—  1  —

N° 1808

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 octobre 2023

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2024 (n° 1680)

 

TOME VI

 

 

DÉFENSE

 

prÉparation et emploi des FORCES :

AIR

PAR M. Frank GILETTI

Député

——

 

 

 

 Voir les numéros : 1680, 1715 et 1745.


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : UN BUDGET EN HAUSSE QUI NE SUFFIRA PAS À RÉPONDRE AUX MULTIPLES DÉFIS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

I. UNE ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE AU RENDEZ-VOUS DES OPÉRATIONS, MAIS DES ENJEUX CAPACITAIRES TOUJOURS PRÉGNANTS

A. UNE NOUVELLE ANNÉE D’INTENSE ACTIVITÉ POUR L’ARMÉE DE l’AIR ET DE L’ESPACE

1. Sur le territoire national

a. La posture permanente de dissuasion nucléaire

b. La posture permanente de sûreté aérienne

c. Les missions de service public

2. En opérations extérieures

3. Des exercices emblématiques

B. DES DÉFIS CAPACITAIRES AUXQUELS NE RÉPOND PAS LA LPM 2024-2030

1. Des décalages et réductions de cibles préjudiciables décidés par la LPM

2. Les principales commandes et livraisons en 2024

II. DES CRÉDITS EN HAUSSE, MAIS PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX

A. LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE POUR 2024

1. Présentation générale des crédits du programme 178 au bénéfice de l’AAE

2. Présentation par nature et par opération stratégique

a. Les dépenses de fonctionnement

b. Les dépenses d’équipement

c. Les autres crédits de la mission « Défense » consacrés à l’armée de l’air

B. LES PRINCIPAUX POINTS DE VIGILANCE POUR 2024

1. La disponibilité des flottes et l’activité des aviateurs : l’absence de transparence du Gouvernement sur deux enjeux majeurs

a. Malgré l’absence de publication des chiffres sur la disponibilité, il est certain que la réforme du MCO tarde à produire des effets notables

b. Les heures de vol de nos aviateurs, autre enjeu majeur de la LPM victime de l’opacité du Gouvernement

2. L’impératif toujours plus important de la fidélisation

3. La nécessaire rénovation des infrastructures aéronautiques

4. L’exigence de la préparation de l’avenir

SECONDE PARTIE : L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, UN ATOUT POUR UNE FRANCE PUISSANCE DE INDOPACIFIQUE

I. L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, COMPOSANTE SOUS-DIMENSIONNÉE DES FORCES DE PRÉSENCE ET DE SOUVERAINETÉ DANS UN INDOPACIFIQUE CRISOGÈNE

A. LA FRANCE, PUISSANCE D’UN « INDOPACIFIQUE COMPLIQUÉ »

1. L’Indopacifique, nouveau centre du monde aux multiples foyers de tensions

2. La France, pays de l’Indopacifique qui a pour ambition d’en être une puissance

C. L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE AU SEIN DES FORCES DE PRÉSENCE ET DE SOUVERAINETÉ EN INDOPACIFIQUE

1. La présence militaire française en Indopacifique

2. La composante aérienne des forces interarmées en Indopacifique est sous-dimensionnée

a. Des missions variées

b. Des moyens humains et capacitaires taillés au plus juste

II. L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL DE PROJECTION DE PUISSANCE ET DE DIPLOMATIE EN INDOPACIFIQUE

A. LES CAPACITÉS DE PROJECTION DE L’ARME DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL DE PUISSANCE EN INDOPACIFIQUE

1. Des déploiements réguliers de l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique rendus possibles par ses nouvelles capacités

a. Des nouvelles capacités qui offrent des possibilités de projection inédites

b. Des capacités qui permettent des déploiements de puissance réguliers en Indopacifique

2. La mission Pégase 23 illustre la plus-value susceptible d’être apportée par l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique

B. LA DIPLOMATIE AÉRIENNE DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL D’INFLUENCE EN INDOPACIFIQUE

1. La multiplication des exercices avec nos partenaires dans la zone

2. L’identification de points d’appui

3. Le soutien aux exportations

III. L’ENJEU POUR L’AVENIR : FAIRE DE NOS BASES AÉRIENNES EN INDOPACIFIQUE DE VÉRITABLES VECTEURS DE PUISSANCE

A. RENFORCER SIGNIFICATIVEMENT LES CAPACITÉS AÉRIENNES DE NOS FORCES DE SOUVERAINETÉ

1. La nécessaire présence permanente d’A400M

2. La nécessaire présence permanente de drones et d’ALSR

3. La nécessaire modernisation des équipements existants

4. Le nécessaire renforcement des effectifs d’aviateurs

B. TRANSFORMER NOS BASES POUR ACCUEILLIR DES MOYENS DE PROJECTION DE PUISSANCE CRÉDIBLES DANS LA DURÉE

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. STÉPHANE MILLE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

II. EXAMEN DES CRÉDITS

ANNEXE : AUDITIONS ET DÉPLACEMENTS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

 


—  1  —

 

   Introduction

Le 1er décembre 2022, quatre Rafale et une centaine d’aviateurs sont déployés sur la base aérienne de Siaulai en Lituanie dans le cadre de la mission dite eAP (enhanced Air Policing) de l’OTAN. Durant quatre mois, ces aviateurs ont assuré la sécurité de l’espace aérien des pays Baltes et contribué au renforcement de la posture dissuasive de l’OTAN.

Le 22 avril 2023, l’opération Sagittaire est lancée. Un C-130 H des forces spéciales muni d’une boule optronique avec système infra-rouge se pose à l’aéroport de Wadi Seidna au nord de Khartoum (Soudan). L’aéronef est suivi de trois A400M prépositionnés à Djibouti, transportant des véhicules des forces spéciales, du personnel et un « module de chirurgie vitale dont l’utilité s’avérera cruciale » ([1]). Du 23 au 24 avril, sept rotations d’A400M et deux de C-130 entre Khartoum et Djibouti permettent l’évacuation de plus de 600 personnes d’une quarantaine de pays. La capacité d’entrée en premier des aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace a positionné la France comme nation-cadre de cette opération d’évacuation.

Le 25 juin 2023, dix Rafale, cinq A330 Phénix MRTT et quatre A400M, rassemblant plus de 300 aviateurs, partent de la base aérienne d’Istres pour rallier Singapour et la Malaisie en moins de 30 heures de vol. Cette projection de puissance marque la première phase la mission Pégase 2023, qui sera suivie par un exercice de grande ampleur avec nos alliés à Guam (États-Unis), des déploiements en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, ainsi que par des « escales valorisées » auprès de nos partenaires de la région (Corée du Sud, Japon, Indonésie).

Le 29 août 2023, le sergent-chef Nicolas Mazier, opérateur du commando parachutiste de l’air n° 10, est tué au combat au nord Bagdad lors d’une opération de contre-terrorisme d’appui aux forces de sécurité locale. Le sergent-chef était en Irak au titre de l’opération Chammal, qui mobilise 300 aviateurs (sur un total de 600 militaires français) chargés d’apporter un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech. Votre rapporteur s’associe naturellement à l’hommage national rendu à cet aviateur mort pour la France.

Ces quatre évènements illustrent, parmi d’autres – votre rapporteur aurait pu citer l’aide à la Libye ou le dispositif déployé dans le cadre de la coupe du monde de rugby – la diversité des missions opérationnelles de l’armée de l’air et de l’espace, dont les capacités sont sollicitées de façon intense et continueront à l’être dans les mois à venir, notamment au titre de la logistique requise pour assurer le retrait de nos troupes et de nos matériels du Niger.

Au-delà de leur diversité, les opérations d’évacuation, de réassurance, de projection de puissance, de diplomatie aérienne ou encore de soutien opérationnel à nos partenaires assurées par l’armée de l’air et de l’espace s’inscrivent toutes dans le triple objectif rappelé par la vision stratégique du chef d’état-major : « Décourager un compétiteur ou un adversaire potentiel dans sa volonté d’affaiblir les positions de la France, de menacer ses intérêts ou d’entraver sa liberté d’action. Défendre et protéger nos concitoyens et nos forces déployées partout où ils se trouvent. Défaire tout ennemi qui userait de la force pour tenter d’imposer sa volonté, y compris dans un affrontement de haute intensité » ([2]).

Si l’armée de l’air et de l’espace est au rendez-vous des missions opérationnelles, l’évolution des menaces exige une ambition renouvelée et continue. Il est en effet vraisemblable que nos aviateurs évolueront à l’avenir dans un environnement de moins en moins permissif, où le brouillage de nos moyens (radars, GPS, électromagnétique) sera la norme, où les drones seront utilisés de façon massive et désinhibée, où des zones de déni d’accès seront assurées par des systèmes de défense sol-air toujours plus sophistiqués.

C’est notamment pour répondre à ces défis que votre rapporteur a demandé et obtenu l’inscription dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 de la mention du développement du standard F5 du Rafale, qui sera un vecteur essentiel pour conserver notre supériorité aérienne et la crédibilité de la composante aéroportée de notre dissuasion à l’horizon 2035.

Mais si la conservation de la supériorité technologique de nos vecteurs aériens est nécessaire, elle n’est pas à elle seule suffisante pour assurer notre supériorité opérationnelle. Disposer (i) de flottes au format adapté, (ii) d’aviateurs bien entraînés et (iii) en nombre suffisant constituent également des conditions sine qua non pour assurer notre succès en cas de conflits dans la troisième dimension.

Or, la conviction de votre rapporteur, issue des travaux qu’il a menés au titre du présent rapport pour avis, est que ces trois conditions ne sont pas satisfaites à ce stade, par manque d’ambition du Gouvernement.

Tout d’abord, les formats de nos flottes ont été revus à la baisse à l’occasion de la LPM 2024-2030, à rebours de l’exigence de massification requise par le retour de la guerre de haute intensité :

– sur le segment de l’aviation de combat, une flotte de 137 Rafale est ainsi prévue en 2030, alors que la LPM 2019-2025 en prévoyait 185 à la même date. Le nombre de Mirage 2000 rénovés est également révisé à la baisse (de 58 à 48). Le parc d’avions de chasse de l’armée de l’air et de l’espace (Rafale et Mirage) passera ainsi, certes temporairement, sous le seuil de 185 aéronefs en 2027-2028, soit un plus bas historique.

Cette absence d’ambition pour notre aviation de chasse a un impact direct sur le contrat opérationnel de l’armée de l’air et de l’espace : alors que la LPM 2019-2025 prévoyait le déploiement de « 45 avions de chasse hors groupe aérien embarqué » en cas d’« engagement majeur » ([3]), la LPM 2024-2030 ne prévoit plus que la mobilisation de 40 avions de chasse dans une telle hypothèse ([4]).

– s’agissant de l’aviation de transport, la cible d’A400M a été réduite de 50 à 35, alors que ces avions sont actuellement sur-sollicités en opérations et considérés unanimement comme des game changers pour l’armée de l’air et de l’espace.  Si la cible pour les A330 MRTT reste quant à elle inchangée à quinze aéronefs, il convient de relever qu’il s’agit du format minimal pour assurer le seul contrat opérationnel lié à la dissuasion, hors missions conventionnelles ;

– les hélicoptères de manœuvre verront leur flotte réduire de 36 à 32 de 2024 à 2030, tandis que la modernisation des Caracal a été repoussée à l’après LPM ;

– enfin, les avions légers de surveillance et de renseignement seront au nombre de trois en 2030 contre les huit prévus par la précédente LPM.

Deuxièmement, le niveau d’activité et de préparation opérationnelle de nos aviateurs, sur lequel votre rapporteur avait déjà alerté dans son précédent rapport pour avis, demeure un point d’attention majeur. Si le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une légère amélioration en ce domaine par rapport à 2023, il convient d’en relativiser la portée car les cibles d’activité – qui sont désormais classifiées – restent bien inférieures aux normes OTAN et même, pour certaines d’entre elles, à l’activité réalisée dans les années récentes. Alors que la LPM 2024-2030 insiste, à juste titre, sur la « cohérence » de nos forces armées et le renforcement de leur activité et préparation opérationnelle, force est de constater que le projet de loi de finances (PLF) 2024 n’est pas encore à la hauteur des enjeux, dans un contexte où les surcoûts liés à l’inflation représentent entre 50 et 60 % de la hausse du budget du P178 pour l’armée de l’air et de l’espace, selon les indications données à votre rapporteur.

Le niveau d’activité opérationnelle est aussi directement lié à la disponibilité des aéronefs. La stratégie de verticalisation des contrats de MCO, soutenue par la mise en place de moyens supplémentaires, entend répondre à cette problématique. Cependant, votre rapporteur est dans l’incapacité d’affirmer dans le cadre du présent rapport si cette politique porte ses fruits, puisque les indicateurs de disponibilité des aéronefs ont été également classifiés par le Gouvernement. Par cette décision, votre rapporteur est donc dans l’impossibilité de donner un avis éclairé dans le cadre du présent rapport sur l’efficacité de 75 % du budget du programme 178 pour l’armée de l’air et de l’espace.

Troisièmement, l’enjeu de la fidélisation des aviateurs constitue certainement à l’heure actuelle le défi principal pour l’armée de l’air et de l’espace. Rien ne sert en effet de disposer des capacités les plus sophistiquées si l’armée de l’air et de l’espace n’a pas les compétences nécessaires, en nombre suffisant, pour assurer la projection, le soutien et l’entretien de ces matériels. Or, malgré un niveau de recrutement satisfaisant, l’augmentation du nombre de départs se traduit par la non atteinte des schémas d’emplois de l’armée de l’air et de l’espace, à rebours des objectifs de création de postes prévus par la LPM. La concurrence exercée par le monde de l’aviation civil, mais aussi un sentiment – partagé du reste par les militaires des trois armées – de déclassement, concourent à ces départs massifs.

Cette dynamique est particulièrement inquiétante et requiert une mobilisation d’ampleur des pouvoirs publics. Il faut impérativement saisir la révision des grilles indiciaires, prévue par la LPM 2024-2030 pour mettre un terme à cette hémorragie, en veillant toutefois à ce que celle-ci n’induise pas un tassement des grilles au détriment des sous-officiers et des officiers. Lors des nombreuses visites qu’il a effectuées ces derniers mois, votre rapporteur a pu constater à quel point la hausse de l’indiciaire représente une attente forte de nos militaires.

Le présent avis budgétaire sur les crédits proposés pour l’armée de l’air et de l’espace est l’occasion de revenir sur ces enjeux. Le PLF 2024 a ceci de particulier qu’il constitue le premier budget de la LPM 2024-2030 : il doit donc être analysé au prisme des ambitions de cette LPM, notamment quant au renforcement de l’activité et du soutien des forces, et de ses lacunes, notamment capacitaires.

La première partie du présent avis s’intéressera à l’appréciation des grands équilibres du projet de loi de finances pour 2024 s’agissant de l’armée de l’air et de l’espace. Si cette partie est logiquement centrée sur le programme 178 « Préparation des forces », votre rapporteur a tenu également à évoquer les autres programmes de la mission « Défense » (programmes 144 « Environnement et prospective de défense » et 146 « Équipement des forces »), afin d’avoir une vision cohérente des enjeux financiers pour l’armée de l’air et de l’espace.

La seconde partie portera sur le thème du rôle de l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique. Dans un contexte marqué par le durcissement de la compétition entre puissances et la nécessité de renforcer le rôle de la France dans cet espace contesté, votre rapporteur a souhaité contribuer aux réflexions actuelles sur l’évolution de notre dispositif militaire en Indopacifique. Alors que la LPM 2024-2030 affiche une ambition forte pour l’outre-mer, avec un « patch » doté de treize milliards d’euros de besoins programmés sur la période, les déclinaisons opérationnelles de cette ambition ne sont en effet pas arrêtées à ce stade et doivent être déclinées dans le cadre d’un « schéma directeur outre-mer », qui sera finalisé d’ici la fin de l’année.

La conviction de votre rapporteur à l’issue de ses travaux est que nous sommes à un tournant géostratégique, qui exige un changement de paradigme majeur de la part de nos armées. Nos forces en Indopacifique ont en effet longtemps été délaissées, que ce soit en termes d’infrastructures, de capacités ou d’effectifs. Leur intérêt stratégique était en effet jugé faible, en raison du caractère limité des menaces qui pesaient sur nos intérêts dans cette région.

Or, l’évolution du contexte stratégique commande un virage à 180°. À l’heure de la remilitarisation des puissances de l’Indopacifique, de l’enhardissement de la Chine, de la multiplication des menaces de différentes natures qui pèsent sur nos espaces de souveraineté (pêche illicite, immigration illégale, catastrophes climatiques…), une remontée en puissance significative de nos forces en Indopacifique est indispensable.

Dans cette perspective, l’armée de l’air et de l’espace peut et doit jouer un rôle central dans la réaffirmation d’une « France puissance » en Indopacifique. Si la zone Indopacifique a longtemps été considérée sous le prisme des seuls enjeux maritimes, l’accroissement de la compétition entre puissances dans la zone exige un réinvestissement de l’armée de l’air et de l’espace dans la région. Une telle montée en puissance de l’armée de l’air et de l’espace dans la zone est aujourd’hui rendue possible par l’emploi de ses nouvelles capacités de projection de l’armée de l’air, qui lui permettent d’intervenir sous faible préavis à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole au profit de ses territoires et de ses partenaires.

La faculté de projection résultant du triptyque Rafale/A400M/A330 MRTT, telle qu’illustrée par la mission Pégase 23, fait en effet de l’armée de l’air et de l’espace un formidable outil de puissance et d’influence dans la zone. De même, les capacités de l’armée de l’air et de l’espace dans les domaines de la connaissance et de l’anticipation (drones, ISR, espace) peuvent constituer des atouts pour surveiller la zone, en complément des moyens de la marine nationale.

Opération de réassurance de nos territoires outre-mer, mais aussi de préparation opérationnelle, de « diplomatie aérienne » auprès de nos partenaires et de « signalement stratégique » à l’égard de nos compétiteurs, les multiples dimensions de la mission Pégase 23 illustrent la diversité des enjeux en Indopacifique et démontrent l’impératif de s’appuyer encore davantage sur les capacités de l’armée de l’air et de l’espace pour répondre aux défis que doit relever la France dans cet espace.

Si les capacités de l’armée de l’air et de l’espace offrent des options militaires inédites au pouvoir politique dans la zone Indopacifique, le renforcement du rôle de l’armée de l’air et de l’espace dans la zone requiert cependant le respect des conditions suivantes : tout d’abord, nos formats de flottes de Rafale/ MRTT/A400M doivent être correctement dimensionnés, à rebours des décalages prévus par la LPM 2024-2030 ; deuxièmement, les infrastructures opérationnelles de nos bases en Indopacifique doivent faire l’objet d’une remise à niveau drastique pour accueillir de façon durable de telles projections de puissance ; enfin, la remontée en puissance de l’activité opérationnelle de nos aviateurs doit être une priorité.

Votre rapporteur en appelle donc une révolution copernicienne : ne plus considérer nos bases aériennes en Indopacifique comme des « confettis d’Empire » ([5]), mais comme de véritables vecteurs d’une stratégie de puissance et d’influence de la France dans cet espace constituant le nouveau centre du monde.


—  1  —

   PREMIÈRE PARTIE : UN BUDGET EN HAUSSE QUI NE SUFFIRA PAS À RÉPONDRE AUX MULTIPLES DÉFIS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

I.   UNE ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE AU RENDEZ-VOUS DES OPÉRATIONS, MAIS DES ENJEUX CAPACITAIRES TOUJOURS PRÉGNANTS

A.   UNE NOUVELLE ANNÉE D’INTENSE ACTIVITÉ POUR L’ARMÉE DE l’AIR ET DE L’ESPACE

1.   Sur le territoire national

a.   La posture permanente de dissuasion nucléaire

Depuis la première prise d’alerte le 8 octobre 1964, les forces aériennes stratégiques (FAS) assurent la posture de dissuasion nucléaire. Cette posture se caractérise par sa permanence, mais aussi par sa réactivité, sa visibilité et sa réversibilité, ce qui en fait un outil complémentaire à la force océanique stratégique.

Un raid nucléaire aérien est une « fusée à trois étages », pour reprendre les termes du commandant des FAS, constituée des ravitailleurs, des bombardiers et des vecteurs : « le premier comporte les ravitailleurs et les avions radar Awacs (Airborne Warning And Control System), qui accompagnent les chasseurs au plus près des frontières ennemies. Le deuxième étage est composé par les Rafale, qui percent les défenses ennemies pour atteindre leur point de tir. Le dernier étage est constitué par l’arme, qui parcourt la distance restante jusqu’à l’objectif désigné »([6]).

La génération actuelle, composée du Rafale, du MRTT et de l’ASMP-A, offre des capacités d’allonge, de pénétration, et de précision inédites dans l’histoire de l’armée de l’air et de l’espace. La crédibilité et la robustesse de notre dissuasion reposent cependant sur la modernisation constante de cet outil pour s’adapter à l’évolution des menaces. La mise en service opérationnel dans les prochaines semaines, d’une part, de l’ASMP-A rénové et, d’autre part, du standard F4 du Rafale, illustre une telle exigence d’adaptation. La livraison du douzième A330 MRTT en septembre 2023 à Istres permet de doter notre pays de la plus grande flotte stratégique d’Europe. Il convient cependant d’anticiper la conversion au format MRTT des trois A330 issus du plan de soutien aéronautique, pour se séparer des cinq C-135 restants dès que possible. Il s’agit d’un impératif opérationnel, tant les C-135 ne sont plus adaptés aux défis actuels, mais également économique : selon les informations de votre rapporteur, le coût du MCO des C- 135 pourrait atteindre 60 000 euros par heure de vol en 2026 (contre 11 500 euros pour le MRTT).

Symbole de cette évolution constante de notre outil, le défi est aujourd’hui de développer les capacités qui assureront la crédibilité de la composante nucléaire aéroportée à l’horizon 2035, avec l’ASN-4G, le Rafale au standard F5 et le MRTT au standard 2. Le durcissement de la composante, l’accroissement de sa capacité de pénétration et d’allonge, la connectivité et l’intégration de l’espace et du cyber constituent des enjeux majeurs pour cette prochaine génération de vecteurs.

À travers l’exigence de la mission des FAS – à savoir garantir au Président de la République, en toutes circonstances, notre capacité à infliger des dommages inacceptables en frappant les cibles qu’il a désignées – ce sont en vérité l’ensemble des capacités conventionnelles de l’armée de l’air et de l’espace qui sont tirées vers le haut, comme l’a rappelé le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace : « Les FAS ont été les premières à utiliser le ravitaillement en vol, qui constitue aujourd’hui l’une des capacités indispensables à toutes nos opérations. Elles ont aussi contribué à l’acquisition d’aptitudes spécifiques en matière de planification et de conduite des opérations aériennes, qui nous sont utiles dans des environnements denses et hostiles comme celui de la Libye. L’autonomie d’emploi, requise pour la mission de dissuasion, a également conduit au développement des systèmes de contre-mesures électroniques et des moyens de navigation de bord et de pénétration en suivi de terrain automatique qui sont désormais utilisés dans tous nos avions de combat conventionnel. En outre – et cet élément est d’une grande importance –, la mission nucléaire a servi à développer un savoir-faire en matière de ciblage au sein de l’armée de l’air et de l’espace, ainsi que le recueil et le fusionnement du renseignement » ([7]).

Le format actuel de la flotte d’aviation de chasse ne permet toutefois pas de dédier les aéronefs des FAS, qui rassemblent environ 50 % des équipages de Rafale, aux seules missions de dissuasion. Ainsi que l’a rappelé le commandant des FAS, ses aviateurs sont engagés au quotidien dans les missions conventionnelles de l’armée de l’air et de l’espace : « En ce qui concerne la polyvalence, les Rafale et ravitailleurs des FAS assument toute leur part dans les missions conventionnelles de l’armée de l’air et de l’espace. Ainsi, les Rafale ont pris leur tour d’opération au Sahel, puis au Levant. Ils ont aussi participé à l’opération Hamilton, lancée contre les installations chimiques syriennes en avril 2018. À l’heure où je vous parle, ils sont déployés en Jordanie, contribuent à notre PPS-A et patrouillent à l’est de l’Europe dans le cadre des missions de réassurance de l’Otan. En outre, ils se préparent à participer aux exercices nationaux et multinationaux – comme l’exercice interarmées Orion – qui jalonneront cette année 2023 » ([8]).

En raison de ce format limité des flottes, toute hausse du niveau d’alerte en matière de dissuasion, comme au début du conflit en Ukraine, ne peut se faire qu’au détriment des autres missions de l’armée de l’air et de l’espace : si les Rafale sont dits « omnirôles » en raison de leur polyvalence, ils n’ont pas le don d’ubiquité !

b.   La posture permanente de sûreté aérienne

La posture permanente de sûreté aérienne (PPS-A) a pour vocation d’assurer la souveraineté de la France dans son espace aérien. Cette posture, qui mobilise près de 500 aviateurs, est assurée grâce à un réseau de 70 radars civils et militaires et trois centres de détection et de contrôle chargés de détecter tout aéronef suspect parmi les 15 000 mouvements aériens par jour qui survolent la France.

La reprise du trafic aérien et les conséquences de la guerre en Ukraine – avec notamment la surveillance et l’interdiction de survol des aéronefs portant intérêt russes – ont entraîné un surcroît d’activité au titre de la PPS-A : alors que 211 décollages avaient eu lieu sur alerte en 2022, près de 225 interventions ont d’ores et déjà été réalisées du 1er janvier au 1er septembre 2023.

L’armée de l’air et de l’espace est également mobilisée au titre de la protection des grands évènements nécessitant la mise en place de dispositifs particuliers de sûreté aérienne (DPSA). Treize DPSA ont ainsi été mis en œuvre sur le territoire national en 2022 (huit depuis le 1er janvier 2023, en ce compris la coupe du monde de rugby et la venue du pape à Marseille).

Le principal défi à venir sera naturellement la protection de l’espace aérien dans le cadre des jeux olympiques de 2024, qui mobilisera plus d’un millier d’aviateurs pour la seule mission PPS-A. Des moyens supplémentaires, qui viendront s’ajouter aux moyens socles de la PPS-A, seront également déployés, principalement en Ile de France et à Marseille.

● La LPM 2024-2030, dans la partie de son rapport annexé dédiée au contrat opérationnel des forces armées, a étendu le périmètre de la PPS-A à deux nouveaux segments : la lutte anti-drone, d’une part, et la très haute altitude, d’autre part.

L’extension de la PPS-A à la lutte anti-drone ne signifie naturellement pas que l’armée de l’air et de l’espace est en charge de détecter et d’identifier tout drone dans l’espace aérien. En revanche, l’armée de l’air et de l’espace, à travers le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), est désormais chargée d’assurer la coordination de la lutte anti-drone au niveau interministériel dans le cadre des bulles de protection mises en place lors des grands évènements.

La lutte anti-drone constituera naturellement un élément central du dispositif de protection qui sera mis en place lors des jeux olympiques 2024. Il s’agit d’un défi hors norme pour l’armée de l’air et de l’espace : ainsi que l’a indiqué le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées du 5 octobre 2023, alors que la lutte anti-drones pour un évènement tel que le 14 juillet représente environ 20 heures d’activité sur un seul site et la coupe du monde de rugby, 200 heures sur neuf sites, les jeux olympiques représenteront quant à eux 4 000 heures d’activité anti-drone sur 42 sites.

Il est impératif à ce titre que la mise en service opérationnel des systèmes Parade, testés par le groupement industriel dans le cadre de la coupe du monde de rugby mais non encore qualifiés par la DGA, intervienne suffisamment tôt pour permettre une bonne appropriation par les armées avant les jeux olympiques. L’armée de l’air et de l’espace compte également sur l’efficacité du logiciel SAP (situation aérienne partagée), qui permettra d’interconnecter l’ensemble des moyens de lutte anti-drone, en vue d’assurer une appréciation globale de la situation. Lors de sa visite sur la base aérienne d’Istres, votre rapporteur a pu constater l’implication des aviateurs en matière de lutte anti-drone, à travers l’expérimentation de capacités reposant sur des partenariats locaux.

Quant à la problématique de la très haute altitude, récemment mise en lumière par l’affaire du « ballon chinois », l’armée de l’air et de l’espace a été mandatée par le chef d’état-major des armées pour proposer une stratégie militaire dédiée aux enjeux dans cette zone. Les menaces y sont en effet plurielles, des « ballons » aux planeurs hypersoniques, comme le rappelle un officier du commandement de l’espace : « Les menaces les plus imminentes sont l’espionnage et l’écoute à travers d’engins lents et persistants présentant des capacités duales. Par ailleurs, en œuvrant en très haute altitude, certains objets, grâce à leur fugacité, ne sont pas détectés par les systèmes de défense aérienne. Il s’agit notamment des missiles de croisières hypersoniques volant entre 20 et 30 km d’altitude et des planeurs hypersoniques évoluant entre 50 et 70 km »([9]). Des industriels français ont également des projets capacitaires dans ce domaine (projets Stratobus de Thales ou Zephyr d’Airbus), qu’il faudra suivre avec intérêt.

c.   Les missions de service public

Dans le cadre de la lutte contre les feux de forêt, l’armée de l’air et de l’espace participe à la mission Héphaïstos. Originellement circonscrite au Sud de la France, cette mission a été élargie à l’ensemble du territoire métropolitain en 2023. Plus de 100 aviateurs sont intervenus par exemple pour lutter contre les feux de forêts en Gironde en juillet 2022, en appui des moyens de la direction générale de la sécurité civile.

Au titre de son activité de recherche et de sauvetage, l’armée de l’air et de l’espace a effectué en 2022 47 opérations de sauvetage pour un total de 23 personnes sauvées. Les hélicoptères Puma des bases aériennes de Cazaux et de Solenzara sont particulièrement mobilisés au titre de ces opérations.

Une centaine d’aviateurs participent également à l’opération Sentinelle.

Enfin, l’armée de l’air et de l’espace, à travers son escadron de transport 68 « Antilles Guyane » composé d’avions de transport tactique CN-235 Casa et d’hélicoptères Fennec et Puma, participe à la mission Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, en appui de la gendarmerie nationale.

2.   En opérations extérieures

Au Sahel, l’armée de l’air et de l’espace est pleinement impliquée dans la réarticulation de notre dispositif en Afrique, dans le cadre des désengagements au Mali, au Burkina Faso et désormais au Niger. Le retrait du Niger mobilisera les avions de transport de l’armée de l’air et de l’espace, notamment les A400M, pendant plusieurs mois.

● Au Moyen-Orient, la mort du sergent Mazier nous rappelle la prégnance de la menace du terrorisme islamiste. Dans le cadre de la mission Chammal, volet national de l’opération Inherent Resolve menée en coalition, l’armée de l’air et de l’espace poursuit son appui aux forces irakiennes engagées sur le terrain contre Daech. Les aviateurs représentent ainsi la moitié des 600 militaires français mobilisées en Irak et les Rafale déployés y ont effectué 13 000 sorties et délivré 2 000 munitions depuis le début de l’opération. Dans un cadre bilatéral, l’armée de l’air et de l’espace appuie également la montée en puissance de l’armée de l’air irakienne pour assurer la protection de son espace aérien. La mission Chammal s’appuie sur la base aérienne projetée (BAP) H5 de Jordanie, qui est aujourd’hui en mesure d’accueillir l’ensemble des aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace, en ce compris l’A330-MRTT. Illustration du caractère stratégique de cette base, la BAP H5 accueille un détachement de drone Reaper, dont la pleine capacité opérationnelle sera atteinte à l’automne 2023.

● Sur le flanc oriental de l’Europe, l’armée de l’air et de l’espace joue un rôle central dans les missions de réassurance mises en place par l’OTAN. Dans le cadre de la mission de police du ciel des États baltes dite eAP (enhanced Air Policing), la France assure désormais un déploiement de quatre mois tous les ans, en lieu et place de tous les deux ans avant le début du conflit en Ukraine. De décembre 2023 à mars 2024, quatre Mirage 2000-5 seront ainsi déployés en Lituanie. Au-delà de cette mission spécifique, les avions de chasse de l’armée de l’air et de l’espace, déployés depuis la France, assurent des patrouilles de surveillance des frontières orientales de l’Alliance en Europe, bien que cette activité soit en baisse en 2023. Enfin, depuis mai 2022, un système SAMP-T Mamba, équipé de missiles Aster 30, est déployé à Capu Midia en Roumanie, avec une centaine d’aviateurs des escadrons de défense sol-air détachés.

Dans un cadre national, la France effectue également un certain nombre de missions de recueil de renseignement, notamment grâce aux Mirage 2000D équipés de pods Astac. Cependant, le retrait anticipé du Transall Gabriel C-160 G, conjugué au retard du programme Archange, a entraîné une rupture temporaire de capacité en matière de capacités électromagnétiques particulièrement préjudiciable dans le contexte actuel.

Notre soutien à l’Ukraine et à nos alliés (détachements en Estonie et en Roumanie, cessions et missions de formation) se traduit enfin par une forte augmentation de l’activité des avions de transport de l’armée de l’air et de l’espace.

● Enfin, comme déjà évoqué, l’armée de l’air et de l’espace a joué un rôle central au titre de l’opération d’évacuation de ressortissants Sagittaire. Une telle opération traduit notamment l’atout que constituent les A400M pour ces missions : « L’arrivée à maturité de l’A400M, avion remarquable, a permis de jouer l’ensemble de cette équation (…) L’énorme avantage stratégique de l’A400M est son allonge, qui nous permettait de faire l’aller-retour Djibouti-Khartoum-Djibouti sans refaire le plein. C’est crucial : si l’on va à El- Fasher, situé à 2 000 kilomètres de Djibouti, il faut pouvoir revenir sans devoir ravitailler sur place. Ces capacités, que nous avons développées depuis de nombreuses années maintenant, sont arrivées à maturité » ([10]).

Source : état-major des armées.

3.   Des exercices emblématiques

● L’exercice Orion 23 a rappelé que l’acquisition de la supériorité aérienne, même temporairement et localement, restait une condition nécessaire au succès des opérations sur le champ de bataille. Cet exercice de haute intensité a également confirmé l’importance de reconstituer les stocks de munitions, d’amplifier nos capacités de guerre électronique, de défense sol-air et de lutte anti-drones, de consolider la montée en puissance d’un centre de commandement et de contrôle (C2) multi-milieux multi-champs, ainsi que de retrouver une capacité de destruction des défenses aériennes ennemies (SEAD).

Si votre rapporteur n’a pas eu accès aux données relatives à l’attrition de nos aéronefs lors de cet exercice, celle-ci s’est avérée élevée. Cela est particulièrement inquiétant au regard du format actuel de l’aviation de chasse, qui ne tient précisément aucunement compte d’une telle attrition, comme l’a relevé le général Frédéric Parisot, ancien major général de l’armée de l’air et de l’espace : « Face à ce besoin, un format de 185 avions polyvalents Rafale est indispensable (…). Néanmoins, cette quantité doit prendre en compte l’attrition du temps de paix, mais surtout anticiper celle d’un potentiel conflit futur de haute intensité. (…) Il est raisonnable de penser que le taux d’attrition dans un conflit de haute intensité futur serait de l’ordre de 1 à 3 % notamment contre des adversaires qui profitent d’un marché export beaucoup plus dynamique qu’auparavant. De plus, il faut rappeler que le taux d’attrition touche les aéronefs, mais aussi les équipages. (…) Cette attrition n’étant actuellement pas prise en compte dans le format, des leviers doivent être étudiés pour la minimiser et le cas échéant combler ces pertes » ([11]).

● L’exercice Orionis, dédié au MCO aéronautique, a permis de sensibiliser les industriels aux exigences requises pour répondre aux besoins opérationnels d’une armée impliquée dans un conflit de haute intensité. Des solutions innovantes en matière de gestion du risque ont été identifiées lors de cet exercice et ont été mises en œuvre dès la mission Pégase 23 dans le cadre de la réparation d’un aéronef endommagé à Guam.

● L’armée de l’air et de l’espace a également pu tirer parti des exercices pour mettre en œuvre le concept de déploiement agile dit « MORANE » (mise en œuvre réactive de l’arme aérienne), adaptation française de l’« Agile Combat Employment » de l’US Air Force, qui vise à réduire au maximum l’empreinte logistique d’une mission de projection.

Ainsi, de façon inédite, lors de l’exercice Eunomia23 en Grèce du 11 au 15 septembre 2023, un seul A400M a convoyé trois avions de chasse, pour une projection à 2 600 km de leur base, avec seulement trois tonnes de fret ([12]). Un ravitaillement simultané de deux Rafale a ainsi été réalisé par l’A400M. Si un tel allègement du dispositif a pu être réalisé grâce aux moyens de maintenance disponibles sur la base d’accueil en Grèce, il illustre néanmoins l’ambition de l’armée de l’air et de l’espace d’accroître sa capacité de disperser ses aéronefs sans préavis en cas de besoin.

● Enfin, l’année 2023 a naturellement été marquée par la projection de puissance en Indopacifique dans le cadre de la mission Pégase 23, mais celle-ci sera abordée dans la partie thématique du présent rapport.

B.   DES DÉFIS CAPACITAIRES AUXQUELS NE RÉPOND PAS LA LPM 2024-2030

1.   Des décalages et réductions de cibles préjudiciables décidés par la LPM

● Le retour de la haute intensité aurait exigé la massification du format des différentes capacités de l’armée de l’air et de l’espace, et plus particulièrement de l’aviation de chasse, ainsi que le recommandait votre rapporteur dans son précédent rapport pour avis. Or, la LPM 2024-2023 a bien au contraire acté des décalages et/ou des réductions de cibles des formats des flottes de l’armée de l’air et de l’espace.

Sur le segment de l’aviation de chasse, la LPM fixe à 137 le nombre de Rafale dont disposera l’armée de l’air et de l’espace à l’horizon 2030, soit 48 avions de moins que la cible de 185 Rafale fixée par la LPM 2019-2025. Les exports grec et croate, qui se matérialisent par la cession de 24 avions d’occasion, n’expliquent donc qu’une partie de cet écart.

Il convient en outre de souligner que les prévisions transmises à votre rapporteur par le ministère des Armées dans le cadre de son précédent rapport pour avis prévoyaient 159 Rafale en 2030. Les arbitrages de la LPM ont donc abouti à un décalage de 22 Rafale par rapport à ce qui était prévu en 2022.

Les prévisions de livraisons de Rafale - sous réserve que la cinquième tranche de 42 avions, dont la commande est prévue d’ici la fin de l’année, soit confirmée - sont désormais les suivantes.

prÉvision de livraisons de Rafale 2024-2032

Année

2024

2025

2026

2027-2030

2031-2032

Rafale Livrés

13

12

1

20

22

4ème tranche

5ème tranche

La conséquence de ces décalages est que le tout-Rafale au sein de l’armée de l’air et de l’espace ne sera atteint, au mieux, qu’en 2035. Le premier Rafale étant entré dans les forces en 2004, il aura donc fallu plus de trente ans pour disposer d’une flotte d’avions de chasse enfin homogénéisée !

Bien plus, ces décalages de Rafale ne seront pas compensés par un effort sur la modernisation des Mirage 2000D, puisque la LPM 2024-2030 prévoit la rénovation de 48 de ces aéronefs, soit sept de moins que la cible de la précédente LPM. La conséquence de ces renonciations est que le parc total d’avions de chasse (Rafale et Mirage) sera même inférieur à 185 avions de chasse en 2027 et 2028, soit son plus bas niveau historique, en raison du calendrier de retrait des Mirage 2000-5 et de certains 2000D. Ces décalages interviennent au surplus alors que l’armée de l’air et de l’espace avait déjà vu sa cible d’avions de chasse polyvalents réduite de 25 % entre 2008 et 2017.

De tels décalages vont à l’encontre des ambitions stratégiques de notre pays, et notamment celui de jouer un rôle de nation-cadre d’une coalition dans un conflit de haute intensité. Comme le souligne à juste titre l’ancien major général de l’armée de l’air et de l’espace, « le crédit militaire dans une coalition d’armées de l’air occidentales se joue sur la cohérence et le poids de son aviation de chasse pour en attribuer le leadership à une nation. Les dernières coalitions qu’ont été Desert Storm ou Inherent Resolve abondent clairement en ce sens » ([13]).

Cette absence d’ambition pour notre aviation de chasse aura nécessairement des conséquences sur la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à honorer son contrat opérationnel. À ce titre, la conclusion annoncée en 2024 d’un contrat pour externaliser l’activité « Red Air », qui consiste à simuler la force adverse dans le cadre d’exercices, est symptomatique des adaptations auxquelles doit procéder l’armée de l’air et de l’espace compte tenu de son format actuel d’aviation de chasse.

Sur le segment de l’aviation de transport, l’A400M a été une des grandes victimes de la LPM 2024-2030 : alors que le contrat conclu avec Airbus stipulait la livraison de 50 A400M, la LPM 2024-2030 n’en prévoit plus qu’« au moins 35 ».

À titre liminaire, votre rapporteur estime que l’absence de détermination d’un format précis, en fixant uniquement une cible minimale, n’est pas de bonne politique. L’objet même du programme d’équipements prévu dans une LPM est de permettre aux forces de s’organiser dans le temps long, notamment en dimensionnant les ressources humaines, le soutien et les infrastructures qui seront nécessaires pour accueillir les équipements dans leur cible définie par la LPM. Or, ne donner qu’une cible minimale fait peser une grande incertitude pour l’armée de l’air et de l’espace : si cette cible est soudainement augmentée – ce que souhaite votre rapporteur – il faudra trouver en urgence des pilotes à former, des mécaniciens, réaffecter des budgets pour les infrastructures A400M qui étaient initialement prévus pour d’autres finalités. L’absence de format précis est donc un facteur de désorganisation pour nos armées.

Sur le fond, cette réduction de cible est particulièrement intempestive, en ce qu’elle intervient alors que les A400M sont sur-sollicités en opérations (Soudan, Libye, Niger…) et sont même utilisés pour des missions pour lesquels ils n’étaient pas prévus initialement, telles que l’entraînement au saut des troupes aéroportées, faut de disponibilité des avions de transport du segment médian ([14]).

Cette diminution du format entre également en contradiction avec l’évolution à venir des contrats opérationnels de l’armée de l’air et de l’espace. Il est en effet vraisemblable que les nouveaux contrats opérationnels aboutiront à augmenter le dimensionnement de la force de l’échelon national d’urgence renforcé (ENU-R), ainsi que sa distance de déploiement. Or, seule l’A400M peut répondre à ce besoin d’allonge stratégique, grâce à ses capacités d’emport.

Cette réduction de cible est également incohérente avec les besoins accrus de projection de puissance en outre-mer – votre rapporteur reviendra sur ce point dans la partie thématique du présent rapport –.

Cette décision met enfin en péril la pérennité du programme A400M à terme, puisque les livraisons pour la France devaient être les principales contributrices à la chaîne de production à partir de 2025. Il convient par conséquent a minima d’anticiper la commande d’A400M en début de période de cette LPM, avant que l’export puisse le cas échéant prendre le relais pour assurer la viabilité de ladite chaîne de production.

Au final, la conséquence du format de l’A400M prévu par la LPM 2024-2030 sera l’affaiblissement de nos moyens de projection stratégique souverain et la persistance d’une dépendance forte aux avions affrétés hors gabarit de type Antonov.

Les hélicoptères de manœuvre subiront également une réduction de leur flotte, puisque celle-ci passera de 36 ([15]) à l’heure actuelle à 32 ([16]) à l’horizon 2030. Si les huit Caracal issus du plan de soutien à l’aéronautique et le transfert de huit autres Caracal provenant de l’armée de terre (sous réserve de la livraison prévue à cette dernière des 8 NH90) permettront de remplacer 16 des 20 Puma hors d’âge de l’armée de l’air et de l’espace à l’horizon 2027, quatre autres Puma seront retirés du service à cette date sans être remplacés. En outre, les Caracal sont loin d’être des appareils neufs et l’absence d’inscription dans la LPM de leur rénovation à mi-vie laisse ouverte la question du traitement des obsolescences de ces hélicoptères.

Votre rapporteur suggère par conséquent de lancer au plus vite les études pour une telle modernisation à mi-vie du Caracal et de lever l’option pour la commande de quatre autres Caracal avant la fin de l’année, afin de ne pas réduire le format de la flotte d’hélicoptères de manœuvre de l’armée de l’air et de l’espace. Il convient en outre de rappeler que l’armée de l’air et de l’espace n’obtiendra la livraison de ses premiers HIL Guépard, qui ont vocation à remplacer ses 40 Fennec, qu’à partir de 2031, pour des livraisons qui s’étaleront jusqu’en 2038.

S’agissant du segment ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), déjà affaibli par le retrait anticipé du C-160 Transall Gabriel, les avions légers de surveillance et de renseignement (ALSR) détenus en patrimonial par l’armée de l’air et de l’espace seront au nombre de trois en 2030, contre huit prévus par la LPM 2019-2025. Si la cible de trois aéronefs du programme Archange n’a pas été modifiée, le programme accuse un certain retard, les deux premiers avions devant être livrés au mieux en 2027. Au surplus, les nacelles Reco NG et Astac utilisées par des avions de chasse pour des missions ISR ont vocation à être retirées du service entre 2025 et 2030. Quant au système de drones MALE, alors que la LPM 2019-2025 prévoyait huit systèmes en 2030, l’armée de l’air et de l’espace devra se contenter de cinq systèmes (quatre Reaper et un Eurodrone).

Dans le domaine spatial, la LPM 2024-2030 a acté l’annulation du satellite souverain de télécommunication Syracuse IV-C, alors que celui-ci avait précisément pour finalité de répondre aux besoins des plateformes aéronautiques, si l’on en croit la communication du ministère des Armées lors de la LPM 2019-2025 ([17]).

● Enfin, dans le domaine de la défense sol-air, l’armée de l’air et de l’espace ne disposera en 2030 que de huit systèmes SAMP-T « Mamba » de nouvelle génération, soit le même format qu’aujourd’hui, ce qui est trop peu compte tenu de l’évolution des menaces, du contexte (cessions à l’Ukraine et déploiement en Roumanie) et de leur faible taux de disponibilité.

L’ensemble de ces décalages et baisses de cibles se traduisent inéluctablement par la baisse des capacités susceptibles d’être mobilisées par l’armée de l’air et de l’espace en cas de conflit de haute intensité, ainsi que l’illustre une comparaison entre les contrats opérationnels de la LPM 2019-2025 et de la LPM 2024-2030 en cas d’« engagement majeur ».

capAcitÉs de l’armÉe de l’air et de l’espace susceptibles d’Être mobilisÉes en cas d’« engagement majeur »

 

 

Contrat opérationnel

LPM 2019-2025

 

 

Contrat opérationnel

LPM 2024-2030

 

Avions de chasse

 

45

40

Avions de transport stratégique et de ravitaillement

 

9

8

Avions de transport tactique

 

16

15

Avions légers de renseignement et de surveillance

 

4

2

Systèmes de drones armés

 

4

2

 

Source : LPM 2019-2025 (rapport annexé, section 2.2.1) et LPM 2024-2030 (rapport annexe, section 2.1).


