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N° 369

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2022

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2023 (n° 273)

 

 

TOME IV

 

 

 

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

PAR M. François CORMIER-BOULIGEON

Député

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 Voir le numéro :  273


 

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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS PROPOSÉS POUR 2023

I. LES CRÉDITS PROPOSÉS POUR 2023 CONTRIBUENT À FORGER L’ARMÉE DE TERRE DONT LA FRANCE A BESOIN

A. DES CRÉDITS EN HAUSSE AU SERVICE DE LA MODERNISATION DE L’ARMÉE DE TERRE

1. Des jalons importants pour la modernisation de l’armée de Terre seront atteints en 2023

2. La hausse des crédits dévolus au MCO contribuera à l’amélioration de la disponibilité des matériels

3. Un effort en faveur des équipements d’accompagnement et de cohérence et des munitions à poursuivre

B. DES PROGRÈS EN MATIÈRE DE RECRUTEMENT ET DE FIDÉLISATION

1. Des recrutements stables malgré le contexte de reprise économique

2. Un effort qui se poursuit pour consolider l’attractivité de l’armée de Terre

II. DEUX POINTS D’ATTENTION POUR RESPECTER LA PROGRAMMATION

A. LA NÉCESSAIRE POURSUITE DE L’EFFORT EN MATIÈRE DE PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE

1. Un engagement opérationnel en hausse, seulement en partie compensé par la ré-articulation de l’opération Barkhane

2. Un effort à poursuivre pour atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM

3. L’exercice ORION 2023, un bel exemple de changement d’échelle de la préparation opérationnelle

4. Une gamme de leviers à actionner

B. UN NIVEAU D’ACTIVITÉ QUI DOIT ÊTRE CONFORTÉ

DEUXIÈME PARTIE : CONSÉQUENCES ET PREMIÈRES LEÇONS DE LA GUERRE EN UKRAINE POUR LA PRÉPARATION ET L’EMPLOI DES FORCES TERRESTRES

A. L’ARMÉE DE TERRE A ÉTÉ TRÈS SOLLICITÉE DANS LE CADRE DU SOUTIEN MILITAIRE APPORTÉ PAR LA FRANCE AUX FORCES UKRAINIENNES

1. Des cessions de matériel directement prélevées sur les parcs des forces terrestres

2. Dès les premiers jours du conflit, la France a renforcé son dispositif sur le flanc Est de l’Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l’Alliance atlantique

a. L’instauration d’un commandement militaire ad hoc

b. La création de la mission Aigle en Roumanie

c. Le renforcement de la mission Lynx en Estonie

3. Un effort de formation envers les forces ukrainiennes dont les contours précis restent à définir

B. DES COMPENSATIONS NÉCESSAIRES POUR PRÉSERVER LE NIVEAU D’ACTIVITÉ DES FORCES TERRESTRES

1. La reconstitution des stocks est en cours mais contraint les forces terrestres à des ajustements

2. Un surcroît d’activité qui devrait être pris en compte en gestion

II. LES PREMIÈRES LEÇONS TIRÉES DU CONFLIT UKRAINIEN À L’AUNE DE LA PRÉPARATION AU CONFLIT DE HAUTE INTENSITÉ

A. COMPLÉTER NOS STOCKS ET ACQUÉRIR LES ÉQUIPEMENTS QUI PERMETTRONT AUX FORCES TERRESTRES DE GAGNER LA GUERRE D’AUJOURD’HUI MAIS AUSSI CELLE DE DEMAIN

1. Les cessions de matériels ont mis en lumière des capacités dimensionnées au plus juste qui conduisent à écarter pour l’instant de nouvelles cessions prélevées directement sur les stocks des forces terrestres

2. Le retour d’expérience des premiers mois de la guerre en Ukraine conduit à identifier des axes de progression en matière capacitaire

3. Passer d’une logique de cession à une logique de production suppose de renforcer la réactivité des industriels de la base industrielle et technologique de Défense

B. RENFORCER NOTRE CAPACITÉ À DURER

1. L’efficacité des soutiens, couplée à une plus grande profondeur logistique, est à rechercher

2. Renforcer le niveau des stocks de pièces de rechange, ou la nécessité d’un « MCO de guerre »

3. Les stocks de munitions, une problématique bien identifiée

C. CONSOLIDER LES FORCES MORALES

1. La refonte des réserves

2. Les réserves ne se substituent néanmoins pas aux soldats d’active, dont les effectifs mériteraient d’être augmentés dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire

CONCLUSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe 1 : Auditions et déplacements du rapporteur pour avis


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   Introduction

Le projet de loi de finances pour 2023 est le premier de la XVIe législature et le cinquième d’une loi de programmation militaire ambitieuse, rigoureusement exécutée.

Cela témoigne de l’effort important consenti par la Nation envers nos armées et de notre ambition en matière de défense, et ce d’autant plus que le contexte économique et les tensions sur les finances publiques auraient pu conduire le Gouvernement à relâcher ses efforts.

De 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget de la Défense atteint aujourd’hui 43,94 milliards d’euros. La communauté nationale a augmenté son soutien de 11,5 milliards d’euros de plus pour ses armées, soit une hausse de 36 % depuis 2017. Ces investissements historiques permettent une reconstruction conforme aux quatre axes fixés par la LPM notamment : à travers la livraison de nouveaux équipements individuels correspondant à l’atteinte de 60 % de la réalisation de l’axe à hauteur d’homme, mais aussi la priorité donnée au maintien en condition opérationnelle (MCO) avec 5 milliards d’euros dédiés en 2023 afin de garantir une meilleure disponibilité technique des matériels. Des premières leçons ont par ailleurs été tirées de la guerre en Ukraine à travers l’effort particulier consenti en faveur des munitions dès 2023, avec 2 milliards de commandes et 1,1 milliard de livraisons.

Pour l’armée de Terre, le projet de loi de finances pour 2023 est capital dans la poursuite de la modernisation engagée. 18 % de la cible Scorpion devrait être réalisée d’ici à la fin 2022 et 25 % de la cible en 2023. Des commandes cruciales seront passées cette année avec 420 véhicules Serval supplémentaires et la réception de 18 chars Leclerc rénovés.

L’exercice budgétaire 2023 ne peut être décorrélé du tournant stratégique que constitue la guerre en Ukraine. Les conséquences sur les forces terrestres sont à la fois budgétaires et opérationnelles, marquées par des cessions de matériels emblématiques et de nouveaux déploiements visant à renforcer la posture dissuasive et défensive de l’OTAN sur le flanc est de l’Europe, qui ne pouvaient pas être anticipés au moment du vote de la loi de finances pour 2022. Votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique de son avis à la question du juste équilibre entre cet effort et la préservation des capacités des forces terrestres, ainsi qu’aux premières leçons qui peuvent être tirées de la guerre en Ukraine. Comme l’a rappelé le général d’armée Pierre Schill, Chef d’État-major de l’armée de Terre (CEMAT), le retour de la haute intensité aux portes de l’Europe vient confirmer le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris par l’armée de Terre et la pertinence de la modernisation en cours.

Si le budget voté en loi de finances 2022 n’avait pas pu anticiper la réarticulation de l’opération Barkhane au Mali et l’avènement de la guerre en Ukraine, les armées ont su s’adapter et notre modèle budgétaire s’est révélé suffisamment robuste pour permettre de faire face aux aléas sans opérer de renoncements majeurs.

Enfin, comme l’a rappelé le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, l’année 2023, constitue une « année charnière » pour la préparation de l’avenir puisqu’elle a vocation à assurer le tuilage avec la prochaine loi de programmation militaire voulue par le Président de la République.

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à ses questions budgétaires lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2022, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. À cette date, 53 réponses sur 57 lui étaient parvenues, soit un taux de 93 %.


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   PREMIÈRE PARTIE :
LES CRÉDITS
PROPOSÉS POUR 2023

Comme depuis cinq ans, le montant des crédits proposés dans le projet de loi de finances pour 2023 est conforme à la programmation militaire (LPM) 2019-2025 ([1]), en hausse de trois milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2022, dont 213 millions d’euros en crédits de paiement supplémentaires pour l’armée de Terre, soit une augmentation de 12,8 %. Le montant du budget opérationnel du programme Terre est ainsi porté à 1,883 milliard d’euros en crédits de paiement, afin de poursuivre la hausse de l’activité et le renforcement du niveau des stocks dans l’objectif d’accroître la réactivité des forces terrestres, contre 1,67 milliard en loi de finances pour 2022.

Ces crédits permettront à l’armée de Terre de tenir l’objectif d’une brigade interarmes Scorpion projetable en 2023. L’exercice majeur Orion 2 023 permettra de franchir une étape décisive dans la préparation des forces terrestres « durcies », conformément à la vision stratégique reprise par le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général d’armée Pierre Schill.

Par ailleurs, votre rapporteur se réjouit de voir que l’armée de Terre a pu remplir ses objectifs de recrutement en 2022, constituant ainsi l’une des rares armées en Europe capable d’attirer près de 15 000 jeunes chaque année, malgré un contexte de rebond économique. Les efforts de fidélisation devront néanmoins se poursuivre en 2023.

Ces moyens doivent néanmoins être confortés dans les années à venir à l’aune de la très forte inflation qui obère aujourd’hui près d’un tiers de la marche à 3 milliards d’euros. Si les effets de l’inflation seront ainsi contenus sur l’exercice 2022, grâce à des ajustements en gestion, puis, grâce au mécanisme de report de charge à partir de 2023, toute hausse supplémentaire serait néanmoins néfaste pour l’armée de Terre.

S’agissant de la hausse du prix des carburants, cette problématique est d’ores et déjà prise en compte puisque le budget pour l’année 2023 s’élève à 444 millions d’euros soit une augmentation de 65 millions d’euros. Si la hausse du coût devait être supérieure, le rapporteur rappelle que le Gouvernement aura naturellement la possibilité de recourir à l’article 5 de la loi de programmation militaire (LPM).

La fin de gestion 2022 sera donc cruciale. L’armée de Terre devra en effet composer avec la loi de finances pour 2023, la loi de finances rectificative (LFR) et l’arrivée de la prochaine loi de programmation militaire. Votre rapporteur sera attentif à ce que l’armée de Terre bénéficie des compensations nécessaires au maintien de son niveau d’activité afin de tenir les objectifs qui lui ont été fixés par la programmation.

I.   LES CRÉDITS PROPOSÉS POUR 2023 CONTRIBUENT À FORGER L’ARMÉE DE TERRE DONT LA FRANCE A BESOIN

Le montant du budget opérationnel de programme Terre est ainsi porté à 1,883 milliard d’euros en crédits de paiement, crédits qui permettront à l’armée de Terre de poursuivre la hausse de son activité et le renforcement du niveau de ses stocks afin d’accroître sa réactivité.

A.   DES CRÉDITS EN HAUSSE AU SERVICE DE LA MODERNISATION DE L’ARMÉE DE TERRE

Le projet de loi de finances pour 2023 permettra à l’armée de Terre de poursuivre sa modernisation après une année 2022 qui a constitué une « année pivot » pour sa transformation.

Des hausses de ressources notables en 2023 (+13 %) permettront de combler les lacunes identifiées lors de l’actualisation, confirmées par l’expérience de la guerre en Ukraine - stocks de munitions, de pièces de rechange -, de couvrir les coûts liés à la pérennisation du char Leclerc, initiée en 2022, ou encore de financer la hausse du coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels.

La forte baisse des autorisations d’engagement (- 39 %) s’explique, en revanche, par la finalisation de la contractualisation des marchés verticalisés de MCO aéronautique (hélicoptères Tigre) et des marchés de soutien pluriannuels de l’entretien programmé du matériel (EPM) terrestre intervenus en 2022. En 2023, les engagements concerneront essentiellement des reliquats ou des contrats pluriannuels plus classiques, selon les informations fournies au rapporteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Évolution des ressources pour l’armÉe de terre prÉvues en loi de finances initiale et exÉCUTÉes par titre depuis 2020

Autorisations d’engagement (en millions d’euros)

Catégorie de dépense

2020

2021

2022

2023

Évolution PLF 2 023/LFI 2022

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

6 996,8

7 049,5

7 062,7

7 142

7 276,2

Nd

7 805,2

+ 7,3 %

titre 3

2 374,2

2 029,5

1 816,9

2 610,7

2 943,4

Nd

1 505,2

- 48,9 %

titre 5**

210,1

191,5

274,0

122,7

190,1

Nd

415,7

118,7 %

titre 6

4,7

4,0

4,7

4,5

4,7

Nd

4,7

0 %

TOTAL HT2

2 589,0

2 225,0

2 095,6

2 737,9

3 138,3

Nd

1 925,7

- 38,6 %

TOTAL

9 585,8

9 259,6

9 158,3

9 879,9

10 414,4

Nd

9 730,9

- 6,6 %

Catégorie de dépense

2020

2021

2022

2023

Évolution PLF 2 023/LFI 2022

(en %)

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues en LFI

Exécutées

Prévues par le PLF

titre 2*

6 996,8

7 049,5

7 062,7

7 142

7 276,2

Nd

7 805,2

7,3 %

titre 3

1 257,3

1 569,6

1 326,4

1 571,4

1 445,8

Nd

1 643,4

13,7 %

titre 5

201,9

192,6

206,8

142,9

219,7

Nd

235,1

7 %

titre 6

4,7

4,0

4,7

5,2

4,7

Nd

4,7

-

TOTAL HT2

1 463,9

1 766,2

1 537,9

1 899,5

1 670,2

Nd

1 883,2

12,8 %

TOTAL

8 460,7

8 798,5

8 600,5

9 041,5

8 946,4

Nd

9 688,5

8,3 %

Crédits de paiement (en millions d’euros)

(*) Titre 2 : dépenses de personnel. Les sommes inscrites en loi de finances depuis 2015 correspondent à celles de l’action 55 « Préparation des forces terrestres – Personnels travaillant pour le programme “Préparation et emploi des forces” » du programme 212 « Soutien de la politique de la défense », compte d’affectation spéciale Pension compris. Titre 3 : dépenses de fonctionnement. Titre 5 : dépenses d’investissement. Titre 6 : dépenses d’intervention. LFI : loi de finances initiale. PLF : projet de loi de finances.

(**) Entre 2020 et 2021, le titre 5 a connu une augmentation significative (30 %) liée au transfert d’une partie des crédits d’infrastructure du programme 212 vers le programme 178 dans le cadre de la nouvelle architecture budgétaire de 2020. En revanche, le niveau d’autorisations d’engagement (AE) baisse significativement sur ce segment en raison de l’absence de besoin d’affectation sur tranche fonctionnelle en 2022. L’année 2021 a également donné lieu à un transfert du Centre national du sport de la défense (CNSD) et des crédits afférents du budget opérationnel de programme (BOP) Soutien des Forces vers le BOP Terre.

Source : réponses du ministère des Armées aux questions du rapporteur pour avis, 10 octobre 2022.

1.   Des jalons importants pour la modernisation de l’armée de Terre seront atteints en 2023

Conformément au programme présenté dans le rapport annexé à la LPM, après le temps de la « réparation » vient en effet celui de la « modernisation ». La modernisation qui se traduit déjà par des améliorations visibles sur le terrain, demeure néanmoins à ses débuts et le respect de la trajectoire, a minima celle fixée dans la loi de programmation 2019-25 sera essentiel afin de ne pas infléchir cette dynamique de modernisation.

La modernisation de l’armée de Terre se poursuit concernant à la fois les équipements majeurs et les équipements « à hauteur d’homme », conformément aux ambitions de la loi de programmation militaire.

D’une part, l’année 2022 a vu se concrétiser l’arrivée dans les unités de nouveaux équipements du combattant qui contribuent au très bon moral des soldats : livraison des HK 416 F, des VT4, des pistolets automatiques GLOCK, ou encore de nouveaux gilets de combat améliorés SMB. En 2023, 1,7 milliard d’euros sera consacré au global sur l’ensemble de la mission Défense aux petits équipements, soit, pour l’armée de Terre, de nouveaux treillis, des gilets pare-balles et des panoplies NRBC, aux côtés de 8 660 fusils d’assaut HK 416 F, de 6 systèmes complets de lutte anti-drone PARADE et de 180 véhicules légers tactiques polyvalents. 8 000 fusils d’assaut supplémentaires et un lot de masques de protection et de cartouches filtrantes seront commandés en 2023.

D’autre part, s’agissant des matériels Scorpion, une centaine de Griffons doivent être livrés à l’armée de Terre d’ici la fin 2022, dans toutes les versions majeures. Malgré certaines difficultés concernant le développement du Jaguar en 2021 (tourelle), le calendrier de livraison devrait être globalement respecté avec la livraison d’une vingtaine de Jaguar supplémentaires d’ici la fin de l’année 2022, faisant suite à celle des vingt premiers exemplaires fin 2021. Enfin, les premiers véhicules Serval ont été livrés en mai 2022 et 77 devraient être livrés d’ici la fin 2022.

Les véhicules Scorpion livrés sont conformes aux besoins des forces terrestres. L’armée de Terre a pu projeter un premier groupement tactique interarmes (GTIA) équipé de 35 véhicules Scorpion au second semestre 2021 dans la bande sahélo-saharienne. Le retour d’expérience est très satisfaisant. Utilisé dans la bande sahélo-saharienne (BSS), le système d’information du combat Scorpion (SIC-S) suscite des retours très positifs. Il se distingue par son ergonomie permettant une utilisation simplifiée. Il intègre une première capacité de géolocalisation amie (GLA) et d’échange d’informations, apportant une véritable plus-value opérationnelle. Fonctionnant avec le poste radio de 4e génération (PR4G), les développements en cours portent sur l’intégration du SIC-S sur la nouvelle radio CONTACT.

Selon le Sous-Chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre, le général Tandeau de Marsac, auditionné par le rapporteur, il s’agit d’un véritable succès. Les forces, notamment le 3e Régiment d’infanterie de Marine (3e RIMA) de Vannes, se sont bien appropriées les véhicules et ont souligné qu’ils permettaient une accélération des cycles de décision (grâce à SIC-S), constituant ainsi une vraie plus-value pour le commandement, offrant davantage d’ergonomie (climatisation intégrée) et de fonctionnalités (blue force tracking, combat silencieux). Les équipements Scorpion ont, en outre, trouvé des applications très concrètes en bande sahélo-saharienne (BSS), comme la lutte contre les engins explosifs, grâce à la possibilité offerte par Scorpion de tracer des itinéraires à suivre. Aussi, lors de son audition devant la commission de la Défense, le 12 octobre dernier, le chef d’État-major de l’armée de Terre (CEMAT) a précisé que 11 régiments comptent aujourd’hui une unité élémentaire équipée « 100 % Scorpion ».

Le Griffon se distingue du véhicule de l’avant-blindé (VAB) auquel il succède par une meilleure protection (balistique, contre les mines et les engins explosifs improvisés), des capacités d’agression et d’observation accrues (tourelleau téléopéré), une plus grande mobilité et une ergonomie adaptée à l’emploi opérationnel. Les retours d’expérience des régiments en métropole sont bons, notamment au centre d’entraînement au combat (CENTAC) où a été mise en évidence la plus-value tactique (capacité de franchissement, discrétion, intégration dans la bulle SIC-S, confort).

Le Jaguar est quant à lui un véhicule blindé médian de la gamme des 25 tonnes, équipé d’un canon de 40 mm et de missiles moyenne portée (MMP). Successeur de l’AMX10RCR et du VAB Méphisto, il a vocation à équiper les unités de cavalerie. 300 exemplaires sont prévus à terme. Le 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC), premier régiment Jaguar, a commencé sa transformation début 2022. Le Jaguar sera intégré au sein de la brigade interarmes (BIA) Scorpion projetable fin 2023, conformément aux objectifs initiaux du programme Scorpion.

Enfin, le véhicule Serval, en cours d’évaluation, bénéficie de premiers retours globalement positifs.

L’année 2023 sera marquée par la poursuite de la modernisation du segment médian grâce au programme Scorpion pour atteindre 25 % de la cible fixée à la fin de l’année.

Les forces terrestres devraient principalement bénéficier en 2023 de 123 Griffons, de 119 Serval et de 22 Jaguar, aux côtés de 1 305 équipements de radio CONTACT. Au-delà du programme Scorpion, un système opérationnel de drones patroller (SDT), 18 chars Leclerc rénovés, un lot de missiles moyenne portée (200 MMP), ainsi que 5 hélicoptères de combat NH 90 et 5 hélicoptères de combat Tigre au standard HAD au bénéficie de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), sont également attendus.

S’agissant des commandes, l’année 2023 devrait être marquée par la commande de 420 Serval supplémentaires, mais également par celle d’un lot de missiles moyenne portée (200 MMP), de 22 poids lourds forces spéciales et de 36 stations terrestres de communication satellitaire Syracuse IV.

Aussi, selon le CEMAT, l’objectif d’une brigade interarmes (BIA) équipée Scorpion sera tenu à horizon de la fin 2023, comprenant trois GTIA équipés en véhicules Jaguar et Griffon, reliés par le système d’information et communication Scorpion (SIC-S) et le système d’information sur les armes (SIA) équipant les niveaux de commandement de la brigade, avant d’autres jalons en 2025.

Le sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre a néanmoins informé le rapporteur que l’équipement de cette BIA constituait un véritable enjeu pour les forces terrestres. À la différence du GTIA équipé Scorpion projeté en BSS, la BIA 2 023 sera équipée, au-delà des véhicules blindés multi-rôle (VBMR) Griffon, de l’engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar et de l’étage de connectivité Scorpion. La phase d’appropriation pourrait prendre davantage de temps. Un escadron dédié d’une centaine de personnes au 1er Régiment étranger de Cavalerie (1er REC) à Carpiagne se chargera d’expérimenter et d’évaluer les matériels et, ainsi, accélérer cette phase.

L’atteinte de ce jalon important permettra d’utiliser conjointement des véhicules d’ancienne et de nouvelle générations, en s’appuyant sur le système d’information SIC-S, situation qui sera celle de l’armée de Terre, jusqu’à ce que la transformation Scorpion soit totalement achevée. Le général Tandeau de Marsac a souligné qu’à terme toutes les forces engagées sur un théâtre d’opérations devront être intégrées dans la bulle Scorpion pour bénéficier du même niveau d’information et de protection. La cohabitation entre ancienne et nouvelle générations d’équipements constitue ainsi un point d’attention pour les forces terrestres.

Enfin, le sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre, a tenu à souligner la qualité des échanges avec nos partenaires belges dans le cadre du partenariat « CaMo ». Les forces belges ont pour objectif de déployer une brigade équipée Scorpion en 2030. Aussi, il est notamment prévu d’intégrer un sous-groupement belge au sein de la BIA 2 023.

2.   La hausse des crédits dévolus au MCO contribuera à l’amélioration de la disponibilité des matériels

La répartition des crédits de paiement par opération stratégique (voir tableau infra) montre la priorité conférée à l’entretien programmé des matériels.

Par ailleurs, les crédits d’infrastructure s’établissent à 88 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (LFI 2022), confirmant la trajectoire programmée et traduisant l’adaptation des espaces d’entraînement (infrastructures de préparation opérationnelle comme les camps de manœuvre, champs de tir, simulation, etc.). L’on peut notamment citer, le lancement de l’opération valorisation de l’infrastructure et de la performance des entrepôts réglementés opérationnels du MCO terrestre (VIPEROPS) au profit de la 13e base de soutien du matériel à Yzeure.

Les crédits d’entretien programmé des matériels (EPM) s’établissent à 1, 228 milliards d’euros en crédits de paiement en 2023, soit une hausse significative de 18 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (+ 184 m d’€). La hausse la plus notable concerne le MCO terrestre (+ 28 %).

La hausse des CP résulte, d’une part, de l’accroissement des coûts liés à l’EPM terrestre en raison de la modernisation du parc, marquée par la prise en charge depuis juillet 2022 du soutien du Griffon par le programme 178, et du soutien simultané des parcs d’ancienne génération pour un coût croissant. D’autre part, cette hausse devrait permettre de compenser, au moins partiellement, la hausse des coûts des facteurs, particulièrement ressentie dans le domaine du MCO-terrestre, et de prendre en compte certains besoins primordiaux comme la pérennisation du char Leclerc pour garantir le maintien du segment de décision jusqu’en 2040. Enfin, il s’agit de financer des évolutions contractuelles du MCO génie et SIC, le traitement d’obsolescences du lance-roquette unitaire (LRU) et des matériels du génie, le transport de matériel, ainsi que la prise en compte des nouveaux contrats « verticalisés » (notamment MCO NH90 et SATURNE) engagés les années précédentes, ainsi que la poursuite de la numérisation du MCO-T.

ÉVOLUTION DES RESSOURCES PILOTÉES PAR L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE, VENTILÉES PAR OPÉRATION STRATÉGIQUE (OS)

(en millions d’euros de crédits de paiement)

Opération stratégique**

2020

2021

2022

2 023

évolution

N +1/N*

LFI

Exécution

LFI

Exécution

PLF

Exécution

PLF

(en %)

AOP

187

166

188

198

183

nd

199

9 %

FAS

98

103

123

131

121

nd

124

3 %

EAC

209

245

217

227

236

nd

244

3 %

EPM

909

1 140

942

1 257

1 044

nd

1 228

18 %

dont EPM-Terre

513

651

524

755

621

nd

792

28 %

dont EPM-Aéro

391

483

411

497

417

nd

429

3 %

dont EPM-Naval

5

6

7

5

6

nd

6

- 1 %

Infrastructures

62

95

68

90

86

nd

88

2 %

TOTAL

1 464

1 749

1 538

1 903

1 670

nd

1 883

13 %

(*) Les taux d’évolution sont calculés sur les montants exacts, et non sur les montants arrondis.

(**) AOP : activités opérationnelles et préparation. FAS : fonctionnement et activités spécifiques. EAC : équipements d’accompagnement et de cohérence. EPM : entretien programmé des matériels.

Source : réponses du ministère des Armées aux questions du rapporteur pour avis, 10 octobre 2022.

Grâce à la hausse des crédits consacrés au MCO, le niveau moyen de la disponibilité technique des matériels majeurs est en amélioration sensible depuis ces dernières années.

Aujourd’hui, le niveau de disponibilité technique des équipements s’élève à plus de 90 % en moyenne en opérations (75 % dans les DROM-COM et plus de 70 % en métropole), contre 65 % il y a dix ans, conformément aux cibles fixées. Le sous-chef plans et programmes a néanmoins attiré l’attention du rapporteur sur une légère atténuation de la cible cette année, qui ne remet néanmoins pas en cause la trajectoire.

