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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale 23 octobre 2024.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 324)
de finances pour 2025
TOME VII
JUSTICE : JUSTICE ET ACCÈS AU DROIT
PAR Mme Gabrielle CATHALA
Députée
——
Voir le numéro : 468 –III –30
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2024 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, aucune des réponses au questionnaire budgétaire n’était parvenue à votre rapporteure pour avis.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION............................................ 5
Première partie : les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2025
A. Les mouvements de régulation budgétaire sur le budget de la mission Justice en 2024
B. La LOPJ 2023-2027 fragilisée dès la deuxième année de programmation
1. Le plan de 10 000 recrutements fragilisé
II. Un budget 2025 largement insuffisant au regard de l’état de la justice
1. Des recrutements insuffisants qui vont aggraver la situation déjà difficile dans les juridictions
a. Des recrutements insuffisants
b. Alors que la situation dans les juridictions est déjà critique
c. Le manque d’outil pour mesurer la charge de travail des magistrats
2. La problématique de sous-budgétisation des frais de justice
B. La stabilité des crédits dédiés au Programme 101 Accès au droit malgré les besoins
2. Le développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité
D. Le budget du Conseil supérieur de la magistrature stable malgré la hausse de son activité
I. Les violences intrafamiliales, un flÉau de sociÉTÉ DEVENU CONTENTIEUX DE MASSE
B. L’appropriation par les magistrats de nouveaux outils pour y faire face
1. L’ordonnance de protection, un dispositif encore trop méconnu
2. Le téléphone grave danger, un dispositif utile à déployer plus largement
3. Le bracelet anti-rapprochement
4. La mise en place des pôles violences intrafamiliales à moyens constants
C. Mais un budget qui n’est pas proportionnÉ aux besoins constatÉs
A. Une justice spécialisée en souffrance
B. priorité au pÉnal : l’illustration par la mise en œuvre du code de la justice pÉnale des mineurs
I. Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice
II. Examen pour avis des crédits
Sans Justice indépendante, il n’y a pas d’État de droit.
Or, sans moyens financiers, l’indépendance reste à l’état de principe. La loi d’orientation et de programmation de la Justice (LOPJ), promulguée le 20 novembre 2023, était un premier pas, même si elle manquait largement d’ambition. Elle prévoyait la création de 10 000 postes supplémentaires entre 2022 et 2027, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. C’est très loin du rythme annuel nécessaire pour que la France rattrape son retard sur les autres pays européens. Et surtout, ces chiffres, déjà bas, sont à nuancer : un tiers des créations de postes de magistrat combleront en réalité des vacances en juridiction. Quant aux greffiers, 700 postes sur les 1 800 sont des requalifications, et non des créations nettes. Qu’on ne s’y trompe pas : cette LOPJ était aussi emblématique du tout-carcéral, avec un plan de construction de 18 000 places de prison sur le quinquennat.
Las, à peine promulguée, déjà reniée : de renoncement en renoncement, les exercices budgétaires se suivent et se ressemblent.
*
Le budget de la Justice n’a pas été épargné par la recherche d’économies budgétaires en cours d’exécution 2024. Entre les annulations de crédits intervenues dès février 2024 – 172 millions d’euros sur les quatre programmes de la Justice et l’accès au droit – et les surgels intervenus ultérieurement, 6,5 % des crédits de paiement des programmes suivis par la rapporteure ont été gelés ou annulés.
Prestataires du service public de la justice non rémunérés, remboursements de frais de formation reportés à l’année suivante, juridictions en cessation de paiement dès la rentrée de septembre : voilà les traductions concrètes des décisions froides et inconséquentes d’un Gouvernement qui pourtant ne cesse de demander toujours plus à la Justice.
*
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 devait être l’occasion de revenir dans le droit chemin, c’est-à-dire à la trajectoire établie par la LOPJ : il n’en est pourtant rien.
Au dépôt, ce PLF ouvre les crédits nécessaires à la création de 270 ETP sur le programme Justice judiciaire, soit 125 magistrats et 145 greffiers. C’est bien inférieur aux créations nécessaires pour tenir l’objectif de 10 000 postes d’ici à 2027.
Certes, un amendement présenté par le Gouvernement en séance, qui ouvre 249 millions d’euros supplémentaires sur la mission Justice, vient combler une partie de l’écart avec la LOPJ. Le ministre s’est engagé devant la commission des lois à ce que la trajectoire de créations des effectifs soit maintenue. Cependant, au-delà de la désinvolture que traduit le dépôt tardif de cet amendement, aucune garantie n’est apportée s’agissant de la poursuite des projets informatiques et des investissements dans l’immobilier judiciaire.
Or, comment accueillir les nouveaux magistrats et les nouveaux greffiers, tenir de nouvelles audiences, sans les outils informatiques et les bâtiments appropriés ? Ce projet de budget laisse un goût d’inachevé.
*
Pourtant, les interrogations ne manquent pas.
L’explosion du contentieux des violences intrafamiliales mobilise l’ensemble de la chaîne pénale, mais les moyens budgétaires réclamés par les associations féministes – 300 millions d’euros supplémentaires sur la mission Justice – ne sont toujours pas inscrits dans ce budget. Les personnels judiciaires, les associations continuent de porter les victimes à bout de bras, mais pour combien de temps encore ?
La justice des mineurs, elle, devient de plus en plus répressive : comment peut-il en être autrement, lorsqu’il faut plusieurs mois pour que les mesures d’assistance éducative décidées par les juges des enfants soient mises en place ? Mais le Gouvernement préfère réfléchir à une énième réforme de la justice des mineurs, plutôt que de donner les moyens à la protection judiciaire de la jeunesse et aux départements d’accueillir les mineurs en danger.
Ce projet de budget, insatisfaisant, a été largement amendé, en commission des finances comme en commission des lois, illustration d’une Justice au cœur des préoccupations de la représentation nationale. L’incertitude demeure toutefois sur la volonté du Gouvernement de faire sienne ces avancées.
Première partie :
les crÉdits de la justice et de l’accÈs au droit pour 2025
Quatre programmes sur les six qui composent la mission Justice sont examinés par la rapporteure pour avis :
– le programme 166 Justice judiciaire ;
– le programme 101 Accès au droit et à la justice ;
– le programme 310 Conduite et pilotage de la justice ;
– et le programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.
La justice française souffre d’un sous-investissement chronique depuis des décennies. Symptôme de la souffrance générée par le manque de moyens, une tribune publiée dans le journal Le Monde en novembre 2021 suite au suicide d’une juge placée ([1]), signée par un collectif de juges, substituts et greffiers, dénonçait une justice maltraitante et une logique de rationalisation déshumanisante.
Peu de temps avant la publication de cette tribune étaient lancés les États généraux de la justice, sous la forme d’une consultation publique ouverte à tous les citoyens qui a donné lieu à plus d’un million de contributions individuelles ou collectives. Le constat dressé par le comité des États généraux, chargé de synthétiser ces contributions, est sans appel : « les États généraux de la justice ont confirmé l’état de délabrement avancé dans lequel l’institution judiciaire se trouve aujourd’hui ». Le comité recommande ainsi une réforme systémique de l’institution judiciaire et formule plusieurs propositions en ce sens.
La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ), qui prévoyait notamment la création de 10 000 postes supplémentaires d’ici 2027, était largement insuffisante au regard des besoins mais représentait une première étape pour sortir l’institution judiciaire de la « clochardisation » dénoncée par l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas en 2016.
L’article 1er de la LOPJ prévoyait ainsi que le budget du ministère de la Justice devait augmenter de 21,3 % entre 2022 et 2027, pour atteindre 10,8 milliards d’euros en 2027, hors compte d’affectation spéciale « Pensions » (ci-après « CAS Pensions »).
Évolution des crédits de paiement sur la période 2023-2027 telle que prÉvue par la LOPJ
(en millions d'euros) |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Budget du ministère (en crédits de paiement) |
8 862 |
9 579 |
10 081 |
10 681 |
10 691 |
10 748 |
Source : LOPJ 2023-2027
Cette augmentation de crédits devait financer à la fois un plan de recrutement à hauteur de 10 000 postes supplémentaires, des investissements conséquents dans la transition numérique du ministère et de nouvelles places de prison.
I. L’exÉcution budgÉtaire de l’exercice en cours : la loi de finances pour 2024 loin d’Ȇtre respectÉe
La loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 prévoyait l’ouverture de 12 160 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 10 084 millions d’euros en crédits de paiement (CP), hors crédits du CAS Pensions, pour l’ensemble des programmes de la mission Justice, soit le montant programmé par la LOPJ 2023-2027 pour l’exercice 2024.
Crédits ouverts en LFI 2024 pour les quatre programmes analysés par la rapporteure (hors CAS Pensions)
|
LFI 2024 |
|
(en millions d’euros) |
AE |
CP |
Justice judiciaire |
4 753,95 |
4 544,01 |
Accès au droit et à la justice |
736,23 |
736,23 |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
768,28 |
747,09 |
Conseil supérieur de la magistrature |
4,64 |
5,72 |
TOTAL |
6 263,10 |
6 033,05 |
Source : réponses du secrétariat général du ministère de la Justice au questionnaire de la rapporteure
Le budget de la mission n’a toutefois pas été sanctuarisé lors des différents épisodes de régulation budgétaire, ce qui est source de nombreuses difficultés pour les juridictions.
A. Les mouvements de régulation budgétaire sur le budget de la mission Justice en 2024
Ces ouvertures de crédits ont été remises en cause quelques semaines seulement après la promulgation de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, le Gouvernement ayant annoncé l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits pour l’exercice en cours, à laquelle a procédé le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits ([2]). La mission Justice est concernée à hauteur de 327,9 millions d’euros (en AE=CP). Le tableau ci-dessous retrace les annulations de crédits prévues pour les programmes suivis par la rapporteure.
Tableau récapitulatif des crédits annulés par le décret du 21 février 2024
|
LFI 2024 (hors CAS Pensions) |
Décret d'annulation du 21 février 2024 |
||
(en millions d’euros) |
AE |
CP |
AE |
CP |
Justice judiciaire |
3 960,10 |
3 750,16 |
129,20 |
129,20 |
Accès au droit et à la justice |
736,20 |
736,20 |
0 |
0 |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
723,69 |
702,5 |
42,98 |
42,98 |
Conseil supérieur de la magistrature |
4,05 |
5,13 |
0,2 |
0,2 |
Source : commission des lois à partir du décret du 21 février 2024
Le décret a donc annulé :
– 3,3 % en AE et 3,4 % en CP des crédits ouverts sur le programme 166 Justice judiciaire ;
– 5,9 % en AE et 6,1 % en CP des crédits ouverts sur le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice ;
– 4,9 % en AE et 3,9 % en CP des crédits ouverts sur le programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.
En parallèle du décret d’annulation, le Gouvernement a procédé en février à un surgel de crédits de titre 2 (soit les crédits de personnel), au-delà de la seule réserve de précaution, pour un montant de 63,5 millions d’euros (en AE=CP).
À ces premières mesures se sont ajoutées celles intervenues à l’occasion du surgel décidé en juillet 2024, qui a porté uniquement sur les crédits hors titre 2. Le tableau ci-dessous récapitule les mesures de régulation budgétaire intervenues en 2024 sur les quatre programmes de la mission Justice.
Tableau récapitulatif des mesures de régulation budgétaire en 2024 sur les quatre programmes de la mission Justice
|
LFI 2024 (hors CAS Pensions) |
Décret d'annulation du 21 février 2024 |
Réserve de précaution et surgels de février |
Surgels de juillet 2024 |
Total annulations |
% de la LFI 2024 |
||||||
(en millions) |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Justice judiciaire |
3 960,10 |
3 750,16 |
129,20 |
129,20 |
19,79 |
19,76 |
312,76 |
94 |
461,75 |
242,96 |
11,66% |
6,48% |
Accès au droit et à la justice |
736,20 |
736,20 |
0 |
0 |
40,49 |
40,49 |
0 |
0 |
40,49 |
40,49 |
5,50% |
5,50% |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
723,69 |
702,5 |
42,98 |
42,98 |
3,01 |
3,01 |
60,47 |
0 |
106,46 |
45,99 |
14,71% |
6,55% |
Conseil supérieur de la magistrature |
4,05 |
5,13 |
0,2 |
0,2 |
0,21 |
0,21 |
0 |
0 |
0,41 |
0,41 |
10,12% |
7,99% |
TOTAL |
5 424,04 |
5 193,99 |
172,38 |
172,38 |
63,5 |
63,47 |
373,23 |
94 |
609,11 |
329,85 |
11,23% |
6,35% |
Source : commission des lois à partir des documents transmis par le ministère de la Justice
Les conséquences de ces différentes mesures de régulation budgétaire sont significatives pour certains programmes : elles représentent ainsi 11,7 % des AE et 6,5 % des CP ouverts en LFI 2024 pour le programme Justice judiciaire, 14,7 % des AE et 6,5 % des CP ouverts pour le programme support Conduite et pilotage de la politique de la justice et 10,1 % des AE et 8 % des CP pour le programme Conseil supérieur de la magistrature.
Ces mouvements, qui sont, pour la rapporteure, un dévoiement inquiétant de l’autorisation budgétaire du Parlement, ont créé une réelle tension budgétaire dans les juridictions. Ils fragilisent le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires et freineront la modernisation tant attendue de la Justice.
La secrétaire générale du ministère a transmis à la rapporteure les demandes de dégel formulées en septembre par le ministère, qui sont retracées dans le tableau ci-dessous.
Tableau récapitulatif des crédits annulés ou gelés et des demandes de dégel formulées par le ministère de la Justice
|
LFI 2024 (hors CAS Pensions) |
Total des crédits annulés et gelés |
Dégels demandés |
|||
(en millions d’euros) |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Justice judiciaire |
3 960,10 |
3 750,16 |
461,75 |
242,96 |
312,78 |
94,00 |
Accès au droit et à la justice |
736,20 |
736,20 |
40,49 |
40,49 |
33,19 |
33,14 |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
723,69 |
702,5 |
106,46 |
45,99 |
0,00 |
0,00 |
Conseil supérieur de la magistrature |
4,05 |
5,13 |
0,41 |
0,41 |
0,15 |
0,15 |
Source : commission des lois d’après les documents transmis par le ministère de la Justice
Ces dégels sont indispensables, notamment pour les crédits d’aide juridictionnelle, qui est une dépense de guichet, par définition non pilotable. L’absence de dégel se traduirait mécaniquement par une hausse des charges à payer et serait extrêmement dommageable pour le service public de la justice.
Lors de son audition par la commission des lois, le ministre a indiqué avoir obtenu des dégels à hauteur de 355 millions d’euros (sur l’ensemble de la mission). Le Gouvernement a ainsi déposé à l’Assemblée nationale son projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, n° 538, le 6 novembre 2024, qui propose les mouvements de crédits suivants s’agissant des programmes de la mission Justice :
– annulation de 227,9 millions d’euros en AE et 25,9 millions d’euros en CP pour le programme 166 Justice judiciaire ;
– annulation de 7,3 millions d’euros en AE et 7,4 millions d’euros en CP sur le programme 101 Accès au droit et à la justice ;
– annulation de 65,4 millions d’euros en AE et 4,7 millions d’euros en CP sur le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice ;
– annulation de 0,1 million d’euros en AE et CP sur le programme 335 Conseil supérieur de la magistrature.
Si ces annulations ne couvrent pas l’ensemble des surgels intervenus en gestion, elles confirment le manque d’ambition budgétaire pour le ministère de la Justice en 2024.
B. La LOPJ 2023-2027 fragilisée dès la deuxième année de programmation
L’année 2024 constitue le deuxième exercice budgétaire de la LOPJ, loi qui a suscité beaucoup d’attentes au sein des juridictions. Ces différents mouvements de régulation budgétaire sont un signal extrêmement négatif adressé aux juridictions et suscitent beaucoup d’inquiétudes et de déception.
1. Le plan de 10 000 recrutements fragilisé
Ce plan de recrutement incluait la création de 1 500 postes de magistrats, 1 800 postes de greffiers et le recrutement de 1 100 attachés de justice supplémentaires.
Créations nettes d’emplois sur la période 2023-2027 prévues par la LOPJ
|
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Créations nettes d'emplois |
0 |
2 913 |
1 916 |
1 907 |
1 620 |
1 644 |
Source : rapport fait par la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Le secrétariat général a transmis à la rapporteure l’évolution prévisionnelle des créations d’emplois prévues par la LOPJ, reproduite dans le tableau ci-dessous.
