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N° 341

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 273)
de finances pour 2023

 

 

 

TOME VIII

SÉCURITÉS

 

SÉCURITÉ CIVILE

PAR M. Éric PAUGET

Député

——

 

 Voir le numéro : 292 – III – 43

 


En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2022 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, 100 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

Première partie :  les crédits de la sécurité civile pour 2023

I. Les crédits de la direction générale en augmentation

II. Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Seconde partie : la prévention et la lutte contre les feux de forêt

I. D’origine essentiellement anthropique, les feux de forêt emportent des conséquences gravissimes, mais qui peuvent être mieux anticipées

A. Si le dérèglement climatique favorise les départs de feu, l’activité humaine est la première responsable des feux de forêt

1. Involontairement ou intentionnellement, l’homme est derrière l’immense majorité des feux

2. Une année 2022 « hors normes »

3. Le changement climatique est un facteur aggravant

B. L’anticipation des risques : une étape fondamentale pour prévenir les feux et réduire les dégâts

1. À l’échelle de l’État, les actions de prévention du dispositif ForMiSC

2. À l’échelle des collectivités, plusieurs initiatives existent et pourraient être clarifiées

3. L’acculturation des populations : un enjeu pour demain

II. La sécurité civile peut agir efficacement contre les feux, pourvu que soient renforcés les moyens des services départementaux d’incendie et de secours

A. Combattre « vite et fort » les flammes : une méthode qui a fait ses preuves

1. La doctrine des sapeurs-pompiers pour faire face aux feux

2. Les moyens humains

3. Les moyens matériels

B. Gagner la bataille du feu nécessite de renforcer considérablement les moyens des SDIS

1. La taxe spéciale sur les conventions d’assurance, source de financement importante des SDIS

2. Une exonération du malus écologique à l’achat de véhicules

3. Une exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

Conclusion : la sécurité civile de demain requiert une gouvernance à la hauteur des enjeux

Liste des propositions

Examen en commission

Personnes entendues

 

 


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Avant-propos

Mesdames, Messieurs,

L’année 2022 et les feux de forêt qui ont ravagé notre pays ont mis à l’épreuve la résilience de notre modèle de sécurité civile, qui a tenu bon grâce à une mobilisation exceptionnelle sur le terrain, au sol et dans les airs.

Le budget total de la sécurité civile repose à hauteur d’un tiers sur l’État – via le programme 161 « Sécurité civile », objet du présent avis budgétaire, et via d’autres programmes du budget général, ainsi qu’à travers la fiscalité transférée aux collectivités territoriales – et aux deux tiers sur les communes et les départements, qui financent largement les services départementaux d’incendie et de secours, en première ligne pour assurer la sécurité civile du quotidien.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, le programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » voit son budget fixé à 640,6 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse d’environ 13 % par rapport aux crédits consentis par la loi de finances pour 2022. Cette augmentation est cohérente avec les objectifs du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, qui prévoit le déblocage de 15 milliards d’euros sur cinq ans pour la quasi-intégralité des programmes de ce ministère, dont le 161.

Si cette hausse est bienvenue, elle mérite néanmoins d’être restituée dans le contexte inflationniste et incertain dans lequel se trouvent nos finances publiques : en euros constants, l’augmentation de budget n’est « que » de 8,2 %. L’évolution de l’inflation dans les mois et années à venir sera déterminante pour en évaluer la pertinence, au regard des défis auxquels notre sécurité civile est confrontée.

Surtout, cette somme présente seulement les crédits de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur. Elle n’est donc pas représentative de l’évolution réelle du budget global de la sécurité civile, assumé lourdement par les collectivités territoriales, dont les marges financières seront à nouveau fragilisées l’année prochaine avec la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dont elles sont aujourd’hui bénéficiaires.

Pourtant, les travaux menés par votre rapporteur rappellent le besoin urgent de mobiliser d’importants moyens pour préparer l’avenir. La prévention et la lutte contre les feux de forêt, sujet auquel le présent avis budgétaire est consacré, nécessitent en effet de renouveler et moderniser la flotte aérienne nationale, mais aussi d’outiller communes et départements, aujourd’hui presque tous concernés par ce phénomène qui, dans les prochaines années, continuera de toucher durablement la France.

La stratégie française de défense des forêts contre l’incendie s’appuie sur deux principes fondamentaux : l’anticipation des risques et une réponse « vite et fort » dès le premier départ de feu. Cette doctrine témoigne chaque année de son efficacité car, si l’attention médiatique retient naturellement les feux de forêt les plus importants, un nombre conséquent d’incendies est éteint rapidement par des bénévoles et des professionnels pleinement dévolus à la protection des massifs.

Pourtant, l’année qui s’achève a mis en exergue les fragilités dans l’application de cette stratégie par certains départements moins bien préparés au risque incendie et moins bien dotés que ceux éprouvant chaque année la saison des feux. Le présent avis, qui s’inscrit dans la continuité de plusieurs travaux récents ([1]), appelle, non pas à réformer le modèle de sécurité civile français, mais à le consolider et lui permettre de s’adapter aux grands enjeux d’avenir.

Les 9 recommandations défendues par votre rapporteur embrassent cette perspective, qu’il sait partagée par l’ensemble de la représentation nationale.

 

 


   Première partie :
les crédits de la sécurité civile pour 2023

Les crédits consacrés par le projet de loi de finances pour 2023 à la sécurité civile stricto sensu sont inscrits au sein du programme 161 « Sécurité civile ». Ils ne représentent néanmoins qu’une petite proportion de l’ensemble des sommes affectées à la sécurité civile, d’autres programmes, ainsi qu’une part de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales, contribuant également à son financement.

I.   Les crédits de la direction générale en augmentation

Le programme 161 « Sécurité civile » fait partie de la mission « Sécurités », qui regroupe l’ensemble des moyens financiers relevant du ministère de l’Intérieur et concourant à la protection des populations sur tout le territoire, avec les programmes 176 « Police nationale », 152 « Gendarmerie nationale » et 207 « Sécurité et éducation routières ».

Il est placé sous la responsabilité de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui concourt à la politique interministérielle de sécurité civile, conformément aux orientations définies par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile, aux termes de laquelle : « l’État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ; il en définit la doctrine et coordonne ses moyens ». La DGSCGC organise, prépare et met en œuvre les moyens nationaux d’intervention de la sécurité civile, notamment en situation de crise. Elle conduit la politique internationale de la France en matière de sécurité civile et participe à la lutte contre le terrorisme.

La DGSCGC conserve, pour l’exercice 2023, les quatre objectifs de performance précédemment définis depuis l’exercice 2020 : assurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de lutte contre les feux de forêt, assurer la disponibilité des moyens aériens et leur conformité aux besoins opérationnels, faire évoluer la cartographie des centres de déminage pour éliminer les munitions historiques et faire face à la menace terroriste et harmoniser les moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

Les crédits demandés pour 2023 au titre du programme 161, d’un montant de 640,6 millions d’euros, sont en hausse de 12,76 % par rapport à la dotation consentie pour le précédent exercice. Ces crédits devraient continuer à augmenter, selon les prévisions indicatives figurant dans le projet annuel de performance de la mission « Sécurités », de 11,67 % en 2024, puis 3,01 % en 2025.

ÉVOLUTION des CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME 161 « SÉCURITÉ CIVILE »

(en euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

Crédits de paiement

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

37 727 406

48 289 207

+ 28 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

377 925 040

413 128 186

+ 9,31 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

141 254 599

164 785 619

+ 16,66 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

11 222 909

14 406 213

+ 28,36 %

Total du programme 161

568 129 954 

640 609 225

+ 12,76 %

Source : projet annuel de performance de la mission « Sécurités » annexé au projet de loi de finances pour 2023.

En tenant compte des perspectives d’inflation pour l’année 2023 (+ 4,2 %) inscrites dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2023, le montant des crédits du programme augmente en réalité d’environ 8,2 %.

L’action 11 « Prévention et gestion de crises » porte sur la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, sur la solidarité nationale en cas de survenance d’une crise, sur la prévention opérationnelle et la protection des populations et, enfin, sur l’activité opérationnelle lors de crises. Près d’un tiers des crédits de paiement de cette action correspond aux dépenses d’achat de carburant des avions et des hélicoptères. La principale dépense de fonctionnement de cette action concerne l’achat de carburant des avions et des hélicoptères (12,3 millions d’euros en crédits de paiement). La dépense d’investissement la plus conséquente concerne les colonnes de renfort mobilisées par l’État en cas d’engagement opérationnel (6,3 millions d’euros en crédits de paiement).

L’action 12 « Préparation et intervention spécialisées des moyens nationaux » bénéficie de la dotation la plus importante, correspondant à 76,2 % des crédits du programme. Elle regroupe les moyens nationaux que l’État met à la disposition de la population, au quotidien ou lors de catastrophes naturelles ou technologiques, et se décline en cinq sous-actions, portant chacune sur un « métier » propre à la sécurité civile : avions, moyens nationaux terrestres, hélicoptères, moyens nationaux de déminage et moyens nationaux de soutien.

Comme l’année passée, la principale dépense de fonctionnement (88,6 millions d’euros en crédits de paiement) concerne la maintenance des aéronefs, qui représente plus de 21 % des crédits de paiement de cette action et près de 14 % de l’ensemble des crédits de paiement du programme. Les acquisitions d’hélicoptères constituent la dépense d’investissement la plus élevée (27,8 millions d’euros en crédits de paiement).

L’action 13 « Soutien aux acteurs de la sécurité civile » correspond aux activités de coordination et de formation des services d’incendie et de secours et des associations de sécurité civile. Cette action comprend notamment la contribution au régime d’indemnisation spécifique des sapeurs-pompiers volontaires (RISP) et à la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) des sapeurs‑pompiers volontaires, ainsi que la participation de l’État au budget de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) – qui représente près de 64 % de ses crédits de paiement – et au budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP). Elle comprend également la dotation de soutien à l’investissement des SDIS, qui finance le projet de système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile (NexSIS) porté par l’agence du numérique de la sécurité civile.

L’action 14 « Fonctionnement, soutien et logistique » réunit les fonctions de soutien général du programme 161 : services d’état-major, inspection générale de la sécurité civile (IGSC) et fonctions support. Le fonctionnement courant des services de la DGSCGC représente la dépense la plus élevée (2,7 millions d’euros, en augmentation de 33,3 % par rapport aux crédits de paiement prévus par le PLF 2022).

Les fonds de concours et avances de produits attendus, qui s’ajoutent au montant des crédits de paiement demandés pour 2022, s’élèvent à 400 000 euros et portent, pour l’essentiel, sur la rémunération des services rendus par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. 

Les dépenses de personnel (titre 2) s’élèvent à 201,8 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse de 6 % par rapport à 2022. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, la direction du budget a fixé le schéma d’emplois du programme à + 4,7 ETPT. Le plafond d’emplois, qui a été défini à 2 467,29 ETPT, est réparti de la manière suivante :

– 1 418,25 personnels militaires ;

– 127,83 personnels administratifs ;

– 495,83 personnels techniques ;

– 42,5 ouvriers d’État ;

– 80,55 hauts fonctionnaires et personnels issus de corps de conception et de direction et de corps de commandement de la police nationale ;

– 302,33 personnels des corps d’encadrement et d’application de la police nationale.

La DGSCGC emploie des personnels mis à sa disposition par la BSPP, les SDIS et le bataillon des marins-pompiers de Marseille. Ces effectifs ne sont pas comptabilisés dans le plafond d’emplois du programme : le remboursement des rémunérations correspondantes est imputé sur les crédits de fonctionnement (12,8 millions d’euros en crédits de paiement). Ce schéma, qui concernait en 2019 près de 38 % des agents affectés en administration centrale ([2]), crée une distorsion importante dans l’appréciation du respect du plafond d’emplois du programme.

Le budget de la DGSCGC hors titre 2 est de 438 782 209 € en crédits de paiement, et connaît une augmentation de 12,5 % en euros constants par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances et la loi de finances rectificative pour 2022. Une fois corrigée de l’inflation, cette augmentation est en réalité de 8 %.

II.   Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Le programme 161 ne représente qu’une faible partie du montant total des crédits de la sécurité civile.

L’État contribue au tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs programmes du budget général (354, 149, 205, 181, 204, 190, 159, en plus du programme 161) et de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales (fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance – TSCA).

Budget total de la sécurité civile

 

 

Montant en 2021

en %

Crédits des SDIS, de la BSPP et de la BMPM

6 003 984 092 

82,2 %

Crédits du budget général de l’État

dont programme 161
(hors subvention BSPP)

568 629 954 

7,8 %

dont autres programmes

728 379 416 

10 %

Sous-total

1 297 009 370 

17,8 %

Total

7 300 993 462 

100 %

Sources : DGSCGC

Le budget de la sécurité civile repose essentiellement sur les collectivités territoriales, qui sont les financeurs principaux des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), chargés de la sécurité civile « de proximité » – les moyens de l’État n’étant mobilisables qu’en cas de catastrophe. Les budgets cumulés de l’ensemble de ces services atteignaient environ 5,4 milliards d’euros en 2021 – dont 4,5 milliards de dépenses de fonctionnement et 0,9 milliard de dépenses d’investissement ([3]).

À titre indicatif, rapporté à l’ensemble de la population française, le coût global de la sécurité civile s’élevait à environ 108 euros par an et par habitant en 2021.

 


—  1  —

 

   Seconde partie : la prévention et la lutte contre les feux de forêt

La France est soumise à un risque feu de forêt élevé, dont la matérialisation est principalement liée à l’activité et la présence humaines. Jusqu’à présent généralement circonscrits aux départements méditerranéens, les feux de forêt ont, cette année, frappé la quasi-intégralité du territoire national.

Si l’attention médiatique s’attarde particulièrement sur les « méga feux », à l’instar de ceux qui ont brûlé en Gironde cet été, l’essentiel des incendies est maîtrisé rapidement, grâce à une doctrine efficace et au dévouement des personnels de la sécurité civile : ainsi, la Gironde a connu 614 départs de feux cette année, mais seuls cinq ont échappé au contrôle rapide des pompiers.

Cette doctrine nécessite la combinaison de moyens humains et matériels coûteux, que les collectivités territoriales, principaux financeurs de la sécurité civile, ne peuvent pas toutes mobiliser. L’État, garant de la sécurité civile sur le territoire, a un rôle important à jouer et dispose de leviers financiers qui doivent être actionnés si l’on souhaite préparer notre pays aux grands enjeux climatiques d’aujourd’hui et de demain.   

I.   D’origine essentiellement anthropique, les feux de forêt emportent des conséquences gravissimes, mais qui peuvent être mieux anticipées

L’essentiel des feux de forêt est d’origine humaine ; une partie de ces feux est motivée par des fins crapuleuses et doit être plus durement sanctionnée. Alors que l’évolution du climat devient un facteur aggravant dans le départ des incendies, la politique de prévention, sur laquelle repose la doctrine française de lutte contre les feux, doit être renforcée. 

A.   Si le dérèglement climatique favorise les départs de feu, l’activité humaine est la première responsable des feux de forêt

1.   Involontairement ou intentionnellement, l’homme est derrière l’immense majorité des feux

L’activité humaine est la principale cause de déclenchement des feux de forêt. Selon les chiffres communiqués à votre rapporteur par la direction de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur, 92 % d’entre eux sont d’origine anthropique. Les causes naturelles – essentiellement la foudre – sont ainsi largement minoritaires.

Ces feux peuvent être occasionnés par une activité économique – un accident électrique sur un chantier de construction, la dilatation de câbles électriques, des départs de feu liés aux activités agricoles, etc. – ou par une maladresse du quotidien – les braises d’un barbecue ou un mégot de cigarette au sol, un feu de camp ou l’incendie d’un véhicule, par exemple. 80 % des incendies sont d’ailleurs déclarés à moins de 50 mètres d’habitations ou de structures.

La DGSCGC tient à jour des statistiques précises s’agissant des départements méditerranéens, où elle a identifié l’origine de plus de 60 % des feux survenus entre 1998 et 2021. Il en résulte que 53 % des feux sont involontaires, 8 % sont d’origine naturelle et 39 % sont d’origine malveillante.

Les articles 322-6 et suivants du code pénal sanctionnent les destructions, dégradations ou détériorations volontaires d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger.

Les peines encourues pour l’incendie d’une forêt sont les suivantes :

 

Article

Circonstances aggravantes

Peines prévues

322-6 al. 1

 - 

10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

322-6 al. 2

conditions de nature à exposer les personnes à un dommage corporel ou à créer un dommage irréversible à l’environnement

15 ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende

322-7

incapacité totale de travail pendant huit jours au plus

20 ans de réclusion criminelle et 200 000 euros d’amende

322-8

- infraction commise en bande organisée ;
- incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours ;
- infraction commise en raison de la qualité de magistrat, de militaire de la gendarmerie nationale, de fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, ou de sapeur-pompier ou de marin-pompier, de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien

30 ans de réclusion criminelle et 200 000 euros d’amende

322-9

mutilation ou une infirmité permanente

réclusion criminelle à perpétuité et 200 000 euros d’amende

322-10

mort d’autrui

réclusion criminelle à perpétuité et 150 000 euros d’amende

Votre rapporteur a récemment déposé une proposition de loi visant à combattre la pyromanie ([4]), qui prévoit notamment un durcissement des sanctions encourues, le prononcé obligatoire d’une peine de prison dans certains cas énoncés par le texte, ainsi que la criminalisation des dépôts sauvages d’objets incendiaires.

La représentation nationale devrait s’emparer de ce texte afin d’engager un débat nécessaire sur l’alourdissement des sanctions à l’encontre de ces délinquants.  

Proposition n° 1 : durcir les sanctions pénales encourues par les pyromanes, en s’inspirant des dispositions de la proposition de loi visant à combattre la pyromanie déposée par votre rapporteur

2.   Une année 2022 « hors normes »

La saison des feux 2022 a été considérablement plus intense que les années précédentes. Le nombre de départs d’incendie, stable sur les cinq dernières années, a doublé cet été, avec plus de 8 550 feux de forêt enregistrés, couvrant une superficie de 70 200 hectares – contre 11 000 hectares en moyenne entre 2017 et 2021 – soit un ratio de 4,9 hectares brûlés par feu, contre 3 entre 2012 et 2021. Plus de 40 % des terres brûlées sont dues à quatre « méga feux » survenus en Gironde, département de loin le plus touché.

