N° 1781
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2023.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2024,
TOME V
RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET VIE ÉTUDIANTE
Par M. Hendrik DAVI,
Député.
——
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1680, 1745 (annexe n° 37).
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
première partie : analyse des crédits
A. L’action 1 : Formation initiale et continue du baccalauréat à la licence
B. L’action 2 : formation initiale et continue de niveau master
C. L’action 3 : formation initiale et continue de niveau doctorat
D. L’action 4 : Établissements d’enseignement privÉs
E. L’action 5 : bibliothèques et documentation
F. L’action 13 : diffusion des savoirs et musées
H. l’action 15 : pilotage et support du programme
A. l’action 1 : aides directes
B. l’action 2 : aides indirectes
C. l’action 3 : santé des étudiants et activités associatives, culturelles et sportives
D. l’action 4 : pilotage et animation du programme
deuxième partie : La dangereuse progression du secteur privé dans le supérieur
I. Une cartographie de l’enseignement privé dans le supérieur
A. Le privé non-lucratif, un Écosystème COMPLEXE
1. Les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig)
2. La Conférence des grandes écoles
B. un secteur du privé lucratif dominé par quelques grands groupes
1. Galileo Global Education (GGE)
II. Les causes de l’augmentation du nombre d’étudiants dans les filières privées du supérieur
A. Les chiffres de l’augmentation
B. Le Manque de places dans le public
C. La montée en puissance de l’apprentissage
D. Parcoursup, une plateforme utilisée comme une vitrine par certains acteurs du privé lucratif
E. D’importants investissements financiers
F. L’entrée d’anciens membres du gouvernement dans des groupes d’enseignement supérieur privé
G. des Politiques publiques favorisant le privé
III. des conséquences néfastes pour les étudiants, les familles et la société dans son ensemble
A. L’accroissement des inégalités sociales dans l’enseignement supérieur
B. La pénétration des tarifs du privé dans le public
C. Une menace pour le droit à l’éducation
D. Les conséquences pour les personnels et la cité
E. Un système non pérenne : Le déficit de France compétences
F. L’effacement de la distinction entre titres (compétences) et formations (qualifications)
G. Les dérives du supérieur lucratif
A. À court terme : mieux encadrer le secteur privé
B. À long terme : renforcer le secteur public et limiter le recours au secteur privé
1. Réunion du jeudi 26 octobre 2023 à 9 heures 30
2. Réunion du jeudi 26 octobre 2023 à 15 heures
ANNEXE : Liste des personnes entendues par le rapporteur pour avis
— 1 —
Le 25 septembre 2023, un collectif de chercheurs, parmi lesquels le Prix Nobel de physique 2022 Alain Aspect, écrivait dans le journal Le Monde : « Limiter ce réchauffement et nous y adapter est un devoir impératif et supérieur : voilà le plus grand défi de l’histoire humaine. Dans l’agriculture, l’industrie, le transport, les énergies fossiles constituent la base même de la société moderne et industrielle. S’en passer implique une nouvelle organisation collective, et en particulier une transformation profonde de nos outils techniques et industriels. Décarboner les procédés énergétiques, physiques, chimiques et agricoles qui sous-tendent le monde industrialisé afin d’éviter des millions de morts : telle est notre responsabilité historique. » Pour assurer la transition écologique et la relocalisation de notre industrie, nous avons besoin de plus de recherches scientifiques et de plus de qualifications pour notre jeunesse, du certificat d’aptitude professionnel (CAP) au doctorat.
Or le budget de la mission Recherche et enseignement supérieur qui figure dans le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 32,3 milliards d’euros en autorisation d’engagement (AE) et 31,8 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente seulement 6,5 % du budget général de l’État, contre plus de 6,97 % en 2017. La part de la dépense de l’État dans les dépenses pour l’enseignement supérieur a chuté de 67,9 % en 2017 à 60,2 % en 2022, la moyenne de l’OCDE étant à 70,1 % en 2020 ([1]). Depuis 2013, la dépense moyenne par étudiant à l’université a baissé de 10 % en euros constants ([2]).
À la rentrée 2023, 2 921 800 étudiants étaient inscrits à une formation de l’enseignement supérieur. Les effectifs se stabilisent donc, après une forte augmentation de près de 26 % depuis 2011.
Avec environ 15,27 milliards d’euros, le programme 150 augmente de 0,47 % en AE. Le taux d’inflation s’est élevé à 4,9 % en 2023 et atteindrait 2,6 % en 2024, selon les hypothèses retenues par le Gouvernement. Dès lors, la hausse des crédits du programme 150 est très loin de compenser l’inflation et les crédits sont en réalité en baisse en euros constants de 114 619 739 euros, soit 0,77 % (voir dans le détail le tableau ci-dessous, qui porte également sur le programme 231 Vie étudiante).
Variation des crédits des programmes 150 et 231 entre la LFI pour 2023
et le PLF pour 2024
(en euros courants et constants)
|
Programme 150 |
Programme 231 |
Crédits LFI 2023 |
15 205 807 643 (AE) 14 907 800 643 (CP) |
3 136 414 445 (AE) 3 130 191 945 (CP) |
Crédits PLF 2024 en euros courants |
15 277 052 720 (AE) 15 180 783 720 (CP) |
3 357 406 410 (AE) 3 326 639 077 (CP) |
Évolution en euros courants |
+ 71 245 077 (AE) + 272 983 077 (CP) |
+ 220 991 965 (AE) + 196 447 132 (CP) |
Évolution en euros constants (1) |
- 324 105 921 (AE) - 114 619 739 (CP) |
+ 139 445 189 (AE) + 115 062 141 (CP) |
(1) Différence entre les crédits prévus par le projet de loi de finances, libellés en euros courants, et le montant des crédits inscrits dans la LFI pour 2023 en euros constants – hypothèse d’inflation de 2,6 %. PLF 2024 (en euro 2023) – LFI 2023 (en euro 2024)
Par ailleurs, le PLF pour l’année 2024 ne prévoit qu’une compensation très partielle des coûts liés aux nouvelles mesures salariales annoncées en 2023, avec une prise en charge de seulement 155 millions, sur les 254 millions d’euros que ces mesures représentent pour l’année 2024 pour les opérateurs du programme 150. Le Gouvernement attend donc que les établissements d’enseignement supérieur financent ces coûts sur leurs fonds de roulement, ce qui met à mal leur capacité d’investissement, notamment pour la transition écologique.
Pour toutes ces raisons, le rapporteur pour avis émet un avis défavorable sur les crédits de la mission Recherche et enseignement supérieur.
Ce manque chronique d’investissement dans l’enseignement supérieur conduit à une forte augmentation de la place prise par le secteur privé. C’est pour cette raison que le rapporteur pour avis a fait porter la seconde partie du rapport sur ce phénomène.
La progression est vertigineuse, le nombre d’étudiants inscrits dans le privé est passé de 291 970 en 2001, soit 13 % du nombre total d’étudiants, à 766 811 en 2022, soit plus de 26 % de l’ensemble, ce qui représente une progression de près de 160 % en valeur absolue ([3]). Les causes de cette progression rapide du privé sont multiples et complexes. D’abord, la loi pour l’orientation et la réussite des étudiants a introduit une sélection plus forte à l’entrée en licence avec la création de la plateforme Parcoursup. Cette sélection associée au manque de places en licence a conduit de nombreux étudiants à se reporter sur les offres privées. La même dynamique semble être à l’œuvre maintenant pour les masters. Ensuite, la plateforme Parcoursup a offert une vitrine à certaines formations privées. A contrario, d’autres formations ont choisi de rester en dehors de Parcousup et constituent un recours pour les étudiants en échec sur Parcousup. Le secteur privé a aussi massivement bénéficié de la réforme de l’apprentissage et de la marchandisation du secteur, avec un marketing agressif et une présence accrue dans les salons étudiants. En 2023, la presse a relayé de nombreux cas d’escroqueries dans l’enseignement supérieur privé et la détresse des familles et des étudiants. La progression des formations supérieures payantes entraîne en outre une reproduction et un approfondissement des inégalités sociales entre étudiants. Il est donc nécessaire de limiter le recours au privé et de mieux réguler ce secteur. C’est le sens des 17 recommandations formulées à la fin de ce rapport.
— 1 —
première partie :
analyse des crédits
I. Le programme 150 – Formations supérieures et recherche universitaire : une évolution des crédits qui ne compense pas l’inflation et qui suscite de nombreuses inquiétudes
Le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire poursuit six grands objectifs développés dans le projet annuel de performances (PAP), auxquels sont adossés 17 indicateurs de performance. Le programme doit ainsi permettre de répondre aux besoins de qualification supérieure par la formation tout au long de la vie (1), accroître la réussite des étudiants (2), produire des connaissances scientifiques au meilleur niveau international (3), améliorer le transfert et la valorisation des résultats de recherche (4), renforcer l’ouverture européenne et internationale des établissements (5) et accentuer l’efficience des opérateurs (6).
Avec environ 15,27 milliards d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et près de 15,18 milliards d’euros de crédits de paiement (CP), le programme 150 représente l’enveloppe la plus importante de la mission Recherche et enseignement supérieur. En comparaison avec la loi de finances initiale pour 2023 ([4]), ces montants sont en augmentation de 0,47 % en AE et de 1,83 % en CP. La différence entre les montants en AE et en CP découle des spécificités de l’action 14 portant sur la politique immobilière. Trois principaux facteurs sont à l’origine de cette hausse des crédits :
– la poursuite de la mise en œuvre de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche, dite loi « LPR », qui prévoit une trajectoire de revalorisation des rémunérations statutaires et indiciaires, ainsi que de nouvelles voies de recrutement des enseignants et des chercheurs. 141,7 millions d’euros hors transferts de moyens nouveaux sont prévus sur le programme 150 pour soutenir cette trajectoire ([5]) ;
– les mesures nouvelles en faveur du personnel, qui représenteraient 155 millions d’euros, dont près de 100 millions d’euros liés aux mesures annoncées par le Gouvernement le 12 juin 2023. Ces mesures consistent principalement en la hausse de 1,5 % de la valeur du point d’indice, entrée en application depuis le 1er juillet 2023, la revalorisation des bas salaires, avec une hausse catégorielle jusqu’à neuf points pour les agents de catégorie C et B en début de carrière, effective depuis le 1er juillet 2023 également et enfin une augmentation générale de cinq points des indices majorés en faveur des titulaires et des agents publics contractuels, qui devrait entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2024. À cela s’ajoutent également d’autres mesures sociales pour revaloriser les jours épargnés sur un compte épargne temps (CET) ainsi que des évolutions concernant le remboursement des titres de transport ;
– le prolongement de la réforme des formations de la santé, pour 7 millions d’euros, qui se traduit par la mise en place de nouvelles formations médicales en odontologie ainsi que par l’instauration progressive d’une quatrième année de médecine générale.
Il convient aussi de noter la baisse de 17,8 millions d’euros, qui correspond, selon les informations figurant dans le PAP, à un ajustement opéré au regard de la réalité des effectifs et de la dépense en exécution. Cette baisse concerne principalement la cotisation employeur à la protection sociale complémentaire, la réforme des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) et la compensation des droits d’inscription pour les étudiants boursiers partiellement exonérés.
Avant d’en venir à l’analyse des crédits par action, le rapporteur pour avis souhaite formuler plusieurs observations liminaires sur le budget du programme 150 et les inquiétudes qu’il suscite.
En premier lieu, il est utile de replacer l’analyse de l’évolution des crédits du programme 150 dans le contexte inflationniste que connaît la France depuis deux ans. Le taux d’inflation s’est élevé à 4,9 % en 2023 et atteindrait 2,6 % en 2024, selon les hypothèses retenues par le Gouvernement ([6]). Dès lors, la hausse des crédits du programme 150 (0,47 % en AE et 1,83 % en CP) est loin de compenser l’inflation et les crédits sont en réalité en baisse en euros constants.
En deuxième lieu, les auditions conduites par le rapporteur pour avis l’ont alerté sur l’insuffisante compensation par l’État de l’augmentation des charges supportées par les opérateurs du programme. Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2024 ne prévoit qu’une compensation très partielle des coûts liés aux nouvelles mesures salariales annoncées en 2023, dont le montant global est estimé à 254 millions d’euros pour l’année 2024 pour les opérateurs du programme 150 ([7]). Or, seuls 155 millions d’euros supplémentaires sont prévus, ce qui devrait permettre une compensation, en loi de finances initiale, de la moitié seulement des surcoûts engendrés par ces mesures. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche entend également soutenir en gestion les établissements les plus fragilisés, pour arriver au total à une compensation globale de 60 %.
Le Gouvernement attend donc que les établissements d’enseignement supérieur financent sur leurs fonds de roulement dits « mobilisables » le reste du coût afférent à ces mesures. Les fonds de roulement des universités représentaient 2,6 milliards d’euros en 2022. France Universités estime toutefois que le montant des fonds de roulement réellement mobilisable est de l’ordre de 600 millions d’euros ‒ soit moins de 10 millions d’euros par université. Concernant le montant des fonds de roulement des universités, France Universités en explique l’origine en rappelant que les universités sont tenues, avant d’engager une opération d’investissement, de mobiliser la totalité de son financement. La hausse des fonds de roulement ces dernières années s’explique aussi par la part de plus en plus importante prise par les appels à projets, notamment ceux des programmes d’investissement d’avenir (PIA) et de France 2030, dans le financement des universités : l’exécution de ces crédits, qui sont fléchés, se prolonge souvent sur plusieurs années ce qui contribue à gonfler les fonds de roulement.
