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N° 1778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2023

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 1680)
de finances pour 2024

 

 

 

TOME III

JUSTICE

 

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

PAR M. Éric POULLIAT

Député

——

 

 Voir le numéro : 1745 – III – 30

 

 

 En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2023 pour le présent projet de loi de finances.

 

 À cette date, 100 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui se félicite du plein respect des délais prévus par la LOLF.

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION ............................................ 7

PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2024 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

I. UNE PROGRESSION GLOBALE DE 1,5 % DU BUDGET PÉNITENTIAIRE

A. des efforts budgÉtaires concentrés sur les personnels pÉnitentiaires

1. La création de 447 emplois

2. Une accentuation de la politique d’amélioration catégorielle

B. une année marquée par l’augmentation des crédits dédiés à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice

1. Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

2. La politique de réinsertion et de prévention de la récidive

C. Une politique d’amélioration du parc pénitentiaire qui s’inscrit dans la continuité des efforts précédents

1. L’amplification des efforts de sécurisation et de modernisation du parc pénitentiaire

2. La stabilisation des budgets pour la maintenance et l’entretien des établissements pénitentiaires

3. La poursuite du « plan 15 000 »

II. LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN AUGMENTATION DE 3 %

A. la poursuite des efforts budgétaires en direction des personnels

1. Les trois objectifs stratégiques de la protection judiciaire de la jeunesse

2. Une augmentation de près de 4 % des dépenses de personnel

B. Une augmentation de 3 % des crédits hors masse salariale

1. Les mesures de prise en charge des mineurs délinquants et les mesures d’investigation

2. Les missions de soutien et de formation

SECONDE PARTIE : LA santé mentale des personnes détenues

I. UNE prévalence des troubles psychiques chez les personnes détenues plus élevée que dans la population générale

A. La mesure de la santé mentale des personnes détenues, un enjeu crucial pour assurer leur prise en charge

1. L’étude nationale de 2004, des données anciennes mais déjà éclairantes

2. L’étude de 2017 sur la santé mentale des personnes entrant en détention dans le Nord et le Pas-de-Calais

3. L’étude épidémiologique sur la santé mentale en sortie de prison, publiée en 2023 par la Fédération régionale de recherche en santé mentale des Hauts de France (F2RSM), un état des lieux révélateur

4. La nécessité de poursuivre les études en milieu carcéral

B. Le milieu pénitentiaire, un public spécifique exposé à un contexte particulier

1. Les personnes détenues, un public fragilisé, cumulant souvent les carences et les comorbidités

a. Un cumul de carences sanitaires, sociales, éducatives et professionnelles

b. Les difficultés liées aux conduites addictives

c. L’importance des traumatismes subis dans l’enfance

d. Un accroissement des profils psychiatriques en détention

2. Le choc carcéral et l’impact de l’emprisonnement, deux éléments spécifiques au milieu carcéral

3. Une problématique qui fait l’objet d’une attention particulière de l’administration pénitentiaire et du ministère de la santé

a. La feuille de route « Santé des personnes placées sous main de justice »

b. La formation des personnels pénitentiaires aux enjeux sanitaires

c. Une vigilance accrue pour lutter contre le risque suicidaire

II. L’accès aux soins psychiatriques en détention, un modèle complet mais perfectible

A. La prise en charge psychiatrique des personnes détenues, un modèle cohérent et en cours de développement

1. Les trois niveaux de soins

a. Les soins de niveau 1 délivrés dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP)

b. Les soins de niveau 2 dispensés au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR)

c. Les soins de niveau 3 réalisés en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)

2. L’établissement de Château-Thierry, une adaptation de la prise en charge pour certaines situations

3. Le lancement de la seconde tranche des UHSA, une évolution pertinente et attendue

B. Le parcours de soins des personnes détenues, une opportunité d’accès aux soins encore limitée par certaines difficultés pratiques

1. Le parcours de soins en milieu pénitentiaire, une opportunité d’accès aux soins pour des personnes qui en sont souvent éloignées

a. Le suivi psychologique et psychiatrique en détention

b. Le rôle des personnels pénitentiaires dans ce domaine

c. La prise en charge des addictions

2. Plusieurs difficultés constatées sur le terrain

a. Des difficultés inhérentes au secteur de la psychiatrie, notamment en termes de recrutement des personnels de santé

b. Des difficultés inhérentes au contexte pénitentiaire

3. Le lien dedans-dehors, un enjeu crucial en matière de prise en charge psychiatrique

EXAMEN EN COMMISSION

Personnes entendues

déplacements

 


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Mesdames, Messieurs,

Ce deuxième budget de la mandature se traduit par une nouvelle hausse des moyens octroyés à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. Cette dynamique engagée depuis 2017 témoigne de l’importance accordée par les pouvoirs publics aux questions carcérales et à la justice des mineurs.

Le montant des crédits du programme n° 107 consacré à l’administration pénitentiaire en 2024 s’élève ainsi à 5,003 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 1,5 %, représentant une augmentation de 76 millions d’euros par rapport à 2023. Comme l’année précédente, ces crédits soutiennent trois priorités : renforcer la sécurité des personnels et des établissements, favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) et améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires ainsi que la prise en charge des PPSMJ.

Le programme n° 182 consacré à la protection judiciaire de la jeunesse suit la même dynamique, puisque le montant des crédits de paiement prévus pour 2024 s’élève à 1,125 milliard d’euros, soit une hausse de 3,5 %, représentant une augmentation de 38 millions d’euros par rapport à 2023.

*

*     *

Depuis plusieurs années déjà, les auditions, déplacements et autres contacts que votre rapporteur pour avis a pu avoir avec le monde pénitentiaire l’ont conduit à constater que l’état de santé mentale et les modalités de prise en charge psychiatrique des personnes détenues constituaient un sujet de préoccupation pour les acteurs de terrain.

Publiée en début d’année, une étude épidémiologique nationale sur la santé mentale en sortie de prison est venue confirmer ces constats empiriques : les deux tiers des hommes détenus en maison d’arrêt et les trois quarts des femmes sortant de détention présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou lié à une substance ([1]).

L’année 2024 devant en outre marquer le lancement de la deuxième phase de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) – structures dédiées à la prise en charge psychiatrique en milieu hospitalier des personnes détenues –, votre rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique du présent rapport à la question de la santé mentale des personnes détenues.

 


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   PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS POUR 2024 DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Après une année 2023 marquée par d’importantes hausses des crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 poursuit ces efforts budgétaires, inscrivant ainsi cette dynamique dans la durée.

● Concernant l’administration pénitentiaire, le budget pour l’année 2024 augmente de 1,5 %, atteignant un total de 5,003 milliards d’euros.

Les crédits de personnels (y compris ceux du CAS pensions ([2])) s’élèvent à 3,225 milliards d’euros, soit une augmentation d’environ 5 % par rapport à l’année précédente, représentant 159,27 millions d’euros.

Hors masse salariale, les crédits de paiement alloués à l’administration pénitentiaire s’élèvent à 1,778 milliard d’euros, soit une diminution de 4,5 %, représentant 83,7 millions d’euros.

● Concernant la protection judiciaire de la jeunesse, le budget pour l’année 2024 augmente de 3 %, atteignant un total de 1 125 millions d’euros.

Les crédits de personnels (y compris ceux du CAS pensions) s’élèvent à 670 millions d’euros pour l’année 2024, soit une augmentation de 3,9 % par rapport à l’année précédente, représentant 23,5 millions d’euros

Les crédits hors titre 2 ([3]) de la protection judiciaire de la jeunesse s’élèvent à 456 millions d’euros, soit une augmentation de 3 % par rapport à l’année précédente, représentant 13,4 millions d’euros.

 

 


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I.   UNE PROGRESSION GLOBALE DE 1,5 % DU BUDGET PÉNITENTIAIRE

En 2024, les crédits de l’administration pénitentiaire continuent de croître, avec une progression globale des crédits de paiement de 1,5 % par rapport à 2023.

(autorisations d’engagement, en millions d’euros)

 

Crédits votés en loi de finances pour 2023

Crédits demandés pour 2024

Évolution 2023-2024

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

3 451

3 659

+ 6 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

1 498

2 720

+ 82 %

Soutien et formation (Action 04)

461

435

- 6 %

Total

5 410

6 814

+ 26 %

 

(crédits de paiement, en millions d’euros)

 

 

 

Crédits votés en loi de finances pour 2023

Crédits demandés pour 2024

Évolution 2023-2024

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

3 313

3 439

+ 3,8 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

1 153

1 129

- 2 %

Soutien et formation (Action 04)

461

435

- 6 %

Total

4 927

5 003

+ 1,5 %

Source : projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2024, p. 28.

Dans une proportion moindre, cette évolution s’inscrit dans la continuité des efforts budgétaires précédemment consentis dans les différentes lois de finances, avec des augmentations de 2,2 % en 2018, 5,7 % en 2019, 6,2 % en 2020, 7,8 % en 2021, 7,4 % en 2022 et 7,5 % en 2023.

En incluant les dépenses relatives aux pensions, le budget de l’administration pénitentiaire s’élève à 5,003 milliards d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 76 millions d’euros par rapport à l’année dernière.

Hors dépenses relatives aux pensions, le budget 2024 s’élève à un peu plus de 3,9 milliards d’euros, en hausse de 0,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

A.   des efforts budgÉtaires concentrés sur les personnels pÉnitentiaires

Pour l’année 2024, les crédits du titre 2 alloués à l’administration pénitentiaire s’élèvent à 3,225 milliards d’euros (CAS pensions compris) en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. En augmentation de 159,27 millions d’euros par rapport à 2023, soit une progression d’environ 5 %, les crédits de personnel concentrent les efforts budgétaires effectués pour cette nouvelle année. Cette hausse est notamment liée à la création de 447 emplois supplémentaires, ainsi qu’aux mesures catégorielles nouvelles dont bénéficient les personnels pénitentiaires

1.   La création de 447 emplois

Passant de 44 580,54 à 45 088,25 équivalents temps plein travaillé (ETPT), le plafond d’emplois de l’administration pénitentiaire progresse de 507,71 ETPT en 2024, dont 167,25 au titre de 447 créations nettes d’emplois et 340,46 au titre de l’extension en année pleine du schéma d’emplois 2023.

Ces recrutements se répartissent comme suit :

– 217 pour la reprise des missions d’extractions judiciaires ;

– 208 pour les nouveaux établissements qui seront ouverts ;

– 22 pour le renforcement de la sécurité des systèmes d’information.

Par ailleurs, lors de son audition, le directeur de l’administration pénitentiaire a indiqué à votre rapporteur qu’une autorisation supplémentaire de 149 emplois pourra être octroyée sous réserve que les emplois prévus dans les schémas d’emplois des années précédentes soient eux-mêmes occupés. Cela pourrait donc porter la création d’emplois à un total de 596.

2.   Une accentuation de la politique d’amélioration catégorielle

La politique d’amélioration catégorielle est dotée pour 2024 d’une enveloppe de 68,5 millions d’euros, soit un doublement des crédits par rapport à l’année 2023.

Cette augmentation importante s’explique avant tout par les nouvelles mesures statutaires mobilisant 63,4 millions d’euros, dont près de 75 % sont consacrés au financement du passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B et de celui des officiers en catégorie A. Votre rapporteur pour avis se réjouit de ces évolutions, qui valorisent les fonctions, de plus en plus complètes et exigeantes, exercées par les personnels pénitentiaires.

En outre, la poursuite des mesures déjà lancées dans le cadre des exercices précédents, dont une extension en année pleine est prévue en 2024, représente 11,8 millions d’euros.

Enfin, les nouvelles mesures indemnitaires, pour les corps propres et pour les corps communs, bénéficient de 2,5 millions d’euros.

B.   une année marquée par l’augmentation des crédits dédiés à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice

S’agissant des différentes actions de réinsertion des personnes placées sous main de justice, les crédits octroyés pour 2024 représentent 175 millions d’euros, en légère baisse de 0,5 % par rapport à l’année précédente. Votre rapporteur pour avis salue la stabilisation de ces budgets qui ont connu une hausse importante l’année dernière : 34 % pour le budget des aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération et 13 % pour les actions de réinsertion et de prévention de la récidive.

1.   Les aménagements de peines et mesures alternatives à l’incarcération

Après une augmentation de 34 % l’année précédente, le projet de loi de finances pour 2024 entérine une stabilisation, légèrement à la baisse, des budgets alloués aux aménagements de peines et aux mesures alternatives à l’incarcération. Ces politiques bénéficieront ainsi l’année prochaine d’une dotation de 51,8 millions d’euros en crédits de paiement et en autorisations d’engagement, soit une diminution d’environ 3 % par rapport à l’année 2023.

Comptabilisés au sein des dépenses de fonctionnement de l’action 01 ([4]), ces crédits se répartissent entre :

– les mesures liées à la surveillance électronique (27,6 millions d’euros, soit une diminution de 1,4 % par rapport à 2023) ;

– le bracelet anti-rapprochement (BAR) (10,4 millions d’euros, soit une diminution de 9,5 % après 144 % d’augmentation l’année dernière ([5])) ;

– le placement à l’extérieur (13,9 millions, soit le même budget que l’année précédente, marquée par une augmentation de 67,5 % ([6])).

2.   La politique de réinsertion et de prévention de la récidive

En 2024, les crédits alloués à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice sont portés à 123,2 millions d’euros, soit une très légère progression d’environ 0,5 % par rapport à 2023. Ces crédits soutiennent la mise en œuvre de plusieurs mesures de l’action 02 ([7]).

Ils financent tout d’abord des dépenses de fonctionnement pour un total de 107,4 millions d’euros en crédits de paiement, soit une légère hausse de 0,65 %. Ces crédits sont répartis entre les mesures suivantes :

– le travail en détention au sein du service général (51,1 millions d’euros, au même niveau que l’année précédente) ;

– l’insertion professionnelle des personnes détenues (20,5 millions d’euros, en augmentation de 20,6 % par rapport à 2023) ;

– les autres actions de réinsertion, essentiellement mises en œuvre par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (20,5 millions, au même niveau que l’année précédente) ;

– la poursuite de la mise en œuvre du statut du détenu travailleur (10 millions d’euros, soit une diminution de près de 22 %) ;

– le renforcement des prises en charge collectives en milieu ouvert (pérennisation de cette nouvelle dépense de 4 millions d’euros créée en 2023) ;

– le partenariat avec l’Éducation nationale pour l’enseignement (1,4 million d’euros, au même niveau que l’année précédente).

Ces crédits comprennent en outre des dépenses d’intervention pour un total de 15,8 millions d’euros. Ces dépenses sont consacrées à la lutte contre la pauvreté à travers les aides aux indigents (8 millions d’euros) et aux subventions aux associations, destinées à financer notamment les activités culturelles et sportives des personnes détenues (7 millions d’euros).

C.   Une politique d’amélioration du parc pénitentiaire qui s’inscrit dans la continuité des efforts précédents

Hors titre 2, les crédits de paiement alloués à l’administration pénitentiaire s’élèvent pour 2024 à 1,778 milliard d’euros. Ces crédits diminuent de 83,7 millions d’euros par rapport à l’année précédente, soit une baisse de 4,5 %.

Cette diminution s’explique notamment par l’effet mécanique du ralentissement des décaissements du fait du programme immobilier. Comme l’a expliqué le directeur de l’administration pénitentiaire à votre rapporteur pour avis, l’année 2024 constitue en effet une année intermédiaire, marquée par le lancement de plusieurs opérations importantes du programme 8 000 (la seconde phase du plan 15 000) ; toutefois, les phases actives de ces travaux ne conduiront que plus tardivement à des dépenses qui ne sont donc pas prévues en crédits de paiement dans le cadre du PLF 2024.

1.   L’amplification des efforts de sécurisation et de modernisation du parc pénitentiaire

Pour 2024, les moyens alloués à la sécurisation des établissements pénitentiaires sont de 83,7 millions d’euros en crédits de paiement, contre 76,8 millions d’euros l’année précédente, soit une hausse de près de 9 %.

Ces crédits sont répartis entre différentes mesures de sécurité active :

– l’achat de divers équipements de sécurité : portiques de sécurité à l’entrée et la sortie des bâtiments, véhicules, armes, munitions et gilets pare-balles notamment (14,4 millions d’euros, soit près de dix fois plus que l’année précédente) ;

– le déploiement du programme « mobilité », qui vise à doter les personnels de surveillance d’un terminal mobile polyvalent leur permettant d’assurer leurs différents types de communication (émetteur/récepteur, téléphone, messagerie) ainsi que la gestion des alarmes, et de disposer d’un accès à distance aux différentes applications (18,5 millions d’euros, en baisse de 1,6 %) ;

– le déploiement des caméras piétons (4 millions d’euros).

Sont aussi concernées des mesures de sécurité passive :

– la poursuite du déploiement de dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites (29 millions d’euros, en baisse de 3 %) ;

– la lutte contre les drones malveillants (2,8 millions d’euros, en diminution de 6,6 %) ([8]) ;

– la poursuite de la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires (1 million d’euros, au même niveau que l’année précédente) ;

– la vidéosurveillance (4 millions d’euros) ;

– l’amélioration des systèmes de sûreté informatique (10 millions d’euros).

2.   La stabilisation des budgets pour la maintenance et l’entretien des établissements pénitentiaires

● Parmi les dépenses de fonctionnement, la maintenance des établissements pénitentiaires bénéficie cette année de 37 millions d’euros en crédits de paiement, contre 37,2 l’année dernière.

En outre, parmi les dépenses d’investissement, 130,1 millions en autorisations d’engagement et 120 millions en crédits de paiement sont prévus au titre des opérations d’entretien et de maintenance des établissements pénitentiaires. Ces crédits permettront notamment de financer les opérations de maintenance et de gros entretien, la mise en conformité réglementaire, ainsi que la sécurisation des établissements.

Comme l’année dernière, votre rapporteur tient à saluer la stabilisation de ces budgets. Celle-ci illustre la pérennité de ces efforts, qui sont essentiels pour garantir la dignité des conditions de détention des personnes détenues comme celle des conditions de travail des personnels pénitentiaires. En effet, ces moyens destinés à l’entretien et à la maintenance des établissements ont été en constante augmentation depuis 2017 : 80,7 millions d’euros en crédits de paiement au titre de la loi de finances initiale pour 2018, 100,6 millions en 2019, 110 millions en 2020 et en 2021, 120 millions en 2022 et 124,6 millions en 2023.

Il tient également à saluer deux projets de rénovation spécifiques : d’une part, l’adaptation des locaux des services pénitentiaires d’insertion et de probation (bénéficiant de 11,5 millions d’euros) et, d’autre part, la rénovation énergétique (à laquelle 43 millions seront consacrés).

● En complément de ces différentes opérations gérées par les services déconcentrés de l’administration pénitentiaire, l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) se voit dotée d’un budget de 12,7 millions d’euros en crédits de paiement, afin de conduire plusieurs projets : réalisation du centre sécuritaire et du centre de formation francilien de Fleury-Mérogis, études préalables pour la réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes ou encore extension du site d’Agen de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).

3.   La poursuite du « plan 15 000 »

Parmi les crédits d’investissement, 308,4 millions d’euros sont en outre dédiés aux opérations menées par l’APIJ au titre du programme immobilier pénitentiaire.

Au 1er juillet 2023, selon le projet annuel de performance, 2 771 places nettes ont été mises en service, soit 690 de plus qu’il y a un an ([9]). D’ici la fin de l’année, 1 328 places supplémentaires devraient encore ouvertes ([10]), portant à 4 099 le total des nouvelles places créées, soit près d’un tiers de l’objectif des 15 000 places.

36 opérations sont encore prévues dans le cadre de ce plan : 14 sont en cours, 5 sont entrées en phase d’études de conception, 4 sont actuellement soumises aux appels d’offres en vue du choix du constructeur et 13 sont au stade d’études préalables.

Votés à hauteur de 417,4 millions d’euros l’année dernière, ces crédits d’investissement connaissent une forte réduction dans le PLF pour 2024. Cela s’explique par le rythme des études et des constructions du programme immobilier. Tandis que l’année 2023 a été marquée par un nombre important de livraisons d’établissements pénitentiaires – 11 des 51 établissements du « plan 15 000 » sont en effet livrés cette année –, l’année 2024 correspondra en revanche à une phase d’études impliquant moins de décaissements de crédits.

*

*     *

Votre rapporteur pour avis salue l’importance de ce budget pénitentiaire, qui dépasse pour la première fois de son histoire les 5 milliards d’euros.

Il se réjouit particulièrement des efforts supplémentaires qui sont faits en direction des personnels pénitentiaires, dont les missions, complexes et essentielles, semblent aujourd’hui mieux reconnues. Dans la continuité de son rapport budgétaire sur le PLF pour 2023, il tient à souligner la poursuite des revalorisations indemnitaires et statutaires réalisées à l’égard des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (DPIP) ([11]).

Votre rapporteur pour avis considère également que la livraison de près d’un tiers des 15 000 nouvelles places de prison d’ici la fin de l’année 2023 est un signal très encourageant pour la continuation et l’achèvement du « plan 15 000 ». D’ici la fin de l’année 2024, près de la moitié des nouveaux établissements prévus – 23 sur 51 – aura ainsi été construite.

 


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II.   LES CRÉDITS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN AUGMENTATION DE 3 %

La protection judiciaire de la jeunesse voit son budget augmenter pour l’année 2023. Elle est dotée de 33 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement, soit une augmentation de 3 % par rapport à l’année précédente. Son budget global passe ainsi de 1,092 ([12]) à 1,125 milliard d’euros en crédits de paiement.

(autorisations d’engagement, en millions d’euros)

 

Crédits votés en loi de finances pour 2023

Crédits demandés pour 2024

Évolution 2023-2024

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

943

979

+ 3,8 %

Soutien (Action 03)

122

136

+ 11,5 %

Formation (Action 04)

44

45

+ 2,3 %

Total

1 109

1 160

+ 4,6 %

(crédits de paiement, en millions d’euros)

 

Crédits votés en loi de finances pour 2023

Crédits demandés pour 2024

Évolution 2023-2024

Mise en œuvre des décisions judiciaires
(Action 01)

924

949

+ 2,7 %

Soutien (Action 03)

124

131

+5,6 %

Formation (Action 04)

44

45

+ 2,3 %

Total

1 092

1 125

+ 3 %

(en millions d’euros)

Source : projet annuel de performances du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » annexé au projet de loi de finances pour 2024, p. 18.

A.   la poursuite des efforts budgétaires en direction des personnels

1.   Les trois objectifs stratégiques de la protection judiciaire de la jeunesse

Dans le cadre de sa stratégie 2023-2027, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a revu ses programmes de travail et l’allocation de ses moyens autour de trois objectifs stratégiques :

– renforcer la lisibilité, la diversité et la qualité de sa mission judiciaire. Dans cette perspective, outre la réécriture du référentiel des pratiques éducatives, elle continuera de mettre en œuvre trois plans d’action : le premier portant sur le milieu ouvert, le deuxième sur le placement et le troisième sur l’insertion ;

– conforter la crédibilité de son action par un accompagnement renforcé de ses professionnels et partenaires, un pilotage réactif de l’activité et une allocation adaptée des moyens ;

– conforter le rôle de la PJJ dans les politiques judiciaires de la jeunesse et le pilotage de la justice des mineurs.

2.   Une augmentation de près de 4 % des dépenses de personnel

Les crédits du titre 2 s’élèvent à 670 millions d’euros pour l’année 2024 (CAS pensions compris), contre 644,7 l’année dernière. Ils sont donc en augmentation de 23,5 millions d’euros, soit une hausse de 3,9 %.

Hors CAS pensions, les crédits du titre 2 s’élèvent à 494,2 millions d’euros et progressent de 4,2 % par rapport à 2022.

Cette augmentation se répartit entre différentes mesures, notamment :

– la création nette de 92 emplois, soit un schéma d’emploi identique à celui de l’année dernière : ces créations d’emplois permettront notamment la poursuite de la mise en œuvre du plan d’actions Insertion et des orientations relatives aux États généraux du placement, ainsi que la consolidation de la politique de la PJJ en outre-mer ;

– des mesures catégorielles, pour un coût de 8 millions d’euros, soit près de 10 millions de moins que l’année précédente, qui avait été marquée par l’extension en année pleine du « Ségur filière sociale ».

B.   Une augmentation de 3 % des crédits hors masse salariale

Les crédits hors titre 2 de la PJJ s’élèvent pour l’année 2024 à 490,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 456 millions d’euros en crédits de paiement. Ils connaissent une hausse de 6,9 % pour les autorisations d’engagement et de 3 % pour les crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

1.   Les mesures de prise en charge des mineurs délinquants et les mesures d’investigation

Regroupées au sein de l’action 01 ([13]), ces mesures bénéficient de 420,3 millions d’euros en crédits de paiement (hors titre 2), en augmentation de 10,7 millions d’euros par rapport à l’année 2023, ce qui représente une hausse de 2,6 %.

Parmi ces crédits, 120,5 millions d’euros sont affectés au secteur public (au même niveau que l’année précédente) et 299,8 millions le sont au secteur associatif habilité (en augmentation de 3,7 %) ([14]).

Concernant le secteur associatif habilité, ce budget permet le financement de 35 centres éducatifs fermés, 46 centres éducatifs renforcés, 30 autres structures d’hébergement habilitées et financées exclusivement par l’État, 42 services de réparation pénale et 99 services d’investigation éducative.

Concernant le secteur public, les crédits se répartissent entre :

– les dépenses hors immobilier, qui concernent le fonctionnement (36,4 millions d’euros pour l’alimentation, les activités éducatives, les frais de déplacement et de véhicules et les dépenses informatiques notamment) et l’investissement (4 millions d’euros pour l’acquisition de véhicules automobiles) ;

– les dépenses d’intervention (22,5 millions d’euros pour les subventions versées aux associations intervenant dans le champ de la protection de l’enfance et de l’enfance délinquante, les actions de justice de proximité, la rémunération des stagiaires ou encore les indemnités versées aux familles d’accueil) ;

– les dépenses du propriétaire (24,9 millions d’euros dédiés principalement aux travaux de maintenance lourde et de restructuration) ;

– les dépenses de l’occupant (32,7 millions d’euros pour les loyers et les travaux d’entretien courant notamment).

2.   Les missions de soutien et de formation

Dotée de 23,6 millions d’euros (hors titre 2) en 2024, contre 21,2 millions en 2023, l’action 03 ([15]), qui vise à financer la fonction support de pilotage, de gestion, d’animation et de coordination, voit ses crédits augmenter de 11,3 %.

Parmi ces crédits, les dépenses hors immobilier connaissent une hausse de 2,3 millions d’euros pour s’établir à 10,1 millions en crédits de paiement en 2024. Les dépenses immobilières sont, quant à elles, presque stables, pour un total de 13,54 millions en 2024, contre 13,4 millions l’année dernière.

Enfin, l’action 04 ([16]), qui concerne la formation assurée par l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), voit ses crédits augmenter de 1,7 % par rapport à 2023, passant de 11,8 à 12 millions d’euros en crédits de paiement (hors titre 2).

*

*     *

Votre rapporteur pour avis salue la poursuite des efforts budgétaires réalisés au profit de la protection judiciaire de la jeunesse.

 


—  1  —

 

   SECONDE PARTIE : LA santé mentale des personnes détenues

Malgré des données épidémiologiques insuffisantes, la plus grande fragilité de la santé mentale des personnes détenues ne fait aucun doute. Non seulement elle se caractérise par une plus forte prévalence des troubles psychiatriques qu’en population générale, mais elle est en outre exposée aux conséquences que peut avoir la privation de liberté et qui sont fonction des conditions d’incarcération.

La prise en charge sanitaire des personnes détenues, qui relève entièrement de l’hôpital depuis 1994, prend bien sûr en compte ces enjeux, et l’administration pénitentiaire y accorde en outre une vigilance particulière dans la gestion des détentions. L’accès aux soins psychiatriques est bien prévu en détention, selon un modèle organisé en trois niveaux : soins ambulatoires, hospitalisation de jour et hospitalisation à temps complet.

Si cette organisation et cette vigilance accrue des personnels permet aujourd’hui sans doute de mieux prendre en compte la souffrance psychique et de mieux suivre les troubles psychiatriques, il n’en demeure pas moins que les alertes quant aux difficultés rencontrées sur le terrain sont monnaie courante. Votre rapporteur pour avis a donc choisi cette année de consacrer la seconde partie de son rapport à ce sujet. Sans prétendre à l’exhaustivité sur cette problématique vaste et complexe, il vise ainsi à permettre un point d’étape sur la santé mentale des personnes détenues, tant du point de vue de l’état de cette santé, que de la prise en charge proposée dans les détentions.

I.   UNE prévalence des troubles psychiques chez les personnes détenues plus élevée que dans la population générale

Les études menées sur la santé mentale des personnes détenues révèlent un cumul des fragilités et des comorbidités, avec une importante prévalence des troubles psychiatriques, aussi bien à l’entrée qu’à la sortie de détention.

A.   La mesure de la santé mentale des personnes détenues, un enjeu crucial pour assurer leur prise en charge

1.   L’étude nationale de 2004, des données anciennes mais déjà éclairantes

Datant de 2004, l’étude sur la santé mentale des personnes détenues, commanditée par la direction générale de la santé et la direction de l’administration pénitentiaire, comportait notamment une enquête de prévalence, conduite dans 23 établissements ([17]) auprès de 998 personnes détenues ([18]).

Parmi les hommes détenus en France métropolitaine, âgés en moyenne de 39 ans et incarcérés en moyenne depuis 15 mois, l’étude a révélé que :

– 56 % présentaient au moins un trouble anxieux : l’anxiété généralisée touchait 31 % d’entre eux et il est intéressant de noter que ce trouble était deux fois plus fréquent en maison d’arrêt et en centre de détention qu’en maison centrale ;

– 47 % un trouble thymique : les syndromes dépressifs étaient particulièrement présents, concernant 39 % des détenus ; la prévalence des troubles bipolaires était quant à elle de 5 % ;

– 34 % une dépendance aux substances ou à l’alcool ;

– 24 % un trouble psychotique : 8 % de schizophrénie notamment ;

– en outre, 40 % présentait un risque suicidaire ; ce taux atteignait même 62 % pour les femmes détenues.

Au total, 8 détenus sur 10 présentaient au moins un trouble psychiatrique, la majorité des personnes cumulant en réalité plusieurs troubles. L’étude relativise toutefois ce résultat, en précisant que la forte prévalence des troubles anxio‑dépressifs est cohérente avec un contexte d’emprisonnement qui cause une souffrance psychique ne relevant pas nécessairement d’un état pathologique. Appliquant une échelle de gravité, l’étude établit que 35 % des hommes ont été considérés comme manifestement malades, gravement malades ou plus.

2.   L’étude de 2017 sur la santé mentale des personnes entrant en détention dans le Nord et le Pas-de-Calais

Financée par l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, une étude multicentrique transversale a été réalisée auprès de personnes majeures entrées en détention entre mars 2014 et mars 2017 dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais ([19]). 653 personnes ont été interrogées au sein de 8 des 9 maisons d’arrêt de ces deux départements. 96,5 % des personnes interrogés étaient des hommes, âgés en moyenne de 32 ans.

D’après les résultats de cette enquête :

– 25,9 % des détenus souffrent d’une anxiété généralisée ;

– les épisodes dépressifs touchent 27,3 % d’entre eux;

– la dépendance alcoolique ou aux drogues concerne en moyenne 24,5 % des détenus ;

– 7 % sont considérés comme atteints d’un syndrome d’allure psychotique ;

– 15 % présentent un risque suicidaire moyen ou élevé à l’entrée en détention.

Par rapport à la population générale, tous les troubles étudiés sont significativement plus fréquents : 10 fois plus pour le stress post-traumatique, 4 fois plus pour les dépendances aux substances et à l’alcool, 2 fois plus pour le syndrome d’allure psychotique. En moyenne, les troubles psychiatriques sont ainsi trois fois plus fréquents pour les personnes entrant en détention que dans la population générale. Les situations d’addictions et de troubles liés à l’usage de substances sont, quant à eux, 8 à 10 fois plus fréquents.

3.   L’étude épidémiologique sur la santé mentale en sortie de prison, publiée en 2023 par la Fédération régionale de recherche en santé mentale des Hauts de France (F2RSM), un état des lieux révélateur

Financée par la direction générale de la santé et Santé publique France, cette étude a été portée par la fédération régionale de recherche en santé mentale et psychiatrie (F2RSM Psy) ([20]). Menée auprès de 586 détenus hommes incarcérés dans 26 maisons d’arrêt, cette étude comporte également un volet sur les femmes détenues en maison d’arrêt et en centre de détention.

Les résultats confirment le constat d’une santé mentale dégradée pour une majorité de personnes détenues :

– 31,9 % sont concernés par un trouble anxieux ;

– 30,4 % par un trouble thymique ;

– 49 % par un trouble lié à une substance ;

– un syndrome psychotique est identifié chez 10,8 % d’entre eux ;

– un risque suicidaire est identifié chez 27,8 % des hommes (9,6% des hommes interrogés indiquent avoir fait une tentative de suicide et 5,5 % ont été hospitalisés suite à une telle tentative) et chez 59,5 % des femmes.

En ce qui concerne la sévérité des troubles, 32,3 % ont été considérés comme modérément, manifestement ou gravement malades.

Prévalence des troubles de santé mentale à la libération

Source : La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy), décembre 2022.

Centrée sur les sortants de prison, cette étude a également mis en avant la période de fragilité que constitue la libération. Celle-ci se caractérise par une recrudescence anxieuse et une mortalité plus élevée, très souvent en lien avec des overdoses, mais également des suicides et des pathologies cardiovasculaires.

4.   La nécessité de poursuivre les études en milieu carcéral

Lors de leur audition, Mme Marielle Wathelet, directrice adjointe de la F2RSM Psy, et M. Thomas Fovet, l’un des auteurs de l’étude de 2023 précitée, ont précisé qu’était aujourd’hui prévue une étude intitulée « Épidémiologie psychiatrique longitudinale en prison » (Epsylon). Cette étude prospective permettrait d’évaluer de manière longitudinale la santé mentale des personnes incarcérées en maison d’arrêt au cours des neuf premiers mois passés dans l’établissement. Elle sera, cette fois, financée également par la direction de l’administration pénitentiaire, ce que votre rapporteur pour avis tient à saluer.

Votre rapporteur pour avis souligne l’importance de ces différentes études, nécessaires à la mesure de l’état de santé des personnes détenues. Il convient, à ses yeux, de poursuivre les efforts de financement en la matière, afin de permettre des recherches de plus longue durée, pour évaluer par exemple l’impact de la détention sur la santé mentale en étudiant les situations en maisons centrales. En effet, dans la plupart des études, seules les maisons d’arrêt sont concernées.

