N° 459

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 octobre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324),

 

TOME III

 

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

 

 

PAR M. Guillaume BIGOT

Député

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 Voir le numéro : 324.

 


SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. un budget qui demeure considÉrable malgrÉ une baisse conjoncturelle

A. trois PROGRAMMES principaux finançant LA POLITIQUE D’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

1. Le programme Aide économique et financière au développement

a. L’aide économique et financière multilatérale

b. L’aide économique et financière bilatérale

c. Le traitement de la dette des pays pauvres

2. Le programme Solidarité à l’égard des pays en développement

a. La coopération bilatérale

b. La coopération multilatérale

c. La coopération européenne

3. Le programme Fonds de solidarité pour le développement

B. deux programmes liÉs aux besoins en capital de l’Agence Française De dÉveloppement et À la lutte contre la corruption transnationale

1. Le programme Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement

2. Le programme Restitution des « biens mal acquis »

II. une aide publique au dÉveloppement illisible, coÛteuse et peu efficace

A. Une Aide publique coÛteuse et peu lisible

1. Une APD française qui se prête difficilement à l’analyse

2. Le trou noir de l’APD européenne

3. Un poids pour le contribuable qui excède largement la mission APD

B. Un volet multilatÉral envahissant et des engagements financiers prÉocCupants

1. Des versements multilatéraux lourds et incontrôlés

2. Des engagements financiers sources d’inquiétudes pour une France surendettée

C. Une aide insuffisamment efficace qui sert peu les intÉrÊts français

1. Une efficacité limitée de l’aide apportée

2. Des retombées insuffisantes pour les entreprises françaises

3. Une contribution marginale à la maîtrise des flux migratoires

4. Un pilotage à reprendre en main

Travaux DE LA commission

Remerciements

ANNEXE : Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES par le rapporteur POUR AVIS

 


   introduction

La mission Aide publique au développement (APD) regroupe une partie des crédits budgétaires consacrés à la politique de développement de la France. Elle ne représente qu’un tiers des presque 15 milliards d’euros de dépenses d’APD notifiées chaque année par la France au Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces 15 milliards d’euros d’aides sont à mettre en regard avec les 223 milliards de dollars investis dans ce domaine par l’ensemble des pays du CAD de l’OCDE.

De nature interministérielle, la mission APD mêle des crédits du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie et des crédits du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Les trois principaux programmes qui la composent financent des contributions multilatérales, d’une part, et une aide bilatérale, d’autre part. Cette aide bilatérale revêt la forme de dons ou celle d’une bonification de prêts à des États en développement. Deux autres programmes budgétaires, plus marginaux, visent à renforcer les fonds propres de l’Agence française de développement (AFD) ainsi qu’à restituer les avoirs issus de la corruption aux populations lésées d’un certain nombre de pays.

Le budget de la mission Aide publique au développement a augmenté vigoureusement et de manière continue de 2018 à 2023, les crédits de paiement passant de 2,7 milliards d’euros à 5,9 milliards d’euros. La loi de finances initiale pour 2024 a stabilisé ces crédits à 5,8 milliards d’euros. Le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 a annulé 742 millions d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et de crédits de paiement (CP) de la mission APD. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une diminution des AE de 7 % et des CP d’environ 10 %.

Quoi qu’il en soit des réductions limitées contenues dans le projet de loi de finances 2025 (PLF 2025), les montants de l’aide publique au développement demeurent considérables. Au-delà des seuls crédits budgétaires de la mission, le projet annuel de performance prévoit une nouvelle augmentation des crédits de paiement en 2026, ce qui traduit sinon une volonté de sanctuariser les crédits alloués à l’APD, du moins une forme d’inertie dans leur programmation.

Au-delà des objectifs de solidarité internationale, par définition louables, poursuivis par cette aide, sa nature exacte et sa mise en œuvre méritent d’être interrogées. Les objectifs de développement durable (ODD) sont présentés aujourd’hui comme la priorité de l’APD. Celle‑ci peut toutefois contribuer aussi à la défense des intérêts de la France, en particulier à la promotion de son influence à l’international et de ses échanges commerciaux avec les pays bénéficiaires.

Compte tenu de l’ampleur des montants engagés et de la dégradation spectaculaire de nos comptes publics, le rapporteur pour avis a souhaité se pencher sur l’efficacité de cette aide tant pour les populations qui en sont bénéficiaires que pour le contribuable français qui la finance.

 


I.   un budget qui demeure considÉrable malgrÉ une baisse conjoncturelle

L’APD globale française, telle qu’elle est comptabilisée annuellement et notifiée au Comité d’aide au développement de l’OCDE, a dépassé le seuil des 10 milliards d’euros en 2017. Elle a atteint en 2022 un montant de 15,2 milliards d’euros, soit 0,56 % du revenu national brut (RNB), faisant de la France le quatrième bailleur mondial. D’après les données préliminaires fournies par l’OCDE, elle se serait légèrement rétractée en 2023, pour s’établir à 14,2 milliards d’euros, soit 0,50 % du RNB, reléguant notre pays au cinquième rang des donateurs, sachant que notre pays se situe en 11e position dans le classement mondial du RNB.

Les crédits budgétaires, examinés dans cet avis, représentent environ un tiers, de l’APD française ([1]). Dans le projet de loi de finances pour 2025, les crédits de paiement de la mission Aide publique au développement sont en légère baisse, à 5,15 milliards d’euros, contre 5,93 milliards d’euros dans la loi de finances initiale pour 2024. Les crédits de paiement connaissent donc une diminution d’environ 605 millions d’euros par rapport à l’an passé, soit une baisse de 10,51 %. Les autorisations d’engagement baissent de 450 millions d’euros, soit ‑ 7,34 %. Le rapporteur pour avis note que ces baisses des AE et des CP sont calculées après l’ajout du programme 384 dans la mission. Ainsi, à programme constant, la mission APD voit une baisse de 19,3 % en AE et une baisse de 23,3 % en CP, ce pourcentage de baisse intervenant avant l’annonce du Gouvernement de supprimer 640 millions de l’APD sans qu’il ait été communiqué sur quels programmes cette baisse serait ventilée.

En dépit de sa légère contraction, le montant du budget de l’APD demeure, à périmètre constant, supérieur de près de 70 % aux crédits APD de l’exercice 2017. Pour l’année 2026, le Gouvernement prévoit des crédits de paiement repartant à la hausse à 5,36 milliards d’euros.

A.   trois PROGRAMMES principaux finançant LA POLITIQUE D’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

La mission interministérielle APD se décompose en deux programmes principaux : le programme n° 110 Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, et le programme n° 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, piloté par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Un troisième programme, relatif au Fonds de solidarité pour le développement (n° 384), est institué par le PLF 2025 pour pérenniser juridiquement l’activité de ce fonds.

1.   Le programme Aide économique et financière au développement

Le programme 110 Aide économique et financière au développement est doté, dans le projet de loi de finances pour 2025, de 2,52 milliards d’euros en AE et de 1,72 milliard d’euros en CP, en baisse respectivement de 9,61 % et de 26,40 % par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2024. Ce programme recouvre trois actions : l’aide économique et financière multilatérale, l’aide économique et financière bilatérale ainsi que le traitement de la dette des pays pauvres.

a.   L’aide économique et financière multilatérale

Le programme 110 comporte toujours une part très significative de crédits destinés à des institutions multilatérales de développement : 1 milliard est inscrit en CP, soit une baisse de 30,79 % ; en revanche, 1,38 milliard est prévu en AE, soit une hausse de pas moins de 125,3 % par rapport à 2024. Les demandes réitérées, en particulier du législateur, tendant à réduire la part des financements multilatéraux au profit des financements bilatéraux ont donc été ignorées.

Les différentes participations et contributions financées sont extrêmement nombreuses : Fonds fiduciaire en faveur des Territoires palestiniens, Fonds d’aide au commerce, Fonds de lutte contre les juridictions non coopératives, Assistance macrofinancière (AMF+) en faveur de l’Ukraine, Fonds pour l’environnement mondial (FEM), Fonds dédié au cadre mondial pour la biodiversité, Fonds pour les pays les moins avancés, Fonds vert pour le climat, bonifications des prêts de l’AFD au Fonds vert pour le climat, Association internationale de développement (AID), Fonds africain de développement (FAD), Fonds asiatique de développement (FAsD), Fonds international de développement agricole (FIDA), bonification du prêt de l’AFD au FIDA, etc.

Il convient de relever le montant très élevé des AE – soit 1,25 milliard d’euros – prévues pour le financement de l’Association internationale de développement (AID), qui est une branche de la Banque mondiale ayant pour mission d’accorder des dons, d’allouer des prêts à taux fortement concessionnels et de conseiller les pays les plus pauvres. Les négociations pour la 21e reconstitution de l’AID seront conclues avant la fin de l’année et la contribution de la France sera engagée en totalité en 2025.

b.   L’aide économique et financière bilatérale

Le programme 110 comprend ensuite des crédits d’aide bilatérale, pour des montants globaux de 1,14 milliard d’euros en AE et de 636 millions d’euros en CP en 2025, soit une diminution de 45,55 % en AE et de 13,28 % en CP par rapport à 2024. La bonification de prêts de l’AFD représente la majeure partie de cette aide bilatérale : 962,3 millions d’euros en AE et 286,5 millions d’euros en CP sont prévus pour les bonifications de prêts à des États étrangers. Ces bonifications permettent d’abaisser le taux d’intérêt des prêts octroyés par l’AFD. Du fait de la croissance de l’activité de prêts bonifiés de l’agence, les autorisations d’engagement, dans ce domaine, ont fortement progressé ces dernières années.

50 millions d’euros en AE et 35 millions d’euros en CP financeront les « aides budgétaires globales » (ABG) pour l’Afrique subsaharienne, regroupant les aides bilatérales, destinées aux États, et les aides tournées vers les institutions régionales de développement (telles que les commissions de l’Union économique et monétaire ouest-africaine et de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale).

En outre, les crédits de cette action permettront de financer, à hauteur de 23 millions d’euros en AE et de 25 millions d’euros en CP, le Fonds d’expertise technique et d’échange d’expériences (FEXTE), créé en 2013 pour répondre aux besoins d’expertise dans les pays émergents, dans des domaines tels que la croissance verte et solidaire ou la gouvernance économique et financière. Ils financeront aussi, à hauteur de 24 millions d’euros en AE et de 28 millions d’euros en CP, le Fonds d’étude et d’aide au secteur privé (FASEP), qui remplit des missions d’études de faisabilité et d’assistance technique, notamment pour les entreprises françaises. Les crédits d’aide bilatérale du programme 110 financent encore – pour des montants souvent importants – de très nombreux autres instruments : le Fonds Infrastructures civiles ukrainiennes (120 millions d’euros en CP), le Programme de renforcement des capacités commerciales (PRCC), le Pôle de recherche en économie du développement de Clermont-Ferrand, le Partenariat France Climat, le Fonds d’innovation pour le développement (FID), l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), etc.

Une dotation de 11,6 millions d’euros en AE et de 9,2 millions d’euros en CP est prévue pour l’agence Expertise France, filiale de l’Agence française de développement. Cette dotation correspond pour l’essentiel, d’une part, à la dotation au titre de la commande publique, stable sur le triennal à hauteur de 3,85 millions d’euros, et, d’autre part, au fonds de compensation destiné à couvrir le déficit existant sur certains projets réalisés sur fonds européens ([2]).

Il convient également de noter l’enveloppe de 7 millions d’euros en AE et en CP, consacrée à un dispositif d’experts techniques internationaux dédiés à l’influence économique. Ces experts sont détachés par Expertise France auprès des autorités décisionnaires des pays bénéficiaires, d’une part, et de banques multilatérales de développement et d’institutions financières internationales, d’autre part, pour une durée de deux ans, éventuellement renouvelable.

c.   Le traitement de la dette des pays pauvres

Le programme 110 finance également des annulations de dettes bilatérales et multilatérales : à cet effet 52,7 millions d’euros sont prévus en CP (en diminution de 53,6 % par rapport à 2024).

Les crédits inscrits pour 2025 serviront à compenser deux annulations de dettes, l’une des pays pauvres très endettés (PPTE) envers l’Association internationale de développement (AID), pour un montant de 22 millions d’euros de CP, et l’autre des mêmes PPTE envers le Fonds africain de développement (FAD), pour un montant de 30,7 millions d’euros.

2.   Le programme Solidarité à l’égard des pays en développement

De son côté, l’autre principal programme d’aide publique au développement, le programme 209, piloté par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, se voit allouer 2,13 milliards d’euros en AE et 2,4 milliards d’euros en CP, respectivement en baisse de 32,98 % et de 26,2 %. Le programme 209 comprend trois actions : une action de coopération bilatérale, une autre de coopération multilatérale et, enfin, une dernière action de coopération communautaire. L’action relative aux dépenses de personnel, qui existait antérieurement, a été supprimée, les crédits de masse salariale et les emplois du programme 209 étant transférés, à compter du 1er janvier 2025, au sein du programme 105, intitulé Action de la France en Europe et dans le monde.

a.   La coopération bilatérale

La coopération bilatérale est soit directement actionnée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (crédits de gestion et de sortie de crise, d’aide humanitaire et d’aide alimentaire, soutien aux dispositifs de volontariats, appui à la société civile et à la coopération décentralisée), soit indirectement par le biais des entités du groupe AFD. Cette action se voit attribuer 1,55 milliard d’euros en AE et 1,7 milliard d’euros en CP dans le projet de loi de finances pour 2025, soit, respectivement, des baisses de 29,45 % et de 22,41 %.

Les crédits de cette action financent l’aide-projet gérée par l’AFD : 760 millions d’euros en AE et 936 millions d’euros en CP sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025, contre 1,03 milliard d’euros en AE et 985 millions d’euros en CP l’année dernière. L’effort budgétaire consenti sur la mission APD aura donc un impact, au cours des prochaines années, sur le montant des subventions de l’AFD, et donc aussi certainement sur le volume de ses projets.

L’aide‑projet gérée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères bénéficie, elle aussi, de ces crédits, à hauteur de 141 millions d’euros en AE et CP, contre 187 millions d’euros en AE et 184 millions d’euros en CP l’an passé. L’aide‑projet du MEAE finance le Fonds Équipe France (FEF), appelé à devenir l’outil principal à disposition des postes et de l’administration centrale pour déployer et suivre des projets de coopération sur le programme 209.

Ces crédits de coopération bilatérale permettent par ailleurs d’attribuer des moyens à un certain nombre d’établissements tels qu’Expertise France ([3]), l’Institut Pasteur et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Ces crédits financent également l’aide alimentaire programmée (AAP) qui lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, en particulier au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger), dans les territoires palestiniens, en République démocratique du Congo (RDC), en Haïti, au Soudan et dans la Corne de l’Afrique. Ils sont, en outre, destinés au Fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS). En cas de crise, ce fonds peut être mobilisé pour fournir des aides en nature, mener des actions humanitaires ou financer des actions de stabilisation.

b.   La coopération multilatérale

L’action Coopération multilatérale finance les contributions aux organisations internationales et aux fonds multilatéraux de développement : 441 millions d’euros en AE et 571 millions d’euros en CP sont alloués à cette action dans le projet de loi de finances pour 2025, soit des baisses, respectivement de 37,33 % et de 28,28 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.

Les crédits prévus au titre de cette action recouvrent une multitude de contributions diverses : contributions volontaires aux Nations unies (200 millions d’euros en AE et 218 millions d’euros en CP en 2025), Fonds de lutte contre les pandémies, Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH), Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), ONU-Femmes, Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Office de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), etc.

c.   La coopération européenne

Le Fonds européen de développement (FED), créé en 1957, a longtemps été l’unique instrument de coopération et d’aide au développement de la Communauté, puis de l’Union européenne. En 2021, le FED a été fusionné dans l’Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale dit « NDICI ([4]) ». Le budget général de l’Union européenne finance intégralement ce nouvel instrument de coopération européen. La France abondera donc le NDICI 2021-2027 via sa contribution au budget général de l’Union.

Toutefois, du fait de la pluriannualité de la programmation du FED, les contributions des États membres se poursuivront jusqu’en 2027, mais de façon décroissante chaque année, jusqu’à épuisement du « reste à liquider ». Pour 2025, la part du programme 209 consacrée à la coopération communautaire, à travers le Fonds européen de développement (FED), s’élève à 144 millions d’euros (en AE et en CP), en baisse de 49,4 % par rapport à 2024.

Il faut toutefois noter que le 11e et dernier FED était doté de 30,5 milliards d’euros et dont sa programmation était arrivée à son terme. La France deuxième contributeur de ce FED, avec 5,43 milliards d’euros, soit près de 18 %, arrivait juste derrière l’Allemagne qui apportait 20,58 % du total. Or, le Conseil a décidé le 12 juillet 2022, de mobiliser 600 millions d’euros de crédits désengagés des 10e (2008-2013) et 11e FED (2014-2020). Le procédé pose question et contredit la volonté de l’Union européenne de rationaliser l’utilisation des fonds avec le NDCI, dans lequel il aurait été logique de puiser, au lieu d’augmenter la participation de la France par des fonds n’étant pas dans le budget général.

3.   Le programme Fonds de solidarité pour le développement

Aux ressources des programmes 209 et 110 s’ajoutent celles du programme 384, aussi appelé Fonds de solidarité pour le développement, mis en place par le projet de loi de finances pour 2025 et piloté par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Ce nouveau programme, composé d’une seule action, poursuit la mission du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) dont il prend le nom.

Créé en 2005, le FSD alimentait jusqu’ici plusieurs fonds multilatéraux grâce à l’affectation d’une fraction du produit de deux taxes : la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et la taxe sur les transactions financières (TTF), pour un montant total plafonné à 738 millions d’euros (210 millions d’euros pour la TSBA et 528 millions d’euros pour la TTF).

La révision en 2021 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) a imposé de renoncer à ce mécanisme en budgétisant le FSD ([5]). Dans sa nouvelle rédaction, l’article 2 ([6]) de la LOLF dispose que « les impositions de toutes natures ne peuvent (…) être affectées à un tiers [autre que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale] et leur affectation ne peut être maintenue que si ce tiers est doté de la personnalité morale et si ces impositions sont en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées ». Le FSD étant dépourvu de personnalité morale, il ne pouvait continuer à se voir affecter des taxes.

Le programme 384 est destiné à assurer la pérennité des financements antérieurement assurés par le FSD. Il se voit donc attribuer une dotation de 738 millions d’euros, répartie entre deux budgets opérationnels de programme (BOP), l’un géré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (pour 487 millions d’euros) et l’autre par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie (pour 251 millions d’euros).

En 2025, le FSD poursuivra le financement volontaire de plusieurs fonds multilatéraux dans les domaines du climat, de l’éducation ou encore de la santé. Il est ainsi prévu de verser, au cours de cet exercice, 141,8 millions d’euros au Fonds vert pour le climat (FVC), 109,2 millions d’euros à la Facilité financière internationale pour la vaccination (IFFIM), 393,12 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le SIDA ([7]), la tuberculose et le paludisme (FMSTP), 85 millions d’euros à Unitaid ([8]) et 8,88 millions d’euros au Partenariat mondial pour l’éducation (PME).

Il faut noter que c’est l’AFD qui était gestionnaire du FSD ; il n’est pas indiqué dans le projet annuel de performance de la mission si cette organisation sera conservée dans le nouveau programme.

B.   deux programmes liÉs aux besoins en capital de l’Agence Française De dÉveloppement et À la lutte contre la corruption transnationale

La mission budgétaire APD est complétée par deux programmes plus récents et de moindre importance, nés du besoin de renforcer l’AFD en fonds propres, et de la volonté de restituer les avoirs issus de la corruption internationale aux populations spoliées d’un certain nombre d’États, via le financement d’actions de coopération et de développement.

1.   Le programme Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement

Le programme 365, Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement, a été créé en loi de finances pour 2021. Mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, il comporte une action unique.

Les crédits du programme 365 ont pour objet de recapitaliser l’AFD en 2025. Les besoins accrus en fonds propres de l’agence s’expliquent, notamment, par l’application de règles prudentielles auxquelles elle est assujettie en tant que société de financement. Une évolution législative européenne (entrée en vigueur du règlement européen CRR2 ([9])) a apporté une modification à la comptabilisation des fonds propres. Depuis juin 2021, les prêts de « ressources à condition spéciale » (RCS), octroyés dans des conditions très concessionnelles par l’État à l’AFD, ne sont plus pris en compte au titre des fonds propres pour le calcul du ratio « grands risques » auquel l’agence est soumise. Techniquement, l’opération prend la forme d’une conversion en fonds propres de base des prêts de ressources à condition spéciale.

Pour le prochain exercice, le programme 365 est doté en AE et en CP d’un montant égal aux versements de RCS à l’AFD effectués en 2025, à mesure des décaissements par celle‑ci des prêts concessionnels aux États étrangers adossés à des RCS, soit 145 millions d’euros. Symétriquement, ces prêts seront remboursés de façon anticipée par l’agence sur le programme 853 ([10]), de sorte que l’opération de conversion se révélera neutre pour le budget de l’État.

2.   Le programme Restitution des « biens mal acquis »

En application de l’article 2 de la loi de programmation du 4 août 2021 ([11]), un programme 370, placé sous la responsabilité du ministère des affaires européennes et des affaires étrangères, a été créé par la loi de finances pour 2022 en vue de la restitution des « biens mal acquis ». Ce programme doit restituer aux populations lésées par la corruption de leurs dirigeants, sous forme de projets de développement, les recettes issues de la cession par l’Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (AGRASC) de ces biens. Auparavant, le produit des biens mal acquis, définitivement confisqués par la justice, abondait le budget général de l’État français ([12]).

Un premier versement sur le programme 370, à hauteur de 6 millions d’euros environ, est intervenu dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2024. Les crédits versés sont issus de la cession de biens dans le dossier Obiang ([13]). L’allocation de cette somme fera l’objet d’un accord négocié avec les autorités de Guinée équatoriale.

Pour 2025, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères anticipe, compte tenu des informations disponibles sur les différentes procédures en cours, un montant de recettes non fiscales, et corrélativement de crédits à ouvrir sur le programme 370, de 140,3 millions d’euros. Ces crédits sont inscrits à l’action n° 1 BMA (Biens mal acquis) Coopération bilatérale ([14]).

 

 

Synthèse du budget de l’APD pour 2025

 

Mission interministérielle Aide publique au développement

Autorisations d’engagement (AE) : 5,7 milliards d’euros (‑ 7,34 %).

Crédits de paiement (CP) : 5,2 milliards d’euros (‑ 10,51 %).

Diminution des AE de 450 millions et des CP de 605 millions d’euros par rapport à 2024.

 

Programme 110 Aide économique et financière au développement (MEFSIN)

Autorisations d’engagement : 2,5 milliards d’euros (­­‑ 9,61 %).

Crédits de paiement : 1,7 milliard d’euros (‑ 26,40 %).

 

Programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement (MEAE)

Autorisations d’engagement : 2,1 milliards d’euros (- 32,98 %).

Crédits de paiement : 2,4 milliards d’euros (- 26,2 %).

 

Nouveau Programme 384 Fonds de solidarité pour le développement (MEAE) : 738 millions d’euros pour le financement de fonds multilatéraux dans la santé, l’éducation et le climat (budgétisation de l’ancien FSD).

 

Cumul des crédits de paiement des programmes 110, 209 et 384 : 4,8 milliards d’euros (‑ 25 %).

 

Points saillants concernant le programme 110 :

Fort accroissement des autorisations d’engagement pour l’aide multilatérale : + 125 %, dont AE à hauteur de 1,25 milliard d’euros pour la 21e reconstitution de l’Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale.

Forte baisse des autorisations d’engagement pour l’aide bilatérale.

 

Points saillants concernant le programme 209 :

Forte baisse des autorisations d’engagement pour la coopération bilatérale et multilatérale.

Baisse sensible des crédits de paiement pour la coopération bilatérale et multilatérale.


RÉpartition des crÉdits budgÉtaires de la mission apd

Source : projet de loi de finances pour 2025, dossier de presse.

 

 

Principaux financements destinés à l’AFD dans le PLF 2025

Programme 110

Bonifications du prêt de l’AFD accordé à l’AID : 14,2 millions d’euros en CP.

Bonifications du prêt de l’AFD accordé au FIDA : 0,6 million d’euros en CP.

Bonifications des prêts AFD au Fonds vert pour le climat : 4,2 millions d’euros en CP.

Rémunération de l’AFD pour la mise en œuvre de la coopération technique de l’État : 7 millions d’euros en AE et en CP.

Bonifications des prêts de l’AFD aux États étrangers : 962,3 millions d’euros en AE et 286,5 millions d’euros en CP.

Programme 209

Aide-projet gérée par l’AFD : 760 millions d’euros en AE et 936 millions d’euros en CP.

Rémunération de l’AFD : 91,3 millions d’euros.

Programme 365

Renforcement des fonds propres de l’AFD : 145 millions d’euros en AE et en CP.


II.   une aide publique au dÉveloppement illisible, coÛteuse et peu efficace

L’aide publique au développement de la France apparaît à la fois peu lisible, ce qui entrave son analyse aussi bien que son contrôle, et coûteuse, en particulier pour le contribuable français. Elle est constituée pour les deux cinquièmes de contributions multilatérales correspondant à des engagements pluriannuels, ce qui lui confère une forme d’inertie qui s’exerce au préjudice, tant de son pilotage politique que du consentement à l’impôt. Dans un contexte de surendettement de la France et de hausse des taux, la part considérable qu’occupe l’octroi de prêts bonifiés à des États fragiles dans le cadre de notre APD, ne peut que susciter l’inquiétude. Son efficacité sur le terrain paraît toute relative, tant les objectifs et les destinataires de notre APD sont nombreux et ses buts paraissent souvent et hors d’atteinte. Enfin, notamment sur le plan des retombées économiques et de la maîtrise des flux migratoires, notre APD ne contribue que marginalement à la défense des intérêts de notre pays.

A.   Une Aide publique coÛteuse et peu lisible

L’APD de la France est marquée par une telle hétérogénéité de ses acteurs, de ses domaines comme de ses financements, qu’il est malaisé d’en évaluer l’efficacité et le coût pour le contribuable. Cette aide comporte aussi une double dimension européenne, puisque la France finance généreusement les dispositifs européens d’APD et que l’Union européenne délègue aussi la gestion de certains fonds aux opérateurs français. Cette volonté de mêler effort français et effort continental en matière d’APD – qui traduit parfois la recherche légitime d’effets de levier – révèle aussi un parti pris idéologique, comme le manifeste la décision, défendue par la France, d’inclure, dans la comptabilisation de l’APD européenne, l’addition des APD de chaque État membre.

1.   Une APD française qui se prête difficilement à l’analyse

Le dispositif français d’aide publique au développement est empreint d’une grande complexité.