Rythme annuel de créations d’emploi de magistrats, greffiers et attachés de justice prévus par la LOPJ
|
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Total |
Magistrats |
199 |
327 |
343 |
315 |
316 |
1500 |
Greffiers |
98 |
108 |
320 |
302 |
272 |
1100 |
Attachés de justice |
443 |
350 |
307 |
190 |
200 |
1490 |
Source : document transmis par le ministère de la Justice à la rapporteure
S’agissant du renfort des juridictions, quasiment un tiers des postes de magistrats créés viendrait en réalité combler les postes vacants (403 postes au 1er janvier 2023 ([3])). Le même raisonnement s’applique pour les greffiers, alors que 683 postes étaient vacants au 1er janvier 2023. Une centaine de postes de magistrats serait par ailleurs fléchés pour les juridictions spécialisées (juridictions interrégionales spécialisées dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée et parquets à compétence nationale).
Le chiffre de 1 800 greffiers supplémentaires doit également être nuancé, puisque 700 de ces 1 800 postes proviennent d’un plan de requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffier dans le corps des greffiers, à raison de 233 agents par an en moyenne pendant trois ans (2024 à 2026).
L’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait annoncé une première répartition des effectifs supplémentaires dans les cours d’appel et les tribunaux le 28 mars 2024, consultable sur le site du ministère de la Justice ([4]).
Bien que déjà largement en deçà des besoins constatés dans les juridictions, la trajectoire des recrutements est déjà mise en péril par les annulations de crédits décidées en février 2024, le surgel des crédits intervenu en juillet 2024 et le présent projet de budget.
La LFI pour 2023 prévoyait la création de 208 postes de magistrats, 575 personnels d’encadrement (dont 300 juristes assistants) et 191 postes de greffiers. Si l’objectif a été quasiment atteint s’agissant des magistrats (192 recrutements réalisés en 2023), l’exécution fait apparaître de réelles difficultés dans les métiers du greffe et du commandement, avec un taux de réalisation de 51 % de la LFI ([5]). La Cour des comptes souligne ainsi dans sa note d’exécution budgétaire d’avril 2024 que cette sous-exécution « traduit la difficulté à recruter et à fidéliser le personnel de greffe » ([6]).
Selon les informations communiquées à la rapporteure par la direction des services judiciaires, le retard pris en 2023 sur le recrutement des greffiers était néanmoins en cours de rattrapage en 2024.
La LFI pour 2024 prévoyait la création de 1 274 emplois, dont 305 postes de magistrats, 513 personnels d’encadrement et 340 postes de greffiers.
Si les crédits alloués au recrutement des magistrats et des greffiers ont été préservés, les restrictions budgétaires ont directement impacté le recrutement des contractuels dans les juridictions. Des directives auraient ainsi été données aux chefs de cour de geler tous les recrutements en cours, notamment de juristes assistants, que ce soit pour des créations de poste ou pour remplacer des postes vacants.
Pour le programme 310, c’est un décalage des recrutements accordés au titre de l’exécution budgétaire 2024 qui a été décidé, afin d’assurer la soutenabilité du programme.
Enfin, le paiement des prestataires collaborateurs de justice (experts, traducteurs…) a été différé dans plusieurs cours d’appel, alors même qu’il est déjà délicat de les convaincre d’intervenir dans les procédures judiciaires.
2. Les efforts pour moderniser la Justice freinés par les mouvements de régulation budgétaire successifs
Au-delà des moyens humains, la rapporteure a pu constater, lors de ses travaux, que l’annulation et le gel des crédits en 2024 ont également eu des conséquences sur l’avancée des projets informatiques, mais aussi immobiliers, alors même que la LOPJ affichait là aussi des ambitions fortes.
Le rapport annexé à la LOPJ détaillait les projets numériques du ministère à horizon 2027 : il mentionnait ainsi « une transformation numérique accélérée », qui passerait notamment par une attention plus grande accordée aux principaux projets du ministère, comme la procédure pénale numérique (PPN) et le projet Portalis. Le rapport promettait également « une politique immobilière à la hauteur des enjeux du ministère de la justice », non seulement pour accueillir les nouveaux effectifs dans de bonnes conditions mais aussi pour accroître les capacités d’accueil du public.
Lors de son audition par la rapporteure, la secrétaire générale du ministère a mentionné le freinage de certains projets immobiliers, à commencer par la rénovation des bâtiments Cambon sur le site Vendôme. Les chefs de cour et les chefs de juridiction auditionnés ont eux aussi mentionné le report, voire l’annulation de certains projets d’aménagements.
Les crédits de fonctionnement courant des juridictions ont également été revus à la baisse, avec le gel ou l’annulation d’un ensemble de dépenses non-obligatoires (fournitures, matériels de bureau, papier…).
L’un des interlocuteurs de la rapporteure a souligné l’abandon de plusieurs chantiers informatiques, dont un relatif au traitement des failles de sécurité.
Ont également été signalés des reports de remboursement des frais de formation, voire l’annulation pure et simple de certaines formations organisées en fin d’année (notamment pour les personnels travaillant en outre-mer), alors même que la formation continue est une obligation pour les magistrats.
Enfin, il a été porté à la connaissance de la rapporteure un mail de l’administration de l’École nationale de la magistrature (ENM), dont un extrait est reproduit ci-dessous, qui lie directement le gel budgétaire de 2024 et la suspension des stages à l’international pour les auditeurs en 2025 et 2026 :
« Mesdames et messieurs les auditrices et auditeurs de justice des promotions 2023 et 2024,
Comme vous le savez, le déficit public et la situation budgétaire de l’État ont justifié, au mois de février dernier, un gel des crédits affectés au budget en cours d’exécution.
Le ministère de la justice a donc réduit le niveau de sa dépense pour l’année 2024.
Si l’ENM a été préservée, en ce sens qu’elle n’a pas connu de réduction de son budget initial versé en début d’année, elle a dû faire face à des dépenses non prévisibles. En outre, le contexte budgétaire national ne permet pas d’envisager, à court terme, une modification de la nécessaire rationalisation du fonctionnement budgétaire de l’école. Cette réalité nous a donc conduit à rechercher des sources d’économies dans le souci constant de ne pas dégrader la qualité des formations.
Dans ce contexte particulièrement contraint, nous avons fait le choix de suspendre provisoirement les stages à l’international en 2025 et 2026. Cela essentiellement parce qu’ils induisent un coût non négligeable pour l’école (déplacements et per diem pour un coût moyen par stage approchant la somme de 3 000 euros), outre que tous les élèves d’une même promotion n’y ont pas accès (90 places dans le meilleur des cas pour 380 puis 459 élèves).
J’ajoute que l’ensemble des missions de l’école est concerné par cette rationalisation de la dépense. Ainsi, le département international de l’école suspend également les stages individuels à l’international habituellement ouverts au titre de la formation continue des magistrats. ».
La rapporteure déplore fortement que la formation des auditeurs de justice ait eu à pâtir de ces mouvements de régulation budgétaire.
Recommandation n° 1 : rétablir l’intégralité des crédits annulés ou gelés sur la mission Justice lors de l’exécution budgétaire 2024.
Alors que le projet de budget pour 2025 aurait dû venir compenser les coups de rabot décidés en 2024, il n’en est rien.
II. Un budget 2025 largement insuffisant au regard de l’état de la justice
La LOPJ fixait le montant prévisionnel des crédits pour la mission Justice en 2025 à hauteur de 10 681 millions d’euros en crédits de paiements (hors crédits du CAS Pensions), pour l’ensemble des programmes de la mission Justice ([7]).
Or, alors que le rabot budgétaire imposé à la mission Justice au cours de l’exécution budgétaire 2024 aurait nécessité une hausse de plus de 700 millions d’euros en 2025 pour retrouver la trajectoire fixée par la LOPJ, le PLF pour 2025 ouvre des crédits à hauteur de 10 240,1 millions d’euros seulement, soit un écart de près de 440 millions d’euros avec la trajectoire établie par la LOPJ.
Le tableau ci-dessous retrace les crédits ouverts par la LFI pour 2024 et les crédits prévus par le PLF pour 2025 pour chaque programme de la mission Justice, incluant les crédits du CAS Pensions. Pour pouvoir être comparés à la LOPJ, sont également rappelés les montants hors CAS Pensions.
Tableau récapitulatif des crédits ouverts en loi de finances pour 2024 et
dans le projet de loi de finances pour 2025
|
LFI 2024 |
PLF pour 2025 |
Variation 2024/2025 |
|||
|
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Justice judiciaire |
4 753,95 |
4 544,01 |
4 584,62 |
4 567,11 |
-3,6% |
0,5% |
Accès au droit et à la justice |
736,23 |
736,23 |
798,13 |
798,13 |
8,4% |
8,4% |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
768,28 |
747,09 |
640,50 |
704,57 |
-16,6% |
-5,7% |
Conseil supérieur de la magistrature |
4,64 |
5,72 |
4,83 |
5,91 |
4,1% |
3,3% |
Sous-total des programmes analysés par la rapporteure |
6 263,10 |
6 033,05 |
6 028,08 |
6 075,72 |
-3,8% |
0,7% |
Administration pénitentiaire |
6 814,00 |
5 003,00 |
4 739,61 |
5 242,41 |
-30,4% |
4,8% |
Protection judiciaire de la jeunesse |
1 160,80 |
1 125,90 |
1 160,64 |
1 140,96 |
0,0% |
1,3% |
TOTAL Mission |
14 237,90 |
12 161,95 |
11 928,33 |
12 459,09 |
-16,2% |
2,4% |
TOTAL Mission hors crédits du CAS Pensions |
12 159,85 |
10 083,95 |
9 709,83 |
10 240,93 |
/ |
/ |
Source : projet annuel de performances de la mission Justice pour le projet de loi de finances pour 2025
La rapporteure déplore l’insuffisance de ces crédits alors même que le dernier rapport de la CEPEJ est édifiant et soulignait le retard de la France en matière de financement de son système judiciaire et de personnels judiciaires par rapport à ses voisins européens.
La commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ)
Créée le 18 septembre 2002 par le comité des ministres du conseil de l’Europe, la CEPEJ contribue à l’amélioration de l’efficacité et du fonctionnement de la justice dans les États membres.
Elle a présenté, le 16 octobre 2024, un rapport de comparaison des systèmes judiciaires portant sur des données de 2022, collectées dans 44 États membres et deux États observateurs. Cette étude permet de situer le système français dans l’environnement judiciaire européen. Malgré une progression globale de la France dans les indicateurs depuis le dernier cycle d’évaluation de la CEPEJ (2020-2022), un décalage important demeure avec les pays qui lui sont comparables.
Le budget exécuté du système judiciaire français s’établit ainsi à 77,2 euros par habitant en 2022. C’est certes 4,7 euros de plus qu’en 2020, mais la France continue de se situer non seulement sous la moyenne européenne (85,4 euros), mais largement derrière l’Espagne (96,8 euros), l’Italie (100,6 euros) et l’Allemagne (136,1 euros).
En termes d’effectifs, la France accuse un décrochage par rapport à la plupart des pays évalués puisqu’elle compte 11,3 juges professionnels et 3,2 procureurs pour 100 000 habitants, contre respectivement 21,9 et 12,2 pour la moyenne européenne. Ce manque de moyens humains concerne également le personnel non-juge présent dans les tribunaux, dont le nombre est très inférieur à la médiane européenne (37,3 contre 57,9 pour 100 000 habitants). Le ministère public français dénote particulièrement avec 13,6 euros exécutés par habitant, soit cinq euros de moins que la moyenne du conseil de l’Europe et moitié moins que l’Italie.
Moins nombreux pour 100 000 habitants, les procureurs français figurent toutefois parmi les plus sollicités avec davantage d’attributions (12 distinctes contre 8 pour l’Italie par exemple) et une charge de 6,4 affaires criminelles pour 100 habitants, alors que la médiane européenne s’établit à 2,3.
Finalement, si la rémunération brute annuelle des magistrats du parquet en entrée de carrière en France (48 000 euros environ) est proche de la moyenne européenne (44 000 euros), celle des magistrats du siège est inférieure d’environ 15 000 euros à la moyenne européenne.
La rapporteure, au cours de ses travaux, a visité le tribunal de Pontoise, qui connaît une hausse continue de son activité juridictionnelle, révélatrice de ce que vivent l’ensemble des juridictions en France.
Le tribunal judiciaire de Pontoise
Compétent pour la totalité du département du Val-d’Oise et ses 1,2 million d’habitants, à l’exception de l’enclave de l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle (du ressort du tribunal de Bobigny), le tribunal judiciaire de Pontoise est organisé en sept pôles et cinq services : un pôle juridictionnel civil, un pôle pénal, un pôle des urgences, un pôle social, un pôle de la famille, un pôle de proximité et un pôle des mineurs.
En termes d’effectifs réels, il compte 69 magistrats du siège (dont 4 magistrats placés), 29 magistrats du parquet, 20 juristes-assistants, et 283 fonctionnaires dont 39 travaillent pour les quatre tribunaux de proximité du département (à Pontoise, Gonesse, Montmorency et Sannois). Quinze nouveaux magistrats, onze du siège et quatre parquetiers, ont vocation à rejoindre le tribunal judiciaire à l’horizon 2027, dans le cadre du « plan d’action pour la Justice » présenté en janvier 2023 par le garde des Sceaux.
L’activité du tribunal de Pontoise est globalement en hausse. Ainsi, en matière civile, le volume d’affaires sociales s’est accru de 32 % depuis l’année dernière. En matière pénale, la croissance soutenue du nombre d’affaires de violences intrafamiliales et les violences urbaines de l’été 2023 ont entraîné, entre autres causes, une hausse de 23 % des affaires poursuivables.
À la suite du décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des juridictions, le tribunal judiciaire de Pontoise, précurseur en la matière, a transformé un comité de pilotage dédié à ces affaires en « pôle VIF ». Ce pôle rassemble deux magistrats coordonnateurs et 23 membres représentant tous les acteurs de la chaîne judiciaire (magistrats du siège et du parquet, directeurs de greffes, greffiers, personnel administratif, juristes-assistants).
Dénué de pouvoir juridictionnel, le « pôle VIF » est le lieu du pilotage et de la coordination de la politique de lutte contre les violences conjugales et les violences faites aux enfants au sein du tribunal. Depuis plusieurs années, le flux de ces affaires marque une nette augmentation : il a progressé de 130 % entre 2021 et 2023 (passant de 1 766 à 4 056 procédures).
La mise en place du « pôle VIF » a également donné lieu à la réalisation d’un état des lieux de l’accompagnement des victimes au sein de la juridiction. Celui-ci repose largement sur des associations d’aide aux victimes : le centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Val d’Oise (CIDFF 95) tient ainsi une double permanence au tribunal (les bureaux d’aide aux victimes et de protection des victimes). Le tissu associatif est aussi directement mobilisé dans le cadre de la mise en œuvre des dispositifs de bracelets antirapprochement (BAR) et des téléphones grave danger (TGD), pour lesquels la juridiction de Pontoise a fait figure de site pilote.
Pôle emblématique de la juridiction de Pontoise, qui couvre l’un des territoires les plus jeunes de France, le tribunal des enfants est composé de dix cabinets, réunissant chacun un greffier et un juge. L’activité juridictionnelle du « pôle mineurs » se partage entre les dossiers d’assistance éducative et la justice pénale des mineurs, avec respectivement 273 dossiers et 74 dossiers pour chacune de ces deux matières en moyenne par cabinet. Entre 2021 et 2023, le nombre d’affaires d’assistance éducative en cours a augmenté de 17 %. En matière de justice pénale des mineurs, c’est une hausse de 85 % du nombre de dossiers en stock qui a été constatée (cette dernière résultant notamment de la mise en œuvre du code de justice pénale des mineurs à compter de septembre 2021).
L’indépendance de la justice n’est pas performative : il ne suffit pas de la déclarer pour qu’elle existe. L’indépendance est intrinsèquement liée aux moyens budgétaires qui sont alloués aux juridictions, à l’aide juridictionnelle et aux permanences d’accès au droit. Au regard de ce principe, le budget 2025 ne donne pas à la justice les moyens financiers de son indépendance.
A. Pour le programme 166 Justice judiciaire, des crédits qui sont loin d’être à la hauteur des besoins des juridictions
Le programme 166 est composé de sept actions. Il comprend notamment le financement des effectifs du ministère de la Justice, les crédits versés à l’École nationale de la magistrature et à l’École nationale des greffes (ENG), mais aussi les montants pour couvrir les frais de justice, soit les frais engagés pendant les procédures judiciaires par les magistrats et les personnes agissant sous leur contrôle.
