.

Parmi les instruments de coopération internationale en matière de stupéfiants axés sur le renseignement, le centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (Maritime Analysis and Operations Centre Narcotics – MAOC-N), régi par un accord signé à Lisbonne le 30 septembre 2007 par l’Irlande, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la France et le Royaume-Uni, a pour objet de recueillir et d’évaluer les informations reçues, afin d’aider à déterminer les meilleurs choix opérationnels en matière de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants par voie maritime et aérienne dans la zone des opérations. Disposant d’un centre opérationnel commun, il vise également à renforcer le renseignement à travers l’échange d’informations entre les parties et avec Europol, et de veiller à la disponibilité des moyens des différents États membres, dans le but de faciliter les opérations d’interception.

L’OFAST peut également s’appuyer sur le Centre de coordination pour la lutte antidrogue en Méditerranée (CECLAD-M), créé en 2008. Implanté dans les locaux de l’OFAST à Nanterre, le CECLAD comprend un représentant espagnol, un représentant marocain et deux représentants sénégalais.

Enfin, l’OFAST bénéficie du concours de deux unités permanentes de renseignement (UPR) ([29]) franco-espagnole et caribéenne, ainsi que d’une équipe dédiée franco-colombienne créée en 2013 ([30]). Ces outils partenariaux permettent l’approfondissement et le renforcement de la coopération opérationnelle régionale avec des zones d’intérêt au regard des flux de stupéfiants. Il est fondé sur le principe de la présence semi-permanente d’enquêteurs français au sein d’une instance dans la zone considérée, en lieu et place de l’implantation d’un officier de liaison français.

c.   En matière opérationnelle

L’activité opérationnelle de l’OFAST est prise en charge par le groupe de coopération internationale opérationnelle (GCIO), rattaché au pôle opérationnel. Elle se traduit par la gestion de messageries dédiées à la coopération internationale, la centralisation et la diffusion aux autorités concernées des demandes et autorisations relatives aux demandes de mise en œuvre des opérations de surveillance prévues par le code de procédure pénale et par le code des douanes, la préparation et le suivi des actions de coopération policière s’inscrivant dans un cadre judiciaire bilatéral ([31]), en particulier des opérations de livraisons surveillées impliquant la coopération d’un ou plusieurs pays partenaires ([32]).

En outre, l’OFAST dépêche des agents de son pôle opérationnel afin d’armer l’OTF (Operational task force) d’EUROPOL, groupe temporaire de travail réunissant des représentants de différents États membres pour tout dossier nécessitant une collaboration européenne, à l’image du décryptage des messages provenant de la messagerie sécurisée Sky ECC.

d.   Les actions menées dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) au cours du premier semestre 2022

Le 17 février 2022, l’OFAST a organisé à Paris un séminaire européen dans le cadre de la PFUE intitulé « Trafics de stupéfiants : l’innovation au cœur de la riposte européenne ».

Cet événement s’est articulé autour de l’innovation en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, avec une attention particulière portée sur la coopération européenne, et a rassemblé, en visioconférence et sur site, 150 personnes parmi lesquels des représentants des différentes administrations françaises partenaires (ministère de l’Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l’Économie et des Finances, services du Premier ministre), ainsi que des représentants d’administrations originaires de 22 États membres de l’UE et des représentants d’institutions, organisations ou agences internationales, parmi lesquelles la Commission européenne, Europol, Eurojust, Interpol, la MILDECA, et de deux États tiers (États-Unis et Royaume-Uni).

Structuré autour de tables rondes traitant chacune de moyens et d’objectifs identifiés en réponse au sujet figurant à l’ordre du jour, ce séminaire a permis des échanges nourris entre les participants, autour de pistes de réflexion communes : privilégier une approche globale de la lutte contre les trafics, développer les accords juridiques entre pays, maîtriser les environnements technologiques et mieux contrôler les espaces maritimes.

Le 8 avril 2022, la MILDECA a également organisé la réunion des coordonnateurs nationaux en matière de drogues, sur le thème : « les drogues à l’ère du numérique ».

Parmi les pistes de réflexion et de coopération dégagées, les opérations de démantèlement menées conjointement par plusieurs polices européennes à l’image de l’opération Encrochat ou Sky ECC, ont vocation à se généraliser. Il a aussi été rappelé le besoin de spécialisation des juridictions et leur coopération avec les autres acteurs, afin de mobiliser certains outils juridiques comme l’enquête sous pseudonyme utilisés par la douane française. Enfin, il apparaît essentiel d’accroître les partenariats public-privé, notamment avec les grandes entreprises du numérique, afin de permettre le déréférencement de certains contenus et leur signalement.