Les universités constatent une dégradation de leur situation financière depuis 2022, en raison du financement insuffisant de l’État concernant la masse salariale et l’augmentation des coûts de fonctionnement courant. Pour l’année 2023, deux tiers des universités pourraient présenter un résultat déficitaire ([8]). Les universités ont d’ores et déjà dû financer le coût des mesures salariales effectives depuis le mois de juin 2023, pour un coût global estimé entre 130 et 140 millions d’euros. Le rapporteur pour avis souscrit aux propos tenus par France Universités, qui considère que, « s’il n’est pas illogique que les universités financent les mesures qui favorisent l’amélioration des conditions de travail et dont les coûts sont limités, elles considèrent en revanche que l’État doit financer celles qu’il décide, surtout lorsqu’elles s’appliquent à tous les agents de l’État. Il ne nous paraît pas normal que près de 15 ans après le passage aux responsabilités de compétences élargies (RCE), les règles présidant à l’actualisation de la masse salariale et notamment "le principe du décideur payeur" ne soient toujours pas clairement établies. »
D’après France Universités, la dépense de fonctionnement courant s’est accrue de près de 18 % en 2022 par rapport à 2021 (+ 400 millions d’euros), cette hausse s’expliquant en grande partie par des augmentations de la dépense énergétique. Pour 2023, l’augmentation pourrait être supérieure à 10 %. En fin de gestion 2023, 100 millions d’euros provenant du fonds de compensation des surcoûts énergétiques devraient être répartis entre les établissements au prorata de leurs surcoûts énergétiques, mais cela reste insuffisant au regard des besoins. Pour 2024, le Gouvernement indique que les éventuelles compensations seront examinées en fin de gestion, ce qui place les opérateurs dans une grande incertitude et obère encore leur capacité de financement.
Le rapporteur pour avis considère qu’il n’est pas acceptable de demander aux universités de puiser dans leurs fonds de roulement pour financer des mesures salariales, qui seront par définition pérennes et récurrentes. Cette politique risque de grever les capacités d’investissement des universités, notamment en matière de rénovation du bâti, alors que les besoins en la matière sont essentiels et d’ailleurs affichés comme prioritaires par le Gouvernement, ce qui rend les choix politiques opérés sur le programme 150 particulièrement incohérents. Le rapporteur pour avis craint que cette tendance ne se traduise par des dépenses plus contraintes concernant le personnel et dégrade les conditions d’accueil des étudiants et des agents. De surcroît, il convient aussi de rappeler les disparités existantes entre universités en matière financière, les chiffres consolidés communiqués concernant les fonds de roulement ne permettant pas une analyse fine de la situation par établissement. Le rapporteur craint que ces décisions ne conduisent in fine à encourager le développement de l’enseignement supérieur privé, qui pose pourtant de nombreuses difficultés évoquées dans la seconde partie de ce rapport.
Concernant la maquette budgétaire, deux points saillants méritent d’être soulignés.
En premier lieu, le rapporteur pour avis regrette l’absence de données dans le PAP sur la question des dépenses et du taux d’encadrement par étudiant, alors qu’il s’agit pourtant d’éléments d’appréciation essentiels pour mesurer l’efficacité des politiques publiques financées par le programme 150. Deux tendances ressortent des chiffres communiqués par le Gouvernement dans les réponses apportées au questionnaire budgétaire : la dépense moyenne par étudiant à l’université a baissé et les écarts entre filières se sont creusés. En 2022, la dépense moyenne par étudiant atteignait 12 250 euros pour l’ensemble du supérieur, tous financeurs et toutes formations confondus, y compris l’apprentissage. En euros courants, elle continue à progresser (de 1,4 % en 2022 après 3,2 % en 2021) mais elle recule en euros constants (de 1,5 % en 2022 après un recul de 1,8 % en 2021 et plusieurs années de baisse ou de stabilité). Depuis 2013, la dépense moyenne par étudiant à l’université a baissé de 10 % en euros constants. Cette diminution découle de l’écart entre la progression des effectifs sur la même période (+ 13,2 %) et les financements supplémentaires alloués aux universités (+ 1,9 % en euros constants). Dans le même temps, le coût moyen par élève de sections de technicien supérieur (STS) et de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) a augmenté (de 3,0 % et 3,2 % respectivement). Ces chiffres témoignent du sous‑investissement chronique de l’État dans l’enseignement supérieur ainsi que des inégalités croissantes entre catégories d’établissements.
Évolution de la dépense moyenne par étudiant depuis 2013
(en euros constants aux prix 2022)
Source : Réponse au questionnaire budgétaire
La baisse du nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur à la rentrée 2022 est en partie conjoncturelle, puisque les projections repartiraient à la hausse à compter de 2024 (voir encadré infra). Il convient dès lors d’être très vigilant face à ceux qui argueraient de la baisse du nombre d’étudiants pour défendre une diminution de la dépense publique allouée à l’enseignement supérieur.
Évolutions du nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur
Après quatorze années de hausse consécutive, le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur en France a baissé de 1,5 % en 2022, avec 2,93 millions d’étudiants inscrits. Le nombre d’étudiants inscrits à l’université diminue de 3,4 %, tandis qu’à l’inverse, le nombre d’étudiants formés dans les établissements d’enseignement privés augmente de 3,3 % et représente 26,1 % des étudiants, soit 1,2 point de plus qu’en 2021 ([9]).
Les projections publiées par le service statistique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche estiment à 2,92 millions le nombre d’étudiants pour la rentrée 2023, soit une baisse de 0,5 % par rapport à l’année 2022. Cette diminution serait donc plus modérée que celle constatée entre les rentrées 2021 et 2022. La décroissance des effectifs universitaires est en partie compensée par la croissance observée dans les établissements privés. À la rentrée 2024, en suivant des hypothèses tendancielles, 2,93 millions d’étudiants pourraient être recensés, soit une quasi-stagnation (+ 0,2 %).
Le nombre de bacheliers poursuivant à l’université repartirait à la hausse en 2023, après deux années consécutives de forte baisse, sans toutefois compenser la diminution des effectifs en deuxième et troisième années. Cela se traduirait par un nouveau repli des effectifs en licence : – 2,0 % en 2022, soit – 19 500 étudiants.
En second lieu, le rapporteur pour avis déplore l’absence de vision d’ensemble des dépenses publiques consacrées à l’enseignement supérieur et à la recherche, notamment en raison de l’importance des PIA et de France 2030. Il considère qu’il est aujourd’hui nécessaire de garantir un meilleur équilibre pour les établissements d’enseignement supérieur entre les financements sur appels à projets et les financements récurrents, au profit de ces derniers, car les appels à projets sont source d’instabilité quant au maintien dans le temps des financements alloués, ce qui a pour conséquence de fragiliser la recherche publique française. On peut noter que, pour l’année 2024, l’appel à manifestation d’intérêt « Compétences et métiers d’avenir » devrait être doté d’une enveloppe de 700 millions d’euros, fléchée pour adapter les offres de formation aux besoins de l’industrie verte et des filières en tension.
Enfin, le rapporteur pour avis regrette, pour la deuxième année consécutive, que les dépenses fiscales contribuant au programme 150, qui s’élèvent à 3,2 milliards d’euros ([10]), ne fassent pas l’objet d’évaluations en dépit de leur montant significatif.
*
Les crédits du programme 150 sont répartis au sein des neuf actions suivantes :
– les actions 1 à 3 regroupent les crédits attribués au financement des formations supérieures et portent respectivement sur la licence, le master et le doctorat ;
– l’action 4 est relative au soutien public apporté aux établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig) et aux associations assurant la formation initiale des enseignants des établissements scolaires privés ayant conclu un contrat d’association avec l’État ;
– l’action 5 concerne le financement des bibliothèques universitaires et de la politique en matière de documentation scientifique ;
– l’action 13 comporte des crédits concernant les musées scientifiques nationaux et la numérisation de leurs collections ;
– l’action 14 correspond à la politique immobilière des opérateurs du programme ;
– l’action 15 rassemble les crédits concernant le pilotage et le support du programme ;
– l’action 17, consacrée à la recherche, est quant à elle rattachée au périmètre de l’avis budgétaire sur la recherche.
A. L’action 1 : Formation initiale et continue du baccalauréat à la licence
L’action 1 du programme 150 rassemble les moyens budgétaires relatifs au financement des formations du premier cycle des études supérieures, du baccalauréat à la licence. Elle rassemble un quart des crédits du programme 150. L’un des objectifs de ce programme est de mener 50 % de chaque classe d’âge à l’obtention d’un diplôme supérieur, toutes filières du baccalauréat confondues. La formation du premier cycle des études supérieures poursuit deux grandes missions : d’une part, la qualification professionnelle correspondant à des fonctions de technicien supérieur ou de cadre intermédiaire pour les étudiants qui ne poursuivent pas d’études de niveau master au terme du premier cycle, et, d’autre part, la préparation des étudiants à l’entrée dans le deuxième cycle master.
Le projet annuel de performances prévoit l’attribution de 3 920 millions d’euros en AE et en CP pour cette action. Ces crédits sont en hausse de 0,98 % par rapport à ceux figurant dans la loi de finances pour l’année 2023. Cette augmentation est très en dessous de la prévision d’inflation (2,6 %) et de la revalorisation du point d’indice de 1,5 % décidée par l’État.
3 873 millions d’euros en AE et en CP correspondent aux subventions pour charges de service public versées aux opérateurs du programme. Les crédits restants ont vocation à financer des dépenses de personnel (titre 2), soit les rémunérations versées directement par l’État. La place prépondérante occupée par les subventions pour charges de service public, que l’on retrouve pour l’ensemble du programme 150, est la traduction budgétaire du principe d’autonomie de gestion des établissements d’enseignement supérieur, qui gèrent directement leur masse salariale. À cet égard, le rapporteur pour avis renouvelle son souhait, exprimé l’année dernière, de voir ces crédits assortis d’une évaluation indicative de leur ventilation par titre sur la base des documents budgétaires de chaque établissement, compilés à l’échelle nationale.
Sur les 3,87 milliards d’euros versés au titre de la couverture des charges de service public, 3,62 milliards d’euros constituent des crédits de masse salariale, dont 98,5 millions d’euros de moyens nouveaux ([11]). Les moyens nouveaux correspondent pour 27,6 millions d’euros à la poursuite des mesures découlant de la LPR (revalorisation indemnitaire et mesures de recrutement) et pour 42,3 millions d’euros aux mesures nouvelles de revalorisation salariale. De façon plus subsidiaire, ces moyens nouveaux participent également pour 4,1 millions d’euros à la mise en place d’un nouveau site de la faculté de médecine aux Antilles ainsi qu’à la création de six nouvelles facultés d’odontologie. En outre, 3 millions d’euros sont retirés des moyens alloués à la protection sociale complémentaire au regard des données d’exécution. Le reste de la subvention pour charges de service public correspond à des crédits de fonctionnement, qui permettent notamment la compensation de l’exonération des droits d’inscription pour les étudiants boursiers.
Le rapporteur pour avis déplore la trop modeste augmentation budgétaire des crédits de masse salariale. Ces crédits ne permettent pas d’envisager une revalorisation suffisante du niveau des rémunérations et empêchent également de procéder à des recrutements significatifs, qui seraient pourtant nécessaires pour améliorer le taux d’encadrement des étudiants.
Les établissements publics d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère comptabilisent 1 032 800 étudiants inscrits en cursus licence pour la rentrée 2022-2023, dont 57 400 inscrits en parallèle en CPGE ([12]). C’est en licence que la baisse des effectifs à l’université est la plus marquée, avec une diminution de 4,3 % à la rentrée 2022-2023, en comparaison avec la rentrée précédente. Cette tendance concerne particulièrement les néo-bacheliers. Comme le constate le service statistique du ministère, « les bacheliers, moins nombreux à la session 2022 qu’à la session 2021 (– 3,2 %), s’inscrivent moins souvent à l’université : le nombre de néo-bacheliers à l’université baisse de 4,9 % ».
Si cette décroissance peut avoir mécaniquement un impact positif en matière de dépense par étudiant, elle ne compensera pas les années de sous‑investissements structurels dans l’enseignement supérieur.
Le rapporteur pour avis déplore également la généralisation du principe de sélection à l’ensemble de l’enseignement supérieur, qui se poursuit en 2024 et opère via la plateforme Parcoursup. Ce choix politique, qui est aussi une réponse au sous-investissement structurel des pouvoirs publics dans l’enseignement supérieur, entre en contradiction avec l’objectif d’élévation du niveau général des qualifications ainsi qu’avec le droit pour chaque étudiant de poursuivre ses études.
Par ailleurs, il manque indéniablement des places en licence. Selon les chiffres du service du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche en charge du système d'information et des études statistiques (SIES), le nombre de bacheliers qui n’ont pas trouvé la formation de leurs choix sur Parcoursup demeure toujours élevé depuis 2018, oscillant entre 105 000 et 125 000, soit entre 17 et 21 % des bacheliers.
B. L’action 2 : formation initiale et continue de niveau master
L’action 2 du programme 150 regroupe les crédits destinés aux formations de niveau master – soit le deuxième cycle des études supérieures. Cette action représente 17,6 % du total des crédits du programme. Aux termes du projet annuel de performances, ces moyens visent à former des « cadres supérieurs nécessaires au développement social, économique, scientifique et culturel du pays ». À la rentrée universitaire 2022-2023, les inscriptions en cursus master dans les établissements publics sous tutelle du ministère représentaient 680 400 étudiants, dont 585 400 à l’université, le reste se répartissant dans des Écoles normales supérieures ou des écoles d’ingénieurs.