L’APD relève tout d’abord d’un grand nombre d’acteurs : ministères (dont ceux chargés des affaires étrangères et de l’économie et des finances), agences du groupe AFD (dont la compétence ne limite pas à l’APD mais s’étend aux outre‑mer), collectivités territoriales, organisations de la société civile (OSC), organisations internationales et fonds multilatéraux, Union européenne, etc. Pour remplir les multiples objectifs (géographiques et sectoriels) qui lui sont assignés, elle revêt principalement deux formes, les prêts ou les dons, et transite essentiellement par deux canaux : l’un bilatéral et l’autre multilatéral. Son pilotage politique est assuré par le conseil présidentiel du développement (CPD) et le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ainsi que, à un niveau plus technique, par le « cosecrétariat du CICID », tandis que le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), avec ses dix collèges, permet de consulter la société civile et de l’associer à l’élaboration de cette politique.

Cette complexité de l’APD transparaît surtout dans ses sources de financement, d’une part, et dans les différents volets de ses réalisations concrètes, telles qu’elles sont mesurées a posteriori, d’autre part. Les sources de financement comprennent des crédits budgétaires dont un tiers seulement est regroupé dans la mission APD –, mais aussi une partie du prélèvement européen effectué sur les recettes de l’État, des fonds délégués par l’Union européenne, une fraction des recettes des collectivités territoriales, etc.

Quant aux réalisations concrètes, elles font l’objet d’une comptabilisation statistique a posteriori, sur la base de critères définis par l’OCDE. C’est cette comptabilisation qui aboutit à évaluer chaque année l’APD globale de la France (14,2 milliards d’euros en 2023).

Si ce chiffre, ou son ordre de grandeur, est déjà peu connu, plus rares encore sont ceux – en dehors des spécialistes – qui savent ce qu’il recouvre. On y inclut, par exemple, les frais d’accueil des réfugiés en provenance de pays en développement, au cours de leur première année de séjour en France (pour un montant de 1,4 milliard d’euros en 2022, soit 10 % de l’APD globale), les bourses et frais d’études des étudiants (6 % de l’APD globale), des instruments d’aide au secteur privé (4 % de l’APD globale) et de nombreux versements à des fonds multilatéraux (41 % de l’APD globale).

L’APD française est donc constituée d’un agglomérat de dépenses hétérogènes (rappelées dans le tableau ci‑après).

Ce caractère quelque peu labyrinthique de notre aide publique au développement complexifie son analyse et soulève, à l’évidence, la question de son contrôle démocratique. Ceci est d’autant plus vrai que les objectifs parfaitement louables et parfois vitaux poursuivis par cette politique d’aide au développement sont, par nature, incontestables, ce qui provoque une sorte d’inhibition démocratique à débattre de l’opportunité de nos programmes d’APD. Il devrait cependant être possible de questionner notre politique en la matière sans pour autant contester les objectifs généraux qu’elle est censée poursuivre.

 


APD française notifiÉe au CAD de l’OCDE, par nature de dÉpenses

en millions d’euros

2017

2018*

2019*

2020*

2021*

2022**

APD totale

10 052 

 10 283  

 10 908 

12 394

13 112

15 294

I.A. APD bilatérale

5 898 

 5 659  

 6 629  

8 026

7 859

8 954

I.A.1. Soutien budgétaire

938 

 237  

 604  

405

151

154

I.A.2. Soutien bilatéral de caractère général aux organisations, programmes et financements groupés

174 

 171  

 115  

276

327

313

I.A.3. Interventions de type projet

2 182 

 1 993  

 2 212  

3 247

3 357

4 051

I.A.4. Experts et autres formes d’assistance technique

644 

 610  

 631  

630

677

727

I.A.5. Bourses et autres frais d’étude dans les pays donneurs

816 

 844  

 793  

872

785

932

                  - dont coûts imputés des étudiants

655 

 695  

 631  

708

627

749

I.A.6. Allégement de la dette

92 

 115  

 18  

340

0

11

I.A.7. Frais administratifs non compris ailleurs

497 

 533  

 598  

596

629

672

I.A.8. Autres dépenses dans le pays donneur

563 

 695  

 1 093  

1 089

989

1 470

                  - dont aide aux réfugiés

552

 679  

 1 081  

1 074

978

1 456

9. Montants restitués sur des dons et des engagements négatifs

-2 

-

 -    

-2

 

0

10. Instruments d’aide au secteur privé***

0

 460  

 563  

570

918

623

I.B. APD multilatérale

4 153 

 4 624  

 4 279  

4 368

5 279

6 340

I.B.1.1. Organismes des Nations unies (hors Protocole de Montréal)

246 

 288  

 372  

425

755

696

I.B.1.2. Union européenne

2 133 

 2 249  

 2 294  

2 501

2 607

2 974

I.B.1.3. Association internationale de développement (AID)

393 

 941  

 397  

409

527

445

I.B.1.4. Autres org. de la Banque Mondiale (AMGI, BIRD, SFI) 1

 10  

 55  

52

90

210

I.B.1.5. Banques régionales de développement

500 

 277  

 263  

176

209

213

I.B.1.6. Fonds pour l’environnement mondial

50 

 57  

 69  

55

53

62

I.B.1.7. Protocole de Montréal

 11  

 11  

-

11

9

I.B.1.8. Autres organismes

823 

 790  

 817  

751

1 026

1 731

Source : ministère de l’économie, des finances et de l’industrie

Note de lecture : la somme des sous-catégories peut être supérieure à un total, compte tenu des arrondis

* Données en équivalent-don. La réforme de l’équivalent-don (EqD), mise en œuvre depuis 2018, comptabilise les prêts de manière plus adéquate pour les pays en développement.

** Données 2022 non définitives, en cours de validation par les services de l’OCDE

*** À partir de 2018, les instruments d’aide au secteur privé sont comptabilisables en APD, ils sont calculés en flux nets.

1 AMGI : Agence multilatérale de garantie des investissements ; BIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le développement ; SFI : Société financière internationale

 

 

2.   Le trou noir de l’APD européenne

L’APD, à l’échelon européen, est réalisée quasi intégralement par le biais d’un dispositif appelé « Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale », dit « NDICI » (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument), doté de 79,5 milliards d’euros pour la période 2021-2027 ([15]). Cet instrument a pris le relais du Fonds européen de développement ([16]). Il est financé par des ressources budgétaires qui proviennent des États membres. Ces financements sont notifiés à l’OCDE en tant qu’APD, à la fois par les États membres et par l’Union européenne. L’APD « européenne » globale est constituée à la fois de la part imputable aux États membres et d’une part résiduelle, composée de prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) sur ressources propres et de l’assistance macrofinancière allouée par la Commission européenne à des États partenaires.

Cette APD compte pour une part importante de l’APD française puisque, en 2022, elle représentait 2,9 milliards d’euros sur un montant total déclaré de 15,3 milliards d’euros. Le contrôle démocratique exercé sur cette aide apparaît là encore déficient. La France abonde le budget général de l’Union européenne pour financer de l’APD, pour un montant de près de 3 milliards d’euros, et le peuple français comme ses représentants disposent d’une très faible visibilité sur l’emploi de ces fonds.

Il y a pourtant matière à évaluation et à critique concernant l’APD européenne, comme l’illustre le cas du Fonds fiduciaire d’urgence (FFU) de l’Union européenne pour l’Afrique, créé en octobre 2015 avec l’ambition de remédier aux causes profondes de la migration, de l’instabilité et des déplacements internes de populations sur ce continent. Ce FFU a été financé à hauteur de 66,9 % par le Fonds européen de développement, de 20,8 % par le budget de l’Union européenne et de 12,3 % par les États membres (et d’autres donateurs). Au-delà des exemples édifiants repris par la presse (dons de mixeurs à des écoles dépourvues d’électricité, bénéficiaires fantômes, projets comptabilisés plusieurs fois, infrastructures inutilisées, etc.), le bilan du rapport spécial de la Cour des comptes européenne est sans appel : « les choix de financement n’ont pas été assez ciblés (…). Les objectifs du FFU pour l’Afrique sont restés trop généraux et les rapports de recherche n’ont guère influé sur sa stratégie (…) les enseignements tirés et les évaluations approfondies des besoins ne sont pas suffisamment pris en considération (…). L’évaluation des risques potentiels pour les droits de l’homme n’a pas été exhaustive (…). Le système de suivi regroupe les indicateurs de réalisation de tous les projets, mais nous avons constaté qu’il manque de précision et qu’il surévalue les réalisations (…). Les données disponibles restent insuffisantes pour démontrer que le FFU pour l’Afrique remédie aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de manière durable. » ([17]) . Les réponses apportées par la Commission européenne à ces critiques apparaissent indigentes ([18]), ce qui est d’autant plus consternant que ce rapport cinglant de la CCE, intervient six ans après un premier contrôle dont les conclusions n’avaient pas été moins sévères et dont aucune leçon n’a été tirée par la Commission ni par le Conseil.

3.   Un poids pour le contribuable qui excède largement la mission APD

Le montant de la mission budgétaire APD, qui dépasse annuellement les 5 milliards d’euros, est loin de résumer l’intégralité du coût de cette politique pour le contribuable. Il faudrait, par exemple, y intégrer les crédits qui financent l’accueil des réfugiés lors de leur première année de séjour ainsi que les bourses et frais d’étude des étudiants. Les administrations directement concernées ne paraissant elles‑mêmes pas toujours au fait du rattachement de ce type de dépenses à l’APD ([19]), comment espérer que la représentation nationale le soit ?

Le projet annuel de performance du programme 852 (Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France) précisant que celui‑ci « est une composante de la politique transversale d’aide publique au développement », ses crédits devraient être pris en compte, de même qu’une partie des crédits prévus au programme 851 Prêts du Trésor à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France, s’agissant des prêts de nature concessionnelle. Il conviendrait d’y inclure aussi la partie de la contribution française au budget de l’Union européenne finançant l’instrument NDICI (2,9 milliards d’euros en 2022). La part prise par les collectivités territoriales à l’aide publique au développement ne devrait pas non plus être omise. Le coût global précis de l’APD pour le contribuable français apparaît donc à ce jour comme un « halo » qui n’est ni calculé, ni publié.

S’agissant spécifiquement du principal opérateur qu’est l’AFD, celle­‑ci ne manque pas de vanter son « modèle économique robuste ([20]) », ne manquant jamais une occasion de souligner qu’elle ne bénéficie d’aucune subvention de fonctionnement de l’État et même de se féliciter de lui reverser chaque année, à titre d’actionnaire, un dividende correspondant à 20 % de son résultat ([21]). Cette présentation est quelque peu cosmétique. En effet, outre l’immobilisation des fonds propres de l’AFD, qui n’est pas neutre pour l’État, le travail de l’agence repose en large partie sur les crédits budgétaires que lui verse l’État. Il s’agit d’abord des crédits de bonification (programme 110) visant à abaisser le coût de ses prêts tant pour les pays (962,3 millions d’euros en AE et 286,5 millions d’euros en CP) que pour les organismes internationaux emprunteurs. Il s’agit ensuite des crédits (du programme 209) finançant l’aide‑projet de l’AFD (760 millions d’euros en AE et 964 millions d’euros en CP). Si l’AFD a aussi une activité bancaire plus classique avec des prêts non concessionnels, il est évident qu’elle n’est pas détachable du reste de son action et qu’elle s’inscrit dans le cadre global de l’activité d’un établissement public détenu par l’État et bénéficiant de sa garantie.

B.   Un volet multilatÉral envahissant et des engagements financiers prÉocCupants

Les plus hautes autorités françaises ont délibérément choisi, concrètement, d’accorder une large place aux versements à des fonds multilatéraux, qu’il s’agisse d’instances rattachées au système des Nations unies ou de fonds ad hoc tels que le Fonds vert pour le climat ou le Fonds pandémies. Cette priorisation, contraire aux intentions affichées par les gouvernements successifs comme à la volonté exprimée par le législateur en 2021, affaiblit le contrôle sur l’emploi des fonds et la défense des intérêts français. Par ailleurs, notre APD, qu’elle soit multilatérale ou bilatérale, met en jeu des engagements financiers considérables dont le risque global ne paraît pas avoir été totalement mesuré, ni garanti.

1.   Des versements multilatéraux lourds et incontrôlés

Dans son rapport de juillet 2024 consacré au financement des actions multilatérales de la France ([22]), la Cour des comptes indique que 271 organismes internationaux bénéficient de contributions financières, obligatoires ou volontaires, de notre part. Relevons au passage que nombre de ces organismes ont des compétences qui se chevauchent, ou qui recoupent celles de programmes bilatéraux français, et que ce paysage institutionnel mériterait amplement d’être rationalisé. Surtout, les contributions multilatérales à ces organismes (financées par les programmes 110 et 209 mais aussi par le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde) ont fortement augmenté, passant de 3,04 milliards d’euros en 2017 à 4,45 milliards d’euros en 2023, soit + 46 %. Les contributions multilatérales versées par la France (qui débordent donc le champ strict de l’APD) ont représenté, en 2023, une dépense budgétaire totale de 4,45 milliards d’euros, sans compter la contribution au budget de l’Union européenne. Le montant cumulé de ces contributions multilatérales (hors UE) a atteint 25,1 milliards d’euros sur la période 2017-2023. À titre de comparaison, ce montant représente deux fois et demie le budget annuel du ministère de la justice ([23]).

La loi n° 2021-1 031 du 4 août 2021 ([24]) visait pourtant « au renforcement, d’ici 2022, de la composante bilatérale de l’aide publique au développement de la France » en précisant que celle-ci devait atteindre, en moyenne, 65 % du total de notre aide sur la période 2022-2025. Corrélativement, le législateur indiquait que « l’action bilatérale, qui avait diminué au cours des dix dernières années, est essentielle pour projeter à l’international nos priorités géographiques et sectorielles ». Or, loin d’avoir été ramenée à 35 %, la part multilatérale de l’APD française a atteint 41 % en 2022, et est remontée à 43 % en 2023.

Par ailleurs, si l’APD notifiée à l’OCDE diminue de 6,7 % en 2023 (à 14,2 milliards d’euros), cette baisse porte davantage sur l’aide bilatérale, qui décroît de 9 % (à 8,1 milliards d’euros), que sur l’aide multilatérale, qui diminue de 3 % (à 6,1 milliards d’euros). La mise à contribution de l’APD au redressement des finances publiques préserve donc largement l’aide multilatérale, ce qui s’explique puisque la France a souscrit des promesses qui engagent sa signature pour plusieurs années.

À cet égard, la complexité de la gestion de l’APD est devenue telle, notamment en raison de la part prise par le multilatéral, que son contrôle politique apparaît entravé. La Cour des comptes relève à ce sujet : « Au-delà de l’enjeu de lisibilité et d’efficacité de la dépense, le constat est aussi celui d’une augmentation de la part prise, dans les contributions internationales françaises, par les contributions dites volontaires, qui s’ajoutent aux contributions obligatoires aux organisations multilatérales. Entre 2017 et 2022, le montant des contributions volontaires, versées par la France, a presque doublé. Dans le périmètre pris en compte pour l’enquête, leur part dans le total des contributions est passée de 50 % en 2020 à 72 % en 2022. » ([25]) La contradiction est nette avec les exigences formulées par la loi du 4 août 2021.

Ce point a été confirmé lors des auditions. Il a en effet été indiqué au rapporteur pour avis que, bien qu’il y ait des injonctions et des orientations claires émanant du co‑secrétariat du CICID tendant à réduire la part du multilatéral, des décisions sont prises progressivement, en fonction des demandes de contributions ou de renouvellements de fonds. Cela reflète une certaine souplesse ou adaptation face aux besoins internationaux, bien que cela puisse parfois entrer en conflit avec les orientations politiques initiales. Cette dynamique de prises de décision « au fil de l’eau » peut influencer la direction des flux financiers vers le multilatéral, malgré les injonctions d’équilibrer ces contributions avec les canaux bilatéraux. Ce témoignage corrobore les remarques de la Cour des comptes qui affirme que « les différents services du MEAE et du Trésor ne sont pas suffisamment outillés pour suivre le « fléchage » des contributions multilatérales et en rendre compte précisément. Les notions de versements obligatoires et volontaires sont elles-mêmes incertaines » ([26]). Ceci entraîne une difficulté importante pour la prise de décision politique car ces services ne sont en mesure de préparer seuls les arbitrages interministériels nécessaires. La Cour des comptes précise encore : « Dans le paysage administratif morcelé dans lequel s’inscrivent les contributions internationales, l’indispensable coordination interministérielle est assurée par la cellule diplomatique de la présidence de la République. En l’absence de tableau de bord exhaustif permettant d’anticiper l’ensemble des arbitrages à rendre, elle est saisie au cas par cas des enjeux d’actualité et des décisions à prendre. » ([27]). C’est pourquoi le rapporteur demande que les instances de décision politique disposent d’une liste et d’un calendrier des arbitrages à rendre. La globalité de ce travail devrait aussi être transmise au Parlement afin que les engagements financiers de la France à l’étranger puissent être suivis et contrôlés par le législateur.

Des engagements (« pledges ») ont en effet été pris au plus haut niveau de l’État, lors de sommets internationaux, visant à abonder certains grands fonds multilatéraux, notamment dans le domaine de la santé, en ne manquant pas au passage de donner force publicité à ces engagements. Même si ces engagements ne prennent pas la forme d’accords internationaux au sens strict, on ne peut manquer de s’interroger sur leur légitimité au regard de l’article 53 de la Constitution selon lequel « les traités ou accord (…) qui engagent les finances de l’État (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en fonction d’une loi ». Le projet annuel de performance de la mission APD, annexé au projet de loi de finances pour 2025, après avoir rappelé que la France est le deuxième contributeur au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, indique que : « le président de la République a annoncé en septembre 2022 la contribution de la France pour le cycle 2023-2025, qui s’élève à 1,596 milliard d’euros, soit une hausse de 23 % par rapport à la contribution pour le cycle 2020-2022 ». Pour ce qui est de Gavi, l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, « le 20 juin [2024], le Président de la République a annoncé le maintien d’un engagement financier au moins équivalent à celui en cours pour la période 2021-2025, soit 500 millions d’euros valorisés sur cinq ans ». Le même document budgétaire nous apprend que, « en 2021, pour la 20e reconstitution de l’AID, la France a annoncé une contribution de 1 457,2 millions d’euros, ramenée à 1 445,6 millions d’euros (1,74 milliard de dollars) grâce à un paiement accéléré sur trois ans ». Pour le Fonds Pertes et Préjudices, qui vise à compenser les répercussions néfastes et les dégâts du changement climatique, lors de la COP28 de décembre 2023, « le président de la République a annoncé une contribution de la France au Fonds pouvant aller jusqu’à 100 millions d’euros ». S’agissant du Fonds de lutte contre les pandémies, « le président de la République avait annoncé une contribution de la France à hauteur de 50 millions d’euros en marge du Sommet G20 de Bali (novembre 2022), étalés sur 2022-2025 ». L’impression se dégage au fond que la France, voyant son PIB diminuer en part relative face à la croissance de nombreuses économies dans le monde, cherche à masquer son déclassement par des versements inconsidérés et croissants à une multitude de fonds multilatéraux.

Une fois ces engagements pris, à grand renfort de communication, les administrations compétentes des affaires étrangères et du Trésor n’ont d’autre choix que de les tenir, ce qui tend mécaniquement à réduire le volet bilatéral de l’aide publique au développement. Dans son rapport, daté d’avril 2024, consacré à l’exécution budgétaire 2023 de la mission APD, la Cour des comptes relève que « l’ampleur des engagements juridiques et politiques pluriannuels, qu’ils ne font que constater, laisse peu de marges de manœuvre pour piloter les crédits budgétaires ». Quelle est la réalité du contrôle démocratique qui est exercé sur les engagements financiers considérables qui sont pris lors de ces sommets internationaux ? Ces engagements étant presque systématiquement pluriannuels, ils heurtent de plein fouet le principe d’annualité budgétaire.

Pour justifier l’augmentation de ces contributions multilatérales considérables, qui découlent d’engagements unilatéraux voire personnels, il est souvent affirmé que, le système multilatéral étant fragilisé, il est important que la France contribue à l’étayer et qu’elle y défende ses intérêts. Les contributions volontaires seraient ainsi des instruments efficaces pour marquer notre soutien aux Nations unies et y renforcer notre influence. Les contributions volontaires aux organisations internationales constitueraient un levier pour favoriser des réformes souhaitées par la France et promouvoir ses valeurs et ses normes.

Ces arguments n’emportent pas la conviction. Les contributions françaises, même lorsqu’elles sont parmi les premières en montants, sont fondues dans la masse de l’ensemble des contributions. L’apport spécifique de la France n’est nullement mis en relief et notre pays n’en retire aucun gain en termes de réputation ou d’image. Notre influence ne cesse au contraire de se dégrader, notamment en Afrique subsaharienne où les décideurs de notre APD avaient décidé d’accroître et de concentrer leurs moyens dans une stratégie explicite au terme de laquelle le volet développement devait servir les volets défense et diplomatie. En outre, la contribution de l’APD au développement des entreprises françaises, déjà délicate dans un cadre bilatéral, devient impossible dans un cadre multilatéral. Enfin, la France n’est guère en mesure de suivre l’emploi des fonds versés. Le fait de disposer d’un siège au conseil d’administration, à Unitaid ou au FMSTP, par exemple, ne suffit pas à exercer un suivi précis sur l’emploi de nos subsides, ni à orienter la politique de ces structures. Nos ambassades n’en ont pas davantage les moyens. La France n’est donc nullement en mesure d’évaluer de façon précise les bénéfices sur le terrain des actions menées grâce aux financements considérables qu’elle verse aux fonds multilatéraux.

Dans son rapport de juillet 2024, la Cour des comptes fait ressortir tant les insuffisances de l’aide multilatérale que les critiques de fond qu’on peut lui adresser. La Cour montre ainsi que la France pratique peu le « fléchage » de ses contributions, c’est‑à‑dire qu’elle demande peu que ses contributions servent à tel ou tel objet qu’elle aurait défini parce qu’il correspondrait à ses priorités politiques : « la part des contributions françaises au « système des Nations unies » qui financent des activités définies par la France est entre deux et quatre fois plus faible que celle de ses partenaires » ([28]).

Les tableaux ci-après, tirés de ce rapport, illustrent la spécificité du modèle d’intervention français, qui recourt nettement moins que d’autres grands bailleurs au « fléchage » de ses contributions.

IntensitÉ du « flÉchage » des contributions volontaires

au système des Nations unies

Ratio Fléchées/ Volontaires

2017

2018

2019

2020

2021

France

78 %

48 %

48 %

60 %

67 %

Allemagne

95 %

90 %

89 %

88 %

90 %

États-Unis

93 %

94 %

96 %

96 %

94 %

Source : Nations unies

IntensitÉ du « flÉchage » de l’ensemble des contributions

au système des Nations unies

Ratio Fléchées/ Total

2017

2018

2019

2020

2021

France

18 %

15 %

16 %

24 %

31 %

Allemagne

74 %

70 %

70 %

75 %

77 %

États-Unis

62 %

62 %

67 %

69 %

69 %

Source : Nations unies

Il faut noter que la participation française au budget de l’Union européenne, pour la part servant à financer l’APD européenne (2,9 milliards d’euros en 2022), a la nature d’une contribution multilatérale. Or, cette APD continentale sert elle‑même en large partie à abonder des fonds multilatéraux. Elle finance ainsi, par exemple, le FMSTP, le Programme alimentaire mondial (PAM), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Fédération internationale des sociétés de la croix rouge et du croissant rouge, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), etc. La participation de la France est ainsi doublement multilatérale, d’une part en étant versée au budget de l’Union européenne, puis en étant reversée dans des fonds multilatéraux.

2.   Des engagements financiers sources d’inquiétudes pour une France surendettée

La France est à elle seule trois fois plus endettée que la totalité du continent africain. Selon la Banque africaine de développement « la dette extérieure totale de l’Afrique, qui s’établissait à 1 120 milliards de dollars américains en 2022, a atteint 1 152 milliards de dollars [soit 1 043 milliards d’euros] à la fin 2023 ([29]) ». En comparaison, la dette française, toutes administrations publiques confondues, s’élevait, à la même date, 3 100 milliards d’euros, soit environ le triple ([30]). À la fin de l’année 2023, la dette publique française représentait 110 % du produit intérieur brut (PIB), contre environ 60 % pour la dette africaine.

On ne peut que s’interroger sur le sens économique qu’il y a, pour la France, à continuer à s’endetter, à des conditions de moins en moins favorables, pour financer une aide – en large partie constituée de prêts (qu’il s’agisse du coût-État des prêts de l’AFD ou des prêts du Trésor ([31])) – à destination d’un continent globalement trois fois moins endetté qu’elle. Rappelons que les taux d’intérêt de la dette française sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne, de la Slovénie ou du Portugal. Quant au « spread », écart de rendement entre les obligations françaises et allemandes à long terme, il a atteint un plus haut depuis 2012. La France devra financer en 2024 un déficit public de 166,6 milliards d’euros. La charge budgétaire de la dette prévue pour 2025 est de 54,9 milliards d’euros. Alors que le risque pour la France d’une crise financière grave est réel, est-il raisonnable d’emprunter sur les marchés financiers pour octroyer ou financer à son tour des prêts ? Ajoutons qu’en cas de hausse des taux d’intérêt, ce mécanisme de bonification des prêts peut aboutir à accroître nos dépenses d’APD sans qu’un euro de plus soit mis à la disposition des populations aidées.

Par ailleurs, l’exposition de la France à un risque de nature systémique, lié au risque de défauts en cascade des pays débiteurs souvent fragiles, dans un contexte international particulièrement volatil, n’est guère évoquée alors qu’il est lui aussi réel. Dans une analyse publiée le 25 juillet 2023, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) ([32]) écrivait : « Au cours des deux dernières années, une nouvelle vague de défauts souverains a vu le jour dans les économies émergentes et en développement (Argentine, Biélorussie, Équateur, Ghana, Liban, Sri Lanka, Suriname, Ukraine, Zambie) (…) le risque d’une série de défauts dans les EMDE [économies émergentes et en développement] reste élevé (…) L’émergence de la Chine comme créancier public de grande envergure constitue une vulnérabilité supplémentaire pour les EMDE. Depuis 2015, la Chine est en effet devenue le principal créancier public des économies émergentes et en développement. » ([33]).

La question se pose d’ailleurs du sens qu’il y a à octroyer des prêts concessionnels à des pays en développement, puis le cas échéant à annuler ou rééchelonner ces prêts, si c’est pour qu’ensuite les États concernés s’endettent auprès d’autres États. Comme l’avait indiqué le président Macron, en marge d’une réunion du G5 Sahel à N’Djamena le 16 février 2021 : « Rien ne sert de restructurer les dettes africaines à l’égard de l’Europe et des États-Unis, si c’est pour en contracter plus à l’égard de la Chine. » ([34])

Bien que parfaitement explicité, ce risque n’est en même temps suivi d’aucune action corrective. S’agissant de l’AFD, elle possède un statut de société de financement (de même que ses filiales Proparco et la Société de gestion de fonds de garantie d’outre‑mer – SOGEFOM). Ses activités sont financées par des ressources budgétaires, par des emprunts auprès de l’État (prêts de ressources à condition spéciale – RCS) et par des emprunts de marché. Le volume d’émissions obligataires de l’AFD pour l’exercice 2023 s’est élevé à 8,03 milliards d’euros. Compte tenu des émissions réalisées en 2023, le stock nominal de la dette de marché de l’AFD à la fin de l’année 2023 atteignait un volume de 51,3 milliards d’euros. En tant que société de financement, l’AFD est soumise à des règles prudentielles ainsi qu’au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Celle‑ci s’assure de sa solvabilité, du niveau et de la qualité de ses fonds propres et de l’appréciation qu’elle fait des risques. L’AFD partage le niveau de notation de l’État français, soit actuellement une notation « AA – » pour les agences Fitch et Standard & Poor’s.

