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N° 1805

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2023.

 

 

AVIS

 

 

 

PRÉSENTÉ

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2024,

 

 

TOME I

 

SANTÉ

 

 

 

PAR M. Sébastien PEYTAVIE,

 

Député.

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  1680, 1745 (annexe n° 41).

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

I. Première partie : l’évolution des crédits de la mission Santé

A. La mission Santé dans le projet de loi de finances pour 2024

B. Programme 183 : Une solidarité nationale indispensable en faveur des plus vulnérables

C. Programme 204 : Une disproportion entre des enjeux majeurs et une action publique inadaptÉe

D. Programme 379 : Des financements temporaires liés à la crise sanitaire

II. Seconde partie : les nouveaux indicateurs et nouvelles approches pour remettre la santé et le bienêtre au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires

A. La France, auparavant motrice, semble passer à côté du virage vers de nouvelles politiques de santé et de bien-être

1. La France a perdu son avance en matière d’indicateurs guidant l’action publique

a. Du rapport Stiglitz à la loi Sas, un élan auparavant prometteur...

b. … qui semble aujourd’hui à l’arrêt

2. Des politiques publiques et budgétaires nationales inadaptées aux enjeux de santé et de bien-être

3. Un virage vers de nouvelles politiques de santé et de bien-être est en cours à différentes échelles

a. Un « virage vers le bien-être » observé au niveau mondial

b. Un mouvement porté par les organisations internationales

c. Des initiatives riches et variées au niveau local

B. Refonder l’action publique autour de la santé et du bienêtre

1. Adopter une vision intégrée de la santé pour redéfinir politiquement les grands objectifs qui doivent guider l’action publique

2. Définir des indicateurs conformes à cette vision

3. Garantir une diffusion large et durable des objectifs et indicateurs

4. Favoriser l’expertise et l’évaluation des politiques publiques au prisme de la santé et du bien-être

5. Vers une restructuration profonde des politiques publiques

Travaux de la commission

I. Audition de la ministre

II. Examen de l’avis du rapporteur

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

Annexe 2 : Indicateurs de richesse nationale, comparaison entre France et Union européenne ()

Annexe 3 : Extraits du rapport de l’OCDE « Comment va la vie ? » de 2020 ()

 


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Avant-propos

La mission Santé peut sembler représenter un périmètre restreint : les crédits présentés dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 s’élèvent « seulement » à 2,3 milliards d’euros environ. Ce montant, limité au regard du budget de l’État et, a fortiori, de la protection sociale, ne doit toutefois pas nous induire en erreur : cette mission est porteuse d’enjeux majeurs pour notre pays, qui la dépassent largement.

Ce sont ces enjeux que j’ai cherché à explorer au cours de mes travaux sur les nouveaux indicateurs et les nouvelles approches pour remettre la santé et le bien‑être au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires, présentés dans la seconde partie de cet avis budgétaire. Pour cela, j’ai conduit de nombreuses auditions, de décideurs publics mais aussi de statisticiens, de chercheurs, d’élus locaux ou encore de représentants d’institutions internationales.

Le constat est sans appel : il est grand temps de placer la santé et le bien‑être au cœur de nos politiques publiques. Ils ne constituent pas des politiques parmi tant d’autres, mais bien plutôt la matrice qui doit définir et guider l’action publique. Dans cette perspective, le législateur est appelé à adopter une vision intégrée de la santé pour redéfinir clairement les grands objectifs de l’action publique et les indicateurs permettant de faciliter leur atteinte. Cette intervention est d’autant plus urgente que, près de quinze ans après la publication du rapport « Stiglitz » ([1]), le produit intérieur brut (PIB) occupe encore une place écrasante, que le Gouvernement n’a pas remise en cause malgré l’impulsion apportée par la loi Sas en 2015 ([2]).

De nouvelles approches, comme le concept d’Une seule santé (One health) ou l’idée de « pleine santé » théorisée par l’économiste Éloi Laurent, sont aujourd’hui développées à plusieurs échelles. Elles sont porteuses d’un renouveau démocratique et politique certain et doivent nourrir la réorientation des politiques publiques. L’heure est venue de faire entrer notre État dans l’ère de la santé et du bien‑être et d’intégrer la France dans le virage en cours au niveau mondial.

Il serait toutefois impossible de conclure cet avant-propos sans exprimer de vifs regrets quant à l’engagement attendu de la responsabilité du Gouvernement sur la seconde partie du PLF pour 2024, comme sur tant d’autres textes déjà. Ce faisant, le Gouvernement perturbe considérablement nos travaux et prive les parlementaires de leur droit d’amendement. Il écourte ainsi la délibération démocratique et, en bridant l’expression de la volonté générale, empêche un débat en séance publique sur des enjeux aussi cruciaux que ceux que recouvre cet avis.

I.   Première partie : l’évolution des crédits de la mission Santé

A.   La mission Santé dans le projet de loi de finances pour 2024

● La mission Santé se compose de trois programmes placés sous l’autorité du ministre de la santé et de la prévention :

– le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ;

– le programme 183 Protection maladie ;

– le programme 379 Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR), créé par la loi de finances pour 2023 ([3]).

● Elle est dotée de deux indicateurs généraux présentés comme « les plus représentatifs » :

– l’indicateur général 1.1 relatif à l’état de santé perçue et correspondant au pourcentage de la population de 16 ans et plus se déclarant en bonne ou très bonne santé générale ;

INDICATEUR 1.1 : ÉTAT DE SANTÉ PERÇUE -
POURCENTAGE DE LA POPULATION DE 16 ANS ET PLUS SE DÉCLARANT EN BONNE OU TRÈS BONNE SANTÉ GÉNÉRALE

– l’indicateur général 1.2 relatif à l’espérance de vie en bonne santé.

INDICATEUR 1.2 : ESPÉRANCE DE VIE EN BONNE SANTÉ

À la lumière de ses auditions et dans le prolongement des alertes de ses prédécesseurs, le rapporteur souligne l’insuffisance de tels indicateurs – pourtant pertinents sur le principe – dès lors qu’ils restent généralistes et reflètent des moyennes, n’étant déclinés ni selon les spécificités régionales, ni selon les disparités sociales.

● Les crédits affectés à la mission Santé dans le PLF 2024 connaissent une baisse très significative (‑ 30,3 %) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et s’élèvent à près de 2,347 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Cette baisse trouve avant tout son explication dans celle des crédits du programme 379 (‑ 53,02 %), lequel avait vocation à être temporaire. Si les programmes 204 et 183 connaissent respectivement une hausse (+ 3,43 %) et une très légère baisse (‑ 0,33 %), ces évolutions apparentes doivent être resituées dans un contexte de forte inflation.

RÉCAPITULATION DES CRÉDITS PAR PROGRAMME ET ACTION POUR 2023 ET 2024

Source : projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé.

● Il apparaît ainsi que, dans la continuité des années précédentes, la mission Santé recouvre des ambitions et mesures éparses et ne comporte en rien les moyens véritables d’une politique publique ambitieuse en faveur de la santé et du bien-être. Son contenu demeure hétérogène et, en étant insuffisamment articulé avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et avec l’ensemble des prestations de protection sociale, il participe d’une fragmentation qui prive le législateur de toute marge de manœuvre pour améliorer significativement la santé publique.

B.   Programme 183 : Une solidarité nationale indispensable en faveur des plus vulnérables

Le programme 183 Protection maladie représente la majeure partie des crédits de la mission Santé et recouvre des enjeux particulièrement importants, qui expriment la solidarité nationale avec les plus vulnérables.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 183 ENTRE 2024 ET 2023

(en euros)

Source : projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé.

● La quasi-intégralité des crédits de cette mission sont relatifs à l’action liée à l’aide médicale de l’État (AME), qui assure la prise en charge des frais de santé des personnes étrangères démunies ne pouvant accéder à la protection universelle maladie, car ne remplissant pas les conditions de régularité du séjour. Malgré les polémiques incessantes, la dépense qui lui est associée est cette année en légère baisse (‑ 0,33 %), à près de 1,208 milliard d’euros. Démontant toute idée de fraude ou d’abus généralisé, le projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé révèle que seuls 2,7 % des dossiers contrôlés en 2022 ont présenté une anomalie menant à un rejet.

Cette prestation nous honore et doit de toute évidence être préservée. En plus d’être la manifestation du principe de fraternité et de la solidarité qui fondent notre contrat social et notre République, l’AME est une mesure de bon sens et de santé publique : personne n’a intérêt à laisser ces populations sans soins. Une telle évidence n’a pu qu’être renforcée par la crise sanitaire, qui a montré de façon éclatante que la santé est notre bien commun.

Ainsi, c’est bien plutôt le non-recours à cette prestation qui devrait alarmer. Il n’est même pas abordé par le projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé, qui ne comporte à ce jour aucun indicateur sur ce point. Pourtant, comme le montrait déjà une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) publiée en 2019 ([4]), seules 51 % des personnes qui y sont éligibles bénéficient de l’AME.

Aussi, la mise en place par la Première ministre en octobre 2023 d’une mission visant à évaluer l’AME, en vue d’éventuelles évolutions de cette prestation, constitue une perspective qui interroge, voire qui inquiète. En tout état de cause, cette mission ne sera fructueuse que si elle parvient à dissiper les clichés et les préjugés qui affectent cette prestation. Une réflexion plus large portant spécifiquement sur l’universalisation de la protection maladie et sur l’inclusion de l’AME dans le régime général de la sécurité sociale aurait semblé plus pertinente. Elle se serait alors inscrite dans la lignée des réflexions engagées depuis plusieurs années par de nombreuses institutions, telles que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ([5]) ou le Défenseur des droits, lequel alerte sur la fragilisation du droit à la protection de la santé résultant de l’accès différencié à la couverture maladie pour les personnes couvertes par l’AME ([6]).

● Les crédits portant sur la seconde action de ce programme, relative au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva), sont quant à eux constants et s’élèvent à 8 millions d’euros. Cette action garantit l’équité de traitement entre les victimes des conséquences de l’exposition à ce matériau, qui peuvent ainsi obtenir réparation de leurs préjudices dans un délai rapide et selon une procédure simplifiée.

C.   Programme 204 : Une disproportion entre des enjeux majeurs et une action publique inadaptÉe

Le programme 204 incarne en théorie des enjeux tout à fait essentiels – la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins – il ne comprend en pratique que des interventions marginales et éparses du ministère de la santé en la matière.

Dans son ambition globale, ce programme se veut en lien avec la stratégie poursuivie en 2024 en termes de prévention, de sécurité sanitaire et d’offre de soins et en pleine cohérence avec la nouvelle stratégie nationale de santé (SNS) en cours de finalisation. Le projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé souligne ainsi « l’importance de poursuivre la réduction des inégalités en matière de santé et l’amélioration des déterminants socio-environnementaux et comportementaux de la santé ».

L’étude du contenu de ce programme, de l’approche dans laquelle il s’insère et de l’évolution des crédits associés montre qu’il est très loin d’être à la mesure des enjeux qui le traversent. La seconde partie du présent avis budgétaire permet d’en prendre la mesure et délivre des pistes d’action pour apporter une réponse à la hauteur de ces enjeux et mettre en place une véritable stratégie de prévention et de promotion de la santé.

Ainsi, le programme 204 comprend deux grands objectifs :

– améliorer l’état de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé ;

– prévenir et maîtriser les risques sanitaires.

Les indicateurs de performance reliés à ces objectifs semblent toutefois très imparfaits, à l’image des trois indicateurs censés permettre de mesurer l’atteinte du premier objectif : le taux de couverture vaccinale contre la grippe chez les personnes de 65 ans et plus, le taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal pour les personnes de 50 ans à 74 ans ainsi que la prévalence du tabagisme quotidien en population de 18 ans à 75 ans. La direction générale de la santé, auditionnée par le rapporteur, reconnaît elle-même le caractère perfectible de ces indicateurs.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 204 ENTRE 2024 ET 2023

(en euros)

Source : projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé.

Les crédits du programme apparaissent dans le PLF 2024 en hausse (+ 3,43 %) par rapport à l’exercice précédent et s’élèvent à près de 223,4 millions d’euros. Ce montant, qui représente de toute évidence une somme extrêmement faible au regard des enjeux, à articuler avec les dépenses de protection sociale qui ne sont pas prises en charge par l’État, masque des disparités importantes entre les différentes actions qui composent le programme.

Les crédits affectés à l’action 11, qui vise à structurer, rationaliser et mieux piloter les actions de santé publique, constituent le premier poste de dépenses du programme (31,6 % des crédits) et connaissent une hausse annuelle (+ 4,40 %), à près de 71,5 millions d’euros en CP après avoir baissé l’an passé. Bien que finançant des mesures nécessaires, telles que des interventions associatives ou la recherche dans le domaine de la santé publique, ces crédits incarnent une approche budgétaire du pilotage de la santé et une perspective nationale trop éloignée des besoins et des réalités de terrain.

L’action 12, qui vise à améliorer la santé des populations et à réduire les inégalités d’accès aux soins, incarne parfaitement la disproportion entre les ambitions du programme et ses moyens : elle en représente 0,5 % des crédits, soit 1,01 million d’euros en CP, et connaît en outre une baisse annuelle de près de 17,9 %.

Les crédits de l’action 14 baissent quant à eux de 9,76 % par rapport à la LFI 2023 et s’élèvent à moins de 47 millions d’euros, alors que cette action entend prévenir les maladies chroniques et favoriser la qualité de vie des malades, deux dimensions majeures compte tenu des données alarmantes sur la santé mentale en France, du vieillissement de la population et de la prégnance des inégalités sociales.

L’action 15, qui regroupe des crédits affectés aux mesures de prévention des expositions à des risques pour l’homme liés à l’environnement et à l’alimentation, connait une hausse modérée (+ 1,94 %) pour 2024, qui reste très en deçà de l’inflation et traduit notamment la portée insuffisante du Plan national santé environnement 4 (PNSE 4) mis à jour en 2021.

Portant sur la veille et la sécurité sanitaire, l’action 16 est d’une ampleur très modeste (4,9 % des crédits du programme) et connaît pour 2024 une nouvelle hausse massive, ses crédits augmentant de 199,4 % par rapport à la LFI 2023. L’augmentation résulte principalement de la mise en place de crédits (7,2 millions d’euros) dédiés à la constitution des stocks européens RescUE face aux risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques).

L’action 17, qui concerne la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins, dispose de crédits constants mais modestes (4,38 millions d’euros).

Enfin, l’action 19, qui représente le second poste de dépenses du programme et porte sur la modernisation de l’offre de soins, voit pour 2024 ses crédits augmenter modérément (+ 3,24 %), à 58,25 millions d’euros en CP. La grande majorité de ces crédits (50,9 millions d’euros en CP) permet en réalité de financer l’Agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna.

D.   Programme 379 : Des financements temporaires liés à la crise sanitaire

Le programme 379 est un programme temporaire ayant vocation à assurer la compensation à la sécurité sociale des dons de vaccins aux pays tiers ainsi que le reversement des recettes de la FRR de l’Union européenne dédiées au volet investissement du Ségur de la Santé, qui représentait 6 milliards d’euros sur cinq ans, intégrés au plan « France Relance » présenté en septembre 2020. Il intègre ainsi le reversement à la sécurité sociale, au titre du Ségur, d’une part des recettes européennes versées aux États membres.

Comme son prédécesseur, le rapporteur ne peut que regretter l’insertion d’un nouveau programme de manière artificielle au sein de la mission Santé, qui dégrade la lisibilité de l’évolution des crédits réellement dédiés à la santé dans le budget de l’État. Le projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé souligne d’ailleurs lui-même que l’action relative au Ségur investissement du PNRR, qui concentre 100 % des crédits du programme, « ne porte pas en tant que telle de politique publique, mais crée un tuyau de financement ad hoc permettant in fine la majeure partie de la compensation des 6 Md€ de dépenses de la sécurité sociale par des crédits européens ».

Le caractère temporaire de ce programme se traduit par une forte baisse (‑ 53,02 %) des crédits qui lui sont alloués dans le PLF 2024, lesquels s’élèvent à 906,9 millions d’euros.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 379 ENTRE 2024 ET 2023

(en euros)

Source : projet annuel de performances pour 2024 de la mission Santé.


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II.   Seconde partie : les nouveaux indicateurs et nouvelles approches pour remettre la santé et le bien‑être au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires

La santé est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » ([7]). S’il existe aujourd’hui en France des politiques publiques de santé, comprenant notamment des dépenses publiques spécifiques ou encore une stratégie nationale de santé, l’action publique ne correspond pas à l’ambition portée par cette définition, qui suppose une impulsion politique décuplée et une réflexion plus globale, portant notamment sur les indicateurs et les approches relatives à ces enjeux. La France, auparavant motrice en la matière, semble aujourd’hui passer à côté du mouvement mondial vers des politiques du bien-être, incarné par l’adoption par la Nouvelle-Zélande en 2019 d’un « budget bien-être ».

A.   La France, auparavant motrice, semble passer à côté du virage vers de nouvelles politiques de santé et de bien-être

1.   La France a perdu son avance en matière d’indicateurs guidant l’action publique

a.   Du rapport Stiglitz à la loi Sas, un élan auparavant prometteur...

La France, il y a près d’une décennie, semblait motrice au niveau mondial en ce qui concerne la réflexion sur les indicateurs de richesse et la prise en compte de la santé et du bien-être dans les politiques publiques.

● En 2008, le Président de la République avait ainsi mis en place une commission à la renommée mondiale – la commission dite « Stiglitz » ([8]) ou « Stiglitz-Sen-Fitoussi », selon le nom des économistes qui l’ont pilotée ([9]), afin de produire une réflexion sur la mesure des performances économiques et du progrès social. Le constat qui fondait cette commission était celui selon lequel les « indicateurs statistiques sont importants pour concevoir et évaluer les politiques visant à assurer le progrès des sociétés, ainsi que pour évaluer le fonctionnement des marchés et influer sur celui-ci » ([10]).

Cette commission a tout particulièrement évalué la pertinence de l’indicateur que constitue le produit intérieur brut (PIB). Dans son rapport final, elle relève notamment que « le choix entre accroître le PIB et protéger l’environnement peut se révéler être un faux choix dès lors que la dégradation de l’environnement est prise en compte de manière appropriée dans nos mesures des performances économiques ». En soulignant que le bien-être est pluridimensionnel, elle indique que celui-ci dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens, et que « les dimensions objective et subjective du bien-être sont toutes deux importantes ».

● Cherchant à concrétiser le recours à de nouveaux indicateurs et outils de mesure pour aller au-delà du PIB et mieux appréhender la richesse et le bien-être, le législateur a adopté en avril 2015 la loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ([11]), dite « loi Sas » ([12]).

Elle dispose que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juin de chaque année, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable cohérents avec les indicateurs de suivi mondiaux du programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Elle précise que ledit rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.

Le premier rapport résultant de l’adoption de la loi Sas a été publié dès le 27 octobre 2015. Il présente dix « nouveaux indicateurs de richesse », comprenant l’espérance de vie en bonne santé mais aussi le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire ainsi que l’empreinte carbone et l’artificialisation des sols.

● Ces initiatives majeures ont pu s’appuyer sur la richesse des travaux scientifiques produits au niveau académique et institutionnel en France, où des réflexions variées et fructueuses sont menées de longue date sur les indicateurs et les nouvelles approches de ces enjeux.

Notre pays dispose d’un appareil statistique extrêmement perfectionné et pouvant être mobilisé au service de l’amélioration des politiques publiques. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publie ainsi annuellement la synthèse des dix nouveaux indicateurs de richesse ([13]), dans le cadre d’un tableau de bord qui précise les définitions et enjeux de chacun des indicateurs ([14]), et produit six de ces indicateurs. L’indicateur d’espérance de vie en bonne santé est construit par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), tandis que les autres indicateurs sont présentés par les services des ministères chargés de l’enseignement et de la recherche, de l’éducation et de l’environnement.

De plus, les chercheurs français, dont l’excellence a pu être observée par le rapporteur au cours de ses auditions, apparaissent au premier rang de la réflexion menée au niveau mondial sur le recours aux indicateurs, l’enrichissement du PIB ou encore la place de la santé et du bien-être dans notre société. Sans procéder à un état de l’art, le rapporteur souligne la qualité des travaux publiés notamment par les instituts de recherche publique et par des chercheurs tels que Marc Fleurbaey, Jean‑Marie Robine, Dominique Méda, Florence Jany‑Catrice ou encore Éloi Laurent ([15]).