À ce titre, le règlement européen Digital Services Act (DSA) adopté le 5 juillet 2022 trouvera toute son utilité dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants en ligne. Le texte prévoit que les fournisseurs de services doivent informer les autorités administratives et judiciaires des suites données à leurs injonctions d’agir contre un élément de contenu illicite, ainsi qu’à leurs injonctions de fournir des informations sur les utilisateurs de services.

II.   Une activité en pleine croissance confrontée à des enjeux complexes

A.   Le bilan des saisies réalisées en 2021

Si les deux confinements mis en œuvre en 2020 dans le cadre de la crise sanitaire ont eu indubitablement un effet perturbateur sur les trafics de stupéfiants, celui-ci se reflétant dans des niveaux de saisie globalement en baisse, la situation apparaît différente en 2021. Les saisies sont majoritairement en hausse ([33]) avec toutefois un contraste selon les produits considérés.

S’agissant du cannabis, les saisies s’élèvent l’année dernière à 111,9 tonnes avec 72,4 tonnes de résine et 39,5 tonnes d’herbe. Le total des quantités de cannabis (herbe et résine) saisies a ainsi augmenté de 16 % entre 2020 et 2021. La tendance observée en 2020 selon laquelle la part de l’herbe représentait presque la moitié des saisies de cannabis ne s’est pas poursuivie en 2021. Les saisies d’herbe constituent 35,3 % du total du cannabis saisi contre 64,7 % pour la résine. De plus, les quantités saisies de résine ont augmenté de 44 %, passant de 50,2 tonnes en 2020 à 72,4 tonnes en 2021.

Les saisies de cocaïne ont doublé entre 2020 et 2021, passant de 13,1 à 26,5 tonnes. Cette très forte augmentation s’est en particulier illustrée sur le vecteur maritime avec des saisies de grande ampleur réalisées dans les ports français, en particulier au Havre et à Dunkerque, au sein de conteneurs. Au total, 10,3 tonnes de cocaïne ont été saisies dans le port du Havre et 1,5 tonnes dans le port de Dunkerque.En parallèle, l’acheminement de cocaïne par vecteur aérien via les « mules » de Guyane diminue légèrement mais demeure à un niveau important. 842 mules ont ainsi été interpellées en 2021, ayant conduit à la saisie de 1,9 tonne de cocaïne (soit - 3,8 % par rapport à 2020), représentant 7,4 % du total de la cocaïne saisie.

Les saisies d’héroïne sont en hausse de 16 % en 2021, atteignant au total 1,3 tonne. Les saisies se localisent principalement dans le nord de la France, zone de consommation, ainsi que dans l’est, principalement considéré comme une zone de transit. Enfin, les saisies d’ecstasy et MDMA s’élèvent à 1 454 085 comprimés en 2021, ce qui représente une augmentation de 18 % par rapport à 2020. En 2021, l’OFAST a fourni des renseignements ou est intervenu dans le cadre de demandes d’entraide issues de procédures judiciaires dont il était saisi. Cet appui a conduit à la saisie, à l’étranger, de plus de 7,6 tonnes de cocaïne et de 39,9 tonnes de cannabis ([34]). Le démantèlement de 325 réseaux et de 274 points de deal ([35]) a également été effectué.

En conséquence, cette activité soutenue a induit une forte hausse de l’activité judiciaire.

C:\Users\fpetaux\Desktop\Saisies.pngSource : Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, 2 mars 2022.

B.   Les enjeux multiformes de la lutte anti-stupéfiants

1.   Le développement continu des trafics

Représentant la part la plus importante de la criminalité organisée en France, le trafic de stupéfiants ne cesse de s’accroître, tout comme ses conséquences directes : nombre de faits de trafic constatés et de mis en cause, quantités de produits stupéfiants saisies, nombre de consommateurs, violences en lien avec les trafics, revenus générés par cette criminalité, phénomènes corruptifs et coût sanitaire et social de la toxicomanie.

L’explosion de la production mondiale des principaux produits stupéfiants (cannabis, cocaïne et héroïne) et l’aggravation des propriétés psychoactives de certains d’entre eux ([36]) se conjuguent avec une offre mondiale de drogues de synthèse (ecstasy, MDMA, amphétamine, méthamphétamine, nouveaux produits de synthèse - NPS -) en plein essor.

En quête de rentabilité et de réduction des risques, les trafiquants s’adaptent et modifient ainsi les lieux de production comme les voies d’acheminement. La situation géographique stratégique de la France, située à proximité des principaux pays producteurs mondiaux et européens de résine de cannabis (Maroc), d’herbe de cannabis (Espagne, Pays-Bas, Belgique), de cocaïne (proximité des Antilles-Guyane avec la région andine) et de drogues de synthèse (Pays-Bas, Belgique, République tchèque), l’expose par nature aux trafics et font d’elle une zone de transit et une zone de rebond pour les flux de stupéfiants. En outre, la relocalisation de la production est également observée, avec un regain de la cannabiculture sur le sol français depuis 2016.

