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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324)
TOME IV
ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
ÉNERGIE
PAR M. Maxime Laisney
Député
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Voir les numéros : 324 (Tome III, annexe 16).
SOMMAIRE
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Pages
1. Un chèque énergie qui reste décalé par rapport aux difficultés sociales
2. Des économies sur les aides au verdissement des véhicules contraires aux ambitions affichées
3. Le message négatif des reculs de MaPrimeRénov’ et du fonds Vert
II. Un bond des dépenses du programme 345 « Service public de l’Énergie » en trompe-l’Œil
3. L’inquiétante réduction concomitante du fonds Chaleur
IV. Une fiscalité de l’énergie qui manque encore de cohérence
1. Une fiscalité dominée par des objectifs de rendement… parfois étrangement contrariés
2. Le besoin d’une meilleure lisibilité et équité de l’usage incitatif des taxes
I. Des coûts massifs pour les réacteurs existants et encore inconnus pour les réacteurs futurs
A. De lourds investissements déjà engagés dans la prolongation et le développement du parc
1. Un programme de « Grand carénage » qui n’est évalué que jusqu’en 2028
2. Des constructions en cours et à venir dont le coût final reste incertain
a. La dérive des coûts de l’EPR de Flamanville 3
b. Des projets d’EPR2 aux budgets toujours à l’étude
B. Des charges de très long terme
1. Les inévitables démantèlements
2. La gestion au long cours des déchets et combustibles usés
C. Le calcul stratégique des coûts complets de production du parc existant
1. Des approches différentes selon l’objectif des calculs réalisés
2. La difficile synthèse pour 2026-2030 : les écarts d’estimation entre EDF et la CRE
II. De lourds impacts à venir pour les consommateurs français
B. Une future régulation qui renverse totalement les choses
1. Une « régulation » qui passera par les marchés
a. Une option non retenue : le prix de vente garanti ou l’approche CfD
b. Des prix avant tout fixés par les marchés et les offres commerciales
c. Le probable maintien des TRVe
a. Un enjeu vital pour les grands électro-intensifs
b. Une option peu accessible aux consommateurs de moindre taille
3. Un retour financier aléatoire pour les consommateurs
liste des personnes auditionnÉes
premiÈre partie :
un projet de budget de l’Énergie qui ne traduit pas les engagements affichÉs par l’État français
Le présent avis porte sur les programmes 174 et 345 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et sur les programmes 793 et 794 du compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale » (Facé), qui concentrent une grande partie des crédits durablement consacrés à la politique énergétique.
Cependant d’autres programmes budgétaires participent ordinairement à la politique énergétique nationale : dans la même mission, les crédits mobilisés pour le fonds « Chaleur » de l’Agence de la transition écologique (Ademe) au sein du programme 181 « Prévention des risques » et une partie du « fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires », dit « fonds Vert », du programme 380 du même nom ; mais également les dotations allouées à la rénovation thermique du parc privé au sein du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat » de la mission « Cohésion des territoires » et la compensation carbone des sites très électro-intensifs au sein du programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie ».
Pour évaluer les prévisions budgétaires pour 2025, il est utile de rappeler les objectifs annoncés par le plan national intégré pour l’énergie et le climat (Pniec) présenté à la Commission européenne par la France en juillet dernier ([1]) : le plan engage notre pays, qui peut être sanctionné si ce plan ne répond pas à ses obligations européennes, et précise les grandes lignes de la future stratégie française de l’énergie et du climat (SFEC) et des programmations pluriannuelles, de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la stratégie nationale bas‑carbone (SNBC), qui déclineront la SFEC et sont actuellement en construction.
Sans se prononcer sur le caractère suffisant des objectifs retenus, on relève néanmoins les ambitions affichées par l’État français, avec des objectifs renforcés en termes de décarbonation du pays, d’efficacité énergétique et de sécurité d’approvisionnement énergétique. Il est question notamment :
– de passer de la cible actuelle de 40 % de réduction brute (sans les réductions des puits de carbone) de nos émissions de gaz à effet de serre à 50 % en 2030 par rapport à 1990, ce qui pourrait, concrètement, nécessiter de doubler le rythme annuel de baisse des émissions dans les prochaines années.
Cela se traduit en particulier par une accélération de la diminution des budgets carbone ([2]) de deux des secteurs les plus émetteurs, les transports et les bâtiments ;
– de porter la part des énergies renouvelables (EnR) dans le secteur des bâtiments à 49 % en 2030, et celle de la chaleur et du froid renouvelables dans la consommation de chaleur et de froid à 45 % en 2030 ;
– et plus globalement, de faire progresser la consommation finale brute d’énergie renouvelable de la France à 570 TWh en 2030, ce qui porterait la part des énergies renouvelables dans la consommation finale totale d’énergie de notre pays à 41,5 % selon les calculs de certains observateurs, alors qu’elle n’était encore que de 20,3 % en 2022.
Enfin, selon les projections du Pniec, la consommation d’électricité devrait augmenter fortement avec l’électrification de nombreux usages, pour passer d’un peu plus du quart de nos consommations d’énergie finales à plus de 50 % à l’horizon de 2050. Or, malgré le choix des derniers gouvernements de relancer massivement la filière nucléaire, cette trajectoire nécessitera de produire au moins 177 TWh supplémentaires d’électricité à partir d’énergies renouvelables en 2035 par rapport à 2022.
Ces divers objectifs supposent des efforts importants à fournir dès les prochaines années. Malheureusement, on ne retrouve pas ce volontarisme dans les prévisions budgétaires du projet de loi de finances pour 2025 : loin s’en faut. Pourtant, les leviers publics – et pas seulement réglementaires – sont cruciaux pour susciter les investissements dans l’efficacité énergétique, la décarbonation des usages et la production d’énergie. La crise des prix de l’énergie de 2021-2023 a certes donné un coup d’accélérateur à ces transitions, en imposant aux Français une forme de sobriété contrainte et en leur faisant réaliser l’utilité de l’électrification. Mais les prix étant désormais redescendus à des niveaux proches de l’avant-crise, l’intérêt de ces investissements dans les énergies renouvelables, la rénovation énergétique des bâtiments, le verdissement de la mobilité, etc., peut fortement baisser si des aides publiques ne viennent pas renforcer leur compétitivité ou leur accessibilité.
I. un programme 174 « ÉNERGIE, climat et aprÈs-mines » en recul et insuffisant À l’heure de la nÉcessaire bifurcation Écologique
Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » finance trois grands ensembles d’actions : des outils et acteurs participant à la mise en œuvre de la politique de l’énergie, l’accompagnement des anciens mineurs et des territoires touchés par les mutations industrielles liées à la transition énergétique, ainsi que l’accompagnement de la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique et pour la qualité de l’air.
Évolution des CrÉdits du programme 174
(En millions d’euros)
Actions |
AE LFI 2024 |
AE PLF 2025 |
Δ AE |
CP LFI 2024 |
CP PLF 2025 |
Δ CP |
01. Politique de l’énergie |
187,3 |
178,5 |
- 4,7 % |
182,7 |
181,1 |
- 0,9 % |
02. Accompagnement transition énergétique |
3 791,9 |
900 |
- 76,3 % |
3 416,2 |
615 |
- 82 % |
03. Aides à l’acquisition de véhicules propres |
1 501 |
970,5 |
- 35,3 % |
1 501 |
970,5 |
- 35,3 % |
04. Gestion économique et sociale de l’après-mines |
270,2 |
256,7 |
- 5 % |
270,2 |
256,7 |
- 5 % |
05. Lutte contre le changement climatique et pour la qualité de l’air |
65,4 |
81,6 |
+ 24,8 % |
63,7 |
78,5 |
+ 23,2 % |
06. Soutien |
1,4 |
6,2 |
+ 359 % |
1,4 |
6,2 |
+ 359 % |
Total |
5 817,2 |
2 393,4 |
- 58,9 % |
5 435,2 |
2 108 |
- 61,2 % |
AE : Autorisations d’engagement. CP : Crédits de paiement
Source : projet annuel de performances 2025.
En 2025, bien que cumulant encore 2,4 milliards d’euros (Md€) en autorisations d’engagement (AE) et 2,1 Md€ en crédits de paiement (CP), le programme 174 perdrait environ 3,4 Md€, soit un recul de 58,9 % de ses autorisations d'engagement et de 61,2 % de ses crédits de paiement.
La régression des moyens est plus marquée encore si l’on prend en compte l’inflation générale des coûts (+ 2,3 % entre juillet 2023 et juillet 2024).
L’essentiel de cette diminution des crédits résulte d’un changement de périmètre : les dotations allouées au dispositif de MaPrimeRénov’, inscrites à hauteur de 2,7 Md€ en autorisations d’engagement et 2,1 Md€ en crédits de paiement par la loi de finances initiale pour 2024, sont désormais rattachées au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat » de la mission « Cohésion des territoires ». Mais cette diminution traduit également d’importantes économies sur les dispositifs stratégiques des aides à l’acquisition de véhicules propres, sans parler du fait que le transfert des crédits de MaPrimeRénov’ s’accompagne d’une forte diminution de leurs montants.
Ces dotations seraient complétées par plus de 6,3 Md€ de dépenses fiscales liées au programme 174. Le projet annuel de performances les prévoit en recul de 220 millions d’euros (M€), mais par rapport à une année 2024 qui aura vu le poids de ces dépenses croître de 2 Md€.
Cela est essentiellement dû à la multiplication par trois des pertes de recettes résultant des exonérations de la taxe sur la masse en ordre de marche en faveur des véhicules de tourisme électriques ou hybrides, qui atteindraient chacune près de 1 Md€ en 2024, mais aussi de la multiplication par deux des dépenses induites par l’allègement du malus CO2 dont bénéficient les véhicules comportant au moins huit places des personnes morales (580 M€ en 2024).
S’agissant des prévisions budgétaires pour le programme 174, les moyens affectés à l’action n° 01 « Politique de l’énergie » baisseraient de 4,7 % (- 8,8 M€) en autorisations d’engagement.
Cette action finance notamment les subventions pour charges de service public au Médiateur de l’énergie (reconduite à 5,5 M€) et à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (maintenue à 3,2 M€). Cette dernière a assuré à votre rapporteur que sa subvention suffit pour financer la publication régulière de l’inventaire national des matières et déchets radioactifs présents en France, des études et quelques autres missions ; ses centres de stockage sont intégralement financés par les producteurs de déchets et le projet Cigéo dispose de modalités de financement propres (voir partie thématique).
L’action n° 01 finance surtout l’accompagnement des fermetures des centrales à charbon et de la centrale nucléaire de Fessenheim (encore 10,8 M€ en AE et 20,1 M€ en CP), la programmation pluriannuelle dans les zones non interconnectées (15 M€) et les études du ministère dans le domaine de l’énergie : 125,4 M€ seraient ainsi consacrés à la préparation du futur appel d’offres de 8 à 10 GW d’éolien en mer, à la cartographie régionale des zones potentiellement favorables au développement de l’éolien terrestre et aux études réalisées par la délégation interministérielle au nouveau nucléaire.
L’action n° 04 « Gestion économique et sociale de l’après-mines », qui finance en particulier diverses prestations aux retraités des mines fermées et de certaines mines et ardoisières en activité, reculerait également de près de 5 % en autorisations d'engagement et crédits de paiement (- 13,5 M€).
L’essentiel de ces prestations est distribué par l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), qui prévoit 206 M€ de dépenses d’intervention en 2025, en baisse de 16 M€ en raison de la diminution des effectifs des ayants droit (69 616 personnes au 31 décembre 2023 contre 82 997 trois ans auparavant).
En sens inverse, les actions n° 05 « Lutte contre le changement climatique et pour la qualité de l’air » et n° 06 « Soutien » verraient leurs dotations renforcées, de 16,2 M€ en autorisations d'engagement (+ 24,8 %) et 14,8 M€ en crédits de paiement (+ 23,2 %) pour la première et de 4,8 M€ en autorisations d'engagement et crédits de paiement (+ 359 %) pour la seconde.
L’action n° 05 porte un ensemble de mesures d’étude, de recueil de données, de surveillance, de contrôle, de diffusion de connaissances, de subvention à des associations et de participation à des instances internationales, avec pour principales finalités la lutte contre l’effet de serre, le suivi de la qualité de l’air et les contrôles techniques des véhicules. Le soutien aux associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa) progresserait d’environ 3 M€ (34,7 M€ en AE et CP).
Quant à l’action n° 06, elle finance des dépenses de fonctionnement comme le contentieux de la direction générale de l’énergie et du climat et la formation des agents.
Les trois-quarts des dotations du programme 174 sont toutefois concentrés sur les actions n° 02 « Accompagnement de la transition énergétique » et n° 03 « Aides à l’acquisition de véhicules propres ». La première ne porte plus que les crédits alloués au chèque énergie, après le transfert des dotations de MaPrimeRénov’ et la seconde finance les principaux soutiens budgétaires au « verdissement » des véhicules.
1. Un chèque énergie qui reste décalé par rapport aux difficultés sociales
Le chèque énergie est attribué aux ménages les plus modestes pour les aider à régler leurs factures d’énergie ou des travaux d’efficacité énergétique. Il a remplacé les tarifs sociaux en 2018 afin de lutter contre le très faible recours à ces aides. De fait, son attribution automatique, des campagnes de relance et la possibilité de pré-affecter le chèque aux fournisseurs des bénéficiaires ont permis de voir son taux d’usage progresser chaque année : le taux d’utilisation du chèque 2023 a ainsi atteint 83,6 %, contre 80,8 % pour le chèque 2020.
Votre rapporteur considère qu’à défaut de corriger les causes de la précarité énergétique, comme la déconnexion des prix des marchés avec la réalité des coûts de production, le chèque énergie a le mérite d’en atténuer l’ampleur. En l’état du système, il importe donc d’en préserver, et même d’en renforcer, l’efficacité. Mais, à terme, il faudra passer à un système qui ne vienne pas financer, avec de l’argent public, les profits indus des énergéticiens en période de crise.
En ce qui concerne l’automaticité, l’article 60 du projet de loi de finances pour 2025 propose de réformer les modalités d’attribution du chèque énergie.
Jusqu’à présent, en effet, le chèque énergie était automatiquement envoyé aux ménages identifiés à partir du croisement des données issues de la taxe d’habitation (qui fournissent, en outre, la composition des ménages) et celles des avis d’imposition sur les revenus. Cependant, la suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales à compter de 2023 ne permet plus de mettre à jour la liste des ménages éligibles. Celle-ci a donc été reconduite sans modifications pour la campagne de 2024 et un guichet a été ouvert du 4 juillet au 31 décembre 2024 pour permettre aux nouveaux éligibles ou aux ménages dont la composition familiale a évolué de demander un chèque énergie ou un chèque complémentaire.
Pour corriger les distorsions créées par l’absence d’actualisation, l’article 60 propose d’appuyer désormais l’attribution du chèque énergie sur les seuls paramètres fiscaux issus de l’imposition sur les revenus et sur le croisement du numéro de compteur (le point de livraison du logement) et du numéro fiscal du titulaire du contrat de fourniture d’électricité afin d’éviter l’attribution de deux chèques pour un même logement. L’article 60 adapte par ailleurs l’aide spécifique versée, sous condition de ressources, au bénéfice des résidents d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, qui n’ont pas de compteur individuel.
Il reviendrait à l’Agence de service et de paiement d’établir chaque année la liste des bénéficiaires à partir des listes des bénéficiaires des trois dernières années et des demandes enregistrées sur sa plateforme ou par courrier, dont elle vérifierait l’éligibilité. Si le projet annuel de performance admet que « cette réforme pourrait conduire à une réduction transitoire du nombre de bénéficiaires la première année », tous les ménages déjà inscrits recevront automatiquement leur chèque énergie, sans nouvelle démarche de leur part, dès lors qu’ils remplissent les conditions.
Il est ainsi prévu pour 2025 une petite progression des autorisations d’engagement de l’action n° 02 (+ 11 M€), portant les dotations à 900 M€ (dont 13 M€ pour les résidences sociales et 35 M€ de frais de gestion), mais une baisse de 22,4 % des crédits de paiement par rapport à 2024 (– 180 M€), résultant à la fois de la fermeture du guichet (dont le budget est estimé à 150 M€) et de la diminution du nombre des bénéficiaires.
Votre rapporteur reconnaît la pertinence des données qui seraient utilisées à l’avenir, mais appelle à rester vigilant afin que la nouvelle façon de procéder ne dégrade pas, à nouveau, le taux de recours parce que les futurs ménages éligibles devront faire une première demande. La direction générale de l’énergie et du climat a indiqué travailler avec les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux aux moyens d’automatiser au maximum l’identification des ménages éligibles pour l’année 2025 : « En régime permanent, l’automatisation devrait devenir presque totale. »
Votre rapporteur considère toutefois que, disposant des données relatives aux revenus et à la composition familiale de tous les foyers fiscaux français, l’administration fiscale devrait être en mesure de pré-identifier les ménages potentiellement éligibles.
Le chèque énergie reste, en tout état de cause, très insuffisant au regard des besoins. Auditionnés par votre rapporteur, le Réseau pour la transition énergétique (Cler) et le Réseau Action climat (RAC) ont calculé que les ménages ciblés dépensent environ 735 € par an (des dépenses qui seraient montées à 1 150 € pendant la crise de l’énergie), pour un chèque énergie dont le montant moyen est de 149,05 € en 2024 et 277 € au maximum depuis plusieurs années. Or, aucune revalorisation de ce montant n’est envisagée en 2025, alors que les taxes sur le gaz ont été significativement alourdies en début d’année et que les consommateurs qui ne sont pas aux tarifs réglementés de vente de l’électricité devraient subir une augmentation de l’accise sur l’électricité l’année prochaine (cf. article 7 du présent projet de loi de finances), sans compter l’impact sur les factures de l’apparition du phénomène des « bouilloires » en été.
En outre, le chèque énergie n’est accessible qu’aux ménages percevant au plus 11 000 € de revenus annuels par unité de consommation. Cette limite a certes été rehaussée de 1,85 % en 2023, mais c’était sans commune mesure avec la reprise de l’inflation, et bien en-deçà du seuil de pauvreté, de 14 592 € par an pour une personne seule en 2022 selon l’Insee. C’est pourquoi les deux organisations souhaiteraient un triplement du montant du chèque énergie et son extension aux 30 % de ménages les plus modestes.
2. Des économies sur les aides au verdissement des véhicules contraires aux ambitions affichées
Les transports sont le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. Il représentait 32 % des émissions de notre pays en 2022. On constate en outre que ses émissions ont progressé depuis 1990, passant de 123,7 Mt CO2 éq à 130,5 Mt CO2 éq en 2022. Représentant 93,8 % des émissions du secteur, le transport routier explique majoritairement cette augmentation.
L’action n° 03 regroupe l’essentiel des crédits qui contribuent au verdissement du parc automobile :
– la prime à la conversion (PAC), qui incite à remplacer les véhicules les plus anciens par des véhicules moins polluants. Elle constitue un accompagnement indispensable à la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), car elle seule assure qu’un vieux véhicule thermique sort du marché et quitte définitivement la route. Elle est aussi une aide indispensable aux ménages modestes, pour éviter que la ville ne leur soit interdite ;
– le bonus écologique, qui aide à l’achat des véhicules électriques légers et des cycles. Depuis le 1er janvier 2023, les véhicules hybrides rechargeables ne sont plus éligibles au bonus écologique, ni les voitures particulières électriques dont le prix d’acquisition est supérieur à 47 000 € ou dont la masse en ordre de marche est supérieure à 2,4 tonnes – des avancées saluées par votre rapporteur.
L’éligibilité à ces deux aides est également liée à un score environnemental minimal, dit écoscore (fondé sur les émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie), dont différentes organisations auditionnées par votre rapporteur confirment l’efficacité à exclure les voitures non européennes du bénéfice des aides. L’organisation Transport et environnement recommande même d’appliquer ce critère aux malus (voir ci‑après), plutôt que de simplement considérer le volume des émissions de gaz à effet de serre – un critère « que la Chine pourra un jour satisfaire ».
Ces soutiens sont renforcés pour les ménages modestes ([3]) et complètent le mécanisme du « malus écologique », qui pénalise les acquéreurs choisissant les véhicules les plus polluants.
Dispositions fiscales relatives au « malus écologique »
Le « malus écologique » correspond en fait à deux taxes appliquées à la première immatriculation de certains véhicules de tourisme des particuliers et des entreprises en France :
– une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone, dite « malus CO2 » ;
– depuis le 1er janvier 2022, une taxe sur la masse en ordre de marche (TMOM), dite « malus masse » : plus une voiture est lourde, plus elle consomme d’énergie.
L’article 97 de la loi de finances pour 2024 a durci ces taxes en abaissant les seuils de déclenchement, supprimant les plafonnements et prévoyant une progressivité du barème du malus au poids. Il prévoyait également de remplacer, à compter de 2025, l’exonération bénéficiant aux hybrides rechargeables dont l’autonomie électrique dépasse les 50 km par un abattement sur leur masse.
Les articles 8 et 9 du présent projet de loi de finances proposent d’alourdir encore ces taxes « afin de respecter les engagements nationaux et européens en matière de décarbonation des transports routiers » :
– concernant le malus CO2, l’article 8 accélère la trajectoire pluriannuelle de réduction des émissions de gaz à effet de serre en abaissant un peu plus chaque année les seuils du barème (- 5 g de CO2 par km dès 2025) ; pour les véhicules les plus émetteurs, le tarif maximum passe de 10 000 € par an à 90 000 € en 2027 ;
– concernant le malus masse, il abaisse de 100 kg le seuil de déclenchement en 2026, aujourd’hui fixé à 1 600 kg par véhicule, et limite dès 2025 l’abattement dont bénéficient les hybrides aux seuls véhicules performants sur le plan environnemental. Il adapte toutefois les abattements sur les véhicules des personnes morales servant au transport collectif (d’au moins huit places).
Quant à l’article 9, il prévoit notamment l’application de ces malus aux véhicules d’occasion sur lesquels ils n’ont pas été prélevés à la première immatriculation, parce que celle-ci a été faite à l’étranger, et qui correspondent aux conditions de la taxation.
L’organisation WWF a alerté votre rapporteur sur le fait que les recettes fiscales attendues pourraient être moitié moindres que les 300 M€ annoncés par le Gouvernement. L’organisation défend un barème plus exigeant, qui ramène le seuil du malus poids à 1,3 tonne plutôt que le 1,5 tonne proposé. Cela favoriserait plus clairement le verdissement du parc automobile et génèrerait des recettes plus substantielles.
– le dispositif de leasing lancé en janvier 2024 et cumulable avec le bonus écologique, qui permet aux ménages des cinq premiers déciles de revenus d’avoir accès à une offre de location-vente de voitures électriques neuves performantes sur le plan environnemental, pour des loyers compris entre 40 et 150 € par mois. Le succès a été fort et immédiat, avec plus de 90 000 demandes déposées en quelques semaines, au point que le dispositif a été interrompu dès février et limité à un peu plus de 50 000 commandes, tant pour des raisons de disponibilité de ces voitures chez les constructeurs que pour des raisons budgétaires.
Différents acteurs auditionnés par votre rapporteur ont salué l’efficacité du leasing, mais soulignent l’utilité des trois dispositifs, craignant que le leasing ne mobilise l’essentiel des crédits de l’action n° 03.
Le soutien au verdissement des véhicules : constats et propositions
Transport et environnement regrette que le trop grand succès du leasing ait écarté les camions, qui ne bénéficient d’un soutien que via le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), et les véhicules de société, qui ne peuvent prétendre qu’au bonus écologique.
L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) pense que le dispositif du leasing peut être optimisé : le premier loyer versé par l’État pourrait être divisé par deux « car les prix vont baisser », ce qui permettrait de multiplier par deux le nombre de ménages aidés, si on maintient l’enveloppe budgétaire initiale de 600 M€.
Transport et environnement remarque que la cible sociale n’a été que partiellement atteinte, dans la mesure où les ménages des trois premiers déciles de revenus n’ont représenté que 40 % des commandes. L’association préconise donc une révision des conditions d’éligibilité. L’UFC-Que choisir recommande aussi un recentrage du dispositif sur les ménages les plus modestes, qui serait possible même avec une diminution du premier loyer à 9 000 €.
Le Réseau Action Climat et le Cler considèrent que le dispositif est utile – à condition de corriger divers effets d’aubaine : certains ont relevé que des constructeurs ont accru leurs marges sur les véhicules en leasing social, alors que le risque financier est réduit par la prise en charge par l’État d’une partie du prix, ou que certains concessionnaires ont ajouté des frais non prévus – jusqu’à ce que le marché de seconde main soit suffisamment développé pour offrir des véhicules à des prix réellement abordables.
Ces organisations ont attiré l’attention du rapporteur sur l’urgence d’accélérer le verdissement des flottes d’entreprise et des parcs des loueurs, car les flottes d’entreprises représentent, à elles seules, trois cent mille véhicules et parce que le turn over important des véhicules professionnels est la première source d’alimentation des marchés d’occasion.
Or si 54 % des achats de véhicules neufs sont le fait des loueurs de véhicules, des entreprises et des taxis et VTC, leurs achats de véhicules électriques restent faibles et tendent à privilégier les véhicules hybrides – dont une étude récente de la Commission européenne a pourtant montré les moindres performances en termes de consommation de carburants fossiles. Aujourd’hui, les entreprises ne détiennent que 11 % des véhicules électriques neufs, contre plus de 25 % pour les particuliers (la moyenne générale s’établissant à 18 %).
Pourtant, l’Iddri et Transport et environnement affirment que les entreprises ont objectivement intérêt à choisir des véhicules électriques, car leurs coûts totaux de possession (TCO, Total Cost of Ownership) sont moins élevés et la transition renforce leur capacité de résilience face aux risques de choc pétrolier. Mais les incitations seraient insuffisantes.
En particulier, même si la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 impose aux entreprises des quotas progressifs de verdissement, le dispositif manque de contrôle pour en assurer le respect.
Le levier fiscal (à l’achat, à la détention ou à l’usage d’un véhicule) est un des moyens d’action. À ce titre, la réforme proposée par l’article 8 du présent projet de loi va dans le bon sens, même si d’autres pistes pourraient être explorées, telle la mise en extinction de l’amortissement sur les véhicules moins performants.
S’agissant du levier budgétaire, en revanche, les prévisions pour 2025 viennent contredire les engagements français et pourraient même contrarier une demande sociale qui s’est pourtant clairement manifestée cette année. Les dotations annoncées pour l’action n° 03 devraient en effet diminuer de plus de 530 M€ en autorisations d'engagement et crédits de paiement par rapport à la loi de finances pour 2024 – et davantage par rapport aux consommations réelles (- 870 M€), les services auditionnés ayant indiqué qu’ils ont utilisé les crédits non consommés de MaPrimeRénov’ pour renforcer l’enveloppe du leasing, une fongibilité qui ne sera plus possible après le transfert de ces dotations.
L’action n° 03 reculerait ainsi de 35,4 %, à 970,4 M€ en autorisations d'engagement et crédits de paiement, malgré l’importance des enjeux en matière de décarbonation des transports. Les pénalisations fiscales ne suffisant pas, cet arbitrage apparaît contreproductif.
3. Le message négatif des reculs de MaPrimeRénov’ et du fonds Vert
Les dotations allouées à MaPrimeRénov’ rejoindront en 2025 les crédits consacrés à l’amélioration des logements privés au sein du programme 135 de la mission « Cohésion des territoires ». Même si elles sortent ainsi du périmètre du présent avis, il est néanmoins utile d’évoquer leur évolution, de même que celle du programme 380 de la mission « Écologie, développement et mobilités durables », qui finance le fonds Vert.
Ces crédits sont en effet, avec le fonds Chaleur (voir plus loin), des leviers importants de la transition énergétique des bâtiments, un secteur responsable de 16 % des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2022, et de 28 % des consommations d’énergie en 2023 pour le seul résidentiel.
Or chacune de ces enveloppes devrait être fortement réduite en 2025.
La prime de transition énergétique, dite « MaPrimeRénov’ » (MPR), aide les propriétaires occupants ou bailleurs à financer les travaux de rénovation thermique des logements utilisés à titre de résidence principale. Dispositif central pour la transition énergétique des logements, ses dotations avaient été portées à 2,697 Md€ en autorisations d'engagement et 2,065 Md€ en crédits de paiement par la loi de finances initiale pour 2024. Mais le rapport annuel de performances annonce que les dotations de MaPrimeRénov’ seraient ramenées, respectivement, à 1,072 Md€ et 1,378 Md€, soit une chute de 62,44 % des autorisations d'engagement et de 33,22 % des crédits de paiement en 2025.
Certes, les crédits de MaPrimeRénov’ n’ont été consommés qu’à hauteur de 2 Md€ en AE et 1,2 Md€ en CP en 2023. Mais les derniers chiffres de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) montrent qu’après une série d’aménagements apportés au dispositif en début d’année, les dépôts de dossiers ont progressé de 61 % au cours du deuxième semestre 2024 par rapport au deuxième trimestre 2023, avec une majorité de ménages modestes à très modestes ([4]). De fait, les organisations Réseau Action Climat et Cler ont salué les réponses apportées par les dernières réformes de MaPrimeRénov’ aux principales limites du dispositif, comme un reste à charge trop lourd pour les ménages modestes et un montage complexe des dossiers de demandes : l’accroissement du plafond des travaux, notamment pour les rénovations globales, et la possibilité que, selon les barèmes, certains projets puissent être financés à 90 %, voire à 100 % avec un complément local, vont « dans le bon sens ». Parallèlement, la mise en place du service public France Rénov’ et son réseau de conseillers, qui sera cofinancé par l’Anah et les collectivités territoriales, offrira un conseil personnalisé, indépendant et gratuit.
Les deux réseaux sont plus critiques sur la réouverture de MaPrimeRénov’ aux monogestes en février, alors que le dispositif avait été précédemment recentré sur les rénovations globales. Cela a contribué à relancer la dynamique, mais les résultats sont moins efficaces. Ils recommandent une voie intermédiaire : favoriser les rénovations performantes qui peuvent se faire par étapes, mais en privilégiant les actions les plus performantes et dans un ordre cohérent (par exemple, isoler avant de changer le chauffage). Il importerait d’au moins sécuriser les budgets de la rénovation performante.
Le fonds pour accélérer la transition écologique dans les territoires, dit « fonds Vert », a été lancé en janvier 2023 pour financer des projets présentés par les collectivités territoriales et leurs partenaires publics ou privés dans trois domaines : performance environnementale, adaptation du territoire au changement climatique et amélioration du cadre de vie. Ce fonds est notamment devenu un levier important de la transition énergétique des bâtiments, éclairage et transports publics dans nos territoires : dès 2023, le fonds Vert a apporté un soutien financier à des projets concernant près de six mille communes en métropole et outre-mer, représentant des dépenses totales de 10 Md€ et un engagement du fonds de 2 Md€. Fort de ce succès, la loi de finances pour 2024 l’avait à nouveau doté de 2,5 Md€.
Une étude publiée en septembre dernier par la Banque postale et l’Institute for climate economics (I4CE) ([5]) a confirmé la nette progression des investissements des collectivités locales en faveur du climat entre 2022 (8,3 Md€) et 2023, en particulier dans la mobilité électrique (véhicules et infrastructures de recharge), les transports collectifs et la rénovation énergétique de leurs bâtiments. Cette même étude relève néanmoins que les besoins d’investissement des collectivités en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie sont estimés à 11 Md€ d’investissements supplémentaires, au moins, en moyenne par an d’ici à 2030 (par rapport à 2022). Les auteurs de l’étude en concluent que le « [franchissement du] mur des investissements locaux » suppose que le soutien de l’État par des dotations soit rendu plus stable et prévisible dans le temps.
L’aide apportée par l’État est importante pour le montage financier des projets locaux. En outre, le Syndicat des énergies renouvelables (SER), auditionné par votre rapporteur, explique qu’accéder au fonds Vert est plus simple que de solliciter différents fonds européens.
Malgré la démonstration de son utilité et l’importance des besoins locaux, le fonds Vert a été amputé une première fois de plus de 400 M€, par un décret de février 2024, avant d’être réduit de 1,5 Md€ pour les nouveaux projets de 2025 (sur l’ensemble des trois domaines d’action). Avec des dotations ramenées à 1 Md€, le projet de loi de finances pour 2025 réduirait ainsi de 60 % les moyens alloués au fonds Vert.
On ne peut que déplorer ces coupes dans un instrument budgétaire primordial pour la transition énergétique, d’autant plus étonnantes que la stratégie pluriannuelle d’investissements de la transition écologique, présentée par le Gouvernement le 11 octobre dernier, annonce que les investissements publics et privés bas carbone devraient encore augmenter « de 110 milliards d’euros par an d’ici 2030 ».
