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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2024
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324),
TOME V
ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
PAR Mme Dominique VOYNET
Députée
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Voir le numéro : 324
SOMMAIRE
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Pages
I. LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT
A. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
II. Les forêts face au changement climatique
c. Des menaces d’autant plus préoccupantes que les forêts font l’objet d’un intérêt social renouvelé
b. Au niveau européen, une législation qui s’étoffe malgré l’absence de politique forestière commune
2. Des initiatives encore insuffisantes en termes d’ambitions comme de moyens
a. Repenser des moyens financiers trop limités et imparfaitement calibrés
b. Accompagner l’évolution de la filière et de ses modes de gestion
c. Porter, sur la scène internationale, un message fort en faveur de la protection des forêts
annexe n° 1 : synthèse des recommandations de la rapporteure pour avis
annexe n° 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
Dans son discours de politique générale, prononcé à l’Assemblée nationale le 1er octobre 2024, le premier ministre a annoncé plusieurs mesures censées témoigner de l’importance que son gouvernement accorde à l’écologie et à la lutte contre le réchauffement climatique. Parmi ses annonces, la reprise de la planification écologique à travers l’édiction d’une stratégie française pour l’énergie et le climat, la programmation pluriannuelle de l’énergie, un plan national d’adaptation au changement climatique et l’organisation d’une conférence nationale sur l’eau.
Il est vrai qu’une fois de plus, l’année 2024 a prouvé l’importance d’agir et d’accompagner l’adaptation de nos écosystèmes et de nos économies face aux effets du réchauffement climatique. Les incendies ravageurs, épisodes caniculaires, inondations et tempêtes se sont multipliés depuis la Californie jusqu’à la Grèce, en passant par l’Europe centrale. Notre pays n’a pas été épargné : les Bouches‑du‑Rhône, le Vaucluse, la Drôme, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées‑Orientales, pour ne citer que quelques départements, font régulièrement face à des risques d’incendie élevés. L’intensité et le nombre de ces catastrophes se multiplient à mesure que les températures mondiales progressent.
Cette année encore, plusieurs grands évènements internationaux seront consacrés à la protection de la biodiversité, des écosystèmes terrestres et maritimes et à la lutte contre le changement climatique. C’est le cas de la 16e conférence des Nations unies sur la diversité biologique, qui sera accueillie par le gouvernement colombien à Cali, du 21 octobre au 1er novembre 2024, ainsi que de la 29e conférence des Nations unies sur le changement climatique, organisée à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024. La France accueillera, de son côté, la prochaine conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) en juin 2025, à Nice, laquelle mettra à l’honneur des thématiques telles que la protection des écosystèmes marins, la prévention de la pollution marine, la lutte contre le changement climatique et ses impacts sur les océans, ainsi que la conservation des ressources marines.
Si les effets d’annonce et les rendez-vous internationaux ne manquent pas, la question des moyens consacrés à la réalisation de ces ambitions demeure fondamentale. Dans ce contexte, la commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances pour 2025. Ces crédits sont essentiels pour permettre la mise en œuvre effective de la transition écologique devant conduire à une amélioration, au quotidien, de la qualité de vie de nos concitoyens et à la préservation de la biodiversité. C’est au regard de ces crédits que la véritable ambition de notre pays pourra être évaluée.
Or, la rapporteure pour avis constate une diminution sensible des crédits de la mission, de près de 10 %, puisqu’elle est dotée d’un budget de 21,809 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 20,504 milliards d’euros en crédits de paiement (CP) dans le projet de loi de finances pour 2025, et ce, malgré le niveau de l’inflation atteignant 2,1 % en moyenne annuelle (et même 4,9 % en 2023) ([1]).
Par ailleurs, l’examen du budget offre à la commission des affaires étrangères la possibilité d’analyser les instruments, les objectifs et les modalités de l’action internationale de la France en matière environnementale. Cette année, la rapporteure pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport aux impacts du changement climatique sur les forêts, poumons verts de notre planète, au cœur d’enjeux économiques, environnementaux et sociaux. L’ampleur et la rapidité du changement climatique menacent, en effet, la capacité des forêts à s’adapter aux nouvelles contraintes environnementales, impactant leur survie à moyen et long termes. Si les espaces forestiers font l’objet d’une attention croissante, la prise en compte des problématiques de leur adaptation et de leur résilience face au changement climatique n’en est qu’à ses débuts.
La rapporteure pour avis présente ainsi un état des lieux des menaces que fait peser le changement climatique sur l’avenir des forêts, ainsi que des dispositifs juridiques existants pour assurer leur protection. Elle formule 18 propositions pour améliorer et accélérer leur préservation aux échelles nationale, européenne et internationale.
I. LE FINANCEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’ENVIRONNEMENT
A. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
Les dépenses retracées dans le cadre de cette mission doivent assurer le respect par la France de ses engagements chiffrés en faveur de la neutralité carbone à l’horizon 2050 et de la cible européenne de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
Le Gouvernement a décidé de faire de la réduction du déficit public sa priorité politique pour l’année 2025 : le déficit devra atteindre 5 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici un an, ce qui représente un ajustement de l’ordre de 30 milliards d’euros d’économies. Pour ce faire, le premier ministre a annoncé une baisse massive de la dépense publique qui financera aux deux tiers cet effort austéritaire, réduisant de facto toute possibilité d’investissements dans notre économie, précisément au moment où nos concitoyens s’inquiètent de la dégradation des services publics. Sans surprise, les politiques environnementales et climatiques pâtiront de ce manque d’ambition, parfois de manière spectaculaire, à l’instar des collectivités territoriales, qui seront directement affectées par la baisse drastique des crédits alloués au fonds vert.
Ainsi, la mission Écologie, développement et mobilité durables est pourvue d’un budget en diminution, fixé hors fonds de concours, à 21,809 milliards d’euros en AE pour 2025, contre 24,103 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2024, soit une baisse de près de 10 %. Les CP connaissent également une réduction passant de 21,618 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2024 à 20,504 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025.
Source : dossier de presse du projet de loi de finances pour 2025 publié le 10 octobre 2024.
La rapporteure ne peut que déplorer cette situation inquiétante pour l’avenir de notre pays. Ce choix est d’autant plus paradoxal que l’ensemble des travaux scientifiques et la communauté internationale ne cessent d’alerter sur les dangers du réchauffement climatique et l’importance cruciale d’adapter, dès à présent, notre économie à ses enjeux pour le bien-être de nos concitoyens et celui des générations futures. Rappelons qu’un récent rapport du ministère en charge de l’économie soulignait, dès décembre 2023, que le financement d’une transition écologique rapide et de ses conséquences nécessite des investissements annuels estimés à environ 110 milliards d’euros en 2030 ([2]). Nous sommes très loin de cet objectif.
La rapporteure tient également à souligner les conditions problématiques dans lesquelles elle est amenée à présenter ce rapport, lesquelles ne lui permettant nullement de disposer suffisamment en amont des informations nécessaires pour produire le travail d’investigation et d’analyse que réclame pourtant un tel exercice. Ainsi, elle n’a pu avoir accès aux jaunes budgétaires utiles pour apprécier de manière exhaustive les crédits accordés à certains opérateurs. Il est pour le moins regrettable que l’Assemblée nationale soit ainsi empêchée d’exercer ses fonctions les plus élémentaires, qui plus est pour l’examen du budget de notre pays.
B. les CRÉDITS DES PROGRAMMES DE LA MISSION ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES POUR 2025 : une évolution qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux
Ce programme voit ses AE s’accroître de 637 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances par rapport à 2024. Cette augmentation porte ainsi l’ensemble des AE du programme à 4 981 millions d’euros. En CP, il enregistre une hausse de 94 millions d’euros, pour une valeur totale de 4 475 millions d’euros.
Une partie de l’augmentation des crédits constatée est liée à la hausse des redevances d’accès au réseau ferré payées par l’État à SNCF Réseau. Le soutien apporté à l’exploitation de services de fret ferroviaire doit également augmenter avec le relèvement de l’aide aux services de wagons isolés, qui atteindra 100 millions d’euros contre 70 millions en 2014. Pour ce qui concerne l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ses moyens issus de taxes affectées sont reconduits à leur niveau de 2023.
L’action 44 « Transports collectifs » connaît une forte hausse (+ 141,56 %) de ses AE, qui atteignent 812 millions d’euros dans le projet de loi de finances. Ceux-ci se concentrent sur la sous-action 44-06 « Financement du déficit d’exploitation des trains d’équilibre du territoire ». Les AE supplémentaires doivent préparer le financement d’un contrat de location de matériel roulant nécessaire à l’exploitation des lignes de nuit et l’ouverture à la concurrence d’autres lignes de trains d’équilibre du territoire (TET). Ces trains de moyenne et de longue distances assurent des missions d’intérêt national en offrant un service de grande ligne rapide entre les principales villes françaises non reliées par la grande vitesse, ainsi que le désenclavement des territoires en relations transversales à l’intérieur du pays ou via des trains de nuit. Le Gouvernement précise qu’un marché d’ouverture à la concurrence des lignes Nantes-Lyon et Nantes‑Bordeaux devrait être notifié en 2025. Les besoins en AE relatifs à ces contrats seront réexaminés en 2025 en fonction des résultats d’appels d’offres.
Il n’existe, en revanche, aucun investissement d’ampleur de l’État dans les autres modes de transports dits collectifs. Ainsi, la participation de l’État aux dépenses d’infrastructures de transports collectifs en Île-de-France passe de 330 millions d’euros en AE et 528 millions d’euros en CP en 2024 à respectivement 200 millions et 350 millions d’euros. De manière plus spectaculaire encore, le plan « vélo et marche » ne bénéficie d’aucun AE en 2025, alors qu’il disposait de 304 millions d’euros en 2024 : lancé en 2023, ce plan se donne pour objectif de former au vélo dès le plus jeune âge, de faire du vélo une alternative aux autres moyens de transport et de développer une filière économique et industrielle du vélo. Moins de deux ans après son lancement, il semble donc déjà abandonné par les autorités publiques.
Enfin, le nombre d’emplois au sein de l’État et de ses opérateurs est en diminution, puisque le plafond des autorisations d’emplois prévoit 5 087 équivalents temps plein annuel travaillés (ETP) contre 5 151 en 2024.
Source : projet annuel de performances du programme 203 Infrastructures et services de transports.
Ce programme connaît une diminution de ses AE et de ses CP par rapport aux crédits alloués par la loi de finances initiale pour 2024. Les AE passent ainsi de 350 millions d’euros à 245 millions d’euros (- 30 %) dans le projet de loi de finances. Les CP diminuent également de 312 millions à 261 millions d’euros
(- 16 %).
Les actions 04 « Action interministérielle de la mer » et 08 « Planification et économie bleue » sont les plus touchées par cette baisse des crédits. L’action 04 couvre le financement de l’action civile de l’État en mer, qui revêt des formes diverses : police, réglementation des pêches, sécurité maritime, sauvegarde des personnes et des biens et missions techniques. Elle inclut les personnels et les unités du dispositif de contrôle et de surveillance des affaires maritimes assurant notamment le contrôle des pêches en mer et à terre, en particulier dans le cadre des plans de contrôle conjoints communautaires (cabillaud, thon rouge). Elle comprend également l’organisation POLMAR instituée en France, en 1978, à la suite de la catastrophe de l’Amoco Cadiz sur les côtes de Bretagne et désormais articulée autour de deux volets, POLMAR/Mer et POLMAR/Terre. Or, si ses CP connaissent une légère hausse, ses AE passent, en revanche, de 39 millions à 14 millions d’euros. Quant à l’action 08, elle recouvre la planification maritime spatiale – à travers la mise en œuvre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), les documents stratégiques de façades ou les documents stratégiques de bassin – ainsi que la navigation de plaisance maritime et fluviale et les loisirs nautiques : ses AE passent de 31 à 2,9 millions d’euros environ et ses CP de 20 à 14 millions d’euros.
Enfin, les crédits alloués aux opérateurs (École nationale supérieure maritime, France AgriMer et Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) sont maintenus ou en légère hausse, à l’exception de ceux dévolus à l’Établissement national des invalides de la marine.
Source : projet annuel de performances du programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture.
Ce programme voit ses AE et CP diminuer de manière significative. Les AE passent ainsi de 578 millions d’euros en 2024 à 441 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025. Les CP connaissent eux aussi une diminution, à 446 millions d’euros pour 2025 contre 512 millions d’euros lors de l’exercice précédent.
Le Gouvernement se félicite que la stratégie nationale biodiversité 2030 soit confortée dans la durée, avec une enveloppe d’engagements 50 % plus élevée qu’en 2023. Cette stratégie doit, en effet, permettre d’atteindre les objectifs internationaux, européens et nationaux réaffirmés en décembre 2022 lors de la 15e conférence des parties (COP15) à la convention sur la diversité biologique visant à réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité, restaurer la biodiversité dégradée, mobiliser tous les acteurs concernés et garantir les moyens d’atteindre ces ambitions. Toutefois, c’est aussi l’action 07 « Gestion des milieux et biodiversité », visant à la conservation et à la gestion du patrimoine naturel, qui subit la plus forte diminution de ses crédits, en AE (- 25,05 %) comme en CP
(- 14,70 %).
Concernant les opérateurs financés par ce programme, on peut regretter la nette diminution des subventions pour charges d’investissement dans les parcs nationaux, qui passent de 9 millions à 3 millions en AE et de 7 millions à 2 millions en CP, ainsi que la forte baisse en AE des transferts effectués au bénéfice du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, qui atteignent 500 000 euros seulement contre 2,5 millions d’euros en 2024. Les crédits alloués à l’Office français de la biodiversité (OFB) sont en augmentation (ils atteignent 118,7 millions d’euros en AE et 118,9 millions d’euros en CP contre 102,8 millions d’euros dans les deux cas en 2024), tandis que ceux de l’Établissement public du marais poitevin se maintiennent à un niveau identique à celui défini en loi de finances initiale pour 2024. S’il est important que les crédits de l’OFB se maintiennent, la rapporteure souhaite rappeler un constat établi par la Cour des comptes : l’OFB demeure moins financé que ses homologues européens.
crédits alloués aux agences nationales et régionales de protection
de la biodiversité en europe (en millions d’euros)
Source : « L’office français de la biodiversité, exercices 2019-2022 », rapport de la Cour des comptes,
17 avril 2024.
Par ailleurs, les plafonds d’emplois restent stables à l’exception de celui des agences de l’eau, qui perd 3 ETPT (1 560 au lieu de 1 563).
Ce programme connaît une légère augmentation de ses AE et de ses CP de 3 millions d’euros environ par rapport à l’année 2024, pour atteindre 519 millions d’euros en 2025.
L’IGN est l’un des opérateurs en charge de la forêt et du bois auquel la rapporteure est particulièrement attentive. Il joue notamment un rôle d’entretien des données de description générique du territoire et constitue un référentiel en trois dimensions pour améliorer le pilotage et l’évaluation de diverses politiques publiques sur la gestion des risques, l’agriculture et les forêts, pour n’en citer que quelques-unes. Les subventions pour charge de service public attribuées à cet opérateur dans le cadre de ce programme connaissent une hausse, passant de 92,3 millions à 96,9 millions d’euros en AE et CP. En revanche, le projet de loi de finances propose une diminution de ses effectifs, dans le prolongement de la loi de finances pour 2024. Le plafond d’emplois de l’opérateur doit ainsi être porté à 1 415 ETPT contre 1 422 en 2024.
Source : projet annuel de performances du programme 159 Expertise, information géographique et météorologie.
Les AE et les CP du programme 181 enregistrent une baisse dans le projet de loi de finances pour atteindre respectivement 1 312 millions (- 3,33 % par rapport à 2024) et 1 309 millions d’euros (- 3,67 % par rapport à 2024) en 2025. Toutefois, le périmètre de ce programme connaît une évolution : l’action 09 « Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » est supprimée du fait de la création d’un nouveau programme Sûreté nucléaire et radioprotection, rattaché à la mission Écologie, développement et mobilités durables. Par ailleurs, l’action 01 « Prévention des risques technologiques et des pollutions » est touchée par une diminution de ses AE (- 7,37 %) et de ses CP (- 7,18 %).
Le financement de l’ADEME par l’État sera constitué, en 2025, de dotations budgétaires sur le programme 181 à hauteur de 908 millions d’euros (avant mise en réserve) contre 879 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2024. De même, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) voit ses AE et ses CP progresser légèrement, de 1,56 %. Leurs plafonds d’emplois se maintiennent et obtiennent quelques ETPT supplémentaires (31 ETPT pour l’ADEME – sans compter les 2 ETPT de correction technique au sein de l’opérateur – et 5 ETPT pour l’INERIS).
La rapporteure souligne l’importance que l’ADEME soit dotée d’un budget d’intervention constant ou en hausse, puisque ce dernier détermine la capacité de l’agence à financer des projets. Si ces dépenses diminuent, cela affectera nécessairement le fonds chaleur, principal outil pour soutenir la généralisation de la chaleur renouvelable en dehors du secteur des particuliers, principalement via des aides aux investissements.
Les crédits du programme 174 diminuent drastiquement, passant de 5 817 millions d’euros à 2 393 millions d’euros, s’agissant de ses AE, et de 5 435 millions d’euros à 2 108 millions d’euros pour ses CP. L’ampleur de cette variation correspond toutefois, en partie, à la modification du périmètre de son champ d’action.
S’agissant des véhicules polluants, on peut se réjouir que le Gouvernement entende augmenter progressivement le malus sur les émissions de dioxyde de carbone applicable aux véhicules de tourisme, dont le tarif maximum connaîtra une hausse de 10 000 euros par an jusqu’en 2027. Parallèlement, le seuil de déclenchement de la taxe sur la masse en ordre de marche, dite « malus masse », est abaissé, en 2026, de 1 600 à 1 500 kilogrammes. Il faut espérer que cette mesure permette un débat plus général sur la manière d’enrayer efficacement la vente de véhicules utilitaires sportifs (SUV). Selon le syndicat Mobilians, le montant moyen du malus pourrait passer de 754 euros en 2024 à 1 543 euros en 2025 et même à 2 524 euros en 2027 : ces mesures devraient produire 300 millions de recettes en 2026 ([3]). De même, dès 2025, le bénéfice de l’abattement dont profitent aujourd’hui tous les véhicules hybrides non‑rechargeables sera limité aux seuls véhicules performants sur le plan environnemental.
En revanche, le Gouvernement souhaite réduire les subventions à l’achat de véhicules électriques, qui atteindront 1 milliard d’euros en 2025, même s’il souligne que cette diminution des crédits s’accompagnera d’une rationalisation du nombre de dispositifs existants de manière à ce qu’ils continuent de profiter aux ménages les plus modestes ([4]). On peut du moins s’interroger sur la cohérence de prévoir la fin progressive d’un système qui a incontestablement permis de dynamiser les ventes de véhicules électriques – elles représentent désormais près de 20 % des achats en 2024 contre 10 % en 2021 – avec l’objectif de baisse des émissions de dioxyde de carbone de notre pays. Le risque est de freiner l’évolution à la hausse du parc de véhicules électriques souhaitée par le Gouvernement alors que nombre de Français souffrent d’une diminution de leur pouvoir d’achat : il faut d’ailleurs noter que la part des ventes de véhicules électriques a baissé au cours des sept premiers mois de l’année 2024 par rapport à la même période en 2023. D’autres pays connaissent une telle évolution, à l’instar de l’Allemagne où le nombre d’immatriculations de véhicules électriques pourrait baisser d’un quart sur l’ensemble de l’année 2024 ([5]).