La diversification des modes d’acheminement des produits stupéfiants complexifie encore davantage la lutte menée contre ceux-ci. Que cette diversification porte sur les routes ou les modes de transport empruntés, elle demeure principalement motivée par la volonté de déjouer les dispositifs répressifs mis en place, voire, dans certains cas, résulte d’actions stratégiques visant à se saisir de nouvelles opportunités, à l’image de l’ouverture de nouvelles plateformes logistiques. En la matière, les groupes criminels rivalisent d’agilité et d’ingéniosité par l’utilisation de modes opératoires et de techniques de dissimulation innovantes. L’OFAST identifie ainsi de nombreux moyens distincts : recours au fret maritime, routier, aérien, permettant d’acheminer de grosses quantités tout en limitant les risques de contrôle du fait de la masse des flux mondiaux de marchandises, aux « go fast », « go slow » ([37]) sur le vecteur routier, à des avions privés ou à des drones, ou encore à l’envoi postal massif de petites quantités.

L’expansion de la production et des flux de stupéfiants répond à une consommation elle-même en hausse, généralisée à l’ensemble du territoire, ne se limitant plus aux seuls centres urbains, mais se diffusant dans les zones rurales et périurbaines, ainsi que dans les territoires ultramarins.

2.   La professionnalisation des groupes criminels

Une multitude de groupes criminels français et étrangers, petite structure de quartier ou organisation criminelle transnationale, gangrène l’ensemble du territoire national et constitue une délinquance quotidienne et visible qui entretient un climat d’insécurité.

À côté de multiples micro-réseaux autonomes et localement circonscrits se livrant à des petits trafics ([38]), des organisations criminelles puissantes et dotées de capacités financières importantes émergent. L’OFAST considère que le trafic de stupéfiants est généralement l’apanage de groupes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville avec, à la marge, une réorientation de l’activité de certains groupes criminels français spécialisés dans d’autres formes de délinquance (vols à main armée, proxénétisme, etc.) vers le trafic de stupéfiants, plus rémunérateur. Les cibles d’intérêt prioritaire françaises (ou high value targets – HVT) se trouvant à la tête des grandes organisations criminelles françaises d’envergure internationale, sont en majorité issues de cette criminalité.

L’OFAST souligne que certains groupes criminels adoptent une organisation segmentée, assurant le continuum entre les commanditaires et le bas du réseau tout en compartimentant les tâches et divisant le travail dans une logique de coupe-circuit conçue pour complexifier la détection du réseau et le protéger des actions des services répressifs. Grâce à leur agilité organisationnelle et aux connexions avec la communauté de la criminalité organisée, les réseaux fonctionnent de manière opportuniste et s’adaptent rapidement aux évolutions qui perturbent leurs trafics. Le recours massif aux nouvelles technologies de communication ([39]) leur permettent de conquérir de nouveaux marchés, en adoptant les techniques de marketing et de vente en ligne des entreprises commerciales et en développant les transactions d’achat-vente des produits stupéfiants sur les espaces numériques, hors de l’espace public.

3.   Les violences et pratiques corruptrices engendrées par les trafics

Dans un contexte de concurrence, les violences liées aux rivalités entre groupes criminels, perpétrées en vue de faciliter les trafics, obtenir des complicités, conquérir des territoires ou garantir une impunité, ainsi que celles liées à la consommation de drogues, sont en progression constante.

L’OFAST relève que la jeunesse des victimes témoigne d’une évolution générationnelle dans le trafic de stupéfiants ([40]). La « militarisation », illustrée par l’usage croissant d’armes à feu, dont des armes de guerre, en étant une autre facette.

L’OFAST rappelle que les actions violentes ne se limitent pas au seul réseau d’acteurs impliqués dans les trafics. Elles peuvent par exemple viser les dockers susceptibles de faciliter les opérations de « sorties » des drogues, telles que les menaces, enlèvements et séquestrations, mais aussi les forces de l’ordre, exposées à des attaques de commissariat, guet-apens et autres représailles. Dans l’Union européenne, certains groupes criminels n’hésitent pas à prendre pour cible des agents publics et privés qui participent directement ou non à la lutte contre le trafic de stupéfiants, tels que des magistrats ou des journalistes.

La dégradation et la destruction des biens publics (matériels de vidéosurveillance, éclairages publics), les comportements délinquants induits par la consommation de stupéfiants (cambriolages, vols, violences intrafamiliales, agressions) sont autant de formes de violences que distille le trafic de stupéfiants dans la société.

