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N° 369

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2022.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2023 (n° 273)

 

TOME VI

 

 

DÉFENSE

 

préparation et emploi des FORCES :

AIR

PAR M. Frank GILETTI

Député

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 Voir le numéro :  273


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : UNE CROISSANCE DES CRÉDITS INSUFFISANTE AU REGARD DU CONTEXTE STRATÉGIQUE ET DES BESOINS OPÉRATIONNELS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

I. UNE ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE PLEINEMENT MOBILISÉE MALGRÉ SES DÉFIS CAPACITAIRES ET HUMAINS

A. UNE ARMÉE ENGAGÉE SUR TOUS LES FRONTS

1. Des missions continues sur le territoire national

a. La composante aéroportée de la dissuasion

b. La posture permanente de sûreté aérienne

c. La contribution aux missions de service public

2. Un engagement conséquent en opérations extérieures

3. Des exercices emblématiques orientés vers la projection de puissance

B. UN RENOUVEAU CAPACITAIRE TROP PARTIEL

1. Les principales livraisons et commandes en 2022 et 2023

2. La montée en puissance dans le domaine spatial, qui doit être consolidée

3. La persistance de lacunes capacitaires

a. Un format de la flotte d’aviation de chasse insuffisant…

b. …renforcé par un manque d’équipements pour les missions

c. Une rupture temporaire de capacités dans le ROEM préjudiciable

C. UNE POLITIQUE « À HAUTEUR D’AVIATEURS » À CONSOLIDER

1. Le défi de la fidélisation

2. Un renouveau inégal des infrastructures

3. Un déficit d’entraînement préoccupant

4. Altaïr : un projet de réorganisation de la chaîne de commandement

II. DES CRÉDITS INSUFFISANTS POUR UNE REMONTÉE EN PUISSANCE, QUI DEVRA ÊTRE ASSURÉE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

A. LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE OUVERTS PAR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2023

1. Présentation générale des crédits du programme 178 dévolus à l’armée de l’air et de l’espace

2. Présentation par nature et par opération stratégique

a. Les dépenses de fonctionnement

b. Les dépenses d’équipement

c. Les autres crédits de la mission « Défense » consacrés à l’armée de l’air

B. LES ENJEUX DE LA PROCHAINE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

1. Redimensionner notre aviation de la chasse à l’aune du retour de la haute intensité

a. Un contexte qui impose de revoir l’Ambition 2030 et la mutualisation des moyens au titre des contrats opérationnels

b. Des avions de chasse plus nombreux…

c. … et mieux équipés

2. Combler nos lacunes capacitaires

3. Consolider la modernisation de certains segments

4. Oser l’autonomie stratégique

a. Abandonner le SCAF

b. Le piège allemand de l’Eurodrone

SECONDE PARTIE : LE DÉFI DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DES AÉRONEFS

I. UNE RÉFORME D’AMPLEUR POUR RELEVER UN DÉFI MAJEUR

A. LA RÉFORME DU MCO AÉRONAUTIQUE…

1. Une réforme de la gouvernance : la création de la DMAé

2. Une réforme de la stratégie : la « verticalisation » des contrats

B. … POUR RELEVER LE DÉFI MAJEUR MAIS COMPLEXE DE LA DISPONIBILITÉ

1. Des enjeux majeurs…

a. Un enjeu opérationnel

b. Un enjeu financier

2. … mais d’une complexité redoutable

a. La complexité liée à l’articulation entre l’industrie et les forces armées

b. La complexité liée aux flottes elles-mêmes

c. La complexité liée à la planification des besoins opérationnels

II. LA POLITIQUE DE VERTICALISATION DES CONTRATS EN PRATIQUE

A. UNE POLITIQUE DE CONTRACTUALISATION INTENSE

B. DES CHANGEMENTS PROFONDS SUR LE TERRAIN

1. Une collaboration plus étroite entre industriels et aviateurs

2. Une adaptation de l’organisation du soutien au sein de l’armée de l’air et de l’espace

C. DES RÉSULTATS ENCORE INCERTAINS À CE STADE EN RAISON DE L’OPACITÉ DES STATISTIQUES SUR LA DISPONIBILITÉ

III. LES RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

A. POURSUIVRE LE RAPPROCHEMENT ARMÉES / INDUSTRIE

B. PROMOUVOIR DE NOUVELLES PRATIQUES CHEZ LES INDUSTRIELS

C. CONSOLIDER LE SIAÉ, ACTEUR DE LA RÉSILIENCE DU MCO ÉTATIQUE

D. RELEVER LE DÉFI DES RESSOURCES HUMAINES

E. CONSTRUIRE UN MCO POUR LA HAUTE INTENSITÉ

F. INTÉGRER LE MCO DÈS LA PHASE DE CONCEPTION DES PROGRAMMES

G. POURSUIVRE LE RENOUVELLEMENT DES FLOTTES

H. REVOIR LES RÈGLES DE NAVIGABILITÉ

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. STÉPHANE MILLE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

II. EXAMEN DES CRÉDITS

ANNEXE :  TRAVAUX DU RAPPORTEUR POUR AVIS


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   Introduction

Le 24 février 2022, quelques heures seulement après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux Rafale armés de missiles Mica et Meteor s’envolent de la base aérienne (BA) 118 de Mont-de-Marsan pour assurer une mission de défense aérienne en Pologne. Grâce à la réactivité de son armée de l’air et de l’espace, la France a ainsi été la première nation à renforcer le dispositif de protection du flanc Est de l’Europe mis en place par l’OTAN.

Depuis cette date, c’est quasiment l’ensemble de la flotte de l’armée de l’air et de l’espace qui contribue aux missions de réassurance : Rafale appuyé par les avions ravitailleurs A330-Phénix et C-135 ainsi que par le système de détection et de commandement aéroporté Awacs E-3F ; Mirage 2000 détachés de façon anticipée en Estonie dans le cadre de la mission de police du ciel renforcée ; avions de transport A 400M, KC-130 J et Casa engagés dans le déploiement des troupes de l’armée de terre et de leurs matériels et munitions dans le cadre de la mise en place de la Force de réaction rapide de l’OTAN ; bases aériennes servant de plateformes logistiques. Ce dispositif est piloté par le nouveau centre de planification de conduite des opérations (CAPCO) de Lyon-Mont Verdun.

La mobilisation de l’armée de l’air et de l’espace sur le flanc Est de l’Europe rappelle combien la réactivité et la fulgurance de l’arme aérienne, conjuguées à sa capacité d’allonge, sont essentielles pour préserver notre liberté d’action et démontrer à nos compétiteurs notre détermination politique, tout en maîtrisant l’escalade.

Mais si l’arme aérienne est essentielle à la protection de notre souveraineté, la nouvelle donne stratégique met en exergue la contestation croissante de la supériorité aérienne des forces occidentales. Ainsi que le résume le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Stéphane Mille, dans sa vision stratégique, « la supériorité aérienne et la liberté d’action spatiale dont les Occidentaux ont bénéficié ces 30 dernières années sont désormais contestées » ([1]). Il s’agit d’un changement de paradigme majeur pour nos aviateurs, dont les missions durant ces dernières décennies se déroulaient quasi exclusivement dans des environnements permissifs.

Cette contestation se matérialise par « le développement et la mise en service, par un nombre croissant de pays, de moyens de combat, d’armes de rupture et de dénis d’accès performants », mais aussi par « l’utilisation de systèmes offensifs à bas coûts, conférant une forme de « puissance aérienne du pauvre », parfois saturante, face à laquelle le rapport de coûts est très défavorable à la défense » ([2]).

Dans un contexte marqué par la prolifération d’avions de chasse modernes, la dissémination de systèmes de défense sol-air performants et le durcissement de la conflictualité, la préservation de notre capacité à pénétrer les défenses adverses est donc un impératif. Ainsi que l’a mis en exergue le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace, « tous ceux qui négligent la puissance aérienne le paient très cher, et ce n’est pas le déroulement de la guerre russo-ukrainienne qui le contredira » ([3]).

Or, la masse et l’épaisseur de notre armée de l’air et de l’espace ont de fait été trop « négligées », et ce depuis trop longtemps, par les gouvernements successifs. La guerre en Ukraine requiert en effet de dire la vérité sur la situation de nos armées aux autorités politiques, à nos soldats et à nos concitoyens. Comme l’a indiqué le chef d’état-major des armées à propos de l’armée russe, « dans le métier des armes, mentir coûte cher » ([4]).

En l’espèce, la vérité, telle que l’a perçue votre rapporteur dans le cadre de ses travaux, est que l’armée de l’air et de l’espace obéit aujourd’hui à un modèle d’armée dimensionné pour gérer efficacement des crises, mais non pour affronter dans la durée un conflit de haute intensité à forte attrition, que cela soit de façon autonome ou - hypothèse davantage réaliste - dans un rôle de véritable nation cadre au sein d’une coalition.

L’armée de l’air de l’espace dispose certes de nombreux atouts : des aviateurs compétents et engagés, tels que votre rapporteur a pu en faire le constat lors de ses déplacements sur les bases aériennes de Bordeaux-Mérignac et de Mont-de-Marsan ; une expérience forte des opérations, qu’il s’agisse de missions d’entrée en premier (opération Hamilton), d’appui aérien (opérations Barkhane et Chammal) ou de défense aérienne (Ukraine) ; des capacités de projection et d’élongation importantes, comme l’ont démontré l’opération Apagan d’évacuation de ressortissants en Afghanistan, ainsi que les missions d’entraînement à la projection de puissance aérienne Heifara Wakea en 2021 et Pégase en 2022 dans le Pacifique ; des industries aéronautiques de défense qui permettent de doter nos forces de façon autonome d’aéronefs et d’équipements performants et innovants (standard F-3R puis bientôt F-4 du Rafale, missile air-air Meteor, nacelles de désignation laser de dernière génération…).

Si ces atouts sont indéniables, l’armée de l’air et de l’espace continue cependant de souffrir de décennies de sous-investissements. Depuis 2008, celle-ci a perdu 30 % de ses effectifs, vu sa flotte d’avions de chasse diminuer de plus de moitié (420 en 2008 et 200 en 2022) et fermé une base aérienne par an. En 1995, le format de l’aviation de combat des armées françaises était de 687 aéronefs, soit plus du triple d’aujourd’hui. Ces éléments suffisent à mesurer l’ampleur des conséquences préjudiciables pour l’armée de l’air et de l’espace des prétendus « dividendes de la paix ».

Certes, l’actuelle loi de programmation militaire a inversé cette tendance à la déflation. Celle-ci s’est traduite notamment par un renouvellement bienvenu de certaines de nos capacités, notamment dans le domaine de l’aviation de transport et de ravitaillement en vol (A 400M, A 330 MRTT Phénix).

Mais cet effort est largement insuffisant. Votre rapporteur a ainsi pu constater dans le cadre de ses travaux à quel point les aviateurs de l’armée de l’air et de l’espace en étaient trop souvent réduits à gérer la pénurie, aux fins par exemple d’économiser les stocks de munitions et de missiles ou de pallier l’absence d’équipements indispensables aux missions sur les avions de chasse, à chaque fois au détriment de l’effectivité de la préparation opérationnelle. Certaines infrastructures sur les bases sont également dans un état qui n’est pas digne de l’engagement sans faille au quotidien de nos aviateurs.

En outre, la loi de programmation militaire actuelle n’est pas assez ambitieuse pour notre aviation de chasse. Le format particulièrement restreint de notre aviation de combat, couplé à la nécessaire sanctuarisation de nombreux Rafale des forces aériennes stratégiques (FAS) à des fins de dissuasion nucléaires en cas de crise, restreint drastiquement nos possibilités d’actions conventionnelles. Votre rapporteur ne peut que reprendre à cet égard l’interrogation légitime du major général de l’armée de l’air et de l’espace : « Étant donné notre format, la question de conduire nos opérations conventionnelles tout en assurant la posture de dissuasion prend un sens nouveau : quand faudra-t-il choisir entre la protection des intérêts vitaux de la nation, l’intégrité de son espace aérien et la poursuite du combat conventionnel ? » ([5]). Le format actuel réduit par conséquent de façon préjudiciable les marges de manœuvre des autorités politiques dans le cadre du « dialogue dissuasif » mené avec un compétiteur doté de l’arme nucléaire.

Votre rapporteur en appelle donc à un véritable sursaut capacitaire dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. L’armée de l’air et de l’espace est aujourd’hui une armée pour les temps de « compétition » et de « contestation » ; il nous faut désormais l’adapter au temps de l’« affrontement », en lui conférant de la masse et de l’épaisseur.

La loi de programmation devra donc doter notre armée de l’air et de l’espace d’un format crédible pour pouvoir faire face à des engagements croissants et le cas échéant de haute intensité, mais également de capacités modernisées pour conserver une supériorité aérienne désormais contestée, ainsi que des moyens suffisants, notamment en termes de munitions, pour assurer enfin un niveau d’entraînement conforme aux standards otaniens. Il en va du maintien de notre crédibilité à l’égard de nos partenaires et nos compétiteurs, mais également et surtout de la préservation de notre autonomie stratégique.

Le présent avis budgétaire sur les crédits proposés pour l’armée de l’air et de l’espace est l’occasion de revenir sur ces enjeux, dès lors que le projet de la loi de finances 2023 sera selon toute vraisemblance le dernier avant la nouvelle loi de programmation militaire annoncée par le président de la République.

La première partie du présent avis s’intéressera à l’appréciation des grands équilibres du projet de loi de finances pour 2023 s’agissant de l’armée de l’air et de l’espace. Si cette partie est logiquement centrée sur le programme 178 « Préparation des forces », Votre rapporteur tient également à évoquer les autres programmes de la mission « Défense » (programmes 144 « Environnement et prospective de défense » et 146 « Équipement des forces »), afin d’avoir une vision cohérente des enjeux financiers pour l’armée de l’air et de l’espace. Votre rapporteur détaillera également sa vision des enjeux de la prochaine loi de programmation militaire.

La seconde partie portera sur le thème du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace. Il s’agit d’un enjeu crucial pour nos forces, dès lors que la disponibilité des aéronefs conditionne par définition le niveau d’activité opérationnelle de nos aviateurs. Le caractère conséquent des investissements financiers déployés au soutien du MCO aéronautique commande également que la Représentation nationale s’assure du bon emploi de ces fonds et de leur efficacité sur le terrain.

À cet égard, il a semblé opportun au rapporteur de faire un point d’étape de la mise en œuvre des réformes du MCO aéronautique décidées sous l’ancienne législature. Votre rapporteur a pu constater à ce titre que si ces réformes sont globalement jugées positives, des points d’attention demeurent et des marges d’amélioration subsistent, afin notamment de fluidifier la relation et de renforcer la collaboration entre l’ensemble des acteurs du MCO au bénéfice de nos forces.

Enfin, votre rapporteur tient à remercier l’ensemble des aviateurs et des personnels rencontrés dans le cadre de ses déplacements sur les bases aériennes de Bordeaux-Mérignac, Mont-de-Marsan, à l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Bordeaux et de la visite de l’usine Dassault à Mérignac, ainsi qu’à l’occasion des auditions qu’il a menées. Votre rapporteur a pu constater l’engagement et même la passion qui animent les aviateurs, en ce compris les mécaniciens, dans l’exercice de leur mission au service de la Nation, pour protéger leurs concitoyens.


PREMIÈRE PARTIE : UNE CROISSANCE DES CRÉDITS INSUFFISANTE AU REGARD DU CONTEXTE STRATÉGIQUE ET DES BESOINS OPÉRATIONNELS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

I.   UNE ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE PLEINEMENT MOBILISÉE MALGRÉ SES DÉFIS CAPACITAIRES ET HUMAINS

A.   UNE ARMÉE ENGAGÉE SUR TOUS LES FRONTS

1.   Des missions continues sur le territoire national

a.   La composante aéroportée de la dissuasion

Les forces aériennes stratégiques (FAS) mettent en œuvre la composante nucléaire aéroportée de façon continue depuis 1964. Celle-ci est complémentaire de la composante océanique, en ce qu’elle revêt un aspect démonstratif et réversible. Elle est donc un outil essentiel dans le « dialogue dissuasif » engagé avec un compétiteur doté de l’arme nucléaire, dès lors qu’elle permet de montrer la détermination des autorités politiques de façon proportionnée et en maîtrisant l’escalade.

La crédibilité de cette composante repose naturellement sur sa capacité à pénétrer en toutes circonstances dans un espace contesté et défendu par des systèmes de défense sophistiqués. Cette exigence est au fondement de la puissance aérienne française, de sa capacité de projection et de pénétration telle qu’illustrée par l’opération Hamilton en avril 2018. La préservation de notre capacité à pénétrer l’espace aérien adverse, qui requiert d’adapter de façon continue nos capacités aux nouvelles menaces, est en effet une nécessité pour préserver la crédibilité de notre système de dissuasion nucléaire. Comme l’ont souligné de nombreuses personnes auditionnées, la composante nucléaire aéroportée « tire vers le haut » l’ensemble des capacités de l’armée de l’air qui participent à cette mission de dissuasion : avions de chasse, ravitailleurs, missiles, système de détection et de commandement aéroporté, centres de commandement.

Cette composante, qui repose sur le triptyque avion de chasse - missiles à tête nucléaire - avions ravitailleur, est ainsi en modernisation constante : le standard F-4 du Rafale, qui introduit notamment des capacités de combat collaboratif, est en cours de développement pour succéder au standard F3-R ; la production du missile hypersonique air-sol moyenne portée améliorée dans sa version rénovée (ASMPA-R) a été lancée à la suite du succès du second tir de qualification en mars 2022 ; enfin, l’avion de transport ravitailleur MRTT A 330 Phénix, qui remplace progressivement le C-135 en service depuis 1962, offre des capacités de projection démultipliées.

Sous la conduite des centres d’opérations des FAS, environ 70 opérations et exercices nucléaires sont réalisés chaque année depuis les bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN). L’opération Poker, qui simule un raid nucléaire d’envergure, en est la plus emblématique.

Les moyens des forces aériennes stratégiques sont aujourd’hui mutualisés dans les contrats opérationnels, dès lors qu’ils participent également aux missions conventionnelles de l’armée de l’air et de l’espace. Cependant, en l’état du format des flottes, la sanctuarisation des Rafale ou MRTT en cas de crise aux fins de dissuasion nucléaire est de nature à compromettre significativement la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à assurer ses missions conventionnelles. Ainsi que l’a souligné le général Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace au sujet des avions ravitailleurs, « notre capacité MRTT (Multi Role Tanker Transport) repose sur quinze appareils ([6]), ce qui correspond, grossièrement, aux besoins liés aux raids nucléaires – la sanctuarisation d’une telle capacité au profit du raid nucléaire interdirait toutefois les missions conventionnelles » ([7]).

Dans le contexte stratégique actuel, la démutualisation des moyens dédiés à l’exécution des différents contrats et la revue subséquente du format des flottes dédiées à la dissuasion nucléaire est donc une nécessité.

b.   La posture permanente de sûreté aérienne

La posture permanente de sûreté arienne (PPS-A) consiste à assurer la défense du territoire national contre toute menace aérienne. Cette mission requiert la capacité de détecter tout aéronef suspect parmi les 15 000 mouvements aériens par jour qui survolent la France et le cas échéant d’intervenir sous très bref préavis.

La surveillance et le contrôle de l’espace aérien reposent sur le système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA). Celui-ci s’appuie notamment sur un ensemble de capteurs (radars), de centres d’opérations et de moyens de transmissions formant un réseau fortement automatisé et interopérable avec les alliés (OTAN). La modernisation par incrément du SCCOA (incrément 4 phase 2 puis 5) constitue un enjeu opérationnel et financier majeur. Au titre du projet de loi de finances 2023, c’est ainsi plus de 273 480 339 euros de crédits de paiement du programme 146 qui sont prévus au titre de cette modernisation.

La phase d’intervention est quant à elle assurée par quatre permanences opérationnelles d’avions de défense aérienne - Mirage 2000-5 ou Rafale – et trois d’hélicoptères, ces derniers étant déployés lorsque la cible est plus lente que 200 kilomètres à l’heure.

Au total, la posture permanente de sûreté aérienne nécessite l’engagement de 400 aviateurs, dont plus de 200 sont dédiés, quotidiennement et à temps plein, à la sûreté aérienne. Entre le 1er janvier et le 3 août 2022, 167 décollages ont eu lieu sur alerte pour contrer des menaces potentielles (115 pour l’aviation de chasse, 52 pour les hélicoptères).

Cette posture permanente de sûreté aérienne est renforcée pour protéger certains sites sensibles ou des évènements majeurs. Depuis le 1er janvier 2022, neuf dispositifs particuliers de sûreté aérienne (DPSA) ont ainsi été mis en place dans ce cadre en métropole et quatre sont d’ores et déjà prévues pour le reste de l’année. En outre, la mission Titan, qui vise à protéger le centre spatial guyanais, est susceptible de se traduire, en fonction de la sensibilité du lancement, par le déploiement de près de 400 militaires et la présence de capacités de défense anti-aériennes renforcées (système Mamba).

Le dispositif d’alerte de la PPS-A permet également de réagir face à la menace présentée par des avions à long rayon d’action longeant l’espace national tels que les bombardiers russes. Le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées a ainsi révélé que « nos avions ont également décollé pour surveiller six raids à longue rayon d’action des bombardiers russes, dont deux avec mise en œuvre de la chaîne de défense aérienne française » ([8]).

Enfin, un des défis principaux pour la PPS-A est lié à la multiplication des drones, passés de 400 000 en 2017 à 2,5 millions en 2021, dans un contexte de menaces accrues en raison de l’organisation en France de la coupe du monde de rugby en 2023 et surtout des jeux olympiques en 2024.

c.   La contribution aux missions de service public

L’armée de l’air et de l’espace est investie dans la mission Héphaïstos, qui vise à lutter contre les feux de forêt en renforçant les moyens de sécurité civile. Les hélicoptères Caracal de la base aérienne 120 de Cazaux ont ainsi été mobilisés dans la lutte contre les feux de forêt en Gironde et, de façon inédite, un drone MALE Reaper a été déployé pour optimiser les moyens de surveillance et identifier les reprises de feux. Il convient de relever cependant que si l’utilisation du drone Reaper a été jugée particulièrement utile par les acteurs concernés, le caractère limité du format de cette flotte au sein de l’armée de l’air et de l’espace (12 drones MALE) ne permet pas d’envisager que de telles mise à disposition à des fins de sécurité civile soient effectuées de façon régulière.

Au titre de son activité de recherche et de sauvetage, principalement effectuée par les hélicoptères, l’armée de l’air et de l’espace a effectué en 2021 48 opérations de sauvetage pour un total de 71 personnes sauvées.

Dans le cadre de l’opération Sentinelle, ce sont plus de 105 aviateurs qui sont engagés 24h/24 sur les sites de Paris, Bordeaux et Lyon.

L’armée de l’air et de l’espace participe enfin à la mission Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, en appui de la gendarmerie nationale, en vue de contrôler les 80 000 kilomètres de la zone concernée.

2.   Un engagement conséquent en opérations extérieures

● Comme votre rapporteur l’a mentionné en introduction, l’armée de l’air et de l’espace est pleinement mobilisée dans les dispositifs de réassurance et de dissuasion mise en place par l’OTAN sur le flanc Est de l’Europe.

Depuis le 24 février 2022, les Rafale des bases de Saint-Dizier et Mont-de-Marsan, appuyés par des ravitailleurs A 330 MRTT Phénix et ponctuellement des avions radars E-3F Awacs, assurent quotidiennement des missions de police du ciel au-dessus de la Pologne et de la Roumanie sous le contrôle opérationnel de l’OTAN. Les MRTT, qui assurent le ravitaillement en vol des avions de chasse, ont confirmé leur rôle essentiel pour assurer le succès de ces missions de longue durée (plus de 8 heures de vol).

En Estonie, quatre Mirage 2000-5 de la base aérienne 116 de Luxeuil-les-Bains ont été déployés du 13 mars au 1er août 2022 sur la base d’Ämari dans le cadre du dispositif de police de l’air renforcée de l’OTAN (Enhanced Air Policing). Au total, près de cent aviateurs ont été déployés dans le cadre de cette mission.

En Roumanie, les avions de transport de l’armée de l’air et de l’espace ont assuré le déploiement des militaires (Casa CN-25 et A330) ainsi que la livraison des munitions (A400M et C-130) à Constanta, dans le cadre du déploiement du bataillon « Fer de lance » de la Force de réaction rapide de l’OTAN au titre de la mission Aigle. L’armée de l’air et de l’espace y a également déployé le système de défense sol-air de moyenne portée Mamba. Le premier déploiement de ce dispositif en opération extérieure donne pleinement satisfaction, notamment concernant son interopérabilité avec les systèmes de défense de l’OTAN.

Les missions de renseignement, assurées jusqu’en mai – date de leur retrait de service - par les C-160 Gabriel - sont désormais prises en charge par les Mirage 2000D et un avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR).

Ce dispositif sera encore renforcé dans les prochains mois avec le déploiement de quatre Rafale en permanence sur place en Lituanie.

Si votre rapporteur salue une telle mobilisation au profit de nos partenaires, il estime qu’il convient toutefois de veiller à ce que ces déploiements à l’étranger ne soient pas de nature à obérer la préparation opérationnelle de nos pilotes de chasse, déjà fortement impactée par les cessions à la Grèce et à la Croatie. En effet, les avions déployés à l’étranger deviennent par définition indisponibles pour l’entraînement de nos aviateurs en France. En outre, les missions de police du ciel ne mobilisent pas les mêmes compétences que celles demandées dans le cadre des entraînements à la haute intensité.

● L’armée de l’air et de l’espace a également contribué à la réarticulation de la force Barkhane hors du Mali, qui a constitué un défi logistique d’ampleur, en renforçant le groupe de transport tactique de la base aérienne projetée de Niamey. À titre d’exemple, la rétrocession de la base de Gao aux Forces armées maliennes, finalisée en août 2022, aura nécessité près de 400 rotations de l’avion de transport A400M, qui a une capacité d’emport de 36 tonnes de charge utile. En complément des convois terrestres, l’engagement de l’A400M a par conséquent constitué un réel atout pour la bonne marche des opérations de la réarticulation de la force Barkhane.

● Dans le cadre de l’opération Chammal, volet français de l’opération Inherent Resolve (OIR) regroupant une coalition de plus de 70 pays engagés dans la lutte contre Daech, les aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace mènent des missions de reconnaissance, d’appui aux troupes au sol et de défense aérienne. La composante aérienne de cette opération repose sur les quatre Rafale déployés sur la base aérienne projetée en Jordanie (BAP H5), les six Rafale stationnés sur la base d’al Dhafra aux Émirats Arabes Unis ainsi que sur le déploiement temporaire d’un MRTT sur la base d’al Udeid au Qatar.

Traduction de l’évolution du contexte stratégique dans cette zone, les missions d’appui au sol ne représentent plus que 9 % de l’activité des Rafale au titre de l’opération Chammal, tandis que les missions de défense aérienne représentent près de 80 % de l’activité aérienne, le solde étant constitué par les missions de renseignement. La diversité des missions effectuées dans le cadre de cette opération confirme l’importance pour l’armée de l’air et de l’espace de disposer d’avions de chasse polyvalents tel que le Rafale.

3.   Des exercices emblématiques orientés vers la projection de puissance

● L’armée de l’air et de l’espace est l’une des rares armées à pouvoir se déployer à l’autre bout du monde de façon autonome et dans des délais particulièrement contraints. Dans le prolongement de la mission Heifara 2021, la mission Pégase 2022, qui s’est déroulée en Indo-Pacifique entre le 10 août et le 18 septembre 2022, a démontré une nouvelle fois la capacité de projection et d’élongation de l’armée de l’air et de l’espace dans une zone d’intérêt stratégique pour la France, et ce à plus de 18 000 km de la métropole.

Cette mission, qui a mobilisé trois Rafale, deux A330 MRTT Phénix, un A400M Atlas pour un détachement total de 170 aviateurs, s’est articulée en trois temps : un déploiement en Nouvelle-Calédonie en moins de 72 heures, avec uniquement deux escales en Inde et en Australie ; la participation à l’exercice de haute intensité Pitch Black en Australie ; enfin, la contribution à des activités de « diplomatie aérienne », dans le cadre du soutien à l’exportation, en Indonésie et à Singapour. La mission Pégase démontre ainsi la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à protéger ses citoyens partout dans le monde et conforte la crédibilité des armées françaises auprès des partenaires de l’Indopacifique.

Au regard des enjeux stratégiques et des intérêts français dans cette zone, il apparaît à votre rapporteur indispensable d’y renforcer notre présence aérienne. Actuellement, seuls deux avions de chasse sont déployés en moyenne chaque année dans cette zone. Cela semble insuffisant pour affirmer notre rôle de puissance d’équilibre investie dans la sécurité régionale. Si une présence permanente paraît inenvisageable au regard du format actuel de nos flottes, votre rapporteur estime que la montée en puissance de l’A400M pourrait permettre des rotations plus fréquentes dans cette zone, de l’ordre de 10 jours par mois, aux fins de projeter des troupes, d’organiser des exercices interarmées plus fréquents et de garantir une réactivité en cas de crise. En outre, il convient de relever que le futur cargo médian tactique serait un aéronef particulièrement adapté pour assurer une permanence dans la zone, ce qui constitue un motif supplémentaire pour promouvoir et accélérer ce projet dimensionnant pour notre aviation de transport.