2.   Les principales commandes et livraisons en 2024

S’agissant des principales livraisons, l’évènement le plus notable pour la flotte d’aviation de chasse est la livraison de treize Rafale au standard F4, soit le même nombre qu’en 2023, au titre de l’exécution de la tranche T4. Il faut espérer que ces Rafale seront livrés en 2024 dans de meilleurs délais qu’en 2023 : en effet au 1er septembre 2023, seuls trois Rafale ont été livrés sur les treize livraisons prévues ([18]). En outre, dix Mirage 2000D rénovés viendront compléter la flotte d’aviation de chasse. Sur le segment de l’aviation de transport, deux A400M supplémentaires rejoindront la base d’Orléans-Bricy. Enfin, le premier hélicoptère Caracal issu du plan de soutien à l’aéronautique sera également livré en 2024.

Le standard F4

Ce nouveau standard apporte des évolutions capacitaires majeures dans le domaine du combat aérien  : intégration du viseur de casque* Scorpion, améliorations de la conduite de tir pour l’utilisation du missile Meteor (missile géré par un aéronef autre que l’aéronef tireur), évolution des algorithmes de détection passive des menaces, ainsi que des capacités accrues d’échanges de données entre Rafale. Le standard F4.1 permet également de bénéficier de l’intégration de l’armement AASM 1 000 kg à guidage GPS / laser, d’une plus grande protection face aux menaces cyber, de nouvelles fonctions pour les capteurs Talios, OSF et RBE2, et de premières évolutions dans le domaine de la connectivité.

* Un viseur de casque affiche, sur la visière de protection oculaire intégrée au casque du pilote, des informations utiles au pilotage, à la navigation ou à la réalisation de la mission. Il lui permet de surveiller son environnement en même temps que des informations fournies par ses instruments de bord, et d’orienter sa tête vers la cible qu'il veut désigner à ses armements.

Source : site internet du ministère des Armées.

Sur le segment de la défense sol-air courte portée, l’armée de l’air et de l’espace sera livrée de ses deux premiers systèmes VL MICA.

Dans le domaine spatial, sous réserve de la mise en service opérationnel d’Ariane 6, le troisième satellite d’observation de la composante spatiale optique (CSO-3) devrait enfin pouvoir être lancé à la fin de l’année 2024, avec trois ans de retard. L’armée de l’air et de l’espace sera également destinataire de stations de communication Syracuse IV.

Enfin, sur le segment des munitions, l’armée de l’air et de l’espace recevra notamment un lot de missiles air-air Mica remotorisés.

 

Concernant les commandes prévues en 2024, la plus emblématique concerne le domaine spatial, avec le lancement en réalisation de la première capacité opérationnelle d’action dans l’espace, dans le cadre du programme EGIDE (engin géo-dérivant d’intervention et de découragement). Ce programme couvre également le lancement du successeur du radar GRAVES (grand réseau adapté à la veille spatiale), qui permettra de détecter et de suivre un nombre bien plus conséquent d’objets en orbite basse.

Sur le segment de l’aviation de transport, l’année 2024 marquera le lancement du standard 2 du MRTT, qui a vocation à renforcer la connectivité et l’auto-protection de l’aéronef. Un troisième Falcon de guerre électronique sera également commandé, dans le cadre du programme Archange.

En matière de défense sol-air, 2024 sera une année importante puisque seront commandés les huit systèmes SAMP-T de nouvelle génération (SAMP-T NG). Ces nouveaux systèmes seront notamment équipés d’une capacité antimissile balistique. Enfin, des lots de de missiles air-air Meteor et Mica NG seront également commandés, en vue de recompléter les stocks.

II.   DES CRÉDITS EN HAUSSE, MAIS PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX

A.   LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE POUR 2024

1.   Présentation générale des crédits du programme 178 au bénéfice de l’AAE

● Au sein du programme 178 « préparation et emploi des forces », les crédits alloués à l’armée de l’air et de l’espace sont inscrits à l’action 4 « Préparation des forces aériennes », qui compte sept sous-actions :

– la sous-action 2 « commandement et activités centralisées des forces aériennes », qui couvre le périmètre des organismes du niveau d’état-major d’armée ;

– la sous-action 3 « activités des forces aériennes », qui regroupe les unités du commandement territorial de l’armée de l’air et de l’espace (CTAAE) et du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), implantés respectivement sur les bases aériennes 106 de Bordeaux Mérignac et 942 de Lyon-Mont Verdun ;

– la sous-action 4 « activités des forces aériennes stratégiques », qui regroupe l’ensemble des unités des forces aériennes stratégiques (FAS), c’est‑à‑dire la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire ;

– la sous-action 5 « ressources humaines des forces aériennes », qui regroupe la direction des ressources humaines de l’armée de l’air et de l’espace ainsi que les écoles et établissements ou centres d’enseignement ;

– la sous-action 6 « entretiens et équipements des forces aériennes », qui regroupe l’ensemble des moyens destinés à assurer la mise en œuvre et le soutien techniques des forces aériennes en optimisant la disponibilité des aéronefs et des moyens aéronautiques associés ;

– la sous-action 11 « infrastructures aériennes », qui recouvre les dépenses pour la construction, la modernisation et le maintien en condition des infrastructures opérationnelles de l’armée de l’air ;

– la sous-action 12 « activités spatiales », qui retrace les crédits nécessaires à la montée en puissance du commandement de l’espace.

● Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2024, les crédits de l’action 4 s’élèvent à 4,84 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) contre 3 milliards d’euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 (+60,54 %), et à 3,49 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) contre 2,87 milliards en LFI 2023 (+21,52 %). Les crédits de paiement de l’action 4 représentent ainsi 35,6 % des crédits totaux du programme 178 (contre 23,88 % en 2023).

CrÉdits de l’action 4 « PrÉparation des forces aÉriennes » du programme 178 pour 2024 par sous-actionS (en millions d’euros)

S/Action

Rubrique

AE
LFI 2023

AE PLF 2024

CP
LFI 2023

CP

SA 04-02

Commandement et activités centralisées des forces aériennes

18,8

27,5

(+46,95 %)

19,1

21,8

(+ 13,76 %)

SA 04-03

Activités des forces aériennes

310,2

617

(+98, 9 %)

304

424,3

(+ 39,6 %)

SA 04-04

Activités des forces aériennes stratégiques

76,5

90

(+ 17,74 %)

164,4

203,8

(+24 %)

SA 04-05

Ressources humaines des forces aériennes

138,5

171,7

(+ 24%)

134,9

157,9

(+17%)

SA 04-06

Entretien et équipements des forces aériennes

2 223,5

3,75

(+ 68,63%)

2 094,3

2 507,6

(+ 19,73%)

SA 04-11

Infrastructures aériennes

208

146,9

(-29,33 %)

106,8

141,5

(+ 32,44 %)

SA 04-12

Activités spatiales

43,8

44,2

( +0,85%)

51

36,2

(-20,09 %)

TOTAL

3 091,1

4 846,8

(+60,54 %)

2 874,6

3 493,2

(+ 21,52%)

Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2024.

● Les crédits de paiement de l’action 4 du programme 178 sont donc en forte augmentation (+618,6 millions d’euros). Votre rapporteur relève à ce titre que cet accroissement de 21,5 % du montant des crédits de paiement par rapport à 2023 est supérieur à aux évolutions de crédits de paiement affectés à la préparation des forces terrestres (+16,5 %) et aux forces navales (+11,6 %).

Il convient toutefois de relativiser l’ampleur d’une telle augmentation puisque 50 à 60 % de cette hausse, selon les informations de votre rapporteur, est absorbé par l’inflation du coût des facteurs et du carburant. À titre d’exemple, l’augmentation des crédits affectés au seul carburéacteur est de l’ordre de 190 millions d’euros (422 millions d’euros en 2024 contre 233 millions d’euros en 2023), pour tenir compte de la hausse du coût de cession de celui-ci.

La hausse du prix des carburants a en outre un impact pour l’équilibre du budget opérationnel de programme de l’armée de l’air et de l’espace (« BOP Air ») en 2023 : la ressource votée en LFI 2023 s’est avérée en effet insuffisante pour couvrir les coûts de carburant, de sorte qu’un financement de 76 millions d’euros supplémentaire a dû être abondé par le BOP Air à ce titre en juillet. Il sera donc impératif que ces surcoûts soient couverts par financement interministériel, comme en 2022.

● En outre, deux sources d’incertitude majeures pèsent sur le budget du programme 178 de l’armée de l’air et de l’espace :

– d’une part, la compensation des cessions à l’Ukraine et des surcoûts liés à l’activité générée par les missions sur le flanc Est de l’Europe : la solidarité interministérielle doit pleinement jouer pour financer ce soutien à l’Ukraine ;

– d’autre part, la réduction progressive de la provision au titre des OPEX-MISSINT, qui finançait jusqu’ici une partie de l’activité de l’armée de l’air et de l’espace. La question se pose, dans un contexte de réduction des OPEX et du budget y afférent, de savoir dans quelle mesure le BOP Air devra prendre le relais du budget OPEX pour financer les heures de vol qui ne seront plus réalisées dans le cadre des opérations extérieures.

● Les priorités financées par le budget opérationnel de programme (BOP) de l’armée de l’air et de l’espace en 2024 sont les suivantes :

– un effort pour gagner en épaisseur logistique, avec l’acquisition de lots de déploiement pour les Rafale (24 millions d’euros), pour les systèmes de défense sol-air SAMP-T (12 millions d’euros) et pour les hélicoptères Caracal (10 millions d’euros), ainsi que la poursuite de la verticalisation des contrats de MCO, avec notamment le nouveau contrat de soutien MRTT et Awacs ;

– la montée en puissance du segment spatial (43 millions d’euros pour les infrastructures du commandement de l’espace et 32 millions d’euros au titre des services spatiaux, location de capacités en matière de renseignement d’origine électromagnétique…) ;

– le développement des outils de simulation pour la préparation opérationnelle, avec l’acquisition d’une quarantaine de cabines de simulation massive en réseau ;

– enfin, la reconstitution des stocks de munition (kits AASM, corps de bombes, obus…).

2.   Présentation par nature et par opération stratégique

Les ressources affectées à l’armée de l’air et de l’espace nécessitent une analyse plus fine du détail des opérations stratégiques.

a.   Les dépenses de fonctionnement

L’agrégat budgétaire « fonctionnement » retrace les crédits affectés à deux opérations stratégiques :

– une opération « activités opérationnelles » (AOP), qui regroupe les ressources dédiées au soutien direct de l’activité opérationnelle (activité et entraînement des forces, carburant, frais de déplacement…) ;

– une opération « fonctionnement et activités spécifiques » (FAS), qui couvre notamment les dépenses liées au recrutement, à la formation, à l’instruction et à la mobilité du personnel.

En PLF 2024, le montant total de la dotation au titre des dépenses de fonctionnement est de 906 millions d’euros en AE et 685 millions d’euros en CP, soit une hausse respective de 68,9 % et de 28 % par rapport à 2023.

● Premièrement, l’opération stratégique « activités opérationnelles » est dotée de 812,4 millions d’euros en AE et de 591,3 millions d’euros en CP, ce qui représente une hausse de 79,6 % des AE par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 et de 31 % des crédits.

Cette augmentation traduit tout d’abord la hausse du prix de cession des carburants. L’hypothèse retenue dans le PLF 2024 est un tarif de cession du carburant F34 de 1 085 euros/m3, contre 633 euros/ m3 en 2023 (et 512 euros en 2022). L’opération budgétaire « carburéacteur » présente en conséquence une augmentation de 81 % en AE et en CP, pour atteindre 422 millions d’euros en 2024, le volume prévisionnel de consommation de carburant F34 étant fixée à 388 171 m3 (contre 368 797 m3 en 2023).

L’augmentation importante des autorisations d’engagement de l’opération stratégique « activités opérationnelles » a notamment pour cause la conclusion à venir d’un contrat de location de prestation de type « Red air », afin, selon le projet annuel de performance, « de mettre à disposition des forces une capacité d’entraînement au combat adaptée au contexte actuel ». Selon les informations transmises à votre rapporteur, il est prévu à ce titre « une procédure d’appel d’offre afin de notifier un marché comptant 3 000 heures de vol à partir de 2024 et pour une durée d’au moins 7 ans » ([19]). La mise en place de ce contrat de prestation explique le doublement (+104 %) de la dotation en AE de l’opération budgétaire « activités et entraînement des forces », qui s’élève à 336 millions d’euros.

Si l’externalisation de la mission de « red air » est présentée par l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace comme temporaire, dans un contexte marqué par la fin de vie de la flotte d’Alphajet, votre rapporteur y voit cependant la conséquence de la baisse du format de l’aviation de chasse : les aéronefs sont en nombre trop réduits pour les mobiliser en vue de simuler la force d’opposition lors d’un entraînement.

Les dépenses liées aux deux autres opérations budgétaires (« alimentation » et « déplacements et transports ») sont quant à elles stables.

● En second lieu, l’opération stratégique « fonctionnement et activités spécifiques » est dotée, en PLF 2024, de 93,7 millions d’euros en AE et de 93,8 millions d’euros en CP, soit une hausse de respectivement de 10 et 12 % des ressources.

Cette augmentation s’explique notamment par la hausse de l’opération budgétaire « fonctionnement courant » (+24 % en AE et +29 % en CP), en raison notamment d’un effort budgétaire relatif, d’une part, à la protection des emprises, et, d’autre part, à la montée en puissance du centre d’excellence (COE) du commandement de l’espace.

L’opération budgétaire « soutien des ressources humaines » voit également ses crédits augmenter (+20 % en AE et +20 % en CP), en raison notamment de la digitalisation des outils de formation (projet smartschool) et de l’augmentation des formations liées à l’activité spatiale.

b.   Les dépenses d’équipement

Les dépenses de l’agrégat « équipement » se répartissent en quatre opérations stratégiques :

L’opération stratégique « dissuasion », qui regroupe les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels des forces aériennes stratégiques, tels que les Rafale affectés à la mission de dissuasion, les avions de transport et de ravitaillement MRTT Phénix, ainsi que l’entretien des infrastructures des forces aériennes stratégiques, qui obéissent à des règles opérationnelles et normatives particulièrement exigeantes. L’année 2024 est caractérisée par une baisse des autorisations d’engagement (-12 %), après une hausse importante intervenue l’année dernière dans le cadre de la mise en place du contrat de MCO du MRTT. La hausse des crédits de paiement (+15 %), qui s’établissent à 164,3 millions d’euros, traduit la montée en puissance du soutien des flottes Rafale et MRTT des FAS.

● L’opération stratégique « entretien programmé des matériels », regroupant les ressources affectées à l’entretien programmé des matériels des forces conventionnelles, c’est-à-dire non affectées aux missions de dissuasion. Cette opération stratégique représente 72 % du budget opérationnel de programme (BOP) Air en AE.

Sa dotation prévisionnelle s’élève à 3,47 milliards d’euros en AE, soit une augmentation de 78 % par rapport à 2023. Cette hausse significative s’explique par le renouvellement de marchés de MCO structurants en 2024, notamment pour l’E3F Awacs, par l’entretien nécessaire à une activité en hausse des Rafale, ainsi que par des compléments d’engagement pour les flottes de transport tactique et les flottes « école ». Les crédits de paiement liés à l’entretien des flottes conventionnelles poursuivent également leur augmentation, en s’établissant à 2,2 milliards d’euros (+18 %). Cette augmentation est destinée à financer la montée en puissance du soutien des flottes A400M et MRTT et le renforcement de l’épaisseur logistique de la flotte Rafale (acquisition de moyens de soutien supplémentaires).

Au niveau des opérations budgétaires, l’essentiel des ressources est ainsi affecté à l’opération budgétaire « entretien programmé des matériels des flottes aériennes », hors Rafale, dotée de 3 milliards d’euros en AE et 1,5 milliard d’euros en CP. Pour l’entretien de la seule flotte Rafale, les crédits de paiement prévus en 2024 atteignent 572 millions d’euros (+31 %).

L’opération budgétaire « EPM des munitions aériennes » voit également ses crédits croître (+52 % d’AE et 21 % de CP), afin de renforcer l’épaisseur logistique de la défense sol-air et de réorganiser le soutien des pods Talios.

● L’opération stratégique « équipements d’accompagnement », qui retrace l’ensemble des ressources destinées à l’acquisition et au suivi des petits équipements, des matériels de maintenance, des véhicules spécialisés ou au renouvellement des munitions. Il est prévu une dotation de 271,3 millions d’euros en AE (soit + 2%), tandis que les crédits de paiement, fixés à 241,2 millions d’euros, sont en forte augmentation (+45 %). Au sein de cette opération stratégique, il convient de relever que les crédits de paiement de l’opération budgétaire « armements et munitions » augmentent de 43 %, ce qui illustre l’effort de reconstitution des stocks de munitions aériennes non complexes. En outre, le renouvellement des remorques de transport et de distribution des carburants aboutit à une forte augmentation des AE (+124 %) et des CP (+94 %) de l’opération budgétaire « matériels sol ». Enfin, le doublement des AE et des crédits de paiement des trois opérations budgétaires relatives au système d’information et de communication (SIC) illustre la politique volontariste de l’armée de l’air et de l’espace en matière de numérisation et de digitalisation.

● Enfin, l’opération stratégique « infrastructures », qui recouvre les crédits nécessaires à la construction, la modernisation et au maintien en condition des infrastructures opérationnelles (hors programmes d’infrastructure) de l’armée de l’air et de l’espace. Cette opération est dotée de près de 142,5 millions d’euros en AE et 137,3 millions d’euros en CP, soit respectivement une baisse de 30 % et une hausse de 33 % par rapport à la LFI 2023. En 2024, les principaux engagements financiers à ce titre concernent l’accueil des ALSR et des drones MALE sur la base aérienne 709 de Cognac (69,9 millions d’euros) et la poursuite de la construction du commandement de l’espace à Toulouse (9,4 millions d’euros).

c.   Les autres crédits de la mission « Défense » consacrés à l’armée de l’air

Bien que le présent avis porte avant tout sur le programme 178, votre rapporteur souhaite toutefois brièvement rappeler les principaux éléments contenus dans les autres programmes budgétaires sur les forces aériennes, afin de donner une vision globale des enjeux de l’armée de l’air et de l’espace pour 2024.

● le programme 146 « Équipement des forces » couvre les crédits liés à l’acquisition de nouvelles capacités pour nos forces armées, en ce inclut naturellement l’armée de l’air et de l’espace.

En ce qui concerne les autorisations d’engagement, il convient de relever que le programme à effet majeur de « maîtrise de l’espace » dit Ares mobilisera 1,2 milliard d’euros d’AE en 2024, soit une augmentation de 202 % par rapport à 2023 (sous action 07.45). Ce montant a vocation à financer les premières commandes de développement de l’incrément 2 du programme, qui couvre notamment trois capacités : le successeur du radar Graves, la capacité d’action dans l’espace dite Egide et le centre de commandement et de contrôle spatial dit Astreos. L’armée de l’air bénéficiera aussi en 2024 de 496 millions d’euros d’AE (+1 104 %) au titre de commandes de missiles Meteor et Mica NG (sous-action 10.76). Enfin, le renforcement de la défense sol-air sera également un des grands axes de 2024, avec la commande des huit systèmes SAMPT/NG pour 674 millions d’euros (sous-action 10.82).

Quant aux crédits de paiement du programme 146, ils permettront notamment de financer les livraisons des 13 Rafale à hauteur de 1,1 milliard d’euros, les développements du standard F4 pour 364 millions d’euros ainsi que du futur drone accompagnateur (UCAV) du Rafale F5 à hauteur de 61,8 millions d’euros (sous-action 09.59). Le programme SCAF est quant à lui abondé à hauteur de 307 millions d’euros de CP (sous-action 09.62). Enfin, 259 millions d’euros de CP sont alloués à la livraison des deux A400M (sous-action 08.42).

● Au titre du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », la sous-action 3 de l’action 7 relative aux « études amont » inclut trois opérations budgétaires qui concernent les forces aériennes :

l’opération budgétaire « aéronautique et missiles », dotée de 198,7 millions d’euros en AE (-21 %) et de 243,9 millions d’euros en CP (+3 %), inclut notamment les études relatives aux briques technologiques du système de combat aérien du futur (SCAF) et aux évolutions du Rafale, notamment dans les domaines de la guerre électronique et de la localisation. Sur le segment des hélicoptères, les travaux portent essentiellement sur leur adaptation aux espaces aériens contestés. Enfin, s’agissant des missiles, les études ont trait au démonstrateur technologique de planeur hypervéloce VMaX, dans le prolongement du premier essai réalisé en juin 2023.

l’opération budgétaire « espace », dont les crédits prévus, à hauteur de 105 millions d’euros en AE (+14,5 %) et de 70 millions d’euros en CP (-28,9%), permettront notamment de financer le développement de démonstrateurs de renseignement spatial d’origine image et d’action dans l’espace (détection infrarouge et imagerie hyperspectrale).

l’opération budgétaire « information et renseignement (hors espace) », dotée de 176,9 millions d’euros d’AE (+27 %) et de 125,2 millions d’euros de CP (+9,8 %) inclut notamment des financements pour développer un intercepteur endo-atmosphérique, en complément du fonds européen de la défense, ainsi que pour le lancement de nouvelles études sur le segment des radars.

B.   LES PRINCIPAUX POINTS DE VIGILANCE POUR 2024

1.   La disponibilité des flottes et l’activité des aviateurs : l’absence de transparence du Gouvernement sur deux enjeux majeurs

a.   Malgré l’absence de publication des chiffres sur la disponibilité, il est certain que la réforme du MCO tarde à produire des effets notables

● Votre rapporteur a déjà largement traité la problématique du MCO aéronautique dans le cadre de son précédent rapport pour avis. La bonne disponibilité des flottes constitue la condition sine qua non pour satisfaire les contrats opérationnels.

C’est du reste largement en raison du manque de disponibilité de certaines flottes que l’armée de l’air et de l’espace se situe très en deçà des autres armées au titre de l’indicateur relatif à la « capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » ([20]) - indicateur qui a mystérieusement disparu du projet annuel de performances 2023, comme si le Gouvernement espérait faire cesser la fièvre en cassant le thermomètre -.

Selon les données fournies par le rapport annuel de performances de la « mission Défense » 2022, l’armée de l’air et de l’espace n’est en effet susceptible de remplir son contrat opérationnel qu’à hauteur de 65 %, contre 88 % pour la marine ou 90 % pour l’armée de terre.

estimation de la capacitÉ des armÉes À intervenir dans une situation mettant en jeu la sÉcuritÉ de la France (RAP 2022)

Source : rapport annuel de performances (RAP) pour l’exercice 2022.

Le rapport annuel de performances 2022 justifie en effet ce résultat décevant en invoquant notamment les problématiques de disponibilité rencontrées par les aéronefs : « Le résultat de 65 % en 2022 est en deçà des prévisions. Les exercices majeurs ont été maintenus. La montée en puissance des nouvelles flottes (A330 MRTT (Multi Rôle Tanker Transport) ou A400M à titre d’exemples) compense progressivement le départ d’anciennes flottes et leur faible disponibilité. Néanmoins, le retrait de service des M2000C ainsi que celui des C160 ont eu un impact sur le résultat. En outre, les conséquences de l’export de Rafale ne sont que partiellement atténuées, en termes d’activité, grâce à un maintien en condition opérationnelle repensé. Enfin, les aléas sur la disponibilité technique des matériels (avions de transport tactique par exemple) se reportent sur la préparation opérationnelle rendue ainsi moins aisée pour les plus jeunes ou sur les entraînements du haut du spectre des missions ».

Il est vrai qu’en 2022, aucune des cibles de disponibilité technique opérationnelle fixées dans la LFI n’a été réalisée, à l’exception des avions à usage gouvernemental, comme cela ressort également du rapport annuel de performances.

Taux de disponibilitÉ technique opÉrationnelle des aÉronefs (RAP 2022)

Source : rapport annuel de performances (RAP) pour l’exercice 2022.

Justification du niveau de disponibilité en 2022

« Chasse : la DTO de l’agrégat chasse a été mis en tension par l’export Grèce, le retrait de service des Mirage 2000C a l’été 2022, ainsi que des contraintes logistiques et techniques qui pèsent sur la flotte M2000D.

Avions de transport tactique (ATT) : agrégat le plus fragile, le parc ATT a diminué en volume en 2022, avec le retrait de service des C160 Transall, augmentant la tension sur les autres flottes (A400M, C130 et Casa CN235). La disponibilité a surtout été pénalisée par la durée des chantiers industriels (visites, retrofits). Pour la flotte C130H, il est à noter une légère amélioration, encourageante, au second semestre 2022, qui doit maintenant être confortée, pour parvenir le plus rapidement possible à l’objectif de DTO.

Avions d’appui opérationnel : la DTO de cet agrégat a augmenté par rapport à 2021, notamment du fait de la montée en puissance de la flotte MRTT, qui remplace progressivement les C135 retirés du service et de la bonne disponibilité de la flotte stratégique. Les retards des chantiers industriels de la flotte E3F ont impacté la disponibilité de l’agrégat.

Intelligence, surveillance, reconnaissance (ISR) : la DTO de cet agrégat a augmenté en 2022, mais reste en deçà de la cible. La disponibilité des Reaper Block 1 a baissé à la suite de la réduction du parc et des difficultés logistiques. En revanche, la disponibilité des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), a progressé en fin d’année malgré certaines faiblesses logistiques. La situation devrait s’améliorer avec la notification d’un avenant au contrat de MCO au second semestre 2022.

Avions à usage gouvernemental (AUG) : objectifs atteints en 2022.

Hélicoptères de manœuvre et de combat : la performance des flottes Fennec et Puma est pénalisée par des immobilisations industrielles importantes, liées à l’ancienneté de la cellule pour le Puma »

Source : rapport annuel de performances pour l’exercice 2022.

● Dans ce contexte, afin d’accroître la disponibilité de nos aéronefs, des moyens considérables sont consacrés au MCO aéronautique : en 2024, les autorisations d’engagement liées à l’entretien des flottes atteignent ainsi 3,5 milliards d’euros et les crédits de paiement 2,2 milliards d’euros. Cela représente 73 % des autorisations d’engagement et 63 % des crédits de paiement totaux de l’action 4 du programme 178, c’est-à-dire du budget dont votre rapporteur a la charge.

Au regard des enjeux opérationnels et budgétaires, il est donc essentiel d’évaluer si la politique mise en place par les autorités commence à porter ses fruits. Or, le Gouvernement a décidé de ne plus rendre publiques les statistiques sur la disponibilité des équipements militaires, en ce compris les aéronefs, au motif qu’il s’agirait d’informations précieuses pour nos compétiteurs stratégiques. Votre rapporteur est particulièrement circonspect eu égard à une telle justification, alors que les statistiques de disponibilité des avions de chasse de l’US Air Force sont publiques.

Le projet annuel de performances du PLF 2024 contient donc le tableau suivant sur la disponibilité des matériels.

objectifS de disponibilitÉ des aÉronefs (PLF 2024)

Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2024.

Votre rapporteur est donc privé de la capacité de donner un avis public éclairé sur l’efficacité opérationnelle de 75 % du budget dont il a la charge.

Il ne peut donc que restituer ce qu’a dit publiquement le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées du 5 octobre 2023, à savoir que le segment de l’aviation de chasse connaît en 2023 une légère hausse de 3 % de sa disponibilité technique opérationnelle, tandis que les taux de disponibilités sont stables voire en légère baisse pour les autres flottes.

Pour 2024, les cibles de disponibilité sont en légère hausse par rapport aux objectifs 2023, sans qu’il soit possible d’en induire une véritable dynamique positive sur le long terme. L’ensemble de ces éléments laissent à penser que la montée en puissance des contrats verticalisés prend du temps, et même trop de temps aux yeux de votre rapporteur.

● Là où le Gouvernement ne peut pas encore museler votre rapporteur, c’est sur l’identification des axes d’effort pour augmenter la disponibilité des aéronefs. Une amélioration de la disponibilité requiert notamment :

– une généralisation des pôles de conduite et de soutien, qui associent forces armées et industriels sur les bases aériennes ;

– le renforcement de l’épaisseur logistique du soutien, par un effort sur l’acquisition de lots de fonctionnement et de déploiement ;

– la simplification des normes de navigabilité et l’adoption par les industriels d’une gestion du risque adaptée au besoin opérationnel, en cohérence avec les enseignements de l’exercice Orionis ;

– le renforcement du dialogue entre les forces armées, qui sont autorités d’emploi, et la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) pour garantir que les contrats verticalisés répondent aux besoins opérationnels ;

– le rapprochement des unités de pilotes et de mécaniciens, dans le prolongement du plan Altaïr de l’armée de l’air et de l’espace ;

– enfin, l’accélération du retrait des flottes anciennes, telles que les hélicoptères Puma, qui ont plus de 50 ans de moyenne d’âge.

L’exercice Saphir, qui s’est tenu sur la base de Nancy-Ochey du 5 au 23 décembre 2022 a rappelé que l’amélioration de la disponibilité des aéronefs sur le long terme était rendue possible en optimisant l’organisation du soutien sur l’ensemble de la chaîne.

L’exercice Saphir

« Mis en œuvre par la Brigade aérienne de l’aviation de chasse (BAAC), l’exercice « Saphir », pour ‘‘séquence d’activité et de production de haute intensité et de régénération’’, était une première au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace. « Saphir » a engagé l’ensemble des forces de soutien technique et logistique (mécaniciens, logisticiens, industriels) au profit de l’entraînement des équipages de Mirage 2000 D et Mirage 2000 B de la 3e escadre de chasse.

La vingtaine d’aéronefs engagés sur l’exercice a opéré depuis la base aérienne (BA) 133 de Nancy-Ochey. Une trentaine d’aviateurs sont venus en renfort des quatre coins de France afin d’épauler l’escadron de soutien technique aéronautique (ESTA) « Malzéville » de la BA 133. L’ensemble de la chaîne technique a concentré ses efforts avec un but commun : optimiser les performances de la chaîne de production, de la disponibilité et de l’activité de la 3e escadre. Des scénarios d’engagement variés ont ponctué les missions aériennes : diverses capacités ont été mises en œuvre permettant la consolidation et la fiabilisation des processus ».

Source : site internet du ministère des Armées.

b.   Les heures de vol de nos aviateurs, autre enjeu majeur de la LPM victime de l’opacité du Gouvernement

● Le renforcement de l’activité des forces constitue l’un des axes principaux de la LPM 2024-2030 fondée sur la « cohérence » de nos armées.

La LPM 2024-2030 a ainsi fixé des objectifs d’activité (nombre d’heures de vol par an) à atteindre à l’horizon 2030 : 180 heures pour un pilote de chasse (contre une cible de 147 en 2023) ; 320 heures pour un pilote de transport (contre une cible de 189 en 2023), dont un total de 18 000 heures de vol sur A400M Atlas (contre une cible de 9 100 heures en 2023) ; 200 heures de vol pour un pilote d’hélicoptère (contre une cible de 181 heures en 2023).

cibleS d’activitÉ (LPM 2024-2030)

Milieu

Type

Cible 2023

Normes et heures visées en 2030

Aéronautique / armée de l'air et de l'espace

Heures de vol par pilote de chasse

147

180

dont nombre d'heures totales de vol sur Rafale

22 500

38 000

Heures de vol par pilote de transport

189

320

dont nombre d'heures totales de vol sur A400M Atlas

9 100

18 000

Heures de vol par pilote d'hélicoptères

181

200

Source : LPM 2024-2030, rapport annexé.

Le rapport annexé de la LPM 2024-2030 prévoyait ainsi que la « préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024 jusqu'à rejoindre en 2030 les normes d'activité permettant de maintenir les savoir-faire dans le temps, en cohérence avec l'arrivée des nouveaux équipements et de très hautes exigences de polyvalence » ([21]).

Le renforcement de l’activité opérationnelle dès les premières années de la LPM 2024-2030 avait du reste justifié le réaménagement des « marches budgétaires » de la LPM opéré en commission mixte paritaire.

Bien plus, lors de l’examen du projet de LPM en commission, en réponse à un amendement de votre rapporteur, le ministre des Armées avait justifié le décalage des livraisons de Rafale par la nécessité d’accroître l’activité des aviateurs : « Ce décalage génère environ 1 milliard d’euros, une somme que nous avons réinjectée en nombre d’heures de vol pour durcir notre modèle. Certes le nombre d’avions de chasse au regard des missions compte, mais il y a également l’activité. Vous le savez mieux que quiconque en tant que rapporteur des crédits, nous étions un peu justes sur ce point. Ce milliard d’euros représente 29 000 heures de vol supplémentaires pendant la loi de programmation, soit 4 000 heures au total et 15 heures par pilote chaque année (…) Telle est la cohérence d’ensemble de la partie dédiée à la chasse. Sans les heures de vol supplémentaires, nous pourrions avancer plus vite vers le tout-Rafale, mais c’est une orientation que m’a proposée le CEMAAE et qui a été validée par le Président de la République. »

On peut à ce titre subodorer que l’augmentation de 618 millions d’euros des crédits du P178 dédiés à la « préparation aérienne des forces » a pour finalité une augmentation de l’activité opérationnelle des aviateurs, alors que l’année 2023 avait marqué un point bas historique en la matière (147 heures de vol pour la flotte chasse, alors que la norme OTAN est de 180 heures).

● Dans ce contexte, le rôle de votre rapporteur pour avis serait donc de s’assurer que le PLF 2024 prévoit bien une telle remontée en puissance de l’activité de nos aviateurs. Or, faute là encore de données publiques sur les cibles d’activité prévues en 2024, votre rapporteur est dans l’incapacité de l’affirmer précisément dans le cadre du présent rapport.

cibles d’activitÉ (PLF 2024)

Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2024.

● À nouveau, votre rapporteur en est donc réduit à restituer ce qu’a indiqué publiquement le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées le 5 octobre 2023 : l’activité sur Rafale est passée de 250 heures de vol par avion à 290 heures en 2023, ce qui a permis de compenser partiellement le prélèvement desdits Rafale dans le cadre des cessions à la Grèce et à la Croatie. Or, si l’activité pour chaque Rafale disponible a pu croître, cela ne signifie pas que l’activité globale de l’aviation de chasse ait augmenté, puisque cela dépend notamment du nombre d’avions disponibles.

Quant aux objectifs d’activité prévus pour 2024, votre rapporteur a pu noter une légère hausse de ces derniers par rapport aux cibles 2023, qui constituaient un point bas historique, notamment pour l’aviation de chasse. Toutefois, la cible d’activité des pilotes de chasse Air reste malheureusement inférieure à l’activité qui a pu être réalisée dans les années récentes et bien en deçà de l’activité des pilotes de chasse de la marine nationale et a fortiori de la norme OTAN de 180 heures par pilote. Là encore, cette hausse limitée et non suffisante de l’activité de nos pilotes de chasse reflète les limites structurelles induites par le format de notre aviation de chasse.

2.   L’impératif toujours plus important de la fidélisation

● Le troisième point de vigilance de votre rapporteur concerne les ressources humaines. L’armée de l’air et de l’espace fait face à une situation inédite : après des décennies de déflation (-30 % des effectifs entre 2008 et 2015) ([22]), elle doit augmenter ses effectifs, dans un contexte caractérisé par une forte concurrence du secteur civil, exacerbée par la baisse du chômage.

Or, l’armée de l’air et de l’espace, comme les autres armées, souffre d’un déficit de fidélisation, notamment concernant le personnel navigant, ainsi que les spécialistes du MCO, du contrôle aérien et du SIC (système d’information et de communications). Le nombre de départs n’a ainsi jamais été aussi élevé, pour atteindre 3 130 départs en 2022.

Ces départs subis contraignent l’armée de l’air et de l’espace à devoir sur-recruter, pour satisfaire ses schémas d’emplois. Alors que l’armée de l’air et de l’espace recrutait 1 300 aviateurs en 2014, elle en a recruté en 2022 plus de 3 450. Ainsi, sur les trois dernières années, l’armée de l’air a recruté environ 10 000 aviateurs, soit près de 25 % du total de ses effectifs.

Cependant, ce « sur-recrutement » met en tension l’ensemble des capacités d’accueil et de formation de l’armée de l’air et de l’espace, qui atteignent aujourd’hui leur limite. À l’école des sous-officiers de Rochefort, les recrutements sont ainsi passés de 700 par an en 2014 à 1 800 en 2023, alors que les locaux ne sont pas dimensionnés pour une telle augmentation.

Les statistiques des trois dernières années démontrent par ailleurs que les capacités de recrutement de l’armée de l’air et de l’espace sont aujourd’hui arrivées à un plafond : dépasser les 3 400 recrutements sera ainsi une gageure pour les années à venir.

La conséquence de cette situation est que les schémas d’emplois de l’armée de l’air et de l’espace ne sont pas respectés et que ce déficit s’accroît chaque année.

● Il y a donc urgence à rompre une telle dynamique.

L’armée de l’air et de l’espace cherche tout d’abord à limiter le débauchage massif et non concerté de ses aviateurs par les entreprises du secteur de l’aéronautique civil, en concluant avec celle-ci des « gentlemen agreements » en vue de coordonner les départs. Cette convention, initialement conclue avec Air France, est actuellement en cours d’extension pour couvrir les grandes entreprises de la BITD et la direction générale de l’aviation civile (DGAC).

L’amélioration des conditions de vie, de logement et d’hébergement, ou encore l’accompagnement des familles avec la mise en place du plan famille 2, qui prévoit notamment un accompagnement renforcé de la mobilité géographique en région parisienne, constituent également des avancées positives en vue de favoriser la fidélisation.

Une autre piste serait de développer davantage les écoles militaires, qui constituent un outil de recrutement et de fidélisation particulièrement efficace. Ainsi que l’a indiqué le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition devant la commission le 5 octobre 2023, non seulement plus de 80 % des élèves de l’école d’enseignement technique de l’armée de l’air et de l’espace (EETAAE) de Saintes rejoignent après leur scolarité l’école de formation des sous-officiers de Rochefort, mais en outre ils restent dans l’armée de l’air et de l’espace huit années de plus que la moyenne des aviateurs. Cela démontre que la fidélisation est d’autant plus forte que les personnes ont été recrutées précocement par l’institution militaire.

Il faut également introduire davantage de souplesse dans les dispositifs de recrutement, afin de pouvoir valoriser les expériences acquises en dehors de l’institution. L’armée de l’air et de l’espace n’a recruté que trente officiers commissionnés l’année dernière : c’est trop peu.

Mais quelle que soit la pertinence de ces dispositifs, on ne saurait nier que la rémunération constitue l’outil privilégié pour fidéliser davantage nos militaires. Votre rapporteur peut témoigner que dans le cadre de ses nombreuses visites de terrain, la revalorisation de l’indiciaire constitue la mesure la plus attendue des militaires. Cette revalorisation est d’autant plus importante que le retrait des forces armées de la bande sahélo-saharienne fait craindre une baisse des « primes OPEX », que la prime de liens au service (PLS) entraine des inégalités de traitement entre militaires qui peuvent être sources d’incompréhension, et que la nouvelle politique de rémunération (NPRM) est encore mal appréhendée au sein des troupes (conséquences de la fiscalisation des primes et de l’absence de prise en compte au titre des pensions).

Cette revalorisation ne doit pas cependant aggraver le tassement de la grille indiciaire, qui est susceptible de démobiliser les sous-officiers et officiers qui assurent les contraintes les plus importantes, sans réelle plus-value financière. Ainsi que le dernier rapport thématique du haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) l’a mis en exergue ([23]), il ne faut pas oublier que la fidélisation des officiers constitue en effet également un défi.

 

3.   La nécessaire rénovation des infrastructures aéronautiques

● L’armée de l’air et de l’espace a des projets d’infrastructure structurants pour les années à venir, notamment liés à l’accueil des nouvelles capacités : les infrastructures opérationnelles du 5ème escadron Rafale sur la base aérienne 115 d’Orange ; l’opération d’accueil des ALSR et drones MALE sur la base aérienne 709 de Cognac ; la construction du bâtiment du commandement de l’espace et du centre d’excellence de l’OTAN à Toulouse ; les infrastructures des C130 H sur la base aérienne 105 d’Évreux et le lancement des travaux d’adaptation sur cette base à l’accueil de la capacité universelle de guerre électronique (CUGE) au titre du programme Archange.

Lors de son déplacement sur la base d’Istres, votre rapporteur a pu constater l’effort important de modernisation des infrastructures, dans le cadre du projet de « hub logistique des armées », avec la mise en place d’une capacité de transport et de gestion qui atteindra de 100 000 passagers et 9 000 tonnes de fret par an dès 2024. Sur la seule année 2023 auront été ainsi livrés sur cette base le bâtiment opérations de la 31ème escadre, le deuxième centre de maintenance MRTT et le centre de formation du MRTT, tandis que sera achevé en 2024 le nouveau terminal passagers de ce « Roissy militaire ».

La base d’Istres, « hub logistique » des armées

« La base aérienne 125 « Charles Monier » concentre depuis de nombreuses années des capacités de projection de forces et de puissance. Un 11ème MRTT vient de rejoindre la flotte basée. Fin 2023, ce seront 12 MRTT accompagnés de 3 A330-200 qui offriront à la France la plus grande flotte d’avions de transport stratégique d’Europe. Avec le désengagement de prestations externalisées au niveau de Roissy Charles de Gaulle depuis juillet 2023 (économie de 15 M€/an), l’ensemble des moyens de transport stratégiques sont basés à Istres permettant de faire progresser les flux de passagers (de 8 000 à un objectif de 100 000/an) et de fret sur le site (9 000T/an). Depuis 2020, et le début d’un pilotage centralisé au niveau de la sous-chefferie performance de l’EMA, le projet a pris la dénomination de « HUB des armées » afin d’englober le périmètre nécessaire au bon fonctionnement de ce nœud logistique.

En 2023, le périmètre du HUB englobe :

- toutes les nouvelles infrastructures MRTT (nouvelles places de parking, un bâtiment opérations, un deuxième centre de maintenance, un centre de formation, un terminal passager et la mise à niveau de l’escale actuelle pour le traitement de gros volumes de fret) ;

- un bâtiment d’hébergement passagers de 272 places (volume maximal d’un MRTT) ;

- une nouvelle plateforme logistique interarmées (PFIA) qui sert d’interface entrée/sortie à une flotte de 50 camions et desserte les 12 départements du grand Sud-Est ;

- la création d’une zone Hot Cargo permettant la mise en palette de munitions avant déploiement par avion de transport tactique ;

- l’appui sur l’établissement principal de munitions (EPMu) de Miramas et les capacités d’hébergement temporaire de la zone de reponsabilité permanente ZRP ».

Source : état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

● Si la construction d’infrastructures opérationnelles liées à l’arrivée des nouveaux aéronefs au sein de l’armée de l’air et de l’espace doit être saluée, votre rapporteur tient à souligner que cet effort budgétaire ne doit pas se faire au détriment du nécessaire maintien en bon état des infrastructures existantes. À titre d’exemple, pour la base d’Istres, il manque environ six millions d’euros pour mener à bien les projets de maintenance majeurs des quatre sites de la base de défense.

Dans la même perspective, le report des travaux de rénovation des pistes aéronautiques sur certaines bases qui en ont cruellement besoin – BA 126 de Solenzara, BA 133 de Nancy-Ochey ou encore BA 120 Cazaux – constitue un sujet de préoccupation majeur pour votre rapporteur.

Les infrastructures des plots de permanence opérationnelle qui assurent la PPS-A nécessiteraient aussi des investissements de maintenance lourde, sous peine de pénaliser notre capacité d’action depuis le territoire national.

À cet égard, votre rapporteur ne peut que regretter que le PLF 2024 prévoit une diminution de 30 % des autorisations d’engagement au titre de l’opération stratégique « infrastructure » du programme 178, qui a justement vocation à financer ce type de travaux.

Une feuille de route pluriannuelle ambitieuse doit donc être tracée pour la remise à niveau des infrastructures existantes, pour éviter le risque de se voir constituer des « bases à deux vitesses », qui accueillent, d’une part, des infrastructures rutilantes et, d’autre part, des bâtiments hors d’âge.

● Enfin, votre rapporteur tient à alerter sur le coût de la rénovation des infrastructures aéronautiques, qui connaît une augmentation exponentielle : alors que la rénovation d’une piste coûtait une douzaine de millions d’euros il y a une dizaine d’années, le coût est aujourd’hui multiplié par sept, selon les informations transmises à votre rapporteur. Au-delà de l’augmentation du coût des facteurs, cette inflation aurait notamment pour origine l’impact des normes environnementales (installations classées protection de l'environnement) ou sécuritaires (dépôts de munitions). Votre rapporteur suggère à ce titre que le chantier de l’économie de guerre prenne à bras-le-corps un tel sujet. Il est plus que jamais nécessaire de simplifier nos processus et nos normes lorsqu’est en jeu notre outil de défense.

4.   L’exigence de la préparation de l’avenir

● L’évolution de l’aviation de chasse prendra tout d’abord la forme du standard F5, dont les études de développement seront lancées en 2024 pour une mise en service en 2032, dans la perspective de l’arrivée de l’ASN4G, le nouveau missile de la composante nucléaire aéroportée, en 2035. Le développement de ce standard est d’autant plus important qu’il est probable aux yeux de votre rapporteur que le SCAF, si le projet arrive à son terme, soit opérationnel bien après 2040, contrairement à ce que veulent faire croire les promoteurs du projet ([24]). Ainsi qu’il est précisé dans la LPM, ce standard inclura le développement d’un drone accompagnateur (UCAV), qui bénéficiera des travaux du démonstrateur Neuron, ainsi qu’une capacité de destruction des défenses anti-aériennes ennemies (SEAD).

Le F5 entrainera des modifications structurelles du core system de l’avion, de sorte qu’il est probable, selon les informations de votre rapporteur, que seuls certains aéronefs du parc Rafale Air soient convertis dans ce nouveau standard. Cette absence d’homogénéisation est susceptible de poser un certain nombre de contraintes en cas d’engagement majeur dans le cadre d’un conflit de haute intensité.

Votre rapporteur a également été informé qu’il existe une possibilité que la partie conventionnelle du standard F5 soit développée en coopération avec un pays membre du « club Rafale ». Si votre rapporteur n’est pas opposé par principe à une telle coopération, il conviendra, si une telle hypothèse se concrétise, d’être particulièrement vigilant sur les transferts de technologie qui pourraient résulter d’un tel co-développement. Par ailleurs, il va de soi que la partie du standard liée à la composante aéroportée de notre dissuasion devra en tout état de cause être développée de manière souveraine.

● Quant au SCAF, votre rapporteur ne demande qu’à croire les promoteurs du projet qui assurent que les travaux menés actuellement dans le cadre de la phase IB, qui a été lancée le 15 décembre 2022, seront en tout de cause utiles pour notre futur système d’aviation de combat, quelle que soit l’issue de la coopération avec les Allemands et les Espagnols. Votre rapporteur ne peut que regretter toutefois une nouvelle entorse à l’esprit de cette coopération par l’Allemagne, qui a choisi un consortium avec l’Américain IBM pour développer l’infrastructure intelligence artificielle du SCAF (pour sa version allemande).