La puissance financière qui caractérise le trafic de stupéfiants permet également d’exercer une influence corruptrice facilitant son organisation, en visant aussi bien les agents publics que les opérateurs privés, en particulier ceux chargés du contrôle des flux de personnes et de marchandises ([41]). L’OFAST a ainsi observé que la tentative de corruption d’employés municipaux dans l’objectif d’obtenir un accès facilité à des équipements communaux servant au transport et au stockage des produits stupéfiants se répand. L’OFAST considère également que la corruption de la sphère politique doit être une autre source de vigilance à court terme. Cette menace pourrait se manifester en France par des tentatives d’infiltration du milieu politique, en particulier au niveau local ([42]).

4.   L’impact économique majeur des trafics

Véritable économie parallèle échappant au contrôle de l’État, le trafic de stupéfiants génère en France un chiffre d’affaires annuel estimé selon l’OFAST à au moins 3,5 milliards d’euros ([43]).

Cette difficulté à quantifier précisément les volumes financiers concerne également le blanchiment des revenus tirés des trafics de stupéfiants. Si une partie des profits finance le train de vie courant des acteurs de ce trafic, les bénéfices de ce dernier trafic de stupéfiants sont blanchis pour être réintroduits dans l’économie légale, en France ou à l’étranger. Reposant sur des montages juridiques et financiers complexes présentant souvent une dimension internationale, les modes opératoires sont multiples. En France, les profits peuvent être injectés directement dans le chiffre d’affaires de commerces de proximité appartenant au cercle familial ou à un prête-nom. Les nouvelles technologies, principalement les crypto-monnaies, représentent d’autres vecteurs de blanchiment, en raison de leur soustraction au système bancaire classique et aux contrôles inhérents à celui-ci. Dans ce cadre, certains groupes criminels européens développent une expertise dans ce domaine et offrent leurs prestations aux trafiquants de stupéfiants.

Deux secteurs de l’économie légale sont principalement utilisés pour le blanchiment de l’argent de la drogue : le secteur financier, permettant une « bancarisation » des espèces, et les secteurs non financiers propices à la fraude ([44]). Si l’objectif est de donner une apparence légale aux gains criminels, cette infiltration permet aussi de détourner des activités licites pour les besoins du trafic de stupéfiants. La perméabilité entre les activités légales et le blanchiment de la manne financière que représente l’argent de la drogue est source de déséquilibres économiques. Par ailleurs, le blanchiment est générateur d’autres infractions économiques et financières (fraudes sociales et fiscales, travail dissimulé, corruption, etc.) et de concurrence déloyale.

C.   Les défis que l’OFAST doit relever

À l’issue des déplacements qu’il a accomplis au service central de l’OFAST à Nanterre et à l’antenne de l’OFAST de Lyon, votre rapporteur pour avis considère que l’organisation et l’activité de l’OFAST se révèlent particulièrement performantes. Près de trois ans après sa création, le bilan de son action, en tant que chef de file de la lutte anti-stupéfiants, apparaît tout à fait satisfaisant. L’OFAST a rapidement acquis une véritable identité ainsi qu’une autorité incontestable afin de mener à bien le combat contre le trafic de drogue, en privilégiant, à raison, une approche à la fois globale et précise des multiples enjeux qui caractérisent ces activités criminelles.

Cependant, plusieurs défis d’ordre organisationnel, juridique et opérationnel se dessinent à court terme.

1.   Les défis organisationnels

Le réseau des antennes, des détachements et des CROSS doit être suffisamment souple afin de s’ajuster au mieux à l’évolution rapide des trafics. La nécessaire stabilité des structures existantes ne doit pas être une source d’inertie portant préjudice à l’efficacité des missions accomplies par l’OFAST, tant au niveau central que territorial. Il en est de même s’agissant de l’implantation des officiers de liaison à l’étranger qui nécessite des adaptations régulières pour répondre à une menace grandissante ([45]).

Par ailleurs, votre rapporteur pour avis souligne la nécessité de garantir une bonne articulation entre l’action menée par l’OFAST et les directions départementales de sécurité publique (DDSP). Deux écueils doivent être évités : d’une part, le risque d’un « conflit de priorités » susceptible de naître entre le travail nécessairement long de démantèlement des filières et l’urgence quotidienne de démantèlement des points de deal eu égard aux répercussions qu’ils font peser sur les habitants des zones concernées et, d’autre part, le délaissement potentiel de cibles situées « au milieu du spectre », pouvant aussi bien échapper à l’attention de l’OFAST qu’à celle des agents de la sécurité publique. Ces enjeux missionnels apparaissent d’autant plus cruciaux qu’ils doivent être appréhendés à la lumière de la réforme actuelle visant à « départementaliser » la police nationale, dans le but d’améliorer la synergie entre les différentes directions ([46]).

