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N° 369

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2022.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2023 (n° 273)

 

TOME II

 

 

DÉFENSE

 

Environnement et prospective de la politique de défense

PAR M. Jean-Charles LARSONNEUR

Député

——

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie :  Un budget ambitieux qui s’inscrit pleINement dans la stratégie de remontée en puissance inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025

I. La DGSE, un service de renseignement extérieur dans un contexte de profonde mutation de l’environnement géostratégique

1. Grâce à un budget ambitieux, la DGSE poursuit sa transformation, entre la refonte de son organisation interne et la conduite du projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes

a. Un service aux modes d’action clandestins au cœur de la conflictualité internationale et des bouleversements géopolitiques mondiaux

b. Un budget en hausse qui lui octroie les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions

2. Un service en pleine transformation caractérisée par une réorganisation interne et un projet immobilier de grande ampleur

a. Une réforme de l’organisation interne de la DGSE pour mettre fin à une organisation en silos et décloisonner les services

b. L’avenir du projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes au défi de l’inflation dans le secteur du bâtiment

II. La DRSD, service de contre-ingérence du ministère des armées au cœur du renforcement de la résilience de nos forces et de la BITD

1. Un service en profonde mutation qui aspire à être un centre d’innovation au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement

a. La DRSD est le service en charge de la contre-ingérence de la sphère de défense pour le compte du ministère des Armées et des entreprises de la BITD

b. Trois nouveaux outils numériques pour moderniser les méthodes de travail de la direction et accélérer les processus de traitement des demandes d’habilitation

i. La base de données SIRCID

ii. Les outils ENF et SPECTRE

iii. Le CERT, centre de veille, d’alerte et de réponse aux attaques informatiques

2. Le projet immobilier de la DRSD face à l’inflation dans le secteur du bâtiment

III. La DGRIS, une direction en charge de la prospective stratégique, du soutien à la recherche de défense et du pilotage de la diplomatie de défense

1. Une direction générale aux missions et aux prérogatives variées

2. Les activités de la DGRIS au titre de l’analyse stratégique

3. La DGRIS est également en charge de la conduite de la politique internationale du ministère des Armées

a. De nombreuses contributions financières au service du rayonnement international de la France

b. Pourquoi affaiblir le réseau des attachés de défense ?

c. Quel avenir pour la coopération de défense entre la France et la République de Djibouti ?

IV. Le cœur du programme 144 est constitué par les crédits dédiés à l’innovation de défense

1. L’innovation de défense dans le cadre des études opérationnelles et technico-opérationnelles

2. L’innovation de défense dans le cadre des études amont

3. Le budget des études amont ne représente qu’une partie du budget de la R&T de défense, qui, lui-même, ne correspond qu’à une partie du budget de la R&D de défense

V. La DGA exerce la tutelle de l’ONERA et de l’ISL ainsi que celle de quatre écoles d’ingénieurs

1. L’ONERA et l’ISL, deux instituts de recherche complémentaires aux domaines d’expertises de pointe

a. L’ONERA

b. L’ISL

2. La DGA exerce la tutelle de quatre écoles d’ingénieurs d’excellence qui constituent le vivier de recrutement principal des entreprises de la BITD

a. L’École polytechnique

i. L’offre de formation et les activités de recherche de l’École polytechnique

ii. Le soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat

iii. L’intégration des étudiants internationaux à l’École polytechnique

iv. L’intégration des étudiants du cycle ingénieur polytechnicien aux grands corps techniques de l’État

v. La problématique des stages des étudiants au sein des forces armées

vi. Le nouveau COP 2022-2026

vii. L’École polytechnique au sein de l’Institut polytechnique de Paris

b. L’ENSTA Bretagne

i. Les activités de recherche de l’ENSTA Bretagne

ii. Les ambitions de l’école en termes d’attractivité

iii. L’ENSTA Bretagne en prise avec les enjeux contemporains

iv. Les liens de l’ENSTA Bretagne avec le ministère des Armées

v. Le projet de fusion avec l’ENSTA Paris

3. L’ENSTA Paris et l’ISAE Supaéro

4. La question spécifique des violences sexuelles et sexistes au sein des écoles d’ingénieurs

5. Le projet de réforme des grands corps techniques de l’État

Deuxième partie :  La préparation de l’avenir au défi de la guerre en Ukraine

I. L’appréciation de la France quant au risque de survenance de la guerre en Ukraine dévoile les limites de son approche en matière d’anticipation stratégique

1. À l’origine, des divergences d’interprétation sur les intentions de Vladimir Poutine entre la France et les États-Unis

2. Mais la cécité relative de la France trouve surtout sa source dans son rapport ambivalent aux États-Unis et à sa non-appartenance au groupe des Five Eyes

3. Quelles leçons peut-on tirer de cet échec pour penser les modalités futures de l’anticipation stratégique ?

II. QUel rôle l’innovation de défense peut-elle jouer dans le cadre de l’économie de guerre ?

1. L’économie de guerre est un nouveau cadre de réflexion qui implique de repenser en profondeur les modalités de la politique d’armement de la France

2. L’innovation de défense peut utilement contribuer à l’atteinte des objectifs fixés aux industriels dans le cadre de l’économie de guerre

III. Quel bilan peut-on faire de la politique d’innovation de défense à la lumière de la guerre en ukraine ?

1. La guerre en Ukraine a mis en évidence plusieurs manques capacitaires de la France, que l’Agence de l’innovation de défense n’a que partiellement comblés

a. Le quantique

b. Le spectre électromagnétique et les enjeux énergétiques

c. Les drones sous-marins

2. L’AID gagnerait à explorer trois pistes pour contribuer plus efficacement à la politique d’innovation de défense du ministère des Armées

a. Pour une meilleure gestion des projets examinés dans le cadre du dispositif RAPID

i. Un retrait de la DGE qui interroge

ii. Un guichet unique qui ne doit pas se contenter d’être une porte d’entrée

b. Les entreprises qui proposent des projets doivent pouvoir bénéficier d’un retour écrit de l’Agence, notamment pour la protection de la propriété intellectuelle des innovations

c. L’Agence et la DRSD doivent travailler de concert pour protéger les entreprises de la BITD innovantes

Conclusion

Travaux de la commission

I. Audition de Mme Alice Guitton, Directrice générale des relations internationales et de la stratégie

II. EXAMEN DES CRÉDITS

Annexe 2 :  auditions du rapporteur pour avis

Annexe 3 :  glossaire des principaux acronymes


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   Introduction

 

Innovation de défense, renseignement extérieur, relations internationales, analyse stratégique… le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2023 est, à n’en point douter, un des programmes les plus stratégiques pour l’avenir de la politique de défense de la France. Si celui-ci ne représente qu’une petite partie du budget de la mission « Défense », de l’ordre de 3 à 4 %, il n’en revêt pas moins une importance cardinale, eu égard aux pans de la politique de défense qu’il recouvre.

Ce programme regroupe en effet les crédits dédiés à l’innovation de défense, à l’analyse stratégique, à la diplomatie de défense et aux renseignements extérieur et de sécurité de la défense. Plus concrètement, il regroupe les crédits de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, de la Direction générale de la sécurité extérieure, de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, de l’Agence de l’innovation de défense, des quatre écoles sous tutelle de la Direction générale de l’armement ainsi que de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales et de l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis.

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023 confirment les tendances observées les années précédentes. En conformité totale avec les objectifs fixés dans la loi de programmation militaire 2019-2025, le budget alloué au programme 144 confirme la volonté du ministère des Armées de poursuivre sa stratégie de remontée en puissance de nos armées. En particulier, l’objectif fixé dans la loi de programmation militaire 2019-2025 de porter le budget dédié à l’innovation de défense au titre des études amont à 1 milliard d’euros en crédits de paiement en 2022 a non seulement été tenu l’an dernier, mais il est conforté cette année aussi.

Au titre de la partie budgétaire du rapport, le rapporteur pour avis formule plusieurs recommandations ou remarques au sujet des projets immobiliers des deux services de renseignement du programme, du réseau des attachés de défense ou encore du projet de réforme des grands corps techniques de l’État.

Au titre de la partie thématique du rapport, le rapporteur pour avis a choisi de s’intéresser au processus de préparation de l’avenir au prisme de la guerre en Ukraine, qu’il analyse selon trois axes : les modalités de l’anticipation stratégique et ses perspectives d’évolution, l’intégration de l’innovation de défense dans les réflexions en cours sur l’économie de guerre et, enfin, les enseignements de la guerre en Ukraine pour la politique d’innovation de défense.


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   Première partie :

Un budget ambitieux qui s’inscrit pleINement dans la stratégie de remontée en puissance inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025

 

Cette année encore, le budget alloué au programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2023 atteint un niveau record, avec 1,989 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,906 milliard d’euros en crédits de paiement. Le tableau ci-dessous présente le budget en question par actions et sous-actions, en millions d’euros, hors dépenses de personnel ([1]) :

Source : ministère des Armées

Toutes les sous-actions voient leurs budgets augmenter par rapport au budget inscrit en loi de finances initiale pour 2022, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, à l’exception notable des autorisations d’engagement allouées à la DGSE ([2]) et à l’analyse stratégique, qui baissent respectivement de 31 % et de 18 %.

Toutefois, la présentation ainsi faite de la répartition des budgets demeure technique et ne rend qu’imparfaitement compte de la répartition des budgets entre les principaux programmes, entités ou catégories de dépenses qui relèvent du programme 144. À cette fin, le tableau ci-après présente la répartition des budgets en question, en millions d’euros, hors dépenses de personnel.


Répartition et évolution des budgets entre les principaux programmes, entités ou catégories de dépenses relevant du programme 144, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, entre la loi de finances initiale pour 2022 et le projet de loi de finances pour 2023

Entités, programmes ou catégories de dépenses (en millions d’euros, hors T2)

Autorisations d’engagement dans la loi de finances pour 2022

Crédits de paiement dans la loi de finances pour 2022

Autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2023

Crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2023

Évolution des autorisations d’engagement entre 2022 et 2023

Évolution des crédits de paiement entre 2022 et 2023

DGSE

641,2

374,1

440,4

417,6

- 31 %

+ 11,6 %

DRSD

24,1

35,4

26,9

59,3

+ 11,6 %

+ 67,5 %

EPS et PES

9,2

8

7,5

8,1

- 18,5 %

+ 1,25 %

Observatoires et contrats-cadres

4,7

4

4,3

4,1

- 8,5 %

+ 2,5 %

Consultances

0,25

0,25

0,25

0,25

0 %

0 %

PAD

0

0,26

0

0,26

Ø

0 %

Recherche stratégique

0,4

0,4

0,37

0,37

- 7,5 %

- 7,5 %

Club Phoenix

0,1

0,1

0,1

0,1

0 %

0 %

IRSEM

0,4

0,4

0,4

0,4

0 %

0 %

EOTO

22,6

22,6

22,7

22,7

0 %

0 %

RAPID

50

50

50

50

0 %

0 %

Definvest

20

20

20

20

0 %

0 %

Fonds Innovation Défense

50

35

50

35

0 %

0 %

ASTRID

13

8

12

9

- 7,7 %

+ 12,5 %

ASTRID Maturation

5

3,2

5

3,8

0 %

+ 18,8 %

ONERA

108,9

108,9

117,1

117,1

+ 7,5 %

+ 7,5 %

ISL

19,1

19,1

22,1

22,1

+ 15,7 %

+ 15,7 %

École Polytechnique

99,8

99,8

115,3

115,3

+ 15,5 %

+ 15,5 %

Institut Polytechnique de Paris

3,2

3,2

3,5

3,5

+ 9,4 %

+ 9,4 %

ENSTA Paris

18,6

18,6

20,2

20,2

+ 8,6 %

+8,6 %

ENSTA Bretagne

15,9

15,9

19,1

19,1

+ 20,1 %

+ 20,1 %

ISAE-Supaéro

40

40

43,2

43,2

+ 8 %

+ 8 %

AED

6,8

6,8

7,5

7,5

+ 10,3 %

+ 10,3 %

Forces françaises à Djibouti

26,4

26,4

26,1

26,1

- 1,1 %

- 1,1 %

PMG7

1,5

1,5

1,3

1,3

-13,3 %

-13,3 %

Forum international de Dakar

0,7

0,7

0,7

0,7

0 %

0 %

Forum de la paix de Paris

0,15

0,15

0,25

0,25

+ 66,7 %

+ 66,7 %

Dépenses de fonctionnement des missions de défense et des représentations militaires auprès des organisations internationales

2,4

2,4

2,2

2,2

- 8,3 %

- 8,3 %

 


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Enfin, présenté sous forme de catégories de dépenses, le budget du programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2023 se répartit ainsi, en millions d’euros, hors dépenses de personnel :

Les dépenses d’intervention (titre 6) connaissent une forte hausse de 129 % tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, ce qui s’explique essentiellement par le réengagement de conventions dans le cadre du dispositif RAPID.

En 2023, le programme 144 ne comprendra pas de dépenses d’opérations financières (titre 7) car les dotations en fonds propres allouées, ponctuellement et pour des projets précis, aux deux opérateurs sous la tutelle du ministère des Armées que sont l’ONERA d’une part, et l’ISL d’autre part, ont été requalifiées en subventions d’investissement, et à ce titre, sont financées sur le titre 5, consacré aux dépenses d’investissement.

 

I.   La DGSE, un service de renseignement extérieur dans un contexte de profonde mutation de l’environnement géostratégique

1.   Grâce à un budget ambitieux, la DGSE poursuit sa transformation, entre la refonte de son organisation interne et la conduite du projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes

a.   Un service aux modes d’action clandestins au cœur de la conflictualité internationale et des bouleversements géopolitiques mondiaux

La DGSE, dont les missions sont définies aux articles D. 3126-2 et D. 3126-3 du code de la défense, est le service de renseignement extérieur de la France. Son champ de compétence couvre à la fois les dimensions sécuritaire, politique et économique des enjeux internationaux. Elle est chargée d’apporter une aide à la décision gouvernementale dans ces différents domaines et de contribuer à la lutte contre les menaces extérieures pesant sur la sécurité nationale. La DGSE, qui détient le monopole de l’action clandestine à l’étranger, a donc une double mission de renseignement et d’action. À ce titre, elle assure l’analyse, la synthèse et la diffusion des renseignements qu’elle recueille, par ses moyens propres ou auprès de partenaires étrangers.

b.   Un budget en hausse qui lui octroie les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions

Les autorisations d’engagement de la DGSE baissent de 31 % dans le projet de loi de finances pour 2023 et s’élèvent à 440,4 millions d’euros. S’agissant des crédits de paiement, ils sont en hausse de 12 % et s’élèvent à 417,6 millions d’euros.

La baisse des autorisations d’engagement au profit de la DGSE est en réalité une baisse de nature technique qui s’explique par le retour à un niveau habituel de ses autorisations d’engagement, après la forte augmentation de celles-ci dans le projet de loi de finances pour 2021, de l’ordre de 310 %, destinée au lancement du projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes.

Quant aux crédits de paiement, leur augmentation permettra au service de poursuivre ses actions afin de remplir les missions qui lui ont été attribuées, en conformité avec les axes définis dans la loi de programmation militaire 2019-2025. Ce n’est qu’à partir de 2024 que les crédits de paiement dédiés au projet seront consommés, jusqu’en 2028.

Ainsi, comme l’ont indiqué les représentants de la DGSE lors de leur audition, « la DGSE dispose de moyens conséquents grâce au Parlement ».

2.   Un service en pleine transformation caractérisée par une réorganisation interne et un projet immobilier de grande ampleur

À partir du 1er novembre 2022, la DGSE va connaître une transformation importante à deux titres :

– d’une part, une réforme d’envergure de son organisation interne ;

– et d’autre part, la poursuite du projet immobilier de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes.

a.   Une réforme de l’organisation interne de la DGSE pour mettre fin à une organisation en silos et décloisonner les services

Un arrêté a été publié le 13 juillet 2022 portant organisation de la DGSE qui a profondément modifié l’organisation de la direction. Cette réforme, qui, aux termes de l’article 15 de l’arrêté susmentionné, entrera en vigueur à compter du 1er novembre 2022, est, selon les représentants de la DGSE auditionnés, une réforme « très importante » dont le principe général consiste à « décloisonner les services afin de rapprocher les compétences ». Le tableau ci-après compare l’évolution de l’organisation de la DGSE avant et après le 1er novembre 2022.


Comparaison de l’évolution de l’organisation interne de la DGSE avant et après le 1er novembre 2022

Organisation de la DGSE en vertu de l’arrêté du 15 mars 2015 portant organisation de la DGSE

(du 15 mars 2015 au 31 octobre 2022 inclus)

Organisation de la DGSE en vertu de l’arrêté du 13 juillet 2022 portant organisation de la DGSE

(à compter du 1er novembre 2022)

Direction générale

- cabinet [directeur de cabinet et directeur de cabinet adjoint en charge de la coordination des questions de sécurité] ;

- service de l’inspection générale [évaluation et conseil au profit de l’ensemble des structures de la DGSE] ;

- centre veille-opérations [veille, alerte, supervision et coordination des opérations] ;

- service de sécurité [sécurité du personnel et des installations, protection de la confidentialité des structures, sécurité incendie] ;

- mission d’audit interne [évaluation du processus de gouvernance, de management des risques et de contrôle

- et un chargé de prévention des risques professionnels.
 

Direction générale

- cabinet [directeur de cabinet et directeur de cabinet adjoint en charge de la définition et de la sécurité du personnel et des installations, de la protection de la confidentialité des structures, des enquêtes administratives d’habilitation, de la coordination et de l’animation des activités dans le domaine du contre-espionnage et de la cohérence de l’utilisation des moyens opérationnels] ;

- service de l’inspection générale [évaluation et conseil au profit de l’ensemble des structures de la DGSE].

Direction de l’administration

(en charge des missions d’administration générale pour l’ensemble des directions et services)

- direction (un directeur, deux directeurs adjoints dont un en charge du pilotage et un en charge de la conduite du changement, un état-major qui conseille et assure la coordination, la planification, la priorisation et l’évaluation de l’action de la direction de l’administration)

- service des ressources humaines (définition et mise en œuvre des politiques d’emploi et de mobilité du personnel civil et militaire et des politiques de recrutement du personnel, gestion prévisionnelle et suivi des effectifs pour les personnels civil et militaire, gestion et administration du personnel civil, mise en œuvre partielle de la politique de gestion et la rémunération du personnel militaire affecté à la DGSE, assistance et protection juridique des agents) ;

- service de la formation (définition de la politique de formation du personnel et d’autres administrations ou entités françaises ou étrangères) ;

- service des achats et des finances (gestion du budget, mise en œuvre de la politique d’achat, suivi des marchés, animation du contrôle de gestion) ;

- service des affaires immobilières (planification des besoins, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre des travaux d’infrastructure, entretien du patrimoine immobilier et soutien en matière d’infrastructure) ;

- et service du soutien opérationnel et logistique (mise en œuvre des politiques d’acquisition, de stockage et de mise à disposition et de maintien en condition des matériels, mise en œuvre des politiques de transport des biens et des personnes, production des publications et archivage).
 

Absence de changement

Direction du renseignement

(en charge de la recherche et de l’exploitation du renseignement, de la détection et de l’entrave, hors du territoire national, des activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français, et de l’entretien des liaisons nécessaires avec les autres services ou organismes concernés)

- direction (directeur, deux directeurs adjoints dont un « manœuvre » et un « transformation », et état-major en charge du conseil et de la coordination, de la planification, de la priorisation et de l’évaluation de l’action de la direction) ;

- direction (directeur, directeur adjoint et état-major en charge du conseil et de la coordination, de la planification, de la priorisation et de l’évaluation de l’action de la direction).
 

Direction de la recherche et des opérations

(en charge du développement et de la préparation des moyens de recherche et d’action nécessaires à l’exécution des missions)

- direction (directeur et deux directeurs adjoints).

***

Secrétariat général pour l’analyse et la stratégie

(en charge de la cohérence de l’activité de la direction générale en matière de diffusion des renseignements et de liaison avec les services et organismes concernés, du développement et de la préparation des moyens nécessaires à l’exécution des missions en matière d’analyse et d’exploitation du renseignement)

- secrétariat général (secrétaire général et secrétaire général adjoint).

 

Direction des opérations

(en charge de la recherche du renseignement, de la conduite des opérations)

- service de contre-prolifération ;
- service de contre-terrorisme ;
- service de sécurité économique ;
- service de renseignement de politique extérieure ;
- service de supervision et d’appui à la recherche ;
- et service de l’analyse et de la production.
 

Direction de la stratégie

(en charge de la transmission et du suivi des orientations ainsi que de la prospective)

- direction (directeur, directeur adjoint et état-major en charge du conseil et de la coordination, de la planification, de la priorisation et de l’évaluation de l’action de la direction) ;

- service des relations internationales ;
- service des liaisons internationales ;
- et pôle prospective.
 

Direction technique

(en charge de la recherche et de l’exploitation du renseignement technique)

- direction (directeur, deux directeurs adjoints dont un en charge des opérations et un en charge des technologies, et état-major en charge du conseil et de la coordination, de la planification, de la priorisation et de l’évaluation de l’action de la direction).
 

Direction technique et de l’innovation

(en charge de la recherche et de l’exploitation du renseignement technique et de l’innovation)

Absence de changement


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Lors de son audition du 20 juillet 2022 devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat ([3]) , M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, indiquait que cette réorganisation « était souhaitée par le service, qui n’avait pas beaucoup évolué ces dernières années ». Or, poursuivait-il, « on ne peut pas demander à ce service de se tourner vers l’Indopacifique, de s’intéresser aux menaces conventionnelles et de « rouvrir le jeu » sans en tirer des conclusions quant à son organisation. Les risques étant multiples, le service doit s’adapter. Cette réforme est une manière d’organiser les savoirs et de décloisonner une partie de la DGSE. […] Je dirais que, d’une organisation par métiers, comme les aspects techniques, les opérations, le soutien, l’administratif, nous allons passer à une organisation par zones géographiques. Il ne s’agit pas d’une grande révolution : de nombreux services de pays amis de même gabarit ont déjà procédé à ce genre d’ajustements ». Selon les termes, cette fois-ci, des représentants de la DGSE auditionnés, son organisation se fera « en centres thématiques et géographiques » afin de « casser les silos » et de « mettre du matriciel ».

Cette évolution ne concerne toutefois ni la direction technique, si ce n’est au niveau de sa dénomination par l’adjonction de la mention « et de l’innovation », ni la direction de l’administration, qui, toutes les deux, conserveront les mêmes prérogatives.

 

Le rapporteur pour avis ne peut que se féliciter de cette réorganisation. Il estime que celle-ci doit être l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes de travail en commun entre les diverses directions et le secrétariat général. Il salue le choix du critère géographique, dont il estime qu’il est plus pertinent que jamais aujourd’hui, à l’aune de l’évolution de la conflictualité dans le monde, et singulièrement au Sahel et en Ukraine.

 

b.   L’avenir du projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes au défi de l’inflation dans le secteur du bâtiment

Annoncé le 6 mai 2021 par le président de la République, le projet de nouveau siège de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes, dans le XIIe arrondissement de Paris, est un projet immobilier d’une ampleur inédite que les services étudient depuis 2019. Ce site permettra d’accueillir 6 000 postes de travail, sur une surface de 160 000 mètres carrés.

Le tableau ci-après précise le calendrier prévisionnel arrêté en 2021 de l’emménagement de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes.

Calendrier prévisionnel arrêté en 2021 de l’emménagement de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes

Source : ministère des Armées

Le futur siège de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes s’étendra sur 20 hectares, dont 14 dans le périmètre du fort. La DGSE travaille depuis deux ans avec les architectes des Bâtiments de France dans le cadre de ce projet. Certains éléments se trouvant actuellement au fort devront être conservés par la DGSE car, selon ses représentants, « il y a toute une série de casernements, qui datent du XIXe siècle, qu’on nous demande de conserver et de rénover car ils présentent un intérêt historique ». D’autres bâtiments, datant des années 1980, seront en revanche détruits. La DGSE disposera de locaux modernes, « à l’image de ceux des services de renseignement extérieur européens », ainsi que d’un plateau permettant d’accueillir ponctuellement des agents de la DRM ou d’autres services ou directions du ministère des Armées.

Par ailleurs, le marché a été conclu en exclusion de la commande publique, ce qui a permis à la DGSE de déroger à l’ensemble des procédures de consultation. Une évaluation environnementale du site a été effectuée et l’idée retenue est « de faire une insertion paysagère pour limiter les hauteurs des bâtiments et de les végétaliser ». La DGSE indique qu’elle devrait pouvoir diviser « par 10 » son empreinte environnementale par rapport à aujourd’hui. Elle a opté pour des matériaux biosourcés et adaptés, ainsi que pour l’adoption « de normes environnementales au plus haut niveau » pour son futur siège. D’ailleurs, la DGSE participe à l’effort national de sobriété énergétique, tant par obligation qu’à la suite d’interpellations « venant de jeunes agents de la direction à ce sujet ».

 

 

Sur le plan financier, le projet se décomposera de la manière suivante :

1,2 milliard d’euros, financés sur le programme 144, dont 261 millions d’euros pour le financement des SIC et du centre de données. Les autres postes de dépense de cette enveloppe seront consacrés à un marché de défense et de maintenance-conception, qui ne sera pas un partenariat public-privé, au titre duquel un suivi de la maintenance des installations sera notamment assuré ;

– et 232 millions d’euros pour l’évacuation des militaires du site actuel – dont la moitié avait « déjà vocation à quitter le site, avant même que la DGSE n’arrive » – financés sur le programme 178. Les armées ont toutefois demandé à conserver totalement le site jusqu’aux JO de 2024 et conserveront le quart nord-ouest du site pour la conduite de l’opération Sentinelle jusqu’en 2031. Le déménagement de la DGSE ne débutera qu’à partir de 2024, pour une installation définitive prévue en 2028.