Toutefois, votre rapporteur tient également à relayer une inquiétude exprimée au cours de ses auditions et de ses déplacements : les difficultés à conduire des recherches en milieu pénitentiaire. En particulier, chaque étude doit être validée par le comité de protection des personnes (CPP) de l’ARS et tous deux ont dénoncé une lecture hétérogène des critères d’autorisation selon les CPP et une opacité des procédures. Ce régime d’autorisation semble en outre très chronophage, en bloquant l’organisation de la recherche et en ponctionnant les financements, déjà difficiles à obtenir. Sensible à ces difficultés, votre rapporteur pour avis souligne que, malgré la sensibilité des sujets et des données mobilisées dans le cadre de ces études en milieu carcéral, il est impératif que ces procédures d’autorisation soient rationnalisées.

B.   Le milieu pénitentiaire, un public spécifique exposé à un contexte particulier

1.   Les personnes détenues, un public fragilisé, cumulant souvent les carences et les comorbidités

a.   Un cumul de carences sanitaires, sociales, éducatives et professionnelles

À ces fragilités psychologiques et psychiatriques, viennent s’ajouter d’autres carences.

● D’une part, des fragilités somatiques : au-delà de la santé mentale, les personnes détenues ont également une santé physique plus dégradée. Certaines maladies sont par exemple plus présentes parmi la population détenue : par exemple, la prévalence du VIH est de 2 % en détention, contre 0,35 % dans la population générale. La proportion de détenus atteints de tuberculose est de 106,9 pour 100 000 personnes, contre 20,8 en population générale. Le même constat peut être fait pour les hépatites, notamment l’hépatite C ([21]).

Lors de son audition, le psychiatre Thomas Fovet soulignait l’importance de la coexistence de plusieurs troubles psychiatriques et de pathologies duelles dans lesquelles le trouble psychiatrique se cumule avec un autre problème sanitaire, une addiction par exemple ou encore des pathologies somatiques. Ces comorbidités sont, selon lui, bien plus nombreuses au sein de la population carcérale qu’en population générale ; elles sont aussi plus difficiles à prendre en charge.

● D’autre part, des fragilités éducatives, sociales et professionnelles. En 2020, plus de la moitié des détenus n’ont aucun diplôme et 90 % ne dépassent pas le niveau du CAP. 27 % échouent au bilan de lecture et on estime que 10 % sont en situation d’illettrisme. Pour plus de la moitié d’entre elles, les personnes détenues sont sans emploi au moment de leur entrée en détention ([22]).

Interrogée par votre rapporteur pour avis, la Dr Béatrice Carton, présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), estime qu’« il est classiquement admis et constaté sur le terrain que la population détenue est caractérisée par une grande précarité et un défaut d’accès aux soins à l’origine de pathologies négligées tant somatiques que psychiatriques ». L’ensemble des professionnels rencontrés au cours des auditions et des déplacements ont en effet confirmé ces constats.

b.   Les difficultés liées aux conduites addictives

Ces fragilités se cumulent en outre avec des polyconsommations de produits stupéfiants. Les études précitées ont mis en avant les dépendances à l’alcool et aux drogues, auxquelles s’ajoute la consommation de tabac. Selon la Dr Béatrice Carton, 80 % des personnes détenues fument, ce qui implique un fort tabagisme passif pour les 20 % restant.

D’après les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, la consommation de produits stupéfiants, notamment le cannabis, reste courante dans la plupart des établissements. Dans le cas des personnes atteintes de troubles psychiatriques, ces consommations sont d’autant plus préoccupantes qu’elles peuvent, dans certains cas, entraîner crises et décompensations.

c.   L’importance des traumatismes subis dans l’enfance

Votre rapporteur souhaite également mettre en avant la présence fréquente de lourds antécédents personnels et familiaux.

Dès 2004, cet aspect était mis en avant dans l’enquête sur la prévalence des troubles psychiatriques en milieu carcéral, avec notamment des pourcentages élevés de personnes ayant été suivies par un juge pour enfants (27,8 %), ayant fait l’objet d’une mesure de placement en foyer ou en famille d’accueil (22,3 %), ayant subi dans l’enfance des maltraitances (27,7 %) ou encore ayant été confrontées à la condamnation d’un membre de la famille proche à une peine d’emprisonnement (28,5 %) ([23]).

Cette plus grande fréquence des traumatismes dans l’enfance chez les personnes détenues est également documentée par l’enquête publiée en 2023 : 73,9 % des participants ont déjà été exposés à au moins un traumatisme (86,3 % chez les femmes) et 31,1 % à au moins un traumatisme sévère ([24]).

Prévalence de l’exposition à des traumatismes dans l’enfance chez les hommes détenus

Source : La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy), décembre 2022.

d.   Un accroissement des profils psychiatriques en détention

Au cours de ses travaux sur le présent rapport comme au cours des précédents, votre rapporteur pour avis a été souvent alerté par les personnels pénitentiaires sur l’accroissement du nombre de personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques. La cheffe de détention de la maison d’arrêt de Nancy considère, par exemple, que les profils présentant un trouble psychiatrique sont de plus en plus courants et souligne que leur gestion implique des défis particuliers pour les surveillants. Ces détenus nécessitent bien souvent une prise en charge plus individuelle, plus personnalisée, impliquant pour les personnels d’aller parfois « au-delà de leurs missions habituelles ».

Et au-delà du nombre, les personnels pénitentiaires semblent estimer que les troubles psychiatriques sont de plus en plus marqués, ce que les personnels de santé paraissent confirmer. Selon le psychiatre Pascal Forissier, chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, les détenus ayant, par le passé, connu des hospitalisations en hôpital psychiatrique, voire en unité pour malades difficiles (UMD), ne sont pas rares. Or, il s’agit souvent de profils nécessitant un encadrement très strict et ritualisant. Pour ces patients, les prises en charge proposées dans le cadre carcéral, que ce soit en SMPR ou en UHSA, ne sont pas toujours suffisantes et posent, là aussi, de nombreuses difficultés aux personnels, tant sanitaires que pénitentiaires, afin d’assurer à la fois les soins adaptés et la sécurité des personnes.

2.   Le choc carcéral et l’impact de l’emprisonnement, deux éléments spécifiques au milieu carcéral

Le choc de l’entrée en détention, en particulier lors d’une première incarcération, peut avoir de lourdes conséquences sur la santé mentale. Cette période de fragilité est aujourd’hui bien identifiée par les personnels pénitentiaires. L’arrivée est organisée dans un quartier distinct, afin de permettre une forme d’acclimatation plus progressive et de garantir une surveillance plus fine, afin de prévenir notamment les risques de suicide.

Une fois l’arrivée passée, la privation de liberté elle-même peut, bien sûr, avoir des conséquences psychologiques et psychiatriques. L’enfermement est bien souvent lui-même source de souffrance psychique. La vie en détention comporte de nombreuses sources de fragilisation : la confiscation de ses effets personnels, le manque d’intimité, voire la promiscuité, ou encore la rupture de certains liens affectifs sont autant d’éléments perturbants, qui peuvent menacer l’équilibre mental et conduire, notamment, à des troubles anxieux.

L’étude épidémiologique de 2023 a souligné les conséquences que l’organisation de la détention pouvait avoir sur la santé mentale des personnes détenues. Malgré les efforts déployés par l’administration pénitentiaire pour maintenir les liens familiaux et renforcer les activités en détention, l’accès aux parloirs et aux activités, considéré comme facteur de protection de la santé mentale, reste insuffisant. D’après cette étude, 57,3 % des hommes et 46,6 % des femmes interrogés ont bénéficié de parloirs ; 66,6 % des hommes et 40,5 % des femmes ont eu accès aux activités sportives ; enfin, 28,9 % des hommes et 42,7 % des femmes ont participé à des activités socio-culturelles ([25]).

Si ce sujet fait l’unanimité parmi les professionnels de santé et de l’administration pénitentiaire, il est toutefois peu documenté, et l’impact de la prison sur la santé mentale mériterait d’être mieux étudié. L’étude de 2023 a certes permis de mesurer certains aspects du parcours carcéral, mais il demeure nécessaire de la compléter.

3.   Une problématique qui fait l’objet d’une attention particulière de l’administration pénitentiaire et du ministère de la santé

a.   La feuille de route « Santé des personnes placées sous main de justice »

Rappelant que les personnes détenues constituent un public particulièrement vulnérable du fait du cumul de difficultés sociales, sanitaires ou économiques, la feuille de route « Santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 » décline la stratégie nationale de santé en 28 actions, réparties en 6 axes :

– mieux connaître l’état de santé et déterminer les besoins en matière de santé des personnes placées sous main de justice ;

– développer la promotion de la santé des personnes placées sous main de justice tout au long de leur parcours ;

– poursuivre l’amélioration des repérages et dépistages des PPSMJ ;

– améliorer l’accès aux soins des PPSMJ ;

– organiser la continuité de la prise en charge lors des sorties de détention et des levées de mesures de justice ;

– favoriser la coopération des acteurs impliqués dans la mise en œuvre de la stratégie de santé des PPSMJ.

Une nouvelle feuille de route pour la période 2023-2027 est actuellement en cours de préparation. Les services du ministère de la santé ont précisé à votre rapporteur pour avis qu’elle comportera 34 actions. Sophie Le Bris, cheffe de projet « Santé des personnes placées sous main de justice » à la direction générale de la santé, a précisé que cette feuille de route prenait en compte deux aspects : d’une part, l’adaptation des politiques publiques de santé à l’univers de la détention et, d’autre part, l’approfondissement du lien « dedans-dehors », pour permettre la réintégration des PPSMJ dans le système de soins classique.

b.   La formation des personnels pénitentiaires aux enjeux sanitaires

Afin d’assurer une prise en charge adaptée et effective des PPSMJ atteintes de troubles psychiatriques, la formation, initiale comme continue, des personnels de surveillance ainsi que des personnels d’insertion et de probation est une nécessité.

En formation initiale, les surveillants bénéficient de quatre séances de formation sur le repérage et l’adaptation aux troubles du comportement, pour un total de huit heures de formation. Chez les personnels d’insertion et de probation, les champs abordés sont les mêmes que ceux proposés en formation continue : psychiatrie criminelle, psychopathologies en milieu carcéral, psychopathologies des délinquants sexuels, troubles psychologiques…

Il existe en outre des formations « premiers secours en santé mentale » dispensées sur l’ensemble des services déconcentrés. L’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) conçoit pour cela des programmes de formation sur la prise en charge de personnes manifestant des troubles psychiques. Dans le cadre d’une convention bilatérale, 39 sessions ont été réalisées par l’UNAFAM au cours de la période 2020-2021, permettant la formation de 377 personnels.

Dans le cadre d’un nouveau marché public, l’UNAFAM dispensera 20 nouvelles sessions de formation aux premiers secours en santé mentale. Ces formations sont financées par l’administration pénitentiaire pour un budget total de 50 000 euros.

c.   Une vigilance accrue pour lutter contre le risque suicidaire

Le risque suicidaire est plus élevé parmi les personnes détenues qu’en population générale.

évolution du nombre de suicides des personnes placées sous écrou
de 2017 à 2021

 

En détention

Hors détention

Total

Suicides en détention

Taux de mortalité par suicide en détention /10 000 ([26])

Taux de mortalité par suicide (file active)   /10 000 ([27])

Suicides hors détention

Taux de mortalité par suicide hors détention

/10 000 ([28])

Taux de mortalité par suicide (file active)   /10 000

Total Suicides

Taux global de mortalité par suicide /10 000

Taux

de mortalité par suicide (file active)      /10 000

2017

103

14,9

7,08

14

12,7

3,4

117

14,6

6,6

2018

119

16,9

8,04

12

10,3

2,8

131

16

7,3

2019

114

16,0

7,53

14

11,6

2,7

128

15,4

6,9

2020

113

18

8,02

6

5,5

1,43

119

16,1

6,9

2021

121

18,1

8,52

11

7,7

2,2

132

16,3

7,4

2022

125

17,4

5,47

11

6,4

2

136

15,4

7,1

Source : direction de l’administration pénitentiaire, réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis.

La prévention du suicide représente une priorité majeure pour l’administration pénitentiaire. Dès 2009, un plan d’actions spécifique du garde des Sceaux, élaboré à la suite des recommandations de la commission d’experts chargée de procéder à une évaluation du dispositif de lutte contre les suicides en milieu carcéral, a été mis en œuvre dans tous les établissements pénitentiaires et SPIP. Cette question sera bien sûr intégrée dans la prochaine feuille de route « Santé des PPSMJ 2023-2027 ».

Au-delà de ces actions, plusieurs dispositifs sont déployés au sein des détentions :

– les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) intègrent des temps spécifiques sur ce sujet, afin de permettre l’échange d’informations et d’organiser des surveillances particulières ;

– après une période d’expérimentation, la généralisation de la dotation du coupe-liens pour les personnels de surveillance a été progressivement mise en œuvre dès la fin d’année 2019, et tous les établissements pénitentiaires sont à présent dotés de ce dispositif. L’utilisation de cet outil, de nature à répondre à l’urgence d’une tentative de suicide par pendaison, tout en étant compatible avec la sécurité en détention, est désormais bien intégrée dans les pratiques opérationnelles en établissement pénitentiaire. Le marché des coupe-liens sera renouvelé en fin d’année 2023 ;

– le dispositif des codétenus de soutien vise à contribuer à la prévention du suicide en détention. Il constitue un moyen d’alerte et de repérage en matière de prévention du suicide, avec des personnes détenues formées à repérer, soutenir, protéger un codétenu présentant une souffrance psychique ou un risque suicidaire. Démarré en 2009, ce dispositif repose sur la Croix-Rouge française, qui intervient, dans le cadre d’une convention avec la direction de l’administration pénitentiaire, dans la formation et l’accompagnement des codétenus de soutien. Ce partenariat a été étoffé en 2019 par une convention signée avec l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS). En 2022, le déploiement de ce dispositif a complètement repris après la période des restrictions dues à la crise sanitaire : 38 codétenus de soutien ont été formés par la Croix-Rouge en 2021 et 56 en 2022. Le directeur de l’administration pénitentiaire a précisé que la poursuite de ce dispositif constituera une priorité au cours des mois à venir.

– le programme VigilanS, système de « re-contact » des personnes ayant fait une tentative de suicide, est également expérimenté au sein des centres pénitentiaires de Lille-Annœullin et de Lille-Sequedin depuis juin 2021 ;

– l’accès au numéro national de prévention du suicide (3114) pour les personnes détenues est en cours d’élaboration, afin de permettre son déploiement en milieu pénitentiaire de manière progressive.

*

*     *

Votre rapporteur pour avis salue les récents efforts déployés en matière de financement d’études épidémiologiques sur la santé des personnes détenues et appellent à leur approfondissement. Au vu des résultats de ces études, qui confirment l’état dégradé de la santé mentale des personnes détenues, il souligne le caractère légitime des inquiétudes formulées sur le terrain quant à la prise en charge des pathologies psychiatriques en milieu pénitentiaire.


—  1  —

 

II.   L’accès aux soins psychiatriques en détention, un modèle complet mais perfectible

Depuis 1994, la prise en charge sanitaire des personnes détenues relève de la compétence exclusive du ministère de la santé ([29]). Les personnes détenues bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers, tant au sein des établissements pénitentiaires que dans les établissements publics de santé lors des consultations d’urgence, des consultations spécialisées et, le cas échéant, des hospitalisations.

A.   La prise en charge psychiatrique des personnes détenues, un modèle cohérent et en cours de développement

1.   Les trois niveaux de soins

a.   Les soins de niveau 1 délivrés dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP)

Des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) ont été créées dans chaque établissement pénitentiaire (hors centres de semi-liberté) afin de dispenser les soins de premier niveau, c’est-à-dire des soins ambulatoires. Celles-ci sont rattachées à un établissement hospitalier, souvent le plus proche de la prison.

Au sein de ces unités, le dispositif de soins psychiatriques assure l’ensemble des consultations, des entretiens et des activités thérapeutiques de groupe organisées le plus souvent dans le cadre des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP).

Certaines missions sont communes aux deux dispositifs somatique et psychiatrique, notamment les actions d’éducation et de prévention pour la santé et la mise en place de la continuité des soins à la sortie. De même, la prise en charge des personnes présentant une ou plusieurs conduites addictives fait l’objet d’une approche transversale.

Selon les données transmises par 80 % des USMP, celles-ci bénéficieraient de 138,25 ETP de psychiatre. Par extrapolation, on peut estimer qu’environ 173 ETP de psychiatre prennent donc en charge les soins de niveau 1 au sein des établissements pénitentiaires. Les USMP font en outre remonter les données relatives à leur activité, présentées dans le tableau ci-après.

Données relatives à l’activité psychiatrique des usmp

Nombre de patients vus au moins une fois pendant la période de référence

91 073

Nombre de consultations médicales

212 005

Nombre de consultations de psychologues

190 663

Existence d’une consultation systématique des arrivants par le dispositif de soins psychiatriques de l’USMP

Oui, pour 79 % des USMP

Nombre de patients différents vus au moins une fois dans l’année en activité de groupe (CATTP)

4 900

Nombre de patients admis en hôpital de jour (HDJ) au sein de la structure (si l’USMP dispose d’un service médico-psychologique régional - SMPR - ou d’une offre de niveau 2)

1 726

Nombre de patients différents vus au moins une fois à l’HDJ sur l’année (si l’USMP est porteuse d’un SMPR ou d’une offre de niveau 2)

2 161

Nombre de patients extraits pour être admis en HDJ au sein d’une USMP de niveau 2 : (lorsque l’USMP objet du rapport d’activité ne dispose pas de places d’HDJ)

109

Nombre de patients hospitalisés en secteur de psychiatrie générale au titre de l’article R6111-40-5 du CSP

1 512

Nombre de patients hospitalisés en unité pour malades difficiles (UMD)

36

Nombre de patients orientés vers une hospitalisation en UHSA

1 770

Source : direction générale de l’offre de soins, réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis.

Note : les données sont issues des rapports d’activité renseignés par les USMP. Certaines données peuvent être incomplètes du fait de non-réponses d’USMP à certaines questions.

À titre d’exemple, le dispositif de soins psychiatriques de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Nancy, dans laquelle s’est rendu votre rapporteur, compte 1 400 détenus en file active, c’est-à-dire ayant reçu un acte médical dans l’année.

b.   Les soins de niveau 2 dispensés au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR)

Les soins à temps partiel sont, pour les personnes détenues, dispensés au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et des USMP ayant développé leur propre offre d’hospitalisation de jour.

Aujourd’hui, 26 SMPR sont installés au sein des établissements pénitentiaires, représentant un total d’environ 357 places d’hospitalisation de jour. Rattachés à un établissement hospitalier habilité en psychiatrie, ils ont une gestion autonome, sous l’autorité d’un médecin psychiatre. Leurs locaux sont néanmoins situés dans l’enceinte de l’établissement pénitentiaire et donc, comme pour les USMP, ils accueillent des personnels de surveillance prenant en charge la sécurité.

À titre d’exemple, le SMPR de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis compte aujourd’hui 16 lits. Lors de la visite réalisée par votre rapporteur, le personnel a indiqué avoir réalisé, en 2022, 96 admissions de détenus pour une durée moyenne de 30 jours et 24 admissions de détenues pour une durée moyenne de 76 jours.

c.   Les soins de niveau 3 réalisés en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)

Les hospitalisations à temps complet, avec ou sans consentement, sont réalisées dans les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Celles‑ci offrent aujourd’hui une capacité théorique de 440 places réparties dans 9 établissements. En raison de la fermeture de certains lits, la capacité opérationnelle s’établit toutefois à seulement 355 lits.

Les capacités d’accueil des 9 UHSA

UHSA

Capacité

théorique

Capacité

opérationnelle

Nombre total de patients différents pris en charge

Nombre de patients hospitalisés

Nombre de journées d’hospitalisation

Taux d’occupation moyen sur l’année (%)

Durée moyenne de séjour (jours)

avec consentement

sans consentement

avec consentement

sans consentement

Bordeaux

40

40

219

201

116

7 016

3 564

72

42,7

Orléans

40

20

198

248

149

4 656

3 221

62

29,08

Lille

60

60

445

214

168

11 453

4 729

79

29,10

Lyon

60

60

324

99

225

8 183

7 524

72

37,84

Marseille

60

26

152

79

109

4 119

5 327

85

57

Nancy

40

32

236

127

108

4 843

4 126

62

33,10

Paris

60

47

222

121

187

NR

NR

NR

NR

Toulouse

40

40

233

123

110

9 033

4 473

93

42

Rennes

40

30

230

222

101

8 044

2 796

74

35,08

Total

440

455

2 259

1 434

1 273

57 347

35 760

Moyenne 74,9

Moyenne 38,2

Source : direction de l’administration pénitentiaire, réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis.

Réparties sur le territoire, les UHSA peuvent recevoir les détenus des établissements de la région de rattachement. À titre d’exemple, l’UHSA de Nancy, visitée par votre rapporteur, est compétente pour 19 établissements pénitentiaires.

À la différence des USMP et des SMPR, les UHSA se situent au sein des établissements hospitaliers. Elles sont toutefois isolées et soumises à un encadrement sécuritaire strict assuré par l’administration pénitentiaire. Les entrées et les sorties sont opérées dans les mêmes conditions qu’en établissement pénitentiaire. Un espace est également dédié aux parloirs, qui sont effectués sous la surveillance du personnel pénitentiaire. Pour l’UHSA de Nancy, l’équipe pénitentiaire compte par exemple 25 surveillants, parmi lesquels sept sont présents par jour. Trois personnels sont dévolus à la gestion des extractions. Lorsque celles-ci concernent des soins consentis, seule l’équipe pénitentiaire prend en charge le mouvement. Lorsqu’il s’agit de soins sans consentement, elle est alors accompagnée d’une ambulance et de deux personnels soignants.

L’équipe médicale gère quant à elle l’intégralité de la prise en charge de la personne détenue hospitalisée, y compris les temps de promenade ou de repas par exemple. En 2021, les 9 UHSA étaient dotées de 823,1 ETP ([30]). À Nancy, par exemple, l’équipe compte 46 infirmiers, 12 aides-soignants, 1 ergothérapeute, 1 assistante sociale, 2 cadres de santé, 2 secrétaires et 3,5 ETP de médecins.

La prise en charge des personnes détenues se fait dans des locaux auxquels les personnels pénitentiaires n’ont accès qu’à la demande des personnels hospitaliers, notamment pour gérer une situation de crise. Pour cette raison et pour la gestion des extractions, tous les agents affectés en UHSA sont formés à l’intervention en équipe de sécurité pénitentiaire (ESP). À Nancy, l’équipe estime que, sur une année, les personnels pénitentiaires interviennent environ 180 fois dans les locaux de l’UHSA à la demande de l’équipe soignante. Ces interventions se font par équipe de quatre : trois surveillants et un premier surveillant.

Données relatives à l’activité des UHSA

Nombre de consultations psychiatriques

37 062 ([31])

Nombre de suicides

2

Nombre de diagnostics de démences

24

Nombre de diagnostics d’addictions

48

Nombre de diagnostics de schizophrénie

1 063

Nombre de diagnostics de troubles dépressifs

397

Nombre de diagnostics de troubles anxieux

493

Nombre de diagnostics d’anorexie mentale

6

Nombre de diagnostics de troubles de la personnalité

722

Nombre de diagnostics de retard mental

77

Nombre de diagnostics de troubles du développement

13

Nombre de diagnostics de troubles des conduites

39

Source : direction générale de l’offre de soins, réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis.

En complément des UHSA et en fonction de leur rattachement aux établissements pénitentiaires, les centres hospitaliers autorisés en psychiatrie peuvent aussi assurer les soins sans consentement de la personne détenue qui présente un trouble de santé mentale nécessitant une hospitalisation en urgence en application de l’article R. 6111‑40‑5 du code de la santé publique ([32]). Ces orientations vers l’hôpital plutôt qu’en UHSA sont souvent décidées en fonction de critères géographiques.

Par ailleurs, les unités pour malades difficiles (UMD) peuvent également héberger, dans le cadre d’une hospitalisation sans consentement, des personnes détenues lorsque leur dangerosité psychiatrique (pour elles ou pour autrui) le nécessite.

2.   L’établissement de Château-Thierry, une adaptation de la prise en charge pour certaines situations

Le centre pénitentiaire de Château-Thierry regroupe un quartier centre de détention de 12 places et un quartier maison centrale d’une capacité théorique de 101 places et d’une capacité opérationnelle de 75 places. Il est spécialisé dans l’accueil de personnes détenues présentant de très graves troubles psychiatriques difficiles à prendre en charge dans le cadre de détentions classiques. L’objectif initial est de stabiliser l’état psychique de ces détenus, afin de leur permettre ensuite de retrouver une détention ordinaire. Toutefois, certains détenus passent parfois plusieurs années, voire la quasi-intégralité de leur peine, à Château‑Thierry.

Les personnes accueillies souffrent en grande majorité de troubles psychotiques sévères et récurrents : peur ou refus de l’isolement de longue durée, manque d’hygiène grave, régression, état de prostration, retrait par rapport à la collectivité, ingestions répétitives de corps étrangers, automutilations fréquentes, tentatives répétées de suicide, personnalité passive entraînant des sévices ou agressions renouvelées de la part d’autres codétenus, ou encore agressivité constante et incontrôlable.

Publié en mars 2022, un article décrivant la prise en charge psychiatrique à Château-Thierry présente les résultats suivants pour les personnes détenues : 35,3 % ont au moins un antécédent psychiatrique (troubles de l’humeur et troubles psychotiques), 73,5 % ont un trouble lié à l’usage de substance (alcool et cannabis), 45,6 % ont déjà été hospitalisées, 39,7 % suivent un traitement psychotrope ([33]).

Au cours de ses déplacements, votre rapporteur a toutefois pu constater que le modèle de prise en charge proposé par Château-Thierry était parfois mal compris sur le terrain par les autres établissements pénitentiaires. Les critères d’orientation semblent mal connus ou mal compris. Une clarification serait sans doute bienvenue dans ce domaine.

Pour mieux appréhender la spécificité de cet établissement, votre rapporteur a tenu à le visiter. Il a pu constater qu’en théorie, le modèle de prise en charge sanitaire est habituel. Il s’agit d’une unité sanitaire implantée au sein de l’établissement pénitentiaire, co-portée dans ce cas par l’établissement public départemental de santé mentale de l’Aisne et le centre hospitalier Jeanne de Navarre. Il a toutefois observé sur le terrain que l’accompagnement mis en œuvre est, en réalité, bien spécifique. Le suivi réalisé par l’unité sanitaire est quotidien ; le personnel sanitaire se rend en cellule trois fois par jour et travaille particulièrement à l’adhésion aux soins des patients-détenus. Ceux-ci sont en moyenne reçus une fois par semaine par un psychologue et une fois par mois par un psychiatre.

Les pratiques des personnels pénitentiaires sont elles aussi adaptées pour favoriser la stabilisation psychique des détenus. Ceux-ci sont pris en charge de manière individualisée, sont appelés par leur prénom, sont invités à faire usage du tutoiement et à saluer les surveillants en leur serrant la main. Le personnel assiste la personne détenue à chaque moment de sa détention, y compris dans la préservation de son hygiène. L’offre d’activités est aussi adaptée. Le jour de sa visite, la cheffe de détention venait par exemple de passer plusieurs heures à s’occuper d’une activité peinture, en cellule, afin de permettre à l’un des détenus de retrouver un état psychique plus apaisé. L’établissement s’appuie également sur la médiation animale, sur l’entretien d’un jardin potager thérapeutique ou encore sur des activités ludiques comme le tennis de table. Le jardin aménagé constitue un lieu d’apaisement, particulièrement utile pour désamorcer les situations de crise. La responsable locale de l’enseignement et son équipe proposent eux aussi des enseignements en adéquation avec la personnalité des personnes détenues.

Votre rapporteur a été impressionné par la qualité de cette expertise développée pour la prise en charge d’un public particulier et difficile, ainsi que par le dévouement des personnels sanitaires et pénitentiaires avec lesquels il a pu échanger. Il rejoint toutefois les constats et recommandations formulés dès 2018 par le groupe de travail de la commission des Lois sur la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques ([34]) : les locaux sont vétustes et nécessitent une rénovation. D’ailleurs, la directrice de l’établissement a elle-même souligné les difficultés posées par cette vétusté : le bâti ancien n’offre pour la maison centrale que des cellules de 6,3 m², celles-ci ne disposent pas d’eau chaude, et les douches sont donc situées sur les coursives. En outre, l’insuffisance du réseau électrique empêche d’équiper les cellules de frigidaires. L’établissement ne comporte ni cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite, ni quartier d’isolement. Déjà contrainte par le manque d’espace, l’unité sanitaire ne comprend que 0,2 ETP de médecin somatique, empêchant l’établissement d’accueillir des détenus ayant des problématiques somatiques prégnantes.

Une rénovation de l’établissement de Château-Thierry a été annoncée par le ministère de la justice, sans calendrier précis toutefois. Lors de son audition, le directeur de l’administration pénitentiaire a précisé qu’un budget de 15 à 20 millions d’euros était envisagé et que les études de rénovation seraient lancées au cours de l’année 2024.

3.   Le lancement de la seconde tranche des UHSA, une évolution pertinente et attendue

En décembre 2018, l’Inspection générale de la justice (IGJ) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont rendu un rapport relatif à l’évaluation des UHSA pour les personnes détenues ([35]). Les recommandations du rapport, notamment le lancement de la construction de la seconde tranche des UHSA, ont fait l’objet d’un arbitrage entre les ministères de la justice, des solidarités et de la santé et de la prévention. La construction de trois nouvelles UHSA en Île‑de‑France, en Normandie et en Occitanie a été préconisée, ainsi que la sécurisation de certaines des ailes des établissements publics de santé mentale, particulièrement en Outre-mer.

La seconde tranche des UHSA est donc engagée pour un total de 160 lits. Est bien prévue la construction de trois UHSA dont la localisation a été déterminée au second semestre 2022 : en région Normandie, au sein du centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (60 places) ; en région Occitanie, sur la commune de Béziers (40 places) et en région Île-de-France, au sein de l’hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois (60 places).

Un comité de pilotage, réunissant la direction générale de l’offre de soins et la direction de l’administration pénitentiaire, a été mis en place afin de réfléchir à l’architecture des nouvelles UHSA en intégrant l’expérience de la première tranche, de définir les modalités concrètes des travaux ainsi que leur calendrier, et d’arrêter un cahier des charges. Ce comité est également chargé d’identifier la prise en charge sanitaire au sein des UHSA et de préparer l’actualisation des textes relatifs à celles-ci. Il se réunit tous les trois mois.

Des groupes de travail ont, en outre, été organisés :

– d’une part, sur le financement du fonctionnement des UHSA : ce groupe s’est réuni à trois reprises en 2022. À la suite de la réforme du financement de la psychiatrie, il a organisé le modèle des UHSA, qui sera intégré dans le compartiment « activités spécifiques » couvrant les coûts de fonctionnement d’activités à vocation interrégionale via un financement national, avec une enveloppe déterminée et validée au niveau ministériel ;

– d’autre part, sur l’actualisation des annexes et du cahier des charges liés à la circulaire interministérielle du 18 mars 2011 ([36]) : ce groupe s’est réuni à deux reprises depuis la fin de l’année 2021.

Afin de nourrir la réflexion sur la thématique bâtimentaire, une enquête immobilière a en outre été diffusée en 2021 par la coordination nationale des UHSA auprès des 9 UHSA actuelles. Plusieurs ateliers menés en 2022 et 2023 ont permis de définir une organisation spatiale partagée entre les services pénitentiaire et hospitalier. La publication d’un cahier des charges technique actualisé doit être finalisée d’ici la fin de l’année 2023.

Le calendrier de construction de ces places, qui relève du ministère de la santé, n’est pas encore stabilisé. D’un point de vue budgétaire, il n’est pas envisagé l’ouverture de crédits en 2024, la DGOS devant définir l’estimation de la construction de ces trois UHSA au début de l’année prochaine pour intégrer la demande de financement de ces mesures dans le projet de loi de finances pour 2025. La direction de l’administration pénitentiaire s’intégrera dans ce calendrier pour obtenir, dans le champ de la mission budgétaire « Justice », les crédits afférents à la sûreté pénitentiaire.

B.   Le parcours de soins des personnes détenues, une opportunité d’accès aux soins encore limitée par certaines difficultés pratiques

1.   Le parcours de soins en milieu pénitentiaire, une opportunité d’accès aux soins pour des personnes qui en sont souvent éloignées

a.   Le suivi psychologique et psychiatrique en détention

Avec près de 200 000 consultations psychologues en 2022, le passage en prison est parfois l’occasion pour certains détenus de renouer avec une prise en charge sanitaire. Le même constat est d’ailleurs valable pour le champ somatique : paradoxalement, et malgré les difficultés rencontrées en prison, l’accès aux soins peut être meilleur en milieu fermé qu’à l’extérieur.

Le parcours carcéral intègre aujourd’hui clairement cet enjeu de la prise en charge sanitaire. Chaque personne détenue arrivant en établissement pénitentiaire est d’abord affectée en « quartier arrivants » où elle doit normalement rencontrer les différents services de l’établissement pour déterminer les modalités de son incarcération. Dans ce cadre, elle est normalement reçue par les personnels de l’unité sanitaire pour un examen somatique. Ils peuvent, à cette occasion, effectuer un repérage de troubles psychiatriques et orienter le détenu vers une consultation psychologique ou psychiatrique, voire envisager dès ce moment une prise en charge spécifique.

Au-delà de ce premier contact à l’arrivée en prison, les consultations de psychiatrie peuvent se réaliser à la demande du patient ou à l’initiative de l’équipe de l’USMP. Ces consultations en ambulatoire permettent ainsi aux personnes détenues de rencontrer un psychiatre, un psychologue ou un infirmier. Elles peuvent également bénéficier d’activités thérapeutiques de groupe ou encore d’un accompagnement en addictologie.

L’étude épidémiologique publiée en 2023 a été l’occasion de mesurer le parcours de soins psychiatriques en détention, offrant ainsi une illustration de ce dont peuvent bénéficier les personnes détenues ([37]). La majorité des participants et participantes ont pu effectuer annuellement au moins une consultation par un médecin généraliste et par un professionnel de santé mentale (respectivement 89,6 % et 96,2 %). Plus d’un tiers ont été suivis par un établissement médico‑social spécialisé en addictologie.

b.   Le rôle des personnels pénitentiaires dans ce domaine

Si la prise en charge sanitaire n’est pas du ressort des personnels pénitentiaires, ceux-ci ont toutefois un rôle à jouer, notamment en matière de repérage ([38]), étant les plus au contact de la population carcérale. L’administration pénitentiaire encourage donc les personnels à formaliser leurs observations portant sur des comportements de personnes détenues qui les interrogent, sans bien sûr poser un diagnostic. Ces observations peuvent également être complétées par celles des SPIP si les personnes étaient déjà suivies en milieu ouvert avant leur incarcération.

Les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) sont en général le lieu privilégié pour l’échange de ces observations entre services, permettant de décider, le cas échéant, d’une prise en charge adaptée. Lorsque les unités sanitaires participent aux CPU, où elles sont, d’après l’administration pénitentiaire, systématiquement conviées, elles peuvent se saisir des repérages effectués par les services pénitentiaires.