Votre rapporteur tient également à rappeler les « lignes rouges » qui ne doivent pas être franchies selon lui dans le cadre de ce programme : l’avion doit correspondre aux besoins opérationnels de nos armées, notamment pour la mission de nos forces aériennes stratégiques ; le programme doit coûter moins cher que s’il était développé de façon autonome ; enfin la France devra en tout état de cause préserver sa liberté en matière d’exportation, ce qui constitue un enjeu majeur, à l’aune du récent veto de l’Allemagne à la vente par le Royaume-Uni du Typhoon à l’Arabie Saoudite.  

Enfin, concernant l’avenir de l’aviation de chasse, votre rapporteur ne peut que regretter que le projet IVDL (inter vehicular data link), qui vise à assurer une connectivité plus résiliente et avec un meilleur débit que l’actuelle liaison de données L16, n’ait pas été inscrit dans la feuille de route capacitaire de la LPM 2024-2030. La guerre en Ukraine a pourtant démontré combien la résilience face au risque de brouillage était un enjeu majeur pour nos flottes d’aviation de chasse.

● Sur le segment de l’aviation de transport tactique médian, le soutien au projet de cargo médian tactique, aujourd’hui porté dans le cadre du fonds européen de la défense, doit être une priorité pour les autorités, surtout si la cible de nos A400M n’est pas revue à la hausse. Cet avion serait notamment idéal pour remplacer à l’horizon 2035 les Casa et les C-130 de l’armée de l’air et de l’espace en outre-mer et au profit des forces spéciales, ainsi qu’il sera détaillé dans la partie thématique du présent rapport.

● Le renforcement de nos capacités d’actions dans l’espace constitue également une priorité pour l’avenir. Face à la multiplication des menaces, la protection de nos satellites, mais aussi et surtout la constitution de capacités d’action sur l’ensemble des orbites constitue un enjeu majeur pour préserver la souveraineté de notre pays. Votre rapporteur salue par conséquent l’effort réalisé en ce domaine dans le cadre du programme à effet majeur Ares.

Votre rapporteur déplore en revanche l’abandon par la LPM 2024-2030 de Syracuse IV-C et appelle à lancer au plus vite le programme Syracuse V. La France ne doit pas rater le virage des capacités de communication optiques laser, alors que d’autres pays, notamment l‘Allemagne, ont investi massivement dans cette technologie. L’expérience du conflit ukrainien démontre en outre à quel point se reposer sur des acteurs commerciaux peut constituer une dépendance et une perte de souveraineté :  il conviendra donc d’être particulièrement vigilant sur les partenariats que nos armées pourront établir en ce domaine, notamment dans le cadre de la constellation satellitaire Iris2 de l’Union européenne

● Sur le segment des drones, votre rapporteur estime qu’il faudra donner sa chance à Turgis et Gaillard, qui a développé sur fonds propre un prototype de drone dit Aarok très prometteur, qui semble répondre aux besoins opérationnels des armées, comme l’illustre le contrat annoncé avec l’industriel ukrainien Antonov pour développer un drone « consommable » basé sur le design d’Aarok. Disposer d’une capacité entièrement souveraine serait en outre un véritable atout pour nos forces, quand on constate la difficulté d’obtenir l’autorisation des États-Unis pour doter nos Reaper d’une charge de renseignement d’origine électromagnétique. Quant à l’Eurodrone, votre rapporteur sera vigilant au respect des jalons calendaires, alors que la presse s’est fait l’écho de nouvelles dissensions entre industriels. L’armée de l’air et de l’espace ne saurait souffrir de nouveaux retards sur ce segment crucial des drones MALE.

● D’importants efforts sont enfin réalisés par l’armée de l’air et de l’espace pour développer la simulation. Après une phase d’expérimentation sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, l’objectif est ainsi de généraliser les outils de simulation massive en réseau sur l’ensemble des bases aériennes. Ces outils pourront notamment permettre d’interconnecter des aviateurs de différentes bases pour s’entraîner ensemble. Lors de son déplacement sur la base d’Istres, votre rapporteur a également pu découvrir le nouveau simulateur pour MRTT, qui vient d’être livré aux forces. Si votre rapporteur n’est pas opposé au principe du développement de la simulation, celle-ci doit être réalisée en complément, et non pas en substitution, de l’augmentation de la préparation opérationnelle en conditions réelles. Si les normes OTAN d’activité opérationnelle n’intègrent pas les heures d’entraînement en simulation, c’est bien parce que rien ne remplace la vérité du terrain !


—  1  —

   SECONDE PARTIE : L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, UN ATOUT POUR UNE FRANCE PUISSANCE DE INDOPACIFIQUE

I.   L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, COMPOSANTE SOUS-DIMENSIONNÉE DES FORCES DE PRÉSENCE ET DE SOUVERAINETÉ DANS UN INDOPACIFIQUE CRISOGÈNE

A.   LA FRANCE, PUISSANCE D’UN « INDOPACIFIQUE COMPLIQUÉ »

1.   L’Indopacifique, nouveau centre du monde aux multiples foyers de tensions

À titre liminaire, s’agissant du périmètre géographique de l’espace Indopacifique, votre rapporteur reprend à son compte la définition de la LPM 2024-2030, à savoir celle d’un ensemble géopolitique « allant des côtes orientales de l’Afrique aux territoires français du Pacifique » ([25]), c’est-à-dire, mutatis mutandis, de Djibouti à la Polynésie française.

Ainsi entendue, la zone Indopacifique est tout d’abord le centre de gravité de l’économie mondiale : cet espace couvre 60 % de la population mondiale, 30 % du commerce international mondial et représentera 60 % du produit intérieur brut (PIB) mondial d’ici 2030 ([26]).

L’espace Indopacifique est également devenu le centre géostratégique du monde, en raison principalement de la montée en puissance de la Chine et de son corrélat, l’exacerbation de la compétition stratégique avec les États-Unis.

La période récente a en effet été marquée par une politique d’affirmation de puissance de la part de la Chine, qui s’est traduite par un durcissement de ses actions dans la région. Les violations intenses et répétées de la « ligne médiane » avec Taïwan, ou encore sa politique de fait accompli en mer de Chine méridionale - où elle cherche notamment à obtenir une voie d’accès libre de tout compétiteur pour la dilution de ses sous-marins dans les eaux profondes du Pacifique -, constituent les illustrations les plus emblématiques de cet enhardissement chinois.

Le fait que le France n’ose même plus aider Taïwan à moderniser les 54 Mirage 2000-5 vendus au début des années 90, par peur de froisser les autorités chinoises, est symptomatique de l’évolution des rapports de force résultant du durcissement de la Chine.

Outre les tensions dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale, l’Indopacifique abrite d’autres sources de conflits de haute intensité potentiels, ainsi que le souligne une étude récente de l’Ifri, notamment liés à la « menace nord-coréenne » et au « risque d’embrasement des tensions avec l’Iran » ([27]).

Les menaces sont également nombreuses dans la « zone grise », avec l’enjeu de l’appropriation des ressources marines et des fonds marins, ainsi que la pression qui s’exerce sur les zones économiques exclusives, ou encore le risque d’instrumentalisation des flux migratoires. Enfin, le risque d’une « déstabilisation régionale liée au changement climatique » ne peut être exclu dans cette zone vulnérable aux catastrophes naturelles  ([28]).

Ces multiples foyers de tensions font de l’Indopacifique une des « zones les plus crisogènes au monde », comme l’a indiqué à votre rapporteur une personne auditionnée.

Les foyers potentiels de conflit en Indopacifique

 

Source : Jérémy Bachelier et Céline Pajon, « La France dans l’Indopacifique. Pour une posture stratégique pragmatique », Focus stratégique, n° 117, Ifri, octobre 2023.

2.   La France, pays de l’Indopacifique qui a pour ambition d’en être une puissance

La France est un pays souverain de l’Indopacifique. Elle y compte 1,65 million d’habitants dans les départements ou régions d’outre-mer et communautés d’outre-mer (DROM-COM) : Mayotte, La Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Clipperton. Il faut également y ajouter 200 000 habitants expatriés dans la zone. Plus de 93 % de notre zone économique exclusive totale se situe dans cet espace.

Au regard de ses enjeux de souveraineté et à l’aune de l’accroissement de la compétition des puissances dans la zone, la France s’est dotée en 2019 d’une stratégie en Indopacifique, qui a été déclinée ensuite par le ministère des Armées en une stratégie de défense dédiée à cette zone.

Cette stratégie de défense met en exergue la montée des périls en Indopacifique, qui engendre «  trois effets directs dans le domaine militaire » : « (i) le durcissement des environnements opérationnels, en raison du réarmement des pays de la zone et de l’obtention de nouvelles capacités marquées par une élongation des portées et une plus grande létalité ; (ii) le renforcement de la multipolarité nucléaire et de l’imprévisibilité stratégique liée à l’hétérogénéité des doctrines et des moyens ; (iii) le recours plus systématique à des moyens et des stratégies opérant sous le seuil de conflit, destinés à produire des effets d’intimidation et de contrainte par l’exercice répété de la transgression et du signalement de puissance » ([29]).

Dans ce contexte d’intensification des menaces, la stratégie de défense retient « quatre priorités stratégiques de la France en Indopacifique » :

– défendre l’intégrité de notre souveraineté et assurer la protection de nos ressortissants, territoires et zones économiques exclusives ;

–  contribuer à la sécurité des espaces régionaux autour de nos DROM-COM par la promotion de coopérations militaires et de sécurité ;

– préserver, avec nos partenaires, un accès libre et ouvert aux espaces communs et assurer la sécurité des voies de communication maritimes ;

– participer au maintien de la stabilité stratégique par une action globale fondée sur le multilatéralisme, afin de protéger les intérêts européens, notamment dans le domaine de la lutte contre la prolifération.

Ainsi que le résume la stratégie de défense, « dans cette zone immense et fragmentée, la protection de nos espaces souverains et de nos approvisionnements stratégiques, mais aussi la garantie de notre liberté d’action dans les espaces communs et la stabilité des environnements régionaux constituent nos principaux intérêts de sécurité » ([30]).

Dans cette perspective, la mobilisation accrue de notre outil de défense dans la zone est un élément clé de notre stratégie diplomatique en Indopacifique, ainsi que l’a reconnu le président de la République lors de son dernier discours aux ambassadeurs : « Notre grammaire est de préserver la liberté de la souveraineté sans esprit de conflictualité, mais en réinvestissant d'un point de vue militaire notre présence, en réinvestissant les exercices conjoints, ce que nous avons encore fait l'été dernier, en nous appuyant sur nos territoires ultramarins. Je pense que c'est un élément très important de notre politique indopacifique » ([31]).

Or, les moyens des forces de souveraineté et de présence dans la zone ne sont pas actuellement à la hauteur de ces défis stratégiques, ainsi qu’il sera vu ci-après.


C.   L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE AU SEIN DES FORCES DE PRÉSENCE ET DE SOUVERAINETÉ EN INDOPACIFIQUE

1.   La présence militaire française en Indopacifique

Le dispositif des armées françaises dans la zone Indopacifique s’articule autour, d’une part, de trois forces de souveraineté déployées dans nos territoires et, d’autre part, de deux forces de présence stationnées à l’étranger en vertu d’accords de coopération avec le pays hôte.

Les trois forces de souveraineté dans la zone sont constituées par :

les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FASZOI), situées à la Réunion (Saint-Denis) ;

les forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC), basées à Nouméa ;

les forces armées en Polynésie française (FAPF), stationnées à Tahiti ;

Les deux forces de présence sont les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) et les Forces françaises aux Émirats Arabes Unis (FFEAU).

Ces forces regroupent au total un peu moins de 7 000 militaires et civils de la défense déployés de manière permanente. À ce personnel permanent s’ajoute celui en « mission courte durée ».

La caractéristique commune de ces forces est qu’il s’agit de forces interarmées, regroupant des unités de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air et de l’espace sous la direction des commandants supérieurs des forces de souveraineté (COMSUP) et des commandants des forces de présence (COMFOR).

Chacune de ces forces interarmées agit dans un espace géographique donné, qui correspond à sa zone de responsabilité permanente (ZRP). Celle-ci peut être très vaste, étant données les élongations de la zone Indopacifique : à titre d’exemple, la ZRP des FAZSOI comprend 14 pays (10 pays d’Afrique australe et 4 pays de la commission de l’océan Indien) et s’étend sur 24 millions de km2 dont 2,8 millions situés dans notre zone économique exclusive.

Le premier objectif de ces forces est naturellement de défendre notre souveraineté et de protéger nos populations dans la zone. Nos forces de souveraineté ont ainsi pour mission, comme le rappelle la LPM 2024-2030, de constituer « un premier échelon renforcé immédiatement disponible afin de décourager toute tentative de déstabilisation ou de prédation » ([32]). Il s’agit d’éviter toute politique du fait accompli par nos compétiteurs sur nos territoires d’outre-mer, en ce compris nos zones économiques exclusives (ZEE).

Le rôle des forces de souveraineté est ainsi d’être en capacité d’assurer une gestion de crise, dans l’attente de renforts provenant de métropole, dans le cadre de l’échelon national d’urgence. Le format des capacités prépositionnées est donc théoriquement dimensionné pour leur conférer cette première capacité de réaction.

La prÉsence militaire franÇaise en indopacifique

Source : Ministère des Armées, « La stratégie de défense française en Indopacifique ».

L’autre principale finalité de ces forces de souveraineté et de présence est d’être des vecteurs d’influence dans la zone. Une importante partie de leur activité est ainsi dédiée à l’établissement de partenariats militaires opérationnels (PMO) avec les pays de la ZRP. À titre d’exemple, les FASZOI ont réalisé 55 actions de coopérations au premier semestre 2023, principalement au profit de Madagascar. Le format de ces actions de coopération est large : détachement d’instruction opérationnelle, escales ou encore exercices communs. Nos 18 attachés de défense accrédités dans 33 pays de la zone Indopacifique jouent naturellement un rôle important dans ce dispositif de coopération.

2.   La composante aérienne des forces interarmées en Indopacifique est sous-dimensionnée

a.   Des missions variées

La première mission de l’armée de l’air et de l’espace au sein des forces de souveraineté est tout d’abord d’assurer la mobilité et le soutien logistique intra-théâtre des forces armées.

Compte tenu de l’élongation des distances, les flottes de transport tactiques, constituées en l’espèce de Casa CN235-300, sont naturellement des capacités essentielles pour permettre aux forces armées de remplir leur contrat opérationnel. Ainsi que l’illustre le schéma ci-dessous, il faut ainsi 3 h 30 de vol pour rejoindre Mayotte depuis La Réunion, contre trois à quatre jours en bateau.

L’Élongation des distances dans la ZRP des FAZSOI

Source : FAZSOI.

Au titre de cette activité de mobilité intra-théâtre, les deux CASA des FASZOI ont ainsi une triple mission permanente :

assurer le soutien logistique pour les déploiements des détachements permanents sur les îles Éparses. Depuis 1973, un détachement permanent de quatorze militaires, relevé toutes les six semaines, assure en effet notre souveraineté sur ces îles contestées ;

assurer l’aéromobilité des autres forces pour leur mission ou leur préparation opérationnelle : les deux Casa contribuent ainsi à l’entraînement des parachutistes du 2ème RPIMa, composante terrestre des FAZSOI ;

enfin, contribuer aux partenariats militaires opérationnels.

La seconde mission principale de l’armée de l’air et de l’espace au sein des forces de souveraineté est de contribuer aux missions régaliennes de service public, notamment de secours et d’aide à la population : recherche et sauvetage (SAR) ; évacuation sanitaire (EVASAN) ; secours en cas de catastrophe naturelle (humanitarian assistance and diaster relief ou HADR) ; secours maritime (SECMAR) ; évacuation de ressortissants (RESEVAC) ; surveillance de la zone économique exclusive (ZEE) en complément de la marine. Pour cette mission, outre les CASA, sont mobilisés les hélicoptères Puma des forces de souveraineté.

Naturellement, l’importance de ces différentes missions varie en fonction des enjeux stratégiques de la zone concernée : les FANC et les FAPF sont ainsi régulièrement engagées sur des opérations de secours d’urgence et/ou d’aide à la population ; les FAPF ont également pour mission de surveiller et de protéger les anciens sites d’expérimentation de Moruroa et de Fangataufa ; les FAZSOI dédient une partie importante de leur activité à la surveillance des zones économiques exclusives, à la lutte contre l’immigration illégale ou contre la piraterie.

Enfin, les aviateurs des forces de souveraineté ont une troisième mission d’importance, qui est d’accueillir les aéronefs de passage. Ce rôle est dévolu aux escales aériennes militaires (EAM). Cette fonction est amenée à prendre de l’ampleur au regard des ambitions de projection de puissance de l’armée de l’air et de l’espace dans la zone Indopacifique, ainsi qu’il sera vu dans la section suivante du présent rapport.

Les missions de la base aérienne 186 de Nouméa-La Tontouta (FANC)

«  ● La BA 186 réalise au quotidien les trois missions suivantes :

- assurer l’aéromobilité des FANC en : conduisant l’activité aérienne de l’escadron de transport 52 (ET 52) ; soutenant l’activité aérienne des détachements de la flottille 25F et de l’escadrille 34F de l’aéronautique navale.

- fournir la capacité de transit du point d’entrée air des FANC en : s’appuyant sur l’escale aérienne militaire ; assurant la coordination avec l’aéroport civil de TONTOUTA.

- maintenir un réservoir de forces aux compétences professionnelles et militaires entretenues pour : être prêt à réagir face à toute sorte de crise dans la zone de responsabilité permanente du COMSUP (renfort métropolitain au mieux sous 72 h 00) ; assurer la préparation opérationnelle du personnel en permanence afin que le retour en métropole de celui-ci ne nécessite pas de réentraînement avant un départ en opération extérieure.

● Dans la réalisation de ces missions, la BA186 participe aux fonctions stratégiques de la défense nationale suivantes :

- connaissance – anticipation : connaître la zone Pacifique Sud-Ouest et collecter du renseignement d’intérêt militaire selon les orientations données par l’état-major interarmées (EMIA).

- protection : contribuer à la protection de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna ; contribuer à la posture permanente de sauvegarde aérienne ; participer à l’action de l’Etat en mer ; concourir sur demande du Haut-Commissariat aux missions de sécurité et de service public (conformément à la règle des 4i1).

- prévention : développer l’interopérabilité et l’harmonisation des procédures avec nos alliés du Pacifique (exercices Pitch-Black, Croix du Sud, Mhanuu, TN…) ; mettre en œuvre la coopération opérationnelle dans la zone.

- intervention : conduire et réaliser une intervention militaire d’ampleur dans la zone de responsabilité permanente du COMSUP ; accueillir des renforts de métropole ou des Forces armées de Polynésie Française en cas de besoin.

- influence : contribution dans les actions de rayonnement sur le territoire et à l’étranger.

Source : état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

La logique des forces de présence est quelque peu différente de celle qui anime les forces de souveraineté pour deux raisons principales.

Tout d’abord, ces bases représentent avant tout des points d’appui pour intervenir dans la région. Le rôle déterminant joué par la base de Djibouti dans le cadre de l’opération Sagittaire est une illustration de ce rôle stratégique de point d’appui, ainsi que l’a reconnu l’amiral Vaujour : « Cette opération n’aurait pas été la même et elle aurait forcément été beaucoup plus compliquée sans l’appui de Djibouti » ([33]). De même, les aéronefs de la base aérienne 104 Al Dhafra ont été actifs dans le cadre de l’opération Chammal de lutte contre Daech au Levant. Cette base a également servi de point d’appui à l’opération Apagan d’évacuation de 2834 personnes d’Afghanistan à la suite de la prise du pouvoir par les Talibans à Kaboul. Ces points d’appui sont ainsi stratégiques, en ce qu’ils réduisent la « tyrannie des distances » dans la zone Indopacifique.

La tyrannie des distances en indopacifique

Source : Jérémy Bachelier et Céline Pajon, « La France dans l’Indopacifique. Pour une posture stratégique pragmatique », Focus stratégique, n° 117, Ifri, octobre 2023.

En outre, les accords de coopérations conclus avec Djibouti et les Émirats arabes unis comportent des clauses de sécurité, aux termes desquelles les aéronefs français peuvent être mobilisés pour contribuer à la sécurisation de l’espace aérien du pays hôte. C’est dans ce cadre que les aéronefs français sont ainsi chargés d’assurer la police du ciel à Djibouti. Dans la même perspective, les avions de chasse français ont également participé à la protection de l’espace aérien émirien à la suite de l’attaque de drones menée par les Houthis à Abu Dhabi en janvier 2022.

Cette double spécificité explique que les bases aériennes des forces de présence, qui abritent des avions de chasse, soient positionnées davantage vers le haut du spectre que les bases des forces de souveraineté.

b.   Des moyens humains et capacitaires taillés au plus juste

Sur le plan des ressources humaines, les forces de souveraineté ont subi de plein fouet les conséquences de la révision générale des politiques publiques, qui s’est traduite par une baisse de 20 % de leurs effectifs depuis 2008 ([34]).

Les aviateurs présents à titre permanent (hors missions courte durée) au sein des bases aériennes ou des états-majors des structures de commandement des trois forces de souveraineté n’échappent pas à la règle, puisque leur nombre est passé de 567 en 2008 à 469 en 2023, soit une baisse de 17 %.

Durant cette période, les FAZSOI ont ainsi perdu 78 aviateurs (de 238 à 160), les FAPF ont perdu 55 aviateurs (de 171 à 116), tandis que les FANC en ont a contrario gagné 35 (de 158 à 193).

S’agissant des forces de présence, leur trajectoire suit des dynamiques opposées, puisque les FFDJ ont perdu plus de la moitié de leurs aviateurs permanents (de 655 en 2008 à 323 en 2023), tandis que les aviateurs des FFEAU ont augmenté de 15 à 84 (+460 %) entre 2009 et 2023.

Au total, 876 aviateurs (hors missions courte durée) sont ainsi affectés aux forces de souveraineté et de présence en Indopacifique en 2023, contre 1237 en 2008, soit une baisse de 30 %.

Il convient cependant de relever que la proportion d’aviateurs détachés en missions courte durée peut être particulièrement importante, notamment au sein des forces de présence. Votre rapporteur est toutefois dans l’incapacité de donner ces chiffres, qui sont classifiés « diffusion restreinte ».

Sur le volet capacitaire, les forces de souveraineté se caractérisent par la mise à disposition des moyens particulièrement limités et orientés vers le bas du spectre :

pour les FANC, le dispositif mis en œuvre par l’armée de l’air et de l’espace est stable depuis 2017 avec deux Casa CN235 et trois Puma déployés sur la base aérienne 186 de Nouméa-Tontouta ;

sur la base aérienne 181 de la Réunion, l’armée de l’air et de l’espace met en œuvre deux Casa CN235 au profit des FAZSOI ;

de même, au sein du détachement air 190 de Tahiti-Faa’a, deux Casa CN235 sont déployés au bénéfice des FANC.

Or, ces capacités connaissent des limites intrinsèques. Les Puma constituent actuellement la flotte la plus vétuste de l’armée de l’air et de l’espace (50 ans de moyenne d’âge), ce qui pose logiquement des problèmes structurels de disponibilité. Cela est d’autant plus préjudiciable que les hélicoptères assurent des missions essentielles des FANC, notamment pour les opérations de sauvetage.

Quant au Casa CN235, ses capacités sont bien moindres que celles du C-160 Transall qu’il a remplacé en 2015 : les Transall pouvaient en effet emporter quatorze tonnes de fret ou 91 passagers, tandis que le Casa n’a qu’une faculté d’emport de six tonnes d’emport de fret ou de 40 passagers. Le passage du Transall au Casa est donc de nature à limiter les capacités de mobilité intra-théâtre de nos forces, au détriment de leur contrat opérationnel, ainsi que l’avait relevé un précédent rapport : « Outre la perte de certaines capacités, comme le largage de matériel lourd par exemple, cette limitation des moyens aériens pèse fortement sur des scénarios d’engagement en urgence. Ainsi, avec les deux CASA dévolus aux FAZSOI, il faudrait 36 heures pour projeter (en plusieurs rotations) 150 militaires à Mayotte, et 114 heures au Mozambique, alors même que le contrat opérationnel le prévoit en 24 heures » ([35]).

Si la disponibilité des Casa est satisfaisante en l’état, il a été signalé à votre rapporteur que le changement de prestataire du MCO a conduit à une augmentation des délais d’approvisionnement de certaines pièces, ce qui pourrait à terme avoir un impact négatif sur la disponibilité de ces aéronefs. Cet accroissement des délais d’approvisionnement trouverait sa source dans un désaccord entre l’ancien et le nouveau titulaire du marché concernant la cession de lots de pièces de rechange. Votre rapporteur appelle ces industriels à trouver rapidement une issue à ce blocage.

S’agissant des forces de présence, les capacités sont davantage orientées vers des missions d’intervention, avec la présence de six Rafale aux Émirats arabes unis depuis 2016 et de quatre Mirage 2000-5 à Djibouti dans le cadre des accords de défense conclus avec ces deux pays. Les FFDJ bénéficient également d’un Casa et de trois hélicoptères Puma pour ses missions hors police du ciel. Les bases de ces forces de présence constituent également un terrain d’entraînement idéal pour la préparation opérationnelle de nos aviateurs.

Les moyens permanents de l’armÉe de l’air et de l’espace en indopacifique

 

Aéronefs

Aviateurs permanents

Nouvelle-Calédonie (Nouméa)

3 hélicoptères Puma

2 Casa CN235-200

193

Polynésie (Tahiti)

2 Casa CN235-200

116

La Réunion (Saint Denis)

2 Casa CN235-200

160

Djibouti

4 Mirage 2000-5

3 hélicoptères Puma

1 Casa CN235-200

323

Émirats arabes unis

 

6 Rafale

84

Total

10 avions de chasse

7 Casa CN-235

5 Puma

876

II.   L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL DE PROJECTION DE PUISSANCE ET DE DIPLOMATIE EN INDOPACIFIQUE

A.   LES CAPACITÉS DE PROJECTION DE L’ARME DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL DE PUISSANCE EN INDOPACIFIQUE

1.   Des déploiements réguliers de l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique rendus possibles par ses nouvelles capacités

a.   Des nouvelles capacités qui offrent des possibilités de projection inédites

Si les capacités de projection de puissance ont toujours été une spécificité de l’armée de l’air et de l’espace, celles-ci ont été démultipliées avec l’arrivée de la nouvelle génération d’aéronefs. Comme l’a relevé une personne auditionnée, grâce au trinôme Rafale-MRTT-A400M, l’élongation n’est plus une problématique pour l’armée de l’air et de l’espace. Ces capacités permettent à l’armée de l’air et de l’espace d’entrer dans le club très fermé des armées à dimension mondiale.

L’A400M, avion tactique à allonge stratégique, démultiplie en effet les capacités de transport, ainsi que l’a indiqué le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace : « À cette échéance [en 2030], nous serons en mesure de transporter cinq fois plus de fret avec deux fois moins d’avions qu’en 2012. Ce chiffre n’intègre pas la capacité du MRTT à participer à la manœuvre de projection » ([36]).

comparaison des performances des avions de transport tactiques

                                                                                                         Source : armée de l’air et de l’espace, fiche technique sur l’A400M.

Le A330 MRTT Phénix assure également l’allonge stratégique par sa capacité de ravitailler deux chasseurs simultanément. Outre sa capacité Morphée (module de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation), le Phénix permet en outre, avec l’A400M, d’accroître les capacités de transport stratégique avec une capacité d’emport de passagers et de fret démultipliée. Les performances offertes par le MRTT en termes de capacités de ravitaillement et de transport sont ainsi incomparables avec celles de ses prédécesseurs (C-135 FR et 3 KC-135 RG pour le ravitaillement, et A310 et A340 pour le transport).

comparaison des performances du MRTT phÉnix avec ses prÉdÉcesseurs

Source : armée de l’air et de l’espace, fiche technique sur l’A330 MRTT Phénix.

Quant aux Rafale, leur capacité à mener des missions de projections de puissance dans le cadre de raids aériens est continuellement éprouvée dans le cadre des exercices menés par les forces aériennes stratégiques. Comme l’a rappelé le général Mille, « les modes d’action du bombardement stratégique relèvent de la projection de puissance, dont l’objet est d’aller loin, vite et fort » ([37]).

La capacité d’allonge offerte par ce trinôme est donc inédite dans l’histoire de nos armées. À ce titre, dans un contexte où les projections de puissance augmenteront certainement à l’avenir, la préservation voire l’augmentation de la capacité d’allonge stratégique doit être une priorité dans la conception des nouveaux équipements, ce qui n’a pas toujours été le cas - comme l’a illustré le fait que l’armée de l’air et de l’espace ait dû batailler pour obtenir la capacité de ravitaillement en vol de ses hélicoptères Caracal.  Dans cette perspective, la capacité de ravitaillement en vol des futurs hélicoptères légers HIL Guépard constitue également un impératif.

b.   Des capacités qui permettent des déploiements de puissance réguliers en Indopacifique

Depuis 2018, l’armée de l’air et de l’espace est la seule force européenne à déployer régulièrement des aéronefs en Indopacifique. Les missions Pégase 2018, Haifara Wakea et Pégase 2022 traduisent cette montée en puissance soutenue des opérations de projection de puissance.

Les précédentes missions de projection de puissance en Indopacifique

- Pégase 2018 (20 juillet au 9 septembre)

Après avoir participé à l’exercice « Pitch Black » organisé par la Royal Australian Air Force, l’AAE a mené, à l’occasion du convoyage de retour, une mission de projection d’un dispositif aérien d’envergure en Asie du Sud-Est, baptisée Pégase.

Au départ de l’Australie, les 120 aviateurs et trois Rafale déployés ont été rejoints dans le Pacifique Sud par un A400 M Atlas, un avion ravitailleur C- 135 FR, ainsi qu’un Airbus A 310. Ils ont fait escale successivement en Indonésie, en Malaisie, au Vietnam, à Singapour et enfin en Inde.

- Heifara Wakea 2021 (du 20 juin au 9 juillet)

L’AAE a conduit, depuis la métropole et vers le Pacifique sud, la mission HEIFARA WAKEA en projetant un dispositif aérien composé de trois Rafale, deux A330 Phénix et deux A400M Atlas ainsi qu’environ 170 aviateurs.

Après une première phase de projection de puissance, dénommée HEIFARA, conduite en Polynésie française, le dispositif a amorcé une seconde phase de coopération bilatérale avec l’armée américaine nommée WAKEA. Les aéronefs français se sont rendus à Hawaï pour participer à des missions de préparation opérationnelle.

HEIFARA visait notamment à démontrer que l’AAE était en mesure d’assurer ses missions de défense en Polynésie, à plus de 17 000 km de la métropole.

- Pégase 2022 (10 août-18 septembre)

Cette opération menée à plus de 18 000 km de la métropole comportait trois phases distinctes. S’appuyant sur un dispositif composé de trois Rafale, deux A330 MRTT Phénix et deux A400M Atlas, la première phase a consisté en une mission de projection de puissance (exercice « Henri BROWN ») vers la Nouvelle-Calédonie, en moins de 72 h 00, afin d’y mener une action d’entraînement au combat, réalisée dans un contexte de menaces multi-milieux multi-champs.

Lors de la deuxième phase en Australie, les Rafale, un A330 MRTT et un avion de transport CN 235-200 CASA des Forces armées de Nouvelle-Calédonie, mis en œuvre par quelque 150 personnels, ont pris part à l’exercice multinational de haute intensité « Pitch Black 22 » organisé par la Royal Australian Air Force, pour interagir avec des aéronefs de 5ème génération et améliorer notre interopérabilité avec nos partenaires dans la zone.

Enfin, au départ de Darwin le 11 septembre, trois Rafale, deux A330 MRTT, 1 A400M et les personnels, ont effectué deux escales valorisées en Indonésie et à Singapour, pour mener des actions de diplomatie aérienne et de présentation des savoir-faire français, interagir avec les ressortissants français et conduire des actions de coopération opérationnelle avec les armées de l’Air locales.

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.

Certes, d’autres nations européennes ont pu procéder à des projections en Indopacifique. Par exemple, l’Allemagne a déployé dans la zone « six avions de combat Eurofighter et quatre A400M en Indopacifique, avec l’appui de trois ravitailleurs A330 MRTT de la Multinational MRTT Fleet [MMF] de l’Otan » ([38]), dans le cadre de la mission « Rapid Pacific 2022 ». De même, le Royaume Uni participe également à des déploiements dans le cadre d’exercice tels que Pitch Black en Australie.

Cependant, aucune armée européenne ne se déploie en Indopacifique avec la même régularité, les mêmes moyens et surtout les mêmes performances que l’armée de l’air et de l’espace.

2.   La mission Pégase 23 illustre la plus-value susceptible d’être apportée par l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique

La mission Pégase 23, inédite par son ampleur, avait des finalités multiples pour l’armée de l’air et de l’espace :

– la préparation opérationnelle et le renforcement de notre interopérabilité, avec l’entraînement aux missions de projection et la participation à l’exercice de haute intensité Northern Edge, au côté des États-Unis et de nos alliés (Canada, Royaume-Uni, Japon, Australie) à Guam ;

– la réassurance de nos territoires d’outre-mer, en démontrant la capacité de l’armée de l’air et de l’espace à intervenir sous court préavis à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole pour faire face aux différentes crises ;

– le signalement stratégique à l’égard de nos compétiteurs dans la zone, en témoignant de l’aptitude de la France de rallier les antipodes en moins de 72 heures ;

– l’acquisition d’une meilleure compréhension de la zone, tant de nos partenaires que de nos compétiteurs ;

– le développement de nos partenariats, avec notamment l’identification des points d’appui pour nos aéronefs ;

– le soutien aux exportations, en démontrant la plus-value de nos vecteurs de projection de puissance (Rafale/ MRTT/ A400M).

L’exercice Pégase 23

« Du 25 juin au 3 août, dans le cadre de la mission Pégase 23, l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE), a déployé 19 aéronefs. Le dispositif, composé de 10 Rafale, 5 A330 MRTT Phénix et 4 A400M Atlas, s’est scindé en différents groupes afin de procéder à de multiples escales stratégiques valorisées chez ses partenaires de la péninsule arabique, de l’océan Indien et du Pacifique.

Le 25 juin, les aéronefs engagés ont amorcé une première phase de projection à 11 000 km de la métropole, avec une escale technique sur la base des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU). Le dispositif s’est, par la suite, scindé en deux et a rejoint simultanément, en moins de 30 heures, Singapour et la Malaisie. Ces nouvelles projections opérationnelles ont permis aux Aviateurs français ainsi qu’à leurs partenaires de participer à des vols conjoints facilitant le partage de savoir-faire techniques et le renforcement de leur interopérabilité.

Alors que les équipages des 4 Rafale, 2 MRTT et 2 A400M déployés en Malaisie rejoignaient la métropole, les aviateurs présents à Singapour ont poursuivi leur projection marquant ainsi la phase 2 de Pégase 23. Le 28 juin, 72 heures après le départ de France, les aéronefs ont atterri sur l'île de Guam, dans la mer des Philippines, à 18 000 km de la métropole. Jusqu'au 24 juillet, les aviateurs ont pris part à un continuum d'exercices regroupant nombreux alliés et partenaires : Australie, Canada, États-Unis, Japon, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, etc. L'objectif de ces manœuvres interarmées était de partager les savoir-faire et renforcer  l’interopérabilité entre les différentes armées de l’air.

Cette seconde phase de déploiement a été l'occasion pour l’AAE de mettre à l’épreuve son concept de déploiement agile, intitulé MORANE (adaptation de l’Agile Combat Employment américain). MORANE a pu être éprouvé à plus de 1 300 km de Guam, à Palau, à l’image de sa conduite par un détachement de 3 Rafale et de 80 aviateurs. Cet essai s’est déroulé aux côtés des F-35 américains afin de s’exercer à la fighter integration (coopération entre avions de 4e et 5e générations). Les aéronefs ravitailleurs (tankers) et transporteurs ont également été déployés au profit des forces armées de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie Française. 

Le 24 juillet, la troisième et dernière phase de Pégase 23 a été illustrée par la nouvelle scission du dispositif aérien redéployé sur trois points géographiques distincts : la Nouvelle-Calédonie, la Corée du Sud et l'Indonésie. Les Rafale et l’A330 MRTT, projeté en Nouvelle-Calédonie ont rejoint l'Indonésie puis les Émirats Arabes Unis avant d'atterrir en France le 3 août. En parallèle, les aviateurs déployés depuis Guam ont procédé à une escale valorisée en Indonésie, avant de rejoindre Djibouti, puis la France le 30 juillet. Enfin, le troisième dispositif en escale en Corée du Sud a rejoint le Japon, puis l'Indonésie avant de se rendre au Qatar. Cette dernière escale a marqué la dernière étape de la mission Pégase 23. Ces différentes escales valorisées ont permis de renforcer les partenariats avec les nations et l’interopérabilité des forces au gré des entraînements conjoints en vol, des visites d'autorités et tables rondes avant un retour en France le 3 août.

Au bilan : la projection a duré 40 jours et comptabilisé 170 sorties des Rafale, (près de 500 heures de vol), 80 sorties des A400M Atlas (plus de 400 heures de vol) et 80 sorties des A330 MRTT Phénix (près de 500 heures de vol) ».

Source : ministère des Armées.

Cette mission s’est distinguée des précédentes projections de puissance en Indopacifique à plusieurs titres.

La mission Pégase 23 s’est tout d’abord caractérisée par une hausse du format eu égard aux précédentes missions de projection, notamment dans un souci de signalement stratégique. Ont été ainsi mobilisés dix Rafale (soit la moitié d’un escadron de chasse), cinq A330 Phénix MRTT et quatre A400M, pour un total de 320 aviateurs et de 55 tonnes de fret. Conformément à la logique de déploiement agile, aucun pré-acheminement de fret n’a été effectué.

Votre rapporteur relève cependant que quatre Rafale, deux A400M et deux MRTT (pour un total 106 aviateurs) sont rentrés en France dès la fin de la projection en Malaisie, soit 48 h après le début de l’exercice. En outre, le format de Pégase 23 est en deçà de l’objectif initial, annoncé en 2021, de projeter en 2023 vingt Rafale et dix A330 MRTT jusqu’à 20 000 kilomètres de la métropole en 48 heures. La révision de cette ambition est une autre illustration des contraintes exercées par le format de son aviation de chasse sur les missions de l’armée de l’air et de l’espace.

La spécificité de Pégase 23 est également d’avoir mis en œuvre une stratégie de dispersion des aéronefs mobilisés, pour multiplier les effets recherchés sur l’ensemble de la zone Indopacifique : sur les dix Rafale partant de la métropole, six se sont ainsi projetés à Singapour, tandis que les quatre autres se déployaient en Malaisie ; les six Rafale faisant escale à Singapour ont ensuite participé à l’exercice de grande ampleur à Guam, avant de se subdiviser en trois flottes de deux Rafale, qui se sont projetés respectivement en Nouvelle-Calédonie et Polynésie, en Corée du Sud puis au Japon, et en Indonésie.

L’objectif était ainsi de multiplier les « escales valorisées » au titre de la « diplomatie aérienne » promue par l’armée de l’air et de l’espace. Celles-ci ont intégré, de façon inédite, le Japon et la Corée du Sud. Chaque escale a permis d’approfondir des sujets d’intérêt spécifiques pour nos partenaires : surveillance des espaces pour l’Indonésie, missions de secours et de sauvetage à Singapour, ou encore milieu spatial pour le Japon.

Pour la première fois, la projection Pégase 2023 a permis de réaliser plusieurs exercices de préparation avec les forces armées américaines en Indopacifique, dans le cadre du Large Scale Global Exercises (LSGE). L’interopérabilité entre le Rafale et le F-35 était au cœur de cet exercice. Ce dernier a également été marqué par une mission de recherche et sauvetage réelle au large de l’île de Guam, au cours de laquelle l’A400M a pu faire la démonstration de ses capacités. Comme l’a indiqué un officier à votre rapporteur, les missions de type Pégase participent indéniablement à renforcer notre crédibilité auprès des Américains et de nos autres partenaires dans la zone, en démontrent notre savoir-faire en matière de projection de puissance.

De manière également inédite, le segment spatial a fait partie intégrante de la mission, avec un dispositif dédié mis en place par le commandement de l’espace, qui « a permis d’expérimenter l’emploi de services d’imagerie spatiale en complément des équipements patrimoniaux. Cet apport (environ 10 000 km² d’images ont été mis à disposition) a mis en exergue le gain en termes de réactivité (imagerie commerciale mise à disposition dans un délai de quatre à dix heures en moyenne). Ces images ont été utilisées en amont et en aval des missions pour leur préparation et l’estimation des dommages fictifs à l’issue des exercices. En outre, les éléments de liaison du CDE ont régulièrement fourni des prévisions de survol des satellites des différents compétiteurs (améliorer la discrétion), des données relatives à la précision du signal GPS (choix des meilleurs créneaux temporels) et des informations relatives à la météo spatiale impactant les télécommunications (choix des fréquences optimales) » ([39]).

Enfin, le volet « influence » a également été particulièrement développé dans le cadre de Pégase 23. Cela a nécessité en amont une coordination étroite avec l’état-major des armées, mais également la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et le ministère de l’Europe et des affaires européennes et étrangères, les ambassades étant en effet le premier relais pour assurer la résonance médiatique recherchée par Pégase 23.

La prochaine édition de la mission Pégase intégrera une dimension européenne. Il est en effet prévu que nos partenaires européens, notamment Espagnols, Allemands et Anglais se joignent à cette opération de projection, qui s’articulera avec l’exercice biennal de haute intensité Pitch Black, qui a lieu en Australie. Cette évolution est cohérente avec l’ambition de la diplomatie française d’impliquer davantage nos partenaires européens dans la zone Indopacifique. L’arme aérienne est ainsi, là encore, au service des ambitions diplomatiques de la France, ce qui donne tout son sens à la notion de « diplomatie aérienne » mise en avant par l’armée de l’air et de l’espace. L’intégration de nos partenaires européens démontre également le retentissement et l’effet d’entraînement suscité par la mission Pégase.

B.   LA DIPLOMATIE AÉRIENNE DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE, OUTIL D’INFLUENCE EN INDOPACIFIQUE

1.   La multiplication des exercices avec nos partenaires dans la zone

Outre les « escales valorisées » susmentionnées dans le cadre de missions de projection de puissance telles que Pégase, les exercices constituent un terreau privilégié pour accroître les liens de l’armée de l’air et de l’espace avec ses partenaires dans la zone. Plusieurs exercices emblématiques localisés dans l’espace Indopacifique peuvent être cités à cet égard :

l’exercice biennal Pitch Black en Australie, centré sur la haute intensité dans le Pacifique Sud. En 2022, l’armée de l’air et de l’espace avait déployé trois Rafale, un avion MRTT Phénix et un avion tactique de transport de type Casa CN-235 des Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC). Au titre de cette édition 2022, une centaine d’aéronefs et près de 2 500 militaires de 17 pays partenaires étaient présents dont l’Allemagne, l’Australie, la Corée du Sud, les États-Unis, l’Indonésie, l’Inde, le Japon, le Royaume-Uni, Singapour.

l’exercice Cope North à Guam, organisé par les États-Unis avec leurs alliés australien et japonais, dont les objectifs principaux sont de parfaire l'interopérabilité entre les armées participantes dans les domaines du combat aérien mais également de l'aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle. La dernière édition en février 2023 a rassemblé environ 2 000 militaires et une centaine d’aéronefs. Un avion CASA des Forces armées en Polynésie française (FAPF) a pris part à l’exercice. En marge de l’exercice, l’équipage français a appuyé une mission réelle de Search and Rescue (SAR).

l’exercice Garuda de coopération avec l’Inde. En 2022, l’armée de l’air et de l’espace (AAE) avait ainsi déployé 130 aviateurs, cinq Rafale et un MRTT sur la base aérienne de Jodhpur en Inde dans le cadre de cet exercice de type Large Force Employment à dominante aviation de chasse. Cet exercice permet notamment à l’armée de l’air et de l’espace de travailler à l’interopérabilité avec les forces indiennes, qui ne font pas partie de l’OTAN

tous les deux ans, les forces armées (FANC) en Nouvelle-Calédonie organisent l’exercice Croix du Sud, centré sur le domaine de l’assistance humanitaire et du secours après une catastrophe naturelle. Plus de 3 000 militaires de 19 nations ont participé à la dernière édition en avril 2023.

Votre rapporteur estime que l’exercice Croix du Sud pourrait opportunément comprendre à l’avenir un volet davantage tourné vers la haute intensité, en impliquant des avions de chasse. Cela constituerait un signalement stratégique fort à l’égard de nos compétiteurs quant à l’implication de la France dans la zone.

enfin, les forces armées en Polynésie française (FAPF) organisent également tous les deux ans l’exercice Marara aux côtés de forces armées de douze nations du Pacifique. Cet exercice interarmées est centré sur les opérations de recherche et sauvetage en mer et d’évacuation des ressortissants.

L’exercice Croix du sud

« Du 24 avril au 8 mai 2023, l’exercice « Croix du Sud » a permis aux 3 000 militaires déployés de s’entraîner ensemble à l’assistance humanitaire et au secours après une catastrophe naturelle.

L’exercice « Croix du Sud 2023 » est un exercice interarmées et multinational, réunissant 19 nations, organisé par les Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC). Cet entraînement opérationnel majeur met en œuvre les capacités des FANC dans le domaine de l’assistance humanitaire et du secours après une catastrophe naturelle (HADR, Humanitarian Assistance and Disaster Relief), en coopération avec les armées partenaires concernées par les conséquences des enjeux climatiques de la région. Les partenaires, que sont l’Allemagne, l’Australie, le Brunei, le Canada, les États-Unis, les Fidji, l’Indonésie, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Pays-Bas, le Pérou, les Philippines, le Royaume-Uni, Singapour, les Tonga et le Vanuatu, sont impliqués dans l’exercice aux côtés de la France en tant que contributeurs de forces, officiers intégrés au quartier général ou nations observatrices. L’armée de l’Air et de l’Espace (AAE), la Marine nationale et l’armée de Terre sont pleinement engagées dans l’exercice qui vise au développement de l’interopérabilité en milieu interarmées.

L’exercice repose sur un scénario fixé lors de l’exercice préparatoire d’état-major « Équateur » organisé l’année dernière. Il prévoit le déploiement de moyens d’assistance et de secours pour porter un appui aux populations de la région indopacifique. Dans le dispositif des FANC, la base aérienne 186 de Nouméa joue un rôle prépondérant. L’AAE est impliquée dans l’exercice avec le déploiement de trois avions de transport Casa, dont un en renfort de Tahiti, et trois hélicoptères Puma. Lors de l’exercice, la plateforme aérienne a démontré son importance. La base a accueilli plusieurs aéronefs des pays partenaires, demandant une forte implication du personnel de l’escale aérienne pour le déchargement d’un volume important de matériels et la prise en compte des militaires. Sur le tarmac, un aéronef C-17 australien a débarqué des militaires et du fret tandis qu’un C-130 de Nouvelle-Zélande a amené une cargaison ainsi que des soldats fidjiens. En outre, un Casa de Tahiti est arrivé avec des renforts de l’armée de Terre, un C-27 australien avec du matériel, et enfin, un C-130 américain avec ses militaires et leurs équipements. ».