Au-delà de ces très bons résultats globaux des difficultés subsistent. Les parcs présentent encore individuellement quelques fragilités dans leur disponibilité : l’amélioration se poursuit concernant celle du parc des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) comprenant les AMX-10-RC, et ce, malgré le décalage de la livraison des Jaguar ; le retrait en service d’un volume très important de véhicules de l’avant blindé (VAB) en 2025, supérieur au volume des livraisons de Griffon, aura pour effet de réduire la disponibilité globale du parc des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) ; et, s’agissant des véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), un volume important projeté lors de l’opération Barkhane est en attente de régénération. La cession de 18 CAESAr et de rechanges à l’armée ukrainienne a naturellement eu pour conséquence la baisse des CAESAr disponibles dans l’attente de la reconstitution prévue par la livraison des 33 CAESAr supplémentaires, pour atteindre la cible du format à 109 canons.

Des commandes de pièces de rechange devraient remédier à certaines difficultés et le respect du calendrier des livraisons Scorpion devrait permettre au plus vite le retrait du service de ces matériels vieillissants.

Concernant le char Leclerc, des opérations de pérennisation et le nouveau marché de soutien service notifié fin mars 2021 pour 10 ans offrent des perspectives favorables en matière de disponibilité : le taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO), se mesurant par rapport à l’objectif déterminé de disponibilité, s’élève à 87 % en 2021 et devrait atteindre 94 % en 2022, selon les données du projet annuel de performance (PAP). 18 chars Leclerc rénovés seront livrés en 2023. Pour mémoire, le programme de rénovation des Leclerc vise à intégrer les chars Leclerc dans le combat collaboratif Scorpion, à l’adapter aux nouvelles menaces et à traiter les obsolescences lourdes. La cible est de 200 chars rénovés pour pérenniser cette capacité jusqu’en 2040.

En matière de MCO aéronautique, la trajectoire de disponibilité du parc des hélicoptères de manœuvre (HM) sur les cinq dernières années (2017-2021) s’inscrit dans une tendance positive, ceci en dépit de l’entrée du parc CARACAL en phase de grande visite et d’un programme recommandé d’entretien CAÏMAN exigeant. L La disponibilité du parc des hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (HRA) se stabilise grâce à l’augmentation de la disponibilité du TIGRE. Cette tendance positive est néanmoins atténuée par l’évolution du parc GAZELLE, dont la disponibilité est plus élevée mais dont le nombre d’appareils est en diminution.

À l’issue de ses auditions, le rapporteur constate que le soutien des matériels Scorpion livré est globalement satisfaisant, malgré une hausse importante des coûts de maintenance qui devrait se poursuivre en raison du niveau technologique et de la complexité technique des matériels de nouvelle génération comme le Griffon, ainsi que par la part plus importante de tâches confiées à l’industriel pour son soutien. La disponibilité des 35 engins projetés en opérations en août 2021 a aussi été satisfaisante. Cependant, il devra être tenu compte de ce « pic du MCO » à venir dans la programmation. À titre de comparaison, le Griffon présente un coût d’entretien programmé des matériels (EPM) 2,4 fois plus élevé que le VAB (0,5 million d’euros pour un VAB version infanterie contre 1,2 million d’euros pour un Griffon).

L’enjeu principal des parcs Scorpion sera donc la fiabilisation de la programmation budgétaire pluriannuelle des besoins en EPM, ce qui exige au préalable une consolidation de leur coût de maintenance. Si le coût du Griffon, premier parc livré, n’est pas encore stabilisé car une partie des pannes n’est pas couverte pas le forfait contractuel, le coût de maintenance du SERVAL sera, en principe, plus faible selon le ministère des Armées, en cohérence avec sa dimension moindre. Enfin, à terme, un enjeu consistera dans le renouvellement contractuel des contrats initiaux de la DGA (première échéance du marché EBMR en 2032), afin que puisse être mis en place un marché de soutien en service. En particulier, il sera nécessaire de veiller à la prise en compte du coût de soutien et des stocks de rechange, nécessaires à un engagement de haute intensité. Par ailleurs, l’interopérabilité du soutien sera recherchée avec les forces belges, selon les informations fournies au rapporteur.

3.   Un effort en faveur des équipements d’accompagnement et de cohérence et des munitions à poursuivre

Les crédits d’équipement d’accompagnement et de cohérence (EAC) s’établissent à près de 244 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 3 % (+ 8 millions d’euros) par rapport à la loi de finances pour 2022. Cette augmentation est principalement liée aux acquisitions de matériel dédié aux Systèmes d’information et de communication (SIC) ainsi que des munitions supplémentaires pour répondre aux besoins de la haute intensité.

Cette augmentation correspond à une partie de l’effort sur l’axe 3 décidé lors des travaux d’ajustement de la programmation militaire pour financer l’acquisition de munitions supplémentaires pour se préparer à un conflit de haute intensité. Les crédits pour 2023 permettront principalement l’acquisition de roquettes AT4F2 et d’obus éclairants de mortier de 120 mm, ces derniers ayant déjà fait l’objet d’un effort en 2022 afin de mettre fin à la rupture temporaire de capacité.

Votre rapporteur restera attentif à l’évolution des crédits dédiés aux munitions, dont le montant réel est négativement affecté par l’inflation et la hausse du coût des facteurs.

B.   DES PROGRÈS EN MATIÈRE DE RECRUTEMENT ET DE FIDÉLISATION

Le ministère des Armées est confronté aux défis de l’attractivité des talents et de la fidélisation du personnel dans un contexte où le marché de l’emploi se caractérise par une concurrence exacerbée entre employeurs. Par ailleurs, les évolutions sociétales et les aspirations des recrues potentielles sont parfois difficilement conciliables avec les contraintes liées aux sujétions militaires. La fidélisation consiste à créer une dynamique vertueuse permettant de conserver l’expérience acquise et les compétences détenues au sein des forces, gages d’efficacité opérationnelle dans un contexte d’augmentation du nombre de missions et de durcissement des opérations.

La question de la fidélisation est d’autant plus prégnante que le personnel recruté massivement lors de la phase de remontée en puissance arrive en période de renouvellement de contrat. Après les attentats de 2015, il a été mis fin à la décrue des effectifs de l’armée de Terre au profit de l’augmentation des effectifs de la force opérationnelle terrestre pour atteindre 77 000 hommes et femmes, soit 11 000 effectifs supplémentaires.

Cette manœuvre a imposé des recrutements annuels conséquents depuis 2015 (près de 21 000 en 2016, près de 18 000 en 2017, moins de 15 000 en 2018, 2019 et 2020, avant une remontée à 17 000 en 2021), pour atteindre cette cible puis la tenir, dans un contexte encore marqué par de trop nombreux départs. Le ministère des Armées et l’armée de Terre ont alors multiplié les efforts pour fidéliser les militaires. Ces efforts commencent à porter leurs fruits.

1.   Des recrutements stables malgré le contexte de reprise économique

Les années 2018 à 2020 ont permis de stabiliser la force opérationnelle terrestre à 77 000 hommes, en dépit de départs encore jugés trop nombreux, qui ont imposé de revoir à la hausse les plans de recrutements. Plus de 14 000 militaires ont été recrutés et formés en 2020, en dépit de la crise sanitaire, avant un retour à un plan de recrutement de près de 17 000 en 2021. Comme l’ont montré les rapporteurs pour avis sur les crédits relatifs à la préparation des forces terrestres depuis 2017, dans leurs rapports successifs, le coût financier et opérationnel du renouvellement permanent des effectifs pèse sur la préparation opérationnelle mais aussi sur les infrastructures d’hébergement et l’appareil d’entraînement, notamment du fait des besoins de sous-officiers qualifiés.

L’armée de Terre est néanmoins sur la voie de l’amélioration.

En 2022, la dynamique de recrutement s’est stabilisée avec des effectifs prévisionnels s’inscrivant dans la classe 14 000 recrues (14 274 recrues externes prévues en 2022), d’un niveau similaire par rapport aux années précédentes, ce qui est le signe d’une bonne fidélisation. À la moitié de l’année 2022, les objectifs de recrutement pour l’année étaient atteints à plus de 50 %, toutefois un tassement des candidatures est observé, reflétant la reprise de l’emploi après deux ans de Covid. Elles restent néanmoins à un niveau compatible avec la réalisation des objectifs quantitatifs globaux annuels (de l’ordre de 14 000 recrues), avec une probable baisse temporaire des taux de sélection pour certaines catégories ou métiers, sans remettre en cause le volume de recrutement.

Toutefois, du fait de la reprise économique, le taux de dénonciation des contrats des sous-officiers en 2021 a connu une légère hausse par rapport aux deux années précédentes avec un taux de 18 %, contre 17 % en 2019. Il reste néanmoins très en deçà du pic de 2017 (27 % en 2017). Pour les militaires du rang, le niveau de dénonciation de la cohorte 2022 devrait être comparable à celui de 2021 (32,5 %) et proche de celui observé en 2020, à près de 31,3 %. Le taux de renouvellement de contrat dans cette catégorie a néanmoins baissé par rapport à 2020 (37,5 % contre 38,7 %) mais reste au-delà de l’objectif de 36 %. Pour autant, ces évolutions n’empêchent pas l’armée de Terre d’atteindre globalement les effectifs fixés comme cible par la LPM.

Pour les officiers, les mesures visant à améliorer l’information, à renforcer l’identité propre des jeunes contractuels (création de l’école militaire des aspirants de Coëtquidan) et à valoriser les parcours de cette population (ouverture aux concours de l’École de guerre et du diplôme technique) ont permis de contenir l’attrition initiale des officiers sous-contrat (OSC). Les taux de sélection sont globalement stables, à un niveau satisfaisant (1 pour 3,2 en 2021 contre 1 pour 3,5 pour les engagés volontaires sous-officiers en 2020 dans un volume plus restreint ; 1 pour 1,6 candidats en 2021 et en 2020, contre 1 pour 1,5 en 2019 pour les militaires du rang).

En 2023, les prévisions de recrutement connaissent une légère hausse, en dépit d’un effectif terminal un peu inférieur à celui de 2022 en programmation, portant sur les catégories militaires du rang (-342) et volontaires (-200). Les cadres connaissent a contrario une augmentation significative (+130 officiers/+38 sous-officiers).

Le défi que doit relever le recrutement est celui de l’attractivité. La bonne conciliation entre vie privée et vie professionnelle constitue un déterminant extrêmement fort de la fidélisation. Elle doit répondre aux exigences de l’état militaire, tout en s’adaptant aux évolutions sociétales. Aussi, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, le 12 octobre dernier, le CEMAT a considéré que le nombre de journées passées hors du domicile (proche de 140 JHD) avait atteint un niveau trop élevé et devrait davantage se situer autour de 120 jours par an.

Face à la concurrence accrue sur le marché de l’emploi et la tension, en termes de recrutement, dans certaines filières, le ministère des Armées attribue par ailleurs une prime de lien au service (PLS) dans les familles professionnelles sous tension, prévue dans la LPM. Les dépenses de PLS s’élèvent en 2021 à 34,3 millions d’euros pour l’ensemble du ministère des Armées. 17 569 PLS ont été programmées pour 2022 pour l’ensemble du ministère, dont 5 726 pour l’armée de Terre pour un montant de 22,3 millions d’euros.

La prime de lien au service a un intérêt évident : la direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) est parvenue à fidéliser 956 militaires du rang supplémentaires et 130 sous-officiers en 2021, l’équivalent d’un régiment pour les militaires du rang, économisant 34 millions d’euros de coûts de recrutement et de formation. Pour les officiers, 64 % de l’attribution des PLS concernent des familles professionnelles déficitaires comme le renseignement.

Enfin, pour atteindre ses objectifs dans la durée, l’armée de Terre développe une offre de formation innovante. Ainsi, l’École militaire préparatoire et technique (EMPT) de Bourges a ouvert ses portes en 2022, ou encore le « BTS cyber » à Saint Cyr l’École pour recruter et former, dès le lycée, des compétences nécessaires pour les métiers en tension (maintenance des matériels terrestres, systèmes de forces, systèmes d’armes équipements, achats, etc.)

2.   Un effort qui se poursuit pour consolider l’attractivité de l’armée de Terre

Les efforts doivent se poursuivre en matière de fidélisation. La fidélisation du personnel formé et expérimenté est un enjeu crucial pour l’armée de Terre car elle permet de limiter les volumes de recrutement et ainsi de réduire sensiblement les charges de formation. La fidélisation est également nécessaire pour remplir un contrat opérationnel ambitieux, exigeant le juste équilibre entre expérience et jeunesse en s’appuyant sur un taux d’encadrement suffisant.

La politique globale de fidélisation ne se limite pas à l’évolution des pratiques RH mais s’appuie également sur le plan Famille (meilleure prise en compte de l’environnement familial) et sur l’amélioration des conditions générales d’exécution du service (meilleures conditions de vie, meilleurs équipements, rémunération contribuant à consolider le statut militaire).

Les contractuels sont au cœur de cet enjeu, mais le changement de paradigme opéré par les jeunes générations en matière de carrière (moindre primat du contrat à durée indéterminée - CDI, mobilité professionnelle plus importante, etc.) oblige à une prise en compte de tous les cursus et toutes les catégories dans l’évolution des pratiques RH.

Comme cela a été souligné dans les précédents avis budgétaires, l’amélioration de l’environnement professionnel est considérée à juste titre comme une priorité pour renforcer la fidélisation au regard des évolutions constatées dans la société. L’amélioration des modalités générales d’exécution du service (dotation en équipements individuels, disponibilité des matériels, soutien de proximité, etc.) et des conditions de vie (infrastructures et offres d’hébergement, de restauration et de loisirs, etc.), une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle grâce au plan Famille et l’évolution des pratiques dans le domaine des ressources humaines (développement d’un dialogue de gestion individualisé, construction de parcours professionnels attractifs, diversifiés et personnalisés) s’inscrivent dans cette dynamique.

Aussi, en 2023, 1,7 milliard d’euros seront consacrés aux petits équipements afin de mieux équiper et protéger les militaires avec 70 000 treillis F3 prévus en 2023, 12 000 gilets pare-balles et 20 500 panoplies NRBC. Toute la force opérationnelle terrestre devrait se voir équipée en treillis F3 et en gilets SMB d’ici 2025.

Dans la lignée également des précédents avis budgétaires, il apparaît que le plan Famille est désormais bien connu et bien perçu grâce à des avancées notables et tangibles (carte SNCF, amélioration des offres de garde d’enfants, Wi-Fi gratuit, hausse substantielle des crédits destinés à la cohésion et l’amélioration du cadre de vie…). Le plan génère cependant des attentes encore fortes dans les domaines du logement, de l’accompagnement de la mobilité (déménagement, inscription scolaire, travail du conjoint, gardes d’enfant en horaires atypiques) et de l’hébergement, qui ne pourront être satisfaites qu’au prix d’un effort dans la durée. Dans la perspective d’un « plan famille 2 », l’armée de Terre attend la pérennisation des actions initiées, tout en accentuant l’effort sur les garnisons les plus difficiles (garnisons isolées, outre-mer et étranger).

La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) doit offrir aux gestionnaires des ressources humaines davantage de leviers pour répondre aux besoins de fidélisation face à l’émergence de nouvelles compétences et aux évolutions du marché du travail. Une meilleure prise en compte des contraintes liées à la mobilité, au coût du logement et à l’absence générée par les activités opérationnelles est en particulier attendue. Les premiers retours de l’armée de Terre sur l’indemnité de mobilité géographique des militaires, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, sont positifs. Au 1er janvier 2022, le déploiement de la NPRM s’est poursuivi avec la mise en place de l’indemnité de sujétions d’absence opérationnelle (ISAO), de la prime de commandement et de responsabilité militaire (PCRM) et de la PRIME DE PERFORMANCE (PERF).

II.   DEUX POINTS D’ATTENTION POUR RESPECTER LA PROGRAMMATION

Si l’armée de Terre est aujourd’hui engagée, crédible et mieux entraînée, son niveau d’engagement opérationnel se maintient à un niveau élevé. Les forces terrestres sont engagées sur des théâtres d’opérations très divers et ont fait preuve d’une grande réactivité afin de se déployer sur le flanc Est de l’Europe sous de très courts préavis. Cette situation justifie d’actionner un maximum de leviers pour libérer du temps pour la préparation opérationnelle.

De plus, le niveau de l’inflation demeure préoccupant et pourrait avoir des répercussions négatives sur le niveau d’activité de l’armée de Terre à terme.

A.   LA NÉCESSAIRE POURSUITE DE L’EFFORT EN MATIÈRE DE PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE

La préparation opérationnelle, parce qu’elle est le produit d’une combinaison de facteurs (disponibilité des hommes, des matériels, des formateurs et des camps d’entraînement) est logiquement un des résultats les plus difficiles à atteindre.

1.   Un engagement opérationnel en hausse, seulement en partie compensé par la ré-articulation de l’opération Barkhane

Avec plus de 5 400 hommes et femmes déployés en opérations extérieures en septembre 2022, le niveau d’engagement de l’armée de Terre demeure élevé, sans oublier les 9 000 soldats qui protègent le territoire national en métropole et en outre-mer, notamment à travers la mission Sentinelle.

L’armée de Terre continue d’être déployée sur cinq théâtres extérieurs (Sahel, Levant, Liban, République centrafricaine, Bosnie-Herzégovine) et deux missions opérationnelles (Roumanie, Estonie), au lieu de trois théâtres prévus dans le contrat opérationnel.

Le 10 juin 2021, le président de la République a annoncé la transformation de l’opération Barkhane avec le passage souhaité à une logique de coopération et de partenariat renforcés avec nos partenaires sahéliens et ouest-africains. Dans un premier temps, l’évolution de la présence militaire française au Sahel se traduit surtout par une augmentation des flux de sortie du théâtre et des flux intracontinentaux suscités par la réorganisation de la force entraînant une augmentation conséquente des flux d’acheminement et la prise en charge de la régénération des matériels de retour du Sahel.

Ainsi, les années 2021 et 2022 ont été marquées par une transformation profonde de l’opération à laquelle l’armée de Terre continue de contribuer largement. Les effectifs ont décru progressivement, passant d’environ 4 000 soldats des forces terrestres en juin 2021 à 3 200 en janvier 2022 puis à moins de 2 000 hommes en juillet 2022, ponctuée de renforts temporaires consentis pour aider à la ré-articulation de l’opération (environ 500 soldats).

La ré-articulation de l’opération Barkhane devrait redonner des marges de manœuvre à l’armée de Terre en termes de disponibilité des hommes et des matériels. Toutefois, l’état-major de l’armée de Terre anticipe d’importants surcoûts et un cycle de retrait et de régénération des véhicules très long.

La manœuvre devrait en effet conduire, d’une part, à une moindre consommation des stocks de pièces détachées et de munitions, et d’autre part, à une préservation des potentiels militaires, en particulier sur les principaux véhicules du théâtre (VBCI notamment).

Les matériels de combat de retour du Sahel seront régénérés avant d’être réinjectés au sein des forces. Aujourd’hui, selon le DC-SIMMT, plus de 700 matériels ont été identifiés et sont en cours de tri surplace. 180 sont déjà rapatriés, en priorité les matériels dont l’armée de Terre a le plus besoin. Toutefois, les opérations de régénération des matériels seront probablement longues en raison du caractère, qualifié d’« abrasif » du théâtre sahélien et restent dépendantes de la vitesse d’évacuation des théâtres. De plus, les délais de régénération pourront varier selon l’état des véhicules et en fonction des capacités de traitement disponibles chez les industriels. Ainsi, la régénération des Griffon devrait être rapide car ceux-ci étaient engagés seulement depuis 2021, contrairement à d’autres équipements demeurés très longtemps sur le terrain. La réinjection au sein des forces devrait débuter à l’horizon 2024. Au total, l’opération pourrait prendre entre 4 ans et 4 ans et demi.

En 2021, les dépenses préfinancées par l’armée de Terre s’élèvent à 277 millions d’euros, dont 229 millions d’euros au titre de l’opération Barkhane, selon les informations fournies au rapporteur. En revanche, en 2022, selon le Major général de l’armée de Terre, la ré-articulation de l’opération Barkhane a eu pour effet de produire un surcoût OPEX moins élevé qu’anticipé. L’armée de Terre attend 185 M€ au titre du remboursement de surcoût OPEX, correspondant à l’opération Barkhane, en loi de finances rectificative.

Toutefois, les personnes rencontrées considèrent que les moindres dépenses liées à Barkhane auront un bénéfice budgétaire à moyen terme (horizon 2025) mais ne pourront pas totalement compenser le niveau d’engagement d’un segment lourd en Europe de l’Est. La diminution de l’engagement a néanmoins facilité l’envoi de matériels en Roumanie, notamment des VBCI qui vont pouvoir être réinjectés plus facilement dans l’opération Aigle.

2.   Un effort à poursuivre pour atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM

L’armée de Terre a amorcé un redressement de sa préparation opérationnelle qui devrait se confirmer en 2023. Cependant, l’atteinte des normes d’entraînement déterminées par la LPM demeure un sujet de préoccupation. En effet, si les crédits du PLF 2 023 devraient permettre d’accroître le niveau d’activité des forces terrestres par rapport à la loi de finances pour 2022 (+ 6 points s’agissant du taux d’entraînement sur matériel terrestre, + 6 heures de vol pour les équipages aéronefs forces conventionnelles et + 14 heures de vol pour les équipages aéronefs des forces spéciales), l’atteinte de ces taux demeure soumise à la compensation en gestion des surcoûts liés à la guerre en Ukraine. L’armée de Terre devrait ainsi atteindre 70 % du taux d’entraînement sur matériel terrestre en 2023.

Néanmoins, l’armée de Terre peine encore à atteindre les objectifs fixés par la LPM, surtout en raison de difficultés de soutien rencontrées sur certains parcs et des coûts élevés des marchés de soutien. Le niveau d’activité dépend au premier rang du potentiel des équipements A titre d’exemple, le sous-chef plans et programmes a cité les chars Leclerc. Autour de 15 000 heures de potentiel sont financées pour l’année, via les crédits dédiés au MCO, ce qui correspond à environ une heure d’entraînement par équipage et par semaine. La remontée du niveau d’activité constitue donc un véritable sujet d’attention, même si celui-ci est assez disparate selon les parcs car les coûts de financement d’une heure de potentiel varient beaucoup selon les véhicules concernés.

L’examen complet des normes d’entraînement sur matériel terrestre définies en LPM montre certaines fragilités persistantes qui sont autant de priorités. Le segment de décision (XL, VBCI), essentiel en cas de réalisation de l’hypothèse d’engagement majeur, et les parcs d’ancienne génération sont les plus affectés. La maîtrise des coûts et la hausse des moyens consacrés à la préparation opérationnelle, en cohérence avec les besoins de l’armée de Terre, constituent des enjeux majeurs, alors qu’en 2023, l’exercice ORION aura pour effet de mobiliser beaucoup de potentiel militaire.

 

RÉalisation des normes d’entraÎnement sur matÉriels majeurs
prÉvus par la LPM 2019-2025 pour les forces terrestres*

Entraînement par équipage

Réalisation 2021

Prévision initiale 2022

Prévision actualisée 2022

Prévision 2 023

Objectif LPM 2025

Normes d’entraînement

Char Leclerc (en heures)

55

60

59

58

106 heures

115 heures

AMX 10 RCR/Jaguar (en heures)

67

76

76

81

126 heures

100 heures

VAB/Griffon (en kilomètres)

773

709

740

829

992 km

1 100 km

VBCI

(en heures)

80

69

66

67,5

120 heures

130 heures

CAESAR et pièces de 155 mm

(en coups tirés)

71

69

69

69

101

coups

110 coups

Hélicoptères Terre (forces conventionnelles, en heures de vol)

178*

148**

148**

144**

200 heures

200 heures

Hélicoptères Terre (forces spéciales, en heures de vol)

201

154**

154**

157**

220 heures

220 heures

(*)  Avec opérations extérieures (OPEX), hors substitution.

(**) Sans OPEX, avec substitution.

Source : réponse au questionnaire budgétaire, le 10 octobre 2022.

3.   L’exercice ORION 2023, un bel exemple de changement d’échelle de la préparation opérationnelle

Le durcissement et l’allongement des périodes d’entraînement se poursuivent dans les forces terrestres mais la difficulté réside dans le passage d’un modèle de préparation en petites unités engagées dans des opérations ponctuelles avec des équipements d’ancienne génération, à un modèle préparant de grandes unités avec toutes les capacités modernisées de l’armée de Terre.

L’année 2023 constituera une étape importante dans la préparation opérationnelle à la haute intensité grâce à la tenue de l’exercice Orion 2 023. Cela fait plusieurs dizaines d’années que l’armée de Terre n’a pas conduit un exercice de cette ampleur. De niveau divisionnaire, l’exercice Orion se déroulera sur près de quatre mois et permettra aux forces terrestres de s’entraîner à la mise en œuvre de l’hypothèse d’engagement majeur, telle que définie dans le contrat opérationnel de l’armée de Terre à travers « l’entrée en premier sur un théâtre d’opérations avec engagement d’un système divisionnaire complet au sein d’un dispositif interallié dans un affrontement de haute intensité contre un adversaire à parité. »

Si la planification et la préparation d’Orion avaient débuté avant le conflit ukrainien, l’exercice prévoit d’aborder tous les aspects d’un conflit de haute intensité (défi logistique, étendu du champ de bataillon, conflictualité dans les champs immatériels) et intègre certains éléments du retour d’expérience Ukraine (SIC, mobilité des postes de commandement, hybridation des réseaux, drones). Au-delà des bénéfices retirés en termes de préparation opérationnelle, l’exercice Orion 2 023 a également vocation à opérer un « signalement stratégique » sur notre aptitude à faire face à un conflit majeur en démontrant la modernisation doctrinale et capacitaire de l’armée de Terre.

La préparation à la haute intensité vise à permettre aux forces de prendre l’initiative dans les premiers chocs du conflit, dès les premières heures. À cette fin, les trois standards de préparation opérationnelle ont été rénovés : standard 1 (minimum, correspondant aux savoir-faire de base « métiers » et directement utile à l’opération Sentinelle), standard 2 (gestion de crise en environnement interarmes) et standard 3 (haute intensité), pour assurer que l’armée de terre soit capable d’encaisser un premier choc dans un combat de haute intensité.

Aussi, les crédits consacrés aux activités opérationnelles (AOP) dans le PLF 2 023 sont en nette augmentation (+12 % en autorisations d’engagement et +9 % en crédits de paiement), permettant de financer ces exercices majeurs. Cette augmentation des ressources doit permettre de financement l’exercice Orion sans dégrader le reste de la préparation opérationnelle.

4.   Une gamme de leviers à actionner

La poursuite des investissements dans le MCO est nécessaire pour continuer à améliorer la disponibilité technique des matériels et ainsi augmenter le potentiel d’entraînement.

Les coûts de MCO se voient en effet renchéris. Ceux-ci suivent une courbe en « U ». La présence simultanée dans les parcs de l’armée de Terre d’équipements très modernes (comme les équipements du programme Scorpion) et d’équipements vieillissants (comme les VAB ou les AMX10-RC) provoque un surcoût important, ce qui explique que les crédits investis dans l’entretien programmé du matériel (EPM) ne produisent pas nécessairement une hausse homothétique de l’activité.

