N° 1715

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680),

 

TOME VII

 

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

 

 

PAR M. Nicolas METZDORF

Député

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 Voir le numéro :  1680.


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. des moyens supplÉmentaires pour l’asile, l’intÉgration et la lutte contre l’immigration irrÉguliÈre

A. Le programme immigration et asile

B. Le programme intÉgration et accÈs à la nationalitÉ française

C. Les fonds de concours

II. migrations : focus sur quatre enjeux actuels pour la France et l’europe

A. accueil des dÉplacÉs ukrainiens en France : vers une installation durable

1. Une prise en charge efficace et pérenne

2. L’émergence de problématiques nouvelles

B. accÉlÉration des flux migratoires au Sud de l’Europe : un dÉfi grandissant

1. Une augmentation rapide des entrées irrégulières dans l’Union européenne

2. Une demande d’asile à des niveaux historiques

C. Pacte europÉen sur la migration et l’asile : un dÉnouement proche

1. La réponse européenne à la crise en Méditerranée centrale

2. Un horizon qui s’éclaircit pour le pacte européen

D. Politique des visas : un outil utile au maniement dÉlicat

1. L’augmentation massive de la demande et de la délivrance de visas

2. Une source importante de contentieux

3. Une faible efficacité comme levier de la politique d’éloignement

CONCLUSION

Liste des propositions

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur pour avis

 


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   introduction

La mission Immigration, asile et intégration porte les crédits (hors dépenses de personnel) de la direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur. Cette mission est structurée autour de trois grands axes : la gestion des flux migratoires, l’accueil et l’examen de la situation des demandeurs d’asile et l’intégration des étrangers en situation régulière, en particulier des réfugiés. La prise en charge des demandeurs d’asile en instance représente près des deux tiers des crédits de la mission.

Deux opérateurs contribuent à la mise en œuvre de la politique relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), chargé de la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride ou de protégé subsidiaire, et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en charge de l’accueil et de l’intégration des ressortissants étrangers admis au séjour.

Les crédits de paiement (CP) de la mission Immigration, asile et intégration passent de 2,05 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2023 à 2,16 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2024, en hausse de 7,3 %. Les autorisations d’engagement (AE), quant à elles, diminuent de 34 %, à 1,76 milliard d’euros.

La mission comporte deux programmes : le programme n° 303 Immigration et asile (qui représentera 80 % des crédits de la mission en 2024) et le programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française (qui représentera 20 % de ces crédits). Les crédits de paiement du premier augmenteront l’année prochaine de 17,6 % tandis que ceux du second diminueront de 20,6 %.

Le rapporteur pour avis, après avoir analysé les principaux axes du budget de l’immigration, de l’asile et de l’intégration pour le prochain exercice, fera un focus sur quatre défis auxquels la France et l’Europe sont aujourd’hui confrontées en matière migratoire. Il montrera que l’accueil des déplacés ukrainiens en France et dans les États voisins revêt un caractère de plus en plus durable qui pourrait conduire à substituer à la protection temporaire dont ils bénéficient des statuts juridiques plus adaptés. Il soulignera ensuite la forte accélération des flux migratoires irréguliers en Méditerranée dont l’impact devrait se faire sentir, au cours des prochains mois, sur une demande d’asile déjà en augmentation en France. Il se penchera également sur la réponse européenne à ces mouvements migratoires en forte hausse, et plus précisément sur le pacte européen sur la migration et l’asile dont l’aboutissement se profile. Il fera enfin porter son analyse sur la politique des visas qui, si elle constitue un instrument privilégié d’organisation de la migration légale, s’est en revanche révélée décevante comme levier de la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.


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I.   des moyens supplÉmentaires pour l’asile, l’intÉgration et la lutte contre l’immigration irrÉguliÈre

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, les crédits de paiement de la mission Immigration, asile et intégration progressent de 7,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, passant de 2,05 milliards d’euros à 2,16 milliards d’euros. Le Gouvernement prévoit qu’ils seront ensuite portés à 2,17 milliards d’euros en 2025, puis à 2,26 milliards d’euros en 2026, en vue notamment de poursuivre les efforts d’augmentation du parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés, ainsi que du parc de rétention administrative.

La mission Immigration, asile et intégration se décompose en deux programmes : le programme n° 303 Immigration et asile et le programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française. Les crédits de paiement du premier augmenteront fortement en 2024 (+ 17,6 %), tandis que ceux du second diminueront tout aussi nettement de 20,6 %.

A.   Le programme immigration et asile

Pour 2024, les dotations du programme n° 303 Immigration et asile s’élèvent à 1,3 milliard d’euros en AE et à 1,7 milliard d’euros en CP, respectivement en baisse de 37,5 % et en hausse de 17,6 %. Ce programme comporte deux actions principales ([1]) : Garantie de l’exercice du droit d’asile (n° 2) et Lutte contre l’immigration irrégulière (n° 3).

Dotée de 1,4 milliard d’euros en CP en 2024, l’action n° 2 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance d’abord l’hébergement des demandeurs d’asile. Ces crédits couvrent l’hébergement accompagné en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) et l’hébergement en centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) ([2]). À périmètre comparable, les AE demandées diminuent dans le projet de loi de finances pour 2024 de 52 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 et les crédits de paiement augmentent de 1,5 %. Cette forte diminution des AE est due au renouvellement pour trois ans, déjà intervenu en 2023, des conventions pluriannuelles des HUDA et des CAES. En conséquence, aucune AE n’est demandée pour ces conventions en 2024.

Les crédits de l’action n° 2 permettront de porter le nombre de places du parc dédié aux demandeurs d’asile et aux réfugiés de 120 582 places à 122 582 places (dont 110 314 pour les demandeurs d’asile et 12 268 pour les réfugiés particulièrement vulnérables). Plus précisément, seront créées 500 places de CADA, 500 places de CAES et 500 places de CPH (centres provisoires d’hébergement) ; 500 places de sas d’accueil temporaire ouvertes en 2023 pour y orienter les personnes prises en charge lors des opérations de mise à l’abri seront par ailleurs pérennisées.

L’action n° 2 Garantie de l’exercice du droit d’asile finance aussi le versement de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), gérée par l’OFII. La dotation prévue à ce titre pour 2024 s’élève à 293,9 millions d’euros (hors frais de gestion). Elle est en diminution de 7 % (-20,8 millions d’euros) par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. Cette baisse résulte de la prise en compte de l’accélération du délai de traitement des demandes d’asile par l’OFPRA et sur l’hypothèse d’une maîtrise par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de son stock de recours et de ses délais de jugement ([3]) ; 6,4 millions d’euros (en AE et en CP) sont en outre prévus pour l’OFII au titre des frais de gestion de cette allocation. Au 31 juillet 2023, le nombre de ménages demandeurs d’asile allocataires était de 69 619 ménages, soit 98 846 individus.

L’action n° 2 porte par ailleurs la subvention pour charges de service public versée à l’OFPRA, d’un montant de 107,9 millions d’euros en AE et en CP (+ 4 %) en 2024. Le plafond d’emplois de l’OFPRA sera relevé de 1 011 à 1 028 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Ce relèvement, qui s’inscrit dans le prolongement des recrutements déjà effectués au cours des dernières années (+ 200 ETPT en 2020), vise à renforcer la capacité de décision de l’opérateur et, ainsi, à poursuivre la réduction du délai de traitement des demandes d’asile, étant rappelé que la longueur de ce délai a un impact direct sur le coût global de l’ADA pour l’État. L’objectif fixé à l’OFPRA est de parvenir à un délai moyen de traitement de deux mois ([4]) ; l’opérateur est actuellement à 124 jours contre 140 en 2022 et 261 en 2021. Le fait pour l’OFPRA d’avoir réduit à quatre mois son délai de traitement doit être salué, étant souligné que la moyenne européenne s’établit à sept mois. S’agissant du délai total de traitement des demandes d’asile, de la présentation à la décision définitive, l’objectif fixé par le Gouvernement est de six mois.

L’action n° 3 Lutte contre l’immigration irrégulière est en très forte augmentation cette année. Elle atteint 299,9 millions d’euros en AE (+ 45,9 %) et 260,7 millions d’euros en CP (+ 53,8 %). Elle est destinée à financer notamment le fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA), celui des locaux de rétention administrative (LRA) et celui des zones d’attente (pour un montant total de 68,6 millions d’euros en AE et de 56,8 millions d’euros en CP). Elle financera aussi l’extension du parc de LRA et de CRA. L’objectif fixé par le Gouvernement est de porter à 3 000 le nombre de places en CRA, soit une augmentation de près de 30 % par rapport aux capacités actuelles ([5]). La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur dispose en effet, dans son rapport annexé : « Afin de lutter contre l’immigration clandestine alimentée par un dévoiement du droit d’asile et de favoriser les reconduites à la frontière, (…) le nombre de places en centres de rétention administrative sera progressivement porté à 3 000. » ([6]).

Les crédits de l’action n° 3 sont aussi destinés aux travaux de sécurisation des CRA. En effet, conformément à une instruction ministérielle du 3 août 2022, la rétention est désormais prioritairement destinée aux étrangers en situation irrégulière dont la présence sur le territoire constitue une menace pour l’ordre public. C’est aux préfets de département qu’il appartient de les identifier. Les risques de troubles à l’ordre public peuvent résulter notamment de la mise en cause dans des faits de violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, d’atteintes aux personnes (violences, vols avec violences, extorsions, etc.), de violences intrafamiliales, proxénétisme, infractions sexuelles (exhibition, agression, viol, viol en réunion ou sur mineur, etc.), d’infractions en lien avec les stupéfiants ou d’atteintes aux biens réitérées ou avec violences (vols, destructions, escroquerie, recel). C’est afin de tenir compte de ce nouveau public, plus difficile, responsable de nombreux incidents et notamment d’évasions ou de tentatives d’évasion ayant eu lieu dans plusieurs CRA, qu’il a été décidé d’engager des travaux de sécurisation de ces sites.

L’action n° 3 finance enfin les frais d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. L’importante augmentation de ces crédits, portés à 63,7 millions d’euros en AE et en CP, s’explique notamment par la fin des restrictions sanitaires liées à la Covid‑19 et, plus encore, par l’impact de l’inflation sur les prix du carburant.

B.   Le programme intÉgration et accÈs à la nationalitÉ française

Le programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française voit sa dotation diminuer en 2024 : 431 millions d’euros en AE et en CP (– 20,6 %) sont inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2024. Ce programme se compose de quatre actions : Accueil des étrangers primo‑arrivants (n° 11), Intégration des étrangers primo‑arrivants (n° 12), Accès à la nationalité française (n° 14) et Accompagnement des foyers de travailleurs migrants (n° 16).

L’action n° 11 Accueil des étrangers primo‑arrivants porte le financement de l’OFII ainsi que ses dépenses d’intervention, pour un montant de 245,9 millions d’euros en AE et en CP en 2024, en baisse de 10 %. Le plafond d’emplois de l’OFII demeure identique par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, à 1 217 ETPT.

L’action n° 12 Intégration des étrangers primo-arrivants se voit attribuer 174,5 millions d’euros en AE et en CP, en hausse de 28,9 %. Cette action regroupe désormais l’ensemble des crédits destinés à l’intégration des étrangers primo‑arrivants, incluant une partie des crédits qui étaient jusqu’en 2023 inscrits sur l’action n° 15 pour l’accompagnement des réfugiés ([7]). Cette modification de la maquette budgétaire explique, pour une part, la hausse des AE et des CP de cette action.

L’action n° 12 a pour objet de financer l’intégration des étrangers en situation régulière. Dès l’obtention d’un premier titre de séjour ou du statut de réfugié, l’étranger primo‑arrivant s’engage dans un parcours personnalisé d’intégration républicaine, concrétisé par la signature d’un contrat d’intégration républicaine (CIR) : 110 080 CIR ont été signés en 2022. Pour l’année 2023, et au vu des flux constatés à fin du mois d’août (+ 20 % par rapport à 2022), on estime à environ 122 000 le nombre de CIR qui seront signés ; 86 664 CIR avaient déjà été signés à la mi‑septembre. L’augmentation du nombre de contrats signés est particulièrement marquée pour les catégories « asile » et « économique ».

Une partie importante des financements de l’action n° 12 sera dédiée au déploiement du programme AGIR (Accompagnement global et individualisé des réfugiés), destiné à faciliter l’insertion des réfugiés. Ce dispositif repose notamment sur la mise en place d’un guichet unique dans les départements pour mieux accompagner les réfugiés qui rencontrent des difficultés pour l’accès à l’emploi ou au logement. À la fin août 2023, plus de 8 300 réfugiés étaient ainsi accompagnés individuellement par le programme AGIR. Lancé à la fin de l’année 2022 dans vingt-six départements, et déployé dans vingt-six autres en 2023, il est destiné à être étendu à l’ensemble des départements métropolitains. Le programme AGIR est doté, dans cette perspective, d’une enveloppe supplémentaire de près de 30 millions d’euros en 2024.