Source : site du ministère des Armées.

2.   L’identification de points d’appui

La consolidation des capacités de projection de l’armée de l’air et de l’espace en Indopacifique requiert un renforcement de nos partenariats opérationnels et logistiques avec les forces armées de la région, afin de multiplier les points d’appui dans la zone et les capacités d’accueil de nos aéronefs.

Dans un contexte où les élongations entre la métropole et les lieux de déploiement demeurent le principal défi, « la montée en puissance de points d’appui consolidés proches des zones d’intervention, sur lesquels les aviateurs pourraient disposer de moyens suffisants pour remettre en œuvre, dépanner et réarmer leurs aéronefs est incontournable pour disposer d’une épaisseur suffisante en cas d’engagement de la force aérienne », ainsi que l’a indiqué un officier auditionné à votre rapporteur. Un des objectifs des missions tels que Pégase est précisément de renforcer notre connaissance des points d’appui potentiels dans la région.

L’armée de l’air et de l’espace a notamment pour objectif de renforcer ses liens avec les pays de la zone partageant des flottes communes avec elle, qu’il s’agisse du Rafale (Émirats arabes unis, Inde, bientôt Indonésie), du MRTT Phénix (Australie, Corée du Sud, Émirats arabes unis, Singapour), ou encore de l’A400M (Malaisie et bientôt Indonésie). L’Indopacifique pourrait ainsi être au cœur des synergies crées par des « clubs d’utilisateurs » d’un même équipement, tels que promus par la LPM 2024-2030 ([40]).

Lors de la mission Pégase 23, les A330 MRTT singapouriens ont ainsi ravitaillé en vol nos Rafale, tandis que des mécaniciens coréens ont pu contribuer à la remise en état d’un réacteur d’un MRTT français car ils disposaient du matériel adéquat. Une telle interopérabilité favorise le déploiement agile de nos aéronefs, promu par l’armée de l’air et de l’espace dans le cadre du concept « MORANE » déjà évoqué. Le soutien logistique apporté par un partenaire permet en effet à l’armée de l’air et de l’espace de réduire d’autant le matériel transporté par ses propres aéronefs, notamment l’A400M.

Le défi pour l’armée de l’air et de l’espace est donc de travailler à l’élaboration avec nos partenaires de protocoles communs, en vue de faciliter le soutien et l’assistance par le partenaire hôte de nos équipements projetés. Cela requiert notamment d’harmoniser la reconnaissance mutuelle des règles de navigabilité et des échanges de pièces détachées.

Le renforcement de nos points d’appui exige également, notamment de la part des Comsup des forces de souveraineté, un travail d’identification en profondeur des partenariats militaires à promouvoir dans la zone. L’alignement politique, les potentialités d’interopérabilité, mais aussi la plus-value susceptible d’être apportée par la France à ses pays, notamment par rapport aux États-Unis, sont autant de critères qui doivent guider nos choix.

Au titre des partenariats à développer, le renforcement de la coopération avec l’Indonésie a ainsi été cité par de nombreuses personnes auditionnées comme un axe prioritaire. L’accord pour la tenue de réunions ministérielles conjointes régulières des ministres des Affaires étrangères et de la Défense en format « 2+2 », faisant ainsi de la France le premier pays non-asiatique à bénéficier d’un tel format de dialogue avec l’Indonésie, illustre la proximité entre nos deux pays. Il existe également une forte communauté de moyens entre nos deux pays (Caracal et bientôt Rafale et A400M). La situation géographique de l’Indonésie en fait en outre un pays stratégique en cas de crise.

 

Singapour est également un partenaire privilégié de la France. Depuis 1998, un escadron de la force aérienne singapourienne est localisé sur la base aérienne 120 de Cazaux, pour former ses pilotes de chasse. Une douzaine de pilotes sont ainsi formés chaque année et près de 400 Singapouriens vivent autour de la base de Cazaux. Le 11 juin 2022, un accord mutuel de soutien logistique a été conclu entre nos deux pays, en marge du Shangri-La Dialogue. Cependant, selon une personne auditionnée, il convient de garder à l’esprit que les Américains seront prioritaires pour bénéficier d’un point aéroportuaire à Singapour en cas de crise.

Enfin, il est nécessaire de préserver nos points d’appui à Djibouti, dans un contexte d’influence renforcée de nos compétiteurs, et de pérenniser notre base aérienne à Al Dhafra (BA 104), notamment pour accompagner la montée en puissance de la flotte Rafale des Émirats arabes unis (80 appareils commandés).

3.   Le soutien aux exportations

Le soutien aux exportations est naturellement une autre composante fondamentale des missions de projection de puissance telles que Pégase. Ces missions constituent en effet une vitrine pour nos capacités Rafale/MRTT Phénix/A400M. Lors des escales valorisées, le déploiement de nos aéronefs suscite naturellement l’intérêt de nos partenaires.

Alors que l’exportation est devenue cruciale pour la pérennité du programme A400M, compte tenu des réductions de cibles de la France et de l’Espagne, le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace a ainsi rappelé lors de son audition devant la commission du 5 octobre 2023 combien cet aéronef avait été apprécié de nos partenaires, y compris ceux qui disposent d’aéronefs équivalents dans leur flotte.

Le rôle de l’armée de l’air et de l’espace pour valoriser les capacités de nos aéronefs est ainsi crucial dans une région où les perspectives d’exportations sont réelles.

Les exportations d’armements en indopacifique

Entre 2017 et 2022, le montant des prises de commandes dans la zone Asie-Pacifique s’est élevé à près de 8,3 Md€. Ces exportations accompagnent les objectifs stratégiques français dans cette région du monde, où la France a développé un maillage de partenariats structurants. Les principaux clients de nos exportations d’armement dans la zone sont l’Inde, l’Indonésie et Singapour.

L’Inde demeure un client export majeur de la France en matière d’armement. Dans la continuité des programmes emblématiques en cours tels que les 36 Rafale pour l’armée de l’air indienne ou les 6 sous-marins de type Scorpène, les annonces formulées à l’occasion de la visite du Premier ministre Narendra Modi en France le 14 juillet 2023, confirmant l’intention d’acquérir 26 Rafale pour la Marine indienne ainsi que 3 sous-marins de type Scorpène supplémentaires, offrent des perspectives prometteuses.

Avec l’Indonésie, la relation armement s’est particulièrement densifiée ces dernières années. Depuis 2017, le pays a en effet confirmé sa confiance dans les équipements français, en passant notamment des commandes additionnelles de canons CAESAR et d’hélicoptères H225M, en faisant l’acquisition d’avions de transport A400M ainsi que de radars de surveillance aérienne GM400, et devenant le deuxième pays de la zone Indopacifique (après l’Inde) à faire le choix de l’avion de combat Rafale. Les perspectives à court terme portent plus particulièrement sur le besoin en sous-marins de la Marine indonésienne (prospect Scorpène).

Singapour entretient une relation historique de longue date avec la France, des liens étroits ayant été tissés à la fois autour des coopérations en matière de S&T (Sciences et Technologies) de défense et des programmes d’armement. Depuis 2017, Singapour a passé commande auprès de l’industrie française pour s’équiper en missiles ainsi qu’en radars et a en particulier signé en 2022 des contrats significatifs pour équiper ses futures frégates MRCV. Les perspectives prochaines portent notamment sur la rénovation des frégates de classe « Formidable » de conception française et acquises en 2005.

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.


III.   L’ENJEU POUR L’AVENIR : FAIRE DE NOS BASES AÉRIENNES EN INDOPACIFIQUE DE VÉRITABLES VECTEURS DE PUISSANCE

La LPM 2024-2030 a fait de la « souveraineté outre-mer » une priorité, avec treize milliards d’euros de besoins programmés sur la période.

Il est nécessaire que ces fonds soient notamment consacrés, d’une part, au renforcement des capacités de nos forces de souveraineté en Indopacifique, et, d’autre part, à la modernisation de nos bases dans cette zone, pour que celles-ci deviennent des véritables points d’appui pour des projections de puissance.

Le patch outre-mer LPM 2024-2030

« Les forces de souveraineté disposeront de capacités de surveillance-anticipation développées, lesquelles amélioreront la couverture de nos territoires d'outre-mer et de leurs zones économiques exclusives, qui sont un impératif pour la nouvelle loi de programmation militaire. Les infrastructures permettant d'accueillir une montée en puissance des moyens aériens seront identifiées en amont en étudiant pour chaque site la possibilité de mettre en place des bases aériennes polyvalentes à fonction duale civile et militaire. Les capacités de commandement seront durcies et densifiées de manière ciblée en fonction des enjeux régionaux et leur résilience sera améliorée (communications, capacité d'influence). Nos forces de souveraineté bénéficieront d'un effort généralisé sur le plan capacitaire (protection, intervention et appuis, infrastructure) et constitueront un premier échelon renforcé immédiatement disponible (présence, protection et action humanitaire) afin de décourager toute tentative de déstabilisation ou de prédation. À titre d'exemple, afin de répondre encore davantage aux enjeux de souveraineté à Mayotte, 100 militaires supplémentaires (+ 25 %) seront appuyés par un nouveau moyen de transport amphibie. La capacité de surveillance et d'intervention en mer sera réalisée notamment avec une présence comprise de 150 jours jusqu'à 200 jours d'un bâtiment hauturier (type bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer, frégate de surveillance ou patrouilleur outre-mer) d'ici 2027. En matière d'infrastructure, étant donné la situation stratégique du Département de Mayotte dans la zone de l'océan Indien, un effort particulier sera consacré à l'aménagement des infrastructures portuaires. Les capacités d'intervention terrestres durcies seront plus réactives, et profiteront à l'horizon 2030 de la possibilité d'effectuer de l'aérotransport inter-théâtres avec la couverture permanente d'A400M dans l'océan Indien. En complément des patrouilleurs outre-mer, des bâtiments de soutien et des corvettes, un programme de navires de projection de force, de type BATRAL (bâtiment de transport léger), doit être envisagé pour disposer, lors de la prochaine décennie, de quatre unités stationnées dans nos outre-mer. En outre, le ministère des Armées s'engage à ce que nos forces de souveraineté maintiennent une présence continue dans nos territoires ultramarins et leurs zones économiques exclusives. Les actions de coopération régionale menées par les forces de souveraineté devront être coordonnées avec les politiques d'aide au développement conduites au sein de leur zone de responsabilité permanente ».

Source : LPM 2024-2030, rapport annexé.

 

 

A.   RENFORCER SIGNIFICATIVEMENT LES CAPACITÉS AÉRIENNES DE NOS FORCES DE SOUVERAINETÉ

1.   La nécessaire présence permanente d’A400M

Aujourd’hui, le déploiement d’A400M dans la zone Indopacifique est assez sporadique :  environ deux A400M par trimestre sont par exemple déployés à La Réunion, pour assurer la relève des troupes et du matériel, sans que les aéronefs restent sur la base, ne serait-ce que quelques jours. L’augmentation du format d’A400M à « au moins 35 » prévu par la LPM 2023-2030, bien qu’insuffisante au regard des besoins comme il a été vu, permettra d’affecter davantage d’A400M en outre-mer, et notamment en Indopacifique.

Alors que la brochure de présentation du PLF 2024 par le ministère des Armées évoquait le chiffre de cinq A400M dédiés à l’outre-mer ([41]), le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace a précisé lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées du 6 octobre 2023 que ces derniers ne seraient pas stationnés en permanence sur nos bases outre-mer, faute notamment de disposer des infrastructures de maintenance nécessaires. Quant au nombre de A400M déployés de façon régulière, la cible de cinq aéronefs a semblé très ambitieuse au général Mille, puisqu’il a évoqué comme objectif la présence permanente d’un A400M dans nos outre-mer d’ici à 2027.

Votre rapporteur comprend les contraintes inhérentes à l’installation permanente d’un A400M en matière d’infrastructures de maintenance lourde. En l’état, il est parfaitement exact qu’un A400M ne peut être l’objet d’une telle maintenance qu’en métropole. Cependant, la nécessité de réaliser le niveau de soutien industriel (NSI) en métropole n’empêche nullement de stationner des A400M sur nos bases en Indopacifique : à titre d’exemple, le NSI des deux Casa abrités par la base de Saint-Denis à La Réunion est effectué en métropole. Il suffirait donc de déployer sur les bases concernées des plots de maintenance légère permettant le soutien opérationnel au quotidien de l’A400M. En outre, votre rapporteur relève que cette problématique pourrait le cas échéant trouver une solution en fonction des perspectives d’export du A400M : si celui-ci était vendu aux Émirats arabes unis par exemple, on pourrait parfaitement imaginer que la maintenance lourde soit effectuée dans ce pays.

Votre rapporteur est convaincu de la plus-value susceptible d’être apportée par les A400M au bénéfice de l’activité de nos forces de souveraineté en Indopacifique.

Il suffit à cet égard de rappeler la diversité des missions de l’A400M et de l’A330 MRTT effectuées au profit des forces armées stationnées en Nouvelle-Calédonie (FANC) et en Polynésie française (FAPF) lors de la mission Pégase 23.

Le déploiement des A400M et MRTT au profit des FANC et FAPF dans le cadre de la mission Pégase 23

« En parallèle, l’armée de l’Air et de l’Espace déploie certains de ses avions de transport tactique et de ravitaillement en vol au profit de la préparation opérationnelle des forces armées prépositionnées en Outre-Mer. Un A330 MRTT Phénix et un A400M Atlas de la mission Pégase 23 ont été déployés au profit des forces armées stationnées en Nouvelle-Calédonie (FANC) et en Polynésie Française (FAPF).

Le 7 juillet, un A330 MRTT Phénix de la 31e Escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégiques (31ème EARTS) a parcouru 8000 kilomètres entre Guam et la Polynésie Française pour acheminer une compagnie du Régiment d'infanterie de marine du Pacifique – Polynésie Française (RIMaP_PF). À Hawaï, les troupes ont pris part à une semaine d’instruction avec les US Marines Corps. L’équipage de l’aéronef stratégique a effectué une escale sur la base hawaïenne d’Hickam, base de la structure de commandement du continuum d’exercices au sein duquel s’inscrit la deuxième phase de la mission Pégase 23.

Du 10 au 14 juillet, un A400M Atlas de la 61e Escadre de transport de la base aérienne (61ème ET) 123 d’Orléans s’est déployé de son côté sur la base aérienne 186 de Nouvelle-Calédonie. Le déploiement de l’A400M a permis aux unités parachutistes du Régiment d'infanterie de marine du Pacifique – Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC) de s’entraîner à des sauts en parachute en ouverture retardée depuis les portes latérales et la rampe arrière de l’aéronef.

Dans un second temps, l’A400M Atlas a transporté un détachement du RIMaP-NC ainsi que du fret vers Wallis. L’acheminement a permis de proposer une préparation militaire aux jeunes de Wallis et d’apporter de l’aide à la réalisation de travaux dans des villages. Le 17 juillet, une seconde rotation vers la Nouvelle-Calédonie a été assurée par un A330 MRTT Phénix au départ de Guam afin de transporter une compagnie du RIMaP-NC vers la ville de Cairns, en Australie, pour leur participation à l’exercice multilatéral TALISMAN SABER ».

Source : site internet du ministère des Armées.

A contrario, comme il a été indiqué, les capacités limitées des Casa CN235 limitent le périmètre de déploiement de nos forces de souveraineté, ainsi que l’a rappelé un précédent rapport : « les Forces armées en Polynésie française (FAPF) disposent également de deux Casa, ce qui reste suffisant pour un emploi au sein de la Polynésie française, mais nécessite, pour se déployer vers l’Ouest du Pacifique, plusieurs jours de transit et l’ouverture de points d’appui pour le ravitaillement. L’Est du Pacifique, et notamment les côtes américaines, est inaccessible par la voie aérienne avec les moyens précités » ([42]).

Enfin, à l’aune des capacités HADR (humanitarian assistance and disaster Relief) de cet aéronef, disposer d’A400M stationnés sur nos bases en Indopacifique constituerait un formidable vecteur d’influence, à destination notamment des pays de la région vulnérables aux catastrophes naturelles.

2.   La nécessaire présence permanente de drones et d’ALSR

Une densification de nos moyens de surveillance constitue également un impératif selon votre rapporteur, au regard des défis liés à l’immigration illégale, au trafic de drogues et à la pêche illicite.

Un précédent rapport parlementaire avait ainsi alerté sur l’insuffisance de capacités aériennes au regard des besoins de surveillance dans la zone, en prenant l’exemple des FAZSOI : « La mission de surveillance aérienne (lutte contre la pêche illicite et contre les atteintes à l’environnement) aux abords des îles Éparses est ainsi assurée à vue par les équipages du Casa lors du survol de ces îles à l’occasion de la relève des militaires présents en permanence sur trois d’entre elles. Cette relève ayant toutefois lieu de manière régulière, les pêcheurs, notamment malgaches, pêchant illégalement sur les eaux territoriales de certaines de ces îles peuvent facilement adapter leurs programmes de navigation en évitant les jours de passage estimés du Casa. Le seul survol du Casa n’apparaît donc pas suffisant pour assurer les missions de surveillance dans les ZEE de ces îles où la pêche illégale demeure un problème prégnant (notamment à Bassas da India). En appui, les FAZSOI bénéficient également d’un Falcon 50 M de patrouille maritime, qui apparaît toutefois plus qu’insuffisant puisqu’il n’est déployé dans cette zone que deux fois deux semaines par an, et dédie également une partie de son temps de présence à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte (…) Au regard des enjeux en matière de surveillance maritime de la zone, particulièrement concernée par la pêche illégale, l’immigration clandestine à Mayotte et la lutte contre les activités polluantes, une augmentation des capacités constitue une nécessité impérieuse » ([43]) .

Si capacités de la marine sont naturellement en première ligne pour assurer de telles missions, notamment à travers les futurs avions de surveillance maritime du programme Avismar, celles-ci pourraient être utilement épaulées par les aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace.

Alors que la collaboration entre l’armée de l’air et de l’espace et l’armée de terre est permanente (mission d’appui aux sols, transport des troupes…), les complémentarités entre les aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace, d’une part, et les bâtiments de la marine, d’autre part, ont été jusqu’ici trop peu exploités. Comme l’a dit un officier à votre rapporteur, on fait du « air land integration », il faut désormais faire du « air sea integration ». L’espace Indopacifique constitue à cet égard un terrain privilégié pour accroître l’interopérabilité et la complémentarité entre la marine et l’armée de l’air et de l’espace.

Il serait dans cette perspective opportun de positionner des drones MALE sur nos bases en Indopacifique. Les drones Reaper notamment ceux qui seront rapatriés du Niger, puis à terme l’Eurodrone, pourraient ainsi être utilement déployés à la Réunion ou en Nouvelle-Calédonie. La grande autonomie de ces drones, ainsi que leur capacité ISR seraient un véritable atout pour relever les défis liés à la surveillance des flux dans la région. Ils pourraient orienter l’action des bâtiments de la marine nationale et compléteraient utilement les mini-drones, à rayon d’action faible (50 km), qui auront vocation à accompagner les patrouilleurs outre-mer (POM). Outre l’adaptation des infrastructures, le déploiement de tels drones dans la zone nécessitera toutefois un accès accru aux bandes passantes, qui sont en pratique souvent monopolisées par les Américains. La constellation sécurisée Iris2 pourra éventuellement favoriser un tel accès.

Enfin, les avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) pourraient également constituer un atout pour consolider les moyens de surveillance dans la zone, en complément des moyens de surveillance maritime.

3.   La nécessaire modernisation des équipements existants

Le remplacement au plus tôt des Puma par des Caracal est une nécessité, au regard des missions des FANC en Nouvelle-Calédonie. Les besoins opérationnels de nos forces de souveraineté commanderaient également de revoir la réduction de cibles d’hélicoptères de manœuvre (de 36 à 32) prévue par la LPM.

Sur la base de Djibouti, il serait opportun, en termes de signalement stratégique, que des Rafale remplacent les Mirage 2000-5 actuellement déployés sur place.

Sur le segment spatial, le renforcement du segment sol à travers notamment la mise en place d’antennes de communication avec les satellites serait particulièrement utile, afin de renforcer la connectivité et accélérer la transmission des données.

Enfin, à l’horizon 2035, l’armée de l’air et de l’espace place beaucoup d’espoir dans le succès du projet de cargo médian tactique, développé actuellement dans le cadre du fonds européen de la défense, pour succéder aux Casa. Le format de cet avion serait en effet parfaitement adapté à la mobilité intra-théâtre dans les zones de responsabilité permanente (ZRP) des forces de souveraineté en Indopacifique. Il permettrait à nos forces de bénéficier d’une capacité d’emport supérieure non seulement aux Casa, mais également aux anciens C-160 Transall. Une telle capacité serait complémentaire de l’A400M en outre-mer, notamment pour assurer les besoins de transport de fret au quotidien et pour accéder à la moitié des pistes situées en outre-mer actuellement inaccessibles pour l’A400M.

4.   Le nécessaire renforcement des effectifs d’aviateurs

Au-delà du domaine capacitaire, il faut également mettre un terme à la baisse constante des effectifs de nos forces de souveraineté depuis plus de 20 ans.

Pour l’année 2024, « plus de 200 postes permanents outre-mer devraient être créés en 2024 dont une partie sera des aviateurs, avec notamment un effort à La Réunion » ([44]).

Selon les informations de votre rapporteur, il est prévu que l’armée de l’air et de l’espace bénéficie d’un renforcement de 80 aviateurs environ sur les bases aériennes outre-mer, dont 50 en mission longue durée, sur la période de la LPM 2024-2030.

C’est largement insuffisant, eu égard aux enjeux de la zone et aux réductions d’effectifs passées. Un réinvestissement massif est nécessaire, pour adapter nos effectifs aux priorités requises par l’évolution du contexte stratégique.

Il va de soi par exemple que les escales aériennes militaires devront être consolidées pour être en mesure d’accueillir sur les bases des déploiements plus fréquents d’aéronefs depuis la métropole. À titre d’exemple, l’EAM de la base de Saint-Denis à la Réunion ne compte que treize personnels (contre 200 sur la base d’Istres).

La nouvelle fonction stratégique « influence » promue par la revue nationale stratégique de 2022 devra également être au cœur de cette remontée en puissance des ressources humaines. Au sein des FASZOI, seul un réserviste est par exemple affecté à cette mission, alors même que les forces de souveraineté devraient être à l’avant-garde de la mise en œuvre de cette fonction stratégique, en raison de leur positionnement géographique.

B.   TRANSFORMER NOS BASES POUR ACCUEILLIR DES MOYENS DE PROJECTION DE PUISSANCE CRÉDIBLES DANS LA DURÉE

L’objectif de l’armée de l’air et de l’espace est d’être en mesure de recevoir des capacités de projection (Rafale, MRTT et A400M) de façon plus régulière qu’aujourd’hui.

Comme il a été indiqué, ces déploiements sont en effet à l’heure actuelle sporadiques et leur format est au surplus réduit. Ainsi, la base aérienne de la Réunion n’a eu l’occasion d’accueillir que deux Rafale et un MRTT en 2019 et 2022, dans le cadre de la mission Marathon. Or, pour être crédible opérationnellement, un déploiement de dix à douze Rafale, soit un demi-escadron, constitue un seuil minimal si une opération d’envergure se déclenchait. Quant à l’A400M, comme il a été indiqué, il effectue la relève du matériel et du personnel environ deux fois par trimestre, mais ne stationne pas sur la base.

La consolidation des capacités d’accueil de nos bases en Indopacifique requiert une montée en puissance de nos infrastructures opérationnelles. Celles-ci doivent être en mesure d’accueillir dans la durée des plots mixtes MRTT/ Rafale/ A400M, ainsi que des drones MALE et des ALSR, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

La condition préalable d’une telle montée en puissance est tout d’abord de résister à la pression sur le foncier qui s’exerce sur nos bases en Indopacifique, notamment de la part d’autres services de l’État (forces de sécurité intérieure, police aux frontières…), qui souhaiteraient s’emparer d’une partie de nos bases militaires pour leurs propres projets d’infrastructure.

Le développement des capacités de stockage des munitions est également crucial dans la perspective d’une crise majeure dans la région. L’existence de dépôts de munitions bien approvisionnés en missiles aéronautique de dernière génération (Meteor et Scalp notamment) et la création de hangars d’assemblage sur les bases aériennes de la Réunion et de Nouvelle-Calédonie constituent des prérequis pour accueillir de façon crédible des flottes de Rafale. Pour éviter la lourdeur des processus inhérents à la constitution de tels dépôts, ceux-ci pourraient être établis sous le régime « OPEX », conformément aux normes OTAN. De même, la mise en place de dépôts de réserves stratégiques de carburants F-34 renforcerait considérablement l’autonomie de ces bases.

Le dimensionnement des aires de stationnement constitue également une contrainte forte pour l’accueil de nos moyens de projection dans la zone. À titre d’exemple, le parking militaire de la base aérienne de Saint-Denis à La Réunion n’est susceptible d’accueillir aujourd’hui que six Rafale et deux A400M. Or, l’établissement d’une capacité accueil, sur un parking militaire, d’au moins douze Rafale doit être un objectif, au regard des exigences opérationnelles afférentes à une mission de projection de puissance.

Pour l’accueil des capacités telles que les A400M et les A330 MRTT, au regard des contraintes existantes, des accords avec les aéroports civils pourraient être conclus. Des zones de parkings et de hangars partagés avec l’aéroport civil de Tontouta pourraient également être utilement étudiées pour le MCO des aéronefs de la base 186 de Nouméa-Tontouta.

Les escales aériennes militaires, (EAM) qui constituent un maillon essentiel dans la logistique de ces bases, devront également voir leurs moyens renforcés pour être en capacité d’accueillir des projections de puissance plus fréquentes. À titre d’exemple, l’EAM de la base de Saint-Denis à la Réunion n’a pas de moyens logistiques propres pour décharger un MRTT. La construction d’un second hangar pour l’EAM est également nécessaire. En Nouvelle-Calédonie, a été livré en mars 2023 un nouveau bâtiment en capacité de traiter le fret et les personnels d’un avion de transport de type A400M.

Les systèmes de commandement et de contrôle de nos bases en Indopacifique doivent également être « durcis », pour être plus résilients en cas de crise. Cela nécessite par exemple de mettre les mettre au même standard que ceux existant sur les bases en métropole, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. La réhabilitation du PC crise, aujourd’hui totalement désaffecté, sur la base de La Réunion est ainsi urgente. La dépendance actuelle envers les moyens civils (radars) pour assurer le contrôle aérien des aéronefs déployés sur nos bases militaires en Indopacifique est également un véritable enjeu en cas de crise.

Enfin, la protection des bases doit également être renforcée, notamment lorsqu’y seront déployés des équipements aussi sensibles que nos Rafale ou nos A330 MRTT. À l’heure actuelle, les bases ne sont pas en mesure d’assurer sans renforts extérieurs la protection des aéronefs sensibles, qui a été largement déléguée à des réservistes. La dotation de véritables capacités de lutte anti-drone serait également opportune dans cette perspective.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le chantier est donc immense, car nos bases aériennes en Indopacifique ont trop longtemps été négligées. Mais ces travaux de remise à niveau sont impératifs : seule une telle transformation sera susceptible de faire de l’armée de l’air et de l’espace l’outil permettant à la France de devenir une véritable puissance de l’Indopacifique.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   AUDITION DE M. STÉPHANE MILLE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

La commission a entendu M. Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680), au cours de sa réunion du jeudi 5 octobre 2023 :

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, le général Stéphane Mille. Mon général, je vous souhaite la bienvenue pour cette nouvelle audition devant notre commission, que nous ne pouvons entamer sans avoir une pensée pour la mémoire du sergent-chef Nicolas Mazier, qui est tombé fin août en Irak, au cours d’une opération particulièrement engagée, au cours de laquelle quatre autres blessés ont dû être déplorés.

Mon général, nous vous accueillons aujourd’hui pour poursuivre notre cycle d’auditions consacré au projet de loi de finances (PLF) 2024. L’armée de l’air et de l’espace est bien entendu au cœur de plusieurs priorités de la loi de programmation militaire (LPM), qu’il s’agisse de la modernisation de notre dissuasion nucléaire et de sa composante aéroportée, ou du renforcement de la défense sol-air et du segment des drones. La LPM met l’accent également sur le développement des capacités spatiales de l’armée de l’air et de l’espace, notamment en matière de défense active, à la fois pour nous protéger, mais aussi pour agir dans l’espace. Elle confirme enfin la dynamique vers le « tout Rafale ». Les livraisons de Rafale représentent ainsi le premier poste budgétaire du programme 146 pour la durée de la LPM.

Mon général, vous reviendrez certainement sur la concrétisation de ces priorités au sein du PLF 2024, ainsi que sur l’engagement opérationnel des aviateurs, dont la mission Pégase a par exemple démontré l’excellence et l’importance stratégique. Au-delà des évolutions des capacités et des matériels, vous avez, lors de votre dernière audition devant cette commission en avril dernier, mis en exergue trois points d’attention : les ressources humaines ; l’activité – avec l’exigence d’augmenter le nombre d’heures de vol et la préparation opérationnelle de nos aviateurs – et les infrastructures, en particulier l’entretien des aires aéronautiques. S’agissant de ces trois enjeux, nous serions intéressés de savoir si le PLF 2024 s’oriente selon vous dans la bonne direction, afin de relever ces défis majeurs pour l’armée de l’air et de l’espace.

M. le général Stéphane Mille. Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, je souhaite débuter cette audition par la projection d’un film, afin d’illustrer la densité de l’activité de l’armée de l’Air et de l’Espace depuis la fin du printemps.

Un film est diffusé.

M. le général Stéphane Mille. Ces quelques images témoignent de l’actualité brûlante de l’armée de l’Air et de l’Espace durant l’été 2023. Il me semble effectivement que le PLF 2024 s’oriente dans la bonne direction, afin de répondre aux différents points d’attention que j’ai déjà évoqués devant vous. Je suis à présent prêt à répondre à vos questions.

M. le président Thomas Gassilloud. Votre vidéo est effectivement illustrative de la richesse opérationnelle de l’armée de l’Air et de l’Espace cet été, mais aussi de ses capacités de projection. La diversité des missions que vous assurez est notable, qu’il s’agisse des raids aériens, des dispositifs particuliers de sûreté aérienne (DPSA), véritables bulles de protection autour d’événements, ou des évacuations.

Je cède la parole aux orateurs de groupe.

M. Jean-Philippe Ardouin (RE). Mon général, permettez-moi de vous remercier au nom des députés du groupe Renaissance pour les échanges que nous allons poursuivre sur le projet de loi de finances pour 2024. Ce PLF s’inscrit dans la continuité de la LPM 2024-2030, qui prévoit 413 milliards d’euros de crédits. L’année prochaine, plus de 47 milliards d’euros seront fléchés sur la mission défense. Nous pouvons nous féliciter de ces montants ambitieux et inédits, qui ne cessent d’augmenter depuis 2017.

Nous avons l’occasion très régulièrement, dans nos circonscriptions, d’aller à la rencontre des militaires et des officiers sur les bases. À chaque fois, nous pouvons nous rendre compte de l’engagement de ces professionnels en faveur de notre sécurité. Je mesure très régulièrement l’excellence, la compétence et la passion des engagés de l’armée de l’air et de l’espace, notamment dans mon territoire, sur les bases de Saintes, Rochefort ou encore Cognac. Je tenais à le souligner.

Je voudrais aborder plusieurs points succinctement. S’agissant du matériel, l’exercice 2024 sera l’occasion pour l’armée de l’air et d’espace de recevoir, entre autres, deux avions de transport A400M, quatorze Mirage 2000 D et treize Rafale. Aussi pourriez-vous nous adresser un bilan des principaux besoins identifiés qu’il reste à satisfaire en matière d’aéronefs lors des prochaines années ?

S’agissant des infrastructures, le PLF marque également le lancement de l’opération d’accueil des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), ainsi que des personnels dédiés, pour créer un véritable pôle national de renseignement sur la base de Cognac. Quelles sont les attentes opérationnelles concernant ce pôle et quelles sont les perspectives de développement de celui-ci à moyen terme ?

Lors de votre audition l’année dernière à l’occasion du PLF 2023, vous rappeliez à juste titre que les forces matérielles ne suffisaient pas pour gagner et que le courage et la résilience des hommes, mais également de la société, étaient tout aussi importants. Ces propos avaient retenu mon attention ; comme l’ensemble de mes collègues de notre groupe, j’attache une grande importance au lien armée-nation, ainsi qu’à l’engagement de notre jeunesse.

De nombreux dispositifs ont été mis en place : des escadrilles air jeunesse permettant aux jeunes de s’impliquer dès 12 ans dans l’univers de l’aéronautique et du spatial ; le service national universel (SNU) ; mais également les réserves citoyennes et opérationnelles ; la journée défense et mémoire (JDM) ou encore les contrats d’apprentissage du ministère. Les objectifs en la matière sont ambitieux.

Dans ce PLF, 68 millions d’euros sont consacrés à la jeunesse, pour promouvoir la culture de la défense et ses métiers. Aussi, quelle est la feuille de route de l’armée de l’air et de l’espace pour développer et renforcer ce lien entre la société, notamment la jeunesse, et l’armée ?

M. le général Stéphane Mille. Je ne pourrai pas lister l’ensemble des matériels attendus lors des années à venir. Vous avez mentionné à juste titre les deux avions de transport A400M, les quatorze Mirage 2000 D et les treize Rafale. Nous pouvons y ajouter les commandes sol-air qui seront passées en 2024, dont quatre VL-MICA. La LPM précédente a d’ailleurs commencé à délivrer, comme nous pouvons le constater par exemple sur le tarmac d’Istres, à la fois en termes de matériels et d’infrastructures. L’escale du hub des armées y sera opérationnelle dans quelques mois. Les livraisons ont véritablement commencé il y a quelques années et elles vont se poursuivre.

Ensuite, la LPM se traduit concrètement par des commandes et des livraisons à hauteur de ce que nous attendons. Vous avez évoqué les ALSR et les personnels dédiés pour la mise en place du pôle national du renseignement, dont j’attends de nombreuses synergies. L’objectif consiste ici à pouvoir se faire une idée très précise de la situation grâce aux renseignements recueillis, pour éventuellement agir dans une boucle de plus en plus rapide. Le principe à l’œuvre est ici le suivant : quand les gens se connaissent, les actions deviennent plus rapides. Rassembler les acteurs de ce renseignement aérien représente un atout pour préparer le futur.

S’agissant de la résilience et de l’engagement de l’armée de l’Air et de l’Espace en faveur de la jeunesse, de nombreux dispositifs existent. Je suis allé inaugurer le week-end dernier la dix-neuvième escadrille air jeunesse (EAJ), à Avord. Nous y avions invité les cadets de la Royal Air Force (RAF), dont le dispositif est sensiblement équivalent à celui des EAJ, afin de pouvoir partager sur les modes d’organisation et d’encadrement. Je rappelle ainsi que les RAF Cadets rassemblent 44 000 jeunes.

J’étais hier à Saintes, où j’ai rencontré des jeunes de l’escadrille air jeunesse. Ce dispositif monte donc en puissance, une quarantaine d’escadrilles existeront en 2024. Ensuite, il s’agira de pouvoir augmenter la cadence de ce dispositif, qui rencontre un très grand succès, les demandes dépassant les capacités d’accueil.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous espérons que les évolutions budgétaires vous permettront d’être un des piliers de cette montée en puissance. Je précise par ailleurs que la commission se rendra à Saintes et à Cognac à la fin du mois.

M. le général Stéphane Mille. Le dispositif de Saintes est encore méconnu et je vous invite toutes et tous à visiter cette école, qui est extraordinaire. Elle rassemble des jeunes de 16 à 18 ans, qui ont la particularité d’être engagés ; ils sont militaires. En outre, ce dispositif est marqué par une extraordinaire réussite scolaire, puisque le taux de réussite au baccalauréat est de 100 %, dont 90 % de mentions.

Deuxièmement, 80 % d’une classe d’âge qui rentre à Saintes continue dans l’armée de l’Air et de l’Espace, ce qui constitue une grande réussite en matière de fidélisation et d’encouragement à la carrière, en ces temps où la compétition pour les ressources humaines est très élevée. En moyenne, un« arpète » - élève de Saintes - reste huit ans de plus dans l’armée de l’Air et de l’Espace qu’une personne rentrant directement à Rochefort pour effectuer son parcours militaire.

Encore une fois, compte tenu des contraintes et de l’environnement, cette école est vraiment singulière. Tous ceux qui la visitent en reviennent ébahis. Je vous encourage donc une nouvelle fois à aller la visiter.

M. Frank Giletti (RN). Mon général, permettez-moi, au nom de mon groupe, de m’associer aux propos du président sur la perte tragique du sergent-chef Nicolas Mazier. Ce drame nous rappelle que la mort n’est pas simplement une hypothèse dans le métier des armes, mais bien une réalité. Je veux également vous témoigner notre fierté après l’exercice Pégase, qui a fait rayonner la France, mais aussi l’armée de l’air et de l’espace à travers le monde, et plus particulièrement en Indopacifique.

La gestion de crise est inhérente au monde militaire. Nos armées n’échappent pas à ce constat et le retrait, encore un, de notre contingent de 1 500 hommes au Niger représente un défi de plus. La crise en cours appelle à réinterroger complètement notre politique en Afrique, notamment dans sa dimension militaire.

Pour l’armée de l’air et de l’espace, les enjeux sont immédiats, compte tenu du défi logistique qu’implique l’évacuation du Niger. Sur le moyen et le long terme, se pose également la question de notre capacité de déploiement au Sahel, d’autant plus que la vague de coups d’État pourrait continuer et encore affaiblir notre présence dans la région.

Ces retraits signifient que nous disposerons de moins de points d’appui, qui sont pourtant indispensables à l’armée de l’air et de l’espace pour la bonne réalisation de ses missions. Dans le cadre de cette audition budgétaire générale, les parlementaires doivent avoir l’assurance que l’armée que vous commandez dispose des moyens pour faire face à ces multiples défis. Au-delà de l’Afrique, la crédibilité de nos armées, comme la voix de la France et de sa souveraineté est également en jeu dans les choix politiques et économiques que nous effectuons.

Je pense notamment à la question de la souveraineté du cloud. Les choix récents de l’Allemagne quant à l’intelligence artificielle collaborative sur le système de combat aérien du futur (SCAF) la conduisent à s’appuyer pour partie sur une filiale allemande du géant américain IBM. Pourtant, Dassault a pour ambition de développer un programme de cloud sécurisé et souverain pour les projets de défense de nouvelle génération. Certes, les militaires n’ont pas à répondre des choix politiques français ou allemands. Mais le Rassemblement national tient à dénoncer ce renoncement idéologique et cette aberration.

Un autre enjeu de souveraineté porte sur le développement de la partie conventionnelle du standard du Rafale. D’éventuelles coopérations sont-elles envisagées et si tel est le cas, vont-elles garantir notre souveraineté alors que Rafale F5 a vocation à être le vecteur du nouveau missile de la composante nucléaire aéroportée, l’ASN4G, à l’horizon 2035 ? Dans ce cadre, des transferts de technologie seraient fatals à nos industries.

Par ailleurs, mon général, en tant que rapporteur du budget de l’armée de l’air, je souhaiterais obtenir une précision sur l’A400M. Dans la communication relative au PLF que nous avons reçue de la part du ministère, cinq appareils sont mentionnés dans la partie consacrée aux outre-mer. Selon la presse, ils seraient susceptibles d’être affectés à la couverture permanente de nos territoires ultramarins. Pouvez-vous nous fournir des précisions à ce sujet ?

Enfin, j’ai pu observer dans le projet annuel de performance (PAP) que vous allez contracter avec une société pour le Red Air. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelle sera cette société ? Quels seront les échéances et les coûts associés ? Ne s’agit-il pas d’un aveu de faiblesse ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je rappelle que les missions dites Red Air, consistent à livrer une opposition à nos pilotes dans le cadre de leur préparation au combat. Je rappelle que cette audition publique sera suivie d’une partie à huis clos, qui permettra de poser des questions plus spécifiques et d’obtenir des réponses plus circonstanciées.

M. le général Stéphane Mille. Monsieur le député, je pourrai répondre à votre question sur le Niger dans le cadre de l’audition à huis clos. Cependant, je peux vous indiquer que l’armée de l’Air et de l’Espace réfléchit depuis des années à des projections à distance. Les Caracal de l’armée de l’Air et de l’Espace sont ravitaillables en vol. L’armée de l’Air et de l’Espace a fait le choix d’agir loin, y compris avec ses hélicoptères. Nous effectuons régulièrement des missions qui nous permettent d’obtenir des effets à distance, en décollant depuis l’Hexagone. Ces missions peuvent concerner par exemple des sauts de parachutistes au milieu de l’Afrique ou des livraisons par air au départ de la métropole. Notre capacité d’action depuis l’Hexagone ne cesse de s’améliorer. Nous devons choisir et consolider nos points d’appui. À ce titre, nos outre-mer constituent une ressource extraordinaire, qui a d’ailleurs été mentionnée dans la LPM.

L’armée de l’Air et de l’Espace se place en situation d’agir à longue distance pour répondre à ces défis, dans tous les secteurs de jeu. À l’occasion de Pégase, des Airbus MRTT singapouriens ont décollé de Singapour pour ravitailler les Rafale français qui poursuivaient leur projection. Nous travaillons au quotidien pour être capables d’agir plus loin, plus vite, plus fort. Nous construisons un modèle qui nous permet d’être plus actifs à plus longue distance.

S’agissant du SCAF ou du Rafale F5, les questions de souveraineté sont évidemment essentielles, a fortiori lorsqu’elles concernent la dissuasion. Au sein du SCAF, le système d’armes de prochaine génération (NGWS) constitue la partie commune à la France, l’Allemagne et l’Espagne. De part et d’autre du NGWS, il existe une partie allemande – le FCAS – et une partie française à l’intérieur du SCAF. Chaque pays dispose donc de particularités. Dans le périmètre global de l’aviation de chasse de demain, il y aura des Rafale du côté français et des Eurofighter du côté allemand. Des systèmes doivent donc permettre d’échanger avec le NGWS. Les Allemands ont choisi d’utiliser IBM pour la partie allemande. Notre travail consiste à nous assurer que la liaison n’affectera pas les données de souveraineté de la partie française.

Mais nous avons l’habitude d’agir de la sorte. Le MRTT embarque ainsi des dispositifs de dissuasion, qui ne sont montés que lorsque nous réalisons une mission de dissuasion et qui sont retirés lorsque ce n’est pas le cas. En résumé, je ne suis pas très inquiet, mais nous serons naturellement attentifs, afin d’éliminer tout mélange de genre.

Ensuite, je suis ouvert à toutes les coopérations sur le développement du Rafale, dès lors que nous parvenons à faire converger les besoins opérationnels. Un certain nombre de pays utilisent le Rafale et ils sont naturellement intéressés par le développement d’un standard, lequel n’est pas exclusivement dédié à la dissuasion. La même logique que celle du MRTT s’applique ici. Le socle de base, qui porte sur la capacité d’autoprotection et de détection, sera amélioré et partagé avec un certain nombre de pays. En revanche, le Rafale comportera également des objets de la dissuasion, qui ne se seront pas partagés. Mais, ici aussi, je ne suis pas inquiet : nous savons gérer cette complexité.

Vous avez évoqué le Red Air. Nous devons gérer la fin de vie de l’Alphajet, qui réalise aujourd’hui un certain nombre de missions, dont des missions de Red Air. Nous avons fait le choix d’externaliser, au moins temporairement, cette fonction. Nous agissons de la sorte parce que nous sommes attentifs à la ressource humaine. Je préfère placer des pilotes dans un Rafale pour qu’ils se préparent à des missions de haute intensité et se concentrent sur le cœur de la mission. En revanche, certaines missions comme celle du biroutage, c’est-à-dire de traction d’une cible aérienne au profit de l’entrainement des pilotes de Rafale, peut tout à fait s’appuyer sur l’externalisation. Ce choix, pour l’instant temporaire, me semble raisonnable.

Enfin, l’ambition du rythme de montée en charge des A400M consiste à permettre d’être plus présents dans les outre-mer. À la fin de l’année 2024, nous disposerons au total de vingt-trois A400M, en sachant que l’objectif s’établit au minimum à trente-cinq en fin de LPM. En fonction du nombre d’avions disponibles, nous pouvons imaginer en disposer d’un plus grand nombre à l’extérieur de l’Hexagone, ce qui ne signifie pas qu’ils y seront stationnés en permanence. En effet, un stationnement permanent engendrerait des problématiques spécifiques de maintenance. En 2024, nous devrions pouvoir utiliser des A400M quinze jours par mois et demi dans nos outre-mer ; et à partir de 2027, l’équivalent d’un appareil présent en permanence, toutes choses égales par ailleurs, à situation stable. En revanche, il me semble très optimiste d’envisager d’avoir jusqu’à cinq A400M stationnés de manière permanente en outre-mer. Ponctuellement, cela pourra cependant être envisagé. Dans le cadre de la mission Pégase, ces avions étaient au nombre de quatre, répartis entre la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je ne reviens pas sur les questions qui ont été déjà posées par le rapporteur et qui étaient pertinentes, il me semble, au sujet d’IBM et de la ventilation des A400M. Malgré tout, je m’interroge sur la pérennité du programme A400M, qui est liée à la possibilité de le vendre à l’export, laquelle semble également nécessaire pour nous permettre d’atteindre nos propres cibles initiales. Pouvez-vous nous fournir des détails sur l’avenir de ce programme ?

Ensuite, de manière générale, la question de l’inflation se pose également. Dans quelle mesure êtes-vous impactés ? Quelles mesures de gestion devez-vous prendre pour y faire face ?

Par ailleurs, je souhaiterais obtenir quelques précisions sur un certain nombre de programmes. Dans le programme 178, l’activité des forces aériennes connaît un doublement des crédits, mais la ventilation entre les différents services n’est pas explicitée. Qui se taillera la part du lion ? Dans le programme 146, qu’en est-il des crédits ouverts en matière de maîtrise de l’espace et notamment le programme Oméga ? J’avoue humblement qu’Oméga ne me rappelle rien. De quel programme s’agit-il ?

Enfin, quelles sont les conséquences de la fusion entre Eutelsat et OneWeb sur le programme Iris2 ?

M. le général Stéphane Mille. La question sur l’A400M relève plus du délégué général pour l’armement (DGA) que du chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace. Cependant, je vais m’efforcer de vous donner quelques éléments de réponse. Les livraisons se poursuivront jusqu’à la fin de la LPM, en 2030. Certains pays sont intéressés par cet appareil et il n’est pas impossible que des commandes export viennent consolider la chaîne, qui est aujourd’hui dimensionnée par les commandes des premiers pays qui étaient intéressés.