Un enjeu sera de réinjecter rapidement les véhicules de retour du Sahel dans les camps d’entraînement. Votre rapporteur considère qu’il est nécessaire de procéder au plus vite au rapatriement des équipements, afin de les stocker en France dans de bonnes conditions et d’éviter toute dégradation additionnelle liée aux conditions désertiques.

Un autre levier réside dans le développement de la réactivité et de la modularité de l’engagement des forces terrestres sur le territoire national. Si le niveau de contribution de l’armée de Terre à l’opération Sentinelle est pour l’instant considéré comme soutenable, les militaires participant remplissent une mission de soldats, mais ne s’entraînent pas à leur cœur de métier de combattant. Un déploiement fondé sur une réactivité accrue des unités serait certainement mieux à même de produire un effet dissuasif et de réassurance pour les Français qu’une présence dans la durée. À ce titre, les Jeux olympiques 2024 auront un impact non négligeable sur la mobilisation des forces terrestres sur le territoire national et un équilibre devra être trouvé s’agissant de l’emploi des hommes, tout en restant vigilant à conserver un niveau de préparation opérationnelle suffisant.

Engagement de l’armée de Terre sur le territoire national :

L’armée de Terre contribue au quotidien à la protection du territoire national et de la population à travers des missions de défense militaire et de défense civile. À ce titre, elle participe à l’opération SENTINELLE, à la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane dans le cadre de l’opération HARPIE, à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte, à l’opération RESILIENCE de lutte contre la pandémie de la Covid, à l’opération HEPHAISTOS de lutte contre les feux de forêts, ou encore la mission TITAN permettant la protection de la base de Kourou.

L’engagement de l’armée de Terre, principal contributeur à l’opération SENTINELLE, s’articule aujourd’hui en trois échelons : un dispositif opérationnel permanent, une réserve opérative permettant de répondre de manière réactive aux sollicitations des préfets de zone de défense et de sécurité et une réserve stratégique permettant de porter le dispositif à 10 000 militaires sur ordre du président de la République dans les situations les plus graves.

L’opération SENTINELLE n’a connu aucune évolution majeure depuis avril 2021, date du désengagement des renforts qui avaient été décidés à la suite des attaques terroristes d’octobre 2020. Le dispositif permanent s’élève aujourd’hui à 3 000 militaires auquel s’ajoutent une réserve opérative de 4 000 militaires en alerte et une réserve stratégique de 3 000 militaires. La période estivale et les fêtes de fin d’année font tous les ans l’objet d’un effort particulier avec des engagements compris entre 400 et 600 militaires en renfort.

En 2022, dans le respect du principe de concentration des efforts et de réactivité du dispositif, et sur la base du dialogue civilo-militaire, l’adaptation du volume des effectifs de la force SENTINELLE se poursuit. Le modèle actuel offre davantage de souplesse dans le cadre du dialogue civilo-militaire entre les officiers généraux de zone de défense et sécurité et les préfets de zone de défense et de sécurité.

Source : réponse au questionnaire budgétaire, ministère des Armées, 10 octobre 2022.

B.   UN NIVEAU D’ACTIVITÉ QUI DOIT ÊTRE CONFORTÉ

L’année 2022 se caractérise par des surcoûts non prévus en LPM et un niveau préoccupant d’inflation qui doivent conduire à demeurer vigilant en gestion et sur les prochains exercices pour préserver le niveau d’activité des forces terrestres.

Si les effets de l’inflation seront contenus sur l’exercice 2022, puis, grâce au mécanisme de report de charge à partir de 2023, toute hausse supplémentaire serait néanmoins néfaste pour l’armée de Terre. Ce sujet devra faire l’objet d’une attention particulière en loi de programmation militaire. L’armée de Terre voit ainsi ses besoins de paiement augmenter de près de 137 millions d’euros en 2023 en raison de l’inflation, dont la majorité (97 millions d’euros) sera réputée couverte par des reports de charge. La part de l’inflation non couverte s’élèverait à 40 millions d’euros et se traduirait par des renoncements limités sur les stocks et l’activité. L’effet de l’inflation se fait tout particulièrement ressentir dans le domaine du MCO terrestre avec des tensions sur les prix des pièces détachées, les munitions, et les équipements.

Toutefois, selon les informations reçues en réponse aux questionnaires budgétaires, le ministère des Armées prend en compte les conséquences exceptionnelles de l'inflation par le mécanisme du report de charges dont les objectifs, décrits dans le rapport annexé de la loi de programmation militaire, seront revus à la hausse sur la gestion 2 023. Ce levier peut être actionné sans risque car le ministère avait, conformément à la LPM, réduit son report de charges sur la période antérieure, se redonnant ainsi les marges de manœuvre dont il a aujourd’hui besoin pour faire face au pic d’inflation. Cette année, devant la forte augmentation des coûts des matières premières, le coût des facteurs a été réévalué en mars 2022 afin de sincériser au maximum la programmation militaire pour 2023.

Le sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre entendu par le rapporteur a néanmoins insisté sur le fait que l’armée de Terre entrait dans une phase de modernisation qui nécessitait de la visibilité et une stabilité financière.

Aussi, les reports de charges constituent un point d’attention en termes de financement des programmes de modernisation capacitaire prévus en LPM pour les années à venir. Si les effets de l’inflation n’auront pas pour effet, du moins à court terme, de retarder la cible prévue en LPM, les lissages consentis, ainsi que les reports de charges prévus, doivent amener à la vigilance, surtout à horizon des exercices 2024 et 2025. Les reports de charge constituent une solution transitoire qui repose sur l’hypothèse d’une stabilisation du niveau d’inflation en 2023 et 2024. Interrogé par le rapporteur sur les conséquences néfastes que pourrait avoir la politique de report de charges sur les fournisseurs de l’armée de Terre, le sous-chef performance et synthèse a indiqué que l’armée de Terre veillait à ce que les entreprises les plus fragiles au niveau de leur trésorerie ne soient pas concernées.


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   DEUXIÈME PARTIE : CONSÉQUENCES ET PREMIÈRES LEÇONS DE LA GUERRE EN UKRAINE POUR LA PRÉPARATION ET L’EMPLOI DES FORCES TERRESTRES

Alors que la guerre en Ukraine fait toujours rage aux portes de l’Europe au moment de l’écriture de cet avis budgétaire, votre rapporteur a souhaité mettre en lumière la solidarité dont la France a fait preuve envers les forces armées ukrainiennes et la manière dont les forces terrestres ont été associées à cet effort.

Si soutenir le peuple ukrainien qui se bat tous les jours pour protéger sa souveraineté nationale et sécuriser son front oriental est notre devoir impérieux, il convient d’examiner la manière dont l’effort consenti par notre défense nationale est pris en compte, voire compensé afin de trouver un juste équilibre entre l’aide apportée et la préservation des intérêts de nos forces terrestres. Toutefois, il convient de rappeler que les deux parties de l’équation ne sauraient être opposées, tant l’aide apportée aux forces ukrainiennes contribue à notre propre défense.

Les auditions menées par votre rapporteur permettent de dresser, dans une seconde partie, les premières leçons tirées de la guerre en Ukraine pour les forces terrestres, à l’aune de leur préparation à la guerre de haute intensité. Un tel exercice n’est pas aisé, d’autant plus que le conflit est encore en cours, et il ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Le rapporteur a néanmoins estimé qu’il convenait de présenter d’ores et déjà des pistes de réflexion qui auront vocation à être approfondies dans la perspective de l’examen de la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

Lors de son discours introductif à la journée de présentation de l’armée de Terre 2022, le CEMAT a rappelé que la modernisation technologique n’a pas rendu l’affrontement au sol accessoire. « Le milieu terrestre demeure l’espace fondamental des rivalités stratégiques : conquête de richesses, gains territoriaux, influence et contrôle des populations et des centres de pouvoir ». En effet, les exigences de phases de combat de haute intensité : capacité à durer, niveau suffisant de stocks de munitions, s’accompagneront toujours du besoin de conserver des moyens d’action sur le reste du spectre, ce qui constitue un vrai défi pour nos armées.

Toutefois, le rapporteur est bien conscient que le théâtre ukrainien ne doit pas conduire à délaisser d’autres menaces, comme la protection du sol national en métropole comme dans les outre-mer et la lutte contre le terrorisme qui demeurent des enjeux majeurs.

 

 

I.   DES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES ET OPÉRATIONNELLES DIRECTES POUR LES FORCES TERRESTRES, EN PARTIE COMPENSÉES

Dictée par l’urgence dans un premier temps, l'aide militaire française à l’Ukraine a évolué progressivement pour s’inscrire dans une stratégie de moyen terme, intégrée aux efforts de nos alliés, de l’Union européenne et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Ce soutien militaire nécessaire et légitime, comme élément de notre défense commune, doit être concilié avec une exigence de soutenabilité de cet effort dans la durée afin de ne pas compromettre la capacité de réaction des forces terrestres face un scénario imprévu. La compensation des surcoûts engagés et la reconstitution des stocks cédés apparaissent dès lors comme des enjeux majeurs pour les forces terrestres en 2022 et en 2023.

A.   L’ARMÉE DE TERRE A ÉTÉ TRÈS SOLLICITÉE DANS LE CADRE DU SOUTIEN MILITAIRE APPORTÉ PAR LA FRANCE AUX FORCES UKRAINIENNES

L’armée de Terre est l’armée qui a le plus contribué à l’aide militaire consentie par la France au bénéfice des forces ukrainiennes, à travers d’une part, des cessions de matériels, et d’autre part, le renforcement et la création de nouveaux déploiements sur le flanc Est de l’Europe.

1.   Des cessions de matériel directement prélevées sur les parcs des forces terrestres

Si le ministère des armées n’a pas souhaité rendre publique la liste complète des matériels et équipements cédés aux forces ukrainiennes pour des raisons de discrétion et de sécurité nationale, de nombreuses composantes de l’aide militaire apportée aux forces ukrainiennes sont accessibles en sources ouvertes.

Les cessions les plus emblématiques sont, bien sûr, les 18 systèmes de canons CAESAr. Celles-ci s’accompagneraient des munitions correspondantes mais également de véhicules de l’avant blindé (VAB), de véhicules de transport, de missiles antichars « Milan », de missiles antiaériens « Mistral », de roquettes, de matériel optronique et d’équipements à destination des combattants ukrainiens. Les matériels cédés sont prélevés au sein des formations de l’armée de Terre ou directement au sein des dépôts, comme c’est le cas pour les munitions. Plus récemment, la livraison de vingt véhicules Bastion a été annoncée. La cession des TRF1, n’affecte pas en revanche l’entraînement des forces car ce matériel n’est plus en dotation.

Enfin, l’armée de Terre s’est également engagée dans le soutien aux militaires ukrainiens à travers la réalisation de formations à destination des maintenanciers et des soldats pour leur permettre d’opérer de manière autonome.

2.   Dès les premiers jours du conflit, la France a renforcé son dispositif sur le flanc Est de l’Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l’Alliance atlantique

En réaction à l’agression russe en Ukraine le 24 février 2022, la France a rapidement décidé, d’une part, de participer à la mission Aigle de l’OTAN, nouvellement créée en Roumanie, et d’autre part, de prolonger sa présence en Estonie dans le cadre de la mission Lynx. Les forces terrestres ont su faire preuve d’une grande réactivité et se sont déployées sous de très courts préavis, tout en créant une structure ad hoc pour coordonner au mieux les différents engagements européens.

Si ces missions opérationnelles n’ont pas vocation à se substituer à de grands exercices, elles sont mises à profit par les forces pour réaliser des activités de préparation opérationnelle, à travers l’entraînement aux combats de haute intensité en unité interalliée, avec un fort travail sur l’interopérabilité. À ce titre, le flanc Est de l’Europe apparaît riche d’enseignements opérationnels pour les forces terrestres, car il permet de se réapproprier des espaces de manœuvre parfois « oubliés », se rapprochant davantage des conditions géographiques et climatiques qu’elles pourraient expérimenter sur le territoire national. Ces missions sont également l’occasion de s’entraîner avec des matériels majeurs de nouvelle génération et de renouer avec des savoir-faire fondamentaux comme l’acheminement stratégique.

Enfin, ces déploiements ont vocation à témoigner de la solidarité stratégique française envers nos alliés et partenaires. Votre rapporteur a pu constater sur le terrain à quel point ces déploiements sont importants pour assurer la crédibilité de la France vis-à-vis de ses alliés de l’OTAN et ses partenaires européens, parfois dans une logique de « juste retour » vis-à-vis de nos partenaires engagés aux côtés de la France, notamment au Sahel, comme ce fut le cas de l’Estonie. Notre capacité à assurer le commandement d’un corps d’armée multinational en déployant un état-major et des appuis ainsi que de deux divisions de combat, conditionnera aussi le rôle futur que pourra jouer la France au sein d’une coalition.

a.   L’instauration d’un commandement militaire ad hoc

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et au déploiement du bataillon fer de lance en Roumanie, l’armée de Terre a mis en place à Lille un commandement intermédiaire ad hoc : le National Contingent Command « Terre – Europe continentale » (NCC France). Compte tenu du nombre de militaires engagés et de la durée des déploiements concernés, la création du NCC participe du suivi et du soutien « de l’alerte à l’emploi » de l’ensemble des engagements des forces terrestres françaises en cours en Europe. Répondant à la volonté d’un commandement simplifié et plus opérationnel, cette structure permet de garantir la réactivité et la continuité opérationnelle en assurant la coordination nationale de l’ensemble des forces terrestres françaises déployées sur un théâtre européen. Parmi ses missions, le NCC assure le contrôle opérationnel (OPCON) et coordonne notamment les actions de soutien logistique au profit des forces terrestres françaises participant aux missions Aigle et Lynx. En appui des Senior national representative (SNR) et en liaison avec les états-majors multinationaux de l’OTAN et de l’Union européenne, le NCC contrôle la conformité de l’emploi, de l’activité et de la préparation des forces terrestres déployées.

Par ailleurs, un observatoire de la guerre en Ukraine a été mis en place par le Centre de doctrine et d'enseignement du commandement (CDEC), dès le mois de février, pour tirer les leçons de la guerre en Ukraine.

b.   La création de la mission Aigle en Roumanie

En réponse à l’agression russe en Ukraine, le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), a ordonné le déploiement du bataillon fer de lance (Spearhead Battalion), bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’OTAN, dont la France assure cette année le commandement des volets terrestres et aériens. Aussi, le 28 février, soit seulement quatre jours après le début de l’invasion russe, 500 militaires français se sont déployés en Roumanie.

Du 28 février au 20 juin 2022, 250 militaires du 27e Bataillon de chasseurs alpins (BCA) ont participé à la mission Aigle. Ils ont fait preuve d’une grande réactivité dans leur déploiement. Alors d’alerte au titre de l’échelon national d’urgence (ENU), en rotation au CENTAC, leur préparation opérationnelle a été interrompue pour un départ sous très court préavis en Roumanie. Le rapporteur s’est rendu dans leur régiment à Annecy pour recueillir leur retour d’expérience. 300 soldats belges les ont rejoints (160 soldats et 140 maintenanciers) ensuite. Le Spearhead Batallion s’est déployé sur la base Mihail Kogalniceanu, au bord de la mer Noire, à une centaine de kilomètres au sud de la frontière ukrainienne.

Depuis le 1er mai, le bataillon multinational, composé d’une compagnie d’infanterie et d’un escadron français, rejoint par une unité belge et néerlandaise en rotation, constitue le Battlegroup Forward Presence (BGFP) dont la France est nation-cadre. Ce bataillon multinational a pour mission de renforcer les capacités opérationnelles des troupes déployées, de montrer la détermination de l’OTAN et de l’Europe à faire face à toute menace et de s’intégrer dans le plan de défense de la Roumanie.

Le manque d’infrastructures disponibles a imposé le déploiement de moyens lourds du génie afin de construire un camp destiné à accueillir 1 000 militaires à Cincu et un camp secondaire de 300 hommes à Constanta. Il apparaît nécessaire à votre rapporteur de conserver une présence à Constanta, située dans une zone stratégique du point de vue des combats, en complément de notre présence à Cincu. Aussi, la création d’un camp français sur la base de MKB, située à 25 km au nord-ouest de Constanta, à 20 km à l’ouest du rivage de la Mer noire, constitue un atout qui permettra d’agir de façon autonome en cas de conflit majeur dans la région, tout en se coordonnant facilement avec nos alliés. La défense de la zone Sud du pays apparaît primordiale afin, le cas échéant, d’être en mesure d’empêcher les forces russes de progresser jusqu’aux frontières de l’Union européenne, à travers Odessa, et la Transnistrie.

En outre, depuis le 16 mai 2022, les armées françaises déploient également le système de défense sol-air de dernière génération MAMBA, et un Centre de management de la défense dans la 3e dimension (CMD 3D) en Roumanie. Enfin, le 3 août dernier, une compagnie de 80 parachutistes néerlandais a rejoint la mission AIGLE en intégrant le BGFP, relevant le contingent belge.

Lors de son déplacement auprès du 27e bataillon de chasseurs alpins (BCA), le rapporteur a pu mesurer l’importance des enjeux liés à l’interopérabilité des forces dans un environnement multinational. Les capacités d’intégration passent en premier lieu par la langue et les moyens de communication.

Les cadres du bataillon ayant été déployés en Roumanie ont fait état d’un niveau d’interopérabilité élevé avec nos alliés belges, et ce, en grande partie grâce au partenariat franco-belge « CAMO ». En revanche, la communication s’est révélée plus complexe avec nos alliés roumains, en raison de la grande hétérogénéité qui perdure entre les unités et les générations de militaires roumains. Un point d’attention réside dans les systèmes de transmission et de communication, dont les systèmes de chiffrement n’étaient pas toujours compatibles, y compris avec les forces belges. L’interopérabilité des transmissions au niveau des armées européennes, voire l’unification des systèmes SICS, est indispensable pour pouvoir assumer pleinement le rôle de nation-cadre.

En outre, selon le Major général de l’armée de Terre, la France aurait vocation à remplir le rôle de nation-cadre, pour une durée significative de quatre à cinq ans. Le concept de nation-cadre, tel que défini par l’OTAN, est exigeant et impose de consentir des efforts dans les domaines suivants :

-         Le soutien : à ce titre la France a déployé une compagnie modulaire d’appui au déploiement (CMAD) conséquente afin d’atteindre des standards de stationnement acceptables des partenaires impliqués dans la mission ;

-         Le commandement : un embryon d’état-major de brigade sera déployé dès la fin de l’année 2022 dans le but d’assurer un déploiement dans de bonnes conditions d’un poste de commandement de brigade le cas échéant ;

-         Les systèmes d’information et de communication (SIC) : afin de garantir l’interopérabilité, un effort sur les moyens de communication est réalisé, dont le déploiement de ponts de communication tactiques (TVB).

c.   Le renforcement de la mission Lynx en Estonie

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Président de la République a décidé de maintenir la participation française au battlegroup en Estonie. Initialement à visée dissuasive, la présence de l’OTAN est aujourd’hui qualifiée de « dissuasive et défensive ».

Alors que le SGTIA blindé, qui était présent depuis un an en Estonie, a été relevé par la compagnie Viking des forces armées royales danoises, un sous-groupement d’infanterie spécialisé dans le combat d’usure en milieu difficile - armé par le 7e bataillon de chasseurs alpins de Varces - a été déployé le 17 mars 2022 pour intégrer le battlegroup de enhanced Forward Presence (eFP) Estonie. Le rapporteur a pu se rendre auprès des militaires français sur la base militaire de Tapa du 12 au 14 septembre dernier, dans le cadre de ses travaux.

La compagnie est placée sous autorité de la Grande-Bretagne, nation-cadre, et aux côtés des soldats danois. Ce nouveau battlegroup à 3 nations reste sous le commandement de la 1re brigade estonienne. Depuis le 7 mai, le sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) dispose notamment de véhicules de l’avant blindés (VAB) qui renforcent sa mobilité et offrent une capacité d’appui feu en combat débarqué.

S’agissant du volet aérien, le redéploiement du détachement d’avions de chasse français prévu au sein de la mission aérienne permanente de l’OTAN, enhanced Air Policing (eAP) a été avancé volontairement de 15 jours. Ainsi, entre le 15 mars 2022 et le 1er août 2022, la France a officiellement pris le relais de la Belgique dans le cadre de la mission de police du ciel de l’OTAN, baptisée enhanced Air Policing (eAP).

Notre présence s’élève aujourd’hui à un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) d’environ 300 personnes, insérées au sein du Battlegroup britannique. Au sein du SGTIA, une unité d’éléments de soutien national (ESN), composée d’environ 100 personnels, soutient les forces au quotidien. Les personnels rencontrés sur la base militaire de Tapa par le rapporteur estiment que l’ESN est suffisamment dimensionné pour assurer le soutien de la force, même si votre rapporteur constate que les capacités de transport dont il dispose sont dimensionnées au plus juste (certains véhicules sont uniques sur le théâtre, et toute panne ou indisponibilité pourrait entraver la capacité de soutien de l’ESN).

S’agissant des capacités, les matériels déployés en Estonie ont évolué au cours de la mission. Les forces rencontrées à Tapa par le rapporteur estiment que les moyens sont adaptés pour leur permettre de s’entraîner. 12 chars Leclerc, 8 véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI), 2 engins blindés du génie (EBG), 21 véhicules blindés légers (VBL) et 8 véhicules de l’avant blindé (VAB) ont initialement été déployés en Estonie, selon le rapport sur les opérations extérieures de la France, remis au Parlement en juin 2022. En septembre 2022, le SGTIA avait en dotation 70 véhicules. Des VAB sont actuellement en cours de remplacement par des véhicules à haute mobilité (VHM), plus adaptés aux conditions climatiques hivernales. Les forces rencontrées sur place font état d’un niveau globalement satisfaisant de disponibilité des matériels (autour de 90 %). Enfin, le stock de pièces de rechange est adapté et celui de munitions globalement bien dimensionné aux besoins actuels.

Les autorités françaises ambitionnent de projeter des Griffons en mars 2023. En réponse à la demande estonienne de renforcement du nombre d’équipements mobilisés, un peloton de chars Leclerc pourrait également être redéployé à la même période. Dans l’objectif de renforcer notre niveau d’interopérabilité avec nos alliés dans un cadre multilatéral, il pourrait être intéressant de réfléchir à l’opportunité de déployer un équipement « tout Scorpion » d’ici la fin 2023 (comprenant au-delà des Griffons, des matériels Jaguars et le système SICS) afin de faire de l’Estonie « un laboratoire opérationnel ».

En outre, votre rapporteur a souhaité évaluer les conditions dans lesquelles les forces étaient projetées. Les militaires rencontrés sur place par le rapporteur estiment que le budget de fonctionnement courant est globalement dimensionné. Néanmoins, les conditions d’hébergement sont rustiques (promiscuité, nombre de toilettes et de douches limités). La France devrait récupérer l’usage d’un bâtiment plus adapté en mars 2023, mais les infrastructures constituent également un point d’attention.

D’une part, s’agissant du logement, le détachement français devait achever son tour normal en mars 2022. À la suite de la décision du Président de la République de renforcer notre présence militaire en Estonie, les militaires français se sont donc retrouvés en phase de « Surge » et ne disposent pas actuellement de bâtiment officiel. Le bâtiment ayant vocation à accueillir les forces françaises à terme est actuellement occupé par les soldats danois. La rusticité du bâtiment d’accueil transitoire actuel (absence de volets notamment) contribue à une fatigue supplémentaire des troupes. Si les conditions de logement demeurent acceptables, en comparaison notamment avec d’autres théâtres d’opérations comme en bande sahélo-saharienne (BSS), la comparaison avec les infrastructures de meilleure qualité dont bénéficient aujourd’hui les autres forces alliées installées sur la base militaire de Tapa suscitent parfois des incompréhensions.

D’autre part, le stockage des matériels sensibles et le remisage des véhicules constituent également des problématiques importantes. Aujourd’hui, les forces déployées ne disposent pas des conditions de stockage toujours adaptées pour la « mise en hivernage » des matériels du détachement et leur stockage dans de bonnes conditions.

Le rapporteur note avec satisfaction que des travaux sont en cours pour remédier à cette situation dans les mois qui viennent.

Enfin, l’attention de votre rapporteur a également été attirée sur les conditions de travail des maintenanciers qui exercent actuellement dans un atelier de taille limitée, dans un bâtiment non chauffé et non initialement prévu pour être utilisé pour de la maintenance de véhicules. La zone est, en outre, commune avec les armées britannique et estonienne et est récupérable sous 30 jours par l’armée américaine en cas de nécessité. Cette situation apparaît problématique alors que l’hiver estonien est très rude. Enfin, le caractère rudimentaire de l’atelier n’est pour l’instant pas tout à fait adapté dans la perspective du maintien en condition opérationnelle des matériels Scorpion.

L’armée de Terre prévoit d’investir 1,8 m € pour financer des infrastructures adaptées pour les maintenanciers et le stockage des matériels. À terme, si la présence française devait se pérenniser au-delà, en 2024, le rapporteur sera vigilant à ce qu’une solution pérenne puisse être apportée à la problématique des capacités d’accueil de la base militaire de Tapa.

Enfin, alors que l’influence britannique est très présente en Estonie, le rapporteur estime que des renforcements ponctuels de notre présence militaire pour participer à des exercices ciblés apparaîtraient souhaitables pour répondre aux demandes des autorités estoniennes. Cela supposerait néanmoins d’accroître au préalable la planification des exercices avec nos alliés (sur deux ans). Cette solution intermédiaire permettrait de témoigner de la solidarité stratégique de la France envers ses partenaires baltes, sans engendrer un accroissement de l’engagement opérationnel, qui serait insoutenable pour nos armées.

3.   Un effort de formation envers les forces ukrainiennes dont les contours précis restent à définir

L’armée de Terre poursuit pour l’instant les démarches pour aider les forces armées ukrainiennes à employer en autonomie les capacités déjà cédées et répondre aux besoins formulés, à travers notamment la formation des artilleurs.

Au niveau européen, le renforcement de cette mission serait actuellement en cours avec la volonté de former des militaires ukrainiens dans des pays frontaliers, probablement en Pologne. Le lancement d’une mission européenne d’entraînement et d’assistance pourrait s’inscrire dans l’offre de partenariat militaire opérationnel (PMO) au profit des pays partenaires.

Complémentaires des formations déjà engagées par les alliés - en particulier les Britanniques - l'EUMAM se concentrerait sur l'instruction « collective » des soldats ukrainiens, après leur formation individuelle. Des formations spécialisées (médecine de guerre, déminage, cyber...) seraient également proposées.

Enfin, le 15 octobre dernier, le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, a annoncé que la France allait former jusqu’à deux mille soldats ukrainiens sur le territoire national. Les militaires concernés devraient être affectés dans les unités françaises pendant plusieurs semaines pour suivre une formation sur trois niveaux : la formation généraliste du combattant, celle aux besoins spécifiques identifiés par les forces ukrainiennes, notamment à la logistique, et une formation portant sur les matériels fournis.