II. Un bond des dépenses du programme 345 « Service public de l’Énergie » en trompe-l’Œil
Évolution des crÉdits du programme 345
(En millions d’euros)
|
AE LFI 2024 |
AE PLF 2025 |
CP LFI 2024 |
CP PLF 2025 |
Variation des CP |
09 Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole continentale |
0 |
4 235,6 |
- |
0 |
4 235,6 |
09.01 Éolien terrestre |
0 |
227 |
- |
0 |
227 |
09.02 Éolien en mer |
0 |
592,2 |
- |
0 |
592,2 |
09.03 Solaire photovoltaïque |
0 |
2 803,7 |
- |
0 |
2 803,7 |
09.04 Bio-énergies |
0 |
569,4 |
- |
0 |
569,4 |
09.05 Autres énergies |
0 |
43,3 |
- |
0 |
43,3 |
10 Soutien à l’injection de biométhane |
875,5 |
1 181,4 |
+ 34,9 % |
875,5 |
1 181,4 |
11 Soutien dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain |
2 236,4 |
70 |
- 96,9 % |
2 236,4 |
70 |
11.01 Soutien à la transition énergétique dans les ZNI |
1 054,1 |
35 |
- 96,7 % |
1 054,1 |
35 |
11.02 Mécanisme de solidarité avec les ZNI |
1 182,3 |
35 |
- 97 % |
1 182,3 |
35 |
12 Soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques |
80,5 |
588,1 |
+ 630,9 % |
80,5 |
588,1 |
13 Soutien aux effacements de consommation |
63 |
187 |
+ 196,8 % |
63 |
187 |
14 Dispositions sociales pour les consommateurs en situation de précarité énergétique |
44,9 |
39,8 |
- 11,5 % |
44,9 |
39,8 |
15 Frais divers |
0,4 |
0 |
- 100 % |
0,4 |
0 |
17 Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs |
1 558,3 |
336,6 |
- 78,4 % |
1 558,3 |
336,6 |
17.01 Mesures à destination des consommateurs d’électricité |
1 258,3 |
222,3 |
- 82,3 % |
1 258,3 |
222,3 |
17.02 Mesures à destination des consommateurs de gaz |
300 |
114,3 |
- 61,9 % |
300 |
114,3 |
18 Soutien hydrogène |
680 |
692,5 |
+ 1,8 % |
25 |
25 |
Total |
5 539 |
7 331 |
+ 32,4 % |
4 884 |
6 663,5 |
Sources : projet annuel de performances 2025.
Le programme 345 regroupe les remboursements des charges de service public supportées par les entreprises des secteurs du gaz et de l’électricité et découlant de différents mécanismes de soutien (aux énergies renouvelables en particulier).
1. Des charges de service public de l’énergie qui retrouvent leur niveau d’avant-crise, mais seront partiellement « débudgétisées »
Les propositions budgétaires pour les actions n° 09 à n° 17 du programme sont fondées sur les prévisions de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) relatives aux charges qui seront financées par le budget de l’État en 2025, complétées par les régularisations des charges et frais des années précédentes et modulées par le Gouvernement en fonction des évolutions des prix des marchés.
Dans sa délibération du 11 juillet 2024, la CRE a évalué les charges de service public de l’énergie (CSPE) pour 2025 à 8,9 Md€, soit un retour au niveau d’avant la crise énergétique (8,4 Md€ en 2020), compte-tenu de la mise en extinction des mécanismes exceptionnels de protection des consommateurs (boucliers tarifaires et « amortisseurs ») et de la remontée des aides aux énergies renouvelables (EnR) du fait de la baisse du prix de l’électricité sur les marchés de gros ([6]).
Cette évolution se faisant sentir dès 2024, la Commission de régulation de l'énergie a également fortement réévalué à la hausse les charges pour 2024, qui s’élèvent à 4,2 Md€, en augmentation de 3,55 Md€ par rapport à la première évaluation faite en 2023 (0,65 Md€).
Ces estimations ne sont toutefois pas entièrement reprises dans les prévisions du projet de loi de finances pour 2025. En effet, alors que la CRE a évalué à 3,019 Md€ les charges prévisionnelles dans les zones non interconnectées (ZNI), en hausse de plus de 33 % (environ + 783 M€) par rapport aux dotations pour 2024, seuls 70 M€ seront inscrits sur l’action n° 11 « Soutien dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain ».
Jusqu’alors, cette action bénéficiait à la Corse, aux Îles du Ponant et aux grands territoires ultramarins (hors la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française), dont elle couvrait les surcoûts d’approvisionnement en électricité. Elle finance en effet deux dispositifs :
– la transition énergétique de ces territoires, très dépendants des énergies fossiles importées, via les achats de la production d’électricité renouvelable par les opérateurs historiques et les actions de maîtrise de la demande d’énergie (sous‑action n° 11.01) ;
– la péréquation tarifaire, qui permet aux consommateurs locaux de bénéficier de prix de l’électricité comparables à ceux applicables dans l’hexagone malgré des coûts de production sensiblement supérieurs (sous-action n° 11.02).
Toutefois l’article 7 du projet de loi de finances pour 2025 (plus précisément, le 4° et le c) du 12° du I ainsi que le III de cet article) propose de sécuriser ces financements en « fléchant » une fraction d’accise sur l’électricité et les combustibles sur ces deux compensations.
Concrètement, il crée une majoration spécifique des tarifs normaux d’accise sur les combustibles et l’électricité calculée pour équivaloir à ces mêmes charges prévisionnelles, toujours évaluées et corrigées par la CRE, et dont les recettes doivent ensuite être directement et strictement affectées à leur financement. Cette majoration représentera 4,89 €/MWh en 2025 sur l’électricité comme sur les combustibles. En pratique, cette première majoration est déduite des tarifs de base pour l’électricité proposés par l’article 7 ; elle serait ensuite comprise dans leur modulation. Elle serait intégrée aux tarifs existants pour les énergies fossiles (cf. § IV ci-dessous).
Les surcoûts concernés restent donc compensés, mais ces charges n’apparaissent plus dans le budget de l’État, à l’exception des charges relatives aux territoires de Saint-Martin et Saint‑Barthélemy (pour un total de 70 M€).
Quant aux autres CSPE et en-dehors des dépenses de soutien aux énergies renouvelables en métropole, examinées plus loin, elles suivraient des évolutions contrastées :
– l’action n° 12 « Soutien à la cogénération au gaz naturel et autres moyens thermiques » est en voie d’extinction. La cogénération au gaz naturel n’est pas une production renouvelable, mais un moyen d’optimiser l’utilisation du gaz naturel et le rendement des centrales électriques fossiles en produisant simultanément de l’électricité et de la chaleur. Toutefois, ces solutions ne sont pas adaptables à toutes les installations, sont onéreuses à mettre en place et maintiennent une consommation encore significative de gaz. La programmation pluriannuelle de l’énergie adoptée en avril 2020 a donc prévu la fin du soutien à cette filière. Néanmoins, les contrats en cours bénéficient encore de cette enveloppe : elle avait fortement baissé quand les prix de l’énergie flambaient, mais retrouve aujourd’hui un niveau inférieur à l’avant-crise (598,1 M€ en 2025 contre 651 M€ en 2022) ;
– les crédits prévus pour l’action n° 13 « Soutien aux effacements de consommations » sont presque doublés en 2025, pour atteindre 187 M€. Dans sa délibération de juillet 2024 précitée, la Commission de régulation de l'énergie les avait estimés à 316 M€, mais elle les a ensuite réévalués à la baisse ;
– les prévisions de l’action n° 14 « Dispositions sociales pour les consommateurs en situation de précarité énergétique » diminuent de 5 M€ (- 11,5 %), sur la seule enveloppe allouée au déploiement du dispositif d’affichage des consommations d’énergie, déjà bien avancé ;
– après la fin des boucliers tarifaires individuels pour le gaz et l’électricité en 2023 et janvier 2024, les boucliers collectifs, ainsi que l’amortisseur électricité et la « garantie 280 » qui ont été maintenus pour les collectivités, les professionnels et les entreprises petites et moyennes ne bénéficiant pas des tarifs réglementés de vente, s’arrêteront à la fin de l’année 2024. Cependant, ils ne seront soldés qu’en 2025. Les dépenses de l’action n° 17 « Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs » chuteraient en conséquence de plus de 78 %, tout en pesant encore 336,5 M€.
2. Un développement des énergies renouvelables en métropole bridé par une programmation pluriannuelle de l’énergie obsolète
L’essentiel des dotations du programme 345 – et plus encore avec la « débudgétisation » des CSPE liées aux zones non interconnectées – se concentre sur les divers soutiens au développement des énergies renouvelables électriques et gazières, qu’il s’agisse d’obligations d’achat ([7]) ou de « compléments de rémunération » contractualisées sur quinze à vingt ans ([8]). Ces dispositifs ne représentent pas systématiquement des charges pour l’État : le mécanisme de complément de rémunération bidirectionnel peut en effet générer des recettes selon les tarifs de rachat et l’évolution des prix spot.
En l’espèce, ces dépenses devraient retrouver leur niveau d’avant crise dès 2025, autour de 6 Md€. Elles sont ventilées entre plusieurs enveloppes budgétaires :
– l’action no 09 « Soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole continentale » est elle-même déclinée entre les différentes filières. Après deux exercices où aucune dépense n’a été inscrite, les prévisions pour 2025 s’établissent à 4,2 Md€.
Ce montant résulte du retour des prix aux niveaux observés avant la crise de l’énergie, mais aussi d’une accélération du déploiement des énergies renouvelables ces dernières années – bien qu’encore loin des cibles attendues de notre pays.
Le tableau ci-après montre la progression des capacités de production sur les deux dernières années, certaines dépassant nettement la cible fixée par l’actuelle PPE (2019-2028). Dans sa délibération du 11 juillet 2024, la CRE constate la poursuite de cette dynamique : « la production prévisionnelle des énergies renouvelables électriques soutenues en métropole continentale est de 74,7 TWh en 2025, contre 65,0 TWh prévus en 2024 et une production constatée de 60,2 TWh en 2023. »
la production d’ÉlectricitÉ renouvelable entre 2023 et 2025
Filières |
Cible PPE de puissance en 2023 |
Puissance installée fin 2023 |
Puissance installée au 30 juin 2024 |
Puissance visée fin 2025 |
Production |
CSPE prévision. en 2025 |
Éolien terrestre |
24,1 GW |
22 GW |
22,8 GW |
25,9 GW |
nc |
228,4 M€ |
Éolien en mer |
2,4 GW |
0,48 GW |
1,56 GW |
2,5 GW |
Plus de 4 TWh fin 2024 |
595,9 M€ |
Photovoltaïque |
20,1 GW |
19,5 GW |
21,4 GW |
24,4 GW |
22,7 TWh en 2023 |
2 821 M€ |
Bioénergies utilisées pour la production électrique |
Biogaz : 270 MW |
Biogaz : 590 MW |
nc |
Biomasse 587 MW Biogaz : 401 MW |
Biomasse : 2,6 TWh Biogaz : 2,3 TWh en 2025 |
573 M€ |
Autres énergies |
Toute hydro. : 25,7 GW |
nc |
nc |
Petite hydro. : 1 GW Incinération : 24 MW |
Petite hydro. : 2,8 TWh Incinération : 0,2 TWh en 2025 |
43,6 M€ |
Sources : projet annuel de performances 2025 et réponses au questionnaire budgétaire.
N.B. À l’exception de l’hydroélectricité, les puissances affichées sont encore largement soutenues.
On relèvera que, d’un point de vue budgétaire, la répartition des charges ne reflète pas nécessairement l’ampleur des capacités : la Commission de régulation de l'énergie note ainsi que si, en 2020, environ deux tiers des dépenses étaient engendrés par les filières éoliennes terrestre et photovoltaïque, près d’un tiers du soutien de l’État devrait aller à l’éolien en mer et au biométhane injecté en 2025 ; l’année prochaine, le photovoltaïque représentera encore environ la moitié de l’appui aux énergies renouvelables. La filière éolienne terrestre, en revanche, apparaît, proportionnellement, peu coûteuse pour l’État : après qu’elle a contribué à hauteur de 3,4 Md€ au budget de l’État en 2023, elle constitue toujours une recette au titre de 2024 (à hauteur de 0,3 Md€) ; par ailleurs, au titre de 2025, elle ne représenterait que 5 % de l’action n° 09, alors qu’elle produit la moitié des volumes d’électricité renouvelable soutenus.
Les progrès sont réels, mais restent insuffisants. Certes, la part de l’électricité renouvelable dans la production nationale d’électricité a progressé, s’établissant à 27 % en 2023, contre 22,6 % en 2021 et 18,7 % en 2018, rejoignant ainsi les objectifs de la PPE 2019-2028 en pourcentage et se rapprochant des cibles en capacités installées pour 2023 (75,2 GW) ([9]).
Mais le pas à franchir pour atteindre l’objectif de 40 % d’énergie renouvelable dans la production d’électricité en 2030 est encore important. Il le sera plus encore dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie en cours d’élaboration. Le Pniec présenté par la France en juillet 2024 affiche en effet des objectifs significativement renforcés en matière de capacités installées en 2035 : à savoir 54 GW à 60 GW pour le photovoltaïque, 33 GW à 35 GW pour l’éolien terrestre, 3,6 GW d’éolien en mer, 26,3 GW d’hydroélectricité, etc. Comme il est peu envisageable que la future programmation soit moins-disante par rapport à la programmation actuelle, au moins sur un plan global, cela suppose un rythme d’investissements soutenu, voire accentué, pendant les prochaines années.
Ces investissements sont aujourd’hui bridés par une PPE devenue obsolète : en effet, la loi n’autorise le lancement d’appels à projets pour soutenir une filière EnR que si les cibles de la programmation ne sont pas atteintes. Or certaines des cibles en vigueur sont déjà dépassées ou insuffisamment ambitieuses. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) souligne, en particulier, l’obstacle que représente la PPE 2019-2028 pour le lancement d’un appel à projets massif de 9,2 GW d’éolien en mer. Tant que les nouvelles trajectoires ne sont pas définies et inscrites dans le « dur » d’une loi de programmation pluriannuelle, les investisseurs n’ont pas de visibilité sur les investissements qui seront privilégiés par l’État, ni les porteurs de projets sur les dispositifs de soutien qu’ils pourront solliciter. Le Syndicat des énergies renouvelables observe que l’absence de PPE actualisée est catastrophique pour les projets de gigafactory. Par ailleurs, en l’absence d’objectifs actualisés, les collectivités territoriales ne disposent pas non plus de références claires pour vérifier que leur planification de nouvelles capacités est suffisante, de sorte qu’on peine à observer les effets de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10 mars 2023.
Quoi qu’il en soit, la Commission de régulation de l'énergie ne prend en compte, dans ses délibérations, que les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie actuelle, la seule programmation ayant une valeur juridique. Les 4,24 Md€ inscrits à l’action n° 09 en autorisations d'engagement et crédits de paiement, comme les enveloppes de chaque sous-action, sont donc définies dans les strictes limites de la PPE en vigueur. Ces dotations n’étant qu’estimatives, la CRE pourra les ajuster en cours d’exercice et les opérateurs pourront être compensés sur la base de leurs surcoûts réels. La DGEC espère une adoption de la prochaine PPE en février 2025, mais indique que cette adoption par voie réglementaire ne devrait pas être précédée par l’adoption d’une loi de programmation comme cela devrait pourtant être le cas depuis le 1er juillet 2023. Il est regrettable que les investisseurs, comme le législateur, n’aient pas une image complète des projets de l’État en matière d’énergies renouvelables ;
– l’action n° 10 « Soutien à l’injection de biométhane » vise une production injectée dans les réseaux publics de 14 à 22 TWh par an. Au 30 juin 2024, on comptait 695 sites en injection d’une capacité raccordée de 12,5 TWh par an (contre 9,1 TWh en 2023), auxquels pourraient s’ajouter 20 TWh par an supplémentaires au titre de plusieurs installations non encore mises en service.
Le développement du biométhane fait débat : il n’est pas neutre du point de vue des émissions de gaz à effet de serre et sa production peut venir menacer les productions alimentaires. Il apparaît néanmoins comme la seule solution existante pour certains usages et procédés. La filière connaît, de fait, un essor réel dont le corollaire est la progression des dépenses de soutien de l’État, qui vont s’alourdir de près de 35 % entre 2024 et 2025 pour atteindre 1,18 Md€ ;
– enfin, l’action n° 18 « Soutien à l’hydrogène » voit les moyens correspondants légèrement augmenter, à 692,5 M€ en autorisations d’engagement – mais le décaissement des crédits de paiement serait maintenu à 25 M€ en 2025 pour les premiers appels d’offre lancés en 2024. Cette série d’appels d’offres porterait sur 150 MW de production d’hydrogène décarboné, en visant à terme environ 1 GW. Le dispositif cible en premier lieu les usages de l’hydrogène combustible ou composant dans la production de certaines industries.
3. L’inquiétante réduction concomitante du fonds Chaleur
Le fonds Chaleur, opéré par l’Agence de la transition écologique (Ademe), n’entre pas dans le périmètre d’examen de cet avis, mais il constitue un instrument essentiel de la politique énergétique nationale.
Rappelons en effet que les besoins de chaleur représentent aujourd’hui 43 % de la consommation d’énergie en France et sont encore couverts à plus de 60 % par des énergies fossiles et importées. La part des énergies renouvelables et de récupération a progressé en France métropolitaine, atteignant 27,2 % en 2022 ; mais le Pniec a l’ambition de la porter à 45 % de la consommation finale de chaleur en 2030 (contre 38 % dans l’actuelle PPE).
Le fonds Chaleur est le principal outil de soutien à la décarbonation des consommations de chaleur et de froid en dehors du secteur des particuliers. Ses aides à l’investissement facilitent et accélèrent le développement local des réseaux de distribution et des installations de production de chaleur renouvelable, jusque dans des villes ou des intercommunalités rurales de huit mille à dix mille habitants, mais aussi la transition vers la production de chaleur à partir de la biomasse et du solaire thermique ou la valorisation de la chaleur fatale industrielle. En quinze ans, le fonds Chaleur a permis une production thermique additionnelle de 52 TWh par an.
Le fonds Chaleur est aussi un des leviers les plus efficaces pour la décarbonation et la baisse de la dépendance aux énergies fossiles, tant en termes de CO2 évitée que de coût des investissements rapporté à la production additionnelle ([10]). Il est également le plus économe de la dépense publique : 1 € dépensé économise davantage de CO2 que d’autres dispositifs d’aide, selon les évaluations de la Cour des comptes.
Ces vertus ont conduit l’État à augmenter le budget du fonds Chaleur grâce aux compléments apportés par les programmes « France relance », puis « France 2030 », le portant à 601 M€ en 2023 puis 820 M€ en 2024 afin d’accélérer le déploiement de la chaleur renouvelable. Ces moyens supplémentaires s’avèrent encore insuffisants face à la très forte dynamique des besoins : auditionnées par votre rapporteur, la Fédération des entreprises de services pour l’énergie et l’environnement (Fedene) et la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement (Fnade) ont signalé qu’en 2024, le fonds Chaleur ne pourra, faute de budget, attribuer 500 M€ d’aides à des projets prêts à construire et que, pour 2025 et en plus de ces 500 M€ manquants, l’Ademe aurait déjà identifié 1 Md€ d’aides nécessaires pour de nouveaux projets.
La ministre chargée de la transition écologique a confirmé, le 11 octobre dernier, la réduction du budget d’intervention de l’Ademe de 1,4 Md€ en 2024 à 908 M€ en 2025, « ce qui va nécessairement se traduire par une baisse du fonds Chaleur » dont l’ordre de grandeur est encore en discussion. Facialement, la subvention pour charges de service public de l’Ademe, qui gère le fonds Chaleur, progresserait de plus de 29 M€ entre 2024 et 2025 pour s’établir à 908 M€, selon les prévisions du programme 181 « Prévention des risques » de la mission « Écologie » données par le projet annuel de performances. Ce dernier annonçait également des transferts du programme « France 2030 » à hauteur de 1 330 M€, en hausse de plus de 500 M€. Il est vraisemblable que la réduction de 35 % du budget d’intervention de l’Ademe se traduise par une diminution de ces transferts. Un tel recul risque de casser une dynamique pourtant cruciale pour la réussite des objectifs de la stratégie française pour l’énergie et le climat. Comme le souligne la Fedene, « ce sont des centaines de projets portés par des maires et des industriels dans les territoires qui ne se réaliseront pas, avec des impacts qui iront largement au-delà de 2025. ».
III. Un Compte d’affectation spÉciale « Financement des aides aux collectivitÉs pour l’Électrification rurale » qui attend toujours d’être revalorisé (programmes 793 et 794)
En 2025, l’enveloppe globale du compte d’affectation spéciale « Fonds d’amortissement des charges d’électrification rurale », dit « Facé », sera reconduite au niveau des précédents exercices, soit 360 M€, à raison de 357 M€ pour le programme 793 « Électrification rurale » et 3 M€ pour le programme 794 « Opérations de maîtrise de la demande d’électricité, de production d’électricité par des énergies renouvelables ou de production de proximité dans les zones non interconnectées ». Ces crédits ont vocation à soutenir (en cofinancement) les collectivités territoriales rurales qui exercent la maîtrise d’ouvrage des travaux de développement et d’adaptation de leurs réseaux de distribution d’électricité.
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), auditionnée par votre rapporteur, dénonce une sous-dotation chronique de ces programmes. Leur insuffisance ne cesse de s’aggraver face aux dégâts causés par des évènements climatiques majeurs de plus en plus fréquents et à la montée des besoins de renforcement et de déploiement des réseaux découlant de la multiplication des installations d’énergie renouvelable et des nouveaux points de consommation (pour les bornes de recharge en particulier). Or, non seulement les dotations n’ont pas été revalorisées depuis la création du Facé en 2011, mais l’inflation des dernières années leur aurait fait perdre 70 M€ à valeur constante. La FNCCR souhaiterait donc que les enveloppes du Facé soient au moins indexées sur l’inflation.
Le projet de loi de finances pour 2025 propose bien, en son article 7 (au b du 12° du I et au IV), une réforme qui vise à « assurer la pérennité des aides à l’électrification rurale » (selon son exposé des motifs) en remplaçant les actuelles contributions d’Enedis et des entreprises locales de distribution par l’affectation d’une fraction de l’accise sur l’électricité (1,16 €/MWh en 2025) qui sera indexée sur l’inflation ([11]), mais seulement les années ultérieures (cf. l’évaluation préalable des articles du projet de loi).
De fait, l’article 36 du projet de loi de finances, qui définit parallèlement le montant de cette fraction d’accise affectée au Facé, le fixe à 377 M€, soit le niveau actuel de 360 M€ après déduction des 17 M€ systématiquement retenus par l’État au titre de ses frais de gestion.
La contribution des gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité, assise sur le nombre de kilowattheures distribués à des clients finaux à partir des ouvrages exploités en basse tension l’année précédente, est prévue à l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, mais son taux est fixé par un arrêté des ministres chargés du budget et de l’énergie, qui peuvent le faire varier au sein d’une fourchette. Les ministres ont pu ainsi de pas augmenter le niveau de la contribution depuis 2012 en dépit de l’extension des réseaux.
La fixation par la loi de finances d’un montant affecté précis présente l’avantage de redonner le choix au législateur. Il reste que le plafond proposé est fixé à un niveau qui ne répond pas aux besoins des collectivités.
Notons cependant qu’in fine cette réforme ne devrait pas avoir de conséquences pour les consommateurs, car ceux-ci compensaient déjà la contribution due par les opérateurs à travers la part « Distribution » du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe HTA‑BT) ; cette compensation n’aura évidemment plus lieu d’être.
IV. Une fiscalité de l’énergie qui manque encore de cohérence
1. Une fiscalité dominée par des objectifs de rendement… parfois étrangement contrariés
Un précédent avis de la commission des affaires économiques de notre assemblée sur le budget de la politique de l’énergie ([12]) montrait le poids des taxes dans les factures d’électricité et de gaz ([13]), la prépondérance des objectifs de rendement, mais aussi le déséquilibre des taxations entre l’électricité et le gaz à l’avantage de ce dernier (particulièrement aberrant au regard de leurs bilans carbone respectifs). Une étude publiée cette année par la Cour des comptes sur la place de la fiscalité de l’énergie dans la politique énergétique et climatique française entre 2012 et 2022 dresse des constats similaires : elle établit notamment qu’avant la crise de 2022-2023 et les boucliers tarifaires, les taxes (TVA incluse) ont représenté 43 % du prix hors taxes des énergies pour le logement. Selon la Cour, « les taxes constituent ainsi une composante substantielle de la facture énergétique des ménages, expliquant en partie la forte sensibilité politique de toute évolution de cette fiscalité, pourtant nécessaire à l’atteinte des objectifs énergétiques et climatiques. »
L’historique de ces taxes, leur niveau et leur quasi-absence d’affectation à des dépenses spécifiques les identifient comme « une fiscalité de rendement avant tout ».
C’était d’ailleurs la finalité clairement affichée de la contribution sur les rentes infra‑marginales (Crim) des grands énergéticiens, créée en loi de finances pour 2023 au motif qu’il était juste qu’ils partagent une partie des « super-profits » tirés de l’emballement des prix de l’énergie. Le Gouvernement de l’époque avait annoncé qu’elle devait générer 4,3 Md€ de recettes en 2023. Elle n’aura finalement rapporté que 330 M€. Interrogée par votre rapporteur, la DGEC explique que le rendement de la Crim dépend de paramètres influencés par les prix de l’électricité sur les marchés de gros et que ces prix ayant fortement baissé, le rendement a diminué.
Votre rapporteur s’étonne néanmoins d’un tel écart. La Cour des comptes elle-même s’en est émue, considérant que ce n’est pas « à la hauteur de ce qui serait équitable pour les consommateurs, pour de nombreuses raisons liées à son champ d’application et à son paramétrage » et déplorant que personne ne puisse expliquer les raisons de cet écart ([14]).
Les auditions de votre rapporteur ont fait émerger quelques explications possibles :
– la Crim devait tenir compte des « différences de situation », ce qui en a fait un dispositif très complexe ;
– en considération de ses besoins d’investissements dans le nouveau nucléaire et de son niveau élevé d’endettement, EDF a pu imputer un certain nombre de pertes, voire des provisions pour les futurs investissements, qui l’en ont quasiment exonérée (elle n’aura payé que 25 M€ en 2023) ;
– un grand nombre d’autres producteurs n’ont quasiment rien déclaré, voire pas fait de déclaration, sans qu’ils aient, semble-t-il, fait l’objet d’une relance ou d’un contrôle de la réalité de leur situation.
Non seulement votre rapporteur ne s’explique pas comment des experts de l’État ont pu se tromper à ce point dans leurs projections, mais il lui est plus difficile encore, eu égard à la situation financière publique, de comprendre cette passivité. Il lui apparaît indispensable qu’une enquête fiscale soit lancée pour vérifier l’absence de fraudes.
Plutôt que mener ces vérifications, le ministère chargé de l’économie a préféré chercher une source alternative de recettes : reprenant la suggestion de certains députés travaillant sur la taxation des rentes, le ministère a étudié, un temps, l’hypothèse d’une contribution exceptionnelle sur la puissance électrique installée – ou, plus exactement, sur la puissance des capacités installées supérieures à 260 MW. Au contraire de la Crim, cette contribution aurait été dimensionnée pour rapporter 3 Md€ en 2025 et aurait essentiellement pesé sur EDF (à hauteur de 2,8 Md€) et, dans une moindre mesure, sur Engie et Total Énergie.
Son rendement aurait été mieux assuré ; mais nombre d’acteurs ont dénoncé son caractère aberrant, en particulier le fait qu’elle s’apparenterait davantage à un impôt de production – pourtant combattu par ce même Gouvernement – qu’à une taxe liée à des profits exceptionnels. Par ailleurs, elle aurait pu peser sur les grands parcs d’EnR, sans tenir compte de la réalité des coûts de revient des différentes technologies. Votre rapporteur considère également que cette piste serait une absurdité eu égard au mur d’investissements qui attend EDF, sans parler du risque qu’elle pèse in fine sur les factures des consommateurs.
Le ministère a finalement renoncé à cette piste pour privilégier le versement d’un dividende important sur le bénéfice record de 10 Md€ réalisé par EDF en 2023 – un flux patrimonial et non plus productif. Cette issue serait acceptée par l’énergéticien.
2. Le besoin d’une meilleure lisibilité et équité de l’usage incitatif des taxes
L’étude de la Cour des comptes de 2024 montre que s’il n’est pas absent, le rôle incitatif de la fiscalité de l’énergie n’est pas clairement assumé. De fait, depuis le gel de la trajectoire de la « composante carbone » de l’accise sur les carburants en 2018, les leviers fiscaux mobilisés pour faire évoluer les comportements et réduire l’impact environnemental des consommations d’énergie des contribuables sont essentiellement constitués par des dépenses fiscales (allègements sur la production ou la fourniture d’énergie renouvelable, par exemple).
Des dépenses fiscales sont également réalisées pour préserver la compétitivité des entreprises énergo-intensives (tels des taux réduits de l’accise sur l’électricité). Présentées comme nécessaires pour des entreprises exposées à la concurrence mondiale, ces dépenses, comme quelques autres, apparaissent comme des soutiens implicites aux énergies fossiles et doivent donc être réinterrogées. La Cour des comptes recommande, pour sa part, qu’elles soient repensées « lorsque leur incidence sur l’environnement est défavorable et qu’il existe d’autres moyens d’atteindre les objectifs poursuivis par ces dispositifs ».
À l’instar des dispositions adoptées en loi de finances pour 2024, qui ont significativement remonté plusieurs tarifs réduits d’accise sur les énergies fossiles et permis une hausse du tarif d’accise sur le gaz, l’article 10 du projet de loi de finances pour 2025 va dans le bon sens pour l’UFC-Que choisir et l’organisation Consommation–logement–cadre de vie (CLCV). En relevant de 5 % à 20 % le taux de TVA appliqué à l’achat et à l’installation de chaudières à gaz neuves, il clarifie les priorités : même plus performantes, ces solutions techniques contribuent à maintenir une consommation soutenue d’énergie fossile et l’existence d’un avantage fiscal réduit l’incitation à envisager une solution plus vertueuse.
Cette proposition souligne le paradoxe qui persiste au sein de l’accise sur les consommations d’énergie, avec des taux toujours plus avantageux pour le gaz que pour l’électricité – une différence que la réforme proposée par l’article 7 du même projet de loi de finances ne corrige pas.
Cet article porte différentes réformes du dispositif de l’accise, notamment les mesures de simplification des mécanismes de péréquation territoriale dont bénéficient les zones non interconnectées et l’électrification des zones rurales (cf. supra).
Il uniformise par ailleurs l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la part « Abonnement » (actuellement au taux de 5,5 %) et sur la part variable des factures d’électricité et de gaz (20 %), comme l’exige la jurisprudence européenne. Mais pour neutraliser cette hausse (+ 4,96 €/MWh pour l’électricité et + 1,75 €/MWh pour le gaz), le tarif d’accise sur le gaz et celui sur l’électricité applicable aux ménages et assimilés, qui seuls supportent la TVA, sont abaissés à due concurrence.
Outre des dispositions relatives aux carburants (non abordées dans cet avis), l’article 7 porte surtout des modifications aux tarifs d’accise sur les combustibles et sur l’électricité :
– s’agissant des combustibles, il procède à un relèvement apparent des taux normaux (8,5 €/MWh pour le gaz naturel avant la crise de l’énergie). Par le jeu de différentes majorations, ces taux sont en réalité fixés à un niveau supérieur, atteignant 16,37 €/MWh pour le gaz naturel depuis le 1er janvier 2024. Ils seraient tous ramenés à 10,54 €/MWh ([15]) afin de compenser les 4,89 €/MWh de la péréquation territoriale, ainsi que le supplément de TVA de 1,75 €/MWh sur les abonnements au gaz.
Cela donnerait un tarif de 17,17 €/MWh pour le gaz naturel.
Un débat est apparu au sein du Gouvernement sur l’éventualité d’une hausse supplémentaire, mais le statu quo semble l’avoir remporté. De fait, les factures de gaz auraient pu redescendre davantage sans les récentes majorations de l’accise et du tarif de distribution du gaz.
Par ailleurs, la DGEC rappelle qu’en 2027, le dispositif des quotas d’émissions carbone passera à un stade supérieur, dit « EU-ETS 2 » ou « SEQE‑UE2 » ([16]), en s’élargissant aux secteurs du bâtiment et des transports. Il convient donc de prendre en compte l’impact de ces nouveaux coûts pour les acteurs économiques utilisant des énergies fossiles et pour leurs clients. Des réflexions sont en cours sur l’articulation de la fiscalité énergétique avec ces nouveaux quotas carbone, en particulier sur leur superposition ou leur substitution à la composante carbone de l’accise sur l’énergie ;
– s’agissant des tarifs d’accise sur l’électricité, ils sont facialement diminués par rapport à leur niveau d’avant-crise afin de neutraliser, s’agissant du tarif des ménages et assimilés, la remontée du taux de TVA de 4,96 €/MWh sur les abonnements à l’électricité et les 4,89 €/MWh de la péréquation territoriale.