Des travaux de grande ampleur sont également publiés au niveau européen, à l’image de l’enquête statistique sur les ressources et les conditions de vie (SRCV), qui conduit à des publications d’Eurostat et comporte une question sur les limitations dans les activités de la vie quotidienne (General Activity Limitation Instrument ou GALI), laquelle permet le calcul de l’espérance de vie sans incapacité par la Drees.

b.   … qui semble aujourd’hui à l’arrêt

Dans son éditorial au rapport du 27 octobre 2015 précité, le Premier ministre soulignait que la « publication de ce rapport n’est pas un aboutissement, mais un point de départ ». Les auditions menées par le rapporteur montrent toutefois que, huit ans après, la France reste très proche de ce point de départ.

● Cela semble tenir, d’une part, à la mise en œuvre insatisfaisante de la loi Sas. Un premier bilan de la loi, dressé lors d’une table ronde organisée à l’Assemblée nationale le 14 mars 2016 en présence d’Éva Sas, et confirmé par les auditions du rapporteur, montre en effet que les indicateurs élaborés subséquemment à la loi ont tendu à diverger de l’ambition portée par le législateur. Les dix indicateurs retenus ont ainsi été sélectionnés par le Gouvernement, d’après une initiative de France stratégie, dont s’est saisi le Conseil économique, social et environnemental. L’économiste Florence Jany-Catrice, auditionnée par le rapporteur, regrette à cet égard que ce processus n’ait pas pris la forme d’une réelle élaboration démocratique.

Les indicateurs retenus restent en outre très partiels, à l’image du taux d’emploi, qui ne permet pas de mesurer le niveau de la qualité des emplois ni le degré de précarisation de la société française qui en résulte. Comme le souligne le collectif Nos services publics, dans une contribution envoyée au rapporteur, un tel indicateur ne nous renseigne pas sur les transformations en cours qui touchent le salariat dans un contexte de chômage massif et sur fond de mondialisation et de bouleversements technologiques et de révolution numérique. Or, de telles informations sont indispensables si l’on veut mesurer le degré de santé sociale ou de cohésion de la société française et éclairer ainsi l’action publique de façon à placer la santé et le bien-être en son cœur.

● Bien plus, il semble évident que l’impulsion politique apportée par la loi Sas n’a pas prospéré et que la volonté formulée par le législateur n’est aujourd’hui pas respectée. Le rapporteur observe que le Gouvernement ne se conforme pas à l’obligation annuelle de remise d’un rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse qui pèse sur lui en application de cette loi. Seuls trois de ces rapports ont ainsi été remis, en 2015 ([16]), 2016 ([17]) et 2019 ([18]).

Une telle irrégularité semble traduire un désinvestissement politique de la question des nouveaux indicateurs de richesse et un dessaisissement subséquent des services gouvernementaux sur ces questions. Il en résulte que la loi Sas n’a pas eu les effets escomptés et que, depuis lors, aucune initiative significative n’a été mise en œuvre et portée politiquement au niveau national en matière d’indicateurs de santé et de bien-être.

2.   Des politiques publiques et budgétaires nationales inadaptées aux enjeux de santé et de bien-être

L’omniprésence du PIB n’a ainsi pas été réellement remise en cause et celui‑ci demeure l’indicateur principal guidant les politiques budgétaires et, conséquemment, l’ensemble des politiques publiques, révélant des stratégies aujourd’hui excessivement court-termistes et basées sur les finances publiques.

● Les défaillances du PIB et d’une approche fondée sur la croissance économique ont pourtant été observées, théorisées et débattues de longue date, notamment depuis le célèbre rapport du club de Rome sur les limites de la croissance, publié en 1972 ([19]). Cet indicateur n’est, selon le consensus établi, qu’une mesure de croissance et de prospérité économiques, qui ne rend pas compte de toute la production économique de manière égale et ne tient pas compte de la valeur produite qui peut être culturelle, sanitaire ou sociale.

● Les auditions du rapporteur montrent que la santé et le bien-être apparaissent encore comme des enjeux trop spécifiques, secondaires et périphériques des politiques publiques, malgré l’ampleur des budgets et des mesures qui leur semblent consacrés. Ce constat avait déjà été dressé par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) qui, dans un avis de juin 2017, relevait que l’effort des pouvoirs publics « n’a jamais été mené à son terme dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé, malgré des avancées réalisées dans les lois de santé publique successives » ([20]).

Cela semble tenir d’une part à des politiques trop disparates en matière de santé et de bien-être. Dans son avis, le HCAAM mettait ainsi en lumière une « dispersion horizontale » de l’action dans ces domaines, relevant qu’il « y a autant de périmètres d’action en matière de santé publique que de types d’interlocuteurs et cela aux différents échelons », avant de constater qu’au « niveau de l’État, l’action en matière de santé publique est disséminée entre plusieurs ministères, sans qu’il soit évident de déterminer une prééminence ».

Ce même constat ressort nettement des auditions du rapporteur, qui montrent l’insuffisante coordination au niveau national, notamment entre les différentes administrations chargées de la mise en œuvre des politiques liées directement ou indirectement à la santé et au bien-être. Ces politiques souffrent d’un cloisonnement encore trop important et d’une interministérialité le plus souvent inexistante ou relative. Il en résulte une mauvaise lisibilité et une mauvaise appropriation des outils et dispositifs mis en œuvre dans ce domaine

● Les textes budgétaires, qu’il s’agisse du projet de loi de finances (PLF) ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), ne dérogent pas à ces constats.

D’une part, leur architecture ne permet pas d’opérer de manière efficiente une connexion entre des enjeux aussi variés et globaux que la santé, le bien-être, la qualité de l’air, l’alimentation ou encore la protection de l’environnement. La mission Santé dans laquelle s’inscrit le présent avis budgétaire en est une excellente illustration, tant elle incarne une approche spécifique d’une problématique globale, par ailleurs largement inarticulée avec le traitement de cette même problématique dans le PLFSS. Comme l’ont reconnu elles-mêmes certaines administrations auditionnées par le rapporteur, les outils actuels ne permettent pas de répondre efficacement aux enjeux multidimensionnels auxquels sont soumises nos sociétés.

L’information contenue dans ces textes reste mal calibrée, c’est-à-dire souvent soit très parcellaire, soit excessive, et reste peu mobilisée par les pouvoirs publics, à l’image de l’annexe au PLF, ou « jaune budgétaire », créée en 2020 à la demande du législateur ([21]) et dédiée à la prévention en santé. De la même façon, les annexes au PLFSS demeurent aussi peu lisibles qu’usitées, comme l’a notamment souligné Dominique Libault au cours de son audition, parce que le Parlement n’a pas été associé à leur définition. Ainsi, l’effort de développement de l’information devant permettre de guider la décision publique, lorsqu’il comprend la mise en œuvre de nouveaux documents ou indicateurs, reste largement à parfaire.

Enfin, la période actuelle met en effet en lumière la pauvreté de l’exercice que constitue l’examen des lois budgétaires par les parlementaires. Dans un contexte marqué par le passage en force systématique du Gouvernement au moyen du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, les députés se voient privés non seulement de leur capacité d’agir mais aussi de la faculté de débattre des sujets tels que la santé. Le rapporteur regrette ainsi vivement que le Gouvernement, cette année comme la précédente, ne semble pas juger nécessaire de débattre en séance publique de la mission Santé.

3.   Un virage vers de nouvelles politiques de santé et de bien-être est en cours à différentes échelles

a.   Un « virage vers le bien-être » observé au niveau mondial

Si la France ne semble pas avoir tiré parti des jalons posés par le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi et la loi Sas, un véritable « virage vers le bien-être » et des initiatives foisonnantes peuvent être observés au niveau mondial et dans plusieurs pays.

Comme l’observe l’Institut national de santé publique du Québec dans un rapport publié en 2022, plusieurs pays ont effectivement pris des mesures significatives visant à renforcer la place du bien-être dans les politiques publiques ([22]). Sont ainsi citées les mesures prises par :

– le Pays de Galles, qui a adopté en 2015 une loi sur le bien-être des générations futures (Wellbeing of Future Generations Act), laquelle identifie les objectifs de bien-être que les autorités publiques doivent s’efforcer d’atteindre afin d’améliorer le bien-être aujourd’hui sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ([23]). Cette loi rénove également la gouvernance de ces politiques, instituant notamment un commissaire aux générations futures pour le pays de Galles et introduisant des indicateurs nationaux ;

– l’Écosse, qui a développé un cadre national de performance (National Performance Framework) mis à jour en 2018 et qui vise à incorporer à la gouvernance nationale des principes d’économie du bien-être, ainsi qu’à fournir à tous les acteurs une vision claire des résultats produits ;

– la Finlande, qui a instauré en 2018 un Agenda 2030, visant à arrimer les politiques publiques et la feuille de route du Gouvernement aux dix‑sept objectifs de développement durable des Nations unies, selon une approche participative mobilisant largement la société ;

– la Nouvelle-Zélande, qui a adopté en 2019 un budget dédié au bien‑être (Wellbeing Budget) afin de conformer les politiques publiques et les processus budgétaires nationaux aux priorités relatives au bien-être établies par l’État.

Si ces politiques et approches demeurent mal connues, les travaux de l’Institut national de santé publique du Québec montrent que, malgré certaines variations, elles trouvent leur raison d’être dans le constat selon lequel la croissance économique ne peut constituer le seul indicateur de progrès et de bien-être. Elles ont pour point commun de reposer sur un cadre de référence comportant des indicateurs de bien-être, ce dernier étant vu comme multidimensionnel (présent et futur ; psychologique ; social, économique ; environnemental ; culturel).

b.   Un mouvement porté par les organisations internationales

Un véritablement mouvement « au-delà du PIB » peut ainsi être observé depuis la publication du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. Il prend notamment appui sur les travaux d’organisations internationales et sur l’impulsion apportée par des instances multilatérales, dont l’appropriation par les pouvoirs publics français reste insuffisante.

● L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) apparaît motrice dans ce domaine. Conformément au mandat qui lui a été donné en 2011, cette organisation a lancé l’Initiative du vivre mieux afin de développer un cadre et de nouveaux outils de mesure du bien-être et du progrès pouvant donner lieu à des comparaisons internationales ([24]). Elle publie tous les deux ans un rapport intitulé « Comment va la vie ? Mesurer le bien-être », dont des extraits concernant la France sont annexés au présent avis et dont la prochaine parution est prévue pour 2024. Ce rapport mobilise des outils qualitatifs et plus de 80 indicateurs couvrant le bien-être actuel, les inégalités et les ressources nécessaires au bien-être futur. Auditionnée par le rapporteur, cette organisation reconnaît toutefois la trop faible mobilisation de ses travaux au niveau national, tout en soulignant qu’aucun des pays membres ne s’est aujourd’hui fixé d’objectifs en matière de bien-être.

● L’Organisation des Nations unies (ONU) a pour sa part mis en œuvre, suite au vote de ses 193 États membres en septembre 2015, un programme de développement durable à l’horizon 2030 intitulé « Agenda 2030 ». Ce dernier dessine une feuille de route détaillée couvrant pratiquement toutes les questions de société et comprend dix‑sept objectifs de développement durable (ODD), déclinés en 169 cibles (ou sous-objectifs). Ainsi, la plupart des ODD ont trait au bien-être et plusieurs d’entre eux sont directement liés à la santé, à l’image de l’ODD n° 3, qui vise à donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien‑être à tous les âges. Pour suivre les progrès accomplis à l’échelle mondiale vers l’atteinte de ces ODD, un jeu de 232 indicateurs a été adopté le 11 mars 2017 par la Commission statistique de l’ONU. Si la France a engagé un travail d’appropriation et a mis en œuvre en 2018 un tableau de bord de 98 indicateurs, qui comprend l’ensemble des nouveaux indicateurs de richesse et constitue un cadre national de suivi, il semble aujourd’hui manifeste que ces objectifs et indicateurs restent méconnus et peu utilisés dans l’élaboration et le déploiement des politiques publiques nationales.

● L’Organisation mondiale de la santé (OMS) apparaît quant à elle pionnière sur le développement du concept « Une seule santé » (One health), qu’elle promeut depuis le début des années 2000. Ce concept développe une approche intégrée de tous les aspects de la santé humaine, la santé animale et la gestion des écosystèmes, proposant une vision systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale, aux échelles locales, nationales et planétaire.

Comme le souligne l’OMS, cette approche est « particulièrement pertinente dans les domaines de la sécurité sanitaire des aliments, de la lutte contre les zoonoses (maladies susceptibles de se transmettre de l’animal à l’homme et inversement, comme la grippe […]) et de la lutte contre la résistance aux antibiotiques (qui survient quand les bactéries changent après avoir été exposées aux antibiotiques et deviennent plus difficiles à traiter) » ([25]). Cette approche est aujourd’hui mise en place à travers une gouvernance originale impliquant un groupe d’experts de haut niveau, une collaboration quadripartite entre organisations internationales ([26]) et une coordination interne au sein de l’OMS.

DÉFINITION DE ONE HEALTH SELON L’ALLIANCE QUADRIPARTITE

Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, L’approche One Health / Une seule santé : des solutions concrètes pour prévenir l’émergence des zoonoses, Théma essentiel, décembre 2022.

● Le sujet des politiques en faveur d’une prospérité durable, sur la base d’une approche systémique de la soutenabilité économique, sociale et environnementale et de son cadre de gouvernance global, trouve également un prolongement et une actualité au niveau de l’Union européenne (UE), qui s’est dotée début des années 2000 d’indicateurs sociaux visant à renforcer la coordination entre États membres ([27]). Dans cette perspective, l’Union a adopté en 2017 un Tableau de bord social comprenant douze indicateurs visant à accompagner le Socle européen des droits sociaux et à être intégré dans le Semestre européen consacré à la coordination des politiques économiques. Si cet outil demeure très imparfait et manifestement inconnu, la Commission européenne, comme l’OCDE, mobilise toutefois d’autres indicateurs dans certains de ses travaux, tels que l’espérance de vie sans incapacité.

Du 15 au 17 mai 2023, une grande conférence sur le thème « Au-delà de la croissance » a par ailleurs été organisée au Parlement européen, à l’initiative de vingt parlementaires de différents partis. Les organisateurs souhaitaient remettre en question les politiques de l’Union et redéfinir ses objectifs sociétaux dans tous les domaines. Ce faisant, ils visaient à s’éloigner de la focalisation sur la seule croissance du PIB comme base de notre modèle de développement et à mettre en pratique l’idée d’une Union post-croissance adaptée à l’avenir, qui combine le bien‑être social et un développement économique viable dans le respect des limites planétaires ([28]).

c.   Des initiatives riches et variées au niveau local

Ces mouvements trouvent un prolongement remarquable au niveau local, y compris en France, où les initiatives sont nombreuses, riches et en pointe à tous les échelons, comme a pu le constater le rapporteur au cours de ses travaux.

La Ville de Lyon s’appuie ainsi sur la définition de la santé donnée par l’OMS pour élargir son approche de la santé et du bien-être et s’est engagée dans un réseau de villes européennes autour de la démarche « Santé des villes, santé des citoyens ». Accompagnée par des chercheurs et mobilisant élus et agents publics, cette collectivité organise son propre système de mesure, faisant usage d’outils d’évaluation participative, dans la perspective de faire émerger une « boussole du bien-être » qui permette d’orienter les débats et choix budgétaires et de peser dans les rééquilibrages éventuellement nécessaires. Cette émulation est permise par une ambition politique forte, servie par des acteurs industriels et universitaires en pointe, à l’image de l’Institut One Health créé à Lyon en 2023 pour former les décideurs publics et privés à l’approche « une seule santé ».

Dans le même esprit, une convention inédite de partenariat « Écologie de la santé » vient d’être signée pour sept ans entre la commune de Montpellier, la métropole et les instituts de recherche du territoire afin de prendre en compte les approches intégrées de la santé, en particulier l’approche Une seule santé.

La pluridisciplinarité de la gouvernance se retrouve dans la région Nouvelle‑Aquitaine qui, de la même façon, travaille sur de nouveaux indicateurs, par exemple en ce qui concerne l’usage de pesticides. Cette collectivité cherche par ailleurs à rénover son action en accordant une place centrale à de nouvelles approches telles qu’Une seule santé, ce qui la conduit à œuvrer pour une souveraineté accrue dans le domaine de la production de médicaments et à lutter contre les déserts médicaux ([29]).

B.   Refonder l’action publique autour de la santé et du bien‑être

1.   Adopter une vision intégrée de la santé pour redéfinir politiquement les grands objectifs qui doivent guider l’action publique

Un constat sans appel se dégage des auditions du rapporteur : il est nécessaire de rénover l’action publique en en redéfinissant les grands objectifs pour placer la santé et le bien‑être au cœur de toutes les politiques publiques et budgétaires. Il convient pour cela d’enrichir considérablement notre approche de la santé en reprenant, et même en dépassant, la définition qui en est donnée par l’OMS.

● Toutes les nouvelles approches et les nouveaux indicateurs précités sont pour cela prometteurs et gagneraient à faire l’objet d’une appropriation politique favorisant leur mobilisation, qu’il s’agisse de l’approche Une seule santé ou encore de l’indicateur d’espérance de vie en bonne santé.

Si leur mobilisation institutionnelle reste faible, le Conseil scientifique Covid-19 s’inscrivait dans un tel état d’esprit en alertant, dans une contribution du 8 février 2022, sur « l’urgence de passer d’une vision univoque de la santé à une vision intégrée, plus englobante et holistique ». Il ajoutait alors que la « crise pandémique nous engage à collectivement mettre en œuvre des changements institutionnels, des activités de recherches transdisciplinaires, des actions concrètes sur le terrain en s’appuyant sur le tissu social, une formation repensée et une éducation de tous - y compris de nos décideurs - afin d’être mieux préparés aux futures émergences infectieuses à travers une approche One Health » ([30]).

Plus récemment, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), dans son avis relatif à l’évaluation du projet de Stratégie nationale de santé 2023‑2033, appelait à « prendre en compte, dans une approche One Health, la connaissance de l’ensemble des facteurs environnementaux (physiques, chimiques, biologiques), les facteurs psychosociaux, socio-économiques, professionnels, comportementaux (exposome), de leurs interactions et de leurs fluctuations au cours du temps et des territoires concernés, pour mieux gérer les risques sur la santé » ([31]).

● D’autres concepts innovants, comme celui de transition vers la « pleine santé » développé par Éloi Laurent, méritent toute l’attention des citoyens et des décideurs publics et constituent des apports théoriques décisifs pour réorienter l’action publique. Ce concept actualise ainsi la définition de l’OMS et est défini par son auteur comme un « état continu de bien-être : physique et psychologique, individuel et social, humain et écologique » ([32]). Une telle définition est nécessaire en ce qu’elle souligne « le caractère holistique de la démarche, la continuité de la santé, qui lie la santé mentale à la santé physiologique, la santé individuelle à la santé collective et la santé humaine à la santé planétaire. La pleine santé est donc une santé d’interfaces, de synergies, de solidarités ». Ce faisant, la pleine santé reconnaît et atténue les inégalités sociales de santé, parmi lesquelles les inégalités sanitaires face aux dégradations environnementales et dans l’accès aux ressources naturelles, à commencer par une alimentation saine.

● En somme, une réflexion collective et une impulsion politique majeure sont aujourd’hui nécessaires pour atteindre ces objectifs et fixer réellement l’amélioration de la santé et du bien-être comme un objectif mobilisateur pour notre société. Les pouvoirs publics sont tout désignés pour cela et l’action du législateur apparaît, dans cette perspective, indispensable et urgente en vue d’inscrire la France dans le virage mondial vers la santé et le bien-être.

2.   Définir des indicateurs conformes à cette vision

● Cette nécessaire impulsion politique devra ensuite se traduire par un travail non moins politique de définition des indicateurs pertinents pour répondre à l’approche définie et atteindre les grands objectifs fixés.

À cet égard, le constat établi sans équivoque par la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2009 reste d’une actualité brûlante : « il est temps que notre système statistique mette davantage l’accent sur la mesure du bien-être de la population que sur celle de la production économique, et il convient de surcroît que ces mesures du bien-être soient resituées dans un contexte de soutenabilité ». Encore récemment, dans un billet de blog, l’Insee apportait d’ailleurs un éclairage sur l’utilisation du PIB en se demandant si celui-ci demeure un indicateur pertinent ([33]).

Le PIB n’est de toute évidence pas un indicateur satisfaisant et il doit être rénové ou, au minimum, enrichi. Il s’agit dès lors de mettre en place « un système statistique suffisamment large pour prendre en compte le plus grand nombre possible de dimensions pertinentes », qui ne peut se focaliser uniquement sur des niveaux moyens de bien-être et doit également rendre compte de la diversité des expériences personnelles et des rapports entre les différentes dimensions de la vie des personnes. À cet égard, des travaux sont menés, notamment par l’Insee, afin de proposer des « comptes nationaux augmentés », tandis que l’économiste Marc Fleurbaey suggère par exemple d’adopter un indicateur reflétant la répartition de la croissante au sein de la population.