B.   DES COMPENSATIONS NÉCESSAIRES POUR PRÉSERVER LE NIVEAU D’ACTIVITÉ DES FORCES TERRESTRES

Votre rapporteur souligne la nécessité de compenser les efforts consentis par les forces terrestres au bénéfice des forces ukrainiennes, au risque de compromettre leur capacité à assurer l’ensemble de leurs missions.

Au total, selon les informations recueillies par le rapporteur au cours de ses différentes auditions, la compensation au titre du « surcoût Ukraine » prévue en gestion, devrait s’élever à 342 millions d’euros en 2022 pour les forces terrestres. Cette enveloppe doit permettre de couvrir le coût des cessions (y compris de munitions, et le coût de mise en état des matériels avant cession aux forces ukrainiennes), des déploiements décidés et la mise en place de l’alerte (achat de potentiels, autonomies initiales de projection et lots de déploiement d’urgence, acheminements, etc.), ainsi que le coût des investissements consentis pour renforcer notre profondeur logistique nécessaire aux déploiements (accroissement du stock de pièces de rechange notamment).

Ce « surcoût Ukraine », doit être distingué du « paquet Ukraine », d’une valeur de 101 millions d’euros, qui devrait permettre de financer la prise de mesures conservatoires nécessaires en cas de survenue d’une crise majeure (reconstitution des stocks, munitions et pièces de rechange).

1.   La reconstitution des stocks est en cours mais contraint les forces terrestres à des ajustements

La reconstitution des stocks et des parcs cédés aux forces ukrainiennes est en cours, avec l’appui de financements européens, dont les modalités précises et la temporalité des remboursements demeurent néanmoins encore à préciser. Toutefois, le « trou capacitaire » temporaire induit contraint les forces terrestres à procéder à des aménagements, qui affectent l’entraînement des militaires.

Le coût de la reconstitution de stocks de matériels cédés à l’Ukraine est partagé entre les programmes 178 et 146. Le montant de 85 millions d’euros, évoqué par le Ministre des Armées, lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, le 20 juillet 2022, correspond à la valeur de remplacement des 18 systèmes de canons CAESAr et sera pris en charge par le programme 146. Aussi, les 18 systèmes de canons CAESAr et les premiers obus de 155 mm cédés ont fait l’objet d’une commande par la Direction générale de l’armement (DGA) en juillet dernier. Les livraisons sont prévues respectivement en 2024 et au premier semestre 2023.

Dans l’intervalle, les cessions affectent l’activité des régiments d’artillerie et l’école d’artillerie qui sont contraints à des prêts entre régiments pour maintenir le niveau d’entraînement. Les forces terrestres ont ainsi procédé à l’ajustement de la répartition des CAESAr au sein des parcs d’entraînement et des parcs régimentaires en métropole, afin de rendre l’activité soutenable. Chaque parc régimentaire a vu sa dotation de canons diminuer et des ajustements à la baisse ont également été consentis à l’école d’artillerie. Certains équipements installés au sein des forces de présence (notamment en République de Côte d’Ivoire) feront enfin l’objet d’un rapatriement anticipé.

En conséquence, le choix de l’armée de Terre de reconstituer sa capacité de systèmes de canons CAESAr au plus vite, afin d’être en capacité de faire face au plus tôt à toute surprise stratégique, apparaît justifié. En parallèle, le programme CAESAr nouvelle génération vise à acquérir 33 CAESAr supplémentaires pour porter leur nombre à 109.

S’agissant des munitions, d’autre part, l’effet des cessions apparaît aujourd’hui limité sur nos stocks. Les missions Lynx et Aigle mobilisent autour de 150 tonnes de munitions, pour un flux global annuel moyen d’environ 5 000 tonnes mises à disposition. Le directeur du service interarmées des munitions (SIMu) est confiant quant à la réactivité des industriels et leur capacité à produire des munitions plus rapidement. Néanmoins, les livraisons visant à reconstituer les stock d’obus cédés aux Ukrainiens arriveront seulement pour partie l’année prochaine.

Enfin, une partie du montant des livraisons d’équipements à l’Ukraine pourrait être prise en charge par le mécanisme de la facilité européenne pour la paix (FEP), mais le montant des remboursements et leur calendrier demeurent incertains. Ceux-ci pourraient s’étaler jusqu’en 2027 et il faudra veiller à éviter des ruptures temporaires de capacités supplémentaires ou générer des effets d’éviction sur les crédits concourant à d’autres missions de l’armée de Terre, notamment en matière de préparation opérationnelle. De plus, la facilité européenne pour la paix est dotée par chaque État membre en proportion de sa richesse nationale, mais la proportionnalité des remboursements n’est en revanche pas garantie. En l’espèce, le dispositif pourrait se révéler plus favorable aux pays comme la Pologne, dont le PIB est moins élevé mais qui sont capables de fournir rapidement un volume important de matériels anciennement soviétiques à l’Ukraine.

Créée en 2021, la Facilité Européenne pour la Paix (FEP) est un fonds extrabudgétaire alimenté par les Etats membres de l’Union Européenne (UE), auquel la France contribue à hauteur d’environ 18 %.

Ce fonds est destiné à couvrir les actions extérieures de l’UE ayant des implications militaires et dont le financement ne peut être assuré par le budget de l’UE, notamment la fourniture d’équipements militaires à nos partenaires et la prise en charge des coûts communs des missions et opérations de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, le Conseil de l’UE a adopté des mesures d’assistance permettant la fourniture d’équipement militaire aux forces armées ukrainiennes. Elles ont été abondées par cinq « paquets » successifs de 500 M€ depuis le 28 février 2022. Au total, l’enveloppe mobilisable pour le renforcement des capacités des forces armées ukrainiennes s’élève donc à ce jour à 2,5 Md€ (dont 2,3 Md€ pour l’équipement létal et 0,2 Md€ pour le matériel non-létal).

Cette enveloppe financière représente près de 50 % du plafond d’engagement de la FEP tel que prévu pour la période 2021-2027 (5,7 Md€).

La « clearing house cell » (CHC) mise en place le 26 février 2022 au sein de l’État-major de l’UE est chargée de coordonner la fourniture d'équipements militaires et de synthétiser les expressions de besoins des forces armées ukrainiennes. Mettant en regard les offres des Etats membres et les besoins ukrainiens, elle émet des recommandations sur l’éligibilité des livraisons de matériels au remboursement par la FEP, qu’il s’agisse de cessions de stocks de matériels des Etats membres ou, suite à une évolution récente, d’acquisitions de matériels spécifiquement effectuées par les Etats membres en vue de leur livraison à l’Ukraine. Ces recommandations de remboursement sont ensuite transmises au Comité FEP qui rendra la décision finale.

Tous les Etats membres de l’UE n’ayant pas encore transmis leurs demandes de remboursement par la FEP, il n’est pas possible à ce stade d’estimer le montant auquel pourrait prétendre la France ni, par conséquent, la part de nos cessions à l’Ukraine que cela représente.

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire, 10 octobre 2022

2.   Un surcroît d’activité qui devrait être pris en compte en gestion

Le rapporteur sera attentif à ce que les forces terrestres puissent bénéficier en gestion d’une compensation afin que l’engagement opérationnel en hausse ne se traduise pas par des renoncements sur d’autres programmes ou missions menées par les forces terrestres. In fine, les conséquences budgétaires devraient être neutres pour l’armée de Terre, grâce au mécanisme de surcoût OPEX.

Si les effectifs engagés au sein de ces missions ne représentent qu’une très faible proportion des effectifs de la force opérationnelle terrestre (1 %), une tension supplémentaire est exercée sur les fonctions logistique et soutien, alors même que la manœuvre de ré-articulation de l’opération Barkhane est en cours.

Selon les forces rencontrées sur place, le budget de Lynx Surge est d’environ de 3,6 m € (hors titre II) dont 1,80 M€ de travaux d’infrastructures. La très forte inflation que connaît actuellement l’Estonie (autour de +20 % en 2022), devrait être davantage prise en compte.

Les missions opérationnelles seront financées, par dérogation, au titre du surcoût OPEX et ne font donc pas l’objet d’une budgétisation en projet de loi de finances pour 2023. À noter que les missions opérationnelles, bien qu’assimilables à des OPEX, n’en reçoivent pas pour autant la qualification à ce jour, ce qui les exclut en principe du dispositif de prise en charge des dépenses OPEX/Missions intérieures (OPEX/MISSINT) inscrits à l’article 4 de la loi de programmation militaire.

Pourtant, les surcoûts OPEX permettent de rendre compte de la suractivité. Selon les personnes rencontrées, les missions opérationnelles Aigle et Lynx s’apparentent à de véritables engagements opérationnels et ne se substituent pas à l’entraînement réalisé sur le territoire national. Les unités envoyées pour participer à la mission Aigle en Roumanie sont des unités présentant un niveau de préparation maximal, qualifiées de « bonnes de guerre. » Les entraînements réalisés sur place, au besoin avec les alliés, relèvent davantage du signalement stratégique, visant à démontrer que les forces françaises sont prêtes à combattre.

À l’avenir, il serait donc souhaitable que les missions opérationnelles de l’armée de Terre puissent faire l’objet d’un financement au même titre que les OPEX, grâce à une disposition législative ad hoc qui sécuriserait le budget des forces terrestres et les prémunirait contre les risques d’éviction en gestion. Une réflexion pourrait être menée à ce sujet dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, tout en tenant compte de la difficulté à définir l’engagement opérationnel des forces terrestres, en comparaison avec les autres armées.

Cette réflexion apparaît d’autant plus prégnante que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé le 11 octobre dernier, un renforcement de la participation française au sein des missions Aigle et Lynx, à travers le déploiement, d’une part, de nouveaux effectifs, de véhicules blindés d’infanterie et d’un escadron de chars Leclerc d’ici le mois de novembre en Roumanie, ainsi que, d’autre part, le déploiement d’une compagnie d’infanterie légère, équipée de véhicules Griffon en Estonie, en 2023.

II.   LES PREMIÈRES LEÇONS TIRÉES DU CONFLIT UKRAINIEN À L’AUNE DE LA PRÉPARATION AU CONFLIT DE HAUTE INTENSITÉ

Votre rapporteur a tenu à présenter dans son avis budgétaire les premières leçons que les forces terrestres ont tirées de la guerre en Ukraine. Le conflit étant actuellement toujours en cours, l’exercice de retour d’expérience ne peut être que partiel, même s’il s’avère nécessaire dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire.

Il ressort des auditions menées par le rapporteur que plusieurs éléments peuvent caractériser, en première analyse, la nature des combats menés en Ukraine. Ceux-ci se démarquent par la brutalité - des conflits plus durs avec une forte attrition affirmant les forts besoins de régénération et d’assemblage de nouveaux véhicules, l’impératif de réactivité - dès les premiers chocs de la guerre, soulignant le besoin d’une industrie de défense déjà préparée en amont du conflit, l’endurance - des conflits qui durent et sont consommateurs d’équipements dans le temps, et, enfin, la transparence - tous les échelons sont exposés de la même manière sur le champ de bataille, grâce à la portée des armes et aux capacités d’acquisition à long rayon d’action, drones compris.

Cette menace était pour partie déjà identifiée par les armées et vient confirmer la volonté d’aguerrissement des forces terrestres. Néanmoins, la guerre en Ukraine constitue un tournant stratégique, dont les leçons devront être tirées dans la prochaine loi de programmation militaire. Au principal, le retour de la haute intensité aux portes de l’Europe impose une armée de Terre durcie dans ses stocks et appuyée par une industrie de guerre lui permettant de durer. L’armée de Terre doit pouvoir assurer son autonomie logistique et sa soutenabilité dans la durée. L’enjeu est in fine l’autonomie du mouvement terrestre.

A.   COMPLÉTER NOS STOCKS ET ACQUÉRIR LES ÉQUIPEMENTS QUI PERMETTRONT AUX FORCES TERRESTRES DE GAGNER LA GUERRE D’AUJOURD’HUI MAIS AUSSI CELLE DE DEMAIN

Le retour d’expérience de la guerre en Ukraine s’inscrit dans le débat plus large concernant l’équilibre entre masse et technologie au sein des armées. Les cessions d’équipements aux forces ukrainiennes ont mis en lumière des parcs et des stocks dimensionnés au plus juste et appellent également une réflexion sur des réorientations nécessaires en matière capacitaire, à l’aune de la prochaine loi de programmation militaire.

1.   Les cessions de matériels ont mis en lumière des capacités dimensionnées au plus juste qui conduisent à écarter pour l’instant de nouvelles cessions prélevées directement sur les stocks des forces terrestres

Le dimensionnement au plus juste de certains parcs des forces terrestres conduit aujourd’hui votre rapporteur à estimer qu’il serait préférable d’écarter la possibilité de nouvelles cessions d’équipements directement prélevés sur les stocks des armées. À titre d’exemple, la cession des 18 systèmes de canons CAESAr représente 21 % d’un parc de 76 canons, correspondant à un modèle de gestion de crise, dans lequel l’artillerie avait été délaissée.

La guerre en Ukraine matérialise le retour de l’attrition dans le cadre d’un conflit que l’on pourrait qualifier de symétrique. Elle rappelle donc la nécessité de disposer du niveau de masse suffisante pour faire face dans la durée. Pour autant, il ne faut pas opposer masse et technologie, les deux dimensions sont nécessaires pour garder la supériorité opérationnelle sur les adversaires. Si la technologie est primordiale pour avoir l’avantage au début de la guerre, la masse doit permettre ensuite de durer. La recherche de la supériorité technologique doit être poursuivie jusqu’au moment où celle-ci suppose un coût trop important qui conduit à des renoncements sur la quantité produite. Au-delà, du mix rusticité/technologie, la question de la mise à disposition d’objets high tech de masse au profit des armées apparaît également un enjeu, à travers l’exemple ukrainien marqué par l’hybridation des canaux de communication, quitte à s’appuyer sur le secteur civil pour davantage de réactivité.

La problématique du dimensionnement des parcs est actuellement partagée par nos principaux partenaires européens. Des mécanismes innovants ont été mis en place par certains États afin de limiter l’impact des cessions aux forces ukrainiennes sur leurs stocks. L’exemple allemand, qui consiste à livrer du matériel aux pays qui consentent à fournir une aide militaire à l’Ukraine, est intéressant à ce titre. Cette diversité des modes d’aides militaire à l’Ukraine rend, en revanche, assez peu pertinente les comparaisons internationales.

Toutefois, les besoins des forces ukrainiennes en aide militaire demeurent très importants et l’hypothèse d’un conflit qui dure dans le temps ne peut être exclue. La récente annonce par le Président de la République de la potentielle livraison de 6 systèmes de canons CAESAr supplémentaires au profit des forces ukrainiennes, sur une commande à l’export à destination du Danemark, apparaîtrait en cela une solution de compromis acceptable qui permettrait d’armer l’Ukraine sans pour autant désarmer les forces terrestres françaises, si toutefois celle-ci venait à être confirmée. Au moment de l’écriture de ce rapport, un troisième volet d’aide serait en cours pour répondre à des demandes précises des forces armées ukrainiennes et constituerait principalement en des nouvelles formations, du carburant, un soutien en termes de maintenance, ainsi que la fourniture de pièces de rechange et de munitions. À la mi-octobre, la France envisagerait également l’envoi de lance-roquettes LRU, ainsi que des missiles sol-air de courte portée Crotale et de radars GM200 pour contribuer à la défense aérienne ukrainienne, ces deux matériels en dotation au sein de l’armée de l’air et de l’espace.

Enfin, une réflexion doit être menée pour anticiper d’ores et déjà l’aide qui sera nécessaire à la reconstruction et à la reconstitution de l’appareil militaire ukrainien post conflit.

2.   Le retour d’expérience des premiers mois de la guerre en Ukraine conduit à identifier des axes de progression en matière capacitaire

Conformément à la vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de Terre, les forces terrestres doivent disposer « des capacités pour surclasser nos adversaires ». Or, la guerre en Ukraine conduit à envisager certaines réorientations ou accélérations, afin d’être en mesure de « gagner la guerre avant la guerre ».

Le retour d’expérience, bien que partiel, de la guerre en Ukraine, conduit à réfléchir sur l’adaptation du modèle capacitaire des forces terrestres, tel que conçu aujourd’hui. Le conflit en Ukraine montre en effet l’urgence de prendre en compte sérieusement l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM) et la guerre de haute intensité. Certaines ruptures temporaires de capacités étaient déjà bien identifiées préalablement à la guerre en Ukraine, d’autres ont été mises en lumière à l’occasion du conflit.

Sur le plan capacitaire, selon le sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre, cela suppose de disposer de l’ensemble de la palette des capacités qui, hier, n’étaient pas forcément engagées en opérations extérieures (OPEX).

Aussi, les besoins identifiés lors des auditions menées par le rapporteur, sont cohérents avec les cinq points d’attention listés par le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général d’armée Pierre Schill :

-         La Défense sol-air, et plus particulièrement la défense sol-air basse couche ; accélérer le remplacement les missiles « Mistral » et intégrer des capacités sol-air sous blindage ;

-         Les drones, l’armée de Terre est en train de renforcer ses capacités en matière de drones, sous l’angle du renseignement, puis, à terme, des capacités d’agression ;

-         Les Systèmes d’information et de communication (les SIC) ;

-         Les capacités de franchissement ;

-         La mobilité terrestre.

En parallèle, les auditions menées par votre rapporteur, conduisent à estimer également que des efforts sont à poursuivre dans les domaines suivants :

-L’artillerie : à travers la nécessité de densifier l’artillerie de contact mais également de développer l’artillerie longue portée.

-Renforcer les appuis en termes de renseignement.

-L’organisation et les moyens de commandement (C2), afin de rendre le C2 plus efficace, discret, furtif, et résilient avec des capacités de commandement mobiles, ainsi qu’un renforcement de la sécurité des communications. Une démarche est actuellement en cours (programmes ASTRID et radios CONTACT) et doit être poursuivie.

Pour l’instant, il semblerait que les besoins prioritaires aient fait l’objet de demandes d’acquisition en urgence opérationnelle (capacité de lutte anti-drone, passerelles d’interopérabilité artillerie, brouilleurs d’attaque), pour des mises en service au plus vite. D’autres besoins sont en cours de traitements dans le cadre de l’élaboration de la future LPM pour une mise en service à moyen terme (frappe longue portée, franchissement, défense sol-air, drones armés et munitions télé-opérées).

Les personnes auditionnées par le rapporteur se sont, par ailleurs, accordées sur la nécessité de prioriser les équipements qui devront faire l’objet d’un effort rapide dans la prochaine loi de programmation militaire. Il ressort ainsi des échanges menés, qu’un effort financier à court terme devrait porter sur les feux dans la profondeur. En effet, le conflit en Ukraine semble caractérisé, au niveau tactique, par la centralité de la puissance de feu, comme facteur clé de la supériorité opérationnelle. On constate un emploi systématique et massif de feux de tous types. L’armée de Terre doit pouvoir être en mesure de conserver sa supériorité opérationnelle dans un conflit marqué par la centralité de la puissance de feu et de conserver l’initiative. Aujourd’hui, l’armée de Terre ne dispose que d’un nombre trop réduit (13) de lance-roquettes unitaires (LRU). Or, il ressort des échanges menés, qu’un des objectifs de la prochaine LPM devrait être d’anticiper leur renouvellement, afin d’être en mesure d’acquérir une nouvelle capacité plus rapidement, à l’image des lance-roquettes M142 HIMARS américains, qui disposent d’une portée de 300 km (contre 40 km pour les systèmes de canons CAESAr). À terme, une accélération du programme Scorpion apparaîtrait également souhaitable pour permettre de prioriser plus rapidement les effecteurs via la numérisation, non seulement des plateformes, mais également des feux. L’enjeu de la prochaine LPM sera de construire un modèle de combat terrestre intégré dans les cinq dimensions, capable de défendre-intercepter, battre et contrebattre simultanément, dans la grande profondeur tactique.

3.   Passer d’une logique de cession à une logique de production suppose de renforcer la réactivité des industriels de la base industrielle et technologique de Défense

Le rapporteur en vient à la conclusion qu’il est nécessaire de passer d’une logique de cession, qui prévaut actuellement, à une logique de production, tout en essayant au maximum que la production encouragée soit française et européenne. Le rapporteur salue à ce titre la récente annonce du Président de la République, le 7 octobre dernier à l’issue du sommet européen de Prague, visant à établir un fonds spécial de 100 millions d’euros pour que l’Ukraine puisse « acheter directement auprès de nos industriels, les matériels dont elle a le plus besoin pour soutenir son effort de guerre[2] ». Cela suppose de renforcer la réactivité des industriels de la BITD, à travers les travaux menés actuellement par le ministère des Armées autour du concept de « l’économie de guerre ».

Après plusieurs décennies de paix, les capacités de production de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ont été progressivement ajustées afin, d’une part, de maintenir les compétences critiques, garantes de la capacité à pouvoir remonter en puissance et, d’autre part, afin d’optimiser les dépenses entre les différents besoins. Or, les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine, ajoutées aux effets de la crise sanitaire, imposent aujourd’hui la remontée en puissance de notre BITD. L’objectif consiste désormais à donner à l’industrie de défense la capacité d’accélérer et d’augmenter rapidement ses flux de production afin de soutenir, sur la durée, les consommations élevées de munitions et l’attrition augmentée des matériels résultant des engagements de haute intensité.

Des réponses sont en cours d’élaboration pour traiter les problématiques industrielles des flux et stocks d’approvisionnement, des délais et volumes de production et de la disponibilité des compétences en nombre et en qualités.
Il s’agit principalement de mettre en place les organisations et processus nécessaires pour, en tant que de besoin, produire plus et plus vite dans un délai court et sur la durée.

Les dispositifs en cours d’élaboration sont le sujet d’un dialogue permanent avec l’industrie et concernent : la mise en place de mesures permettant de réduire les délais du cycle de production sur court préavis, applicables à une liste définie de matériels correspondant aux priorités des armées en cas de montée en puissance vers un conflit de haute intensité ; des mesures de sécurisation des approvisionnements critiques concourant à cette production ; des mesures de sécurisation des ressources humaines et des compétences nécessaires à cette production ; des dispositions permettant de prioriser/orienter la production de certains fournisseurs au profit de l’industrie de défense.

Si votre rapporteur partage les orientations des travaux actuellement menés, il souhaite souligner les difficultés rencontrées aujourd’hui par certaines entreprises de la BITD terrestre. Tout d’abord, toutes les entreprises rencontrées ont insisté sur un besoin de visibilité accrue des commandes qui conditionne ensuite le dimensionnement de leur outil de production. En outre, les entreprises produisant des matériels terrestres, dépendent de fournisseurs, en partie des PME, qui ne représentent qu’une faible part des débouchés sur le marché de certaines matières premières, ce qui ne leur confère qu’un poids très limité dans les négociations, face à des grands groupes dont le volume des commandes est beaucoup plus dimensionnant. Elles ne sont donc pas prioritaires dans les livraisons, ce qui conduit à rallonger les délais d’approvisionnement pour certaines pièces. La réponse semble aujourd’hui résider en partie dans la constitution de stocks de pièces de rechange à cycle longs et de composants critiques et stratégiques. Une question cruciale sera néanmoins celle du partage de la prise de risques entre l’État et les industriels et du financement des stocks.

Enfin, face au dilemme que peut constituer le recrutement pour les entreprises, le rapporteur soutient l’initiative intéressante, initialement proposée par le président-directeur général de Nexter, Nicolas Chamussy, qui prône la constitution d’une « réserve industrielle civile ». Ce projet supposerait que les entreprises explorent préalablement le tissu local, afin de repérer les industries, jugées non essentielles en temps de guerre, et ainsi, potentiellement bénéficier de personnels supplémentaires. Le rapporteur ajoute que les jeunes retraités des industries de la BITD pourraient participer à la constitution d’un vivier. Ce dispositif exigerait néanmoins un suivi pointu des employés qui ont quitté l’entreprise. Cette solution nécessiterait un cadre législatif ad hoc, pour que la constitution de cette réserve puisse potentiellement figurer dans les contrats conclus entre l’État et les industriels.

B.   RENFORCER NOTRE CAPACITÉ À DURER

Selon le MGAT, un des enseignements majeurs de la guerre en Ukraine réside dans la nécessité pour les forces terrestres d’être « prêtes, réactives et endurantes ». L’intensité des combats en Ukraine, avec des taux de destruction de matériels significatifs, démontre la pertinence de disposer de stocks conséquents, mais aussi des matériels complets disponibles immédiatement.

1.   L’efficacité des soutiens, couplée à une plus grande profondeur logistique, est à rechercher

Alors que l’armée de Terre était tournée vers la réalisation de la situation opérationnelle de référence (SOR), elle doit maintenant être prête, disposer de stocks suffisants, et être en capacité de soutenir pendant environ trois à six mois un engagement avec une intensité importante. Le chef de corps du 27e bataillon de chasseurs alpins, le colonel Vincent Minguet, avait résumé cette nécessité en une phrase éclairante : il s’agit davantage d’une exigence « de longue intensité, que de haute intensité. »

Or, pour l’instant, l’armée de Terre dispose du stock de pièces détachées pour soutenir un engagement de ses unités avec leurs matériels majeurs sur une durée limitée, le temps de générer le flux d’approvisionnement nécessaire au soutien déployé. Citant l’exemple du bataillon fer de lance de la mission Aigle en Roumanie, une des personnes auditionnées a rappelé qu’aujourd’hui, l’armée de Terre dispose des moyens pour soutenir entre 600 et 800 hommes, soit « le fer de lance, mais ni la lance, ni le guerrier derrière la lance ». Les enjeux de ravitaillement en carburant et en munitions sont également majeurs.

L’armée de Terre dispose globalement des pièces de rechange nécessaires à son entraînement, à la conduite de ses missions et opérations sur le territoire national comme à l’étranger, ainsi qu’à l’engagement de son échelon national d’urgence sur une crise d’ampleur limitée. Pour autant, certains parcs prépondérants d’ancienne génération (VAB, VBL, PVP) sont susceptibles de connaître des ruptures de stocks régulières, affectant la disponibilité au quotidien. Les pièces de rechange concernées sont pour partie détenues par la chaîne logistique de l’armée de Terre et pour partie stockées et gérées par les industriels dans le cadre des marchés globaux de soutien en service (ou marchés dits verticalisés) au sein desquels la fourniture de pièces est principalement contractualisée sous la forme de l’acquisition de potentiels à consommer (heures moteur, coups de canon).