Il est vrai que nous commençons à approcher la fin de la période de livraison telle qu’elle était prévue au départ. Désormais, plusieurs options sont possibles, comme ralentir la cadence ou proposer l’appareil à des pays étrangers. Je vous garantis que lorsque des responsables militaires de pays étrangers voient l’A400M atterrir, ils font part de leur vif intérêt et posent de nombreuses questions, y compris les responsables de pays ayant des capacités équivalentes aux nôtres. La découverte des aptitudes de cet appareil les laisse parfois pantois. J’ai par exemple discuté avec mon homologue japonais, qui dispose d’un avion équivalent, lors de l’exercice Pégase. S’il n’est pas particulièrement intéressé par l’achat de l’appareil, lorsque nous avons évoqué les capacités de l’avion, il m’a avoué que le nôtre avait une longueur d’avance sur le sien.

Vous avez évoqué également l’inflation. Le budget est en augmentation de 620 millions d’euros pour l’action 4 du programme 178, préparation des forces aériennes, pour atteindre 3,5 milliards d’euros cette année. Cette hausse, qui prend en compte l’inflation que vous évoquez, concerne deux grands domaines : l’évolution du coût des facteurs des matières premières, mais aussi l’augmentation du coût des carburants. Concrètement, sur les 620 millions d’euros, la moitié est consacrée à la compensation des hausses de prix en carburant et en matériel. Il s’agit pour nous de garantir une activité à nos personnels, qui doivent pouvoir s’entraîner pour continuer à s’engager dans l’ensemble de leurs opérations.

Par ailleurs, Oméga est un programme qui permettra d’améliorer la précision de Galileo, notamment en cas de brouillage. En outre, nous avons besoin d’une précision supérieure pour l’emploi des armements en particulier.

Le rapprochement entre Eutelsat et OneWeb a pour objectif de constituer un champion susceptible de répondre à un appel d’offres. Pendant la LPM, nous avons fait le choix de nous adosser à la constellation Iris2 pour une partie de nos besoins militaires. Notre idée consiste à utiliser les avantages et les inconvénients de toutes les orbites possibles en matière de communications satellitaires.

Les satellites en géostationnaire offrent des sécurisations supplémentaires, qui sont fixes. De leur côté, les constellations offrent une couverture mondiale et sont plus proches de la surface de la terre. Elles permettent donc des allers et retours plus rapides : il est important de ne pas perdre de temps entre la montée du signal et sa redescente. Demain, la victoire dépendra de notre rapidité dans le recueil de l’information, dans la prise de décision, dans la transmission de l’ordre et dans l’exécution de la mission. Il est donc essentiel pour nous d’utiliser l’ensemble des atouts qu’offrent à la fois le géostationnaire et les constellations en basse altitude. Tel est l’enjeu, selon moi, de ce rapprochement.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous étions mercredi dernier chez Eutelsat pour nous voir présenter cette évolution de deux constellations et l’articulation envisagée avec Iris2, qui portera peut-être des charges institutionnelles en plus des satellites commerciaux.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Avant d’en venir aux questions que je souhaite vous poser, je tiens évidemment à associer mon groupe et, je crois, la totalité de la représentation nationale, à l’hommage au sergent-chef Nicolas Mazier, qui est tombé en mission. Je souhaite en outre à remercier nos aviateurs pour l’ensemble des missions qu’ils accomplissent.

Comme vous le savez, lorsque nous avons trouvé avec le Sénat un accord dans le cadre de la commission mixte paritaire dès le début de la LPM, nous avions pris le parti de la cohérence et donc d’un taux de disponibilité et de préparation opérationnelle supérieur. Il a été décidé de ne plus rendre ces indicateurs publics pour des raisons opérationnelles que je peux comprendre. J’ai déjà eu l’occasion de raconter au ministre combien j’avais été frappé par le livre de l’amiral Woodward, One Hundred Days sur la guerre des Malouines, dans lequel il expliquait que la connaissance des taux de disponibilité lui avait permis de positionner ses défenses antiaériennes.

Cela dit, je souhaiterais que vous puissiez nous dire quel est l’effet réel de cet effort, à la fois en préparation opérationnelle, notamment en nombres d’heures, mais aussi en disponibilité du matériel, en lien avec une éventuelle amélioration du maintien en condition opérationnelle (MCO).

Ensuite, où en est notre programme Eurodrone ? Comment se développe-t-il ? Quel regarde porte l’armée de l’air et de l’espace sur le projet de drone Aarok de Turgis & Gaillard, qui bénéficiera apparemment d’un avenir commercial en Ukraine ? Comment peut-elle l’aider, le cas échéant ?

Enfin, dans les avions de transport intermédiaires, nos fameux Casa commencent à vieillir. Comment ferons-nous en attendant éventuellement le Futur Cargo Median (FCTM) sur lequel nous travaillons ?

M. le général Stéphane Mille. Vous avez rappelé les décisions en matière de diffusion des indicateurs sur le MCO. Nous avions émis un souhait, au moment où il était question de l’exportation des Rafale et du prélèvement des Rafale sur les stocks de l’armée de l’Air et de l’Espace. Je vous avais dit que, pour garantir l’activité des pilotes, nous devions augmenter l’activité de chaque Rafale. Nous l’avons fait : en 2023, nous sommes passés de 250 heures à 290 heures par avion et par an. Cette mesure ne remplace pas la totalité de l’activité aurait été générée par les Rafale prélevés, mais elle permet d’en compenser une bonne partie. Nous avons pu y parvenir grâce aux investissements en matière de MCO, puisque dès que vous modifiez une cadence, vous modifiez également un plan d’entretien. Il faut donc réorganiser la totalité du dispositif.

En termes de disponibilité, sans trop entrer dans le détail, nous avons enregistré globalement une hausse de disponibilité sur l’aviation de chasse et une légère baisse sur certaines autres flottes. Cet été, la hausse de disponibilité sur l’aviation de chasse s’est établie environ à 3 %. À cet égard, tout n’est pas lié à l’argent. L’amélioration de la disponibilité dépend certes du contrat, mais aussi de l’organisation du travail dans nos escadrons de maintenance aéronautique. Cet ensemble génère la disponibilité : sans les hommes, les sommes ne servent à rien.

La disponibilité est donc plutôt favorable sur la partie chasse, en partie parce que les marchés chasse sont les premiers à avoir été conduits. Ils commencent donc à bien délivrer et il ne faut pas non plus être trop impatient, même si un chef d’état-major est toujours impatient et estime que les délais de transition et de montée en puissance des marchés verticalisés sont trop longs.

Les travaux sur l’Eurodrone sont maintenant entre les mains des industriels. Je vous suggère de poser la question au DGA, qui vous répondra plus précisément sur ce point précis. J’attends de prendre connaissance des jalons pour m’assurer de notre bon positionnement sur la trajectoire envisagée.

S’agissant du drone Aarok de Turgis & Gaillard, je trouve la démarche intéressante. Le projet est séduisant sur le papier et le développement est réalisé sur fonds propres. Je suis prêt à « payer pour voir », si tant est que je dispose de la ressource suffisante.

Des études sont lancées sur le FCTM. Une étude est lancée pour voir s’il existe des besoins dans une communauté de pays propriétaires d’A400M pour un cargo plus petit. Je pense aux besoins en intra-théâtre ou en outre-mer. De fait, un A400M peut apparaître surdimensionné pour les besoins du quotidien en outre-mer. À l’heure actuelle, je discute avec mes homologues européens pour cerner les besoins. Ces besoins sont convergents avec certains pays, y compris des pays qui ne possèdent pas d’A400M. La fin de vie du Casa intervenant à partir de 2035, nous avons encore un peu de temps devant nous.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je souhaite à mon tour m’associer à l’hommage à l’aviateur décédé cet été. Je partage également vos propos : lorsque je me rends sur les bases aériennes, nous constatons bien leur transformation. L’armée de l’air et de l’espace se modernise et se restructure, au profit de la sécurité de la France. Je vous remercie de porter ces projets avec autant d’enthousiasme et d’engagement.

Vous avez déjà évoqué le MCO. Pour ma part, j’ai le sentiment que le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères peut être quelquefois un petit peu plus complexe et peut constituer un sujet de fragilité. Peut-être le confirmerez-vous ?

Mes autres questions portent sur les ressources humaines, parce qu’en définitive, au-delà des aéronefs, il y a naturellement des hommes et des femmes pour les faire fonctionner. À ce sujet, la fidélisation des mécaniciens a constitué une difficulté pendant de longues années. Dotés de compétences absolument indispensables, ils sont en effet souvent courtisés par les industriels, qui apprécient leur savoir-faire et peuvent leur offrir des rémunérations plus élevées.

Il me semble qu’une expérimentation a été menée sur la base de Mont-de-Marsan pour regrouper par aéronef un pilote et des mécaniciens attitrés, pour constituer une équipe, afin de donner à chacun, en particulier aux mécaniciens, un sentiment d’appropriation plus fort. Pouvez-vous nous détailler cette expérimentation, nous indiquer si vous y trouvez un intérêt et, si tel le cas, nous dire si cette structuration sera plus largement déployée, afin de favoriser la fidélisation de ces mécaniciens ?

Ensuite, il semble que les menaces soient de plus en plus prégnantes dans l’espace. Parvenons-nous à déployer des mesures d’observation et d’écoute suffisantes pour être de plus en plus pertinentes face à ces menaces ? Enfin, le déploiement du commandement de l’espace à Toulouse se réalise-t-il comme prévu ? Des retards doivent-ils être redoutés ?

M. le général Stéphane Mille. Vous avez évoqué certaines fragilités du MCO, en particulier pour les hélicoptères, qui demeurent un sujet de préoccupation. La flotte de Puma atteindra bientôt cinquante ans d’âge. Leur entretien est forcément plus compliqué. Je rappelle cependant que l’année 2024 verra la livraison du premier Caracal du plan de soutien aéronautique. Lors des années ultérieures, des livraisons nous permettront de récupérer seize appareils pour remplacer nos vingt Puma. Ces actions sont encourageantes pour la modernisation des équipements, mais également pour notre capacité à faire face à une maintenance complexe.

Enfin, nous entamons la phase de transition de matériel moderne vers nos hélicoptères. Je rappelle qu’il s’agit du seul mode de déplacement possible dans certains territoires d’outre-mer, où nous devons assurer deux missions : la posture permanente de sûreté (PPS) par hélicoptère et les transports dans nos outre-mer. L’année 2024 marque le début de la modernisation de cette composante et, je l’espère évidemment, de la remontée de la disponibilité. Nous surveillons ces éléments de très près.

Vous avez évoqué l’expérimentation du rapprochement entre les pilotes et les mécaniciens. Cette dynamique dépasse les simples escadrons à l’échelle locale. J’ai demandé l’application de cet état d’esprit à l’ensemble de l’armée de l’Air et de l’Espace lorsque j’ai pris mes fonctions. De fait, le rapprochement du pilote et du mécanicien constitue l’une des idées centrales du plan Altaïr, qui porte sur la transformation de l’armée de l’Air et de l’Espace. Il se traduit non seulement dans les escadrons de maintenance, mais aussi au sein de l’état-major. Au préalable, il existait par exemple une brigade de la maintenance et une brigade de l’aviation de chasse. Désormais, les deux ne font plus qu’une. Le chef des mécaniciens travaille avec le chef des pilotes, afin que tous parlent le même langage, quand auparavant, l’un parlait de mission et l’autre de disponibilité.

Une bonne illustration de l’effectivité de ce rapprochement est intervenue récemment à Nancy. Ainsi, nous avons pu, grâce à ce modèle, mobiliser la totalité des personnels sur un effort de maintenance en vue d’une activité simulée d’engagement dans la durée. Cette mobilisation a non seulement permis de relever la disponibilité des avions, mais de plus, nous avons tenu les objectifs de disponibilité beaucoup plus longtemps que l’exercice en lui-même. Ces résultats ne peuvent être obtenus que lorsque le pilote et le mécanicien essayent, ensemble, d’élaborer de nouvelles méthodes, pour remplir un seul objectif, la mission.

L’espace est un domaine de très grande activité, même si elle est peu visible. Cette activité se caractérise notamment par de très nombreux rapprochements d’objets, sur tous types d’orbites, en géostationnaire, mais aussi à toutes les altitudes. Ici, l’enjeu consiste aussi à protéger nos satellites et être avertis quand des objets se rapprochent. Mais plus largement, l’avenir concerne la mise en œuvre de la stratégie spatiale de défense, c’est-à-dire la défense active dans l’espace, de manière volontariste, en suivant les lignes directrices de la LPM en la matière. Il peut s’agir par exemple de satellites que nous pilotons.

Enfin, la montée en puissance du commandement de l’espace (CDE) est nominale. Nous poserons avant la fin de l’année la première pierre du bâtiment, qui sera livré en 2025, ainsi que le prévoit la LPM. Je rappelle que nous avons obtenu en 2023 l’homologation du centre d’excellence de l’OTAN, dont les premiers personnels sont arrivés en France et commencent à travailler. Le bâtiment de ce centre de l’OTAN sera situé juste à côté de celui du commandement de l’Espace, à Toulouse.

M. le président Thomas Gassilloud. J’ajoute que le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) de la base aérienne de Lyon-Mont Verdun déménagera vraisemblablement à Toulouse.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Mon général, mon groupe s’associe à mes collègues pour saluer la mémoire de l’aviateur décédé cet été.

Depuis votre dernière audition devant la commission l’an passé, nous avons voté la LPM et nous venons de recevoir il y a quelques jours les bleus budgétaires. Puisqu’un grand nombre de questions que je souhaitais poser ont déjà été abordées, je souhaiterais que vous puissiez évoquer les ressources humaines, et notamment les démarches que vous entreprenez pour recruter des jeunes. Vous avez déjà indiqué que les demandes excédaient les places disponibles dans vos écoles. Par ailleurs, je constate que, sur nos territoires, tous les jeunes n’ont pas forcément accès à des bases aériennes. Je pense notamment aux jeunes d’Île-de-France. Quels moyens envisagez-vous de mettre en place pour permettre à notre jeunesse de mieux découvrir ces écoles ?

Je souhaite également que vous puissiez aborder les Jeux olympiques 2024 et notamment le sujet de la bulle. Mais peut-être préférez-vous en parler lors de la partie à huis clos ? Je siège également à l’assemblée parlementaire de l’Otan où ce sujet de la bulle air-sol est fréquemment évoqué. Quelle est votre position à ce sujet ? Quel est le travail accompli par le commandement de l’espace en lien avec nos homologues européens, mais aussi au sein de l’Otan ?

M. le général Stéphane Mille. Je souhaite m’attarder un instant sur la question des ressources humaines, et notamment l’enjeu de la fidélisation, déjà évoqué par Mme la députée Darrieussecq.

L’armée de l’Air et de l’Espace est soumise à des enjeux de fidélisation, qui ne concernent pas uniquement les sous-officiers, puisque nous avons la chance de disposer de personnels très compétents et donc très demandés. La dispersion de nos talents, supérieure à celle que nous souhaiterions, nous oblige à recruter davantage. Mon problème ne porte donc pas sur le recrutement, mais sur le « sur-recrutement ». À titre d’illustration, je tiens à évoquer l’exemple de l’école de Rochefort. En 2014, l’école de Rochefort a recruté 700 sous-officiers, puis 1 400 en 2018. En 2023, elle en aura recruté 1 800. Cet exemple témoigne des adaptations permanentes de l’outil de recrutement et de formation que nous devons effectuer. Aujourd’hui, nous sommes au maximum des capacités disponibles en matière de formation.

Mon objectif consiste bien à réduire l’évaporation des talents. À cet effet, depuis quelques années, nous avons lancé un plan de fidélisation auprès de certaines spécialités très demandées, comme les mécaniciens, mais pas uniquement : les spécialistes des communications sont également très recherchés. Ce plan prend évidemment du temps pour monter en puissance, mais il est essentiel. Particulièrement orienté vers les conditions de vie et de travail, il a d’abord concentré ses efforts sur les nouveaux matériels livrés, mais il doit aussi porter sur l’autre côté de la piste, c’est-à-dire les infrastructures. L’objectif consiste à gommer l’image des bases aériennes « à deux vitesses ». Naturellement, les efforts entrepris ne règleront pas les problèmes en six mois, en un an ou même sur la durée d’une LPM. Mais ils doivent être constants pour rehausser le niveau général de nos bases aériennes.

Ensuite, ils doivent aussi prendre en compte les familles de nos personnels. Je pense naturellement au plan Famille 2, qui poursuit la démarche du premier plan Famille. Il s’attache à des éléments très concrets, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières. En additionnant ces éléments, nous allons pouvoir améliorer notre fidélisation. Je pense notamment à Mut’action, une offre sur-mesure d’accompagnement de la mobilité géographique en région parisienne. En effet, la mutation en région parisienne est souvent mal vécue par les personnels militaires. Cette offre vise précisément à mieux les accompagner dans leurs démarches de déménagement. Elle poursuit une politique déjà entamée il y a quelques années.

Un certain nombre de crédits sont dirigés vers la création de crèches et de facilités pour les familles, particulièrement lorsque le conjoint est en opération. Pour l’armée de l’Air et de l’Espace, cette démarche a abouti récemment à Mont-de-Marsan et se poursuivra en 2024 à Évreux. Nous cherchons également à plus impliquer les familles dans la vie des unités. L’hébergement et, évidemment, le logement, font l’objet d’un effort particulier. En 2024, des chantiers de construction de logements interviendront à Rochefort, à Orange, à Lyon, en plus des rénovations majeures à Tours et à Mont-de-Marsan.

Afin d’améliorer le recrutement, la direction des ressources humaines de l’armée de l’Air et de l’Espace est résolument entrée dans le XXIe siècle. Nous avons ainsi modernisé notre campagne de recrutement, en l’orientant bien plus vers les réseaux sociaux et les outre-mer, lesquels constituent un grand vivier de recrutement, notamment pour les militaires du rang. De fait, nous nous adaptons en fonction des bassins et des populations. Le DRH me dit par exemple que les premiers contacts de ses services avec les jeunes interviennent pendant leurs parties de jeux, entre minuit et quatre heures du matin.

De la même manière, nous adaptons la formation et mettons l’accent sur le numérique. Cette démarche est à l’œuvre dans toutes les écoles de l’armée de l’Air et de l’Espace. Accessoirement, elle nous a permis de tenir le rythme durant l’épisode Covid, grâce aux moyens numériques, à la formation à distance. Nous n’aurions pas pu y arriver devant un tableau blanc. Nous créons de nouvelles classes, en fonction des métiers que nous devons fournir, en particulier sur les systèmes numériques. Nous avons ouvert une classe de bac pro numérique l’année dernière à Saintes et nous ouvrons la deuxième cette année. L’objectif consiste ici à créer des viviers et à nous adapter, non seulement à la capacité de l’école, mais surtout aux besoins de l’armée de l’Air et l’Espace, pour pouvoir former aux métiers de demain.

Nous préparons les Jeux olympiques, en particulier à travers la lutte anti-drones. L’armée de l’Air et de l’Espace a en effet été désignée comme coordinateur global de la lutte anti-drones. J’estime que cette désignation est logique : la lutte anti-drones constitue l’extension par le bas de la posture permanente de sûreté aérienne, que nous dupliquons à une échelle plus petite et à une vitesse plus petite. Mais les mêmes mécanismes sont en jeu, puisqu’il s’agit de détecter, d’identifier et d’intervenir sur des objets qui n’ont pas à être dans un espace donné.

Aujourd’hui, nous testons cette lutte anti-drones avec les forces de sécurité intérieure, avec les armées, chacune ayant ses dispositifs. L’atout de l’armée de l’Air et de l’Espace réside dans sa capacité à organiser la chaîne de remontées d’informations, de prise de décision et de renvoi des ordres. Chacun apporte ainsi sa plus-value au système. Nous utilisons cette expertise actuellement à l’occasion de la coupe du monde de rugby, mais il faudra significativement franchir un cap pour les Jeux olympiques, d’un point de vue quantitatif.

Un événement comme le 14 juillet nécessite le déploiement d’une vingtaine d’heures de lutte anti-drones sur un seul site ; la coupe du monde de rugby, deux-cents heures sur neuf sites et les Jeux olympiques, quatre mille heures sur quarante-deux sites. Nous allons donc devoir procéder à un changement d’échelle, de manière à être efficaces sur l’ensemble des sites que nous devrons couvrir. Nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie en matière de détection et d’identification, y compris avec le système Parade, qui fait l’objet actuellement d’expérimentations pendant la coupe du monde de rugby. Nous disposons ainsi de brouilleurs de différentes tailles et nous développons des capacités d’intervention, soit à partir d’armes à énergie dirigée, soit à partir de laser, soit à partir de drones, qui eux-mêmes interceptent les drones qui n’ont pas à se trouver dans une zone donnée.

M. le président Thomas Gassilloud. Je suppose, mon général, qu’au-delà de vos spécialités d’aviateurs, vous aurez peut-être également des personnels au sol, dans des missions plus classiques, un peu comme vous le faites pour l’opération Sentinelle.

M. le général Stéphane Mille. La lutte anti-drones se double du déploiement de dispositifs sol-air, de mise en alerte d’hélicoptères soit au sol, soit en vol. Au total, plus de mille aviateurs seront mobilisés pour la durée des Jeux olympiques, indépendamment de la contribution de l’armée de l’Air et de l’Espace à d’autres missions de type Sentinelle.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Mon général, je vous remercie pour votre disponibilité auprès de cette commission. Je tiens d’abord avec gravité à m’associer à l’hommage rendu ici à l’aviateur décédé cet été, en adressant une pensée à sa famille, ses frères d’armes et ses proches. Je tiens également à vous dire que j’ai singulièrement goûté votre évocation des arpètes, qui évoquent bien sûr une mémoire riche à Brest. L’armée de l’air et de l’espace est bien présente en Finistère, notamment à travers le détachement air 928 de la base de Brest, communément appelé le Radar de Bretagne. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer chaleureusement ses remarquables personnels.

Je salue à mon tour la hausse des crédits pour 2024, dont 600 millions d’euros pour l’agrégat espace, ainsi que les investissements bienvenus à destination des infrastructures à Istres, Orange et Evreux et une augmentation significative du budget pour la préparation et l’emploi des forces. Vous avez d’ailleurs commencé à évoquer ce sujet en parlant des cibles et du MCO. Pouvez-vous nous fournir de plus amples détails sur votre vision de la préparation opérationnelle ? Ensuite, qu’attendez-vous concrètement des réserves, qui font l’objet de 20 millions d’euros de crédits supplémentaires, en termes d’emploi et de mission ?

S’agissant de l’espace, lors des débats sur la LPM, j’avais relevé un amendement du gouvernement qui concernait un démonstrateur. En tant que rapporteur du programme 144, je souhaite vous interroger sur l’avancée du programme sur le véhicule d’action dans l’espace en orbite basse et, plus généralement, sur la continuité stratégique entre haute altitude et orbite basse. J’ai également noté récemment une communication de l’Onera au sujet d’une maquette figurant un aéronef apte au vol hypersonique, qui me fait penser au projet russe Mikoyan PAK DP.

Enfin, ma dernière question est d’ordre plus général. Durant cette audition, il a souvent été question de l’A400M et donc du segment médian en termes de transport. Que pouvez-vous nous dire sur le transport stratégique, à la fois dans le cadre national et européen ? Nous avons dépassé les contrats Salis et les contrats avec des entreprises comme Antonov Design Bureau. Où en sont vos réflexions en la matière ?

M. le général Stéphane Mille. Un des éléments sur lequel j’ai insisté dans le cadre de la LPM concerne l’amélioration des moyens de simulation et la prise en compte de nos équipages dans la préparation opérationnelle, notamment pour la haute intensité. Dès 2024, nous disposerons de cabines pour réaliser des simulations massives en réseau. Une première capacité a été développée à Mont-de-Marsan, et nous allons maintenant la déployer sur l’ensemble des bases, le but consistant à mettre des pilotes en relation les uns avec les autres pour s’entraîner à des missions de très haute intensité.

Par ailleurs, le simulateur du MRTT a été livré à Istres. Il s’agit là d’un « bijou » unique au monde. J’estime que l’entraînement au ravitaillement en vol ne peut se faire qu’en vol, mais l’entraînement à la mission de protection du MRTT peut être effectuée avec des pilotes de Rafale aux commandes de simulateurs connectés à celui du MRTT. La simulation massive en réseau ne sera pas hyperréaliste en termes de rendu, mais elle permettra de développer des mécanismes que les uns et les autres construisent dans leur préparation opérationnelle.

Vous m’avez également interrogé sur les réserves. Je distingue pour ma part trois types de réserves. La première concerne la réserve de compétences, dans des métiers particuliers. Je pense notamment à l’espace, au cyber ou l’armement des centres de commandement. Le deuxième type de réserve est la réserve territoriale, c’est-à-dire une équipe, un escadron à la disposition du commandant de base pour renforcer le fonctionnement de sa base. Cette réserve peut réaliser des missions de protection de la base, d’organisation de l’activité et d’encadrement de la jeunesse qui vient sur la base. En résumé, il s’agit d’une réserve à la main du commandant de base, pour ses activités locales.

Le dernier objet constitue l’aboutissement ultime, une fois que nous aurons terminé la montée en puissance, avec la constitution éventuelle d’une base aérienne de réservistes. Puisque nous montons en pression, des réservistes dotés de compétences identifiées seraient regroupés sur une base. De tels réservistes pourraient intervenir lors d’exercices majeurs de l’armée de l’Air et de l’Espace. Nous envisageons donc la réserve comme une réserve de compétences, des réservistes venant remplacer sur nos bases aériennes les aviateurs qui sont projetés en opérations extérieures.

Ensuite, vous m’avez interrogé sur l’espace. La défense active dans l’espace constitue, comme je l’ai déjà dit, une des ambitions de la stratégie spatiale, qui figure dans la loi de programmation militaire. Le premier objet s’appelle Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile) et a vocation à être lancé le plus tôt possible. Nous faisons face à des problématiques sur les lanceurs en Europe et nous sommes en train de recaler les agendas pour pouvoir y parvenir. Dans ce domaine, notre priorité porte sur le lancement de CSO-3. Le travail effectué sur Yoda est en cours de réplication sur l’orbite basse.

Ensuite, la très haute altitude est une tranche comprise entre l’espace aérien utilisé au quotidien (jusqu’à vingt kilomètres) et le « début » de l’espace, c’est-à-dire un lieu où les objets sont en orbite. Or cette tranche est en plein développement. L’épisode du ballon chinois au sud des États-Unis en a fourni un exemple récemment, mais d’autres objets sont concernés, par exemple les planeurs hypersoniques. En résumé, cette tranche d’altitude est de plus en plus utilisée et l’armée de l’Air et de l’Espace y accorde une attention particulière. À ce titre, je remettrai dans quelques jours au chef d’état-major des armées une proposition de stratégie militaire pour cette très haute altitude.

Le transport stratégique représente également un enjeu de taille. Vous avez évoqué le contrat SALIS ; il s’agit de vieux appareils, dont nous commençons à éprouver la fin de vie. Cependant, le marché, aussi important soit-il, n’est pas suffisant pour justifier le lancement d’un programme nouveau. Nous devons donc sensibiliser un certain nombre de pays, afin de pouvoir créer une masse suffisante. Si nous n’y parvenons pas, nous ne pourrons pas progresser dans ce domaine. Nous disposons déjà des A400M et des MRTT, qui nous offrent une capacité de transport stratégique, importante et utilisable. Mais nous avons également des besoins exceptionnels pour des objets hors gabarit. Nous devons donc rechercher quels pourraient être les vecteurs utilisables. Or ils sont très peu nombreux.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez parlé des bases de réservistes. Le ministre nous a demandé d’être des « agitateurs d’idées ». À ce titre, je vous soumets une proposition. L’intérêt de ces bases de réservistes est d’être situées à proximité des bassins d’emplois. Or je constate que, dans notre pays, il existe trois grandes villes : Paris, Lyon et Marseille. Pour l’armée de terre, le 23e régiment d’infanterie, composé de réservistes, est installé à Paris. Marseille dispose de marins-pompiers. À Lyon est implantée la base aérienne 942, qui pourrait accueillir un jour une éventuelle base aérienne de réserve, que vous avez évoquée précédemment. La région lyonnaise bénéficie en effet d’un bassin d’emplois important.

M. José Gonzalez (RN). La posture permanente de sûreté aérienne représente une mission constante de la première importance de l’armée de l’air et de l’espace. Il s’agit d’un dispositif opérationnel, un service réalisé vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ayant pour objectif d’assurer la souveraineté de l’espace aérien français au moyen de trois missions principales : détecter plus de 12 000 avions qui survolent notre espace aérien ; identifier tous les appareils ; détecter et intercepter tout aéronef non autorisé dans le ciel national, dans un délai extrêmement court.

Pour répondre au triple défi du terrorisme, de la multiplication des drones et de la militarisation de l’espace, une nouvelle politique s’impose désormais. La LPM prévoit en ce sens une extension de notre posture permanente de sûreté aérienne à la lutte anti-drone et à la très haute altitude. Nous aimerions en savoir davantage sur la mise en place effective de cette mesure et si les moyens alloués par le PLF 2024 permettront d’y parvenir.

M. le général Stéphane Mille. Je vous remercie de le rappeler. La posture permanente de sûreté aérienne représente une des missions essentielles de notre armée et nécessite une forte réactivité.

Ensuite, l’armée de l’Air et de l’Espace n’a pas vocation à exercer une lutte anti-drone sur l’ensemble du territoire, puisque nous ne disposons pas des moyens humains et techniques pour abaisser le seuil de détection en tous lieux et ainsi détecter l’ensemble des drones qui survoleraient le territoire. Nous concentrons donc nos efforts sur des bulles de sécurisation que nous mettons en place lors d’événements particuliers, sur des points particuliers, et notamment les bases de la dissuasion. Nous allons prendre en compte cette mission de manière permanente, pour réaliser des duplications lorsque cela s’avèrera nécessaire ; mais je ne voudrais pas que l’on s’imagine que tous les drones seront identifiés et interceptés. Cette tâche est aujourd’hui hors de portée de l’armée de l’Air et de l’Espace.

Ensuite, comme je l’ai précédemment indiqué, nous réfléchissons à la très haute altitude et nous allons proposer une stratégie au chef d’état-major des armées. Jusqu’à présent, cette tranche d’altitude a naturellement été moins regardée que celle qui est couramment utilisée par l’aviation. Nous allons donc devoir défricher ce terrain, grâce à des moyens nouveaux en matière d’observation, de détection et, peut-être, demain, en termes d’utilisation.

Je rappelle que cette tranche d’altitude est très particulière et peu utilisée, dans la mesure où elle est difficile d’emploi. Il est en effet nécessaire de maîtriser des contraintes technologiques pour pouvoir y intervenir.

M. le président Thomas Gassilloud. J’observe que l’armée de l’air s’y prépare et qu’un colloque avait même été organisé il y a quelques mois.

M. le général Stéphane Mille. Je le confirme. Ce colloque avait d’ailleurs eu lieu bien avant l’épisode du ballon chinois.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Général, je souhaiterais connaître votre appréciation des menaces dans l’espace, particulièrement avec l’introduction ou l’arrivée d’acteurs privés comme Space X, qui peuvent mettre à mal la souveraineté étatique. Ce sujet peut d’ailleurs être lié à un autre domaine de la conflictualité, le cyberespace, lequel pose de nombreuses questions en matière de souveraineté. La souveraineté numérique, fréquemment évoquée, est-elle vraiment possible ou ne s’agit-il pas plutôt de choisir notre dépendance ? Nous manquons également de bases légales, notamment pour qualifier une cyberattaque comme une attaque armée. Comment appréciez-vous cet environnement de plus en plus compliqué ?

Ensuite, les débris se multiplient dans l’espace et ce sujet est lui aussi source de nombreuses préoccupations. Comment évaluez-vous cette menace ? Enfin, je m’interroge sur nos lanceurs. En 2022, l’Union européenne n’a effectué que 5 lancements, contre 190 pour les États-Unis. Sera-t-il réellement possible de combler notre retard ?

M. le général Stéphane Mille. J’aborderai une partie de vos questions dans la partie à huis clos. Vous avez évoqué la souveraineté, mais il faut également mentionner l’ensemble des capacités, qui sont très larges. L’espace est un terrain d’expression immense, et la position française consiste à disposer d’un cœur souverain qui n’est pas discutable. Mais autour de ce cœur souverain, il doit être possible d’interagir avec des opérateurs de confiance, bien sélectionnés, pour pouvoir travailler ensemble. En outre, nous pouvons nous appuyer sur le secteur commercial, pour obtenir la « masse » suffisante, et notamment une récurrence en matière de capacités d’images. Si un doute subsiste, nous pouvons toujours remonter vers l’opérateur de confiance ou le cœur souverain. En résumé, il m’importe de ne pas tout mélanger, le cœur souverain demeurant à mes yeux indispensable.

Les débris constituent un véritable sujet pour tous ceux qui utilisent l’espace, c’est-à-dire l’ensemble de la population. De fait, chaque jour, nous utilisons tous une application qui d’une manière ou d’une autre utilise elle-même l’espace. L’enjeu des codes de bonne conduite est à ce titre essentiel et fait l’objet de discussions, au même titre que la désorbitation des satellites pour éviter qu’ils ne provoquent des chocs qui seraient dramatiques. En effet, sur certaines orbites, un accident provoque à son tour des chocs en série. Chacun doit donc s’efforcer d’adopter une bonne conduite, considérant que nous sommes tous bénéficiaires des apports permis par l’espace. Chacun se doit donc d’être irréprochable dans l’application des règles que nous allons essayer d’instaurer.

Enfin, nous sommes effectivement dans une position délicate dans le domaine des lanceurs. J’espère que la situation s’améliorera le plus rapidement possible, afin que nous puissions effectuer de nouveaux lancements, car il est vrai que nous sommes aujourd’hui soumis à de fortes contraintes. Du point de vue militaire, nous devons absolument sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, afin d’être en mesure de tirer nos objets souverains. Ce retard ne date cependant pas de 2022 : depuis de nombreuses années, les Américains et les Chinois sont en avance sur les Européens dans ce domaine.

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie.

 

L’audition se poursuit à huis clos

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous entamons désormais la partie à huis clos de cette audition. Mon général, parmi les questions qui n’ont pas fait l’objet de réponses de votre part dans la partie publique de l’audition, j’ai notamment noté celles relatives au Niger et à l’espace.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Ma question rejoint peut-être celles qui ont été posées par d’autres collègues sur le Niger. Nous procédons au démontage des installations de nos forces sur place. De l’extérieur, nous percevons l’existence de quelques difficultés pour procéder à ce démontage, notamment en lien avec la fermeture de l’espace aérien nigérien. Que pouvez-vous nous en dire ? De quelle manière ces difficultés sont-elles gérées ?

M. le général Stéphane Mille. Vous avez reçu hier matin le chef d’état-major des armées, qui est le plus apte à répondre à ce type de questions. Je peux néanmoins vous indiquer que l’évacuation de la base de Niamey et de deux autres camps situés au nord de la capitale durera nécessairement plusieurs semaines, sinon plusieurs mois. Le Président de la République a annoncé que cette évacuation interviendra avant la fin de l’année, mais il s’agit d’un délai minimum.

M. le président Thomas Gassilloud. Je précise que la presse a fait état d’un démontage qui a débuté hier matin.

M. le général Stéphane Mille. Une telle opération nécessite du temps, ne serait-ce qu’en raison des flux logistiques. Sur le plan aéronautique, compte tenu du nombre de logisticiens sur place et des capacités du site, nous sommes confrontés à des limites pour l’accueil quotidien des A400M. Aujourd’hui, nous estimons qu’il sera possible de poser entre trois et quatre A400M chaque jour sur place. Cette capacité conditionne donc le rythme de sortie.

En tant que chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, ma priorité porte sur la sortie des objets à très haute valeur. Par exemple, cinq drones Reaper, trois Mirage 2000D et un A400M sont déployés à Niamey. Je rappelle par ailleurs qu’un appareil qui ne vole pas ne démarrera pas aussi facilement le jour où nous voudrons l’utiliser. Or ces appareils n’ont pas été utilisés depuis deux mois. Par exemple, les joints des circuits carburant ont probablement séché. Les mécaniciens devront donc travailler de manière intense. En résumé, certains avions ne seront pas en mesure de décoller le jour où l’espace aérien sera ouvert.

Le plan de sortie du matériel est affiné tous les jours, mais nous sommes confrontés à des contraintes globales – que nous n’affichons pas – sur la manœuvre de l’opération.

M. le président Thomas Gassilloud. Il faut également mentionner la contrainte afférente à la « bonne volonté » des Nigériens. Au-delà de l’espace aérien, le blocage de l’accès aux pistes doit être pris en compte.

M. le général Stéphane Mille. Vous avez raison. La contrainte d’accès n’est pas la plus grave, d’après moi. En revanche, des pick-up sont aujourd’hui installés tous les 200 mètres sur les taxiways, empêchant d’accéder à la piste. En réalité, le problème porte plus sur l’accord pour pouvoir rouler et décoller que sur l’espace aérien en tant que tel, à mon avis.

Ensuite, Madame la députée Thillaye, vous m’avez interrogé sur la menace dans l’espace et les opérateurs privés. Ces opérateurs sont désormais des facteurs de l’utilisation de l’espace, que nous le voulions ou non. Starlink est aujourd’hui sous investigation du Sénat américain, puisqu’il a coupé les flux au moment où ceux-ci intéressaient les Ukrainiens, qui voulaient mener des missions particulières. La question du contrôle des opérateurs privés est donc patente. C’est la raison pour laquelle je parlais, lors de l’audition publique, « d’opérateurs de confiance » : le secteur commercial poursuit ses propres intérêts, qui ne sont pas forcément similaires aux nôtres. Pour le reste, nous utiliserons les moyens disponibles, sans naïveté.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Pouvez-vous également évoquer les menaces ?

M. le général Stéphane Mille. Comme je l’ai indiqué lors de la séance publique, nous assistons aujourd’hui à des rapprochements de satellites.

Il s’agit pour nous de ne pas être inactifs dans le domaine spatial. La capacité de défense active consiste notamment à pouvoir répliquer aux actions des uns et des autres : si nous ne sommes pas acteurs, nos mesures passives seront insuffisantes, dans la durée.

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie.


—  1  —

II.   EXAMEN DES CRÉDITS

La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Frank Giletti, les crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces : Air » de la mission « Défense » pour 2024, au cours de ses réunions du 25 octobre 2023.

 

M. le président Thomas Gassilloud. L’ordre du jour appelle l’examen des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, de la mission Défense et du programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

En ce qui concerne la mission Défense, je rappelle que celle-ci comporte quatre programmes, dont l’un, le programme 178, Préparation et emploi des forces, correspond à une nomenclature budgétaire interarmées mais fait en plus, en ce qui nous concerne, l’objet de trois avis – forces terrestres, marine et air – pour nous permettre d’en assurer un suivi précis.

Nous allons entendre ce matin nos rapporteurs pour avis et continuerons cet après-midi avec les interventions des orateurs de groupe, puis l’examen des amendements et le vote des missions.

 

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces dans l’armée de l’air et de l’espace). Beaucoup, parmi vous, connaissent mon amour du rugby. Aussi, permettez-moi, à la différence de certains arbitres, de relever d’emblée les fautes du PLF pour 2024.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il ne respecte pas la LPM 2024 – 2030, du moins dans l’esprit. Il y a quelques mois, nous nous sommes battus de concert pour augmenter les premières marches de la trajectoire financière de la LPM. Nous avons considéré qu’il faut prévoir plus de moyens dès ses premières années, dans une seule finalité : garantir l’augmentation de l’activité et de l’entraînement de nos armées.

Pour ce faire, nous avons obtenu en CMP plus de 1 milliard supplémentaire sur la période 2024 – 2027. Pour que le Gouvernement comprenne bien le message, nous avons même ajouté une trajectoire précise, dotée d’indicateurs en heures d’entraînement de nos soldats, en jours passés en mer de nos marins et en heures de vol de nos aviateurs.

Nous avons aussi ajouté par amendement que « la préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024 ». Si nous nous sommes battus pour obtenir davantage de moyens afin de favoriser l’activité, si nous avons ajouté des objectifs précis pour la mesurer, c’est pour être en capacité de contrôler le respect par le Gouvernement de la volonté du législateur.

Est-ce le cas pour 2024 ? Je ne peux pas vous le dire, alors même que mon rôle de rapporteur consiste à donner un avis éclairé sur l’efficacité des moyens accordés à nos militaires. Le Gouvernement a décidé d’orchestrer une opération d’opacité inédite dans l’histoire récente de nos armées, en censurant, dans les documents budgétaires, les données relatives à l’activité des forces et à la disponibilité de nos équipements. Dans le PLF pour 2023, des tableaux détaillaient le nombre d’heures d’activité des forces et les taux de disponibilité des avions. Dans le PLF pour 2024, ces tableaux sont blancs.

Il s’agit pour moi d’un recul majeur de notre capacité à contrôler le budget des armées. L’entretien des flottes représente 70 % du budget de l’armée de l’air et de l’espace (AAE). Cette dépense a-t-elle été efficace ? A-t-elle permis d’accroître la disponibilité de nos avions ? Je ne peux pas vous le dire précisément.

En tant que rapporteur pour avis, j’ai certes eu accès à ces données désormais classifiées ; cet accès restreint à l’information a toutefois peu de valeur ajoutée s’il est limité à ma personne et si je ne peux en témoigner ni les analyser publiquement, ce qui est l’essence même du mandat d’un parlementaire, surtout s’il est chargé de rapporter un budget. L’un de nos rôles capitaux, en tant que parlementaires, est de veiller au bon usage de l’argent du contribuable.

Lors de l’examen de la LPM, de nombreux rapports ont été demandés au Gouvernement, non sans légitimité, par exemple sur la politique environnementale des armées ou les discriminations. Il est paradoxal que l’enjeu principal pour nos armées qu’est leur activité ne puisse faire l’objet d’un rapport étayé.

Je n’admets pas l’argument selon lequel ces données feraient le jeu de nos compétiteurs. L’US Air Force, qui serait en première ligne en cas de conflit, publie les taux de disponibilité de ses aéronefs. En vérité, cette censure n’est pas une requête de nos états-majors mais une décision politique. Sans capacité d’analyser en détail, nous jouons notre rôle d’agitateurs d’idées, celui-là même que nous attribue le ministre des armées, en vain.

Autre illustration de l’opération opacité du ministère : plus de 52 % des réponses à mon questionnaire budgétaire ont été classées en diffusion restreinte, contre 22 % l’an dernier. L’apport de la LPM aux capacités de l’armée de l’air ? Diffusion restreinte. Le soutien apporté par l’AAE à nos populations en Indopacifique ? Diffusion restreinte. Je pourrais citer des dizaines d’exemples similaires. Je le dis en commission faute, pour cause de 49-3, de pouvoir le dire en séance : cette dynamique vers toujours plus d’opacité, si elle est cohérente avec l’exercice du pouvoir macronien, est dangereuse pour le contrôle démocratique et, in fine, pour nos armées.

Le programme 178 alloue environ 3,5 milliards à l’AAE. La majeure partie est consacrée à l’entretien des flottes, qui absorbe 2,5 milliards en CP. En 2024, les crédits connaissent une hausse bienvenue de 21 %, supérieure à celle des crédits alloués aux forces terrestres – 16 % – et à celle des crédits alloués aux forces navales – 11 %. L’AAE bénéficiera de 620 millions de crédits supplémentaires.

Il convient toutefois de relativiser cette augmentation, qui devrait être absorbée par l’inflation dans une proportion allant de 50 % à 60 %. J’en donnerai un seul exemple. Le tarif de cession du carburant F-34 était de 512 euros par mètre cube en 2022. Il sera de 1 085 euros en 2024. En conséquence, plus de 422 millions sont budgétés pour le seul poste carburéacteur en 2024, soit près de 200 millions de plus qu’en 2023.

Autre élément important du budget 2024 : la conclusion prévue d’un contrat dit de RED AIR pour externaliser à un prestataire la simulation d’une force d’opposition dans le cadre d’exercices. D’après les informations qui m’ont été communiquées, ce marché portera sur 3 000 heures de vol, pour une durée d’au moins sept ans. Que l’AAE soit contrainte à une telle externalisation en dit long sur les capacités et le format de nos flottes.

J’en viens aux points de vigilance pour 2024.

Le premier est le format de nos flottes, notamment de l’aviation de chasse. Je plaidais l’année dernière pour la massification de celle-ci, requise par l’évolution du contexte stratégique. Je n’ai malheureusement pas été entendu.

La LPM 2019 – 2025 prévoyait 185 Rafale à l’horizon 2030. La LPM 2024 – 2030 n’en prévoit plus que 137, soit une réduction de cible de quarante-huit avions. S’agissant des A400M, la cible passe de cinquante à trente-cinq. Quant à notre parc d’hélicoptères de manœuvre, il passera de trente-six à trente-deux appareils.

Ces décalages et ces réductions de cibles auront nécessairement un impact sur le contrat opérationnel de l’AAE. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la LPM. Le ministre nous ayant reproché de ne pas avoir suffisamment abordé les contrats opérationnels de nos armées lors de son examen, je me suis penché sur le sujet. Malheureusement, mes craintes ont été confirmées. En raison des réductions de format et des décalages de cibles, l’AAE pourra mobiliser moins de capacités dans un conflit majeur que ce que prévoyait la précédente LPM.

Les chiffres du rapport annexé sont les suivants : quarante avions de chasse, contre quarante-cinq ; huit avions de transport stratégique, contre neuf ; quinze avions de transport tactique, contre seize ; deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) contre quatre ; deux systèmes de drones armés contre quatre. Toutes les capacités sont touchées. Telle est la réalité des chiffres derrière les déclarations des autorités sur l’adaptation à la haute intensité. L’AAE aura moins de moyens à engager dans un conflit majeur.

Mon second point de vigilance concerne les ressources humaines. Comme les autres armes, l’AAE ne parvient pas à respecter ses schémas d’emplois en raison d’un déficit de fidélisation.

Il faut contribuer au développement des écoles militaires, qui permettent non seulement de recruter mais aussi, comme l’a rappelé le général Mille lors de son audition, d’avoir des aviateurs plus fidèles à l’institution. La révision de la grille indiciaire est le deuxième élément clé pour fidéliser les troupes. Il faut consentir un effort massif dans ce domaine, sans toutefois aboutir à un tassement de la grille susceptible de décourager les sous-officiers, les officiers et même les officiers généraux, comme l’indique le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM).

J’en viens à la partie thématique de mon rapport, consacrée à l’AAE en Indopacifique. Si cette région est souvent traitée sous l’angle maritime, les capacités de projection de l’AAE, telles que démontrées par la mission Pégase, font de nos forces aériennes un véritable outil de puissance et d’influence pour la France.

Dans mon rapport, je milite pour un changement de paradigme complet pour nos forces de souveraineté en Indopacifique, à la hauteur des enjeux stratégiques de la zone. Longtemps, ces forces ont été négligées, car elles étaient considérées comme peu stratégiques. Les effectifs ont été réduits depuis vingt ans et leurs capacités, en nombre limité, sont clairement orientées vers le bas du spectre : pour l’AAE, des avions de transport Casa et des hélicoptères Puma dont la moyenne d’âge est 50 ans.