Le projet de loi de finances attribuerait 2 696 millions d’euros en AE comme en CP à cette action, contre 2 675 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2023, soit une augmentation de 0,77 %. La subvention pour charges de service public représente 2 667,5 millions d’euros en AE et en CP, dont 2 521,1 millions d’euros pour la masse salariale.
Les crédits de l’action 2 connaissent une augmentation limitée de 45,1 millions d’euros de moyens nouveaux. Cette évolution correspond à la mise en œuvre de la LPR, aux mesures de revalorisation salariale et à la poursuite de la réforme des études de santé.
Par ailleurs, il manque indéniablement des places en master. Au 15 septembre 2023, 156 010 candidats ont reçu une proposition d’admission. 43 349 étudiants n’ont pas obtenu de formations en master, ce qui représente 21,7 % des éligibles.
Le rapporteur pour avis regrette que, plutôt que de financer des ouvertures de nouvelles places dans les filières en tension, le Gouvernement préfère renforcer la sélection au stade du master, ce qui place les étudiants dans une grande insécurité et peut compromettre leur avenir professionnel. Le coût de la plateforme Mon Master est estimé à 4,6 millions d’euros. Dès 2023, des moyens supplémentaires en emplois (4 ETPT avec crédits de masse salariale associés) ont été alloués à l’administration centrale dans le cadre de la mise en place de cette plateforme. Ce sont là autant de moyens budgétaires qui ne sont pas directement mis au service de l’accueil et de la réussite des étudiants.
C. L’action 3 : formation initiale et continue de niveau doctorat
L’action 3 porte sur la formation initiale et continue de niveau doctorat. Selon le projet annuel de performances, le cursus doctoral a pour objet de former des spécialistes et chercheurs de haut niveau, qui rejoignent le service public d’enseignement supérieur et de recherche, les administrations, et, de plus en plus, les entreprises.
Le présent projet loi de finances prévoit l’attribution de 484,2 millions d’euros en AE et en CP aux 295 écoles doctorales, contre 453,5 millions d’euros en AE et en CP en loi de finances initiale pour 2023, soit une augmentation de 8, 99 %. La subvention pour charges de service public représente 478,2 millions d’euros, dont 445 millions d’euros de masse salariale. 36,1 millions d’euros de moyens nouveaux sont prévus pour le financement de la LPR et 4,7 millions d’euros pour la revalorisation salariale. Il convient ici de rappeler que la LPR prévoit une revalorisation progressive de la rémunération des contrats doctoraux, avec un objectif de rémunération brute mensuelle de 2 300 euros à horizon 2026, soit une augmentation de la rémunération de 30 %. La LPR fixe également un objectif d’augmentation de 20 % du nombre de contrats doctoraux financés par le ministère.
La France compte aujourd’hui 70 697 doctorants. Comme l’a récemment mis en évidence une note publiée par le service statistique du ministère ([13]), depuis 2012, le nombre de docteurs diplômés diminue de 0,7 % en moyenne par an. Cette tendance s’est accélérée, en passant d’une décroissance moyenne de 0,2 % par an entre 2012 et 2017, à 1,2 % entre 2017 et 2022. Les inscriptions en première année de thèse sont en baisse de 4 % par rapport à l’année 2021-2022. Ce taux atteint 10,1 % pour les mathématiques et 13,1 % pour les sciences agronomiques et écologiques. Au total, le Gouvernement lui-même indique en réponse au questionnaire budgétaire que le nombre d’étudiants inscrits en doctorat a baissé de 14 % entre 2012 et 2022. Il convient également de souligner qu’un peu plus de 20 % des doctorants effectuent leur thèse sans financement. Ce chiffre masque des disparités majeures en fonction des domaines, puisqu’un doctorant sur deux en sciences humaines et sociales n’est pas financé (51 %, soit de 2 points de plus qu’en 2021). Les perspectives pour 2023 et 2024 montrent une poursuite de cette tendance (avec 800 doctorants en moins en 2023 et 700 en 2024) ([14]).
La diminution du nombre de docteurs et de doctorants est très préoccupante dans un contexte où nous avons besoin d’une élévation générale des connaissances. France Universités met d’ailleurs en garde contre le risque de décrochage de la recherche publique française. Les faibles rémunérations associées aux contrats doctoraux, lorsqu’ils existent, sont aussi à l’origine d’une fuite des cerveaux. Il s’agit d’une perte pour la France, qui a pourtant investi pour financer les formations du premier et du second cycle de ces étudiants. La valorisation insuffisante des docteurs dans le monde du travail nourrit aussi cette dynamique.
Les mesures de la LPR ne permettront pas à elles seules d’endiguer ce phénomène. Le rapporteur pour avis rappelle les préconisations qu’il a déjà formulées l’année dernière sur ces sujets et qui restent d’actualité :
– ouvrir la possibilité d’allonger d’un an le contrat doctoral pour les doctorants qui le souhaitent ;
– améliorer la rémunération des doctorants avec une revalorisation des contrats doctoraux, en les indexant sur l’inflation ;
– exonérer les doctorants du versement des frais de scolarité, dont ils doivent aujourd’hui s’acquitter, alors même qu’ils concourent dans la majorité des cas aux activités d’enseignement et de recherche ;
– favoriser l’embauche des doctorants dans l’administration publique, comme le préconise le rapport Gillet ([15]), ainsi que dans l’industrie en améliorant la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives.
D. L’action 4 : Établissements d’enseignement privÉs
L’action 4 est consacrée au soutien public en faveur de certains établissements d’enseignement supérieur privés. L’action représente 0,6 % des crédits du programme 150, pour un montant de 94,9 millions d’euros en AE et en CP, soit le même montant qu’en loi de finances initiale pour l’année 2023. Ces crédits apportent des financements, d’une part, aux associations de gestion des établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig) et, d’autre part, aux associations concourant à la formation initiale des enseignants des établissements scolaires privés ayant conclu un contrat d’association avec l’État.
Créée par l’article 68 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, la qualification d’Eespig bénéficie à des établissements à but non lucratif participant aux missions du service public de l’enseignement supérieur. Elle est accordée au terme d’une évaluation par une instance nationale, pour une durée maximale de cinq ans. On dénombre aujourd’hui 64 Eespig, qui assurent la formation initiale de 158 496 étudiants. Entre 2018 et 2023, les subventions versées au profit de ces établissements sont passées de 79,7 millions d’euros (rapport annuel de performances 2018) à 92,1 millions d’euros (rapport annuel de performances 2022), soit une augmentation de 16 %.
Les crédits de l’action 4 permettent également le versement de subventions aux quatre associations qui assurent la formation initiale des enseignants des établissements privés sous contrat du premier et du second degré.
Le rapporteur pour avis constate que, si les inscriptions des étudiants à l’université sont en baisse (de 3,4 %), celles du privé sont en augmentation (de 3,3 %). Des dérives importantes sont observées concernant l’enseignement supérieur privé à but lucratif – dont les Eespig ne font par définition pas partie. Le rapporteur pour avis s’interroge sur les causes du développement du secteur privé, en particulier à but lucratif, et sur les réponses politiques à y apporter dans la seconde partie du présent rapport.
E. L’action 5 : bibliothèques et documentation
L’action 5 est consacrée au financement des politiques documentaires du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. L’enveloppe allouée à cette action atteindrait 481,8 millions d’euros pour 2024, soit une légère hausse en comparaison des 474,6 millions d’euros en AE et en CP de la loi de finances initiale pour 2023. La subvention pour charges de service publique, versée aux bibliothèques et services de documentation des opérateurs du ministère, s’élèverait à 449,3 millions d’euros en AE et en CP. 348,1 millions d’euros de subvention pour charges de service public devraient être attribués au financement de la masse salariale, dont 6,1 millions d’euros de moyens nouveaux, qui traduisent la poursuite de la mise en œuvre de la LPR ainsi que les mesures de revalorisation salariale.
Les crédits de fonctionnement atteindraient 91 millions d’euros, pour le financement du fonctionnement des établissements et dispositifs relevant de l’administration centrale (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur, Bibliothèque nationale de Strasbourg notamment).
Enfin, les crédits d’accompagnement s’élèveraient à 10,3 millions d’euros. Ils doivent notamment servir au financement du plan « bibliothèques ouvertes » (ouverture en semaine de 10 heures à 22 heures, le samedi après-midi et le dimanche) et assurer un soutien au réseau documentaire ainsi qu’au comité pour la science ouverte, chargé de développer l’accessibilité aux ressources scientifiques sous format électronique. 1,1 million d’euros serait attribué pour la formation initiale et continue des personnels, avec pour objectif d’accompagner l’émergence de nouvelles compétences en matière d’information scientifique et technique (IST), notamment numériques. L’action finance ainsi les centres de formation aux carrières des bibliothèques et les unités régionales de formation à l’IST.
Alors que les coûts liés aux achats de licences peuvent atteindre des niveaux conséquents, dans un contexte où les éditeurs de publications scientifiques enregistrent des profits considérables, le rapporteur pour avis appelle à la mise en place d’un service public de l’édition scientifique. Il tient aussi à mettre en exergue la nécessité de mettre à disposition gratuitement de façon plus systématique les manuels scolaires qui présentent un coût très important pour les étudiants obligés de les acheter, notamment pour préparer les concours nationaux dans des filières telles que le droit ou la médecine.
F. L’action 13 : diffusion des savoirs et musées
L’action 13 comporte des crédits qui participent au financement de trois musées scientifiques nationaux : le Muséum national d’histoire naturelle, le Musée des arts et métiers du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), ainsi que le Musée du quai Branly-Jacques Chirac. L’action finance également l’informatisation et la mise en réseau des collections de ces établissements et de celles des muséums d’histoire naturelle régionaux et subventionne d’autres structures, telles que l’Office de coopération et d’information muséales, les Observatoires de Paris et la Côte d’Azur, le CNRS de Paris, l’École normale supérieure de Lyon et l’Institut de physique du globe de Paris.
Les crédits de l’action 13 – qui représentent 0,9 % de ceux du programme 150 – sont estimés à 133,6 millions d’euros en AE et en CP pour l’année 2024, soit une légère augmentation de 1,93 % par rapport aux 131,1 millions d’euros de la loi de finances initiales 2023. Les subventions pour charges de service public s’élèvent à 108,1 millions d’euros en AE et en CP. Les moyens nouveaux portent exclusivement sur la masse salariale et atteindraient 0,9 million d’euros. Ils doivent permettre la poursuite de l’application de la LPR et la traduction des mesures de revalorisation salariale.
Tout comme l’année dernière, le rapporteur pour avis constate que ces évolutions sont loin de compenser l’inflation, alors que ces musées jouent un rôle essentiel pour la transmission artistique et culturelle.
Avec 9 % des crédits du programme 150, l’action 14 porte le financement de la politique immobilière du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de ses opérateurs. Les crédits de cette action s’élèveraient à 1 368 millions d’euros en AE et 1 272 millions d’euros en CP, soit une baisse de 11,29 % en AE et une hausse de 2,20 % en CP – ce différentiel s’expliquant par des engagements importants conclus l’année précédente pour financer des projets pluriannuels. Hors crédits inscrits au programme 150, des fonds de concours et attributions de produits participent également à la politique immobilière du ministère et des établissements publics d’enseignement supérieur.
Le patrimoine immobilier bâti des établissements publics d’enseignement supérieur représente 6 300 bâtiments, soit 15 millions de m2 de surface. Selon le projet annuel de performances, la politique immobilière du ministère vise plusieurs objectifs : garantir de bonnes conditions de vie et de travail aux étudiants et personnels, notamment en assurant le respect des normes en vigueur et l’accessibilité, et favoriser le développement de campus plus durables, notamment à travers la rénovation énergétique des bâtiments. Elle s’inscrit aussi dans la logique d’autonomisation des universités et doit être mise au service de la soutenabilité financière des établissements, ce qui se traduit concrètement par des opérations de dévolution du patrimoine immobilier.
383,23 millions d’euros en AE et 286,96 millions d’euros en CP sont prévus pour financer les opérations de construction et de rénovation. Ces crédits sont pour près de la moitié – 186,5 millions d’euros en AE et 149,6 millions d’euros en CP – attribués dans le cadre des contrats de plan État régions pluriannuels (CPER) et des contrats de convergence et de transformation pour les territoires ultramarins (hors Guyane).
D’autres opérations sont financées hors CPER, pour 17,7 millions d’euros en AE et 18,5 millions d’euros en CP. Il s’agit notamment :
– des subventions versées au Muséum national d’histoire naturelle (10 millions d’euros en AE et en CP), qui doit notamment permettre de soutenir la création du centre national de la matière extraterrestre ;
– du financement de la décontamination du site d’Arcueil, site historique où se sont déroulés les essais scientifiques de Pierre et Marie Curie. Le coût total des travaux de dépollution est estimé à 30 millions d’euros, 0,3 million d’euros en AE et 1,5 million d’euros en CP étant prévus pour l’année 2024 au titre de l’action 13 du programme 150 ;
– du financement d’un plan quinquennal de remise à niveau du parc immobilier des cinq instituts de recherche situés à l’étranger qui dépendent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, pour 2 millions d’euros en AE et CP pour l’année 2024 ;
– du contrat d’avenir Pays de Loire, qui doit contribuer au financement de trois opérations immobilières de l’université de Nantes ;
– de l’extension du site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine.
146,1 millions d’euros en AE et 60,53 millions d’euros en CP devraient être attribués pour la création du campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen grand Paris Nord.