Il ne s’agit toutefois là que du budget initialement arrêté dans le projet de loi de finances pour 2021. Depuis, le niveau de l’inflation a singulièrement augmenté, aggravé par la guerre en Ukraine, dans le secteur du bâtiment, en particulier à cause de la flambée des prix des matériaux et de l’énergie. Interrogée à ce sujet, la DGSE reconnait que l’inflation aura sans doute des conséquences sur le coût final du projet, ce « qui [la] préoccupe ». Elle a toutefois indiqué qu’« avant de se précipiter, [elle] verra ce qu’il en sera fin octobre, quand les entreprises candidates [pour la conduite du projet] auront présenté leurs offres ».

 

Eu égard au coût global du projet, le rapporteur pour avis exprime une réelle préoccupation quant aux surcoûts potentiels induits par l’inflation dans le secteur du bâtiment. Il suivra avec grande attention l’évolution de ce projet, qui devra rester, autant que possible, dans l’enveloppe de 1,16 milliard d’euros allouée en 2021.

 

Par ailleurs, il ne s’agit là que des conséquences de l’inflation sur le projet de nouveau siège. Mais en réalité, l’inflation a d’ores et déjà des conséquences sur le budget de la DGSE. Le ministère des Armées estime que les conséquences budgétaires de l’inflation sur le budget de la DGSE au titre de l’année 2022 sont les suivantes :

6 millions d’euros pour les surcoûts liés à la crise énergétique ;

4 millions d’euros pour les surcoûts liés à l’inflation dans le secteur du bâtiment ;

– et 8 millions d’euros pour les surcoûts liés aux matériels électroniques.

Au total, environ 18 millions d’euros devront être absorbés par la DGSE en gestion, avant la fin de l’année 2022, sur une enveloppe de 374,1 millions d’euros en crédits de paiement dans la loi de finances initiale pour 2022, soit près de 5 % de son budget, ce qui ne devrait être a priori possible que par le décalage de certains projets à l’année 2023 ou grâce au report de charges.

II.   La DRSD, service de contre-ingérence du ministère des armées au cœur du renforcement de la résilience de nos forces et de la BITD

1.   Un service en profonde mutation qui aspire à être un centre d’innovation au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement

a.   La DRSD est le service en charge de la contre-ingérence de la sphère de défense pour le compte du ministère des Armées et des entreprises de la BITD

La DRSD est, aux termes de l’article D. 3126-5 du code de la défense, « le service dont dispose le ministre des Armées pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles ». Fin 2020, la DRSD employait environ 1500 personnes, dont 32 % de civils et 68 % de militaires, en charge du suivi de 270 000 ressortissants de la défense, 10 000 entreprises de la BITD et 4 000 organismes.

Elle a pour cœur de métier la contre-ingérence de la sphère de défense (contre-ingérence des forces, contre-ingérence économique et contre-ingérence cyber). Cette sphère comprend le personnel, les informations, le matériel et les installations sensibles sous l’autorité du ministre des Armées ainsi que les entités en lien avec ceux-ci ou présentant un intérêt pour le ministère. Les unités militaires, les entreprises de la BITD, les instituts de recherche, et les associations et organisations présentant un intérêt pour le secteur de la défense font partie de la zone d’exclusivité de la DRSD. La DRSD est également responsable des enquêtes administratives d’habilitation relatives au ministère des Armées (hors DGSE). En 2021, elle a procédé à environ 350 000 enquêtes et a résorbé son retard de traitement.

La DRSD comprend 4 sous-directions, auxquelles sont rattachées 65 emprises, dont 48 en France métropolitaine, et se subdivise en 7 directions zonales (Lyon, Toulouse, Bordeaux, Rennes, Metz, Toulon et Paris). Aux termes de l’arrêté du 22 octobre 2013 portant organisation de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, ces 4 sous-directions sont les suivantes :

la sous-direction de la contre-ingérence, qui oriente la recherche de l’information, en assure l’exploitation et l’analyse et produit le renseignement, participe à l’élaboration et au contrôle des mesures de sécurité relatives à la protection des personnes physiques et morales, des informations, des matériels et des installations sensibles intéressant la défense et contribue au contrôle et à la surveillance du commerce des armes de guerre et matériels assimilés ;

la sous-direction de la stratégie et des ressources, qui définit la stratégie du service et remplit des fonctions de conseil, de pilotage et d’audit ;

la sous-direction technique, responsable des systèmes d’information et de communication de la DRSD, qui assure la cohérence des capacités techniques mises en œuvre et contribue à la protection des systèmes d’information du secteur de la défense en lien avec le COMCYBER et l’ANSSI ;

– et la sous-direction des centres nationaux d’expertises, qui est chargée d’effectuer les enquêtes administratives relevant de la compétence de la direction, de rechercher le renseignement en mettant en œuvre des moyens centralisés et de réaliser des missions d’inspection, d’audit et de contrôle concourant à la sécurité des installations et des informations du ministère des Armées et de la BITD.

Les crédits alloués à la DRSD dans le projet de loi de finances pour 2023 s’élèvent à 26,9 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 59,3 millions d’euros en crédit de paiement. Ils se décomposent en deux agrégats :

un agrégat relatif au fonctionnement, comprenant les frais de mission et toutes les dépenses de fonctionnement de la direction, dont les crédits s’élèvent à 3 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2023 ;

– et un agrégat relatif aux équipements, comprenant les activités opérationnelles et le financement du projet de nouvelle direction centrale, dont les crédits s’élèvent à 23,9 millions d’euros en autorisations d’engagement et 56,3 millions d’euros en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2023.

b.   Trois nouveaux outils numériques pour moderniser les méthodes de travail de la direction et accélérer les processus de traitement des demandes d’habilitation

La DRSD a été profondément transformée au cours des 4 dernières années, avec le lancement de trois projets numériques d’envergure qui sont désormais, selon les termes de la DRSD, « sur une phase d’atterrissage ».

i.   La base de données SIRCID

Le premier projet est la création de la base de données souveraine SIRCID. Grâce à ce système, la DRSD dispose d’un système permettant à un agent de la direction de retrouver l’ensemble des fichiers reliés entre eux en ne renseignant qu’un mot-clé dans le moteur de recherche. Ainsi, « les agents de la DRSD disposeront d’informations multiples, qu’ils ne pensaient pas pouvoir obtenir auparavant, avec du relationnel, des lieux liés au relationnel, ou encore des entreprises, ce qui va ouvrir le champ de l’analyse ». Ce projet, conduit selon « une méthode agile », a été élaboré avec l’entreprise Airbus, qui dispose d’espaces de travail au sein de la DRSD et avec laquelle elle fait un point d’étape hebdomadaire pour réviser les objectifs, éviter les retards et les surcoûts. Des échanges ont lieu tous les mois avec de hauts responsables d’Airbus pour fixer des objectifs précis pour le mois suivant, « avec le souci de rester dans les délais et dans l’enveloppe budgétaire octroyée par le cabinet du ministre. Pour l’instant, [la DRSD a] respecté le budget et la cadence. L’outil devrait être, pour sa première version, fonctionnel et livré début 2023, c’est-à-dire un peu moins de 4 ans après le lancement du projet, ce qui est très rare ». Cet outil pourrait d’ailleurs servir pour d’autres services de renseignement, et à ce titre, « celui-ci a été présenté au SGDSN et à l’ensemble des services de renseignement intéressés par l’acquisition d’une telle base de données ». La « révolution » que constitue la base de données SIRCID nécessitera toutefois de former les agents de la direction, ce qui est prévu pour la fin de l’année 2022 ou le début de l’année 2023.

ii.   Les outils ENF et SPECTRE

Le deuxième projet a trait aux deux outils numériques développés pour les enquêtes conduites par la direction, notamment dans le cadre des demandes d’habilitation. Comme indiqué auparavant, en 2021, la DRSD a effectué 350 000 enquêtes, ce qui est, selon la DRSD, « un chiffre considérable, et bien supérieur au nombre d’enquêtes d’habilitation faites par les autres services de renseignement tels que la DGSI ou la DGSE car [la DRSD s’occupe] non seulement [des] personnels du ministère des Armées mais également [des] entreprises de la BITD, ainsi que [des] candidats à l’IHEDN ». Le taux de réponse dans les délais pour les enquêtes est en moyenne de 95 %.

Pour faire face à la hausse toujours plus importante d’années en années des demandes d’enquêtes administratives (+150 % en 4 ans) à effectifs constants depuis la crise de la Covid-19 (130 personnels au sein du CNHD), la DRSD a développé deux outils :

l’outil SPECTRE, qui analyse automatiquement les NIS (nouveau nom des notices individuelles 94A que doivent remplir les candidats à l’habilitation) mises dans le système SOPHIA, avant d’être analysées par un agent de la direction. L’élaboration de cet outil a nécessité un travail sur 3 ans et l’injection de 4 années d’expérience, ce qui permet aujourd’hui d’obtenir les mêmes résultats que ceux obtenus avec une analyse purement humaine mais en beaucoup moins de temps. L’objectif que s’est fixé la DRSD est que 50 % des avis sans objection soient rendus en une semaine ;

– et l’outil ENF, qui permettra de vérifier les informations sur l’empreinte numérique de la personne faisant l’objet d’une enquête d’habilitation. Cet outil, tout comme SIRCID, a été proposé à l’ensemble des services de renseignement.

iii.   Le CERT, centre de veille, d’alerte et de réponse aux attaques informatiques

Enfin, le troisième projet est la création d’un CERT. L’objectif de ce projet est d’accompagner les entreprises de la BITD pour les aider à faire face plus efficacement à la menace cyber et plus particulièrement les aider à faire face aux nouvelles menaces, les sensibiliser sur les risques et les conseiller en matière de remédiations en cas d’attaque, car, selon la DRSD, il y a « un vrai travail à faire dans ce domaine ».

Un projet pilote a été créé à Bordeaux pour adapter le plus possible le projet aux besoins des entreprises de la BITD. Ce CERT sera ensuite mis en place dans toute la métropole en 2023 (à Bordeaux, puis à Rennes, Metz, Paris, Lyon et Toulon). Le CERT de la DRSD devra se coordonner avec les différents CERT locaux qui, eux-mêmes, devront être interconnectés, ce qui, selon la DRSD, « nécessitera un gros effort mais qui correspondra au maillage territorial souhaité ». Un travail préparatoire a été effectué avec le CERT de la Préfecture maritime de Brest, qui, lui aussi, monte en puissance.

La DRSD travaille également en étroite collaboration avec le GIP ACYMA, groupement interprofessionnel au sein duquel les victimes d’attaques cyber peuvent se faire connaitre.

2.   Le projet immobilier de la DRSD face à l’inflation dans le secteur du bâtiment

Notifié en juin 2021 pour une livraison prévue en 2024, le projet de nouvelle direction centrale de la DRSD vise à regrouper au sein d’un bâtiment unique tous les acteurs du cycle de renseignement pour renforcer le travail collaboratif (bâtiment dit « 646 places »). Ce projet poursuit les objectifs suivants :

regrouper les activités « cœur de métier » de la DRSD au sein d’un bâtiment unique accueillant 646 places en anticipant les évolutions d’effectifs de chacune des divisions ;

proposer des espaces de travail flexibles s’adaptant à l’évolution des organisations, des modes de travail et des métiers, tout en répondant aux besoins de proximités fonctionnelles des divisions les unes par rapport aux autres et au sein des divisions ;

tenir compte des exigences techniques et réglementaires pour tous les espaces, et en particulier pour les ateliers ;

doter la DRSD de fonctionnalités aujourd’hui absentes du site ;

appliquer les réglementations liées à la sûreté à l’échelle du bâtiment et aux locaux ;

– et profiter de la construction d’un bâtiment neuf pour intégrer certains standards des immeubles tertiaires modernes, en réfléchissant à leur pertinence vis-à-vis de l’activité spécifique de la direction.

La DRSD a lancé les travaux de construction cette année. Les crédits relatifs au projet sont pilotés et exécutés en liaison avec le SID. Ils sont répartis au cours de la loi de programmation militaire 2019-2025 de la manière suivante (en millions d’euros) :

Une image contenant table

Description générée automatiquement

Source : DRSD

Or, tout comme le projet de nouveau siège de la DGSE, ce projet immobilier, dont le coût total était évalué l’année dernière à 80,5 millions d’euros, devrait également subir les conséquences de l’inflation dans le secteur du bâtiment, même si, eu égard à son coût initial, les surcoûts éventuels pourraient être plus facilement absorbés, y compris, si nécessaire, en cours de gestion, que ceux éventuellement induits par l’inflation pour le projet immobilier de la DGSE.

 

Le rapporteur pour avis est préoccupé par les conséquences de l’inflation pour le projet immobilier de la DRSD. S’il estime que ce projet indispensable et peu coûteux doit se poursuivre, il invite la DRSD à essayer, autant que possible et dans la mesure où elle dispose de marges de manœuvre en ce sens, de limiter les surcoûts afférents. Il suivra avec attention et intérêt l’évolution de ce projet.

 

III.   La DGRIS, une direction en charge de la prospective stratégique, du soutien à la recherche de défense et du pilotage de la diplomatie de défense

1.   Une direction générale aux missions et aux prérogatives variées

Rattachée directement au ministre des Armées, la DGRIS pilote l’action internationale du ministère des Armées en y associant l’EMA, la DGA et le SGA. Elle conduit également les travaux de prospective stratégique et coordonne, pour le ministère des Armées, ceux nécessaires à la préparation des livres blancs sur la défense et la sécurité nationale et à leur actualisation régulière. Elle veille, en liaison avec l’EMA, la DGA et le SGA, à l’articulation entre la stratégie de défense et la programmation militaire.

Elle représente le ministère auprès des autres services ministériels pour les questions touchant à l’action internationale, à l’exception de la conduite des opérations des armées, aux coopérations en matière d’armement et au soutien aux exportations en apportant son appui et en se coordonnant avec l’EMA et la DGA, qui restent responsables de ces domaines. Elle définit la stratégie d’influence internationale du ministère des Armées et coordonne sa mise en œuvre.

2.   Les activités de la DGRIS au titre de l’analyse stratégique

Les missions de la DGRIS au titre de la sous-action 7.1 « Analyse stratégique » du programme 144 visent à éclairer le ministère des Armées sur l’évolution du contexte stratégique en général et plus particulièrement dans sa dimension internationale.

À cette fin, le ministère des Armées commande des études à des prestataires privés au profit de l’ensemble des organismes de la défense. La diffusion des résultats de ces recherches s’effectue par le biais des sites internet et intranet de la DGRIS et par la communication de notes d’analyse et d’études, sans préjudice des travaux menés par les services de renseignement pour leurs propres besoins.

Le tableau ci-dessous décrit les outils dont dispose la DGRIS pour mener à bien ses missions de soutien à la recherche stratégique :

 

Entité ou programme

Description et objectifs poursuivis

Études prospectives et stratégiques

Ensemble de dispositifs de soutien de la recherche stratégique nationale pour la sécurité et la défense

Observatoires

Études pluriannuelles commandées auprès d’organismes de recherche

Consultances

Études commandées auprès d’organismes de recherche d’un montant inférieur à 800 000 euros

Personnalités d’avenir - Défense

Sensibiliser les futures élites étrangères, civiles et militaires, aux positions françaises en matière de sécurité et de défense

Pacte Enseignement Supérieur

Dispositif de soutien financier à la recherche stratégique pour régénérer le vivier des chercheurs et faire émerger une filière universitaire sur les questions de défense

Club Phoenix

Club réunissant des chercheurs et des acteurs du monde de la défense

IRSEM

Institut de recherche sur les questions de défense sous la tutelle de la DGRIS

3.   La DGRIS est également en charge de la conduite de la politique internationale du ministère des Armées

a.   De nombreuses contributions financières au service du rayonnement international de la France

La DGRIS est également en charge du pilotage de la diplomatie de défense (hors opérations). Au titre de l’action 8 du programme 144, elle finance :

– la contribution française au budget de fonctionnement de l’AED ;

– le partenariat mondial du G7 pour la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (PMG7) ;

– le Forum international de Dakar ;

– le Forum de la paix de Paris ;

– les dépenses de fonctionnement des missions de défense et des représentations militaires auprès des organisations internationales ;

– et la contribution annuelle forfaitaire dont la France est redevable vis-à-vis du gouvernement de la République de Djibouti.

b.   Pourquoi affaiblir le réseau des attachés de défense ?

À l’été 2022, le réseau diplomatique de défense bilatéral comportait 90 missions de défense et couvrait 168 pays, parmi lesquels 78 pays suivis en non-résidence, à partir d’une mission de défense ou d’un commandement supérieur, avec un effectif réalisé de 266 expatriés dont un agent de droit local.

Dans le cadre de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger, les mesures programmées ont eu pour effet de diminuer la masse salariale de 4,8 % sur la période 2018-2022, ce qui a permis d’atteindre la cible de 5 % sur laquelle s’est engagée le ministère des Armées au titre de la réforme « Action publique 2022 ». Le réseau des missions de défense, qui représente 3 % des effectifs de l’État à l’étranger, avait déjà connu, avant ladite réforme, une réduction de 34 % depuis 2008. Les deux tiers des missions de défense sont aujourd’hui au format strictement minimal d’un officier assisté d’un sous-officier.

Le ministère des Armées veille désormais à ce que toute nouvelle mesure d’aménagement de missions de défense respecte bien les contraintes de masse salariale fixée sur la base des effectifs. Ainsi, toute création de mission de défense ou de poste doit nécessairement s’accompagner de la suppression d’une mission de défense ou d’un poste.

Toutefois, si la DGRIS exerce une tutelle sur les missions de défense, celles-ci travaillent pour l’ensemble des armées, directions et services du ministère des Armées. Les attachés de défense sont particulièrement précieux dans des zones où les relations bilatérales sont denses, mais également dans des zones, telles que l’Amérique latine, où la France est peu présente afin d’éclairer les intentions de nos compétiteurs stratégiques et de capter les opportunités de marchés de défense. Comme indiqué par la DGRIS lors de son audition, « ce réseau nous permet de disposer de capteurs et de relais dont nous ne disposerions pas autrement ».

La procédure de recrutement des attachés de défense est très structurée. Des jalons ont été fixés sur l’ensemble de la période de recrutement, de la validation par la DGRIS jusqu’au cabinet du ministre. Le périmètre de leurs missions est arrêté dans une lettre de cadrage, dont l’ensemble des volets est décliné et articulé. Mais chaque attaché de défense a également la possibilité de présenter un plan d’action, en lien constant avec la DGRIS. Pour les éléments relevant strictement des opérations, qui ne sont pas pilotées par la DGRIS, ils prennent directement contact avec l’EMA en prenant les précautions nécessaires afin de ne pas élargir la boucle des personnes ayant le besoin d’en connaître.

Mais aujourd’hui, comme l’a indiqué la DGRIS, « nous estimons qu’il faut travailler à la création d’un réseau des attachés de défense à l’échelle régionale, car ce sont leurs regards croisés qui permettent de savoir ce qui se déroule à cette échelle ». Cette échelle permet également de faciliter l’articulation avec les autres postes d’influence de la France. Il y a en réalité deux enjeux :

un enjeu de cohérence, qui ne se bâtit qu’à la condition d’avoir de la visibilité. L’agilité peut, certes, être un gage d’efficacité, mais « elle a aussi ses limites ». Aujourd’hui, les ajustements possibles viennent du fait qu’il y a 78 postes d’attachés de défense en non-résidence. Si ce système permet de maintenir un contact, « nous n’atteignons pas mes mêmes objectifs que ceux qui seraient atteints quand un attaché de défense est pleinement implanté dans un pays ». Il faut donc construire un réseau d’attachés de défense « en cohérence par rapport aux évolutions de la conflictualité, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine » ;

– et un enjeu de valorisation, afin de rendre le passage par le réseau diplomatique de défense, tant en mission de défense qu’à la DGRIS, attractif dans les parcours de carrière, ce qui n’est pas facile compte-tenu du grade et des impératifs familiaux des personnes pouvant faire acte de candidature.

S’agissant de l’Estonie, « [la DGRIS est allée] plus loin dans la coopération par la création d’une mission de défense à l’été 2022. Il fallait créer ce poste, qui a d’ailleurs été un geste politique très apprécié par les Estoniens ». L’observation de l’évolution de la conflictualité en Europe de l’Est, et singulièrement en Géorgie, dans les Balkans ou en Moldavie devrait logiquement inciter à y faire des efforts. Toutefois, ces efforts seront nécessairement liés à des opportunités de bascule : « on aura des demandes supplémentaires que nous ne pourrons satisfaire que si des opportunités, que nous devrons impérativement saisir, se présentent, car l’enveloppe globale ne peut pas diminuer ».

S’agissant de l’Angola, le poste a été rétabli mais le recrutement y a été difficile. Le taux de sélectivité des candidatures baisse progressivement et de manière croissante sur certains postes en Afrique et les départs sont fréquents. Or, comme l’a indiqué la DGRIS, « si on ne parvient pas à rétablir un poste dans la durée, la présence d’un attaché de défense dans le pays n’aura pas d’impact ».

 

Le rapporteur pour avis estime que le réseau des attachés de défense doit être renforcé. Il estime qu’il n’est pas normal qu’il ait fallu attendre l’été 2022 pour ouvrir une mission de défense en Estonie, un partenaire de grande qualité qui fut l’un des acteurs majeurs de la task force Takuba au Sahel et un pays où la France est présente depuis 2017 dans le cadre de l’OTAN ; et ce d’autant plus que l’ouverture de cette mission de défense n’a été rendue possible que par la fermeture subie de la mission de défense en Afghanistan à la suite de la prise du pouvoir par les Talibans à l’été 2021. Il plaide pour que les contraintes budgétaires qui pèsent sur le réseau des attachés de défense soient levées, car il en va non seulement du rayonnement de la France à l’international, mais aussi de la pertinence de son analyse en matière de défense et de sécurité.

 

c.   Quel avenir pour la coopération de défense entre la France et la République de Djibouti ?

La France est redevable d’une contribution annuelle forfaitaire de 30 millions d’euros au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l’implantation des forces françaises sur son territoire, conformément au traité de coopération en matière de défense signé en décembre 2011 et entré en vigueur en mai 2014. Selon les modalités d’application du traité, la partie djiboutienne s’engage à déduire de la contribution forfaitaire de 30 millions d’euros tout impôt, taxe, droit de douane, redevance ou prélèvement supplémentaire. La ressource programmée dans le projet de loi de finances pour 2023 pour cette dépense est de 26,1 millions d’euros.

Conclu pour une durée de 10 ans, le traité de coopération bilatérale en matière de défense arrive à échéance le 30 avril 2024. Des échanges préalables avec les autorités djiboutiennes ont eu lieu en février 2021, lors de la visite du président djiboutien à Paris, afin d’évaluer le périmètre des évolutions à apporter au traité. Ces discussions ont donné lieu à la conclusion d’une déclaration d’intention relative au partenariat de défense mutuel signée entre les présidents français et djiboutien, qui pose les bases des négociations à venir. La date de lancement officiel des négociations n’est pas encore définie mais la séquence pourrait débuter au début de l’année 2023, en fonction du souhait du partenaire djiboutien.

 

 

 

Le rapporteur pour avis estime que cet enjeu revêt une importance toute particulière, eu égard au caractère stratégique de cette implantation pour l’accès à la zone indopacifique. Il suit avec attention les négociations en cours, qui devront permettre d’aboutir à un point d’équilibre entre la France et la République de Djibouti. Cela implique que chaque partie fasse preuve de transparence et de clarté quant à ses attentes et à ses intentions vis-à-vis du partenaire. Il estime qu’une réflexion plus globale pourrait être menée sur cette zone, incluant notamment le sultanat d’Oman.

 

IV.   Le cœur du programme 144 est constitué par les crédits dédiés à l’innovation de défense

1.   L’innovation de défense dans le cadre des études opérationnelles et technico-opérationnelles

Les EOTO ont pour objectif d’éclairer les choix nationaux qui permettront de préparer et de définir les capacités de l’outil de défense futur et leur emploi. De façon à conjuguer les dimensions opérationnelles et techniques, elles sont conduites de façon collégiale par les officiers de cohérence opérationnelle de l’EMA et par les architectes de préparation des systèmes de la DGA.

Le comité des études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel, présidé par le chef de la division « cohérence capacitaire » de l’EMA, est l’instance de décision, d’orientation, de programmation et d’évaluation des EOTO. Le centre d’analyse technico-opérationnelle de défense en assure le secrétariat permanent ainsi que la maîtrise d’ouvrage des études.

2.   L’innovation de défense dans le cadre des études amont

Le budget de la sous-action 7.3 « études amont » est, de loin, le budget le plus important du programme 144 sur le plan financier. Il correspond au budget dédié à l’innovation de défense, qui s’élève, dans le projet de loi de finances pour 2023, à 1,11 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,02 milliard d’euros en crédits de paiement.