L’encadrement en termes de ratios prudentiels et de solvabilité ne dissipe cependant pas toutes les inquiétudes concernant l’AFD. Les remarques qui ont été faites plus haut sur la fragilité des pays ou organismes débiteurs, et les risques systémiques que fait courir leur fragilité, valent aussi pour l’agence. La Cour des comptes signale d’ailleurs, dans un rapport d’avril 2024, que « le besoin d’abondement par l’État du compte de réserve de l’AFD, inédit en 2022 (50 millions d’euros), a (…) atteint 209 millions d’euros en 2023. Ce nouvel aléa sur le programme s’explique par la dégradation de l’environnement macroéconomique de plusieurs contreparties de l’Agence, notamment les pays sahéliens, qui accroît le besoin de provisionnement sur les prêts qui leur sont accordés (180 millions d’euros pour le seul Niger). » ([35]). L’AFD a, en outre, fourni au rapporteur pour avis un tableau détaillant l’exposition (en cours et reste à verser) des prêts souverains de l’agence aux vingt pays les plus pauvres ([36]), selon l’année de la dernière échéance en capital. Ce tableau fait apparaître un montant total d’exposition de pas moins de 9,7 milliards d’euros. Il faut enfin noter que l’AFD a été rétrogradée, dans le classement international sur la transparence des principales agences de développement, de la 28e place en 2022 à la 35e place en 2024 ([37]).

Il a, par ailleurs, été indiqué au rapporteur pour avis en audition que, si les tutelles étaient minoritaires au conseil d’administration de l’AFD, c’était pour éviter que la dette de l’AFD soit incluse dans la dette publique. Une telle déclaration est grave à l’heure où l’ampleur de la dégradation non anticipée des comptes publics ([38]) fait peser sur de hauts responsables publics des soupçons d’insincérité et a conduit la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale à se doter, le 16 octobre 2024, des pouvoirs d’une commission d’enquête. Elle est révélatrice de la fragilité financière sur laquelle repose non seulement le dispositif d’aide publique au développement mais l’État lui‑même.

Symptomatique de cette fragilité financière, le tableau des « restes à payer » (au 31 décembre 2024), en crédits de paiement, pour le programme 110, est rien moins que rassurant ([39]). Le total de ces « restes à payer » s’élève à 1,5 milliard d’euros pour 2025, 880 millions d’euros pour 2026, 753 millions d’euros pour 2027, et à pas moins de 4,8 milliards d’euros au-delà de 2027. Les bonifications de prêts et les annulations de dettes représentent l’essentiel de ces sommes dont la France devra s’acquitter au cours des prochaines années.

C.   Une aide insuffisamment efficace qui sert peu les intÉrÊts français

S’il ne s’agit pas de nier les bénéfices réels apportés par l’APD française aux populations des États bénéficiaires, son efficacité sur le terrain doit néanmoins être relativisée. Ses objectifs sont trop nombreux, à l’image des dix priorités assignées par le Chef de l’État à notre APD et souvent très difficilement mesurables et contrôlables. Sur le plan des retombées économiques et du contrôle des flux migratoires, l’APD ne contribue que de manière marginale à la défense des intérêts de notre pays.

1.   Une efficacité limitée de l’aide apportée

L’aide publique au développement s’est vu assigner une multiplicité d’objectifs arrêtés lors de grands sommets internationaux, n’ayant, le plus souvent, donné lieu à aucun traité soumis à ratification : sommet de la Terre de Rio de 1992, objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés à New York en 2000, Agenda 2030 et objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015, programme d’action d’Addis-Abeba de 2015, etc. Ici encore, on peut s’interroger sur la réalité du contrôle démocratique exercé sur les conclusions de ces grands sommets internationaux relatifs à la protection des « biens publics mondiaux ». Rappelons que l’adjectif public renvoie à la racine latine « populus » qui signifie « peuple ». Puisqu’il n’existe pas de peuple mondial, comment parler de biens publics mondiaux ? En préférant évoquer la « protection des biens publics mondiaux » plutôt que de corriger les « externalités négatives de la mondialisation », on fait d’une pierre deux coups : on dissimule la responsabilité d’une mondialisation, dont on se refuse obstinément à dresser le bilan coûts‑avantages, comme on évite d’interroger celle d’États qui abritent ces fameux biens publics mondiaux et qui autorisent de grandes entreprises à les exploiter.

La suppression, lors de la réunion du CICID du 18 juillet 2023, de la liste des dix-neuf pays prioritaires ([40]), dont dix-huit africains, et son remplacement par une liste plus vague de pays « moins avancés » et « vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique », sont symptomatiques d’une évolution qui tend à faire la part belle aux pays émergents ou à revenus intermédiaires, au détriment des pays les plus pauvres, et à privilégier des objectifs éloignés du développement concret au détriment de la construction d’infrastructures de base et de la lutte contre la pauvreté. Tout aussi symptomatique de ce nouvel état d’esprit est le choix du conseil présidentiel du développement de rebaptiser notre politique d’aide publique au développement « stratégie française d’investissement solidaire et durable ». En réalité, cette stratégie française se résume à la signature de chèques à des fonds multilatéraux.

Par ailleurs, on ne peut qu’être perplexe en observant que, en équivalent‑don, les premiers secteurs d’allocation de l’APD bilatérale française en 2023 ont été l’égalité femme‑homme (2,5 milliards d’euros) et le climat et l’environnement (1,9 milliard d’euros). Il s’agit d’enjeux certes réels et incontestables mais on aurait pu s’attendre à ce que les secteurs prioritaires soient l’adduction d’eau, l’assainissement, l’électrification ou l’agriculture. Dans ses réponses au rapporteur pour avis, l’AFD indique avoir, par son action, « permis de réduire ou d’éviter l’émission de 5,3 millions de tonnes de CO2 » dans le monde en 2023 et ceci grâce à la promotion d’une « vision française de la lutte contre les changements climatiques » ([41]). Rappelons que les émissions de CO2 d’origine anthropique représentaient près de 41 milliards de tonnes la même année. L’intention est louable mais l’impact est totalement dérisoire tandis que les sommes employées, qu’il s’agisse de la bonification de prêts ou de subventions, sont, quant à elles, très conséquentes.

La multiplication des objectifs se double d’un éparpillement géographique. Le groupe AFD intervient ainsi dans 150 pays. De même qu’il apparaîtrait plus efficace de concentrer la majeure partie des moyens sur quelques grands chantiers sectoriels, la priorisation géographique, comme le recommande la Cour des comptes, constituerait un autre gage d’efficacité. La suppression de la liste des dix‑neuf pays prioritaires montre que l’on n’en prend malheureusement pas le chemin.

L’APD française aux Comores

Le rapporteur pour avis s’est rendu aux Comores, du 29 septembre au 2 octobre 2024, pour observer la mise en œuvre de la politique d’APD dans un pays bénéficiaire. Avec 45 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, une espérance de vie de 63,7 ans et la 160e place mondiale sur 187 concernant l’indice de développement humain (IDH), l’Union des Comores fait partie des pays les plus pauvres de la planète, et figurait sur la liste des dix-neuf pays prioritaires de l’APD française jusqu’à sa suppression en 2023.

L’APD de la France aux Comores se fait sous forme de dons, et non de prêts. Elle est apportée, en premier lieu, par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Cette aide est concentrée sur quatre dépenses : un soutien budgétaire pour la stabilisation de la balance des paiements via la Banque centrale des Comores par l’Agence France Trésor (11,79 millions d’euros en 2023), les coûts imputés des étudiants comoriens en France (7,28 millions d’euros), des bourses en faveur des étudiants comoriens (5,96 millions d’euros) et des projets portés par le service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade de France (1,03 million d’euros). L’APD est fournie, en second lieu, par l’AFD et sa filiale Expertise France.

 

 

Comores : l’action du groupe AFD

Le groupe AFD dispose aux Comores d’un portefeuille de projets d’un montant total de 252,1 millions d’euros octroyés, dont 60,9 millions ont déjà été payés et dont 191,9 millions restent à verser ([42]). La répartition par secteur d’activité du portefeuille en cours d’exécution en 2024 est retracée dans le graphique ci‑dessous.

S’il a permis de mesurer le remarquable professionnalisme de nos diplomates mais aussi des équipes de l’AFD et d’Expertise France ainsi que leur engagement dans leur métier et au service des populations locales, le déplacement aux Comores a aussi été l’occasion de dresser un bilan assez circonspect de l’aide que nous apportons. Certains projets paraissent indéniablement bénéfiques. À cet égard, on mentionnera, par exemple, un projet d’appui au secteur de la justice, consistant en la formation de magistrats et de greffiers locaux (2,5 millions d’euros, dont 1,1 million déjà décaissé), un projet de santé communautaire mis en œuvre par la Croix Rouge (2 millions d’euros entièrement dépensés) ou encore le développement de l’accès à des services durables d’eau potable sur l’île d’Anjouan (5,7 millions d’euros, dont 5,6 millions décaissés).

En revanche, d’autres projets suscitent la perplexité. Tel est le cas du projet de promotion des activités sportives et du projet de renforcement des partenariats avec les diasporas comoriennes. Tel est le cas, surtout, du programme d’appui à la mise en place d’une assurance maladie généralisée, d’un montant de 16 millions d’euros (dont 2,47 millions d’euros décaissés). On ne peut que s’interroger sur le sens d’un tel projet pour un pays dont l’économie est largement informelle et l’état civil rudimentaire, placé 162e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International ([43]) et où près d’un tiers de la population est analphabète ([44]).

 

Comores : santé, éducation et activité économique

Le rapporteur a retiré des impressions contrastées et parfois déconcertantes de ses visites dans des établissements médicaux et scolaires aux Comores.

Le rapporteur pour avis a ainsi pu se rendre dans l’hôpital public de Mitsamiouli, financé par l’AFD, dans le Nord de la Grande Comore. Il a vu certes des bâtiments en relativement bon état et un peu de matériel. Une seule personne était présente pour une prise de sang. Aucun patient n’était hospitalisé, les panneaux installés et réinstallés par la France ne fonctionnaient toujours pas. Le bureau du directeur était l’unique pièce climatisée de cet établissement. Le personnel médical était pratiquement invisible. Avec de nombreux cas de diabète ([45]), des épidémies de grippe, une résurgence du choléra et la persistance du paludisme, les besoins sanitaires du pays sont pourtant criants.

La visite du rapporteur pour avis dans deux écoles primaires publiques, dont la rénovation a été financée par l’AFD a donné une impression similaire. Dans l’établissement scolaire de Vouvouni au sud de Moroni, prévenu de notre passage, des bâtiments de bonne qualité, des cours de récréation, des sanitaires, et très peu d’élèves suivant des cours. Dans la seconde école, visitée à l’improviste, les salles de classe, rénovées, étaient quasi vides. Dans un pays jeune à la démographie dynamique, ceci ne peut que surprendre.

L’une des explications tient, semble‑t‑il, à ce que les structures privées tendent à supplanter les structures publiques aux Comores. Les médecins gagnent mieux leur vie dans des cliniques privées et les patients pensent qu’ils y seront mieux soignés. De même, les écoles privées, dans lesquelles on enseigne parfois un islam rigoriste, rencontrent un grand succès, tant chez les professeurs que chez les familles.

Les hôpitaux et les écoles, sur l’île d’Anjouan, qu’il n’a pas été possible de visite, faute de temps, seraient davantage fréquentés. Le constat fait sur Grande Comore n’en interroge pas moins sur le sens des projets concernés voire sur leur utilité.

Le déplacement a également permis de visiter, au sud de Moroni, une briqueterie soutenue par l’AFD. On y fabrique des briques de terre compressée, à partir d’une variété de terre disponible sur l’île, avec des presses à main. Ces briques sont destinées à la construction et notamment à la rénovation des écoles aidées par l’AFD. La production y est modeste. De nombreuses personnes sont présentes dans cet atelier, avec un rôle plus ou moins définissable. Cette briqueterie est dépourvue de toute rentabilité, ne serait‑ce que parce que le coût de fabrication de la brique est supérieur à celui du parpaing utilisé sur l’île.

2.   Des retombées insuffisantes pour les entreprises françaises

Alors qu’elle avait historiquement une aide relativement « liée », la France fournit désormais une aide presque entièrement « déliée », c’est‑à‑dire qu’elle se refuse à conditionner son APD au fait de recourir à des entreprises françaises. L’aide « liée » est en effet contraire aux normes de l’OCDE, et en particulier à une recommandation de son Comité d’aide au développement datant de 2001 ; elle ne peut donc à ce titre être déclarée et comptabilisée comme APD. Ceci n’empêche pas d’autres bailleurs, comme les États-Unis, de pratiquer largement l’aide liée, à plus de 30 % de leur APD. La France, elle, s’en fait scrupule, par peur, comme cela a été indiqué en audition au rapporteur pour avis, de perdre en influence dans les enceintes internationales et de se retrouver isolée.

La France n’a conservé que deux dispositifs d’aide liée. Le premier est le Fonds d’études et d’aide au secteur privé (FASEP) qui finance des études de faisabilité ou des projets démonstrateurs de technologies innovantes, auprès d’autorités publiques dans les pays en développement ([46]). Le second est un dispositif de prêts du Trésor auprès de pays émergents afin de financer l’achat d’exportations à forte valeur ajoutée française. En dehors de ces deux cas, la France ne peut pas imposer le recours à des entreprises françaises.

Dans les faits, d’après la direction générale de la mondialisation (DGM) du MEAE et selon une enquête réalisée annuellement auprès des agences de l’AFD, les entreprises françaises auraient remporté en moyenne, entre 2019 et 2023, 51 % des appels d’offres internationaux (AOI) lancés pour des marchés financés par l’AFD ([47]), contre 25 % pour les entreprises locales, 10 % pour les entreprises européennes et 14 % pour les autres entreprises étrangères. Une moitié environ des marchés internationaux financés par l’AFD bénéficie donc à des entreprises étrangères.

Il est évident que, dans un certain nombre de cas, l’adjudication des marchés à des entreprises françaises n’est pas possible, simplement parce que la France ne possède pas – ou plus – les ressources nécessaires, soit compte tenu de sa désindustrialisation, ou que les entreprises compétentes estiment n’avoir pas les moyens d’intervenir dans des destinations lointaines. Ces hypothèses sont toutefois loin d’expliquer la trop faible contribution de l’APD au développement de nos entreprises. Le fait que les financements de l’AFD viennent, dans une proportion aussi grande, rémunérer des entreprises chinoises, turques, allemandes, etc., et donc creuser notre déficit commercial, soulève un problème majeur.

Comores : projet d’adduction en eau de la commune d’Orouveni

Le rapporteur pour avis a pu découvrir un projet d’adduction en eau de la commune d’Orouveni (Badjini, Sud de la Grande Comore). Le rapporteur pour avis a échangé avec le maire de Badjini et l’association (composée des « notables ») des usagers de l’eau qui ont exprimé leur gratitude pour ce projet. Celui‑ci, conduit avec la communauté urbaine de Dunkerque, est financé par l’AFD ; la maîtrise d’œuvre est assurée par l’association 2 Mains.

Le projet en cause est concret et utile. Il apportera de réels bénéfices à une population villageoise aujourd’hui privée d’eau courante. Le travail de l’agence locale de l’AFD et de ses partenaires doit ici être salué.

Un bémol du projet est qu’une société nationale comorienne y a imposé sa participation et que, s’insérant dans le circuit économique, elle opérera un prélèvement financier qui renchérira le coût de l’eau pour les habitants.

En l’espèce, les travaux d’adduction d’eau ont fait l’objet d’un appel d’offres international. Aucune entreprise française, même située à Mayotte ou à La Réunion, n’a candidaté. C’est une entreprise chinoise, la société CRGB, qui a remporté le marché, après avoir été préférée à une entreprise turque. Son directeur général, M. Luo Xin Chun, s’est invité à la visite du projet, sans y avoir été convié.

 

Comores : centrale solaire InnoVent de Foumbouni et route nationale 2

Le rapporteur pour avis a pu visiter une centrale solaire construite à Foumbouni, dans le Sud‑Est de la Grande Comore, et qui fournit une électricité sûre et régulière à de nombreux habitants. Le paradoxe est que cette centrale a été construite et est gérée par la société InnoVent, PME française, sur la base d’un financement privé, en dehors de tout cadre APD. La société InnoVent est sur le point de construire une autre centrale solaire, cette fois-ci dans le Nord de la Grande Comore.

Par ailleurs, c’est la société française Eiffage qui a construit un remarquable tronçon ([48]) de la route nationale 2 qui relie Moroni à Foumbouni. Le tronçon suivant, construit par une société chinoise, est loin de présenter la même qualité, ce qui pose d’ailleurs des problèmes de sécurité routière. La société Eiffage a malheureusement quitté les Comores, en raison, semble‑t‑il, des difficultés rencontrées sur place ([49]).

Sans tenir compte des financements offerts par la Chine, l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis ou la Banque islamique de développement, dont nos services diplomatiques ignorent les montants, la seule comparaison de notre aide à celle servie par les organisations multilatérales ([50]) (746 millions d’euros contre 252 pour la France) suffit à faire comprendre que, même aux Comores où nous avons souhaité marquer les esprits, notre APD est diluée. Elle l’est d’autant plus qu’en dépit de modestes panneaux apposant le logo de l’AFD à côté du drapeau des Comores, les habitants n’ont pas de moyens de savoir que Paris les aide. Ceci mérite d’être comparé à deux réalisations spectaculaires à Moroni, celle du grand stade et celle du siège du Parlement (le Palais du peuple) qui sont toutes les deux ornées d’une énorme plaque indiquant qu’il s’agit d’un don du peuple chinois.

3.   Une contribution marginale à la maîtrise des flux migratoires

Lors de sa réunion du 5 mai 2023, le conseil présidentiel du développement a défini, sur le plan sectoriel, une série de nouveaux objectifs politiques prioritaires de la politique d’APD, dont le dixième (sur 10 !) est le suivant : « aider nos partenaires à lutter contre les réseaux d’immigration clandestine ». Il est donc admis que l’aide publique au développement puisse contribuer à la gestion des flux migratoires. Cependant, trois réserves sont généralement formulées à ce propos.

Tout d’abord, l’établissement d’une conditionnalité entre APD et efforts en matière d’immigration, au sens où, par exemple, on subordonnerait le financement ou la mise en œuvre de projets à l’atteinte de certains indicateurs (en termes de prévention des départs, de délivrance des laissez‑passer consulaires, etc.), à l’instar de l’aide liée, contreviendrait aux normes de l’OCDE. De tels versements ou projets ne pourraient plus être comptabilisés comme de l’aide publique au développement.

En deuxième lieu, la mise en place d’une conditionnalité de l’APD ne peut avoir d’effet sur le plan migratoire que si les conditions politiques locales s’y prêtent, ce qui n’est pas toujours le cas. Au Maroc, par exemple, premier pays d’engagement de l’AFD au Maghreb, l’aide française apparaît assez facilement substituable par d’autres bailleurs (États-Unis, Allemagne, Espagne). En Algérie, l’aide au développement est marginale (l’Algérie refuse tout endettement extérieur et les engagements de l’AFD y sont restreints à quelques subventions) : la suspension de l’aide au développement y serait donc indolore.

Troisièmement, le lien entre APD et immigration est complexe. Intuitivement, le développement d’un pays semble susceptible de réduire sinon tarir ses flux d’émigration, la population locale n’ayant plus à s’expatrier pour chercher au loin les moyens de subvenir à ses besoins fondamentaux. Toutefois, il n’en va pas toujours ainsi. L’amélioration de la situation économique donne parfois aux populations les moyens (pour rémunérer un passeur, acquérir un téléphone, etc.) d’entreprendre un départ qui était auparavant inenvisageable. Ce sont parfois les personnes les moins pauvres et les mieux formées – par exemple les médecins – qui émigrent. Dans d’autres cas, comme en Côte d’Ivoire ou au Nigeria, le développement de classes sociales urbaines un peu aisées conduit les « perdants » du système à partir.

Si ces réserves montrent que la conditionnalité de l’APD doit être maniée avec doigté, en aucun cas elles ne doivent conduire à renoncer à ranger cet outil dans la panoplie des instruments d’une véritable politique migratoire.

La question des normes de l’OCDE ne constitue pas un obstacle insurmontable. Sans instaurer de mécanisme automatique, il serait possible de faire comprendre aux pays partenaires, dans le cadre d’un dialogue politique franc et global, que, faute d’efforts de leur part de nos partenaires, en matière de gestion des flux migratoires, l’aide française serait amenée à ralentir, voire à cesser. Il serait tout aussi envisageable de leur faire savoir que des résultats tangibles dans ce domaine pourraient conduire la France à renforcer sa coopération avec eux.

Par ailleurs, l’APD française peut contribuer par elle‑même au renforcement des capacités de contrôle des flux migratoires dans ces pays. L’un des enjeux est de permettre l’identification des personnes séjournant irrégulièrement en France, dénuées de documents d’identité ou de voyage et que les autorités françaises cherchent à éloigner. Le renforcement de l’état civil dans les pays où celui‑ci est inexistant ou incomplet est de nature à faciliter cette identification. L’enjeu est surtout de développer l’identité biométrique. Ceci mettrait la police aux frontières en mesure de transmettre des empreintes à un État afin de lui permettre de reconnaître à coup sûr ses ressortissants. À l’évidence, ces avancées ne pourraient donner leur plein effet que si le droit français autorisait la prise d’empreintes sans consentement des étrangers en situation irrégulière, disposition que le Conseil constitutionnel a censurée le 25 janvier 2024, au motif qu’elle n’était pas suffisamment encadrée ([51]). L’APD peut également avoir vocation, par exemple, à aider à former les forces de sécurité intérieure (garde-côtes, douaniers, policiers, etc.), ainsi que les magistrats, notamment dans la lutte contre le trafic d’êtres humains.

Face à l’ampleur du défi à relever, les moyens consacrés, pour l’instant, par la France à cet objectif paraissent plus que modestes, malgré leur augmentation récente. Le groupe AFD indique avoir réorienté son action en matière migratoire vers les piliers 4 et 5 du sommet de La Valette respectivement « prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes » et « coopérer plus étroitement pour améliorer la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration » sachant que les piliers 2 et 3 de cette déclaration engagent les signataires à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légales et à renforcer la protection des migrants et des demandeurs d’asile.

La part de financements consacrés aux piliers 4 et 5 est ainsi passée de 38,41 millions d’euros en 2023 à 120,36 millions d’euros en 2024, comme le montre le tableau ci‑après.

Tableau de suivi des financements consacrÉs À la lutte contre la traite des Êtres humains et le trafic de migrants et aux retours et rÉadmissions durables par le ministère de l’europe et des affaires ÉtrangÈres et ses opÉrateurs

Période

Origine des financements

Pilier 4

Pilier 5

Année 2023

Crédits P209

17,11

0

Crédits UE mobilisés par le Groupe AFD

17,4

3,9

Total

34,51

3,9

Année 2024

Crédits P209

27,76

17,75

Crédits UE mobilisés par le Groupe AFD

60,45

13,9

Total

88,71

31,65

Montant total du coût des projets en cours, non-annualisé (en millions d’euros)

Ces montants demeurent peu significatifs en regard du volume global de l’APD, qui a atteint 14,2 milliards d’euros en 2023, et sans commune mesure avec les enjeux migratoires considérables auxquels la France est confrontée.

Immigration et APD : le cas particulier des Comores

Pour le MEAE, l’APD apportée aux Comores vise aussi à soutenir la lutte contre l’immigration clandestine vers Mayotte. Ce département français subit en effet depuis plusieurs années des flux migratoires massifs, très majoritairement en provenance de l’Union des Comores, sur fond de contestation par celle‑ci de la souveraineté française. Ces flux sont facilités par la faible distance qui sépare l’île d’Anjouan de celle de Mayotte (70 kilomètres). Les traversées se font sur des canots de pêche rapides et effilés, à fond plat et équipés d’un ou deux moteurs, appelés « kwassas ». On compterait environ une cinquantaine de points de départ à Anjouan. Cette immigration irrégulière est à l’origine de problèmes dramatiques pour la population mahoraise : insécurité, saturation des services publics, explosion démographique, pénurie d’eau, etc.

C’est dans ce contexte qu’a été signé, le 22 juillet 2019, par les ministres des affaires étrangères respectifs de la France et de l’Union des Comores, un document-cadre de partenariat prévoyant la mise en œuvre d’un « plan de développement France-Comores » (PDFC). Ce plan prévoit une mobilisation inédite de moyens d’aide et de coopération par la France au bénéfice des Comores, de l’ordre de 150 millions d’euros sur trois ans, dans des domaines tels que la santé, l’éducation, la formation professionnelle ou encore l’agriculture. De leur côté, les autorités comoriennes s’engagent à lutter contre les départs irréguliers des embarcations et à faciliter la réadmission de leurs ressortissants renvoyés de Mayotte.

Ce plan est considéré comme un succès par les autorités françaises. Elles estiment entre 7 000 et 8 000 le nombre de départs empêchés chaque année par les garde‑côtes comoriens. Ces derniers utilisent des bateaux intercepteurs financés par les Émirats arabes unis. Les Comores réadmettent par ailleurs annuellement entre 20 000 et 25 000 ressortissants éloignés de Mayotte. L’ambassadeur de France, son attaché de sécurité intérieure et leurs collaborateurs accomplissent un travail remarquable et difficile pour inciter les autorités comoriennes à réaliser avec le plus d’efficacité possible ce volet de maîtrise des flux migratoires.

Le bilan est donc jugé positif par les autorités françaises. Il va de soi que des progrès pourraient encore être enregistrés. Un certain nombre de traversées, que l’on évalue à 20 % environ, ne sont pas détectées. Sur les dix intercepteurs financés par les Émirats, seuls trois sont en service, les autres ayant été endommagés par le carburant utilisé. Les garde-côtes comoriens font l’objet, de la part des passeurs, de pression ou de tentatives de corruption. Les deux radars qui couvraient 80 % de la zone de traversée ont été frappés par la foudre et un seul a été remplacé ; il en faudrait trois pour couvrir 100 % de la zone. Sur tous ces sujets et d’autres, les représentants de notre pays s’efforcent de trouver des solutions.

L’ambassade de France et sa section consulaire sont par ailleurs confrontées à un autre lourd défi en matière d’immigration, celui de la délivrance des visas aux ressortissants comoriens souhaitant séjourner en France. Beaucoup de Comoriens y voient un autre moyen d’immigration définitive en France, la proportion de ceux qui demeurent sur son sol après l’expiration de leur visa étant estimée à au moins un tiers (le même phénomène étant observé pour les titulaires de passeports officiels).