Principaux départements affectés par les feux de forêt en 2022

 

En hectares

Gironde

31 000

Var

2 600

Finistère

2 500

Ardèche

1 900

Maine-et-Loire

1 800

Bouches-du-Rhône

1 700

Lozère

1 400

Pyrénées-Orientales

1 400

Hérault

1 300

Gard

1 300

Landes

1 100

Alpes-de-Haute-Provence

1 100

Source : commission des Lois, à partir des données transmises par la DGSCGC

Le surcoût lié à l’ensemble de ces feux pour le seul budget de l’État est estimé par le Gouvernement à 35 millions d’euros, principalement liés à l’augmentation des coûts de maintenance de la flotte aérienne et à un renforcement de cette dernière par la location ou la réquisition de plusieurs hélicoptères. 

Lors de son audition jeudi 6 octobre, M. Romain Royet, directeur général adjoint de la DGSCGC, a précisé à votre rapporteur que des feux étaient toujours en cours. Ainsi, même si la saison des feux n’était pas tout à fait terminée lorsque votre rapporteur a mené ses travaux, la direction générale estimait déjà qu’elle ferait partie des trois saisons les plus importantes en termes de sollicitation des moyens aériens, après les années 2003 et 2017.

Les personnes auditionnées par votre rapporteur ont cependant rappelé qu’en dépit de l’intensité des feux cette année, il n’existe aucune victime civile.

3.   Le changement climatique est un facteur aggravant    

Plusieurs facteurs de risque sont aggravés par le changement climatique. D’une part, l’élévation des températures et les périodes de canicule favorisent la transpiration des plantes, contribuant à une diminution de l’eau dans les sols, et donc à l’assèchement de la végétation.

Ce terreau, particulièrement favorable aux flammes, permet un départ rapide de l’incendie, qui se propage d’autant plus facilement dans les régions qui, à l’avenir, connaîtront une baisse de la pluviométrie.

Plus largement, le changement climatique emporte des conséquences directes et indirectes sur les départs de feu, détaillées par la DGSCGC dans ses réponses au questionnaire budgétaire que lui a adressé votre rapporteur :

– directement, par l’augmentation de la fréquence des sécheresses et des périodes de canicule. Comme l’explique la DGSCGC, « la France métropolitaine est exposée à une augmentation sensible du nombre d’incendies, de leur superficie moyenne et de la probabilité de feux majeurs, du fait de l’extension des zones sensibles et des continuums de végétation favorisés par les délaissés agricoles ou les friches ».

De surcroît, le risque incendie va se généraliser sur le territoire. Alors qu’il était auparavant principalement circonscrit aux départements méditerranéens, le feu de forêt est désormais un danger qui concerne la quasi-totalité des SDIS de France. En 2022, seuls dix départements n’ont pas connu de feux de forêt. Selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un risque incendie en 2050, contre un tiers il y a douze ans.

– indirectement, les épisodes de canicule et de sécheresse réduisent les points d’écopage pour les avions bombardiers d’eau, et certains avions ne peuvent plus démarrer au-delà d’un certain seuil de température. Le port de l’équipement de protection recommandé est par ailleurs quasi impossible en période de chaleur extrême.

B.   L’anticipation des risques : une étape fondamentale pour prévenir les feux et réduire les dégâts

L’efficacité de la lutte contre les feux de forêt repose, en amont, sur la mobilisation d’importants efforts de prévention. Ces efforts sont menés par l’État, dans le cadre du déploiement des formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC) qui sont relayées, dans les collectivités, par plusieurs initiatives et acteurs locaux.  

1.   À l’échelle de l’État, les actions de prévention du dispositif ForMiSC

Les formations militaires de la sécurité civile (ForMiSC) sont des unités de l’armée de terre appartenant à l’arme du Génie, mises à disposition de la DGSCGC. Répartis en trois unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), les 1 400 militaires composant ces unités mènent chaque année des actions de préparation et de prévention en amont de la saison des feux de forêt.

Avec les agents des départements, les UIISC participent ainsi à des campagnes de brûlages dirigés, en particulier dans les Pyrénées-Orientales et en Lozère, ainsi qu’à la réfection d’ouvrages de défense de la forêt française contre les incendies (DFCI) – pistes, coupe-feux, aires de manœuvre, citernes notamment –  en particulier dans le Var et les Alpes-de-Haute-Provence.

Outre ce rôle de prévention, certaines unités sont également positionnées en zone sud pendant les trois mois de la saison estivale, où elles peuvent, le cas échéant, s’associer aux pompiers dans la lutte contre les flammes (voir II, A).  

2.   À l’échelle des collectivités, plusieurs initiatives existent et pourraient être clarifiées

Les communes participent pleinement à la politique de prévention des feux. Elles peuvent organiser des surveillances de leurs massifs, en lien avec les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Dans certains SDIS, à l’instar de celui des Bouches-du-Rhône, un corps de sapeurs-forestiers peut être créé et se charger de l’entretien des massifs et de leur surveillance, voire d’une primo-intervention sur des départs de feu très restreints.

Certaines communes se sont dotées de comités communaux feux de forêt (CCFF), chargés d’apporter leur concours aux collectivités locales en informant la population locale et les touristes visitant la commune des risques liés aux feux de forêt, et en les préparant à y faire face. Ils peuvent également, dans un second temps, apporter leur soutien aux populations sinistrées et appuyer les interventions des services concourant à la sécurité civile.

En particulier, les bénévoles des CCFF peuvent prendre en charge :

– l’organisation de vigies, c’est-à-dire des points de surveillance permettant d’alerter les SDIS dans l’hypothèse d’un départ de feu ;

– les patrouilles informant la population et permettant aussi, dans certains cas, l’intervention sur de faibles départs de feu ;

– l’aide au noyage : les bénévoles assistent les sapeurs-pompiers pour prévenir un second départ de feu ;

– l’entretien des pistes incendie ;

– des visites de débroussaillement dans les zones à risque, tant sur le territoire de la commune que chez des particuliers.

Ces structures ont fait la preuve de leur efficacité, tant en termes de prévention des feux stricto sensu que de diffusion d’une culture citoyenne de protection. Tout en saluant le travail inestimable des bénévoles de ces structures, votre rapporteur observe néanmoins que les CCFF n’existent pas dans toutes les communes, en particulier dans celles qui sont pourtant sujettes au risque incendie. Lorsque ces comités existent, l’étendue de leurs missions n’est pas la même partout, et gagnerait à être précisée et bien articulée avec celles des pompiers et de la protection civile. Leur présence sur le terrain, ainsi que leurs équipements, ne font pas l’objet d’une normalisation sur le territoire national.

La généralisation de ces comités, ainsi qu’un effort d’uniformisation de leurs missions en lien avec les élus locaux, paraît souhaitable afin de mieux reconnaître et valoriser cet engagement.

Proposition n° 2 : généraliser les comités communaux feux de forêt dans les collectivités exposées au risque incendie et mieux définir leurs missions

Votre rapporteur reprend par ailleurs à son compte la réflexion de la FNSPF qui, dans sa contribution écrite, souhaite que le risque feux de forêt et d’espaces naturels soit défini comme un risque spécifique et obligatoirement intégré dans les plans communaux ou intercommunaux de secours. Selon la Fédération, cette évolution favoriserait le déploiement des réserves communales de sécurité civile, elles-mêmes susceptibles de se décliner en CCFF.

La réserve communale de sécurité civile

La réserve communale de sécurité civile est un dispositif facultatif organisé par la commune. Elle permet à ceux qui le souhaitent de s’engager localement pour assister les agents municipaux faisant face à une catastrophe naturelle (inondation, feux de forêt, etc.) ou à un accident industriel (comme l’explosion d’une mine).

Il s’agit d’effectuer les missions les plus simples pour permettre aux secouristes et aux pompiers de se consacrer aux missions complexes, dangereuses ou urgentes. Celles dévolues aux réservistes peuvent porter sur : l’information de la population sur les risques, la participation à l’alerte des populations ou à l’évacuation d’un quartier, l’aide à la protection des meubles des personnes en zone inondable, l’accueil des sinistrés dans un centre de regroupement, le suivi des personnes vulnérables en période de canicule ou de grand froid, la surveillance de digues, de massifs forestiers ou de cours d’eau, l’aide au nettoyage et à la remise en état des habitations, l’aide aux sinistrés dans leurs démarches administratives, ainsi que la collecte et la distribution de dons au profit des sinistrés.

Il n’y a pas de condition de recrutement, d’âge ou d’aptitude physique pour intégrer la réserve, ni de condition liée à la nationalité. Les compétences requises dépendent des missions confiées par le maire et la municipalité peut en imposer certaines (être majeur, en bonne condition physique, habiter la commune ou à proximité, etc.).

Source : service-public.fr

D’autres leviers existent pour renforcer les efforts de prévention des incendies. Dans certaines régions, les propriétaires de terrain situés à moins de 200 mètres d’une habitation sont en effet soumis à une obligation légale de débroussailler. La DGSCGC a cependant précisé à votre rapporteur que, selon ses estimations, le respect de cette obligation était faible et estimé à environ 30 % des habitations totales concernées. Par ailleurs, le maillage des DFCI n’apparaît pas suffisamment dense dans les départements soumis à l’aléa incendie le plus important, voire inexistant dans des massifs qui, pourtant, sont désormais concernés par les feux de forêt.

En association avec les élus locaux, l’État doit s’assurer que les obligations de débroussailler sont respectées, et renforcer le maillage d’équipements de défense contre les feux de forêt, en particulier dans les espaces boisés soumis à ce risque. Il pourrait par exemple s’avérer pertinent de développer des critères de défendabilité des massifs, qui fixeraient des standards de protection et objectiveraient les besoins en équipements.

Proposition n° 3 : renforcer le contrôle de l’obligation légale de débroussailler, en lien avec les élus locaux

Proposition n° 4 : développer des critères de défendabilité des massifs forestiers afin d’identifier plus facilement les lacunes en matière de prévention des feux

3.   L’acculturation des populations : un enjeu pour demain

Les auditions menées par votre rapporteur ont illustré la différence en matière d’acculturation qui peut exister entre les populations des départements méditerranéens, sensibilisées de longue date aux risques incendie, et celles des collectivités nouvellement confrontées à ce danger.

S’agissant des territoires ultramarins, le député Mansour Kamardine observait, dans son avis budgétaire sur le programme « Sécurité civile » du projet de loi de finances pour 2022, que certaines collectivités « n’ont pas une culture du risque suffisante pour faire face à un événement extrême. Tel n’est pas le cas aux Antilles, où une initiative intéressante, la "journée japonaise", permet à l’ensemble de la société de consacrer un jour par an à des exercices de prévention des risques telluriques, sous l’égide de la préfecture. » Il préconisait de généraliser cet exercice à l’ensemble des territoires ultramarins.

Le rapport annexé au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, enregistré à la Présidence du Sénat le 7 septembre 2022, reprend cette recommandation en prévoyant de consacrer une journée de sensibilisation aux risques sur tout le territoire national ([5]).

Les associations de la protection civile peuvent par ailleurs prendre toute leur part à ces efforts, en apportant leur expertise aux élus locaux et en les assistant dans la préparation des situations de crise et l’acculturation de la population.

II.   La sécurité civile peut agir efficacement contre les feux, pourvu que soient renforcés les moyens des services départementaux d’incendie et de secours

Certains SDIS, en particulier dans les départements méditerranéens, sont armés pour répondre aux grands enjeux liés aux feux de forêt. C’est en revanche moins le cas dans d’autres départements, en particulier au nord de la Loire, qui n’ont jamais, ou rarement, eu à connaître les flammes sur leur territoire.

La doctrine française du « vite et fort » implique pourtant de doter les SDIS de capacités d’investissement suffisantes pour répondre aux enjeux liés au changement climatique.  

A.   Combattre « vite et fort » les flammes : une méthode qui a fait ses preuves

La doctrine du « vite et fort » de la sécurité civile française conduit à mobiliser rapidement les sapeurs-pompiers, professionnels et/ou volontaires, le plus vite possible après le départ de feu. Si cette doctrine a fait ses preuves, les moyens humains et matériels des SDIS et de l’État paraissent aujourd’hui sous-dimensionnés.

1.   La doctrine des sapeurs-pompiers pour faire face aux feux

L’article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure dispose que « l’État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne ses moyens. » Un guide de doctrine opérationnel relatif aux feux de forêts et d’espaces naturels a ainsi été élaboré par la DGSCGC en février 2021.

Comme l’a précisé cette direction à votre rapporteur, la doctrine « permet aux services d’incendie et de secours de construire leur réponse opérationnelle. [Elle] a pour objet de guider l’action, de proposer des outils d’aide à l’intervention et de faciliter la prise de décision des sapeurs-pompiers, sans imposer des méthodes strictes inenvisageables dans le domaine opérationnel. Chaque situation de terrain ayant ses particularités, la décision, dans une situation particulière, de s’écarter des orientations données par les documents de doctrine relève du pouvoir d’appréciation du commandant des opérations de secours. »

Cette doctrine repose sur deux éléments clé : la mise en place de dispositifs préventifs, ainsi qu’une politique de guets aériens armés afin de détecter rapidement les premières flammes et de déployer immédiatement des effectifs sur place. Lorsque le feu est établi et de grande ampleur, la doctrine d’intervention consiste à le jalonner, en intervenant sur ses flancs afin d’arrêter sa progression.

Elle a fait la preuve de son efficacité : 80 % des feux sont maintenus en dessous de 10 hectares. Elle nécessite de mobiliser d’importants moyens humains et matériels : dans les Alpes-Maritimes, où le SDIS fait face à un risque feu de forêt important, 200 sapeurs-pompiers sont pré-positionnés sur le terrain et près de 400 sont disponibles en caserne.  

2.   Les moyens humains

Si les départements mobilisent l’essentiel des moyens humains consacrés à la lutte contre les feux de forêt, des effectifs spécialisés, dépendant de l’État, peuvent venir en assistance de l’action des pompiers. 

● Les moyens mobilisés par les départements

Les sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, sont en première ligne contre les flammes. Ils étaient 197 100 volontaires (SPV) et 41 800 professionnels (SPP) en 2020.

La mobilisation des SPV et SPP a, l’été dernier, été à la hauteur de la catastrophe qu’a connu notre pays. La FNSPF a fait remarquer à votre rapporteur que l’appel à la mobilisation générale des employeurs privés et publics lancé par le ministre de l’Intérieur et des outre-mer pour libérer les SPV a été suivi par les organisations représentatives et par les grands groupes. En revanche, les petites et moyennes entreprises, qui contribuent majoritairement au vivier de SPV, ont éprouvé plus de difficultés pour libérer leurs personnels.

La FNSPF préconise trois pistes afin de favoriser les futures mobilisations générales :

 une exonération fiscale ou sociale pour les employeurs de sapeurs-pompiers volontaires ;

– le complément par un financement d’État du versement du montant de la subrogation versée à l’employeur à concurrence du salaire réel des sapeurs-pompiers volontaires ;

 l’instauration d’une autorisation légale d’absence pour les sapeurs-pompiers volontaires durant leur temps de travail en situation de crise, comme pour les réservistes opérationnels de la police et de la gendarmerie nationales.

Ces pistes doivent aussi favoriser le recrutement de nouveaux effectifs. La Fédération estime en effet à 250 000 SPV et 50 000 SPP la cible de pompiers nécessaires pour apporter une réponse opérationnelle à la hauteur des enjeux à l’horizon 2027. Elle rappelle également, dans sa contribution écrite aux travaux de votre rapporteur, qu’outre leur assistance pour combattre les incendies, « les sapeurs-pompiers doivent continuer à répondre aux interventions courantes de secours de proximité, composées pour 85 % de soins et de secours d’urgence aux personnes, pour lesquelles ils subissent de plein fouet les effets des difficultés du système de santé. »

L’Association des départements de France (ADF), auditionnée dans le cadre des travaux de votre rapporteur, préconise de revaloriser l’indemnité horaire des pompiers volontaires. Cette revalorisation paraît justifiée à deux égards : d’une part, elle est nécessaire par équité vis-à-vis des SPP, dont le point d’indice a récemment été revalorisé ; d’autre part, elle constitue un signe de reconnaissance pour le travail accompli par les bénévoles.

Votre rapporteur salue l’annonce récente de la revalorisation de l’indemnité horaire de base des sapeurs-pompiers volontaires, à compter du 1er octobre 2022, passant de 8,08 euros net/heure à 8,36 euros net/heure, en hausse de 3,5 %, pour le grade « sapeur ». Depuis l’adoption de la « loi Matras » ([6]), celle-ci est complétée par une prestation de fidélisation et de reconnaissance, dont le montant est fixé à 512 euros pour au moins 20 années de service et sera doublé au 1er janvier 2023.

● L’assistance prévue par l’État pour les cas les plus graves

Dans le cadre du dispositif ForMiSC, l’État mobilise chaque année, pendant les trois mois de la saison estivale, le groupement opérationnel de lutte contre les feux de forêt (GOLFF). Déployés dans les départements méditerranéens, ces effectifs très qualifiés interviennent en cas de feu de forêt aux côtés des sapeurs-pompiers.

Si le dispositif de base prévoit le déploiement de 550 sapeurs-sauveteurs, les feux de forêt exceptionnels de l’année 2022 ont conduit la DGSCGC à muscler son dispositif. 630 sapeurs-sauveteurs ont ainsi été engagés au pic de la catastrophe en Gironde.

Ces unités agissent à plusieurs niveaux : elles peuvent notamment intervenir avec ou sans véhicule, en mobilisant des moyens héliportés, employer de l’eau ou du produit retardant, réaliser des feux tactiques ou créer des pistes et aménagements de terrain.

Des efforts de modernisation des engins et véhicules de ces unités, ainsi que de leurs matériels et équipements individuels, ont été engagés ces dernières années par la DGSCGC. En particulier, des acquisitions de camions de lutte, d’attaque et de ravitaillement ont été financées pour une valeur de 8,36 millions d’euros entre 2018 et 2022.

L’État finance également les renforts de sapeurs-pompiers fournis aux services d’incendie et de secours. En 2022, ces renforts ont permis d’intégrer 4 000 personnes au sein de 43 colonnes de renforts et détachements à pied.

Le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2023 précise la nature de ce soutien. Ainsi, « en cas d’engagement opérationnel, l’État prend en charge la mobilisation de ses propres moyens, ainsi que l’engagement des moyens des sapeurs-pompiers extérieurs au département. Dans ce cadre, les dépenses prises en compte sont les dépenses de personnel (sur la base des indemnités versées aux sapeurs-pompiers volontaires), les dépenses liées aux frais de transit (carburant, péages, repas, forfait pneumatiques, titres de transport), et la dégradation des matériels. » Le montant de ces opérations est évalué à 6,3 millions d’euros en crédits de paiement.

Les innovations technologiques au service des personnels de la sécurité civile

L’action des personnels de la sécurité civile est en constante évolution, du fait du progrès technique et des innovations technologiques qui changent leur métier.