32,9 millions d’euros en AE et 58,27 millions d’euros en CP sont prévus pour participer au financement des treize marchés de partenariat associés au programme 150. Il s’agit d’opérations telles que la restructuration du site Clignancourt Sorbonne Université, et plusieurs projets de campus à Dijon, Toulouse, Metz et Nancy. Le rapporteur pour avis considère que les marchés de partenariat public-privé doivent être contrôlés avec la plus grande attention, au regard de la gabegie financière qu’ils représentent bien souvent pour les pouvoirs publics.
457,98 millions d’euros en AE et en CP seraient affectés au financement de la masse salariale des personnels en charge de l’immobilier des établissements dotés des responsabilités et compétences élargies. Les moyens nouveaux alloués à ce titre atteindraient 8 millions d’euros.
426,4 millions d’euros en AE et en CP couvriraient les besoins liés à la maintenance et à la logistique immobilières des opérateurs du programme ainsi que, dans une moindre mesure, les besoins des opérateurs en matière de location immobilière (en cas de place insuffisante ou de travaux de réhabilitation nécessitant une location provisoire).
Enfin, 52,04 millions d’euros en AE et en CP correspondraient aux travaux de mise en conformité réglementaire, 21,94 millions d’euros à la dévolution du patrimoine immobilier et 7,5 millions d’euros au titre de la dotation de fonctionnement de l’établissement public d’aménagement universitaire d’Île‑de‑France.
Alors que le bâti universitaire est vétuste et énergivore, le rapporteur pour avis déplore l’absence d’une planification de l’État en matière de rénovation énergétique du bâti de l’enseignement supérieur à la hauteur des enjeux. L’obligation faite aux établissements d’enseignement supérieur de financer une partie des mesures salariales sur leurs fonds de roulement risque de freiner le lancement des projets de rénovation énergétique, alors que cette nécessité s’impose à la fois sur le plan financier et environnemental.
H. l’action 15 : pilotage et support du programme
Les crédits inscrits à l’action 15 sont consacrés au financement de dépenses de pilotage et de support du programme 150, dont ils représentent 11,6 % de l’enveloppe totale. Aux termes du présent projet de loi de finances, l’action 15 atteindrait 1 769 millions d’euros en AE et en CP, contre 1 726 millions d’euros en AE et en CP dans la loi de finances initiale pour 2023, soit une augmentation de 2,49 %.
Ces crédits concernent les moyens consacrés au pilotage du système universitaire (tutelle et pilotage des établissements publics d’enseignement supérieur) ainsi que les moyens pour le pilotage opérationnel au sein des établissements. L’action finance également les bourses de mobilité, la formation des personnels enseignants-chercheurs et personnels ingénieurs, administratifs techniciens et ouvriers de service, ainsi que le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication au sein de ces établissements.
La subvention pour charges de service public s’élèverait à 1 571,1 millions d’euros en AE et en CP, dont 1 377,5 millions d’euros pour la masse salariale. 25,4 millions d’euros de moyens nouveaux sont attribués à ce titre, traduisant la poursuite de la LPR, pour 9,5 millions d’euros, les mesures de revalorisation salariale, pour 15,8 millions d’euros, et le renforcement de l’apprentissage pour 3,7 millions d’euros.
Les crédits de masse salariale comportent 35 millions d’euros pour la mise en place de contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), déployés depuis 2023. 36 établissements ont été concernés par un COMP en 2023, 42 nouveaux établissements devraient l’être en 2024. Cette logique de contractualisation paraît traduire l’embarras des pouvoirs publics, qui après avoir encouragé l’autonomie des universités, cherchent désormais à récupérer une capacité de pilotage et de contrôle. Le rapporteur pour avis considère que les moyens budgétaires alloués à cet égard auraient pu être employés à meilleur escient si l’État n’avait pas dans un premier temps lui-même amorcé ce mouvement d’autonomie. Ce fut l’objet du rapport pour avis de l’an dernier.
Il convient enfin de souligner que l’action 15 finance également la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, pour un montant qui atteint 1 million d’euros. Le rapporteur relève le caractère limité de cette enveloppe, s’agissant d’un sujet pourtant prioritaire.
II. Le programme 231 – Vie étudiante : une hausse budgétaire insuffisante pour répondre à la crise sociale
Le programme 231 Vie étudiante de la mission Recherche et enseignement supérieur porte la politique publique en faveur de l’amélioration des conditions de vie des étudiants. Pour l’année 2024, le budget de ce programme atteindrait 3 357 millions d’euros en AE et 3 326 millions d’euros en CP, soit une augmentation respective de 7,05 % et 6,28 % en comparaison des crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2023.
Le programme 231 poursuit trois grands objectifs : la promotion de l’égalité des chances pour l’accès aux formations d’enseignement supérieur, l’amélioration des conditions de vie et de travail des étudiants, et le développement du suivi de la santé des étudiants. Ces trois objectifs sont assortis de huit indicateurs de performance, parmi lesquels figurent l’accès à l’enseignement supérieur selon l’origine sociale, le ratio de réussite des étudiants boursiers par rapport aux étudiants non boursiers, ainsi qu’un bilan sur les enquêtes de satisfaction sur le logement et la restauration relevant du réseau des œuvres universitaires.
Les crédits dévolus au programme 231 doivent être replacés dans le contexte d’une hausse très significative de la précarité étudiante. 26 % des jeunes de 18 à 24 ans vivent sous le seuil de pauvreté ([16]). Les indicateurs de mesure de la précarité étudiante montrent une première accentuation du phénomène au moment de la crise sanitaire, suivie d’une aggravation provoquée par l’inflation des prix, en particulier alimentaires. Selon une enquête conduite par l’Unef à la rentrée 2023, les étudiants auraient besoin, pour couvrir la hausse des dépenses liées à l’inflation, de 49,56 euros supplémentaires par mois. Les principaux postes concernés sont d’abord l’alimentation (+ 14,3 %), l’électricité (+ 10,1 %) et les transports (+ 5,91 % pour les non-boursiers, + 3,95 % pour les boursiers). Selon un sondage réalisé par l’Ifop avec l’association COP1 paru au mois de septembre 2023, un étudiant sur deux limite ou renonce à des achats alimentaires, contre un quart de l’ensemble de la population française. Un étudiant sur deux a déjà sauté un repas pour des raisons financières. 50 % des étudiants ont un reste à vivre de moins de 100 euros après paiement de leur loyer.
Si la hausse des crédits du programme 231 est supérieure au niveau de l’inflation, il n’en demeure pas moins que ces évolutions sont en deçà des annonces faites par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche concernant la réforme des bourses (voir infra). En outre, les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) font face à des situations financières particulièrement tendues, avec un effet ciseau de plus en plus marqué entre l’augmentation des charges et les besoins croissants des étudiants en matière de restauration et de logement universitaires.
La structure interne du programme est la suivante :
– l’action 1 comprend les aides financières directes versées aux étudiants titulaires de bourses ;
– l’action 2 inclut les aides indirectes en faveur des étudiants, en particulier l’action du réseau des œuvres universitaires et scolaires en matière de logement et de restauration ;
– l’action 3 rassemble les crédits visant à l’amélioration de la santé des étudiants et finançant les activités associatives, culturelles et sportives ;
– l’action 4 porte des crédits de support et de pilotage, principalement destinés au réseau des œuvres universitaires et scolaires (Cnous et Crous).
A. l’action 1 : aides directes
L’action 1 est constituée d’aides financières directes en faveur des étudiants. Elle représente 79,2 % des crédits du programme 231. Pour 2024, ses crédits atteindraient 2 658 millions d’euros en AE et en CP, contre 2 541 millions d’euros en application de la loi de finances initiale pour 2023 – soit une augmentation de 4,61 % (117 millions d’euros).
L’essentiel des crédits de l’action 1 est dévolu au financement des bourses sur critères sociaux, qui devrait atteindre 2 475,6 millions d’euros en 2024, contre 2 355,2 millions d’euros prévus dans le PAP de l’année dernière. Ces crédits sont en hausse et traduisent la mise en place de l’acte premier de la réforme des bourses. Entré en vigueur à la rentrée 2023, il prévoit :
– l’augmentation de 6 % des plafonds de ressource, ce qui devrait permettre d’accompagner 35 000 nouveaux boursiers ;
– la revalorisation de 37 euros par mois des montants des bourses versées, quel que soit l’échelon concerné, soit une hausse de 34 % pour le premier échelon et de 6 % pour le dernier.
Montant annuel des bourses à partir de la rentrée 2023
Échelon 0 bis |
1 454 euros |
Échelon 1 |
2 163 euros |
Échelon 2 |
3 071 euros |
Échelon 3 |
3 828 euros |
Échelon 4 |
4 587 euros |
Échelon 5 |
5 212 euros |
Échelon 6 |
5 506 euros |
Échelon 7 |
6 335 euros |
Source : Réponse au questionnaire budgétaire
À cela s’ajoutent deux autres évolutions paramétriques : un complément de trente euros versé aux boursiers qui suivent leurs études dans les territoires ultramarins ; une revalorisation de quatre points de charges attribués dans le calcul des bourses pour les étudiants en situation de handicap ou aidants d’une personne en situation de handicap, conformément aux annonces faites par le Président de la République en clôture de la sixième conférence nationale du handicap (26 avril 2023). Enfin, l’enveloppe totale allouée pour les bourses sur critères sociaux finance également le dispositif « grandes vacances universitaires », qui bénéficie à certains étudiants boursiers, notamment ceux situés loin de leur famille.
En complément des bourses sur critères sociaux, l’action 1 du programme 241 finance également d’autres aides directes :
– les aides au mérite, pour un montant total estimé à 42,8 millions d’euros. 900 euros par an sont accordés au titre de cette aide aux étudiants ayant obtenu la mention très bien au baccalauréat et bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux. 47 000 aides au mérite pourront être distribuées en 2024 ;
– les aides à la mobilité internationale, pour 28,9 millions d’euros, bénéficient aux étudiants boursiers effectuant un programme d’échange universitaire à l’étranger. Son montant s’élève à 400 euros par mois ;
– les aides spécifiques (48,8 millions d’euros) sont versées aux étudiants confrontés à des difficultés particulières. Elles sont gérées par les Crous. Elles peuvent, pour certaines d’entre elles et sous conditions, bénéficier aux étudiants non boursiers en difficulté financière ;
– les aides à la mobilité dans le cadre de Parcoursup (10 millions d’euros) permettent l’attribution d’une aide de 500 euros qui participe à la couverture des coûts liés à l’entrée dans une formation de l’enseignement supérieur située hors de l’académie de résidence du bachelier ;
– sur le même modèle, les aides à la mobilité des étudiants en master (7,2 millions d’euros) permettent l’attribution d’un montant de 1 000 euros pour les étudiants diplômés du premier cycle et inscrits au sein d’un master qui n’est pas situé dans la région académique de leur licence.
Les crédits de l’ensemble de ces aides complémentaires aux bourses sur critères sociaux sont stables par rapport à ceux figurant dans la loi de finances initiale pour l’année 2023.
Les crédits de l’action 1 financeraient également à hauteur de 2,4 millions d’euros la grande école numérique (GEN), constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public, qui labellise les formations courtes et qualifiantes préparant aux métiers du numérique. Des aides financières peuvent être attribuées aux étudiants concernés, s’ils ne disposent pas d’aides au titre de la formation et de l’insertion professionnelles, selon les mêmes règles que pour les bourses sur critères sociaux.
4,2 millions d’euros de l’action 1 participeraient au financement d’un fonds de garantie géré par BPIfrance, qui offre une garantie de l’État pour des prêts étudiants conclus auprès de banques partenaires, pour un montant maximal de 20 000 euros.
Le reste des crédits de l’action vise à abonder les subventions pour charges de service public versées aux opérateurs du programme. 38,7 millions d’euros sont prévus au titre de la rémunération des personnels administratifs et sociaux responsables de la gestion des aides directes au sein des Crous. Ce montant est en hausse de 5,8 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2023, en lien avec les mesures de revalorisation salariale. Cette enveloppe doit aussi permettre la création du Crous de Mayotte et le recrutement de nouveaux gestionnaires de bourse pour le Crous Orléans-Tours.
Le rapporteur pour avis constate que l’effort budgétaire en faveur des bourses sur critères sociaux consenti par l’État sur le programme 231 s’élève donc à environ 120 millions d’euros, un montant bien inférieur aux 500 millions d’euros initialement évoqués par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche au printemps 2023. Si les mesures annoncées constituent une avancée, elles n’en restent pas moins largement en deçà des besoins. Les 37 euros supplémentaires ne couvrent pas les 49 euros supplémentaires nécessaires du fait de l’inflation des prix, calculés par l’Unef. En outre et de manière plus générale, le rapporteur pour avis estime que les annonces ministérielles qui ne sont que partiellement suivies nuisent à la crédibilité de la parole publique.
Comme cela a été confirmé au rapporteur pour avis au cours des auditions, le ministère entend en réalité financer l’essentiel de cette réforme en se fondant sur la sous-consommation des crédits concernant les bourses sur critères sociaux, qui s’explique par la diminution du nombre des boursiers. La baisse du nombre et de la part d’étudiants boursiers, qui peut surprendre dans un contexte de précarité étudiante grandissante, est bien réelle. Ainsi, l’enveloppe destinée au financement des bourses sur critères sociaux s’élevait à 2 355,2 millions d’euros dans le PAP 2022, pour une consommation de 2 165,81 millions d’euros (selon le rapport annuel de performances 2022). En 2022‑2023, les boursiers sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur représentent 36,3 % de l’ensemble des étudiants, soit le niveau le plus bas depuis dix ans ([17]). Il convient aussi de souligner que les inégalités ont eu tendance à se creuser entre les différentes filières, les établissements publics accueillant une part deux fois plus importante de boursiers que les établissements privés. La part des boursiers dans les écoles de commerce et d’ingénieur a baissé continuellement depuis 10 ans.