L’action n° 14 (Accès à la nationalité française) assure les moyens de fonctionnement de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF) au sein de la direction de l’intégration et de l’accès à la nationalité du ministère de l’intérieur. L’acquisition de la nationalité française constitue, pour de nombreux étrangers, l’aboutissement d’un parcours d’intégration réussi. Cette action est dotée en 2024 de 1,3 million d’euros en AE et en CP, en hausse respectivement de 27,5 % et de 16,7 %.

L’action n° 16 (Accompagnement des foyers de travailleurs migrants) contribue à financer la rénovation des foyers de travailleurs migrants (FTM), en les transformant en résidences sociales, conformes aux normes modernes de logement. 9,3 millions d’euros sont inscrits à ce titre en AE et en CP, en baisse de 17,8 %.

C.   Les fonds de concours

À la mission Immigration, asile et intégration sont rattachés des fonds de concours. Il s’agit en l’espèce de trois fonds européens : le fonds asile, migration et intégration (FAMI), le fonds pour la sécurité intérieure (FSI) et l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (IGFV). Le FAMI et l’IGFV, en particulier, permettent de financer des projets d’assistance juridique et d’amélioration de l’accueil en CRA, ainsi que le financement du retour et des aides au retour.

La prévision de rattachement des fonds européens FAMI, FSI et IGFV sur la mission Immigration, asile et intégration pour 2024 est évaluée à 83,9 millions d’euros sur le programme n° 303 et à 10,7 millions d’euros sur le programme n° 104. Ces crédits permettront de payer les subventions attribuées aux partenaires privés (associations) comme publics (État et opérateur de l’État) participant à la mise en œuvre des politiques portées par ces fonds.

Synthèse du budget de l’immigration, de l’asile et de l’intégration pour 2024

 

Mission Immigration, asile et intégration (IAI)

Autorisations d’engagement : 1 764,3 millions d’euros (– 34 %).

Crédits de paiement : 2,1 milliards d’euros (+ 7,3 %).

 

Programme n° 303 Immigration et asile

Autorisations d’engagement : 1,3 milliard d’euros (– 37 %).

Crédits de paiement : 1,7 milliard d’euros (+ 17 %).

 

Points saillants concernant le programme n° 303 :

Représente 80 % des crédits de la mission IAI.

Baisse significative des AE de l’action n° 2 relative à l’exercice du droit d’asile, en raison du renouvellement pour trois ans, déjà intervenu en 2023, des conventions pluriannuelles de l’hébergement d’urgence.

Forte augmentation des moyens consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière : + 45,9 % AE et + 53,8 % en CP.

 

Programme n° 104 Intégration et accès à la nationalité française

Autorisations d’engagement : 431 millions d’euros (– 20,6 %).

Crédits de paiement : 431 millions d’euros (– 20,6 %).

 

Points saillants concernant le programme n° 104 :

Forte augmentation des moyens consacrés à l’intégration des étrangers primo-arrivants : + 28,9 % en AE et en CP (dont une enveloppe supplémentaire de 30 millions d’euros pour le programme AGIR d’accompagnement vers l’emploi et le logement des personnes ayant obtenu le statut de réfugié).

Baisse relative des crédits dédiés à l’accueil des étrangers primo-arrivants : – 10 % en AE et en CP.

 

 


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II.   migrations : focus sur quatre enjeux actuels pour la France et l’europe

Le rapporteur pour avis a souhaité, cette année, aborder quatre grands enjeux qui impactent aujourd’hui la politique française et européenne en matière d’asile, d’immigration et d’intégration. Après avoir fait un point d’étape et dégagé des perspectives sur l’accueil des déplacés ukrainiens en France, il s’attachera à dresser, compte tenu des événements récents intervenus à Lampedusa, un bilan de l’accélération des flux migratoires au Sud de l’Europe. Il s’interrogera sur la réponse apportée par l’Europe à ces enjeux, à court comme à plus long terme. Il se penchera enfin sur la politique des visas qui, si elle constitue bien un instrument privilégié de gestion de la migration légale, s’est en revanche montrée peu efficace comme outil de la politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

A.   accueil des dÉplacÉs ukrainiens en France : vers une installation durable

1.   Une prise en charge efficace et pérenne

Le rapporteur pour avis avait, il y a un an, fait porter plus spécifiquement le volet thématique de son avis budgétaire sur l’accueil des déplacés ukrainiens en France. Sans y consacrer la totalité cette année, il a jugé utile de faire un point d’étape sur cet accueil, eu égard aux incertitudes qui pèsent sur l’évolution du conflit en Ukraine. Il a, comme l’année dernière, auditionné le préfet Joseph Zimet, responsable de la cellule interministérielle de crise (CIC) sur l’accueil des réfugiés ukrainiens. Cette cellule, mise en place quelques jours après le déclenchement du conflit, coordonne, au niveau interministériel, les services centraux et déconcentrés de l’État, les opérateurs publics, les collectivités territoriales et les associations. Elle est aussi chargée de synthétiser et de diffuser les informations utiles et d’alerter le Gouvernement sur les évolutions en cours (arrivées, départs, déscolarisation, ruptures de capacités en matière d’hébergement, etc.). C’est cette cellule qui a supervisé la mise en place d’un cadre à la fois protecteur et libéral incluant notamment un accès à un hébergement d’urgence puis un soutien dans l’accès au logement, ainsi qu’un accès aux soins.

La France accueille aujourd’hui un nombre de bénéficiaires de la « protection temporaire » (statut prévu par la directive du 20 juillet 2001) ([8]) en provenance d’Ukraine estimé à 95 000 personnes, étant précisé que seules les personnes majeures se voient délivrer une autorisation provisoire de séjour (APS), d’une durée de six mois renouvelable. La France impose en effet un renouvellement du titre tous les six mois, ce que n’exigeait pas la directive de 2001. Ce choix a parfois été contesté en raison des lourdeurs qu’il entraîne, tant pour les services préfectoraux que pour les déplacés eux‑mêmes. Il permet toutefois de mettre à jour régulièrement la connaissance par les autorités françaises de la situation des bénéficiaires dans un contexte où leurs déplacements, tant au sein de l’Union européenne que parfois vers l’Ukraine, sont nombreux. Au mois de septembre 2023, 246 000 APS avaient été délivrées par les préfectures depuis l’activation de la protection temporaire en mars 2022, parmi lesquelles 99 246 primo-délivrances.

La répartition géographique des déplacés d’Ukraine n’a pas évolué de façon très significative depuis 2022. L’Ile‑de‑France, la région Sud‑Provence-Alpes-Côte d’Azur et les grandes métropoles en accueillent toujours le plus grand nombre. Toutefois les relocalisations et la politique d’aide au logement mise en œuvre, avec le concours des préfectures, par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) permettent un début de meilleure répartition vers les villes moyennes et la campagne.

Si les déplacés d’Ukraine bénéficient de l’ADA, le statut de la protection temporaire les autorise aussi à exercer, dès l’obtention de leur APS, une activité professionnelle. Ils peuvent à ce titre bénéficier d’un accompagnement par le service public de l’emploi. Au 1er septembre 2023, 17 438 personnes nées en Ukraine avaient travaillé au moins une heure le mois précédent. Parmi celles-ci, 26 % l’avaient fait dans le secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration. Du point de vue géographique, 26 % avaient travaillé en Île‑de‑France, 13 % en région Sud‑Provence-Alpes-Côte d’Azur et 13 % en région Auvergne‑Rhône‑Alpes. À la même date, on recensait 16 364 bénéficiaires de la protection temporaire inscrits à Pôle emploi. Parmi les Ukrainiens ayant accès au marché du travail, 44 % étaient bénéficiaires d’un contrat à durée indéterminée, 47 % d’un contrat à durée déterminée et 7 % en contrat d’intérim.

L’accès à l’emploi demeure donc relativement modeste chez les déplacés ukrainiens. Comme l’écrit le chercheur Matthieu Tardis : « L’accès au travail, qui facilite l’accès au logement, reste décevant en dépit de la mobilisation des entreprises européennes. Selon une enquête du HCR en Europe centrale, et une autre de Kantar public sur l’ensemble de l’UE, environ 35 % des déplacés ukrainiens avaient un emploi en janvier 2023 – dont une partie à distance pour leurs employeurs ukrainiens. À titre de comparaison, une enquête du ministère français de l’Intérieur établissait que 42 % des réfugiés étaient en emploi en 2019, un an après la délivrance d’un titre de séjour. » ([9]). Cette faiblesse persistante de l’accès à l’emploi est préoccupante tant celui‑ci conditionne le bon déroulement de l’intégration dans son ensemble.

Proposition  1 : Poursuivre les efforts d’accompagnement des déplacés ukrainiens vers l’emploi.

2.   L’émergence de problématiques nouvelles

Les mois passés ont fait émerger des problématiques nouvelles concernant l’accueil des déplacés ukrainiens. Ainsi, s’agissant de la scolarisation de leurs enfants, on observe une baisse du nombre d’élèves inscrits. À la fin de l’année scolaire 2022-2023, 21 000 élèves étaient inscrits dans les établissements du premier et du second degrés ; ils n’étaient plus que 17 000 à la rentrée 2023. Cette baisse peut s’expliquer par des retours en Ukraine ou par la relocalisation de certaines familles dans d’autres pays de l’Union européenne. Elle peut aussi refléter un refus de scolarisation par certains parents ou le choix par certains ménages d’un enseignement en langue ukrainienne à distance. Le rapporteur pour avis alerte sur les risques de déscolarisation ou de mauvaise intégration que ce phénomène peut laisser augurer. Les cellules académiques et les directions départementales doivent poursuivre leur travail auprès des familles, afin d’assurer une scolarisation dans de bonnes conditions des élèves ukrainiens pour l’année 2023-2024.

Proposition n° 2 : Réaliser une enquête afin d’approfondir les raisons de la baisse du nombre d’élèves ukrainiens inscrits dans le système scolaire français et sensibiliser davantage les familles ukrainiennes à l’enjeu de la scolarisation de leurs enfants.

Un second élément d’attention concerne la faiblesse de la maîtrise de la langue française par les déplacés d’Ukraine. Peu nombreux sont ceux qui utilisent les dispositifs mis à leur disposition pour son apprentissage. La barrière de la langue constitue de ce fait un obstacle quotidien pour beaucoup d’entre eux, ainsi qu’un frein à leur intégration professionnelle. Si l’espoir d’un retour rapide en Ukraine a pu conduire certains à négliger cet apprentissage, l’évolution vers une guerre longue et la perspective d’une installation en France dans la durée devraient les conduire désormais à s’y investir davantage, sous peine d’entraver leur bonne intégration dans la société française.

Proposition n° 3 : Inciter les déplacés ukrainiens à suivre davantage les formations linguistiques proposées.

Plus généralement, un pourcentage élevé de déplacés en provenance d’Ukraine manifeste désormais sa volonté de ne pas rentrer en Ukraine et de s’établir de façon durable dans un pays d’accueil de l’Union européenne. Le préfet Joseph Zimet a indiqué au rapporteur pour avis que, d’après une étude d’un think tank ukrainien publiée à l’automne 2023, 37 % des déplacés accueillis dans les pays de l’Union n’envisageraient pas de rentrer en Ukraine à la fin de la guerre. Ce chiffre préoccupe les autorités ukrainiennes dans la perspective notamment de la reconstruction du pays. Il recoupe des sondages informels réalisés en France. S’il doit être pris avec beaucoup de précaution d’un point de vue méthodologique, il traduit toutefois une tendance importante. La France doit anticiper, dans sa stratégie nationale d’accueil et d’insertion des déplacés d’Ukraine, la sortie du dispositif de la protection temporaire pour les personnes qui souhaiteront s’établir durablement en France. Rappelons en effet que, aux termes de l’article 4 de la directive du 20 juillet 2001, la durée maximale de la protection temporaire est de trois ans (un an, renouvelable deux fois par périodes de six mois, puis, une dernière fois, sous certaines conditions, pour un an). Il importe que cette évolution soit accompagnée par les autorités françaises, afin de pouvoir notamment orienter les personnes vers les bons statuts juridiques.

Proposition n° 4 : Anticiper la fin du dispositif de protection temporaire des déplacés Ukrainiens et les accompagner dans l’évolution de leur statut.