Concrètement, l’évaluation préalable de l’article 7 du projet de loi de finances rappelle que le tarif normal pour les ménages et assimilés devait être porté, avant les mesures de bouclier tarifaire, de 25,6875 €/MWh en 2022 à 32,0625 €/MWh en 2023 afin d’intégrer la majoration communale de l’accise (dite « part communale »). Pour fixer le nouveau tarif normal, le Gouvernement est reparti de cette base, révisée à 33,78 €/MWh pour tenir compte de l’inflation ([17]), à laquelle il a ajouté les 1,16 €/MWh de majoration d’accise pour le Facé et retiré l’équivalent de la fraction d’accise affectée aux zones non interconnectées ainsi que l’équivalent du supplément de TVA sur les abonnements. Cela donne un tarif normal d’accise de 25,09 €/MWh (contre 21 €/MWh depuis février), mais se traduirait, en principe, sur les factures des consommateurs par une accise finale de 31,14 €/MWh en 2025 et un coût globalisé (accise + supplément de TVA) de 34,94 €/MWh ([18]).
Ce montant est censé être exceptionnellement modéré en 2025 et 2026 afin que les consommateurs finals bénéficiant des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVe) voient concrètement leurs factures baisser de 9 % (au lieu des 10 % projetés par la CRE), avec la prise en compte, dans ces tarifs, de la baisse des prix du combustible sur les marchés, et malgré un tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) renforcé.
En effet, l’article 7, alinéas 13 et 14, introduit à l’article L. 312-37 du code des impositions sur les biens et services (CIBS) un alinéa permettant de moduler les taux de base d’un montant « uniforme » déterminé par arrêté du ministre chargé du budget et compris entre 5 € et 25 €/MWh, avec une limitation spécifique sur la période du 1er février 2025 au 31 janvier 2026 afin de « garantir une baisse d’au moins 9 % du tarif réglementé de vente d’électricité à compter du 1er février 2025 », précise l’exposé des motifs.
Les services ministériels et les cabinets des ministres compétents expliquent qu’ils attendent d’observer comment les prix des marchés de gros évoluent avant d’arrêter le niveau de cette modulation et celui du tarif final.
Selon le média Contexte, la Commission de régulation de l’énergie a calculé que, pour tenir la limite des 9 % avec le nouveau Turpe, l’augmentation de l’accise ne pourrait aller au-delà d’une fourchette de 32 € à 35 €/MWh – un niveau déjà potentiellement supérieur au tarif d’avant la crise.
Votre rapporteur est sceptique quant à l’objectif d’une baisse des factures aux TRVe d’au moins 9 %. Cette cible n’est pas inscrite dans la loi et la revalorisation du Turpe pèsera fortement dans l’équation. Il s’agit d’une charge nécessaire (car couvrant les frais des réseaux), qui doit être répartie entre tous les consommateurs. Une réévaluation aurait dû s’appliquer en août dernier, mais le Gouvernement a demandé qu’elle soit différée à novembre pour les consommateurs finals ne bénéficiant pas des TRVe et à février 2025 pour ceux qui en bénéficient (afin que les TRVe soient modifiés en une seule fois). Il n’en reste pas moins que lorsque le nouveau tarif sera appliqué aux TRVe, il faudra également couvrir le manque à gagner passé.
Si les consommateurs finals aux TRVe seraient momentanément ménagés, après une augmentation de 43 % en deux ans d’après les calculs de l’UFC-Que choisir, les autres vont subir de plein fouet ces deux augmentations.
La ministre de la transition écologique a reconnu que cela amènerait les entreprises françaises à payer leur électricité plus cher que leurs voisines européennes, même si l’article 7 propose en parallèle d’aligner, à la baisse, le tarif d’accise sur l’électricité des petites et moyennes entreprises sur celui des entreprises de taille plus importante (à 20,9 €/MWh). Les activités électro-intensives pourraient toutefois être épargnées grâce au maintien, jusqu’au 31 décembre 2025, du minimum de taxation européen.
Le problème, enfin, est qu’en temps ordinaire, le dispositif proposé autoriserait le Gouvernement à faire varier le tarif d’accise entre 36 € et 56 €/MWh (sur la base théorique de 31,14 €/MWh) pour les ménages et assimilés. Cela représenterait des hausses de prix significatives, essentiellement destinées à accroître le rendement de ces taxations.
On pourrait considérer que cet alourdissement encourage la modération des consommations, nécessaire pour l’atteinte de l’objectif du « zéro carbone net » en 2050… si ce n’est que les « signaux-prix » donnés par la réforme sont contradictoires : certes, l’accise sur le gaz a augmenté et les nouveaux quotas carbone viendront ultérieurement renchérir les prix des consommations fossiles, mais l’accise sur l’électricité resterait, au minimum, presque deux fois plus élevée.
C’est totalement incohérent avec l’impératif d’encourager l’électrification de nombreux usages.
Votre rapporteur est convaincu, au contraire, de la nécessité de rééquilibrer les taxations de l’électricité et du gaz. Mais comme il importe également de concilier les objectifs environnementaux avec un accès à une énergie à prix raisonnable pour les acteurs vulnérables (entreprises et ménages modestes), votre rapporteur recommande de supprimer, au minimum, la possibilité pour le Gouvernement de majorer à discrétion les taux d’accise sur l’électricité.
SECONDE partie :
Les coûts du nucléaire, existant et futur, et leur impact sur les consommateurs et contribuables français
Votre rapporteur a choisi de consacrer la partie thématique de son avis à l’impact financier, présent et à venir, du nucléaire civil pour les entreprises, les collectivités et les ménages français, aux coûts et financements qui sont ou pourraient être pris en charge par le budget de l’État et à la future régulation des prix du productible.
Il s’agit d’apprécier quels coûts seront répercutés sur les consommateurs finals d’électricité et quels investissements devront être pris en charge par l’État (et donc par les contribuables français) pour le fonctionnement du parc, sa prolongation et son éventuel renforcement. Ces questions sont particulièrement importantes s’agissant de la relance du nucléaire : celle-ci n’est en effet pas une obligation du point de vue climatique ou de notre approvisionnement, mais une simple option – par ailleurs contestable –, comme l’ont montré les scénarios de RTE ([19]) et de l’Ademe. Alors que le premier béton nucléaire de l’EPR2 de Penly ne serait pas coulé avant 2028 et qu’EDF doit prendre sa décision finale d’investissement fin 2026, votre rapporteur a souhaité éclairer le législateur sur ces problématiques.
Avec l’électrification de nombreux usages, la consommation d’électricité nationale pourrait passer d’environ 475 TWh aujourd’hui à 580 TWh, voire 640 TWh, dès 2035 et 650 TWh en 2050 ([20]). La production d’électricité en France s’est élevée à 505 TWh en 2023, dont 320 TWh d’origine nucléaire, selon l’édition 2024 des Chiffres clés de l’énergie ([21]). La réussite de la transition énergétique de notre pays suppose donc d’importants investissements dans le renforcement des capacités nationales de production électrique, alors même que le parc nucléaire existant vieillit et que la prolongation des réacteurs au-delà des quarante ans pour lesquels ils ont été autorisés dépend, a minima, d’importants travaux de rénovation. En outre, même dans l’hypothèse d’un maintien en activité jusqu’à soixante ans, l’actuel parc nucléaire devra en grande partie être mis à l’arrêt d’ici 2050.
Le contexte pouvait se prêter à une évolution du mix énergétique français qui ne donnerait plus la priorité à la solution nucléaire. Les travaux prospectifs réalisés par Réseau de transport d’électricité (RTE) et publiés en octobre 2021 montraient même la possibilité d’aboutir à un mix 100 % renouvelable.
Toutefois, lors de son discours de Belfort du 10 février 2022 et tout en reconnaissant le besoin de développer en parallèle les énergies renouvelables, le Président de la République Emmanuel Macron a décidé de répondre à ces enjeux d’avenir par une relance forte de la filière nucléaire. Il a non seulement confirmé l’objectif de prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l’être, mais également annoncé le lancement d’un programme de six nouveaux réacteurs nucléaires du type « Réacteur pressurisé européen de seconde génération » (EPR2), qui pourraient être complétés par la construction de huit autres EPR2.
Un appel à projets a, de surcroît, été lancé pour faire émerger des petits réacteurs modulaires (SMR) ou des réacteurs innovants capables de « fermer le cycle » du combustible, avec une dotation de 500 M€ issue du programme « France 2030 ». Toutefois, au regard du caractère encore très théorique et balbutiant de ces technologies, votre rapporteur n’en a pas tenu compte dans ses travaux.
I. Des coûts massifs pour les réacteurs existants et encore inconnus pour les réacteurs futurs
La filière nucléaire génère des coûts de court terme, pour la production d’électricité et le fonctionnement, l’entretien et la sécurité des 56 installations actuellement en activité, dont votre rapporteur n’a pu obtenir le détail, des coûts de moyen terme, pour la prolongation des installations existantes ou la construction de nouvelles infrastructures (A), et des coûts de long terme, pour la gestion des matières et déchets radioactifs et le démantèlement final des centrales (B).
Ces différents coûts sont synthétisés dans la notion de « coûts complets de production », qui constituent une référence essentielle pour la fixation du prix de vente de l’électricité par son producteur, un minimum en-deçà duquel le productible serait cédé à perte (C).
A. De lourds investissements déjà engagés dans la prolongation et le développement du parc
1. Un programme de « Grand carénage » qui n’est évalué que jusqu’en 2028
Les réacteurs actuels ont été autorisés pour une durée d’exploitation de quarante ans. Tous les dix ans, ils font l’objet d’une visite décennale, à l’issue de laquelle l’Autorité de sûreté nucléaire se prononce sur leur capacité à poursuivre leur activité et sur les éventuelles mesures nécessaires à cette fin. Prolonger l’exploitation au-delà de quarante ans, a fortiori si on vise les soixante ans et davantage, exige des travaux plus substantiels.
Le programme d’investissements dit « Grand carénage », approuvé en janvier 2015, a pour finalités d’augmenter le niveau de sûreté des réacteurs mais aussi de les rénover afin de prolonger substantiellement leur fonctionnement – si les conditions sont réunies. Ce programme prévoyait 55 M€2013 d’investissements sur la période 2014-2025 pour les troisièmes visites décennales (VD3) des 20 réacteurs du palier 1 300 MW, l’essentiel des améliorations de sécurité, la maintenance courante et le lancement des quatrièmes visites décennales (VD4), qui doivent examiner la prolongation des 32 réacteurs de 900 MW au-delà de leurs quarante ans ([22]).
Le 31 mars 2022, le conseil d’administration d’EDF a validé une nouvelle feuille de route sur la période 2022-2028 intégrant le retour d’expérience des instructions en cours avec l’Autorité de sûreté nucléaire, notamment sur les VD4 pour les paliers 900 MW et 1 300 MW et le lancement de la phase « Études » de la VD5 900 MW, pour un montant d’investissements sur cette période estimé à 33 milliards d’euros courants (Md€), soit 31,2 Md€2021. Cette enveloppe représente un rythme de 4,7 Md€ par an ; à titre de comparaison, les investissements réalisés en 2023 ont représenté un total de 4,4 Md€.
Votre rapporteur souligne qu’on ignore combien coûteront les travaux de rénovation au-delà de 2028, alors qu’il serait rapidement nécessaire de programmer les VD5 des paliers 1 300 MW et que les paliers 900 MW seront pour beaucoup entrés dans leur cinquantaine. En tout état de cause, les deux tiers des réacteurs nucléaires en fonctionnement auront atteint soixante ans dans le courant de la décennie 2040.
Aux dires des différents acteurs, si les VD4 coûtaient quatre fois plus cher que les VD3 à cause des changements d’équipements conçus pour ne pas aller au-delà de quarante ans, les VD5 seraient moins onéreuses. En revanche, pour les industriels auditionnés, la VD6, qui déterminerait la capacité d’un réacteur à être maintenu en fonctionnement au-delà de soixante ans, devrait coûter beaucoup plus cher, notamment pour le remplacement des réseaux qui traversent les cœurs de réacteur. Il est évidemment impossible d’évaluer ces coûts, lointains et incertains, mais EDF ne donne aucun ordre de grandeur.
2. Des constructions en cours et à venir dont le coût final reste incertain
a. La dérive des coûts de l’EPR de Flamanville 3
Lancé en décembre 2007, le troisième réacteur de Flamanville, de type EPR, devait offrir une puissance de 1 630 MWe et être mis en service en 2012, pour un coût initial de 3,3 Md€ ([23]). Le chantier aura finalement duré dix-sept ans – si l’on arrête le décompte au chargement du combustible, qui a débuté le 8 mai 2024 ; mais le démarrage opérationnel a déjà subi plusieurs aléas depuis septembre 2024 et la montée à puissance nominale prendra encore plusieurs mois après la connexion au réseau.
Le coût à terminaison de cet EPR est aujourd’hui estimé à 13,2 Md€2015, hors intérêts intercalaires, soit quatre fois plus que le devis d’origine.
Malgré la demande de votre rapporteur, EDF n’a pas communiqué son coût complet, avec les frais financiers supplémentaires générés par les retards du chantier. Dans un rapport public de 2020 ([24]), la Cour des comptes, qui n’hésitait pas à qualifier le chantier de Flamanville 3 d’ « échec opérationnel », évaluait ces frais financiers à 4,2 Md€ à la date prévisionnelle de mise en service, sans compter quelques autres frais complémentaires (comme les frais de pré-exploitation, par exemple). L’ensemble s’ajoutant à un coût de construction à terminaison estimé à 12,4 Md€2015 à l’époque, la Cour aboutissait à un coût total d’investissement à terminaison de 19,1 Md€2015, dont 20 % de coûts de financement.
La Cour situait par ailleurs, de manière hypothétique faute de données précises communiquées par l’entreprise, le coût de production dans une fourchette comprise entre 110 €2015 par mégawattheure (MWh), pour un taux de disponibilité de 90 % (escompté par EDF) et 120 €2015 par mégawattheure, pour un taux de disponibilité de 80 %, plus proche de celui de son parc en 2020 (71 %).
La même année, les économistes Alain Grandjean, Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh se sont également essayés à calculer le coût de revient de l’électricité qui sera produite par Flamanville 3 ([25]) : « à 12,4 milliards [d’euros] pour un réacteur d’une puissance de 1 630 MW en retenant un taux d’utilisation optimiste de 85 % (qui suppose un usage en base et pas de contribution à la modulation de la demande,) le coût de revient serait de 154 euros le MWh ». Le tableau suivant décompose ce calcul ([26]).
Cette estimation se fondait aussi sur un taux d’actualisation des capitaux investis ([27]) entre 7 et 8 % au vu du risque à investir dans un tel projet, un taux proche du taux retenu par EDF dans ses calculs internes ([28]). Plus ce taux est élevé, plus le coût du financement extérieur est important.
À l’époque, EDF a contesté ce calcul, mais en s’attachant surtout au fait qu’il se fondait sur un seul réacteur plutôt que sur l’ensemble du parc. L’entreprise n’a pas réellement remis en question les éléments du calcul.
Étant donné les nouveaux dérapages calendaires dus aux nombreux travaux effectués pour pallier les malfaçons depuis 2020, il n’est pas interdit de penser que le coût de revient de l’EPR de Flamanville sera encore supérieur à 150 €/MWh… lorsqu’il aura démarré.
b. Des projets d’EPR2 aux budgets toujours à l’étude
L’explosion des coûts de l’EPR de Flamanville interroge sur le réalisme des annonces relatives aux coûts et aux délais de réalisation des six premiers EPR2, même si EDF a indiqué à votre rapporteur que « Flamanville 3 est la tête de série de la technologie EPR, et à ce titre les principaux enjeux du projet étaient de conserver les compétences de la filière nucléaire française et de préparer le déploiement de la technologie EPR en France et dans le monde. »
L’énergéticien compte tirer parti des retours d’expérience des six projets de réacteurs EPR lancés dans le monde : Flamanville 3, Hinkley Point C (deux réacteurs toujours en construction), ainsi que des EPR déjà mis en service (Taishan 1 et 2 et Olkiluoto 3), d’un point de vue technologique et organisationnel. En réponse aux recommandations du rapport de M. Jean-Martin Folz, remis en octobre 2019, EDF a lancé au printemps 2020 son plan Excell « qui vise à permettre à la filière nucléaire française de retrouver un haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence » : ce plan s’attache notamment à renforcer les compétences ([29]) (création de l’Université des métiers du nucléaire) et la standardisation des référentiels et des équipements, mais aussi la gouvernance des projets nucléaires au sein du groupe EDF. Celle-ci a été réorganisée pour distinguer la maîtrise d’ouvrage interne, indépendante et qui devra garantir le respect des coûts, des délais et de la qualité de réalisation des projets, et la maîtrise d’œuvre. De son côté, l’État a créé en novembre 2022 une délégation interministérielle au nouveau nucléaire (Dinn), placée auprès du Premier ministre et qui a pour mission première de superviser les projets industriels de nouveau nucléaire.
La Dinn a confirmé à votre rapporteur que la « Revue de programme EPR2 », un groupe d’experts présidé par M. Hervé Guillou, a validé en juillet le « Basic Design » des principaux bâtiments de l’îlot nucléaire du premier EPR2. EDF est désormais engagée dans la préparation de la conception détaillée (« Detailed Design ») du projet, soit un niveau de maturité supérieur à celui des débuts du projet Flamanville 3. Toutefois, la conception ne serait finalisée qu’en 2030 ; les responsables escomptent néanmoins que 70 % des plans soient prêts pour un « premier béton » coulé en 2028.
Calendrier prévisionnel du programme EPR2
Selon la Dinn, le calendrier prévisionnel des premiers réacteurs EPR2 de Penly, qui seront la paire « tête de série » du nouveau programme, s’établirait comme suit :
– Juin 2023 : décision du maître d’ouvrage de poursuivre le projet, après débat public, et dépôt des demandes d’autorisations administratives ;
– Juin 2024 : obtention des autorisations environnementales et lancement des travaux préparatoires ;
– 2024-2026 : établissement et finalisation du programme de financement. Quand il sera arrêté, ce programme sera soumis à l’accord de la Commission européenne, dont l’instruction prendra 12 à 18 mois – soit jusqu’à la mi-2026. Ce n’est qu’après avoir obtenu l’accord de la Commission européenne qu’EDF prendra sa « décision finale d’investissement » qui engagera vraiment le programme EPR2 ;
– 2026-2027 : obtention espérée de l’autorisation de création des réacteurs pour Penly ;
– 2027-2028 : lancement programmé du chantier nucléaire pour Penly.
Des millions d’euros sont d’ores et déjà engagés pour les travaux préparatoires sur le site de Penly.
Selon EDF, les mises en service des six premiers réacteurs s’échelonneraient de 2035-2037 (pour la première paire) jusqu’en 2043 sur les trois sites de Penly, Gravelines puis Bugey. Dans l’hypothèse d’une extension à quatorze EPR2, les mises en service des huit réacteurs EPR2 supplémentaires, sur quatre sites à déterminer ([30]), seraient échelonnées de 2043 à 2050, à raison de la mise en service d’un réacteur par an.
EDF reconnaît que ce rythme « semble ambitieux et atteignable ». Sa direction s’est en outre donné l’objectif de ramener la construction d’un réacteur « de série » à une durée de soixante-dix mois, c’est-à-dire 5,8 ans, contre quatre-vingt-dix mois dans les premières projections. Même si l’« effet paire » sera un accélérateur pour le deuxième réacteur de Penly (le premier prenant au moins 120 mois), ce rythme ne sera envisageable que lorsque les définitions techniques seront réplicables, soit au plus tôt pour le second réacteur de Gravelines ou le second de Bugey, soit entre le quatrième et le sixième exemplaire. L’entreprise travaille à sécuriser ce calendrier et indique que « les exercices d’optimisation de la réalisation de la tranche de série devraient être achevés au début de l’année 2026 ». De son côté, la Dinn déclare que le délai de 70 mois est « challenging mais pas irréaliste ».
Votre rapporteur s’interroge sur la faisabilité d’une telle diminution des délais, même s’il est évident qu’elle allègerait substantiellement le coût final du programme, et sur le maintien et le respect des exigences de sûreté et de sécurité. Dans son rapport précité de 2020, la Cour des comptes rappelait que le temps moyen de construction d’un réacteur dans le monde avait été de 121 mois entre 1996 et 2000. La dizaine d’années envisagée pour la première paire d’EPR2 reste cohérente avec ces expériences. En revanche, la quasi-division par deux du délai de construction pour la seconde tranche apparaît autrement moins réaliste. Sur des engagements aussi lourds pour l’avenir de notre pays, il importe d’être transparent et de ne pas courir le risque d’être moins exigeant sur la sûreté en cherchant à faire plus vite.
Quant à l’estimation des coûts du programme EPR2, un premier chiffrage pour la construction de trois paires d’EPR2 (la première tranche) avait été réalisé par EDF en 2019, mis à jour en 2020 et soumis à un audit extérieur par le Gouvernement. Il aboutissait à un coût prévisionnel de construction « overnight » de 51,7 Md€2020, se décomposant comme suit :
– 3,8 Md€2020 pour le « Palier », c’est-à-dire l’ensemble des études considérées comme identiques et réutilisables pour plusieurs tranches ou paires ;
– 16,9 Md€2020 pour la construction de la paire 1 ;
– 15,8 Md€2020 pour la paire 2 ;
– 15,3 Md€2020 pour la paire 3.
En 2023, EDF a lancé un nouveau chiffrage du programme fondé sur une approche « prudente », afin de prendre en compte plusieurs évolutions et les exigences de l’État en termes de « cohérence globale de cet exercice de chiffrage ». EDF dit avoir également engagé un important chantier de réduction des coûts du programme. Cette nouvelle estimation ne sera malheureusement pas disponible avant la fin de l’année 2024, après la réalisation par l’État d’un nouvel audit indépendant en novembre. EDF a néanmoins laissé entendre à votre rapporteur que le résultat devrait être peu éloigné du chiffre de 67,4 Md€ évoqué ces derniers mois dans la presse ([31]).
En tout état de cause, ces chiffres n’intègrent toujours pas le coût de financement des projets, pas même en se fondant sur les délais prévisionnels annoncés, et ils ne concernent que la première tranche.
Selon des scénarios élaborés par Greenpeace, la facture des six premiers EPR2 pourrait dépasser les 100 Md€ en incluant les intérêts intercalaires ; et le coût de production de l’électricité serait compris entre 135 €/MWh et 176 €/MWh selon la méthodologie du coût courant économique, c’est-à-dire « bien loin de la référence actuelle de 70 €/MWh » ([32]).
Même en faisant abstraction du débat politique et sociétal que mériterait cette relance du nucléaire, votre rapporteur déplore qu’une telle décision soit arrêtée et des investissements engagés avant même d’avoir une idée plus précise des coûts et de la rentabilité de ces chantiers. Comme M. Alain Grandjean le souligne, il aurait été nécessaire que l’on prenne le temps d’apprécier la rationalité économique de ces investissements. Il en va de l’impact sur les factures des ménages et des entreprises, comme sur les finances de l’État (voir le II).
B. Des charges de très long terme
1. Les inévitables démantèlements
Lorsque les réacteurs nucléaires, mais également les installations nécessaires à la gestion de leurs combustibles, de leur fabrication jusqu’à leur éventuel « recyclage », sont définitivement arrêtés, les installations doivent être démantelées, c’est-à-dire être au moins débarrassées des substances dangereuses et radioactives. Ces opérations s’étalent sur plusieurs décennies. Au sein de la « première génération » d’installations nucléaires de base (INB), trente-trois ont déjà été complètement démantelées et trente-six sont en cours de démantèlement, sous la responsabilité des trois exploitants principaux que sont le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Orano et EDF.
Le CEA reçoit, à cet effet, une dotation budgétaire annuelle (de 740 M€), inscrite au programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». EDF et Orano ont, quant à eux, l’obligation de provisionner, dès l’ouverture d’une INB, les charges futures de son démantèlement et d’assurer leur couverture par des actifs dédiés, valorisés par la production de valeur des centrales en activité.
À ce jour, onze réacteurs d’EDF sont à l’arrêt définitif. Au 31 décembre 2023, les montants bruts des charges de démantèlement évalués aux conditions économiques de fin de période (reste à dépenser) et les montants en valeur actualisée sont les suivants :
Les charges de démantèlement et les provisions cumulées s’établissent donc à, respectivement, environ 8,5 Md€ et 5,2 Md€ pour ces onze installations. EDF a expliqué à votre rapporteur que, par exemple, Fessenheim ayant produit 440 milliards de kilowattheures pendant ses quarante-deux ans de fonctionnement, les 994 M€ du démantèlement de ses deux réacteurs ne représentent finalement que 2 €/MWh produit.
L’entreprise considère en outre que l’étendue de son parc en activité lui permettra de mutualiser des coûts et de bénéficier d’effets de série conduisant à un coût moyen de démantèlement par tranche environ deux fois plus faible. Le poids du démantèlement du parc REP ne serait alors que de 1 €/MWh produit.
Un rapport de la Cour des comptes de février 2020 ([33]) relevait néanmoins que les devis des démantèlements en cours avaient doublé pour EDF entre 2013 et 2018, s’interrogeant en conséquence sur la justesse de son évaluation des charges futures et de ses provisionnements. Elle observait notamment que « les gains escomptés de la standardisation [du parc en fonctionnement d’EDF] devraient être davantage justifiés. » Votre rapporteur ne dispose pas des éléments lui permettant de savoir si, depuis cette étude, EDF a pris en compte les remarques de la Cour. Il reste avéré que, rapportées à de très longues durées, ces dépenses pèsent peu dans le coût du productible.
L’ensemble des coûts liés à la gestion des déchets produits ou à produire à partir des équipements, matériels ou combustibles irradiés à date sont provisionnés dans les comptes d’EDF. Ces provisions sont contrôlées par une autorité indépendante et sécurisées par des actifs dédiés au bilan, dont la gestion est très réglementée. À la date du 30 juin 2024, les provisions devant être couvertes par des actifs dédiés (pour le démantèlement, la gestion des déchets radioactifs et la gestion du combustible nucléaire) s’élevaient à 36,2 Md€ et la valeur des actifs dédiés à 38,6 Md€, soit un taux de couverture de 106,5 %.
2. La gestion au long cours des déchets et combustibles usés
La production électronucléaire génère certains volumes de combustibles usés ou de déchets radioactifs, qui doivent être entreposés de manière temporaire dans l’hypothèse d’un retraitement, voire d’une future « fermeture du cycle » ([34]), pour les premiers, ou de manière pérenne, c’est-à-dire stockés, pour les seconds.
L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) tient un Inventaire national des matières et déchets radioactifs : à fin 2022, le volume total de matières ou déchets radioactifs présents sur le territoire français s’élevait à 1 790 000 m3, provenant de plus de mille producteurs de déchets, au premier rang desquels figurent EDF, Orano et le CEA ([35]).
Le suivi année après année montre que les évolutions de ces volumes sont régulières : par exemple, plus de 30 000 m3 de déchets radioactifs ont été produits au cours de l’année 2022, 70 % relevant de la catégorie des déchets de très faible activité.
Sur les 1 790 000 m3 recensés fin 2022, 441 000 m3 (soit près de 25 %) de matières et de déchets sont entreposés dans les installations de leurs producteurs ou dans des sites dédiés. Le reste est stocké définitivement dans les centres de l’Andra en exploitation ou fermés.
Le financement des deux centres de stockage en exploitation que sont le centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), pour les déchets de très faible activité (TFA), et le centre de stockage de l’Aube (CSA), pour les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) – de même que le financement du centre de stockage de la Manche (CSM), bien qu’il soit aujourd’hui fermé – est entièrement à la charge des producteurs de déchets dans le cadre de contrats commerciaux. Les producteurs financent l’enlèvement et le stockage des déchets, l’exploitation et la fermeture des centres de stockage, etc., pour 73,6 M€ par an ; les investissements cumulés ont représenté 256 M€ pour le CSA et 55 M€ pour le Cires à fin 2023.
En ce qui concerne les déchets à vie longue (moins de 10 % du volume), ils sont entreposés dans des installations dédiées. Mais deux centres de stockage sont en cours d’étude (pour les déchets de faible activité à vie longue, FA-VL) ou de développement s’agissant du centre de stockage en couche géologique profonde (Cigéo) prévu à Bure : celui-ci, qui n’est encore qu’un laboratoire ([36]), doit permettre de stocker de manière pérenne la totalité des déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA‑VL). La phase préalable est financée par EDF (78 %), le CEA (17 %) et Orano (5 %) via une taxe affectée pour les recherches et une contribution spéciale pour les études de conception des installations et les travaux préalables.
Financement des études et travaux en matière de stockage des déchets
Les installations nucléaires de base (INB) sont soumises à une taxe annuelle et à quatre taxes additionnelles, à savoir la contribution de protection et de sûreté nucléaire (affectée à l’IRSN), la taxe dite « d’accompagnement » (versée aux départements et groupements d’intérêt public concernés par les INB), la taxe dite « de stockage » (affectée en particulier aux communes et intercommunalités à proximité des sites de stockage), celle dite « de diffusion technologique » et enfin celle dite « de recherche » (versée à l’Andra).
Depuis 2006, cette dernière alimente un fonds finançant les recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs, ainsi que le fonctionnement du laboratoire souterrain de Bure. Bien que la taxe génère 65 M€ de recettes, le fonds est plafonné à 55 M€ depuis la loi de finances pour 2020. L’Andra alerte sur le fait que cette limite ne permet plus de couvrir les besoins de financement.
Depuis 2014, s’ajoute une contribution spéciale dite « de conception » permettant de financer les études et travaux préalables à la construction du centre Cigéo. Elle est exigible jusqu’à la date d’autorisation de création du centre Cigéo, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2025. L’article 5 du projet de loi de finances pour 2025 propose de repousser à 2028 la date limite de son abrogation.
Ce même article 5 présente une refonte globale de ces six taxes et l’article 63 propose d’élargir le partage entre les collectivités territoriales des recettes de la taxe de stockage liée aux installations de Bure, afin de rééquilibrer les retombées fiscales ; il en irait de même pour le centre de stockage de l’Aube.
Le dernier chiffrage du coût global du projet Cigéo a été estimé à 25 Md€ (aux conditions économiques du 31 décembre 2011) en janvier 2016. Ce coût global, calculé sur plus de 150 ans, sert au calcul des provisions des producteurs de déchets et est régulièrement mis à jour : il devrait l’être à nouveau entre avril 2025 et 2026, pour être disponible au moment de l’enquête publique sur la demande d’autorisation de création. La loi a prévu que la construction, l’exploitation, la fermeture, l’entretien et la surveillance de Cigéo seront financés par un fonds alimenté par des contributions des exploitants d’INB définies par conventions.
L’ensemble des dépenses présentes et futures induites par la gestion à long terme des combustibles et déchets radioactifs doivent être provisionnées (par exemple, lors de chaque chargement du cœur du réacteur nucléaire) et couvertes par des actifs dédiés. Au 31 décembre 2023, les provisions correspondantes s’élevaient à un total de 13,2 Md€ dans les comptes d’EDF.
En décembre dernier, l’Andra a publié un rapport intitulé « Nouveau nucléaire français : quels impacts sur la gestion des déchets radioactifs ? » qui montre que l’augmentation du volume des déchets radioactifs produits par six nouveaux réacteurs serait :
– concernant les déchets HA, de l’ordre de 16 % en multirecyclage ou de 11 % en monorecyclage ;
– concernant les déchets MA-VL, entre 4 % et 6 % selon la stratégie de recyclage du combustible ;
– de l’ordre de 5 % concernant les déchets TFA et FMA-VC, quelle que soit la stratégie de recyclage.
L’Andra ne prévoit pas de difficultés à court terme : « on sait d’avance les déchets qui seront produits par les futurs EPR2. (…) Les enjeux à venir du stockage dépendront peu des nouvelles capacités, mais plutôt des choix en matière de politique du cycle : si le cycle de traitement des déchets n’est jamais refermé, il faudra déterminer ce que l’on fait du Mox usé [et] de l’uranium appauvri, faiblement radioactif et non suivi par l’Andra. »
Lors de la prochaine mise à jour du projet Cigéo, les déchets associés aux EPR2 seront intégrés dans l’inventaire de réserve (et non l’inventaire de référence). Si les EPR2 sont autorisés, les premiers déchets MA-VL n’arriveraient dans Cigéo que plusieurs dizaines d’années après la mise en service des centrales. Cela pourrait alors conduire à un report de la date de fermeture du stockage, ainsi qu’à une augmentation de son emprise, mais cet impact ne serait pas « rédhibitoire ».
En tout état de cause, l’Andra ne fait pas de projections à ce stade sur les coûts supplémentaires générés par ces nouveaux besoins.
Dans son étude précitée, Greenpeace évoque une estimation par EDF de 1,7 Md€2020 (1,9 Md€2023) pour le coût du démantèlement et du dernier cœur (le combustible non irradié d’un réacteur nucléaire mis à l’arrêt).