La participation des personnels soignants aux CPU

La participation du personnel médical aux CPU est très variable selon les établissements pénitentiaires.

En 2023, dans 56 % des établissements pénitentiaires, le personnel soignant participe systématiquement aux CPU, et dans 34 % des établissements pénitentiaires, il participe à certaines CPU, notamment celles relatives à la « prévention du suicide » et aux « arrivants ». Dans 10 % des établissements pénitentiaires, aucun personnel soignant ne participe aux CPU ou n’y participe qu’exceptionnellement.

Les arguments pour la non-participation aux CPU avancés par les responsables des USMP concernées tiennent essentiellement au caractère chronophage de ces instances, et ce d’autant qu’ils déplorent souvent l’insuffisance des ressources humaines dont ils disposent. Le respect du secret médical est également avancé pour justifier une absence de participation aux CPU. Pourtant, selon l’administration pénitentiaire, la participation à ces instances n’implique aucunement une violation du secret médical. Selon certains professionnels de santé, comme la Dr Béatrice Carton, interrogée par votre rapporteur, ces CPU mettent les soignants dans des positions délicates, lorsque l’administration pénitentiaire demande leur avis sur le parcours de détention, à l’insu et en l’absence des patients-détenus concernés.

Ces questions de repérage ne sont pas nouvelles pour l’administration pénitentiaire, mais font l’objet d’une attention et d’une formalisation accrues. En ce sens, les nouvelles formations de premier secours en santé mentale visent à développer plusieurs compétences :

– savoir reconnaître les signes de souffrance psychique et mieux appréhender les différents types de crises en santé mentale ;

– acquérir des connaissances de base concernant les troubles psychiques ;

– développer des compétences relationnelles permettant d’aller vers une personne souffrant de troubles psychiques, de l’écouter sans jugement, de la rassurer, de lui donner des informations et de l’orienter vers le soin ;

– adapter ses pratiques et savoir faire face aux comportements agressifs et de crises.

c.   La prise en charge des addictions

En complément des suivis psychologique et psychiatrique, les unités sanitaires pilotent l’organisation des soins en addiction ([39]). Dans ce schéma organisationnel, un centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) référent est désigné pour assurer l’accompagnement, l’élaboration du projet de soin et d’insertion des personnes détenues et assurer l’articulation avec l’extérieur en vue de la préparation à la sortie.

En sus de cette prise en charge par les USMP et les CSAPA, la direction de l’administration pénitentiaire a indiqué favoriser le développement de plusieurs outils de lutte contre les addictions :

– l’intervention de groupes d’entraide au sein des établissements pénitentiaires ; l’administration pénitentiaire a, par exemple, signé des conventions avec l’association Alcooliques anonymes, la coordination des associations et mouvements d’entraide reconnue d’utilité publique (CAMERUP), ainsi que l’association Narcotiques anonymes ;

– le projet régional d’expérimentation d’une unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD) en milieu carcéral, mise en service en juin 2017, au centre de détention de Neuvic (Corrèze). Co-piloté par la DISP de Bordeaux et l’ARS de Nouvelle-Aquitaine, ce projet vise à permettre aux détenus qui souhaitent poursuivre leur abstinence de conduite addictive d’accéder à une unité spécifique, associée à différents dispositifs de réhabilitation ;

– pour développer des actions de prévention des addictions auprès des PPSMJ, la direction de l’administration pénitentiaire indique répondre chaque année à l’appel à projets lancé dans le cadre du fonds de concours « drogues » de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). En 2023, l’administration pénitentiaire a ainsi obtenu 1,2 million d’euros pour la mise en œuvre de 41 projets ;

– depuis 2016, des opérations sont mises en œuvre en établissements pénitentiaires dans le cadre du « Mois sans tabac » : en novembre 2022, 40 établissements et SPIP y ont participé, contre 24 l’année précédente.

Les personnels de santé auditionnés par votre rapporteur pour avis ont toutefois souligné plusieurs difficultés rencontrées dans la prise en charge des addictions en milieu carcéral, notamment en matière de réduction des risques.

La réduction des risques

La politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue vise à prévenir la transmission des infections, la mortalité par surdose en injection de drogue intraveineuse, ainsi que les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie par des substances classées comme stupéfiants.

Si certaines des actions de réduction des risques sont bien mises en œuvre en prison, comme la diffusion des messages de prévention, les professionnels de santé intervenant en détention rencontrés par votre rapporteur pour avis dénoncent l’absence de mise à disposition de matériel stérile pour les personnes détenues. Ils rappellent que le principe d’équivalence des soins en milieu carcéral et en milieu libre doit également s’applique à la politique de réduction des risques.

D’ailleurs, depuis la loi n° 2016-41 de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, l’article L. 3411-8 du code de la santé publique dispose que « la politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral ».

Pour ces professionnels de santé, l’absence de mise à disposition de matériel stérile revient à nier l’existence des consommations au sein des détentions, alors que celles-ci sont bien réelles. Ils soulignent notamment s’opposer à la position de l’administration pénitentiaire qui refuse les dispositifs « rouleTApaille » et les programmes d’échanges de seringues. Selon eux, ces dispositifs permettraient pourtant de garantir des matériels non contaminés et ainsi de mieux protéger les autres détenus, tout comme le personnel pénitentiaire.

Interrogé sur ce sujet par votre rapporteur, le directeur de l’administration pénitentiaire a expliqué que la réduction des risques doit s’adapter aux spécificités du milieu carcéral et notamment aux contraintes de sécurité. Les seringues peuvent, par exemple, être utilisées comme arme contre des surveillants ou d’autres détenus.

La direction générale de l’offre de soins a, quant à elle, indiqué que ce sujet serait bien pris en compte dans la prochaine feuille de route « Santé des personnes placées sous main de justice ».

2.   Plusieurs difficultés constatées sur le terrain

a.   Des difficultés inhérentes au secteur de la psychiatrie, notamment en termes de recrutement des personnels de santé

À la lumière de ses auditions et de ses déplacements, votre rapporteur pour avis doit se faire l’écho des difficultés rencontrées sur le terrain. L’ensemble des acteurs avec lesquels il a pu échanger ont fait état de lourdes difficultés, tenant notamment au nombre insuffisant de personnels de santé dans les établissements pénitentiaires. Ces difficultés, reflets de celles existantes dans le milieu libre, limitent de fait la prise en charge psychiatrique des personnes détenues : cela allonge les délais d’attente pour les consultations et conduit parfois à fermer des lits en SMPR ou en UHSA.

Au SMPR de Fleury-Mérogis par exemple, 10,6 ETP de psychiatre sont prévus, mais seulement 4,5 ETP sont pourvus. De même, sur les 19 postes d’infirmier, 4 sont actuellement vacants. D’ailleurs, lors de son déplacement dans ce SMPR, votre rapporteur pour avis a été interpellé par le faible nombre de lits : précédemment doté de 40 lits, le SMPR de la plus grande maison d’arrêt d’Europe ne compte plus aujourd’hui que 16 lits opérationnels. Un projet d’agrandissement de 25 lits est actuellement prévu, bénéficiant semble-t-il de l’aval de l’ensemble des acteurs concernés, mais ne pouvant aujourd’hui être réalisé du fait de l’absence de personnels soignants.

Autre exemple : les UHSA de Marseille et Orléans ne fonctionnent depuis plusieurs années qu’à la moitié de leur capacité théorique, faute de psychiatres disponibles pour couvrir tous les lits.

Bien sûr, cette situation est la conséquence d’une situation plus globale : la fragilité de la démographie médicale et, plus particulièrement, de la psychiatrie, traversée aujourd’hui par une « crise » selon les termes de la direction générale de l’offre de soins. En réponse à cette crise, le ministère de la santé et de la prévention a mis en place un premier rattrapage financier global portant sur l’offre de soins en psychiatrie ([40]). À la fin de l’année 2021, le Président de la République a organisé les assises de la santé mentale et de la psychiatrie, et un budget de près de 2 millions d’euros a été prévu sur la période 2022-2026 afin de mettre en œuvre les mesures nécessaires. Par ailleurs, un appel à projet relatif au Fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP) a été créé en 2019. Ce fonds a vocation à contribuer au financement de projets innovants, tant dans l’organisation promue que dans les prises en charge proposées. L’objectif est de répondre aux besoins de transformation de l’offre de prise en charge en psychiatrie.

S’agissant plus spécifiquement du milieu pénitentiaire, les postes de personnels de santé au sein des établissements semblent souffrir d’un véritable défaut d’attractivité, dont tous les professionnels rencontrés ont pu témoigner. Les contraintes inhérentes au milieu carcéral et les difficultés qui peuvent en découler en matière de soins semblent, en effet, décourager un certain nombre de soignants d’y travailler. Ce sujet fait, bien sûr, l’objet d’une attention constante de la direction de l’administration pénitentiaire, ainsi que de la direction générale de l’offre de soins, qui a lancé des travaux afin de favoriser l’attractivité des carrières en milieu pénitentiaire, identifiant un certain nombre de leviers qui seront inscrits dans la future feuille de route « Santé des PPSMJ 2023-2027 ». Des groupes de travail seront initiés par le ministère de la santé sur ce sujet d’ici la fin de l’année 2023.

Enfin, votre rapporteur souhaite également signaler une critique, formulée à plusieurs reprises par les personnels soignants rencontrés au cours de ses travaux, qui porte sur la suppression de la spécialisation d’infirmier de secteur psychiatrique. Bien sûr, il existe aujourd’hui les infirmiers en pratique avancée dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, mais cela ne semble pas suffisant. Les professionnels de santé considèrent qu’une véritable spécialisation était de nature à susciter davantage de vocations et à faciliter le recrutement en milieu pénitentiaire de personnels véritablement formés sur ce sujet.

b.   Des difficultés inhérentes au contexte pénitentiaire

La détention va de pair avec des contraintes sécuritaires qui ont inévitablement des conséquences sur l’organisation des soins dispensés en milieu pénitentiaire.

● Comme pour toute consultation, le respect de la confidentialité des soins dispensés en milieu carcéral est essentiel. À ce titre, seule la personne détenue concernée est informée du motif de sa consultation par le personnel soignant et, parce qu’elles font partie du dossier médical du patient, les prescriptions effectuées en détention sont soumises aux règles de confidentialité. Les activités de soins se déroulent donc normalement hors de la présence du personnel pénitentiaire. Si une personne détenue est soumise à des mesures de surveillance spécifiques, celles-ci doivent être mises en œuvre dans le respect de la confidentialité de l’examen médical. Il appartient à l’administration pénitentiaire, en concertation avec les équipes soignantes, de concilier le respect de la confidentialité des soins prodigués et les mesures de sécurité.

Malgré ces règles, votre rapporteur a été plusieurs fois interpellé sur les difficultés que pose, sur le terrain, le respect du secret médical. Des incompréhensions, voire des tensions, se produisent entre professionnels de santé et personnels pénitentiaires, se cristallisant souvent autour de cette question du secret médical.

Selon le directeur de l’administration pénitentiaire, cela s’explique en partie par le fait que la notion de secret médical ne fait pas, à ce jour, l’objet d’une définition précise de portée opérationnelle ou opposable du point de vue juridique. Le code de la santé publique se borne à indiquer que le secret médical couvre « l’ensemble des informations concernant la personne venue à la connaissance du professionnel de santé […] » ([41]). Une exception est toutefois prévue pour les établissements publics de santé destinés à l’accueil des personnes incarcérées, où , dès lors qu’il existe un risque sérieux pour la sécurité des personnes, les personnels soignants ayant connaissance de ce risque sont « tenus de le signaler dans les plus brefs délais au directeur de l’établissement en lui transmettant, dans le respect des dispositions relatives au secret médical, les informations utiles à la mise en œuvre de mesures de protection » ([42]).

En conséquence, la portée précise du secret médical peut varier suivant la posture des personnels soignants et conduire à différentes pratiques en matière de partage d’informations avec les personnels pénitentiaires. Il semblerait pertinent qu’une harmonisation de ces pratiques garantisse à la fois le respect du secret médical, dont le caractère impératif n’a pas à être remis en question, et le partage d’informations nécessaire à la bonne gestion des détentions. Au-delà de cette question médicale, votre rapporteur pour avis a toutefois constaté, sur le terrain, que les relations entre personnels pénitentiaires et personnels sanitaires semblaient globalement bonnes.

● Une autre difficulté tient à la gestion des extractions médicales. Les personnels soignants dénoncent régulièrement les insuffisances des équipes d’extraction qui conduisent à l’annulation de rendez-vous médicaux programmés en milieu libre. Lors de la visite de l’UHSA de Nancy, des difficultés ont également été signalées quant à la prise en charge de l’ensemble des extractions vers l’UHSA par la seule équipe de l’unité. Lors de son audition par la commission des Lois, le garde des Sceaux a confirmé qu’il peut arriver que « certaines consultations – à l’exception des urgences, bien sûr – soient reportées ». Il a tenu toutefois à rappeler que plus de 50 000 extractions médicales sont réalisées chaque année et que ce chiffre a plus que doublé entre 2020 et 2023. Enfin, le ministre a présenté le développement de la télémédecine comme une solution qui viendra compléter les prises en charge sanitaires : « Un projet de déploiement de la télésanté au sein des unités sanitaires en milieu pénitentiaire a été lancé en 2021, avec le concours de la direction générale de l’offre de soins. Ce projet, doté d’un financement d’environ 2,8 millions d’euros du Fonds pour la transformation de l’action publique, porte notamment sur la mise à niveau du câblage, la sécurité des systèmes d’information et la création d’un catalogue des spécialités médicales proposées ».

● Enfin, selon les établissements et les caractéristiques de l’incarcération, d’autres éléments peuvent avoir des conséquences sur l’accès aux soins psychiatriques et les suivis mis en place :

– en maison d’arrêt, les courtes peines sont difficiles à prendre en charge compte tenu du court délai passé en détention, tandis que les personnes prévenues sont souvent dans une situation d’incertitude, qui conduit à une forte anxiété et rend difficile la stabilisation psychique ;

– la taille des établissements a également des conséquences en matière de facilité d’accès aux personnels de santé, notamment ceux de spécialité ; en outre, leur emplacement géographique a également une incidence sur les prises en charge : un établissement comportant un SMPR aura tendance à davantage s’en servir, tandis qu’un établissement proche d’un UHSA se contentera souvent d’une articulation de la prise en charge entre niveau 1 et niveau 3 ;

– enfin, de manière évidente, la surpopulation carcérale est un obstacle à l’accès aux soins en détention.

3.   Le lien dedans-dehors, un enjeu crucial en matière de prise en charge psychiatrique

La sortie de détention correspond à une période de particulière fragilité, marquée par une recrudescence anxieuse et une surmortalité. Face à cette fragilité, la question de la continuité des soins entre milieu fermé et milieu ouvert se pose donc avec d’autant plus d’acuité.

Pour préparer la sortie, les USMP sont invitées à proposer systématiquement une consultation de sortie à la personne détenue dans le mois précédant sa libération, afin d’assurer la continuité des soins, d’orienter et conseiller le patient au besoin. Cette consultation médicale de sortie, assurée par le médecin généraliste de l’unité sanitaire, peut être complétée par une consultation de psychiatrie ou d’addictologie. D’après les données de l’étude épidémiologique de 2023, dans les jours précédant la sortie, 22 % des répondants et 33,6 % des répondantes déclarent avoir un rendez-vous programmé avec un professionnel de la santé mentale, et 14 % des répondants et 27,5 % des répondantes avec un professionnel de l’addictologie ([43]).

L’organisation de cette consultation de sortie est parfois empêchée par l’imprévisibilité des dates de libération, en particulier lorsqu’il s’agit de courtes peines comme en maison d’arrêt. Votre rapporteur pour avis considère donc qu’une meilleure sensibilisation des juges sur ce sujet serait opportune.

La continuité des soins repose sur une bonne articulation entre USMP et médecine de droit commun en milieu libre. Cette articulation relève des autorités médicales, mais l’administration pénitentiaire y contribue également par le travail des personnels d’insertion et de probation. Ceux-ci préparent notamment le projet de sortie de la personne détenue et participent à la gestion des sujets matériels, par exemple en matière de domiciliation, de renouvellement des papiers d’identité ou encore d’ouverture des droits sociaux, autant de sujets primordiaux pour permettre d’organiser le suivi sanitaire en milieu libre. Certaines des personnes auditionnées ont suggéré que l’ajout d’un temps d’assistante sociale dans les USMP contribuerait à faciliter cette préparation à la sortie.

Ce sujet semble particulièrement important car, au cours des auditions, plusieurs professionnels de santé ont témoigné qu’un certain nombre de détenus sortent de détention sans carte d’identité, sans prise en charge au titre de la sécurité sociale et sans hébergement, ce qui constitue autant d’obstacles à la prise en charge sanitaire. Ces situations accentuent considérablement le risque de rupture des soins.

Certaines difficultés apparaissent en outre du fait de refus de certains centres médico-psychologiques (CMP) ou CSAPA de donner priorité à l’accompagnement des personnes sortant de détention, qui sont parfois perçues comme n’étant pas demandeuses de ces soins contraints et, de ce fait, moins prioritaires. Ces refus conduisent à une rupture des soins, mettant parfois en danger la personne elle-même et les autres.

Pour répondre à ces difficultés, certains dispositifs se sont développés localement, comme les équipes mobiles transitionnelles (EMOT), lesquelles permettent de faciliter la prise en charge de la santé mentale de la personne en sortie de détention. Votre rapporteur pour avis n’a pas eu l’occasion de rencontrer l’une de ces équipes, mais souligne qu’il s’agit là d’une perspective intéressante pour améliorer la continuité des soins au moment de la libération.

Les équipes mobiles transitionnelles (EMOT)

Face à la forte prévalence des troubles mentaux en détention, aux difficultés repérées dans le parcours de vie et de santé des personnes détenues et au constat d’obstacles multiples au relais des soins psychiatriques à la sortie de prison, l’objectif de l’expérimentation des EMOT est de faciliter le relai de prise en charge entre les structures de soins, en proposant un accompagnement pluridisciplinaire (médical et social).

Ce projet consiste en un accompagnement pluridisciplinaire (médical et social) aux personnes présentant des troubles psychiatriques sévères, au cours de la période entourant la libération, afin de limiter les ruptures dans les parcours de soins. L’équipe mobile identifie les personnes concernées avant leur sortie de détention. Les objectifs sont de prévenir les rechutes psychiatriques et addictologiques à la libération, de lutter contre la précarisation, la stigmatisation et la discrimination de la personne, et de limiter la récidive judiciaire précoce liée à une prise en charge insuffisante à la libération.

Elles s’inscrivent ainsi dans l’action n° 22 de la feuille de route santé des PPSMJ 2019‑2022 : « Améliorer la continuité de la prise en charge à la sortie de détention ».

La première EMOT a été mise en place à Lille en septembre 2019 par le pôle de psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire du CHU de Lille, en charge des soins psychiatriques aux personnes détenues au sein des centres pénitentiaires de Lille-Annœullin, Lille-Sequedin et de l’UHSA de Lille-Seclin. Cette expérimentation prévoit une entrée des personnes dans le dispositif dans les deux mois avant la sortie de prison, et une sortie du dispositif dans les six mois suivant le début de la prise en charge.

Une deuxième EMOT, organisée selon le même schéma d’action, a été mise en place au printemps 2022 à Toulouse par le pôle de psychiatrie et de conduites addictives en milieu pénitentiaire du centre hospitalier Gérard Marchant, en charge des soins psychiatriques aux personnes détenues au sein du centre pénitentiaire de Toulouse Seysses, du centre de détention de Muret et de l’UHSA de Toulouse.

Enfin, une troisième EMOT a été lancé à Aix.

Source : direction de l’administration pénitentiaire.

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En conclusion, votre rapporteur pour avis tient à rendre hommage au travail conduit par les services hospitaliers et pénitentiaires en matière de prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques. Cumulant les difficultés judiciaires et sanitaires – et souvent aussi sociales et économiques –, ces personnes sont exposées à une particulière vulnérabilité, que l’État doit prendre en charge le plus efficacement possible. Malgré l’engagement des personnels et une vigilance réelle des autorités administratives, votre rapporteur ne peut que constater que certaines carences demeurent problématiques et appellent de nouvelles réformes, ainsi qu’une action en profondeur en matière de recrutement des personnels soignants en milieu pénitentiaire.

Il tient également à souligner un point qui n’était pas au cœur de ses travaux, mais qu’il convient de ne pas oublier : celui de l’accompagnement psychologique des personnels pénitentiaires. Ceux-ci exercent en effet des missions complexes, dans un environnement particulièrement sensible, au sein duquel ils peuvent être confrontés à des situations marquantes.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première réunion du mardi 24 octobre 2023, la Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (M. Jean Terlier, suppléant Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis ; M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/nB6RZk

M. le président Sacha Houlié. Nous poursuivons l’examen des crédits budgétaires pour lesquels notre commission est saisie pour avis, avec ceux de la mission Justice. Ce budget est le premier depuis le vote définitif de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, si bien que ces travaux risquent d’être quelque peu redondants avec ceux de cet été.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je suis heureux de vous présenter pour la quatrième année consécutive le projet de budget du ministère de la justice, même si je conviens que l’exercice est pour le moins redondant avec nos travaux de cet été. En effet, vous venez d’adopter définitivement le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui pérennise les hausses de moyens pour renforcer la justice, en la rapprochant de nos concitoyens, en la rendant plus protectrice et plus rapide pour chacun. Or, le présent projet de budget respecte à la lettre la trajectoire budgétaire fixée dans cette loi de programmation ; comme je vais vous le montrer.

Notre ambition est d’abord d’améliorer la qualité de la justice qui doit être rendue. La hausse continue du montant du budget, passé de 6,9 milliards d’euros en 2017 à 9,6 milliards d’euros en 2023, se poursuivra en 2024, ce qui est historique. Le budget dépassera ainsi la barre symbolique de 10 milliards d’euros, pour atteindre 10,1 milliards. Cela représente une augmentation de 503 millions d’euros, soit 5,3 %. À l’échelle des deux quinquennats du Président de la République, le budget sera passé de 6,9 milliards d’euros en 2017 à 11 milliards d’euros en 2027, soit une hausse de près de 60 %.

Le montant de l’enveloppe consacrée à la rémunération des agents du ministère, hors cotisations de retraites, passera de 4,7 milliards d’euros en 2023 à 5,1 milliards d’euros en 2024, soit une hausse de 8 %, parmi les plus importantes qu’a connues le ministère. C’est la traduction concrète de ma politique en matière de ressources humaines, qui combine recrutements massifs et forte revalorisation des rémunérations.

Pour les quatre années à venir, le défi n’est pas de savoir si le ministère recrutera, mais s’il parviendra à pourvoir la totalité des nouveaux emplois qui seront créés. Il faut donc renforcer l’attractivité des métiers de la justice.

Les moyens importants que j’ai évoqués permettront d’alimenter chacune des grandes composantes du ministère. Les crédits des services judiciaires augmenteront de 12 %, passant de 3,4 milliards en 2023 à 3,8 milliards en 2024. En prenant en compte les cotisations retraites, ils ont augmenté d’environ 30 % depuis mon arrivée au ministère, passant de 3,5 milliards en 2020 à 4,5 milliards en 2024.

Le montant du budget de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) sera stable en 2024, par rapport à 2023, à 3,9 milliards. Sa progression reprendra en 2025, à la faveur de la dernière vague de mise en chantier des établissements prévus dans le plan immobilier pénitentiaire.

Le montant du budget alloué à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) augmentera de 3 %, atteignant 950 milliards d’euros en 2024, contre 922 milliards en 2023. Quant au budget du secrétariat général du ministère, il progressera de 9 %, passant de 642 millions en 2023 à 702 millions en 2024.

Dans la continuité des années précédentes, ce projet de budget marque donc une étape majeure dans le rattrapage de plus de trente ans d’abandon budgétaire, politique et humain la justice, auquel le Président de la République a décidé de mettre un coup d’arrêt, pour que notre justice soit à la hauteur de sa mission fondamentale, de l’engagement de ceux qui la servent et, surtout, des attentes des Français – c’est en leur nom, ne l’oublions jamais, qu’elle est rendue.

Ces hausses budgétaires doivent directement améliorer le fonctionnement de la justice. C’est déjà le cas de celles déployées lors des précédentes lois de finance. J’en donnerai un exemple, celui des délais de justice. Lors de la présentation du plan d’action pour la justice, j’avais fixé pour objectif leur réduction drastique, qui implique notamment de réduire le stock d’affaires à traiter. Entre le 1er janvier 2021 et la fin de l’année 2022, celui-ci a diminué, parfois jusqu’à 30 % dans certaines matières et juridictions, grâce aux nouveaux moyens déployés et à l’engagement des magistrats, des greffiers et des contractuels. La politique de l’amiable, qui entrera en vigueur le 1er novembre, vise notamment à réduire encore les délais en matière civile.

Nous devons aller plus loin ; chacun doit prendre sa part à cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l’État consacre autant d’argent à la justice si cela n’améliorait pas la qualité de ce service public. Les efforts des contribuables nous obligent. Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour décrocher ces budgets historiques et sur le Parlement, notamment la majorité – mais pas que – pour les voter. Nous pouvons compter sur eux pour que ces moyens tant attendus, et mérités, aient rapidement des effets concrets pour les justiciables. C’est impératif, il y va de la crédibilité de notre justice.

En matière d’emploi, la priorité de ce projet de budget pour 2024 est d’accélérer le rythme des recrutements, afin de tenir le cap fixé par la loi de programmation, qui prévoit la création de 10 000 emplois supplémentaires durant ce quinquennat. Nous dépasserons ainsi, en 2027, la barre des 100 000 personnels au sein du ministère.

Afin de conserver une certaine flexibilité, ces 100 000 emplois seront répartis, année après année, en fonction des besoins dans les différents métiers, de l’avancement des projets et des capacités de recrutement et de formation des écoles.

Comme le prévoit la loi de programmation, nous créerons 1 500 postes de magistrats supplémentaires et 1 800 postes de greffiers supplémentaires durant ce quinquennat. Par ailleurs, entre 2023 et 2025, 1 100 attachés de justice seront recrutés afin de créer une véritable équipe autour du magistrat et de lui permettre de se concentrer sur son cœur de métier : dire le droit, trancher les litiges et rendre la justice.

Un point n’a pas toujours été bien compris, au cours des débats parlementaires notamment – ou s’agissait-il de mauvaise foi ? Les créations de poste que je viens d’évoquer sont nettes : elles s’ajouteront aux remplacements liés à un départ en retraite. Ainsi, la création de 1 500 postes de magistrats supplémentaires nécessitera en réalité de recruter près de 2 800 magistrats. Les chiffres annoncés ne sont donc pas des trompe-l’œil ; ils représentent une augmentation concrète, précise et vérifiable des effectifs dans les juridictions.

J’ai déjà eu l’occasion d’annoncer la répartition géographique par cour d’appel de ces renforts judiciaires le 31 août dernier, lors du discours de Colmar : le ressort de Douai comptera 91 magistrats supplémentaires, celui de Versailles au moins 127 greffiers supplémentaires et celui d’Aix-en-Provence 72 attachés de justice supplémentaires d’ici à 2025, par exemple. Cette première répartition traduit deux principes fondamentaux. Premièrement, elle s’appuie sur des critères objectifs, tels que le niveau des stocks, l’évolution du nombre d’affaires au cours des dix dernières années, de la délinquance, des données socioéconomiques et des prévisions de croissance démographique. Deuxièmement, cette répartition montre notre confiance dans les acteurs du terrain pour le dernier kilomètre. J’ai souhaité que la répartition de ces renforts au sein de chaque cour d’appel revienne aux chefs de cours, lesquels connaissent mieux leur juridiction que quiconque et sauront décider au plus près de ses besoins.

Pour l’année 2024 elle-même, une autorisation de recrutement maximale de 2 110 ETP – équivalents temps plein – a été accordée au ministère, en plus des remplacements des départs à la retraite. Le ministère de la justice devrait ainsi bénéficier de près du tiers de créations nettes d’emploi d’agent public par l’État en 2024. Pour mémoire, en 2022, 720 emplois avaient été créés au ministère de la justice ; nous avons triplé ce chiffre en 2023, et les créations se maintiendront à ce niveau exceptionnel en 2024.

Parmi ces 2 110 postes, 1 307 concerneront la justice judiciaire, avec notamment 327 magistrats, 340 greffiers et 400 attachés de justice ; 33 postes seront plus spécifiquement alloués au renforcement des capacités de formation de l’École nationale de la magistrature (ENM), dont 22 magistrats. Cette école tourne à plein, les promotions ont atteint des effectifs d’un niveau historique pour la deuxième année consécutive ; l’école a même dû ouvrir de nouveaux locaux à l’extérieur de son site historique à Bordeaux, pour accueillir les futurs auditeurs de justice. L’administration pénitentiaire pourra bénéficier d’un nombre de nouveaux fonctionnaires allant jusqu’à 599, dont 512 surveillants. Ce quantum permet un rattrapage de 149 ETP, lié à la sous-exécution de budgets précédents. L’École nationale de l’administration pénitentiaire bénéficiera quant à elle de trois emplois supplémentaires. Quelque 92 ETP sont prévus pour la protection judiciaire de la jeunesse ; le reste, 112 personnels, bénéficiera à la coordination de la politique publique de la justice, plus particulièrement au secrétariat général du ministère.

Pour assurer le niveau inédit de recrutements prévu, nous renforçons l’attractivité des métiers de la justice, et améliorons donc leur rémunération. En 2020, le montant de l’enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère était de 17 millions d’euros. Il est passé à 50 millions d’euros par an en 2021 et 2022, puis à 100 millions d’euros en 2023, dont 80 millions d’euros de mesures nouvelles. En 2024, il augmentera de nouveau de manière significative, afin d’atteindre un montant supérieur à 170 millions d’euros, dont 64 millions d’euros de mesures nouvelles. C’est une multiplication par dix depuis mon arrivée au ministère, en 2020 ! Cette progression inédite nous engage.

Par ailleurs, des crédits interministériels permettront de financer les mesures catégorielles issues de la conférence salariale du 12 juin 2023, à hauteur de 33 millions d’euros pour le ministère de la justice. Ces mesures permettront principalement l’injection de cinq points d’indice supplémentaires pour l’ensemble des agents du ministère dès le 1er janvier 2024, afin de prendre en compte la hausse de l’inflation.

L’enveloppe catégorielle de 170 millions d’euros sera répartie entre les différents métiers. Depuis le 1er octobre, les magistrats bénéficient d’une revalorisation inédite de leur salaire, d’une moyenne de 1 000 euros brut par mois et par magistrat. Elle sera effective sur les paies versées ce vendredi. Cette mesure représente un effort budgétaire de 88,5 millions d’euros en 2024. Elle est nécessaire pour maintenir l’attractivité de ce métier et aligner la rémunération des magistrats de l’ordre judiciaire avec celle de leurs collègues de l’ordre administratif. Elle témoigne en outre de notre reconnaissance, car ils œuvrent au quotidien au service de la justice. Leur régime indemnitaire n’avait pas été augmenté, à part quelques revalorisations spécifiques à certaines fonctions, depuis 1996.

Les surveillants pénitentiaires accéderont à la catégorie B, tandis que les officiers pénitentiaires accéderont à la catégorie A, avec les revalorisations indemnitaires et indiciaires correspondantes ; 47 millions d’euros seront sanctuarisés pour financer cette réforme, dont les contours seront bientôt tracés. Cette réforme inédite est essentielle pour recruter de nouveaux personnels, reconnaître l’importance de ces métiers et prendre en compte la complexité et la difficulté croissance de leurs missions.

Je n’oublie pas les autres fonctionnaires du ministère. En particulier, la filière greffe bénéficiera d’une revalorisation indiciaire et indemnitaire d’un montant de 15 millions d’euros, première étape d’une réforme approfondie de ce corps. Quelque 15,5 millions d’euros sont prévus pour la poursuite de mesures transverses déployées par le secrétariat général du ministère ; 3 millions le sont pour les corps spécifiques de la PJJ. Enfin, la rémunération des corps de direction de la DAP et des personnels du service national du renseignement pénitentiaire sera revalorisée pour un montant de 1 million d’euros.

En complément de cette enveloppe de 170 millions d’euros, une revalorisation des revenus des magistrats ainsi qu’une mesure catégorielle complémentaire en faveur des greffiers seront octroyées grâce à une enveloppe dont le montant pourra atteindre 22,5 millions pour 2024.

Pour les greffes, cette mesure s’accompagnera d’une réforme statutaire d’envergure, articulée autour de trois axes. Premièrement, la restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra une accélération de la carrière de ces professionnels et un accès plus ouvert à l’échelon sommital de greffier principal. Deuxièmement, la création d’un corps de greffiers de catégorie A de 3 200 agents permettra la reconnaissance de l’expertise des greffiers dans leurs missions juridictionnelles, notamment de celle des greffiers principaux et fonctionnels. Troisièmement, un plan pluriannuel de requalification des agents de catégorie C faisant fonction de greffiers permettra, là encore, la reconnaissance des compétences de ces métiers indispensables à la justice.

Sans attendre le déploiement de la nouvelle grille indiciaire annoncée le 12 septembre dernier, je rappelle qu’alors qu’un greffier en milieu de carrière exerçant des missions classiques percevait, au 31 décembre 2021, 2 312 euros brut mensuels, en prenant en compte les primes, il perçoit actuellement 2 606 euros brut, ce qui représente une augmentation de 294 euros brut par mois, soit une progression mensuelle de sa rémunération de 13 %.

Les crédits alloués à la programmation immobilière pénitentiaire permettront de poursuivre le plan de construction voulu par le Président de la République. Ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles à l’horizon de l’année 2027, grâce à l’érection de cinquante et un nouveaux établissements pénitentiaires. À la fin de 2024, nous aurons réalisé la moitié du chemin, avec vingt-trois nouveaux établissements opérationnels. En 2023, onze établissements pénitentiaires ont été mis en service : la maison d’arrêt Le Mans-Les Croisettes, le centre de détention de Koné, en Nouvelle-Calédonie ; les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Montpellier, de Caen, de Valence et d’Avignon ; la nouvelle maison d’arrêt de Caen, un nouveau quartier de centre de détention de 400 places à Fleury-Mérogis. J’inaugurerai demain la maison d’arrêt de Troyes-Lavau, qui comptera près de 500 places, et deux autres établissements à Osny et Meaux, d’ici à la fin de l’année.

En 2024, le programme de construction se poursuivra avec la même intensité, et concernera sept chantiers. Quatre nouveaux établissements seront livrés, à Toulon, à Noisy-le-Grand, à Colmar et à Nîmes. La première phase des travaux sera finalisée dans trois sites pénitentiaires : ceux de Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault. Quelque 308 millions d’euros sont prévus pour le programme de construction pénitentiaire en 2024. Ce plan, dont le coût global est estimé à 5 milliards d’euros, a ainsi déjà fait l’objet de 2 milliards d’investissement.