Le service consulaire doit gérer en la matière une très importante fraude documentaire (avec faux état civil, achats de filiation, mariages factices, etc.). Le nombre de visas sollicités est compris entre 6 000 et 7 000 chaque année, pour une population comorienne estimée à 850 000 habitants. 2 000 visas environ sont délivrés annuellement, dont approximativement 500 visas étudiants. Un refus de visa demande au service consulaire au minimum 1 h 30 d’un travail délicat d’investigation, ce qui n’empêche pas le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Nantes d’annuler volontiers ce type de décisions, conformément à une évolution jurisprudentielle extrêmement favorable au demandeur.

4.   Un pilotage à reprendre en main

Les observations et analyses développées dans cet avis budgétaire démontrent la nécessité pour l’État de reprendre en main la politique d’aide publique au développement, selon plusieurs axes qui ne pourront qu’être esquissés dans le cadre de ce rapport.

Cette politique mériterait d’être simplifiée et rationalisée, pour des montants globalement moins élevés et sur une base nettement plus bilatérale, en cessant ou en diminuant les versements à des fonds multilatéraux dont il conviendrait de faire une revue précise. Le montant des engagements financiers contractés et l’exposition aux risques devraient également faire l’objet d’un audit approfondi.

Les objectifs de la politique d’APD mériteraient d’être réduits et surtout hiérarchisés, afin de concentrer l’effort sur les besoins premiers des populations : accéder à l’eau potable et à de la nourriture saine, à une énergie bon marché et continue (ce qui constitue une condition sine qua non à tout développement), à des soins et à l’éducation. Cette priorisation sectorielle devrait se doubler d’une priorisation géographique sur les pays à la fois les plus pauvres et les plus proches de la France, et non pas sur des pays à revenu intermédiaire qui s’affirment de plus en plus soit comme des concurrents commerciaux pour la France, soit comme des pays hostiles ou peu coopératifs, par exemple sur le plan migratoire. Le tableau ci‑après est éclairant en ce qu’il rapproche les montants d’APD accordés par la France et le taux de délivrance des laissez‑passer consulaires (LPC).

montants accordÉs en APD et dÉlivrance des LPC

Chiffres 2022

Tunisie

Maroc

Géorgie

Albanie

LPC demandés par la France

1 190

1 320

477

511

LPC obtenus dans les délais utiles

319

357

347

373

% LPC demandés/obtenus dans les délais utiles

26,8 %

27 %

72,7 %

73 %

Montant APD engagé par la France

278,07

416,98

95,29

72,04

Montant APD versé par la France

157,19

620,49

96,20

84,20

Montant APD équivalentdon de la France

98,41

396,64

29,66

28,77

Source : Direction générale des étrangers en France (chiffres APD en millions d’euros)

Plus ramassée et cohérente, l’architecture de l’APD en deviendrait plus lisible pour les Français et se prêterait davantage à l’évaluation comme au contrôle, en particulier parlementaire.

Ainsi mieux mise au service des populations bénéficiaires, cette politique d’APD profiterait davantage à nos entreprises et à l’emploi dans notre pays. L’absence de comptabilisation officielle en tant qu’APD, pour cause d’aide « liée », ne saurait paralyser les responsables politiques, quand bien même elle aboutirait à faire reculer le ratio APD/revenu national brut (APD). En effet ce ratio est devenu un totem alors que le contenu et l’efficacité de l’aide devraient primer sur toute autre considération. Pour mémoire, les États-Unis consacrent à l’APD moins de 0,25 % de leur RNB, et les pays de l’OCDE 0,37 %. Une politique d’aide ainsi rénovée pourrait aussi mieux contribuer à la maîtrise des flux migratoires et à la stabilisation des populations dans leur pays d’origine, dans l’intérêt commun des États d’arrivée et des États de départ.

La reprise en main de la politique d’APD passera également par un renforcement de son pilotage interministériel. Il est évident que les petites équipes de quelques rares personnes, qui se partagent entre la direction générale de la mondialisation du MEAE et la direction générale du Trésor, ne sont pas dimensionnées pour assurer le pilotage d’une telle politique, en face d’une Agence française du développement dotée de 3 000 collaborateurs. C’est l’organisation d’ensemble de la politique d’APD qui devra donc être repensée, sans exclure l’option de la réintégrer tout entière dans un puissant ministère des affaires étrangères et du développement, comme c’est le cas au Royaume-Uni ([52]).


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   Travaux DE LA commission

Au cours de sa réunion du mardi 5 novembre 2024, la commission examine le présent avis budgétaire.

 

M. le président Bruno Fuchs. Mes chers collègues, en préambule de cette réunion, permettez-moi d’avoir une pensée pour nos amis espagnols et nos compatriotes expatriés, durement éprouvés par les intempéries dans la région de Valence. Ce drame rappelle à tous ceux qui contestent les effets du changement climatique que celui-ci est malheureusement déjà à l’œuvre pour les personnes, les biens et l’économie.

Nous achevons cet après-midi l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 avec le dernier de nos avis budgétaires sur la mission Aide publique au développement (APD). Il revêt une importance particulière cette année, puisqu’une forte baisse de ses crédits est prévue.

Les crédits de paiement inscrits dans le PLF pour 2025 au titre de la mission APD s’élèvent à un peu plus de 5,1 milliards d’euros, au total. Au sein de cette enveloppe, les dotations inscrites dans le programme 209, plus particulièrement piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, s’établissent à 2,4 milliards d’euros, soit une diminution de 26 % par rapport aux dotations de l’exercice 2024 – ce qui a déjà suscité de nombreuses réactions.

Vous avez choisi, Monsieur le rapporteur pour avis, de consacrer la partie thématique de vos travaux au sujet du coût et de l’efficacité de l’APD. Il s’agit d’un enjeu d’autant plus important que les montants mobilisés sont significatifs et peuvent, parfois à tort, être considérés comme des variables d’ajustement budgétaire commodes.

Le Parlement, par la loi du 4 août 2021, a profondément renouvelé le cadre et les principes de la politique française en la matière. L’une de ses mesures les plus novatrices a été la création d’une commission d’évaluation de l’aide publique au développement. Nous sommes nombreux ici à nourrir de fortes attentes à l’égard d’un véritable processus d’évaluation de l’efficacité de l’APD, tant du point de vue de la dépense publique que de celui des objectifs géopolitiques poursuivis, notamment l’influence de la France dans le monde. Malheureusement, plus de trois ans après le vote de la loi, la commission d’évaluation de l’APD n’a toujours pas été installée. Le Gouvernement devrait prochainement remédier à cet état de fait, ce qui serait bienvenu dans un contexte budgétaire marqué par une réduction notable des dotations en la matière. Si vous en êtes d’accord, j’écrirai au ministre pour l’interpeller sur ce point.

Représentant la commission au dîner d’État offert ce soir au palais de l’Élysée en l’honneur du président de la République du Kazakhstan, je serai contraint de céder la présidence de nos débats en cours de réunion mais je ne doute pas que la vice-présidente Éléonore Caroit me suppléera efficacement.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il n’est pas si simple de cerner les contours exacts des crédits de la mission Aide publique au développement. A priori, ils s’élèvent à 5,7 milliards d’euros, en baisse de 7 %.

La mission est composée de deux programmes principaux, le programme 209, Solidarité à l’égard des pays en développement – piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères – et le programme 110, Aide économique et financière au développement – mis en œuvre par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie –, qui subissent des coupes d’importance variable. Les 2,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement (AE) du programme 110, qui abondent à nos nombreux fonds et comportent beaucoup de bonifications de prêts, connaissent une diminution d’à peine 10 %. Les autorisations d’engagement du programme 209 – 2,1 milliards d’euros –, qui comprend les programmes d’aides d’urgence et humanitaire mais aussi bilatérales, baissent quant à elles de presque 33 %. Contrairement aux 7 % annoncés, la baisse globale des autorisations d’engagement devrait donc plutôt être de l’ordre de 20 %.

La mission budgétaire intègre toutefois le nouveau programme 384, qui budgétise le fonds de solidarité pour le développement (FSD), c’est-à-dire des versements volontaires de la France à des fonds multilatéraux, à hauteur de 738 millions d’euros. Cette évolution contribue à dissimuler la réalité de la baisse des crédits. Deux autres programmes sont inscrits pour la première fois, chacun pour 140 millions d’euros : le programme 370, Restitution des « biens mal acquis », et le programme 365, qui vise à renforcer les fonds propres de l’Agence française de développement (AFD).

Notons enfin une baisse supplémentaire de 641 millions d’euros, communiquée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui ne figure pas dans le bleu budgétaire.

Les crédits de la mission pourraient donc être plutôt de 5,1 milliards, et diminuer de 20 % plutôt que de 7 %.

Il convient de recontextualiser cette baisse. La loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021, votée à l’unanimité, a fixé l’objectif de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement. Nous nous en éloignons, puisque nous nous situerons plutôt aux alentours de 0,5 %. La France reste toutefois l’un des pays les plus généreux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la moyenne se situe à 0,37 %. Nous nous éloignons aussi d’autres recommandations importantes figurant dans la loi de 2021, comme celle préconisant que l’APD soit surtout composée de dons et d’au moins 65 % d’aides bilatérales ; nous sommes à peine à 57 %.

Encore largement constituée de prêts et de dons multilatéraux, notre aide au développement est ainsi peu lisible, donc difficilement pilotable. Cela soulève la question de la mesure de son efficacité réelle, tant pour le contribuable français que pour les populations aidées – ce serait une faute morale, politique et méthodologique d’opposer l’intérêt du contribuable français et celui des populations aidées.

La complexité, c’est comme le cholestérol : elle peut être bonne ou mauvaise. Elle est positive lorsqu’il s’agit de l’intelligence artificielle, elle ne l’est pas quand elle concerne une administration qui invente des acronymes, des tiroirs et des sous-tiroirs.

La complexité de notre APD résulte en premier lieu de sa dispersion thématique. Aux objectifs classiques que sont la santé, l’éducation, les transports, l’énergie, l’agriculture, ont été ajoutés le climat et l’environnement, la bonne gouvernance, l’égalité entre les femmes et les hommes, le développement du sport. La liste n’est pas exhaustive.

La complexité de notre APD résulte également de sa dispersion géographique – le dernier comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a enterré la liste des dix-neuf pays prioritaires et, en 2025, nous devrions aider cent‑cinquante pays – comme de la variété de ses destinataires : les gouvernements ; les peuples ; les organisations non gouvernementales (ONG), ce qui paraît logique ; plus étonnant, les entreprises ; enfin, pas moins de deux-cent soixante et onze organismes et fonds multilatéraux.

Les canaux de financement sont multiples, puisque la mission ne représente qu’un tiers des 15 milliards d’euros d’APD déclarés par la France à l’OCDE. Elle mobilise en réalité vingt-quatre programmes ministériels : les frais d’écolage, d’accueil des réfugiés, certains prêts du Trésor à des États étrangers doivent être comptabilisés.

Notre APD passe aussi par les contributions obligatoires de la France aux organisations des Nations unies. Ainsi, 1,4 milliard d’euros ont été accordés à la reconstitution des fonds de l’Association internationale de développement (IDA), l’institution d’aide au développement de la Banque mondiale. Il faut y ajouter les contributions volontaires de la France aux fonds multilatéraux.

Il faut enfin mentionner les 2,9 milliards d’euros de versements de la France à l’Union européenne consacrés à l’APD. Les fonds multilatéraux y sont également présents. Notre APD s’européanise énormément. Si l’on nous sert souvent l’argument de la recherche d’un effet de levier avec les financements européens, il ne s’agit nullement d’un gage de transparence et d’efficacité. J’en veux pour preuve les conclusions d’un récent rapport accablant de la Cour des comptes européenne sur l’emploi scandaleux des 5 milliards d’euros d’un fonds d’urgence pour l’Afrique : violation des droits de l’Homme en pagaille, projets fantômes, maquillages en tous genres. C’est la seconde fois que la Commission européenne est ainsi épinglée.

De plus en plus diluée dans une aide mondiale et européenne, notre APD est de moins en moins visible aux yeux des populations aidées.

L’APD est également illisible, ce qui compromet son pilotage. D’après la Cour des comptes, de 2017 à 2023, la France a consacré 25,1 milliards d’euros à des fonds multilatéraux. Sauriez-vous me dire ce qu’ils sont devenus ? Même les audits des Nations unies pointent des évaporations et un manque de traçabilité.

Cette illisibilité n’épargne pas l’Exécutif. J’ai interrogé le ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur la baisse de 641 millions d’euros que j’ai déjà évoquée. Je vous laisse apprécier la réponse : « Sur le plan multilatéral, les engagements de la France s’appuient sur des véhicules divers, dont le caractère juridiquement contraignant ou non doit être analysé au cas par cas. Cet examen nécessite une analyse poussée. ». L’administration elle-même ne semble pas toujours se retrouver dans ce magma ! Dans son rapport d’avril 2024, la Cour des comptes évoquait un « paysage administratif morcelé ». Sans faire ressurgir le serpent de mer de la commission d’évaluation de l’APD, ni me plaindre des trop rares réunions du CICID, je plaide pour que le contrôle de l’APD soit repris en main, alors qu’elle continue de suivre le cap totémique des 0,7 %, sans que l’on sache toujours ni quoi, ni qui, ni comment on aide.

Il faut donc s’interroger sur l’efficacité réelle de l’APD. Les plus de 5 milliards d’euros de la mission servent-ils réellement les Français et les populations aidées ? Il me paraît impossible de répondre à cette question sans évoquer le contexte budgétaire tendu dans lequel nous nous trouvons. La charge de notre dette en 2025 représentera dix fois le montant de l’APD. Il est contre-intuitif d’emprunter toujours plus cher pour prêter à des taux concessionnels à d’autres pays. Nous sommes parfois plus endettés que ceux à qui nous prêtons : la France est trois fois plus endettée que l’Afrique ; les BRICS – c’est-à-dire l’ensemble regroupant les Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – sont désormais plus riches que les pays de l’OCDE. Emmanuel Macron l’a très bien formulé au G5 Sahel à N’Djamena : à quoi sert-il d’annuler la dette de certains pays, qui contracteront ensuite encore plus de prêts auprès de la Chine ?

Deuxièmement se pose la question des retombées de notre APD pour nos entreprises. Comme vous le savez, l’OCDE interdit toute aide liée. Pourtant, l’APD américaine est liée à 30 %, ce qui constitue un moyen de s’assurer que l’argent du contribuable fera directement travailler des entreprises américaines et que les réalisations sur place serviront réellement les populations aidées. Pour notre part, nous ne pratiquons plus qu’un pourcentage très limité d’aide liée, même si l’AFD indique que 50 % des marchés publics internationaux ouverts par nos fonds APD font intervenir au moins une entreprise française.

Lors de mon déplacement aux Comores, j’ai pu constater que nombre de structures françaises ont effectivement bénéficié des plus de 50 millions d’euros dépensés dans ce pays. Mais ces entreprises, associations ou ONG réalisent souvent des études de faisabilité et de marché, des enquêtes thématiques : facturées à 500 ou à 1 000 euros la journée, ces études vous tombent souvent des mains – j’en ai lu un bon nombre – tant leur contenu est pauvre, ou concluent à la quasi-impossibilité de mener à bien les projets qu’elles sont censées documenter. Dès lors, quelle est l’utilité de certaines formes d’APD pour les populations ? Les entreprises françaises ne sont pas les seules à profiter de nos largesses. J’ai visité un chantier – au demeurant très utile – d’adduction d’eau dans la commune d’Ourovéni dans le Sud de la Grande Comore : c’est une entreprise chinoise qui a remporté le marché, comme trop souvent.

Troisièmement, qu’en est-il de l’effet de notre aide au développement sur les flux migratoires ? S’il est heureux que ce lien soit établi, il est ténu. L’objectif est de prévenir l’immigration irrégulière et les trafics d’êtres humains et de coopérer pour le retour et la réadmission. Il s’agit du dixième et dernier objectif assigné à notre APD, soit en moyenne 1 % des crédits. Lors de mon déplacement aux Comores, je n’ai pas constaté que l’APD – multipliée par trois en 2019, après que le président Azali a déclenché une crise migratoire – ait été utilisée comme un levier pour freiner les flux, revenus aux mêmes niveaux qu’avant.

Le lien avec l’immigration est complexe, voire paradoxal. D’abord, aucune littérature scientifique ne démontre clairement que l’APD limite l’immigration. Elle est même susceptible de l’encourager, en fournissant les sommes nécessaires au départ, en donnant accès à des outils tels que les téléphones portables et à la formation. Bien évidemment, je ne plaide pas contre l’APD mais, chaque année, plus de médecins tunisiens quittent la Tunisie que celle-ci n’en forme. L’immigration peut donc laisser voir une aide publique au sous‑développement.

Aux Comores, j’ai constaté qu’en dépit du professionnalisme et de l’engagement sans faille des diplomates, des personnels d’Expertise France ou de l’AFD, nos programmes d’aide, alors même qu’ils sont parfois très concrets et très efficaces, ne correspondent pas toujours aux usages des populations locales. Ainsi, à Moroni, j’ai visité deux écoles rénovées aux frais du contribuable français : elles ne comptaient quasiment aucun élève, ni professeur. J’ai visité un hôpital très bien rénové par nos soins mais vide de patients et de médecins. Nous essayons parfois de solidifier un État qui n’est qu’une fragile pellicule administrative : comme l’a souligné notre ambassadeur, M. Riquier, 20 % des fonctionnaires des Comores n’existent tout simplement pas. Je suis donc perplexe.

Nous donnons parfois presque l’impression de nous excuser de cette aide, comme si nous cherchions à la dissimuler, selon un autre ambassadeur de France. Je n’ai pas observé cela aux Comores mais j’y ai vu d’immenses plaques « don du peuple de Chine » apposées sur le Palais du peuple et le grand stade de Moroni. Ce ne sont pas les minuscules panneaux qui figurent sur certaines de nos réalisations – avec les logos d’Expertise France ou de l’AFD – qui vont convaincre les Comoriens de notre générosité.

Si l’aide bilatérale que nous pratiquons, sous forme de dons, dans un contexte complexe et dégradé, s’avère aussi peu efficace pour la France que pour les populations aidées, faut-il continuer de faire des chèques de plusieurs milliards à des grands fonds multinationaux ? Faut-il, autrement dit, continuer de transformer la France en ONG mondiale ? Je ne le crois pas.

L’APD doit redevenir une politique de coopération mutuellement avantageuse, avec des peuples et des pays avec lesquels existent un respect et une compréhension mutuels. Avant qu’une réflexion profonde soit engagée sur notre politique en la matière, je suis favorable à une diminution encore plus forte des autorisations d’engagements de crédits de cette mission, surtout des prêts et des crédits dédiés au multilatéral, ainsi qu’à une réduction de certaines actions bilatérales, surtout à l’égard de pays qui, en aucun cas, ne coopèrent avec la France.

M. le président Bruno Fuchs. Merci. Vous l’avez dit, l’une de nos fonctions est de contrôler l’action de l’État en la matière. Peut-être nous faut-il réfléchir aux propositions que nous souhaitons faire au Gouvernement afin de réformer une APD devenue, selon vos termes, complexe et illisible, et dont on peut douter de l’efficacité.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Les chiffres sont sans appel : l’aide publique au développement est en danger. Non seulement le budget baisse mais il intègre désormais le fonds de solidarité pour le développement, jusqu’alors financé par des taxes affectées. À programme constant, la baisse de crédits est donc de 23 %, une véritable saignée pour la solidarité internationale. Ces choix contredisent la loi de 2021, qui dispose que l’aide au développement devrait atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025, ne faisant ainsi que s’aligner sur les objectifs fixés par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1970, déjà atteints par d’autres pays : la Suède, la Norvège, l’Allemagne.

La budgétisation du FSD l’expose à des coupes sèches. Il est faux de dire qu’elle est due à une stricte application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Si le FSD n’est pas une personne morale, il peut être rattaché à l’AFD, qui en est une. Il n’y aurait pas de lien entre les taxes affectées et la mission du FSD : celui-ci est pourtant évident, puisqu’il s’agit de taxer les grands gagnants de la mondialisation pour redistribuer à ceux qui en font les frais. Tout est une question de lecture et de volonté politique. Vous souhaitez assigner à l’APD un rôle de défense des intérêts de la France, compris en termes de retombées économiques et de maîtrise des flux migratoires. Faut-il rappeler que son but premier consiste à réduire les inégalités entre pays et à participer à construire un ordre mondial plus juste ?

Alors que les crises climatiques, sécuritaires et sanitaires se multiplient, le Gouvernement choisit de baisser drastiquement le budget de l’aide au développement. L’aide alimentaire s’effondre alors que l’ONU prévoit que 750 000 Soudanais, 2 millions de Gazaouis et 2 millions de Haïtiens vont souffrir de la faim en 2025. Est-ce bien le moment ?

Vous martelez enfin que l’aide au développement est coûteuse, Monsieur Bigot. Elle ne représente pourtant que 1 % du budget de l’État, avec des résultats parfois immenses. Ainsi, les contributions de la France aux fonds multilatéraux que vous fustigez ont permis de vacciner plus de 64 millions d’enfants dans le monde. Vous le savez, les épidémies n’ont pas de frontière.

Nous sommes en profond désaccord avec votre avis et, au vu du danger que représentent ces coupes pour des millions de vies, nous voterons contre les crédits de la mission.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Vous m’avez mal compris. Je n’ai jamais prétendu que l’APD devait uniquement servir l’influence de la France, la prospérité de ses entreprises, ni même une politique de puissance ou de réputation : elle doit aussi servir les populations. Je le redis, s’agissant des fonds multilatéraux, nous ne disposons d’aucune traçabilité, ni de moyens de contrôle. J’ai consulté beaucoup de rapports, y compris ceux des Nations unies. Ils soulignent l’évaporation des fonds. En effet, l’aide n’arrive pas directement aux populations mais passe par des gouvernements souvent corrompus. Je me réfère notamment au rapport de la Cour des comptes européenne sur le fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique.

Par ailleurs, la France est probablement moins généreuse que les pays – plus prospères – que vous citez. Dans notre pays, la pauvreté et les problèmes d’accès à l’eau se multiplient : charité bien ordonnée commence par soi-même.

M. Frédéric Petit (Dem). Merci pour votre travail, Monsieur le rapporteur, mais je vois une contradiction dans vos propos : vous critiquez l’éparpillement et l’absence de lisibilité mais vous contribuez à les renforcer en introduisant des éléments d’analyse qui prêtent à confusion, ce qui m’invite à douter de l’honnêteté de votre démarche. Vous citez la comptabilisation des étudiants qui viennent en France ou de l’accueil des réfugiés mais il s’agit là de choix politiques, peu importe que l’OCDE les considère comme de l’APD. Nous nous battons contre ce type de confusions depuis cinq ans.

Vous semblez aussi considérer l’hétérogénéité des acteurs comme un problème : heureusement qu’ils sont hétérogènes car le monde est complexe et l’APD ne saurait être traitée de façon uniforme et rigide. De même, la pluri-annualité n’est pas un problème : elle permet d’éviter le saupoudrage.

Autre contradiction : vous parlez d’impossibilité de contrôler tout en citant les rapports de la Cour des comptes. Ce faisant, il y a donc bien un contrôle !

Depuis 2017, dans cette commission, nous avons fait le constat d’une difficulté de compréhension et de visibilité de l’APD, qui ne dépend pas uniquement de l’État ni du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé sur la loi du 4 août 2021, qui a prévu une commission destinée à contrôler ce que fait la France, pour plus de lisibilité.

Pour notre part, nous voterons ou pas les crédits de la mission en fonction des amendements qui seront adoptés, mais nous sommes en désaccord avec votre avis.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je ne permettrai pas de porter un jugement sur votre honnêteté intellectuelle. Sur la question de la complexité, je prendrai l’exemple des étudiants : le fait de leur donner des bourses ou de les encourager à venir relève de l’APD. Il y a donc bien un lien de cause à effet entre leur venue et le fait qu’il faille ensuite les payer et les loger. Par ailleurs, j’insiste sur l’objectif totémique de 0,7 % : il me paraît important de préciser à la représentation nationale et à nos compatriotes que ce chiffre inclut le fait d’accueillir de plus en plus d’étudiants. S’agit-il réellement d’aide au développement ? Non. À cet égard, notre ambassadeur aux Comores a souligné que, quand il délivrait 500 visas à des étudiants comoriens, il savait bien que presque aucun de ces gens de bon niveau ne reviendrait aux Comores. On peut parler d’aide au sous-développement !

M. le président Bruno Fuchs. Vous avez indiqué que l’aide au développement profitait à des gouvernements corrompus : cela peut arriver mais toutes les missions de l’AFD sont extrêmement contrôlées.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je n’ai pas mis en cause l’intégrité de l’AFD mais, comme toutes les organisations du monde, celle-ci doit composer avec tous les gouvernements, y compris ceux qui ne méritent pas ce nom.

M. le président Bruno Fuchs. Oui mais l’APD ne s’évapore pas dans la poche d’acteurs privés.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). En 2023, l’aide publique au développement a augmenté dans quatorze des trente et un pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE ; elle a baissé dans les dix-sept autres pays. Elle a représenté 0,37 % du RNB combiné des pays donateurs, soit deux fois moins que l’objectif de 0,7 % visé par les Nations unies, cible que vous avez qualifiée de « totémique ». Parmi les membres du CAD, seuls cinq pays ont dépassé le seuil : la Norvège a consacré 1,09 % de son RNB à l’APD, l’Allemagne 0,79 % et le Danemark 0,74 %, le Luxembourg et la Suède complétant le groupe. À l’autre bout de l’échelle, on trouve la République slovaque et la Grèce avec 0,14 %, la Hongrie avec 0,15 % et l’Australie avec 0,19 %. La France se situe au onzième rang de ce classement des pays donateurs, son aide représentant 0,5 % de son RNB : alors que les crises humanitaires, sanitaires et alimentaires se multiplient dans le monde, la France est-elle là à sa place ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Les pays que vous avez cités sont manifestement plus généreux que le nôtre mais ils en ont les moyens. Leur endettement n’est pas le nôtre : la Norvège a du pétrole, le Luxembourg pratique un scandaleux dumping fiscal à l’intérieur de l’Union européenne, la Suède est riche et bien gérée, et l’Allemagne enregistre d’énormes excédents commerciaux. L’effort budgétaire de ces pays est également assez faible en matière de défense. Moins endettés, plus riches et dépensant peu pour leur armée, ils peuvent consacrer davantage d’argent à leur politique d’aide au développement. Il faut toujours évaluer les politiques en fonction du contexte dans lequel elles se déploient : celui de la France est marqué par un endettement très élevé, une croissance très molle et une montée de la pauvreté dans l’ensemble du pays, y compris dans les territoires d’outre-mer. Je regrette que la France occupe cette onzième place mais il me paraît difficile de faire mieux sans aggraver notre endettement.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires est attaché au principe de l’aide publique au développement ainsi qu’au rang de grande puissance de notre pays. Dans ce cadre, la France doit pouvoir utiliser tous les instruments à sa disposition pour peser et l’APD en fait partie. Celle-ci est nécessairement appelée à évoluer en fonction du contexte budgétaire : l’austérité actuelle nous impose de faire des choix et de revoir nos priorités après un examen rigoureux de nos dépenses.