Typologie des matières radioactives non constitutives de déchets
Les matières actives qui ne sont pas encore des déchets sont de plusieurs natures :
– le combustible activé, lors de son engagement en réacteur. Au 31 décembre 2023, EDF décomptait 4 300 tonnes présentes dans les réacteurs en exploitation et valorisées 1 472 M€ dans son bilan. Son coût de gestion est inclus dans le coût d’exploitation global. Une fois désengagée du réacteur, la matière active n’est pas stockée mais entreposée en vue de son traitement et de son « recyclage » futur ;
– le combustible usé, mais « recyclable » ([37]). Le coût total du « recyclage », c’est-à-dire du retraitement à La Hague, permettant de produire 95 % d’uranium de retraitement (URT) et 1 % de plutonium (Pu), représente près de 1 Md€ par an. EDF possède à ce jour 25 665 tonnes d’URT, valorisées à 15 M€ dans son bilan et dont l’utilisation, aujourd’hui limitée à quatre réacteurs, monte progressivement en puissance ;
– la matière issue du traitement du combustible usé (Pu), utilisable pour générer, à raison de 100 à 120 tonnes par an, du combustible Mox, qui remplace une partie du combustible composé d’uranium naturel enrichi dans 22 réacteurs ([38]).
C. Le calcul stratégique des coûts complets de production du parc existant
1. Des approches différentes selon l’objectif des calculs réalisés
La notion de « coût de production » peut recouvrir des périmètres différents. EDF elle-même en utilise plusieurs, en fonction des objectifs poursuivis :
– le coût marginal de production, pour savoir s’il faut démarrer ou non la centrale pour produire de l’électricité. Il correspond au coût à engager pour produire un mégawattheure supplémentaire et comprend le coût du combustible, le besoin en fonds de roulement et les dotations aux provisions pour la gestion du combustible après utilisation ;
– le coût de production restant à engager, s’il s’agit de prolonger la durée de vie des centrales : ce coût correspond aux dépenses nécessaires pour exploiter les centrales sur leur durée de vie résiduelle, ainsi qu’aux investissements futurs nécessaires à l’augmentation de la durée de vie jusqu’à soixante ans ;
– le coût complet de production correspond au niveau de revenus qu’il faut percevoir sur la durée totale d’utilisation des actifs pour couvrir les charges opérationnelles (dont le prix du combustible), rembourser les investissements « et obtenir la rémunération de ces investissements en cohérence avec les risques supportés par l’investisseur ».
Selon EDF, les deux principales méthodes pour évaluer le coût complet de production, comptable et économique ([39]), sont strictement équivalentes si elles sont considérées sur la durée de vie complète de l’actif, de la mise en service à la fin d’exploitation. Cependant, le profil temporel du coût complet n’est pas identique suivant l’approche retenue : le coût complet comptable est élevé à la mise en service, sous l’effet de la rémunération des actifs qui diminue ensuite au fil du temps du fait de l’amortissement comptable, alors que le coût complet économique est stable sur la durée de vie.
EDF considère que le coût comptable d’un parc ayant plus de 37 ans d’exploitation en moyenne n’est pas le bon indicateur pour inscrire l’activité nucléaire dans la durée et permettre les investissements de renouvellement des capacités de production, « principalement parce qu’EDF n’a pas touché par le passé une rémunération sur une base comptable : les tarifications stables et la période de régulation Arenh ont généré un déficit de rémunération de l’activité par le passé. […] Seule la méthode économique permet de rétablir la rémunération normale des investissements, […] en dégageant les marges suffisantes pour couvrir les risques de l’activité et préparer les investissements futurs de renouvellement. »
Dans son rapport sur l’analyse des coûts du système de production électrique en France (2021), la Cour des comptes explique, pour sa part, que « le choix de la méthode à utiliser dépend directement de la nature de la question posée. L’approche économique est généralement utilisée pour prendre une décision d’investissement. L’approche comptable, ou l’approche hybride, permettent quant à elles de tenir compte du passé pour fixer le niveau d’un tarif réglementé ou régulé de l’électricité. ».
Dans ce rapport, la Cour s’est attachée à actualiser son estimation du coût complet de production du parc nucléaire existant pour les années 2011 à 2020 en utilisant les différentes méthodes, dont les résultats varient fortement : elle aboutissait à un coût oscillant autour de 42 €/MWh au cours de la période, en retenant la méthode comptable. En revanche, l’approche économique, analogue à celle que la Cour avait utilisée en 2014, conduisait à des coûts de l’ordre de 60 €/MWh au cours de la même période.
2. La difficile synthèse pour 2026-2030 : les écarts d’estimation entre EDF et la CRE
En 2023, le Gouvernement a demandé à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) de refaire un exercice d’estimation afin de disposer d’une référence objectivée pour la régulation du prix de vente de l’électricité issue du parc nucléaire existant, après le terme du dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) en 2025. La CRE a publié ses projections sur les coûts complets et comptables du parc nucléaire existant entre 2026 et 2040 le 27 juillet 2023 ([40]).
Se plaçant dans un schéma de régulation de l’ensemble de la production nucléaire fondé sur un contrat pour différence symétrique (CfD), la CRE a analysé le coût complet des 56 réacteurs (tranches) en exploitation, prolongés à soixante ans par hypothèse, et du réacteur pressurisé européen de Flamanville 3 (EPR). Cette évaluation ne couvre pas les besoins relatifs au financement du développement de nouveaux réacteurs nucléaires.
Fondé sur un empilement de composantes du coût comptable et d’éléments de rémunérations extracomptables identifiées, le coût complet ressort à 60,7 €2022/MWh sur la période 2026-2030, 59,1 €2022/MWh sur 2031-2035 et 57,3 €2022/MWh sur 2036-2040.
La Commission de régulation de l'énergie a également calculé un coût comptable de production, par nature inférieur mais qui constitue un socle minimal de coûts « en-deçà duquel EDF doit être considérée comme étant rémunérée sous son niveau de rémunération normale, quel que soit le cadre de régulation ». Il s’établit à 57,8 €2022/MWh sur la période 2026-2030, 56,5 €2022/MWh sur 2031‑2035 et 54,9 €2022/MWh sur 2036-2040.
EDF a toutefois contesté les approches retenues par la CRE : si ces approches sont cohérentes avec la méthodologie déjà utilisée en 2020 et conformes à la lettre de saisine du Gouvernement, elles ne seraient pas, selon elle, adaptées à l’objectif de renouvellement des capacités de production : EDF considère que « la CRE exprime les coûts pour un cadre de régulation à prix fixe, qui ne correspond pas aux mécanismes envisagés à partir de 2026 (période « post-Arenh »), qui s’inscrivent dans un cadre de marché. »
Interrogées par votre apporteur, la CRE et EDF ont l’une et l’autre reconnu que le cadre de régulation qui sera mis en œuvre à partir de 2026 constitue le principal facteur d’écart entre le coût exposé par EDF (74,8 €/MWh) et celui retenu par la Commission de régulation de l’énergie (60,7 €/MWh), compte tenu de son impact sur le coût moyen pondéré du capital. Le passage d’un cadre non régulé, comme dans la demande d’EDF, au cadre de régulation à prix fixe retenu par la CRE emporte des conséquences importantes sur le niveau de risque et la rémunération du capital engagé, et a donc un fort impact sur le coût de production.
L’écart d’évaluation entre la CRE et EDF s’explique également par l’appréciation des éléments extracomptables, notamment ceux relatifs à la nature de la rémunération d’EDF pendant la période antérieure à l’évaluation (dite « déficit de financement passé » dans la figure). Le schéma ci-dessus évalue les écarts de calcul entre EDF et la CRE.
S’agissant de ce facteur, EDF considère que les hypothèses de la CRE sont conservatrices, minimisant notamment le rattrapage du financement passé et les coûts supportés par l’entreprise à ce titre. La CRE ne prendrait pas non plus en compte l’ensemble des coûts de l’EPR de Flamanville.
De leur côté, les associations de consommateurs auditionnées par votre rapporteur s’étonnent des chiffrages des coûts de production du nucléaire français, quand ceux du nucléaire américain tournent autour de 30 dollars/MWh.
Soumis à controverse, ce calcul des coûts complets de production du nucléaire historique est pourtant stratégique puisqu’il constitue le premier étage du calcul des seuils de taxation des revenus d’EDF prévus dans le dispositif « post‑Arenh » de l’article 4 du projet de loi de finances pour 2025.
II. De lourds impacts à venir pour les consommateurs français
A. Un dispositif de l’Arenh protecteur pour les consommateurs, mais contraignant pour les capacités d’investissement d’EDF
S’agissant des modalités de financement des coûts du parc nucléaire existant, on rappelle en résumé :
– que les charges de long terme pour la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs et les futurs démantèlements, font l’objet de provisions dans les comptes d’EDF (36,2 M€ au 30 juin 2024), complétées à chaque chargement d’un réacteur ou lancement d’une nouvelle installation nucléaire et couvertes par des actifs dédiés. Les charges de démantèlement du parc REP représentent, selon les estimations de l’énergéticien, 1 €/MWh dans le prix l’électricité produite ;
– et qu’en matière de gestion des combustibles et des déchets, la Cour des comptes, dans son rapport intitulé « Le coût de production de l’électricité nucléaire – Actualisation 2014 », en situait le coût entre 3,2 € et 3,6 € par mégawattheure nucléaire produit. En rapportant ce montant au prix moyen de 178 €/MWh payé par les ménages français en 2019 ([41]), cela représenterait moins de 3 % de la facture d’électricité d’un ménage.
Pour leur part, les dépenses d’exploitation et les investissements dans le parc électronucléaire sont directement financés grâce aux flux des recettes de la vente du productible et à des emprunts quand les fonds propres ne suffisent pas.
Toutefois, le dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mis en place en 2011, a fini par peser sur les marges financières d’EDF.
Créé pour quinze ans, par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, dite loi « Nome », l’Arenh répondait à la demande européenne d’accélérer l’ouverture à la concurrence du marché français de l’électricité. La loi a ainsi imposé à EDF de livrer aux fournisseurs alternatifs qui en font la demande jusqu’à 100 TWh chaque année à des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’énergéticien grâce à un parc nucléaire en grande partie amorti (la « rente nucléaire »). Il visait non seulement à rééquilibrer les positions entre EDF et ses concurrents, le temps que ceux-ci développent leurs propres capacités de production, mais aussi à continuer à faire bénéficier les consommateurs français des coûts compétitifs de l’électricité nucléaire, quel que soit leur choix de fournisseur.
Le tarif Arenh était ainsi censé refléter les seuls coûts complets du parc nucléaire existant, le renouvellement de ce parc – dont les perspectives étaient encore incertaines ou lointaines, comme Flamanville 3 – devant relever d’autres dispositifs de financement à définir. Les fournisseurs alternatifs devaient répercuter intégralement ce tarif à leurs clients, à proportion des volumes qui leur étaient livrés. Les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVe) comportent eux-mêmes une part obligatoire d’électricité au tarif Arenh.
Le dispositif s’est révélé un puissant modérateur des factures d’électricité pour les consommateurs finals, parce que le tarif Arenh a été fixé à 42 €/MWh en 2012 et n’a pas évolué depuis (hormis pour les 20 TWh supplémentaires que l’État a obligé EDF à livrer en 2022 afin de tempérer l’emballement des prix) : le mécanisme a assuré une très grande visibilité sur une partie du prix à payer et atténué l’effet des variations de prix sur les marchés.
Si le dispositif a donc plutôt bien protégé les consommateurs finals, son manque d’adaptation a néanmoins participé à la dégradation de la situation financière d’EDF.
L’Arenh fait aujourd’hui l’objet de vives critiques : il n’aurait pas incité les concurrents d’EDF à développer de nouvelles capacités productives, il n’aurait pas échappé à certaines pratiques abusives ou frauduleuses, son trop grand succès au cours des dernières années aurait entraîné l’« écrêtement » de l’avantage procuré et, surtout, il aurait pénalisé EDF.
Les travaux de la commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ([42]) montrent que les impacts négatifs de l’Arenh pour EDF sont difficiles à évaluer et doivent être nuancés, car le dispositif n’a eu que très peu d’impact pendant longtemps.
Les premières années, en effet, les fournisseurs alternatifs ont peu recouru à ce guichet en raison d’un prix de l’électricité inférieur sur les marchés de gros, cependant qu’EDF écoulait une partie de sa production au tarif garanti de l’Arenh via les TRVe. Ce n’est qu’à partir de 2016 que les demandes d’Arenh ont commencé à augmenter fortement, du fait de la hausse des prix de gros, jusqu’à dépasser les limites du plafond de 100 TWh en 2018 – et le phénomène s’est répété les années suivantes, avec de forte contraintes et de grandes incertitudes pour EDF. De 2015 à 2017, les fortes variations de prix sur les marchés ont conduit les fournisseurs à utiliser leur droit d’option gratuite pour renoncer à acheter des volumes d’Arenh précommandés, obligeant alors l’énergéticien à les revendre sur le marché à plus bas prix ; cela fut à nouveau particulièrement préjudiciable l’année de la covid-19. Deux ans plus tard, en 2022, le renforcement de l’obligation, imposant à EDF de livrer 20 TWh supplémentaires à un prix Arenh à peine revalorisé (46,5 €/MWh), coûtera à l’entreprise plus de 9 Md€, puisqu’ayant déjà vendu l’intégralité de sa production, celle-ci a été obligée d’acheter ces volumes complémentaires sur le marché au prix fort.
EDF dénonce le caractère asymétrique des obligations, mais plus encore l’insuffisance du tarif. La loi Nome posait pourtant le principe d’un tarif assurant « une juste rémunération » d’EDF, en tenant compte des coûts d’exploitation, des investissements de maintenance ou de ceux nécessaires à l’extension de la durée d’exploitation, ainsi que des coûts liés à la gestion durable des matières et déchets radioactifs et aux démantèlements. Le tarif de 42 €/MWh avait été fixé à un niveau correspondant à la demande d’EDF et supérieur aux estimations des besoins par la CRE (entre 36 €/MWh et 38 €/MWh), anticipant notamment les investissements du « Grand carénage ». Pour autant, le nouveau PDG d’EDF le contestait dès 2014 et la situation n’a cessé depuis de s’aggraver, faute d’actualisation du tarif. De fait, le décret qui devait définir la méthode de calcul employée par la CRE pour les évolutions annuelles de l’Arenh n’a jamais été publié en raison de fortes divergences d’analyse et les gouvernements successifs ont choisi de maintenir le prix de 42 €/MWh jusqu’à aujourd’hui.
La commission d’enquête n’a pu vérifier les pertes liées à l’Arenh, estimées par les PDG d’EDF successifs, et leur part dans l’endettement croissant de l’entreprise, à l’exception du choc de 2022. Dans un rapport thématique de juillet 2022 sur l’organisation des marchés de l’électricité, la Cour des comptes reconnaissait qu’en l’absence d’Arenh, les revenus du nucléaire auraient probablement été plus élevés ; mais il s’est longtemps agi de manques à gagner plutôt que de pertes et, en outre, il existait un endettement significatif avant la mise en place du dispositif, que des pertes autres – comme celles liées à la dérive des chantiers d’EPR – ont continué à alimenter.
Dans ce même rapport de 2022, la Cour constatait que l’Arenh a tout de même permis la couverture des coûts complets de 2011 à 2022. EDF le confirme encore aujourd’hui à votre rapporteur : « depuis l’entrée en vigueur de l’Arenh en 2011, les revenus d’EDF ont permis de couvrir les charges opérationnelles et les investissements nécessaires (c’est-à-dire le coût restant à engager), permettant une exploitation sûre et l’engagement de la prolongation des actifs ».
Il n’en reste pas moins que l’écart entre le tarif jamais actualisé de l’Arenh et la réalité des besoins opérationnels de l’entreprise s’est creusé au fil des ans, avec le renchérissement inéluctable des coûts, l’inflation, le coût réel des investissements post-Fukushima, et aujourd’hui l’objectif de prolonger l’activité des réacteurs jusqu’à soixante ans, au point qu’EDF fait valoir que « le dispositif d’Arenh n’a pas assuré un prix moyen de vente de l’activité nucléaire offrant une rémunération suffisante pour couvrir les coûts économiques de sa production, ce qui ne permet pas de préparer l’avenir ». On a vu qu’en 2021, la Cour des comptes évaluait toujours le coût comptable du nucléaire historique à 42 €/MWh, mais le coût économique à 60 €/MWh.
Or cet écart pèse d’autant plus sur les marges financières d’EDF que le tarif Arenh s’est étendu à une grande partie des volumes vendus par EDF.
En effet, outre les 100 TWh d’Arenh pour les fournisseurs alternatifs, EDF fournit à ce même tarif environ 26 TWh aux gestionnaires de réseaux de transport et de distribution pour couvrir une partie de leurs pertes de réseau et jusqu’à 68 % (avant écrêtement) des volumes vendus aux clients aux TRVe. Dans les offres de marché qu’elle présente à ses clients, EDF propose également des constructions tarifaires de type « tarif de l’Arenh + prix de marché » : il y a donc dans de telles offres une part de volumes vendus au prix de l’Arenh, si celui-ci est plus avantageux que le prix de marché (volumes dits « Arenh-like »).
Volumes d’Arenh livrés (en TWh) |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 prév. |
– aux fournisseurs alternatifs (1) |
100 |
100 |
119,5 |
100 |
100 |
– aux gestionnaires de réseaux (2) |
26,2 |
26,3 |
26,4 |
26,4 |
22,9 |
– dans les TRVE (3) |
62,2 |
58,0 |
56,2 |
48,5 |
44,5 |
– « Arenh-like » dans les offres de marché d’EDF (4) |
61,0 |
67,0 |
73,9 |
69,3 |
73,1 |
Total de l’engagement en volumes vendus au prix de l’Arenh (1)+(2)+(3)+(4) |
249,4 |
251,2 |
275,9 |
244 1 |
240,5 |
Alors que l’Arenh ne devait initialement encadrer qu’un quart de l’électricité nucléaire vendue par EDF (par rapport à une production d’environ 400 TWh à l’époque), elle détermine aujourd’hui le niveau des recettes pour la vente des trois quarts de la production du parc nucléaire historique (de 320 TWh en 2024 selon les plus récentes prévisions).
Quant au financement du renouvellement du parc, on a vu que les investissements correspondants au « Grand carénage » ne sont plus que partiellement couverts par le tarif Arenh et que la construction de l’EPR de Flamanville n’est pas dans son assiette de coûts.
Ces investissements ne s’appuient pas sur une rémunération garantie, du type Contract for Difference : ils sont financés par EDF avec ses moyens propres, même si le consortium d’entreprises énergo-intensives Exeltium a contribué au financement du chantier de Flamanville 3 par une « avance en tête » apportée en contrepartie de la fourniture sur vingt-quatre ans d’un certain volume d’électricité (issue de tout le parc). La construction de l’EPR s’est ainsi réalisée au prix d’une forte aggravation de l’endettement d’EDF.
Si le profit exceptionnel réalisé en 2023 lui a permis de réduire cet endettement d’une dizaine de milliards d’euros, l’entreprise doit encore faire face à une dette colossale de 55 Md€ à ce jour, dont le poids pèse dangereusement sur ses marges d’action à la veille d’investissements plus massifs encore.
Votre rapporteur a demandé à EDF comment elle envisageait de rembourser sa dette, sans obtenir de réponses satisfaisantes.
B. Une future régulation qui renverse totalement les choses
Le dispositif de l’Arenh a été conçu pour s’arrêter le 31 décembre 2025. Nombre d’acteurs s’en réjouissent au regard des difficultés soulignées. Pour autant, ne pas le remplacer reviendrait à laisser les marchés faire seuls la loi, avec leur variabilité naturelle et tous les excès qu’ils ont montrés pendant la crise des prix de l’énergie de 2021-2022 – sans compter que la position dominante d’EDF pourrait être à nouveau mise en cause.
La nécessité de mettre en place une nouvelle régulation des prix de l’électricité est assez largement partagée en France, mais la conciliation de ses différents objectifs est complexe : il s’agit d’obtenir un prix accessible pour les ménages et les collectivités et la compétitivité des entreprises françaises, de les faire bénéficier de la rente marginale d’un parc en partie amorti, de protéger les consommateurs en cas de crise qui éloignerait les prix de gros des coûts complets du système électrique, tout en sécurisant la couverture des coûts de l’outil nucléaire et, éventuellement, en donnant à EDF les ressources nécessaires aux investissements dans le renforcement de cet outil.
Malgré les alertes répétées des entreprises électro-intensives, qui ont besoin de négocier leurs contrats de fourniture – et donc de connaître les volumes qu’elles devront acheter sur les marchés – au moins deux ans à l’avance, ce n’est que le 14 novembre 2023 que l’État et EDF ont fait connaître les grandes lignes de l’accord auquel ils sont parvenus pour la future « régulation » des prix de l’électricité du parc nucléaire existant, et le 10 octobre dernier que le Parlement a pu en découvrir une partie des modalités, à travers l’article 4 du projet de loi de finances pour 2025.
Votre rapporteur déplore, à ce propos, la brièveté des délais dans lesquels les députés doivent se prononcer sur un dispositif particulièrement complexe.
1. Une « régulation » qui passera par les marchés
L’accord de novembre 2023 est intervenu à un moment où l’Union européenne a entrepris de réformer le marché européen de l’électricité, en réaction à l’emballement qu’il a connu entre 2021 et 2022. Définitivement adoptée en avril 2024, cette réforme ne va pas jusqu’au « découplage » des prix de l’électricité et du gaz : les prix de l’électricité sur les marchés restent fixés sur le coût de la dernière centrale nécessaire pour répondre à la demande ([43]). Mais elle promeut différents outils pour stabiliser ses fluctuations, en particulier les contrats de vente à long terme (Power Purchase Agreement, PPA) et les contrats d’écart compensatoires (Contract for Difference, CfD) bidirectionnels, qui peuvent servir de cadre aux soutiens publics.
La France avait obtenu que des CfD puissent être appliqués aux investissements substantiels dans le parc nucléaire existant ([44]). Mais ce n’est pas la solution finalement retenue.
a. Une option non retenue : le prix de vente garanti ou l’approche CfD
Les Contracts for Difference sont un mécanisme de prix garanti pour le producteur d’électricité, déjà utilisé en France pour soutenir le développement des énergies renouvelables : si le prix de marché est inférieur au prix garanti, l’État compense la différence au producteur ; si le prix de marché est supérieur, le producteur reverse la différence à l’État (on parle alors de « CfD symétrique » ou « bidirectionnel »), celui-ci pouvant ensuite redistribuer le montant ainsi récupéré aux clients finals. Cette solution présente plusieurs avantages :
– elle permet de « traiter les cas où le libre jeu du marché ne conduirait pas à dégager des prix égaux aux coûts, notamment en cas de concurrence imparfaite » ([45]) ;
– elle permet de faire bénéficier durablement les consommateurs des justes coûts complets du système ;
– elle est très protectrice pour les producteurs, puisqu’elle permet également, en période de prix de marché bas, de sécuriser leurs coûts complets ;
– en atténuant, voire en supprimant, le risque de prix pour les investisseurs, elle réduit le coût de l’accès au capital et donc, in fine, à la fois le poids de l’endettement pour les énergéticiens et le coût final pour les consommateurs. Les CfD sont particulièrement intéressants pour les technologies les plus capitalistiques dans un cadre de marché.
Ce mécanisme était l’option préférée du Comité de liaison des entreprises consommatrices d’électricité et de gaz (CLEEE), qui représente les entreprises électro-intensives de taille petite à grande. Il apprécie en particulier les plus grandes transparence et prévisibilité des prix qui en découleraient. Il souligne que cette régulation pouvait être financièrement neutre pour l’État, si le CfD était intermédié par une chambre de compensation plutôt que par l’État lui-même – cela supposerait toutefois que les consommateurs soient directement prélevés de l’écart à combler, s’il était en défaveur d’EDF.
La solution n’est néanmoins pas sans inconvénients, au-delà du risque pour les consommateurs si l’État n’est pas partie prenante : si le CfD est admis par le droit européen, il reste assimilé à une aide d’État, entraînant des demandes de contreparties par la Commission européenne. La crainte (non confirmée) d’être dépossédée de ses centrales pourrait expliquer le refus par EDF de l’option CfD pour les investissements dans le parc existant. Mais votre rapporteur n’a pu obtenir d’explications convaincantes sur les raisons de l’écartement de cette solution.
Le CfD soulève, par ailleurs, une autre difficulté majeure : la détermination du prix d’équilibre, dont les éléments de calcul peuvent être fortement discutés (comme ce fut le cas pour l’Arenh). Les services ministériels auditionnés par votre rapporteur ont observé qu’il est plus facile de déterminer un prix d’équilibre pour une installation à construire que pour des installations déjà existantes.
Enfin, la Commission de régulation de l’énergie a souligné la nécessité de préserver les incitations à optimiser le volume, le profil et la flexibilité de la production : « si le dispositif n’est pas correctement calibré, un CfD sur la production nucléaire pourrait perturber le fonctionnement du marché car EDF serait assurée de toucher le prix d’exercice du CfD quels que soient les prix sur les marchés de gros ».
b. Des prix avant tout fixés par les marchés et les offres commerciales
Alors que l’Arenh a fini par déterminer le prix de vente de près des trois quarts de la production du parc nucléaire historique, dans le schéma de régulation présenté par le Gouvernement et EDF, les prix de la quasi-totalité de cette production seraient désormais définis par les marchés de gros de l’électricité – hormis pour les volumes prévus pour une phase 2 du consortium Exeltium et pour ceux qui feraient l’objet d’un contrat industriel d’accès à la production nucléaire (CAPN), étudié plus loin.
Une partie de l’électricité produite commence déjà à être vendue dans le cadre de contrats d’approvisionnement d’une durée d’au moins quatre à cinq ans. À ses autres clients, EDF continuera de proposer des contrats de fourniture classiques à 1, 2 ou 3 ans (ou à prix variable), mais dont les tarifs, comme pour n’importe quel fournisseur, seront fixés en fonction de sa stratégie commerciale et du jeu de l’offre et de la demande sur les marchés correspondant aux termes visés. Les TRVe devraient toutefois continuer à lisser le prix d’une partie des volumes vendus.
La Commission de régulation de l’énergie accueille favorablement la perspective d’un rôle accru du marché de gros de l’électricité, car « la formation de signaux économiques efficaces sur les marchés français de l’électricité à court, moyen et long terme est une condition centrale de la réussite de la politique énergétique ».
EDF affirme qu’en jouant sur des volumes plus importants, les marchés de long terme se rapprochent du coût complet du système électrique.
Certains doutent néanmoins du pouvoir vertueux des marchés sans intervention publique : M. Pierre Jérémie estimait ainsi, devant le Sénat, que « rien dans le fonctionnement du marché de l’électricité, quelle qu’en soit l’organisation, ne garantit automatiquement de lien entre prix et coûts complets du système. (…) Affirmer ainsi que le simple fait de passer à des contractualisations plus longues, sans changement parallèle de la structure concurrentielle du marché ou intervention publique, ferait nécessairement converger les prix vers les coûts ne reposerait sur aucun fondement issu de l’économie scientifique. »
c. Le probable maintien des TRVe
Seules EDF et les entreprises locales de distribution sont autorisées à proposer des contrats aux tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVe) aux particuliers et aux très petites entreprises. Jusqu’alors, parmi ces dernières, seules celles qui ont un contrat d’une puissance maximale de 36 kVa pouvaient y prétendre. Cette limite sera levée à partir du 1er février 2025, grâce à la loi n° 2024‑330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement, pour ne conserver que les critères de taille retenus par le droit européen (à savoir, employer au plus dix salariés et dégager un chiffre d’affaires n’excédant pas 2 M€).
Au premier semestre 2024, 60 % des sites résidentiels, tous fournisseurs confondus, étaient aux tarifs TRVe.
Les TRVe ne sont pas des prix garantis pour EDF ou plafonnés pour les consommateurs, mais leur évolution est encadrée. La Commission de régulation de l’énergie explique qu’au-delà de la part d’Arenh, la composante « Approvisionnement » des tarifs est uniquement définie par les cotations sur les marchés de gros et ne se fonde pas sur l’estimation des coûts de production. Mais les TRVe ne sont révisés que deux fois par an, en février et en août, et pour deux ans, ce qui leur confère une plus grande stabilité ; la part « Complément marché » est calculée sur la moyenne des cotations des deux années passées, ce qui permet de lisser les emballements ponctuels ; enfin, l’État conserve une marge d’appréciation. C’est non seulement la part Arenh, mais aussi cette construction, qui ont permis aux TRVe de jouer un véritable rôle de modérateur et de ralentisseur pendant la crise des prix de l’énergie.
Aujourd’hui l’Arenh représente la moitié de la « part électrons » des TRVe. Après la disparition de l’Arenh, la méthode de calcul s’appuiera sur un approvisionnement intégral sur le marché de gros, mais toujours lissé sur deux ans ([46]).
EDF confirme que l’accord du 14 novembre 2023 ne remet pas en cause l’existence des tarifs réglementés de vente d’électricité. L’énergéticien approuve au contraire leur extension à l’ensemble des très petites entreprises.
Toutefois, la Commission européenne doit statuer sur leur maintien en 2025. Les premières consultations ont été lancées par l’Autorité de la concurrence. Cette perspective fait craindre à certains que les TRVe soient supprimés en même temps que l’Arenh, dont la création était la contrepartie de leur maintien.
Mais la Commission de régulation de l’énergie se veut rassurante : même si les TRVgaz ont été supprimés en juillet 2023, elle n’a pas connaissance d’une volonté de les faire disparaître à la fin 2025 et elle pense qu’ils devraient être maintenus, au moins quelques années encore.
2. Le choix d’une « stabilisation » des prix par le développement des contrats à moyen et long termes
Le schéma de « régulation » défini par l’accord du 14 novembre 2023 repose sur deux mécanismes : la stabilisation des prix par le développement des contrats de vente d’électricité à moyen et long termes et la redistribution aux consommateurs des « super-profits » potentiels tirés de la « rente nucléaire » d’EDF.
Pour ce qui concerne le premier objectif, l’accord requiert donc d’EDF :
– qu’elle alimente le marché de gros de moyen et long termes, jusqu’alors très peu actif, de volumes assez conséquents pour peser sur la définition des prix. L’énergéticien indique y avoir rencontré un réel succès et se dit confiant dans le développement de ce segment ;
– qu’elle encourage également les contrats d’approvisionnement de plus long terme librement négociés (de gré à gré) avec les consommateurs.
Ainsi, d’une part, l’entreprise a lancé la commercialisation de nouveaux contrats de fourniture pour des périodes de quatre ou cinq ans, alors que précédemment ces offres ne portaient que sur un horizon inférieur ou égal à trois ans. Les consommateurs ayant fait le choix d’un tel contrat bénéficient donc d’une visibilité sur le prix de leur électricité jusqu’en 2028 ou 2029. En outre, l’allongement de l’horizon des contrats de fourniture permet de réduire la volatilité des prix appliqués aux consommateurs, puisqu’à moyen terme les marchés de gros sont beaucoup moins sujets aux fluctuations qu’à court terme.
Plus de 2 600 contrats ont été signés avec des entreprises très variées dont la moitié du secteur industriel.
D’autre part, EDF propose aux sites industriels électro-intensifs de conclure des contrats de partenariat industriel, dits « contrats d’allocation de la production nucléaire » (CAPN), sur dix à quinze ans, afin de bénéficier d’une partie de la production du parc nucléaire historique à un prix reflétant les coûts d’exploitation des centrales.
Mi-octobre, cinq lettres d’intention avaient été signées, notamment par des producteurs d’aluminium, de ciment ou d’hydrogène et des discussions commerciales étaient en cours avec plusieurs dizaines d’autres industriels.
a. Un enjeu vital pour les grands électro-intensifs
Pour les entreprises industrielles grandes consommatrices d’électricité et exposées à la concurrence internationale, le prix de l’électricité présente plusieurs enjeux vitaux. L’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden), qui représente les plus gros consommateurs (plus de 70 % de la consommation d’énergie de l’industrie en France) formule plusieurs demandes :
– une électricité accessible et compétitive par rapport aux concurrents mondiaux. Selon les évaluations de l’Uniden, « pour maintenir leurs activités en France, les industries électro-intensives (EI) ont besoin d’un prix de l’électricité “rendu site” entre 35 et 55 € le MWh selon les cas » ([47]).
– la visibilité sur les prix à long terme : « de façon structurelle, le marché de gros, dont les prix sont directement corrélés aux prix du gaz naturel et du CO2, ne permet pas d’offrir compétitivité et visibilité et n’est donc pas une option viable pour les EI ».
Selon l’Uniden, ses membres ne peuvent fonctionner avec des prix de marché trop volatils. Ils ont donc passé des contrats sur dix à quinze ans en général, s’entendant sur des volumes et des prix, parfois en contractant avec des centrales nucléaires, parfois en s’unissant au sein du consortium Exeltium. Mais ces contrats sont arrivés à terme entre 2010 et 2020. Avant la réforme du marché européen de l’électricité, la Commission européenne se montrait réticente à leur renouvellement.