Ce budget finance 4 catégories de programmes d’innovation gérés par l’Agence de l’innovation de défense :

les projets de technologies de défense, qui correspondent aux projets structurant les capacités futures dans le cadre de l’innovation planifiée ;

les projets d’accélération de l’innovation, qui correspondent aux projets qui ont pour objectif de soutenir les projets innovants pour leur permettre de passer plus rapidement à maturité ;

les projets d’innovation participative, pour soutenir les innovateurs internes du ministère des Armées ;

et les projets de recherche, pour explorer les technologies d’intérêt de défense dans une logique de long terme.

S’agissant des trois dernières catégories de projets, ils s’articulent entre plusieurs dispositifs :

le programme ASTRID, d’un montant de 9 millions d’euros, dont l’objectif est le soutien des projets duaux de recherche exploratoire et d’innovation de haut niveau, à un niveau de maturité technologique allant de 1 à 4, de type mixte entre les organismes de recherche et les entreprises, qui traitent des problématiques de recherche d’intérêt pour le secteur de la défense ;

le programme ASTRID Maturation, d’un montant de 3,8 millions d’euros, qui vise à valoriser les travaux scientifiques duaux financés par la défense et qui permet notamment de mettre en avant les projets développés avec succès dans le cadre du programme ASTRID, dans le cadre d’un partenariat entre un organisme de recherche et une entreprise, jusqu’à un niveau de maturité supérieur ou égal à 5 ;

le dispositif RAPID, d’un montant de 50 millions d’euros, mis en place en 2009, qui subventionne des projets d’innovation d’intérêt dual portés par des PME ou des ETI de moins de 2 000 salariés, seules ou en consortium avec un ou deux partenaires. Ces partenaires peuvent être des laboratoires, des organismes de recherche publics, des associations ou d’autres entreprises ;

le fonds Definvest, d’un montant de 20 millions d’euros, qui correspond à un fonds d’investissement pour le soutien du développement des PME stratégiques pour le secteur de la défense par des prises de participations au capital des entreprises technologiques du secteur de la défense, aux côtés d’investisseurs financiers et industriels. L’objectif est de permettre à ces entreprises de se développer en toute autonomie grâce à l’augmentation de leurs fonds propres ;

– et le Fonds Innovation Défense, d’un montant de 35 millions d’euros, qui permet la prise de participations dans des entreprises innovantes en phase de croissance (PME, ETI, start-ups) et qui développent des technologies duales et transverses intéressant le monde de la défense. Il permet de compléter l’action publique et l’investissement privé de soutien aux entreprises innovantes présentant un intérêt pour la défense. Il est ainsi complémentaire du fonds Definvest, plus centré sur le soutien des entreprises de la BITD.

Le tableau ci-après dresse les correspondances entre les objectifs budgétaires de la sous-action, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement en euros associés à chaque objectif budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2023, les catégories de projets qui en relèvent ainsi que les domaines d’innovation de l’édition 2022 du document de référence de l’orientation de l’innovation de défense et/ou les dispositifs associés.


Correspondances entre les objectifs budgétaires de la sous-action 7.3 « études amont », le niveau des autorisations d’engagement et des crédits de paiement en euros associés à chaque objectif budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2023, les catégories de projets qui en relèvent ainsi que les domaines d’innovation de l’édition 2022 du document de référence de l’orientation de l’innovation de défense et/ou les dispositifs associés

Objectif budgétaire

Autorisations d’engagement dans le projet de loi de finances pour 2023

Crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2023

Catégories de projets

Domaines d’innovation de l’édition 2022 du DrOID et/ou dispositifs associés

Aéronautique et missiles

251 138 563

236 447 228

PTD

Combat aérien et frappe air-sol, frappe dans la profondeur et aéromobilité

Information et renseignement (hors espace)

139 405 567

114 086 665

PTD

Cyberdéfense et Navwar (hors espace), protection et surveillance (hors espace) et supériorité informationnelle

Espace

91 721 955

98 525 157

PTD

Espace, cyberdéfense et Navwar (espace), protection et surveillance (espace)

Naval

66 036 435

40 043 483

PTD

Combat naval et lutte sous la mer

Terrestre, NRBC et Santé

80 044 164

75 319 883

PTD

NRBC et santé et combat terrestre

Technologies transverses

141 077 838

116 316 782

PTD

Socle des technologies émergentes de défense, armes non-cinétiques et soutien MCO

Fonds Innovation Défense

Recherche et captation de l’innovation

131 072 318

128 711 193

PIP, PAI et PR

Recherche académique, capitation innovation et innovation d’usage

Definvest, ASTRID, ASTRID Maturation et RAPID

Dissuasion

210 000 000

207 000 000

PTD

Dissuasion


—  1  —

3.   Le budget des études amont ne représente qu’une partie du budget de la R&T de défense, qui, lui-même, ne correspond qu’à une partie du budget de la R&D de défense

Les crédits inscrits au titre de la sous-action 7.3 s’inscrivent toutefois dans un cadre plus large. Les études amont ne correspondent en effet qu’à une partie des crédits de R&T de défense, qui, eux-mêmes, ne sont qu’une partie des crédits de R&D de défense.

Le budget de R&T de défense dans le projet de loi de finances pour 2023, qui regroupe les crédits des études amont et les subventions accordées aux organismes de recherche (cf. infra) s’élève à 1,156 milliard d’euros en crédits de paiement. Le budget des études de défense, qui correspondent aux EPS, aux EOTO, aux crédits du programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » et aux crédits de recherche du CEA, s’élève à 504 000 euros en crédits de paiement. Enfin, le budget des développements, quant à lui, qui correspond au budget dédié aux développements au sein du programme 146 « Équipement des forces », s’élève à 6,234 milliards d’euros en crédits de paiement.

Au total, le budget de la R&D de défense, qui se compose donc de la somme du budget de la R&T de défense, du budget des études de défense et du budget des développements au titre du programme 146 « Équipement des forces », s’élève, dans le projet de loi de finances pour 2023, à 7,9 milliards d’euros en crédits de paiement.

V.   La DGA exerce la tutelle de l’ONERA et de l’ISL ainsi que celle de quatre écoles d’ingénieurs

1.   L’ONERA et l’ISL, deux instituts de recherche complémentaires aux domaines d’expertises de pointe

a.   L’ONERA

L’ONERA a été créé en 1946. Ayant le statut d’EPIC, il est financé à la fois par le ministère des Armées, sous la tutelle duquel il est placé, et grâce à ses activités commerciales. Ses effectifs sont de l’ordre de 2 000 personnes à fin 2022. Implanté sur huit sites répartis entre la région parisienne, la région toulousaine, Lille, Modane-Avrieux et Salon-de-Provence, ses missions sont les suivantes :

développer et orienter les recherches dans le domaine aérospatial ;

concevoir, réaliser et mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’exécution desdites recherches ;

– et assurer la diffusion sur le plan national et international des résultats de ces recherches, d’en favoriser la valorisation par l’industrie aérospatiale et de faciliter éventuellement leur application en dehors du domaine opérationnel.

b.   L’ISL

L’ISL est un organisme binational créé en 1958 par une convention franco-allemande dans le but de mettre en œuvre une coopération étroite entre les deux États sur les recherches et études, tant scientifiques que techniques, dans le domaine de la défense et de la sécurité. Codirigé par un directeur français et un directeur allemand, l’ISL est implanté entièrement sur le territoire français, à Saint-Louis, dans le Haut-Rhin.

L’ISL travaille sur 5 axes de recherche :

– les matériaux énergétiques (nano structurés) ;

– la balistique intérieure et la détonique ;

– les munitions guidées tirées par tube, de haute précision, longue portée et bas coût ;

– les technologies électromagnétiques (canon électrique ou stockage électrique de forte puissance) ;

– les technologies de protection, de sécurité et de surveillance ;

– et les technologies laser.

L’ISL compte environ 380 agents, dont plus de 250 personnels techniques (chercheurs, ingénieurs, techniciens et ouvriers). Il poursuivra en 2023 son objectif de parité de ses effectifs français et allemand en améliorant son attractivité vis-à-vis des candidats allemands. Ceci nécessitera toutefois une dérogation au règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale lui permettant de rattacher ses salariés résidant en Allemagne et travaillant en France au système social allemand. Un contact a été établi en ce sens en juillet 2020 avec la division « affaires communautaires et internationales » de la direction de la Sécurité sociale du ministère de la Santé et de la Prévention, qui est le service compétent pour traiter ce type de dérogation. Malgré plusieurs relances et la fourniture d’informations complémentaires, le ministère de la Santé et de la Prévention n’a pas donné de suite à la demande.

 

Le rapporteur pour avis déplore que le ministère de la Santé et de la Prévention ne réponde pas à la demande de l’ISL, dont la légitimité est évidente pour toute personne attachée à la coopération de défense à l’échelle européenne, à la relation franco-allemande et à la pérennité du caractère paritaire de l’institut. Il appelle le ministère de la Santé et de la Prévention à prendre les mesures nécessaires pour que cette demande soit enfin traitée.

 

2.   La DGA exerce la tutelle de quatre écoles d’ingénieurs d’excellence qui constituent le vivier de recrutement principal des entreprises de la BITD

a.   L’École polytechnique

L’École polytechnique, créée en 1794, accueille 3 800 étudiants sur son campus. La formation, la recherche et l’innovation sont les trois piliers de l’établissement. Son attractivité internationale progresse, notamment grâce à la création de l’Institut Polytechnique de Paris en 2019, qui se classe au 2e rang à l’échelle française et au 48e rang à l’échelle mondiale des 1 300 meilleures universités mondiales selon le QS World University Rankings 2023. La qualité de la formation qu’elle délivre est également reconnue, comme en témoigne le classement QS Graduate Employability 2022, qui place l’Institut Polytechnique de Paris au 1er rang à l’échelle française et au 12e rang mondial. 100 % des diplômés de l’École polytechnique sont en poste six mois après la fin de leurs études.

i.   L’offre de formation et les activités de recherche de l’École polytechnique

L’École polytechnique offre différents parcours de formation :

– un Bachelor of Science, que les étudiants intègrent après l’obtention du Baccalauréat ou d’un diplôme équivalent et pour une durée de trois ans. 344 étudiants sont actuellement formés dans ce Bachelor et, selon les chiffres de l’École, 80 % d’entre eux intègrent par la suite des Master de rang 1 et poursuivent leur formation dans les meilleures universités mondiales ;

– un cycle d’ingénieur polytechnicien, délivrant le grade de Master et ouvert aux étudiants sortant d’une CPGE ou d’une licence. D’une durée de trois ans, ce cycle est complété par une formation d’un an délivrant également le Diplôme de l’École polytechnique. Cet ensemble regroupe actuellement 2 175 élèves ;

– des formations en Master, accessibles après l’obtention d’un Bachelor ou d’une licence. Le Master of Science and Technology se décline en sept programmes d’une durée de deux ans. L’ensemble des Masters de l’École polytechnique réunit plus de 700 étudiants ;

– des programmes doctoraux d’une durée de cinq ans, combinant un Master en sciences et un Doctorat. L’établissement compte 527 doctorants. 33 % des diplômés de l’École polytechnique s’orientent vers un Doctorat. De plus en plus d’étudiants s’orientent vers les programmes doctoraux, notamment dans certains domaines où la détention d’un doctorat est valorisée, voire nécessaire, comme l’intelligence artificielle ;

– et des parcours de formation continue. Sous la forme d’un Executive Master ou d’un programme d’Executive Education, cette offre réunit 36 apprenants souhaitant compléter leur formation professionnelle. L’établissement a pour ambition de doubler le nombre de promotions et d’inclure davantage d’apprenants internationaux.

L’École polytechnique regroupe 23 laboratoires représentant 11 départements disciplinaires. Elle accueille 501 enseignants-chercheurs et 510 doctorants. Chaque année, l’établissement compte 2 000 publications de rang A liées à cette activité de recherche. Il existe plus de 40 chaires d’enseignement et de recherche dans des domaines variés, en partenariat avec les entreprises majeures du secteur.

ii.   Le soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat

L’École polytechnique dédie 5 000 mètres carrés de ses bâtiments à l’entrepreneuriat et l’innovation. Dans cet espace, 1 000 mètres carrés sont consacrés aux activités de prototypage. L’établissement manifeste une forte volonté de s’inscrire dans une dynamique de soutien aux start-ups.

Si l’École note qu’un tiers des directeurs d’entreprises du CAC 40 sont issus de leurs rangs, elle rappelle aussi la nécessité de se pencher sur « la future économie » qu’est l’économie numérique, comme l’a indiqué le président de l’École polytechnique lors de son audition, et rappelle que 8 des 27 licornes françaises ont été fondées ou sont actuellement dirigées par des anciens élèves de l’École.

iii.   L’intégration des étudiants internationaux à l’École polytechnique

L’École polytechnique est, selon un classement Times Higher Education 2021, l’Université la plus internationale de France. La plupart des étudiants internationaux de l’établissement sont originaires de pays d’Afrique francophone. Sur une promotion de 540 étudiants, l’école compte par exemple 40 étudiants d’origine marocaine. Les autres pays représentés sont la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou encore la Mauritanie. Ces étudiants se forment au sein de classes préparatoires dans leur pays d’origine ou en France. L’Asie, notamment la Chine, est également un vivier d’étudiants internationaux à l’École polytechnique. Elle accueille aussi des étudiants d’origine indienne, sud-américaine, russe et européenne. Ainsi, ce sont 90 nationalités qui sont représentées à l’École polytechnique. Le Bachelor est composé à 70 % d’étudiants internationaux et à 30 % d’étudiants français.

iv.   L’intégration des étudiants du cycle ingénieur polytechnicien aux grands corps techniques de l’État

Il existe quatre grands corps techniques : le corps des ingénieurs des Mines, le corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des forêts, le corps des ingénieurs de l’armement et le corps des administrateurs de l’INSEE. Si le corps technique le plus réputé et le plus convoité auprès des étudiants ingénieurs de l’École polytechnique demeure le corps des ingénieurs des Mines, chaque corps a un élément d’attractivité en propre. Par exemple, le corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts, dont les membres participent à l’élaboration et à la mise en place des politiques publiques dans les domaines relatifs à la transition écologique, est de plus en plus prisé. Sur une promotion de 430 étudiants-ingénieurs, ce sont entre 70 et 80 d’entre eux qui intègrent les grands corps techniques de l’État.

 

v.   La problématique des stages des étudiants au sein des forces armées

S’agissant des stages, 25 % des élèves de l’école vont faire leur stage au sein des forces armées, tandis que 75 % d’entre eux choisissent d’aller dans le secteur civil. Ce déséquilibre, selon le président de l’École Polytechnique, « a fait l’objet de discussions avec le CEMA en mai dernier afin que l’EMA propose 100 % d’offres de stage », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Or, les armées disent qu’elles ne peuvent pas accueillir plus de 300 étudiants, alors que les promotions de l’École sont passées de 300 à 430 en quelques années. Ainsi, certains élèves souhaiteraient faire leur stage auprès des forces armées mais ne le peuvent pas, faute de postes. Cette situation est d’autant plus regrettable que les retours d’expérience de ces stages sont très positifs.

vi.   Le nouveau COP 2022-2026

Les deux volets principaux du nouveau COP 2022-2026 de l’École polytechnique sont la recherche et l’immobilier. La rénovation de l’École polytechnique nécessitera un budget de 200 millions d’euros sur les 8 prochaines années. L’École prévoit un modèle de financement reposant sur l’aide du ministère des Armées pour la rénovation du bâti et sur des sources externes et privées pour les projets de construction. S’agissant du budget de l’École, des travaux sont menés avec le ministère des Armées concernant les effets de la hausse généralisée des prix de l’énergie et la meilleure manière de les endiguer.

Le COP 2022-2026 est organisé selon dix objectifs stratégiques : développer une école multi-cursus, démultiplier les impacts de la recherche, doubler le flux de start-up du centre d’innovation, intégrer la nécessité du développement durable, agir en faveur des diversités sociales et de genre, accentuer les actions d’internationalisation, poursuivre la politique de partenariats stratégiques, lancer la rénovation des bâtiments, moderniser les fonctions d’appui et accroître les ressources publiques et les ressources propres. Le COP prévoit une augmentation de 8 millions d’euros de la SCSP pour atteindre 80 millions d’euros à l’horizon 2026.

vii.   L’École polytechnique au sein de l’Institut polytechnique de Paris

L’alliance de grandes écoles telle que souhaitée par le président de la République s’est concrétisée en 2019 à travers la création de l’Institut polytechnique de Paris. Ce pôle d’enseignement supérieur incarne les enjeux d’évolution des formations universitaires françaises dans un environnement international compétitif. L’Institut polytechnique de Paris est constitué d’une Graduate School, d’un centre de recherche, d’un centre d’innovation Deeptech et s’implique dans des partenariats avec des organismes nationaux de recherche. Il compte cinq centres interdisciplinaires de recherche en lien avec des partenaires privés. Environ quinze projets sont développés chaque année avec un budget de 10 millions d’euros issu de contrats privés. L’objectif est d’accroître l’intensité du partenariat de l’École avec les principaux acteurs de la BITD.

La construction du campus, au centre duquel se trouve l’École, est engagée. Si certains bâtiments sont déjà livrés, d’autres échéances sont prévues comme la livraison d’un bâtiment d’enseignement mutualisé fin 2022, d’un pôle mécanique mi-2025 et d’un ensemble central en 2027. L’accessibilité sera améliorée grâce à la mise en service d’un arrêt de métro de la ligne 18 à Palaiseau en 2026.

b.   L’ENSTA Bretagne

Créée en 1819, l’ENSTA Bretagne était initialement une école technique de la Marine nationale dont la vocation était de former des techniciens et des ouvriers pour les besoins des chantiers navals. Elle prend la forme d’une école d’ingénieurs spécialisée en construction navale en 1912. Lors de la création de la DGA en 1961, la formation est organisée entre Brest et Arcueil mais se centralise à Brest en 1986. Si l’école ne forme alors que des ingénieurs militaires, une civilianisation progressive des élèves-ingénieurs s’opère puis, finalement, s’impose au milieu des années 1990. Aujourd’hui, l’école forme très largement des ingénieurs civils. Environ 900 étudiants et élèves y sont actuellement en formation.

i.   Les activités de recherche de l’ENSTA Bretagne

La recherche a été un élément constitutif du développement de l’ENSTA Bretagne. Elle représente aujourd’hui 30 % du budget total de l’école. Sur un budget annuel de 25 millions d’euros, l’établissement enregistre 12 à 13 millions d’euros de prises de commande liée à cette activité et génère environ 8 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’école doctorale est accréditée pour délivrer le grade de docteur.

La recherche est une mission prééminente de l’école qui considère que la formation délivrée par un chercheur est d’un niveau et d’une qualité optimale pour les ingénieurs. Les activités de recherche sont organisées autour de deux domaines que sont les publications internationales d’une part, et le pilotage des projets de recherche d’autre part. Les classements internationaux prennent en compte le volume de publication d’un laboratoire de recherche.

En matière de recherche, le principal interlocuteur de l’ENSTA Bretagne est l’AID, qui représente 20 % de ses prises de commande. Une lettre annuelle identifiant les principaux domaines d’intérêt pour la défense est envoyée à l’école par l’AID, qui établit ensuite une liste de projets de recherche pouvant être conduits afin de répondre aux problématiques posées. La sélection des projets est finalement propre à l’AID.

L’orientation des activités de recherche est marquée par une volonté de cohérence avec la stratégie du ministère des Armées. Un institut d’ingénierie maritime a, par exemple, été créé en juin 2022 en réponse aux requêtes formulées en ce sens par le ministère lors d’une visite du campus en 2020. Les ambitions de coopération de l’ENSTA Bretagne se sont traduites par des partenariats avec l’ENSTA Paris, l’École navale, IMT Atlantique ou encore l’Université de Toulon. Un rapprochement avec l’IFREMER pourrait être envisagé.

ii.   Les ambitions de l’école en termes d’attractivité

L’ENSTA Bretagne cherche aujourd’hui à concentrer et à optimiser ses efforts vers une meilleure communication et une intégration aux classements internationaux. Le rang de l’école dans ces classements fait l’objet d’une attention particulière et contribue à construire sa réputation. En effet, les élèves de CPGE sont de plus en plus attentifs et soumis, dans leur choix d’école, aux classements internationaux annuels.

Dans un contexte de très forte concurrence entre les écoles d’ingénieurs françaises, il est primordial de cultiver les spécificités de chacune d’elles et d’encourager un positionnement particulier de ces établissements d’enseignement supérieur pour le ministère des Armées. L’enjeu est d’entretenir et stimuler l’attractivité de ces écoles et de consolider un développement à long terme à l’aide de subventions suffisantes.

Le renforcement de l’attractivité de l’ENSTA Bretagne fait l’objet d’une attention toute particulière, portée notamment sur la qualité de l’expérience étudiante, le suivi des parcours de professionnalisation des étudiants et la qualité de vie sur le campus. Ainsi, des réflexions sont en cours concernant le campus de l’ENSTA Bretagne. Un plan d’investissement de 10 millions d’euros sur 5 ans pour permettre la rénovation du bâti étudiant a été mis en place. Une prochaine étape, à l’horizon de 2030, pourrait être l’évolution des espaces de formation, dans le cadre d’une réorganisation globale du campus.

iii.   L’ENSTA Bretagne en prise avec les enjeux contemporains

La transition écologique est un point d’attention majeur de l’école. De nombreuses dynamiques vont dans ce sens : l’évolution du campus, l’empreinte environnementale de l’école, ou encore l’orientation de la formation pour professionnaliser les ingénieurs sur ces questions. L’essence du métier d’ingénieur reste la capacité à « produire des objets », comme l’a rappelé le directeur général de l’ENSTA Bretagne lors de son audition. Désormais, la maîtrise d’outils techniques et scientifiques permet de prendre davantage de recul sur les matériaux utilisés ou l’empreinte carbone d’un projet. Ainsi, si l’ingénieur ne s’inscrit pas dans un mouvement de décroissance, il contribue à « réduire l’impact environnemental de ses créations ». Par ailleurs, le choix des sujets de recherche avec différents laboratoires implique également de prendre en compte ces enjeux nouveaux.

L’établissement, conscient de sa responsabilité sociétale, prend des mesures stimulant la diversification sociale de ses étudiants. La formation par alternance, « source de diversité sociale », est encouragée et s’accroît. En outre, les promotions comptent environ 25 % d’étudiants boursiers. Un système de bourse au mérite est également à l’étude.

Enfin, des initiatives sont prises pour soutenir la féminisation des filières scientifiques et technologiques et les métiers d’ingénieurs, notamment pour sensibiliser les élèves et étudiantes le plus tôt possible dans leur parcours académique. Depuis 2018, des élèves-ingénieures de l’ENSTA Bretagne animent par exemple le projet « L codent L créent », destiné à faire découvrir la programmation et les métiers de l’informatique à des collégiennes. Par ailleurs, si les pratiques de discrimination positive font encore débat au sein de la direction de l’établissement, la parité des jurys de sélection devrait devenir obligatoire. Un accord portant sur la diversité dans le monde professionnel a également été signé avec les organisations syndicales, interdisant par exemple la tenue de réunions de travail après 18h.

iv.   Les liens de l’ENSTA Bretagne avec le ministère des Armées

L’ENSTA Bretagne entretient, traditionnellement et historiquement, un lien fort avec le ministère des Armées. Elle tient à cette « militarité », qui se traduit par une proportion majoritaire d’ingénieurs diplômés s’orientant vers le secteur de la défense (ministère des Armées ou entreprises de la BITD). L’établissement souhaite le renforcement d’un positionnement thématique renforcé autour de l’ingénierie maritime, du numérique et des technologies du secteur de la défense.

L’ENSTA Bretagne est aujourd’hui la seule école d’ingénieurs à avoir une formation d’hydrographe de catégorie A, délivrant notamment l’habilitation à élaborer des cartes marines. La pyrotechnie et l’architecture navale sont également des spécialités de l’établissement.

La conservation de ce lien fort et singulier et la capacité à répondre aux besoins du ministère des Armées selon leurs spécificités, dans un contexte de renouveau des réflexions sur l’industrie de défense française, est un enjeu crucial pour l’ENSTA Bretagne et ses perspectives d’évolution dans les prochaines années. La direction considère que l’école est « à la croisée des chemins », et est soucieuse d’une co-construction du destin de l’établissement avec le ministère des Armées. Elle demeure vigilante quant au lien de la formation avec les questions de Défense, tant pour les élèves civils que pour les élèves militaires. L’école considère donc qu’elle est, selon les termes de son directeur général, « à un moment charnière de son développement » et attend du ministère des Armées qu’il l’accompagne dans la définition de son modèle futur.

v.   Le projet de fusion avec l’ENSTA Paris

Le projet de fusion de l’ENSTA Paris et de l’ENSTA Bretagne s’inscrit dans un contexte de grandes concentrations d’établissements caractérisant l’enseignement supérieur depuis quelques années. La fusion conduirait à créer un ensemble rassemblant plus de 2 000 étudiants, 300 enseignants et chercheurs et autant de doctorants. Une étude de faisabilité a été conduite par les deux écoles à la demande des deux présidents des conseils d’administration, qui a conclu à la faisabilité économique du projet. Toutefois, cette étude a mis en évidence des points d’attention qui méritent d’être soulignés, en particulier sur l’efficacité de la formation sur deux campus et l’attractivité des deux sites.