Enfin, concernant la réhabilitation d’établissements existants, les opérations courantes de maintenance représenteront 130 millions d’euros en 2024. Nous maintenons ce très haut niveau d’investissement annuel, qui représente le double du budget en la matière lors du quinquennat de François Hollande, depuis près de six ans. Quelque 2 millions d’euros seront, en particulier, consacrés aux études sur la réhabilitation des prisons de Fresnes et de Poissy.

Je ne saurais évoquer l’immobilier pénitentiaire sans l’immobilier judiciaire, dont je souhaite poursuivre la modernisation et l’agrandissement, afin notamment de permettre l’accueil des renforts humains que j’ai précisés. Au total, 362 millions d’euros seront consacrés en 2024 à l’immobilier judiciaire propriétaire, contre 269 millions en 2023, soit une hausse de près de 35 % en un an. Ces crédits permettront de poursuivre notamment les vingt principaux chantiers suivants : la construction de trois nouveaux palais de justice, à Lille, à Saint-Benoît – à La Réunion – et à Saint-Laurent du Maroni – en Guyane ; la restructuration ou l’extension de quinze palais de justice existants, à Arras, à Bayonne, à Bourges, à Bourgoin-Jallieu, à Chaumont, à Carcassonne, à Évry, à Fort-de-France, à Mâcon, à Nantes, à Nanterre, à Paris-Cité, à Versailles et à Vienne ; la réhabilitation de bâtiments tiers pour construire des annexes au palais de justice existant sur deux sites, à Niort et à Valenciennes.

J’évoquerai, enfin, certaines enveloppes qui me tiennent à cœur, car elles visent à moderniser et à améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que le bien-être de ses agents. Tout d’abord, les crédits d’investissement informatique, consacrés notamment aux techniques d’enquêtes numériques judiciaires, seront portés à 209 millions d’euros, soit une hausse de 7,2 % en une année. Ils permettront en particulier de poursuivre le second plan de transformation numérique du ministère, un véritable plan de numérisation de la justice en France, qui s’articule autour de trois projets principaux. Premièrement, il prévoit un plan de soutien au profit des agents du ministère sur le terrain, en particulier au sein des juridictions, plan qui implique le recrutement de cent techniciens informatiques de proximité en 2023 – quatre-vingt l’ont déjà été – et le recrutement de cent techniciens supplémentaires en 2024. Deuxièmement, les logiciels métiers seront modernisés. Troisièmement, nous avons fixé l’objectif d’une numérisation intégrale d’ici à la fin du quinquennat. Pour ne prendre qu’un exemple, à mon arrivée au ministère, la procédure pénale numérique n’existait qu’à un état embryonnaire, environ 500 procédures seulement étaient transmises de manière dématérialisée, chaque mois, des enquêteurs vers les tribunaux; c’est désormais le cas de 150 000 procédures chaque mois, soit une multiplication par 300. La direction du programme de procédure pénale numérique (PPN), commun aux ministères de l’intérieur et de la justice, a été créée en juin ; elle permettra d’accélérer de manière décisive cette progression. Pour conduire la démarche « zéro papier » à son terme, en 2027, j’ai souhaité qu’un directeur de projet dédié soit désigné au sein du secrétariat général du ministère. Il prendra ses fonctions au début de l’année 2024.

Les crédits consacrés aux dépenses de frais de justice seront portés à 674 millions d’euros en 2024, pour renforcer les moyens d’enquête et d’expertise de la justice, soit une hausse de 14 millions par rapport à 2023. Par rapport au budget en la matière de 2017, d’un montant de 496 millions, cela représente un effort de 36 %. Ce nouvel effort contribuera notamment à faciliter le déstockage des affaires. Les crédits de l’accès au droit et à la justice s’élèveront à 734 millions d’euros en 2024, en hausse de 3 % par rapport au budget de l’année 2023, qui s’établissait à 714 millions. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître en 2024 pour atteindre 657 millions, soit 16 millions supplémentaires en un an.

Parallèlement, l’aide aux victimes est portée à 47 millions d’euros en 2024, soit une hausse de 2 millions par rapport à 2023. Enfin, 43 millions seront mobilisés au titre de l’action sociale du ministère, essentielle pour soutenir les agents et contribuer à l’attractivité de notre institution ; c’est 13 % de plus qu’en 2023. Ce budget permettra notamment d’agir en faveur de la politique d’aides aux familles, de réduire le reste à charge pour les services de restauration, et de faciliter l’accès au logement et à la propriété pour les agents, notamment à travers un ajustement du prêt bonifié immobilier.

M. Jean Terlier, suppléant Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis (Accès au droit et à la justice). Le présent budget traduit notre ambition de donner à la justice les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission, telle qu’elle s’est manifestée à l’occasion des États généraux de la justice et de l’élaboration de la loi d’orientation et de programmation.

Ce projet de budget renforce fortement la hausse des crédits entamée l’an dernier, au bénéfice de plusieurs objectifs prioritaires : réduire les délais d’audiencement et les stocks d’affaires en attente ; améliorer les conditions de travail des agents de l’institution judiciaire et mieux accompagner les justiciables.

Les effectifs seront augmentés en priorité au sein des juridictions ; les salaires des agents seront revalorisés ; les crédits pour l’accès au droit et l’aide aux victimes augmenteront, tout comme ceux dédiés à l’immobilier judiciaire et à la transformation numérique.

La hausse du budget alloué à la justice judiciaire est de 9,5 % en crédits de paiement, afin de recruter pas moins de 1 300 personnels l’an prochain, dont plus de 300 magistrats, 340 greffiers et 513 personnels d’encadrement, pour former de véritables équipes autour du magistrat. Ces recrutements s’inscrivent dans l’objectif de recruter plus de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires d’ici à 2027. Enfin, les mesures de revalorisation salariale lancées en 2023 connaîtront leur première année pleine en 2024.

Les crédits consacrés à l’accès au droit et à l’aide aux victimes augmentent de 2,8 % par rapport à l’année dernière, avec un effort important en faveur du réseau judiciaire de proximité, qui bénéficie pour sa part d’une hausse de près de 10 %. L’objectif est d’offrir un maillage territorial plus fin, en créant notamment de nouvelles permanences pour les maisons de la justice et du droit. L’aide aux victimes est également renforcée afin de soutenir le réseau d’associations locales qui accompagnent juridiquement, socialement et psychologiquement les victimes.

Notre collègue Sarah Tanzilli a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport à l’immobilier judiciaire et à la numérisation de l’institution judiciaire.

S’il peut sembler aride au premier abord, ce thème est pourtant essentiel : il serait en effet regrettable de recruter aussi massivement que nous le faisons pour que les personnes recrutées ne disposent ni des outils, ni des locaux adaptés à l’accomplissement de leurs missions. On note ainsi une augmentation de près de 35 % des crédits de paiement dévolus à l’immobilier judiciaire. Celui-ci est soumis à des contraintes d’ordre symbolique, des contraintes de volume et des contraintes d’ordre sécuritaire.

Les acteurs de la justice sont légitimement attachés à ce que nos tribunaux soient installés au cœur de la cité et incarnent la solennité de leur mission. Toutefois, cela peut entraîner des tensions entre geste architectural et besoins du personnel. Les conditions de travail doivent impérativement être prises en compte lors de la mise en chantier des bâtiments.

Un autre défi est celui de l’arrivée des nouvelles recrues, qui aura un fort impact sur les besoins en surfaces disponibles au sein des juridictions, dont certaines sont déjà exsangues. Plusieurs leviers sont utilisés : la densification des espaces existants, le partage de bureaux, ou encore la réserve foncière ou immobilière. Malgré cela, des prises à bail sont inévitables, au moins temporairement, pour trouver de la place à chacun. La rapporteure pour avis souligne la nécessité de prendre en compte le principe de mutabilité des services publics, afin de ne pas s’engager dans des opérations immobilières majeures qui deviendraient un fardeau sur le très long terme, si elles s’avèrent inadaptées aux changements de la justice au cours des prochaines décennies.

La gouvernance de l’immobilier judiciaire est complexe et peu lisible pour les acteurs de terrain. Les premiers pas vers une déconcentration de la décision au niveau local sont donc bienvenus.

Enfin, les enjeux de sécurité au sein des juridictions ont entraîné le renforcement des contrôles, la multiplication des badges d’accès et la séparation stricte entre locaux professionnels et lieux accessibles au public, ce qui a pu créer une forme de frustration chez les auxiliaires de justice, notamment les avocats, qui ont parfois du mal à accéder aux bureaux de leurs interlocuteurs. Les besoins des justiciables, en particulier des victimes, doivent également être pris en compte dans la gestion de l’immobilier judiciaire. La fédération France Victimes a notamment regretté que les bureaux d’aide aux victimes ne disposent pas de locaux dans chaque juridiction, et que victimes et accusés puissent souvent se croiser dans les espaces communs.

La rapporteure pour avis souhaite enfin nous alerter sur le besoin d’une salle dite « des grands procès », puisque celle qui a été construite à l’occasion du procès des attentats du 13 novembre ne pourra pas être conservée plus d’une année. Les procès en appel des attentats et les contentieux de masse qui risquent de se multiplier à l’avenir renforcent ce besoin. Une grande salle d’audience, qui a également une portée symbolique forte, doit donc être pérennisée.

S’agissant de la numérisation de la justice, il convient de souligner que le premier plan de transformation numérique a porté ses fruits en accordant au personnel des outils physiques adaptés à ses besoins.

L’effort du second plan de transformation portera principalement sur le développement et le renforcement des applicatifs métiers. En la matière, il y a, n’ayons pas peur des mots, une vraie souffrance du personnel face à des logiciels peu fiables, sous-dimensionnés et parfois peu ergonomiques. Il est urgent d’assurer aux professionnels de bonnes conditions de travail. C’est aussi une question de bonne gestion des deniers publics : il serait dommage de recruter des gens pour qu’ils dépensent leur énergie et leur temps de travail à trouver des solutions pour contourner des outils numériques inadaptés. Il pourrait être utile à l’avenir de s’appuyer sur des applicatifs peut-être moins ambitieux, mais plus fiables dans leur utilisation. En outre, une consultation approfondie des utilisateurs finaux de ces logiciels, durant leur conception et tout au long de leur utilisation, serait bénéfique. La rapporteure pour avis salue par ailleurs l’internalisation partielle des capacités numériques, avec des recrutements de personnels techniques pour accompagner les juridictions dans le déploiement et l’entretien des nouveaux outils.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Je ne reviendrai pas sur l’évolution des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. M. le garde des sceaux les a présentés, et il paraît difficile de contester les efforts qui sont consentis de manière pérenne en faveur de ces deux administrations.

S’agissant des crédits de l’administration pénitentiaire, je voudrais toutefois attirer votre attention sur deux points, et d’abord sur la situation des surveillants. Depuis 2017, en parallèle des avancées budgétaires, nous avons œuvré à la revalorisation en profondeur du statut et du métier de surveillant pénitentiaire. Rappelons, par exemple, la signature en 2021, par le garde des sceaux, de la charte du surveillant acteur. Loin du modèle du « porte-clefs », qui a trop longtemps prévalu, nous avons ainsi diversifié les missions du surveillant pour reconnaître concrètement son rôle d’acteur incontournable d’une détention sécurisée. Des efforts indemnitaires ont également été réalisés, avec l’augmentation progressive de la rémunération des jeunes agents débutant dans la profession. Et je me réjouis de voir cette année le projet de loi de finances traduire une nouvelle étape de cette revalorisation : en 2024, les surveillants connaîtront une réforme majeure, puisqu’ils passeront de la catégorie C à la catégorie B. Il s’agit là d’une réforme historique, dont nous devons saluer l’importance et la pertinence.

En second lieu, je voudrais profiter de cette discussion budgétaire pour rappeler l’avancement du plan « 15 000 » et dissiper les doutes que certains se plaisent à faire naître. L’année 2023 a été une année tournant pour la réalisation de ce plan : sur les cinquante et un établissements programmés, onze ont ouvert cette année. Au cours de ce seul mois d’octobre, ce sont 1 000 places nettes qui sont sorties de terre. Dans l’histoire de notre administration pénitentiaire, c’est tout simplement le mois où l’on a créé le plus de places de prison.

Ces livraisons nous permettront d’atteindre à la fin de l’année le premier tiers du plan « 15 000 ». Ce résultat me paraît plus qu’honorable, d’autant plus qu’il aura été atteint malgré la crise du Covid, malgré les difficultés du secteur de la construction et malgré les réticences encouragées localement par certains élus – qui sont aussi les premiers à dénoncer le laxisme de la justice. Mais le chemin ne s’arrête pas là, puisque trente-six opérations sont encore prévues dans le cadre de ce plan : quatorze sont en cours ; cinq sont entrées en phase d’études de conception ; quatre sont actuellement soumises aux appels d’offres en vue du choix du constructeur ; treize, enfin, sont au stade d’études préalables.

Normalement, à la fin de l’année prochaine, près de la moitié des établissements auront été livrés, ce dont nous pouvons nous réjouir. En effet, au-delà du débat sur l’accroissement de nos capacités d’emprisonnement – sur lequel nos positions peuvent diverger –, nous devons tous nous retrouver sur une réalité : la construction de nouvelles prisons permettra d’améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées et les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Ce double objectif doit rester notre boussole.

C’est d’ailleurs une boussole qui oriente une autre dépense largement revalorisée au fil des différentes lois de finances : le montant consacré à la maintenance et à la rénovation des établissements existants. L’entretien du parc pénitentiaire représente en effet un défi logistique et budgétaire qui a été sous-évalué par les majorités précédentes et que nous nous sommes appliqué à relever. Ce budget a été doublé et permet de conduire d’importants chantiers d’entretien, voire de réhabilitation complète, lorsque cela s’avère nécessaire, comme ce sera par exemple le cas à Fresnes dans les prochaines années.

J’en viens à présent à la seconde partie de mon rapport, que j’ai choisi de consacrer cette année à la santé mentale des personnes détenues.

Depuis plusieurs années déjà, les auditions, déplacements et autres contacts que j’ai pu avoir avec le monde pénitentiaire m’ont amené à constater que l’état de santé mentale et les modalités de prise en charge psychiatrique des personnes détenues constituaient un sujet de préoccupation pour les acteurs de terrain.

Publiée en début d’année, une étude épidémiologique nationale sur la santé mentale en sortie de prison est venue confirmer ces constats empiriques : les deux tiers des hommes détenus en maison d’arrêt et les trois quarts des femmes présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou une addiction à une substance. La prévalence des troubles psychiatriques est ainsi bien plus importante que dans la population générale : c’est un constat qui doit nous faire réfléchir.

L’année 2024 devant marquer le lancement de la deuxième phase de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), il m’a donc semblé pertinent de faire le point sur les prises en charge proposées pour les personnes détenues. Ce sujet est évidemment trop vaste pour être entièrement traité dans une moitié de rapport budgétaire pour avis, mais je pense que ce point d’étape sera utile et permettra à notre commission de se pencher sur ce sujet. D’ailleurs, dès 2017, sous l’impulsion de la présidente Yaël Braun-Pivet et de notre collègue Stéphane Mazars, la commission des lois avait constitué un groupe de travail sur la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques et formulé plusieurs recommandations. Ce sujet mérite que nous continuions d’y être particulièrement attentifs et je voudrais profiter de votre présence parmi nous, monsieur le ministre, pour vous interroger sur deux points.

Au cours de mes déplacements, j’ai été alerté à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées pour réaliser des extractions sanitaires. Elles sont de deux ordres. D’une part, les équipes étant souvent débordées, elles ne peuvent pas toujours procéder aux extractions nécessaires pour que des détenus se rendent à leur rendez-vous médical : cela conduit à l’annulation de nombreux rendez-vous et nuit au suivi sanitaire et psychiatrique. D’autre part, ce sont les équipes pénitentiaires des UHSA qui sont chargées d’aller chercher les détenus devant être hospitalisés ; or, les distances sont parfois trop grandes entre l’établissement et l’UHSA, ce qui limite les possibilités d’extraction et nuit à la prise en charge des détenus incarcérés dans les établissements les plus éloignés géographiquement. Pouvez-vous nous préciser ce qui est fait pour contourner ces difficultés ?

Je ne serai pas plus long et m’en tiendrai à la question des UHSA : le lancement de la seconde tranche, longtemps attendu, doit enfin être enclenché l’année prochaine. Même si cela ne relève pas entièrement de l’administration pénitentiaire, puisqu’il s’agit de structures hospitalières, pouvez-vous nous préciser ce qui sera fait en 2024 dans ce domaine ?

M. le président Sacha Houlié. Vous avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, que nous avons inauguré ensemble la nouvelle aile du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, qui correspondait à la millième place nette de prison ouverte cette année. Vous avez également indiqué que vous ouvririez prochainement deux autres établissements. Combien de places aurez-vous ouvert, au total, au cours de la seule année 2023 ? Vous avez dit que certaines collectivités s’opposaient à la construction de ces prisons et bloquaient donc, de fait, l’exécution du plan « 15 000 ». Pouvez-vous nous faire connaître l’identité de ces collectivités ?

Vous avez trouvé un accord avec les greffiers au sujet de leur revalorisation salariale, dont vous avez dit qu’elle précéderait une réforme profonde : pouvez-vous nous en dire davantage ?

Dans le cadre du suivi budgétaire, enfin, nous portons une attention particulière à l’accélération des procédures, aussi bien civiles que pénales. J’aimerais savoir si les magistrats reçoivent une formation, initiale ou continue, aux deux nouvelles procédures civiles que vous avez introduites cet été par la voie réglementaire, à savoir la césure et l’amiable.

Nous en venons aux questions des orateurs des groupes

Mme Caroline Abadie (RE). Le budget de la justice connaîtra en 2024, dans la continuité des années précédentes, une hausse massive, qui s’établit à 5,3 %. Cette trajectoire historique répond à la nécessité de moderniser notre service public de la justice. Sur le plan numérique, d’abord, l’investissement continuera de progresser pour rendre la justice plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente, avec un objectif zéro papier à l’horizon 2027. Sur le plan immobilier, ensuite, l’année 2024 verra la poursuite et le lancement de nombreux chantiers. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que le tribunal de Vienne était concerné par ce plan de rénovation, et je peux vous certifier qu’il en avait besoin.

Sur le plan humain, nous donnons enfin au ministère les moyens de recruter massivement des magistrats, des greffiers, des juristes assistants et des surveillants pénitentiaires ; d’importantes revalorisations salariales et catégorielles seront associées à ces recrutements. Nous savons combien il vous importe de reconnaître à sa juste valeur la mission centrale des greffiers et nous aimerions avoir des détails sur les négociations que vous avez eues avec eux.

S’agissant de la justice pénale des mineurs, le bilan est déjà plus que positif. Pour mémoire, les délais de jugement sont désormais de huit mois et l’indemnisation des victimes intervient en moins de trois mois, contre dix-huit auparavant. Nous poursuivons nos efforts et 8 millions d’euros supplémentaires alimenteront ce programme, qui vise notamment à mettre en œuvre trois plans d’action structurants sur le milieu ouvert. Pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser les contours et les finalités de ces trois plans d’action ?

Ce budget consacre 2 millions d’euros supplémentaires à l’aide aux victimes d’infractions pénales. Pouvez-vous nous dire comment les pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, que nous avons créés dans la loi d’orientation et de programmation de la justice (LOPJ), vont être déployés dans nos juridictions ? En matière pénitentiaire, nous nous réjouissons que des moyens accrus nous permettent de poursuivre le plan « 15 000 », qui est absolument nécessaire pour réduire la surpopulation carcérale. Comme M. le président, j’ai noté des réticences de la part d’élus locaux, notamment en Île-de-France, où les besoins sont pourtant très importants. À Noiseau, dans le Val-de-Marne, la région a tenté de faire obstruction à la construction de places de prison. Cela risque de condamner d’avance le projet de créer 3 000 places supplémentaires. Comment faites-vous face à ces obstacles ? Cela retarde-t-il la livraison des établissements pénitentiaires ?

Grâce à ce budget, les métiers pénitentiaires seront également revalorisés. Pouvez-vous dire un mot des directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, que nous n’avons pas oubliés dans la LOPJ ? Parce que la réinsertion doit toujours être notre objectif, je voulais évoquer les dix structures de contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP), qui luttent efficacement contre les violences conjugales et que nous continuons de financer à hauteur de 2,5 millions d’euros, pour 165 places. Il existe, en parallèle, trente centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales (CPCA), dont j’avais moi-même demandé la création lors du Grenelle des violences conjugales. Ces deux structures ont pour point commun des taux de récidive très faibles. Les CJPP dépendent de votre ministère et les CPCA du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Comment pouvons-nous articuler ces deux dispositifs ? Ma conviction est qu’il faudrait les rassembler pour garantir leur financement pérenne.

M. Philippe Schreck (RN). Ce budget est sans surprise, puisqu’il prolonge la discussion et le vote de la loi d’orientation et de programmation de la justice, où presque tout a été dit de la trajectoire budgétaire du ministère. Il aurait été pour le moins étonnant que le budget diffère de ce qui a été voté il y a quelques semaines. L’exercice auquel nous nous prêtons paraît d’autant plus vain que nous savons comment tout cela va se terminer en séance, avec un recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.

La hausse des crédits de la justice est toujours une bonne chose, tant nous partons de loin, mais il n’y a pas lieu de se glorifier d’une hausse de 5,3 %, sachant que l’inflation a atteint 5,8 % en 2023 et qu’elle sera au moins de 3,3 % en 2024. Compte tenu de ces réalités macroéconomiques, le budget de la justice, qui est sensible à la hausse des prix, notamment pour son volet immobilier, est un budget qui court après l’inflation.

L’augmentation des crédits est en grande partie consacrée à la hausse du traitement des magistrats. En l’alignant sur celui des juges administratifs, vous espérez convaincre ces derniers de rejoindre la justice judiciaire, qui peine à recruter. Si l’idée est acceptable, voire bonne, il n’est pas certain qu’elle soit couronnée de succès, compte tenu du manque d’attractivité des métiers de la justice. De ces difficultés témoignent les sous-exécutions budgétaires constatées au titre de l’année 2022. Du reste, cette hausse des rémunérations ne représente pas en elle-même une augmentation des moyens donnés à la justice car, même si les magistrats sont mieux payés, ce dont on peut se réjouir, leur rendement quantitatif et qualitatif ne va pas changer et les stocks vont demeurer.

Les greffiers, acteurs indispensables de la coproduction judiciaire, sont laissés sur le bord de la route avec leur faible rémunération ; près de 100 millions lissés sur l’année sont prévus pour l’augmentation du traitement des juges, et c’est neuf fois moins pour les greffiers. À ce rythme, il sera difficile d’atteindre les 1 800 nouveaux postes de greffe imaginés par la loi de programmation. Or, à quoi serviront les 1 500 juges supplémentaires, s’ils ne sont pas accompagnés de 1 800 greffiers supplémentaires ? Bien entendu, nous approuvons la poursuite du plan de création de 15 000, voire 18 000 places de prison, puisqu’il est essentiel d’assurer des conditions de détention dignes et d’adapter l’outil pénitentiaire à la progression des chiffres de la délinquance. La réalisation de ce plan est aussi un moyen concret d’échapper à la régulation carcérale qui, pour nous, est une lubie de ceux qui refusent de voir l’état du pays et veulent institutionnaliser les opérations portes ouvertes de nos prisons.

Cependant, ce plan a connu des difficultés de mise en œuvre : il aurait dû être achevé en 2022, et les places inaugurées récemment résultent parfois de projets lancés auparavant. Ce plan ne sera efficient que s’il est accompagné de recrutements massifs au sein de l’administration pénitentiaire, qui souffre, elle aussi, d’un déficit d’attractivité. Nous serons donc attentifs au sort des amendements visant à améliorer la situation indiciaire des agents et de ceux qui permettent de renforcer la sécurité active et passive des prisons.

Enfin, nous considérons que les crédits du programme Accès au droit et à la justice sont insuffisants, notamment ceux consacrés à l’aide juridictionnelle, qui n’augmentent que de 2,5 %, soit deux fois moins que le budget de la justice. On peut donc, à ce niveau, parler de recul. Notre justice demeurera, dans le cadre de l’exercice à venir, celle de la lenteur et de l’engorgement : embolisation des parquets, surcharge des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), délais anormalement longs en appel, conseils de prud’hommes encore traumatisés par l’effet de réformes précédentes... La liste n’est malheureusement pas exhaustive.

M. le président Sacha Houlié. Les crédits de la mission Justice ont été examinés et votés l’année dernière en commission. Il ne tient qu’à vous qu’ils le soient aussi en séance publique. Par ailleurs, une centaine d’amendements ont été déposés sur la mission Justice, ce qui est un record absolu. Si l’examen de ces amendements était vain, je pense qu’il n’y en aurait pas autant.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Il convient de rappeler le contexte dans lequel la justice est rendue en France et de saisir les enjeux d’un tel budget face au déficit humain, matériel et financier dont souffre le ministère de la justice. Chacun des programmes du budget de la justice dont vous êtes chargé répond chaque année à la même logique : une politique obsédée par le tout-sécuritaire et le tout-carcéral.

Vous vous félicitez d’une hausse de 503 millions d’euros mais, si l’on tient compte de l’inflation, elle n’excède pas 220 millions. Elle est donc dérisoire et se concentre sur l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, l’hypertrophie d’une cour d’assistants autour du magistrat, l’élargissement de techniques d’enquête toujours plus intrusives, pour des échelles de peines toujours plus contraintes. C’est donc une politique répressive que vous déployez, cette année encore.

Dans le programme Justice judiciaire, vous privilégiez comme toujours la justice pénale par rapport à la justice civile, avec 238 millions supplémentaires pour la première. Vous créez principalement des postes d’assistants, plutôt que des postes de magistrats ou de greffiers, qui sont pourtant indispensables à la réduction des délais de traitement des instances. Vous développez des procédures à l’amiable, qui conduisent à une déjudiciarisation du contentieux civil, et vous procédez à une refonte de la justice commerciale qui nourrira immanquablement les conflits d’intérêts. Le programme Administration pénitentiaire est, cette année encore, celui qui bénéficie des crédits les plus élevés : ils sont sept fois supérieurs à ceux du programme Accès au droit et à la justice. Vous projetez la livraison de quatre établissements pénitentiaires pour 2024, équivalant à 570 places de prison.

Pourquoi persistez-vous dans cette politique carcérale, qui ne répond qu’à votre fantasme d’enfermer toujours plus et toujours plus longtemps ? Une once de bon sens et d’honnêteté intellectuelle devrait suffire à vous faire admettre que construire davantage de places de prison ne mène qu’à une chose : les remplir sans faire baisser notre taux de surpopulation qui, comme l’a pointé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), est le plus élevé d’Europe. Comment expliquer cette obsession, monsieur le ministre, si ce n’est par une idéologie sécuritaire, dont le but n’est pas de remédier à cette surpopulation mortifère, dont vous ne semblez que peu vous émouvoir, mais seulement de mener à bien un projet de société du tout-répressif ?

Dans son dernier rapport d’activité, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dresse un constat sans équivoque sur la nécessité d’un mécanisme de régulation carcérale – un constat que partage La France insoumise. Les solutions ne manquent pas ; ce qui manque, en revanche, c’est une volonté politique.

Dans le programme Protection judiciaire de la jeunesse, de même, une partie des crédits est orientée vers la réalisation d’opérations immobilières d’ampleur, avec la construction de centres éducatifs fermés (CEF). Ce recours aux CEF n’est qu’une preuve supplémentaire de votre incapacité à mener une politique d’accompagnement, à laquelle vous préférez la répression et l’enfermement des mineurs. En fermant ces centres et en récupérant une partie de leur coût de construction et de fonctionnement, on pourrait financer des mesures préventives.

Les crédits du programme Accès au droit et à la justice ne sont pas plus glorieux, puisque leur augmentation est dérisoire et ne permet pas la valorisation de l’aide juridictionnelle, ni de l’aide aux victimes d’infractions pénales. Il est urgent de mettre fin à cette précarisation de notre service public de la justice, garant principal de nos droits et libertés. Il faut des moyens financiers et humains importants, afin de procéder au recrutement massif de nouveaux fonctionnaires, mais aussi à un changement de paradigme en matière d’échelle des peines et de sens de la peine. Votre politique du tout-sécuritaire, qui fait de la privation de liberté un principe, ne doit plus guider les politiques publiques de la justice.

M. Xavier Breton (LR). Nous sommes face à un budget en trompe-l’œil : selon le point de vue que l’on adopte, on ne voit pas la même chose. Il est vrai que les crédits de la mission Justice augmentent de plus de 5 % en crédits de paiement mais, dans la mesure où l’inflation est au même niveau, il s’agit plutôt, en réalité, d’une stagnation.

S’agissant de la répartition des efforts, nous prenons acte d’un nombre important de créations de postes dans les services judiciaires et l’administration pénitentiaire, mais il faudra examiner la part des titulaires et des contractuels. Les crédits alloués aux investissements immobiliers s’élèveront à 518 millions d’euros en 2024, soit une baisse de 132 millions par rapport à l’année dernière. En 2017, lorsqu’il était candidat, Emmanuel Macron s’était engagé à construire 15 000 nouvelles places de prison au cours de son mandat. Cet objectif a été ramené à 7 000, puis à 4 500. Dans les faits, seules 2 500 places supplémentaires ont été construites depuis 2017, si bien que la surpopulation carcérale ne baisse pas : à la fin de l’année 2022, nous avons même atteint le nombre record de 73 000 détenus. Nous avions fait inscrire, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, 3 000 places de prison supplémentaires, si bien qu’on ne devrait plus parler du plan « 15 000 », mais du plan « 18 000 ». Mais on voit bien que les annonces tonitruantes qui ont été faites ne seront pas suivies d’effets.

Certains secteurs sont en souffrance. La Cour des comptes vient de s’alarmer du manque d’encadrement de l’aide juridictionnelle. De même, la hausse des crédits alloués aux associations d’aide aux victimes, qui s’élève à 4 %, est inférieure à l’inflation. La Cour des comptes appelle également à une évaluation des centres éducatifs fermés. Enfin, chacun sait que les systèmes informatiques de nos tribunaux sont défaillants, ce qui nuit au traitement des affaires.

J’évoquerai enfin le mouvement historique de protestation des greffiers, du fait de promesses non tenues. Il y a eu des négociations, mais les chiffres que vous avancez, monsieur le garde des sceaux, ne sont pas ceux qui me sont rapportés sur le terrain : vous parlez d’augmentations de 300 euros par mois mais, dans les faits, elles dépassent rarement 100 euros. Vous dites que 3 200 des 11 000 greffiers passeront en catégorie A : sur quels critères seront-ils choisis ? Il importe de montrer à nos greffiers que nous avons conscience de leur importance dans l’organisation judiciaire.

M. Erwan Balanant (Dem). « La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations. » Ces mots d’Émile Zola illustrent à eux seuls le mouvement amorcé depuis 2017 par le Gouvernement pour donner à la justice les moyens de son ambition.

Avec une augmentation de 503 millions par rapport à 2023 – soit 5,3 % –, le budget de la justice atteint un niveau sans précédent – et l’on sent bien une certaine gêne chez nos collègues de l’opposition. Le budget annuel de la justice est passé de 6,9 milliards d’euros en 2017 à 10,1 milliards en 2024. En tant que rapporteur de la loi d’orientation et de programmation de la justice, je me réjouis que son adoption le 10 septembre ait permis de pérenniser des hausses de moyens.

Notre objectif est que le budget de la justice atteigne 11 milliards d’ici 2027, ce qui représentera une hausse de 60 % sur l’ensemble des deux quinquennats. Pour reprendre vos mots, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi de finances va renforcer notre justice en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens. Il annonce, je l’espère, la fin du délabrement avancé de la justice, dénoncé par les États généraux de la justice et par l’ancien garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas. Il marque en tout cas la fin de plus de trente ans d’abandon budgétaire pour la justice.

Il importe de rapprocher la justice de nos concitoyens. Tous doivent connaître leurs droits et pouvoir les défendre. Le groupe Démocrate se félicite donc que le budget du programme Accès au droit et à la justice s’élève à 734, 2 millions d’euros pour 2024 et qu’il se traduise notamment par une augmentation de 16,1 millions du budget consacré à l’aide juridictionnelle, pour un montant total de 657,1 millions. En parallèle, l’accélération du rythme des recrutements, avec la création de 327 postes de magistrats, 340 postes de greffiers et 400 postes d’attachés de justice en 2024 contribuera à cette proximité et à la qualité de la justice rendue.

Parce que la connaissance de ses droits par tout un chacun – et l’accès à ceux-ci –doit commencer dès le plus jeune âge, nous devons aussi tourner notre politique judiciaire vers nos enfants. Nous devons donner les moyens à la justice des mineurs et à la protection de l’enfance d’être au rendez-vous et d’accompagner au mieux ces enfants. Le rapport d’évaluation qui vient d’être remis au Parlement montre que le code de la justice pénale des mineurs est un succès. Dans le cadre d’intervention des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, il faut désormais offrir une prise en charge et des réponses judiciaires adaptées. Nous ne devons pas, sur ce sujet, relâcher nos efforts. Les crédits du programme Protection judiciaire de la jeunesse augmentent de 28 millions et atteignent 950 millions d’euros pour 2024, ce qui constitue une nouvelle étape majeure.

Le groupe Démocrate salue le budget alloué à la justice pour 2024. Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, je n’ai pas vraiment de question, puisque la loi de programmation trouve ses réponses dans ce budget. Je ferai seulement une petite remarque à nos collègues du groupe La France insoumise : je ne trouve pas très correct de dire des contre-vérités, puis de les extraire de nos débats pour en faire de belles petites vignettes pour votre propagande sur internet.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous avons évidemment commencé par vérifier si la loi de programmation se concrétisait dans ce budget. Vous avez, fort heureusement, été au rendez-vous ; sinon la situation n’aurait pas été simple. Je rappelle, à cet égard, qu’à la suite d’un amendement déposé par notre groupe, un rapport sur les créations d’emploi et la consommation des crédits doit désormais être remis au Parlement chaque année, avant le 30 avril.

S’agissant des greffiers, monsieur le garde des sceaux, vous avez dit qu’un accord était intervenu. J’appelle votre attention sur le fait que la catégorie A ne recouvre pas la même réalité au ministère de la justice que dans d’autres administrations. Nous devons corriger les inégalités en la matière. Je n’ai pas le sentiment que ce soit un budget historique pour les greffiers, mais vous nous en direz peut-être davantage à ce sujet.

Vous prévoyez de recruter 2 800 magistrats d’ici à 2027, c’est-à-dire 700 par an. C’est énorme, mais tout à fait nécessaire et nous saluons le budget prévu. Il faudra concrétiser ces recrutements, ce qui ne sera pas simple. Les promotions à l’ENM, qui sont actuellement de 380 élèves, en compteront peut-être 500 demain. Comment comptez-vous faire pour assurer, grâce à l’ouverture de la magistrature, les recrutements nécessaires ?