La question du statut est intimement liée à celle de l’intégration. Comme l’écrit là encore le chercheur Matthieu Tardis : « Les autorités nationales et les sociétés d’accueil vont donc devoir faire face aux classiques problématiques d’inclusion et de cohésion sociale, d’autant que le statut de protection temporaire doit prendre fin en 2024. Au-delà des incertitudes sur la suite de la guerre, il est illusoire de penser que tous les Ukrainiens rentreront rapidement dans leur pays, compte tenu des destructions intervenues dans nombre de leurs régions d’origine, mais aussi des différences de niveaux de vie entre l’Ukraine et les pays de l’UE. Le passage de l’accueil humanitaire d’urgence aux solutions d’insertion sur un plus long terme devrait donc s’organiser dès aujourd’hui. » ([10])

B.   accÉlÉration des flux migratoires au Sud de l’Europe : un dÉfi grandissant

1.   Une augmentation rapide des entrées irrégulières dans l’Union européenne

Le nombre de franchissements irréguliers détectés aux frontières extérieures de l’Union européenne, toutes frontières confondues, a augmenté de 18 % sur les huit premiers mois de l’année 2023, par rapport à la même période en 2022. Il a atteint 232 350, soit son niveau le plus élevé depuis 2016.

Cette augmentation est liée en tout premier lieu au nombre d’arrivées par la Méditerranée centrale, laquelle constitue aujourd’hui la principale route migratoire vers l’Union européenne. Près de 114 300 franchissements irréguliers ont été détectés sur cette route sur les huit premiers mois de l’année 2023, en augmentation de 96 % par rapport à la même période l’année dernière. Une détection de franchissement irrégulier sur deux est relevée en Méditerranée centrale.

L’Italie est tout particulièrement touchée par cette très forte pression migratoire. Sur l’ensemble de l’année 2022, 100 000 arrivées y ont été comptabilisées. Entre le 1er janvier et le 10 septembre 2023, 115 000 arrivées (+84 %) ont été enregistrées dont 23 028 pour le mois juillet et 25 588 pour le mois d’août. À la date du 2 octobre 2023, l’Italie avait enregistré 131 170 arrivées, en hausse de 80 % par rapport à la même période en 2002, dont 90 000 arrivées en provenance de Tunisie. En termes de nationalités, les plus représentées en 2023 sont les Guinéens (17 %), les Ivoiriens (12 %), les Tunisiens (8 %) et les Égyptiens (7 %). La Tunisie est, de loin, le premier pays de départ vers l’Italie avec plus de 75 000 arrivées depuis ses côtes, devant la Libye (34 608 arrivées). Les arrivées en Italie se sont tout particulièrement accélérées au mois de septembre sur l’île de Lampedusa, située à 180 km de Sfax. Plus de 12 000 personnes sont ainsi arrivées sur l’île au cours d’une même semaine ([11]).

Cette pression migratoire hors du commun a conduit l’Allemagne à suspendre, le 13 septembre 2023, le mécanisme européen volontaire de solidarité, prévoyant la relocalisation de demandeurs d’asile en provenance d’Italie. La République fédérale a justifié cette décision par la pression à laquelle elle est elle‑même soumise et par les défis que cela lui pose en termes de capacités d’accueil et d’hébergement. Elle a aussi incriminé l’absence d’application par l’Italie du règlement Dublin qui impose aux États de première entrée de reprendre les demandeurs d’asile censés y avoir déposé leur demande ([12]).

Nombre de franchissements irrÉguliers

des frontiÈres SUD de l’UNION europÉenne de janvier À aoÛt 2023

https://www.frontex.europa.eu/thumb/Images_News/2023/IBC_08_2023.prop_750x.2d0fac14aa.png

Source : Frontex

Les évolutions des différentes routes vers le flanc Sud de l’Union européenne en 2022 sont résumées dans le tableau ci-après.

Évolution des franchissements irrÉguliers sur le flanc sud de l’Europe

Route

Août 2023

Janvier-août 2023

Janvieraoût 2023/

Janvieraoût 2022

Principales nationalités

Méditerranée centrale

25 152

114 265

+ 96 %

Côte d’Ivoire, Tunisie, Guinée

Balkans occidentaux

21 768

70 548

– 19 %

Syrie, Afghanistan, Turquie

Méditerranée orientale

6 210

24 094

– 14 %

Syrie, Palestine, Afghanistan

Méditerranée occidentale

2 022

9 447

+ 14 %

Maroc, Algérie, Syrie

Afrique de l’Ouest

1 487

10 028

–5 %

Maroc, Sénégal,

Côte d’Ivoire

Frontière orientale

241

3 478

– 17 %

Ukraine, Syrie, Afghanistan

Source : Frontex

Le contexte géopolitique au Proche-Orient, en Tunisie et en Afrique subsaharienne, la sécheresse en particulier dans la corne de l’Afrique, ainsi que l’inflation et l’insécurité alimentaire dans de nombreux pays pauvres, laissent peu de doutes sur le fait que ces flux massifs vont encore s’intensifier.

2.   Une demande d’asile à des niveaux historiques

La pression migratoire aux frontières extérieures, au plus haut depuis 2016, a entraîné une forte hausse de la demande d’asile dans l’Union européenne. En revanche, selon son directeur général auditionné par le rapporteur pour avis, l’augmentation ressentie par l’OFPRA demeure pour l’instant assez modérée, de l’ordre de 12 % depuis le début de l’année par rapport à la même période de l’année dernière. Le caractère relativement limité de cette hausse ne doit toutefois pas faire illusion. La France est moins un pays d’arrivées directes que de mouvements secondaires. Tout laisse donc augurer une forte augmentation des demandes d’asile au cours des prochains mois. Ce phénomène de décalage avait déjà été constaté lors de la crise migratoire de 2015‑2016 : la demande en France était restée relativement stable la première année, puis avait fortement augmenté ensuite.

Au demeurant, les chiffres de la demande d’asile en France n’en sont pas moins à des niveaux historiques : 130 000 demandes ont été déposées en 2022 et 93 000 sur les huit premiers mois de cette année. La direction générale des étrangers en France (DGEF) anticipe un chiffre de 150 000 demandes d’asile pour toute l’année 2023 et de 160 000 pour 2024. Par précaution, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024 des moyens budgétaires permettant de financer l’ADA pour 180 000 demandeurs d’asile.

Les entrées dans le statut de protection internationale ont par ailleurs nettement augmenté en France au cours des dernières années. À la fin de l’année 2022, 550 000 personnes bénéficiaient de l’asile en France, soit 10 % de la population étrangère présente sur le sol français. Sachant que l’OFPRA accorde une protection dans 32 % des cas et que ce chiffre monte à 45 % après examen par la CNDA ([13]), le volume de la population de réfugiés en France devrait donc croître significativement.

Ajoutons que les flux migratoires secondaires de l’Italie vers la France sont déjà sensibles. De janvier à août 2023, ce sont 30 939 refus d’entrée qui ont été opposés à des étrangers tentant de franchir la frontière franco-italienne irrégulièrement (soit +6 % par rapport à la même période 2022). À la frontière franco-suisse, ce sont 3 662 refus d’entrée qui ont été prononcés (soit +19 %). Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), appelait, dès le 5 mai 2023, l’attention sur l’ « augmentation des tentatives de passage à travers les Alpes » ([14]). Comme il l’expliquait : « Les nationalités qui arrivent en Italie sont pour près de la moitié d’entre elles, des nationalités qui ont un rapport avec l’espace historique francophone des Subsahariens. La première nationalité, ce sont les Ivoiriens et il y a aussi des Guinéens et des Maliens. Ces personnes sont peu enregistrées pour une partie d’entre elles et donc se dirigent immédiatement vers la France. » Il ajoutait : « On a une poussée globale sur toute l’Union européenne puisque depuis le début de l’année, c’est plus de 300 000 personnes qui ont demandé ou déposé une demande d’asile dans l’Union européenne. Plus de 30 % par rapport à 2022. Les premières nationalités, ce sont toujours les Syriens, les Afghans. On a une très forte poussée de Turcs aussi, les Vénézuéliens ou les Colombiens vont plutôt vers l’Espagne. En Italie il y a un flux particulier qui ne concerne pas d’une certaine manière l’ensemble de l’UE, au sens où ce ne sont pas des nationalités qui ont des communautés dans toute l’Union européenne, mais qui concernent principalement l’Italie et la France (…). On a une augmentation des tentatives de passage à travers les Alpes parce que, justement, ce sont pour beaucoup d’entre elles des nationalités où on parle le français. »

Face à la hausse des arrivées en Italie depuis plusieurs mois, la première ministre a annoncé le 26 avril 2023 l’expérimentation d’une « Force frontière » dans les Alpes-Maritimes, depuis le 1er juin, et dans les Hautes-Alpes, depuis le 1er juillet. Cette expérimentation vise à approfondir la coordination des forces de sécurité intérieure, des douanes et des armées qui participent au dispositif de contrôle aux frontières. Le format « Force frontière » permet de moduler le déploiement de moyens matériels et humains affectés aux missions de lutte contre l’immigration irrégulière en zone frontalière en l’adaptant à la pression migratoire. Une hausse de 71 % des non-admissions a été constatée dans les Alpes-Maritimes depuis le début de cette expérimentation qui contribue à densifier et diversifier les modalités de surveillance, d’interception et de contrôle des franchissements irréguliers.

Les mouvements secondaires vers la France étant appelés à se maintenir à un niveau élevé en 2024, et dans la perspective également des contrôles à effectuer dans le cadre de l’organisation des jeux olympiques et paralympiques, le rapporteur pour avis recommande de maintenir la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre de l’espace Schengen.

Proposition n° 5 : Maintenir la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

C.   Pacte europÉen sur la migration et l’asile : un dÉnouement proche

1.   La réponse européenne à la crise en Méditerranée centrale

Le 17 septembre dernier, en réaction à la crise à Lampedusa, un plan en dix points a été présenté par la présidente de la Commission européenne pour venir en aide à l’Italie. Ce plan vise à renforcer le soutien apporté par l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) et le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) pour assurer l’enregistrement des arrivées, le relevé des empreintes digitales et l’orientation des migrants. Il a aussi pour objet de soutenir le transfert des personnes concernées vers le reste de l’Italie, ainsi que vers les États membres ayant pris des engagements dans le cadre du mécanisme européen volontaire de solidarité. Il prévoit également d’intensifier la surveillance maritime et aérienne des frontières, notamment celle exercée par Frontex.

L’efficacité de ce plan devra être suivie et expertisée. Il ne faudrait pas en effet que, une actualité chassant l’autre, la situation à Lampedusa retombe dans l’oubli. En effet, si, depuis les 16 et 17 septembre, la pression sur l’île est quelque peu retombée, elle reste significativement supérieure à la moyenne quotidienne observée ces derniers mois (de l’ordre de 300 arrivées par jour actuellement).

Proposition n° 6 : Assurer le suivi régulier et l’évaluation du plan en dix points de soutien à Lampedusa présenté par la Commission européenne le 17 septembre 2023.

Le plan en dix points de la Commission invite par ailleurs à mettre en œuvre dès que possible le protocole d’accord conclu entre l’Union européenne et la Tunisie le 16 juillet 2023 ([15]), en donnant la priorité aux mesures pouvant avoir un impact immédiat pour remédier à la situation migratoire à Lampedusa. Cet accord vise d’abord à prévenir les départs en mer et prévoit à ce titre un soutien aux garde‑côtes tunisiens. Il comporte aussi un volet relatif à la lutte contre les réseaux de passeurs et les trafiquants d’êtres humains et un autre portant sur la protection des migrants vulnérables en Tunisie. Il a également pour objet de faciliter les retours de migrants de Tunisie vers leurs pays d’origine organisés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou d’autres institutions. Une aide financière sera apportée par l’Union européenne à la fois pour financer la lutte contre l’immigration irrégulière et pour soutenir l’économie tunisienne.

La Commission européenne semble donc montrer ces derniers temps une activité croissante sur le sujet migratoire, dont il faut espérer qu’elle portera des fruits. Le vice-président Margaritis Schinas, en charge de la migration et de la protection du mode de vie européen, a débuté un programme de déplacements à l’étranger en vue notamment de négocier les conditions de retour dans leurs pays d’origine des migrants qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir l’asile dans l’Union européenne. Selon les informations fournies au rapporteur pour avis, le travail diplomatique du commissaire Schinas avec les pays d’origine a été globalement salué au Conseil « Justice affaires intérieures » (JAI) du 28 septembre 2023.