Il représente 36,7 % des crédits de paiements de la mission Justice (CAS Pensions inclus).
Les crédits du programme s’élèvent dans le PLF pour 2025 à 4 585 millions d’euros en AE et 4 567 millions d’euros en CP, soit une diminution de 3,6 % des AE et une augmentation de 0,5 % des CP par rapport à la LFI pour 2024.
Le tableau ci-dessous illustre la répartition des crédits par action, ainsi que l’évolution de ces crédits par rapport à ceux ouverts par la LFI pour 2024.
Répartition des crédits ouverts sur le programme Justice judiciaire par action en LFI 2024 et dans le PLF pour 2025
|
LFI 2024 |
PLF pour 2025 |
Variation 2024/2025 |
|||
(en millions) |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Traitement et jugement des contentieux civils |
1 289,8 |
1 289,8 |
1 332,0 |
1 332,0 |
3,3% |
3,3% |
Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales |
1 528,3 |
1 528,3 |
1 593,0 |
1 593,0 |
4,2% |
4,2% |
Cassation |
78,6 |
78,6 |
79,1 |
79,1 |
0,6% |
0,6% |
Enregistrement des décisions judiciaires |
13,0 |
13,0 |
12,6 |
12,6 |
-3,1% |
-3,1% |
Soutien |
1 632,0 |
1 422,1 |
1 343,8 |
1 326,3 |
-17,7% |
-6,7% |
Formation |
196,3 |
196,3 |
209,9 |
209,9 |
6,9% |
6,9% |
Support à l'accès au droit et à la justice |
15,9 |
15,9 |
14,2 |
14,2 |
-10,7% |
-10,7% |
TOTAL |
4 753,9 |
4 544,0 |
4 584,6 |
4 567,1 |
-3,6% |
0,5% |
Source : projet annuel de performances de la mission Justice pour le projet de loi de finances pour 2025
1. Des recrutements insuffisants qui vont aggraver la situation déjà difficile dans les juridictions
Les crédits de titre 2 du programme Justice judiciaire s’établissent à 2 198 millions d’euros (hors CAS Pensions), soit une augmentation de 0,2 % par rapport à la LFI pour 2024.
a. Des recrutements insuffisants
Cette augmentation finance la création de 270 emplois supplémentaires : 125 magistrats et 145 greffiers. En l’état, selon le projet annuel de performances de la mission, il n’est pas prévu de créer de postes de juristes assistants ou d’attachés de justice supplémentaires.
Il manque également les crédits nécessaires pour financer la création de 218 postes de magistrats, 175 postes de greffiers et 307 attachés de justice et respecter ainsi la trajectoire établie par la LOPJ.
Promulgué il y a à peine un an, le plan de recrutements établi par la LOPJ est donc rendu caduc par ce projet de budget. En effet, le retard pris en 2025 en matière de recrutements ne pourra pas être rattrapé sur les futurs exercices budgétaires, à moins de renoncer à toute sélectivité aux différents concours de magistrats et de greffiers.
Ce rapport étant publié avant l’examen en séance des crédits de la mission Justice, l’amendement du Gouvernement supposé rehausser les crédits de la mission n’a pas encore été adopté. Un amendement identique a été déposé par le Président de la commission des Lois au cours de l’examen de ladite mission en commission des Lois. Cet amendement, malgré son adoption par la commission des Lois, devra être redéposé à nouveau en séance, les crédits de la mission ayant été rejetés par la commission des Lois. L’amendement ouvre des crédits sur l’ensemble de la mission Justice à hauteur de :
– 86,4 millions d’euros en AE et CP sur le programme Justice judiciaire, dont 33,2 millions d’euros de titre 2 ;
– 4,3 millions d’euros en AE et CP sur le programme Accès au droit et à la justice ;
– 50,3 millions d’euros en AE et CP sur le programme Conduite et pilotage de la justice, dont 900 000 euros en crédits de titre 2.
La rapporteure, si elle concède que cet amendement est une avancée pour la Justice, déplore ce procédé de dépôt tardif, qui nuit à la lisibilité des débats budgétaires. Elle regrette également l’absence de crédits supplémentaires pour le Conseil supérieur de la magistrature, malgré les besoins. La rapporteure espère donc qu’elle pourra obtenir en séance des engagements quant au respect de la trajectoire LOPJ s’agissant des recrutements.
Il est en effet impératif de renforcer les juridictions, qui se sont organisées pour accueillir les effectifs supplémentaires et qui ne comprendront pas ce retour en arrière. Quant au justiciable, il sera le premier à souffrir de cette nouvelle dégradation du service public de la justice.
La rapporteure a donc déposé en commission des Lois plusieurs amendements visant à allouer les crédits nécessaires au programme 166 Justice judiciaire pour recruter les effectifs manquants par rapport à la trajectoire établie par la LOPJ. Elle déplore l’absence de publication de la circulaire de localisation des emplois (CLE) depuis 2022, ce qui ne permet pas d’avoir une vision claire des besoins par juridiction.
Recommandation n° 2 : allouer les crédits suffisants au programme Justice judiciaire pour recruter 218 magistrats, 175 greffiers et 307 attachés de justice supplémentaires et respecter ainsi la LOPJ.
b. Alors que la situation dans les juridictions est déjà critique
Comme l’a constaté la rapporteure dans le cadre de ses travaux, la situation dans les juridictions est critique. Les augmentations de budget depuis 2020 ont été largement insuffisantes pour rattraper des décennies de sous-investissement, en témoignent les délais d’audiencement et de traitement des procédures.
Quelques éléments illustrent cet état de fait :
– le délai de traitement des affaires ayant fait l’objet d’une instruction : 51,7 mois, contre 48,5 mois en 2022 ;
– des délais d’audiencement pour des dossiers de divorce qui peuvent être supérieurs à un an ;
– dans certaines juridictions, il faut 18 mois pour obtenir une décision d juge aux affaires familiales ;
– le délai moyen d’instruction d’une affaire est de 35,4 mois ;
– l’allongement de la durée de la procédure en appel est significatif, avec parfois plus de deux ans d’attente pour les dossiers correctionnels dont les prévenus sont libres.
L’attention de la rapporteure a également été attirée sur les stocks des cours criminelles départementales (CCD) Alors que ceux-ci s’établissaient à 129 affaires à la fin de l’année 2022, ils avaient déjà atteint 1 461 affaires en 2023. Ces stocks sont inquiétants, alors que la généralisation des CCD date seulement de 2021. Or, l’indicateur 1.3 Délai théorique d’écoulement du stock des procédures présenté dans le projet annuel de performances de la mission Justice ne liste pas les délais dans les CCD mais seulement ceux des cours d’assises. Si le délai moyen d’écoulement des stocks des cours d’assises a effectivement diminué, c’est directement en lien avec une diversion des affaires vers ces nouvelles cours, et non avec une amélioration intrinsèque, comme l’indique le projet annuel de performances.
La rapporteure regrette cette omission dans la présentation de l’indicateur et s’interroge sur le bien-fondé de cette généralisation à moyens constants, alors qu’une CCD fonctionne avec un nombre plus important de magistrats qu’une cour d’assise. Le comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale relevait ainsi « de graves difficultés de fonctionnement des cours criminelles départementales en raison d’effectifs limités générant un allongement des délais d’audiencement » ([8]).
Revenir sur les recrutements annoncés aurait d’importantes conséquences dans les juridictions, avec un ralentissement des délais de traitement et une augmentation des stocks de procédures. Outre la dégradation des conditions de travail du personnel judiciaire, la rapporteure déplore les répercussions sur le justiciable, qui souffrira de procédures encore plus longues.
● La France ne se donne pas les moyens de lutter contre la criminalité du haut du spectre : l’exemple de l’instruction et du parquet national financier
Que ce soit en matière de justice du quotidien ou en matière de criminalité organisée, la France n’est ainsi pas à la hauteur de ses ambitions. L’évolution des effectifs de juges d’instruction et celle des effectifs du parquet national financier (PNF) illustrent le manque de moyens affectés à la criminalité du haut du spectre.
Ainsi, les travaux conduits ont conclu à une charge de travail des magistrats évaluée à 72 dossiers en cours pour un cabinet, en moyenne. Le compte n’y est pas du tout : ainsi, à Nanterre, l’indicateur est à 122 dossiers par cabinet.
Le tableau ci-dessous retrace les effectifs réels de juge d’instruction depuis 2020.
Évolution des effectifs réels de juge d’instruction depuis 2020
|
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Juge d'instruction |
542 |
538 |
550 |
557 |
562 |
Source : réponses de la direction des services judiciaires au questionnaire transmis par la rapporteure
Le nombre de juge d’instruction a augmenté de 3,6 % entre 2020 et 2024, tandis que le nombre de procédures augmentait en moyenne de 2 % par an. Alors que les délais d’instruction s’allongent, la rapporteure propose donc de relever de 8 % le nombre de juges d’instruction en procédant à la création de 50 postes supplémentaires.
Recommandation n° 3 : créer 50 postes supplémentaires de juge d’instruction.
Le même constat peut être tiré s’agissant du PNF, qui est spécialisé en matière de grande délinquance économique et financière.
Le Parquet national financier (PNF), un parquet spécialisé pour améliorer la lutte contre la délinquance économique
À partir de 2013, plusieurs réformes sont mises en œuvre pour adapter le dispositif français de lutte contre la fraude fiscale et la corruption aux évolutions de la délinquance économique et financière. La loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier installe le procureur de la République financier à la tête d’un parquet national financier (PNF). Promulguée le même jour, la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale durcit le régime répressif de la fraude fiscale, renforce les capacités de contrôle de l’administration fiscale et détermine les compétences du procureur de la République financier. À cette occasion, les 36 juridictions régionales spécialisées (les « pôles économiques et financiers » créés en 1975) sont supprimées et leurs compétences transférées aux huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), créées en 2004.
Juridiction nationale, le PNF est une institution autonome placée auprès du tribunal judiciaire de Paris, sous autorité du procureur général de Paris. Sa compétence est notamment encadrée par les articles 705 et 705-1 du code de procédure pénale, qui énumèrent les délits pour lesquels le PNF dispose d’une compétence concurrente avec d’autres parquets (notamment les JIRS). Ce champ de compétence s’étend essentiellement aux affaires de grande complexité, qu’il s’agisse : d’atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, etc.), d’atteintes aux finances publiques (notamment la fraude fiscale), d’atteintes à la transparence des marchés financiers pour lesquelles il dispose d’une compétence exclusive et, depuis la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, ou d’atteintes au libre jeu de la concurrence. Le PNF connaît des affaires qui nécessitent une approche globale, centralisée et spécialisée, qui peuvent avoir d’importantes répercussions sociales ou qui intègrent une dimension internationale. Comme évoqué dans la circulaire du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier, la création d’une juridiction nationale spécialisée vise à accroître l’efficacité du parquet dans la répression de la fraude de grande complexité et de haute technicité.
Le PNF centralise les compétences et les moyens, et s’appuie notamment sur les investigations des services spécialisés de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Il coopère à la fois avec les administrations publiques nationales (services spécialisés de la police nationale et de la gendarmerie, Cour des Comptes, Tracfin, Haute autorité pour la transparence de la vie publique, etc.) et internationales.
Les dix années d’existence du PNF
En une décennie, l’activité du PNF a considérablement progressé avec 781 procédures en cours en janvier 2024 ([9]) contre 211 en 2014. En 2023, les dossiers concernaient en majorité des atteintes à la probité (47 %) et des atteintes aux finances publiques (44 %) ([10]). Ils provenaient à 40 % de la transmission d’une autorité publique (administration fiscale, Autorité des marchés financiers, autorités étrangères, etc.), à 21 % du dessaisissement d’un parquet, 12 % avaient été initiées par des magistrats du PNF et 27 % venaient d’autres sources de saisine ([11]). Les dossiers traités par le PNF ont conduit à la condamnation de plus de 500 personnes morales et physiques depuis sa création (dont 111 en 2023), et le versement de plus de 12 milliards d’euros au Trésor public.
Le PNF était composé, lors de sa création en 2014, de 7 magistrats, pour traiter 211 procédures, soit une moyenne de 30,1 procédures par magistrat.
Il compte actuellement 20 magistrats du parquet, dont 18 sont opérationnels pour traiter les dossiers, de 9 assistants spécialisés, 2 juristes-assistants, 1 assistant de justice, 1 directrice des services de greffe, 1 chef de cabinet, 8 greffiers et 7 agents.
Le PNF a traité 772 procédures en 2023, ce qui représente 42,9 dossiers par magistrat. La progression du nombre de parquetiers est donc loin de suffire au regard de l’évolution du nombre de procédures. La rapporteure entend alerter sur cette situation, alors même que les dossiers suivis par le PNF sont par nature très complexes et avec de forts enjeux financiers.
Il importe, dans le même temps, de renforcer les effectifs de la 32ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris chargée de juger les dossiers suivis par le PNF : les délais d’audiencement ont en effet beaucoup augmenté depuis 2014 pour atteindre désormais 18 mois.
Interrogée par la rapporteure, la direction des services judiciaires a indiqué qu’elle étudiait les possibilités de renforcer les effectifs du PNF dans les prochaines années.
Il est urgent que la France alloue les moyens adéquats à la lutte contre la fraude fiscale et à la corruption, qui fragilise le contrat social et occasionne des pertes massives de recettes fiscales pour l’État chaque année. La rapporteure propose donc d’augmenter les crédits alloués à la justice judiciaire pour recruter 13 magistrats supplémentaires affectés au PNF, pour arriver à une moyenne de 25 procédures par magistrat.
Recommandation n° 4 : allouer 780 000 euros supplémentaires pour recruter 13 magistrats supplémentaires et renforcer ainsi le parquet national financier.
Outre le renforcement des juridictions spécialisées, la rapporteure souhaite réitérer ici son souhait de voir la police judiciaire rattachée au ministère de la Justice plutôt qu’au ministère de l’Intérieur.
● Le manque d’attractivité des métiers de greffe
Comme développé supra, l’exécution de la LFI pour 2023 illustre les difficultés de recrutement dans le corps des greffiers. La Cour des comptes rappelle ainsi que 288 postes ont été non pourvus lors des concours de l’année 2023, dont 48 suite à des renonciations ([12]).
Suite à un mouvement social des personnels de greffe débuté en juillet 2023, un protocole d’accord a été signé le 26 octobre 2023 avec trois organisations syndicales (UNSA services judiciaires, CFDT-Interco et GO Justice). Ce protocole prévoit plusieurs mesures :
– une revalorisation indiciaire à compter du 1er novembre 2023 ;
– une revalorisation statutaire de la grille des greffiers à compter du 1er mars 2024 ;
– la simplification de l’examen professionnel pour l’accès au grade de greffier principal, qui devrait intervenir pour les épreuves tenues en 2025 ;
– un plan de requalification 2024-2026 des adjoints administratifs faisant fonction de greffiers ;
– la création d’un corps de greffiers de catégorie A, le cadre greffier : cela devrait concerner à terme 3 200 greffiers, soit 25 % du corps. Ils seront formés à l’ENG. La création d’un corps de catégorie A est encore en cours de mise en œuvre.
Selon les informations données à la rapporteure, seuls 15,5 % des candidats inscrits se sont présentés au concours en 2024, ce qui montre que l’attractivité du métier constitue une préoccupation , malgré les efforts engagés par la direction des services judiciaires pour y répondre.
Ainsi, si la rapporteure salue ces premières avancées, elle considère que ce ne sont que des premières étapes : l’attractivité passe par l’amélioration des conditions de travail, le recrutement de moyens humains et la revalorisation indemnitaire.
c. Le manque d’outil pour mesurer la charge de travail des magistrats
Malgré des travaux engagés depuis plusieurs années, aucun outil d’évaluation de la charge de travail des magistrats n’a encore été formellement formalisé, ce qui crée un manque de visibilité quant à la répartition des ressources par juridiction.
La Cour des comptes, dans un rapport d’octobre 2021 ([13]), rappelait la nécessité pour le ministère de la Justice de « se doter d’outils formalisés permettant une meilleure connaissance de l’activité des juridictions ainsi qu’une meilleure allocation des effectifs à leur profit ».
La conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires avait, en 2022, élaboré son propre référentiel, basé sur l’activité de la justice en 2021. Ils estimaient alors qu’il manquait 1 500 magistrats du siège dans les juridictions de première instance, soit 35,5 % des effectifs ([14]).