● Outre la projection de puissance, les grands exercices de l’armée de l’air et de l’espace ont également pour finalité la préparation aux opérations de haute intensité, dans un contexte de mutation constante des menaces. C’est ainsi que l’exercice annuel Volfa, qui a mobilisé plus de 60 aéronefs et 640 aviateurs français aux côtés de sept nations étrangères du 26 septembre au 14 octobre 2022, est certes toujours centré sur les capacités d’entrée en premier dans un milieu contesté à l’occasion de raids aériens, mais a également intégré de façon inédite une dimension dite multi-milieux multi-champs (milieux air, terre, mer, mais également cyberespace, espace, champ électromagnétique et lutte informationnelle) afin de proposer des scénarios adaptés aux menaces actuelles.

Cet exercice, auquel votre rapporteur a pu assister, a mis en lumière, d’une part, la forte attrition des combats aériens de haute intensité, et, d’autre part, la consommation conséquente des munitions. Ces leçons tirées de l’exercice Volfa confirment la conviction de votre rapporteur : le retour de la guerre de haute intensité nécessite une remontée en puissance forte et durable du format de notre aviation de chasse et de nos stocks de munitions aériennes.

● La dimension spatiale fait également l’objet d’une préparation opérationnelle spécifique, avec la tenue du second exercice Aster X du 24 février au 4 mars 2022 organisé par le commandement de l’espace (CDE) à la Cité de l’espace à Toulouse. « AsterX 2022 » a été structuré autour d’un scénario comprenant seize événements spatiaux, dont un affectant la constellation Galileo. Il a notamment permis d’expérimenter la structure du futur commandement et contrôle des opérations spatiales et de gagner en expertise sur les fonctions de veille spatiale et de renseignement d’intérêt spatial. L’exercice, ouvert à davantage de partenaires internationaux, notamment européens, avait également pour ambition de renforcer la coopération internationale et européenne dans le domaine spatial pour les enjeux de défense et de sécurité.

À l’aune des manœuvres et tentatives récentes de déstabilisation déployés par les Russes dans le domaine spatial, le rehaussement de nos capacités opérationnelles dans le cadre de tels exercices est crucial.

● Enfin, l’armée de l’air et de l’espace a participé à des exercices aux fins de réassurance des partenaires stratégiques de la France. Ainsi, dans un contexte de tensions croissantes en Méditerranée orientale nourries par les revendications turques sur les zones économiques exclusives de la Grèce, l’armée de l’air et de l’espace a contribué aux moyens déployés par la France pour affirmer la liberté d’action dans cette zone. Dans le prolongement du partenariat stratégique conclu avec la Grèce en septembre 2021, des Rafale de la base aérienne projetée de Jordanie, accompagnés d’un MRTT, ont ainsi participé à l’exercice quadripartite Eunomia (France, Grèce, Italie, Chypre) en octobre 2021.

B.   UN RENOUVEAU CAPACITAIRE TROP PARTIEL

1.   Les principales livraisons et commandes en 2022 et 2023

● S’agissant des livraisons, il est prévu que l’armée de l’air et de l’espace réceptionne notamment un Rafale en décembre 2022 et treize Rafale en 2023. Il s’agit de la première livraison de Rafale depuis 5 ans au bénéfice de l’armée de l’air et de l’espace. Cette reprise des livraisons intervient dans le cadre de l’exécution de la tranche dite 4T2, qui prévoit la livraison de 40 Rafale : 28 qui étaient prévus au titre de la LPM et dont la livraison a sans cesse été repoussée pour des raisons budgétaires, et douze supplémentaires au titre de la commande de recomplètement de l’export grec passée en janvier 2021. Il est prévu que ces 40 Rafale soient livrés à l’armée de l’air et de l’espace jusqu’en 2027, à raison de 13 par an.

Au titre de l’aviation de chasse, il sera également relevé la livraison de 14 avions de chasse Mirage 2000D rénovés en 2022 et 13 en 2023, ce qui portera le nombre d’aéronefs rénovés à 36 fin 2023 sur une cible de 55 aéronefs rénovés d’ici 2025.

La flotte de transport tactique et stratégique poursuit quant à elle sa modernisation progressive avec la livraison en 2022 et 2023 de quatre avions de transport A400M Atlas et de six avions ravitailleurs multi-rôles MRTT Phénix. L’armée de l’air et de l’espace réceptionnera également en 2022 le dernier des trois avions A330-200 livrés dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique. À cet égard, compte tenu de la forte mobilisation de la flotte actuelle de MRTT et sa possible sanctuarisation à des fins de dissuasion, il est urgent d’accélérer la transformation en format MRTT de ces trois A-330.

Sur le segment des missiles, outre les 60 missiles air-air de longue portée Meteor rénovés qui seront livrés en 2022 et en 2023, la livraison de 77 missiles air-air Mica et 37 missiles Scalp EG rénovés est également prévue en 2023 (à partager avec la marine).

Quant aux équipements dits missionnels, qui sont actuellement en nombre bien trop insuffisant au sein des forces comme a pu le constater votre rapporteur sur la base de Mont-de-Marsan, seule une dizaine de pods de désignation laser Talios de nouvelle génération (partagée avec la marine) sera livrée aux forces en 2022.

● Concernant les commandes, l’année 2023 est marquée par la commande prévue de 42 Rafale au titre de la tranche T5. Cette tranche inclut le recomplètement des douze avions cédés à la Croatie. Cette commande ne permettra toutefois pas de respecter l’Ambition 2030 (cf. infra).

Dans le domaine des munitions, une commande de 118 missiles Aster 30 est également prévue en 2023. Enfin, 21 pods de désignation laser ont été commandés en 2022, grâce notamment au produit de cession de la vente des Rafale à la Croatie.

Si ces commandes et livraisons sont évidemment les bienvenues, elles ne sont cependant pas à la hauteur des enjeux, notamment au regard de l’évolution du contexte stratégique.

2.   La montée en puissance dans le domaine spatial, qui doit être consolidée

Dans le domaine spatial, la période récente a été marquée par les lancements en orbite du satellite de télécommunications Syracuse 4A le 24 octobre 2021 ainsi que des trois satellites de la constellation CERES le 16 novembre 2021.

● Syracuse IV est un système composé de deux satellites militaires (Syracuse 4A et 4B) et de stations-sol permettant d’assurer les communications sur les théâtres d’opérations et avec la métropole. Le lancement de Syracuse 4B, prévu en 2023 en fonction des contraintes des lanceurs, sera complété d’ici 2030 par un troisième satellite répondant aux besoins croissant de connectivité des plateformes (Syracuse 4C). Ce dispositif permettra notamment à des aéronefs de disposer d’une capacité de communication militaire souveraine par satellite. Il est ainsi prévu, dans le cadre du marché Melissa en cours confié par la DGA à Thales en février 2022, d’intégrer dans le standard 2 de l’A330 Phénix une liaison protégée souveraine de communications par satellites utilisant la constellation militaire Syracuse IV.

● La constellation CERES est quant à elle composée de trois satellites militaires dédiés au renseignement d’origine électromagnétique. Assurant une couverture géographique mondiale, les trois satellites sont en mesure de surveiller des zones inaccessibles aux capteurs actuels de ROEM (Renseignement d’origine électromagnétique), et ce par tout temps, de jour comme de nuit. Il s’agit d’un système unique en Europe qui fait de notre pays une des rares nations maîtrisant cette technologie. Fait révélateur de l’utilité de cette source de renseignement, la mise en service de CERES a été accélérée en raison du contexte stratégique et les satellites ont fourni aux forces leurs premières données à l’occasion du conflit ukrainien.

● En revanche, le troisième satellite de la composante spatiale optique (CSO), qui assure les capacités d’imagerie spatiale, n’a pu être lancé en 2022 comme initialement prévu en raison de l’indisponibilité du lanceur Soyouz depuis le conflit en Ukraine. Ce lancement devrait désormais être effectué sur Ariane 6 en 2024. Ce décalage devrait également retarder le lancement du programme IRIS, successeur du CSO, ce qui est fortement préjudiciable compte tenu de l’importance d’optimiser la revisite des images satellitaires, comme l’a démontré le conflit en Ukraine.

● Enfin, le programme de maîtrise Ares est en cours de développement. Celui-ci se fonde sur trois piliers : l’amélioration de la connaissance de la situation spatiale ; l’établissement de moyens d’actions dans l’espace, avec des patrouilleurs et des guetteurs ; enfin la mise en place d’un système de commandement et de contrôle. Il semble cependant que certains pans de ce programme connaissent des retards, puisque le premier vol démonstrateur du patrouilleur Yoda, initialement prévu en 2023, aurait finalement lieu en 2024. Au regard de l’évolution du milieu spatial qui s’impose comme un lieu de compétition stratégique telle qu’illustrée par le tir antisatellite russe de novembre 2021, la bonne exécution du programme Ares, dans son volet défensif comme offensif, doit constituer une priorité aux yeux de votre rapporteur.

3.   La persistance de lacunes capacitaires

a.   Un format de la flotte d’aviation de chasse insuffisant…

● La reprise susmentionnée des livraisons de Rafale s’inscrit tout d’abord dans un contexte où le format de l’aviation de chasse de l’armée de l’air et de l’espace a atteint un point bas historique, en raison, d’une part, du prélèvement des 24 Rafale sur le parc des forces au bénéfice de la Grèce et de la Croatie et, d’autre part, du retrait du service en juin 2022 des Mirage 2000- C, après 34 ans au sein des forces.

En 2022, le parc de Rafale, qui constitue le seul avion polyvalent de l’armée de l’air et de l’espace, est ainsi au même niveau que celui où il se trouvait en 2016. En 2023, la livraison de 13 Rafale sera par ailleurs presque totalement neutralisée par le retrait de 10 Rafale au titre des contrats exports.

Cette réduction du format de l’aviation de chasse a notamment des effets particulièrement préjudiciables sur l’entraînement de nos pilotes, comme l’a rappelé le général Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace : « Les conséquences de la légère baisse du format Rafale dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : cette année, 164 heures par pilote de chasse contre environ 147 heures pour les deux ans à venir. Notre potentiel technique est moindre puisque nous disposons de moins d’avions et que le nombre de pilotes est le même" ([9]).

Cette baisse conséquente du nombre d’heures de vol des pilotes de chasse en raison du format réduit de la flotte est contraire aux objectifs fixés dans la loi de programmation annuelle, repris des normes OTAN, soit 180 heures de vol par an.

● En outre, les livraisons prévues de Rafale ne seront pas suffisantes pour atteindre l’Ambition 2030 portée par la loi de programmation militaire. Celle-ci prévoyait en effet que l’armée de l’air et de l’espace puisse mettre en œuvre 185 avions polyvalents (c’est-à-dire des Rafale) à cet horizon.

Or, en l’état des informations de votre rapporteur, et même à supposer que la 5ème tranche soit livrée dès 2030, l’armée de l’air et de l’espace ne disposerait à l’horizon 2030 que de 159 Rafale et de non de 185.

évolution prÉvisionnelle du parc de rafale AIR

Années

2022

2023

2024

2025

2026

2028

2029

2030

Nombre Rafale

96

100

109

116

117

137

150

159

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur

Au surplus, cette Ambition 2030 a été établie par la LPM dans un contexte stratégique qui différait fortement de celui qui prédomine actuellement. Ainsi, l’Ambition 2030 ne sera pas respectée en l’état pour le format de l’aviation de chasse, alors même que celle-ci est aux yeux de votre rapporteur – et de la quasi-totalité des personnes auditionnées – devenue obsolète et inadaptée au regard des enjeux actuels. Votre rapporteur y reviendra dans la section du présent rapport sur les enjeux de la prochaine loi de programmation.

● Quant aux 55 Mirage 2000D qui seront rénovés d’ici 2025, il convient de relever qu’il s’agit d’un avion spécialisé dans l’attaque au sol et n’est pas adapté au combat air-air, contrairement au Rafale qui est polyvalent. Le processus en cours de rénovation des Mirage 2000D engagé en 2016 illustre ainsi l’absence d’ambition des gouvernements successifs pour notre aviation de chasse, avec la commande trop tardive et, en en tout état de cause en nombre insuffisant, des Rafale dont nos forces ont plus que jamais besoin.

b.   …renforcé par un manque d’équipements pour les missions

Ce manque d’épaisseur se retrouve également au niveau des équipements missionnels des avions de chasse. Il est en effet prévu à ce stade que seuls 67 pods de désignation laser Talios équiperont les forces (Air et Marine) à horizon 2025, ce qui correspond à un ratio inférieur à un pod pour trois avions de chasse. Or, il s’agit d’un équipement indispensable pour être en capacité de mener des combats de haute intensité. La préservation de l’efficacité et de la crédibilité de notre aviation de combat requiert par conséquent une remontée en puissance en matière d’équipements missionnels.

S’agissant des munitions, si un effort budgétaire a effectivement été consenti en 2023, celui-ci est bien trop faible au regard de la consommation des munitions constatée dans les conflits et exercices de haute intensité tel que Volfa. Au regard du contexte stratégique, il est urgent de reconstituer nos stocks, que ce soit au sein de nos forces armées ou chez les industriels de la BITD, afin d’être en capacité d’accélérer la production. Les réflexions en cours sur l’économie de guerre doivent être l’occasion d’une remobilisation de l’ensemble des acteurs concernés sur ce sujet fondamental.

c.   Une rupture temporaire de capacités dans le ROEM préjudiciable

La rupture dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) résultant du retrait des Transall Gabriel est également particulièrement préoccupante.

La flotte de Transall C-160 dit Gabriel était certes ancienne, avec un coût de maintien en condition opérationnelle très élevé (80 millions d’euros pour dix aéronefs et un taux de disponibilité d’environ 20 %). Il est également exact que d’autres moyens de renseignement existent, tels que les nacelles de reconnaissance tactique Astac emportées sur Mirage 2000D, les avions légers de surveillance et de reconnaissance, ou encore les satellites CERES.

Il n’en reste pas moins que la capacité de renseignement d’origine électromagnétique du Transall Gabriel, dont le retrait a été dicté par des raisons d’arbitrage budgétaire, aurait été utile dans le contexte ukrainien, pour optimiser notre capacité d’appréciation autonome de la situation. Ce retrait anticipé, couplé au retard du programme Archange, qui ne sera disponible au mieux qu’en 2026-2027, crée de fait une rupture temporaire de capacité de quatre années pour nos moyens de renseignement d’origine électromagnétique.

Une telle situation est évidemment particulièrement préjudiciable, non seulement parce qu’elle prive nos forces d’une capacité de renseignement dans le contexte actuel, mais également parce qu’elle fait courir le risque d’une perte de compétence en matière de guerre électronique des aviateurs jusqu’ici affectés au Transall Gabriel.

C’est la raison pour laquelle votre rapporteur estime prioritaire d’accélérer la solution intérimaire envisagée par l’armée de l’air consistant en une location d’aéronef avion de type Saab 340 jusqu’à l’arrivée dans nos forces des aéronefs du programme Archange.

C.   UNE POLITIQUE « À HAUTEUR D’AVIATEURS » À CONSOLIDER

1.   Le défi de la fidélisation

L’armée de l’air et de l’espace est composée d’environ 40 840 aviateurs. La spécificité de l’armée de l’air et de l’espace tient à l’importance des officiers (6 000) et des sous-officiers (24 000) dans les effectifs par rapport aux militaires du rang (10 000), reflet du haut niveau de technicité exigé par ses activités et ses missions.

● Après une période de forte déflation jusqu’en 2015, l’enjeu est désormais de recruter afin d’accompagner la montée en puissance des capacités de l’armée de l’air et de l’espace. L’armée de l’air et de l’espace est ainsi passée de 1 200 recrutements par an en 2014 à plus de 3 600 en 2019, soit un triplement du niveau de recrutement en cinq ans.

La période qui s’ouvre annonce une manœuvre particulièrement ambitieuse, avec le recrutement de plus de 3 861 aviateurs en 2022 en augmentation de plus de 30 % par rapport à 2021, et de 4 108 en 2023. Il est en effet prévu une augmentation nette des effectifs de l’armée de l’air et de l’espace de 900 personnes entre 2023 et 2025 (421 pour la seule année 2023), ce qui représente plus des trois quarts des augmentations des effectifs air sur l’ensemble de la programmation militaire (1246 postes supplémentaires entre 2019 et 2025). Près de 3 861 recrutements au total sont prévus en 2022 et 4108 en 2023.

● Davantage encore que le recrutement, la principale problématique à laquelle est confrontée l’armée de l’air et de l’espace en matière de ressources humaines est la fidélisation de son personnel.

Le déficit actuel de sous-officiers se traduit concrètement par un manque d’encadrants, de chefs d’équipe, alors que même la hausse des recrues nécessite une augmentation des besoins d’encadrement. À titre d’exemple, pour le seul escadron de soutien technique aéronautique (ESTA), de la base de Mont-de-Marsan, cela représente près de 70 jeunes qui rejoignent chaque année l’escadron. La fidélisation des sous-officiers constitue donc un défi majeur pour l’armée de l’air et de l’espace.

La fidélisation des personnels navigants constitue l’autre défi de l’armée de l’air de l’espace. Alors que la période liée au Covid avait diminué les départs de ces derniers, ceux-ci repartent en hausse avec l’accroissement des besoins de recrutement de l’aéronautique civile, tendance qui pourrait s’accentuer durant les prochaines années. Une piste de réflexion pour fidéliser le personnel navigant serait l’allongement de la durée d’engagement des officiers sous contrats.

Votre rapporteur estime à ce titre que l’armée de l’air et de l’espace devrait disposer de davantage de flexibilité pour engager directement des officiers dits « commissionnés » venant du monde civil. Une telle flexibilité est notamment nécessaire pour attirer des profils hautement qualifiés dans les nouveaux domaines de compétence (intelligence artificielle, cyber…).

La fidélisation et l’attractivité passent également par la finalisation de l’évolution des dispositifs de primes, profondément renouvelés sous l’effet de la NPRM (prime de lien au service, prime de commandement et de responsabilité militaire, indemnité de sujétion d’absence opérationnelle…). Ces primes ont un effet bénéfique avéré sur la fidélisation du personnel. À titre d’exemple, le taux de renouvellement des contrats des officiers navigants et chefs de patrouille a augmenté de 10 % (de 58 à 68 %) depuis la mise en œuvre de la prime de lien au service. Si l’adoption de la troisième tranche de la NPRM, prévue en 2023, est certes importante et qu’une augmentation de la prime de lien au service pourrait être utile, l’enjeu pour les années à venir, aux yeux du rapporteur, est de renforcer bien davantage la partie indiciaire de la rémunération.

● Votre rapporteur a également relevé dans le cadre de ses travaux que les mobilités géographiques étaient de plus en plus mal vécues par les militaires. À titre d’exemple, de nombreux aviateurs préfèrent rester militaires du rang, plutôt que de devenir sous-officier, afin de ne pas subir ces contraintes de mobilité. Les ressources humaines de l’armée de l’air et de l’espace ont pris en compte cette nouvelle donne, en mettant en place des dispositifs de dialogue individualisé et en réduisant dans la limite du possible les mobilités géographiques imposées résultant de réorganisation interne. Ainsi, le projet Altaïr ne se traduira que par 125 mouvements de personnels sur deux ans, alors même qu’il s’agit d’une réorganisation d’ampleur au sein de l’armée de l’air et de l’espace. Dans la même perspective, il y a eu davantage en 2021 de mobilité fonctionnelle que géographique dans l’armée de l’air et de l’espace, ce qui est inédit.

Si votre rapporteur comprend la nécessité pour l’armée de l’air et de l’espace de s’adapter aux aspirations de la nouvelle génération, ne serait-ce que pour préserver son attractivité, il n’en reste pas moins qu’il faut prendre garde à ce que ce souci légitime des conditions de vie personnelles des militaires ne remette pas en cause l’entretien des forces morales de nos soldats. La mobilité géographique fait partie intégrante de la spécificité de la condition des militaires et il faut prendre garde à préserver ce qui est l’essence même de la « militarité ». Il semble à votre rapporteur que l’armée n’a rien à gagner à voir s’estomper les frontières entre le monde civil et le monde militaire, a fortiori dans un contexte de remise en cause de ces frontières par la justice européenne.

● Enfin, de nombreuses personnes auditionnées ont mis en avant l’impact des campagnes de dénigrement, sous couvert de préoccupations environnementales, à l’encontre de l’aviation sur l’attractivité de la filière aéronautique auprès des jeunes générations. Votre rapporteur appelle les pouvoirs publics à prendre très au sérieux ce risque, qui menace de nuire à terme non seulement aux industries aéronautiques civiles, mais également à l’armée de l’air et de l’espace.

2.   Un renouveau inégal des infrastructures

La livraison de nouveaux aéronefs dans le cadre de l’exécution de la loi de la LPM a exigé de la part de l’armée de l’air et de l’espace un effort conséquent en matière de modernisation et d’adaptation des infrastructures sur les bases.

Le renouvellement substantiel des infrastructures sur la base aérienne 125 d’Istres-Le Tubé pour accueillir les A330 MRTT Phénix, sur la base 123 d’Orléans-Bricy pour abriter les A400M ou encore la reconfiguration de la base 105 d’Évreux dans le cadre de l’installation de l’escadron franco-allemand de transport tactique C-130J témoignent de cette modernisation des infrastructures. Lors de son déplacement sur la BA 118 de Mont-de-Marsan, votre rapporteur a également pu constater cette évolution dans la zone « chasse » de la base, avec notamment l’édification ces deux dernières années de hangars particulièrement modernes pour accueillir le 4ème escadron de Rafale (RAF 4) sur la base.

Si cette adaptation des infrastructures aux nouveaux équipements issus de la LPM était évidemment nécessaire, votre rapporteur estime cependant essentiel de ne pas oublier les infrastructures dites « à hauteur d’hommes », certes moins emblématiques mais tout aussi importantes, notamment pour le moral de nos aviateurs : modernisation des réseaux électriques ou hydriques, des zones de vie… Le risque en l’état, tel qu’identifié par votre rapporteur, est en effet de créer des « bases à deux vitesses » avec la coexistence d’infrastructures particulièrement modernes dédiées aux nouveaux équipements et d’autres plus vétustes, ce qui peut engendrer un sentiment de relégation pour le personnel qui ne travaille pas sur les flottes les plus récentes.

Votre rapporteur considère par conséquent qu’un des enjeux de la prochaine LPM sera naturellement de poursuivre les travaux d’adaptation en cours des pistes et hangars pour les adapter aux nouveaux équipements, mais aussi d’approfondir la modernisation des autres infrastructures, qui sont essentielles pour la vie quotidienne et l’entretien de la force morale de nos soldats.

3.   Un déficit d’entraînement préoccupant

● Les normes quantitatives d'activité annuelle « pour des forces aptes à être engagées en missions opérationnelles », telles que fixées par le rapport annexé à la loi de programmation militaire, sont les suivantes : 180 heures de vol par pilote de chasse ; 320 heures de vol par pilote de transport ; 200 heures de vol par pilote d'hélicoptère.

Ces normes d’activité, correspondant aux normes OTAN, sont loin d’être atteintes et, connaissent même une évolution défavorable pour l’aviation de chasse et de transport.

évolution du niveau d’activité opérationnelle

Activité en heure de vol

2019

2020

2021

Prévisions

Cible PLM 2019-2025

2022

2023

Pilote de chasse

159

152

161

162

147

180

Pilote de transport

185

176

192

208

189

320

Pilote d’hélicoptère

161

155

163

183

181

200

Source : projet annuel de performance 2023

Selon les réponses du ministère des Armées au questionnaire budgétaire de votre rapporteur, « l’activité aérienne par pilote diminue pour la chasse et l’aviation de transport en 2023. Cette situation résulte d’une part de la cession-export des Rafale à la Croatie qui limite le nombre de cellules disponibles et la capacité de production d’heures de vol, et d’autre part des aléas techniques sur des flottes (C130H) ou en montée en puissance (A400M). L’activité des hélicoptères est maintenue. De fait, ces contraintes ont conduit à repousser la rejointe des normes (cible LPM) »

Ce déficit d’entraînement est particulièrement préjudiciable, alors que le contexte stratégique actuel requiert bien au contraire un durcissement de la préparation opérationnelle de nos aviateurs. L’amplification de la préparation opérationnelle s’impose d’autant plus que les opérations actuellement menées au Levant, au Sahel ou en Ukraine ne mobilisent guère les compétences requises dans des combats de haute intensité, de sorte que ces dernières ne peuvent s’acquérir que par l’entraînement.

À terme, il est évident que seule une remontée en puissance significative du format de nos flottes, que votre rapporteur appelle de ses vœux, est susceptible de permettre à nos aviateurs de s’entraîner dans des conditions non seulement conformes aux standards internationaux mais aussi et surtout adaptées au retour de la haute intensité en Europe.

● Dans cette attente, deux axes de réflexion se dégagent : d’une part, la prise en compte de l’entraînement simulé et, d’autre part, le développement du « Red Air ».

S’agissant du premier point, il est exact que le développement et la modernisation des moyens de simulation (simulation massive en réseau) permettent également aux aviateurs de s’entraîner dans des conditions proches du terrain, sans ce que cet entraînement virtuel soit comptabilisé dans les normes d’activité opérationnelle. Votre rapporteur a ainsi pu constater au sein du centre expert du combat collaboratif sur la base de Mont-de-Marsan la mise en place d’outils innovants combinant entraînement réel et simulé grâce aux moyens LVC (Live, Virtual, Constructive). Cependant, les difficultés rencontrées actuellement sur la base de Saint-Dizier pour mettre en place ces activités de simulation massive en réseau qui soient à jour du standard F3-R du Rafale démontrent que ces outils ne sont pas tous encore parfaitement matures.

Votre rapporteur estime ainsi que l’éventuelle prise en compte des activités d’entraînement simulé au sein des normes d’activité opérationnelle est une question légitime, qui mérite d’être débattue. Il conviendra cependant de s’assurer au préalable que les outils numériques de simulation concernés aient atteint un niveau de maturité technologique suffisant pour envisager une telle piste.

L’autre piste pour améliorer la préparation opérationnelle de nos aviateurs serait le développement de flottes spécifiques dédiées au « Red Air », c’est-à-dire utilisées pour jouer la flotte ennemie dans le cadre d’un entraînement. Le retrait progressif des Mirage 2000 au sein de l’armée de l’air et de l’espace pourrait ouvrir une fenêtre d’opportunité pour utiliser ces derniers à cette fin. Une autre solution serait d’externaliser cette mission à un prestataire privé, mais le marché privé du « Red Air » en France est encore à l’état embryonnaire.

4.   Altaïr : un projet de réorganisation de la chaîne de commandement

Le projet Altaïr, initié en 2022 et dont la finalisation est prévue en 2023, vise à simplifier la chaîne de commandement. Il se traduira notamment par une profonde réorganisation du commandement des forces aériennes (CFA), dont votre rapporteur a pu prendre la pleine mesure lors de son déplacement sur la base aérienne 106 de Bordeaux-Mérignac.

Dans le cadre de ce plan, la préparation opérationnelle des forces, jusqu’ici sous la responsabilité du CFA est en effet transférée au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), afin de renforcer le lien entre la conduite des opérations et la préparation opérationnelle.

En outre, le plan Altaïr vise à raccourcir les chaînes hiérarchiques, en rattachant fonctionnellement trois brigades (brigades des forces spéciales air, brigade aérienne d’appui et de projection et brigade aérienne de l’aviation de chasse), jusqu’ici sous la responsabilité opérationnelle du CFA, directement auprès du major général de l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

Ce nouveau rattachement à l’état-major se matérialisera sur le terrain par le déménagement de ces brigades de la base de Mérignac respectivement vers les bases d’Orléans (brigade aérienne d’appui et de projection), de Nancy-Ochey (brigade aérienne de l’aviation de chasse) et d’Orange (brigade des forces spéciales air).

Enfin, dans le but de renforcer la coordination technico-opérationnelle au niveau des brigades, les unités en charge du MCO seront rattachées non plus à une brigade spécifique, la BASAL (brigade aérienne des systèmes d'armes et de la logistique) située à Mérignac, mais directement aux trois brigades opérationnelles précitées. Le CFA nouvelle génération sera quant à lui recentré sur la fonction territoriale de l’armée de l’air et de l’espace et sur certaines fonctions organiques, dont la mission défense-sécurité.

Si cette réorganisation de la chaîne de commandement au sein de l’état-major est d’ampleur, les mutations géographiques en résultant ont été volontairement limitées : seules 125 mutations accompagneront la mise en œuvre du plan Altaïr.

II.   DES CRÉDITS INSUFFISANTS POUR UNE REMONTÉE EN PUISSANCE, QUI DEVRA ÊTRE ASSURÉE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

A.   LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE OUVERTS PAR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2023

1.   Présentation générale des crédits du programme 178 dévolus à l’armée de l’air et de l’espace

● Au sein du programme 178 « Préparation et emploi des forces », les crédits alloués à l’armée de l’air sont inscrits à l’action 4 « Préparation des forces aériennes ». Ces crédits doivent permettre aux forces aériennes de conduire les missions qui leur sont assignées par la loi de programmation militaire :

– la protection aérienne du territoire national et des populations grâce à leurs moyens de détection, d’identification et d’intervention dans son espace aérien et dans ses approches, sous la responsabilité du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes ;

– la dissuasion nucléaire au travers de la mise en œuvre de la composante aéroportée, sous la responsabilité du commandement des forces aériennes stratégiques ;

– l’intervention visant à protéger nos ressortissants, à défendre les intérêts de la France, à honorer nos alliances et à respecter nos engagements internationaux.

