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N° 1778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2023

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 1680)
de finances pour 2024

 

 

 

TOME VIII

SÉCURITÉS

 

SÉCURITÉ CIVILE

PAR M. Éric PAUGET

Député

——

 

 Voir le numéro : 1745 – III – 43

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2023 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, 100 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer de leur collaboration.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction............................................... 5

Première partie : les crédits de la sécurité civile pour 2024

I. Les crédits de la direction générale continuent d’augmenter, conformément aux objectifs fixés par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur

II. Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Seconde partie : mieux mesurer l’action des services départementaux d’incendie et de secours par le calcul de la valeur du sauvé             

I. La valeur du sauvé : une notion pertinente pour sortir les SDIS d’une logique de « centres de coût »

A. Une approche académique encore récente qui vise à mieux valoriser les interventions des sDis

1. Les indicateurs standards de mesure de performance sont insuffisants pour prendre en compte l’ensemble des bénéfices dus aux interventions des SDIS

2. La valeur du sauvé : un objet de recherche académique récent qui propose une autre conception de l’activité des SDIS

B. Alors que certains SDIS réalisent déjà des estimations de la valeur du sauvé, une harmonisation méthodologique paraÎt souhaitable

1. Des modalités de calcul différentes en fonction des SDIS

2. Une harmonisation des méthodologies afin de donner toute sa force à la notion

 

 

II. la prise en compte de la valeur du sauvé pourrait emporter des conséquences sur le modèle de financement des SDIS

A. La notion de valeur du sauvé intervient en plein débat sur le mode de financement des SDIS

1. Un financement aujourd’hui largement assumé par les collectivités territoriales

2. Une réflexion en cours sur l’évolution du financement des SDIS qui devrait faciliter le renforcement de leurs capacités

B. Un modèle de financement qui doit s’adapter aux contraintes opérationnelles pesant sur les sDis

1. La valeur du sauvé comme moyen de revaloriser les dotations versées aux SDIS

2. La valeur du sauvé au service d’une prise de conscience collective pour rendre les citoyens acteurs de leur propre sécurité

Liste des propositions

Examen en commission

Personnes entendues

annexe

 


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Mesdames, Messieurs,

Pour la deuxième année consécutive, votre rapporteur a l’honneur de présenter devant la commission des Lois l’évolution des crédits du programme 161, « sécurité civile ». Ce programme, l’un des quatre de la mission « sécurités » – avec les programmes 152 « gendarmerie nationale », 176 « police nationale » et 207 « sécurité et éducation routière » – est un enjeu majeur pour nos territoires, dans un contexte d’accroissement continu du nombre de sollicitations des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et d’aggravation du changement climatique.

Le budget total de la sécurité civile repose à hauteur d’un tiers sur l’État – via le programme 161, objet du présent avis budgétaire, et via d’autres programmes du budget général, ainsi qu’à travers la fiscalité transférée aux collectivités territoriales – et aux deux tiers sur les communes et les départements, qui financent largement les SDIS, en première ligne pour assurer la sécurité civile du quotidien.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le programme 161 voit son budget fixé à 734,6 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse de moins de 3 % par rapport aux crédits consentis par la loi de finances pour 2023. Cette hausse est, tant en valeur réelle qu’en valeur relative, la moins importante de l’ensemble des quatre programmes de la mission. En prenant en compte les perspectives d’inflation pour l’année 2024, elle est d’ailleurs quasi nulle.

Cette évolution fait cependant suite à une très forte augmentation des crédits pour 2023. Votre rapporteur tient par ailleurs à saluer l’engagement pris par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale, d’abonder les crédits prévus pour 2024 de 140 millions d’euros supplémentaires.

Il convient de rappeler que ce budget ne représente que les crédits de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer. Il n’est donc pas représentatif de l’évolution réelle du budget global de la sécurité civile, qui est assumé lourdement par les collectivités territoriales, en particulier par les départements, qui sont ainsi les principaux financeurs des SDIS.

L’année dernière, outre une première partie présentant l’évolution des crédits du programme 161, votre rapporteur avait souhaité traiter en particulier de la stratégie française de prévention et de lutte contre les feux de forêt, après un été dramatique pour les espaces forestiers de notre pays. Cette année, sa réflexion porte sur la conception du citoyen et de l’ensemble des financeurs de l’action des SDIS. Le présent avis budgétaire est ainsi consacré à la notion de valeur du sauvé comme moyen de mieux mesurer leur activité.

La valeur du sauvé est en effet une mesure alternative de l’efficacité des SDIS, qui vise à prendre en compte la somme totale des vies sauvées, des souffrances évitées et des coûts économiques réduits grâce à l’intervention rapide et efficace des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. En d’autres termes, elle évalue le retour sur investissement social que les SDIS apportent dans nos territoires.

Encore nouvelle et difficile à traduire opérationnellement, la notion de valeur du sauvé permettrait, une fois structurée, de reconsidérer la dépense publique (et privée) permettant à notre modèle de sécurité civile de fonctionner. Pourvu qu’elle repose sur une méthodologie fiable et harmonisée, elle contribuerait à mieux prendre en compte les externalités positives suscitées par l’action des SDIS.

Afin de mieux comprendre cette notion et son potentiel, en particulier dans un contexte plus large d’importants débats sur le mode de financement des SDIS, votre rapporteur a auditionné 15 personnes représentant l’ensemble des parties prenantes intéressées par ces travaux : représentants de la direction générale, des élus départementaux et des personnels de la sécurité civile ayant travaillé localement sur le sujet, un enseignant-chercheur spécialisé sur la notion ainsi que les représentants des assureurs.

Au terme de ce cycle d’auditions, il formule 7 recommandations dont il espère qu’elles contribueront à nourrir la réflexion commune sur l’évolution du financement des SDIS et à dégager de nouvelles pistes pour l’avenir.

 

 

 


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   Première partie : les crédits de la sécurité civile pour 2024

Les crédits consacrés par le projet de loi de finances pour 2024 à la sécurité civile stricto sensu sont inscrits au sein du programme 161 « sécurité civile ». Ils ne représentent néanmoins qu’une petite proportion de l’ensemble des sommes affectées à la sécurité civile – d’autres programmes, ainsi qu’une part de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales, contribuant également à son financement.

I.   Les crédits de la direction générale continuent d’augmenter, conformément aux objectifs fixés par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur

Le programme 161 « sécurité civile » fait partie de la mission « sécurités », qui regroupe l’ensemble des moyens financiers concourant à la protection des populations sur le territoire, avec les programmes 176 « police nationale », 152 « gendarmerie nationale » et 207 « sécurité et éducation routières ».

Il est placé sous la responsabilité de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui concourt à la politique interministérielle de sécurité civile, conformément aux orientations définies par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 relative à la modernisation de la sécurité civile, aux termes de laquelle : « l’État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ; il en définit la doctrine et coordonne ses moyens ». La DGSCGC organise, prépare et met en œuvre les moyens nationaux d’intervention de la sécurité civile, notamment en situation de crise. Elle conduit la politique internationale de la France en matière de sécurité civile et participe à la lutte contre le terrorisme.

Dans un souci de stabilité et de transparence de l’action publique, la DGSCGC conserve, pour l’exercice 2024, les quatre objectifs de performance précédemment définis depuis l’exercice 2020 : assurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de lutte contre les feux de forêt, assurer la disponibilité des moyens aériens et leur conformité aux besoins opérationnels, faire évoluer la cartographie des centres de déminage pour éliminer les munitions historiques, et faire face à la menace terroriste et harmoniser les moyens des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS).

Les crédits demandés pour 2024 au titre du programme 161, d’un montant de 734,6 millions d’euros, sont en hausse de 14,7 % par rapport à la dotation prévue pour le précédent exercice dans le projet de loi de finances initial pour 2023.

Toutefois, la dotation 2023 avait elle-même fait l’objet d’une augmentation significative durant l’examen au Parlement du projet de loi de finances : les crédits du projet de loi de finances initialement prévus s’élevaient en effet à 640,6 millions d’euros, avant d’être considérablement augmentés, pour atteindre 714,1 millions d’euros dans la loi de finances définitivement adoptée. L’augmentation réelle des crédits entre 2023 et 2024 est donc de 2,87 %. Cette évolution globale s’accompagne de fortes disparités entre les différentes actions du programme (voir infra).

Les crédits de ce programme devraient continuer à augmenter, selon les prévisions indicatives figurant dans le projet annuel de performance de la mission « Sécurités », de 3,14 % en 2025, puis 12,61 % en 2026, conformément aux orientations budgétaires de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI).

ÉVOLUTION des CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME 161 « SÉCURITÉ CIVILE »

(en euros)

Actions du programme 161
« Sécurité civile »

Crédits de paiement

LFI 2023

PLF 2024

Évolution

11 – Prévention et gestion de crises

55 289 207

75 777 041

37,06 %

12 – Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux

442 128 186

442 913 764

0,18 %

13 – Soutien aux acteurs de la sécurité civile

202 285 619

183 937 340

- 9,07 %

14 – Fonctionnement, soutien et logistique

14 406 213

32 008 002

+ 122,18 %

Total du programme 161

714 109 225

734 636 147

+ 2,87 %

Source : projet annuel de performance de la mission « Sécurités » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

En tenant compte des perspectives d’inflation pour l’année 2024 (+ 2,6 %) inscrites dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2024, le montant des crédits du programme augmente en réalité d’environ 0,3 % seulement.

L’action 11 « Prévention et gestion de crises » porte sur la veille, l’alerte et la gestion interministérielle des crises, sur la solidarité nationale en cas de survenance d’une crise, sur la prévention opérationnelle et la protection des populations et, enfin, sur l’activité opérationnelle lors de crises. Comme l’an dernier, la principale dépense de fonctionnement de cette action concerne l’achat de carburant des avions et des hélicoptères (15,45 millions d’euros en crédits de paiement). La dépense d’investissement la plus conséquente concerne les moyens consacrés à la poursuite du déploiement du système d’alerte et d’information des populations (SAIP) (7,1 millions d’euros), devant les colonnes de renfort mobilisées par l’État en cas d’engagement opérationnel (7 millions d’euros).

L’action 12 « Préparation et intervention spécialisées des moyens nationaux » bénéficie de la dotation la plus importante, correspondant à 60,3 % des crédits du programme. Elle regroupe les moyens nationaux que l’État met à la disposition de la population, au quotidien ou lors de catastrophes naturelles ou technologiques, et se décline en cinq sous-actions, portant chacune sur un « métier » propre à la sécurité civile : avions, moyens nationaux terrestres, hélicoptères, moyens nationaux de déminage et moyens nationaux de soutien.

Comme l’année passée, la principale dépense de fonctionnement (102,9 millions d’euros en crédits de paiement, contre 88,6 millions d’euros pour le PLF 2023) concerne la maintenance des aéronefs, qui représente plus de 23 % des crédits de paiement de cette action et plus de 14 % de l’ensemble des crédits de paiement du programme. Les acquisitions d’aéronefs constituent la dépense d’investissement la plus élevée (66,3 millions d’euros).

L’action 13 « Soutien aux acteurs de la sécurité civile » correspond aux activités de coordination et de formation des services d’incendie et de secours (SIS) et des associations de sécurité civile. Cette action comprend notamment la contribution au régime d’indemnisation spécifique des sapeurs-pompiers volontaires (RISP), ainsi que la participation de l’État au budget de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP) et au budget de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP). Elle comprend également la dotation de soutien à l’investissement des SDIS via les pactes capacitaires, ainsi que le projet de système d’information et de commandement unifié des services d’incendie et de secours et de la sécurité civile (NexSIS) confié à l’agence du numérique de la sécurité civile.

Enfin, l’action 14 « Fonctionnement, soutien et logistique » réunit les fonctions de soutien général du programme 161 : services d’état-major, inspection générale de la sécurité civile (IGSC) et fonctions support. Le fonctionnement courant des services de la DGSCGC représente la dépense la plus élevée (3,1 millions d’euros, en augmentation de 14,8 % par rapport aux crédits de paiement prévus par le PLF 2023).

Les fonds de concours et avances de produits attendus, qui s’ajoutent au montant des crédits de paiement demandés pour 2024, s’élèvent à 14 728 890 euros et portent sur le financement de l’infrastructure nationale partagée des transmissions (INPT) et sur la rémunération des services rendus par la DGSCGC.

Les dépenses de personnel (titre 2) s’élèvent à 215,8 millions d’euros en crédits de paiement, en hausse de 6,9 % par rapport à 2023. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, la direction du budget a fixé le schéma d’emplois du programme à + 10,07 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT). Le plafond d’emplois, qui a été défini à 2 477,36 ETPT, est réparti de la manière suivante :

– 1 415,8 personnels militaires ;

– 132,23 personnels administratifs ;

– 520,5 personnels techniques ;

– 35,5 ouvriers d’État ;

– 78,83 hauts fonctionnaires et personnels issus de corps de conception et de direction et de corps de commandement de la police nationale ;

– 294,5 personnels des corps d’encadrement et d’application de la police nationale.

La DGSCGC emploie des personnels mis à sa disposition par la BSPP, les SDIS et le bataillon des marins-pompiers de Marseille. Ces effectifs ne sont pas comptabilisés dans le plafond d’emplois du programme : le remboursement des rémunérations correspondantes est imputé sur les crédits de fonctionnement (12,6 millions d’euros en crédits de paiement). Ce schéma, qui concernait en 2019 près de 38 % des agents affectés en administration centrale ([1]), crée une distorsion importante dans l’appréciation du respect du plafond d’emplois du programme.

II.   Des crédits qui ne représentent qu’une faible proportion du budget total consacré à la sécurité civile

Le programme 161 ne représente qu’une faible partie du montant total des crédits de la sécurité civile.

L’État contribue au tiers de ce montant par l’intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs programmes du budget général (354, 149, 205, 181, 204, 190, 159, en plus du programme 161) ([2]) et de la fiscalité transférée aux collectivités territoriales (fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance – TSCA).

Le budget de la sécurité civile repose ainsi essentiellement sur les collectivités territoriales, qui sont les financeurs principaux des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), chargés de la sécurité civile « de proximité ». Les recettes cumulées de l’ensemble des SDIS – hors BSPP et BMPM –  atteignaient environ 5,2 milliards d’euros en 2022.

Le nombre de sollicitations des SDIS ne cesse de croître : il s’élevait à 4,7 millions en 2021, contre près de 5 millions en 2022, dont près de trois quarts des opérations pour du secours à victime. Cette augmentation continue de la charge des SDIS est ainsi largement supportée par les collectivités territoriales.

Nombre de sollicitations des sdis (bspp et bmpm COMPRISes) en 2022

Source : DGSCGC

 

À titre indicatif, rapporté à l’ensemble de la population française, le coût global de la sécurité civile s’élevait à environ 108 euros par an et par habitant en 2021. En considérant uniquement les seules dépenses des SDIS, ce montant s’élevait, en 2021, à 86 euros par habitant. La mission de l’inspection générale de l’administration consacrée au financement des services d’incendie et de secours  ([3])  relevait cependant d’importantes disparités selon les départements, cette valeur étant inférieure à 65 euros dans 10 départements et supérieure à 95 euros dans 16 autres.

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   Seconde partie : mieux mesurer l’action des services départementaux d’incendie et de secours par le calcul de la valeur du sauvé

Les services départementaux d’incendie et des secours (SDIS) sont de plus en plus sollicités, et le seront encore davantage dans les années à venir, afin de faire face aux défis posés par le changement climatique et la multiplication des risques. Pour répondre à cette importante demande d’assistance et de secours, la France devra, d’ici 2027, compter 220 000 sapeurs-pompiers volontaires et 50 000 professionnels, contre respectivement 197 100 et 41 000 aujourd’hui. À ces besoins humains s’ajoutent de lourds besoins matériels pour accompagner ces nouveaux déploiements et moderniser l’action de nos personnels de sécurité civile.

Malgré l’engagement de l’État, en particulier par l’intermédiaire des pactes capacitaires ([4]), ces efforts de financement sont largement assumés par les collectivités territoriales, en premier lieu par les départements. Dans un contexte de raréfaction durable de l’argent public et de diminution des ressources des collectivités, l’augmentation de cette charge pèse lourd sur le bloc communal et les départements – toutes ces collectivités ne disposant par ailleurs pas des mêmes budgets pour faire face à cette obligation.

Dans ce cadre, la notion de valeur du sauvé, développée récemment par le monde universitaire et actuellement expérimentée par une trentaine de SDIS, pourrait nourrir les débats en cours sur l’évolution du modèle de financement de notre sécurité civile. En opérant un rapprochement entre les dommages constatés et la valeur totale des biens matériels et immatériels sauvés, elle propose en effet une lecture nouvelle et plus qualitative de l’intervention de nos pompiers – et aide ainsi à promouvoir une évolution du modèle de financement des SDIS prenant en compte la qualité des services qu’ils rendent à notre société.

I.   La valeur du sauvé : une notion pertinente pour sortir les SDIS d’une logique de « centres de coût »

L’action rapide et efficace des SDIS, tant en matière de secours aux personnes que de lutte contre les incendies, génère des gains, directs ou indirects, pour la société. Leurs interventions permettent en effet de prévenir la survenance d’importants dégâts, tant en termes de vies humaines que de destruction matérielle et d’atteintes à l’environnement. La mesure de ces gains présente un réel enjeu pour les SDIS.

Objet d’étude encore récent, la notion de « valeur du sauvé » complète les indicateurs quantitatifs et qualitatifs existants, afin de valoriser l’action des sapeurs-pompiers à travers le calcul de la valeur économique des biens et des personnes sauvées du fait de leur intervention.

Plusieurs SDIS réalisent d’ores et déjà leurs propres calculs de la valeur du sauvé sur certaines de leurs opérations. Une harmonisation de la méthodologie de calcul, sous l’égide de l’État, garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national, paraît souhaitable afin de donner tout son poids à cette notion.

A.   Une approche académique encore récente qui vise à mieux valoriser les interventions des sDis

1.   Les indicateurs standards de mesure de performance sont insuffisants pour prendre en compte l’ensemble des bénéfices dus aux interventions des SDIS

La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer publie annuellement plusieurs indicateurs nationaux des services d’incendie et de secours (INSIS) mesurant la qualité d’exécution et de réalisation des missions des SDIS : le délai moyen de traitement de l’alerte, le délai moyen d’intervention sur zone, le pourcentage de feux éteints avant d’avoir atteint 5 hectares, ainsi que le pourcentage de la population secouru par l’intervention des sapeurs-pompiers et le taux de formation.

Elle estime par ailleurs le coût moyen d’une intervention en additionnant l’ensemble des charges à caractère général et les charges de personnel, et en divisant ce total par le nombre d’interventions. En appliquant cette méthodologie, ce coût moyen s’élevait à 1 067 € en 2021.

Aussi utiles et pertinents soient-ils, et en l’absence d’indicateurs plus qualitatifs, ces indicateurs s’inscrivent dans une logique de coût des SDIS. Pourtant, les dépenses engagées pour financer ces services devraient pourtant être perçues comme un investissement plutôt que comme une perte.

Les services de l’État ont certes d’ores et déjà déployé un indicateur mesurant l’efficacité des dispositifs de lutte contre les feux de forêt, qui figure dans le projet annuel de performance (PAP) annexé au projet de loi de finances.

Selon le PAP, cet indicateur « permet, d’une part, d’apprécier l’efficacité globale des mesures mises en œuvre pour assurer la maîtrise des feux de forêt et en limiter la propagation, et d’autre part, de rendre compte de l’efficacité de l’organisation de la collaboration entre l’État et les SDIS dans le domaine des feux de forêt. L’exploitation de cet indicateur est délicate, compte tenu du caractère très variable de l’aléa. Celle-ci n’est pertinente que sur une durée de plusieurs années afin de consolider les tendances. Il comprend les deux sous-indicateurs suivants :

 pourcentage des incendies ne dépassant pas 5 hectares : plus le chiffre obtenu est élevé, plus le dispositif est réputé efficace. Cet indicateur permet de mesurer l’efficacité des actions entreprises dans le cadre de la prévention opérationnelle et de l’anticipation afin d’appliquer la stratégie d’attaque des feux naissants (guet aérien armé, quadrillage préventif du terrain, etc.) ;

 nombre d’hectares brûlés en fonction de l’intensité de l’aléa climatique pendant la campagne "saison feux" : plus le chiffre obtenu est bas, plus le dispositif est réputé efficace. »

S’il s’agit d’une démarche intéressante, votre rapporteur constate que cet indicateur n’existe néanmoins, à ce stade, que dans les départements méditerranéens, qui ne sont pourtant plus les seuls soumis au risque feux de forêt.

2.   La valeur du sauvé : un objet de recherche académique récent qui propose une autre conception de l’activité des SDIS

La valeur du sauvé est un concept utilisé principalement dans le domaine de la lutte contre l’incendie, visant à quantifier les avantages économiques résultant de l’intervention des SDIS. Cette mesure repose sur la différence entre les dommages réels constatés lors d’incidents et la valeur totale des biens, des vies, de l’environnement et des emplois qui ont été préservés grâce à leur action. Comme l’a précisé Départements de France à votre rapporteur, il s’agit de valoriser le service produit, plutôt que le SDIS lui-même.

En évaluant l’impact économique positif de leurs interventions, les SDIS cherchent à démontrer qu’ils ne sont pas simplement des centres de coûts, mais également des acteurs essentiels dans la préservation et la création de valeurs sociales, économiques et environnementales.

En somme, la valeur du sauvé représente une tentative de valorisation de l’action des sapeurs-pompiers et des SDIS en général, en mettant en lumière leur rôle essentiel dans la préservation et la création de valeurs au-delà de leur coût financier. Comme le relève en substance le directeur du SDIS des Bouches-du-Rhône dans sa contribution écrite aux travaux de votre rapporteur, la définition objectivée de la notion de valeur du sauvé repose ainsi sur le questionnement suivant :

« Comment à l’appui d’une cotation de valeur en relation avec des évènements réels, les SDIS ne doivent pas seulement être perçus comme des facteurs de coût ou des " centres de coût " mais aussi comme des supports positifs et incontournables d’investissements pour la continuité de l’activité sociale et économique, des centres de préservation de valeurs, voire de création de valeurs » ?

La valeur du sauvé a fait l’objet de plusieurs travaux académiques récents. Au cours de son audition, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France a notamment cité ceux menés en 2016 par Mme Cécile Canouet ([5]), en 2018 par M. Dorian Goninet ([6]) et en 2019, par Mme Nouhaila Amir ([7]). Votre rapporteur a par ailleurs auditionné M. David Swan, auteur d’un mémoire consacré à la valeur du sauvé ([8]) et d’une thèse sur la mesure socio-économique des services d’incendie et de secours ([9]).

L’ensemble de ces réflexions académiques a incontestablement légitimé l’emploi de cette notion sur le terrain, et encouragé plusieurs SDIS à expérimenter leurs propres calculs de la valeur du sauvé.

B.   Alors que certains SDIS réalisent déjà des estimations de la valeur du sauvé, une harmonisation méthodologique paraÎt souhaitable

1.   Des modalités de calcul différentes en fonction des SDIS

La DGSCGC a indiqué à votre rapporteur qu’une trentaine de SDIS avait d’ores et déjà réalisé un calcul de la valeur du sauvé pour au moins une de leurs interventions. Au cours de leur audition, les représentants des SDIS des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et du Loiret ont précisé à votre rapporteur les méthodes de calcul employées pour y parvenir.

Le plus souvent, le calcul de la valeur du sauvé nécessite de prendre en compte plusieurs valeurs, dont celle des vies préservées ([10]), celle des biens protégés ainsi que de l’environnement sauvé.

Pour déterminer la valeur du sauvé, le SDIS des Bouches-du-Rhône réalise un calcul prenant en compte plusieurs de ces paramètres ([11]), et qui peut être formulé de la façon suivante :

VS = [  (valeur du bois) + (valeur du CO2 séquestré) + (valeur des bâtis) + (valeur de la chasse et d’autres produits forestiers) + (valeur touristique) ] ([12])

Pour l’année 2019, le SDIS des Bouches-du-Rhône estime ainsi à près de 5,8 milliards d’euros la valeur du sauvé pour l’ensemble de ses opérations.

Répartition de la valeur sauvée par le SDIS des Bouches-du-Rhône en 2019

Pour un budget de 200 millions d’euros :

– 4 milliards d’euros de valeur sauvée pour les interventions sanitaires (1 592 vies sauvées), soit un gain pour la société de 39 000 € par intervention ;

– 1,4 milliard d’euros de valeur sauvée pour les feux de forêt (202 feux) soit un gain pour la société de 754 000 € par intervention ;

– 394 millions d’euros de valeur sauvée pour les feux d’habitation (842 feux) soit un gain pour la société de 478 000 € par intervention.

Source : SDIS des Bouches-du-Rhône.

Lors du calcul sur un incendie réel, le SDIS des Bouches-du-Rhône doit en outre déterminer trois valeurs :

– la zone menacée par le feu : elle est matérialisée sous la forme d’un cône de propagation selon les conditions réelles de direction et de force du vent. Elle représente quelle aurait été la zone menacée par le feu en cas de non-intervention rapide et massive des sapeurs-pompiers ;

– la superficie forestière sauvée lors du feu, par soustraction de la surface forestière brûlée à la surface forestière précédemment établie comme menacée ;

– le nombre de bâtis sauvés : le SDIS ne considère que la surface forestière dite de susceptibilité forte au feu. Au sein de cette zone, il retient, par expérience – et donc, par hypothèse, 10 % du nombre de bâtis concernés.

Le SDIS de l’Hérault procède au calcul de la valeur du sauvé en additionnant l’ensemble de valeurs matérielles (habitations, bâtiments servant à une activité économique, matériel et stocks) et immatérielles (personnes, pertes d’exploitations, conséquences sur les collectivités et les organismes sociaux, etc.) préservées, minorées de la somme des valeurs détruites malgré l’intervention des pompiers. À ce montant, le SDIS ajoute le bénéfice environnemental ([13]) .