Concernant le chèque énergie, la rapporteure souhaite alerter sur les conséquences néfastes de la réforme de ses modalités de versement. En effet, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales à compter
de 2023, qui permettait d’identifier les ménages éligibles au versement automatique du chèque énergie, ne permet plus d’actualiser la liste de ses bénéficiaires pour l’année 2024. Il a donc été décidé que la liste utilisée au titre de l’année 2023 serait reconduite en 2024. En complément, un guichet de demande est mis en place pour permettre aux ménages de demander respectivement un chèque énergie ou un chèque énergie complémentaire : ce guichet est ouvert du 4 juillet au 31 décembre 2024. Si un autre système censé recréer une automaticité du versement devrait voir le jour en 2025, on peut légitimement s’inquiéter des orientations retenues pour l’année 2024 : le risque est grand que le taux de non‑recours augmente fortement et, avec lui, la précarité énergétique de nombre de Français. Sous couvert d’une réforme technique, le Gouvernement pourrait ainsi faire des économies au détriment de nos concitoyens les plus fragiles.
Il enregistre une hausse de ses crédits dans le projet de loi de finances pour 2025. Ses AE et les CP voient, en effet, leurs montants augmenter respectivement de 32,35 % et de 36,44 % pour atteindre 7 331 millions et 6 664 millions d’euros en 2025.
Cette évolution fait toutefois suite à une baisse drastique des crédits octroyés à ce programme l’année passée et conforte la suppression des « boucliers tarifaires ». La hausse constatée correspond à des volumes d’installations renouvelables toujours dynamiques et à la baisse des prix de marché de l’électricité, qui renchérit le coût du soutien public.
En effet, les producteurs d’énergies renouvelables bénéficient de dispositifs de soutien public prenant la forme de contrats d’achat ou de compléments de rémunération attribués à travers un mécanisme de guichet ouvert ou une procédure de mise en concurrence. Le surcoût résultant de la mise en œuvre de ces dispositifs de soutien public, qui correspond à la différence entre le coût d’achat de l’électricité produite et le prix de marché, est compensé aux fournisseurs historiques et organismes agréés pris en charge par le programme 345. Le niveau du soutien public évolue donc avec les volumes de production d’électricité renouvelable, qui bénéficient de ces contrats d’achat et de complément de rémunération, et avec les prix du marché de l’électricité. Il augmente donc quand les prix baissent.
Le projet de loi de finances prévoit une hausse de ses AE et de ses CP, passant respectivement de 3 104 millions à 3 226 millions d’euros et de 3 096 millions à 3 215 millions d’euros environ entre 2024 et 2025.
Il faut noter que la très forte augmentation des AE et des CP (+ 376,9 % dans les deux cas) de l’action 22 « Personnels transférés aux collectivités territoriales » résulte de la mise en œuvre de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale. En effet, les directions interdépartementales des routes (DIR) transféreront, à compter de 2025, une partie de leurs effectifs aux collectivités locales.
La loi de finances pour 2025 menace profondément la pérennité du fonds vert. Les AE sont ainsi portées à 1 000 millions d’euros et les CP à 1 143 millions d’euros pour 2025, soit une diminution, dans le cas des AE, de l’ordre de 60 % des crédits.
Si le Gouvernement prétend pérenniser le fonds vert, créé en 2022, la forte diminution des crédits qui lui sont octroyés met à mal l’investissement des collectivités en matière de planification écologique. Cette décision est d’autant plus contestable que les collectivités ont manifesté un véritable intérêt pour ce dispositif, notamment pour financer des politiques de rénovation énergétique des bâtiments et de l’éclairage public, de renaturation des villes ou pour la mise en place de la stratégie nationale pour la biodiversité. Comme en 2023, l’année 2024 est marquée par une forte demande de financements de la part des collectivités : début septembre 2024, près de 4 547 dossiers ont été acceptés pour 12 611 dossiers candidats à un financement. Cette appropriation rapide du fonds est notamment liée à sa transversalité autour de la performance environnementale, de l’accompagnement sur le chemin de l’adaptation au changement climatique et de l’amélioration du cadre de vie : ces trois actions sont lourdement impactées par une baisse des AE supérieure à 50 %.
Il est certes possible de repenser le fonctionnement de ce fonds pour lui permettre de gagner en efficacité, par exemple en le transformant en un outil contractualisé et pluriannuel pensé à l’échelle des bassins de vie ([6]). Toutefois, le priver de tout moyen d’action est un choix incompréhensible au moment où le cycle d’investissements communaux et la conjoncture des finances locales conduisent déjà à une réduction de l’investissement local.
Enfin, la mission est complétée par un nouveau programme 235 Sûreté nucléaire et radioprotection, qui élabore et met en œuvre les politiques correspondantes aux missions assignées à l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Cette autorité administrative indépendante a été créée par la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et devrait voir le jour avant le 1er janvier 2025. Elle est née de la fusion des missions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), créée par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006, et d’une large partie de celles de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), issu de la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001.
Lors de son audition devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, le 25 septembre 2024, M. Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, partageait sa crainte de voir le budget de fonctionnement de l’ASNR excessivement contraint par une diminution de ses crédits de 37 millions d’euros sur un total de 150 millions d’euros, soit une baisse de 25 %.
Le projet de loi de finances pour 2025 dote cette nouvelle entité de 360 millions d’euros en AE et 365 millions d’euros en CP dont plus de 226 millions d’euros de dépenses en personnels. Les dépenses de fonctionnement recouvrent respectivement 115 millions d’euros en AE et presque 120 millions d’euros en CP ; les dépenses d’investissement représentent un peu plus de 17 millions d’euros et celles d’intervention d’1,6 million d’euros environ en AE et CP. Si le Gouvernement annonce une hausse des moyens consacrés à l’ASNR, son budget de fonctionnement n’atteint donc pas les 150 millions d’euros espérés.
Au regard de cette analyse, la rapporteure pour avis estime que la mobilisation de la France dans le domaine environnemental est loin d’être à la hauteur des enjeux, qu’il s’agisse du montant des crédits dédiés à la mission Écologie, développement et mobilité durables et de leur utilisation. Elle regrette que la transition écologique soit sacrifiée pour des raisons budgétaires. La loi de finances présentée semble ainsi bien loin de l’engagement du premier ministre à faire de la réduction de la « dette écologique » française l’une de ses priorités.
II. Les forêts face au changement climatique
« La France périra faute de bois » prédit le ministre Colbert lorsqu’il engage, en 1661, une grande réforme de la gestion forestière du Royaume de France : cette politique culmine avec l’ordonnance de 1669, qui prévoit des mesures de protection des forêts et de leur périmètre, ainsi que le lancement d’une grande campagne de reboisement dans toute la France. Il entend ainsi conjurer les affres d’un Moyen-Âge dont le développement économique s’est appuyé sur une exploitation intensive des forêts françaises et européennes.
La protection et la promotion d’un mode de gestion durable des forêts, intrinsèquement pensées comme une source de richesses économiques, sociales et, désormais, environnementales ne sont donc pas des problématiques nouvelles. Le passé nous apprend également qu’une politique volontariste n’est pas vaine mais peut inverser le cours de l’Histoire. Encore faut-il la doter de moyens suffisants.
Or, les forêts sont aujourd’hui de nouveau menacées non plus seulement par l’exploitation intensive de leur bois et l’expansion des terres agricoles – bien que la déforestation perdure dans certaines régions du monde – mais désormais aussi par les effets du changement climatique. Partout, les incendies, les tempêtes et les sécheresses dégradent ou détruisent progressivement les forêts ([7]), dont l’importance croît pourtant aux yeux de nos concitoyens davantage sensibilisés à leurs bienfaits. Les forêts abritent, en effet, une biodiversité remarquable, participent à la régulation du climat et à la qualité de l’eau et de l’air ; elles contribuent au développement économique de nombreux territoires, à travers le commerce du bois et les activités touristiques ; elles participent à la lutte contre la pauvreté et à la sécurité alimentaire, représentant environ 20 % du revenu des ménages ruraux dans les pays en développement ; elles répondent, enfin, au besoin de nature de citadins toujours plus nombreux, qui les assimilent à des espaces d’apaisement et de régénération. Leur disparition aurait ainsi des conséquences majeures sur le bien-être des populations, la préservation de la biodiversité, leur participation à la lutte contre le changement climatique et leurs apports économiques et culturels.
Or, les politiques forestières existantes ne sont toujours pas à la hauteur de ces enjeux. Principalement dépendantes de l’échelle nationale et donc du bon vouloir de chaque État, elles peinent à trouver une cohérence aux niveaux européen et international. La remise en cause du Pacte vert pour l’Europe par la nouvelle Commission européenne, issue des élections de juin 2024, interroge sur son avenir, alors que l’entrée en vigueur du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, pourtant censé incarner le parangon de l’action européenne en matière de protection des forêts, est d’ores et déjà reportée. De même, l’absence de toute convention internationale juridiquement contraignante est un frein indéniable à leur préservation : le multilatéralisme doit retrouver sa pertinence sur ce sujet comme pour la lutte contre le changement climatique.
Repenser nos politiques forestières implique une transformation profonde de notre appréhension de la forêt encore trop souvent perçue comme une ressource : il est significatif, en ce sens, que ses moyens dépendent du ministère en charge de l’agriculture, en France, et des crédits alloués dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), au niveau européen.
L’ambition de ce rapport tient donc à la mise en valeur d’une problématique trop souvent oubliée et insuffisamment investie par les décideurs publics, quels qu’ils soient.
A. SI LE RYTHME DE LA DÉFORESTATION RALENTIT À L’ÉCHELLE MONDIALE, LES FORÊTS SONT DÉSORMAIS SOUMISES AUX EFFETS DÉLÉTÈRES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE QUI MENACE LEUR SURVIE
1. Le changement climatique renforce la vulnérabilité des forêts face à des facteurs de stress biotiques et abiotiques
a. Des forêts rendues vulnérables par l’augmentation des températures et la multiplication d’aléas climatiques d’intensité croissante
Si la déforestation est en recul à l’échelle mondiale, le réchauffement climatique s’impose désormais comme la première menace à la survie de nos forêts. Celles-ci seront confrontées, à l’avenir, à une augmentation des températures à un rythme 60 à 70 fois plus rapide que sous la dernière glaciation, laissant peu de possibilités aux arbres de s’adapter ou de migrer, comme ils ont pu le faire dans le passé.
En France, l’ONF, en charge de la gestion durable des forêts publiques ([8]), porte un message alarmiste sur l’état de nos espaces forestiers : nombre de majestueuses forêts historiques sont aujourd’hui menacées de disparaître, comme celles de Compiègne et de Tronçais, dont les chênes pluriséculaires ont été plantés au temps de Louis XIV.
Les projections réalisées sur la base des scenarii du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) anticipent que la moitié de la forêt française pourrait dépérir ou devenir très vulnérable d’ici la fin du siècle. Selon l’outil de recherche ClimEssences, 30 % des surfaces forestières basculeraient en situation « d’inconfort climatique » à l’horizon de 30 ans, et 50 % avant la fin du siècle, si la température mondiale devait augmenter de 4 degrés d’ici à 2100.
La hausse des températures et les épisodes de sécheresse à répétition créent un stress supplémentaire pour les sols et les arbres : certaines essences ne sont pas adaptées à des températures élevées et disparaissent progressivement à mesure que les épisodes caniculaires se multiplient. Quant aux hivers trop doux, ils perturbent le cycle biologique des arbres et favorisent l’apparition prématurée de bourgeons, qui risquent de périr aux premiers coups de froid.
La multiplication d’incendies d’ampleur inédite, causés par le réchauffement climatique, détruit la biomasse forestière et la biodiversité. Leur nombre a atteint des records en 2023, causant la perte de 383 millions d’hectares de forêts. Selon le centre fédéral interservices des feux de forêt du Canada (CIFFC), le pays a ainsi connu la pire saison de feux de son histoire. De même, la Grèce a été confrontée, au cours de l’été, à un incendie gigantesque, le premier à s’être propagé aussi loin en zone urbaine, jusqu’à l’intérieur des quartiers de la banlieue nord-est d’Athènes, soit à plus de 30 kilomètres de son épicentre. Le choc suscité dans l’opinion publique est immense, alors que 37 % des zones boisées de l’Attique ont brûlé depuis 2017. La forêt amazonienne n’est pas épargnée ([9]) : la Bolivie et le Brésil ont été soumis à de violents incendies, en septembre 2024, conduisant leurs gouvernements respectifs à déclarer l’urgence nationale. Or, cette situation n’est pas isolée : au total, on estime que 340 à 370 millions d’hectares de terres émergées sont touchés par des incendies tous les ans, soit presque la moitié de la superficie du continent australien ([10]). Les feux atteignent désormais de nouvelles contrées jusqu’alors peu concernées, comme la forêt boréale.
Les vents violents et les tempêtes sont, enfin, responsables de 51 % des dommages causés aux forêts en Europe ([11]) : arbres penchés ou déracinés et bris de cimes affectent durablement des espaces boisés dont la reconstitution est rendue toujours plus difficile.
Outre la mortalité accrue des arbres, l’ensemble de ces facteurs conduit à un ralentissement global de la croissance des peuplements forestiers sous l’effet des bioagresseurs. En France, les campagnes d’inventaire de l’IGN permettent de documenter ce phénomène. La production biologique annuelle des forêts publiques françaises est ainsi estimée en moyenne à 21,8 millions de mètres cubes par an entre 2013 et 2021, contre 23,3 millions de mètres cubes entre 2005 et 2013, soit une baisse de 6,5 % malgré une surface en légère hausse (+ 3,8 %) ([12]). À terme, c’est un possible bouleversement des paysages et de la composition des peuplements forestiers qui est en jeu ([13]).
b. Des forêts menacées par la prolifération d’insectes ravageurs et de parasites nuisibles sous l’effet du changement climatique
Les attaques d’insectes et parasites affectent la santé des forêts : une tempête ou une maladie crée des chablis dans lesquels logent des insectes dont le nombre se multiplie sous l’effet de la chaleur, tandis que la sécheresse affaiblit les arbres et, par là même, leur résistance au pullulement de certaines espèces invasives.
En trois ans seulement, le scolyte, un petit coléoptère, a détruit la quasi‑totalité des massifs forestiers autour de Verdun ([14]). En forêt de Chantilly, la prolifération des hannetons, couplée au stress hydrique causé par un sol sablonneux et à la pratique des coupes rases, menace la survie des chênes pédonculés, des charmes et des tilleuls ([15]).
Surfaces cumulées des dégâts dus aux scolytes,
de janvier 2018 à novembre 2022 pour 1 000 hectares de territoire communal
Source : département de la santé des forêts (DSF) du ministère en charge de l’agriculture.
Les forêts françaises ne sont pas les seules concernées par ce phénomène : les forêts allemandes de la Rhénanie‑du‑Nord-Westphalie ont également été décimées, en 2018, par le scolyte typographe européen et peinent à se reconstituer depuis. Le nématode des pins a provoqué d’importants dégâts dans les forêts de Chine, du Japon et de la République de Corée ; cette dernière a perdu 12 millions de résineux entre 1988 et 2022. Il est déjà présent en Europe, au Portugal, et, de manière localisée, en Espagne. Il pourrait également se développer en France, en particulier dans la forêt landaise. Aux États-Unis, 25 millions d’hectares de terres forestières devraient, d’après les projections, subir des pertes supérieures à 20 % de la surface terrière des arbres hôtes à cause des insectes et des maladies d’ici à 2027 ([16]).
Les échanges commerciaux et humains, devenus quotidiens dans une économie mondialisée, favorisent la circulation des espèces invasives. Le frêne français est ainsi ravagé par un champignon venu d’Asie, la chalarose, détecté pour la première fois en 2008 dans le département de la Haute-Saône, et introduit accidentellement par l’homme. Ces espèces s’acclimatent d’autant mieux au sol européen en réchauffement qu’elles proviennent souvent de régions où les températures sont traditionnellement élevées. Désormais, la pyrale du buis, originaire d’Extrême‑Orient, vit, par exemple, dans le même isotherme de température en Chine et en Europe.
c. Des forêts fragilisées par la prolifération des ongulés favorisée par des pratiques de chasse inefficaces
L’équilibre entre la forêt et les ongulés sauvages est un facteur essentiel pour assurer le renouvellement des forêts. Bien que défini à l’article L. 425-4 du code de l’environnement, l’équilibre agro-sylvo-cynégétique, qui « consiste à rendre compatibles, d’une part, la présence durable d’une faune sauvage riche et variée et, d’autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles », n’est pas assuré. Selon l’ONF, malgré le fait que 14 % des aides accordées à la forêt dans le cadre du plan France Relance (2021-2022) sont affectés à la protection contre le gibier, 30 % des plantations réalisées dans ce cadre ont été détruits ou durablement dégradés par les ongulés. De même, plus de 50 % des forêts domaniales seraient en situation de déséquilibre.
Cette situation n’est pas sans lien, selon plusieurs personnes interrogées, avec les modes de chasse pratiqués en France et souvent inefficaces pour réguler les populations d’ongulés. Il est significatif qu’en Allemagne, où les moyens pour chasser sont plus restreints qu’en France, le chasseur bavarois prélève beaucoup plus d’ongulés que le chasseur français sur une saison (6 ongulés en moyenne pour la saison 2022-2023, contre 1,5 en France) ([17]). Cette dernière a, en effet, interdit certaines pratiques, comme la chasse à courre (dès 1950), à partir d’aéronefs et de voitures, ou encore la « battue à cor et à cri », qui effraie le gibier et diminue l’efficacité du tir. L’approche, l’affût et la « traque affût » sont les seuls modes de chasse autorisés en Allemagne. Associés à des prélèvements tôt dans la saison, et à une meilleure conciliation avec les autres usages de la forêt (la chasse n’est pas pratiquée le dimanche et les jours fériés), ils contribuent à l’image d’une chasse responsable dans le pays.
De même, les associations de chasseurs et l’administration, qui partagent une préoccupation commune pour la préservation des forêts allemandes, sont parvenues à trouver un terrain d’échanges et de travail en bonne intelligence sur le long terme, pour assurer une régulation effective des populations d’ongulés. La formation des chasseurs s’effectue en tenant compte de ce défi, contribuant, là encore, à promouvoir une image positive des chasseurs ([18]). Ce modèle pourrait, à bien des égards, inspirer la France.
Proposition n° 1 : expérimenter de nouvelles pratiques de chasse permettant une meilleure régulation des populations d’ongulés dans les forêts les plus vulnérables en s’inspirant du modèle allemand.