Les crédits de l’action 4 se répartissent en sept sous-actions :

– la sous-action 2 « commandement et activités centralisées des forces aériennes », qui couvre le périmètre des organismes du niveau d’état-major d’armée ;

– la sous-action 3 « activités des forces aériennes », qui regroupe les unités du commandement des forces aériennes (CFA) et du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), implantés respectivement sur les bases aériennes 106 de Bordeaux Mérignac et 942 de Lyon-Mont Verdun ;

– la sous-action 4 « activités des forces aériennes stratégiques », qui regroupe l’ensemble des unités des forces aériennes stratégiques (FAS), c’est‑à‑dire la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire ;

– la sous-action 5 « ressources humaines des forces aériennes », qui regroupe la direction des ressources humaines de l’armée de l’air ainsi que les écoles et établissements ou centres d’enseignement ;

– la sous-action 6 « entretiens et équipements des forces aériennes », qui regroupe l’ensemble des moyens destinés à assurer la mise en œuvre et le soutien techniques des forces aériennes en optimisant la disponibilité des aéronefs et des moyens aéronautiques associés. Cette sous-action couvre ainsi une partie des activités du CFA, qui assure le niveau de soutien opérationnel des équipements aériens, et de la direction de la maintenance aéronautique ;

– la sous-action 11 « infrastructures aériennes », qui recouvre les dépenses pour la construction, la modernisation et le maintien en condition des infrastructures opérationnelles de l’armée de l’air ;

– la sous-action 12 « activités spatiales », qui retrace les crédits nécessaires à la montée en puissance du commandement de l’espace.

● Selon le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2023, les enjeux majeurs de l’armée et de l’espace pour l’année prochaine sont les suivants :

« l’optimisation des processus (MCO aéronautique, simplification et modernisation des états-majors, modernisation des formations et des processus de gestion des administrés, adaptation des recrutements associé à une politique ambitieuse d’emploi des réservistes opérationnels) ;

• la poursuite du renouvellement et la modernisation des matériels de l’AAE (Rafale F3R, A400M, C130J, Reaper « block 5 », ALSR, MRTT, PC21, matériel de lutte anti-drones, capacité de sécurité et de protection des emprises air, capacités SIC et C2 contribuant à la PPS) ;

• la préparation de la montée en puissance des futurs escadrons RAF5 et RAF6 à Orange, la poursuite de la montée en puissance du commandement de l’espace (renfort de l’appui spatial aux opérations et de la mission permanente de surveillance de l’espace) ;

• la participation aux exercices de préparation à un engagement majeur et de haute intensité (HEMEX/ORION) et aux entraînements interalliés ;

• la préparation de l’engagement AAE en vue de la coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux Olympiques de Paris en 2024 » ([10]).

● En PLF 2023, les crédits de l’action 4 s’élèvent à 3,01 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) contre 3,88 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2022 (-22,23 %), et 2,87 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) contre 2,60 milliards en loi de finances initiale pour 2022 (+10,24 %). Les crédits de paiement de l’action 4 représentent 23,88 % des crédits du programme 178.

Les principales évolutions des crédits des sous-actions sont les suivantes :

– la baisse conséquente des autorisations d’engagement de l’action 4 est notamment due à la réduction significative des AE (-30,54 %) de la sous-action 04.06 relative à l’entretien et aux équipements des forces aériennes. Cette situation tient au fait que les contrats les plus structurants au titre de la politique de verticalisation du MCO aéronautique ont été conclus avec les industriels – et par conséquent engagés financièrement - dans les années précédentes.

– la hausse des crédits de paiement de la sous-action 04.12 relative aux « activités spatiales » (+81,5 %), en raison d’un contrat relatif à des services spatiaux, afin d’augmenter notamment le taux de revisite des images satellitaires.

– la hausse des autorisations d’engagements (+42,6 %) au titre de la sous-action « infrastructures aériennes », en raison des investissements nécessaires à la montée en puissance du commandement de l’espace à Toulouse, à l’accueil de la flotte des C-130H à Evreux et des flottes de renseignement à Cognac.

CrÉdits de l’action 4 « PrÉparation des forces aÉriennes » du programme 178 pour 2023 par sous-action (en millions d’euros)

S/Action

Rubrique

AE
LFI 2022

AE
PLF 2023

CP
LFI 2022

CP
PLF 2023

SA 04-02

Commandement et activités centralisées des forces aériennes

17,3

18,8

(+8,6 %)

16,4

19,1

(+16,6 %)

SA 04-03

Activités des forces aériennes

261,2

310,2

(+18,77 %)

266,5

304,0

(+14,05 %)

SA 04-04

Activités des forces aériennes stratégiques

60,0

76,5

(+27,51 %)

160,9

164,4

(+2,15 %)

SA 04-05

Ressources humaines des forces aériennes

128,1

138,5

(+ 8,09%)

123,0

134,9

(+9,72%)

SA 04-06

Entretien et équipements des forces aériennes

3 201,1

2 223,5

(-30,54 %)

1 917,8

2 094,3

(+9,21 %)

SA 04-11

Infrastructures aériennes

145,8

208,0

(+42,65 %)

94,9

106,8

(+12,67 %)

SA 04-12

Activités spatiales

68,7

43,8

(-36,19 %)

28,1

51,0

(+81,51 %)

TOTAL

3882,1

3091,1

(-22 %)

2 607,6

2 874,6

(+ 10%)

 Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2023.

 

2.   Présentation par nature et par opération stratégique

Les ressources affectées à l’armée de l’air et de l’espace nécessitent une analyse plus fine du détail des opérations stratégiques.

a.   Les dépenses de fonctionnement

L’agrégat budgétaire « fonctionnement » retrace les crédits affectés à deux opérations stratégiques :

– une opération « activités opérationnelles », qui regroupe les ressources dédiées au soutien direct de l’activité opérationnelle (activité et entraînement des forces, carburant, frais de déplacement…) ;

– une opération « fonctionnement et activités spécifiques », qui couvre notamment les dépenses liées au recrutement, à la formation, à l’instruction et à la mobilité du personnel.

En PLF 2023, le montant total de la dotation au titre des dépenses de fonctionnement est de 537,7 millions d’euros en AE et 535,4 millions d’euros en CP, soit une hausse respective de 7,4 % et de 16 % par rapport à 2022.

● Premièrement, l’opération stratégique « activités opérationnelles » est dotée de 452,2 millions d’euros en AE et de 451,2 millions d’euros en CP, ce qui représente une hausse de 7 % des AE par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 et de 19 % des crédits.

Cette augmentation, qui traduit, d’une part, la hausse prévisionnelle du prix des carburants et, d’autre part, la conclusion d’un important contrat de services dans le domaine spatial, se répartit différemment selon les différentes opérations budgétaires :

– l’opération budgétaire « activité et entraînement des forces » connaît une croissance de près de 7 % d’AE, à hauteur de 165,3 millions d’euros et de près de 19 % pour les CP, qui s’établissent à 116,3 millions d’euros en PLF 2023. Selon le projet annuel de performance, « cette hausse s’explique principalement par la hausse du besoin de carburant opérationnel dans un contexte de prix orientés à la hausse ».

– cette opération stratégique retrace les crédits affectés aux opérations budgétaires relatives respectivement aux « carburants opérationnels » et « carburéacteur ». Ces deux opérations budgétaires connaissent une hausse des autorisations d’engagement et de crédits de paiement de près de 17 % en 2023, en raison des prévisions de hausse du prix de cession du carburant. En effet, la prévision pour le carburéacteur F34 est de 633 euros/m3 en 2023, contre 512 euros/m3 en 2022, étant précisé que le volume d’acquisition prévu en 2023 est de 368 797 m3. En 2023, les autorisations d’engagement et crédits de paiement prévus au titre de l’opération stratégique « carburéacteur » atteindront ainsi 233,4 millions d’euros.

– enfin, les crédits liés à l’opération budgétaire « déplacements et transports » sont relativement stables, avec une dotation de 35 millions d’euros en AE (+2 %) et de 33 millions d’euros en CP (-2 %). Cette opération budgétaire porte sur les dépenses induites par les missions de personnel, hors activités de formation, réalisées principalement dans le cadre des activités de préparation opérationnelle ainsi que celles générées par les déménagements des unités et le transport opérationnel.

● En second lieu, l’opération stratégique « fonctionnement et activités spécifiques » est dotée, en PLF 2023, de 85,5 millions d’euros en AE et de 84,1 millions d’euros en CP, soit une hausse de respectivement 11 % et 6 % des ressources.

Cette augmentation s’explique principalement par une hausse de l’opération budgétaire « fonctionnement courant », en raison notamment d’un effort budgétaire relatif à la protection des emprises (+24 % en AE et +32 % en CP). Les autres opérations budgétaires sont les suivantes :

– l’opération budgétaire « mobilité des personnels », marquée par une hausse de 10 % des AE, qui s’établissent à 16,2 millions d’euros, et de 13,6 % des CP qui s’élèvent désormais à 15, 8 millions d’euros. Les besoins pour financer l’ensemble des dépenses relatives au transport de personnes et de mobilier dans le cadre des mutations restent donc élevés, en dépit de la politique de l’armée de l’air et de l’espace de limiter les changements de résidence.

– l’opération budgétaire « prestations intellectuelles », qui voit ses AE, fixées à 4,3 millions d’euros, augmenter (+10 %) %, tandis que ses CP connaissent une baisse significative (-53 %) par rapport à la LFI 2022, pour s’établir à 5,4 millions d’euros. L’année 2022 avait en effet été marquée par la conclusion d’un marché important d’assistance à l’entraînement collaboratif des forces aériennes au profit du centre d’expertise aérienne militaire (CEAM).

– l’opération budgétaire « Soutien des ressources humaines », qui couvre les dépenses de formation et d’instruction, ainsi que les frais de recrutement. Ses AE s’élèvent cette année à 20,6 millions d’euros, autrement dit une hausse de 10 % comparativement à l’année passée, et les CP à 19,4 millions d’euros, soit une hausse de 23 %. Cette augmentation des crédits reflète une politique volontariste de recrutement, ainsi que la modernisation de l’instruction pour satisfaire les nouveaux besoins, notamment sur les segments de l’espace, du cyber, des drones et du C2.

– enfin, l’opération budgétaire « subventions et transferts », qui recouvre les frais de fonctionnement, d’investissement et la masse salariale de l’école de l’air et de l’espace. Cette opération est dotée identiquement de 28,8 millions d’euros en AE et de CP, soit une hausse de 8 % par rapport à 2022, en raison notamment de l’évolution de la masse salariale.

b.   Les dépenses d’équipement

Les dépenses de l’agrégat « équipement » se répartissent en quatre opérations stratégiques :

● L’opération stratégique « dissuasion », qui regroupe les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels des forces aériennes stratégiques, tels que les Rafale affectés à la mission de dissuasion, les avions de transport et de ravitaillement MRTT Phénix ainsi que les ravitailleurs C-135. Depuis 2020, cette opération couvre également l’entretien des infrastructures des forces aériennes stratégiques, qui obéissent à des règles opérationnelles et normatives particulièrement exigeantes. L’année 2023 est caractérisée par une importante hausse de 32 % des autorisations d’engagement au titre de l’entretien programme de la flotte aéronautique, qui s’établissent à hauteur de 51,2 millions d’euros. Cette augmentation reflète notamment la montée en puissance de la flotte d’A330 MRTT. Les crédits de paiement, fixés à 139,3 millions d’euros, sont quant à eux stables. S’agissant des crédits liés à l’entretien de l’infrastructure de dissuasion, 5,2 millions d’euros sont prévus pour les AE et 3,5 millions d’euros pour les CP, soit des montants stables eu égard à 2022.

● L’opération stratégique « entretien programmé des matériels », regroupant les ressources affectées à l’entretien programmé des matériels des forces conventionnelles, c’est-à-dire non affectées aux missions de dissuasion. Sa dotation prévisionnelle s’élève à 1,95 milliard d’euros en AE, soit une diminution de 35 % par rapport à 2022. Cette baisse significative pour la seconde année consécutive des autorisations d’engagements s’explique par le fait que le rythme de passation des contrats verticalisés se réduit, l’essentiel des marchés structurants ayant été conclus les précédentes années. Les crédits de paiement liés à l’entretien des flottes conventionnelles poursuivent en revanche leur augmentation dans le cadre de la mise en œuvre des contrats conclus les précédentes années, en s’établissant à 1,92 milliard d’euros (+10 %), dans une trajectoire conforme à la LPM.

Au niveau des opérations budgétaires, l’essentiel des ressources est ainsi affecté à l’opération budgétaire « entretien programmé des matériels des flottes aériennes », hors Rafale, dotée de 1,7 milliard d’euros en AE et 1,3 milliard d’euros en CP. Pour l’entretien de la seule flotte Rafale, les crédits de paiement prévus en 2023 atteignent 434,8 millions d’euros.

Les autres opérations budgétaires sont les suivantes :

– l’opération budgétaire « EPM des munitions aériennes », qui est consacrée à l’entretien des munitions aériennes, des missiles air-air et sol-air, ainsi que des systèmes de défense anti-aérienne. Cette opération est dotée en 2023 de 63,2 millions d’euros en AE et de 133,7 millions d’euros en CP. L’évolution à la baisse des AE (-77 %) et à la hausse des crédits de paiement (+8 %) s’explique notamment par la contractualisation du marché SAMP/T en 2022.

– l’opération budgétaire « EPM du matériel terrestre », concernant l’entretien du matériel terrestre de l’armée de l’air, est dotée de 32,3 millions d’euros d’AE et 33,9 millions d’euros en CP.

– l’opération budgétaire « démantèlement milieu aérien », dédiée au démantèlement des aéronefs, est marquée par une hausse de 83 % des autorisations d’engagement, désormais établies à 8,6 millions d’euros, à la suite de la passation d’importants marchés. Les crédits de paiement, fixés à 3,3 millions d’euros, sont quant à eux en baisse de 48 %.

● L’opération stratégique « équipements d’accompagnement » retrace l’ensemble des ressources destinées à l’acquisition et au suivi des petits équipements, des matériels de maintenance, des véhicules spécialisés ou au renouvellement des munitions. Il est prévu une dotation de 266,3 millions d’euros en AE (soit + 34%), tandis que les crédits de paiement, fixés à 166,7 millions d’euros, restent stables. L’augmentation des autorisations d’engagement est notamment due à l’opération budgétaire « armements et munitions », dont les autorisations d’engagement sont en hausse de 74 %, en raison de l’acquisition de munitions aériennes pour l’entraînement des forces et la remontée des stocks.

● Enfin, l’opération stratégique « infrastructures », qui recouvre les crédits nécessaires à la construction, la modernisation et le maintien en condition des infrastructures opérationnelles (hors programmes d’infrastructure) de l’armée de l’air et de l’espace. Cette opération est dotée de près de 202,6 millions d’euros en AE et 103, 3 millions d’euros en CP, soit une hausse respective de 44 % et de 12 % par rapport à la LFI 2022. En 2023, les principaux engagements financiers à ce titre concernent la phase définitive de construction des bâtiments du commandement de l’espace à Toulouse, l’accueil de la flotte de transport C130H à Evreux ainsi que l’accueil des flottes dédiées aux missions de reconnaissance et de renseignement (drones MALE et des avions légers de surveillance et de reconnaissance) à Cognac.

c.   Les autres crédits de la mission « Défense » consacrés à l’armée de l’air

Bien que le présent avis porte avant tout sur le programme 178, votre rapporteur souhaite toutefois brièvement rappeler les principaux éléments contenus dans les autres programmes budgétaires sur les forces aériennes, afin de donner une vision globale des enjeux de l’armée de l’air et de l’espace pour 2023.

● le programme 146 « Équipement des forces » couvre les crédits liés à l’acquisition de nouvelles capacités pour nos forces armées, en ce inclus naturellement l’armée de l’air et de l’espace. Les crédits du programme 146 en 2023 permettront notamment la commande de 42 Rafale, d’un lot de missiles Aster 30 block 1 NT pour le futur système de défense sol-air SAMP-T NG, de 10 stations sol Syracuse IV. Les crédits de paiement du programme 146 permettront notamment la livraison de 13 Rafale et d’un nombre identique de Mirage 2000D rénovés, la poursuite des livraisons des A400M et A330 MRTT, mais aussi la réception de lots de missiles air-sol Scalp et des missiles air-air Mica et Meteor rénovés, ainsi que la modernisation du système de commandement et de contrôle dit « SCCOA ».

● Au titre du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », la sous-action 3 de l’action 7 relative aux « études amont » inclut trois opérations budgétaires qui concernent les forces aériennes :

– l’opération budgétaire « aéronautique et missiles », dotée de 251,1 millions d’euros en AE (+3,6 %) et de 236,4 millions d’euros en CP (- 8,4 %), inclut notamment les études relatives aux briques technologiques du système aérien du futur (SCAF) et aux évolutions du Rafale, notamment dans les domaines de la guerre électronique, de l’autoprotection et de la localisation. Dans le segment des hélicoptères, les travaux portent essentiellement sur la coopération avec les drones et l’autoprotection. Enfin, s’agissant des missiles, les études ont trait au démonstrateur de planeur hypersonique. L’année 2023 verra également la poursuite des travaux relatifs aux matériaux énergétiques de défense du partenariat d’innovation technologique franco-britannique dans le domaine des technologies de missiles.

– l’opération budgétaire « espace », dont les crédits prévus, à hauteur de 91,7 millions d’euros en AE (-7 %) et de 98,5 millions d’euros en CP (+14 %), permettront notamment de financer la poursuite des travaux visant à renforcer les capacités d’action dans l’espace, avec le lancement de nouveaux démonstrateurs. La préparation des nouvelles générations de moyens de renseignement spatiaux, de communication militaire et de connaissance de la situation spatiale est également financée par ces crédits. À ce titre, un projet sur le satellite à capacité d’imagerie hyperspectrale sera notamment lancé.

– l’opération budgétaire « information et renseignement (hors espace) », dotée de 139,4 millions d’euros d’AE (-11 %) et de 114 millions d’euros de CP (+10,6 %) inclut notamment des travaux relatifs à la composante post-Awacs et la lutte anti-drone, ou encore les études de maturation technologique des moyens de défense sol-air et d’alerte avancée.

B.   LES ENJEUX DE LA PROCHAINE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

1.   Redimensionner notre aviation de la chasse à l’aune du retour de la haute intensité

a.   Un contexte qui impose de revoir l’Ambition 2030 et la mutualisation des moyens au titre des contrats opérationnels

● La prochaine loi de programmation militaire doit avoir un objectif clair :  donner à nos armées les capacités d’accomplir l’ensemble de leurs missions, dans un contexte marqué par la militarisation croissante de nos compétiteurs, le développement de postures de déni d’accès et le retour de l’attrition dans le cadre de la guerre de haute intensité.

Les menaces croissantes nées de ce nouveau contexte pour l’armée de l’air et de l’espace ont été parfaitement résumées par le général Parisot : « L’attrition fait désormais partie de l’équation, car la supériorité aérienne occidentale, que nous prenions pour acquise, est aujourd’hui clairement contestée. Les stratégies auxquelles nous avons affaire aujourd’hui présentent une combinaison de moyens low-cost – mini-drones, systèmes sol-air portatifs, brouillage GPS – et de très haute technologie. L’apparition des missiles hypersoniques et de systèmes balistiques manœuvrants, l’emploi de satellites dans des opérations spatiales militaires de plus en plus élaborées et l’emploi de lasers ou de tirs antisatellites sont des illustrations d’un monde militaire qui a repris sa course en avant » ([11]).

L’évolution du contexte stratégique impose par conséquent de revoir l’Ambition 2030 prévue par l’actuelle loi de programmation militaire. En effet, celle-ci a été établie dans un contexte où les questions d’attrition et de contestation de notre supériorité aérienne ne se posaient pas. L’Ambition 2030 est ainsi adaptée à un format de gestion de crise et de contestation, mais non d’affrontement pour reprendre le triptyque cher au général Burkhard.

La nouvelle loi de programmation militaire doit donc prendre en compte cette nouvelle donne stratégique pour préserver notre liberté d’accès aux espaces aérien et spatial. Cela impose notamment de recouvrer de la masse et de l’épaisseur en matière de capacité de pénétration des défenses adverses et de projection de puissance.

● Seule cette montée en puissance du format de nos flottes permettra de sanctuariser les moyens indispensables à la composante nucléaire aéroportée en cas de crise, tout en laissant des marges de manœuvre à l’armée de l’air et de l’espace pour accomplir ses missions permanentes et d’intervention.

La démutualisation au moins partielle des moyens affectés à la dissuasion, d’une part, et aux missions conventionnelles, d’autre part, est un impératif car, en l’état du format des flottes, le relèvement du niveau d’alerte en matière de dissuasion, avec la sanctuarisation subséquente des vecteurs de la composante nucléaire aéroportée, ne permet pas à l’armée de l’air et de l’espace d’accomplir ses missions conventionnelles comme elles devraient l’être. La mutualisation des moyens au titre de l’exécution des contrats opérationnels, qui consiste à affecter des vecteurs de la composante nucléaire aéroportée à des missions conventionnelles, pouvait certes se justifier en temps de paix, mais est devenue inadaptée en temps de contestation.

La question du format adéquat de nos flottes commande donc de répondre à la question suivante : une fois sanctuarisées les capacités nécessaires à la composante nucléaire aéroportée (notamment avions de chasse et avions ravitailleurs), que nous reste-t-il et que nous faut-il pour accomplir nos missions ?

b.   Des avions de chasse plus nombreux…

Le format actuel, qui est la conséquence de deux décennies de réduction massive de l’aviation de chasse de notre armée de l’air pour tirer les prétendus « dividendes de la paix », n’est plus adapté au contexte actuel. Comme il a été indiqué, le format Rafale Air est actuellement identique à celui de 2016 et les livraisons prévues ou annoncées ne permettront même pas d’atteindre le seuil de 185 avions polyvalents au titre de l’Ambition 2030 : en l’état, l’armée de l’air de l’espace ne disposera que de 159 Rafale à horizon 2030.

Au regard des niveaux d’attrition constatés lors du conflit en Ukraine ou des exercices de haute intensité menées par l’armée de l’air et de l’espace, un format crédible serait a minima de 225 Rafale au sein de l’armée de l’air et de l’espace. Seul ce format permettrait de sanctuariser les aéronefs dédiés à la posture de dissuasion nucléaire tout en conférant la capacité à l’armée de l’air et de l’espace à pleinement accomplir ses autres missions. Au regard de l’urgence et des contraintes de production de Dassault, votre rapporteur estime qu’il est nécessaire de commander au plus vite une sixième tranche à hauteur d’au moins 66 Rafale pour atteindre le format indiqué.

c.   … et mieux équipés

Si le format de la flotte d’aviation de chasse est naturellement déterminant pour durer dans un contexte de haute intensité, encore faut-il que ces derniers soient pourvus en nombre suffisant d’équipements adaptés au combat aérien moderne.

● Cette exigence commande de rehausser significativement les stocks de missiles, notamment les missiles air-air de type Mica ou Meteor. Il convient de signaler que le stock actuel de missiles est si faible que les aviateurs ne peuvent en tirer qu’un seul en entraînement dans toute leur vie d’aviateur, comme cela a été indiqué au rapporteur dans le cadre de ses travaux. Il est également notoire que les aviateurs français ont pu être contraints par le niveau des stocks de munitions lors de certains engagements. Ceci n’est naturellement pas tenable dans un conflit de haute intensité.

● En outre, il a été vu que les équipements dits missionnels emportés par l’avion de chasse (pods de designation laser de nouvelle génération, radars AESA, capteurs infra-rouge…) sont en nombre largement insuffisant, alors qu’ils sont pourtant essentiels au bon accomplissement des missions de combat. Par exemple, le faible nombre actuel des pods de désignation laser – une trentaine aujourd’hui pour l’armée de l’air et de l’espace et la marine, 67 à l’horizon 2025 – implique pour les aviateurs des opérations de montage-démontage de ces pods d’un avion à l’autre, comme a pu le constater votre rapporteur sur la base de Mont-de-Marsan. Cela entraine un phénomène de sur-maintenance, qui accroît au surplus le risque de casse de ces équipements particulièrement fragiles. La prochaine LPM devra par conséquent faire un effort significatif en faveur de ces équipements essentiels aux missions de combat.

● Enfin, la poursuite du développement technologique incrémental de notre aviation de chasse est une nécessité, face à la modernisation constante des vecteurs déployés par nos compétiteurs. Le développement du standard F-5 du Rafale doit être lancé au plus tôt, dès 2023 et non en 2025/2026 comme le prévoit l’actuelle loi de programmation. Le développement du nouveau standard est essentiel pour assurer à l’horizon 2030 la supériorité opérationnelle de notre aviation de chasse face à l’évolution des menaces et surtout la crédibilité de notre dissuasion nucléaire aéroportée, le Rafale F-5 devant emporter le nouveau missile hypervéloce air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G). L’optimisation de nos capacités de combat collaboratif sera au cœur de ce nouveau standard, à travers la collaboration de senseurs entre radars, systèmes de guerre électronique et capteurs optiques.

2.   Combler nos lacunes capacitaires

● Le conflit actuel en Ukraine démontre également l’importance de disposer d’équipements de suppression des systèmes de défense sol-air dites SEAD (Suppression of Enemy Air Defence). Or, l’armée de l’air et de l’espace ne dispose plus d’une telle capacité depuis 1999 – date de retrait des missiles moyenne-portée anti-radar AS-37 Martel. Cette rupture de capacité pouvait certes se justifier dans un contexte où les missions des aéronefs étaient effectuées exclusivement dans un environnement permissif, c’est-à-dire dans lequel la supériorité aérienne de nos forces était incontestée. Cependant, le retour de la haute intensité rend indispensable pour nos forces armées de reconstituer des capacités SEAD, garantes de notre capacité à entrer en premier dans un environnement contesté. Cette situation exige d’accélérer le programme Armement Air Sol Futur (AASF).

● Parallèlement, le renouvellement de nos capacités de défense sol-air parait indispensable. Force est de constater que nos forces ne sont pas suffisamment équipées au regard de la multiplicité des besoins actuels (protection des bases, emploi dans le cadre de dispositifs particuliers de sûreté aérienne, déploiement en Roumanie) et à venir (jeux olympiques de 2024, éventualité de conflits de haute intensité). Les escadrons de défense air-sol de l’armée de l’air et de l’espace ne disposent en effet que de huit systèmes sol-air moyenne portée / terrestre (SAMP/T) dits Mamba. Il est donc critique d’augmenter ces capacités à l’occasion de l’arrivée du SAMP/T NG dans nos forces à horizon 2025.

3.   Consolider la modernisation de certains segments

● Dans le domaine spatial, les programmes de renseignement d’origine spatiale Celeste (successeur de Ceres pour le renseignement électromagnétique) et Iris (successeur de CSO pour le renseignement image) doivent être confortés dans le cadre de la prochaine loi de programmation. Le lancement des études du système Syracuse V parait en outre essentiel pour préserver notre souveraineté en matière de télécommunication militaire, en ce inclus les transmissions nucléaires. Enfin, le programme de maîtrise de l’espace Ares doit être accéléré au regard de l’évolution des menaces qui pèsent sur nos satellites dans ce milieu. Dans ce cadre, la mise en place d’un véritable centre de commandement (C2) opérationnel de l’espace intégré avec les centres de commandement Air parait indispensable.

● S’agissant de l’aviation de transport, la capacité de projection stratégique des armées s’appuie aujourd’hui sur les A330 MRTT et A400M. Ce couple a montré toute sa pertinence dans le cadre de l’opération Barkhane, de la mission Apagan d’évacuation en Afghanistan, ou encore des exercices de projection de puissance en Indo-Pacifique. La prochaine LPM doit consolider la montée en puissance de ces aéronefs, avec notamment l’accélération de la conversion des 3 A330 reçus dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique et la cible d’un format final de 50 A400M. La prochaine LPM devra également préparer le retrait à venir du C130H et du CASA à compter respectivement de 2030 et 2035 et définir un format global de la flotte tactique compatible avec nos ambitions, notamment en Outre-mer et plus largement au sein de la zone Indo-Pacifique.

4.   Oser l’autonomie stratégique

La loi de programmation actuelle faisait du partenariat avec l’Allemagne le pilier du développement capacitaire des programmes développés en coopération. Il s’agissait d’une forme de pari au vu des précédents, et notamment des difficultés connues dans le cadre de la coopération de l’A400M.

Force est de constater que ce pari est un échec : les coopérations prévues ont été abandonnées par les Allemands (standard 3 du Tigre et programme MAWS) sont à l’arrêt en raison des exigences des industriels allemands (SCAF, MGCS), tandis que les Allemands ont prévu de dépenser une grande partie de leur enveloppe de 100 milliards d’euros dans du matériel américain (achat de F-35 et d’hélicoptères Chinook) ou israéliens (système de défense sol-air). Votre rapporteur souhaite dans le cadre du présent rapport revenir sur les deux programmes emblématiques de cette coopération dans le domaine aéronautique.

a.   Abandonner le SCAF

S’agissant du blocage actuel entre les industriels sur le pilier de l’aviation de chasse du futur dit NGF (Next Generation Figher), votre rapporteur souhaiterait mettre en exergue trois éléments. Tout d’abord, les industriels avaient trouvé un accord en matière d’organisation du travail en avril 2021 ; or, cet accord a été remis en cause non par la partie française mais par son partenaire allemand. Deuxièmement, le respect du principe de best athlete est une condition nécessaire à la réussite d’une coopération. Or, en l’espèce, il est peu contestable que le best athlete en matière d’aviation de chasse, et plus particulièrement en matière de commande de vol, soit Dassault Aviation. Troisièmement, un programme de coopération n’a pas pour vocation de permettre à un industriel de rattraper son retard sur le best athlete par le transfert de technologie et le partage de savoir-faire.