2.   Un horizon qui s’éclaircit pour le pacte européen

La Commission européenne avait présenté, dès le début de sa mandature, un « pacte sur l’asile et la migration » se déclinant en une série de propositions législatives. Ce pacte vise à modifier un certain nombre de directives et règlements en vigueur et à les compléter par de nouveaux textes. Les quatre principales propositions concernent la réforme du règlement Dublin ([16]), le filtrage à la frontière (screening), l’asile à la frontière, ainsi que le traitement des situations de crise et de force majeure ([17]). La négociation de ce pacte a longtemps été laborieuse tant les intérêts apparaissaient divergents entre les États de premier accueil dits « Med 5 » (Italie, Grèce, Chypre, Malte et Espagne), les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) et les États destinataires des mouvements secondaires (France, Allemagne, Pays-Bas, Suède). Aussi pouvait‑on légitimement redouter, jusqu’à ces derniers mois, son enlisement définitif. L’accord obtenu par la présidence française de l’Union européenne, au premier semestre 2022, sur une approche dite « graduelle » des négociations, a toutefois permis de mettre fin à une longue période de blocage au Conseil.

Une majorité très large a finalement été trouvée au Conseil pour faire aboutir le pacte. Seul un texte, le règlement « situations de crise », n’avait pas encore fait l’objet d’un accord au Conseil ; cet accord a été trouvé très récemment, le 4 octobre dernier, au comité des représentants permanents des gouvernements des États membres (COREPER). Seules la Hongrie et la Pologne, opposées au mécanisme de solidarité prévu par ce texte, s’y sont opposées. Trois autres États, la Slovaquie, la République tchèque et l’Autriche, se sont abstenus. Le vote se faisant à la majorité qualifiée, le texte a été adopté. Le Conseil est donc désormais parvenu à un accord sur l’ensemble du paquet législatif en discussion. Le compromis trouvé établit un équilibre entre responsabilité et solidarité. La responsabilité est celle des États de premier accueil à qui incomberont un contrôle plus robuste des frontières et la responsabilité de l’examen de la demande d’asile, y compris à la frontière. La solidarité est celle que les autres États devront leur manifester soit en acceptant la relocalisation de migrants sur leur territoire, soit en leur apportant des compensations financières ou des renforcements capacitaires. La solidarité sera donc obligatoire, mais pas ses modalités, pour lesquelles une marge de choix sera laissée aux États. Compte tenu de l’absence de relocalisation obligatoire, l’opposition réaffirmée des pays du groupe de Visegrád paraît surtout inspirée par des considérations politiques.

Le Parlement européen a, de son côté, adopté ses mandats de négociation ([18]). Les « trilogues », c’est‑à‑dire les négociations interinstitutionnelles tripartites entre représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission, sont désormais engagés. Il est donc raisonnablement permis d’espérer un aboutissement du pacte européen sur la migration et l’asile avant les élections européennes de 2024. Tout l’enjeu sera de trouver un équilibre non seulement au sein de chaque instrument législatif, mais aussi globalement s’agissant des textes entre eux. Le rapporteur pour avis attire l’attention sur l’importance pour la France d’œuvrer, lors des trilogues, pour la préservation des acquis obtenus dans les mandats du Conseil. Il est essentiel en effet que le pacte, lorsqu’il sera adopté, prenne en compte les priorités françaises que sont l’instauration de procédures robustes à la frontière et la lutte contre les mouvements secondaires avec une répartition plus efficace de la responsabilité de la demande d’asile.

Proposition n° 7 : Œuvrer, lors des trilogues, pour la préservation des priorités françaises concernant le contrôle strict des frontières et la lutte contre les mouvements secondaires.

Une fois le pacte entré en vigueur, c’est le défi de sa mise en œuvre qui se posera. Certaines de ses dispositions pourraient en effet rencontrer des difficultés à trouver une traduction opérationnelle. Le rapporteur songe par exemple à la nouvelle procédure d’asile à la frontière, d’une durée maximale de douze semaines, qui s’appliquerait obligatoirement aux personnes dont la nationalité se caractérise par un taux d’octroi de la protection inférieur à 20 %, et de manière facultative aux autres, à l’exception de certaines catégories comme les mineurs non accompagnés. Le chercheur Matthieu Tardis va jusqu’à écrire, à propos du pacte migratoire européen, que, « dans son effort pour concilier des positions aussi divergentes, la Commission n’a pas évité l’écueil d’un système qui, s’il a une certaine cohérence sur le papier, n’en reste pas moins d’une complexité telle que l’on peut douter de son applicabilité dans le monde réel » ([19]). L’avenir se chargera de confirmer ou de démentir ce pronostic. Il reste que le plus grand soin devra être apporté à la mise en application du pacte, aux investissements qui l’accompagneront et à l’évaluation de ses résultats.

D.   Politique des visas : un outil utile au maniement dÉlicat

1.   L’augmentation massive de la demande et de la délivrance de visas

La politique des visas constitue la première étape de la politique migratoire, avant la délivrance d’un titre de séjour nécessaire pour séjourner en France au‑delà de trois mois. On distingue les visas de court séjour, valables pour trois mois, et les visas de long séjour. Le visa est en principe un prérequis pour l’obtention d’un permis de séjour, à une exception près : le visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) qui dispense de l’obligation de solliciter une carte de séjour ([20]).

La demande de visas a considérablement augmenté depuis les années 2010 : 4 300 000 demandes ont été adressées aux postes consulaires français en 2019 contre 2 600 000 en 2012, soit une augmentation de 64 %. Cette augmentation s’est accompagnée d’une progression forte du nombre de visas délivrés, passés de 2 300 000 en 2012 à 3 500 000 en 2019, soit une hausse de 53 %. Cette augmentation en volume relativise l’évolution du taux de refus global, passé de 9,7 % en 2012 à 20,9 % en 2020. Après le coup d’arrêt porté par la crise sanitaire à la demande de visas en 2020 et 2021, les postes consulaires français ont connu en 2022 une augmentation de 137 % des demandes par rapport à l’année précédente. 1 743 417 visas ont été délivrés, contre 735 070 en 2021. Ces évolutions brusques ont eu des effets déstabilisateurs pour le réseau consulaire, avec notamment l’apparition d’excès de demandes dans certains postes et le développement du phénomène particulièrement néfaste des « officines », c’est‑à‑dire de structures bloquant des créneaux de rendez‑vous disponibles sur internet et les revendant ensuite à des tarifs prohibitifs.

En 2023, le rattrapage de la demande de visas se poursuit avec 1 611 972 visas délivrés au 31 août, dont 84 % de court séjour et 16 % de long séjour. Les principaux postes délivrant des visas sont ceux au Maroc (140 000 visas délivrés en 2022 et déjà plus de 150 000 délivrés en 2023) et en Algérie (129 000 visas en 2022 et déjà 128 000 en 2023). Notre poste à Tunis a délivré 85 000 visas environ en 2022 et 60 000 depuis le début de l’année 2023. Nos postes dans ces trois pays ont ainsi délivré 230 000 visas en 2022 et 342 000 visas entre janvier et août 2023. La France est donc l’un des pays qui accordent le plus de visas au monde et c’est pourtant rarement mis à son crédit ; elle est au contraire l’objet de nombreux griefs quant au nombre de refus, au manque de rapidité, à la transparence qui serait insuffisante, etc.

Face à l’accroissement massif des demandes et des délivrances de visas, des réformes profondes du réseau consulaire ont été mises en œuvre au cours des dernières années. Le programme « France-Visas », système d’information intégré permettant de dématérialiser le processus d’acquisition et d’instruction des demandes de visas, a été déployé dans l’ensemble des postes du réseau au second semestre 2022 et au premier semestre 2023. Les contrôles sécuritaires ont été généralisés à l’ensemble des demandeurs de visas depuis le 1er janvier 2023 et vont progressivement s’enrichir grâce au développement des systèmes d’information européens. Enfin, un programme d’externalisation de la constitution des dossiers de visas est mené depuis 2007, notamment dans les pays où la demande de visas est la plus forte. Le dispositif et ses résultats ont été salués par la Cour des Comptes dans son rapport annuel de 2016. Au 1er septembre 2022, 69 postes diplomatiques ou consulaires sur 151 recouraient à l’externalisation pour tout ou partie des fonctions d’accueil des demandeurs de visas auprès d’un prestataire de service extérieur (PSE).

L’externalisation constitue une réponse non seulement à la hausse constante de la demande de visas, qui nécessite une amélioration de la productivité, mais aussi à des contraintes liées au plafond d’emplois, aux nouvelles exigences réglementaires (biométrie, motivation des refus, lutte contre les fraudes, etc.) et à l’inadaptation des locaux à l’accueil de flux massifs de demandeurs dans des conditions de sécurité. Elle a permis de désengorger les services des visas où la demande est la plus forte (plus de 10 000 demandes de visas par an en moyenne), de réduire les délais de délivrance des visas, de faire disparaître les files d’attente devant les consulats, d’accueillir les demandeurs dans des locaux spacieux et adaptés, de réduire les délais pour les rendez-vous, ce qui limite les interventions. Elle permet également d’améliorer la qualité du traitement des dossiers : en étant déchargés des tâches annexes, les services des visas peuvent se consacrer à l’examen des demandes et, dans les pays à forte pression migratoire notamment, sont mieux à même de lutter contre les fraudes.

Malgré ces réformes structurantes, la situation reste globalement difficile pour le réseau consulaire face à la massification de la demande de visas et au développement de la fraude documentaire. Les délais de rendez-vous et de traitement des demandes de visas sont un sujet de préoccupation bien que les situations puissent être très différentes d’un poste à l’autre en fonction des circonstances locales.

Le rapporteur pour avis appelle à poursuivre les efforts entrepris, dans le sens de l’externalisation, de la modernisation et de l’augmentation de la productivité. Il est possible de s’inspirer ici du rapport remis par M. Paul Hermelin en avril dernier, intitulé « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas » ([21]), qui contient des pistes intéressantes. La poursuite de ces efforts est d’autant plus impérative que des défis importants se profilent à l’horizon en matière de visas. Les jeux olympiques et paralympiques de Paris, qui se tiendront respectivement du 26 juillet au 11 août 2024 et du 28 août au 8 septembre 2024, donneront lieu en effet au dépôt d’un grand nombre de demandes de visas. La DGEF les estime à environ 70 000 pour les seuls membres de la « famille » olympique et paralympique (athlètes, juges, arbitres, entraîneurs, techniciens du sport, personnels médicaux, médias, membres des comités nationaux olympiques, partenaires), sans compter toutes les demandes de visas des spectateurs. La plus grande attention devra par ailleurs être portée aux crises régionales et à leurs implications en termes de délivrance de visas. Concernant l’Afghanistan, la France a déjà accordé près de 5 800 visas depuis le mois d’août 2021 dans le cadre de l’opération Apagan, auxquels il faut ajouter environ 8 000 visas pour réunification familiale et 500 pour rassemblement familial, soit un total de 14 000 personnes. Les autorités françaises ont également mis en place des dispositifs pour répondre à d’autres crises internationales et délivrent des visas humanitaires, notamment par le biais du mécanisme spécifique des visas aux fins de demander l’asile ; un peu plus de 4 000 visas humanitaires ont ainsi été délivrés en 2022 et le même niveau devrait être atteint en 2023 (déjà 3 200 au 3 août).

Proposition n° 8 : Anticiper l’augmentation tendancielle de la demande de visas en poursuivant les efforts de modernisation et d’externalisation de la procédure.

Dans le cadre du pacte européen sur l’asile et les migrations, la Commission européenne a présenté, le 27 avril 2022, une proposition de règlement prévoyant l’instauration d’un portail européen en ligne de demande de visa, ainsi que la dématérialisation de la vignette-visa (« e-visa »). Le schéma d’ensemble repose sur la numérisation des visas (suppression de la vignette-visa au profit d’un code barre), la création d’une plateforme européenne permettant le dépôt électronique des pièces et la notification des décisions, ainsi que la recherche d’une dématérialisation de la procédure quand c’est possible (document de voyage déjà connu, empreintes biométriques précédemment collectées). Le rapporteur pour avis exprime sa satisfaction que la demande de la France tendant à porter la période de transition de cinq à sept ans ait été acceptée. La France possède en effet déjà un système dématérialisé particulièrement performant, avec « France‑Visas », qui a d’ailleurs inspiré la Commission. Il importe donc que le futur système européen n’apporte pas de recul par rapport au système français, déployé dans tous les consulats et pour lequel la France a consenti des investissements importants. Le projet de règlement européen European visa application plateform (EVAP) a été adopté en juin 2023 et est sur le point d’être publié au Journal officiel de l’Union européenne.

2.   Une source importante de contentieux

La non-délivrance de visas donne lieu à un important contentieux. Environ 17 000 recours administratifs sont enregistrés chaque année contre les décisions de refus de visa. Les décisions de refus de visa de long séjour sont soumises à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Les recours administratifs contre les décisions de refus de visas de court séjour sont examinés par la sous-direction des visas, au sein de la DGEF.