Le SDIS 34 travaille actuellement, en lien avec l’École d’application de sécurité civile (ECASC) de Valabre, à une évaluation de l’action des pompiers sur la forêt en termes de CO² épargné plutôt qu’en termes monétaires. Une équation est ainsi en cours de formalisation.

2.   Une harmonisation des méthodologies afin de donner toute sa force à la notion

Pour réduire les écueils méthodologiques dans le calcul de la valeur du sauvé, il semble nécessaire d’associer l’ensemble des parties prenantes afin de déterminer un mode de calcul uniformisé sur l’ensemble du territoire. Comme l’observe l’association Départements de France dans sa contribution écrite, « le point clé [en matière de calcul de la valeur du sauvé] est de faire accepter les calculs retenus. Un tel objectif ne peut s’atteindre que par la collégialité, et elle fait défaut aujourd’hui. »

Tous les acteurs entendus par votre rapporteur s’entendent sur le besoin de mieux valoriser les bénéfices engendrés par l’action des SDIS, et ne sont ainsi pas fermés à l’engagement d’une réflexion commune sur ce sujet.

La DGSCGC a mis en place, en septembre 2023, un groupe de travail consacré à la valeur du sauvé, associant certains des SDIS déjà engagés dans une démarche d’établissement de modalités de calcul, ainsi que des personnalités qualifiées. Selon la DGSCGC, ce groupe de travail a une double vocation : valoriser l’activité des SDIS, d’une part, et contribuer à assurer la transparence et la lisibilité de l’action publique auprès de la population, d’autre part.

Si votre rapporteur salue cette démarche, il insiste sur la nécessité d’associer plus largement l’ensemble des parties prenantes : les SDIS et leurs personnels, les chercheurs ayant travaillé sur la notion, mais également les élus locaux, qui sont les principaux financeurs des SDIS et disposent d’une expertise précieuse en matière de gestion de crise et d’après-crise.

Votre rapporteur tient à insister particulièrement sur le besoin de convier les assureurs à ces travaux. Ceux-ci sont, en effet, un financeur important des SDIS, par le biais de la TSCA qu’ils collectent auprès de leurs assurés. Ils disposent par ailleurs de données et de méthodes de travail qui pourraient enrichir les travaux du groupe de travail. Auditionné par votre rapporteur, M. Christophe Delcamp, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de France Assureurs, a par ailleurs indiqué que sa fédération était disposée à participer aux réflexions communes sur ce sujet.

Ainsi composé, le groupe de travail devrait parvenir à la mise en place d’indicateurs financiers communs et à une méthodologie de calcul uniforme. Votre rapporteur tient, à cet égard, à reprendre à son compte la recommandation n° 66 du rapport de la mission sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs confiée par le Président de la République à l’ancien ministre Hubert Falco, publié en juin dernier et qui préconise notamment l’établissement de tels indicateurs comme préalable à la généralisation du calcul de la valeur du sauvé.

Recommandation n° 1 : sous l’égide de la DGSCGC, réunir l’ensemble des acteurs de la sécurité civile – y compris les assureurs – afin de déterminer une méthodologie commune de calcul de la valeur du sauvé

Recommandation n° 2 : établir des indicateurs financiers communs à partir des données assurantielles, permettant de définir la valeur du sauvé

Outre la question de la méthodologie, votre rapporteur tient à souligner l’importance de réfléchir au sens que pourrait prendre la valeur du sauvé et à sa place dans les outils de mesure de l’activité des SDIS : ces calculs ne doivent pas, selon lui, transformer cette valeur en simple indicateur de pilotage des priorités et des résultats. Votre rapporteur a en effet été sensible aux craintes des sapeurs-pompiers de basculer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats par la prise en compte généralisée de cette notion et des masses financières conséquentes qu’elle met en avant. Le groupe de travail devrait selon lui nécessairement aborder ces thématiques afin de rassurer l’ensemble des acteurs.

II.   la prise en compte de la valeur du sauvé pourrait emporter des conséquences sur le modèle de financement des SDIS

La pression opérationnelle qui pèse sur les SDIS s’accroît d’année en année, alors que l’argent public se raréfie. Or, le modèle de financement des SDIS fait peser cette surcharge opérationnelle sur le budget des collectivités territoriales. Dans un tel contexte, la notion de valeur du sauvé pourrait contribuer à prendre de la hauteur dans les négociations budgétaires concernant les SDIS, en sortant d’une stricte logique de coût, tout en valorisant les conséquences liées à une intervention efficace et rapide des sapeurs-pompiers.

Les réflexions en cours sur cette notion pourraient ainsi nourrir les débats sur l’évolution du financement des SDIS et, plus largement, la conception que nos concitoyens se font de notre modèle de sécurité civile.

A.   La notion de valeur du sauvé intervient en plein débat sur le mode de financement des SDIS

La question des moyens des SDIS est un sujet régulièrement débattu au Parlement, tant les besoins en financement sont importants. La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite « loi Matras », prévoyait la remise au Parlement d’un rapport sur ce sujet. Celui-ci a été transmis en décembre dernier et explore plusieurs pistes actuellement en cours de discussion avec l’ensemble des parties prenantes.

Depuis, d’importants débats se sont tenus dans notre hémicycle et au Sénat, tant dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur que, plus récemment, dans celui de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie et, bien sûr, dans le cadre des débats budgétaires annuels. En outre, l’ancien ministre M. Hubert Falco a remis son rapport concluant les travaux de la mission sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs, en juin 2023.

L’ensemble de ces travaux nourrissent une réflexion nécessaire sur l’évolution du système de financement de notre modèle de sécurité civile. En effet, ce financement est aujourd’hui lourdement assumé par des collectivités territoriales, qui sont pourtant financièrement à bout de souffle.

1.   Un financement aujourd’hui largement assumé par les collectivités territoriales

Ainsi que votre rapporteur l’a exposé dans la première partie du présent avis, les départements et le bloc communal sont les principaux financeurs des SDIS. Ils apportaient ainsi, l’an dernier, près de 96 % des recettes de ces services.

Recettes réelles des SDIS (hors BSPP et BMPM) en 2022

Contributeurs

Montant

(en M€)

Part dans le total des recettes

Conseils départementaux, collectivités territoriales uniques, collectivité européenne d’Alsace, collectivité territoriale de Corse et métropole de Lyon

2 867

55,5 %

Communes et EPCI

2 088

40,4 %

État

122

2,4 %

Usagers (interventions soumises à facturation)

71

1,4 %

Produits divers (cessions immobilières, dons et legs …)

17

0,3 %

Total

5 165

100 %

Source : DGSCGC

Dans le détail, les départements sont les principaux financeurs, comptant pour 55,5 % des ressources totales des services d’incendie et de secours. Cette participation représente environ 5 % des dépenses de fonctionnement de ces collectivités ; elle est particulièrement dynamique, puisqu’elle a plus que doublé entre 2002 et 2021.

Les départements sont bénéficiaires d’une fraction du produit de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA), attribué depuis 2005 en remplacement d’une part de la dotation globale de fonctionnement dévolue à ces collectivités ([14]). Le montant de la TSCA reversé aux conseils départementaux à ce titre s’élevait, en 2022, à 1,23 milliard d’euros. Au 16 août 2023, un montant de 963,7 millions d’euros  a déjà été versé par l’État. Bien qu’il existe des disparités entre les départements, ce montant ne couvre pas l’ensemble des dépenses engagées par les départements pour financer les SDIS.

Montant de la TSCA attribuée aux départements

 

2005

(en millions d’euros)

2021

(en millions d’euros)

Évolution 2005/2021

Contributions des

départements au

fonctionnement

des SDIS (A)

1 678

2 542

+ 52 %

Montant de TSCA

SDIS affecté aux

départements (B)

793

1 124

+ 42 %

Part B/A

(en pourcentage)

47 %

44 %

 

Source : rapport de l’IGA sur le financement des SDIS, d’après les données financières de la DGFiP

Le bloc communal est le second financeur des SDIS. Sa contribution est plafonnée par la loi et ne peut ainsi excéder l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac ([15]). Elle a donc évolué moins vite que celle des départements. Au sein de ce bloc communal, ce sont désormais les EPCI qui contribuent le plus au financement des SDIS – comptant pour environ les deux tiers du financement du bloc communal en 2021.

Évolution du montant des contributions en fonctionnement des départements et du bloc communal, hors périmÈtre bspp

(en millions d’euros €)

 

2002

2005

2008

2011

2014

2017

2021

Évolution 2002-2021

Départements

1 147

1 678

2 097

2 353

2 503

2 443

2 542

+ 122 %

Bloc communal

1 490

1 615

1 757

1 787

1 872

1 888

2 047

+ 37 %

Total

2 637

3 293

3 854

4 140

4 375

4 331

4 589

+ 74 %

Source : rapport de l’IGA sur le financement des SDIS, d’après les données financières de la DGFiP

2.   Une réflexion en cours sur l’évolution du financement des SDIS qui devrait faciliter le renforcement de leurs capacités

La loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels prévoit, dans son article 54, que le Gouvernement remette au Parlement un rapport, réalisé par l’Inspection générale de l’administration (IGA), portant sur le financement des services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours.

Ce rapport lui a été remis en fin d’année 2022. Les préconisations qu’il contient identifient différentes options en vue de faire évoluer le mode de financement des SDIS : déplafonnement de la contribution du bloc communal et détermination de nouveaux critères de répartition appliqués à la part dynamique de la TSCA, notamment. Certaines d’entre elles sont reprises par votre rapporteur (voir infra).

Le législateur a d’ores et déjà souhaité porter plusieurs améliorations du modèle de sécurité civile. La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie en est ainsi un très récent exemple.

Les avancées de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie

La loi du 10 juillet 2023 vise, entre autres, à équiper la lutte contre l’incendie à la hauteur du risque. Elle prévoit ainsi un ensemble de mesures, notamment financières, en faveur des SDIS : exonération de la TICPE pour les carburants utilisés par les véhicules opérationnels et de surveillance des SDIS ; exonération de malus écologique pour tous les véhicules ; expérimentation jusqu’à 2026 d’une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés et agents exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires ; pour les étudiants sapeurs-pompiers, droit à l’aménagement de leurs études et protection contre les sanctions du fait d’absences liées à leur activité de pompier.

La loi prévoit également plusieurs avancées en matière de sécurité civile, telles que l’élaboration d’une stratégie nationale contre les feux de forêt d’ici juillet 2024, notamment avec la généralisation des plans de protection des forêts contre les incendies (PPFCI) pour tous les départements classés à risque.

En outre, les obligations légales de débroussaillement (OLD) sont renforcées : des dispositions visent, d’une part, à mieux informer les particuliers qui y sont soumis et, d’autre part, à aggraver l’amende en cas de non-respect d’une OLD.

Plusieurs mesures visent par ailleurs à dynamiser la gestion des forêts et promouvoir la sylviculture face au risque incendie, notamment par un taux réduit de TVA sur les travaux sylvicoles.

Pour prévenir les incendies liés aux jets de mégot, le texte consacre du reste l’interdiction de fumer dans tous les bois et forêts pendant la période à risque d’incendie définie par arrêté préfectoral et inclut explicitement dans le code forestier le jet de mégot parmi les causes pouvant provoquer involontairement l’incendie des bois et forêt (et dont le responsable peut désormais encourir, pour les cas les plus graves, dix ans de prison et 150 000 euros d’amende).

La journée nationale de la résilience, qui s’est tenue pour la première fois le 13 octobre 2022, est pérennisée afin d’assurer la préparation de la population face aux risques naturels ou technologiques.

Enfin, la loi prévoit de financer la reconstitution de forêts plus résilientes, avec le strict conditionnement des aides publiques à des choix d’essences adaptées au changement climatique et au maintien de zones pare-feu dans les territoires exposés au risque incendie.

Dans sa version déposée à l’Assemblée nationale, le projet de loi de finances pour 2024 revient sur l’exonération de TICPE et de malus écologique pour l’ensemble des véhicules des SDIS. Votre rapporteur rappelle que cette disposition avait fait l’objet d’un large consensus à l’Assemblée nationale. Il note que le Gouvernement s’est engagé publiquement à revenir sur cette évolution et sera attentif à ce que l’exonération votée en 2023 soit bien maintenue l’année prochaine, à l’issue du vote définitif du projet de loi de finances.

Recommandation n° 3 : maintenir l’exonération de TICPE et de malus écologique pour l’ensemble des véhicules des SDIS

B.   Un modèle de financement qui doit s’adapter aux contraintes opérationnelles pesant sur les sDis

La prise en compte de la valeur du sauvé dans le modèle de financement des SDIS vise, in fine, à rappeler que l’intervention des sapeurs-pompiers permet d’éviter la survenance de dégâts considérables, que les assurances n’ont dès lors pas à indemniser. Ce constat posé, plusieurs pistes concrètes pourraient être dégagées afin de contribuer à un renforcement de ce financement, sans qu’il ne pèse davantage sur les collectivités.

1.   La valeur du sauvé comme moyen de revaloriser les dotations versées aux SDIS

La notion de valeur du sauvé n’a pas vocation à demeurer un objet d’étude académique. Elle doit, plus concrètement, permettre de réorienter les politiques publiques d’investissement en faveur des SDIS. Dans ses réponses écrites au questionnaire que lui a adressé votre rapporteur, la DGSCGC relève d’ailleurs que « la démarche de valorisation du sauvé par l’action des SIS permet de renforcer les leviers de pilotage de l’activité de sécurité civile grâce à une meilleure connaissance des effets de l’action des secours. La valorisation du service délivré est susceptible d’alimenter également la réflexion sur la rénovation des modalités de financement des SIS. À ce titre, l’intégration aux politiques publiques relatives à la sécurité civile apparaît opportune, dès lors qu’une méthode harmonisée aura été définie au niveau national. »

Si de nombreuses pistes sont discutées, votre rapporteur voudrait mettre en avant trois d’entre elles, qui pourraient toutes s’inspirer des travaux en cours et à venir sur l’évaluation de la valeur du sauvé.

● La modernisation des critères de répartition de la part dynamique de la TSCA

En 2005, le législateur a choisi d’affecter aux départements une part de la TSCA en contrepartie d’une diminution de leur dotation globale de fonctionnement. Cette opération était initialement neutre pour les budgets des départements. La TSCA étant une ressource fiscale dynamique, en augmentation moyenne de 2,5 % par an, les départements bénéficient cependant, depuis 2005, d’une augmentation continue de cette ressource, dont le montant est passé, entre 2005 et 2021, de 843 millions d’euros à 1,24 milliard d’euros.

Une clé de répartition a ainsi été mise en place afin de « distribuer » les ressources supplémentaires perçues du fait de la progression de la ressource TSCA. Celle-ci ne repose pas sur des critères propres aux missions des SDIS, mais sur le rapport entre le nombre de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire de chaque département et le nombre total de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire national au 31 décembre 2003 ([16]). Cette clé paraît peu pertinente aujourd’hui : elle est, d’une part, en totale décorrélation avec les missions des SDIS et, d’autre part, repose sur un ratio constant depuis 2005, qui ne prend ainsi pas en compte l’évolution des moyens humains et matériels des SDIS depuis 20 ans.

La clé de répartition de la valeur dynamique de la TSCA pourrait faire l’objet d’une modernisation, s’inspirant en particulier des travaux menés sur la valeur du sauvé. Une meilleure prise en compte de la situation de chaque département, de son exposition au risque, des enjeux environnementaux, des efforts mobilisés en matière de prévention, pourraient s’avérer plus pertinents que la clé de répartition actuelle.

Votre rapporteur reprend ainsi à son compte la recommandation n° 65 du rapport de M. Hubert Falco, qui préconise la mise en place rapide de ces travaux prospectifs.

Recommandation n° 4 : moderniser la TSCA et mettre en place une mission spécifique, confiée conjointement à l’IGA et à l’IGF et destinée à : identifier les indicateurs permettant d’estimer la valeur du sauvé ; actualiser l’assiette de répartition de la TSCA ; identifier les critères de calcul de la répartition en prenant en compte la richesse des départements, les enjeux environnementaux, la nature du risque et le nombre d’habitants.

● Dans sa contribution écrite aux travaux de la mission d’information, l’association Départements de France souligne le besoin de formaliser un consensus autour de l’idée que l’intervention des sapeurs-pompiers est décisive pour limiter les dégâts et, sur cette base, préconise d’inscrire un principe de contribution des assureurs aux financements des SDIS.

La mise en place d’un fonds d’intervention national pour les SDIS est d’ailleurs proposée par l’IGA dans son rapport sur le financement des SDIS. Celui-ci pourrait être « alimenté par une partie de la croissance de la TSCA, voire par une fraction additionnelle de la taxe, permettant de rétablir l’effort de l’État pour l’aide à l’investissement [ce qui] serait sans doute la meilleure façon de tenir compte des situations locales, des besoins et des risques, en proportion de l’effort des autres financeurs. »

Si les assureurs contribuent d’ores et déjà au financement des SDIS dans le cadre de la TSCA, votre rapporteur souhaite que puisse être expertisé, et le cas échéant mis en place, un fonds alimenté par une contribution générale des assurances, reposant notamment sur la valeur du sauvé. Il souhaite ainsi se faire l’écho de M. Hubert Falco, qui préconise la création d’un tel fond.

Recommandation n° 5 : créer un fonds budgétaire alimenté par une contribution générale des groupes d’assurances en prenant en compte la valeur du sauvé

● L’augmentation du montant de la TSCA reversée aux départements au titre du financement des SDIS

La TSCA est actuellement reversée à plusieurs bénéficiaires, dont les départements, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAM) et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Une fraction supplémentaire de la TSCA pourrait, dès lors, être retirée à ces deux acteurs et versée aux départements au titre du financement des SDIS.

La FNSP estime qu’une telle évolution serait justifiée, « compte tenu des nombreuses interventions effectuées par les SDIS en dehors de leurs missions propres définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, sans compensation financière intégrale de la part de l’Assurance-maladie » ([17]). Elle relève notamment, à partir des données publiées par l’IGA dans son rapport sur le financement des SDIS, que les carences ambulancières ([18]) sont en hausse de 90 % entre 2012 et 2021, s’élevant cette année-là à 642 000 interventions.

Le montant de la TSCA pourrait par ailleurs être augmenté. Votre rapporteur propose ainsi de porter cette taxe à un taux de 20 % – contre 18 % actuellement ([19]) – pour les assurances facultatives contre les risques de toute nature relatifs aux véhicules terrestres à moteur. Les assureurs doivent assumer cette augmentation de la fiscalité, sans répercussion sur les assurés : l’intervention décisive des sapeurs-pompiers limitant en effet in fine les sommes versées par les assureurs au titre des indemnisations, la prise en compte de cette valeur du sauvé justifie cet effort supplémentaire que pourraient fournir les assureurs.

Recommandation n° 6 : accroître le montant de la TSCA ou augmenter la fraction reversée aux collectivités territoriales au titre du financement des SDIS

2.   La valeur du sauvé au service d’une prise de conscience collective pour rendre les citoyens acteurs de leur propre sécurité

La valeur du sauvé peut représenter un indicateur utile pour permettre au citoyen de devenir acteur de sa propre sécurité, et prendre ainsi conscience des externalités positives rattachées aux interventions des sapeurs-pompiers. Le calcul de la valeur du sauvé présente en effet un intérêt pour convaincre les partenaires des SDIS, mais également l’ensemble de la population, de l’importance des opérations de prévention – par exemple, des opérations de débroussaillement ou d’entretien des ravins.

Le SDIS des Bouches-du-Rhône relève d’ailleurs, dans sa contribution écrite aux travaux de votre rapporteur, que cette approche peut ainsi « constituer un cas très concret et extrêmement pédagogique de visualisation de la valorisation de l’action publique par tout citoyen contribuable alors que se font jour ici ou là de nombreuses défiances valant perception d’une impuissance publique au regard des contributions citoyennes. »

Si cette réflexion est de nature plus prospective à ce stade, les travaux sur la valeur du sauvé étant à leurs débuts, une traduction concrète pourrait cependant être trouvée, dans le cadre des débats budgétaires, en matière d’affectation des ressources perçues par les collectivités territoriales au titre de la taxe de séjour. Votre rapporteur estime en effet légitime que les visiteurs s’installant dans les départements touristiques puissent ainsi contribuer à leur propre sécurité, en affectant une quote-part de la taxe de séjour au financement des SDIS.

Il rejoint en cela le propos du rapporteur spécial M. Florian Chauche, qui rappelait à juste titre que « l’afflux de visiteurs dans les territoires touristiques s’accompagne d’un surplus d’activité pour les forces de sécurité civile – souvent pendant la saison des feux – sans que cela ne soit nécessairement pris en compte dans les contributions au financement des SDIS.

Dans beaucoup de communes touristiques peu peuplées, la population peut doubler voire tripler avec l’afflux de touristes. Dès lors, il apparaît cohérent qu’une partie des recettes fiscales générées par les lieux touristiques puisse bénéficier à ceux qui participent à les protéger. » ([20])

Votre rapporteur tient ainsi à faire sienne la recommandation n° 57 du rapport de M. Hubert Falco, dont le rapport concluant la mission préconisait également une telle évolution.

Recommandation n° 7 : prendre en compte une quote-part de la taxe de séjour dans le financement des services d’incendie et de secours dans les départements touristiques (en raison du lien de causalité existant entre fréquentation et augmentation des risques)

*

*     *

La valeur du sauvé est un objet d’études encore nouveau et ses conséquences pour le financement des SDIS ne peuvent pas être mesurées avec précision. Votre rapporteur est en tout cas convaincu qu’elle n’a pas vocation à remplacer les indicateurs existant en matière de mesure de l’efficacité des SDIS. Sauf à encourir un risque de surenchère par une survalorisation économique de leur activité, elle n’a pas non plus vocation à devenir une référence absolue en matière d’appréciation qualitative du travail fourni par ces services. Elle peut, en revanche, apporter un éclairage nouveau et pertinent sur les externalités positives induites par leur activité.

Par ailleurs, la réflexion autour de la valeur du sauvé ne doit pas conduire à mettre en cause les valeurs républicaines qui fondent notre modèle de sécurité civile : la gratuité et l’équité territoriale, assumées par la puissance publique. Votre rapporteur a en effet conscience que, poussée à l’extrême, la notion de valeur du sauvé pourrait conduire à associer plus largement les acteurs privés financeurs – en particulier les assureurs – à la gouvernance des services, comme cela est le cas aux ­États-Unis, ce qu’il ne souhaite pas. Les travaux actuels et à venir doivent en effet se garder de bouleverser le modèle français, dont votre rapporteur tient une nouvelle fois à saluer la performance.

Si les travaux sur la valeur du sauvé doivent se poursuivre et s’intensifier, votre rapporteur estime aussi que cette notion gagnerait à s’inscrire dans une démarche plus large d’évaluation socio-économique des services d’incendie et de secours. Depuis 2020, l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs‑pompiers (ENSOSP) a entrepris une telle démarche, avec la mise en place d’un groupe de travail ayant pour objectif de déterminer une méthodologie précise de mesure pouvant s’appliquer aux SDIS.

Comme l’a en effet précisé M. Gregory Allione, directeur de l’ENSOSP, dans sa contribution écrite, l’évaluation socio-économique « intègre la valeur du sauvé mais va bien au-delà pour estimer l’efficience des actions conduites (la valeur du sauvé n’impose pas un recensement des coûts des actions menées, même s’ils sont parfois présentés).

La valeur du sauvé ne suffit pas pour remplir l’objectif de justifier auprès de ses financeurs les moyens qui sont alloués aux SIS. Ces débats portent sur l’ajustement des budgets (à la hausse comme à la baisse) et impose[nt] de ce fait un raisonnement marginal. La valeur du sauvé – qui compare les dommages constatés à la valeur totale des enjeux – révèle simplement le bénéfice social de l’action d’un SIS par rapport à une situation hypothétique où il ne serait pas intervenu (ni lui ni d’autres acteurs). Il est clair que cette hypothèse ne correspond aucunement aux débats autour des ajustements budgétaires. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’intégrer la valeur du sauvé à l’évaluation socio-économique qui permet, elle, d’évaluer ces changements à la marge (en termes de coûts et de bénéfices), du fait qu’elle impose la définition d’un périmètre d’évaluation et d’une situation de référence pertinente. »

La valeur du sauvé ne doit ainsi pas devenir l’alpha et l’oméga des politiques publiques en matière de financement de notre modèle de sécurité civile, mais elle doit s’inscrire dans une dimension plus large d’appréciation qualitative de l’action des SDIS. Le groupe de travail créé sous l’égide de la DGSCGC du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer gagnerait ainsi à élargir le cadre de ses réflexions afin d’intégrer cette approche plus complète.


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   Liste des propositions

Recommandation n° 1 : sous l’égide de la DGSCGC, réunir l’ensemble des acteurs de la sécurité civile – y compris les assureurs – afin de déterminer une méthodologie commune de calcul de la valeur du sauvé

Recommandation n° 2 : établir des indicateurs financiers communs à partir des données assurantielles, permettant de définir la valeur du sauvé

Recommandation n° 3 : maintenir l’exonération de TICPE et de malus écologique pour l’ensemble des véhicules des SDIS

Recommandation n° 4 : moderniser la TSCA et mettre en place une mission spécifique, confiée conjointement à l’IGA et à l’IGF, et destinée à : identifier les indicateurs permettant d’estimer la valeur du sauvé ; actualiser l’assiette de répartition de la TSCA ; identifier les critères de calcul de répartition en prenant en compte la richesse des départements, les enjeux environnementaux, la nature du risque et le nombre d’habitants

Recommandation n° 5 : créer un fonds budgétaire alimenté par une contribution générale des groupes d’assurances en prenant en compte la valeur du sauvé

Recommandation n° 6 : accroître le montant de la TSCA ou augmenter la fraction reversée aux collectivités territoriales au titre du financement des SDIS

Recommandation n° 7 : prendre en compte une quote-part de la taxe de séjour dans le financement des services d’incendie et de secours dans les départements touristiques (en raison du lien de causalité existant entre fréquentation et augmentation des risques)


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Examen en commission

  Lors de sa première réunion du mardi 17 octobre 2023, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Sécurités » (M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis « Sécurité », M. Éric Pauget, rapporteur pour avis « Sécurité civile »).