Au-delà du blocage industriel, le véritable enjeu posé par le SCAF est celui de savoir si nous sommes prêts à brader notre souveraineté stratégique. Votre rapporteur tient en effet à rappeler une évidence, à savoir que le développement d’un système de combat aérien du futur obéit à une finalité qui s’inscrit au cœur de notre souveraineté : il s’agit en effet de préserver la crédibilité de notre composante nucléaire aéroportée à l’horizon 2050, en gardant nos capacités de pénétration dans un environnement aérien contesté.

Au regard de cet enjeu majeur de souveraineté, la véritable question, aux yeux du rapporteur, est de savoir si ce programme pourrait être développé en autonomie. Or, la réponse à cette question est évidemment positive. Les industries aéronautiques françaises ont certainement le savoir-faire technologique pour développer de façon autonome et souveraine notre futur système de combat aérien.

Cela suppose toutefois un élément de poids qui est absent en l’état, à savoir une volonté politique, et son corrélat, une véritable ambition financière. Le développement de notre futur avion de chasse en coopération n’est donc pas une « nécessité », contrairement aux allégations du Gouvernement, mais résulte d’un choix politique et surtout d’arbitrages financiers.

Ceci étant précisé, la poursuite du programme SCAF en cas d’accord in extremis entre industriels entraînerait deux types de risques selon votre rapporteur. Le premier est que l’accord trouvé soit à nouveau remis en cause d’ici deux ans, de la même façon que celui d’avril 2021 l’a été. Or, un nouveau conflit entre industriels dans deux ans serait particulièrement préjudiciable, d’une part, en raison des financements conséquents qui auront été investis d’ici là, et, d’autre part, parce que la France aura perdu deux ans pour développer sa propre aviation de chasse du futur.

L’autre risque identifié par votre rapporteur porte sur les restrictions à l’exportation du SCAF qui pourrait être exigées par les Allemands. Si le programme devait – malheureusement – se poursuivre, votre rapporteur estime qu’il est crucial que le Gouvernement exige de l’Allemagne l’assurance, dans la durée, que la France gardera une entière marge de manœuvre pour exporter le SCAF.

Au regard de l’enjeu de souveraineté et d’autonomie stratégique rappelé ci-dessus, du retard déjà pris par le programme et des risques rappelés ci-dessus, votre rapporteur appelle les pouvoirs publics à mettre un terme à la coopération franco-allemande au titre du programme SCAF.

Votre rapporteur est confiant dans le fait que par leur compétence et leur ambition, nos aviateurs, nos ingénieurs et nos industriels sauront relever le défi de développer de façon autonome le système de combat aérien du futur, de la même façon qu’ils relèvent le défi de développer de façon autonome nos sous-marins nucléaires ou nos porte-avions.

b.   Le piège allemand de l’Eurodrone

Le drone MALE européen ou « Eurodrone » constitue un autre exemple des difficultés inhérentes à la coopération franco-allemande.

Tout d’abord, alors que les premières discussions sur ce programme ont débuté en 2013, le contrat de développement n’a été notifié qu’en février 2022 et les premières livraisons ne sont prévues qu’en 2029. Le risque inhérent à de tels délais, malheureusement usuels en matière de coopération, est que l’Eurodrone ne soit opérationnellement et technologiquement plus adapté à la date auquel il sera livré.

La question de l’adaptation de l’Eurodrone aux besoins actuels des armées, compte tenu du nouveau contexte géostratégique, est également ouverte : l’Eurodrone n’est en effet pas adapté au conflit de haute intensité et n’a pas vocation à opérer dans un environnement non permissif, ni a fortiori à entrer en premier.

L’autre problématique soulevé par l’Eurodrone est son prix : 118 millions d’euros par unité pour un coût total de sept milliards d’euros, à comparer à titre d’exemple aux cinq millions d’euros l’unité pour des drones d’attaque bien connus.

Si les conditions d’emploi et les performances de ces drones ne sont évidemment pas les mêmes, la question mérite d’être posée : dans le contexte actuel, à budget identique, les armées françaises ont-elles davantage besoin d’un Eurodrone ou d’une vingtaine de drones d’attaque ?

Enfin, votre rapporteur ne peut que regretter le choix du motoriste Avio, filiale italienne de General Electrics, aux dépens du motoriste français Safran. Si votre rapporteur n’est évidemment pas légitime pour juger du bien-fondé des raisons techniques sous-jacentes à une telle décision, il n’en reste pas moins que le choix d’une filiale américaine pour motoriser l’Eurodrone, qui sera par ailleurs équipé de bombes américaines GBU-49, est stratégiquement et politiquement discutable.

Ce choix est d’autant plus dommageable que l’objectif de l’Eurodrone était précisément de renforcer notre indépendance à l’égard des États-Unis en matière de drones. Le retard pris dans l’intégration d’une capacité de renseignement électromagnétique du drone Reaper block 5 dans nos forces armées du fait des atermoiements des Américains avait ainsi démontré à quel point il était nécessaire de construire un équipement autonome. Or, la décision d’Airbus risque précisément de recréer une telle dépendance.

Il reste donc à souhaiter qu’Avio GE tienne son engagement contractuel, à savoir l’absence de toute pièce soumise à la réglementation ITAR, et à ce qu’il n’y ait pas de difficultés quant à une éventuelle application de la réglementation « export administration regulations » (EAR). Toutefois, votre rapporteur ne peut qu’exprimer son scepticisme au regard de la tendance bien connue des Américains de modifier unilatéralement les règles du jeu au gré de leurs intérêts.

En conclusion, l’exemple de l’Eurodrone est symptomatique de ce que l’entêtement idéologique pro-européen peut produire : des délais inacceptables, des coûts prohibitifs, un concept d’emploi inadapté au regard des priorités stratégiques actuelles et enfin, une finalité, à savoir la réduction de notre indépendance à l’égard des Américains, qui n’est pas satisfaite.

Malheureusement, il est à craindre que le programme SCAF prenne la même direction si les pouvoirs publics ne se ressaisissent pas.

 

 

 

   SECONDE PARTIE : LE DÉFI DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DES AÉRONEFS

I.   UNE RÉFORME D’AMPLEUR POUR RELEVER UN DÉFI MAJEUR

A.   LA RÉFORME DU MCO AÉRONAUTIQUE…

En 2017, le constat établi par la ministre des Armées de l’époque est celui d’une baisse de la disponibilité des aéronefs, avec un taux de disponibilité moyen de 44 %, alors même que les coûts de maintenance augmentaient sensiblement et que les besoins opérationnels étaient croissants. Cette absence d’efficacité du MCO aéronautique a été principalement attribuée, d’une part, à une gouvernance inadaptée et, d’autre part, à un manque de responsabilisation des industriels en charge de la maintenance. La réforme du MCO aéronautique engagée en 2018 a par conséquent été centrée autour de ces deux axes principaux.

1.   Une réforme de la gouvernance : la création de la DMAé

La refonte de la gouvernance s’est matérialisée par le changement du responsable de la maîtrise d’ouvrage déléguée. La structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (Simmad), qui était placée sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de l’air, a en effet été remplacée en avril 2018 par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) rattachée directement au chef d’état-major des armées. C’est ainsi le chef d’état-major des armées qui préside le conseil d’orientation et de gestion de la DMAé et assigne le contrat d’objectifs et de performance, c’est-à-dire la « feuille de route » annuelle de la DMAé.

L’organisation du MCO aÉronautique

Les rÔles respectifs des acteurs du MCO aÉronautique

Le MCO aéronautique mobilise de nombreux acteurs, dont l’articulation est parfois source de complexité. Trois niveaux de responsabilité peuvent être distinguées.

● La maîtrise d’ouvrage est assurée par les chefs d’état-major des trois armées, qui expriment les besoins et allouent les ressources financières et humaines dédiées au MCO, sous la supervision et dans le respect des arbitrages du chef d’état-major des armées. Pour l’armée de l’air et de l’espace, le budget dédié au MCO est géré par le major général en sa qualité de responsable du budget opérationnel de programme (RBPO) Air.

● La maîtrise d’ouvrage déléguée est assurée depuis 2018 par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), qui est garante de la performance globale du MCO aéronautique. La DMAé conclut avec le chef d’état-major des armées un contrat annuel d’objectifs et de performance, qui décline opérationnellement les besoins exprimés par les chefs d’état-major, en adéquation avec les ressources et les moyens alloués. C’est la DMAé qui négocie et contracte avec les industriels maîtres d’œuvres.

● La maîtrise d’œuvre, c’est-à-dire la conduite et l’exécution des opérations de maintenance, est quant à elle assurée :

pour le niveau de soutien industriel (NSI), par les industriels privés (Dassault, Safran, Thales, Airbus…) et/ou étatique (service industriel de l’aéronautique « SIAé ») ;

pour le niveau de soutien opérationnel (NSO), par les forces armées elles-mêmes. Pour l’armée de l’air et de l’espace, il s’agit soit des services techniques des unités aériennes (escadrons de chasse, de transport, etc.) quand elles en disposent, soit les escadrons de soutien technique aéronautique (ESTA) qui regroupent les capacités de maintenance au profit de plusieurs unités aériennes.

Comme l’ont indiqué nombre de personnes auditionnées au rapporteur, il est fondamental de comprendre que c’est la conjonction des performances respective du NSI et du NSO qui fait la performance globale du MCO aéronautique.

● Enfin, la DGA assure quant à elle le soutien initial des flottes, phase d’environ deux ans durant laquelle est testée et fiabilisée la politique de maintenance de l’aéronef.

Le rattachement de la DMAé au chef d’état-major des armées, en lieu et place du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, était un signal politique envoyé à l’ensemble des acteurs aux fins de démontrer que le dossier était suivi au plus haut niveau. En outre, un tel rattachement était cohérent avec le caractère interarmées du parc d’aéronefs. Cependant, dès lors que la DMAé met en œuvre le budget conséquent de l’armée de l’air et de l’espace dédié au MCO, une concertation active doit être nécessairement mise en place entre ces deux acteurs. À ce titre, la DMAé pourrait davantage associer l’armée de l’air et de l’espace dans le cadre de la phase de négociation des contrats de maintenance.

La complexité croissante du pilotage des marchés de la maintenance aéronautique dont a la charge la DMAé requiert en outre le développement de compétences spécifiques en matière d’ingénierie financière et contractuelle. En l’espèce, cette nécessaire montée en compétences s’est matérialisée par un transfert significatif de personnels de la DGA vers la DMAé et par l’augmentation au sein de cette dernière du nombre de personnels civils, qui est passé de 20 % en 2018 à 39 % aujourd’hui, avec un objectif de 50 % d’ici 2025. La sophistication des compétences requises est également illustrée par la forte proportion de cadres de niveau A, qui a augmenté de 28 % à 38 % entre 2018 et 2022, l’objectif étant d’atteindre un taux de 43 % en 2025. Ce modèle mixte civil-militaire constitue « l’ADN de la DMAé » selon le nouveau directeur de la DMAé, l’IGA Marc Howyan, qu’il convient de préserver.

2.   Une réforme de la stratégie : la « verticalisation » des contrats

● Le second axe de la réforme du MCO aéronautique est la refondation des relations entre l’État et les industriels, avec la mise en place d’une nouvelle stratégie contractuelle dite « politique de verticalisation ».

Le premier objectif de cette politique est de réduire le nombre de contrats pour une même flotte, afin de minimiser les interfaces génératrices de complexité. La responsabilité du MCO d’une flotte est ainsi confiée à un maître d’œuvre principal, alors qu’auparavant l’État devait gérer de vingt à trente contrats de maintenance pour une même flotte. Cette multiplicité des intervenants a en effet été jugée comme génératrice de délais et de coûts et créatrice d’une dilution de responsabilité entre industriels, dans un contexte où la défaillance d’un seul d’entre eux était susceptible de rendre indisponible l’aéronef concerné.

La politique de verticalisation des contrats

Source : Dominique de Legge, mission d’information sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, juillet 2018, schéma adapté par votre rapporteur

La politique de verticalisation a également pour finalité de responsabiliser les industriels maîtres d’œuvre, non seulement en leur conférant la gestion d’un périmètre élargi, mais également en les engageant sur des objectifs précis (nombre d’appareils en ligne, disponibilité de flotte, fourniture de pièces de rechange dans un certain délai). Leur rémunération est ainsi directement indexée sur l’atteinte de ces objectifs contractuels.

Cette politique a enfin pour objet de conférer davantage de visibilité aux industriels puisque les contrats sont conclus généralement pour une durée de dix ans, alors que les marchés étaient jusqu’alors segmentés en période d’un an. Cette visibilité accrue permet aux industriels d’investir, de planifier l’organisation de leur outil de production et de l’ensemble de la chaîne des sous-traitants, ainsi que d’anticiper les problématiques d’obsolescence plus efficacement.

● Si votre rapporteur approuve la logique qui a présidé au processus de verticalisation des contrats, il souhaiterait toutefois attirer l’attention sur deux points de vigilance. Tout d’abord, la verticalisation signifie que l’État, à travers la DMAé, n’a plus de lien contractuel avec les sous-traitants, composés notamment de TPE et de PME. Ceux-ci négocient donc directement avec les maîtres d’œuvres et le risque est grand que les marges bénéficiaires des maîtres d’œuvres soient faites au détriment de leurs sous-traitants. Il revient à la DMAé de s’assurer que tel n’est pas le cas.

En outre, la durée plus longue des contrats est de nature à entraîner une rigidification importante des coûts et des prestations. La longue durée des contrats réduit aussi mécaniquement le levier qu’offrait la renégociation régulière des contrats auprès des maîtres d’œuvre, puisque ces derniers sont désormais assurés de rester titulaire du marché pour dix ans. Certes, des avenants en cours d’exécution du contrat sont possibles, mais ils sont nécessairement soumis à l’accord de l’industriel maître d’œuvre. Pour réduire cette rigidification inhérente à la verticalisation, il est important que la DMAé s’assure de conserver suffisamment de flexibilité en cas de besoin, en insérant par exemple dans les contrats des clauses de revoyure et de renégociation de bonne foi.

B.   … POUR RELEVER LE DÉFI MAJEUR MAIS COMPLEXE DE LA DISPONIBILITÉ

1.   Des enjeux majeurs…

a.   Un enjeu opérationnel

Le niveau de disponibilité des aéronefs a naturellement une influence directe sur la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à assurer ses contrats opérationnels, c’est-à-dire l’ensemble de ses missions (postures permanentes de sûreté aérienne, dissuasion, gestion de crise, voire engagement majeure) ainsi que l’entraînement de ses aviateurs.

Il est symptomatique à cet égard que le manque de disponibilité des aéronefs soit régulièrement cité dans la documentation budgétaire comme la principale cause de la dégradation des indicateurs de performance, qui mesurent la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à satisfaire les objectifs qui lui sont assignés.

À titre d’exemple, le projet annuel de performance 2023 du programme 178 mentionne les « difficultés en matière de disponibilité de l’aviation de transport tactique » comme un des facteurs d’explication de la baisse de la cible, de 75 à 65 %, au titre de l’indicateur mesurant la « capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » (indicateur 4.1).

Le même document mentionne « les tensions sur la disponibilité des hélicoptères » pour expliquer la baisse d’activité du nombre d’heures de vol par pilote d’hélicoptère prévue en 2023 (indicateur 5.1).

la notion de disponibilitÉ des AÉronefs

 ● Pour déterminer les avions disponibles, il convient de retirer du « parc » les aéronefs confiés au soutien industriel (NSI), et de cette « ligne » il faut soustraire ceux immobilisés dans le cadre du soutien opérationnel (NSO), comme le rappelle le schéma ci-dessous.

Les objectifs de parc, ligne, disponibilité et activité pour chaque flotte sont fixés notamment dans le contrat d’objectifs et de performance conclu entre le chef d’état-major des armées et la DMAé.

Source : commandement des forces aériennes (CFA)

 

● La mesure du niveau de disponibilité s’apprécie à travers deux indicateurs :

- la disponibilité technique (DT) est le nombre d'avions disponibles rapporté au parc total. Cet indicateur permet d’évaluer l’efficacité de la maintenance. Malheureusement, ainsi qu’il sera vu ci-après, cet indicateur n’est pas rendu public par le ministère des Armées (sauf quand les chiffres sont bons).

- la disponibilité technique opérationnelle (DTO) module la disponibilité technique selon les besoins des contrats opérationnels. Il est ainsi défini par le projet annuel de performances : « Cet indicateur répond à la nécessité de mettre en cohérence le contrat opérationnel et la disponibilité des parcs nécessaire à la satisfaction de ces besoins. L’indicateur mesure le ratio du niveau de matériels effectivement disponibles rapporté au besoin généré par les contrats opérationnels les plus dimensionnants et au besoin organique (formation, entraînement, plastron, essais…). Le matériel qui répond aux exigences de sa finalité principale est considéré comme disponible ». Pour reprendre les termes de la Cour des comptes, cet indicateur « permet entre autres d’estimer la marge dont les armées disposent pour s’entraîner ».

 

 

b.   Un enjeu financier

Au regard de l’importance de l’enjeu opérationnel soulevé par la problématique de la disponibilité des aéronefs, il est cohérent que les moyens financiers mis en œuvre au soutien du MCO des flottes soient également significatifs.

Dans le cadre du projet de loi de finances 2023, le budget au titre de l’entretien programmé des matériels des flottes de l’armée de l’air et de l’espace représente plus de 1,85 milliard d’euros en autorisations de paiement et de 1,75 milliard d’euros de crédits de paiement, sur un total de trois milliards d’euros de crédits de paiement pour l’ensemble du MCO aéronautique. Pour le seul budget d’entretien des Rafale Air, ce sont près de 435 millions d’euros de crédits de paiement qui sont prévus en 2023.

Il convient au surplus de préciser que ces montants ne prennent pas en compte les rémunérations et charges des aviateurs affectés au MCO, de sorte que le coût réel du MCO des aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace est bien plus important que celui indiqué au titre du programme 178 de la mission « Défense ».

L’effort financier réalisé à ce titre est donc majeur, sous l’effet notamment de la politique de verticalisation des contrats menée par la DMAé. Entre 2018 et 2021, date du pic de la politique de contractualisation de la DMAé, le montant des autorisations d’engagement au titre de l’entretien programmé des matériels des flottes de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi augmenté de 285 %, en passant de 1,87 milliard d’euros à 7,22 milliards d’euros. Les crédits de paiement ont augmenté quant à eux de plus de 30 % entre 2017 et 2023.

Évolution du budget de l’entretien programmÉ des flottes de l’AAE

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

AE
(€)

 

1 873 408 696

 

3 081 108 895

 

3 804 671 694

 

7 224 971 954

 

2 677 070 106

 

1 851 488 245

CP
(€)

 

1 348 017 297

 

1 495 562 565

 

1 425 889 455

 

1 462 688 751

 

1 587 177 549

 

1 755 131 256

Source : établi par le rapporteur, à partir des données budgétaires

2.   … mais d’une complexité redoutable

a.   La complexité liée à l’articulation entre l’industrie et les forces armées

Il a été indiqué ci-dessus, que la maîtrise d’œuvre, c’est-à-dire la conduite et l’exécution des opérations de maintenance, est assurée, d’une part par les industriels, privés et étatiques, pour le niveau de soutien industriel (NSI), et, d’autre part, par les forces armées elles-mêmes, s’agissant du niveau de soutien opérationnel (NSO).

Il convient également de relever que la frontière entre NSO et NSI est mouvante, en ce qu’elle dépend notamment du niveau technique des opérations : si les industriels privés ou étatiques s’occupent des opérations de maintenance les plus structurantes de régénération du matériel (dites NTI3) et si les forces traitent des opérations les plus courantes (dites NTI1), les opérations de niveau intermédiaire (NTI2) sont quant à elles assurées par les forces ou les industriels en fonction des besoins opérationnels et des flottes.

À titre d’exemple, la maintenance des cinq hélicoptères Fennec dédiés aux activités de formation à Orange est totalement externalisée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de NSO. En revanche, s’agissant des 35 autres hélicoptères de la flotte Fennec, les forces continuent de gérer les maintenances de niveau NTI2.

La rÉpartition de la maintenance entre industriels et forces

 

Niveau de soutien

Niveau d’intervention technique

 

 

Qui ?

 

Exemples de types d’interventions

 

 

NSO

 (soutien opérationnel)

 

 

NTI1

 

 

Forces

 

Mise en œuvre et maintenance en ligne :

- visites journalières avant et après vol ;
- remplacement des Unités remplaçables en ligne (URL).

 

 

 

 

NTI2

 

 

Forces

ou

SIAé

ou

industrie privée

 

Maintenance en ligne ou hors ligne (en atelier) :

- visites périodiques d’aéronefs (courte durée) ;
- visites périodiques d’entretien des organes, accessoires, équipements (OAE) ;
- remplacement des unités réparables en atelier (URA) ;
- application d’évolutions techniques sur site ;
- modulages/démodulages de moteurs.

 

 

 

 

 

 

 

NSI

 (soutien industriel)

 

 

 

 

NTI3

 

 

 

SIAé

et/ou industrie privée

 

Maintenance nécessitant des moyens industriels :

- grandes visites ou réparations d’aéronefs (longue durée)
- réparation ou régénération des moteurs ;
- entretien individuel des OAE (type révisions générales)
- application d’évolutions techniques (chantier capacitaire ou rétrofit d’équipements)

 

Source : commandement des forces aériennes (CFA)

La question de la fixation de cette frontière NSI/NSO, et donc de la répartition des tâches entre les industriels et les forces, est naturellement un enjeu déterminant : les industriels privés souhaitent étendre leur périmètre d’intervention à l’ensemble des opérations de NTI2, ne serait-ce que parce qu’ils y ont un intérêt financier, tandis que les forces craignent de ne plus maîtriser des opérations de maintenance qui s’avéreraient nécessaires en opérations extérieures.

b.   La complexité liée aux flottes elles-mêmes

● L’hétérogénéité du parc constitue une source importante de complexité. La seule armée de l’air et de l’espace compte actuellement plus de 70 flottes différentes. Son segment de l’aviation de transport compte près de 15 types d’aéronefs. Les règles de maintenance sont naturellement spécifiques à chacune de ces flottes et peuvent varier significativement en fonction du type d’appareils.

À titre d’exemple, l’avion de transport C-130H fait l’objet d’une visite d’entretien systématique, tandis que la maintenance du Rafale est basée sur l’échange continu standard d’équipements en fonction des besoins ([12]).

● La seconde source de complexité est constituée par l’existence de flottes d’ancienne génération (C-130, C-135). Ces dernières entrainent des difficultés spécifiques liées non seulement à l’usure des aéronefs, mais également au manque de pièces de rechange disponibles sur le marché ou encore à l’inadaptation des règles de navigabilité, qui sont postérieures de plusieurs décennies à la mise en service de certains aéronefs.

Le coût de la maintenance pour les anciennes flottes peut ainsi s’avérer prohibitif, comme l’a rappelé l’exemple du C-160 Transall Gabriel mentionné par le général Parisot : « Je suis le responsable de l’arrêt des Transall Gabriel et je l’assume : dix Transall nous coûtaient plus de 80 millions d’euros par an, pour une disponibilité de 20 %. Plutôt que de faire des coupes ailleurs, j’ai choisi de les retirer du service » ([13]). Le renouvellement des flottes constitue par conséquent un véritable enjeu pour la performance du MCO.

● Un dernier facteur de complexité est naturellement constitué par les conditions d’emploi des aéronefs en opérations extérieures, dans des environnements très contraignants et exigeants pour les appareils.

Le témoignage du général Michel Grintchenko, ancien commandant de l’Aviation légère de l’Armée de terre (Alat) de 2016 à 2019, est particulièrement éclairant à ce sujet : « Les 20 appareils du GTD-A [groupement tactique désert aérocombat de Barkhane] évoluent dans des conditions d’une extrême agressivité : températures hors normes, supérieures à 50 °C de façon continue ; sable très abrasif détruisant turbines, pales et cellules ; vents d’une violence inimaginable, capables de retourner un hélicoptère de plusieurs tonnes et d’infiltrer la poussière dans les moindres recoins ; souffles de rotors projetant sur les cellules des gravillons constituant autant d’impacts. Les appareils souffrent considérablement. Les maintenanciers également, travaillant sur les machines par plus de 50 °C dans des hangars dont la climatisation à bout de souffle n’a pas tenu longtemps» ([14]).

c.   La complexité liée à la planification des besoins opérationnels

L’objectif du MCO est que l’armée de l’air et de l’espace dispose de suffisamment d’avions disponibles pour réaliser l’ensemble de ses besoins opérationnels. Les acteurs du MCO doivent donc traduire un besoin opérationnel en objectifs d’activité et de disponibilité. Cela nécessite concrètement un travail de planification particulièrement complexe pour anticiper les centaines de milliers d’opérations de maintenance par an et par unité. Il s’agit de prendre en compte l’activité opérationnelle planifiée, celle-ci étant au surplus en partie imprévisible en raison de la nature même des missions de l’armée de l’air et de l’espace, ainsi que les indisponibilités prévues au titre du soutien industriel et opérationnel.

Le graphique ci-joint transmis par le commandement des forces aériennes de la base (CFA) illustre ces contraintes de planification pour les Rafale B et C de la base de Mont-de-Marsan aux fins de faire coïncider le besoin opérationnel, d’une part, et les besoins de maintenance, d’autre part.

Planification de la maintenance des rafale de la base de mont de marsan

Source : commandement des forces aériennes (CFA)

II.   LA POLITIQUE DE VERTICALISATION DES CONTRATS EN PRATIQUE

A.   UNE POLITIQUE DE CONTRACTUALISATION INTENSE

Depuis 2019, la DMAé s’est engagée dans une activité de contractualisation intense, comme l’illustre la liste ci-dessous.

liste des principaux contrats verticalisÉs conclus depuis 2019

Les principaux contrats verticalisés relatifs aux aéronefs de l’armée de l’Air et de l’Espace conclus par la DMAé sont :

- le soutien du Rafale (hors moteurs), assuré depuis mai 2019 par le marché RAVEL (Rafale Verticalisé) notifié à Dassault Aviation ;

- le soutien des Caracal Air, assuré depuis décembre 2019 par le contrat CHELEM qui couvre également les Caracal et Cougar de l’armée de Terre (dont une partie intégralement externalisée). Ce contrat a été notifié à Airbus Helicopters et son cotraitant Héli-Union ;

- le soutien des K/C 135 assuré depuis 2020, et jusqu’au retrait de service de la flotte, par le contrat PLATON notifié à Sabena Technics ;

- le soutien des pods de désignation laser (Damoclès et Talios) et des pods de reconnaissance (RECO NG), assuré depuis 2020 par le contrat Diderot notifié à Thales LAS ;

- le Fennec Air, qui fait l’objet du contrat SAHARA notifié en septembre 2021 à Sabena. Il inclut cinq hélicoptères, dont le soutien est intégralement externalisé, à l’aune du retour d’expérience des cinq Cougar Terre externalisés (CHELEM) ;

- le soutien du Mirage 2000, assuré par le marché BALZAC, notifié en décembre 2021, à D’assaut Aviation. Ce marché s’étend jusqu’au retrait de service des Mirage 2000 ;

- le soutien de l’A400M, qui fait l’objet du contrat Global Service Support Step 2 (GSS2) notifié en 2019 à Airbus (pour l’aéronef équipé de ses moteurs) et à EPI2 (pour le moteur seul). Le contrat GSS3, successeur du GSS2, est en cours de négociation par l’OCCAr3 ;

- le soutien du SCCOA4, assuré par le marché VASSCO5 notifié en décembre 2021 à Thalès LAS. Particularité du contrat, le SIAé6 est sous-traitant de Thalès LAS sur son périmètre de compétences (radars d’ancienne génération, radio sol-air, systèmes de radionavigation…) ;

- le soutien des moteurs d’hélicoptères de l’armée de l’Air et de l’Espace, assuré depuis avril 2022 par le contrat SATURNE, notifié à Safran Helicopter Engines. Ce marché couvre également le soutien des moteurs des hélicoptères des autres armées (hors Tigre et NH90), de la Direction générale de l’armement (DGA), de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et des Douanes ;

- le soutien du CASA 235, assuré par le marché CONCAVE, notifié en mai 2022, à Sabena Technics ;

- le soutien du C-130H, assuré en régie par le SIAé depuis 2018.

Source : réponse questionnaire budgétaire du rapporteur

Les contrats en cours de renouvellement ou de verticalisation par la DMAé concernent notamment les hélicoptères Puma, les Alphajet ou encore les systèmes de défense sol-air.

Il convient par ailleurs de préciser deux éléments sur la nature de ces contrats. En premier lieu, il n’existe pas de contrat verticalisé type, qui serait dupliqué à l’ensemble des flottes. Chaque contrat verticalisé est en effet unique car le périmètre des prestations confiées à l’industriel diffère d’un contrat à l’autre. Ce périmètre d’externalisation est ainsi déterminé par la DMAé dans le cadre d’un dialogue avec les forces, en fonction des besoins opérationnels de celles-ci et naturellement des contraintes financières. Par ailleurs, les industriels eux-mêmes, dès lors qu’ils prennent un certain nombre d’engagements, adaptent le périmètre des prestations qu’ils proposent en fonction de la situation existante à la date du contrat. En second lieu, une flotte est rarement couverte par un seul contrat verticalisé. À titre d’exemple, le soutien du Rafale est structuré autour des contrats Ravel (Dassault), Boléro (Safran) pour une partie du moteur et Opéra (SIAé) pour l’autre partie du moteur ainsi que les sièges.

l’exemple du contrat ravel pour le rafale

Concept de maintenance :

Contrairement aux avions d’ancienne génération, la maintenance intégrée et l’accessibilité améliorée sur RAFALE ne nécessitent plus les lourdes déposes connexes qui obligeaient à concentrer la maintenance préventive sur des visites périodiques bloquées. Le concept de maintenance du RAFALE est dit « selon état ». Ainsi, le plan d’entretien du constructeur ne comporte plus de visite ; il est constitué d’opérations de maintenance pouvant être réalisées au quotidien, en dehors des vols. En l’absence de constatation d’anomalie lors de ces opérations, l’aéronef reste apte au vol.