● Le choix des indicateurs relève d’une décision éminemment politique. Bien plus que de simples outils statistiques, ceux-ci traduisent en effet des choix politiques et philosophiques et la mobilisation de concepts source de légitimes débats. Ainsi, l’économiste Florence Jany-Catrice, auditionnée par le rapporteur, souligne que le concept même de bien-être peut être perçu comme s’inscrivant dans une approche individualiste et être remis en cause à cette aune.

La temporalité des indicateurs retenus relève elle-même d’une appréciation politique et peut faire l’objet d’appréciations différentes. Il apparaît ainsi que la prééminence du PIB serait en partie liée au caractère annuel, voire trimestriel, de sa publication, lequel est justifié par des évolutions significatives sur une courte durée. Il en va différemment de certains indicateurs de santé et de bien-être. Comme a pu le souligner Marc Fleurbaey au cours de son audition, des indicateurs tels que l’indicateur de satisfaction dans la vie peuvent effectivement être extrêmement stables et ne reflètent donc pas nécessairement les évolutions réelles du bien-être. Pour garantir la mobilisation effective d’un indicateur, il est toutefois nécessaire de garantir sa production à une fréquence annuelle ou tout au plus biennale.

Enfin, il s’agit de retenir un nombre d’objectifs et d’indicateurs suffisant pour éclairer la décision publique mais assez limité pour en permettre une analyse approfondie et ne pas susciter de confusion chez les décideurs publics. L’économiste Éloi Laurent préconise ainsi, concernant la mise en place de politiques de santé, de s’en tenir à trois grands indicateurs tels que la mortalité infantile, la santé mentale des enfants ou la vulnérabilité des personnes âgées face aux canicules.

● Au regard du caractère politique de la définition des objectifs de santé et de bien-être, et des indicateurs permettant d’atteindre ces objectifs, le Parlement est amené à prendre toute sa place dans le processus d’adoption de ces nouvelles approches et nouveaux indicateurs. La qualité de ce processus est déterminante et l’expérience de la loi Sas de 2015 a bien montré qu’une sélection seulement gouvernementale des nouveaux indicateurs de richesse ne peut que se traduire par leur trop faible appropriation au niveau politique.

Il ressort ainsi des auditions du rapporteur que ce processus devra être conduit par le Parlement, associer les citoyens et être nourri par les contributions de tous les acteurs publics et privés, qu’ils soient institutionnels, académiques, associatifs ou encore mutualistes. Ce processus doit pouvoir mobiliser les acteurs à tous les niveaux, et notamment les collectivités territoriales qui, à l’image de la ville de Lyon ou de la région Nouvelle-Aquitaine, portent des initiatives fructueuses pouvant utilement inspirer les réflexions au niveau national.

3.   Garantir une diffusion large et durable des objectifs et indicateurs

● S’il est entendu que les parlementaires sont amenés à jouer un rôle déterminant dans l’adoption de nouveaux objectifs, approches, et indicateurs visant à refonder l’action publique autour de la santé et du bien-être, leur investissement devra également être constant et durable pour « faire vivre » cette refondation.

Cela suppose que les nouveaux outils soient mobilisés constamment dans les travaux parlementaires, et de nombreuses pistes sont envisageables à cette fin. Les objectifs de santé et de bien-être et les indicateurs afférents pourraient ainsi être mobilisés systématiquement dans la procédure législative, par exemple, comme le suggère Marc Fleurbaey, en prévoyant leur intégration dans les études d’impact des lois. De la même manière, comme en disposait déjà la loi Sas en 2015, un débat pourrait être organisé chaque année au Parlement pour garantir l’appropriation de ces approches par les parlementaires et procéder à d’éventuels ajustements.

● Pour conduire à une réelle refondation de l’action publique, il apparaît par ailleurs nécessaire de favoriser la diffusion la plus large de ces outils et approches, et tout particulièrement au niveau local. Les auditions du rapporteur soulignent en effet que l’échelon territorial est le meilleur moyen de mettre en œuvre les nouveaux indicateurs et les nouvelles approches pour placer la santé et le bien-être au cœur des politiques publiques. Il s’agira alors d’assurer la déclinaison des objectifs et indicateurs au niveau territorial, leur diffusion dans toutes les collectivités et la promotion des bonnes pratiques observées dans leur mise en œuvre ainsi que des initiatives les plus prometteuses.

De la même façon, il semble nécessaire d’intensifier la connaissance mutuelle et les échanges de bonnes pratiques au niveau international, alors que le virage mondial vers des politiques de santé et de bien-être en cours reste très méconnu dans notre pays. La mise en place d’une mission d’inspection sur ce sujet pourrait permettre une meilleure appropriation des nouvelles approches parmi les décideurs publics et, surtout, constituer une base précieuse en vue de l’intégration de la France dans ce virage.

4.   Favoriser l’expertise et l’évaluation des politiques publiques au prisme de la santé et du bien-être

La qualité scientifique des indicateurs, leur pertinence et leur mobilisation dans une démarche d’évaluation apparaissent en outre essentielles.

● Il semble à cet égard déterminant de mobiliser l’appareil statistique français et les instituts et les chercheurs qui contribuent à la production de celui-ci. L’élaboration d’approches et d’indicateurs suppose des travaux d’expertise complexes et une rigueur méthodologique, d’autant plus que les indicateurs de bien-être reposent aujourd’hui beaucoup sur du déclaratif. De nouveaux indicateurs ne pourront être mis en place conformément à l’intention du législateur que si celui-ci garantit matériellement et budgétairement leur réalisation.

Il s’agit là encore d’assurer l’indépendance de ces travaux, tout particulièrement vis-à-vis du Gouvernement, afin de prévenir toute instrumentalisation et tout désinvestissement. Ainsi, le rapport annuel prévu par la loi Sas aurait pu, en tout état de cause, produire des effets plus significatifs s’il avait été publié par un organisme indépendant. Le HCAAM ne disait pas autre chose, dans son avis de 2017 précité, en affirmant que c’est à condition de garantir l’indépendance de l’expertise que celle-ci « ne sera pas assimilée, comme c’est trop souvent le cas, à une opinion parmi d’autres » et en préconisant de travailler les formes d’intervention publiques face à des stratégies de lobbying élaborées ([34]).

● L’évaluation du travail produit et des progrès accomplis se dessine, à la lumière des auditions, comme une autre dimension nécessaire à l’accomplissement en France d’un virage vers la santé et le bien-être. Aussi, les choix opérés par le législateur doivent s’inscrire dans une réflexion temporelle sur son action, en lien avec la mission d’évaluation des politiques publiques qui lui est dévolue.

Comme le souligne Éloi Laurent, une évaluation approfondie de la période de crise sanitaire liée à la covid‑19, portant notamment sur ses facteurs et les décisions prises, serait par exemple le signe d’une société mature et pourrait contribuer à prévenir une nouvelle épidémie. Le rapporteur relève d’ailleurs que la crise sanitaire montre bien la multiplicité et l’interconnexion des politiques publiques et la prégnance des enjeux de santé publique et de bien-être.

Plus globalement, ces efforts conduiront à renforcer l’effectivité de la prévention comme dimension centrale des politiques publiques et la pertinence de celles-ci. À cet égard, la commission Stiglitz indiquait « qu’il se peut que si l’on avait été plus conscient des limites des mesures classiques comme le PIB, l’euphorie liée aux performances économiques des années d’avant la crise aurait été moindre, et que des outils de mesure intégrant des évaluations de la soutenabilité nous auraient donné une vision plus prudente de ces performances ».

5.   Vers une restructuration profonde des politiques publiques

Plus globalement, les auditions conduites par le rapporteur montrent que la refondation de l’action publique autour de la santé et du bien-être suppose, en plus d’une impulsion politique forte, une restructuration profonde des politiques publiques, tant leur cadre actuel semble inadapté.

Il s’agit en premier lieu de garantir la transversalité et l’interministérialité dans la construction et le déploiement d’une vision intégrée de la santé, alors que celle-ci est encore très souvent cantonnée aux seules administrations du ministère qui lui est spécifiquement dédié. Le manque de passerelles et de travaux communs aux diverses administrations centrales, et notamment entre les administrations du ministère chargé de la santé et les administrations des ministères économiques et financiers, apparaît aujourd’hui manifeste et limite la capacité de notre pays à refonder profondément ses politiques au service d’objectifs renouvelés face aux enjeux contemporains.

En second lieu, c’est un grand big bang concernant l’architecture et la mise en œuvre des politiques publiques, et notamment budgétaires, qui semble nécessaire pour se départir d’une approche court-termiste et garantir la pluriannualité de l’action guidée par les nouveaux objectifs, approches et indicateurs mis en place. Les PLF et PLFSS, marqués par leur essence financière et par un principe d’annualité, doivent être rénovés pour mieux prendre en compte la santé dans la durée et remettre en cause le lien intrinsèque entre PIB et finances publiques. Une adaptation de leur article liminaire, la modification de leurs annexes par le législateur ou encore la mise en place d’une budgétisation guidée par la santé (health budgeting) pourrait contribuer à cela. Enfin, de nouveaux outils législatifs, tels qu’une loi de programmation ou pluriannuelle relative à la santé et au bien-être, gagneraient à être mis en place. Comme le souligne le HCAAM dans un avis de 2021, une telle loi serait justifiée par l’ampleur des transformations à mener et, corrélativement, par l’exigence d’un débat démocratique ([35]).


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   Travaux de la commission

I.   Audition de la ministre

Au cours de sa première réunion du mardi 10 octobre 2023, la commission auditionne Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, sur les crédits de la mission Santé du projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680) (seconde partie) ([36]).

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous commençons dès maintenant nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF), mais deux à trois semaines seront nécessaires pour que nous puissions avoir connaissance des rapports thématiques de nos rapporteurs pour avis.

Nous auditionnons aujourd’hui Mme la ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, sur les crédits de la mission Santé – nous prendrons connaissance début novembre des travaux de notre rapporteur pour avis sur le sujet, M. Peytavie. Je souligne que nous devons aujourd’hui rester dans le champ de cette mission, même si la politique de la santé relève principalement du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

M. Stéphane Viry (LR). Nous avons été informés de cette audition il y a quatre jours et l’encre des bleus budgétaires est à peine sèche, ce qui complique l’exercice de notre mission. Soit on considère que notre travail est vain et c’est une marque de mépris, soit une organisation différente de nos travaux s’impose. Nous allons évoquer des sujets sensibles – les politiques de prévention et de santé, l’aide médicale de l’État... – mais dans un calendrier insatisfaisant. Veillons à fixer des dates qui permettent à chacun d’assumer ses missions, dans le respect du principe du contradictoire : le pouvoir exécutif défend son projet de loi de finances, le pouvoir législatif fait part de ses observations, mais encore faut-il qu’ils soient à armes égales !

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Mme la ministre déléguée n’est pas responsable de la date cette audition, qui a été fixée lors de la dernière réunion du bureau de la commission.

Nos marges de manœuvre sont réduites en raison des dates impératives d’examen du PLF et du PLFSS, sachant que nous avons également plusieurs propositions de loi à notre ordre du jour et que la loi nous oblige à procéder à certaines auditions. Les députés, toutefois, peuvent se saisir pleinement de ces sujets d’ici à la discussion budgétaire proprement dite. Il n’en demeure pas moins qu’il serait plus confortable de disposer de plus de temps.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Les crédits de la mission Santé constituent, en lien avec le PLFSS, la traduction budgétaire de la politique globale de santé.

Vous connaissez les objectifs de notre politique de santé.

C’est le développement d’une politique de prévention ambitieuse pour faire entrer pleinement notre système de santé et notre société dans une logique de la prévention.

C’est l’objectif, également, d’assurer la sécurité sanitaire et de protéger les populations contre les risques. Je pense bien sûr à la covid-19, épidémie qui n’est pas terminée, mais aussi à toutes les autres menaces épidémiologiques auxquelles nous sommes exposés. Nous devons nous inscrire dans une approche One Health, « une seule santé », pour tenir compte de l’ensemble des facteurs qui menacent nos écosystèmes et la santé humaine.

C’est enfin cette priorité essentielle qu’est l’égal accès à des soins de qualité, pour tous, partout. Cela passe nécessairement par la poursuite des efforts inédits d’investissement engagés par le Ségur de la santé, mais aussi par une meilleure organisation de notre système et une meilleure attractivité des métiers du soin.

Il importe en effet de mieux reconnaître et valoriser les métiers de la santé, pour redonner du sens, fidéliser les professionnels et attirer les jeunes générations vers ces métiers essentiels. Sans cela, nous ne réussirons pas à relever les défis qui se présentent et à améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. Tel est le sens de la politique engagée par le Gouvernement depuis 2017, que nous poursuivons et accentuons dans le cadre de cet exercice budgétaire.

La proposition de loi de Frédéric Valletoux visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels sera prochainement examinée par le Sénat. Elle permettra d’apporter de nouvelles solutions aux acteurs de terrain, qui constituent la clef de voûte de notre système.

Les crédits de la mission Santé s’élèvent à 2,3 milliards d’euros, en baisse de 30 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023, ce qui s’explique essentiellement par la réduction des crédits du programme 379, à hauteur de 53 % par rapport à 2023. Ce programme temporaire a vocation à assurer la compensation à la sécurité sociale des dons de vaccins aux pays tiers dans le cadre des campagnes de vaccination contre la covid-19. Il permet également le reversement à la sécurité sociale des fonds issus du mécanisme européen né de la crise du covid pour soutenir l’investissement dans nos hôpitaux. Il est donc logique que ses crédits décroissent.

Les crédits du programme 183 Protection maladie sont stables – avec une baisse de 0,3 % – et ceux du programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins augmentent de 3,4 %. Cette dynamique illustre notre volonté de poursuivre les efforts engagés en matière de maîtrise des dépenses liées à l’aide médicale de l’État (AME) et d’investir encore plus dans la prévention et la promotion de la santé.

Les crédits du programme 183 s’élèvent pour 2024 à 1 216 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit une quasi-stabilité par rapport à la LFI 2023, retraitée au même périmètre que 2024. Ils financent principalement deux dispositifs : l’aide médicale de l’État et le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

L’AME répond à une triple logique : humanitaire, sanitaire et économique. L’AME est en effet avant tout un dispositif de santé publique qui protège ses bénéficiaires ainsi que l’ensemble de la population française. Les différentes réformes conduites ces dernières années, en particulier la révision du panier de soins réalisée en 2019, ont permis de mieux encadrer ce dispositif et de mieux maîtriser la dépense. Parallèlement, d’importants efforts ont été conduits pour lutter contre la fraude, lesquels ont vocation à se poursuivre et à se renforcer en 2024. L’AME constitue un levier essentiel pour suivre et piloter les dépenses de santé des personnes en situation irrégulière sur notre territoire. Ses crédits de droit commun s’élèvent à 1,13 milliard d’euros, en relative stabilité par rapport à la LFI 2023.

L’année 2024 sera consacrée à la poursuite et à l’intensification de nos efforts en matière de contrôles, dans la continuité de l’action engagée lors des précédents exercices. Il s’agit notamment de renforcer les contrôles lors de l’attribution des droits en utilisant pleinement l’ensemble des dispositifs déployés depuis 2019 – vérification de la condition de séjour irrégulier de trois mois, dépôt physique des demandes d’AME dans les caisses primaires d’assurance maladie (Cpam), accès à la base de données Visabio par les Cpam – ou des nouveaux outils tels que l’accès des services consulaires, dès 2024, à la liste des bénéficiaires de l’AME lors de l’instruction des demandes de visa. Il s’agit aussi de mieux cibler les contrôles a posteriori afin d’améliorer l’efficacité de notre politique de lutte contre la fraude.

Les crédits inscrits sur le programme 204 s’élèvent à 220,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et 223 millions en crédits de paiement. Ils progressent de 3,4 % par rapport à la LFI 2023. Essentiels, ils s’inscrivent pleinement dans la volonté de réussir le virage de la prévention qu’appelle de ses vœux le Président de la République, ce à quoi nous travaillons chaque jour avec le ministre Aurélien Rousseau. Je sais que votre commission est très investie en la matière. Je pense en particulier aux travaux de Cyrille Isaac-Sibille, mais il y en a d’autres. Nous sommes en effet très nombreux à partager cette conviction : nous devons changer collectivement de paradigme pour faire entrer la logique de prévention dans tous les champs de nos politiques publiques.

Il s’agit d’abord d’un impératif de santé publique – « il vaut mieux prévenir que guérir » ! C’est aussi bel et bien un levier de soutenabilité, et certainement le plus puissant de notre système de protection sociale.

Le virage préventif, axé sur une action résolue sur les déterminants en santé, est une nécessité pour faire face aux enjeux démographiques et épidémiologiques inédits qui sont devant nous. Relever le défi du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques passera nécessairement par un développement massif de la prévention. C’est aussi, bien entendu, un levier de soutenabilité économique mais également écologique : plus de prévention, c’est moins de consommation, donc, un système de santé plus sobre.

Lutter contre les maladies évitables, les maladies chroniques et les conduites addictives, c’est aussi mieux protéger les plus vulnérables, qui sont souvent les premiers touchés. Telle est l’ambition du Gouvernement, notamment à l’endroit de la santé des femmes ou des enfants, à travers un effort renouvelé en matière de dépistage et de vaccination. Je pense à la campagne de vaccination contre le papillomavirus, qui est en cours depuis le 2 octobre dans l’ensemble des collèges. L’objectif que nous nous sommes fixé dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers est d’atteindre un niveau de couverture de 80 % d’ici à 2030. C’est ambitieux, mais les résultats obtenus sur le plan international doivent nous amener à redoubler d’efforts.

Alors que la campagne automnale de vaccination contre la grippe commence la semaine prochaine et que celle contre la covid démarre plus fort que l’année dernière, nous pouvons tous nous féliciter du succès que rencontre le traitement préventif contre la bronchiolite. Dans les maternités, le taux d’adhésion est de 60 % à 80 %, largement supérieur à celui qui est observé pour les traitements préventifs du même type. Seuls quatre pays dans le monde ont fait le pari de commander ces traitements. Le succès de cette campagne démontre, si cela était nécessaire, que nos concitoyens sont prêts à prendre ce virage préventif.

Je conclurai sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : les liens entre le sport et la santé. Alors que 2024 sera l’année des jeux Olympiques et Paralympiques, nous avons choisi de faire de la promotion de l’activité physique et sportive la grande cause nationale 2024. Les jeux seront un moment privilégié de mobilisation collective autour des enjeux de la prévention et du sport santé. Cela doit être l’occasion d’envoyer un signal fort à nos concitoyens et d’accroître notre action en faveur du développement de l’activité physique, de l’activité physique adaptée, des mobilités actives ou encore de la lutte contre la sédentarité.

Nous avons évoqué ce sujet du sport santé avec certains d’entre vous la semaine dernière. Je suis à votre disposition pour réfléchir ensemble à des mesures qui pourraient s’inscrire dans ce champ.

M. Sébastien Peytavie, rapporteur pour avis des crédits de la mission Santé. Je regrette que le Gouvernement recoure probablement de nouveau à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour ce PLF, ce qui nous privera de l’examen en séance publique des crédits de la mission Santé. Au-delà du déni de démocratie évident que cela constitue, vos manœuvres perturbent le bon déroulement de nos travaux parlementaires. Ainsi, nous ne pourrons discuter en détail que début novembre des travaux que j’ai conduits depuis plusieurs mois en tant que rapporteur de cette mission.

Le périmètre de la mission Santé peut sembler restreint : « seulement » près de 2,3 milliards d’euros. Ce montant, limité au regard du budget de l’État et, a fortiori, de la protection sociale, ne doit toutefois pas nous induire en erreur : la mission Santé est essentielle et riche d’enjeux fondamentaux pour notre pays.

Elle comprend en effet le programme 183, qui intègre pour une large part l’aide médicale de l’État. J’entends déjà mes collègues, à droite et à l’extrême droite, critiquer ce dispositif, le remettre en cause, demander sa suppression, ou travestir cette demande en proposition de transformation. Ils déplorent une supposée hausse des bénéficiaires alors que la dépense, cette année, est constante, à près de 1,2 milliard d’euros, et que, comme en attestait un rapport de 2019, seules 51 % des personnes qui y sont éligibles en bénéficient.

Cette prestation nous honore et nous devons évidemment la préserver. Outre qu’elle incarne le principe de fraternité qui fonde notre contrat social et notre République, l’AME est une mesure de bon sens et de santé publique : personne n’a intérêt à laisser des populations sans soins et je ne comprends même pas que, après la crise sanitaire, d’aucuns doutent encore que la santé soit notre bien commun.

Je m’inquiète donc de la mission visant à évaluer l’AME qu’a annoncée la Première ministre ce dimanche. Jouez cartes sur table ! Quelles « pistes de transformation » le Gouvernement a-t-il en tête ?