La personne dont le recours administratif a été rejeté peut saisir le tribunal administratif de Nantes d’un recours juridictionnel. Celui‑ci examine chaque année environ 4 000 affaires de cette nature, dont la majorité concerne des demandes de réunification familiale.

Selon la DGEF, les évolutions jurisprudentielles récentes se sont montrées très favorables au demandeur, en appréciant de manière particulièrement restrictive les motivations des consulats (fraude, risque migratoire, incohérences dans les dossiers des demandeurs, etc.). Cela se traduit par un taux d’annulation important au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel de Nantes (de 50 % à 60 % en fonction des chambres).

3.   Une faible efficacité comme levier de la politique d’éloignement

Le droit de l’Union européenne permet d’adopter envers un pays faiblement coopératif sur le plan migratoire, notamment en ce qui concerne les retours, un certain nombre de restrictions en matière de visas. La procédure est toutefois lourde. Elle consiste d’abord à inscrire un pays sur une liste d’examen, puis à mettre en œuvre des mesures pour restreindre l’accès au visa, telles que l’augmentation tarifaire, le rétablissement de l’obligation de visa elle‑même pour certains publics ou encore la suspension de la délivrance des visas.

Le droit français permet lui aussi d’utiliser le levier des restrictions en matière de visas face à des États se montrant peu coopératifs en matière migratoire, par exemple dans leur délivrance de laissez-passer consulaires (LPC). Ce levier a été utilisé par le Gouvernement français en 2021 et 2022 avec les trois États du Maghreb, ce qui a suscité de vives tensions. Des objectifs en termes de quotas de refus ont ainsi été fixés. Dans les faits, au Maroc, le taux de refus de visa est passé de 17 % à 32 %. Cette politique n’a pas eu toutefois les effets escomptés. D’un côté, elle n’a pas entraîné d’amélioration notable de la délivrance des LPC. De l’autre côté, elle a suscité beaucoup de ressentiment dans les populations locales. Des visas ont ainsi été refusés en se fondant sur des erreurs matérielles minimes. Des personnes ayant demandé un visa pour des raisons familiales, professionnelles ou de santé ont essuyé un refus alors qu’elles avaient, par le passé, obtenu un visa dans des circonstances identiques. Des personnes ayant toutes les justifications et pièces nécessaires ont été déboutées. Au final, les classes moyennes, les plus francophones et francophiles, ont été les plus touchées. Dans ces conditions, le Gouvernement a préféré lever les mesures restrictives à l’égard de la Tunisie le 31 août 2022, et celles à l’égard de l’Algérie et du Maroc en décembre de la même année.

Il serait erroné, pour autant, d’en conclure que les autorités françaises s’abstiennent de toute prise en compte de la bonne coopération consulaire avec les États tiers. Elle demeure une condition nécessaire pour les exonérations de visa que la France peut accorder, à titre national ou au niveau européen. La France est ainsi très attentive aux discussions européennes en cours sur la révision du mécanisme de suspension des exonérations. Il reste aussi que le niveau de coopération consulaire influence, par nature, les conditions de délivrance des visas, ne serait-ce parce que les postes consulaires n’ont pas la même évaluation du risque migratoire si les perspectives de retour sont faibles en cas d’immigration irrégulière.

    


—  1  —

   CONCLUSION

Les financements de la mission Immigration, asile et intégration pour 2024 augmentent de 7,3 % en crédits de paiement. Ils viendront financer notamment, conformément à la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, le développement du parc de rétention administrative, ainsi que l’augmentation des capacités du dispositif national d’asile. Des moyens supplémentaires importants sont également attribués à l’intégration des étrangers en situation régulière, et notamment des réfugiés grâce au programme AGIR, dont les résultats doivent être salués.

Le budget 2024 de la mission Immigration, asile et intégration est équilibré. Si, en masse, il finance essentiellement la garantie du droit d’asile, tant pour l’hébergement des demandeurs que pour le versement de leur allocation, il est aussi orienté, de façon dynamique, vers le renforcement de l’intégration des étrangers séjournant de manière légale sur notre territoire. Pour ces raisons, le rapporteur pour avis recommande d’émettre un avis favorable à l’adoption des crédits de cette mission.

Les moyens financiers significatifs prévus pour l’État et ses opérateurs apparaissent aujourd’hui d’autant plus indispensables que notre pays doit relever, avec ses voisins européens, de nombreux défis en matière migratoire, dont l’intensification des traversées en Méditerranée, les augmentations de la demande d’asile et de la demande de visas, la gestion des contrôles aux frontières et l’accueil des déplacés ukrainiens ne sont pas les moindres.

 


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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : Poursuivre les efforts d’accompagnement des déplacés ukrainiens vers l’emploi.

Proposition n° 2 : Réaliser une enquête afin d’approfondir les raisons de la baisse du nombre d’élèves ukrainiens inscrits dans le système scolaire français et sensibiliser davantage les familles ukrainiennes à l’enjeu de la scolarisation de leurs enfants.

Proposition n° 3 : Inciter les déplacés ukrainiens à suivre davantage les formations linguistiques proposées.

Proposition n° 4 : Anticiper la fin du dispositif de protection temporaire des déplacés Ukrainiens et les accompagner dans l’évolution de leur statut.

Proposition n° 5 : Maintenir la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

Proposition n° 6 : Assurer le suivi régulier et l’évaluation du plan en dix points de soutien à Lampedusa présenté par la Commission européenne le 17 septembre 2023.

Proposition n° 7 : Œuvrer, lors des trilogues, pour la préservation des priorités françaises concernant le contrôle strict des frontières et la lutte contre les mouvements secondaires.

Proposition n° 8 : Anticiper l’augmentation tendancielle de la demande de visas en poursuivant les efforts de modernisation et d’externalisation de la procédure.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 18 octobre 2023, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. S’agissant de la mission Immigration, asile et intégration, les crédits de paiement sont portés par le projet de loi de finances pour 2024 à un peu plus de 2,1 milliards d’euros, soit une hausse de 7,3 %. Cette enveloppe finance notamment les actions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui sont chargés de gérer les flux migratoires, d’intégrer les étrangers en situation régulière, notamment les réfugiés, et d’examiner les demandes d’asile.

Ce dernier volet représente l’essentiel de l’enveloppe budgétaire, à hauteur de 1,4 milliard d’euros, soit les deux-tiers de la dotation. Dans le contexte actuel d’augmentation tendancielle du volume des demandes d’asile, ces crédits sont valorisés de 11 %.

Notre rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à la politique des visas. Il dressera aussi, dans le prolongement de son rapport de l’an passé, le bilan de l’accueil des déplacés ukrainiens et traitera de questions d’actualité sur le sujet des mouvements migratoires.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. La mission Immigration, asile et intégration se compose de deux programmes, le programme 303, Immigration et asile, et le programme 104, Intégration et accès à la nationalité française. Dans le projet de loi de finances pour 2024, les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes augmentent de 7,5 %, pour atteindre 2,15 milliards d’euros.

Le programme 303 rassemble l’essentiel des crédits de la mission. Ses crédits de paiement augmentent de plus de 17 %, et ceux dédiés plus particulièrement à la lutte contre l’immigration irrégulière sont en hausse de plus de 53 %. Ils visent à financer notamment la poursuite du plan d’ouverture de places en centre de rétention administrative (CRA) pour atteindre progressivement 3 000 places en 2027, contre 1 490 en 2017.

Le Gouvernement a décidé de destiner la rétention administrative prioritairement aux étrangers en situation irrégulière causant des troubles à l’ordre public. Pour les autres, le Gouvernement invite à privilégier, dans un premier temps, l’assignation à résidence, avant de recourir, si nécessaire, à la rétention administrative. L’accent a été mis sur la fermeté à l’égard des étrangers délinquants. Compte tenu du profil de la majorité des retenus, des travaux de sécurisation des CRA ont été jugés nécessaires. Les crédits du programme 303 visent à les financer.

S’agissant de l’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés, le programme 303 financera la création de 1 500 places d’accueil supplémentaires, auxquelles s’ajoutera la pérennisation des 500 places d’accueil temporaire ouvertes en 2023.

La dotation prévue au titre de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est en baisse de 7 % par rapport à la loi de finances pour 2023. Cette diminution résulte de la prise en compte de la réduction du délai de traitement des demandes d’asile, notamment grâce aux efforts consentis par l’OFPRA, que je tiens à féliciter.

Les autorisations d’engagement du programme connaissent une nette diminution, qu’explique pour l’essentiel le renouvellement pour trois ans, en 2023, des conventions pluriannuelles de l’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA).

Le programme 104, qui finance la politique d’accueil et d’intégration des étrangers primo-arrivants, a un poids moindre au sein de la mission. Ses crédits de paiement diminuent d’environ 20 %, en raison notamment de la suppression de l’action 15, dont les crédits ont été répartis parmi d’autres actions.

Les crédits de paiement de l’action 12, relative à l’intégration des étrangers primo‑arrivants séjournant de façon légale sur notre territoire, augmentent de près de 29 %. Ils financeront notamment la poursuite du déploiement du programme d’accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir), qui vise à accompagner dans leur insertion les personnes ayant obtenu le statut de réfugié, grâce notamment à l’ouverture, dans chaque département, d’un guichet unique pour aider les réfugiés connaissant des difficultés particulières pour accéder à l’emploi et au logement.

J’en viens à la partie thématique de mon rapport. J’ai décidé de détailler quatre défis auxquels la France et l’Europe sont particulièrement confrontées en matière migratoire.

Le premier défi est l’accueil des déplacés ukrainiens, auquel j’ai consacré l’intégralité de mon rapport l’an dernier. Il me tient à cœur de faire le point à ce sujet. Les déplacés ukrainiens sont 95 000 sur notre sol. Ils s’y trouvent sous le régime de la protection temporaire. Ils bénéficient dans notre pays d’un accueil particulièrement efficace et complet, dont nous pouvons être très fiers.

Un an et demi après le déclenchement du conflit en Ukraine, il est utile de dresser quelques constats sur leur intégration. Alors même qu’ils ont le droit d’exercer une activité professionnelle, leur taux d’emploi reste assez faible. L’une des raisons en est sans doute que les formations linguistiques qui leur ont été proposées ont été globalement peu suivies. La barrière de la langue est encore un obstacle pour beaucoup d’entre eux.

Par ailleurs, le nombre d’élèves ukrainiens inscrits dans le système scolaire français est en baisse, ce qui peut s’expliquer par des retours en Ukraine ou par la relocalisation de certaines familles dans d’autres pays mais aussi par un refus de scolarisation par certains parents ou par le choix d’un enseignement à distance en langue ukrainienne.

Ces constats doivent nous alerter car ils peuvent traduire un défaut d’intégration, alors même que de plus en plus d’Ukrainiens expriment leur volonté de s’installer définitivement en France. Un think tank ukrainien évalue à près de 40 % la proportion de déplacés qui n’envisagent pas de rentrer en Ukraine à la fin de la guerre. Je formule dans mon avis plusieurs propositions pour relever le défi de leur installation durable en France.

Le deuxième défi est l’accélération des flux migratoires au Sud de l’Europe, notamment via la Méditerranée centrale. Les franchissements irréguliers de frontières par cette route ont augmenté de 96 % en 2023. Quel que soit le bord politique auquel nous appartenons, cette explosion du nombre d’arrivées doit nous alerter. Ces franchissements se répercuteront nécessairement, avec un décalage, sur la demande d’asile dans notre pays, qui est déjà en forte augmentation. Les nationalités de pays subsahariens de l’espace francophone sont largement représentées.

Attendons-nous à une forte augmentation de la population des demandeurs d’asile, mais aussi de celle des personnes ayant obtenu le statut de réfugié, laquelle était déjà de 550 000 à la fin de l’année 2022. Attendons-nous par ailleurs à une augmentation de la population en situation irrégulière, une forte proportion de déboutés du droit d’asile ne quittant pas le territoire français. Dans ce contexte de forts mouvements secondaires, je salue le déploiement de la « force aux frontières » dans les Alpes-Maritimes et dans les Hautes‑Alpes décidé par la première ministre il y a quelques mois et je plaide pour le maintien de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen.

J’aborderai brièvement le troisième défi majeur qu’est le Pacte européen sur la migration et l’asile, qui vise à modifier certaines directives et certains règlements européens en vigueur et à les compléter par de nouveaux textes. Je pense en particulier au règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration qui vise à refondre le règlement Dublin III de 2013, ainsi qu’au texte prévoyant un nouveau mécanisme de solidarité en cas de situation d’urgence dans un État de premier accueil.