L’armée de Terre ne dispose en revanche que d’une partie du volume des rechanges nécessaires au soutien des premiers mois de l’engagement d’une force du niveau divisionnaire dans un conflit de grande ampleur. En conséquence, il apparaît nécessaire au rapporteur d’abonder ces stocks et de développer les capacités de l’industrie, afin qu’elle soit en mesure de satisfaire aux besoins en approvisionnement nécessaires à un engagement de haute intensité, dans la durée. Pour la plupart des marchés de soutien en service, la SIMMT exige ainsi une performance de la part de l’industriel mais n’impose pas d’exigence de stocks. C’est à l’industriel de déterminer si cela relève du stock ou d’une capacité de flux. Au demeurant, l’État dispose de stocks dits « d’autonomie initiale de projection » (AIP) qui fournissent la réactivité nécessaire pour soutenir pendant trois à six mois un certain nombre d’équipements. La fragilité du modèle réside donc dans la faiblesse des stocks de sécurité. Jusqu’au confinement, la performance des services de soutien était mesurée à la diminution des stocks. Ce qui permettait d’être relativement performant pour les guerres du moment mais pas de se préparer à un conflit de haute intensité, ni à un monde où les flux logistiques mondiaux sont perturbés.

À court terme, un effort financier particulier en début de LPM serait le bienvenu pour permettre l’achat de pièces de rechange et de munitions, afin que les forces terrestres puissent être en capacité d’absorber une crise et avant d’éventuels achats d’équipements qui viendront dans un second temps. Cela suppose de travailler sur des échelles de temps différentes en simultané.

2.   Renforcer le niveau des stocks de pièces de rechange, ou la nécessité d’un « MCO de guerre »

Si la problématique du niveau des stocks de munitions et de pièces de rechange était déjà bien identifiée, notamment dans le rapport sur la Haute intensité des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès, le rapporteur estime que l’enjeu du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres devrait être davantage pris en compte dans le cadre des réflexions actuellement menées sur « l’économie de guerre ». À ce titre, il serait souhaitable que le MCO soit reconnu comme l’un des dix objets prioritaires listés dans les travaux en cours.

Qu’est-ce que le MCO de guerre ? Selon le directeur central de la SIMMT, auditionné par le rapporteur, le MCO de guerre est une conjonction entre une industrie de guerre, tant étatique que privée, qui a été préparée, (capacités, stocks, RH, normes) et une maintenance opérationnelle capable de conférer l’autonomie tactique nécessaire aux unités interarmes (système d’armes, logistique privée et étatique sécurisée, etc.).

Le DC-SIMMT met tout en œuvre pour façonner une maintenance industrielle étatique prête à la guerre, mais aussi pour y préparer les industries privées. Cette démarche suppose d’être en capacité d’identifier et de produire les matériaux et équipements nécessaires aux six premiers mois de guerre. Une fois les besoins identifiés, la SIMMT doit pouvoir induire en amont la création, par contrat, d’une capacité industrielle chez l’entreprise, qui permettra ensuite d’accélérer les cadences en temps de guerre. La SIMMT souhaiterait générer un outil industriel équivalent à un tiers du volume des chaînes de production qui seraient nécessaires au passage en économie de guerre. Par exemple, pour les VBCI, cela conduirait la SIMMT à contractualiser pour créer une capacité de 110 000 heures (le potentiel est établi à 90 000 heures actuellement), afin d’être en capacité de passer à 330 000 heures en temps de guerre, si cela s’avérait nécessaire. À titre de comparaison, s’agissant du char Leclerc, près de 15 000 heures de potentiel sont aujourd’hui financées pour l’année, via les crédits dédiés au MCO, ce qui correspond à un peu plus d’une heure d’entraînement par équipage et par semaine. Lors de son audition en commission le 12 octobre dernier, le CEMAT, le général d’armée Pierre Schill, a indiqué qu’en cas de conflit, le besoin en potentiel pourrait s’élever à 90 000 heures, ce qui pose la question de l’ajustement de l’outil industriel et sa capacité à changer d’échelle.

Ensuite, le passage à un « MCO de guerre » suppose de disposer d’une infrastructure industrielle suffisante et des pièces détachées nécessaires. Toutefois, revenir à une politique imposant un amoncellement de stocks serait aussi peu efficace que de rester sur une logique de flux. Le choix des matériels à stocker doit se fonder sur des critères en termes de niveau de disponibilité, d’accessibilité, de complexité et de répercussion sur les délais de production des équipements finis. Le coût de constitution des stocks permettant de tenir les six premiers mois d’une guerre de haute intensité serait néanmoins très élevé (autour de 1,6 Mds€, selon les estimations réalisées), ce qui incite à être très discriminant sur le choix des pièces de rechange à approvisionner en priorité.

En effet, selon le DC-SIMMT, les conditions économiques et industrielles dégradées, appellent à la constitution préalable d’un stock de guerre qui permettra ensuite, dans un second temps, l’intensification de la production. Ce stock devra comprendre non seulement les sous-ensembles, composants et produits finis (Autonomie initiale de projection (AIP), rechanges) mais dans une certaine mesure les matières premières. La production des pièces de rechange est un enjeu clé car elle permet de répondre à l’impératif de réactivité. À titre, d’exemple, la constitution de stocks d’ébauchés de chez Aubert et Duval par Nexter, permettra de diminuer considérablement le délai de production des systèmes de canons CAESAr, mais suppose pour l’industriel de disposer d’une visibilité sur les commandes.

Cette discrimination doit également bénéficier d’une plus grande maîtrise des industriels de premier rang quant à leurs fournisseurs. La mise en place d’une véritable traçabilité de la production des pièces serait un facteur industriel de supériorité.

Par ailleurs, il ne faut enfin pas négliger les gains qui peuvent être obtenus par le développement de la recherche et de l’innovation dans les industries : la recherche de matières premières alternatives, de nouveaux procédés de fabrication, d’innovation dans la conception des pièces et ensemble sont des facteurs de résilience lors des conflits. La promotion d’une recherche industrielle duale souveraine et l’assouplissement des normes encadrant les expérimentations sont des facteurs permettant d’atteindre à terme la supériorité opérationnelle. Le DC-SIMMT met en place, par exemple, d’autres solutions en interne afin de fabriquer certaines pièces de rechange de substitution via la fabrication additive (l’impression 3D). Le coût est moindre mais la difficulté réside dans la certification des pièces ainsi produites. Une amélioration récente est néanmoins à saluer car la DGA a conféré à la SIMMT une reconnaissance d’aptitude à la conception dans les domaines ne posant pas de problème de sécurité. Le rapporteur est sensible à cette expérimentation et encourage son développement, voire l’extension de son périmètre à l’avenir. Des initiatives privées existent également en la matière comme l’OpenLab de MBDA à Bourges, qui met à la disposition de tous les salariés des moyens et des outils pour encourager l'innovation à tous les niveaux de l'entreprise et tester rapidement l’ensemble des concepts et des idées des collaborateurs, en s’affranchissant des barrières, des verrous et des procédures que l’on retrouve souvent dans les grands groupes.

Enfin, s’agissant du volet équipements, le MCO-T doit disposer des équipements spécifiques (véhicules blindés, capacités de dépannage, etc.) pour assurer le soutien dans un environnement contesté. Ces équipements (regroupés dans le concept de Système d’arme du MCO-T 2030) font partie des objets essentiels que la future LPM doit mettre à disposition de l’Armée de Terre afin qu’elle puisse préserver sa robustesse et durcir sa capacité d’engagement pour le MCO comme pour les autres fonctions opérationnelles.

3.   Les stocks de munitions, une problématique bien identifiée

La problématique du niveau des stocks de munitions, est un enjeu majeur de la remontée en puissance des forces terrestres, déjà bien identifié, notamment dans le rapport sur la Haute intensité précité. À ce titre, le rapporteur salue l’effort particulier consenti en projet de loi de finances pour 2023. Deux milliards d’euros de commandes sont en effet prévus, soit une hausse de 500 millions d’euros par rapport à 2022, associés à 1,1 milliard d’euros de livraisons dès 2023. Les commandes devraient porter sur : un nombre conséquent de missiles moyenne portée (MMP) antichar et plusieurs dizaines de missiles Sol-Air moyenne portée de nouvelle génération (SAMP-T-NG) de l’armée de l’Air et de l’espace, dont un exemple est déployé en Roumanie. Les livraisons permettront de recevoir notamment des obus de 155 mm pour les systèmes d’arme CAESAr (10 000 munitions) et plus de 50 millions de munitions de petit calibre.

Les stocks de munitions doivent permettre de tenir les engagements du contrat opérationnel dans la durée et d’assurer une préparation opérationnelle adaptée. Si le niveau des stocks est suffisant pour la SOR, les stocks de munitions d’artillerie, de roquettes du fantassin, de missiles et de munitions de mortiers doivent être interrogés pour couvrir les besoins de l’HEM. L’allocation de la production de munitions vise aussi un équilibre entre la constitution de stocks plus conséquents et la part dédiée à l’entraînement. Cette situation est amplifiée par la diversification croissante des gammes de munitions, liée à la modernisation de l’armée de Terre, qui peut contraindre la massification de commandes. Les personnes auditionnées, ont d’ailleurs souligné la nécessité pour les militaires de pouvoir s’entraîner avec une diversité de munitions, y compris les plus complexes, afin d’être formés et prêts à les utiliser dès les premières heures de l’offensive en cas de conflit.

Par ailleurs, les défis technologiques à relever par l’industrie pour développer et produire des munitions de nouvelle génération peuvent retarder certaines mises en service. Une attention particulière est portée au développement, à la qualification et au respect des livraisons des munitions de 40 mm afin de garantir des livraisons synchrones avec la montée en puissance de la capacité JAGUAR de l’armée de Terre. L’effort devra être poursuivi sur les segments critiques (artillerie canon et mortiers notamment) ou pour constituer les stocks des capacités nouvelles (roquette antichar AT4F2, notamment).

Il convient également de préparer l’industrie à être plus réactive pour répondre aux besoins de la HEM. Selon le directeur du Service interarmées des munitions (SIMu), l’enjeu est donc, dès aujourd’hui, d’augmenter nos commandes pour dimensionner le flux de production à venir, de manière plus régulière, pour permettre aux entreprises de se mettre à niveau et ainsi de lisser les compétences et les approvisionnements. Le stock État apparaît néanmoins incontournable à court et moyen terme. Le SIMu dispose d’une capacité maximale de stockage de 107 000 tonnes et le niveau de stock objectif est déterminé par les armées à l’aide d’une modélisation mathématique. Le SIMu garantit aujourd’hui un stock correspondant à trois ans d’entraînement en volume et assure le stockage des hypothèses d’emploi de munitions du scénario de haute intensité. Néanmoins, le directeur du SIMU, a souhaité attirer l’attention de votre rapporteur sur le fait que la remontée en puissance des stocks de munitions ne pouvait se faire que sur le temps long, car une remontée trop rapide des stocks pourrait s’avérer contre-productive. Les munitions arriveraient toutes à péremption au même moment. Cela suppose de mettre en place une ingénierie de montée en puissance dans le temps long. En parallèle, il convient développer les compétences industrielles nécessaires pour accompagner cette remontée en puissance. Aussi, votre rapporteur estime que les initiatives comme le campus de la pyrotechnie du futur, récemment créé à Bourges, vont dans le bon sens et devraient continuer leur développement à l’avenir, afin d’anticiper la formation aux compétences de demain.

Les munitions ne peuvent toutefois pas être dissociées de leur système d’arme. Le financement des potentiels de tir des matériels constitue également un enjeu. Aujourd’hui, le niveau de financement correspond au niveau d’ambition fixé, mais serait à rehausser en cas de conflit de haute intensité. À titre d’exemple, pour les systèmes de canons CAESAr, les contrats actuels permettent de financer 6 000 coups par an, voire 9 000 coups au maximum. Or, lors des opérations menées par la Task Force Wagram en Iraq, les forces terrestres ont tiré 12 000 coups dans l’année.

Enfin, si les dépôts en métropole et en outre-mer sont sécurisés de façon satisfaisante, il existe une véritable problématique de mise à disposition et de transport des munitions, a alerté le directeur du SIMU. L’environnement logistique et le nombre de wagons nécessaires au transport des munitions constitueraient davantage des « maillons faibles », bien avant le niveau des stocks.

C.   CONSOLIDER LES FORCES MORALES

La guerre en Ukraine démontre l’importance des forces morales et de la cohésion nationale, à travers la résistance admirable du peuple ukrainien.

À ce titre, l’armée de Terre dispose d’atouts importants pour contribuer à la diffusion de l’esprit de Défense à travers l’ensemble de ses dispositifs jeunesse et en s’appuyant sur son maillage territorial, mais également à travers la réflexion en cours sur la refonte des réserves. L’armée de Terre doit enfin travailler à investir tous les champs, y compris celui de la guerre informationnelle à travers une stratégie de communication adaptée et compléter ses moyens de combat dans la cinquième dimension (cyber, guerre électronique).

Le rapporteur estime néanmoins que le doublement des réserves ne saurait nous dispenser d’une réflexion sur une augmentation des effectifs des forces terrestres dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire.

1.   La refonte des réserves

Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a affirmé à juste titre, le 6 octobre dernier que « Contribuer à la défense nationale de son pays doit devenir un droit, » et ce, en cohérence avec le discours du Président de la République sur la nécessité de renforcer les forces morales de la Nation, prononcé le 13 juillet dernier à l’hôtel de Brienne, et qui invitait à « un doublement de la réserve opérationnelle ».

Pour ce faire, un groupe de travail a été mis en place afin d’identifier « les freins à l’engagement » au sein de la RO1 et trouver les « leviers nécessaires pour y remédier, notamment en termes d’évolutions réglementaires et législatives », a précisé le ministère.

Pour l’armée de Terre, passer de 24 000 à 48 000 réservistes opérationnels constitue un important défi. Une proposition a été formulée par le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, lors de son audition en juillet dernier devant la commission de la Défense nationale, visant à créer un statut de volontaires du territoire national, dont les modalités précises ne sont pas encore connues à l’heure de l’écriture de ce rapport. « J’ai donc proposé […] que l’armée de Terre recrute 10 000 jeunes par an dans le cadre d’un service de six mois, qui servirait d’instrument pour augmenter les effectifs de la réserve. Comme nous ne pouvons pas le faire à organisation inchangée, je lui proposerai d’implanter de nouveaux bataillons dans de nouveaux espaces, que nous pourrions appeler ‘Volontaires’ du territoire national »

Sans préjuger des conclusions des groupes de travail en cours, le rapporteur a souhaité mettre en lumière dans son avis budgétaire l’exemple original de l’Estonie, à titre de parangonnage, moins souvent évoqué que celui de la Norvège ou de la Suède, même s’il ne considère pas que ce système puisse être transposable en l’état en France. L’Estonie présente, en effet, un système de conscription, de réserves et de « ligues de défense » (Defense league). Ces dernières devraient voir leurs effectifs doubler prochainement (de 10 000 à 20 000 personnes). Les membres se réunissent le week-end afin de participer à des exercices et un équipement personnel avec une arme leur est fournie. S’agissant du système de conscription, le dispositif est flexible puisque les conscrits peuvent choisir le moment auquel ils effectuent leur service et les effectifs sont mixtes. Chaque année, environ 3 200[3] conscrits entrent dans des unités militaires des forces estoniennes. Le service dure entre 9 et 11 mois. Les personnes sont mobilisables pendant 5 ou 7 ans avec des exercices réguliers (comme l’exercice Hedgedog tous les quatre ans) qui visent à tester leur réactivité.

En outre, afin de sensibiliser l’opinion publique à l’importance de la résilience nationale, le ministère de la Défense estonien organise deux fois par an un séminaire d’une semaine portant sur la Défense, à destination des chefs d’entreprises. Le rapporteur considère que cette initiative est intéressante et permettrait de renforcer l’acceptabilité des dispositifs de réserves et la compréhension des enjeux de Défense au sein de la population et des entreprises.

2.   Les réserves ne se substituent néanmoins pas aux soldats d’active, dont les effectifs mériteraient d’être augmentés dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire

La volonté, légitime et louable, d’augmenter les réserves ne doit pas produire un effet d’éviction sur les soldats d’active, car ces dernières ne se substituent pas à l’armée d’active mais la complètent.

Le dimensionnant de la force opérationnelle terrestre (FOT) devra constituer un des chantiers de la future loi de programmation militaire, selon le rapporteur. En effet, alors que la Russie a engagé entre 120 et 130 régiments en Ukraine (ne représentant qu’un peu plus de la moitié de ses unités), l’armée de Terre ne compte que 80 régiments.

Aussi, votre rapporteur estime que des effectifs supplémentaires seraient nécessaires afin d’accroître la masse, continuer d’assurer les missions intérieures, comme Sentinelle, mais également diminuer le nombre de jours passés hors du domicile et, ainsi, gagner en attractivité et en capacité de fidélisation, tout en étant en mesure de consacrer davantage de temps à l’entraînement. À l’aune du premier retour d’expérience de la Guerre en Ukraine, il serait souhaitable de disposer d’un réservoir d’unités immédiatement disponibles plus significatif : passer à deux brigades aptes à s’engager dans un contexte de haute intensité en permanence, en lieu et place d’une unique brigade d’alerte (Échelon national d’urgence, ENU) pensée avant tout pour la gestion de crise. L’ambition 2030 est de porter l’objectif à deux divisions complètes « bonne de guerre » avec l’ensemble des appuis nécessaires à la haute intensité (soit 50 000 hommes).

Dans la perspective de la prochaine LPM et afin de remplir ces nouveaux objectifs, votre rapporteur estime que 3 000 effectifs supplémentaires seraient nécessaires afin de porter la FOT à 80 000 soldats.

 


    

   CONCLUSION

 

Le rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la préparation et à l’emploi des forces terrestres donne un avis favorable à l’adoption du projet de loi de finances pour 2023.

 

Il tient à remercier toutes les personnes auditionnées et rencontrées au cours de ses travaux. En particulier, le cabinet du Ministre des Armées, les officiers généraux et les dirigeants de l’état-major des armées et de l’armée de Terre, les différents services en charge du programme 178, les officiers et les soldats des bataillons du 7ème et 27ème bataillons de chasseurs alpins et M. l’Ambassadeur de France en Estonie, Eric Lamouroux.

 

Il formule en outre les recommandations suivantes.

 

Pour s’assurer que le niveau d’activité des forces terrestres soit préservé :

  1. Veiller à ce que le niveau élevé de l’inflation et les efforts consentis en faveur de la Nation ukrainienne soit compensés en gestion afin de se prémunir de tout risque de renoncement sur les stocks et l’activité des forces terrestres ;
  2. Poursuivre la reconstitution des stocks et des parcs de matériels de l’armée de Terre, en particulier, du parc de systèmes de canons CAESAr ;
  3. Favoriser à l’avenir une logique de production plutôt qu’une logique de cessions de matériels directement prélevés sur les parcs des forces terrestres pour être en capacité d’aider les forces ukrainiennes dans la durée.

 

Pour pérenniser notre présence sur le flanc est de l’Europe :

  1. Poursuivre les investissements dans les domaines du soutien, du commandement et des systèmes d’information et de communication, qu’exigent le rôle de nation-cadre ;
  2. Veiller à ce qu’une solution pérenne puisse être apportée à la problématique des capacités d’accueil, de stockage et de maintenance de la base militaire de Tapa en Estonie ;
  3. Mener une réflexion dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire pour que les missions opérationnelles puissent faire l’objet d’une prise en charge, au même titre que les opérations extérieures, afin de sécuriser le budget des forces terrestres.

 

Pour tirer les premières leçons de la guerre en Ukraine :

  1. Renforcer nos capacités dans les domaines de la défense sol-air, des drones, des systèmes d’information et de communication, des capacités de franchissement et de la mobilité terrestre ;
  2. Encourager également, les efforts visant à densifier notre parc d’artillerie, en particulier longue portée, renforcer les appuis en termes de renseignement et la recherche d’une plus grande efficacité et discrétion des moyens de commandement ;
  3. Contribuer à la réactivité de la base industrielle et technologique de défense en augmentant la prévisibilité des commandes, en encourageant la constitution de stocks de pièces de rechange à cycle long et de composants critiques et stratégiques, tout en réfléchissant à la création d’un « réserve industrielle civile » ;
  4. Renforcer notre capacité à durer en recherchant l’efficacité des soutiens couplée à une plus grande profondeur logistique ;
  5. Veiller au niveau des stocks des pièces de rechange et de munitions et porter une attention particulière au « MCO de guerre » dans le cadre des travaux en cours sur l’économie de guerre ;
  6. Réfléchir au dimensionnement de la force opérationnelle terrestre dans le cadre de la future loi de programmation militaire.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   AUDITION DU GÉNÉRAL D’ARMEE PIERRE SCHILL, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE

La Commission a entendu le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), au cours de sa réunion du 12 octobre 2022.

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : https://assnat.fr/mhFsz7 

 


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II.   EXAMEN DES CRÉDITS

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. François Cormier-Bouligeon, les crédits relatifs à la « Préparation et l’emploi des forces : forces terrestres » de la mission « Défense », pour 2023, au cours de sa réunion du 19 octobre 2022.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Alors que nous entamons l’examen du premier budget de la législature, je suis fier d’être rapporteur pour avis des crédits d’un budget qui, pour la cinquième année consécutive, traduit une LPM ambitieuse et rigoureusement exécutée. Porté à 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget de la défense atteint aujourd’hui 43,94 milliards, concrétisant le franchissement d’une nouvelle marche de 3 milliards, dont 213 millions de CP supplémentaires pour l’armée de terre. Le montant du budget opérationnel du programme Terre est ainsi porté à 1,88 milliard d’euros en CP afin de financer la hausse de l’activité et le renforcement du niveau des stocks.

Le PLF 2023 est capital dans la poursuite de la modernisation engagée par l’armée de terre. 18 % de la cible Scorpion devrait être réalisée d’ici la fin 2022, et 25 % en 2023. Des commandes cruciales seront passées cette année, notamment 420 véhicules Serval supplémentaires, tandis que 123 Griffon, 119 Serval et 22 Jaguar seront réceptionnés. Les crédits permettront à l’armée de terre de tenir l’objectif d’une brigade interarmes Scorpion projetable en 2023. L’exercice majeur Orion 2023 permettra de franchir une étape décisive dans la préparation des forces terrestres renforcées, conformément à la vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre.

Cette modernisation s’accompagne de ressources en hausse. Parmi elles, une priorité clairement affichée dans ce budget est l’augmentation de 18 % des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) par rapport à la loi de finances initiale 2022, soit une hausse de 184 millions d’euros en CP. La hausse des crédits dédiés à l’entretien programmé des matériels contribuera à améliorer la disponibilité des matériels. Cette augmentation prendra principalement en compte la prise en charge depuis juillet 2022 du soutien du Griffon par le programme 178, le soutien simultané des parcs d’anciennes générations, les effets de l’inflation et la pérennisation du char Leclerc.

Par ailleurs, le budget des équipements d’accompagnement et de cohérence, retracé dans le programme 178, est lui aussi en hausse de 3 %. Il reflète l’effort consenti dès 2023 en faveur de l’achat de munitions supplémentaires pour couvrir les besoins de la haute intensité. Les crédits permettront principalement l’acquisition de roquettes AT4F2 et d’obus éclairants de mortier de 120 millimètres.

Je me réjouis que l’armée de terre ait pu remplir ses objectifs de recrutements en 2022, étant ainsi l’une des rares armées en Europe capable d’attirer environ 14 000 recrues chaque année. Ces efforts, combinés à ceux de l’ensemble du ministère dans le cadre du plan « famille » et à des mesures volontaristes, comme la prime de lien au service, parviennent à fidéliser davantage de militaires.

Enfin, pour atteindre ces objectifs dans la durée, l’armée de terre développe une offre de formation innovante. Ainsi, je suis très attaché à l’ouverture de l’école militaire, préparatoire et technique (EMPT) de Bourges, qui permettra de recruter et de former les compétences nécessaires pour les métiers en tension, comme la maintenance aéronautique et terrestre, ainsi qu’à celle du BTS cyber à Saint-Cyr-l’École.

Autre indicateur à saluer, 79 % des soldats de l’armée de terre jugent leur moral bon, voire excellent, grâce aux livraisons d’équipements, au style de commandement et au sens donné à leur métier. L’engagement opérationnel soutenu suscite toutefois des défis accrus pour la conciliation avec la vie personnelle – notamment la vie familiale – des militaires et diminue le temps disponible pour la préparation opérationnelle. Aussi l’armée de terre doit-elle encore poursuivre ses efforts dans ce domaine.

Enfin, au regard de la forte inflation et des surcoûts qui n’avaient pu être anticipés lors du vote de la loi de finances pour 2022, je demeurerai vigilant à ce que le niveau d’activité des forces terrestres soit préservé en gestion et lors des prochains exercices.

L’exercice budgétaire 2023 ne peut être décorrélé du tournant stratégique de la guerre en Ukraine. Les conséquences sur les forces terrestres sont à la fois budgétaires et opérationnelles, marquées par des cessions de matériel emblématiques et de nouveaux déploiements visant à renforcer la posture dissuasive et défensive de l’Otan sur le flan est de l’Europe. J’ai donc choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire aux conséquences de l’effort consenti en faveur de la nation ukrainienne et de son armée et aux premières leçons tirées de la guerre en Ukraine pour la préparation et l’emploi des forces terrestres. En effet, l’effort consenti par notre défense nationale doit être pris en compte et compensé afin de trouver un juste équilibre entre l’aide apportée et la préservation des intérêts de nos forces terrestres – même s’il convient de rappeler que les deux parties de l’équation ne sauraient être opposées tant l’aide apportée aux forces ukrainiennes contribue à notre propre défense. Dans le cadre de mes travaux, je suis allé à la rencontre du 27e bataillon de chasseurs alpins à Annecy qui revenait de l’opération Aigle en Roumanie, et en Estonie, auprès des forces participant à l’opération Lynx. J’ai pu mesurer la réactivité avec laquelle les militaires se sont déployés sous très court préavis et constater sur le terrain l’importance de leur présence pour assurer la crédibilité de la France vis-à-vis de ses alliés et renforcer l’interopérabilité de nos armées.

Toutefois, j’ai souligné dans mon avis budgétaire la nécessité de compenser en gestion les efforts consentis par les forces terrestres au risque de compromettre leur capacité à assurer l’ensemble de leurs missions. De la même manière, il serait souhaitable que les missions opérationnelles de l’armée de terre puissent faire l’objet d’une prise en charge ad hoc au même titre que les Opex, afin de se prémunir contre les risques d’éviction.

Par ailleurs, j’ai tenu à présenter dans mon avis budgétaire les premières leçons que les forces terrestres ont tirées de la guerre en Ukraine. Le conflit étant en cours, le retour d’expérience ne peut être que partiel, même si je le considère comme nécessaire dans la perspective de la prochaine LPM. Le retour de la haute intensité en Europe confirme le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris par l’armée de terre et la pertinence de la modernisation en cours.