2. La fragilisation des forêts menace les fonctions qu’elles remplissent, pourtant indispensables à la survie de l’humanité et au maintien de conditions de vie durables sur terre
a. La vulnérabilité des forêts, un facteur de risques pour la pérennité de leurs fonctions environnementales
Les forêts assurent des fonctions et services environnementaux indispensables à l’humanité. Refuges d’une grande part de la biodiversité terrestre, elles jouent aussi un rôle essentiel dans la purification des eaux et des sols, ainsi que dans la rétention de l’eau et la recharge des nappes. En assurant la reconstitution continue des ressources en eau, elles permettent de prévenir les sécheresses et leurs effets néfastes pour les communautés locales.
Elles jouent aussi un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique en absorbant le carbone libéré dans l’atmosphère. Avec près de 72 millions de tonnes de carbone absorbées en 2013, la forêt française hexagonale représentait, jusqu’à ces dernières années, un puits de carbone équivalent à la compensation d’environ 15 % de nos émissions de gaz à effet de serre.
Or, la dégradation de la santé des forêts et la croissance moindre des arbres altèrent leur capacité à remplir l’ensemble de leurs fonctions biologiques. En forêt française, par exemple, les arbres sont coupés jeunes, 79 % d’entre eux ayant moins de cent ans ([19]). Or, une forêt jeune stocke peu de carbone et abrite une biodiversité limitée, ce qui altère sa participation à la régulation du climat et, in fine, la capacité des États à remplir leurs objectifs de neutralité carbone.
Ce phénomène est déjà observable dans notre pays. En 2021, la forêt française a ainsi absorbé 31,2 millions de tonnes de dioxyde de carbone, soit environ 7,5 % des émissions nationales ; c’est deux fois moins que dix ans plus tôt (57,7 millions de tonnes de dioxyde de carbone) ([20]). Cette tendance pourrait s’accélérer dans les années à venir, à mesure que la destruction des forêts s’intensifie. Dans certains cas, il est même apparu que les forêts pouvaient devenir émettrices de carbone, participant ainsi au réchauffement climatique.
b. Une incertitude pour la pérennité de la filière forêt-bois aggravée par des pratiques parfois non vertueuses
Les risques pesant sur la sauvegarde des forêts ne sont pas sans questionner la pérennité des revenus tirés de ces dernières, en particulier pour la filière bois, alors que la demande mondiale en bois est en pleine augmentation sous l’effet de la double transition écologique et énergétique. Utilisé comme matériau de construction, il accompagne également le développement des biocarburants et l’essor des chaufferies en biomasse.
En France, il s’impose comme la première source d’énergie renouvelable : il représente à lui seul 36 % de la production énergétique et 66 % de la chaleur renouvelable. Près du quart des ménages, soit 7 millions de logements, sont équipés d’un appareil de chauffage au bois (bûches ou granulés). Les industries utilisent désormais le bois-énergie pour leurs besoins en chaleur et, de plus en plus, pour leurs approvisionnements en électricité (cogénération). La filière bois-énergie représente ainsi 1,3 milliard d’euros de valeur ajoutée annuelle et 50 000 emplois non délocalisables, bien ancrés dans les territoires.
nombre d’emplois directs formels et informels dans le secteur forestier par région et par sous-secteur sur les périodes 2011-2013 et 2017-2019
Le dépérissement des massifs de peuplement et le ralentissement de la croissance des arbres engendrent une baisse des récoltes annuelles de bois, en particulier pour les bois verts. En France, elle est de l’ordre de 20 % en forêt domaniale et de 7 % dans les autres forêts publiques depuis 2017. Cette diminution n’est pas sans conséquences sur le bon fonctionnement de l’ONF et la soutenabilité de ses activités, alors que les recettes tirées de la vente de bois domaniaux contribuent à 40 % de son chiffre d’affaires (315,4 millions d’euros).
Or, ce phénomène est susceptible d’être renforcé par certaines pratiques préoccupantes, en particulier quand elles sont dictées par la seule recherche de rentabilité au détriment de toute autre considération. Ainsi, l’exploitation du bois, trop souvent guidée par un modèle capitalistique peu soucieux de son impact environnemental, conduit parfois à une modification profonde de la nature des forêts. En effet, les arbres résineux sont davantage recherchés que les feuillus, en particulier pour le bois d’œuvre : leur tronc droit facilite leur exploitation, du reste peu coûteuse. Le risque est alors que les propriétaires forestiers se détournent de certaines essences moins valorisables et privilégient la monoculture, comme celle du pin Douglas, au détriment de la diversité biologique des forêts. Or, ces forêts plantées, en particulier si elles sont exploitées en mono-essence, accueillent une biodiversité et fournissent des services écosystémiques moindres que les forêts primaires ou naturellement régénérées.
L’exemple de la Suède, berceau de la foresterie moderne, en témoigne. La forêt y couvre 70 % du territoire, dont 80 % sont destinés à la production de bois : 50 % des forêts suédoises appartiennent à de petits propriétaires et à l’Église, 25 % à de grosses compagnies privées et 25 % à l’État et à la société forestière publique Sveaskog. Dans 97 % des forêts, le modèle de coupe rase s’est imposé ; la replantation prend la forme de monocultures dans le cadre d’une sylviculture intensive. Ce modèle n’est guère nouveau : il s’est développé dans les années 1950, à une époque où l’Europe a besoin de bois pour se reconstruire. « L’or vert » tiré des forêts suédoises permet alors de financer l’État‑providence du pays porté par le parti social-démocrate. Ce modèle a toutefois ses limites : l’agence nationale de protection de l’environnement a constaté, fin septembre 2022, que les forêts suédoises n’avaient absorbé que 25 millions de tonnes de dioxyde de carbone en 2021, contre 30 millions l’année précédente ([21]). Par ailleurs, la disparition des forêts primaires réduit la nourriture – notamment le lichen – à disposition des troupeaux de rennes, mettant en danger la pérennité de leur élevage dont vit encore une partie du peuple autochtone du pays, les Samis.
Ce phénomène est amplifié par la persistance de pratiques illégales. En Roumanie, dont la région des Carpates abrite des forêts primaires millénaires, environnement naturel de l’ours, du lynx et du loup, ce sont près de 38 millions de mètres cubes de bois qui sont coupés, chaque année, depuis 2014. Or, seule la moitié de ces coupes seraient légales. Elles alimenteraient en partie l’industrie forestière, désireuse de répondre aux besoins d’entreprises du secteur de l’ameublement comme Ikea : la société suédoise est désormais le plus grand propriétaire privé de forêts en Roumanie grâce à sa filiale Ingka Investments ([22]). Le 12 février 2020, la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre ce pays, l’exhortant à faire cesser le trafic illégal de bois et à mieux protéger ses espaces sensibles : cette initiative a conduit la Roumanie à se doter, la même année, d’une justice spéciale contre les crimes environnementaux.
Ce mode de gestion forestière, dépourvu de toute doctrine durable, s’est répandu dans de nombreux pays. Un récent documentaire consacré à la filière d’approvisionnement de l’entreprise Ikea ([23]), dont la consommation atteint 20 millions de mètres cubes de bois chaque année, met, par exemple, en lumière les conditions d’exploitation intensive des forêts polonaises, qui représentent 20 % des approvisionnements de la firme.
Le modèle capitalistique d’exploitation du bois, en France comme à l’étranger, favorise également la pratique des coupes rases ([24]) – hors usage sanitaire – dont les effets sont bien documentés dans les régions tempérées. L’expertise collective « coupes rases et renouvellement des peuplements forestiers en contexte de changement climatique » (CRREF) ([25]) montre que ces coupes ont des effets néfastes sur le milieu physique. Elles entraînent, notamment :
– une transformation du microclimat proche du sol. Elles contribuent à augmenter non seulement le rayonnement solaire pendant la journée mais aussi les pertes radiatives durant la nuit et la vitesse de vent, entraînant une hausse des amplitudes journalières et saisonnières de température, une réduction de l’humidité de l’air et un assèchement de la surface du sol ;
– une augmentation des risques de chablis ;
– une diminution des capacités d’infiltration dans le sol conduisant à une augmentation du ruissellement et, à l’échelle d’un bassin versant, du débit à l’exutoire ;
– un risque supplémentaire d’érosion des sols ;
– une perte de carbone du sol.
Si ces effets sont variables d’un site à l’autre et selon les modalités d’exploitation considérées, ils sont globalement négatifs, quel que soit l’environnement concerné. En France, les coupes rases – interdites dans certains pays comme en Suisse et en Slovénie – sont peu pratiquées par l’ONF et dans les forêts diversifiées. Elles sont, en revanche, plus courantes dans les forêts privées exploitées en monoculture.
Ce constat est néanmoins discuté par les associations et les organisations environnementales, qui font valoir que cette interprétation repose sur une donnée contestable de l’IGN selon laquelle les coupes rases ne représentent que 0,5 % de la surface forestière française. L’IGN indique, en effet, que les coupes fortes d’au moins 50 % du couvert concernent en moyenne 85 000 hectares par an, soit 0,5 % de la forêt de production, c’est-à-dire le rapport entre la surface de la forêt française de 17,3 millions d’hectares en 2022 et la surface de coupes fortes. Or il est peu pertinent de comparer une donnée annuelle (la surface de forêt exploitée en coupe forte chaque année) avec une donnée statique (la surface) ; il serait sans doute plus opportun de mettre en relation la surface de forêt exploitée en coupe forte à la surface de forêt exploitée annuellement (600 000 hectares). Cette approche indiquerait que les coupes fortes représentent 14,2 % de la surface exploitée, chaque année, en France. Par ailleurs, l’approche de l’IGN aboutit à un chiffre annuel, alors même que les effets d’une coupe rase sont durables et ne s’estompent qu’après cinquante ans (hypothèse basse). Selon les associations et organisations environnementales, 4,25 millions d’hectares ont, en réalité, été affectés par des coupes rases sur cette période, soit plus de la moitié de la surface de forêt de production.
L’homogénéisation des forêts n’est pas seulement responsable d’une perte de diversité biologique. Elle renforce aussi leurs vulnérabilités face aux atteintes biotiques et abiotiques. La biodiversité dans les sols et, plus largement, au sein des écosystèmes forestiers joue en effet un rôle essentiel pour le développement, la croissance et la vitalité de la strate arborée, et donc pour contribuer à la résilience des forêts contre les menaces du climat, des agents pathogènes et des incendies. En somme, plus riche sera la biodiversité au sein des forêts, mieux elles pourront résister, s’adapter et assurer une part de restauration après la survenue d’aléas climatiques ([26]).
Types de forêts considérées comme participant à l’homogénéisation
des massifs forestiers
Source : ONF international.
c. Des menaces d’autant plus préoccupantes que les forêts font l’objet d’un intérêt social renouvelé
L’attrait des populations pour les forêts n’est pas nouveau. Déjà, au XVIe siècle, Pierre de Ronsard se lamentait des coupes dans la forêt de Gastine, accusant le bûcheron : « Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas / Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force / Des Nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ? » ([27]).
Cet engouement connaît toutefois une nouvelle actualité, dont témoigne, par exemple, le succès de l’ouvrage de l’ingénieur forestier Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres. Les mentalités évoluent rapidement sous la double influence d’un regard plus égalitaire porté sur la nature à partir des années 1990 et des progrès de la connaissance scientifique ([28]). Ainsi, nos concitoyens sont davantage conscients de l’importance des forêts pour la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Ils voient également dans les espaces forestiers un lieu de repos et de régénération, alors qu’une part toujours plus importante de la population mondiale vit désormais en ville. Un sondage réalisé pour l’ONF et Viavoice, publié en 2021, révèle que 90 % des personnes interrogées associent les forêts à des perceptions positives, telles que la communion avec la nature ; 40 % de nos concitoyens s’y rendraient au moins une fois par mois et 80 % ont le sentiment que la forêt les protège, en particulier contre le réchauffement climatique.
Dans ce contexte, la gestion forestière se fait désormais – et se fera de plus en plus – sous le regard exigeant du public dont les préoccupations et les attentes en termes de concertation, de pratiques forestières durables et de valorisation des massifs devront structurer les politiques forestières des années à venir.
B. DANS CE CONTEXTE, IL EST URGENT DE BÂTIR DES POLITIQUES FAISANT DE L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET DE LA RÉSILIENCE DES FORÊTS UNE PRIORITÉ POUR le futur
1. La protection et l’adaptation des forêts aux effets du réchauffement climatique font l’objet d’une prise en compte croissante à tous les niveaux d’action
a. La forêt émerge depuis une dizaine d’années comme un objet d’attention internationale grâce à la reconnaissance de ses fonctions économiques et écologiques de premier plan
La protection et la valorisation des forêts, longtemps oubliées des négociations internationales environnementales, émergent peu à peu comme des préoccupations à l’échelle mondiale.
Le traitement des problématiques environnementales relatives aux forêts est dispersé entre diverses conventions :
– la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les forêts sont mentionnées pour l’établissement des inventaires nationaux de gaz à effet de serre et dans les contributions nationalement déterminées (CDN) pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Elles sont également prises en compte par le protocole de Kyoto et l’accord de Paris dont l’article 5 leur accorde le statut de « puits et réservoirs de gaz à effet de serre » ;
– la convention sur la diversité biologique (CDB), qui inclut la conservation de la biodiversité forestière, l’utilisation durable de ses composantes et l’usage juste et équitable des avantages découlant de leurs ressources génétiques forestières ;
– la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), adoptée en 1994. Cette dernière définit la « dégradation des terres » comme « la diminution ou la disparition, dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches, (…) des forêts ou des surfaces boisées, du fait de l’utilisation des terres ou d’un ou de plusieurs phénomènes, notamment de phénomènes dus à l’activité de l’homme et à ses modes de peuplement ». En conséquence, les programmes d’action nationaux définis en application de la convention doivent prévoir des mesures de protection et de gestion durable des ressources naturelles, y compris des forêts (article 8 de la CNULCD) ;
– la convention relative aux zones humides, dite « convention de Ramsar » (1971), couvrant les mangroves et les tourbières forestières.
Plusieurs engagements internationaux récents font également de la forêt et de sa protection un enjeu de premier plan. En 2014, la déclaration de New York sur les forêts regroupe des gouvernements, des entreprises et la société civile, y compris les peuples autochtones, autour de l’objectif commun de réduire de moitié les pertes forestières naturelles d’ici à 2020, en s’efforçant d’y mettre fin à l’horizon 2030. Elle est suivie par l’adoption de la déclaration d’Amsterdam de 2021, qui vise à atteindre un objectif « zéro déforestation » dans les chaînes d’approvisionnement en 2020. Quant au cadre mondial de la biodiversité de Kunming, adopté à Montréal en 2022, il repose sur quatre objectifs et vingt‑trois cibles pour faire cesser et inverser la perte de biodiversité d’ici à 2030 et restaurer 30 % des écosystèmes dégradés.
La France a porté des initiatives importantes, comme celle du One Forest Summit organisé conjointement avec le Gabon, dont le territoire est recouvert à 88 % par la forêt équatoriale. Ce sommet, qui s’est tenu à Libreville les 1er et 2 mars 2023, a été l’occasion de réunir décideurs politiques, scientifiques, chefs d’entreprises, investisseurs, associations et organisations non gouvernementales autour de trois objectifs : proposer aux pays forestiers une plateforme de solutions pour les aider à concilier protection de leurs forêts et développement économique, renforcer la coopération scientifique entre les bassins tropicaux du monde et valoriser l’apport des forêts africaines, largement méconnu du grand public. Il s’agissait, pour ce sommet, d’œuvrer à l’application de l’accord de Montréal sur la protection de la biodiversité. Il a également servi de fondement à l’initiative One Forest Vision (OFVi), qui vise à cartographier à l’arbre près et à mesurer le bilan de carbone des réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité des bassins forestiers d’Amazonie, d’Afrique et d’Asie grâce à l’intelligence artificielle, des images aériennes, des satellites à haute résolution, des observations Lidar ([29]) et des données d’inventaire au sol. Il s’est accompagné de la création de partenariats pour la coopération positive (PCP), dotés d’un budget initial de 100 millions d’euros. L’objectif de cette initiative est de proposer un mécanisme de rémunération des services rendus par les pays forestiers sur la base d’un suivi rigoureux de la mise en œuvre de leurs engagements et de leurs résultats.
D’autres négociations pourraient également remettre les forêts sur le devant de la scène internationale. La COP16, accueillie par la Colombie à la fin du mois d’octobre 2024, sera ainsi l’occasion pour les États de soumettre leurs stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité, qui pourront inclure les thématiques de la préservation des espaces forestiers. De même, l’organisation de la COP30 sur le climat par le Brésil, pays forestier de premier plan, pourrait être l’occasion de mieux lier les problématiques climatiques et de biodiversité trop souvent dissociées. Déjà, lors de la COP28, le Brésil a tenu à porter ce sujet en mettant en valeur son action de protection non seulement au sein de l’Amazonie, dont la déforestation a reculé de 50 % depuis le début du troisième mandat du président Lula, mais aussi de la région du Pantanal, l’une des plus grandes zones humides de la planète. Une telle approche s’inscrirait dans la droite ligne de la déclaration sur les forêts et l’utilisation des terres, émise lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques de novembre 2021, à Glasgow. Ses signataires se sont engagés à œuvrer collectivement pour mettre un terme aux pertes forestières, à la dégradation des sols et inverser ces phénomènes d’ici à 2030. Quant au prochain congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tiendra aux Émirats arabes unis en 2025, il sera l’occasion, pour le comité français de l’organisation, de soutenir l’adoption de plusieurs motions sur les forêts, par exemple sur la protection de la biodiversité des forêts urbaines et périurbaines, ainsi que la préservation des sols forestiers.
b. Au niveau européen, une législation qui s’étoffe malgré l’absence de politique forestière commune
L’Union européenne ne dispose pas de politique forestière commune en tant que telle ; celle‑ci demeure une compétence nationale. Pour autant, elle a régulièrement pris position sur ce sujet et mène des actions ayant des incidences réelles sur l’état des forêts dans l’Union et au-delà de ses frontières.
En 2021, la Commission européenne a ainsi adopté une nouvelle stratégie de l’Union pour les forêts pour 2030, laquelle constitue l’une des initiatives phares du Pacte vert pour l’Europe. S’appuyant elle-même sur la stratégie de l’Union en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, elle doit contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union en matière de biodiversité, de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 et de neutralité climatique à l’horizon 2050. Elle reconnaît le rôle central et multifonctionnel des forêts, ainsi que la contribution des acteurs de la filière et de l’ensemble de la chaîne de valeur forestière à la réalisation d’une économie durable et neutre pour le climat d’ici à 2050, ainsi qu’à la préservation de zones rurales vivantes et prospères.
Les États membres ont également exprimé à plusieurs reprises leurs préoccupations concernant la déforestation persistante et la dégradation des forêts. Ils ont souligné qu’au regard des politiques et des mesures actuelles prises au niveau mondial en matière de conservation, de restauration et de gestion durable des espaces forestiers – insuffisantes pour enrayer la déforestation, la dégradation des forêts et la perte de biodiversité –, une action plus forte de l’Union était nécessaire. Sans cela, il serait impossible d’assurer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), adoptés par l’ensemble des États membres des Nations unies en 2015.