Après de longs mois d’enlisement, le Pacte européen sur la migration et l’asile est sur le point d’être adopté, malgré l’opposition de la Hongrie et de la Pologne, dont la position pourrait évoluer à l’issue des dernières élections. Tout l’enjeu sera d’assurer sa mise en œuvre opérationnelle, tant certaines de ses dispositions sont complexes.

Dernier défi et non des moindres, la demande de visas, qui a considérablement augmenté depuis les années 2010 : 4,3 millions de demandes ont été adressées aux postes consulaires français en 2019, contre 2,6 millions en 2012, soit une augmentation de 64 %. Paradoxalement, que la France soit l’un des pays accordant le plus de visas au monde est rarement mis à son crédit. Elle est au contraire l’objet de nombreux griefs, s’agissant notamment du nombre de refus, ainsi que du manque de rapidité et de transparence.

En raison de l’accroissement massif des demandes et des délivrances de visas, des réformes profondes du réseau consulaire ont été mises en œuvre. Le programme France-Visas est un système d’information intégré permettant de dématérialiser la procédure d’acquisition et d’instruction des demandes de visas et d’externaliser la constitution des dossiers, notamment dans les pays où la demande est la plus forte.

En dépit de ces réformes, la situation reste globalement difficile pour le réseau consulaire. L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris ne devrait pas faciliter les choses. J’appelle donc à anticiper la poursuite de l’augmentation de la demande et à poursuivre les efforts de modernisation et d’externalisation de la procédure.

S’agissant de l’utilisation des visas comme levier vis-à-vis des pays peu coopératifs en matière migratoire délivrant peu de laissez-passer consulaires, la politique menée à l’égard des trois États du Maghreb n’a pas produit des résultats très satisfaisants. Elle a suscité un fort ressentiment dans la population des pays concernés, surtout dans les classes moyennes, souvent francophones et francophiles, et beaucoup d’incompréhension s’agissant de refus de visas parfois difficilement explicables ou justifiables, sans améliorer notablement la reprise par ces États de leurs ressortissants en situation irrégulière. Cette politique de quotas a donc été abandonnée au second semestre 2022.

Il serait erroné d’en conclure que les autorités françaises s’abstiennent de toute prise en compte de la bonne coopération consulaire avec les États tiers, laquelle demeure une condition nécessaire pour les exonérations de visas accordées par la France. Le niveau de coopération consulaire influence aussi par nature les conditions de délivrance des visas, ne serait-ce que parce que les postes consulaires n’ont pas la même évaluation du risque migratoire si les perspectives de retour sont faibles en cas d’immigration irrégulière.

Mes chers collègues, je vous invite à émettre un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration. Il s’agit d’un budget équilibré, reposant sur une augmentation non négligeable des crédits de paiement et axé sur le financement de priorités claires : l’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés ; l’augmentation des capacités des CRA et leur sécurisation ; le renforcement de l’intégration des ressortissants étrangers séjournant de façon régulière dans notre pays.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Olga Givernet (RE). L’examen de la mission Immigration, asile et intégration entre en résonance avec une actualité sombre. La France est une terre d’accueil pour celles et ceux, étrangers, qui l’aiment, la défendent et la respectent, pas pour ceux qui lui vouent une haine profonde. Au nom du groupe Renaissance, je rends hommage à Dominique Bernard et apporte tout notre soutien à la communauté éducative. Nos pensées vont également à nos amis belges et suédois endeuillés.

Cette mission a trois grands objectifs : la gestion et le contrôle des flux migratoires, qui s’intensifient avec les bouleversements du monde ; l’accueil des réfugiés, qui nous est cher et fonde nos valeurs humanistes ; l’intégration des étrangers en situation régulière, qui est indispensable à notre pacte républicain.

Dans ce contexte préoccupant, le groupe Renaissance note avec satisfaction l’augmentation importante, de près de 29 %, des crédits de paiement visant à financer l’intégration des étrangers. Ils permettront notamment de financer le déploiement du programme Agir. Il est indispensable d’accompagner les réfugiés dans la recherche d’emploi et de logement.

Nous nous réjouissons également de la hausse des crédits de paiement en faveur de l’asile – au grand dam du Rassemblement national, qui mélange souvent asile, immigration, délinquance, criminalité et terrorisme –, ainsi que de la hausse des autorisations d’engagement et des crédits de paiement dédiés à la lutte contre l’immigration irrégulière, qui augmentent massivement, à hauteur respectivement de 46 % et de 54 %.

Plus généralement, le groupe Renaissance salue la hausse significative des moyens prévus pour notre politique migratoire. Notre pays est confronté à un faisceau de défis, que le rapporteur vient d’évoquer en détail. L’intensification des traversées en Méditerranée, l’augmentation des demandes d’asile, la protection de nos frontières et l’accueil des déplacés ukrainiens exigent des moyens plus significatifs.

Disons-le clairement : la politique migratoire de la France doit marcher sur ses deux jambes, celles de l’humanisme – l’accueil est un devoir moral au fondement de notre nation – et celle de la fermeté – si nous devons prendre notre part, nous ne pouvons accueillir tout le monde. Par ailleurs, nous réaffirmons la nécessité d’une politique migratoire à l’échelle de l’Union européenne (UE).

Nous souscrivons aux conclusions du rapporteur. Nous vous invitons à voter largement les crédits de cette mission et à rejeter les amendements du Rassemblement national.

M. Thibaut François (RN). Le constat est clair : la politique migratoire en France est un échec. Augmentation des demandes d’asile de plus de 31 % de 2021 à 2022, augmentation de la délivrance des titres de séjour de 11,8 % en 2022, 7 % seulement des obligations de quitter le territoire français (OQTF) exécutées en 2022 : quel bilan !

Une récente étude portant sur le coût de l’immigration démontre, s’il en était besoin, que celle-ci coûte plus que ce qu’elle rapporte. Son coût est passé de 17,4 milliards d’euros en 2012 à 40,3 milliards en 2023. Par rapport à 2012, les dépenses relatives à l’immigration ont augmenté de 64 %, contre seulement 23 % pour les recettes. Le surcoût de l’immigration irrégulière est évalué à 3,77 milliards d’euros.

Cette année encore, les incohérences du budget qui nous est présenté empêcheront de rebâtir une politique migratoire efficace. Le budget de l’action Garantie de l’exercice du droit d’asile enregistre une hausse de 11 %, ce qui est paradoxal, s’agissant de l’une des voies de l’immigration clandestine. Cette augmentation finance notamment la création de nouvelles places d’hébergement au titre de l’HUDA. Au Rassemblement national, nous proposons de construire une politique du droit d’asile traitant les demandes d’asile dans les pays où se trouvent les demandeurs, dès lors que c’est possible.

Le budget de la lutte contre l’immigration irrégulière est en augmentation de 53,8 % mais demeure inférieur à celui de la garantie d’exercice du droit d’asile, ce qui est révélateur de la stratégie catastrophique du Gouvernement. Par ailleurs, l’indicateur du nombre de retours forcés exécutés ne prévoit aucune cible de 2024 à 2026, alors même qu’il est essentiel pour déterminer le budget approprié.

Dans un contexte d’évolution de la pression migratoire, la révision de notre politique et de son financement sont des pierres angulaires pour faire face aux nouveaux défis. Le Rassemblement national propose un référendum sur l’immigration et des mesures concrètes, telles que l’expulsion des délinquants et des criminels étrangers, ainsi que l’instauration d’un principe de refoulement.

Les incohérences du budget présenté laissent perplexes sur son efficacité. Comment peut-il répondre de façon crédible à la submersion migratoire à laquelle la France doit faire face ?

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. La position du Rassemblement national est sans surprise.

Vous critiquez l’augmentation des crédits de l’action Garantie de l’exercice du droit d’asile, qui vise à augmenter les capacités d’hébergement des demandeurs d’asile. À défaut, nous aurons des demandeurs d’asile dans la rue et dans des campements sauvages, ce qui peut renforcer le sentiment d’insécurité, voire l’insécurité elle-même. Je ne comprends pas votre position.

Je ne comprends pas davantage vos amendements visant à réduire les crédits dédiés à l’hébergement ou à l’augmentation du nombre de places en CRA. Cela aurait pour effet de mettre dans la rue des demandeurs d’asile. Ce n’est pas, me semble-t-il, ce que souhaitent nos concitoyens.

Vous ne parviendrez pas à une immigration zéro. Il y aura toujours des demandeurs d’asile en France. Il faudra bien les loger pour préparer leur intégration ou leur renvoi dans leur pays d’origine.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Les crédits de la mission Asile, immigration et intégration du projet de loi de finances pour 2024 sont un prélude au énième projet de loi sur l’immigration, annoncé pour décembre, qui sera la dernière pierre à l’édifice de politiques migratoires toujours plus répressives et déshumanisées. Ni les chiffres ni les grandes annonces du Gouvernement ne mentent sur ses priorités : criminaliser, enfermer et détricoter le droit d’asile.

La France continue, encore et toujours, d’investir dans les CRA. Ces dernières années, l’enfermement en CRA, pourtant facultatif selon la loi, est devenu quasi systématique, et la durée de rétention a augmenté. En dépit de onze condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la France continue d’enfermer des enfants, notamment à Mayotte, où le nombre d’enfants en CRA est trente fois plus élevé que dans l’Hexagone.

Quant au droit d’asile, pourtant fondamental, il reste sous-financé. D’après le bleu budgétaire, seuls 59 % des demandeurs d’asile ont obtenu un hébergement en 2023. Face à ces besoins, la création en 2024 de 1 000 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile est dérisoire.

Par ailleurs, le Gouvernement demande à l’OFPRA de rendre 15 000 décisions de plus en 2024. Quels moyens lui accorde-t-il pour ce faire ? Dix-sept équivalents temps plein (ETP) supplémentaires. Le Gouvernement organise l’affaiblissement de notre système d’asile en imposant des délais de procédure toujours plus courts et des objectifs de traitement des demandes toujours plus élevés à des instances en sous-effectif n’ayant même pas les moyens d’examiner les demandes de façon sereine et individualisée.

S’agissant de la partie thématique du rapport, je prends note avec déplaisir de l’enthousiasme pour l’externalisation du traitement des demandes de visas dont il fait preuve, alors même que nos services consulaires souffrent de décennies de réduction des coûts et des effectifs. Loin de proposer de lui apporter les moyens nécessaires, le rapport suggère de porter un coup fatal à ce service public essentiel.

S’agissant de la dimension européenne de la politique migratoire, le rapport disserte longuement sur les franchissements irréguliers aux frontières extérieures de l’UE mais demeure silencieux sur les drames humains qu’entraînent les politiques sécuritaires. De janvier à septembre 2023, plus de 2 500 personnes sont mortes ou portées disparues en tentant de traverser la Méditerranée.

Quant à l’accord entre l’UE et la Tunisie, le rapport ne mentionne pas une seule fois les discours haineux envers les migrants du président autocrate Kaïs Saïed, ni les violences et les transferts forcés de centaines de personnes dans le désert, à la frontière libyenne. La politique migratoire actuelle est inefficace pour prévenir ces drames. Pire, elle y contribue. Pourtant, l’UE et la France s’enferrent dans cette impasse.

Le groupe LFI-NUPES rejette ces crédits, qui consacrent et renforcent des politiques toujours plus sécuritaires, inhumaines et inefficaces.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. D’une radicalité à l’autre ! Entre zéro immigration et l’accueil de toute la misère du monde, la position du Gouvernement est une position d’équilibre.

Vous déplorez le manque de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile : votez les crédits, qui en augmentent le nombre ! Si celui-ci vous semble insuffisant, que n’avez-vous déposé des amendements visant à l’augmenter ? Vos actes contredisent vos discours.

Mme Maud Gatel (Dem). La politique migratoire de notre pays s’inscrit dans un monde particulièrement marqué par les crises. Elle suscite – nous venons d’en avoir deux exemples – des postures souvent éloignées des situations personnelles des premiers concernés. Accueillir tout le monde est aussi irréaliste qu’ériger des murs. Ce sujet mérite une étude rigoureuse et chiffrée, ainsi que notre profonde humanité.

Pour faire face aux tendances que vous documentez, ce budget confirme les orientations de 2023. Il procède d’une vision équilibrée, insistant sur l’amélioration des capacités du dispositif national d’accueil des personnes demandant asile (DNA) et sur le déploiement du programme Agir mais aussi sur la poursuite de la lutte contre l’immigration illégale, grâce notamment à l’augmentation du nombre de places en CRA, qui a doublé depuis 2017. Concernant l’accueil des réfugiés, une part du budget sera dédiée à l’augmentation des places pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, notamment les plus vulnérables.