Nous devons nous diriger vers une protection maladie réellement universelle. Depuis plusieurs années, de nombreuses autorités, dont l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou le Défenseur des droits, recommandent d’inclure l’AME dans le régime général de la sécurité sociale afin de réduire les inégalités de santé à la source et de faciliter l’accès aux droits pour les personnes les plus fragiles. Madame la ministre, seriez-vous favorable à cette mesure ?

Le budget du programme 204 par ailleurs apparaît en légère hausse, mais il s’agit en réalité d’une baisse dès lors que l’on prend en compte l’inflation.

Cette mission recouvre des ambitions et des mesures éparses. N’y figure aucun moyen véritable pour une politique publique digne de ce nom en faveur de la santé et du bien-être.

J’ai travaillé sur les nouveaux indicateurs et les nouvelles approches pour remettre la santé et le bien-être au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires. J’ai pour cela entendu des statisticiens, des chercheurs, des représentants des administrations centrales ou des institutions internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le constat est sans appel : la prévention et la santé doivent être placées au cœur de toutes nos politiques publiques. De nouveaux indicateurs sont nécessaires, alors que le Gouvernement n’a pas fait vivre ceux que le législateur avait institués par la « loi Sas » de 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. De nouvelles approches, comme le concept de One Health ou l’idée de « pleine santé » développée par l’économiste Éloi Laurent, sont les vecteurs d’un renouveau démocratique.

La santé n’est pas une mission du budget ni une stratégie : elle doit être l’élément cardinal qui guide toutes nos décisions. Partagez-vous cette vision et, si oui, comment entendez-vous réellement l’incarner ?

Il est temps de faire entrer notre État dans une véritable ère de la santé et du bien-être en le dotant d’indicateurs et en adoptant des approches qui mettent réellement ces sujets au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires. J’en appelle à votre engagement pour en débattre et pour accomplir ce projet.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Didier Martin (RE). Les crédits de la mission Santé diminuent en effet légèrement pour les raisons que vous avez dites, mais les autorisations d’engagement et les crédits de paiement qui seront consacrés au « virage préventif » augmentent, ce que je salue.

Le dépistage et la prise en charge précoce des cancers sont fondamentaux. La grande campagne de vaccination contre le papillomavirus pour les filles et les garçons au collège s’inscrit dans cette perspective. Le Sénat a adopté une proposition de loi visant à créer un registre national des cancers. Sur un plan épidémiologique, il me paraît en effet intéressant de pouvoir connaître l’état de cette maladie partout dans l’Hexagone et en outre-mer et de disposer de données exhaustives pour la recherche, afin de pouvoir corréler son incidence avec certains facteurs de risques d’exposition et environnementaux.

Environ 8 % à 10 % des personnes en affection de longue durée n’ont pas de médecin traitant. Nous devons faire en sorte d’y remédier.

Quelles sont les évaluations du Pass santé jeunes ? Quels objectifs fixer pour 2024 et au-delà ?

S’agissant du programme 183, l’AME est maintenue à un niveau important de 1,2 milliard, ce qui illustre la vigueur de la solidarité nationale en direction des publics défavorisés. La lutte contre la fraude, par ailleurs, sera renforcée.

S’agissant du programme 379 et des mesures d’investissement du Ségur de la santé, je salue la poursuite de l’effort accompli sur le volet sanitaire, avec 1,5 milliard d’euros consacré aux investissements du quotidien dans nos hôpitaux : pour la première fois depuis 2013, le taux de vétusté des équipements a été infléchi. Je n’oublierai pas le volet médico-social, avec une enveloppe de 1,25 milliard pour la construction et la rénovation de places d’hébergement pour les personnes âgées.

M. Thierry Frappé (RN). L’AME suscite préoccupations et inquiétudes. Créée en 1999, elle était justifiée par une intention louable : assurer l’accès aux soins médicaux de base des étrangers présents sur notre territoire sans couverture de santé. Aujourd’hui, 411 364 personnes en bénéficient, ce qui est un record. En vingt ans, l’augmentation est de 134 %. La Cour des comptes ne cesse d’ailleurs d’alerter à ce propos. Avec une trajectoire menant à 450 000 bénéficiaires, il convient d’agir vite afin d’encadrer au mieux ce dispositif.

L’AME, c’est 1,2 milliard d’euros pour 2023 – 1,7 milliard selon un quotidien national –, soit environ 3 000 euros par personne. Il devrait s’agir de soins urgents dans des cas où le pronostic vital est mis en jeu, ou pouvant conduire à une altération grave et durable de l’état de santé. Or, pour 2022, le Gouvernement a estimé que près de 1 milliard d’euros étaient allés à des soins non urgents.

Aucun autre pays ne propose une offre de soins gratuite comparable. C’est une richesse, mais elle ne doit pas devenir un motif d’attrait pour entrer illégalement sur le territoire national. Notre système de santé poursuit son effondrement et le Gouvernement continue d’offrir l’ensemble des soins gratuits aux personnes entrées illégalement. Il faut mettre fin à l’AME, qui constitue l’une des pompes aspirantes de l’immigration illégale. Elle doit être remplacée par un dispositif réservé aux urgences vitales.

Comment expliquer aux Français sans médecin traitant qu’on alloue 3 000 euros par étranger en situation irrégulière alors qu’il n’y a pas d’urgence vitale ? Comment expliquer aux Français victimes de l’inflation et se privant de soins pour finir le mois que nous allouons 3 000 euros par étranger en situation irrégulière pour sa santé ?

Notre système de santé s’effondre parce que nous n’avons plus assez de médecins et de professionnels de santé, que l’État ne soutient pas suffisamment ces derniers et que la charge administrative ne cesse d’augmenter.

Nous connaissons les besoins en termes de santé publique, de nombre de professionnels et d’accès aux soins. La situation doit être prise à bras-le-corps. La part de l’AME ne cesse d’augmenter dans le budget : quand et comment réformerez-vous ce dispositif afin de pouvoir investir durablement dans notre système de santé ?

M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Notre système de santé connaît de plus en plus de difficultés. Sa privatisation induit des formes de privation et d’exclusion de plus en plus manifestes. Les réflexions sur la refonte de l’AME suscitent de grandes craintes pour son avenir et l’accès de toutes les personnes présentes en France aux services de santé. Les virus, les maladies ne tiennent pas compte des situations administratives !

Je me réjouis que le sport santé et plus globalement la pratique physique et sportive soient désormais une priorité. Dans les territoires dits d’outre-mer, les maladies chroniques, les cancers provoqués par la chlordécone, le diabète, sont autant de fléaux. Ces territoires sont des viviers pour toutes les disciplines sportives. Pourquoi ne pas en faire, pour une fois, des territoires d’excellence en matière de prise en charge des problématiques de santé à travers le sport ? Pourquoi, pour une fois, ne pas afficher la volonté de faire des outre-mer des locomotives, des territoires d’expérimentation ?

Le nouveau médicament Heberprot-P développé par le centre d’ingénierie génétique et de biotechnologie de Cuba a fait ses preuves dans le traitement du pied diabétique. Il est produit à 200 kilomètres des côtes de la Martinique et nous ne pouvons pas en bénéficier parce que les ministres de la santé successifs refusent qu’il soit expérimenté. Il permet pourtant d’éviter des amputations, qui coûtent plus cher à la sécurité sociale et qui sont traumatisantes pour les patients. À quand l’autorisation d’expérimenter des solutions qui pourront être bénéfiques à l’ensemble du territoire français ?

M. Philippe Juvin (LR). Je regrette que la question des soins palliatifs soit insuffisamment traitée dans cette mission. Vous préparez une loi sur la fin de vie mais, tant que les soins palliatifs ne sont pas à la hauteur, elle ne le sera pas non plus. Depuis 1999, les inégalités territoriales en la matière sont importantes.

Nous sommes le seul pays développé où la mortalité infantile augmente. Cette question devrait être prise à bras-le-corps, ne serait-ce qu’en finançant des registres sérieux, qui ne reposent pas sur les épaules des seuls professionnels.

Nous sommes aussi pauvres en matière de covid long. Au Royaume‑Uni, on considère que 800 000 personnes en sont atteintes, qui ne peuvent reprendre une activité normale. Qu’en est-il en France ? Nous ne savons pas où envoyer les patients et ce budget n’y changera rien.

Je me félicite de la vaccination contre le papillomavirus mais je regrette qu’une jeune femme âgée de plus de 20 ans ne puisse pas en bénéficier. Pourtant, selon une étude du New England Journal of Medicine, il est utile de vacciner les jeunes femmes jusqu’à l’âge de 30 ans : cela permet de prévenir des cancers du col de l’utérus pouvant survenir vingt ou trente ans plus tard.

Depuis 2019, les bénéficiaires de l’AME ont augmenté de 20 %. Un clandestin peut se faire poser un anneau gastrique, une prothèse d’épaule ou de hanche. Il peut subir une rhinoplastie ou un recollement d’oreille. Je ne suis pas favorable à la suppression de ce dispositif mais arrêtons de dire que, si tel était le cas, la tuberculose reviendrait en force ! Notre panier de soins est trop généreux.

De plus, l’AME est une véritable pompe aspirante. Le nombre de bénéficiaires accédant à une chimiothérapie a augmenté de 56 % par rapport à la population des assurés sociaux, et c’est 90 % pour ceux qui vont dans les services d’hématologie. Le tourisme médical existe bel et bien. Nous savons que des personnes atterrissent à Roissy avec une insuffisance rénale et prennent le taxi pour aller directement se faire dialyser aux urgences. Nos filières, dès lors, sont embouteillées. Nous devons donc redéfinir le panier de soins.

M. Darmanin a évoqué la transformation de l’AME en aide médicale urgente. Qu’en est-il ? Cela paraît intéressant, alors que notre système de santé est vraiment en difficulté.

M. Olivier Falorni (Dem). Les crédits de la mission Santé du PLF 2024 se montent à 2,3 milliards d’euros. Cette diminution s’explique par le calendrier de versement des fonds européens au titre du volet investissement du Ségur, intégré dans le plan national de relance et de résilience : le niveau des versements diminue logiquement en 2024, pour s’établir à 900 millions. Quel bilan peut-on tirer, à l’échelle européenne, de ce plan de relance, qui vise notamment à rénover les hôpitaux et les établissements de soins ? Quelles perspectives ouvre‑t‑il en termes d’amélioration des relations entre hôpital et médecine de ville dans les territoires ?

Le programme 183 Protection maladie constitue le principal poste de dépenses de la mission Santé. Il finance l’aide médicale de l’État, qui représente 1,2 milliard d’euros – un montant stable par rapport à 2023. Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins, doté de 3,55 millions, vise à mieux préserver notre environnement et notre santé grâce au quatrième plan national santé environnement (PNSE 4). Les urgences climatiques se multiplient : sécheresses, feux de forêt, zoonoses, canicules... Cela explique sans doute que huit Français sur dix se préoccupent des effets de l’environnement sur la santé. Dans ma circonscription par exemple, de très fortes concentrations en prosulfocarbe ont été relevées récemment dans un territoire anormalement touché par des cancers pédiatriques. Le PNSE a pour objet d’informer, de former mais aussi de réduire et de mieux prévenir nos expositions à différents environnements. Pouvez-vous détailler les actions que le Gouvernement entend mener ?

Le programme 379, qui est temporaire, vise à compenser à la sécurité sociale les dons de vaccins aux pays tiers et à assurer l’investissement en santé grâce aux financements de la facilité européenne pour la reprise et la résilience, dans le cadre du plan de relance européen. Quel bilan dressez-vous des exportations de vaccins à des pays tiers ?

Enfin, au-delà de la mission Santé, un rapport sur la santé des professionnels de santé vous a été remis hier. Plus de 50 000 contributions de professionnels ont permis de formuler un certain nombre de recommandations. Vous présenterez prochainement une feuille de route pluriannuelle sur le sujet, qui complétera les actions lancées récemment par votre ministère, notamment le plan de lutte contre les violences à l’encontre des professionnels de santé, ainsi que les mesures liées à l’attractivité et aux conditions de travail. Quelle réponse concrète comptez-vous apporter à ce problème majeur, qui aura une influence certaine sur l’avenir de notre système de santé ?

M. Frédéric Valletoux (HOR). Ce budget vise à mener une politique globale de santé publique qui s’assigne trois objectifs principaux : développer une stratégie nationale de prévention, garantir la sécurité sanitaire et organiser une offre de soins de qualité dans tous les territoires. Les crédits alloués au programme 204 augmentent de 3,43 % pour atteindre 220 millions d’euros, ce dont il faut se féliciter. Les crédits affectés à la prévention financeront les actions en faveur de la santé des jeunes et des enfants, la prévention des maladies chroniques, les mesures favorisant la qualité de vie des malades, la préparation des crises sanitaires ainsi que la lutte contre l’antibiorésistance.

À moins d’un an des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, je tiens à saluer le soutien accordé aux actions de la stratégie nationale sport santé en faveur de la promotion de l’activité physique adaptée, des mobilités actives et de la lutte contre la sédentarité. Pouvez‑vous nous rassurer quant au plein financement des activités physiques, au moins pour les pathologies les plus exposées ou les plus concernées – je pense au cancer et au diabète ?

Enfin, des crédits substantiels – 1,6 million d’euros – permettront de mener diverses actions dans le domaine de la nutrition. Ils financeront en partie l’Observatoire de la qualité de l’alimentation, ce qui permettra notamment d’évaluer l’impact de l’étiquetage nutritionnel. L’information nutritionnelle apportée aux consommateurs est en effet essentielle. L’alimentation peut être aussi bien un facteur de bonne santé qu’à l’origine du développement de pathologies fréquentes, comme les cancers, les maladies cardiovasculaires ou le diabète. La prévalence de l’obésité – 17 % pour les adultes et 4 % pour les enfants – est élevée depuis une dizaine d’années dans notre pays, et le poids des inégalités sociales en la matière tend à augmenter. Près de 24 % des enfants dont les parents ont un niveau d’études inférieur au bac sont en surpoids ou obèses, contre moins de 9 % pour un niveau de diplôme égal ou supérieur à la licence. Quel est le calendrier de la réforme du mode de calcul du nutri-score, qui devait changer à la fin de l’année ?

Le financement de la protection maladie des personnes en situation irrégulière est stable, à 1,2 milliard d’euros. C’est un dispositif humanitaire mais également, comme nous l’a rappelé la crise sanitaire, un outil de santé publique pour le territoire national, qui préserve l’ensemble de la population de risques épidémiologiques et sanitaires. Le groupe Horizons et apparentés partage pleinement les objectifs affichés, qui sont de garantir l’accès aux soins des personnes éligibles à l’AME dans des délais raisonnables afin d’éviter une dégradation de leur état de santé ou des refus de soins. Des contrôles approfondis sont également prévus pour éviter les fraudes.

L’AME est un dispositif important et sensible : important, parce qu’il touche directement à la vie d’hommes et de femmes qui connaissent des situations difficiles, pour ne pas dire dramatiques ; sensible, parce qu’il s’agit d’un sujet profondément humain qui doit être traité avec humilité, sans démagogie et en prenant en compte la réalité, la dureté et parfois même l’injustice des situations concernées. Je suis donc fermement opposé à sa suppression. Laisser dans la nature un individu en mauvaise santé est rarement une bonne idée, et, en tout état de cause, serait contraire aux valeurs qui fondent notre système de soins. Récemment, la Première ministre a annoncé le lancement d’une mission chargée de déterminer s’il est nécessaire d’adapter le dispositif. Quand les résultats en seront-ils connus ?

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Nous voilà réunis pour aborder une longue période de discussion budgétaire autour des questions de santé, avec le PLF aujourd’hui, puis le PLFSS dans quelques jours. Dressons ce premier constat : les 49.3 annoncés nous confisquent un débat démocratique pourtant indispensable. Le passage en force concernant la loi de programmation des finances publiques n’est pas anodin, car ce texte impose une véritable trajectoire d’austérité au cours des prochaines années. En entérinant un cantonnement des dépenses de santé en deçà de 22 % du PIB jusqu’en 2027, il limite grandement nos marges de manœuvre budgétaires. Surtout, il empêche d’envisager un projet de loi d’investissement dans le système de soins et d’accompagnement à la hauteur des enjeux, notamment du vieillissement.

Cette logique de dépenses contraintes couplée à un refus total d’augmentation des recettes est délétère pour notre système de soins, à court mais aussi à moyen terme. À très court terme, elle ne permet pas d’atténuer les crises de financement auquel est confronté notre système de santé. Les fédérations hospitalières, en grande difficulté, dénoncent par exemple l’insuffisance de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie au regard de l’inflation. Des financements d’urgence sont nécessaires dans certains territoires – où, d’ailleurs, les urgences ferment. À moyen terme, cette logique d’austérité budgétaire empêche tout développement de politiques publiques ambitieuses. Pourtant, les défis en matière de santé sont nombreux : lutte contre les déserts médicaux, revalorisation des carrières des personnels soignants, politiques de prévention ambitieuses. Ce budget est conçu indépendamment ou presque de l’évolution des besoins, comme l’indiquent d’ailleurs les experts auteurs du rapport « Vive les services publics ».

L’OMS nous rappelle que les facteurs environnementaux sont responsables de près de 20 % de la mortalité en Europe. Ils contribuent au développement des maladies chroniques. Investir dans une politique de prévention en santé environnementale, c’est penser l’accompagnement des bouleversements environnementaux et réduire à terme le coût social et sanitaire de facteurs comme le bruit, la pollution de l’air, la malbouffe ou le mal-logement, dont le coût annuel est estimé, respectivement, à 155 milliards, 70 à 100 milliards, 50 milliards et 30 milliards d’euros. Et que dire du milliard et demi affecté à la lutte contre l’antibiorésistance ? Ce sont des sources d’économies qui nous permettent de nous orienter vers la pleine santé.

Les investissements actuels sont insuffisants, et les inégalités sanitaires recoupent les inégalités sociales et environnementales. Résultat, les urgences ferment dans certains territoires, les personnes les plus précaires ont trois fois plus de risques de renoncer aux soins que les autres, les personnes les plus pauvres sont celles qui dépensent relativement plus pour leur santé, l’AME est menacée par certains groupes, les femmes sont moins bien soignées que les hommes pour certaines pathologies – de ce point de vue, votre proposition sur le papillomavirus est une avancée, même si elle reste insuffisante. Au total, les 10 % les plus pauvres ont 1,4 fois plus de risques de développer une maladie cardiovasculaire et trois fois plus de risques de contracter un diabète que les 10 % les plus riches, ce qui entraîne d’importantes d’inégalités d’espérance de vie : l’écart à la naissance entre les 5 % des hommes les plus aisés et les 5 % des hommes les plus pauvres est de treize ans.

Quand sortirez-vous d’un diktat budgétaire qui met notre système en tension pour nous permettre de construire collectivement un système de santé à la hauteur des enjeux auxquels fait face la société ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). La présentation de la mission Santé est d’abord l’occasion de se pencher sur l’état de santé des Françaises et des Français et leur accès à la prévention et aux soins. Or, non seulement l’état des lieux n’est pas bon, mais il se dégrade d’année en année. Ainsi, l’espérance de vie en bonne santé n’augmente plus : elle stagne à 65,3 ans, selon les données de 2021, et se caractérise par de fortes disparités entre femmes et hommes et en fonction de la classe sociale. En 2016, l’Insee montrait, par exemple, que l’espérance de vie d’un homme diplômé du supérieur dépassait de sept ans et demi celle d’un non-diplômé.

Cet état de fait nous conduit à nous opposer au recul de l’âge légal de la retraite. Il doit nous alerter sur les inégalités persistantes d’accès à la prévention et aux soins. En juillet 2021, la Cour des comptes a montré la progression des trois grandes maladies chroniques que sont le cancer, les maladies neurocardiovasculaires et le diabète. Un peu plus de 10 millions de personnes souffrent de ces pathologies, là encore dans des proportions différentes selon la catégorie sociale et le territoire d’origine. Le constat est le même pour les addictions et les conduites à risque. La Cour des comptes a souligné le sous-dimensionnement de nos politiques de prévention ou de dépistage.

Dans ce contexte, sur fond de désertification médicale et de crise sans fin de notre hôpital public, la mission Santé nous laisse perplexe, qui voit ses crédits passer de 3,4 à 2,5 milliards d’euros. La prévention demeure le parent pauvre de la politique de santé publique : les crédits alloués à l’action 14 Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades diminuent de 10 %, et ceux de l’Institut national du cancer (Inca) baissent même de 6 millions. Nous avons pourtant besoin d’investir massivement dans la prévention. Il y a quelques mois, j’avais formulé des propositions pour lutter contre l’exposition à la pollution atmosphérique. Que pensez-vous, madame la ministre, de l’idée de créer des territoires pilotes dans ce domaine ?