J’identifie trois grands axes d’amélioration. Il s’agit premièrement de compléter nos stocks et d’acquérir les équipements qui permettront aux forces terrestres de gagner la guerre de ce soir, mais aussi celle de demain. En effet, les cessions de matériel ont mis en lumière des capacités dimensionnées au plus juste qui conduisent à écarter pour l’instant de nouvelles cessions importantes prélevées directement sur les stocks des forces terrestres. À ce titre, je salue la décision du Président de la République d’annoncer un fonds de 100 millions d’euros qui permettra aux autorités ukrainiennes de s’approvisionner directement auprès de nos industriels. Passer d’une logique de cession à une logique de production suppose néanmoins de renforcer la réactivité des industriels de la BITD. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, s’y emploie.

Deuxièmement, nous devons renforcer notre capacité à durer. La guerre en Ukraine a en effet démontré la nécessité de rechercher dès maintenant une plus grande efficacité des soutiens couplée à une plus grande profondeur logistique. Cela suppose de renforcer le niveau des stocks de pièces de rechange et de prendre davantage en compte la problématique du MCO de guerre dans les travaux en cours sur l’économie de guerre, tout en poursuivant le réhaussement engagé du niveau de nos stocks de munitions.

Enfin, cette guerre a rappelé la nécessité de consolider les forces morales. Cela passe évidemment par l’objectif de doublement des réserves affiché par le Président de la République. Nous ne pouvons en parallèle nous dispenser d’une réflexion sur le format des forces opérationnelles terrestres. Je formule ainsi dans mon avis un certain nombre de constats et de propositions qui, je l’espère, constitueront autant de pistes de réflexion dans la perspective de la prochaine LPM.

Je salue enfin la disponibilité des différentes directions que nous avons sollicitées, ainsi que celle des bataillons auprès desquels nous nous sommes rendus. J’exprime un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense pour 2023.

Mme Corinne Vignon (RE). Quelles leçons tirez-vous de votre visite de la base de Tapa, en Estonie ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Dans le cadre de mes travaux, je me suis rendu du 12 au 14 septembre à Tallinn, où j’ai rencontré les autorités politiques estoniennes, puis à Tapa où se trouvent nos forces terrestres. Je me suis entretenu avec des militaires déterminés, engagés et heureux de mener cette mission en Estonie et de servir la France. 300 Français y sont présents, dont 200 dans les forces opérationnelles et 100 dans les forces de soutien. Ils participent avec le Danemark à un battle group sous commandement britannique, le Royaume-Uni tenant le rôle de nation-cadre en Estonie. Toutefois, cette situation est amenée à changer puisque le Président de la République a décidé de pérenniser la présence française en Estonie et d’y affecter 100 militaires supplémentaires : une compagnie d’infanterie légère sera déployée en 2023 avec des véhicules Griffon. Ce mode « surge », qui maintient présentes des forces qui auraient dû quitter le pays, a pour conséquence d’offrir à nos soldats des conditions d’hébergement rustiques, qu’il nous faut améliorer. Par ailleurs, nous devrons investir dans des locaux garantissant la maintenance de nos matériels dans de meilleures conditions.

En Estonie, j’ai rencontré la vice-ministre de la défense, le président de la commission de la défense et l’ancien ministre des armées. Les Estoniens vivent avec la crainte d’être la prochaine cible de Vladimir Poutine. L’Estonie a été occupée pendant cinquante ans par l’Union soviétique dans des conditions comparables à celles qu’a connues la France pendant les cinq années d’occupation allemande. Chaque année environ 3 200 conscrits rejoignent l’armée estonienne. Si leur adhésion à l’Union européenne et à l’Otan leur garantit une forme de protection, les Estoniens nous demandent, comme les Roumains, de renforcer notre présence militaire et notre soutien politique.

Mme Brigitte Liso (RE). La LPM 2019-2025 prévoyait un effort significatif en faveur du MCO, qui a fait l’objet de réformes majeures. La Cour des comptes, qui a souligné l’importance de l’effort budgétaire, a cependant dressé plusieurs constats. Tout d’abord, les performances observées montrent que la disponibilité des matériels majeurs reste souvent insuffisante entre 2018 et 2020. Néanmoins, dans son rapport annuel de performance, le ministère des armées a indiqué que la disponibilité des matériels terrestres majeurs s’était globalement améliorée. Ce constat est vrai pour le char Leclerc, dont la disponibilité reste stable à 87 %, et pour le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), stable à 61 %, soit une hausse de 3 points par rapport à 2020. Cette amélioration a essentiellement résulté de l’arrivée des véhicules Scorpion.

Depuis plusieurs années, le niveau de disponibilité semble se situer dans une dynamique positive, malgré le manque d’informations publiques sur les taux de disponibilité technico-opérationnelle. Votre travail présente ainsi un intérêt d’autant plus fort.

Pouvez-vous nous préciser la disponibilité du matériel terrestre au moment où nos armées sont sollicitées ? Comment expliquez-vous ces évolutions ? Quels enjeux identifiez-vous en matière de MCO ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Notre commission a accordé ces dernières années une attention redoublée au MCO, notamment après les rapports de Mme Mauborgne et de M. Gassilloud.

Les crédits d’entretien programmés du matériel s’établissent pour 2023 à 1,228 milliard d’euros, soit une hausse significative de 18 % et de 184 millions. L’augmentation la plus notable, de 28 %, concerne le MCO terrestre. Même si certains parcs, vieillissants, présentent certaines fragilités, le niveau moyen de disponibilité technique des matériels majeurs est ainsi en amélioration puisqu’il atteint plus de 90 % en moyenne en opérations contre 70 % il y a dix ans. Il est conforme aux cibles que nous avions fixées.

Le char Leclerc fait l’objet d’opérations de pérennisation. Le nouveau marché de soutien notifié en mars 2021 pour dix ans offre des perspectives de disponibilité favorables. Le taux de disponibilité technique opérationnelle, qui se mesure par rapport à l’objectif déterminé de disponibilité, s’élève à 87 % en 2021 et devrait atteindre 94 % en 2022. De plus, dix-huit chars Leclerc rénovés seront livrés en 2023. Le programme de rénovation des Leclerc vise à intégrer ces chars dans le dispositif de combat collaboratif Scorpion, en l’adaptant aux nouvelles menaces et en traitant les problématiques d’obsolescence lourdes. La cible fixe un total de 200 chars Leclerc rénovés pour pérenniser nos capacités en 2040.

Toutefois, un pic de MCO est attendu dans les années à venir. En effet, le MCO suit une courbe en U : il coûte cher en début et en fin de carrière des matériels. Or, nous devons combiner le MCO de matériels vieillissants et celui des nouveaux matériels qui nous sont livrés. Nous devons trouver un équilibre entre la nécessité de rendre les parcs aussi disponibles que possible afin que les militaires puissent s’entraîner, et la prévention de l’usure de ces matériels. La structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) consacre ses efforts à la maintenance opérationnelle et industrielle des matériels. À titre d’exemple, lors de mes travaux, j’ai été frappé d’apprendre qu’il faudra attendre jusqu’à quatre ans avant de pouvoir réinjecter dans les régiments les matériels utilisés dans le cadre de l’opération Barkhane, en raison des délais de réacheminement en France et de traitement par les industriels.

Je formule dans mon rapport la recommandation de passer à un MCO de guerre, reposant sur une industrie de guerre étatique et privée préparée associée à une maintenance opérationnelle capable de conférer l’autonomie tactique nécessaire aux unités interarmes.

Mme Anna Pic (SOC). La montée en puissance de l’économie de guerre a été suscitée par l’évolution de la situation géopolitique. Pourtant, comme en attestent les carences françaises en matériel mises en lumière par la guerre en Ukraine, cette intensification nécessite un effort accru dont la soutenabilité à court terme ne cesse de nous interroger. La hausse globale de 3 milliards d’euros du budget de la défense se heurtera à une inflation importante, que le seul report de charges ne suffira pas à combler. Nos industriels eux-mêmes sont dubitatifs quant à la faisabilité de cette montée en puissance. En effet, certains sont engagés par des contrats avec des puissances étrangères qu’ils doivent honorer. Ils émettent en outre de sérieux doutes quant à la capacité financière et humaine des TPE et PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent, et dont la situation est fortement perturbée par l’épidémie de covid-19 et par la crise de l’énergie. Des questions logistiques se posent également. Enfin, les nouveaux matériels produits par nos industriels et de leurs sous-traitants sont, de l’aveu même des militaires de haut rang, plus lourds et plus coûteux en matière de maintenance, et nécessitent des temps de formation plus importants.

Dans quelle mesure ce budget permet-il la montée en puissance souhaitée par le Président de la République et rendue nécessaire par l’effort consenti à l’Ukraine ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le surcoût Ukraine est évalué à 342 millions d’euros en 2022 pour les forces terrestres, et il sera également pris en compte dans le surcoût des opérations extérieures (Opex).

L’inflation conditionnera en effet notre capacité à monter en puissance dans les années à venir. Elle sera en très grande partie prise en charge par le mécanisme de report de charges, dont les objectifs ont été revus à la hausse pour 2023. Ce levier peut être actionné sans risque, car le ministère avait conformément à la LPM réduit son report de charges sur la période antérieure. Toutefois, face à la forte augmentation du coût des matières premières, le coût des facteurs a été réévalué en mars 2022 afin de sincériser au maximum la programmation militaire pour 2023.

S’agissant de l’économie de guerre, le ministre des armées a réuni début septembre l’ensemble des entreprises de la BITD pour leur demander de réfléchir à leur capacité à monter en puissance. Des groupes de travail rendront leurs conclusions dans les prochains jours.

Il est certain que nous devons augmenter de façon régulière nos commandes à la BITD pour lui garantir un niveau de production suffisant afin de tripler, si nécessaire, la capacité de production en passant en 3x8. Certains industriels estiment que nos commandes sont parfois trop erratiques pour s’organiser correctement, notamment pour recruter et former de nouveaux salariés. Nous n’avions par exemple pas commandé de canons Caesar depuis quinze ans. 18 ont été commandés pour compenser nos cessions à l’Ukraine, puis 33 autres de nouvelle génération pour atteindre un total de 109 en parc. Nous devons sans doute également revoir la chaîne de production avec nos fournisseurs. Ainsi, l’alliage spécifique nécessaire à la production du canon Caesar provient d’Aubert & Duval, dont nous ne sommes pas le client principal, et qui ne peut nous fournir qu’une fois par an.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Lors de notre déplacement en Estonie au mois de novembre, le ministre de la défense nous avait confié s’attendre à une attaque russe après les Jeux olympiques. Son analyse était juste, et la présence française dans ce pays est capitale.

Comment définiriez-vous un MCO de guerre efficace ? Il pourrait en effet s’agir de la possibilité d’augmenter le volume horaire en contractualisant d’avance avec nos fournisseurs, ce qui aurait toutefois un coût budgétaire, ou de renforcer le MCO effectué en interne au sein de nos armées.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Ce sont deux options, qui figuraient en effet dans le rapport que vous aviez écrit avec Patricia Mirallès. Outre ces suggestions, nous devrons nous montrer imaginatifs. L’un de nos interlocuteurs a proposé qu’une réserve civile constituée de salariés ayant récemment travaillé dans la BITD puisse renforcer la production en cas de besoin.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Le « surge » décrété en Estonie rejoint les conclusions de la mission que j’avais menée l’hiver dernier avec Charles de la Verpillière.

L’entraînement est un sujet majeur pour la montée en puissance de l’armée de terre. Cette dernière s’entraîne environ 14 000 heures par an sur les chars Leclerc alors qu’il faudrait 70 000 à 90 000 heures pour un entraînement à un conflit de haute intensité.

Comment voyez-vous l’évolution du parc de nos équipements et matériels dans l’armée de terre au regard de la bulle Scorpion ? En effet, le déploiement de cette dernière rend nécessaire l’interopérabilité voire la connectivité des matériels plus anciens de l’armée de terre, sous peine de les voir devenir obsolètes.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’entraînement soulève la question des ressources humaines. J’ai souligné la grande capacité de recrutement de l’armée de terre et son effort de fidélisation de ses troupes. Les effectifs de la force opérationnelle terrestre ont été augmentés après les attentats de 2015 pour les porter à 77 000 hommes et femmes, soit une hausse de 11 000 effectifs. En 2016, 21 000 militaires ont été recrutés, 18 000 en 2017, 15 000 en 2018, 2019 et 2020, et enfin 17 000 en 2021. En 2022, les recrutements devraient atteindre plus de 14 000 nouveaux effectifs.

La disponibilité de nos hommes repose également sur l’équilibre des forces réparties entre différentes missions. Plusieurs milliers de soldats sont engagés pour la protection de la nation sur le territoire français dans le cadre de l’opération Sentinelle. Les effectifs rattachés à Héphaïstos ont lutté contre les grands feux, tandis que les militaires de Titan protègent la base de Kourou.

Enfin, nous devons prêter attention à la disponibilité de notre matériel, qui est liée aux contrats que nous passons avec les industriels. Des crédits suffisants doivent nous permettre d’atteindre les objectifs que nous nous assignons. Il serait intéressant que la commission de la défense se penche en 2023 sur l’exercice Orion, qui sera de très grande ampleur.

La bulle Scorpion a donné de si bons résultats qu’elle rend souhaitable son élargissement à d’autres armements, notamment au feu.


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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la sixième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation. Il suit à la lettre la trajectoire adoptée en loi de programmation militaire 2019-2025. Ainsi, pour 2023, les crédits de la mission Défense s’établissent à 43,9 milliards d’euros, soit 11,6 milliards de plus qu’en 2017, et 3 milliards de plus qu’en 2022. L’impulsion donnée dès 2017 a mis fin à l’érosion de notre outil militaire. Nos investissements ont permis à nos forces armées de renforcer leur supériorité sur les champs de bataille et de s’engager dans de meilleures conditions. La France aura ainsi pu rester crédible aux yeux de ses alliés, notamment européens.

Notre ambition pour 2030 n’a pas changé : permettre à notre pays d’intervenir en tout lieu, tant dans les champs matériels qu’immatériels et en tout temps, là où ses intérêts et sa sécurité sont menacés. Le budget pour 2023 suit ce cap. Il poursuit les efforts indispensables pour moderniser, renouveler et entretenir nos équipements grâce aux 38 milliards d’euros de commande militaire qui soutiendront le tissu économique national ainsi qu’à d’importantes livraisons – treize avions Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, dix-huit chars Leclerc et 264 véhicules blindés multirôles. Il permettra également d’inscrire notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre et de renforcer notre souveraineté. Ainsi, 2 milliards d’euros seront consacrés à la commande de munitions pour renouveler nos stocks. D’autres crédits sont affectés à la dissuasion nucléaire, à l’espace, aux grands fonds marins, à la cyberdéfense et au renseignement. Le soutien à la recherche et au développement ainsi qu’à l’innovation de défense renforce encore davantage notre autonomie stratégique.

Enfin, ce budget permettra d’améliorer le quotidien de nos militaires grâce aux crédits dédiés au plan famille ou à l’équipement du combattant.

La mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ne faiblit pas. En 2023, les droits acquis pour nos anciens combattants sont maintenus, de même que les moyens alloués à la politique de mémoire, sans parler du large soutien apporté à nos militaires blessés grâce à la pérennisation du dispositif des maisons Athos.

La nation n’oublie pas ceux qui s’engagent pour elle, corps et âme, et qui peuvent parfois être amenés, sur ordre, à donner la mort ou à la recevoir. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ces crédits.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le budget de la défense a longtemps été en chute libre. Nos armées ont chèrement payé les dividendes de la paix. Depuis plusieurs années, reconnaissons-le, l’érosion a pris fin et la trajectoire s’est maintenue. Cependant, le monde qui nous entoure a changé. La guerre est à nos portes et l’inflation s’est invitée dans nos débats budgétaires. Les 3 milliards que vous évoquez étaient peut-être, hier, un titre de gloire pour la majorité mais ils ne sont plus aujourd’hui qu’une goutte d’eau dans le budget de nos armées. Les défis sont nombreux. Ce budget aurait pu nous offrir l’occasion de retrouver une souveraineté nationale pour nos équipements et notre stratégie de défense, de rééquiper massivement nos armées, d’expliquer à ces hommes et à ces femmes qui défendent notre pays, qui se battent pour nous, que nous avions compris leurs demandes et que nous allions les satisfaire. Hélas, ce ne sera pas possible.

Ce budget arrive après des années de disette et de déséquipement pour nos armées. Son augmentation ne suffira pas à combler le retard. Lorsque l’on manque d’argent, il faut être pragmatique, non idéologue. Pas si loin de chez nous, la guerre n’est pas une hypothèse mais un risque avéré. La France doit être indépendante, aussi dans son équipement. Lequel voulons-nous ? Comment voulons-nous l’utiliser ? À quelles fins ? Notre décision doit demeurer souveraine. Les programmes SCAF et MGCS nous laissent perplexes. Au mieux, ils sont au point mort, au pire ils vont droit dans le mur. Reprenons la main, faisons confiance à nos industries pour préparer, fabriquer, concevoir nos équipements plutôt que de courir après des licornes européistes.

Votre action en faveur de notre armée est louable mais vous ne faites que le minimum syndical. Des livraisons auront lieu en 2023 pour nos forces terrestres, navales, aériennes et spatiales mais les livraisons de matériel vers l’Ukraine, la vente d’avions Rafale à la Croatie et à la Grèce, le retrait des Mirage 2000-C aggravent le manque de disponibilité des matériels. Le renouvellement des stocks de munitions à hauteur de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement ne sera pas suffisant. Ce n’est pas ainsi que nous relèverons un défi crucial pour notre souveraineté. La filière de munitions de petit calibre est totalement abandonnée. Il faudrait 100 millions d’euros pour repartir du bon pied.

Nos industries de la défense sont victimes, d’autre part, d’une énième ingérence américaine, puisque Exxelia vient d’être racheté par Heico. Sans être une entreprise d’armement, Heico est un sous-traitant qui participe à la fabrication de nos matériels. Que se passera-t-il quand les Américains géreront cette entreprise ? Restons vigilants et bloquons ces pillages organisés par des puissances impérialistes qui ont des vues sur notre défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation est marquée par une érosion budgétaire, qui peut s’expliquer par des raisons démographiques. Cependant, n’oublions pas que la plupart des indemnisations sont trop faibles ou ne profitent pas à toutes les personnes qui pourraient y avoir droit. Je pense aux harkis et à leurs familles, qui se battent pour une augmentation du montant de la réparation. Ces hommes et ces femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays, parfois au péril de leur vie ou de celle de membres de leur famille, méritent la reconnaissance de la France. Cette juste reconnaissance de la nation a tardé et ne nous semble toujours pas à la hauteur de ce qu’ils ont accompli pour nous.

En séance publique, un amendement pour défendre la demi-part des veuves d’anciens combattants a été adopté. Cette mesure de justice sociale doit être conservée. Or, on ne sait pas si, dans quelques instants, cet amendement ne disparaîtra pas dans le sillage du 49-3, au mépris de la volonté de la représentation nationale.

Enfin, les crédits de la mission Sécurités progressent de 6 % pour 2023 mais ce ne sera pas suffisant pour répondre aux enjeux de sécurité intérieure : l’explosion de la délinquance, l’aggravation du trafic de drogue, l’immigration incontrôlée et les problèmes d’insécurité qui en résultent jusque dans nos campagnes si l’on en croit le plan de relocalisation du Président de la République. Les Jeux olympiques de 2024 représentent un nouveau défi pour la sécurité, surtout après les événements du stade de France. Nous devons réformer la réserve de la gendarmerie en nous inspirant du modèle des armées, rénover leurs locaux, mieux équiper et recruter. L’implantation de 200 brigades n’est pas suffisamment détaillée.

Vous faites un petit pas là où il aurait fallu de grandes foulées mais parce que nous ne voulons pas priver nos armées du peu de moyens supplémentaires qui leur sont accordés, nous nous abstiendrons.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Je regrette que l’actualisation de la loi de programmation militaire, souhaitée par le Président de la République, ne suscite pas davantage de débats au regard de l’instabilité du contexte mondial. Alors qu’il convient d’arrêter des choix stratégiques, comme notre appartenance à l’Otan, les décisions seront prises dans l’intimité. De même, la tenue régulière d’auditions à huis clos pose un problème. Si les informations relatives à la défense sont confidentielles, est-il pertinent d’user d’un tel procédé à l’endroit de députés qui représentent le peuple ?

Notre groupe salue la progression du budget mais les fameux 3 milliards d’euros supplémentaires promis ne sont pas au rendez-vous. Ce budget ne tient pas compte de l’inflation, estimée à 4,2 % en 2023. Ne serait-ce que pour leur préparation opérationnelle, nos forces seront durement affectées. Le budget est par ailleurs amputé des 357 millions d’euros nécessaires à la revalorisation de l’indice de la fonction publique. Ces coûts supplémentaires auraient dû s’ajouter aux crédits et non s’y fondre.

Les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation ne cessent de faiblir. Pourquoi ne pas pérenniser le budget et affecter les sommes non dépensées du fait de la disparition de certains anciens combattants, à d’autres actions ? Nous proposerons des amendements en ce sens, pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques ou étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbaries durant la deuxième guerre mondiale et les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

Alors que le ministre annonce le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle, aucune mesure n’est prise en ce sens dans le budget pour 2023. Les 1 500 créations nettes de postes civils, notamment dans le renseignement ou la cyberdéfense, sont salutaires mais comment renforcerez-vous les effectifs opérationnels envoyés sur les théâtres d’opérations ? Nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences de l’insuffisance des capacités et des cessions pour la disponibilité de nos matériels. Par rapport au contrat opérationnel, la disponibilité des canons de 155 millimètres passe de 90 % à 58 %. Dans la chasse, celle des appareils passe à 69 %. Dans l’armée de l’air, seuls 65 % des objectifs d’intervention prévus par le contrat opérationnel ont été atteints. Quelles seront les conséquences de la cession d’une partie de nos lance-roquettes unitaires ? Nous ne remettons pas en question ces livraisons et ces cessions mais nous devons rester vigilants.

Concernant les fonds marins, les 3,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et les 3,1 millions d’euros en crédits de paiement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu que représente la maîtrise des fonds marins. Agissons dès maintenant en augmentant les crédits.

Pour ce qui est de l’espace, le projet de loi prévoit 702 millions d’euros de crédits de paiement en 2023, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. C’est louable mais certains défis sont oubliés, comme la météo spatiale et les débris, qui sont les principaux responsables de la dégradation de nos équipements.

Enfin, nous vous proposons de créer un nouveau programme, consacré à la transition énergétique et écologique. Le ministère a publié une stratégie Climat et défense, en avril dernier. Remplacer 150 chaudières qui représentent 10 % du parc, notifier deux contrats de performance énergétique, c’est bien, mais est-ce suffisant pour répondre au défi du dérèglement climatique ? Il est temps d’accélérer. Nous devons réfléchir à l’après-pétrole. Nous sommes bien conscients de la difficulté de s’approvisionner en biocarburants mais promettre que les avions utiliseront 1 % de carburant biojet en 2023 ne suffira pas.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote de ce budget qui, malgré tout, va dans le bon sens.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Notre responsabilité, au sein de cette commission, est immense. Pensons à ceux qui vivent sous les bombes en Ukraine, aux tensions qui persistent en Afrique, à nos hommes qui restent présents dans la bande sahélo-saharienne, à la compétition stratégique qui se joue sur l’ensemble du globe et dans tous les océans.

Gardons ces images en tête et remémorons-nous nos prédécesseurs qui siégeaient ici même en 1933, en 1936, en 1938, à l’heure où les périls croissaient en Europe, où les chars allemands occupaient la Rhénanie, où était décidé l’Anschluss. Les événements d’Ukraine nous renvoient à ces heures funestes : on meurt à la guerre à deux heures de Paris.

Le vote de ce budget est un symbole fort et essentiel. Nos démocraties doivent se défendre, notre sécurité doit être garantie, l’unité et la résilience de la nation sont essentielles. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à la bâtir.

Venons-en à ce budget : 3 milliards d’euros ne sont pas une goutte d’eau. Les engagements pris dans la loi de programmation militaire sont tenus, pour la première fois de notre histoire.

L’inflation, cependant, reste une réalité et emporte des conséquences pour notre projet de loi de finances dont la progression est plus proche des 2 milliards d’euros que des 3 milliards.

Nous avons pourtant tous cru aux dividendes de la paix et nous avons tous accepté de réduire les dépenses militaires. Il serait à présent irresponsable de ne pas voter ce budget. Le rendez-vous majeur sera celui de la loi de programmation militaire, en 2023. Elle devra mesurer les défis, les menaces et les intérêts français, ne rien sacrifier et tirer les leçons de la guerre en Ukraine. J’espère que le travail que j’ai réalisé avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité sera utile.

Nous voterons ce budget pour assurer la sécurité de ceux qui défendent notre pays, au péril de leur vie.

Mme Delphine Lingemann (Dem). L’objectif de la loi de programmation initiale, qui était de réparer, a été respecté. L’effort budgétaire pour la mission Défense s’inscrit dans cette continuité. En progression de 3 milliards d’euros, il s’élève à près de 44 milliards d’euros. Désormais, nous évoluons dans un contexte géopolitique profondément modifié par le conflit en Ukraine. La situation exceptionnelle nous commande d’accélérer l’effort de préparation des armées aux affrontements à haute intensité afin de gagner la guerre avant la guerre.

Les crédits de la mission reflètent les ambitions et les priorités portées par le chef de l’État, le ministre des armées et notre majorité, pour une année 2023 qui sera une étape intermédiaire entre la loi de programmation militaire en cours et celle qui sera votée pour 2024-2030 et qui intégrera les nouveaux enjeux stratégiques.

Notre groupe salue la continuité de l’action menée depuis 2017 grâce à un budget qui remet les femmes et les hommes de la défense au cœur de notre capacité de défense, améliore les conditions de vie et d’engagement grâce à la création de nouveaux postes, la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat et la poursuite du plan famille. Ce budget permet également de poursuivre les efforts engagés pour attirer et fidéliser les personnels, notamment par la conduite de la dernière étape de la nouvelle politique de rémunération des militaires. Les crédits de cette mission traduisent notre volonté de préparer l’avenir de nos forces armées en accordant une place singulière à l’humain et la priorité aux investissements dans les secteurs clés pour les conflits de demain : le renseignement, l’espace, le cyberespace et le numérique. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera les crédits de la mission Défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation accorde une place sans précédent aux publics qui relèvent des dispositifs de réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Nous nous en réjouissons et nous saluons le droit à pension des victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant le 1er janvier 1982. Cette mesure de justice était attendue. La revalorisation générale des pensions militaires, d’invalidité et de la retraite du combattant entrera en vigueur le 1er janvier prochain, avec un an d’avance. C’est louable.