Les crédits de l’AJ augmentent de 22 millions. La Cour des comptes a évoqué, dans ses observations, un manque de pilotage. Nous vous proposons une expérimentation qui permettra aux enfants de l’ASE (aide sociale à l’enfance), qui n’ont personne pour les aider, de bénéficier de l’assistance systématique d’un avocat. Ce ne sera pas contre le juge, mais pour l’aider à prendre des décisions qui peuvent être extrêmement douloureuses. Nous le voyons, car nous sommes régulièrement saisis de situations dans lesquelles nous ne pouvons malheureusement pas agir.

La Cour des comptes a fait un procès aux CEF. Je considère, pour ma part, que c’est un dispositif utile et important. Vous le reconnaissez vous-même, puisque vous en créez vingt de plus. Je souhaiterais savoir où on en est dans ce domaine, ainsi que pour les prisons. Une commune de mon département concernée par la création d’un CEF devait céder un terrain pour 1 euro symbolique, mais elle ne souhaite pas s’engager dans cette voie. Je crois qu’il serait utile que vous nous éclairiez sur les modalités de financement des CEF et les efforts demandés aux communes.

La Cour des comptes a dénoncé, dans un rapport, la tension persistante entre l’évolution de la population carcérale et la politique d’exécution des peines, qui conduit à s’interroger. En effet, les courtes peines ont diminué de 23 %, les détentions provisoires ont augmenté de 30 %, et la durée d’incarcération de 24 %, peut-être en raison d’un effet de bord. La Cour des comptes a recommandé de compléter le dispositif statistique pour suivre l’évolution respective des personnes bénéficiant d’un aménagement de peine et de celles effectivement incarcérées. Cela me paraît tout à fait utile pour lutter contre l’idée, régulièrement agitée à droite, selon laquelle l’enfermement est un bienfait.

M. Philippe Pradal (HOR). La mission Justice s’inscrira en 2024 dans l’ambitieuse lignée qui a été tracée par la loi de programmation et d’orientation de la justice, définitivement adoptée par le Parlement au début du mois. Ce texte a permis de concrétiser les conclusions des États généraux de la justice, lancés en 2021, et d’entériner les réformes structurelles prévues par la précédente loi de programmation.

C’est avec constance, en concertation avec les acteurs concernés et en cohérence avec des budgets en augmentation, que nous travaillons à transformer la justice pour la rendre plus efficace et plus accessible à tous les Français. La loi que nous venons d’adopter a ainsi fixé une trajectoire pluriannuelle pour le budget de la justice d’ici à 2027. D’un montant de 9,6 milliards d’euros en 2023, ce budget sera porté à 10,8 milliards dans quatre ans, ce qui portera la hausse durant ce quinquennat à 21 %.

En 2024, conformément aux engagements pris, les autorisations d’engagement augmenteront de 13,72 %, et les crédits de paiement de 5,1 %. Nous tenons à saluer tout particulièrement le renforcement des moyens humains : 10 000 emplois doivent être créés en cinq ans. Parmi les 1 961 emplois créés en 2024, 1 307 concerneront les services judiciaires – les magistrats et les équipes autour d’eux –, 450 l’administration pénitentiaire, notamment pour l’ouverture de nouveaux établissements, et 92 la protection judiciaire de la jeunesse. Ces créations d’emplois s’ajouteront aux 605 postes supplémentaires de 2023.

Nous saluons également l’amélioration des conditions de détention, dans le cadre d’un programme immobilier qui prévoit la création de 15 000 places de prison à l’horizon 2027. La livraison de quatre nouveaux établissements, représentant en tout 570 places, est prévue en 2024, et trente-six autres opérations restent à compléter. À l’heure où le travail dans les établissements pénitentiaires souffre cruellement d’un manque d’attractivité, nous soutenons les budgets consacrés à la revalorisation statutaire et indemnitaire de la filière de la surveillance, qui se traduira par le passage des surveillants de la catégorie C à la catégorie B et des officiers de la catégorie B à la catégorie A. Nous saluons également les moyens consacrés à la réduction des délais de traitement des affaires judiciaires, qui se sont améliorés ces dernières années.

En ce qui concerne le déploiement des nouvelles places de prison, pouvez-vous faire le point sur ce qui est attendu en 2024 ? Comment les élus locaux accueillent-ils les projets d’implantation, si nécessaires, de nouveaux établissements pénitentiaires ?

S’agissant de la transformation numérique, je sais votre engagement en faveur de l’objectif zéro papier en 2027. Cependant, il faut reconnaître que les efforts doivent être poursuivis, notamment pour améliorer le quotidien des agents. Pouvez-vous nous indiquer quelles améliorations durables peuvent être attendues en 2024 ? Est-il envisagé d’utiliser l’intelligence artificielle dans le cadre des missions relevant du ministère de la justice, par exemple pour procéder à la recodification du code de procédure pénale ?

Le groupe Horizons et apparentés s’honorera de voter en faveur de cette mission budgétaire.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Monsieur le garde des sceaux, je vous poserai quelques questions en attendant le recours au 49.3, qui ne nous donnera probablement pas le loisir de voter sur ces crédits.

Tout le monde a salué l’effort budgétaire. Rappelons tout de même le point de départ : nous avons 9 000 magistrats, alors qu’il en faudrait 22 000 pour tendre vers les standards européens. Idem pour les greffiers : nous en avons 34 pour 100 000 habitants, alors qu’il en faudrait 61 pour être dans la moyenne européenne. Notre justice de l’urgence n’écoute pas, mais chronomètre tout, ce qui conduit à une perte de sens pour les magistrats et l’ensemble des agents de la justice. Je ne suis pas certain que ce budget et la répartition des crédits que vous prévoyez permettront de régler la question.

Le taux d’occupation des prisons est de 120 % – et de 143 % pour les maisons d’arrêt. C’est, parmi les 47 pays du Conseil de l’Europe, le cinquième plus mauvais taux – et je passe sur les condamnations de la France. Notre administration pénitentiaire est délabrée. Il en résulte une forme de maltraitance du personnel, des justiciables et des détenus. Il faut apporter des réponses, mais nous ne sommes pas certains que les crédits prévus permettront de le faire.

La défense des plus vulnérables, qui doit être une priorité, n’est pas forcément au rendez-vous. Les crédits de l’aide juridictionnelle, par exemple, ne tiennent même pas compte de l’inflation.

Vous comptez diviser par deux les délais de jugement mais, au vu du nombre de magistrats qui arrivent dans les tribunaux, rien ne permet de penser qu’on y arrivera. Vous annoncez 327 magistrats supplémentaires en 2024, ce qui est loin des besoins recensés.

Les premiers référentiels établis par le groupe d’étude sur la charge de travail des magistrats démontrent que ces derniers devraient être entre deux fois et quatre fois plus nombreux pour certaines fonctions, comme l’instruction. Mon groupe avait expressément demandé que ces référentiels, pilotés par la DSJ – direction des services judiciaires –, servent de base pour la construction du budget, mais il n’en a rien été. Pire, les éléments ne sont pas diffusés : ils sont dans l’attente d’un contrôle de cohérence. Quand ces référentiels seront-ils publiés et à quoi serviront-ils ? Seront-ils utilisés pour calculer le nombre de magistrats nécessaires, ou simplement pour gérer la pénurie ?

L’indigence des moyens humains et matériels empêche d’apporter une réponse satisfaisante dans certaines matières, pourtant jugées prioritaires si l’on en croit votre dernière circulaire de politique pénale. Je pourrais prendre l’exemple de la justice pénale environnementale, qui manque cruellement d’assistants spécialisés au sein des pôles régionaux : à moyens constants, la justice ne peut plus lutter efficacement contre les atteintes à l’environnement. Je pourrais aussi évoquer la lutte contre les violences intrafamiliales : vous en faites une politique pénale prioritaire, mais la justice fonctionne là aussi à moyens constants, et des outils prometteurs ne sont pas suffisamment mobilisés, en particulier le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP). Les dix structures qui existent offrent seulement 165 places. Pourquoi ne pas augmenter leur nombre ? Il faudrait le tripler.

Les moyens pour la rénovation du parc pénitentiaire sont en baisse. Ils sont dix fois moins élevés que ceux alloués à la construction de nouvelles places de prison. Pouvez-vous nous parler, en particulier, de l’établissement de Varces ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je remercie Éric Poulliat d’avoir donné l’alerte au sujet de la santé psychique des détenus. J’espère que les membres de la commission sauront se saisir de cette question pour que l’on passe aux actes. Il y a vraiment urgence en la matière.

Monsieur le garde des sceaux, souhaitez-vous que les 577 députés que nous sommes puissent voter ce budget de la justice ?

Je vous invite à plus de modestie quant aux qualificatifs concernant la LOPJ et ce budget, vu le délabrement de la justice. Je siégeais à la commission des affaires culturelles et de l’éducation durant la précédente législature. Le ministre Blanquer nous parlait aussi, à peu près tous les ans, de budget historique. Or on connaît l’état de l’école publique, l’attractivité du métier d’enseignant et le nombre de professeurs qui ne sont pas remplacés dans les écoles – cette situation est bien historique, en revanche.

Oui, des moyens supplémentaires sont prévus, mais encore faudrait-il qu’ils soient affectés au bon endroit et employés suivant une logique qui permette de remédier au délabrement de la justice. Je ne répéterai pas tout ce que mon groupe a dit à ce sujet lors de l’examen de la LOPJ. Les États généraux de la justice ont souligné que « c’est un sentiment de désespoir, voire de honte qui domine face au manque de moyens humains et matériels, d’appuis techniques efficaces et cohérents, face aussi aux réformes incessantes et à l’impossibilité de bien remplir sa mission, alors que les contentieux deviennent toujours plus complexes ».

Il faudrait s’atteler à une réorganisation globale de l’institution, à une réforme plus systémique, mais ce projet de loi de finances ne prévoit rien de tel, pas plus que les textes antérieurs. Nous appelons à sortir du tout-carcéral et à s’attaquer à la surpopulation galopante dans les prisons, qui se traduit par une prolifération de matelas à même le sol, conduit à une situation indigne pour les détenus et affecte considérablement le sens de la peine et les possibilités de réinsertion.

Si je ne me trompe pas, 512 surveillants supplémentaires sont prévus en 2024, dont la moitié pour les nouvelles places de prison. Quels sont les chiffres envisagés pour les années suivantes et quelle sera la ventilation entre les places actuelles et les nouvelles ? Surtout, avez-vous un objectif pour 2027 en ce qui concerne le taux d’encadrement ? Aux Pays-Bas, où je me suis rendue avec Mme Abadie, il y a environ un surveillant pour douze détenus. Cela peut paraître un idéal très lointain : actuellement, c’est plutôt la honte en France.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). On ne peut nier les efforts budgétaires importants qui sont prévus pour 2024, après avoir été inscrits dans la toute récente loi de programmation. Les crédits de paiement de la mission Justice seront ainsi en hausse de 5 %. Cette augmentation est bienvenue, mais il faut examiner plus globalement la politique judiciaire. Elle est problématique, de façon récurrente, sur certains points.

L’administration pénitentiaire demeure le programme le plus lourd financièrement pour le ministère de la justice, mais aussi le plus en souffrance. En dépit des 5 milliards d’euros qui lui sont consacrés, l’administration pénitentiaire doit sans cesse faire face aux mêmes difficultés – surpopulation carcérale quasi ingérable, manque d’attractivité des métiers, et donc manque criant d’effectifs, radicalisation en prison, particulièrement problématique, ou encore politique de l’insertion à redynamiser.

La politique de restauration de la justice menée lors de la précédente législature ne nous semble pas avoir conduit aux résultats souhaités. Notre groupe s’inquiète en particulier des conditions indignes de détention dans certains sites, qui ont déjà valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme. Le taux d’occupation des places dans les maisons d’arrêt a augmenté de dix points en un an, passant de 131 % à 141 %. En dépit des 15 000 nouvelles places annoncées, nous craignons qu’aucune perspective d’amélioration ne soit ouverte à court terme. Les retards et les difficultés en matière de construction semblent s’accumuler.

La situation est encore plus grave en outre-mer. Les deux sites de la Guadeloupe ont des taux d’occupation de plus de 135 %. À Mayotte, ce taux a dépassé 250 % à la prison de Majicavo. Le garde des sceaux que vous êtes s’était engagé l’année dernière à créer un nouveau centre à Mayotte. Pourriez-vous nous dire où en est ce projet ?

Les moyens allant aux juridictions judiciaires progressent, c’est vrai, et le plan de recrutement de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers a été lancé. Cependant, les juridictions, toutes zones confondues, ont toujours des délais de jugement élevés, notamment en matière civile. Le stock d’affaires accumulé depuis le Covid ne semble toujours pas résorbé, et nous courons désormais le risque d’une aggravation de la fracture territoriale quant au fonctionnement et à l’accès au service public de la justice. Si vous proposez des mesures pour les territoires connaissant des difficultés d’attractivité, certaines juridictions, notamment dans les outre-mer et en Corse, souffrent toujours d’un manque de personnel, qui ne sera pas résolu par des mesures temporaires : nous avons besoin d’effectifs durables.

À cet égard je rappelle les avis exprimés par les bâtonniers, notamment ceux de Corse : pour eux, il s’agit presque d’une régression, et l’Assemblée de Corse partage cette position. Tout porte à croire que les magistrats qui seront affectés temporairement resteront sur le continent : ils exerceront essentiellement par le biais de moyens de communication audiovisuelle. Dans la mesure où ils seront simplement détachés des cours d’appel de Paris ou d’Aix-en-Provence, il y a peu de chances qu’un déplacement en Corse pendant trois mois soit tout simplement possible, car les effectifs sont également comptés dans ces juridictions importantes et encombrées.

L’aide juridictionnelle devrait augmenter de 21 millions d’euros, mais la rétribution des avocats continue à poser question. Le Conseil national des barreaux demande que l’unité de valeur passe de 36 à 42,20 euros hors taxe. Nous souhaitons, par ailleurs, une adaptation du montant dans l’outre-mer et une réduction des délais de paiement – ils sont nettement plus élevés que dans l’Hexagone. À La Réunion, par exemple, ces délais s’élèvent à quatre mois, alors que l’objectif est de trente jours.

Je profite de l’examen de la mission Justice pour rappeler que nous appelons de nos vœux deux réformes, dont la première est une refonte du statut des repentis, pour rendre le dispositif plus incitatif et ainsi pouvoir mieux lutter contre les phénomènes mafieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur le texte qui serait en préparation ? Nous plaidons, par ailleurs, pour un renforcement des pouvoirs de l’Agrasc, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, afin d’améliorer la saisie et la gestion des biens et des sommes confisqués lors de procédures pénales. Jean-Luc Warsmann a déposé, pour notre groupe, une proposition de loi dont nous demandons, une fois encore, l’inscription à l’ordre du jour des prochaines semaines.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit en introduction que le défi n’était pas de savoir si nous allions recruter, mais de trouver des candidats. Si c’est le cas, envoyez-les à Béziers, s’il vous plaît. Il nous manque au moins un juge des enfants.

Lors des dialogues de gestion, la direction des services judiciaires a en effet confirmé qu’il manquait plusieurs magistrats du siège pour qu’il y ait une activité juridictionnelle convenable. Un risque de surcharge a ainsi été relevé : le nombre d’affaires civiles et pénales traitées par magistrat est de 1 316, contre 556 en moyenne dans les autres juridictions du groupe 3, soit un écart de plus de 100 %. Par ailleurs, l’annonce de la création d’un centre de rétention administrative de 120 places à Béziers, dont je réjouis, rend indispensable la création d’un troisième poste de juge des libertés et de la détention avant l’ouverture du nouveau centre.

Toujours à Béziers, la circulaire de localisation des emplois prévoit depuis 2021 9 postes de magistrats pour le parquet, mais le compte n’y est pas, un poste étant vacant à la suite d’un départ non remplacé. Lors des dialogues de gestion, la direction des services judiciaires a relevé que 2 964 affaires étaient traitées par magistrat du parquet à Béziers, soit 11 % de plus que la moyenne dans les autres juridictions du même groupe. L’activité du parquet de Béziers est en constante augmentation, comme en témoigne le nombre de défèrements, passé de 743 en 2020 à 909 en 2021 et à 1 027 en 2022.

Par ailleurs, alors que la circulaire de localisation des emplois prévoit 92 postes de greffe, toutes catégories confondues, le poste de directeur principal de greffe est vacant depuis le 1er décembre 2021, à la suite d’un départ à la retraite. L’intérim est assuré par une directrice des services de greffe, et il n’y a actuellement aucune candidature pour le poste vacant. Un poste de greffier est également à pourvoir.

Le centre pénitentiaire, quant à lui, attend toujours un système anti-projection. Il est vrai que celui-ci serait déjà un peu dépassé : le personnel doit faire face à des livraisons quotidiennes par drones, contre lesquels il ne dispose pas d’un système de brouillage. Nos besoins, vous le voyez, sont énormes.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Le budget de la justice ayant été voté l’année dernière, je ne sais pas pourquoi Mme Faucillon, M. Iordanoff et M. Schreck ont évoqué la question du 49.3 – c’était peut-être un accès de pessimisme ou de repentance. Je note, en effet, que certains ont voté pour la loi de programmation, par rapport à laquelle nous sommes dans les clous, mais n’ont pas été pas au rendez-vous – à tout pécheur miséricorde – lors de l’examen des précédents budgets, qui ont permis d’améliorer le fonctionnement de la justice. Des embauches de magistrats, de greffiers et de contractuels ont pu être faites – plus de 700 pour les magistrats. Durant le quinquennat de M. Hollande, le chiffre était nettement inférieur – on ne dépassait pas 150 magistrats – et durant la présidence de M. Sarkozy, il était même négatif, car on ne remplaçait pas ceux qui partaient à la retraite. Beaucoup de choses ont déjà été faites grâce à nos budgets. Vous souhaitez, s’agissant de celui-ci, qu’on aille jusqu’au bout, et je l’entends. Nous avons un objectif commun, qui est de donner à la justice des moyens dont elle a impérieusement besoin.

Monsieur Terlier, vous avez souligné à juste titre, me semble-t-il, la nécessité d’une corrélation entre les recrutements, l’immobilier et les moyens informatiques. Il faut une approche globale, et c’est bien la logique que nous suivons en vous présentant ce budget.

Monsieur Poulliat, la DAP s’organise pour que les extractions médicales puissent être réalisées. Il peut arriver, c’est vrai, que certaines consultations – à l’exception des urgences, bien sûr – soient reportées, mais je tiens à dire que plus de 50 000 extractions médicales sont réalisées chaque année et que ce chiffre a plus que doublé entre 2020 et 2023.

Par ailleurs, tout un travail autour de la médecine est en cours, afin de compléter l’offre de soins. Un projet de déploiement de la télésanté au sein des unités sanitaires en milieu pénitentiaire a été lancé en 2021, avec le concours de la direction générale de l’offre de soins. Ce projet, doté d’un financement d’environ 2,8 millions d’euros du Fonds pour la transformation de l’action publique, porte notamment sur la mise à niveau du câblage, la sécurité des systèmes d’information et la création d’un catalogue des spécialités médicales proposées. Cette solution viendra non pas remplacer, mais améliorer les prises en charge sanitaires.

Vous m’avez également interpellé sur les distances à parcourir. Les équipes pénitentiaires des UHSA ont la possibilité de programmer et d’anticiper les transferts. Ces derniers sont nécessairement réalisés, puisqu’il s’agit d’admissions en hospitalisation, pour une durée généralement supérieure à quarante-huit heures.

S’agissant de la seconde phase de construction, 160 places supplémentaires sont prévues dans trois nouvelles UHSA : à l’hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen – 60 places –, dans la commune de Béziers – 40 places – et à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois – 60 places.

Le dispositif du contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) a été mis en place à partir de la fin 2020, dans deux sites – à Nîmes et Colmar. J’ai décidé de l’étendre à huit autres sites – un par direction interrégionale, c’est-à-dire à Bordeaux, Tours, Amiens, Cayenne, Draguignan, Saint-Étienne, Paris et Rennes – afin d’assurer une réponse adaptée aux besoins de chaque ressort et un maillage cohérent dans l’ensemble du territoire. Il existe désormais 165 places de CJPP, pour 2,6 millions d’euros.

Monsieur le président, vous m’avez demandé si des blocages administratifs locaux persistaient. Ils sont essentiellement concentrés sur cinq projets, représentant 3 235 places : ceux de Noiseau – 800 places –, Magnanville – 700 places –, Crisenoy – 1 000 places –, Orléans – 120 places – et Muret – 615 places. On veut plus de places, mais ailleurs, ce qui constitue une difficulté.

Les retards – ce grief n’a pas été évoqué aujourd’hui, mais il est récurrent – sont de trois ordres. D’abord, il a fallu du temps pour trouver les terrains : ce n’est pas une promenade de santé – sans mauvais jeu de mots. Par ailleurs, il y a eu la Covid et maintenant la guerre en Ukraine, qui s’accompagne – c’est le troisième élément – de difficultés pour se fournir en matériaux de construction. Lorsque j’ai travaillé sur ces questions avec Éric Ciotti – j’ai été très heureux de le faire, car il était, je pense, d’une parfaite sincérité, tout comme je le suis –, j’ai souligné qu’il y avait tout de même une difficulté et que nous avions besoin d’un coup de main. La coconstruction ne vaut pas seulement pour les textes, mais aussi sur le terrain, pour faire sortir de terre des établissements pénitentiaires, en maniant la truelle et le ciment.

S’agissant des greffiers, la difficulté était que certains souhaitent rejoindre la catégorie A, tandis que d’autres ont des revendications plus indiciaires.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Vous n’avez qu’à satisfaire les deux…

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. C’est exactement ce que nous faisons dans le cadre de l’accord qui devrait être signé cette semaine.

Il faut rendre hommage – je le fais à mon tour – à nos greffiers. Nous avons besoin d’eux : il n’y a pas de justice sans greffiers. Ils appartiendront, je le redis, à l’équipe constituée autour du magistrat, avec des contractuels qui, cette fois, seront pérennisés, cédéisés – ils s’appelleront des attachés de justice et prêteront serment.

Le développement de l’amiable est une façon de recentrer le juge sur son cœur de métier, qui est de dire le droit et de trancher les litiges. C’est un mode de justice dans lequel le justiciable se réapproprie son affaire. Dans certains procès, il faut deux ou trois ans de mise en état et, parfois, on ne voit pas son juge. Si vous saviez le nombre de magistrats, d’avocats, de notaires et de commissaires de justice qui s’engagent en faveur de l’amiable…

Je rappelle que le top départ pour la nouvelle procédure a été fixé au 1er novembre. Le but est de rendre, dans l’intérêt de nos compatriotes, une justice plus proche et plus rapide. À l’étranger, ce mode de règlement des différends est désormais utilisé dans 70 à 80 % des cas. J’entends les critiques, mais il faut que l’expérience soit tentée, car elle a vraiment du sens pour le justiciable.

En 2023, onze établissements et 2 016 places ont été livrés, et nous aurons atteint 4 300 places d’ici à fin 2023 sur les 15 000 qui prévues à la fin du quinquennat.

Madame Abadie, après avoir beaucoup discuté avec les greffiers, nous devons signer dans les heures qui viennent avec les représentants de la profession. Des revalorisations sont intervenues et j’ai entendu des chiffres erronés, car il faut tenir compte des primes et des salaires ; or, pour les magistrats, il s’agit de primes. Nous espérons donc obtenir des accords très prochainement.

Vous m’avez interrogé sur la DPJJ, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour ce qui concerne le milieu ouvert, un travail doit être mené sur les modalités d’organisation des services touchés par la réforme du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) et une réflexion sera engagée sur les indicateurs qualitatifs d’activité et de performance, afin d’évaluer l’action des professionnels du milieu ouvert et d’allouer les ressources utiles à leurs missions. C’est en cours.

En matière de placement, l’objectif est évidemment d’améliorer l’offre de placement au pénal et de garantir un cadre sécurisé pour les mineurs placés et les professionnels. Ce plan d’action vise à une meilleure préparation des orientations de placement et un assouplissement du fonctionnement des structures d’hébergement, qui sera testé dès 2024.

En 2024, quatre nouveaux établissements pénitentiaires seront livrés respectivement à Toulon, Noisy-le-Grand, Colmar et Nîmes, et trois sites pénitentiaires achèveront leur première phase de travaux : Bordeaux, Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault.

Le décret relatif aux pôles spécialisés est en cours d’examen par le Conseil d’État, comme le sait Mme Chandler, en concertation avec tous les acteurs. Le principe est celui de la confiance dans les acteurs locaux, car le souhait d’une déconcentration a été très souvent exprimé durant les États généraux de la justice.

Madame Ménard, vous procédiez tout à l’heure, en direct et en exclusivité, à votre dialogue de gestion ; mais ces dialogues ont lieu désormais pour chaque cour d’appel, et ce sont les cours d’appel qui affecteront les magistrats, les greffiers et les contractuels qui leur seront envoyés, car elles savent mieux que nous les besoins du terrain – et c’était là une revendication des chefs de cour. Des moyens en hausse favoriseront la mise en œuvre de ces pôles.

Quant au dispositif du contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP), qui se distingue de la prise en charge offerte au sein des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA), il ne se substitue pas à ces centres, mais vise à en améliorer l’efficacité, en favorisant l’articulation des interventions judiciaires, sociales et sanitaires, dans un objectif de protection des victimes.

Le ministère de la justice ne finance ni ne cofinance les coûts liés aux hébergements, aux ressources des CPCA, aux prises en charge individuelles ou collectives. Le financement provient pour 70 % de la direction générale de la cohésion sociale et pour 30 % de cofinancements extérieurs au ministère de la justice. Enfin, les CJPP prennent en charge les conjoints violents présentant une dangerosité importante.

Monsieur Schreck, je vous ai adressé un petit mot liminaire pour vous dire que je ne comprenais pas votre pessimisme, puisque vous dites que le texte budgétaire que je présente est conforme à la loi de programmation que vous avez votée – mais peu importe.

La trajectoire budgétaire pluriannuelle du ministère tient compte des hypothèses d’inflation retenues par Bercy, qui prévoient 3 % en moyenne annuelle en 2024, 2,1 % en 2025 et 1,75 % en 2026 et en 2027.

Le niveau de consommation des crédits, qui est une autre de vos préoccupations, reste élevé entre 2021 et 2022 et connaît une amélioration : par rapport aux 8 862 millions d’euros de crédits votés en 2022, l’exécution effective a atteint 8 792 millions, soit une différence de 70 millions seulement, correspondant à  0,8 % des crédits votés. Par rapport à 2021, ce taux de sous exécution est en baisse, passant de 1,8 % en 2021 à 0,8 % en 2022, ce qui souligne une amélioration de l’exécution de nos crédits.

Sur les quinze dernières années, le taux de sous-exécution est inférieur à 1 %, ce qui est assez faible.

Monsieur Coulomme, vous avez oublié une chose, qui est peut-être un petit détail à vos yeux : toutes les mesures que je soutiens, comme ce renforcement des personnels, ne sont pas me lubies répressives personnelles, mais elles proviennent des États généraux de la justice, qui ont donné lieu à de très nombreuses consultations, où tout le monde est venu, sauf un seul syndicat, dont je sais qu’il est assez proche de vous. À l’exception de ce syndicat, donc, tout le monde est venu : magistrats, greffiers, avocats, forces de sécurité intérieure et syndicats. Des groupes de travail ont été constitués et je ne suis pas intervenu, afin que quelques grandes mesures puissent sortir de ces groupes de travail et des deux vagues de consultations qui ont été menées. Or, vous vous y êtes complètement opposés. C’est extraordinaire de penser que l’amélioration du service public de la justice ne vous intéresse pas ! Nous voulons embaucher des magistrats, des greffiers, des contractuels qui seront cédéisés et des personnels pénitentiaires, et vous vous en moquez. Vous ne voulez pas améliorer la justice de notre pays.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous caricaturez !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Non ! Je caricature si peu que vous n’avez jamais voté un seul budget de la justice et que, pour la loi de programmation, vous êtes levés immédiatement pour dire que vous n’en discuteriez même pas.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Parce que nous ne sommes pas d’accord avec vous !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Soit, mais souffrez donc que, si je ne suis pas d’accord avec vous, il y ait au moins un débat ! Vous avez immédiatement déposé un amendement de suppression globale. Dans le même esprit, la semaine dernière, lors d’un déplacement je ne vous dirai pas où, un député de votre groupe m’a dit, à mon arrivée au tribunal judiciaire, qu’il surveillerait avec une grande précision l’arrivée des magistrats et des greffiers. Je lui ai répondu qu’il était gonflé de dire cela, alors qu’il n’avait pas voté le texte. Deux caméras de télévision, dois-je le préciser, étaient présentes.

Pour ce qui est de la politique carcérale, il n’est pas question d’idéologie, mais permettez-moi de vous rappeler un détail : la justice de notre pays est indépendante et nous vivons dans un État de droit. Certains d’entre vous disent que la justice est laxiste, mais la surpopulation carcérale et tous les chiffres, qu’il s’agisse des quantums correctionnels ou criminels des peines prononcées ou des chiffres de la Cour des comptes, disent le contraire.

Enfin, entre mon arrivée en 2020 et 2024, les hausses de crédits par direction ont été très importantes, avec des augmentations de 36 % pour la direction des services judiciaires (DSJ), de 26 % pour la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), de 27 % pour la DPJJ et de 52 % pour le secrétariat général (SG). Contrairement à ce que vous affirmez, la hausse la plus importante n’a pas concerné la DAP, mais la DSJ. Il ne faut pas raconter n’importe quoi n’importe comment ! Ce que vous dites n’est pas vrai.

Monsieur Breton, les ressources de l’aide juridictionnelle (AJ) augmentent en 2024 de 16 millions d’euros. Je ne rappellerai pas les différentes augmentations intervenues mais, globalement, depuis 2017, l’AJ a bénéficié d’une hausse de 80 % de budgets supplémentaires, passant de 364 millions d’euros en 2017 à 657 millions en 2024. Ces chiffres sont impressionnants.

Les contractuels sont diplômés, titularisés et cédéisés. Ils prêteront serment et constitueront l’un des viviers de recrutement des futurs titulaires. En outre, ils joueront un rôle très important pour régler la question de l’embauche car, comme Mme Untermaier l’a souligné, le défi sera pour nous d’embaucher. Nos écoles tournent à plein, nous disposons de ces contractuels, et les possibilités d’accès à la magistrature pour des membres d’autres professions du droit s’améliorent. L’accès à la magistrature a en effet été considérablement simplifié, avec une réduction du nombre de concours et de la durée des stages, qui étaient très souvent des obstacles infranchissables pour les professionnels du droit.

Monsieur Breton, vous m’avez interpellé à propos du pilotage des aides juridictionnelles. Nous souhaitions intervenir dans ce domaine avant le rapport de la Cour des comptes. De fait, des avocats s’étaient émus de constater que certains dossiers duraient très longtemps et que certains avocats qui avaient un très grand nombre de clients multipliaient le bénéfice de l’aide juridictionnelle, pour des sommes exorbitantes que des avocats eux-mêmes dénoncent. Quand un avocat n’est pas au bénéfice de l’AJ, ses honoraires sont librement discutés avec son client, mais lorsqu’il y est, il y a matière à s’interroger. Nous sommes en train d’y travailler, et nous avions anticipé de régler cette affaire avant même que la Cour des comptes nous dise ce qu’elle a eu raison de nous dire. Je suis donc en phase avec vous sur ce point.

Je crois beaucoup aux CEF. Le rapport de la Cour des comptes appelle à une évaluation, qui est évidemment nécessaire et que nous mènerons.

Monsieur Balanant, puisque vous ne me posez pas de questions, je ne m’attarderai pas sur vos remarques, pour ne pas retarder le débat.

Madame Untermaier, vous avez raison pour ce qui concerne la question du classement des greffiers en catégorie A.

Quant à l’expérimentation portant sur les avocats dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), je rappelle que le ministère octroie aux barreaux signataires de conventions locales relatives à l’aide juridique une dotation complémentaire en fonction des permanences assurées et des engagements de ces barreaux. Cela permet, madame la députée, d’aller là où vous souhaitez que nous allions davantage. En décembre 2022, 117 barreaux avaient pris des engagements, et une réflexion sera menée, comme prévu, sur cette question.

La livraison du CEF qui vous tient à cœur est en route. Dans le cas de ce centre, monsieur Kamardine, nous disposons du terrain, ainsi que du soutien des élus de la commune concernée. L’association qui conduit le projet et la ville se sont entendues sur un montant d’acquisition du terrain, après évaluation par les domaines, et le ministère a donné son accord pour le prix convenu.

Monsieur Pradal, en matière de déploiement numérique, il est évident que je ne veux pas de juges robots – sans quoi je n’engagerais pas des recrutements massifs. L’intelligence artificielle représente un réel potentiel, que nous ne pouvons pas rejeter d’un revers de manche, dans notre domaine comme dans d’autres. Le 19 septembre, la Première ministre a installé un comité de l’intelligence artificielle générative, dont les travaux ont vocation à éclairer les choix ultérieurs du Gouvernement en la matière.

Monsieur Iordanoff, j’ai déjà répondu à propos de l’article 49.3. J’ai également dit que nous mettrions les moyens face à la surpopulation carcérale, avec le plan 15 000 places. Il existe aussi la libération sous contrainte, que vous oubliez souvent, et des alternatives à l’incarcération lorsqu’elles sont possibles et justifiées, et que le juge en décide. Une réflexion sera également menée sur ces questions.

Madame Faucillon, merci pour ce cours de sémantique, mais « historique » signifie en réalité : « qu’on n’a jamais vu dans l’histoire », ce qui n’a rien à voir avec mon immodestie – que je confesse volontiers –, mais avec la réalité. De fait, je m’inclinerai si vous trouvez ailleurs une augmentation du budget de 60 % depuis l’élection du Président de la République. Ce qui n’est pas historique et qui s’est déjà vu dans l’histoire, ce sont des ministres, que je ne nommerai pas et que vous reconnaîtrez, qui pratiquaient des augmentations de 1 % – Mme Untermaier a reconnu tout de suite à qui je faisais allusion.

Vous citez l’Allemagne, mais le rapport de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), qui est votre guide, a toujours deux ans de retard. Deuxièmement, ce rapport ne prend pas en compte les juges consulaires, à qui je veux rendre hommage car ce sont des juges bénévoles, ni les conseillers prud’homaux. Troisièmement, le rapport CEPEJ dit clairement que le droit allemand est moins gourmand que le nôtre en magistrats. Tenez-en compte. Et puis, au lieu de trouver toujours quelque chose qui ne va pas, ne pourriez-vous pas, de temps à autre, reconnaître qu’on a un peu amélioré les choses ? Chacun prend ses responsabilités : je prends les miennes, prenez les vôtres.

Monsieur Acquaviva, la refonte du statut des repentis est en cours. Plusieurs députés seront évidemment associés à ce texte important et attendu, dont les présidents Laurent Marcangeli et Sacha Houlié. Nous voulons nous inspirer en la matière de ce que font les Italiens, mais ce n’est pas encore prêt.