Alors que plus de 8 millions de personnes sont affectées d’une pathologie mentale, et un jeune sur cinq, les crédits dédiés à la prévention en santé mentale se limitent à 1,17 million d’euros. C’est également l’une des grandes absentes du PLFSS. Comment conduire une action résolue avec si peu de moyens ?

Le programme 379, qui vise notamment à abonder le Ségur de l’investissement, voit ses crédits ramenés à 900 millions d’euros. La tendance avait été annoncée dès le départ mais cela n’en représente pas moins une baisse de 53 %, alors que la rénovation des hôpitaux exige des moyens adaptés. Les agences régionales de santé (ARS) se trouvent contraintes de choisir les hôpitaux qui auront droit à être rénovés !

Le programme 183 concerne majoritairement l’AME. Celle-ci est une nécessité de santé publique, qui ne saurait être remise en cause. Ses bénéficiaires, très pauvres – les deux tiers sont en précarité alimentaire – se trouvent particulièrement exposés en raison de leurs conditions de vie. Si elle mobilise 51 % des crédits de la mission, l’AME ne représente que 0,5 % du budget de l’assurance maladie. Il est à espérer que le projet de loi à venir sur l’immigration ne la remettra pas en cause. Les propos du ministre de l’intérieur m’ont inspiré quelques inquiétudes sur la position du Gouvernement. Pourriez-vous préciser les choses ?

M. Paul-André Colombani (LIOT). Examiner la mission Santé du PLF est toujours un exercice frustrant compte tenu de son champ limité, puisqu’elle doit coexister avec le PLFSS. Je dirai un mot, d’abord, du volet prévention. L’action 12 Santé des populations perd 230 000 euros alors qu’elle finance des actions en direction des populations en difficulté, des mères, des enfants, des jeunes. L’action 14 Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades voit, quant à elle, ses crédits baisser de 5 millions alors qu’elle cible les maladies neurodégénératives, le cancer, la santé mentale et la santé sexuelle. Comment expliquez-vous ces baisses, alors que les maladies chroniques se développent au sein de notre population vieillissante et que le Gouvernement affiche ses ambitions en matière de prévention ? Je souhaiterais vous entendre en particulier sur la prévention des cancers en Guadeloupe et en Martinique et les plans chlordécone : quelles actions de prévention spécifiques préconisez-vous ? Pouvez-vous nous dire un mot au sujet du premier bilan du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, notamment concernant le chlordécone ?

J’en viens au financement des établissements de santé. La volonté de mon groupe est claire : nous voulons avancer rapidement sur la question des coefficients géographiques pour tenir compte des surcoûts liés à l’insularité, à l’éloignement, aux effets de seuil en Corse et en outre-mer. C’est un levier indispensable pour que les territoires insulaires rattrapent leur retard structurel en matière d’infrastructures et d’équipements dans le domaine de la santé. Ce taux stagne, pour la Corse, à 11 % depuis 2017, alors que l’on estimait en 2022 qu’il devait être porté à au moins 15 % afin de répondre au manque de moyens de nos hôpitaux. Il y a un an, le Gouvernement me répondait qu’il étudiait la possibilité d’actualiser ces coefficients ; il ne faut pas reporter une nouvelle fois le débat.

Enfin, je déplore que, chaque année, cette mission serve de prétexte pour chercher à provoquer un débat nourri de fantasmes et de stéréotypes sur l’AME. La Première ministre a annoncé le lancement d’une mission à ce sujet. Certains souhaitent la transformer en aide médicale d’urgence. On ne peut que regretter que ce dispositif soit sans cesse remis en cause alors qu’aucun rapport ne conclut à l’existence d’un tourisme médical. Surtout, aucun bilan n’a été fait depuis la dernière réforme, qui a limité l’accès à l’AME, notamment par l’introduction d’un délai de carence. Aucune mesure n’est proposée, en parallèle, pour lutter contre le non-recours. Céder aux sirènes de l’extrême droite serait un vrai danger. L’AME est un dispositif incontournable en termes de santé publique, qui profite à toute la population. C’est en outre un devoir d’humanité. Il est vrai, comme le disait Philippe Juvin, que des personnes sortent de l’avion et se présentent à un service de dialyse, mais n’importe quel médecin dans le monde effectuerait cette dialyse si la personne en a besoin ! On ne se pose pas la question du coût dans ce genre de cas. Transformer l’AME en aide d’urgence aurait pour conséquence d’engorger nos services d’urgence, qui sont déjà saturés, et de reporter certaines prises en charge, ce qui accroîtrait encore les coûts.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure spéciale de la commission des finances pour la mission Santé. Au sein de cette mission composite, deux points me paraissent particulièrement importants. En premier lieu, si le dispositif d’indemnisation des victimes de la Dépakine semble plutôt efficient, le nombre de dossiers déposés reste bien en deçà de celui des victimes potentielles. Il faudrait à mon sens conduire une large campagne de communication pour identifier ces dernières, notamment en s’appuyant sur les bases de données de l’assurance maladie. D’après les informations que j’ai obtenues, des courriers devaient être envoyés à 1 200 000 femmes avant que la crise sanitaire n’entrave cette démarche. Votre ministère envisage-t-il de mener à son terme ce nécessaire effort de communication ?

En second lieu, l’AME ne me paraît plus soutenable pour nos finances publiques. Les dépenses engagées au titre de ce dispositif ont augmenté de 41 % depuis 2017. Au 31 mars 2023, le nombre de bénéficiaires, au titre de l’AME de droit commun, s’élève à 422 686, soit une augmentation de près de 133 % depuis sa création. S’ils sont de plus en plus nombreux, ces bénéficiaires sont pourtant toujours aussi imparfaitement connus. Est-il envisagé d’autoriser le recueil des données sur la nationalité des demandeurs et des bénéficiaires de l’AME, ainsi que sur les pathologies soignées ? L’absence de données est regrettée par des voix de diverses sensibilités. Dans un avis du 9 octobre 2019, le Défenseur des droits avait déploré le manque de statistiques publiques concernant les bénéficiaires de l’AME. Je crois également que l’AME de droit commun devrait être limitée aux soins urgents. La Première ministre a annoncé récemment la création d’une mission pour déterminer si le dispositif doit être réformé. Auriez-vous des compléments d’information à ce sujet ? Le Parlement sera-t-il associé à ces travaux ?

Mme la ministre déléguée. L’AME est un dispositif nécessaire, humanitaire, de santé publique. Nous avons déjà, collectivement, resserré le panier de soins, à la suite du rapport de l’Igas de 2019. Le nouveau panier permet de prendre en charge les personnes en situation irrégulière, et dans certains cas, les prestations sont conditionnées par une demande d’entente préalable. Je ne peux pas laisser dire qu’il y aurait un tourisme médical développé. Lorsque quelqu’un descend de l’avion et a besoin d’une dialyse, il faut répondre à l’urgence. Un budget est dédié aux soins devant être prodigués dans un délai inférieur à trois mois.

La crise sanitaire a empêché la montée en puissance des mécanismes de contrôle prévus, mais les Cpam, qui ont de plus en plus accès au dispositif Visabio, sont en train de les développer. Les résultats sont là. MM. Claude Évin et Patrick Stefanini, à qui nous avons confié une mission sur ce sujet, devraient nous remettre leur prérapport le 2 novembre et le rapport définitif le 15 janvier prochain. Ces deux personnalités ont des domaines d’expertise complémentaires, la politique migratoire pour le second, le système de santé pour le premier. Ils pourront s’appuyer sur les travaux déjà réalisés et interroger tous les acteurs. Le Gouvernement a la volonté d’évaluer systématiquement les politiques publiques et d’apporter des réponses en cas de nécessité.

Le Gouvernement n’a en tout cas nullement l’intention de supprimer l’AME. Ce serait d’ailleurs aussi, comme l’exemple de l’Allemagne l’a montré, nous priver des indicateurs qui permettent d’évaluer l’accès aux soins et les dépenses afférentes.

Monsieur le rapporteur, vous savez à quel point je suis attachée à ce que nous défendions et appliquions le principe « une seule santé ». L’Institut One Health a ouvert à Lyon. Pour la première fois, une ministre a la santé environnementale dans ses attributions. Nous devons agir ensemble, en amont, sur tous les sujets liés à la qualité de l’air, à la qualité de l’eau, à la transmission potentielle de maladies par des zoonoses... Il faut prévenir le déclenchement de ces maladies. Le concept de One Health doit trouver une traduction concrète dans toutes nos politiques publiques.

Monsieur Martin, comme vous l’avez dit, la proposition de loi visant à instituer un registre national des cancers a été adoptée en première lecture au Sénat. La politique de lutte contre le cancer nous concerne tous : 4 millions de nos concitoyens vivent aujourd’hui, à différents degrés, avec cette maladie. Il faut rappeler combien notre pays est avancé en matière de données de santé. Nous disposons d’atouts considérables. Le cancer est une maladie qui nécessite un suivi et des soins coûteux et prolongés. Tous les patients sont automatiquement considérés comme relevant du régime de l’affection de longue durée (ALD), qui leur permet de bénéficier d’une prise en charge des soins à 100 %. Les données relatives au traitement de chacun d’entre eux sont déjà répertoriées dans le système national des données de santé. L’enjeu est de mieux valoriser ces données. Tel est l’objet de la plateforme des données de santé instituée en 2019, une infrastructure innovante qui facilite le partage et l’analyse croisée des données de santé issues de sources variées – en premier lieu, de la base anonymisée du système national des données de santé. Enfin, l’Inca s’attache avec toute son expertise sanitaire et scientifique à la lutte contre le cancer. Nous suivrons avec attention la suite du parcours de cette proposition de loi.

S’agissant des patients souffrant d’une ALD et n’ayant pas de médecin traitant, le Président de la République a assigné un objectif ambitieux au Gouvernement : faire en sorte qu’un maximum d’en eux puissent obtenir une réponse avant la fin de l’année. L’assurance maladie a écrit à tous les patients concernés. Les communautés professionnelles territoriales de santé et les médecins sont fortement mobilisés, dans chaque territoire. Je ne dispose pas encore de chiffres mais nous savons que leur mobilisation a déjà permis de résoudre un certain nombre de difficultés. Nous avons également constaté, ce qui ne manque pas d’intérêt, que certains de nos concitoyens ne souhaitent pas avoir de médecin traitant.

Monsieur Frappé, vous avez évoqué la réponse aux besoins en matière de santé et les enjeux de l’accompagnement des professionnels de santé. Je vous confirme que nous prenons ces sujets à bras-le-corps : ils constituent notre quotidien.

Monsieur Nilor, s’agissant des enjeux spécifiques des outre-mer, nous apportons des réponses. En matière de prévention, je veux rappeler que la « loi Rist », entrée en vigueur en mai dernier, permet aux pédicures-podologues d’assurer en accès direct le traitement du pied diabétique. Les territoires d’outre-mer répondront sans nul doute présent en matière de sport santé et de développement de l’activité physique adaptée : les médecins la prescriront certainement, comme dans l’Hexagone. Nous serons vigilants sur le développement de l’activité physique adaptée dans ces territoires.

Monsieur Juvin, le développement des soins palliatifs – qui ne relèvent pas, à proprement parler, de la mission Santé – constitue un enjeu majeur. Le Président de la République et la Première ministre nous ont demandé d’apporter des réponses. Le PLFSS prévoit 20 millions d’euros supplémentaires pour entamer la création d’une filière de prise en charge palliative, conformément à l’instruction donnée aux ARS. C’est l’une des premières briques du développement des soins palliatifs.

En ce qui concerne les papillomavirus, la volonté est là. Nous entendons développer la vaccination préventive, qui sera proposée gratuitement dans toutes les classes de cinquième. Nous évaluerons cette campagne dans quelques années. Il a été constaté que lorsque la vaccination est faite très en amont, chez les filles et les garçons, les résultats sont probants.

Nous devons continuer à travailler sur la problématique du covid long. Des études sont menées pour en identifier les causes. Nous serons évidemment au côté des patients.

Concernant l’AME, le tourisme médical n’existe plus. Les demandes d’entente préalable sont nécessaires pour les opérations non urgentes.

Monsieur Falorni, dans le cadre du Ségur de la santé, 19 milliards d’euros sont mobilisés sur dix ans en faveur de l’investissement, dont 13 milliards engagés en novembre 2019, auxquels s’ajoutent 6 milliards sur cinq ans, annoncés dans le cadre du Ségur et intégrés dans le plan France relance de 100 milliards. Ces 6 milliards s’inscrivent dans le cadre du plan national de relance et de résilience. Cet investissement contribuera à concrétiser les priorités de l’Union européenne en matière sociale, environnementale et numérique.

Trois axes sont privilégiés. S’agissant, premièrement, des investissements en faveur des établissements de santé, qui reçoivent 2,5 milliards sur les 6 milliards d’euros de crédits européens, une somme de 1 milliard est destinée au soutien des projets structurants ou prioritaires des établissements de santé. Le versement de ces crédits a été délégué aux agences régionales de santé, qui doivent contractualiser avec les établissements avant la mi-2025. Sur le milliard et demi destiné à soutenir la relance de l’investissement courant des établissements de santé, 982 millions ont déjà fait l’objet d’une contractualisation entre ARS et établissements en 2021 et 2022. Plus de 395 millions ont été versés à plus de 1 600 établissements.

Deuxièmement, sur le milliard et demi affecté à la prise en charge des personnes âgées dépendantes, 280 millions en 2021 et 240 millions en 2022 ont été notifiés aux ARS pour appuyer les projets de restructuration ou de création d’Ehpad. En 2023 et 2024, 465 millions supplémentaires compléteront le dispositif.

Troisièmement, le volet du numérique dans le champ sanitaire et médico-social se voit affecter 2 milliards d’euros – 1,4 milliard pour le champ sanitaire et 0,6 milliard pour le secteur médico-social. Sur cette enveloppe, en 2021, 280 millions ont permis de financer le pilotage et la maîtrise d’œuvre nationale, 493 millions ont été alloués au financement des éditeurs, afin de mettre à la disposition des professionnels de santé des logiciels répondant aux exigences de la feuille de route du numérique en santé, et 191 millions ont été versés aux établissements de santé au titre de l’incitation à l’usage.

M. Peytavie et Mme Rousseau m’ont interrogée sur le PNSE 4. Il y a un lien essentiel entre notre environnement, les écosystèmes et le vivant en général, surtout la santé humaine. Ce constat est au fondement de l’initiative One Health. Les attentes citoyennes à ce sujet sont fortes et en constante progression au cours des dernières années. Ces préoccupations rejoignent désormais celles liées à la précarité sociale et économique.

La santé environnementale est un enjeu de santé publique prioritaire. D’après l’OMS, les facteurs environnementaux sont responsables de près de 20 % de la mortalité en Europe. Il est donc urgent que nous nous penchions sur ce sujet.

La santé environnementale est pleinement intégrée à la stratégie nationale de santé, par le biais de la promotion de conditions de vie et de travail favorables à la santé ainsi que de la maîtrise des risques environnementaux. Elle est aussi au cœur du plan national de santé publique « Priorité prévention ». La déclinaison du PNSE 4, qui fait l’objet d’un suivi par les parlementaires dans le cadre du groupe santé-environnement présidé par Mme Anne-Cécile Violland, est assurée par les ARS selon quatre axes : mieux connaître les impacts de l’environnement sur la santé ; mieux former les professionnels ; renforcer et soutenir la recherche en santé-environnement ; et valoriser les bonnes pratiques.

Sur le bilan des vaccins, s’agissant notamment des exportations, la solidarité française est essentielle. Dans ce domaine comme dans d’autres, la France a su tenir sa place.

Monsieur Valletoux, le sport santé est un enjeu important. À la veille des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et tandis que nous accueillons la Coupe du monde de rugby, l’activité physique, notamment l’activité physique adaptée (APA), est grande cause nationale. Nous avons une opportunité assez extraordinaire de nous mettre en mouvement. Les indicateurs d’obésité et d’entrée précoce dans des pathologies chroniques parmi les jeunes doivent nous faire prendre conscience que la prescription de l’APA est un enjeu majeur.

Le PLFSS 2024 apporte une première réponse, sous la forme d’une expérimentation du forfait multi-acteurs selon les dispositions de l’article 51 de la LFSS 2018. Comme j’ai eu l’occasion de le dire à certains d’entre vous la semaine dernière dans le cadre du comité de suivi du Ségur, nous travaillons à une modélisation du coût, dans le cadre du droit commun, de l’APA pour certaines pathologies. Cela prend du temps, mais la volonté est là. J’ai constaté la semaine dernière, lors d’un déplacement près d’Angers, que les collectivités locales sont des acteurs essentiels et importants du développement de l’APA.

La nutrition est un enjeu majeur. Le nutri-score est recommandé par les autorités françaises depuis octobre 2017. Début 2021, sept pays européens – l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse – l’avaient adopté. Afin d’en coordonner l’application, nous avons créé un comité de pilotage et un comité scientifique indépendant. Son nouvel algorithme de calcul entrera en application en 2024. Une fois la réglementation française révisée, une période de deux ans sera laissée aux opérateurs afin d’assurer une transition dans des délais optimaux pour tous.

Madame Rousseau, je laisse mes collègues MM. Rousseau et Cazenave ainsi que Mme Bergé, qui seront auditionnés demain par cette commission, vous répondre sur le PLFSS 2024.

La prise de conscience que la santé environnementale est un enjeu de santé publique et que la santé est un tout est réelle. Le retour d’expérience de la crise du covid nous en a sans doute fait prendre conscience de cette notion de One Health. Nous devons intégrer les enjeux de santé environnementale dans les politiques publiques. Par ailleurs, le secteur de la santé représente 8 % de nos émissions de gaz à effet de serre : les politiques publiques doivent l’engager dans une planification écologique, à laquelle nous travaillons.

En cette journée mondiale de la santé mentale, M. Dharréville a évoqué le sujet, sur lequel j’ai aussi été interrogée tout à l’heure lors de la séance de questions au Gouvernement. Les crédits du programme 204, loin de diminuer, sont en augmentation : ce sont bien les crédits du programme 379, lié au covid, dont la phase épidémique est heureusement passée, qui s’amenuisent.

Monsieur Colombani, vous m’avez interrogée sur le coefficient géographique. Le ministre de la santé et de la prévention a pris la semaine dernière l’engagement de travailler à la réponse que nous devons aux élus de Corse et d’outre-mer à ce sujet. Je vous transmettrai ultérieurement les réponses à vos deux questions sur la prévention.

S’agissant de l’AME, la question ne surgit pas parce qu’il est question du PLF 2024, mais dans l’attente du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration qui va venir. Le Gouvernement a confié à MM. Claude Évin et Patrick Stefanini une mission visant à évaluer cette politique publique, qui l’a déjà été en 2019 par l’Igas. Il n’a nullement l’intention de supprimer l’AME, ce qui serait une grave erreur.

Madame Louwagie, j’ai pris note de votre satisfecit sur la politique d’accompagnement des victimes de la Dépakine. Les courriers ont été envoyés en août 2023. La question de savoir s’il est possible d’ouvrir un fichier des pathologies est une question de droit, qui fait partie du champ de la mission confiée à MM. Évin et Stefanini.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux autres questions.

M. Jean-François Rousset (RE). Je me réjouis que le budget 2024 prévoie le versement de 1 milliard d’euros aux ARS afin de répondre aux enjeux de l’investissement en région – dans ma circonscription, un hôpital commun est en construction.

Ces investissements contribuent directement à l’amélioration de l’équilibre territorial et de l’accès aux soins en ruralité, en permettant d’assurer un service médical de haut niveau avec un matériel de pointe. Ils contribuent aussi au travail sur l’attractivité des métiers. Régulièrement, je travaille avec des acteurs de santé pour améliorer la coordination des professionnels, dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé ou de services d’accès aux soins tels que les maisons de santé, qui sont indispensables. L’État est au rendez-vous, ce qui est une excellente nouvelle.

Des financements ne relevant pas du plan national de relance et de résilience sont annoncés. Pouvez-vous en préciser le montant et les modalités de déploiement ?

M. Yannick Neuder (LR). Madame la ministre, je partage votre satisfaction s’agissant du fort taux d’adhésion constaté lors de la campagne nationale d’administration du Beyfortus, qui est un anticorps monoclonal permettant de diminuer les formes graves de bronchiolite. Toutefois, je constate avec inquiétude que Santé publique France a déclaré avoir commandé 200 000 doses, soit moins que le nombre de naissances dénombrées au premier trimestre de cette année. Certaines pharmacies ne sont plus approvisionnées, d’autres sont en pénurie.