Un groupe de travail sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats a été initié en 2019 par la direction des services judiciaires. Composé de représentants des conférences des chefs de cour et de juridiction et de représentants des organisations syndicales et professionnelles, il avait pour objectif de définir le besoin national de magistrats, par fonctions juridictionnelles et contentieux de première instance, et en appel.
La réunion conclusive du groupe de travail s’est tenue le 11 juillet dernier. Néanmoins, la direction des services judiciaires a indiqué vouloir poursuivre le travail pour intégrer l’apport de l’équipe autour du magistrat dans l’outil de calcul.
Les résultats du référentiel n’ont pas été officiellement communiqués à la rapporteure, mais les chiffres dont la rapporteure a eu connaissance font état de la nécessité de doubler les effectifs de magistrats. L’Union syndicale des magistrats indique ainsi, dans un communiqué daté du 11 juillet 2024 ([15]), que pour certaines fonctions, il serait nécessaire de doubler voire tripler le nombre de magistrats. Les chiffres de recrutement présentés dans le présent projet de budget sont d’autant plus incompréhensibles au regard des besoins mis en évidence par ce référentiel.
2. La problématique de sous-budgétisation des frais de justice
Les frais de justice représentent les dépenses engagées par les magistrats et les personnes agissant sous leur direction ou leur contrôle au cours de procédures judiciaires, comme les officiers de police judiciaire.
Les frais de justice au titre de la justice civile sont budgétés sur l’action 1 Traitement et jugement des contentieux civils à hauteur de 59,9 millions d’euros pour 2025. L’action 2 Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales porte, elle, outre les crédits qui financent la mise en œuvre de la politique pénale, le budget alloué aux frais de justice pénale.
Le montant alloué aux frais de justice pénale représente 92 % de l’enveloppe globale des frais de justice. Ces frais comprennent notamment les honoraires versés aux différents collaborateurs (experts, huissiers de justice, administrateurs ad hoc, personnes chargées des enquêtes sociales ou de personnalité…).
Une enveloppe de 682,8 millions d’euros est prévue dans le présent projet de budget pour les frais de justice pénale, portant l’enveloppe globale à 742,7 millions d’euros, soit une augmentation de 8,6 % par rapport à la LFI pour 2024.
L’enveloppe dédiée aux frais de justice est en constante augmentation : entre 2017 et 2021, la consommation des crédits a augmenté de 23,7 %. Un nouveau plan de maîtrise des frais de justice a été décidé en 2024, centré sur les quatre segments de frais de justice représentant plus de 50 % de la dépense en 2023 : les analyses et expertises médicales, l’interprétariat-traduction, les interceptions judiciaires et le gardiennage de véhicules.
Cependant, si un effort de sincérité budgétaire avait été consenti en 2021, l’enveloppe dédiée aux frais de justice est régulièrement sous-estimée. La Cour des comptes constatait ainsi en 2024 ([16]) que l’insuffisance des crédits alloués aux frais de justice avait nécessité d’importants mouvements de fongibilité en cours d’exécution, pour financer la hausse de 55 millions d’euros par rapport à la programmation. Elle note que cela entraîne un report de charges élevé sur l’exercice budgétaire suivant et souligne que cette situation « révèle une insuffisance structurelle de la dotation des frais de justice programmée ».
En 2024, le montant ouvert pour les frais de justice était fixé à 674,3 millions d’euros en AE et CP. Ce montant est inférieur aux crédits qui ont été exécutés au titre des frais de justice en 2023, soit 715,9 millions d’euros.
Le montant présenté dans le présent de budget est en réalité une augmentation de 3,9 % des crédits par rapport à l’exécution constatée en 2023, ce qui paraît peu au regard de l’augmentation des frais de justice entre 2022 et 2023 (+ 10,4 %).
Cette sous-estimation du montant des frais de justice pose problème : elle entraîne des mouvements en cours de gestion irrespectueux de l’enveloppe budgétaire votée par le Parlement et elle fragilise les partenaires du système judiciaire qui peuvent être payés avec retard.
L’action 6 Soutien comprend notamment les crédits de fonctionnement des cours d’appel ainsi que les crédits d’investissement pour la réalisation et l’entretien des bâtiments judiciaires. Les autorisations d’engagement connaissent une diminution de 17,7 % pour s’établir à 1 343,8 millions d’euros. Les crédits de paiement connaissent, eux, une baisse de 6,7 % pour s’établir à 1 326,3 millions d’euros.
Une partie importante de la diminution est supportée par la dotation au titre des dépenses d’investissement immobilier des services judiciaires, dont les AE diminuent de 62,3 % et les CP de 25,8 %, sans que cette diminution ne soit expliquée. Aucune mention n’est faite de la programmation immobilière 2023-2027, alors que celle-ci bénéficiait de 138,15 millions d’euros en AE et de 41,2 millions d’euros en CP en LFI pour 2024.
L’action 7 Formation couvre les dépenses liées à la formation continue ainsi que les crédits alloués à l’école nationale de la magistrature (ENM) et à l’ENG. Le montant des crédits s’établit à 209,9 millions d’euros en 2025, soit une augmentation de 6,9 % par rapport à 2024.
La subvention pour charges de service public versée à l’ENM s’établit en 2025 à 49 millions d’euros, soit une augmentation de 3 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en 2024. Cette hausse correspond aux demandes formulées par l’école pour être en mesure d’assurer l’accueil des nouvelles promotions. Selon les informations transmises à la rapporteure par le ministère, le nombre de postes offerts pour les trois concours d’accès à l’ENM en 2025 devrait être fixé à 345, et à 170 pour le nombre de postes ouverts au titre du concours professionnel.
B. La stabilité des crédits dédiés au Programme 101 Accès au droit malgré les besoins
Le programme 101 porte notamment les crédits dédiés à l’aide aux victimes et à l’aide juridictionnelle.
Il est doté pour 2025 de 798,2 millions d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 8,4 % par rapport à 2024. Cette augmentation correspond, pour l’essentiel, à la budgétisation du fonds de financement des dossiers impécunieux. À périmètre constant, les crédits augmentent seulement de 0,6 %.
Le tableau ci-dessous retrace la répartition des crédits par action du programme 101, tels qu’ouverts en LFI pour 2024 et proposés dans le présent projet de budget.
Répartition des crédits du programme 101 par action en LFI 2024 et en PLF 2025
|
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution 2024/2025 |
|||
(en milliers) |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
Aide juridictionnelle |
658,5 |
658,5 |
661,0 |
661,0 |
0,4% |
0,4% |
Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité |
16,1 |
16,1 |
14,5 |
14,5 |
-9,9% |
-9,9% |
Aide aux victimes |
46,5 |
46,5 |
51,0 |
51,0 |
9,7% |
9,7% |
Médiation et espaces de rencontres |
15,1 |
15,1 |
14,2 |
14,2 |
-6,0% |
-6,0% |
Indemnisation des avoués |
0,0 |
0,0 |
3,5 |
3,5 |
/ |
/ |
Subvention au fonds de financement des dossiers impécunieux |
0,0 |
0,0 |
54,0 |
54,0 |
/ |
/ |
TOTAL |
736,2 |
736,2 |
798,2 |
798,2 |
8,4% |
8,4% |
Total périmètre constant |
/ |
/ |
740,7 |
740,7 |
0,6% |
0,6% |
Source : projet annuel de performances de la mission Justice
Deux nouvelles actions ont été créées au sein du programme pour 2025 :
– l’action 5 Indemnisation des avoués porte les crédits de la subvention d’équilibre de 3,5 millions d’euros versée par le ministère au fonds d’indemnisation de la profession des avoués (FIDA) ;
– l’action 6 Subvention au fonds de financement des dossiers impécunieux, dotée de 54 millions d’euros, accueille les crédits versés au fonds de financement des dossiers impécunieux, alimenté auparavant par une taxe instituée par l’article L. 663-3 du code de commerce, dont le produit sera dorénavant affecté au budget général.
1. Des crédits d’aide juridictionnelle insuffisants pour couvrir une amélioration de la rétribution des avocats
L’action 1 Aide juridictionnelle représente 82,8 % des crédits du programme. Elle est dotée de 661 millions d’euros en AE et CP pour 2025, soit une hausse de 0,4 % par rapport à 2024.
Cette enveloppe est répartie de la manière suivante :
– 615,4 millions d’euros de rétributions des avocats, dont 505,8 millions d’euros pour les interventions des avocats devant une juridiction ou lors d’un divorce par consentement mutuel sous seing privé. Le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle a augmenté de 3 % entre 2019 et 2023. Pour 2025, le nombre prévisionnel d’admissions est estimé à 1 178 951, soit une augmentation de 2,8 % par rapport à la prévision 2024 ;
– 23,4 millions d’euros pour rétribuer les autres auxiliaires de justice, soit une diminution de 0,9 million d’euros par rapport à 2024. Le projet annuel de performances souligne un risque de sous-financement ;
– 22,1 millions d’euros au titre de la contractualisation locale avec les barreaux : lorsqu’un barreau conclut une convention avec un tribunal en s’engageant sur la qualité de la défense et la présence d’un avocat dans un certain nombre de procédures, une dotation complémentaire lui est versée ;
– 0,1 million d’euros versés à l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA) pour améliorer les outils de gestion de l’aide juridictionnelle.
L’aide juridictionnelle est accordée sous condition de ressources. La rétribution des avocats est calculée à partir d’une unité de valeur : à chaque procédure est associée un niveau d’unité de valeur (UV). L’UV est fixée aujourd’hui à 36 euros. Il est admis que son montant correspond à une demi-heure de travail. La dernière revalorisation de l’unité de valeur était prévue à l’article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, avec un passage de 34 à 36 euros. Rien n’est prévu dans le présent projet sur le périmètre ou le montant de l’UV de l’aide juridictionnelle.
Pourtant, des travaux récents convergent sur la nécessité de rehausser le montant de l’UV. En 2020, le cabinet KPMG, sollicité par la conférence des bâtonniers et le barreau de Paris, a produit un rapport sur le coût horaire pour un avocat. Il constate que le nombre d’heures indemnisées est généralement inférieur au nombre d’heures déclarées par les avocats sur les dossiers d’aide juridictionnelle. Il souligne également qu’avec un coût horaire estimé à 115 euros, l’avocat travaille forcément à perte sur un dossier d’aide juridictionnelle, rémunéré environ 72 euros de l’heure.
Le rapport d’information rendu en juillet 2019 par les députés M. Gosselin et Mme Moutchou sur l’aide juridictionnelle recommandait de « garantir une revalorisation régulière de la rétribution des avocats prenant en compte l’évolution des contentieux et des frais de fonctionnement des avocats » ([17]). Aucun mécanisme de réévaluation n’a été mis en place à ce jour.
La mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, présidée par Dominique Perben, a rendu un rapport en juillet 2020 ([18]) qui préconisait de revaloriser l’unité de valeur pour la fixer à 40 euros. Le Conseil national des barreaux, lors de son assemblée générale du 4 mars 2024, a approuvé un rapport présentant les revendications des avocats en matière d’aide juridictionnelle, dans lequel il sollicite une revalorisation du montant de l’unité de valeur à 42,2 euros.
La rapporteure, au vu de ces différents éléments, suggère d’augmenter le budget de l’aide juridictionnelle à hauteur de 425 millions d’euros pour fixer l’UV à 60 euros, comme le demande la profession. À défaut, elle proposera une augmentation à hauteur de 77,5 millions d’euros pour fixer l’UV à 42,2 euros.
Recommandation n° 5 : augmenter l’unité de valeur qui sert de base au calcul de l’aide juridictionnelle pour la fixer à 42,2 euros, soit un budget de 77,5 millions d’euros.
2. Le développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité
L’action 2 Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité finance les 101 conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), les quatre conseils de l’accès au droit (CAD) et les 3 029 points-justice. Les crédits alloués à l’action diminuent de 9,9 % en AE et CP pour s’établir à 14,5 millions d’euros.
Cette baisse s’explique par une évolution moins forte du nombre de points-justice dans le réseau France Services : alors que la cible était fixée à 1 331 implantations en 2024, l’objectif a été revu à la baisse. Pour 2025, la prévision s’établit à 933 points-justice sur l’ensemble du territoire.
La diminution peut également s’expliquer par une moindre contribution du ministère de la Justice au programme France Services (0,38 million d’euros en 2025 contre 1,98 million d’euros en 2024), en raison de l’arrivée de nouveaux opérateurs modifiant la clé de répartition.
3. L’augmentation des crédits de la politique d’aide aux victimes fortement alimentée par la hausse du nombre de téléphones grave danger (TGD)
L’action 3 Aide aux victimes finance les crédits alloués aux associations d’aide aux victimes, ainsi que le dispositif de protection des victimes, le téléphone grave danger (TGD). La seconde partie de cet avis étant consacrée aux violences intrafamiliales et à la justice des mineurs, le dispositif des TGD y sera développé plus longuement.
Les crédits alloués à l’action 3 s’établissent à 51 millions d’euros en AE et CP, ce qui représente une augmentation de 9,7 % par rapport à 2024 (soit une hausse de 4,5 millions d’euros). Outre les associations d’aide aux victimes, l’action finance l’équipement des salles d’audition des unités d’accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) dans les hôpitaux, mais aussi la mise en œuvre de mesures de justice restaurative.
Une grande partie de la hausse des crédits vient financer la progression du nombre de TGD déployés sur le territoire : hors accompagnement, 11,5 millions d’euros sont prévus dans le budget 2025, contre 9,2 millions d’euros dans celui de 2024. Le ministère anticipe une hausse des besoins à hauteur de 15 %. Alors qu’au 4 octobre 2024, 6 410 TGD étaient déployés sur le territoire, ce nombre pourrait atteindre 7 100 en 2025.
Chaque TGD accordé mobilise une association, qui est chargée d’accompagner la victime lors de la remise et pendant toute la durée de la mesure : il est donc fondamental de prévoir, pour chaque TGD, les crédits nécessaires pour financer cet accompagnement (chiffré autour de 1 000 euros par le ministère de la Justice).
L’action ne prévoit en revanche aucun crédit pour compenser l’élargissement aux associations d’aide aux victimes de la prime dite « Ségur », prévu par l’arrêté du 5 août 2024 portant extension d’un accord conclu dans le secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif. Plusieurs associations ont alerté la rapporteure sur les conséquences de cet élargissement à portée rétroactive pour 2024, dont elles n’avaient pas eu préalablement connaissance, et dont elles n’ont pas eu la possibilité d’anticiper la charge financière.
Alors que les associations concernées, comme par exemple les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), sont des partenaires essentiels de l’État dans la mise en œuvre de la politique publique d’aide aux victimes, il n’a pas été tenu compte des répercussions budgétaires d’un tel élargissement. La rapporteure alerte sur le risque de fragilisation du réseau d’associations locales, qui est réel, et qui doit être pris en compte par le ministère de la Justice.
Recommandation n° 6 : prévoir les crédits nécessaires pour prendre en charge le coût pour les associations d’aide aux victimes de l’élargissement de la prime « Ségur ».
4. La diminution des crédits de l’action 4 s’explique par le choix fait de financer les espaces de rencontre au détriment de la médiation
L’action 4 Médiation et espaces de rencontre finance le réseau d’associations locales qui animent les espaces de rencontre et œuvrent dans le domaine de la médiation. Ses crédits diminuent de 6 % pour s’établir à 14,2 millions d’euros en 2025. Dans le détail, les crédits pour les associations locales de médiation familiale diminuent de 17,7 % et ceux dédiés aux associations locales gérant un espace de rencontre augmentent de 6 %.
Cette coupe budgétaire apparaît en contradiction avec les objectifs affichés de développement de la médiation. Le projet annuel de performances annexé au PLF fait d’ailleurs état d’une progression de 4,2 % du nombre d’entretiens et de réunions de médiation familiale entre 2011 et 2023.
Selon les chiffres de celui-ci, les situations de violences conjugales ont représenté, en 2023, près de 40 % de l’activité des espaces de rencontre. S’il est donc essentiel que les crédits de ces structures soient préservés, la rapporteure déplore le procédé consistant à dépouiller la médiation pour alimenter les espaces de rencontre.
C. Le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice subit de plein fouet la baisse des crédits du minsitère de la Justice
Placé sous la responsabilité de la secrétaire générale du ministère, le programme 310 est un programme support, qui porte les crédits nécessaires à l’accompagnement des directions pour la mise en œuvre des politiques transversales.
Il est composé de sept actions, incluant l’informatique ministérielle, les politiques de ressources humaines transversales et la gestion de l’administration centrale.