L’essentiel du budget européen en faveur des forêts est attribué dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) par le fonds européen agricole pour le développement rural. Au-delà de ces aides, l’Europe a développé des activités complémentaires en faveur des forêts. Le règlement 2024/1991 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2024 relatif à la restauration de la nature définit des objectifs et obligations juridiquement contraignants de remise en état de la nature endommagée dans les zones terrestres et maritimes, incluant les forêts.
Enfin, certains programmes, sans être spécifiquement dédiés aux forêts, peuvent être mobilisés ponctuellement en faveur de ces dernières. C’est le cas de l’initiative Superb, soutenue par le programme de recherches et d’innovation Horizon 2020 : ce dernier a participé à la restauration de l’écosystème forestier de la Rhénanie‑du‑Nord‑Westphalie allemande, envahi en 2018, par le scolyte typographe européen. Parmi les actions déployées pour combattre les effets de l’infestation de coléoptères, figure un atelier d’engagement du public, qui s’est tenu en avril 2024, couvrant des sujets aussi divers que la résilience au changement climatique et la sélection des espèces d’arbres, la pression exercée par les cervidés sur la restauration des forêts, en passant par l’importance du bois mort pour le maintien de la biodiversité. Ces échanges ont permis le recueil d’informations sur les besoins de cette zone forestière, de son écosystème et de ses habitants, ainsi que sur les défis auxquels elle est confrontée. Ses résultats ont été examinés par divers acteurs européens, à l’instar de l’entreprise forestière publique irlandaise Coillte, en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale de résilience et d’adaptation au changement climatique, incluant le risque d’épidémie causée par des organismes nuisibles.
Plusieurs textes européens concernent les forêts et leurs usages. Le règlement 2018/841 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie dans le cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 fixe à l’Union européenne un objectif d’absorption nette de 310 millions de tonnes équivalent CO2 d’ici à 2030, soit une augmentation de 15 % des puits de carbone en Europe. Il nécessite que chaque État se fixe un objectif national contraignant à l’horizon 2030, ce dernier étant toutefois apprécié avec souplesse pour tenir compte de la possible survenue de perturbations naturelles comme les feux de forêt.
Dans un souci de lutte contre l’exploitation illégale du bois, l’Union européenne a également lancé, en 2005, le plan Forest Law Enforcement Governance and Trade (FLEGT). Celui-ci impose aux entreprises désireuses de faire entrer du bois sur le marché européen de se conformer à un système de « diligence raisonnée » ([30]) ; il interdit également toute mise sur le marché européen de bois récolté illégalement. Ces exigences figurent dans le règlement 995/2010 du Parlement et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché, dit règlement du bois de l’Union européenne (RBUE). Le plan FLEGT inclut la signature d’accords de partenariats volontaires avec des pays tiers ([31]) aux termes desquels ces derniers s’engagent à réformer leurs cadres légaux et leur système de gouvernance forestière, ainsi qu’à mettre en place des procédures permettant d’assurer la traçabilité et la légalité des bois exportés. En contrepartie, l’Union européenne fait bénéficier le bois importé de ces pays partenaires d’une présomption de légalité, matérialisée sous la forme d’octroi de licences FLEGT. Les bois ou produits bois couverts par ces autorisations sont considérés comme légaux au titre du RBUE.
Ce texte a été abrogé par le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, dit RDUE. Ce règlement doit concrétiser les ambitions de l’Union à se doter, en matière de politique commerciale, d’une nouvelle stratégie qui soutient la réalisation de ses objectifs de politique intérieure et extérieure et favorise une plus grande durabilité, conformément à son engagement de mettre pleinement en œuvre les ODD. Il cherche ainsi à remédier à une situation où, sans intervention réglementaire appropriée, la déforestation due à la consommation et à la production dans l’Union de six produits de base (les bovins, le cacao, le café, le palmier à huile, le soja et le bois) augmenterait pour atteindre 248 000 hectares par an d’ici à 2030 ([32]). Il prévoit que l’importation dans l’Union du cacao, du café, de l’huile de palme, du soja, du bois, du caoutchouc, du charbon de bois, du papier imprimé et de produits provenant du bétail soit interdite, si ces marchandises sont issues de terres déboisées après décembre 2020. Aussi, le règlement demande aux entreprises concernées de garantir que les produits qu’elles exportent ou mettent sur le marché européen comportent un risque nul ou négligeable de déforestation. Elles devront notamment géolocaliser l’origine des produits jusqu’aux parcelles de production.
Enfin, la Commission européenne a proposé, en novembre 2023, un nouveau règlement sur la surveillance des forêts, visant à combler les lacunes existantes concernant les informations sur les écosystèmes forestiers en Europe. Ce règlement inclut notamment la création d’une base de données complète sur l’état des forêts européennes, permettant aux États membres, aux propriétaires et aux gestionnaires de forêts de mieux répondre aux pressions croissantes qui pèsent sur ces écosystèmes.
c. À l’échelle nationale, une prise de conscience récente de la nécessité de répondre aux besoins d’adaptation et de renouvellement des forêts
La France n’est pas inactive lorsqu’il s’agit de protéger ses forêts. Elle défend une vision multifonctionnelle des espaces forestiers et a construit, au cours du XIXe siècle, un cadre juridique protecteur, qui sert aujourd’hui de référence à de nombreux pays européens confrontés aux mêmes problématiques.
Dès 2021, l’État a reconnu l’impact du changement climatique sur les forêts, ce qui a permis d’initier une nouvelle dynamique entre les acteurs de la politique forestière, à commencer par les différents ministères concernés. Les assises de la forêt et du bois, organisées entre octobre 2021 et mars 2022, sont issues de cette démarche. Elles ont permis de faire converger les intérêts et les stratégies des différentes parties prenantes (institutions, élus, propriétaires, chercheurs, chefs d’entreprise, associations), là où la concertation était jusqu’alors limitée sur les enjeux de sauvegarde et d’exploitation durable des forêts. Parmi les préconisations issues de ces assises, figure l’apport d’un soutien financier marqué à l’ensemble de la filière forêt-bois.
En 2020, le plan France Relance alloue ainsi 150 millions d’euros à la création d’un fonds pour la reforestation et l’adaptation des forêts au changement climatique. Ce dernier vise à encourager les propriétaires forestiers à investir dans le reboisement, la reconstitution et la diversification de leurs forêts. Ces aides ont été poursuivies par le plan France 2030, annoncé par le président de la République, Emmanuel Macron, dans l’objectif de reboiser 45 000 hectares en une décennie, soit l’équivalent d’un milliard d’arbres d’ici à 2032. Celui-ci se décompose entre :
– 200 millions d’euros pour la forêt et la filière bois ;
– 150 millions d’euros pour le renouvellement forestier ;
– 22 millions d’euros pour l’acquisition d’une couverture de données Lidar, permettant de cartographier les forêts ;
– 20 millions d’euros en soutien à l’industrie de transformation du bois.
Dans le cadre du plan d’action issu des assises, la France a créé, en juillet 2023, un observatoire des forêts françaises ayant pour mission de rassembler, de produire et de diffuser des informations sur la gestion durable des écosystèmes forestiers. En parallèle, plusieurs autres actions ont été mises en œuvre telles que l’adoption, sur proposition du Sénat, d’une loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie en juillet 2023, prévoyant notamment l’élaboration d’une stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies d’ici à juillet 2024, la nomination d’un délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages, responsable de la mise en œuvre de la planification écologique pour le secteur et la publication d’un plan scolytes et bois de crise en avril 2024.
La France soutient également, en conformité avec ses engagements internationaux, la protection et la gestion durable des espaces forestiers à l’étranger, dans le cadre de sa politique d’aide au développement. Les interventions de l’Agence française de développement (AFD) dans ce domaine concernent les problématiques de déforestation, de dégradation, de la protection et de la restauration des forêts. D’abord centrées sur des enjeux économiques, notamment la valorisation de la chaîne de valeur du bois, les actions de l’AFD couvrent de plus en plus les questions environnementales et climatiques, intégrant la biodiversité et les droits des peuples autochtones. Cette évolution rend son action plus complexe, dès lors qu’elle met en jeu des sujets interdépendants ; elle permet toutefois une meilleure prise en compte des ODD et œuvre, par exemple, à l’adaptation des chaînes de valeur aux exigences du règlement RDUE. Elle se fixe enfin des critères d’intervention stricts, afin de ne pas financer d’activités ayant un impact direct sur la déforestation.
La conservation de la forêt, des sols et de la biodiversité au Rajasthan (Inde)
Le Rajasthan Forestry and Biodiversity Development Project (RFBDP), financé par l’AFD, a pour ambition de renforcer la gestion durable des ressources forestières et la préservation de la biodiversité dans l’État du Rajasthan, en Inde. Doté d’une facilité de 140 millions d’euros, octroyée sous forme de prêt souverain – dont une première tranche de 72 millions d’euros accordée en septembre 2022 –, ce projet doit s’étendre sur une durée de huit ans. Il sera mis en œuvre par le département des forêts du Rajasthan (RFD) et couvrira treize districts du sud-est du pays : Alwar, Baran, Bhilwara, Bharatpur, Bundi, Dausa, Dholpur, Jaipur, Jhalawar, Karauli, Kota, Sawaimadhopur et Tonk.
Cette initiative a pour vocation de préserver et de restaurer les écosystèmes forestiers et fauniques du Sud-Est du Rajasthan, en mettant un accent particulier sur les zones humides. Il s’agit également d’accroître la capacité des communautés rurales à s’adapter aux défis posés par le changement climatique. Pour atteindre ces résultats, le RFD assure que le projet intégrera des technologies de pointe ainsi que des savoirs et des pratiques traditionnels. Par ailleurs, une attention particulière sera portée à la production de nouvelles connaissances et à la mise en œuvre de stratégies permettant d’atténuer les effets néfastes du changement climatique.
Dans cette perspective, le RFBDP est structuré autour de plusieurs composantes :
- la protection, la restauration et le développement des forêts naturelles dans les zones concernées. Dans ce cadre, le RFD prévoit de reboiser ou de restaurer environ 60 000 hectares ;
- l’utilisation durable des ressources biologiques couplée à la préservation et à la restauration des habitats, y compris des zones humides, via la création de corridors écologiques, afin d’améliorer l’état de conservation des espèces en danger. Le projet entend aussi assurer la surveillance des habitats fauniques grâce à l’emploi de récentes avancées scientifiques et technologiques ;
- la restauration et la création de prairies dans le but de gérer les habitats et de séquestrer le carbone ;
- la lutte contre l’érosion et la conservation de l’humidité des sols ;
- l’optimisation de la gestion des forêts, nécessitant de renforcer les interactions avec les communautés locales et de développer des opportunités de moyens de subsistance durables, tant directs qu’indirects ;
- des appuis institutionnels au RFD, afin d’assurer une gestion efficace et durable des ressources forestières à long terme.
Source : AFD et ONF international.
La contribution de l’AFD et du fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) en faveur des forêts s’élève à 1,6 milliard d’euros, dont 322 millions d’euros en dons, sur la période 2010-2022, soit une moyenne annuelle d’environ 123 millions d’euros, dont 25 millions d’euros de dons.
Répartition des engagements de l’AFD par zone géographique
sur la période 2010-2022
Zone |
Montant engagé 2010-2022 |
Afrique centrale et de l’Ouest |
307 |
Afrique de l’Est |
46 |
Maroc |
105 |
Sous-total Afrique |
468 |
Amérique centrale |
169 |
Amérique latine |
47 |
Sous-total Amérique du Sud |
216 |
Asie du Sud-Est |
15 |
Chine |
31 |
Inde |
245 |
Sous-total Asie |
291 |
Turquie |
601 |
Projets « non géographisés » |
35 |
TOTAL |
1 601 |
Source : AFD.
L’ONF joue également un rôle à l’international via sa filiale, l’ONFI. Cette dernière a mené un travail de parangonnage portant sur les stratégies d’adaptation des forêts au changement climatique ; il a fait apparaître que plusieurs États du continent européen ont décidé de s’inspirer des initiatives françaises, les travaux engagés par l’ONF en France servant souvent de modèle. La Roumanie et la Géorgie se sont, par exemple, montrées désireuses d’adapter l’outil ClimEssences à leur environnement national : cette plateforme accessible aux forestiers comme au grand public diffuse des informations sur les caractéristiques de nombreuses essences d’arbres et des simulations quant à leur évolution. De même, la Belgique (projet MIGForest) et l’Espagne (projet Cooptree) sont favorables à des collaborations pour favoriser des échanges de connaissances et de ressources avec les experts de l’ONF.
Toutefois, ces initiatives, pour positives qu’elles soient, ne tranchent pas des débats centraux autour des orientations de la politique forestière française ; ces derniers se retrouvent d’ailleurs dans de nombreux pays. Parmi ceux-ci, figure un questionnement structurant sur le type de forêt que la France souhaite sauvegarder et valoriser : s’agit-il de forêts primaires aux écosystèmes complexes, ou des forêts secondaires plantées, à l’instar des forêts boréales, qui permettent d’augmenter plus rapidement les surfaces forestières, au détriment parfois de la biodiversité ? Cette question reste pendante, les assises de la forêt et du bois ayant plutôt favorisé le statu quo entre ces deux conceptions, même si les considérations écologiques apparaissent de plus en plus prégnantes au sein de la politique forestière française.
2. Des initiatives encore insuffisantes en termes d’ambitions comme de moyens
a. Repenser des moyens financiers trop limités et imparfaitement calibrés
Si la France affiche des ambitions réelles en matière de préservation des forêts, elle peine encore à présenter une « vision suffisamment stable, cohérente et lisible vu les enjeux du secteur », pour reprendre les mots du Haut Conseil pour le climat ([33]). Ce manque de lisibilité est accru par l’intervention de différents ministères : les politiques forestières et de la filière bois sont portées par le ministère chargé de l’agriculture, tandis que les politiques en matière de climat et d’énergie dépendent du ministère en charge de la transition écologique. Surtout, la prédominance du ministère de l’agriculture sur celui de l’environnement traduit la trop faible prise en compte de la protection de nos forêts dans le cadre des politiques publiques forestières.
Les feuilles de route et plans sectoriels se sont multipliés ces dernières années, témoignant d’une meilleure intégration des enjeux d’adaptation des forêts au changement climatique par les pouvoirs publics, que l’on pense à l’adoption d’une feuille de route d’adaptation (2020), d’un plan d’action issu des assises de la forêt (2022), d’un plan ambition bois 2030 (2021) ou du plan scolyte et bois de crise. Malgré la multiplication de ces initiatives, le soutien public annuel pour la filière forêt-bois n’a cependant pas augmenté : évalué à 1,11 milliard d’euros en moyenne sur la période 2019-2022, il est stable par rapport à 2015-2018.
Par ailleurs, comme le souligne le Haut Conseil pour le climat, les ressources dédiées aux effectifs des principaux opérateurs publics nationaux dans le domaine forestier ont fortement diminué et la filière a souffert d’un sous‑investissement chronique : pour la période 2014-2022, cette baisse s’établit autour de 8 % pour l’IGN, 13 % pour l’ONF et 11 % pour le centre national de la propriété forestière (CNPF), l’établissement public en charge du développement de la gestion durable des forêts privées. Si le niveau des aides à l’investissement de France Relance en 2021 et 2022 est significatif – elles ont atteint leur plus haut niveau depuis la suppression du fonds forestier national avec la loi de finances de 2000 –, elles demeurent très en deçà des besoins de la forêt métropolitaine depuis 2018. La Cour des comptes estime ainsi que le fonds d’aide au repeuplement ne permettra de reconstituer que 15 000 hectares sur les 60 000 détruits ; dans les Vosges, il ne bénéficiera qu’à 6 % de la forêt communale détruite ([34]).
Un récent rapport de la Cour des comptes consacré à l’ONF ([35]) souligne que, sous l’effet des schémas d’emplois contraignants visant à réduire ses effectifs
(- 12,3 % depuis 2013), les moyens humains de l’établissement apparaissent désormais insuffisants pour répondre aux missions croissantes qui lui sont assignées (opérations de renouvellement forestier, développement de la contractualisation et extension de la mission d’intérêt général du dispositif de défense des forêts contre les incendies). Ces réductions d’effectifs ont des conséquences importantes sur le maintien des compétences au sein de l’établissement, qui concernent aussi bien les fonctions support que les ouvriers forestiers dont l’ONF a pourtant de plus en plus besoin pour l’accomplissement de ses missions. De même, l’effort de reconstitution des peuplements des forêts domaniales dépérissant ou susceptibles de le devenir est évalué entre 100 et 120 millions d’euros par an pour la seule forêt domaniale contre 44,2 millions d’euros aujourd’hui. L’État, en sa qualité de propriétaire des forêts domaniales, pourrait donc devoir renforcer son soutien à l’ONF pour lui permettre d’assurer le renouvellement de ces massifs, conformément au principe pluriséculaire de gestion durable qui s’y applique.
Proposition n° 2 : sanctuariser, a minima, les moyens humains et financiers octroyés à la politique forestière et à ses opérateurs.
Par ailleurs, l’efficacité du soutien public apportée à la filière bois‑forêt est limitée par des investissements favorisant l’usage bois-énergie aux dépens de l’usage en matériaux à longue durée de vie (panneaux, isolants et bois d’ingénierie) et les aides publiques comme la fiscalité sont peu conditionnées à des pratiques de gestion forestière durable.
Les aides mises en œuvre sont parfois mal ciblées ou peu conditionnelles. Ainsi, les aides octroyées dans le cadre du plan France Relance (2021‑2022) ciblant l’adaptation de la forêt par le renouvellement forestier visaient non seulement la reconstitution des peuplements sinistrés et l’adaptation des peuplements vulnérables au changement climatique, mais également l’amélioration des peuplements à faible valeur économique, même s’ils n’étaient pas vulnérables ou dépérissants. Par ailleurs, les conditions d’octroi de ces aides reposaient sur des critères de diversification trop peu contraignants (20 % minimum de diversification des essences à partir de 10 hectares de plantations). Dans les faits, ces aides ont ainsi surtout bénéficié à la forêt privée et, pour une part non négligeable, à des propriétaires de peuplements économiques pauvres (32 % des 24 600 hectares soutenus en 2021). Le manque d’ambition des critères retenus n’est peut-être pas étranger à l’échec observé de certaines plantations : 38 % ont péri en 2022, le plus mauvais résultat depuis 2007.