Il faut développer ces forces selon deux axes. Le premier est la consolidation de nos moyens permanents sur place. Je milite pour que des A400M, des drones et des ALSR soient positionnés de façon permanente sur nos bases en Indopacifique. Le second est le développement des infrastructures sur nos bases, pour y accueillir des forces de projection de puissance crédibles – au moins une douzaine de Rafale, accompagnés d’avions multirôles de transport et de ravitaillement (MRTT) et d’A400M.

Cela nécessite d’importants travaux de remise à niveau des bases en matière d’infrastructures opérationnelles, de dépôts de munitions, de hangars, de centres de commandement et de protection des emprises. Le chantier est immense mais nécessaire pour être une puissance qui compte en Indopacifique. Dans cette région, pivot du monde au XXIe siècle, la crédibilité de ses armes et le sort de la France sont en jeu.

Mme Caroline Colombier (RN). Dans le contexte d’augmentation croissante des tensions sino-américaines et de prétentions hégémoniques de la Chine que nous connaissons, la France se trouve confrontée à des limites capacitaires dans l’Indopacifique – expression évasive que nous récusons. Cette situation soulève des préoccupations sur la capacité de notre pays à assurer la sécurité de ses territoires d’outre-mer et à jouer un rôle significatif en cas de conflit dans la région.

Quels sont les axes prioritaires pour dimensionner l’AAE à ces enjeux, notamment dans le cadre de projection de puissance, de conflit ou de défense de nos territoires et de notre souveraineté, en particulier en mer de Chine du Sud ?

M. Frédéric Boccaletti (RN). L’année 2024 sera une année de rénovation pour les infrastructures dévolues aux forces aériennes. L’action 04 du programme 178 précise les efforts qui seront consentis dans le déploiement des infrastructures par une réactualisation des moyens, notamment en opération. Elle précise également que des travaux d’amélioration des installations concourant à la posture permanente de sûreté-air (PPS-A) seront effectués. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces points ?

M. Jean-Michel Jacques (RE). Les décalages que vous avez évoqués étaient prévus – ils ont fait l’objet de débats lors de l’examen de la LPM – par cohérence. Vous n’ignorez pas qu’avoir des moyens capacitaires ne fait pas tout. Il faut aussi un soutien logistique ainsi que des femmes et des hommes formés et suffisamment payés. Ce qui était en débat, c’était la cohérence de notre modèle d’armée.

La LPM offre à nos armées des capacités de renseignement, grâce à un investissement massif dans l’espace, ainsi que des capacités d’analyse et une liberté d’action. Ces choix représentent 413 millions de besoins programmés et cohérents.

Où trouverez-vous l’argent pour remettre en cause cette cohérence ? Prendrez-vous sur le budget de la santé, sur celui de l’éducation ou sur un autre ? Comptez-vous, comme les Insoumis, sur la lutte contre la fraude fiscale ?

M. José Gonzalez (RN). L’opération Orion a révélé des failles dans nos capacités satellitaires, notamment dans la gestion des flux, ce qui a gêné la communication et l’action de nos armées lors d’une phase de l’exercice. En dépit du déploiement de Syracuse IV, des efforts budgétaires significatifs sont indispensables. Que prévoit la LPM 2024 – 2030 sur ce point ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. S’agissant de notre montée en puissance en Indopacifique, il faut distinguer deux aspects complémentaires.

D’abord, il faut plus de moyens, et plus récents, sur place. Il faut rompre avec la logique consistant à réserver à nos outre-mer les moyens les plus rustiques ou les plus âgés. Un virage à 180 degrés s’impose. Nous devons nous persuader que les outre-mer sont des outils essentiels pour renforcer la présence et la puissance de la France dans cette région, pour protéger notre souveraineté et gagner en influence.

Les avions Casa de La Réunion et de Polynésie française sont de vieux avions qui n’ont pas l’allonge nécessaire pour remplir des missions de soutien, voire de surveillance. Yannick Chenevard a rappelé le manque de moyens pour assurer la présence de l’État en mer. Les Casa participent à la surveillance de la pêche illégale, mais les pêcheurs, malgaches le plus souvent, savent quand ils passent et échappent à leur surveillance. Quant aux hélicoptères Puma, dont la moyenne d’âge est 50 ans, ils ne sont plus adaptés aux missions.

Il faut aussi travailler sur la complémentarité entre les moyens aériens et ceux de la marine. Nous avons l’habitude du air-land integration ; il faudrait faire aussi du air-sea integration. Les outre-mer en général, et la zone indopacifique en particulier, sont le lieu idoine pour développer ce travail interarmées et la complémentarité des deux forces.

 Nos forces de souveraineté jouent notamment un rôle essentiel dans la lutte contre l’immigration illégale – voilà un début de réponse à votre question, monsieur Jacques, sur les moyens –, notamment à Mayotte. Elles préviennent également l’exploitation des fonds marins et des ressources de notre zone économique exclusive (ZEE), dont 93 % sont en Indopacifique.

Parmi les moyens plus modernes à installer dans la région figurent les drones de l’AAE, en complément ceux de la Marine. Les drones Reaper rapatriés du Niger pourraient être déployés à La Réunion ou en Polynésie, pour répondre aux besoins de surveillance. L’utilisation des ALSR en Indopacifique offrirait également une plus-value.

Outre ce renforcement capacitaire en moyens plus modernes et plus efficients, il faut que nos bases, qui ne sont pas des confettis d’empire, puissent accueillir dans la durée des opérations de projection de puissance, ce qui nécessite une transformation des infrastructures. Ce qui se fait de mieux dans nos armées pour échapper à la tyrannie de la distance, c’est le triptyque A400M-MRTT-Rafale. Or pour accueillir ces appareils, il faut des hangars et des soutes à munitions complexes telles que le système de croisière conventionnel autonome à longue portée (Scalp) ou le missile air-air à longue portée (Meteor).

Pour renforcer nos capacités de projection dans la région, il faudra aussi développer des points d’appui. C’est tout l’enjeu de l’exercice Pégase 2023, qui participe de la diplomatie aérienne : aller à la rencontre de pays de la zone appréciant notre position singulière et équilibrée, avec lesquels nous pouvons travailler. L’Indonésie, par exemple, pourrait être un point d’appui permettant de rayonner plus loin vers l’Est et vers la Polynésie.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Vous n’avez pas répondu à ma question. Comment financer les trous capacitaires que vous nous reprochez ? En récupérant l’argent de l’immigration à Mayotte, dites-vous. Pouvez-vous être plus explicite ? Il me semble intéressant que les gens qui suivent nos débats constatent que vous faites des promesses qui ne sont pas budgétisées, en prononçant des phrases qui n’ont aucun sens.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je répondais à Mme Colombier ; je vous répondrai ensuite.

Nous trouverons ensemble des pistes de financement, qui relèvent du débat national sur les économies, notamment sur l’immigration, la fraude fiscale, certaines coopérations et l’aide médicale de l’État (AME). Tout dépend de l’ambition que l’on nourrit pour la France. Nous défendons la vision d’une France puissance, ayant de l’influence dans la zone indopacifique, capable de défendre sa souveraineté dans sa ZEE ainsi que de lutter contre la pêche illégale et l’immigration.

J’en viens à la question de Frédéric Boccaletti sur les infrastructures en outre-mer. Le risque est de construire des bases à deux vitesses. Des moyens significatifs sont mobilisés pour l’accueil des nouvelles capacités de l’AAE, notamment le triptyque A400M-Rafale-MRTT. La base d’Istres-Le Tubé a bénéficié de moyens importants en 2023 pour développer les infrastructures capables d’accueillir les MRTT, notamment un second centre de maintenance et un centre de formation rutilant doté d’un simulateur de très grande qualité, ainsi qu’un terminal permettant d’accueillir 9 000 tonnes de fret et 100 000 passagers par an. Sur ce point, la LPM tient ses promesses.

Ce qui m’inquiète, c’est la situation des infrastructures existantes. Certaines pistes aéronautiques, notamment celles de Cazaux, de Solenzara et de Nancy, nécessitent de gros travaux de rénovation. Ils prennent du retard, car ils sont trop contraints par des normes environnementales ou sécuritaires. En dix ans, le coût de la rénovation a été multiplié par sept, pas seulement à cause de l’inflation.

Ces normes obèrent nos capacités de rénovation des infrastructures, d’autant que le seul budget en baisse, s’agissant des autorisations d’engagement, est celui de la sous-action Infrastructures aériennes de l’action 04 du programme 178. L’état des infrastructures n’est pas sans conséquence sur le recrutement et sur la fidélisation, qui sont l’enjeu majeur de demain pour nos armées. S’il y a deux niveaux d’équipement, les aviateurs et les mécaniciens travaillant sur les bases moins bien équipées se sentiront lésés.

Dans le domaine spatial, je regrette l’abandon, dans la LPM, d’un troisième satellite Syracuse 4C, qui avait pour vocation de répondre aux besoins de communication des plateformes aéronautiques ; je milite pour la mise à l’étude rapide du Syracuse 5. S’agissant du programme européen Iris2 – infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite –, le Retex de la guerre en Ukraine a mis en lumière des difficultés d’accès à certaines informations lorsque l’on dépend d’un acteur commercial. J’espère que la promesse de souveraineté sera tenue.

Le satellite CSO-3, qui accuse plusieurs années de retard en raison de l’indisponibilité de vecteurs de lancement, devrait être lancé fin 2024, sous réserve de la mise en service d’Ariane 6. Il faut d’ores et déjà se préparer à lancer son successeur, Céleste.

Par ailleurs, un effort important est consenti au profit du programme ARES et au développement du patrouilleur-guetteur Yoda, accompagné de son radar et de son centre de commandement. Des autorisations d’engagement de 1,2 milliard ont été budgétées pour ce programme, ce qui me semble un minimum, sachant que la maîtrise de l’espace est un prérequis pour acquérir la supériorité opérationnelle sur le champ de bataille. Demain, il faudra donner un coup d’accélérateur pour protéger nos capacités spatiales.

J’en viens à la question de M. Jacques. Je n’oublie pas que la précédente LPM était une loi de réparation, et qu’elle allait jusqu’en 2025. On peut donc légitimement estimer – c’est du reste la communication de la majorité – que nos armées ne sont pas totalement réparées. Je me contente de le pointer du doigt.

Il suffit de lire l’indicateur sur la « capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France », qui figure dans le rapport annuel de performances 2022, pour constater les capacités d’intervention de l’AAE sont les plus faibles des trois armes. Il est de mon devoir de le dire publiquement. Parce que je crois à la pertinence d’une AAE puissante, il est de mon ressort de dire que, en matière de capacités, la réduction et le décalage des cibles sont préjudiciables au contrat opérationnel.

Il est particulièrement éloquent que les contrats opérationnels de la LPM soient en retrait sur ceux de la précédente, alors même que celle-ci a été construite en 2017, dans un contexte international très différent du nôtre. Aujourd’hui, ça brûle aux quatre coins du monde et la nation doit faire un effort. En six ans, vous avez creusé la dette de plus de 600 milliards. Nous devrions parvenir à trouver des financements pour répondre aux besoins de l’AAE.

M. Jean-Michel Jacques (RE). N’oublions pas que nous avons doublé le budget de la défense nationale en quelques années. À la question de savoir comment budgétiser ce que vous promettez, vous répondez : par la lutte contre l’immigration et la fraude fiscale. Je trouve vos arguments un peu légers.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Vous avez trouvé ces moyens dans la LPM 2019 – 2025. Comptez sur nous pour les trouver dans la prochaine.

*

*     *

 

La commission en vient maintenant aux interventions des groupes politiques.

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, après la présentation ce matin des avis budgétaires de nos huit rapporteurs, l’ordre du jour appelle cet après-midi l’examen des missions Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation et Défense ainsi que du programme 152 Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

Mais avant de passer à l’examen des amendements et au vote sur chacune de ces missions, nous allons écouter les orateurs des groupes.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Pour la septième année consécutive, le budget de la défense est en augmentation.

En 2024, il s’élèvera à 47,2 milliards d’euros, conformément à la trajectoire adoptée dans le cadre de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, dite LPM 2024-2030. Il est supérieur de 14,9 milliards au budget de 2017 et de 3,3 milliards à celui de l’an dernier. La volonté du Président de la République, chef des armées, ainsi que celles du Gouvernement et du Parlement ont permis cette remontée en puissance significative.

Concrètement, l’impulsion donnée en 2017 a permis d’engager une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain. Elle a eu un impact positif sur le quotidien des militaires. Nous avons désormais un socle solide et cohérent.

Après le temps de la réparation de nos armées vient celui de la transformation. Objectivement, le budget 2024 suit le cap que nous nous sommes fixé.

Tout d’abord, il poursuit les efforts de modernisation. Il permet de renouveler et d’entretenir nos équipements, grâce à 13,6 milliards de commandes pour les programmes à effets majeurs (PEM) hors dissuasion et à 5,7 milliards pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) et d’importantes livraisons. En plus de satisfaire un besoin essentiel de nos armées, cela permet de soutenir notre tissu économique et d’ancrer progressivement notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre.

Ce budget garantit d’autres investissements participant au renforcement de notre autonomie stratégique, dans notre dissuasion nucléaire, pour rester crédibles, et dans des domaines hautement stratégiques tels que le spatial, les fonds marins, le cyber, le renseignement, les sphères informationnelles et l’innovation, afin de donner à nos armées des capacités de renseignement, d’analyse et d’action dans les champs hybrides, matériels et immatériels.

Par ailleurs, le budget 2024 profitera directement au quotidien des militaires, grâce notamment aux moyens mis en œuvre pour parfaire l’équipement du combattant et sa préparation opérationnelle, pour renforcer le plan « famille » à hauteur de 70 millions d’euros et pour améliorer la politique salariale.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation, l’attention que nous portons au monde combattant ne faiblit pas. La nation sait ce qu’elle doit à ses combattants. Sans surprise, les droits acquis par nos anciens combattants seront maintenus en 2024.

Il en ira de même des moyens alloués à la politique de mémoire. Ce budget de 1,8 milliard est dû au fait que 2024 sera une année importante pour la transmission de notre mémoire nationale, par le biais notamment du cycle de commémoration des 80 ans des débarquements et de la Libération, pour la mise en œuvre du plan Blessés 2023-2027 d’accompagnement des blessés et de leurs familles, ainsi que pour le renforcement du lien nation-armée et armée-jeunesse.

La mission Gendarmerie nationale bénéficie de 6,3 milliards dans le projet de loi de finances pour 2024, afin de continuer à assurer au quotidien la sécurité de nos territoires. Nous nous réjouissons de la création de 238 brigades de gendarmerie, dont deux seront dans ma circonscription, à Guidel et Bubry. Si nos gendarmes sont rattachés depuis une quinzaine d’années au ministère de l’intérieur, ils conservent toute leurs militarité, qui est importante pour notre République.

Ce qui est certain et dont nous devons continuer à nous porter garants, c’est que la nation n’oublie jamais ceux qui se sont engagés pour sa défense. N’oublions jamais ces femmes et ces hommes que leur engagement amène parfois, sur ordre, à donner la mort ou à aller jusqu’au sacrifice suprême.

En responsabilité et avec confiance, le groupe Renaissance votera ces trois budgets.

Mme Caroline Colombier (RN). Les auditions menées dans le cadre de l’examen pour avis du projet de loi de finances pour 2024 ont fait émerger un constat unanime : le monde est de plus en plus dangereux et il est marqué par le retour de la logique de confrontation. Nous avons donc la responsabilité d’adapter la dimension de notre outil de défense aux conflictualités que notre pays connaîtra. Même si cela n’est pas une fatalité, la trajectoire mondiale amènera probablement notre pays à s’impliquer dans des conflits qui ne seront plus choisis, mais subis.

L’adaptation aux défis et le dimensionnement de nos armées exigent l’exécution fidèle de la LPM 2024-2030. Le projet de loi de finances pour 2024 traduit les efforts demandés sur sa première marche, ce que nous saluons. Nos soldats, marins et aviateurs attendent beaucoup de nos travaux, dont nous espérons qu’ils ne seront pas parasités, en séance publique, par un énième 49.3. Si tel était le cas, nous comptons sur la présidence de cette commission pour y intégrer les amendements des oppositions, qui révèlent les points morts du budget à venir.

Car des points morts et des points de friction, il en existe.

Nous reparlerons des crédits alloués à certains projets de coopération internationaux, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système principal de combat terrestre (MGCS), dont nous sommes convaincus qu’ils sont voués à l’échec diplomatique et industriel. Il serait salutaire d’y mettre fin au plus vite. L’aveuglement idéologique dont procèdent ces projets peut coûter cher au modèle d’armée que nous devons ériger au profit de la France et des Français. Dans ces grands projets, la priorité est de faire confiance à nos industriels, qui sont capables de miracles et contribuent, eux, à la défense active de notre souveraineté.

Nos amendements tenteront de révéler et de remédier à des manques capacitaires cruciaux. Ils viseront notamment à relancer la filière de munitions de petit calibre, ce qui semble ne trouver aucun écho au sein de la représentation nationale alors même qu’il s’agit d’un sujet essentiel, à sortir de la logique de flux tendus par la reconstitution de stocks stratégiques, à renouer avec une logique de masse, à faire remonter en puissance le service de santé des armées (SSA), à intégrer le drone volant à moyenne altitude et de longue endurance (MALE) Aarok dans nos programmes, à augmenter la rémunération des militaires, à étoffer les services de MCO pour éviter de recourir à l’externalisation, à acquérir un A400M supplémentaire, à rénover les infrastructures de défense – bref à donner à nos armées les outils pour qu’elles soient prêtes dès ce soir, pour reprendre le mot du chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT).

En responsabilité, nous voterons les crédits de la mission Défense, en cohérence avec notre vote sur la LPM 2024-2030, même si nous déplorons certains points morts.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous espérons qu’elle donnera lieu à la revalorisation du point de la pension militaire d’invalidité (PMI), afin de réparer une injustice notoire des budgets successifs. Les hommes et les femmes qui ont tout sacrifié pour notre pays méritent la reconnaissance de la nation. Alors même qu’ils ont combattu pour la France, ils subissent de plein fouet la vague d’inflation.

À l’unisson des associations que nous avons reçues, nous dénonçons la très faible revalorisation de la PMI, à hauteur de 1,5 %, prévue par le Gouvernement dans le budget 2024, alors même que l’inflation était de 5,2 % en 2022. Un amendement de notre groupe prévoit une revalorisation à hauteur de 5,2 %. S’il n’est pas intégré au budget, nous nous abstiendrons.

Sur les crédits du programme Gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons également. Nous jugeons, comme les Français, que l’augmentation du budget et les récentes annonces de création de brigades ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les émeutes de cet été nous inquiètent au plus haut point, d’autant qu’elles ont touché de plein fouet des petites communes habituellement calmes.

L’augmentation prévue ne suffit pas. Ces efforts sont insuffisants face à l’explosion de la délinquance, de l’immigration incontrôlée et de la prolifération de la drogue partout, même dans les campagnes. Toutefois, pour éviter de paralyser les moyens alloués à la gendarmerie nationale, nous nous abstiendrons.

La guerre n’est plus une hypothèse théorique. Elle constitue désormais un risque avéré. La France doit être indépendante, forte et souveraine dans ses équipements, dans sa doctrine d’emploi et dans sa vision stratégique.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). « La guerre est le domaine de l’incertitude », disait Clausewitz. L’enjeu est de réduire l’incertitude pour accroître ses chances de victoire.

Le budget de la défense que nous avons devant nous est un colosse par son montant et par son contenu. Il l’est plus encore par comparaison avec les précédents budgets qui, au nom de l’austérité et de la rationalité comptable, ont continuellement limé le glaive et émoussé le bouclier de la République.

En dépit de ce déversement de fonds et de mesures, nous devons nous demander si ce budget est à la hauteur des enjeux. Permet-il de dissiper la brume de l’incertitude qui règne sur le champ de bataille ? Au groupe de La France insoumise, nous pensons que non. Ce budget est un colosse aux pieds d’argile.

Le budget 2024 de la défense s’élève, hors pensions, à 47,2 milliards. Il respecte l’augmentation de 3,3 milliards prévus par la LPM 2024-2030. Les budgets de tous les programmes sont en augmentation. C’est un fait.

Toutefois, les prévisions d’inflation y sont minorées. Tous les responsables de programme que nous avons eu l’occasion d’auditionner témoignent de leur crainte que leur budget soit absorbé par l’inflation, dont certains redoutent qu’elle atteigne 10 %. Nous avons déposé des amendements visant à mieux tenir compte de l’inflation et à créer un nouvel indicateur pour recenser et mieux anticiper les reports de commandes qu’elle induit.

Ce budget souffre d’un manque de transparence. Les indicateurs de disponibilité des matériels et d’activité des forces armées font désormais l’objet d’une diffusion restreinte. Dès lors, la représentation nationale est en partie privée de ses outils pour contrôler l’action du Gouvernement, ce que nous déplorons. La contribution de la France à l’OTAN, quant à elle, n’est même pas présentée visiblement dans le projet annuel de performance (PAP), comme l’a relevé la Cour des comptes dans un récent avis.

Outre un manque de transparence, nous relevons un manque d’anticipation. La contribution au budget de l’OTAN pourrait s’élever à 830 millions d’euros en 2030, alors même que la France ne cesse de contribuer en nature au fonctionnement de l’Alliance, notamment par le biais de sa participation aux opérations de renforcement du flanc est de l’OTAN.

Comment cette contribution est-elle valorisée ? Quel financement de l’OTAN voulons-nous obtenir ? Avons-nous seulement une stratégie au sein de cette alliance qui n’a plus lieu d’être ou suivons-nous les États-Unis ? En l’absence de vision claire du Gouvernement sur ce point, nous avons déposé un amendement visant à obtenir un rapport sur la stratégie d’influence de la France au sein de l’OTAN.

Nous déplorons le manque de vision globale sur le long terme dont fait preuve le budget 2024, qui prévoit une stratégie « Climat et défense » mais n’explicite rien de concret, concernant notamment l’après-pétrole. Nous dressons malheureusement le même constat dans le domaine de l’espace, dont certains défis, tels que la météo spatiale et les débris spatiaux, sont oubliés.

En outre, ce budget persiste dans les errements de la coopération franco-allemande sur le SCAF et le MGCS, dont l’avenir reste plus qu’incertain. En misant tout sur le MGCS, la France s’expose à un risque sérieux de dépendance industrielle vis-à-vis de l’Allemagne et d’inadaptation de ses armées si elles étaient amenées à participer à un conflit majeur avant les années 2040-2045. Il est indispensable de développer une capacité souveraine telle que le char EMBT.

Faute de vision à long terme, ce budget ne permet pas de sécuriser l’appareil productif français dans des secteurs stratégiques tels que les supercalculateurs – l’entreprise Atos sera-t-elle sauvée ? – et la maîtrise des fonds marins, pour laquelle nous dépendons de l’entreprise Alcatel Submarine Networks (ASN). En refusant d’agir maintenant, la France risque de perdre pied et de rater la marche de la guerre de demain.

La mission Défense du projet de loi de finances pour 2024 soulève une question centrale, d’ordre à la fois démocratique et budgétaire, concernant la qualification juridique et le financement des missions opérationnelles, notamment les missions Aigle, en Roumanie, et Lynx, en Estonie. Ces missions remplissent tous les critères d’une opération extérieure (Opex). Les militaires qui y sont engagés bénéficient de presque toutes les dispositions applicables aux Opex, sauf de la bonification des pensions, ce qui n’est pas rien.

Pourtant, elles sont considérées non comme des Opex, mais comme des missions opérationnelles. Leurs dépenses de ressources humaines sont affectées au budget opérationnel de programme (BOP) Opex, ce qui apparaît comme un abus ; les autres dépenses sont financées directement par les armées. Elles pourraient – peuvent – bénéficier d’un financement interministériel inscrit au collectif budgétaire de fin d’année.

Outre le contournement démocratique évident du Parlement qu’elle constitue, cette situation provoque des tensions en gestion sur le programme 178 de la mission Défense. Nous avons déposé des amendements visant à assurer le financement des opérations Aigle et Lynx dans le cadre des Opex. Il s’agit d’assurer la sécurisation budgétaire des armées et de rendre sa place au Parlement, qui doit se prononcer sur leur opportunité.

Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, nous défendrons des amendements visant à améliorer la prise en charge des blessés psychiques et à étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale et par les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

L’argent est le nerf de la guerre, nous en convenons, mais la stratégie en est le cœur. Sans stratégie cohérente ni vision globale, l’apport financier est vain. Ce budget, si imposant soit-il, ne permet pas à la France de dissiper le brouillard de l’incertitude. Nous voterons contre.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le monde incertain dans lequel nous vivons et la nature même de la guerre nous plongent dans le fameux brouillard de la guerre de Clausewitz. Tout ce que peuvent faire un État ou une commission parlementaire, c’est essayer de trouver les solutions les plus adaptées pour faire face aux menaces qui peuvent se présenter.

Pour évaluer le budget et faire notre choix, nous suivons une règle que nous appliquons à la vie publique dans son ensemble : la cohérence. On ne peut pas voter une loi de programmation militaire et ne pas voter, quelques mois plus tard, le premier budget qui correspond à ce qu’elle prévoit à l’euro près. Ce n’est un scoop pour personne : notre groupe votera ce budget, d’autant que les choix stratégiques dont il procède nous semblent globalement cohérents.

Il assure la dissuasion, laquelle est le cœur du cœur. La sécurité de la France est à ce prix. La dissuasion, c’est la défense de nos intérêts vitaux. Tous les groupes, sauf ceux qui la refusent, auraient prévu des investissements similaires pour la financer.

Le reste procède d’une forme de pari. Il ne faut pas oublier que la défense est globale. Elle ne s’apprécie pas séparément de la situation économique du pays. Opter pour une défense forte et un pays surendetté, à la merci de ses créanciers, n’est pas une solution.

Dans la situation économique que nous connaissons, le pari est assez raisonnable. Il consiste à assurer la dissuasion à 100 % et à consentir des efforts pour la préparation de l’avenir dans la cohérence, notamment sur les segments maritimes – le rapporteur pour avis des crédits de la Marine nationale a rappelé ce matin à quel point les enjeux maritimes sont essentiels – et aéroterrestres.

Nous ne serons probablement pas engagés dans un conflit majeur dans les années à venir, du moins dans le cadre de l’OTAN, et nos alliés, notamment les Polonais et les Allemands, sont en premier rideau. Nous devons tenir notre rang de nation-cadre au niveau corps d’armée. Ce n’est pas le fantassin français qui tiendra le front de l’Est. Telle est la conséquence de ce budget, qui fait preuve de cohérence à l’aune des menaces probables, dont l’évaluation est la base de toute politique de défense.

Ce vote n’est pas un quitus. Nous nourrissons plusieurs inquiétudes, s’agissant notamment des coopérations internationales, dont notre groupe soutient la nécessité mais sans naïveté. Il faut être très vigilant et s’assurer qu’elles ne coûtent pas plus cher, qu’elles ne nous font pas perdre des actifs stratégiques, qu’elles correspondent aux besoins de nos armées et surtout que nous conservons notre liberté de manœuvre au grand export. Nous préparons une proposition de résolution visant à garantir par traité ces attendus, pour conjurer le risque que nos partenaires, notamment les Allemands par un vote du Bundestag, ne puissent défaire ce qui aurait été décidé dans les négociations entre les exécutifs.

Par ailleurs, nous serons vigilants pour que les marges budgétaires un peu augmentées que nous avons obtenues en commission mixte paritaire (CMP) à la demande de notre groupe et sur lesquelles nous sommes tombés d’accord se traduisent par de véritables effets sur la disponibilité opérationnelle des matériels et sur le taux d’entraînement de nos troupes. Nous ne sommes qu’au début de cette manœuvre : l’avenir nous permettra d’en juger.

Sans hésitation, notre groupe votera ce budget.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Au nom du groupe Démocrate, je salue l’effort budgétaire prévu par le projet de loi de finances pour 2024 en faveur de nos armées. Les crédits des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, ainsi que ceux du programme Gendarmerie nationale, traduisent très concrètement notre volonté d’achever la réparation et de poursuivre la transformation de nos armées, de soutenir au mieux nos soldats ainsi que leurs familles, et d’honorer la mémoire de ceux qui se sont battus pour la France.

Je rappelle, car certains ont l’air de l’oublier, que le budget 2017 de la défense était de 32,7 milliards. En 2024, il sera de 47,2 milliards. La marche était haute. Tout le monde peut s’accorder à dire que notre nation a consenti un effort considérable, certes nécessaire.

Les lois de programmation militaire sont là pour donner une vision à long terme. Contrairement à M. Lachaud, je pense que nous en avons une. Les nécessaires transformations et surtout adaptations aux menaces de nos armées sont bien comprises par nos armées, par le chef d’état-major et par la stratégie qu’il met en œuvre.

Nous devons continuer de privilégier la cohérence à la masse. Le budget pour 2024 des armées met l’accent sur la préparation opérationnelle, sur le MCO, sur le renouvellement des équipements et sur l’amélioration des conditions d’entraînement. Nous n’ignorons pas la nécessité de s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouveaux milieux de conflictualité. Ce budget prévoit aussi des investissements importants dans des domaines clés des conflits de demain, tels que le cyberespace, l’espace, les fonds marins et le renseignement. Nous avons une vision d’avenir et de l’évolution des conflits concrète et réaliste.

Nous saluons également les efforts consentis pour le soutien aux soldats et à leurs familles. Notre groupe est très attaché au plan « famille ». Nos armées ne sont opérationnelles qu’avec des hommes et des femmes. Ils doivent vivre leur engagement, avec leurs familles, dans de bonnes conditions. Nous sommes très attachés au plan « famille 2 », auquel le budget alloue 70 millions.

Nous voterons ces crédits, qui nous semblent indispensables à nos armées.

J’appelle l’attention sur la nécessité de poursuivre la construction de l’Europe de la défense avec nos voisins. Le conflit en Ukraine nous a rappelé notre fragilité potentielle. Si nous optons pour l’émiettement, si chaque pays vit dans ses frontières avec ses seuls moyens, il sera difficile de maîtriser un conflit. Seule l’Europe de la défense peut y parvenir. Elle est un objectif vers lequel nous devons tendre, même si le chemin est long et difficile, même si les intérêts des uns et des autres sont parfois contraires. Nous devons nourrir cette vision à long terme avec force.

Le budget de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation est un bon budget. Il assure un équilibre entre reconnaissance et réparation. Il permet d’améliorer le plan Blessés 2023-2027, au bénéfice notamment des blessés psychiques, dont la prise en charge, qui a été un angle mort de notre politique pendant de très nombreuses années, est désormais tout à fait identifiée. Nous devons accompagner ces personnes avec beaucoup d’attention.

Par ailleurs, 2024 sera une année commémorative importante. Des crédits significatifs ont été prévus. Les crédits consacrés à la politique de mémoire sont essentiels. Nous voterons les crédits de la mission Anciens combattants mémoire et Liens avec la nation.

Les crédits du programme Gendarmerie nationale sont en hausse de 4,8 %. Ils permettent la création de 1 045 emplois et servent deux ambitions pour l’année 2024 : la participation des gendarmes à la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, où ils seront en première ligne, et la création annoncée de 200 brigades. Des points de fragilité subsistent, s’agissant notamment des infrastructures. Nous serons vigilants mais n’en voterons pas moins ce budget sans difficulté.

Mme Anna Pic (SOC). Trois mois après l’adoption de la LPM 2024-2030, nous sommes réunis pour examiner le premier budget visant à mettre en œuvre la trajectoire budgétaire et la vision stratégique entérinée à cette occasion. Si, comme lors de l’examen de la LPM 2024-2030, nous ne pouvons que saluer l’augmentation des crédits et le suivi de la trajectoire programmée, notre sentiment général est partagé.

Satisfaisants à certains égards, les budgets des missions Défense et Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation n’en sont pas moins contestables. Le groupe Socialistes et apparentés fait part de divergences de vision s’agissant de la répartition des crédits et des choix effectués.

S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation, plusieurs points saillants démontrent les limites de ce budget.

En premier lieu, la revalorisation du point d’indice de la PMI à hauteur de 1,5 est loin d’être suffisante compte tenu de l’inflation. D’une même voix, les représentants d’associations d’anciens combattants que nous avons auditionnés la semaine dernière ont exprimé, avec force et solennité, leur inquiétude à ce sujet. En effet, l’inflation attendue cette année devrait s’élever à 5,8 %, en augmentation par rapport à 2022, et risque de rester supérieure à 3,5 % pendant de longs mois. L’inquiétude teintée d’amertume de nos anciens combattants est parfaitement légitime. Le Gouvernement doit faire beaucoup mieux à cet égard. Nous défendrons une proposition visant à évaluer l’opportunité d’une concomitance entre la valeur du point PMI et celle du point d’indice de la fonction publique.

En deuxième lieu, malgré un budget en hausse, les crédits alloués à la vie commémorative semblent sous-évalués. En effet, 2024 sera l’année du quatre-vingtième anniversaire du débarquement en Normandie. Les commémorations afférentes, si importantes soient-elles, risquent d’absorber à elles seules, dès le mois de juin, l’enveloppe budgétaire. Il ne s’agit pas de remettre en cause ces crédits ni la nécessité de commémorer cet événement singulier de notre histoire, mais, bien au contraire, de souligner la faiblesse du budget global à l’aune du contexte. Le sous-dimensionnement des autres commémorations risque d’être inévitable, ce qui laissera aux collectivités locales, dont les finances sont bien souvent exsangues, le soin de les financer. Nous ne pouvons pas accepter cette situation.

En troisième lieu, nous déplorons la non-attribution du statut de blessés de guerre aux vétérans ayant participé aux essais nucléaires en Polynésie française et dans le Sahara, alors même qu’ils sont victimes de maladies radio-induites. Il s’agit d’un angle mort majeur. La réparation financière dont bénéficient ces vétérans doit être attribuée au titre de blessures subies dans le cadre de leurs fonctions militaires et non en tant que civils.

Nous défendrons d’autres amendements, visant notamment à la mise à jour de la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant et à la modification de l’âge à partir duquel certaines allocations sont octroyées. De façon globale, nul besoin d’être économiste pour comprendre qu’une stabilité des crédits alloués dans un contexte inflationniste signifie une baisse de budget.

En dépit du déploiement, salué et auquel nous sommes très attentifs, des maisons ATHOS et de plusieurs mesures que nous attendions, nous ne voterons pas le budget de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation.

S’agissant de la mission Défense, plusieurs points méritent une attention particulière.

Le premier d’entre eux n’est pas sans incidence sur nos militaires en exercice et sur notre politique de recrutement : il s’agit de la politique de rémunération. En dépit de la prochaine finalisation de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et de la récente revalorisation des grilles, le rééquilibrage du traitement indiciaire et indemnitaire des militaires est longtemps resté un impensé de la politique gouvernementale.

Les informations nous manquent pour être convaincu qu’une prise de conscience a eu lieu. Compte tenu de la réduction du nombre d’Opex et des salaires pratiqués dans le secteur privé, un tel rééquilibrage est pourtant la mesure la plus appropriée pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation de nos troupes.

Le deuxième point sur lequel nous souhaitons appeler l’attention est le bâti, notamment la vétusté de nos bases de défense et la baisse considérable du budget relatif aux infrastructures de santé. Les difficultés récurrentes, dénoncées par la Cour des comptes dans un rapport publié en juin dernier, ne semblent pas près d’être résorbées. La remise à niveau complète des hôpitaux militaires est pourtant essentielle pour le SSA.

Le troisième point ayant appelé notre attention est l’augmentation du budget des écoles militaires de 3 % seulement, alors même que l’inflation est supérieure à 5 %, et même très supérieure sur leurs principaux postes de dépenses que sont l’énergie et l’alimentation.

D’autres points nous ont interpellés, notamment le projet de fusion de l’école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) Paris et de l’ENSTA Bretagne, dont les deux diplômes ne jouissent pas d’une reconnaissance au même niveau. Nous serons vigilants à l’évolution de ce projet.

Par ailleurs, en dépit d’une hausse importante des crédits, nous nourrissons des doutes sur la préparation opérationnelle. Comment satisfaire aux critères de l’OTAN si l’on manque d’hommes et de matériel pour réaliser la préparation ?

Sur ce budget, nous nous abstiendrons.

La mission Sécurités a été érigée par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) en étendard. Le groupe Socialistes et apparentés estime, comme l’an dernier, que la réforme territoriale de la police nationale risque d’affaiblir les capacités de la police judiciaire. Par ailleurs, le budget pour 2024, pas davantage que le précédent, ne prévoit aucun équivalent temps plein (ETP) supplémentaire pour la sous-action 06.01 Formation de la police nationale. Nous proposerons d’en augmenter les crédits de 100 millions.

Nous voterons contre les crédits de la mission Sécurités.

M. Loïc Kervran (HOR). Au nom du groupe Horizons et apparentés, je tiens à exprimer notre profonde satisfaction de l’augmentation substantielle du budget de nos forces armées. Pour l’année 2024, notre pays consacrera 47,2 milliards à sa défense, soit quasiment 50 % de plus que ce qu’il dépensait en 2017 et 3,3 milliards de plus que l’année dernière. Il s’agit d’une augmentation sans précédent.

Cet accroissement budgétaire est en parfait accord avec les objectifs de la LPM 2024-2030. Plus profondément, il est aussi en accord avec nos obligations morales.

Notre première obligation morale est envers les hommes et les femmes qui servent ou ont servi la France. Clemenceau a eu, au sujet des anciens combattants, ce mot célèbre et souvent cité : « Ils ont des droits sur nous ». Nos devoirs envers ceux qui défendent la France et ses valeurs de nos jours ne sont pas moindres. Nous devons leur fournir un équipement individuel et des véhicules qui les protègent efficacement, leur donner les armes et le renseignement leur assurant la supériorité et la victoire, et mieux les rémunérer. C’est ce que fait ce budget.

Notre deuxième obligation morale est envers les Français. Le monde dans lequel nous évoluons est dur et dangereux, chaque jour un peu plus. Les autres pays s’arment, mettent à l’eau des flottes, constituent des stocks de munitions. La guerre est là en Ukraine, en Arménie, au Mali, en Israël ; l’agressivité contre la France et ses intérêts, quotidienne. Nous n’avons pas le droit de ne pas nous donner les moyens d’assurer la sécurité des Français.

Ce budget renforce nos capacités dans tous les domaines prioritaires identifiés par la LPM 2024-2030. Nous allouons des ressources considérables à l’innovation, à l’espace, à la défense sol-air, aux drones, au cyber, aux forces spéciales, au renseignement et à la souveraineté outre-mer : autant d’investissements essentiels pour maintenir à niveau notre sécurité nationale et notre rôle sur la scène internationale.

En 2024, grâce à ce budget et à la mobilisation de nos industriels, il y aura plus d’avions, plus de canons, plus d’hélicoptères, plus de drones, plus de munitions. J’en donnerai deux exemples, offerts par deux entreprises présentes dans le département du Cher, qui contribue tant à la défense de notre nation. L’année prochaine, huit canons Caesar sortiront chaque mois des usines de Nexter, contre deux en 2022, et MBDA fabriquera bientôt quarante missiles Mistral par mois contre vingt jusqu’à présent.

Ce budget permet de renouveler l’engagement de la France dans une collaboration étroite avec ses partenaires européens et de l’Alliance Atlantique. Nous nous félicitons du maintien du soutien financier de l’État aux programmes de coopération bilatérale et européenne visant au développement de nouvelles technologies d’armement, tels que le SCAF et le MGCS.

L’encouragement aux initiatives diplomatiques dans le domaine de la défense doit se poursuivre. Nous saluons la coopération militaire lancée cette semaine avec l’Arménie. L’investissement continu dans notre dissuasion nucléaire est lui aussi fondamental, car il constitue le pilier de notre souveraineté nationale et une garantie supplémentaire de l’autonomie stratégique de l’Europe.

En examinant ce budget, nous ne devons pas oublier le caractère profondément humain de l’action du ministère des armées. Nous nous réjouissons de la mise en œuvre du plan « famille 2 », des moyens dédiés à la modernisation des infrastructures et des lieux de vie des militaires, ainsi que des efforts du ministère en matière de logement et d’environnement.

Convaincu que ces ressources sont essentielles pour garantir la sécurité de notre nation, renforcer notre position sur la scène internationale et soutenir nos militaires ainsi que leurs familles, le groupe Horizons et apparentés votera les crédits de la mission Défense.

Nous voterons également les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation. Je tiens à partager ma satisfaction de constater que les crédits de cette mission dédiée seront stables en 2024, en dépit de la baisse tendancielle du nombre de bénéficiaires de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG). Le plan Blessés 2023-2027 permettra une prise en charge et un suivi toujours plus poussés des soldats, dès leur retour de mission ou d’Opex.

Par ailleurs, l’année 2024 sera riche en commémorations célébrant les 80 ans de la Libération. Les crédits supplémentaires alloués à la politique de mémoire devront permettre d’y associer autant que possible les associations, la jeunesse et tous les Français. Quant aux harkis et leurs familles, le groupe Horizons et apparentés soutient le renouvellement des engagements de l’État à leur égard.

S’agissant du programme Gendarmerie nationale, nous saluons la création de 238 brigades, qui marque la volonté d’assurer la présence de l’État sur tout le territoire et de porter une attention particulière à la sécurité des habitants des zones rurales.

*

*     *

 

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense »

 

Article 35 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN6 de Mme Valérie Rabault

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à augmenter de 5 % la dotation dite du gasoil, allouée à nos forces armées, afin de tenir compte des incertitudes et des risques internationaux qui pourraient affecter le prix du pétrole. Notre demande intègre la hausse des tarifs de cession qui pourrait se poursuivre, ainsi que du volume de carburant nécessaire à l'activité de nos forces armées en 2023. Nous déposons régulièrement cet amendement.

L’amendement procède à une écriture administrative pour gager la dépense, mais nous souhaitons que le Gouvernement lève le gage en cas d’adoption de l’amendement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis (Soutien et logistique interarmées). La hausse du coût des carburants est un sujet important. En 2022, le budget prévisionnel a été dépensé dès la fin du premier semestre. La gestion du compte courant de commerce du service de l’énergie opérationnelle (SEO) et celle du programme 178 Préparation et emploi des forces se retrouvent sous tension.

Je vous demande de retirer votre amendement car j’en ai déposé un sur le même sujet, mais le mien prévoit une augmentation des crédits de 100 millions d’euros quand le vôtre se contente d’une hausse de 1 680 040 euros. Si vous souhaitiez le maintenir, je voterais tout de même en sa faveur.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN7 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits dédiés à la préparation des forces navales car, à 89 %, la fonction de protection est la plus faible de toutes les forces armées ; le constat est particulièrement préoccupant pour la sécurité de notre zone économique exclusive (ZEE). Comme l'indiquait le projet annuel de performances (PAP) de la mission Défense du PLF pour 2023, le niveau de couverture des zones de surveillance maritime devrait se maintenir à 68 % jusqu’en 2025 et le parc des moyens aériens et maritimes resterait quantitativement équivalent. Ce taux de couverture restant très faible, nous proposons d’augmenter les crédits de paiement alloués à la préparation des forces navales.

 

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Marine). La dernière LPM a consacré une montée en puissance de la préparation des forces navales. Le PLF pour 2024 affiche une augmentation des autorisations d'engagement de 20 % et des crédits de paiement de 9 % ; cet effort sera poursuivi toutes les années couvertes par la LPM. J’émets un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN10 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à augmenter les crédits du plan « famille 2 », afin de faire porter l’effort financier en début de période de programmation et de s’assurer que les crédits de paiement disponibles sont en phase avec les autorisations d'engagement du PLF pour 2024.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Plus tôt nous pouvons agir pour les familles, mieux c’est : le chantier est tel que ces 7 millions d’euros supplémentaires dès l’année prochaine seront utiles. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN16 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à restaurer un niveau de crédits équivalent à celui de 2023 pour la rénovation et la création des infrastructures des bases de défense.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent, l’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN17 de Mme Mélanie Thomin

Mme Isabelle Santiago (SOC). C’est le même amendement, mais il concerne le logement des familles de militaires.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN18 de Mme Isabelle Santiago

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à doubler les crédits alloués à la transition écologique dans le ministère des armées. Celui-ci a élaboré un plan Climat, mais il importe d’augmenter les crédits dans ce domaine pour que la transition s’opère le plus rapidement possible.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le ministère des armées possède de très nombreux bâtiments fort vétustes, qui n’offrent pas le confort nécessaire aux militaires et à leurs familles. Il est indispensable d’agir rapidement, car les passoires thermiques ne contribuent pas à la fidélisation des militaires. L’avis est favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN19 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vient compenser par un montant de 1,2 million l’une des conséquences financières de l’externalisation des services de restauration et d’alimentation des armées : le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée pour 2024. Beaucoup de restaurants sont passés en gestion déléguée ; nous préférerions que ce service reste assuré en interne.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Demande de retrait. Il ne faut pas confondre les concessions au profit de l’économat des armées, très bel instrument, établissement public historiquement uni aux armées par des liens étroits, et l’externalisation de la restauration. Les concessions à l’économat permettent une véritable rénovation du bâti et rendent ainsi un service sans externalisation, contrairement à certains mécanismes antérieurs qui étaient réellement problématiques.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je ne retire pas l’amendement, car il a pour première signataire ma collègue Anna Pic, qui s’est appuyée pour l’écrire sur des situations qu’elle connaît dans sa circonscription.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN20 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Lors de son audition par la commission de la défense le 3 octobre dernier, le ministre Lecornu évoquait une augmentation de l’ordre de 70 millions des crédits alloués au service de santé des armées dans le PLF pour 2024. Or, s’il est vrai que le budget des sous-actions Fonction santé des programmes 178 et 212 augmente, au total, les crédits alloués à la santé dans nos armées connaissent une baisse de 23 millions.

En outre, dans un rapport de juin dernier, la Cour des comptes soulignait : « Les difficultés récurrentes du ministère des armées à inscrire dans sa programmation budgétaire la remise à niveau complète des hôpitaux militaires, nécessaire tous les soixante ans, concernent actuellement l’hôpital Laveran de Marseille, élément essentiel du dispositif du service de santé des armées, dont la reconstruction devient urgente. En juin 2023, la reconstruction du futur hôpital sur le site de la caserne Sainte-Marthe d’ici à 2030 a été annoncé par le Président de la République, mais le financement de cette opération n’a pas été prévu dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire 2024-2030. »

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez raison en ce qui concerne Laveran. C’est un vrai problème : nous votons une LPM et, dans la foulée, avant même la commission mixte paritaire, le Président annonce la création d’un nouvel hôpital qui n’est pas du tout financé dans la LPM. Il faut donc abonder le budget du SSA pour cela. Avis favorable.

Il est également nécessaire, vu notre contribution à l’Otan, de nous interroger sur les contreparties que l’Alliance peut nous apporter : selon certains, le financement de cet hôpital pourrait bénéficier de fonds de l’Otan. Le Gouvernement doit être plus explicite sur ce point.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-DN21 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à lisser les crédits liés à la cyberdéfense sur les prochaines années de la LPM.