Les crédits du programme tels que prévus par le présent projet de budget s’établissent à 640,5 millions d’euros en AE et 703,9 millions d’euros en CP, en baisse respectivement de 16,6 % des AE et 5,8 % des CP.
Le tableau ci-dessous retrace par actions les ouvertures de crédits proposés dans le présent PLF.
Répartition des crédits du programme 310 par action en LFI 2024 et PLF 2025
|
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution 2024/2025 |
|||
(en millions) |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
État-major |
11,2 |
11,2 |
12,0 |
12,0 |
7,1% |
7,1% |
Activité normative |
31,9 |
31,9 |
34,4 |
34,4 |
7,8% |
7,8% |
Évaluation, contrôle, études et recherche |
25,4 |
25,0 |
25,1 |
25,3 |
-1,2% |
1,2% |
Gestion de l'administration centrale |
219,8 |
222,8 |
192,9 |
214,2 |
-12,2% |
-3,9% |
Développement des techniques d'enquêtes numériques judiciaires |
39,0 |
56,3 |
36,6 |
54,7 |
-6,2% |
-2,8% |
Action informatique ministérielle |
371,9 |
330,7 |
266,4 |
290,2 |
-28,4% |
-12,2% |
Politiques RH transversales |
69,1 |
69,1 |
73,1 |
73,1 |
5,8% |
5,8% |
TOTAL |
768,3 |
747,0 |
640,5 |
703,9 |
-16,6% |
-5,8% |
Source : projet annuel de performances de la mission Justice
Alors que les crédits du programme 310 ont déjà été significativement réduits lors de l’exécution budgétaire 2024 (- 14,7 % des AE et - 6,6 % des CP ouvertes en loi de finances pour 2024), ils sont en nette diminution en prévision pour 2025, obérant ainsi les capacités du ministère de la Justice à soutenir les juridictions et à poursuivre ses investissements, notamment en matière informatique. De même, aucune création d’emploi n’est prévue sur le programme pour l’an prochain.
Trois actions sont particulièrement touchées.
L’action 4 Gestion de l’administration centrale porte les crédits nécessaires au fonctionnement des services de de l’administration centrale et des délégations interrégionales du secrétariat général. Elle comprend également les subventions pour charges de service public et les subventions pour charges d’investissement de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) et de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ).
L’action voit ses crédits diminuer de 12,2 % en AE et 3,9 % en CP : cette diminution s’explique notamment par l’annulation ou le report de projets immobiliers de réhabilitation importants, la priorité étant donnée aux travaux de sécurisation des sites centraux et à la maintenance des bâtiments. Les dotations versées aux deux opérateurs (AGRASC et APIJ) sont stabilisées à un niveau identique à celui de la LFI pour 2024, à hauteur respectivement de 12,2 millions et 18 millions d’euros.
L’action 5 Développement des techniques d’enquêtes numériques judiciaires voit, elle, ses crédits rabotés à hauteur de 6,2 % s’agissant des AE et de 2,8 % s’agissant des CP. Le projet annuel de performances mentionne une mesure de transfert qui expliquerait cette diminution, sans plus de précision.
Enfin, les crédits de l’action 9 Action informatique ministérielle (hors titre 2) diminuent de 32,8 % en AE et de 13,5 % en CP : cette diminution forte aura des conséquences sur l’ensemble des projets informatiques conduits par le ministère, en en retardant la mise en œuvre ou en obligeant à en revoir à la baisse les ambitions. Le projet annuel de performances ne permet pas d’identifier les projets informatiques concernés, les crédits prévus pour chaque projet en 2025 n’étant pas renseignés : cela pose de réels problèmes quant à l’information du Parlement sur la répartition des crédits soumis à son vote.
Il est néanmoins certain que cette diminution des AE obère les investissements pour l’avenir alors que le monde judiciaire travaille avec des logiciels anciens et inadaptés aux enjeux qui sont les siens.
Si la rapporteure comprend la priorité donnée aux juridictions, elle alerte sur l’effet néfaste et les conséquences de ces économies de court terme alors même que la justice n’est encore qu’au milieu du gué s’agissant de la rénovation de son parc immobilier et de la transformation numérique de ses procédures.
D. Le budget du Conseil supérieur de la magistrature stable malgré la hausse de son activité
Le programme 305 regroupe les crédits qui lui sont alloués pour couvrir ses coûts de fonctionnement et ses dépenses de personnel, soit 4,8 millions d’euros en AE et 5,9 millions d’euros en CP.
Crédits alloués au Conseil supérieur de la magistrature en LFI 2024 et dans le PLF pour 2025
|
LFI pour 2024 |
PLF pour 2025 |
Évolution 2024/2025 |
|||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Conseil supérieur de la magistrature |
4 638 029 |
5 720 822 |
4 832 456 |
5 915 249 |
4,2% |
3,4% |
Source : projet annuel de performances de la mission Justice
Cela représente une augmentation des crédits de paiement de 3,4 % par rapport à la LFI pour 2024.
Les dépenses de personnel, qui représentent 60,6 % des crédits de paiement ouverts sur le programme, couvrent à la fois la rémunération des 22 membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et celle des effectifs du secrétariat général (24 ETP).
L’activité du CSM demeure soutenue. Depuis 2008, il peut être saisi directement par tout justiciable qui estime qu’un magistrat n’a pas eu un comportement adapté à l’occasion d’une procédure judiciaire qui concerne le dit justiciable. Comme l’indique le projet annuel de performances, le nombre de plaintes ne cesse d’augmenter (+ 41,5 % entre 2022 et 2023), ce qui mobilise fortement les services du Conseil.
Le CSM est également chargé d’élaborer une charte de déontologie des magistrats, mission confiée par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
Alors que le budget CSM a été lui aussi soumis à des annulations et des gels de crédits en 2024 (à hauteur de 10,2 % des AE et de 8 % des CP ouvertes en LFI 2024), les crédits pour 2025 ne sont pas suffisants pour permettre au Conseil d’assurer ses missions dans de bonnes conditions. Celui-ci avait chiffré ses besoins en ressources humaines à quatre ETP supplémentaires. Or, le présent PLF ne prévoit aucune augmentation du plafond d’emplois du programme, fixé à 24 ETP. La rapporteure propose donc d’y remédier.
Recommandation n° 7 : abonder les crédits du programme 335 Conseil supérieur de la magistrature à hauteur de 267 000 euros pour financer quatre postes supplémentaires.
— 1 —
Seconde partie : Violences intrafamiliales et justice des mineurs, des moyens budgÉtaires insuffisants
Si les enjeux ne sont pas les mêmes s’agissant des violences intrafamiliales et de la justice des mineurs, des constats similaires peuvent être dressés : le manque d’indicateurs budgétaires pour suivre correctement les montants qui y sont alloués, des contentieux avec un volume important de procédures et surtout des domaines dans lesquels le législateur intervient très régulièrement, sans que l’augmentation des effectifs ne soit nécessairement proportionnée.
I. Les violences intrafamiliales, un flÉau de sociÉTÉ DEVENU CONTENTIEUX DE MASSE
Le terme « violence intrafamiliale » vise, selon le glossaire du ministère de l’Intérieur, « toute forme de violences commises par une personne ayant un lien de famille au sens large avec la victime (conjoint, ex-conjoint, père, mère, fille, fils, oncle, tante…) que cette personne réside ou non avec la victime » et inclue les violences conjugales. L’évolution des victimes recensées par la police et la gendarmerie nationales montre une augmentation significative depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019, qui a participé à mettre en lumière ces violences, qui pouvaient auparavant être perçues comme relevant de la sphère privée et non des pouvoirs publics.
Le nombre d’affaires de violences conjugales portées à l’attention des agents de la police, de la gendarmerie et de la justice a fortement augmenté depuis 2019. Le tableau ci-dessous illustre le nombre des victimes de violences conjugales enregistrées par la police et la gendarmerie depuis 2020.
Évolution du nombre deS victimes de violences conjugales enregistrées depuis 2020
|
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
évolution 2020/2023 |
Victimes de violences conjugales |
171 926 |
211 622 |
247 143 |
271 263 |
57,78% |
Homicides conjugaux |
125 |
143 |
145 |
115 |
/ |
Source : publications du service statistique ministériel de la sécurité intérieure
Dans ces statistiques, les violences prises en compte par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure comprennent les violences physiques, les violences sexuelles physiques, le harcèlement sexuel et les violences verbales ou psychologiques. La proportion de femmes parmi les victimes reste sensiblement stable depuis 2020 : elle était de 87 % en 2020 et de 85 % en 2023. En 2023, la tranche d’âge la plus concernée est celle des 30-34 ans, qui concentre 17 % des victimes.
Les violences enregistrées par les forces de sécurité ne représentent qu’une partie des victimes : selon une enquête menée par le ministère de l’Intérieur en 2022, seule une victime de violences conjugales sur sept l’a déclaré aux services de sécurité.
Les différents interlocuteurs de la rapporteure ont confirmé que l’augmentation des affaires de violences intrafamiliales, notamment de violences conjugales, dans des proportions significatives, pèse sur l’ensemble de la chaîne judiciaire, notamment sur les parquets, qui sont souvent en première ligne s’agissant de ce contentieux.
B. L’appropriation par les magistrats de nouveaux outils pour y faire face
Depuis 2010, le législateur et les gouvernements successifs ont doté les juridictions de nouveaux outils pour lutter plus efficacement contre les violences intrafamiliales, et plus particulièrement contre les violences conjugales. Quatre de ces outils sont présentés ci-dessus : l’ordonnance de protection, le dispositif du téléphone grave danger, le bracelet anti-rapprochement et le pôle « violences intrafamiliales ».
1. L’ordonnance de protection, un dispositif encore trop méconnu
L’ordonnance de protection a été créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
Pour délivrer une ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales (JAF), qui statue sur la demande d’ordonnance de protection, doit considérer que deux éléments sont vraisemblables : les faits de violence et un danger pour la victime ou l’un de ses enfants (article 515-11 du code civil).
Cet outil, à la main du juge civil, peut comporter des mesures de nature pénale. Ainsi, le JAF saisi peut prononcer diverses mesures de protection de la victime vraisemblable (interdiction d’entrer en contact, stage de responsabilisation de l’auteur vraisemblable…) et d’organisation de la séparation du couple (attribution du logement à la victime vraisemblable, détermination de la résidence habituelle des enfants…). Depuis la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, un délai maximal de six jours a été fixé entre la fixation de la date d’audience et la délivrance de l’ordonnance de protection.
La délivrance d’une ordonnance de protection n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable : cette mention explicite, ajoutée par l’article 2 de la loi du 28 décembre 2019, avait pour objectif de lever un blocage constaté dans la mise en œuvre de l’ordonnance de protection, c’est-à-dire l’exigence par certaines juridictions d’une plainte pénale pour accéder à la demande de délivrance d’ordonnance de protection.
En juin 2020, un comité de suivi de l’ordonnance de protection (CNOP) a été mis en place, pour accompagner les juridictions dans le développement de l’ordonnance de protection et suivre son déploiement. Il a publié un premier rapport d’activité en juin 2021 ([19]), qui réalise un état des lieux du prononcé de l’ordonnance de protection et un suivi de l’application de la loi du 28 décembre 2019. Le comité a ainsi formulé un certain nombre de préconisations, dont le retrait de la condition de danger actuellement nécessaire dans la loi. D’après les informations de la rapporteure, l’existence du CNOP est en suspens depuis la formation du nouveau Gouvernement, ce qu’elle déplore.
La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate a modifié le dispositif de l’ordonnance de protection en allongeant le délai pour lequel elle peut être délivrée à douze mois (contre six auparavant). Elle précise également explicitement qu’une ordonnance de protection peut être délivrée même en l’absence de cohabitation du couple.
L’inspection générale de la justice faisait le constat dans un rapport d’octobre 2019 ([20]) d’un mécanisme encore « inexploité » et d’un outil « rarement utilisé par les victimes conjugales les plus graves ainsi que par les acteurs de terrain ».
Selon les chiffres du ministère de la Justice, 3 997 ordonnances ont été délivrées en 2023, contre 1 392 en 2017. Selon ceux de la DACS cités dans un rapport sénatorial ([21]), le nombre de demandes s’établissait en 2023 à 6 435, soit un taux d’acceptation de 62,1 %. Si le nombre d’ordonnances délivrées a incontestablement augmenté par rapport à 2010, il reste très faible par rapport au nombre des victimes conjugales enregistrées chaque année par les forces de sécurité. Les associations féministes demandent, avec raison, le lancement d’une campagne de communication sur ce dispositif.
2. Le téléphone grave danger, un dispositif utile à déployer plus largement
Le dispositif du téléphone grave danger (TGD) a été créé par l’article 36 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et il est prévu aujourd’hui à l’article 41-3-1 du code de procédure pénale. Il avait été auparavant expérimenté dans plusieurs cours d’appel.
Les conditions de remise du téléphone sont prévues par l’article 41-3-1 du code de procédure pénale : le téléphone peut être accordé par le procureur de la République à une personne victime de violences de la part de son conjoint, pour une durée de six mois renouvelable. La victime doit donner son consentement et ne pas cohabiter avec l’auteur des violences. La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a élargi les cas possibles d’attribution d’un TGD aux situations dans lesquelles l’auteur des violences est en fuite ou la demande d’ordonnance de protection n’a pas encore fait l’objet d’une décision.
Une fois le téléphone accordé, il est remis à la victime par une association d’aide aux victimes, qui lui présente le dispositif et vérifie le bon fonctionnement du téléphone. Lorsque la victime déclenche l’alerte, elle est mise en relation avec une plateforme de téléassistance gérée par un prestataire externe qui évalue la situation et alerte éventuellement les forces de l’ordre en cas de situation dangereuse. Les associations suivent la personne détentrice d’un TGD tout au long de la mesure pour assurer un accompagnement pluridisciplinaire et adapter les mesures de protection à l’évolution de la situation de la victime. Le coût de l’accompagnement d’une personne porteuse d’un téléphone grave danger est estimé par le ministère à 1 000 euros.
Les juridictions se sont progressivement emparées de ce nouvel outil. Au 1er août 2017, 543 téléphones étaient déployés sur le territoire. Au 4 octobre 2024, 6 410 téléphones étaient déployés sur le territoire.
Si le ministère ne souhaite pas se fixer d’objectif précis, il a été indiqué à la rapporteure que le PLF avait été construit sur l’hypothèse de 7 100 téléphones déployés en 2025. Si elle reconnaît les efforts déjà engagés pour rehausser ce nombre, elle propose d’aller plus loin en visant dès 2025 un nombre de 7 500 téléphones déployés, soit la cible suggérée par la Fondation des femmes dans son rapport « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? » ([22]). Il est en effet essentiel que les juridictions aient à leur disposition un stock de TGD suffisant pour ne pas avoir à donner la priorité à certaines victimes sur d’autres.
Recommandation n° 8 : allouer le budget nécessaire pour atteindre la cible de 7 500 TGD déployés en 2025.
3. Le bracelet anti-rapprochement
La loi du 28 décembre 2019 a également créé le dispositif du bracelet anti-rapprochement (BAR). Les conditions de sa mise en œuvre ont été précisées par le décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020 relatif à la mise en œuvre d’un dispositif électronique anti-rapprochement.
Il est délivré sur décision d’un magistrat du siège : soit par un juge d’instruction, soit par un juge des libertés et de la détention (article R 24-14 du code de procédure pénale). La décision du juge fixe la distance d’alerte, c’est-à-dire la distance minimale que doit respecter le porteur du bracelet avec la personne protégée, et la distance de pré-alerte, qui représente le double de la distance d’alerte. Dès que le porteur d’un bracelet s’introduit dans la zone de pré-alerte, le téléopérateur est averti et l’enjoint de s’éloigner. La distance d’alerte ne peut être inférieure à un kilomètre ou supérieure à dix kilomètres (article R 24-18 du code de procédure pénale). Le rôle d’accompagnement par les associations d’aide aux victimes est similaire à celui décrit dans le cadre de la remise d’un TGD.
Les crédits consacrés au financement du BAR sont portés par le programme Administration pénitentiaire et s’élèvent à 10,6 millions d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 1,9 % par rapport à ceux ouverts en LFI pour 2024. Selon le projet annuel de performances, au 1er juillet 2024, 826 bracelets étaient déployés, soit une diminution de 11,3 % par rapport à la situation au 1er juillet 2023 (932 bracelets déployés).
La Fondation des femmes, dans son rapport sur le budget alloué aux violences faites aux femmes précité, n’estime pas nécessaire pour le moment d’augmenter le nombre de BAR en circulation.