Il est regrettable de ne pas profiter des progrès médicaux qui permettraient d’éviter ce qu’a provoqué la bronchiolite l’hiver dernier, à savoir le bouleversement du système de santé des urgences pédiatriques et de la réanimation pédiatrique, dont nous ne semblons pas avoir tiré les leçons. Pourquoi ne pas avoir commandé assez de doses ? Les officines seront-elles réapprovisionnées en doses de 100 milligrammes ?

Mme Servane Hugues (RE). La mission Santé apporte pour 2024 un soutien considérable aux projets d’investissements dans les établissements médico-sociaux, à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Elle soutient également, à hauteur de 900 millions, l’accompagnement des projets prioritaires et de développement du numérique dans les établissements de santé et médico-sociaux (ESMS).

Cependant, le secteur médico-social connaît d’énormes difficultés de recrutement et de fidélisation des professionnels. Plusieurs milliers de postes demeurent vacants. Manque d’attractivité, faible rémunération, contrats précaires et conditions d’exercice pénibles entraînent une détérioration de la qualité de leur mission et, de facto, de la prise en charge, de la sécurité et du bien-être des usagers.

Le Gouvernement entend-il, dans le cadre du PLF ou par voie réglementaire, agir en faveur de l’attractivité des métiers du secteur médico-social ?

Mme Isabelle Valentin (LR). S’agissant de l’autonomie des personnes âgées, le PLF prévoit la création de places de services de soins infirmiers à domicile ainsi que le financement de l’augmentation du nombre de professionnels exerçant dans les Ehpad, ce dont nous nous réjouissons. Les ESMS manquent de personnel. Pour les métiers du secteur médico-social, Parcoursup est une erreur majeure – plus de 30 % des candidats abandonnent en première année. Comment recruter et fidéliser dans ces filières des personnes motivées ?

Sur le nutri-score, je suis très réservée. Il ne réglera pas le problème de l’obésité des enfants, car il n’indique pas le degré de transformation des produits ni la présence d’additifs. Je lui préfère la classification NOVA, qui classe les produits en fonction de leur degré de transformation.

Mme Annie Vidal (RE). Je salue les nombreuses mesures inscrites dans ce PLF, notamment celles du programme 204 visant à réduire les inégalités territoriales et sociales.

Je nourris une préoccupation, comme chaque année malheureusement, sur les transports bariatriques programmés. Si le résultat de récentes négociations entre la Cpam et les transporteurs sanitaires prévoit explicitement la définition d’un modèle de prise en charge de droit commun pour les personnes en situation d’obésité, le transport de celles-ci présente toujours un surcoût financier important, pouvant aller jusqu’à 500 euros pour un aller-retour à l’hôpital, ce qui entraîne un non-recours aux soins pour un public déjà considérablement fragilisé.

Pouvez-vous faire le point sur ce sujet, sur lequel je sais que vous travaillez et progressez doucement ? Disposons-nous d’un calendrier de mise en œuvre de la prise en charge des transports bariatrique programmés ?

M. Didier Le Gac (RE). J’aimerais évoquer l’organisation territoriale des soins dentaires, pour lesquels la prévention est essentielle. L’article 24 du PLFSS 2024 prévoit la généralisation d’une organisation expérimentée pendant la crise du covid, consistant à permettre aux chirurgiens‑dentistes d’assurer la régulation de la permanence des soins dentaires dans les centres de réception des appels des Samu‑Centre 15. Il apparaît que les patients des cabinets dentaires de garde n’ont pas toujours besoin de soins en urgence – sachant toutefois que si les patients appellent les urgences le week-end, c’est aussi faute d’obtenir un rendez-vous en semaine.

Pouvez-vous faire le point sur la filière de l’odontologie, s’agissant notamment de la création de nouveaux sites universitaires et du numerus clausus ? Obtenir un rendez-vous chez un dentiste exerçant à une distance raisonnable de chez eux est un vrai problème pour nos concitoyens.

M. Paul Christophe (HOR). Madame la ministre, vous avez présenté il y a peu un plan visant à mieux appréhender les violences commises envers les soignants et à mieux protéger les victimes. Il vise notamment à rendre attractifs les métiers de la santé et à leur redonner du sens, dans un contexte de pénurie de soignants.

Nous avons la responsabilité, chacun en conviendra, de garantir aux soignants l’exercice de leurs missions dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Le plan précité se déploie selon trois axes : sensibiliser le public et former les soignants ; prévenir les violences et sécuriser l’exercice des professionnels ; déclarer les agressions et accompagner les victimes.

Pouvez-vous évoquer les mesures phares que vous comptez prendre à court terme et en préciser les contours en lien avec la programmation budgétaire qui nous occupe ?

M. Thibault Bazin (LR). Madame la ministre, l’examen de la mission Santé du budget 2024 nous offre l’occasion de vous interroger sur l’AME. L’explosion de son coût scandalise bon nombre de nos concitoyens, dont certains ont des difficultés à accéder aux soins ou à financer le reste à charge. Nous ne contestons pas sa nécessité dès lors qu’il s’agit de donner un accès à des soins urgents ou d’éviter la propagation de maladies en France. Nous faisons observer que son coût a explosé année après année, pour atteindre près de 1,7 milliard d’euros.

Cette évolution n’a rien de surprenant : elle suit celle de l’immigration illégale. Le nombre des bénéficiaires de l’AME a augmenté de 8 % en un an. Au 31 mars 2023, 422 686 personnes entrées illégalement sur notre sol en bénéficiaient, parmi lesquelles certaines ont été déboutées du droit d’asile, et d’autres contestent les expertises médicales indiquant que leur demande de droit au séjour pour motif médical n’est pas fondée. Il faut se rendre à l’évidence : une limitation substantielle des dépenses de l’AME est impossible sans lutte réelle contre l’immigration illégale.

Vous avez indiqué que la lutte contre la fraude et les abus a tardé, en raison de la crise sanitaire, mais se déploie. Très concrètement, quels moyens humains avez-vous mobilisés pour renforcer le contrôle de cette politique ?

Enfin, nous avons une proposition très concrète : la réduction du panier de soins et la mise en place d’une procédure d’agrément pour les soins non urgents dont le coût est supérieur à un certain montant. Y êtes-vous favorable ? Si oui, êtes-vous prête à la mettre en œuvre en 2024 ?

M. Fabien Di Filippo (LR). Madame la ministre, j’aimerais vous interroger sur les arrêts maladie abusifs. Nous ne pouvons nous réjouir de l’explosion du coût des arrêts maladie, à hauteur de 30 % en onze ans. Chacun, dans son entourage et dans les entreprises, constate les dérives. Certes, il faut prendre en charge les affections de longue durée, mais la multiplication des arrêts de travail juste avant ou juste après des congés par exemple intrigue, et pousse à s’interroger sur l’attitude de certains médecins du travail.

Je crois savoir que des travaux sont en cours à ce sujet. Quel est leur état d’avancement ? Quand le Gouvernement sera-t-il prêt à contrôler la réalité des situations ?

Mme la ministre déléguée. Monsieur Rousset, vous m’interrogez sur les dépenses en faveur des ESMS décidées dans le cadre du Ségur de la santé, qui s’ajoutent aux 6,5 milliards d’euros investis dans le cadre du plan national de relance et de résilience et qui sont notamment régies par l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

Les engagements à la contractualisation suivent le rythme de l’instruction des projets par les ARS et à l’échelon national. Lors de cette instruction, qui vise à sécuriser la pertinence et la soutenabilité de ces choix d’investissements structurants, chaque projet est évalué dans toutes ses dimensions – médicale, soignante, architecturale, financière et territoriale –, ce qui demande du temps. À ce jour, environ 760 millions d’euros ont déjà été notifiés et contractualisés. Sur ce montant, environ 250 millions auront été versés aux établissements fin 2023.

Monsieur Neuder, il y a deux façons de répondre à vos questions sur le Beyfortus, selon que l’on considère le verre à moitié vide ou à moitié plein. Seuls quatre pays au monde ont fait le choix de recourir au Beyfortus. Nous pouvons nous féliciter que la France ait décidé très en amont d’offrir cette possibilité d’immunisation des nourrissons contre la bronchiolite. Le premier chiffrage donnait un taux d’adhésion de 10 %. Il faut rendre à François Braun ce qui appartient à François Braun : il a fait le choix de ne pas s’en tenir là et a fait le pari d’atteindre les 30 %. Or dans certaines maternités, nous en sommes à 80 %.

Il a donc fallu établir des priorités. Nous avons donné la priorité aux nourrissons qui viennent de naître et sont encore en maternité, ce qui fait que les officines ne sont plus approvisionnées. Nous continuons à négocier avec les laboratoires pour obtenir rapidement des doses de 100 milligrammes supplémentaires pour les officines. Je ferai juste remarquer que certains ont beaucoup critiqué une précédente ministre de la santé pour avoir commandé trop de vaccins contre le virus de la grippe H1N1...

Reste qu’il faut se féliciter du succès en matière d’adhésion, avec un taux bien supérieur à ce qui était attendu, et saluer le pouvoir de conviction et le travail mené par les professionnels de santé sur ce mode d’immunisation.

Madame Hugues, l’attractivité des métiers ne relève pas du PLF mais d’une mission interministérielle qui travaille depuis plusieurs années. C’est un enjeu. La fidélisation des professionnels de santé en exercice en est un autre, qui est à mes yeux prioritaire.

Cela suppose des mesures d’attractivité salariale : elles ont été prises dans le cadre du Ségur de la santé, avec la revalorisation des indemnités d’heures de nuit et du dimanche. Cela suppose aussi de redonner du sens à l’exercice professionnel : tel est l’objet de la demande du Président de la République de revenir à l’échelle du service. Cela suppose enfin de dire aux jeunes que les métiers du soin sont porteurs de sens et d’en parler positivement – car il importe, en France, de positiver. Tout n’est pas rose, et l’on sait que les services d’urgences sont sur une ligne de crête, mais nous sommes, dans notre pays, bien pris en charge et bien soignés, grâce à l’engagement des professionnels de santé.

Madame Valentin, votre question portait plus précisément sur la formation aux métiers infirmiers. J’avais eu l’occasion de le dire au début de l’année : 2023 est l’année de ces métiers. Nous avons lancé deux chantiers de façon simultanée, sur la révision des métiers et sur les enjeux de formation, l’un ne se concevant pas sans l’autre.

S’agissant de l’intégration de ces formations dans Parcoursup, l’Igas a remis un rapport qui pousse à réfléchir. Nous lancerons dans les jours à venir une grande consultation nationale sur les enjeux de la formation aux métiers infirmiers sur Agora. Nous travaillons aussi avec les étudiants et les professionnels sur ce sujet.

Vous avez un avis sur le nutri-score. La France a fait le choix de l’adopter. Six pays européens nous ont emboîté le pas. La version révisée de son algorithme de calcul sera mise en application en 2024. Nul ne s’exposerait au ridicule de dire qu’il s’agit du seul moyen de lutte contre l’obésité, mais il s’agit d’une réponse parmi d’autres. Les enjeux de la lutte contre l’obésité dépassent le nutri-score.

Madame Vidal, le transport bariatrique est un sujet qui occupe beaucoup d’acteurs depuis quelques années. Nous progressons. Des travaux ont été engagés pour adapter les modalités de rémunération des transporteurs privés afin qu’ils investissent dans les équipements et la manutention nécessaires à la prise en charge des patients. Un cahier des charges établissant un référentiel technique et organisationnel relatif au transport bariatrique est en cours de concertation avec les représentants des transporteurs sanitaires ainsi que les référents transports et obésité des ARS. Il sera finalisé avant la fin de l’année.

Conformément à l’avenant n° 11 à la convention nationale organisant les rapports entre les transporteurs sanitaires privés et l’assurance maladie, signé en avril 2023, l’assurance maladie a convenu de définir un modèle économique pour le transport bariatrique, visant notamment à conforter l’équilibre économique de cette activité en tenant compte des coûts supplémentaires d’équipement et de main-d’œuvre qu’elle induit.

Les partenaires conventionnels se sont engagés à proposer un modèle tarifaire dès la finalisation par le ministère d’un cahier des charges propres à cette activité. Les discussions sur le volet tarifaire débuteront au premier semestre 2024.

Monsieur Le Gac, l’expérimentation sur la base de l’article 51 que vous évoquez est toujours en cours. S’agissant de la formation des dentistes, il importe de réfléchir à une universitarisation, que nous élaborons avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au Havre, nous avons ainsi reçu et accompagné des étudiants dès la troisième année, alors même qu’il n’y avait pas de faculté d’odontologie – et certains étudiants formés au Havre y sont restés. Pour les dentistes comme pour les autres métiers de la santé et du soin, développer des formations au plus près des territoires est une nécessité.

Monsieur Christophe, la sécurité des professionnels de santé fait partie intégrante de l’attractivité des métiers de la santé. J’aurais aimé ne pas avoir à travailler sur ces enjeux, mais nous sommes dans l’obligation d’apporter une réponse aux professionnels de santé, qu’ils travaillent en établissement de santé ou en médecine de ville.

Le plan que vous évoquez comporte quarante-deux mesures. L’une d’entre elle vise à créer un délit d’outrage aux professionnels de santé libéraux, en s’assurant que toute plainte sera suivie d’effet dès lors qu’elle est jugée recevable. Nous sommes très vigilants également quant à la situation des infirmières qui se déplacent à domicile. Le plan du Gouvernement prévoit de les équiper de systèmes de géolocalisation ou d’alerte. C’est une des choses qui ressort des échanges que j’ai eus avec elles : les infirmières qui se sont fait agresser lors d’une visite à domicile réalisent ensuite que nul ne savait où elles se trouvaient lors de l’agression. S’agissant des professionnels exerçant en établissement de santé, mais aussi en cabinet et en maison de santé, l’enjeu est la réfection bâtimentaire.

Nous prévoyons également le développement de la protection fonctionnelle et l’alourdissement des peines en cas de vol. Un autre enjeu est de développer la formation à la gestion de l’agressivité, celle d’autres soignants parfois, et celle des patients, que le stress, la douleur et l’attente d’une réponse mettent sous pression. Nous lancerons une grande campagne de sensibilisation, sans stigmatiser les patients, qui ne sont pas tous violents mais peuvent le devenir dans certaines circonstances. Il faut faire comprendre que la tolérance zéro est la règle.

Le rapport sur la santé des professionnels de santé commandé à Philippe Denormandie, Alexis Bataille-Hembert et Marine Crest-Guilluy m’a été remis hier. Des avancées sont attendues, tant en médecine de ville qu’en établissement, d’après le questionnaire auquel 50 000 professionnels de santé ont répondu. Je présenterai une feuille de route d’ici la fin de l’année.

Monsieur Bazin, les crédits prévus par le PLF pour l’AME ne s’élèvent pas à 1,7 mais à 1,2 milliard d’euros. Quant au panier de soins, il a été réduit en 2019, conformément à la recommandation de l’Igas. Pour les opérations non urgentes, la demande d’accord préalable est d’ores et déjà la règle.

Selon les préconisations que formuleront MM. Évin et Stefanini, nous prendrons des décisions. En tout état de cause, le Gouvernement n’a pas l’intention de supprimer l’AME. Quant aux contrôles, la cible est fixée à 15,3 %, contre 13 % auparavant : leur montée en puissance est donc bien réelle. Le rattrapage de ce qui n’a pu être fait en raison de la crise du covid est en cours. Contrôler une politique publique est normal.

Monsieur Di Filippo, les arrêts de travail relèvent du PLFSS. Nous prévoyons de limiter le versement des indemnités journalières si l’arrêt de travail est prescrit en téléconsultation et de simplifier les procédures de contrôle, en permettant notamment la suspension automatique des indemnités journalières en cas de constat d’un arrêt de travail injustifié par un médecin contrôleur mandaté par l’employeur. Par ailleurs, des travaux sont menés, dans le cadre de la conférence sociale, sur les conditions de travail, qui ne sont pas sans lien avec l’augmentation du nombre d’arrêts de travail.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Madame la ministre déléguée, au nom des commissaires aux affaires sociales, je vous remercie de vos réponses détaillées.

Je me permets de vous inviter à la vigilance quant à la publication des décrets d’application de la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite « loi Rist ». Il en va de même pour d’autres textes de loi relatifs à la prévention adoptés par le Parlement, notamment la loi pour renforcer la prévention en santé au travail et la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote.

Mme la ministre déléguée. Soyez assurée de la vigilance du Gouvernement à ce sujet.


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II.   Examen de l’avis du rapporteur

Au cours de sa réunion du mercredi 8 novembre 2023, la commission examine l’avis de M. Sébastien Peytavie, rapporteur, sur les crédits de la mission Santé du projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680) (seconde partie) ([37]).

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous concluons aujourd’hui nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. La Première ministre ayant engagé hier soir la responsabilité du Gouvernement sur la seconde partie du PLF, il n’y aura pas lieu pour notre commission d’examiner les amendements et de se prononcer sur les crédits. Néanmoins, les quatre avis budgétaires seront publiés comme il se doit, regroupant le compte rendu de nos auditions et réunions ainsi que les travaux thématiques de nos rapporteurs pour avis. Ces travaux conservent toute leur pertinence.

Nous en avons déjà pris connaissance pour les missions Régimes sociaux et de retraite le 25 octobre et Travail et emploi le 31 octobre. Il nous reste à le faire pour les missions Santé et Solidarité, insertion et égalité des chances. Pour ce qui est de la mission Santé, je rappelle que nous avons entendu le 10 octobre Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

M. Thibault Bazin (LR). Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) revient dans deux semaines. Le Sénat se prononcera le mardi 21, et le texte est inscrit en séance publique le jeudi 23. Quel sera l’agenda de nos travaux ? En tant que présidente de la commission, pourriez‑vous demander au Gouvernement une étude d’impact des amendements insérés au dernier moment ? Je pense notamment à la modification des cotisations pour les professions libérales et à ses effets sur l’équilibre interne des régimes autonomes et l’évolution des cotisations maladie. Un amendement de treize pages sans étude d’impact sur les conséquences à long terme, c’est très inquiétant. À l’avenir, pourrait-on planifier l’examen des missions budgétaires avant l’intervention de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, qui limite un peu l’intérêt de nos réunions ?

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). D’évidence, l’exercice auquel nous allons nous livrer ce matin perd un peu de son intérêt, malgré tout le respect que je dois aux rapporteurs et même si leur travail va alimenter notre réflexion. En réalité, le problème n’est pas tant le calendrier de la commission, même s’il a son lot de contingences, que le fait que l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution soit intervenu hier soir, ce qui nous empêche de délibérer en commission comme en séance. Nous ne nous habituons pas à cette manière de procéder qui nous prive de discussions et de votes.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Comme je viens de le dire, les rapports pour avis demeurent un travail important qu’il est utile de partager et de rendre public, ne serait-ce que pour que nos collègues sénateurs prennent connaissance de nos travaux. S’agissant de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement, ce n’est évidemment pas nous qui avons la main. Quant à notre agenda, la semaine du 20 novembre sera assez chargée pour notre commission, entre l’examen en nouvelle lecture du PLFSS en commission et en séance, celui de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir en France, ainsi que les textes dont le groupe La France insoumise a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui seront réservées le 30 novembre.

M. Sébastien Peytavie, rapporteur pour avis. À nouveau, je suis contraint de commencer en déplorant l’engagement de la responsabilité du Gouvernement, cette fois sur la seconde partie du PLF 2024 et pour la seizième fois au total. J’aurais aimé que nous puissions débattre sereinement de cet avis sur la mission Santé sans nous demander jusqu’au dernier moment si nous allions pouvoir examiner les amendements.

En multipliant le recours à l’article 49, alinéa 3, le Gouvernement perturbe considérablement nos travaux et nous prive de notre droit d’amendement. En tout cas, il réduit cette prérogative essentielle à la seule recherche d’un temps de parole, lui-même réduit à peau de chagrin. Il écourte la délibération démocratique et, en bridant l’expression de la volonté générale, empêche un débat en séance publique, comme il l’a fait l’an passé, sur des enjeux aussi cruciaux que ceux de la mission Santé.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner devant vous il y a un mois, lors de l’audition de la ministre Firmin Le Bodo, la mission Santé contient des mesures éparses et se voit allouer trop peu de crédits. Je donnerai d’ailleurs un avis défavorable à ces crédits.

Cette mission recouvre pourtant des enjeux majeurs pour notre pays, qui la dépassent largement. Ce sont ces enjeux que j’ai cherché à explorer au cours de mes travaux sur les nouveaux indicateurs et sur les nouvelles approches pour remettre la santé et le bien‑être au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires. Pour cela, j’ai conduit de nombreuses auditions de décideurs publics mais aussi de statisticiens, de chercheurs, d’élus locaux ou encore de représentants d’institutions internationales, comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le constat est sans appel : il est grand temps de placer la santé et le bien‑être au cœur de nos politiques publiques. La santé, définie par l’OMS comme un « état de complet bienêtre physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », ne constitue pas une politique parmi d’autres mais la matrice qui doit définir et guider l’action publique. N’oublions pas que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, reconnue dans le bloc de constitutionnalité de la Ve République, fait du bonheur de tous l’un des objectifs des institutions, notamment de l’État. Le bien‑être et la bonne santé ne constituent-ils pas l’un des fondements de ce bonheur auquel nous avons toutes et tous le droit de prétendre ?