Le rapport soumis à notre examen rend compte d’une mission aux Comores portant sur l’utilisation de notre APD. Pour la députée de Mayotte que je suis, c’est une lecture riche d’enseignements. La France a signé avec les Comores un accord de coopération engageant 150 millions d’euros d’aide au développement pour lutter contre l’immigration clandestine. À la signature de cet accord en 2019, il y avait 27 831 reconduites à la frontière. Nous avons observé, au cours des années suivantes, un chantage aux expulsions et une fermeture périodique de la frontière comorienne. Actuellement, on atteint péniblement 24 467 reconduites vers les Comores depuis Mayotte, soit 3 000 de moins qu’avant la signature de l’accord avec Moroni alors que l’APD des Comores a augmenté dans la même période : l’aide croît, bien que les objectifs de l’accord de coopération ne soient pas atteints.

La France donne 252 millions d’euros aux Comores contre 150 millions en 2019. Ce montant comprend 26 millions de dons pour faire fonctionner la Banque centrale des Comores, financer les étudiants comoriens et la coopération culturelle et sportive. Les contribuables mahorais financent, comme l’ensemble des contribuables français, un pays qui revendique le souhait de déstabiliser le département de Mayotte et qui conteste nos frontières. Nous payons une coopération régionale de nature sportive et culturelle, dont Mayotte est exclue par veto des Comores. Notre pays finance celles et ceux qui nous agressent.

Le rapporteur pour avis l’a parfaitement expliqué : les écoles et l’hôpital financés par la France aux Comores sont totalement vides et n’aident pas la population. Là réside le deuxième échec de notre APD vers les Comores. L’argent public français est jeté par les fenêtres. Alors que nous devons procéder à des réductions de dépenses budgétaires, il est évident que l’aide aux Comores doit drastiquement baisser compte tenu de son inefficacité.

Le groupe LIOT reste attaché à l’aide multilatérale que vous remettez en cause dans votre rapport et se prononcera lors du vote des crédits de la mission en fonction du résultat de nos débats.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Nous sommes bien d’accord : l’aide aux Comores se retourne contre nous, puisque ce pays exerce désormais un chantage en menaçant de lâcher la bride à l’immigration si l’aide disparaissait. Le nombre de reconduites est compris entre 20 000 et 22 000 par an, selon la préfecture. Le gouvernement des Comores accepte ce rapatriement depuis Mayotte et empêche, dans le cadre d’une coopération certes limitée, le départ de 8 000 personnes : ce chiffre est très faible car il y a quarante points de départ sur l’île d’Anjouan et parce que les passeurs arrêtés sont relâchés quelques semaines plus tard à cause de la corruption aux Comores, phénomène que j’ai constaté sur place.

L’aide n’a en effet rien changé dans le volume des reconduites à la frontière et l’immigration illégale submerge le département de Mayotte. La situation est choquante car les besoins en termes de distribution d’eau sont criants à Mayotte mais ce sont les Comores que nous aidons.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Dans un PLF où presque toutes les missions voient leurs crédits diminuer, celle de l’aide publique au développement n’échappe pas au mouvement général : les crédits de paiement (CP) baissent de près de 10 % alors qu’un nouveau programme a été ajouté et que les crédits d’un autre explosent de plus de 2 000 %. Pourtant, la mission Aide publique au développement est loin d’être inutile et elle correspond même à un devoir moral et juridique : moral, car la France et de nombreux pays ont bénéficié de la colonisation pour exploiter des terres qui ne leur appartenaient pas, au détriment des peuples colonisés et de l’environnement ; juridique, car la France s’est engagée à contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. L’APD a concerné dix-neuf pays, puis quarante-six et le nombre est voué à encore augmenter. Néanmoins, si le budget de l’aide baisse quand le nombre de ses bénéficiaires croît, nous risquons de mettre en péril des projets de développement car notre soutien sera superficiel. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a plusieurs fois déploré cette situation.

Force est de constater que le Gouvernement ne respecte pas la loi que le Parlement a adoptée en 2021, puisqu’il refuse d’allouer 0,7 % du RNB du pays à l’aide publique au développement. Lorsque sont rappelés les dix objectifs prioritaires énoncés par le Conseil présidentiel du développement (CPD) en 2023, le PLF met en lumière l’accélération de la sortie du charbon. Un autre objectif avancé est la « [limitation] du réchauffement climatique global à 5 degrés » : on espère qu’il s’agit d’une faute de frappe car le CPD de 2023 indiquait 1,5 degré – une augmentation de 5 degrés n’est pas supportable pour la planète.

De nombreuses ONG dénoncent le nouveau programme 384, Fonds de solidarité pour le développement, dont les crédits seront vraisemblablement amputés lorsque l’État décidera une énième fois de faire des économies sur le dos des populations dans le besoin. Avant ce nouveau programme, la taxe sur les transactions financières (TTF) et la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) étaient récoltées par Euroclear puis versées à l’AFD ; selon le texte budgétaire du Gouvernement, la recette sera reversée à l’État : sera-t-elle enfin récoltée par la direction générale des finances publiques (DGFIP) ?

Je partage l’avis de mes collègues selon lequel l’aide multilatérale est essentielle car elle assure le fonctionnement des institutions internationales : sans elle, la paix dans le monde serait menacée.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La confusion entre l’aide publique au développement et le devoir d’assistance à celui qui a faim et qui a froid – la charité ou l’aide d’urgence – me gêne beaucoup. Notre jugement sur l’efficacité de l’APD est paralysé par le chantage moral.

Sur le site des Nations unies, la page des ODD de l’agenda 2030 présente rien moins que dix-sept mesures pour « sauver le monde ». La morale de la politique est celle du moindre mal, à savoir : éviter de faire de la Terre un enfer et non en faire un paradis en sauvant le monde. Voilà la différence entre la politique et Disneyland. On ne peut plus critiquer les ODD alors que leur dimension irénique, mondiale et bien trop ambitieuse les rend impossibles à atteindre. C’est un peu comme le paradis communiste : plus on s’en approche, plus il recule. Si nous adoptons une démarche d’aide sincère au développement des peuples – apprendre à pêcher à un homme plutôt que de lui donner un poisson –, il faut cibler nos actions.

L’énergie me semble la pierre angulaire de toute aide au développement : dans ce domaine, nos entreprises sont excellentes et nous devrions apporter une aide liée plutôt que de nous lier les mains avec les règles de l’OCDE et les ODD magiques. Nous devrions privilégier l’aide à la distribution d’énergie ciblée et d’eau potable : notre action serait très efficace dans certains pays, elle aiderait véritablement les peuples et elle favoriserait bien davantage le développement qu’une aide tous azimuts.

Mme Christelle D’Intorni (UDR). Je remercie notre collègue Guillaume Bigot pour la qualité de son rapport. Dans un contexte budgétaire alarmant, il est impératif de réduire notre aide publique au développement et de la mettre au service de nos intérêts stratégiques. Alors que notre pays accuse plus de 3 200 milliards de dette – chaque Français est endetté à hauteur de 46 470 euros – et que notre niveau de vie est en péril, est-il raisonnable de dépenser plus de 5 milliards chaque année pour les autres pays ? C’est pourtant bien ce que prévoit le Gouvernement ; la baisse des crédits de 600 millions n’est pas suffisante. Le ministre du budget et des comptes publics avait lui-même préconisé des économies de 1,2 milliard pour ramener le niveau de la mission à celui de 2017.

Des pistes d’économies existent, lesquelles pourraient faire l’objet d’accords transpartisans, à en croire les déclarations du ministre. La Cour des comptes indique que nos contributions volontaires aux organismes internationaux ont plus que doublé entre 2017 et 2023, passant de 1,5 milliard à 3,3 milliards d’euros. En parallèle, le programme 110, Aide économique et financière au développement, prévoit de doubler les autorisations d’engagement pour les institutions multilatérales, pour les porter à 1,3 milliard ; à ce montant s’ajoutent 218 millions de contributions volontaires aux Nations unies et 260 millions à d’autres organisations. Le volet bilatéral du programme 209, Solidarité à l’égard des pays en développement, représente plus de 1,6 milliard en crédits de paiement : il conviendrait de le réduire fortement et de le réorienter.

Comme le note le rapporteur pour avis, les pays les plus coopérants en matière de politique de retour, comme la Géorgie et l’Albanie, reçoivent moins que d’autres, plus réticents à fournir des laissez-passer consulaires. Alors que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour ses ressortissants n’est que de 7 %, l’Algérie a reçu de la France environ 138 millions d’euros dans la seule année 2022.

Enfin, nous sommes d’avis de refonder la gouvernance de notre politique de développement : alors que l’AFD a gagné des compétences, elle ne rend pas suffisamment compte de son utilisation des deniers publics dans les pays bénéficiaires. Faute de transparence, la Cour des comptes avait recommandé d’établir des indicateurs de réalisation des projets de l’AFD, particulièrement ceux établis avec des ONG. Cette mesure est d’autant plus nécessaire que la mission prévoit l’octroi de 110 millions de dons de l’AFD à différentes ONG.

Nous nourrissons une double ambition : mettre en adéquation les crédits de la mission avec la situation des comptes publics et refonder notre doctrine d’aide au développement en mettant celle-ci au service de nos intérêts stratégiques, principalement en matière migratoire. Puisque cette philosophie ne se retrouve pas dans la mission présentée par le Gouvernement, le groupe UDR votera contre l’adoption de ses crédits.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Le monde entre dans une zone de turbulences géopolitiques très fortes. Dans ce contexte, une politique d’aide ne prenant pas en compte le respect de notre pays et de sa puissance n’est pas seulement naïve, elle est dangereuse car elle envoie de mauvais signaux.

Il ne faut pas aider les pays qui, comme les Comores, mènent des politiques irrédentistes : les Comores considèrent Mayotte comme une terre comorienne.

M. Pierre Pribetich (SOC). Irrédentiste, c’est vraiment un terme fasciste !

Mme Alexandra Masson (RN). Cette accusation est absolument inacceptable !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Vous retrouverez ce terme dans tous les livres d’histoire.

Je souscris totalement à vos propos, madame D’Intorni, il faut cesser de mener des politiques dangereuses pour nos intérêts.

M. Michel Guiniot (RN). Je tiens à vous remercier, Monsieur le rapporteur pour avis, pour la qualité de votre rapport et pour les enseignements qu’il délivre. Il est surprenant de découvrir des informations méconnues : vous citez, page 18, le chiffre de 1,4 milliard d’euros, qui correspond à la somme dépensée pour l’accueil au cours de la première année en France des réfugiés provenant de pays en voie de développement. Pour reprendre vos termes, l’aide publique au développement française est constituée d’un « agglomérat de dépenses hétérogènes ». Quel but ont ces dépenses ? Comment sont-elles contrôlées ?

Le budget de l’APD française a crû de 50 % entre 2017 et 2022. La Cour des comptes a indiqué dans un rapport de juillet dernier que la France avait presque doublé le montant de ses contributions volontaires. Alors que nous devons trouver plusieurs dizaines de milliards d’euros pour redresser notre pays, nous nous apercevons que beaucoup d’argent a été distribué pour des actions très éloignées de nos intérêts. Nous donnons chaque année des millions d’euros à l’empire du Milieu et nous avons répandu des millions pour le développement de pays qui sont devenus des terreaux islamistes et qui n’hésitent pas à rejeter la France mais qui ne se gênent pas pour profiter de nos largesses. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), ce sont près de 50 000 ménages français dont nous pourrions effacer la dette tous les ans. Nous en sommes rendus au point où nous prêtons gratuitement de l’argent. Tel est l’objet des bonifications d’emprunt prévues à l’action 02 du programme 110, pourvue de près de 1 milliard d’euros en autorisations d’engagement pour accorder des prêts à taux zéro. Selon les chiffres du notariat, on pourrait offrir une maison à près de 5 millions de ménages français chaque année. Qu’il n’y ait aucune méprise, mon propos ne vise aucunement à critiquer l’action humanitaire française, pas plus que l’aide d’urgence internationale. Ma critique porte sur les crédits alloués au développement des pays que nous aidons. Nous avons élaboré un contre-budget, bien plus raisonnable et proche des attentes des Français.

Alors que l’aide publique au développement a été conçue pour maintenir la présence française dans un monde fracturé et préserver nos intérêts internationaux, estimez-vous que l’actuelle gestion de l’APD respecte sa raison d’être ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La définition de l’APD, telle qu’elle est donnée de manière quelque peu canonique par le CAD de l’OCDE, ne sert ni la France ni aucun pays. Je plaide pour un changement de paradigme, pour privilégier une logique de coopération mutuellement avantageuse alors que nous constatons que certaines politiques ne font que des perdants. La loi de 2021 recommandait une augmentation des dons et une diminution des prêts mais ce mouvement n’a pas eu lieu autant que le souhaitait le législateur. Quand les taux d’intérêt montent, les populations aidées ne reçoivent pas 1 euro de plus : cette politique est donc coûteuse car nous payons la différence entre le taux du marché et l’aide au pays.

M. Hervé Berville (EPR). Ce n’est pas cela la bonification, nous ne payons pas la différence ! Si les taux d’intérêt augmentent, les rentrées des prêts consentis augmentent ; je ne vois pas où est le problème.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Si les taux d’intérêt augmentent, le coût de la bonification augmente. Dépendre des mouvements des taux d’intérêt pour fixer le montant de l’APD ne me semble pas satisfaisant.

Mme Éléonore Caroit (EPR). En cette période de restrictions budgétaires, il est évidemment nécessaire de réduire les dépenses publiques. Cependant, le niveau des coupes budgétaires concernant l’aide publique au développement dans ce PLF est préoccupant. Avec une réduction de près de 2 milliards d’euros, soit près d’un tiers de l’enveloppe actuelle, l’APD est la mission la plus sévèrement touchée par les restrictions budgétaires, alors qu’elle est un levier fondamental de la politique internationale de la France.

Vous avez évoqué un manque d’efficacité mais, en tant que membre du conseil d’administration de l’AFD et députée des Français de l’étranger, j’ai constaté l’impact réel de nombreuses initiatives financées par l’APD, dans ma circonscription et ailleurs dans le monde.

Par la loi de programmation du 4 août 2021, la France s’était engagée à attribuer 0,7 % de son RNB à l’APD : ce taux a atteint 0,5 % au cours des deux dernières années mais notre pays accuse aujourd’hui un retard sur ses voisins européens, à l’image de l’Allemagne qui attribue au moins 0,7 % de son RNB à l’APD depuis 2016. Or je vous rappelle que cette loi avait été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et que votre groupe ne s’y était pas opposé, Monsieur le rapporteur pour avis. Les coupes budgétaires prévues par le PLF pour 2025 et celles que vous préconisez empêcheraient la France de respecter ses engagements, aggraveraient son retard et compromettraient les projets déjà engagés, réduisant à néant des efforts entrepris depuis plusieurs années.

Dans votre avis, vous insistez sur le fait que l’APD française est principalement déliée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas conditionnée à la participation d’entreprises françaises aux projets financés ; vous critiquez cette caractéristique et indiquez, à tort, que l’APD bénéficie davantage à des entreprises étrangères, chinoises ou turques, plutôt qu’aux acteurs français. Cette affirmation est erronée : l’aide déliée correspond au contraire à la recherche d’une meilleure efficacité de l’APD ; elle permet à l’AFD de tripler le montant de ses prêts et d’être présente dans six fois plus de pays, et elle profite très largement aux entreprises françaises. En effet, ces dernières ont remporté plus de 50 % des marchés financés par l’AFD entre 2020 et 2023. En 2023, 73 % des projets en exécution de l’AFD ont impliqué au moins un acteur français, public ou privé. Les entreprises françaises sont particulièrement représentées dans les secteurs de l’eau, de l’assainissement, de l’énergie, des transports, de la santé, des infrastructures, et j’en passe.

Dès lors, je considère qu’il est extrêmement important de maintenir les crédits de la mission et que les réductions envisagées seraient contre-productives et mettraient en péril notre engagement de longue date, ainsi que la crédibilité de la France sur la scène internationale.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je n’ai jamais dit, ni même pensé, que l’AFD et l’APD n’avaient aucun effet, aucune efficacité. En revanche, je ne me satisfais pas que les entreprises françaises ne remportent que la moitié des marchés financés par l’AFD : vous vous en félicitez mais je vous réponds que 100 %, ce serait mieux que 50 %.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Il n’y a pas toujours une entreprise française parmi les candidats à un appel d’offres !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. C’est tout à fait exact, notamment pour les petits contrats.

M. le président Bruno Fuchs. C’est même assez fréquent. Je me suis rendu récemment au Bénin où aucune entreprise française n’avait répondu à un appel d’offres pour la construction ou la réhabilitation de seize lycées agricoles, marché finalement attribué à des acteurs sud-africains.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. C’est un point très important. Les entreprises françaises ne répondent pas toujours aux appels d’offres. L’honnêteté me pousse à préciser que j’ai vu une très belle route construite par Eiffage aux Comores, laquelle a ensuite été prolongée par un tronçon réalisé par des entreprises chinoises qui paraît beaucoup moins réussi, aux dires mêmes des Comoriens. Seulement, au final, l’État comorien a maltraité l’entreprise française et lui a créé de très nombreux problèmes.

La dispersion de l’APD nous empêche de concentrer notre soutien sur des projets structurants et lourds que des entreprises françaises pourraient mener.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). « La France ne se replie pas sur elle-même, y compris dans des temps de bouleversements mondiaux », décembre 2020 ; « Il faut mettre les moyens dans notre aide publique au développement », novembre 2023 ; « Il faut un choc financier public », septembre 2024 : ces trois déclarations émanent du président de la République. Pourtant, nous assistons à une coupe massive de 2 milliards d’euros dans l’APD, orientation qui contredit les déclarations d’Emmanuel Macron sur la scène diplomatique, ainsi que la loi de 2021 que notre Assemblée avait votée à l’unanimité.

Bien sûr, c’est la crédibilité de la France sur la scène internationale qui est en jeu mais c’est aussi la solidarité internationale telle que nous l’entendons qui se retrouve sacrifiée sur l’autel de l’austérité. Les ONG, les fonds multilatéraux sur le développement durable, la sécurité alimentaire, la biodiversité, le traitement de la dette des pays pauvres, affaiblis par l’inflation : rien ni personne n’est épargné, tout le monde paie et se trouve sanctionné par ce budget. Les coupes s’accompagnent de la suppression de l’affectation de la taxe sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières : il s’agissait pourtant d’un financement novateur qui avait été salué lors de sa création. Le Gouvernement choisit de précariser un pan entier du financement de l’aide publique au développement pour les années à venir.

Avec 2 milliards d’euros en moins, la coupe que subit l’AFD est massive et douloureuse. Pourtant, ce n’est pas assez pour vous, Monsieur le rapporteur pour avis. Il faut dire que pour l’extrême droite, la priorité est le repli sur soi et l’autarcie ; quant à l’APD, elle devrait à vos yeux se résumer à une politique de domination et à l’exportation de notre politique migratoire.

Une telle conception n’entre pas dans l’acception de l’APD par l’OCDE, selon les derniers critères définis en décembre 2022. L’aide publique au développement est, certes, imparfaite mais elle ne saurait reproduire des logiques de domination qui ont eu cours pendant des siècles. Elle reste un outil efficace et important de la solidarité internationale. Le groupe La France insoumise se tiendra toujours du côté de la solidarité internationale et réprouve la vision néocoloniale que vous avez de l’aide publique au développement.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Nous ne sommes d’accord que sur un point : l’aide publique au développement que je préconise n’entre pas dans le cadre défini par l’OCDE. Il me semble qu’une aide à la gouvernance d’un pays s’inscrit dans une démarche néocoloniale. Quand on veut mettre un sparadrap sur la plaie de l’inefficacité des États, on entre dans une logique néocoloniale, qu’on le veuille ou non. Une telle approche me fait horreur : il faut respecter les peuples mais, pour ce faire, encore faut-il se respecter soi-même. Quand on aide des pays qui refusent de reprendre leurs nationaux qui commettent des crimes chez nous ou qui font montre d’hostilité dans les instances internationales, on ne se respecte pas soi-même. Il faut nouer un dialogue sur un pied d’égalité avec les peuples du monde, ce qui n’a rien de néocolonial.

Il serait bien plus intéressant de déployer des coopérations : une coopération n’a rien d’une domination. En coopérant avec l’autre, on transmet et on reçoit des savoirs et des connaissances. Cette logique n’a rien à voir avec le paradigme mondialiste que vous cautionnez. Ce n’est pas notre groupe qui a souhaité emprunter sur les marchés financiers pour financer le déficit de l’État.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Au-delà des États, il y a les peuples. L’APD s’adresse davantage à la société civile qu’aux États. Peut-être que ces derniers n’accompagnent pas la politique migratoire de la France mais ce n’est pas aux peuples de payer le prix de notre mécontentement. Les punitions collectives ne sont pas la meilleure façon de faire montre de solidarité internationale.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je suis totalement hostile aux punitions collectives. L’aide alimentaire d’urgence et l’aide humanitaire dans des cas extrêmes ne doivent pas s’interrompre, même en cas de rupture des relations diplomatiques avec un État, mais vous faites preuve d’une grande naïveté en pensant que nous pouvons soutenir des peuples sans passer par les États, même si ce sont des ONG et le secteur privé qui interviennent. Ne vous en déplaise, ces pays sont indépendants et souverains sur leur territoire.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Vous vous en doutez, nous regrettons la diminution de près de 22 % des crédits alloués à la mission Aide publique au développement. Ceux-ci s’élèveraient à un peu plus de 5 milliards d’euros actuels puisque l’inflation n’est pas prise en compte. La baisse atteint près de 1,5 milliard par rapport à la dernière loi de finances, montant considérable, d’autant que la demande et les besoins n’ont cessé d’augmenter dans les pays bénéficiaires.

Cette baisse brutale est en contradiction totale avec nos engagements et avec les ambitions affichées par les présidents de la République et les Parlements successifs depuis 2017. Pire, elle met à mal tous les efforts consentis pour faire de la France un pays pionnier en matière de développement. Ce constat a d’ailleurs conduit nos collègues de la commission des finances, que je remercie, à adopter des amendements pour procéder à un rééquilibrage budgétaire bienvenu, bien que partiel. J’espère que notre commission aura l’occasion d’aller encore plus loin en ce sens.

Je regrette le parti pris du rapporteur pour avis, qui développe une vision totalement désuète de l’aide publique au développement. Certes, en dénonçant les usages parfois douteux des dotations ou un manque de transparence, vous soulevez des problèmes qu’il faut traiter mais vous avez rédigé un rapport à charge. Vous dénoncez une aide publique au développement trop coûteuse et appelez même de vos vœux une APD franco-française, protectionniste et utilitariste plutôt que multilatérale, renouant avec un esprit quasi colonial qui laisserait la France contrôler et hiérarchiser seule les projets. Je me demande d’ailleurs si vous avez écrit un rapport pour avis ou une tribune au service du projet politique d’un certain parti d’extrême droite.

Nous ne partageons pas cette vision. L’APD doit rester un outil de développement et d’autonomisation des pays qui le demandent à travers leur administration ou des ONG. Elle est un instrument de solidarité internationale, conforme à nos valeurs républicaines d’égalité devant la loi, la santé ou l’alimentation. Je déplore les commentaires déplacés auxquels vous vous livrez depuis le début de cette réunion.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je regrette que vous vous sentiez obligée de caser des mots-clefs – extrémisme, extrême droite, fasciste – plutôt que de débattre, alors que je suis parfaitement ouvert à la discussion. Cela ne trompe personne.

Vous m’accusez d’avoir une vision désuète et protectionniste de l’APD. Pourtant, les États-Unis eux-mêmes lient 30 % de leur aide à l’achat de biens ou services d’entreprises américaines. Je sais que les économistes de l’OCDE ne reconnaissent pas cette pratique mais je ne suis pas, contrairement à vous, complètement tétanisé par leurs oukases. Cela fait-il de moi un néocolonialiste ? Libre à vous d’en juger.

M. le président Bruno Fuchs. L’aide au développement française n’est certes pas liée mais des efforts sont faits pour faire travailler de plus en plus d’entreprises françaises dans les pays concernés. Chaque année, nous nous améliorons sur ce point.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je ne l’ignore pas. Si j’appliquais une logique complètement égoïste ou de repli, je me réjouirais de voir, aux Comores, tous ces cabinets de consultants français facturer, pour des centaines de milliers d’euros au total, des études sur le genre ou la diaspora dont un professeur de lycée ne voudrait pas : après tout, ces sommes ne sont-elles pas comptabilisées dans le produit intérieur brut (PIB) français ? Si mon rapport est à charge, c’est uniquement parce que je suis soucieux du bon usage des deniers publics et que je me mets à la place des populations concernées, qui sont dans le besoin : en quoi de telles études les aident-elles ? Je ne me place pas dans une perspective protectionniste ou nationaliste, j’estime simplement que nous devrions verser une APD utile, pour la France comme pour les populations aidées.

Quant aux efforts consentis pour favoriser les entreprises françaises, si notre aide était liée, elles ne participeraient pas à 50 % des marchés publics ouverts grâce à nos fonds, mais bien à 100 % d’entre eux.

M. Michel Herbillon (DR). Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, le montant de l’aide publique au développement demeure à un niveau très élevé, avec près de 5,2 milliards d’euros en crédits de paiement. Comme vous l’indiquez très justement, elle a sensiblement augmenté entre 2018 et 2023, passant de 2,7 milliards à 5,9 milliards. Malgré son recul, la France se maintiendrait au cinquième rang des bailleurs mondiaux. La situation exige un budget et des choix responsables. Nous avons noté que certains groupes font le choix de l’irresponsabilité et d’une folie fiscale qui aurait des conséquences dévastatrices pour notre pays et nos concitoyens.

Par ailleurs, nous saluons l’inscription au budget de crédits et d’équivalents temps plein (ETP) en vue de la constitution de la fameuse commission d’évaluation de l’APD que notre commission appelle de ses vœux depuis longtemps. J’en profite d’ailleurs pour interroger notre rapporteur pour avis et notre président : cette commission va-t-elle enfin voir le jour ? Je suis lassé de devoir appeler à sa création. Il est tout à fait anormal et scandaleux qu’elle ne soit toujours pas en place. Il faut désormais faire de son installation une exigence.

M. Hervé Berville (EPR). Tout à fait !

M. Michel Herbillon (DR). Le groupe Droite républicaine votera en faveur de ces crédits, sous réserve que certaines conditions soient réunies et en fonction de l’examen des amendements.

Nous réitérons notre volonté de conditionner l’aide publique au développement au taux de délivrance des laissez-passer consulaires, documents impératifs pour exécuter les OQTF. La France doit cesser de financer des pays qui nous sont manifestement hostiles ou qui ne coopèrent pas convenablement en matière migratoire. C’est une question de principe : nous ne devons plus courber l’échine face à ceux qui défient nos lois. Prenons les mesures qui s’imposent.

Vous soulignez que l’AFD dispose d’un portefeuille de projets d’environ 250 millions d’euros aux Comores. La présence de la France vous y semble-t-elle clairement identifiée ? Comment percevez-vous le ressenti des Comoriens à ce sujet ?

M. le président Bruno Fuchs. J’ai rappelé tout à l’heure la nécessité d’accélérer la constitution effective de la commission d’évaluation de l’APD, dont le principe a été acté. Je ferai part de votre exigence au ministre concerné, par courrier et de vive voix.