Pour l’ENSTA Bretagne, cette manœuvre est gage d’efficacité, permet de décupler les moyens alloués au soutien de la recherche et la mise en œuvre de dialogues constructifs dans ce champ d’expertise. À travers les fusions, l’idée est « d’augmenter cette capacité à se parler », selon les termes du directeur général de l’école, si fructueuse pour les chercheurs et les experts scientifiques. Le gain de visibilité est également un objectif majeur. La potentielle fusion serait aussi un moyen pour l’ENSTA Bretagne de renouveler son attractivité auprès des étudiants.

En outre, le corps des ingénieurs des études et techniques de l’armement, qui sont formés au sein de l’école, revêt une importance singulière pour nos armées. À cet égard, il serait souhaitable que les élèves de la filière « ingénieurs civils » et les élèves de la filière « ingénieurs des études et techniques de l’armement » obtiennent le même diplôme à la fin de leur scolarité.

Le ministre des Armées prendra une décision sur la base du dossier en cours de préparation. Dans le cas où ce projet n’aboutirait pas, l’école engagerait une réflexion sur ses perspectives d’avenir.

 

Le rapporteur pour avis plaide en faveur de la fusion de l’ENSTA Paris et de l’ENSTA Bretagne. Il estime que ce projet est porteur d’opportunités pour les deux écoles et qu’il revêt une importance cardinale pour renforcer l’attractivité du corps des ingénieurs des études et techniques d’armement.

 

3.   L’ENSTA Paris et l’ISAE Supaéro

Fondée en 1741 afin de former des ingénieurs-constructeurs de marine, l’ENSTA Paris est une école d’ingénieurs pluridisciplinaire située à Palaiseau. L’école propose des spécialisations dans plusieurs domaines liés aux transports terrestres, au génie maritime, à l’énergie, à l’ingénierie mathématique, à l’intelligence artificielle, à la robotique et à la cybersécurité.

ISAE-Supaéro a été créé en 2007. Basée à Toulouse, sa mission est de dispenser un enseignement supérieur ayant pour objet la formation d’ingénieurs hautement qualifiés dans les domaines aéronautique et spatial et les domaines connexes.

4.   La question spécifique des violences sexuelles et sexistes au sein des écoles d’ingénieurs

Les écoles d’ingénieurs sont également impliquées dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, véritable fléau dans l’enseignement supérieur. L’École Polytechnique, qui a fait l’objet d’un article dans le journal Le Monde sur ce sujet le 11 avril 2022 ([4]) , s’est saisie de la problématique des violences sexuelles et sexistes il y a cinq ans. Une enquête interne a été menée du 19 janvier au 6 février 2022 afin de dresser un premier bilan des outils mis en place ces dernières années. Les résultats principaux de l’enquête sont les suivants :

les victimes sont très majoritairement des femmes et les auteurs sont très majoritairement des hommes ;

une immense majorité des cas se sont produits entre étudiants, même s’il y a pu y avoir des cas de violences sexistes et sexuelles par des membres du personnel de l’école ou des collègues de stage. Selon les atteintes considérées, entre 70 et 90 % sont commises par des étudiants ;

– il existe une très forte corrélation entre la consommation d’alcool et les atteintes sexistes ou sexuelles ;

la majorité des cas de violences sexistes et sexuelles ont lieu en lien avec des activités associatives, même s’il y a des cas dans d’autres circonstances comme les stages ou la sphère privée ;

les freins pour réagir en tant que victime ou témoin sont nombreux, 30 % des répondants déclarant que le manque de clarté sur la notion de consentement pourrait ou a pu les empêcher de réagir en tant que victime, tandis que 26 % ont déclaré avoir peur d’être isolés dans leur promotion s’ils réagissent ;

– et la cellule dédiée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles n’est pas suffisamment visible et peut être perçue comme hiérarchique, les victimes faisant peu appel au soutien proposé, qu’il soit de nature médicale ou psychologique.

En réponse, un plan d’action contre les violences sexistes et sexuelles a été mis en place. Celui-ci se décline en quatre outils :

un dispositif de sensibilisation, de prévention et de formation pour l’ensemble des acteurs ;

un dispositif d’écoute et d’accompagnement ;

un dispositif de signalement obligatoire et de sanction en cas d’alerte ;

– et un processus d’évaluation, avec une réédition annuelle du questionnaire sur les atteintes sexuelles et sexistes.

Par ailleurs, l’ENSTA Bretagne est également engagée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Une enquête interne, à vocation annuelle, a également été menée fin 2021. Celle-ci révèle qu’un quart des étudiants ayant répondu se déclare avoir été victime de violences physiques. En particulier, 6 élèves de l’école ont déclaré avoir été victimes de viol, avec ou sans pénétration, tandis qu’une vingtaine d’élèves ont déclaré avoir été victimes d’autres types de violences sexistes et sexuelles.

La prise en charge des signalements prend la forme d’une comparution systématique en conseil de discipline pour les auteurs de violences et une incitation à porter plainte pour les victimes. La neutralité de la procédure est assurée par une sous-traitance de la plateforme de signalements des cas de violence. La direction rapporte au procureur de la République les faits signalés au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

5.   Le projet de réforme des grands corps techniques de l’État

Un rapport relatif au projet de réforme des grands corps techniques de l’État a été publié en janvier 2022 ([5]) , qui distingue trois scénarios d’évolution possibles pour ces grands corps :

– le maintien des quatre corps techniques de l’État actuels que sont le corps des ingénieurs des mines, le corps des ingénieurs de l’armement, le corps des ingénieurs des ponts, eaux et forêts et le corps des administrateurs de l’INSEE ;

– la création d’un corps commun des ingénieurs de l’État ;

– et l’intégration des ingénieurs des quatre corps techniques de l’État dans le corps des administrateurs de l’État, issu de la réforme de la haute fonction publique.

 

 

 

Si ces trois scénarios présentent à la fois des avantages et des inconvénients potentiels, le rapporteur pour avis tient à souligner trois problématiques qui sont aujourd’hui au cœur des discussions :

– la question de la « militarité » et du statut d’officier des ingénieurs de l’armement. Le rapporteur pour avis est, à ce titre, favorable à une hausse du dimensionnement du corps des ingénieurs de l’armement pour satisfaire aux besoins de nos armées, en matière de défense et de sécurité mais aussi dans des secteurs clés tels que l’énergie, la santé et le numérique ;

– l’enjeu des écarts de rémunération élevés entre les ingénieurs des mines et les ingénieurs de l’armement, de l’ordre de 10 à 20 % en fin de carrière, qui plaide plutôt pour une harmonisation des rémunérations ;

– et le risque de marginalisation des compétences plus techniques et plus pointues spécifiques aux problématiques d’armement, dans un contexte d’émergence et de prééminence progressive de profils d’ingénieurs plus généralistes.

 


—  1  —

   Deuxième partie :

La préparation de l’avenir au défi de la guerre en Ukraine

 

Le rapporteur pour avis a choisi de s’intéresser au processus de préparation de l’avenir au prisme de la guerre en Ukraine, qu’il analyse selon trois axes : les modalités de l’anticipation stratégique et ses perspectives d’évolution, l’intégration de l’innovation de défense dans les réflexions en cours sur l’économie de guerre et, enfin, les enseignements de la guerre en Ukraine pour la politique d’innovation de défense.

I.   L’appréciation de la France quant au risque de survenance de la guerre en Ukraine dévoile les limites de son approche en matière d’anticipation stratégique

1.   À l’origine, des divergences d’interprétation sur les intentions de Vladimir Poutine entre la France et les États-Unis

Si le risque d’éclatement d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine a fait l’objet de nombreuses spéculations plusieurs mois avant son déclenchement effectif, il a surtout fait l’objet de divergences d’interprétations importantes entre les pays anglo-saxons, et singulièrement les États-Unis, et les Européens, dont la France. Celles-ci étaient plus ou moins liées à des questions de renseignement, qu’il convient de distinguer en deux catégories pour comprendre les sources de la dissonance entre les pays anglo-saxons et les Européens :

– le renseignement militaire, relatif aux déploiements de troupes russes à la frontière russo-ukrainienne ;

– et le renseignement extérieur, que l’on pourrait qualifier de diplomatique et politique, dont l’objectif était d’identifier les intentions de Vladimir Poutine.

En effet, comme ont pu l’indiquer plusieurs observateurs avertis, y compris avant l’éclatement de la guerre, le détail des matériels déployés à la frontière russo-ukrainienne était connu et faisait très tôt l’objet de débats nourris, y compris dans la presse. Ces détails étaient notamment connus grâce aux informations divulguées par les États-Unis et, s’agissant de la France, grâce à ses capteurs, comme l’indiquait Mme Florence Parly, ministre des Armées à l’époque, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées le 15 février 2022, c’est-à-dire moins de 10 jours avant l’éclatement du conflit : « Nous disposons bien de moyens de renseignement souverains qui nous permettent de développer nos propres analyses sur la situation en Ukraine. Nous avons renouvelé la totalité de nos capacités satellitaires d’observation, d’écoute et de communication, et nous utilisons les avions de reconnaissance et d’écoute, les Atlantique 2 et les Gabriel, ainsi que les Rafale, qui permettent aussi d’apprécier des situations, ou encore les navires qui ont été déployés dans la mer Noire. Nous avons orienté des capteurs vers l’Ukraine depuis l’automne. La question qui se pose ne concerne pas tant ce que nous observons que les conclusions à en tirer. Si nous voyons les mêmes choses que nos partenaires, nous n’en tirons pas nécessairement les mêmes conclusions. C’est pour mener nos propres analyses que nous continuons d’investir dans des capacités souveraines ».

Comme l’indiquait la ministre à l’époque, la difficulté était bien liée à la capacité à déterminer non pas les détails des déploiements militaires russes à la frontière russo-ukrainienne, mais bien « les conclusions à en tirer », car, « si [la France voyait] les mêmes choses que nos partenaires, [elle] n’en [tirait] pas nécessairement les mêmes conclusions ». En l’occurrence, lors de son audition, la DGRIS a indiqué que si la France n’était pas « dans le déni ou dans l’ignorance de ce qui se déroulait sur le terrain depuis plusieurs mois », il y avait également « des tas de raisons pouvant justifier ce déploiement de forces russes, parmi lesquelles la volonté de créer un rapport de force afin de sortir de l’impasse de la mise en œuvre des accords de Minsk et maintes raisons de penser qu’il n’irait pas jusqu’à la guerre, notamment le coût élevé pour la Russie d’un conflit armé avec l’Ukraine ».

Or, à cette même époque, comme l’a révélé une excellente enquête du Washington Post ([6]), les États-Unis alertaient sans ambiguïté les Européens sur l’imminence d’une guerre en Ukraine. Rétrospectivement, il s’avère que les États-Unis disposaient très vraisemblablement d’espions au sein de l’appareil d’État russe. Dès octobre 2021, Joe Biden disposait des plans d’invasion de l’Ukraine par la Russie grâce à du renseignement d’origine satellitaire, à des interceptions de communications et du renseignement de source humaine qui indiquaient clairement que les troupes amassées à la frontière avaient pour mission de prendre la capitale ukrainienne ainsi qu’une bonne partie du pays, en particulier les régions situées à l’est, en réduisant l’Ukraine à sa partie ouest.

2.   Mais la cécité relative de la France trouve surtout sa source dans son rapport ambivalent aux États-Unis et à sa non-appartenance au groupe des Five Eyes

Toutefois, si les États-Unis disposaient bien d’informations circonstanciées permettant de justifier leurs certitudes quant aux intentions de Vladimir Poutine, celles-ci n’étaient pas partagées en dehors du cercle des Five Eyes. Cette opacité relative des États-Unis est au cœur de la divergence d’interprétations entre les pays anglo-saxons et les Européens : jusqu’où est-on prêt à croire un pays allié qui dit avoir des informations précises et sûres sur le risque de survenance d’un événement mais qui refuse de les partager en dehors d’un cercle restreint et appelle donc ceux qui ne peuvent recevoir lesdites informations à lui faire confiance ? La prudence pouvait se comprendre, compte tenu du manque de transparence des États-Unis.

Cette divergence d’appréciation sur le risque de guerre ne s’explique pas uniquement par le fait que les États-Unis disposaient de renseignements qu’elle ne partageait pas. Elle s’explique aussi par le fait que les informations en question venaient, précisément, des États-Unis. Depuis les fausses preuves mises en avant au Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2003 par Colin Powell, secrétaire d’État américain, pour justifier l’invasion de l’Irak, la France a toujours été méfiante. En outre, le contexte à l’été et à la fin de l’année 2021 n’était pas propice à la confiance, et ce pour deux raisons :

– d’une part, parce que les Américains avaient surestimé la capacité de résistance du régime afghan face aux Talibans et s’étaient illustrés par une incapacité à gérer correctement l’évacuation de ses ressortissants, contrairement, du reste, à la France ;

– et d’autre part, parce que la France avait été trahie notamment par les États-Unis à la suite du lancement de l’alliance AUKUS, qui a fait perdre le « contrat du siècle » pour la construction d’un sous-marin par Naval Group pour l’Australie, ce qui, à l’époque, avait entraîné le rappel de l’ambassadeur de France aux États-Unis.

Le manque de transparence des États-Unis ne justifie donc pas complètement la posture de la France à l’époque. Il s’agissait aussi d’une méfiance principielle, qui, en l’espèce, a contribué à la cécité relative de la France quant aux intentions de Vladimir Poutine.

En outre, si la France estimait qu’il convenait de faire montre de prudence quant au renseignement fourni par les Américains, cela ne peut signifier a priori que deux choses :

– soit la France disposait par ailleurs de renseignements qui prouvaient que la Russie n’avait pas l’intention d’envahir l’Ukraine, et qui l’induisaient donc, à dessein ou non, en erreur ;

– soit la France n’avait pas été en mesure de recueillir d’informations quant aux intentions de Vladimir Poutine par ses propres moyens, ce qui pose la question de sa capacité à apprécier les situations de manière autonome.

Par ailleurs, la stratégie de communication des États-Unis consistant à dévoiler les plans de la Russie à l’avance a surpris et a suscité des débats sur son bien-fondé. Face à un adversaire qui cultive l’ambiguïté, voire le mensonge, comme la Russie, on peut en effet s’interroger sur le caractère opportun ou non d’un positionnement radicalement opposé. Mais en dévoilant les intentions de la Russie et en martelant dans les médias qu’une guerre était imminente, l’objectif poursuivi était peut-être aussi de préparer les esprits à l’Ouest, notamment les plus réticents, voire de décourager ou de ralentir l’invasion. En tout état de cause, cela n’a pas suffi à convaincre la France, attachée tant à sa position de puissance d’équilibre qu’au maintien du dialogue avec la Russie.

Enfin, une autre dichotomie d’appréciation explique l’aveuglement relatif de la France vis-à-vis du risque d’attaque de l’Ukraine par la Russie, qui est liée au poids accordé à la rationalité dans le processus d’anticipation de l’évolution de la conflictualité. De nombreux observateurs ainsi que d’acteurs militaires et politiques français ont estimé, à défaut de disposer des informations du renseignement américain et de pouvoir éventuellement les obtenir par eux-mêmes, que le coût d’une invasion de l’Ukraine serait trop élevé pour que la Russie puisse rationnellement envisager de passer à l’acte, et que d’autres moyens étaient envisageables pour permettre à Vladimir Poutine de parvenir à ses fins. Dans un article du Monde publié le 6 mars 2022 ([7]) , le général d’armée Thierry Burkhard l’a reconnu sans ambiguïté : « les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l’Ukraine aurait un coût monstrueux et que les Russes avaient d’autres options [pour faire chuter le régime de Volodymyr Zelensky] ».

Il convient en réalité de distinguer deux types de rationalité : celle des Occidentaux d’une part, et celle de Vladimir Poutine d’autre part, comme évoqué dans le livre de Michel Eltchaninoff intitulé Dans la tête de Vladimir Poutine. Estimer le niveau de rationalité d’un individu est toujours un exercice délicat. Lors de son audition, la DGRIS a indiqué qu’il fallait « faire preuve d’humilité lorsqu’on évoque les intentions, car les rationalités des uns ne sont pas forcément celles des autres ». Or, c’est précisément parce que la notion de rationalité est subjective que sa surestimation peut induire au moins autant en erreur que sa sous-estimation. En l’espèce, la France a vraisemblablement confondu la rationalité occidentale avec celle de Vladimir Poutine.

A posteriori, il semble que l’objectif de Vladimir Poutine n’était pas tant de remettre l’Ukraine dans le giron de la Russie. L’échec fondamental de la Russie sur le plan géopolitique est, en réalité, l’incapacité à attraire et la perte de soft power du pays dans les pays de l’ex-bloc soviétique : la CEI est quasiment à l’arrêt, les pays d’Asie centrale se sont tous rapprochés de la Chine et les pays d’Europe centrale ont plébiscité l’OTAN. Comme l’indiquait la DGRIS lors de son audition, « cette lame de fond a sûrement incité Vladimir Poutine à passer d’une logique d’influence à une logique de confrontation pure ». Il s’appuie sur ses capacités à faire du chantage et à utiliser la force brute, en appliquant sa stratégie classique de la baïonnette, chère à Lénine, en vertu de laquelle il ne faut reculer que lorsque s’oppose une résistance, comme cela a été démontré dans le cadre d’un rapport d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est ([8]) , dont votre rapporteur pour avis était co-rapporteur.

3.   Quelles leçons peut-on tirer de cet échec pour penser les modalités futures de l’anticipation stratégique ?

Il ne s’agit pas, dans le cadre de cet avis, d’estimer les conséquences de la guerre en Ukraine aux plans géopolitique et de défense. Mais dans la mesure où le programme 144 est aussi celui de l’anticipation stratégique et du renseignement, quelles leçons peut-on tirer pour l’avenir quant à la manière d’anticiper les crises ? Nous pouvons en distinguer trois :

– la nécessité de repenser la façon dont l’anticipation stratégique est conduite, en intégrant davantage tant les biais cognitifs des parties prenantes que ceux des personnes en charge de l’anticipation stratégique. À cet égard, des pistes intéressantes étaient développées dans l’avis de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2021 ([9]) ;

– faire de la prospective efficace et pertinente en plaçant l’anticipation stratégique davantage à l’échelle interministérielle ;

– et conduire une réflexion sur les moyens et les capacités dont disposent nos services de renseignement pour apprécier, toujours de manière autonome, le risque de survenance d’un conflit sans être membre du groupe des Five Eyes.

 

Le rapporteur pour avis estime que ces trois pistes doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie, en particulier en vue de l’élaboration en cours de la Revue stratégique de défense nationale.

 

II.   QUel rôle l’innovation de défense peut-elle jouer dans le cadre de l’économie de guerre ?

1.   L’économie de guerre est un nouveau cadre de réflexion qui implique de repenser en profondeur les modalités de la politique d’armement de la France

La guerre en Ukraine a mis en évidence le caractère réaliste des craintes exprimées de longue date par le ministère des Armées s’agissant d’un conflit de haute intensité, qui avait été identifié dès 2017. Dans ce cadre, le président de la République a annoncé, lors de son discours du 13 juillet dernier, que le contexte nécessite aujourd’hui de s’organiser durablement afin que l’industrie puisse soutenir un effort de guerre dans la durée, en cas de nécessité, au profit des forces armées ou des partenaires.

À ce titre, il appelait à la conversion de l’économie française en économie de guerre, selon des modalités qui ont été précisées par le ministre des Armées à l’issue d’une comitologie regroupant le SGDSN, les armées, la DGA et plusieurs entreprises de la BITD qui s’est tenue le 7 septembre dernier. Les axes principaux en sont les suivants :

l’expression d’un besoin plus simple par les armées afin de massifier la production en augmentant les cadences et en réduisant les délais de production en cas de conflit de haute intensité ;

la simplification des procédures administratives pour les industriels, sans négliger les exigences de qualité, pour adapter la culture du risque à un temps de guerre ;

– l’établissement d’un agenda de relocalisation pour réduire la dépendance de la France vis-à-vis de pays étrangers ;

– et la reconstitution de stocks de munitions et de matières premières.

Au-delà des enjeux de l’économie de guerre relatifs à l’accélération des cadences ou à la mise en place d’un système de réserves, il convient de prêter une attention majeure à l’enjeu de la gouvernance de l’effort fourni par les industriels, tant de la part des PME que des grands groupes. À ce titre, la DGA semble être toute désignée pour l’exercer, car elle joue un rôle unique de structuration de la filière industrielle. Cette gouvernance pourrait être également conduite par le SGDSN, tant la dimension interministérielle de l’économie de guerre relève de l’évidence, ce qui posera toutefois la question du caractère suffisant ou non de ses ressources humaines.

Un des enjeux sera celui de la mise en relation de l’ensemble des parties prenantes à l’économie de guerre, à savoir les grands groupes représentés par les groupements industriels, les maîtres d’œuvre et les chaines d’approvisionnement, qui, aujourd’hui, ne se parlent pas suffisamment. Il y a toujours des malentendus entre le prescripteur et le maître d’ouvrage, entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, entre le maître d’œuvre et le sous-traitant… alors que toutes ces personnes devront être en rang serré et jouer le jeu dans le cadre d’une économie de guerre. À ce titre, il est regrettable que les PME ne soient pas associées aux groupes de travail mis en place dans le cadre de la comitologie sur l’économie de guerre. Certes, les grands groupes ont besoin de reconstituer leurs stocks de matières premières, mais en réalité, c’est toute la chaine de production, jusqu’aux PME, qui a besoin de reconstituer des stocks. Aujourd’hui, il faut plusieurs mois, voire une année entière, pour disposer de composants électroniques de base car leur acheminement met du temps et est plus coûteux qu’avant.

 

Le rapporteur pour avis estime que les PME doivent être davantage associées dans le cadre des réflexions actuelles sur l’économie de guerre.

 

2.   L’innovation de défense peut utilement contribuer à l’atteinte des objectifs fixés aux industriels dans le cadre de l’économie de guerre

Cinq groupes de travail ont été constitués dans le cadre des réflexions actuelles sur l’économie de guerre, sur les achats et les opérations d’armement, sur la chaine d’approvisionnement, sur les ressources humaines, sur les réglementations et les normes, ainsi que sur les risques cyber et d’espionnage.

De l’avis de plusieurs personnes auditionnées, l’innovation de défense pourrait utilement contribuer à l’atteinte de certains axes de l’économie de guerre précités, en particulier pour le dérisquage, pour les spécifications ou encore en termes d’allègement des procédures de passation des contrats.

Interrogé à ce sujet, le ministère des Armées a indiqué que la politique d’innovation de défense pourrait jouer un rôle dans le cadre de l’économie de guerre pour l’allègement des normes, des règles et des processus d’acquisition. De plus, l’AID et les différents clusters d’innovation dans les territoires pourraient participer à cette économie de guerre par le recueil, dans le cadre de la politique d’innovation ouverte ou d’innovation participative, d’idées et de projets susceptibles de renforcer l’industrie. En 2022, 15 capacités ont été acquises en cycle court pour un total de 20 millions d’euros. En mai 2022, deux appels à projets sur les munitions télé-opérées (cf. infra) ont été lancés. Les offres, prometteuses et innovantes, ont été reçues en juillet 2022. Les marchés seront attribués d’ici fin 2022 pour des premières capacités sous 12 à 18 mois, ce qui constitue un rythme inédit.

En outre, l’innovation de défense peut contribuer au raccourcissement des processus industriels et, pour le MCO, à l’amélioration de la disponibilité des plateformes et leur remise en service sur le théâtre. Par exemple, la fabrication additive permet des gains de temps de production des matériels très importants. Pour le MCO, le projet innovant Brasidas, dédié à la maintenance prédictive des aéronefs, est également un projet prometteur en ce qu’il permet, s’il se concrétise, de réduire considérablement les délais de remplacement des pièces défectueuses, ce qui ne manquera pas de constituer un axe de réflexion majeur dans le cadre de l’économie de guerre car celle-ci ne se résume pas à l’augmentation de la seule production mais également à la régénérescence des matériels.

Un travail sur l’évolution des spécifications est également pertinent dès lors qu’on souhaite accélérer les programmes, « y compris dès la phase amont », selon l’AID. La difficulté principale a trait aux aspects réglementaires, qui fixent des normes et des standards. À ce titre, toujours selon l’AID, « certains allègements pourraient être introduits ». En outre, pour accélérer les cadences, « il faudrait réduire les procédures de dérisquage, qui sont très lourdes à la fois pour les ressources humaines de l’AID et de la DGA mais aussi pour les entreprises innovantes ». Par exemple, dans le domaine des drones, un des risques est qu’ils sortent de leur trajectoire initiale. Une option, basée sur le principe du geocaging, consisterait à développer un dispositif permettant de s’assurer que ceux-ci se poseront automatiquement en cas de sortie de leur trajectoire. Cela permettrait de le qualifier une seule fois puis d’imposer ce dispositif à tout porteur d’innovation future dans le domaine des drones, en en faisant une condition sine qua non pour faire acte de candidature.

Enfin, il pourrait être opportun de faire jouer les synergies, en mettant ensemble sur un plateau collaboratif de simulation de situation opérationnelle tous les acteurs d’un système de systèmes impliqués afin de trouver la meilleure solution technique. Le recours accru à des prototypes confrontés aux théâtres extérieurs pourrait être une voie d’accélération, au profit de la puissance opérationnelle de nos forces.

 

Le rapporteur pour avis estime que l’innovation de défense devrait constituer un axe de réflexion dans le cadre de l’économie de guerre. La création d’un groupe de travail dédié à l’innovation de défense pourrait être envisagée à cette fin.