Dans ce contexte, le Gouvernement a décidé de renforcer les exigences à remplir pour bénéficier des aides du plan France 2030 : critère de diversification plus strict, ouverture de l’aide aux travaux de régénération naturelle, contraintes renforcées pour l’éligibilité des coupes rases sur les peuplements pauvres, ou encore bonification de l’aide pour les propriétaires engagés dans des démarches de certification environnementale. Cependant, le maintien de la diversité des essences n’est pas garanti sur le long terme, une plantation initialement diversifiée (pour recevoir des aides) pouvant être transformée en une plantation mono-essence au moment de la première éclaircie. Surtout, les volumes financiers du plan ne sont pas à l’échelle du besoin de reconstitution de parcelles détruites, qui plus est depuis l’élargissement de l’éligibilité aux peuplements incendiés. La dotation de 145 millions d’euros permettra de replanter environ 30 000 hectares, soit deux fois moins que la surface détruite par les incendies de 2022, selon les estimations de la Cour des comptes ([36]).
Proposition n° 3 : réorienter les crédits alloués dans le cadre de France 2030 vers l’adaptation des forêts au changement climatique en ciblant ces derniers sur les seuls peuplements dépéris ou inadaptés.
De manière plus générale, la fiscalité forestière intègre encore insuffisamment des critères écologiques ou de garanties de résilience du peuplement sur le long terme, tout comme ses voisins européens ([37]). Ainsi, un propriétaire qui décide de remplacer sa forêt par une plantation monospécifique peut bénéficier de la même fiscalité qu’un autre qui aurait eu une stratégie maximisant la résilience de son peuplement. À titre d’exemple, les boisements et reboisements ouvrent droit à une exonération des parts communales et intercommunales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) : toutefois, cette exonération devrait être assortie de conditions quant aux essences utilisées. De même, les chambres d’agriculture conservent 25 % des 18 millions d’euros qu’elles collectent au titre de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB) en nature de forêt. Ces 4,9 millions d’euros doivent servir à cofinancer les actions de développement forestier conduites par les chambres dans les territoires ; les 75 % restant sont reversés au CNPF, aux communes forestières et au ministère de l’agriculture. Une réflexion sur la pertinence d’un tel modèle, qui contribue à morceler le financement des actions de développement forestier et leur suivi, devrait être menée.
Proposition n° 4 : renforcer les critères écologiques de la fiscalité forestière de manière à mieux prendre en compte des problématiques telles que la préservation de la biodiversité, le stockage du carbone, la diversité des essences et la contribution à la dépollution atmosphérique.
Proposition n° 5 : assurer une évaluation transparente des projets financés par les chambres d’agriculture à partir des recettes de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti en faisant apparaître explicitement les critères ayant motivé leur sélection.
Afin d’améliorer le potentiel d’atténuation de la filière forêt-bois, il pourrait être opportun de réorienter les soutiens publics en faveur du bois-énergie vers la production de matériaux à durée de vie longue, tels que les panneaux et les isolants nécessaires à la rénovation énergétique des bâtiments, dont la demande est croissante. Ce soutien pourrait, par exemple, passer par une aide au développement des industries de première et de deuxième transformations, ainsi que par la mise en place d’outils adaptés au gisement de feuillus de la forêt française, comme le suggère France Stratégie ([38]).
Proposition n° 6 : flécher une partie des aides apportées à la filière forêt-bois au profit de la production de matériaux à durée de vie longue.
La problématique du ciblage des aides se retrouve, à l’échelle internationale, avec le mécanisme REDD+, coordonné par l’Organisation des Nations unies. Il s’agit d’un mécanisme international qui propose de rémunérer les pays en voie de développement pour leurs efforts dans la lutte contre la déforestation et la dégradation forestière sur une base volontaire.
Toutefois, selon les associations et organisations non gouvernementales rencontrées, ce mécanisme peut être détourné de manière à alimenter la corruption locale ou à récompenser des projections assez écartées de la réalité, sans se fonder précisément sur la qualité des politiques publiques à destination des forêts et de leur mise en œuvre effective.
La dynamique des projets REDD+
Source : International Database on REDD+ Projects and Programs, centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
b. Accompagner l’évolution de la filière et de ses modes de gestion
Si l’essentiel du soutien apporté par l’État prend la forme d’investissements financiers, il existe également des enjeux structurels en matière de gestion de la forêt. La lutte contre le morcellement des parcelles, qui concerne davantage les forêts appartenant aux collectivités territoriales et les forêts privées que les forêts domaniales, n’est pas encore une priorité de la politique forestière française. Parmi les 3,3 millions de propriétaires forestiers en France métropolitaine, 3 millions se partagent 20 % de la surface forestière ; 2,2 millions possèdent moins de 1 hectare de forêt, et 57 000 sont propriétaires de plus de 25 hectares. Or, seules les forêts privées de plus de 20 hectares doivent obligatoirement faire l’objet d’un plan simple de gestion, soit donc environ la moitié des forêts françaises, et ces plans de gestion ne sont pas toujours complets. Surtout, ils intègrent de manière encore insatisfaisante les problématiques d’adaptation au changement climatique ; leur démarche planificatrice et de long terme (ils sont conçus pour une période de temps généralement supérieure à dix ans) paraît peu adaptée aux incertitudes liées à l’évolution du changement climatique. Dans ces conditions, il est important de soutenir les initiatives, par exemple portées par le CNPF, de création d’associations syndicales, de promotion des groupements forestiers ou encore d’appui à l’échange de parcelles.
Proposition n° 7 : consacrer une partie des aides octroyées à la filière bois-forêt au soutien des initiatives de gestion collective des parcelles.
Proposition n° 8 : abaisser à 10 hectares le seuil à partir duquel une forêt privée doit faire l’objet d’un plan simple de gestion.
Par ailleurs, les propriétaires forestiers n’utilisent pas toujours l’information disponible pour les aider dans leur gestion quotidienne et celle-ci pourrait être complétée par une fiabilisation du cadastre, une meilleure identification des parcelles à valoriser et des risques auxquels elles sont soumises.
Proposition n° 9 : mobiliser davantage de moyens pour assurer la diffusion efficace de l’information disponible auprès des propriétaires forestiers et compléter les documents d’aide à la gestion forestière en donnant la priorité à une meilleure cartographie du cadastre.
Par ailleurs, nombre d’initiatives locales, souvent mises en place en concertation avec les populations, peuvent inspirer utilement l’évolution de nos modèles de gestion forestière. Les régions d’Auvergne Rhône‑Alpes, d’Occitanie et du Grand Est s’appuient, par exemple, sur l’association Sylv’ACCTES, qui vise à soutenir des propriétaires engageant leur forêt dans une gestion à couvert continu, mélangée et étagée. Cette dernière constitue une alternative au changement, parfois brutal, des écosystèmes forestiers pour promouvoir une adaptation progressive du système sylvicole.
Proposition n° 10 : soutenir fiscalement les propriétaires forestiers mettant en œuvre un modèle de gestion à couvert continu, mélangée et étagée ou détenteurs de propriétés particulièrement vulnérables aux effets du dérèglement climatique.
La restructuration de la filière nécessite une évolution des métiers et l’acquisition de nouvelles compétences. À ce sujet, les associations et les organisations non gouvernementales ont fait valoir des différences notables entre les approches et les modèles d’enseignement développés par la France et par l’Allemagne. Si la République fédérale allemande valorise une écologie des écosystèmes, la France est plus sensible à un enseignement centré sur la production et la gestion forestières. Plus globalement, il est nécessaire d’améliorer et de revaloriser les formations en faveur de la filière, en particulier pour les métiers techniques.
Proposition n° 11 : investir dans la formation des personnels forestiers et mieux orienter leurs formations vers les enjeux d’adaptation des forêts au changement climatique.
Proposition n° 12 : revaloriser les parcours des personnels techniques intervenant en forêt et améliorer leurs conditions de travail.
c. Porter, sur la scène internationale, un message fort en faveur de la protection des forêts
La protection des forêts nécessite un investissement fort de notre pays à la fois pour préserver l’existant et pour porter un message ambitieux à l’échelle internationale.
Or, au niveau européen, la pérennité du règlement RDUE est aujourd’hui menacée. Ce texte, qui devait initialement entrer en vigueur le 31 décembre 2024, fait l’objet de vives remises en cause, déjà existantes dans le cas du règlement RBUE. Des pays tiers, comme les États-Unis, le Brésil et l’Indonésie, ainsi que des États membres, à l’instar de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Finlande, de l’Italie, de la Pologne, de la Slovaquie, de la Slovénie ou encore de la Suède, plaident activement pour sa suspension. Son avenir – comme, du reste, celui du Pacte vert pour l’Europe – s’avère donc extrêmement précaire. Le 2 octobre 2024, la Commission européenne a proposé de reporter d’un an sa mise en œuvre.
Il est de la responsabilité de la France de soutenir ce texte et sa pleine application, alors que l’Union européenne a importé et consommé un tiers des produits agricoles associés à la déforestation et échangés mondialement entre 1990 et 2008 ([39]). Elle est également responsable, au cours de la même période, de 10 % de la déforestation mondiale liée à la production de biens ou à la fourniture de services. Même si la part relative de sa consommation diminue, elle demeure un facteur de déforestation d’une importance disproportionnée par rapport à sa population et ne peut donc se permettre de reporter indéfiniment, voire d’abandonner, un règlement qui devait constituer l’aboutissement de son action en faveur de la préservation des forêts, partout dans le monde.
Proposition n° 13 : soutenir activement, à l’échelle européenne, la mise en œuvre effective et rapide du règlement dit RDUE et toute autre initiative en faveur de la protection des forêts.
Si l’on peut se réjouir de l’émergence de la forêt comme d’un sujet de discussions et de négociations internationales, le cadre juridique international est encore embryonnaire et trop morcelé. La persistance d’un clivage entre pays développés et pays en développement a jusqu’à présent fait obstacle à l’établissement d’un instrument multilatéral contraignant spécifique aux forêts, par exemple porté par les Nations unies. Alors que les pays du Nord souhaitent faire de la forêt un patrimoine d’intérêt mondial devant être protégé pour ses qualités intrinsèques, les pays du Sud sont attentifs à pouvoir exploiter leurs ressources naturelles et mettent en avant leur souveraineté sur ce qui constitue, pour eux, un potentiel de développement économique. Le rôle crucial joué par les forêts dans la lutte contre le changement climatique et l’intérêt croissant qu’y accordent nos concitoyens doivent encourager l’ensemble de la communauté internationale à sortir de cette opposition stérile pour trouver un terrain d’entente et de compromis, comme elle a su le faire, du reste, pour la haute mer, objet d’un accord international en cours d’approbation ([40]). La gouvernance mondiale des forêts gagnerait incontestablement à trouver un cadre d’application unifié, alors que la COP30 sera sans aucun doute une nouvelle occasion d’aborder les problématiques liées à la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts : la France doit jouer de son influence internationale pour soutenir un tel projet.
D’autres instruments en cours de définition pourraient être utilement mobilisés à l’avenir, à l’instar d’un Forest & Climate Leaders’ Partnership. Ce partenariat travaille à la création des Forest and Land Use Investment packages (FLIP) qui, sur le modèle des Just Energy Transition Partnerships (JETP), pourront contribuer à préserver la forêt dans des pays ciblés.
Enfin, la rapporteure soutient, de manière plus générale, la constitution d’alliances internationales pour permettre l’échange d’informations entre pays partageant le même intérêt pour la forêt sur le modèle du For Forest +. Ce partenariat, qui réunit la Finlande, l’Autriche, la Slovénie, la Suède et la France, se donne pour but de partager et de développer la coopération informelle dans les domaines liés aux forêts, d’échanger des connaissances et d’identifier des positions communes sur les questions de politique forestière, conformément au concept de gestion durable des forêts.
Proposition n° 14 : promouvoir l’établissement d’une convention juridique contraignante pour la préservation et la restauration des forêts mondiales.
Proposition n° 15 : encourager les coopérations internationales visant à l’échange d’informations et de bonnes pratiques sur les forêts et leur protection.
Pour être crédible dans ses prises de position internationales, la France devra améliorer la connaissance des forêts de son propre territoire, en particulier dans les départements et les régions d’outre-mer, au premier rang desquels la Guyane. La réalisation d’un inventaire de ces forêts par l’IGN serait une première étape pertinente dans la poursuite de cet objectif.
Proposition n° 16 : accélérer la connaissance du couvert forestier français, en particulier dans les territoires et départements d’outre-mer, à travers la réalisation d’un inventaire des forêts françaises par l’IGN.
Surtout, il est essentiel qu’elle maintienne son aide au développement en appui du secteur forestier et qu’elle mobilise l’ensemble de ses représentants diplomatiques sur cette thématique, en particulier auprès de pays ciblés pour la richesse de leur écosystème forestier et la possibilité d’agir, de concert, pour leur protection.
Proposition n° 17 : pérenniser l’aide publique au développement consacrée au secteur forestier.
Proposition n° 18 : mobiliser pleinement nos ambassades sur les thématiques du renforcement des capacités des acteurs locaux, l’amélioration de la gouvernance et la promotion d’une gestion durable des forêts.
Au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2024, la commission examine le présent avis budgétaire.
M. le président Bruno Fuchs. Je me bornerai à indiquer à titre liminaire que les crédits de la Mission Écologie, développement et mobilité durables inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 s’élèvent à 20,5 milliards d’euros et sont en diminution de 5 %.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Inutile de s’attarder sur les conditions dans lesquelles le projet de budget a été présenté : chacun les connaît et s’en inquiète ou s’en gausse, c’est selon.
Certes, traditionnellement, nous sommes charrette lors de l’examen du budget mais cette année, notre commission est invitée à se prononcer sur les crédits de cette mission cinq jours à peine après la présentation du projet de budget devant la presse. C’est une bien curieuse façon de faire ! Heureusement, la seconde partie du rapport consacré à la forêt a pu être anticipée avec des auditions d’experts et de praticiens de la filière et le travail d’analyse budgétaire nécessaire pour la préparation de ce rapport a pu être correctement conduit – je remercie d’ailleurs l’administratrice, qui a consacré son énergie et son expérience à cette tâche. Il est toutefois dommageable de n’avoir pu disposer des jaunes budgétaires, qui auraient pu nous donner de précieuses indications sur l’évolution du budget de l’Agence de la transition écologique (ADEME), de l’Office national des forêts (ONF) ou des crédits de la filière nucléaire répartis entre cette mission et les missions Économie, Plan de relance, Investir pour la France de 2030 et Défense.
Dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a placé sur le même plan dette budgétaire et dette écologique. Force est de reconnaître, avec Le Monde, que la dette financière passe avant la dette écologique et que les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables sont loin de traduire la priorité affichée.
Le dérèglement climatique s’accélère, même si la France a été relativement épargnée grâce à un été exceptionnellement pluvieux. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a néanmoins sonné l’alerte rouge, l’année 2023 ayant été la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale. La canicule n’affecte pas que le confort des êtres humains mais aussi la production agricole. Face au réchauffement inquiétant des océans, à la survenue de tornades inconnues jusqu’ici, la répétition d’hivers sans neige ou à la souffrance des arbres, les plus sceptiques, qui s’obstinaient jusqu’ici à nier le caractère anthropique du bouleversement climatique, l’admettent désormais,
Ce n’est pas la première fois que le budget pourtant modeste de la mission sert de variable d’ajustement et que les crédits indispensables à l’isolation des logements, des écoles, des gymnases, des hôpitaux – avec la double ambition d’optimiser les consommations d’énergie et d’améliorer le confort des usagers – sont sacrifiés aux exigences du court terme. C’est un mauvais calcul car le prix de l’inaction est considérable, qu’il s’agisse des dégâts liés au retrait-gonflement des argiles, de l’érosion du trait de côte ou de l’effondrement des rendements agricoles. C’est un mauvais calcul car, de notre capacité à transformer maintenant, dans une perspective écologique, notre façon de bâtir, de produire, de consommer, de cultiver et de nous déplacer, dépend non seulement la survie des écosystèmes aquatiques ou forestiers mais encore notre capacité à vivre demain de façon pacifique, confortable et décente, notre compétitivité et notre aptitude à interagir avec nos semblables.
Le Gouvernement a présenté un projet de budget qui, loin de mobiliser les grandes fortunes et les entreprises profitables, repose sur une baisse tous azimuts de la dépense publique, même si certains éléphants blancs sont épargnés. La mission, qui était déjà loin de se hisser à la hauteur des enjeux, paie un lourd tribut à ce choix politique : ses crédits sont en baisse de près de 10 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, avec 21,809 milliards en 2025 contre 24,103 milliards en 2024 alors que la direction du Trésor a évalué, en décembre 2023, les besoins de financement de la transition écologique à 110 milliards d’ici à 2030. Il faut également souligner que si certains programmes affichent une hausse, c’est non pas pour préparer la transition mais pour financer, par exemple, le déficit d’exploitation des trains d’équilibre du territoire (TET) ou la hausse des redevances d’accès au réseau ferré. Le diable se niche souvent dans les détails.
Ainsi, quand le Gouvernement se félicite de la consolidation de la stratégie nationale biodiversité 2030 avec « une enveloppe d’engagement 50 % plus élevée qu’en 2023 », l’action 07, Gestion des milieux et biodiversité, subit en réalité une forte diminution, de 25 % en autorisations d’engagement (AP) et 14,7 % en crédits de paiement (CP). Certes, l’Office français de la biodiversité (OFB) voit ses crédits augmenter de façon non négligeable mais son financement demeure considérablement moins important que celui de ses homologues européens. Dans le même programme 113, Paysages, eau et biodiversité, les parcs nationaux sont, quant à eux, sujets à une baisse d’investissement de près de 65 %.
Le plus préoccupant reste la diminution drastique des crédits du fonds vert, mis en place il y a deux ans à peine et dont les collectivités locales se sont rapidement emparées. Il connaît une baisse colossale de ses crédits de près de 60 %, soit une baisse de 1 milliard cette année, après une baisse de 400 millions en 2024. La demande est pourtant très forte avec 12 611 candidats et 4 547 dossiers traités en 2024.
De grosses inquiétudes subsistent aussi sur l’ADEME, dont le budget est réduit de 35 %, et sur le fonds chaleur, dont les crédits s’élevaient à 820 millions d’euros en 2024. Nous nous interrogeons sur le maintien de sa capacité à accompagner les efforts des collectivités locales dans le domaine des déchets, pour laquelle l’agence disposait de 300 millions en 2024. Le Gouvernement a abondamment communiqué l’an dernier sur MaPrimeRénov. Ses crédits sont pourtant amputés à hauteur de 1 milliard. Les politiques écologiques, destinées à préparer l’avenir et non à satisfaire les caprices de tel ou tel lobby influent, souffrent bien davantage que d’autres du stop and go. Elles doivent s’inscrire dans la durée, avec ténacité. Ce n’est pas le cas ici.
Pour toutes ces raisons, j’inviterai la commission à émettre un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission.
L'examen du budget offre également à la commission des affaires étrangères la possibilité d’analyser les instruments, les objectifs et les modalités de l’action internationale de la France en matière environnementale.
J’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon rapport aux forêts et aux enjeux du dérèglement climatique. En avril dernier, un délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages a été nommé. Six mois plus tard, nous peinons toujours à identifier ses missions et je crois pouvoir affirmer que lui-même peine à le faire. Il y a quelques semaines, l’intitulé du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a été modifié pour y adjoindre la forêt. Cela indique, au mieux, une volonté de replacer les enjeux forestiers au cœur de l’action gouvernementale mais cela peut aussi indiquer que le Gouvernement s’enlise dans une vision productiviste, économique et capitalistique dans laquelle les forêts ont pour principal – voire unique – intérêt de fournir des ressources en bois et non de remplir les fonctions environnementales souvent, et à nouveau, négligées.