Aujourd’hui, l’Union européenne les promeut. L’enjeu pour les électro‑intensifs est de négocier des conditions soutenables, non seulement pour préparer la fin de l’Arenh, qui représente aujourd’hui environ les deux tiers de leur approvisionnement (le reste faisant l’objet de contrats de long terme ou d’achats sur les marchés), mais aussi pour rendre possible la décarbonation de l’industrie, qui passera essentiellement par l’électrification des procédés, se traduira par une forte hausse de la demande industrielle d’électricité (jusqu’à 2,5 à 3 fois plus d’ici 2050, selon les prévisions de RTE) et nécessitera de lourds investissements – donc de la visibilité.
L’Uniden alerte sur le fait que, « sans contrats long-terme compétitifs, la décarbonation se fera par le vide, mais surtout sera illusoire, le contenu carbone des produits finis importés étant supérieur ».
En contrepartie de l’accord de novembre 2023, EDF s’est engagée à conclure des contrats de dix à quinze ans avec les électro-intensifs les plus exposés à la concurrence internationale, pour un volume limité à 24 TWh (soit 5 % des volumes commercialisés par EDF en France, mais le tiers des besoins actuels des électro-intensifs, qui s’élèvent à 72 TWh). Cela englobe deux volets :
– le passage à la phase 2 du contrat Exeltium, qui lie depuis 2010 vingt‑huit électro-intensifs avec EDF jusqu’en 2034. La Commission européenne avait validé le projet pour 314 TWh, mais la crise financière n’avait permis de financer que 148 TWh. La phase 2 permettrait de générer une nouvelle avance en tête allant jusqu’à 1,5 Md€ contre les 150 TWh (étalés sur les années restantes) qui n’ont pas été consommés.
Un tel accord comporte moins de risque que les CAPN, en garantissant les volumes d’approvisionnement ;
– les nouveaux contrats d’accès à la production nucléaire (CAPN). Les signataires, basés ou non en France, bénéficient d’une formule de prix reposant sur le coût de production nucléaire d’EDF actualisé et intégrant les coûts de prolongation des centrales existantes, en contrepartie d’une avance en tête pouvant s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros et d’une association aux aléas de la production nucléaire : par exemple, si la production dépasse le niveau normal de 350 TWh pour EDF, le prix baisse ; si la production recule, le prix augmente. À ce titre, ce ne sont pas des contrats de fourniture, mais de partenariat industriel.
Pour ces EI, c’est un peu « la double peine » : non seulement les volumes livrés coûtent plus cher lorsqu’EDF produit moins que prévu, mais les industriels devront acheter sur les marchés de court terme les volumes qui leur manqueraient à des prix poussés par une demande soudainement supérieure.
Néanmoins, l’Uniden a indiqué à votre rapporteur que certains de ses membres sont prêts à ces contreparties s’ils obtiennent des prix compétitifs, bien inférieurs aux 70 €/MWh affichés comme référence par l’accord de novembre 2023 – et même aux 60 €/MWh de coûts complets de production calculés par la CRE pour 2026-2028. L’Uniden précise notamment que l’assiette du calcul du prix CAPN ne prend pas en compte Flamanville 3, qui fait l’objet de l’accord d’Exeltium. Les négociations sont cependant encadrées par les règles de concurrence européenne, qui interdisent un prix trop inférieur aux coûts de production. Selon les auditionnés, il y aurait un écart de 15 € entre le prix qu’ils souhaitent et celui qui est proposé par EDF.
Les volumes concernés par ces contrats de long terme ne suffisant pas, les grands consommateurs peuvent aussi conclure des contrats de fourniture de moyen-long terme pour une autre partie de leurs achats d’électricité, qui leur permettent de lisser les prix de marché tout en bénéficiant du dispositif de redistribution s’il est mis en place (voir analyse au point 3).
Interrogés sur ce dispositif, l’Uniden et le CLEEE considèrent que l’accord de novembre 2023 envisage des seuils de redistribution trop élevés (78 €/MWh, puis 110 €/MWh, non confirmés dans l’article 4 du projet de loi de finances pour 2025). Il faudrait un autre seuil plus bas, qui permettrait une captation plus précoce, ou un taux de prélèvement supérieur dès le seuil de 78 €/MWh.
b. Une option peu accessible aux consommateurs de moindre taille
L’Uniden a indiqué qu’EDF s’est engagée à proposer des contrats de moyen et long termes aux industriels électro-sensibles de plus petite taille, sous forme de contrats nucléaires simplifiés (CNS) et d’offres de moyen terme (ODMT).
Ces consommateurs pourront évidemment trouver un intérêt à signer des contrats de fourniture à moyen ou long terme. En revanche, s’agissant des contrats négociés au cas par cas, en fonction des avances en tête que les industriels accepteront, le CLEEE considère que ses membres n’ont pas le poids suffisant pour obtenir des conditions tarifaires avantageuses. Et le principe même d’une avance financière est inaccessible à la plupart.
Quant au dispositif de redistribution, il fait l’objet de critiques multiples :
– alors que ses entreprises demandent une visibilité des tarifs année après année, les suppléments de revenus promis par le « versement nucléaire universel » seront impossibles à anticiper, d’autant moins qu’on ignore comment les revenus excédentaires seront répartis entre les différents profils de consommateurs. In fine, les grands consommateurs ne pourront miser sur ces « remboursements » ;
– l’absence de prix plancher garanti à EDF augmente le risque financier et donc le coût de ses investissements ;
– offrant un avantage incertain, le dispositif ne donne pas de signal de long terme en faveur de la décarbonation des usages.
Le CLEEE assure que ses membres « sont ouverts à tous les systèmes qui peuvent assurer la stabilité des prix : monopole national ou CfD », ces derniers ayant leur préférence dans le cadre européen actuel (voir le point 1.a).
3. Un retour financier aléatoire pour les consommateurs
Le deuxième pilier de la « régulation » issu de l’accord du 14 novembre 2023 consiste à effectuer, en situation de prix de marché élevés, un prélèvement progressif sur les revenus du parc électronucléaire historique, qui est ensuite redistribué à l’ensemble des consommateurs.
Le mécanisme de partage avec les consommateurs des revenus du nucléaire historique proposé par le PLF 2025
L’article 4 du présent projet de loi de finances formalise et décrit ce mécanisme dit « de partage avec les consommateurs des revenus du nucléaire historique », qui serait applicable à compter du 1er janvier 2026 :
– sous réserve des TRVe, EDF aura toute liberté pour fixer les tarifs de ses contrats de fourniture (alinéa 108) ;
– il est créé une « taxe sur l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité » qui serait appliquée à l’ensemble des recettes issues de la vente de l’électricité produite, au cours d’une année civile, par le parc nucléaire historique, à savoir le parc en activité (à l’instar de l’Arenh) auquel s’ajoutera le nouveau réacteur de Flamanville 3.
Les revenus concernés intègrent une part des revenus des contrats pluriannuels adossés à des centrales historiques ou présumés adossés (comme Exeltium ou les CAPN) ;
– deux seuils sont définis : un seuil dit « de taxation », à partir duquel sont prélevés 50 % de la fraction de revenus taxés qui dépasse ce seuil (mais rien en-deçà) ; et un seuil dit « d’écrêtement », à partir duquel le prélèvement est porté à 90 % sur la fraction de revenus qui l’excède ;
– ces seuils sont le produit de la quantité d’énergie contenue dans le combustible par un facteur de conversion (déterminé par arrêté ministériel), ce qui revient à peu près aux volumes d’électricité produite, auquel on applique le tarif de taxation ou le tarif d’écrêtement ;
– ces tarifs sont déterminés ex ante pour une période de trois ans, par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, entre un minimum égal aux « coûts complets de production » (Grand carénage compris), majorés de 5 €/MWh, et un maximum égal à ces mêmes coûts, mais majorés de 25 €/MWh, s’agissant du seuil de taxation. Pour le seuil d’écrêtement, les majorations minimale et maximale sont fixées, respectivement, à 35 € et 55 €/MWh. Par exemple, si on retient le prix de 60,7 € le MWh calculé par la CRE pour 2026-2030, le premier tarif s’établirait dans une fourchette de 65,7 € à 85,7 €/MWh, et le second de 95,7 € à 115,7 €/MWh.
Ces tarifs sont fixés, précise l’alinéa 37 de l’article 4, compte tenu des coûts complets de production, des coûts de réalisation des nouveaux réacteurs nucléaires et de la « situation financière » de l’exploitant, ce qui ouvre la possibilité de prévoir une fraction du prix pour désendetter EDF (dont la dette s’élève à environ 55 Md€).
Il appartiendra à la Commission de régulation de l'énergie de « constater », au moins tous les trois ans, les coûts complets de production de l’électricité nucléaire historique (alinéa 111), en suivant les principes méthodologiques qui seront définis par un décret en Conseil d’État (alinéa 159), cependant qu’un décret simple déterminera la méthodologie d’évaluation des coûts de réalisation des nouvelles installations électronucléaires (alinéa 113).
L’exploitant ne peut répercuter la taxe dans ses prix et elle ne peut être prise en compte dans le calcul des coûts complets ;
– pour permettre la liquidation de cette taxe, l’exploitant EDF devra tenir une comptabilité « appropriée » identifiant les revenus tirés de ses centrales historiques et faisant apparaître l’ensemble des opérations de vente et d’achat constitutives de ses revenus ; la CRE sera tenue de communiquer aux services fiscaux toutes informations utiles pour établir, contrôler et recouvrer la taxe ; elle recevra elle-même de l’exploitant les données nécessaires.
La Commission de régulation de l'énergie aura également pour mission de contrôler la bonne application de la minoration sur les factures par les fournisseurs, ainsi que leurs demandes de compensation ;
– l’autre face du dispositif est le « versement nucléaire universel » (aux alinéas 167 et suivants). Il prévoit que les factures de tous les consommateurs finals (en France, précisent les services ministériels) – dans le cadre d’un contrat de fourniture, y compris aux TRVe et quel que soit leur choix de fournisseur – bénéficieront « de plein droit » d’une minoration dès lors que le seuil de taxation sera franchi (minoration qui sera explicitement affichée sur les factures) ;
– les fournisseurs seront intégralement compensés de leurs pertes de recettes découlant de la minoration, à leur demande et sur déclarations certifiées par leurs commissaires aux comptes ou leurs comptables publics ;
– la minoration résultera de l’application, à la totalité des quantités d’électricité fournies sur une année à un consommateur (contrairement à l’Arenh, qui est plafonné à un certain volume), d’un tarif unitaire, lui-même déterminé d’après les dernières estimations des revenus annuels de l’exploitation du parc nucléaire historique ainsi que des quantités d’électricité consommées, et calculé de façon à équilibrer les flux de la taxe et les flux des demandes de compensation des fournisseurs. Le tarif, sa période d’application et, par suite, la minoration pourront être modifiés dans l’année qui suit, par arrêté ministériel, pour corriger les écarts de flux.
L’alinéa 185 dispose, en outre, que les règles de calcul du tarif unitaire pourront prévoir sa variation en fonction du moment de la consommation, de son ampleur, du prix de fourniture et du profil de consommation.
Votre rapporteur relève qu’un point fondamental du dispositif n’est pas encore tranché, puisque l’article 4 ne dit pas qui fera l’intermédiaire entre la taxe et la redistribution : l’État, une chambre de compensation, un fonds dédié ? Le mécanisme est d’une très grande complexité. Il semble éviter les risques de captation par d’autres acteurs. Mais qui vérifiera que chaque consommateur reçoive ce qui lui est dû ?
En tout état de cause, le nouveau dispositif de « régulation » ne déterminera pas les prix payés par les consommateurs, qui dépendront du jeu des marchés et de la durée de leurs contrats de fourniture.
Il permettrait, certes, de les protéger partiellement pendant les périodes où les prix de gros de l’électricité sont élevés.
Mais, contrairement aux promesses de l’exposé des motifs de l’article 4, il n’offre aucune visibilité sur les prix que les consommateurs auront à payer in fine et ne permet aucune anticipation solide pour les entreprises.
Si les tarifs de taxation et d’écrêtement seront fixés pour trois ans, le tarif unitaire de la minoration, sa période d’application et donc la minoration elle-même pourront varier au cours de l’année, selon la production réelle de l’énergéticien et la valorisation qu’il en aura finalement obtenue sur les marchés. En outre, cette minoration sera sans doute modulée pour chaque consommateur en fonction de son profil de consommation et de sa façon de consommer.
Au reste, les seuils de captation (tarifs) annoncés par l’État et EDF en novembre 2023, à 78 € et 110 €/MWh, ne sont pas explicitement inscrits dans le projet de loi. Celui-ci ne définit pas les seuils de prélèvement par une valeur absolue, mais renvoie à une formule de calcul complexe, comprenant une marge d’appréciation par l’État de la prise en compte des coûts complets de production, des coûts de réalisation du nouveau nucléaire et de la situation financière de l’exploitant. Le dérapage de la dette d’EDF et des devis du nouveau nucléaire, voire les aléas politiques, pourront donc venir les gonfler et réduire d’autant les retours vers les consommateurs.
Ces seuils sont avant tout le fruit d’une négociation entre l’État et l’énergéticien, sans que ni le législateur ni les défenseurs des consommateurs, ne soient en mesure d’apprécier, aujourd’hui comme demain, la légitimité des niveaux retenus.
Leur calcul est, sans surprise, le point du dispositif le plus discuté. L’UFC‑Que choisir, notamment, rappelle son attachement à un prix du kilowattheure qui reflète les coûts de production. À l’instar des industriels, les seuils de déclenchement lui apparaissent tardifs et éloignés des coûts de production, même en intégrant un certain volume d’investissements.
Les 70 €2022 par mégawattheure (qui vaudront 78 € en 2026), affichés comme la référence des futurs prix, ne sont qu’une cible théorique traduisant la moyenne de prix escompté par l’État et EDF sur quinze ans à partir de simulations (non fournies à votre rapporteur) tenant compte, notamment, de la mise en œuvre de la politique commerciale d’EDF, du mécanisme de prélèvement-redistribution et des fluctuations envisagées pour les futurs prix de marché. Dans la compréhension de la Commission de régulation de l’énergie, ce seuil est d’abord lié à la trajectoire financière et d’endettement d’EDF et non pas directement au coût du parc nucléaire historique.
La DGEC indique toutefois que 70 €/MWh correspondent à peu près à la moyenne actuelle des prix payés pour le productible par les consommateurs aux TRVe, en incluant les volumes d’Arenh.
Cette référence n’est en aucun cas un prix garanti, ni même une perspective assurée :
– pour EDF, en l’absence de prix plancher. Si les prix de marché tombaient durablement sous le prix d’équilibre, l’entreprise pourrait se trouver en difficulté ;
– pour les consommateurs, qui pourront bénéficier de prix bas s’ils contractent à un moment où les prix des marchés sont bas… mais supporteront des prix élevés dans le cas inverse. Et si, dans ce cas, ils bénéficieront vraisemblablement d’une redistribution des surprofits d’EDF, leur part ne sera pas plus importante que celle d’autres consommateurs aux contrats plus avantageux.
Votre rapporteur a demandé sans succès des simulations pour avoir une idée de l’impact de cette réforme (basculement dans le tout-marché, mécanisme de redistribution en cas de prix élevés, etc.) sur les factures des consommateurs, les services ministériels expliquant que les variables sont trop nombreuses pour donner des résultats généralisables, même par profils.
À la demande de votre rapporteur, le responsable du pôle énergie du think tank Terra Nova, Nicolas Goldberg, s’est essayé à calculer un ordre de grandeur : en neutralisant les augmentations de l’accise et du Turpe, il trouve un écart de prix de 10 % entre une facture avec Arenh et une facture sans Arenh lorsque les prix s’établissent autour 78 €/MWh. L’écart se réduit s’ils baissent pour s’annuler autour de 45 €/MWh. L’impact sera particulièrement lourd pour les industriels énergo-intensifs, dont certains peuvent compter jusqu’à 90 % d’Arenh aujourd’hui. Ils pourraient voir leurs factures gonfler de plus de 40 % si les marchés atteignent des prix de 78 €/MWh.
La Commission de régulation de l’énergie se préoccupe également du risque que, malgré ses limites, le nouveau dispositif de « régulation » ne renforce l’avantage concurrentiel d’EDF.
Au final, ce mécanisme post-Arenh semble particulièrement avantageux pour EDF qui pourra confortablement faire payer aux consommateurs la prolongation du parc existant, le remboursement de sa dette et ses investissements prévus dans un programme de nouveau nucléaire. En revanche, il laisse les consommateurs à la merci des prix de marché et de décisions gouvernementales à toutes les étapes, sans garantie de prix raisonnables ni d’absence de volatilité.
C. un financement du nouveau nucléaire non encore arrêté et dont l’impact sur les prix est impossible à évaluer
Peu d’entreprises sont capables de porter à leur bilan financier les montants engagés pour de tels investissements, de l’ordre de plusieurs milliards d’euros par réacteur ; la durée de construction est longue et suppose de supporter un cash flow négatif pendant plusieurs années ; une fois la centrale en fonctionnement, il n’est pas assuré que les prix de marché permettent à l’exploitant de se rémunérer suffisamment.
Obtenir les financements nécessaires est un défi en soi : EDF rappelle que, sauf exception, aucune grande installation de production d’électricité décarbonée n’est construite en Europe sans financement public ou garantie publique, en raison de l’importance des montants à lever, de la longueur de la durée d’investissement et de la fluctuation des revenus résultant de la situation des marchés de gros : « Le marché privé n’est pas en mesure de répondre à une demande de dizaine de milliards d’euros d’investissement sur une durée longue. »
Des discussions ont été engagées avec l’État pour définir le montage financier qui permettra de lever ces difficultés et de répondre aux besoins, à la fois pour la phase de préfinancement et pour la période d’exploitation. Et ce, dans le respect du droit européen, notamment en matière d’aides d’État aux entreprises. À ce titre, EDF se dit « particulièrement attentive aux éventuelles contreparties qui seraient demandées par la Commission européenne, en particulier celles relatives à son organisation ». [48]
Lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat sur les prix de l’électricité, le 6 juin dernier, l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire avait indiqué que ses services travaillaient sur trois grandes options : la première serait une société de projet dont la principale responsabilité serait de réaliser les six EPR2 et au capital de laquelle l’État participerait ; la deuxième, une subvention de l’État ; la troisième, un système d’avances remboursables.
Dans tous les cas, ces options doivent être analysées au regard de la rentabilité du programme pour EDF, de la soutenabilité financière pour l’entreprise et l’État, du partage des risques entre les deux et de la compétitivité des futures installations pour les consommateurs français d’électricité.
Les auditions menées par votre rapporteur font plutôt ressortir une combinaison de plusieurs instruments : en complément d’un prêt ou d’une avance remboursable pour le préfinancement, il serait envisagé de mettre en place un contrat pour différence (CfD) bidirectionnel pour l’exploitation, comme l’a accepté récemment la Commission européenne pour le projet tchèque de Dukovany.
Le projet Dukovany : un exemple pour la France ?
La Commission européenne a approuvé un schéma de financement pour la construction et l’exploitation d’une nouvelle centrale nucléaire à Dukovany (République tchèque).
Ce projet inclut un prêt étatique à taux zéro (dont le remboursement est décalé) couvrant 98 % des coûts d’investissement, une garantie de revenu sur quarante ans pour l’exploitant (dans le cadre d’un Power Purchasing Contract, équivalent d’un CfD) et un mécanisme de protection contre les imprévus dès la phase de construction.
La régularisation ex post des revenus est annuelle et les excès de rémunération seront redistribués au budget de l’État ou pour réduire les coûts des consommateurs.
Le mécanisme de protection comprend des options d’achat et de vente par l’État pour « dérisquer » la phase de construction.
La contrepartie du revenu garanti est l’engagement à mettre l’électricité produite à disposition des marchés de manière transparente.
S’il s’agit d’une avance remboursable, EDF ne verse ses remboursements que lorsqu’elle dégage des profits ; l’avance est censée être rendue en totalité, mais la période de remboursement peut être allongée. Un prêt est remboursé chaque mois selon l’échéancier prévu. Le prêt à taux zéro neutralise les intérêts pour EDF, mais l’État doit les compenser à l’établissement financier qui aura accordé le prêt.
Avance remboursable ou prêt à taux zéro, cette aide ne couvrirait que la moitié du budget prévu, soit 34 Md€ ou 35 Md€ selon les derniers chiffres évoqués. La Caisse des dépôts et consignations a fait savoir qu’elle serait prête à accorder ces financements.
Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de montants substantiels, même s’ils sont étalés sur dix ou quinze ans. Quant au CfD, qui ne s’appliquerait que dans une douzaine d’années au plus tôt, le mécanisme passerait vraisemblablement par l’État, via une taxe sur la consommation ou des charges de service public de l’énergie (CSPE).
La prise en charge des intérêts, celle du risque industriel que représente, pour votre rapporteur, le programme EPR2, l’éventualité, non écartée à ce stade, que l’État emprunte lui-même pour prêter à EDF, et celle, ultérieure, de dépenses de CSPE supplémentaires, pèseront significativement sur le budget de l’État, sur sa dette et sur les contribuables français in fine.
En tout état de cause, EDF confirme que les contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN) qui sont en cours de négociation ne portent pas sur le programme du nouveau nucléaire, même si l’entreprise ne renonce pas à cette option, rappelant que de tels partenariats industriels ont existé par le passé. En audition toutefois, les industriels ont clairement exprimé leur refus de participer au financement des nouveaux réacteurs, considérant que ces investissements sont une responsabilité nationale.
Quoi qu’il en soit, l’État n’a encore pris aucun arbitrage à ce jour. EDF espère que « le travail technique relatif à l’élaboration d’un schéma de financement public soit achevé d’ici la fin de l’année ». Il y a pourtant urgence au vu des 5 Md€ mobilisés ou planifiés sur les deux prochaines années.
Il est très discutable que de tels montants soient déjà engagés, alors que ni le coût ni le financement des futurs réacteurs ne sont encore calés et qu’en attendant, il est tout aussi urgent d’investir dans l’adaptation des réseaux et le développement des énergies renouvelables.
L’absence de décision relative aux modalités de financement des futures installations ne permet pas d’évaluer leurs impacts sur le prix du mégawattheure en sortie d’installation et, par suite, sur les futures factures des consommateurs français.
En revanche, les modalités qui seront retenues pourront avoir un impact direct sur les factures à venir, selon le poids des charges financières à répercuter dans le calcul des seuils de captation.
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Ces incertitudes, comme les quelques chiffrages disponibles, doivent nous conduire à nous interroger sur la compétitivité du programme EPR2. Que dire s’il devait connaître les mêmes dérives que le désastre industriel de Flamanville 3 ?
Ses travaux convainquent plus que jamais votre rapporteur qu’il serait préférable pour EDF et pour l’État, pour les contribuables et pour les consommateurs, pour l’économie et pour la transition énergétique, de :
– privilégier les investissements dans les énergies renouvelables, plus rapides à développer et moins dispendieuses (les études de M. Grandjean ou de l’Ademe sont éclairantes à cet égard) ;
– de sortir de logiques de marché à l’échelle nationale qui n’offrent ni protection ni visibilité aux consommateurs, alors que l’électricité est un bien de première nécessité qu’il conviendrait de sanctuariser.
Au cours de sa réunion du mardi 29 octobre 2024, dans le cadre de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Maxime Laisney, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », en ce qui concerne l’énergie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous examinons aujourd’hui les crédits des programmes 174 « Énergie, climat et après-mines » et 345 « Service public de l’énergie » de la mission Écologie, développement et mobilités durables, ainsi que le compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale ».
L’énergie représente un enjeu crucial pour nos concitoyens, notamment ceux dont les revenus sont les plus modestes et qui peinent à assumer une facture toujours plus lourde – je pense en particulier aux douze millions de personnes qui souffrent de précarité énergétique. La sécurité de l’approvisionnement et la stabilité des prix sont aussi cruciales pour nos entreprises, notamment pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) et les artisans, qui ont beaucoup souffert et qui continuent à souffrir de l’emballement des prix du marché depuis trois ans. Nos concitoyens comptent sur notre vigilance.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Dans ma première partie, je vous expliquerai pourquoi je suis défavorable aux crédits relatifs à l’énergie. Tout d’abord, nous sommes bien loin des engagements de la France, pris notamment envers l’Union européenne, et du Plan national intégré énergie-climat (Pniec), rendu au mois de juillet. L’augmentation du budget de la mission est en trompe-l’œil. Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » connaît une forte diminution, qui s’explique en partie par un transfert des crédits de MaPrimRénov’ vers une autre mission, également en diminution, de même que tout ce qui concerne le verdissement de l’automobile, le « fonds Vert » qui soutient la transition énergétique dans les territoires, et le « fonds Chaleur » de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Au total, ce sont 3,5 milliards d’euros (Md€) en moins à destination des ménages et des collectivités pour la transition énergétique, alors que ces dispositifs sont efficaces.
Entre la dette financière et la dette écologique, entre les créanciers et les générations futures, monsieur Barnier n’a pas choisi l’avenir. Il n’a pas choisi non plus le présent, notamment en ce qui concerne l’accès à l’énergie, puisque le chèque énergie est fragilisé. Quant à la fameuse taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) ou « accise sur l’électricité », dont la hausse a été supprimée la semaine dernière dans l’hémicycle, le Gouvernement s’est engagé à faire baisser les factures de 9 %. Soit ! Mais cet engagement ne figure que dans l’exposé des motifs et, étant donné que la décision sera prise au mois de janvier, bien malin celui qui connaîtra le Gouvernement d’alors… La taxe sera au moins de 35 euros par kilowattheure, alors qu’elle était de 22 euros environ cette année et que les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRV) ont augmenté de 43 % en trois ans.
Le programme 345 « Service public de l’énergie » profite d’une hausse en trompe‑l’œil. Si les charges de service public de l’énergie (CSPE) augmentent de 6 Md€ sur les renouvelables, il ne s’agit en fait que d’un retour au niveau d’avant-crise et surtout de dépenses obligatoires qui tiennent aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. En réalité, les dépenses sur les énergies renouvelables sont bridées par une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) désormais obsolète. Cela fait d’ailleurs un an et demi que nous attendons une loi de programmation pluriannuelle pour l’énergie et le climat en bonne et due forme, comme cela était prévu dans la loi « Énergie et climat » du 8 novembre 2019. Sous cet aspect, notre gouvernement est, après d’autres, hors-la-loi.
J’ai choisi de consacrer la seconde partie de mon rapport au coût du nucléaire. Il est urgent de débattre de la politique énergétique et de l’option nucléaire. Les rapports de Réseau de transport d’électricité (RTE) ou de l’Ademe ne présentent aucun scénario de décarbonation sans déploiement massif des énergies renouvelables, alors qu’ils en élaborent plusieurs sans nouveau nucléaire. Celui-ci pose plusieurs problèmes : gestion des déchets, risques d’accident, arrivée trop tardive pour éviter des quantités gigantesques d’émissions de gaz à effet de serre, absence de résilience face aux conséquences du réchauffement climatique. Et tout cela pour des dizaines de milliards d’euros ! Est-ce bien raisonnable d’engager autant d’argent sur le dos des consommateurs et des contribuables pour un résultat aussi incertain et alors que l’on a besoin de ces sommes pour déployer les énergies renouvelables et les intégrer dans le réseau ?
Le coût du « Grand carénage », c’est-à-dire celui de la prolongation des centrales existantes, sera élevé, mais son estimation est encore floue. EDF y consacre déjà quatre à cinq milliards d’euros par an, depuis 2014 et jusqu’à 2028, terme de la projection. La VD4, la quatrième visite décennale, celle qui permet de prolonger l’existence des centrales au-delà de quarante ans, coûterait quatre fois plus cher qu’une VD3. Quant à la VD6, celle qui prolongerait l’existence des centrales au-delà de soixante ans, elle coûterait également plus cher que la VD5. Dans les années 2040, les deux tiers de nos réacteurs auront plus de soixante ans. Quelle sera la facture d’une prolongation au-delà de soixante ans ? Quelles sont les certitudes technologiques et industrielles ?
Le réacteur de type EPR de Flamanville est un objet intéressant. Déjà du passé, c’est pourtant du futur qui se fait attendre mais toujours pas du présent, alors que sa construction enregistre, pour l’heure, douze ans de retard. En 2020, la Cour des comptes estimait que sa facture avait été multipliée par six. Il a, pour l’instant, coûté près de 20 Md€. Son coût de production du mégawattheure était évalué par l’économiste Alain Grandjean, en 2020, à 154 euros, soit bien au-dessus de ce que l’on pourrait espérer. Nous avons appris au cours de nos auditions que, lors du lancement de sa construction, on ne disposait que de 10 % du design détaillé. Il fallait donc s’attendre à un tel fiasco industriel ! La situation mondiale des autres EPR n’est pas beaucoup plus brillante. EDF a investi dans Hinkley Point, au Royaume-Uni. Le chantier dure depuis dix ans. Pour les deux réacteurs en construction, l’estimation va de 31 à 35 Md€.
Si l’EPR2 est « vendu » comme une version simplifiée de l’EPR, il représente un nouveau modèle qui nous expose à de nouveaux risques industriels. La phase de basic design validée, on entre dans la phase du design détaillé pour commencer à construire. On nous dit que ces plans seront élaborés d’ici à 2030, mais que le premier béton nucléaire sera coulé à Penly en 2028... EDF se fixe pour objectif de construire un réacteur en soixante-dix mois, reconnaissant que c’est « ambitieux et atteignable ». La direction interministérielle au nouveau nucléaire, que nous avons auditionnée, parle d’un objectif « challenging » – chacun appréciera – et précise que l’effet de série ne devrait intervenir qu’à partir du quatrième, du cinquième voire du sixième exemplaire. Pour Penly, il ne faut pas espérer construire en moins de dix ans, soit la durée moyenne de construction d’un EPR2 dans le monde. La promesse des soixante-dix mois est-elle donc bien sérieuse ?
Tout cela a un impact sur les coûts. La première estimation pour les six premiers chantiers était de 51,7 Md€ en 2020 ; elle est passée à 67,4 Md€ en 2024. Une nouvelle estimation est attendue pour la fin de cette année. Ces quelque soixante-dix milliards d’euros s’entendent hors coûts de financement, lesquels pourraient, selon RTE, multiplier le prix de l’électricité par deux ou par trois. Il ne me semble donc pas responsable d’engager de tels travaux sans y voir plus clair, non seulement sur les montants, mais aussi sur les modalités de financement et sur l’impact pour les différents consommateurs.
Deuxièmement, j’en viens aux factures des consommateurs. Le 31 décembre 2025, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) prendra fin. EDF vendra l’intégralité de sa production électrique sur le marché européen.
S’agissant des entreprises, EDF a commencé à proposer des contrats de moyen terme à quatre ou cinq ans – 2 600 ont déjà été signés. Pour les énergo‑intensifs, deux dispositifs supplémentaires existent. Les contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN) sont des contrats de partenariats industriels sur des durées de dix à quinze ans. Lors des auditions, les entreprises énergo-intensives nous ont dit que la négociation était un peu « rude » et que le prix du mégawattheure proposé par EDF était 15 euros au-dessus de ce qu’elles espéraient, si bien que seulement cinq lettres d’intention ont été signées. Le deuxième dispositif, c’est la phase 2 d’Exeltium, selon le même principe de « l’avance en tête » que pour le CAPN, mais à destination d’un consortium d’énergo-intensifs.
Ces entreprises, qui espéraient un contrat pour différence (Contract for Difference, CfD) négocié par le Gouvernement, sont d’accord faute de mieux, mais elles ne sont pas particulièrement « emballées », ce qui laisse planer des doutes sur la décarbonation de nos outils de production par l’électrification et la réindustrialisation et fait craindre d’éventuelles délocalisations.
S’agissant du nouveau nucléaire, les entreprises énergo-intensives ne sont pas prêtes à mettre 1 centime dans les nouveaux réacteurs. Malheureusement, le fiasco de Flamanville les a vaccinées. Néanmoins, il reste deux options de financement public sur la table : le modèle Dukovany et l’avance remboursable. Dans le premier cas, l’État prête à taux zéro à EDF pour la réalisation du chantier et, une fois la mise en service effectuée, l’exploitation se ferait selon un contrat pour différence, c’est-à-dire avec un soutien de l’État quand les prix du marché sont bas et, à l’inverse, un reversement des surplus à l’État quand les prix sont élevés. Dans le second cas, EDF ne rembourserait l’État que lorsqu’il fait des bénéfices.
Le fameux article 4 du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, qui a été supprimé lors de la séance du 25 octobre dernier, contenait le dispositif qui devait prendre la suite de l’Arenh et concerner les ménages, les collectivités et une partie des entreprises. En réalité, même si la loi contraint EDF à réserver 100 térawattheures, par construction, ce sont les trois quarts de l’électricité nucléaire d’EDF qui sont vendus au prix de 42 euros par mégawattheure, si bien que 50 % de la « part électron » de la facture des ménages au tarif réglementé de vente d’électricité (TRV) sont fixés sur le tarif de l’Arenh. Dès le 1er janvier 2026, ce sera 100 % de cette « part électron » qu’il faudra aller chercher sur le marché de gros européen, qui, malgré la réforme récente du marché de l’électricité, suivra encore de près les cours du gaz.