Conformément aux engagements pris dans le cadre de cette dernière, les enjeux de cyberdéfense bénéficient dans ce PLF d’une attention particulière, comme en témoigne l’augmentation considérable des crédits qui leur sont alloués. Si le développement de nos capacités cyber est une absolue nécessité, d’autres postes subissent en parallèle une baisse de crédits. Voilà pourquoi nous proposons ce lissage et une hausse de 100 millions au profit de la sous-action Infrastructures de santé du programme 178. La construction de l’amendement est due aux contraintes de l’article 40.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Tout ce qui permet d’avancer les dépenses qui ont été rejetées à la fin de la LPM est une bonne chose. Favorable.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis (Équipement des forces Dissuasion). Les 500 millions consacrés au cyber représentent une accélération souhaitée par tous les groupes et qui a fait l’objet de nombreux échanges avec les militaires et civils entendus par notre commission. Je ne comprends pas que l’on veuille ainsi déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le PLF pour 2024 en ferait trop pour la cybersécurité ? On ne peut pas se plaindre d’insuffisances ou de retards dans certains domaines, puis défendre de tels amendements. Croyez-nous, la copie reste équilibrée et l’effort en matière de cyber est nécessaire. Je suis très défavorable à cet amendement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Moi aussi. Le propre d’une LPM est la cohérence. Ce jeu de ping-pong n’est pas très sérieux. Il y a beaucoup d’orgueil à croire que l’on peut jongler ainsi avec 100 millions.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN22 de Mme Anna Pic

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à abonder les crédits en faveur des écoles militaires.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Ces crédits sont augmentés de 3 % pour 2024. Il s’en ajoute d’autres que l’on ne voit pas car ils viennent de l’extérieur. Je pense notamment au PEM (Pôle écoles Méditerranée), qui a des coopérations avec la région et envoie des marins en formation à la Coudoulière, à Six-Fours.

En outre, les infrastructures de la Marine, bénéficient d’une augmentation de 8 % en crédits de paiement en 2024,  pour un total de 157 millions d’euros (hors dissuasion).

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN29 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). Il tend à abonder de 100 millions le programme Environnement et prospective de la politique de défense, afin de réunir les fonds nécessaires à la bonne réalisation du projet de création du bataillon de réservistes du renseignement en 2024.

Les récents événements internationaux ont mis sur le devant de la scène l’importance du renseignement humain combiné au renseignement technique. Il est indispensable de prévoir un budget destiné à ce poste stratégique pour nos armées et nos intérêts.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense). Demande de retrait ou avis défavorable.

La brigade de renseignement a été dissoute en 2016 au profit du commandement du renseignement. Votre amendement me permet toutefois de souligner le rôle que les réservistes jouent dans le domaine du renseignement – je pense en particulier à la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) et à la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense), qui relèvent toutes les deux du programme 144 dont je suis rapporteur pour avis. Mais si vous créez une brigade au sein de l’armée de terre, elle doit relever de l’armée de terre, c’est-à-dire du programme 178 et non du programme 144 comme vous l’indiquez dans le dispositif de votre amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Forces terrestres). Même avis.

Je salue l’importance des réservistes de l’armée de terre. Celle-ci est en train d’adapter en profondeur son modèle et sa doctrine d’emploi des réservistes pour préparer le doublement de leur nombre, prévu dans le cadre de la LPM. Cette refonte se fera dans la durée. Le besoin est élevé s’agissant de la création d’une réserve de compétences, mais il est encore trop tôt pour évaluer précisément les crédits spécifiquement nécessaires au bataillon de réservistes du renseignement et il ne m’apparaît pas opportun de flécher des crédits, en particulier vers ce poste, alors que d’autres fonctions critiques, comme le cyber ou la maintenance, ont également besoin d’être renforcées par des réservistes.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN34 de M. Julien Rancoule

M. Julien Rancoule (RN). Avoir une dissuasion nucléaire consolidée, de grands programmes d’armement renouvelés et de grandes ambitions dans le domaine du spatial ne doit pas nous faire oublier qu’à la fin des fins, sur le terrain, quand le militaire se retrouve face à l’ennemi, il a besoin d’une cartouche pour se défendre contre celui qui veut le tuer.

La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas avoir de filière nationale de production de munitions de petit calibre. Nous ne pouvons pas l’accepter. Nous devons apprendre des dernières années – je pense aux pénuries de masques et de médicaments que nous ne produisions même plus en France. N’ayons pas la même naïveté s’agissant des munitions de petit calibre : en la matière aussi, nous pouvons connaître des situations exceptionnelles qui fragiliseraient les acheminements. L’amendement vise à relancer cette filière sur notre territoire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. La relocalisation de filières critiques pour l’approvisionnement de nos armées, dont celle dont vous parlez, est un sujet important et une exigence de la loi de programmation militaire. Notre commission avait amendé le rapport annexé de la LPM en ce sens. Soyez donc rassuré sur ce point.

Néanmoins, il serait prématuré d’inscrire à cette fin des crédits dans la loi de finances pour 2024, notamment au profit du programme 146 : le sujet nécessite des travaux structurels, en lien avec les industriels, qui ne se relancent pas d’un trait de plume sur un programme aussi important.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Julien Rancoule (RN). Nous préconisions cette relocalisation dans le rapport de la mission flash sur les stocks de munitions dont j’étais rapporteur avec Vincent Bru. Dans ce cadre, nous avions rencontré des industriels et des personnes de différents ministères, dont l’intérieur ; ils nous avaient dit qu’un projet était déjà dans les tuyaux et que les munitions devaient commencer à être produites fin 2024. Il serait donc parfaitement pertinent de voter dans ce PLF un budget destiné à appuyer ce projet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit une enveloppe de 16 milliards d’euros en faveur des munitions, notamment de petit calibre. Vous avez donc été entendu.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement II-DN38 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Il vise à alerter le Gouvernement sur la nécessité, dans un objectif d’attractivité, de fidélisation et de disponibilité des réservistes opérationnels des trois armées, de leur accorder une carte de circulation militaire, au même titre qu’à leurs camarades d’active.

Cela permettrait de faciliter leurs déplacements sans surcharger la cellule de transport régimentaire par la demande de bons unitaires de transport, de les fidéliser par une réduction de 75 % sur leurs voyages sur le réseau ferroviaire national et de rendre attractive la réserve opérationnelle.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel au Gouvernement, qui n’est pas représenté ici. Je vous invite donc à le retirer pour le redéposer en vue de la séance, en espérant qu’il n’y aura pas eu de 49.3 d’ici là et que vous aurez une réponse du ministre.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN40 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Avant le projet Fomedec (formation modernisée et entraînement différencié pour les équipages de chasse), la formation des pilotes comprenait des étapes sur le TB-30 Epsilon et l’Alphajet. Fomedec a fusionné les phases d’Epsilon et Alphajet, conservant seulement la transition opérationnelle à Cazaux. Avec le projet Mentor présenté en 2019, cette phase se déroule à Cognac, grâce à des PC-21 de nouvelle génération, plus économiques. Mais leur nombre ne permet pas à l’ensemble des élèves de s’entraîner pour honorer leur contrat opérationnel ; on a besoin de cinq nouveaux PC-21 NG, dont le coût est estimé à 12 millions l’unité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Vous avez raison de souligner l’apport de ces avions à la formation des pilotes, qui permettent notamment de se familiariser avec l’avionique du Rafale, et leur avantage économique. La base de Cognac recevra bientôt des drones Male (volant à moyenne altitude et de longue endurance) et des ALSR (avions légers de surveillance et de reconnaissance). Le chef d’état-major ne nous a fait part d’aucune alerte au sujet des PC-21. Avant les neuf commandés en 2021, l’armée de l’air et de l’espace en avait déjà dix-sept.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement II-DN41 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Si la LPM prévoit une augmentation de 460 ETP d’ici à 2030, le niveau des années 2015-2016 est loin d’être atteint alors que le SSA a subi une dizaine d’années d’arbitrages budgétaires défavorables. Un rapport d’information sénatorial a alerté sur la pénurie, qui pourrait coûter cher dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité. Il convient donc de renflouer l’enveloppe consacrée aux ressources humaines du SSA en l’abondant de 20 millions en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je comprends l’objectif, mais je doute que 20 millions suffisent. Les postes sont ouverts, mais non pourvus ; ce n’est donc pas en en ouvrant davantage que l’on rehaussera les effectifs. Et avec 20 millions, on ne peut pas à la fois ouvrir les postes et revaloriser significativement les rémunérations. Une réflexion plus globale est nécessaire.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN42 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Le rapport d’information sénatorial que j’ai cité signale l’urgence d’accélérer l’acquisition de groupements médico-chirurgicaux (GMC) dans la perspective d’un conflit de haute intensité. Pour préparer le SSA à un engagement majeur, la priorité est de reconstituer sa capacité à déployer des hôpitaux de campagne. Il apparaît donc essentiel d’acquérir dès 2024 trois GMC de plus, pour un coût total de 18 millions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Même avis que sur le précédent amendement. Nous n’avons malheureusement pas les effectifs qui permettraient d’armer ces trois GMC supplémentaires. Il faut d’abord recruter et, pour cela, rendre le SSA plus attractif.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN43 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Selon la LPM, l’armée de l’air et de l’espace prévoit l’acquisition de six systèmes de drones Male Eurodrone d’ici à 2035, pour un montant initial de 2 milliards. Toutefois, lors du vote final de la LPM, il n’était pas encore question du drone Male Aarok, développé par Turgis & Gaillard. Véritable vedette du Salon du Bourget, ce drone français moins coûteux et plus léger que l’Eurodrone a suscité l’intérêt des armées, à commencer par le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui s’est déclaré « prêt à payer pour voir » lors d’une audition ici même.

Le PLF pour 2024 offre précisément l’occasion de payer pour voir, en vue de doter les armées, si les premiers achats sont concluants, d’un outil souverain de surveillance et de renseignement. Le coût unitaire est estimé entre 5 et 10 millions. Il conviendrait de doter nos armées de quatre appareils, ce qui représente un investissement relativement peu important au regard des gains capacitaires et des retombées économiques attendus.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nous avons tous été bluffés par ce drone. Le ministre lui-même, au Sénat, l’a jugé très intéressant. Son premier vol devrait avoir lieu dans quelques mois. Malgré l’intérêt qu’il suscite et le retard que nous accusons dans ce domaine, il est donc encore trop tôt pour engager en 2024 des crédits de paiement sur ces capacités précises.

La LPM prévoit de consacrer 5 milliards aux drones. Nous sommes d’accord concernant l’objectif et la solution. Patience !

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). En effet, nous avons tous été frappés par ce produit de Turgis & Gaillard, et je suis d’accord avec le chef d’état-major de l’armée de l’air : cela vaut la peine de payer pour voir. Mais je ne voterai pas l’amendement, car le drone ne vole pas encore. Il faudra envisager de lui consacrer des crédits, à l’intérieur de l’enveloppe de 5 milliards, dès que nous aurons la certitude que le vecteur et les différents effecteurs fonctionnent. Je ne suis pas du tout contre l’amendement ; simplement, c’est trop tôt.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis (Préparation et emploi des forces : Air). Je soutiens l’amendement. Il faut envoyer des signaux positifs à notre BITD, surtout quand elle est « rafraîchissante » : ici, une entreprisequi a développé sur fonds propres un projet que les grands consortiums mettent plusieurs années à faire aboutir – je ne reviens pas sur les délais de développement  de l’Eurodrone. Ce produit a la confiance de la DGA (direction générale de l’armement) et du ministre ; il a été vendu en Ukraine pour un essai : si les Ukrainiens ont mis de l’argent pour le développer, je ne vois pas pourquoi nous n’en ferions pas autant.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Le signal que vous souhaitez est envoyé par la LPM : ce sont les 5 milliards, que nous investirons dans des solutions réellement éprouvées. Ne vous inquiétez pas : dans quelques mois, le sujet sera traité.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il y a effectivement un projet avec la BITD ukrainienne, mais il ne s’agit pas du même modèle que celui qui pourrait intéresser les armées françaises : celui-là est plus simple, avec une motorisation plus légère et des objectifs qui ne sont pas exactement les mêmes. Si l’idée est un produit sinon alternatif à l’Eurodrone, du moins complémentaire, ce n’est pas cela qui est vendu à l’Ukraine.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de M. Michaël Taverne

Mme Caroline Colombier (RN). La BITD française constitue un pilier solide de notre économie et les grandes entreprises de ce secteur en sont autant de fleurons. En effet, les exportations d’armement constituent pour tout un pan de notre industrie une véritable force d’entraînement d’autant moins négligeable que notre pays ne cesse de battre des records de déficit commercial et de baisse de la part de l’industrie dans la production nationale de richesses.

Dans ce contexte, la baisse de 8,1 % du budget alloué à la politique de soutien aux exportations conduite par la DGA apparaît parfaitement contre-productive, alors même que l’État se doit, tout autant pour la BITD que pour le reste de nos entreprises, notamment industrielles, de soutenir l’export et de promouvoir nos productions nationales.

Nous proposons donc d’abonder de 5 millions le budget de la sous-action DGA/Soutien aux exportations de l’action 52 du programme 212.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous souhaitons que la BITD puisse se développer sans être dépendante de l’export. Un soutien appuyé à l’export ne garantirait pas la souveraineté du pays : si notre BITD dépend des achats d’autres puissances, nous serons dans leur main.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN49 de M. Emeric Salmon

M. Laurent Jacobelli (RN). Les conditions de logement sont importantes pour attirer et fidéliser les militaires. En préparant notre rapport d’information, mon collègue Chenevard et moi-même avons constaté combien la question était récurrente. Or 25 % seulement du patrimoine immobilier de la défense est en état. Nous proposons donc des crédits supplémentaires pour que nos soldats vivent dans des conditions décentes.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La somme proposée, de 15 millions, n’est pas suffisante face aux enjeux. Nous ne pouvons pas laisser entendre qu’elle le serait. Je vous demande donc de retirer l’amendement pour réévaluer ce montant à la hausse en séance.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN52 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Le programme MGCS (système principal de combat terrestre), conduit avec les Allemands, est en déshérence totale. L’objectif en était politique avant d’être opérationnel. Le ministre allemand de l’économie s’est dit prêt à se libérer des règles et des engagements européens pour défendre avant tout l’industrie allemande. D’ailleurs, il a commencé, signant avec d’autres partenaires – la Suède, l’Italie, l’Espagne – un autre programme qui, contrairement à ce qui a été dit ici même, pourrait concurrencer le MGCS.

La France ne doit pas être le dindon de la farce. Il nous faut prévoir ce qui va arriver. Six ans ont été nécessaires pour se mettre d’accord sur les objectifs du MGCS : dans de telles conditions, il y a une probabilité non nulle qu’un projet aille dans le mur…

Parce que nous avons besoin de cet équipement, parce que nous ne pouvons pas laisser aux seuls Allemands le sort de la souveraineté de notre défense, nous proposons que l’on prépare un plan B pour le MGCS.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est un amendement d’appel, mais si je m’en tiens à l’objectif que vous venez d’expliciter, il est satisfait. En effet, tout est fait pour que, à partir de 2025, l’ensemble des options qui sont sur la table puissent être activées. Quant à l’autre projet auquel vous vous référez – un projet de composants, non de système de combat –, connaissez-vous le montant total qui lui est alloué ? 30 millions. Et celui que notre pays inscrit, dès 2024, dans le projet de loi de finances pour engager les études sur le MGCS, en AE ? 33 millions. En réalité, il n’y a pas de concurrence entre les deux projets.  Le MGCS est conforté par la volonté politique et la convergence des besoins militaires, qui sont les deux premiers prérequis. Pour le troisième, la convergence des industriels, 2024 sera l’année de vérité.

Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me contente de lire les interviews des dirigeants allemands. Ils expliquent qu’ils préparent leur avenir ; pendant ce temps, ils stérilisent les projets français. Dans quelques années, ils auront le char du futur, avec d’autres partenaires, et nous n’aurons rien. Si vous ne l’avez pas compris, nous allons le répéter à nouveau. Les Allemands avancent pratiquement à visage découvert ! Il n’y a qu’en France que l’on a quelques dirigeants qui ne veulent pas voir la vérité. Nous ne pouvons pas rester le bec dans l’eau, sans plan B. C’est la moindre des sagesses.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous avons déposé un amendement analogue.

Notre collègue Belhamiti nous explique qu’il n’y a pas de concurrence entre les deux programmes en faisant valoir qu’ils sont financés à hauteur l’un de 30, l’autre de 33 millions : ce n’est vraiment pas convaincant.

Quoi qu’il en soit, on observe une inflexion dans les discours de la majorité et du Gouvernement : on nous dit désormais que nous aurons un moment pour reprendre nos billes. Le travail d’alerte que nous menons depuis des mois commence donc à porter ses fruits. Je peux comprendre que vous ayez besoin de sauver la face, mais notre argumentation est désormais bien étayée. Les cycles industriels français et allemand ne se synchroniseront pas. Les Allemands ont bien l’intention d’empêcher la France de mobiliser sa capacité à investir dans un projet alternatif. Au bout du compte, il y aura un projet allemand tandis que, côté français, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Heureusement, nos armées et la DGA ne nous ont pas attendus pour commencer à travailler sur toutes les hypothèses du système futur de combat terrestre ! Nos discussions franches avec eux nous montrent que toutes les options sont sur la table. Je parlais d’un plan B dès mon rapport de l’année dernière. Il y a 33 millions d’AE dans le budget cette année : c’est que l’on commence à accélérer les études. Les Allemands sont dans une logique incrémentale et il est anachronique de considérer que l’incrément nourri par les 30 millions de partenariat européen est un concurrent du MGCS, lequel viendra bien plus tard. Nous avons eu ces débats dans le cadre de la LPM. Tout est possible, mais gardons-nous de tuer le projet dans l’œuf. Il est dans l’intérêt de la France de développer cette capacité en coopération, en maintenant ses exigences de souveraineté et de liberté d’exportation.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN53 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Après le MGCS, le Scaf (système de combat aérien du futur), qui en est une sorte de pendant, en moins caricatural, dans la collaboration à marche forcée avec nos amis allemands. La France, avec Dassault, serait capable de s’en sortir toute seule. Ce que l’on appelle le couple franco-allemand n’en a plus que le nom : nous sommes les seuls à le vouloir, et le projet s’enlise. Ne restons pas dénudés, ne livrons pas les clés de la défense française à un pays qui ne veut pas de nous et reste tourné vers les États-Unis.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement II-DN55 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Un tiers des militaires ne renouvellent pas leur contrat ; un tiers ne vont pas au bout de leur engagement. À cela s’ajoutent les difficultés de recrutement. Nous proposons donc que l’on augmente la rémunération des militaires de la marine nationale. Lorsque les montants offerts ne peuvent rivaliser avec ceux du privé et que les conditions de vie ne sont pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu, les effectifs sont à l’avenant. Il est chaque année plus difficile de recruter et de conserver les troupes.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. L’ancien marin que je suis pourrait se réjouir de cet amendement, mais nos forces armées sont un tout. Le retex (retour d’expérience) de la précédente LPM a montré que plusieurs mesures avaient commencé à produire des effets, comme la NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires), qui représente cette année, pour sa troisième phase, 351 millions d’euros. J’avais fait adopter dans le cadre de la LPM un amendement prévoyant une modification, avec augmentation, de la grille indiciaire de l’ensemble des militaires. Elle concernera les hommes du rang dès 2024, les sous-officiers en 2025 et les officiers en 2026.

Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Vous avez déposé trois amendements : un pour l’armée de terre, un pour la marine et un pour l’armée de l’air, mais vous avez oublié le soutien interarmées. Je vous demande un retrait au profit de mon amendement, qui se veut global. Il permettra, en effet, de répondre à l’ensemble des situations, sans s’y prendre au doigt mouillé – mais ce n’est pas un reproche, car je sais la difficulté de trouver un chiffre satisfaisant parmi les informations qui nous sont données. J’ai pris pour référence l’ensemble des mesures indiciaires dans la fonction publique – l’augmentation du point d’indice et ce qu’on appelle les mesures « Guérini ».

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je me demande si Mme Magnier, du groupe Horizons, sera elle aussi vouée aux gémonies par M. Cormier-Bouligeon. Elle a, en effet, déposé un amendement faisant appel au même mécanisme que ceux de La France insoumise, du parti socialiste, c’est-à-dire de tout le monde en fait.

L’amendement II-DN56 concerne, cette fois, les forces de l’armée de l’air et de l’espace.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je soutiens cet amendement. Toutes les mesures qui permettront de recruter et surtout de garder les sous-officiers, officiers et techniciens, à qui on fait des ponts d’or au sein de la BITD et ailleurs, sont évidemment bienvenues.

La commission rejette l’amendement.

 

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le minimum, dans une commission telle que la nôtre, serait de faire preuve de respect. J’aimerais que ceux de nos collègues qui en traitent d’autres de tocards soient rappelés à l’ordre. Qu’est-ce qui leur permet de nous insulter ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je n’avais pas entendu.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nous nous sommes fait insulter et diffamer au début de la réunion – vous n’étiez pas là. Je me suis donc permis de dire à un de nos collègues qu’il avait un comportement de tocard, ce que je confirme, en précisant que ce n’est ni injurieux ni diffamatoire, contrairement aux propos qui nous visaient.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Se faire insulter par les députés du Front national est une forme de légion d’honneur.

 

Amendement II-DN57 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Merci à notre collègue qui est resté vingt-trois ans au parti socialiste, aux côtés de François Mitterrand, lequel avait reçu la francisque. Qu’il assume son héritage !

Nous souffrons, s’agissant des avions à très forte capacité d’emport, d’un vrai manque. Nous avons des appareils pouvant embarquer 17 tonnes, 25 tonnes ou 37 tonnes, mais pas 150 tonnes. En cas de besoin, par exemple pour transporter des chars, nous avons recours à des avions appartenant à des armées d’autres pays, comme les États-Unis d’Amérique. Puisqu’il est beaucoup question de souveraineté – nous sommes très heureux que ce terme soit à nouveau au centre des débats –, il faudrait développer notre propre avion à forte capacité d’emport. Tel est l’objet du présent amendement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. C’est une capacité qui nous manque, en effet, mais votre amendement prévoit d’y consacrer 100 millions d’euros, alors qu’il faudrait plutôt des milliards pour mener un tel projet. Par ailleurs, le général Mille, que nous avons auditionné, n’a pas fait état d’un besoin prioritaire dans ce domaine, contrairement à ce qu’il nous a dit à propos du renouvellement des Casa ou des Hercule C-130. Il s’agit d’une capacité que nous aimerions bien avoir, naturellement, mais que nous ne pouvons pas nous offrir dans le contexte actuel. Il existe un projet européen en la matière, mais je ne sais pas si cela peut vous plaire. Il me semble pourtant que c’est le bon échelon : ce ne sont pas des capacités de transport auxquelles on a recours quotidiennement. Pour ces raisons, demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Vous dites que nous n’avons pas besoin de cette capacité au quotidien, mais que se passe-t-il au Niger ? Les A400M ne suffisent pas pour transporter tout le matériel entreposé depuis des années dans ce pays. Nous avons une carence en ce qui concerne les gros-porteurs, ce qui nous contraint à nous tourner vers des solutions qui ne sont pas souveraines, comme la location d’Antonov.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage la préoccupation à l’origine de cet amendement. Le général Mille a dit que nous pouvions être confrontés à des problèmes en matière de transport stratégique. Nous le savons, les Antonov arrivent en fin de vie. Par ailleurs, si nos amis américains peuvent nous aider avec leurs C-5 Galaxy, cela ne va pas très loin. Le problème est qu’il s’agit d’un programme qui coûterait de 5 à 15 milliards d’euros et pour lequel il n’existe pas de marché. Les seuls pays qui peuvent s’offrir ces capacités sont les États-Unis, la Chine, peut-être – mais je doute qu’on vende des avions aux Chinois – et l’Europe, collectivement. Ce n’est pas en mettant sur la table 100 millions d’euros, au petit bonheur la chance, qu’on aboutira une solution. Néanmoins, cette question mérite de faire l’objet d’un véritable travail. Une mission parlementaire avait été créée à ce sujet il y a quelques années, mais je pense que nous devrions retravailler sur le dossier pour voir ce qui peut marcher.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN60 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). On a mis six ans à se mettre d’accord sur l’objectif du MGCS, et il est clair que ce char ne verra pas le jour avant 2040 – et encore c’est une hypothèse optimiste. Entre-temps que fera-t-on ? Nous avons des chars qui commencent à vieillir et nous vivrons une période tampon assez délicate à gérer. Par ailleurs, les signaux qui nous parviennent quant à l’état du monde ne sont pas très encourageants. Il ne faudrait donc pas se trouver dépourvu quand la bise sera venue. Nous proposons – tenez-vous bien – une solution franco-allemande, codéveloppée par Nexter, dont le capital est mixte, et potentiellement disponible à moyen terme, à savoir l’E-MBT. Ne restons pas sans armement à force de courir après des chimères.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Jacobelli croît tantôt au couple franco-allemand et tantôt il n’y croit pas, ce qui n’est pas très cohérent. Vous avez déjà enterré le MGCS, un peu comme le croque-mort qui, dans les albums de Lucky Luke, prend les mesures des gens de leur vivant. Nous essayons, pour notre part, de voir le verre d’eau à moitié plein, parce que nous sommes aux responsabilités et que nous voulons préparer l’avenir. Force est de constater que des avancées substantielles ont été réalisées ces derniers temps : un accord a été trouvé entre les états-majors français et allemands au sujet des besoins militaires et un High Level Common Operational Requirements Document a été signé en septembre 2023 par les ministres Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.

Comme l’a indiqué devant nous le chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), la question primordiale est celle des besoins militaires. Or les forces terrestres, que vous le vouliez ou non, ne souhaitent pas un char Leclerc amélioré, le Cemat a été très clair lors son audition. L’enjeu est de ne pas rater le changement de génération en allouant des ressources à un modèle intermédiaire. De plus, indépendamment du développement industriel qui suivra, le programme MGCS permet de travailler sur les caractéristiques du système de char du futur et sur les briques technologiques nécessaires, comme l’a rappelé notre excellent collègue Belhamiti.

En attendant, notre responsabilité est de prévoir les moyens de pérenniser et de moderniser le char Leclerc pour le faire durer jusqu’en 2040 ou 2045 – c’est ce qui est prévu par la loi que nous venons d’adopter. En 2024, 21 chars Leclerc rénovés seront ainsi livrés à l’armée de terre et la LPM prévoit 200 chars rénovés en 2035.

Je me permets aussi de vous faire remarquer que vous voulez ponctionner 100 millions sur les crédits des journées défense et citoyenneté, alors que nous devons favoriser l’engagement de nos jeunes dans les armées, et sur le programme Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, que vous prétendez défendre – c’est vraiment faire preuve de duplicité.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je pense qu’il y a un problème à l’éducation nationale puisqu’on peut apparemment être député sans savoir lire. Voici ce que nous avons écrit : « Cette minoration est proposée pour les besoins de la recevabilité financière. En cas d’adoption de l’amendement, il est demandé au Gouvernement de lever cette compensation ». Il faudrait en finir avec les clowneries.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’organisation de nos travaux ne suit absolument aucune logique. Nous passons des chars aux avions puis au logement, avant de revenir en arrière. Aucune réflexion n’est possible dans ces conditions. De plus, la majorité n’est quasiment pas représentée, parce qu’elle sait très bien que le Gouvernement aura recours au 49.3. C’est donc un véritable cirque : nous ne faisons que ridiculiser l’institution parlementaire, que le Gouvernement piétine continuellement. C’est uniquement parce qu’il s’agit de nos armées que nous resterons jusqu’à la fin de ce débat.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage les préoccupations de notre collègue Jacobelli au sujet de l’avenir du MGCS, mais j’ai écouté très attentivement le chef d’état-major de l’armée de terre. Il nous a dit qu’il ne souhaitait pas un char intérimaire, mais que, comme l’ont également expliqué le délégué général à l’armement et le ministre, il faudrait faire un choix fondamental en 2025 et que, de toute façon, ce qui serait fait dans le cadre du programme E-MBT pourrait servir à un plan B si le MGCS ne devait pas voir le jour. Notre collègue pose donc une bonne question, mais il est peut-être trop tôt pour y répondre. Attendons 2025.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je note que nos collègues de La France insoumise ne sont pas contents d’avoir à défendre des amendements identiques à ceux du Rassemblement national. Au-delà de la question de l’ordre d’examen des amendements, qui peut effectivement se poser, François Cormier-Bouligeon a apporté une réponse de fond : ne tuons pas l’initiative MGCS avant de lui avoir donné une chance d’aboutir. L’année 2024 sera déterminante.

L’amendement rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN61 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). L’Agence européenne de défense est un organe de ce qu’on appelle « l’Europe de la défense », qui est une chimère, on le voit bien. Il y a peu d’export d’armement français vers nos partenaires européens privilégiés. Les nations d’Europe centrale et de l’Est regardent vers les États-Unis d’Amérique, et les principales coopérations européennes dans le domaine de l’armement enchaînent les difficultés. Confier toujours plus de pouvoir à l’Union européenne pour notre défense revient, de facto, à céder des bouts de notre souveraineté, au détriment d’accords bi, tri ou quadrilatéraux portant sur de vrais projets, à l’image de ce qui a été fait hier pour Ariane ou Airbus. Nous proposons donc de réduire les financements de l’Agence européenne de défense.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il existe un certain nombre de programmes européens dans lesquels la France est particulièrement engagée. Puisque l’exposé sommaire de l’amendement évoque le SHOM (service hydrographique et océanographique de la Marine), je précise que la relève des bâtiments participant à son fonctionnement est programmée et qu’un travail assez important est réalisé en lien avec l’Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), par exemple pour l’EPC, la future corvette de patrouille européenne dont nous avons parlé ce matin, et les Fremm (frégates multimissions). Par conséquent, avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je rejoins ce qui a été dit quant à la manière dont l’examen des amendements est organisé. Nous avons eu des débats de très grande qualité sur la loi de programmation militaire, dont ce budget est une déclinaison. Le regroupement des amendements selon les noms des premiers signataires nous empêche aujourd’hui d’avoir de véritables échanges sur le fond.

S’agissant de l’Europe de la défense, nous avons une vision absolument contraire à celle de M. Jacobelli. L’Europe est une garantie de paix, grâce à la coopération entre les pays. Il faut approfondir cette coopération, qui a d’abord été économique : nous avons besoin que l’Europe ait aussi une voix politique et géopolitique forte – c’est elle qui peut peser – et une défense. Je suis donc totalement hostile à cet amendement.

Les buts de l’Agence européenne de défense sont les suivants : « l’harmonisation des exigences pour la mise à disposition de capacités opérationnelles ; la recherche et l’innovation pour le développement de démonstrateurs technologiques ; les formations et exercices de maintenance visant à soutenir des opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune » – nous avons besoin de tout cela. Je souligne aussi que l’agence travaille notamment avec l’Ukraine, la Norvège et la Suisse.

Nous avons besoin de cette agence, de plus de coopérations, d’armées qui fonctionnent ensemble et, plus globalement, d’un socle politique et militaire européen.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN62 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Je suis d’accord avec les autres groupes de l’opposition : il est très compliqué de débattre dans ces conditions, et très inintéressant. Cela m’intéresserait, revanche, de parler du MGCS et de l’Europe de la défense de manière détaillée, au lieu de passer sans cesse du coq à l’âne en bâclant les débats.

Le retex d’Orion nous a montré que la navigation satellitaire posait certains problèmes. Dès qu’il pleut, les tablettes cessent de fonctionner et les signaux satellitaires ont leurs limites : il a donc fallu reprendre les bonnes vieilles cartes, la bonne nouvelle étant que nos officiers, sous-officiers et soldats ont été suffisamment astucieux et ingénieux pour utiliser des systèmes alternatifs. Au lieu de tout miser sur le satellitaire, il faudrait investir dans d’autres solutions, comme les technologies inertielles, qui permettent d’éviter non seulement les piratages mais aussi les ruptures de signal.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Cet amendement, outre qu’il est seulement d’appel, apporterait une mauvaise réponse à une vraie question. Il y a eu, effectivement, un problème d’accès aux données et de traitement, l’audition du général Métayer l’a confirmé, mais ce n’est pas un problème de génération de données. Or ce que vous proposez, au sujet du programme Omega, est d’arrêter de générer des données de géolocalisation par le biais de satellites, au profit de solutions faisant appel à des centrales inertielles. Ce n’est pas parce qu’on a eu un problème d’accès aux données, avec les terminaux fournis à nos soldats, que les données dont nos forces en opération ont besoin sont générées par un mauvais système. C’est sur le SIC, le système d’information et de communication, c’est-à-dire les réseaux opérationnels d’accès à l’information, qu’il faut faire porter un effort. Je vous demande donc de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage, une fois de plus, l’inquiétude exprimée par notre collègue. Par ailleurs, je n’ai pas la même lecture que le rapporteur pour avis : il s’agit, pour moi, d’un amendement d’appel visant à lancer une alerte sur le risque du tout-satellitaire et non à supprimer des budgets. Nous ne devons surtout pas retirer des crédits au programme Omega, mais le tout-technologique est un problème : on sait la nécessité de pouvoir fonctionner en mode dégradé. Je voterai, à titre personnel, pour cet amendement que je trouve judicieux.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN63 de M. Laurent Jacobelli

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit, par cet amendement, de renforcer le maintien en condition opérationnelle. En effet, nous avons besoin d’une grande disponibilité des matériels. La LPM va dans le bon sens, mais il faut reconnaître que nous avons des équipements sous-dimensionnés auxquels on demande beaucoup. Nous sommes encore dans une logique de flux qui montre ses limites. Il faudrait passer, au moins partiellement, à une logique de stocks, comme l’ont souligné différents rapports, issus de députés de divers groupes, mais cela ne sera pas fait dans les mois qui viennent, il suffit de s’entretenir avec des officiers généraux pour le savoir.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Quand on donne des leçons de compétence, d’une manière assez péremptoire, encore faudrait-il être soi-même à la hauteur. Or notre collègue Jacobelli a mal lu le projet de loi de finances pour 2024 : celui-ci prévoit une hausse de 230 millions d’euros pour l’entretien programmé des matériels, ce qui représente les trois quarts de la hausse des crédits du BOP (budget opérationnel de programme) de l’armée de terre. Au total, le budget de l’entretien programmé des matériels des forces terrestres s’élèvera en 2024 à 1,46 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 19 % – excusez du peu – par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. S’agissant de la programmation pour 2024-2030, par ailleurs, le budget alloué au MCO doit augmenter de 40 % par rapport à la précédente LPM : il s’élèvera à 49 milliards d’euros, dont 13,2 milliards pour l’armée de terre.

Au-delà de la question des crédits, il faut prendre en compte l’accroissement de la performance du MCO. J’ai entendu, moi aussi, des officiers généraux, notamment le DC Simmt (directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres). La Simmt finalise actuellement sa nouvelle ambition pour 2030, qui vise à adapter son mode de fonctionnement aux enjeux de la haute intensité. La constitution de stocks de pièces de rechange est un enjeu bien pris en compte par la Simmt, qui a lancé une démarche tendant à augmenter l’efficience du MCO terrestre, notamment par la renégociation des contrats de soutien en service. Il s’agit de disposer de davantage de pièces de rechange en passant d’une logique de contrats forfaitaires orientés vers la performance à une logique de constitution de stocks. C’est la direction que nous sommes en train de prendre, et je dois dire que le DC Simmt fait preuve d’une certaine fermeté en la matière.

Je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN64 de M. Laurent Jacobelli

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’entretien programmé du matériel doit déjà bénéficier de 49 milliards d’euros sur la période 2024-2030 . L’effort prévu par le PLF est à la hauteur de la promesse faite par la LPM en matière de MCO, auquel iront plus de 5,7 milliards, soit une progression de 745 millions d’euros. Par conséquent, avis défavorable si l’amendement n’est pas retiré.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN67 et II-DN68 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Comme nous l’avons dit lors des débats sur la loi de programmation militaire, le réchauffement climatique et ses effets, en matière de disparition de la biodiversité et d’amplification des catastrophes climatiques, sont un phénomène global et extrêmement déstabilisant d’un point de vue environnemental, social, économique et géostratégique qu’il faut prendre en compte dans l’organisation de nos armées.

L’amendement II-DN67 demande ainsi une augmentation des crédits alloués à la prospective de défense. Nous avons besoin de moyens pour penser la politique de défense dans un monde qui se réchauffe, où on a moins de pétrole et d’eau et où les conditions opérationnelles deviennent plus difficiles.

L’amendement suivant vise à augmenter les moyens de la coopération internationale et de la diplomatie. Une politique de défense est solide, nous l’avons également souligné pendant tout l’examen de la LPM, s’il existe à ses côtés une politique diplomatique forte.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Nous sommes tous conscients des enjeux du réchauffement climatique, notamment sur le plan environnemental, et sommes tous impliqués sur cette question. Néanmoins, le montant très élevé – 100 millions d’euros – qui est proposé dans votre premier amendement est assez surprenant : il est sans rapport avec les montants consacrés aux dispositifs de soutien pluriannuels à la recherche mis en place par la DGRIS (direction générale des relations internationales et de la stratégie). Cette dernière a mis en place, en 2016, un observatoire « Défense et climat » dont vous avez peut-être connaissance et qui a fait l’objet d’un marché de 1,44 million d’euros passé avec l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Ce marché a d’ailleurs été renouvelé en mai 2022, pour une durée de quatre ans. Tous les travaux de cet observatoire sont diffusés sur son site internet et sont donc accessibles.

En ce qui concerne l’amendement suivant, j’ai un petit doute sur l’abondement de l’action 08 du programme 144, qui finance des actions de natures très diverses, comme le programme mondial de lutte contre les mines antipersonnel et l’Agence européenne de défense : une fois encore, le montant que vous proposez – 50 millions d’euros – me paraît peu en rapport avec ce que fait la DGRIS de manière générale.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN69 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement revient sur la question de l’Europe de la défense. Nous proposons une augmentation des crédits prévus pour la planification des moyens et la conduite des opérations afin d’accroître les coopérations opérationnelles avec les forces armées d’autres pays européens grâce à des échanges de savoir-faire et à une standardisation de procédures.

Suivant la position du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN70 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). L’armée – nous en avons aussi parlé lors de l’examen de la loi de programmation militaire – est propriétaire de très nombreux bâtiments. Comme il faut faire des efforts en matière de rénovation thermique dans le cadre de l’ensemble des politiques de l’État, cet amendement a pour objectif d’augmenter fortement les moyens prévus pour la politique immobilière du ministère des armées. On ne dispose que de fort peu de temps pour rénover de très nombreux bâtiments et atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. C’est un amendement tout à fait intéressant qui, si nous l’avions examiné et adopté dans l’ordre prévu par le règlement de l’Assemblée, aurait fait tomber l’amendement de M. Jacobelli, qui proposait 15 millions d’euros supplémentaires. Le présent amendement de Mme Chatelain aurait dû être examiné en premier, puisqu’il propose une augmentation des crédits plus importante, de 150 millions – ce qui permettrait de faire des choses.

Nos collègues du Rassemblement national ne pourront pas, compte tenu de l’amendement qu’ils ont eux-mêmes déposé, se prononcer contre celui-ci, mais nous allons voir si c’est l’intérêt général qui guide leurs votes ou bien un intérêt purement politique.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN71 de Mme Cyrielle Chatelain

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose à notre collègue de retirer son amendement, car il me semble déjà satisfait par le « plan familles II », qui repose sur une coordination renforcée avec les acteurs locaux. Nous pourrions peut-être discuter de l’intégration des associations d’habitants en séance avec le ministre.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN72 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cet amendement concerne l’inclusion des personnes en situation de handicap dans nos forces armées. Le taux d’emploi de ces personnes y reste en deçà de la moyenne nationale, ce qui est préjudiciable non seulement pour elles, mais aussi pour nos armées, qui sont privées de compétences et de talents précieux. C’est pourquoi nous souhaitons augmenter les moyens en faveur de la politique menée dans ce domaine.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je sais que la députée Chatelain connaît les restrictions d’accès aux armées, compte tenu de ce qu’il est convenu d’appeler le profil Sigycop. Néanmoins, je comprends que cet amendement tend à favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap dans l’ensemble du ministère. Comme il n’y a pas de restrictions pour les civils du ministère des Armées, j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN73 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Cette proposition risque d’être moins consensuelle que les précédentes. En cohérence avec ce que nous avons défendu lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous considérons que, même si nous ne pouvons pas sortir de la dissuasion nucléaire d’une manière unilatérale, il faudrait commencer à penser un système de défense bâti sur une autre dissuasion, non nucléaire. Nous souhaitons donc réduire progressivement les moyens alloués à la dissuasion nucléaire.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. En effet, nous avons déjà eu ce débat. La France est exemplaire en matière de réduction des arsenaux nucléaires. Nous avons abandonné la composante terrestre de notre dissuasion et démantelé nos sites pour les essais nucléaires, ainsi que nos installations d’enrichissement de matières nucléaires, tout cela d’une façon irréversible. Ce sont des efforts considérables que d’autres grandes puissances n’ont pas faits. Doit-on aller plus loin ? Il est vrai que vos propositions ont une cohérence, même si on pourrait reparler de la contribution du nucléaire civil à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Seulement, le contexte ne nous permet pas d’engager une nouvelle réduction de notre arsenal nucléaire. Si nous devions le faire, ce serait un signal très négatif pour nos alliés et nos compétiteurs. Avis défavorable.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Au risque d’énoncer un truisme, une dissuasion n’est dissuasive que si elle est au meilleur niveau. Si elle est en dessous du niveau de ses compétiteurs, elle ne dissuade plus personne et ne sert donc à rien – dès lors, autant prévoir 0 euro pour ce volet. Il faut soit moderniser soit abandonner notre dissuasion.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN76 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à donner plus de moyens à l’armée de l’air et de l’espace pour faire face à l’augmentation du coût du carburant et accroître son activité. Je rappelle que la norme au sein de l’Otan est d’au moins 180 heures de vol par an et par pilote de chasse. Or nous en étions à 164 heures en 2022 et que nous avons une cible à 147 heures en 2023 – je ne dirai rien de l’objectif pour 2024, car il est confidentiel.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN78 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’A400M, dont nous avons parlé ce matin, est un peu un game changer – pardon d’employer ce terme, que je n’aime pas beaucoup. C’est un atout qu’on emploie tout le temps, pour les opérations Sagittaire au Soudan et Apagan en Afghanistan et maintenant au Niger. La LPM a sanctuarisé au moins trente-cinq A400M. Je propose que nous en ayons trois de plus. C’est une nécessité, notamment pour donner une réassurance aux populations qui vivent dans nos outre-mer et envoyer un signal stratégique à nos compétiteurs. Nous pourrons également utiliser ces vecteurs pour apporter notre appui lorsque des cataclysmes climatiques se produiront dans la zone indopacifique. L’amendement tend à augmenter les crédits pour permettre la livraison d’un A400M supplémentaire dès 2024.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’objectif fixé par la LPM, que nous avons adoptée il y a quelques semaines, est effectivement d’avoir au moins trente-cinq A400M – cela dépendra notamment de la vitalité d’Airbus à l’export. Il n’y a pas lieu, à ce stade, de remettre en cause ce que nous venons de voter. Par ailleurs, nos capacités dans ce domaine ne nous ont jamais mis en défaut par rapport à nos ambitions opérationnelles, qu’il s’agisse de Sagittaire ou d’autres opérations. Je comprends votre ambition – nous sommes plusieurs à la partager ici – qui est de prépositionner des A400M à des endroits stratégiques, par exemple dans l’Indopacifique, mais ne le faisons pas comme cela, maintenant. Il faut donner sa chance à la loi de programmation militaire, que vous avez votée, comme nous. Par conséquent, même si nous pouvons nous rejoindre sur l’objectif d’un accroissement de nos capacités en ce qui concerne l’A400M, avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. J’avais déjà déposé un amendement lors de l’examen de la LPM afin d’augmenter le nombre d’A400M. Il faut prévoir les choses : un A400M, c’est aussi un équipage et des mécaniciens, des infrastructures, des supports. Nos armées ont besoin de visibilité. Or on ne sait pas quand l’objectif de trente-cinq A400M sera atteint. Je reviens un instant sur nos échanges au sujet du Pang (porte-avions de nouvelle génération) : ce n’est pas seulement un vecteur, mais aussi un équipage, et le premier officier qui commandera ce porte-avions entre aujourd’hui à l’École navale. Il faut aussi prévoir les pilotes pour les A400M. Par ailleurs, nous limitons notre ambition opérationnelle alors que nous pourrions faire beaucoup plus, afin d’être plus présents, d’exercer davantage d’influence et de force, notamment outre-mer.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN80 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Orion a notamment mis en exergue les failles du SSA (service de santé des armées) : on ne pourrait soigner que huit blessés en situation d’urgence vitale par jour. Or on sait que le chiffre serait malheureusement bien supérieur en cas de conflit de haute intensité. Cet amendement demande donc l’achat de structures médicales mobiles robustes pour assurer des soins médicaux d’urgence et un soutien sanitaire continu dans des zones éloignées des structures hospitalières traditionnelles. Ce n’est que la traduction des besoins exprimés par nos généraux.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement d’appel. Attendons l’avis du ministre en séance : sagesse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’organisation des débats est particulièrement problématique : nous revenons une fois encore sur la question du SSA.

Le ministre avait été interpellé à ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances de l’an dernier, puis de la LPM. On nous a expliqué que la restructuration du SSA faisait l’objet d’un moratoire, et la nouvelle feuille de route n’a pas été présentée à notre commission ni, a fortiori, devant la représentation nationale. Nous savons que le ver est dans le fruit depuis un long moment, mais n’avons aucune vision d’ensemble.