La déforestation perdure dans certaines régions du monde par l’expansion des terres agricoles et l’exploitation intensive du bois. Les dernières années ont été rythmées par un accroissement toujours plus important des aléas environnementaux. Or les forêts sont menacées aujourd’hui, si ce n’est principalement mais, en tout cas, de façon importante, par les effets du dérèglement climatique : augmentation des températures, prolifération des ongulés, des insectes ravageurs et des parasites nuisibles, multiplication des incendies, sécheresses et tempêtes toujours plus intenses. Le message de l’ONF est alarmiste et il est clair : nombre de forêts sont aujourd’hui menacées de disparaître. Selon certains scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce sont près de la moitié des surfaces forestières françaises qui pourraient dépérir ou devenir très vulnérables d’ici à la fin du siècle. Les forêts peinent à se régénérer. Un ralentissement global de la croissance des peuplements forestiers est également à déplorer.
Les forêts ne font toutefois pas que souffrir du dérèglement climatique. Elles jouent un rôle important dans la lutte contre le changement climatique et dans l’adaptation à celui-ci. Certes, elles peinent à remplir progressivement leurs fonctions biologiques les plus élémentaires – leur capacité de stockage du carbone a diminué de près de moitié en dix ans – mais elles stockent aussi de l’eau.
La filière forêt-bois en France est également menacée. Elle représente près de 50 000 emplois, ancrés dans les territoires et contribue au financement du budget des collectivités locales, notamment des communes les plus modestes situées dans les zones de plateau ou de montagne.
Dans beaucoup de pays européens, la forêt est d’abord destinée à la production de bois, au point qu’on parle désormais de culture du bois et non de la forêt. En Suède, par exemple, 80 % des forêts sont destinées à cette production. En un an seulement, entre 2020 et 2021, la forêt suédoise a perdu près de 20 % de sa capacité d’absorption de CO2.
Le rapport dresse une sorte d’inventaire des préoccupations des acteurs publics et privés de la filière forestière et contient quelques préconisations, qui pourraient être reprises par notre groupe d’études transpartisan sur la forêt. Certaines de ces préconisations ont été apportées par le député qui était coprésident de ce groupe d’études, lors de son audition.
La France a pris des initiatives au niveau européen et mondial, qui montrent sa préoccupation devant l’état de ses forêts mais aussi sa détermination à agir pour la protéger. Certains y ont vu du greenwashing. Nous aurions intérêt, compte tenu de l’important couvert forestier des départements et collectivités d’outre-mer, à nous investir davantage à l’international. Il faut concilier exploitation forestière et protection de la biodiversité. Plusieurs réunions de la conférence des parties sur la désertification, le changement climatique et la biodiversité sont prévues dans les prochains mois. Certes, la France a un peu perdu de sa superbe ces dernières années mais elle peut relever le défi. Les forêts, dont le sort dépend en partie de ces trois conventions, méritent notre engagement. Ce sujet, qui a longtemps été sous-estimé, réclame aujourd’hui l’investissement des parlementaires.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). À la fin du mois de septembre, le Haut Conseil pour le climat a rappelé au nouveau gouvernement l’importance cruciale d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En effet, la France et l’Europe sont durement touchées par les effets du dérèglement climatique. Les événements extrêmes sont plus fréquents et plus intenses : sécheresses, incendies, inondations… À l’échelle du globe, les catastrophes climatiques s’enchaînent, frappant tous les pays, parfois de manière concomitante, au point que chaque jour amène son lot de désastres.
Depuis le rapport sur le financement de la transition écologique de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz de mai 2023, nous savons que, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le budget public doit augmenter de 25 à 34 milliards d’euros par an. Cela représente 10 à 12 milliards d’euros pour le budget de l’État, le reste étant à la charge des collectivités locales. L’enjeu n’est pas seulement d’accélérer la baisse des émissions mais de lutter contre la forte diminution du puits de carbone des forêts, fragilisées par le changement climatique.
Le budget de rigueur que propose le Gouvernement, avec des crédits en recul de 10 % est un très mauvais signal. L’amputation des moyens des collectivités locales de 6,5 milliards d’euros en est un autre, qui paralysera leurs investissements dans la transition écologique. Qui plus est, le budget n’est adossé à aucun document de planification : le Parlement n’a pas encore pu examiner les textes stratégiques qui encadrent l’action de la France, la nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Ces retards soulignent que, contrairement à ce qu’affirmait le premier ministre dans son discours de politique générale, la dette écologique n’est pas une priorité.
Les montants indigents de l’aide au développement en direction des pays du Sud en sont une autre illustration. Ces derniers demandent aux pays riches, qui portent une responsabilité historique dans le réchauffement climatique, une contribution globale de 1 000 à 1 300 milliards d’euros par an entre 2025 et 2030. La France ne sera visiblement pas au rendez-vous.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. La transition énergétique est une politique qui demande de la continuité et des moyens stables, qu’ils soient alloués par les agences de l’État ou par les collectivités locales, et notre pays s’illustre par son incohérence.
Le principal motif de plainte des collectivités locales, mises au régime sec par un projet de loi de finances qui leur retire 8,5 milliards d’euros, tient au fait que nombre d’entre elles s’étaient engouffrées avec enthousiasme dans le financement des équipements indispensables pour concrétiser la transition écologique. Même si la tentation est grande de s’en remettre à deux ou trois entreprises ou opérateurs, tout ne peut pas venir d’en haut. Certains doutaient de l’engagement des collectivités au rendez-vous : elles ont été pour les milliers de projets du fonds vert qui avait, pour une fois, vocation à s’appliquer sur le terrain. La même chose s’est passée pour le fonds chaleur de l’ADEME. Il est regrettable que des politiques qui illustrent la mobilisation civique pour la transition écologique soient ainsi menacées.
Quand j’ai évoqué tout à l’heure les 110 milliards d’euros nécessaires pour piloter la transition d’ici à 2030, ce n’est pas en cumulant les misérables crédits de chaque année. Il faut 110 milliards d’euros par an ! J’ajoute que cette politique est très riche en emplois non délocalisables et qu’elle contribue à la vitalité des territoires.
Mme Alexandra Masson (RN). Comme vous, nous regrettons la diminution des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables, qui sont en baisse de près de 2,3 milliards d’euros par rapport au PLF 2024. Avec mes collègues du Rassemblement national, nous déplorons particulièrement la baisse de 30 % des autorisations d’engagement du programme 205, Affaires maritimes, pêches et aquaculture. Nous déplorons en outre les 820 millions d’euros de crédits accordés aux énergies éolienne, terrestre et maritime dans le programme 345, Service public de l'énergie, qui pourraient aisément être réaffectés à l’action 04 du programme 205, Action interministérielle de la mer, dédiée aux dispositifs de contrôle et de surveillance qui participent à l’exercice des missions de police en mer.
Il est indispensable que l’État renforce son action pour concilier les objectifs de protection de l’environnement et le maintien de l’activité économique maritime. Des mesures ont déjà été prises pour favoriser la transition écologique de la marine de commerce. Il ne faut pas oublier le secteur de la plaisance, souvent délaissé alors qu’il joue un rôle clé dans le dynamisme économique de certains territoires littoraux. C’est pourquoi nous souhaitons renforcer l’action Ports du programme 203, Infrastructures et services de transport, en diminuant le financement des études allouées à l’éolien en mer que nous jugeons inefficace et destructeur pour les territoires et les paysages.
Le groupe RN se réjouit de la création du programme 235, Sûreté nucléaire et radioprotection, qui correspond à l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), un nouvel interlocuteur unique et indépendant chargé du contrôle et de l’instruction des dossiers de sûreté dont la création a permis d’écarter les lobbies hostiles au nucléaire. En revanche, nous dénonçons la poursuite d’une trajectoire écologique punitive avec l’augmentation du malus CO2 et du malus poids des véhicules automobiles, qui pénalise toujours plus les Français qui n’ont d’autre choix que prendre leur voiture pour se déplacer.
Nous estimons que les demandes de la rapporteure concernant les énergies renouvelables, et l’éolien en particulier, sont faramineuses : près de 4 milliards d’euros au total. Ces moyens pourraient être fléchés vers d’autres énergies renouvelables comme la géothermie, qui ne bénéficie que de 43 millions d’euros.
Nous voterons donc contre le budget de cette mission budgétaire.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. En effet, il n’existe pas de politique maritime permettant de hisser les infrastructures portuaires au niveau requis ; je remarque toutefois que votre groupe n’a pas déposé d’amendement en ce sens. Je reviendrai plus longuement sur l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) à l’occasion des amendements que votre groupe a déposés sur le nucléaire.
Je veux concentrer ma réponse sur le malus infligé aux véhicules les plus lourds et les plus polluants. En trente ans, le poids des véhicules a augmenté de 60 % ; nous subissons tous des chenilles processionnaires des véhicules utilitaires sportifs (SUV), dont la vitesse de pointe a augmenté de 197 à 207 km/h en quinze ans alors que les limitations de vitesse sont désormais respectées par l’écrasante majorité de nos concitoyens. Plus de poids, plus de vitesse, des moteurs plus puissants : on peut se demander si une politique plus raisonnable visant à promouvoir des véhicules plus modestes, mieux adaptés au quotidien, ne permettrait pas d’économiser de l’énergie. De nombreuses associations et services de l’État préconisent la réduction à 110 km/h de la vitesse sur les autoroutes à 80 km/h sur les routes nationales pour la même raison ; elle aurait en outre le mérite d’alléger les circuits secondaires et de limiter une concurrence stupide entre les deux réseaux qui alimente les projets de contournement.
Mme Éléonore Caroit (EPR). Je vous remercie d’avoir rappelé le rôle crucial que jouent les forêts dans la lutte contre le changement climatique et l’importance d’adapter les écosystèmes et l’économie à ce qui en découle. Les forêts n’échappent pas aux effets du changement climatique ; elles en sont même la manifestation emblématique.
Depuis des années, la forêt est un sujet de préoccupation national et international. La France est le quatrième pays européen en surface de boisement, laquelle représente près d’un tiers du territoire, hors outre-mer. Elle est aussi un pays amazonien – je pense à la Guyane. Pour ces raisons, notre pays a pris des initiatives à résonance internationale comme le One Forest Summit, co-organisé en 2023 avec le Gabon.
La Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie pour les forêts à l’horizon 2030 dans le cadre du Pacte vert. Le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 demande ainsi aux entreprises de garantir que les produits qu’elles exportent ou mettent sur le marché européen comportent un risque nul ou négligeable de déforestation. C’est un sujet de taille : sans intervention réglementaire appropriée, la déforestation due à la consommation européenne atteindrait 250 000 hectares en 2030 rien que pour six produits : les bovins, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et le bois. La pérennité de ce règlement est pourtant menacée. À la demande de plusieurs pays, la Commission européenne a proposé de reporter son entrée en vigueur d’un an. Je crains que cette suspension ne se prolonge.
Au niveau international, le cadre juridique relatif à la préservation et à la restauration des forêts est morcelé entre plusieurs conventions, ce qui nuit à l’effectivité de la protection, comme l’indique le rapport. Dans ma circonscription, en Amérique latine et dans les Caraïbes, la protection des forêts est un sujet à la fois politique et d’actualité. La Colombie accueillera dans quelques jours la prochaine COP16 sur la biodiversité et le Brésil la COP30 sur le climat l’an prochain. Ma question est la suivante : la protection des forêts vous paraît-elle suffisamment prise en compte au niveau international ? Pensez-vous que la communauté internationale gagnerait à signer un traité global sur la préservation et la restauration des forêts, à l’image de ce que nous avons fait pour les océans avec le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ) ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Certains observateurs ont douté de la volonté de la France de s’engager fermement après le One Forest Summit. Il est vrai que ses engagements n’ont pas tous été respectés. De ce point de vue, la confirmation du report de l’entrée en vigueur du règlement de 2023 enverrait un très mauvais signal.
La France doit agir résolument au niveau européen. Elle a tout intérêt à travailler avec des partenaires qui ont démontré leur capacité à gérer les forêts de manière responsable, comme la Slovénie, dont nous observons avec intérêt les méthodes de gestion forestière, de la formation du personnel à la préservation de la biodiversité. Nous devons nous tourner vers ce modèle plutôt que vers celui des pays du nord de l’Europe dont les forêts rajeunissent au rythme de coupes massives qui y sont pratiquées.
Nous ne sommes pas armés pour proposer de nouvelles méthodes de gestion à l’international. Nous peinons déjà à les appliquer chez nous : le morcellement forestier est une réalité, de même que l’incapacité de dresser l’inventaire total des parcelles sans maître et de tenir le cadastre à jour. Je plaide pour que nous investissions davantage dans les forêts aux niveaux national, européen et mondial pour nous protéger contre le changement climatique.
M. le président Bruno Fuchs. Il existe trois grands bassins de captation de carbone en Asie du Sud-Est, en Amazonie et au Congo. N’y a-t-il pas une action à mener de ce côté ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Je rêve d’un traité international sur l’Amazonie comme celui qui existe sur l’Antarctique. Cela suppose que le Gouvernement brésilien y soit favorable ; cela suppose aussi de consacrer des moyens importants à la lutte contre la déforestation, qu’elle soit due à la consommation vivrière des populations autochtones, aux coupes de bois ou à des incendies de forêt qui justifient par la suite la mainmise de quelques latifundiaires sur des surfaces immenses. Je serais ravie que l’Assemblée nationale se mobilise en ce sens.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). L’écologie et l’ordre international sont indissociables, non parce que la question écologique devrait être traitée uniquement au niveau mondial mais parce qu’elle fait sentir avec une acuité sans précédent la nécessité profonde de transformer l’ordre économique international. Plus personne ne conteste l’origine humaine du changement climatique et de la sixième extinction des espèces. Les activités humaines en cause dans la production de ce phénomène ne sont pas d’une nature abstraite : ce sont des activités économiques régies par la dynamique d’accumulation du capitalisme. Le refus de ce constat pour des raisons idéologiques empêche le Gouvernement de se saisir adéquatement du problème écologique.
La commission des affaires étrangères est l’endroit où poser cette question décisive : quel rôle la France peut-elle jouer pour contribuer à réorienter les modes de production en fonction des impératifs environnementaux, ici et partout où les peuples le souhaitent ? De ce point de vue, la baisse de l’aide publique au développement est une très mauvaise nouvelle. Elle nous prive de moyens pour financer le développement des énergies renouvelables, l’agriculture vivrière ou encore les capacités techniques et juridiques des communautés ou collectifs défendant l’environnement. De même, la baisse drastique des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables est, comme l’indique l’avis budgétaire de la rapporteure, « bien loin de l’engagement du premier ministre à faire de la réduction de la dette écologique française l’une de ses priorités ». La France est loin de montrer l’exemple à l’international.
Alors que des bombes au phosphore sont très probablement utilisées au Liban et en Palestine par l’armée israélienne, il faut rappeler qu’œuvrer pour la paix revient à protéger les populations civiles et l’environnement. Jean Jaurès a toujours raison : le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. De surcroît, l’étude des conséquences sociales du changement climatique nous apprend que l’orage peut être lourd de guerres lui-même.
Le Haut Conseil pour le climat estimait en 2024 que les politiques publiques ne correspondaient pas aux engagements internationaux de la France pour 2050. Ce budget acte un nouveau recul et nous place en contradiction avec la parole donnée au reste du monde. Où en est la planification écologique ? La puissance publique n’est-elle pas depuis plusieurs années en train de se dépouiller méthodiquement des moyens de l’assurer ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Si vous voulez dire que certains opérateurs privés manquent de la décence la plus élémentaire dans la gestion des espaces forestiers qui sont la propriété de l’humanité, je ne peux que vous donner raison. Il faut toutefois faire la distinction entre les petits propriétaires privés qui ont intérêt à ce qu’elle reste en bonne santé, qui ont conscience que la forêt doit être gérée et pas seulement prélevée à intervalles réguliers, qui diversifient les peuplements pour les adapter à la réalité du changement climatique et qui mettent en commun leurs moyens dans des groupements pour une gestion plus fine, et les grandes entreprises qui exploitent la forêt sans aucun souci de durabilité, qui ne se donnent pas la peine de replanter et qui terrorisent ou exploitent la force de travail de la population riveraine et autochtone. Les exemples sont légion. La France y a souvent prêté la main ; elle le fait peut-être encore, même si on en parle moins. La crédibilité du One Forest Summit a été entachée par le fait qu’il était co-organisé par le Gabon, qui a parfois livré sa forêt à la soif de profit d’opérateurs étrangers, y compris français.
Un consensus semble se dégager : plutôt que regarder en pleurant les dégâts que le changement climatique inflige à la forêt, il est nécessaire d’adopter des mesures pour lui permettre de jouer pleinement son rôle d’amortisseur. Je retiens que vous êtes prêt à travailler avec moi non seulement sur les conséquences, mais aussi sur les causes de l’organisation du marché du bois. Compte tenu du délai imparti, le rapport est succinct sur l’aval de la filière qui reste opaque. Sans mépris pour ceux qui travaillent la forêt et ceux qui la replantent, il semblerait, à partir des témoignages qui nous sont remontés, que ce soit organisé de façon assez cynique.
Mme Pascale Got (SOC). Le budget 2025 de la mission Écologie, développement et mobilité durables est insuffisant pour résorber la dette écologique et menace d’affaiblir notre crédibilité dans les négociations internationales. Dois-je rappeler les déclarations à la COP21, au G20 et à l’Organisation des Nations unies (ONU) dans lesquelles notre pays s’est positionné comme leader mondial de la lutte contre le réchauffement climatique ? Si la France se détourne de ses ambitions à l’échelle nationale, comment peut-elle se prétendre un modèle pour les autres pays de l’Europe ? La baisse significative du financement des dispositifs nationaux, à rebours des engagements de la France, envoie un signal contraire à nos partenaires. Cela revient à accepter la prédominance de la Chine, qui rafle les marchés du solaire, de l’éolien et de la voiture électrique sur le seul critère du prix, et non sur celui de l’appréciation environnementale.
Outre notre crédibilité, c’est l’accompagnement social de la transition écologique qui est affecté. D’une part, la réduction de 500 millions d’euros des subventions à l’achat de véhicules électriques est assez surprenante : alors que le coût des véhicules reste élevé, ces coupes excluent de nombreux ménages du passage à une mobilité propre, particulièrement dans les territoires ruraux et périurbains, et accentuent, s’il en était besoin, la fracture territoriale. D’autre part, la rationalisation des aides à la rénovation énergétique lèse les foyers modestes qui vivent dans des passoires thermiques et qui ont besoin d’aide. La transition écologique doit être une opportunité pour tous, pas seulement pour ceux qui ont les moyens.