Par ailleurs, afin d'évaluer et d'ajuster le potentiel des équipements, des études de vieillissement (EV) sont effectuées sur 10 % des aéronefs de la flotte (contrepartie du concept de maintenance). Des périodes d’immobilisation sont toutefois nécessaires pour effectuer des traitements anticorrosion ou des chantiers de rétrofit lors du déploiement d’évolutions capacitaires. Ainsi le standard F3R, qualifié le 31 octobre 2018, a été déployé via des chantiers de modification réalisés de fin 2018 à mi-2022. Le futur standard F4 (…) se fera de manière étalée entre mi-2022 et 2031 via des chantiers de rétrofit.

Organisation du soutien

1. Stratégie globale du soutien

- Le soutien du RAFALE (hors moteurs) a été rationalisé et est assuré depuis le 1er mai 2019 par le marché RAVEL (« RAfale VErticaLisé ») notifié à Dassault Aviation ;

- concernant la partie moteur M88, le soutien est basé sur deux vecteurs contractuels, DMAé/SIAé (contrat interne SIAé) et DMAé/Safran Aircraft Engines (BOLERO), qui sont construits simultanément et rattachés l’un à l’autre par une instance de pilotage commune ;

- enfin, il existe un contrat interne pour couvrir l’ensemble des activités de soutien confiées au SIAé (siège éjectable, chantiers avion).

2. Création de pôles de conduite du soutien

- Un pôle de conduite du soutien (PCS) RAFALE a été créé en 2020. Il repose sur une mise en réseau de l’ensemble des acteurs étatiques et industriels afin de réduire les interfaces et accélérer la conduite du soutien pour l’adapter au rythme de l’activité aérienne et des besoins opérationnels. Chaque acteur conservant néanmoins ses prérogatives, cette organisation dédiée permet de raccourcir les interfaces, de fluidifier les échanges, avec pour objectif d’optimiser le MCO ;

- au-delà des actions technico-logistiques visant à réduire les attentes de pièces et de décisions à court terme, le PCS mène et pilote différentes actions à moyen et long termes : élaboration et suivi des objectifs de performance, anticipation et pilotage des crises logistiques, optimisation des plannings des chantiers capacitaires, déclinaison des plans de production avion en plan de production équipements.

Ressources humaines

Au sein de la DMAé, un effectif de 58 personnes est dévolu au soutien de la flotte RAFALE. Au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), en 2022, le soutien opérationnel (SO) de la flotte RAFALE est assuré par environ 1 600 personnes. Les unités de maintenance de première ligne sont ses escadrons de soutien technique aéronautique (ESTA, dont les capacités de maintenance sont mutualisées au profit de plusieurs escadrons), ainsi que ses escadrons quand ils disposent de leurs propres services techniques (en fonction de leur mission).

Source : réponse questionnaire budgétaire du rapporteur

B.   DES CHANGEMENTS PROFONDS SUR LE TERRAIN

1.   Une collaboration plus étroite entre industriels et aviateurs

Dans le cadre des contrats verticalisés, l’industriel est responsable de la gestion et de l’approvisionnement des pièces de rechange au titre des contrats verticalisés. Des « guichets logistiques » ont par conséquent été mis en place sur les bases aériennes.

La politique de verticalisation s’est également traduite pour certaines flottes stratégiques par la mise en place de « pôles de conduite du soutien » qui réunissent les forces, la DMAé et les industriels.

L’objectif de tels pôles est de fluidifier les échanges entre les acteurs et de permettre une plus grande réactivité dans les prises de décisions, ainsi que l’a souligné l’ancienne directrice de la DMAé : « La mise en place d’un plateau entre l’industriel Dassault et le personnel de la DMAé à Bordeaux permet des gains de temps en fluidifiant les échanges. Il n’a fallu qu’un très court délai pour valider l’impression 3D d’une pièce de dépannage d’un Rafale embarqué sur le porte-avions, victime d’une avarie sur un levier de commande de vidange carburant » ([15]). Un autre exemple de cette collaboration est la création en juillet 2022 de l’instance mixte SIAé/ Safran Aircraft Engines/DMAé pour piloter le MCO du moteur du Rafale, le M88. Ce pôle est situé au sein de l’atelier industriel aéronautique de Bordeaux (AIA), où s’est déplacé le rapporteur.

Ces structures montent progressivement en puissance, comme l’ont souligné les représentants de la DMAé au rapporteur : « Au-delà des actions technico-logistiques visant à réduire les attentes de pièces et de décisions à court terme, le PCS [pôle de conduite et de soutien] mène et pilote différentes actions à moyen et long terme : élaboration et suivi des objectifs de performance, anticipation et pilotage des crises logistiques, optimisation des plannings des chantiers capacitaires, déclinaison des plans de production avion en plan de production équipements. Ces structures apportent une forte plus-value pour lesquelles elles ont été mises en place, même si certaines ont été mises en place début 2022 et sont encore en phase de montée en puissance. D’un traitement initial des difficultés techniques et logistiques les plus urgentes, elles se transforment peu à peu vers un outil permettant d’accroître la visibilité des différents acteurs par une amélioration de la planification, ce qui devrait permettre de poursuivre la croissance de leur valeur ajoutée ».

Cette collaboration au niveau stratégique est dupliquée au niveau opérationnel sur les bases. La base de Mont-de-Marsan, sur laquelle s’est rendu votre rapporteur, accueille ainsi des conseillers techniques, logistiques et disponibilité (dont le rôle est d’analyser les causes d’indisponibilité) de Dassault, ainsi que des personnels du SIAé pour réaliser la maintenance intramodulaire du moteur M88 du Rafale. Pour l’A400M, une équipe de mécaniciens d’Airbus est également présente auprès de l’ESTA en charge de la maintenance de l’aéronef sur la base d’Orléans.

2.   Une adaptation de l’organisation du soutien au sein de l’armée de l’air et de l’espace

L’armée de l’air et de l’espace a lancé en 2018 un plan dit de soutien opérationnel (SO) 4.0 en vue d’adapter de tirer les conséquences de la verticalisation des contrats sur son organisation et d’optimiser le soutien opérationnel des flottes par les forces.

● Le premier axe de ce plan est d’adapter l’organisation des unités à la nouvelle donne née de l’externalisation d’une partie du soutien, notamment logistique. En effet, l’approvisionnement, la gestion des stocks et la distribution des pièces de rechange sont dorénavant de la responsabilité des industriels, ce qui réduit la charge de travail pour les logisticiens de l’armée de l’air et de l’espace, bien que ces derniers doivent toujours assurer les prestations logistiques non prises en charge par l’industriel, ainsi que naturellement les prestations en OPEX. Le périmètre des prestations logistiques assurées par l’industriel varie en effet selon les contrats.

La réforme prévoit par conséquent d’insérer les logisticiens des escadrons de soutien et de ravitaillement technique aéronautique (ERSTA) au sein des unités de maintenance, principalement au sein des escadrons techniques de soutien aéronautiques (ESTA). Les logisticiens s’occuperont au sein des ESTA notamment de la planification et la gestion des commandes de pièces, tâches qui étaient effectuées jusqu’alors par les mécaniciens eux-mêmes. Cette réallocation aura donc également pour effet bénéfique de libérer ces mécaniciens et de les recentrer sur leur cœur de métier, la maintenance.

● Le second axe vise à introduire davantage de souplesse et d’agilité dans les chantiers de maintenance. Il a par exemple été indiqué au rapporteur que grâce à des adaptations de l’organisation du travail, le soutien opérationnel de l’armée de l’air et de l’espace a réalisé « une réduction de 10 % de la durée des chantiers sur A400M, une division par deux du temps de dépose/repose du moteur de l’A400M, une réduction de 10 % de la durée des visites intermédiaires 100h Caracal, ainsi qu’une réduction de 6 % de la démodulation-remodulation du moteur M53-P2 du Mirage 2000 » ([16]).

Cet axe repose également sur la modernisation de l’environnement de travail du mécanicien, notamment par l’introduction de méthodes innovantes au sein des unités de maintenance, telles que la mise à disposition au sein des unités d’imprimantes 3D dans le cadre du projet FABASE.

 

De même, le développement de simulateurs de formation à la maintenance (virtual maintenance trainer) est prometteur. Ces simulateurs permettent de visualiser un aéronef tel que le Rafale en 3D, ainsi que votre rapporteur en a été le témoin lors de son déplacement à l’usine Mérignac de Dassault Aviation. L’installation prochaine de ces outils au sein des ESTA de Mont-de-Marsan et de Saint-Dizier permettra assurément d’accélérer les formations des apprentis mécaniciens, tout en délestant le personnel en place d’une partie des tâches de formation qui sont particulièrement lourdes et chronophages.

C.   DES RÉSULTATS ENCORE INCERTAINS À CE STADE EN RAISON DE L’OPACITÉ DES STATISTIQUES SUR LA DISPONIBILITÉ

Votre rapporteur est malheureusement mis dans l’incapacité de déterminer si la politique mise en place depuis 2018 est efficace. Pour une raison simple : votre rapporteur ne dispose pas des chiffres permettant de connaître le nombre d’aéronefs disponibles sur le parc total, c’est-à-dire les statistiques sur la disponibilité technique (DT), au motif que celles-ci seraient classifiées. Or, cet indicateur est le seul permettant de mesurer l’efficacité réelle de la politique de MCO.

L’unique indicateur fourni par le ministère des Armées est celui de la disponibilité technique opérationnelle (DTO), qui module la DT en fonction des besoins opérationnels. Or, cet indicateur permet d’estimer par exemple la marge dont disposent les armées pour s’entraîner, mais non l’efficacité du MCO. Au surplus, seuls des agrégats sont fournis par le ministère, de sorte qu’il n’est même pas possible à votre rapporteur de connaître la DTO actuelle du Rafale ou de l’A400M à titre d’exemple.

Une telle opacité, organisée par le ministère des Armées, est particulièrement préjudiciable en ce qu’elle empêche votre rapporteur d’exercer ses attributions constitutionnelles, à savoir le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, en l’occurrence la politique relative au MCO aéronautique qui coûte plus de 2 milliards d’euros par an aux contribuables. Cette opacité est d’autant plus incompréhensible que les statistiques sur la DT étaient publiques il y a encore quelques années de cela et que certaines données – à savoir celles que le Gouvernement considère comme positives – sont diffusées par le ministère des Armées lui-même, ainsi que l’atteste la conférence de presse de l’ancienne directrice de la DMAé en mars 2022([17]).

Concernant les aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace, la directrice de la DMAé avait notamment à cette occasion mis en exergue les chiffres suivants :

        Rafale Air : de 54 % en 2018 à 55 % en 2021 ;

        A 400M : de 28 % en 2018 à 36 % en 2021 ;

        C130H : de 19 % en 2019 à 21 % en 2021.

        pods : de 47 % en 2020 à 57 % en 2021

En tout état de cause, si l’on s’en tient à l’indicateur de la DTO, force est de constater que les taux de disponibilité depuis 2019 ne connaissent pas une augmentation significative et baissent même pour plusieurs agrégats (chasse et avions d’appui).

ÉVOLUTION DE LA DTO des flottes de l’AAE

Source : réponse questionnaire budgétaire du rapporteur et projet annuel de performance

 

III.   LES RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

A.   POURSUIVRE LE RAPPROCHEMENT ARMÉES / INDUSTRIE

Outre les pôles de conduite du soutien précités mis en place sous le pilotage de la DMAé, l’armée de l’air et de l’espace met progressivement en place des partenariats avec le SIAé, notamment pour le MCO de l’A400M sur la base d’Orléans et celui du moteur M53 du Mirage 2000 sur les bases de Nancy et Luxeuil, afin d’optimiser la continuité entre maintenance industrielle et opérationnelle sur les bases aériennes et de faire bénéficier les forces d’une expertise technique sur le terrain. Les bases de Luxeuil et Nancy accueilleront ainsi près de 140 personnes du SIAé d’ici la fin de l’année.

Cette démarche s’inspire, sans le dupliquer toutefois en raison des spécificités de l’armée de l’air et de l’espace, de l’adossement de la marine au SIAé sur les bases de Landivisiau, Lann-Bihoué, Lanvéoc-Poulmic et Hyères. Ce modèle, qui a été cité en exemple par un grand nombre de personnes auditionnées, repose sur la réalisation sur les bases des activités de maintenance industrielle et opérationnelle par du personnel civil et militaire affecté au SIAé.

La co-localisation de la maintenance industrielle et opérationnelle sur la base d’Istres pour le MCO des MRTT A330 Phénix serait à cet égard particulièrement opportune, alors que la stratégie de soutien en service du MRTT est actuellement en cours de négociation. Une même approche d’adossement pourrait être prévu pour le MCO des flottes Archange et des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR). Cet adossement sera d’autant plus efficace si les flottes sont concentrées sur des bases spécialisées, tout en préservant naturellement la capacité de se diluer pour garantir la résilience des forces en cas de crise.

L’ADOSSEMENT DE LA MARINE AU SIAé

« (…) En 2011, toute l’activité de maintenance de 2e niveau (NTI2) sur les aéronefs de la Marine (SEM désormais retiré du service, Alouette III, ATL2, Rafale, Hawkeye, et plus récemment NH90, etc.), leurs moteurs et leurs équipements jusqu’alors assurée par les Forces a été transférée vers le SIAé. Les personnels de la Marine ont rejoint le SIAé, qui assure aussi une mission de maintien et d’acquisition de compétences de marins qui y viennent le temps d’une affectation. Aujourd’hui, 10 ans après, le bilan est satisfaisant. Les prestations répondent au besoin de la Marine avec 25 visites NTI2 par an, 150 interventions par mois au profit des flottilles avec lesquelles l’AIA est colocalisé sur les bases aéronavales, et une dizaine d’interventions par an sur les théâtres extérieurs. À cela s’ajoute la mise à disposition d’un important renfort de techniciens marins à bord du porte-avions chaque fois qu’il part en mission

Source : Ministère des Armées, communiqué de presse du 5 avril 2022

 

 

 

B.   PROMOUVOIR DE NOUVELLES PRATIQUES CHEZ LES INDUSTRIELS

Les industriels doivent tout d’abord faire évoluer leurs plans d’entretien, en tenant compte des retours d’expérience. Dans le secteur civil, la prise en compte des conditions réelles d’exploitation des aéronefs entraîne souvent de fait une réduction de la cadence des plans de maintenance. Une telle approche est malheureusement moins fréquente dans le domaine du MCO aéronautique militaire selon plusieurs personnes.

Il est également nécessaire que les industriels mettent à jour et enrichissent de manière permanente leurs manuels de réparation pour réduire les délais et les coûts liés à la définition puis à l’application de solutions de réparation spécifiques dans le cadre des visites d’entretien.

Les cycles de fabrication et de livraison des pièces de rechange sont particulièrement longs. Ainsi qu’il a été indiqué au rapporteur dans le cadre de sa visite à l’AIA de Bordeaux, deux à trois ans peuvent s’écouler entre la commande et la livraison d’une pièce complexe de moteur. Au surplus, les industriels ont des difficultés à donner de la visibilité aux maintenanciers dans le calendrier de livraison des pièces. À titre d’exemple, selon les informations du rapporteur, environ 30 % des commandes de pièces sur A400M n’ont pas de date de réception, ce qui obère significativement la capacité de planification des chantiers de maintenance.

À cet égard, il serait opportun que les forces et le cas échéant le SIAé aient accès systématiquement aux données de définition et de certification (documentation dite « liasse ») ainsi qu’à la maquette numérique de l’aéronef. Cela permettrait notamment au SIAé de développer des solutions autonomes de réparation ou de modifications, lorsque la chaîne d’approvisionnement du maître d’œuvre industriel privé est défaillante.

Certains industriels, notamment étrangers, font également des marges indécentes sur certaines pièces de rechange, en profitant du fait qu’ils ont le monopole pour livrer celles-ci en vertu du contrat de maintenance. À l’AIA de Bordeaux, des mécaniciens ont ainsi indiqué au rapporteur qu’une pièce élémentaire pour la fabrication de moteurs est vendue par un consortium international plus de 640 euros pièces, alors que le même modèle existe sur le marché pour quelques dizaines d’euros. Il appartient à la DMAé de veiller à ce que le coût des pièces livrées reste raisonnable.

Enfin, les industriels doivent être davantage proactifs dans le traitement des obsolescences. Cette problématique concerne l’ensemble des flottes, et pas seulement les flottes les plus anciennes, et est également prégnante pour les équipements, notamment électroniques. Cette gestion des obsolescences doit être mise en œuvre dès la mise en service. Il revient à l’industriel de s’assurer que sa chaîne de fournisseurs a la capacité de fournir ou de réparer les pièces et équipements, ou proposer des solutions en cas d’obsolescence (achat de stock de précaution, redéfinition de la pièce…).

C.   CONSOLIDER LE SIAÉ, ACTEUR DE LA RÉSILIENCE DU MCO ÉTATIQUE

Le SIAé est le maître d’œuvre industriel étatique. Il est actuellement titulaire d’environ 20 % (en valeur) des contrats verticalisés conclus par la DMAé. En dehors du C-130H, dont il assure la totalité du soutien, le SIAé intervient aux côtés de l’industriel privé, selon un partage mouvant en fonction des flottes : le SIAé peut être désigné responsable de la performance globale (cas du soutien du moteur M88 du Rafale), être responsable d’un périmètre d’intervention déterminé ou même être placé en situation de sous-traitant (cas du soutien du SCCOA).

Le SIAé constitue un facteur essentiel de résilience du MCO aéronautique, en ce qu’il assure le maintien d’une capacité de conception et d’expertise étatique autonome. Il assure une autonomie de l’Etat lorsque les industriels se désintéressent de certaines flottes ou équipements en fin de vie, dont la maintenance n’est plus suffisamment rentable pour eux, tels que certains radars de surveillance, vieux de 50 ans mais qui participent encore à la posture permanente de sûreté aérienne. Cette contribution du SIAé à la résilience du MCO s’illustre également en cas de crise. Ainsi, le SIAé a développé en urgence les solutions de kits sanitaires pour les A400M lors de la crise sanitaire liée au Covid.

Face à des industriels privés qui se retrouvent souvent en situation de monopole, le SIAé joue également un rôle très utile de « référentiel de coûts », en tant qu’assistant à la maîtrise d’ouvrage au profit de la DMAé et de la DGA.

Son statut étatique et la présence en son sein de 800 militaires (sur un effectif total de 4777 personnes) lui permet en outre d’assurer la continuité entre les activités de soutien industriel et de soutien opérationnel.

Un grand nombre d’acteurs rencontrés par votre rapporteur ont par ailleurs loué les capacités de conception du SIAé, grâce à un bureau d’études particulièrement compétent. Ces capacités de conception sont notamment mobilisées dans le cadre de la « francisation » d’aéronefs acquis à l’étranger, du développement de sous-système ou encore de solution de réparation ou de modification. Comme indiqué, il convient de conforter la capacité du SIAé de développer de telles solutions autonomes de réparation ou de modification, notamment en cas de défaillances de la chaîne d’approvisionnement des industriels privés.

Il faut enfin préserver le plan de charge du SIAé pour la période postérieure à 2030. Le SIAé doit pouvoir notamment se positionner sur des programmes de maintenance lui permettant de réaliser des prestations à forte valeur ajoutée et nécessitant, entre autres, des compétences d’ingénierie et de bureau d’études. Il paraît enfin nécessaire d’associer le SIAé dès le début de la vie des aéronefs.

 

 

L’AIA DE BORDEAUX

« L’AIA réalise l’entretien des moteurs aéronautiques militaires suivants :

• Turboréacteurs du Rafale (M88), du Mirage 2000 (M53) et de l’Alphajet (Larzac) ;

• Turbopropulseurs du C130 Hercules et du Hawkeye (T56) et de l’A400M (TP400) ;

• Turbomoteurs de l’hélicoptère Tigre (MTR390).

Sur ces moteurs, à l’exception du TP400, l’AIA réalise l’ensemble de la maintenance lourde (NTI3) ainsi que tout ou partie de la maintenance intermédiaire (NTI2). Au-delà de l’activité de maintenance, l’AIA fournit aussi des prestations logistique et des prestations de réparation de pièces voire de production de pièces neuves.

Le client principal est la DMAé, mais l’AIA fournit aussi des prestations à la DGA, à des industriels privés (Safran, ITP, MTU) et à l’État Belge.

L’AIA comprend plus de 1000 personnels, essentiellement civils. Principalement implanté à Floirac, à la limite de Bordeaux, l’AIA de Bordeaux dispose aussi d’un site à Cestas, au sud-ouest de Bordeaux, dédié aux essais de moteurs bruyants ».

Source : SIAé

D.   RELEVER LE DÉFI DES RESSOURCES HUMAINES

Les effectifs de l’armée de l’air et de l’espace dédiés au NSO représentent environ 6300 aviateurs en 2022. Ces effectifs ont été réduits de 40 % entre 2005 et 2019, en raison notamment de la politique générale de déflation des effectifs et de réduction des flottes. Si des actions de remontée en puissance ont été engagées, un déficit d’une centaine de postes dédiés au NSO est attendu en 2025.

L’armée de l’air et de l’espace, comme le SIAé, souffre en outre de la concurrence du secteur industriel privé. Votre rapporteur estime qu’il serait logique que les entreprises qui débauchent des mécaniciens formés par l’armée de l’air et de l’espace aient pour contrepartie une obligation juridique de libérer ces derniers lorsqu’ils sont réservistes. La société Safran a ainsi mis en place un dispositif incitatif en faveur de ses salariés réservistes. Il serait particulièrement opportun de généraliser un tel modèle à l’ensemble des entreprises de défense.

La formation est également un aspect crucial. Il convient de développer encore davantage les interactions avec les centres de formation du secteur civil (type Aérocampus Aquitaine) et de revoir la formation initiale, que ce soit aux écoles de Saintes et de Rochefort, et même de Salon de Provence. La création d’un mastère spécialisé dédié au MCO aéronautique au sein de l’École de l’air et de l’espace constituerait notamment un symbole fort pour renforcer l’attractivité de cette filière.

 

 

 

Au-delà, votre rapporteur estime qu’un véritable changement de culture au sein des armées et de la DGA doit être opéré sur le MCO. Ainsi que l’a souligné l’ingénieur général de l’armement Christian Chabert, auteur d’un rapport qui a inspiré la réforme du MCO aéronautique en 2018, « au moins pendant ces quarante dernières années, il [le MCO aéronautique] a été considéré comme une zone de troisième classe » ([18]). Le MCO doit redevenir une matière « noble », au même titre que la conception des programmes.

L’EXEMPLE DE LA POLITIQUE MISE EN PLACE PAR SAFRAN EN FAVEUR DE SES RÉSERVISTES             

Safran a signé en 2021 une convention avec la Garde nationale pour garantir à ses salariés réservistes opérationnels la possibilité de pouvoir effectuer jusqu’à 20 jours de réserve par an.

La convention de soutien à la politique de la réserve militaire entre le Ministère des Armées et Safran a été signée le 14/09/2021 par Olivier Andriès. Cette convention est conclue pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction dans la limite de 5 ans.

La convention ne couvre que les salariés réservistes opérationnels.

Une autorisation d’absence de 8 jours par année civile au titre des activités dans la réserve est octroyée de droit à tous les salariés ayant souscrit à un engagement à servir dans la réserve opérationnelle conformément à l’article L.3142-89 du Code du travail. Au-delà de 8 jours, il faut l’autorisation de l’employeur pour pouvoir s’absenter. Si l’employeur n’autorise pas cette absence, le salarié ne peut accomplir ses activités de réserve que pendant son temps libre (week-ends, congés annuels, RTT, etc.).

Les périodes d’activité dans la réserve opérationnelle sont considérées comme des périodes de travail effectif pour les avantages légaux et conventionnels en matière d’ancienneté, d’avancement, de congés payés et de droits aux prestations sociales.

Safran accorde 20 jours de réserve annuels à ses salariés réservistes sur leur temps de travail (incluant les 8 jours légaux).

Safran s’engage ainsi à maintenir l’intégralité de la rémunération pendant l’activité dans la réserve réalisée pendant les périodes autorisées. En résumé, Safran s’engage à maintenir le salaire du réserviste jusqu’à 20 jours par an.

Source : Safran

E.   CONSTRUIRE UN MCO POUR LA HAUTE INTENSITÉ

La résilience du MCO en période de haute intensité requiert tout d’abord de préserver voire de renforcer une autonomie étatique en la matière, notamment à travers le SIAé. Cela requiert de bien mesurer au préalable les conséquences du périmètre externalisé aux industriels dans le cadre de la politique de verticalisation. En effet, le retour d’expérience de la crise sanitaire ainsi que les travaux sur l’hypothèse d’engagement majeur démontrent que seule une capacité étatique (forces et SIAé) permet de garantir une véritable capacité de résilience du MCO en cas de crise. Les capacités de réparation et de production du SIAé doivent être consolidées dans cette perspective.

Les contrats de la DMAé conclus avec les industriels pourraient également être revus par voie d’avenant pour prévoir des clauses spécifiques en cas d’engagement en haute intensité. En effet, les variations maximales d’activité prévues dans les contrats actuels (engagement de l’industriel jusqu’à 20 % d’activité opérationnelle supplémentaire par rapport au nominal du contrat), sont bien inférieures aux besoins qui seraient requis dans l’hypothèse d’un engagement majeur (besoins estimés entre + 100% et 400 %).

La visibilité de l’État sur les stocks, notamment de pièces détachées, quant à leur dimensionnement, leur localisation, leur consommation, est également essentielle en cas de crise, que les dits stocks soient gérés ou non par l’industriel. Le déploiement d’un système d’information logistique étatique est ainsi primordial pour assurer une telle visibilité.

La planification de la maintenance en cas de crise doit être également anticipée. Il va de soi que les chantiers de maintenance seraient réduits en cas d’engagement de haute intensité, mais cela nécessite que les forces et les industriels évaluent le niveau de risque acceptable en situation opérationnelle. À cet égard, il est particulièrement opportun que les industriels maîtres d’œuvres du MCO participent à l’exercice interarmées de haute intensité Orion en 2023 pour tester la réactivité des chaînes de maintenance et évaluer les besoins spécifiques aux opérations de haute intensité.

Votre rapporteur estime enfin que la nécessaire préparation de l’adaptation du MCO à la haute intensité devrait constituer un pan majeur de la réflexion en cours sur l’économie de guerre.

F.   INTÉGRER LE MCO DÈS LA PHASE DE CONCEPTION DES PROGRAMMES

L’instruction n° 16/18 sur le déroulement des opérations d'armement du 15 février 2019 (instruction dite IMOA 16/19) requiert de prendre en compte, dès la phase de conception du programme, non seulement la phase dite de soutien initiale dont est responsable la DGA mais également la stratégie de soutien en service pour toute la durée de vie du programme : « le périmètre ainsi défini de la stratégie d’acquisition doit engager également la maîtrise d’œuvre industrielle sur le coût et les performances du soutien en service sur le cycle de vie du programme et l’inciter à définir une solution optimisée sur le long terme ».

Cette prise en compte dès la phase de préparation de l’organisation du NSI est cruciale à deux égards : financièrement, il s’agit de s’assurer que le coût global du programme sur l’ensemble de son cycle de vie (acquisition et soutien) est maîtrisé et notamment que les éventuelles réductions de prix accordées par l’industriel au stade de l’acquisition ne soient pas compensées au stade du soutien, comme c’est trop souvent le cas malheureusement ; opérationnellement, il s’agit de garantir que les spécifications du programme ne portent pas préjudice à l’efficacité du maintien en condition opérationnelle.

Dans le cadre du programme de l’hélicoptère HIL Guépard, la DMAé a ainsi collaboré avec la DGA pour la définition de la stratégie de soutien de façon concomitante à la négociation du contrat de développement.

Une telle démarche de contrat mutualisé doit être systématisée, afin de s’assurer que le contrat d’acquisition satisfait les exigences suivantes, qui sont autant de conditions de réussite du MCO de la flotte, selon l’état-major des armées : « une documentation d’utilisation et de maintenance complète, certifiée et régulièrement mise à jour ; une liste d’approvisionnement complète, permettant l’approvisionnement initial et le recomplètement des pièces ; un programme de formation pour utilisateurs et maintenanciers ; une liste d’outillages qualifiés sur la machine (notamment au travers de tests de compatibilité) ; un concept de maintenance et des circuits de réparation clairement identifiés ; un environnement de navigabilité clairement défini ; des systèmes d’information adaptés, qualifiés et soutenus ; une assistance technique en place ; une gestion proactive des obsolescences ». Il est par exemple essentiel d’anticiper les différentes commandes de rechange en phase avec les calendriers de livraison d’aéronefs.

G.   POURSUIVRE LE RENOUVELLEMENT DES FLOTTES

Comme il a été indiqué, l’hétérogénéité des flottes est un facteur de complexité importante du MCO. C’est également un facteur d’augmentation de coût car l’existence de parcs au nombre très réduit limite les économies d’échelle.