À partir de 2017, les ForMiSC ont commencé à employer des drones pour renseigner en temps réel les autorités sur l’évolution des feux et pour améliorer les capacités opérationnelles des pompiers. L’emploi de drones à longue autonomie est en cours d’étude pour renforcer les capacités de détection précoces d’un départ de feu.  

Les ForMiSC ont également recours à des lances haute pression, dispositif leur permettant notamment d’être plus efficaces en combinant l’action mécanique d’impact à l’action de l’eau, et qui limite le volume total d’eau consommée.

En outre, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur prévoit le déploiement du réseau radio du futur (RRF). Cette solution interopérable, sécurisée et multimédia doit opérer le basculement des communications des acteurs de la sécurité civile sur le réseau 4G et, à terme, sur le réseau 5G.

Enfin, la LOPMI doit permettre de parachever plusieurs projets en cours de développement, comme le système d’information et de commandement de la sécurité civile NexSIS 18-112, un système unique de traitement des appels du 18 et du 112 et de gestion des opérations de secours piloté par l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC).

S’agissant des moyens des SDIS, ceux-ci diffèrent en fonction des départements, certains expérimentant des technologies coûteuses, tandis que d’autres n’en ont pas les moyens. Plus de 70 SDIS possèdent des drones. Certains départements testent en particulier des drones d’extinction ou des engins permettant de capter des images sur la zone d’intervention qu’ils transmettent en temps réel vers les centres de commandement.

Des casques à réalité augmentée ou virtuelle peuvent être utilisés dans certains départements pour former les agents. La DGSCGC a précisé à votre rapporteur que cette technologie, qui n’est pour l’heure pas très répandue, présente cependant « un indéniable intérêt pédagogique (immerger les apprenants en condition réelle), conforté par l’expérience des SDIS qui en sont déjà détenteurs, [ce qui] laisse à penser que ce type d’équipement sera, à l’instar des drones, d’usage courant dans les prochaines années. » Le SDIS des Alpes-Maritimes expérimente le « speakylink », qui permet au SDIS de prendre la main sur le smartphone du donneur d’alerte afin de l’utiliser comme caméra, et donc d’adapter la réponse opérationnelle en mesurant rapidement l’ampleur du feu de forêt.

Certains SDIS expérimentent le recours à des extincteurs acoustiques, qui consistent en l’émission de sons à très basse fréquence permettant, dans certains cas de figure, d’éteindre un feu sans utiliser d’eau. Cette technologie peut être utile en milieu confiné contenant du matériel sensible. Elle ne peut néanmoins, pour l’heure, être efficace que sur les feux installés dans de petites surfaces. En outre, la BSPP a inventé un système d’extincteur diphasique, qui consomme peu d’eau et cible précisément l’origine des flammes. Certains SDIS expérimentent également l’utilisation de couvertures anti-feu servant à éteindre les feux de voiture.

3.   Les moyens matériels

Au sol, les pompiers sont notamment équipés de camions-citernes feux de forêt (CCFF), au nombre de 3 700 sur l’ensemble du territoire. La FNSPF estime que ce nombre devrait être porté à 10 000 afin de garantir une réponse aux situations de crise. Financés par les SDIS, l’achat de ces véhicules et le maintien en condition du parc automobile existant représentent un coût important pour ces services ; une évolution de la fiscalité pourrait permettre de financer plus facilement ces dépenses (voir II B).

Une flotte aérienne, propriété de l’État, peut également être mobilisée en cas de crise. Celle-ci est complétée par une flotte départementale, voire interdépartementale, dont la charge financière est assumée par les départements.

● Des moyens aériens relevant quasi exclusivement des services de l’État

Les personnes auditionnées par votre rapporteur ont rappelé que « les avions n’éteignent pas les feux », mais ils sont en revanche décisifs dans l’assistance des forces terrestres.

En France, l’essentiel des moyens aériens mis en œuvre pour lutter contre les feux de forêt appartient à l’État. Il dispose notamment de 12 Canadairs, destinés à l’attaque directe des incendies sur lesquels ces appareils peuvent larguer 6 140 litres. Le Canadair est un avion amphibie qui peut se poser sur l’eau et en redécoller. Il peut également se ravitailler en vol en frôlant la surface d’un plan d’eau sur une longueur d’environ 1 500 mètres.

canadair CL 415

Source : sécurité civile

La France dispose actuellement de sept avions bombardier d’eau DASH 8 et en comptera un huitième dans sa flotte en 2023. D’une capacité d’emport d’environ 10 000 litres, les DASH 8 sont les bombardiers d’eau les plus puissants dont dispose la sécurité civile. Ils ont progressivement remplacé les anciens Trackers, dont la durée d’exploitation était en moyenne de 64 ans avant leur retrait de la flotte en février 2020. Ils ont pour mission d’arrêter la propagation des feux en établissant des lignes d’arrêt.

avion bombardier d’eau type dash

Source : Sécurité civile

La France emploie également 33 hélicoptères EC 145 dits « dragons », qui ne sont néanmoins pas spécialisés dans des missions de lutte contre les feux de forêt, lesquelles ne représentaient que 0,5 % de l’activité de la flotte en 2021 et 2 % en 2022. Ces hélicoptères servent à réaliser des missions de guidage des avions bombardiers d’eau, ainsi que des missions de commandement sur les chantiers et des missions de soutien logistique et de secours au profit des sapeurs-pompiers.

Le projet de LOPMI prévoit que, dans le cadre du lancement du programme de renouvellement de la flotte en 2023, les nouveaux appareils en acquisition pourront opérer la fonction bombardier d’eau sur l’ensemble du territoire, ces appareils ayant vocation à être pré-positionnés sur différentes bases hélicoptères.

La sécurité civile a, en outre, fait l’acquisition en 2021 de deux hélicoptères H 145, affectés sur les bases hélicoptère d’Annecy et de Grenoble.

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les hélicoptères de la sécurité civile ont réalisé 18 577 missions en 2021 et effectuent en moyenne 16 000 heures de vol chaque année. Toutes les 33 minutes, une victime est secourue par du personnel conduisant l’un de ces appareils.

hélicoptère EC 145

Crédits : Stéphane Gautier, Patrick Forget

Comme l’a précisé M. René Dies, directeur départemental du SDIS des Alpes-Maritimes, ces appareils présentent un intérêt certain : mobilisables très rapidement, parfois en moins de dix minutes, ils s’affranchissent des obstacles géographiques et permettent des rotations rapides. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur prévoit le renouvellement de cette flotte d’appareils dans les cinq prochaines années ([7])

La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur

Initialement déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en mars 2022, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) a été redéposé sur celui du Sénat en septembre. Il sera examiné par l’Assemblée nationale en novembre prochain.

Dans sa version gouvernementale, la LOPMI comprend seize articles, dont l’essentiel porte sur des modifications de la procédure pénale. L’article 2 du projet de loi concerne la programmation budgétaire du ministère de l’Intérieur pour les années 2023-2027 et prévoit une augmentation cumulée de son budget d’environ 15 milliards d’euros. Un rapport annexé au projet de loi définit les grands axes de modernisation du ministère, sans toutefois entrer dans le détail des dépenses ouvertes dans le cadre de la loi de programmation.

La planification budgétaire de l’article 2 n’a cependant qu’une valeur indicative. En effet, conformément à la jurisprudence constitutionnelle ([8]), pour revêtir un caractère véritablement effectif, les dispositions prévues par les lois de programmation doivent être « confirmées » chaque année par une loi de finances, seule à même d’emporter un engagement de dépense.

La sécurité civile dispose de 3 Beechcraft King Air 200, avions légers employés pour l’aide au commandement, la coordination des moyens aériens utilisés sur un théâtre d’opérations et la reconnaissance.

Groupement des moyens aériens de l’État

Type

Quantité

Vieillissement moyen

Canadair CL 415 ([9])

12

25 ans

Avion bombardier d’eau DASH 8

([10])

Entre 3 et 21 ans selon les générations de matériel

Avion Beechcraft KING 200 ([11])

3

38 ans

Hélicoptère EC 145

33 ([12])

18 ans

Hélicoptère H 145

([13])

9 mois

Source : DGSCGC

● Une flotte aérienne vieillissante et des appareils en nombre encore insuffisant

Votre rapporteur s’inquiète de l’état de la flotte aérienne française et, en particulier, de la vétusté des 12 Canadairs actuellement en dotation. Le modèle CL 415 n’étant plus commercialisé, les pièces détachées de ces appareils se raréfient et ont entraîné cette année l’immobilisation totale de l’un des appareils de la flotte pendant plusieurs semaines. Certains équipements ne sont plus du tout fournis par le constructeur, ce qui rallonge les délais de réparation. La société Viking étant en situation monopolistique sur le marché, le remplacement des Canadairs par un autre avion similaire produit par un autre industriel n’est actuellement pas envisageable.

nombre de jours de maintenance cumulés de la flotte avion (sept. 2021 – sept. 2022)

Modèle d’avion

Nombre d’appareils concernés

Jours de maintenance

Canadair CL 415

12

1 694

Avion bombardier d’eau DASH 8

3

371

Avion Beechcraft KING 200 

3

189

Source : DGSCGC

Une nouvelle génération de Canadair a été annoncée cette année par Viking, sans précision quant au calendrier de lancement de la chaîne de production de ces avions. La France a annoncé son ambition de renouveler la flotte actuelle de CL 415 par l’achat de deux de ces appareils de nouvelle génération. La DGSCGC a par ailleurs précisé à votre rapporteur avoir obtenu, dans le cadre des financements du programme RescUE, un accord de l’Union européenne pour les cofinancer à hauteur de 90 % de leur coût d’achat.

Si cet accord de principe mérite d’être salué, votre rapporteur constate qu’il est actuellement impossible de prédire le moment de mise à disposition de ces avions. Ils pourraient n’être disponibles que dans plusieurs années, alors même que les Canadairs actuels risquent de rencontrer des difficultés de maintenance de plus en plus importantes.

S’agissant des hélicoptères en dotation, ceux-ci n’étaient, cette année, pas assez nombreux pour subvenir à l’ensemble des besoins en bombardiers d’eau. Deux hélicoptères ont été loués par la DGSCGC entre juillet et septembre, et jusqu’à huit hélicoptères ont dû être réquisitionnés.

Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne et RescUE

Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU) est un dispositif coordonné par la Commission européenne, et qui peut être actionné face aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine – dont les feux de forêt. Il contribue au renforcement de la coopération en matière de sécurité civile des pays membres de l’Union européenne, de l’Islande, la Norvège, la Serbie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Turquie. Tous les pays du monde peuvent faire appel à ce dispositif en cas de catastrophe dépassant la capacité de réponse des autorités locales. Il a été activé plus de 100 fois en 2020, notamment pour assister les autorités après l’explosion au port de Beyrouth ou pour répondre à la pandémie de Covid-19. Le soutien proposé aux États prend la forme d’une mise à disposition de personnels et d’envoi d’équipement par les pays contributeurs.

En 2022, la France, habituée à mettre à disposition ses propres moyens, a dû activer le MPCU pour répondre aux incendies de Gironde et de Bretagne. L’Autriche, l’Allemagne, la Pologne et la Roumanie ont fourni des moyens humains tandis que la Grèce, la Suède et l’Italie ont déployé plusieurs avions bombardiers d’eau sur le territoire national.

Depuis 2019, ce mécanisme a été complété par la création d’une réserve de moyens surnuméraires, rescUE, qui peut être mobilisée en dernier ressort, après épuisement de tous les autres dispositifs d’assistance. RescUE met à disposition des États une flotte d’équipements financés sur le budget de l’Union européenne. Ils sont déployés dans les États qui en font la demande et qui peuvent, dès lors, les utiliser à des fins domestiques, moyennant certains frais.

RescUE devrait à terme compter 12 Canadairs de nouvelle génération – dont deux pré-positionnés sur le territoire français – 9 hélicoptères et 2 avions légers.

● Les travaux de plusieurs industriels pour aboutir à un nouvel appareil

La flotte nationale d’aéronefs pourrait utilement être complétée par un avion bombardier d’eau amphibie rapide et gros porteur.

Plusieurs industriels travaillent au développement de ce type d’appareils, dont l’entreprise Airbus et son avion de transport militaire A400M Atlas qui pourrait, selon le constructeur, être équipé d’un kit permettant à l’avion de transporter 20 tonnes d’eau.

Les premiers retours d’expérience ne semblent cependant pas satisfaisants à ce stade : l’avion nécessiterait une lourde préparation au sol et serait fortement exposé à un risque de corrosion lié à la fréquence de ses ravitaillements en eau. L’appareil procède en outre à un largage en « pulvérisation », alors que les Canadair cherchent au contraire un impact immédiat de l’eau sur les flammes, plus efficace pour les éteindre.

L’initiative est néanmoins intéressante du fait du développement par Airbus d’une capacité d’opération nocturne dont seraient dotés ces appareils. Ils pourraient par ailleurs servir à larguer du produit retardant.

L’entreprise Roadfour a annoncé le développement d’un avion ayant une capacité de largage de 12 tonnes d’eau, le Seagle. Celui-ci aurait vocation à opérer depuis les zones d’écopage actuellement utilisées par les Canadair. Selon M. David Pincet, directeur des relations institutionnelles de l’entreprise, que votre rapporteur a sollicité dans le cadre de ses travaux, la conception plus moderne de cet avion réduirait ses efforts de maintenance et favoriserait la disponibilité des appareils. Il aurait aussi pour avantage d’être de confection quasi intégralement européenne.

● Des moyens aériens mobilisés par certains départements

En complément des moyens aériens nationaux, plusieurs collectivités constituent des flottes locales, à vocation départementale voire interdépartementale, par la location d’aéronefs légers et/ou de bombardiers d’eau. Tel est le cas du SDIS des Alpes-Maritimes, qui loue chaque année plusieurs hélicoptères bombardiers d’eau (HBE), et de la Gironde qui a dû exceptionnellement louer un HBE et un hélicoptère d’observation et de commandement cette année. Selon la FNSPF, qui estime que cette initiative doit être encouragée, « la location de ces machines a pour avantage de permettre leur intégration dans des dispositifs préventifs et leur positionnement sur des axes stratégiques visant à limiter la taille du feu avant qu’il ne grandisse et ne soit plus attaquable ».

En revanche, lors de son audition, M. Grégory Allione a rappelé que la généralisation de ce complément de moyens aériens était aujourd’hui confrontée à la grande hétérogénéité des capacités financières des SDIS. En effet, les SDIS ne disposent pas tous d’une force de frappe financière suffisante pour leur permettre de se moderniser.  

Votre rapporteur, au-delà des solutions de nature fiscale qu’il préconise (voir le B ci-après), observe qu’une mutualisation accrue des moyens des SDIS pourrait constituer un levier efficace dans la lutte contre les incendies.

Plusieurs dispositions législatives et réglementaires permettent la mutualisation des moyens non seulement entre les SDIS, mais également entre ces derniers, les départements et les autres collectivités territoriales et leurs établissements publics :

– l’article L. 1424-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) permet à un SDIS de passer des conventions ayant trait à sa gestion non opérationnelle avec le département, les autres collectivités territoriales et leurs établissements publics ;

– l’article L. 5111-1 du CGCT a facilité les mutualisations en permettant aux SDIS et aux départements de procéder par convention à une mutualisation de certains services fonctionnels à vocation administrative ou technique ;

– les articles L. 1424-51 et suivants du même code ouvrent aux SDIS la possibilité de créer un établissement public interdépartemental d’incendie et de secours (EPIDIS), afin de favoriser leur action et de parvenir à une mutualisation des coûts. La création de l’EPIDIS nécessite un consensus entre les SDIS qui le constituent, d’une part sur le choix des compétences et attributions ([14]) et, d’autre part, sur la constitution de l’équipe de direction de l’établissement. Aucun EPIDIS n’a néanmoins été créé, bien que cette faculté existe depuis 18 ans.

La LOPMI prévoit une ouverture de crédits à hauteur de 30 millions d’euros sur cinq ans pour financer les pactes capacitaires. Le rapport annexé dispose à cet égard qu’« au travers du pacte capacitaire entre l’État et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), l’État accompagnera également les investissements innovants visant l’utilisation de nouvelles technologies au bénéfice opérationnel des sapeurs-pompiers, permettant de mieux anticiper et agir sur les situations de crise. La collaboration du ministère avec les SDIS sera également renforcée et structurée en matière d’innovations technologiques, pour développer les réflexions stratégiques et prospectives, grâce notamment à la mise en réseau de référents sur les territoires. »

La FNSPF salue cette initiative, mais elle s’interroge sur la faiblesse du montant de la programmation pluriannuelle et sur le « fléchage » encore incertain des financements annoncés.

Dans sa contribution écrite aux travaux de votre rapporteur, la Fédération rappelle que, de 2003 à 2012, l’État est intervenu directement en faveur des SDIS au travers du fonds d’aide à l'investissement des SDIS pour un total de 302 millions d’euros sur l’ensemble de la période. Or, depuis 2017, aucun crédit n’est prévu en loi de finances initiale au titre de ce fonds, qui a été remplacé par une dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS d’un montant de 7 millions d’euros annuels, affectés au financement du projet NexSIS 18-112. La relance et l’abondance du fonds d’aide à l’investissement des SDIS, souhaitées pour la FNSPF, pourraient dès lors être une alternative aux mesures fiscales que votre rapporteur suggère ci-après.

B.   Gagner la bataille du feu nécessite de renforcer considérablement les moyens des SDIS

Lors de ses travaux, votre rapporteur a principalement étudié trois pistes de renforcement des financements dont les SDIS pourraient bénéficier :  l’augmentation de la part de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance consacrée à leur financement, ainsi que les exonérations du malus écologique à l’achat de véhicules et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

1.   La taxe spéciale sur les conventions d’assurance, source de financement importante des SDIS

Payée par les souscripteurs de contrats d’assurance, la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) est principalement perçue par les départements, auxquels l’État reverse 75 % du produit total généré par la taxe. Ce versement inclut une fraction correspondant à 6,45 % du produit, perçue par les départements pour le financement des SDIS. L’article 1001 du code général des impôts prévoit que le quart restant est reversé à la Caisse nationale des allocations familiales, au Conseil national des barreaux ainsi qu’au budget de l’État.

S’agissant de la fraction transférée aux départements au titre du financement des SDIS, le montant versé à chaque collectivité dépend d’une clé de répartition entre le nombre de véhicules terrestres à moteur du territoire considéré et le nombre total de ces véhicules sur le territoire national. Ce montant connaît une hausse continue depuis 2009 et atteint 1,16 milliard d’euros en 2021, soit 23 % des recettes de fonctionnement des SDIS.