  Lien vidéo : https://assnat.fr/6p0E4a

  M. le président Sacha Houlié. Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, sur les missions budgétaires Sécurités et Administration générale et territoriale de l’État.

  Comme vous le savez, les auditions que nous menons dans le cadre budgétaire sont aussi l’occasion de faire le point sur les sujets d’actualité et la politique générale des ministres auditionnés. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas répondu favorablement à la demande d’une audition préalable spécifiquement consacrée au risque terroriste : je ne doute pas que le ministre répondra à toutes les questions que vous souhaiteriez lui poser, notamment en matière de sécurité.

  Nous poursuivrons cette réunion ce soir. Nous examinerons les amendements sur les deux missions après les deux discussions générales.

  M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je vous présente les crédits du ministère de l’intérieur et des outre-mer pour 2024 dans un contexte très difficile. Jamais les Français et les Européens n’ont eu autant besoin de sécurité. Derrière les données budgétaires et les aspects techniques, voire technocratiques de la discussion, ce sont des femmes et des hommes qui concourent à maintenir la paix publique, dans des conditions difficiles – policiers, gendarmes, agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), agents de préfecture, personnels de la sécurité civile et tous ceux qui sont au ministère de l’intérieur. Le soutien que leur apportent les programmes budgétaires n’est rien par rapport au soutien politique que nous leur témoignons.

  Grâce aux parlementaires, l’année 2023 aura été marquée par l’adoption de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Pour la première fois, une loi de programmation vise l’ensemble du ministère de l’intérieur, et non pas simplement la sécurité intérieure. Elle consacre 15 milliards d’euros sur cinq ans à la sécurité des Français. Puisqu’il y a eu des débats politiques et médiatiques sur la question de savoir si cette loi serait respectée, je le redis : non seulement elle l’est à l’euro près, mais la communication des plafonds a fait état de 200 millions supplémentaires, pour le seul volet de l’intérieur.

  Non seulement les crédits votés par les parlementaires ont été respectés, malgré l’inflation et les difficultés économiques et budgétaires, mais il y a même des crédits supplémentaires. Ils doivent être exécutés conformément à la trajectoire que vous avez votée. Si des arbitrages internes sont évidemment à prévoir, compte tenu de l’inflation et de la revalorisation du point d’indice, les priorités restent inchangées : le renforcement de la présence des forces de sécurité intérieure, avec notamment le doublement de la présence sur la voie publique – un engagement du Président de la République en 2022 ; le raffermissement de l’administration territoriale ; la lutte contre le terrorisme ; et la préparation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP).

  Les crédits constatés sur l’année 2023 sont conformes aux engagements. Ainsi, l’accueil de la Coupe du monde de rugby – le cinquième plus grand événement mondial – se déroule, jusqu’à présent, dans les meilleures conditions de sécurité possibles, sur le terrain mais surtout en dehors.

  Un effort sans précédent a été fait pour renforcer la présence des forces de l’ordre. Elle a notamment doublé sur la voie publique, ce qui est passé par le recrutement de personnels supplémentaires de police et de gendarmerie. Dix escadrons de gendarmerie mobile et unités de CRS ont déjà été créés sur les onze prévus, avec des sorties d’école particulières. Les circonscriptions de police prioritaires ont reçu le renfort de 1 266 policiers.

  Je salue également la création, en concertation avec les élus, de 239 brigades de gendarmerie, alors que le Président de la République en avait annoncé 200 : tout augmente ! Les premières sorties d’écoles ont eu lieu et dès le mois de juin, les nouvelles recrues étaient disponibles pour renforcer la sécurité dans nos campagnes et dans le monde périurbain.

  Le matériel n’est pas en reste. Lors de mes deux premières années au ministère de l’intérieur, j’ai obtenu un plan de relance qui a permis d’équiper les policiers et les gendarmes notamment en voitures ou matériel d’intervention, mais aussi en matière immobilière. Les équipements des forces de l’ordre continuent à être renforcés : 4 800 véhicules pour la police et pour la gendarmerie ont été acquis en 2023, venant s’ajouter aux 13 310 véhicules déjà achetés. Nous aurons ainsi renouvelé 70 % du parc automobile du ministère de l’intérieur. En 2024, nous acquerrons, pour 130 millions, 3 600 nouveaux véhicules, dont 58 véhicules Centaure chers à nos amis gendarmes. Nous avons également finalisé le plan caméras-piétons : le 1er janvier 2024, tous les policiers et gendarmes présents sur la voie publique et en contact avec la population en seront équipés.

  Conformément aux annonces du Président de la République, le Gouvernement déposera un amendement pour renforcer les moyens de la sécurité civile pour lutter contre les feux de forêt, à hauteur de 140 millions en crédits de paiement. Cela comprend les 45 millions destinés à la création de la quatrième unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile, qui s’installera à Libourne. Sont prévus le recrutement de 163 personnels supplémentaires ainsi que 40 millions pour aider les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) à acheter des véhicules de sapeurs-pompiers, 32 millions pour renouveler notre flotte de Canadair et 23 millions pour louer des moyens aériens. Je note que, si l’année 2023 a connu beaucoup de départs de feux, elle a aussi vu beaucoup moins d’incendies, grâce à l’organisation et au travail collectif de la sécurité civile et au courage de nos sapeurs-pompiers.

  L’année 2023 est aussi marquée par l’acquisition de 40 hélicoptères, pour 500 millions d’euros, par un travail de mutualisation entre la sécurité civile et la gendarmerie nationale et par des ressources supplémentaires inédites pour répondre à la cybercriminalité. C’est le début de la réponse à votre demande de créer 1 500 cyberpatrouilleurs et un numéro d’appel « 17 Cyber ». Des moyens importants sont encore déployés pour la population, comme en témoigne le succès des plateformes Pharos et Thesee, mais aussi le déploiement du portail Ma sécurité et bientôt la généralisation de la visioplainte que vous avez autorisée dans la Lopmi.

  Les moyens dédiés aux services de renseignement du ministère de l’intérieur augmentent de manière inédite. Il y a dix ans, lors de la création de la DGSI, on comptait un peu plus de 3 200 agents. Grâce à l’action du Président de la République, le nombre a quasiment doublé : 5 500 personnels emménageront dans le futur site unique à Saint-Ouen-sur-Seine, un projet figurant dans la Lopmi pour 1,2 milliard d'euros. La DGSI aura donc vu son budget et ses effectifs doubler, d’où son efficacité. J’en profite pour saluer son travail et le courage de ses agents.

  Un effort sans précédent est également fait pour l’outre-mer, dont je n’évoquerai que les crédits en matière de sécurité, le reste vous sera présenté par le ministre délégué chargé des outre-mer. Ces crédits visent à répondre aux enjeux de sécurité et de lutte contre les stupéfiants – notamment en Guyane –, de lutte contre les trafics illicites – notamment aux Antilles, surtout en Martinique – et de lutte contre l’immigration irrégulière – en particulier à Mayotte, où l’effort a été très important et se poursuivra. Depuis 2017, 1 400 policiers et gendarmes supplémentaires ont été affectés dans nos territoires ultramarins, soit une augmentation de 30 %. Elle est sensible singulièrement à Mayotte, où les effectifs ont presque doublé, pour un total de 1 150 sans compter les escadrons de gendarmerie mobile, et en Guyane, où l’on compte 1 525 forces de l’ordre hors escadrons de gendarmerie mobile.

  Si l’opération Wuambushu a montré l’efficacité de la lutte menée contre l’insécurité, il y a encore du travail à Mayotte. Il faut sans doute revoir le plan Shikandra. À cet égard, j’ai fait des propositions à la Première ministre et au Président de la République. Il faut aussi revoir l’opération Harpie avec le ministre des armées, concernant la lutte contre l’orpaillage illégal dans la forêt amazonienne française.

  Ces augmentations d’effectifs territoriaux s’accompagnent par ailleurs de renforts permanents : 21 escadrons de gendarmerie mobile sont répartis dans l’ensemble des outre-mer. De façon générale, grâce au retour aux quatre sections des unités de CRS ainsi qu’aux nouvelles unités que vous nous avez accordées, 176 escadrons de gendarmerie mobile ou unités de CRS ont été mobilisés pendant la Coupe du monde de rugby, qui nous ont permis de faire face en même temps à la venue du roi et de la reine d’Angleterre et à celle du pape à Marseille lors d’une semaine marquée par des menaces terroristes.

  Parallèlement, le réarmement de l’administration générale et territoriale de l’État – les préfectures – se poursuit. Les capacités numériques et cyber sont renforcées. Le programme réseau radio du futur (RRF) est une magnifique invention française, que nous pourrons exporter. Les forces ont déjà commencé à l’utiliser dans sa version bêta, montrant ainsi son efficacité, et son opérateur, l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (Acmoss), est désormais installé. L’administration numérique pour les étrangers en France (Anef) œuvre à la dématérialisation de bout en bout des démarches des étrangers en France. Le futur projet de loi sur l’immigration assurera sa cohérence avec la réforme des préfectures, mais aussi avec l’application France Identité. Grâce à cette dernière, chacun peut commencer à avoir une identité numérique aux usages divers – pièce d’identité, permis de conduire, vote dématérialisé. Ces projets de transformation numérique sont à la hauteur de celui du prélèvement de l’impôt à la source que je vous avais présenté dans mes fonctions antérieures de ministre de l’action et des comptes publics.

  Le numérique a donc été consolidé au sein du ministère, qui connaissait une dette numérique extrêmement importante. Une hausse très significative des crédits est prévue en 2024, pour 634 millions en autorisations d’engagement et déjà 176 millions en crédits de paiement. Nous recrutons les 75 premiers équivalents temps plein (ETP) dédiés à l’Agence du numérique, créée conformément à la Lopmi.

  La période se caractérise par 350 emplois pour l’État territorial – les préfectures –, par des moyens pour la vidéoprotection – 25 millions en 2024, contre 22 millions en 2023 – et par la finalisation de la création de nouvelles sous-préfectures, en outre-mer ou sur le territoire métropolitain, ce qui ne s’est pas produit depuis plus de quarante ans et permettra de rapprocher nos concitoyens de l’État territorial.

  Enfin, l’année 2023 a permis de régler, notamment grâce à la mobilisation de la ministre déléguée Dominique Faure, la question de la délivrance des titres d’identité et de voyage : 15 millions, puis 48 millions ont été affectés aux collectivités locales et aux préfectures afin de résoudre les difficultés de fonctionnement de ce service public, qui étaient inacceptables pour les Français. Le délai d’obtention d’un rendez-vous en mairie est désormais de dix-neuf jours, contre soixante-dix-sept il y a un an et demi.

  Le ministère se projette également vers les événements de 2024. Outre les dates habituelles, comme les commémorations des débarquements de Normandie ou de Provence, l’événement majeur, qu’il s’agisse d’organisation, de lutte contre le terrorisme ou de plans anti-délinquance, sera bien sûr celui des Jeux olympiques et paralympiques. On compte 30 sites, 206 nations, 32 sports, 329 épreuves, 31 500 volontaires – qu’il faut passer au fichier –, 26 000 journalistes accrédités et plus de 10 millions de spectateurs cumulés attendus, certes en Île-de-France mais aussi à Châteauroux, à Marseille ou à Tahiti – pour les épreuves de surf, une discipline née d’ailleurs en Polynésie française et non à Hawaï. Près de 35 000 forces de l’ordre seront engagées du 26 juillet au 8 septembre 2024 pour accueillir ces événements. À ce jour, le surcoût prévisionnel lié aux Jeux s’élève à 200 millions d’euros pour le ministère de l’intérieur, même s’il conviendra de préciser le chiffre a posteriori. Le dispositif mis en place est d’envergure et sans équivalent au ministère l’intérieur.

  Enfin, le programme 207 Sécurité et éducation routières, qui dépend du ministère de l’intérieur, connaît aussi une hausse inédite de ses crédits – 35 millions supplémentaires en crédits de paiement – afin notamment de lutter contre la conduite sous stupéfiants.

  M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis des programmes Police nationale, Gendarmerie nationale et Sécurité et éducation routières. En tant que rapporteur pour avis de la mission Sécurités pour ce qui est des crédits relatifs à la sécurité, je vous présenterai les programmes Police nationale, Gendarmerie nationale et Sécurité et éducation routières.

  Plus que jamais, à l’heure où notre pays et nos voisins européens sont confrontés à une multitude de menaces, le renforcement de notre arsenal sécuritaire par des moyens législatifs et financiers est indispensable. À cet égard, je ne saurais commencer ma présentation sans avoir une pensée pour M. Dominique Bernard, enseignant assassiné dans son lycée il y a quelques jours par un terroriste islamiste, ainsi que pour les deux ressortissants suédois assassinés par un fanatique islamiste hier à Bruxelles. Notre lutte pour venir à bout de ce fléau doit donc être inébranlable.

  Le budget présenté par le ministre de l’intérieur s’inscrit dans une trajectoire en hausse constante depuis 2017, qui s’amplifie depuis le début de la législature. Les crédits de paiement affectés à la police nationale observent ainsi une augmentation de plus de 4,5 % et s’élèvent à 12,9 milliards en crédits de paiement. Ceux de la gendarmerie progressent de la même façon et atteignent près de 10,4 milliards. Si l’ordre de grandeur n’est pas comparable, le programme Sécurité et éducation routières bénéficie également d’une forte revalorisation, à hauteur de 109 millions pour 2024, soit une hausse de plus de 46 %.

  Au total, les budgets de la police et de la gendarmerie nationale présentent une hausse cumulée de plus de 1 milliard d’euros par rapport à 2023. Cette évolution témoigne de l’engagement du Gouvernement et de notre majorité parlementaire à renforcer puissamment et durablement les moyens nécessaires consacrés à la sécurité de nos compatriotes de métropole et d’outre-mer. La loi du 24 janvier 2023, cette Lopmi approuvée à une très large majorité par l’Assemblée nationale et le Sénat, s’inscrit pleinement dans cette perspective. Plus de 2 000 policiers et gendarmes s’ajouteront, l’année prochaine, aux effectifs actuels : nous l’avons dit et répété, la présence accrue des bleus sur le terrain n’est ni un slogan ni un vœu pieux, mais plus que jamais une réalité.

  Je n’entrerai pas dans le détail de la répartition des crédits au sein de chaque programme et action, M. Darmanin ayant déjà brossé un tableau précis des ressources humaines et matérielles dont disposeront les forces de sécurité l’année prochaine.

  L’année 2024 sera marquée par l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. La sécurisation de cet événement planétaire constitue bien sûr un enjeu colossal à l’heure où la menace terroriste est encore très élevée, les événements tragiques de ces derniers jours nous le rappellent cruellement. À cet égard, j’appelle, monsieur le ministre, votre attention sur deux points en particulier.

  Premièrement, la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a créé la réserve opérationnelle au sein de la police nationale, avec un objectif ambitieux de 30 000 réservistes à l’horizon 2030, dont 70 % issus de la société civile. Un an après son lancement, quel est le nombre de réservistes recrutés et de vacations déjà réalisées ? Plus généralement, quel premier bilan peut-on tirer de ces débuts ?

  Deuxièmement, la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a autorisé le recours, à titre expérimental, à des traitements algorithmiques pour déceler, dans un cadre très strict, des événements anormaux filmés par des caméras de vidéoprotection et susceptibles de présenter un risque pour la sûreté et la sécurité des personnes. Un décret d’application a été publié le 28 août dernier. Que pouvez-vous nous dire sur l’état d’avancement des procédures de marché, le calendrier et le contenu des phases de test préalables à la mise en œuvre de ces technologies ?

  J’ai choisi de consacrer cette année la partie thématique de mon rapport pour avis aux missions de la police scientifique, exercées tant par les agents de la police nationale que par les militaires et les civils de la gendarmerie nationale.

  La police scientifique a pour objectif d’aider à l’identification des auteurs d’infractions délictuelles et criminelles grâce à des techniques de recueil et d’analyse de traces et d’indices. Elle intervient aussi dans d’autres domaines, par exemple pour identifier les victimes de catastrophes. Il s’agit d’une mission décisive afin d’élucider un nombre toujours plus important d’affaires. Concrètement, son activité représente une intervention toutes les deux minutes, avec la production de plus d’un million d’analyses. Les experts de la gendarmerie et de la police se déploient ainsi sur de multiples terrains, qu’il s’agisse de la balistique, de la biologie ou du numérique. Ils représentent donc un élément clef d’une police et d’une gendarmerie modernes et efficaces.

  Si les progrès de la technologie peuvent offrir de nouvelles opportunités aux délinquants et aux réseaux criminels, ils constituent également un atout précieux pour faciliter les investigations judiciaires. Comme Philippe Latombe et Philippe Gosselin l’avaient souligné dans leur rapport d’information sur les images de sécurité, de nouveaux enjeux se dessinent plus particulièrement autour de la manipulation d’images ou de sons – le deep fake.

  La lutte contre ces phénomènes en pleine expansion nécessite de forts investissements matériels, mais aussi humains. Il est impératif que nos équipes de police scientifique, autant dans la police que dans la gendarmerie, soient dotées des meilleurs ingénieurs et informaticiens afin de détecter ces pratiques qui peuvent nourrir des chantages et escroqueries à grande échelle.

  Je me suis rendu à Pontoise, à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), et à Écully, près de Lyon, au Service national de la police scientifique (SNPS). J’ai pu mesurer la compétence, le professionnalisme et le dévouement de tous leurs personnels, civils comme militaires. Leur projection au-delà de nos frontières – encore récemment en Ukraine ou à Beyrouth – montre que leur excellence est reconnue dans le monde entier.

  Je tiens cependant à insister sur le recrutement de profils très spécialisés, notamment en matière informatique : il me paraît nécessaire de consentir un effort budgétaire supplémentaire pour réduire l’écart existant avec les rémunérations du secteur privé, en utilisant par exemple le volet indemnitaire, pour attirer et fidéliser de jeunes ingénieurs et informaticiens à leur sortie d’école.

  La Lopmi a utilement permis de simplifier le cadre procédural dans lequel agit la politique scientifique. Au-delà des assouplissements juridiques, les ressources humaines et matérielles dont bénéficient l’IRCGN et le SNPS sont l’une des garanties principales de l’efficacité des missions que mènent l’ensemble de nos forces de l’ordre de sécurité intérieure. Nous devons en être pleinement conscients.

  M. Éric Pauget, rapporteur pour avis du programme Sécurité civile. Au moment de présenter, pour la deuxième année consécutive, ce rapport pour avis sur les crédits de la mission Sécurités consacrés à la sécurité civile, je tiens à saluer et à remercier pour leur engagement l’ensemble de nos forces de secours, en particulier les pompiers professionnels et volontaires des Sdis de chacun de nos territoires.

  Pour ce qui est de l’analyse du budget, les crédits du programme 161 Sécurité civile s’élèvent à 734,6 millions d’euros, en hausse de 2,9 % par rapport à l’exercice précédent. C’est une augmentation de l’ordre de 0,3% en prenant en compte la perspective d’inflation, sachant que ces crédits étaient en forte augmentation l’année dernière. Pour l’année 2024, ils s’inscrivent dans la tendance à la hausse des crédits prévue par la Lopmi.

  Je tiens, monsieur le ministre, à saluer votre annonce à l’instant de 140 millions supplémentaires, qui comprennent 45 millions pour la création de la quatrième unité d’instruction de sécurité civile qui s’installera à Libourne, 163 ETP, 39 millions au titre des pactes capacitaires qui irrigueront nos départements, 32 millions pour des Canadair et 23 millions pour la location de moyens aériens – avions, hélicoptères et bombardiers d’eau.

  Le programme Sécurité civile se décompose en quatre actions : Prévention et gestion de crises, Préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux – où figurent les montants les plus importants –, Soutien aux acteurs de la sécurité civile et Fonctionnement, soutien et logistique. Le programme 161 ne représente en réalité qu’une faible part du budget total de la sécurité civile, qui s’est élevé, l’an passé, à plus de 7 milliards d’euros consolidés. Le budget global de la sécurité civile est principalement assumé par les collectivités territoriales, en particulier par les départements, qui sont les principaux financeurs des Sdis. Il faudra donc nous pencher sur le financement des Sdis dans l’avenir.

  Le nombre de sollicitations des Sdis ne cesse de croître. Il s’élevait à 4,7 millions en 2021 et à près de 5 millions en 2022, dont les trois quarts pour du secours à victime. Cette augmentation continue de la charge des Sdis est largement supportée par les collectivités territoriales, pourtant financièrement à bout de souffle. Pour répondre à cette importante demande d’assistance et de secours, la France devra compter 220 000 sapeurs-pompiers volontaires et 50 000 professionnels en 2027, et investir lourdement en matériel pour accompagner ce déploiement et moderniser l’action de nos pompiers. C’est pourquoi il faut réfléchir à de nouvelles sources de financement de notre modèle de sécurité civile.

  Cela m’amène à la notion que j’ai choisi de mettre en valeur cette année dans la partie thématique de mon rapport : la valeur du sauvé, un notion quelque peu novatrice dans le domaine de la sécurité civile. Objet d’études académiques depuis plusieurs années, ce concept est principalement utilisé dans le domaine de la lutte contre l’incendie. Il vise à quantifier les avantages économiques résultant des interventions des Sdis et des pompiers, en faisant la différence entre les dommages réels constatés lors d’incidents et la valeur totale des vies, des biens et de l’environnement préservés grâce à l’action de nos pompiers.

  En France, vingt-sept Sdis proposent ce calcul, sur une ou plusieurs opérations, de la valeur du sauvé. Je remercie les représentants des Sdis des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et du Loiret qui m’ont présenté leurs méthodes de calcul. Au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), un groupe de travail que vous avez initié, monsieur le ministre, a été mis en place le mois dernier : il rassemble les représentants de Sdis expérimentateurs et des personnalités qualifiées, pour travailler sur cette notion encore prospective. Je recommande que ce groupe de travail élabore des indicateurs communs ainsi qu’une méthodologie uniforme de calcul de la valeur du sauvé. Pour être efficace, il doit associer plus largement toutes les parties prenantes, en particulier les assureurs – qui financent les Sdis par le biais de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) et qui sont disponibles pour participer à une telle démarche – mais aussi les élus locaux, notamment les représentants des départements et des communes.

  Les réflexions en cours sur la valeur du sauvé sont susceptibles de nourrir les débats sur l’évolution du financement des Sdis. Mon avis développe à cet égard trois pistes. Tout d’abord, la clé de répartition de la part dynamique de la TSCA devrait être modernisée. Des travaux sont en cours à ce sujet. Ils doivent prendre en compte des critères qualitatifs, comme la valeur du sauvé, afin de mieux répartir cette ressource parmi les Sdis.

  Deuxièmement, je souhaite qu’on puisse réfléchir, et, le cas échéant, mettre en place un fonds alimenté par une contribution générale des assurances et reposant notamment sur la valeur du sauvé. Monsieur le ministre, ces deux premières recommandations figurent dans le rapport Falco remis au Président de la République il y a quelques mois : quelle est votre position ? Plus largement, pouvez-vous nous indiquer l’état des négociations avec l’ensemble des parties prenantes concernant l’évolution du modèle de financement des Sdis ? Quelles suites le Gouvernement compte-t-il donner au rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur ce sujet, prévu par la loi Matras et transmis en fin d’année dernière au Parlement ?

  Troisième piste, la TSCA est actuellement reversée à plusieurs bénéficiaires, dont les départements, la Caisse nationale des allocations familiales et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Une fraction supplémentaire de la TSCA pourrait être transférée aux départements au titre du financement des Sdis. Je rappelle que les carences ambulancières ont augmenté de 90 % entre 2012 et 2021 et représentent près de 650 000 interventions. Seriez-vous favorable à une telle évolution ?

  Enfin, la valeur du sauvé peut constituer un cas simple et pédagogique de visualisation et de valorisation de l’action publique de nos services de secours et donc de nos pompiers. Elle pourrait trouver une illustration concrète avec le versement d’une part de la taxe de séjour au titre du financement des services d’incendie et de secours. La prestation proposée par nos sapeurs-pompiers a de la valeur ; elle a un coût, que l’usager pourrait prendre en charge pour sa sécurité. Quel regard portez-vous sur la notion de valeur du sauvé ? Si je mesure son caractère encore expérimental, je l’estime prometteuse pour l’avenir. Quelle place pourrait-elle occuper dans les débats actuels sur le financement de nos services d’incendie et de secours ?

  M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

  M. Rémy Rebeyrotte (RE). Je veux à mon tour rendre hommage à Dominique Bernard et aux deux victimes suédoises d’hier, tous trois victimes du terrorisme islamique.

  2024 sera la deuxième année de mise en œuvre de la Lopmi. Elle verra la montée en puissance des effectifs et des moyens, et la poursuite de la valorisation des personnels en place et des équipements prévue. Arriveront 2 184 ETP supplémentaires, toutes forces de l’ordre confondues, et de nouvelles brigades et unités de forces mobiles. Elle sera aussi une année marquée par les Jeux olympiques et paralympiques en France.

  Le programme 176 Police nationale doit poursuivre la réorganisation territoriale sous commandement unique, pour plus d’efficacité. Il prévoit également le recrutement de 1 139 policiers supplémentaires et la poursuite de la modernisation des équipements. Le renseignement, notamment à travers la DGSI, sera-t-il encore renforcé ? Et, au vu des événements, ne pensez-vous pas qu’il faille accélérer encore la croissance des effectifs, qui doivent atteindre 8 500 emplois supplémentaires sur la législature ?

  Le budget du programme 152 Gendarmerie nationale doit augmenter de 4,82 %, pour atteindre presque 11 milliards. Il prévoit la création de 238 brigades sur tout le territoire et de sept unités mobiles, la hausse des moyens de la cybercriminalité et de la lutte contre les atteintes à l'environnement et la croissance de la réserve et des politiques de prévention, avec pour fond la sécurisation des JOP. Les représentants des forces de sécurité intérieure souhaitent la défiscalisation exceptionnelle des heures supplémentaires, pour faciliter la mobilisation au moment des Jeux et compléter le dispositif déployé : est-ce dans vos intentions ?

  S’agissant du programme 207 Sécurité et éducation routières, où en êtes-vous de la réforme du permis de conduire et de la réflexion sur les conséquences des très petits dépassements de vitesse sur le permis à points ?

  Enfin, le programme 161 Sécurité civile monte en puissance. Il prévoit l’achat d’aéronefs bombardiers d’eau et un soutien aux Sdis pour faire face aux incendies, suite à la loi du 10 juillet 2023 sur le risque incendie. Le budget 2024 sera aussi le troisième depuis la loi Matras, avec un recul heureux des carences sur le terrain. En revanche, l’exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur les carburants des véhicules des Sdis, qui avait été décidée, a été omise dans la première version du projet de loi de finances (PLF) : sera-t-elle rétablie ?

  Une dernière question, par curiosité : que ferez-vous suite aux propos matinaux de Mme Obono, qui a rendu un bien choquant hommage à un mouvement terroriste international ?

  M. Thomas Ménagé (RN). La France est endeuillée par un énième épisode de cette triste saga meurtrière causée par des étrangers dangereux présents sur notre sol. Après la décapitation de Samuel Paty et l’assassinat sauvage de Lola, les crimes commis par des étrangers souvent en situation irrégulière se perpétuent, comme l’incapacité du Gouvernement à protéger la population. Vendredi dernier, le professeur Dominique Bernard a été poignardé par un Tchétchène, au cri d’Allah akbar. Comme des milliers d’étrangers fichés S – autant de potentielles bombes humaines – cet homme ainsi que sa famille ont pu circuler librement sur le territoire alors qu’ils présentaient de sérieuses menaces pour la vie des Français.

  Vous avez été incapables de le voir avant que la barbarie n’explose une nouvelle fois au sein d’un lycée. Au nom du groupe Rassemblement national, j’avais demandé au président Houlié une audition spécifique pour lever le voile sur les défaillances de l’État qui ont mené à ce drame. Elle n’aura malheureusement pas eu lieu et je le regrette, car nous aurions pu vous poser les questions auxquelles les Français attendent des réponses depuis des années. Vous avez indiqué hier que, sur les 20 120 inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, 1 411 individus sont en situation irrégulière. Mais vous n’avez pas indiqué le nombre d’étrangers en situation régulière, pas plus que celui des personnes qui ont été récemment naturalisées. Pourriez-vous nous les communiquer ?

  Vous avez annoncé samedi que vous étiez favorable à l’expulsion systématique de tout étranger considéré comme dangereux par les renseignements. Nous saluons cette nouvelle ligne, mais nous sommes accablés de voir le temps qu’il vous a fallu pour ouvrir les yeux. Que de temps perdu ! Au-delà des crédits prévus par la Lopmi, que nous avons soutenus, l’essentiel reste la volonté politique. Or je m’interroge, monsieur le ministre, sur votre volonté de combattre en profondeur le fondamentalisme islamiste, comme nous le proposons avec Marine Le Pen.

  La sœur de Samuel Paty a déclaré que si des mesures avaient été prises après l’attentat qui a coûté la vie à son frère, Dominique Bernard serait encore là. Que pouvez-vous lui répondre ? Ne pensez-vous pas que les atermoiements du Gouvernement nous ont empêchés de nous doter de l’arsenal législatif nécessaire pour lutter contre l’islamisme radical et les fléaux de l’immigration incontrôlée ? Ne pensez-vous pas que si vous aviez mis l’immigration au cœur du débat national, et si nous avions fait notre travail législatif, nous aurions évité que le sang coule à nouveau sur notre sol ?

  Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, vous nous dites que ce budget est orienté vers la lutte contre la délinquance du quotidien et le doublement de la présence des fonctionnaires sur la voie publique. Mais ces objectifs n’ont aucun sens si nous n’avons pas des officiers de police judiciaire (OPJ) en nombre suffisant pour ce qui est de la police judiciaire elle-même – or ils ne sont que 6 000 – et indépendants – or, avec la départementalisation, vous les mettez, contre leur avis unanime, sous l’égide des préfets.

  Cela étant dit, c’est sur la formation que je veux m’arrêter. En 2022, les sommes qui ont effectivement été dépensées au titre de la formation représentaient la moitié des sommes initialement inscrites en loi de finances. Pour 2024, la sous-action 06.01 Formation du programme 176 Police nationale prévoit une baisse de 34,1 %, mais quels seront les moyens effectivement mobilisés ? Ce budget est-il sincère ?

  On constate que rien n’est prévu pour renforcer la formation au maintien de l’ordre, alors que chacun sait que les effectifs qui y ont été formés, comme les CRS, commettent bien moins de violences que les membres de la brigade anticriminalité qui ont été mobilisés pendant les manifestations contre la réforme des retraites.

  Rien n’est prévu non plus pour la formation à l’accueil et au suivi des victimes de violences sexistes et sexuelles, malgré tous vos engagements et ceux du garde des sceaux en ce sens. Or le nombre de féminicides ne baisse pas dans notre pays, et l’on sait que le dépôt de plainte est la meilleure des préventions. De même, vous ne prévoyez aucun recrutement et ne nous dites pas ce que vous comptez faire des écoles qui ont fermé. Vous avez certes allongé la durée de la formation, mais en y introduisant la formation au métier d’OPJ.

  La formation aux gestes techniques professionnels est importante, mais nos policiers doivent surtout être armés sur un plan théorique pour faire face à la complexité du monde et résister à l’anomie qui parfois les étreint et explique le nombre important de suicides.

  M. Ian Boucard (LR). La sécurité est un enjeu central pour les Français, en cette période marquée par un accroissement de l’insécurité et le retour des actes terroristes dans notre territoire. La sécurité est un pouvoir régalien et il est de la responsabilité du législateur de l’assurer en votant un budget suffisant pour nos forces de l’ordre. Je tiens d’ailleurs à leur rendre hommage pour leur travail et à les assurer que le groupe Les Républicains protégera toujours ceux qui nous protègent.

  Les crédits de la mission Sécurités augmentent, du fait notamment de l’adoption d’une Lopmi ambitieuse, dans laquelle le groupe Les Républicains a pu obtenir de nombreuses avancées en faveur de l’amélioration des conditions d’exercice de nos forces de l’ordre. La délinquance et la criminalité restent pourtant supérieures en France à la moyenne des pays de l’Union européenne. Les statistiques de 2022 confirment cette tendance, avec une augmentation de 8 % du nombre d’homicides, de 15 % des coups et blessures volontaires et de 11 % des violences sexuelles. Cela s’explique en partie par une réponse judiciaire inadaptée qui encourage la récidive et par un manque criant de places de prison. En matière de sécurité, je dénonce depuis six ans le « en même temps » du chef de l’État, qui n’a jamais su trancher.

  Le renforcement de la présence des forces de l’ordre sur la voie publique, qui devrait doubler d’ici dix ans, est une bonne chose. Les effectifs de police et de gendarmerie bénéficieront d’un schéma d’emploi de + 2 184 équivalents temps plein en 2024. Des moyens supplémentaires sont alloués pour répondre à des enjeux sécuritaires nouveaux, par exemple dans le domaine cyber mais aussi pour faire face aux violences intrafamiliales, avec la création de 99 maisons de protection des familles. Nous sommes également favorables au renouvellement des moyens du maintien de l’ordre et d’intervention, avec la densification des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie ainsi que le renouvellement de l’équipement de la police nationale et des moyens mobiles des deux forces.

  Enfin, ce budget en augmentation est marqué par le défi que représente l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris. Elle impliquera une densification des équipements, qui permettra aux forces de gendarmerie et de police d’assurer dans les meilleures conditions la sécurisation du plus grand événement sportif mondial. Après le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions de football, le Gouvernement n’a pas le droit de ridiculiser une nouvelle fois notre pays sur la scène internationale.

  S’agissant des effectifs, ce budget pour 2024 est à nuancer au regard de la sous-consommation chronique des crédits de personnel, expliquée par la Cour des comptes dans son rapport d’analyse de l’exécution budgétaire de 2022 par un accroissement des difficultés de recrutement et de fidélisation. Vous affichez 2 100 nouveaux postes de gendarme pour le quinquennat mais certaines sources, au sein du ministère, évoquent 3 000 départs non prévus pour la seule année 2023. La difficulté à fidéliser les agents se conjugue à une difficulté de recrutement auprès des jeunes générations, qui s’explique en grande partie par la dégradation des conditions de travail. Elle démontre également que les seules revalorisations indemnitaires ne suffisent plus à fidéliser les effectifs. Quelles sont la stratégie et les mesures que le Gouvernement entend déployer pour répondre à ce défi, à l’heure où nos forces de l’ordre sont de plus en plus sollicitées et où les enjeux sécuritaires ne cessent de s’aggraver ?

  Je conclurai en évoquant la menace terroriste. Quelques jours après l’attentat qui a eu lieu au lycée Gambetta d’Arras, pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui ont permis à un ressortissant étranger fiché S, qui aurait dû être expulsé, de demeurer en France et de commettre cet attentat insupportable ? Si le projet de loi « immigration » dont notre assemblée débattra à la fin de l’année s’était déjà appliqué, il n’aurait rien changé : il n’aurait pas permis l’expulsion du terroriste Mohammed Mogouchkov. Il ne propose que des modifications timides du régime de protection des étrangers, y compris ceux qui représentent une menace pour l’ordre public.

  Je connais la mobilisation de nos services de renseignement et de nos forces de l’ordre pour protéger nos compatriotes de ces barbares et je connais, monsieur le ministre, votre engagement personnel. Mais l’intensification de la menace terroriste mérite une plus grande fermeté et les Français réclament à juste titre l’enfermement de tous ceux qui représentent une menace terroriste, ou leur expulsion s’ils sont étrangers. Quelles mesures comptez-vous prendre pour mieux combattre la menace terroriste ? Surtout, comment comptez-vous convaincre ceux qui, au sein de votre majorité – Mme la Première ministre la première – vous ont contraint à reporter l’examen de ce projet de loi, que l’heure n’est plus à la procrastination coupable ou à l’angélisme mais à la fermeté ? La révision constitutionnelle proposée par Les Républicains nous permettrait d’expulser ces individus, qui représentent une menace pour les Français.

  Mme Blandine Brocard (Dem). L’examen des crédits de la mission Sécurités revêt une importance cruciale dans le contexte actuel. Ces crédits traduisent les principes et objectifs énoncés dans la Lopmi que nous avons adoptée en décembre 2022. Ces objectifs sont bien plus que de simples lignes directrices : ils permettront une transformation significative de nos forces de sécurité intérieure, qui aura un impact direct sur la vie de nos concitoyens et renforcera leur confiance envers ceux qui les protègent parfois au péril de leur vie.

  Le risque terroriste, la délinquance du quotidien, les violences intrafamiliales, les zones de non-droit que la République doit impérativement reconquérir – y compris l’espace numérique – nécessitent une présence notablement renforcée de nos forces de sécurité sur le terrain. C’est pourquoi ce PLF prévoit la création de plus de 2 000 équivalents temps plein supplémentaires en 2024, en complément des 2 857 déjà créés cette année. Il est indispensable que nos policiers et nos gendarmes puissent assurer leur mission première, qui est d’être sur le terrain, au plus près des Français. Pour les libérer des tâches administratives et de l’étouffante paperasserie qui leur fait perdre un temps précieux, nous misons sur le développement de solutions numériques innovantes, l’accélération des procédures et le déploiement des assistants d’enquête dans les brigades.

  Libérées de ces contraintes, nos forces de sécurité pourront se consacrer pleinement à leurs missions vitales : protéger nos concitoyens, préserver nos institutions et garantir le respect inébranlable de la loi. L’objectif est ambitieux : doubler la présence opérationnelle sur le terrain dans les dix prochaines années et réduire de manière significative, dès l’année prochaine, les missions périphériques qui entravent l’efficacité de nos unités.

  Les crédits alloués aux programmes 152 Gendarmerie nationale et 176 Police nationale témoignent d’une vraie détermination à combattre et à prévenir la délinquance sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de la délinquance du quotidien, des réseaux et filières criminelles et terroristes, de l’économie souterraine ou de toute forme de délinquance numérique. En raccourcissant les délais d’intervention et en systématisant l’apport de solutions techniques et scientifiques, nous souhaitons optimiser l’efficacité des enquêtes. Une présence renforcée sur le terrain numérique, avec la formation et le déploiement de cyberpatrouilleurs, permettra, je l’espère, de mettre un terme aux dérives qui font de l’espace virtuel le terrain privilégié du harcèlement, des trafics et arnaques en tout genre, de la radicalisation et de la diffusion de violence et de haine.

  Je suis particulièrement attachée à ce que nos gendarmes soient logés en sécurité et de manière correcte. Quelles actions seront menées cette année pour nos casernes ? Comment permettre à tous nos policiers de se loger à proximité de leur commissariat et à des loyers raisonnables, même en centre-ville ?

  M. Roger Vicot (SOC). Nous nous livrons à un exercice à la fois légitime et étrange. Légitime, parce que c’est notre rôle d’examiner, ligne après ligne, le budget qui nous est soumis. Étrange, parce que le contexte dans lequel nous le faisons rend certaines prises de position assez dérisoires. Je ne suis pas connu pour être proche politiquement du ministre de l’intérieur, mais quand j’entends des collègues le soupçonner de ne pas avoir la volonté de lutter contre le terrorisme islamiste, je me dis que cela ne contribue pas à crédibiliser la parole politique. S’il y a un mot qui s’impose dans le contexte actuel, c’est celui d’unité.

  J’en viens aux crédits de la mission Sécurités. Durant l’examen de la Lopmi, il a beaucoup été question de la formation, dont tous les groupes ont souligné l’importance. Comme l’an dernier, l’objectif affiché est d’augmenter le temps de formation continue de 50 %. Or, sauf erreur de ma part, le budget pour 2024 ne prévoit aucun ETP supplémentaire pour l’assurer. Je sais que des policiers peuvent devenir formateurs, mais il me semble tout de même qu’au regard du nombre de recrutements, la formation aurait mérité quelques ETP supplémentaires.

  La cybersécurité a elle aussi été au cœur de nos débats sur la Lopmi. Pourtant, l’argumentaire qui figure dans le PLF pour 2024 est à la virgule près celui qui figurait dans celui de l’an dernier : il évoque l’augmentation du nombre de cyberpatrouilleurs et la création récente d’un centre national de formation cyber. Je crois que cette question aurait mérité davantage de moyens.

  Vous avez évoqué à juste titre, monsieur le ministre, le défi que doit relever la sécurité civile. J’ai bien noté que l’année 2024 marquera le début du renouvellement de la flotte de Canadair, avec une première commande de quatre appareils dont deux seront financés par l’Union européenne. Sommes-nous certains que ces appareils nous seront livrés avant l’été 2024 – sachant qu’il commence de plus en plus tôt ?

  Ma dernière remarque concerne les indicateurs d’efficacité. Je note que la gendarmerie établit ses indicateurs à partir des directives de la direction interministérielle de la transformation publique. Autrement dit, les gendarmes ont des indicateurs de satisfaction du public. En revanche, les indicateurs de la police nationale ne sont fondés que sur l’intervention, hormis quelques éléments sur le temps d’attente au commissariat.

  M. Didier Lemaire (HOR). La mission Sécurités regroupe l’ensemble des moyens financiers relevant du ministère de l’intérieur et concourant à la protection des populations sur tout le territoire. Elle poursuit les efforts engagés dans la Lopmi. Les crédits de cette mission sont en hausse, notamment ceux qui concernent la sécurité et l’éducation routières, la police et la gendarmerie nationale.

  Dans le prolongement des efforts réalisés depuis 2017 pour améliorer la sécurité du quotidien sur l’ensemble du territoire, l’année 2024 sera marquée par une amplification de la mobilisation et une accélération de la modernisation de la police nationale. Elle verra s’accroître la présence des forces de l’ordre sur la voie publique. Le groupe Horizons salue d’ailleurs les 39  brigades de gendarmerie supplémentaires qui s’ajoutent aux 200 prévues par la Lopmi.

  Le programme Sécurité civile rassemble l’ensemble des politiques du ministère de l’intérieur consacrées à la protection des populations et à la gestion de crise. Je me réjouis que la DGSCGC connaisse une augmentation importante de ses moyens opérationnels, avec la création de 200 emplois et 818 millions de crédits supplémentaires sur cinq ans. L’année dernière, je vous interrogeais, monsieur le ministre, sur la manière d’accompagner les communes dans leur effort de prévention du risque en général, notamment du risque d’incendie. La protection de la population sera l’enjeu central de ces prochains mois, face aux différents risques auxquels nous faisons face – naturel, technologique, sanitaire et terroriste. Il est important d’y acculturer nos concitoyennes et nos concitoyens.

  Je me réjouis par conséquent de l’instauration d’une journée nationale de la résilience face aux risques, ainsi que du renforcement des dispositifs d’alerte à la population. Le déploiement du système d’alerte et d’information des populations se poursuit, avec l’achat de 2 200 nouvelles armoires de commandes permettant un déclenchement via la 4G, adaptées à l’arrêt progressif du réseau INPT à compter de 2025, et l’installation de 400 sirènes supplémentaires pour une mise en service d’ici 2026, dont une centaine en 2024.

  Ces dispositifs seront-ils accompagnés d’actions de formation et de sensibilisation de la population, et de quelle façon ? Le système d’alerte FR-Alert, qui actionne tous les téléphones mobiles dans un secteur géographique donné, est-il disponible et efficace sur l’intégralité du territoire national ? Je me réjouis par ailleurs de l’introduction d’un numéro unique de gestion des appels d’urgence, plus simple pour les usagères et usagers du service public : pouvez-vous nous en dire plus sur la durée et le périmètre de cette expérimentation ?

  Le groupe Horizons votera les crédits de cette mission.

  Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Les crédits de la mission Sécurités sont globalement à la hausse et c’est plutôt une bonne nouvelle, mais chacun sait que le diable est dans les détails. Je pense notamment au recul des moyens de l’administration territoriale de l’État, qui semble traduire un recul de la présence de l’État dans les territoires, à la baisse des moyens accordés à l’action numérique du ministère de l’intérieur, qui entre en contradiction avec les engagements de modernisation pris dans la Lopmi, ou encore à la baisse des moyens accordés au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Ce dernier point apparaît vraiment comme une anomalie : à l’heure où la France est encore endeuillée, la prévention de la délinquance et de la radicalisation devraient être, plus que jamais, une priorité.

  Les rapports entre la police et la population sont souvent questionnés. Un nombre croissant d’agents de police expriment leur colère en dehors des syndicats pour faire voir la réalité du terrain – une réalité qui devient un enjeu social, quand on sait qu’il y a eu plus de 1 000 suicides dans la police au cours des vingt dernières années. Les 122 psychologues sont bien peu, par rapport aux 150 000 agents en service ; le dispositif « sentinelles » est peu efficace, car on y est régulièrement nommé volontaire d’office ; enfin, le programme de mobilisation contre le suicide manque de moyens pour être efficace, avec 2,9 millions seulement dans le PLF pour 2024. Il y a certes une formation à distance, intitulée « Agir pour prévenir le suicide et ses conséquences », mais le fait que les crédits dédiés à la formation passent de 43 à 29 millions malgré le recrutement annoncé de milliers de nouveaux agents n’invite pas à l’optimisme. Nous avons déposé des amendements demandant de véritables moyens de lutte contre le suicide. Malheureusement, le 49.3 va, une fois encore, balayer ces propositions avant même que le débat puisse avoir lieu. Il vous reste cependant la possibilité de soutenir ces propositions ou, au moins, d’en discuter avec nous.

  La sécurité civile est elle aussi en première ligne avec le réchauffement climatique qui augmente à la fois le risque d’incendie et l’intensité des feux. Il faut des moyens à la hauteur de ce qui constitue l’enjeu du siècle. Or l’IGA nous alerte sur le risque de rupture capacitaire. Nous proposons donc d’accompagner l’action en la matière avec un fonds d’investissement national.

  Cela permettrait d’abord de renforcer les moyens humains, avec des recrutements massifs, de l’ordre de 40 000 personnes d’ici 2035, et un objectif de 50 % de professionnels d’ici 2040. Il faut valoriser leur travail, avec le retour de l’âge légal de départ à la retraite à 55 ans et une retraite anticipée pour les volontaires quand ils ont de l’ancienneté. Il faut, enfin, généraliser la formation aux feux de forêt, qui doit être intégrée au tronc commun.

  Quant aux moyens matériels, vous prévoyez d’acquérir 1 100 nouveaux camions-citernes feux de forêts, ce qui portera leur nombre à 100 000 : nous ne ferons ainsi que revenir au niveau de 2005. Pour faire face à l’enjeu du siècle, nous proposons un objectif de 6 000 camions-citernes feux de forêts d’ici à 2030. Par ailleurs, vos investissements dans les moyens aériens sont très insuffisants. Il faut investir dans plus d’appareils, et qui ne nécessitent pas d’aller s’entraîner au Canada.

  Enfin, il convient de réfléchir collectivement à la question des modes de financement. Nous aurons l’occasion de reparler de la TSCA, ou de la contribution additionnelle à la taxe de séjour que recommande notamment notre collègue Florian Chauche.

  M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Tous les membres de la police, de la gendarmerie et des forces armées ont un seul but : éviter que des drames ne se produisent dans notre territoire. Et lorsque cela arrive, la plupart d’entre eux sont meurtris. Il importe donc d’éviter les propos à l’emporte-pièce, car nous parlons de vies humaines.

  Je ne reviendrai pas sur les chiffres ; j’aimerais plutôt m’arrêter sur la politique globale qu’ils traduisent et vous poser les questions qui me taraudent. Je vous ai demandé il y a quelques mois comme allait se dérouler la réaffectation des différentes compagnies de forces mobiles, tant dans l’Hexagone qu’outre-mer, pour garantir la sécurité des Jeux olympiques. Or je n’ai jamais obtenu de réponse.

  La Lopmi prévoit une départementalisation des forces qui laisse la part aux choix des préfets. Ainsi, en Guyane, le préfet mobilise quasiment une compagnie de forces mobiles chaque jour pour protéger le site d’un porteur de projet privé et mener bataille contre des jeunes autochtones âgés pour la plupart de 14 ou 15 ans qui défendent leur lieu de vie, de chasse et de subsistance. Nous aurions plutôt besoin de ces forces pour lutter contre l’orpaillage illégal qui pollue nos mers et nos fleuves et qui nuit aux êtres humains, à la faune et à la flore depuis plus de trente ans. Il faut absolument éradiquer cette pratique.

  La gendarmerie, en Guyane, aurait besoin d’un deuxième hélicoptère pour mener à bien toutes ses missions. Je rappelle que c’est un territoire de 90 000 kilomètres carrés à la végétation très dense, qui nécessite des moyens spécifiques.

  D’une manière générale, si l’on veut lutter efficacement contre toute forme de violence et contre le terrorisme, il importe que nos policiers et nos gendarmes soient au quotidien auprès de nos concitoyens, et pas seulement quand il y a un souci. Nous vous avons demandé de remettre des forces de l’ordre dans les quartiers, au plus près des habitants, pour leur garantir une vie paisible, comme partout ailleurs. Vous nous avez opposé une fin de non-recevoir mais je persiste à dire que c’est le meilleur moyen de prévention. Nos policiers et nos gendarmes doivent nous aider à reconnecter les hommes et les femmes au quotidien. Or ce n’est pas la politique qui est déployée : le renforcement des forces mobiles n’est pas la réponse la plus adaptée aux maux de notre société. J’espère que les débats à venir nous permettront de rectifier le tir.

  La réunion est suspendue de dix-huit heures quinze à dix-huit heures vingt-cinq.

  M. Paul Molac (LIOT). Les crédits de la mission Sécurités connaîtront une augmentation notable en 2024. On ne peut que souscrire à votre projet de sécurité du quotidien, car c’est celle qui touche directement les Français. J’ai pu constater que la prise en charge des violences intrafamiliales et des violences sexistes est bien meilleure qu’il y a un dizaine années : la formation des agents porte ses fruits.

  Je souhaite appeler votre attention sur le maillage territorial et sur les spécificités du milieu rural. Des cambriolages y sont commis, certes, mais on voit surtout des gens s’y installer pour se mettre au vert quelque temps, sans vraiment commettre de méfaits mais pour servir de receleurs par exemple. Il peut être utile de les identifier pour démanteler des filières.

  S’agissant de l’articulation des Jeux olympiques et des festivals, les forces de l’ordre vont-elles devoir quitter leur région d’implantation pour se rendre à Paris le temps des JOP ? Les grands festivals ont fait le choix, quand c’était possible, de décaler leurs dates, mais quid des festivals plus petits ou intermédiaires, dont certains ont besoin de forces de sécurité ? Le festival de la Madone des motards, qui a lieu chez moi, forcément le 15 août, est encadré, comme de juste, par des motards de la gendarmerie nationale. Les festivals de musique aussi ont besoin de savoir s’ils pourront se tenir ou non, pour pouvoir engager les groupes. J’ai interrogé le préfet de mon département et il ne m’a toujours pas donné de réponse – j’imagine qu’il ne l’a pas lui-même. Dès que les derniers arbitrages auront été rendus, il faudra informer les organisateurs de petits et moyens festivals.

  Enfin, les Jeux olympiques vont donner lieu à une expérimentation mêlant intelligence artificielle et caméras. Où en est-on ? A-t-on choisi une technologie et quel en sera le coût ? Des entreprises ont-elles déjà été retenues ?

  Mme Emmanuelle Ménard (NI). Les moyens alloués à la sécurité vont augmenter en 2024, mais pas suffisamment. Les moyens du renseignement, plus indispensable que jamais pour lutter contre les atteintes à la sécurité de nos concitoyens et des institutions et pour prévenir les troubles à l’ordre public, devraient être renforcés. La France n’a pas les moyens de surveiller les personnes susceptibles de mettre en danger notre sécurité – en tout cas, pas toutes. Le triste attentat contre le professeur Dominique Bernard l’a encore prouvé la semaine dernière. Je vous suggère une mesure qui ne coûtera rien, mais qui pourrait être très efficace : pouvez-vous vous engager, monsieur le ministre, à abroger la circulaire Valls, qui nous empêche d’expulser les étrangers potentiellement auteurs de troubles à l’ordre public ?

  Je souhaite également appeler votre attention sur les conditions de vie de nos gendarmes, dont certains occupent des logements d’une vétusté plus qu’alarmante. Pour résoudre ce problème, la gendarmerie de Béziers a été obligée d’autoriser une prise à bail en secteur civil, ce qui entraîne un surcoût pour l’institution. Quel programme comptez-vous engager pour y remédier ?

  J’aimerais enfin vous entendre au sujet de la montée en puissance des violences en France. Tout le monde se souvient des émeutes de l’été dernier. Pour combattre ces violences, il faut des effectifs supplémentaires, ce que prévoit votre budget. Toutefois, la Cour des comptes nous alerte sur la crise de vocation qui frappe nos forces de l’ordre, ainsi que sur les vagues de démissions qui frappent nos institutions : le nombre de départs de la police et de la gendarmerie a encore augmenté en 2022, alors que l’année 2021 avait déjà marqué un record. Face à ce constat, que comptez-vous faire pour rendre nos forces de l’ordre plus attractives ?

  M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Ménard, le ministère de l’intérieur a deux grandes dettes : une dette numérique, que nous résorbons, et une dette immobilière, qui est effectivement très importante et qui ne tient pas seulement aux locaux des gendarmes, mais qui concerne également la police et les préfectures. Pendant longtemps, en effet, le ministère de l’intérieur a connu une augmentation très importante de ses dépenses de titre 2 (T2), c’est-à-dire des dépenses de personnel, tandis que les crédits hors T2, consacrés à l’immobilier, ne suivaient ni l’augmentation des effectifs ni le changement de mode de vie de nos concitoyens. Faire réaliser les constructions destinées aux gendarmes par les collectivités locales et payer des loyers pouvait sembler initialement moins intéressant que d’être propriétaire des locaux, mais les loyers n’ont pas augmenté autant que nécessaire pour réaliser des travaux de rénovation et les communes, principalement les petites, ont commencé à rencontrer de grosses difficultés – et je ne parle même pas des cathédrales que sont les grandes casernes comme celle de Satory, qui pose des problèmes très importants.

  Nous avons donc consacré à cette question d’importants moyens supplémentaires – plus de 300 millions votés au titre de la Lopmi – mais ils ne suffiront pas non plus. Bien que ces questions relèvent essentiellement du ministre des comptes publics, nous y travaillons beaucoup et imaginons deux modes de gestion totalement différents. La première solution consisterait en une foncière dans laquelle l’État partagerait son action avec le privé, tout en restant majoritaire, pour réaliser des travaux liés à la transition énergétique ou des rénovations plus lourdes. La gestion de l’immobilier public de l’État, en particulier des brigades de gendarmerie et des commissariats de police, madame Brocard, est d’abord une question de fonctionnement, car l’État ne sait pas toujours très bien gérer son domaine public, qui est en outre très grand. Par ailleurs, le ministère de l’intérieur, présent partout sur le territoire national – et même international compte tenu des outre-mer – doit faire face à des conditions d’intervention très diverses, de la petite brigade de campagne à la grande préfecture. La difficulté de gestion et donc très importante.

  La deuxième formule serait la conclusion d’un partenariat public-privé. La construction d’une partie des 239 nouvelles brigades et la reconstruction des casernes plus importantes peuvent passer par une massification des appels d’offres. Le territoire français serait divisé en plusieurs régions, ce qui permettrait de faire jouer la concurrence pour ces partenariats dans lesquels l’État resterait finalement propriétaire. En effet, cette erreur que les ministres de l’intérieur ont souvent commise par le passé de déléguer aux collectivités locales la construction tout en payant des loyers nous expose aux difficultés de la dette immobilière.

  Nous résolvons donc peu à peu le problème : 750 brigades de gendarmerie ou commissariats de police ont été rénovés ou reconstruits depuis que je suis ministre de l’intérieur, mais beaucoup reste à faire.

  Pour ce qui concerne la sous-consommation des crédits de personnel en 2022, je m’inscris en faux contre ce qui a été affirmé et je l’ai d’ailleurs exprimé dans ma réponse à la Cour des comptes. Le nombre des démissions, même s’il est toujours intéressant à analyser, est largement à relativiser. Ainsi, de nombreuses démissions de gardiens de la paix tiennent au fait que la démission est formellement indispensable pour devenir officier – il en est de même pour la gendarmerie. Cela a de fortes conséquences lorsque la promotion interne est importante, comme c’est le cas dans la police nationale, où 50 % des gardiens de la paix deviennent officiers ou commissaires.

  Pour ce qui est de l’attractivité, je serais encore plus circonspect, les chiffres de 2023 ne vérifiant nullement ceux de 2022, où se posait la question particulière du taux de chômage. En effet, lorsque le taux de chômage est bas, la fonction publique fait moins office de valeur refuge. Cela vaut autant pour le ministère de l’intérieur que pour celui des armées, qui a fait savoir qu’il avait du mal à recruter, et pour d’autres ministères.

  Cela ne signifie pas que les missions ne soient pas difficiles : il faut travailler sur le sens de la mission, la formation, l’attractivité de la carrière, madame Regol l’a dit. Je suis moins en accord avec la position des Écologistes et de La France insoumise à propos des suicides : si des mots plus positifs étaient prononcés à l’endroit de la police nationale, peut-être les policiers se sentiraient-ils mieux dans leur métier. Les manifestations où l’on dit aux policiers « Suicidez-vous ! » ou « la police tue » ne sont pas ce qu’il y a de mieux pour cela, ni les attaques de monsieur Mélenchon.

  Pour ce qui est de l’attractivité de l’administration territoriale de l’État, je ne sais pas où vous avez vu, madame Regol, que les crédits baissaient, puisqu’ils passent de 2,3 à 2,6 milliards, ce qui représente 232 équivalents temps plein supplémentaires en 2024. Il n’y a jamais eu d’augmentation aussi importante dans l’administration territoriale et, dans les préfectures, les crédits comme les effectifs augmentent.

  Pour la Guyane et plus largement les outre-mer, j’ai évoqué des augmentations d’effectifs pérennes, avec plus de 30 % de policiers supplémentaires hors escadrons de gendarmerie mobile, notamment en Guyane. Quant à l’opération Harpie, menée en commun par la police, la gendarmerie et les militaires, il faut sans doute augmenter la posture et changer le fonctionnement de l’opération car ceux qui pratiquent l’orpaillage illégal, polluant et pillant la terre de Guyane et multipliant les règlements de comptes, s’adaptent. Le Président de la République a donc demandé d’imaginer une nouvelle opération Harpie, dont nous aurons l’occasion de reparler.

  Vous avez raison de dire que les escadrons de gendarmerie, à l’exception de ceux qui se tiennent à l’aéroport de Guyane et de ceux qui sont parfois affectés au maintien de l’ordre public, pourrait être davantage utilisés pour l’opération Harpie, où ils veillent au respect de la terre des Guyanais. Vous m’avez demandé rendez-vous et je vous recevrai bien volontiers pour en parler.

  Les vingt-et-un escadrons de gendarmerie mobile mobilisés pour l’ensemble de l’outre-mer y resteront, y compris pendant les Jeux olympiques, et seront même renforcés en Polynésie française pendant les épreuves de surf.

  Pour ce qui est des dépenses de formation, j’ai un peu de mal à comprendre la démonstration. Il n’est pas juste qu’il n’y ait aucun ETP supplémentaire. Les crédits de formation en personnel ne baissent pas – soit il y a des coquilles dans le document budgétaire, soit il faudra le relire ensemble : ils sont passés de 23 millions en 2022 à 29 millions en 2023 et seront de 30 millions l’année prochaine, avec 4 500 équivalents temps plein et 72 ETP recrutés et créés, en sus des policiers qui basculent dans la formation.

  Le dispositif FR-Alert est efficient sur l’ensemble du territoire national, à l’exception de La Réunion, de Mayotte et des Antilles. Il est très efficace et sera renforcé. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

  Pour ce qui est du FIPD, madame Regol, je ne partage pas votre lecture des chiffres, qui augmentent alors que vous avez déclaré qu’ils baissaient : les crédits s’élèvent, tous prélèvements confondus, à 80 millions en 2022, 84 millions en 2023, 87 millions en 2024 et 94 millions en 2025. Tout ne va pas à des caméras de vidéoprotection puisqu’elles ne comptent que pour 22 millions en 2023 et 25 millions en 2024.

  Les premières livraisons de Canadair, qui concrétiseront l’une des annonces du Président de la République, interviendront au début de 2026. Nous avons, vous le savez, une difficulté liée au site de l’usine de production, mais nous devons également nous battre pour obtenir des livraisons dans les délais puisque nos amis Canadiens, qui ont connu des incendies très importants, ont voulu donner priorité à leurs chaînes de montage.

  L’intégralité des policiers et gendarmes sortant de l’école de police sont formés au traitement des violences intrafamiliales, et l’on en est à 80 % pour l’ensemble des policiers et gendarmes au contact avec le public. Je rappelle cependant que, sur cent féminicides, trente sont connus des forces de l’ordre et soixante-dix ne le sont pas. On peut certes améliorer encore largement le travail des policiers et des gendarmes dans ce domaine – nous multiplions ainsi les plaintes à domicile et généraliserons la visioplainte – mais il reste aussi beaucoup de choses à faire avec la communauté de ceux qui peuvent dénoncer ces violences, y compris le monde médical, qui est souvent le premier à les constater. Je ne partage pas l’opinion qui a été exprimée à propos de l’accueil des victimes et chacun constate les énormes efforts déjà réalisés par la police et la gendarmerie dans ce domaine.

  Nous avons encore augmenté cette année les crédits de paiement destinés au logement des gendarmes, et vous avez dû en constater le bénéfice dans votre circonscription, madame Ménard. Mais le ministère de l’intérieur a une dette immobilière très importante et nous devons changer de braquet pour répondre aux attentes des gendarmes et de leurs familles, qui vivent dans des conditions souvent difficiles.

  Madame Martin, je ne sais pas où vous avez trouvé le chiffre de 6 000 OPJ au contact du public. La police compte en effet 17 000 OPJ, dont 4 500 à la direction nationale de la police judiciaire : du simple au triple… Du reste, quand on réclame des OPJ tout en ayant voté contre la Lopmi, qui prévoyait leur formation dès l’école de police, on ne craint pas les contradictions.

  Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Vous êtes malhonnête !

  M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne vous permets pas de m’insulter, même si c’est une habitude dans votre parti. Ce n’est pas parce que la NUPES a des problèmes qu’il faut passer vos nerfs sur les membres du Gouvernement. Je propose que vos difficultés politiques ne se reflètent pas dans les commissions parlementaires.

  Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Ça s’appelle cracher son venin !

  M. Gérald Darmanin, ministre. Cracher son venin, c’est ce qu’a fait Mme Obono ce matin à la tête de tous les Français. Vous feriez mieux de présenter vos excuses plutôt que votre énervement.

  Ce qui est sûr, c’est que nous ne disposons pas des mêmes chiffres et, faute d’écoute et de respect de votre part, je m’en tiendrai là.

  Monsieur le rapporteur pour avis Rudigoz, depuis le 1er septembre, 6 322 policiers nationaux sont entrés dans la réserve opérationnelle que les parlementaires ont créée sur le modèle de la gendarmerie, ce qui est un grand succès. Ces réservistes, que nous pouvons rencontrer dans les préfectures, sont 4 027 policiers retraités, qui conservent désormais leur qualité d’OPJ grâce à votre action, 397 anciens policiers adjoints et 1 898 personnes de la société civile. Notre travail collectif en la matière a donc été très efficace.

  Pour ce qui est de la sécurité civile, son financement sera examiné surtout dans le cadre de la seconde partie du PLF. Nous devons nous reposer la question de la TSCA, mais aussi de la manière dont les départements participent. En effet, une partie de la taxe est versée directement aux départements, qui la reversent aux Sdis. Or, si certains départements jouent le jeu et la reversent intégralement, voire donnent plus que ce qui était prévu, d’autres donnent moins. Les problèmes et d’ailleurs les risques de feux ne sont pas les mêmes partout. Une solidarité s’impose donc entre départements. Quant à savoir si la TSCA est une bonne taxe, s’il faut en prévoir d’autres ou s’il faut revoir son mode de transfert, nous sommes disposés à en discuter.

  Je signale toutefois que l’État verse 1 milliard sur les 4 milliards de crédits de fonctionnement des Sdis, alors qu’il ne s’agit pas stricto sensu d’une de ses compétences, puisqu’elle a été complètement décentralisée.

  Pour attirer les ingénieurs dans la police technique et scientifique ou le cyber, il convient de jouer sur la rémunération : nous sommes en train de faire avec Bercy un travail interministériel en vue d’une augmentation de 20 % tous les trois ans de la rémunération des personnes qui viendraient de l’extérieur pour rendre service à la nation, sur le modèle de ce qui se pratique à la DGSI, qui accueille des contractuels, notamment des informaticiens ou des spécialistes de l’intelligence artificielle. Mais le sens de la mission aussi est un facteur d’attractivité, parfois davantage que la rémunération. Nous devons, par la suite, accompagner ces personnels dans la gestion des incompatibilités professionnelles : le fait de passer quelques années à travailler sur de grands projets numériques au ministère de l’intérieur doit pouvoir leur permettre d’enrichir leur CV.

  Se pose également la question du modèle. Peut-être la police technique et scientifique doit-elle s’inspirer de l’Agence du numérique que nous avons créée, qui nous permet de nous libérer de certaines contraintes de la direction générale de l’administration et de la fonction publique. Je souscris pleinement aux attendus et aux conclusions du rapport sur ces points.

  S’agissant des heures supplémentaires liées aux Jeux, nous n’avons pas de discussions en cours avec les syndicats de police mais nous avons pris des engagements au niveau interministériel et la Première ministre a annoncé une prime pour l’ensemble des policiers et des gendarmes et, d’une manière générale, les agents du ministère de l’intérieur et des autres ministères particulièrement mobilisés. Nous sommes tout à fait disposés à examiner avec Bercy l’éventualité d’une défiscalisation si ces heures supplémentaires font passer les agents concernés dans une tranche supérieure de revenus. Je connais trop le fonctionnement de Bercy pour m’engager devant vous, mais je sais aussi que le ministère des finances est toujours à l’écoute et toujours généreux, comme le budget du ministère de l’intérieur le prouve ! Je m’engage à être très vigilant sur ce point, car les policiers et les gendarmes consentiront un effort tout particulier en renonçant à leurs jours de congés durant l’été. Nous trouverons donc sans doute une solution, monsieur Molac, pour que le festival de la Madone des motards puisse se tenir dans de bonnes conditions, comme tous les autres festivals.

  Monsieur Rebeyrotte, pour ce qui concerne l’annulation du retrait d’un point de permis de conduire, nous avons transmis au Conseil d’État le texte conforme à l’engagement que j’avais pris le 10 octobre : au 1er janvier 2024, les conducteurs ne se verront plus retirer de point pour de petits excès de vitesse. L’amende restera bien sûr à payer, car il ne s’agit pas de dépénaliser ces infractions mais de nous en tenir au bon sens. Promesse tenue.

  Pour ce qui est de l’intelligence artificielle et des caméras de vidéoprotection, la notification des marchés sera faite en novembre. D’ici Noël, nous en aurons notifié l’intégralité, ce qui nous permettra de répondre à votre question relative à l’utilisation des moyens que vous avez votés dans la loi relative aux JO de Mme Oudéa-Castera.

  Bien que l’immigration ne soit pas le sujet qui nous réunit aujourd’hui, je réponds bien volontiers aux questions du Parlement à ce sujet, comme toujours. J’observe cependant que les députés des groupes Rassemblement national et Les Républicains ne m’ont pas posé de questions à ce propos tout à l’heure durant la séance de questions au Gouvernement. Peut-être s’attendaient-ils à ce que ma réponse les mette dans l’embarras.

  Vous m’avez donc demandé, mesdames et messieurs les parlementaires des groupes Les Républicains et Rassemblement national, comment le drame d’Arras avait été possible. Face à ces événements dramatiques, aux familles et aux personnes blessées, je tiens tout d’abord à saluer le courage des enseignants et du personnel administratif du lycée, qui ont empêché le terroriste islamiste de faire davantage de morts. Je remercie également les agents de la police nationale, qui sont intervenus en moins de quatre minutes, allant courageusement au contact du terroriste qui criait à quelques mètres d’eux, armé d’un couteau avec lequel il avait déjà tué, dans une scène sanglante. Ils n’ont pas utilisé leurs armes administratives mais le Taser – que certains ont voulu interdire – pour neutraliser cette personne sans causer la mort. On ne peut que saluer les policiers d’Arras et je remercie le Président de la République d’avoir décidé de les décorer d’ordres nationaux.

  Jacob Mogouchkov et son épouse sont arrivés de Russie, monsieur Boucard, avec quatre enfants, le 10 mars 2008. Une fille est ensuite née en France. Il se trouve que le père était déjà signalé pour une pratique très radicale de l’islam. Ils ont demandé leur admission au titre de l’asile le 27 mars 2008. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leur demande d’asile le 16 décembre 2008. En appel, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a rejeté leur recours le 13 janvier 2010. Après un nouvel examen, l’OFPRA a de nouveau rejeté leur demande le 2 mars 2010. Ils ont alors fait l’objet d’un refus de séjour et d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) le 11 mai 2010. Le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur recours le 23 septembre 2010, ce que la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé le 14 avril 2011.

  Vous aurez donc constaté, monsieur le député, que durant trois ans, de 2008 à 2011, aucune reconduite à la frontière n’était possible – bien que ce soit la droite républicaine, qui n’est pas réputée molle, qui soit au gouvernement – parce que des recours étaient pendants. Vous affirmez que la future loi « immigration » n’y changerait rien, mais bien au contraire, avec la réforme de la CNDA telle que la propose le Gouvernement, nous aurions jugé tout cela en moins de sept mois. Il n’y a évidemment pas à en vouloir au gouvernement de l’époque pour les trois ans qui se sont écoulés car pendant cette période, ces personnes n’étaient pas expulsables.

  Elles l’ont été à partir du 14 avril 2011. Or l’OQTF n’a pas été exécutée. Cela montre bien que la volonté d’exécuter les OQTF ne dépend pas du ministre ou du Président de la République en place : depuis que les OQTF existent, le taux d’exécution maximum a été de 20 % en France, atteint en 2019 – on en était bien loin en 2011. La France présente d’ailleurs l’un des taux les plus importants de reconduite à la frontière.

  Entre 2011 et 2013, deux OQTF ont été notifiées, sous les gouvernements Fillon et Ayrault, sans pouvoir être exécutées. Les Mogouchkov ont sollicité l’admission exceptionnelle au séjour, c’est-à-dire une régularisation au titre de la circulaire Valls, qui a été refusée. Le 23 juillet 2013, ils ont été assignés à résidence, de même que le 11 octobre 2013 et le 4 décembre 2014, pour quatre-vingt-dix jours, en Bretagne.

  Le consulat de Russie, saisi le 28 novembre 2013 par le ministère des affaires étrangères, a attribué les laissez-passer consulaires le 13 février 2014. Le 18 février 2014, à six heures du matin, la gendarmerie a notifié le placement en rétention des Mogouchkov et les a transportés de l’aéroport de Rennes au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, en Île-de-France, pour un départ de Roissy le 18 février, quelques heures plus tard. À quelques minutes de leur entrée dans l’avion, sur instruction du cabinet du ministre de l’intérieur de l’époque, la famille a été remise en liberté et transférée dans le Pas-de-Calais.

  Pendant les trois premières années donc, ces gens n’ont pas pu être expulsés malgré les démarches engagées par le ministère de l’intérieur de l’époque, du fait de la longueur des recours – le projet de loi qui vous sera proposé répond pleinement à ce problème en divisant par trois la durée des procédures. L’OQTF n’a alors pas été exécutée, et, connaissant les difficultés en la matière, ce n’est pas moi qui en ferai le reproche. Puis la régularisation au titre de la circulaire Valls a été refusée par le gouvernement Ayrault, mais au dernier moment l’expulsion n’a pas eu lieu, du fait de pressions politiques ou associatives comme il en arrive souvent. Il arrive même parfois que les parlementaires s’en fassent le relais, quel que soit leur bord politique : c’est même assez partagé, et j’invite les députés du Rassemblement national à ne pas être trop sûrs d’eux sur la question, parce que des membres de leur groupe eux aussi m’écrivent à ce sujet. Nous connaissons tous, n’est-ce pas, une nounou qu’il faut absolument régulariser, parce que « elle, elle est bien ». Tant mieux d’ailleurs, car quand les gens sont très bien, il faut savoir les accueillir.

  Ensuite donc, la famille s’est trouvée dans l’illégalité – le papa, la maman et les enfants, tous arrivés sur le territoire national avant l’âge de 13 ans et qui deviennent majeurs au fur et à mesure que les années passent. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérard Collomb, a fait notifier une OQTF concernant le père, qui était suivi pour radicalisation. Celle-là a été exécutée et le père a été renvoyé dans son pays d’origine. D’après nos informations, il se trouve désormais en Géorgie. Le frère aîné de la fratrie, radicalisé et fiché S, a été incarcéré. Il a vu sa peine allongée pour avoir voulu participer à un projet d’attentat contre le palais de l’Élysée. Le ministère de l’intérieur me semble donc avoir fait son travail.

  L’auteur de l’attentat d’Arras a engagé une nouvelle demande d’asile à l’âge de 18 ans, et c’est reparti : l’OFPRA a refusé, puis la CNDA, en août 2022. M. Poutine ayant envahi l’Ukraine en mars 2022, les relations diplomatiques avec la France étaient suspendues mais cela n’aurait rien changé dans ce cas précis, puisque celui qui n’était pas encore un terroriste n’avait aucun casier judiciaire. Il est suivi par la DGSI depuis juillet 2023. Les dizaines d’heures d’écoutes téléphoniques n’ont rien donné et aucun signe – alors qu’il y avait doute, nous pourrons en reparler – ne permettait d’invoquer des violences terroristes potentielles. Cela aurait effectivement permis d’utiliser le concept d’intérêts fondamentaux de la nation, comme l’a évoqué Madame Le Pen dans l’hémicycle, mais cela ne correspond en rien à la réalité des faits en l’espèce. Les intérêts fondamentaux de la nation n’étaient pas menacés par cette personne.

  Le seul moyen que nous avions de l’expulser était de nous fonder sur le trouble à l’ordre public. Sauf que, monsieur le député, depuis les lois qui ont mené à la fin de la double peine, il existe dans la loi française des réserves d’ordre public. Elles sont bien propres à la loi française, celle que vous fabriquez : elles ne relèvent ni de la Constitution, ni de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, une personne arrivée avant l’âge de 13 ans sur le territoire national, qui s’est mariée avec un Français, qui a des enfants sur le sol français ou qui est restée un certain temps sur le sol national n’est pas expulsable, sauf menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Or le dossier de ce monsieur ne permettait en aucun cas de penser qu’il allait attenter aux intérêts de la nation.

  En revanche, il a frappé sa maman, ce qui lui a valu l’année dernière une garde à vue. La maman n’ayant pas déposé plainte, il n’y a pas eu de condamnation. En revanche, le préfet du Pas-de-Calais Louis Le Franc, aujourd’hui haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et à qui je rends hommage, avait écouté, pardon pour cette immodestie, mes instructions sur les personnes étrangères mises en accusation par des services de police ou de gendarmerie. Il a vu un étranger qui se trouvait irrégulièrement sur le territoire national, car débouté de sa demande d’asile, mais sans faire l’objet d’une OQTF puisqu’il était protégé la réserve relative à l’arrivée avant 13 ans. Il a consulté le ministère de l’intérieur pour savoir quoi faire de ce monsieur accusé de violences intrafamiliales mais non condamné et qui, selon la circulaire ministérielle, méritait de retourner dans son pays. La direction des libertés publiques et des affaires juridiques a répondu qu’il avait bien fait de les appeler, mais que la violence intrafamiliale était un trouble à l’ordre public tout à fait condamnable et non une attaque fondamentale envers les intérêts de la nation.

  Voici une deuxième réponse que pourrait apporter le projet de loi « immigration » dans ses articles 9, 10 et 13, que vos amis sénateurs ont trouvés assez bons pour les voter. L’article 9 prévoit l’expulsion immédiate – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de toute personne condamnée pour dix ans de prison, ou cinq ans en récidive. Ce n’est pas comme l’éloignement : l’arrêté ministériel d’expulsion n’est pas susceptible de recours, sauf en urgence.

  L’article 10 prévoit que toute personne qui menace l’ordre public – ce qui recouvre les violences intrafamiliales, mais aussi le fait de s’en prendre à un policier, le trafic de drogue ou tout ce qui ressemble à un délit – fera l’objet d’une suspension des réserves de droit public, à l’exception d’une seule car nous avons signé la Convention européenne sur les droits de l’enfant : celle concernant les mineurs qui commettent des actes graves pendant leur minorité. Demain, si la loi est votée, toute personne qui troublera l’ordre public et sera étrangère fera l’objet d’une OQTF et d’un éloignement.

  L’article 13 nous permet de tirer plus large et de considérer la possibilité d’aborder l’intégralité des mesures d’éloignement en recherchant un équilibre entre la vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et la sécurité de nos concitoyens. Nous pourrions l’améliorer avec des amendements, si nous pouvons travailler ensemble sans nous jeter d’anathème. Demain, outre la vie privée et familiale et les intérêts fondamentaux de la nation, on pourrait prendre en considération aussi le terrorisme et les troubles à l’ordre public.