Source : Note flash n° 20 parue en septembre 2023 du département des études statistiques et de la recherche du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche
Selon les explications fournies par le Gouvernement lui-même, cette baisse du nombre d’étudiants boursiers découlerait de deux raisons principales : la montée en puissance de l’apprentissage et l’essor des formations privées, qui ne sont pas toujours habilitées à recevoir des boursiers. Le rapporteur pour avis ajoute que l’absence d’actualisation des barèmes pour l’attribution des bourses depuis 2013 est également un facteur d’explication. La diminution du nombre de boursiers témoigne des dérives du modèle de notre enseignement supérieur, qui bascule de plus en plus vers un enseignement supérieur privé, au sein duquel la dimension lucrative prend une part croissante, comme le rapporteur pour avis l’analyse dans la seconde partie de ce rapport. La réforme de l’apprentissage doit faire l’objet d’une évaluation approfondie pour contrôler le bon usage des deniers publics, les écueils paraissant nombreux, tant du point de vue de l’emploi que de la qualité des formations et du contrôle des subventions publiques allouées.
Malgré ces explications, le rapporteur pour avis constate qu’il reste difficile de retracer le calcul exact permettant de parvenir au résultat avancé par la ministre (500 millions d’euros) : en additionnant les 120 millions d’euros du PLF 2024 aux 200 millions d’euros correspondant aux crédits non dépensés du fait de la baisse du nombre d’étudiants boursiers, le résultat obtenu est de 320 millions d’euros. Si une partie de l’attribution des bourses sur critères sociaux relève d’autres programmes (spécificités des formations financées par l’agriculture et la culture notamment), celle-ci ne paraît pas couvrir entièrement ce différentiel.
Le rapporteur pour avis exprime également des attentes très fortes en vue du deuxième acte annoncé de la réforme des bourses. L’État ne saurait s’en tenir à des évolutions paramétriques, alors que les difficultés du système actuel sont connues et ont été identifiées dans de nombreux rapports publics. En particulier, les modalités de calcul des bourses sont à réviser, car elles reposent aujourd’hui sur les revenus de l’année précédant celle de la demande de bourse, ce qui induit un décalage de deux ans qui ne permet pas toujours une bonne évaluation de la situation financière de l’étudiant. Les effets de seuil liés au fonctionnement par échelon pénalisent les étudiants, notamment ceux issus des classes moyennes. Les montants des bourses accordées aux premiers échelons sont trop modestes pour assurer un niveau de vie décent. L’insuffisance du montant des bourses incite les étudiants à exercer un travail en parallèle de leurs cursus, avec des effets délétères sur leurs chances de réussite.
Outre la nécessité de pallier ces défauts, le rapporteur pour avis appelle à court terme à accroître le montant des bourses sur critères sociaux et à élargir le nombre de bénéficiaires. Il observe d’ailleurs que ces préconisations ont notamment été formulées dans le rapport du professeur Jean-Michel Jollion commandé par le Gouvernement, qui n’a pas été rendu public mais dont certaines des conclusions sont parues dans la presse ([18]). Le rapport appelle l’État à viser une population de boursiers de 900 000 étudiants, contre 675 000 aujourd’hui. L’augmentation du nombre de boursiers ‒ 35 000 bénéficiaires supplémentaires ‒ qui découle du premier acte de la réforme constitue donc une évolution bien en deçà des besoins identifiés dans le rapport Jollion. Plus fondamentalement, le rapporteur pour avis souhaite à terme la création d’une garantie d’autonomie, qui se substituerait aux bourses et permettrait la distribution aux étudiants d’une allocation universelle dont le montant serait supérieur au seuil de pauvreté monétaire. Cette solution, défendue par les organisations étudiantes, mais aussi par certains présidents d’université, permettrait également de lutter contre le taux de non recours, particulièrement élevé chez les étudiants malgré les campagnes mises en place par le ministère pour y remédier.
B. l’action 2 : aides indirectes
L’action 2, qui représente 14,7 % du total des crédits du programme 231, assure le financement des aides indirectes, ce qui correspond principalement aux résidences et services de restauration universitaires, gérés par le réseau des œuvres universitaires. Les crédits de l’action 2 s’élèveraient à 492,49 millions d’euros en AE et 461,72 millions d’euros en CP pour l’année 2024, soit une hausse de 20,96 % en AE et 15,16 % en CP par rapport aux crédits prévus par la loi de finances initiale pour 2023.
Les services de restauration universitaire ont pour objectif d’offrir une restauration de qualité, à tarif social et adaptée à la demande. Les Crous disposent de plus de 700 implantations (environ 900 points de vente) qui couvrent 221 villes étudiantes. Depuis la rentrée 2023, le repas à 1 euro dans les restaurants universitaires est pérennisé pour l’ensemble des étudiants boursiers sur critères sociaux et pour certains étudiants non boursiers en difficulté financière. Pour les autres étudiants, le repas est facturé au tarif de 3,30 euros, tarif gelé depuis 2019.
Le réseau des œuvres universitaires dispose d’un parc d’environ 175 000 logements. Le logement étudiant doit permettre de proposer aux étudiants dont la situation sociale le justifie « une offre de logements de qualité à tarification sociale, à proximité des sites de formation ([19]) ». Depuis la rentrée universitaire 2018, les loyers des résidences universitaires sont gelés et ce gel est maintenu pour l’année 2023-2024. L’évolution des charges locatives est plafonnée à 3,5 %.
La subvention pour charges de service public versée au réseau des œuvres universitaires est estimée à 351,5 millions d’euros en AE et en CP. Elle se décompose de la façon suivante :
– 253,3 millions d’euros seraient consacrés à la rémunération des personnels des Crous. Une augmentation de 13,3 millions d’euros est prévue pour financer les diverses mesures de revalorisation salariale déjà évoquées ainsi que les recrutements nécessaires pour les nouvelles ouvertures d’offres de restauration prévues pour 2023- 2024 ;
– 87,2 millions d’euros compenseraient le gel des loyers, le gel des tarifs de restauration et la pérennisation des repas à 1 euro ;
– 4 millions d’euros, dont 2,7 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’année dernière, doivent permettre de financer l’ouverture de nouvelles places et structures de restauration ;
– enfin, 25 millions d’euros sont prévus pour la mise en œuvre de la loi n° 2023-365 du 13 avril 2023 visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. L’objectif est de permettre le déploiement de nouvelles conventions avec des structures partenaires et de mettre progressivement en œuvre une aide financière pour les étudiants n’ayant pas accès à une restauration universitaire à tarif modéré.
Les dépenses d’investissement (135 millions d’euros en AE et 104 millions d’euros en CP) sont fléchées en majeure partie vers le financement du logement étudiant (115,1 millions d’euros en AE et 86,8 millions d’euros en CP). Une hausse de 25 millions d’euros en AE et 2,5 millions d’euros en CP est prévue pour le lancement de nouvelles opérations de réhabilitation et concernerait aussi la construction de places neuves. Une autre partie des dépenses d’investissement est allouée aux contrats de plan État-régions (17 millions d’euros en AE et 17,43 millions d’euros en CP). Sur les 11 CPER 2021‑2027 signés à ce jour, on dénombre 43 opérations de logements étudiants faisant l’objet d’un financement sur le programme 231, dont 19 projets sont des constructions neuves ou des reconstructions et 24 des rénovations.
Les logements du réseau des Crous
Le réseau des Crous gère 175 000 places Crous à la rentrée 2023, dont 85 000 chambres en Cités U, dites aussi résidences historiques ou anciennes, propriétés de l’État, éligibles à l’allocation logement social avec une superficie inférieure à 10 m² et des sanitaires collectifs, et 90 000 logements dans les autres résidences gérées par les Crous, qu’elles soient conventionnées APL ou non. Plus de 12 000 logements Crous ont été réhabilités depuis 2018 en passant aux normes et à des studios un peu plus grands.
Des travaux de réhabilitation, initiés depuis plusieurs années permettent de moderniser les chambres traditionnelles de 9 m² disposant de douches et sanitaires sur le palier. Une fois rénovées, ces chambres offrent des logements intégrant une kitchenette et une cabine tri-fonction. Ces opérations permettent de répondre aux normes de confort et d’habitation, mais elles induisent une diminution du nombre de places en résidences. À titre d’exemple, 2 ou 3 chambres de 9 m² avec cuisine collective, douches et WC à l’étage, sont transformées en 1 ou 2 petites studettes avec kitchenette, douche et WC individuels.
Source : Contribution écrite du CNOUS
Le rapporteur pour avis salue la mobilisation des Crous et les efforts fournis pour répondre à la hausse de fréquentation des services de restauration. Le nombre total de repas à 1 euro servi a ainsi augmenté de 10 % depuis 2021. Face à cette hausse de la fréquentation, le réseau est fortement mis sous pression sur le volet de la restauration, du fait d’une hausse des charges liées à l’augmentation des prix alimentaires et à la mise en œuvre des obligations de la loi Egalim ([20]) ainsi que de difficultés importantes en matière de recrutement de personnels.
NOMBRE D’étudiants bénéficiaires du repas à 1 euro
Repas à 1 euro |
année universitaire |
année universitaire |
année universitaire |
Boursiers |
319 296 |
438 555 |
436 352 |
Non boursiers précaires |
/ |
14 151 |
28 348 |
Total |
319 296 |
452 706 |
464 700 |
Source : contribution écrite du CNOUS
|
Le rapporteur pour avis tient à souligner la mise sous tension du réseau des œuvres universitaires, qui fait face à une augmentation de ses charges, en particulier alimentaires et énergétiques, dans un contexte de hausse de la précarité étudiante. La pratique qui consiste à compenser la hausse des charges seulement en fin de gestion est source d’inquiétude et d’imprévisibilité pour le réseau, et porte atteinte au principe de sincérité budgétaire. En particulier, il est anormal que le projet de loi de finances ne prévoie pas d’ouverture de crédits au titre de la compensation des surcoûts d’énergie.
Concernant les enjeux relatifs au logement étudiant, le rapporteur pour avis déplore le manque de lisibilité de l’action publique en la matière. En tout état de cause, le Gouvernement a pris un retard considérable et les engagements du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne électorale de 2017 pour la construction de 60 000 logements étudiants d’ici la fin de son premier quinquennat n’ont pas été tenus. Seuls 36 000 logements ont été mis en service entre 2018 et 2021, soit à peine plus de la moitié de l’objectif initial.
La Première ministre a annoncé, lors des Rencontres jeunesse de Matignon le 21 juin 2023, un objectif de 12 000 rénovations prioritaires d’ici la fin du second quinquennat. À l’occasion de la réunion de présentation du « Pacte des solidarités » aux fédérations et associations de lutte contre la pauvreté à la rentrée 2023, la Première ministre a également promis la création de 30 000 logements étudiants d’ici la fin du quinquennat. Le rapporteur pour avis estime essentiel que le Gouvernement améliore la lisibilité et la transparence sur les moyens financiers qui seront alloués en la matière. Rien dans le PLF 2024 n’indique que ces engagements pourront être tenus.
C. l’action 3 : santé des étudiants et activités associatives, culturelles et sportives
L’action 3 couvre 2,8 % des crédits du programme 231. Elle retrace des financements divers, tels que la prise en charge des 62 services de santé étudiants (SSE), la subvention accordée à la Fédération française du sport universitaire, mais aussi le financement d’activités associatives, culturelles et sportives ainsi que des mesures relatives à la meilleure prise en compte du handicap dans l’enseignement supérieur.
Le montant des crédits alloués à l’action 3 s’élèverait à 93,9 millions d’euros en AE et en CP, contre 80,5 millions d’euros aux termes de la loi de finances initiale 2023, soit une augmentation de 16,58 %.
Comme l’année précédente, la hausse de ces crédits s’explique principalement par des financements supplémentaires prévus pour financer des aides individuelles adaptées aux besoins des étudiants en situation de handicap. Un appel à projet de 1,5 million d’euros devrait également être lancé pour accompagner des établissements et universités vers l’exemplarité en matière d’accueil et de formation des étudiants en situation de handicap.
L’augmentation des crédits de l’action 3 traduit aussi la mise en œuvre pour l’année 2024 des mesures de revalorisation salariale déjà évoquées pour les opérateurs bénéficiaires de la subvention pour charges de service public de cette action.
En outre, l’action finance des dispositifs et projets variés, tels que le financement de la relance de l’enquête sur le revenu des jeunes – la dernière datant de 2014 – les dépenses de fonctionnement du dispositif des cordées de la réussite ainsi que des subventions versées aux associations étudiantes.
Le rapporteur pour avis souhaite souligner l’importance des enjeux relatifs à la santé étudiante et la nécessité d’y accorder des moyens financiers et humains supplémentaires à la hauteur des enjeux. Les auditions ont mis en évidence l’insuffisance des moyens pour les services de santé étudiants, dont les missions se sont pourtant élargies. Le rapporteur pour avis souligne que la santé mentale des jeunes doit en particulier faire l’objet d’un soutien public beaucoup plus affirmé. Depuis 2021, 80 psychologues supplémentaires ont été recrutés pour accompagner les étudiants dans les SSE, pour un coût annuel de 1,8 million d’euros en 2022. Ces moyens humains paraissent bien limités face aux besoins relayés par les établissements d’enseignement supérieur et les organisations étudiantes.