Alors que les SDIS doivent investir massivement pour moderniser leur équipement de lutte contre les incendies, la part de TSCA consacrée à leur financement pourrait être augmentée, ainsi que le préconise l’Association des départements de France, qui précise que ce rééquilibrage pourrait se faire sans hausse d’impôts, en modulant les fractions de TSCA réparties entre les différents bénéficiaires.

Proposition n° 5 : accroître la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance versée par l’État aux départements pour financer les SDIS

 

 

2.   Une exonération du malus écologique à l’achat de véhicules

Le malus écologique fait partie des taxes qui composent le coût du certificat d’immatriculation du véhicule. Il taxe, lors de leur acquisition, les véhicules neufs fortement émetteurs de CO². Certains véhicules peuvent néanmoins en être exonérés, notamment les véhicules de secours en dotation des SDIS.

En revanche, les véhicules légers et les pick-ups achetés par ces mêmes services sont soumis à ce malus, qui alourdit le coût total du véhicule : ainsi que l’a précisé la DGSCGC à votre rapporteur, le malus écologique d’un pick-up de 5 places utilisé pour le commandement d’un groupe d’intervention feux de forêt peut atteindre près de la moitié de son prix de base, soit un montant surtaxé de 15 000 à 20 000 €.

Votre rapporteur préconise l’exonération totale de ce malus pour l’achat de véhicules par les SDIS afin de renforcer les capacités d’investissement de ces services.

Proposition n° 6 : exonérer les SDIS du malus écologique à l’achat de véhicules neufs

3.   Une exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

Alors que les articles 5 et 7 de la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité permettent aux États membres d’introduire des taux réduits d’accise sur le carburant utilisé dans le transport routier, le Gouvernement n’a pas souhaité permettre aux SDIS de bénéficier de ces taux réduits et encore moins les exonérer du versement de la TICPE.

Cette exonération représenterait pourtant une manne financière importante pour les SDIS. Dans les Alpes-Maritimes, où la location et la disposition de véhicules coûtent environ 3,3 millions d’euros par an, l’économie serait d’environ 600 000 € en cas d’exonération totale de TICPE. 

Votre rapporteur estime cette exonération pleinement justifiée et appelle le Gouvernement à se saisir de ce levier.

Proposition n° 7 : exonérer les services départementaux d’incendie et de secours de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

L’ensemble de ces propositions de nature fiscale doit, selon votre rapporteur, se doubler d’une réflexion sur la « valeur du sauvé ». Comme le relève l’Association des départements de France dans son rapport sur les feux de forêt de 2022, plusieurs études existent pour estimer cette valeur, qui peut être approchée en opérant la différence entre le coût des feux naissants et celui des incendies hors normes.

Le SDIS de l’Hérault a ainsi évalué la « valeur du sauvé » à partir de huit feux de forêt survenus dans ce département en 2021, qu’il estime à environ 11,3 millions d’euros. Une méthodologie commune pourrait être établie par l’État afin de généraliser ces calculs, qui valorisent l’action de nos forces de sécurité civile et permettent d’ouvrir le champ des débats sur le financement des SDIS.

Proposition n° 8 : développer une méthodologie commune de calcul de la « valeur du sauvé »

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Conclusion : la sécurité civile de demain requiert une gouvernance à la hauteur des enjeux

Les auditions et entretiens de votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent avis budgétaire ont régulièrement convergé vers un même constat : le besoin d’une gouvernance proactive et volontariste des politiques publiques touchant à la sécurité civile, dont le champ s’étend largement au-delà du seul ministère de l’Intérieur.

Le regroupement des services compétents, aujourd’hui disséminés entre plusieurs ministères (intérieur, transition écologique, Europe et affaires étrangères, défense, santé), au sein d’une délégation interministérielle unique pourrait raffermir la tutelle politique et administrative de la sécurité civile.

Celle-ci devrait être nécessairement placée sous l’autorité du Premier ministre afin, d’une part, d’assurer que ces grands enjeux d’avenir sont suivis au plus haut sommet de l’État et, d’autre part, de garantir la transversalité de ces problématiques. 

Proposition n° 9 : créer une délégation interministérielle à la sécurité civile, placée sous l’autorité du Premier ministre, concentrant l’ensemble des prérogatives en matière de sécurité civile relevant aujourd’hui de plusieurs périmètres ministériels

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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : durcir les sanctions pénales encourues par les pyromanes, en s’inspirant des dispositions de la proposition de loi visant à combattre la pyromanie déposée par votre rapporteur

Proposition n° 2 : généraliser les comités communaux feux de forêt dans les collectivités exposées au risque incendie et mieux définir leurs missions

Proposition n° 3 : renforcer le contrôle de l’obligation légale de débroussailler, en lien avec les élus locaux

Proposition n° 4 : développer des critères de défendabilité des massifs forestiers afin d’identifier plus facilement les lacunes en matière de prévention des feux

Proposition n° 5 : accroître la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance versée par l’État aux départements pour financer les SDIS

Proposition n° 6 : exonérer les SDIS du malus écologique à l’achat de véhicules neufs

Proposition n° 7 : exonérer les services départementaux d’incendie et de secours de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

Proposition n° 8 : développer une méthodologie commune de calcul de la « valeur du sauvé »

Proposition n° 9 : créer une délégation interministérielle à la sécurité civile, placée sous l’autorité du Premier ministre, concentrant l’ensemble des prérogatives en matière de sécurité civile relevant aujourd’hui de plusieurs périmètres ministériels

 

 


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   Examen en commission

Lors de sa première réunion du mardi 18 octobre 2022, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Sécurités » (MM. Éric Pauget et Thomas Rudigoz, rapporteurs pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/9cUicT

M. le président Sacha Houlié. Nous abordons l’examen pour avis des missions relevant du ministère de l’intérieur et des outre-mer en présence du ministre Gérald Darmanin. Après qu’il nous aura présenté les grandes lignes de ses budgets, nous engagerons la discussion des missions Sécurités et Immigration, asile et intégration.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Les crédits budgétaires que je vous présente ont vocation à augmenter les moyens nécessaires au fonctionnement du ministère de l’intérieur, dont j’ai l’honneur de commander les femmes et les hommes courageux.

Sous le quinquennat précédent, 10 milliards d’euros avaient été octroyés au ministère de l’intérieur ; en 2023, la marche budgétaire que forment le projet de budget et le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), donne une traduction concrète à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), adoptée cet après-midi au Sénat par une très large majorité.

La mission Sécurités prend en charge la stratégie du doublement de la présence des forces de l’ordre sur l’espace public. Nous vous demandons la création de 8 500 emplois au ministère de l’intérieur, dont 3 818 équivalents temps plein (ETP) au titre de 2023. Les re-créations de postes de policiers et de gendarmes sont prévues pour intervenir au cours des deux premières années budgétaires, de sorte que nous soyons prêts à recevoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024.

La police et la gendarmerie nationales seront les bénéficiaires de 95 % de ces créations d’effectifs. Sur ces 2 850 nouveaux ETP, 1 640 seront répartis dans les dix-huit unités de forces mobiles (UFM), dont onze nouvellement créées – sept de gendarmerie mobile et quatre de compagnies républicaines de sécurité (CRS) – et 1 266 seront envoyés dans les circonscriptions de sécurité publique prioritaires, c’est-à-dire là où la délinquance est la plus forte et où le nombre de policiers fait le plus grandement défaut. Les réserves opérationnelles de police et de gendarmerie seront également renforcées, jusqu’à atteindre 50 000 personnes en 2027.

La politique territoriale du ministère s’affirme, en premier lieu, par la re-création, pour la première fois, des effectifs des préfectures – 50 l’année prochaine, un peu moins de 400 au cours du quinquennat. En second lieu, par l’augmentation des crédits de vidéoprotection qui progressent tous les ans de 5 millions d’euros dans le cadre de la Lopmi, et qui viendront abonder le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), bien connu des élus. En troisième lieu, par des moyens, hors personnel, extrêmement élevés : 4 800 nouveaux véhicules seront acquis pour la police nationale et la gendarmerie nationale, après les 13 310 qui sont venus remplacer les sept huitièmes des deux parcs, dans le cadre du plan de relance. Une attention particulière sera accordée à la nouvelle politique d’achat, à hauteur de 250 millions d’euros, des tenues des policiers : elles seront désormais fabriquées en France, dans un tissu français, ce qui n’était pas le cas dans les derniers appels d’offres lancés par le ministère d’intérieur. La première marche du réseau Radio du futur, accepté par le Sénat, sera engagée cette année, à hauteur de 250 millions d’euros – l’appel d’offres a été lancé et le marché signé avec la société Airbus. Trente-six nouveaux hélicoptères viendront équiper la gendarmerie nationale et la sécurité civile.

J’en viens à la cybercriminalité, menace à la fois actuelle et pour demain. En 2021, les forces de l’ordre ont enregistré 260 000 procédures judiciaires liées à la cybercriminalité, soit une progression de 20 %. Plus de la moitié des escroqueries sont le fait de cyberattaquants ; elles touchent sans distinction nos concitoyens et les entreprises.

Le budget pour 2023 prévoit la création de cyberpatrouilleurs, en augmentation de 50 %, la mise en place du numéro d’urgence « 17 cyber », en attendant le vote de la Lopmi pour engager d’autres volets de notre politique de lutte contre la cybercriminalité. Celle-ci ne se substitue pas à la présence sur la voie publique ou sur le terrain, elle la complète.

Les investissements très importants pour la modernisation des services numériques du ministère de l’intérieur se poursuivent. En 2023, 700 millions sont consacrés au seul numérique du ministère, à la fois pour renforcer Pharos et la plateforme Thésée, lancée en mars dernier et dédiée à la lutte contre les e-escroqueries ; mettre en œuvre la plainte en ligne – la visio-plainte –, que la Lopmi autorise ; développer l’application « Ma Sécurité » et le portail de signalement des violences conjugales, lancé par la Première ministre.

Les outre-mer, puisque j’en suis le ministre, bénéficieront d’un effort sans précédent, avec une forte progression des effectifs et des moyens budgétaires. Pour Mayotte, l’effort prend la forme du plan Shikandra 2, sur lequel je travaille à la suite de ma visite sur ce territoire. Pour la Guyane, il s’agit du renforcement des effectifs que j’ai annoncé lorsque je m’y suis rendu, de l’opération Harpie, qu’il convient sans doute de revoir de fond en comble, ainsi que la re-création des brigades de recherche de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni et des antennes de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) à Cayenne. Je ne vais pas détailler toutes les annonces pour chaque territoire d’outre-mer, mais je voulais faire un zoom particulier sur Mayotte et la Guyane.

Nous préparons activement la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024. Les marches budgétaires, en termes de création d’effectifs comme en moyens budgétaires, sont très importantes – déjà 200 millions s’ajoutent aux moyens budgétaires et matériels évoqués pour les JO.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis (Sécurité). Le budget que vient de présenter le ministre de l’intérieur s’inscrit dans une trajectoire amorcée dès 2017, qui s’amplifie sans discontinuer depuis la précédente législature. Les crédits de paiement (CP) affectés à la police nationale connaissent ainsi une augmentation de plus de 6 %, atteignant 12,4 milliards d’euros. Ceux de la gendarmerie progressent de la même façon et atteignent près de 10 milliards d’euros. Les budgets de la police et de la gendarmerie présentent donc une hausse cumulée de près de 1,3 milliard d’euros par rapport à 2022 : nous ne pouvons que nous réjouir de la concrétisation, dans le projet de loi de finances pour 2023, des engagements pris par le Président de la République et le ministre de l’intérieur à l’issue du Beauvau de la sécurité.

Ces engagements doivent aussi trouver leur place dans la Lopmi, adoptée en première lecture par le Sénat et que notre commission examinera au début du mois de novembre.

Je n’entrerai pas dans le détail de la répartition des crédits, le ministre en ayant déjà brossé un tableau complet.

Le renforcement de l’ensemble des moyens, qu’il s’agisse de la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes, du développement des outils numériques mis à leur disposition ou de la rénovation et de la construction de nouveaux locaux, est une condition indispensable au bon accomplissement de leurs missions, dont on mesure chaque jour l’importance pour la sécurité de nos compatriotes. Permettez-moi d’avoir une pensée pour nos forces de l’ordre blessées ces derniers mois dans l’exercice de leurs fonctions, face à des délinquants et criminels de plus en plus déterminés.

Je souhaiterais soulever deux points en particulier.

Premièrement, les documents budgétaires font état du recrutement de 1 462 personnes au sein du corps d’encadrement et d’application de la police nationale. Cette hausse correspond-elle majoritairement à l’embauche de nouveaux gardiens de la paix ? Quelle sera la catégorie d’emploi des 5 400 futurs assistants d’enquête dont la Lopmi prévoit la création ?

Deuxièmement, au sein du programme Gendarmerie nationale, le montant des dépenses d’investissement diminue de 8 % par rapport à l’année dernière. Une telle évolution s’explique sans doute par l’achèvement du plan de renouvellement des véhicules de la gendarmerie mobile. Une autre explication pourrait-elle être un effet de décalage sur l’exécution des crédits de paiement dû au calendrier de réalisation des 200 brigades de gendarmerie que vous avez annoncé le mois dernier devant notre commission ?

J’ai choisi, cette année, de consacrer la partie thématique de mon rapport pour avis à l’activité de l’Office anti-stupéfiants (Ofast). La lutte contre le trafic de drogue constitue, monsieur le ministre, l’une de vos priorités. L’Ofast, organe interministériel créé dans le cadre du plan national contre les stupéfiants et placé sous l’autorité de la direction centrale de la police judiciaire, est opérationnel depuis 1er janvier 2020. Après trois ans de fonctionnement en tant que chef de file de la lutte anti-stupéfiants, il m’est apparu nécessaire de faire le bilan de son action.

L’organisation et le fonctionnement de l’Ofast soulignent à quel point la lutte contre les trafics de stupéfiants exige une approche à la fois globale et territoriale. Globale, car il est nécessaire de combiner efficacement l’ensemble des dimensions stratégiques et opérationnelles pour « comprendre », « cibler » et « agir », selon les trois piliers de l’Ofast. Territoriale, car ce sont dix antennes, quatorze détachements et près d’une centaine de cellules départementales du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui assurent au quotidien le combat de terrain contre les réseaux de trafiquants de drogue. La finesse de ce maillage territorial et le développement d’actions de coopération européenne et internationale de grande envergure permettent aujourd’hui à l’Ofast de jouer pleinement son rôle de chef d’équipe, en disposant d’une autorité incontestable et reconnue à l’échelle internationale.

Cependant, la hausse du volume des saisies de cannabis, de cocaïne et d’héroïne témoigne autant de la réussite de l’ensemble des acteurs engagés dans cette lutte – police, gendarmerie, douanes, finances publiques, marine nationale – que de l’augmentation de la production et du transit de stupéfiants sur notre territoire.

Cette situation constitue un triple fléau, sanitaire, social et sécuritaire, et les habitants des quartiers les plus défavorisés en sont les premières victimes. Nous avons le devoir collectif de continuer à combattre avec la plus grande vigueur les acteurs de ces trafics, en anéantissant leurs ressources par la fermeture des points de deal, qui génèrent en moyenne 20 000 à 80 000 euros de chiffre d’affaires chaque jour, et à mettre hors d’état de nuire les dealers et les commanditaires.

Je salue ici le dévouement exemplaire et le dynamisme des agents de l’Ofast, notamment de sa directrice Mme Stéphanie Cherbonnier. Bien que dans l’ombre, ces femmes et ces hommes sont le visage de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils supportent avec courage et détermination les risques physiques auxquels leur mission les expose.

Pour réussir, l’action de l’Ofast suppose également de relever des défis à la fois juridiques, opérationnels et organisationnels.

Le travail de l’Ofast doit se faire en bonne articulation avec celui des directions départementales de la sécurité publique. Il faut tout faire pour empêcher tout conflit de priorité entre le nécessaire travail à long terme de démantèlement des filières et l’urgence quotidienne de fermeture des points de deal dans les quartiers. Il est également indispensable de consacrer des moyens d’action adaptés pour lutter contre tous les trafiquants, notamment ceux, qui, se situant au « milieu du spectre », peuvent aussi bien échapper à l’attention de l’Ofast qu’à celle des policiers de la sécurité publique. Cette exigence apparaît d’autant plus cruciale dans la perspective de la réforme visant à « départementaliser » la police nationale dans le but d’améliorer la synergie entre les différents services de police et d’encore mieux lutter contre cette criminalité organisée.

Il me paraît donc primordial que les forces de sécurité engagées dans la lutte anti-stupéfiants soient renforcées, en moyens et en effectifs, au cours des prochaines années. C’est à cette condition que le combat contre le trafic de drogue finira par être gagné.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis (Sécurité civile). Les crédits du programme Sécurité civile, avec 640,6 millions d’euros, ressortent en hausse de 12,8 % par rapport au précédent exercice. Cette augmentation s’inscrit dans le cadre un peu plus général de la Lopmi et le déblocage de 15 milliards au cours des cinq prochaines années pour le ministère de l’intérieur. Toutefois, en tenant compte de l’inflation, ce budget n’augmente vraiment que de 8,2 %.

Seulement 8 % du budget total de la sécurité civile est à la charge de l’État, l’ensemble, qui représente 7,3 milliards d’euros, étant essentiellement assumé par les départements et les communes, qui financent les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). La sécurité civile coûte un peu plus de 100 euros par an et par Français ; c’est peu au regard du grand dévouement de nos sapeurs-pompiers et de l’ensemble des personnels de la sécurité civile de notre pays, mais aussi par rapport à ce qui peut être sauvé par leur action.

Pour la seconde partie de mon rapport, j’ai choisi comme thématique la prévention et la lutte contre les feux de forêt.

La stratégie française repose sur deux principes : l’anticipation des risques et une réponse dite du vite et fort, dès le premier départ de feu. Cette doctrine a montré son efficacité puisque l’essentiel des feux est éteint sans avoir atteint 10 hectares. Toutefois, les incendies de l’été dernier ont montré que le risque s’étend désormais à l’ensemble du territoire alors qu’il touchait jusqu’à présent essentiellement le sud du pays. Or tous les Sdis ne disposent pas des mêmes moyens pour y faire face.

S’agissant de la prévention des risques, plusieurs pistes peuvent être envisagées : renforcer les sanctions à l’égard des pyromanes et des incendiaires criminels – j’ai déposé dernièrement une proposition de loi en ce sens ; généraliser les comités communaux de feux de forêt et harmoniser leurs missions, disparates selon les communes et pas forcément connues de tous nos maires ; mieux faire respecter l’obligation légale de débroussaillement – 30 % seulement des foyers concernés respectent cette obligation ; consolider le maillage d’équipements de défense contre les feux de forêt – certains espaces boisés exposés à ce risque n’en sont pas encore dotés ; définir des critères de défendabilité des massifs, qui fixeraient des standards de protection et objectiveraient les besoins en équipements.

Deuxième sujet important, le financement des Sdis est trop souvent ramené à leur coût alors que leur action est à valoriser financièrement. L’Assemblée des départements de France et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France nous appellent à valider une méthode qu’ils appellent « le calcul de la valeur du sauvé ». Ce calcul permet de valoriser l’action de nos forces de sécurité civile mais aussi de prendre en compte ce que les assurances auraient dû financer si leur action n’avait pas été mise en œuvre.

Avec le changement climatique, la pression sur les Sdis va s’accroître. Il est donc essentiel de renforcer leurs moyens. Je propose de le faire par trois mesures d’ordre fiscal : l’augmentation de la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance qui est versée par l’État aux départements pour financer les Sdis ; l’exonération du malus écologique qui s’applique désormais à l’ensemble de leurs véhicules ; l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), au même titre que l’armée qui ne la paie pas pour ses véhicules. Des marges de manœuvre financières non négligeables pourraient être ainsi dégagées et affectées à la lutte incendie.

Le rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement sur l’évolution du financement des Sdis ne nous a pas encore été transmis. Pourriez-vous néanmoins nous indiquer quelles mesures sont envisagées pour raffermir les capacités d’investissement des Sdis ?

Quel regard portez-vous sur les propositions d’ordre fiscal que je viens d’énoncer ?

Dernier sujet, largement partagé par les différents organismes audités : le besoin d’une gouvernance plus proactive et volontariste des politiques publiques touchant à la sécurité civile, dont le champ s’étend largement au-delà du seul ministère de l’intérieur. Un regroupement des services, aujourd’hui disséminés entre plusieurs ministères – intérieur, transition écologique, Europe et affaires étrangères, défense, santé – au sein d’une délégation interministérielle consacrée à la sécurité civile qui serait placée sous l’autorité du Premier ministre est-elle envisageable ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE).  Je salue ici un budget historique. Il est conforme à la trajectoire de la Lopmi, qui prévoit 15 milliards d’euros sur cinq ans. Il augmente de 1,2 milliard par rapport au budget de 2022 et prévoit la création de plus de 3 018 postes, dont 2 874 postes de policiers et gendarmes.

Conformément à l’engagement du Président de la République de réarmer les territoires, la mission budgétaire Administration générale et territoriale de l’État voit les effectifs des préfectures et sous-préfectures augmenter pour la première fois depuis dix ans. Quarante-huit postes viendront renforcer dès 2023 les services à fort enjeu pour le ministère de l’intérieur. De nouvelles sous-préfectures viendront compléter un réseau au sein duquel des espaces France Services continueront à être développés.

L’État a inversé la dynamique de recul des services publics et a renforcé sa présence dans les territoires. Depuis 2018, plus de 2 000 espaces France Services ont été créés dans tous les départements pour permettre aux citoyens d’effectuer leurs démarches de proximité et bénéficier d’un accompagnement physique personnalisé.

L’identité numérique du citoyen, développée depuis 2017, constitue désormais le pivot de nouvelles perspectives au sein du ministère de l’intérieur et des outre-mer et, plus largement, le développement des services à l’usager qui réclame un haut niveau de confiance.

La mission Sécurités concourt aux actions du ministère de l’intérieur et des outre-mer et vise à assurer la sécurité intérieure, prévenir et lutter contre le terrorisme, poursuivre l’effort contre toutes les formes de délinquance, garantir la protection des Français, maintenir les capacités de gestion de crise et intensifier la lutte contre l’insécurité routière. Des moyens inédits en la matière seront déployés.

Un effort de recrutement considérable est prévu en 2023 : 2 874 postes supplémentaires permettront de créer onze unités de forces mobiles afin de sécuriser les grands événements sportifs à venir, ainsi que d’engager l’implantation de 200 nouvelles brigades de gendarmerie.

Des projets numériques structurants portés par la nouvelle Agence du numérique des forces de sécurité, instituée à partir du 1er janvier 2023, permettront de répondre aux prochains enjeux sécuritaires, y compris dans le cadre de l’organisation prochaine, en France, de grands événements.

Les efforts en matière d’immobilier seront poursuivis, avec la réhabilitation des commissariats, des casernes de gendarmerie ou des bases de sécurité civile.

Le doublement de la présence des forces de l’ordre sur le terrain sera notamment assuré par le recrutement de policiers et gendarmes, dans la continuité du plan « 10 000 jeunes », déployé au cours du précédent quinquennat. Entre 2023 et 2027, le ministère de l’intérieur et des outre-mer bénéficiera de 8 500 créations d’emplois. Je l’entends dans ma circonscription, à Marseille, nos concitoyens veulent voir plus de « bleu » dans la rue. Nous répondons à leur demande en déployant ces efforts inédits pour leur sécurité. En prenant le tournant du numérique, en agissant dans la proximité et en prévenant mieux les crises futures, le Gouvernement et la majorité répondent aux défis présents et à venir.

Une question pour finir. L’augmentation des effectifs de la police et de la gendarmerie est une vraie bonne nouvelle pour nos concitoyens. Quels moyens seront mis pour leur formation ?

M. Jordan Guitton (RN). Je veux, tout d’abord, rendre hommage à nos forces de l’ordre, à nos policiers et à nos gendarmes qui travaillent sans relâche pour protéger nos concitoyens. Je veux aussi remercier tous nos sapeurs-pompiers et l’ensemble de la sécurité civile de leur engagement, pour leur détermination et leur action quotidienne face aux incendies de haute intensité qui ont touché la France l’été dernier.

Les forces de l’ordre et les serviteurs de la sécurité civile méritent la reconnaissance de la nation. Nous nous devons de donner tous les moyens à ces héros du quotidien afin qu’ils puissent nous protéger dans les meilleures conditions. C’est la raison pour laquelle ces moyens doivent augmenter, et nous le demandons depuis de nombreuses années. C’est aussi la raison pour laquelle, au sein du groupe Rassemblement national, nous défendons une vision sécuritaire ambitieuse, nourrie par le programme présidentiel de Marine Le Pen, adoubée par 13,2 millions de Français.

Il est nécessaire d’accorder les moyens à la justice et aux forces de sécurité d’exercer leur mission. Il faut aussi combattre le crime par une réponse opérationnelle à la hauteur des menaces et simplifier les procédures pour faciliter le travail des enquêteurs. Enfin, il convient de moderniser l’institution judiciaire et rendre une plénitude de compétences aux maires. C’est pourquoi les crédits budgétaires doivent servir l’action de nos forces de l’ordre et les protéger en mettant en œuvre le principe de présomption de légitime défense pour les policiers. Ils le réclament, nous le réclamons haut et fort depuis de nombreuses années. Qu’attendez-vous pour le faire ?

L’urgence est d’augmenter les moyens de la politique de sécurité, car la France n’y consacre finalement qu’un peu plus de 1 % de son PIB, ce qui est peu comparé aux autres pays européens.

Vous livrez des chiffres de la délinquance très souvent optimistes dans les médias et dans vos interviews, mais depuis la suppression de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qu’en est-il de la transition avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI) ? N’y a-t-il pas un problème d’indépendance qui affecterait la publication de ces chiffres ?

S’agissant des crédits budgétaires, je note que les crédits de la mission Sécurités augmentent effectivement : plus 6 % pour la police nationale, plus 4 % pour la gendarmerie nationale, plus 13 % pour la sécurité civile. Plus largement, votre projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur propose d’augmenter le budget de votre ministère de 15 milliards d’euros sur cinq ans. Pourquoi n’avez-vous pas abondé de manière plus significative les budgets des premières années de cette loi de programmation : il est urgent d’agir, tout de suite, dès l’année prochaine ! L’augmentation est d’autant plus nécessaire que l’inflation du nombre de délits et de crimes est, elle aussi, bien réelle dans le pays, et que nos concitoyens attendent des actes forts de votre Gouvernement.

Vous rattrapez depuis 2017, il faut le dire, les mauvais choix de votre ancien parti politique qui avait supprimé 12 000 postes de policiers et de gendarmes en 2010 et 2011. Avec les réformes des gouvernements précédents, nous sommes revenus au niveau des effectifs de policiers et de gendarmes de 2011, mais la situation sécuritaire n’est plus du tout la même.

Vous parlez de la Lopmi comme d’une réforme inédite. Oui, les budgets de la police, de la gendarmerie et de la sécurité civile augmentent, mais ils restent encore largement insuffisants face à l’urgence de la situation. Le budget de votre ministère ne progresse que de 1,2 milliard d’euros en 2023 et de seulement 880 millions en 2024 par rapport à 2023.

Selon les chiffres de la Banque de France, en 2023, l’inflation se situera à 4,7 %. En réalité, compte tenu de cette inflation, l’augmentation par rapport à 2022 du budget de votre ministère pour 2023 s’établit à seulement 273 millions. C’est bien là le problème principal de cette loi de programmation budgétaire : elle paraît augmenter les budgets, mais eu égard à la situation économique réelle du pays, elle demeurera insuffisante, les crédits engagés ne permettront qu’une petite amélioration de la situation de nos forces de l’ordre et, de manière générale, de notre sécurité. Nous sommes loin d’une révolution !

Enfin, quelle conséquence aurait l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur les crédits que nous votons et discutons ce jour ? Les chiffres annoncés dans ce PLF seront-ils maintenus ? Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à l’application stricte et réelle de ce budget ? Il y va de la sécurité de notre pays, première des libertés, comme le dit si bien Marine Le Pen.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’organisation de la mission budgétaire Sécurités et la répartition des crédits traduisent deux aspects : les priorités du Gouvernement dans la lutte contre la délinquance telle que lui-même l’analyse, et les conditions dans lesquelles la sûreté peut être garantie pour tous. J’emploie le terme de sûreté à dessein, en ce qu’il recouvre la préservation des personnes et des biens, mais aussi la protection des citoyens vis-à-vis des institutions. Tel est l’esprit dans lequel nous avons rédigé quelques amendements.

La vision gouvernementale s’arrête souvent à la délinquance de voie publique, j’en veux pour preuve la communication ferme qui a été faite autour des points de deal et de leur supposée réduction. De ce point de vue, le compte n’y est pas : les contrôles systématiques n’amènent qu’au déplacement des points de deal, et les personnes qui habitent à proximité n’y gagnent pas une vie plus sereine. Les policiers ont clairement le sentiment de vider la mer avec les mains. Or le sens est devenu un élément majeur pour ceux qui exercent ce beau métier de policier ou de gendarme, les difficultés de recrutement actuelles en attestent. Qui plus est, cela correspond à une forme de contrôle social, cette pression s’exerçant toujours sur les mêmes territoires et franges tendanciellement défavorisées de la population.

La logique et l’efficacité voudraient qu’on mobilise les crédits pour lutter contre la délinquance en col blanc et financière, et contre le crime organisé ; c’est le moyen évident de lutter contre le trafic de stupéfiants.

La deuxième forme de délinquance qui nous paraît devoir être visée sont les violences faites aux femmes, fort multiples dans une organisation sociale patriarcale. Nous soutiendrons un amendement visant une sensibilisation globale des services de police en systématisant la formation à l’accueil et le soutien d’intervenants sociaux.

S’agissant de la police judiciaire, vous faites parfois fortement consensus – ici, contre la réforme de la police judiciaire. Mon groupe partage les arguments à la fois de préservation des missions de lutte contre les délits du haut du spectre, et leur indépendance, liée à n’importe quel État de droit. Nous proposons donc d’analyser les coûts, en particulier des recrutements destinés à ces fameuses directions départementales au détriment des moyens dits de technopolice.

La loi de finances doit également concourir à créer les conditions de l’indépendance de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), indispensable pour renouer les liens de confiance entre la police et la population, qui participent du bon ordre.

Nous sommes favorables au recrutement de policiers ; encore faut-il qu’il y ait des écoles pour les former – une dizaine d’entre elles a été fermée.

Enfin, nous présenterons un amendement concernant la sécurité civile qui réclame, elle aussi, planification, organisation et capacité à se projeter, en particulier par l’achat de matériels modernes et adaptés.

M. Alexandre Vincendet (LR). Les députés Les Républicains sont extrêmement attentifs à la mission Sécurités. Celle-ci voit ses crédits augmenter de 1,05 milliard d’euros –6,75 % en CP et 6,82 % en AE –, ce qui porte son budget total à 15,77 milliards. Nous saluons cette progression favorable à la sécurité des Françaises et des Français, en ces temps où, certains quartiers de nos grandes villes deviennent des zones de non-droit et où la lutte contre toutes les formes de délinquance doit disposer de moyens à la hauteur des enjeux.

La progression des crédits, conséquence partielle du Beauvau de la sécurité et des premières mesures liées à la Lopmi, devrait bénéficier à la police nationale et à la gendarmerie, à raison respectivement de 54 % et 43 % des crédits, et se traduire notamment par la création de 2 857 nouveaux emplois, soit un triplement du volume constaté en 2022.

Le Gouvernement commencera donc à tenir sa promesse de doubler les effectifs sur la voie publique et d’armer les onze nouvelles unités de forces mobiles en 2023, alors que les forces de sécurité ont enregistré une hausse record des coups et blessures volontaires de plus de 21 % en trois ans, ce qui en porte le nombre au niveau historique de 260 500 en un an, soit plus de 700 agressions par jour – ce n’est pas acceptable.

Dans la même perspective, 276 millions d’euros sont affectés au recrutement et à la formation des réserves opérationnelles – autre défi pour les prochaines années –, avec un objectif fixé à 30 000 réservistes au sein de la police nationale.

Manquent toutefois tous les indicateurs relatifs aux objectifs annuels du Gouvernement, censés rendre compte de l’efficacité – ou non – de sa politique. Par exemple, les atteintes aux biens constatées en zone police sont indiquées comme étant en baisse en 2022, mais aucune donnée ne vient étayer cette affirmation, alors qu’elles ont augmenté entre 2020 et 2021. Il en est de même pour les crimes et délits commis à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique – nous le regrettons.

En matière de stupéfiants, la France est le pays d’Europe qui compte proportionnellement le plus de consommateurs. Il faudra bien relever le défi que constitue la lutte contre ce qui est devenu un fléau.

Le programme Police nationale présente un plafond d’emploi fixé à plus 1 907 ETPT, auxquels s’ajoutent sept emplois pour le renforcement de l’évaluation de l’encadrement supérieur de la police. Cette évolution permettra le doublement de la présence policière sur la voie publique, l’augmentation du nombre de compagnies de CRS, le renforcement de la filière investigation par la création de postes d’assistants d’enquête, et l’accroissement du nombre de formateurs.

Il me semble urgent de fournir à toutes les casernes et commissariats un matériel informatique fonctionnel. Un surcroît d’investissements dans la police technique et scientifique est également indispensable pour accélérer l’investigation et augmenter le taux d’élucidation des crimes et délits.

Le programme Gendarmerie nationale représente 43 % de la mission et dispose de 9,9 milliards en crédits de paiement – plus 595 millions d’euros –, soit une augmentation de 6,39 %.

La Lopmi prévoit la création, à partir de 2023, de 200 brigades, essentiellement en milieu rural, afin de densifier le maillage territorial de la gendarmerie et empêcher la formation de zones blanches sécuritaires, en métropole comme en outre-mer. Aucun territoire ne doit être oublié, car, que l’on vive en milieu urbain ou en milieu rural, la liberté d’aller et de venir en paix est la première des libertés publiques.

Le programme Sécurité et éducation routières, qui représente 0,32 % de la mission, est doté de 74,4 millions en CP, en hausse de 48,36 %. Il a pour objet la lutte contre l’insécurité routière, dont la finalité est de faire baisser le nombre de personnes tuées ou blessées sur les routes de France – un objectif que nous partageons tous.

Enfin, le programme Sécurité civile regroupe l’ensemble des politiques du ministère de l’intérieur dédiées à la protection des populations et à la gestion de crise. Il représente 2,79 % de la mission et dispose de 640,1 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 12,76 %.

Les feux de forêt, plus nombreux et d’une exceptionnelle intensité en 2022, ont fortement mobilisé toutes les forces de sécurité civile sur une grande partie de notre territoire, brûlé plus de 60 000 hectares et conduit au déplacement de près de 55 000 personnes. Afin de mieux faire face à ces phénomènes appelés à être de plus en plus fréquents, une hausse des crédits était évidemment nécessaire.

Nous saluons la volonté du Gouvernement d’accorder plus de moyens aux forces de l’ordre et en attendons des résultats concrets sur l’ensemble du territoire. À cet égard, nous serons attentifs à l’évolution des indicateurs de la délinquance.

Mme Élodie Jacquier-Laforge (Dem). Cette année, la mission Sécurités, dotée de plus de 15 milliards d’euros, consacre de nouveaux moyens humains, financiers et juridiques, pour assurer la sécurité intérieure, lutter contre le terrorisme et la délinquance, gérer les crises et l’insécurité routière.

Les moyens humains ont vocation à renforcer la présence sur le terrain. Policiers et gendarmes devraient voir leurs rangs grossis par la création de près de 8 500 postes. Vont ainsi pouvoir bénéficier directement d’une hausse de personnel, notamment, les transports en commun et la voie publique.

Quatre unités de forces mobiles seront créées en vue de l’organisation de la Coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques. Elles constitueront indéniablement une force de protection et de sécurité supplémentaire pour la tenue de ces événements internationaux. Le groupe Démocrate se réjouit que de nombreux supporters et supportrices venus du monde entier pourront ainsi profiter pleinement des festivités. À l’issue de ces événements, vers quelle mission seront redirigés ces CRS ?

Le déploiement du réseau Radio du futur, dont j’aimerais avoir le détail, mettra-t-il fin aux zones non couvertes, par exemple la commune de Presles, en Isère ?

Les forces de l’ordre, dans leur lutte contre la délinquance du quotidien, se heurtent parfois à des obstacles juridiques. Par exemple, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) a été instaurée pour pénaliser l’occupation des parties communes d’immeubles ou de terrains, et l’usage illicite de stupéfiants, afin de simplifier la procédure pénale. Or cette amende forfaitaire délictuelle ne peut être utilisée lorsque les protagonistes sont mineurs ou en cas de récidive. J’ai été interrogée à ce sujet : une évolution est-elle envisagée pour élargir son recours ?

Des moyens supplémentaires sont consacrés à la lutte contre la cybercriminalité, qui se manifeste par des attaques contre nos hôpitaux ou des institutions publiques, rendant plus vulnérables les données personnelles de nos concitoyens. Il nous appartient de nous saisir sans attendre de cette question, comme le font au quotidien les services du ministère de l’intérieur, que je veux soutenir ici. Le groupe Démocrate comprend la nécessité d’intervenir dans ce domaine par le recrutement de profils plus scientifiques et plus techniques pour assurer la sécurité numérique dans l’ensemble du territoire.