2.   Les défis juridiques

Les spécificités de la lutte contre le trafic de stupéfiants peuvent justifier une adaptation du cadre législatif et règlementaire afin de renforcer l’opérationnalité des moyens dont disposent les enquêteurs.

Il convient en effet d’adapter le traitement juridique des investigations relatives aux communications cryptées. L’OFAST considère que l’évolution récente de la jurisprudence relative à la captation de messageries cryptées a montré la fragilité du cadre applicable ([47]).

De façon plus concrète, l’extension de la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquêtes aux personnes en fuite ([48]) prévue par l’article 8 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) est particulièrement attendue afin d’appréhender les individus recherchés dans le cadre de procédures pour trafics de stupéfiants.

L’élargissement des moyens de renseignement en phase « pré-judiciaire », par le biais d’interceptions des communications satellitaires et de captation de données ou l’installation de dispositifs de géolocalisation à l’étranger, représente également une piste de réflexion intéressante susceptible de renforcer l’arsenal dont disposent l’OFAST et l’ensemble des forces de sécurité afin de lutter contre le trafic de drogue.

Enfin, dans une perspective plus large, votre rapporteur pour avis a été sensibilisé à l’enjeu récurrent auquel sont confrontés les services enquêteurs : la clarification et la simplification de la procédure pénale. La complexification croissante du cadre procédural ne facilite pas l’accomplissement des missions des forces de l’ordre, s’agissant plus particulièrement de la lutte anti-stupéfiants qui concerne des activités délictuelles et criminelles souvent sophistiquées, notamment au regard de leur dimension transfrontalière.

3.   Les défis opérationnels

Les rapides évolutions technologiques dont bénéficient les trafiquants rendent indispensable l’adaptation des moyens matériels dont bénéficient les services afin de mener à bien leurs missions. La création en 2023 de l’agence du numérique des forces de sécurité intérieure (ANFSI) vise justement à renforcer la réactivité de la réponse numérique de la police et de la gendarmerie en la matière.

Deux enjeux se distinguent plus particulièrement. D’une part, il semble nécessaire d’accélérer la mise en place du système de traitement centralisé des lecteurs automatiques des plaques d’immatriculations (LAPI). Ce dispositif doit à terme permettre à la police, à la gendarmerie et à la douane d’accéder directement aux données de tous les capteurs LAPI, quelle que soit l’administration en charge du capteur.

D’autre part, la mise en place d’un système harmonisé de sécurisation vidéo des emprises portuaires dans tous les ports ([49]) facilitera la coordination entre les services afin de lutter plus efficacement contre l’acheminement de stupéfiants par la voie maritime.


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   Examen en commission

Lors de sa première réunion du mardi 18 octobre 2022, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Sécurités » (MM. Éric Pauget et Thomas Rudigoz, rapporteurs pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/9cUicT

M. le président Sacha Houlié. Nous abordons l’examen pour avis des missions relevant du ministère de l’intérieur et des outre-mer en présence du ministre Gérald Darmanin. Après qu’il nous aura présenté les grandes lignes de ses budgets, nous engagerons la discussion des missions Sécurités et Immigration, asile et intégration.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Les crédits budgétaires que je vous présente ont vocation à augmenter les moyens nécessaires au fonctionnement du ministère de l’intérieur, dont j’ai l’honneur de commander les femmes et les hommes courageux.

Sous le quinquennat précédent, 10 milliards d’euros avaient été octroyés au ministère de l’intérieur ; en 2023, la marche budgétaire que forment le projet de budget et le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), donne une traduction concrète à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), adoptée cet après-midi au Sénat par une très large majorité.

La mission Sécurités prend en charge la stratégie du doublement de la présence des forces de l’ordre sur l’espace public. Nous vous demandons la création de 8 500 emplois au ministère de l’intérieur, dont 3 818 équivalents temps plein (ETP) au titre de 2023. Les re-créations de postes de policiers et de gendarmes sont prévues pour intervenir au cours des deux premières années budgétaires, de sorte que nous soyons prêts à recevoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024.

La police et la gendarmerie nationales seront les bénéficiaires de 95 % de ces créations d’effectifs. Sur ces 2 850 nouveaux ETP, 1 640 seront répartis dans les dix-huit unités de forces mobiles (UFM), dont onze nouvellement créées – sept de gendarmerie mobile et quatre de compagnies républicaines de sécurité (CRS) – et 1 266 seront envoyés dans les circonscriptions de sécurité publique prioritaires, c’est-à-dire là où la délinquance est la plus forte et où le nombre de policiers fait le plus grandement défaut. Les réserves opérationnelles de police et de gendarmerie seront également renforcées, jusqu’à atteindre 50 000 personnes en 2027.