Le travail donne les clés de l’émancipation et de l’intégration. Je salue la poursuite de la montée en puissance du programme Agir, dont le budget augmentera de 30 millions d’euros en 2024. Il fait de l’échelon départemental l’interlocuteur privilégié, sur un modèle de guichet unique, pour donner une chance à chacun. S’agissant du faible taux d’emploi des déplacés ukrainiens, qui certes peut s’expliquer, je m’associe à la recommandation selon laquelle il est nécessaire de travailler sur ce sujet.

Par ailleurs, la réponse à la question migratoire est nécessairement européenne. Je salue les très nombreuses avancées réalisées sur le Pacte européen sur la migration et l’asile, grâce notamment à la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Les bouleversements en cours rendent son adoption plus impérieuse encore. Il doit être une solution équilibrée entre souveraineté et solidarité, efficacité et humanité. C’est naturellement dans cette lignée que nous nous inscrivons. Le prochain défi sera celui de sa mise en œuvre. La France devra absolument rester mobilisée.

Le groupe Démocrate votera les crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

M. Alain David (SOC). Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie de vos éclaircissements et du choix qui a été le vôtre de mettre l’accent sur l’accueil des réfugiés ukrainiens, sur la nouvelle accélération des flux migratoires irréguliers via la mer Méditerranée et sur leurs conséquences aux échelons européen et français. Je l’ai dit à plusieurs reprises lors d’auditions et de réunions diverses de notre commission : je suis pour ma part très attentif à d’autres réfugiés dont le nombre augmente chaque année, les réfugiés climatiques.

S’agissant du budget 2024, je note l’augmentation des crédits de paiement et la diminution des autorisations d’engagement. Je note que, cette année encore, la dimension sécuritaire prédomine largement dans son élaboration. Du côté de l’intégration, il manque toujours d’ambition, au moment où l’actualité tragique qui a frappé notre pays en démontre cruellement l’importance.

Concernant l’asile, il est toujours nécessaire de rappeler les principes constitutionnels encadrant le droit positif. À toute personne demandant l’asile, l’examen impartial de sa demande par un établissement public doit être garanti. Dans ce cadre, tout demandeur d’asile dispose d’un droit de séjour, d’un droit à l’hébergement et d’un droit à une prise en charge sociale. J’observe que l’objectif présidentiel de réduction du délai d’instruction des demandes à six mois est loin d’être atteint.

Le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra, de façon vigilante, sur les crédits de la mission.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. C’est dommage. Certes, mon rapport rappelle que la politique migratoire comporte une dimension sécuritaire et le budget prévoit des moyens pour lutter contre l’immigration irrégulière. Dans le même temps, nous augmentons de façon considérable les places d’hébergement au titre de l’HUDA, associant à la dimension sécuritaire une dimension humaniste dont la France ne peut faire l’économie.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Monsieur le rapporteur pour avis, je salue votre travail. Je salue aussi le choix d’examiner les crédits de la mission Immigration, asile et intégration en commission des affaires étrangères, pour une bonne et simple raison : il y a quelques mois, Estelle Youssoufa et moi-même avons eu l’occasion, dans le cadre de la mission d’information sur les enjeux migratoires aux frontières Sud de l’Union européenne et en Océan indien, de rappeler que la politique migratoire ne peut s’envisager uniquement aux contours de nos frontières et qu’elle est tributaire de dynamiques de fond à l’échelle mondiale.

Le retour de la guerre à l’Est de l’Europe, la situation humanitaire et sécuritaire préoccupante en Afrique du Nord, au Sahel et dernièrement au Moyen-Orient et les dynamiques démographiques et climatiques vertigineuses doivent mobiliser non seulement la France mais aussi toutes les autres démocraties européennes. Nous devons européaniser complètement notre politique d’asile, donner les moyens à l’Agence européenne de garde‑frontières et de garde-côtes (Frontex) pour muscler notre stratégie d’éloignement et favoriser le traitement ainsi que le filtrage des demandes au plus proche des pays d’origine, le tout en prenant pour base le Pacte européen sur la migration et l’asile, qui doit être adopté prochainement par le Parlement et le Conseil européens.

Toutefois, tout ne repose pas sur l’Europe. La France doit faire face à des défis qui lui sont propres : l’intégration d’un côté, la lutte contre l’immigration illégale de l’autre. Le budget que nous examinons me semble à la hauteur de ces enjeux.

Sur le premier volet, le groupe que je préside salue l’effort supplémentaire consenti en faveur de l’apprentissage et de la maîtrise du français pour les demandeurs de titres de séjour. Sur le second volet, nous soutenons la hausse de 60 millions d’euros du budget alloué à la politique d’éloignement et à la création de places en CRA, conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), que le ministre de l’intérieur a défendu et que nous avons adoptée il y a peu.

Le groupe Horizons et apparentés approuve et votera la hausse des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Je partage tout à fait l’analyse qui vient d’être faite. La politique migratoire doit avancer sur ses deux jambes : la fermeté et l’humanisme. Il est fondamental d’assurer un double contrôle de l’immigration, aux échelons européen et français.

Nous ne saurions opposer trop de filtres à l’immigration massive, qui en tout état de cause est inéluctable, compte tenu de la démographie exponentielle de l’Afrique et du changement climatique, qui entraîneront forcément des migrations vers le Nord, donc vers l’Europe. Tous les niveaux de contrôle doivent être prévus. La France et l’Europe sauront faire face.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions à titre individuel des membres de la commission.

M. Jérôme Buisson (RN). D’après le rapport du sénateur Meurant sur la mission Immigration, asile et intégration du projet de loi de finances pour 2023, le nombre de retours forcés exécutés en 2019 avoisinait 32 000 ; la même année, le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME) s’élevait à 334 000. D’après les chiffres prévisionnels pour l’année prochaine, les bénéficiaires de l’AME seront plus de 400 000, alors que le nombre de retours forcés exécutés a chuté à 11 410 en 2022. Après 2022, plus de chiffres : comme c’est étrange !

Comment expliquez-vous le décrochage des retours forcés exécutés par rapport au nombre de bénéficiaires de l’AME, qui indique pourtant une hausse constante du nombre d’immigrés illégaux ? Comment expliquez-vous que le nombre de retours forcés exécutés à partir de l’année 2022 ne figure pas dans le projet annuel de performances (PAP) ?

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Faire un comptage précis des laissez‑passer consulaires est difficile car de nombreux immigrés détruisent leurs documents. La France y travaille. J’imagine qu’elle apportera bientôt des solutions.

Mme Eléonore Caroit (RE). L’Italie subit une très forte pression migratoire : depuis le 1er janvier 2023, plus de 130 000 arrivées y ont été enregistrées, soit une hausse de plus de 80 % en vingt ans. Cette situation a un impact direct sur notre frontière avec l’Italie, longue de 500 kilomètres, et n’a pas manqué de susciter des tensions politiques entre nos deux pays à plusieurs reprises au cours des dernières années.

Dans votre rapport, vous préconisez de maintenir le contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen, qui a été réintroduit à titre temporaire. Dans ce contexte, l’entrée en vigueur du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, dit « traité du Quirinal », est-elle susceptible d’améliorer significativement le contrôle des flux migratoires de l’Italie vers la France ?

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Très clairement, ce traité facilitera le contrôle des flux migratoires venus d’Italie, qui est un enjeu majeur sur le territoire métropolitain, car la plupart des immigrés venant d’Afrique subsaharienne passent par l’Italie. Le renforcement de notre coopération sur ce sujet est primordial et doit être prioritaire. Le traité ne va peut-être pas assez loin mais il va dans le bon sens.

M. Michel Guiniot (RN). L’un des objectifs de l’action 01 Circulation des étrangers et politique des visas est la « mise en place de dispositifs visant à simplifier les procédures de délivrance des visas aux étrangers de bonne foi ». Comment s’assurer de la bonne foi d’individus qui ont menti pour obtenir leur visa ? D’après le rapport d’information sur la politique des visas réalisé sous la précédente législature, 30 % des étudiants restent sur le sol français après expiration de leur visa. De plus, de 20 % à 30 % des demandes de visa émanant de certains pays africains sont frauduleuses.

La politique des visas ne saurait servir à simplifier la vie d’étrangers mal intentionnés, qui veulent abuser de notre modèle social et du caractère fictif des frontières de l’espace Schengen, qui sont des passoires. Dans votre rapport, vous relevez un risque important de fraude, notamment documentaire, en matière de visas mais vous ne relevez pas qu’aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour lutter contre.

Comment expliquez-vous, alors même que les crédits de la mission Immigration, asile et intégration sont en hausse de 7,3 %, que les crédits de l’action 01, particulièrement sensible, n’augmentent pas dans les mêmes proportions ?

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. La question des visas est fondamentale. Elle fait l’objet de réformes au sein de notre réseau consulaire, visant notamment à la centralisation du traitement des visas et à la numérisation de leur contrôle. D’autres progrès peuvent certainement être faits mais cette question a bien été identifiée et nous y travaillons.

Le problème des visas est double : d’un côté, nous accordons des visas à des personnes qui ont monté des dossiers frauduleux ; de l’autre, nous en avons refusé à des personnes francophones ou francophiles, ce qui a créé un sentiment antifrançais dans certains pays. Il faut optimiser la procédure de délivrance des visas dans nos consulats. Nos ambassadeurs et consuls y travaillent.

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Article 35 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-AE90 de M. Thibaut François

M. Thibaut François (RN). Il s’agit, par cet amendement, d’entraver la création de nouvelles places en centre d’accueil de demandeurs d’asile. Chacun sait que le recours au droit d’asile est l’une des voies principales de l’immigration clandestine. La politique migratoire doit encourager le départ, lorsqu’il est possible, et non l’accueil massif, aux frais du contribuable français.

Au Rassemblement national, nous sommes opposés à l’augmentation du nombre de places d’accueil et nous souhaitons que toutes les demandes d’asile soient traitées dans le pays de départ – quand il n’est pas en guerre et que c’est possible – et non chez nous, aux frais du contribuable français.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Nous avons une vraie opposition idéologique sur ce point : pour notre part, nous pensons que la réduction du nombre de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile créera de l’insécurité.

Le Rassemblement national veut réduire les flux migratoires vers la France : soit, mais il continuera d’arriver des demandeurs d’asile et on ne les laissera pas dans la rue. Il faut pouvoir les héberger dignement, ce qui est la première étape d’une bonne intégration. Tous les groupes, me semble-t-il, souhaitent que les étrangers, en France, s’intègrent mieux. Vos amendements auraient un effet exactement inverse.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques II-AE81 de M. Thibaut François et II-AE82 de Mme Laurence Robert-Dehault

M. Thibaut François (RN). Je confirme que nous avons une vraie différence idéologique.

Il s’agit ici d’enrayer la pression migratoire et l’augmentation du nombre de demandes d’asile, qui est de 31 % en 2022. La liste des pays où les demandes augmentent le plus mérite une discussion : l’Afghanistan, avec une hausse de 39,8 % ; le Bangladesh, avec 68,3 % ; la Turquie, avec 99,6 % ; la Géorgie, avec 92,8 % ; la République démocratique du Congo, avec 140 %.

Augmenter nos capacités d’hébergement, c’est encourager ces flux migratoires, qui sont déjà en pleine explosion. Nous maintenons que les demandes d’asile doivent être faites dans le pays d’origine, lorsque c’est possible. Il y a une différence fondamentale entre la position du Gouvernement et la nôtre : pour nous, la place des clandestins déboutés du droit d’asile ou venant d’un pays qui n’est pas en guerre n’est pas la rue en France mais leur pays d’origine.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Pour moi, il n’est pas contradictoire de renforcer les contrôles aux frontières de l’Europe et de la France pour mieux combattre l’immigration, d’une part, et d’assurer à ceux qui arrivent sur notre sol un accueil correct, d’autre part.

Il y aura toujours des immigrés qui arriveront sur notre sol. Ne pas les héberger correctement, c’est enfoncer un premier coin dans leur insertion et créer un désordre dont nous ne voulons pas.

La commission rejette les amendements.

Amendement II-AE85 de Mme Laurence Robert-Dehault

M. Michel Guiniot (RN). Dans un contexte de crise sans précédent de nos finances publiques, chaque euro compte et doit être dépensé au bénéfice des Français. Or les crédits destinés à la prise en charge sanitaire des personnes en CRA – autrement dit des personnes présentes sur notre territoire de manière irrégulière – augmenteront de 1,77 million d’euros en 2024. Le Gouvernement justifie cette hausse par la revalorisation des salaires du personnel médical des CRA, consécutivement au Ségur de la santé.