  Il est donc tout à fait faux de dire que le Gouvernement, et notamment les services des étrangers de la préfecture du Pas-de-Calais, mais aussi la DGSI ont raté quelque chose. La démonstration de M. Marleix aux questions au Gouvernement tout à l’heure me paraît très éloignée des réalités. Je comprends parfaitement que les parlementaires posent des questions au Gouvernement, mais j’ai aussi entendu beaucoup de contrevérités ces derniers jours, et voilà encore quelques instants dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Ces propos-là, je ne les trouve pas sérieux.

  Les mesures de contraction des délais de recours que contient le projet de loi « immigration » sont issues du rapport de François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat et qui appartient au même parti que vous. Il faut les adopter : tout n’en deviendra pas parfait, mais cela permettra d’aller plus vite. Cela évitera notamment – tout en conservant des recours, évidemment – que certaines personnes aient le temps de se marier, d’avoir des enfants et de créer une vie privée et familiale, ce qui interdit par la suite de les éloigner. Il faut pouvoir expulser du territoire national toute personne qui trouble l’ordre public – sachant qu’à la fin des fins, bien sûr, des magistrats examineront la décision du ministère de l’intérieur et trancheront entre les différents arguments.

  C’est ce qui s’est passé pour l’affaire Iquioussen. Or je rappelle que, si le RN donne des leçons toute la journée, ses députés n’ont voté ni la loi « séparatisme », qui a permis d’expulser M. Iquioussen, ni la loi « renseignement ». Cela n’empêche pas M. Bardella, qui manifestement ne connaît rien aux questions de l’intérieur, d’attaquer les services de renseignement de façon complètement infondée. C’est l’hôpital qui se moque de la charité. S’il n’y avait pas eu des drames humains, on pourrait en rire – mais Mme Le Pen fait sa publicité sur les tragédies qui touchent notre pays. Il est très énervant de vous voir attaquer les personnels de la police nationale tout en refusant de leur donner les moyens dont ils ont besoin, à cause d’une vision paranoïaque des services de renseignement – mais c’est un autre sujet.

  Dans l’affaire Iquioussen, nous avons choisi d’aller jusqu’au bout du contentieux. Nous avons perdu au tribunal administratif, mais gagné au Conseil d’État. Nous avons réussi à expulser ce monsieur, malgré le fait qu’il ait une vie familiale et quatre enfants en France et qu’il y réside depuis plus de quarante ans. Il y aura toujours un juge pour contrôler l’action du ministère de l’intérieur, cela s’appelle la démocratie. Mais il est faux de dire que le projet de loi pour contrôler l’immigration n’aurait rien changé, étant entendu qu’il faut ensuite une volonté d’exécuter la loi. Il y a aujourd’hui 4 000 délinquants étrangers par an que je ne peux pas expulser parce qu’ils sont protégés par des réserves d’ordre public. C’est pourquoi j’invite les Républicains – comme M. Boucard, qui est un homme de bien, comme beaucoup des membres de cette commission – et les autres parlementaires, comme M. Vicot, que je remercie pour le caractère républicain de son intervention, à travailler sur ce texte très important, qui nous permettra d’être plus efficaces.

  Si, dans un an, les événements que nous avons vécus se reproduisaient, vous seriez en droit de nous reprocher de ne pas avoir utilisé les armes que le Parlement nous avait confiées. Mais que des parlementaires refusent de modifier la loi sous prétexte qu’un juge donnera un jour tort à l’action d’un préfet, c’est étonnant. Je tenais à le dire car, dans la terrible affaire d’Arras, s’il y a un procès à faire, ce n’est pas celui du Gouvernement ou du Président de la République.

  M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

  Mme Sarah Tanzilli (RE). Conformément aux dispositions de la Lopmi, le 30 août dernier a été créé par décret l’Office mineurs. Rattaché à la direction générale de la police nationale, il est chargé de lutter contre les violences à l’encontre des mineurs. C’était nécessaire, au vu de l’augmentation des atteintes aux mineurs. Les cas de harcèlement se multiplient, avec des conséquences trop souvent tragiques, de même que les violences physiques ou sexuelles, avec l’explosion de la pédocriminalité sur internet, mais aussi la prise de conscience de l’ampleur du phénomène de l’inceste.

  Quelles seront les priorités de cet office ? Bénéficie-t-il déjà de tous les moyens nécessaires à son bon fonctionnement ?

  M. Jordan Guitton (RN). Les crédits de la mission Sécurités progressent dans ce PLF, à la suite de la Lopmi. Lors de l’examen de ce dernier texte, nous avons voté pour tout ce qui pouvait renforcer les moyens de la sécurité, dont l’augmentation des effectifs, qui permettait de revenir sur les 10 000 postes supprimés par Nicolas Sarkozy.

  Les crédits sont à peu près corrects, mais la volonté politique fait défaut et notre système pénal est toujours laxiste. Depuis la Lopmi, votre immobilisme est consternant. Le cimetière des victimes du terrorisme islamiste ne cesse de s’agrandir et les voies navigables que vous entretenez entre l’Afrique et la France de s’étendre. L’insécurité gangrène notre pays, jusque dans la ruralité – comme en témoigne l’explosion des cambriolages dans l’Aube.

  Qu’attendez-vous pour dissoudre toutes les organisations islamistes, pour fermer définitivement toutes les mosquées salafistes et pour expulser tous les étrangers islamistes ?

  Monsieur le ministre, allez-vous continuer de parler comme Marine Le Pen et d’agir comme Jean-Luc Mélenchon ? Ou allez-vous enfin démissionner, comme vous auriez déjà dû le faire après le fiasco du Stade de France, dont vous avez accusé à tort les supporteurs anglais, après la fuite de l’imam Iquioussen, après celle des migrants de l’Ocean Viking, après vos mensonges récents sur les migrants de Lampedusa retrouvés à Paris ?

  Votre bilan est mauvais et les chiffres vous accablent. C’est dès 2022 que vous auriez dû démissionner, lorsque Jordan Bardella vous a mis face à vos responsabilités devant tous les Français lors d’un débat.

  Selon François Hollande, l’assaillant d’Arras aurait pu être expulsé. Votre démonstration intéressante montre que ni les Républicains en 2007, ni le parti socialiste en 2012, ni la majorité en place depuis 2017 n’ont réussi à le faire. Combien y a-t-il de personnes radicalisées dans le même cas – des bombes humaines, comme l’a dit Marine Le Pen – susceptibles d’agir demain contre les Français ?

  Ce fait malheureux résume la vie politique des quinze dernières années : les trois partis qui ont gouverné ont échoué. J’ai une seule question : pourquoi toujours réagir après les drames, et non agir avant ?

  M. le président Sacha Houlié. La mesure qui permet de fermer les lieux de culte dans lesquels se déroulent des activités séparatistes a été adoptée dans le cadre de la loi « séparatisme ». Les dispositions que vous appelez de vos vœux sont en vigueur depuis 2021.

  M. Gérald Darmanin, ministre. Mme Le Pen a voté contre. Quel toupet !

  M. Mansour Kamardine (LR). Compte tenu de la situation en matière de sécurité à Mayotte, je réitère ma demande de création d’une mission d’information de notre commission.

  J’ai été le maire de Sada et j’y habite avec toute ma famille. Hier, nous avons vécu une nuit difficile – comme cela avait été le cas précédemment à Dembéni, Mamoudzou et Koungou. Vous nous aviez donné beaucoup d’espoir avec l’opération Wuambushu, ce que je salue, mais cette dernière n’a malheureusement pas pu être menée jusqu’au bout, pour plusieurs raisons, dont la discorde au sein d’un gouvernement qui n’a pas souhaité vous soutenir. Je sais qu’il vous sera difficile de le reconnaître, mais telle est bien la réalité.

  Pouvez-vous annoncer devant la représentation nationale que cette opération reprendra, afin de compléter le travail déjà accompli ?

  Les Mahorais n’en peuvent plus. Ils sont obligés de fuir et de laisser leurs terrains aux mains des gangs – dont certains chefs ont pu être interpellés grâce à l’opération Wuambushu. Il reste à nettoyer les bidonvilles.

  Vous êtes resté au milieu du gué. Pouvez-vous nous dire clairement ce que vous entendez faire pour la suite ? Il faut que vous poursuiviez ce qui a été engagé, qui avait suscité beaucoup d’espoir. Vous êtes l’un des rares membres du Gouvernement à avoir conquis la sympathie des Mahorais, parce qu’ils ont cru dans votre action.

  Mme Clara Chassaniol (RE). Il y sept synagogues dans ma circonscription.

  Depuis les attaques barbares du Hamas, nous sommes tous saisis par l’effroi et nos concitoyens de confession juive sont inquiets des risques pour leur sécurité. L’augmentation des actes antisémites, confirmée par les chiffres du ministère de l’intérieur, indique que l’antisémitisme progresserait dans notre société. Cela me fait peur, en tant qu’élue de la nation, citoyenne et historienne. Je partage cette peur avec nos concitoyens de confession juive, et c’est insupportable dans une démocratie qui a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité.

  La République doit protéger chacun et garantir aussi bien la liberté de circulation que celle d’exercer son culte. Le Président de la République et vous-même avez rappelé que la République serait intraitable. Comment donc comptez-vous rassurer et protéger nos compatriotes ? Quels sont les moyens et les dispositifs que vous mettez en œuvre pour que nos concitoyens de confession juive puissent sans crainte se rendre à la synagogue et amener leurs enfants à l’école ?

  M. Timothée Houssin (RN). L’augmentation des capacités et du budget du ministère de l’intérieur correspond à un réel besoin de sécurité, et les députés de notre groupe ont pris leurs responsabilités en votant en leur faveur à l’occasion de la Lopmi.

  Je souhaite cependant donner un exemple concret de la réalité. À Vernon, ville durement touchée par les émeutes de cet été, un renfort de huit policiers avait été annoncé par la préfecture de l’Eure en mai dernier. Non seulement ils ne sont jamais arrivés, mais le commissariat n’a aucune confirmation que ce sera bien le cas, à moyen ou à long terme. La police nationale de Vernon fonctionne à flux tendu et se trouve dans le flou quant à l’évolution de ses capacités opérationnelles, d’autant que le commissariat a subi dernièrement des départs qui n’ont pas été compensés.

  Autre problème : les policiers de Vernon, commune frontalière de l’Île-de-France, ne bénéficient pas de l’indemnité de fidélisation en secteur difficile, alors que la ville compte deux zones de sécurité prioritaires. Un policier du commissariat des Mureaux, à trente minutes de route, touchera l’indemnité de fidélisation et une prime de 150 euros par mois, soit une rémunération significativement plus élevée qu’à Vernon, d’où un problème d’attractivité.

  Pouvez-vous confirmer que les hausses d’effectifs qui ont été votées ne sont pas seulement des effets d’annonce ? Parviendrez-vous à atteindre les objectifs de recrutement annoncés en mai dernier ? Alors que la police nationale a lancé une campagne pour recruter 7 000 policiers, le métier attire-t-il suffisamment de candidats ?

  Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’augmenter la rémunération des policiers ? Prévoyez-vous de revoir la cartographie de l’indemnité de fidélisation, afin d’attirer davantage dans des commissariats moins bien dotés en effectifs, comme Vernon ou Montargis ? Et, même si vous ne pouvez pas me donner une réponse immédiate, vos services pourraient-ils nous informer de l’arrivée éventuelle de renforts à Vernon ?

  M. Philippe Gosselin (LR). Nous avons beaucoup parlé des recrutements, à juste titre. Nous venons également d’adopter le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qui prévoit de recruter des surveillants pénitentiaires. Or la police, la gendarmerie et l’administration pénitentiaire sont confrontées à un véritable problème d’attractivité. Pourriez-vous en dire plus sur la manière dont vous entendez attirer les talents et les conserver, ce qui n’est pas simple ?

  S’agissant de la sécurité civile, on sait que les pompiers sont souvent à la recherche de financements. Leurs interventions concernent désormais très majoritairement le secours aux personnes, puisque les services hospitaliers ne peuvent pas répondre à la demande. Ils font très bien leur travail, mais cela n’en constitue pas moins des taches plus ou moins indues, qui soulèvent de questions de financement.

  Dans le cadre de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, nous avions prévu d’exonérer les véhicules des Sdis de la TICPE et du malus écologique. Or cette taxation revient par la petite porte dans l’article 12 du PLF pour 2024. C’est une forme de déni de démocratie. Le Gouvernement veut reprendre ce que nous avons réussi à lui arracher alors que l’encre de la loi est à peine sèche. Pourriez-vous faire le point sur cette question et sur le financement des Sdis ?

  M. le président Sacha Houlié. Je pense que nous allons obtenir le retour à ce que nous avions voté, qui résulte d’une proposition d’Éric Pauget.

  M. Julien Rancoule (RN). Il est de notoriété publique que les associations agréées de sécurité civile jouent un rôle essentiel pour la sécurité publique, en intervenant dans diverses situations d’urgence, qui vont des catastrophes naturelles aux accidents majeurs, en passant par les dispositifs prévisionnels de secours. Elles forment aussi nos concitoyens aux gestes de premiers secours.

  Sur ce point, le PLF renouvelle l’objectif de généraliser la formation en atteignant d’ici à la fin du quinquennat l’objectif de 80 % de la population formée à la prévention et aux secours civiques de niveau 1 (PSC1) ou aux gestes qui sauvent. Cependant, nous constatons, dans ce même PLF, que la DGSCGC dispose de seulement 250 000 euros pour verser des subventions aux associations concourant à des missions de sécurité civile. Cela paraît particulièrement faible.

  Nous devons être plus ambitieux pour soutenir ces associations, qui font un travail remarquable avec des moyens parfois très limités – comme elles ne manquent pas de nous le rappeler lorsque nous les rencontrons sur le terrain.

  Seriez-vous prêt à augmenter l’enveloppe qui leur est consacrée ? Les aider, c’est participer à développer une culture du risque au sein de la population et, à terme, de sauver des vies humaines.

  Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il me semble que votre projet de budget prévoit, comme d’habitude, de construire de nouveaux centres de rétention administrative (CRA). Je souhaite appeler votre attention sur la formation des personnels de la police aux frontières.

  Avec mes collègues Jean-François Coulomme et Élisa Martin, nous avons en effet entrepris de visiter le CRA de Lyon Saint-Exupéry samedi dernier. Nous avons dû attendre pendant quatre heures qu’on veuille bien nous laisser entrer, parce que nous avions décidé d’être accompagnés de journalistes, comme nous en avons le droit. Pendant tout ce temps, notre interlocuteur n’a cessé d’interroger sa direction.

  Comment se fait-il que ces policiers ne connaissent pas tous les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont les articles R. 744-39 et suivants qui autorisent la présence de journalistes lors de la visite d’un CRA par des parlementaires ? C’est très étonnant. Nous vous exposerons les faits par écrit, mais nous avons vraiment été choqués par la manière dont nous avons été reçus. Nous avons attendu quatre heures dans un réduit sans fenêtre. Nous étions sept et il n’y avait pas assez de sièges pour chacun.

  M. Stéphane Rambaud (RN). Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 seront un événement mondial. Notre pays sera à cette occasion en première ligne, et devra faire face à des défis sécuritaires majeurs.

  Le PLF pour 2024 prévoit de consacrer à la mission Sécurités des crédits à la hauteur de l’ambition de ces Jeux. Néanmoins, dans un rapport publié le 20 juillet dernier, la Cour des comptes a confirmé les inquiétudes sur la pénurie prévisible d’agents de sécurité privés, qui risque d’obliger les forces de l’ordre nationales à être encore plus présentes.

  Le secteur des agents de sécurité privés connaît en effet d’importantes difficultés de recrutement depuis le Covid, avec des effectifs en constante diminution. De ce fait, le risque de ne jamais atteindre le nombre d’agents nécessaire à l’encadrement des cérémonies d’ouverture et de clôture et des épreuves est évident, ce qui pèsera mécaniquement sur les forces de police et de gendarmerie.

  Alors que les tensions internationales sont extrêmes du fait de la guerre en Ukraine et en Israël et du terrorisme, la question de la sécurité des Jeux ne saurait être minimisée.

  Pensez-vous que les sommes que vous avez prévues pour assurer la sécurité des JOP seront suffisantes ? Disposez-vous d’une certaine marge de manœuvre pour les adapter aux besoins qui pourraient se faire jour ?

  M. Éric Ciotti (LR). Je salue comme toujours l’action des forces de l’ordre et des services de renseignement dans cette période ô combien difficile qui, pour reprendre la formule d’un ancien patron de la DGSI, risque à nouveau de nous conduire sur un long chemin tragique.

  Tout d’abord, où en sommes-nous s’agissant des laissez-passer consulaires attribués par l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie ?

  Ensuite, je voudrais appeler votre attention sur la recrudescence du trafic de drogue dans notre pays. La drogue gangrène tout. Outre les vies qu’elle prend, elle est au cœur de tous les réseaux de criminalité organisée, dont on a vu les menaces qu’ils font peser sur des démocraties comme les Pays-Bas et la Belgique. Nous n’en sommes peut-être pas là, mais on voit que le trafic s’aggrave. Les chiffres sont effarants, avec 250 000 mis en cause dans le cadre d’affaires de trafic ou de consommation de stupéfiants, un chiffre d’affaires estimé à 3,2 milliards et pas loin de 50 assassinats sur fond de trafic à Marseille. Il faut sonner l’alerte rouge.

  Monsieur le ministre, vous annoncez souvent des chiffres, comme c’est légitime compte tenu de vos fonctions, avec une forme d’autosatisfaction permanente qui s’exprime aussi dans d’autres domaines. Ces chiffres traduisent pourtant une explosion du trafic et de la consommation de drogue. Comment comptez-vous enrayer ce phénomène qui s’étend dans les territoires, qui se retrouvent aux mains des trafiquants et non plus sous l’autorité de la République ?

  M. le président Sacha Houlié. Notre commission a créé une mission d’information pour évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants, dont les rapporteurs sont Clara Chassaniol et Antoine Léaument.

  M. Yoann Gillet (RN). Vous prévoyez pour 2024 une baisse record des crédits alloués au FIPD, de près de 26 %. Ce fonds permet de financer la vidéosurveillance, la sécurisation des établissements scolaires, l’équipement des polices municipales, la protection des sites sensibles, la prévention de la radicalisation et la lutte contre le séparatisme. Les élus locaux en ont fortement besoin, mais vous baissez ses crédits – comme si tout allait bien en France, comme si nous ne faisions pas face à une grande menace terroriste islamiste, comme si l’insécurité n’était pas galopante. On croit rêver.

  Quand allez-vous arrêter de parler comme un Le Pen et d’agir comme un Mélenchon ?

  M. le président Sacha Houlié. Au moins les éléments de langage sont maîtrisés…

  M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai déjà répondu à la question, mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

  Le FIPD a bénéficié de 80 millions en 2022 et de 84 millions en 2023. Le PLF pour 2024 prévoit 87 millions. Il me semble donc que ces crédits augmentent, d’autant que l’on devrait atteindre 94 millions en 2025. Quant aux crédits, à l’intérieur du fonds, qui sont consacrés à la mise en place d’installations de vidéoprotection, ils se montent à 22 millions en 2023 et 25 millions en 2024.

  Nous avons rajouté 20 millions à titre exceptionnel à la suite des émeutes de cet été, dont 2,5 ont été consommés. Aucune municipalité gérée par le Rassemblement national n’a d’ailleurs demandé à en bénéficier. Il faut dire qu’aucune d’entre elles n’a non plus répondu à mes courriers demandant si elles étaient prêtes à accueillir un CRA, à l’exception du maire de Fréjus, qui m’a honnêtement répondu qu’il n’y était pas disposé. Vous réclamez des CRA, mais à condition qu’ils soient construits ailleurs… Aucun maire du Rassemblement national ne m’a proposé un terrain. Heureusement que d’autres maires plus courageux l’ont fait, comme ceux de Nice et de Béziers – mais ils n’appartiennent pas à votre camp.

  J’ai été un peu déçu que le Rassemblement national n’exige pas ma démission tout à l’heure lors des questions aux Gouvernement. Il l’a fait pourtant sept fois pour Christophe Castaner, cinq fois, étonnamment, pour Julien Denormandie, neuf fois pour le Président de la République, quatre fois pour Mme Borne et sept fois pour Éric Dupond-Moretti. Ma démission, vous ne l’avez réclamée qu’à deux reprises, ce qui est un peu frustrant. Je me suis demandé si l’attentat de Bruxelles ne serait pas une bonne occasion pour vous…

  Bref, tout cela n’est pas très sérieux. Le Rassemblement national ferait mieux de présenter des propositions. Mme Le Pen comme Mme Maréchal-Le Pen ont voté contre la loi « séparatisme », et contre la loi « renseignement ». Vous n’avez pas donné au ministère de l’intérieur les moyens de faire ce que vous lui demandez. En fait, vous vivez des problèmes, donc vous ne voulez pas nous aider quand nous proposons de les résoudre.

  Continuez comme cela. Je pense que nous aurons des discussions très intéressantes à l’occasion du projet de loi sur l’immigration.

  Monsieur Houssin, je vous propose de revoir vos chiffres : le commissariat de Vernon comptait quarante-deux gardiens de la paix en 2020, et ils sont désormais cinquante-neuf. Nous le devons à Sébastien Lecornu, puisque vous ne m’avez jamais écrit à ce sujet. Vous ne me remercierez pas non plus d’avoir créé trois brigades de gendarmerie dans l’Eure. Des effectifs supplémentaires ont également été affectés au commissariat de Val-de-Reuil et dans la circonscription d’Évreux.

  La situation des policiers est déjà assez compliquée, ce n’est pas la peine de mentir sur les chiffres. Les effectifs supplémentaires annoncés sont bien là. En faut-il davantage ? C’est un autre débat intéressant.

  M. Jordan Guitton (RN). Le responsable de la police de Vernon a lui-même déclaré à la presse cette semaine que les renforts étaient toujours attendus !

  M. Gérald Darmanin, ministre. Ne mettez pas en cause les fonctionnaires de la République. Mais n’hésitez pas à en parler au ministre Sébastien Lecornu, qui s’occupe bien de sa ville.

  Vous avez parfaitement raison, monsieur Kamardine : l’opération Wuambushu a été en partie une réussite, malgré des difficultés incontestables. Sur les cinquante personnes que visait la police judiciaire, quarante-neuf ont été interpellées. Une bonne partie est sous main de justice, ce qui est une très bonne chose. Nous allons continuer, nous aurons l’occasion d’en reparler. Nous prenons très au sérieux les événements qui ont eu lieu à Sada, auxquels nous apporterons une réponse extrêmement ferme. Les gendarmes y ont été très courageux.

  Cinq escadrons de gendarmerie mobile sont déployés à Mayotte, soit deux de plus qu’avant l’opération Wuambushu. Plus de mille bangas ont été détruites dans le cadre de cette dernière, ce qui n’avait jamais été réalisé jusqu’à présent. Nous allons continuer à lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, ce que la loi sur l’immigration permettra sans doute de faire encore plus efficacement.

  Je peux vous assurer que notre volonté est d’être extrêmement fermes contre l’immigration irrégulière et la délinquance à Mayotte, comme je l’ai déjà prouvé.

  M. Gosselin a évoqué l’assujettissement des Sdis à la TICPE. Bercy nous a répondu que la réintroduction de cette taxe dans le PLF résultait d’une erreur malencontreuse. Le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé publiquement que l’on en reviendrait au texte adopté récemment par le Parlement. Dont acte. J’estime comme vous que le Gouvernement doit respecter le vote des parlementaires.

  Vous avez évoqué le fait que les pompiers assurent jusqu’à 90 % des interventions de secours aux personnes, alors que ce n’est pas leur fonction première. Il serait intéressant de réfléchir à la manière d’articuler l’action des Sdis avec la politique du grand âge, car les deux relèvent des départements. Les pompiers interviennent bien volontiers quand ils sont les seuls à pouvoir le faire, faute de médecin ou de Samu disponibles. Mais ils sont plus réticents quand une dame âgée maintenue à domicile les appelle parce que la télécommande de la télévision est tombée ou, pire, quand on leur demande d’intervenir dans un Ehpad parce qu’il n’y a plus de gardien de nuit. Il y a un travail collectif à faire pour mettre sur pieds des dispositifs techniques et organiser le relais entre les différents acteurs. Je compte y travailler avec les Sdis, car c’est une manière concrète de rendre le service public et de limiter les dépenses des départements et de l’État – lequel contribue au quart des dépenses des Sdis, pour 1 milliard.

  Quant à la question du financement des Sdis, j’y ai déjà partiellement répondu. Les situations des départements sont très différentes. Le vôtre a des besoins importants et des recettes peu dynamiques, monsieur Gosselin, et il fait face à des difficultés nouvelles liées au réchauffement climatique. D’autres départements, franciliens, par exemple, sont plus riches et n’ont pas à financer de lutte contre les feux de forêt. Une aide de l’État est sans doute nécessaire, mais il faut aussi réfléchir à la manière dont est organisée la fiscalité. La TSCA est versée aux départements, qui en reversent tout ou partie aux Sdis : est-ce le bon outil ? On peut aussi envisager de mettre en place une solidarité entre les départements. Ainsi, des départements comme le Maine-et-Loire, le Finistère et le Jura doivent désormais s’équiper de moyens de lutte contre les feux de forêt, ce qui suppose d’importants efforts d’investissement et de formation. L’État les aide, mais on peut penser que les Sdis les plus riches pourraient aussi y contribuer. Nous avons commandé des rapports sur cette question.

  Monsieur Ciotti, je disposerai des données que vous avez demandées sur les laissez-passer consulaires la semaine prochaine, lors de l’examen des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, mais je peux vous indiquer que la situation est très bonne avec les pays d’Afrique subsaharienne. Elle s’améliore depuis quelques semaines en ce qui concerne les pays du Maghreb – je voudrais saluer le travail réalisé avec l’Algérie et le Maroc, dans des conditions qui font honneur à l’action diplomatique du Président de la République. C’est plus compliqué avec d’autres pays, notamment la Tunisie, ce qui est sans doute lié au problème des traversées de la Méditerranée.