Il a été évoqué une proposition de loi visant à élargir les missions de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), mais je rappelle que nous avons augmenté considérablement le budget et les moyens de cette agence, dont les effectifs sont passés de 45 équivalents temps plein (ETP) en 2020 à 83 en 2023, soit 85 % de personnels en plus, avec la création d’antennes régionales à Marseille, Lyon, Lille, Rennes, Bordeaux et Fort-de-France, et une hausse des confiscations de 100 % entre 2020 et 2022, pour atteindre 171 millions d’euros d’avoirs criminels qui abonderont le budget de l’État.

Quant à la deuxième prison de Mayotte, nous l’avons budgétée et n’attendons qu’un terrain : donnez-moi un terrain et nous la construisons ! Je l’ai déjà dit lorsque je me suis rendu à Mayotte, où j’ai constaté qu’il s’agissait d’une nécessité. Je vous le promets : donnez-moi un coup de fil pour me dire que vous avez le terrain – si, naturellement, il est constructible et présente les caractéristiques techniques idoines, que l’Apij, l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, déterminera –, et on y va ! Je ne peux pas être plus clair.

Enfin, madame Ménard, vous avez fait en direct et sans complexe votre petit dialogue de gestion, mais permettez-moi d’indiquer qu’en ce qui vous concerne, au siège, on compte un poste de vice-président vacant sur vingt-cinq postes, sept magistrats placés auprès de la cour d’appel qui peuvent être mobilisés par le premier président ; au parquet, un poste de vice-procureur vacant sur un effectif de neuf parquetiers, tandis que cinq magistrats placés au parquet de la cour d’appel peuvent être mobilisés, à quoi s’ajoutent, pour les fonctionnaires et le greffe, quatre-vingt-douze agents et deux en surnombre, soit quatre-vingt-quatorze. D’ici à 2027, la cour d’appel de Montpellier comptera cinquante-deux magistrats, quarante et un greffiers et quarante attachés de justice supplémentaires qui seront finement répartis par les chefs de cour.

Enfin, les Jeux olympiques mobiliseront de nombreux magistrats sur les sites de Paris, Versailles et Bobigny en région parisienne, ainsi qu’à Marseille et à Lyon.

M. le président Sacha Houlié.  Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Caroline Yadan (RE). Monsieur le ministre, les modes alternatifs de règlement des différends, tels que la médiation, le processus collaboratif et les rencontres restauratives, sont susceptibles, comme vous l’avez dit d’ailleurs, de contribuer largement à l’apaisement de la société. À l’heure où la violence verbale, symbolique et physique est devenue un mode d’expression courant dans notre société, et même dans l’hémicycle, il est essentiel de retrouver les moyens de dialoguer, d’échanger, d’entendre, de converser, de comprendre, d’expliquer, de se confronter – en un mot : de communiquer pour aboutir à des échanges pacifiés.

Comme vous l’avez dit également, la médiation est un moyen pour le justiciable de se réapproprier son procès et une voie pour rendre une justice plus proche et plus rapide. Nous devons nous inscrire comme les chefs de file de la transformation de la justice pour qu’elle soit plus inclusive, moins coûteuse et plus pacifiée, et qu’elle ne laisse personne de côté.

La médiation est un mode alternatif de règlement des différends et nous devons soutenir le recours à cette démarche. Pourtant, l’aide juridictionnelle prévue en cas de médiation conventionnelle est conditionnée à un ordre du juge. En d’autres termes, lorsque des parties souhaitent mettre en place une médiation sans aucune intervention du juge en présence d’avocats, ces derniers ne peuvent pas être indemnisés au titre de l’aide juridictionnelle, alors même que leurs interventions peuvent être déterminantes dans la résolution du conflit de leurs clients.

Comment inciter à l’utilisation de la médiation conventionnelle si les avocats qui y participent n’obtiennent pas de rétribution lorsqu’ils assistent une partie éligible à l’aide juridictionnelle ?

Mme Pascale Bordes (RN). La lutte contre les violences sexistes et sexuelles a été érigée par le Président de la République au rang de grande cause du quinquennat. Aux grands maux, les grands remèdes, et on aurait pu penser qu’aux grandes causes viendraient les gros budgets. Malheureusement, en guise de grand plan de lutte, nous affichons 46,5 petits millions de budget global pour l’aide aux victimes d’infractions pénales, soit tout juste 2 millions d’euros de plus que dans la loi de finances pour 2023 : une goutte d’eau dans un océan de violence, surtout par comparaison avec l’Espagne, pays significativement moins peuplé que la France mais où le budget alloué à la seule lutte contre les violences faites aux femmes s’est élevé, depuis 2021, à 748 millions d’euros par an.

Dans notre pays, malgré le Grenelle des violences conjugales, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré des avancées incontestables dans la prise en charge des victimes, malgré des avancées procédurales telles que l’ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d’augmenter, avec une envolée record en 2022. Plus inquiétante encore est la très forte augmentation des tentatives de féminicides, avec une augmentation de 45 % en 2022.

Côté espagnol, le nombre de féminicides a baissé de 25 % depuis 2004. Aujourd’hui, les femmes espagnoles sont deux fois moins nombreuses à mourir sous les coups de leur compagnon que les femmes françaises. Il est vrai que l’Espagne a su se doter très tôt, dès 2004, d’une loi-cadre et d’un budget conséquent, à la hauteur de l’ampleur de la tâche. Le système espagnol n’est certes pas parfait, mais il est incontestablement en avance sur le système français, qui emprunte du reste certains des processus qui ont fait leurs preuves en Espagne, comme les téléphones grave danger ou les bracelets anti-rapprochement, mais à une échelle bien moindre. Il est temps de rattraper enfin notre retard et de passer à un stade qui permette la réalisation à grande échelle.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, voilà quelques mois, vous vous félicitiez d’avoir obtenu un budget historique pour la justice et, au même moment, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait une fois de plus la France pour ses conditions indignes de détention. Quelle image de la justice ce budget porte-t-il, quand on observe que la partie la plus importante de ses crédits est consacrée à l’administration pénitentiaire, au point de représenter sept fois ceux de l’accès aux droits et à la justice ! Cette vision du tout-carcéral fait écho à la logique du tout-répressif de votre collègue Darmanin.

Je vous le redis : plus on construit, plus on enferme. Vous auriez pu consacrer cette hausse de budget à l’embauche de Spip ou à la formation des surveillants pénitentiaires, au lieu de généraliser les caméras-piétons et d’introduire des caméras de vidéosurveillance – 5 milliards d’euros de dette pour une fuite en avant !

Voilà deux semaines, je me suis rendue à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, puis au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier, où je suis entrée dans les cellules du quartier arrivants, censé respecter le principe de l’encellulement individuel, qui est susceptible de réduire l’intensité du choc carcéral : toutes ces cellules étaient surpeuplées. La maison d’arrêt de femmes de Lyon-Corbas était, elle aussi, surpeuplée – les surveillants m’ont même dit que, la semaine précédente, trois matelas avaient été rajoutés en urgence sur le sol.

Quand allez-vous mettre fin à votre politique coûteuse du tout-carcéral, inutile pour l’insertion et la lutte contre la récidive ? Quand cesserez-vous de jeter l’argent public par les fenêtres ? Quand ferez-vous adopter ce mécanisme de régulation carcérale que les professionnels de la justice réclament depuis des années et qui ne vient jamais ?

M. Mansour Kamardine (LR). Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure que votre but était d’avoir une justice plus proche et plus rapide.

Pour ce qui concerne Mayotte, et puisqu’il faut faire vite, je vous propose, comme je l’ai fait l’année dernière auprès de votre prédécesseur, d’adopter un plan global. Nous nous trouvons en effet à trente années-lumière de la justice telle qu’elle est vécue sur le reste du territoire national. Vous êtes venu et nous avez promis, entre autres, une cité judiciaire et une prison, mais rien n’est fait aujourd’hui.

Vous me dites qu’il n’a pas de foncier, mais ailleurs, quand c’est le cas, on fait une DUP, une déclaration d’utilité publique, et on exproprie. Je prends la représentation nationale à témoin : faites venir le responsable du Spip – nous chercherons ensemble le terrain et nous le trouverons.

Comme je vous l’ai déjà dit l’année dernière, 5 000 actes d’état civil attendent un juge. L’année dernière, vous aviez promis d’envoyer une brigade, et vous l’avez fait – mais il s’agissait d’une brigade du Syndicat de la magistrature, qui est venue nous apprendre que Mayotte n’était pas française et qu’il fallait la rendre aux Comores…

Puisque nous manquons d’officiers ministériels et de notaires, je vous demande un véritable plan global, qui traite tous les aspects de la question judiciaire. Les Mahorais méritent d’avoir la même justice que les autres, avec les mêmes moyens, pour être traités comme de vrais citoyens de la République, avec une justice qui marche.

 

La séance, suspendue à 19 heures 30, est reprise à 19 heures 40.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Monsieur le ministre, vous connaissez ma volonté de mieux lutter contre la maltraitance infantile. Je suis souvent intervenue à ce sujet dans l’hémicycle. Ma première question au Gouvernement portait sur les moyens de la détecter.

Si l’on en croit les chiffres de l’association L’Enfant bleu, deux enfants meurent chaque jour en France des suites de maltraitance. Il est donc nécessaire d’orienter le budget de l’État vers le développement des moyens donnés à la justice pour enrayer ce phénomène. Nous proposons d’orienter le budget de l’État vers deux mesures recommandées par de nombreuses associations et insérées dans le programme de Marine Le Pen.

La première est de constituer, dans chaque département, une équipe chargée de l’évaluation de l’enfant, afin d’éviter une proximité excessive des services sociaux avec les familles qu’ils suivent, et les conflits d’intérêts ou de loyauté qui peuvent en résulter lorsqu’il s’agit de dénoncer des parents bourreaux.

La seconde est de prévoir la désignation automatique d’un avocat pour défendre un mineur dans toute procédure pénale, voire civile, le concernant. Dans certains cas, aucun avocat n’est désigné pour assister l’enfant dont les parents sont soupçonnés de maltraitance. Si cette mesure essentielle était prise, les moyens de l’AJ devraient être singulièrement augmentés.

Qu’êtes-vous prêt à faire à ce sujet ?

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Quels seront le rythme et le cadre du développement des CEF, auxquels nous sommes très attachés ? Tant qu’une solution éducative permet d’éviter la prison aux mineurs, il faut l’adopter. Les CEF font partie du panel des substituts à la prison.

La loi du 23 mars 2019, qui fera date, a créé les cours criminelles départementales et prévoit leur généralisation. À quel rythme ?

M. Philippe Gosselin (LR). Le budget de la justice est conforme aux prévisions de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite loi de programmation pour la justice, ce dont nous nous réjouissons. Toutefois l’inflation a sur la hausse des crédits un effet de trompe-l’œil. Certes, tel est le cas de tous les budgets, mais la prolongation de cette situation serait préoccupante.

J’aimerais faire part de trois inquiétudes.

J’approuve les perspectives de recrutement, comme je les ai approuvées lors de l’examen de la loi de programmation de la justice. Nous nous réjouissons de l’augmentation du nombre de greffiers, de magistrats et de gardiens de prison.

Quelles mesures, pas nécessairement financières et pas uniquement en 2024, sont prévues pour capitaliser sur cette hausse d’effectifs en assurant l’attractivité des professions ? Comment retenir les talents dans un contexte de rotations d’effectifs élevées et de fortes difficultés de recrutement, notamment parmi les gardiens de prison ?

Sur l’effectivité des constructions de prison dans le cadre du plan 15 000 places, que nous appelons plan 18 000 places, il est un peu facile d’attribuer ses difficultés aux demandes et aux autorisations des élus locaux. Leurs réticences n’expliquent pas tout. Le budget d’investissement pour 2024 est assez limité. Un coup d’accélérateur serait bienvenu, associant les élus locaux à une volonté clairement affichée du ministère.

De même, les crédits de l’AJ, qui ont fortement augmenté au cours des dernières années, augmentent deux fois moins que l’inflation. Quelle sera la politique d’accès au droit dans les années à venir ?

M. Romain Baubry (RN). J’appelle une fois de plus l’attention sur la situation sécuritaire des établissements pénitentiaires. La commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles a relevé de nombreuses défaillances. Outre le manque de personnel, le manque de moyens pour assurer la sécurité des agents, des détenus et des structures est réel.

Je plaide pour l’extension des systèmes de vidéoprotection et leur association à des dispositifs d’intelligence artificielle, afin d’aider les agents, parfois chargés de visualiser seuls les images captées par près de 300 caméras. Je plaide pour la généralisation de filets au-dessus des cours de promenade et des terrains de sport, afin d’empêcher les projections d’objets et leur survol par des drones. Je plaide pour la création d’établissements spécifiques en fonction des profils des détenus, permettant une gestion ultra-sécuritaire des détenus radicalisés.

Le compte n’y est pas. Combien faudra-t-il de drames pour que le ministère se décide enfin à agir ? Au lendemain de l’assassinat d’Yvan Colonna, la formation des agents à l’usage de caméras de vidéoprotection a été annoncée. Lors de récentes visites dans des établissements pénitentiaires, notamment en Corse, j’ai eu l’occasion de constater qu’une telle formation n’a pas été généralisée et que les agents en poste derrière les écrans, chargés de surcroît de nombreuses autres tâches, n’osent toujours pas les manipuler.

Dans le budget 2024, la baisse des crédits consacrés à la formation n’annonce rien de glorieux. La sécurité de nos prisons est préoccupante. Si elle n’est pas assurée, les Français sont en danger. Si, en 2023, on s’évade avec des explosifs et des hélicoptères, on s’évade aussi lors de promenades en forêt, ou en sciant les barreaux de sa cellule et en utilisant des draps.

Monsieur le ministre, quand comptez-vous instaurer la sécurité et l’autorité dans les établissements pénitentiaires de notre pays ?

M. Timothée Houssin (RN). Monsieur le ministre, le programme de construction de 15 000 places de prison, dont le Gouvernement promet qu’il sera achevé en 2027, doit permettre de disposer de 75 000 places, pour un coût global annoncé de 4,5 milliards d’euros. Pour mémoire, la France comptait, à l’été 2023, 73 800 personnes détenues. D’après les prévisions disponibles, ce chiffre devrait augmenter.

Dans le présent projet de loi de finances, vous annoncez la création nette de 2 771 places depuis 2018. Toutefois, comme l’a révélé le rapport publié par notre collègue Patrick Hetzel en mai 2023, 2 081 d’entre elles ont été ouvertes dans le cadre de programmes de construction décidés par les gouvernements antérieurs à 2017. Par ailleurs, le plan 15 000 places, devenu de fait le plan 13 000 places, a pris du retard, notamment en raison de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine.

D’après les documents budgétaires, trente-six opérations restent à livrer au sein de ce programme, dont treize n’en sont qu’au stade des études préalables. Les établissements concernés ouvriront-ils d’ici à 2027, comme prévu ? L’échéance est-elle repoussée ? Si oui, à quand ? Combien de places seront effectivement construites d’ici à 2027 ? Quel est le montant des surcoûts induits par le retard ?

Ce retard a des conséquences qui ne sont pas toutes financières. Le manque de places de prison bride les jugements d’incarcération. Ce week-end, pour prendre un exemple parmi d’autres, deux femmes, âgées respectivement de 93 et de 95 ans, ont été agressées sexuellement dans un hôpital d’Argenteuil. Elles sont décédées dans les heures ou les jours qui ont suivi. Le suspect, connu des services de police pour des faits similaires, a été relâché et placé sous contrôle judiciaire, en dépit des réquisitions du parquet.

Le manque de places de prison nuit au placement en détention provisoire d’individus dangereux pour nos concitoyens. Étant donné que les places nécessaires aux seuls détenus actuels ne seront pas construites avant cinq à dix ans, quelles mesures d’urgence, éventuellement provisoires, prévoyez-vous pour assurer l’exécution des peines et la possibilité de placer en détention provisoire les personnes qui doivent l’être ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Madame Yadan, je vous remercie de l’investissement qui est le vôtre en matière de résolution des litiges à l’amiable. En tant que professionnelle du droit, vous savez de quoi vous parlez. Nous revalorisons les crédits dédiés à l’AJ versée dans le cadre de procédures à l’amiable à hauteur de 1,8 million d’euros par an.

L’incitation des avocats à recourir à l’amiable ne repose pas uniquement sur l’AJ. Dans certains dossiers, les avocats ne veulent ou ne peuvent demander le bénéfice de l’AJ. Nous envisageons des actions de communication. Nous renforcerons la formation des avocats à l’amiable.

Les ambassadeurs de l’amiable se rendront – ils ont commencé ce travail – dans toutes les cours d’appel. Certains sont professeurs de droit, d’autres avocats ou magistrats, d’autres encore commissaires de justice ou notaires. Le 1er novembre 2023, les deux nouveaux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) créés par le décret du 29 juillet 2023 entreront en vigueur. Nous prévoyons une grande campagne de publicité à cette occasion. À l’étranger, les MARD sont très usités. Ils rapprochent le citoyen de sa justice, raccourcissent les délais de rendu de jugement et replacent le juge dans son cœur de métier. Cette demande a été fortement exprimée, notamment dans la « tribune des 3 000 ».

Par ailleurs, les MARD permettent au justiciable de se réapproprier son procès. Dans certaines procédures, pendant deux ans et demi ou trois ans de mise en état, le justiciable ne voit jamais son juge. Comment peut-on aimer la justice si elle est désincarnée ? Les MARD sont tout le contraire de cela.

Nous prendrons des dispositions relatives à l’AJ, notamment financières, pour valoriser l’amiable. Par ailleurs, il faut convaincre les avocats qui ne prennent pas l’AJ que celle-ci leur offre un modèle économique viable, car ils traitent davantage de dossiers dans des délais réduits, ce qui leur permet d’augmenter leurs honoraires.

Une véritable dynamique démarre. Elle va dans le bon sens. Je m’engage nettement en sa faveur. Si tout le monde s’y met, nous imposerons l’amiable comme mode de règlement des litiges.

De l’avis général, les litiges les plus complexes se résolvent mieux par l’amiable que par le contentieux. Tout le monde a intérêt à ne pas aller d’expertises en contre-expertises. Si nous parvenons à convaincre, nous réussirons le pari de diviser par deux les délais de rendu de jugement en matière civile, ce qui n’est pas rien.

Madame Bordes, le budget alloué aux victimes sera de 47 millions d’euros en 2024, soit une hausse de 2 millions. Le budget alloué à la lutte contre les violences intrafamiliales est en augmentation importante. De 2020 à 2024, il a plus que doublé, passant de 8 à 17,2 millions d’euros.

Ce que vous dites sur l’Espagne est juste. Les Espagnols ont été plus rapides que nous sur ces questions. Ils ont agi dès 2004. Toutefois, il a fallu un certain temps pour que la courbe des féminicides s’infléchisse sérieusement. Après un premier plateau, elle a drastiquement diminué, et présente à nouveau un plateau. Si les Espagnols ont été précurseurs à plusieurs égards, nous n’avons pas à rougir de notre bilan, qui inclut notamment le bracelet antirapprochement (BAR) et le téléphone grave danger, ce que je vous remercie d’avoir reconnu avec objectivité.

Disons-le tout net : pour moi qui suis aux manettes – permettez-moi ce petit coup de patte –, le risque zéro n’existe pas. Il y a des individus auxquels vous pouvez attacher quatre BAR et qui n’en commettront pas moins des délits. La baguette magique capable de faire disparaître la délinquance, vous savez ce que j’en pense : j’ai eu moult fois l’occasion de m’exprimer à ce sujet.

Nous faisons des progrès. Le rapport de vos collègues Dominique Vérien et Émilie Chandler, qui suivent ces sujets avec beaucoup d’intérêt, nous a inspiré l’instauration d’une ordonnance de protection provisoire immédiate, qui peut être prise dans les vingt-quatre heures sans contradictoire, lequel sera rétabli dans le délai habituel des six jours, sous peine de verser dans l’arbitraire. Ce rapport nous a aussi inspiré l’institutionnalisation des pôles spécialisés, qui ont déjà entendu 400 témoignages. Le travail parlementaire, quand il est mené de cette façon, doit nourrir la réflexion des ministres.

Monsieur Kamardine, j’ai envoyé à Mayotte une brigade de magistrats et de greffiers, sans me préoccuper de savoir s’ils sont, ou non, membres du syndicat de la magistrature. J’ose espérer que leur boussole est celle de tout magistrat : les faits et le droit.

M. Philippe Gosselin (LR). Même ceux qui ont participé à la fête de l’Huma ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. J’ai dit vertement ce que je pense des prises de position qu’ils ont exprimées dans ce cadre. Rarement un garde des sceaux a dit ce que j’ai dit avec cette verdeur, qui est parfois la mienne.

À Mayotte, plusieurs opérations immobilières ont été lancées. Grâce au conseil départemental, nous avons acquis le terrain de la future Cité judiciaire. J’ai rencontré son président sur place. Cette décision traînait depuis belle lurette, ce qui prouve que les visites ministérielles servent parfois à quelque chose. Si les bonnes volontés s’unissent, nous aboutirons.

Le CEF, tant attendu localement, sera en gestion publique et non associative. L’État doit s’impliquer à Mayotte. Nous avons identifié un terrain. La deuxième prison est budgétée, mais j’aurai besoin de votre aide, monsieur Kamardine, et de celles des autres élus.

Madame Taurinya, vous dites toujours les mêmes choses.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous aussi !

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. Sans doute, mais moi je dis des choses vraies, ce qui est plus supportable. Il est absolument faux de dire que nous consacrons toutes les ressources au pénitentiaire. Vous ne voulez pas l’entendre, peu importe.

Vous assénez comme un axiome – lequel, contrairement à un théorème, est indémontrable – qu’ouvrir plus de places de prison incite à les remplir. Pour ma part, je ne vois pas comment résoudre le problème de la surpopulation carcérale sans utiliser le levier de la construction et de la réhabilitation de bâtiments.

Ce que vous ne dites pas, c’est que, dans les établissements que nous construisons ou que nous rénovons, chaque cellule dispose d’une douche. J’ai connu l’époque – j’ai la prétention de bien connaître la justice, du moins de façon effective – où les détenus prenaient une douche par semaine. Ce traitement dégradant et inhumain, qui, hélas, a encore cours, est de surcroît l’un des moments les plus dangereux pour le personnel pénitentiaire. Nous avons procédé à des améliorations, mais vous refusez de l’admettre.

Par ailleurs, la loi de programmation de la justice prévoit d’augmenter le nombre de libérations sous contrainte (LSC), lequel est passé de 771 au 1er juillet 2019 à 1 563 au 1er juillet 2022. Nous menons une politique volontariste d’optimisation du parc immobilier visant au transfert accéléré des condamnés vers les établissements pour peines, conforme aux recommandations du rapport d’information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre rédigé par François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat.

Monsieur Rebeyrotte, les trois derniers CEF ouverts, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire, sont comptabilisés dans les cinquante-trois en fonctionnement.

Dix-neuf seront livrés d’ici la fin du quinquennat : trois en 2024, à Rochefort, Le Vernet en Ariège et Montsinéry-Tonnegrande en Guyane ; cinq en 2025, à Amillis en Seine-et-Marne, à Bellengreville dans le Calvados, à Apt dans le Vaucluse, à Bléré en Indre-et-Loire et à Digne dans les Alpes-de-Haute Provence ; trois en 2026, à Lure, à Mayotte et à Villeneuve-Loubet ; huit en 2027. Voilà ce que nous comptons construire pour tenir les promesses du Président de la République.

Monsieur Gosselin, je vous remercie d’avoir évoqué la formation des personnels avec nuance.

S’agissant de la mise en œuvre du plan 15 000 places, je souhaite de tout cœur ne pas me heurter à des obstacles dans l’acquisition de terrains. Il est un peu facile, dites-vous, d’attribuer aux élus la responsabilité des blocages. C’est peut-être un peu facile, mais c’est vrai. Les endroits où il y a un blocage, on les connaît. J’aimerais que les choses se débloquent. Je l’ai dit à Éric Ciotti, en votre présence. Vous-même, vous avez apporté votre pierre à la construction pénitentiaire, si j’ose dire.

Je suis sincère, vous aussi : donnez-nous un coup de main et nous réussirons. Ce plan est utile. Il ne s’agit pas d’être plus répressif, mais d’assurer la dignité des conditions de détention, ainsi que davantage de sécurité et de confort pour le personnel pénitentiaire, qui le mérite. J’ai inauguré le centre pénitentiaire de Caen-Ifs. Par comparaison avec l’ancienne prison, qui était très dégradée, c’est le jour et la nuit. Je n’ai aucun frein idéologique à la construction d’établissements dignes.

Dans une grande démocratie, la détention doit être un lieu de privation de liberté et de punition, mais aussi de possible réinsertion. Je ne doute pas que nous sommes d’accord sur ce point. Donnez-nous un coup de main et nous serons au rendez-vous des prévisions du rapport annexé à la loi de programmation de la justice, que nous avons construit ensemble.

S’agissant des recrutements de magistrats, la difficulté est réelle. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt. Comment résoudre le problème ?

Nous actionnons quatre leviers : une campagne de communication, la diffusion d’informations claires sur les métiers et les carrières, des interventions dans les universités et l’ouverture, que nous avons décidée ensemble, de passerelles permettant à des professionnels du droit d’intégrer la magistrature. Souvent, ils sont rebutés par la longueur des stages et la complexité du parcours – de mémoire, il y a sept voies d’accès. Nous en avons drastiquement réduit le nombre et avons simplifié le tout, pour faciliter l’ouverture du corps des magistrats, à laquelle je suis très favorable, comme je l’ai dit dès le premier jour.

Madame Roullaud, nous faisons beaucoup en faveur de l’enfance maltraitée. Je sais que vous y êtes très attentive. J’ai lancé en février le programme d’accompagnement des mineurs victimes (Pamivi).

France victimes déploie un programme d’accompagnement des mineurs permettant notamment la découverte préalable de la salle d’assises, sur le modèle québécois. Les enfants appréhendent le procès, qui est un moment terrible pour eux. Leur permettre, au préalable, de circuler dans la salle d’audiences, de toucher une robe de magistrat et de s’asseoir dans le fauteuil du président est une bonne chose.

L’introduction du chien d’assistance judiciaire est un succès, comme j’ai eu l’occasion de le constater. J’ai entendu des enquêteurs et des juges d’instruction me dire qu’ils ne peuvent plus s’en passer, car ils libèrent la parole des enfants. Cela change tout, j’en ai eu de multiples exemples. Lors d’un déplacement avec Brigitte Macron dans un tribunal, tous nos interlocuteurs nous ont dit qu’il s’agit d’une avancée. Nous développons cette approche.

Nous avons eu un problème budgétaire. Nous pensions initialement qu’il fallait utiliser des chiens guides d’aveugle, mais leur dressage coûte très cher. Nous avons réduit leur dressage. Nous voulons des chiens gentils et bien dressés, doux avec les enfants, qui ne risquent pas de leur sauter dessus. Avoir cette espèce de doudou vivant libère la parole de l’enfant – c’est extraordinaire ! Je veux développer cela partout.

Les unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) permettent de recueillir en une fois la parole de l’enfant et d’assurer une prise en charge globale – sanitaire, psychologique, psychiatrique, médicale et judiciaire. Beaucoup reste à faire, mais nous avançons.

Monsieur Baubry, je sais bien qu’un morceau avalé n’a plus de saveur, mais je vous rappelle que les moyens alloués à la sécurisation des établissements pénitentiaires ont été portés à 70 millions d’euros en 2021, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2020. En 2022, la dotation allouée s’est élevée à 118,5 millions, dont une dotation exceptionnelle de 30 millions dans le cadre de la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires.

Sur l’exercice 2023, des crédits de 76,9 millions d’euros ont notamment financé la programmation du déploiement de dispositifs de brouillage, la lutte anti-drone et le déploiement du programme de mobilité de la DAP. Quant à la sécurisation des enceintes pénitentiaires, les rénovations ont mobilisé un financement de près de 22 millions.

En 2024, la hausse est de 83,7 millions d’euros, ce qui permettra de généraliser les caméras-piétons, de poursuivre l’installation de dispositifs de brouillage des téléphones portables et de dispositifs anti-drones, de poursuivre le déploiement de la vidéosurveillance en détention et des smartphones-alarmes Sageo – système d’alerte géolocalisé –, et de poursuivre le plan de lutte contre les violences.

On ne modifie pas une situation en un claquement de doigts. Je n’ai pas de baguette magique. C’est facile, lorsque l’on siège dans l’opposition, de dire « Y a qu’à, faut qu’on, faudrait »… J’ai énuméré la liste des améliorations que nous avons apportées. Si vous êtes intellectuellement honnête, ce dont je ne doute pas, vous nous concéderez de nettes améliorations.

Monsieur Houssin, je ne reprendrai pas ce que j’ai dit sur la loi de programmation de la justice, ayant la faiblesse de penser que vous avez été attentif. De grâce, cessez de vous fonder sur une affaire que personne ne connaît, ni vous, ni les autres membres de cette commission, pour dire que la justice a mal fait son travail.

La démocratie et l’État de droit, entendez-le, n’ont rien de superfétatoire. Ces notions incluent l’indépendance de la justice. Vous me parlez d’un dossier que je ne connais pas et vous assénez que les peines appliquées ne sont pas celles qui auraient dû l’être. D’un dossier qui fait peut-être cinquante centimètres d’épaisseur, vous faites un résumé de deux phrases. Ce n’est pas correct. Ne pas respecter la justice, qui est au cœur de notre pacte social, c’est délétère.

Si un jour vous parvenez au pouvoir, deux solutions s’offriront à vous : laisser la justice faire son travail en toute indépendance, quitte à critiquer telle ou telle décision, ou la mettre au pas, ce qu’ont fait les Hongrois – j’ai reçu des magistrats hongrois – et ce qu’ont tenté de faire les Polonais qui, après avoir choisi un gouvernement très à droite, s’en sont donné un qui est plus proche de la sensibilité qui est la mienne. Dans ces matières, il faut faire attention. Cessez de dire que la justice est laxiste. Ce n’est pas vrai. La Cour des comptes le dit. Cessez de faire votre miel de ces discours. Si vous êtes un jour au pouvoir, ce que je ne souhaite pas, je ne vous donne pas une semaine pour avoir votre lot d’infractions, de délits et de crimes.

Vous faites pareil sur tous les sujets, qu’il s’agisse de terrorisme ou de droit commun. Vous avez toujours une solution, clé en main. Je vais vous dire une chose : ce n’est pas comme cela que ça marche.

Un professeur de droit avait coutume de dire que le droit pénal est le droit de l’échec. Lorsque la justice est saisie, le mal est fait. Si un jour vous conquérez le pouvoir démocratiquement, vous constaterez que je ne vous raconte pas de bêtises. Au demeurant, parlez-en aux avocats de votre groupe politique, ils ne vous diront sans doute pas le contraire de ce que je vous ai dit.

 

Lors de sa deuxième réunion du mardi 24 octobre 2023, la Commission examine pour avis des crédits de la mission « Justice » (M. Jean Terlier, suppléant Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et de l’accès au droit, et M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).

Lien vidéo : https://assnat.fr/c1oFIS

Article 35 et état B : Crédits du budget général

Amendements II-CL248 de M. Jean-François Coulomme, II-CL292 et II-CL293 de M. Jérémie Iordanoff et II-CL266 de Mme Raquel Garrido (discussion commune)

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Les greffiers que nous avons rencontrés nous ont alertés sur le manque endémique de personnel, ainsi que sur les difficultés liées à l’utilisation de multiples logiciels – mais c’est un autre sujet.

Je propose de transférer 400 millions d’euros des crédits affectés au programme Administration pénitentiaire vers le programme Justice judiciaire afin de créer 4 000 équivalents temps plein de greffiers supplémentaires au cours de l’année 2024. La profession estime qu’il faudrait créer 20 000 postes sur une période de cinq ans.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement II-CL292 propose de transférer des crédits pour financer le recrutement de greffiers. Le manque de greffiers affecte considérablement la qualité du système judiciaire français. Le chiffre de 340 greffiers supplémentaires en 2024 n'est pas cohérent avec le ratio de 1,2 greffier pour un magistrat, qui a généralement cours dans les juridictions. Il ne permettrait pas non plus à la France de combler son retard au niveau européen : 34 greffiers pour 100 000 habitants, contre 61 en moyenne en Europe.

L’amendement II-CL293 a pour objet de revaloriser la rémunération des greffiers. Le rapport du comité des états généraux de la justice souligne la dégradation de la situation des greffiers, avec pour conséquence un nombre croissant de postes vacants et une augmentation de 400 % en cinq ans du nombre de demandes de détachement. Le taux de vacance de postes s'élève à 7 %, soit un manque de 1 500 agents, alors que l'effectif théorique se situe déjà très en deçà de la moyenne européenne.

La rémunération des greffiers, qui est de 13 % inférieure à la moyenne des autres professions de catégorie B, n'est pas adaptée au niveau de qualification et à la complexité des tâches de cette profession.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). L’amendement II-CL266 tend également à augmenter le salaire des greffiers, qui, quoi qu’en dise le ministre, ne sont pas satisfaits des négociations. Elles n’ont pas abouti et avaient, dès le début, montré leurs limites. La revalorisation indiciaire n’est pas suffisante. J’ai rencontré des greffiers en grève à Saint-Étienne qui m’ont expliqué que cette revalorisation se traduirait par une augmentation de seulement 50 euros, bien loin des 300 euros annoncés. J’insiste sur le fait que les salaires doivent être revalorisés par une augmentation significative de l’indice et non par des primes, sur lesquelles il n’y a pas de cotisations sociales pour les retraites.

M. Jean Terlier, suppléant Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Les amendements proposant une augmentation des postes de greffiers sont déjà satisfaits puisque 1 800 greffiers seront recrutés d’ici à 2027. Cet effort considérable se traduit pour l’École nationale des greffes par des promotions massives, qu’elle a déjà du mal à accueillir dans ses bâtiments.

Les amendements proposant une revalorisation des salaires sont, eux aussi, satisfaits. M. le garde des sceaux a rappelé lors de son audition que les salaires avaient déjà été revalorisés et que les discussions en cours avec les syndicats devraient aboutir cette semaine à la signature d’un accord portant sur la revalorisation des salaires ainsi sur le passage en catégorie A d’une partie des greffiers.

Avis défavorable.

M. Xavier Breton (LR). Ces amendements ont le mérite de poser de nouveau des questions auxquelles M. le garde des sceaux a répondu de façon évasive, renvoyant à des négociations qui pourraient aboutir bientôt et à des mesures qui prendraient effet en 2024. Nous avons besoin d’engagements.

Il a parlé d’une augmentation de près de 300 euros brut par mois, mais ce chiffre est loin de celui qui remonte du terrain. Quant à la revalorisation en catégorie A, elle concernerait 3 200 greffiers sur un total de 11 000, ce qui pose des problèmes de sélection.

Toutefois, dans un contexte de surpopulation carcérale et d’augmentation de la délinquance, gager l’augmentation des crédits destinés au recrutement et à la revalorisation par la réduction des crédits affectés à la construction d’établissements pénitentiaires n’est pas la solution. Nous ne voterons donc pas ces amendements.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’inertie dans la gestion des effectifs de greffier depuis 2017 provoque aujourd’hui un fort mécontentement et des grèves dans de nombreux départements.