Cette protection concerne également les nouvelles méthodes de travail qui s’appuient sur la dématérialisation et la progression de l’utilisation des outils numériques. Ceux-ci doivent être obligatoirement protégés en testant les failles et en informant correctement les personnels. La protection des données doit être assurée pour les démarches dématérialisées, comme les procurations électorales, mais elle doit également s’adapter à toute la population, sans négliger les citoyens qui se retrouveraient en difficulté face à l’accès aux outils numériques. Une attention particulière doit également être portée aux personnes, surtout les jeunes enfants, qui utilisent l’espace numérique sans en connaître les dangers. Protéger, c’est assurer la sécurité physique mais également informer.

Le groupe Démocrate sera attentif aux propositions qui contribueront à protéger tous les citoyens dans le cyberespace et aideront les forces de l’ordre à assurer la protection et l’accompagnement de nos concitoyens.

S’agissant du programme Sécurité civile, les mégafeux de cet été sont le signe que nous devons nous adapter extrêmement rapidement aux effets du dérèglement climatique, ce que seul un travail de coopération interministérielle permettra. Le renforcement des moyens aériens de la sécurité civile est primordial, et le texte le prévoit. Avec la multiplication des vagues de chaleur et la hausse globale des températures dans les prochaines années, nous devons renforcer la prévention et la lutte contre les incendies.

Le groupe Démocrate salue le développement d’une gendarmerie verte, dédiée notamment à la protection de l’environnement. Elle sera le symbole de l’exemplarité dont doivent faire preuve nos institutions dans l’action pour notre survie. Quelle sera la feuille de route de ces gendarmes affectés à la protection de l’environnement ?

M. Roger Vicot (SOC). Ce projet de budget est plein de surprises. La première est plutôt bonne : 15 milliards, une somme rarement atteinte pour une loi d’orientation et de programmation, dont 8 milliards répondent à des nécessités – par exemple avoir des logiciels qui fonctionnent. Vous avez travaillé sur l’immobilier, les véhicules, l’informatisation, la digitalisation, les grands événements à venir, toutes choses absolument nécessaires. Mais le diable se cache dans les détails et certains points nous paraissent encore un peu flous – on le sait, quand c’est flou, il y a un loup !

Parmi ces loups, nous en avons soulevé un, au travers des réponses, voire des non-réponses, qui nous ont été apportées, qui est lié aux créations de postes. S’agit-il de créations de postes nettes ou ces créations seront‑elles annulées par les départs à la retraite au cours des années qui viennent ? Nous présenterons des amendements sur ce sujet.

Autre loup, le nombre des formateurs suivra-t-il celui des créations de postes ?  Dans le PLF2022, les formateurs supplémentaires de la police nationale se comptait quasiment  sur les doigts de la main – ils étaient passés de 267 à 281. Nous nous en inquiétons d’autant plus que vous prévoyez également d’augmenter le nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) jusqu’à 26 000 dans les années qui viennent.

Même si le Sénat en a considérablement réduit la voilure, il conviendra également d’étudier très attentivement le sujet des amendes forfaitaires délictuelles. Le texte initial prévoit la multiplication des infractions prises en charge par les AFD. De 11, elles passeraient potentiellement à 3 400 puisque seraient concernés tous les délits donnant lieu à une condamnation de prison jusqu’à un an. Se poseraient alors des questions quant à l’individualisation de la peine et l’égalité territoriale, dans la mesure où les policiers seront les seuls à décider de ces AFD.

Autre interrogation liée à la formation, celle des assistants d’enquête dont on ne sait pas exactement quelle sera la mission. On nous dit qu’ils seront, auprès des OPJ, un peu les équivalents des greffiers de justice. Comment tout cela fonctionnera-t-il précisément ?

Concernant la réforme de la police judiciaire, monsieur le ministre, vous avez écarté les critiques d’un revers de main un peu rapide. Sauf à penser que la Conférence nationale des procureurs généraux, les procureurs de la République, les policiers de la PJ, les policiers qui expérimentent cette réforme et les avocats sont dans l’incapacité de la comprendre, expliquez-moi ce très fort mouvement national d’opposition à la réforme de la PJ ? Nous pensons que la PJ doit être soignée ; or les crédits qui lui sont destinés baissent de presque 13,5 %.

Enfin, sur la sécurité civile, de nombreux départements ont fait l’expérience d’incendies ravageurs cet été. Les Sdis, les pompiers et les soldats du feu sont en difficulté financière. Ils font appel à l’État : vous devez répondre à cet appel.

M. Didier Lemaire (HOR). Le budget de la mission Sécurités augmente pour l’année 2023, en cohérence avec les objectifs du projet de Lopmi pour les cinq prochaines années.

Je me réjouis de la hausse des crédits des programmes Police nationale et Gendarmerie nationale. Elle permettra le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires d’ici à 2027, dont 950 emplois à temps plein en 2023. C’est une bonne chose qui s’inscrit dans la continuité de l’action menée par la majorité depuis 2017.

Nous connaissons, en France, un déficit de gendarmes, de policiers et de policières. Dans la troisième circonscription du Haut‑Rhin que j’ai l’honneur de représenter, les huit brigades sont parfois contraintes de fermer l’accueil au public, en semaine comme le week-end, en raison d’un manque d’effectifs. Les brigades de bourgs centres tels que Saint-Louis et Altkirch sont tout autant affectées que celles de villes de taille plus modeste. Même les communautés de brigades, dites COB, instaurées ces dernières années, ne suffisent plus à couvrir de façon quotidienne les besoins du territoire. Outre le défaut d’accueil du public, donc de lien avec la population, à une époque où les violences intrafamiliales et les cambriolages sont en hausse, je crains l’épuisement des personnels, qui restent motivés et dont je salue ici l’engagement quotidien.

Les critères de répartition des nouveaux agents sont-ils déjà établis ? J’insiste à nouveau sur l’attention qu’il faudra porter aux communes les moins dotées.

Le budget du programme Sécurité civile est en hausse d’environ 13 % par rapport à 2022. Je suis particulièrement attentif à ce sujet. Notre pays a connu cet été 8 850 feux de forêt de toute taille et d’intensité diverse sur une grande partie de notre territoire. Des régions autrefois épargnées ont été touchées durement et violemment. Je me réjouis que votre ministère ait bien conscience des enjeux qu’implique la sécurité civile de demain. Les phénomènes naturels extrêmes s’accélèrent en France, contraignant l’État et les collectivités territoriales à affronter des crises majeures qui se succèdent, voire se conjuguent.

Si les feux de forêt sont à 92 % d’origine humaine, l’évolution du climat devient un facteur aggravant dans le départ des incendies. La politique de prévention, sur laquelle repose la doctrine française de lutte contre les feux de forêt, doit être renforcée. Les communes peuvent y participer pleinement en créant des réserves communales ou intercommunales de sécurité civile, des plans communaux de sauvegarde ainsi que des comités communaux Feux de forêt. Le Gouvernement envisage-t-il d’accompagner les communes dans leurs actions de prévention du risque en général auprès de la population et dans l’éducation aux risques incendie en particulier ? Si oui, comment ?

L’éducation de nos concitoyens et concitoyennes doit intervenir à l’échelon le plus proche possible de leur vie et peut être orchestrée par des maires volontaires, qui ressentent parfois le besoin d’être guidés dans cette démarche. Je crois savoir que votre ministère travaille à des mesures qui consisteront peut-être à faire évoluer la part du produit de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) reversée aux Sdis et à accompagner les entreprises qui souhaitent libérer leurs salariés sapeurs-pompiers volontaires mais ne le peuvent pas pour des raisons économiques. Ces mesures impliqueront, j’en suis sûr, plus de moyens d’action et de prévention, et le développement d’une véritable culture du risque.

Le groupe Horizons votera en faveur des crédits de ces missions.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). De loi de finances en loi de finances, les ministres nous présentent des crédits en augmentation. Je ne conteste pas la nécessité de ces moyens, mais je m’interroge sur l’application, l’effectivité et les conséquences de ces augmentations.

En 2019, avant vos prises de fonctions au ministère de l’intérieur, l’ONU dénonçait l’usage excessif de la force dans les stratégies de maintien de l’ordre choisies en France face aux gilets jaunes. En 2020, la presse espagnole en disait autant des interventions brutales et violentes choisies cette fois pour « gérer » les actions de soutien aux migrants à Paris, particulièrement place de la République. En 2022, hier, c’est un rapport indépendant britannique qui a dénoncé les agressions criminelles, les charges continues et aléatoires de la police à l’encontre des supporters et l’utilisation injustifiée de gaz lacrymogènes lors de la soirée connue aujourd’hui sous le nom de fiasco du Stade de France.

Dans cette petite portion de faits, je suis gênée par l’image qui est renvoyée de la France et des Français, celle d’un pays incapable d’adopter des doctrines de maintien de l’ordre dignes du XXIe siècle, celle d’un pays rétrograde. En tant que femme politique, citoyenne et législatrice, il m’est difficile de le tolérer. Pourtant, nous allons octroyer de nouveaux budgets sans que cette doctrine, cette logique, qui se transmet de ministre en ministre, ne soit changée ni même évoquée.

Ce n’est pas le travail des policières et policiers ou des gendarmes qui est en cause, ce sont bien les décisions, les orientations de leurs décideurs qui sont vilipendées par l’Europe tout entière et qui, tout comme notre inaction climatique, font de nous le vilain petit canard de l’Europe. Si au moins la police s’en portait bien, si la population se disait en sécurité partout dans les territoires, ce ne serait pas bien grave que l’Europe se moque de nous. Le problème, c’est qu’à la fin du mois de juin, trente-quatre policières et policiers et quatorze gendarmes s’étaient donné la mort, dont dix dans la police dès le mois de janvier– des chiffres jamais enregistrés jusque-là. Quant au sentiment d’insécurité, sa réalité parfois, chacun le connaît.

Aujourd’hui, c’est la police judiciaire qui gronde. Hier, trente-six villes ont connu des manifestations d’agents de police. À Strasbourg, où je suis élue, 50 policiers enquêteurs et magistrats étaient dans la rue ; ils étaient 50 à Nîmes, 90 à Nice, entre 200 et 300 à Nanterre, 150 à Lyon, 150 à 200 à Montpellier, ces agents qui ont coutume d’observer religieusement le devoir de réserve.

Suffit-il d’affecter 15 milliards d’euros supplémentaires à la sécurité intérieure pour améliorer la qualité du service rendu au citoyen et l’exercice des policières et des policiers ? Plus de bleu est-ce vraiment mieux de bleu ? Cela assurera-t-il aux policiers sur le terrain, qui en ont assez, qu’hormis des chiffres présentables, la qualité de leurs conditions de travail va s’améliorer ?

Monsieur le ministre, je n’ai pas ciblé particulièrement vos politiques et votre personne. Je n’attaque pas des personnes, je remets en question une doctrine politique. J’espère donc que votre réponse sera dénuée du cynisme que vous m’avez déjà opposé et que nous pourrons travailler sérieusement, dans le respect de la démocratie parlementaire.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). On nous demande de voter des crédits sans examen préalable de la loi directement concernée : nous ne savons pas comment ces crédits qui concernent la Lopmi, discutée au Sénat à l’heure où nous parlons, seront déployés au cours des cinq prochaines années.

On nous présente des moyens qui font la part belle au volet répression au détriment de la sécurité de proximité. On ne peut que déplorer que ce choix de votre ministère. Les actions relatives à la sécurité, à la paix publique et à la sécurité routière sont dépouillées de centaines de millions d’euros pour alimenter les dépenses d’investissement en casques pare-balles et boucliers de maintien de l’ordre pour des agents qui en ont certainement besoin. Les crédits amputés concernent la lutte contre la délinquance, l’accueil et le contact avec les usagers. De même, pour la gendarmerie nationale, on nous annonce la création de 200 brigades et le recrutement de près de 1 000 ETP, sans préciser qu’un tiers de ces nouvelles unités seront itinérantes et se déplaceront dans les communes rurales, déjà abandonnées par bien des services publics et de proximité.

On nous demande d’acter la restructuration de la police judiciaire, une réforme pourtant décriée par l’ensemble des parties concernées. D’un côté, les moyens des forces de l’ordre augmentent, mais pour créer des unités de forces mobiles destinées à combler artificiellement des manques, au détriment d’une présence continue sur le terrain ; d’un autre côté, la police judiciaire est dépouillée de 429 millions d’euros, alors que vous avez vous-même reconnu que nous manquons d’environ 5 000 OPJ. Apparemment, la solution pour trouver les moyens humains qui manquent cruellement est toute trouvée : avec la Lopmi, il sera désormais possible aux élèves policiers et gendarmes de passer les concours d’OPJ dès la fin de leur scolarité au lieu de trois ans après leur prise de fonction.

Quelle garantie avons-nous que la réforme n’affectera pas le niveau de formation, de pratique et d’expérience OPJ ? Comment juguler la criminalité, dont les méthodes et la spécialisation sont de plus en plus insidieuses, si vous mettez aux enchères l’expertise des enquêteurs et enquêtrices de la PJ ? Nous n’avons eu aucun retour sur l’expérimentation de la réforme en cours dans différents endroits du territoire, dont la Guyane. C’est bien dommage.

Nous estimons que la politique du chiffre du Gouvernement ne pourra aboutir qu’à des pratiques contre-productives, loin du terrain et de la population, que l’on prive de la proximité avec les forces de l’ordre censées la protéger, et loin de l’intérêt de la police et de la gendarmerie, que l’on prive du sens de leur mission en les nomadisant, en les rendant interchangeables et en empêchant leur enracinement local.

Enfin, la dématérialisation des plaintes doit être abordée avec précaution et systématiquement accompagnée d’alternatives physiques. Si le numérique peut être une aubaine, il encourage aussi la désertion des services publics de nos territoires.

M. Paul Molac (LIOT). Notre groupe ne peut que saluer l’engagement budgétaire en faveur des policiers et des gendarmes, avec des crédits de la mission Sécurités qui progressent de 1 milliard sur un an.

Les hasards du calendrier font que nous allons devoir voter les crédits d’une mission avant même d’avoir pu débattre du projet de Lopmi. C’est un problème, car ces crédits correspondent à la trajectoire prévue à son article 2. Cela ressemble à un vote a priori. Comment décider de l’utilisation de crédits en 2023 avant même d’avoir pu débattre des priorités pour nos policiers et nos gendarmes ?

La réforme de la police judiciaire se traduit budgétairement par le recrutement de 2 800 officiers de police judiciaire dès 2023. Comment seront-ils déployés sur le territoire ? Cette réforme a créé de vives tensions sur le terrain. Les enquêteurs redoutent la départementalisation de leur travail et la fusion avec les effectifs de sécurité publique qui s’occupent de la délinquance du quotidien. Cette fusion ne conduira-t-elle pas à mobiliser les OPJ pour des missions de plus faible importance, qui ne relèvent pas, en principe, de leur compétence ? La culture du corps risque d’être brisée. En dépit des hausses de moyens, la fusion et les difficultés qui en résulteront nécessairement risquent d’affaiblir la capacité d’action des enquêteurs.

S’agissant de la gendarmerie nationale, notre groupe salue la création de 200 nouvelles brigades qui viendront densifier le maillage territorial, après des années de suppression de brigades.

Dans la concertation entre élus locaux et préfets qui est évoquée pour le déploiement des brigades, de quelle marge de manœuvre disposeront les élus locaux ? Vous annoncez vouloir tenir compte des spécificités territoriales. Si on prend l’exemple de la Corse, dont les spécificités géographiques sont évidentes, quelles adaptations pourraient être envisagées ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le rapporteur Rudigoz, les 1 472 postes de gardiens de la paix, qui constituent le corps d’encadrement et d’application (CEA) de la police nationale, correspondent tous à des créations nettes. Et, monsieur Vicot, elles s’ajoutent aux recrutements qui viennent compenser les départs à la retraite ou les cessations d’activité dans la police nationale. Pour la Métropole lilloise, dont vous êtes élu, ce seront 260 policiers supplémentaires, tous départs confondus. Parmi les grands auteurs que vous avez cités, Martine Aubry a salué, une fois n’est pas coutume, l’action du ministre de l’intérieur en disant que c’est ce qu’elle attendait, même si c’est depuis longtemps.

D’une manière générale, il est difficile pour le ministre de l’intérieur d’évoquer les effectifs par conscription, car il ne peut répartir que ceux qui sortent de l’école. Une fois intégrés, on ne peut pas les forcer à prendre les postes ouverts. Nous entreprenons une réforme parallèle à la réforme de la police nationale, qui n’aura pas de conséquences budgétaires, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

La Lopmi a fait l’objet de nombreuses interpellations, mais je n’entre pas dans le sujet. Il sera largement traité le moment venu et, si la commission m’y invite, je répondrai, comme toujours, à son invitation pour répondre aux questions des parlementaires.

Les assistants d’enquête seront bien issus du personnel administratif, technique et scientifique du ministère de l’intérieur. Il ne s’agit pas de recruter des contractuels ou de créer un nouveau corps de fonctionnaires. Ces personnes appartiennent à la communauté des policiers mais ne sont pas des policiers stricto sensu ; elles ne portent pas d’armes. Grâce à des formations et à des qualifications, elles obtiendront le grade d’assistant d’enquête.

J’en viens aux 200 brigades de gendarmerie.

Dès 2023, 950 effectifs supplémentaires sortis d’école arriveront dans les brigades territoriales de la gendarmerie nationale. Je serai en mesure de créer quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze brigades de gendarmeries, après accord sur leur implantation et les conditions de leur accueil.

La Guyane recevra quatre nouvelles brigades de gendarmeries. C’est vous-même, monsieur Rimane, avec le président Serville, qui avez demandé à avoir deux brigades fluviales, plus adaptées à la réalité guyanaise. Par nature, donc, elles seront itinérantes.

Le lieu d’installation des brigades n’est pas prédéfini. Le choix sera fait à l’issue de réunions que j’ai demandé à tous les préfets de la République d’organiser. J’ai moi-même lancé une consultation dans le Cher et je ferai de même dans d’autres départements. Les maires et les parlementaires seront conviés à ces réunions pour évoquer, avec les commandants de groupement, la délinquance en zone de gendarmerie dans chaque département, et pointer les difficultés. Il en est sûrement résulté de la suppression de 500 brigades en vingt ans, dont nous devrons tenir compte pour en recréer 200 en cinq ans.