Or, s’il existe en France des politiques publiques de santé, comprenant notamment des dépenses publiques spécifiques ou encore une stratégie nationale, l’action publique ne répond pas à l’ambition de cette définition, qui suppose une impulsion politique décuplée et une réflexion plus globale qui s’étende notamment aux indicateurs et aux approches à adopter.

Pourtant, la France, grâce à la richesse des travaux produits par ses instituts et par ses chercheurs, telles Dominique Méda ou Florence Jany-Catrice, était motrice sur ce sujet il y a quinze ans déjà. En 2008, le Président de la République avait créé une commission à la renommée mondiale, dite « commission Stiglitz », se fondant sur le constat que les indicateurs statistiques sont importants pour concevoir et évaluer les politiques visant à assurer le progrès des sociétés. Cette commission a tout particulièrement remis en cause la pertinence du PIB comme indicateur.

Le législateur a poursuivi cette démarche et a adopté, en avril 2015, la loi dite « Sas » qui établissait de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, tels que l’indicateur d’espérance de vie en bonne santé. Cette loi prévoit la remise annuelle par le Gouvernement d’un rapport sur ces indicateurs. Mais que sont devenus ces efforts ? Le Gouvernement n’a pas respecté l’obligation fixée par le Parlement et a cessé, depuis 2019, de publier les rapports prévus par la loi Sas. L’omniprésence du PIB n’a jamais été réellement remise en cause et celui-ci demeure l’indicateur principal qui guide les politiques budgétaires et, en conséquence, l’ensemble de nos politiques publiques, révélant des stratégies excessivement court-termistes et financières.

Pis : notre pays est en train de passer à côté d’un véritable virage vers le bien‑être alors que les initiatives foisonnent dans le monde, comme la loi sur le bien‑être des générations futures adoptée au Pays de Galles en 2015 ou le budget dédié au bien‑être adopté par la Nouvelle-Zélande en 2019. Ces politiques sont encore très mal connues dans notre pays, alors même qu’elles semblent très prometteuses. Il en va de même des travaux déployés au niveau international, tels que l’initiative du vivre mieux lancée par l’OCDE en 2011 ou les objectifs de développement durable adoptés par l’ONU en 2015. Pour sa part, l’OMS est pionnière sur le développement du concept One Health (Une seule santé). Ce concept promeut une approche intégrée de tous les aspects de la santé humaine, de la santé animale et de la gestion des écosystèmes, proposant une vision systémique et unifiée.

J’ai pu constater que ces mouvements trouvent un prolongement remarquable à l’échelon local, y compris chez nous, où les initiatives sont nombreuses et en pointe. La ville de Lyon, où a été ouvert en 2023 un Institut One Health, développe une approche originale de la santé et du bien‑être associant chercheurs, élus et agents publics. Elle organise son propre système de mesure, faisant usage d’outils d’évaluation participative dans la perspective de faire émerger une boussole du bien‑être qui permette d’orienter les débats et les choix budgétaires et de peser dans les rééquilibrages éventuellement nécessaires.

Toutes ces nouvelles approches et ces nouveaux indicateurs sont prometteurs et doivent nous interpeller. En 2022, le Conseil scientifique covid-19 soulignait d’ailleurs la pertinence d’une approche One Health et alertait sur l’urgence de passer d’une vision univoque de la santé à une vision intégrée, plus holistique. Certains concepts innovants peuvent nous y aider, comme le principe de transition vers la pleine santé développé par Éloi Laurent, qui actualise la définition de l’OMS. La pleine santé se définit ainsi comme un « état continu de bienêtre : physique et psychologique, individuel et social, humain et écologique ».

Une réflexion collective et une impulsion politique majeure sont aujourd’hui nécessaires pour fixer l’amélioration de la santé et du bien‑être comme un objectif mobilisateur pour notre société. Notre action, en tant que législateurs, est aussi indispensable qu’urgente pour inscrire la France dans le virage mondial vers la santé et le bien‑être. Cette nécessaire impulsion devra ensuite se traduire par un travail non moins politique de définition des indicateurs pertinents répondant à cette vision intégrée de la santé et permettant d’atteindre les grands objectifs fixés. Il s’agira alors de faire vivre cette refondation de l’action publique, en la déclinant à l’échelon territorial mais aussi en la mobilisant dans nos travaux parlementaires. Nous pourrions par exemple, comme le suggère Marc Fleurbaey, prévoir l’intégration de nouveaux indicateurs de santé et de bien‑être dans les études d’impact des projets de loi.

Enfin, c’est une restructuration profonde des politiques publiques qui semble nécessaire, tant le cadre actuel paraît inadapté. Il faut d’abord garantir la transversalité, l’interministérialité et la pluriannualité dans la mise en œuvre des politiques concourant à la santé et au bien‑être, alors qu’aujourd’hui les administrations travaillent souvent en silo. De nouveaux outils législatifs, tels qu’une grande loi de programmation relative à la santé et au bien‑être, pourraient être instaurés.

Surtout, c’est un big bang budgétaire de la protection sociale qui sera nécessaire pour se départir d’une approche court-termiste, financière et fondée excessivement sur le PIB. Les PLF et PLFSS sont désormais dépassés, parce qu’inadaptés aux changements structurels qu’appelle la société de demain. Ils doivent être rénovés pour mieux prendre en compte la santé dans la durée. Une meilleure articulation entre les deux textes ou une budgétisation guidée par la santé – health budgeting  pourraient y contribuer. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie lui-même, en tant qu’outil, doit faire l’objet d’une évaluation. En tant que membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, j’appelle à ce que nous nous saisissions du sujet.

Chers collègues, l’heure est venue de faire entrer notre État dans l’ère de la santé et du bien‑être et d’intégrer la France dans le virage en cours au niveau mondial. Je le répète : la santé au sens large n’est pas seulement une mission du budget ; elle n’est pas une stratégie ; elle doit être l’élément cardinal qui guide toutes nos décisions. J’en appelle à votre engagement pour en débattre et pour accomplir ce projet au niveau national.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous allons entendre les orateurs des groupes.

M. Didier Martin (RE). La mission Santé porte globalement sur 2,3 milliards d’euros, avec une baisse qui s’explique par la diminution des frais liés à la vaccination de masse contre le covid. Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins illustre ce que l’on peut appeler un virage préventif, avec des actions ciblées sur les principales maladies, dont le cancer, pour favoriser une prise en charge et un dépistage précoces. Mentionnons aussi la vaccination contre le papillomavirus, qui se diffuse progressivement, pour les garçons également.

Le programme 183 Protection maladie contient les crédits de l’aide médicale de l’État (AME), qui pèse environ 1,2 milliard d’euros. L’AME répond à une nécessité humanitaire de soin, y compris pour des personnes en situation irrégulière. C’est une mission de santé publique, avec un panier de soins assez large. Nous manquons de données précises sur ses bénéficiaires – des progrès seraient à faire sur ce point. Néanmoins, d’un point de vue comptable, il faut souligner que cette aide est utile puisqu’elle permet une prise en charge précoce des maladies en médecine de ville, ce qui évite d’encombrer par la suite les hôpitaux pour des soins beaucoup plus coûteux. Je rappelle également, en tant que médecin, qu’il est délicat de faire la différence entre un soin d’urgence et un soin en amont de l’urgence. Par exemple, on ne peut pas laisser une personne qui souffre d’une arthrose évoluée de la hanche se déplacer avec deux cannes, il faut forcément l’opérer : cela peut être considéré comme une urgence vitale que de lui faire conserver une certaine mobilité. Aussi, je fais confiance aux médecins pour savoir quand il est indispensable d’intervenir.

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2019 a très clairement dit que la réduction du panier de soins de l’AME était peu pertinente, y compris pour faire diminuer les dépenses publiques. Il serait juste aussi de mentionner la présence de crédits européens dans ce volet : 1,5 milliard d’euros sur la période 2021-2025 pour des investissements du quotidien, qui ont permis d’infléchir pour la première fois depuis 2013 le taux de vétusté de nos équipements, et 1,25 milliard pour construire des places d’hébergement pour les personnes âgées, ce qui est indispensable.

Enfin, j’irai dans le sens du rapporteur : il faut une approche globale de la santé, comme le fait l’Institut One Health de Lyon, afin de prendre en compte la qualité de l’eau et de l’air ou les zoonoses et d’éviter une surmortalité liée à des facteurs environnementaux.

M. Christophe Bentz (RN). Nous sommes placés dans une situation un peu hypocrite à cause du seizième recours à l’article 49, alinéa 3, hier par la Première ministre, seizième geste de mépris à l’égard des parlementaires. Nous ne pourrons pas examiner les amendements ni prendre position en les votant.

L’an dernier, en tant que rapporteur pour avis de la mission Santé, j’avais choisi d’étudier plus particulièrement le problème de l’AME, que mon groupe souhaite transformer en aide médicale d’urgence : il ne doit pas s’agir d’une palette de soins complète. En effet, les Français ont accès aux soins – quand c’est possible dans leur territoire – parce qu’ils cotisent, contrairement aux étrangers. C’est un principe de priorité nationale tout simple. J’avais aussi pointé cette injustice qui fait que l’on donne à des clandestins, qui violent notre droit, des droits que n’ont pas des Français qui cotisent depuis des années et sont privés d’accès aux soins.

Le budget de l’AME, à 1,2 milliard d’euros, a légèrement baissé en un an, de 0,3 %. Mais cela reste une somme énorme ! En dix ans, ce budget a augmenté de 87 %. Je ne crois pas que le budget de l’hôpital public ait augmenté de 87 % pendant la même période.

Une note positive toutefois : nous nous réjouissons de voir que depuis un an les mentalités évoluent. La droite LR comme les macronistes rejoignent la position du Rassemblement National sur l’AME. Au Sénat, Les Républicains ont supprimé l’AME pour la remplacer par l’aide médicale d’urgence et M. le ministre Darmanin semble vouloir, lui aussi, supprimer l’AME au bénéfice d’une aide contenue aux soins d’urgence.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Notre réunion ce matin est surréaliste. Débattre avant un recours à l’article 49, alinéa 3, ce n’est déjà pas forcément motivant, mais après, c’est le degré zéro de la vie parlementaire ! Cela permet néanmoins au rapporteur de s’exprimer et à nous d’avoir un débat sur l’AME.

Comment tiennent nos hôpitaux, en particulier dans les zones rurales et périphériques ? Par deux bouts : les jeunes internes, à qui l’on vient d’ajouter une année d’internat supplémentaire et qui font des gardes à rallonge tellement sous-payées que c’en est scandaleux, et les médecins étrangers, qui représentent 15 % des médecins dans notre pays, mais jusqu’à un tiers ou même la moitié dans les hôpitaux ruraux. Dans la Somme, à Péronne, celui qui a tenu à bout de bras le service des urgences s’appelle Fadi Chehab, il est Libanais. C’est comme ça que les Français sont soignés, par des médecins étrangers ! Leur nombre a doublé en douze ans, et la moitié sont originaires du Maghreb.

Ce sont eux qui font tenir l’hôpital public, et le projet de loi sur l’immigration va amplifier ce phénomène en étendant le « passeport talent » aux professions médicales. Et voilà qu’on vient nous dire qu’il faudrait que les malades étrangers ne soient pas soignés !

M. Didier Le Gac (RE). Je ne vois pas le rapport ! Ils sont payés !

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Mais c’est scandaleux ! On utilise de la main d’œuvre étrangère et on voudrait ne pas soigner en retour les malades étrangers.

Ce que veulent les soignants, c’est soigner tous les malades qui se présentent. D’ailleurs, songeons à l’expérience de l’Espagne, qui avait cessé de soigner les malades étrangers : elle est revenue sur sa décision face au développement des maladies infectieuses. Nous devons avoir pour objectif que tous les habitants de notre pays soient soignés, qu’ils puissent préserver leur santé et qu’il n’y ait pas de contagion. Je serais favorable à ce que toute entrée sur le territoire français soit accompagnée d’un bilan de santé complet, afin de prévenir le développement des maladies plutôt que de réduire la protection collective.

M. Philippe Juvin (LR). Puisque le débat se concentre sur l’AME, je remarque que, quand on ne veut pas débattre, on décrédibilise le sujet en en faisant une polémique. Mais l’AME n’est pas une polémique, on a le droit d’en parler. Nous pensons, chez Les Républicains, que c’est une aide indispensable, parce qu’elle permet de soigner les gens, mais que, regardons les choses en face, elle est beaucoup plus généreuse que dans tous les autres systèmes de l’Union européenne. C’est pourquoi elle est devenue un facteur d’attractivité pour une immigration illégale.

On trouve des arguments dans le rapport de l’Igas de 2019. Ainsi, 25 % des demandes d’AME sont faites à l’étranger avant l’arrivée sur le territoire. Second exemple : sur 99 bénéficiaires de l’AME dialysés, 43 ont commencé leur parcours de soins avant de venir en France et considèrent, en réalité, l’AME comme un élément de leur parcours de soins. L’AME est dévoyée. On peut considérer qu’il n’y a pas de limites et que l’on peut soigner tout le monde, comme M. Ruffin. Mais ce généreux raisonnement – c’est toujours facile – confine à l’absurde, en refusant toute limite.

Nous considérons qu’il faut réduire le panier de soins de l’AME, pour des questions économiques certes – il y a tout de même 3 000 milliards d’euros de dette publique – mais également pour faciliter la gestion des soins quotidiens. Trois quarts des centres d’hémodialyse en France ont des difficultés dans l’accueil des patients, que les néphrologues expliquent notamment par la gestion des flux de patients imprévus relevant de l’AME.

Il n’y a pas les gentils et les méchants – je refuse d’entrer dans ce débat manichéen. Je regrette seulement que l’on n’ait pas les yeux ouverts. L’AME est indispensable mais elle est trop large. Nous souhaitons en réduire le panier de soins. Nous souhaitons aussi revenir à ce que nous avions instauré : une participation financière de 2,50 euros par mois des bénéficiaires de l’AME, qui a été supprimée à tort sous M. Hollande. Enfin, certaines interventions – les gastroplasties, la chirurgie d’amaigrissement, les prothèses de l’épaule – ne devraient pas être prises en charge par l’AME, il faut avoir le courage de le dire.

Par ailleurs, je rejoins tout à fait notre rapporteur sur la nécessité des plans pluriannuels. Je regrette enfin qu’il n’y ait rien dans le budget sur les soins palliatifs, et encore plus alors qu’un projet de loi sur l’euthanasie est annoncé.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Hier soir, lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration au Sénat, beaucoup d’entre nous se sont émus de la décision de nos homologues de supprimer l’AME pour la faire évoluer en aide médicale d’urgence. Derrière ce changement lexical se cachent des mesures importantes. J’ose espérer que notre assemblée se mobilisera en faveur du rétablissement de l’AME, avec sans doute quelques modifications.

Ce dispositif offre aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français une prise en charge de leurs soins médicaux et hospitaliers. Cette aide incarne avant tout nos valeurs éthiques et humanitaires. Elle relève d’un devoir moral envers des individus déjà fragilisés par un déracinement souvent douloureux, qui occupent bien souvent un emploi dans un secteur de première nécessité. Mais elle représente également une mesure de santé publique. L’histoire nous a démontré à maintes reprises que les maladies infectieuses n’ont pas de frontières : pour protéger l’ensemble de la population contre la propagation des maladies contagieuses, notre système de santé doit pouvoir prendre en charge chaque personne qui en a le besoin, quelles que soient ses origines.

Je suis donc surpris que le Rassemblement National, qui appelle à augmenter les crédits consacrés à la prévention, souhaite supprimer cette politique de prévention qu’est l’AME. Il est évident que nous devons opérer un virage préventif pour nous soustraire à la pression de maladies parfois évitables. Vider l’AME de sa substance ou la supprimer portera préjudice autant aux personnes visées par le dispositif qu’aux Français, qui subiront les conséquences sanitaires de cette décision irresponsable. En effet, quelle que soit la loi, les médecins continueront – et heureusement – à soigner les populations vulnérables, à l’instar de chaque personne qui se présente devant eux. Tel est le serment qu’ils ont prêté. Supprimer cette ligne de crédit n’en supprimera pas les dépenses. Plutôt que de jouer à séduire des électeurs, travaillons à améliorer un dispositif dont l’efficacité est démontrée par de multiples études. Je précise que la moitié de ceux qui peuvent en bénéficier n’y recourent pas.

Nous avons tous déjà vu, aux aurores, devant nos préfectures, les longues files d’attente des personnes qui demandent un titre de séjour. Parmi elles se trouvent des personnes en situation irrégulière. Cela pourrait être une façon différente d’aller vers ces populations, une autre porte d’entrée de la santé, d’installer dans ces lieux des personnels chargés de réaliser un bilan de santé et les vaccinations obligatoires.

La mission Santé comporte également un volet prévention qui m’est cher. Alors que notre système de soins coûte 250 milliards d’euros tous les ans, nous devons éduquer tous nos concitoyens dès leur plus jeune âge aux bons comportements de santé, grâce à une approche populationnelle, en agissant sur les déterminants de santé par un suivi régulier. Promouvoir une bonne hygiène de vie, de bons comportements, modifier l’environnement sont essentiels. L’une des mesures les plus efficaces pour notre santé a été le plan vélo ! Il faut également insister sur l’importance de la qualité de l’air, de l’eau et des aliments.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je ne vais pas m’étendre sur l’article 49, alinéa 3, mais il me semble à la fois absurde et singulier de discuter en commission d’une mission qui ne sera pas examinée en séance publique. Et même si nous avions pu voter des amendements, de toute façon, tôt ou tard, un article 49, alinéa 3, aurait sonné le glas des espoirs de celles et ceux qui imaginent que l’Assemblée peut modifier le budget de la santé publique de la France. Les articles 49, alinéa 3, à répétition sont le signe de l’impuissance parlementaire et la preuve que cette procédure est devenue un outil de maltraitance, non seulement des parlementaires, mais du pays tout entier. Je prescris donc, dans cette discussion sur la santé, l’arrêt de l’article 49, alinéa 3, pour lutter contre la maltraitance parlementaire : le pays s’en portera beaucoup mieux.

Hier soir au Sénat, lors de la discussion du projet de loi sur l’immigration en séance publique, une ministre a dit « sagesse ». C’était pour l’amendement supprimant l’AME. Elle a justifié son avis par l’attente d’un rapport, tout en se disant farouchement opposée à un recul sur l’AME. Mais cet avis de sagesse se justifie surtout par la volonté du Gouvernement de faire des concessions aux Républicains. Quant à nous, nous voulons garantir l’AME et le programme 183 qui la finance car c’est l’honneur de la France et de l’Europe que d’accorder des soins médicaux à celles et ceux qui sont dans le dénuement le plus complet.

Je rappelle que l’AME est une aide sous conditions de ressources qui ne bénéficie pas à tous les étrangers. Elle ne représente que 0,37 % de la dépense courante de santé au sens international et la dépense moyenne par bénéficiaire est 2 800 euros en 2022, contre 4 600 pour chaque Français. La moitié des bénéficiaires potentiels n’y ont pas recours, ce qui prouve que les étrangers ne viennent pas en France pour bénéficier de soins gratuits. Et comme vous posez toujours plus de conditions à l’accès à l’AME, notamment avec des délais de carence, 52 % des personnes qui se présentent devant Médecins du monde ont un retard dans l’accès aux soins et 40 % ont besoin d’une prise en charge urgente. Une lutte efficace contre les épidémies exige pourtant une politique ambitieuse de santé publique, notamment envers les étrangers présents sur notre sol.

En conclusion, je veux exprimer aussi mon regret face à un budget marqué par une absence de politique de santé environnementale et de mesures fortes pour la santé des femmes.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Profitons de ce moment – le seul – pour discuter de cette mission Santé. Son budget concrétise des avancées qui peuvent être soulignées, sur la prévention, sur la stratégie nationale sport santé et sur le dépistage, notamment du VIH. Globalement, les crédits qui se retrouveront dans le texte final vont dans le bon sens.

À titre personnel, et comme la grande majorité des membres de mon groupe, je regrette le vote du Sénat hier. Nous sommes attachés à l’AME car les personnes qui arrivent sur notre territoire doivent être soignées et accompagnées. Le dispositif tel qu’il est depuis la réforme du gouvernement d’Édouard Philippe nous semble équilibré, et restreindre l’accès à la prévention, au dépistage et au diagnostic des populations concernées aurait pour effet de faire peser le coût de leurs soins sur l’hôpital. Sur ce sujet, nous devons écouter les soignants : qu’ils soient hospitaliers ou libéraux, ils sont très majoritairement opposés à la suppression ou à une modification drastique de ce dispositif.