Le passage en catégorie A n’est pas plus satisfaisant, puisqu’il ne s’accompagne pas d’une revalorisation de l’indice de traitement permettant de garantir une grille de progression profitable. Dans les faits, nous sommes loin des 300 euros annoncés par le ministre.

Le recours de plus en plus fréquent à des assistants de justice alimente ce mécontentement car ces derniers n’ont pas la formation ni les compétences adéquates. Ils ne sont pas en mesure d’absorber les dossiers à traiter pour désengorger les greffes.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL291 de M. Jérémie Iordanoff

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement propose d'augmenter les crédits affectés au recrutement des magistrats afin de tripler les effectifs actuels. Il faudrait en effet 22 000 magistrats alors que notre pays n’en compte aujourd’hui que 9 000. Les 1 500 recrutements prévus sont donc très largement insuffisants.

Je profite de cet amendement pour poser de nouveau une question à laquelle le garde des sceaux n’a pas répondu. Les référentiels établis par le groupe d'étude sur la charge de travail des magistrats soulignent qu’il faudrait des effectifs jusqu’à trois fois supérieurs aux effectifs actuels pour l’ensemble des magistrats et jusqu’à quatre fois pour les fonctions de l'instruction pour que la justice ne fonctionne pas en mode dégradé, comme c'est le cas aujourd'hui. J’aimerais savoir quand ces référentiels seront rendus publics et s’ils vont servir à déterminer un nombre de magistrats ou à répartir la pénurie.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit le recrutement de 1 500 magistrats d’ici à 2027. Cet effort considérable constitue un défi redoutable pour l’École nationale de la magistrature (ENM) qui devra former des promotions de 470 élèves dans des amphithéâtres de 300 places. Tripler les effectifs actuels ne pourrait donc se faire qu’au détriment de la formation, ce qui, je le sais, n’est pas ce que vous souhaitez. Avis défavorable.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je suis bien conscient des problèmes que poserait un recrutement massif, notamment en termes de formation. C’était un amendement d’appel. Mais je réitère ma question sur les référentiels : seront-ils rendus publics et à quoi serviront-ils ?

Mme Caroline Abadie (RE). Monsieur Iordanoff, je regrette que vous n’intégriez pas la justice consulaire ni la justice prud’homale dans vos calculs sur les effectifs.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL298 de M. Jérémie Iordanoff et II-CL256 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Les représentants du parquet national financier (PNF) expliquent que, en raison du volume des dossiers à traiter et des faibles moyens humains dont ils disposent, des affaires sont délaissées et classées sans suite. Cette situation a été dénoncée à plusieurs reprises par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et, en septembre, par la commission de suivi des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe. L’OCDE a démontré que la proportion des affaires résolues et le nombre de personnes morales condamnées restaient faibles au regard de la situation économique de la France et de l’exposition des entreprises au risque de corruption. Bref les enquêtes et poursuites aboutissent à un nombre encore trop limité de sanctions.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 ne prévoit qu’une équipe de vingt magistrats pour traiter un volume de 600 affaires. Le nombre de dossiers gérés par chaque procureur est presque cinq fois supérieur au volume envisagé dans les travaux préparatoires à la création du PNF en 2013.

Suivant les recommandations de l’OCDE, l’amendement II-CL298 propose donc d’augmenter les effectifs du PNF de manière à ce que chaque magistrat puisse ne traiter que huit affaires au lieu de trente-deux actuellement.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Mon amendement propose lui aussi d’affecter davantage de magistrats au PNF et de financer ces recrutements par un transfert de 5 millions du programme Administration pénitentiaire.

Les magistrats du PNF font partie des agents publics qui, comme les douaniers, rapportent plus à l’État qu’ils ne lui coûtent. Il s’agit donc de transformer une dépense en un investissement rentable. Pour calculer cette rentabilité, il suffit de diviser ces 5 millions d’euros par le nombre d’affaires traitées par le PNF qui aboutissent à des condamnations judiciaires permettant de récupérer les sommes détournées du fisc.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable, car un effort significatif a déjà été consenti : les effectifs du PNF sont passés de dix-huit à vingt magistrats, soit une augmentation de 10 %, et des assistants spécialisés viendront épauler ces magistrats.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Je ne comprends pas ce manque d’enthousiasme : avec vingt magistrats, les effectifs restent insuffisants. Pour assurer un fonctionnement optimal, chaque magistrat devrait avoir moins de dix dossiers à traiter simultanément.

Le programme 166 Justice judiciaire prévoit le financement de 369 emplois de magistrats, mais à la sortie de l’école, un magistrat ne dispose pas des compétences nécessaires pour traiter les affaires financières, qui sont très complexes.

Mme Pascale Bordes (RN). Le recrutement de magistrats supplémentaires pour le PNF est une excellente idée mais nous sommes opposés à un financement par une ponction sur le budget de l’administration pénitentiaire : nous ne pouvons pas nous passer de ces crédits. Nous voterons donc contre ces amendements.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le volume des affaires traitées par le PNF est tel qu’il existe des instructions pour classer sans suite les affaires dont l’enjeu financier est inférieur à un certain seuil ! L’État a besoin d’argent, on sait où il se trouve et il ne manque que quelques magistrats.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL267 de M. Jean-François Coulomme

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet amendement propose d’augmenter les crédits pour la formation continue des magistrats sur les questions de violences sexuelles et sexistes, qui doivent être prises au sérieux, dans tous les domaines de la vie. Les magistrats doivent être formés certes à ce qui peut se produire sur leur lieu de travail, mais aussi aux particularités des affaires de ce type afin de mieux accompagner les victimes. Nous prenons les fonds sur le financement des caméras-piétons.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Cet amendement est satisfait. L’ENM a en effet pris ces questions à bras-le-corps : la formation initiale des auditeurs de justice comprend des modules sur les violences intrafamiliales, et la formation continue comprend des cycles approfondis. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL272 de Mme Raquel Garrido et II-CL205 et II-CL206 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’amendement II-CL272 propose de transférer 650 millions du programme Administration pénitentiaire vers le programme Accès au droit et à la justice pour financer l'aide juridictionnelle. Obtenir des conseils et ester en justice pour faire valoir ses droits ou reconnaître des délits ou des crimes dont on a été victime coûte cher, si bien que toute une frange de la population renonce à utiliser la justice. C’est grave.

Diminuer le budget de l’administration pénitentiaire de 650 millions est viable : il suffit de pratiquer une politique de déflation carcérale, comme le font nos voisins britanniques. Nos prisons sont aujourd’hui pleines de petits dealers qui, aussitôt emprisonnés, sont remplacés. On les retire de la société car ils troublent l’ordre public, mais ce qui trouble le plus l’ordre public, c'est de ne pas pouvoir accéder à la justice pour des raisons financières.

M. Philippe Schreck (RN). Mes deux amendements, à respectivement 10 et 5 millions, sont beaucoup plus modestes – j’appellerais plutôt cela du réalisme.

Le budget de l'aide juridictionnelle progressera en 2024 deux fois moins que le budget général de la justice. Dans un contexte d’inflation, cela soulève le risque de cette justice à deux vitesses que les praticiens de l'aide juridictionnelle déplorent, avec, d’un côté, le secteur libre ayant accès à la compétence et de l’autre le secteur assisté, souvent moins qualitatif car les montants de l’aide juridictionnelle se situent sous le seuil de rentabilité des cabinets.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Le budget de l’aide juridictionnelle ne croît certes que de 2,5 % cette année mais il n’avait jamais autant augmenté sur le long terme : + 80 % depuis 2017. Avis défavorable.

M. Xavier Breton (LR). L’aide juridictionnelle est un dispositif dont nous pouvons être fiers mais, plutôt que de vouloir augmenter constamment son budget, qui a doublé en dix ans, il me semble préférable de réfléchir à son pilotage et à des indicateurs fiables pour la rendre plus efficace. On a constaté par exemple, pendant le procès des attentats de 2015, que l’aide juridictionnelle avait assuré une rémunération très élevée à certains avocats

Mme Pascale Bordes (RN). Le budget de l’aide juridictionnelle a certes augmenté de 80 % depuis 2017, mais après avoir stagné pendant quasiment trente ans. Si l’on prend en considération le contexte inflationniste et l’augmentation continue du nombre de missions de l’aide juridictionnelle, ces amendements sont plus qu’utiles.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL304 de Mme Béatrice Roullaud, II-CL165 de Mme Cécile Untermaier et II-CL305 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune)

Mme Béatrice Roullaud (RN). Mon amendement propose d’augmenter le budget de l’aide juridictionnelle de 100 millions afin de pouvoir revaloriser l’unité de valeur, qui ne permet pas toujours de couvrir les frais d’avocat. Par ailleurs, si nous votons la disposition permettant aux enfants victimes d'être systématiquement assistés d’un avocat, les demandes d’aide juridictionnelle augmenteront de façon importante.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Mon amendement, qui a été conçu avec le Conseil national des barreaux, propose d’augmenter le budget de l’aide juridictionnelle de 80 millions afin de porter l’unité de valeur à 42 euros, ce qui me semble être une revendication légitime des avocats. Cette revalorisation doit s’accompagner d’une réflexion sur le pilotage de l’aide juridictionnelle, certes, mais je ne pense pas que beaucoup d’avocats s’enrichissent grâce à elle : elle est plutôt la garantie que les plus pauvres accèdent à la justice.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). J’ajoute qu’une revalorisation de l’unité de valeur est conforme aux recommandations du rapport Perben sur l’avenir de la profession d’avocat et qu’elle permettrait un rattrapage de l’inflation.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. L’aide juridictionnelle a augmenté de 23 % depuis 2021 et l’unité de valeur est passée de 32 euros à 34 euros en 2021, puis de 34 euros à 36 euros en 2022. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL257 de Mme Raquel Garrido

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le budget qui nous est proposé s’inscrit dans une conception sécuritaire de la justice. Nous prônons une vision qui redonnerait à la justice son caractère de service public accessible à tous, y compris aux plus précaires. Cet amendement propose donc d’augmenter le budget du programme Accès au droit et à la justice en ponctionnant 15 millions sur le programme Administration pénitentiaire : plutôt que de créer davantage de places de prison et de construire des centres éducatifs fermés, il est préférable de recruter davantage de personnels dédiés à l’accès au droit, à l’aide à la victime et à l’aide juridictionnelle.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Je me permets de vous rappeler que le budget de la justice augmente de plus de 20 % dans le cadre du projet de loi de programmation et que cela permettra de recruter 10 000 personnels de justice, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. Je ne vois pas un gouvernement qui ait fait l’équivalent. Avis défavorable.

M. Xavier Breton (LR). Les associations d’aide aux victimes font un travail remarquable, qui permet aussi de diminuer les dépenses en prévenant les conflits ou en préparant la procédure. Pourtant, la hausse des crédits alloués à l’aide aux victimes est inférieure à l’inflation : c’est un bien mauvais signal. Cependant, pour les augmenter, vous diminuez encore une fois le budget de la construction d’établissements pénitentiaires. Il ne faut opposer les mesures en faveur de l’accès au droit et les réponses pénales, qui sont complémentaires.

La commission rejette l'amendement.

Amendements II-CL167 de Mme Cécile Untermaier, II-CL285 de Mme Béatrice Roullaud et II-CL308 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). Mon amendement tend à augmenter les crédits de l’aide juridictionnelle afin que les enfants engagés dans une procédure civile, d’assistance éducative notamment, bénéficient systématiquement de la présence d’un avocat, comme c’est le cas en matière pénale. C’est une demande récurrente des barreaux.

Les membres du groupe Socialistes et apparentés ont déposé une proposition de loi en ce sens. Eu égard aux engagements conventionnels de la France, dont en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant, il s’agit d’une mesure essentielle. Les enfants concernés traversent des situations délicates, en particulier en cas de placement ; leur intérêt supérieur commande qu’un avocat les assiste pour faire valoir leurs droits.

Il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause du travail des magistrats. Le plus souvent, ils travaillent bien avec les avocats : les situations sont si complexes, les familles si déchirées que la mise en commun de leurs analyses contribue à élaborer une solution favorable à l’enfant.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Mon amendement vise à augmenter de 50 millions les crédits consacrés à l’aide aux victimes. Des efforts ont déjà été consentis, mais il faut davantage accompagner les enfants victimes, notamment en renforçant les moyens alloués au suivi psycho-social. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants insiste sur l’importance de maintenir le suivi des victimes après le procès. Il faut également augmenter les moyens dévolus à la formation des professionnels de la justice. Les crédits seront prélevés sur le programme Conduite et pilotage de la politique de la justice.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous proposons que tout enfant faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative bénéficie d’un avocat rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle, comme c’est le cas en matière pénale. Comme le Conseil national des barreaux (CNB), nous estimons que chaque enfant doit pouvoir être accompagné en justice par un avocat spécialement formé, pour l’aider à s’exprimer et à formuler ses besoins.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Je suis sensible à votre proposition, comme à toute mesure susceptible de renforcer les droits des enfants en danger. Sur ce sujet, les pistes tracées par le garde des sceaux tout à l’heure sont intéressantes. Comme nous avons organisé des permanences pénales conventionnées pour les gardes à vue et pour l’aide aux victimes, nous pourrions demain en instaurer pour les procédures relatives à l’aide sociale à l’enfance. Dans l’attente, je vous propose de retirer vos amendements ; à défaut, avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Tout ce qui participe à libérer la parole de l’enfant, et plus généralement tout ce qui sert ses intérêts mérite considération. Le garde des sceaux a annoncé un ensemble de petites mesures. C’est bien, mais ces amendements tendent à généraliser un système à même de garantir que l’enfant sera enfin entendu : c’est mieux.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL263 de Mme Raquel Garrido

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à créer un programme Création des conseils intercommunaux d’accès aux droits, sur le modèle des maisons France Services, pour dispenser des conseils juridiques.

Nous proposons d’abonder ce programme de 20 millions – somme modeste au regard de ce budget formidable – en les prélevant sur la politique du tout carcéral.

Les procédures judiciaires, de la justice civile en particulier, sont de plus en plus complexes. Or la justice civile est au cœur de la démocratie ; elle permet de résoudre pacifiquement les conflits, familiaux notamment. Pour garantir les droits des individus, il est nécessaire de les aider à effectuer leurs démarches juridiques.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable. Comme vous, nous voulons garantir une justice de proximité, mais l’échelon départemental nous semble plus favorable. C’est pourquoi nous poursuivons le déploiement des points de justice et des maisons France Services.

La commission rejette l'amendement.

Amendements II-CL226 de M. Davy Rimane et II-CL271 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Élaboré avec le CNB, l’amendement II-CL271 vise à prélever 15 217 787 euros des crédits affectés à l’action Aide juridictionnelle du programme 101 pour abonder un nouveau programme Accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins. Il s’agit de rendre plus visibles les actions menées dans ces territoires et de mieux cibler l’aide juridictionnelle, en créant une action par barreau, afin de mieux prendre en considération les spécificités de chaque territoire.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable sur les deux amendements. Isoler ces crédits ne se traduira pas par leur augmentation. Depuis 2017, nous avons mené une politique volontariste en faveur des crédits de l’aide juridictionnelle. Par ailleurs, un document de politique transversale récapitule les crédits des différentes missions affectés aux territoires ultramarins, dont ceux de la mission Justice.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL166 de Mme Cécile Untermaier et II-CL321 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). Proposé par le CNB, mon amendement vise à permettre à la victime d’être assistée, lors des auditions, par un avocat rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle. Cette mesure améliorerait l’accompagnement des victimes, notamment de violences intrafamiliales, conformément aux recommandations du rapport  « Plan Rouge vif » des parlementaires en mission Mmes Émilie Chandler et Dominique Vérien.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le mien est similaire : nous proposons d’étendre l’aide juridictionnelle pour qu’un avocat assiste les victimes lors des auditions. Aucune indemnisation de l’avocat n’est pour l’instant prévue au stade de l’enquête, à l’exception des confrontations ou des séances d’identification des suspects. Pourtant, le droit à l’assistance a été réaffirmé dans le code de procédure pénale en 2022. Comme le souligne le récent rapport « Plan Rouge vif », cette mesure améliorerait l’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Nous en avons débattu lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL268 de Mme Raquel Garrido

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Le rapport de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files est très instructif : connivences au plus haut niveau de l’État, recours au salariat déguisé…

Le présent amendement tend à prélever 40 millions sur les crédits du programme Administration pénitentiaire pour augmenter ceux de l’aide juridictionnelle et ainsi proposer un accompagnement juridique à tous les travailleurs des plateformes qui veulent engager des démarches pour devenir salariés. Prouver le rapport de subordination suffit à requalifier le contrat, mais la procédure est infernale : les travailleurs des plateformes qui se sont lancés enchaînent prud’hommes, appel, retour aux prud’hommes… Faire valoir ses droits relève pour eux du cauchemar.

Plus d’enfermement n’assure pas plus de justice aux Français – cela ne fait qu’augmenter la population carcérale. Pour garantir l’accès à la justice, il faut renforcer le droit, le conseil et l’accompagnement.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable. Il ne serait pas pertinent de cibler une catégorie particulière de bénéficiaires. Il faut renforcer le réseau judiciaire de proximité pour faciliter l’accès de tous. C’est pourquoi le budget de l’accès au droit augmentera de 9,6 % en 2024.

M. Xavier Breton (LR). Certes, le statut des travailleurs des plateformes pose des questions juridiques, sociales et humaines. Cependant, l’amendement vise à orienter des crédits de l’État au service d’une cause particulière. Cette logique est inquiétante, car comment l’État pourrait-il décider qu’une cause est juste avant même que la justice ne se soit prononcée ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). La cohorte des travailleurs Uber ne sont ici qu’un exemple. L’objet de l’amendement est d’apporter une aide juridictionnelle à tous ceux dont le statut s’apparente à du salariat dissimulé, soit plusieurs centaines de milliers de nos compatriotes.

La commission rejette l'amendement.

Amendement II-CL261 de M. Jean-François Coulomme

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). À l’opposé de la vision sécuritaire du ministre, nous proposons de développer un service public de la justice, c’est-à-dire une justice au service du peuple.

Le présent amendement vise à transférer les crédits alloués à la vidéosurveillance intelligente vers les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD). En effet, le budget de l’accès au droit, bien qu’il augmente de 1,4 million pour 2024, est insuffisant. Les gens en situation de précarité, qui ont du mal à appréhender les procédures juridiques, ont besoin d’un accompagnement, qu’un meilleur maillage départemental leur garantirait.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable. L’augmentation des moyens alloués aux CDAD est déjà substantielle – plus de 9 %.

M. Xavier Breton (LR). Tout est bon pour diminuer les crédits de l’administration pénitentiaire et du pilotage de la justice, prétendument au service d'une logique sécuritaire. Les conseils de l’accès au droit ont le mérite d’exister, mais pour le reste, l’exposé sommaire de l’amendement évoque la création de conseils intercommunaux, alors que les intercommunalités n’ont aucune compétence en matière de justice, et l’instauration d’un service public de l'accès au droit – un service public d’accès au service public ! Cette logique autotélique n’offre aucune solution aux problèmes que connaît la justice. Nous voterons contre l’amendement.

La commission rejette l'amendement.

Amendements II-CL156 de Mme Cécile Untermaier et II-CL269 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). Comme le ministre, nous accordons une grande importance à la justice restaurative, qui permet d’accomplir un travail de fond avec les victimes et de lutter efficacement contre la récidive. Le texte ne lui accorde pas une place suffisante : je propose d’abonder de 30 millions supplémentaires le programme Accès au droit et à la justice, afin de la développer.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Je n’en suis qu’à 20 millions : nous négocions comme des marchands de tapis ! Mais il faut bel et bien augmenter les moyens de la justice restaurative.

Cécile Untermaier et moi avons organisé une projection du film Je verrai toujours vos visages à l’Assemblée nationale. Édifiant, il montre que la justice restaurative ne remplace pas la peine mais la complète, lorsque les auteurs et les victimes sont volontaires, et sans que ce soient nécessairement les protagonistes d’une même affaire qui soient mis en relation. Elle aide les victimes à se reconstruire et les auteurs des infractions à comprendre leurs actes. Elle a enfin la double vertu de prévenir la récidive et donc de contribuer à désengorger les prisons.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Avis défavorable. C’est vrai, il faut développer la justice restaurative. Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit qu’à l’horizon 2027, les 164 tribunaux judiciaires disposeront d’une convention locale, conclue entre les juridictions, les associations d’aide aux victimes, les services de l’administration pénitentiaire, les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les barreaux. Si vous aviez voté ce texte, qui prévoit en outre d’embaucher 10 000 personnes supplémentaires dans la justice, vous auriez accompli un premier geste en faveur du développement de la justice restaurative.

M. Xavier Breton (LR). Ces amendements vont dans le bon sens, puisqu’il s’agit d’investissements susceptibles d’engendrer des économies.

La justice restaurative est intéressante, notamment pour prévenir la récidive. J’ai vu Je verrai toujours vos visages à Bourg-en-Bresse, à l’occasion d'une projection organisée par une association d’aide aux victimes. La salle était pleine ; 300 professionnels du secteur étaient venus. Vous évoquez des échéances à 2027, monsieur le rapporteur pour avis, mais la justice restaurative progresse déjà sur le terrain ! Il faut accompagner ses acteurs. Ici toutefois, le gage pose problème, puisque les crédits sont prélevés sur le budget de l'administration pénitentiaire ou de l’informatique du ministère, qui ont également d’importants besoins.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous nous reprochez de n’avoir pas voté votre réforme : c’est exact – elle ne s'accordait pas avec notre vision de la justice. Mais, monsieur le rapporteur pour avis, lors de l’examen du projet de loi, vous avez donné un avis défavorable à un de nos amendements qui avait pour seul but de faire distribuer un document d’information sur la justice restaurative, et l’ensemble de vos collègues ont voté contre ! Il est difficile de croire que vous avez la volonté de faire avancer cette cause.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL296 de M. Jérémie Iordanoff

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Il tend à augmenter fortement les crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse. Les juges des enfants témoignent des difficultés croissantes qu’affrontent les services de la PJJ. Leur fonction d’assistance éducative est bouleversée par la priorité donnée à l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. La situation des mineurs en danger en est encore aggravée, alors que le nombre d’enfants suivis a augmenté de 15 % entre 2015 et 2021. Alors qu’un enfant meurt tous les cinq jours du fait de maltraitances de son entourage proche, le budget pour 2024 ne prévoit que 92 emplois supplémentaires pour la PJJ : ce n’est pas à la hauteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Nous reprocher de n’être pas à la hauteur est un peu caricatural. Depuis 2017, nous avons augmenté chaque année le budget de la PJJ : de 3 % pour 2024, de 10,5 % pour 2023, de plus de 4 % en 2022, de 5,6 % en 2021… Pour 2024, la hausse dépasse 30 millions, portant le budget global à 1,1 milliard. La trajectoire est bonne, il n’est pas nécessaire de diminuer les crédits d’un autre programme. Avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Amendements II-CL74 de Mme Elsa Faucillon et II-CL198, II-CL199, II-CL200, II-CL219, II-CL220 et II-CL221 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’amendement II-CL74 tend à augmenter les crédits de l’administration pénitentiaire, afin d’ouvrir des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales et de renforcer les moyens affectés au contrôle judiciaire des auteurs de violences intrafamiliales. À la suite du Grenelle des violences familiales de 2019, un travail a été accompli en ce sens, et ces outils ont fait leurs preuves. La lutte contre les violences intrafamiliales en général a progressé, mais les moyens déployés sont essentiellement consacrés aux victimes. Or il faut traiter les deux aspects du problème, et mieux accompagner les auteurs : prévenir la récidive contribue à aider les victimes et à désengorger la justice.

M. Philippe Schreck (RN). Mes six amendements ont trait aux violences conjugales. Les II-CL219, II-CL220 et II-CL221 visent plus particulièrement à augmenter les crédits alloués aux bracelets antirapprochement (BAR), respectivement de 2 millions, 1,5 million et 1 million. C’est un dispositif efficace pour accompagner les victimes de violences conjugales et familiales en instance de jugement, il faut le développer plus rapidement. Comparativement à d’autres pays, il reste faiblement doté : en juillet 2023, quelque 930 BAR étaient en circulation. De plus, il a connu des difficultés opérationnelles, entraînant la résiliation des contrats des sociétés de gestion.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP), qui a d’abord été expérimenté localement puis progressivement étendu, prévoit une éviction immédiate du domicile conjugal de l’auteur des violences et sa prise en charge globale dans un hébergement adapté. Cet excellent dispositif a été salué par tous les acteurs de terrain. Comme tous les dispositifs de réinsertion des personnes sous main de justice, il est prioritaire : les budgets afférents ont augmenté l’an dernier de 34 % et connaissent cette année une stabilisation, afin de le pérenniser. Le projet annuel de performances prévoit le financement de dix structures de CJPP, soit 165 places, pour un coût annuel de 2,5 millions. S’agissant de leur développement, j’ai interrogé le ministre et j’espère qu’il nous apportera des réponses lors de l’examen en séance des crédits de la mission, le 2 novembre.

En 2024, la dotation retenue pour les BAR s’élève à 10,4 millions, dont 5,6 millions pour moderniser les outils informatiques de traitement du suivi des mesures. Le ministère a changé de prestataire et nous pouvons espérer que les difficultés de gestion appartiennent au passé. En un an, le nombre de BAR posés a augmenté de 12 %, pour atteindre 932 ; nous sommes déterminés à en poursuivre le déploiement. Cet objectif figure dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice. Les crédits actuels sont suffisants pour cela.

Avis défavorable sur tous les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL143 de M. Timothée Houssin, II-CL216 de M. Éric Pauget, II-CL311 et II-CL313 de M. Romain Baubry, et II-CL208, II-CL209, II-CL210, IICL-207, II-CL211, II-CL213, II-CL214 et II-CL215 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

M. Timothée Houssin (RN). Mon amendement d’appel vise à augmenter les crédits du programme Administration pénitentiaire afin d’équiper les prisons de scanners corporels à ondes millimétriques, capables de détecter les petites masses métalliques et les couteaux en céramique et en plastique. Pour des raisons budgétaires, la mesure ne concernerait dans un premier temps que les prisons accueillant des détenus de longue durée, et non les maisons d’arrêt.

M. Éric Pauget (LR). L’amendement II-CL216 vise à augmenter de 5 millions le programme Administration pénitentiaire pour accélérer la sécurisation des établissements pénitentiaires. Le ministère en équipe chaque année une quinzaine de systèmes de brouillage des communications téléphoniques et de dispositifs antidrones. En effet, les échanges des détenus avec l’extérieur sont constants ; l’auteur de l’attaque qui a coûté la vie au professeur Dominique Bernard dialoguait régulièrement avec son frère incarcéré.

M. Romain Baubry (RN). Il faut accroître la sécurité des établissements pénitentiaires pour protéger le personnel, les détenus et les structures. J’ai effectué de nombreuses visites ces derniers jours, notamment sur l’île de Beauté : la situation est catastrophique.

M. Philippe Schreck (RN). Mes amendements visent également à augmenter la sécurité, active et passive, des centres de détention, en installant des portiques de sécurité, des brouilleurs et des dispositifs antidrones. Il y va de l’intégrité des détenus et du personnel, souvent confrontés à des actes de délinquance, notamment à des trafics.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. La sécurité pénitentiaire est un sujet d’actualité : beaucoup d’établissements cherchent à développer des moyens de protection dans tous les domaines que vous avez cités. Le texte prévoit d’augmenter de 9 % les crédits concernés, ainsi portés à 83 millions.

S’agissant du brouillage des communications téléphoniques tout d’abord, un réel effort est consenti. En 2018, nous avons engagé une campagne d’installation de dispositifs de neutralisation, ciblant prioritairement les structures sécuritaires et sensibles : dix-sept établissements sont équipés d’un dispositif de brouillage, cinq le seront prochainement, et onze autres au cours du premier semestre 2024. Nous anticipons les évolutions technologiques en les adaptant dès maintenant à la 5G, mais cela demande du temps et des crédits. Le PLF pour 2024 y consacre 29 millions d’euros.

S’agissant des scanners corporels et des portiques, le budget alloué spécialement à l’achat d’équipements de sécurité a été multiplié par dix par rapport à 2023. La mesure de l’enjeu a donc été prise. L’administration pénitentiaire dispose déjà de 14,4 millions afin d’acheter, entre autres, des portiques de sécurité et ce ne sont pas 150 000 euros qui changeront la donne.

Le déploiement de systèmes de brouillage au sein des établissements pénitentiaires permet de faire face aux survols des bâtiments par des drones malveillants et d’endiguer cette menace en neutralisant leur trajectoire. Le maximum d’établissements doivent en être pourvus. En 2023, 3 millions y ont été consacrés et 2,6 millions le seront en 2024. Mais, si la question budgétaire est essentielle, celle de la technologie l’est tout autant. Un achat massif de systèmes qui deviendraient très rapidement obsolètes ne serait pas de bonne politique. Une évolution intelligente s’impose, tant en volume qu’en moyens.

Avis défavorable sur l’ensemble.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Au centre pénitentiaire du Gasquinoy, à Béziers, des drones « livrent » toutes les nuits : en 2022, 15 kilos de drogue et 189 téléphones portables ont été retrouvés par les gardiens. Nous ne disposons pas même du dispositif anti-projections que nous réclamons depuis des années, et nous ne ferons pas partie des centres qui auront un système de brouillage. Non seulement les personnels pénitentiaires passent leur temps à essayer de récupérer les colis lâchés depuis les drones – ils estiment en récupérer un sur quatre – mais la police nationale doit aussi intervenir, avec ce que cela implique en termes de procédure.

Selon les responsables de l’entreprise Instadrone, dans ma circonscription, un dispositif de brouillage efficace coûte entre 40 000 et 50 000 euros. C’est beaucoup, mais ce n’est pas insurmontable dès lors qu’il s’agit de sécuriser nos établissements. Un réel effort doit être accompli.

M. Romain Baubry (RN). Le budget alloué à la sécurité des établissements pénitentiaires est tout de même dérisoire. L’extension du système de vidéosurveillance prévue dans celui de Borgo coûterait 2,155 millions. J’ai visité huit établissements pénitentiaires en seize mois et chaque fois les carences sont les mêmes. Par exemple, de nombreuses zones, notamment les salles de sport, ne sont pas couvertes par les caméras.

Des efforts doivent être également réalisés en matière d’intelligence artificielle, de manière à faciliter le travail de repérage des personnels. Il est impossible à un seul agent de surveiller trois cents ou quatre cents retours caméras, qui plus est lorsque les conditions de travail sont déplorables. À la porte principale de la maison d’arrêt d’Ajaccio, l’agent travaille dans 2 mètres carrés face à trois grands écrans, et il doit également gérer la remise des clés des cellules, les alarmes incendie et portatives, et ce qui se passe dans le périmètre de l’établissement !

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Les crédits alloués à la vidéosurveillance s’élèvent à 4 millions. Dans les nouveaux établissements notamment, il est prévu d’optimiser les dispositifs par des systèmes intelligents permettant de zoomer sur les incidents tout en conservant une surveillance sur la zone ciblée. C’est un bond technologique qui permet de réduire le nombre de caméras tout en luttant contre les zones blanches.

Nous devons néanmoins avancer avec prudence. La surveillance dans les prisons repose certes sur des dispositifs de sécurité passive, mais les ressources humaines et la sécurité active qui comptent sont tout aussi importantes. Un équilibre est nécessaire.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL148 de Mme Emeline K/Bidi et II-CL222 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Mon amendement d’appel vise à transférer des crédits vers l’action Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice du programme 107 afin d’augmenter le budget alloué aux personnels pénitentiaires en outre-mer, où le problème de la surpopulation carcérale est particulièrement prégnant. Il y a urgence. Les accidents, comme celui qui a presque coûté la vie à une surveillante en Guyane l’année dernière, sont trop fréquents.

M. Philippe Schreck (RN). La situation des établissements pénitentiaires de Guyane et Mayotte est difficile et exige un renfort financier. L’an dernier, j’avais suggéré que les surveillants de ces établissements bénéficient d’une prime de 100 000 euros. Ce souhait est désormais partiellement satisfait, avec une prime de 59 000 euros. C’est déjà ça, mais compte tenu des tensions que nous connaissons, il conviendrait de la porter à 200 000 euros.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. La situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer est évidemment préoccupante mais la question de la surpopulation carcérale ne touche pas qu’eux. À la maison d’arrêt de Gradignan, le taux de détention dépasse les 220 %, et elle n’est pas la seule dans ce cas.

Il faut continuer de lutter contre la surpopulation carcérale. Il y a plusieurs débats en cours, par exemple sur l’opportunité d’un mécanisme de régulation. Nous avons déjà mis en place la libération sous contrainte de plein droit pour mieux organiser les fins de peine en milieu ouvert. Nous ne restons pas inactifs, mais ces solutions ne peuvent être que d’ordre national.

Monsieur Schreck, la prime s’élèvera en fait à 119 000 euros au total. Depuis 2017, notre majorité a développé une politique de reconnaissance et de revalorisation à l’égard des métiers pénitentiaires et en particulier du métier de surveillant. Le passage de la catégorie C à la catégorie B qui sera effectif l’année prochaine permettra de renforcer encore leur attractivité et de mieux répondre aux problématiques de recrutement, y compris outre-mer.

Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis Éric Poulliat, la commission rejette successivement les amendements II-CL194, II-CL195, II-CL196 et II-CL197 de M. Philippe Schreck.

Amendements II-CL223, II-CL224 et II-CL225 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Les métiers de l’administration pénitentiaire manquent d’attractivité : tous les postes ouverts aux concours ne sont pas pourvus. Nous sommes donc dubitatifs quant à la finalisation du plan « 15 000 » : à quoi bon créer des places s’il n’y a pas de fonctionnaires pour tout faire tourner ? Il convient donc d’augmenter les budgets dévolus à leurs traitements.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Les beaux métiers de l’administration pénitentiaire souffrent en effet d’un manque d’attractivité mais les évolutions de carrière sont réelles. La directrice des services pénitentiaires de Nancy a commencé comme surveillante !

Le nombre de surveillants recrutés au titre des nouveaux établissements est moins important en 2024 qu’en 2023 en raison d’un moins grand nombre d’ouvertures. En effet, 2023 est une année très importante puisque onze structures sur les cinquante-et-une prévues au titre du plan « 15 000 » seront livrées. Rythme des travaux et difficultés locales obligent, 2024 sera plutôt marquée par les études et les lancements de chantiers. En cohérence, le schéma d’emplois prévu me semble adapté.

Je précise qu’outre les créations d'emplois que vous évoquez, 149 emplois supplémentaires pourront être pourvus si les autres plafonds d’emploi sont saturés. De surcroît, la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice prévoit une nouvelle possibilité de recrutement par voie contractuelle de surveillants pénitentiaires adjoints, si certains postes ne sont pas pourvus à l’issue des concours. L’administration pénitentiaire pourra ainsi éviter la sous-exécution de ses schémas d’emplois.