M. Michel Herbillon (DR). Je vous en remercie. Faites savoir que notre patience a atteint ses limites !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. D’après ce que j’ai compris, les décrets d’application sont en cours de rédaction et les locaux ont été identifiés. Nous approchons donc du but.

Très honnêtement, la population comorienne est assez indifférente à l’égard de la France. Seule lui importe la Chine, qui multiplie les constructions, lesquelles sont parfois de véritables fumisteries, comme le grand stade de Moroni, finalement si dangereux que le match de Coupe d’Afrique des nations qui devait s’y tenir n’a pas pu y avoir lieu. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’argent prêté par la France aux Comores serve à financer des projets chinois. Même le Palais du peuple arbore un grand panneau proclamant qu’il a été construit grâce à un don du peuple chinois. Imaginez la même chose sur l’Assemblée nationale ! Voilà qui, pour le coup, relève du pur colonialisme, ce qui n’a rien d’étonnant puisque la Chine est, comme la Russie, une grande colonisatrice devant l’éternel.

Mme Stella Dupont (NI). Alors que l’article 2 de la loi de 2021 engage la France à réaliser des investissements ambitieux en matière d’aide publique au développement, cette politique est fragilisée par les récentes coupes budgétaires. Le budget global de la mission baisse ainsi de 10 %, le financement de la dette ou de la solidarité à l’égard des pays en développement étant soumis à des coupes particulièrement importantes.

Les crédits avaient pourtant augmenté de manière continue de 2018 à 2023 et devaient continuer de le faire, conformément à nos engagements internationaux. La France, pour rester fidèle à son histoire et à ses valeurs et pour des raisons humanitaires, stratégiques, écologiques et économiques évidentes, doit conserver une ambition intacte en matière d’aide publique au développement. Dans un monde plus incertain que jamais, nous devons préserver une capacité de coopération à la hauteur des enjeux. Je regrette la position du rapporteur pour avis, qui entend saper l’APD et remettre en cause ses fondamentaux. Le directeur général de l’AFD alerte d’ailleurs sur ces baisses, qu’il juge excessives.

À cette réduction drastique s’ajoute la fin de l’affectation de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion au financement de la solidarité internationale. Je souhaite qu’une partie de leur produit soit reversée à l’AFD, conformément aux exigences de la LOLF. Au nom du collectif social-démocrate, nous avons déposé un amendement en première partie du projet de loi de finances visant à augmenter le taux de la TTF de 0,2 point, ce qui permettrait de dégager plus de 1 milliard d’euros supplémentaire pour l’APD.

Mon vote sur les crédits de la mission dépendra des amendements qui seront adoptés.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La baisse des crédits par rapport à 2024 est indéniable. Elle est même beaucoup plus forte que les 7 % affichés. Les financements avaient toutefois augmenté très nettement, et pas seulement depuis la loi de 2021 : de 2016 à 2023, les crédits alloués à l’aide publique au développement ont davantage augmenté que ceux de la justice ou de la défense. Était-ce justifié ? Malgré les baisses, l’APD restera d’ailleurs bien supérieure à son niveau de 2017.

Par ailleurs, je ne souhaite pas saper l’aide publique au développement mais changer de paradigme. Le modèle dominant actuellement est celui de la mondialisation, comme le montre le remplacement, dans l’organigramme du ministère chargé des affaires étrangères, de la direction politique par une direction générale de la mondialisation.

M. Hervé Berville (EPR). Pas du tout ! La direction générale des affaires politiques existe toujours !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. En tout cas, la direction générale de la mondialisation n’existait pas auparavant.

Je plaide pour une politique davantage axée sur la coopération. Dans cette attente, le contexte budgétaire me semble exiger qu’on marque une pause dans les financements accordés. Cela ne signifie pas que je suis contre l’aide au développement.

M. le président Bruno Fuchs. Deux approches s’opposent : certains déplorent vivement la baisse des dotations, tandis que votre groupe propose de l’accroître encore davantage.

Lorsqu’il est question du rayonnement de la France et de sa capacité à créer des partenariats – que vous appelez par ailleurs de vos vœux – autour de programmes de développement, l’enjeu de fond est aussi d’éviter des migrations futures, en permettant aux pays aidés de proposer du travail à leur jeunesse. Une baisse encore plus forte des programmes aurait-elle un impact positif en la matière ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La question du lien entre immigration et développement est complexe : Rémy Rioux lui-même reconnaît qu’il n’est pas démontré scientifiquement.

J’estime en outre que la politique de générosité, à laquelle je suis attaché car elle fait partie de l’identité de notre pays, ne peut pas se concevoir indépendamment d’une politique de puissance. Ce sont les deux revers d’une même pièce : la France peut être généreuse si elle est forte, donc si elle est respectée. Ce ne me semble pas être le cas.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions à titre individuel.

M. Hervé Berville (EPR). Vous mélangez beaucoup de choses. Depuis tout à l’heure, vous expliquez vouloir changer de paradigme, alors que vous prônez en réalité le retour à un principe très répandu dans les années 1950 et 1960 : « la Corrèze avant le Zambèze ». Personnellement, je suis plutôt pour « les Côtes-d’Armor et les Comores » !

Vous parlez d’une politique de générosité, et même de charité. Mais l’aide publique au développement n’est ni l’une, ni l’autre : c’est une politique de solidarité, qui a deux objectifs essentiels. Le premier est la lutte contre la pauvreté : personne n’a envie de voir des pays, au Sud de la Méditerranée ou en Amérique latine, confrontés à des famines ou à des guerres à répétition, non seulement parce que nous en serions nous-même affectés mais aussi pour des raisons morales. Le second consiste à répondre ensemble aux défis communs. Votre groupe est souvent le premier à dire que la France ne réglera pas seule la question du dérèglement climatique pour justifier son refus de faire des efforts en la matière. Or l’AFD a précisément vocation à favoriser les investissements dans l’énergie et dans l’assainissement – dont, de façon assez contradictoire, vous déplorez par ailleurs qu’ils soient trop faibles.

En confondant tout, vous affaiblissez la France. En doublant nos aides publiques au développement, nous avons accru notre crédibilité et notre influence dans les instances multilatérales, à l’inverse de Donald Trump, dont la parole au G7 ou aux Nations unies ne pesait plus. Vous semblez par exemple confondre ODD et APD : les objectifs de développement durable n’ont pas vocation à être financés par la seule aide publique au développement. Il s’agit simplement d’objectifs communs en matière de protection de l’environnement, de stabilité ou de prospérité.

Cette grande confusion mènera à un grand affaiblissement de la France.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je préfère en effet la Corrèze et Mayotte aux Comores.

Vous estimez que la politique d’aide publique au développement a servi les intérêts de la France. En vérité, le pari de l’approche dite 3D – défense, diplomatie, développement –, qui était loin d’être absurde, a été perdu. Le choix a été fait de mettre le paquet sur dix-neuf pays prioritaires, dont dix-huit pays d’Afrique, en particulier ceux du Sahel, qui étaient menacés d’écroulement. Tout cela avait du sens et je ne jette la pierre à personne, d’autant que nous avions payé le prix du sang pour protéger ces États. Simplement, avec un peu de recul et d’honnêteté intellectuelle, il est clair que cette politique s’est enlisée dans les sables du Sahel, comme le montre notre expulsion du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Vous n’en avez pas tiré les conséquences et vous vous êtes obstinés à maintenir cet objectif chimérique de 0,7 % pour ne pas reconnaître votre échec, abondant pour ce faire toutes sortes de fonds multilatéraux. Tout cela est très sympathique mais nous n’avons plus les moyens de ce genre de générosité tous azimuts.

Vous avez raison sur un point : la politique d’aide au développement n’est pas une politique de générosité. Mais comme je l’avais déjà dit moi-même, vous ne m’apprenez rien.

M. le président Bruno Fuchs. S’il n’y a effectivement pas de lien entre développement et APD, il n’y en a pas non plus entre l’APD et la situation politique des pays concernés, notamment au Sahel.

Mme Marine Hamelet (RN). Merci pour votre rapport très éclairant sur les enjeux de notre politique d’aide publique au développement. Cette aide a atteint 14,2 milliards d’euros en 2023, dont plus d’un tiers financé directement par les contribuables. Ce niveau élevé nous classe parmi les cinq plus gros bailleurs mondiaux, en mobilisant 0,5 % de notre revenu national brut, alors que la France n’affiche que le onzième RNB mondial.

L’AFD dispose de quatre-vingt-cinq agences à travers le monde et participe à des projets dans cent-quinze pays. Nous comptons par exemple toujours des agences au Mali ou au Burkina Faso, qui ont pourtant rejeté fermement la présence française. N’y a-t-il pas urgence à recentrer géographiquement notre aide publique au développement, plutôt qu’à maintenir toutes ces agences ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Si.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Le rapporteur pour avis a indiqué rejeter les notions de générosité ou de charité mais, en réalité, l’aide publique au développement, le multilatéralisme et les ODD portent l’idée d’une solidarité internationale. La France doit défendre ce principe. C’est pour cette raison qu’elle s’engage de façon répétée pour défendre le multilatéralisme. L’aide publique au développement a un sens très concret : des ONG et des personnels de l’AFD nous ont signifié que, si elle venait à baisser, la mortalité infantile augmenterait fortement dans plusieurs zones vulnérables.

L’attaque contre l’aide publique au développement nous préoccupe beaucoup. Nous souhaitons l’augmentation de son budget car nous défendons à la fois la solidarité nationale et la solidarité internationale : les deux ne sont pas dissociables, comme le rapporteur pour avis l’apprendra peut-être grâce à cette phrase de Jean Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène ».

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Vous n’avez pas le monopole de Jean Jaurès, il appartient à notre histoire !

Je vous invite, chers collègues, à consulter la liste des ODD pour 2030 sur le site internet des Nations unies : elle regroupe dix-sept objectifs « pour sauver le monde ». Jean Jaurès serait tombé dans les pommes en lisant cela, pour une raison simple : il était internationaliste et non mondialiste. S’il avait appris que les médecins tunisiens quittent leur pays pour faire fortune ailleurs, il leur aurait sans doute donné un coup de pied au derrière pour qu’ils retournent développer leur propre nation. (Protestations).

M. Laurent Mazaury (LIOT). Je tiens à revenir sur la réallocation de la taxe sur les billets d’avion, censée nourrir le fonds de solidarité pour le développement et qui sera finalement redirigée vers le budget général de l’État. Ce choix problématique me semble annoncer un futur encore plus restrictif pour l’APD et conduit cette taxe à manquer totalement sa cible initiale. Ce point me semble absolument fondamental : on peut craindre, à l’avenir, un détournement des sommes qui devraient rester allouées à l’aide publique au développement. Nous avons déposé un amendement sur ce sujet en première partie du PLF mais il n’a pas encore été examiné.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Nous ne sommes pas opposés à ces taxes, qui sont plutôt justes puisqu’elles touchent les grands bénéficiaires de la mondialisation. Le fait qu’elles abondent directement les versements volontaires de la France à des fonds multilatéraux posait toutefois le problème du contrôle parlementaire de cet argent et du pilotage démocratique de notre APD.

Il ne me semble pas sain de se fixer un objectif purement quantitatif et de vouloir absolument l’atteindre, par principe. Vouloir consacrer davantage d’argent à l’aide au développement n’est pas une mauvaise chose. Simplement, quand nous ne parvenons plus à atteindre nos objectifs, nous cherchons des biais en abondant des fonds multilatéraux, sans vraiment contrôler l’usage de ces financements. Voilà ce que nous dénonçons.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Pour ma part, je faisais référence au fléchage des taxes destinées à financer l’APD et au rôle de la DGFIP dans leur perception.

M. le président Bruno Fuchs. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements portant sur ces sujets, qui semblent faire une relative unanimité.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Vous questionnez la légitimité démocratique des engagements pris unilatéralement par le président de la République au cours de sommets internationaux. En septembre 2022, Emmanuel Macron annonçait ainsi une contribution de 1,6 milliard d’euros au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, soit un renforcement de 23 % ; en mai 2021, il signifiait l’annulation pure et simple de la créance française envers le Soudan, pour un montant de 5 milliards de dollars.

Les engagements pluriannuels souscrits par les plus hautes autorités de l’État à l’occasion de grands-messes internationales, s’ils relèvent certes de la compétence de l’Exécutif, ne posent-ils pas la question du consentement parlementaire à ces dépenses ? Quelles pistes préconisez-vous pour mieux associer le Parlement à ces décisions coûteuses pour nos finances publiques ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. En effet, c’est bien la question du consentement à l’impôt qui était posée à travers la collecte des taxes évoquées par notre collègue Mazaury, puisqu’elles étaient directement affectées à des fonds sans être contrôlées par le Parlement. Lorsque le président de la République ou le ministre de l’Europe et des affaires étrangères engagent la parole de la France et décident d’abonder à des fonds pluriannuels, c’est la question du consentement annuel à l’impôt qui est posée. Les parlementaires se retrouvent alors mis devant le fait accompli et confrontés à un dilemme : refuser d’honorer la parole de la France ou voter le budget avec les mains liées. L’article 53 de notre Constitution dispose pourtant que « les traités […] ou accords […] qui engagent les finances de l’État […] ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». Pour remédier à ce problème, il faudrait assurer un suivi précis de ces fonds pluriannuels.

Présidence de Mme Éléonore Caroit, vice-présidente.

M. Olivier Faure (SOC). Je ne sais par où commencer tant mes oreilles ont saigné en écoutant le rapporteur pour avis.

Vous expliquez ne pas vouloir faire preuve de la moindre solidarité avec « des pays qui commettent des crimes chez nous ». Je vous rappelle que ces pays ne commettent aucun crime : des individus peuvent être en délicatesse avec la justice mais leurs pays d’origine n’en sont nullement responsables. Si des crimes ont été commis par des pays, ce serait plutôt par ceux qui ont colonisé ces territoires autrefois, à qui il revient de s’interroger sur leur action passée.

Ensuite, l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’APD a été fixé en 1970 par l’Assemblée générale des Nations unies. Cinquante-quatre ans plus tard, il n’est toujours pas tenu. Le directeur général de l’AFD explique que son budget va diminuer d’un tiers. Et vous trouvez encore à y redire, arguant qu’il faudrait le baisser davantage !

Franchement, je ne comprends pas votre raisonnement. Il n’est aucunement question, dans cette affaire, de générosité ou de charité : quand nous soutenons des projets de reboisement pour éviter que des forêts ne disparaissent, nous luttons ensemble contre le réchauffement climatique, au bénéfice du monde entier, et non des seuls pays aidés. L’aide publique au développement doit évidemment être maintenue.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Vous avez le droit de contester la nouvelle baisse de l’APD que je promeus mais ne me prêtez pas des propos que je n’ai pas tenus. Je n’ai jamais parlé de « pays qui commettent des crimes chez nous », mais de pays adoptant des attitudes hostiles ou refusant de reprendre leurs ressortissants, dont certains peuvent avoir commis des crimes. Si vos oreilles saignent, peut-être devriez-vous consulter.

Mme Sylvie Josserand (RN). L’état catastrophique de nos finances publiques conduit la France à s’endetter à des conditions de plus en plus défavorables. Vous relevez ainsi que les taux d’intérêt de la dette française sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne, de la Slovénie ou du Portugal. Dans un contexte budgétaire alarmant, le bon sens économique devrait nous dissuader d’emprunter sur les marchés financiers à des taux de plus en plus élevés au service du seul intérêt de la dette, pour octroyer des prêts aux taux minorés à des pays tiers dans le cadre de l’aide publique au développement.

Considérez-vous que l’APD contribue, par son volume, à l’aggravation de l’endettement de notre pays, qui s’élève à 112 % du PIB ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. En tant que banque publique d’investissement, l’AFD est un établissement de crédit et, à ce titre, elle est soumise à toutes sortes de ratios, contrôlés notamment par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cet organisme intégré à la Banque de France peut, par exemple, effectuer des contrôles sur pièces et sur place.

Je n’ai pas pu obtenir tous les documents demandés – on m’oppose souvent le secret des affaires ou le secret bancaire – mais je constate que l’AFD présentait un stock nominal de dette de 51,3 milliards d’euros en 2023. On ne peut pas lui en faire grief : après tout, prêter de l’argent, c’est bien le rôle d’une banque. Mais, sur cette somme, 9,7 milliards ont été prêtés à des pays particulièrement pauvres, dont on peut se demander s’ils vont rembourser leur prêt. Or, la mission Aide publique au développement finance également un programme destiné à renforcer les fonds propres de l’AFD.

Par ailleurs, j’appelle votre attention sur une petite ligne du programme 110, intitulée « Reste à payer » : il restera pas moins de 4,8 milliards d’euros à rembourser au-delà de 2027 !

Mme Dominique Voynet (EcoS). Il est difficile de juger de l’efficacité d’une politique d’aide au développement à partir d’une situation aussi singulière que celle des Comores, dirigées par un gouvernement sans doute parmi les plus corrompus et les plus inefficaces qu’il nous ait été donné d’observer.

Il est certain que ce n’est pas en trois jours aux Comores que l’on peut avoir tout compris, Monsieur le rapporteur pour avis : à partir des quelques coups de sonde que vous y avez donnés, vous avez prononcé des jugements extrêmement généraux et lapidaires ; vous avez dit quelques sottises, aussi. Les 150 millions d’euros d’aide au développement qui ont été consentis aux Comores il y a quelques années étaient fléchés vers le développement rural, l’appui au gouvernement comorien pour le contrôle de sa frontière – notamment grâce à l’installation d’un radar –, la santé, à travers un programme qui finance essentiellement la sécurité des accouchements – et donc orienté vers la santé des mères et des bébés – et, dans une moindre mesure, l’éducation.

Au-delà de la seule solidarité et de son utilité pour les pays bénéficiaires, l’aide bilatérale apportée par la France est bénéfique en termes d’influence, de rayonnement, de conquête de marchés, comme cela a été le cas pour la construction des routes aux Comores, qui n’ont jamais été financées par l’APD. Mais il est évidemment nécessaire de la combiner avec les fonds mondiaux, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, le Gavi, qui sont très efficaces. Et nous siégeons dans leurs conseils d’administration.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je n’ai jamais prétendu avoir compris tous les problèmes des Comores, et encore moins jugé l’utilité de toute la politique d’aide publique au développement à l’aune de ce seul exemple. Lors des deux jours et demi que j’ai passés sur place, j’ai d’ailleurs préféré demander aux interlocuteurs de l’AFD d’ouvrir leurs dossiers et de m’expliquer les tenants et les aboutissants de tous leurs projets : on y a passé des heures et des heures. Ces projets, je les connais donc maintenant et j’y ai repéré plusieurs choses très étranges, comme ce projet de développement d’une assurance maladie universelle. Dans ce pays marqué par une économie informelle, où l’on compte 20 % de fonctionnaires fantômes, où l’état civil n’est pas stable, ce projet ne verra manifestement jamais le jour. Pourquoi, alors, avoir multiplié les études ?

Je n’ai pas du tout la prétention d’avoir tout compris de l’APD, sujet éminemment complexe, et encore moins les problématiques propres aux Comores en seulement deux jours et demi sur place. Il n’en reste pas moins que certaines choses m’ont beaucoup étonné.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). Je voudrais revenir sur le déliement ou la diminution de l’aide bilatérale, que vous abordez dans le rapport.

Je suis élue d’une circonscription qui recouvre trente-huit des cinquante-quatre pays africains – en plus des pays du Golfe – et, pour avoir visité une cinquantaine de projets financés par l’AFD, je peux vous garantir que plus de 80 % de ces projets sont bien ficelés et permettent de sauver des vies, d’augmenter le taux d’alphabétisation, d’améliorer la couverture en électricité ou l’adduction d’eau d’un pays.

Chaque fois que je me déplace, je rencontre les agents de l’AFD et les populations qui bénéficient de l’aide ; je vois donc bien ce qui se passe sur le terrain. L’aide bilatérale est bénéfique à la France en termes de rayonnement et d’implantation, notamment dans les pays africains, où elle est d’ailleurs souvent l’opérateur des projets financés par les aides européennes. Il faut donc maintenir notre niveau d’aide bilatérale et préserver les aides déliées, dont beaucoup d’entreprises françaises bénéficient lorsqu’elles répondent à des appels d’offres de l’AFD ou d’autres agences de coopération internationale pour le développement, comme le GIZ, l’Agence allemande de coopération internationale. D’ailleurs, il y a souvent des Français derrière les entreprises locales qui répondent à ces appels d’offres.

Enfin, j’appelle tous mes collègues à davantage de patriotisme : je vous en supplie, arrêtez de taper sur la France matin, midi et soir ! Arrêtez de répéter à tout bout de champ qu’on s’est fait virer des pays du Sahel. Ce n’est pas vrai ! Les gouvernements de ces pays ont été renversés par des putschistes, des hommes en treillis qui ont emprisonné des chefs d’État élus démocratiquement, comme Mohamed Bazoum. Qu’ils nous demandent de partir, cela ne me choque pas ; mieux : j’en suis ravie ! La France peut être fière de rester proche, voire très proche, de cinquante des cinquante-quatre États africains, alors arrêtons de nous tirer une balle dans le pied !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Si mon rapport vous a laissé penser que je jugeais inutiles l’ensemble des projets de développement soutenus par l’AFD ou Expertise France, je me suis décidément fort mal exprimé.

Au contraire, vos propos abondent dans mon sens : des différents types d’aide au développement, l’aide bilatérale est peut-être celle qui fonctionne le mieux car connaître les pays aidés permet de travailler en bonne intelligence avec la population, notamment parce que l’État agit comme un filtre.

Madame Voynet, vous avez raison : les Comores sont un pays particulièrement corrompu, et ce n’est pas pareil partout, mais les sociétés nationales y mettent la main sur les projets qui fonctionnent, empêchant les habitants bénéficier pleinement de notre aide. Ainsi, un projet d’adduction d’eau d’une partie du Sud de la Grande Comore, par exemple, a été financé par l’État et la ville de Dunkerque et réalisé par une entreprise chinoise, soit dit au passage ; eh bien, il est passé sous le contrôle de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux des Comores, privant les habitants d’une partie des fruits de ce projet qui devait changer leur vie.

Je ne suis pas opposé à l’aide bilatérale mais, dans le contexte financier actuel, particulièrement tendu, encore faudrait-il que les parlementaires sachent précisément ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. C’est bien à cette fin que la loi de 2021 prévoyait la création d’une commission d’évaluation de l’aide publique au développement : en 2024, on l’attend toujours.

Mme Alexandra Masson (RN). Merci pour ce rapport très clair et explicite. Selon le préfet de Mayotte, 8 669 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en mer en 2023, soit 600 de plus qu’en 2022, 2 300 de plus qu’en 2021 et 4 900 de plus qu’en 2020 : une augmentation de 128 % en quatre ans. Cette immigration illégale dégrade fortement la sécurité à Mayotte et met en danger la cohésion sociale de cette île, déjà très précaire hélas.

Selon l’INSEE, la moitié des habitants de Mayotte ne possèdent pas la nationalité française et, si certains viennent de Madagascar ou d’Afrique centrale, les migrants illégaux sont très majoritairement Comoriens : toujours selon la préfecture de Mayotte, 427 des 444 personnes incarcérées et reconduites dans leur pays d’origine en fin de peine étaient comoriennes. Des projets ont-ils été engagés aux Comores pour empêcher l’immigration illégale vers Mayotte et, le cas échéant, sont-ils réalisables et sont-ils financés grâce à l’aide publique au développement ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il faut distinguer deux flux d’immigration illégale : le plus massif concerne les migrants en provenance d’Anjouan, qui arrivent à Mayotte à bord des fameux kwassa-kwassa. Les autorités comoriennes coopèrent un peu en empêchant environ 8 000 départs par an et en acceptant le rapatriement d’environ 22 000 ressortissants expulsés depuis Mayotte.

En réaction à la crise migratoire déclenchée en 2018 par le président Azali Assoumani, le président de la République a invité les autorités comoriennes à mieux contrôler leurs frontières et le départ de leurs ressortissants, en échange d’une aide au développement. Ce n’était ni univoque, ni simpliste mais ce système est un véritable piège : aujourd’hui, les autorités comoriennes menacent de lever les freins à l’immigration illégale si nous arrêtons notre aide au développement.

Donc non seulement l’aide publique au développement n’a pas du tout tari les flux d’immigration illégale, qui sont comparables à ce qu’ils étaient avant la crise migratoire mais, en plus, elle se retourne contre nous.

M. Frédéric Petit (Dem). Je rebondis sur notre échange de tout à l’heure : les bourses étudiantes qui relèvent de l’APD sont financées par le programme 185 de la mission Action extérieure de l’État ; celles accordées aux réfugiés le sont par le programme 303 de la mission Immigration, asile et intégration.

M. Hervé Berville (EPR). Tout à fait !

M. Frédéric Petit (Dem). Par ailleurs, vous appelez à prendre du recul mais, respecter les peuples, ce n’est pas nier les inégalités dans le monde ou prendre la lutte contre les inégalités pour de la coopération. Nous coopérons avec nombre d’autres pays ; cela ne nous empêche pas de reconnaître les inégalités. Les Français sont solidaires : ils consentent à financer l’aide publique au développement. Si la loi de programmation de 2021 a été adoptée à l’unanimité, c’est parce que nous savions que les Français étaient derrière nous.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Tous les Français sont effectivement solidaires et nous pouvons nous enorgueillir d’être un peuple très généreux. Mais là n’est pas la question : générosité ne veut pas dire jobardise ! Distribuer des mixeurs dans des écoles qui n’ont pas l’électricité ou financer 250 chameaux dans un pays qui en compte 7 millions, comme le fait l’Union européenne, ça n’a pas de sens ! Et je ne suis pas sûr que les Français soient tous consentants pour financer des actions qui n’ont pas de sens.

*

Article 42 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-AE113 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à réduire de 760 millions d’euros en autorisations d’engagement et 500 millions en crédits de paiement les crédits alloués à l’action 01 Aide économique et financière multilatérale.

L’augmentation de 125 % de ces crédits dans le PLF pour 2025 semble en contradiction avec la politique du CICID comme avec la loi du 4 août 2021.

Il n’est pas question de remettre en cause nos engagements internationaux mais simplement de s’interroger sur la pertinence de dépenser autant à l’heure où l’on cherche à faire des économies un peu partout.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Favorable.

M. Frédéric Petit (Dem). Monsieur le rapporteur, 95 % des projets fonctionnent. Ce n’est pas parce que quelques-uns posent problème, comme ces mixeurs que vous citez – nous avons tous des exemples –, qu’il faut remettre en cause toute l’aide multilatérale ! Nous ne sommes pas là pour dire que certains projets sont ridicules, qu’ils ne fonctionnent pas, que les aides multilatérales sont incontrôlables : à nous d’utiliser les contrôles menés par la Cour des comptes européenne pour améliorer le dispositif et continuer d’avancer.

Monsieur le rapporteur, comment pourrions-nous avoir du recul sur une loi adoptée il y a seulement trois ans, juste avant l’émergence d’une guerre ? La commission d’évaluation de l’aide publique au développement n’a même pas encore été installée !