D. l’action 4 : pilotage et animation du programme
L’action 4, qui correspond à 3,3 % des crédits du programme 231, finance la couverture des dépenses de personnel et de fonctionnement du réseau des œuvres universitaires et scolaires, ainsi que celles de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). Le projet de loi de finances attribuerait 112,3 millions d’euros en AE et en CP à ces structures, contre 107,1 millions d’euros aux termes de la loi de finances 2023, soit une hausse de 4,89 %. Le réseau des œuvres universitaires et scolaires devrait recevoir au titre de la subvention pour charges de service public, une enveloppe de 95,6 millions d’euros, quand l’OVE bénéficierait de 13,9 millions d’euros. L’enveloppe allouée au réseau des œuvres universitaires et scolaires est en hausse de 5 millions d’euros, pour financer les nouvelles mesures salariales (revalorisation du Smic et du point d’indice, revalorisation des rémunérations des personnels de catégorie C, mesures de convergence indemnitaire pour l’Île-de-France et mise en place de forfaits télétravail mobilité, amélioration de la rémunération des apprentis).
— 1 —
deuxième partie :
La dangereuse progression du secteur privé dans le supérieur
Depuis une dizaine d’années, nous observons une augmentation de la part du secteur privé dans l’enseignement supérieur. Cette croissance questionne le législateur à plus d’un titre. En effet, la presse a rapporté de nombreux cas d’étudiants et de familles se sentant lésés par des formations supérieures souvent coûteuses et dont la qualité s’avère parfois médiocre. Pour beaucoup d’entre eux, il y a tromperie sur la marchandise. Cette explosion du privé menace aussi la renommée des formations plus anciennes du secteur, comme celles qui disposent de la qualification d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig). Par ailleurs, l’arrivée de très grands groupes, dont le financement repose sur des fonds privés, fait peser une menace sur la souveraineté de notre système d’éducation dans le supérieur. Enfin, cette progression du secteur privé tend à reproduire et à creuser les inégalités sociales entre étudiants.
Les causes de cette progression rapide sont multiples et complexes. Nous les détaillerons dans le rapport. Mais présentons-les à grands traits.
D’abord, la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, a introduit une sélection plus forte à l’entrée en licence, avec la création de la plateforme Parcoursup. Cette sélection, associée au manque de places en licence, a conduit de nombreux étudiants à se reporter sur les offres privées. La même dynamique semble désormais à l’œuvre pour les masters.
Ensuite, la plateforme Parcoursup a offert une vitrine à certaines formations privées. A contrario, d’autres formations ont choisi de rester en dehors de Parcoursup et constituent un recours pour les étudiants en échec sur cette plateforme et pour toutes celles et ceux qui ne souhaitent pas attendre la fin de la procédure, notamment en raison du stress occasionné.
Il faut aussi souligner que ce secteur a massivement bénéficié de la réforme de l’apprentissage, dans le cadre duquel les frais d’inscription sont pris en charge par les entreprises, lesquelles sont largement subventionnées par France compétences. La croissance forte du secteur est aussi portée par un marketing agressif et une présence accrue dans les salons étudiants.
L’injonction à la professionnalisation associée à l’image dégradée de nos universités, dont les moyens ne sont pas à la hauteur, constitue aussi un facteur supplémentaire conduisant les élèves et leurs familles à choisir la voie professionnalisante dans le privé.
Enfin, l’enseignement supérieur privé lucratif a bénéficié d’investissements financiers massifs, provenant notamment de fonds de pension.
L’objet de la seconde partie du présent rapport est donc de s’interroger sur cette dynamique ainsi que sur les leviers visant à mieux contrôler cette offre, tout en améliorant l’offre publique. Mais avant cela, il est nécessaire de commencer par réaliser une cartographie précise de l’offre privée, extrêmement hétérogène.
I. Une cartographie de l’enseignement privé dans le supérieur
A. Le privé non-lucratif, un Écosystème COMPLEXE
1. Les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig)
Les Eespig sont des établissements non lucratifs sous contrat avec l’État. La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a introduit dans le code de l’éducation un nouveau chapitre relatif aux « rapports entre l’État et les établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif » (articles L. 732-1 à L. 732-3 dudit code). Cette évolution avait pour objectif de faire reconnaître un modèle d’établissement associatif, non lucratif, engagé dès l’origine dans les missions de service public de l’enseignement supérieur et la recherche.
Les Eespig sont engagés dans le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche (article L. 732-1 du code de l’éducation) et reconnus comme opérateurs de la recherche publique (art. L. 112-2 du code de la recherche). Seuls les établissements créés par des associations, fondations reconnues d’utilité publique ou syndicats professionnels (au sens de l’article L. 2131-1 du code du travail) peuvent obtenir cette qualification. En mars 2022, 64 établissements étaient reconnus en tant qu’Eespig.
Le financement des Eespig repose principalement sur les frais d’inscription et sur les subventions publiques allouées, avec un montant fixe de 596 euros par étudiant versé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Des financements supplémentaires peuvent également être obtenus via des partenariats avec des entreprises, du mécénat ou des appels à projets, publics ou privés.
Pour la Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif (Fesic), cette promotion d’un modèle non lucratif prend tout son sens avec le développement et les dérives du supérieur privé lucratif et sa financiarisation importante. Or, malgré un renforcement du cadre législatif des Eespig, l’État a insuffisamment pris en compte ces grandes écoles associatives sous contrat. La subvention allouée dans le cadre du PLF 2024 aux Eespig atteint péniblement le même montant qu’en 2013, alors que le nombre d’étudiants a doublé sur la même période. La Fesic rapporte que, face aux difficultés rencontrées par les Eespig, le ministère fait systématiquement valoir la liberté de gestion des établissements et les invite à augmenter leurs frais de scolarité, qu’il s’agisse des dépenses engendrées par la crise énergétique, de la politique sociale (aide à la mobilité internationale, boursiers), ou encore du financement des missions de service public (dont la recherche). Cette injonction à la hausse des coûts est en contradiction avec d’autres consignes ministérielles incitant à les stabiliser.
2. La Conférence des grandes écoles
Un autre acteur central identifié dans le champ du secteur du privé non lucratif est la Conférence des grandes écoles (CGE), laquelle regroupe des établissements publics et privés. Les établissements privés représentent 35 % du total des écoles membres de la CGE, soit 73 établissements, ayant accueilli 106 390 étudiants à la rentrée 2023. Parmi ces établissements :
– 48 sont des Eespig, dont 47 opèrent en tant qu’associations régies par la loi de 1901, la dernière relevant du statut de fondation ;
– 17 relèvent de la loi de 1901 concernant les associations, sans constituer des Eespig.
Ces 65 établissements ne poursuivent pas de but lucratif et ne versent pas de dividendes. Les bénéfices sont réinvestis directement dans la structure de l’établissement.
Les 8 autres établissements privés sont à but lucratif. 4 fonctionnent en tant que sociétés par actions simplifiées, 2 ont obtenu le statut de société à mission, un établissement relève du statut de société à mission unique, et un dernier établissement opère en tant que société anonyme.
Les effectifs au sein des écoles membres de la CGE ont connu une forte hausse de près de 30 % depuis 2017-2018, atteignant 465 927 étudiants pour l’année 2022. Cette progression est plus prononcée pour les écoles de management (37,2 %), que pour les écoles d’ingénieurs (21,9 %).
B. un secteur du privé lucratif dominé par quelques grands groupes
1. Galileo Global Education (GGE)
Le groupe Galileo Global Education (GGE) est le premier groupe d’enseignement privé en France. Il se donne pour objectif de proposer des formations adaptées aux besoins du marché de l’emploi, notamment dans les secteurs du numérique, de la culture ou de la santé. Entreprise française, la société opère selon les responsables du groupe que nous avons auditionnés partout dans le monde et représente au total 210 000 étudiants, répartis dans 61 écoles, installées dans 18 pays différents. En 2022-2023, les 43 écoles de GGE en France ont accueilli 40 000 étudiants. En France, 3 000 personnes sont salariées de GGE, dont le chiffre d’affaires atteint 850 millions d’euros à l’échelle internationale ([21]).
Les formations proposées par le groupe GGE s’articulent autour de quatre grands types de métiers : le management et le commerce, l’art et la création (design, mode, cinéma, théâtre au sein du Cours Florent, arts appliqués), les métiers dits de la « tech » et enfin la santé (à travers notamment des formations d’aides‑soignants).
GGE délivre essentiellement des titres relevant du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) de niveau 3, 5 et 7, ce qui correspond respectivement au certificat d’aptitude professionnelle (CAP), à une formation bac + 2 et au master. La croissance du groupe depuis 2018 doit beaucoup à la montée en puissance de l’apprentissage, avec un passage de 38 000 à 60 000 candidats entre 2020 et 2023. En 2022-2023, les écoles de GGE ont formé 18 000 apprentis, contre 14 000 l’année précédente. Selon les responsables du groupe auditionnés, GGE a ainsi bénéficié de 80 millions d’euros d’aides via France compétences en 2021, et de 130 millions en 2022.
Le groupe poursuit une stratégie de rachats d’écoles afin d’accroître sa notoriété, comme le montre les acquisitions du Cours Florent et de l’atelier de Sèvre.
Trois écoles appartenant à GGE sont maintenant présentes sur Parcoursup.
En 2018, le principal actionnaire de GGE était Providence Equity. Depuis, cet actionnaire a quitté le capital du groupe et, après plusieurs rachats, le capital est aujourd’hui détenu par un fonds de pension canadien, l’office d’investissement du régime des pensions du Canada, ainsi que par le family office Téthys, qui gère également le patrimoine de la famille Bettencourt, largement constitué à partir de l’empire L’Oréal. GGE n’est pas coté en bourse et ne distribue pas de dividendes. Les bénéfices réalisés sont réinvestis dans l’entreprise. Il existe toutefois la possibilité de reventes d’actions sur le marché secondaire, en dégageant des marges importantes du fait de la croissance du groupe.
Selon une enquête parue dans le journal Libération, Bpifrance participe au capital de GGE à hauteur de 10 % ([22]). Auditionné par le rapporteur pour avis, Bpifrance considère l’enseignement supérieur comme un secteur résilient, contrairement à l’industrie, qui par contraste, est un secteur cyclique. La banque publique d’investissement estime qu’il ne faut pas laisser la maîtrise de ce secteur à des acteurs étrangers.
Créé à Bordeaux en 1975 autour de la marque Inseec, le groupe Omnes accueille aujourd’hui 41 000 étudiants. 30 % d’entre eux étudient au sein d’écoles académiques, membres de la Conférence des grandes écoles. Parmi ces écoles académiques, on compte deux écoles de management, l’ESCE, et BBA Inseec, Inseec grande école et l’ECE, qui est une école d’ingénieur. Omnes dispense également des formations à l’université de Monaco, qui dispose d’une accréditation internationale AACSB.
Le groupe Omnes possède également dix écoles professionnalisantes, deux écoles internationales – une école à Genève qui ne délivre pas de diplôme d’État et une deuxième en Espagne – et, enfin, une école uniquement numérique.
Le groupe compte 4 600 intervenants, dont une majorité employée dans le cadre de contrats de travail intermittents et 1 900 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Les CDI représentent entre 130 et 140 enseignants chercheurs, le reste concernant des fonctions supports.
La stratégie du groupe consiste à être présent sur des campus de centre-ville, pour garantir une attractivité en terme de vie étudiante. Un tiers de l’activité totale du groupe est en lien avec l’alternance, le groupe ayant donc grandement bénéficié de la réforme de l’apprentissage. Le groupe installe en moyenne un nouveau campus par an dans des grandes métropoles. Il cherche à développer des formats hybrides, qui allient maillage du territoire, apprentissage, et cours dans des capitales de région ou en distanciel. Le développement du distanciel permet de réduire les frais liés à l’achat de locaux.
Selon le responsable d’Omnes, le chiffre d’affaires du groupe est d’environ 420 millions d’euros. Le financement public via les aides à l’apprentissage correspond à un tiers de ce chiffre d’affaires. Détenu par le fond britannique Cinven à 80 %, le groupe n’est pas coté en bourse.
Entreprise familiale créée en 1980, le groupe Ionis avait pour objectif initial de développer des formations autour du monde professionnel, en lien essentiellement avec les brevets de techniciens supérieurs (BTS). L’entreprise s’est ensuite développée avec les premières formes d’alternance. Aujourd’hui le groupe compte 35 000 étudiants, 15 grandes « marques », elles-mêmes composées de plusieurs sous-marques. Chacune de ces marques est implantée sur plusieurs villes. Au total, on dénombre plus de 80 établissements employant entre 2 000 et 2 500 salariés et plusieurs milliers de salariés occasionnels.
Le capital du groupe est détenu par un actionnaire majoritaire et un actionnaire minoritaire, respectivement M. Marc Sellam, président-directeur général (PDG) et fondateur de Ionis et M. Fabrice Bardèche, vice-président du groupe. Aucun fonds d’investissement n’est donc présent au capital.
Le groupe rassemble plusieurs types d’écoles :
– des écoles sous contrôle d’institutions extérieures : les formations d’ingénieurs sous contrôle de la commission des titres d’ingénieurs et l’Institut des arts et de la gestion (IAG) sous contrôle de la commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion. Ces établissements sont en lien avec le monde de la recherche, mais comme le reconnaît le président-directeur général (PDG) de Ionis, il est impossible pour le privé d’investir autant que le public dans la recherche ;
– des écoles de type professionnel, où une partie du cycle se déroule en alternance ;
– des écoles en alternance pure comme les écoles informatiques en alternance (Etna) qui existent depuis vingt ans et les instituts supérieurs européens de formation par l’action (Isefac).