Par ailleurs, ce budget peut être vécu comme un pied de nez à l’accompagnement de l’action territoriale avec la baisse significative du financement de plusieurs programmes stratégiques comme ceux relatifs aux Affaires maritimes, pêche et aquaculture, Paysages, eau et biodiversité ou encore Énergie, climat et après-mines. Ce sont autant de choix budgétaires qui freineront l’évolution vers des pratiques vertueuses. Je dénonce également le coup de rabot de 1,5 milliard d’euros donné au fonds vert, qui complexifiera les projets de rénovation énergétique et limitera la prévention des risques d’incendie de forêt ainsi que le soutien aux zones à faibles émissions de gaz à effet de serre.
Ce budget envoie un signal contradictoire aux entreprises, aux ménages et aux collectivités locales. Le groupe socialiste votera contre.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Vous avez plus de talent que moi pour traiter plusieurs sujets en peu de temps. J’insisterai sur deux d’entre eux.
Le premier est l’absence d’ambition de la France et de l’Europe en matière de relocalisation des technologies énergétiquement responsables, qu’il s’agisse des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques. Après quelques années d’efforts, nous nous résignons visiblement à ce que toute la production parte en Chine. Pour ma part, je pense que l’indépendance énergétique du pays serait mieux garantie si nous faisions l’effort de privilégier les emplois locaux. Certaines régions en sont conscientes et se sont positionnées sur la formation à ces métiers.
Deuxièmement, au risque de susciter la colère de mes camarades du groupe Écologiste et Social, je suis d’une grande prudence s’agissant du passage aux véhicules électriques à marche forcée. La plus grande partie des émissions d’un véhicule a lieu lors de sa fabrication et de son élimination, et je préfère une petite voiture thermique d’une tonne utilisée pendant trente ans à un SUV électrique de 2 200 kg. Si le malus pour les véhicules lourds est une bonne chose et bien que je regrette la baisse des aides à l’acquisition d’un véhicule électrique pour les ménages modestes, qu’il est hors de question de culpabiliser, il me semble que notre politique en la matière n’est pas aboutie et mériterait d’être réexaminée.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Je remercie Mme Voynet pour ce rapport riche qui nous alerte sur l’état des forêts et formule des recommandations intéressantes pour améliorer la situation. Pour ma part, je m’en tiendrai à des considérations concernant le budget de la mission.
En 2023, le sixième rapport du GIEC estimait que nous atteindrions les 1,5 °C de réchauffement d’ici à 2030, bien plus tôt que ne le prévoyait l’accord de Paris. Les effets de ce réchauffement – incendies, canicules, inondations, tempêtes, fonte des glaciers et du permafrost, montée des eaux – sont déjà visibles et les réfugiés climatiques se comptent chaque année par dizaines de millions. Tous les indicateurs montrent que l’heure est à l’urgence. Michel Barnier semble en avoir conscience puisqu’il a déclaré dans son discours de politique générale que la dette écologique était une véritable épée de Damoclès.
Le projet de loi de finances pour 2025 n’est pourtant pas à la hauteur des enjeux. Les crédits alloués à la mission Écologie, développement et mobilité durables sont en baisse de 10 %, ceux du fonds vert se sont effondrés de 60 % par rapport à l’année dernière et la prime à la rénovation pour les ménages a été rabotée de plus de 1 milliard d’euros. En plus de rogner sur le budget de l’écologie, le Gouvernement envoie des signaux contradictoires sur la décarbonation : tout en incitant les Français à se tourner vers les véhicules et le chauffage électriques, il augmente les taxes sur l’électricité. Enfin, une grande partie du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre repose sur la construction de six réacteurs nucléaires. C’est une fausse bonne idée : les réacteurs coûtent cher et ne seront pas opérationnels avant 2040. Il faut agir dès maintenant pour préserver l’environnement et lutter contre le dérèglement climatique. Cela passe par les énergies renouvelables.
En avril dernier, la Commission européenne a estimé que les actions entreprises par Paris ne permettraient pas d’atteindre les objectifs d’installation d’infrastructures d’énergies renouvelables fixés pour 2030. Plutôt que de multiplier les effets d’annonce, le Gouvernement ferait bien de prendre ses responsabilités et de se donner les moyens de l’action.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Si certains n’ont pas encore compris que les politiques écologiques étaient avant tout des politiques d’investissement qui méritent d’être financées pour nous épargner à l’avenir des catastrophes naturelles et des désastres humains, je suis désolée pour eux. Je constate que l’été pluvieux a balayé les préoccupations de l’année dernière. Faut-il attendre une sécheresse que l’on présentera comme historique l’année prochaine, et qui sera dépassée l’année suivante, pour relancer l’investissement dans les politiques énergétiques et environnementales ? Je plaide pour une politique qui tienne dans la durée, sans être soumise aux coups de boutoir des élections et au chaos des agences de notation et qui permette d’agir sur les causes.
J’ai été à l’origine du premier programme national de lutte contre le changement climatique en 1999. À l’époque, il était urgent de remplacer les 7 millions de chaudières au fioul, jugées comme des équipements coûteux et polluants. Un quart de siècle plus tard, il en reste 5,5 millions. En vingt-cinq ans, nous avons supprimé 1,5 million de vieilles chaudières ; si nous continuons comme cela, nous n’en serons pas débarrassés avant 2100.
Mme Maud Petit (Dem). Je vous remercie pour ce rapport très instructif. L’année 2024 est en passe d’être classée comme la plus chaude jamais enregistrée ; les canicules et les inondations se multiplient. La lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité sont des urgences pour lesquelles nous devons continuer d’agir résolument.
Dans un contexte budgétaire contraint, le budget de la mission Écologie est doté de 20,5 milliards d’euros. Cela représente, il est vrai, une diminution de 1,1 milliard d’euros par rapport à 2024. Je tiens toutefois à souligner que les efforts seront maintenus afin d’atteindre les objectifs internationaux, européens et nationaux réaffirmés en 2022 lors de la COP15. La stratégie nationale pour la biodiversité verra ainsi ses moyens fixés à 441 millions d’euros, ce qui correspond aux crédits consommés en 2024.
Nous devons tous nous mobiliser pour réorienter les finances au service du climat. La prochaine étape sera la COP29, qui se déroulera à Bakou du 11 au 22 novembre 2024 et durant laquelle un nouvel objectif pour le financement collectif de l’action diplomatique devrait être fixé à partir d’un plancher de 100 milliards de dollars, en tenant compte des besoins et des priorités des pays en développement. Un appel à une trêve mondiale – les activités militaires étant la source de 5 à 6 % des émissions de gaz à effet de serre – sera lancé et des initiatives telles que les corridors et zones d’énergie verte ou l’accélération de l’action climatique dans le tourisme seront abordées.
Au groupe Les Démocrates, nous ne doutons pas que notre pays œuvrera pleinement à faire une priorité de l’action climatique et de la transition dans le monde en développement. Le partenariat Nord-Sud qui devrait être formalisé à la COP29 est primordial pour avancer en ce sens. En tant qu’ancienne ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, que pensez-vous que nous puissions attendre de ce sommet ? Pouvez-vous faire une incise sur la forêt dans les départements et collectivités d’outre-mer, qui représentent une part non négligeable de la surface boisée, notamment en Guyane ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Je compatis presque à votre difficulté à identifier, dans un budget amputé de près de 10 %, des secteurs pour lesquels l’effort est peu ou prou maintenu. C’est certes le cas de la stratégie nationale pour la biodiversité mais les crédits alloués à la biodiversité dans le PLF pour 2025 sont, je le répète, en baisse.
Vous m’interrogez sur les engagements que la France pourrait prendre, dans la perspective de la COP29, en vue de renforcer les partenariats entre le Nord et le Sud. Pour avoir participé personnellement à plusieurs conférences des parties, je peux témoigner de ce que la parole de la France et de l’Europe, perçues comme capables de faire le lien entre les pays indifférents à ces questions et les pays souffrant des conséquences du changement climatique, a longtemps été jugée importante, et même essentielle. Je crains que cette influence ne se soit franchement érodée car, si nous parlons beaucoup, nous agissons peu. Or les pays du Sud veulent désormais savoir comment nous entendons passer à l’action. À ce titre, l’effondrement des crédits consacrés à l’aide publique au développement sera perçu avec beaucoup d’inquiétude à travers le monde.
La forêt guyanaise constitue un patrimoine exceptionnel, qui a la chance de ne pas être encore traversé par des routes qui faciliteraient l’irruption de trop nombreuses communautés et activités humaines : le sentier des Émerillons, par exemple, n’est emprunté que par les Amérindiens et les soldats de la Légion étrangère, qui y vont à pied. L’orpaillage fait néanmoins déjà des dégâts considérables qui, s’ils sont peut-être plus visibles sur l’eau, affectent également la forêt, tant ces écosystèmes sont intriqués. Notre pays doit donc se doter des moyens nécessaires, au-delà des crédits dont dispose le Parc amazonien de Guyane, qui fait un travail considérable, pour préserver ce qui est un trésor de l’humanité, et non simplement une possession de la France.
M. Bertrand Bouyx (HOR). La transition écologique représente un défi majeur et nécessitera une transformation profonde de nos modes de vie si nous voulons assurer un avenir durable aux générations futures. Les moyens doivent être à la hauteur des enjeux, qui sont nombreux et primordiaux. Le budget qui y sera consacré atteindra 16,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement.
Le groupe Horizons salue les investissements prévus en faveur des énergies renouvelables, notamment dans les études de dérisquage des champs d’éoliennes en mer, qui visent à installer les parcs tout en veillant à la protection de la biodiversité – élu dans une circonscription littorale, j’y suis particulièrement attentif. Il est urgent de décarboner notre mix énergétique en nous appuyant sur la complémentarité du nucléaire et des énergies renouvelables. Parallèlement, les investissements prévus en faveur de la stratégie nationale pour la biodiversité, pour la sûreté nucléaire et pour la recherche seront des armes indispensables pour répondre aux défis de demain.
La diminution exceptionnelle des émissions de gaz à effet de serre de la France, de 5,8 % en 2023 par rapport à 2022, s’est confirmée au premier trimestre 2024 par une nouvelle baisse de 5,3 % par rapport à l’année dernière. Ces résultats nous placent sur la trajectoire prévue dans les accords de Paris de 2015. Nous ne devons pas relâcher nos efforts : il y va de notre crédibilité. C’est pourquoi le groupe Horizons soutiendra les engagements prévus dans le budget pour 2025.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Nous serons au moins d’accord sur un point : ce qui nous est proposé est – un peu – mieux que rien.
Vous avez raison de souligner qu’un des plus grands défis consiste à accompagner l’évolution des modes de vie. Forte de mes convictions écologistes et de gauche, je serai très attentive à ce que cette évolution n’intervienne pas en abandonnant ou en culpabilisant les citoyens au motif, par exemple, qu’ils utilisent une voiture polluante lorsqu’ils vivent dans des endroits dépourvus de transport en commun. Il n’est pas question de pratiquer une écologie punitive ni de promouvoir une société à deux vitesses, avec d’un côté ceux qui peuvent se payer une Prius, manger bio et prendre le train pour partir en vacances et, de l’autre, ceux qui seraient laissés à leur sort et considérés comme de mauvais citoyens, incapables de comprendre les enjeux du changement de monde auquel nous sommes confrontés.
D’importants progrès ont certes été réalisés dans le domaine des énergies renouvelables. Je constate néanmoins qu’entre l’élaboration d’un projet et sa concrétisation, il s’écoule toujours énormément de temps : souvent cinq, six, voire huit ans.
Je souhaite comme vous décarboner le mix énergétique mais je constate que si chacun parle volontiers d’urgence écologique, les définitions du mot « urgence » semblent diverger. Les énergies renouvelables présentent l’avantage de pouvoir être déployées rapidement, là où la construction d’un réacteur de type EPR 2 ou d’un petit réacteur modulaire (SMR) n’adviendra qu’à l’horizon 2035, 2040, voire 2050. Si nous voulons décarboner l’économie, il faut agir dès maintenant, en investissant fortement en faveur des énergies renouvelables, qui sont menacées par des positions politiciennes de court terme que je déplore.
M. le président Bruno Fuchs. Nous passons à présent aux interventions à titre individuel.
M. Michel Guiniot (RN). Merci pour votre rapport détaillé et particulièrement axé sur l’enjeu forestier. Je partage certaines de vos préoccupations, notamment la nécessité de mieux connaître notre patrimoine forestier pour le préserver, qui fait l’objet de votre recommandation 16.
Vous regrettez la baisse de 10 % infligée aux crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables. Il apparaît pourtant, dans le programme 345, que les fonds dédiés à l’éolien restent constants. Les projets d’installation privés sont, faut-il le rappeler, soutenus par l’État et l’énergie produite par ces entreprises privées est rachetée à des prix supérieurs aux coûts de production, tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse. Les éoliennes terrestres défigurent les paysages, ravagent durablement les terres et nuisent à la flore et à la faune. Leurs impacts sur les populations avoisinantes sont décriés et connus – sans parler de l’éolien en mer. En cessant de soutenir l’éolien, ce sont près de 824,3 millions d’euros que nous pourrions affecter à des dépenses plus utiles, par exemple en renforçant le budget de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).
Seriez-vous favorable à ce que nous mettions un terme à ces subventions paradoxales pour financer de vrais projets écologiques ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Votre intervention avait bien commencé : votre engagement en faveur de la forêt me semble tout à fait bienvenu. Vous en êtes toutefois rapidement venu à l’une des obsessions de votre parti politique : pénaliser l’éolien. Pour m’être renseignée sur la question, je sais que, malgré votre campagne de terrain active, aucun projet n’a été abandonné par son promoteur ; en général, la commune concernée. Il est vrai, par ailleurs, que de plus en plus de territoires demandent que les éoliennes ne soient pas installées n’importe où, n’importe comment ni à n’importe quel prix, mais que les implantations soient adaptées au terrain, respectent les paysages et permettent de limiter les impacts, par exemple sonores, sur les habitants.
Ce qui m’importe, c’est que nous ne restions pas l’arme au pied jusqu’en 2040 en espérant qu’une solution magique émerge. Aucune source d’énergie n’est parfaite. Seulement, nous ne nous sommes pas donné les moyens d’utiliser au mieux les atouts de chacune d’entre elles. L’éolien, ce n’est pas du vent : nous en avons besoin pour produire de l’électricité. Je rappelle en outre que la France compte 258 481 pylônes électriques en exploitation. Or je n’ai jamais entendu des collectifs de citoyens ni des partis politiques protester contre certaines lignes à très haute tension qui balafrent les paysages.
M. Michel Guiniot (RN). Il ne s’agit pas tant d’une obsession du Rassemblement national que d’un intérêt personnel. J’ai en tête l’exemple de quatre parcs éoliens récemment annulés après avoir reçu un avis négatif des commissaires enquêteurs.
M. Marc de Fleurian (RN). Je comptais vous interroger sur les récentes inondations mais je suis contraint d’utiliser mon temps de parole pour réagir à vos propos : vous avez évoqué les « coups de boutoir des élections », comme si l’expression souveraine et démocratique du peuple français pouvait représenter un problème pour les hommes et les femmes politiques que nous sommes. Je ne peux pas laisser passer une telle sortie : chaque fois que vous évoquerez les résultats des élections comme un problème, je vous reprocherai cette conception selon laquelle le politique devrait imposer sa vision, comme un curé sermonnerait la population au motif qu’elle aurait mal voté.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Je suis plus que suspicieuse quant à votre affirmation : il ne me semble pas avoir prononcé ces mots. Il existerait de nombreuses raisons de contester les dernières élections, notamment la longue vacance à la tête de l’État qu’elles ont occasionné et le temps qui s’est écoulé avant la nomination d’un gouvernement capable de prendre les problèmes à bras-le-corps – chacun voit comment la dette a évolué en quelques mois et combien elle pèsera sur nos décisions futures. Peut-être y reviendrons-nous quand vous aurez relu le contenu de mon intervention. Je regrette que vous ayez préféré inventer des formules plutôt que traiter du sujet que vous comptiez aborder.
M. Marc de Fleurian (RN). Vous consulterez la vidéo !
*
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-AE3 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Bien que mal connue, l’activité portuaire de la France, qui génère une valeur ajoutée de plus de 15 milliards d’euros et représente environ 180 000 emplois directs, est un atout considérable. Malgré l’avantage incomparable que nous offre le fait de posséder le deuxième domaine maritime du monde, un rapport sénatorial soulignait en 2020 que les ports français souffrent encore d’un manque de compétitivité et d’une absence de vision stratégique à long terme ; et pour cause : le budget alloué à la stratégie portuaire n’a cessé de diminuer depuis 2019. Depuis 2016, les rapports se succèdent ainsi pour pointer des résultats décevants, des occasions manquées mais aussi des potentialités à exploiter. Tout cela révèle une inertie préoccupante de l’État, en contradiction avec le déploiement d’une véritable stratégie nationale portuaire, pourtant annoncée par Emmanuel Macron en 2017. En conséquence, le retard pris par la France représenterait 30 000 à 70 000 emplois perdus dans la filière des conteneurs.
Alors que le rapport sénatorial préconisait de doubler les crédits alloués à la stratégie portuaire, le PLF pour 2025 est une énième occasion manquée. D’une part, il prévoit une baisse draconienne des crédits versés par l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT France) au titre de la modernisation et du développement des infrastructures portuaires. D’autre part, il ne procède à aucune revalorisation des crédits alloués à l’entretien des ports.
Je propose donc d’abonder l’action Ports de 8 millions d’euros, pour qu’elle retrouve un niveau de crédits équivalents à celui de 2019. Les fonds nécessaires seraient prélevés sur le financement des études consacrées au développement de l’éolien en mer.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Votre amendement illustre bien la fixation du Rassemblement national sur l’éolien. En Europe, les énergies renouvelables représentent pourtant désormais 23 % de la consommation énergétique finale, soit davantage que le nucléaire. Cette proportion considérable augmente d’année en année, y compris dans des pays que vous regardez d’habitude avec beaucoup de sympathie, comme l’Italie, où l’éolien représente 15,1 % de la production nette d’électricité.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Dans ma circonscription se trouvent à la fois le port du Havre et une usine de fabrication d’éoliennes. J’insiste donc sur la nécessité de ne pas opposer ces deux activités : l’usine fait fonctionner le port, les éoliennes étant acheminées vers les lieux d’implantation par la mer. Lorsque le Rassemblement national a défendu l’idée que vous venez de promouvoir pendant la campagne des élections européennes, les travailleurs de l’usine – qui sont un peu plus d’un millier, pour près de 5 000 emplois indirects sur l’ensemble du territoire – ont pu constater que si votre programme était appliqué, ils perdraient leur travail.