Réimplanter des brigades là où elles ont été supprimées, pourquoi pas, mais il faut aussi prendre en considération les populations qui ont pu évoluer ou les axes routiers qui ont pu être créés. Divers projets, commerciaux, d’infrastructures, agricoles ou autre, sont également susceptibles de voir le jour. Il faut les envisager sur cinq ans, car on crée une brigade pour qu’elle corresponde aux besoins de la population et à la délinquance de demain.

J’ai proposé que les commandants de groupements et les préfets établissent une carte des implantations qu’ils jugeraient utiles, qu’ils soumettront pour réflexion à l’Association des maires et à l’Association des maires ruraux. D’autres réunions seront organisées vers février-mars pour procéder aux restitutions et s’accorder avec les élus sur les lieux d’implantation des brigades. Ceux-ci dépendent aussi des possibilités de les accueillir, qui peuvent prendre la forme aussi bien d’anciennes casernes militaires désaffectées, que de projets de réhabilitation ou de construction, ou de mise en commun avec les polices municipales ou les casernes de pompiers. L’imagination est au pouvoir ! Des crédits sont prévus pour accompagner ces rénovations ou constructions.

On peut imaginer qu’il y ait entre deux et cinq brigades par département : les départements les plus urbains n’ont pas besoin de brigade de gendarmerie, contrairement aux départements ruraux qui en nécessitent davantage.

À la fin, bien évidemment, c’est le ministre de l’intérieur qui signera l’implantation de ces brigades, après consultation des élus. Je suis donc à votre disposition quel que soit votre groupe politique. L’écriture de ces 200 brigades pourrait être terminée vers mars-avril puis il faudra que les militaires et leurs familles s’installent, ce qui supposera un accompagnement social soutenu.

Pour résumer, l’imagination est au pouvoir, les effectifs et les crédits pour l’immobilier sont là. Une consultation est lancée d’aujourd’hui jusqu’en décembre ; la décision du lieu d’implantation sera prise entre janvier et mars-avril. Je suis prêt à revenir devant votre commission pour justifier des implantations.

M. Rudigoz nous a dit le plus grand bien de l’Ofast, qui est une préfiguration de la réforme de la police nationale par le décloisonnement des services et la réunion dans la Cross d’éléments territoriaux et départementaux. Il faut bien comprendre que le point de deal en bas de l’immeuble à Tourcoing est parfois lié à la drogue qui arrive de Colombie ou d’ailleurs par le port du Havre. Ce lien particulier entre la délinquance du quotidien et la grande criminalité fait de l’Ofast un service très intéressant. C’est l’exemple de ce qui fonctionne en interservices et en départemental. D’ailleurs, le président de la commission des lois a pu le constater lors d’un déplacement aux Antilles.

La lutte contre la drogue fonctionne, même si elle est toujours à gagner, toujours à mener. Vous ne pouvez toutefois pas nier, madame Martin, que le nombre de points de deal dans votre département est passé de 374 à 81 – au niveau national, il est passé de 3 952 à 3 245, soit une baisse de 20 %. Certes, ils se récréent parfois. J’aurais été un drôle de maire, au temps où je l’étais, si j’avais répondu aux personnes qui se plaignaient de la saleté de la rue : « À quoi bon la nettoyer, dans deux jours, elle sera de nouveau sale ? ». C’est cela la mission de la police et la gendarmerie nationales, c’est d’intervenir. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». Oui, la délinquance revient, et il faut réintervenir.

La sécurité n’est pas n’importe quelle politique publique. Elle est moins structurelle puisqu’elle s’inscrit dans l’urgence, et sans cesse il faut remettre l’ouvrage sur le métier – « La mer, la mer toujours recommencée ! » Personne ne vient à bout de toute forme de délinquance immédiatement et la délinquance n’existe plus seulement dans les rêves.

S’agissant de la sécurité civile, M. le rapporteur Pauget a dressé un certain nombre de constats avec lesquels je pourrais être d’accord. Je me permets toutefois de rectifier la part qu’il a attribué à l’État dans son budget total : certes, il prend en charge 8 % et les Sdis le reste, mais ceux-ci sont financés pour un quart par l’État, à hauteur de 25 milliards d’euros.

Je n’ai pas encore reçu le rapport sur le financement des Sdis que j’ai commandé à l’Inspection. La TSCA est versée aux départements, qui la reversent théoriquement aux Sdis, mais chacun sait qu’elle n’est pas reversée de manière homothétique, selon que les départements, qui doivent aussi assumer des dépenses sociales, disposent ou pas des ressources suffisantes – cela dit sans les critiquer. Je pense que les inspecteurs, qui traitent également d’autres sujets, auront achevé leur travail à la fin du mois d’octobre. Je le communiquerai aux présidents de commission avant sa publication. J’ai reçu une première note de synthèse. Là encore, je suis à votre disposition pour venir discuter des pistes proposées dans ce rapport intéressant.

Serais-je favorable à une niche fiscale ? Je suis un peu gêné pour vous répondre en cette période budgétaire. J’ai été ministre des comptes publics, je sais que, par nature, le titulaire du portefeuille est favorable à des dispositions fiscales supplémentaires. Elles répondent à une cohérence dont on peut toujours discuter. Je reconnais volontiers que le malus écologique sur les véhicules polluants des Sdis, qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser ceux-là, pose une difficulté de compréhension. La mesure a certes un fondement écologique mais il est vrai qu’en l’absence d’avancée dans la conception de ces matériels lourds, elle peut être perçue comme un handicap pour eux.

L’armée ne paie pas la TICPE, certes, mais cela est assez logique : la fiscalité étant versée à l’État, taxer l’armée reviendrait à ce qu’il se taxe lui-même – un système chadokien, en somme. La TICPE a été imaginée dans un souci écologique ; c’est donc un sujet plus vaste que le financement des Sdis. Je suis ouvert à ces questions.

Le Président de la République reçoit les acteurs de la sécurité civile pour réfléchir à l’adaptation du système aux changements climatiques. Cela demandera très certainement des moyens supplémentaires, notamment pour encourager le volontariat des sapeurs-pompiers. La difficulté ne tient pas tant à la quantité de volontaires qu’au nombre de jours qu’ils consacrent au volontariat. La vocation ne se perd pas, ce sont les employeurs, le plus souvent privés mais aussi publics, qui ne mettent pas suffisamment les pompiers à disposition. Au lieu de voir une richesse dans les sapeurs-pompiers, ils y voient sans doute une difficulté de fonctionnement pour leur entreprise ou le service public. Lorsque sont survenus les incendies en Gironde, j’ai dû moi-même appeler les employeurs pour qu’ils libèrent les sapeurs-pompiers volontaires. Ce n’est pas tout à fait normal et peut-être y aurait-il des choses à prévoir dans la loi. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler prochainement de la sécurité civile, pourquoi pas en organisant une séance spécifique sur la question.

Madame Agresti-Roubache, il faut en effet former les formateurs, et cela prend un peu de temps. C’est pourquoi nous prévoyons dans la Lopmi la re-création de 252 postes de formateurs supplémentaires pour la gendarmerie nationale et de 447 pour la police nationale, qui va de pair avec les effectifs en formation initiale et continue.

Monsieur Guitton, concentrer les effectifs en début de programmation, c’est ce que nous faisons : sur les 8 500 postes prévus, nous en créons 5 500 en deux ans, et nous re-créons les onze unités de forces mobiles au cours des deux premières années également. Après, la difficulté est de recruter et de former plus de 3 000 personnes, ce qui pour les écoles de police et de gendarmerie sera une prouesse. L’année dernière, nous avons recruté et formé 1 800 personnes directement opérationnelles, et nous allons quasiment doubler la mise deux années de suite. Ce qui demande des écoles de police, des formateurs et du temps, puisque nous avons élargi la formation à douze mois, nous allons le faire, en 2023, sans école de police supplémentaire car nous n’aurions pas le temps d’en construire. Ce sera une grande réussite.

Les 15 milliards de la mission, dites-vous, seraient en fait moindres du fait de la forte inflation. Votre démonstration est fausse. D’abord, le budget du ministère de l’intérieur est aux deux tiers composé de crédits de titre 2 (T2), c’est-à-dire de dépenses de personnel sur lesquelles l’inflation n’a pas de conséquence – le point d’indice est autre chose. Le PLF a été construit sur une hypothèse de 4,7 % d’inflation, conformément aux prévisions de la Banque de France. Si l’inflation peut avoir une incidence, c’est sur les véhicules ou l’immobilier, donc sur un tiers du budget.

Ensuite, espérons que l’inflation ne se situera pas à 6 % ou 7 % pendant cinq ans. D’ailleurs, la Banque de France, que vous avez citée, évoque une inflation de 4 % l’année prochaine et aux alentours de 1 % par la suite. L’hypothèse vous sert, mais l’honnêteté commande de préciser qu’elle se limite à l’année 2023. Donc, sur les 15 milliards, on ne parle que des 3 milliards inscrits la première année, marquée par une inflation forte, dont les deux tiers ne sont pas concernés par l’inflation.

Pour être complet, en 2023, l’inflation représente 210 millions d’euros sur les 8 milliards, hors T2. Je ne pense pas qu’il y ait là de quoi affirmer que « votre fille est muette », pour citer Molière. Votre argumentation est sans doute séduisante politiquement, mais elle n’est pas vraie budgétairement. Il faut s’en réjouir. On peut être en désaccord sur la façon d’utiliser les moyens, mais tout le monde constate les augmentations sans précédent des crédits.

Pour ce qui est du service de sécurité du ministère de l’intérieur, il est totalement indépendant. Il publie les statistiques de la délinquance qui dépendent de l’Insee, sur lesquelles n’avons pas le droit d’intervenir. Je découvre les chiffres de la délinquance quand ils sont publiés par le SSMI. Si un jour, à Dieu ne plaise, vous êtes ministre de l’intérieur, vous découvrirez, comme moi, les chiffres dans le journal – je vois M. Bernacilis qui opine, c’est que cela doit être vrai ! – et vous pourrez les commenter et les interpréter.

Madame Martin, vous avez évoqué la nécessité de formation relative aux violences intrafamiliales. Je n’ai pas pris connaissance de vos amendements, mais tous les policiers et gendarmes reçoivent désormais une formation initiale dès l’école. Ceux que nous devons former sont les personnels qui sont sortis de l’école de police ou de gendarmerie il y a plus de trois ans, quand la formation n’était pas dispensée. Les deux tiers le sont à ce jour, il en reste donc un tiers.

Ce qui manque le plus pour les 400 000 enquêtes sur violences intrafamiliales ouvertes chaque année par la police et la gendarmerie, ce sont les OPJ. Il en manque d’ailleurs partout. Au passage, la Lopmi et la réforme de la police nationale n’emportent aucune baisse des crédits de la police judiciaire et de la délégation à la sécurité routière – je ne sais où vous l’avez lu. En matière de violences intrafamiliales, j’attends et je souhaite de tout cœur la justice spécialisée évoquée par Mme la Première ministre, sur le modèle de l’Espagne. Il s’agirait d’une grande avancée.

Je rejoins en grande partie le constat de M. Vincendet.

Madame Jacquier-Laforge, outre les onze unités de force mobile que nous recréons, nous en libérons sept autres qui tiennent certains sites à Paris – l’Élysée, les ambassades des États-Unis et d’Israël, le ministère de l’intérieur – alors qu’elles ne doivent pas être utilisées pour cela. En tout, nous formerons donc dix-huit unités de force mobile supplémentaires.

À quoi serviront-elles après les JO ? Les unités de force mobile, notamment la gendarmerie mobile, servent beaucoup en outre-mer pour répondre aux difficultés de délinquance – sept escadrons de gendarmerie mobile (EGM) sont actuellement présents en Guyane. Elles contribuent aussi à l’ordre public, en fonction des manifestations. Vingt UFM déployées aux frontières ont permis de réaliser 10 000 procédures de non-admission d’étrangers irréguliers, contre 3 000 il y a encore un an et demi. Il n’y a jamais eu autant de policiers aux frontières.

Enfin, lorsque je pérennise des unités de force mobile auprès des préfets, comme je l’ai fait à Perpignan – ce dont le maire même se félicite dans la presse –, à Marseille ou à Lyon, la délinquance baisse drastiquement, car nous pratiquons la sécabilité, qui consiste patrouiller à deux ou à trois. Maintenant que les CRS et les gendarmes acceptent de le faire, j’utilise les unités de force mobile pour saturer le terrain, grâce à quoi les chiffres de la délinquance baissent fortement dans ces communes.

Avec la gendarmerie verte, l’idée est de former 3 000 gendarmes dans les brigades pour lancer des enquêtes dans le cadre de cellules départementales des atteintes à l’environnement et à la santé publique (Caesp) sur les questions relatives au bruit, aux décharges et aux pollutions de l’eau, par exemple.

Je veux rassurer une nouvelle fois M. Vicot sur le fait que les créations de postes sont bien nettes. Je n’entre pas dans le débat sur la réforme de la police nationale ; je ne partage pas son opinion mais nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre du débat sur la Lopmi.

Monsieur Lemaire, les créations de brigades de gendarmerie répondront en grande partie au problème d’accueil que vous soulevez. Pour éduquer la population à la sécurité civile, nous allons créer, sur le modèle japonais, une journée dédiée à tous les risques, qu’ils soient naturels, de sécurité civile ou bactériologiques. C’est un point fort de la Lopmi qui a été peu évoqué au Sénat et je vous remercie de votre question.

Madame Regol, oui, les crédits supplémentaires amélioreront le service public de la sécurité, c’est bien pourquoi je les propose. Il me semble que la présence sur la voie publique permet de résoudre un grand nombre de problèmes de sécurité. Certes, ce ne sont pas des policiers dans la rue qui empêchent les violences dans les couples ou dans les foyers, mais ils ont un effet évident sur les violences faites aux personnes.

Le ministère de l’intérieur, les policiers et les gendarmes sont des urgentistes de la situation. Ils ne sont pas ceux qui règlent structurellement le problème de la délinquance d’un pays. J’ai été élu local suffisamment longtemps pour savoir que ce sont l’urbanisme, la politique de peuplement, l’éducation, les inégalités de naissance, une partie de l’immigration non intégrée, les difficultés économiques, la pauvreté qui en sont responsables. Il se trouve que je porte des crédits qui, comme le dit M. Rimane, « font de la répression ». À chacun sa tâche, si l’éducation nationale faisait de la répression et moi de l’éducatif, ce serait sans doute difficile à comprendre.

Je suis d’ailleurs un peu étonné de votre propos, monsieur Rimane. Le président de la commission des lois était là lorsque le président Serville m’a demandé d’autoriser la légitime défense pour les policiers en Guyane – vous ne l’avez pas contrarié. Je vous le dis, je n’accepterai pas la répression à tous crins que vous prônez.

Monsieur Molac, je pense avoir répondu sur les brigades de gendarmerie. Pour ce qui est de la réforme de la police nationale, nous en débattrons dans un autre cadre.


Lors de sa deuxième réunion du mardi 18 octobre 2022, la Commission examine les crédits de la mission « Sécurités » (MM. Éric Pauget et Thomas Rudigoz, rapporteurs pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/IcycMK

Article 27 et État B

Amendement II-CL4, II-CL5, II-CL2, II-CL3 et II-CL6 de M. Roger Vicot.

M. Roger Vicot (SOC). Le ministre a confirmé des créations nettes d’emplois, mais mieux vaut prévenir que guérir. L’amendement II-CL2 vise à créer 1 000 emplois supplémentaires dans la police nationale et, pour cela, à affecter 64 millions d’euros au programme 176 Police nationale en prélevant un montant équivalent sur le programme 152 Gendarmerie nationale, étant entendu que nous appelons le Gouvernement à lever le gage.

L’amendement II-CL3 présente une disposition miroir en faveur de la gendarmerie : la création de 1 000 emplois supplémentaires par l’affectation de 64 millions au programme 152 Gendarmerie nationale, compensés par un prélèvement d’un montant équivalent sur le programme 176 Police nationale. Là encore, nous appelons le Gouvernement à lever le gage.

Les derniers amendements tendent à augmenter les crédits affectés à la formation des policiers et des gendarmes et à renforcer les moyens dédiés à la police judiciaire, notamment lorsqu’elle prête son concours à la justice. Nous avons prévu des compensations mais nous préfèrerions que le Gouvernement lève le gage.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». Les transferts financiers que vous proposez tendent à contourner l’article 40 de la Constitution, mais seul le Gouvernement est autorisé à lever le gage de ces amendements.

Concernant les effectifs, le Gouvernement s’est engagé à ouvrir 8 500 postes dans la police et la gendarmerie entre 2023 et 2027. Durant le précédent mandat, 10 000 postes avaient déjà été créés. Plus de 1 900 postes le seront dès l’année prochaine dans la police et plus de 900 dans la gendarmerie.

D’autre part, la nouvelle formation initiale des gardiens de la paix a été augmentée et s’étend désormais sur vingt-quatre mois : douze mois en école, contre huit auparavant, qui intègrent six semaines de formation en alternance, puis douze mois de formation d’adaptation au premier emploi dans le service d’affectation. Il est prévu d’attribuer 252 formateurs supplémentaires à la police nationale et 247 à la gendarmerie nationale.

Enfin, il reviendra au projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de prévoir les crédits affectés à la police judiciaire. Rappelons cependant que la formation de tous les nouveaux policiers à la compétence d’officier de police judiciaire et la création des futurs assistants d’enquête prévue par le projet de Lopmi visent précisément à soutenir l’activité de police judiciaire. Pour nous éclairer, Mme Marie Guévenoux et M. Ugo Bernalicis conduisent une mission d’information sur la réforme de la police judiciaire. Par ailleurs, le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice ont saisi l’Inspection générale de l’administration (IGA), l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la justice pour réaliser un audit. Lorsque les conclusions des audits et de la mission seront communiquées au ministre, celui-ci présentera aux syndicats les mesures qu’il compte prendre. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL83 de Mme Élisa Martin. 

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous proposons que la France étende sa flotte de bombardiers d’eau pour pouvoir mettre fin aux incendies plus rapidement et venir en aide à nos voisins.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile ». Je partage votre proposition d’augmenter les moyens de la sécurité civile. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL78 de Mme Sandra Regol.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’Office national des forêts (ONF) a perdu près de 2 000 emplois ces dernières années. Cette institution manque de moyens matériels et humains pour remplir ses missions de police de l’environnement. Ses agents réalisent un travail essentiel pour lutter contre les atteintes à l’environnement, protéger les forêts, notamment contre les risques d’incendie, et prévenir le réchauffement climatique.