Avis défavorables.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL217 et II-CL218 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). : Aujourd’hui, 400 personnes sont incarcérées pour fait de terrorisme et 470 ont été libérées depuis 2018. La doctrine actuelle consiste à les incarcérer avec les détenus de droit commun dans des unités spéciales, mais ils sont éminemment dangereux et les agents de l’administration pénitentiaire ne sont pas forcément formés et équipés pour les gérer.

Il convient donc de nous doter d’une prison antiterroriste, avec des locaux adaptés, des personnels formés aux risques terroristes, des encellulements individuels et des conditions d’incarcération spécifiques.

Le second amendement concerne les détenus condamnés pour fait de terrorisme qui sont libérés et qui demeurent radicalisés ou dangereux. Leur suivi nécessitant d’importants moyens humains, je propose que les nouvelles technologies soient beaucoup plus utilisées, notamment, les nouveaux types de bracelets GPS mobiles.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. J’ai eu l’occasion, avec notre ancien collègue Éric Diard, de travailler sur la question de la radicalisation, notamment dans les services publics et en prison.

Une logique de structures dédiées avec un encellulement individuel est déjà appliquée pour la prise en charge des détenus radicalisés. Depuis les attentats de 2015, notre administration pénitentiaire s’est rapidement adaptée. Outre une expertise d’évaluation et de prévention, la création des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) a permis d’isoler les détenus radicalisés et d’assurer un suivi spécifique. Ces quartiers regroupent dix à vingt détenus, emprisonnés individuellement dans des zones étanches de la détention ordinaire. Les programmes qui y sont suivis visent à un désengagement de l’idéologie radicale.

Ces QPR continuent leur montée en charge. Par exemple, un deuxième QPR consacré aux femmes ouvrira au premier semestre 2024 au centre pénitentiaire de Rennes. Une stratégie d’évaluation ambulatoire sans délai des femmes rapatriées depuis la zone irako-syrienne a été appliquée dès l’automne 2022.

Votre idée de prison « à part » est donc finalement un peu redondante. Quant au second amendement, aucune assise légale ne permet l’utilisation de tels bracelets, même si ce serait peut-être une bonne solution. Avis défavorables.

M. Romain Baubry (RN). Les QPR ne sont pas hermétiques, ce n’est pas vrai. Les détenus communiquent entre eux, notamment lors des promenades ou par les fenêtres des cellules. Nous avons besoin d’établissements spécifiques, gérés par des surveillants spécialement formés.

M. Éric Pauget (LR). Nous ne devons pas avoir peur d’utiliser une nouvelle technologie pour des détenus qui continuent à présenter des risques. Le bracelet constituerait un outil supplémentaire dans leur suivi et faciliterait le travail du service national du renseignement pénitentiaire et des services du ministère de l’intérieur – qui, de toute façon, utilisent des moyens technologiques pour cela.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Le cadre juridique, en l’état, n’est pas sécurisé mais un tel dispositif serait en effet sans doute utile.

Le QPR de Nancy est hermétique : pas de vis-à-vis, impossibilité de communiquer par les fenêtres, brouillage anti-drones, filet au-dessus de la cour… Tous les établissements ne sont peut-être pas aussi sécurisés, mais un véritable travail est accompli au sein de ces quartiers pour développer une vision différente de l’islam. J’ajoute que tous les détenus en QPR ne sont pas des terroristes. Ces quartiers doivent répondre à la fois aux nécessités de l’isolement et aux besoins de prise en charge de ces individus même si, évidemment, il faut se garder de tout angélisme.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL312 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry (RN). Il vise à abonder un fonds destiné aux familles de membres de l’administration pénitentiaire qui auraient été victimes d’actes délictuels ou criminels dans l’exercice de leur métier ou en dehors, ce qui est de plus en plus fréquent.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Il faut en effet les soutenir mais, sauf erreur de ma part, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions bénéficie à toutes les victimes d’infractions pénales. Les membres de l’administration pénitentiaire et leurs familles sont donc déjà couverts. S’il fallait créer une indemnisation supplémentaire, il me semble qu’il conviendrait d’abord d’en étudier le principe et l’opportunité avant d’attribuer des crédits budgétaires. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL309 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry (RN). Il vise à permettre le financement de travaux permettant l’accueil de détenus particulièrement signalés (DPS) au centre pénitentiaire de Borgo. Suite à ma visite sur place, je peux assurer qu’aucun accueil de ce type n’est possible en l’état, pas plus qu’ailleurs en Corse. Un bâtiment doit donc être construit sur le domaine pénitentiaire, de même qu’un mirador, afin d’assurer une sécurité parfaite.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Vous rouvrez là une question qui passionnait mon prédécesseur Bruno Questel.

En effet, l’accueil de DPS requiert que la sécurité passive de l’établissement soit optimale. Or, le centre pénitentiaire de Borgo souffre de fragilités structurelles qui empêchent la neutralisation du risque d’évasion. Les miradors de l’établissement ne peuvent assurer que partiellement la fonction de surveillance, étant inférieurs à la hauteur des bâtiments et n’assurant pas la visibilité de trois toitures terrasses. Si des travaux de rénovation des miradors sont en cours, ils ne permettront pas la résolution de tous ces écueils. Il faudrait sans doute construire de nouveaux miradors. En outre, l’établissement n’est pas doté de barrières hyperfréquence, barrières électriques répulsives ou câbles à choc. En l’état il est certain que la prison de Borgo n’offre pas de protection suffisante contre le risque d’évasion.

Selon moi, le dysfonctionnement que vous évoquez tient surtout au maintien du statut de DPS plutôt qu’à des questions d’immobilier pénitentiaire. D’ailleurs, la situation a été débloquée pour certains détenus originaires de Corse en modifiant ce statut. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL317, II-CL316, II-CL319 et II-CL320 de M. Romain Baubry

M. Romain Baubry (RN). Le problème des DPS corses ne sera donc pas réglé puisqu’ils ne pourront revenir dans l’île.

Les deux premiers amendements concernent le centre de détention de Casabianda. Il convient d’abord de l’équiper en bracelets électroniques avec système de géolocalisation, car les détenus – beaucoup de condamnés pour viol, pédophilie, meurtre dans la sphère familiale – évoluent en totale liberté sur un parc de 1 500 hectares, domaine agricole situé en bordure de plage près d’Aléria. Les surveillants les voient seulement le matin et le soir – quand il y a une évasion, ce qui s’est déjà produit, on s’en rend compte avec plusieurs heures de retard. Il conviendrait également de rénover les bâtiments d’hébergement en intégrant des toilettes dans les cellules, ce qui permettrait de verrouiller celles-ci le soir, ou en installant des barreaux aux fenêtres des cellules.

Les deux amendements suivants concernent la maison d’arrêt d’Ajaccio, vétuste et insalubre, qui devrait être reconstruite dans la banlieue de la ville. L’état des locaux du personnel pénitentiaire est déplorable et les cours de promenade ne sont pas adaptées pour recevoir entre cinquante et soixante-dix détenus. Et ne parlons pas d’encellulement individuel : j’ai vu arriver trois nouveaux détenus alors qu’il n’y avait qu’une cellule libre.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Casabianda est une prison ouverte, qui repose sur une liberté relative liée au travail dans une exploitation agricole. Je suis pour ma part favorable à ce modèle de prison, bien plus courant dans les pays scandinaves que chez nous, car il donne de très bons résultats en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive. En outre, si les détenus ne respectent pas les règles, ils sont immédiatement renvoyés vers un établissement pénitentiaire classique et perdent alors cette forme de liberté. Les évasions sont peu nombreuses : de mémoire, trois dans les dix dernières années. Il ne me semble donc pas pertinent de saborder toute la logique de l’établissement pour trois cas.

Quant au budget rénovation et maintenance des établissements, il a longtemps été limité à 60 millions. Nous l’avons doublé et avons réussi à inscrire cet effort dans la durée, puisque nous y consacrons dorénavant chaque année environ 120 millions. L’ordre de priorité des rénovations est ensuite établi par l’administration.

Pour ce qui est d’Ajaccio, les prisons en ville suscitent des interrogations sur la gestion de la sécurité, notamment pour les riverains, mais elles favorisent la réinsertion des personnes détenues et le maintien des liens avec leurs familles. Elles permettent aussi d’attirer plus facilement des partenaires pour proposer du travail en détention. Elles présentent donc aussi des avantages. Le tout est une question d’équilibre entre ces différents enjeux, et je trouve notre position plus équilibrée que la vôtre.

Pour toutes ces raisons, je donne un avis défavorable à ces amendements.

M. Romain Baubry (RN). Je n’ai pas remis en cause le modèle de la prison de Casabianda, simplement proposé de renforcer sa sécurité. En revanche, il semble qu’un centre de vacances présent sur le domaine pénitentiaire ait été rétrocédé à la municipalité et risque de se retrouver dans le parc privé : comment gérer l’afflux de touristes, dont des enfants, à une centaine de mètres des bâtiments hébergeant les détenus ?

Concernant Ajaccio, les conditions de réinsertion ne sont pas adaptées. Selon l’enseignante qui donne des cours aux détenus, les locaux sont trop petits et ne permettent pas d’en accueillir assez. Le travail en prison est inexistant, à l’exception de quelques tâches d’auxiliaire ou en cuisine. Les perspectives de réinsertion sont donc extrêmement limitées. Et les détenus se retrouvent à quatre par cellule avec une luminosité extrêmement faible du fait des murs immenses qui entourent la prison, en raison de sa présence en ville : ces conditions ne sont pas acceptables.

Mme Caroline Abadie (RE). Je suis allée visiter Casabianda il y a quelques années. Il y a d’ailleurs un autre établissement de ce type à Mauzac. Dans mon souvenir, les détenus, sauf peut-être ceux qui s’occupent des animaux, ne partaient pas le matin pour qu’on ne les revoie pas avant le soir : des appels sont faits, à six ou sept reprises, au cours de la journée. Les détenus sont bien surveillés et, entre la montagne et la mer, les risques d’évasion sont faibles. Ce n’est d’ailleurs pas une question d’insularité, comme le démontrent les prisons ouvertes du Danemark, qui fonctionnent très bien.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL146 de Mme Cécile Untermaier et II-CL76 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)

Mme Cécile Untermaier (SOC). Mon amendement d’appel vise à rappeler toute l’importance d’offrir une formation professionnelle ou un parcours diplômant aux détenus. C’est un outil essentiel à la lutte contre la récidive et à la préparation à la sortie, que nous souhaitons renforcer dans le cadre du budget.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il y a autre chose que l’incarcération. Le placement extérieur est une alternative efficace, et permet de désengorger les prisons. Or, au 22 décembre 2022, les structures agréées ne proposaient que 2 195 places, ce qui est bien insuffisant. Nous proposons donc d’augmenter les crédits alloués au placement extérieur.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. La réinsertion fait partie des priorités de l’administration pénitentiaire, et les budgets qui y sont consacrés augmentent de manière pérenne. Toutefois, la formation professionnelle relève de la compétence des régions : cela ne concerne donc pas le budget de l’État.

Nous sommes sensibles à la nécessité d’alléger la pression carcérale. Depuis 2017, notre majorité œuvre pour développer les aménagements de peine et les alternatives à la détention. L’année dernière, le budget accordé au placement à l’extérieur a d’ailleurs connu une augmentation de 67,5 %, soit un effort considérable. Je sais que Mme Faucillon et Mme Abadie insistent sur le placement à l’extérieur dans leur rapport d’information sur les alternatives à la détention, mais les pistes de financement ne sont pas au point. Essayons de ne pas financer cette mesure au détriment d’autres aménagements de peines.

J’émets donc un avis défavorable, mais je reste attentif à la question de la lutte contre la surpopulation carcérale.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il appartient en effet aux régions de financer la formation professionnelle, mais j’appelle l’attention sur le fait que toutes ne prennent pas forcément le sujet à cœur. Le programme de formation diffère largement d’une région à l’autre, et le taux de récidive également.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL182 et II-CL183 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). L’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap) doit suivre l’évolution des objectifs de recrutement tout en assurant la valeur technique des formations. Son budget augmentera de 700 000 euros en 2024, mais cette hausse ne servira qu’à couvrir la facture d’énergie – + 225 % pour le gaz et + 215 % pour l’électricité. Le fait que le reste du budget de l’École ne progresse pas paraît totalement incompatible avec les objectifs affichés en matière d’attractivité du recrutement des agents pénitentiaires. C’est la raison pour laquelle ces amendements proposent de l’augmenter, respectivement de 2 et de 1 million.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. La montée en charge de l’Enap a été anticipée. Le nombre d’élèves et de stagiaires augmente en effet, du fait notamment de l’ouverture de nouveaux établissements, du renforcement des Spip (services pénitentiaires d’insertion et de probation) et du remplacement de départs à la retraite. Pour y faire face, plusieurs mesures ont été prises. En 2019, la capacité pédagogique de l’Enap a été augmentée de 600 places. En 2022, l’École a réceptionné un quatrième village d’hébergement qui lui a permis d’augmenter sa capacité d’accueil des élèves : elle offre désormais un total de 1 750 lits. En 2026, un nouveau bâtiment de simulation devrait être livré dans le cadre du chantier d’extension de l’École. De plus, un pôle de criminologie appliquée devrait voir le jour, qui offrira près de 900 places pédagogiques supplémentaires.

Ce ne sont que quelques exemples, qui illustrent bien le fait que, dès 2017, augmenter la capacité pédagogique et hôtelière de l’Enap a été une priorité. L’augmentation du plafond d’emplois s’est ainsi accompagnée d’une hausse des dépenses de personnel de près de 20 % depuis 2017. La Cour des comptes a souligné ces efforts. Pour toutes ces raisons, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL147 de Mme Cécile Untermaier

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il vise à appeler votre attention sur le manque de psychologues pour la jeunesse en difficulté. Les effectifs sont très insuffisants. Les cinquante-huit psychologues qui seront recrutés en 2024 ne suffiront pas à combler les besoins, qui sont vertigineux.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Il y aura cinquante recrutements de psychologues en 2023, cinquante-huit en 2024, et cela continuera d’augmenter : la trajectoire est donc bonne. On peut toujours demander plus, mais en prenant à d’autres programmes. En outre, les crédits de personnels pour la protection judiciaire de la jeunesse augmentent de 4 %. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL258 de M. Jean-François Coulomme

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Il vise à redéployer des crédits du programme Protection judiciaire de la jeunesse vers un nouveau programme consacré au développement des mesures en milieu ouvert. Il faut en effet revenir à la lettre de l’ordonnance de 1945, qui ne prévoyait pas d’incarcération pour les mineurs. L’incarcération des enfants est une aberration.

La loi Perben 1 du 9 septembre 2002 a pourtant créé les centres éducatifs fermés (CEF), dont le nombre a été augmenté par le Gouvernement. Cela va à l’encontre de toutes les recommandations des professionnels travaillant avec des mineurs et de tous les organismes nationaux et internationaux de défenses des droits des enfants.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Cet amendement vous aura permis de faire un beau plaidoyer anti-CEF, en oubliant au passage l’adoption du code de la justice pénale des mineurs. Mais ce positionnement nie complètement la diversité des profils de délinquance que l’on peut rencontrer chez les mineurs. Les CEF sont un des éléments utiles de la prise en charge que peut proposer la protection judiciaire de la jeunesse ; il n’est donc pas question de nous en priver. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL265 de M. Jean-François Coulomme

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il vise à transférer 20 millions destinés aux investissements immobiliers pour de nouvelles places de prison vers un nouveau programme consacré à la création de pôles judiciaires de lutte contre les discriminations et les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes. Si l’on veut vraiment s’emparer de cette question, il faut s’en donner les moyens, et non se contenter de construire plus pour enfermer plus.

On sait que 40 % des femmes victimes de violences sont éligibles à l’aide juridictionnelle, mais que 19 % portent plainte. Le montant de l’aide juridictionnelle est trop faible : son budget devrait être doublé. On peut aussi agir sur le coût des procédures en alignant la rémunération des avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle pour la partie civile sur les montants prévus pour le prévenu, qui sont aujourd’hui de moitié plus. Il faut enfin améliorer la formation des magistrats dans ce domaine.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Votre amendement est partiellement satisfait, le Gouvernement ayant annoncé la création de pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, avec des équipes judiciaires spécifiques et une instance unique de pilotage. Il ne nous paraît pas pertinent de les regrouper avec les violences sexuelles et sexistes car les infractions au titre des violences intrafamiliales mêlent des problématiques à la fois d’ordre civil et d’ordre pénal, ce qui n’est pas le cas des violences sexuelles et sexistes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL270 de Mme Raquel Garrido

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Il vise à ouvrir près de 3 000 équivalents temps plein dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui sont un maillon essentiel dans l’accompagnement social et la réinsertion des personnes condamnées.

Nous défendons le développement du placement en milieu ouvert des personnes condamnées. Pour cela, il est nécessaire d'augmenter les moyens en personnel des Spip, qui garantissent leur accompagnement social, juridique et de santé et qui permettent, en contact avec la justice, d'assurer l'individualisation de la peine.

Leurs moyens ont certes connu une augmentation bienvenue dans la période 2018-2022, mais ce n’est pas suffisant. Le Conseil national des barreaux alerte ainsi sur la difficulté qu’ont les avocats à accéder aux dossiers en raison d’un manque de personnel dans ces services.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Entre 2007 et 2021, les personnels des Spip ont connu une forte augmentation, de l’ordre de 160 %. Ainsi, 1 500 emplois supplémentaires ont été prévus sur la période 2018-2022. Leur recrutement est encore en cours : en raison des délais de formation, les agents recrutés au titre de ces créations ont été affectés dans les services à partir de l’année 2020 pour les premiers, et les derniers le seront à la fin de l’année 2024. Et les efforts ne sont pas que quantitatifs, puisque nous avons conduit une politique de revalorisation des carrières. Vous pouvez considérer que ce n’est pas assez. Il n’empêche que les efforts sont là et que nous entendons les poursuivre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL273 de M. Jean-François Coulomme

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il s’agit de prélever 10 millions dans les crédits destinés à l’investissement immobilier pour abonder un nouveau programme Moyens pour favoriser l’accès aux soins dans les établissements pénitentiaires.

Le manque criant de personnel de santé en milieu pénitentiaire et un accès aux soins déplorable ont des conséquences graves sur la santé physique et psychique des personnes détenues. Ainsi, la maison d’arrêt pour femmes de Lyon-Corbas ne dispose d’un gynécologue qu’une demi-journée par mois pour soixante femmes détenues. Elle ne compte plus aucun médecin généraliste depuis le mois d’août alors qu’il en faudrait deux à temps plein pour assurer un suivi minimal. Cette situation catastrophique n’est du reste pas une exception. Les personnes détenues ne devraient jamais être privées de soins. L’incarcération est une privation de liberté et non une privation de dignité. Il est urgent de réagir.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Merci d’évoquer ce sujet important. Depuis 1994, la prise en charge sanitaire des personnes détenues est entièrement confiée à l’administration hospitalière, car elle doit se faire dans des conditions équivalentes à celles de l’ensemble de la population. Des progrès restent sans doute à faire et, vous avez raison, il y a de gros problèmes de recrutement des personnels sanitaires. Toutefois, cela concerne le budget de la santé et non celui de l’administration pénitentiaire. Avis défavorable.

M. Xavier Breton (LR). Je remercie nos collègues d’avoir déposé cet amendement sur la santé physique et psychique dans les établissements pénitentiaires. Alors que, selon le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, près d’un quart des détenus présentent des maladies psychiques lourdes et quasiment les trois quarts des troubles psychiatriques, qui ne peuvent que s’aggraver en détention, le personnel médical n’est pas suffisant et le personnel pénitentiaire pas suffisamment formé. Il est important que nous nous mobilisions pour apporter des réponses qui deviennent urgentes.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Si les hôpitaux tombent en ruines et si l’on manque de personnel parce que les conditions de travail ne sont pas très attractives, c’est bien de la responsabilité du Gouvernement. Plutôt que de consacrer de l’argent à la construction de prisons qui ne servent qu’à fabriquer de la récidive, utilisez-le pour améliorer les conditions de vie des détenus !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL280 de M. Jean-François Coulomme

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Jeudi 31 août, dans mon département de Savoie, Karen, une policière de 42 ans, a été sauvagement assassinée par son ex-mari, qui avait pourtant été condamné pour non-respect d’une ordonnance d’éloignement. Avec un bracelet antirapprochement et un téléphone grave danger, ce drame abominable aurait peut-être pu être évité.

Cet amendement vise à mener une étude des besoins par territoire en bracelets antirapprochement et en téléphones grave danger, ces deux dispositifs ayant été instaurés sans aucune donnée chiffrée, comme le souligne la Cour des comptes. Il nous paraît important de déterminer les moyens nécessaires en tenant compte des retours d’expérience et des spécificités de chaque territoire.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Les données existent pour partie, puisque les besoins découlent des décisions prises par les juridictions. C’est aussi la raison pour laquelle il n’est pas totalement possible de les anticiper. L’idée est donc de financer les dispositifs autant que de besoin, sans savoir leur nombre à l’avance. S’il faut sans doute améliorer l’évaluation sur le terrain, cela relève plutôt du rôle du Parlement au titre de l’évaluation des politiques publiques. Avis défavorable.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Gouverner, c’est prévoir, on ne peut pas attendre que les délits soient commis ! Seules les associations sont en mesure d’estimer le nombre de femmes en danger dans un territoire. Si l’on met à disposition le nombre de bracelets et de téléphones correspondant, l’institution judiciaire les prescrira plus facilement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL72 de Mme Elsa Faucillon

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il vise à transférer 1 euro symbolique du programme Administration pénitentiaire vers une nouvelle ligne budgétaire dédiée à la mise en œuvre d’un mécanisme de régulation carcérale. J’ai compris que vous n’étiez pas opposé par principe aux pistes ouvertes par Mmes Faucillon et Abadie dans leur rapport. Adopter cet amendement serait porteur d’espoir et changerait la façon dont on voit la population carcérale dans notre pays.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis. Ce sujet très intéressant mérite en effet que l’on en débatte, et votre euro symbolique montre bien qu’il ne s’agit pas d’une question budgétaire. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable.

Mme Caroline Abadie (RE). Je souscris évidemment à l’objectif, même si un amendement au PLF n’est pas la solution. Je suis intimement convaincue que l’on ferait des économies avec un mécanisme de régulation carcérale, en prenant la décision politique de planifier la fin de la surpopulation dans les prisons.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis des rapporteurs pour avis, la commission rejette successivement les amendements II-CL277, II-CL281, II-CL276, II-CL278, II-CL178 et II-CL275 de Mme Emmanuelle Ménard.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Justice non modifiés.

Après l’article 54

Amendements II-CL303 et II-CL302 de Mme Caroline Yadan

Mme Caroline Yadan (RE). Après les états généraux de la justice, le garde des sceaux a présenté un plan d’action pour une justice plus rapide et plus efficace, ce qui est un objectif majeur pour le Gouvernement depuis 2017. Il a annoncé une dématérialisation totale des procédures civiles et pénales. Or les conseillers prud’homaux ne sont pas équipés de matériel informatique ! C’est difficilement imaginable. L’amendement II-CL302 vise donc à allouer un budget aux frais d’acquisition de matériel informatique pour l’ensemble des conseillers prud’hommes, tandis que l’amendement de repli II-CL303 limite cette disposition aux seuls présidents et vice-présidents des conseils de prud’hommes.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. L’article L. 1423-15 du code du travail précise déjà que les dépenses de personnel et de fonctionnement du conseil des prud’hommes sont à la charge de l’État : cela couvre les dépenses de matériel informatique. Vos amendements sont donc satisfaits. Demande de retrait ou avis défavorable.

Les amendements sont retirés.

Amendements II-CL71 et II-CL77 de Mme Elsa Faucillon

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Ce sont deux demandes de rapport, l’un concernant les personnels en contact avec des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles et le second les professionnels en contact avec les mineurs non accompagnés. Dans les deux cas, la prise en charge doit dépasser le simple domaine juridique.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Défavorable aux demandes de rapport.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL150 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Il a pour objet la remise d’un rapport sur la création d’une filière A juridictionnelle pour l’ensemble des personnels des greffes, afin d’assurer une meilleure reconnaissance de leur profession. Je sais que des négociations sont en cours sur le sujet, mais nous tenons à ce qu’elles aboutissent.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Je suis d’accord avec vous sur le fond mais j’émets un avis défavorable sur cette demande de rapport, d’autant que des discussions sont en cours avec le Gouvernement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL152 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Une expérimentation est en cours avec l’AP-HP, qui permet le dépôt de plainte aux urgences pour les victimes de violences conjugales. Je regrette que ce dispositif ne soit pas étendu à La Réunion, qui connaît un taux de violences intrafamiliales particulièrement alarmant. Cet amendement de demande de rapport vise surtout à faire avancer le sujet.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis suppléant. Je suis encore une fois d’accord avec vous sur le fond mais la mise en œuvre de ce dispositif relève de conventions conclues entre les hôpitaux et les procureurs. Avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. Je saisis cette occasion pour rappeler que la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur a prévu la généralisation des prises de plainte hors les murs. Cela devrait arriver prochainement dans tous les territoires.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Sacha Houlié. Nous avons terminé l’examen de la mission Justice.

 

 

 

 


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   Personnes entendues

   Dr Marielle Wathelet, médecin de santé publique au CHU de Lille et directrice adjointe de la F2RSM Psy

   M. Thomas Fovet, maître de conférences des universités – praticien hospitalier en psychiatrie adulte au CHU de Lille

   Dr Pascale Giravalli, psychiatre, cheffe de service de l’UHSA de Marseille, présidente de l’ASPMP

   Dr Marc Fédèle, psychiatre, chef de pôle, SMPR de Rennes, vice-président de l’ASPMP

   Dr Éric Kania, psychiatre, SMPR de Marseille et membre du bureau de l’ASPMP

   Dr Béatrice Carton, chef de service UCSA, maison d’arrêt de Bois-d’Arcy maison d’arrêt de Versailles, et présidente de l’APSEP

   Dr Valérie Kanoui, cheffe de service de l’UCSA et médecin coordinateur des services médicaux du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, vice‑président de l’APSEP

   Dr Patrick Serre, chef de pôle santé publique au centre hospitalier du Mans, praticien hospitalier coordonnateur de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt du Mans Les Croisettes., vice-président de l’APSEP

   Mme Sophie Le Bris, cheffe de projet « Santé des personnes placées sous main de justice » – direction générale de la santé (DGS), sous‑direction santé des populations et prévention des maladies chroniques

   Mme Laora Tilman, adjointe au chef du bureau prises en charge post‑aiguës, maladies chroniques et santé mentale – direction générale de l’offre de soins (DGOS), sous-direction de la régulation de l’offre de soins

   M. Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire

   Mme Laurence Venet-Lopez, cheffe du service de l’administration 

   M. Philippe Gicquel, sous-directeur du pilotage et du soutien des services 

   Mme Patricia Theodose, adjointe à la sous-directrice de l’insertion et de la probation

 

 


—  1  —

 

   déplacements

   Dr Pascal Forissier, psychiatre, chef de service du SMPR

   M. Frédéric Le Roux, cadre de santé

   Dr Marin Guillot et Dr Elodie Millet, praticiens hospitaliers

   Mme Gaëlle Gaste, psychologue

   Mme Nadia Chakib, assistante sociale

   Mme Corinne Delabarre, secrétaire

   Mmes Christine Castillo, Agnès Troncher, Coline Arnoud, infirmières

   Mme Isabelle Liban, directrice interrégionale adjointe de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de l’Île-de-France

   M. Renaud Lassince, directeur des services pénitentiaires, adjoint au chef d’établissement

   Mme Valérie Decroix, directrice interrégionale de la DISP de Lille

   Mme Emmanuelle Costes, cheffe d’établissement

   Mme Fabienne Palmier, cheffe des services pénitentiaires, cheffe de détention

   Mme Hamony Lydia, adjointe à la cheffe de détention

   M. Yohan Marie, capitaine

   M. Pascal Monnard, surveillant

   Mme Laurence Padre, surveillante

   Mme Fleur Charton, responsable locale de l’enseignement

   M. Marc Plumecoq, directeur fonctionnel du SPIP de l’Aisne

   Mme Nadia Aliane, directrice adjointe de l’établissement public de santé mentale départemental (EPSMD) de Prémontré

   M. Philippe Vrand, attaché d’administration hospitalière à la direction de la clientèle, de la stratégie et du secteur médico-social de l’EPSMD de Prémontré

   Mme Clémentine Roth, directrice du CPN

   M. Sébastien Pecker, directeur des ressources humains, référent du pôle

   Dr François Laruelle, psychiatre, chef de pôle à l’UHSA

   Dr. Cathy Nardin, cheffe de service à l’UHSA

   Mme Anne-Sylvie Humbert, cadre supérieure de santé de pôle

   Mme Cathy Christophe, cheffe d’établissement

    Mme Laurence Pascot, secrétaire générale de la DISP Grand-Est

   M. Alexandre Pierre, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation au département des politiques d’insertion, de probation et de prévention de la récidive de la DISP Grand-Est

   M. Claude Christoph, chef de service pénitentiaire, responsable de l’unité hospitalière sécurisée inter-régionale et de l’unité hospitalière spécialement aménagée

   M. Wilfrid Strauss, directeur des soins de proximité de l’agence régionale de santé (ARS) Grand-Est

   Mme Virginie Arnould, référente santé des détenus de l’ARS Grand-Est

 

 

 


([1]) Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy), La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, décembre 2022.

([2]) Compte d’affectation spéciale pensions.

([3]) Le titre 2 regroupe les crédits de personnel.

([4]) Action 01 : Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice.

([5]) Le projet annuel de performance précise que, sur cette dotation, 5,6 millions d’euros permettront de « moderniser les outils informatiques dédiés au traitement du suivi des mesures ». Il rappelle qu’au 1er juillet 2023, 932 BAR étaient déployés (Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2024, p. 44). 

([6]) Le projet annuel de performance rappelle que l’augmentation du budget alloué au placement extérieur a permis de revaloriser de 10 euros le prix de journée rémunérant les structures d’accueil (p. 44).

([7]) Action 02 : Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice.

([8]) Le Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2024 précise qu’« à ce jour, 27 sites disposent d’équipements complets installés et fonctionnels et [que] la fin de l’exercice 2023 supportera le déploiement de 45 dispositifs sur les 50 commandés initialement » (p. 46).

([9])  Projet annuel de performances du programme « Administration pénitentiaire » annexé au projet de loi de finances pour 2024, p. 48.

([10]) 360 places pour les structures d’accompagnement vers la sortie d’Osny et de Meaux, 282 places pour le centre pénitentiaire de Caen-Ifs, 408 places pour le centre de détention de Fleury-Mérogis et 278 places pour le centre pénitentiaire de Troyes-Lavau.

([11]) À ce sujet, voir notamment le rapport pour avis n° 341 sur le projet de loi de finances pour 2023.

([12]) Il convient de signaler que, dans le projet de loi de finances pour 2023, le montant demandé était de 1,087 milliard d’euros, mais que le montant finalement voté dans la loi de finance initiale, d’après le projet annuel de performances pour 2024, était supérieur, s’établissant à un total de 1,092 milliard.

([13]) Action 01 : Mise en œuvre des décisions judiciaires.

([14]) Pour mémoire, au 1er juin 2023, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse dispose de 1 221 établissements et services : 229 en gestion directe, qui relèvent du secteur public (soit un de plus qu’en 2021), et 992 habilités et contrôlés par le ministère de la Justice, qui relèvent du secteur associatif (soit 22 de moins qu’en 2021).

([15]) Action 03 : Soutien.

([16]) Action 04 : Formation.

([17]) Pour les hommes, l’enquête de prévalence a été conduite dans 13 maisons d’arrêt (450 entretiens), 5 centres de détention (249 entretiens) et 2 maisons centrales (100 entretiens) ; pour les femmes, dans une maison d’arrêt (49 entretiens) et un centre de détention (50 entretiens).

([18]) Enquête de prévalence sur les troubles psychiatriques en milieu carcéral, étude pour le ministère de la santé et le ministère de la justice, décembre 2004.

([19]) La santé mentale des personnes entrant en détention dans le Nord et le Pas-de-Calais, Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy), novembre 2017.

([20]) La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy), décembre 2022.

([21]) Assemblée nationale, rapport n° 4906 fait au nom de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, Mme Caroline Abadie, 12 janvier 2022.

([22]) Idem.

([23]) Enquête de prévalence sur les troubles psychiatriques en milieu carcéral, op. cit.

([24]) La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, op. cit.

([25]) La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, op. cit.

([26]) Taux de mortalité par suicide calculé à partir de la moyenne annuelle de la population pénale hébergée : nombre total de suicides de personnes détenues rapporté à la moyenne annuelle de la population pénale hébergée.

([27]) Taux de suicide calculé à partir de la file active des personnes détenues, c’est-à-dire l'ensemble des personnes détenues écrouées sur la période donnée.

([28]) Données pour les personnes écrouées non hébergées.  

([29]) Loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale.

([30])  Direction générale de l’offre de soins, réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur pour avis.

([31]) Ce chiffre a été extrapolé à partir d’une donnée renseignée uniquement par 2 des 9 UHSA qui ont indiqué avoir réalisé 8 236 consultations psychiatriques sur l’année.

([32])  En application du second alinéa de cet article, il appartient à l’autorité préfectorale de faire procéder, dans les meilleurs délais, à l’hospitalisation d'office dans un établissement de santé habilité en psychiatrie.

([33]) Parcours de soins et expertises psychiatriques pré-sentencielles - une étude descriptive au centre pénitentiaire de Château-Thierry. L’Encéphale. n° 49, Juin 2023, p. 289-295.

([34]) Rapport n° 808 des groupes de travail de la commission des lois sur la détention en conclusion des travaux des groupes de travail sur la détention (Mme Yaël Braun-Pivet, M. Stéphane Mazars, M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky), 21 mars 2018.

([35]) IGAS, IGJ, Évaluation des UHSA pour les personnes détenues, décembre 2018.

([36]) Circulaire interministérielle n° DGOS/R4/PMJ2/2011/105 du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

([37]) La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, op. cit.

([38]) Selon l’administration pénitentiaire, « La notion de repérage n’est pas strictement partagée par les professionnels pénitentiaires et de santé. Cette notion peut parfois être considérée sur le plan sanitaire comme relevant du seul domaine de compétence des soignants, à l’exclusion donc des observations émises par les professionnels pénitentiaires. Ainsi, il n’existe pas d’harmonisation formelle au plan national quant à un repérage partagé entre les différents services intervenant au sein des établissements pénitentiaires ».

([39]) Instruction DGS/MC2/DGOS/R4 n°2010-390 du 17 novembre 2010 relative à l’organisation de la prise en charge des addictions en détention.

([40]) 50 millions supplémentaires en 2018, 80 millions en 2019, 110 millions en 2020 et en 2021.

([41]) Article L. 1110-4 du code de la santé publique.

([42]) 2e alinéa de l’article L. 6141-5 du même code.

([43]) La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale, op. cit.