L’État envisage un dispositif définissant deux seuils de captation des revenus nucléaires d’EDF : le versement nucléaire universel. Le premier seuil, dit « seuil de taxation », correspondrait aux coûts complets de production majorés de 5 à 25 euros ; pour le deuxième seuil, appelé « seuil d’écrêtement », la fourchette se situerait entre 35 et 55 euros supplémentaires. C’est un arrêté ministériel qui fixerait les tarifs de taxation et d’écrêtement à l’intérieur de ces fourchettes, en prenant en compte, d’une part, le coût de production du nucléaire existant – ce qui pose un premier problème, dans la mesure où la Commission de régulation de l’énergie (CRE) le fixe à 60 euros et EDF à 75 euros par mégawattheure – et, d’autre part, la dette d’EDF (55 Md€) et les investissements dans le nouveau nucléaire – EDF demande la moitié des quelque 70 Md€ du nouveau programme.
On se retrouverait alors à peu près dans les fourchettes négociées par le ministre Bruno Le Maire avec EDF, il y a un an : 78 euros par mégawattheure pour le premier seuil et 110 euros pour le deuxième. Au-delà du seuil de 78 euros, 50 % des revenus perçus par EDF au titre de son parc nucléaire seraient prélevés et 90 % le seraient pour la quotité de revenus qui excéderait le second seuil de 110 euros, pour être ensuite redistribués. Comprenez bien qu’avant le premier seuil, qui a été fixé très haut, il y a 0 % de taxation et qu’aucune minoration ne sera appliquée sur la facture des consommateurs. On ne comprend pas trop comment les calculs seront faits, dans la mesure où ils seront à la main des ministres et différents pour chacun.
Les cabinets des ministres que nous avons auditionnés ont été incapables de nous fournir des simulations. Selon l’économiste Nicolas Goldberg, il est impossible de garantir le prix cible de 70 euros, vendu dans l’exposé des motifs sans justification. Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait s’attendre au 1er janvier 2026 à une hausse des factures de 10 %. Le dispositif n’assure donc aucune prévisibilité et il est la garantie d’une augmentation des factures.
Pour conclure, l’article 4 du projet de loi de finances ayant été supprimé à une large majorité en séance, j’appelle le Gouvernement à ne pas passer en force et à proposer un projet de loi dédié pour discuter de cette question fondamentale de l’énergie. Avec mes collègues de La France insoumise, nous allons proposer dans notre niche, fin novembre, un texte de blocage des prix et de TRV fondés sur les coûts de production. Qui plus est, nous avons besoin d’une vraie loi de programmation pluriannuelle sur l’énergie et le climat pour voter ou non la relance du nucléaire, compte tenu de tous les éléments que je vous ai présentés. C’était d’ailleurs l’une des recommandations de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, pilotée par notre collègue Raphaël Schellenberger et monsieur Antoine Armand, désormais ministre. C’est un enjeu d’approvisionnement électrique, d’accès à un bien de première nécessité et de décarbonation de notre économie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Maxime Amblard (RN). La lecture de votre rapport a été éprouvante, mais sans grande surprise : la volonté de discréditer le nucléaire, une multitude de chiffres sans cohérence ni rapport avec la quantité d’énergie effectivement produite par le nucléaire et l’absence de hauteur de vue le caractérisent. Votre propos n’a pour seule cohérence que de tenter de justifier, au prix de quelques arrangements avec la vérité, votre idéologie. Or l’une de vos erreurs fondamentales est de faire passer les moyens avant la fin.
Nous partageons le même constat de la menace du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources en hydrocarbures et, par conséquent, les mêmes objectifs de diminuer l’intensité carbone de notre mix énergétique et de nous défaire de notre dépendance aux énergies fossiles. Cependant, le Rassemblement national cherche à le faire en garantissant au maximum un faible coût de l’énergie. Ces trois objectifs, nous avons la chance de les avoir déjà atteints dans notre histoire récente, grâce à un mix électrique combinant nucléaire historique et hydraulique – l’un des moins carbonés au monde et le moins cher d’Europe pendant des décennies. Ce n’est pas de l’idéologie, c’est de la physique.
Vous promouvez un mix énergétique incluant les énergies renouvelables intermittentes qui, non seulement remplacerait un mix déjà décarboné, mais présente davantage de limites physiques. Le nucléaire et l’hydraulique sont pilotables et concentrés, tandis que les énergies renouvelables intermittentes sont, par définition, intermittentes et diffuses. Leur exploitation pose un problème majeur en termes de gestion des ressources. Ainsi, en termes de puissance disponible garantie, il faudrait environ 3 500 éoliennes de 3 mégawattheures pour égaler la production d’un seul réacteur EPR. Ces contraintes physiques ne peuvent que se matérialiser dans le coût de production.
Vous affirmez pourtant, à la page 21 de votre rapport, que la filière éolienne paraît peu coûteuse pour l’État et qu’elle dégage même des recettes – une assertion trompeuse, qui masque volontairement une période d’explosion des prix de l’électricité. Une recette qui se fait au prix de 30 Md€ de bouclier énergétique n’est pas une recette, c’est la démonstration que le seul moyen de rendre les énergies renouvelables intermittentes non coûteuses pour l’État consiste à en faire porter le coût au consommateur, avec des prix structurellement élevés. Vous expliquerez aux Français pourquoi leur facture d’électricité explose.
Nous pouvons cependant nous retrouver sur vos remarques s’agissant de la brièveté des délais impartis à la représentation nationale pour se prononcer sur le dispositif post-Arenh. À cet égard, la taxe sur EDF que le Gouvernement a tenté d’introduire en catimini à l’article 4 du projet de loi de finances est en effet totalement inacceptable.
Finalement, tout cet argent public dépensé pour une électricité décarbonée, qui l’est déjà grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité, n’a de sens ni pour notre souveraineté, ni pour l’environnement, ni pour les finances publiques et le consommateur. La vision dogmatique que défendent main dans la main les membres du parti unique n’est rien d’autre que celle de l’Union européenne, sous la pression de l’Allemagne, qui, confondant l’objectif – émettre moins de gaz à effet de serre – et l’un des moyens – le renouvelable –, va remplacer des moyens de production électrique pilotables par le solaire et l’éolien, non pilotables et grassement subventionnés, ce qui dissuadera de maintenir et de renouveler les premiers.
Afin d’éviter que la facture des Français ne s’envole, le temps est venu de laisser les énergies renouvelables, « très compétitives » dites-vous, se développer sans subventions massives, et de sortir des règles de tarification du marché européen de l’électricité pour se rapprocher du coût de production réel de l’électricité – je suis ravi que vous entendiez faire cette proposition dans le cadre de votre niche parlementaire.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). La sortie progressive de l’utilisation des énergies fossiles et l’atteinte de la neutralité carbone d’ici à 2050 sont les objectifs qui guident désormais l’action de notre politique publique énergétique, et les lois emblématiques que sont la loi d’orientation des mobilités (LOM) en 2019 et la loi « Climat et résilience » en 2021 en sont les marqueurs. La « défossilisation » doit se réaliser avant tout avec pragmatisme et s’appuyer sur une approche scientifique. Cette stratégie repose sur quatre piliers indissociables : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique, l’accélération du développement des énergies renouvelables et la relance de la filière nucléaire française.
La loi « Énergie et climat » de 2019 fixe un objectif d’au moins 33 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale en 2030. C’est pourquoi, en 2023, nous avons adopté la loi d’accélération du développement des énergies renouvelables et la loi sur la relance de la filière nucléaire – votre discours aurait d’ailleurs été plus cohérent si votre groupe avait voté la première.
Le seul combat qui vaille, c’est celui des énergies décarbonées contre les énergies fossiles et de sortir de notre dépendance à ces dernières. Nous n’avons ni le luxe ni le temps d’opposer les énergies renouvelables entre elles, ou le renouvelable et le nucléaire, ou les molécules et les électrons. La connaissance scientifique sur ces sujets offre un apport indéniable et s’impose à nous, nous appelant à agir sans dogme pour garantir notre souveraineté énergétique ainsi que l’équilibre des prix. La crise, qui a vu les prix du gaz et de l’électricité atteindre des sommets en 2022, a prouvé que l’État sait être protecteur – pensons à la création du chèque énergie pour les foyers les plus précaires et au renforcement du bouclier tarifaire pour aider les Français, les entreprises et les collectivités.
La question énergétique est corrélée à celle de l’aménagement du territoire. Elle le sera davantage encore demain avec le déploiement des énergies renouvelables, principalement dans nos territoires ruraux, en reliant les bassins de production et de consommation, alimentés par de l’électricité nucléaire, du biométhane, de la chaleur renouvelable ou de l’hydrogène. Le fonds Vert créé en 2023 a permis d’apporter un soutien financier à près de six mille communes, pour des projets représentant des dépenses de dix milliards d’euros et un engagement du fonds de deux milliards d’euros. C’est bien cette politique énergétique construite au plus près des Français et des territoires qui conduit à une diminution des émissions françaises de CO2 de 4,8 % en 2023.
Pour en venir aux crédits, notre groupe se réjouit de voir ceux du programme 345 « Service public de l’énergie augmenter de plus de 32 % pour atteindre 7,3 Md€. Cette augmentation des crédits vise notamment à favoriser le développement d’autres sources d’énergie, comme l’hydrogène ou la petite hydroélectricité.
En revanche, je me désole de la nette diminution des crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mines ». Si elle est principalement l’effet d’un changement de périmètre des dotations allouées au dispositif MaPrimeRénov’, désormais rattaché au programme 135, ce sont bien les crédits dédiés au fonds Vert pour les collectivités, malgré la démonstration de leur utilité et l’importance des besoins locaux, qui sont ramenés à 1 Md€ quand la loi de finances pour 2024 avait doté le fonds de 2,5 Md€. Nous appelons donc le Gouvernement à créer les conditions de sa revalorisation.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Dans la mesure où j’ai moi-même travaillé en commission du développement durable sur un avis budgétaire au périmètre similaire, nous sommes convenus avec le rapporteur que je prendrais la parole sur des crédits qu’il a moins étudiés dans son rapport.
Ces crédits illustrent le pas de deux entre le gouvernement Barnier et le RN. La démission permanente de la Macronie sur l’écologie crée un terreau favorable à la démagogie antiécologiste du RN. Le budget montre de grandes coupes là où des investissements publics massifs sont indispensables. Les crédits de la rénovation thermique baissent de 1 Md€, alors même que ce chantier est critique et que nous accumulons des retards depuis des années. En 2023, 85 000 rénovations globales ont été effectuées, alors qu’il en faudrait deux cent mille par an et sept cent mille à partir de 2030. Ce défaut d’investissement se traduit sur le plan budgétaire, mais aussi dans toutes les autres dimensions : structuration de la filière du bâtiment, formation de deux cent mille professionnels, organisation d’un grand service public qui puisse assurer le travail social qu’implique la massification de la rénovation. Le RN s’engouffre dans la brèche et proposera dans sa niche d’annuler l’interdiction de louer des passoires thermiques, mesure qui revient à acter les renoncements et les reculs de la Macronie. En attendant, il y a 4,8 millions de passoires thermiques. La précarité énergétique touche encore douze millions de Français, avec toutes les conséquences sanitaires et sociales que cela implique.
L’électrification du parc automobile perd 870 millions d’euros (M€). Si l’on prend en compte l’écart entre la consommation réelle des crédits en 2024 et les aides prévues dans le budget pour 2025, on dépasse le milliard d’euros de coupes budgétaires. Elles créent de véritables impasses pour les Français : l’accès à un véhicule électrique reste impossible faute d’aides conséquentes et à cause d’un prix à l’achat beaucoup trop élevé. Là encore, le RN s’en empare et en fait une tribune antiécologique : ses députés sont contre les zones à faibles émissions (ZFE), le malus automobile et la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035, ce qui revient à enfermer les Français dans l’impasse du thermique.
Concernant le chèque énergie, le gouvernement Barnier veut mettre fin à son automaticité, ce qui est une manière dissimulée de moins dépenser, en comptant sur le non-recours. Nous avons d’ailleurs fait adopter un amendement transpartisan de suppression de cette réforme en commission du développement durable. Je vous inviterai à faire de même en commission des affaires économiques. Une fois de plus, le RN reprend la rhétorique de l’austérité pour mieux justifier des amendements parfaitement xénophobes. Au prétexte de faire des économies, ses députés ont ainsi proposé en commission du développement durable d’appliquer la préférence nationale à ce chèque.
Les Françaises et les Français sont coincés entre l’incurie gouvernementale et la démagogie antiécologiste du RN. Un autre budget de l’écologie était pourtant possible, qui aurait augmenté ces enveloppes budgétaires et se serait inscrit dans une véritable planification écologique, afin de défendre le pouvoir d’achat et la dignité des Français, leur droit de vivre sans avoir froid et de se déplacer sans risquer d’hypothéquer leur avenir.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je partage évidemment vos inquiétudes quant à la rénovation énergétique et au véhicule électrique. Pour ce qui est du chèque énergie, nous y reviendrons à l’occasion de l’examen des amendements.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). En premier lieu, il faudrait revoir certains aspects de l’examen des missions par notre commission, car de nombreux amendements n’ont pas de lien avec le rapport que nous examinons. Je ne jette pas la pierre à mes collègues, car nous n’aurons sans doute pas l’occasion d’aborder ces questions en séance, mais cela crée un certain mélange et le choix très artificiel des gages dont ils sont assortis ne doit pas conditionner le tri des amendements.
Je souligne aussi la difficulté de se mobiliser sur les fonds affectés au budget Énergie, alors que nous n’avons toujours pas d’indications sur les orientations et les objectifs à atteindre – et donc sur les moyens financiers à y affecter – faute d’une loi de programmation énergie-climat et d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), alors que la loi l’impose, comme l’a rappelé le rapporteur. L’exercice est insolite et tout à fait inconfortable.
Sur le fond, les crédits liés au rapport Énergie connaissent cette année une évolution majeure avec le transfert, que nous demandions d’ailleurs l’an dernier, de MaPrimeRénov’ vers la mission Cohésion des territoires.
Ce qui caractérise le rapport cette année, c’est d’abord l’insuffisance des moyens alloués au chèque énergie, dont le montant n’a jamais rattrapé l’évolution des prix depuis 2021, alors que la facture moyenne des ménages a augmenté de 45 % depuis cette date. Il est donc essentiel d’augmenter le montant du chèque. Or le Gouvernement semble avoir des ambitions contraires avec l’article 60 du projet de loi de finances, qui rendra encore plus difficile l’accès au chèque énergie pour les ménages les plus précaires. Le rapporteur a proposé un amendement visant à chercher des modalités alternatives d’identification des bénéficiaires, afin d’améliorer le taux de recours malgré cette réforme. Nous le remercions de cette initiative, mais, si nous partageons son intention, nous voyons bien où se dirigent nos débats sur ce projet de loi de finances et il importe donc que l’article 60 soit rejeté par la majorité la plus large possible.
Le fonds Vert se voit raboter à hauteur de 1,5 Md€, ce qui affectera lourdement les collectivités territoriales et affaiblira l’investissement dans la transition écologique pour nos territoires, qui se mobilisent pourtant de plus en plus. Cette mesure incompréhensible obère l’avenir, en comblant les trous laissés par les chèques sans provision signés par Emmanuel Macron. Un tel affaiblissement du soutien à l’investissement local ne pourra que pénaliser durablement nos TPE et PME, alors que celles du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) subissent déjà durement la crise de la construction et du logement, même si les besoins en nouveaux logements et en rénovation sont criants.
Pour toutes ces raisons et beaucoup d’autres, le groupe Socialistes et apparentés votera contre les crédits de la mission.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Nous parlerons plus tard du chèque énergie. Quant à la PPE, lorsque nous avons auditionné la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), nous avons appris qu’une nouvelle PPE arriverait en février, mais qu’elle ne serait pas précédée d’une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) en bonne et due forme, le Gouvernement comptant vaguement sur la proposition de loi du sénateur Daniel Gremillet, récemment adoptée, pour en tenir lieu.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). La politique énergétique est fondamentale pour notre souveraineté nationale. Les événements récents, comme la guerre en Ukraine, nous ont durement rappelé les conséquences d’une dépendance énergétique non maîtrisée. Nos entreprises, en particulier celles de l’industrie électro-intensive, et le commerce de proximité, notamment en zone rurale, ont été frappés par la flambée des prix de l’énergie. Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures temporaires pour compenser des décennies d’une politique énergétique mal adaptée et trop souvent soumise à des querelles partisanes. Une refonte profonde s’impose pour garantir une politique stable et résiliente, moins vulnérable aux fluctuations.
Pourquoi accorder une telle importance aux coûts associés à l’EPR de Flamanville, en s’appuyant sur des estimations non validées par EDF ? Des échecs opérationnels ont certes eu lieu, mais cette insistance semble surtout viser à discréditer l’énergie nucléaire, alors que nous ne pouvons ignorer les bénéfices d’une source d’énergie puissante, abordable et décarbonée – une énergie propre.
Votre rapport met en relief le financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale, en soulignant notamment le manque de bornes de recharge pour les véhicules électriques. C’est certes important, mais d’autres aspects ne seraient-ils pas prioritaires pour relever les défis de l’électrification en zone rurale, notamment le maintien du compte d’affectation spéciale, principal outil de financement à cet effet, qui n’a pas été revalorisé depuis 2012 ?
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je partage votre préoccupation quant au maintien et, surtout, à la revalorisation du compte d’affectation spéciale Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale (CAS Facé). La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), que nous avons auditionnée, s’est émue du fait que, depuis des années, les crédits ne suivent pas l’inflation et elle n’est pas satisfaite de ce qu’une partie de l’accise doive désormais financer le CAS Facé.
Pour ce qui est du nucléaire et de Flamanville, je privilégierai les chiffres de la Cour des comptes plutôt que ceux de monsieur Grandjean. EDF nous a fourni certaines réponses, mais pas toutes. Il me semble ainsi avoir démontré que l’énergie nucléaire n’était pas si abordable que vous le dites. Quant à la souveraineté et à l’indépendance, je vous renvoie aux travaux de la commission d’enquête : lorsqu’on est dépendant à 100 %, pour le nucléaire, d’importations d’uranium dont 40 % viennent du Kazakhstan en passant par Rosatom, l’entreprise de Poutine, je ne suis pas certain qu’on puisse parler de souveraineté ni d’indépendance…
Mme Julie Laernoes (EcoS). Votre rapport très substantiel sur les programmes budgétaires consacrés à la politique énergétique de notre pays permet d’objectiver enfin la forte régression des enveloppes dévolues à la transition énergétique.
Fonds Vert, MaPrimeRénov’, fonds Chaleur, aides pour le verdissement des véhicules : comme vous, nous déplorons les fortes baisses de ces budgets, délétères pour le climat, pour le pouvoir d’achat des ménages et pour nos entreprises – et, surtout, en totale contradiction avec la stratégie pluriannuelle d’investissement de la transition écologique présentée récemment par le Gouvernement, qui prévoit que les investissements pour le climat doivent encore augmenter de 110 Md€ par an d’ici à 2030. Nous sommes très loin du compte !
Vous regrettez également que le développement des énergies renouvelables soit bridé par une PPE obsolète. On le constate en effet aussi sur le terrain et je souscris pleinement à votre analyse. Depuis deux ans, nous avons exhorté les gouvernements successifs à présenter une loi de programmation énergie-climat, mais en vain. Cette absence de trajectoire énergétique actualisée, à laquelle s’ajoutent tous les reculs que je viens d’énoncer, est catastrophique pour le développement des projets industriels dans le domaine des énergies renouvelables. Si nous continuons sur cette voie, nous ne tiendrons pas l’objectif des 177 térawattheures d’électricité supplémentaires dont nous avons besoin pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, et nous le paierons collectivement très cher en termes de sécurité d’approvisionnement et d’indépendance énergétique.
Puisque nous en débattrons lors de l’examen des amendements que nous avons déposés, je ne mentionnerai ici la réforme du chèque énergie que pour dire qu’elle est inacceptable, car elle risque de provoquer une explosion des non-recours et de la précarité énergétique.
Je salue enfin votre volonté de mettre en lumière un aspect dont on ne parle jamais et qui aura pourtant une incidence fondamentale sur notre sécurité d’approvisionnement comme sur le prix de l’électricité : les coûts des nucléaires existant et futur, et leur impact sur les consommateurs français. Alors qu’on brandit le nucléaire comme la solution à tous nos problèmes, personne n’est capable d’en exposer les coûts en toute transparence. L’opacité règne en maître. Dans le contexte budgétaire actuel et au vu des investissements colossaux qui sont nécessaires, ce n’est pas acceptable. Il est temps de clarifier ces coûts et de les verser au débat sur la politique énergétique.
On ne peut qu’être interloqué en apprenant que vous n’avez pu, malgré votre qualité de rapporteur, obtenir plus d’informations sur les coûts à court terme que génère la filière du nucléaire, sur ceux du grand carénage qui interviendra après 2028 ni sur le montage financier concernant les EPR2 : c’est le flou total, et c’est très inquiétant. Comment expliquez-vous ces zones d’ombre persistantes et le peu de chiffres disponibles ? Ce flou ne doit-il pas amener le Parlement à s’interroger plus soigneusement sur le financement du nucléaire et sur sa compétitivité ?
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Pour ce qui est du flou, je partage vos interrogations mais ne saurais y répondre.
Pour ce qui est du prix du nucléaire, je me souviens d’une phrase prononcée à deux reprises par M. Bruno Le Maire, que nous avions auditionné voilà un peu plus d’un an, en audition commune avec Mme Pannier-Runacher, dans le cadre de la commission des finances : selon lui, les Français allaient devoir se payer leur choix du mix énergétique – ce qui signifiait qu’ayant voté Macron, ils allaient payer pour le nucléaire.
M. Philippe Bolo (Dem). Le montant de 60 Md€ qu’il faut aller chercher par des recettes nouvelles ou par des dépenses en moins correspond, à peu de choses près, à celui que l’État a mis sur la table pour des mesures de protection des entreprises, des collectivités territoriales et des ménages face à l’explosion du prix des énergies sur la période 2021-2023 : des dépenses en plus et d’autres en moins pour financer le « bouclier » gaz et électricité, la baisse de la TICFE, l’ « amortisseur » électricité, le « filet de sécurité » et les nombreux chèques énergie – inflation 2023, bois et fioul. La question de l’énergie est donc majeure et les crédits que nous examinons aujourd’hui sont essentiels pour la souveraineté énergétique de notre pays, le pouvoir d’achat des Français et la décarbonation des usages de l’énergie en France.
Le programme 174 fait apparaître un équilibre entre des baisses significatives et quelques hausses, les baisses s’expliquant par le changement d’affectation du dispositif MaPrimeRénov’, désormais rattaché au programme 135. N’oublions jamais que, malgré les exigences budgétaires qui s’imposent, les économies d’aujourd’hui peuvent parfois être des dépenses insupportables pour demain : efforçons-nous de raisonner à long terme.
L’article 60 du projet de loi de finances pour 2025 réforme les modalités d’attribution du chèque énergie. Nous devons être vigilants quant aux adaptations prévues, si nécessaires soient-elles, car l’évolution de certains paramètres rend parfois difficile de cibler précisément les ménages qui ont besoin de ce dispositif. Voilà encore quelques années, le taux d’utilisation du chèque énergie était, au mieux, inférieur à 80 % : la réforme ne doit pas dégrader le taux d’accès à un dispositif qui avait été retenu en 2018 pour corriger le faible recours aux tarifs sociaux de l’énergie.
Nous avons une vision positive des dispositions du programme 345, qui prévoit un soutien aux énergies renouvelables et, plus généralement, aux charges de service public de l’énergie, en nette hausse de 4,6 Md€.
Pour ce qui est de la fiscalité, le fait que la TICFE retrouve son niveau d’avant la crise énergétique aura une incidence sur la facture énergétique des Français, mais n’oublions pas que cette taxe intègre également, depuis une réforme intervenue voilà quelques années, la taxe communale sur la consommation finale d’électricité (TCCFE), dont le produit est reversé aux syndicats d’énergie, lesquels ont un important effet de levier sur l’activité des territoires. Cette augmentation est donc une forme de retour direct pour les ménages et les entreprises, via l’activité des syndicats d’énergie. Cela ne signifie pas qu’il faille l’augmenter n’importe comment : la vigilance s’impose et cette taxe ne doit pas devenir une variable d’ajustement pour ménager au Gouvernement des recettes nouvelles, car toute augmentation se traduira par une augmentation du prix de l’énergie, voire, par effet indirect, par une baisse de production de certaines énergies, notamment renouvelables.
Quant au CAS Facé, qui est en effet essentiel pour la maîtrise d’ouvrage confiée aux syndicats d’énergie dans les territoires ruraux, il faut absolument en revaloriser les montants, qui sont versés à ces syndicats d’énergie. Ce levier en faveur des travaux d’électrification est un facteur de vitalité et de dynamisme dans les zones rurales, qui contribue à l’attractivité des territoires et à la gestion des risques climatiques. Ces syndicats procèdent en effet à l’enfouissement de lignes vulnérables aux coups de vent forts. C’est aussi un enjeu de démocratie locale.
Le groupe Les Démocrates regardera avec vigilance ces crédits et leur évolution en fonction des amendements qu’il reste à voter.
M. Thomas Lam (HOR). L’Arenh était un dispositif imposé par l’Europe pour introduire sur le marché français de l’électricité une concurrence qui aurait dû investir dans de nouvelles capacités de production électrique. Or cela n’a jamais été le cas et c’est aujourd’hui l’État qui financera les chantiers des six nouveaux EPR prévus. Cela a pour résultat qu’EDF vend trop peu cher et ne peut ni couvrir ses frais de production ni rembourser sa dette, qui se creuse – elle a augmenté de 100 % depuis l’instauration de l’Arenh, passant de 34,4 Md€ à 55 Md€. Le tarif de 42 euros par mégawattheure aurait ainsi dû être réévalué à 60 euros selon une estimation de la Cour des comptes en 2021.
Le groupe Horizons et indépendants soutient donc le nouveau dispositif, car le nucléaire est l’énergie qui émet le moins de CO2 par kilowattheure – il a ainsi permis, en quarante-cinq ans, d’éviter vingt-cinq fois les émissions totales de CO2 de 2022. C’est également une énergie pilotable, qui ne dépend pas d’aléas, et c’est aussi la moins coûteuse – selon Eurostat, l’électricité est 22 % moins chère en France que dans le reste de l’Union européenne. En conséquence, les investissements dans le nucléaire sont ceux qui permettront d’assurer à long terme de l’électricité bon marché. Il fallait, en outre, sortir de la spirale de la dette, qu’il faudra bien payer un jour.
Enfin, vous semblez parler d’un marché privé de l’électricité, mais ce n’est pas le cas. Le système proposé par le Gouvernement conjugue les bons côtés d’un système de prix et les avantages du contrôle de l’État. Un mécanisme de seuil permet de redistribuer les profits du nucléaire si la rente d’EDF devient trop élevée : on redonne de l’argent aux Français quand l’entreprise EDF se porte bien. Il n’est donc pas exact de dire que le prix du nucléaire français est lié aux évolutions du marché.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Si vous êtes capable de nous expliquer comment est calculée la minoration et comment elle s’applique sur les factures, quel est le montant initial des factures et combien nous paierons à la fin, nous sommes tous preneurs de ces informations, car personne n’a rien compris !
Pour ce qui est de la dette d’EDF, l’Arenh fait partie du problème, mais cela tient aussi aux investissements hasardeux de Flamanville, qui n’a toujours pas produit le moindre électron sur le réseau, et de Hinkley Point, avec 31 à 35 Md€ qu’EDF assume à peu près seule.
Le nucléaire est décarboné, c’est vrai lorsqu’il existe et fonctionne. Or ce n’était pas le cas durant l’épisode de corrosion sous contrainte (CSC). La centrale de Flamanville n’a toujours pas démarré et les six premiers EPR sont attendus vers 2035 pour le premier et vers 2043 pour le dernier : d’ici là, nous allons émettre des gaz à effet de serre. Greenpeace avait calculé qu’en investissant le même montant de 52 Md€ dans les énergies renouvelables plutôt que dans le nucléaire, nous aurions, à l’horizon 2050, évité quatre fois plus de gaz à effet de serre et produit trois fois plus d’électricité.
Enfin, le nucléaire n’est pas compétitif. Ainsi, EDF conteste l’accord conclu en République tchèque, considérant qu’il n’est pas possible que le prix du kilowattheure soit inférieur à 90 euros sans soutien de l’État.
M. Harold Huwart (LIOT). Accélérer vers la transition écologique sans pénaliser nos entreprises ni faire reculer une ambition de justice sociale indispensable à l’engagement de nos concitoyens et à leur acceptation de cette évolution majeure est un objectif qui pourrait nous rassembler. À cet égard, notre groupe ne comprend pas le projet de taxation de la consommation finale de l’électricité. Il y avait là une occasion majeure de faire baisser le prix de l’électricité pour les ménages dans le budget desquels le poids des consommations énergétiques a augmenté de 40 % à 50 % depuis la guerre en Ukraine et le début de la crise énergétique fin 2021. Il y a donc un problème de justice sociale et de pouvoir d’achat des ménages.
Le rapport de la Commission de régulation de l'énergie chiffre à 4,3 Md€ les crédits de soutien aux énergies renouvelables, qui se situaient à 2,5 Md€ voilà à peine quelques années. Cette masse financière, qui représente l’essentiel des crédits soumis à notre avis, pose question, alors que, dans le même temps, la Commission signale des gains de compétitivité majeurs dans le secteur des énergies renouvelables. J’appelle donc votre attention sur ce point et sans doute faudrait-il donner priorité au maintien de dispositifs tels que MaPrimeRénov’, car les particuliers, les ménages et les artisans ont besoin de stabilité et de prévisibilité pour pouvoir engager les travaux indispensables à la rénovation de notre parc immobilier. Le maintien de ce dispositif en l’état, avec une baisse de 1 Md€ que l’on pourrait envisager de remettre en cause, me semble prioritaire par rapport à d’autres dispositifs
Pour le reste, nous partageons le sentiment d’une majorité des membres de cette commission à propos du chèque énergie : il doit rester automatique, la suppression de l’automaticité ayant pour effet de rendre mécanique la sous‑consommation de ce dispositif.
En outre, dans le domaine des transports, la baisse des aides à l’électrification des véhicules et la suppression de la prime à la conversion nous paraissent être un recul pour le pouvoir d’achat des ménages, qui reste une priorité dans la période que nous traversons.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je ne répondrai que sur les CSPE pour le développement des énergies renouvelables. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, nous sommes revenus à un niveau assez normal, qui est celui d’avant la crise. À la création d’une installation de production d’électricité renouvelable, le producteur bénéficie d’un prix garanti, qui est celui auquel EDF s’engage à lui racheter son électricité. Lorsque les prix descendent sur les marchés, cela coûte, et lorsqu’ils augmentent, c’est le producteur qui reverse. Certaines années, l’État a gagné de l’argent avec ce dispositif. Il existe encore, notamment dans le domaine du photovoltaïque, de vieux contrats souscrits à une époque où les prix de marché étaient élevés et donc moins avantageux pour l’État, mais ces contrats arrivent à échéance.
Enfin, les énergies renouvelables connaissent un développement, même s’il n’est pas à la hauteur des objectifs que nous nous étions fixés : il est donc normal que cela coûte, à la fin, un peu plus cher.
Je vais maintenant compléter mes réponses à l’ensemble des orateurs des groupes.
Monsieur Amblard, vous évoquez la puissance disponible que garantirait le nucléaire mais, je le répète, dix-sept ans après le lancement du projet, la centrale de Flamanville n’a toujours pas envoyé un seul électron dans le réseau. On nous promet une connexion au réseau d’ici à la fin de l’automne, mais la centrale ne produirait alors que 25 % de la puissance nominale, de telle sorte que nous ne disposerons toujours pas des 1 650 mégawatts espérés. De même, l’épisode de CSC n’a pas été causé par une coalition d’écoterroristes et de députés de La France insoumise désireux de mettre en difficulté les réacteurs nucléaires. Quant au prix, selon les chiffres 2020 de la Cour des comptes – qui remontent donc à quatre ans –, le mégawattheure serait produit à un prix situé entre 110 et 120 euros, ce qui n’a rien de compétitif. Et l’EPR de Flamanville n’a pas encore démarré...
Monsieur Bolo, on ne peut parler d’équilibre pour le programme 174 quand il y manque 3,5 Md€ pour la rénovation thermique et toutes les autres actions prévues. Vous nous appelez à regarder sur le long terme, mais ce sont précisément là des dépenses efficaces et de long terme qui subissent des coupes.
Pour ce qui est de la TICFE, le tableau figurant à l’article 7 du projet de loi de finances présente un montant de 25 euros, mais, compte tenu de la fameuse fourchette de modulation comprise entre + 5 euros et + 25 euros, nous avons calculé qu’il se situera d’emblée à 35 euros. Or la Commission de régulation de l'énergie nous dit qu’il sera très difficile pour le Gouvernement de tenir sa promesse d’une baisse des factures de 9 % avec un prix de 35 euros. J’attends donc de voir ce qu’il en sera.
Monsieur Fugit, nous n’avons pas voté pour la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, mais, un an après sa promulgation, 70 % des décrets d’application de cette loi n’étaient pas publiés : si vous croisez madame Pannier-Runacher, n’hésitez pas à lui demander où cela en est ! Quant à l’idée qu’il ne faut pas opposer les énergies, élément de langage que j’entends répéter depuis que je suis député, je rappelle tout de même qu’en un temps où l’on cherche des milliards d’euros partout, le nucléaire coûte très cher et qu’il y a un intérêt à garder de l’argent pour développer les énergies renouvelables, qui continueront de toute façon à se développer – il n’est, pour s’en convaincre, que de regarder les scénarios de Réseau de transport d’électricité (RTE) et de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Les renouvelables se développent et deviendront majoritaires. Il y a donc lieu de développer les réseaux et les capacités de stockage et de flexibilité, afin que le réseau puisse les accueillir lorsqu’elles auront monté en puissance. S’il faut faire des choix, y compris budgétaires, gardons l’argent pour ce qui marche. Et les renouvelables, nous savons les faire vite et bien.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Maxime Amblard (RN). Le nucléaire existant est amorti ; il dégage donc du cash qui peut être investi, par exemple, dans le grand carénage, alors que les énergies renouvelables intermittentes sont subventionnées, perfusées, pour les rendre amortissables à terme, à coups de 6 Md€ par an. C’est ainsi que 150 Md€ ont déjà été engagés pour la durée de vie totale de la puissance installée actuelle. Ne dites donc pas que cela ne coûte rien ! Pour que les énergies renouvelables puissent exister, elles doivent être perfusées à l’argent public. Si, comme vous le dites, elles se développent d’elles-mêmes, arrêtons de les perfuser et elles voleront de leurs propres ailes. C’est ainsi que les oiseaux grandissent.
Pour ce qui est de l’origine du combustible, dont je discutais ce matin avec le haut-commissaire à l’énergie atomique, la France dispose de quinze ans pour se retourner, grâce à l’uranium de retraitement, à l’uranium appauvri et à notre stock d’uranium normal. Nous ne dépendons donc pas de monsieur Poutine – il faut arrêter de dire n’importe quoi.
M. René Pilato (LFI-NFP). D’après l’ONU, la trajectoire du réchauffement climatique conduit à une augmentation moyenne mondiale de 3,1 degrés. Pour la France, elle sera de 4 degrés. Après plusieurs mois d’attente, le 25 octobre, la troisième édition du plan d’adaptation au changement climatique a été présentée par le Premier ministre. Parmi les cinquante et une mesures retenues, aucune n’est prévue pour obliger les grandes entreprises gérant des infrastructures d’énergie à se doter d’un plan d’adaptation dès 2026.
On apprend par ailleurs que deux nouveaux réacteurs nucléaires doivent prendre place dans une zone inondable et vulnérable aux dérèglements climatiques – en l’occurrence, sur le site de Gravelines, où la centrale existante est construite sur un polder et donc déjà sous le niveau de la mer aux plus hautes marées. Est-ce bien raisonnable ? Un risque majeur de submersion existe. A-t-il été pris en compte dans les coûts et les prix évoqués ?
M. Vincent Rolland (DR). Une bonne partie du travail du rapporteur est un plaidoyer antinucléaire. Il est vrai que la filière rencontre certaines difficultés, qui tiennent notamment à la décision prise sous les présidences de François Hollande et d’Emmanuel Macron de stopper le développement du nucléaire, mesure que le président Hollande avait prise pour s’assurer le soutien des écologistes à l’Assemblée nationale.
Les hyper électro-intensifs ont visiblement quelques difficultés car, avec la fin programmée de l’Arenh, ils ont besoin à la fois d’un prix du mégawatt bas et de visibilité. Dans ma circonscription, des entreprises comme Niche Fused Alumina ou Métaux Spéciaux sont en attente de ces tarifs préférentiels, sans lesquels leur production risque peu à peu d’être délocalisée.
M. Alexandre Loubet (RN). Quelle est votre position sur la conversion des centrales à charbon françaises en lieux de production d’énergies moins émettrices de CO2 – je pense notamment au biogaz ou à la biomasse ? Cette démarche serait favorable à la décarbonation de notre mix électrique et à la sécurisation de nos approvisionnements électriques, étant donné que la France importe depuis l’Allemagne de l’électricité produite à base de charbon lignite, particulièrement émetteur de CO2. Ce serait aussi une bonne nouvelle pour les emplois qui font fonctionner ces centrales à charbon. Dans ma circonscription, les salariés qui ont redémarré la centrale de Saint-Avold pour sauver le système électrique français n’ont aucune visibilité sur leur avenir. Sans décision rapide du Gouvernement, ils seront tous au chômage en avril 2025. Si vous aussi croisez madame Pannier-Runacher, posez-lui donc la question : voilà deux ans que je la lui pose et qu’elle ne me répond pas.
M. Philippe Bolo (Dem). Une question très technique : l’actuelle TICFE intègre la TCCFE, reversée aux syndicats d’énergie. L’augmentation décidée de la TICFE emporte-t-elle une augmentation mécanique de la TCCFE ou celle-ci a-t‑elle été « cristallisée » au montant initial qui était le sien lorsqu’elle a été intégrée ?
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Monsieur Amblard, vous critiquez la mise sous perfusion des énergies renouvelables, mais le nucléaire existant a lui-même profité d’argent public. En toute logique, vous devriez être défavorable à tous les dispositifs qui feront supporter au contribuable des investissements dans le nouveau nucléaire !
Il est vrai, monsieur Pilato, que la construction à Gravelines, sous le niveau de la mer, de deux des six EPR projetés soulève un problème. Pour la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, « la réponse à la montée du niveau de la mer demande une planification à très long terme. Les deux seules choses qui empêchent les risques, c’est de ne pas construire dans les zones qui seront soumises aux risques littoraux et le repli planifié. » J’aimerais justement que l’on planifie et que l’on ne jette pas des milliards d’euros à la mer : avant la fin du siècle, la centrale aura les pieds dans l’eau et les réacteurs devront être mis à l’arrêt.
Je partage vos craintes, monsieur Rolland, au sujet des consommateurs électro-intensifs. Les représentants de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden) que nous avons auditionnés auraient préféré un contrat pour différence, considérant qu’ils n’ont à financer ni la prolongation du parc existant ni les investissements dans le nouveau nucléaire. Ils estiment que la proposition qui leur a été faite par EDF dans le cadre des contrats d’allocation de production nucléaire est trop élevée de 15 euros et ils risquent donc de se tourner vers un fournisseur plus compétitif.
Je suis heureux de vous trouver à nos côtés, monsieur Loubet, pour soutenir la conversion des centrales à charbon en centrales à biomasse. Dans le cadre d’un mix 100 % renouvelable, nous aurons besoin de la flexibilité qu’apportent ces dernières.
Il me semble enfin, monsieur Bolo, que la TCCFE est comprise dans le barème de base de 25 euros.
Présidence de M. Charles Fournier, vice-président de la commission
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CE224 de Mme Clémence Guetté
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Nous proposons la création d’un fonds en faveur de la souveraineté de notre pays. Il permettrait à l’État de maîtriser sa transition énergétique grâce à une entrée au capital de TotalEnergies et de General Electric, géant étasunien de l’énergie, et à une augmentation de sa participation au capital d’Engie.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Ces opérations, pour lesquelles vous proposez de créer un nouveau programme doté de 3 Md€, doivent permettre à l’État de préserver ses intérêts souverains mais aussi d’engager une véritable planification du développement des énergies renouvelables. J’y suis favorable, en comptant sur la levée du gage.
M. Vincent Rolland (DR). Que représenteraient 3 Md€ dans le capital de ces entreprises ? Je ne suis pas certain qu’ils permettent à l’État d’avoir une quelconque influence sur leur politique, ni même un siège dans leurs conseils d’administration respectifs.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Ces 3 Md€ seraient une première étape, le fonds étant destiné à être abondé par la suite : le but est que l’État ait une influence réelle sur les décisions prises par ces géants de l’énergie.
M. Vincent Rolland (DR). À ce rythme, il faudra sans doute plusieurs dizaines d’années pour que l’État ait une influence quelconque dans ces entreprises. La capitalisation boursière de TotalEnergies, par exemple, doit se compter en dizaines ou centaines de milliards d’euros de plus !
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE223 de Mme Claire Lejeune
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 », RTE France estime qu’un mix reposant à 100 % sur des énergies renouvelables est possible – c’est son scénario M0. Pour l’atteindre, nous proposons avec cet amendement d’appel de renforcer le soutien à ces énergies.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Avis favorable. Je comprends l’appel à soutenir le développement des énergies renouvelables, quand bien même existent déjà les CSPE.
M. Maxime Amblard (RN). Que ce scénario soit considéré comme possible par RTE ne signifie pas qu’il est souhaitable : son scénario le moins onéreux est celui dans lequel la part du nucléaire est la plus importante – sans excéder 50 % toutefois, pour des raisons plus politiques que techniques. Et je suis certain que le scénario Terrawater des Voix du nucléaire l’est encore moins.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Les scénarios de RTE ont été publiés en 2021. Quant au scénario de l’Ademe basé sur 100 % d’énergies renouvelables, il était un peu plus coûteux, lors de sa publication en 2022, qu’un scénario incluant la construction de dix nouveaux réacteurs ; il l’est un peu moins dans sa version révisée de 2023.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE258 de M. Maxime Amblard
M. Maxime Amblard (RN). Nous proposons de supprimer les subventions allouées à l’énergie solaire photovoltaïque : si les énergies renouvelables intermittentes sont mûres, elles n’ont pas besoin d’être subventionnées. Laissons-les voler de leurs propres ailes et voyons quelle énergie sera la meilleure à l’issue de la compétition.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Cet amendement révèle bien votre obsession. Vous qualifiez les énergies renouvelables d’ « intermittentes », alors qu’elles sont en réalité variables : on sait en effet prédire l’évolution de leur potentiel de production dans la journée. C’est à la flexibilité de la demande qu’il faut réfléchir – je sais que RTE y travaille.
M. Vincent Rolland (DR). Il serait intéressant de dresser le bilan carbone des outils de production énergétique tels que les panneaux solaires ou les éoliennes, comme on le fait pour les véhicules électriques. Dans la très grande majorité des cas, les panneaux solaires que l’on subventionne sont importés de Chine, ce qui me dérange.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Les Voix du nucléaire est un lobby, et non un organisme scientifique, alors que RTE est une entreprise française remplissant une mission de service public.
Quant aux outils de production des énergies renouvelables, nous allons en avoir besoin pour accroître notre production d’électricité décarbonée dans les dix ans à venir. Il y a donc là un enjeu de souveraineté industrielle. L’une des deux dernières entreprises françaises fabricant des panneaux photovoltaïques vient de mettre la clé sous la porte : si nous ne voulons pas être dépendants de la Chine, nous devons lancer une stratégie de réindustrialisation dans ce domaine. C’est au Gouvernement désormais d’y allouer les crédits nécessaires.
M. Alexandre Loubet (RN). Notre groupe est fier de défendre le nucléaire : c’est une filière nationale pilotable et décarbonée, permettant de produire de l’électricité à bas coût et en quantité suffisante. Le Nouveau Front populaire, lui, défend des produits importés de l’autre bout du monde qui ne produisent pas en permanence : les éoliennes ne produisent que 25 % du temps ; quant aux panneaux photovoltaïques, ils n’ont fonctionné qu’à 40 % seulement de leur puissance installée durant l’été 2022, alors que l’on connaissait un record d’ensoleillement ! Pour disposer d’un système de production électrique viable et assurant notre souveraineté, il faut développer le nucléaire, protéger les barrages hydroélectriques – il est regrettable, à cet égard, que vous n’ayez pas voté la proposition de loi de notre groupe – et convertir les centrales à charbon.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Je m’inquiète de la fracture entre ceux qui défendent les énergies renouvelables et ceux qui défendent le nucléaire : les deux seront nécessaires pour sortir des énergies fossiles, raison pour laquelle notre groupe est favorable aux deux. Peut-être voudra-t-on sortir un jour du nucléaire, mais il nous est aujourd’hui indispensable.
J’ajoute que deux projets d’implantation de gigafactory de production de panneaux photovoltaïques sont en cours de développement dans notre pays, ce qui est une bonne nouvelle. Les énergies renouvelables emploieront, à terme, cinq cent mille personnes, et le nucléaire, cent mille. N’opposons pas les unes à l’autre : le seul combat qui vaille, c’est l’accélération de la sortie progressive des énergies fossiles.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Notre groupe votera contre ces amendements, considérant que ce n’est pas le moment de réduire nos efforts en faveur du développement des énergies renouvelables. Quant à la proposition de loi du Rassemblement national relative aux installations hydroélectriques, elle était tellement peu aboutie que son adoption n’aurait pas été d’une grande utilité. Nous aurons plus de chances d’avancer avec la proposition de loi issue de la mission transpartisane dont je suis l’une des rapporteurs.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE260 de M. Maxime Amblard
M. Maxime Amblard (RN). Dans le même esprit que l’amendement précédent, nous proposons de ne plus subventionner le biométhane comme source d’énergie.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Avis défavorable.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Je partage votre avis, monsieur Fugit, ce sont bien les énergies fossiles qu’il faut combattre. C’est la raison pour laquelle nous aurons besoin d’une montée en puissance des énergies renouvelables dans les dix ans à venir.
J’indique à nos collègues du RN que le nucléaire n’est pas pilotable lorsqu’un problème de corrosion sous contrainte met la moitié des centrales à l’arrêt, comme ce fut le cas en 2022 ! Quant au coût de cette énergie, c’est une question qui commence à se poser et il est important que le Parlement s’en saisisse. Enfin, quelques règles de géophysique : les énergies renouvelables – le vent, le soleil, la chaleur – ne sont pas importées, ce sont les moyens de captage qui le sont.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE256 de M. Maxime Amblard
M. Maxime Amblard (RN). Cet amendement, qui obéit à la même logique que les précédents, vise l’éolien terrestre.
Pour chaque mégawattheure produit, le nucléaire utilise 22 grammes de matière quand l’énergie éolienne en consomme près de 230 grammes, essentiellement issus de métaux importés ; la soutenabilité de cette source d’électricité s’en trouve remise en cause. En outre, les panneaux photovoltaïques et les éoliennes ne poussent pas dans les arbres : il faut les produire en quantités d’autant plus grandes que les énergies renouvelables sont diffuses, contrairement au nucléaire – c’est de la physique.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Ni le béton des centrales, ni l’uranium, ne poussent non plus dans les arbres ! Je le répète, à l’horizon 2050, aucun scénario ne fait l’impasse sur le déploiement des énergies renouvelables. Je comprends que vous ayez des atomes crochus avec l’énergie nucléaire, mais celle‑ci ne sera pas suffisante : les centrales ont déjà quasiment toutes atteint leur durée de vie initiale et atteindront l’âge de soixante ans au cours de la décennie 2040 – ce qu’aucune centrale n’avait fait jusqu’à maintenant dans le monde. Votre obsession nucléaire nous conduit vers le black-out ! Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CE302 de M. Antoine Golliot et II-CE257 de M. Maxime Amblard (discussion commune)
M. Antoine Golliot (RN). L’amendement d’appel II-CE302 vise à supprimer au sein du programme 174 les crédits destinés aux études relatives à l’éolien en mer, ce qui permettra de réaliser une économie de 125 M€.
En 2022, le Président de la République avait fixé le cap de cinquante parcs éoliens le long du littoral français d’ici à 2050, soit une puissance de 40 gigawatts. Dans le présent projet de loi de finances, l’objectif est passé à 45 gigawatts. Chaque parc éolien occupe une superficie de 50 à 80 mètres carrés : autant de surface en moins pour les pêcheurs, qui ont interdiction d’y pêcher alors qu’ils exploitaient ces zones depuis des générations. Présenté comme une solution énergétique d’avenir, l’éolien en mer sacrifie en réalité l’avenir de ces pêcheurs. La pêche est un secteur clé de notre économie locale, qui contribue à la vitalité de nos côtes, où elle emploie de nombreuses personnes – 690 emplois directs dans les Hauts-de-France et de 5 600 emplois indirects dans le territoire de Boulogne-sur-Mer. L’amendement a pour objet de protéger notre patrimoine maritime et de défendre notre filière « Pêche ».
M. Maxime Amblard (RN). Le parc éolien de Saint-Brieuc produira de l’électricité à un coût moyen de 180 euros par mégawattheure. C’est bien plus que les 120 à 150 euros de l’EPR ! De surcroît, les coûts de raccordement ne sont pas inclus et devront être pris en charge par RTE et Enedis, à hauteur de 100 Md€ chacun d’ici à 2040.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Je conteste les chiffres que vous avancez et apprécierais que vous citiez vos sources. Je me réfère, quant à moi, au dernier scénario de l’Ademe, celui qu’elle a mis à jour en 2023. Une éolienne offshore coûte peut-être plus cher à la construction, mais s’avère moins onéreuse à l’usage. J’ajoute qu’avec 45 gigawatts de puissance installée, les parcs éoliens permettraient de produire l’équivalent de la production d’une trentaine d’EPR – tout en pouvant sortir de terre beaucoup plus rapidement ! Avec un facteur de charge de 55 %, l’éolien offshore n’a rien à envier non plus au parc nucléaire lorsqu’il est victime de corrosion sous contrainte.
Enfin, en tant que fervent défenseur de la pêche artisanale, je voudrais souligner que l’installation de parcs éoliens offshore posés dans des pays d’Europe du nord a permis d’observer deux effets : l’effet « récif », qui voit de nouvelles espèces coloniser les pieds des pylônes, et l’effet « réserve », c’est-à-dire la possibilité ainsi offerte à la ressource halieutique de se régénérer – ce qui est bénéfique pour la pêche artisanale. Avis défavorable.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Ces amendements remettraient en cause une filière essentielle à l’atteinte de nos objectifs de décarbonation. Depuis que son exploitation a été reprise par General Electric au détriment d’Alstom, le premier parc éolien en mer français, celui de Saint-Nazaire, voit ses emplois menacés. Les ingénieurs y ont pourtant développé un véritable savoir-faire français, œuvrant pour notre souveraineté énergétique. Je confirme par ailleurs l’existence d’un effet « récif » déjà constaté sur les éoliennes au large de Saint-Nazaire. Je m’inquiète de l’absence de vision du Rassemblement national sur ces sujets fondamentaux.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CE291 de M. Patrice Martin
M. Patrice Martin (RN). Nous proposons d’ajuster les crédits dédiés aux filières énergétiques renouvelables, dans un contexte où la maîtrise des finances publiques et la gestion responsable des ressources de l’État deviennent essentielles. L’ambition en matière de transition énergétique demeure intacte, et cette mesure transitoire ne constitue en aucun cas un recul des engagements structurels de l’État. L’objectif est de maintenir le soutien aux énergies renouvelables dans des conditions budgétaires soutenables. En somme, il s’agit de conjuguer responsabilité budgétaire et ambition environnementale en veillant à ce que l’argent public soit investi de façon judicieuse.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je note que votre argument principal porte sur les efforts de rationalisation de la dépense publique et l’optimisation des crédits, avec lequel on ne peut qu’être d’accord. Mais votre amendement fait écho à l’attitude de votre groupe en séance la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi de finances. Vous êtes en voie de macronisation ! Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE299 de M. Nicolas Meizonnet
M. Nicolas Meizonnet (RN). Cet amendement, dont je suis certain qu’il fera consensus, vise à soutenir le développement de l’hydrogène. On peut se réjouir du choix pertinent qu’a fait la France en faveur de cette énergie à fort potentiel qui peut accompagner les énergies renouvelables, les transports, mais aussi servir de moyen de stockage. Le budget alloué à son développement est cependant stable dans le projet de loi de finances, alors qu’une approche plus ambitieuse serait nécessaire pour éviter un décrochage de notre pays face à l’Allemagne, au Japon ou aux États‑Unis.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Pour la première fois, vous proposez d’augmenter les moyens alloués à une énergie renouvelable. Il se trouve que l’enveloppe allouée à l’hydrogène est déjà conséquente, avec 692 M€ d’autorisations d’engagement en 2025 – pour à peine 25 M€ de crédits de paiement. Cette inclination se marie bien avec votre tropisme pour le nucléaire. L’hydrogène permet de décarboner certains usages industriels pour lesquels il n’existe pas d’autre solution, mais, pour ma part, je ne crois pas qu’il soit l’avenir des mobilités. Avis défavorable.
M. Alexandre Loubet (RN). Je suis surpris que vous vous opposiez au développement de grande envergure de l’hydrogène. Nous avons la chance de disposer, dans ma circonscription de Moselle, du plus grand gisement d’hydrogène blanc au monde. Nous pourrions en extraire des ressources utiles tout en veillant à ce qu’elles soient renouvelables. Il est vrai qu’un budget conséquent est alloué à l’hydrogène vert, mais il n’est pas dépensé : les projets européens dans ce domaine ne sont pas soutenus par l’État. Plus qu’un projet concret, l’hydrogène est devenu un objet de communication et je regrette l’absence de soutien du Gouvernement.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Je suis surpris d’entendre cela, alors qu’un plan « Hydrogène » a été lancé en 2018, doté de 100 M€, et que d’autres actions ont suivi dans le cadre du plan de relance. Des centaines de millions d’euros ont été investis dans l’usine Symbio ou encore dans l’entreprise Lhyfe. Je vous invite à vous renseigner : l’hydrogène fonctionne, et il est faux d’affirmer que cette énergie serait uniquement liée au nucléaire. L’électrolyse de l’eau nécessite des électrons, peu importe d’où ils viennent. Je regrette d’entendre à ce sujet des informations erronées. L’hydrogène peut être intéressant pour stocker les flux d’électrons produits par les énergies renouvelables, mais aussi par l’énergie nucléaire.
Le présent amendement est cependant sans intérêt, les investissements étant suffisants. Notre groupe votera contre. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une révision de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène, qui devrait être publiée d’ici quelques semaines.
M. Charles Fournier, président. Notre commission devra revenir sur ce sujet, qui mérite des éclairages précis.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE295 de M. Nicolas Meizonnet
M. Nicolas Meizonnet (RN). Depuis vingt ans, la Commission européenne nous empêche de réaliser tout investissement d’envergure dans les ouvrages hydroélectriques. Nous avons présenté une proposition de loi visant à régler ce contentieux pour sortir du blocage et pouvoir augmenter de 20 % la capacité de production de nos barrages – EDF Hydro exprime la même demande que nous. Vous vous êtes opposés au texte en commission ; je vous invite à réviser votre position lors de son examen en séance publique. Quoi qu’il en soit, le parc hydroélectrique vieillissant et la vétusté de certains ouvrages commandent d’allouer des moyens à la sécurité des barrages.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. L’amendement visait surtout à évoquer votre proposition de loi… Je n’ai pas entendu dire que la sécurité des barrages était mise à mal au point de justifier une enveloppe de dix millions d’euros. Je conviens néanmoins avec vous qu’il est urgent de trouver une solution sur les concessions. Avis défavorable.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Je suis surprise par l’argument de la vétusté des ouvrages. Venant d’une circonscription où se trouvent plusieurs barrages anciens, je vous assure que leur maintenance et leur sécurité sont suivies de près par les exploitants, qui ont l’obligation de les rendre en bon état de fonctionnement au terme de la concession. Qui plus est, ce n’est pas l’État, mais les exploitants eux-mêmes qui financent le développement du potentiel des barrages et l’augmentation de leur puissance. À quoi serviraient ces dotations ?
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CE217 de M. Maxime Laisney et II-CE218 de Mme Claire Lejeune (discussion commune)
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). L’amendement II-CE217 vise à augmenter les fonds consacrés à la rénovation thermique afin de revenir sur les coupes budgétaires et de financer le « reste à charge zéro » pour les ménages les plus modestes qui souhaiteraient réaliser une rénovation thermique globale. Dans son rapport de 2024, le Haut Conseil pour le climat indique que ce reste à charge est un des freins majeurs à la massification de la rénovation thermique. Malgré une prise en charge allant jusqu’à 90 % pour certains déciles, il reste parfois quelques milliers d’euros à la charge des ménages modestes ; pour ceux qui n’ont aucune épargne, ce coût est prohibitif. La précarité énergétique augmente ; la massification de la rénovation thermique devrait être une priorité, sachant, en plus, que ce secteur représente un gisement d’emplois.
L’amendement de repli II-CE218 tend uniquement à revenir sur les coupes budgétaires. En audition, les acteurs du secteur ont pointé la dynamique que connaît le dépôt de dossiers MaPrimeRénov’, dont le nombre a augmenté en octobre 2024 de 50 % par rapport à l’année précédente. Le budget présenté ne permet de financer qu’une base stable de 85 000 rénovations par an, ce qui est peu satisfaisant au regard des objectifs climatiques.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Les deux amendements ont été parfaitement défendus. Avis favorable, avec une préférence pour le mieux‑disant.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Je tiens à souligner combien ces amendements sont modérés. En 2023, nous avions adopté à l’unanimité – moins le Rassemblement national…, mais on ne se refait pas – un rapport d’information sur la rénovation énergétique des bâtiments qui soulignait la nécessité d’une progression constante du financement des gestes de rénovation. Les reculs progressifs font craindre le pire : non seulement ils augmentent la précarité énergétique, mais ils mettent en péril la construction d’une filière performante de la rénovation globale. Il faudrait également mentionner l’enjeu de la production française de pompes à chaleur.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Nous voterons l’amendement le plus ambitieux. Alors que les besoins en matière de rénovation des logements sont importants, les collectivités territoriales, qui sont très engagées, et le BTP pâtissent de la diminution du fonds Vert.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Si, par bonheur, l’amendement était adopté, nous espérons la levée du gage en séance publique.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CE307 et II-CE308 de M. Laurent Lhardit (discussion commune)
M. Laurent Lhardit (SOC). L’amendement II-CE307 vise à revenir sur la dramatique réduction du fonds Vert, qui passe de 2,5 Md€ en 2024 à 1 Md€ en 2025. Encore une mesure qui vise à mettre les collectivités territoriales au pain sec et à l’eau ! Le fonds Vert a le mérite de cibler simultanément la transition énergétique, que nous entreprenons dans l’espoir d’inverser la courbe du réchauffement, et l’adaptation au changement climatique, comme nous le faisons à Marseille avec la rénovation thermique des écoles et pour laquelle les besoins sont exponentiels. Une telle baisse, couplée aux autres diminutions de crédits du projet de loi de finances, aurait un effet désastreux sur l’investissement local et sur un écosystème créateur de nombreux emplois. En tant qu’élu de Marseille, je vous assure que ce serait une catastrophe.
L’amendement de repli II-CE308 propose une augmentation de 500 M€, contre 1,5 Md€ pour l’amendement précédent.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je partage l’ambition s’agissant du fonds Vert, qui a permis d’aider six mille communes et d’accompagner 3 354 projets d’acteurs locaux, dont plus du tiers concernait la rénovation de bâtiments scolaires. Ce fonds a un effet de levier important puisque, pour 2 Md€ investis par l’État, 8 Md€ sont investis par les collectivités territoriales. Avis très favorable, surtout au II-CE307.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Revenir à 2,5 Md€ serait délicat compte tenu des contraintes budgétaires, mais nous voterons pour l’amendement II-CE308 qui rehausse l’ambition de manière plus raisonnable. Il s’agit d’envoyer au Gouvernement un message demandant de rétablir une partie des crédits. Les collectivités territoriales ont besoin de ce fonds qui leur a permis de réaliser de nombreux travaux ; je regrette que sa création n’ait pas été soutenue par tout le monde à l’époque.
La commission rejette l’amendement II-CE307.
Elle adopte l’amendement II-CE308.
Amendements II-CE222 et II-CE301 de M. Emmanuel Fernandes (discussion commune)
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Les deux amendements concernent Stocamine, un ancien site minier reconverti en site d’enfouissement des déchets dangereux à la fin des années quatre-vingt-dix. L’arrêté initial interdisait le stockage de déchets inflammables, mais, en 2002, un incendie s’est produit ; depuis, aucun déchet supplémentaire n’a été stocké, mais personne ne sait quoi faire de ces déchets dangereux. Les amendements visent à créer un fonds pour financer le déstockage complet du site en huit ans, en donnant la priorité au déstockage des déchets toxiques.
Mme Sandra Regol (EcoS). Stocamine, ce sont 42 000 tonnes de déchets hautement toxiques camouflés sous la plus grande nappe phréatique d’Europe, qui sera un jour contaminée définitivement – la seule question est désormais : « Quand ? » Cet amendement de repli vise à provisionner une somme minimale pour que l’État agisse quand le jugement du tribunal l’obligera à déstocker ces déchets et avant que huit millions de personnes ne puissent plus avoir accès à l’eau potable. Le Premier ministre, alerté de la situation, nous a renvoyés vers le directeur général de la prévention des risques, qui nous communiquera sa réaction éclairée ; d’ici là, notre devoir de législateur est d’anticiper.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. J’émets un avis favorable en priorité à l’amendement II-CE222, qui est mieux-disant, et je salue le travail transpartisan effectué sur l’amendement II-CE301, auquel je suis également favorable.
M. Hubert Ott (Dem). Je connais le dossier depuis 1997. J’ai fait partie de ceux qui, dans le cadre de leur mission associative, avaient clairement formulé leur opposition à ce type de confinement. Cinq ans plus tard, un incendie se produisait à 600 mètres de profondeur. Toutes les études réalisées depuis ont abouti à la même conclusion : sous l’effet du fluage, qui crée un effet « bouchon de champagne », les eaux de surface qui ruissellent à travers ces couches salines rempliront les galeries, lesquelles finiront inéluctablement par s’écraser, poussant vers le haut les eaux polluées par des substances toxiques dont on ne connaît pas la nature. À ce dernier stade, nous serons dans l’incapacité de confiner les déchets et la pollution ne sera plus contrôlable. Il faut penser à l’avenir.
La commission adopte l’amendement II-CE222.
En conséquence, l’amendement II-CE301 tombe.
Amendements II-CE283 de Mme Julie Laernoes, II-CE306 et II-CE305 de Mme Marie-Noëlle Battistel, II-CE284 de Mme Julie Laernoes et II-CE219 de M. Maxime Laisney (discussion commune)
Mme Julie Laernoes (EcoS). Protéger les Français de la précarité énergétique, c’est préférablement leur permettre d’isoler leur logement. Toutefois, dans l’immédiat, il est nécessaire de revaloriser le chèque énergie pour couvrir l’augmentation du prix de l’énergie que subissent des millions de ménages. Le budget du chèque énergie ne baisse certes pas, mais il ne prend pas en compte l’inflation : il n’a été revalorisé que ponctuellement depuis 2019, alors que la facture des ménages au tarif réglementé de vente a augmenté de 65 % depuis 2018. L’amendement II-CE283 tend à tripler le montant qui lui est alloué. Si vous trouvez que c’est beaucoup, je rappelle que le bouclier tarifaire se montait à 44 Md€.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Les dépenses énergétiques ont explosé depuis 2021 sous l’effet cumulé du déséquilibre des marchés mondiaux induit par la reprise de l’activité post-covid puis de la guerre en Ukraine. Malgré les mécanismes amortisseurs mis en place par l’État, la facture moyenne d’un ménage facturé au tarif réglementé est passée de 1 552 euros à 2 548 euros en 2024, soit une augmentation de 45 %. L’amendement II-CE306 a pour objet d’augmenter de 45 % les crédits du chèque énergie, de sorte à effectuer un rattrapage.
L’amendement de repli II-CE305 vise une majoration de 25 %.
Mme Julie Laernoes (EcoS). L’amendement II-CE284 vise à élargir l’assiette des bénéficiaires du chèque énergie. Celui-ci est conditionné à un plafond de ressources de 11 000 euros annuels, ce qui en prive de fait des foyers vivant sous le seuil pauvreté, fixé, lui, à 1 216 euros mensuels pour une personne seule.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). L’amendement II-CE219 vise à relever les crédits de paiement du chèque énergie au niveau de 2024 pour garantir que les fonds seront bien provisionnés. Nous voulons nous assurer que la réforme annoncée par le Gouvernement n’est pas un prétexte pour faire des économies sur le dos des plus précaires. Les crédits de paiement pour 2025 sont nettement inférieurs aux autorisations d’engagement de 2024 ; cela laisse penser que le Gouvernement mise sur le non-recours.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Les amendements correspondent à la demande exprimée par le Réseau action climat et le réseau Cler, qui ont signalé en audition l’alarmante hausse de la précarité énergétique. Je terminerai à ma façon la phrase de madame Laernoes : « Si vous trouvez que c’est trop cher, allez vivre dans une passoire thermique jusqu’en février ! »
Avis favorable à tous les amendements, avec une préférence pour ceux qui proposent de tripler le montant du chèque énergie. Mon amendement est le moins‑disant, car nous considérons que le chèque énergie a subventionné les superprofits des énergéticiens. Il convient néanmoins de le revaloriser en attendant un meilleur système, que nous proposerons le 28 novembre dans le cadre de notre niche parlementaire. L’amendement II-CE284 présente également l’intérêt de viser à changer les critères d’attribution du chèque énergie pour un coût raisonnable de 200 M€.
M. Alexandre Loubet (RN). Il est plus facile de faire la poche aux Français que de défendre nos intérêts auprès de la Commission européenne ! En deux ans, les factures d’électricité ont explosé de 44 % et nous avons dilapidé près de 50 Md€ d’argent public avec le chèque énergie et le bouclier tarifaire pour limiter l’explosion des prix. La solution n’est pas là, elle est dans le rapport de force avec la Commission européenne. Le problème, ce sont les règles absurdes du marché de l’énergie : le prix français de l’électricité est indexé sur le prix européen du gaz, alors que notre électricité est l’une des moins chères à produire d’Europe. En octobre dernier, j’avais défendu au nom du RN une proposition de loi visant à rétablir un prix français de l’électricité pour faire baisser les factures. Si le texte avait été adopté, nous aurions payé l’énergie au coût de production et nous n’aurions pas besoin de dilapider ainsi les impôts des Français.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Monsieur Bardella et son groupe étant absents du Parlement européen pendant la discussion et le vote de la réforme du marché européen de l’énergie, nos collègues du Rassemblement national sont mal placés pour se positionner sur la question.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Les bénéficiaires du chèque énergie vous remercieront de dire qu’on dilapide l’argent de l’État pour eux !
M. Alexandre Loubet (RN). Double mensonge ! Premièrement, le marché européen de l’énergie permet aux groupes électro-intensifs de payer l’électricité au coût de production ; au nom de quoi les ménages et les PME français ne pourraient-ils pas, eux aussi, bénéficier d’un prix attractif ? Ce serait un juste retour de notre investissement dans le parc nucléaire. Deuxièmement, je n’ai jamais dit que le chèque énergie dilapidait l’impôt des Français, mais que nous aurions pu nous en passer si nous avions eu le courage de fixer un prix français de l’électricité – courage que vous n’avez pas eu au moment de voter ma proposition de loi.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Ma collègue Lejeune n’a pas défendu le principe du marché européen de l’énergie, bien au contraire ; nos députés européens étaient même présents pour le combattre. La question qui se pose maintenant est de savoir si les Français vont avoir froid parce que le RN refuse de voter l’augmentation des crédits du chèque énergie.
La commission rejette l’amendement II-CE283.
Elle adopte l’amendement II-CE306.
En conséquence, les amendements II-CE305, II-CE284 et II-CE219 tombent.
Amendements II-CE208 de M. Lionel Tivoli, II-CE221 de Mme Claire Lejeune et II‑CE220 de M. Maxime Laisney (discussion commune)
M. Lionel Tivoli (RN). Les aides à l’acquisition d’un véhicule électrique – « voiture verte », « zéro carbone », « énergie propre », les formules ne manquent pas – représentent une dépense considérable. Je propose la suppression de ces aides compte tenu de l’état des finances publiques, mais également pour des raisons de souveraineté et d’écologie. Ces véhicules sont souvent fabriqués en Chine ; ils détruisent l’industrie automobile française et risquent d’anéantir à terme des dizaines de milliers d’emplois en France. En outre, leur bilan carbone, de la construction jusqu’au recyclage, est nettement supérieur à celui des véhicules thermiques ; ils n’ont donc d’écologique que le nom.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). L’amendement II-CE221 propose, au contraire, d’augmenter l’enveloppe consacrée à l’électrification des véhicules à 2 Md€. Cette dotation ne suffit pas à permettre aux ménages les plus modestes d’acheter un véhicule électrique, en raison d’un reste à charge compris entre 10 000 et 40 000 euros. Il faut massifier le leasing social, qui a dû être interrompu début 2024, victime de son succès. En tout état de cause, la voiture électrique a un bilan écologique plus vertueux que la voiture thermique dans laquelle le RN voudrait nous enfermer.
L’amendement de repli II-CE220 vise à annuler les 870 M€ de coupes budgétaires, et même plus de 1 Md€ si on prend en compte l’excédent de crédits de l’année précédente.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Rapport après rapport, le GIEC le dit : la situation s’aggrave. Il faut sortir des énergies fossiles pour tous les usages. Cela implique de développer les transports en commun et les mobilités douces comme la marche ou le vélo ; pour le reste, il faut diminuer la taille du parc automobile en privilégiant des véhicules moins lourds, à faible empreinte carbone, jusqu’à parvenir à un parc 100 % électrique. Il faut aussi aider les ménages modestes à passer à la voiture électrique. Les véhicules d’occasion étant encore trop chers, je défends les mesures de soutien à l’acquisition de véhicules électriques neufs. Sans cela, les constructeurs français et étrangers continueront de fabriquer de grosses voitures qui coûtent cher et que personne ne peut acheter. Un critère a été ajouté récemment pour l’octroi de ces aides : l’ « écoscore » ou score environnemental, qui écarte les voitures extra-européennes. Nous ne serons pas inondés de voitures chinoises.
Avis défavorable à l’amendement II-CE208 et favorable aux deux autres amendements, avec une préférence pour le II-CE221.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Ce que dit le RN sur les voitures électriques est si caricatural que les bras m’en tombent.
Rapporteur de la LOM en 2019, j’y ai fait inscrire par amendement la sortie progressive des véhicules à énergie fossile d’ici à 2040 pour limiter les émissions de CO2, mais aussi celles d’oxydes d’azote et de particules fines en milieu urbain dense. Il est dramatique d’ignorer ainsi les enjeux de qualité de l’air et de santé respiratoire quand on prétend s’occuper des Français.
Le leasing social est une mesure que nous avons défendue lors de la campagne de 2022 du président Macron ; je suis ravi de voir que la France insoumise le soutient. Par ailleurs, si monsieur le rapporteur pour avis lit attentivement le rapport du GIEC, il verra que celui-ci recommande de s’appuyer sur le nucléaire en complément des énergies renouvelables.
Nous voterons contre l’amendement de monsieur Tivoli. À titre personnel, je voterai pour l’amendement du rapporteur pour avis.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CE342 de M. Maxime Laisney
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à augmenter les moyens du Centre interprofessionnel d’étude de la pollution atmosphérique (Citepa), un organisme de recherche scientifique et technique qui travaille sur les gaz à effet de serre et les polluants atmosphériques. Il aide également au pilotage des politiques publiques dans le domaine climatique et de la qualité de l’air. Le Citepa est actuellement doté de 1,9 M€ pour 2025. Nous souhaitons rehausser cette dotation de 500 000 euros.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). L’amendement a-t-il été construit avec le Citepa ? Ces crédits sont-ils justifiés par des projets nouveaux ?
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. L’amendement n’a pas été travaillé avec le Citepa, mais les rapports du GIEC sont de plus en plus sombres. Il faut donner à cet organisme les moyens nécessaires à l’accompagnement des politiques d’adaptation et d’atténuation.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CE286 de M. Nicolas Meizonnet et II-CE294 de M. Patrice Martin (discussion commune)
M. Nicolas Meizonnet (RN). Mon amendement vise à défendre les paysages français des zones rurales et du littoral, mais celui de mon collègue Martin est mieux rédigé.
M. Patrice Martin (RN). Les paysages français, véritables joyaux de notre patrimoine, font partie intégrante de l’identité de la nation et participent à son rayonnement international. Les littoraux, les campagnes et les sites emblématiques ne sont pas seulement des espaces naturels, ils sont le reflet d’une cohabitation harmonieuse entre l’activité humaine et la préservation de l’environnement, un équilibre que nous devons préserver. Ces paysages subissent une pression grandissante due au développement des infrastructures énergétiques intermittentes telles que les éoliennes.
Bien que l’objectif de la transition énergétique soit important, nous ne pouvons ignorer les conséquences esthétiques et écologiques de ces installations. Il est de notre responsabilité de garantir que la transition énergétique ne se fasse pas au détriment du patrimoine paysager, lequel constitue un lien précieux avec notre histoire et notre culture. Nous appelons donc à une gestion plus prudente des paysages en limitant les projets énergétiques invasifs afin que les générations futures puissent encore profiter de l’authenticité et de la beauté de nos territoires. C’est un acte de respect de notre héritage commun et un engagement envers l’environnement et la qualité de vie de nos concitoyens.
L’amendement II-CE286 est retiré.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-CE294.
L’amendement II-CE293 de M. Patrice Martin est retiré.
Amendement II-CE290 de M. Patrice Martin
M. Patrice Martin (RN). La pêche française se retrouve en difficulté croissante, en raison de la concurrence exacerbée de certains pays européens, mais aussi du poids d’une régulation souvent excessive et d’une pression administrative intense qui réduisent sa compétitivité. Face à des chalutiers étrangers souvent mieux équipés et moins contraints, les pêcheurs français ressentent une distorsion de concurrence profondément injuste. Contraints de jeter une part significative de leurs prises en mer, ils voient leur activité limitée par des règles rigides économiquement désavantageuses.
La baisse de 30 % des autorisations d’engagement et de 17 % des crédits de paiement du programme « Affaires maritimes, pêche et aquaculture », sans même parler de l’action « Pêche et aquaculture », envoie un signal de désengagement préoccupant de l’État. Dans ce contexte, l’éolien en mer ajoute une pression supplémentaire en accaparant les zones de pêche et en perturbant les écosystèmes marins. Ces infrastructures énergétiques intermittentes sont déployées sans étude d’impact exhaustive sur leur compatibilité avec les activités marines. L’amendement vise à réorienter les ressources pour répondre aux défis concrets de la filière en allégeant un financement qui pourrait bien compromettre la durabilité du secteur halieutique.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE303 de M. Antoine Golliot
M. Antoine Golliot (RN). Il est bien triste que vous n’ayez pas conscience des graves conséquences des projets d’éoliennes en mer. Il faut écouter les pêcheurs. Le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) des Hauts-de-France s’est déclaré contre l’éolien offshore. Selon lui, si tous ces projets de 45 gigawatts étaient réalisés, ce serait la fin de la pêche côtière artisanale française. Les Pays-Bas ont investi massivement dans l’éolien offshore et cela y a signé la disparition de la pêche artisanale ; leurs pêcheurs se sont reconvertis dans la pêche en haute mer, quand ils ne viennent pas pêcher à la senne dans nos eaux territoriales. C’est une menace terrible pour notre souveraineté alimentaire
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE297 de M. Nicolas Meizonnet
M. Nicolas Meizonnet (RN). L’amendement vise à augmenter le budget alloué à la formation dans le secteur de la pêche. La baisse de 30 M€ du budget de la pêche et de l’aquaculture est intolérable au vu des difficultés que traverse une filière qui fait vivre des milliers de professionnels, qui dynamise les territoires et constitue le pilier de notre souveraineté alimentaire. En trois décennies, la flotte française a perdu 53 % de ses navires ; au Grau du Roi, deuxième port de pêche de Méditerranée, le nombre de chalutiers est passé de 35 à 15. On ne peut pas accepter que la filière soit à ce point malmenée et doive faire face à un prix du gasoil trop élevé, à la diminution du nombre de jours en mer liée au plan West Med, et maintenant à la réduction des zones de pêche en raison du développement des éoliennes offshore. On est en train d’étrangler nos pêcheurs et de tuer une filière.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. L’amendement est en dehors du périmètre de cette discussion budgétaire. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE292 de M. Patrice Martin
M. Patrice Martin (RN). Cet amendement vise à réduire le budget destiné aux zones à faibles émissions (ZFE), dont l’implantation suscite de vives préoccupations quand bien même elles visent à améliorer la qualité de l’air. Compte tenu de la conjoncture économique, elles risquent d’aggraver les inégalités et de créer des zones à forte exclusion sociale. La majorité des citoyens français n’ont pas les moyens financiers de remplacer leur véhicule par un modèle hybride ou électrique, souvent hors de prix. Cette situation touche en premier lieu les classes populaires qui dépendent de leur voiture pour aller travailler. Loin de favoriser une transition écologique inclusive, les ZFE exercent une pression supplémentaire sur les ménages déjà fragiles, qui se serrent la ceinture. Il est donc peu réaliste d’imposer de telles zones sans accompagner les citoyens vers des solutions concrètes et accessibles.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. La qualité de l’air est un enjeu bien réel, tout comme l’avenir des générations futures. Il ne faut pas revenir sur l’idée des ZFE. En revanche, si vous étiez cohérents, vous voteriez en faveur d’une augmentation des crédits alloués au verdissement des véhicules, afin que tous puissent accéder à la ville. Avis défavorable.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). En janvier 2023, une proposition de loi du Rassemblement national rapportée par notre collègue Pierre Meurin visait déjà à supprimer les ZFE. Heureusement, nous avions réussi à la rejeter. En pensant à tous ces enfants qui souffrent de bronchiolites dans les milieux urbains denses, je me dis que c’est très grave de vouloir encore revenir sur ces zones à faibles émissions, que vous aviez osé appeler « zones à forte exclusion ». Ce que nous souhaitons exclure, ce sont les polluants des milieux urbains denses, à l’origine d’un grave problème de santé publique. Certes, il faut adapter les périmètres et les calendriers des ZFE mobilité, mais il existe des aides pour aller vers des véhicules moins polluants.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). La pollution de l’air cause quarante mille morts par an en France. Et vous, vous êtes contre les ZFE, contre l’électrification du parc automobile et contre toutes les mesures permettant de décarboner notre économie. Votre position est purement démagogique. C’est une honte !
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE50 de M. Lionel Tivoli
M. Lionel Tivoli (RN). Afin de renforcer la résilience des territoires, il convient d’affecter aux collectivités les crédits nécessaires pour qu’elles ne soient plus touchées par des phénomènes climatiques dramatiques, comme ceux subis par les Alpes-Maritimes ces derniers temps.
L’amendement prévoit une hausse des budgets en faveur de la réparation des canalisations, aussi appelées « conduites fuyardes ». Dans les Alpes-Maritimes, elles représentent en moyenne un tiers de perte entre la demande et la consommation finale. Ce chiffre bondit jusqu’à 66 % dans certaines vallées enclavées. Par ailleurs, ce département est pionnier en matière de recyclage des eaux usées, ce qui permet d’économiser des dizaines de millions de mètres cubes d’eau par an. L’investissement de l’État dans ces deux systèmes serait particulièrement apprécié en période estivale.
Face aux inondations répétitives qui fragilisent l’économie, il est également indispensable d’assurer un meilleur modèle de prévention. Financer ces mesures en récupérant les crédits destinés à l’éolien offshore, qui est inefficace, tel est l’objet du présent amendement.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Si les conduites fuyardes sont un vrai problème, cela ne concerne pas cet avis budgétaire. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Écologie, développement et mobilités durables consacrés à l’énergie, modifiés.
Article 45 et état G : Objectifs et indicateurs de performance
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-CE41 de M. Pierre Meurin.
Amendement II-CE204 de M. Maxime Amblard
M. Maxime Amblard (RN). Mon amendement fera l’unanimité ! La lutte contre le réchauffement climatique repose avant tout sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. S’agissant de la production d’électricité, cette réduction passe par une diminution de son intensité carbone. Dès lors, il convient de maximiser la part de la production d’électricité à faible intensité carbone. Le nucléaire français, avec quatre grammes d’équivalent CO₂ par kilowattheure, présente l’intensité carbone la plus faible au monde. Il est donc logique de tenir compte du rôle central de ce mode de production dans nos objectifs de décarbonation de la production électrique. C’est pourquoi je vous propose de porter à 98 % la part d’énergies bas-carbone dans la production d’électricité d’ici à 2030.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Article 47 : Plafonds des autorisations d’emplois de l’État
Amendement II-CE278 de Mme Julie Laernoes
Mme Julie Laernoes (EcoS). Cet amendement, travaillé avec le syndicat des énergies renouvelables, vise à renforcer les moyens des ministères concernés par la transition énergétique et de leurs administrations déconcentrées. Tous ceux qui ont voté pour la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables savent qu’il faut augmenter le personnel pour l’appliquer pleinement. En effet, les retards pris dans l’annonce et l’exécution des nouveaux appels d’offres, notamment dans l’installation des parcs éoliens offshore, sont liés au manque d’effectifs. Pour atteindre nos objectifs européens de RED III, il est impératif de mettre les moyens.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je soutiens d’autant plus cet amendement que 55 % des décrets d’application de la loi sur l’accélération du développement des énergies renouvelables n’ont pas été pris. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Article 60 : Réforme du chèque énergie
Amendements de suppression II-CE225 de Mme Claire Lejeune, II-CE279 de Mme Julie Laernoes et II-CE309 de Mme Marie-Noëlle Battistel
Mme Julie Laernoes (EcoS). L’octroi du chèque énergie, qui se fondait sur la taxe d’habitation, était automatisé. Cela fait sept ans que l’on aurait pu inventer un autre mécanisme... La réforme prévoit que les bénéficiaires en fassent la demande par voie électronique, en précisant leur numéro de point de livraison électrique, le revenu fiscal de référence du foyer fiscal, dont l’un des déclarants est titulaire du contrat de fourniture d’électricité, et le justificatif de domicile. Beaucoup d’associations qui travaillent avec les bénéficiaires du chèque énergie y sont fermement opposées. D’autres solutions sont possibles. Cette réforme risque de favoriser le non-recours de potentiels bénéficiaires.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Nous sommes opposés à cette réforme, qui conduirait, à l’évidence, à l’explosion des non-recours, et donc de la précarité énergétique.
M. Maxime Laisney, rapporteur pour avis. Je partage l’avis de mes collègues sur l’article 60, qui n’est pas satisfaisant. La situation actuelle n’est, au demeurant, pas satisfaisante non plus, car, avec la disparition de la taxe d’habitation, l’automaticité de l’attribution du chèque énergie est déjà perdue.
Mon amendement II-CE343, qui sera examiné à l’issue de cette discussion, présente une alternative à la suppression de l’article 60, qui n’apporterait pas de solution. Il tend à repartir d’une première liste établie par l’administration fiscale, non plus à partir des données relatives à la taxe d’habitation, qui a disparu, mais à l’impôt sur le revenu. L’administration fiscale disposant d’informations concernant aussi bien les revenus que la composition du foyer, elle serait en mesure de croiser ces données pour identifier les foyers concernés et éviter une augmentation du taux de non-recours. Je ne sais pas dans quelle mesure ce dispositif serait suffisant, mais il appartiendra aux services ministériels de le vérifier, voire d’en proposer un meilleur.
Je propose donc de ne pas voter les amendements de suppression, au profit de mon amendement II-CE343.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Nous ne sommes pas opposés à l’argumentation du rapporteur pour avis mais, dans l’état actuel de nos débats et compte tenu de l’issue qui pourrait advenir, nous préférons sécuriser les choses en supprimant l’article 60.
La commission adopte les amendements.
Elle émet ainsi un avis favorable à la suppression de l’article 60.
En conséquence, l’amendement II-CE343 tombe.
liste des personnes auditionnÉes
Syndicat des énergies renouvelables (SER) *
M. Jules Nyssen, président
Mme Élodie Saillard, responsable juridique et affaires institutionnelles
M. Alexandre de Montesquiou, consultant, directeur associé d’Ai2P, en charge des relations parlementaires du SER
Réseau Action climat (RAC) *
M. Bastien Cuq, responsable Énergie du Réseau Action Climat
Mme Isabelle Gasquet, responsable de projets Efficacité énergétique
M. Damien Barbosa, coordinateur du collectif Rénovons du réseau CLER
Table ronde des consommateurs énergo-intensifs :
Uniden *
M. Nicolas de Warren, président de l’Uniden
M. Guillaume de Goÿs, trésorier de l’Uniden et CEO d’Aluminium Dunkerque
M. Fabrice Alexandre, conseil
Cleee (Comité de liaison des entreprises consommatrices d’électricité et de gaz) *
M. Frank Roubanovitch, président
Institut Mobilités en transition (IMT) de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)
M. Jean-Philippe Hermine, directeur de l’IMT
M. Louis-Pierre Geffray, coordinateur des programmes
Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)
M. Pierre-Marie Abadie, directeur général
Mme Gaëlle Saquet, secrétaire générale
Table ronde des consommateurs particuliers :
CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) *
M. François Carlier, délégué général
UFC – Que choisir ?
Mme Lucile Buisson, chargée de mission énergie, environnement et transports
M. Benjamin Recher, chargé des relations institutionnelles France
Commission de régulation de l’énergie (CRE)
Mme Emmanuelle Wargon, présidente
Mme Lydie Cieutat, cheffe du service des relations institutionnelles
M. Aodren Munoz, chargé des relations institutionnelles
Transport & environnement (T&E) *
Mme Diane Strauss, directrice de T&E France et membre du Haut Conseil pour le climat
M. Léo Larivière, responsable électrification des flottes
M. Jérôme du Boucher, responsable aviation
EDF *
M. Nicolas Machtou, directeur du Programme Nouveau nucléaire France
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)
M. David Beauvisage, directeur général adjoint
Mme Cécile Fontaine, cheffe du département Affaires publiques et juridiques
Audition commune :
Fédération professionnelle des entreprises de services pour l’énergie et l’environnement (Fedene) *
M. Pascal Guillaume, président
M. Yann Rolland, président de Fedene Réseaux de chaleur & froid
M. Éric Trevoizan, président de Fedene Efficacité énergétique
Mme Marion Lettry, déléguée générale
M. Nicolas Trouvé, associé cofondateur de CiLab
Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement (Fnade) *
Mme Muriel Olivier, déléguée générale
M. Thomas Sauvaget, responsable des relations institutionnelles
M. Jean-Paul Mattei, député
Délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN)
M. Joël Barre, délégué interministériel au nouveau nucléaire
M. Paul de Lapeyrière, chargé de mission affaires publiques
M. Pierre Guillot, responsable juridique et régulation
Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
Mme Sophie Mourlon, directrice générale de l’énergie et du climat
Audition commune cabinets :
Ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques
M. Frédéric de Carmoy, directeur de cabinet adjoint de Mme Agnès Pannier‑Runacher
Mme Lisa Broutté, conseillère parlementaire de la ministre
Ministre déléguée chargée de l’énergie
M. Nicolas Clausset, directeur de cabinet de Mme Olga Givernet
M. Thibault Manneville, conseiller
Mme Nathalie Picot, conseillère parlementaire de la ministre déléguée
Ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Ministre délégué chargé de l’industrie
M. Benjamin Carantino, directeur adjoint du cabinet de M. Marc Ferracci
M. Boris Mazeau, conseiller parlementaire du ministre délégué chargé de l’industrie
Think tank Terra nova *
M. Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
Équilibre des énergies *
Société française d'énergie nucléaire (Sfen) *
WWF France *
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale
([1]) https://commission.europa.eu/document/download/ab4e488b-2ae9-477f-b509-bbc194154a30_fr?filename=FRANCE%20%96%20FINAL%20UPDATED%20NECP%202021-2030%20%28French%29.pdf
([2]) Les « budgets carbone » sont de plafonds d’émissions à ne pas dépasser par périodes successives de cinq ans. Ils sont définis dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC).
([3]) Les montants de la PAC sont augmentés de 1 000 € pour les ménages très modestes et les ménages modestes « gros rouleurs » et le montant maximal de la surprime en ZFE est de 3 000 €. Par ailleurs, le barème du bonus écologique applicable aux ménages modestes est resté inchangé, alors que les autres barèmes ont été abaissés en 2023 et 2024.
([5]) https://www.labanquepostale.com/content/dam/lbp/documents/communiques-de-presse/2024/CP-LBP-I4CE-aout2024.pdf
([6]) Ces charges sont plus exactement estimées à 9,5 Md€, mais leur poids budgétaire est allégé par le complément de prix Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) recouvré en 2024 par EDF et qui revient au budget de l’État, conformément aux dispositions de la loi de finances pour 2024. Cette « recette » de 555,6 M€ contribue à compenser toutes les dépenses sur l’action n° 15 « Frais divers » en 2025.
([7]) Les fournisseurs historiques (EDF, les entreprises locales de distribution et, depuis 2017, des organismes agréés) sont tenus de conclure des contrats d’achat comprise entre 15 et 20 ans de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable par les installations éligibles à l’obligation d’achat ou par les lauréates d’un appel d’offres dans lequel le soutien est attribué sous forme d’un tarif d’achat. Le programme 345 compense à ces fournisseurs le surcoût que représente l’achat de ces productions.
([8]) Ce dispositif est fondé sur la possibilité de vendre directement sur le marché l’électricité produite, tout en bénéficiant du versement d’une prime par EDF. Le soutien est attribué soit à guichet ouvert, soit à l’issue d’un appel d’offres.
([9]) Pour entrer plus dans le détail, voir les indicateurs de suivi de l’actuelle PPE publiés au premier semestre : https://www.economie.gouv.fr/files/files/2024/2024_01_22_Publication_Indicateurs_Definitifs_PPE.pdf?v=1710494281
([10]) Cf. Ademe, « Le bilan 2023 du fonds Chaleur », 8 juillet 2024 (https://presse.ademe.fr/2024/07/bilan-2023-du-fonds-chaleur.html).
([11]) Cette fraction affectée serait en effet imputée sur la fraction de l’accise déjà indexée sur l’inflation conformément à l’article L. 312-37 du code des impositions sur les biens et services.
([12]) Cf. le rapport de M. Philippe Bolo, Avis n° 285 tome 6 sur le projet de loi de finances pour 2023, octobre 2022.
([13]) À savoir, pour la fiscalité directe, l’accise sur les consommations d’énergie, la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – auxquelles s’ajoutent les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.
([14]) Cour des comptes, « Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie », mars 2024, page 12.
([15]) Hormis le tarif sur le gaz de pétrole liquéfié combustible qui serait abaissé de 5,189 à 0,3 €/MWh.
([16]) Il s’agit de l’Emission Trading Scheme (ETS), c’est-à-dire du système d’échanges de quotas d’émissions carbone (SEQE).
([17]) L’article L. 312-37 du code des impositions sur les biens et services prévoit en effet l’indexation sur l’inflation de la fraction du tarif d’accise sur l’électricité supérieure à 22,5 €/MWh – seuil que le d) du I (alinéa 15) de l’article 7 du projet de loi de finances propose d’abaisser à 19,74 €/MWh.
Il est à noter qu’une partie de cette fraction indexée reste affectée aux autorités organisatrices de la distribution publique d’électricité dans des proportions inchangées et définies, pour la « part communale », à l’article L. 2333-2 du code général des collectivités territoriales et, pour la « part départementale », à l’article L. 3333-2 du même code. La part communale et la part départementale viennent compléter les fonds du Facé.
([18]) Ces montants s’ajoutent à la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) et aux montants actuels de TVA, pour ce qui est de la fiscalité, ainsi qu’au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) – voir le rapport précité de P. Bolo.
([19]) Voir l’étude de Réseau de transport d’électricité (RTE) intitulée « Futurs énergétiques 2050 » et publiée en octobre 2021 (https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf)
([20]) Voir les projections de la même étude et leur mise à jour en septembre 2023 (https://www.rte-france.com/actualites/bilan-previsionnel-transformation-systeme-electrique-2023-2035).
([21]) https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2024/pdf/Chiffres-cles-energie-2024.pdf
([22]) Voir le tableau des dates de lancement des réacteurs en annexe du rapport n° 1028 de la commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, 30 mars 2023
([23]) Il s’agissait d’un coût dit « overnight », c’est-à-dire fondé sur l’hypothèse qu’aucun délai de réalisation de l’investissement n’intervient dans ce coût, qui ne comprenait donc pas le coût du financement. Ces frais financiers ou intérêts intercalaires correspondent à l’immobilisation des sommes nécessaires à la construction sur la durée des travaux jusqu’à la mise en service.
([24]) Cour des comptes, « La filière EPR », 9 juillet 2020 (https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-filiere-epr), notamment les pages 65 à 71.
([25]) Article « La montée en puissance des énergies renouvelables ne nous mettra pas sur la paille, bien au contraire », 27 janvier 2020 (https://alaingrandjean.fr/wp-content/uploads/2020/01/developpement-enr-electrique.pdf)
([26]) Tableau extrait d’un article d’Alain Grandjean, « Nucléaire et EnR électriques : les termes du débat », 28 février 2020 (https://alaingrandjean.fr/transition-ecologique-et-energetique/enjeux-et-chiffres-du-mix-energetique/2020/02/nucleaire-enr-electriques-termes-debat/)
([27]) Le taux d’actualisation correspond au rendement qu’il serait possible d’obtenir en investissant ailleurs la même somme. Il intègre une prime de risque liée au projet et dépend de la régulation du marché dans lequel s’inscrit le projet : exposition au marché de court terme ou contrat de long terme avec conditions de prix convenues ex ante ?
([28]) Voir notamment le rapport précité de la Cour des comptes La filière EPR, page 69.
([29]) Selon le GIFEN, cent mille personnes seraient à recruter dans les années à venir, entre EDF et les quatre cents sous‑traitants prévus.
([30]) Même s’ils ne pourraient être engagés qu’après le lancement réel des 8 premiers, les équipes d’EDF travaillent déjà à identifier les possibilités d’implantation, a priori sur des sites déjà existants.
([31]) Cf. par exemple l’article des Échos, Nucléaire la facture prévisionnelle des futurs EPR grimpe de 30 %, 4 mars 2024.
([32]) Greenpeace, « Coût du « nouveau nucléaire : l’insoutenable légèreté d’EDF », mars 2024 (https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2024/03/Rapport-Cout-du-nouveau-nucleaire-linsoutenable-legerete-dEDF-Greenpeace-2024-4.pdf). Ces estimations sont établies avec le stress test de RTE, consistant à retenir, pour le coût de construction du « nouveau nucléaire », celui de F3, avec et sans effet de série et en faisant varier la durée de construction moyenne de 96,570 à 148 mois.
([33]) Communication à la commission des finances du Sénat : L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, février 2020 https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/273716.pdf
([34]) À savoir le recyclage du combustible irradié en combustible neuf et l’élimination des déchets ultimes.
([35]) Cf. les Essentiels 2024 de l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs :
https://inventaire.andra.fr/sites/default/files/pdf/andra_inventaire_national_essentiel_2024_v13.pdf
([36]) Déposée en 2023, la demande d’autorisation de la construction est encore en instruction.
([37]) Le coût annuel de gestion du combustible usé de Superphénix (RNR) s’élève à 32 M€ en moyenne.
([38]) Les combustibles usés et le Pu sont valorisés à 0 euro : la valeur du combustible est réputée épuisée une fois celui-ci mis dans le processus de traitement. Par ailleurs, la valeur du Pu issu du traitement du combustible usé réside dans le combustible neuf Mox fabriqué à partir du Pu issu du traitement.
([39]) L’approche comptable tient compte, pour une année donnée, des dotations aux amortissements et d’une rémunération de la valeur nette comptable des immobilisations. L’approche économique calcule un coût annuel moyen des investissements sur la durée de vie de l’actif de production. Des approches hybrides sont aussi possibles, mêlant des éléments comptables et des calculs économiques, telle la méthode proposée en 2011 par la commission Champsaur pour la fixation du tarif de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) qui prévoyait le calcul d’un loyer économique à partir de la valeur nette comptable du parc nucléaire fin 2010 (cf. le rapport de la Cour des comptes, L’analyse des coûts du système de production électrique en France, septembre 2021).
([40]) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/CRE_Rapport_couts_nucleaire_2023.pdf
([41]) Cf. le rapport du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires « Prix de l’électricité en France et dans l’Union européenne en 2023 » publié en juillet 2024.
([42]) Rapport n° 1028 du 30 mars 2023 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceindener/l16b1028-t1_rapport-enquete#
([43]) Les centrales sont appelées en fonction de leur coût marginal de production : la filière éolienne présente le coût marginal le plus bas, le gaz et le fioul les plus élevés.
([44]) Possibilité confirmée par le règlement européen 2024/1747 entré en vigueur le 16 juillet 2024 : voir les considérants 35, 43 et 45 et l’article 19 quinquies.
([45]) Cf. audition de M. Pierre Jérémie, ancien directeur adjoint du cabinet de Mme Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la transition énergétique, par la commission d’enquête du Sénat précitée, 15 mai 2024 (https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240513/ce_elec.html#toc3).
([46]) Cf. CRE, délibération n° 2023-355 portant communication sur la méthode d’approvisionnement des tarifs réglementés de vente d’électricité pour l’année 2026.
([47]) L’Uniden ajoute : « Au-delà de l’accès à l’électron, les composantes de ce prix sont la compensation des coûts indirects du carbone dans le prix de l’électricité pour l’essentiel, les taux réduits d’accise sur l’électricité, ainsi que l’abattement sur le tarif de transport (Turpe) et la valorisation des capacités d’effacement. »
([48]) Voir notamment le compte rendu de l’audition précitée de M. Pierre Jérémie, p. 606 et suivantes : « La Commission a souligné que toute aide d’État, quelle qu’elle soit – un plancher de prix dans un contrat pour différence, une recapitalisation future qui ne satisferait pas le test de l’“investisseur avisé”, […] une reprise de dette ou une aide au nouveau nucléaire –, dès lors qu’elle profite à une entreprise en position dominante, implique des “remèdes concurrentiels” »…