Donc non, il ne faut pas réduire ces crédits ; il faudrait même, peut-être, les augmenter. Telle sera ma position sur tous les amendements tendant à réduire les crédits de l’APD.

M. Hervé Berville (EPR). Sur la question du multilatéralisme, le rapporteur et, plus largement, l’ensemble du groupe Rassemblement national, défendent des positions contradictoires. Les fonds multilatéraux sont gage d’une aide publique au développement efficace : comment, sinon, protéger les océans, lutter contre le dérèglement climatique, faire face aux pandémies ? Regardez le nombre de maladies qu’on a réussi à éradiquer ou à faire reculer depuis cinquante ans grâce à ces fonds ! La coupe massive des crédits prévue par cet amendement ne fera qu’affaiblir notre aide publique au développement et réduire notre influence.

Vous feignez d’être favorable à la coopération mais, en réalité, vous êtes contre la solidarité multilatérale et l’efficacité de notre aide publique au développement. Nous voterons donc contre cet amendement perdant-perdant, néfaste aussi bien pour les pays les plus pauvres que pour la France.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Vous ne pouvez pas brandir la loi de 2021 uniquement quand ça vous arrange, comme lorsqu’il s’agit d’allouer 0,7 % du revenu national brut à l’APD – un objectif qui s’éloigne, d’ailleurs, et je vois que vous avez l’honnêteté de le reconnaître. Cette loi, vous le savez bien, prévoyait aussi une montée en puissance de l’aide bilatérale et une diminution de l’aide multilatérale.

M. Hervé Berville (EPR). Non, une augmentation des deux !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Or, c’est le multilatéral qui a augmenté.

M. Hervé Berville (EPR). Je sais ce que je dis, c’est moi qui ai été le rapporteur de ce texte !

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Tout à l’heure, vous disiez aussi que l’augmentation des taux d’intérêt n’avait pas d’incidence sur le coût de la bonification ! Vous pouvez violer toutes les lois de l’arithmétique mais il y a des limites : si vous augmentez l’aide bilatérale, c’est forcément que vous diminuez d’autant l’aide multilatérale.

M. Hervé Berville (EPR). Tout dépend si c’est en relatif ou en absolu.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Ça dépend de la base 100, effectivement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE114 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement tend à revenir sur les bonifications d’intérêts versées par l’État, en minorant les crédits de l’action 02 Aide économique et financière bilatérale du programme 110 Aide économique et financière au développement de 600 millions d’euros en AE et 200 millions d’euros en CP.

Il n’est pas concevable que l’État assume la charge d’intérêts à la place des bénéficiaires des prêts à hauteur de près de 1 milliard en AE, alors que les ménages français sont en très mauvaise posture, que les taux des crédits à la consommation frôlent les 6,44 % et les taux des crédits à l’habitat avoisinent 3,38 %.

Selon le Trésor public, notre dette est proche des 3 % de taux d’intérêt. Pourquoi la France prêterait-elle un argent dont elle ne dispose pas à moins cher qu’elle ne l’emprunte ? C’est absurde.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La loi de 2021 recommandait la montée en puissance des dons et la diminution des prêts. Avis favorable.

M. Frédéric Petit (Dem). Non, Monsieur le rapporteur, les bonifications n’augmentent pas la dette de l’État : les prêts sont consentis par une banque, l’AFD, qui ne fait que son métier. Vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, en précisant que l’AFD avait 51 milliards d’encours – ce que je peux confirmer car il se trouve que j’en ai été administrateur. Cette somme, je le répète, constitue la dette de l’AFD, pas celle de l’État. La part incombant à l’État se limite aux garanties et cela représente moins de 1 milliard.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE116 de Mme Marine Hamelet

Mme Marine Hamelet (RN). Il s’agit là d’un amendement d’appel. Depuis 2019, les contributions volontaires de la France au Fonds international de développement agricole (FIDA) ont explosé. Alors qu’elles s’élevaient à environ 50 millions d’euros, Emmanuel Macron a unilatéralement décidé, fin 2023, de porter la contribution française à plus de 130 millions d’euros pour les années 2025 à 2027, soit une augmentation de 174 %. Pour cette treizième reconstitution du FIDA, la France s’est donné le rôle de champion avec la deuxième plus grosse contribution au niveau mondial.

Ironie du sort, quelques semaines après cette annonce, un mouvement agricole de grande ampleur débutait dans notre pays et ailleurs en Europe. Et la colère est loin d’être calmée : les organisations syndicales agricoles maintiennent leur pression sur l’Exécutif, à juste titre puisque les promesses qui leur ont été faites à l’époque n’ont pas été tenues.

Notre agriculture souffre. En 2023, on comptait au moins un suicide d’agriculteur par jour, soit un taux de suicide supérieur de 43 % à la moyenne nationale. Aux yeux de nos agriculteurs, le zèle dont fait preuve le président de la République pour financer le développement de l’agriculture mondiale est une provocation.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je soutiens bien évidemment cet amendement.

M. Hervé Berville (EPR). Je ne veux pas électriser les débats mais je viens d’un territoire agricole et établir un lien de causalité entre le suicide des agriculteurs, la crise agricole et l’aide publique au développement est honteux ! Soyez un peu cohérente : même si ce n’est pas là l’objectif de l’aide publique au développement, si vous ne voulez pas de migrants sur les routes, il faut bien qu’ils puissent se nourrir chez eux ! Or le rôle du FIDA est précisément d’aider les populations qui font face à des conditions climatiques difficiles, comme la sécheresse, à rester chez eux et à développer une agriculture résiliente au changement climatique. Vous ne pouvez pas à la fois appeler à soutenir l’aide publique au développement sans la lier aux questions migratoires et dire qu’il est honteux que le président de la République décide – à raison – de financer un programme pour accompagner les agriculteurs des pays bénéficiaires, au motif que cela participerait au désarroi dans nos campagnes !

Allez voir les agriculteurs dans les territoires : depuis des décennies, génération après génération, ils sont solidaires. Ils savent ce que représente la coopération internationale et ils savent que laisser mourir des gens de faim de l’autre côté de la planète n’améliorera pas leur quotidien, tant s’en faut : cela ne fera que les empêcher de dormir.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE117 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Cet amendement vise à réduire de moitié la dotation des aides budgétaires globales accordées par la France, principalement à des États subsahariens, pour leur permettre de faire face à des déséquilibres de leurs finances publiques.

Même dans une situation budgétaire aussi catastrophique que celle que nous connaissons, la philanthropie de la France ne connaît pas de limites. Je rappelle qu’en 2023, l’ensemble de la dette extérieure du continent africain s’établissait à 1 000 milliards d’euros ; la nôtre à plus de 3 000 milliards d’euros, soit trois fois plus que celle de l’Afrique tout entière. Alors que le risque d’une grave crise financière pour la France est bien réel, est-il raisonnable et pragmatique de continuer à emprunter sur les marchés financiers pour octroyer ou financer des prêts à d’autres États ? Avons-nous intérêt à continuer de prendre de tels risques ? Ces politiques ont-elles produit des résultats probants pour les pays concernés et apporté une véritable plus-value pour la diplomatie française et le développement de nos entreprises à l’échelle internationale ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis favorable.

Monsieur Berville, le chef d’État qui prône cette politique d’abondement volontaire tous azimuts à des fonds multilatéraux est celui-là même qui, au sommet du G5 Sahel à N’Djamena, s’interrogeait sur l’opportunité d’aider les pays à s’endetter auprès de la Chine. Je vous renvoie à vos propres contradictions.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE115 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement de repli vise à réduire les crédits alloués aux bonifications d’intérêts versées par l’État à l’AFD pour certains prêts non étatiques. Il est particulièrement surprenant que l’État assume à la place d’un autre organisme la charge de la dette des prêts que nous accordons. Pourquoi l’État s’investit-il autant pour la bonification de prêts accordés par les agences de l’État et si peu pour soutenir les foyers français face à l’inflation ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis favorable. Ces bonifications ont évidemment un coût, ces crédits en sont la preuve.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE93 de M. Pierre-Yves Cadalen

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Afin de renouveler l’engagement de la France envers l’Ukraine, cet amendement vise à rétablir les crédits alloués au fonds Ukraine, qui a vocation à soutenir la reconstruction et la restauration des infrastructures civiles ukrainiennes. Il était doté de 200 millions d’euros en 2024, avant que le Gouvernement ne décide de sabrer cette dotation de 80 millions d’euros. Alors que le conflit continue d’entraîner des destructions importantes, des déplacements de populations, des morts, cette décision est incompréhensible.

Le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, a récemment indiqué que l’aide à l’Ukraine devait permettre de placer sa diplomatie dans les meilleures conditions en cas de négociations – c’est d’ailleurs ce que nous avons toujours dit, et cela nous a valu des procès d’intention. Par cet amendement, nous voulons nous engager concrètement dans la reconstruction de l’Ukraine, une fois que la guerre d’agression de la Russie aura été mise en échec. Notre groupe parlementaire avait par ailleurs reçu un certain nombre d’opposants russes, qui nous avaient alertés en particulier sur l’importance du problème écologique dans la reconstruction après les dégâts par la guerre : c’est aussi cela que ce fonds finance.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Défavorable, pour une raison simple : l’Union européenne aide déjà massivement l’Ukraine. En plus, pour abonder ce fonds, vous minorez les crédits alloués à la restitution des biens mal acquis, qui me semblent être un programme très intéressant.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Vous n’êtes pas sans savoir, puisque c’est écrit dans votre rapport, que cette ligne créée par la loi de 2021 n’est pas abondée. Votre réponse n’est pas très honnête.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Alors votre proposition n’est pas gagée !

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Si, nous l’avons fait et nous appelons le Gouvernement à lever le gage !

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE92 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Cet amendement vise à honorer l’engagement pris par la France, en avril 2022, de contribuer à hauteur de 360 millions d’euros au Fonds pour l’environnement mondial pour les années 2022 à 2026. Les récentes inondations mortelles en Espagne nous rappellent que la plus grande vigilance est de mise s’agissant de la préservation de ce type de fonds.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Ce sera difficile à synthétiser en quelques secondes mais cet amendement illustre le paradigme de la mondialisation. Prenons l’exemple des biens publics mondiaux, dont font partie les poumons verts de la planète, comme la forêt d’Indonésie ou la forêt primaire d’Amazonie : on cherche à les préserver mais les pays qui en sont propriétaires les exploitent – souvent, d’ailleurs, en recourant à des sociétés multinationales –, ce qui est très mauvais pour l’environnement et la planète. Or, plutôt que de remettre en cause ce paradigme et de dénoncer une externalité négative, on préfère appeler cela un bien public mondial et tendre la sébile aux contribuables français, qui n’y sont pour rien. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE91 de M. Pierre-Yves Cadalen

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Alors qu’Israël vient de rendre illégale l’action de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient – l’UNRWA – sur la base d’informations fallacieuses, doubler la contribution de la France au Fonds fiduciaire en faveur des territoires palestiniens, comme le propose cet amendement, permettrait d’envoyer un signal fort. Sans davantage de moyens concrets, la famine tuera des centaines de milliers de personnes, qui s’ajouteront aux 43 000 victimes déjà dénombrées.

J’ai beaucoup entendu parler de rayonnement, d’influence. La France, qui est l’un des rares pays à avoir des possessions territoriales sur tous les continents, est effectivement une puissance mondiale mais, depuis bien longtemps maintenant – et ce n’est pas le rapporteur qui me contredira –, elle ne parle plus au-delà du monde occidental. Au-delà du cas palestinien, il est grand temps qu’on se fasse à nouveau entendre du Sud et des pays non occidentaux car c’était l’une des grandes forces de notre politique étrangère. Pour renforcer notre influence, il faut aussi en finir avec les doubles standards : qu’elles soient occidentales ou non, toutes les vies se valent.

Je suis de ceux qui déplorent que la France se désintéresse de la grande diplomatie globale laissée en héritage par la parenthèse gaullo-mitterrandienne en matière de politique étrangère. Ce n’est pas en développant une politique raciste qu’on enverra les bons signaux.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je ne vois pas le rapport avec une politique prétendument raciste. Passons !

Je suis contre cet amendement. Malheureusement, le conflit à Gaza continue, et nous n’en sommes pas encore à la reconstruction. En outre, le président de la République a annoncé 80 millions d’euros supplémentaires à destination de Gaza en 2024, auxquels s’ajoutent d’importants fonds européens en faveur de l’aide humanitaire sur place. Je suis donc opposé à y consacrer davantage de crédits, a fortiori à travers un fonds multilatéral – un de plus !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE118 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à réduire les crédits alloués au programme 365, Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement. Les besoins en fonds propres de l’AFD s’expliquent notamment par l’application de règles prudentielles européennes auxquelles elle est assujettie en tant que société de financement.

Cet amendement vise non pas à augmenter le risque auquel est soumis l’AFD mais à diminuer les prêts accordés par l’AFD, qui sont bonifiés par l’État et s’apparentent donc à des prêts à taux zéro financés par le contribuable. Or, selon une note de transparence de l’AFD, des États comme la Chine et l’Inde, respectivement deuxième et cinquième puissances économiques mondiales, figurent parmi les bénéficiaires de ces prêts. Pourquoi l’AFD prête-t-elle de l’argent pour le développement de pays qui sont en meilleure santé financière que le nôtre ?

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je ne peux qu’abonder dans votre sens, cher collègue : les ressources à conditions spéciales accordées par l’AFD nous feront, à terme, courir des risques. Avis favorable.

M. Frédéric Petit (Dem). Lorsque l’AFD, qui est une banque, prête de l’argent à la Chine, ce n’est pas l’argent de l’État. Par ailleurs, elle s’engage en faveur de projets qui présentent un intérêt pour la planète. C’est l’archétype de la coopération dont on parlait tout à l’heure. Cela ne sera pas forcément comptabilisé dans l’APD et cela ne portera pas sur les crédits que nous sommes en train de voter.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE119 de M. Kévin Pfeffer

M. Kévin Pfeffer (RN). Les Français ne cessent de nous dire, dans nos circonscriptions, qu’ils ne comprennent pas que l’on puisse encore trouver plusieurs centaines de millions d’euros au débotté, que l’on distribue lors de chaque événement dramatique ou à l’occasion d’une visite officielle, alors qu’on leur demande toujours plus de sacrifices. Dans le contexte actuel, ils n’y consentent plus. Nous proposons donc, dans notre contre-budget, une baisse supplémentaire du budget global de l’APD de 2,34 milliards d’euros.

La sous-action Aide-projet gérée par l’AFD se voit dotée d’un budget – colossal – de 936 millions en CP. Or, l’AFD vise un trop grand nombre d’objectifs, qui ne contribuent en outre que très marginalement à la défense des intérêts de notre pays. Pour preuve, les premiers secteurs concernés, en 2023, ont été l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que le climat et l’environnement. Or, comme le note très justement le rapport, on aurait pu s’attendre à ce que les secteurs prioritaires soient plutôt l’adduction d’eau, l’assainissement, l’électrification ou l’agriculture. Il manque aussi une priorisation géographique, pourtant préconisée par la Cour des comptes. Nous proposons une baisse de 300 millions du financement de l’aide-projet gérée par l’AFD.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE127 de M. Kévin Pfeffer

M. Kévin Pfeffer (RN). J’entends nos collègues parler de la nécessité de réduire les dépenses publiques et des efforts indispensables à accomplir pour redresser nos comptes. Toutefois, personne ne propose jamais d’économies et, lorsque nous en proposons, elles ne sont jamais au bon endroit. Les dix-sept objectifs de développement durable, qui portent sur des questions telles que la justice et la paix ou l’égalité entre les sexes, sont louables mais il est indispensable de couper toutes ces dépenses qui ne font pas partie des priorités des Français et qui ont très peu d’impact sur les pays qui en bénéficient. Aussi cet amendement vise-t-il à supprimer les 36 millions d’euros qui financent le partenariat relatif aux ODD.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE126 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à réduire de 10 % les crédits alloués aux contributions volontaires multilatérales, auxquelles l’État français choisit de participer sans y être contraint par des engagements internationaux. Alors que le contribuable français doit de plus en plus se serrer la ceinture, il paraît invraisemblable que la France fasse le choix d’engager des dépenses pour le développement de pays sans que cela serve notre politique diplomatique, ni nos échanges commerciaux.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE121 de M. Kévin Pfeffer

M. Kévin Pfeffer (RN). Le Fonds européen de développement (FED) illustre parfaitement le coût démesuré que représente le fonctionnement de l’Union européenne pour la France. Le FED, qui était auparavant financé directement par les États membres, l’est depuis 2021 par le budget général européen. Par conséquent, la France abonde cet instrument par sa contribution au budget européen, notre pays étant le deuxième contributeur net au sein de l’Union. Cependant, du fait de la pluri-annualité de la programmation, les contributions des États membres au onzième FED, qui concernait la période 2014-2020, vont s’étendre jusqu’en 2027, selon les estimations de la Commission européenne. La France finance donc doublement le FED, ce qui est d’autant plus consternant que les crédits du onzième FED ont été désengagés et n’ont donc pas vocation à être versés. Bruxelles, qui donne toujours des leçons d’austérité aux peuples européens, ne rationalise pas ses propres dépenses, au demeurant gigantesques. C’est pourquoi le groupe Rassemblement national demande la suppression du montant colossal de 144 millions d’euros donnés au FED, alors que la France le finance déjà largement par sa contribution générale au budget européen.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. D’autres pays, moins endettés que nous, ont obtenu des rabais. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement II-AE120 de M. Stéphane Rambaud, n’étant pas soutenu par son auteur, tombe.

Amendement II-AE110 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement met en lumière un grave problème dans la gestion des fonds que l’État confie à l’Agence française de développement. En effet, les feuilles de transparence de l’AFD laissent apparaître des financements de projets au Niger, en particulier le projet CNE1283 : « Appui à la mise en œuvre du plan de transition du secteur de l’éducation et de la formation du Niger ». Ce projet a fait l’objet d’une convention signée le 7 juillet 2022 qui prévoit un engagement de plus de 14 millions d’euros sur cinq ans. Le dernier versement en date a eu lieu le 31 août 2024. Or, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères avait indiqué, le 29 juillet 2023, à la suite du coup d’État militaire, que « la France suspend, avec effet immédiat, toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Niger », sans autre condition. Dans la mesure où il ne s’agit ni d’une aide d’urgence, ni d’une aide humanitaire, nous proposons de supprimer ces crédits à hauteur du montant du projet. Il faut mettre fin à l’action politique de l’AFD, qui nous discrédite sur la scène internationale.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis favorable. L’AFD explique qu’elle est au service de la diplomatie française mais celle-ci définit une ligne qui n’est visiblement pas suivie.

M. Frédéric Petit (Dem). Ce projet quinquennal a été voté en 2022. Lorsqu’on forme des enseignants, on ne laisse pas tomber les gens du jour au lendemain. Il est normal que ce projet soit encore inscrit, étant précisé qu’il n’a été que partiellement payé.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement II-AE123 de M. Stéphane Rambaud, n’étant pas soutenu par son auteur, tombe.

Amendement II-AE124 de Mme Marine Hamelet

Mme Marine Hamelet (RN). Il s’agit, par cet amendement, de renforcer l’effort budgétaire demandé sur les subventions allouées aux ONG dans le cadre de l’aide bilatérale. Les versements de l’AFD aux ONG s’inscrivent dans un cadre insuffisamment transparent et les contrôles opérés ne sont pas assez rigoureux. Or, pour répondre aux besoins des populations vulnérables, l’aide doit être centrée sur des projets essentiels aux effets concrets, comme l’éducation et la santé. Plus grave, certaines ONG partenaires de l’AFD entretiennent des liens problématiques avec des organisations hostiles à la France. C’est le cas de l’ONG Secours islamique, qui entretient des relations avec l’Islamic Relief Worlwide, ainsi qu’avec les Frères musulmans, qui sont considérés comme une organisation terroriste dans plusieurs pays. Lors de son audition devant notre commission le 28 juin, Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, avait été incapable de fournir une réponse sur ce partenariat douteux. En l’absence de véritable mécanisme de contrôle des financements français, et dans un contexte budgétaire tendu, cet amendement propose de réduire de 10 % les crédits alloués aux ONG.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur toutes les ONG mais de constater l’insuffisance des contrôles sur les ONG et les autres fonds. Avis favorable.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je voudrais dénoncer ce qui s’apparente à une mascarade. Depuis tout à l’heure, on assiste à une sorte de ballet entre le rapporteur et les députés du Rassemblement national pour discréditer l’APD. Nous avons tous compris, Monsieur le rapporteur pour avis, pourquoi vous avez placé la focale sur les Comores, alors que d’autres pays recèlent beaucoup plus d’enjeux pour l’aide au développement française. Ces amendements ont pour objet de vous permettre de parler d’immigration et d’autres sujets qui n’ont rien à voir avec la solidarité internationale, ce qui me choque.

Nous ne sommes pas, ici, sur un plateau de CNews mais à la commission des affaires étrangères. Pour ma part, je m’efforce de mener un travail sérieux, dans notre enceinte, sur les questions internationales. Je suis assez scandalisé par la manière dont s’est déroulée cette discussion budgétaire, qui vous a offert une tribune politique pour vous et vos amis. L’APD, qui connaît une baisse de 18 % de ses crédits, mérite autre chose que cela.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je respecte le travail parlementaire mais, pour votre part, vous tombez dans ce que vous dénoncez : vous nous accusez de tenir une tribune politique – il ne me paraît d’ailleurs pas choquant de faire de la politique au Parlement – tout en vous livrant à des effets de manche. Cela ne présente pas un grand intérêt.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE112 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement met en lumière une autre problématique dans la gestion des fonds que l’État confie à l’Agence française de développement. Les feuilles de transparence de l’AFD indiquent que l’agence finance des projets en Chine, notamment dans le domaine de la biodiversité, à hauteur de 13 millions d’euros, sur lesquels 3 millions ont déjà été déboursés. Il paraît absurde que la France octroie une aide aussi élevée à la Chine, alors que celle-ci a un taux d’endettement bien moindre que celui des États-Unis ou que le nôtre, que sa croissance est deux fois plus élevée que la croissance américaine et qu’elle est la première puissance économique mondiale en matière d’exportations et de pouvoir d’achat. Pour notre part, nous avons perdu plusieurs places dans le classement économique mondial. Accorder des subventions à des pays plus stables économiquement que le nôtre ne nous rendra certainement pas notre potentiel économique.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je ne sais pas si nos compatriotes manifestent un soutien franc et massif à la politique d’aide au développement mais, en tout état de cause, il me paraît difficile de la défendre lorsqu’elle vise le développement de la Chine. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE108 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Les feuilles de transparence de l’AFD font apparaître le financement de projets au Niger. Parmi ceux-ci, le projet CNE1300 a fait l’objet d’une convention signée le 31 mai 2023 qui prévoit un engagement de 10 millions sur deux ans ; un versement a déjà été effectué le 24 avril 2024. Or la France, je le disais, a suspendu toutes ses actions d’aide au Niger. En l’occurrence, il s’agit de la cinquième phase d’un projet engagé de longue date. Ce n’est donc en rien une aide d’urgence. Le sentiment antifrançais est croissant au Niger : notre armée est rejetée, nos diplomates sont expulsés, l’ambassade est fermée, les entreprises ont commencé à partir. Malgré tout, l’AFD continue à honorer les engagements financiers liés à ce projet.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Cela témoigne à nouveau du fait qu’une partie de notre politique de développement est en roue libre. Avis favorable.

M. Frédéric Petit (Dem). Cela montre plutôt que l’AFD honore sa signature. C’est une grande banque internationale, qui n’engage pas les crédits de l’État. Elle n’a pas le droit de se rétracter quand bien même les autorités lui feraient passer certains messages. C’est plus compliqué que ce que vous dites, comme pour les entreprises qui devaient quitter la Russie. Vous semblez penser que l’AFD est sous contrôle parlementaire : non, c’est une banque qui est tenue de respecter les règles propres à son secteur d’activité. Cela étant, elle va évidemment essayer d’en faire moins. J’ajoute que vous n’avez pas les dates de tous les versements qui ont été effectués.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Le problème tient au fait que l’AFD explique qu’elle est un instrument de la diplomatie française, tout en étant une banque. Je connais peu de banques qui demandent au contribuable et au Parlement des financements pour abonder leurs projets ou bonifier leurs prêts. C’est une banque publique qui finance des projets de développement mais elle doit évidemment être au service de la politique et de la diplomatie françaises.

M. Frédéric Petit (Dem). Oui, dans le cadre de son activité bancaire. Nous ne finançons que 1 milliard sur les 51 milliards de son stock de dettes. Et nous recevons des dividendes ! Son résultat s’élève à 600 millions d’euros. La puissance publique a besoin, parfois, de l’action des banquiers.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement II-AE122 de M. Stéphane Rambaud, n’étant pas soutenu par son auteur, tombe.

Amendements II-AE111, II-AE109 et II-AE107 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). L’amendement II-AE111 a trait au financement du projet CBF1482, qui soutient des associations féministes burkinabées. Ce projet a fait l’objet d’une convention en juillet 2023. Or le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a indiqué, le 6 août 2023, à la suite des provocations envers notre armée et nos diplomates, que la France suspendait jusqu’à nouvel ordre toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Burkina Faso. Ce projet ne relève ni de l’assistance humanitaire, ni de l’aide d’urgence.

L’amendement II-AE109 concerne le projet CNE1317, mené au Niger, que nous continuons à financer. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a pourtant indiqué, le 29 juillet 2023, à la suite du coup d’État militaire, que la France suspendait, avec effet immédiat, toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire dans ce pays. Là encore, ce projet ne relève ni de l’assistance humanitaire, ni de l’aide d’urgence, mais on continue à le financer.

L’amendement II-AE107 a trait au projet CBF1481, conduit au Burkina Faso, qui a fait l’objet d’une convention signée le 4 juillet 2023. Le communiqué du ministère de l’Europe et des affaires étrangères du 6 août 2023, que j’ai cité, n’a pas eu d’effet : les versements se poursuivent.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. On va encore nous expliquer que l’AFD est une banque mais c’est une banque qui a besoin de 962,3 millions d’euros pour bonifier des prêts, de 760 millions pour mener à bien ses projets et de 145 millions pour renforcer ses fonds propres. Je ne vois pas de banques privées venir ici tendre la sébile au contribuable français. En outre, nous connaissons une crise des finances publiques très grave. Le directeur général-adjoint de la mondialisation m’a expliqué que la représentation de l’État au conseil d’administration de l’AFD était volontairement minoritaire pour éviter que la dette de l’AFD ne s’ajoute à celle de la France. C’est une déclaration très grave. On voit que la question est beaucoup plus complexe que ce que vous suggérez. Grâce à l’effet de levier, l’AFD peut certes gagner de l’argent mais elle agit avec l’aide du contribuable et la signature de la France.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le premier amendement concerne un projet visant à financer des associations féministes au Burkina Faso. Contrairement à ce que vous affirmez, cela relève de l’urgence. S’il y a un financement qu’il ne faut pas retirer, c’est bien celui-là ! L’aide au développement n’est pas seulement alimentaire. Les droits de l’être humain, en tant que tel, doivent être soutenus. Il serait scandaleux de supprimer ces financements.