Il a également été vu que le maintien de flottes anciennes obère l’efficacité globale du MCO, en raison des problématiques d’obsolescence. Comme l’a indiqué un représentant de l’état-major des armées au rapporteur, « mal anticipé, le traitement de ces obsolescences peut grever la disponibilité d’un parc pendant plusieurs années le temps qu’une solution de substitution soit développée puis produite ». Il convient de rappeler à cet égard que les C-135 en service ont en effet plus de 59 ans de moyenne et les Puma 45 ans. Atteindre un niveau de disponibilité satisfaisant avec des aéronefs aussi anciens relève de la gageure.

Un effort de renouvellement et de rationalisation a certes été effectué ces dernières années, avec le passage (trop) progressif de la flotte d’aviation de chasse vers le tout Rafale, le remplacement des C-135, A320 et A340 par les A330 MRTT pour la flotte d’aviation de transport stratégique, ou encore les PC21 qui se substituent aux Epsilon et Alphajet pour la flotte de formation. Dans le domaine des hélicoptères, le Guépard HIL permettra de disposer d’un hélicoptère dont le socle des spécifications est commun aux trois armées. Il est essentiel à cet égard que le HIL soit livré aux forces dès le début de la décennie 2030, en remplacement de la flotte vieillissante de Fennec.

Il paraît indispensable à votre rapporteur de continuer ces efforts d’homogénéisation et de renouvellement des flottes. Il s’agit d’un levier essentiel pour que le MCO gagne en efficacité, ainsi que l’a rappelé l’ancienne directrice de la DMAé : « Du point de vue du MCO, moins on a de flottes différentes, moins l’entretien est coûteux et plus il est facile. On peut disposer de stocks plus importants de pièces de rechange et on n’a pas besoin de former les mécaniciens sur beaucoup de flottes. Le projet hélicoptère interarmées léger (HIL) lancé récemment, qui vise à remplacer plusieurs flottes d’hélicoptères, aura des effets très positifs en termes de MCO. Du point de vue capacitaire, je comprends le besoin de flottes différentes, mais égoïstement, du point de vue de MCO, moins il y a de flottes et plus le soutien est facile » ([19]).

H.   REVOIR LES RÈGLES DE NAVIGABILITÉ

De nombreuses personnes auditionnées ont mis en avant la complexité des règles de navigabilité, issues du monde civil et destinées à assurer la sécurité des aéronefs. L’application de ces règles, qui datent d’un décret de 2013, à des aéronefs anciens rend notamment inutilisables un grand nombre de pièces et alourdit considérablements les procédures. À titre d’exemple, près de 215 000 pièces du Mirage 2000 sont inutilisables car non conformes aux exigences de la réglementation.

Il a été indiqué à votre rapporteur que les autorités se sont saisies de ce sujet et qu’une réforme est en cours de préparation. Dans le cadre de cette réforme, il semble essentiel à votre rapporteur de promouvoir la responsabilisation des autorités d’emploi des matériels, à savoir les forces. Il faut faire confiance à nos aviateurs, qui, forts de leur savoir-faire et de leur expérience, doivent pouvoir engager leur responsabilité pour déclarer, en fonction du contexte opérationnel, qu’un aéronef est apte à voler dans des conditions de sécurité optimales.

 

 

 

 

 

 

 

 

LA NÉCESSAIRE RÉFORME DES RÈGLES DE NAVIGABILITÉ

Dans le cadre du plan de modernisation du MCO aéronautique (discours d’Évreux du 11 décembre 2017), une étude des processus de la navigabilité étatique et leur mise en oeuvre a été initiée.

Si les processus apportent certes une contribution essentielle à la maîtrise de la sécurité, ils sont aussi régulièrement pointés du doigt pour leurs non-valeurs ajoutées, qui dégraderaient l’agilité de Armées. Face au constat de ces difficultés fait depuis quelques années, une réflexion a été menée par l’ensemble des acteurs de la navigabilité étatique dont les conclusions permettent aujourd’hui de proposer un cadre adapté aux enjeux opérationnels et industriels, en procurant aux AE des leviers supplémentaires.

Cette réflexion a conduit notamment à :

• introduire à partir de juillet 2019 la possibilité pour un nouveau marché d’aménager certaines exigences de maintien de navigabilité sur avis conformes préalables des autorités technique (Direction Générale de l’Armement – DGA) et de surveillance (Direction de la sécurité aéronautique d’État – DSAé) (Art. 39 de l’arrêté « maintien ») ;

• assouplir exceptionnellement les exigences de navigabilité applicables aux sous-traitants non agréés des titulaires de contrats d’entretien ;

• expérimenter depuis octobre 2021, et jusqu’à fin 2022, l’autorisation provisoire par anticipation. Gage de souplesse et de réactivité, ce nouvel outil de déviation permet d’anticiper une réponse favorable de l’autorité compétente pour maintenir/remettre un aéronef en ligne de vol dans l’attente de l’instruction du dossier afférent ;

• proposer les modifications réglementaires suivantes dont la signature par les ministres concernés (Armées, Transport, Économie et finances) est espérée courant octobre 2022, pour :

(i) responsabiliser les Armées et leur donner de l’autonomie pour maintenir/remettre un aéronef en ligne de vol dans le cas d’un écart technique ou réglementaire présentant un impact de faible criticité en termes de sécurité aérienne ;

(ii) remédier temporairement, jusqu’à fin 2024, aux écarts réglementaires générés par les contrats de maintenance notifiés entre 2013 et 2020 et remettre ainsi en utilisation par des sous-traitants non agréés le stock de pièces de rechanges bloquées réglementairement.

 Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur.


 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   AUDITION DE M. STÉPHANE MILLE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

La commission a entendu M. Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), au cours de sa réunion du jeudi 13 octobre 2022 : https://assnat.fr/MSTMqY

 

 


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II.   EXAMEN DES CRÉDITS

La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Frank Giletti, les crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces : Air » de la mission « Défense » pour 2023, au cours de sa réunion du 19 octobre 2022.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces dans l’armée de l’air et de l’espace). J’ai été autrefois élève-officier de réserve de la marine ; j’habite non loin de la rade de Toulon ; ma circonscription abrite un atelier de l’aéronaval à Cuers. Le moins que l’on puisse dire est que je n’étais pas prédestiné à devenir rapporteur du budget de l’armée de l’air et de l’espace.  J’ai découvert, dans le cadre de mes travaux, une armée mobilisée sur tous les fronts, menant des missions variées et hautement stratégiques, riche d’hommes et de femmes passionnés et engagés au service de notre nation, de notre sécurité et de la défense de nos intérêts.

Comme vous le savez, derrière les chiffres, il y a surtout des hommes, des soldats en l’occurrence, qui ont décidé de consacrer leur vie à nous défendre, au prix souvent de nombreux sacrifices, et c’est à eux que je souhaiterais ici rendre hommage. Je crois que la plus belle façon de le faire, c’est, pour nous, représentants de la nation, de dire la vérité sur la situation de nos armées, pour alerter, à l’heure du retour de la guerre en Europe, sur notre capacité ou non à faire face à un conflit de haute intensité.

Vous le savez, le général Burkhard, dans une lettre à ses officiers, au début de l’année, a qualifié l’armée russe d’« armée du mensonge ». Il signifiait par là qu’une partie de l’échec russe en Ukraine tenait au fait que personne n’osait dire la vérité sur la situation. Aujourd’hui, cette exigence de vérité et ce devoir d’alerte s’imposent d’autant plus qu’on perçoit une tentation de l’exécutif de museler la liberté de parole de nos chefs d’état-major. On l’a vu notamment lors de cette mise en scène quasi « nord-coréenne », comme l’ont qualifié certains, à l’occasion de la dernière audition du ministre.

S’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, je voudrais partager avec vous trois constats. Le premier est que cette armée a subi de plein fouet la déflation de nos capacités militaires au titre des prétendus dividendes de la paix, de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et des autres réformes dites structurelles.

Trois chiffres illustrent la réduction drastique des moyens de l’armée de l’air : depuis 2008, celle-ci a connu une réduction de moitié du format de sa flotte de chasse, a perdu 30 % de ses effectifs et a subi la fermeture, en moyenne, d’une base aérienne par an. Voilà d’où l’on vient. D’aucuns se gargarisent de la marche de 3 milliards – ramenée à 1,5 milliard par l’inflation : c’est mieux que rien, naturellement, mais il faut remettre les choses en perspective.

Mon deuxième constat, c’est que l’armée de l’air et de l’espace n’a pas, à l’heure actuelle, les moyens de satisfaire l’ensemble de ses contrats opérationnels. Plus précisément, compte tenu du format des flottes, dans l’hypothèse où la tension monterait avec un pays doté de l’arme nucléaire, l’armée de l’air ne serait pas en mesure d’assurer à la fois sa mission permanente de dissuasion nucléaire et la pleine exécution de ses missions conventionnelles, comme l’engagement dans des combats aériens. En effet, en cas de renforcement de la posture de dissuasion nucléaire, une partie significative – pour ne pas dire plus – de nos Rafale et de nos avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport) seraient sanctuarisés et ne pourraient plus participer aux autres missions.

Voilà où nous en sommes réduits en raison de décennies de déflation et de sous-investissement dans nos armées, et notamment dans l’armée de l’air et de l’espace. Le format de notre aviation de chasse, par exemple, a atteint son étiage. Cela a des conséquences directes sur nos aviateurs puisque les taux d’activité opérationnelle sont en chute libre. Un pilote de chasse devrait voler 180 heures par an, conformément à la norme de l’Otan, qui est reprise dans la LPM « pour des forces aptes à être engagées en missions opérationnelles ». Or, en 2022, nos pilotes auront effectué en moyenne 162 heures de vol, et il est prévu qu’ils en fassent 147 en 2023, en raison de la réduction du format de l’aviation de chasse, due notamment aux livraisons de 24 Rafale d’occasion à la Grèce et à la Croatie.

Certes, pour la première fois depuis plus de cinq ans, des Rafale seront livrés à l’armée de l’air – 42 devraient l’être en 2023 –, mais cela ne permettra pas d’atteindre les objectifs de la LPM. L’Ambition 2030 prévoit en effet que l’armée de l’air dispose, dans huit ans, de 185 avions polyvalents – autrement dit, de Rafale. Or, en l’état des commandes, elle n’en aura que 159. De surcroît, l’Ambition 2030 a été établie dans un contexte stratégique très différent de celui que l’on connaît aujourd’hui : l’attrition de l’aviation ne constituait pas, alors, un véritable enjeu.

Mon troisième constat est un peu plus positif : l’armée de l’air et de l’espace a de nombreux atouts pour monter en puissance rapidement, pour autant qu’il y ait une volonté politique et que l’on se donne les moyens, notamment financiers, qu’exige le contexte stratégique. Les atouts de l’armée de l’air sont bien sûr ses aviateurs, des facultés de projection et d’allonge très importantes grâce, notamment, aux avions A400M et A330 MRTT, des capacités d’entrée en premier comme l’a montré l’opération Hamilton en Syrie, et une industrie aéronautique qui constitue un fleuron national.

Comment opérer cette remontée en puissance ? En premier lieu, il faut revoir le format de nos flottes, et plus particulièrement de notre flotte d’aviation de chasse. J’estime qu’il faudrait disposer au minimum de 225 Rafale dans l’armée de l’air et de l’espace pour être en mesure d’assumer pleinement l’ensemble de nos missions, nucléaires comme conventionnelles.

J’ajoute qu’il ne suffit pas d’avoir des avions, encore faut-il qu’ils soient équipés pour mener à bien des missions de haute intensité : je pense ici aux équipements missionnels – notamment les radars Aesa (Active Electronically Scanned Array) et les nacelles de désignation laser – qui sont essentiels au combat mais dont on manque cruellement. Je pense également aux munitions – les missiles Meteor, Mica (missile d’interception, de combat et d’auto-défense) ou Scalp (système de croisière conventionnel autonome à longue portée) –, dont le recomplètement doit constituer une priorité.

En second lieu, il nous faut combler nos lacunes capacitaires, mises en exergue par le Retex (retour d’expérience) de l’Ukraine, et évoquées par le chef d’état-major, lors de sa dernière audition, en matière de capacité de destruction des défenses antiaériennes ennemies (Sead). Nous devons également consolider notre système de défense sol-air, bien trop clairsemé pour faire face aux défis actuels.

En troisième lieu, il faut oser faire le pari de notre autonomie stratégique. Grâce à la compétence de nos militaires, de nos ingénieurs, de nos industriels, nous construisons de façon autonome des sous-marins nucléaires et des porte-avions. Alors, oui, nous serons capables de construire de façon autonome le futur système de combat aérien, qu’il s’agisse de l’avion, des effecteurs déportés ou du système de systèmes. Cessons de tergiverser avec des industriels allemands qui n’ont qu’un seul objectif dans le cadre de ce programme : nous prendre nos savoir-faire, nos trésors industriels nationaux, pour monter en compétence. Nous sommes capables de bâtir ce système, mais cela suppose deux choses qui nous font cruellement défaut actuellement : une volonté politique et une ambition financière.

J’ai choisi de consacrer le thème de mon avis au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. C’est un sujet essentiel pour nos armées, puisqu’il s’agit de faire en sorte que nos avions soient en capacité de voler. Une grande réforme, lancée en 2018, a introduit le principe de « verticalisation des contrats », qui vise à responsabiliser les industriels sur la disponibilité des flottes. Les enjeux financiers sont considérables : pour l’armée de l’air et de l’espace, l’entretien programmé des flottes représentera près de 1,8 milliard de CP en 2023.

Je suis cependant incapable de vous dire si la politique menée donne des résultats, car on refuse de me fournir les chiffres de la disponibilité technique des aéronefs. On m’a uniquement communiqué les chiffres relatifs à la disponibilité technique opérationnelle (DTO), qui figurent dans les documents budgétaires, mais ceux-ci ne permettent pas de déterminer le nombre d’avions disponibles sur l’ensemble du parc. À toutes les questions de mon questionnaire budgétaire qui demandaient des chiffres précis – sur la disponibilité, l’évolution du coût de l’heure de vol… –, on m’a répondu que c’était classifié, alors même que ces chiffres étaient publics il y a encore quelques années et que certains ont été divulgués début 2022 lors d’une conférence de presse du ministère.

Cette opacité revient à me priver de mon droit constitutionnel de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer la politique publique du MCO aéronautique, alors que les enjeux financiers et opérationnels sont majeurs.

Par conséquent – je vous le dis solennellement, mes chers collègues, et j’espère être entendu à l’hôtel de Brienne –, si, l’année prochaine, les taux de disponibilité technique des aéronefs ne me sont toujours pas communiqués, j’userai de mes pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, au ministère des armées ou à la direction de la maintenance aéronautique, et j’irai chercher moi-même l’information s’il le faut.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Le matériel est essentiel ; nos discussions montrent que la représentation nationale en a conscience. Mais il faut des hommes pour l’utiliser. Pouvez-vous détailler les enjeux de ressources humaines pour 2023 et les années suivantes ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ce qui fait la richesse de l’armée de l’air et de l’espace, ce sont ses aviateurs. L’enjeu est non seulement de les recruter, mais aussi et surtout de les fidéliser : qu’il s’agisse du personnel navigant ou des mécaniciens du MCO, la concurrence de l’industrie, dont les salaires sont beaucoup plus attractifs, est forte. La nouvelle politique de rémunération a certes permis de freiner la fuite vers le privé, notamment grâce aux primes de lien au service, mais nous arrivons aux limites du recours aux primes : il faut maintenant revoir la partie indiciaire de la rémunération.

La fidélisation suppose aussi l’amélioration des conditions de vie. Des efforts ont été faits en matière d’infrastructures, mais surtout au profit de celles qui accueillent les fleurons de notre aviation ; ce système à deux niveaux peut décourager certains. J’espère que la prochaine LPM mettra l’accent sur les infrastructures de vie, indispensables à la force morale de nos aviateurs.

De plus, l’aérobashing, c’est-à-dire les campagnes de dénigrement du monde de l’aviation sous couvert de préoccupations environnementales, en détourne une partie de la jeunesse, ce qui est préjudiciable pour nos forces. L’époque où Top Gun, dans les années 1980, avait donné envie à tous les adolescents de devenir aviateurs est bien révolue.

Enfin, pour s’adapter au fait que les jeunes soldats ont du mal à accepter la contrainte des mutations géographiques, l’armée de l’air et de l’espace les limite, y compris dans le cadre de plans de réorganisation. C’est compréhensible, mais la prise en compte des aspirations personnelles des soldats ne doit pas conduire à revenir sur le socle de la militarité. Au moment où la spécificité du statut militaire est remise en cause par la justice européenne, nous n’avons rien à gagner à laisser s’estomper la frontière entre civils et militaires.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’espace est un théâtre d’opérations de plus en plus important pour nos armées, comme le montrent la création du commandement de l’espace, implanté à Toulouse, et le développement de nos capacités d’observation, notamment satellitaires. La pollution de l’orbite basse terrestre expose nos satellites à des menaces. Cette dimension est-elle suffisamment prise en compte ? Le budget pour 2023 permet-il de traiter ces enjeux ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Nous avons envisagé de contrôler spécifiquement le budget dédié à l’espace. Mais nous manquons de recul ; le centre de commandement est tout récent. Les moyens montent en puissance afin d’envoyer des satellites pour améliorer le renseignement d’origine électromagnétique et pallier les ruptures temporaires de capacité.

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*     *

La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la sixième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation. Il suit à la lettre la trajectoire adoptée en loi de programmation militaire 2019-2025. Ainsi, pour 2023, les crédits de la mission Défense s’établissent à 43,9 milliards d’euros, soit 11,6 milliards de plus qu’en 2017, et 3 milliards de plus qu’en 2022. L’impulsion donnée dès 2017 a mis fin à l’érosion de notre outil militaire. Nos investissements ont permis à nos forces armées de renforcer leur supériorité sur les champs de bataille et de s’engager dans de meilleures conditions. La France aura ainsi pu rester crédible aux yeux de ses alliés, notamment européens.

Notre ambition pour 2030 n’a pas changé : permettre à notre pays d’intervenir en tout lieu, tant dans les champs matériels qu’immatériels et en tout temps, là où ses intérêts et sa sécurité sont menacés. Le budget pour 2023 suit ce cap. Il poursuit les efforts indispensables pour moderniser, renouveler et entretenir nos équipements grâce aux 38 milliards d’euros de commande militaire qui soutiendront le tissu économique national ainsi qu’à d’importantes livraisons – treize avions Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, dix-huit chars Leclerc et 264 véhicules blindés multirôles. Il permettra également d’inscrire notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre et de renforcer notre souveraineté. Ainsi, 2 milliards d’euros seront consacrés à la commande de munitions pour renouveler nos stocks. D’autres crédits sont affectés à la dissuasion nucléaire, à l’espace, aux grands fonds marins, à la cyberdéfense et au renseignement. Le soutien à la recherche et au développement ainsi qu’à l’innovation de défense renforce encore davantage notre autonomie stratégique.

Enfin, ce budget permettra d’améliorer le quotidien de nos militaires grâce aux crédits dédiés au plan famille ou à l’équipement du combattant.

La mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ne faiblit pas. En 2023, les droits acquis pour nos anciens combattants sont maintenus, de même que les moyens alloués à la politique de mémoire, sans parler du large soutien apporté à nos militaires blessés grâce à la pérennisation du dispositif des maisons Athos.

La nation n’oublie pas ceux qui s’engagent pour elle, corps et âme, et qui peuvent parfois être amenés, sur ordre, à donner la mort ou à la recevoir. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ces crédits.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le budget de la défense a longtemps été en chute libre. Nos armées ont chèrement payé les dividendes de la paix. Depuis plusieurs années, reconnaissons-le, l’érosion a pris fin et la trajectoire s’est maintenue. Cependant, le monde qui nous entoure a changé. La guerre est à nos portes et l’inflation s’est invitée dans nos débats budgétaires. Les 3 milliards que vous évoquez étaient peut-être, hier, un titre de gloire pour la majorité mais ils ne sont plus aujourd’hui qu’une goutte d’eau dans le budget de nos armées. Les défis sont nombreux. Ce budget aurait pu nous offrir l’occasion de retrouver une souveraineté nationale pour nos équipements et notre stratégie de défense, de rééquiper massivement nos armées, d’expliquer à ces hommes et à ces femmes qui défendent notre pays, qui se battent pour nous, que nous avions compris leurs demandes et que nous allions les satisfaire. Hélas, ce ne sera pas possible.

Ce budget arrive après des années de disette et de déséquipement pour nos armées. Son augmentation ne suffira pas à combler le retard. Lorsque l’on manque d’argent, il faut être pragmatique, non idéologue. Pas si loin de chez nous, la guerre n’est pas une hypothèse mais un risque avéré. La France doit être indépendante, aussi dans son équipement. Lequel voulons-nous ? Comment voulons-nous l’utiliser ? À quelles fins ? Notre décision doit demeurer souveraine. Les programmes SCAF et MGCS nous laissent perplexes. Au mieux, ils sont au point mort, au pire ils vont droit dans le mur. Reprenons la main, faisons confiance à nos industries pour préparer, fabriquer, concevoir nos équipements plutôt que de courir après des licornes européistes.

Votre action en faveur de notre armée est louable mais vous ne faites que le minimum syndical. Des livraisons auront lieu en 2023 pour nos forces terrestres, navales, aériennes et spatiales mais les livraisons de matériel vers l’Ukraine, la vente d’avions Rafale à la Croatie et à la Grèce, le retrait des Mirage 2000-C aggravent le manque de disponibilité des matériels. Le renouvellement des stocks de munitions à hauteur de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement ne sera pas suffisant. Ce n’est pas ainsi que nous relèverons un défi crucial pour notre souveraineté. La filière de munitions de petit calibre est totalement abandonnée. Il faudrait 100 millions d’euros pour repartir du bon pied.

Nos industries de la défense sont victimes, d’autre part, d’une énième ingérence américaine, puisque Exxelia vient d’être racheté par Heico. Sans être une entreprise d’armement, Heico est un sous-traitant qui participe à la fabrication de nos matériels. Que se passera-t-il quand les Américains géreront cette entreprise ? Restons vigilants et bloquons ces pillages organisés par des puissances impérialistes qui ont des vues sur notre défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation est marquée par une érosion budgétaire, qui peut s’expliquer par des raisons démographiques. Cependant, n’oublions pas que la plupart des indemnisations sont trop faibles ou ne profitent pas à toutes les personnes qui pourraient y avoir droit. Je pense aux harkis et à leurs familles, qui se battent pour une augmentation du montant de la réparation. Ces hommes et ces femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays, parfois au péril de leur vie ou de celle de membres de leur famille, méritent la reconnaissance de la France. Cette juste reconnaissance de la nation a tardé et ne nous semble toujours pas à la hauteur de ce qu’ils ont accompli pour nous.

En séance publique, un amendement pour défendre la demi-part des veuves d’anciens combattants a été adopté. Cette mesure de justice sociale doit être conservée. Or, on ne sait pas si, dans quelques instants, cet amendement ne disparaîtra pas dans le sillage du 49-3, au mépris de la volonté de la représentation nationale.

Enfin, les crédits de la mission Sécurités progressent de 6 % pour 2023 mais ce ne sera pas suffisant pour répondre aux enjeux de sécurité intérieure : l’explosion de la délinquance, l’aggravation du trafic de drogue, l’immigration incontrôlée et les problèmes d’insécurité qui en résultent jusque dans nos campagnes si l’on en croit le plan de relocalisation du Président de la République. Les Jeux olympiques de 2024 représentent un nouveau défi pour la sécurité, surtout après les événements du stade de France. Nous devons réformer la réserve de la gendarmerie en nous inspirant du modèle des armées, rénover leurs locaux, mieux équiper et recruter. L’implantation de 200 brigades n’est pas suffisamment détaillée.

Vous faites un petit pas là où il aurait fallu de grandes foulées mais parce que nous ne voulons pas priver nos armées du peu de moyens supplémentaires qui leur sont accordés, nous nous abstiendrons.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Je regrette que l’actualisation de la loi de programmation militaire, souhaitée par le Président de la République, ne suscite pas davantage de débats au regard de l’instabilité du contexte mondial. Alors qu’il convient d’arrêter des choix stratégiques, comme notre appartenance à l’Otan, les décisions seront prises dans l’intimité. De même, la tenue régulière d’auditions à huis clos pose un problème. Si les informations relatives à la défense sont confidentielles, est-il pertinent d’user d’un tel procédé à l’endroit de députés qui représentent le peuple ?

Notre groupe salue la progression du budget mais les fameux 3 milliards d’euros supplémentaires promis ne sont pas au rendez-vous. Ce budget ne tient pas compte de l’inflation, estimée à 4,2 % en 2023. Ne serait-ce que pour leur préparation opérationnelle, nos forces seront durement affectées. Le budget est par ailleurs amputé des 357 millions d’euros nécessaires à la revalorisation de l’indice de la fonction publique. Ces coûts supplémentaires auraient dû s’ajouter aux crédits et non s’y fondre.

Les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation ne cessent de faiblir. Pourquoi ne pas pérenniser le budget et affecter les sommes non dépensées du fait de la disparition de certains anciens combattants, à d’autres actions ? Nous proposerons des amendements en ce sens, pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques ou étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbaries durant la deuxième guerre mondiale et les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

Alors que le ministre annonce le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle, aucune mesure n’est prise en ce sens dans le budget pour 2023. Les 1 500 créations nettes de postes civils, notamment dans le renseignement ou la cyberdéfense, sont salutaires mais comment renforcerez-vous les effectifs opérationnels envoyés sur les théâtres d’opérations ? Nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences de l’insuffisance des capacités et des cessions pour la disponibilité de nos matériels. Par rapport au contrat opérationnel, la disponibilité des canons de 155 millimètres passe de 90 % à 58 %. Dans la chasse, celle des appareils passe à 69 %. Dans l’armée de l’air, seuls 65 % des objectifs d’intervention prévus par le contrat opérationnel ont été atteints. Quelles seront les conséquences de la cession d’une partie de nos lance-roquettes unitaires ? Nous ne remettons pas en question ces livraisons et ces cessions mais nous devons rester vigilants.

Concernant les fonds marins, les 3,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et les 3,1 millions d’euros en crédits de paiement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu que représente la maîtrise des fonds marins. Agissons dès maintenant en augmentant les crédits.

Pour ce qui est de l’espace, le projet de loi prévoit 702 millions d’euros de crédits de paiement en 2023, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente. C’est louable mais certains défis sont oubliés, comme la météo spatiale et les débris, qui sont les principaux responsables de la dégradation de nos équipements.

Enfin, nous vous proposons de créer un nouveau programme, consacré à la transition énergétique et écologique. Le ministère a publié une stratégie Climat et défense, en avril dernier. Remplacer 150 chaudières qui représentent 10 % du parc, notifier deux contrats de performance énergétique, c’est bien, mais est-ce suffisant pour répondre au défi du dérèglement climatique ? Il est temps d’accélérer. Nous devons réfléchir à l’après-pétrole. Nous sommes bien conscients de la difficulté de s’approvisionner en biocarburants mais promettre que les avions utiliseront 1 % de carburant biojet en 2023 ne suffira pas.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote de ce budget qui, malgré tout, va dans le bon sens.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Notre responsabilité, au sein de cette commission, est immense. Pensons à ceux qui vivent sous les bombes en Ukraine, aux tensions qui persistent en Afrique, à nos hommes qui restent présents dans la bande sahélo-saharienne, à la compétition stratégique qui se joue sur l’ensemble du globe et dans tous les océans.

Gardons ces images en tête et remémorons-nous nos prédécesseurs qui siégeaient ici même en 1933, en 1936, en 1938, à l’heure où les périls croissaient en Europe, où les chars allemands occupaient la Rhénanie, où était décidé l’Anschluss. Les événements d’Ukraine nous renvoient à ces heures funestes : on meurt à la guerre à deux heures de Paris.

Le vote de ce budget est un symbole fort et essentiel. Nos démocraties doivent se défendre, notre sécurité doit être garantie, l’unité et la résilience de la nation sont essentielles. Ce n’est qu’ensemble que nous parviendrons à la bâtir.

Venons-en à ce budget : 3 milliards d’euros ne sont pas une goutte d’eau. Les engagements pris dans la loi de programmation militaire sont tenus, pour la première fois de notre histoire.

L’inflation, cependant, reste une réalité et emporte des conséquences pour notre projet de loi de finances dont la progression est plus proche des 2 milliards d’euros que des 3 milliards.

Nous avons pourtant tous cru aux dividendes de la paix et nous avons tous accepté de réduire les dépenses militaires. Il serait à présent irresponsable de ne pas voter ce budget. Le rendez-vous majeur sera celui de la loi de programmation militaire, en 2023. Elle devra mesurer les défis, les menaces et les intérêts français, ne rien sacrifier et tirer les leçons de la guerre en Ukraine. J’espère que le travail que j’ai réalisé avec Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité sera utile.

Nous voterons ce budget pour assurer la sécurité de ceux qui défendent notre pays, au péril de leur vie.

Mme Delphine Lingemann (Dem). L’objectif de la loi de programmation initiale, qui était de réparer, a été respecté. L’effort budgétaire pour la mission Défense s’inscrit dans cette continuité. En progression de 3 milliards d’euros, il s’élève à près de 44 milliards d’euros. Désormais, nous évoluons dans un contexte géopolitique profondément modifié par le conflit en Ukraine. La situation exceptionnelle nous commande d’accélérer l’effort de préparation des armées aux affrontements à haute intensité afin de gagner la guerre avant la guerre.