4. La mise en place des pôles violences intrafamiliales à moyens constants
L’ampleur du phénomène des violences intrafamiliales a conduit la Première Ministre, Élisabeth Borne, à confier à la députée Émilie Chandler et à la sénatrice Dominique Vérien une mission parlementaire sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Remis en mai 2023 au garde des Sceaux, le rapport « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales » formulait 59 recommandations ([23]).
En matière d’organisation judiciaire, les parlementaires avaient plusieurs préconisations :
– créer un pôle violences intrafamiliales au sein des parquets ;
– créer une chambre spécialisée en violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel ;
– affecter des attachés de justice au sein des pôles spécialisés du parquet et des chambres spécialisées, pour assurer un suivi des dossiers aux différentes étapes du circuit judiciaire.
Le garde des Sceaux, dans la continuité de ce rapport, a annoncé en mai 2023 la création de pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, dits « pôles VIF », dans tous les tribunaux judiciaires et cours d’appel.
Les « pôles VIF »
Aux termes de la circulaire du garde des Sceaux du 24 novembre 2023 ([24]), le décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel a pour objectifs l’harmonisation et la systématisation à l’échelle nationale des dispositifs de coordination relatifs aux affaires de violences intrafamiliales. S’ils ne disposent d’aucune compétence juridictionnelle propre, ces « pôles VIF » doivent permettre une approche transversale et coordonnée des dossiers entre tous les magistrats concernés au civil comme au pénal et au parquet comme au siège. Ils visent à inscrire dans l’organisation des juridictions l’orientation nouvelle de la politique pénale vers un traitement global des violences commises dans la famille.
Gérés par deux coordonnateurs appartenant respectivement au siège et au parquet, les « pôles VIF » rassemblent les référents de chacun des services et des pôles juridictionnels impliqués dans le parcours judiciaire des « dossiers VIF » (juge des enfants, juge d’instruction, juge aux affaires familiales, greffe, etc.). Pour les effectifs rattachés, ce sont des missions nouvelles, donc un surcroît de charge de travail, qui s’ajoutent à leurs fonctions administratives ou juridictionnelles préexistantes.
Les travaux de la rapporteure témoignent d’une mise en place inégale sur le territoire, organisée à moyens constants. Si certaines juridictions, à l’image des tribunaux judiciaires de Pontoise et de Bobigny, ont fait émerger des dispositifs aboutis permettant une réelle amélioration de la communication entre les magistrats, d’autres n’auraient pas mis en œuvre d’instance de coordination effective. L’affectation de moyens humains aux pôles est, par ailleurs, laissée à la discrétion des chefs de juridictions. Le coup d’arrêt au recrutement des juristes-assistants prévu par le présent PLF ([25]) , alors que certains avaient été prioritairement attachés aux « pôles VIF », pourrait en fragiliser le bon fonctionnement.
Cette mesure d’organisation judiciaire, qui est au demeurant la bienvenue, ne paraît pas de nature, à elle seule, à modifier le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, qui demeure insatisfaisant.
Ainsi, en 2022, sur les 117 289 personnes orientées par les parquets pour une affaire de violences conjugales, seules 42,3 % avaient fait l’objet de poursuites (hors composition pénale) et 32,3 % avaient été condamnés. En 2019, le taux de personnes ayant fait l’objet de poursuites s’établissait à 42 %. Il y a donc eu peu d’évolution en proportion, bien que le nombre de personnes concernées ait augmenté de 49 %. Ces taux illustrent la persistance des difficultés à apporter une réponse judiciaire à ce phénomène de société.
La rapporteure rejoint ainsi la recommandation formulée par la Fondation des femmes de recruter trois magistrats et un coordinateur par tribunal judiciaire afin d’assurer le renforcement de la chaîne pénale ([26]). Ces magistrats devraient être spécialement formés en matière de violences sexuelles et sexistes.
Recommandation n° 9 : recruter 603 magistrats spécialisés en matière de violences sexuelles et sexistes.
Recommandation n° 10 : renforcer le budget alloué à la formation continue des magistrats en matière de violences sexuelles et sexistes.
Enfin, la présidente de la cour d’appel de Poitiers, Mme Gwenola Joly-Coz, a évoqué lors d’une table ronde une expérimentation mise en place par la cour d’appel de Poitiers, pour juger tous les aspects d’un dossier, civils comme pénaux, au cours de la même audience. Cette expérimentation, qui décloisonne le civil et le pénal, a semblé particulièrement pertinente à la rapporteure.
C. Mais un budget qui n’est pas proportionnÉ aux besoins constatÉs
La direction des services judiciaires a confirmé qu’elle ne disposait pas d’indicateurs pour suivre le budget alloué aux procédures de violences intrafamiliales. La rapporteure regrette qu’aucune comptabilité analytique n’existe s’agissant des violences intrafamiliales : cela ne permet pas à la représentation nationale de vérifier que les moyens financiers sont bien proportionnés à la hausse importante du contentieux.
La Fondation des femmes, dans son rapport précité, estime que l’État a dépensé en 2023 171,1 millions d’euros pour lutter contre les violences conjugales. Le rapport chiffre les besoins à hauteur de 2,3 milliards d’euros pour accompagner les victimes de violences conjugales. La France a donc encore des progrès à faire en la matière. Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation, a souligné lors de son audition par la rapporteure qu’il serait nécessaire que le budget de la Justice y consacre environ 300 millions d’euros, notamment pour recruter des magistrats spécialisés.
Au-delà des moyens manquants dans les juridictions, dont le constat a été fait supra, la rapporteure souhaite insister sur le manque d’ambition en matière d’aide aux victimes. La politique publique de lutte contre les violences intrafamiliales ne pourrait pas exister sans les associations d’aide aux victimes, qui sont fragilisées par l’absence de pilotage budgétaire, comme en témoigne l’élargissement de la prime Ségur exposé supra. Or, l’augmentation importante du contentieux des violences intrafamiliales a également des conséquences sur l’activité des associations d’aide aux victimes, que celles-ci soient généralistes ou spécialisées.
Le centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Val d’Oise (CIDFF 95), un pilier du département en matière de lutte contre les violences intrafamiliales
Le CIDFF 95 est une association créée en 1982 et agréée par l’État en application du décret n° 2015-1745 du 23 décembre 2015 relatif à l’agrément des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Le centre a pour objet la mise à disposition d’informations gratuites de nature juridique, sociale, éducative, familiale, professionnelle ou de santé, à destination des femmes et des familles. Rattaché à la fédération nationale des CIDFF, qui comprend 98 centres, le centre du Val d’Oise prend directement part aux politiques publiques d’accès au droit pour les femmes, de promotion de l’égalité des genres et de lutte contre les violences et préjugés sexistes. Depuis 1992, l’association adhère également au réseau France Victimes, qui comprend 130 associations d’aide aux victimes, et propose, dans ce cadre, un accompagnement global aux victimes d’infractions pénales.
Composée, pour sa partie opérationnelle, de neuf juristes, trois psychologues spécialisées et une travailleuse sociale, l’équipe du CIDFF 95 propose un suivi des victimes, incluant l’information juridique, le soutien psychologique et l’accompagnement social. Si le siège social de l’association se situe à Cergy, seule une part minoritaire de son action s’y localise. L’équipe du CIDFF intervient ainsi quotidiennement sur 33 lieux de permanence délocalisés, répartis sur 23 communes du Val d’Oise, notamment dans les sept maisons de justice et du droit du département. Sur le site du tribunal judiciaire de Pontoise, le CIDFF 95 est chargé d’animer le bureau d’aide aux victimes qui assure des entretiens relatifs aux procédures administratives et pénales. L’association gère également un bureau de protection des victimes qui prend en charge les plus fragiles, c’est-à-dire celles dont les situations présentent une urgence ou gravité particulières.
Le CIDFF 95 porte un certain nombre de dispositifs mis en place pour protéger les victimes de violences, tels que le téléphone grave danger, le bracelet antirapprochement ou le « pack nouveau départ », expérimenté depuis mars 2023 dans le Val d’Oise. Ce dernier consiste à coordonner différentes aides, auprès des partenaires publics ou associatifs, afin qu’une victime de violences conjugales bénéficie rapidement de toutes les aides dont elle peut avoir besoin, notamment une aide pour le retour à l’emploi, un accompagnement psychologique ou encore une place dans une structure d’hébergement d’urgence. Le CIDFF 95 intervient aussi sur réquisition du parquet pour réaliser les évaluations personnalisées des besoins de protection des victimes, dites EVVI ([27]), l’accompagnement des victimes dans la mise en œuvre des ordonnances de protections et la notification de classement sans suite auprès des victimes d’infractions graves.
En 2023, environ 7 500 victimes ont été reçues dans les permanences du CIDFF 95, ce qui représente environ 15 600 entretiens confidentiels et gratuits, une augmentation annuelle de 14 % par rapport à 2022. Les femmes victimes de violences ont représenté 79 % des victimes reçues par le CIDFF 95. Plus d’une femme victime sur deux a été reçue pour des faits de violences conjugales. Avec les 70 TGD dont disposait la juridiction du Val d’Oise en 2023 (75 en 2024), le CIDFF 95 a informé, équipé et accompagné 175 femmes victimes de violences, et réalisé 935 entretiens. Quant aux BAR, 47 victimes ont pu être suivies en 2023, ce qui représente 132 entretiens réalisés.
Si le ministère indique un doublement des crédits consacrés à l’aide aux victimes de violences conjugales depuis 2020 (8 millions d’euros en 2020 contre 17,2 millions d’euros en 2024), les associations ont fait part de leur désarroi quant à la complexification des situations de violences intrafamiliales et à leur difficulté à atteindre l’ensemble des victimes. La rapporteure formule donc le souhait de voir le budget alloué aux associations d’aide aux victimes augmenter et a déposé un amendement en ce sens.
Recommandation n° 11 : augmenter les crédits alloués aux associations d’aide aux victimes.
La rapporteure plaide également pour une modification du barème de l’aide juridictionnelle, afin que soit pris en charge au titre de l’aide à l’intervention l’accompagnement d’une victime de violences conjugales par un avocat lorsqu’elle dépose plainte. Cette demande des représentants des avocats était déjà l’une des recommandations du rapport parlementaire sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales ([28]), évoqué supra. Elle permettrait de mieux cadrer cette première étape, fondamentale, du processus judiciaire.
Recommandation n° 12 : prévoir la rémunération de l’avocat au titre de l’aide à l’intervention lorsqu’il assiste une victime de violences intrafamiliales ou sexuelles ou sexistes lors de son dépôt de plainte, soit un budget de 36,6 millions d’euros.
II. Justice des mineurs : l’insuffisance des moyens budgÉtaires favorise le glissement vers le répressif au dÉtriment de l’Éducatif
L’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante posait les grands principes de la justice pénale des mineurs : l’atténuation de la responsabilité pénale du mineur en fonction de son âge, une spécialisation des juridictions et des procédures, et la primauté de la réponse éducative sur la réponse répressive.
A. Une justice spécialisée en souffrance
Comme pour les violences intrafamiliales, la rapporteure déplore l’absence d’indicateurs qui permettraient de suivre le budget alloué à la justice des mineurs. Elle constate que les travaux sur la justice des mineurs et la protection de l’enfance se succèdent et mettent tous en avant une justice en crise, qui devient maltraitante pour les enfants et qui plonge les personnels dans la souffrance. Le manque de moyens et d’effectifs, à tous les niveaux, fragilise la bonne exécution des décisions de justice et ne permet pas d’orienter correctement les mineurs.
Le syndicat de la magistrature faisait ainsi un état des lieux alarmant dans une étude publiée en mai 2024 ([29]) : son enquête révèle que 50 % des juges suivent 450 situations ou plus, soit au moins 800 enfants et que 77 % des juges des enfants ont déjà renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger dans leur famille, en raison d’absence de place ou structure adaptée à leur accueil. De plus, 30 % des 522 juges des enfants tiennent leurs audiences d’assistance éducative sans greffier, et 70 % s’en dispensent parfois, alors qu’il revient normalement au greffier de prendre les notes d’audience et de notifier les jugements.
Le syndicat de la magistrature a ainsi souligné dans sa contribution écrite aux travaux de la rapporteure que selon le référentiel élaboré avec le ministère de la Justice, les juges des enfants devraient être 235 juges supplémentaires. La rapporteure a donc déposé en commission un amendement pour financer le recrutement de 235 magistrats et 235 greffiers supplémentaires, en fléchant ces recrutements vers les cabinets de juge des enfants.
Une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance avait été lancée sous la seizième législature. Ses travaux ont été interrompus par la dissolution, puis relancés au début de la nouvelle législature. La commission avait cependant déjà conduit un certain nombre d’auditions. Ainsi, les représentants du Conseil national des barreaux avaient alerté lors de leur audition sur « l’épuisement des juges des enfants et des greffiers » et sur les « retards endémiques [dans l’exécution des mesures en assistance éducative] qui s’expliquent essentiellement par un manque de moyens consacrés à la protection de l’enfance et à la justice des mineurs » ([30]).
Dans sa contribution aux travaux de la commission d’enquête, l’Union syndicale des magistrats (USM) souligne l’importance de certains délais d’exécution des mesures judiciaires : ainsi, à Bobigny, le délai d’exécution pour une action éducative en milieu ouvert (AEMO) est de 11 mois, celui de mise en place d’une AEMO renforcée entre 18 mois et 2 ans. Elle constate également qu’il arrive fréquemment que les modalités des mesures de placement décidées par les juges des enfants soient inexécutées (les droits de visite médiatisés par exemple).
L’USM a confirmé cet état de lieux dans sa réponse au questionnaire de la rapporteure : le syndicat dénonce « la non-exécution ancienne et scandaleuse des décisions de justice en matière d’assistance éducative » ainsi qu’une charge de travail très lourde pour les cabinets des juges des enfants, en lien avec une augmentation des saisines judiciaires. Il conclut à la nécessité d’une réforme systémique de la protection de l’enfance.
La rapporteure se félicite que la commission d’enquête ait été relancée : ses travaux viendront utilement éclairer la situation de la protection de l’enfance. Pour autant, il est urgent d’agir, et ce projet de budget n’est clairement pas à la hauteur.
B. priorité au pÉnal : l’illustration par la mise en œuvre du code de la justice pÉnale des mineurs
La rapporteure rappelle que le principe, édicté à l’article L. 11-2 du code de la justice pénale des mineurs, est celui de la primauté de l’éducatif sur le répressif. L’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante indique clairement que la priorité demeure la protection des enfants : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente. Le projet d’ordonnance ci-joint atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants. ».
Pourtant, la mise en œuvre, depuis 2021, du code de la justice pénale des mineurs, illustre une volonté politique de prioriser le volet pénal de la justice des mineurs.
Le code de la justice pénale des mineurs (CJPM)
Le CJPM est entré en vigueur le 30 septembre 2021, après l’adoption de la loi n° 2021-218 du 26 février 2021 ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Il s’est substitué à l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et a refondu la procédure pénale applicable aux mineurs.
Les objectifs de la réforme étaient la simplification et l’accélération des procédures applicables aux mineurs délinquants, la limitation de leur incarcération, le renforcement de leur prise en charge et l’instauration d’une mise à l’épreuve éducative au cours du procès pénal.
Le code instaure ainsi une procédure de jugement en deux étapes : la première, l’audience d’examen de la culpabilité, est organisée sous trois mois, pour statuer sur la culpabilité du mineur et les réparations à accorder à la victime. L’audience de prononcé de la sanction intervient entre six et neuf mois plus tard. Entre les deux audiences s’ouvre une période de mise à l’épreuve éducative, au cours de laquelle le juge des enfants peut ordonner une expertise médicale ou psychologique, une mesure judiciaire d’investigation éducative, une mesure éducative judiciaire provisoire (accueil de jour, placement dans un établissement, accompagnement éducatif) ou encore un contrôle judiciaire.
La direction des services judiciaires indique que la mise en œuvre du CJPM s’est traduite par une baisse significative du délai de traitement : alors que le délai moyen jusqu’au premier jugement était de 22,2 mois en 2020, il s’établissait en 2023 à 9,5 mois (hors période de mise à l’épreuve éducative).
Or, cette priorisation, au vu du manque d’effectifs évoqué supra et des difficultés du secteur de la protection de l’enfance, se réalise au détriment de l’assistance éducative.