La politique territoriale du ministère s’affirme, en premier lieu, par la re-création, pour la première fois, des effectifs des préfectures – 50 l’année prochaine, un peu moins de 400 au cours du quinquennat. En second lieu, par l’augmentation des crédits de vidéoprotection qui progressent tous les ans de 5 millions d’euros dans le cadre de la Lopmi, et qui viendront abonder le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), bien connu des élus. En troisième lieu, par des moyens, hors personnel, extrêmement élevés : 4 800 nouveaux véhicules seront acquis pour la police nationale et la gendarmerie nationale, après les 13 310 qui sont venus remplacer les sept huitièmes des deux parcs, dans le cadre du plan de relance. Une attention particulière sera accordée à la nouvelle politique d’achat, à hauteur de 250 millions d’euros, des tenues des policiers : elles seront désormais fabriquées en France, dans un tissu français, ce qui n’était pas le cas dans les derniers appels d’offres lancés par le ministère d’intérieur. La première marche du réseau Radio du futur, accepté par le Sénat, sera engagée cette année, à hauteur de 250 millions d’euros – l’appel d’offres a été lancé et le marché signé avec la société Airbus. Trente-six nouveaux hélicoptères viendront équiper la gendarmerie nationale et la sécurité civile.

J’en viens à la cybercriminalité, menace à la fois actuelle et pour demain. En 2021, les forces de l’ordre ont enregistré 260 000 procédures judiciaires liées à la cybercriminalité, soit une progression de 20 %. Plus de la moitié des escroqueries sont le fait de cyberattaquants ; elles touchent sans distinction nos concitoyens et les entreprises.

Le budget pour 2023 prévoit la création de cyberpatrouilleurs, en augmentation de 50 %, la mise en place du numéro d’urgence « 17 cyber », en attendant le vote de la Lopmi pour engager d’autres volets de notre politique de lutte contre la cybercriminalité. Celle-ci ne se substitue pas à la présence sur la voie publique ou sur le terrain, elle la complète.

Les investissements très importants pour la modernisation des services numériques du ministère de l’intérieur se poursuivent. En 2023, 700 millions sont consacrés au seul numérique du ministère, à la fois pour renforcer Pharos et la plateforme Thésée, lancée en mars dernier et dédiée à la lutte contre les e-escroqueries ; mettre en œuvre la plainte en ligne – la visio-plainte –, que la Lopmi autorise ; développer l’application « Ma Sécurité » et le portail de signalement des violences conjugales, lancé par la Première ministre.

Les outre-mer, puisque j’en suis le ministre, bénéficieront d’un effort sans précédent, avec une forte progression des effectifs et des moyens budgétaires. Pour Mayotte, l’effort prend la forme du plan Shikandra 2, sur lequel je travaille à la suite de ma visite sur ce territoire. Pour la Guyane, il s’agit du renforcement des effectifs que j’ai annoncé lorsque je m’y suis rendu, de l’opération Harpie, qu’il convient sans doute de revoir de fond en comble, ainsi que la re-création des brigades de recherche de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni et des antennes de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) à Cayenne. Je ne vais pas détailler toutes les annonces pour chaque territoire d’outre-mer, mais je voulais faire un zoom particulier sur Mayotte et la Guyane.

Nous préparons activement la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024. Les marches budgétaires, en termes de création d’effectifs comme en moyens budgétaires, sont très importantes – déjà 200 millions s’ajoutent aux moyens budgétaires et matériels évoqués pour les JO.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis (Sécurité). Le budget que vient de présenter le ministre de l’intérieur s’inscrit dans une trajectoire amorcée dès 2017, qui s’amplifie sans discontinuer depuis la précédente législature. Les crédits de paiement (CP) affectés à la police nationale connaissent ainsi une augmentation de plus de 6 %, atteignant 12,4 milliards d’euros. Ceux de la gendarmerie progressent de la même façon et atteignent près de 10 milliards d’euros. Les budgets de la police et de la gendarmerie présentent donc une hausse cumulée de près de 1,3 milliard d’euros par rapport à 2022 : nous ne pouvons que nous réjouir de la concrétisation, dans le projet de loi de finances pour 2023, des engagements pris par le Président de la République et le ministre de l’intérieur à l’issue du Beauvau de la sécurité.

Ces engagements doivent aussi trouver leur place dans la Lopmi, adoptée en première lecture par le Sénat et que notre commission examinera au début du mois de novembre.

Je n’entrerai pas dans le détail de la répartition des crédits, le ministre en ayant déjà brossé un tableau complet.

Le renforcement de l’ensemble des moyens, qu’il s’agisse de la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes, du développement des outils numériques mis à leur disposition ou de la rénovation et de la construction de nouveaux locaux, est une condition indispensable au bon accomplissement de leurs missions, dont on mesure chaque jour l’importance pour la sécurité de nos compatriotes. Permettez-moi d’avoir une pensée pour nos forces de l’ordre blessées ces derniers mois dans l’exercice de leurs fonctions, face à des délinquants et criminels de plus en plus déterminés.