Les crédits de la mission reflètent les ambitions et les priorités portées par le chef de l’État, le ministre des armées et notre majorité, pour une année 2023 qui sera une étape intermédiaire entre la loi de programmation militaire en cours et celle qui sera votée pour 2024-2030 et qui intégrera les nouveaux enjeux stratégiques.

Notre groupe salue la continuité de l’action menée depuis 2017 grâce à un budget qui remet les femmes et les hommes de la défense au cœur de notre capacité de défense, améliore les conditions de vie et d’engagement grâce à la création de nouveaux postes, la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat et la poursuite du plan famille. Ce budget permet également de poursuivre les efforts engagés pour attirer et fidéliser les personnels, notamment par la conduite de la dernière étape de la nouvelle politique de rémunération des militaires. Les crédits de cette mission traduisent notre volonté de préparer l’avenir de nos forces armées en accordant une place singulière à l’humain et la priorité aux investissements dans les secteurs clés pour les conflits de demain : le renseignement, l’espace, le cyberespace et le numérique. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera les crédits de la mission Défense.

La mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation accorde une place sans précédent aux publics qui relèvent des dispositifs de réparation dans le cadre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre. Nous nous en réjouissons et nous saluons le droit à pension des victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant le 1er janvier 1982. Cette mesure de justice était attendue. La revalorisation générale des pensions militaires, d’invalidité et de la retraite du combattant entrera en vigueur le 1er janvier prochain, avec un an d’avance. C’est louable.

La journée défense et citoyenneté bénéficiera d’un budget de 21,2 millions d’euros. Thucydide disait que la force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux mais dans le caractère de ses citoyens. La force de notre cité tient à sa force morale. Nourrissons-la pour qu’elle fasse battre le cœur de notre pays. Aidons nos jeunes à affronter l’adversité pour qu’ils deviennent plus résistants à l’épreuve, plus résilients au conflit.

Quant à la mission Sécurités, on compte 100 000 gendarmes d’active contre 150 000 policiers. Si les deux forces couvrent la même densité de population et poursuivent les mêmes objectifs de sécurité nationale, les gendarmes interviennent dans 96 % du territoire national contre 4 % seulement pour les policiers. Forte de près de 3 100 unités territoriales, la gendarmerie nationale est un atout majeur dans notre continuum géographique sécuritaire. Celui-ci doit cependant être renforcé par la création de 200 brigades et l’amorce d’une nouvelle étape dans la stratégie globale, par un schéma d’emploi ambitieux et une hausse des effectifs de la réserve opérationnelle – 50 000 réservistes à l’horizon 2027 – sans que celle-ci ne devienne une variable d’ajustement du budget de la gendarmerie.

Nous devons également donner à la gendarmerie les moyens de s’adapter aux nouvelles frontières de la délinquance en lui permettant d’être toujours plus moderne et innovante notamment sur le volet numérique et cyber et d’amplifier son action en passant d’une logique de guichet à une logique du pas de porte. Notre groupe votera ce budget qui inclut tous ces aspects.

Mme Anna Pic (SOC). Nous regrettons la baisse des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation mais nous reconnaissons qu’elle s’explique par la disparition d’anciens combattants. Il aurait été cependant préférable de les sanctuariser pour répondre aux attentes des associations représentatives. Surtout, alors que le Gouvernement s’apprête à revaloriser la valeur du point de pension militaire et la retraite du combattant pour un montant global de 41,6 millions d’euros, les crédits reculent de 107 millions d’euros dans le PLF pour 2023, ce qui trahit l’insincérité de ce budget.

D’autre part, les crédits globaux consacrés aux actions menées en faveur des rapatriés n’augmentent que de 6 millions d’euros alors que le droit à réparation, prévu dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis, augmente de 15 millions d’euros. Seule une hausse globale de 15 millions d’euros aurait permis de maintenir un budget constant et un niveau de crédit équivalent pour tous les autres dispositifs de soutien à l’égard des harkis.

Au cours de l’examen de la mission, nous défendrons l’augmentation des crédits de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) à hauteur de 1 million d’euros pour lui permettre d’honorer les engagements pris dans le cadre du dispositif de réparation institué par la loi de 2022. Nous serons attentifs au sort réservé à l’amendement qui tend à étendre le dispositif de la demi-part fiscale supplémentaire à tous les veufs et veuves d’anciens combattants. Par ailleurs, nous nous étonnons du transfert de dispositifs initialement dédiés à la jeunesse vers le service national universel. Il ne peut être confié à l’armée une mission éducative qui n’est pas la sienne.

Pour ce qui est de la mission Défense, le budget, en hausse, est conforme aux engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire. L’effort est indéniable mais le respect de la trajectoire de la LPM est faussé par l’inflation, évaluée à 4 % par le Gouvernement. De surcroît, les reports de charges annoncés supposent que nous devrons procéder à des rattrapages dans les prochains textes budgétaires. D’autres limites ont été posées à cette progression, ces dernières semaines. La première concerne l’effectivité de la montée en puissance défendue par le Président de la République dans le cadre d’une économie de guerre. En effet, elle impose d’intensifier l’effort dont nos principaux industriels ne cessent d’interroger la soutenabilité. Ils doutent également des capacités humaines et financières des PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent. De surcroît, la maintenance des nouveaux matériels d’ores et déjà livrés et utilisés par nos armées coûte plus cher et impose de former les personnels.

Nous saluons la nouvelle politique de rémunération des militaires qui clarifie les régimes indemnitaires mais un rééquilibrage entre la rémunération indiciaire et la rémunération indemnitaire s’impose pour répondre aux défis de l’attractivité et de la fidélisation.

Par ailleurs, il semble hasardeux de diminuer les autorisations d’engagement du programme de dissuasion à l’heure où la Russie menace de recourir à l’arme atomique, ce que les États-Unis prennent au sérieux.

Nous défendrons un amendement pour augmenter la dotation gazole allouée à nos forces armées pour supporter la volatilité des prix du baril, instaurer des modules de formation spécifique de sensibilisation aux enjeux de la préservation de l’environnement, octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées.

Quant à la mission Sécurités, le Gouvernement répond en partie aux besoins mais la création de 200 nouvelles brigades pose la question de leur déploiement. Une implantation réfléchie, coordonnée et planifiée serait préférable à une mise en concurrence entre les collectivités locales pour leur obtention. Comment les brigades mobiles et les brigades fixes seront-elles réparties ?

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.

M. Yannick Favennec Bécot (HOR). En 2023, le budget des armées françaises augmentera, pour la sixième année consécutive. Depuis 2017, chaque année, la trajectoire budgétaire est conforme aux engagements pris dans le cadre de la LPM 2019-2025. Depuis mars 2021, les combats de haute intensité qui se déroulent aux portes de l’Europe, auxquels s’ajoutent une montée des tensions dans l’espace indo-pacifique et une reconfiguration du dispositif français en Afrique, appellent de nouveaux efforts. Les crédits de la mission Défense progressent de 3 milliards d’euros cette année pour permettre à nos armées de s’adapter et de réagir rapidement dans l’ensemble des théâtres d’opération mais aussi d’identifier les futurs enjeux sécuritaires. Il nous reste cependant beaucoup à faire et la loi de programmation militaire 2024-2030 nous permettra de tracer une nouvelle trajectoire.

La France n’est pas seule. Elle agit avec ses partenaires européens et ceux de l’Otan. C’est pourquoi notre groupe salue la consécration, dans les dépenses de l’État, des programmes de coopération bilatéraux et européens pour développer de nouvelles technologies d’armement. À l’heure où certains brandissent la menace nucléaire, il est fondamental de renforcer les capacités de la France pour asseoir notre autonomie stratégique. Celle-ci grandira d’autant plus grâce à l’ensemble des nouveaux moyens consacrés sur terre, en mer, dans le ciel et l’espace.

Le programme 146 vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à l’accomplissement de leur mission et concourir au maintien des savoir-faire industriels français et européens. Rappelons, dans la perspective de la prochaine LPM, que nous devons donner à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) les moyens de comprendre les exigences des armées et la manière de s’adapter en cas de besoin. Les commandes sur le long terme donnent à notre industrie de défense la visibilité qui lui permet d’inciter toute la chaîne à réaliser les investissements nécessaires et éviter les ruptures capacitaires.

Au-delà du domaine capacitaire, l’examen de ce budget nous rappelle le caractère fondamentalement humain de l’action du ministère des armées. Notre groupe est sensible aux efforts engagés pour poursuivre le plan famille, accompagner et fidéliser nos soldats grâce à des indemnisations plus justes, et améliorer leurs conditions d’exercice. Nous devons cet effort à ceux qui consacrent leur quotidien à la protection des Français, parfois au péril de leur vie.

La mission Sécurités pour 2023 prévoit de renforcer les effectifs sur la voie publique et de porter une attention particulière aux territoires ruraux. Nous nous félicitons de la création de 200 communautés de brigades.

Enfin, la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation joue un rôle essentiel en ce qu’elle incarne l’hommage que la nation rend à nos armées pour l’engagement et les sacrifices de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Les actions portées par la mission témoignent de la reconnaissance de la nation envers les anciens combattants et visent à susciter l’adhésion de l’ensemble de la population aux enjeux et aux efforts consacrés à la défense et à la sécurité nationale.

Même si ce budget recule par rapport à l’année dernière, les crédits alloués à cette mission accompagnent la transformation profonde constatée par le monde combattant. Ils prennent en compte la diversification des pensions et des aides versées au-delà de la condition militaire aux victimes de guerre, d’attentats et à leurs familles.

Notre groupe salue les efforts de reconnaissance pour les harkis et l’extension du droit à pension aux victimes d’actes de terrorisme pour les attentats commis avant 1982.

La transformation du monde combattant tient compte de l’évolution des générations. Les combattants qui ont servi en Opex sont plus jeunes, encore actifs, et comptent davantage de femmes. Nous saluons aussi les dispositifs prévus pour réhabiliter les soldats le plus tôt possible, comme les maisons Athos.

Enfin, les efforts consentis pour la politique de mémoire à travers la restauration et la mise en valeur du patrimoine sont indispensables mais nous devons veiller à l’avenir des associations d’anciens combattants qui ont perdu pas moins de 300 000 adhérents entre 2014 et 2021.

Notre groupe votera ces crédits.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LIOT). Notre groupe votera ces crédits. Tous les parlementaires doivent envoyer un signal fort de soutien à nos militaires et au monde combattant. Cependant, ce vote ne doit pas être interprété comme un blanc-seing donné au Gouvernement.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, je salue l’adoption, en première partie, des amendements qui ont permis d’étendre le bénéfice de la demi-part fiscale. Cette véritable avancée corrige une injustice fiscale. Le financement de cette dépense fiscale sera-t-il maintenu et inscrit dès 2023 ? Nous regrettons en revanche que le budget continue à se contracter. De 2,5 milliards en 2017, il est passé à 1,9 milliard.

D’autre part, le service national universel est le grand oublié de cette mission alors que le monde combattant a un rôle à jouer auprès des jeunes. Le bleu budgétaire traduit la volonté du ministère des armées de prendre part à sa montée en puissance mais aucun crédit budgétaire n’est fléché en ce sens.

La mission Défense m’inquiète. Les 3 milliards de hausse ne sont qu’un trompe-l’œil budgétaire. Les crédits doivent être relativisés au regard des reports de charge, du coût de la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique et de l’inflation.

Concernant les renseignements, à l’heure des conflits de haute intensité, l’enveloppe de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) progresse en 2023 après une baisse de près de 4 % de ses crédits de fonctionnement et d’intervention l’an dernier. Les failles du passé ne pèsent-elles pas sur nos échecs ?

L’incapacité des services à prévoir l’invasion russe de l’Ukraine, les coups d’État au Sahel ou la trahison de l’Australie dans l’affaire des sous-marins conduit à s’interroger. Il faudrait que le ministère se positionne clairement sur nos objectifs en matière de renseignement : veut-on simplement se mettre à niveau ou rattraper nos concurrents ?

S’agissant de la BITD, nos industriels vont être extrêmement sollicités, alors même qu’ils sont affectés par l’inflation. Nous devons faire face à plusieurs demandes : l’appui continu à l’Ukraine, la reconstitution des stocks de nos armées, la livraison des commandes aux États. L’accès au financement bancaire demeure difficile, surtout pour les PME. Les négociations entre Bercy, les banques et les entreprises n’ont pas permis de faire avancer les choses. Il est difficile, dans ces conditions, d’élaborer une nouvelle feuille de route pour notre tissu industriel militaire. Ce sont autant d’enjeux qui nécessitent de rectifier le tir au moyen d’une nouvelle LPM.

Notre groupe tient à saluer l’effort engagé en faveur de la gendarmerie nationale, dont les crédits avoisinent désormais 10 milliards. Les gendarmes avaient dû faire face à une contraction violente du nombre des brigades, qui étaient passées de 3 600 à 3 100. Nous saluons la création, prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), de 200 nouvelles brigades. Notre groupe attend encore des éclaircissements sur les efforts qui seront menés en faveur des territoires. La concertation évoquée avec les élus locaux va dans le bon sens, mais se traduira-t-elle par des financements permettant de répondre aux spécificités de chaque territoire et aux demandes des élus locaux ?

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*     *

 

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

 

M. le président Thomas Gassilloud. La commission est saisie de vingt-neuf amendements. Sur les quarante-neuf qui avaient été initialement déposés, sept ont été retirés et treize ont été déclarés irrecevables, soit parce qu’ils comportaient des erreurs dans les mouvements de crédits ou leur justification – c’est le cas des amendements nos 32, 36, 37, 38, 40 et 44 –, soit parce qu’ils ne relevaient pas du domaine des lois de finances – cela concerne les amendements nos 9, 15, 19, 20, 21 et 22. Enfin, l’amendement no 13 relevait du compte d’affectation spéciale Pensions.

 

Article 27 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN7 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). La mission Défense prévoit pour 2023 une dotation en gazole de 33 036 867 euros, correspondant à un volume de 20 600 mètres cubes pour nos forces armées, en très légère augmentation par rapport au PLF pour 2022. Le Gouvernement table sur un prix du baril de pétrole de 88 euros. Cette prévision ne tient pas compte de la grande volatilité des cours liée à l’évolution du marché, qui est actuellement fortement affecté par la dégradation de l’environnement international. Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose d’augmenter de 5 % la dotation gazole allouée à nos forces armées, pour un montant de 1,651 million. Cette somme tient compte de l’augmentation des tarifs de cession ainsi que du volume de carburant nécessaire à l’activité de nos forces armées en 2023, qui pourrait s’accroître.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement est utile, car le cours du brent a été manifestement sous-estimé dans le projet de budget, comme il l’avait été l’année dernière. Si le montant de 1,651 million est insuffisant pour compléter le reste à charge de nos armées, c’est tout de même mieux que rien. Avis favorable.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Cet amendement, comme les trois suivants, témoignent de la volonté qui nous anime toutes et tous que les forces armées aient les moyens de leurs ambitions. Cela étant, les montants proposés – 1,6 million, 50 millions, 200 millions… – montrent combien nos prévisions divergent concernant la volatilité du cours du baril. Il ne faut pas laisser croire que nos armées ne disposent pas de moyens suffisants et que nous n’avons pas la possibilité de réabonder en cours d’année la ligne budgétaire des carburants, faculté prévue par l’article 5 de la LPM. Au nom de mon groupe, je vous invite donc à repousser cet amendement, comme les trois suivants.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le service de l’énergie opérationnelle (SEO) détient un compte de commerce abondé par le programme 178, qui lui sert à acheter l’essence et à la revendre à ses utilisateurs – nos armées, les armées alliées ou des entreprises privées effectuant en particulier des essais. Ce compte a été abondé cette année à hauteur de 600 millions ; il peut présenter un découvert d’un montant maximal de 125 millions. Fin août, le compte de commerce étant à zéro, le SEO a dû utiliser son découvert en veillant à ne pas dépasser la limite fixée. Il ne peut y parvenir qu’en ponctionnant d’autres lignes du programme 178, ce qui met en tension la totalité de ce programme. C’est cela que nous voulons éviter. Le Gouvernement aurait pu choisir d’activer l’article 5, mais il ne l’a pas fait cette année. Il aurait pu aussi, dès juillet, augmenter la ligne dédiée à l’essence dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR). J’espère que le PLFR de décembre abondera ce programme.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à abonder les crédits destinés à la préparation des forces navales. Le respect du contrat opérationnel pour la fonction de protection n’est que de 89 %, soit le niveau le plus faible de toutes les forces armées. Les autorisations d’engagement en matière de préparation des forces navales sont en forte diminution – de près de 32 %, soit d’environ 1,3 milliard –, ce qui montre que l’on envisage un contrat opérationnel général plus faible pour la marine en 2023. Le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l’indique le projet annuel de performances (PAP) Défense, « le niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir jusqu’en 2025, le parc des moyens aériens et maritimes restant quantitativement équivalent ». Ce taux de couverture restera donc très faible.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement et les suivants, qui ont trait au renforcement de nos moyens pour la marine nationale, présentent des objectifs louables mais proposent des moyens discutables. Je comprends mal le gage sur lequel reposent les amendements de Mme Pic et de Mme Galzy qui visent à abonder l’action 03, Préparation des forces navales, du programme 178 d’un montant, respectivement, de 5 millions et de 1 million. Vous prélevez ces sommes sur l’innovation et le soutien à nos forces alors qu’on a montré à quel point ces domaines sont essentiels à la marine nationale. Dans le même ordre d’idées, une série d’amendements du Rassemblement national vise à abonder le programme des sous-marins ou celui des patrouilleurs océaniques en prélevant les crédits sur la journée défense et citoyenneté, qui est une brique essentielle du lien entre l’armée et la nation. Enfin, l’amendement de M. Tanguy me semble redondant avec celui de ses collègues puisqu’il vise à l’acquisition de deux patrouilleurs outre-mer (POM) supplémentaires.

La majorité présidentielle apporte une grande attention à la ZEE et aux territoires d’outre-mer (TOM), comme le montre l’accroissement des moyens de notre armée, tant dans le budget que dans la loi de programmation en cours. Il est prévu d’acheter cinq POM supplémentaires, le premier étant en essais à Brest et devant être livré en 2023. Un sixième bateau est prévu pour 2025. Le PLF affecte à cette fin 1,4 milliard en AE et 114 millions en CP. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons votera contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Comme l’exposé sommaire l’indique, le gage nous est imposé par l’article 40 de la Constitution. Nous espérons que le Gouvernement, conscient de la nécessité de préserver les crédits de l’ensemble des programmes, le lèvera.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous voterons en faveur de l’amendement, car il vise à accroître le budget de la défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons des modules de formations spécifiques pour sensibiliser les armées à la préservation de l’environnement. L’amendement abonde à cette fin les crédits en faveur de la formation.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Votre amendement reprend une proposition d’un rapport d’information de Mme Santiago et de M. Fiévet qui avait été adopté par notre commission. Il est toujours utile de former aux enjeux climatiques. Avis favorable.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je doute de la pertinence des amendements portant sur la transition écologique et énergétique de nos armées. En effet, celles-ci sont déjà fortement engagées en la matière. Le ministère des armées a une responsabilité particulière en matière d’environnement, en sa qualité de premier propriétaire foncier de l’État. Il assume parfaitement ce rôle, comme le montrent les mesures qu’il prend en faveur de la sobriété et de la transition énergétique. Ces actions sont formalisées dans le cadre d’une stratégie ministérielle pour la performance énergétique visant à réduire la dépense énergétique des infrastructures du ministère et à développer l’utilisation d’énergies renouvelables et de capacités d’autoproduction.

Ces mesures représentent 114 millions en AE et 58 millions en CP dans le PLF2023 pour le plan Place au soleil. On relève 18 contrats de performance énergétique, 50 millions pour le plan Eau, un fonds d’intervention de 3 millions pour l’environnement et plus de 10 millions prévus en 2023 pour le remplacement progressif d’ici à 2031 de près de 1 600 chaufferies au charbon ou au fioul. Mentionnons aussi les zones classées Natura 2000, les missions de lutte contre la pollution de la marine nationale ou encore les partenariats du ministère des armées avec diverses organisations protectrices de l’environnement et de la biodiversité.

Dans le cadre de l’élaboration du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, j’ai été témoin, avec Isabelle Santiago, de cet engagement, qui a permis la restauration de 700 hectares de pelouses sèches, la protection de 3 hectares de milieux humides et la réinsertion d’une espèce d’oiseau protégée, l’outarde canepetière, sur le camp de la Valbonne, grâce au programme Life.

De leur formation jusqu’à leur camp de base, les militaires sont sensibilisés aux enjeux environnementaux. Plusieurs bases ont signé des conventions avec les agriculteurs pour permettre à leurs animaux de venir pâturer sur les terrains militaires. Enfin, je suis convaincu que nos soldats sont aussi sensibilisés, en tant qu’individus, à ces enjeux.

Il faut accompagner le ministère dans ses initiatives. Je ne crois pas que les mesures proposées par les amendements II-DN11 et II-DN12, ni le fléchage auquel invite l’amendement II-DN10, constituent des dépenses pertinentes. Nous voterons donc contre ces amendements.

Mme Anna Pic (SOC). Je me réjouis que le ministère engage des investissements et soit sensibilisé à l’environnement, mais l’amendement vise à abonder une ligne précise : l’action 08, Politique culturelle et éducative, du programme 212.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Dans le cadre de leur formation initiale, nos militaires sont sensibilisés à l’environnement. Il est quelque peu choquant de vous entendre dire que les formations sont mal faites et que nos soldats ne sont pas sensibilisés à l’écologie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont très respectueux de l’environnement. Votre amendement, à cet égard, n’est pas recevable.

Mme Anna Pic (SOC). À aucun moment je n’ai dit que les soldats étaient mal formés, mais il me paraîtrait utile de prévoir une formation tout au long de la vie sur la sensibilisation à l’environnement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cher Jean-Michel Jacques, il ne vous revient pas de juger de la recevabilité d’un amendement : je vous remercie de bien vouloir respecter le travail de vos collègues.

Cet amendement ne vise pas à remettre en cause les formations destinées aux militaires mais à en faire davantage pour l’environnement. Je me souviens d’un chef d’état-major pour qui l’armée de terre s’y connaissait en écologie puisque les soldats étaient tous habillés en vert… Un peu de formation tout au long de la vie ne peut pas faire de mal !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’un des scénarios proposés par la Red Team Défense montre comment nos forces pourraient être très rapidement mises en difficulté si elles ne disposaient plus de moyens de ravitaillement. L’enjeu de leur indépendance sur le champ de bataille est pris très au sérieux par les militaires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cet amendement n’est que de l’affichage. L’efficacité opérationnelle de nos armées dépend de leur capacité à se fondre dans tous les milieux : le bateau qui laisse des ordures derrière lui ou le fantassin qui ne respecte pas la nature sera le premier à se faire détecter. Par ailleurs, monsieur Lachaud, en disant que l’amendement n’était pas recevable, notre collègue Jean-Michel Jacques s’attachait à l’esprit du droit, et non à un problème de recevabilité.

M. Jean-Michel Jacques (RE). En effet, je ne me prononçais pas sur le plan légistique mais sur le fond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN23 de M. Aurélien Saintoul et autres

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Il s’agit de créer un programme dédié à l’adaptation du ministère des armées aux conséquences du changement climatique, dans le but d’intégrer un nouveau logiciel de réflexion au sein de nos armées et d’y associer des moyens spécifiques. En 2020, la consommation de carburant représentait 76 % de la facture énergétique de la défense, qui s’élève à 840 millions d’euros. Il est donc nécessaire de trouver des alternatives, notamment lorsque les ambitions en matière de recours au biocarburant ne s’élèvent qu’à 1 % dans le PLF pour 2023. La création de ce programme permettra de financer la réalisation d’une étude d’impact de l’empreinte carbone des trois armées et de préciser comment assurer notre défense en recourant moins aux énergies fossiles, en adaptant nos équipements et nos méthodes d’intervention, et en vérifiant la qualité des locaux hébergeant nos trois armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Les services de nos armées, qui ont tous conscience des enjeux de la bifurcation écologique et souhaiteraient agir, sont bien souvent limités par l’absence de budget dédié. La création de ce programme permettrait d’y remédier.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faudra me donner le nom du cabinet qui fait l’étude d’impact pour 1,3 million : vu le prix, c’est probablement McKinsey ! Considérant tous les manques que nous avons constatés dans l’armement et qu’il faut financer, il faut arrêter de faire des propositions de ce type. Dépenser de telles sommes pour faire des études paraît incongru. Nous voterons contre.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Les armées sont déjà engagées dans un effort de bifurcation pour réduire leur dépendance énergétique. Cela fait partie de la préparation de l’avenir et, à court terme, le plan d’investissement immobilier dans les bâtiments publics, en particulier dans l’immobilier de la défense, est déjà engagé. Je le constate dans ma circonscription avec la rénovation thermique de plusieurs bâtiments qui abritent nos soldats.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je suis un peu ébahi de constater que, une fois de plus, l’amendement est gagé sur le programme 144. En l’occurrence, s’il y a bien un programme dans lequel on fait de l’innovation sur les carburants et sur la transition écologique des armées pour penser le futur et préparer l’avenir, c’est bien celui-ci ! Il y a là une incohérence de fond qu’il est difficile de comprendre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens alloués à la sécurisation des fonds marins. La France, deuxième puissance maritime au monde, a besoin de moyens de surveillance pour protéger ses câbles sous-marins et ses ressources.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La maîtrise des fonds marins nécessite des moyens de surveillance des grandes profondeurs mais aussi d’intervention. Ces capacités existent : a été nommé auprès du sous-chef Opérations un adjoint en charge de maîtrise des fonds marins, tandis que des sociétés travaillent activement à développer des moyens d’actions dans les grands fonds. Enfin, une mission flash aura pour objet de tirer un certain nombre d’enseignements sur ce sujet et nous permettra d’enrichir la future LPM. Je vous propose de rejeter cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de M. Aurélien Saintoul et autres

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Le SSA (service de santé des armées) continue de souffrir des suppressions d’effectifs réalisées lors de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et a été très fortement mis sous tension lors de la pandémie. Il est désormais nécessaire de lui donner des moyens supplémentaires pour remplir ses missions, notamment dans la perspective d’un conflit de haute intensité.

Mme Corinne Vignon (RE). L’augmentation de 1,3 million d’euros prévue dans le PLF pour 2023 permettra au service de santé des armées de commander une plateforme logistique santé, d’engager un effort sur la sécurisation des HIA (hôpitaux d’instruction des armées) et d’acquérir les équipements nécessaires pour moderniser les unités médicales opérationnelles et les antennes de réanimation ou de chirurgie de sauvetage.

L’article 42 du PLF corrige en outre une inégalité de traitement entre les personnels du SSA. Ceux qui sont en fonction dans les hôpitaux interarmées perçoivent le CTI (complément de traitement indiciaire) instauré à la suite du Ségur de la santé. Une majoration de traitement indiciaire est donc créée pour les personnels soignants relevant du ministère des armées mais n’exerçant pas directement en milieu hospitalier et qui, de ce fait, étaient privés du CTI.

Enfin, avec le retour de la haute intensité des conflits en Europe, la LPM nous permettra de réviser les capacités des SSA.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Il vise à interpeller le Gouvernement sur les raisons de la réduction du budget alloué aux moyens de simulation de notre dissuasion nucléaire – moins 30 millions d’euros en autorisations d’engagement et moins 70 millions d’euros en crédits de paiement –, alors que cet outil est indispensable pour préserver la crédibilité de nos forces nucléaires, sans laquelle la dissuasion ne remplit plus sa mission.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Depuis 2017, les crédits consacrés à la dissuasion ont augmenté de 47 % – ils s’élèveront à 4,6 milliards en 2023 – tandis que ceux dédiés à la simulation ont augmenté de plus de 50 millions d’euros : c’est considérable. La légère baisse prévue pour 2023 est en ligne avec les besoins exprimés par les porteurs du programme : il n’y a donc pas d’alerte particulière sur notre capacité à simuler notre arsenal dissuasif.

Par ailleurs, pour financer votre amendement, vous ponctionnez des crédits de la journée défense et citoyenneté, ce qui est contreproductif au regard des objectifs qui devraient normalement tous nous rassembler.