  La reprise de la délivrance des laissez-passer consulaires se confirme donc. Même s’ils n’atteignent pas les 100 %, les chiffres rejoignent les niveaux de 2019, qui avait été la meilleure année enregistrée par le ministère de l’intérieur. Nous aurons l’occasion d’y revenir en détail la semaine prochaine.

  À l’initiative du président François-Noël Buffet, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement au projet de loi sur l’immigration qui permet de restreindre la délivrance des visas long séjour à l’encontre des ressortissants d’un État délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires. Je donnerai un avis favorable à cet amendement lors de l’examen du texte en séance, c’est de bonne politique.

  Vous m’avez interrogé sur la lutte contre la drogue. Grâce aux policiers niçois, depuis le 1er janvier, il y a eu 563 gardes à vue liées à des affaires de drogue ; 11 kilogrammes de cocaïne ont été saisie, ce qui est beaucoup pour une ville comme Nice, 16 kilogrammes d’herbe de cannabis, 230 000 euros d’avoirs et, surtout, 42 armes. Mais je ne suis pas tout à fait certain que l’augmentation des saisies signifie qu’il y a davantage de trafic. On peut aussi se dire que nous sommes un peu meilleurs dans cette lutte.

  Cependant, il est tout à fait exact que le trafic de drogue évolue, de trois manières.

  Premièrement, alors qu’il était surtout concentré dans des quartiers difficiles à la périphérie des grandes villes, il s’étend désormais à des villes petites ou moyennes qui avaient jusqu’à présent été épargnées. Ce changement géographique est en partie le résultat des coups que nous portons dans les grandes villes, mais il est aussi lié à l’émergence d’une nouvelle clientèle. Il faut nous y adapter.

  Deuxièmement, on constate de plus en plus souvent la présence d’armes. La police saisit des couteaux ou des armes à feu dans environ 40 % des interpellations effectuées pour des affaires de stupéfiants, contre 10 % il y a environ cinq ans. Les trafiquants s’arment de plus en plus, et le trafic devient plus violent.

  Troisièmement, ce qui procure quelque satisfaction, la France n’est pas touchée par des drogues qui sont pourtant très répandues ailleurs, comme le fentanyl, qui est devenu la première cause de mortalité aux États-Unis, ou l’ice présente dans beaucoup de pays européens. Ce n’est pas seulement culturel : c’est une conséquence du travail très important fait par l’État français pour lutter contre la drogue. D’autres pays, comme les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne, ont pendant longtemps laissé faire, ce qui a permis à des empires financiers de se créer et de faire venir de nouvelles drogues encore plus dangereuses. C’est notamment le cas des drogues de synthèse, encore plus létales, dont il faut bien entendu surveiller les évolutions et la diffusion.

  Dans ce domaine en effet, nous devons absolument nous tenir à jour des nouveautés. J’encourage les parlementaires à visiter, dans le cadre de leur mission d’information, l’excellent laboratoire que possède la gendarmerie nationale à Pontoise, dont il a été question tout à l’heure. Tout cela nous évite de voir nos ports, contrairement à Anvers ou Rotterdam, mis en coupe réglée par de puissantes mafias capables de menacer ou de tuer des journalistes, des avocats ou des hommes politiques.

  Oui, le combat contre la drogue est difficile, mais encore une fois je ne suis pas certain que l’augmentation des volumes saisis signifie que le trafic augmente : cela peut aussi signifier que les policiers et les gendarmes, indépendamment des ministres de l’intérieur qui se succèdent, sont efficaces. Et nous avons affaire à des drogues plus mortelles et plus addictives qu’auparavant.

  Monsieur Rambaud, vous m’avez interrogé sur les agents de sécurité privés. D’abord, je constate que la Coupe du monde de rugby, de ce point de vue, se passe sans aucun problème. Je n’ai pas bien compris pourquoi vous avez évoqué un budget pour les Jeux : l’appel d’offres pour la sécurité privée relève de l’organisateur des JOP qu’est le Comité international olympique (CIO), non de l’État.

  Ce dernier n’en a pas moins fait beaucoup de choses. Il a formé 25 000 personnes à la sécurité privée et va en former encore beaucoup d’autres. Il a contraint les entreprises de sécurité privée, dont le moins que l’on puisse dire est que la plupart ne paient pas très bien leurs agents, à augmenter leurs salaires de 7 %. Monsieur Rambaud, j’espère que vous le leur dites dans le cadre des contacts que vous avez manifestement avec eux. En tout cas, l’État est au rendez-vous.

  À neuf mois des JOP, la proportion d’agents de sécurité privés manquants est un peu inférieure à 10 %. Elle varie selon les lieux et les missions. Un gros problème de logement se pose : où logeront les agents de sécurité privés venant de province, compte tenu du contexte très contraint de l’Île-de-France ? Sur ce point, la réponse relève de l’État. J’ai une grande confiance dans l’action collective, notamment celle du CIO, qui n’a pas lancé tous les appels d’offres. Quoi qu’il en soit, le ministère de l’intérieur assurera évidemment la sécurité des JOP.

  Madame Taurinya, vous m’avez interrogé sur ce que vous considérez manifestement comme une mésaventure, au centre de rétention administrative de Lyon-Saint-Exupéry. J’ai compris votre intervention comme un hommage au travail difficile des agents de la police aux frontières (PAF) dans les CRA.

  Visiter un CRA est votre évidemment droit. Toutefois, renseignements pris, le déroulé des faits qui m’a été communiqué n’est pas exactement celui que vous avez décrit. Vous dites avoir attendu pendant quatre heures ; les policiers – que j’ai tendance à croire en général – me disent que vous avez attendu pendant deux heures vingt, ce qui certes est déjà beaucoup.

  Vous vous êtes présentée avec deux journalistes et trois assistants parlementaires. S’agissant de ces derniers, leur présence n’est pas prévue par les textes. La prochaine fois, je suggère que vous vous y conformiez. Ce sont les parlementaires qui sont les représentants de la nation, non leurs assistants. Peut-être cette démarche explique-t-elle en partie les difficultés que vous avez rencontrées.

  Quoi qu’il en soit, la PAF n’a rien à cacher. Au cours de votre visite, ses agents ont dû vous rappeler, ainsi qu’aux deux journalistes de Mediapart qui vous accompagnaient, l’obligation de préserver l’anonymat des personnes rencontrées au sein du CRA, tant les détenus que les policiers. Manifestement, tel n’a pas toujours été le cas, le chef de centre ayant été interrogé tout au long de la visite avec micros et caméras allumés. Quant aux agents de la police nationale qui étaient présents, ils font état de « thématiques ciblées » et de « propos agressifs, parfois très insistants, à la limite de l’insulte ».

  Manifestement, quelqu’un a été discourtois. J’espère qu’il ne s’agit pas d’un visiteur. Nous demanderons des précisions à Mme la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a été saisie de la question.

  Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous avons passé des heures sans pouvoir nous asseoir !

  M. Gérald Darmanin, ministre. Travailler pendant des heures sans s’asseoir arrive aux policiers, madame Taurinya. Si vous découvrez qu’il faut à la police nationale davantage de moyens, n’hésitez pas à voter des crédits supplémentaires, ce n’est pas le ministère de l’intérieur qui les refusera !

  Nous avons alloué 21 millions l’an dernier aux associations agréées de sécurité civile pour compenser les pertes qu’elles ont subies pendant la crise du Covid. S’y ajoutent les 250 000 euros que le PLF alloue à la DGSCGC.

  Ces associations font un travail formidable. Elles ne m’ont transmis aucune demande d’augmentation de crédits. Si ceux qui leur sont alloués ne leur permettent pas de remplir leurs missions ou ne correspondent pas à leurs besoins, j’étudierai la question, car l’État doit être au rendez-vous. Elles rendent un service public avec une efficacité incomparable.

  À la suite des attentats islamistes terroristes inacceptables qui ont frappé la population israélienne, nous avons protégé l’intégralité des lieux de culte juifs dont nous connaissons l’existence. Mais il peut rester des salles de prière qui nous échappent et j’invite une nouvelle fois la communauté juive à nous les signaler.

  Nous protégeons en tout 580 sites – synagogues, lieux communautaires et culturels, écoles confessionnelles. Plus de 10 000 policiers et gendarmes en surveillent les issues, avec le soutien de 4 000 militaires de l’opération Sentinelle. Dans le seul ressort de la préfecture de police de Paris, qui couvre Paris et la petite couronne, on compte 343 sites. Cette protection, nous la devons aux Français de confession juive.

  Par ailleurs, des moyens de vidéoprotection sont déployés – la loi de séparation des Églises et de l’État n’empêche pas de sécuriser les lieux de culte, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens. Le culte juif est le premier bénéficiaire du FIPD, à hauteur d’environ 3,5 millions. L’ensemble des quatre-vingt-six projets présentés par la communauté juive dans ce cadre ont été acceptés par le ministère, ce qui permettra d’équiper les sites en dispositifs de vidéosurveillance et d’assurer le lien avec les agents de sécurité privés qui les gardent en temps normal.

  M. Éric Ciotti (LR). Merci, monsieur le ministre, d’avoir été favorable à mon amendement visant à porter à 3 000 le nombre de places en CRA lors de l’examen du projet de Lopmi. J’ai eu des échanges nourris avec votre cabinet pour créer un centre sur l’ancien site de tri postal de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur. Cela permettrait de tripler, voire de quadrupler le nombre de places en CRA à Nice, qui est à l’heure actuelle de trente, ce qui est très insuffisant s’agissant du département qui subit la plus forte pression migratoire.

  M. Gérald Darmanin, ministre. J’admets bien volontiers que l’augmentation du nombre de places en CRA l’an prochain n’atteint pas ce qui est prévu par votre amendement. C’est ce qu’on appelle la coconstruction – cela prouve que nous pouvons tomber d’accord sur des textes relatifs à l’immigration !

  Vous aurez constaté que j’ai annoncé les onze projets de CRA, dont un à Mayotte et dix sur le territoire métropolitain. Parmi ceux-ci, un sera ouvert à Nice, dont la localisation exacte sera communiquée dans la semaine.

  Je tiens à remercier publiquement les communes qui ont accepté l’ouverture d’un CRA sur leur territoire, ce qui n’est jamais évident, ainsi que l’administration pénitentiaire, qui a cédé des terrains pour y construire des CRA à proximité des lieux de détention. Cela évitera aux policiers chargés de convoyer un sortant de prison de parcourir tout le département. Nous nous sommes efforcés de faire cela de façon intelligente. Les futurs CRA compteront chacun 110 places en moyenne, soit une taille à peu près correcte, ce qui nous amènera aux 3 000 places en CRA en 2027.

  M. le président Sacha Houlié. Monsieur le ministre, au nom de la commission des lois, je vous remercie.

*

*     *

 

  Lors de sa seconde réunion du mardi 17 octobre 2023, la commission examine pour avis les crédits de la mission : « Sécurités » (M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis « Sécurité » ; M. Éric Pauget, rapporteur pour avis « Sécurité civile).

  Lien vidéo : https://assnat.fr/aU0hN5

Article 35 et état B : Crédits du budget général

Amendements II-CL4 et II-CL5 de M. Roger Vicot

M. Roger Vicot (SOC). L’amendement II-CL4 vise à augmenter de 100 millions les crédits affectés à la formation de la police nationale. Ces dernières années, des milliers de policiers ont été recrutés sans que, parallèlement, les moyens dédiés à la formation aient été suffisamment accrus. Or le renforcement de la formation des policiers est, selon nous, un levier très important de l’efficacité de nos politiques de sécurité publique.

L’amendement II-CL5 est complémentaire. Il dégage 50 millions supplémentaires afin de garantir le déploiement des formations continues, notamment en remplaçant le personnel en formation afin d’éviter de perturber le fonctionnement des services de la police nationale.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis pour les programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et «  Sécurité et éducation routières ». En préambule à l’ensemble des amendements, si je comprends la volonté de contourner l’article 40, permettez-moi néanmoins de souligner la facilité de l’exercice consistant à déshabiller l’un pour habiller l’autre. Ce ne sont pas des sommes anodines – 100 millions d’euros dans l’amendement de M. Vicot, au profit de la police nationale mais au détriment de la gendarmerie nationale.

Depuis plusieurs années, le budget du ministère de l’intérieur est en forte hausse. Cette année encore, on compte 1 milliard d’euros en plus, qui profiteront à tous les domaines.

Néanmoins je partage votre préoccupation en ce qui concerne la formation des policiers – cela vaut aussi pour les gendarmes. La majorité l’a réformée récemment : la nouvelle formation initiale des gardiens de la paix s’étend sur vingt-quatre mois depuis mai 2022 – douze mois en école, contre huit auparavant, intégrant quatre semaines de formation en alternance, suivis de douze mois de formation d’adaptation au premier emploi dans le service d’affectation. Nous sommes sur la bonne voie. Nous aurons peut-être à proposer des adaptations, mais je donne un avis défavorable aux deux amendements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Cet après-midi, le ministre de l’intérieur est passé un peu vite sur la sous-exécution budgétaire de 2022. Après des années à réclamer une augmentation, les crédits de paiement et autorisations d’engagement consacrés à la formation avaient enfin été multipliés par deux en loi de finances initiale. Mais quelle ne fut ma surprise, à l’occasion de la discussion de la loi de règlement, de constater que ces crédits avaient été sous-exécutés à hauteur de 50 % !

Gare, donc, aux effets d’annonce. Je soutiens cet amendement car nous avons besoin de créer de nouvelles écoles de police et d’organiser une formation initiale effective de vingt-quatre mois. La stagiarisation ne constitue en rien un an de formation supplémentaire.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL85 de M. Jordan Guitton

M. Jordan Guitton (RN). Selon les études de la mutuelle des forces de sécurité, 24 % des policiers sont confrontés à des pensées suicidaires. En 2019, une cinquantaine d’entre eux ont mis fin à leurs jours, soit une hausse de 50 % par rapport à l’année précédente. Toutes forces de sécurité confondues, on dénombre soixante-dix-huit passages à l’acte en 2022, dont quarante-six pour des policiers.

Christophe Girard, vice-président de l’association de policiers en détresse PEPS-SOS, rappelle que les policiers voient le côté le plus noir et le plus violent de la société tout le long de leur carrière. Ils ne peuvent pas sortir indemnes de ce métier, sans même évoquer la pression morale et les insultes à leur encontre, y compris de la part de certains de nos collègues. Nous saluons une nouvelle fois leur travail remarquable.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Je partage largement vos préoccupations mais nous n’avons pas à rougir de ce budget, où nous multiplions par trois le montant du programme de mobilisation contre le suicide, qui bénéficiera de 2,89 millions. Avis défavorable.

M. Timothée Houssin (RN). La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) a fait de la lutte contre le suicide une priorité. Le ministère devait prendre un certain nombre de mesures – détection précoce des situations de souffrance, communication, accès aux dispositifs d’accompagnement psychologique. Or force est de constater qu’elles ne sont pas du tout à la hauteur.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’imagine que la remarque de notre collègue nous visait. Encore une fois, on nous fait dire n’importe quoi ! Ce que nous critiquons, c’est l’emploi des forces de police par le ministre de l’intérieur. Elles sont en effet soumises à une tension particulière lorsqu’elles doivent défendre une politique gouvernementale comme la réforme des retraites, à laquelle elles-mêmes sont opposées.

La France insoumise a proposé il y a quelques années la création d’une commission d’enquête sur la question du suicide des policiers. Beaucoup, parmi eux, évoquent la politique du chiffre, qui dévoie leur métier et les place dans des situations de très grande tension. Ce n’est pas là une mission de service public telle que nous l’entendons.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL84 de M. Jordan Guitton et II-CL25 de Mme Marie-France Lorho (discussion commune)

M. Jordan Guitton (RN). « La situation que nous connaissons n’est pas tenable et nous devons réduire significativement l’immigration, à commencer par l’immigration illégale » : ainsi s’exprimait Emmanuel Macron le 24 août dernier. Enfin, même lui reconnaît qu’il y a un problème avec l’immigration ! Les passages irréguliers en Méditerranée centrale ont bondi de 115 % en un an. Il est plus que nécessaire de donner à notre police aux frontières les moyens qui s’imposent.

Souvenez-vous des migrants arrivés à Lampedusa il y a quelques semaines et expliquant qu’ils voulaient venir en France à cause des aides sociales. Ne sont-elles pas une véritable pompe aspirante ? Croyez-vous que nos policiers aux frontières ont les moyens d’agir efficacement ? Des humains risquent de mourir en traversant la Méditerranée alors que la France n’a malheureusement rien à leur offrir ! Reprenons le contrôle de nos frontières. Donnons à notre police les moyens nécessaires pour combattre l’immigration irrégulière, il y va de la sécurité de tous.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Vous privez la gendarmerie de crédits non négligeables pour les affecter à la police, alors que les gendarmes veillent également à la protection de nos frontières.

Le montant des crédits affectés à la police des étrangers et à la sûreté des transports internationaux augmente de plus de 100 millions pour 2024, pour un total de 1,15 milliard, ce qui permet le recrutement d’environ 100 équivalents temps plein travaillé supplémentaires. C’est un de ces grands budgets régaliens de l’État qui connaissent une hausse significative, dans un contexte budgétaire très contraint. Avis défavorable.

M. Timothée Houssin (RN). M. Léaument s’est senti injustement visé mais il me semble qu’un certain nombre de députés LFI participent à des manifestations où l’on chante « Tout le monde déteste la police » sans qu’il ait jamais protesté.

Les vagues d’immigration atteignent des niveaux historiques, ce qui nécessite des moyens tout aussi historiques. Mais, plus que de budget, nous avons besoin de volonté politique. Quand on va chercher des bateaux proches de côtes de l’Afrique pour les amener sur les côtes européennes, à rebours du droit de la mer, c’est qu’on n’a pas cette volonté. Vous avez d’ailleurs refusé de voter nos propositions concernant le statut de mineur non accompagné, une des principales arnaques de l’immigration clandestine, qui nous coûte à peu près 1 milliard par an : une telle économie autoriserait bien des financements.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous n’avons jamais dit que « Tout le monde déteste la police ». Votre amendement, en revanche, c’est « Tout le monde déteste la gendarmerie », que vous dépouillez de 10 millions malgré les missions qu’elle doit assurer dans les zones rurales, que vous prétendez par ailleurs défendre.

Sur Lampedusa, vous racontez n’importe quoi. L’essentiel des migrants viennent de Lybie, du Soudan, de Gambie, d’Érythrée et du Nigéria. Proposez-vous de les renvoyer dans ces zones de conflits et de pénuries alimentaires ? Vous voulez rejeter les gens à la mer ! Considérer que toute personne qui arrive de l’extérieur est un problème est bien mal connaître l’histoire de notre pays. La République est faite de gens que l’on ne juge pas en fonction de leurs origines mais de leurs convictions.

Enfin, un grand nombre de policiers intègrent la police aux frontières pour des raisons pratiques, et eux-mêmes demandent à être formés.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL44 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). L’explosion des chiffres de la délinquance le montre : le Gouvernement est impuissant, le ministre de l’intérieur ne tient rien. Toutes les villes sont touchées.

Le quartier de Pissevin, à Nîmes, est le symbole de la faillite du Gouvernement, incapable de faire face à une délinquance endémique. Les habitants se sentent à juste titre délaissés et en insécurité totale. L’État a renoncé à faire respecter l’ordre.

Cet amendement vise donc à tirer la sonnette d’alarme : il faut mettre le paquet en matière de sécurité en allouant plus de moyens, en renforçant la réponse pénale et en promouvant une politique migratoire ferme.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Le budget du ministère de l’intérieur est en hausse depuis six ans. L’action 02 Sécurité et paix publiques du programme 176 bénéficie d’une hausse de plus de 30 %, pour s’élever à 3,73 milliards. Nous avons également augmenté les effectifs de police et de gendarmerie de 10 000 lors de la précédente législature et avons programmé 8 000 recrutements pour celle qui est en cours : environ 2 500 personnes ont été recrutées l’an dernier et l’objectif est de 2 100 pour cette année. La sécurité est une de nos priorités.

M. Yoann Gillet (RN). Personne ne nie les hausses budgétaires, mais nous vous encourageons à aller plus vite, plus loin et plus fort.

Les objectifs, c’est bien, mais encore faut-il les atteindre. Quand vous évoquez 10 000 recrutements, vous oubliez de parler des départs ! L’année dernière, il y a eu 11 000 démissions parmi les forces de l’ordre. Qu’en est-il des effectifs nets ? Le bilan du Gouvernement est désastreux.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Soyons clairs, les chiffres de « la » délinquance n’existent pas. Ce sur quoi vous vous fondez, c’est les chiffres de l’activité du ministère de l’intérieur. Mais il y a des gens qui sont victimes d’infractions et ne déposent pas plainte. C’est notamment le cas des victimes d’escroquerie, dont seulement 16 % portent plainte.

Vous ne vous intéressez pas en revanche aux chiffres des enquêtes de victimation, qui montrent que la violence et la délinquance sont tendanciellement moindres depuis les quarante dernières années.

Selon le ministère de l’intérieur, l’arrestation d’un guetteur équivaut au démantèlement d’un point de deal. C’est bien commode : on a un fait constaté, un fait élucidé et pas de dépôt de plainte. Mélangé aux cas où il y a des plaintes et pas d’élucidation, cela permet d’améliorer le taux d’élucidation. Attention donc aux chiffres.

Enfin, je lance un avis de recherche sur le fameux Lab’PSQ, censé réaliser un bilan de la police de sécurité du quotidien. Je ne l’ai jamais trouvé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL115 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant (Dem). Il convient de soutenir la plateforme Pharos qui permet de sécuriser l’écosystème numérique, de faire retirer les contenus illicites et de lancer certaines procédures pour protéger notre espace numérique.

La semaine dernière, Pharos a dû traiter 2 000 signalements supplémentaires liés à la guerre entre le Hamas et Israël. Cet amendement vise à augmenter les crédits de la police nationale de 3 millions, compensés, parce qu’il le faut, par l’action 02 Démarches interministérielles et communication du programme 207 Sécurité et éducation routières.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Vous proposez de revaloriser l'action 05 du programme 176, qui bénéficie déjà d’une augmentation de près de 700 millions. Je ne doute pas que cette hausse profitera aussi à la plateforme Pharos, dont la montée en puissance est effectivement nécessaire.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La vérité éclate ! Lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, vous affirmiez que tout devait être fait à cette fin mais lorsqu’on vous propose des moyens pour le faire, vous émettez un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL54, II-CL56, II-CL57 et II-CL55 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Ce sont des amendements d’appel.

Le premier vise à augmenter les moyens alloués au renseignement, qui doit être plus efficace pour lutter contre les atteintes à la sécurité de nos concitoyens et de nos institutions et prévenir les troubles à l’ordre public. On l’a vu encore vendredi dernier, la France n’a pas les moyens de surveiller les personnes susceptibles de mettre en danger notre sécurité. Ce n’est pas une critique des services mais une question de moyens.

Le deuxième concerne la crise des vocations qui frappe nos forces de l’ordre. J’ai noté que, selon le ministre de l’intérieur, les chiffres de la Cour des comptes sur ce sujet sont un peu faussés par le fait que certains agents sont obligés de démissionner de leur poste pour pouvoir monter en grade.

Le troisième vise à créer des espaces sécurisés consacrés à la mobilité, à savoir des pôles de prévention des risques routiers qui permettent de centraliser prévention, mobilité responsable et formation accessible à chacun et dès le plus jeune âge, mais aussi d’encadrer des pratiques à risques comme les rodéos urbains. De telles structures n’existent plus, alors qu’elles doivent être reconnues d’utilité publique.

Le quatrième, enfin, concerne les conditions de vie alarmantes de trop nombreux gendarmes. À Béziers et dans les alentours, la gendarmerie a autorisé une prise à bail en secteur civil faute, pour les gendarmes, de pouvoir loger leur famille dignement. On demande parfois 3 000 euros de charges annuelles à des militaires qui gagnent 1 900 euros par mois pour que, in fine, leur logement soit mal chauffé et pas ou peu utilisé.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. L’action 01 du programme 176 que vos deux premiers amendements veulent abonder bénéficie déjà d’une hausse d’environ 100 millions, pour atteindre près d’1,6 milliard. Pour ce qui est des effectifs, dans les 10 000 recrutements de la dernière législature comme dans les 8 000 prévus pour celle qui est en cours, le renseignement a une part importante.

S’agissant des pôles de prévention routière, l'action 02 du programme 152 bénéficie déjà d’une hausse d’environ 50 millions, pour atteindre près de 815 millions. Le programme Sécurité et éducation routières augmente de 46 %.

Quant au logement des gendarmes, l’action 04 du programme 152 bénéficie déjà d’une hausse de 10 millions. Le ministre a évoqué tout à l’heure les chantiers qu’il a lancés afin de répondre aux problèmes de logement de nos gendarmes, avec la création d’une société foncière et des appels aux partenariats public-privé.

Avis défavorables.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL68 de M. Jordan Guitton

M. Jordan Guitton (RN). Le rapport sénatorial Vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure : une exigence républicaine souligne le manque de moyens pour lutter efficacement contre les risques psychosociaux au sein de la gendarmerie, où 28 % des militaires seraient en état de sur-stress et 9 % en burn-out.