 

III.   Quel bilan peut-on faire de la politique d’innovation de défense à la lumière de la guerre en ukraine ?

1.   La guerre en Ukraine a mis en évidence plusieurs manques capacitaires de la France, que l’Agence de l’innovation de défense n’a que partiellement comblés

La guerre en Ukraine a montré toute la pertinence du soutien à la politique d’innovation de défense, tant ce théâtre en est constellé. Tous les milieux et tous les champs de confrontation sont concernés : la guerre informationnelle, la défense sol-air, la guerre cognitive, le renseignement, l’espace, le cyberespace, l’hypervélocité ou encore les drones, pour ne citer que ces exemples. En effet, les innovations technologiques sont un facteur de rééquilibrage des forces et peuvent, à ce titre, faire la différence.

Par exemple, le conflit a mis en exergue l’importance des technologies liées au renseignement satellitaire comme à la sécurisation des liaisons. En outre, si la France n’a pas été victime d’une agression cyber majeure en provenance de Russie, des effractions cyber ont été remarquées dans le domaine du renseignement satellitaire. Elles visaient une liaison vers un satellite afin de prendre le contrôle de ce dernier et l’utiliser pour propager une faille de sécurité vers une autre infrastructure.

Le renseignement est également crucial dans le cadre de cette guerre. Le positionnement fiable des objets sur le terrain est un avantage déterminant, à condition que le système de géolocalisation en zone de conflit soit imbrouillable et inleurable. Dans cette optique, par exemple, Safran a fait l’acquisition d’Orolia en juillet 2022, une société reconnue pour ses activités, ses technologies et ses équipements complétant les compétences de Safran Electronics & Defense dans le domaine Positioning – Navigation – Timing.

Certains de ces sujets ont été identifiés par l’AID et ont fait l’objet d’investissements, par exemple, dans le domaine de la guerre cognitive, avec le lancement du projet MYRIADE en avril 2022, ou encore dans le domaine des drones avec les appels à projets COLIBRI et LARINAÉ en mai 2022.

 

Le rapporteur pour avis salue les investissements de l’AID dans ces domaines. Toutefois, il note, d’une part, que ces projets ne sont innovants que d’un point de vue franco-français et relèvent davantage d’un rattrapage capacitaire par rapport à d’autres États. D’autre part, il note qu’en rattrapant ce retard, la France pourrait ne se mettre qu’en position de faire face aux guerres d’aujourd’hui, voire d’hier, et non à celles de demain.

 

À titre d’exemple, les quatre domaines d’innovation suivants pourraient faire l’objet d’investissements plus importants.

a.   Le quantique

S’agissant du quantique, l’AID décline une feuille de route, en cohérence avec la dynamique interministérielle sur le sujet. Plus précisément, quatre domaines d’intervention ont été identifiés : les capteurs, la communication, la cryptographie post-quantique et les ordinateurs. Le ministère des Armées a identifié les trois premiers domaines comme étant prioritaires. L’AID s’est investie dans le domaine des capteurs en soutenant des start-ups comme Muquans, qui a développé un gravimètre à atomes froids, en collaboration avec l’ONERA. L’agence travaille également dans ce domaine avec le CEA.

Mais les deux enjeux principaux dans le domaine du quantique sont la miniaturisation et le refroidissement cryogénique car, pour que le quantique fonctionne, il faut créer un environnement très froid. Cela suppose de mettre les entreprises comme Muquans en contact avec des intégrateurs spécialistes de l’intégration dès la phase amont. La taille de certains composants doit également être réduite.

Sur le plan financier, le budget alloué au quantique dans la loi de programmation militaire 2019-2025 est de l’ordre de 50 millions d’euros, ce qui, selon l’AID, « est trop peu, notamment en comparaison avec le budget de 1,8 milliard d’euros alloué au titre de la stratégie nationale pour les technologies quantiques. Il va donc falloir changer de braquet ». D’ailleurs, dans ce domaine, « tous les dispositifs doivent être utilisés, du PIA 4 à France 2030, en passant par le Plan de relance et les fonds alloués au titre des diverses stratégies nationales ».

b.   Le spectre électromagnétique et les enjeux énergétiques

En outre, deux sujets doivent, selon l’armée de Terre, faire l’objet d’une attention particulière de la part des innovateurs pour le secteur de la défense : la maîtrise du spectre électromagnétique d’une part, et les enjeux énergétiques d’autre part.

S’agissant de la maîtrise du spectre électromagnétique, des projets sont en cours, dont certains ont passé la phase de tests. L’objectif est d’éviter que ce qui se passait à Barkhane par le passé ne se reproduise, à savoir, selon l’armée de Terre, « le brouillage de nos propres capacités après activation de notre système de brouillage », ou ce que les Russes ont vécu dans le cadre de la guerre en Ukraine avec un système de brouillage qui empêche leurs missiles de décoller. Il s’agit d’un sujet connu des armées françaises, qui l’avaient d’ailleurs expérimenté également au Liban en 1982 et en Afghanistan.

S’agissant de l’énergie, l’enjeu principal est celui des capacités de stockage de l’énergie en opérations afin de durer. Des réflexions sont en cours pour la conception de groupes électrogènes moins compacts et pour l’hybridation des moteurs des véhicules, et en particulier pour le Griffon à horizon 2024. Toutefois, l’enjeu pour l’armée de Terre sera que « la réduction de son empreinte environnementale ne se fasse pas au détriment de son efficacité opérationnelle », qui restera toujours la priorité.

Enfin, si l’attention s’est portée sur certaines innovations qui auraient changé la donne sur le terrain, il ne faudrait pas croire « qu’on gagne une guerre avec Starlink et un smartphone, et ce d’autant plus que le jour où Elon Musk coupera Starlink, tout s’arrêtera ». De ce point de vue, l’armée de Terre estime que la réflexion doit être conduite en prenant en compte « la diversité des théâtres d’opération et en s’assurant que les armées conserveront toujours leurs capacités d’action, y compris au fin fond de Kidal, avec des moyens souverains pour créer leurs propres bulles souveraines de communication ». Il faut également apprendre à se passer de ces outils modernes de communication afin que les armées soient en mesure de poursuivre, autant que possible et si nécessaire, leurs missions en mode dégradé en cas de cyberattaque ou de défaut de fonctionnement des SIC.

c.   Les drones sous-marins

Mais le domaine d’avenir primordial est celui des drones sous-marins. Les attaques de drones qui ont ciblé le gazoduc Nord Stream 2 récemment l’ont largement démontré. Les grandes thématiques en lien avec les drones sous-marins dans le cadre de la politique d’innovation de défense sont les suivantes :

les technologies permettant d’évaluer de futures évolutions de système de drones mutualisables avec le SLAM-F en termes d’autonomie, de rayon d’action et d’endurance. En particulier, le projet DeMICTA, lancé en 2021 en coopération avec le Japon, vise à développer une capacité de détection des mines enfouies ou posées sur le fond. Ce projet prévoit l’intégration du système sur un drone sous-marin et envisage une évaluation dans des conditions opérationnelles d’ici 2025 ;

– dans le domaine de la connaissance des fonds marins, la poursuite de la montée en maturité de gliders en vue de leur exploration opérationnelle pour recueillir des données hydrographiques ;

– dans le domaine des drones mis en œuvre depuis des sous-marins, des travaux de montée en maturité des drones technologies préparant les premières démonstrations de mise en œuvre sont envisagées à l’horizon 2025-2026 ;

l’exploration des technologies de robotique sous-marine pour maîtriser le domaine des grands fonds marins jusqu’à 6 000 mètres ;

– et des études relatives à un démonstrateur technologique de drone sous-marin océanique longue endurance pouvant être mis et récupéré à partir d’un bâtiment de surface.

Le tableau ci-après indique les années de lancement de chaque projet.

 

Projets

Année de lancement du projet

Détection de mines enfouies

2021

Connaissance des fonds marins

À lancer à court terme

Drone de surface et drone bathymétrique

2020

Glider

2021

Drones mis en œuvre depuis des sous-marins

2021

Robotique sous-marine

À lancer à court terme

Drone sous-marin océanique longue endurance

À lancer à court terme

S’agissant des drones sous-marins, la détermination du démonstrateur pertinent nécessite en réalité de lier systématiquement ses caractéristiques à celles de la géographie. De ce point de vue, tous les pays n’ont pas le même intérêt. Par exemple, un pays comme Israël a des zones tampon de 40 nautiques, ce qui explique son intérêt pour les drones de surface. En ce qui concerne les théâtres d’opération de la Marine, que ce soit dans le Golfe persique ou en mer Méditerranée, les drones de surface ne sont pas opérants. Le projet qui intéresse la Marine est celui du docking and docking : le drone sous-marin est envoyé en mission, et à son retour, il se branche sur une station tout en restant en immersion pour vider les données collectées et recharger ses batteries. Ce type de drones pourrait rester un an sous l’eau en toute autonomie, ses batteries ne devant être changées qu’une fois par an.

S’agissant des fonds marins, le niveau de profondeur le plus pertinent est celui de 6 000 mètres. Les drones qui ne sont capables que d’aller à 2 000 ou 3 000 mètres de profondeur présentent une utilité moindre. Avec un drone pouvant aller jusqu’à 6 000 mètres, la Marine nationale peut couvrir tout l’océan Atlantique et atteindre le niveau de profondeur des sous-marins russes. Les États-Unis, la Russie, la Chine et la Norvège disposent d’ailleurs également de drones pouvant aller jusqu’à 6 000 mètres.

 

Le rapporteur pour avis estime que les projets de développement de drones sous-marins 6 000 mètres sont pertinents et vont dans le bon sens. Il salue le lancement de la stratégie de maîtrise des fonds marins, dont il suivra très attentivement la mise en œuvre.

 

2.   L’AID gagnerait à explorer trois pistes pour contribuer plus efficacement à la politique d’innovation de défense du ministère des Armées

a.   Pour une meilleure gestion des projets examinés dans le cadre du dispositif RAPID

i.   Un retrait de la DGE qui interroge

Si le bilan de l’AID est plutôt positif dans l’ensemble, il ne doit pas masquer plusieurs difficultés. La première a trait à la gestion des dossiers soumis à l’AID dans le cadre du dispositif RAPID. Jusqu’en 2020, ces dossiers étaient gérés conjointement par l’AID et par la DGE. Or, cette dernière s’est retirée, comme l’a indiqué l’AID lors de son audition : « La DGE a exprimé la volonté de se désengager du dispositif RAPID, qu’elle a justifié par la nécessité de dégager des ressources humaines suffisantes pour le Plan de relance. Nous avons dû attribuer 4 ETP supplémentaires au dispositif pour assurer les missions assurées auparavant par la DGE ».

Les raisons invoquées par la DGE interrogent. Il est peu probable que les ressources humaines ainsi obtenues ait permis à la DGE de répondre plus efficacement aux demandes induites par le Plan de relance. En tout état de cause, ce retrait a entraîné des retards importants pour le traitement des dossiers soumis à l’AID, qui étaient déjà élevés à cause de la crise de la Covid-19, qui avait débuté la même année.

ii.   Un guichet unique qui ne doit pas se contenter d’être une porte d’entrée

En 2021, plus d’une trentaine de dossiers ont été déposés via le guichet unique chaque mois, pour un total d’environ 450 dossiers. « À l’époque, en 2021, il y avait un embouteillage au niveau du guichet unique, car l’AID ne pouvait en traiter que 20 ou 25, alors qu’elle en recevait une trentaine par mois. Il s’agissait d’un chantier majeur en 2021, que nous avons réglé grâce, d’une part, à l’octroi de deux ETP supplémentaires, et d’autre part, à une réforme du processus d’instruction des dossiers mise en place en mars 2022 ».

S’agissant de cette dernière, la réforme est partie du constat que la majorité des dossiers qui recevaient une réponse négative étaient rejetées pour l’un des trois motifs principaux suivants : la méconnaissance du cas d’usage pour le secteur de la défense (ce qui est le motif de rejet pour la majorité des dossiers rejetés), le caractère non-innovant du projet et le décalage entre le montant financier demandé par l’entreprise et ses besoins réels pour conduire son projet. En outre, si le guichet unique est le lieu où les dossiers sont triés, l’instruction est faite par des spécialistes au sein de la DGA et des opérationnels des armées, qui, eux, « ne sont pas dédiés aux RAPID », ce qui explique également l’engorgement constaté en 2021.

Désormais, « au lieu de déposer un dossier volumineux et d’attendre plusieurs mois pour avoir un retour, les entreprises remplissent un formulaire de six pages qui permet d’analyser la viabilité du projet au regard des trois écueils précités. Ensuite, à partir de deux semaines après le dépôt du dossier, l’entreprise a un entretien téléphonique avec l’AID pour évaluer la pertinence ou non du projet ». À l’issue de l’entretien téléphonique, trois options sont possibles :

la dépose formelle du projet pour l’obtention d’un financement ;

la mise en relation avec un expert de la DGA ou des forces pour dérisquer les cas d’usage si le projet proposé doit être retravaillé ;

– ou le rejet du dossier.

En outre, les décisions ne sont jamais prises par une seule personne : un comité, composé généralement de 10 personnes, se réunit et l’AID sollicite plusieurs services pour avoir leur avis (SASD, S2IE…). « Par le passé, cette collégialité pouvait être un facteur de ralentissement car il fallait l’unanimité de ses membres pour valider un projet. Désormais, la décision est, in fine, prise par le chef du pôle innovation ouverte de l’AID, qui a une voix prépondérante, ce qui accélère la procédure ».

 

S’il salue les efforts accomplis pour améliorer le fonctionnement du guichet unique, le rapporteur pour avis plaide pour une simplification de l’ensemble du processus d’examen des dossiers.

b.   Les entreprises qui proposent des projets doivent pouvoir bénéficier d’un retour écrit de l’Agence, notamment pour la protection de la propriété intellectuelle des innovations

Plusieurs personnes auditionnées ont évoqué le fait que les justifications des refus de dossiers se font à l’oral, ce qui pose des difficultés, à la fois parce que l’existence d’un retour écrit, précis et circonstancié, permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles le projet a été refusé, mais aussi parce que cela ferait peser un risque sur la propriété intellectuelle. Or, s’agissant de ce risque, l’AID a été surprise de cette question car « les projets sont livrés au personnel de l’AID et du ministère des Armées, et non aux entreprises ». Cependant, comme l’a indiqué l’Agence lors de son audition, « l’AID ne fait pas signer d’engagements aux personnels de l’agence dans ce domaine. Le seul engagement signé est celui relatif au dépouillement des appels d’offres. Les agents de l’AID ont un devoir d’intégrité. J’ai confiance en eux. Toutefois, l’idée de faire signer un tel engagement aux personnels de l’AID mériterait peut-être qu’on y réfléchisse ».

 

Le rapporteur pour avis plaide pour la mise en place d’une charte d’engagement dans le domaine de la propriété intellectuelle. En outre, tout en ayant conscience de la charge de travail supplémentaire que cela entrainerait, le rapporteur pour avis estime qu’il est indispensable que des entreprises puissent bénéficier d’un retour écrit précis et circonstancié en cas de rejet de leurs dossiers.

 

c.   L’Agence et la DRSD doivent travailler de concert pour protéger les entreprises de la BITD innovantes

Enfin, les relations entre l’AID et la DRSD ne sont pas encore suffisamment élaborées, ce qui est d’autant plus regrettable à l’heure de l’économie de guerre, dont un des axes a trait à la résilience des entreprises de la BITD, y compris, donc, des entreprises innovantes. La DRSD et l’AID entretiennent des contacts et ont réfléchi aux moyens de travailler ensemble pour développer certains projets. Comme l’a indiqué la DRSD lors de son audition, « nous avons des opportunités de travailler différemment avec l’AID mais, à ce stade, nous n’avons pas encore su les exploiter ».

 

Le rapporteur pour avis plaide pour un rapprochement de la DRSD et de l’AID pour la sauvegarde de nos pépites technologiques menacées par des tentatives de prédation capitalistique et des risques d’ingérences étrangères.

 


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Conclusion

 

Au-delà du contenu de cet avis, le rapporteur relève plusieurs difficultés rencontrées cette année dans la rédaction de ce document. Le projet annuel de performances de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2023 a été publié le mardi 4 octobre à 20h45, c’est-à-dire au dernier jour prévu par l’article 39 de la loi organique relative aux lois de finances.

En vertu de l’article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, un questionnaire budgétaire est adressé au ministère des Armées. Ce même article prévoit une remise des réponses au plus tard le 10 octobre. Or, au 10 octobre, seules 43 réponses sur 60 avaient été envoyées. En outre, 10 réponses étaient au niveau « diffusion restreinte » et 3 réponses étaient classifiées ; ces dernières n’ayant, par conséquent, pas été transmises.

De plus, certaines réponses étaient parfois lapidaires, quand elles n’étaient pas incomplètes ou erronées. Des documents non protégés n’ont pas été transmis, au motif qu’il s’agissait de documents « internes », comme l’étude de faisabilité du projet de fusion de l’ENSTA Paris et de l’ENSTA Bretagne. D’autres documents n’ont pas été transmis au motif que leur contenu est sensible, comme la liste des bénéficiaires du programme « Personnalités d’avenir – Défense » de la DGRIS.

En outre, il est de tradition de préparer un questionnaire en amont de chaque audition pour permettre aux personnes reçues de se préparer, mais aussi d’obtenir des réponses écrites plus précises. Or, cette année, de nombreux services n’ont pas apporté de réponses.

Enfin, certaines personnes n’ont tout simplement pas répondu aux demandes d’audition. Il s’agit à la fois des ambassades de France à Moscou et à Kiev ainsi que de la direction du renseignement militaire.

En guise de conclusion, le rapporteur pour avis se contentera de rappeler qu’il dispose d’un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place en vertu de l’article 9 de la loi de programmation militaire 2019-2025, et qu’il ne s’interdit pas d’y avoir recours, au moment qu’il jugera opportun.


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   Travaux de la commission

I.   Audition de Mme Alice Guitton, Directrice générale des relations internationales et de la stratégie

La commission a entendu Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie, sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), au cours de sa réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 11 heures.

 

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : https://assnat.fr/NZv1yJ.

 


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II. EXAMEN DES CRÉDITS

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Jean-Charles Larsonneur, les crédits relatifs au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense », pour 2023, au cours de sa réunion du 19 octobre 2022.

 

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M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense). Je suis heureux de vous présenter mes conclusions sur les crédits du programme 144, l’un des quatre programmes de la mission Défense dont notre commission est saisie pour avis.

Ce programme regroupe les crédits de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), les crédits dédiés à l’analyse stratégique et à la diplomatie de défense, gérés par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et les crédits consacrés à la recherche et à l’innovation de défense, gérés par l’état-major des armées (EMA) et par la direction générale de l’armement (DGA) par l’intermédiaire de l’Agence de l’innovation de défense (AID).

La ressource du programme 144 pour 2023 s’élève à 1,989 milliard d’euros en autorisations d’engagement (AE), soit une baisse de 7 % qui s’explique essentiellement par des raisons techniques, et à 1,9 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 7 %.

Le programme 144 finance deux projets immobiliers d’envergure pour la DGSE et la DRSD. Il s’agit du nouveau siège au Fort neuf de Vincennes pour la DGSE, à hauteur de 1,16 milliard d’euros, et du projet de nouvelle direction centrale de la DRSD, pour un total de 80 millions d’euros. Or, le niveau élevé de l’inflation bouleverse le plan de financement initial de ces deux projets et induira inévitablement des surcoûts, compte tenu notamment des prévisions de l’évolution de l’indice de référence dans le secteur du bâtiment. Pour 2022, la stratégie consiste à faire peser ces surcoûts sur le report de charges. Je serai très vigilant sur l’exécution du budget 2023 et sur la bonne intégration, si nécessaire en cours de gestion, de ces surcoûts, car ces deux projets immobiliers revêtent une importance capitale pour l’avenir des deux directions.

En outre, un rapport publié en février dernier sur le projet de réforme des grands corps techniques de l’État distingue trois scénarios d’évolution pour ces grands corps. Le premier consiste en un maintien des quatre corps techniques de l’État – ingénieurs des mines, ingénieurs de l’armement, ingénieurs des ponts, eaux et forêts et administrateurs de l’Insee. Le deuxième scénario envisage la création d’un corps commun des ingénieurs de l’État. Le troisième scénario repose sur l’intégration des ingénieurs des quatre corps techniques dans le corps des administrateurs de l’État, issu de la réforme de la haute fonction publique.

Ces trois scénarios présentent des avantages et des inconvénients. Si la réflexion doit être poursuivie, j’attire toutefois l’attention sur trois éléments. Nous devons d’abord veiller à la militarité et au statut d’officier des ingénieurs de l’armement. Les écarts de rémunération élevés, de 10 à 20 %, entre les ingénieurs du corps des mines et ceux de l’armement doit également appeler notre vigilance. Enfin, le scénario de fusion des corps présente un risque de marginalisation des compétences techniques spécifiques à la défense. Ces trois points de vigilance devraient faire l’objet d’une réflexion approfondie de la part de notre commission.

La partie thématique de mon avis est consacrée à la préparation de l’avenir au prisme de la guerre en Ukraine. À l’issue de mes travaux, j’ai d’abord conclu que l’anticipation stratégique devrait davantage intégrer les biais cognitifs des parties prenantes, voire le caractère relatif et polysémique de la notion de rationalité. En effet, cette dichotomie entre la rationalité des Occidentaux et celle de la Russie explique en partie les divergences d’interprétation quant aux intentions de Vladimir Poutine avant le déclenchement de la guerre. Il sera par ailleurs nécessaire, dans la perspective de la Revue stratégique de défense nationale en cours d’élaboration, de placer encore davantage la réflexion à l’échelle interministérielle pour veiller à l’efficacité de notre prospective. Enfin, notre réflexion devra porter sur le Five Eyes, car les informations dont disposaient les États-Unis quant aux intentions de Vladimir Poutine n’étaient manifestement pas partagées en dehors de ce cercle.

De plus, l’intégration de l’innovation de défense dans les réflexions sur l’économie de guerre ne me paraît pas suffisante. En effet, les réflexions en cours sur la simplification des processus, la reconstitution des stocks ou encore l’établissement d’un agenda de relocalisation n’intègrent pas cet enjeu à la hauteur qu’il mérite. Or, il me semble opportun de réfléchir aux apports potentiels de l’innovation de défense en ces domaines. Je n’en citerais que deux : la maintenance prédictive – car l’économie de guerre ne devrait pas se résumer à l’augmentation et à l’accélération de la production des matériels, mais aussi à leur régénérescence et à leur résilience –, qui est un domaine clé, ou encore l’effort d’innovation dans le domaine des matériaux, afin d’identifier des substituts viables aux matériaux critiques que la France ne pourra pas relocaliser. Nous devrions également réfléchir à la manière dont nous pourrions accélérer les procédures dans le cadre des contrats d’armement en matière d’innovation, notamment celles ayant trait au dérisquage et aux spécifications.

Enfin, les enseignements de la guerre en Ukraine en matière d’innovation de défense sont bien connus. L’AID a intégré les enjeux de l’utilisation intensive des drones, de l’hypervélocité, de la guerre cognitive et informationnelle, du cyber ou encore du spatial en accélérant ses feuilles de route dans ces domaines.

Toutefois, à l’issue de mes travaux, je souhaite formuler deux remarques. D’une part, ces domaines ne sont en réalité innovants que d’un point de vue franco-français : certains États disposent déjà de ces capacités. Il ne s’agit donc pas tant d’innovations à proprement parler que de rattrapages de retards capacitaires par rapport à d’autres États. Par ailleurs, si ces initiatives sont évidemment salutaires, les lacunes mises en évidence par la guerre en Ukraine en masquent en réalité d’autres de la France, encore relativement peu visibles. À cet égard, si je salue le lancement de la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins – domaine d’innovation absolument capital pour l’avenir, comme le savent les Norvégiens qui ont été victimes d’un sabotage de leurs câbles sous-marins en novembre 2021 – je constate également que certains États disposent d’ores et déjà de capacités avancées en la matière, notamment les États-Unis et la Russie. La France, de son côté, a dû faire l’acquisition de drones sous-marins sur étagère. C’est le retour d’expérience majeur de la guerre en Ukraine pour l’innovation de défense : au-delà du rattrapage des capacités manquantes, il faut nous intéresser dès maintenant aux domaines d’innovation qui nous donneront non pas seulement aujourd’hui, mais également demain, les moyens de nous défendre, ce qui suppose de ne pas négliger les enseignements que nous pouvons tirer des conflits autres que la guerre en Ukraine, en particulier pour la future LPM.

M. Mounir Belhamiti (RE). Je souhaite vous interroger sur l’appréciation de l’évolution du risque cyber pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et pour nos armées. Votre rapport aborde les moyens alloués à la DRSD, mais également à tous les services de l’État qui concourent à l’élévation du niveau de cybersécurité de nos outils industriels et de nos armées. Comment évaluez-vous le suivi des recommandations émises par nos services, notamment auprès des industriels de défense ? Quelles orientations la future LPM devrait-elle comprendre à cet égard ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Selon vous, quel est le meilleur niveau pour organiser et piloter l’économie de guerre ?

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous avez évoqué les effets de l’inflation sur le projet immobilier de la DGSE. Alors que son coût dépasse 1 milliard d’euros, ce projet représente une forme de boîte noire couverte par le secret défense. Or, certaines matières premières ont connu une augmentation des prix de quasiment 100 %. Le secteur du bâtiment connaît un taux d’inflation largement supérieur à 4 % – ce qui représenterait déjà un surcoût de 40 millions pour un budget de 1 milliard. Quelle est votre estimation des surcoûts de ce projet en raison de l’inflation ?