M. Loïc Kervran (HOR). L’excellence de la France dans le domaine de la simulation permet de comprendre la baisse des crédits. Tous les outils qui ont été développés – laser Mégajoule, installation radiographique Epure, supercalculateurs Tera, réacteur d’essai RES – ont permis d’en réduire considérablement les coûts.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN33 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Les tensions sur la disponibilité des hélicoptères font que nous n’atteignons pas les objectifs en heures de vol fixés par la LPM. Il convient de renforcer nos investissements dans ce domaine afin d’être toujours plus opérationnel et efficace. Il est donc proposé de prélever 3,35 millions d’euros sur le budget des dépenses de personnel des cabinets pour augmenter le budget consacré aux hélicoptères NH90.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Votre amendement ne relève pas du programme 146 mais du programme 178 puisqu’il concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO). Par ailleurs, vous le financez en prélevant sur des crédits qui n’ont aucun rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN34 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). La capacité de projection est capitale pour nos armées. Avec le retour des guerres de haute intensité, le transport de matériel lourd retrouve toute son importance. Après le retrait du C160 Transall, l’A400M est devenu un atout précieux, qu’il convient de prioriser au sein du budget. Il nous semble donc judicieux de prélever des crédits sur le budget consacré au cabinet ministériel pour les investir dans l’A400M.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’A400M ne connaît pas de problème d’approvisionnement : la trajectoire est respectée à la lettre et l’armée de l’air et de l’espace recevra en 2023 son vingt-deuxième A400M. Par ailleurs, vous prenez sur les crédits des cabinets pour financer un renforcement potentiel de programmes qui fonctionnent déjà. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN35 de M. Pierrick Berteloot et autres

M. Pierrick Berteloot (RN). Nos sous-marins sont un atout décisif pour surveiller et protéger les mers et les océans. En cas de guerre de haute intensité, la France, deuxième surface maritime mondiale, sera inévitablement menacée sur son territoire maritime. Notre flotte doit donc demeurer opérationnelle et être capable d’intervenir partout et rapidement afin de protéger notre intégrité nationale. L’entretien régulier de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda coûte cher et nécessite des investissements toujours plus importants. Nous proposons de supprimer la journée défense et citoyenneté (JDC), anecdotique dans la vie des Français et donnant peu de résultats, et de transférer les crédits correspondants au programme d’investissement dans les sous-marins.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je ne peux pas laisser dire que la journée défense et citoyenneté est anecdotique : je vous invite à vérifier les effets de ce dispositif et, plus largement, du service national universel (SNU).

Concernant votre amendement, je suis assez étonné : l’action consacrée aux Barracuda est la sixième action la mieux dotée du programme 146. Il n’y a pas de besoin ni de difficulté dans les livraisons, qui suivent leur cours. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En matière de construction navale, il y a des réalités : les capacités des bassins et des ateliers à produire et à sortir les bâtiments. La construction des SNA et le déroulement du programme Barracuda répondent à une planification d’une finesse incroyable, qui n’autorise aucun retard ni aucune commande supplémentaire, car nous enchaînerons ensuite avec le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) 3ème génération. Cet amendement doit être rejeté.

M. Laurent Jacobelli (RN). Alors que nous discutons des amendements depuis un long moment, j’en tire trois conclusions. Premièrement, aucun amendement de l’opposition ne sera adopté.

Deuxièmement, vous confondez systématiquement les gages avec un transfert de dépenses – vous pouvez arrêter maintenant, je crois que nous avons compris votre message et votre entêtement.

Troisièmement, les marques de mépris ne devraient pas être affichées dans cette commission. On peut ne pas partager le même avis : nous pensons que la journée défense et citoyenneté ne sert absolument à rien : on ne devient pas patriote en un jour, on ne prend pas conscience de la défense nationale en un jour, et il faudrait réformer le SNU, qui est une gigantesque colonie de vacances. Vous faites de l’affichage ; nous faisons du fond. Essayons de faire un travail sérieux !

M. Christophe Blanchet (Dem). La JDC est utile à au moins deux titres : d’une part, elle constitue à 25 % la base de recrutement des armées et, d’autre part, elle permet d’identifier les décrocheurs. Si le parcours n’est pas encore efficace à 100 %, il permet tout de même d’en aider quelques-uns. Quant au service national universel, il contribue à faire de nos jeunes des Français qui s’investissent dans le devoir de mémoire et développent leur esprit patriotique. Vivez l’expérience de l’intérieur, comme je l’ai fait à plusieurs reprises : vous pourrez ainsi la critiquer.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous nous accusez de faire de l’affichage, tout en jugeant insuffisante la marche budgétaire à 3 milliards : cela n’a pourtant rien de négligeable et s’inscrit dans la trajectoire de 300 milliards fixée par la LPM pour porter le budget de la défense à 2 % du PIB. C’est un effort auquel les Français consentent parce qu’ils sont tout à fait conscients de la nécessité que nos armées montent en puissance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je crois que vous avez parfaitement résumé le problème de fond : vous estimez que ces 3 milliards sont un pas en avant suffisant. Nous considérons qu’avec l’inflation et les reports de charges, ces 3 milliards ne font qu’assurer la continuité. Il n’y a pas de véritable progression, alors que nous avions beaucoup reculé dans les années passées. Ce que vous faites mine de ne pas comprendre, c’est que les différents amendements ne sont pas des transferts mais des demandes d’augmentation de budget, pour fournir davantage d’équipements à nos armées. Ce budget, même s’il est en augmentation sur le papier, n’est pas suffisant. Si vous continuez à nous sortir les mêmes éléments de langage pour éviter le débat, nous allons tourner en rond pendant deux heures !

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez voté une LPM à 300 milliards, certes, mais avec pour seul objectif d’atteindre les 2 % du PIB. Or ce seuil n’a été atteint qu’à la suite de l’effondrement du PIB consécutif à l’épidémie de covid-19 : cela démontrait bien l’inanité d’un tel objectif. Alors que le ministre affirme vouloir co-élaborer la prochaine LPM avec les oppositions, vous ne voulez absolument rien entendre de nos propositions concernant le budget : cela augure mal de la suite. De plus, puisque, à vous entendre, tout va très bien, pourquoi faire une nouvelle LPM ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au terme prévu de 2025 ?

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Vous avez raison : nous avons déjà atteint les 2 % du PIB ; et pourtant, ce n’était pas l’objectif principal. Notre effort d’investissement porte essentiellement sur les équipements et la part du budget qui leur est affectée est considérable comparée à celle des autres pays européens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Pensez-vous que le contexte économique et géopolitique n’a pas évolué depuis 2017 ? Il y a eu des changements majeurs – crise sanitaire, guerre en Europe… Votre LPM n’est pas l’alpha et l’oméga en toute chose. Nos armées sont dépourvues en matériel, en formation et en munitions. Certes, la LPM est respectée à l’euro près, mais ce n’est pas suffisant. De plus, l’inflation n’a pas débuté en 2022, elle a existé aussi entre 2018 et 2022 : cela aussi consomme du crédit.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Alors que l’on nous avait vendu cette LPM à hauteur d’homme, on nous explique aujourd’hui que l’essentiel de ce texte consiste en investissements dans du matériel. À quoi sert d’avoir du matériel si nous n’avons pas de soldats formés pour le manœuvrer ? Or nous rencontrons un vrai problème de fidélisation. Force est de constater que les 3 milliards, qui plus est grevés par l’inflation, ne tiennent pas compte de la globalité du problème.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à poser une question aux membres des groupes liés à la majorité : êtes-vous disposés à accepter ne serait-ce qu’un amendement de l’opposition ou bien avez-vous décidé de tout rejeter et de camper sur vos positions ?

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les forces françaises étant dépendantes de l’importation pour les munitions de petit calibre, il est primordial de retrouver une filière souveraine de production dans ce domaine. Or le budget ne traite pas de ce problème. Pour y remédier, nous vous proposons de débloquer 100 millions en les prélevant sur les crédits de la journée défense et citoyenneté. Puisque je dois vous expliquer la politique des gages, nous souhaitons que le gage ne soit pas levé et que le Gouvernement comprenne l’importance de ces munitions.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous invite à ce que l’on échange dans le cadre des groupes de travail sur la future LPM car c’est un sujet légitime. Certains sujets comme l’agenda de relocalisation relèvent du débat sur l’économie de guerre. Remettre en place ces filières en France nécessite des changements structurels importants : ce sont donc des sujets LPM. Il faudra en débattre en amont de manière un peu plus structurée que dans le cadre du PLF pour 2003. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Les machins qui ne servent à rien peuvent être des sources d’économies. L’Agence européenne de défense, censée faire travailler vingt-six pays sur des projets d’armement, écrivait elle-même que ces rapprochements n’avaient pas lieu, signant ainsi le constat de sa propre incapacité. Quand les pays veulent travailler ensemble, ils peuvent le faire : pas besoin d’une agence pour les y forcer. Vous cherchez des économies pour financer des programmes pour nos armées : je vous en propose pour 7,5 millions.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cette fois-ci, vous essayez de supprimer des crédits de manière pure et simple, en estimant que l’Agence européenne de défense ne sert à rien. On peut en débattre sur le fond mais cette agence finance le Fonds européen de la défense, qui a eu un rôle non négligeable dans l’organisation des livraisons d’armements à l’Ukraine, qui soutient l’effort d’innovation et de construction de programmes conjoints et qui renforce la BITD européenne. Je ne peux pas comprendre qu’on annule purement et simplement, sans autre projet, une agence européenne qui, en dépit de difficultés, remplit des missions essentielles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de M. Laurent Jacobelli et autres

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit d’un amendement d’alerte.

Le brouillage et le leurrage des signaux GNSS sur le champ de bataille sont des menaces désormais clairement identifiées, qu’elles émanent de forces irrégulières équipées de brouilleurs achetés sur internet ou de plus grandes puissances. Les capacités en matière de guerre électronique de pays comme la Russie nous montrent qu’il ne faut pas compter sur le seul réseau satellitaire pour la géolocalisation de nos systèmes. La tentation de renforcer les receveurs, incarnée par le programme européen Omega (Opération de modernisation des équipements GNSS des armées), nourrit une fuite en avant : s’il est nécessaire de sécuriser les receveurs à usage militaire, ces derniers ne sauraient être une solution réellement efficace.

La France a la chance de disposer de deux industriels en mesure de fournir des solutions inertielles haute performance, c’est-à-dire capables de naviguer de manière autonome, sans signal GNSS, avec une dérive dans le temps opérationnellement acceptable. Le budget alloué au programme Omega aurait suffi à équiper de telles centrales une part conséquente de notre parc de véhicules terrestres.

À l’heure du combat collaboratif dans le cadre du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), perdre les données de navigation d’un véhicule peut avoir de graves conséquences opérationnelles. Nous invitons donc les décideurs publics à équiper rapidement nos véhicules de solutions inertielles.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement d’appel vise à interpeller le Gouvernement sur la capacité de nos armées à surveiller nos zones économiques exclusives (ZEE). La marine nationale n’a pas les moyens de le faire et les pillages halieutiques dans l’océan Indien, notamment au large des îles Éparses, représentent un gros enjeu économique et environnemental. La France, puissance maritime mondiale, doit doter sa marine en patrouilleurs et réaliser des investissements dans les nouvelles technologies.

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN47 de M. Frédéric Boccaletti et autres

M. Frédéric Boccaletti (RN). Je serai très bref, puisque tous les amendements de l’opposition vont être rejetés, quel que soit le groupe dont ils émanent. Je regrette que le sectarisme de la Macronie ait fait son apparition dans cette commission, où les choses se passaient très bien jusqu’à présent. Il faut dire que c’est la première fois que nous procédons à des votes : dès qu’il y a de la démocratie, cela dérange la Macronie !

Une commission d’enquête du Sénat a dévoilé en mars 2022 que les dépenses de l’État en prestations de conseil avaient été multipliées par trois entre 2018 et 2021 et que 18,2 % d’entre elles concernaient le ministère des armées en 2021. Parmi les cabinets qu’il emploie, des américains, des britanniques et des néerlandais ; bref, des puissances étrangères sont mêlées aux affaires militaires nationales.

Pour 2023, ce budget est en augmentation de 3,92 % pour atteindre près de 90 millions d’euros. Le contexte géopolitique nécessite de revoir nos priorités stratégiques et les financements doivent servir en priorité à rendre opérationnelles nos armées. En revenant au niveau de 2018, on économisera plus de 60 millions que nous proposons de reverser à la marine nationale.

L’amendement sera rejeté, mais je le redéposerai en vue de la séance.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il y a méprise : le budget des cabinets de conseil, qui était de 50 millions l’an dernier, est sur le poste du secrétariat général pour l’administration (SGA). Là, vous retirez des crédits au cabinet du ministre : vous le privez de tous ses moyens d’agir. Je vous propose donc de retirer votre amendement et de revoir en vue de la séance le poste budgétaire visé.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Stéphanie Galzy et autres

Mme Stéphanie Galzy (RN). Il vise à revaloriser de 3 millions d’euros le budget alloué à la hausse du nombre d’apprentis dans les armées, en réduisant d’autant la contribution française à l’Agence européenne de défense (AED).

Le développement de l’apprentissage est un objectif partagé par l’ensemble des groupes politiques. Un effort supplémentaire serait bénéfique pour les jeunes et pour nos armées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Défavorable. L’apprentissage n’est pas la bonne solution aux problèmes d’attractivité et de fidélisation au sein de nos armées. La moitié des contrats d’apprentissage aboutit à une rupture avant terme.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-DN49 de M. Jean-Philippe Tanguy.

 

Amendement II-DN50 de M. Michaël Taverne et autres

M. Michaël Taverne (RN). Dans le contexte international actuel, marqué par le retour de la guerre en Europe, il est indispensable d’assurer la bonne préparation de nos forces. L’effort budgétaire consenti cette année à cette fin est insuffisant.

Le budget prévoit une diminution de 2,1 millions d’euros des crédits de paiement alloués aux systèmes d’information et de communication (Sic), mais une hausse de 1,9 million de ceux des cabinets du ministère des armées – sans doute principalement pour compenser l’inflation, mais il faut un effort supplémentaire. Vous avez parlé de soutien à nos forces armées et d’efforts sur les équipements : soyez cohérents. Nous proposons que les fonds nécessaires à cette hausse soient symboliquement transférés vers les Sic, enjeu structurant, y compris pour la dissuasion. Ceux d’entre vous qui connaissent le terrain savent combien la communication est essentielle en matière opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne connais pas la justification de la baisse. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN51 de M. Julien Rancoule et autres

M. Julien Rancoule (RN). Il s’agit d’abonder de 18 791 578 euros l’action 06-14, Assurer la crédibilité de la dissuasion M51, du programme 146. Vu le regain de conflictualité déstabilisant le continent européen, il apparaît absolument nécessaire que la France consolide sa dissuasion nucléaire, garante de notre sécurité et de notre indépendance.

Pour des raisons de recevabilité, la somme est prélevée sur le budget alloué à la journée défense et citoyenneté du programme 212, Soutien de la politique de la défense. En effet, à l’heure du développement du SNU, les JDC sous leur forme actuelle perdent en pertinence. À mon collègue qui les vantait, je dirai que ce n’est pas le rôle de l’armée de détecter le décrochage et qu’il sous-estime nos enseignants, les plus à même de le faire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je vous rassure : les M51.3 sont soutenus à hauteur de 809 millions d’euros dans le PLF pour 2023 et les travaux sur le quatrième incrément seront lancés en 2023. Avis défavorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les enfants sortis du système scolaire qui vont faire leur JDC n’ont pas été repérés par les enseignants.

Nos travaux ont montré que la JDC était à améliorer ; j’estime à titre personnel qu’elle n’accomplit pas toutes ses missions. Sa transformation en SNU permettra d’atteindre nos objectifs, mais elle est progressive : le SNU ne peut être instauré du jour au lendemain faute de moyens humains et de structures d’accueil. En attendant, la JDC fournit une base de recrutement à nos armées et permet d’identifier quelques décrocheurs. Ne supprimons donc pas un dispositif qui a prouvé son efficacité dans certains domaines, notamment le sens de la citoyenneté et du patriotisme, et ne le mettons pas en concurrence avec l’éducation nationale : chacun ses responsabilités.

M. Laurent Jacobelli (RN). Bravo : nous devenons la seule commission qui n’accepte aucune remarque de l’opposition. J’ai été naïf, ainsi que mon groupe : nous avons toujours loué la qualité des débats, l’ouverture et l’écoute qui nous paraissaient y régner – à quelques exceptions près, mais M. Bayou n’est pas là aujourd’hui. Désormais, quoi que l’on dise ou fasse, la réponse est non, assortie au mieux d’un argument, au pire d’un regard méprisant.

Comment allez-vous expliquer, en sortant d’ici, que vous n’avez rien accepté d’aucune opposition ? Vous le faites sous les yeux de ceux qui suivent nos débats. C’est la quintessence de la Macronie : cause toujours, tu m’intéresses ! Je veux bien que vous ayez raison sur tout et nous sur rien ; statistiquement, c’est quand même très peu probable. En revanche, la probabilité que vous souffriez d’un manque d’humilité et d’écoute est de moins en moins nulle.

Soit vous continuez ainsi, ce qui vous envoie dans le mur – et, soyons très clairs, cela nous sert, mais cela ne sert pas les Français ; soit vous assouplissez vos positions et vous écoutez un peu ce qui se dit en face. Si, depuis 2017, vous aviez raison sur tout, les Français s’en seraient aperçus !

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Par nature et par tradition, notre commission s’est toujours caractérisée par le consensus et le respect mutuel. Je ne comprends pas le durcissement brutal de vos postures alors que nos travaux étaient, au départ, très constructifs.

Nos différences d’approche résultent de nos histoires et de nos visions politiques respectives. Quand vous attaquez l’Agence européenne de défense, on reconnaît bien le Front national et son opposition à tout ce qui est européen. Certains de vos amendements pourraient être intéressants, mais si nous les avions tous acceptés, comme vous les avez gagés sur l’essentiel des finances du cabinet du ministre des armées – qu’a-t-il bien pu vous faire ? –, il n’y aurait plus d’argent pour le faire tourner.

Manifestement, certains d’entre vous ont encore besoin d’apprendre à maîtriser la mécanique parlementaire. Vous essayez de vous victimiser en permanence, mais ça ne marchera pas. Puisque vous voulez faire de la politique, faisons-en : vous voulez dépouiller des missions essentielles à la défense pour essayer de donner du crédit à votre action, qui est incompréhensible. Je regrette vraiment que nous en arrivions là. Si nos débats n’étaient pas filmés, votre approche ne serait pas la même. On a bien compris que vous vouliez préparer les esprits à ce qui va être débattu à partir de dix-sept heures. Les membres de notre commission, les militaires qui nous regardent, tous ceux qui sont attachés à l’esprit de défense ne méritent pas cela.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je le répète, notre commission restera la seule qui n’aura pas écouté l’opposition, qui n’aura voté aucun de ses amendements. Vous pouvez dire que le Rassemblement national n’est pas un parti compétent ; les Français en ont jugé autrement. Il est vrai que vous avez une certaine expertise en la matière, ayant fait un bon nombre de partis ces dernières années. Vous pouvez ne pas vous remettre en cause – je vois que vous avez très vite adopté les habitudes de la Macronie –, mais la situation soulève des questions. Je crois m’être exprimé poliment, je n’ai pas fait d’esclandre ; je vous dis simplement que je regrette cet état de fait. Vous l’avez dit, cette commission est composée de gens sérieux, le dialogue y est en général de qualité. Aujourd’hui sont venus s’y inviter la posture et le mépris ; c’est dommage. Pour le coup, c’est peut-être lié à la présence des caméras : vous êtes tous beaucoup plus amènes quand elles ne sont pas là.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN52 et II-DN53 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il faut augmenter les budgets essence de nos armées pour tenir compte du cours du brent. On ne peut pas partir du principe que le baril sera à 63 euros en 2023. Au lieu d’avoir à abonder le programme en cours d’année, faisons-le maintenant : c’est du bon sens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ne devrais-je pas donner mon avis sur l’amendement II-DN52 ?

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN54 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les dépôts de munitions du Simu (service interarmées des munitions) sont pour la plupart classés site Natura 2000. Cela nous garantit de vastes espaces naturels protégés favorisant la biodiversité, mais chaque fois que le Simu veut faire des travaux, il se heurte à des contraintes qui entraînent des surcoûts. L’amendement vise à compenser ceux qui affectent la rénovation du camp de Miramas en raison de la présence de chênes-lièges remarquables.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je maintiens que, pour l’amendement II-DN52, j’étais le rapporteur pour avis. L’erreur n’est pas dramatique, mais que l’on puisse au moins s’exprimer de temps en temps !

M. le président Thomas Gassilloud.  Il pouvait y avoir deux rapporteurs pour avis, puisqu’il s’agit de la préparation des forces aériennes, mais que l’amendement abonde aussi la préparation et l’emploi des forces. N’y voyez aucune marque de rejet. Vous pouvez intervenir à tout moment si vous le souhaitez.

 

Amendement II-DN55 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les effectifs du service d’infrastructure de la défense (SID) ont diminué ces dernières années alors que le nombre de projets qu’il doit traiter s’accroît avec la hausse constante de crédits prévue par la LPM. Le SID est donc obligé d’externaliser la réalisation d’opérations, ce qui induit de fortes augmentations budgétaires pour les armées, de 4 à 5 millions d’euros pour certains projets. Je propose d’allouer des fonds au recrutement de fonctionnaires qui feront le même travail à moindre coût, pour un meilleur rendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme pour le logement, il faut un grand plan de rénovation des restaurants de nos armées, dont plusieurs font régulièrement l’objet de signalements par les services vétérinaires et sont menacés de fermeture administrative.

M. Laurent Jacobelli (RN). Sur le principe, nous sommes d’accord, mais comment arrivez-vous au montant de 80 millions ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une estimation au vu du nombre de restaurants à rénover et du coût moyen de rénovation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de M. Bastien Lachaud

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’aurais aimé donner un avis favorable, ne serait-ce que pour contredire nos collègues du Rassemblement national, et je remercie Bastien Lachaud de sa sollicitude envers le programme 178, mais je ne crois pas opportun de prendre 50 millions au programme 146.

L’article 5 de la LPM permet précisément de couvrir ce type de besoins. M. Lachaud nous dira qu’il n’a pas été utilisé en 2022, mais on ne peut préjuger pour autant qu’il ne le sera pas en 2023.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Sur le premier point, dès lors que l’exposé sommaire précise que l’auteur de l’amendement souhaite la levée du gage par le Gouvernement, il est malhonnête d’utiliser cet argument.

Quant à l’article 5 de la LPM, il n’a été activé ni en 2022 ni les années précédentes pour couvrir le surcoût Opex. Cela nous fait craindre qu’il ne le soit jamais. Espérons qu’il en ira autrement de l’éventuel article équivalent dans la future LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense non modifiés.

 

Après l’article 42

 

Amendement II-DN3 de M. Christophe Naegelen et autres

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’est pas défendu.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous le reprenons !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN11 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons au Gouvernement un état des lieux précis des besoins en matière de préservation de l’environnement dans le secteur de la défense, qui ne sera pas épargné par le changement climatique. Comme l’a souligné en mai 2021 la mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées, ces enjeux doivent être anticipés et les besoins chiffrés.

Le rapport demandé devra aussi évaluer l’opportunité de la création, à terme, d’un budget dédié aux questions environnementales pour le ministère des armées, pour qu’elles ne soient pas des variables d’ajustement mais l’objet d’un vrai plan d’action, d’une feuille de route claire énumérant des priorités qui soient financées.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Puisque, quand l’Assemblée nationale fait des rapports, leurs auteurs eux-mêmes les jugent insuffisamment précis pour être transformés en loi, l’Assemblée devrait en effet, dans sa sagesse, s’en remettre au Gouvernement…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN12 de Mme Isabelle Santiago et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à intégrer la dimension environnementale dans les actions du ministère des armées. En effet, le secteur militaire a d’importantes responsabilités en la matière du fait de sa grosse consommation énergétique et du fort impact environnemental de ses actions. Nous demandons par conséquent au Gouvernement un rapport évaluant la politique environnementale du ministère – biodiversité des terrains militaires, recyclage des déchets, transition énergétique des infrastructures et des systèmes d’armes.

Contre la préconisation de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN14 de Mme Anna Pic et autres

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à octroyer une reconnaissance financière à tous les personnels soignants du service de santé des armées, sans distinction.

La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène ceux qu’on a appelés les « premiers de corvée », longtemps absents des débats politiques. Pour revaloriser les salaires des personnels travaillant dans les métiers du soin, le Gouvernement a instauré un complément de traitement indiciaire de 49 points d’indice, correspondant actuellement à un montant de 189 euros nets. Cette décision ne peut être que saluée.

Toutefois, plusieurs centres appartenant au SSA, au premier rang desquels le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), n’ont pas bénéficié du CTI. Ces établissements sont pourtant essentiels au bon fonctionnement des hôpitaux des armées. Sous prétexte que les personnels paramédicaux touchaient le CTI, leur prime de service annuelle a été gelée en 2021 et 2022, alors que les travailleurs de l’Établissement français du sang obtenaient l’équivalent du CTI.

Tout au long de la crise sanitaire, les travailleurs du SSA ont été en première ligne, autant que d’autres personnels de santé en France. Cette inégalité de traitement n’est donc pas justifiée.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Favorable. La grille salariale du SSA est liée à celle des personnels civils, mais, bien souvent, la transposition de modifications bénéficiant à ces derniers, comme le Ségur, prend de trop longues années.

La commission rejette l’amendement.

 


—  1  —

   ANNEXE :

TRAVAUX DU RAPPORTEUR POUR AVIS

(Par ordre chronologique)

 

1. Auditions

      État-major de l’armée de l’air et de l’espace - M. le général de corps aérien Manuel Alvarez, directeur des ressources humaines ;

 

      État-major des armées - M. le général de brigade aérienne Jean-Marc Régnier, chef de la division soutien de l’activité ;

 

      État-major de l’armée de l’air et de l’espace – M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major, et M. le colonel Sébastien Estève, cabinet du chef d’état-major ;

 

      Dassault Aviation - M. Éric Trappier, président-directeur général, et M. Bruno Giorgianni, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté, directeur de cabinet du président-directeur général ;

 

      Safran Aircraft Engines - M. Christophe Bruneau, directeur de la division des moteurs militaires, M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques, et Mme Eve Roehrig, adjointe au directeur des affaires publiques ;

 

      Thales - M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint, M. le général de corps aérien (2S) Thierry Angel, conseiller défense, Mme Caroline Fortuit, directrice « services systèmes de mission de défense », et Mme Isabelle Caputo, vice-présidente des relations institutionnelles ;

 

      État-major de l’armée de l’air et de l’espace - M. le général de brigade aérienne Michel Rouat, sous-chef d’état-major chargé de l’activité, M. le général de division aérienne Dominique Tardif, ancien directeur de projet soutien opérationnel 4.0 auprès du chef d'état-major, et M. le colonel Emmanuel Taboni, chef du bureau appui à l’activité ;

 

      Airbus - M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques, M. Cyrille Fevre, Responsable « grands comptes » pour Airbus Helicopters, M. le général de corps aérien (2S) Guy Girier, conseiller défense, et M. Olivier Masseret, directeur des affaires institutionnelles ;

 

      Direction de la maintenance aéronautique – M. l’ingénieur général hors classe de l’armement Marc Howyan, directeur ;

 

      Direction générale de l’armement - Mme l’ingénieur général hors classe Éveline Spina, directrice des plans, programme et du budget, et M. l’ingénieur de l’armement Guilhem Reboul, directeur des opérations.

2. Déplacements

      Bordeaux / Mérignac :

 

         Atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Bordeaux – rencontre avec M. l’ingénieur général de l’armement Tanguy Lestienne, directeur du service industriel aéronautique de l’aéronautique (SIAé), M. l’ingénieur général de l’armement Thierry Belloeil, directeur de l’établissement, et le personnel de l’AIA ;

 

         Usine de Dassault Aviation à Mérignac – rencontre avec M. Bruno Giorgianni, M. Alain Garcia, conseiller du président, M. Hugues Chambonnière, directeur de l’établissement, M. Gérard Rousset, responsable du soutien militaire, et le personnel de l’usine ;

 

         Base aérienne 106 de Bordeaux-Mérignac – rencontre avec M. le général de corps aérien Laurent Lherbette, commandant des forces aériennes (CFA), M. le général de division aérienne Vincent Séverin, commandant en second du CFA, M. le général de brigade aérienne Julien Sabéné, chef d’état-major du CFA, M. le général de brigade aérienne Xavier Mirebien, commandant de la BASAL, M. le colonel Ludovic Louriou, commandant de la base aérienne, les officiers du CFA et les aviateurs de la base.

 

      Mont de Marsan :

 

         Base aérienne 118 de Mont de Marsan – rencontre avec M. le général de brigade aérienne Vincent Chusseau, commandant du centre d’expertise aérienne militaire (CEAM), M. le colonel Jean-Michel Herpin, commandant de la base aérienne, les officiers et les aviateurs de la base.

 


([1])  Vision stratégique de l’armée de l’air et de l’espace, 27 avril 2022.

([2])  Ibid.

([3])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

([4])  Audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 juillet 2022.

([5])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

([6])  Le format de 15 A330 MRTT Phénix ne sera effectif qu’à l’issue de la conversion des 3 A330-200.

([7])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale.

([8])  Audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 juillet 2022.

([9])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale.

([10])  Projet annuel de performance de la mission « Défense », annexé au PLF 2023, p. 142-143.

([11])  Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

([12])  Pierre Emmanuel et Benoît Pierre, « L’esprit d’innovation au service de la disponibilité du Rafale » revue défense nationale, mars 2019/3 (n° 818), p. 53 à 58.

([13]) Audition du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’Air et de l’Espace, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.

([14]) Michel Grintchenko, « Maintenance aéronautique du Groupement tactique Désert aérocombat de Barkahne (GDT-A ) », revue défense nationale, mars 2019/3 (n° 818), p. 44-49.

([15]) Audition de Madame l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand-Larroche, directrice de la maintenance aéronautique au Ministère des Armées, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 1er juillet 2020.

([16]) Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur.

([17]) https://www.defense.gouv.fr/dmae/actualites/dmae-a-lhonneur-lors-du-premier-point-presse-2022-du-ministere

 

([18]) Christian Chabert, « Le MCO aéronautique : ‘‘Deux ou trois petites choses à ne pas oublier…’ », revue défense nationale n° 819, avril 2019, p. 101 à 106.               .

 

 

 

([19]) Audition de Madame l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand-Larroche, directrice de la maintenance aéronautique au Ministère des Armées, par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 1er juillet 2020.

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