Les établissements privés représentent un coût élevé pour les étudiants, avec des frais d’inscription en constante augmentation. Les chercheurs auditionnés par le rapporteur pour avis évoquent une hausse de 75 % de ces frais dans les écoles privées de commerce et de management, entre 2009 et 2019.
Les étudiants en école privée de commerce et d’ingénieur sont ceux dont les frais d’inscription sont les plus élevés, avec un montant médian de 8 000 euros pour les écoles de commerce et de 5 100 euros pour les écoles d’ingénieurs (avec 6 500 euros atteints pour l’année 2015-2016) ([23]).
Pour l’année 2022-2023, la fourchette de frais d’inscription dans le groupe Galileo est comprise entre 6 500 euros et 12 500 euros, avec une moyenne pondérée à 8 000 euros. Les frais de scolarité dans les écoles d’ingénieur du groupe Ionis sont de l’ordre de 8 500 - 9 000 euros par année pour les deux premières années préparatoires et atteignent entre 11 000 et 11 500 euros l’année en cursus d’ingénieur.
A. Les chiffres de l’augmentation
Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, les inscriptions dans le privé ont bondi de 60 % depuis 2011, contre seulement 17 % dans le public.
Depuis 2001, la progression est encore plus vertigineuse (+160 %), passant de 291 970 étudiants en 2001 (soit 13 % du nombre total d’étudiants) à 766 811 étudiants inscrits en 2022 (soit plus de 26 %) ([24]).
La dynamique se poursuit avec une augmentation de l’ordre de 4 % entre 2021 et 2022. Un tiers des formations privées concernent le management, la gestion et la vente. 8 % des formations sont dispensées dans des écoles d’ingénieurs ([25]).
Sur Parcoursup, le secteur privé a aussi connu un essor depuis 2018, avec un bond du nombre d’étudiants admis dans ces formations de 59 % en 5 ans, contre seulement + 6 % pour ceux poursuivant leurs études après le bac dans des formations publiques. La dynamique est en partie due à l’arrivée de nouveaux cursus privés sur la plateforme, mais aussi à l’augmentation des volumes d’étudiants admis dans des formations privées déjà présentes en 2018. C’est par exemple le cas des licences proposées par les établissements catholiques ([26]).
D’un type de formation à l’autre, le poids du privé diffère. Par exemple, en 2022, aucune formation privée n’était proposée pour les bachelors universitaires de technologie (BUT), alors que ce taux atteignait 7 % pour les licences, 16 % pour les CPGE et 26 % pour les BTS. Le secteur privé est majoritaire dans trois disciplines accessibles via Parcoursup : les cursus post-bac de commerce et management (privés à 98 %), les cursus d’ingénieurs (70 %) et les établissements de formation en travail social (99 %) ([27]) – ce dernier chiffre résultant de l’importance historique du secteur associatif en la matière.
B. Le Manque de places dans le public
La loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, a organisé la mise en place progressive de la sélection à l’entrée de l’université. Selon les syndicats auditionnés, cette sélection est en réalité une réponse au manque de moyens, à la fois en termes de personnels académiques à tous les niveaux, mais aussi de locaux universitaires. D’après la CGT et l’Union étudiante, il faudrait créer l’équivalent de 10 universités et ouvrir au moins 70 000 postes.
Ce manque de moyens se traduit par une baisse de l’effort global de recherche. Selon le Snesup, en 2021 le ratio de la dépense de recherche et développement dans le secteur de l’administration rapportée au produit intérieur brut (DIRDA/PIB) a atteint son plus bas niveau depuis 2005, avec seulement 0,74 %. Toujours d’après le syndicat, la part représentée par le budget de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (Mires) dans le budget général de l’État au titre du PLF 2023 correspondait à la proportion la plus faible depuis plus de 17 ans : 5,5 % contre plus de 6,8 % en 2011. Si en 2023, le budget de la Mires avait représenté la même quotité qu’en 2011, il se serait vu allouer 7,6 milliards d’euros supplémentaires, soit autant de financements dont les différents programmes et établissements auraient pu bénéficier.
Part du budget de la mission interministérielle de l’enseignement supérieur (MIRES) dans le budget de l’état (2006 – 2022)
Source : graphique transmis par le Snesup et issu des données de la Cour des comptes.
La part de la dépense de l’État dans les dépenses pour l’éducation supérieure a elle aussi chuté en passant de 67,9 % en 2017 à 60,2 % en 2022 (la moyenne de l’OCDE étant à 70,1 % en 2020), alors que s’accroissait celle des ménages (9,1 % à 10,5 %) et des entreprises (9,3 % à 18,3 %) ([28]) via l’apprentissage, sous perfusion de France compétences.
Depuis 2013, la dépense moyenne par étudiant à l’université recule de façon marquée (– 10,0 % en euros constants) en raison d’une progression des effectifs (+ 13,2 %) supérieure à celle du financement (+ 1,9 % en euros constants) ([29]) .
Les acteurs publics avaient pourtant anticipé la croissance de la démographie étudiante. Le rapport sur l’état de l’emploi scientifique de 2013 précisait ainsi : « au total, les effectifs de l’enseignement supérieur devraient augmenter de 8,7 % entre 2012 et 2021 avec 2 533 400 étudiants inscrits en 2021, soit 120 800 étudiants de plus qu’en 2012. » Les investissements et les recrutements nécessaires n’ayant pas eu lieu, les universités n’ont pas pu les accueillir.
Les universités sont par ailleurs de plus en plus dépendantes de leurs ressources propres, dont la part dans le total de leurs ressources est passée de 17,3 % à 21,2 % ([30]) . Or celles-ci sont par définition plus précaires, et cette dynamique ne facilite pas la mise en place de nouvelles formations.
Alors que la population étudiante a augmenté, les effectifs de titulaires ont diminué et ont été compensés par l’explosion du nombre de contractuels. En 2022, les effectifs des personnels enseignants titulaires de l’enseignement supérieur ont légèrement diminué (– 1 %) par rapport à 2017, tandis que les effectifs des personnels enseignants et de recherche contractuels de l’enseignement supérieur ont augmenté de 13 % sur la même période. Les effectifs des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques (Biatss) titulaires sont passés de 57 825 en 2017 à 54 875 agents en 2022 (– 2 950 agents, soit – 5,10 %), tandis que les personnels contractuels ont augmenté de 4 431 agents entre 2017 et 2021 (données 2022 indisponibles), soit + 12,12 % ([31]).
Dans le rapport pour avis établi l’année précédente sur la même mission, il était indiqué qu’au final, aucune formation n’avait été proposée à 125 000 candidats et que près de 300 000 n’avaient pas obtenu la formation de leur choix ([32]). En 2023, selon la note du ministère parue en octobre ([33]), 87,8 % des 917 000 candidats de la session 2023 de Parcoursup ont reçu au moins une proposition d’admission, et 79 % d’entre eux en ont accepté une. Ces chiffres paraissent à première vue satisfaisants en pourcentage. Mais, convertis en effectifs, cela signifie que 112 000 étudiants n’ont reçu aucune proposition de formation et que 168 000 étudiants n’ont pas accepté la proposition qui leur avait été faite. Au total, 280 000 étudiants n’ont donc pas obtenu la formation de leur choix sur Parcoursup.
Si l’on écarte les candidats en reprise d’étude et que l’on se focalise sur les 622 000 lycéens, 40 430 d’entre eux n’ont reçu aucune proposition et 96 474 n’ont pas accepté la proposition qui leur avait été faite. Ainsi, 136 904 lycéens ont dû renoncer aux études supérieures ou choisir des formations privées hors Parcoursup. Selon les chiffres du service statistique du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui se concentrent sur les 577 000 bacheliers de 2023, le nombre de lycéens qui n’ont pas obtenu la formation de leurs choix demeure élevé depuis 2018, oscillant entre 105 000 et 125 000, soit entre 17 et 21 % des bacheliers.
Source : SIES
Le ministère indique que ces lycéens ont suivi d’autres projets. Mais les solutions hors Parcoursup sont surtout des formations privées professionnalisantes, dans la mesure où les autres types de formations privées ont déjà été intégrée à la plateforme Parcoursup, expliquant la hausse des formations proposées en 2023.
Concernant le niveau master, 209 207 candidats ont validé au moins un vœu sur la nouvelle plateforme lors de la session de candidature pour la rentrée 2023. 9 848 candidats étaient d’un niveau bac+2 et donc non-éligibles au master. Au 15 septembre 2023, alors que d’ultimes recrutements pouvaient encore avoir lieu, 156 010 candidats ont reçu une proposition d’admission ([34]). Cela signifie donc que 43 349 étudiants n’ont pas obtenu de formations en master, ce qui représente 21,7 % des éligibles. Ceci démontre l’insuffisance de l’offre en niveau master. Certains étudiants sont donc contraints de choisir des formations professionnalisantes privées ou d’abandonner leur projet de poursuite d’études en master.
Auditionnée par le rapporteur pour avis, Mme Aurélie Biancarelli-Lopes, adjointe au maire de Marseille, remarque qu’un article du Financial Times classe l’école publique de management de Marseille à la 6e place mondiale des écoles de management. L’université peut donc fournir aux étudiants des formations de très haut niveau, bien meilleure que celles privées facturées sur le même territoire à plusieurs milliers d’euros. Mais les universités ne disposent pas des moyens nécessaires pour augmenter les effectifs et même faire connaître leur formation, face à un secteur privé qui investit massivement dans la communication à destination du public lycéen et étudiant.
L’exemple de la concurrence entre public et privé est significatif à Marseille. Selon l’élue auditionnée, le désengagement de l’État de l’enseignement supérieur public conduit le service public à ne plus répondre, ni aux besoins des étudiants, ni aux « besoins » du marché du travail. Le privé profite de ce désengagement pour se développer, avec une qualité pédagogique souvent inférieure. Les exemples sont localement très nombreux : concernant le design, il existe de très bonnes formations BTS à Marseille, mais pas assez de places. Un BTS en biologie médicale a risqué de fermer après la pandémie de covid-19 à proximité de la Timone. Dans le secteur du numérique, l’université Aix-Marseille présente de très bons taux d’insertion professionnelle avec Polytech Marseille, mais n’a pas les moyens d’accueillir tous les étudiants candidats, ce qui permet au privé de s’étendre massivement.
C. La montée en puissance de l’apprentissage
241 000 candidats ont choisi une formation en apprentissage en 2023, ce qui représente une croissance de 11,6 % par rapport à 2022. Cette augmentation est plus forte pour les lycéens généraux et technologiques (+ 29 % de lycéens généraux par rapport à 2022 ; + 21 % de lycéens technologiques par rapport à 2022), même si, globalement, les lycéens professionnels restent plus nombreux que les lycéens généraux et technologiques à faire des vœux en apprentissage ([35]) . Le nombre de candidats qui formulent uniquement des vœux en apprentissage sur Parcoursup a aussi progressé de 16,1 % par rapport à 2022 ([36]).
Évolution des effectifs par diplôme préparé
|
Effectifs au 31 décembre |
Évolution 2021-2022 |
Évolution 2018-2022 |
||||
2010 |
2018 |
2020 |
2021 ([37]) |
2022 |
|||
BTS/BTSA |
49 965 |
72 608 |
109 480 |
156 824 |
178 914 |
14,1 % |
146 % |
DUT |
5 548 |
7 669 |
9 393 |
8 013 |
inclus dans autres certifications ? de niveau 5 |
|
|
Autres certifications de niveau 5 |
6 561 |
8 274 |
16 667 |
26 728 |
37 175 |
7 % |
442 % |
Total niveau 5 |
62 074 |
88 551 |
135 540 |
191 565 |
216 089 |
12,8 % |
144 % |
Licence et Licence professionnelle (hors BUT) |
11 943 |
20 907 |
34 602 |
43 062 |
43 694 |
1,5 % |
109 % |
BUT |
|
|
|
2 332 |
12 438 |
433,4 % |
|
Autres certifications de niveau 6 |
7 246 |
10 675 |
44 392 |
73 621 |
92 139 |
25,2 % |
763 % |
Total niveau 6 |
19 189 |
31 582 |
78 994 |
119 015 |
148 271 |
24,6 % |
369 % |
Diplômes d’ingénieurs |
12 706 |
24 396 |
27 185 |
29 950 |
32 824 |
9,6 % |
35 % |
Master |
9 522 |
19 394 |
28 185 |
39 593 |
44 795 |
13,1 % |
131 % |
Autres certifications de niveau 7 |
7 914 |
15 877 |
53 427 |
99 506 |
134 282 |
34,9 % |
746 % |
Total niveau 7 |
30 142 |
59 667 |
108 797 |
169 049 |
211 901 |
25,3 % |
255 % |
Total enseignement supérieur |
111 405 |
179 800 |
323 331 |
479 629 |
576 261 |
20,1 % |
221 % |
Total Apprentis niveau 4 et 3 |
314 875 |
268 327 |
306 304 |
354 434 |
377 329 |
6,5 % |
41 % |
Total Apprentis tous niveaux |
426 280 |
448 127 |
629 635 |
834 063 |
953 590 |
14,3 % |
113 % |
Part de l’enseignement supérieur |
26,1 % |
40,1 % |
51,4 % |
57,5 % |
60 % |
|
|
Différents acteurs auditionnés ont souligné le rôle de l’apprentissage dans la progression du secteur privé. Comme l’a souligné la CGE, « les officines font de leur absence sur Parcoursup un argument marketing supplémentaire, promettant un contrat d’apprentissage à la clé, ce qui n’est pas toujours le cas in fine, les familles devant alors débourser des frais de scolarité très importants ».
Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de Ionis a rappelé que la loi sur l’apprentissage a conduit à libéraliser le secteur et ouvert la possibilité de transformer tout type d’acteur en centre d’apprentissage. Selon lui, ce développement de l’apprentissage dans le supérieur a créé « beaucoup de désordre dans la lisibilité des formations ». Pour les écoles validées par la Commission des titres d’ingénieur ou pour celles validées par la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion, les risques apparaissent limités en raison des contrôles existants. Ce n’est pas le cas pour les écoles sans validation de ce type, où il peut être difficile pour les familles de faire la différence « entre par exemple l’Etna qui est spécialisée dans l’informatique depuis 20 ans et l’école Tartempion qui a acheté un titre RNCP et qui vient d’ouvrir au coin de la rue ». Des gardes fous doivent donc être mis. M. Bardèche suggère de compléter le cadre juridique sur l’apprentissage par des notions de contenu et de durée dans les référentiels de compétence. Les risques sont aujourd’hui importants avec certaines écoles qui promettent des formations en six mois en apprentissage, ce qui ne garantit pas aux étudiants une formation suffisamment poussée qui leur permettrait d’être réellement bien positionnés sur le marché du travail.
D. Parcoursup, une plateforme utilisée comme une vitrine par certains acteurs du privé lucratif
En 2023, Parcoursup propose 23 129 formations, dont 9 000 en apprentissage, contre respectivement 21 0000 et 7 500 l’an dernier. En 2019, seules 3 100 formations en apprentissage étaient proposées sur la plateforme ([38]).
Parmi les formations proposées sur Parcoursup, 13 830 sont publiques, dont 2 871 avec apprentissage (21 %). 9 289 sont donc des formations privées, dont 6 318 en apprentissage (68 %). En 2023, 4 502 formations sont des formations privées sous contrat, contre 4 482 en 2022. 3 567 formations relèvent du privé hors contrat en 2023, contre 2 545 en 2022, soit 1 222 de plus en un an. Cette progression de 48 % de l’apprentissage au sein des établissements privés hors contrat est à rapprocher de l’augmentation d’à peine 4,4 % de l’apprentissage sous contrat et de seulement 3,6 % pour l’offre publique ([39]).
Initialement, sur Parcoursup, les formations privées relevaient soit des Eespig, soit des formations diplômantes. Mais depuis 2021, certaines formations privées en apprentissage sont entrées sur la plateforme, sans les évaluations propres au statut d’Eespig et aux formations diplômantes.
Cette forte croissance du privé hors contrat sur Parcoursup procure à plusieurs formations privées une vitrine, qui vaut gage de qualité pour les familles, alors même que certaines formations délivrent des titres professionnels insuffisamment évalués.
Le secteur privé regroupe au total 766 811 étudiants ([40]), les formations privées sont encore très majoritairement hors de Parcoursup. Elles peuvent ainsi en parallèle sélectionner comme elles le souhaitent en utilisant un marketing agressif et ainsi attirer les étudiants avant la fin de la procédure de Parcoursup.
E. D’importants investissements financiers
La croissance de l’enseignement supérieur privé tient également à l’intérêt que les grands groupes de ce secteur représentent pour les investisseurs du monde entier. En particulier, des fonds de pension nord-américains voient dans ces produits un placement de long-terme, résilient et très rentable, les étudiants constituant souvent une clientèle captive tout au long de leur formation dans le privé. Ces investissements sont d’autant plus attractifs qu’ils sont souvent considérés, comme l’ont souligné les chercheurs auditionnés, comme des placements inscrits dans une démarche de développement durable.
Bpifrance joue aussi un rôle moteur dans le développement du supérieur privé lucratif en France. En effet, comme l’a expliqué lors de son audition le directeur exécutif des activités d’investissement direct dans les petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises de Bpifrance, M. José Gonzalo, Bpifrance a investi dans dix groupes ou établissements d’enseignement supérieur privé, parmi lesquels Galileo Global Education, Omnes Education, AD Education et le Collège de Paris.
Les taux de rentabilité des grands groupes de ce secteur seraient, selon M. José Gonzalo, « toujours à deux chiffres, parfois même à plus de 20 % ».
Bien que l’auditionné ait soutenu que « la rentabilité passe après la qualité pédagogique », il est ressorti de l’audition que Bpifrance ne dispose pas des moyens d’évaluer précisément la qualité pédagogique des formations qu’elle finance en partie. Ainsi, toujours selon l’auditionné, la sélection des écoles répond à la nécessité de développer des « formations qui répondent aux besoins des marchés de l’emploi », mais aussi à l’existence au sein de ces écoles de diplômes certifiés et enfin au taux d’employabilité qu’elles affichent. Or, sur ce dernier point, l’auditionné a concédé que Bpifrance s’en tenait principalement aux taux d’employabilité revendiqués par les écoles, sans disposer des moyens de véritablement les vérifier.
Le rapporteur pour avis s’interroge sur la pertinence d’investir de telles sommes d’argent public dans des formations de qualité variable. Comme le reconnaît M. José Gonzalo, « nous n’avons pas d’évaluateurs professionnels sur chacun de nos secteurs d’investissement ». Les critères de sélection sont relativement flous, l’employabilité étant évaluée sur la base du déclaratif de ces écoles. Il n’existe aucun véritable contrôle a posteriori des formations proposées, puisque l’évaluation du titre se fait a priori. Ces formations font en outre concurrence aux formations supérieures du public, qui souffrent d’un manque criant de moyens financiers. Le rapporteur note par ailleurs que la détention d’une majorité des parts de groupes comme Galileo Global Education par des acteurs français (dont la holding Thetys appartenant à la famille Bettencourt) ne garantit ni la qualité des formations dispensées, ni un véritable contrôle des activités de ce groupe.
F. L’entrée d’anciens membres du gouvernement dans des groupes d’enseignement supérieur privé
Depuis 2018, la Haute autorité à la transparence de la vie publique (HATVP) a contrôlé la mobilité professionnelle de 18 agents ou responsables publics vers l’enseignement supérieur privé. La plupart d’entre eux sont recrutés par des grands groupes (Educin Topco, Kedge Business School, IRIS, Galileo Global Education…), d’autres se dirigent vers des entreprises plus périphériques. Parmi ces 18 mobilités, 2 ont été jugées incompatibles, 13 compatibles avec réserves, et seulement trois compatibles. La HATVP mentionne en particulier quatre projets de mobilités :
– ceux de Mme Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail, et de M. Martin Hirsch, ancien directeur général de l’assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), qui ont rejoint le groupe Galileo Global Education en 2022, la première en tant que membre du conseil d’administration et le second comme vice‑président exécutif ;
– celui de Mme Frédérique Vidal, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui souhaitait rejoindre en 2022 le groupe SKEMA Business School ;
– celui de Mme Charline Avenel, ancienne rectrice de l’académie de Versailles, qui a rejoint en 2023 le groupe Ionis.
Il n’est pas anodin que deux anciennes ministres, qui ont joué un rôle fondamental dans la progression de ce secteur, aient cherché à se reconvertir au sein d’écoles ayant bénéficié des politiques qu’elles avaient mises en œuvre au gouvernement.
En plus de profiter de l’expérience et des contacts d’anciens ministres, ces établissements ou groupes du supérieur privé lucratif ont également gagné en crédibilité, en reconnaissance et en visibilité grâce à ces recrutements d’anciens ministres ou hauts-fonctionnaires.
G. des Politiques publiques favorisant le privé
Selon certains chercheurs auditionnés par le rapporteur pour avis, les gouvernements ont sciemment favorisé l’émergence du privé en partant du principe qu’il serait plus efficace que le service public. Ce présupposé est remis en cause par les travaux des chercheurs auditionnés. Un des arguments souvent invoqués est que les frais de scolarité entre 8 000 et 12 000 euros sont similaires aux coûts du public – la dépense par étudiant est de 9 656 euros en moyenne en 2023 sur la base des charges d’établissement et de 7 731 euros sur la base de la subvention pour charges de service public. C’est une erreur de raisonnement « phénoménale » selon le sociologue M. Joël Lallier. La comparaison s’effectue entre d’une part un coût correspondant uniquement à la formation et d’autre part un coût qui comprend non seulement les formations, mais aussi la recherche. Le représentant de Ionis entendu par le rapporteur pour avis a d’ailleurs reconnu que les formations privées professionnalisantes n’auraient jamais les moyens d’investir dans la recherche à la hauteur des investissements réalisés dans le public. Le coût d’une formation en licence a été récemment estimé par le Conseil d’analyse économique à 3 730 euros. Le public est donc beaucoup moins coûteux pour la société que le secteur privé. De surcroît, l’argent que les familles dépensent dans le financement d’écoles privées fait mécaniquement défaut à d’autres secteurs d’activité. Pire, il n’est pas rare que les familles et les étudiants soient obligés de s’endetter. Cette situation alimente la fracture sociale et construit peu à peu un système d’enseignement supérieur aux antipodes du projet républicain d’émancipation par le savoir accessible à toutes et tous.
La mise en avant de la compétition internationale par le classement de Shanghai est une autre façon pour les gouvernements successifs de justifier un tournant anglo-saxon de notre système de recherche et d’enseignement supérieur. Cette dynamique tend à substituer à une logique de services publics celle d’une mise en concurrence de tous les acteurs : compétition des universités publiques entre elles et compétition entre le secteur public et le secteur privé. La mise en compétition des acteurs pour la production et le partage des savoirs ne produit pas mécaniquement une amélioration des services rendus, mais dégrade au contraire la recherche. Notamment, dans un contexte de manque de places dans le secteur public, chaque acteur privé qui s’installe avec un marketing agressif est assuré de trouver des clients pour ses formations. Ce pseudo marché favorise les arnaques. Par ailleurs, la baisse des moyens et la concurrence avec des formations ne réalisant pas de recherche tendent à baisser la qualité de toutes les formations. Indexer la valeur d’une formation à un signal prix des frais de scolarité constitue une « aberration », pour reprendre les mots de M. Lallier. Cette logique des prix a même été introduite dans le public via le dispositif « Bienvenue en France ».
Les politiques européennes favorisent aussi ce développement du secteur privé. Comme indiqué au cours des auditions, le master erasmus mundus est subventionné massivement par l’Union Européenne à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par master, mais à la condition d’introduire des frais de scolarité. Cette aide de l’Union européenne est temporaire et, au bout de 5 ou 6 ans, une fois que le master est bien implanté dans la communauté éducative, il perd ses subventions et doit alors s’auto-financer avec des frais de scolarité. Certaines organisations syndicales estiment que ce mécanisme induit la création de véritables start-up de l’enseignement supérieur.
La progression du secteur privé et ses dérives procèdent donc d’une dynamique de fond qui vise à progressivement remplacer, comme dans le secteur de la santé, le service public par des services privés à but lucratif. Par conséquent, il est illusoire selon les chercheurs auditionnés de croire qu’il est possible de simplement « mieux organiser » le marché en améliorant l’évaluation des formations et en informant mieux les familles. Pour reprendre une image évocatrice citée lors des auditions, « c’est comme si on pensait en finir avec l’obésité uniquement en utilisant le nutri-score ». On ne saurait donc se limiter à déplorer simplement « quelques brebis galeuses du privé », en agissant via la répression des fraudes ou un nouveau label. Il convient plutôt d’analyser les dynamiques de fond qui sont à l’œuvre.
III. des conséquences néfastes pour les étudiants, les familles et la société dans son ensemble
A. L’accroissement des inégalités sociales dans l’enseignement supérieur
Le 16 octobre 2023, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a rendu des observations sur la France concernant l’enseignement supérieur :
« 56. Le Comité est préoccupé par les difficultés à accéder à l’enseignement supérieur pour les étudiants issus de milieux socio-économiques défavorisés et pour ceux des régions où les possibilités d’enseignement supérieur sont limitées. Le Comité s’inquiète de la baisse constante du budget par élève alloué par l’État, ce qui est contraire à l’obligation d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte (…)
« 57. Le Comité recommande à l’État partie de déployer les moyens nécessaires afin de rendre accessible l’enseignement supérieur à tous en pleine égalité, en tenant compte des besoins des étudiants issus de milieux socio-économiques défavorisés et des régions où les possibilités d’enseignement supérieur sont limitées. Le Comité recommande également à l’État partie de revoir l’allocation du budget à l’enseignement supérieur visant à l’instauration progressive de la gratuité de celui-ci. »
Ces observations des Nations unies corroborent les corrélations entre enseignement supérieur privé et inégalités sociales, mis en évident dans plusieurs recherches récentes. Ainsi, une étude de l’agence française de développement (AFD) publiée en 2020 montrait à partir d’une comparaison internationale que le développement des « institutions d’enseignement supérieur privées creuse les inégalités entre étudiants, à l’entrée dans l’enseignement supérieur privé, durant le parcours universitaire et en matière de valorisation des titres universitaires sur le marché́ du travail » ([41]).
Il ressort par ailleurs des auditions que le secteur du supérieur privé est très hétérogène et ségrégué, avec différentes catégories d’écoles, certaines répondant à la demande des « élites » (classes supérieures qui font des écoles de commerce), d’autres aux demandes des classes populaires (écoles privées délivrant des titres professionnels). Cette hiérarchisation entre écoles prend appui, reproduit et approfondit des segmentations sociales existantes.
En outre, comme le montre la note du conseil d’analyse économique (CAE) publiée décembre 2021, il existe une forte corrélation entre le coût d’un diplôme et les revenus que pourront escompter les diplômés (voir figure ci-dessous). Cela confirme qu’une puissante sélection par l’argent s’opère dans l’enseignement supérieur. Le développement des établissements privés, avec leurs frais de scolarité élevés, ne peut que renforcer cette tendance.