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Vous parlez des efforts à mener en matière d’innovation. En 2019, un drone Patroller de type Male du groupe Safran s’est écrasé à l’occasion de son deuxième vol de réception industrielle. Les organisations syndicales de Safran, tout comme les salariés de Thales, nous ont signalé que les coûts de production, les cahiers des charges et les appels d’offres lancés par l’État dans ce domaine conduisaient à une sécurisation insuffisante de la production de ces matériels. Cela nous rend toujours plus dépendants du matériel étranger, notamment américain, pour nous fournir en drones tactiques de grande taille. Est-il prévu que les appels d’offres tiennent compte de cet accident, et que des crédits plus importants soient alloués aux groupes industriels afin qu’ils puissent produire dans de bonnes conditions le matériel dont nous avons besoin ?

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). La nécessité d’accélérer la production de nos armements est confrontée à un contexte réglementaire et législatif, qui nous contraint à respecter un certain nombre de règles de droit commun, portant notamment sur les marchés publics. Ne pourrions-nous pas envisager une modification législative ou des dérogations au droit commun pour accélérer les processus d’acquisition de certains matériels indispensables aux armées dans le cadre de l’évolution très rapide du contexte géostratégique ?

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Nos services, en particulier la DRSD, ont engagé depuis longtemps un travail approfondi sur le cyber et le numérique. En matière de transformation numérique, la DRSD s’est lancée dans la création d’une base de données souveraine, dénommée SIRCID, qui a donné lieu à de nombreux travaux et mobilisé des crédits importants. L’outil devrait être livré au cours de l’année 2023. La formation des agents et l’engagement des services pour s’approprier cet outil seront nécessaires. Il constituera un nouvel élément de souveraineté pour les années à venir.

En outre, la DRSD réfléchit au recours à des outils d’intelligence artificielle, qui représentent un appui important dans les missions d’habilitation de cette direction. Dans ce domaine, l’outil SPECTRE permettra d’utiliser davantage l’intelligence artificielle pour mieux identifier les profils et accompagner le travail des agents, tandis que l’outil ENF sera employé pour vérifier l’empreinte numérique des personnes.

Enfin, l’action de cyberdéfense se concentrera dans la création de centres CERT (computer emergency response teams), qui effectuent des missions de veille, d’alerte et d’accompagnement de la BITD dans les territoires. Une première expérimentation à Bordeaux a été concluante. Un CERT maritime a également été créé à Brest. Ces CERT régionaux au sein des territoires et des bases de défense françaises seront pilotés au niveau national.

Monsieur Thiériot, s’agissant de l’économie de guerre, une revue est en cours d’écriture et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) y tient cette année un rôle prédominant. La DGA contribue largement et à bon niveau aux travaux sur l’économie de guerre, en accordant une part importante aux sujets d’innovation. La DGRIS a également un rôle à jouer dans ce débat et ces travaux.

Monsieur Lachaud, le chantier des locaux de la DGSE est en effet important. Les installations du boulevard Mortier sont anciennes, et leur rénovation aurait coûté fort cher. Dès lors, il semblait logique d’envisager un déménagement. Le Fort de Vincennes s’est imposé dans les réflexions comme le site le plus adapté pour recevoir les locaux de la DGSE. Il y a des difficultés : il s’agit d’un site militaire, qui comprend une partie des archives du service historique de la Défense, dont le déménagement entrainera des coûts. En outre, beaucoup d’installations classées sensibles ou confidentielles entraîneront des travaux de sécurisation importants, dont une partie est classifiée. Vous avez raison de souligner que l’inflation sera forte dans le domaine du bâtiment. Si elle nous appelle à la vigilance, notamment dans le cadre de la LPM, nous ne pouvons en anticiper le niveau avec exactitude.

Monsieur Roussel, il ne faut pas tirer trop rapidement d’un accident la conclusion que les procédures seraient inadaptées ou que l’investissement dans l’innovation nous amènerait à prendre des risques. Néanmoins, j’ai pu interroger différents interlocuteurs sur la bonne manière d’innover en matière de drones. Dans le milieu maritime ou aérien, la tenue de tests impose de s’adapter aux réglementations en vigueur, notamment civiles, ce qui suscite parfois des aménagements complexes et chronophages. Ainsi, il serait utile d’identifier des solutions permettant de dérisquer en amont les démonstrateurs pour répliquer une même innovation sur différents prototypes. Le geocaging en est un bon exemple : lors du premier vol d’un démonstrateur de drone, ce dernier se pose immédiatement en dehors de certaines zones délimitées. Plutôt que d’appliquer un dispositif spécifique à chaque type de drone, un système unique pourrait permettre, dans la phase d’essai, de limiter l’évolution du drone dans une zone définie.

Enfin, Monsieur Royer-Perreaut, l’accélération des processus d’acquisition de certains matériels, s’agissant notamment des marchés publics, soulève la question des spécifications et des procédures de dérisquage. Nous devons éviter de surspécifier en amont certains éléments pour garantir une meilleure agilité. En greffant des dispositifs issus du monde civil sur des équipements militaires, avec des coûts d’intégration limités, l’exercice Polaris a présenté un résultat satisfaisant sans toutefois être optimum. De même, un missile qui aurait une allonge optimale de 90 % au lieu de 100 % resterait efficace.

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

 

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la sixième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation. Il suit à la lettre la trajectoire adoptée en loi de programmation militaire 2019-2025. Ainsi, pour 2023, les crédits de la mission Défense s’établissent à 43,9 milliards d’euros, soit 11,6 milliards de plus qu’en 2017, et 3 milliards de plus qu’en 2022. L’impulsion donnée dès 2017 a mis fin à l’érosion de notre outil militaire. Nos investissements ont permis à nos forces armées de renforcer leur supériorité sur les champs de bataille et de s’engager dans de meilleures conditions. La France aura ainsi pu rester crédible aux yeux de ses alliés, notamment européens.

Notre ambition pour 2030 n’a pas changé : permettre à notre pays d’intervenir en tout lieu, tant dans les champs matériels qu’immatériels et en tout temps, là où ses intérêts et sa sécurité sont menacés. Le budget pour 2023 suit ce cap. Il poursuit les efforts indispensables pour moderniser, renouveler et entretenir nos équipements grâce aux 38 milliards d’euros de commande militaire qui soutiendront le tissu économique national ainsi qu’à d’importantes livraisons – treize avions Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, dix-huit chars Leclerc et 264 véhicules blindés multirôles. Il permettra également d’inscrire notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre et de renforcer notre souveraineté. Ainsi, 2 milliards d’euros seront consacrés à la commande de munitions pour renouveler nos stocks. D’autres crédits sont affectés à la dissuasion nucléaire, à l’espace, aux grands fonds marins, à la cyberdéfense et au renseignement. Le soutien à la recherche et au développement ainsi qu’à l’innovation de défense renforce encore davantage notre autonomie stratégique.

Enfin, ce budget permettra d’améliorer le quotidien de nos militaires grâce aux crédits dédiés au plan famille ou à l’équipement du combattant.

La mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ne faiblit pas. En 2023, les droits acquis pour nos anciens combattants sont maintenus, de même que les moyens alloués à la politique de mémoire, sans parler du large soutien apporté à nos militaires blessés grâce à la pérennisation du dispositif des maisons Athos.

La nation n’oublie pas ceux qui s’engagent pour elle, corps et âme, et qui peuvent parfois être amenés, sur ordre, à donner la mort ou à la recevoir. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ces crédits.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le budget de la défense a longtemps été en chute libre. Nos armées ont chèrement payé les dividendes de la paix. Depuis plusieurs années, reconnaissons-le, l’érosion a pris fin et la trajectoire s’est maintenue. Cependant, le monde qui nous entoure a changé. La guerre est à nos portes et l’inflation s’est invitée dans nos débats budgétaires. Les 3 milliards que vous évoquez étaient peut-être, hier, un titre de gloire pour la majorité mais ils ne sont plus aujourd’hui qu’une goutte d’eau dans le budget de nos armées. Les défis sont nombreux. Ce budget aurait pu nous offrir l’occasion de retrouver une souveraineté nationale pour nos équipements et notre stratégie de défense, de rééquiper massivement nos armées, d’expliquer à ces hommes et à ces femmes qui défendent notre pays, qui se battent pour nous, que nous avions compris leurs demandes et que nous allions les satisfaire. Hélas, ce ne sera pas possible.

Ce budget arrive après des années de disette et de déséquipement pour nos armées. Son augmentation ne suffira pas à combler le retard. Lorsque l’on manque d’argent, il faut être pragmatique, non idéologue. Pas si loin de chez nous, la guerre n’est pas une hypothèse mais un risque avéré. La France doit être indépendante, aussi dans son équipement. Lequel voulons-nous ? Comment voulons-nous l’utiliser ? À quelles fins ? Notre décision doit demeurer souveraine. Les programmes SCAF et MGCS nous laissent perplexes. Au mieux, ils sont au point mort, au pire ils vont droit dans le mur. Reprenons la main, faisons confiance à nos industries pour préparer, fabriquer, concevoir nos équipements plutôt que de courir après des licornes européistes.

Votre action en faveur de notre armée est louable mais vous ne faites que le minimum syndical. Des livraisons auront lieu en 2023 pour nos forces terrestres, navales, aériennes et spatiales mais les livraisons de matériel vers l’Ukraine, la vente d’avions Rafale à la Croatie et à la Grèce, le retrait des Mirage 2000-C aggravent le manque de disponibilité des matériels. Le renouvellement des stocks de munitions à hauteur de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement ne sera pas suffisant. Ce n’est pas ainsi que nous relèverons un défi crucial pour notre souveraineté. La filière de munitions de petit calibre est totalement abandonnée. Il faudrait 100 millions d’euros pour repartir du bon pied.

Nos industries de la défense sont victimes, d’autre part, d’une énième ingérence américaine, puisque Exxelia vient d’être racheté par Heico. Sans être une entreprise d’armement, Heico est un sous-traitant qui participe à la fabrication de nos matériels. Que se passera-t-il quand les Américains géreront cette entreprise ? Restons vigilants et bloquons ces pillages organisés par des puissances impérialistes qui ont des vues sur notre défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation est marquée par une érosion budgétaire, qui peut s’expliquer par des raisons démographiques. Cependant, n’oublions pas que la plupart des indemnisations sont trop faibles ou ne profitent pas à toutes les personnes qui pourraient y avoir droit. Je pense aux harkis et à leurs familles, qui se battent pour une augmentation du montant de la réparation. Ces hommes et ces femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays, parfois au péril de leur vie ou de celle de membres de leur famille, méritent la reconnaissance de la France. Cette juste reconnaissance de la nation a tardé et ne nous semble toujours pas à la hauteur de ce qu’ils ont accompli pour nous.

En séance publique, un amendement pour défendre la demi-part des veuves d’anciens combattants a été adopté. Cette mesure de justice sociale doit être conservée. Or, on ne sait pas si, dans quelques instants, cet amendement ne disparaîtra pas dans le sillage du 49-3, au mépris de la volonté de la représentation nationale.

Enfin, les crédits de la mission Sécurités progressent de 6 % pour 2023 mais ce ne sera pas suffisant pour répondre aux enjeux de sécurité intérieure : l’explosion de la délinquance, l’aggravation du trafic de drogue, l’immigration incontrôlée et les problèmes d’insécurité qui en résultent jusque dans nos campagnes si l’on en croit le plan de relocalisation du Président de la République. Les Jeux olympiques de 2024 représentent un nouveau défi pour la sécurité, surtout après les événements du stade de France. Nous devons réformer la réserve de la gendarmerie en nous inspirant du modèle des armées, rénover leurs locaux, mieux équiper et recruter. L’implantation de 200 brigades n’est pas suffisamment détaillée.

Vous faites un petit pas là où il aurait fallu de grandes foulées mais parce que nous ne voulons pas priver nos armées du peu de moyens supplémentaires qui leur sont accordés, nous nous abstiendrons.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Je regrette que l’actualisation de la loi de programmation militaire, souhaitée par le Président de la République, ne suscite pas davantage de débats au regard de l’instabilité du contexte mondial. Alors qu’il convient d’arrêter des choix stratégiques, comme notre appartenance à l’Otan, les décisions seront prises dans l’intimité. De même, la tenue régulière d’auditions à huis clos pose un problème. Si les informations relatives à la défense sont confidentielles, est-il pertinent d’user d’un tel procédé à l’endroit de députés qui représentent le peuple ?

Notre groupe salue la progression du budget mais les fameux 3 milliards d’euros supplémentaires promis ne sont pas au rendez-vous. Ce budget ne tient pas compte de l’inflation, estimée à 4,2 % en 2023. Ne serait-ce que pour leur préparation opérationnelle, nos forces seront durement affectées. Le budget est par ailleurs amputé des 357 millions d’euros nécessaires à la revalorisation de l’indice de la fonction publique. Ces coûts supplémentaires auraient dû s’ajouter aux crédits et non s’y fondre.

Les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation ne cessent de faiblir. Pourquoi ne pas pérenniser le budget et affecter les sommes non dépensées du fait de la disparition de certains anciens combattants, à d’autres actions ? Nous proposerons des amendements en ce sens, pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques ou étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbaries durant la deuxième guerre mondiale et les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

Alors que le ministre annonce le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle, aucune mesure n’est prise en ce sens dans le budget pour 2023. Les 1 500 créations nettes de postes civils, notamment dans le renseignement ou la cyberdéfense, sont salutaires mais comment renforcerez-vous les effectifs opérationnels envoyés sur les théâtres d’opérations ? Nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences de l’insuffisance des capacités et des cessions pour la disponibilité de nos matériels. Par rapport au contrat opérationnel, la disponibilité des canons de 155 millimètres passe de 90 % à 58 %. Dans la chasse, celle des appareils passe à 69 %. Dans l’armée de l’air, seuls 65 % des objectifs d’intervention prévus par le contrat opérationnel ont été atteints. Quelles seront les conséquences de la cession d’une partie de nos lance-roquettes unitaires ? Nous ne remettons pas en question ces livraisons et ces cessions mais nous devons rester vigilants.

Concernant les fonds marins, les 3,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et les 3,1 millions d’euros en crédits de paiement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu que représente la maîtrise des fonds marins. Agissons dès maintenant en augmentant les crédits.

Pour ce qui est de l’espace, le projet de loi prévoit 702 millions d’euros de crédits de paiement en 2023, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. C’est louable mais certains défis sont oubliés, comme la météo spatiale et les débris, qui sont les principaux responsables de la dégradation de nos équipements.

Enfin, nous vous proposons de créer un nouveau programme, consacré à la transition énergétique et écologique. Le ministère a publié une stratégie Climat et défense, en avril dernier. Remplacer 150 chaudières qui représentent 10 % du parc, notifier deux contrats de performance énergétique, c’est bien, mais est-ce suffisant pour répondre au défi du dérèglement climatique ? Il est temps d’accélérer. Nous devons réfléchir à l’après-pétrole. Nous sommes bien conscients de la difficulté de s’approvisionner en biocarburants mais promettre que les avions utiliseront 1 % de carburant biojet en 2023 ne suffira pas.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote de ce budget qui, malgré tout, va dans le bon sens.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Notre responsabilité, au sein de cette commission, est immense. Pensons à ceux qui vivent sous les bombes en Ukraine, aux tensions qui persistent en Afrique, à nos hommes qui restent présents dans la bande sahélo-saharienne, à la compétition stratégique qui se joue sur l’ensemble du globe et dans tous les océans.

Gardons ces images en tête et remémorons-nous nos prédécesseurs qui siégeaient ici même en 1933, en 1936, en 1938, à l’heure où les périls croissaient en Europe, où les chars allemands occupaient la Rhénanie, où était décidé l’Anschluss. Les événements d’Ukraine nous renvoient à ces heures funestes : on meurt à la guerre à deux heures de Paris.

Le vote de ce budget est un symbole fort et essentiel. Nos démocraties doivent se défendre, notre sécurité doit être garantie, l’unité et la résilience de la nation sont essentielles. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à la bâtir.

Venons-en à ce budget : 3 milliards d’euros ne sont pas une goutte d’eau. Les engagements pris dans la loi de programmation militaire sont tenus, pour la première fois de notre histoire.

L’inflation, cependant, reste une réalité et emporte des conséquences pour notre projet de loi de finances dont la progression est plus proche des 2 milliards d’euros que des 3 milliards.

Nous avons pourtant tous cru aux dividendes de la paix et nous avons tous accepté de réduire les dépenses militaires. Il serait à présent irresponsable de ne pas voter ce budget. Le rendez-vous majeur sera celui de la loi de programmation militaire, en 2023. Elle devra mesurer les défis, les menaces et les intérêts français, ne rien sacrifier et tirer les leçons de la guerre en Ukraine. J’espère que le travail que j’ai réalisé avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité sera utile.

Nous voterons ce budget pour assurer la sécurité de ceux qui défendent notre pays, au péril de leur vie.

Mme Delphine Lingemann (Dem). L’objectif de la loi de programmation initiale, qui était de réparer, a été respecté. L’effort budgétaire pour la mission Défense s’inscrit dans cette continuité. En progression de 3 milliards d’euros, il s’élève à près de 44 milliards d’euros. Désormais, nous évoluons dans un contexte géopolitique profondément modifié par le conflit en Ukraine. La situation exceptionnelle nous commande d’accélérer l’effort de préparation des armées aux affrontements à haute intensité afin de gagner la guerre avant la guerre.

Les crédits de la mission reflètent les ambitions et les priorités portées par le chef de l’État, le ministre des armées et notre majorité, pour une année 2023 qui sera une étape intermédiaire entre la loi de programmation militaire en cours et celle qui sera votée pour 2024-2030 et qui intégrera les nouveaux enjeux stratégiques.

Notre groupe salue la continuité de l’action menée depuis 2017 grâce à un budget qui remet les femmes et les hommes de la défense au cœur de notre capacité de défense, améliore les conditions de vie et d’engagement grâce à la création de nouveaux postes, la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat et la poursuite du plan famille. Ce budget permet également de poursuivre les efforts engagés pour attirer et fidéliser les personnels, notamment par la conduite de la dernière étape de la nouvelle politique de rémunération des militaires. Les crédits de cette mission traduisent notre volonté de préparer l’avenir de nos forces armées en accordant une place singulière à l’humain et la priorité aux investissements dans les secteurs clés pour les conflits de demain : le renseignement, l’espace, le cyberespace et le numérique. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera les crédits de la mission Défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation accorde une place sans précédent aux publics qui relèvent des dispositifs de réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Nous nous en réjouissons et nous saluons le droit à pension des victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant le 1er janvier 1982. Cette mesure de justice était attendue. La revalorisation générale des pensions militaires, d’invalidité et de la retraite du combattant entrera en vigueur le 1er janvier prochain, avec un an d’avance. C’est louable.

La journée défense et citoyenneté bénéficiera d’un budget de 21,2 millions d’euros. Thucydide disait que la force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux mais dans le caractère de ses citoyens. La force de notre cité tient à sa force morale. Nourrissons-la pour qu’elle fasse battre le cœur de notre pays. Aidons nos jeunes à affronter l’adversité pour qu’ils deviennent plus résistants à l’épreuve, plus résilients au conflit.

Quant à la mission Sécurités, on compte 100 000 gendarmes d’active contre 150 000 policiers. Si les deux forces couvrent la même densité de population et poursuivent les mêmes objectifs de sécurité nationale, les gendarmes interviennent dans 96 % du territoire national contre 4 % seulement pour les policiers. Forte de près de 3 100 unités territoriales, la gendarmerie nationale est un atout majeur dans notre continuum géographique sécuritaire. Celui-ci doit cependant être renforcé par la création de 200 brigades et l’amorce d’une nouvelle étape dans la stratégie globale, par un schéma d’emploi ambitieux et une hausse des effectifs de la réserve opérationnelle – 50 000 réservistes à l’horizon 2027 – sans que celle-ci ne devienne une variable d’ajustement du budget de la gendarmerie.

Nous devons également donner à la gendarmerie les moyens de s’adapter aux nouvelles frontières de la délinquance en lui permettant d’être toujours plus moderne et innovante notamment sur le volet numérique et cyber et d’amplifier son action en passant d’une logique de guichet à une logique du pas de porte. Notre groupe votera ce budget qui inclut tous ces aspects.

Mme Anna Pic (SOC). Nous regrettons la baisse des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation mais nous reconnaissons qu’elle s’explique par la disparition d’anciens combattants. Il aurait été cependant préférable de les sanctuariser pour répondre aux attentes des associations représentatives. Surtout, alors que le Gouvernement s’apprête à revaloriser la valeur du point de pension militaire et la retraite du combattant pour un montant global de 41,6 millions d’euros, les crédits reculent de 107 millions d’euros dans le PLF pour 2023, ce qui trahit l’insincérité de ce budget.

D’autre part, les crédits globaux consacrés aux actions menées en faveur des rapatriés n’augmentent que de 6 millions d’euros alors que le droit à réparation, prévu dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis, augmente de 15 millions d’euros. Seule une hausse globale de 15 millions d’euros aurait permis de maintenir un budget constant et un niveau de crédit équivalent pour tous les autres dispositifs de soutien à l’égard des harkis.

Au cours de l’examen de la mission, nous défendrons l’augmentation des crédits de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) à hauteur de 1 million d’euros pour lui permettre d’honorer les engagements pris dans le cadre du dispositif de réparation institué par la loi de 2022. Nous serons attentifs au sort réservé à l’amendement qui tend à étendre le dispositif de la demi-part fiscale supplémentaire à tous les veufs et veuves d’anciens combattants. Par ailleurs, nous nous étonnons du transfert de dispositifs initialement dédiés à la jeunesse vers le service national universel. Il ne peut être confié à l’armée une mission éducative qui n’est pas la sienne.

Pour ce qui est de la mission Défense, le budget, en hausse, est conforme aux engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire. L’effort est indéniable mais le respect de la trajectoire de la LPM est faussé par l’inflation, évaluée à 4 % par le Gouvernement. De surcroît, les reports de charges annoncés supposent que nous devrons procéder à des rattrapages dans les prochains textes budgétaires. D’autres limites ont été posées à cette progression, ces dernières semaines. La première concerne l’effectivité de la montée en puissance défendue par le Président de la République dans le cadre d’une économie de guerre. En effet, elle impose d’intensifier l’effort dont nos principaux industriels ne cessent d’interroger la soutenabilité. Ils doutent également des capacités humaines et financières des PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent. De surcroît, la maintenance des nouveaux matériels d’ores et déjà livrés et utilisés par nos armées coûte plus cher et impose de former les personnels.

Nous saluons la nouvelle politique de rémunération des militaires qui clarifie les régimes indemnitaires mais un rééquilibrage entre la rémunération indiciaire et la rémunération indemnitaire s’impose pour répondre aux défis de l’attractivité et de la fidélisation.

Par ailleurs, il semble hasardeux de diminuer les autorisations d’engagement du programme de dissuasion à l’heure où la Russie menace de recourir à l’arme atomique, ce que les États-Unis prennent au sérieux.

Nous défendrons un amendement pour augmenter la dotation gazole allouée à nos forces armées pour supporter la volatilité des prix du baril, instaurer des modules de formation spécifique de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l’environnement, octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées.

Quant à la mission Sécurités, le Gouvernement répond en partie aux besoins mais la création de 200 nouvelles brigades pose la question de leur déploiement. Une implantation réfléchie, coordonnée et planifiée serait préférable à une mise en concurrence entre les collectivités locales pour leur obtention. Comment les brigades mobiles et les brigades fixes seront-elles réparties ?

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Yannick Favennec Bécot (HOR). En 2023, le budget des armées françaises augmentera, pour la sixième année consécutive. Depuis 2017, chaque année, la trajectoire budgétaire est conforme aux engagements pris dans le cadre de la LPM 2019-2025. Depuis mars 2021, les combats de haute intensité qui se déroulent aux portes de l’Europe, auxquels s’ajoutent une montée des tensions dans l’espace indo-pacifique et une reconfiguration du dispositif français en Afrique, appellent de nouveaux efforts. Les crédits de la mission Défense progressent de 3 milliards d’euros cette année pour permettre à nos armées de s’adapter et de réagir rapidement dans l’ensemble des théâtres d’opération mais aussi d’identifier les futurs enjeux sécuritaires. Il nous reste cependant beaucoup à faire et la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permettra de tracer une nouvelle trajectoire.

La France n’est pas seule. Elle agit avec ses partenaires européens et ceux de l’Otan. C’est pourquoi notre groupe salue la consécration, dans les dépenses de l’État, des programmes de coopération bilatéraux et européens pour développer de nouvelles technologies d’armement. À l’heure où certains brandissent la menace nucléaire, il est fondamental de renforcer les capacités de la France pour asseoir notre autonomie stratégique. Celle-ci grandira d’autant plus grâce à l’ensemble des nouveaux moyens consacrés sur terre, en mer, dans le ciel et l’espace.

Le programme 146 vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à l’accomplissement de leur mission et concourir au maintien des savoir-faire industriels français et européens. Rappelons, dans la perspective de la prochaine LPM, que nous devons donner à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) les moyens de comprendre les exigences des armées et la manière de s’adapter en cas de besoin. Les commandes sur le long terme donnent à notre industrie de défense la visibilité qui lui permet d’inciter toute la chaîne à réaliser les investissements nécessaires et éviter les ruptures capacitaires.

Au-delà du domaine capacitaire, l’examen de ce budget nous rappelle le caractère fondamentalement humain de l’action du ministère des armées. Notre groupe est sensible aux efforts engagés pour poursuivre le plan famille, accompagner et fidéliser nos soldats grâce à des indemnisations plus justes, et améliorer leurs conditions d’exercice. Nous devons cet effort à ceux qui consacrent leur quotidien à la protection des Français, parfois au péril de leur vie.

La mission Sécurités pour 2023 prévoit de renforcer les effectifs sur la voie publique et de porter une attention particulière aux territoires ruraux. Nous nous félicitons de la création de 200 communautés de brigades.

Enfin, la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation joue un rôle essentiel en ce qu’elle incarne l’hommage que la nation rend à nos armées pour l’engagement et les sacrifices de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Les actions portées par la mission témoignent de la reconnaissance de la nation envers les anciens combattants et visent à susciter l’adhésion de l’ensemble de la population aux enjeux et aux efforts consacrés à la défense et à la sécurité nationale.

Même si ce budget recule par rapport à l’année dernière, les crédits alloués à cette mission accompagnent la transformation profonde constatée par le monde combattant. Ils prennent en compte la diversification des pensions et des aides versées au-delà de la condition militaire aux victimes de guerre, d’attentats et à leurs familles.

Notre groupe salue les efforts de reconnaissance pour les harkis et l’extension du droit à pension aux victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant 1982.

La transformation du monde combattant tient compte de l’évolution des générations. Les combattants qui ont servi en Opex sont plus jeunes, encore actifs, et comptent davantage de femmes. Nous saluons aussi les dispositifs prévus pour réhabiliter les soldats le plus tôt possible, comme les maisons Athos.

Enfin, les efforts consentis pour la politique de mémoire à travers la restauration et la mise en valeur du patrimoine sont indispensables mais nous devons veiller à l’avenir des associations d’anciens combattants qui ont perdu pas moins de 300 000 adhérents entre 2014 et 2021.

Notre groupe votera ces crédits.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LIOT). Notre groupe votera ces crédits. Tous les parlementaires doivent envoyer un signal fort de soutien à nos militaires et au monde combattant. Cependant, ce vote ne doit pas être interprété comme un blanc-seing donné au Gouvernement.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, je salue l’adoption, en première partie, des amendements qui ont permis d’étendre le bénéfice de la demi-part fiscale. Cette véritable avancée corrige une injustice fiscale. Le financement de cette dépense fiscale sera-t-il maintenu et inscrit dès 2023 ? Nous regrettons en revanche que le budget continue à se contracter. De 2,5 milliards en 2017, il est passé à 1,9 milliard.

D’autre part, le service national universel est le grand oublié de cette mission alors que le monde combattant a un rôle à jouer auprès des jeunes. Le bleu budgétaire traduit la volonté du ministère des armées de prendre part à sa montée en puissance mais aucun crédit budgétaire n’est fléché en ce sens.

La mission Défense m’inquiète. Les 3 milliards de hausse ne sont qu’un trompe-l’œil budgétaire. Les crédits doivent être relativisés au regard des reports de charge, du coût de la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique et de l’inflation.

Concernant les renseignements, à l’heure des conflits de haute intensité, l’enveloppe de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) progresse en 2023 après une baisse de près de 4 % de ses crédits de fonctionnement et d’intervention l’an dernier. Les failles du passé ne pèsent-elles pas sur nos échecs ?

L’incapacité des services à prévoir l’invasion russe de l’Ukraine, les coups d’État au Sahel ou la trahison de l’Australie dans l’affaire des sous-marins conduit à s’interroger. Il faudrait que le ministère se positionne clairement sur nos objectifs en matière de renseignement : veut-on simplement se mettre à niveau ou rattraper nos concurrents ?

S’agissant de la BITD, nos industriels vont être extrêmement sollicités, alors même qu’ils sont affectés par l’inflation. Nous devons faire face à plusieurs demandes : l’appui continu à l’Ukraine, la reconstitution des stocks de nos armées, la livraison des commandes aux États. L’accès au financement bancaire demeure difficile, surtout pour les PME. Les négociations entre Bercy, les banques et les entreprises n’ont pas permis de faire avancer les choses. Il est difficile, dans ces conditions, d’élaborer une nouvelle feuille de route pour notre tissu industriel militaire. Ce sont autant d’enjeux qui nécessitent de rectifier le tir au moyen d’une nouvelle LPM.

Notre groupe tient à saluer l’effort engagé en faveur de la gendarmerie nationale, dont les crédits avoisinent désormais 10 milliards. Les gendarmes avaient dû faire face à une contraction violente du nombre des brigades, qui étaient passées de 3 600 à 3 100. Nous saluons la création, prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), de 200 nouvelles brigades. Notre groupe attend encore des éclaircissements sur les efforts qui seront menés en faveur des territoires. La concertation évoquée avec les élus locaux va dans le bon sens, mais se traduira-t-elle par des financements permettant de répondre aux spécificités de chaque territoire et aux demandes des élus locaux ?

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*      *

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission Défense.

M. le président Thomas Gassilloud. La commission est saisie de vingt-neuf amendements. Sur les quarante-neuf qui avaient été initialement déposés, sept ont été retirés et treize ont été déclarés irrecevables, soit parce qu’ils comportaient des erreurs dans les mouvements de crédits ou leur justification – c’est le cas des amendements nos 32, 36, 37, 38, 40 et 44 –, soit parce qu’ils ne relevaient pas du domaine des lois de finances – cela concerne les amendements nos 9, 15, 19, 20, 21 et 22. Enfin, l’amendement no 13 relevait du compte d’affectation spéciale Pensions.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN7 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). La mission Défense prévoit pour 2023 une dotation en gazole de 33 036 867 euros, correspondant à un volume de 20 600 mètres cubes pour nos forces armées, en très légère augmentation par rapport au PLF pour 2022. Le Gouvernement table sur un prix du baril de pétrole de 88 euros. Cette prévision ne tient pas compte de la grande volatilité des cours liée à l’évolution du marché, qui est actuellement fortement affecté par la dégradation de l’environnement international. Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose d’augmenter de 5 % la dotation gazole allouée à nos forces armées, pour un montant de 1,651 million. Cette somme tient compte de l’augmentation des tarifs de cession ainsi que du volume de carburant nécessaire à l’activité de nos forces armées en 2023, qui pourrait s’accroître.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement est utile, car le cours du brent a été manifestement sous-estimé dans le projet de budget, comme il l’avait été l’année dernière. Si le montant de 1,651 million est insuffisant pour compléter le reste à charge de nos armées, c’est tout de même mieux que rien. Avis favorable.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Cet amendement, comme les trois suivants, témoignent de la volonté qui nous anime toutes et tous que les forces armées aient les moyens de leurs ambitions. Cela étant, les montants proposés – 1,6 million, 50 millions, 200 millions… – montrent combien nos prévisions divergent concernant la volatilité du cours du baril. Il ne faut pas laisser croire que nos armées ne disposent pas de moyens suffisants et que nous n’avons pas la possibilité de réabonder en cours d’année la ligne budgétaire des carburants, faculté prévue par l’article 5 de la LPM. Au nom de mon groupe, je vous invite donc à repousser cet amendement, comme les trois suivants.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le service de l’énergie opérationnelle (SEO) détient un compte de commerce abondé par le programme 178, qui lui sert à acheter l’essence et à la revendre à ses utilisateurs – nos armées, les armées alliées ou des entreprises privées effectuant en particulier des essais. Ce compte a été abondé cette année à hauteur de 600 millions ; il peut présenter un découvert d’un montant maximal de 125 millions. Fin août, le compte de commerce étant à zéro, le SEO a dû utiliser son découvert en veillant à ne pas dépasser la limite fixée. Il ne peut y parvenir qu’en ponctionnant d’autres lignes du programme 178, ce qui met en tension la totalité de ce programme. C’est cela que nous voulons éviter. Le Gouvernement aurait pu choisir d’activer l’article 5, mais il ne l’a pas fait cette année. Il aurait pu aussi, dès juillet, augmenter la ligne dédiée à l’essence dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR). J’espère que le PLFR de décembre abondera ce programme.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à abonder les crédits destinés à la préparation des forces navales. Le respect du contrat opérationnel pour la fonction de protection n’est que de 89 %, soit le niveau le plus faible de toutes les forces armées. Les autorisations d’engagement en matière de préparation des forces navales sont en forte diminution – de près de 32 %, soit d’environ 1,3 milliard –, ce qui montre que l’on envisage un contrat opérationnel général plus faible pour la marine en 2023. Le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l’indique le projet annuel de performances (PAP) Défense, « le niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir jusqu’en 2025, le parc des moyens aériens et maritimes restant quantitativement équivalent ». Ce taux de couverture restera donc très faible.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement et les suivants, qui ont trait au renforcement de nos moyens pour la marine nationale, présentent des objectifs louables mais proposent des moyens discutables. Je comprends mal le gage sur lequel reposent les amendements de Mme Pic et de Mme Galzy qui visent à abonder l’action 03, Préparation des forces navales, du programme 178 d’un montant, respectivement, de 5 millions et de 1 million. Vous prélevez ces sommes sur l’innovation et le soutien à nos forces alors qu’on a montré à quel point ces domaines sont essentiels à la marine nationale. Dans le même ordre d’idées, une série d’amendements du Rassemblement national vise à abonder le programme des sous-marins ou celui des patrouilleurs océaniques en prélevant les crédits sur la journée défense et citoyenneté, qui est une brique essentielle du lien entre l’armée et la nation. Enfin, l’amendement de M. Tanguy me semble redondant avec celui de ses collègues puisqu’il vise à l’acquisition de deux patrouilleurs outre-mer (POM) supplémentaires.

La majorité présidentielle apporte une grande attention à la ZEE et aux territoires d’outre-mer (TOM), comme le montre l’accroissement des moyens de notre armée, tant dans le budget que dans la loi de programmation en cours. Il est prévu d’acheter cinq POM supplémentaires, le premier étant en essais à Brest et devant être livré en 2023. Un sixième bateau est prévu pour 2025. Le PLF affecte à cette fin 1,4 milliard en AE et 114 millions en CP. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons votera contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Comme l’exposé sommaire l’indique, le gage nous est imposé par l’article 40 de la Constitution. Nous espérons que le Gouvernement, conscient de la nécessité de préserver les crédits de l’ensemble des programmes, le lèvera.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous voterons en faveur de l’amendement, car il vise à accroître le budget de la défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons des modules de formations spécifiques pour sensibiliser les armées à la préservation de l’environnement. L’amendement abonde à cette fin les crédits en faveur de la formation.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement reprend une proposition d’un rapport d’information de Mme Santiago et de M. Fiévet qui avait été adopté par notre commission. Il est toujours utile de former aux enjeux climatiques. Avis favorable.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je doute de la pertinence des amendements portant sur la transition écologique et énergétique de nos armées. En effet, celles-ci sont déjà fortement engagées en la matière. Le ministère des armées a une responsabilité particulière en matière d’environnement, en sa qualité de premier propriétaire foncier de l’État. Il assume parfaitement ce rôle, comme le montrent les mesures qu’il prend en faveur de la sobriété et de la transition énergétique. Ces actions sont formalisées dans le cadre d’une stratégie ministérielle pour la performance énergétique visant à réduire la dépense énergétique des infrastructures du ministère et à développer l’utilisation d’énergies renouvelables et de capacités d’autoproduction.

Ces mesures représentent 114 millions en AE et 58 millions en CP dans le PLF2023 pour le plan Place au soleil. On relève 18 contrats de performance énergétique, 50 millions pour le plan Eau, un fonds d’intervention de 3 millions pour l’environnement et plus de 10 millions prévus en 2023 pour le remplacement progressif d’ici à 2031 de près de 1 600 chaufferies au charbon ou au fioul. Mentionnons aussi les zones classées Natura 2000, les missions de lutte contre la pollution de la marine nationale ou encore les partenariats du ministère des armées avec diverses organisations protectrices de l’environnement et de la biodiversité.

Dans le cadre de l’élaboration du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, j’ai été témoin, avec Isabelle Santiago, de cet engagement, qui a permis la restauration de 700 hectares de pelouses sèches, la protection de 3 hectares de milieux humides et la réinsertion d’une espèce d’oiseau protégée, l’outarde canepetière, sur le camp de la Valbonne, grâce au programme Life.

De leur formation jusqu’à leur camp de base, les militaires sont sensibilisés aux enjeux environnementaux. Plusieurs bases ont signé des conventions avec les agriculteurs pour permettre à leurs animaux de venir pâturer sur les terrains militaires. Enfin, je suis convaincu que nos soldats sont aussi sensibilisés, en tant qu’individus, à ces enjeux.

Il faut accompagner le ministère dans ses initiatives. Je ne crois pas que les mesures proposées par les amendements II-DN11 et II-DN12, ni le fléchage auquel invite l’amendement II-DN10, constituent des dépenses pertinentes. Nous voterons donc contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Je me réjouis que le ministère engage des investissements et soit sensibilisé à l’environnement, mais l’amendement vise à abonder une ligne précise : l’action 08, Politique culturelle et éducative, du programme 212.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Dans le cadre de leur formation initiale, nos militaires sont sensibilisés à l’environnement. Il est quelque peu choquant de vous entendre dire que les formations sont mal faites et que nos soldats ne sont pas sensibilisés à l’écologie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont très respectueux de l’environnement. Votre amendement, à cet égard, n’est pas recevable.

Mme Anna Pic (SOC). À aucun moment je n’ai dit que les soldats étaient mal formés, mais il me paraîtrait utile de prévoir une formation tout au long de la vie sur la sensibilisation à l’environnement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cher Jean-Michel Jacques, il ne vous revient pas de juger de la recevabilité d’un amendement : je vous remercie de bien vouloir respecter le travail de vos collègues.

Cet amendement ne vise pas à remettre en cause les formations destinées aux militaires mais à en faire davantage pour l’environnement. Je me souviens d’un chef d’état-major pour qui l’armée de terre s’y connaissait en écologie puisque les soldats étaient tous habillés en vert… Un peu de formation tout au long de la vie ne peut pas faire de mal !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’un des scénarios proposés par la Red Team Défense montre comment nos forces pourraient être très rapidement mises en difficulté si elles ne disposaient plus de moyens de ravitaillement. L’enjeu de leur indépendance sur le champ de bataille est pris très au sérieux par les militaires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cet amendement n’est que de l’affichage. L’efficacité opérationnelle de nos armées dépend de leur capacité à se fondre dans tous les milieux : le bateau qui laisse des ordures derrière lui ou le fantassin qui ne respecte pas la nature sera le premier à se faire détecter. Par ailleurs, Monsieur Lachaud, en disant que l’amendement n’était pas recevable, notre collègue Jean-Michel Jacques s’attachait à l’esprit du droit, et non à un problème de recevabilité.

M. Jean-Michel Jacques (RE). En effet, je ne me prononçais pas sur le plan légistique mais sur le fond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN23 de M. Aurélien Saintoul et autres

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Il s’agit de créer un programme dédié à l’adaptation du ministère des armées aux conséquences du changement climatique, dans le but d’intégrer un nouveau logiciel de réflexion au sein de nos armées et d’y associer des moyens spécifiques. En 2020, la consommation de carburant représentait 76 % de la facture énergétique de la défense, qui s’élève à 840 millions d’euros. Il est donc nécessaire de trouver des alternatives, notamment lorsque les ambitions en matière de recours au biocarburant ne s’élèvent qu’à 1 % dans le PLF pour 2023. La création de ce programme permettra de financer la réalisation d’une étude d’impact de l’empreinte carbone des trois armées et de préciser comment assurer notre défense en recourant moins aux énergies fossiles, en adaptant nos équipements et nos méthodes d’intervention, et en vérifiant la qualité des locaux hébergeant nos trois armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Les services de nos armées, qui ont tous conscience des enjeux de la bifurcation écologique et souhaiteraient agir, sont bien souvent limités par l’absence de budget dédié. La création de ce programme permettrait d’y remédier.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faudra me donner le nom du cabinet qui fait l’étude d’impact pour 1,3 million : vu le prix, c’est probablement McKinsey ! Considérant tous les manques que nous avons constatés dans l’armement et qu’il faut financer, il faut arrêter de faire des propositions de ce type. Dépenser de telles sommes pour faire des études paraît incongru. Nous voterons contre.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Les armées sont déjà engagées dans un effort de bifurcation pour réduire leur dépendance énergétique. Cela fait partie de la préparation de l’avenir et, à court terme, le plan d’investissement immobilier dans les bâtiments publics, en particulier dans l’immobilier de la défense, est déjà engagé. Je le constate dans ma circonscription avec la rénovation thermique de plusieurs bâtiments qui abritent nos soldats.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je suis un peu ébahi de constater que, une fois de plus, l’amendement est gagé sur le programme 144. En l’occurrence, s’il y a bien un programme dans lequel on fait de l’innovation sur les carburants et sur la transition écologique des armées pour penser le futur et préparer l’avenir, c’est bien celui-ci ! Il y a là une incohérence de fond qu’il est difficile de comprendre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens alloués à la sécurisation des fonds marins. La France, deuxième puissance maritime au monde, a besoin de moyens de surveillance pour protéger ses câbles sous-marins et ses ressources.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La maîtrise des fonds marins nécessite des moyens de surveillance des grandes profondeurs mais aussi d’intervention. Ces capacités existent : a été nommé auprès du sous-chef Opérations un adjoint en charge de maîtrise des fonds marins, tandis que des sociétés travaillent activement à développer des moyens d’actions dans les grands fonds. Enfin, une mission flash aura pour objet de tirer un certain nombre d’enseignements sur ce sujet et nous permettra d’enrichir la future LPM. Je vous propose de rejeter cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Le SSA (service de santé des armées) continue de souffrir des suppressions d’effectifs réalisées lors de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et a été très fortement mis sous tension lors de la pandémie. Il est désormais nécessaire de lui donner des moyens supplémentaires pour remplir ses missions, notamment dans la perspective d’un conflit de haute intensité.

Mme Corinne Vignon (RE). L’augmentation de 1,3 million d’euros prévue dans le PLF pour 2023 permettra au service de santé des armées de commander une plateforme logistique santé, d’engager un effort sur la sécurisation des HIA (hôpitaux d’instruction des armées) et d’acquérir les équipements nécessaires pour moderniser les unités médicales opérationnelles et les antennes de réanimation ou de chirurgie de sauvetage.

L’article 42 du PLF corrige en outre une inégalité de traitement entre les personnels du SSA. Ceux qui sont en fonction dans les hôpitaux interarmées perçoivent le CTI (complément de traitement indiciaire) instauré à la suite du Ségur de la santé. Une majoration de traitement indiciaire est donc créée pour les personnels soignants relevant du ministère des armées mais n’exerçant pas directement en milieu hospitalier et qui, de ce fait, étaient privés du CTI.

Enfin, avec le retour de la haute intensité des conflits en Europe, la LPM nous permettra de réviser les capacités des SSA.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Il vise à interpeller le Gouvernement sur les raisons de la réduction du budget alloué aux moyens de simulation de notre dissuasion nucléaire – moins 30 millions d’euros en autorisations d’engagement et moins 70 millions d’euros en crédits de paiement –, alors que cet outil est indispensable pour préserver la crédibilité de nos forces nucléaires, sans laquelle la dissuasion ne remplit plus sa mission.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Depuis 2017, les crédits consacrés à la dissuasion ont augmenté de 47 % – ils s’élèveront à 4,6 milliards en 2023 – tandis que ceux dédiés à la simulation ont augmenté de plus de 50 millions d’euros : c’est considérable. La légère baisse prévue pour 2023 est en ligne avec les besoins exprimés par les porteurs du programme : il n’y a donc pas d’alerte particulière sur notre capacité à simuler notre arsenal dissuasif.

Par ailleurs, pour financer votre amendement, vous ponctionnez des crédits de la journée défense et citoyenneté, ce qui est contreproductif au regard des objectifs qui devraient normalement tous nous rassembler.

M. Loïc Kervran (HOR). L’excellence de la France dans le domaine de la simulation permet de comprendre la baisse des crédits. Tous les outils qui ont été développés – laser Mégajoule, installation radiographique Epure, supercalculateurs Tera, réacteur d’essai RES – ont permis d’en réduire considérablement les coûts.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN33 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Les tensions sur la disponibilité des hélicoptères font que nous n’atteignons pas les objectifs en heures de vol fixés par la LPM. Il convient de renforcer nos investissements dans ce domaine afin d’être toujours plus opérationnel et efficace. Il est donc proposé de prélever 3,35 millions d’euros sur le budget des dépenses de personnel des cabinets pour augmenter le budget consacré aux hélicoptères NH90.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Votre amendement ne relève pas du programme 146 mais du programme 178 puisqu’il concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO). Par ailleurs, vous le financez en prélevant sur des crédits qui n’ont aucun rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). La capacité de projection est capitale pour nos armées. Avec le retour des guerres de haute intensité, le transport de matériel lourd retrouve toute son importance. Après le retrait du C160 Transall, l’A400M est devenu un atout précieux, qu’il convient de prioriser au sein du budget. Il nous semble donc judicieux de prélever des crédits sur le budget consacré au cabinet ministériel pour les investir dans l’A400M.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’A400M ne connaît pas de problème d’approvisionnement : la trajectoire est respectée à la lettre et l’armée de l’air et de l’espace recevra en 2023 son vingt-deuxième A400M. Par ailleurs, vous prenez sur les crédits des cabinets pour financer un renforcement potentiel de programmes qui fonctionnent déjà. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN35 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Nos sous-marins sont un atout décisif pour surveiller et protéger les mers et les océans. En cas de guerre de haute intensité, la France, deuxième surface maritime mondiale, sera inévitablement menacée sur son territoire maritime. Notre flotte doit donc demeurer opérationnelle et être capable d’intervenir partout et rapidement afin de protéger notre intégrité nationale. L’entretien régulier de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda coûte cher et nécessite des investissements toujours plus importants. Nous proposons de supprimer la journée défense et citoyenneté (JDC), anecdotique dans la vie des Français et donnant peu de résultats, et de transférer les crédits correspondants au programme d’investissement dans les sous-marins.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je ne peux pas laisser dire que la journée défense et citoyenneté est anecdotique : je vous invite à vérifier les effets de ce dispositif et, plus largement, du service national universel (SNU).

Concernant votre amendement, je suis assez étonné : l’action consacrée aux Barracuda est la sixième action la mieux dotée du programme 146. Il n’y a pas de besoin ni de difficulté dans les livraisons, qui suivent leur cours. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En matière de construction navale, il y a des réalités : les capacités des bassins et des ateliers à produire et à sortir les bâtiments. La construction des SNA et le déroulement du programme Barracuda répondent à une planification d’une finesse incroyable, qui n’autorise aucun retard ni aucune commande supplémentaire, car nous enchaînerons ensuite avec le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) 3ème génération. Cet amendement doit être rejeté.

M. Laurent Jacobelli (RN). Alors que nous discutons des amendements depuis un long moment, j’en tire trois conclusions. Premièrement, aucun amendement de l’opposition ne sera adopté.

Deuxièmement, vous confondez systématiquement les gages avec un transfert de dépenses – vous pouvez arrêter maintenant, je crois que nous avons compris votre message et votre entêtement.

Troisièmement, les marques de mépris ne devraient pas être affichées dans cette commission. On peut ne pas partager le même avis : nous pensons que la journée défense et citoyenneté ne sert absolument à rien : on ne devient pas patriote en un jour, on ne prend pas conscience de la défense nationale en un jour, et il faudrait réformer le SNU, qui est une gigantesque colonie de vacances. Vous faites de l’affichage ; nous faisons du fond. Essayons de faire un travail sérieux !

M. Christophe Blanchet (Dem). La JDC est utile à au moins deux titres : d’une part, elle constitue à 25 % la base de recrutement des armées et, d’autre part, elle permet d’identifier les décrocheurs. Si le parcours n’est pas encore efficace à 100 %, il permet tout de même d’en aider quelques-uns. Quant au service national universel, il contribue à faire de nos jeunes des Français qui s’investissent dans le devoir de mémoire et développent leur esprit patriotique. Vivez l’expérience de l’intérieur, comme je l’ai fait à plusieurs reprises : vous pourrez ainsi la critiquer.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous nous accusez de faire de l’affichage, tout en jugeant insuffisante la marche budgétaire à 3 milliards : cela n’a pourtant rien de négligeable et s’inscrit dans la trajectoire de 300 milliards fixée par la LPM pour porter le budget de la défense à 2 % du PIB. C’est un effort auquel les Français consentent parce qu’ils sont tout à fait conscients de la nécessité que nos armées montent en puissance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je crois que vous avez parfaitement résumé le problème de fond : vous estimez que ces 3 milliards sont un pas en avant suffisant. Nous considérons qu’avec l’inflation et les reports de charges, ces 3 milliards ne font qu’assurer la continuité. Il n’y a pas de véritable progression, alors que nous avions beaucoup reculé dans les années passées. Ce que vous faites mine de ne pas comprendre, c’est que les différents amendements ne sont pas des transferts mais des demandes d’augmentation de budget, pour fournir davantage d’équipements à nos armées. Ce budget, même s’il est en augmentation sur le papier, n’est pas suffisant. Si vous continuez à nous sortir les mêmes éléments de langage pour éviter le débat, nous allons tourner en rond pendant deux heures !

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez voté une LPM à 300 milliards, certes, mais avec pour seul objectif d’atteindre les 2 % du PIB. Or ce seuil n’a été atteint qu’à la suite de l’effondrement du PIB consécutif à l’épidémie de covid-19 : cela démontrait bien l’inanité d’un tel objectif. Alors que le ministre affirme vouloir co-élaborer la prochaine LPM avec les oppositions, vous ne voulez absolument rien entendre de nos propositions concernant le budget : cela augure mal de la suite. De plus, puisque, à vous entendre, tout va très bien, pourquoi faire une nouvelle LPM ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au terme prévu de 2025 ?

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous avez raison : nous avons déjà atteint les 2 % du PIB ; et pourtant, ce n’était pas l’objectif principal. Notre effort d’investissement porte essentiellement sur les équipements et la part du budget qui leur est affectée est considérable comparée à celle des autres pays européens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Pensez-vous que le contexte économique et géopolitique n’a pas évolué depuis 2017 ? Il y a eu des changements majeurs – crise sanitaire, guerre en Europe… Votre LPM n’est pas l’alpha et l’oméga en toute chose. Nos armées sont dépourvues en matériel, en formation et en munitions. Certes, la LPM est respectée à l’euro près, mais ce n’est pas suffisant. De plus, l’inflation n’a pas débuté en 2022, elle a existé aussi entre 2018 et 2022 : cela aussi consomme du crédit.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Alors que l’on nous avait vendu cette LPM à hauteur d’homme, on nous explique aujourd’hui que l’essentiel de ce texte consiste en investissements dans du matériel. À quoi sert d’avoir du matériel si nous n’avons pas de soldats formés pour le manœuvrer ? Or nous rencontrons un vrai problème de fidélisation. Force est de constater que les 3 milliards, qui plus est grevés par l’inflation, ne tiennent pas compte de la globalité du problème.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à poser une question aux membres des groupes liés à la majorité : êtes-vous disposés à accepter ne serait-ce qu’un amendement de l’opposition ou bien avez-vous décidé de tout rejeter et de camper sur vos positions ?

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les forces françaises étant dépendantes de l’importation pour les munitions de petit calibre, il est primordial de retrouver une filière souveraine de production dans ce domaine. Or le budget ne traite pas de ce problème. Pour y remédier, nous vous proposons de débloquer 100 millions en les prélevant sur les crédits de la journée défense et citoyenneté. Puisque je dois vous expliquer la politique des gages, nous souhaitons que le gage ne soit pas levé et que le Gouvernement comprenne l’importance de ces munitions.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous invite à ce que l’on échange dans le cadre des groupes de travail sur la future LPM car c’est un sujet légitime. Certains sujets comme l’agenda de relocalisation relèvent du débat sur l’économie de guerre. Remettre en place ces filières en France nécessite des changements structurels importants : ce sont donc des sujets LPM. Il faudra en débattre en amont de manière un peu plus structurée que dans le cadre du PLF pour 2003. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les machins qui ne servent à rien peuvent être des sources d’économies. L’Agence européenne de défense, censée faire travailler vingt-six pays sur des projets d’armement, écrivait elle-même que ces rapprochements n’avaient pas lieu, signant ainsi le constat de sa propre incapacité. Quand les pays veulent travailler ensemble, ils peuvent le faire : pas besoin d’une agence pour les y forcer. Vous cherchez des économies pour financer des programmes pour nos armées : je vous en propose pour 7,5 millions.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cette fois-ci, vous essayez de supprimer des crédits de manière pure et simple, en estimant que l’Agence européenne de défense ne sert à rien. On peut en débattre sur le fond mais cette agence finance le Fonds européen de la défense, qui a eu un rôle non négligeable dans l’organisation des livraisons d’armements à l’Ukraine, qui soutient l’effort d’innovation et de construction de programmes conjoints et qui renforce la BITD européenne. Je ne peux pas comprendre qu’on annule purement et simplement, sans autre projet, une agence européenne qui, en dépit de difficultés, remplit des missions essentielles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit d’un amendement d’alerte.

Le brouillage et le leurrage des signaux GNSS sur le champ de bataille sont des menaces désormais clairement identifiées, qu’elles émanent de forces irrégulières équipées de brouilleurs achetés sur internet ou de plus grandes puissances. Les capacités en matière de guerre électronique de pays comme la Russie nous montrent qu’il ne faut pas compter sur le seul réseau satellitaire pour la géolocalisation de nos systèmes. La tentation de renforcer les receveurs, incarnée par le programme européen Omega (Opération de modernisation des équipements GNSS des armées), nourrit une fuite en avant : s’il est nécessaire de sécuriser les receveurs à usage militaire, ces derniers ne sauraient être une solution réellement efficace.

La France a la chance de disposer de deux industriels en mesure de fournir des solutions inertielles haute performance, c’est-à-dire capables de naviguer de manière autonome, sans signal GNSS, avec une dérive dans le temps opérationnellement acceptable. Le budget alloué au programme Omega aurait suffi à équiper de telles centrales une part conséquente de notre parc de véhicules terrestres.

À l’heure du combat collaboratif dans le cadre du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), perdre les données de navigation d’un véhicule peut avoir de graves conséquences opérationnelles. Nous invitons donc les décideurs publics à équiper rapidement nos véhicules de solutions inertielles.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement d’appel vise à interpeller le Gouvernement sur la capacité de nos armées à surveiller nos zones économiques exclusives (ZEE). La marine nationale n’a pas les moyens de le faire et les pillages halieutiques dans l’océan Indien, notamment au large des îles Éparses, représentent un gros enjeu économique et environnemental. La France, puissance maritime mondiale, doit doter sa marine en patrouilleurs et réaliser des investissements dans les nouvelles technologies.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN47 de M. Frédéric Boccaletti et autres

M. Frédéric Boccaletti (RN). Je serai très bref, puisque tous les amendements de l’opposition vont être rejetés, quel que soit le groupe dont ils émanent. Je regrette que le sectarisme de la Macronie ait fait son apparition dans cette commission, où les choses se passaient très bien jusqu’à présent. Il faut dire que c’est la première fois que nous procédons à des votes : dès qu’il y a de la démocratie, cela dérange la Macronie !

Une commission d’enquête du Sénat a dévoilé en mars 2022 que les dépenses de l’État en prestations de conseil avaient été multipliées par trois entre 2018 et 2021 et que 18,2 % d’entre elles concernaient le ministère des armées en 2021. Parmi les cabinets qu’il emploie, des américains, des britanniques et des néerlandais ; bref, des puissances étrangères sont mêlées aux affaires militaires nationales.

Pour 2023, ce budget est en augmentation de 3,92 % pour atteindre près de 90 millions d’euros. Le contexte géopolitique nécessite de revoir nos priorités stratégiques et les financements doivent servir en priorité à rendre opérationnelles nos armées. En revenant au niveau de 2018, on économisera plus de 60 millions que nous proposons de reverser à la marine nationale.

L’amendement sera rejeté, mais je le redéposerai en vue de la séance.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il y a méprise : le budget des cabinets de conseil, qui était de 50 millions l’an dernier, est sur le poste du secrétariat général pour l’administration (SGA). Là, vous retirez des crédits au cabinet du ministre : vous le privez de tous ses moyens d’agir. Je vous propose donc de retirer votre amendement et de revoir en vue de la séance le poste budgétaire visé.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Il vise à revaloriser de 3 millions d’euros le budget alloué à la hausse du nombre d’apprentis dans les armées, en réduisant d’autant la contribution française à l’Agence européenne de défense (AED).

Le développement de l’apprentissage est un objectif partagé par l’ensemble des groupes politiques. Un effort supplémentaire serait bénéfique pour les jeunes et pour nos armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Défavorable. L’apprentissage n’est pas la bonne solution aux problèmes d’attractivité et de fidélisation au sein de nos armées. La moitié des contrats d’apprentissage aboutit à une rupture avant terme.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-DN49 de M. Jean-Philippe Tanguy.

 

Amendement II-DN50 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Dans le contexte international actuel, marqué par le retour de la guerre en Europe, il est indispensable d’assurer la bonne préparation de nos forces. L’effort budgétaire consenti cette année à cette fin est insuffisant.

Le budget prévoit une diminution de 2,1 millions d’euros des crédits de paiement alloués aux systèmes d’information et de communication (Sic), mais une hausse de 1,9 million de ceux des cabinets du ministère des armées – sans doute principalement pour compenser l’inflation, mais il faut un effort supplémentaire. Vous avez parlé de soutien à nos forces armées et d’efforts sur les équipements : soyez cohérents. Nous proposons que les fonds nécessaires à cette hausse soient symboliquement transférés vers les Sic, enjeu structurant, y compris pour la dissuasion. Ceux d’entre vous qui connaissent le terrain savent combien la communication est essentielle en matière opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne connais pas la justification de la baisse. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN51 de M. Julien Rancoule et autres

M. Julien Rancoule (RN). Il s’agit d’abonder de 18 791 578 euros l’action 06-14, Assurer la crédibilité de la dissuasion M51, du programme 146. Vu le regain de conflictualité déstabilisant le continent européen, il apparaît absolument nécessaire que la France consolide sa dissuasion nucléaire, garante de notre sécurité et de notre indépendance.

Pour des raisons de recevabilité, la somme est prélevée sur le budget alloué à la journée défense et citoyenneté du programme 212, Soutien de la politique de la défense. En effet, à l’heure du développement du SNU, les JDC sous leur forme actuelle perdent en pertinence. À mon collègue qui les vantait, je dirai que ce n’est pas le rôle de l’armée de détecter le décrochage et qu’il sous-estime nos enseignants, les plus à même de le faire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous rassure : les M51.3 sont soutenus à hauteur de 809 millions d’euros dans le PLF pour 2023 et les travaux sur le quatrième incrément seront lancés en 2023. Avis défavorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les enfants sortis du système scolaire qui vont faire leur JDC n’ont pas été repérés par les enseignants.

Nos travaux ont montré que la JDC était à améliorer ; j’estime à titre personnel qu’elle n’accomplit pas toutes ses missions. Sa transformation en SNU permettra d’atteindre nos objectifs, mais elle est progressive : le SNU ne peut être instauré du jour au lendemain faute de moyens humains et de structures d’accueil. En attendant, la JDC fournit une base de recrutement à nos armées et permet d’identifier quelques décrocheurs. Ne supprimons donc pas un dispositif qui a prouvé son efficacité dans certains domaines, notamment le sens de la citoyenneté et du patriotisme, et ne le mettons pas en concurrence avec l’éducation nationale : chacun ses responsabilités.

M. Laurent Jacobelli (RN). Bravo : nous devenons la seule commission qui n’accepte aucune remarque de l’opposition. J’ai été naïf, ainsi que mon groupe : nous avons toujours loué la qualité des débats, l’ouverture et l’écoute qui nous paraissaient y régner – à quelques exceptions près, mais M. Bayou n’est pas là aujourd’hui. Désormais, quoi que l’on dise ou fasse, la réponse est non, assortie au mieux d’un argument, au pire d’un regard méprisant.

Comment allez-vous expliquer, en sortant d’ici, que vous n’avez rien accepté d’aucune opposition ? Vous le faites sous les yeux de ceux qui suivent nos débats. C’est la quintessence de la Macronie : cause toujours, tu m’intéresses ! Je veux bien que vous ayez raison sur tout et nous sur rien ; statistiquement, c’est quand même très peu probable. En revanche, la probabilité que vous souffriez d’un manque d’humilité et d’écoute est de moins en moins nulle.

Soit vous continuez ainsi, ce qui vous envoie dans le mur – et, soyons très clairs, cela nous sert, mais cela ne sert pas les Français ; soit vous assouplissez vos positions et vous écoutez un peu ce qui se dit en face. Si, depuis 2017, vous aviez raison sur tout, les Français s’en seraient aperçus !

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Par nature et par tradition, notre commission s’est toujours caractérisée par le consensus et le respect mutuel. Je ne comprends pas le durcissement brutal de vos postures alors que nos travaux étaient, au départ, très constructifs.

Nos différences d’approche résultent de nos histoires et de nos visions politiques respectives. Quand vous attaquez l’Agence européenne de défense, on reconnaît bien le Front national et son opposition à tout ce qui est européen. Certains de vos amendements pourraient être intéressants, mais si nous les avions tous acceptés, comme vous les avez gagés sur l’essentiel des finances du cabinet du ministre des armées – qu’a-t-il bien pu vous faire ? –, il n’y aurait plus d’argent pour le faire tourner.

Manifestement, certains d’entre vous ont encore besoin d’apprendre à maîtriser la mécanique parlementaire. Vous essayez de vous victimiser en permanence, mais ça ne marchera pas. Puisque vous voulez faire de la politique, faisons-en : vous voulez dépouiller des missions essentielles à la défense pour essayer de donner du crédit à votre action, qui est incompréhensible. Je regrette vraiment que nous en arrivions là. Si nos débats n’étaient pas filmés, votre approche ne serait pas la même. On a bien compris que vous vouliez préparer les esprits à ce qui va être débattu à partir de dix-sept heures. Les membres de notre commission, les militaires qui nous regardent, tous ceux qui sont attachés à l’esprit de défense ne méritent pas cela.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je le répète, notre commission restera la seule qui n’aura pas écouté l’opposition, qui n’aura voté aucun de ses amendements. Vous pouvez dire que le Rassemblement national n’est pas un parti compétent ; les Français en ont jugé autrement. Il est vrai que vous avez une certaine expertise en la matière, ayant fait un bon nombre de partis ces dernières années. Vous pouvez ne pas vous remettre en cause – je vois que vous avez très vite adopté les habitudes de la Macronie –, mais la situation soulève des questions. Je crois m’être exprimé poliment, je n’ai pas fait d’esclandre ; je vous dis simplement que je regrette cet état de fait. Vous l’avez dit, cette commission est composée de gens sérieux, le dialogue y est en général de qualité. Aujourd’hui sont venus s’y inviter la posture et le mépris ; c’est dommage. Pour le coup, c’est peut-être lié à la présence des caméras : vous êtes tous beaucoup plus amènes quand elles ne sont pas là.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN52 et II-DN53 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il faut augmenter les budgets essence de nos armées pour tenir compte du cours du brent. On ne peut pas partir du principe que le baril sera à 63 euros en 2023. Au lieu d’avoir à abonder le programme en cours d’année, faisons-le maintenant : c’est du bon sens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ne devrais-je pas donner mon avis sur l’amendement II-DN52 ?

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN54 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les dépôts de munitions du Simu (service interarmées des munitions) sont pour la plupart classés site Natura 2000. Cela nous garantit de vastes espaces naturels protégés favorisant la biodiversité, mais chaque fois que le Simu veut faire des travaux, il se heurte à des contraintes qui entraînent des surcoûts. L’amendement vise à compenser ceux qui affectent la rénovation du camp de Miramas en raison de la présence de chênes-lièges remarquables.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je maintiens que, pour l’amendement II-DN52, j’étais le rapporteur pour avis. L’erreur n’est pas dramatique, mais que l’on puisse au moins s’exprimer de temps en temps !

M. le président Thomas Gassilloud.  Il pouvait y avoir deux rapporteurs pour avis, puisqu’il s’agit de la préparation des forces aériennes, mais que l’amendement abonde aussi la préparation et l’emploi des forces. N’y voyez aucune marque de rejet. Vous pouvez intervenir à tout moment si vous le souhaitez.

 

Amendement II-DN55 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les effectifs du service d’infrastructure de la défense (SID) ont diminué ces dernières années alors que le nombre de projets qu’il doit traiter s’accroît avec la hausse constante de crédits prévue par la LPM. Le SID est donc obligé d’externaliser la réalisation d’opérations, ce qui induit de fortes augmentations budgétaires pour les armées, de 4 à 5 millions d’euros pour certains projets. Je propose d’allouer des fonds au recrutement de fonctionnaires qui feront le même travail à moindre coût, pour un meilleur rendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme pour le logement, il faut un grand plan de rénovation des restaurants de nos armées, dont plusieurs font régulièrement l’objet de signalements par les services vétérinaires et sont menacés de fermeture administrative.

M. Laurent Jacobelli (RN). Sur le principe, nous sommes d’accord, mais comment arrivez-vous au montant de 80 millions ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une estimation au vu du nombre de restaurants à rénover et du coût moyen de rénovation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de M. Bastien Lachaud

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’aurais aimé donner un avis favorable, ne serait-ce que pour contredire nos collègues du Rassemblement national, et je remercie Bastien Lachaud de sa sollicitude envers le programme 178, mais je ne crois pas opportun de prendre 50 millions au programme 146.

L’article 5 de la LPM permet précisément de couvrir ce type de besoins. M. Lachaud nous dira qu’il n’a pas été utilisé en 2022, mais on ne peut préjuger pour autant qu’il ne le sera pas en 2023.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Sur le premier point, dès lors que l’exposé sommaire précise que l’auteur de l’amendement souhaite la levée du gage par le Gouvernement, il est malhonnête d’utiliser cet argument.

Quant à l’article 5 de la LPM, il n’a été activé ni en 2022 ni les années précédentes pour couvrir le surcoût Opex. Cela nous fait craindre qu’il ne le soit jamais. Espérons qu’il en ira autrement de l’éventuel article équivalent dans la future LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense non modifiés.

 

Après l’article 42

 

Amendement II-DN3 de M. Christophe Naegelen et autres

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’est pas défendu.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous le reprenons !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN11 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons au Gouvernement un état des lieux précis des besoins en matière de préservation de l’environnement dans le secteur de la défense, qui ne sera pas épargné par le changement climatique. Comme l’a souligné en mai 2021 la mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, ces enjeux doivent être anticipés et les besoins chiffrés.

Le rapport demandé devra aussi évaluer l’opportunité de la création, à terme, d’un budget dédié aux questions environnementales pour le ministère des armées, pour qu’elles ne soient pas des variables d’ajustement mais l’objet d’un vrai plan d’action, d’une feuille de route claire énumérant des priorités qui soient financées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Puisque, quand l’Assemblée nationale fait des rapports, leurs auteurs eux-mêmes les jugent insuffisamment précis pour être transformés en loi, l’Assemblée devrait en effet, dans sa sagesse, s’en remettre au Gouvernement…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN12 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à intégrer la dimension environnementale dans les actions du ministère des armées. En effet, le secteur militaire a d’importantes responsabilités en la matière du fait de sa grosse consommation énergétique et du fort impact environnemental de ses actions. Nous demandons par conséquent au Gouvernement un rapport évaluant la politique environnementale du ministère – biodiversité des terrains militaires, recyclage des déchets, transition énergétique des infrastructures et des systèmes d’armes.

Contre la préconisation de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN14 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées, sans distinction.

La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène ceux qu’on a appelés les « premiers de corvée », longtemps absents des débats politiques. Pour revaloriser les salaires des personnels travaillant dans les métiers du soin, le Gouvernement a instauré un complément de traitement indiciaire de 49 points d’indice, correspondant actuellement à un montant de 189 euros nets. Cette décision ne peut être que saluée.

Toutefois, plusieurs centres appartenant au SSA, au premier rang desquels le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), n’ont pas bénéficié du CTI. Ces établissements sont pourtant essentiels au bon fonctionnement des hôpitaux des armées. Sous prétexte que les personnels paramédicaux touchaient le CTI, leur prime de service annuelle a été gelée en 2021 et 2022, alors que les travailleurs de l’Établissement français du sang obtenaient l’équivalent du CTI.

Tout au long de la crise sanitaire, les travailleurs du SSA ont été en première ligne, autant que d’autres personnels de santé en France. Cette inégalité de traitement n’est donc pas justifiée.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Favorable. La grille salariale du SSA est liée à celle des personnels civils, mais, bien souvent, la transposition de modifications bénéficiant à ces derniers, comme le Ségur, prend de trop longues années.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 


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   Annexe 2 :

auditions du rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) – M. le général de corps d’armée Éric Bucquet, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense ;

Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) M. Guillaume Ollagnier, chef du service « Europe, Amérique du Nord et action multilatérale » ;

École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) de Bretagne – M. Bruno Gruselle, directeur général ;

Safran – M. Éric Dalbiès, directeur général adjoint en charge de la R&T et de l’innovation ;

Table-ronde réunissant des représentants du GICAN, du GICAT et GIFAS :

               Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN)  M. Philippe Missoffe, délégué général, et M. JeanMarie Dumon, délégué général adjoint et délégué « défense et sécurité » ;

               Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) M. Pierre Bourlot, délégué général ;

               Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) M. le général Jean-Marc Duquesne, délégué général, et Mme Martine Cadiou, déléguée générale adjointe.

Comité Richelieu – M. Jean Delalandre, délégué général, M. Nicolas Corouge, vice-président, et M. Thierry Gaiffe, président de la commission « Défense » ;

Thales M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint « systèmes de mission de défense » ;

École polytechnique – M. Éric Labaye, président ;

Naval Group – M. Éric Papin, directeur « technique et innovation » ;

Armée de l’Air et de l’Espace – M. le général de division aérienne Laurent Rataud, sous-chef « plans-programmes » ;

MBDA – M. Jean-René Gourion, directeur général délégué ;

Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) – M. Bruno Sainjon, président-directeur général ;

Marine nationale – M. le contre-amiral Éric Malbrunot, sous-chef « plans-programmes » ;

Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) – Mme Alice Guitton, directrice générale, responsable du programme ;

Agence de l’innovation de défense (AID) – M. l’ingénieur général de l’armement Patrick Aufort, directeur adjoint ;

Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) – Représentants de la DGSE ;

État-major de l’armée de Terre – M. le général de division Damien Tandeau de Marsac, sous-chef d’état-major « plans-programmes ».


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   Annexe 3 :

glossaire des principaux acronymes

 

AED : agence européenne de défense

AID : agence de l’innovation de défense

ANSSI : agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

ASTRID : accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation

AUKUS : Australia, United Kingdom and United States

BITD : base industrielle et technologique de défense

CEA : commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives

CEI : communauté des États indépendants

CEMA : chef d’état-major des armées

CERT : Computer Emergency Response Team

CNHD : centre national des habilitations de défense

COMCYBER : commandement de la cyberdéfense

COP : contrat d’objectifs et de performance

CPGE : classe préparatoire aux grandes écoles

DGA : direction générale de l’armement

DGE : direction générale des entreprises

DGRIS : direction générale des relations internationales et de la stratégie

DGSE : direction générale de la sécurité extérieure

DGSI : direction générale de la sécurité intérieure

DRM : direction du renseignement militaire

DrOID : document de référence de l’orientation de l’innovation de défense

DRSD : direction du renseignement et de la sécurité de la défense

EMA : état-major des armées

ENF : empreinte numérique finalisée

ENSTA : école nationale supérieure de techniques avancées

EOTO : études opérationnelles et technico-opérationnelles

EPS : études prospectives et stratégiques

ETI : entreprise de taille intermédiaire

ETP : équivalent temps plein

GIP ACYMA : groupement d’intérêt public « action contre la cyber-malveillance »

IFREMER : institut français de recherche pour l’exploitation de la mer

IHEDN : institut des hautes études de défense nationale

INSEE : institut national de la statistique et des études économiques

IRSEM : institut de recherche stratégique de l’École militaire

ISAE Supaéro : institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace

ISL : institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis

JO : jeux olympiques et paralympiques

MCO : maintien en condition opérationnelle

NIS : notice individuelle de sécurité

NRBC : nucléaire, radiologique, biologique et chimique

ONERA : office national d’études et de recherches aérospatiales

OTAN : organisation du traité de l’Atlantique Nord

PAD : personnalités d’avenir – Défense

PES : pacte enseignement supérieur

PIA : programme d’investissements d’avenir

PMG7 : partenariat mondial du G7 pour la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive

RAPID : régime d’appui à l’innovation duale

R&D : recherche et développement

R&T : recherche et technologie

S2IE : service des affaires industrielles et de l’intelligence économique

SASD : service d’architecture du système de défense

SCSP : subvention pour charges de service public

SGA : secrétariat général pour l’administration

SGDSN : secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale

SIC : système d’information et de communication

SID : service d’infrastructure de la Défense

SIRCID : système d’information de renseignement de contre-ingérence de défense

SLAM-F : système de lutte anti-mines marines futur

SOPHIA : synergie pour l’optimisation des procédures d’habilitation de l’industrie et des habilitations


([1]) En effet, les dépenses de personnel du ministère des Armées sont toutes regroupées au sein d’un unique programme au sein de la mission « Défense », qui est le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».

([2]) La liste des sigles figure en annexe du présent rapport.

([3]) Le compte rendu de l’audition est consultable en cliquant sur le lien suivant : www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220718/etr.html.

([4]) Le Monde, À Polytechnique, des violences sexuelles révélées par une enquête interne, 11 avril 2022

([5]) Vincent Berger, Marion Guillou et Frédéric Lavenir, Réforme de la haute fonction publique : pour une gestion des ingénieurs par domaines de compétences. Rapport au Premier ministre sur les grands corps techniques de l’État, janvier 2022.

([6]) Washington Post, Road to War : U.S. struggled to convince allies, and Zelensky, of risk of invasion, 16 août 2022

([7])  Le Monde, Guerre en Ukraine : « le rouleau compresseur » russe risque de finir par passer, selon le chef d’état-major des armées, 6 mars 2022

([8]) Jean-Charles Larsonneur et Charles de la Verpillière, Rapport d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est, n°5113, 23 février 2022 (consultable en cliquant sur ce lien : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b5113_rapport-information#).

([9]) Fabien Gouttefarde, Avis fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2021, n°3360, 21 octobre 2020 (consultable en cliquant sur ce lien : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3465-tii_rapport-avis#).