Le collectif Justice des enfants, qui réunit le syndicat de la magistrature, des syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse et le Conseil national des barreaux et des associations ([31]), s’est opposé en 2020 à la réforme du code de la justice pénale des mineurs, en dénonçant dans une lettre ouverte aux parlementaires ([32]) à la fois la méthode – le recours à l’ordonnance sans réelle consultation des professionnels – et le fond de la réforme – dont certaines dessinaient « une accélération de la réponse pénale, au détriment du temps éducatif ».
Le premier temps de la mise en œuvre du CJPM a conduit à l’apurement des stocks de dossiers relevant de l’ordonnance de 1945, ce qui a exigé un effort important dans les juridictions.
Le rapport d’évaluation sur la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, publié en octobre 2023 ([33]), souligne lui que « de nombreux tribunaux font ainsi état d’une augmentation de la charge de travail des juges des enfants, ainsi que de la perte de souplesse quant à la fixation des audiences pénales ».
Plusieurs interlocuteurs de la rapporteure ont souligné les difficultés à rendre utile la période de mise à l’épreuve, au vu des difficultés traversées par la protection judiciaire de la jeunesse et la pénurie de places dans les unités éducatives d’hébergement. Interrogée sur le délai d’exécution des décisions prises par les juges des enfants et les tribunaux des enfants, la direction des services judiciaires a indiqué qu’elle ne disposait d’aucun indicateur.
Le syndicat de la magistrature a lui déploré, lors de son audition par la rapporteure, le recentrage de l’activité du juge des enfants sur les mesures pénales au détriment de l’assistance éducative, lié aux délais procéduraux contraints prévus par le CJPM.
La rapporteure, opposée en premier lieu à la création du code de la justice pénale des mineurs, prend acte de son appropriation par les juridictions. Elle déplore une nouvelle réforme mise en œuvre sans que les moyens suffisants y soient dédiés ([34]), sans réflexion particulière sur la situation des cabinets des juges des enfants, et sans qu’un plan d’urgence pour renforcer le secteur de la protection de l’enfance ait été entrepris.
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I. Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Lors de sa première réunion du mardi 5 novembre 2024, la Commission auditionne M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice ».
Lien vidéo : https://assnat.fr/MDdk45
M. le président Florent Boudié. Nous poursuivons l’examen pour avis des missions budgétaires relevant de notre commission, avec l’examen de la mission Justice. Nous sommes ravis de vous recevoir, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les crédits de votre ministère. Lors de votre audition du 8 octobre dernier, vous nous aviez fait part de votre préoccupation quant à ce budget, concernant notamment sa capacité à honorer les engagements pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ). Vous nous direz ce qu’il en est des avancées que vous avez annoncées la semaine dernière.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement, pour l’ensemble des magistrats, des directeurs de services de greffe judiciaires, des greffiers, des fonctionnaires et des agents des services judiciaires, de l’administration pénitentiaire et de la protection de la jeunesse, mais aussi et surtout pour tous nos concitoyens, le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2025, présenté le jeudi 10 octobre dernier en Conseil des ministres, fondé sur la lettre plafond adressée à mon prédécesseur, était, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, très insuffisant pour honorer les missions du ministère dont j’ai la charge et les engagements qui avaient été pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice.
Le volume de crédits ouverts, de 10,2 milliards d’euros, était certes en augmentation de 100 millions mais il ne permettait pas de réaliser les investissements nécessaires au renforcement et à la modernisation de nos institutions, d’autant que la LOPJ sanctuarisait les recrutements indispensables au désengorgement des juridictions. Le projet de loi de finances, qui autorisait 619 créations d’emplois, obérait l’objectif prioritaire gouvernemental qui nous avait été fixé de rendre et d’exécuter les décisions de justice plus rapidement. Vous connaissez aussi bien que moi les objectifs de la LOPJ : 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice supplémentaires d’ici à 2027. En l’état, ils n’auraient pas pu être atteints.
Les états généraux de la justice en 2021 ont fait le constat d’un retard et d’un sous-dimensionnement historiques de notre système. C’est la référence de tous les acteurs du monde judiciaire et, au-delà des professionnels de la justice, celle des élus nationaux et locaux ainsi que de nos concitoyens. Ces constats étayés ont été unanimes. Les 36 cours d’appel et les 164 juridictions qui œuvrent au quotidien pour la justice au service des justiciables sont en attente de moyens humains, numériques et immobiliers.
Le cadre posé par la loi du 20 novembre 2023 a vocation à prolonger les actions entreprises ces dernières années et à répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens. C’est pourquoi, ainsi que le Premier ministre s’y était engagé, le ministère de la justice fera l’objet d’un effort significatif dans le projet de loi de finances, à hauteur de 250 millions d’euros supplémentaires par rapport à la lettre plafond. Je suis donc heureux de vous confirmer que le budget de la justice est rehaussé à 10,5 milliards et qu’il sera à la hauteur des engagements pris.
L’allocation de 250 millions d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et de crédits de paiement (CP) supplémentaires, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, constitue un effort important que je veux saluer. Il n’aurait pas été possible sans l’arbitrage favorable du Premier ministre ni le soutien du ministre chargé du budget et des comptes publics que je remercie. Il représente un signal fort en faveur de la réparation de notre justice et de cette mission régalienne fondamentale, trop longtemps délaissée.
Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère augmentent ainsi de 358 millions d’euros, soit de 3,5 %. L’enveloppe de rémunération versée aux agents du ministère passera de 5,05 milliards à 5,15 milliards. Ces moyens plus importants me permettront d’alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien ses missions cardinales, ainsi que de mettre en œuvre opérationnellement la déclaration de politique générale du Premier ministre.
Ces hausses s’élèvent à 5,5 % pour l’administration pénitentiaire, soit une hausse de 254 millions d’euros, son budget passant de 3,94 milliards à 4,2 milliards, en raison notamment de la poursuite du plan de 15 000 places de prison supplémentaires et du financement du protocole d’Incarville sur la sécurisation des extractions judiciaires. Pour les services judiciaires, la hausse du budget représente 1,8 % pour atteindre 3,82 milliards d’euros contre 3,75 milliards, hors cotisations retraite. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation est de 1,4 %, hissant son budget à 964 millions d’euros au lieu de 950 millions. Enfin, le secrétariat général du ministère voit ses ressources augmenter de 1,3 %.
Je suis prioritairement attaché à respecter les engagements pris sur les effectifs, seul moyen de parvenir à désengorger les tribunaux, dont les délais d’audiencement sont devenus inacceptables, tout en étant conscient que nous pouvons encore améliorer l’organisation. L’exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d’appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent. Nous poursuivrons donc les recrutements qui ont été engagés à la suite des états généraux de la justice, en les conjuguant à des mesures catégorielles ciblées afin de renforcer l’attractivité des métiers de la justice.
Ainsi, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) en plus des remplacements des départs à la retraite sera accordée au ministère, soit 924 emplois en plus par rapport à ce qui était prévu dans cette fameuse lettre plafond. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : 970 ETP dans le champ judiciaire, 528 ETP dans le champ pénitentiaire et 45 ETP à destination de la protection judiciaire de la jeunesse, pour accompagner l’ouverture de nouveaux établissements.
Par ailleurs, l’attention aux personnels et aux conditions de travail est un engagement fort de la loi de programmation, tout comme la garantie de l’attractivité de la rémunération des métiers de la justice. Une enveloppe de 28 millions d’euros destinée à financer en année pleine les revalorisations indiciaires et indemnitaires précédemment engagées, dont 21 millions au titre de la réforme de la filière de surveillance, effective depuis le 1er janvier 2024, figure dans le PLF. Le ministère poursuivra en 2025 la mise en œuvre des mesures du protocole d’accord majoritaire sur les métiers de greffe des juridictions, signé le 26 octobre 2023. Si vous adoptez l’amendement du Gouvernement, tous les engagements catégoriels pris seront tenus.
L’efficacité dans l’exécution des peines ainsi que l’accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon action. Rien ne pourra se faire sans la capacité de prendre en charge des personnes placées sous main de justice, en particulier les personnes détenues, dans le respect et la dignité dues à chacun. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance au moins autant que sur celle des moyens dédiés à la construction.
S’agissant de la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits dévolus permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places. Pour mémoire, ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles pour environ 80 000 détenus. La surpopulation carcérale ne sera donc pas résorbée par ce plan.
En 2025, le programme immobilier pénitentiaire poursuivra sa phase active avec le dispositif d’accroissement de la capacité de la maison d’arrêt de Nîmes, celle de la structure d’accompagnement à la sortie de Ducos, le centre pénitentiaire des Baumettes 3, ainsi que les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d’arrêt de Basse-Terre.
Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivront, avec une dotation de 141,5 millions d’euros. Des autorisations d’engagement permettront de lancer la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.
Je tiens à mentionner des difficultés que nous rencontrons dans le calendrier de réalisation des grandes opérations de construction. Elles sont liées à des aléas exogènes, techniques et environnementaux, à des tensions sur les délais d’approvisionnement, à la fragilité du tissu économique. Certaines oppositions retardent voire empêchent ces constructions. Les projets se poursuivent dans un environnement contraint, ce qui a pour conséquence d’accroître les délais de réalisation. À ce titre, un état des lieux du plan 15 000 places de prison sera dressé, pour mesurer les efforts restant à accomplir et les redéploiements de crédits éventuellement utiles.
S’agissant de l’immobilier judiciaire, 316 millions d’euros y seront consacrés, pour couvrir les opérations d’ores et déjà en chantier, poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment eu égard à la sécurité des personnes et aux mises aux normes réglementaires, la mise en sûreté des palais de justice et les opérations de gros entretien qui sont indispensables à la pérennité du patrimoine. Nous avons malheureusement beaucoup à faire.
Enfin, 7 millions d’euros seront consacrés à financer le plan concernant les centres éducatifs fermés (CEF) du secteur associatif habilité. Parallèlement à l’état des lieux sur le programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu’un point sur les autres formats de prise en charge.
Je souhaite mettre en lumière certaines enveloppes qui ont pour vocation de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d’abord, les crédits d’investissement de l’informatique ministérielle seront portés à 285 millions d’euros, soit une hausse de 4,7 %. Ces crédits, auxquels je tenais beaucoup, permettront de poursuivre les projets du deuxième plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d’enquêtes numériques judiciaires atteindront 49 millions d’euros.
Je souhaite insister sur l’obtention de ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d’avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, en particulier de financer la poursuite de ses projets prioritaires : ceux qui permettront d’obtenir des gains majeurs d’efficacité et de temps dans nos services et de refondre des outils en état d’obsolescence qui mettent en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu aux justiciables. Les initiatives prises pour améliorer l’écoute et l’orientation des justiciables entre les différentes procédures, en d’autres termes l’attention que l’État pourra leur porter, seront renforcées par des outils numériques simplifiés.
Ainsi, ces crédits vont nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de bout en bout de nos chaînes judiciaire, civile et pénale, avec la procédure pénale numérique, le projet Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la mise en convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d’information de l’application des peines appelé Prisme.
Les crédits de l’accès au droit à la justice s’élèveront à 802 millions d’euros contre 790 millions. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d’euros, soit une augmentation de 6 millions d’euros ; le budget de l’aide aux victimes augmente de 4,5 millions et atteint 51 millions d’euros, dont 37 % sont dévolus aux victimes de violences intrafamiliales. L’effort se poursuivra en faveur de cette politique pénale.
Enfin, concernant l’action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour assurer leur soutien et contribuer à l’attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions, soit une augmentation de 3 %. Cela permettra notamment d’agir en faveur de la politique d’aide aux familles, de réduire les restes à charge en matière de services de restauration et de faciliter l’accès au logement et à la propriété pour les agents, notamment par le biais d’un ajustement du prêt bonifié immobilier.
Je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles le pays et le Gouvernement sont confrontés. Je suis attaché, comme vous, à notre crédibilité financière. Tout au long de l’exercice budgétaire 2024, le ministère de la justice a pris part à l’effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques. Ainsi, la programmation 2024 a été remise en cause dès le début de la gestion, avec une ressource réduite par le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits à hauteur de 328 millions d’euros en AE et en CP.
Par ailleurs, un surgel avait été appliqué le 17 juillet, à hauteur de 297 millions d’euros en crédits de paiement, alors que la consommation budgétaire était déjà très engagée. La forte rigidité de la structure des dépenses du ministère, l’absence d’identification de mesures d’économies limitaient toutefois très fortement la soutenabilité d’une telle mesure de régulation. Nous avons pu obtenir le dégel d’un certain nombre de crédits pour terminer l’année 2024 sans reporter trop lourdement certaines dépenses sur 2025.
Dans ce contexte, les efforts sur le fonctionnement consentis par le ministère de la justice n’ont pas manqué de provoquer des mouvements sociaux, notamment au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, dès cet été, et des tensions dans toutes les cours d’appel, juridictions et établissements pénitentiaires depuis la mi-septembre. C’est pour cela que le Gouvernement a accepté de réduire de moitié environ le montant des régulations successives de l’année. Ce geste prend en compte, d’une part, la réalisation d’efforts de maîtrise et, d’autre part, la nécessité de récupérer le quantum de crédits nécessaires au fonctionnement du service public de la justice d’ici à la fin de l’année, sans entraîner d’importants reports de charge obérant la gestion 2025.
En définitive, le ministère aura contribué par ses efforts de gestion en 2024 à la réduction des déficits de l’année, si je puis utiliser cette expression compte tenu du fait que le déficit est plus élevé que prévu. Ces efforts continueront d’être produits par le ministère. Ils sont ainsi nécessaires sur certaines dépenses, en particulier sur les frais de justice, dont la dynamique va croissant, année après année. L’enveloppe des crédits consacrés à cette action sera cette année de 748 millions d’euros, ce qui constitue une augmentation de 11 %. C’est dire l’effort que nous faisons. En sus du plan de maîtrise lancé en 2023, qui commence à porter ses fruits, une revue de dépenses associant le ministère de la justice et celui de l’économie sera engagée d’ici à la fin de l’année.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Interrogé sur sa vocation de magistrat, Renaud Van Ruymbeke a répondu : « On travaille pour le service public, la collectivité, en plus on travaille pour la justice, ce n’est pas rien l’idée de justice… Pour les gens, c’est fondamental ! C’est un très beau métier, où il faut prendre des responsabilités, on écoute bien sûr, mais arrive le moment où il faut décider et il ne faut pas mettre des années à le faire ! Par ailleurs, vous êtes dans l’humain. Prenez un juge des enfants, un juge d’application des peines, il va examiner la situation d’une personne. Est-ce qu’il est prêt à sortir ? Est-ce qu’on va lui trouver un travail ? Que dit l’éducateur ? On va l’aider à se réinsérer. Quand vous siégez en correctionnel ou aux assises, quelle peine va-t-on retenir ? Rendre la justice n’est pas simple. »
L’idée de justice n’est pas rien et rendre la justice n’est pas simple. C’est pour cela que la justice doit avoir les moyens de faire son œuvre en toute indépendance. Cette année encore, le Grand Soir se fait attendre. Les moyens ne sont pas là. Il y a un peu plus de deux ans, le comité des états généraux de la justice remettait pourtant un rapport accablant, qui ne faisait que confirmer l’état de paupérisation avancée de notre institution judiciaire. Un plan avait été annoncé en grande pompe par le garde des sceaux de l’époque, avec pour ambition affichée de tourner enfin la page du délabrement de la justice. En réponse, une loi d’orientation et de programmation de la justice, votée fin 2023, a fixé un objectif de création nette de 10 000 postes d’ici à 2027. Bien que largement inférieure aux besoins, cette loi était un premier pas pour soulager des juridictions asphyxiées.
Presque un an après sa promulgation, où en est-on ? Les ambitions affichées n’ont pas résisté aux diktats de la sacro-sainte rigueur. Cette année, le ministère de la justice a payé le prix fort des coupes drastiques du budget : entre annulations et gels, ce sont plus de 600 millions d’euros qui ont été sacrifiés sur le dos de la justice et de l’accès aux droits, sans compter le lourd tribut déjà payé par la protection judiciaire de la jeunesse. Six cents millions d’euros, c’est le budget nécessaire pour payer 10 000 magistrats sortis d’école pendant un an ; c’est aussi l’équivalent du budget de l’aide juridictionnelle. Il faut s’imaginer les conséquences dramatiques de ces coupes sur des juridictions déjà exsangues. Le service public de la justice tient grâce au dévouement de ses personnels, magistrats, greffiers, contractuels ; mais ne nous y trompons pas, ils sont à bout. Pourtant, alors qu’il faudrait rattraper les annulations de 2024, l’austérité se poursuit, avec un budget initial inférieur de 500 millions d’euros à celui prévu par un texte voté il y a moins d’un an. Ils sont à bout et pourtant le premier renoncement du budget portait sur les effectifs. Monsieur le garde des sceaux, vous venez cependant de nous rassurer. Nous regarderons les détails de votre amendement.