Toutefois, la hausse des crédits prévue dépasse de beaucoup – 1,2 million – le coût de cette revalorisation salariale. Il n’est pas question de revenir sur cette prise en charge sanitaire, qui est un impératif de santé publique et un devoir d’humanité. Mais il n’y a aucune raison que les contribuables français paient plus que nécessaire.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Le nombre de places en CRA augmentera ; il est donc normal d’augmenter aussi les crédits dédiés à la prise en charge sanitaire dans les CRA. On ne peut pas y accueillir davantage de personnes et réduire les soins qu’on leur prodigue.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE92 de M. Jérôme Buisson

M. Jérôme Buisson (RN). Cet amendement d’appel vise à dénoncer l’inefficacité de Frontex. Censée protéger les frontières de l’Union européenne des flux migratoires illégaux, elle est devenue une agence d’accueil des migrants.

On dénombrait près de 124 000 franchissements irréguliers en 2020 ; on est passé à plus de 228 000 en 2022, pour un budget annuel de 700 millions d’euros. L’hôtesse d’accueil est donc rémunérée à grands frais par les contribuables français. Cela suffit ! Nous proposons de créer un corps français de lutte contre l’immigration irrégulière en mer, en lui allouant un budget de 100 millions d’euros.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Si nous n’avions pas Frontex, les chiffres seraient encore plus élevés.

Par ailleurs, nous avons déjà une gendarmerie maritime. Surtout, les migrants qui arrivent en France arrivent d’Italie par la voie terrestre. Créer un corps français en mer ne servirait donc à rien.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE91 de M. Jérôme Buisson

M. Jérôme Buisson (RN). Les années passent et l’inaction du Gouvernement reste. Notre pays subit une vague migratoire sans précédent mais rien n’est fait.

Il y a la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire l’immigration légale, avec 310 000 titres de séjour accordés en 2022, et la partie immergée, c’est-à-dire l’immigration irrégulière. On compte plus de 400 000 bénéficiaires de l’AME : c’est un naufrage humain, social, économique et sécuritaire, auquel quelques places d’hébergement supplémentaires ne changeront rien. En face, l’inaction : 11 410 retours forcés seulement en 2022, et aucun chiffre depuis lors.

Avec cet amendement, nous proposons de renforcer de 100 millions d’euros le budget alloué à la lutte contre l’immigration irrégulière, pour le porter à 400 millions d’euros.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE77 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). En 2022, l’OFII annonçait que 47,5 % des signataires du contrat d’intégration républicaine (CIR) étaient orientés vers une formation linguistique. Pourtant, la formation linguistique est l’objet même du CIR. De plus, selon les objectifs et indicateurs de performances du projet de loi de finances pour 2024, l’efficience de la formation linguistique dans le cadre du CIR est de 63,9 %. En conséquence, 36,1 % des 47,5 % sont mal affectés, soit 17,15 % de la somme totale.

Il est donc proposé de transférer la fraction correspondante, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, à l’action Lutte contre l’immigration irrégulière, dont les ressources profiteront ainsi à l’État et à notre société. L’intégration, pour être réussie, doit reposer sur du bon sens et de la bonne volonté. Il faut protéger les immigrés intégrés et les contribuables français.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Il faut faire des efforts pour améliorer l’enseignement du français aux migrants qui arrivent sur notre sol et demandent à être intégrés : nous sommes d’accord là-dessus. Mais ce n’est pas en retirant les crédits dédiés à l’apprentissage du français que nous y parviendrons.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE78 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à rediriger près de 40 millions d’euros d’une action visiblement en échec vers une action qui ne demande qu’à en être dotée.

Au vu des émeutes qui ont secoué la France à l’été 2023 et des troubles que vit le pays en ce moment, en résonance avec le conflit israélo-palestinien, il est clair que les efforts pour l’intégration des étrangers sont un échec. En conséquence, nous proposons de cesser d’investir toujours davantage dans l’action Intégration des étrangers primo-arrivants, qui ne produit que peu de fruits, et de doter davantage l’action Lutte contre l’immigration irrégulière.

Cela ne pourra qu’être bénéfique, tant pour la société française que pour les personnes qui ont effectivement besoin de notre protection. Notre modèle social et la générosité du contribuable français ne doivent pas faire l’objet d’abus à ce point scandaleux.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Nous avons vraiment une approche très différente de ces sujets. Il faut mieux intégrer les migrants qui arrivent sur notre sol. Les crédits alloués à l’intégration ne représentent que 20 % des crédits de la mission. Vous proposez de les diminuer encore.

Nous n’intégrerons pas mieux ceux qui arrivent sur le sol national en réduisant les crédits dédiés à l’intégration : c’est totalement contradictoire. J’ai bien compris que vous vouliez être plus fermes aux frontières et nous partageons cet objectif mais cela ne signifie pas que l’on doit moins bien intégrer les gens et consacrer moins de crédits à l’intégration.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE76 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). En 2023, on notait dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile un taux de présence indue de 12 % pour les réfugiés et de 7,5 % pour les déboutés du droit d’asile. En somme, seules 79 % des places dédiées aux demandeurs d’asile sont effectivement mises à leur disposition.

Puisque 21 % des sommes affectées à l’hébergement des demandeurs d’asile ont été détournées de leur fonction première, il est proposé de les transférer vers l’action Accès à la nationalité française, largement sous-dotée. Il faut cesser de consacrer des millions au logement de personnes qui devraient être expulsées et réserver ces places à ceux qui en ont besoin.

Si la triste actualité ne peut que me donner raison, j’attends surtout un sursaut de votre part, chers collègues. Il convient de réagir. Les vrais réfugiés n’ont pas à subir les abus de ceux qui viennent en France pour profiter de notre système social ou pour d’autres raisons.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE75 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Selon la justification au premier euro du projet de loi de finances pour 2024, l’ADA serait versée à plus de 106 000 individus en moyenne dans l’année, pour un coût moyen de 231 euros par mois et par individu, sans compter les aides et les soutiens humanitaires dont ils bénéficient sur notre sol, notamment de la nourriture, un logement et des habits.

Réduire cette ressource de 31 euros, pour la ramener à 200 euros par mois et par individu, permettrait d’allouer près de 40 millions supplémentaires à l’action Accès à la nationalité française. Nous pourrions ainsi renforcer les contrôles, lutter contre la fraude et, surtout, protéger les contribuables français. C’est une question de décence.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’ADA est une aide à l’intégration. Elle n’a pas été revalorisée depuis plusieurs années et ne représente que 6,80 euros par jour. Cette somme est déjà très faible ; la réduire encore ne faciliterait pas l’intégration des demandeurs d’asile dans la société française.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre commission va à présent se prononcer sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration pour 2024. J’interroge notre rapporteur sur sa recommandation à cet égard.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. Je suis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration non modifiés.

Article 38 et état G : Objectifs et indicateurs de performance

Amendement II-AE79 de M. Sébastien Chenu

M. Michel Guiniot (RN). Depuis de nombreuses décennies, la France a généreusement contribué à l’aide au développement de pays en voie de développement. Des milliards d’euros ont été versés, des dettes ont été annulées, du matériel a été offert et une aide militaire a été déployée pour soutenir nos partenaires internationaux.

Il est temps de repenser l’aide au développement et de la conditionner à certains engagements des pays bénéficiaires. Ce n’est pas seulement une question de ressources financières mais aussi de responsabilité mutuelle.

Lorsque les impôts de nos compatriotes contribuent au développement d’un pays, le Parlement et l’opinion publique doivent savoir combien ce pays a repris de ses ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire. Nous proposons un indicateur simple et pertinent : le rapport entre le nombre de demandes envoyées par la France et le nombre de réponses favorables. Cela permettra de cibler l’aide au développement sur les pays ayant une véritable politique de coopération avec la France.

M. Nicolas Metzdorf, rapporteur pour avis. L’indicateur que vous proposez n’est pas pertinent car les expulsions ne représentent qu’une part marginale des mesures d’éloignement contraint. Elles concernent les étrangers qui présentent une menace grave pour l’ordre public. Quantitativement, ce sont surtout les obligations de quitter le territoire français qu’il faut regarder.

L’un des principaux obstacles à l’exécution de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière tient à l’absence de document de voyage. Cela impose aux préfectures de solliciter un laissez-passer consulaire auprès des autorités du pays de destination.

La mesure du niveau de coopération migratoire est le taux de délivrance des laissez‑passer consulaires, qui est connu. Nous connaissons aussi les pays qui bénéficient de l’aide publique au développement (APD) française.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en avons terminé avec les sujets à notre ordre du jour. Nous achèverons l’examen de nos différents avis budgétaires lors de notre prochaine réunion.

 

 


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   annexe : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur pour avis

 

 

 


([1]) Il existe par ailleurs une action (n° 1), intitulée Circulation des étrangers et politique des visas. Dotée de 520 000 euros en AE et en CP dans le projet de loi de finances pour 2024, elle finance des efforts qui tendent à simplifier les procédures de délivrance des visas sans affaiblir les contrôles en matière sécuritaire. Il existe aussi une action (n° 4), dite Soutien, qui regroupe une partie des moyens de fonctionnement de la direction générale des étrangers en France, dotée de 57,3 millions d’euros en AE et de 56,7 millions d’euros en CP.

([2]) Les centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) constituent un sas d’entrée dans l’hébergement et assurent une mission d’orientation vers d’autres dispositifs d’hébergement plus adaptés aux profils des demandeurs d’asile. Ils limitent la reconstitution de campements dans les territoires les plus en tension.

([3]) Le délai de jugement de la CNDA est actuellement de 193 jours.

([4]) Cf. loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), rapport annexé, 3.7.

([5]) La capacité de rétention était de 1 490 places à la fin de l’année 2017 et de 1 719 places à la fin 2021.

([6]) Cf. loi précitée, rapport annexé, 3.7.

([7]) La part des crédits de l’action n° 15 dédiée aux dispositifs d’hébergement pour les réfugiés les plus vulnérables et au logement accompagné bascule, quant à elle, sur le programme 303.

([8]) Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. Le mécanisme de protection temporaire prévu par cette directive a été activé par les États membres de l’Union européenne le 4 mars 2022. Le dispositif confère une protection d’une durée de trois ans maximum mais pouvant prendre fin plus tôt, sur décision du Conseil de l’Union européenne, si la crise qui l’a motivée cesse.

([9]) M. Tardis, « L’accueil en Europe des déplacés ukrainiens : quels enseignements pour l’Union européenne ? », in T. de Montbrial et D. David (dir.), Ramses 2024, Paris, Ifri/Dunod, 2023.

([10]) Ibidem.

([11]) Dont 5 000 pour la seule journée du 12 septembre.

([12]) Le gouvernement italien avait annoncé, le 5 décembre 2022, la suspension « temporaire », en raison de la saturation des centres d’accueil, des « transferts Dublin », c’est-à-dire des renvois vers l’Italie des demandeurs d’asile entrés dans l’Union européenne via ce pays.

([13]) Environ 80 % des décisions de rejet de l’OFPRA font l’objet d’un recours devant la CNDA.

([14]https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrants-on-a-une-augmentation-des-tentatives-de-passage-a-travers-les-alpes-explique-l-office-francais-de-l-immigration-et-de-l-integration_5808536.html

([15]) Cet accord, dit « Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique global », a été signé en présence de la présidente de la Commission européenne et des chefs de gouvernement italien et néerlandais.

([16]) Proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration (GAM).

([17]) Outre ces propositions législatives, la refonte du règlement Qualification a pour objet d’harmoniser davantage les conditions d’octroi et de retrait de la protection internationale. La révision de la directive Accueil, en limitant l’octroi des conditions matérielles d’accueil dans le seul État membre responsable de la demande d’asile, a pour but de lutter contre les mouvements secondaires. La proposition de règlement Réinstallation vise à créer un cadre européen de discussions sur les engagements de l’Union en matière de réinstallation et à uniformiser les critères et les procédures en la matière. La proposition amendée du règlement Eurodac doit permettre une information plus complète sur les demandeurs d’asile et une meilleure appréhension des mouvements secondaires avec des données par individu et non plus seulement par demande. Le règlement relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA) a, quant à lui, été définitivement adopté le 15 décembre 2021.

([18]) La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen a adopté, le 28 mars 2023, des mandats de négociation sur quatre textes : le règlement « Filtrage », le règlement GAM, le règlement « Procédure » et le règlement sur les situations de crise.

([19]) M. Tardis, « Politiques migratoires en Europe : quelles alternatives ? », in Politique étrangère, vol. 88, n° 3, automne 2023.

([20]) Le VLS-TS a été mis en service en juin 2009 pour faciliter l’arrivée en France de quatre catégories de bénéficiaires de visas de long séjour : conjoints de ressortissant français, étudiants, travailleurs salariés et visiteurs.

([21]) P. Hermelin, « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », Rapport à l’attention du ministre de l’intérieur et des outre-mer et de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avril 2023. Ce rapport comporte quarante recommandations.