M. Hervé Berville (EPR). L’AFD est certes une banque mais ce n’est pas une banque comme les autres : elle a en effet le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC). Dans la mesure où elle reçoit des subventions et des crédits votés par le Parlement, elle doit faire l’objet d’un regard particulier et elle est redevable.

Cela étant, même si nos relations diplomatiques avec un certain nombre d’États ont été rompues ou suspendues, il est de l’honneur de notre pays de continuer à soutenir, par ce type de projets, la société civile, les femmes, les personnes plus vulnérables. Le jour où surviendra chez eux une alternance politique, j’ai l’espoir que ces peuples se souviendront que la France s’est trouvée à leurs côtés dans des moments difficiles, tant pour leur apporter une aide alimentaire que pour favoriser leur accès au droit et à l’égalité et les aider à lutter contre le dérèglement climatique.

Nous devons veiller à ce que l’AFD utilise bien ses crédits – comme nous y invite la loi du 4 août 2021, qui renforce les principes de transparence et de redevabilité – mais nous devons aussi promouvoir, indépendamment des relations bilatérales, la coopération avec la société civile de ces pays et les femmes et les hommes qui y vivent.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Dont acte : il faut continuer à apporter une aide d’urgence, alimentaire, etc. Toutefois, des politiques aussi structurantes, qui concernent les mœurs, la façon dont ces pays conçoivent les relations entre les hommes et les femmes, ne peuvent être menées à bien si les gouvernements nous sont hostiles.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-AE96 de M. Pierre-Yves Cadalen

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Nous proposons d’augmenter de 1 milliard d’euros les fonds alloués au programme 209, Solidarité à l’égard des pays en développement, ce qui permettrait de revenir aux crédits de 2024. Ce n’est pas au moment où les crises s’intensifient dans le monde qu’il faut s’attaquer à la solidarité à l’égard des pays en développement. Réaliser des économies au détriment de la vie des habitants des pays en difficulté, c’est manquer à notre devoir de solidarité. C’est pourquoi, dans ce domaine, le Gouvernement doit laisser de côté son plan austéritaire. Les crédits de 2024 étaient déjà insuffisants au regard des objectifs de la loi de 2021. La mesure proposée serait donc, à nos yeux, un minimum.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je suis bien sûr défavorable à cet amendement.

M. Michel Guiniot (RN). Les conditions que connaît la France s’étant détériorées depuis l’année dernière, il me paraît déraisonnable de dépenser cette somme : pensons à ce que nous pourrions faire avec 1 milliard d’euros pour la France et les Français !

La commission adopte l’amendement.

L’amendement II-AE76 de M. Dominique Potier est retiré.

Amendement II-AE100 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Cet amendement vise à rétablir les contributions volontaires versées par la France aux Nations unies.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Par cohérence, mon avis sera défavorable. Les Nations unies elles-mêmes doutent parfois de l’utilisation qui est faite de leurs fonds par leurs propres entités.

M. Michel Guiniot (RN). Alors que nous éprouvons déjà de grandes difficultés à boucler notre budget, vous demandez que le Gouvernement lève le gage concernant une mesure qui coûterait plus de 120 millions d’euros aux contribuables français.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Nous devons assumer notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Si nous voulons avoir un certain pouvoir et exercer de l’influence, il nous faut aussi montrer l’exemple face aux autres nations. Je soutiens l’amendement.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Les Nations unies agissent principalement par l’intermédiaire de leur directoire, autrement dit par le Conseil de sécurité, qui, comme chacun le sait, est fracturé. Il me paraît difficile de ne pas en tenir compte.

M. Hervé Berville (EPR). On ne peut pas souhaiter que la France soit influente dans le monde et ne pas saisir les possibilités qui nous sont offertes de lui conférer des capacités d’action. Les contributions aux Nations unies servent aussi à renforcer la sécurité et la prospérité, et c’est ce qui donne de la crédibilité à la France lorsqu’elle s’exprime. Même les États-Unis de Donald Trump et le Royaume-Uni de Boris Johnson sont revenus sur une politique qui visait, à l’origine, à sabrer tous les budgets d’aide publique au développement et l’ensemble des contributions aux Nations unies. De même, la Chine a bien compris l’intérêt de l’ONU ; elle augmente ses contributions volontaires d’année en année et y obtient des postes. C’est grâce à ces contributions que la France se voit attribuer traditionnellement la direction des opérations de maintien de la paix de l’organisation. Qui paye décide !

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE81 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Nous proposons d’augmenter les financements alloués aux droits et à la santé sexuels et reproductifs.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement IIAE82 de M. Pierre-Yves Cadalen.

Amendement II-AE94 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Cet amendement a pour objet de rétablir la contribution française à l’aide alimentaire programmée à son niveau de 2024, soit 150 millions d’euros. Notre contribution a été réduite de 20 millions alors que plus de 750 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et de malnutrition, notamment de nombreux enfants. Si l’amendement était adopté, nous demanderions au Gouvernement de lever le gage.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je suis opposé à cet amendement car il faut tenir compte de notre situation et de la pauvreté sur notre sol.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE79 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Il s’agit, par cet amendement, de porter à 20 millions d’euros en AE et en CP les crédits alloués au fonds français Muskoka.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je suis plutôt favorable à cet amendement compte tenu du caractère bilatéral de cette action, de la relative modicité des crédits en jeu et des résultats semble-t-il positifs du programme.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE95 de M. Pierre-Yves Cadalen

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Cet amendement vise à soutenir l’UNRWA à un moment où l’Office est fortement attaqué.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. J’y suis bien sûr opposé parce que, pour citer M. Mélenchon, qui a lui-même cité la presse israélienne, il est de notoriété publique que certains membres de cette organisation – au nombre de neuf, semble-t-il – ont participé au pogrom du 7 octobre 2023.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Il faut que la justice passe mais ce n’est pas la première fois que le gouvernement israélien prend des décisions aussi scandaleuses ; il a déjà voté des lois d’apartheid. Il est inconcevable que la communauté internationale ne soutienne pas l’organisme des Nations unies qui vient en aide à la population palestinienne. Celle-ci est dans un état que tout le monde voit et déplore. Chacun se demande ce qu’il peut faire pour l’aider alors qu’elle se trouve sous les bombes. Il reste encore cette agence, que vous voulez supprimer, alors qu’il faut, tout au contraire, renforcer les moyens qui lui sont accordés.

L’UNRWA, qui s’appuie sur des personnels locaux, a fait le ménage. La France, de la même façon, embauche des personnels locaux dans un certain nombre de pays. Si, par malheur, l’un d’eux commet, un jour, un acte terroriste dans une de nos ambassades, direz‑vous qu’il faut retirer les personnels locaux de l’ensemble de nos ambassades ?

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Jean-Luc Mélenchon n’a jamais stigmatisé l’UNRWA : il n’a fait que reprendre des informations provenant de diverses enquêtes. Je salue d’ailleurs le travail accompli par Mme Colonna, dont les conclusions indiquent qu’il n’était pas approprié de mettre fin à l’action de l’UNRWA dans la situation actuelle.

La commission adopte l’amendement.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement IIAE125 de M. Stéphane Rambaud, soutenu par l’un des cosignataires.

Amendement II-AE78 de M. Pierre-Yves Cadalen

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Il s’agit là d’un amendement d’appel visant à défendre le respect par la France de son engagement de porter l’APD à 0,7 % du RNB.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis défavorable eu égard à la situation des finances publiques.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE128 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à supprimer le programme 384, Fonds de solidarité pour le développement, en raison du manque de contrôle des très versements importants faits à des fonds multilatéraux. Compte tenu de la situation critique des finances publiques, cela n’est pas acceptable.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Cet amendement est très représentatif de la position du Rassemblement national sur l’APD : il s’oppose aux principes universalistes de la France.

M. Hervé Berville (EPR). Vous vous trompez totalement de cible en demandant la suppression des contributions françaises au multilatéralisme. Ce dernier assure une plus grande efficacité dans le travail collectif que nous menons pour relever les grands défis auxquels le monde est confronté dans les domaines de la santé, de la biodiversité, de l’alimentation, de l’action humanitaire. Ceux-ci ont des conséquences chez nous : l’APD, cela concerne à la fois les Comores et les Côtes d’Armor !

M. Michel Guiniot (RN). Nos collègues se trompent sur notre philosophie. Pour être utile, l’aide doit être contrôlée. Nous avons le droit de déterminer ce qui est bien et ce qui ne l’est pas et de voter contre un programme qui ne nous semble pas bien utilisé.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Personne n’est en faveur du réchauffement climatique ; personne ne s’oppose à l’égalité entre les hommes et les femmes ou à la lutte contre l’appauvrissement. C’est absurde !

Alors que notre pays est endetté et que la pauvreté monte dans nos territoires, notamment dans les collectivités d’outre-mer, nous ne voulons pas donner de chèques en blanc à des organisations multilatérales. La France, grâce à la politique de l’Union européenne que vous avez soutenue, a décroché en matière de PIB face aux États-Unis, sans parler de l’Inde ou de la Chine, et n’a plus les moyens de cette politique. D’autres pays, qui se sont enrichis, peuvent désormais abonder ces fonds. Nous sommes comptables de chaque euro dépensé devant les Français.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE77 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le fonds de solidarité pour le développement était financé à l’origine par les recettes des taxes sur les transactions financières et sur les billets d’avion. Cela paraît normal : ces taxes frappent les effets négatifs de la mondialisation. La France ne tenant pas son engagement de consacrer 0,7 % de son RNB à l’APD, nous proposons d’affecter les revenus de ces deux taxes au programme 384.

J’ajoute que la DGFIP devrait collecter ces taxes.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis défavorable en raison de l’absence de contrôle de ce qui sera fait de cet argent.

Dans votre rapport de 2018 au premier ministre, Monsieur Berville, vous avez souligné une tendance à la dispersion au niveau multilatéral, dénonçant même la difficulté de contrôler l’utilisation des crédits. Je constate que vous avez changé d’avis et que vous souhaitez maintenant dépenser des milliards ! Le contribuable français nous observe.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La question de l’évaluation des politiques publiques est certes importante mais, dans ce cas, proposez des amendements pour financer le contrôle, pas pour supprimer des financements ! Il s’agit d’un instrument essentiel de notre diplomatie économique, pas seulement humanitaire ou de solidarité. Le but n’est pas de faire disparaître la mission.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Telle n’est pas mon intention. Cette mission pèse 5 milliards d’euros, à mettre en rapport avec les 55 milliards d’intérêts de la dette que nous devrons payer l’année prochaine. Plutôt que de mettre de l’argent dans du contrôle, il me semble plus raisonnable de revoir à la baisse nos ambitions de générosité internationale.

M. Hervé Berville (EPR). Être contre la dispersion ne signifie pas que tout le multilatéralisme est inefficace, au contraire : il faut renforcer les moyens et les concentrer sur des sujets essentiels – santé, éducation, lutte contre le changement climatique, aide humanitaire – parce qu’ils ont des conséquences dans notre pays. On ne peut pas protéger les océans tout seul dans son coin.

Par ailleurs, mon rapport préconisait plusieurs choses : plus de moyens, une loi de programmation pluriannuelle, une re-budgétisation, la création d’une commission indépendante d’évaluation. Il ne s’agit pas seulement de contrôler mais de mesurer l’impact : cela me paraît plus efficace que de se contenter de supprimer 700 millions d’euros.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE90 de Mme Nadège Abomangoli

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Pierre Pribetich (SOC). Le Rassemblement national se pose en parangon de la finance mais quand on voit comment il gère les collectivités territoriales qu’il dirige, on a quelques frayeurs !

M. Michel Guiniot (RN). Dans toutes les communes que nous avons gérées, les maires ont été réélus au premier tour avec plus de 70 % des voix !

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE101 de M. Pierre-Yves Cadalen

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Il s’agit par cet amendement d’implanter à Brest le quatorzième institut des Nations unies consacré à l’océan. La France enverrait ainsi un signal important de soutien au multilatéralisme et rassurerait sur le respect de ses engagements internationaux, notamment le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. La protection des océans étant un enjeu majeur, nous sommes favorables à l’installation de cette université des Nations unies en France. L’argent sera ainsi mieux utilisé qu’en recapitalisant les fonds de l’AFD.

La commission adopte l’amendement.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Alors que nous allons nous prononcer sur les crédits de la mission APD pour 2025, j’indique à la commission que je suis défavorable à leur adoption, d’autant plus que nous venons d’alourdir les dépenses.

M. Frédéric Petit (Dem). Avec l’adoption de l’amendement de M. Lecoq ainsi que de quelques autres, nous venons d’ajouter 2,5 milliards d’euros de dépenses. Nous ne voterons pas en faveur de ces crédits ainsi modifiés.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Vous vous trompez, cela fait moins de 2 milliards.

M. Pierre Pribetich (SOC). Monsieur Petit, vous êtes habituellement favorable à l’aide au développement. Pour une fois que l’on vous propose une augmentation des crédits, il faut voter pour !

M. Frédéric Petit (Dem). Je suis contre le fait que l’on augmente ces crédits dans ces proportions. L’amendement II-AE76 de Dominique Potier me paraissait acceptable mais vous avez voté quatre fois l’amendement Potier ! J’ai le sens des responsabilités.

M. Bertrand Bouyx (HOR). J’aurais aimé voter favorablement, notamment du fait de l’amendement relatif à la création d’un institut consacré à l’océan, mais l’amendement de M. Lecoq a plombé la mission.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Je signale que la commission des finances a déjà voté sur le fond et que nous ne votons que pour avis. Il est important d’envoyer un signal positif car le Gouvernement prévoit des coupes supplémentaires. De plus, l’augmentation des crédits est cohérente avec le respect de l’objectif de 0,7 % du RNB.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Nous voterons les crédits parce qu’ils ont été amendés.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Distribuer de l’argent que nous n’avons pas et que nous sommes obligés d’emprunter de plus en plus cher ne me paraît pas responsable.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Aide publique au développement modifiés.

Article 45 et état G : Objectifs et indicateurs de performance

Amendement II-AE88 de Mme Nadège Abomangoli

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il paraît très excessif – et démagogique – d’interdire à l’AFD d’accorder des prêts.

La commission adopte l’amendement.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette successivement les amendements II-AE104 de Mme Marine Hamelet et II-AE106 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Amendement II-AE130 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je note tout d’abord que certains groupes votent contre de simples indicateurs mesurant la satisfaction des populations, alors qu’ils réclament davantage de contrôle. Qu’ils assument leurs contradictions !

Mon amendement vise à définir des taux de projets contrôlés et des pourcentages de sommes allouées aux études préalables à chaque projet d’APD. Il s’agit d’améliorer le suivi assuré par les parlementaires.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Ces missions peuvent être dévolues à la commission d’évaluation de l’APD.

M. Frédéric Petit (Dem). Cet amendement, qui porte sur des projets APD, c’est‑à‑dire ceux qui sont pris en charge par l’OCDE, est mal rédigé. Je ne le voterai pas.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une modification d’un alinéa dans un programme : cela ne concerne pas toute la mission.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE89 de Mme Nadège Abomangoli

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. S’il est pénible de se voir opposer le secret des affaires par l’AFD, il est totalement démagogique de stopper l’activité de prêt.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE131 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je propose d’ajouter un indicateur concernant le taux de projets ayant été contrôlés. Cela permettrait un meilleur suivi de l’exécution.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-AE129 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Nombre de projets d’APD donnent lieu à des études préalables dont le coût est très important pour le contribuable. Je propose de créer un indicateur retraçant le pourcentage de sommes allouées à ces études.

La commission rejette l’amendement.

Après l’article 59

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte l’amendement IIAE80 de M. Pierre-Yves Cadalen.

Amendement II-AE83 de Mme Nadège Abomangoli

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Je suis favorable à cette demande de rapport qui concerne les droits de l’enfant car ceux-ci sont inclus dans notre politique de développement. Il est nécessaire, pour que cela ne demeure pas un objectif abstrait, d’être correctement informés.

M. Frédéric Petit (Dem). Je trouve antinomique que l’on demande au Gouvernement des rapports sur des sujets que nous souhaitons contrôler. C’est notre rôle. Par ailleurs, la commission d’évaluation de l’APD fera une synthèse de l’ensemble de ces études.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il me paraît toujours étonnant qu’un collègue ne souhaite pas obtenir plus d’informations : cela ne peut qu’améliorer la fonction de contrôle.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte successivement les amendements II-AE84 de M. Pierre-Yves Cadalen, II-AE85 de Mme Nadège Abomangoli et IIAE86 de M. Pierre-Yves Cadalen.

M. Michel Guiniot (RN). Je souhaite préciser, concernant l’amendement II-AE86, que plus de 95 millions d’euros ont été alloués à Haïti par le biais de l’APD depuis 2018.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte l’amendement IIAE87 de Mme Nadège Abomangoli.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte successivement les amendements II-AE97 et II-AE98 de M. Pierre-Yves Cadalen.

Amendement II-AE99 de Mme Nadège Abomangoli.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis défavorable à cette demande de rapport portant sur la raison du non-respect de l’objectif de 0,7 % du RNB car nous la connaissons parfaitement : il est nécessaire de faire des économies.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-AE102 de M. Pierre-Yves Cadalen

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La fin de l’affectation de la taxe sur les transactions financières et de la taxe sur les billets d’avion au fonds de solidarité pour le développement est une catastrophe. Nous demandons donc un rapport sur l’impact de cette décision, qui précarise encore plus l’aide publique au développement.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

M. Pierre Pribetich (SOC). Pourrait-on suggérer que tous ces rapports soient remis seulement sous forme électronique ? Cela économiserait quelques tonnes de papier et sauverait beaucoup d’arbres.

Amendement II-AE132 de M. Guillaume Bigot

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Il s’agit de demander au Gouvernement une synthèse des rapports relatifs à l’ensemble des projets d’APD ayant fait l’objet d’un contrôle interne ou externe. Cela pourrait éclairer nos votes.

M. Frédéric Petit (Dem). Il existe un site consacré à l’APD qui retrace tout ce que fait la France en la matière. Ces informations existent : je n’ai pas besoin que le Gouvernement me prenne la main pour aller voir des données publiques et à disposition de tous.

M. Guillaume Bigot, rapporteur pour avis. Un contrôle, ce n’est pas la même chose que la description des projets.

La commission rejette l’amendement.

Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous avons à présent terminé l’examen de tous nos avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2025. Je tiens à remercier tous les collègues qui ont participé à nos échanges. Je remercie également nos différents rapporteurs pour leur investissement personnel dans la préparation de ce moment important de notre session parlementaire.

    


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   Remerciements

 

 

Le rapporteur pour avis tient à remercier toutes les personnes auditionnées et, en particulier, M. Sylvain Riquier, notre ambassadeur à Moroni, ainsi que ses équipes et celles de l’AFD pour leur parfaite mobilisation.

Il tient aussi à saluer l’engagement sans faille des personnels qui œuvrent au service de l’État, mission indispensable et rendue parfois très délicate par la multiplicité des interlocuteurs et des objectifs qui leur sont assignés.

Enfin, ce rapport pour avis n’aurait pu être achevé, dans des délais aussi brefs, sans le concours, en tous points remarquable, de l’administrateur de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale qui m’a assisté. Qu’il soit aussi remercié.


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   ANNEXE : Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES par le rapporteur POUR AVIS

 

Entretiens menés dans le cadre du déplacement aux Comores (du 29 septembre au 2 octobre 2024)


([1])  La totalité de cet effort est retracée dans le document de politique transversale intitulé « Politique française en faveur du développement ».

([2]) L’Union européenne retient en effet un taux de marge de 7 %, ne permettant pas à Expertise France de couvrir ses coûts de structure.

([3]) Notamment pour la gestion déléguée des experts techniques internationaux (ETI) du MEAE.

([4])  Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument.

([5]) Cette révision a cherché en effet à limiter le recours aux taxes affectées, compte tenu de l’atteinte qu’elles portent aux principes budgétaires d’unité et d’universalité, et par conséquent aux droits du Parlement en matière budgétaire.

([6]) Modifié par l’article 3 de la loi organique n° 2021-1 836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

([7]) Syndrome d’immunodéficience active.

([8]) Unitaid est une organisation internationale d’achats de médicaments, chargée de centraliser les achats de traitements médicamenteux, afin d’obtenir les meilleurs prix possibles, en particulier à destination des pays en développement.

([9]) Capital Requirements Regulation 2.

([10]) Programme 853 : « Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers ».

([11]) « Sont restituées, au plus près de la population de l’État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l’une des infractions prévues aux articles 314-1, 432-11 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-4, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-10 du code pénal, lorsque la décision judiciaire concernée établit que l’infraction d’origine a été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique d’un État étranger, chargée d’un mandat électif public dans un État étranger ou d’une mission de service public d’un État étranger, dans l’exercice de ses fonctions (…) ».

([12]) Sauf si les autorités de l’État d’origine formulaient une demande d’entraide judiciaire auprès des autorités françaises ou introduisaient une action devant les tribunaux français.

([13]) Teodorín Obiang est le vice-président de la République de Guinée équatoriale et le fils du président du pays. Il a été définitivement condamné par la Cour de cassation en juillet 2021 dans une affaire de biens mal acquis. Une vente de ces biens a eu lieu à l’hôtel Drouot en janvier 2023.

([14]) Le programme 370 comporte aussi une action n° 2 BMA Coopération multilatérale pour laquelle toutefois des crédits ne sont pas ouverts en 2025.

([15]) À cet outil principal du NDICI s’ajoutent d’autres dispositifs, comme l’instrument d’aide de préadhésion (IPA), l’instrument d’aide humanitaire et la Facilité Ukraine, dont certains financements peuvent être notifiés comme APD auprès de l’OCDE.

([16]) Les engagements relatifs au FED ont été clôturés mais, en raison de la pluriannualité de la programmation, les décaissements se poursuivront jusqu’en 2026.

([17]) https://www.eca.europa.eu/fr/publications/SR-2024-17

([18])  https://www.eca.europa.eu/Lists/ECAReplies/COM-Replies-SR-2024-17/COM-Replies-SR-2024-17_FR.pdf

([19]) Auditionnés par le rapporteur pour avis, le directeur général de l’Office français de l’immigration ainsi que le directeur général adjoint de la mondialisation au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères semblaient ignorer la comptabilisation de l’allocation pour demandeurs d’asile comme APD.

([20]) Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement, par la commission des finances du Sénat, 3 avril 2024.

([21]) Consulté le 22 octobre 2024, le site de l’AFD précise que, « en 2022, le résultat net social de l’AFD était de 363 millions d’euros, dont 73 millions d’euros reversés à l’État l’année suivante ».

([22]) Le financement des actions multilatérales de la France, exercices 2017-2023, rapport de la Cour des comptes de juillet 2024, sur saisine par le président de la commission des finances du Sénat, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([23]) 10,1 milliards d’euros en 2024.

([24]) Loi n° 2021-1 031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

([25]) Rapport précité de la Cour des comptes, p. 8.

([26]) Rapport précité de la Cour des comptes, p. 43.

([27])  Rapport précité de la Cour des comptes, p. 88.

([28]) Rapport précité de la Cour des comptes, p. 41.

([29]) Cf. Banque africaine de développement, 15 mai 2024, https://www.afdb.org/fr/news-and-events/assemblees-annuelles-2024-la-resolution-de-la-dette-antienne-des-pays-africains-pierre-angulaire-de-la-reforme-de-larchitecture-financiere-mondiale-70790

([30]) Elle atteint aujourd’hui 3 228 milliards d’euros, soit 112 % du PIB.

([31])  Auxquels on pourrait ajouter les annulations de créances de la France sur les États étrangers.

([32]) Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) est un centre français de recherche et d’expertise en économie internationale, placé auprès du premier ministre.

([33])  Centre d’études prospectives et d’informations internationales, La Chine principal créancier mondial, une fragilité de plus pour les pays émergents et en développement, 25 juillet 2023, https://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=996

([34]) Cf. Le Monde diplomatique, Mythes et réalité de la dette africaine, juillet 2023.

([35]) Cour des comptes, analyse de l’exécution budgétaire 2023, Mission « Aide publique au développement », avril 2024, p. 6.

([36]) Ces vingt pays débiteurs de l’AFD les plus pauvres sont le Mozambique, Madagascar, le Niger, la République démocratique du Congo, le Tchad, le Burkina Faso, le Mali, l’Ouganda, le Rwanda, le Togo, l’Éthiopie, la Tanzanie, la Birmanie, la Zambie, la Guinée, le Bénin, le Pakistan, le Cameroun, le Sénégal et le Cambodge.

([37]) Aid Transparency Index : https://www.publishwhatyoufund.org/the-index/2024/. Ce classement comporte cinq catégories : très bon, bon, correct, médiocre, très médiocre. L’AFD est classée dans la catégorie « correct ».

([38]) Le déficit public pour l’exercice 2024, évalué à 4,4 % du PIB il y a un an, devrait atteindre en réalité 6,1 % du PIB.

([39]) Cf. projet annuel de performance de la mission APD, PLF 2025, p. 28.

([40]) Ces dix-neuf pays prioritaires de l’APD française étaient les suivants : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

([41]) Réponses écrites de l’Agence française de développement au rapporteur pour avis.

([42]) Chiffres arrêtés au premier semestre 2024.

([43]) https://www.transparency.org/en/countries/comoros

([44]) Statistiques 2009 de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) (https://www.partneraid.ch/fr/projets/comoros-literacy).

([45]) Le taux de prévalence du diabète est passé de 4 % à 11 % en dix ans.

([46]) Il s’agit d’un don  – ou d’une avance remboursable – destiné à amorcer des projets menés par des entreprises françaises, dans un double objectif de soutien à l’export et d’aide aux pays en développement.

([47]) La DGM précise qu’il s’agit des « marchés générés par l’aide-projet où sont pris en compte : les marchés de travaux et fournitures supérieurs à 1 million d’euros ; les marchés de prestations intellectuelles supérieurs à 100 000 euros et les contrats attribués à Expertise France et ceux passés sur délégation des fonds UE supérieurs à 15 000 euros. Sont exclus : les opérations de Proparco, les garanties, les participations et sous-participations, les projets financés via l’initiative OSC, les Ficol, les marchés réalisés en Outre-Mer, les opérations du FFEM et les dépenses de fonctionnement de l’AFD. ».

([48]) Tronçon de Moroni‑Sud à Mitsoudjé.

([49])  https://alwatwan.net/societe/infrastructures-routi%C3%A8res-i-le-d%C3%A9part-d%E2%80%99eiffage-%C2%ABn%E2%80%99impactera-pas%C2%BB-l%E2%80%99agenda-des-chantiers.html

([50])  Sur une période comparable à celle de notre aide (2019-2026), les organisations internationales ont prévu de verser 746 millions d’euros contre 252 pour la France. Ces 746 millions se décomposent comme suit : Banque mondiale (322 millions d’euros), Banque africaine de développement (172 millions d’euros), Union européenne (67 millions d’euros), Nations unies (145 millions d’euros), Fonds monétaire international (40 millions d’euros).

([51]) Décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

([52]) Cf. Cour des comptes, 19 janvier 2023, Comparaison des politiques française, allemande et britannique d’aide publique au développement, p. 48.