La journée défense et citoyenneté bénéficiera d’un budget de 21,2 millions d’euros. Thucydide disait que la force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux mais dans le caractère de ses citoyens. La force de notre cité tient à sa force morale. Nourrissons-la pour qu’elle fasse battre le cœur de notre pays. Aidons nos jeunes à affronter l’adversité pour qu’ils deviennent plus résistants à l’épreuve, plus résilients au conflit.

Quant à la mission Sécurités, on compte 100 000 gendarmes d’active contre 150 000 policiers. Si les deux forces couvrent la même densité de population et poursuivent les mêmes objectifs de sécurité nationale, les gendarmes interviennent dans 96 % du territoire national contre 4 % seulement pour les policiers. Forte de près de 3 100 unités territoriales, la gendarmerie nationale est un atout majeur dans notre continuum géographique sécuritaire. Celui-ci doit cependant être renforcé par la création de 200 brigades et l’amorce d’une nouvelle étape dans la stratégie globale, par un schéma d’emploi ambitieux et une hausse des effectifs de la réserve opérationnelle – 50 000 réservistes à l’horizon 2027 – sans que celle-ci ne devienne une variable d’ajustement du budget de la gendarmerie.

Nous devons également donner à la gendarmerie les moyens de s’adapter aux nouvelles frontières de la délinquance en lui permettant d’être toujours plus moderne et innovante notamment sur le volet numérique et cyber et d’amplifier son action en passant d’une logique de guichet à une logique du pas de porte. Notre groupe votera ce budget qui inclut tous ces aspects.

Mme Anna Pic (SOC). Nous regrettons la baisse des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation mais nous reconnaissons qu’elle s’explique par la disparition d’anciens combattants. Il aurait été cependant préférable de les sanctuariser pour répondre aux attentes des associations représentatives. Surtout, alors que le Gouvernement s’apprête à revaloriser la valeur du point de pension militaire et la retraite du combattant pour un montant global de 41,6 millions d’euros, les crédits reculent de 107 millions d’euros dans le PLF pour 2023, ce qui trahit l’insincérité de ce budget.

D’autre part, les crédits globaux consacrés aux actions menées en faveur des rapatriés n’augmentent que de 6 millions d’euros alors que le droit à réparation, prévu dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis, augmente de 15 millions d’euros. Seule une hausse globale de 15 millions d’euros aurait permis de maintenir un budget constant et un niveau de crédit équivalent pour tous les autres dispositifs de soutien à l’égard des harkis.

Au cours de l’examen de la mission, nous défendrons l’augmentation des crédits de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) à hauteur de 1 million d’euros pour lui permettre d’honorer les engagements pris dans le cadre du dispositif de réparation institué par la loi de 2022. Nous serons attentifs au sort réservé à l’amendement qui tend à étendre le dispositif de la demi-part fiscale supplémentaire à tous les veufs et veuves d’anciens combattants. Par ailleurs, nous nous étonnons du transfert de dispositifs initialement dédiés à la jeunesse vers le service national universel. Il ne peut être confié à l’armée une mission éducative qui n’est pas la sienne.

Pour ce qui est de la mission Défense, le budget, en hausse, est conforme aux engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire. L’effort est indéniable mais le respect de la trajectoire de la LPM est faussé par l’inflation, évaluée à 4 % par le Gouvernement. De surcroît, les reports de charges annoncés supposent que nous devrons procéder à des rattrapages dans les prochains textes budgétaires. D’autres limites ont été posées à cette progression, ces dernières semaines. La première concerne l’effectivité de la montée en puissance défendue par le Président de la République dans le cadre d’une économie de guerre. En effet, elle impose d’intensifier l’effort dont nos principaux industriels ne cessent d’interroger la soutenabilité. Ils doutent également des capacités humaines et financières des PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent. De surcroît, la maintenance des nouveaux matériels d’ores et déjà livrés et utilisés par nos armées coûte plus cher et impose de former les personnels.

Nous saluons la nouvelle politique de rémunération des militaires qui clarifie les régimes indemnitaires mais un rééquilibrage entre la rémunération indiciaire et la rémunération indemnitaire s’impose pour répondre aux défis de l’attractivité et de la fidélisation.

Par ailleurs, il semble hasardeux de diminuer les autorisations d’engagement du programme de dissuasion à l’heure où la Russie menace de recourir à l’arme atomique, ce que les États-Unis prennent au sérieux.

Nous défendrons un amendement pour augmenter la dotation gazole allouée à nos forces armées pour supporter la volatilité des prix du baril, instaurer des modules de formation spécifique de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l’environnement, octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées.

Quant à la mission Sécurités, le Gouvernement répond en partie aux besoins mais la création de 200 nouvelles brigades pose la question de leur déploiement. Une implantation réfléchie, coordonnée et planifiée serait préférable à une mise en concurrence entre les collectivités locales pour leur obtention. Comment les brigades mobiles et les brigades fixes seront-elles réparties ?

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Yannick Favennec Bécot (HOR). En 2023, le budget des armées françaises augmentera, pour la sixième année consécutive. Depuis 2017, chaque année, la trajectoire budgétaire est conforme aux engagements pris dans le cadre de la LPM 2019-2025. Depuis mars 2021, les combats de haute intensité qui se déroulent aux portes de l’Europe, auxquels s’ajoutent une montée des tensions dans l’espace indo-pacifique et une reconfiguration du dispositif français en Afrique, appellent de nouveaux efforts. Les crédits de la mission Défense progressent de 3 milliards d’euros cette année pour permettre à nos armées de s’adapter et de réagir rapidement dans l’ensemble des théâtres d’opération mais aussi d’identifier les futurs enjeux sécuritaires. Il nous reste cependant beaucoup à faire et la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permettra de tracer une nouvelle trajectoire.

La France n’est pas seule. Elle agit avec ses partenaires européens et ceux de l’Otan. C’est pourquoi notre groupe salue la consécration, dans les dépenses de l’État, des programmes de coopération bilatéraux et européens pour développer de nouvelles technologies d’armement. À l’heure où certains brandissent la menace nucléaire, il est fondamental de renforcer les capacités de la France pour asseoir notre autonomie stratégique. Celle-ci grandira d’autant plus grâce à l’ensemble des nouveaux moyens consacrés sur terre, en mer, dans le ciel et l’espace.

Le programme 146 vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à l’accomplissement de leur mission et concourir au maintien des savoir-faire industriels français et européens. Rappelons, dans la perspective de la prochaine LPM, que nous devons donner à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) les moyens de comprendre les exigences des armées et la manière de s’adapter en cas de besoin. Les commandes sur le long terme donnent à notre industrie de défense la visibilité qui lui permet d’inciter toute la chaîne à réaliser les investissements nécessaires et éviter les ruptures capacitaires.

Au-delà du domaine capacitaire, l’examen de ce budget nous rappelle le caractère fondamentalement humain de l’action du ministère des armées. Notre groupe est sensible aux efforts engagés pour poursuivre le plan famille, accompagner et fidéliser nos soldats grâce à des indemnisations plus justes, et améliorer leurs conditions d’exercice. Nous devons cet effort à ceux qui consacrent leur quotidien à la protection des Français, parfois au péril de leur vie.

La mission Sécurités pour 2023 prévoit de renforcer les effectifs sur la voie publique et de porter une attention particulière aux territoires ruraux. Nous nous félicitons de la création de 200 communautés de brigades.

Enfin, la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation joue un rôle essentiel en ce qu’elle incarne l’hommage que la nation rend à nos armées pour l’engagement et les sacrifices de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Les actions portées par la mission témoignent de la reconnaissance de la nation envers les anciens combattants et visent à susciter l’adhésion de l’ensemble de la population aux enjeux et aux efforts consacrés à la défense et à la sécurité nationale.

Même si ce budget recule par rapport à l’année dernière, les crédits alloués à cette mission accompagnent la transformation profonde constatée par le monde combattant. Ils prennent en compte la diversification des pensions et des aides versées au-delà de la condition militaire aux victimes de guerre, d’attentats et à leurs familles.

Notre groupe salue les efforts de reconnaissance pour les harkis et l’extension du droit à pension aux victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant 1982.

La transformation du monde combattant tient compte de l’évolution des générations. Les combattants qui ont servi en Opex sont plus jeunes, encore actifs, et comptent davantage de femmes. Nous saluons aussi les dispositifs prévus pour réhabiliter les soldats le plus tôt possible, comme les maisons Athos.

Enfin, les efforts consentis pour la politique de mémoire à travers la restauration et la mise en valeur du patrimoine sont indispensables mais nous devons veiller à l’avenir des associations d’anciens combattants qui ont perdu pas moins de 300 000 adhérents entre 2014 et 2021.

Notre groupe votera ces crédits.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LIOT). Notre groupe votera ces crédits. Tous les parlementaires doivent envoyer un signal fort de soutien à nos militaires et au monde combattant. Cependant, ce vote ne doit pas être interprété comme un blanc-seing donné au Gouvernement.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, je salue l’adoption, en première partie, des amendements qui ont permis d’étendre le bénéfice de la demi-part fiscale. Cette véritable avancée corrige une injustice fiscale. Le financement de cette dépense fiscale sera-t-il maintenu et inscrit dès 2023 ? Nous regrettons en revanche que le budget continue à se contracter. De 2,5 milliards en 2017, il est passé à 1,9 milliard.

D’autre part, le service national universel est le grand oublié de cette mission alors que le monde combattant a un rôle à jouer auprès des jeunes. Le bleu budgétaire traduit la volonté du ministère des armées de prendre part à sa montée en puissance mais aucun crédit budgétaire n’est fléché en ce sens.

La mission Défense m’inquiète. Les 3 milliards de hausse ne sont qu’un trompe-l’œil budgétaire. Les crédits doivent être relativisés au regard des reports de charge, du coût de la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique et de l’inflation.

Concernant les renseignements, à l’heure des conflits de haute intensité, l’enveloppe de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) progresse en 2023 après une baisse de près de 4 % de ses crédits de fonctionnement et d’intervention l’an dernier. Les failles du passé ne pèsent-elles pas sur nos échecs ?

L’incapacité des services à prévoir l’invasion russe de l’Ukraine, les coups d’État au Sahel ou la trahison de l’Australie dans l’affaire des sous-marins conduit à s’interroger. Il faudrait que le ministère se positionne clairement sur nos objectifs en matière de renseignement : veut-on simplement se mettre à niveau ou rattraper nos concurrents ?

S’agissant de la BITD, nos industriels vont être extrêmement sollicités, alors même qu’ils sont affectés par l’inflation. Nous devons faire face à plusieurs demandes : l’appui continu à l’Ukraine, la reconstitution des stocks de nos armées, la livraison des commandes aux États. L’accès au financement bancaire demeure difficile, surtout pour les PME. Les négociations entre Bercy, les banques et les entreprises n’ont pas permis de faire avancer les choses. Il est difficile, dans ces conditions, d’élaborer une nouvelle feuille de route pour notre tissu industriel militaire. Ce sont autant d’enjeux qui nécessitent de rectifier le tir au moyen d’une nouvelle LPM.

Notre groupe tient à saluer l’effort engagé en faveur de la gendarmerie nationale, dont les crédits avoisinent désormais 10 milliards. Les gendarmes avaient dû faire face à une contraction violente du nombre des brigades, qui étaient passées de 3 600 à 3 100. Nous saluons la création, prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), de 200 nouvelles brigades. Notre groupe attend encore des éclaircissements sur les efforts qui seront menés en faveur des territoires. La concertation évoquée avec les élus locaux va dans le bon sens, mais se traduira-t-elle par des financements permettant de répondre aux spécificités de chaque territoire et aux demandes des élus locaux ?

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La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

M. le président Thomas Gassilloud. La commission est saisie de vingt-neuf amendements. Sur les quarante-neuf qui avaient été initialement déposés, sept ont été retirés et treize ont été déclarés irrecevables, soit parce qu’ils comportaient des erreurs dans les mouvements de crédits ou leur justification – c’est le cas des amendements nos 32, 36, 37, 38, 40 et 44 –, soit parce qu’ils ne relevaient pas du domaine des lois de finances – cela concerne les amendements nos 9, 15, 19, 20, 21 et 22. Enfin, l’amendement no 13 relevait du compte d’affectation spéciale Pensions.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN7 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). La mission Défense prévoit pour 2023 une dotation en gazole de 33 036 867 euros, correspondant à un volume de 20 600 mètres cubes pour nos forces armées, en très légère augmentation par rapport au PLF pour 2022. Le Gouvernement table sur un prix du baril de pétrole de 88 euros. Cette prévision ne tient pas compte de la grande volatilité des cours liée à l’évolution du marché, qui est actuellement fortement affecté par la dégradation de l’environnement international. Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose d’augmenter de 5 % la dotation gazole allouée à nos forces armées, pour un montant de 1,651 million. Cette somme tient compte de l’augmentation des tarifs de cession ainsi que du volume de carburant nécessaire à l’activité de nos forces armées en 2023, qui pourrait s’accroître.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement est utile, car le cours du brent a été manifestement sous-estimé dans le projet de budget, comme il l’avait été l’année dernière. Si le montant de 1,651 million est insuffisant pour compléter le reste à charge de nos armées, c’est tout de même mieux que rien. Avis favorable.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Cet amendement, comme les trois suivants, témoignent de la volonté qui nous anime toutes et tous que les forces armées aient les moyens de leurs ambitions. Cela étant, les montants proposés – 1,6 million, 50 millions, 200 millions… – montrent combien nos prévisions divergent concernant la volatilité du cours du baril. Il ne faut pas laisser croire que nos armées ne disposent pas de moyens suffisants et que nous n’avons pas la possibilité de réabonder en cours d’année la ligne budgétaire des carburants, faculté prévue par l’article 5 de la LPM. Au nom de mon groupe, je vous invite donc à repousser cet amendement, comme les trois suivants.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le service de l’énergie opérationnelle (SEO) détient un compte de commerce abondé par le programme 178, qui lui sert à acheter l’essence et à la revendre à ses utilisateurs – nos armées, les armées alliées ou des entreprises privées effectuant en particulier des essais. Ce compte a été abondé cette année à hauteur de 600 millions ; il peut présenter un découvert d’un montant maximal de 125 millions. Fin août, le compte de commerce étant à zéro, le SEO a dû utiliser son découvert en veillant à ne pas dépasser la limite fixée. Il ne peut y parvenir qu’en ponctionnant d’autres lignes du programme 178, ce qui met en tension la totalité de ce programme. C’est cela que nous voulons éviter. Le Gouvernement aurait pu choisir d’activer l’article 5, mais il ne l’a pas fait cette année. Il aurait pu aussi, dès juillet, augmenter la ligne dédiée à l’essence dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR). J’espère que le PLFR de décembre abondera ce programme.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à abonder les crédits destinés à la préparation des forces navales. Le respect du contrat opérationnel pour la fonction de protection n’est que de 89 %, soit le niveau le plus faible de toutes les forces armées. Les autorisations d’engagement en matière de préparation des forces navales sont en forte diminution – de près de 32 %, soit d’environ 1,3 milliard –, ce qui montre que l’on envisage un contrat opérationnel général plus faible pour la marine en 2023. Le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l’indique le projet annuel de performances (PAP) Défense, « le niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir jusqu’en 2025, le parc des moyens aériens et maritimes restant quantitativement équivalent ». Ce taux de couverture restera donc très faible.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement et les suivants, qui ont trait au renforcement de nos moyens pour la marine nationale, présentent des objectifs louables mais proposent des moyens discutables. Je comprends mal le gage sur lequel reposent les amendements de Mme Pic et de Mme Galzy qui visent à abonder l’action 03, Préparation des forces navales, du programme 178 d’un montant, respectivement, de 5 millions et de 1 million. Vous prélevez ces sommes sur l’innovation et le soutien à nos forces alors qu’on a montré à quel point ces domaines sont essentiels à la marine nationale. Dans le même ordre d’idées, une série d’amendements du Rassemblement national vise à abonder le programme des sous-marins ou celui des patrouilleurs océaniques en prélevant les crédits sur la journée défense et citoyenneté, qui est une brique essentielle du lien entre l’armée et la nation. Enfin, l’amendement de M. Tanguy me semble redondant avec celui de ses collègues puisqu’il vise à l’acquisition de deux patrouilleurs outre-mer (POM) supplémentaires.

La majorité présidentielle apporte une grande attention à la ZEE et aux territoires d’outre-mer (TOM), comme le montre l’accroissement des moyens de notre armée, tant dans le budget que dans la loi de programmation en cours. Il est prévu d’acheter cinq POM supplémentaires, le premier étant en essais à Brest et devant être livré en 2023. Un sixième bateau est prévu pour 2025. Le PLF affecte à cette fin 1,4 milliard en AE et 114 millions en CP. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons votera contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Comme l’exposé sommaire l’indique, le gage nous est imposé par l’article 40 de la Constitution. Nous espérons que le Gouvernement, conscient de la nécessité de préserver les crédits de l’ensemble des programmes, le lèvera.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous voterons en faveur de l’amendement, car il vise à accroître le budget de la défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons des modules de formations spécifiques pour sensibiliser les armées à la préservation de l’environnement. L’amendement abonde à cette fin les crédits en faveur de la formation.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement reprend une proposition d’un rapport d’information de Mme Santiago et de M. Fiévet qui avait été adopté par notre commission. Il est toujours utile de former aux enjeux climatiques. Avis favorable.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je doute de la pertinence des amendements portant sur la transition écologique et énergétique de nos armées. En effet, celles-ci sont déjà fortement engagées en la matière. Le ministère des armées a une responsabilité particulière en matière d’environnement, en sa qualité de premier propriétaire foncier de l’État. Il assume parfaitement ce rôle, comme le montrent les mesures qu’il prend en faveur de la sobriété et de la transition énergétique. Ces actions sont formalisées dans le cadre d’une stratégie ministérielle pour la performance énergétique visant à réduire la dépense énergétique des infrastructures du ministère et à développer l’utilisation d’énergies renouvelables et de capacités d’autoproduction.

Ces mesures représentent 114 millions en AE et 58 millions en CP dans le PLF2023 pour le plan Place au soleil. On relève 18 contrats de performance énergétique, 50 millions pour le plan Eau, un fonds d’intervention de 3 millions pour l’environnement et plus de 10 millions prévus en 2023 pour le remplacement progressif d’ici à 2031 de près de 1 600 chaufferies au charbon ou au fioul. Mentionnons aussi les zones classées Natura 2000, les missions de lutte contre la pollution de la marine nationale ou encore les partenariats du ministère des armées avec diverses organisations protectrices de l’environnement et de la biodiversité.

Dans le cadre de l’élaboration du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, j’ai été témoin, avec Isabelle Santiago, de cet engagement, qui a permis la restauration de 700 hectares de pelouses sèches, la protection de 3 hectares de milieux humides et la réinsertion d’une espèce d’oiseau protégée, l’outarde canepetière, sur le camp de la Valbonne, grâce au programme Life.

De leur formation jusqu’à leur camp de base, les militaires sont sensibilisés aux enjeux environnementaux. Plusieurs bases ont signé des conventions avec les agriculteurs pour permettre à leurs animaux de venir pâturer sur les terrains militaires. Enfin, je suis convaincu que nos soldats sont aussi sensibilisés, en tant qu’individus, à ces enjeux.

Il faut accompagner le ministère dans ses initiatives. Je ne crois pas que les mesures proposées par les amendements II-DN11 et II-DN12, ni le fléchage auquel invite l’amendement II-DN10, constituent des dépenses pertinentes. Nous voterons donc contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Je me réjouis que le ministère engage des investissements et soit sensibilisé à l’environnement, mais l’amendement vise à abonder une ligne précise : l’action 08, Politique culturelle et éducative, du programme 212.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Dans le cadre de leur formation initiale, nos militaires sont sensibilisés à l’environnement. Il est quelque peu choquant de vous entendre dire que les formations sont mal faites et que nos soldats ne sont pas sensibilisés à l’écologie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont très respectueux de l’environnement. Votre amendement, à cet égard, n’est pas recevable.

Mme Anna Pic (SOC). À aucun moment je n’ai dit que les soldats étaient mal formés, mais il me paraîtrait utile de prévoir une formation tout au long de la vie sur la sensibilisation à l’environnement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cher Jean-Michel Jacques, il ne vous revient pas de juger de la recevabilité d’un amendement : je vous remercie de bien vouloir respecter le travail de vos collègues.

Cet amendement ne vise pas à remettre en cause les formations destinées aux militaires mais à en faire davantage pour l’environnement. Je me souviens d’un chef d’état-major pour qui l’armée de terre s’y connaissait en écologie puisque les soldats étaient tous habillés en vert… Un peu de formation tout au long de la vie ne peut pas faire de mal !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’un des scénarios proposés par la Red Team Défense montre comment nos forces pourraient être très rapidement mises en difficulté si elles ne disposaient plus de moyens de ravitaillement. L’enjeu de leur indépendance sur le champ de bataille est pris très au sérieux par les militaires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cet amendement n’est que de l’affichage. L’efficacité opérationnelle de nos armées dépend de leur capacité à se fondre dans tous les milieux : le bateau qui laisse des ordures derrière lui ou le fantassin qui ne respecte pas la nature sera le premier à se faire détecter. Par ailleurs, monsieur Lachaud, en disant que l’amendement n’était pas recevable, notre collègue Jean-Michel Jacques s’attachait à l’esprit du droit, et non à un problème de recevabilité.

M. Jean-Michel Jacques (RE). En effet, je ne me prononçais pas sur le plan légistique mais sur le fond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN23 de M. Aurélien Saintoul et autres

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Il s’agit de créer un programme dédié à l’adaptation du ministère des armées aux conséquences du changement climatique, dans le but d’intégrer un nouveau logiciel de réflexion au sein de nos armées et d’y associer des moyens spécifiques. En 2020, la consommation de carburant représentait 76 % de la facture énergétique de la défense, qui s’élève à 840 millions d’euros. Il est donc nécessaire de trouver des alternatives, notamment lorsque les ambitions en matière de recours au biocarburant ne s’élèvent qu’à 1 % dans le PLF pour 2023. La création de ce programme permettra de financer la réalisation d’une étude d’impact de l’empreinte carbone des trois armées et de préciser comment assurer notre défense en recourant moins aux énergies fossiles, en adaptant nos équipements et nos méthodes d’intervention, et en vérifiant la qualité des locaux hébergeant nos trois armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Les services de nos armées, qui ont tous conscience des enjeux de la bifurcation écologique et souhaiteraient agir, sont bien souvent limités par l’absence de budget dédié. La création de ce programme permettrait d’y remédier.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faudra me donner le nom du cabinet qui fait l’étude d’impact pour 1,3 million : vu le prix, c’est probablement McKinsey ! Considérant tous les manques que nous avons constatés dans l’armement et qu’il faut financer, il faut arrêter de faire des propositions de ce type. Dépenser de telles sommes pour faire des études paraît incongru. Nous voterons contre.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Les armées sont déjà engagées dans un effort de bifurcation pour réduire leur dépendance énergétique. Cela fait partie de la préparation de l’avenir et, à court terme, le plan d’investissement immobilier dans les bâtiments publics, en particulier dans l’immobilier de la défense, est déjà engagé. Je le constate dans ma circonscription avec la rénovation thermique de plusieurs bâtiments qui abritent nos soldats.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je suis un peu ébahi de constater que, une fois de plus, l’amendement est gagé sur le programme 144. En l’occurrence, s’il y a bien un programme dans lequel on fait de l’innovation sur les carburants et sur la transition écologique des armées pour penser le futur et préparer l’avenir, c’est bien celui-ci ! Il y a là une incohérence de fond qu’il est difficile de comprendre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens alloués à la sécurisation des fonds marins. La France, deuxième puissance maritime au monde, a besoin de moyens de surveillance pour protéger ses câbles sous-marins et ses ressources.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La maîtrise des fonds marins nécessite des moyens de surveillance des grandes profondeurs mais aussi d’intervention. Ces capacités existent : a été nommé auprès du sous-chef Opérations un adjoint en charge de maîtrise des fonds marins, tandis que des sociétés travaillent activement à développer des moyens d’actions dans les grands fonds. Enfin, une mission flash aura pour objet de tirer un certain nombre d’enseignements sur ce sujet et nous permettra d’enrichir la future LPM. Je vous propose de rejeter cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Le SSA (service de santé des armées) continue de souffrir des suppressions d’effectifs réalisées lors de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et a été très fortement mis sous tension lors de la pandémie. Il est désormais nécessaire de lui donner des moyens supplémentaires pour remplir ses missions, notamment dans la perspective d’un conflit de haute intensité.

Mme Corinne Vignon (RE). L’augmentation de 1,3 million d’euros prévue dans le PLF pour 2023 permettra au service de santé des armées de commander une plateforme logistique santé, d’engager un effort sur la sécurisation des HIA (hôpitaux d’instruction des armées) et d’acquérir les équipements nécessaires pour moderniser les unités médicales opérationnelles et les antennes de réanimation ou de chirurgie de sauvetage.

L’article 42 du PLF corrige en outre une inégalité de traitement entre les personnels du SSA. Ceux qui sont en fonction dans les hôpitaux interarmées perçoivent le CTI (complément de traitement indiciaire) instauré à la suite du Ségur de la santé. Une majoration de traitement indiciaire est donc créée pour les personnels soignants relevant du ministère des armées mais n’exerçant pas directement en milieu hospitalier et qui, de ce fait, étaient privés du CTI.

Enfin, avec le retour de la haute intensité des conflits en Europe, la LPM nous permettra de réviser les capacités des SSA.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Il vise à interpeller le Gouvernement sur les raisons de la réduction du budget alloué aux moyens de simulation de notre dissuasion nucléaire – moins 30 millions d’euros en autorisations d’engagement et moins 70 millions d’euros en crédits de paiement –, alors que cet outil est indispensable pour préserver la crédibilité de nos forces nucléaires, sans laquelle la dissuasion ne remplit plus sa mission.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Depuis 2017, les crédits consacrés à la dissuasion ont augmenté de 47 % – ils s’élèveront à 4,6 milliards en 2023 – tandis que ceux dédiés à la simulation ont augmenté de plus de 50 millions d’euros : c’est considérable. La légère baisse prévue pour 2023 est en ligne avec les besoins exprimés par les porteurs du programme : il n’y a donc pas d’alerte particulière sur notre capacité à simuler notre arsenal dissuasif.

Par ailleurs, pour financer votre amendement, vous ponctionnez des crédits de la journée défense et citoyenneté, ce qui est contreproductif au regard des objectifs qui devraient normalement tous nous rassembler.