Certains, qui y sont opposés depuis longtemps comme le Rassemblement National, et d’autres, par porosité, qui ont progressivement réinterrogé l’AME depuis 2012 alors qu’ils avaient consolidé ce dispositif pendant des années, se font plaisir en abordant ce sujet, comme si l’AME était un élément d’attractivité pour l’immigration. C’est faux, comme cela a été démontré par des rapports administratifs, notamment le rapport de l’Igas qui a déjà été cité, et j’espère que cela le sera par le rapport confié à Claude Évin et Patrick Stefanini, dont on ne peut sous‑estimer la connaissance du sujet et qu’on ne peut soupçonner de complaisance à l’égard du Gouvernement. Nous lirons donc avec attention leur contribution et je pense qu’ils démontreront que l’AME n’est pas un facteur d’attractivité.

On pourra simplement se demander, le moment venu, si l’AME, qui ouvre des droits même aux personnes s’étant vu refuser légalement leur résidence sur notre territoire, n’est pas un facteur favorisant le maintien dans la clandestinité. Mais j’ai confiance en la sagesse de notre assemblée pour que la question de l’AME soit posée sous l’angle de la santé publique, plutôt que celui de l’immigration.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). C’est trop d’honneur, vraiment, que de pouvoir discuter – pas voter, bien sûr – le budget de la santé pour 2024 !

Ce budget de la mission Santé, dont la légère hausse est fictive puisqu’elle ne prend pas en compte l’inflation, manque singulièrement d’ambition face aux enjeux démographiques et écologiques. Le changement climatique est en effet directement responsable de la détérioration de la santé de la population, en particulier des plus précaires. Ainsi, seulement 3,5 millions d’euros sont mobilisés pour le volet environnement et santé alors que la pollution de l’air représente un coût de 100 milliards.

Ce budget aveugle aux enjeux de prévention ne semble pas avoir retenu la leçon de la crise du coronavirus, qui a montré que les maladies ne choisissent pas selon la nationalité ou le titre de séjour. L’AME n’est ni une faveur ni de la charité : elle est un droit et une nécessité pour préserver la santé de l’intégralité de la population. Au-delà des lubies xénophobes, sa remise en cause par la droite et par l’extrême droite, en plus d’être d’un déni flagrant d’humanité, relève d’une totale inconscience sanitaire. L’absence de prise en charge médicale conduit irrémédiablement à des risques d’aggravation des pathologies existantes et donc à une pression supplémentaire sur des services d’accueil d’urgence déjà sursollicités.

Nous appelons à mettre fin aux fausses informations qui circulent, et que le Gouvernement entretient, sur la prise en charge médicale des personnes sans titre de séjour. La réalité est que celle-ci est déjà beaucoup trop restreinte et que l’AME est une des aides sociales dont le taux de non-recours est le plus élevé. La moitié des personnes sans titre de séjour atteintes de diabète ou de maladies infectieuses n’en bénéficient même pas. Avec une offre de soins ridicule et une condition de ressources à 800 euros par mois, les fantasmes racistes de tourisme médical sont outrageusement mensongers. Loin d’un débat hystérisé par une extrême droite rongée par la haine des étrangers, faisons preuve de sérieux : l’AME ne représente aujourd’hui que 0,47 % des dépenses publiques de santé et seuls trente-huit cas de fraude ont été recensés en 2018, à rapporter aux 8 milliards par an de fraudes à la sécurité sociale commises par des professionnels de santé. Alors n’ajoutons pas de l’exclusion à l’exclusion !

Vous refusez d’accorder 2 milliards d’euros supplémentaires à l’hôpital public, pourtant au bord de l’implosion, vous sanctuarisez 140 milliards d’exonérations fiscales pour les multinationales, mais vous faites la chasse aux arrêts maladie et souhaitez supprimer l’unique sécurité médicale pour les personnes sans titre de séjour. Posons-nous la bonne question : à qui profite le crime ? Aux personnes étrangères, dont la moitié ne peuvent même pas soigner leur diabète, ou à Novartis, qui facture à la sécurité sociale 2 millions d’euros une seule dose de médicament pour les bébés atteints d’amyotrophie musculaire spinale ?

Ce n’est pas en excluant les plus vulnérables de l’accès aux soins que nous pourrons affronter les enjeux colossaux que sont l’accroissement des maladies chroniques, le vieillissement de la population et la crise de la démographie médicale. Aller vers une société de la pleine santé qui remet l’accès aux soins et la prévention au cœur de ses priorités ne pourra se faire qu’en prenant soin de toutes les personnes vivant sur notre territoire. L’AME ne pose aujourd’hui qu’un seul problème, celui de la couverture insuffisante des besoins de santé. Nous sommes contre l’instrumentalisation raciste de cette aide, et pour nous le budget est sous-doté. Face au défi d’humanité, nous proclamons le devoir de protéger.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). La baisse du budget de la mission Santé s’explique essentiellement par la diminution de 53 % du programme consacré aux crédits d’investissements du Ségur de la santé, malgré les importants besoins en matière de construction ou de rénovation énergétique.

Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins voit une nouvelle fois ses crédits diminuer. La France est, parmi les pays occidentaux, l’un de ceux qui consacrent à la prévention une des parts les plus faibles de ses dépenses de santé – 2,5 %. Je rappelle que beaucoup d’amendements au PLFSS discutés en commission concernaient la prévention. La diminution du financement des dispositifs dédiés – lutte contre le cancer, le tabagisme, l’alcoolisme, ou soutien à une meilleure nutrition – est incompréhensible. Elle aura un impact sur l’état de santé général de la population et contribuera à perpétrer les inégalités de santé, qui s’expliquent à 80 % par des facteurs sociaux et environnementaux et qui se manifestent par une plus forte incidence de maladies comme le diabète parmi les personnes les plus modestes. Il y a urgence à protéger les enfants, qui sont eux aussi touchés par ces inégalités, pour améliorer leur état de santé en général et plus particulièrement leur état de santé mentale puisque 13 % des jeunes âgés de 6 à 11 ans présentent un trouble émotionnel et cognitif probable. Le budget alloué est très insuffisant alors que nous avons besoin de professionnels formés.

Et comment expliquer que le budget de l’Institut national du cancer, dont la moitié est consacrée à la recherche, diminue cette année encore, alors que plus de 430 000 cas de cancer devraient être diagnostiqués en France en 2023 et que la politique de recherche et de prévention demeure insuffisante ?

On peut aussi s’interroger sur la diminution des crédits du programme destiné à financer l’AME alors que le rapport commandé par la Première ministre à Patrick Stefanini et Claude Évin conclut au nécessaire maintien de ce dispositif. Je voudrais dire à mes collègues des Républicains qui prétendent avoir les yeux ouverts qu’ils ne voient qu’une partie des dépenses, car toute restriction du dispositif aura pour conséquence une prise en charge tardive de certaines maladies et donc un impact financier sur la sécurité sociale. Quant à mes collègues du Rassemblement National, je voudrais leur faire remarquer que les problèmes d’accès aux soins dans les territoires ruraux ne sont pas liés à l’immigration mais à la démographie médicale.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Isabelle Valentin (LR). Après l’article 49, alinéa 3, hier, notre discussion de ce matin me semble totalement décalée. L’AME aurait mérité un débat et notre système de santé est à bout de souffle : 50 % de nos hôpitaux et 60 % des Ehpad sont déficitaires ; les professionnels de santé sont à bout, les pharmacies ferments en milieu rural ; la loi « bien‑vieillir » n’apporte rien et les soins palliatifs sont les grands oubliés. Dans de telles conditions, nous nous interrogeons sur la vision pour la santé du Gouvernement.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). On entend quand même des horreurs ce matin. Comme si les gens qui fuient des lieux invivables venaient en France pour profiter de notre part de camembert ! N’oublions pas que les vrais profiteurs, et dans d’autres proportions, ce sont les gens de la finance ! On entend que la préférence nationale est quelque chose de « tout simple », alors que c’est un principe antifraternel et antirépublicain. La polémique organisée autour de l’AME vise à faire de l’étranger un bouc émissaire et à diviser les gens. L’AME, qui représente moins de 0,5 % de nos dépenses globales de santé, ne peut être la cause de la crise de notre système de santé. Elle est d’abord un geste d’humanité et j’ai été heurté par l’avis de sagesse du Gouvernement hier au Sénat, qui fait de l’AME une monnaie d’échange.

M. Thibault Bazin (LR). Monsieur le rapporteur, vous appelez dans votre rapport à une vision plus globale de la santé et du bien‑être qui devrait être soutenue par de meilleurs indicateurs et par une loi de programmation pluriannuelle de la santé – proposition que nous défendons également. Une modification préalable du cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale est-elle, selon vous, nécessaire à l’existence d’une loi plus globale et transversale ?

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). Non, la transformation de l’AME en aide médicale d’urgence n’est pas un simple changement lexical, comme voudraient le faire croire nos collègues de droite. Cette décision du Sénat, dans ce qui est peut-être le seizième texte majeur sur l’immigration en seize ans – c’est délirant ! – emporte une restriction importante, puisque l’aide médicale d’urgence ne prévoit que la prise en charge des situations les plus urgentes. Aujourd’hui, l’AME permet de soigner 380 000 personnes par an pour 0,48 % des dépenses de l’assurance maladie.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je souscris pleinement aux propos de Pierre Dharréville sur l’AME : l’humain doit être pris en compte avant tout autre considération. La mise à l’index de l’étranger me pose un véritable problème.

Je partage également plusieurs analyses défendues sur les bancs de la gauche. Mais je veux dire à mes collègues de ces bancs qu’avant de regretter l’article 49, alinéa 3, ils devraient reconsidérer la façon dont ils mènent les débats afin justement de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’article 49, alinéa 3. Ils pourraient faire bouger les lignes des budgets sans pour autant les voter. Je les invite vraiment à prendre cette décision politique qui permettrait de faire progresser les questions sociales et médicales.

M. Stéphane Viry (LR). Revenons-en au sujet de ce matin, puisque je partage ce qui a été dit sur l’article 49, alinéa 3. Vous mettez de façon très pertinente, monsieur le rapporteur, la santé et le bien‑être au cœur des politiques environnementales et budgétaires et soulignez dans votre rapport le manque d’ambition, voir le recul de la gouvernance sur ce sujet. Vous proposez une méthodologie avec de nouveaux indicateurs et une nouvelle maquette budgétaire. Comment, selon vous, pourrons-nous y parvenir concrètement ?

J’ajoute que Les Républicains ont été seuls pendant des années à défendre la nécessité de réfléchir sur le sujet de l’AME sans états d’âme, et qu’ils l’assument.

Mme Justine Gruet (LR). Il est urgent de donner une nouvelle vision à notre système de santé. Du côté des établissements, il faut mieux valoriser les professionnels qui sont fidèles et qui assurent le suivi des patients. Pour ce qui est des professionnels libéraux, il faut leur laisser davantage de liberté dans leurs choix thérapeutiques, en les soulageant de tâches administratives et en leur faisant davantage confiance. Quant aux patients, il faut les inciter à être plus responsables et à avoir davantage de considération pour notre système de santé. Sa vocation est d’être gratuit – mais ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur ! Or nous n’avons plus les moyens de consommer le système de santé sans limite.

M. le rapporteur. Effectivement, nous devons revoir en profondeur la manière dont nous écrivons les budgets de la santé. Il nous faut d’abord rompre avec cette logique de silos qui dissocie le PLFSS du volet santé du PLF, alors que ces deux lois sont intimement liées. Cette logique nous empêche par exemple de mener une politique ambitieuse dans le domaine de la santé environnementale, assurant un logement sain ou un air et une eau de qualité. Elle nous interdit d’avoir une vision à moyen et long terme, ce qui est un lourd handicap, et nous soumet aux difficultés de coopération entre les ministères.

Il nous faut aussi revoir les indicateurs, car le PIB est pratique, mais insuffisant. Nous avons besoin d’indicateurs notamment sur l’espérance de vie en bonne santé. Nos auditions ont montré qu’il est possible de collecter facilement des mesures à l’échelon des territoires, ce qui se fait d’ailleurs au Royaume-Uni, où l’on peut mesurer l’incidence de la présence de pesticides ou de la proximité d’une autoroute sur l’espérance de vie. Nous manquons aujourd’hui d’indicateurs permettant de mesurer l’impact sur la santé de tel ou tel dispositif. L’Insee peut pourtant nous fournir de nombreux outils. Peut-être pourrions-nous nous en emparer pour en débattre annuellement.

Enfin, ce qui s’est passé hier au Sénat nous déshonore. C’est une défaite humaniste – il est question de préférence nationale en matière de santé ! C’est aussi une défaite collective et sociétale, du point de vue de la santé publique et des finances. Prendre pour argument le coût élevé de notre système de santé et l’état dans lequel il se trouve, quand on sait que les gouvernements successifs n’ont fait qu’organiser le manque de recettes, est abject, tout comme agiter le fantasme du tourisme médical quand on connaît la trajectoire douloureuse des migrants et leur état de santé.

*

L’ordre du jour de la commission prévoyait le vote sur les crédits de la mission Santé au cours de cette même réunion. La Première ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement sur la seconde partie et l’ensemble du projet de loi de finances pour 2024 avant le début de cette réunion, l’examen de ce projet de loi a été interrompu et les crédits de la mission n’ont pas été examinés.


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   ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

 

       Mme Éva Sas, députée

       Table ronde « Instituts statistiques » :

– Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – M. Jean-Luc Tavernier, directeur général, et M. Lionel Janin, directeur de cabinet

 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) – M. Fabrice Lenglart, directeur

 M. Jean-Marie Robine, démographe et épidémiologiste, directeur de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et conseiller scientifique auprès de la direction de l’Institut national d’études démographiques (Ined)

       Table ronde « Dépasser le PIB pour mieux mesurer le bien-être » :

– M. Vincent Aussilloux, directeur du département économie de France Stratégie

 M. Marc Fleurbaey, économiste, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste de l’économie du bien‑être, auteur d’un article sur le dépassement du PIB

       M. Serge Morand, biologiste, écologue de la santé au CNRS, à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), membre du groupe d’experts « Une seule santé »

       Table ronde « Nouvelles politiques du bien-être » :

– M. Éloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

– M. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po

 

 

       Table ronde « Institutions internationales » :

– Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)  Mme Romina Boarini, directrice du centre pour le bien-être, l’inclusion, la soutenabilité et l’égalité des chances (WISE)

– Organisation mondiale de la santé (OMS) – Dr Amina Benyahia, responsable par intérim de l’initiative « Une seule santé »

       Table ronde « Administrations centrales » :

 Direction générale du Trésor  Mme Albane Sauveplane, sous-directrice des politiques sociales et de l’emploi

– Direction du budget – Mme Marie Chanchole, sous-directrice des finances sociales, M. Olivier Dufreix, adjoint à la sous-directrice des finances sociales, et M. Louis Nouaille-Degorce, chef du bureau santé et comptes sociaux

       Mutualité Française *  Mme Laure-Marie Issanchou, directrice déléguée santé, Mme Meriem Bouchefra, responsable affaires publiques, et M. Didier Balsan, conseiller technique

       Mme Florence Jany-Catrice, économiste, experte des nouveaux indicateurs de richesse et co-autrice d’un article récent sur la post-croissance et ses indicateurs

       Direction générale de la santé (DGS)  Mme Danielle Metzen-Ivars, cheffe de service, et M. Philippe Guilbert, chef de la mission stratégie et recherche

       Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine – Mme Françoise Jeanson, vice-présidente en charge de la Santé et de la Silver Économie

       Ville de Lyon  Mme Céline de Laurens, adjointe en charge de la santé, prévention et santé environnementale

       École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S)  M. Dominique Libault, directeur

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

 


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   Annexe 2 :
Indicateurs de richesse nationale,
comparaison entre France et Union européenne (
[38])

Sources des données : Insee, Mesr-SIES, SDES, SSP Agriculture ; Eurostat (extraction juin 2023) pour les séries européennes.


–  1  –

   Annexe 3 :
Extraits du rapport de l’OCDE
« Comment va la vie ? » de 2020 (
[39])

LE BIEN-ÊTRE ACTUEL EN FRANCE

RESSOURCES NÉCESSAIRES POUR LE BIEN-ÊTRE FUTUR EN FRANCE


([1]) Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, septembre 2009.

([2]) Loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

([3]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

([4]) Irdes, « Le recours à l’Aide médicale de l’État des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas », Questions d’économie de la santé, n° 245, novembre 2019.

([5]) Igas, L’aide médicale d’État : diagnostic et propositions, octobre 2019.

([6]) Défenseur des droits, Personnes malades étrangères : des droits fragilisés, des protections à renforcer, 2019.

([7]) Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, adopté par la Conférence internationale sur la Santé à New York du 19 juin au 22 juillet 1946.

([8]) Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social (CMPEPS).

([9]) Joseph Stiglitz (Columbia), Amartya Sen (Harvard) et Jean-Paul Fitoussi (Institut d’études politiques).

([10]) Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, septembre 2009.

([11]) Loi n° 2015‑411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

([12]) Du nom de la députée Éva Sas, autrice de la proposition de loi initiale et rapporteure à l’Assemblée nationale, où le texte a été adopté à l’unanimité.

([13]) Un tableau synthétisant dix indicateurs de richesse, issu de la dernière publication de l’Insee, est annexé à cet avis.

([14]) La dernière parution de ce tableau de bord date de juin 2023.

([15]) Pour citer seulement certains ouvrages récents sur ces sujets : Dominique Méda et Florence Jany-Catrice, Faut-il attendre la croissance ?, 2e éd., La Documentation française, 2022 ; Éloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance, Les liens qui libèrent, 2020.

([16]) https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/10/indicateurs_v11.pdf

([17]https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/10/indicateur_de_richesses_2016.pdf

([18]) https://www.gouvernement.fr/upload/media/default/0001/01/2019_02_indicateur_de_richesses_2018.pdf

([19]) Club de Rome, Les Limites à la croissance, 1972.

([20]) HCAAM, « Refonder les politiques de prévention et de promotion de la santé », avis adopté à l’unanimité le 28 juin 2017.

([21]) La création de cette annexe résulte de l’adoption à l’Assemblée nationale de l’amendement n° II-898 au projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272), déposé par Véronique Louwagie et plusieurs de ses collègues.

([22]) Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé de l’Institut national de santé publique du Québec, « Les approches pangouvernementales de bien-être : une analyse comparative de quatre initiatives de gouvernements centraux », 2022.

([23]) Well-being of Future Generations (Wales) Act 2015 (2015 anaw 2), 29 avril 2015.

([24]) https://www.oecd.org/fr/wise/initiative-vivre-mieux.htm

([25]) https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/one-health

([26]) OMS, Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Organisation mondiale de la santé animale (WOAH).

([27]) Drees, « La protection sociale en France et en Europe en 2017 », Fiche n° 24, Les indicateurs sociaux dans l’Union européenne, édition 2019.

([28]) https://www.beyond-growth-2023.eu/about-beyond-growth/

([29]) https://entreprises.nouvelle-aquitaine.fr/actualites/nouvelle-mandature-incarner-la-region-du-mieux-vivre-et-du-bien-vieillir

([30]) Conseil scientifique Covid‑19, « One health » – une seule santé. Santé humaine, animale, environnement : les leçons de la crise, 8 février 2022.

([31]) HCSP, avis relatif à l’évaluation du projet de Stratégie nationale de santé 2023-2033, 28 septembre 2023.

([32]) Éloi Laurent, Économie pour le XXIe siècle, chapitre X : la transition vers la pleine santé, La Découverte, 2023.

([33]) Insee, « Le PIB reste-t-il un indicateur pertinent ? », billet de blog publié le 3 avril 2023.

([34]) HCAAM, Refonder les politiques de prévention et de promotion de la santé, avis adopté à l’unanimité le 28 juin 2017.

([35]) HCAAM, avis sur la régulation du système de santé, 22 avril 2021.

([36]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13980349_652573749fdb3.commission-des-affaires-sociales--mme-agnes-firmin-le-bodo-ministre-deleguee-aupres-du-ministre-de-10-octobre-2023

([37]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14231873_654b456b4f4ba.commission-des-affaires-sociales--projet-de-loi-de-finances-pour-2024-n%EF%BF%BD-1680-seconde-partie--8-novembre-2023

([38])  Source : Insee, Les nouveaux indicateurs de richesse – Indicateurs statistiques, juin 2023.

([39]) OCDE, « Comment va la vie en France ? », 12 juin 2020 (données 2018 ou dernière année disponible).