Je souhaiterais soulever deux points en particulier.

Premièrement, les documents budgétaires font état du recrutement de 1 462 personnes au sein du corps d’encadrement et d’application de la police nationale. Cette hausse correspond-elle majoritairement à l’embauche de nouveaux gardiens de la paix ? Quelle sera la catégorie d’emploi des 5 400 futurs assistants d’enquête dont la Lopmi prévoit la création ?

Deuxièmement, au sein du programme Gendarmerie nationale, le montant des dépenses d’investissement diminue de 8 % par rapport à l’année dernière. Une telle évolution s’explique sans doute par l’achèvement du plan de renouvellement des véhicules de la gendarmerie mobile. Une autre explication pourrait-elle être un effet de décalage sur l’exécution des crédits de paiement dû au calendrier de réalisation des 200 brigades de gendarmerie que vous avez annoncé le mois dernier devant notre commission ?

J’ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mon rapport pour avis à l’activité de l’Office anti-stupéfiants (Ofast). La lutte contre le trafic de drogue constitue, monsieur le ministre, l’une de vos priorités. L’Ofast, organe interministériel créé dans le cadre du plan national contre les stupéfiants et placé sous l’autorité de la direction centrale de la police judiciaire, est opérationnel depuis 1er janvier 2020. Après trois ans de fonctionnement en tant que chef de file de la lutte anti-stupéfiants, il m’est apparu nécessaire de faire le bilan de son action.

L’organisation et le fonctionnement de l’Ofast soulignent à quel point la lutte contre les trafics de stupéfiants exige une approche à la fois globale et territoriale. Globale, car il est nécessaire de combiner efficacement l’ensemble des dimensions stratégiques et opérationnelles pour « comprendre », « cibler » et « agir », selon les trois piliers de l’Ofast. Territoriale, car ce sont dix antennes, quatorze détachements et près d’une centaine de cellules départementales du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui assurent au quotidien le combat de terrain contre les réseaux de trafiquants de drogue. La finesse de ce maillage territorial et le développement d’actions de coopération européenne et internationale de grande envergure permettent aujourd’hui à l’Ofast de jouer pleinement son rôle de chef d’équipe, en disposant d’une autorité incontestable et reconnue à l’échelle internationale.

Cependant, la hausse du volume des saisies de cannabis, de cocaïne et d’héroïne témoigne autant de la réussite de l’ensemble des acteurs engagés dans cette lutte – police, gendarmerie, douanes, finances publiques, marine nationale – que de l’augmentation de la production et du transit de stupéfiants sur notre territoire.

Cette situation constitue un triple fléau, sanitaire, social et sécuritaire, et les habitants des quartiers les plus défavorisés en sont les premières victimes. Nous avons le devoir collectif de continuer à combattre avec la plus grande vigueur les acteurs de ces trafics, en anéantissant leurs ressources par la fermeture des points de deal, qui génèrent en moyenne 20 000 à 80 000 euros de chiffre d’affaires chaque jour, et à mettre hors d’état de nuire les dealers et les commanditaires.

Je salue ici le dévouement exemplaire et le dynamisme des agents de l’Ofast, notamment de sa directrice Mme Stéphanie Cherbonnier. Bien que dans l’ombre, ces femmes et ces hommes sont le visage de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils supportent avec courage et détermination les risques physiques auxquels leur mission les expose.

Pour réussir, l’action de l’Ofast suppose également de relever des défis à la fois juridiques, opérationnels et organisationnels.

Le travail de l’Ofast doit se faire en bonne articulation avec celui des directions départementales de la sécurité publique. Il faut tout faire pour empêcher tout conflit de priorité entre le nécessaire travail à long terme de démantèlement des filières et l’urgence quotidienne de fermeture des points de deal dans les quartiers. Il est également indispensable de consacrer des moyens d’action adaptés pour lutter contre tous les trafiquants, notamment ceux, qui, se situant au « milieu du spectre », peuvent aussi bien échapper à l’attention de l’Ofast qu’à celle des policiers de la sécurité publique. Cette exigence apparaît d’autant plus cruciale dans la perspective de la réforme visant à « départementaliser » la police nationale dans le but d’améliorer la synergie entre les différents services de police et d’encore mieux lutter contre cette criminalité organisée.

Il me paraît donc primordial que les forces de sécurité engagées dans la lutte anti-stupéfiants soient renforcées, en moyens et en effectifs, au cours des prochaines années. C’est à cette condition que le combat contre le trafic de drogue finira par être gagné.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis (Sécurité civile). Les crédits du programme Sécurité civile, avec 640,6 millions d’euros, ressortent en hausse de 12,8 % par rapport au précédent exercice. Cette augmentation s’inscrit dans le cadre un peu plus général de la Lopmi et le déblocage de 15 milliards au cours des cinq prochaines années pour le ministère de l’intérieur. Toutefois, en tenant compte de l’inflation, ce budget n’augmente vraiment que de 8,2 %.