M. Loïc Kervran (HOR). L’excellence de la France dans le domaine de la simulation permet de comprendre la baisse des crédits. Tous les outils qui ont été développés – laser Mégajoule, installation radiographique Epure, supercalculateurs Tera, réacteur d’essai RES – ont permis d’en réduire considérablement les coûts.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN33 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Les tensions sur la disponibilité des hélicoptères font que nous n’atteignons pas les objectifs en heures de vol fixés par la LPM. Il convient de renforcer nos investissements dans ce domaine afin d’être toujours plus opérationnel et efficace. Il est donc proposé de prélever 3,35 millions d’euros sur le budget des dépenses de personnel des cabinets pour augmenter le budget consacré aux hélicoptères NH90.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Votre amendement ne relève pas du programme 146 mais du programme 178 puisqu’il concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO). Par ailleurs, vous le financez en prélevant sur des crédits qui n’ont aucun rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). La capacité de projection est capitale pour nos armées. Avec le retour des guerres de haute intensité, le transport de matériel lourd retrouve toute son importance. Après le retrait du C160 Transall, l’A400M est devenu un atout précieux, qu’il convient de prioriser au sein du budget. Il nous semble donc judicieux de prélever des crédits sur le budget consacré au cabinet ministériel pour les investir dans l’A400M.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’A400M ne connaît pas de problème d’approvisionnement : la trajectoire est respectée à la lettre et l’armée de l’air et de l’espace recevra en 2023 son vingt-deuxième A400M. Par ailleurs, vous prenez sur les crédits des cabinets pour financer un renforcement potentiel de programmes qui fonctionnent déjà. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN35 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Nos sous-marins sont un atout décisif pour surveiller et protéger les mers et les océans. En cas de guerre de haute intensité, la France, deuxième surface maritime mondiale, sera inévitablement menacée sur son territoire maritime. Notre flotte doit donc demeurer opérationnelle et être capable d’intervenir partout et rapidement afin de protéger notre intégrité nationale. L’entretien régulier de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda coûte cher et nécessite des investissements toujours plus importants. Nous proposons de supprimer la journée défense et citoyenneté (JDC), anecdotique dans la vie des Français et donnant peu de résultats, et de transférer les crédits correspondants au programme d’investissement dans les sous-marins.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je ne peux pas laisser dire que la journée défense et citoyenneté est anecdotique : je vous invite à vérifier les effets de ce dispositif et, plus largement, du service national universel (SNU).

Concernant votre amendement, je suis assez étonné : l’action consacrée aux Barracuda est la sixième action la mieux dotée du programme 146. Il n’y a pas de besoin ni de difficulté dans les livraisons, qui suivent leur cours. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En matière de construction navale, il y a des réalités : les capacités des bassins et des ateliers à produire et à sortir les bâtiments. La construction des SNA et le déroulement du programme Barracuda répondent à une planification d’une finesse incroyable, qui n’autorise aucun retard ni aucune commande supplémentaire, car nous enchaînerons ensuite avec le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) 3ème génération. Cet amendement doit être rejeté.

M. Laurent Jacobelli (RN). Alors que nous discutons des amendements depuis un long moment, j’en tire trois conclusions. Premièrement, aucun amendement de l’opposition ne sera adopté.

Deuxièmement, vous confondez systématiquement les gages avec un transfert de dépenses – vous pouvez arrêter maintenant, je crois que nous avons compris votre message et votre entêtement.

Troisièmement, les marques de mépris ne devraient pas être affichées dans cette commission. On peut ne pas partager le même avis : nous pensons que la journée défense et citoyenneté ne sert absolument à rien : on ne devient pas patriote en un jour, on ne prend pas conscience de la défense nationale en un jour, et il faudrait réformer le SNU, qui est une gigantesque colonie de vacances. Vous faites de l’affichage ; nous faisons du fond. Essayons de faire un travail sérieux !

M. Christophe Blanchet (Dem). La JDC est utile à au moins deux titres : d’une part, elle constitue à 25 % la base de recrutement des armées et, d’autre part, elle permet d’identifier les décrocheurs. Si le parcours n’est pas encore efficace à 100 %, il permet tout de même d’en aider quelques-uns. Quant au service national universel, il contribue à faire de nos jeunes des Français qui s’investissent dans le devoir de mémoire et développent leur esprit patriotique. Vivez l’expérience de l’intérieur, comme je l’ai fait à plusieurs reprises : vous pourrez ainsi la critiquer.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous nous accusez de faire de l’affichage, tout en jugeant insuffisante la marche budgétaire à 3 milliards : cela n’a pourtant rien de négligeable et s’inscrit dans la trajectoire de 300 milliards fixée par la LPM pour porter le budget de la défense à 2 % du PIB. C’est un effort auquel les Français consentent parce qu’ils sont tout à fait conscients de la nécessité que nos armées montent en puissance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je crois que vous avez parfaitement résumé le problème de fond : vous estimez que ces 3 milliards sont un pas en avant suffisant. Nous considérons qu’avec l’inflation et les reports de charges, ces 3 milliards ne font qu’assurer la continuité. Il n’y a pas de véritable progression, alors que nous avions beaucoup reculé dans les années passées. Ce que vous faites mine de ne pas comprendre, c’est que les différents amendements ne sont pas des transferts mais des demandes d’augmentation de budget, pour fournir davantage d’équipements à nos armées. Ce budget, même s’il est en augmentation sur le papier, n’est pas suffisant. Si vous continuez à nous sortir les mêmes éléments de langage pour éviter le débat, nous allons tourner en rond pendant deux heures !

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez voté une LPM à 300 milliards, certes, mais avec pour seul objectif d’atteindre les 2 % du PIB. Or ce seuil n’a été atteint qu’à la suite de l’effondrement du PIB consécutif à l’épidémie de covid-19 : cela démontrait bien l’inanité d’un tel objectif. Alors que le ministre affirme vouloir co-élaborer la prochaine LPM avec les oppositions, vous ne voulez absolument rien entendre de nos propositions concernant le budget : cela augure mal de la suite. De plus, puisque, à vous entendre, tout va très bien, pourquoi faire une nouvelle LPM ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au terme prévu de 2025 ?

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous avez raison : nous avons déjà atteint les 2 % du PIB ; et pourtant, ce n’était pas l’objectif principal. Notre effort d’investissement porte essentiellement sur les équipements et la part du budget qui leur est affectée est considérable comparée à celle des autres pays européens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Pensez-vous que le contexte économique et géopolitique n’a pas évolué depuis 2017 ? Il y a eu des changements majeurs – crise sanitaire, guerre en Europe… Votre LPM n’est pas l’alpha et l’oméga en toute chose. Nos armées sont dépourvues en matériel, en formation et en munitions. Certes, la LPM est respectée à l’euro près, mais ce n’est pas suffisant. De plus, l’inflation n’a pas débuté en 2022, elle a existé aussi entre 2018 et 2022 : cela aussi consomme du crédit.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Alors que l’on nous avait vendu cette LPM à hauteur d’homme, on nous explique aujourd’hui que l’essentiel de ce texte consiste en investissements dans du matériel. À quoi sert d’avoir du matériel si nous n’avons pas de soldats formés pour le manœuvrer ? Or nous rencontrons un vrai problème de fidélisation. Force est de constater que les 3 milliards, qui plus est grevés par l’inflation, ne tiennent pas compte de la globalité du problème.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à poser une question aux membres des groupes liés à la majorité : êtes-vous disposés à accepter ne serait-ce qu’un amendement de l’opposition ou bien avez-vous décidé de tout rejeter et de camper sur vos positions ?

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les forces françaises étant dépendantes de l’importation pour les munitions de petit calibre, il est primordial de retrouver une filière souveraine de production dans ce domaine. Or le budget ne traite pas de ce problème. Pour y remédier, nous vous proposons de débloquer 100 millions en les prélevant sur les crédits de la journée défense et citoyenneté. Puisque je dois vous expliquer la politique des gages, nous souhaitons que le gage ne soit pas levé et que le Gouvernement comprenne l’importance de ces munitions.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous invite à ce que l’on échange dans le cadre des groupes de travail sur la future LPM car c’est un sujet légitime. Certains sujets comme l’agenda de relocalisation relèvent du débat sur l’économie de guerre. Remettre en place ces filières en France nécessite des changements structurels importants : ce sont donc des sujets LPM. Il faudra en débattre en amont de manière un peu plus structurée que dans le cadre du PLF pour 2003. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les machins qui ne servent à rien peuvent être des sources d’économies. L’Agence européenne de défense, censée faire travailler vingt-six pays sur des projets d’armement, écrivait elle-même que ces rapprochements n’avaient pas lieu, signant ainsi le constat de sa propre incapacité. Quand les pays veulent travailler ensemble, ils peuvent le faire : pas besoin d’une agence pour les y forcer. Vous cherchez des économies pour financer des programmes pour nos armées : je vous en propose pour 7,5 millions.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cette fois-ci, vous essayez de supprimer des crédits de manière pure et simple, en estimant que l’Agence européenne de défense ne sert à rien. On peut en débattre sur le fond mais cette agence finance le Fonds européen de la défense, qui a eu un rôle non négligeable dans l’organisation des livraisons d’armements à l’Ukraine, qui soutient l’effort d’innovation et de construction de programmes conjoints et qui renforce la BITD européenne. Je ne peux pas comprendre qu’on annule purement et simplement, sans autre projet, une agence européenne qui, en dépit de difficultés, remplit des missions essentielles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit d’un amendement d’alerte.

Le brouillage et le leurrage des signaux GNSS sur le champ de bataille sont des menaces désormais clairement identifiées, qu’elles émanent de forces irrégulières équipées de brouilleurs achetés sur internet ou de plus grandes puissances. Les capacités en matière de guerre électronique de pays comme la Russie nous montrent qu’il ne faut pas compter sur le seul réseau satellitaire pour la géolocalisation de nos systèmes. La tentation de renforcer les receveurs, incarnée par le programme européen Omega (Opération de modernisation des équipements GNSS des armées), nourrit une fuite en avant : s’il est nécessaire de sécuriser les receveurs à usage militaire, ces derniers ne sauraient être une solution réellement efficace.

La France a la chance de disposer de deux industriels en mesure de fournir des solutions inertielles haute performance, c’est-à-dire capables de naviguer de manière autonome, sans signal GNSS, avec une dérive dans le temps opérationnellement acceptable. Le budget alloué au programme Omega aurait suffi à équiper de telles centrales une part conséquente de notre parc de véhicules terrestres.

À l’heure du combat collaboratif dans le cadre du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), perdre les données de navigation d’un véhicule peut avoir de graves conséquences opérationnelles. Nous invitons donc les décideurs publics à équiper rapidement nos véhicules de solutions inertielles.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement d’appel vise à interpeller le Gouvernement sur la capacité de nos armées à surveiller nos zones économiques exclusives (ZEE). La marine nationale n’a pas les moyens de le faire et les pillages halieutiques dans l’océan Indien, notamment au large des îles Éparses, représentent un gros enjeu économique et environnemental. La France, puissance maritime mondiale, doit doter sa marine en patrouilleurs et réaliser des investissements dans les nouvelles technologies.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN47 de M. Frédéric Boccaletti et autres

M. Frédéric Boccaletti (RN). Je serai très bref, puisque tous les amendements de l’opposition vont être rejetés, quel que soit le groupe dont ils émanent. Je regrette que le sectarisme de la Macronie ait fait son apparition dans cette commission, où les choses se passaient très bien jusqu’à présent. Il faut dire que c’est la première fois que nous procédons à des votes : dès qu’il y a de la démocratie, cela dérange la Macronie !

Une commission d’enquête du Sénat a dévoilé en mars 2022 que les dépenses de l’État en prestations de conseil avaient été multipliées par trois entre 2018 et 2021 et que 18,2 % d’entre elles concernaient le ministère des armées en 2021. Parmi les cabinets qu’il emploie, des américains, des britanniques et des néerlandais ; bref, des puissances étrangères sont mêlées aux affaires militaires nationales.

Pour 2023, ce budget est en augmentation de 3,92 % pour atteindre près de 90 millions d’euros. Le contexte géopolitique nécessite de revoir nos priorités stratégiques et les financements doivent servir en priorité à rendre opérationnelles nos armées. En revenant au niveau de 2018, on économisera plus de 60 millions que nous proposons de reverser à la marine nationale.

L’amendement sera rejeté, mais je le redéposerai en vue de la séance.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il y a méprise : le budget des cabinets de conseil, qui était de 50 millions l’an dernier, est sur le poste du secrétariat général pour l’administration (SGA). Là, vous retirez des crédits au cabinet du ministre : vous le privez de tous ses moyens d’agir. Je vous propose donc de retirer votre amendement et de revoir en vue de la séance le poste budgétaire visé.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Il vise à revaloriser de 3 millions d’euros le budget alloué à la hausse du nombre d’apprentis dans les armées, en réduisant d’autant la contribution française à l’Agence européenne de défense (AED).

Le développement de l’apprentissage est un objectif partagé par l’ensemble des groupes politiques. Un effort supplémentaire serait bénéfique pour les jeunes et pour nos armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Défavorable. L’apprentissage n’est pas la bonne solution aux problèmes d’attractivité et de fidélisation au sein de nos armées. La moitié des contrats d’apprentissage aboutit à une rupture avant terme.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-DN49 de M. Jean-Philippe Tanguy.

 

Amendement II-DN50 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Dans le contexte international actuel, marqué par le retour de la guerre en Europe, il est indispensable d’assurer la bonne préparation de nos forces. L’effort budgétaire consenti cette année à cette fin est insuffisant.

Le budget prévoit une diminution de 2,1 millions d’euros des crédits de paiement alloués aux systèmes d’information et de communication (Sic), mais une hausse de 1,9 million de ceux des cabinets du ministère des armées – sans doute principalement pour compenser l’inflation, mais il faut un effort supplémentaire. Vous avez parlé de soutien à nos forces armées et d’efforts sur les équipements : soyez cohérents. Nous proposons que les fonds nécessaires à cette hausse soient symboliquement transférés vers les Sic, enjeu structurant, y compris pour la dissuasion. Ceux d’entre vous qui connaissent le terrain savent combien la communication est essentielle en matière opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne connais pas la justification de la baisse. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN51 de M. Julien Rancoule et autres

M. Julien Rancoule (RN). Il s’agit d’abonder de 18 791 578 euros l’action 06-14, Assurer la crédibilité de la dissuasion M51, du programme 146. Vu le regain de conflictualité déstabilisant le continent européen, il apparaît absolument nécessaire que la France consolide sa dissuasion nucléaire, garante de notre sécurité et de notre indépendance.

Pour des raisons de recevabilité, la somme est prélevée sur le budget alloué à la journée défense et citoyenneté du programme 212, Soutien de la politique de la défense. En effet, à l’heure du développement du SNU, les JDC sous leur forme actuelle perdent en pertinence. À mon collègue qui les vantait, je dirai que ce n’est pas le rôle de l’armée de détecter le décrochage et qu’il sous-estime nos enseignants, les plus à même de le faire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous rassure : les M51.3 sont soutenus à hauteur de 809 millions d’euros dans le PLF pour 2023 et les travaux sur le quatrième incrément seront lancés en 2023. Avis défavorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les enfants sortis du système scolaire qui vont faire leur JDC n’ont pas été repérés par les enseignants.

Nos travaux ont montré que la JDC était à améliorer ; j’estime à titre personnel qu’elle n’accomplit pas toutes ses missions. Sa transformation en SNU permettra d’atteindre nos objectifs, mais elle est progressive : le SNU ne peut être instauré du jour au lendemain faute de moyens humains et de structures d’accueil. En attendant, la JDC fournit une base de recrutement à nos armées et permet d’identifier quelques décrocheurs. Ne supprimons donc pas un dispositif qui a prouvé son efficacité dans certains domaines, notamment le sens de la citoyenneté et du patriotisme, et ne le mettons pas en concurrence avec l’éducation nationale : chacun ses responsabilités.

M. Laurent Jacobelli (RN). Bravo : nous devenons la seule commission qui n’accepte aucune remarque de l’opposition. J’ai été naïf, ainsi que mon groupe : nous avons toujours loué la qualité des débats, l’ouverture et l’écoute qui nous paraissaient y régner – à quelques exceptions près, mais M. Bayou n’est pas là aujourd’hui. Désormais, quoi que l’on dise ou fasse, la réponse est non, assortie au mieux d’un argument, au pire d’un regard méprisant.

Comment allez-vous expliquer, en sortant d’ici, que vous n’avez rien accepté d’aucune opposition ? Vous le faites sous les yeux de ceux qui suivent nos débats. C’est la quintessence de la Macronie : cause toujours, tu m’intéresses ! Je veux bien que vous ayez raison sur tout et nous sur rien ; statistiquement, c’est quand même très peu probable. En revanche, la probabilité que vous souffriez d’un manque d’humilité et d’écoute est de moins en moins nulle.

Soit vous continuez ainsi, ce qui vous envoie dans le mur – et, soyons très clairs, cela nous sert, mais cela ne sert pas les Français ; soit vous assouplissez vos positions et vous écoutez un peu ce qui se dit en face. Si, depuis 2017, vous aviez raison sur tout, les Français s’en seraient aperçus !

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Par nature et par tradition, notre commission s’est toujours caractérisée par le consensus et le respect mutuel. Je ne comprends pas le durcissement brutal de vos postures alors que nos travaux étaient, au départ, très constructifs.

Nos différences d’approche résultent de nos histoires et de nos visions politiques respectives. Quand vous attaquez l’Agence européenne de défense, on reconnaît bien le Front national et son opposition à tout ce qui est européen. Certains de vos amendements pourraient être intéressants, mais si nous les avions tous acceptés, comme vous les avez gagés sur l’essentiel des finances du cabinet du ministre des armées – qu’a-t-il bien pu vous faire ? –, il n’y aurait plus d’argent pour le faire tourner.

Manifestement, certains d’entre vous ont encore besoin d’apprendre à maîtriser la mécanique parlementaire. Vous essayez de vous victimiser en permanence, mais ça ne marchera pas. Puisque vous voulez faire de la politique, faisons-en : vous voulez dépouiller des missions essentielles à la défense pour essayer de donner du crédit à votre action, qui est incompréhensible. Je regrette vraiment que nous en arrivions là. Si nos débats n’étaient pas filmés, votre approche ne serait pas la même. On a bien compris que vous vouliez préparer les esprits à ce qui va être débattu à partir de dix-sept heures. Les membres de notre commission, les militaires qui nous regardent, tous ceux qui sont attachés à l’esprit de défense ne méritent pas cela.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je le répète, notre commission restera la seule qui n’aura pas écouté l’opposition, qui n’aura voté aucun de ses amendements. Vous pouvez dire que le Rassemblement national n’est pas un parti compétent ; les Français en ont jugé autrement. Il est vrai que vous avez une certaine expertise en la matière, ayant fait un bon nombre de partis ces dernières années. Vous pouvez ne pas vous remettre en cause – je vois que vous avez très vite adopté les habitudes de la Macronie –, mais la situation soulève des questions. Je crois m’être exprimé poliment, je n’ai pas fait d’esclandre ; je vous dis simplement que je regrette cet état de fait. Vous l’avez dit, cette commission est composée de gens sérieux, le dialogue y est en général de qualité. Aujourd’hui sont venus s’y inviter la posture et le mépris ; c’est dommage. Pour le coup, c’est peut-être lié à la présence des caméras : vous êtes tous beaucoup plus amènes quand elles ne sont pas là.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN52 et II-DN53 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il faut augmenter les budgets essence de nos armées pour tenir compte du cours du brent. On ne peut pas partir du principe que le baril sera à 63 euros en 2023. Au lieu d’avoir à abonder le programme en cours d’année, faisons-le maintenant : c’est du bon sens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ne devrais-je pas donner mon avis sur l’amendement II-DN52 ?

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN54 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les dépôts de munitions du Simu (service interarmées des munitions) sont pour la plupart classés site Natura 2000. Cela nous garantit de vastes espaces naturels protégés favorisant la biodiversité, mais chaque fois que le Simu veut faire des travaux, il se heurte à des contraintes qui entraînent des surcoûts. L’amendement vise à compenser ceux qui affectent la rénovation du camp de Miramas en raison de la présence de chênes-lièges remarquables.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je maintiens que, pour l’amendement II-DN52, j’étais le rapporteur pour avis. L’erreur n’est pas dramatique, mais que l’on puisse au moins s’exprimer de temps en temps !

M. le président Thomas Gassilloud.  Il pouvait y avoir deux rapporteurs pour avis, puisqu’il s’agit de la préparation des forces aériennes, mais que l’amendement abonde aussi la préparation et l’emploi des forces. N’y voyez aucune marque de rejet. Vous pouvez intervenir à tout moment si vous le souhaitez.

 

Amendement II-DN55 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les effectifs du service d’infrastructure de la défense (SID) ont diminué ces dernières années alors que le nombre de projets qu’il doit traiter s’accroît avec la hausse constante de crédits prévue par la LPM. Le SID est donc obligé d’externaliser la réalisation d’opérations, ce qui induit de fortes augmentations budgétaires pour les armées, de 4 à 5 millions d’euros pour certains projets. Je propose d’allouer des fonds au recrutement de fonctionnaires qui feront le même travail à moindre coût, pour un meilleur rendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme pour le logement, il faut un grand plan de rénovation des restaurants de nos armées, dont plusieurs font régulièrement l’objet de signalements par les services vétérinaires et sont menacés de fermeture administrative.

M. Laurent Jacobelli (RN). Sur le principe, nous sommes d’accord, mais comment arrivez-vous au montant de 80 millions ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une estimation au vu du nombre de restaurants à rénover et du coût moyen de rénovation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de M. Bastien Lachaud

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’aurais aimé donner un avis favorable, ne serait-ce que pour contredire nos collègues du Rassemblement national, et je remercie Bastien Lachaud de sa sollicitude envers le programme 178, mais je ne crois pas opportun de prendre 50 millions au programme 146.

L’article 5 de la LPM permet précisément de couvrir ce type de besoins. M. Lachaud nous dira qu’il n’a pas été utilisé en 2022, mais on ne peut préjuger pour autant qu’il ne le sera pas en 2023.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Sur le premier point, dès lors que l’exposé sommaire précise que l’auteur de l’amendement souhaite la levée du gage par le Gouvernement, il est malhonnête d’utiliser cet argument.

Quant à l’article 5 de la LPM, il n’a été activé ni en 2022 ni les années précédentes pour couvrir le surcoût Opex. Cela nous fait craindre qu’il ne le soit jamais. Espérons qu’il en ira autrement de l’éventuel article équivalent dans la future LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense non modifiés.

 

Après l’article 42

 

Amendement II-DN3 de M. Christophe Naegelen et autres

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’est pas défendu.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous le reprenons !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN11 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons au Gouvernement un état des lieux précis des besoins en matière de préservation de l’environnement dans le secteur de la défense, qui ne sera pas épargné par le changement climatique. Comme l’a souligné en mai 2021 la mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, ces enjeux doivent être anticipés et les besoins chiffrés.

Le rapport demandé devra aussi évaluer l’opportunité de la création, à terme, d’un budget dédié aux questions environnementales pour le ministère des armées, pour qu’elles ne soient pas des variables d’ajustement mais l’objet d’un vrai plan d’action, d’une feuille de route claire énumérant des priorités qui soient financées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Puisque, quand l’Assemblée nationale fait des rapports, leurs auteurs eux-mêmes les jugent insuffisamment précis pour être transformés en loi, l’Assemblée devrait en effet, dans sa sagesse, s’en remettre au Gouvernement…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN12 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à intégrer la dimension environnementale dans les actions du ministère des armées. En effet, le secteur militaire a d’importantes responsabilités en la matière du fait de sa grosse consommation énergétique et du fort impact environnemental de ses actions. Nous demandons par conséquent au Gouvernement un rapport évaluant la politique environnementale du ministère – biodiversité des terrains militaires, recyclage des déchets, transition énergétique des infrastructures et des systèmes d’armes.

Contre la préconisation de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN14 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées, sans distinction.

La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène ceux qu’on a appelés les « premiers de corvée », longtemps absents des débats politiques. Pour revaloriser les salaires des personnels travaillant dans les métiers du soin, le Gouvernement a instauré un complément de traitement indiciaire de 49 points d’indice, correspondant actuellement à un montant de 189 euros nets. Cette décision ne peut être que saluée.

Toutefois, plusieurs centres appartenant au SSA, au premier rang desquels le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), n’ont pas bénéficié du CTI. Ces établissements sont pourtant essentiels au bon fonctionnement des hôpitaux des armées. Sous prétexte que les personnels paramédicaux touchaient le CTI, leur prime de service annuelle a été gelée en 2021 et 2022, alors que les travailleurs de l’Établissement français du sang obtenaient l’équivalent du CTI.

Tout au long de la crise sanitaire, les travailleurs du SSA ont été en première ligne, autant que d’autres personnels de santé en France. Cette inégalité de traitement n’est donc pas justifiée.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Favorable. La grille salariale du SSA est liée à celle des personnels civils, mais, bien souvent, la transposition de modifications bénéficiant à ces derniers, comme le Ségur, prend de trop longues années.

La commission rejette l’amendement.

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—  1  —

   Annexe 1 :
Auditions et déplacements du rapporteur pour avis

  1. Auditions

M. le général de division Damien Tandeau de Marsac, sous-chef plans et programmes de l’état-major de l’armée de Terre ;

 M. le général de corps d’armée Patrice Quevilly, major général de l’armée de Terre et M. le général de division Vincent Giraud, sous-chef performance et synthèse de l’état-major de l’armée de Terre ;

M. le général (2S) Jean-Marc Duquesne, délégué général, Mme Martine Poirmeur, déléguée générale adjointe et M. Axel Nicolas, directeur affaires publiques du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) ;

 M. le général de division Pierre-Joseph Givre, directeur du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC) ;

M. le général de corps d’armée Bertrand Toujouse, commandant des forces terrestres ;

M. le général de corps d’armée Christian Jouslin de Noray, directeur central de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (DC-SIMMT) ;

 M. le général de brigade Éric Laval, directeur du Service interarmées des munitions (SIMu) ;

 Mme Eveline Spina, ingénieure générale hors classe de l’armement, directrice des plans, des programmes et du budget, et M. Guilhem Reboul, ingénieur général hors classe de l’armement, directeur des opérations, direction générale de l’armement (DGA).

 

  1. Déplacements

 Annecy – Visite du 27ème bataillon de chasseurs alpins (27ème BCA) ;

 Estonie – Visite du détachement français de la base militaire de Tapa et entretiens à Tallinn : Mme Tuuli Duneton, sous-secrétaire en charge de la politique de Défense et entretien avec une délégation de la commission de la Défense du Parlement estonien : M. Raimond Kaljulaid, Président de la commission de la Défense nationale, M. Leo Kunnas, Vice-Président de la commission, M. Mati Raidma, membre de la commission ; M. Laanet, membre de la commission et ancien ministre ;

 Bourges – Visite du site de MBDA aéroport et du site de Nexter.

 


([1]) Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

[2] Conférence de presse du Président Emmanuel Macron à l’issue du Sommet informel des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne à Prague, le 7 octobre 2022.

[3]3 336 en 2021 selon le site du ministère de la Défense estonien accessible via : https://riigikaitseareng.ee/en/defenders-of-the-state/