Cet amendement d’appel, même si je comprends bien son intention, ne permettra pas d’établir une stratégie crédible et durable pour le SSA. Nous avons affaire à un problème global qui ne se réglera pas en mobilisant 100 millions d’euros.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais il s’agit au moins d’un premier pas. Je sais que vous avez à cœur, comme nous, le service de santé des armées et son personnel.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN86 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). L’Institution de gestion sociale des armées (Igesa) joue un grand rôle dans la vie de nos militaires et de leurs familles : elle leur apporte un soutien important, qu’il s’agisse des activités de loisir, de l’accueil des enfants ou des prêts financiers – la liste n’est pas exhaustive. Malheureusement, il est difficile de pourvoir aux besoins de toutes les familles. Je pense en particulier aux places dans les crèches et les autres espaces d’accueil de la petite enfance. Il est nécessaire d’aider l’Igesa à se développer, afin que le plus grand nombre puisse bénéficier de ses services.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous demande de retirer cet amendement au profit du mien, le II-DN169, qui prévoit un montant supérieur. Compte tenu des besoins de cet organisme essentiel, 10 millions d’euros ne suffiront pas.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement II-DN87 de Mme Michèle Martinez

Mme Michèle Martinez (RN). Les infrastructures sont un peu le parent pauvre du budget de nos armées : les montants prévus s’apparentent plus à l’utilisation d’un fond de tiroir qu’à un réel investissement. Pourtant, les parties communes des logements militaires, casernes et autres emprises n’échappent pas aux dégradations liées au temps – problèmes de plomberie, d’isolation, de salubrité, voire de sécurité, qui ne sont pas en soi des fatalités et méritent d’être traités. Plus le règlement de ces problèmes traînera, plus les budgets de rénovation seront élevés. Il serait donc bénéfique pour tous que les réparations aient lieu au plus tôt. De plus, avec la diminution des Opex, nos militaires seront amenés à passer plus de temps dans ces locaux – raison de plus pour que les rénovations soient faites.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment. Compte tenu des besoins réels, cet amendement ressemble trop à une posture.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN91 de M. Bastien Lachaud

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel porte sur un sujet que nous avons déjà abordé, le MGCS, auquel nous ne croyons pas. Notre proposition repose sur une note de l’Ifri qui a établi la nécessité de l’E-MBT en tant que gap-filler (bouche-trou) – j’emploie ce mot pour faire plaisir à notre collègue Thiériot, qui affectionne les anglicismes. L’E-MBT nous permettra d’avoir, comme les Allemands, un matériel sur l’étagère ou en tout cas de faire en sorte que le savoir-faire ne se soit pas complètement perdu chez Nexter le jour où il faudra retirer nos billes du MGCS. Je souligne au passage que Nexter n’est plus indépendant : KNDS prend les décisions. C’est la conséquence de choix politiques qui nous avaient pourtant été présentés comme un moyen de garantir la pérennité et la souveraineté de l’industrie de défense dans le domaine terrestre, ce qui n’a pas été tout à fait vrai, à l’évidence.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Nous en avons déjà débattu et nous en reparlerons, comme notre collègue Belhamiti l’a dit, courant 2024, quand la situation commencera à s’éclaircir. Sur le plan capitalistique, M. Saintoul a probablement raison, mais la R&D et la production de Nexter, ou anciennement Nexter, sont encore en France.

M. le président Thomas Gassilloud. Sachant qu’on en est, de mémoire, à 50-50 sur le plan capitalistique, en ce qui concerne KNDS.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN93 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel, d’un montant de 1 euro, demande de réinternaliser la fonction Red Air, qui sert à la préparation des pilotes. Son externalisation est la conséquence de la fin de vie de l’Alpha Jet, avion utilisé pour ce type d’exercice, et de difficultés en matière de ressources humaines. Le fait que des entreprises privées fassent des profits sur la préparation des armées nous pose un problème de principe.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Lors de la présentation de mon rapport, j’ai évoqué la fonction Red Air et fait part de mon étonnement d’un contrat de sept ans avec un potentiel prestataire pour simuler la force adverse lors des exercices de l’AAE. J’y vois l’illustration de la faiblesse de l’actuel format de notre aviation de chasse.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN94 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Si l’Alpha Jet arrive en fin de vie, qu’adviendra-t-il de la Patrouille de France, qui est la vitrine de l’AAE ? La Patrouille de France volera-t-elle sur un avion qui n’est pas français ? Sinon, il faut prévoir qu’elle vole sur Rafale.

Il ne s’agit pas de dépouiller les forces opérationnelles de l’AAE, mais d’anticiper la fin de vie de l’Alpha Jet et de réfléchir à l’avenir de la Patrouille de France. Sommes-nous prêts à mettre les moyens pour la doter de Rafale ou devrons-nous accepter l’idée qu’elle vole sur des avions étrangers ?

M. le président Thomas Gassilloud. Si j’étais un peu taquin, je dirais que vos alliés écologistes refusent le survol des communes qu’ils dirigent par la Patrouille de France. J’ai eu ce débat avec le maire de Lyon.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je me sens surveillé et cela m’inquiète. Il y a une dizaine de jours, j’ai adressé au Gouvernement une question écrite sur l’avenir de la Patrouille de France compte tenu de la fin de vie des Alpha Jet. Il suffit de me suivre sur les réseaux sociaux pour le savoir. Cet amendement me surprend donc.

J’ai posé au ministre des armées la question du devenir de la Patrouille de France, qui fait la fierté de la France. Je vois mal les Rafale remplir cette mission de prestige, pour de nombreuses raisons, au premier rang desquelles le format de l’aviation de chasse l’AAE. Nous avons peu de Rafale. Gardons-les pour les missions opérationnelles, pour la posture permanente de sûreté aérienne et pour la dissuasion.

Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je ne doute pas que les maires écologistes ayant refusé le survol de leur commune par la Patrouille de France ont des arguments tout à fait solides liés aux enjeux de leurs communes respectives, qu’ils défendent ardemment.

Nous voyons l’intérêt de l’amendement de nos collègues du groupe La France insoumise. Nous le voterons.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN95 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur un sujet à la fois budgétaire et démocratique.

Le financement des missions opérationnelles ne relève pas officiellement du budget des Opex. Il ne fait pas l’objet d’un vote du Parlement, conformément à l’article 35 de la Constitution. Elles remplissent pourtant tous les critères des Opex. Les militaires qui servent dans ce cadre bénéficient d’un statut quasi-identique à celui des militaires qui servent en Opex, pensions mises à part, ce qui n’est pas rien.

Comment en assurons-nous le financement ? Par le truchement du budget opérationnel de programme (BOP) Opex du programme 212 et par le truchement du BOP du programme 178, en espérant un collectif budgétaire de fin d’année permettant de bénéficier d’un financement interministériel. Il en résulte une fragilité budgétaire, pour les armées, et démocratique, s’agissant d’une forme de contournement du vote du Parlement.

Le présent amendement vise à basculer le financement des missions opérationnelles sur le BOP Opex, afin que le Gouvernement assume qu’elles sont des Opex, que leur budget fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement, et que le budget des armées soit sécurisé.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. À mon tour, je me sens espionné, ayant soulevé la question dans mon rapport pour avis sur le précédent projet de loi de finances ! Je ne peux donc qu’abonder dans votre sens, Monsieur Lachaud.

Toutefois, une telle décision ne peut être prise au détour d’un amendement. Elle ferait en revanche un excellent sujet de réflexion pour notre commission pour l’année à venir, en vue de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.

M. le président Thomas Gassilloud. Le ministre a indiqué qu’il attendait des propositions à ce sujet de la part de ses services et de l’état-major des armées (EMA).

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN96 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement est une variante du précédent. Faut-il financer les missions opérationnelles sur le budget des Opex ou par un programme propre ? En réalité, on nous demande de ne pas choisir et d’attendre que le ministre lui-même prenne la décision. C’est l’une de nos traditions, en Macronie, de décider de nous dessaisir de notre pouvoir !

Plus sérieusement, il y a bel et bien un problème. Si, d’après le ministre, nous sommes dans une zone grise depuis plus d’un an, et si les missions opérationnelles relèvent bien du droit des Opex, alors le vote du Parlement a été allègrement contourné et les missions Lynx et Aigle se déroulent dans un cadre qui n’est pas démocratique, ni même constitutionnel.

Nous devrions nous élever contre cet état de fait, mais, manifestement, le souci du respect des institutions n’est pas universellement partagé.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN97 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons appris que le standard F4.2 du Rafale sera livré avec un an de retard. Tous les programmes, au demeurant, connaissent des retards récurrents. Pour que le Standard F5 ne soit pas livré en retard, nous proposons d’en lancer les travaux par anticipation.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. L’amendement est satisfait. La ligne budgétaire Rafale F5 dont vous demandez la création existe. Elle a été introduite dans le projet de loi de finances pour 2024 à la sous-action 09.59 du programme 146, qui prévoit des crédits de plus de 65 millions pour le passage du Rafale au standard F5 et pour l’acquisition de drones d’accompagnement.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous retirerons l’amendement pour le retravailler d’ici à l’examen du texte en séance publique, où nous sommes certains d’avoir des débats fructueux avant le 49-3.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-CF98 de M. Aurélien Saintoul

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à permettre la désinsectisation des logements des militaires et de leurs familles en cas d’infestation par les punaises de lit. La crise des punaises de lit continue dans notre pays. Il y en a partout. Les logements des militaires, lesquels effectuent de nombreux déplacements, n’en sont pas exempts.

En 2018, on comptait au moins 400 000 sites infestés, dont 100 000 En Île-de-France. Si les punaises de lit ne transmettent pas de maladies à proprement parler, elles provoquent d’importants dégâts psychologiques, déstabilisent le rythme du sommeil et provoquent des insomnies ainsi que des troubles psychologiques et psychiatriques, voire un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

S’en débarrasser, nul ne l’ignore, est très difficile. Les frais moyens induits par une désinfestation s’élèvent à 1 200 euros en moyenne, ce qui est considérable. Il s’agit donc d’un problème de santé publique et d’une ruine financière pour celles et ceux dont le logement est infecté.

Le présent amendement vise à prendre en charge la désinsectisation des logements des militaires au même titre que celle des casernes pour qu’elle soit réellement efficace. C’est du simple bon sens.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. Comme l’a montré l’actualité récente, le taux de prévalence des punaises de lit dans le pays explose. Les logements de militaires n’en sont pas exempts.

Il est de notre devoir, pour la fidélisation des militaires et pour le bien-être de leurs familles, d’agir et de créer la ligne budgétaire proposée. Imaginez un marin parti en mer pour plusieurs mois apprenant que son logement est infesté de punaises de lit et que son épouse ou son époux est obligé de gérer seul la situation ! Il s’agit d’un problème de santé publique.

Les nombreux sourires que je vois suggèrent que tout le monde n’a pas pris conscience de l’importance du sujet. C’est dommage. De nombreux militaires trouveraient un intérêt à la création de la ligne budgétaire proposée.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN100 de M. Bastien Lachaud

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à ouvrir le débat sur l’organisation des services de renseignement, où le tout-électronique prévaut de plus en plus. Le technologique et le numérique prennent de plus en plus de place dans la doctrine de renseignement. Nos services et nos agents se posent, légitimement, de plus en plus de questions sur l’avenir du renseignement d’origine humaine (ROHUM) et sur la place qu’il occupera.

Par le biais de la présente demande de rapport, nous espérons obtenir des réponses sur la place de l’humain dans les services de renseignement des armées. Les récents événements en Israël et au Niger prouvent que le ROHUM est essentiel et qu’il n’est pas remplaçable. À nos yeux, le tout-numérique n’est pas une solution. Il est nécessaire de s’assurer du recrutement et de la fidélisation de personnels formés et d’apporter des réponses claires sur la doctrine de renseignement envisagée pour les années à venir.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel n’est pas sans rappeler celui de M. Boccaletti que nous avons discuté auparavant. Il eut été de bonne méthode de procéder à des rassemblements thématiques.

L’équilibre entre le renseignement d’origine humaine et les autres sources de renseignement est une question pertinente, que j’évoque chaque année avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et dont je fais part dans mes avis sur le programme 144.

Je serai toutefois moins catégorique que vous s’agissant du Niger ou d’Israël, qui sont des cas différents. En ce qui concerne Israël, le problème a moins été le manque de renseignements humains que l’absence de prise en compte de ceux transmis par d’autres États alertant sur l’imminence d’une attaque. Votre exposé sommaire mériterait d’être plus nuancé.

J’ai abordé longuement le déménagement de la DGSE au Fort Neuf de Vincennes ce matin, et je le fais également dans mon avis à paraître prochainement. Je suis ce projet de très près et je ne doute pas que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en fait autant. Le Parlement est donc associé au suivi de ce dossier, alors que votre exposé sommaire indique que ce n’est pas du tout le cas.

Par ailleurs, l’amendement est notamment cosigné par M. Lachaud, rapporteur pour avis du programme 178 – dont dépend la direction du renseignement militaire (DRM). Le Parlement est donc associé par son intermédiaire aux réflexions sur la place du renseignement humain, et je ne doute pas que son avis contribuera à nous éclairer utilement sur cette question.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN104 de M. Emmanuel Fernandes

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Les retours d’expérience du conflit en Ukraine montrent l’importance des blindés. Ils sont essentiels en raison de leur puissance de feu, de la protection qu’ils apportent à l’infanterie et de leurs capacités de franchissement.

Mais en même temps on a pu constater l’utilisation de drones de combat, qui complètent les matériels antichars plus traditionnels. D’où l’importance de protéger les chars Leclerc de manière passive, mais aussi active, afin de réduire leur vulnérabilité. Tel est l’objet des crédits supplémentaires proposés par cet amendement.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’importance des systèmes de protection active constitue en effet l’un des retours d’expérience du conflit en Ukraine.

La direction générale de l’armement (DGA) conduit deux programmes – dénommés Prometeus (protection multi effets terrestre unifiée) et Pronoia (protection novatrice orientable intégrée d’autoprotection) – afin d’étudier la pertinence de tels dispositifs et de déterminer quels sont les véhicules qu’il conviendrait d’équiper en priorité. Cette réflexion doit se faire en conduite, pour pouvoir s'adapter de manière réactive aux évolutions technologiques, sous réserve de la maturité de la technologie.

Nous avions déjà eu ce débat lors de la discussion du projet de LPM. Le ministre des armées avait indiqué que la priorité pourrait être accordée aux véhicules blindés plutôt qu’aux chars de combat.

Enfin, l’ajout de systèmes de protection active fait partie des réflexions menées dans le cadre du programme de système principal de combat terrestre (MGCS).

Je vous propose de travailler ensemble sur cette question en vue du PLF pour 2025.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN106 de Mme Murielle Lepvraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel a pour objet d’ouvrir l’accès à la délivrance de la carte du combattant et au titre de reconnaissance de la nation aux sous-mariniers embarqués à bord de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

Cette carte du combattant permet de bénéficier, entre autres, de l’allocation de reconnaissance du combattant, de la rente majorée par l’État de la retraite mutualiste du combattant ou encore d’une demi-part supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu au soixante-quatorzième anniversaire du combattant – un peu tard, mais c’est un autre sujet.

Pour obtenir cette carte, il faut avoir pris part pendant quatre mois à des opérations extérieures (Opex). Ce critère pose un problème aux sous-mariniers embarqués à bord d’un SNLE, dont les missions ne sont pas considérées comme des Opex.

La dissuasion nucléaire ayant pour objectif d’empêcher tout conflit, ils ne pourraient obtenir la carte du combattant qu’en cas d’échec de leur mission, c’est-à-dire d’engagement du feu nucléaire. Cette situation est pour le moins paradoxale.

Si vous considérez que la dissuasion nucléaire constitue le cœur du cœur de la défense de notre pays, selon l’expression de notre collègue Thiériot, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de modifier la réglementation relative à la carte du combattant pour les sous-mariniers qui servent dans les SNLE ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Mon collègue Jean-Charles Larsonneur et moi-même avons posé plusieurs questions écrites à ce sujet, lesquelles ont manifestement été lues par d’autres collègues.

Nous sommes tous d’accord au sein de cette commission : il faut corriger cette anomalie. Mais il s’agit d’une affaire réglementaire et non pas budgétaire.

J’émets un avis défavorable pour des raisons techniques. Mais il va falloir traiter cette question, qui concerne l’ensemble des sous-mariniers.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques II-DN130 de M. Jean-Charles Larsonneur, II-DN133 de Mme Isabelle Santiago et II-DN138 de Mme Anne Genetet, amendements II-DN129 de M. Julien Bayou et II-DN116 de Mme Josy Poueyto (discussion commune)

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. L’an dernier, nous avions voté le doublement des crédits du fonds spécial de soutien à l’Ukraine en les portant à 200 millions.

Or, le PLF pour 2024 ne prévoit pas de prolonger ce fonds. Cette mesure peut paraître brutale dans le contexte d’une longue guerre d’attrition, même si le ministre des Armées Sébastien Lecornu a expliqué qu’un processus était engagé pour faire évoluer l’aide à l’Ukraine. Il s’agit d’associer plus directement les industriels français avec la partie ukrainienne et de moins recourir à des acquisitions financées par ce fonds.

Son arrêt brutal apparaît comme un mauvais signal à nombre de collègues et sur la plupart des bancs. C’est la raison pour laquelle les amendements identiques et ceux qui leur sont très similaires proposent de maintenir le fonds spécial. Ils ne diffèrent que par les gages retenus, qu’il est d’ailleurs demandé au Gouvernement de lever car l’article 4 de la LPM prévoit que les dépenses exceptionnelles liées à l’Ukraine ne seront pas financées par la mission Défense.

Mme Anna Pic (SOC). Dans un contexte où l’attention est quelque peu détournée de l’Ukraine et où le Kremlin compte sur la lassitude des opinions publiques occidentales, il est essentiel de ne pas envoyer de mauvais signal. La disparition du fonds de soutien sans qu’il y ait encore véritablement un dispositif de remplacement pourrait être symboliquement perçue comme un abandon soudain de l’Ukraine par la France. L’amendement II-DN133 vise à accompagner le développement de stratégie destinée à se substituer aux cessions d’armement dont le ministre nous a parlé.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement II-DN138 est identique. Comme l’a indiqué le ministre, les 200 millions du fonds de soutien sont déjà en partie consommés et d’autres sommes sont engagées au titre des commandes faites par les Ukrainiens. Nous souhaitons donc que ce fonds soit maintenu et nous demandons que l’article 4 de la LPM soit appliqué afin que les crédits de la mission Défense ne soient pas affectés par cette aide.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement propose de pérenniser le fonds spécial de soutien à l’Ukraine.

Le groupe d’amitié France-Ukraine a récemment organisé un déplacement dans ce pays, et Murielle Lepvraud et moi-même y avons participé. Le soutien de la France est attendu par les Ukrainiens.

Ce n’est pas seulement l’avenir du peuple ukrainien qui se joue là-bas. Il s’agit d’un conflit entre la dictature et la démocratie. On compte seulement des régimes autoritaires dans le camp des Russes et des démocraties dans le camp ukrainien. Abandonner l’Ukraine signalerait à Poutine qu’il peut continuer à s’en prendre à la Moldavie et à déstabiliser l’Europe.

Ce conflit est bien sûr observé aussi par la Chine. Un succès russe serait nécessairement interprété comme la possibilité de l’emporter contre un adversaire soutenu par l’Ouest en ne respectant pas le droit de la guerre.

Il y a beaucoup à faire pour aider l’Ukraine : geler les avoirs russes, les affecter à la reconstruction et soutenir l’armement de ce pays. Mais cela commence dans l’immédiat par la pérennisation du fonds spécial de soutien.

M. Christophe Blanchet (Dem). Avec l’amendement II-DN116, le groupe Démocrate propose lui aussi de maintenir les 200 millions prévus dans le cadre du fonds spécial de soutien à l’Ukraine. Il s’agit bien d’un affrontement aux portes de l’Europe entre une démocratie et des dictatures. C’est l’avenir européen qui est en jeu.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Étant moi-même cosignataire de l’amendement II-DN138, je suis favorable à l’adoption des trois amendements identiques.

Demande de retrait pour les amendements II-DN129 et II-DN116, mais seulement pour des raisons de technique budgétaire.

Sur le fond, il faut bien mesurer que le Gouvernement propose d’aider au développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne, en association étroite avec les industriels français. Le fonds spécial de soutien a pour objet de rendre possibles des commandes directes de l’Ukraine auprès de nos industries de défense et, si possible, que l’industrie de défense ukrainienne puisse répondre au mieux aux besoins du front – y compris dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO), crucial dans un conflit qui va encore durer longtemps.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Du fait d’un petit loupé technique, le groupe Les Républicains n’a pas déposé un amendement identique.

Mais nous soutenons totalement ces amendements, qui constituent un signal. Après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, on a tendance à regarder le Proche-Orient et à perdre de vue l’Ukraine. Il est très important que notre commission adopte ces amendements le plus largement possible, afin de montrer que nous n’oublions pas cette dernière.

Ensuite, le fonds spécial de soutien correspond à un besoin des armées ukrainiennes. Nous avons entendu ce qu’a dit le ministre des armées et nous sommes favorables au fait de passer d’une logique de cessions à une logique d’amorçage. Mais cela suppose aussi des crédits, et le fonds spécial peut et doit y participer. Des PME en ont besoin et certaines attendent la réouverture de ce fonds, comme par exemple Cybergun.

Enfin, comme cela a été dit par tous, la demande de pérennisation du fonds spécial ne se conçoit que dans le cadre de l’article 4 de la LPM, voté à l’unanimité, lequel dispose que l’aide à l’Ukraine ne doit pas se faire au détriment de nos armées. Nous appelons solennellement le ministre à respecter cet article.

La commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, les amendements II-DN129 et II-DN116 tombent.

 

Amendement II-DN146 de M. Jean-Louis Thiériot

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit d’un amendement d’appel, qui vise à insister sur l’importance de réfléchir, dans le cadre de la fonction d’influence, au déploiement d’une stratégie avec les think tanks non étatiques. Je suis prêt à retirer l’amendement, dont le montant de 10 000 euros est symbolique, mais nous devons élaborer une véritable stratégie avec ces organisations pour que les think tanks français de la défense parviennent à faire entendre une voix indépendante de la France, même s’ils n’atteindront jamais la puissance de la Rand Corporation.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Je vous rejoins complètement sur voter objectif. J’en parlais ce matin dans ma présentation. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs think tanks dans le cadre de mes travaux ainsi qu’avec la DGRIS. Je pense que nous devons réfléchir aux moyens de soutenir davantage et mieux nos centres de recherche. La réforme du dispositif de soutien aux think tanks de la DGRIS mis en place en 2015 a porté ses fruits mais nous devons aller plus loin. Je vous propose de retirer votre amendement et de poursuivre la réflexion sur les modalités du renforcement de ce soutien.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement II-DN148 de M. Jean-Louis Thiériot est retiré.

 

Amendement II-DN156 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti-, rapporteur pour avis. Il vise à mettre en lumière la nécessité de la montée en puissance de nos capacités spatiales. Qui dominera l’espace aura un avantage sur le champ de bataille : nous n’avons pas suffisamment pris la mesure des besoins dans ce domaine ; l’amendement vise à combler notre retard pour ne pas revivre l’expérience des drones.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. Le PLF traduit les engagements de la LPM et comporte ainsi la première étape du patch de 6 milliards d’euros programmés pour le spatial. Les autorisations d'engagement s’élèvent à 1,2 milliard en  2024 pour le programme de « maîtrise de l’espace », soit une augmentation supérieure à 200 % par rapport à 2023. La programmation satisfait l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN157 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’un de mes précédents amendements évoquait l’activité des aéronefs ; celui-ci cible leur disponibilité. Les restrictions de diffusion d’informations en matière de disponibilité des flottes nous empêchent d’analyser l’efficience du maintien en condition opérationnelle (MCO). Ayant pu consulter les chiffres, je propose d’abonder le MCO de 280 millions d’euros, afin que la flotte –  notamment le triptyque MRTT, A400M, Rafale – puisse voler plus fréquemment.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN158 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il vise à donner plus de moyens au programme Scorpion, afin de renforcer les capacités d’évacuation médicale du service de santé des armées (SSA). Nous avons en effet des interrogations sur les livraisons des véhicules Griffon sanitaire (SAN) et Serval SAN.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’évacuation des blessés figure en effet parmi les nombreux enseignements du retour d’expérience de l’exercice Orion.

Il s’agit d’un amendement d’appel, mais, sur le fond, la version sanitaire du Griffon et du Serval n’en est qu’une parmi d’autres du programme Scorpion, toutes également importantes et que la DGA doit qualifier successivement. Huit autres sous-versions sont ainsi prévues pour le Serval – infanterie, génie, mortier de 81 millimètres, mortier de 120 millimètres, poste de commandement, missiles de moyenne portée (MMP), sol-air de très courte portée et ravitaillement.

Il appartient aux forces de prioriser les livraisons des différentes versions en fonction de besoins militaires associés. De récentes avancées sont à saluer car la DGA a pu qualifier, le 25 septembre dernier, la version du véhicule de patrouille blindé sanitaire du Serval : les livraisons vont pouvoir débuter pour ce véhicule, qui sera destiné aux équipes médicales mobiles du SSA. Celui-ci en attend 135 exemplaires, afin de remplacer d’ici à 2029 la version « évolution contre les engins explosifs improvisés (Évol Cied) » du véhicule de l’avant blindé (VAB). Par ailleurs, le SSA sera doté de 196 Griffon SAN, la DGA ayant déjà qualifié cette version en 2022.

Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN161 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous débutons l’examen d’une série d’amendements liés à lla partie thématique de mon rapport budgétaire.

Le premier concerne les militaires affectés outre-mer, lesquels bénéficient tous d’un logement du ministère : le financement du loyer s’effectue par une retenue sur salaire, qui représente 10 % pour un militaire mais 15 % pour un agent civil du ministère des armées. Cet amendement vise à supprimer cette inégalité de traitement en ramenant la retenue des personnels civils à 10 % de leur salaire.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN162 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà évoqué le sujet du coût du carburant pour les armées. Il s’agit de l’amendement que je proposais à nos camarades socialistes à la place du leur.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je partage votre inquiétude sur la hausse de ce coût. J’ai moi-même déposé un amendement en ce sens, qui me paraissait équilibré et proportionné aux besoins, alors que le vôtre, qui propose une augmentation des crédits de 100 millions d’euros, me semble quelque peu disproportionné ; j’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN163 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement porte sur le même sujet.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’avis est défavorable, car la loi de finances initiale pour 2024 prend déjà en compte pour partie votre demande. Nous rappelons chaque année l’existence de l’article 5 de la LPM, qui a joué dans les années précédentes.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la position du rapporteur pour avis M. François Cormier-Bouligeon, la commission rejette l’amendement II-DN164 de M. Bastien Lachaud.

 

Amendement II-DN165 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à limiter les irritants du quotidien qui ennuient les militaires et contribuent à affaiblir leur fidélisation, en augmentant les stocks d’habillement du service du commissariat des armées (SCA). Actuellement, 2 % du catalogue se trouve en rupture de stock : les produits les plus demandés, notamment les chaussures noires plates de taille 44, manquent régulièrement. L’amendement abonde les crédits du SCA pour que celui-ci reconstitue ses stocks d’habillement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN166 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il porte sur le statut des personnes occupant le poste de baleinier en Polynésie française ; celles-ci sont indispensables pour l’accostage dans les atolls ; chacun de ces derniers est unique, si bien que le temps de formation est très long. Ils ont longtemps bénéficié du statut de personnels civils de recrutement local (PCRL) et pouvaient travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Ils ont actuellement le statut de militaires commissionnés et ne peuvent donc pas dépasser dix-sept ans de service. L’essentiel de cette période est consacré à la formation, donc ils souhaiteraient pouvoir exercer plus longtemps.

Cet amendement d’appel vise à ouvrir une réflexion sur le statut des baleiniers, indispensables à notre présence en Polynésie.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Une fois n’est pas coutume, je suis en phase avec M. Lachaud. Les baleiniers n’appartenaient pas à la marine nationale, ils étaient rattachés aux gens de mer ; maintenant qu’ils ont rejoint la marine, ils ne peuvent pas servir plus de dix-sept ans car ils ne peuvent pas accéder au brevet supérieur. Il faut trouver une solution, qui pourrait emprunter la voie de la validation des acquis de l’expérience (VAE), pour que ces personnes, très peu nombreuses, puissent obtenir le brevet supérieur. L’avis est favorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Ils sont entre cinq et dix, pas plus.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN167 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Dans le cadre de la reconnaissance de la dette de l’État français à la suite des essais nucléaires dans le Pacifique, le ministère des armées a créé un statut de PCRL. Malheureusement, ces agents ne sont recrutés qu’à des postes équivalents aux catégories B et C de la fonction publique ; leur avancement est donc bloqué alors qu’ils remplissent souvent des tâches de catégorie A.

Ces agents apprécient ce statut protecteur et utile, mais ils aimeraient être reconnus à la hauteur de leurs qualifications – ils sont souvent surdiplômés –, de leur engagement et de la nature réelle des postes qu’ils occupent.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement II-DN168 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les forces de souveraineté sont très souvent sollicitées pour effectuer les évacuations sanitaires (Évasan), qui ne relèvent pourtant pas de leurs compétences. L’amendement vise à augmenter les moyens civils dédiés aux Évasan afin que les forces ne soient pas détournées de leurs missions opérationnelles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN169 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose une augmentation de 50 millions du budget de l’Igesa (institution de gestion sociale des armées), dont le rôle est fondamental tant pour les loisirs que pour la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN170 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose de doter de 220 millions supplémentaires la rémunération indiciaire des personnels militaires de la marine nationale, de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de l’espace, mais aussi des personnels exerçant des fonctions de soutien et logistique interarmées relevant du programme 178. Ce montant correspond à l’ensemble des mesures générales concernant la fonction publique qui se sont appliquées aux armées et garantit que le financement des mesures interministérielles n’est pas ponctionné sur la LPM.

La commission adopte l’amendement.

 

Avant l’article 50

 

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, elle rejette l’amendement II-DN2 de Mme Isabelle Santiago.

 

 

 

Amendement II-DN5 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). C’est une demande de rapport relatif à l’adaptation de la politique de rémunération des militaires, en vue d’améliorer l’équilibre entre rémunération indiciaire et indemnitaire.

Ces dernières années, le ministère des armées a repensé la solde de nos soldats en mettant en œuvre la NPRM. Le rapport annexé de la LPM 2024-2030 indique que « la revalorisation des grilles permettra […] aux militaires du rang de progresser dès les premières années de leur engagement […]. Une attention particulière sera portée à la reconnaissance des sous-officiers supérieurs […]. Les parcours d’officiers seront également valorisés en accompagnant mieux les potentiels et les performances constatées. La part indemnitaire de la politique salariale, quant à elle, ciblera les métiers et les expertises en forte tension et qui participent à nos pivots capacitaires ». Le PLF pour 2024 doit marquer l’achèvement du déploiement de la NPRM.

Ces efforts, salués par les principaux concernés, ne nous semblent cependant pas suffisants pour relever les défis de l’attractivité et de la fidélisation et face au sentiment de déclassement éprouvé par nos troupes. La baisse des cibles d’effectifs pour 2024 et la non-atteinte des objectifs de recrutement inscrits dans la LPM, pourtant votée il y a quelques mois, le prouve. La revalorisation du point d’indice est, elle aussi, bien insuffisante après plus de dix ans de gel.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN3 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport relatant les actions entreprises par le Gouvernement pour atteindre ses objectifs en matière de politique environnementale et de transition écologique dans le domaine des armées, et examinant la possibilité de créer une ligne budgétaire dédiée à la transition écologique dans le cadre de la mission Défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN1 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif d’économie de guerre concernant l’industrie de défense : politique d’accroissement et de gestion des stocks, notamment de munitions, maintien en condition des équipements, simplification des besoins, assouplissement des règles, etc.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable : l’amendement est satisfait par le rapport annuel prévu à l’article 9 de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-DN8 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport formulant, conformément à la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport sur l’exécution du budget 2022, une trajectoire d’autorisations d’engagement et de restes à payer, notamment pour le programme 146, sur une base pluriannuelle. Nous nous inquiétons toujours de l’augmentation des restes à payer.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 10 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel sur l’évaluation de la programmation budgétaire. L’augmentation des restes à payer est liée à celle des capacités, conforme à l’ambition commune qu’exprime la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN9 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur l’évaluation et l’état d’avancement des programmes d’armement en coopération dans le secteur de la défense, qu’il s’agisse des coopérations avec les États partenaires établies sur une base plurinationale ou des programmes lancés dans le cadre de l’Union européenne et financés par des crédits communautaires. Ce rapport évalue également dans quelle mesure le PLF inscrit dans les faits la coopération européenne et en quoi ces partenariats renforcent l’autonomie stratégique nationale sur la scène européenne dans deux domaines en particulier : les équipements et l’industrie ; la recherche et le développement.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’article 9 de la LPM prévoit déjà un rapport annuel qui traite de cette question.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Il demande un rapport sur le coût du retrait anticipé des forces armées françaises au Sahel et la redirection des budgets qui leur sont dédiés. Il est souhaitable que ce rapport comprenne un volet détaillant le coût de retour des matériels et équipements et un autre précisant les coûts de transport de personnels et la juste rémunération des militaires déployés et rapatriés dans de brefs délais. Enfin, le rapport ferait état de la répartition des fonds utilisés pour assurer la présence française dans la région ainsi que la pérennité des missions de défense alors que l’on se tourne davantage vers la coopération de sécurité et de défense.

Contre la position du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN25 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons un rapport sur le coût de développement des matériels et technologies innovants adaptés aux nouveaux espaces de conflictualité, qui différenciera bien le spatial, le cyber et les fonds marins.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Avis défavorable. La politique d’innovation de défense fait déjà l’objet d’un rapport annuel précis : le DrOID (document de référence de l’orientation de l’innovation de défense), édité par l’AID (Agence de l’innovation de défense). Il est vrai que l’édition 2023 du document n’a pas encore été publiée, pour tenir compte des nouvelles priorités fixées dans la LPM, mais l’AID m’a fait savoir qu’il sera publié très prochainement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN109 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport destiné à faire la transparence sur le recours éventuel de l’État à des ESSD (entreprises de services de sécurité et de défense) pour l’exercice budgétaire 2024.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN113 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il demande un rapport relatif à l’impact des reports de commande sur le coût des programmes et la capacité des armées à honorer les contrats opérationnels.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Défavorable. Nous en avons longuement parlé dans le cadre de la LPM. Il est normal de revoir les cibles d’année en année en fonction des priorités et contraintes géostratégiques et géopolitiques.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN114 de M. Aurélien Saintoul

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Selon la Cour des comptes, la contribution de la France à l’Otan devrait coûter 830 millions d’euros en 2030. En parallèle, nous dépensons chaque année 700 millions en nature sur le flanc est de l’Europe, en mettant à disposition certains moyens de nos armées. Nous souhaitons savoir très précisément comment cette contribution en nature est prise en compte au sein de l’Otan dans le financement de l’Alliance par la France. Nous voulons également connaître les objectifs du Gouvernement s’agissant de l’obtention de financements de l’Otan. Bref, y a-t-il une vision, une stratégie française au sein de l’Otan, qui justifie que nous soyons revenus au sein du commandement intégré et qui prenne en compte ce que nous faisons pour l’Organisation de sorte que nos armées bénéficient de retours sur investissement ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis.  La question de l’OTAN et celle de notre stratégie vis-à-vis de cette organisation ont été longuement débattues pendant la LPM. Un rapport du gouvernement sur ces sujets est d’ailleurs prévu dans son rapport annexé.

Par ailleurs, rien n’empêche notre commission de faire une mission d’information sur ce sujet.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous auditionnerons mardi prochain les membres de la Cour des comptes qui ont consacré un rapport à cette question.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous avons déjà eu ce débat à propos de la LPM. Chaque fois, on nous dit que la commission va faire une mission d’information. Chiche !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN118 et II-DN120 de M. François Piquemal

Mme Martine Étienne. Le premier de ces deux amendements vise à obtenir un rapport relatif aux moyens mis en œuvre pour lutter contre les débris spatiaux. Il s’agit d’établir les priorités, en énumérant les risques et les moyens d’action, pour consacrer à ce problème un véritable budget en loi de finances et en programmation.

Les débris spatiaux, raison principale de la dégradation de nos matériaux, peuvent même détruire nos équipements. Le problème s’aggrave d’année en année, à mesure que le trafic spatial augmente et que les méga-entreprises aux dirigeants milliardaires, comme Elon Musk, se livrent à une course spatiale sans fin. L’ESA (Agence spatiale européenne) donne l’alerte et souligne l’importance de technologies permettant de prévenir le phénomène. Elle ajoute qu’« en parallèle, les régulateurs doivent surveiller de plus près les engins spatiaux placés sous leur juridiction ainsi que l’adhésion aux mesures d’atténuation des débris ».

Le second amendement demande un rapport sur les moyens mis en œuvre dans le domaine de la météo spatiale. Seule une parfaite connaissance, maîtrise et anticipation des événements comme les éruptions solaires permet d’appréhender convenablement le domaine spatial et de protéger nos matériaux. Or la météo spatiale ne fait pas l’objet d’une délégation de service public : ce sont des start-up, françaises ou non, qui travaillent sur cette question. Le Gouvernement prévoit-il de continuer à faire appel à des services privés ou souhaite-t-il investir dans un opérateur d’État spécifique ? L’étude de l’espace repousse les limites de nos connaissances et développe notre humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Chacun comprendra la préoccupation de La France insoumise concernant les vieux débris – spatiaux, évidemment – compte tenu de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les activités de l’armée de l’air et de l’espace. Plus sérieusement, c’est un sujet qui se traite au niveau européen, notamment dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (ESA). Je ne vois pas en quoi un rapport national aiderait cette agence à bien documenter et appréhender la question. Et ce n’est pas davantage par un rapport que nous traiterons le sujet de la météo spatiale. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une question importante de souveraineté à laquelle vous ne pouvez pas répondre « l’Europe fera ». La France n’est plus la première contributrice nette au budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) : c’est désormais l’Allemagne, qui détermine donc un peu plus que nous les orientations de l’agence. Or nous n’avons pas les mêmes objectifs, la même vision de l’utilité de l’espace que les Allemands. Nous avons, pour notre part, un commandement de l’espace, qui a besoin de gérer la question des débris, et toutes nos armées dépendent de la météo spatiale. Ne balayons donc pas la question d’un revers de main.

Nous sommes les seuls à avoir insisté sur l’enjeu de l’espace lors des trois dernières campagnes présidentielles. Nous sommes ravis de constater que la majorité s’est enfin résolue, dans le cadre de la dernière LPM, à considérer l’espace, le cyber et les fonds marins comme des enjeux centraux, ainsi que nous le faisons depuis plus de dix ans. Néanmoins, vous n’allez pas assez loin. La manière dont vous réagissez à ces amendements démontre bien que vous n’avez pas encore pleinement compris l’importance de l’espace pour les conflits de demain et, au-delà, pour la survie de l’humanité.

M. Mounir Belhamiti, rapporteur pour avis. Nos collègues de LFI sont les seuls à ne pas avoir voté la loi de programmation militaire et le renforcement de 6 milliards des moyens pour le spatial. Nous n’avons pas de leçons à recevoir dans ce domaine, Monsieur Lachaud. Par ailleurs, je n’ai pas dit « l’Europe fera », mais que ce n’est pas avec des demandes de rapport qu’on traitera ces questions.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je chercherai la date de l’anniversaire de notre collègue Bastien Lachaud pour lui offrir l’ensemble des discours d’Emmanuel Macron. Il pourra ainsi constater que son groupe n’est pas le seul à parler de ces sujets.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN143 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). Si le bloc NPRM, c’est-à-dire la nouvelle politique de rémunération des militaires, va globalement dans le bon sens, les associations professionnelles nationales nous ont alertés sur un point qui semble essentiel : certains profils sont pénalisés par l’indemnité de garnison et sa fiscalisation dès lors que le taux marginal d’imposition dépasse 15 %. Nous soulignons, par cet amendement qui demande au Gouvernement de nous remettre un rapport, la nécessité de modifier le décret du 24 mai 2023 pour aller vers une défiscalisation de l’indemnité et éviter à nos militaires une perte de pouvoir d’achat.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je suis favorable à la défiscalisation de l’indemnité de garnison, mais une demande de rapport n’est pas le bon moyen d’atteindre cet objectif. Il faudrait soit revenir maintenant sur le décret soit attendre 2025 pour voir réellement les effets de l’indemnité. Je vous demande donc de retirer l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense modifiés.

 


—  1  —

   ANNEXE : AUDITIONS ET DÉPLACEMENTS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

 

1. Auditions (par ordre chronologique)

     État-major de l’armée de l’air et de l’espace – M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major, et M. le colonel Sébastien Estève, cabinet du chef d’état-major ;

 

     Ministère de l’Europe et des affaires étrangères – M. Marc Abensour, ambassadeur thématique chargé de l’Indopacifique ;

 

     État-major des armées - M. le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » ;

 

     Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) – M. le général de division aérienne Laurent Rataud, commandant ;

 

      Son Excellence M. François Chih-Chung Wu, représentant de Taïwan en France ;

 

     État-major de l’armée de l’air et de l’espace – M. le général de brigade aérienne Hugues Pichevin, directeur des relations extérieures ;

 

     Airbus - M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques, M. Cyrille Fevre, Responsable « grands comptes » pour Airbus Helicopters, M. le général de corps aérien (2S) Guy Girier, conseiller défense, et M. Olivier Masseret, directeur des affaires institutionnelles ;

 

     État-major de l’armée de l’air et de l’espace - M. le général de corps aérien Manuel Alvarez, directeur des ressources humaines ;

 

     Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique M. Clément Boisnaud, sous-directeur de la 5ème sous-direction, direction du budget, et M. Benoit Malbrancke, chef du bureau de la défense et de la mémoire, direction du budget ;

 

     Dassault Aviation - M. Bruno Giorgianni, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté, directeur de cabinet du président-directeur général.

 

2. Déplacements

     La Réunion :

 

         Commandement des forces armées dans la zone sud de l’océan indien (FAZSOI) – rencontre avec M. le général de brigade Laurent Cluzel, commandant supérieur, M. le capitaine de vaisseau Cyrille de Cerval, adjoint interarmées et commandement de zone maritime sud de l’océan indien, M. le colonel Nicolas Souchon, chef d'état-major interarmées, et les officiers du commandement des FAZSOI ;

 

         Base aérienne 181 de Saint-Denis – rencontre avec M. le général de division aérienne Dominique Tardif, sous-chef « activité » de l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, M. le lieutenant-colonel Romain Gaston, commandant de la base, les officiers et les aviateurs de la base.

 

     Istres:

 

         Base aérienne 125 d’Istres – rencontre avec Mme le colonel Anne-Laure Michel, commandant de la base aérienne, les officiers et les aviateurs de la base.

 


([1])  Audition du vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 21 juin 2023.

([2]) Vision stratégique de l’armée de l’air et de l’espace, 27 avril 2022.

([3]) LPM 2019-2025, rapport annexé, section 2.2.1.

([4]) LPM 2024-2030, rapport annexé, section 2.1.

 

([5]) Élie Tenenbaum, avec Morgan Paglia et Nathalie Ruffié, « Confettis d’empire ou points d’appui ? L’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté », Focus stratégique, n° 94, Ifri, février 2020.

 

([6])Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’espace, et du général de corps aérien Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques              , commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 25 janvier 2023.

([7])Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’espace, et du général de corps aérien Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques              , commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 25 janvier 2023.

([8])Ibid.

([9])  « La très haute altitude : un nouvel espace de conflictualité ? », site du ministère des Armées.

([10])  Audition du vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 21 juin 2023.

([11]) Général (2S) Frédéric Parisot, « Le format de l’aviation de chasse de l’armée de l’espace : une équation complexe à plusieurs variables », les Cahiers de la RDN, juin 2023.

([12])« EUNOMIA » : l'A400M convoie pour la première fois des Rafale en Grèce », site du ministère des Armées.

([13]) Général (2S) Frédéric Parisot, « Le format de l’aviation de chasse de l’armée de l’espace : une équation complexe à plusieurs variables », les Cahiers de la RDN, juin 2023.

([14]) Zone militaire, «Faute d’avions de transport disponibles, la préparation opérationnelle des troupes aéroportées reste insuffisante », 6 août 2023.

([15]) 20 Puma, 11 Caracal, 2H225 et 3 Super Puma VIP.

([16]) 27 Caracal, 2H225, 3 Super Puma VIP.

([17])https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministerearmees/Fiche%20LPM%20%20Syracuse%20IV%20%28programme%20de%20communication%20par%20satellites%29.pdf.

([18]) Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.

 

([19]) Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.

([20]) « Les contrats opérationnels pris en référence sont ceux de la LPM 2019-2025. Ces indicateurs traduisent la capacité des armées, directions et services à être engagées, pour une durée limitée, dans une opération de coercition majeure tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur les théâtres d’opérations déjà ouverts. Le contrat opérationnel prévoit une simultanéité partielle entre les engagements en opération de gestion de crise et les opérations en coercition ».

([21]) LPM 2024-2030, rapport annexé.

([22]) Général Manuel Alvarez, « Disposer d’aviateurs à la hauteur des engagements de demain », les Cahiers de la RDN, juin 2023 : « La sécurité-protection des bases aériennes a ainsi vu ses effectifs diminuer de 30 %, la maintenance aéronautique a perdu 4 000 postes sur les 18 000 existants et la fonction gestion RH a été amputée de 40 % de ses effectifs. En outre, plusieurs bases aériennes ont fermé et les états-majors ont été profondément réorganisés. Il faut convenir que cet effort nous a mis en difficulté et qu’il est impératif, aujourd’hui, de rééquilibrer un modèle érodé par des années de déflation ».

([23]) 17e rapport thématique du HCECM, juillet 2023.

([24]) Une période de 18 ans s’est par exemple écoulée entre le démonstrateur du Rafale (1986) et son entrée en service opérationnel dans les forces (2004). Pour rappel, le démonstrateur du New Generation Fighter (NGF) du programme SCAF est attendu aux mieux pour 2029.

([25]) LPM 2024-2040, rapport annexé.

([26]) Éric-André Martin et Marie Krpata, “The Dilemma of Middle Powers : How AUKUS Has Reshaped the Potential for E3 Cooperation in the Indo-Pacific”, Ifri, Notes du Cerfa, No. 166, octobre 2021..

([27]) Jérémy Bachelier et Céline Pajon, « La France dans l’Indo-Pacifique. Pour une posture stratégique pragmatique », Focus stratégique, n° 117, Ifri, octobre 2023.

([28]) Ibid.

([29]) Ministère des Armées, « La stratégie de défense française en Indopacifique », 2019.

([30]) Ibid.

([31]) Discours du président de la République à l’occasion de la Conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs, 28 août 2023.

 

([32]) LPM 2024-2030, rapport annexé.

([33])  Audition du vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 21 juin 2023.

([34])  Dominique de Legge, Rapport d’information sur les forces de souveraineté, commission des finances du Sénat, 5 octobre 2022.

([35]) Élie Tenenbaum, avec Morgan Paglia et Nathalie Ruffié, « Confettis d’empire ou points d’appui ? L’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté », Focus stratégique, n° 94, Ifri, février 2020.

 

([36]) Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, commission de la défense nationale et des forces armées, 6 avril 2023.

([37])Audition du général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’espace, et du général de corps aérien Jérôme Bellanger, commandant des forces aériennes stratégiques              , commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 25 janvier 2023.

([38]) Zone militaire, « La force aérienne allemande envoie six Eurofighter EF-2000 dans la région Indopacifique », 16 août 2022.

 

([39]) Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.

 

([40]) LPM 2024-2030, rapport annexé : « Les espaces de partage, sous un format ‘‘club utilisateurs’’, seront développés, en s'appuyant sur nos succès à l'export tels que le Rafale ou le CAESAR ».

([41])https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministerearmees/Projet%20de%20Loi%20de%20Finances%202024%20-%20LPM%20ann%C3%A9e%201%20%2809%202023%29.pdf

([42]) M. Cédric Perrin, Rachid Temal, Hugues Saury, Jacques Le Nay, André Gattolin et Joël Guerriau, « La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 25 janvier 2023.

 

 

([43]) Dominique de Legge, Rapport d'information sur les forces de souveraineté, Commission des finances, Sénat, 5 octobre 2022.

([44]) Ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur.