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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 324)
TOME IX
INVESTIR POUR LA FRANCE DE 2030
Investissements d’avenir
PAR M. Charles FOURNIER
Député
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Voir les numéros : 324 (Tome III, Annexe 29).
SOMMAIRE
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Pages
I. La continuitÉ entre le PIA et « France 2030 »
A. L’adjonction de « France 2030 » au PIA dans la loi de finances pour 2022
B. les modalitÉs d’intÉgration des nouveaux crÉdits aux programmes du PIA
II. une trajectoire budgÉtaire sur 2025 conforme au dÉploiement du dispositif
A. L’AchÈvement du PIA 3 et la poursuite du PIA 4 confortÉe par « France 2030 »
B. une dynamique d’Évolution des crÉdits de paiement qui ralentit pour le programme 424
A. Des choix et des manquements qui interrogent
1. L’absence préjudiciable de réalisation d’une étude d’impact
2. Des thèmes majeurs ou émergents absents des objectifs stratégiques et des leviers
B. Une absence de règles de conditionnalité harmonisées qui étonne au regard des montants en jeu
seconde partie : « France 2030 », instrument de sÉcurisation DE L’ACCÈS AUX MÉTAUX CRITIQUES
I. UNE rÉcente prise de conscience de nos fragilités stratégiques dans l’accès aux métaux critiques
1. Criticité des métaux, métaux stratégiques, vulnérabilité : des notions aux contours variables
a. Les usages les plus courants () des métaux
b. Une demande exponentielle de métaux critiques
a. Une domination chinoise sur les principaux segments de la chaîne de valeur de nombreux minerais
b. Une réaction massive des États-Unis en faveur d’une réduction de leur dépendance
1. Le rapport Varin : une alerte forte sur nos faiblesses critiques
a. Les fragilités problématiques de l’accès aux métaux critiques de l’industrie française
2. Une politique de souveraineté qui s’esquisse en faveur d’une réduction de nos dépendances
a. Des objectifs ambitieux fixés par le règlement européen sur les métaux critiques (CRMA)
b. Un cadre français qui présente des spécificités et une volonté d’accélération
A. Des mesures encore insuffisantes pour sÉcuriser les approvisionnements
a. Les aides publiques facilitées par les PIIEC
b. La mise en œuvre du levier 1 de « France 2030 »
c. Les difficultés capacitaires des entreprises du secteur
b. Quelques projets prometteurs de recyclage des métaux en France
c. Le caractère résiduel et incertain du recyclage au regard des besoins
a. Inscrire la réindustrialisation dans le respect des limites planétaires
b. Un besoin de régulation des niveaux de consommation souhaitables apparaît nécessaire
a. Une politique de planification industrielle, verte et décentralisée, à mettre en place
4. La perspective des stocks stratégiques pour assurer la résilience de la chaîne de valeur
5. Une R&D de pointe à l’épreuve des enjeux de substitution aux métaux critiques
a. Les PEPR, principaux outils de la recherche publique
b. Une R&D des acteurs privés à accompagner et amplifier
c. Une absence d’alternative à court terme pour les métaux
Rappel des recommandations concernant le plan « France 2030 »
Liste des personnes auditionnÉes
Le lancement en 2021 du plan « France 2030 » avait pour ambition de permettre à notre pays de renouer avec une politique d’investissement pour la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir, avec un budget de 54 milliards d’euros. Ce plan s’est ainsi situé dans le prolongement des quatre premiers programmes d’investissement d’avenir (PIA) qui représentaient déjà des outils de soutien à l’innovation. Ses initiateurs souhaitaient s’inscrire dans une vision de long terme et ériger notre pays à la pointe des innovations de rupture dans des domaines considérés comme déterminants.
Toutefois, le fonctionnement et les orientations de « France 2030 » appellent quelques observations que ce rapport identifie et formule des voies d’améliorations pour tendre vers un futur industriel désirable, soutenable et pensé collectivement.
En premier lieu, il s’agit de s’interroger sur les choix mêmes des dix objectifs et des sept leviers qui structurent le plan, et sur leur pertinence pour construire la France de 2030. « France 2030 » présente par exemple un impensé sur des sujets aussi fondamentaux que la sobriété des modes de production. Cette problématique n’est pas présente dans les objectifs stratégiques à atteindre, ni même dans les leviers qui conditionnent la réussite de ces objectifs. Il apparaît par ailleurs difficile d’intégrer dans le champ d’intervention de ce plan de nouveaux sujets ou de nouvelles priorités apparus après son lancement
Par ailleurs, l’approche semble principalement orientée vers les innovations technologiques, laissant peu de place par exemple à l’innovation sociale. Préparer la France de 2030 c’est aussi penser ces innovations sur le travail, sur notre organisation sociétale…
Ensuite, le plan « France 2030 » gagnerait à renforcer la transparence et à garantir une meilleure publicité dans le processus d’octroi et d’utilisation des crédits accordés aux entreprises et organes bénéficiaires afin de satisfaire le besoin social et citoyen de démocratisation des choix industriels. L’amélioration de la mesure de l’efficacité des projets soutenus pour rendre davantage compte des avancées concrètes sur le terrain est également attendue.
Il y a aussi lieu d’interroger la typologie des acteurs qui réussissent à accéder au programme. Des acteurs ont pu témoigner par exemple des difficultés rencontrées par les petits laboratoires de recherche, par les plus petites entreprises ou bien encore, et c’est assez édifiant, par les acteurs de l’économie sociale et solidaire qui ne bénéficient d’aucune place particulière dans le plan. Ces acteurs jouent pourtant des rôles déterminants dans l’économie locale et dans les innovations écologiques.
Se pose également la question de l’appréciation des projets tout comme la mesure de leur impact. Les conditionnalités écologiques et sociales des aides accordées ainsi que les contreparties ne sont pas forcément explicites ni partagées par les quatre opérateurs de « France 2030 ». Un travail semble être en cours, il sera nécessaire de le rendre explicite et transparent pour permettre de mesurer l’efficacité de cette dépense publique.
Plus globalement, on pourrait s’interroger sur l’importance d’associer davantage le Parlement aux décisions d’investissement significatives au profit de projets industriels, au-delà de la simple inscription des crédits. De la même manière, la restitution des évaluations mériterait de faire l’objet de débats au Parlement. C’est la pratique d’évaluation qui est aussi à repenser, tant dans la régularité de celle-ci que pour les objets qu’elle se fixe. Le comité de surveillance de « France 2030 » devrait pouvoir être auditionné à échéance régulière par le Parlement.
Se pose également la question de l’articulation du plan « France 2030 » avec les différents outils étatiques de planification, tels que le Commissariat au plan, France Stratégie ou bien le Secrétariat Général à la Planification. Là encore, le parlement devrait être étroitement associé à cette conception de la planification et notamment au travers de lois de programmation, et ici particulièrement sur les enjeux industriels et énergétiques.
Pour terminer sur cette appréciation globale de « France 2030 », il faut pouvoir interroger l’efficacité d’un tel programme dans le contexte international, qui voit par exemple les États-Unis déployer l’Inflation Reduction Act ou la Chine se doter d’une planification très organisée, mobiliser des investissements majeurs et tenter de maîtriser les sources d’approvisionnement de ses concurrents. De quelle manière pouvons-nous apprécier l’efficacité d’un tel programme comme « France 2030 » ? Est-il singulier au niveau européen et entraîne-t-il des évolutions dans la stratégie européenne pour soutenir et protéger notre modèle de développement ?
Dans la partie thématique de ce présent rapport pour avis, le rapporteur a choisi d’évoquer la problématique des métaux critiques, un des leviers du programme. Les métaux critiques recouvrent une importance capitale pour réussir la bifurcation écologique de notre économie et soutenir une réindustrialisation verte. Sans transition énergétique, ces ambitions resteront lettres mortes et quels que soient ces choix énergétiques, la question des matériaux critiques jouera un rôle déterminant. Face à la double transition énergétique et numérique, des projections d’organismes spécialisés font état d’une explosion de la demande de métaux critiques, nécessaires notamment à la sortie des énergies fossiles et l’adoption d’une mobilité électrique. Cette évolution se double d’une alerte sérieuse liée à la place centrale acquise par la Chine sur les chaînes de valeur de nombreux minerais, rendant la France et l’Europe vulnérables dans son approvisionnement en métaux critiques. Le risque de voir transférer notre dépendance aux hydrocarbures à une autre dépendance en minerais est grand. C’est également la question de la rareté des ressources qui se pose au-delà des enjeux de souveraineté.
Cela interroge donc sur les modes de production, de raffinage et d’approvisionnement de ces métaux. Faut-il ou non ouvrir ou rouvrir des mines, et à quelles conditions devons-nous le faire ? Quels choix dans notre recherche de souveraineté entre importation et autonomie de production ? Ces questions revêtent un caractère démocratique, et le parlement devrait se saisir bien plus fortement de cet enjeu.
Le plan « France 2030 » fait face à cette problématique en consacrant 1 Md€ à la sécurisation de l’accès de nos industriels aux métaux critiques à travers deux instruments financiers, un appel à projets « Métaux critiques » doté de 500 M€ et un fonds d’investissement de 500 M€ que va gérer la société Intravia ont été mis en place. D’autres dispositifs en dehors de « France 2030 » concourent également à la satisfaction de cet objectif de sécurisation de l’accès aux métaux critiques.
Ce plan sous-tend des enjeux de bifurcation écologique et de réindustrialisation de nos territoires qui devraient être davantage discutés collectivement et pensés selon une analyse de nos besoins réels et soutenables.
* * *
Le projet de budget de la mission « Investir pour la France de 2030 » pour l’exercice 2025 traduit la poursuite de la mise en œuvre des autorisations d’engagement (AE) allouées en 2022 et permet de doter les opérateurs des crédits de paiement (CP) nécessaires à la mise en œuvre des orientations stratégiques portées par ce programme. S’il apparaît globalement apprécié et de nature à aider notre pays à poursuivre ses efforts d’innovation, il comporte des impensés qu’il convient d’intégrer.
AUTORISATIONS D’ENGAGEMENT ET CRÉDITS DE PAIEMENT
DE LA MISSION « investir pour la France de 2030 »
(En milliers d’euros)
|
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution (%) |
Autorisations d’engagement |
0 |
0 |
- |
Crédits de paiement |
7 701 710 |
5 800 000 |
- 24,7 % |
Source : PLF 2025.
Au regard des critiques formulées sur les choix des objectifs qui structurent ce plan et sur son fonctionnement, plus que sur le montant des crédits inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2025, votre rapporteur vous propose de donner un avis défavorable à l’adoption des crédits pour 2025 de la mission « Investir pour la France de 2030 ».
premiÈre partie :
La poursuite en 2024 du programme d’investissements d’avenir au travers de « France 2030 »
I. La continuitÉ entre le PIA et « France 2030 »
A. L’adjonction de « France 2030 » au PIA dans la loi de finances pour 2022
Pour mémoire, le terme de « France 2030 » renvoie aux propos tenus par le Président de la République lors de sa présentation au Palais de l’Élysée, le 12 octobre 2021, d’une stratégie d’investissement à l’horizon de l’année 2030, d’un montant de 34 milliards d’euros (Md€) sur une période de cinq ans. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, les crédits correspondants ([1]) ont finalement été rattachés à la mission « Investissements d’avenir » par un amendement du Gouvernement visant à placer les moyens de soutien à l’investissement sous le couvert d’une doctrine et d’une gouvernance partagées. L’intitulé de la nouvelle mission est actuellement inscrit à l’article 187 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances initiale pour 2022.
Le terme même d’« investissements d’avenir » est issu du rapport de la commission sur l’emprunt national, publié le 19 novembre 2009, qui estimait nécessaire pour la France « d’investir pour l’avenir » selon des voies nouvelles. Un dispositif budgétaire dérogatoire, piloté au niveau du Premier ministre, a été mis en place dès l’année 2010 sous le nom de « Programme d’investissements d’avenir » (PIA). Plusieurs autres PIA (2, 3 et 4) ont été créés successivement en 2014, 2017 et 2020.
Le dispositif « France 2030 » s’affiche comme la continuation des PIA précédents :
2010 |
2014 |
2017 |
2020 |
2021 |
PIA 1 |
PIA 2 |
PIA 3 |
PIA 4 |
France 2030 |
35 Md€ (AE) |
12 Md€ (AE) |
10 Md€ (AE) |
20 Md€ (AE) |
Continuation du PIA 4 + 34 Md€ (AE) |
B. les modalitÉs d’intÉgration des nouveaux crÉdits aux programmes du PIA
Les dotations du PIA avaient été conçues pour être utilisées sur plusieurs années selon des modalités d’engagement et de paiement différentes de celles prévues par la loi organique n° 2021-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). L’engagement des crédits se matérialise ainsi par la conclusion d’une convention entre l’État et un opérateur chargé de gérer les fonds à destination des différents bénéficiaires (entreprises, organismes de recherche, etc.).
Flux État Opérateur |
Flux Opérateur bénéficiaire |
|
AE |
CP |
Engagement : décision du Premier ministre |
Consommation de l’intégralité des AE lors de la signature de la convention |
Crédits inscrits à chaque projet de loi de finances (PLF) annuel |
Contractualisation entre l’opérateur et le bénéficiaire |
Décaissement de l’opérateur au bénéficiaire |
Source : Secrétariat général pour l’investissement (SGPI).
En raison de ces spécificités, le PIA n’apparaissait pas initialement en tant que tel dans la répartition des crédits annuels par mission. Le dispositif a été érigé en mission à part entière dès le projet de loi de finances pour 2017 (PIA 3) et décliné en trois programmes :
– « Soutien des progrès de l’enseignement supérieur et de la recherche » (programme 421) : émergence d’acteurs répondant aux meilleurs standards internationaux dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
– « Valorisation de la recherche » (programme 422) : accompagnement des structures d’innovation et de transfert de technologie créées lors des PIA 1 et 2, qu’il s’agisse des sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT) ou des « démonstrateurs territoriaux » ;
– « Accélération de la modernisation des entreprises » (programme 423) : industrie du futur, concours d’innovation, etc.
Deux nouveaux programmes sont venus étoffer la mission à compter du PIA 4 en 2020 :
– « Financement des investissements stratégiques » (programme 424) : programmes et équipements prioritaires de recherche, soutien au déploiement et démonstrateurs en conditions réelles ([2]), etc.
– « Financement structurel des écosystèmes d’innovation » (programme 425) : aides dites « bottom-up » : aides de guichet, concours d’innovation de Bpifrance, dotations en fonds propres, etc.
Les crédits alloués au titre de « France 2030 » (34 Md€) ont été intégrés aux autorisations d’engagement des programmes 424 et 425 dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2022.
(En milliers d’euros)
Programme |
LFI 2021 PIA 4 |
LFI 2022 France 2030 |
Total (AE) |
Financement des investissements stratégiques (programme 424) |
12 500 000 |
27 998 300 |
40 498 300 |
Financement structurel des écosystèmes d’innovation (programme 425) |
4 062 500 |
6 001 000 |
10 073 500 |
Total |
16 562 500 |
34 009 300 |
50 571 800 |
Source : Projets annuels de performance 2022 et 2023 (montants en AE).
II. une trajectoire budgÉtaire sur 2025 conforme au dÉploiement du dispositif
A. L’AchÈvement du PIA 3 et la poursuite du PIA 4 confortÉe par « France 2030 »
Les variations des crédits alloués au PIA d’un exercice à l’autre sont différentes de celles apparaissant sur les autres missions : les autorisations d’engagement font souvent l’objet d’un abondement significatif dès l’annonce d’un plan d’investissement, puis sont rapidement consommées au fur et à mesure de la contractualisation avec l’opérateur. Les crédits de paiement, pour leur part, font l’objet de tranches de versement plus ou moins régulières selon le degré de réalisation des projets par les opérateurs concernés. D’un point de vue général, les décaissements reflètent l’avancement d’un PIA.
En ce sens, l’évolution des crédits de la mission entre la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 et le projet de loi de finances pour 2025 traduit la poursuite du déploiement du dispositif « France 2030 » :
– remise à zéro des autorisations d’engagement ;
– épuisement progressif des crédits de paiement ouverts sur les programmes relatifs aux PIA 1, 2 et 3 (421, 422 et 423) ;
– poursuite en 2025 des décaissements entamés en 2024 au titre du PIA 4 et de « France 2030 », les crédits de paiement cumulés des programmes 424 et 425 baissant de 29,8 % entre 2024 (7,3 Md€) et 2025 (5,1 Md€).
Source : Analyse du projet annuel de performances (PAP) 2025.
B. une dynamique d’Évolution des crÉdits de paiement qui ralentit pour le programme 424
Dans le PLF 2025, un net ralentissement de la consommation des CP est anticipé sur l’ensemble des actions du programme 425 (- 52,8 %). C’est l’action 03 « Aides à l’innovation "bottom-up" (fonds propres) » qui enregistre la baisse la plus importante (- 72,3 %) alors que les actions 01 « Financements de l’écosystème ESRI et valorisation » et 02 « Aides à l’innovation " bottom-up ", enregistrent des baisses de moindre ampleur, soit - 45,4 % et - 36,2 %, respectivement, par rapport à 2024.
S’agissant du programme 424, il y a lieu de noter la montée en puissance du dispositif de l’action 05 « Accélération de la croissance (fonds propres) » (810 M€, soit + 285,7 %), dont 200 M€ pour recharger le dispositif « French tech Souveraineté » et 300 M€ à destination du « fonds SPI-Société de projets industriels n° 2 ». De même, le dispositif de l’action 06 « Industrialisation et déploiement » de projets stratégiques est en hausse (2 Md€, soit + 16,7 %) et les crédits de paiement proposés seront répartis entre trois opérateurs de « France 2030 » (Ademe, CDC et Bpifrance) selon le rythme de décaissement prévu pour les bénéficiaires. Les actions 02 « Maturation de technologies, R&D, valorisation de la recherche », 03 « Démonstrations en conditions réelles, amorçage et premières commerciales » et 04 « Soutien au déploiement » connaissent un ralentissement.
La dotation allouée aux Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) (action 01 du programme 424) est alimentée en crédits de paiement (11 M€) après l’absence d’ouverture de crédits dans la LFI 2024, pour ce dispositif de financement « dirigé » de grands programmes de recherche.
III. observations sur le fonctionnement général du « plan France 2030 » : des impensés et des carences à corriger
A. Des choix et des manquements qui interrogent
Le 12 octobre 2021, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé le lancement du plan « France 2030 » et celui des dix objectifs stratégiques qui lui étaient associés. Sept leviers transversaux s’y ajoutent désormais.
La mise en œuvre de cette volonté présidentielle s’est traduite par l’adoption d’un amendement au projet de loi de finances pour l’année 2022 déposé par le Gouvernement.
Trois observations principales peuvent être formulées sur le processus qui a conduit au lancement du plan « France 2030 ».
1. L’absence préjudiciable de réalisation d’une étude d’impact
Au regard de l’ampleur du plan et de l’importance des crédits mobilisés, le recours à un amendement au projet de loi de finances, plutôt que le dépôt d’un projet de loi distinct, peut questionner. Le choix de cette procédure apparaît comme une forme de contournement de l’obligation de production d’une étude d’impact à l’appui de chaque projet de loi en application de l’article 39 de la Constitution et des articles 8 et 11 de la loi organique du 15 avril 2009.
Il en résulte en particulier une absence de l’examen de la pertinence des dix objectifs stratégiques et des sept leviers transversaux fixés pour ce plan. À date, le processus qui a conduit au choix de ces objectifs et leviers reste méconnu de votre rapporteur. Il ne lui a pas paru clair non plus quelles démarches seraient nécessaires pour les faire évoluer.
En outre, l’articulation entre les objectifs stratégiques et les leviers ne paraît pas évidente. Votre rapporteur souligne la nécessité d’apporter des éclaircissements sur cette articulation afin de garantir une meilleure lisibilité au plan.
2. Des thèmes majeurs ou émergents absents des objectifs stratégiques et des leviers
En l’état actuel du plan, la sobriété n’est pas abordée comme un horizon, un objectif à atteindre en soi pour « France 2030 », ni même comme une orientation qui doit inspirer et guider les innovations soutenues. La sobriété des modes de vie et de production doit pourtant faire partie intégrante des réflexions sur l’industrialisation de nos territoires afin d’assurer la soutenabilité des ressources (terre, eau, métaux, etc.) essentielles à la survie des écosystèmes et à la vie économique dont ils sont le support. L’adéquation de la production industrielle avec le respect des limites planétaires s’en trouve reléguée au second plan dans l’architecture globale du plan.
Le rapporteur constate également le fort tropisme « innovation technologique » du plan au détriment des innovations sociales. À ce titre, on ne peut que regretter l’absence de programme de l’État pour soutenir cette innovation tout aussi importante.
Enfin, le plan gagnerait à pouvoir intégrer des sujets émergents majeurs comme les enjeux de substitution ou de dépollution de certains polluants chimiques comme les PFAS, au regard de la contamination généralisée, invisible et quasi indestructible, que leur prolifération induit. Plus largement, c’est la question de la soutenabilité écologique des investissements réalisés qui devrait être davantage posée.
Recommandation n° 1
Faire apparaître à part entière la sobriété comme l’un des objectifs stratégiques de « France 2030 ». L’objectif de sobriété doit faire l’objet d’une innovation technologique et sociale à laquelle « France 2030 » doit accorder toute sa place, au sujet du levier relatifs aux matériaux critiques mais également sur les autres objectifs et leviers du plan.
B. Une absence de règles de conditionnalité harmonisées qui étonne au regard des montants en jeu
Le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) indique dans sa contribution écrite à votre rapporteur que les projets sollicitant le concours de « France 2030 » sont instruits et sélectionnés à la lumière de la doctrine d’investissement et des critères d’éligibilité et de sélection définis dans les cahiers des charges des appels à projets. Par la suite, les contrats et les clauses en matière de conditionnalité figurent dans les contrats passés entre les opérateurs et les bénéficiaires à la lumière des critères initialement édictés.
Une fois le contrat passé, le versement des aides est échelonné et soumis à la vérification de jalons technologiques et à l’atteinte des objectifs fixés initialement. Si ces conditions ne sont pas remplies, le projet peut être suspendu et/ou arrêté. Si l’aide a été versée indûment, l’État peut lancer des procédures pour recouvrer les crédits. Cette procédure est rare mais le SGPI indique que le cas s’est déjà présenté.
Après deux ans et demi de mise en œuvre soutenue et un pic en 2023 avec 19 Md€ d’engagements, le plan « France 2030 » est entré dans la phase de suivi renforcé des projets. Des instructions ont été données aux opérateurs du plan pour renforcer le suivi actif et exigeant des projets, tel que le permettent les jalons posés dans les contrats de mise en œuvre des aides signées avec les bénéficiaires. Le suivi de tels jalons permettra d’envisager, le cas échéant, si des projets doivent être abandonnés, poursuivis ou approfondis.
Enfin, la loi de finances pour 2024 est venue renforcer les conditionnalités écologiques en ciblant spécifiquement l’obligation pour les entreprises bénéficiant d’une aide de « France 2030 » d’être en règle avec ses obligations au titre du bilan des émissions de gaz à effet de serre (Beges). Le décret d’application de ces mesures est encore en attente de publication.
En dépit de cette réponse du SGPI, votre rapporteur regrette l’absence de conditionnalités et de contreparties écologiques et sociales, clairement identifiées et homogènes, applicables, à tous les contrats entre les opérateurs et les organes bénéficiaires. Cela garantirait une plus grande transparence du plan et de meilleures conditions pour en évaluer l’efficacité.
Recommandation n° 2
Conditionner le bénéfice des crédits « France 2030 » aux projets intégrant des contreparties écologiques et sociales ambitieuses. Ces projets doivent entre autres s’assurer de la publication transparente de leur bilan d’émissions de gaz à effet de serre, présenter des garanties écologiques quant à l’impact de leurs activités sur les écosystèmes, ne pas délocaliser dans les dix années suivants le début du financement les activités qui en ont bénéficié.
C. De l’évaluation de « France 2030 », des bÉNÉficiaires du programme et DE la nature des investissements accordés
Selon le SGPI, l’évaluation du plan « France 2030 » s’appuie sur un cadre d’évaluation et de pilotage mis en place à plusieurs niveaux :
● La gouvernance de « France 2030 » est responsabilisée dans l’atteinte des objectifs ;
● Chaque projet est évalué ex ante sur la base d’indicateurs d’impacts vérifiés lors de l’instruction ;
● Des évaluations sont prévues ex ante et ex post pour les projets les plus importants (au-delà d’un seuil de 20 M€) ;
● Le comité de surveillance des investissements d’avenir (CSIA) évalue les programmes d’investissements, conseille le Gouvernement sur les priorités d’investissement des programmes et dresse un bilan annuel de son exécution.
La Cour des comptes, dans son analyse de l’exécution budgétaire 2023 des crédits de la mission Investir pour la France de 2030, a reconnu le caractère complet de ce dispositif d’évaluation tout en appelant à sa mise en œuvre effective et autonome notamment vis-à-vis des gestionnaires des programmes.
S’agissant tout d’abord de l’évaluation à l’échelle des projets, le SGPI déploie actuellement une mission de « rattrapage » des évaluations socio-économiques (ESE) des plus gros projets d’investissement de « France 2030 » (financés à hauteur d’au moins 100 M€ par l’État). Ces ESE conduites sur la base d’une approche socio-économique coûts-bénéfices permettront d’éclairer le gouvernement sur la rentabilité socio-économique attendue de ces projets ainsi que sur l’identification et un meilleur suivi de leurs risques. Cet exercice a démarré en septembre 2024 et vise la production de quinze études ACB ([3]) avant la fin du mois de mars 2025. En parallèle, s’agissant du flux des nouveaux projets dont le financement est supérieur à 20 M€, l’obligation d’inclure la production d’une ESE en amont de la décision de financement a été rappelée par les instances de gouvernance de « France 2030 » (Comex) ([4]) et est désormais appliquée par les Opérateurs lors de l’instruction. Un outil de suivi a été déployé par le SGPI (projets éligibles à l’ESE, ESE en cours, ESE réalisées) pour vérifier le respect effectif de ces exigences. Il convient de rappeler que les projets recevant plus de 20 M€ de financement de la part de l’État doivent faire l’objet d’une déclaration à l’inventaire des investissements publics tel que prévu par un décret du 23 décembre 2013 ([5]).
S’agissant en second lieu de l’autonomie du CSIA ([6]) dans la conduite des évaluations, celle-ci est renforcée par la mise en œuvre des actions suivantes :
Ces actions permettent ainsi de conforter l’autonomie du CSIA et de répondre à la recommandation de la Cour des comptes.
S’agissant enfin de l’évaluation du principe « Do No Significant Harm » (DNSH) ([7]), les actions suivantes ont été déployées pour garantir un respect plus effectif de ce principe :
Tel que décrit plus haut, votre rapporteur formule les observations suivantes sur ce processus d’évaluation tel que décrit plus haut :
Recommandation n° 3
Votre rapporteur préconise d’évaluer les investissements réalisés par la mission “Investir pour la France de 2030” à l’aune du futur industriel véritablement souhaitable et collectivement décidé pour notre pays. L’évaluation devra faire état de l’avancée de chaque objectif, restituer l’impact structurel et systématique provoqué par un tel niveau d’investissements, mais également permettre de faire évoluer les objectifs au regard des besoins et des impacts des investissements déjà engagés.
Recommandation n° 4
Votre rapporteur recommande que l’évaluation du programme intègre l’audition à échéance régulière par le Parlement du comité de surveillance de « France 2030 », afin de permettre aux parlementaires d’exercer un contrôle démocratique sur les objectifs du plan « France 2030 » en concordance avec les besoins du pays et sur les décisions d’investissements accordés aux projets industriels.
Recommandation n° 5
Votre rapporteur recommande d’assurer la mise en œuvre et le financement d’une structure d’intermédiation pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire, afin de leur permettre un accès facilité au programme en raison de leur singularité et de leur rôle déterminant dans le développement d’innovations écologiques et sociales. Une adaptation des modalités de candidature aux appels à projets devra être envisagée.
D. la nécessité de replacer le plan « France 2030 » dans un écosystème organisé de planification industrielle
« France 2030 » n’apparait pas aujourd’hui comme faisant partie d’un écosystème organisé pour porter une politique de planification industrielle et ses liens avec d’autres organes changés de la planification ne sont pas clairs. Il est dès lors nécessaire que le gouvernement rende explicite et lisible l’organisation étatique de la planification écologique dans tous ses impacts et notamment la planification de la transformation industrielle et de la réindustrialisation. « France 2030 » a vocation à être un des leviers financiers de cette planification et l’articulation avec le commissariat au plan, le SGPE, le SGPI voire même avec France Stratégie doit être précisée.
Cette rationalisation de la gouvernance en matière de stratégie industrielle devra nécessairement s’accompagner d’un travail démocratique de concertation et d’élaboration de la planification impliquant le Parlement et notamment par la voie de lois de programmation sur la réindustrialisation, la bifurcation écologique, la recherche, l’industrie, les compétences, l’énergie et l’aménagement du territoire.
En outre, il est apparu lors des auditions une absence d’articulation entre « France 2030 » et son équivalent dans d’autres pays européens, d’une part, et d’incorporation dans les priorités portées à l’échelle européenne, d’autre part. Une attention particulière devrait être donc portée à la cohérence entre les objectifs et les directives européens d’une part et les objectifs et le fonctionnement de « France 2030 » d’autre part.
Recommandation n° 6 :
Votre rapporteur recommande de rendre explicite et lisible par le gouvernement l’organisation étatique de la planification écologique dans tous ses impacts, et notamment la planification de la transformation industrielle et de la réindustrialisation. « France 2030 » a vocation à être un des leviers financiers de cette planification et l’articulation avec le commissariat au plan, le SGPE, le SGPI voire même avec France Stratégie n’est pas explicite
Cette rationalisation de la gouvernance en matière de stratégie industrielle devra nécessairement s’accompagner d’un travail démocratique de concertation et d’élaboration de la planification, impliquant le Parlement, notamment par la voie de lois de programmation sur la réindustrialisation, la bifurcation écologique, la recherche, les compétences, l’énergie et l’aménagement du territoire., afin de se projeter sur les suites à donner au Plan en 2040.
seconde partie :
« France 2030 », instrument de sÉcurisation DE L’ACCÈS AUX MÉTAUX CRITIQUES
La question des métaux critiques est pleinement intégrée dans le plan « France 2030 ». C’est le levier transversal 1, « Sécuriser l’accès aux matières premières », doté d’un budget de 1,97 Md€, constitue le volet financier sur lequel repose la stratégie nationale mise en œuvre au niveau national sur cette question.
A. Une explosion de la demande des mÉtaux critiques face À la double transition Énergétique et numÉrique
1. Criticité des métaux, métaux stratégiques, vulnérabilité : des notions aux contours variables
De prime abord, il est nécessaire de rappeler quelques définitions utiles des principaux termes utilisés pour qualifier le statut ou l’importance des métaux utilisés dans l’industrie, afin de saisir les nuances que recouvrent ces différentes notions.
Matières premières critiques : la définition européenne de la criticité n’est pas basée sur la rareté de la ressource uniquement, mais se rapporte aux risques pouvant entraîner des impacts industriels ou économiques négatifs importants liés à un approvisionnement difficile, sujet à des aléas. Selon le Conseil de l’Union européenne, « les matières premières critiques sont des matières premières revêtant une grande importance économique pour l’UE et présentant un risque élevé de rupture d’approvisionnement en raison de la concentration de leurs sources et de l’absence de substituts de qualité et abordables ». Pour l’essentiel, la criticité varie dans le temps en fonction de la disponibilité de la substance et son importance économique.
Métal stratégique : un métal dont les caractéristiques physico-chimiques très complexes le rendent insubstituable pour une application industrielle donnée et dont la disponibilité de l’offre, hors du territoire national, est limitée dans l’espace ou dans le temps. Cette définition ne dépend pas de la rareté des gisements en tant que tels. Dans le même sens, pour le Conseil de l’Union européenne, les matières premières stratégiques correspondent aux « matières dont la fourniture devrait augmenter de manière exponentielle, qui ont des exigences complexes en matière de production et qui sont donc confrontées à un risque plus élevé de problèmes d’approvisionnement ».
La liste des métaux critiques et stratégiques est donc évolutive.
Métal rare : la rareté peut être abordée selon plusieurs points de vue. Du point de vue géologique / géochimique : un métal rare correspond au métal dont l’abondance moyenne et/ou la disponibilité (capacité à se concentrer en gisements) est faible dans la croûte terrestre. Du point de vue industriel : il s’agit d’un métal en particulier peu usité ou peu connu dans des applications grand public.
Terres rares (ou éléments de terres rares ou RRE pour Rare Earth Element) : il s’agit de 17 métaux de la table périodique des éléments ; ils ne sont pas rares sur le globe terrestre, mais n’existent pas sous forme de gisements concentrés. Les différents éléments de terres rares sont retrouvés ensemble et nécessitent d’être séparés.
L’adéquation offre-demande est un critère permettant de définir le caractère stratégique ou critique des métaux et minerais. Ainsi, le Critical Raw Materials Act (CRM Act ([8]) ) prévoit que le « taux de croissance prévu de la demande » et la « difficulté à augmenter la production » sont des critères permettant de qualifier le caractère stratégique ou non d’un métal ou minerai. Pour déterminer le caractère critique, le CRM Act définit également un « risque pour la sécurité d’approvisionnement ».
2. Une demande exponentielle de métaux critiques pour faire face à la double transition bas carbone et numérique
a. Les usages les plus courants ([9]) des métaux
De nombreux objets utilisés dans la vie quotidienne sont issus des roches ou minerais extraits du sous-sol. Parmi les domaines les plus consommateurs de ressources minérales, il peut être mentionné (sans être exhaustif) :
– La mobilité électrique : les batteries des voitures électriques sont souvent constituées de lithium, de cobalt et de nickel ;
– L’éolien : une éolienne repose sur un socle en béton et se compose entre autres de fibres de verre, d’acier et de cuivre. La construction : sont utilisés du sable et des carbonates (ciment) pour le béton, de l’argile pour les tuiles et briques en céramiques, de l’aluminium et de la silice pour les fenêtres ;
– La santé : les terres-rares en IRM, du talc pour l’enrobage des comprimés, le lithium dans les antidépresseurs ;
– Le tungstène est utilisé dans la technologie de vibration des téléphones portables ;
– Le magnésium et le scandium sont nécessaires à la production et au pilotage d’avions ;
– Les semi-conducteurs, composant la majeure partie des équipements et appareils électroniques, ont besoin du silicium métallique.
b. Une demande exponentielle de métaux critiques
Globalement, selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le marché des minéraux et métaux pour la transition énergétique passerait de quelques dizaines de milliards de dollars (Md$) par an actuellement à un montant estimé entre 250 et 300 Md$ par an à l’horizon 2050.
Selon Délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (Diamms), l’augmentation très forte des besoins liés à la transition énergétique constituent la transition numérique est la principale tendance de fond qui structure le paysage des minerais stratégiques. En particulier, s’agissant de ceux nécessaires aux véhicules électriques et à leurs batteries, de la production d’énergies renouvelables, et du développement des réseaux.
Le cas le plus emblématique est celui du lithium, qui était jusqu’à présent un métal dont les usages étaient relativement limités. Son usage dans les batteries, notamment pour les véhicules électriques, conduit, sur la base des technologies actuelles, à des besoins plus que décuplés d’ici 2040 (de l’ordre de 100 kT actuellement à 1 000 kT en 2040). Les besoins en cobalt, en nickel ou en graphite vont fortement augmenter. Le cuivre est concerné notamment par les besoins de développement des réseaux électriques. Les terres rares sont recherchées en particulier pour la fabrication d’aimants permanents, mais aussi dans l’industrie électronique.
L’AIE a établi les évolutions de la demande mondiale de principaux métaux sur la base de trois scénarios ([10]) présentés dans le tableau ci-dessous :
Évolutions de la demande mondiale par secteur et scénario (DonnÉes du Rapport AIE, Évolutions en % par rapport À 2023)
Minéral |
Scénario |
Demande en 2023 |
Demande en 2030 |
Demande en 2040 |
Offre en 2040 |
Cuivre |
STEPS |
26 Mt |
30,5 Mt (+ 17,31 %) |
34 Mt (+ 30,77 %) |
Risque de déficit |
APS |
26 Mt |
31 Mt (+ 19,23 %) |
36 Mt (+ 38,46 %) |
Déficit probable même en cas de production élevée |
|
NZE |
26 Mt |
33 Mt (+ 26,92 %) |
39 Mt (+ 50,00 %) |
Déficit important sans nouvelles expansions |
|
Lithium |
STEPS |
180 kT Li |
460 kT (+ 155,56 %) |
980 kT (+ 444,44 %) |
Déficit potentiel |
APS |
180 kT Li |
540 kT (+ 200,00 %) |
1320 kT (+ 633,33 %) |
Grand déficit |
|
NZE |
180 kT Li |
700 kT (+ 288,89 %) |
1420 kT (+ 688,89 %) |
Très grand déficit |
|
Nickel |
STEPS |
2640 kT Ni |
4320 kT (+ 63,64 %) |
5440 kT (+ 106,06 %) |
Offre tendue |
APS |
2640 kT Ni |
4640 kT (+ 75,76 %) |
6160 kT (+ 133,33 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
NZE |
2640 kT Ni |
5360 kT (+ 103,03 %) |
6240 kT (+ 136,36 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
Cobalt |
STEPS |
213 kT Co |
345 kT (+ 61,97 %) |
510 kT (+ 139,44 %) |
Offre tendue |
APS |
213 kT Co |
420 kT (+ 97,18 %) |
457,5 kT (+ 114,79 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
NZE |
213 kT Co |
270 kT (+ 26,76 %) |
495 kT (+ 132,39 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
Graphite |
STEPS |
4,6 Mt GRA |
9,4 Mt (+ 104,35 %) |
12,8 Mt (+ 178,26 %) |
Offre généralement alignée |
APS |
4,6 Mt GRA |
10,4 Mt (+ 126,09 %) |
16 Mt (+ 247,83 %) |
Offre alignée mais dépendante de la production synthétique en Chine |
|
NZE |
4,6 Mt GRA |
13,8 Mt (+ 200,00 %) |
17,8 Mt (+ 286,96 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
Terres rares |
STEPS |
92 kT REE |
127,2 kT (+ 38,26 %) |
153,2 kT (+ 66,52 %) |
Offre tendue |
APS |
92 kT REE |
131,6 kT (+ 43,04 %) |
179,6 kT (+ 95,22 %) |
Offre alignée sous haute production |
|
NZE |
92 kT REE |
148,8 kT (+ 61,74 %) |
175,2 kT (+ 90,43 %) |
Offre alignée sous haute production |
Source : AIE
Le Global Critical Minerals Outlook 2024 publié par l’AIE met en lumière les évolutions récentes sur le marché des métaux critiques, par exemple :
– Par rapport à l’année précédente, la demande de lithium a augmenté de 30 %, celle de nickel de 8 %, celle de cobalt de 8 %, celle de graphite de 11 % et celle des terres rares de 14 %. Cependant, l’offre a augmenté à un rythme plus rapide que la demande, exerçant une pression à la baisse sur les prix ;
– Les prix des minéraux clés sont revenus à leurs niveaux d’avant la pandémie de Covid-19. Les prix des minéraux critiques pour les batteries ont connu la plus grande volatilité, avec le prix du lithium chutant de manière significative. En conséquence, la taille du marché des minéraux essentiels à la transition énergétique a diminué de 10 %, pour atteindre 325 Md$ en 2023, malgré la croissance de la demande ;
– L’indice des prix des minéraux de transition énergétique de l’AIE, qui suit un panier de prix pour le cuivre, les principaux métaux de batterie et les éléments de terres rares, a triplé au cours des deux années suivant janvier 2020, mais a perdu la majeure partie de cette augmentation fin 2023. Les matériaux pour batteries ont connu des baisses de prix particulièrement importantes avec les prix du lithium chutant de 75 %, ceux du cobalt, du nickel et du graphite diminuant de 30 à 45 %.
La décarbonation passe notamment par l’électrification de la mobilité. Les ventes mondiales de voitures électriques ont augmenté de 60 % en 2022, dépassant les 10 millions d’unités (source AIE). La moitié des voitures vendues dans le monde en 2030 seraient entièrement ou partiellement électriques, cette proportion monterait à 70 % en 2040.
Toutefois, la contribution écrite produite par le CNRS, à l’appui de la table-ronde organisée par votre rapporteur sur les métaux critiques, attire l’attention sur les fortes incertitudes qui entourent les prévisions de croissance de la demande de métaux critiques. Les études des 5 dernières années qui citaient des chiffres prospectifs pour 2023 se sont révélées très en dessous de la réalité.
En tout état de cause, ces prévisions de croissance de la consommation de métaux critiques posent la question de leur soutenabilité pour l’environnement. La nécessaire sobriété dans l’utilisation des métaux, dans les usages et dans la production, doit dès lors orienter et servir de cap pour les autorités publiques et les acteurs industriels, en Europe et à l’international. Elle doit irriguer et constituer l’élément central des politiques publiques et des stratégies adoptées pour aboutir à une industrie verte et compatible à l’accès aux métaux critiques dans le respect des écosystèmes et des limites planétaires. De même, le réemploi des matériaux doit trouver une plus grande place. Ces exigences traduisent en réalité la nécessité pour notre économie d’opérer une bifurcation écologique pour sortir des modes de pensée productivistes qui prévalent encore aujourd’hui.
Recommandation n° 7 :
Au regard de l’importance que recouvre cette question des métaux critiques, prévoir le lancement par la commission des affaires économiques d’une mission d’information pour identifier les freins et dépendances inhérents à la chaîne de valeur des métaux critiques en France, de l’approvisionnement à la réutilisation, pour réussir la transition énergétique et notre réindustrialisation.
3. Une nouvelle géopolitique des ressources dominée par la Chine et dans une moindre mesure par les États-Unis
En 2023, des mesures importantes relatives aux métaux critiques ont été adoptées par plusieurs pays et organisations internationales. Le G7, par exemple, a intensifié son rôle en matière de sécurité des minéraux, en introduisant le Programme volontaire de sécurité des minéraux critiques de l’AIE, visant à produire des perspectives à moyen et long terme pour ces minéraux. Ce programme est conçu pour aider les pays à renforcer la résilience et la diversité de leurs chaînes d’approvisionnement.
Les principaux pays producteurs de métaux sont la Chine (germanium, l’indiumin, molybdène, terre-rare (REE), vanadium, tungstène, cadmium, phosphate, graphite), la Russie (palladium (42 %), tellure (second, 44 %)), le Japon (tellure, 46 %), l’Afrique du sud : (chrome, rhodium (81 %), platine (72 %)) et la République démocratique du Congo (cobalt, 55 %).
Toutefois, M. Stéphane Pellet Rostaing, directeur de l’Institut de chimie séparative de Marcoule (ICSM) du CNRS fait observer que les pays les mieux positionnés dans cette géopolitique des métaux critiques ne sont pas nécessairement les pays producteurs, mais plutôt ceux qui se sont dotés des stratégies les plus complètes couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur. Dans ce contexte, il apparaît que les principaux pays producteurs de métaux ne sont pas nécessairement ceux qui détiennent les plus importantes réserves, et pose la question des raisons pour lesquelles la France ne dispose pas de ces stocks stratégiques. L’exemple du phosphate est illustratif dans ce sens : le Maroc détient 75 % des réserves mondiales de phosphate, alors qu’il n’en produit que 13 % ; à l’inverse, la Chine détient 6 % des réserves alors qu’elle assure 42 % de la production de cette matière.
a. Une domination chinoise sur les principaux segments de la chaîne de valeur de nombreux minerais
La chaîne de valeur des principaux métaux critiques se caractérise par une très forte concentration dans quelques pays, au premier rang desquels la Chine. Cette concentration est particulièrement vraie s’agissant des capacités de transformation, qui dans certains cas sont localisées à plus de 80 % dans ce pays.
La Chine s’est positionnée pour maîtriser le traitement de toutes les matières premières nécessaires à la transition énergétique. Elle a par conséquent mené, depuis le début des années 2000, une politique volontariste passant par le redimensionnement de son objectif initial de simple exportateur des métaux, à producteur et vendeur de produits finis tels que des panneaux solaires ou des véhicules électriques, fabriqués avec les matières premières extraites sur son territoire. Cette stratégie permet à la Chine de renforcer sa position dominante, non seulement en tant que producteur de ressources stratégiques, mais aussi en tant que fabricant de technologies vertes (Greentech).
Les éléments de terres rares, essentiels pour la transition énergétique (aimants permanents des éoliennes marines ; mobilité électrique), pour la catalyse chimique, le polissage du verre ou bien encore pour l’imagerie médicale (IRM), font initialement l’objet d’un quasi-monopole chinois dans les années 2000-2010 sur l’extraction (95 % d’extraction), exportés vers les pays raffineurs comme la France (Rhône-Poulenc à l’époque, puis Rhodia) qui purifiaient les terres rares pour les exporter à leur tour vers les pays fabricants.
En 2023 ([11]), seuls 68 % de l’extraction relève de la Chine, en raison d’une légère diversification de la production des terres rares au profit notamment des États-Unis (12 %), de l’Australie et de la Birmanie. En revanche, tous les segments de la chaîne de valeur sont largement monopolisés par la Chine. Ce pays a mis en place des stratégies à moyen et long terme parmi les plus abouties pour s’assurer un approvisionnement et la maîtrise de cette chaîne de valeur, afin d’approvisionner elle-même un secteur industriel très dynamique.
La Chine a imposé des contrôles à l’exportation sur le gallium et le germanium, indispensables à l’industrie des semi-conducteurs, à partir d’août 2023, ainsi que sur le graphite à partir de décembre 2023, ceci pour satisfaire en priorité sa demande locale. Ces mesures ont perturbé les marchés mondiaux. Elles ont obligé les producteurs en aval à stocker des volumes importants et à demander des licences d’exportation valables pour six mois, créant une rigidité dans le commerce et décourageant les investisseurs. Le pays dispose d’un pouvoir de marché lui permettant de manipuler les prix sur les marchés de certains métaux; elle est accusée d’avoir manipulé les cours du lithium par exemple ([12]).
Cet exemple démontre que ces métaux recouvrent de plus en plus le caractère d’instruments de géopolitique à la disposition de leurs États respectifs.
b. Une réaction massive des États-Unis en faveur d’une réduction de leur dépendance
Les États-Unis ont en premier lieu élaboré une stratégie ([13]) de long terme sur les matières premières, fondée sur une doctrine intégrée et transversale à toutes les administrations publiques.
Ayant fait le constat que les chaînes de valeur les plus stratégiques, telles que la mobilité électrique, ne seront développées en temps voulu qu’avec un soutien financier de l’État, les États-Unis ont mis en place en 2022 l’Inflation Reduction Act (IRA). Il prévoit des crédits d’impôt et d’autres incitations financières pour stimuler la production nationale de minéraux critiques afin de réduire la dépendance vis-à-vis des importations.
« L’IRA ([14]) adopte une approche nationaliste des ressources minières, en mettant en place une cible basée sur la valeur de marché en minerais critiques du contenu d’un produit, afin de pouvoir bénéficier des crédits d’impôts prévus par le programme. De cette façon, d’ici à 2027, pour bénéficier de ces crédits d’impôts, un véhicule électrique devra disposer d’une batterie dont 80 % de la valeur marchande en minerais critiques provient des États-Unis ou de pays avec lesquels ceux-ci disposent d’un accord de libre-échange. »
Ces dispositifs attirent des investissements sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Les résultats semblent prometteurs, y compris sur la métallurgie et parfois jusqu’à la mine. Dans tous les cas, certains acteurs européens ont pu se poser la question du meilleur retour sur investissement autour du choix de la localisation de leurs investissements, en Europe ou aux États-Unis.
c. Une dépendance française et européenne problématique qui se traduit par des risques de rupture d’approvisionnement
Du fait de ressources en minerais limitées produites sur leur sol, l’Europe et la France sont traditionnellement dépendantes des importations pour leurs approvisionnements primaires en métaux ; en outre, leurs dépendances se sont étendues depuis trois décennies aux opérations de raffinage et de transformation. Pour la plupart des filières industrielles, les entreprises françaises et européennes sont donc dépendantes en quasi-totalité de sources extra-européennes pour leurs approvisionnements en métaux stratégiques, avec une dépendance particulièrement importante vis-à-vis de la Chine.
Pour les terres-rares, la France ne dispose pas de gisement primaire exploitable connu à ce jour. Elle est donc en toute logique dépendante à 100 % des pays producteurs. Il en est de même pour l’Europe, à l’exception d’un projet avancé d’extraction primaire à Kiruna en Suède.
Les besoins en minerais et métaux stratégiques vont augmenter très fortement dans le cadre de la transition énergétique (et dans une moindre mesure pour le numérique). L’électrification des systèmes énergétiques implique en effet une croissance très forte de certains métaux de base (notamment le cuivre et l’aluminium) et de métaux de spécialité (lithium, nickel, cobalt, terres rares…). Il s’agit donc de transitionner d’un système énergétique dont les hydrocarbures constituent la matière première principale vers un système énergétique fondé sur les métaux.
Alors que les risques liés au contexte géopolitique et aux conflits commerciaux s’accentuent, les dépendances aux approvisionnements sont d’autant plus problématiques. Elles font peser des risques très significatifs sur certaines filières clés de l’industrie européenne (automobile, aéronautique, …) ou constituent un obstacle important à la reconquête industrielle (ENR, microélectronique…).
CaractÉristiques de matÉriaux stratÉgiques (minerais) pour l’Union europÉenne pour l’annÉe 2023
Source : IFP énergies nouvelles selon les informations fournies par la Commission européenne
À l’instar de la France, de nombreux pays européens sont progressivement en train de mettre en place des politiques publiques visant à sécuriser l’accès aux matières premières critiques : la Grande-Bretagne a annoncé sa stratégie relative aux métaux critiques et l’Allemagne a annoncé, début 2024, la mise en place d’un fonds métaux comparable à celui d’InfraVia ([15]).
Cette géopolitique des métaux qui se met en place ne doit pas conduire à une course effrénée à l’exploration et l’exploitation des mines à travers le monde. Elle ne doit surtout pas occulter les impacts environnementaux et sociaux qu’impliquerait la multiplication de l’ouverture des mines pour satisfaire un mode de vie consumériste sans égard pour les limites planétaires.
B. Une prise de conscience FranÇaise et europÉenne de la nÉcessitÉ de sÉcuriser l’accÈs aux mÉtaux critiques
1. Le rapport Varin : une alerte forte sur nos faiblesses critiques
a. Les fragilités problématiques de l’accès aux métaux critiques de l’industrie française
Conscient de la fragilité française et, au-delà, européenne en matière de métaux critiques, le Gouvernement français a confié en 2021 à M. Philippe Varin, ancien président de France Industrie, une mission sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales. La mission a rendu son rapport aux ministres chargés de l’industrie et de la transition écologique le 10 janvier 2022 ([16]).
Bien que le contenu du rapport ([17]) n’ait pas été entièrement divulgué, le Gouvernement en a présenté les principales recommandations dès sa remise, à savoir la sécurisation des approvisionnements en métaux, la relocalisation des circuits primaires de fabrication, la promotion au niveau européen d’une norme de « mine responsable » dans la taxonomie applicable, ainsi que la réforme de la gouvernance au niveau national, avec la création d’un délégué interministériel à la sécurisation de l’approvisionnement en métaux stratégiques.
Le rapport Varin attire toutefois l’attention sur la réalité des risques de pénurie des métaux critiques, dans les années à venir, en raison notamment des perspectives d’évolution de la demande, d’une part, et du niveau de concentration de la production dans un nombre réduit de pays, d’autre part. Il relève également le caractère « balbutiant » de l’économie du recyclage des métaux en France et rappelle l’urgence de s’y mettre, au risque de prendre un retard sur la concurrence asiatique.
La mise en place, dans le cadre de « France 2030 », d’un appel à projets sur les métaux critiques doté d’un milliard d’euros (dont 500 M€ de subventions et 500 M€ de dotations en fonds propres) et géré par Bpifrance va dans le sens des préconisations formulées par le rapport Varin. Lors d’une audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 16 février 2022, M. Varin a rappelé à quel point le soutien financier des acteurs économiques situés sur l’intégralité de la chaîne de valeur était un enjeu majeur, et a suggéré de systématiser le recours aux PIIEC à l’échelle européenne.
b. Des institutions mises en place pour accompagner les industriels et favoriser le suivi de la criticité des métaux
Par décret n° 2011-100 du 24 janvier 2011, le comité pour les métaux stratégiques (Comes) a été créé pour servir de lieu de concertation entre les acteurs français : ministères, organismes publics, industriels et fédérations professionnelles représentant l’industrie. Le Comes regroupe ainsi l’ensemble des parties prenantes nationales intéressées par les questions relatives aux métaux critiques.
L’article 2 du décret précité indique que « ce comité a pour mission d’assister le ministre chargé des matières premières dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de gestion des métaux stratégiques, en vue de renforcer la sécurité d’approvisionnement nécessaire à la compétitivité durable de l’économie ».
« À ce titre, il identifie et apprécie les risques auxquels l’économie française, et si nécessaire européenne, est exposée du fait de sa dépendance en termes d’approvisionnement et de transformation de matières premières minérales (non énergétiques), et compte tenu des utilisations qui sont faites de ces matières premières ».
Toutefois, le rapport Varin a mis en évidence la nécessité de faire évoluer la structure en la dotant de moyens propres compte tenu de l’accroissement de la criticité des matières premières, il était nécessaire de mettre en place une structure dotée de moyens propres. Le fonctionnement du Comes repose en effet sur la volonté des participants et des ministères d’échanger entre eux et le Comes n’est pas doté de moyens budgétaires ou d’emplois permanents lui permettant de mener à bien les missions qui lui ont été confiées. Son rôle au sein de la gouvernance d’une future planification industrielle devrait ainsi être repensé.
Sur la base des recommandations du rapport de M. Philippe Varin, la délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (Diamms) a été créée par le décret n° 2022-1550 du 10 décembre 2022 pour coordonner l’action publique en matière de sécurisation des approvisionnements en minerais et métaux stratégiques. La délégation s’appuie sur le secrétariat général du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle pour son soutien logistique, et ses moyens d’action sont intégrés dans le programme « France 2030 », dans les budgets des différents ministères concernés et à travers l’utilisation de dispositifs transversaux (crédits d’impôts, financements internationaux).
La stratégie mise en œuvre par la Diamms est structurée autour de quatre piliers :
Également mis en place à la suite des préconisations du rapport Philippe Varin précité, l’Ofremi associe les compétences et l’expertise du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de IFP Énergies nouvelles (IFPEN ([18])), de l’Agence de la transition écologique (Ademe), de l’Institut français des relations internationales (Ifri), et enfin, du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), principaux acteurs français de l’analyse des chaînes de valeur des métaux stratégiques. Sous le pilotage stratégique de la Diamms, l’observatoire associe les pouvoirs publics et les principales filières industrielles dans un partenariat public/privé, et met à disposition de ses partenaires une veille stratégique, économique et technique des chaînes mondiales d’approvisionnement et des besoins actuels et futurs du secteur industriel, afin de produire des analyses de risques nécessaires à toute décision d’investissements.
Le budget de l’Ofremi correspond à l’engagement d’un équivalent de 17 à 18 équivalent temps pleins (ETP), mais son mode de fonctionnement repose sur un appel à l’expertise des personnels de ses membres sur la base des besoins liés aux sujets à traiter. Ainsi plus de quarante experts contribuent à temps partiel aux travaux de l’Ofremi.
Les activités de l’Ofremi portent à titre principal sur des veilles actives des chaînes de valeurs, en lien avec les filières stratégiques pour les transitions énergétiques et numériques ainsi que l’aéronautique et la défense. Selon les sujets, il s’agit d’effectuer des analyses de filières ou se focaliser sur un métal en particulier dans une approche multi-filières.
Si des acteurs auditionnés saluent la mise en place de la Diamms et de l’Ofremi ainsi que les améliorations dans la coordination de l’action publique et la veille sur la criticité des métaux, ces institutions doivent amplifier leurs actions pour contribuer à bâtir des politiques publiques robustes permettant de contribuer à la réduction de la dépendance française, notamment vis-à-vis de pays inamicaux.
2. Une politique de souveraineté qui s’esquisse en faveur d’une réduction de nos dépendances
Selon M. Joseph Dellatte, chercheur et expert climat, énergie et environnement à l’Institut Montaigne, pour faire face à la mainmise chinoise sur la chaîne de valeur des métaux critiques, « il est impératif de développer une politique industrielle verte robuste et proactive. Cela requiert un investissement massif dans la recherche et l’innovation ». Toutefois, les mesures esquissées en France à la suite du rapport Varin, ainsi que celles prises au niveau européen avec le règlement CRM Act, ne prennent pas la forme d’une véritable politique industrielle dotée de moyens financiers à la hauteur de l’enjeu.
a. Des objectifs ambitieux fixés par le règlement européen sur les métaux critiques (CRMA)
Le règlement européen sur les matières premières critiques (CRMA ([20])) vise à sécuriser les approvisionnements de l’Union européenne (UE) en matières premières critiques, notamment au travers de projets reconnus comme stratégiques par la Commission européenne et les États membres.
Les objectifs chiffrés fixés par le règlement à l’horizon 2030 sont : une capacité d’extraction de 10 % de la consommation annuelle de l’Union européenne en matières premières stratégiques ; une capacité de transformation d’au moins 40 % de la consommation annuelle de l’Union européenne en matières premières stratégiques ; une capacité de recyclage de 25 % de la consommation de l’Union européenne en matières premières stratégiques et la capacité d’augmenter significativement les quantités de matières premières stratégiques recyclées depuis les déchets ; une diversification des approvisionnements de l’Union européenne en matières premières stratégiques, faisant que l’Union européenne ne dépende pas à plus de 65 % d’un seul pays pour l’approvisionnement d’une matière première stratégique.
La Commission européenne est chargée de mettre en place un mécanisme de surveillance des risques sur les chaînes d’approvisionnement des matières premières critiques pour détecter toute distorsion de compétition ou risque de fragmentation du marché interne et pour réaliser des tests de résistance (stress tests) avec les États membres. Cela passe par une remontée d’information de la part de ces derniers.
En outre, les États membres sont appelés à faire remonter à la Commission des informations sur les stocks stratégiques existants en matières premières stratégiques, pour que la Commission puisse mettre en place, le cas échéant, un système de coordination de ces stocks stratégiques. Toutefois, les préconisations de la Commission européenne en la matière ne seront pas contraignantes. La Commission, de son coté, devrait mettre en place un système d’achat groupé après une étude d’évaluation préalable de la mesure et une consultation du board.
Le règlement prévoit également que les grandes entreprises fassent une cartographie de leurs approvisionnements, auditent leurs chaînes de valeur, identifient leurs vulnérabilités et, le cas échéant, prennent des mesures d’atténuation des risques.
Recommandation n°8 :
Votre rapporteur souhaite que le gouvernement suive la recommandation de la Commission européenne et confie la mission de pilotage de la cartographie des stocks stratégiques français de matières premières critiques à l’un des opérateurs de « France 2030 », comme préalable à l’instauration d’une diplomatie des métaux intra-européenne.
Le CRMA produit également une liste de 34 matériaux considérés comme critiques pour l’Union européenne – depuis la dernière liste réalisée en 2020, 6 ont été ajoutés (arsenic, cuivre, feldspath, hélium, manganèse et nickel) et 2 retirés (caoutchouc naturel et indium).
Une seconde liste de matériaux considérés comme stratégiques (SRM) a aussi été créée, comprenant les matériaux « importants pour les technologies qui contribuent à la double transition verte et numérique et aux objectifs en matière de défense et d’aérospatiale ».
Les listes des matiÈres premiÈres critiques (stratÉgiques en gras)
du CRM Act :
Antimoine |
Arsenic |
Bauxite / alumine / aluminium |
Baryte |
Béryllium |
Bismuth |
Bore (grade métal) |
Cobalt |
Charbon à coke |
Cuivre |
Feldspath |
Fluorine |
Gallium |
Germanium |
Hafnium |
Hélium |
Lithium (grade batterie) |
Magnésium métal |
Manganèse (grade batterie) |
Graphite (grade batterie) |
Nickel (grade batterie) |
Niobium |
Phosphate naturel |
Phosphore |
Platinoïdes |
Scandium |
Silicium métal |
Strontium |
Tantale |
Terres rares légères |
Terres rares lourdes |
Terres rares pour les aimants (Nd, Pr, Tb, Dy, Gd, Sm et Ce) |
Titane métal |
Tungstène |
Vanadium |
Source : Diamms
Depuis 2017, à la faveur de la présentation de liste actualisée des matières premières critiques, l’Union européenne a mis en place en parallèle une initiative industrielle ([21]).
Dès octobre 2017, l’Union européenne a annoncé la mise en place l’Alliance européenne des batteries (AEB) après le constat de sa dépendance aux chaînes de valeur asiatiques dans ce domaine (matériaux, cellules). L’objectif recherché était de développer une production de batteries sur le territoire européen (construction de gigafactories) et de bâtir des normes environnementales pour construire progressivement un leadership.
En 2020, dans le cadre de la publication de sa liste, l’Union européenne a annoncé un plan d’une dizaine d’actions intégrant notamment la création d’une Alliance européenne pour les matières premières (ERMA). Cette dernière devait proposer une stratégie de diversification de la chaîne de valeur des terres rares et des aimants permanents, avant d’être étendue à d’autres matières premières.
b. Un cadre français qui présente des spécificités et une volonté d’accélération
Les règles relatives à l’exploration et l’exploitation des ressources minières en France, y compris celles relatives aux métaux critiques, relèvent des codes minier et de l’environnement. De façon générale, les exploitations doivent respecter des critères environnementaux stricts et s’assurer de la restauration des sites une fois l’exploitation terminée.
M. Alexandre Saubot, président de France industrie ([22]), fait remarquer que « La France serait généralement plus volontariste sur les sujets environnementaux avec une approche plus restrictive que le niveau européen, ce qui peut poser des problèmes de surcoût par rapport aux acteurs européens ou extra-européens ».
Dans ce sens, le projet de loi ([23]) de simplification ([24]) en cours d’examen devant le Parlement ambitionne de réviser le code minier pour raccourcir la durée des procédures minières. Il s’agit notamment de :
– la parallélisation des étapes d’instruction d’un permis exclusif de recherches (géothermie, substances minières, stockage de CO2) qui permettra de diviser par deux les délais d’instruction et de gagner plus de 6 mois en moyenne par projet ;
– la prorogation exceptionnelle de trois ans des permis exclusifs de recherches (pour les substances minières).
Recommandation n°9 :
Les parlementaires doivent veiller à ce que le projet de loi de simplification de la vie économique intègre des exigences de contrôle démocratique de ces procédures accélérées d’octroi de permis exclusif de recherche.
Au regard de la dimension géopolitique que recouvrent désormais la problématique de l’accès aux métaux critiques et la puissance de nos concurrents, l’échelle européenne paraît la mieux adaptée pour porter et défendre nos intérêts sur ce sujet. Par conséquent, une meilleure articulation entre les stratégies françaises et européennes s’impose. Plus globalement, une attention particulière devrait être portée à la cohérence entre les objectifs et les directives européens d’une part et les objectifs et le fonctionnement de « France 2030 » d’autre part.
II. Les rÉsultats incertains de la politique française et europÉenne de sÉcurisation des approvisionnements en métaux CRITIQUES QUI appellent un changement de paradigme
Pour mémoire, « France 2030 » est dotée de dix objectifs stratégiques et de sept leviers. La problématique des métaux critiques est couverte par le levier 1 « sécuriser l’accès aux matières premières », mais ce levier couvre bien plus de sujets que le seul aspect des métaux critiques. Le PAP 2025 de la mission « Investir pour la France de 2030 » indique que le levier 1 a fait l’objet d’un engagement formel à hauteur de 1,97 M€ au 30 juin 2024.
A. Des mesures encore insuffisantes pour sÉcuriser les approvisionnements
1. Des financements importants en France et en Europe pour sécuriser l’accès aux métaux critiques mais encore insuffisants au regard des enjeux
a. Les aides publiques facilitées par les PIIEC
Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), mobilisés par l’Union européenne à compter de la fin de l’année 2018, permettent aux États membres de concilier le besoin de financement des choix stratégiques en faveur de secteurs, d’entreprises ou de technologies et la préservation de la concurrence sur le marché unique. Les PIIEC se sont traduits par la définition d’objectifs technologiques et industriels communs à l’échelle de l’Union européenne en vue de soutenir des projets portés par des entreprises sélectionnées par les États membres.
Selon les données publiées par la direction générale des entreprises (DGE) ([25]), la France est engagée, à ce jour, dans 7 PIIEC dont celui sur les batteries qui couvre l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries ([26]). Les projets d’extraction des matières premières sont ainsi éligibles. Le PIIEC Batterie qui a facilité les projets de 7 gigafactories en France a bénéficié de 3,2 Md€ de financement public de l’Union, de 1 Md€ de financement public français à travers les fonds de « France 2030 », auxquels se sont ajoutés 5 Md€ de financements privés.
b. La mise en œuvre du levier 1 de « France 2030 »
La mise en œuvre de volet métaux critiques du levier 1 de « France 2030 » s’est traduite par le lancement de l’AAP métaux critiques et la mise en place d’un fonds dédié au financement des projets relatifs aux métaux critiques.
Les appels à projets métaux critiques
L’appel à projets « Métaux Critiques », lancé en janvier 2022, a pour objectif de réduire la dépendance aux métaux critiques de l’industrie pour les politiques prioritaires de la France dans les champs industriels, environnementaux et climatiques.
Sa mise en place est justifiée par le contexte de la prise de conscience de la nécessité, au niveau français et européen, de sécuriser la disponibilité d’un certain nombre de métaux, considérés comme « critiques » (au sens technologique et géopolitique) pour plusieurs filières industrielles d’intérêt stratégique, comme l’énergie, les transports et la mobilité, la santé, l’aéronautique, le spatial, l’électronique et la défense.
À la suite du Rapport Varin, qui a mis en évidence le besoin de financement pour réduire la dépendance nationale par rapport à un certain nombre de métaux critiques, cet AAP a été lancé dans l’objectif sélectionner des projets ayant dépassé le stade de la R&D amont, et visant la phase de mise en production préindustrielle ou industrielle pour le déploiement de moyens capacitaires de production, avec des volumes suffisants de métaux. Les projets attendus pouvaient donc se positionner sur l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle. Le tableau ci-dessous présente l’état d’avancement des cinq premiers lauréats de l’AAP métaux critiques.
AVANCEMENT DES cinq 1ers LAURÉATS de l’AAP MÉTAUX CRITIQUES
Projet |
Porteur |
Montant aide (en euros) |
Objet |
Avancement (et Étape clé (EC) : jalon contractuel) |
MÉTACYCLE |
ELECTRO REFINING |
4 806 650 |
Extension des capacités de traitement existantes du groupe WEEECycling (d’un facteur 10) avec combinaison optimale des étapes de traitement des D3E (déchets électroniques) et de l’extraction des métaux, afin de pouvoir séparer la partie contenant les métaux stratégiques avec une perte inférieure à 1 %, recyclage et affinage souple pour traiter une variété importante de produits. |
Avance initiale versée. Cette première période a permis de réaliser les phases d’ingénierie. Le business plan a été revu pour passer d’un investissement initial de 15 M€ à un investissement de 85 M€ autour de deux projets METACYCLE et METACYCLE 2, soutenus par FR2030. |
CoRaLi |
VIRIDIAN LITHIUM |
12 375 604 |
Réalisation des études préliminaires et implantation d’une première usine en France de raffinage et conversion de sels de lithium (pour la production de Li2CO3 et surtout de LiOH, utilisés pour les batteries). |
Avance initiale versée. L’étude d’ingénierie en vue de la construction de l’usine a été réalisée. EC1 validée. Versement EC1 le 12 avril 2024. Plusieurs conditions particulières ont été décalées à l’EC2 car bloquantes pour l’EC1 (dont condition fonds propres supérieure ou égale à 10 M€). La société rencontre des difficultés pour lever des fonds.
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ReLieVe 2 |
ERAMET |
13 226 292 |
Construction d’une usine de recyclage des batteries comportant une unité amont de prétraitement (hors périmètre de financement) et une unité aval de raffinage de la blackmass en voie hydro-métallurgique pour la production de sels métalliques de qualité batteries. Cette unité sera opérationnelle en 2027 pour une capacité de 50 kT par an. Le procédé visé fera l’objet d’un site test sur le site R&D de Trappes.
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Avance initiale et EC1 versées. Avancement conforme au planning. Démo plant déployée et en exploitation. Retards à prévoir sur la phase permitting pour la construction de l’usine. Nombreuses marques d’intérêt récoltées auprès de OEM exploitants de PCAM CAM. MoU avec Suez et MoU en cours avec industriel batteries. |
EMILI 2 |
IMERYS CERAMICS FRANCE |
22 487 512 |
Développement d’un procédé de concentration et de raffinage de lithium à partir d’un gisement français à destination de l’industrie de la batterie. Valorisation des co-produits générés par l’exploitation du site dit de Beauvoir.
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L’avance initiale a été versée. Demande de report de l’EC1 et de rééchelonnement des étapes pour pouvoir bénéficier de l’aide prévue. |
Sanou Koura |
SANOU KOURA |
11 481 300
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Le projet initial visait l’industrialisation d’un procédé métallurgique dédié à l’extraction et la valorisation des métaux contenus dans les déchets électroniques (DEEE) (Cu, Au, Pd, Ag, Sn, PGM), accompagnés de la poursuite d’activités de R&D permettant d’élargir le procédé à la récupération d’autres métaux (Co, Ni, Ta, Li).
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2022 : Décision 1er ministre pour financement 2023 : Toutefois, le décès d’un fondateur a remanié le plan du projet, qui s’est rapproché d’un industriel MOB E SCRAP pour consolider l’industrialisation et la capitalisation 2024 : Auditions complémentaires : la reconfiguration du projet est en cours pour un redépôt.
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Source : Secrétariat général pour l’investissement (SGPI)
Plus globalement, des initiatives de la stratégie métaux critiques ont permis l’émergence de projets structurants sur l’ensemble de la chaîne de valeur (extraction, transformation/raffinage, recyclage), dans plusieurs filières clés :
– Pour la filière batterie : projets d’extraction de lithium dans l’Allier (Imerys) et en Alsace (lithium géothermal), de raffinage de lithium et de nickel/cobalt, de fabrication d’anodes de graphite, de fabrication de PCAM et CAM, et de recyclage (plusieurs projets au stade du pilote industriel) ; les projets soutenus permettent de couvrir au moins 30 % des besoins en lithium (extraction et raffinage) et 50 % des besoins en graphite artificiel des trois usines des batteries françaises. Au total, huit projets sont déjà sécurisés et sont accompagnés de façon prioritaire par la DGE et représentent 3,1 Md€ d’investissements et la création de plus deux mille emplois.
– Pour la filière aimants permanents (application éoliennes et automobiles) : des projets de séparation de terres rares (Solvay et Carester) et de recyclage des aimants permanents (Carester, MagREEsource) ; ils permettraient de couvrir 25 % du besoin mondial actuel pour certaines terres rares (dysprosium et terbium) pour les aimants permanents.
Sur plusieurs chaînes de valeurs, des maillons essentiels sont toutefois manquants et doivent être développés en lien avec les acteurs en aval : capacité de fusion/recyclage du titane pour la filière aéronautique, phase de métallisation et fabrication d’aimants pour la filière terres rares/aimants permanents, fabrication du polysilicium, ainsi que de lingots et wafers pour la filière photovoltaïque, etc…
Cette dynamique nécessite, afin d’être amplifiée et consolidée, un engagement des filières utilisatrices en aval pour contractualiser sur le long terme avec les acteurs industriels qui développent des projets de capacités nouvelles, selon des conditions économiques viables.
Plus globalement, si la stratégie « minerais et métaux stratégiques » mise en œuvre en France et en Europe a permis des avancées, cet effort doit être poursuivi et accentué eu égard à l’ampleur de la dépendance à combler.
Le fonds métaux critiques – InfraVia
En parallèle de l’AAP métaux critiques évoqués ci-dessus, un autre dispositif de financement de « France 2030 » complète les outils dévoilés par le gouvernement à la suite du rapport Varin. Il s’agit d’un fonds d’investissement dédié aux métaux critiques pour contribuer à l’objectif global de sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie dans ces composés.
Abondé par l’État à travers les crédits de « France 2030 » à hauteur de 500 M€, gérés par la CDC, ce fonds d’investissement, en co-investissement avec des acteurs industriels et des investisseurs financiers, vise un montant total de 2 Md€ à terme. C’est la société de gestion du fonds d’investissement d’InfraVia qui est chargée de sa gestion ; elle aura donc la responsabilité de choisir les projets et entreprises sous-jacentes.
La société de gestion disposera d’une capacité et d’une gouvernance adaptées, afin d’assurer le lien entre les administrations concernées et les industriels des filières dont les approvisionnements doivent être sécurisés. Sa capacité à élaborer avec les industriels français des partenariats pour conclure des contrats d’enlèvement (« offtake ») afin de sécuriser leurs approvisionnements en minerais et métaux stratégiques est un critère clé de sélection. Il a vocation à investir dans des projets portant sur la chaîne de valeur des minerais et métaux critiques (extraction, transformation, recyclage), en France, en Europe et à l’international.
En plus de ces deux dispositifs évoqués plus haut dans le cadre de « France 2030 », la France a mis en place d’autres mesures de soutien financier et d’appui à la réalisation afin de soutenir la création de capacités industrielles (extraction, transformation, recyclage) :
– le crédit d’impôt investissement Industrie Verte (C3IV), qui inclut les projets relatifs aux matériaux (sur l’ensemble de la chaîne) pour les filières batteries électriques et les EnR ;
– la garantie des projets stratégiques (GPS), qui permet de garantir des projets à l’étranger ou en France, sous condition de matérialisation d’intérêts français du côté des clients via la signature de contrats d’approvisionnement long terme ;
– la reprise du financement des activités minières par l’AFD/Proparco validée récemment au Conseil d’administration de l’AFD.
L’existence de dispositifs de diverses natures relevant d’une part du plan « France 2030 » et d’autre part de dispositifs portés par d’autres acteurs justifie en partie l’existence de la Diamms et son rôle de pilotage et d’harmonisation de ces différents financements. Cette position lui confère une vision globale sur les différentes chaînes de valeur des métaux critiques. Il lui revient de consolider et amplifier ce rôle ainsi que d’œuvrer à obtenir des arbitrages pour combler les insuffisances ou les dépendances sur lesquelles il convient d’accentuer les efforts.
c. Les difficultés capacitaires des entreprises du secteur
Le développement des mines et des activités métallurgiques de première transformation est très capitalistique. Pour certains métaux critiques, un seul projet peut représenter plus de deux milliards d’euros. À titre d’exemple, la phase 1 du projet d’Eramet d’extraction de lithium en Argentine, à Centenario, représente un investissement d’environ 800 millions de dollars.
Toutefois, les auditions ont montré un véritable contraste selon le niveau d’avancement du projet. Si tous les acteurs ont unanimement salué les efforts financiers importants consacrés à la partie innovation, d’autres ont signalé le faible accompagnement sur l’industrialisation des procédés. S’agissant de ce dernier point, le groupe Eramet indique les difficultés de passage à l’échelle que rencontrent les entreprises françaises et européennes du secteur minier, compte tenu de l’importance des investissements nécessaires. En dehors de quelques cas particuliers de gigafactory, ce manque de solution de financement pour le passage à l’échelle est présenté par de nombreux acteurs auditionnés comme l’une des limites du plan « France 2030 ».
Les projets miniers d’acteurs européens à l’international sont par conséquent confrontés à cette difficulté de financement par dette ou fonds propres et peinent à trouver les volumes d’investissements appropriés.
Le rapport de M. Mario Draghi, ancien gouverneur de la BCE, souligne la nécessité de créer de nouveaux outils de financement pour le secteur. Les institutions financières publiques nationales et européennes doivent être en mesure d’accorder des financements par emprunt et de prendre des participations dans les projets miniers à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe.
La politique de crédit de ces institutions, dont celle de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), doit être adaptée aux spécificités du secteur minier, notamment pour assumer le risque pays inhérent à la plupart de ces projets. Un tel soutien financier doit également être apporté à la mise à l’échelle des projets industriels qui ont été soutenus par l’Europe dans les phases initiales de développement de la R&D et de l’innovation.
Pour Cleantech for France, cette difficulté capacitaire en Europe constitue la principale raison qui expliquerait le rachat de nombreuses entreprises ou start-ups françaises par des capitaux étrangers, alors même que certaines ont pu bénéficier d’aides publiques dans les premières phases de leur développement.
2. La nécessité d’amplifier le soutien au développement du recyclage des métaux pour faire face à une demande croissante dans ce domaine
Si des projets et des initiatives de recyclage des métaux commencent à émerger, notamment dans le sillage des gigafactories de batteries, ce mouvement est encore lent et en deçà des défis à relever. Les politiques de recyclage des métaux constituent pourtant un moyen efficace de réduire leur criticité et de bénéficier d’un double dividende, c’est-à-dire réduire à la fois les importations de métaux et les externalités environnementales issues de la production et le transport de ces métaux.
L’objectif fixé par la stratégie nationale fin 2022 concernant le recyclage des matières premières stratégiques est d’atteindre 25 % de la consommation annuelle d’ici 2030.
La délégation interministérielle indique que si le recyclage est un axe important de la stratégie française tant en termes de relocalisation, de maîtrise industrielle, d’économie de la ressource et de souveraineté industrielle, il doit toutefois faire face à des enjeux importants : assurer la collecte des déchets en fin de vie, limiter les exports de déchets, avoir des procédés de recyclage efficaces et compétitifs, anticiper le décalage temporel entre le besoin et le recyclage d’un objet en fin de vie (par exemple les batteries de véhicules électriques ont une durée de vie de 12 à 15 ans, ce qui implique – hors recyclage de « chutes de production » – que la part de métaux provenant du recyclage des batteries restera très faible jusqu’en 2035). Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le recyclage ne permettra pas de couvrir 100 % des besoins – en particulier pour les métaux où la demande est en forte augmentation.
Toutefois, l’AIE estime qu’environ 30 GWh de batteries de voitures électriques usagées seront disponibles pour le recyclage d’ici la fin de la décennie.
Dans le cadre de « France 2030 », les projets de recyclage sont soutenus par différents dispositifs : l’appel à projets « métaux critiques » précité ainsi que l’appel à projets « Solutions innovantes pour l’amélioration de la recyclabilité, le recyclage et la réincorporation des matériaux (RRR) », opéré par l’Ademe.
Bien que le recyclage ne puisse pas éliminer le besoin d’investissements continus dans de nouvelles sources, selon les informations transmises par la Diamms, il est estimé qu’en 2040, les quantités recyclées de cuivre, de lithium, de nickel et de cobalt provenant des applications d’énergie propre pourraient réduire les besoins en approvisionnement primaire de 10 % à 30 %.
a. La stratégie nationale « Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux » et l’appel à projet correspondant
Dans le cadre de la stratégie d’accélération « Recyclabilité » portée par le PIA4, l’appel à projets (AAP) « Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux » (RRR) opéré par l’Ademe inclut un volet dédié aux métaux ; cet AAP a cependant vocation à financer uniquement la R&D, et a donc été complémentaire par rapport à l’AAP métaux critiques opéré par Bpifrance, essentiellement orienté vers les projets d’industrialisation.
De nombreux projets de recyclage sont en cours de développement ou d’étude : recyclage de batteries, de terres rares, de déchets DEEE, d’aluminium, ou encore de cuivre. Cela vient s’ajouter aux installations de recyclage déjà présentes sur notre territoire (écotitanium par exemple, pour le recyclage de titane pour la filière aéronautique).
Pour les métaux de base comme l’aluminium, les pratiques de recyclage sont bien établies, mais ce n’est pas encore le cas pour de nombreux minéraux de transition énergétique tels que le lithium, le nickel (provenant des batteries de véhicules électriques et de stockage) et les terres rares (provenant des turbines éoliennes et des moteurs de véhicules électriques). Aujourd’hui, les matières premières pour le recyclage des métaux de batterie sont principalement constituées de déchets électroniques et de rebuts des processus de fabrication. Cependant, cette tendance devrait changer d’ici la fin de la décennie, lorsque la première génération de véhicules électriques atteindra la fin de leur vie utile.
En synthèse, l’action de l’AAP RRR a permis de consolider un portefeuille de technologies de recyclage et leur démonstration en conditions réelles sur les champs priorisés de la stratégie recyclage, à savoir les composites, les métaux pour la transition énergétique, les textiles, les papiers/cartons, les plastiques et les technologies de tri/numérique :
|
Assiette éligible |
Montant de l’aide |
Nombre de projets |
AAP RRR |
284 267 799 |
117 227 435 |
39 |
Composites |
17 491 849 |
9 173 197 |
6 |
Métaux (aimants) |
3 326 500 |
1 669 675 |
1 |
Métaux (alu) |
4 695 372 |
1 680 325 |
2 |
Métaux (piles) |
1 566 211 |
905 903 |
1 |
MPR Plastiques |
49 091 459 |
26 220 465 |
12 |
MPR Textiles |
2 402 174 |
1 945 215 |
1 |
Papier |
36 743 771 |
14 910 754 |
4 |
Silicones |
9 149 951 |
3 496 709 |
1 |
Tri |
22 744 564 |
7 846 665 |
2 |
Métaux (batteries) |
129 223 838 |
46 068 270 |
6 |
Métaux (Mg) |
3 562 642 |
1 152 072 |
1 |
déchets (numérique) |
1 317 242 |
329 311 |
1 |
Métaux (cu) |
2 952 226 |
1 828 874 |
1 |
Source : Secrétariat général pour l’investissement (SGPI).
b. Quelques projets prometteurs de recyclage des métaux en France
Porté par les groupes Eramet et Suez, le projet ReLieVe est un projet de recyclage des batteries des véhicules électriques composé de deux usines :
– une usine dite « amont » opérée par Suez pour la collecte, le démantèlement et le broyage des batteries en vue de produire de la blackmass, une poudre noire contenant tous les éléments métalliques de valeur contenus dans les cellules de la batterie (lithium, nickel, manganèse, cobalt, graphite, cuivre…) ;
– une usine dite « aval », opérée par Eramet, de raffinage, par voie hydrométallurgique de la blackmass provenant en grande partie de l’usine amont, en vue de produire des sels métalliques de qualité batteries pouvant être réutilisés pour la fabrication de matériaux actifs de cathodes nécessaires à la fabrication de nouvelles cellules de batteries.
Cette usine doit permettre à terme le traitement de 25 000 tonnes par an de blackmass, provenant de 50 000 tonnes par an de modules de batteries lithium-ion, soit l’équivalent de 200 000 voitures électriques par an.
Conçue comme une réponse industrielle au besoin de recyclage des batteries de véhicules électriques, la mise en production de ce projet permettrait également de recycler les rebuts des usines (gigafactories) de production de nouvelles batteries. En outre, ce projet vise à produire des métaux sous une forme chimique suffisamment pure, permettant de fabriquer de nouveaux matériaux d’électrode, permettant ainsi de fermer la boucle du recyclage et de soutenir la filière batterie européenne.
La mise en service de l’usine aval d’Eramet est prévue pour l’année 2029 et nécessite un investissement de 500 millions d’euros, dont 67 millions d’euros de financement accordé par l’Innovation Fund européen (CINEA) ([27]) et 13 millions d’euros de la part de BPI France ([28]) (appel à projet métaux critiques – « France 2030 ») (60 % de subvention et 40 % d’avance remboursable).
Toutefois, le circuit de distribution des métaux recyclés est aujourd’hui un sujet de préoccupation pour ce projet. La chaîne de valeur européenne de fabricants de P-CAM et CAM (précurseurs de matériaux actifs de cathodes et matériaux actifs de cathodes), principaux clients des produits du recyclage de ReLieVe, peine à voir le jour. Les deux principaux acteurs européens de P-CAM et de CAM (Umicore et BASF) ont annoncé en juillet des changements radicaux dans leurs stratégies, qui peuvent remettre en cause la viabilité de ce projet de recyclage ReLieVe.
La contribution écrite de la Diamms précise que s’agissant du recyclage de l’aluminium, plusieurs projets permettraient d’augmenter jusqu’à 50 % les capacités françaises de recyclage, et qu’une couverture de 70 % des besoins nationaux pour l’aluminium pourrait être atteinte.
Le tableau ci-dessous présente le détail les projets lauréats de l’appel à projets RRR relatif au recyclage des métaux :
Projets laurÉats aap RRR sur les mÉtaux
Nom du projet |
Bénéficiaire |
Libellé |
Thématique du projet |
REEcycling Magnets |
MagREEsource |
Création d’une ligne pilote de recyclage des aimants permanents d’une capacité de 50 tonnes par an. |
Métaux (aimants) |
ALU HIGH |
CYCLAMEN |
Développer un procédé multi-étapes permettant d’extraire l’aluminium des résidus non-ferreux de mâchefer post-incinération afin d’obtenir un aluminium haute qualité (pureté > 99,8 %) pouvant remplacer de l’aluminium primaire dans des applications à haute-valeur ajoutée. |
Métaux (aluminium) |
CLOSE THE LOOP |
C-TEC CONSTELLIUM TECHNOLOGY CENTER |
Le projet Close the Loop vise le développement de solutions innovantes pour le recyclage en boucle fermée de l’aluminium corroyé issu des véhicules en fin de vie. En cible : incorporation de 5 000 tonnes par an |
Métaux (aluminium) |
REVISION |
CEDILOR |
Lancement d’un démonstrateur de recyclage par hydrométallurgie de 4000 à 7000 tonnes de black mass par an issues du broyage des batteries de véhicules électriques. |
Métaux (batteries) |
SCRAPCO2MET |
MECAWARE |
Le projet ScrapCO2MET vise la construction d’une unité industrielle de recyclage des rebuts (scraps) de production de Gigafactory et la réincorporation des métaux dans la chaîne de valeur. |
Métaux (batteries) |
RECORD |
EURECAT SA |
Développement d’une solution de recyclage de batterie Li-ion NMC alternative à l’hydrométallurgie classique favorisant la réutilisation de la matière et l’utilisation de liquides avec une empreinte environnementale réduite (Ardèche) |
Métaux (batteries) |
RGEN4 |
BLUE SOLUTIONS |
Concevoir, développer et construire un procédé de recyclage-récupération du lithium contenu dans les batteries tout-solide lithium-métal en fin de vie (Finistère) |
Métaux (batteries) |
CIRCULI |
ORANO BATTERIES |
Développement de procédés innovants (moins énergivores et coûteux) de prétraitement et de traitement des matériaux (notamment du lithium) des batteries LFP |
Métaux (batteries) |
LIBERTY LIGHT |
SPECIALTY OPERATIONS France |
Concevoir, fabriquer, installer une unité pilote de capacité préindustrielle, de recyclage des métaux critiques (lithium notamment) issus de la BM de batteries de VE, provenant des anciennes batteries et des rebuts des GigaFactories. |
Métaux (batteries) |
CAT-FIC |
CIMES |
Le projet vise la mise en place de boucles d’économie circulaire pour la valorisation du cuivre issu de la caténaire lors du démantèlement des sous-stations du réseau ferré national. |
Métaux (cuivre) |
ECOMAV |
VOSSLOH COGIFER SA |
Boucle d’Économie circulaire pour le recyclage des cœurs en manganèse des appareils de voie |
Métaux (manganèse) |
HOLO BAT |
FIDAY GESTION |
Le projet « Holo Bat » consiste à valoriser les métaux contenus dans les piles alcalines et salines, tels que le Mn, Zn, Fe, de manière directe. |
Métaux (piles) |
Source : Secrétariat général pour l’investissement (SGPI).
c. Le caractère résiduel et incertain du recyclage au regard des besoins
Le recyclage des métaux reste, pour le moment, à un stade balbutiant. La plupart des exemples mentionnés ci-dessus n’ont pas atteint la phase de production et leur viabilité reste à démontrer.
S’agissant des métaux batteries par exemple, la question centrale du décalage entre la production de la batterie (sachant que la durée de vie du véhicule électrique est estimée entre 12 et 15 ans) et la disponibilité de cette même batterie pour le recyclage explique que le recyclage des métaux concernés ne peut être massif à court ou moyen terme.
Par ailleurs, la disponibilité des intrants nécessaires au recyclage, notamment de la blackmass, reste un sujet de préoccupation majeure. Pour le groupe Eramet, compte tenu de l’écart de coût et de maturité entre l’Europe et l’Asie, il existerait un fort risque que la blackmass soit exportée pour être recyclée en Asie via la Corée du Sud. Cette perspective repose la question de l’éventuelle protection à envisager au bénéfice des acteurs européens le temps qu’ils atteignent ou s’approchent du niveau de maturité de leurs concurrents asiatiques.
B. Mettre LA SOBRIÉTÉ DANS LES USAGES ET LA PLANiFICATION au cœur de la stratÉgie franÇaise et europÉenne, tout en assurant la DIVERSIFICATION DES SOURCES D’APPROVISIONNEMENT
Pour Louis Gallois, au regard de la situation actuelle caractérisée par l’extrême dépendance de la France et l’Union européenne vis-à-vis de pays tiers dans leur approvisionnement en métaux critiques, il est indispensable de mener des politiques publiques d’ampleur et coordonnées à l’échelle européenne ou nationale. Ces politiques peuvent porter sur :
– la question de la reprise de l’exploration et l’exploitation des mines en Europe et en France ;
– la nécessité pour l’Europe de se doter de capacités de raffinage des minerais critiques sur son sol ;
– la sobriété dans les usages de métaux critiques ;
– le recyclage et la recherche des alternatives ;
– et le soutien aux groupes français engagés sur le terrain minier.
Cette liste rejoint, à quelques exceptions près, les recommandations du rapport Varin et recoupe en partie les actions soutenues par la délégation interministérielle.
1. L’indispensable sobriété dans les usages et le nécessaire développement de l’économie de la fonctionnalité
Les prévisions de croissance de la demande en métaux critiques atteignent des proportions qui s’avèreront difficilement soutenables pour les écosystèmes naturels et la préservation des ressources environnementales.
Face au changement climatique et au défi de la transition énergétique, votre Rapporteur estime que les choix industriels doivent s’opérer en cohérence avec les limites planétaires. Or on assiste aujourd’hui à une course effrénée à l’extraction et la consommation de métaux, qui est projetée sans s’interroger véritablement sur les impacts de ces niveaux de consommation de métaux en matière de pollution des sols, de l’eau et de l’air et les conséquences pour la biodiversité. Les stratégies déployées prennent peu en compte la raréfaction des ressources, des matières premières, du foncier disponible, sur les territoires où les projets industriels s’implantent verticalement, sans concertation avec le l’ensemble des parties prenantes; écosystème économique local, collectivités, habitants. C’est pourtant le vivant qui est en jeu, à commencer par la santé des humains et des écosystèmes, dont la vie humaine dépend.
Par ailleurs, votre rapporteur observe que la « décarbonation de l’industrie », qui ne traite qu’une partie du problème auquel nous sommes confrontés pour préserver l’environnement, apparaît aujourd’hui comme un masque qui cache le reste des efforts pourtant essentiels. Quand six limites planétaires sur neuf ont été franchies : climat, biodiversité, azote et phosphore, utilisation des sols, cycle court de l’eau potable, etc., une révision des objectifs stratégiques de « France 2030 » s’impose afin d’y adjoindre un objectif de sobriété.
L’enjeu de la sobriété dans les usages demeure un impensé des stratégies françaises et européennes visant à sécuriser l’accès de son industrie aux métaux critiques. La nécessaire modération dans nos consommations de métaux n’est pas déclinée comme un objectif à part entière de la politique mise en place à date.
Les modes de production et de consommation doivent être entièrement repensés pour donner une place centrale à cette logique des limites planétaires dans le processus de développement industriel (implantation, construction, production, flux de marchandises).
L’absence de prise en compte des politiques de sobriété dans les stratégies déployées autour de la question des métaux critiques paraît d’autant plus surprenante que le troisième volet du sixième rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en avril 2022, place pourtant ce sujet au cœur de la lutte contre le changement climatique. Ce rapport définit les politiques de sobriété comme un « ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui évitent une demande en énergie, en matières premières, en terres et en eau, tout en assurant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires ».
Cette même observation peut être adressée de façon générale au plan « France 2030 », qui ne fait apparaître les politiques de sobriété ni dans les dix objectifs stratégiques dont il s’est doté, ni même dans les sept leviers qui en sont les conditions de leur réalisation. Du point de vue de votre rapporteur, cette question fondamentale aurait dû occuper une place centrale dans la France de 2030 que les politiques publiques cherchent à dessiner.
La sobriété des modes de vie et dans la production devient fondamentale. Consommer moins mais mieux, en arbitrant entre les besoins sociaux et les limites planétaires.
L’intégration de l’approche par la sobriété dans les stratégies publiques offre la possibilité de maîtriser plus facilement la demande en métaux. Cela atténue d’autant les difficultés à atteindre les objectifs ambitieux fixés au niveau européen.
Cette approche pourrait être renforcée par un effort particulier porté sur l’écoconception, afin de faciliter les premières étapes du recyclage, notamment le démantèlement et le prétraitement mécanique et physique. Votre rapporteur appelle également à des mesures de lutte contre les pratiques d’obsolescence programmée, dans la mesure où l’allongement de la durée de vie des équipements consommateurs de métaux pourrait également contribuer à faire baisser la demande de métaux critiques.
2. La nécessaire planification des actions de l’État dans le cadre d’un débat démocratique aujourd’hui absent
a. Une politique de planification industrielle, verte et décentralisée, à mettre en place
Sur la question de la réindustrialisation en général et s’agissant de l’accès aux métaux critiques en particulier, il est fondamental que les politiques publiques puissent donner de la visibilité et de la perspective sur le long terme, au moins dans un horizon temporel situé entre dix et quinze années.
Au cours de cette audition susmentionnée de la Fabrique de l’industrie, M. Louis Gallois a partagé cette position de votre rapporteur, et ajouté que la question de l’approvisionnement en métaux critiques aurait pu être abordée dans un cadre plus global. Pour lui, ce sujet mérite d’être intégré dans une réflexion d’ensemble sur les conditions de la réindustrialisation de la France. Par conséquent, il prône pour ce faire de s’inspirer du modèle de la Corée du Sud, pays aux politiques économiques libérales, mais dont l’action publique est dotée d’une dimension planificatrice.
La planification et ses institutions
Par définition, le processus de planification se focalise sur un nombre réduit de priorités. Il s’agirait plus concrètement de faire adopter cinq à six grandes lois de programmation et de veiller à leur cohérence entre elles. Sans être exhaustif, les domaines suivants pourraient faire l’objet de l’adoption des lois de programmation : la recherche, l’industrie, les compétences, l’énergie et l’aménagement du territoire.
Il est par ailleurs fondamental qu’une telle planification fasse l’objet d’un suivi qui serait confié à un véritable commissariat au plan qu’il convient de réinstaurer. À l’image d’un conseil de défense, un Conseil du plan présidé au plus haut sommet de l’État pourrait être institué avec des réunions à échéance régulière. En complément, une commission permanente du plan serait souhaitable dans chacune des deux chambres du Parlement.
En ce sens, pour mettre en cohérence les actions aujourd’hui segmentées en faveur de la réindustrialisation, il est nécessaire d’adopter de grandes orientations nationales et européennes en concertation avec les territoires. Il est dès lors nécessaire de s’accorder sur le principe d’une loi de programmation industrielle en articulation avec le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et bénéficiant du levier financier porté par « France 2030 ». Un dialogue permanent entre le niveau national et les territoires doit être instauré pour faire en sorte que la planification se nourrisse en continu des dynamiques engagées dans les territoires.
La Chine, qui dispose d’une vision à quarante ans, apparaît intéressante à cet égard et ses résultats visibles : ce pays ne produit que 3 % du cobalt mondial, mais elle est propriétaire de 25 % des mines de cobalt à travers le monde et, surtout, elle raffine et transforme 65 % de ce métal aujourd’hui. De même, la Chine ne produit que 11 % du lithium mondial, alors que 24 % des extractions minières de lithium sont propriété d’entreprises chinoises, mais surtout 60 % du lithium est transformé et raffiné en Chine. Ce résultat est le fruit d’une politique publique programmée, dont la mise en œuvre est régulièrement suivie. Cet exemple pourrait inspirer la stratégie européenne et nationale.
Dans le même sens, France Industrie mentionne l’exemple du Japon, avec son organisme le Japan Organization for Metals and Energy Security (JOGMEC). Ce pays a développé depuis de très nombreuses années une politique publique proactive en matière de diversification, de sécurisation, et le cas échéant de relocalisation de ses approvisionnements en minerais et métaux critiques.
b. Un débat démocratique aujourd’hui absent du processus de prise de décision sur l‘implantation des projets industriels en France
Votre rapporteur soutient la relocalisation de projets industriels sur notre territoire, non comme un repli sur nous-mêmes mais comme un libre-choix à opérer entre les secteurs où nous consentons à des dépendances et ceux que nous voulons maîtriser de manière autonome. Cette réindustrialisation constitue un levier pour la mise en place d’un écosystème industriel en circuit court, moins consommateur de ressources, plus adapté à la demande et maîtrisant mieux ses déchets. Mais l’implantation d’industries exogènes au territoire, imposées verticalement, ne peut être le seul modèle de réindustrialisation, il faut davantage aller vers une réindustrialisation concertée avec et pour les territoires dans une perspective d’aménagement équilibré du territoire.
L’implantation d’industries extractives de minerais ne fait pas exception. À la faveur de quelques projets d’exploration ou d’exploitation minières sur le territoire national, parfois soutenus par les crédits de « France 2030 », une contestation locale a pu apparaître contre certains de ces projets, questionnant la pertinence du choix d’ouvrir des mines sur le sol national, notamment au regard de leur impact sur l’environnement. Il en est ainsi de la réouverture d’une usine de tungstène de Salau dans l’Ariège.
Votre rapporteur regrette l’absence d’un contrôle démocratique de certains choix industriels stratégiques intervenus dans le cadre de « France 2030 » et l’absence d’un débat démocratique autour des projets miniers. Il considère que des projets pouvant avoir un fort impact sur les conditions de vie des habitants des territoires dans lesquels ils sont envisagés doivent se décider dans le cadre d’un débat démocratique éclairé, impliquant les citoyens de ces territoires et leurs élus locaux. Les autorités publiques nationales devraient faciliter l’organisation d’un tel échange et expliciter plus clairement les termes du débat.
De façon plus générale, votre rapporteur considère que l’installation d’une unité industrielle doit nécessairement avoir lieu dans le cadre d’une mobilisation collective autour du projet impliquant : les représentants des collectivités territoriales qui, en général disposent d’une bonne connaissance des besoins de leurs territoires et des citoyens ; le tissu économique et industriel local (PME, TPE, artisans industriels), dans une logique de valorisation des savoir-faire et de créations d’emplois qualifiés localement ; les riverains fortement affectés par les usines et leurs impacts sur l’eau, le foncier et la biosphère, qui sont des biens communs et ont des cycles fragiles de reproduction.
Recommandation n° 10
Mettre en place des laboratoires territoriaux de la réindustrialisation, sur le modèle de ce qui existe sur le territoire de Fos-Marseille, visant à associer régionalement l’État, les collectivités territoriales, les acteurs industriels et économiques, les associations et le grand public, afin de renforcer le débat démocratique autour des choix stratégiques industriels.
Il conviendra de faire lien avec le rapport attendu sur la gouvernance industrielle, et d’adapter les organisations territorialisées pour accompagner cette réindustrialisation équilibrée.
En tout état de cause, compte tenu de la forte demande de métaux critiques nécessaire à la transition bas carbone, il est fondamental que le débat démocratique puisse permettre de comprendre les options qui s’offrent à nous : il s’agit de choisir entre l’exploitation de mines de production de métaux critiques sur le territoire national ou européen, d’une part, et l’acceptation d’une dépendance à l’achat de ces métaux à des pays tiers, d’autre part. Derrière ce choix se cache en réalité une question de souveraineté qu’il va falloir trancher.
Rappelons par ailleurs que des mines installées sur le sol européen sont soumises à des règles nettement plus respectueuses de l’environnement que des mines installées dans nombre de pays extra-européens, probablement plus destructrices de l’environnement.
3. La diversification des sources d’approvisionnement : entre diplomatie des métaux et la protection du sous-sol français et européen
a. La faiblesse de l’exploration du sous-sol européen et l’enjeu de l’acceptabilité sociale d’unités industrielles sur le sol français ou européen
En cohérence avec l’annonce de septembre 2023 du Président de la République de la réalisation d’un nouveau grand inventaire minier, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a entrepris d’actualiser l’inventaire national des ressources minérales du sous-sol français afin d’initier un renouveau minier sur le territoire français susceptible de répondre en partie aux enjeux de souveraineté nationale et communautaire relatifs à l’approvisionnement en ressources minérales critiques.
Le sous-sol français métropolitain et ultra-marin montre un potentiel avéré pour plusieurs substances minières et de carrières. Les substances minières au plus fort potentiel sont : le tungstène, l’or, l’antimoine, la fluorine, le plomb-zinc-germanium, le niobium-tantale-étain, le molybdène, la barytine, et surtout le lithium.
Plusieurs permis exclusifs de recherche (PER) ont été délivrés ces dernières années, avec un potentiel avéré, et plusieurs projets envisagent une exploitation d’ici la fin de la décennie : projet d’extraction de lithium en roche dure par Imerys dans l’Allier, projets d’extraction de lithium géothermal en Alsace par Électricité de Strasbourg, Eramet, Lithium de France et Vulcan Energy, ou encore extraction de nickel-cobalt en Nouvelle-Calédonie.
La démarche de réduction de la dépendance française et européenne à l’égard de pays tiers pose la question de l’exploitation des mines directement sur le sol européen, par la réouverture d’anciennes mines ou par celle de nouvelles mines, accompagnées de la perspective de l’introduction de nouveaux procédés d’extraction.
S’agissant de la France, quelques exemples de projets en cours peuvent être mentionnés :
Le projet d’extraction et de production de lithium à partir d’eau géothermale dans le Bas-Rhin. Dénommé European Geothermal Lithium Brine (EuGeLi), qui vise à développer une production de lithium pour batteries extrait de saumures géothermales. Une phase exploratoire de ce projet s’est déroulée de janvier 2019 à décembre 2021 et a produit des résultats encourageants, dans la mesure où le lithium a pu être extrait. L’une des principales interrogations reste désormais la possibilité d’optimiser le modèle économique de ce procédé, afin de produire à l’échelle industrielle dans le respect des normes environnementales.
Le projet Emili (Exploitation de MIca Lithinifère) porté par la société Imerys, annoncé en octobre 2022 et lauréat de la première phase de l’appel à projets « métaux critiques de « France 2030 » ». Il s’agit de l’exploitation d’un gisement de lithium sur un ancien site de production de Kaolin (site de Beauvoir) dans l’Allier. Il est prévu que l’exploitation soit réalisée par la société française Imerys et que la production débute en 2027-2028. L’objectif affiché est de produire un volume de lithium permettant d’équiper 700 000 véhicules électriques par an, tout en minimisant les impacts environnementaux.
Si l’on prend l’exemple de deux métaux essentiels pour la transition énergétique, le lithium et le cuivre :
– La France aura besoin de 10 à 15 kT ([29]) par an de lithium métal primaire (hors recyclage) pour la mobilité électrique à horizon 2035. Cette ressource est présente dans le sous-sol français. Les projets d’extraction actuellement en cours de développement pourraient satisfaire jusqu’à deux tiers de ces besoins avec 5 kT de lithium métal pour le projet d’Imerys dans l’Allier et potentiellement jusqu’à 5 kT pour les projets alsaciens de lithium géothermal.
– Concernant le cuivre, la France n’est plus présente sur l’amont de la chaîne de valeur depuis plus de deux décennies, alors que ses réserves sont estimées à 850 kT (pour une consommation annuelle tous usages confondus de 170 kT). À l’horizon 2040, les besoins sont estimés à 35 kT de cuivre par an pour atteindre les objectifs français de déploiement d’éoliennes et de panneau solaires. RTE aura besoin de 7 kT de cuivre par an, notamment pour le raccordement des éoliennes offshores et le renforcement des interconnexions avec le reste du réseau.
L’exploitation de ces ressources dans des pays tiers soulève un enjeu d’autonomie stratégique et peut même poser un problème de soutenabilité, quand les méthodes d’extraction employées sont peu respectueuses de l’environnement. L’exploitation en France de ces ressources, quand elles existent et quand des normes plus ambitieuses de “mine responsable” peuvent être mobilisées, pourrait constituer une option à privilégier, à condition qu’elle soit précédée par un débat démocratique et éclairé et que les impacts sur l’environnement soient réduits autant que possible.
Cette question du caractère responsable des exploitations, tout comme les coûts environnementaux associés, conditionnent leur acceptabilité sociale. Les techniques d’extraction sont souvent très énergivores et nécessitent de grandes quantités d’eau et de produits chimiques. Dans ce cadre, l’implantation « mine responsable », qui est un label international défini par des industriels et des ONG, devrait être réfléchie collectivement en Europe pour prendre l’avantage dans la transition énergétique.
b. Une diplomatie des métaux et la nécessité de nouer des partenariats durables avec des pays producteurs de minerais ou de métaux
C’est la Diamms qui est chargée de coordonner la diplomatie des métaux en France en vue de permettre l’amélioration des relations et perspectives d’approvisionnement avec des pays partenaires.
À l’horizon de l’année 2030, le règlement européen CRM Act fixe l’objectif de contenir la dépendance de l’approvisionnement de l’Union européenne en matériaux stratégiques vis-à-vis de pays tiers. L’Union ne devrait plus dépendre à plus de 65 % d’un unique pays tiers, et ce pour toute étape de la chaîne de valeur du matériau. Le défi à relever est immense, dans la mesure où, à ce jour, plus de la moitié de l’approvisionnement en métaux stratégiques dépend à plus de 65 % d’un pays extérieur à l’Union européenne.
Toutefois, cet objectif apparaît extrêmement complexe à atteindre pour des matériaux dont la production reste très concentrée – comme le platine, produit à 74 % par l’Afrique du Sud, ou le cobalt, produit à 71 % par la République démocratique du Congo. C’est en ce sens que la diplomatie des ressources devient une nécessité pour assurer l’autonomie stratégique française ou européenne.
La diplomatie européenne sur les métaux critiques se décline essentiellement à travers l’initiative Global Gateway et la signature d’accords stratégiques de partenariats sur les métaux critiques. Les acteurs auditionnés estiment que cette initiative est peu efficace du fait de l’absence en son sein d’un volet financier important. Dans ces conditions, les rares accords signés entre l’Union et des pays partenaires s’assimileraient davantage à des déclarations d’intentions (MoU), alors que l’IRA américain, en plus d’inciter les entreprises à la conclusion d’accords d’approvisionnements en métaux critiques, comporte un volet financier important.
M. Louis Gallois souligne le caractère essentiel d’une coopération européenne pour trouver des solutions et regrette que l’Europe ne se soit pas davantage saisie de ce sujet comme elle l’aurait dû, en dotant notamment le CRM Act d’un volet financier beaucoup plus conséquent.
Dans ces conditions et dans l’attente d’une réaction coordonnée à l’échelle européenne, le besoin d’un fort soutien de la France de ses groupes qui exploitent des mines à l’étranger, comme Eramet et Orano devient crucial pour favoriser cette diversification de nos approvisionnements.
À titre de comparaison, sur des marchés très volatils comme celui du nickel, la Chine investit actuellement massivement dans de nouveaux projets « greenfield ». Entre 2005 et 2023, dans le cadre de son initiative des routes de la soie (Belt & Road Initiative), les investissements directs étrangers (IDE) chinois sur la filière mine et métaux ont atteint 228 milliards de dollars, dont 19,4 milliards pour la seule année 2023 ([30]).
4. La perspective des stocks stratégiques pour assurer la résilience de la chaîne de valeur
Les métaux critiques deviennent de plus en plus des instruments géopolitiques qui peuvent affecter la continuité des chaînes de valeurs mondiales. La constitution de stocks stratégiques apparaît, à cet égard, comme une possibilité pour certains États, qui leur permettrait de renforcer la résilience de leurs économies face aux chocs extérieurs.
Pour l’heure, ni la stratégie nationale déployée en France ([31]) à la suite du rapport précité de M. Philippe Varin, ni le règlement européen (CRM Act) récemment adopté ne prévoient d’obligations de constitution ou de mutualisation de stocks stratégiques dans le domaine civil. Tout au plus, le CRMA prévoit une remontée d’informations des États membres à la Commission européenne, ainsi que la formulation de préconisations – non contraignantes – par la Commission à l’attention de ses États membres.
Dans la situation actuelle, chaque industriel est donc responsable de la constitution de stocks adaptés à son activité commerciale.
Toutefois, pour les besoins spécifiques du secteur de la défense, l’article 49 de la loi de programmation militaire a introduit une obligation de « constitution d’un stock minimal de matières, de composants, de rechanges ou de produits semi-finis stratégiques dont elle est tenue d’assurer le réapprovisionnement continu au fur et à mesure de leur utilisation pour les besoins de ses activités », et donc de certains métaux et minerais stratégiques, pour les entreprises ayant conclu des contrats avec le ministère des armées. Les modalités opérationnelles de ce dispositif sont en cours d’élaboration par la direction générale de l’armement (DGA).
Pour les autres usages de l’industrie, hors industries de défense, des réflexions sont en cours sous l’égide de la Diamms avec l’appui de la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), de la direction générale des entreprises (DGE) et de l’Ofremi, ainsi qu’en concertation avec les acteurs industriels.
Outre la mise en place d’un stock étatique, l’option de création d’une obligation légale pour les industriels (dans certains secteurs d’activité et certains métaux à déterminer) est envisagée. Ce système serait comparable à celui évoqué ci-dessus pour les industries de défense et au dispositif existant depuis de nombreuses années pour le pétrole et les carburants.
Plusieurs questions sont en cours d’instruction : le type et les quantités de métaux à stocker, la forme sous laquelle ce stockage doit être réalisé, le positionnement dans la chaîne de valeur des industriels qui seraient soumis à cette obligation de stockage, ainsi que les types de soutiens financiers à mettre en place pour ne pas grever la compétitivité de nos entreprises.
5. Une R&D de pointe à l’épreuve des enjeux de substitution aux métaux critiques
D’après la contribution écrite produite par la Diamms, l’évolution des technologies est un facteur déterminant dans cette course aux métaux critiques. Elle conditionne l’apparition de besoins nouveaux (par exemple le lithium pour les batteries), mais permet aussi de substituer un élément à un autre en fonction des contraintes de disponibilité. Elle permet également d’améliorer les procédés d’extraction et de séparation. Par exemple, l’essor récent de la commercialisation en masse de nouvelles technologies de batteries pour véhicules électriques, telles que les LFP (lithium-fer-phosphate) et LFMP (lithium-fer-manganèse-phosphate), n’utilisant plus de nickel ni de cobalt, mais du fer et du phosphate, pourrait avoir à terme des impacts importants en termes d’approvisionnement des métaux concernés et des outils industriels nécessaires à ces évolutions.
a. Les PEPR, principaux outils de la recherche publique
Dans le cadre de la stratégie d’accélération « Recyclabilité, Recyclage et Réincorporation des Matériaux », des efforts sont conduits à travers le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) de recyclage des batteries, porté par le CNRS et le CEA, en particulier via deux projets ciblés :
– STRATEGIC METALS, « Stratégies et procédés innovants pour le recyclage des métaux stratégiques vers une économie davantage circulaire », fera une évaluation socio-économique et environnementale du recyclage des métaux stratégiques. Il développera une méthode automatisée de tri en ligne par fluorescence X, étudiera les opérations unitaires de dissolution et de récupération des métaux stratégiques, en fera la modélisation des procédés et développera des outils d’optimisation des procédés ;
– BATTERIES (LULABAT), « Procédé de recyclage innovant, durable, économique et flexible des batteries lithium-ion usagées », étudiera la chaîne de valeur et le marché du graphite pour batteries, ainsi que le rôle futur du graphite recyclé. Il examinera le traitement des cathodes, ainsi que les processus de recyclage des matériaux usés des batteries, et développera un système de décisions multicritères pour évaluer la durabilité des matières premières des batteries. Il analysera les processus de précipitation oxydative appliqué à la récupération des métaux d’intérêt des batteries au lithium-ion et les processus de rupture pour le recyclage des matériaux cathodiques.
Tout aussi piloté par le CEA et le CNRS pour le compte de l’État, le PEPR « Soutenir l’innovation pour développer les futures générations de batteries » a été lancé le 10 janvier 2023. Il vise à accompagner la filière avec des activités transférables à court-moyen terme aux acteurs économiques et à préparer le long terme. Financé dans le cadre de « France 2030 », ce PEPR s’inscrit dans la stratégie nationale d’accélération sur les batteries, qui a pour objectif d’aider au développement de l’offre et de la demande des batteries, notamment dans le but d’accélérer la transition énergétique dans le domaine des transports.
Ce PEPR, orienté en priorité sur les innovations pour développer les batteries du futur, s’il produit des résultats concrets, permettra de faire baisser la tension sur la demande de métaux critiques telle qu’elle est anticipée aujourd’hui.
b. Une R&D des acteurs privés à accompagner et amplifier
Quelques projets d’acteurs privés industriels émergent notamment dans le domaine du recyclage. Le projet ReLieVe susmentionné d’Eramet a démarré en 2012 à l’échelle laboratoire et a bénéficié, en 2020, d’un soutien public de l’Union européenne (l’EIT Raw Materials) à hauteur de trois millions d’euros, pour développer le procédé à l’échelle pilote. Deux années de recherche ont permis de démontrer la faisabilité technique et économique d’un projet de recyclage en boucle fermée ; le projet ReLieVe est entré en phase de pré-industrialisation en 2022
Le Centre d’Innovation Eramet IDEAS (EID) a inauguré à l’automne 2023 un démonstrateur préindustriel, dont l’objectif est d’optimiser l’efficacité du procédé de recyclage, de prendre en compte les exigences des futurs clients, et de commencer à former les futurs opérateurs de l’usine.
c. Une absence d’alternative à court terme pour les métaux
Il y a encore de nombreuses recherches à conduire dans le développement de procédés de recyclage, d’extraction plus vertueuse, ainsi que dans le développement de matériaux comportant moins ou pas de métaux critiques, mais permettant des performances similaires. Pourtant, en ce qui concerne les possibilités de substitution aux terres rares, il n’existerait pas encore d’alternatives offrant des performances équivalentes.
Certains efforts visent par exemple à remplacer les métaux critiques par des matériaux plus abondants ou plus faciles à obtenir. Toutefois, cela reste souvent limité à certains usages spécifiques, avec un impact variable sur la performance des technologies.
Fer et magnésium pour les aimants : dans certaines applications, comme les moteurs électriques ou les éoliennes, des recherches sont en cours pour remplacer les terres rares (néodyme, dysprosium) par des aimants utilisant des matériaux plus communs, tels que le fer ou le magnésium, bien que ces substituts ne soient pas toujours aussi efficaces.
Phosphate de fer-lithium (LFP) : dans les batteries, le lithium-ion classique peut être remplacé par des alternatives moins dépendantes de métaux critiques comme le cobalt. Les batteries LFP utilisent du fer, plus abondant, mais présentent une densité énergétique moindre.
Incontestablement, la réduction de la dépendance européenne aux métaux critiques passe par l’utilisation de composants plus disponibles et plus faciles à extraire. Interrogés à ce sujet en audition au titre des travaux menés sur le PLF pour 2023, les représentants du Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten), laboratoire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) spécialisé dans la transition énergétique, ont indiqué que remplacer, dans la fabrication de batteries de véhicules électriques, le lithium par du sodium, métal alcalin environ mille fois plus abondant et nettement moins coûteux, permettrait de disposer de batteries à forte cyclabilité mais à plus faible densité énergétique. Cette solution aurait été développée par des chercheurs de l’université de sciences de Tokyo et aurait abouti à une capacité équivalente à celle d’une batterie au lithium. Toutefois, le prototype au sodium présente encore quelques défauts.
Au cours de sa réunion du jeudi 24 octobre 2024, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Charles Fournier, les crédits du programme « Investir pour la France de 2030 » de la mission « Investir pour la France de 2030 ».
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous reprenons cet après-midi l’examen de nos avis sur la seconde partie du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, en nous penchant cette fois sur l’avis consacré à la mission « Investir pour la France de 2030 ». Pour cet avis, notre commission a désigné comme rapporteur pour avis M. Charles Fournier. Je précise que les crédits de cette mission devraient être examinés en séance publique le mardi 5 novembre.
La perspective d’engager des programmes d’investissements d’avenir (PIA) sur dix ans, associés à une amplification des efforts de recherche et développement, avait tout pour séduire. Rappelons que ce plan est composé de quatre campagnes : deux sont achevées, l’une arrive à son terme l’an prochain et le PIA 4 est en cours. Peut-être, monsieur le rapporteur pour avis, pourrez-vous éclairer notre commission sur la suite qui sera donnée à France 2030 ?
M. Charles Fournier (EcoS), rapporteur pour avis. Madame la présidente, je l’ignore ; je sais seulement que beaucoup espèrent un France 2040.
France 2030, qui a pris, en 2021, le relais des programmes d’investissements d’avenir – PIA 1, 2, 3 et 4 – dispose d’une enveloppe de 54 milliards d’euros. La baisse des crédits de paiement que l’on observe cette année n’est pas l’effet d’une baisse des ambitions, mais de l’état des projets en cours. Je n’ai pas réussi, malheureusement, à savoir plus précisément pourquoi ces baisses sont plus importantes sur les dotations en fonds propres que sur les apports en subventions.
Je commencerai par vous faire part de quatre observations sur le programme, avant d’en venir aux conclusions d’une réflexion thématique sur les matériaux critiques.
Première observation : les personnes que j’ai rencontrées ne s’expliquent pas vraiment le choix et la pertinence des dix objectifs et des sept leviers qui structurent le plan, étant donné qu’ils ont plus à voir avec une espèce d’empilement de projets – avions verts, petits réacteurs nucléaires, alimentation – qui peinent à peindre la France de 2030. Il n’y a pas eu non plus d’étude d’impact qui aurait permis de qualifier ces dix objectifs – ces dix sujets plutôt – et leurs sept leviers. L’évaluation de l’efficacité du programme n’en est rendue que plus complexe. Il manque une vision stratégique. Le comité de surveillance des investissements d’avenir travaille sur une nouvelle manière de l’évaluer, afin de mieux rendre compte de ce qu’il permet de dessiner pour l’avenir.
Par ailleurs, comment intégrer les sujets émergents au programme ? Je m’étonne, par exemple, qu’il n’y ait pas d’objectif formel de sobriété – laquelle invite à des ruptures technologiques –, au low tech, à repenser l’organisation de notre société et à de nombreuses recherches. On me dit qu’elle est intégrée aux critères d’évaluation de certains projets, mais cela manque de transparence. Comment s’assurer que ces projets ne seront pas à l’origine de la consommation de nouvelles matières premières ou ne généreront pas de nouveaux déchets ? Un autre exemple : les polluants éternels. Par quoi va-t-on les remplacer ? Comment dépolluer ? Encore une fois – et même s’il ne faut pas s’éparpiller –, de quelle manière le plan France 2030 peut-il prendre en compte ce type de questions ?
Deuxième observation : il faut renforcer la transparence dans le processus d’octroi des financements – quatre opérateurs, quatre modalités et des conditionnalités variables. On m’a fait savoir qu’il existait un groupe de travail qui réfléchirait à l’harmonisation des critères d’appréciation et des conditionnalités. C’est à se demander si ce n’est pas une manière de renvoyer le sujet à plus tard… Je prends l’exemple d’un projet qui mobilise 2,9 milliards d’euros d’argent public : la production de semi-conducteurs dans l’Isère. Alors qu’il va consommer beaucoup d’eau et de métaux rares, aucune condition n’a été fixée officiellement à l’usage de l’argent public.
Troisième observation : je regrette également que France 2030 échappe au Parlement, aussi bien en ce qui concerne les décisions d’investissements que la restitution des évaluations menées par le comité de surveillance, qui devrait être auditionné au moins une fois par an. La planification est aussi de notre ressort.
Quatrième observation : y a-t-il une articulation du programme à l’échelle européenne ? Existe-t-il des Belgique ou Allemagne 2030 ? La stratégie est-elle partagée ? Visiblement non. Nous devons développer une vision européenne. Il existe quarante et un projets de production de batteries électriques en Europe. Comment peuvent-ils être tous viables ? Il faut pourtant s’en assurer, dans la mesure où l’on mobilise beaucoup d’argent public. Nous avons tout intérêt à coopérer.
J’en viens à la partie thématique de mon rapport sur les métaux critiques.
Travailler sur le sujet m’a ouvert un champ très large d’interrogations, auxquelles je n’ai pas toutes les réponses. Une mission d’information de notre commission serait bienvenue ; la commission des affaires étrangères en conduit une, mais sur la dimension géopolitique des ressources critiques. Devons-nous ouvrir des mines de lithium pour préparer les batteries de demain ou non ? De telles questions ne doivent pas se résoudre entre industriels, mais méritent un vrai débat démocratique, car elles nous concernent tous. J’ai eu bien du mal à obtenir le rapport Varin, qui m’est parvenu avec des parties floutées au nom du secret des affaires. C’est un sujet tellement important, en matière de souveraineté notamment, que le Parlement doit pouvoir s’y impliquer. La Chine ne produit pas seulement un certain nombre de ces métaux critiques, elle maîtrise surtout l’ensemble de la chaîne de valeur. Parfois, elle produit peu mais raffine beaucoup, plaçant de fait tous les autres pays sous sa dépendance.
Pouvons-nous remplacer ces métaux par d’autres ? Sommes-nous capables de les recycler ? Ce matin, le plus grand acteur minier français, Eramet, a annoncé par voie de presse qu’il abandonnait son projet de recyclage faute d’un modèle économique viable. Or, on estime qu’il y aura besoin de sept fois plus de métaux rares dans le monde – dix-neuf fois plus de nickel, vingt et une fois plus de cobalt, vingt-cinq fois plus de graphite et quarante-deux fois plus de lithium. Les réserves le permettent-elles ? Les conditions géopolitiques aussi ? Est-ce soutenable ? Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une sobriété et d’une réflexion sur nos besoins au lieu de poursuivre dans la seule logique d’une offre infinie.
Enfin, un débat s’impose sur l’ouverture d’unités d’extraction et de raffinage dans notre pays. Faut-il le faire ? À quelles conditions ? Certains souhaitent développer la voiture électrique tout en important le lithium. Il me semble au contraire que nous devons être cohérents. Ce débat démocratique doit avoir lieu au niveau national comme dans les territoires.
Le programme France 2030 a une ligne de 1 milliard consacrée à la question des métaux critiques. C’est plus que nécessaire. Des structures sont en train de s’organiser.
Alors que le programme de France 2030 pourrait être le levier financier d’une planification, aucun organisme d’État n’en est chargé, ni le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ni le haut-commissariat au plan, ni France Stratégie. Il n’est ni lisible, ni efficace. C’est pourquoi il conviendrait d’organiser structurellement notre capacité à planifier et d’élaborer des lois de programmation pour faire de ce plan une réalité.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie de remettre la planification économique au cœur de votre contribution sur les programmes d’investissements d’avenir. Je crois savoir que nous sommes un certain nombre de groupes à souhaiter que notre commission serve aussi à réfléchir sur la planification économique, voire à la construire : quelles transformations productives souhaitons-nous d’ici à cinq, dix et quinze ans ? Comment faire en sorte qu’elles aient lieu ? Quel est le rôle de l’État en la matière ?
La parole est aux orateurs des groupes. Je vous rappelle la règle : quatre minutes pour chaque groupe, ce temps incluant l’intervention du porte-parole du groupe et l’éventuelle réponse du rapporteur pour avis.
M. Alexandre Loubet (RN). L’industrie et l’innovation sont en grande difficulté en France. La crise subie par la filière automobile française illustre combien l’insuffisance d’une stratégie nationale, l’absence de patriotisme économique et l’idéologie excessive des écolos torpillent notre industrie. Il en va de même pour de nombreux secteurs comme le nucléaire, le spatial, l’aéronautique ou le pharmaceutique. Contrairement aux affirmations de la Macronie, la désindustrialisation se poursuit. Au premier semestre 2024, nous déplorons trente‑huit fermetures d’usines pour vingt-trois ouvertures. France 2030 est un plan d’investissements de 54 milliards d’euros déployés sur cinq ans, dont les objectifs visent officiellement à développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Si l’intention semble bonne, la crise que traverse notre industrie démontre qu’il ne suffit pas. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur pour avis : une véritable politique de réindustrialisation et d’innovation ne peut pas se résumer à des appels à projets et à un saupoudrage d’aides sans vision globale, ni stratégie de filières.
Une véritable politique de réindustrialisation peut encore moins se fonder sur certaines de vos recommandations, qui sont défendues par le Nouveau Front populaire (NFP). En dehors du débat très pertinent sur les métaux rares que vous souhaitez lancer, la principale de vos préconisations, qui rejoint celle du NFP, consiste à imposer la sobriété des modes de vie, de production et d’innovation comme l’un des principaux objectifs stratégiques du principal programme d’investissements. Vous voulez donc investir plus pour produire moins et moins innover : une stratégie digne du tiers-monde, qui malheureusement désarmera notre économie et freinera l’innovation. Ces recommandations, absurdes à mon sens, démontrent une fois de plus que l’arrivée au pouvoir du NFP entraînera le déclin de la France et le déclassement des Français.
Nous pensons qu’une véritable politique industrielle doit, au contraire, soutenir la croissance. Nous devons passer d’une logique de décroissance et d’importation à une logique de production et de relocalisation. Or, pour relancer la croissance, nous devons mener une stratégie nationale de long terme, filière par filière, impulsée par l’État en s’appuyant sur les acteurs privés. Nous devons favoriser les entreprises par le recours à la priorité nationale dans la commande publique, afin de mettre l’argent des Français au service de notre économie. Nous devons protéger nos activités de la concurrence déloyale par le patriotisme économique, provoquer un choc de compétitivité par le rétablissement d’un prix français de l’énergie, décréter une pause réglementaire par la fin de l’écologie punitive que votre groupe défend au Parlement européen, faciliter l’implantation des usines par l’allégement des restrictions foncières, conditionner les aides publiques au maintien de l’activité et de l’emploi en France ou développer l’innovation, la recherche et la décarbonation de l’industrie par l’investissement – France 2030 manque assurément d’ambition en matière d’investissement, d’objectifs et de stratégie. C’est pourquoi nous avons défendu ce matin la création d’un fonds souverain français dont je me félicite de l’adoption en commission avant celle dans l’hémicycle, j’espère. Il vise à mobiliser l’épargne des Français sur la base du volontariat pour investir massivement et durablement dans les secteurs stratégiques.
M. Charles Fournier (EcoS), rapporteur pour avis. Nous sommes évidemment en profond désaccord sur la question de la sobriété. Il peut y avoir une sobriété heureuse, qui n’a rien à voir avec la régression dont vous parlez. Elle fait d’ailleurs consensus dans la communauté scientifique…
Mme Marie Lebec (EPR). Je vous remercie pour votre intéressant travail, monsieur le rapporteur pour avis. Pour ma part, je tiens plutôt à défendre le dispositif France 2030. Il reflète la politique que nous avons cherché à mener depuis 2017, en soutenant l’innovation et la réindustrialisation, en se préparant à l’économie de demain, dans un monde où la concurrence va croissant, où l’on assiste à un repli protectionniste de pays qui étaient des partenaires économiques. Les innovations d’aujourd’hui seront les technologies de demain. On ne peut plus se permettre de laisser passer le train.
Je ne sais pas justifier chacun des choix qui ont été faits. Toujours est-il que, dans certains secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, le numérique et l’énergie, les transformations vont très vite et que nos concurrents, qu’il s’agisse des États-Unis ou de la Chine, ont, eux, su se joindre au mouvement. La France et l’Union européenne ne doivent pas se laisser distancer.
Concernant la sobriété, la moitié des crédits du programme tout de même sont consacrés à la décarbonation de notre industrie, c’est-à-dire à son adaptation à la transition écologique et au changement climatique. France 2030, c’est aussi la volonté d’investir dans des technologies non destructrices.
Les appels à manifestations d’intérêt et à projets du programme ont été largement adoptés par les entreprises. Il y a une forme de fierté à obtenir ces crédits qui prouvent leur capacité à innover et à s’adapter aux défis de demain. Vous trouvez que ces appels à projets sont décousus, mais c’est cette souplesse, plus grande que celle des programmes d’investissements d’avenir, qui permet aux différents acteurs de se positionner. La gouvernance interministérielle a été simplifiée, quand on reprochait leur trop grande complexité aux programmes d’investissements d’avenir – j’en ai été rapporteure en 2017. Les services déconcentrés de l’État sont mieux associés aux collectivités territoriales.
Enfin, concernant la participation citoyenne, Bruno Bonnel, qui est à la tête de France 2030, est régulièrement auditionné par notre commission. Lorsque Guillaume Kasbarian était député, nous avions proposé de créer une délégation parlementaire aux investissements stratégiques. Le Parlement est également présent au comité de surveillance des investissements d’avenir. Un contrôle parlementaire existe.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail que j’ai lu avec intérêt. Investir pour les dix, vingt, trente ans à venir, se donner les capacités de décider ce que sera le monde de demain devrait être l’activité de base de la puissance publique. Gouverner devrait être un exercice de planification. L’un des effets de la doctrine néolibérale, c’est de laisser le jeu aveugle des marchés sculpter l’avenir. L’État se contente de venir en appui, avec l’idée que ce qui serait bon pour les entreprises le serait pour le pays, alors même qu’elles sont prises dans des logiques de rentabilité à court terme. Il nous aura fallu un choc d’ampleur – le covid et la crise climatique – pour voir réapparaître cet impératif d’intervention planifiée et stratégique. Nous avons besoin d’un État planificateur, stratège qui investit et prépare l’avenir.
Malheureusement, l’architecture de France 2030 nous laisse plutôt penser que le compte n’y est pas tout à fait. Je vous rejoins, monsieur le rapporteur pour avis, quand vous faites remarquer que, malgré les 54 milliards d’euros qui y ont été investis, le programme n’a pas fait l’objet d’une délibération démocratique et parlementaire suffisante. Il trouve son origine dans un amendement au projet de loi de finances (PLF) et non dans un projet de loi, ce qui donne l’impression d’un dispositif ad hoc décidé par le Président, empêchant de fait le projet d’occuper toute sa place dans la vie civique du pays. Une série d’évaluations sont prévues. Néanmoins, il faudrait des dispositifs de conditionnalité beaucoup plus fermes, dotés d’une part contraignante en ce qui concerne les engagements climatiques des différents acteurs.
Je rejoins un autre constat : la logique d’appel à projets va à l’encontre d’une approche intégrée et planifiée. Nous sommes assez loin de la planification industrielle nécessaire. On peut noter aussi un manque d’articulation entre France 2030 et les autres documents de planification, qui passent, eux, par la case parlementaire – stratégie nationale bas-carbone (SNBC), programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc). Notons que la publication de ces documents est en retard – un comble pour des documents censés rythmer l’activité ! – et qu’ils peinent à atteindre leurs objectifs. Nous aurions besoin de mieux intégrer les différentes articulations de cette planification. Le SGPE pouvait en être le véhicule, sauf qu’il vient d’être débranché et que nous avons des doutes sur son avenir…
Par ailleurs, les objectifs mêmes de France 2030 sont minés par les décisions budgétaires prévues dans ce PLF. Prenons celui des 2 millions de véhicules électriques : les aides à l’achat de véhicules électriques prévues dans le programme 174 Énergie, climat et après-mines diminuent de 500 millions d’euros. N’oublions pas que l’innovation technologique ne peut pas être décorrélée du contexte social, économique et écologique.
M. Karim Benbrahim (SOC). Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour la qualité de votre rapport. J’ai eu l’occasion de prendre part à quelques-unes des auditions que vous avez menées, notamment celle des opérateurs du plan France 2030. Je souhaite évoquer certains enjeux majeurs et pourtant angles morts de France 2030. Je partage vos interrogations sur le choix des objectifs et des leviers qui structurent le plan, sur le fond comme sur la manière, puisque ses opérateurs nous ont fait part d’une absence de consultation dans la définition des orientations. Or, comme vous l’avez fait remarquer, il est très difficile d’intégrer de nouveaux axes au plan une fois celui-ci lancé.
Si les dix grands objectifs semblent avoir été décidés unilatéralement et par le haut, il est régulièrement apparu lors des auditions que France 2030 avait une gouvernance plus collégiale que les anciens PIA, ce qui va plutôt dans le bon sens. Néanmoins, la comitologie en vigueur ne permettrait pas systématiquement aux opérateurs d’avoir une vue d’ensemble du déploiement du plan et, parfois, serait même une source d’opacité. Monsieur le rapporteur pour avis, partagez-vous ce constat ? Voyez-vous, le cas échéant, des pistes pour assurer une articulation plus directe entre les différents opérateurs ?
La décarbonation de notre industrie fait partie des grands objectifs fixés dans le cadre de France 2030, afin de respecter l’engagement de la France de baisser de 35 % les émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur entre 2015 et 2030, mais cet objectif n’a pas encore fait l’objet d’engagements financiers importants, sur les 54 milliards d’euros prévus. S’il est essentiel d’accompagner les projets concourant à davantage d’efficacité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il n’en est pas moins primordial de mener une politique ambitieuse en matière de sobriété. C’est l’un des principaux angles morts de ce plan et l’objet d’un de nos amendements.
Le paramétrage des appels à projets et les modalités de financement rendent difficile l’accès des organisations et des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) aux crédits alloués à France 2030. Il serait donc utile de prévoir de nouveaux dispositifs pour flécher une partie des crédits vers l’ESS. Construit selon un modèle vertueux et vecteur d’innovation sociale dans les territoires, cet écosystème doit trouver sa juste place dans un plan ayant vocation à préparer la France de 2030.
Si la trajectoire budgétaire semble globalement adaptée au déploiement du plan France 2030, tel qu’il a été décidé, le choix des priorités et les angles morts que j’ai évoqués nous conduiront à nous abstenir lors du vote des crédits.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Je partage ce que vous avez dit au sujet de l’évolution de la gouvernance : la structuration se fait mieux, mais elle entraîne une importante comitologie et si les opérateurs semblent être en mesure de discuter des modalités de mise en œuvre, ce n’est pas forcément vrai pour les orientations. Il faudrait une meilleure association sur ce plan.
J’ai évoqué dans mon rapport le sujet de l’innovation sociale : je suis évidemment d’accord avec l’idée que France 2030 doit être accessible à de petits acteurs de l’économie sociale et solidaire qui ont une configuration particulière.
M. Guillaume Lepers (DR). Ce programme d’accompagnement des entreprises partait d’une bonne idée : il a pris le relais du plan de relance post-covid, en le recentrant sur des domaines précis pour renforcer nos entreprises face à la concurrence mondiale. Dans le contexte économique actuel, il est évidemment indispensable de soutenir la modernisation de nos outils de production, tout en accompagnant l’innovation. Néanmoins, les deux problèmes qui se sont manifestés depuis le début de cette opération à 54 milliards d’euros – étalés sur cinq ans – ne semblent pas connaître d’évolutions significatives.
Premièrement, France 2030 paraît très et même trop centré sur les grandes métropoles et l’Île-de-France. Alors que nos territoires s’engagent dans un développement économique visant à favoriser le dynamisme et la compétitivité, ils restent à l’écart. Les crédits de France 2030 ruissellent difficilement dans les territoires ruraux, par manque d’ingénierie, de connaissance du dispositif, trop complexe, et d’accompagnement décentralisé.
Par ailleurs, France 2030 privilégie la désormais fameuse start-up nation et accompagne assez peu les entreprises industrielles classiques, comme l’agroalimentaire et la sous-traitance automobile. Ces entreprises ne sont pas toutes des licornes, mais elles donnent une base solide au tissu économique de proximité de notre pays. Elles ont du mal à accéder aux crédits de France 2030, car leurs activités ne font rêver ni BPIFrance, ni M. Bonnell.
La vraie France de 2030, celle de la relocalisation et de la réindustrialisation, devra prendre en compte tous les territoires, toutes les entreprises et tous les Français. C’est pourquoi je souhaiterais connaître les évolutions envisagées pour rééquilibrer les différents volets du plan dans une logique de cohérence et d’équité.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai lancé, lorsque j’étais vice-président de région, un programme nommé « L’avenir s’invente dans les campagnes » et je partage donc votre préoccupation concernant l’appropriation de ce type de dispositif par certains acteurs.
Ceux de l’économie sociale et solidaire sont quasiment absents de France 2030, parce qu’ils n’ont pas la trésorerie nécessaire et qu’il n’existe pas d’intermédiation – l’une de mes préconisations concerne justement l’accessibilité de ces programmes. Les petites entreprises et les petits laboratoires ont du mal à s’organiser et à se structurer pour y participer. Il faudrait bien mieux organiser l’intermédiation et travailler sur les crédits déconcentrés des régions – on doit s’intéresser au partenariat qui se construit avec elles.
Par ailleurs, regardez les dix objectifs de France 2030 : beaucoup d’acteurs restent en dehors de la perspective. On ne fait rien, ou en tout cas pas assez, en matière d’innovation sociale. La France de 2030 sera technologique à certains égards, mais elle reposera aussi sur de l’innovation sociale, notamment pour assurer l’égalité entre les territoires. On pourrait tout à fait travailler, par exemple, sur une façon de redémarrer des activités de production dans des conditions respectueuses de nos impératifs en matière écologique et de foncier, en tirant des fils à partir du programme Fabriques de territoire.
S’agissant de la start-up nation, le risque est même que certains projets soient repris par des capitaux étrangers, c’est-à-dire que de l’innovation que nous avons financée serve à d’autres acteurs ne venant pas de notre pays ou d’Europe.
Mme Julie Laernoes (EcoS). France 2030 doit permettre de fixer un cap pour l’industrie, le tissu économique, la société et plus généralement les mutations attendues. Dans les faits, le saupoudrage et la tendance à privilégier les start-up ou les gros acteurs ressemblent à la France que voulait dessiner Emmanuel Macron.
Nous avons pris le Président de la République au mot lorsqu’il a dit qu’il voulait soutenir la cause de la transition énergétique et écologique, mais on voit, à la lecture de votre rapport et sur le terrain, qu’on est en train de rater la marche. Des fonds importants ont été alloués à des projets relevant du technosolutionnisme plutôt qu’à de vraies réponses pour notre tissu économique et notre industrie. Les SMR (petits réacteurs modulaires), dont on voit mal comment ils sortiront de terre, en sont un exemple. On a investi dans ce serpent de mer beaucoup de crédits qui auraient pu être consacrés très efficacement à d’autres technologies, en matière d’énergies renouvelables ou de sobriété. Sur ce dernier plan, peu a été fait alors même qu’il existe des technologies innovantes. La massification de la rénovation des logements est ainsi absente des projets soutenus jusqu’ici.
Vous consacrez une partie de votre rapport à la nécessité d’un débat démocratique au sujet des matériaux critiques, en particulier si on engage réellement la transition énergétique, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Nous subissons une désindustrialisation dans le domaine des énergies renouvelables : des usines de photovoltaïque ferment, l’éolien est en grande difficulté et des technologies sont rachetées par des entreprises ou des capitaux étrangers.
S’agissant des mines, j’ai pris connaissance d’une enquête publique, qui se déroule en Maine-et-Loire et en Loire-Atlantique, sur un permis exclusif de recherches pour un nombre incalculable de métaux. Le fait de donner un permis exclusif de recherches pour à peu près n’importe quel métal, dans de grands territoires, à des entreprises ou à des filiales dont les capitaux sont étrangers nous conduit à nous interroger sur la volonté de réindustrialiser en gardant une certaine souveraineté. Si nous arrivons à nous sevrer des énergies fossiles, ce ne doit pas être pour devenir dépendants de l’importation de matériaux critiques. Même si des garde-fous sont prévus, nous avons besoin de discuter du cap, de la façon dont nous allons dessiner la France de 2030, de l’industrie et du tissu économique que nous souhaitons, des emplois à garder et des filières et des compétences à construire ensemble.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Ce plan s’appelle France 2030, ce qui conduit nécessairement à s’interroger sur la vision que nous avons du pays à cet horizon. Néanmoins, il n’y a pas eu de débat collectif à ce sujet.
On ne doit pas découvrir l’ouverture de mines à l’occasion d’une enquête publique : il faudrait pouvoir discuter d’une manière très sérieuse de cette question stratégique.
Mme Louise Morel (Dem). Je salue le travail du rapporteur pour avis, notamment sa réflexion sur la manière d’assurer une meilleure information du Parlement – on peut certainement faire un peu mieux.
En revanche, j’ai trouvé les premières interventions assez surprenantes. Je ne suis pas sûre que beaucoup de pays européens aient pris des décisions aussi fortes que nous en matière d’investissements d’avenir. Nous pouvons en être collectivement fiers. Par ailleurs, s’il est beaucoup question des grands groupes industriels, France 2030 concerne beaucoup plus d’acteurs – des PME et des ETI (entreprises de taille intermédiaire), des établissements d’enseignement supérieur ou encore des laboratoires. Des résultats très sérieux sont déjà là : 2 000 brevets déposés, quatre gigafactories de batteries, huit biomédicaments produits en France et 8,5 millions de tonnes de CO2 économisées par an grâce aux projets déjà engagés. De nombreux acteurs sont derrière ces réussites collectives. En Alsace, les bénéficiaires des programmes sont fiers d’essayer de contribuer à l’avenir du pays.
Pour ce qui est des métaux, j’ai été très surprise par une étude publiée en 2018 par le chercheur Olivier Vidal, selon laquelle la quantité cumulée à produire dans les trente‑cinq prochaines années pour assurer la transition énergétique dépasserait celle produite depuis l’Antiquité : il y a là de quoi rester très humble. Des programmes massifs d’investissement sont nécessaires, même si on peut discuter, bien sûr, des procédures, du moment et des priorités. Dans l’Allier, un projet nommé Emili vise à extraire chaque année 2,1 millions de tonnes de granit dont la teneur en lithium n’est que de 0,9 %, ce qui pose notamment la question de savoir ce qui sera fait du reste. Quel est votre sentiment, monsieur le rapporteur pour avis, au sujet des métaux précieux ? Si rien n’est prévu en la matière dans le cadre de France 2030, comment pouvons-nous faire émerger davantage la question ?
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai des critiques à formuler à l’égard de France 2030 – je conteste notamment les objectifs de départ, qui sont à l’origine des faiblesses de l’action menée –, mais je ne considère pas ce plan comme inutile. Que des projets aient réussi grâce à France 2030, oui, j’ai entendu des acteurs le dire. Qu’il existe un intérêt pour le soutien aux innovations de rupture, c’est également vrai. Le besoin est réel. Planifier ne consiste pas seulement à dire quelles sont les orientations ou les « bouclages matières » : il faut aussi allouer les moyens correspondants. France 2030 est un levier au service d’une planification, mais ce qui est prévu dans ce cadre fait l’objet d’un débat de fond.
Ma lecture, qui traduit peut-être la faiblesse de l’évaluation à l’heure actuelle, est que trop peu de petites entreprises et de petits laboratoires accèdent au dispositif. Des chercheurs nous l’ont dit lors des auditions. Les laboratoires, grands et petits, qui étaient présents autour de la table nous ont expliqué que si de petits acteurs participaient, c’était parce qu’ils avaient été entraînés par des gros : tout seuls ils ne le pourraient pas.
Quant à l’idée qu’on va utiliser en peu de temps la même quantité de métaux critiques que depuis l’Antiquité, c’est effectivement ce qu’on entend dire, mais cela suppose qu’on ne change rien, qu’on continue à considérer qu’il n’existe pas de limites planétaires et qu’on n’a donc pas besoin de s’interroger sur ce qu’on peut produire, sur ce dont on a réellement besoin et sur les conditions dans lesquelles on va l’utiliser, c’est-à-dire si on ne réfléchit pas au recyclage et aux possibilités de substitution pour certains usages des matières critiques. Ce sont des questions majeures, auxquelles je propose de consacrer une mission d’information.
Madame Lebec, vous avez parlé de fierté des acteurs. Elle existe chez ceux qui participent, mais d’autres n’accèdent pas au dispositif et peuvent se heurter à des difficultés. J’insiste sur la nécessité de rendre le dispositif accessible à plus d’acteurs, en particulier ceux de l’économie sociale et solidaire. Des solutions sont possibles, j’ai déposé des amendements en ce sens.
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire ne sont pas qu’un supplément d’âme : ils représentent 10 % des emplois et 7 % du PIB. Surtout, ce sont des acteurs extrêmement innovants dans beaucoup de domaines, comme les déchets et l’énergie. Le fait qu’ils soient si peu présents dans ce type de dispositif leur donne le sentiment de rester en marge, alors qu’ils feront aussi partie de la France de 2030.
L’innovation sociale ne trouve plus de place nulle part, ni dans les budgets de l’économie sociale et solidaire, ni dans le budget de l’État d’une façon générale, ni dans France 2030, ce qui revient à préparer la France de demain sans les gens. Elle sera technologique, je l’ai dit, mais il faut aussi travailler sur la manière d’organiser la vie dans l’entreprise et la société. Ces questions majeures ne sont pas sur la table et ne trouvent pas d’écho, alors que certains acteurs pourraient nous aider à progresser considérablement.
S’agissant du fonctionnement démocratique, oui, France 2030 a un comité de surveillance. J’ai auditionné ses membres lorsqu’ils ont pris le relais, et je dois dire que j’ai eu du mal à comprendre leur mode de réflexion : j’ai eu l’impression qu’ils partaient quasiment d’une feuille blanche. Je me suis posé des questions sur la continuité dans l’évaluation du programme et sur la manière dont on partageait les résultats et un récit, pour montrer qu’il ne s’agit pas seulement de milliards d’euros sur la table, mais de transformations engagées dans le pays. Même si je n’ai fait qu’une dizaine ou une quinzaine d’auditions – il me manque peut‑être des éléments –, je m’interroge. Il conviendrait que l’état d’avancement du programme soit présenté à la commission dans des délais assez courts. Je crois qu’un rapport doit être remis au Parlement, mais je ne sais pas si l’échéance a été précisément définie.
Il me semble que l’empilement des appels à projets est lié à la juxtaposition des objectifs. Ce qui pose un problème n’est pas tant la mécanique des appels à projets que l’absence de vision d’ensemble. Une articulation plus forte serait parfois à envisager. J’ai trouvé en revanche, même si la répartition des crédits ne se fait pas toujours bien dans l’ensemble de la chaîne, qu’il était assez pertinent d’avoir un raisonnement de l’amont à l’aval, de la recherche à la mise en application. Les chercheurs trouvent peut-être qu’on n’en fait pas assez dans leur domaine et des industriels peuvent avoir le même sentiment à propos de l’industrialisation des solutions, mais cela veut peut-être dire que la répartition n’est pas si mauvaise. Le fait qu’il y ait une approche portant sur l’ensemble de la chaîne, plutôt que d’un côté le financement de la recherche et de l’autre le financement des solutions industrielles, me paraît intéressant.
Je ne comprends pas que la sobriété énergétique continue à faire débat. Elle ne signifie pas une décroissance généralisée par principe : c’est parfois une question d’organisation. La consommation électrique est très liée au mode de vie : nous suivons tous le même rythme. On pourrait imaginer une organisation différente de la société, avec une consommation différente. On n’est pas obligé de revenir à la bougie – cet argument revient à chaque fois qu’on parle à un écologiste. Ce n’est pas ma vision : certaines choses vont décroître et d’autres vont croître. Mais peut-être parliez-vous tout simplement de la croissance économique ; dans ce cas nous pourrions débattre, compte tenu des errements actuels, de l’intérêt du terme même de « croissance ».
S’agissant de la conditionnalité, j’incite à la mise en place de règles du jeu beaucoup plus précises. Les montants en cause sont extrêmement importants. J’ai demandé au directeur d’un site quelles étaient les contreparties d’un projet qui bénéficiait de financements très élevés : il m’a dit qu’il s’agissait de produire un peu plus pour la France en cas de pénurie. Quand on pose la même question aux opérateurs, ils répondent que cela fait partie des contrats et qu’ils ne peuvent pas totalement les partager, ce qui me pose un problème. Les règles du jeu, je le répète, ne me paraissent pas totalement claires.
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendements II-CE264 de M. Charles Fournier et II-CE205 de M. Karim Benbrahim (discussion commune)
M. Karim Benbrahim (SOC). Mon amendement part du constat que très peu de structures de l’économie sociale et solidaire figurent parmi les porteurs de projets financés dans le cadre de France 2030. La cause en est le paramétrage et les modalités des appels à projet, qui semblent peu adaptés à la nature et au fonctionnement de ces acteurs. Nous proposons de diriger vers eux une partie des 54 milliards d’euros alloués à France 2030. Cette sanctuarisation de crédits devrait s’accompagner d’une adaptation des modalités de candidature aux appels à projet. Il ne s’agit pas seulement d’organiser un transfert financier, mais de faire évoluer la manière de procéder.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Mon amendement reprend une initiative, l’opération Milliard, soutenue par de nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire qui disent n’avoir que des queues de cerise – le budget de l’État dans ce domaine, dont j’étais l’an dernier le rapporteur pour avis, est très limité – et qui essaient donc de lancer un fonds d’investissement pour que leur secteur trouve toute sa place dans la France de 2030. Je propose d’alimenter ce fonds, auquel contribueraient des entreprises et des banques, au moyen d’une intervention publique.
J’émets, par ailleurs, un avis favorable à l’amendement de M. Benbrahim. L’innovation sociale et écologique doit être au rendez-vous dans la France de 2030.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Précisons aussi, pour nos collègues, que l’amendement du rapporteur pour avis tend à mobiliser 300 millions d’euros et celui de M. Benbrahim 5 millions.
Mme Louise Morel (Dem). Si je comprends bien, nous prendrions ailleurs dans le financement des investissements stratégiques les 300 millions d’euros demandés par le rapporteur pour avis. Quel programme serait amputé ?
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il faut bien prélever la somme quelque part. Si j’avais pu augmenter le niveau des autorisations d’engagement, je l’aurais fait. Le volume global de la mission ne sera pas remis en cause et vous comprenez bien qu’il s’agit surtout d’un amendement d’appel en faveur de l’opération en cours. La puissance publique doit soutenir l’économie sociale et solidaire dans des proportions supérieures – la contribution du budget de l’État est actuellement de 20 millions d’euros.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CE265 de M. Charles Fournier et II-CE206 de M. Karim Benbrahim (discussion commune)
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. La sobriété, je l’ai dit, ne fait pas partie des ambitions de France 2030. Je propose que ce soit désormais le cas et que des crédits soient dédiés à cette question, qui ne se limite pas à une restriction des modes de vie : c’est plutôt une manière de les repenser et de leur redonner de la force en investissant et en innovant technologiquement et socialement. La « sobriété conviviale » constitue une belle perspective.
M. Karim Benbrahim (SOC). La France s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans le secteur industriel. L’efficacité énergétique et la décarbonation doivent y contribuer, mais ces deux leviers ne sont pas suffisants. Celui de la sobriété doit aussi être utilisé. Mon amendement vise à consacrer des crédits – 5 millions d’euros, contre 15 millions dans l’amendement du rapporteur pour avis –à des politiques de sobriété énergétique dans le secteur industriel.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis favorable, quoique notre collègue soit beaucoup plus sobre que moi sur le plan financier. (Sourires.)
La commission rejette successivement les amendements.
Article 45 et état G : Objectifs et indicateurs de performance
Amendement II-CE262 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il s’agit d’inscrire formellement la sobriété dans les objectifs et les indicateurs de performance du dispositif, afin qu’elle soit centrale dans l’ambition du programme.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Je soutiens cet amendement, car on confond souvent décarbonation et sobriété, y compris dans les politiques menées par l’État. La sécurité d’approvisionnement énergétique nécessite de la sobriété, faute de quoi nous échouerons. Il est donc important d’en faire l’un des objectifs du programme.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE261 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’amendement vise à inscrire le recyclage des matériaux critiques dans les objectifs du programme et à en faire une règle du jeu dans le cadre de France 2030.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Il est absolument nécessaire de ne pas gaspiller les matériaux critiques et de disposer d’une véritable filière de recyclage. J’espère que les députés du socle commun ne voteront pas avec le Rassemblement national, pour qui l’écologie est toujours fautive, et je les appelle à voter en faveur de ces objectifs.
M. Alexandre Loubet (RN). Nous nous inscrivons en faux contre les attaques de la gauche : nous comptions justement nous abstenir, voire voter en faveur de cet amendement.
Nous sommes tous favorables au recyclage. Toutefois, l’écologie punitive que vous défendez remet en question des projets prometteurs pour l’avenir de la planète. Ainsi, une entreprise spécialisée dans le recyclage à l’infini du plastique grâce à une technologie innovante devrait s’installer dans ma circonscription, en Moselle, mais ce projet est freiné en raison de problèmes fonciers et de la présence de plusieurs alouettes lulu.
M. Karim Benbrahim (SOC). L’enjeu porte à la fois sur l’écologie, la souveraineté énergétique et le développement économique, avec la création de nouvelles filières industrielles. Si certains députés ne votent pas cet amendement, j’aimerais bien comprendre leur motivation.
Mme Louise Morel (Dem). Nous devrions prendre position en fonction des intérêts en jeu, et non pas en fonction des votes des uns et des autres. Le groupe Démocrates estime que la transition écologique est importante. Pour cette raison, je soutiens cet amendement, même si ce n’est qu’un premier pas.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Ne tombons pas dans la caricature : il n’y a pas d’un côté les bons, qui auraient le monopole de la compétence environnementale, et de l’autre les mauvais. En revanche, nous pouvons avoir des visions différentes de ce que la transition écologique implique. Pour ma part, j’ai décidé de voter en faveur de cet amendement.
M. Frédéric Weber (RN). Dans ma circonscription, l’usine Carbios est en train de construire la première usine au monde de biorecyclage de PET (polytéréphtalate d’éthylène), et nous l’accompagnons de manière volontariste. Nous serions tous bien avisés d’arrêter de juger les gens sur des a priori.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il faut faire preuve de cohérence en matière d’écologie. On ne peut pas se montrer opportuniste en invoquant la protection de la biodiversité quand il s’agit de bloquer un projet d’éolienne, et en dénonçant l’écologie punitive quand la biodiversité dérange. L’enjeu de la biodiversité est tout aussi important que celui du développement économique. Je défends une écologie cohérente, et non punitive. C’est d’ailleurs l’absence d’écologie qui est punitive, car les plus vulnérables en sont toujours les premières victimes.
Je regrette que le précédent amendement sur la sobriété n’ait pas été adopté. Cela dit quelque chose de la vision que vous avez de l’écologie : on veut bien pratiquer le recyclage, mais on veut moins faire preuve de sobriété dans nos usages, alors que c’est tout aussi important.
Enfin, j’aurais préféré que l’on oriente davantage les moyens. Le projet d’usine de recyclage des batteries à Dunkerque est suspendu par Eramet parce que le modèle économique n’existe pas. Comment faire pour que le recyclage existe ? Sobriété et recyclage sont indissociables. J’aurais peut-être dû les mettre dans le même amendement pour éviter que vous ayez à choisir entre l’un et l’autre, mais je n’aurais sans doute pas obtenu les mêmes résultats.
La commission adopte l’amendement.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. Mon désaccord ne porte pas sur le volume des crédits de paiement – n’ayant pas obtenu toutes les réponses, je ne sais pas s’ils correspondent à l’avancement des projets –, mais sur certains objectifs tels qu’ils sont inscrits dans le programme, avec des modalités qui méritent encore d’évoluer et des sujets qui sont trop peu pris en considération.
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030 modifiés.
Après l’article 64
Amendement II-CE140 de M. Laurent Alexandre
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Il s’agit de conditionner le versement des aides publiques de France 2030 aux grandes entreprises au respect de trois engagements principaux : le maintien de leurs activités sur le territoire national pour une période minimale de dix ans ; le maintien des effectifs salariés à leur niveau de l’année de perception des crédits ; la définition d’une stratégie industrielle conjointe entre l’opérateur et l’entreprise bénéficiaire des crédits.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis totalement favorable. Cela soulève en effet de vraies questions sur le devenir des emplois dans notre pays. Tous les dispositifs publics d’aide devraient appliquer cette règle. Nous devons garantir à nos concitoyens que l’argent public ne finance pas des destructions d’emplois et même en assure le maintien, voire le développement.
M. Alexandre Loubet (RN). Nous sommes favorables au conditionnement des aides publiques au maintien des activités et des emplois sur le sol français. Il est indécent et assez surréaliste que l’impôt des Français subventionne de manière directe ou indirecte les délocalisations et les importations.
Toutefois, un point nous fait hésiter : le maintien de l’activité pendant une durée de dix ans. On gagnerait peut-être à assouplir un peu cette condition, car la définition de la durée est assez arbitraire et semble peu conforme aux réalités économiques. Je propose donc à mes collègues de voter cet amendement et de modifier en séance cette disposition relative à la durée. Vous avez le soutien de principe du Rassemblement national sur ce sujet.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Position identique pour le groupe UDR.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-CE141 de Mme Alma Dufour
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). L’amendement vise à exclure du bénéfice des aides publiques de la mission Investir pour la France 2030 les entreprises qui réalisent des superprofits. Une gestion efficace des finances publiques implique de réserver ces crédits à des entreprises qui en ont vraiment besoin. L’État ne devrait pas avoir à contribuer aux investissements des entreprises qui font des superprofits, car elles sont en mesure de s’autofinancer.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’argent public est attribué quand il y a une nécessité qu’il le soit. Les investissements doivent être soutenus quand l’entreprise ne peut pas les assumer elle-même. De telles capacités doivent être réorientées non pas vers les dividendes, mais vers l’investissement. Avis favorable.
Mme Louise Morel (Dem). Cet amendement part d’un bon sentiment, mais il me paraît dangereux pour le soutien à l’entrepreneuriat. Vous visez les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, considérant qu’elles n’ont pas besoin de subventionnement pour leur R&D (recherche et développement). C’est un argument légitime, mais nous traitons ici d’investissements d’avenir. De très grandes entreprises soutiennent par exemple des projets d’intrapreneuriat avec de très petites structures, parfois un docteur ou un chercheur expert dans un domaine particulier. Même avec le soutien d’une grande entreprise, ces structures sont assez fragiles. Je ne soutiendrai donc pas votre amendement, parce qu’il ne tient pas compte de la réalité économique de l’innovation en France.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE142 de Mme Claire Lejeune
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Il s’agit de conditionner l’octroi des aides de la mission Investir pour la France de 2030 à la mise en place d’un forfait mobilités durables par les entreprises au bénéfice de leurs salariés. Cette démarche vise à accélérer la transition vers des modes de déplacement durables et la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis favorable, même s’il me semble plus pertinent de rendre le forfait mobilités obligatoire. Ce devrait être la règle générale pour tous les dispositifs d’aides, et non une condition pour l’octroi d’un financement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE263 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai pu mesurer, en quelques auditions sur les matériaux critiques, à quel point les enjeux étaient importants pour la transition énergétique et la réindustrialisation. Or, j’ai eu le sentiment que ce sujet échappait au contrôle démocratique, qui me paraît nécessaire.
Pour contourner le fait que je ne puisse pas organiser directement une concertation citoyenne, j’ai déposé le présent amendement demandant un rapport au Gouvernement sur l’opportunité et les modalités de la mise en place d’un dispositif de concertation citoyenne chargée de définir la stratégie nationale relative aux conditions d’installation de projets industriels d’extraction minière sur le territoire national ayant bénéficié du concours des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. L’idée serait d’organiser un débat sur cet enjeu déterminant mais très loin dans les préoccupations des acteurs. Cela pose des questions de souveraineté, de disponibilité, de substitution, de recyclage, et je trouve que cela mérite un vrai débat.
M. Alexandre Loubet (RN). Je trouve cet amendement très pertinent. Notre pays possède nombre de ressources qui pourraient contribuer à l’innovation et au développement de l’industrie, comme le gaz de couche ou l’hydrogène blanc – deux ressources dont le sous-sol lorrain, notamment, semble regorger. Les députés du Rassemblement national et de l’UDR soutiendront cette demande de rapport permettant d’ouvrir le débat sur l’exploitation des ressources contenues dans nos sols, à condition qu’elle se fasse de manière écologique. Cela vaut toujours mieux que d’importer des ressources comme le gaz de schiste de l’autre bout du monde.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’extraction du gaz de couche soulève les mêmes enjeux environnementaux que celle du gaz de schiste. Le débat devra répondre à la question de l’opportunité et des conditions d’une telle extraction. Cette question mérite d’être posée et ne doit pas échapper à la décision de nos concitoyens. De même, le développement des voitures électriques pose la question de la provenance des matériaux. La souveraineté consiste à décider sur quels produits nous souhaitons être autonomes et sur quels autres nous acceptons d’être dépendants. Tout ne doit pas nécessairement être produit sur place, mais il est fondamental que cela fasse l’objet d’une décision.
La commission adopte l’amendement.
Rappel des recommandations
concernant le plan « France 2030 »
Recommandation n° 1
Faire apparaître à part entière la sobriété comme l’un des objectifs stratégiques de « France 2030 ». L’objectif de sobriété doit faire l’objet d’une innovation technologique et sociale à laquelle « France 2030 » doit accorder toute sa place, au sujet du levier relatifs aux matériaux critiques mais également sur les autres objectifs et leviers du plan.
Recommandation n° 2
Conditionner le bénéfice des crédits « France 2030 » aux projets intégrant des contreparties écologiques et sociales ambitieuses. Ces projets doivent entre autres s’assurer de la publication transparente de leur bilan d’émissions de gaz à effet de serre, présenter des garanties écologiques quant à l’impact de leurs activités sur les écosystèmes, ne pas délocaliser dans les dix années suivants le début du financement les activités qui en ont bénéficié.
Recommandation n° 3
Prévoir d’évaluer les investissements réalisés par la mission « Investir pour la France de 2030 » à l’aune du futur industriel véritablement souhaitable et collectivement décidé pour notre pays. L’évaluation devra faire état de l’avancée de chaque objectif, restituer l’impact structurel et systématique provoqué par un tel niveau d’investissements, mais également permettre de faire évoluer les objectifs au regard des besoins et des impacts des investissements déjà engagés.
Recommandation n° 4
Prévoir que l’évaluation du programme intègre l’audition à échéance régulière par le Parlement du comité de surveillance de « France 2030 », afin de permettre aux parlementaires d’exercer un contrôle démocratique sur les objectifs du plan « France 2030 » en concordance avec les besoins du pays et sur les décisions d’investissements accordés aux projets industriels.
Recommandation n° 5
Assurer la mise en œuvre et le financement d’une structure d’intermédiation pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire, afin de leur permettre un accès facilité au programme en raison de leur singularité et de leur rôle déterminant dans le développement d’innovations écologiques et sociales. Une adaptation des modalités de candidature aux appels à projets devra être envisagée.
Recommandation n° 6
Rendre explicite et lisible l’organisation étatique de la planification écologique dans tous ses impacts, et notamment la planification de la transformation industrielle et de la réindustrialisation. « France 2030 » a vocation à être un des leviers financiers de cette planification et l’articulation avec le commissariat au plan, le SGPE, le SGPI voire même avec France Stratégie n’est pas explicite.
Cette rationalisation de la gouvernance en matière de stratégie industrielle devra nécessairement s’accompagner d’un travail démocratique de concertation et d’élaboration de la planification, impliquant le Parlement, notamment par la voie de lois de programmation sur la réindustrialisation, la bifurcation écologique, la recherche, les compétences, l’énergie et l’aménagement du territoire., afin de se projeter sur les suites à donner au Plan en 2040.
Recommandation n° 7
Prévoir le lancement par la commission des affaires économiques d’une mission d’information pour identifier les freins et dépendances inhérents à la chaîne de valeur des métaux critiques en France, de l’approvisionnement à la réutilisation, pour réussir la transition énergétique et notre réindustrialisation.
Recommandation n° 8
Votre rapporteur souhaite que le gouvernement suive la recommandation de la Commission européenne et confie la mission de pilotage de la cartographie des stocks stratégiques français de matières premières critiques à l’un des opérateurs de « France 2030 », comme préalable à l’instauration d’une diplomatie des métaux intra-européenne.
Recommandation n° 9 :
Les parlementaires doivent veiller à ce que le projet de loi de simplification de la vie économique intègre des exigences de contrôle démocratique de ces procédures accélérées d’octroi de permis exclusif de recherche.
Recommandation n° 10 :
Mettre en place des laboratoires territoriaux de la réindustrialisation, sur le modèle de ce qui est mis en place sur le territoire de Fos-Marseille, visant à associer régionalement l’État, les collectivités territoriales, les acteurs industriels et économiques, les associations et le grand public, afin de renforcer le débat démocratique autour des choix stratégiques industriels.
Il conviendra de faire lien avec le rapport à attendu sur la gouvernance industrielle, et d’adapter les organisations territorialisées pour accompagner cette réindustrialisation équilibrée.
Recommandation n°11
Prévoir l’organisation d’une concertation nationale pour définir collectivement une stratégie vis-à-vis de l’installation de projets industriels d’extraction de minerais sur son territoire. Cette concertation permettrait d’aboutir à une définition française du concept de “mine responsable, d’effectuer un choix d’avenir éclairé en mesurant les impacts environnementaux de tels projets, et en responsabilisant notre pays sur l’enjeu de la délocalisation des pollutions de cette extraction ailleurs dans le monde.
Liste des personnes auditionnÉes
Par ordre chronologique
Agence nationale de la recherche (ANR)
Mme Claire Giry, présidente-directrice générale
M. Arnaud Torres, directeur des grands programmes d’investissement de l’État
Mme Cécile Schou, conseillère relations institutionnelles
Secrétariat général pour l’investissement (SGPI)
Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe
Mme Camille Muller, directrice financière et juridique
M. John Palacin, conseiller budgétaire
ADEME, agence de la transition écologique
M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué
Mme Juliette Donon, cheffe du service Financement et Pilotage de programmes
Audition commune :
CNRS
Mme Valérie Lallemand, directrice de la mission pour l’expertise Scientifique
M. Thomas Borel, Responsable des affaires publiques
M. Éric Van Hullebusch, enseignant-chercheur université Paris-Cité à l’Institut de Physique du Globe de Paris, spécialiste des métaux critiques et du recyclage innovant à partir de la mine urbaine
M. Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de recherche CNRS à l’Institut de chimie séparative de Marcoule, chimiste
M. Thibault Quatravaux, chercheur à l’Institut Jean Lamour, expert de ces questions de ressources critiques dans le domaine de la métallurgie, et en charge de l’équipe Procédés d’Élaboration
CEA
M. Vincent Bos, responsable du pôle « ressources clés de la transition » au CEA I-Tésé
Caisse des dépôts et consignations
Mme Marianne Faucheux, directrice adjointe du département cohésion sociale et territoriale – direction de l’investissement de la Banque des Territoires
M. Christophe Charenton, conseiller relations institutionnelles – Caisse des dépôts
M. Damien Verbiguié, chargé de coordination et de communication au département Mandats et investissements d’avenir – direction de l’investissement de la Banque des Territoires
Bpifrance
Mme Sophie Rémont, directrice de l’expertise et des programmes au sein de la direction de l’innovation
M. Daniel Demeulenaere, directeur de la stratégie et du développement de Bpifrance
M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles
Observatoire français des ressources minérales (Ofremi) – Délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (Diamms)
M. Stéphane Bourg, directeur
M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, et président du comité stratégique de l’Ofremi
Eramet *
M. Pierre-Alain Gautier, directeur corporate affairs
M. Romain Charvet, responsable affaires publiques France et Europe
M. Hélie Debains, chargé d’Affaires publiques France et Europ
France Industrie
M. Alexandre Saubot, président
M. Bruno Jacquemin, délégué général chez Alliance des Minerais, Minéraux et Métaux (A3M)
Fabrique de l’Industrie
M. Louis Gallois, co-président
M. Vincent Charlet, délégué général
Comité de surveillance des investissements d’avenir (CSIA)
M. Éric Labaye, président du comité de surveillance des investissements d’avenir
M. Xavier Raher, rapporteur général du comité de surveillance des investissements d’avenir
M. Jean-Michel Dalle, membre du comité de surveillance des investissements d’avenir et directeur d’Agoranov
Cleantech for France *
Mme Célia Agostini, directrice
M. Jules Besnainou, directeur exécutif de Cleantech for Europe
M. Tristan Beucler, policy officer à Cleantech for France
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.
([1]) 34 Md€ en autorisations d’engagement (AE) et 3,5 Md€ en crédits de paiement (CP).
([2]) Appels à projets de Bpifrance, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
([3]) Analyses couts bénéfices
([4]) Le Comité exécutif
([5]) Décret n° 2013-1211 du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d’évaluation des investissements publics en application de l’article 17 de la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017
([6]) Comité de surveillance des investissements d’avenir (CSIA)
([7]) Ce principe qui consiste à éviter que des investissements ne causent un préjudice important à l’environnement.
([8]) Le règlement européen sur les matières premières critiques de 2024
([9]) Geosciences, n° 26 – métaux critiques, concilier éthique et souveraineté.
([10]) STEPS (Stated Policies Scenario) : Prend en compte les politiques actuelles.
APS (Announced Pledges Scenario) : Basé sur les engagements politiques annoncés.
NZE (Net Zero Emissions by 2050) : Vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici 2050.
([11]) Contribution écrite du CNRS en appui de la table-ronde sur les métaux critiques du 2 octobre 2024.
([12]) Le Monde, Tribune “La position hégémonique de la Chine dans les matériaux critiques relève d’une stratégie de domination”
([13]) Grand-stratégy : The US strategy on CRM
([14]) Raphael DEBERDT, « La stratégie américaine de sécurisation des approvisionnements en minerais critiques peut-elle répondre aux besoins de l’IRA ? », IFRI
([15]) Fonds de 2 Md€ dédié aux métaux critiques avec le soutien de l’État.
([16]) « Sécuriser l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales », Rapport à mesdames les ministres de la transition écologique la ministre déléguée chargée de l’industrie, Philippe Varin.
([17]) Le Rapporteur souligne la difficulté de se procurer ce rapport de M. Varin, pourtant mis à la disposition de certains industriels. S’il comprend les risques d’intelligence économique auxquels s’exposerait la France en rendant publiques des informations sensibles contenues dans ledit rapport, il ne comprend pas que les parlementaires n’en aient pas été spontanément destinataires au regard de l’importance capitale de ce sujet.
([18]) Né Institut français du pétrole (IFP) à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour développer les technologies pétrolières et devenu IFP Énergies nouvelles en 2010.
([19]) Règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques et modifiant les règlements (UE) n° 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1724 et (UE) 2019/1020.
([20]) Critical raw materials Act (CRMA) ou Règlement européen sur les matières premières critiques
([21]) Emmanuel Hache et Emilie Normand, « Quelle Europe face au désordre mondial ? »
([22]) Audition France Industrie du 10 octobre 2024
([23]) Projet de loi de simplification de la vie économique, n° 550, déposé(e) le mercredi 24 avril 2024 devant le Sénat
([24]) Communiqué de presse n° 1762 du 12 avril 2024 du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
([25]) Les Thémas de la DGE, n° 17 janvier 2024
([26]) Extraction des matières premières, conception et fabrication des cellules et des packs de batteries, recyclage et élimination des déchets dans le cadre d’une économie circulaire
([27]) Ce financement porte sur les études de préfaisabilité et faisabilité ainsi que sur les CAPEX et les OPEX du projet
([28]) Le financement de la BPI porte sur des CAPEX de la future usine à hauteur de 10.9 M€ et supporte une partie du coût de la construction de l’usine de démonstration installée à Trappes qui vise à tester le futur procédé de l’usine (à hauteur de 2,3 M€)
([29]) kilotonnes
([30]) Source : contribution écrite de France Industrie
([31]) Pour mémoire, la Caisse Française des Matières Premières (CFMP), établissement public à caractère administratif, était chargée de la constitution et de la gestion d’un stock national de matières premières minérales, dont elle était propriétaire, mais a été dissoute en 1997.