Seulement 8 % du budget total de la sécurité civile est à la charge de l’État, l’ensemble, qui représente 7,3 milliards d’euros, étant essentiellement assumé par les départements et les communes, qui financent les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). La sécurité civile coûte un peu plus de 100 euros par an et par Français ; c’est peu au regard du grand dévouement de nos sapeurs-pompiers et de l’ensemble des personnels de la sécurité civile de notre pays, mais aussi par rapport à ce qui peut être sauvé par leur action.

Pour la seconde partie de mon rapport, j’ai choisi comme thématique la prévention et la lutte contre les feux de forêt.

La stratégie française repose sur deux principes : l’anticipation des risques et une réponse dite du vite et fort, dès le premier départ de feu. Cette doctrine a montré son efficacité puisque l’essentiel des feux est éteint sans avoir atteint 10 hectares. Toutefois, les incendies de l’été dernier ont montré que le risque s’étend désormais à l’ensemble du territoire alors qu’il touchait jusqu’à présent essentiellement le sud du pays. Or tous les Sdis ne disposent pas des mêmes moyens pour y faire face.

S’agissant de la prévention des risques, plusieurs pistes peuvent être envisagées : renforcer les sanctions à l’égard des pyromanes et des incendiaires criminels – j’ai déposé dernièrement une proposition de loi en ce sens ; généraliser les comités communaux de feux de forêt et harmoniser leurs missions, disparates selon les communes et pas forcément connues de tous nos maires ; mieux faire respecter l’obligation légale de débroussaillement – 30 % seulement des foyers concernés respectent cette obligation ; consolider le maillage d’équipements de défense contre les feux de forêt – certains espaces boisés exposés à ce risque n’en sont pas encore dotés ; définir des critères de défendabilité des massifs, qui fixeraient des standards de protection et objectiveraient les besoins en équipements.

Deuxième sujet important, le financement des Sdis est trop souvent ramené à leur coût alors que leur action est à valoriser financièrement. L’Assemblée des départements de France et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France nous appellent à valider une méthode qu’ils appellent « le calcul de la valeur du sauvé ». Ce calcul permet de valoriser l’action de nos forces de sécurité civile mais aussi de prendre en compte ce que les assurances auraient dû financer si leur action n’avait pas été mise en œuvre.

Avec le changement climatique, la pression sur les Sdis va s’accroître. Il est donc essentiel de renforcer leurs moyens. Je propose de le faire par trois mesures d’ordre fiscal : l’augmentation de la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance qui est versée par l’État aux départements pour financer les Sdis ; l’exonération du malus écologique qui s’applique désormais à l’ensemble de leurs véhicules ; l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), au même titre que l’armée qui ne la paie pas pour ses véhicules. Des marges de manœuvre financières non négligeables pourraient être ainsi dégagées et affectées à la lutte incendie.

Le rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement sur l’évolution du financement des Sdis ne nous a pas encore été transmis. Pourriez-vous néanmoins nous indiquer quelles mesures sont envisagées pour raffermir les capacités d’investissement des Sdis ?

Quel regard portez-vous sur les propositions d’ordre fiscal que je viens d’énoncer ?

Dernier sujet, largement partagé par les différents organismes audités : le besoin d’une gouvernance plus proactive et volontariste des politiques publiques touchant à la sécurité civile, dont le champ s’étend largement au-delà du seul ministère de l’intérieur. Un regroupement des services, aujourd’hui disséminés entre plusieurs ministères – intérieur, transition écologique, Europe et affaires étrangères, défense, santé – au sein d’une délégation interministérielle consacrée à la sécurité civile qui serait placée sous l’autorité du Premier ministre est-elle envisageable ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE).  Je salue ici un budget historique. Il est conforme à la trajectoire de la Lopmi, qui prévoit 15 milliards d’euros sur cinq ans. Il augmente de 1,2 milliard par rapport au budget de 2022 et prévoit la création de plus de 3 018 postes, dont 2 874 postes de policiers et gendarmes.

Conformément à l’engagement du Président de la République de réarmer les territoires, la mission budgétaire Administration générale et territoriale de l’État voit les effectifs des préfectures et sous-préfectures augmenter pour la première fois depuis dix ans. Quarante-huit postes viendront renforcer dès 2023 les services à fort enjeu pour le ministère de l’intérieur. De nouvelles sous-préfectures viendront compléter un réseau au sein duquel des espaces France Services continueront à être développés.

L’État a inversé la dynamique de recul des services