Les gendarmes sont de plus en plus touchés par les risques psycho-sociaux, ce qui s’explique en partie par une forte activité opérationnelle et une pression sécuritaire quasi continue depuis des dizaines d’années – menace terroriste, hausse de la délinquance, violences intraconjugales…

Selon ce rapport, il apparaît que les risques psycho-sociaux sont insuffisamment pris en charge au sein de l’institution, soit par dénégation, soit par manque de moyens. La difficulté d’accès aux psychologues est réelle et les délais de rendez-vous trop longs. Cet amendement vise donc à abonder les crédits de la gendarmerie nationale afin d’augmenter le nombre de psychologues.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Les risques psycho-sociaux sont en effet bien réels. L’action 04 du programme 152 bénéficie déjà d’une hausse de 10 millions, qu’il appartiendra à la direction générale de la gendarmerie nationale d’affecter. Je suis sûr qu’elle sera sensible à la question de l’aide psychologique. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL62 de M. Ugo Bernalicis

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il vise à créer un programme Lutte contre la délinquance économique et financière, la criminalité organisée et le trafic d’armes.

Les moyens consacrés à ce type de délinquance sont très insuffisants, alors qu’il est tout à fait condamnable de taper dans la caisse ou de cacher des revenus. La question de l’exemplarité se pose d’ailleurs particulièrement pour ceux qui peuvent se livrer à ce type de délinquance.

Le ministre de l’intérieur place l’intégralité de son budget sous le prisme de la délinquance du quotidien. Nous nous interrogeons sur cette façon de penser la sécurité. « Montrer du bleu » ne permet en rien de démanteler des filières !

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. On ne peut pas dire que nous ne nous préoccupions que de la délinquance du quotidien. Nos services de police mènent une lutte acharnée contre toutes les formes de délinquance. On le voit dans les nombreuses affaires en cours qui touchent aussi bien la classe politique que le monde économique.

Pour soutenir nos services de police dans cette lutte contre la délinquance en col blanc, nous avons systématisé la politique de saisie d’avoirs criminels grâce à la plateforme d’identification des avoirs criminels et à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. Nous avons aussi renforcé le traitement de l’information criminelle par le déploiement des antennes territoriales du service d’information du renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je vous renvoie au rapport d’information sur la police judiciaire que j’ai commis avec Marie Guévenoux. La réalité, c’est qu’on ne donne pas de moyens à la lutte contre la délinquance économique et financière. Tous les parquets le disent : ils manquent d’enquêteurs sur le sujet, qui n’est pas une priorité. Ce qui a été fait du côté de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués n’est pas mal, mais pourrait être bien plus satisfaisant. Le rapport au Gouvernement de nos collègues Warsmann et Saint-Martin mériterait d’être mis en application. Il y a un effet de vases communicants : la délinquance du quotidien aspire beaucoup de moyens pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL63 de Mme Élisa Martin

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il vise à lutter sérieusement contre l’augmentation de la mortalité routière, qui est de 30 % chez les cyclistes et de 12 % sur les autoroutes. Pour cela, il faut aider les associations qui font très bien ce travail sur le terrain.

Nous souhaitons donc créer un nouveau programme que nous appellerions Subvention aux associations menant des actions de prévention et qui serait abondé par un prélèvement sur le programme servant à financer des équipements de technopolice. Contrairement à vous, nous ne voulons pas d’une société de surveillance généralisée, armée jusqu’aux dents et fondée sur la répression. Nous, nous voulons protéger les gens, notamment sur la route.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Je ne vois pas bien l’utilité de créer un nouveau programme au sein de la mission : celle-ci compte déjà un programme spécifiquement consacré à l’éducation et à la sécurité routières, qui bénéficie d’une hausse de 46 %, l’une des plus fortes du budget du ministère de l’intérieur, même si la somme qui en résulte n’est pas considérable en valeur absolue – 110 millions d’euros. Avis défavorable.

M. Timothée Houssin (RN). Je ne suis pas hostile à ce que l’on augmente les budgets liés à la prévention routière ; je le suis beaucoup plus au fait que l’on aille chercher l’argent dans les programmes d’équipement de la police.

On pourrait plutôt prélever le montant nécessaire sur le budget des radars, qui augmente de façon continue : on en implante toujours plus alors qu’ils sont déjà très présents et rapportent 707 millions par an à l’État. Il s’agit d’une taxe qui touche les personnes qui se déplacent pour leur travail. Dans un très grand nombre de cas, les excès de vitesse sont tout petits : 58 % sont inférieurs à 5 kilomètres à l’heure. Le ministre de l’intérieur avait d’ailleurs annoncé vouloir mettre fin au retrait de points pour ce type d’excès de vitesse à compter du 1er janvier 2024 – je ne sais pas si c’est toujours d’actualité. Nous aurions aimé que l’amende soit elle aussi supprimée, ou du moins réduite.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). A-t-on des éléments de bilan du passage à 80 kilomètres par heure ? L’enjeu était de faire diminuer la mortalité sur les routes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL61 de M. Ugo Bernalicis

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous souhaiterions que la formation dans les écoles de police se déroule sur deux ans pour être plus approfondie, notamment en ce qui concerne le cadre légal, et davantage pluridisciplinaire. À ce propos, un diplôme universitaire « Sociologie de la police » a été créé. Il s’adresse aux policiers et 750 personnes se sont portées candidates pour cette première année. Cela montre que nos policiers ont parfaitement conscience du fait qu’ils ont besoin de replacer les phénomènes auxquels ils sont confrontés dans un ensemble plus large, comme des faits sociaux, pour les comprendre et y faire face.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Des crédits destinés à la rénovation immobilière sont bel et bien prévus pour nos écoles nationales de police, par exemple à Cannes-Écluse et à Oissel. Un très beau projet est par ailleurs en train d’être monté dans la région lyonnaise conjointement par la direction départementale de la sécurité publique du Rhône et la police scientifique d’Écully : il s’agit d’une nouvelle école de police à la dimension pluridisciplinaire, qui formerait à la fois des gardiens de la paix et des techniciens de police scientifique. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). C’est formidable, mais cela n’a rien à voir avec l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL60 de M. Ugo Bernalicis

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de créer un contrôle externe de la police. Celui-ci est aujourd’hui dévolu à la Défenseure des droits, qui a bien trop peu de moyens pour y procéder. On voit se multiplier les affaires où la probité de certains agents et l’authenticité des procès-verbaux suscite de sérieux doutes, mais ces problèmes ont du mal à être révélés quand l’enquête est conduite en interne. Il faut un maximum de garanties ; c’est à cette condition que nos policières et policiers gagneront en autorité.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. Il y a déjà eu des évolutions, vous le savez mieux que quiconque, à la suite de la commission d’enquête conduite par nos anciens collègues Lambert et Fauvergue au cours de la précédente législature. Pour la première fois dans l’histoire de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale), c’est une magistrate judiciaire qui a été nommée à sa tête, puis l’ancien juge d’instruction Jean-Michel Gentil est devenu patron de l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale). Cela montre la volonté du Gouvernement de donner à ces deux structures, dont l’indépendance est primordiale, des patrons extérieurs au corps inspecté.

J’ai récemment visité avec le président Houlié les locaux de l’IGPN. Nous y avons rencontré des fonctionnaires très soucieux de trouver la vérité, contrairement à ce que vous dites, et qui nous ont impressionnés tant ils se montraient dans leurs enquêtes intraitables avec leurs confrères. Je ne peux pas vous laisser dire qu’il y aurait quelque chose de peu réglementaire dans leur gestion des affaires. Il s’agit de fonctionnaires de très haut niveau qui font leur travail en toute indépendance.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). « En toute indépendance », le dernier rapport de l’IGPN explique que l’usage des armes à feu lors des refus d’obtempérer est en diminution, oubliant de comparer avec les chiffres d’avant 2017 et l’introduction de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, ce qui aurait révélé une hausse. Mais il le fait « en toute indépendance » et pas du tout pour les besoins de la communication gouvernementale.

M. le président Sacha Houlié. C’est en toute indépendance que le Parlement jugera de tout cela dans le cadre de la mission d’information sur la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre .

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL64 de M. Ugo Bernalicis

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il s’agit de financer une mission d’audit financier sur le coût de la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la départementalisation de la police. Même si la police judiciaire est globalement rentrée dans le rang, le mécontentement demeure et l’annonce récente par le ministre de l’intérieur d’une « CRS 8 de l’investigation » en matière de stupéfiants a fait bondir les enquêteurs : ce n’est pas en débarquant une semaine que l’on résout des enquêtes, mais par un travail au long cours et des effectifs positionnés, sanctuarisés, confortés dans leur tâche, aux côtés de magistrats investis. Ce n’est pas avec du bricolage communicationnel que l’on va régler le problème.

M. Thomas Rudigoz, rapporteur pour avis. La réforme de la police judiciaire n’est effective que depuis le 1er juillet 2023. Monsieur Bernalicis, vous avez conduit un travail important avec Marie Guévenoux sur le sujet et vous avez toujours été opposé à cette réorganisation, ce qui est votre droit le plus strict. Un audit sera peut-être nécessaire, mais y procéder dès maintenant paraît prématuré. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). De toute façon, des postes budgétaires seront créés dès 2024, dès lors que le ministre persiste envers et contre tout, y compris concernant les fameux agents attachés à la direction centrale de la police judiciaire. On peut donc parfaitement prélever 10 000 euros pour étudier le lien entre cette création de postes et l’efficacité attendue de la départementalisation de la police, qui implique la police judiciaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL59 de Mme Élisa Martin et II-CL27, II-CL28, II-CL29, II-CL30, II-CL113, II-CL114, II-CL112 et II-CL26 de Mme Gisèle Lelouis (discussion commune)

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement II-CL59 concerne l’acquisition de moyens pour lutter plus efficacement contre les incendies, en France mais aussi afin d’aider les autres pays, en particulier en Europe.

Mme Gisèle Lelouis (RN). L’amendement II-CL27 vise à augmenter les crédits alloués à la location d’aéronefs, notamment de drones, dans un but expérimental.

L’usage des drones s’est démocratisé. Ils sont utilisés par différentes institutions et administrations de pays étrangers qui les louent selon les besoins, comme en Chine où, depuis trois ans et l’été dernier encore, ils ont montré leur efficacité dans la lutte contre les incendies. En forêt, dans les zones inaccessibles à cause d’un terrain difficile, ils vont là où les pompiers ne vont pas. En zone urbaine, ils sont le bras long du pompier au sommet des immeubles ou des fenêtres. Ils sauvent des vies civiles autant qu’ils mettent à couvert les forces anti-incendie, qui peuvent alors agir en sécurité, de plus loin. En masse ou en petit nombre, ils sont efficaces et précis pour le largage d’eau et de produits retardants, mais aussi pour la reconnaissance ou la surveillance de zones. Le coût est bien plus faible qu’avec des aéronefs classiques ou des unités au sol, pour un impact tout aussi fort.

L’amendement II-CL28 tend à augmenter les crédits relatifs à la neutralisation des engins explosifs dans l’ensemble des milieux immergés français, lacs et zones maritimes compris. Il est nécessaire d’accroître les commandes de matériel visant à la destruction des munitions dans ces lieux. En effet, la neutralisation d’un explosif en milieu immergé ne nécessite pas les mêmes actions qu’en milieu terrestre, et la marine nationale ne peut accomplir seule cette tâche rapidement, comme elle tente de le faire. Les munitions immergées datant des deux guerres mondiales ont un impact élevé sur l’environnement, donc sur notre santé, et sur notre sécurité. Il faut agir, et vite. Le risque s’accroît année après année. Il est urgent de permettre à l’ensemble des démineurs concurrents de la sécurité civile d’agir plus efficacement partout où cela est nécessaire avec le matériel adéquat.

L’amendement II-CL29 vise à augmenter les crédits relatifs à l’habillement des moyens nationaux terrestres pour permettre aux démineurs d’intervenir plus efficacement sur le littoral français ainsi que dans les zones humides terrestres afin de neutraliser les munitions immergées après les deux guerres mondiales. Pour le moment, il faut chaque fois attendre le concours des plongeurs de la marine nationale, ce qui prend du temps, par exemple lorsqu’un obus est découvert au fond de la Marne. Notre but est de permettre davantage de souplesse grâce à un meilleur équipement.

Le II-CL30 concerne la formation et la sécurité du personnel de déminage, notamment s’agissant de l’utilisation de drones ou de robots dans les milieux immergés, dont l’efficacité n’est plus à démontrer.

Le II-CL113 vise à renforcer les crédits relatifs à la préparation et à l’intervention des moyens nationaux du déminage dans le domaine maritime. Nous sommes en retard en matière de formation, mais aussi concernant le matériel. La sécurité civile ne peut être laissée uniquement aux courageux experts de la marine nationale alors que des munitions immergées datant des deux guerres mondiales s’échouent régulièrement sur notre littoral, menaçant l’environnement, en se dégradant, mais aussi notre population.

Le II-CL114 concerne les crédits relatifs à la préparation et à l’intervention des moyens nationaux de soutien pour l’activité des établissements de soutien opérationnel et logistique, notamment celui de Marseille, dont les missions sont handicapées par la nouvelle zone à faibles émissions mobilité. Le but est que ceux qui s’occupent de nos flux logistiques et matériels puissent bénéficier de la bonne flotte de véhicules et que la sécurité du site soit renforcée par de la vidéoprotection.

L’amendement d’appel II-CL112 a pour but d’augmenter les crédits relatifs à la préparation et à l’intervention des moyens nationaux terrestres de la sécurité civile. Il peut être préférable de renouveler le parc pour éviter les surcoûts liés à l’entretien des véhicules, fortement sollicités. Il faut soutenir les centaines de militaires engagés chaque année pour intervenir en métropole, outre-mer et à l’étranger dans le cadre de missions résultant des conséquences de catastrophes d’origine naturelle ou technologique, de crises sanitaires et de l’impératif d’assistance aux populations.

Enfin, le II-CL26, également un amendement d’appel, tend à augmenter les crédits favorisant la coopération au profit de tiers pour faciliter l’entretien des hélicoptères Dauphin positionnés en Polynésie et dont les personnels rampants comme navigants effectuent un travail formidable en faveur de la sécurité civile. En effet, l’éloignement et l’inflation sont source de coûts supplémentaires dans l’acheminement de matériel neuf.

M. Éric Pauget, rapporteur pour avis pour le programme « Sécurité civile ». Plus d’une vingtaine d’amendements ont été déposés concernant le budget de la sécurité civile. Il s’agit essentiellement d’amendements d’appel, destinés à engager une discussion politique avec le ministère de l’intérieur. En tant que député d’opposition, vous comprendrez que mon but n’est pas de répondre à la place du ministère : je m’en garderai bien.

Ces amendements concernent la plupart des actions du programme 161. Il s’agit de financer des projets très divers : subventions aux associations agréées, matériels de lutte contre les feux de forêt, opération Héphaïstos, engagement de campagnes de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires, achat d’hélicoptères, de drones, de formations et de tenues pour les personnels de déminage, fonctionnement de la direction générale de la sécurité civile, exercices de gestion de crise, secours d’extrême urgence, investissement des services d’incendie et de secours, et j’en passe.

Je ne peux que partager la volonté politique de leurs auteurs, quels qu’ils soient : je sais combien les besoins de financement de notre modèle de sécurité civile sont grands. Mais dans le cadre des débats budgétaires, nos marges de manœuvre sont particulièrement contraintes et l’ensemble de ces amendements reviennent à déshabiller Pierre pour habiller Paul. S’ils étaient acceptés ici, puis en commission des finances au fond, cela signifierait des dizaines, voire des centaines de millions en moins pour la sécurité routière, ciblée par les amendements du Rassemblement national, et pour la police ou la gendarmerie nationales, visées par la plupart des amendements de la gauche. Ce ne serait ni responsable ni raisonnable.

L’honnêteté me pousse à rappeler que d’importants efforts sont mobilisés pour la sécurité civile dans le cadre de la Lopmi que nous avons votée en janvier dernier. Les crédits du programme 161 ont ainsi considérablement augmenté l’an dernier et ceux prévus pour 2024 dépassent les projections de la Lopmi, le ministre ayant confirmé une somme supplémentaire de 140 millions lors de son audition. Il faut évidemment aller plus loin et continuer à chercher de nouvelles sources de financement pour nos services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), mais il faut aussi être imaginatifs et prospectifs.

La réflexion commune sur le coût du sauvé, thème de mon avis budgétaire, doit contribuer à alimenter nos recherches de nouvelles pistes pour financer les Sdis. Je pense à l’affectation d’une part de la taxe de séjour à ce financement dans les départements les plus touristiques ou à une nouvelle répartition de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance. Je suis sûr que les travaux en cours permettront de dégager d’autres pistes.

Je serai donc défavorable à l’ensemble des amendements.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous soutiendrons l’amendement II-CL59 et voterons contre les autres.

M. Timothée Houssin (RN). En ce qui concerne cet amendement II-CL59, nous ne sommes pas forcément hostiles au fait de donner 30 millions supplémentaires aux Sdis pour lutter contre les incendies, mais nous notons qu’ils sont pris sur le budget dédié à la police sans demande de lever le gage. Est-ce une erreur du groupe LFI ou une volonté de faire baisser le budget de la police ?

M. le président Sacha Houlié. L’exercice peut vous paraître un peu aride, mais il n’y a pas de gage concernant les missions budgétaires. Les crédits sont fongibles entre programmes à l’intérieur d’une même mission.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL22 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Il vise à augmenter les subventions des associations agréées sécurité civile. J’ai été agréablement surpris de l’ouverture dont témoignait la réponse de M. le ministre de l’intérieur à ce sujet lors de son audition. C’est une demande que M. François Richez, président de la Fédération nationale de protection civile, avait formulée lors d’une audition du groupe d’études sur le sujet. L’enveloppe actuelle est de 250 000 euros, ce qui est très faible au regard des enjeux. Les associations en question incluent aussi la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France ou l’Œuvre des pupilles.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL66 de M. Jordan Guitton

M. Jordan Guitton (RN). Certaines communes ont des difficultés financières à se conformer aux obligations de débroussaillement, mesure de prévention des incendies de forêt. L’an dernier, 72 000 hectares de forêt ont brûlé en France. Ces incendies majeurs ont montré l’insuffisance des moyens de lutte dont disposent les agents concernés, malgré les nouveaux hélicoptères et Canadair. Il s’agit évidemment d’un amendement d’appel.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL23 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Il vise à créer un budget pour une campagne de communication d’ampleur destinée à recruter des sapeurs-pompiers volontaires. On voit régulièrement des clips promotionnels pour recruter des militaires, des gendarmes, des policiers, des réservistes, des agents pénitentiaires, mais jamais des sapeurs-pompiers volontaires. Or il y a une crise du volontariat. Un budget national permettrait la réalisation d’un clip télévisé. Cette communication ne doit pas être à la seule charge des Sdis, donc des collectivités territoriales.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL31 de Mme Gisèle Lelouis

Mme Gisèle Lelouis (RN). Cet amendement d’appel vise à augmenter les crédits relatifs aux dépenses de fonctionnement courant des services de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, qui sont insuffisants. Un effort supplémentaire doit être consenti pour couvrir les dépenses courantes : tout coûte de plus en plus cher, les déplacements des personnels, les frais de péage, les fournitures de bureau. Le but est que les personnels n’aient plus à payer quoi que ce soit de leur poche dans le cadre de leurs fonctions.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL24 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Il tend à abonder de 2 millions le budget du programme Sécurité civile pour lancer une campagne de prévention des incendies domestiques. On en compte 60 000 à 70 000 par an, pour en moyenne 200 morts et 9 000 blessés par an.

La loi rendant obligatoire l’installation de détecteurs automatiques de fumée dans les lieux d’habitation va avoir dix ans. On sait que les détecteurs ont une autonomie de cinq à dix ans et que nombre d’entre eux n’ont tout simplement pas été posés, ou ne fonctionnent plus parce que la pile n’a pas été changée. Ce serait une mesure de bon sens afin de sensibiliser les particuliers au risque incendie dans les habitations et de sauver des vies.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL32, II-CL34, II-CL38 et II-CL36 de Mme Gisèle Lelouis

Mme Gisèle Lelouis (RN). L’amendement II-CL32 a pour but de renforcer l’activité opérationnelle et les dépenses de fonctionnement liées au protocole Héphaïstos, qui concourt aux missions de la sécurité civile. Conclu entre le ministère de l’intérieur et le ministère des armées, il permet la mobilisation efficace de moyens militaires au profit du premier, en complément des unités militaires de la sécurité civile, pour intervenir lors de catastrophes naturelles comme les feux de forêt. Le montant des crédits qui lui sont affectés est toujours difficile à évaluer en fonction des besoins, lesquels diffèrent selon les nécessités de la maintenance et la situation opérationnelle, mais ce que l’on sait, c’est que l’inflation se poursuit et que le matériel s’use.

Le II-CL34 a pour but de rendre plus réalistes les exercices de gestion de crise en créant des conditions plus difficiles et stressantes pour les décideurs des préfectures, départements et zones de défense. Si leur nombre – 500 par an – est a priori suffisant, il faut une plus grande variété de scénarios.

Le II-CL38 vise à plus que doubler le budget des secours d’extrême urgence aux victimes de calamités publiques, souvent insuffisant ou inadapté, en métropole mais aussi et surtout en outre-mer. Tous nos compatriotes méritent d’avoir rapidement l’encadrement et les produits de première nécessité qui conviennent, sous le contrôle du ministère de l’intérieur ou de nos préfectures.

Enfin, le II-CL36 vise à donner un coup de pouce au Centre national civil et militaire de formation et d’entraînement aux événements de nature nucléaire, radiologique, biologique, chimique ou explosive, dont le site central est dans ma circonscription. Il s’agit d’améliorer la sécurité de certains sites et de quelques matériels du quotidien de la section d’études et de prospective. Je vous invite à le voter sans sectarisme.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Sécurités non modifiés.

 


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   Personnes entendues

   M. Julien Marion, directeur général

   M. Frédéric Papet, directeur des sapeurs-pompiers

   M. Stéphane Thebault, sous-directeur des affaires internationales, des ressources et de la stratégie

   Lieutenant-colonel Jean-Paul Bosland, président

   Inspecteur général Grégory Allione, directeur

SDIS des Bouches-du-Rhône

   Colonel hors classe Jean-Luc Beccari, directeur

SDIS de l’Hérault

   Contrôleur général Éric Flores, directeur

   Lieutenant-colonel Aurélien Manenc, chef du groupement des relations institutionnelles

SDIS du Loiret

   Contrôleur général Christophe Fuchs, directeur

   M. André Accary, président du département de Saône-et-Loire, président de la commission SDIS de Départements de France

   M. Jean-Baptiste Estachy, conseiller sécurité

   M. Brice Lacourieux, conseiller relations avec le Parlement

   M. Christophe Delcamp, directeur des assurances de dommages et de responsabilité

   M. Arnaud Giros, conseiller parlementaire


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   annexe

 


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([1]) Cour des comptes, Les personnels des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile. Des défis à relever, des perspectives à redéfinir, mars 2019.

([2]) Votre rapporteur regrette la non reconduction du document de politique transversale « sécurité civile » qui a pris fin en 2021, et permettait d’avoir une vision plus globale de l’ensemble des dépenses de sécurité civile de l’État.

([3])  Prévue par l’article 54 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

([4]) L’article L. 742-11-1 du code de la sécurité intérieure définit les pactes capacitaires et leurs objectifs : « L'État, les collectivités territoriales et les services d’incendie et de secours peuvent conclure une convention, dans chaque département, afin de répondre aux fragilités capacitaires face aux risques particuliers, à l’émergence et à l’évolution des risques complexes, identifiées dans les contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces définis au présent code.

Cette convention, intitulée pacte capacitaire, précise la participation financière de chacune des parties signataires. Dans ce cadre, l’État peut recourir à la dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours prévue à l'article L. 1424-36-2 du code général des collectivités territoriales. »

([5]) Cécile Canouet, Valorisation économique de l’activité opérationnelle des sapeurs-pompiers, mémoire de Master, école d’économie de Toulouse, université Toulouse, 2016.

([6]) Dorian Goninet, Étude sur la valeur économique du sauvé, par les services d’incendie et de secours, dans le cas du patrimoine industriel et des établissements recevant du public, mémoire de master, école d’économie de Toulouse, université de Toulouse, 2018.

([7]) Nouhaila Amir, Étude sur la valeur économique du sauvé par les services de secours, le cas particulier de l’environnement et du patrimoine préservé lors de la lutte contre les incendies de forêt, mémoire de master, Agro-ParisTech, 2019.

([8]) David Swan, SDIS et économie : valeur du sauvé et valeur économique de l’activité, mémoire de master, université Aix-Marseille, 2017.

([9]) David Swan, La mesure socio-économique des services d'incendie et de secours : Comment évaluer leur activité au-delà des seuls éléments budgétaires ? université Lumière Lyon 2, 2023.

([10]) Estimées sans distinction d’âge, de sexe ou de conditions de santé, à 3 millions d’euros par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport sur La valorisation du risque de mortalité dans les politiques de l’environnement, de la santé et des transports, paru en 2012.

([11]) Un exemple de calcul de la valeur du sauvé est proposé en annexe du présent rapport.  

([12]) Dans ce cas de figure, le SDIS exclut certaines valeurs de son calcul : la valeur des vies sauvées, celle de la faune et des espèces protégées, ainsi que le coût de réhabilitation, qu’il estime trop variable d’un incendie à l’autre.

([13]) Cette valeur est obtenue en additionnant le volume préservé de C0² séquestré par la végétation, le volume préservé de C0² stocké et le volume de CO² non dégagé dans les fumées lors d’un incendie. Ce volume général est ensuite rapproché du coût de la tonne de C0² dans l’Union européenne.

([14]) Article 53 de la loi de finances initiale pour 2005.

([15]) 8° de l’article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

([16]) Article 53 de la loi de finances initiale pour 2005.

([17]) Contribution écrite de la FNSP aux travaux de votre rapporteur.

([18]) Il s’agit des interventions effectuées par les SDIS sur la prescription du Samu, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés pour une mission visant à la prise en charge et au transport de malades, de blessés ou de parturientes, pour des raisons de soins ou de diagnostic.

([19]) Article 1001 du code général des impôts (CGI).

([20]) Rapport d’information n° 1264 de M. Florian Chauche sur l’évaluation de l’adéquation des moyens des services départementaux d’incendie et de secours à leurs missions et aux défis à venir, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mai 2023.