Alors que l’ONF aurait besoin de 500 équivalents temps plein, elle n’en compte plus que 300. Nous vous proposons d’affecter 20 millions d’euros à la création de ces 200 postes et au financement de leur formation.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Vous proposez de prélever une somme très importante, 20 millions d’euros, du programme Sécurité et éducation routières, pourtant essentiel. Le budget du programme 161 Sécurité civile de la mission Sécurités s’établit à 640,6 millions en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 13 % par rapport à 2022.

D’autre part, le ministre vient d’annoncer la formation de 3 000 gendarmes en 2023 pour assurer la sécurité environnementale. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). C’est vrai, on peut penser qu’il y aurait d’autres manières de gager cette somme. Le Conseil d’État a condamné l’État français à payer deux astreintes de 10 millions d’euros pour ne pas avoir pris des mesures de nature à réduire la pollution de l’air. S’il n’avait pas été condamné, il aurait eu à sa disposition ces 20 millions !

Vous créez 3 000 agents verts. Sur le papier, c’est très beau, mais la réalité est moins reluisante : ces agents sont simplement des référents. Or, nous avons besoin d’agents assermentés, capables d’agir pour protéger nos forêts et nos cours d’eau, pour empêcher les industriels de polluer nos nappes. Pourquoi nous priver des agents de l’ONF qui sont formés et assermentés ? Nous ignorons tout de la formation des agents que vous créez. Finalement, ils vous coûteront plus cher que si vous aviez renforcé les effectifs de l’ONF.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Les gendarmes verts joueront un rôle répressif. Contrairement à une idée très répandue, ce n’est pas en réprimant que l’on prévient ! De nombreuses études l’ont montré : aggraver l’échelle des peines ne réduit pas le nombre d’infractions. Les agents de l’ONF menaient des actions de prévention, ne serait-ce qu’en entretenant les domaines, notamment les forêts privées qui représentent la plus grande partie des forêts de notre pays. Un incendie se propage moins vite et est plus facilement maîtrisé dans une forêt bien gérée. Hélas, l’ONF, en tant que coopérateur de l’État, a subi les fameuses coupes budgétaires.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL79 de M. Antoine Léaument. 

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’amendement tend à créer une nouvelle ligne budgétaire pour lutter contre la délinquance économique et financière, la criminalité organisée et le trafic d’armes. Depuis le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 jusqu’à la LOPMI de cette année, en passant par la réforme de la police judiciaire, on a le sentiment que la politique de sécurité du Gouvernement se résume à augmenter la pression pénale sur les populations les plus précaires et à concentrer son action sur les infractions qui leur sont propres – atteintes aux personnes, délinquance sur la voie publique, troubles à l’ordre public etc. Il ne s’agit pas d’excuser cette délinquance, mais les moyens supplémentaires que vous accordez semblent relever d’une forme de populisme pénal à finalité électorale. Or, sans mesure de prévention, ces dispositions ne seront pas efficaces. Vous ne devez pas donner l’impression de ne vous attaquer qu’à la petite délinquance pendant que la grande délinquance financière serait négligée. La fraude et l’évasion fiscale nous font perdre 80 milliards d’euros chaque année et la fraude aux cotisations patronales, 7 ou 8 milliards. Si nous luttions plus efficacement contre les trafics d’armes, nous subirions peut-être moins de tirs de mortiers et d’attaques à main armée.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Les moyens supplémentaires que nous accordons à la police et à la gendarmerie nous permettront de lutter contre toutes les formes de délinquance, pas seulement la petite délinquance de quartier. Les programmes Police nationale et Gendarmerie nationale progressent de 1,3 milliard d’euros par rapport à l’année dernière.

La lutte contre la délinquance économique et la criminalité implique une détermination totale, y compris au niveau budgétaire. C’est dans cet objectif que les services de police ont systématisé la saisie d’avoirs criminels au travers de l’activité de la plateforme d’identification des avoirs criminels et de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière. Ils ont également renforcé le traitement de l’information criminelle par le déploiement des antennes territoriales du service d’information du renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Vous oubliez le trafic d’armes et la grande délinquance. Votre projet de réforme de la police judiciaire donne le sentiment que vous voulez lutter contre cette délinquance par des enquêtes au long cours. Or, vous lutteriez plus efficacement contre le trafic d’armes ou de drogue en démantelant les réseaux plutôt qu’en contrôlant ceux qui vendent des boulettes de cannabis. Les trafics de drogue et d’armes sont liés à la délinquance financière, puisqu’ils s’appuient sur des réseaux de blanchiment d’argent.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Je vous invite à lire, dans mon rapport, la partie relative à l’Office français antistupéfiants (Ofast), dont il est essentiel de maintenir les budgets. Le travail de proximité est important.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL75 de M. Jordan Guitton. 

M. Jordan Guitton (RN). Il s’agit d’orienter les dépenses vers des missions plus urgentes afin de mieux protéger les Français. La Direction centrale de la police aux frontières est en sous-effectif et il est primordial d’augmenter leur budget, afin qu’ils puissent exercer leur travail dans des conditions plus dignes.

Face à l’ampleur de l’immigration illégale, cet amendement tend à diminuer les moyens liés à la sécurité routière, afin de renforcer ceux de la police nationale pour contrôler les personnes aux frontières et lutter plus efficacement contre l’immigration clandestine.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Les crédits des programmes Gendarmerie nationale et Police nationale connaissent une hausse historique. Surtout, l’action 04 Police des étrangers et sûreté des transports internationaux regroupe plus de 15 000 ETP pour contrôler les flux migratoires, garantir la sûreté des transports et lutter contre l’immigration clandestine. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est en effet une hausse historique, mais je ne crois pas que le service de la police aux frontières était le moins doté. À titre de comparaison, vous prévoyez 5 600 agents pour la police judiciaire. On a compris quelles étaient vos priorités.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL84 de M. Antoine Léaument. 

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel tend à vous alerter sur l’absence, dans votre texte, de dispositif susceptible de relever l’enjeu de lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous vous proposons de créer un programme pour garantir un meilleur accueil aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles dans les commissariats.

Le programme du candidat Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle prévoyait d’allouer 1 milliard d’euros aux associations de lutte contre les féminicides. Il reste beaucoup à faire au niveau de la police, de la justice, des hébergements d’urgence, de l’école. En l’espèce, il s’agit d’éviter aux femmes d’être victimes deux fois: lorsqu’elles subissent les actes incriminés et lorsqu’elles en font part aux services de police. Un tiers seulement des victimes osent porter plainte et 80 % des plaintes sont classées sans suite. Seules 6,6 % des agressions donnent lieu à une plainte qui aboutit. Nous avions également proposé de former les agents pour les sensibiliser au caractère particulier de ces plaintes et s’assurer que les victimes déclarant des violences conjugales se verraient systématiquement communiquer leurs droits.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. À la suite du Grenelle des violences conjugales, nous avons pris des mesures pour améliorer l’accueil réservé aux victimes dans les commissariats. Une formation spécifique est prévue dans les écoles de police et de gendarmerie, ainsi que des modules de formation continue à ceux qui n’auraient pas pu suivre la formation initiale. Environ deux tiers des effectifs sont formés. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’Espagne a mené des expérimentations dont il résulte que les formations en psychologie permettent aux policiers et aux gendarmes de mieux recueillir la parole des victimes. Les agents de police, sur le terrain, sont les premiers à demander à suivre une telle formation.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL82 de Mme Élisa Martin. 

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nicolas Sarkozy a supprimé dix écoles de police. L’amendement tend à financer la réouverture d’écoles nationales de police et à porter à deux ans la formation des élèves gardiens de la paix.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Les crédits dévolus à la formation des policiers progressent de 3,5 % en 2023, et je ne crois pas que des écoles de police aient été fermées.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nicolas Sarkozy a bel et bien fermé des écoles de police et certaines n’ont pas été rouvertes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a fallu recruter 10 000 policiers et ramener la durée de la formation à neuf mois.

Vous prévoyez un nouveau recrutement massif sans pour autant ouvrir de nouvelles écoles. Cela fait cinq ans que je dépose des amendements en ce sens.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL74 de M. Jordan Guitton 

M. Jordan Guitton (RN). Pour renforcer la lutte contre les feux de forêt, cet amendement tend à transférer des crédits de la sécurité routière à la sécurité civile.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis. Je partage votre préoccupation. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL76 de M. Jordan Guitton

M. Romain Baubry (RN). Durant ces vingt dernières années, plus de 1 200 policiers ont mis fin à leurs jours, sans que rien ne puisse enrayer cette vague de suicides. Nous vous proposons de doubler les moyens du programme de mobilisation contre le suicide, afin de financer la construction de structures qui permettraient aux forces de l’ordre de sortir du contexte professionnel, à la suite d’un attentat, d’une fusillade, d’une confrontation à la mort ou de la succession d’interventions difficiles.

L’administration n’a rien prévu pour mettre au vert les fonctionnaires de police qui auraient besoin de prendre du recul hors du commissariat, loin de leur hiérarchie ou des psychologues de l’administration. Le fait de se retrouver dans une structure neutre, face à des professionnels qui ont vécu les mêmes traumatismes, leur permettrait de trouver des oreilles attentives au récit de leur expérience. L’objectif est de prévenir une souffrance causée par une pression quotidienne, avant d’entrer dans une spirale infernale dont il leur sera impossible de ressortir et qui pourrait les conduire à passer à l’acte.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Je partage votre préoccupation, mais nous ne pouvons pas doubler le budget du programme de mobilisation contre le suicide, qui s’élève à un million d’euros, sans avoir pris le soin d’évaluer la pertinence de ce dispositif. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL81 de M. Antoine Léaument 

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous vous proposons d’ouvrir des crédits pour assurer un contrôle externe de la police. Selon un sondage YouGov, 70 % des Français seraient favorables à une réforme de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) qui la rendrait indépendante du ministère de l’intérieur. Le fait qu’elle dépende du directeur général de la police nationale pose un problème. Selon l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. D’autre part, l’article 15 de ce même texte dispose que la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. L’instance de contrôle doit être indépendante et dépendre du Défenseur des droits.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Il serait préférable de déposer cet amendement au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Remarquons cependant qu’à la lumière des conclusions du rapport de la commission d’enquête de nos anciens collègues Jérôme Lambert et Jean-Michel Fauvergue, présenté l’année dernière, la direction de l’IGPN a été confiée, pour la première fois de son histoire, à une magistrate judiciaire. C’est une première étape. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL80 de Mme Élisa Martin 

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous proposons de financer un audit financier du coût global de la réforme de la police judiciaire, laquelle prévoit de créer des postes de directeurs départementaux de la police nationale et de renforcer la fonction état-major.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Votre amendement est satisfait par les travaux que conduisent Mme Marie Guévenoux et M. Ugo Bernalicis, qui se conjuguent à un prochain rapport du Sénat et aux rapports des inspections préalablement demandés. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL72 de Mme Elsa Faucillon.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Il s’agit d’attirer l’attention sur les crédits de l’action Sécurité et paix publiques du programme 176.

Le Gouvernement met en avant la poursuite de la trajectoire d’augmentation définie lors de la législature précédente, avec une croissance d’environ 700 millions d’euros. Les effectifs de la police nationale devraient même progresser, avec 1 907 emplois. Mais en fait ce n’est qu’un rattrapage.

Deux écueils persistent. D’une part, le recours massif aux réservistes révèle l’insuffisance de l’effort consenti et l’ampleur des disparités territoriales en matière d’effectifs. D’autre part, on observe une baisse de 16 % des crédits de l’action Sécurité et paix publiques en 2023, soit un montant de 500 millions d’euros. Il y a peut-être une explication rationnelle, mais nous y voyons la confirmation des orientations du projet de Lopmi et de votre refus de faire évoluer les missions de la police nationale pour rétablir le lien de confiance indispensable entre nos concitoyens et les acteurs de la paix publique.

La doctrine actuelle de maintien de l’ordre augmente le risque d’emploi excessif de la force, mais aussi un manque de réactivité des services pour intervenir localement ou prendre en charge des victimes. Cela nous ramène au problème de l’encadrement d’une police débordée, désorientée et mal considérée, qui peine à trouver les moyens de répondre à la demande croissante de sécurité.

Le PLF privilégie la répression au détriment de la prévention, avec une baisse des crédits relatifs à la sécurité publique et à la sécurité routière. Il convient de changer d’orientation.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Le PLF n’affaiblit pas la sécurité publique, puisque les effectifs de celle-ci bénéficient d’une augmentation de près de 260 agents.

Les débats sur les conséquences de la suppression de la police de proximité sont récurrents, et je rappelle que cette suppression a été décidée bien avant la législature précédente.

Le ministre de l’intérieur a donné des consignes aux directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) afin que la réorganisation des services permette d’affecter davantage de policiers sur le terrain. Cette réorganisation n’est pas achevée dans tous les départements et il est encore trop tôt pour en dresser un bilan, mais elle va dans le sens d’une plus grande proximité entre les policiers et les citoyens.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). A-t-on des nouvelles de la police de sécurité du quotidien ?

M. le président Sacha Houlié. Vous poserez la question au ministre de l’intérieur lorsqu’il viendra présenter le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), le 2 novembre.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL73 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet amendement donne l’alerte sur la situation de la police judiciaire (PJ), dont les crédits reculeront l’an prochain de plus de 400 millions d’euros.

C’est une manière d’apporter notre soutien aux membres de la PJ, qui sont vent debout contre le projet de réforme. Il est difficile de ne pas voir les prémices de la mutualisation dans ce projet de budget. Celle-ci se traduira par le rattachement de la quasi-totalité des effectifs de la PJ aux commissariats, qui sont eux-mêmes placés sous l’autorité du préfet, fonctionnaire en lien étroit l’exécutif. Ni la PJ, ni la justice, ni surtout nos concitoyens n’ont à gagner quoi que ce soit dans cette réforme.

Suivant l’avis de M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Sécurités non modifiés.

 


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   Personnes entendues

   M. Romain Royet, directeur général adjoint

   M. Grégory Allione, président  

   M. Gilles Barsacq, président

   M. le Général Joël Prieur, secrétaire général

   M. François-Xavier Volot, directeur aux affaires générales

   M. René Dies, directeur départemental 

   M. Éric Criscuolo, président

   M.  André Accary, président de la commission SDIS, président du département de Saône-et-Loire

   M. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité

   M. Christophe Duprat, maire de Saint-Aubin-de-Médoc

   M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques (Airbus France)

   M. Jean de la Richerie, directeur des grands comptes sécurité

   M. Adrien Ricci, affaires publiques (Airbus Helicopters)

   M. Olivier Masseret, directeur des relations institutionnelles (Airbus France)

   M. Mickael Peru, directeur des affaires gouvernementales (Airbus Helicopters)

Votre rapporteur remercie la société Roadfour pour sa contribution écrite.


([1]) En particulier, le rapport d'information n° 856 (2021-2022) Feux de forêt et de végétation : prévenir l’embrasement, de M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin et Olivier Rietmann, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques, déposé le 3 août 2022 ; le rapport de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France Dérèglement climatique : la France en proie aux flammes, publié en septembre 2022 ; la mission flash de l’Association des départements de France, Feux de forêt 2022 et évolution de la politique de sécurité civile face au changement climatique conduite par MM. André Accary, président du département de Saône-et-Loire et de la commission SDIS, et Jean-Luc Gleyze, président du département de Gironde et secrétaire général de l’Association, publié en octobre 2022. 

([2]) Cour des comptes, Les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile. Des défis à relever, des perspectives à redéfinir, mars 2019.  

([3]) Ces niveaux de dépenses varient grandement en fonction des SDIS. À titre d’exemple, en 2021, le SDIS du Nord disposait d’un budget de 222 millions d’euros, tandis que celui de la Lozère était 27 fois inférieur, avec un budget total de 8,3 millions d’euros.

([4]) Proposition de loi n° 337 visant à combattre la pyromanie, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022.  

([5]) «  Afin de renforcer cette culture de la prévention, conformément à la stratégie nationale de résilience, une "journée nationale" dédiée aux risques majeurs et aux gestes qui sauvent chaque année, sur le modèle déjà pratiqué au Japon, sera instaurée. L’ensemble de la population participera ainsi à un exercice grandeur nature de prévention d’une catastrophe naturelle ou technologique d’ampleur. Cette démarche va de pair avec une information sur les postures à adopter en cas de crise et les gestes qui sauvent, pour toute la population sans exception et dans tous les milieux (scolaires, professionnels, médico-social). Tous les jeunes et tous les actifs devront être formés aux gestes de premier secours en 10 ans, avec une formation continue tout au long de la vie pour conserver les bons réflexes » (alinéa 294).

([6]) Loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

([7]) « S’agissant des moyens héliportés, le renouvellement des flottes sera conduit dans le respect des missions de sécurité civile d’une part et de sécurité publique d’autre part, mais avec l’objectif d’une convergence des nouvelles machines, socle de l’interopérabilité et de la maintenance commune des flottes du ministère. Ainsi, les hélicoptères vieillissants des flottes du ministère seront remplacés sur les cinq prochaines années et au-delà, ce qui représente un effort d’investissement considérable (36 machines sur cinq ans). Ils seront complétés par les dix hélicoptères de transports lourds (H 160), dont la livraison s’échelonnera jusqu’en 2026, destinés au transport des unités d’intervention spécialisées des forces de sécurité intérieure. » (alinéa 310 du rapport annexé).  

([8]) Décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 sur la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.   

([9]) La mise aux normes des Canadairs, dont la dépense est prévue en 2022, est estimée à 12 millions d’euros.  

([10]) Cinq avions ont été livrés en 2019 et un sixième est attendu pour juin 2023. Le coût total de ces six avions est de 354 millions d’euros.  

([11]) La DGSCGC a précisé à votre rapporteur avoir engagé des travaux de rénovation de ces appareils pour un montant de 11,65 millions d’euros entre 2016 et 2020.  

([12]) Le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2023 précise que le renouvellement de cette flotte, dont les livraisons s’étaleront selon un cadencement qui n’a pas encore été défini avec l’industriel chargé de leur production, est estimé à 471,6 millions d’euros.  

([13]) Ces deux hélicoptères ont été commandés via les crédits du plan de relance. Deux autres avions doivent être livrés fin 2022-début 2023. Les quatre hélicoptères ont coûté 54 millions d’euros.  

([14]) Cinq compétences peuvent être mutualisées : a) l’acquisition, la location et la gestion d’équipements et matériels, ainsi que la constitution d’un groupement de commandes avec les services constitutifs afin de coordonner et grouper les achats ; b) la formation des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, en liaison avec les organismes compétents en la matière ; c) la prise en charge des dépenses afférentes aux opérations de secours, dans les conditions fixées par l’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure ; d) l’information et la sensibilisation du public aux risques affectant la sécurité des personnes et des biens ; e) la réalisation d’études et de recherches.