J’ajoute que, même s’il est vrai qu’on a toujours besoin d’investissements, les bateaux de croisière ou les navires fluviaux qui restent à quai dans les ports sont désormais connectés au réseau électrique : au Havre, en tout cas, on ne voit plus monter les colonnes de fumée qui polluaient auparavant les abords du centre-ville. Les gestionnaires des ports, dont je fais partie en tant que membre du conseil de développement, prennent donc des dispositions pour faire évoluer le commerce international. La compagnie française CMA CGM a par exemple beaucoup investi dans des porte-conteneurs propulsés au gaz, tandis que la société havraise TOWT (TransOceanic Wind Transport) développe le transport vélique à partir de voiliers cargos capables de transporter des marchandises à travers l’Atlantique. Si les chantiers navals n’avaient pas été fermés du fait des politiques conduites ces dernières années, ces cargos auraient d’ailleurs été totalement fabriqués en France.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE1 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Alors que le premier ministre avait promis un exercice budgétaire placé sous le signe de la maîtrise des dépenses, les Français verront finalement leur facture d’électricité augmenter. Ils financeront également, à hauteur de 4 milliards d’euros, le soutien aux énergies renouvelables électriques, dont 800 millions pour le développement des énergies intermittentes, à savoir l’éolien terrestre et offshore.
Ces sources d’énergie, en plus d’être inefficaces, coûtent à la collectivité : leur développement dépend principalement de subventions publiques et elles ne vivent que grâce à des tarifs d’achat garantis qui faussent le marché. Leur rendement est en outre presque anecdotique : le plus grand parc éolien offshore de France, à Saint-Nazaire, s’étend sur 7 800 hectares, soit l’équivalent de la superficie de la ville de Limoges, et a produit environ 1,5 térawattheure en 2023, alors que la centrale nucléaire de Gravelines produit 28,8 térawattheures par an pour seulement 75 hectares occupés, soit cent fois moins de place pour vingt fois plus d’électricité. Le rendement de l’éolien terrestre est encore plus catastrophique et la construction frénétique de ces structures métalliques est parfois décidée sans l’assentiment des communes concernées. La politique de stigmatisation de l’artificialisation des sols s’arrête d’ailleurs là où commence l’influence du lobby éolien.
Plutôt que de poursuivre cet acharnement faussement écologique, il est possible d’atteindre la neutralité carbone à moyen terme, notamment grâce au nucléaire, complété d’un recours à l’hydroélectricité, qui ne souffre pas de l’intermittence.
En attendant la présentation d’un grand plan de relance du nucléaire, l’heure est aux économies. L’amendement vise donc à revenir sur les crédits alloués au développement de l’éolien terrestre et offshore.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Je suis toujours un peu malheureuse quand on aborde les questions énergétiques dans une assemblée parlementaire. J’espère ne faire insulte à personne en soulignant que de nombreux députés – je ne prétends pas que c’est votre cas – n’ont pour seule source d’information en la matière qu’une bande dessinée très populaire écrite par un polytechnicien. La plupart des concepteurs de la politique énergétique de la France, très présents chez EDF, Orano ou au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sont d’ailleurs issus de Polytechnique et du corps des Mines.
Même s’il est difficile de se battre quand on ne dispose que d’une minute pour exposer ses idées, je le ferai en rappelant que les éoliennes, le photovoltaïque ou encore le bois-énergie se développent partout en Europe. Seule la France continue à répéter « nucléaire, nucléaire, nucléaire ! » comme un mantra et à caricaturer les autres sources d’énergie. Vous qui dénoncez l’artificialisation des sols qu’entraînerait la construction des éoliennes, je vous invite à aller visiter une centrale nucléaire pour constater la quantité de béton à couler pour en construire une.
J’aurais aimé que nous puissions approfondir le débat, par exemple dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie mais celle-ci n’a pas été présentée. Il est difficile de concevoir une politique énergétique au coup par coup, par petits morceaux et à l’occasion d’un débat budgétaire préparé dans les conditions que vous connaissez. Avis défavorable sur cet amendement.
M. Frédéric Petit (Dem). Mon groupe votera contre cet amendement. Le rendement d’une installation énergétique ne s’apprécie pas au regard de sa superficie : avec un tel raisonnement, évaluer le rendement d’une centrale hydroélectrique supposerait de prendre en compte toute la rivière qui l’alimente. Le rendement désigne la part de l’énergie latente présente dans la nature que l’installation permet de capter. Je rejoins donc la rapporteure sur la nécessité de maîtriser correctement ces concepts.
En revanche, je ne suis pas d’accord pour dire que nous miserions tout sur le seul nucléaire : nous avons défini un plan qui prévoit de s’appuyer à la fois sur le nucléaire et sur le développement intensif des énergies renouvelables. Les deux sont nécessaires, l’important étant que les différentes sources d’énergie obéissent à des phasages différents et complémentaires, pour que le réseau fonctionne correctement. Il faut, pour faire simple, 50 % d’énergies pilotables et 50 % d’énergies latentes comme le vent, qui permettent de réduire d’environ un quart la quantité d’énergie que nous pomperions sinon dans la nature.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE4 de Mme Marine Hamelet
Mme Marine Hamelet (RN). La lecture du PLF laisse perplexe quant à la vision stratégique du Gouvernement : d’un côté, les organismes œuvrant pour la sûreté nucléaire voient leur budget diminuer ou stagner : de l’autre, les crédits de l’Agence de la transition écologique (ADEME) n’ont cessé d’augmenter pour dépasser les 900 millions d’euros, contre 540 millions en 2021.
Or cette agence souffre d’un biais idéologique congénital qui la pousse parfois à délaisser tout pragmatisme au profit d’un dogme faussement écologique. Dans son étude intitulée « Trajectoires d’évolution du mix électrique à horizon 2020-2060 », présentée en 2019, elle recommande ainsi d’accélérer la fermeture des centrales nucléaires au motif que leurs coûts de production trop bas gênent le déploiement des énergies renouvelables, handicapées par ce concurrent trop efficace. C’est en partie à cause de ce genre d’agences, gangrenées par un lobby puissant, que notre filière nucléaire, pourtant jadis à la pointe de la technologie, a pris du retard.
L’ADEME soutient en outre pléthore de projets dont l’utilité réelle paraît obscure et dont on se demande s’il est responsable, ou même utile, de les financer en période de disette budgétaire. Je pense par exemple à l’objectif consistant à « intégrer la dimension “Adaptation” dans l’ensemble des actions de l’agence pour accompagner tous les acteurs dans la définition et la mise en œuvre de trajectoires Climat, conjuguant atténuation et adaptation ».
Le Gouvernement explique qu’il faut rationaliser les dépenses. Cette exigence doit également s’appliquer à l’ADEME. Je propose donc de ramener les crédits qui lui sont alloués au niveau fixé dans la loi de finances pour 2021.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Tout ce qui est excessif est insignifiant. L’ADEME travaille non seulement sur la transition énergétique mais aussi sur des solutions innovantes de traitement des déchets, sur la pollution des sols, ou encore sur la lutte contre le bruit. Je ne sais pas à quel lobby puissant vous faites référence – j’aimerais bien que le lobby de l’écologie le soit davantage, pour ne rien vous cacher –, mais je constate que vous mettez en cause des politiques indispensables pour adopter les stratégies les plus efficaces, qui supposent non seulement de combiner les énergies renouvelables et d’autres que je ne souhaite pas voir se développer, comme le nucléaire, mais aussi d’améliorer l’efficacité énergétique et de promouvoir la sobriété.
Faciliter l’évolution des habitudes de consommation est essentiel. Alors que les consommateurs sont soumis à des publicités promouvant de façon incessante des comportements voraces en énergie, il est nécessaire de contrebalancer cette tendance, comme l’ADEME s’efforce de le faire. J’imagine que nombreux sont dans cette salle ceux qui considèrent qu’elle ne mérite pas d’être ainsi caricaturée.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Il semblerait que le Rassemblement national s’en tienne toujours aux mêmes recettes. Quand vous arrivez aux commandes d’une commune, la première chose que vous faites, c’est de supprimer les subventions aux associations de solidarité. Quand vous arrivez à l’Assemblée nationale, votre première idée, c’est de supprimer les subventions d’agences de l’État compétentes, dont l’action est nécessaire dans le cadre de la planification écologique.
Je rejoins pleinement les propos de mon collègue du Havre. À Brest, un immense polder a été construit pour accueillir des usines et des centres de fabrication dans le secteur des énergies renouvelables. Les Brestoises et les Brestois seront ravis d’apprendre que le Rassemblement national ne souhaite pas que des secteurs pourvoyeurs d’emplois y soient développés alors que les infrastructures nécessaires existent déjà. Cessez donc d’agiter ce genre de propositions idéologiques et soyez utiles, pour une fois.
Mme Marine Hamelet (RN). Je n’ai jamais prétendu vouloir supprimer les crédits de l’ADEME : il s’agit simplement de les ramener à leur niveau de 2021. Ne caricaturez pas !
M. le président Bruno Fuchs. J’espère, chers collègues, que nous serons capables de débattre dans le respect de chacun, malgré les divergences claires qui peuvent s’exprimer.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-AE2 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) assure des missions de service public essentielles, dont nous souhaitons qu’elles se développent : réalisation de l’inventaire national des déchets radioactifs, assainissement de sites ou reprise de déchets orphelins lorsque le principe pollueur-payeur ne peut être appliqué, financement d’opérations d’élimination des déchets chimiques. Elle est également, en sa qualité de maître d’ouvrage, chargée des études de recherche et de conception industrielle du projet Cigéo – centre industriel de stockage géologique – dont les installations sont situées dans la Meuse, l’Aube et dans mon département de la Haute-Marne. Il consiste à stocker en couches géologiques profondes des déchets radioactifs de haute et de moyennes activités à vie longue.
Dans la perspective du grand plan de relance du nucléaire que le Rassemblement national appelle de ses vœux, l’ANDRA aura un rôle fondamental à jouer. Ses crédits ne sont pourtant pas revalorisés depuis 2023, malgré l’inflation. Je propose donc de renforcer les fonds alloués à l’ANDRA à hauteur de 266 960 euros, pour couvrir l’inflation observée depuis 2023.
Mme Dominique Voynet, rapporteure pour avis. Vous me donnez l’occasion de dire quelques mots de la loi Bataille et de son application depuis la décision d’ouvrir un laboratoire expérimental sur le site Cigéo. Cette loi prévoyait d’explorer différentes hypothèses de prise en charge à long terme des déchets radioactifs de hautes activités à vie longue : dans les couches géologiques profondes – granit et argile –, en sub-surface, ou dans des piscines à proximité des sites de production. C’est cette dernière hypothèse qui est actuellement appliquée : près de 70 tonnes de plutonium sur étagère sont stockées à La Hague et des milliers de tonnes de déchets de haute activité à vie longue demeurent sur le territoire national. L’existence d’un unique laboratoire destiné à explorer la faisabilité et la réversibilité du stockage dans les couches géologiques profondes en Haute-Marne ne respecte donc pas totalement les exigences de la loi Bataille.
Jusqu’à preuve du contraire, l’ANDRA dispose des crédits qui lui sont nécessaires et n’a formulé aucune demande budgétaire. On peut donc considérer que votre amendement relève d’une approche idéologique de soutien au nucléaire plutôt que du souci de répondre à un réel besoin.
M. Frédéric Petit (Dem). Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : si certains opérateurs posent problème, ils ne sont pas les seuls responsables. Je rappelle que nous-mêmes, en tant que parlementaires, siégeons dans leurs conseils d’administration. Voilà plusieurs années que je propose que nous leur consacrions des débats spécifiques impliquant les administrateurs nommés. La gestion de l’ADEME, par exemple, a beaucoup évolué ces deux dernières années, parce que son directeur a été choisi sur la base de son projet et que le Parlement a accepté sa nomination, contrairement à celle du premier nom proposé par l’Exécutif. Nous avons un rôle à jouer en la matière : assumons-le.
La commission rejette l’amendement.
Puis, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables.
annexe n° 1 : synthèse des recommandations
de la rapporteure pour avis
annexe n° 2 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
(par ordre chronologique)
M. François Bonnet, directeur général adjoint de l’Office national des forêts (ONF) ;
M. Pascal Douard, expert de la filiale internationale de l’ONF ;
M. Vincent Ott, vice-président du centre national de la propriété forestière (CNPF) ;
M. Roland de Lary, directeur général du CNPF ;
Mme Marie-Hélène Loison, directrice générale adjointe de l’Agence française de développement (AFD) ;
Table-ronde avec des organisations non gouvernementales et associations environnementales, à laquelle ont participé :
- M. Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises au sein de l’association Canopée ;
- M. Christophe Chauvin, pilote du réseau forêt de France Nature Environnement ;
- Mme Julie Marsaud, chargée du plaidoyer « forêt » de WWF France ;
- M. Nicolas Luigi, délégué général de Pro Silva France ;
- M. Antoine Cadoret, directeur de Pro Silva France.
M. Lionel Say, directeur général de la coopérative forestière de propriétaires de forêts privées (CFBL) ;
M. Patrice Hirbec, président de la section française du groupe forêts de l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ;
M. Anthony Brosse, député, président du groupe d’études forêt et filière bois de l’Assemblée nationale (XVIe législature).
([1]) Chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
([2]) Rapport intermédiaire sur « Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone », direction générale du Trésor, 5 décembre 2023.
([3]) « Budget 2025 : les voitures thermiques et hybrides seront plus taxées, les véhicules 100 % électrique moins aidés », Damien Dole, Libération, 10 octobre 2024.
([4]) Certains dispositifs méritent sans doute une réforme à l’instar de la prime à la conversion, qui bénéficie de manière indifférenciée à l’ensemble des entreprises souhaitant acquérir un véhicule propre sans être ciblé sur des secteurs soumis à une concurrence internationale, ni sur des entreprises rencontrant des difficultés de financement du verdissement de leur flotte. L’inspection générale des finances a d’ailleurs documenté avec précision ce point. Voir : « Revue de dépenses : les aides aux entreprises », Marc Auberger, Claire Bayé, Louise Anfray et Ilyes Bennaceur, inspection générale des finances, mars 2024.
([5]) « En Allemagne, la chute des ventes de voitures électriques fragilise l’industrie de la batterie », Cécile Boutelet, Le Monde, 6 juillet 2024.
([6]) « Budget et climat : Pistes de réforme pour le projet loi de finances 2025 », billet d’analyse, I4CE, Institute for Climate Economics, 2 octobre 2024.
([7]) Sera retenue dans le cadre de ces développements la définition des forêts donnée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à savoir des terres occupant une superficie de plus de 0,5 hectare avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert forestier de plus de 10 %, ou avec des arbres capables d’atteindre ces seuils. Sont exclues les terres à vocation agricole prédominante (par exemple, les champs agroforestiers).
([8]) Pour la métropole, 4,4 millions d’hectares, dont un tiers appartenant à l’État et les deux tiers restant à d’autres propriétaires forestiers publics, notamment des collectivités territoriales ; dans les territoires d’outre-mer, la quasi-totalité des 6 millions d’hectares, principalement situés en Guyane.
([9]) Les niveaux de chaleur et de sécheresse historiques que connaît l’Amazonie ont été documentés par la communauté scientifique. Voir notamment : « The new record of drought and warmth in the Amazon in 2023 related to regional and global climatic features », Jhan-Carlo Espinoza, Juan Carlos Jimenez, José Antonio Marengo et alii, Scientific Reports 14, 8107 (2024), https://doi.org/10.1038/s41598-024-58782-5.
([10]) La situation des forêts dans le monde, innovations dans le secteur forestier pour un avenir plus durable, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Rome, 2024.
([11]) Rapport d’information n° 1178 sur l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers, Catherine Couturier et Sophie Panonacle, Assemblée nationale,
2 mai 2023 (XVIe législature).
([12]) « L’Office national des forêts et le défi de la transition écologique », rapport public thématique de la Cour des comptes, septembre 2024.
([13]) Rapport d’information de l’Assemblée nationale déjà mentionné.
([14]) « La brutale disparition des forêts d’épicéas dans l’est de la France », Perrine Mouterde, Le Monde, 12 avril 2021.
([15]) Un premier diagnostic, réalisé en 2019, a ainsi souligné la disparition de 47 000 chênes pédonculés. « Chantilly, forêt en péril et laboratoire de l’adaptation au réchauffement », Florence Traullé, Le Monde, 25 juin 2022.
([16]) Rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture déjà mentionné.
([17]) Mission de parangonnage sur la gestion de l’équilibre forêts-ongulés en Allemagne, Alain Perea, Catherine Lhote, Jean-Philippe Torterotot, juin 2024.
([18]) Mission de parangonnage sur la gestion de l’équilibre forêts-ongulés en Allemagne, Alain Perea, Catherine Lhote, Jean-Philippe Torterotot, juin 2024.
([20]) « La forêt française, un puits de carbone en péril », Perrine Mouterde, Le Monde, 6 juin 2023.
([21]) « En Suède, l’exploitation intensive des forêts remise en question », Anne-Françoise Hivert, Le Monde, 3 janvier 2023.
([22]) « En Roumanie, un gigantesque trafic commercial menace l’une des dernières forêts primaires d’Europe »,
([23]) « Ikea, le seigneur des forêts », Xavier Deleu et Marianne Kerfriden, documentaire diffusé sur Arte en février 2014.
([24]) Une coupe rase peut être définie comme une « coupe unique portant sur la totalité du peuplement forestier et précédant généralement sa régénération artificielle », selon l’analyse retenue dans le Vocabulaire forestier, écologie, gestion et conservation des espaces boisés d’Yves Bastien et Christian Gauberville, CNPF-IDF, 2011.
([25]) « Coupes rases et renouvellement des peuplements forestiers en contexte de changement climatique », rapport scientifique de l’expertise CRREF, mai 2023.
([26]) « Objectif forêt », rapport du comité spécialisé Gestion durable des forêts en vue de l’élaboration du plan national de renouvellement forestier, 26 juillet 2023.
([27]) Pierre de Ronsard, Élégie, 1584.
([28]) « En forêt comme en ville, pourquoi les Français s’attachent aux arbres », Perrine Mouterde, Le Monde, 6 octobre 2024.
([29]) Le Lidar (Light Detection And Ranging) est une technique de mesure de distance (télémétrie) exploitant les propriétés de la lumière.
([30]) La diligence raisonnée désigne l’ensemble des précautions prises par une entreprise pour évaluer et réduire le risque d’écouler du bois ou des dérivés du bois d’origine illégale.
([31]) De tels accords ont, par exemple, été conclus avec l’Indonésie, le Honduras, le Vietnam ou encore le Libéria.
([32]) Cf. étude d’impact du règlement.
([33]) « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population », Haut Conseil pour le climat, rapport annuel, juin 2024.
([34]) Rapport public de la Cour des comptes, 12 mars 2024.
([35]) « L’Office national des forêts et le défi de la transition écologique », rapport de la Cour des comptes, 19 septembre 2024.
([36]) Rapport annuel de la Cour des comptes déjà cité.
([37]) Pour plus d’informations sur ce sujet, voir notamment : « La taxation des forêts européennes : approche comparative », fondation pour la recherche sur la biodiversité, juillet 2021.
([38]) « Vers une planification de la filière forêt-bois », note d’analyse, France Stratégie, juillet 2023, n° 124.
([39]) Évaluation fournie dans le cadre du règlement dit RDUE.
([40]) Accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (dit accord BBNJ, son acronyme anglais pour Biological diversity of areas Beyond National Jurisdiction).