Les personnels sont à bout et on le comprend encore mieux devant les chiffres alarmants publiés il y a quelques jours par le Conseil de l’Europe. Notre pays ne compte que 11,3 magistrats pour 100 000 habitants contre 21,9 en moyenne en Europe, soit moins qu’en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie. La France consacre 72,20 euros par habitant à son système judiciaire, alors que la moyenne européenne est à 85,40 euros, soit quelque 25 % de moins qu’en Espagne et en Italie – je vous fais grâce des chiffres des pays arrivés en tête du classement. Votre budget contribuera à faire dégringoler davantage la France dans le prochain rapport.
Derrière ces chiffres humiliants pour la République française, il y a des conséquences néfastes et très concrètes sur la vie des agents et des justiciables. Quatre greffiers se sont suicidés cette année. J’ai une pensée émue pour eux. Le dernier, Philippe, greffier au tribunal judiciaire de Bordeaux, s’est donné la mort le 10 juin. Après vingt ans de métier, il venait d’être muté dans un service qu’il a trouvé désert. Ses collègues témoignent : « Personne n’était là pour le former aux procédures. Tous étaient en arrêt maladie. […] Il se levait très tôt, se couchait très tard, il ne mangeait plus. » Sous pression constante, en raison de la cadence à flux tendu qui leur est imposée, les greffiers sont contraints, bien malgré eux, de trier les dossiers, d’en sacrifier, faute de temps. Ils le déplorent et le disent : « Ces dossiers, ce sont des personnes qui attendent que la justice se prononce pour un litige avec un bailleur, un surendettement ou le placement en tutelle d’un tiers par exemple. Ça fait mal de devoir sélectionner. […] C’est nous qui prenons tout, jamais les ministères qui dictent les conditions des services. »
En réponse, votre gouvernement prévoit de faire encore plus mal, en créant trois jours de carence. Il insulte ces agents, piétine leur souffrance et alimente le récit selon lequel les fonctionnaires seraient des fainéants.
La paupérisation généralisée du service public de la justice a aussi des conséquences sur les enfants en danger. En 2018, les juges des enfants de Bobigny publiaient dans Le Monde un appel au secours en ces termes : « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » Six ans après, rien n’a changé et la situation a même empiré dans certains départements.
Chaque année, en France, 160 000 enfants sont agressés sexuellement et un enfant est tué tous les six jours au sein de sa famille. Seulement 522 juges des enfants sont chargés de suivre plus de 250 000 enfants en danger, faisant l’objet d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance. La majorité de ces magistrats suivent 450 situations, soit au moins 800 enfants, alors qu’ils devraient en suivre 325. Ce sont 77 % d’entre eux qui disent avoir déjà renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger, en raison d’une absence de place ou de structure adaptée à leur accueil. Ils doivent souvent attendre huit à douze mois pour qu’une mesure d’assistance éducative dont ils ont décidé soit effectivement mise en place, générant des conséquences catastrophiques pour les familles et un sentiment d’impuissance et de gâchis généralisé chez tous les acteurs du secteur.
Assumez-vous, dans ces circonstances, la priorité donnée à la responsabilisation des parents d’enfants délinquants, quand sombre la protection de l’enfance, et la construction de trois centres éducatifs fermés ? Votre budget n’a pas d’autres ambitions pour la justice des mineurs.
Les conséquences de l’austérité pèsent aussi sur les femmes victimes de violences – la prétendue grande cause du quinquennat. Parmi les 2,6 milliards demandés par les associations féministes pour lutter contre ces violences, 300 millions concernent le budget du ministère de la justice, pour assurer la formation continue obligatoire de l’ensemble des professionnels sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), renforcer les pôles spécialisés dans les juridictions, étendre l’aide juridictionnelle à davantage de victimes, augmenter le nombre de téléphones grave danger (TGD) et de bracelets anti-rapprochement. On ne trouve presque aucune trace de ces 300 millions dans votre budget. Nous avons par conséquent déposé tous les amendements nécessaires pour remédier à cette absence. Ils ont été votés en commission des finances la semaine dernière. Vous engagez-vous à respecter ces votes ou attendez-vous qu’un 49.3 ou des ordonnances les balaient ?
L’austérité a des conséquences sur les associations qui accompagnent ces femmes et que l’État maltraite. Cette année, le gouvernement démissionnaire a décidé d’étendre la prime Ségur aux associations du secteur social privé à but non lucratif, avec un effet rétroactif et sans prévoir de mesures de compensation, fragilisant toujours plus le réseau associatif. Le centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) du Val-d’Oise est déjà en grande difficulté financière et ne peut pas verser cette prime. Vous engagez-vous à soutenir à notre amendement visant à assurer la compensation intégrale par l’État de la prime Ségur ? Comble de l’humiliation et faute d’un engagement de votre part, la fédération nationale des CIDFF a lancé aujourd’hui une cagnotte pour verser cette prime à ses salariés…
L’insuffisance des moyens a des conséquences sur l’ensemble des justiciables qui voient les procédures s’allonger, induisant souffrance, perte de confiance et perte de sens et de qualité de la réponse judiciaire. Le délai de traitement des affaires passées à l’instruction est de 51,7 mois contre 48,5 en 2022. Le délai d’audiencement des dossiers de divorce est régulièrement supérieur à un an. Dans certaines juridictions, il n’est pas rare d’attendre dix-huit mois une décision du juge aux affaires familiales. Le délai moyen d’instruction d’une affaire est de 35,4 mois. Lorsque l’on se souvient qu’Emmanuel Macron osait affirmer devant l’École nationale de la magistrature (ENM) que les délais seraient divisés par deux d’ici à 2027, il y a de quoi être écœuré.
Chaque décision de justice porte en elle ce que veut dire aujourd’hui une société juste. Mais comment les Français peuvent-ils retrouver confiance dans leur justice, lorsque des magistrats renoncent à placer des enfants en danger, faute de places disponibles en foyer, lorsque 800 femmes victimes de violences se suicident chaque année, faute d’avoir été suffisamment protégées ? Comment le peuvent-ils, lorsque les victimes d’infractions sexuelles restent des mois, parfois des années, sans nouvelles de leur dossier et qu’après tout ce temps 1 % seulement des auteurs de viols sont condamnés ? Comment y croire, lorsque le sort des prévenus les plus pauvres est expédié en vingt minutes en comparution immédiate tandis que, au même moment, la lutte contre la délinquance et la criminalité en col blanc pâtit d’effectifs insuffisants, comme s’en alarmaient publiquement en avril dernier nos plus hauts magistrats financiers ?
Vous avez annoncé avoir récupéré 250 millions sur les 500 manquants, sauf que 500 moins 250, cela fait toujours 250 millions qui manquent. Plus grave, votre budget ampute les autorisations d’engagement du ministère de la justice de plus de 2,3 milliards d’euros. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ? Est-ce que les 250 millions compensent les gels et les annulations de crédits de cette année ? Comment faire justice quand la septième puissance économique du monde consacre à la sienne à peine 0,2 % de son PIB ?
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je ne reviendrai pas en détail sur l’évolution des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. M. le garde des sceaux les a présentés et les différents budgets prévus pour l’année prochaine font l’objet d’une analyse précise dans la première partie de mon rapport.
S’agissant des crédits de l’administration pénitentiaire, je voudrais toutefois appeler votre attention sur deux sujets.
Premièrement, nos prisons connaissent une crise structurelle et chronique. Établissements surpeuplés, personnels à bout de souffle, délinquance de plus en plus violente : l’équation est explosive. Et face à cette crise qui menace notre société tout entière, le Gouvernement n’est pas à la hauteur.
Certes, le budget de l’administration pénitentiaire augmente cette année, mais c’est en réalité une hausse en trompe-l’œil. Si les crédits augmentent, c’est par un double effet mécanique : d’une part, la croissance automatique des dépenses de fonctionnement qui augmentent du fait de l’inflation mais aussi de la hausse du nombre de détenus ; d’autre part, les dépenses liées au programme immobilier pénitentiaire, car il faut bien prévoir les budgets pour ouvrir les trois établissements prévus pour 2025.
En somme, le budget pour l’année 2025 bouchera péniblement les trous, palliant ainsi certaines urgences, mais il ne permettra pas d’améliorer l’état actuel de nos prisons, ni les conditions de détention, ni les conditions de travail de nos agents pénitentiaires. Ce manque d’ambition politique et budgétaire n’est pas à la hauteur des efforts fournis par notre administration pénitentiaire.
Nos agents sont chaque jour confrontés à davantage de difficultés. Ils doivent gérer 18 000 détenus en surnombre, alors qu’eux-mêmes font face à une carence d’au moins 4 000 agents. Ils se retrouvent souvent seuls pour gérer une coursive entière, pour prendre en charge une centaine de détenus, quand ce n’est pas cent cinquante. Ils subissent des réactions à des décisions qui ne leur appartiennent pas, comme le refus de transfert. Même en dehors de leur travail, ils sont suivis et agressés à leur domicile ; leurs véhicules sont vandalisés ; leurs familles, attaquées.
Face à ces conditions, l’absentéisme augmente et conduit les autres agents à atteindre des nombres records d’heures supplémentaires. Trop d’agents sont au bord du burn‑out et quand ils appellent au secours ou tentent de prendre quelques jours de repos, leur hiérarchie les menace de les faire changer de poste.
Mais cette situation n’est pas prise au sérieux par le Gouvernement. En 2025, seules 349 créations d’emploi sont prévues et toutes seront affectées aux trois nouveaux établissements qui doivent ouvrir l’année prochaine. Aucun nouvel emploi ne viendra donc améliorer la situation des établissements existants.
Deuxième sujet que je voudrais mettre en avant : la sécurisation de nos prisons. Elle est insuffisante pour garantir la protection des agents qui y travaillent, mais aussi celle des personnes qui y sont détenues et, plus globalement, celle de la société tout entière.
Nos prisons sont devenues des passoires. Tout y entre, tout y circule, pratiquement à volonté : armes blanches, parfois même armes à feu, comme à Saint-Martin-de-Ré cet été, drogues en tous genres, smartphones dernier cri, etc. Les détenus inondent les réseaux sociaux de diverses vidéos sur leur vie en prison, tournant souvent en ridicule notre système carcéral et judiciaire. Comment voulez-vous que la prison fasse peur et dissuade les délinquants quand l’image qui en est donnée est ainsi dévoyée ? Plus important encore, comment croyez-vous que les agents pénitentiaires se sentent face à ces vidéos ? Ceux que j’ai rencontrés me l’ont dit, ils le vivent mal, ils se sentent humiliés, ils y voient l’illustration de l’inefficacité de notre système pénitentiaire et de l’insuffisance des moyens mis à leur disposition pour travailler.
Tous ces objets qui entrent illégalement en détention sont autant de menaces pour la sécurité. Cela concerne d’abord la sécurité de nos agents. Je pensais que le drame d’Incarville, qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires au mois de mai dernier, vous ouvrirait les yeux, mais il n’en est rien. Pourtant, sans téléphone portable dans la prison, rien de cela n’aurait pu se produire. S’il est intéressant sans doute d’améliorer les méthodes d’extraction ou de transfèrement, cela ne permettra pas de résoudre le problème. Soyons clairs, tant que les détenus pourront téléphoner librement en cellule, ce type de drame pourra se reproduire. C’est sur ce sujet qu’il faut agir en priorité.
Cela concerne ensuite la sécurité des personnes détenues. L’introduction des drogues et la continuation des trafics en détention contribuent au développement du caïdat au sein des prisons. Les détenus qui ne posent pas de difficulté voient leur tranquillité troublée et leur volonté de réinsertion mise à mal par d’autres détenus qui ont à leur disposition tout l’attirail nécessaire pour les menacer.
Cela concerne enfin la sécurité de toute la société. La prolifération des téléphones en détention a une conséquence très claire : les prisons ne sont plus des lieux coupés du reste de la société. Les détenus sont en relation permanente avec l’extérieur et peuvent à loisir commettre des exactions. Certains continuent à harceler leur victime. Certains organisent leur trafic de stupéfiants depuis leur cellule. D’autres vont jusqu’à commanditer des assassinats, comme on l’a vu très récemment à la prison d’Aix-en-Provence.
Je considère, pour ma part, que cette question de la sécurité est une priorité absolue. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’y consacrer la seconde partie de mon rapport.
J’ai moi-même exercé pendant cinq ans au sein de l’administration pénitentiaire, avant de rejoindre les forces de l’ordre. Depuis le début de mon premier mandat de député en 2022, j’ai eu à cœur de m’intéresser tout spécifiquement à cette administration essentielle pour notre société et à ses agents qui réalisent un travail difficile et trop peu reconnu. Pour ce rapport, j’ai conduit plusieurs auditions, rencontré le directeur de l’administration pénitentiaire, les directeurs interrégionaux et les responsables syndicaux. J’ai également réalisé plusieurs déplacements. Depuis septembre, j’ai visité six établissements pénitentiaires dans cinq directions interrégionales différentes.
Le constat de ces visites est déplorable, et ce sur l’ensemble des thématiques sécuritaires. Tous les établissements n’étant pas conçus de la même manière, tous ne présentent pas les mêmes failles de sécurité, mais on retrouve certaines difficultés de manière régulière.
En particulier, il est clair que les dispositifs de protection contre les projections et ceux contre les livraisons par drone sont insuffisants. Les chiffres transmis par votre administration sont parlants : depuis le début de l’année, près de 25 000 projections ont été récupérées par les agents. En réalité, la majeure partie des projections parvient jusqu’aux détenus et n’est donc pas comptabilisée dans ce nombre pourtant déjà vertigineux. Lors de mes déplacements, ces problèmes ont été systématiquement soulevés par les agents de l’administration pénitentiaire, des surveillants aux membres de la direction.
La circulation des stupéfiants prend une dimension de plus en plus affolante. Parfois, ce sont des plants entiers de cannabis qui sont retrouvés dans les cours des prisons.
Les téléphones portables sont tellement présents qu’ils en deviennent banals, alors qu’ils ne devraient même pas pouvoir fonctionner dans les cellules. À chacune de mes visites, j’ai pu constater que mon téléphone captait parfaitement, quel que soit le quartier de détention. Les brouilleurs, qui ont coûté des millions au contribuable, ne fonctionnent pas.
Les fouilles des cellules sont rendues difficiles par l’entassement des détenus en surnombre. Elles sont également compliquées par les stockages excessifs de produits de cantine, certaines cellules ressemblant à de véritables épiceries. Comment le surveillant pourrait-il y repérer les objets illicites ?
Quant aux fouilles des détenus, elles ne sont plus systématiques et les agents doivent pouvoir justifier d’un motif. Les détenus le savent et se sentent ciblés, ce qui aggrave les tensions et empêche les personnels d’exercer leur mission de manière sereine.
Même les choses les plus basiques sont remises en question. Les entrées et sorties sont loin d’être aussi contrôlées qu’on pourrait l’imaginer – à cause d’un sas trop exigu ou de portiques de sécurité mal réglés, ou encore parce qu’il faut ouvrir simultanément deux grilles pour les passages de véhicules en raison d’un défaut de conception. J’ai même vu des miradors n’offrant une vue sur certains angles que grâce à un vieux rétroviseur de poids lourd fixé au mur.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. La sécurité des prisons n’est en réalité plus assurée et ce constat doit tous nous inquiéter.
En conclusion, je constate que l’exécution du plan 15 000 places de prison stagne et que l’évolution des crédits fait planer le doute sur la capacité du Gouvernement à réaliser les constructions promises. Le budget pour 2025 ne tient d’ailleurs même pas compte des 3 000 places supplémentaires qui ont été prévues par la LOPJ votée en 2023. Nous regarderons avec attention l’amendement de dernière minute déposé par le Gouvernement.
Selon le projet annuel de performance, 4 521 places supplémentaires avaient été mises en service au 1er juillet 2024, soit 1 750 de plus que l’année précédente. L’ironie, c’est que ce total fièrement affiché comprend les 406 places du centre de détention de Fleury-Mérogis, qui a dû fermer, moins d’un an après sa rénovation, faute d’eau chaude.
Je passe sur le ridicule de cette situation pour me contenter de dire que je ne vois pas comment nous allons passer de 4 500 places supplémentaires en 2024 à 18 000 en 2027, surtout avec des AE du budget de l’administration pénitentiaire en diminution de plus de 30 % pour l’année 2025.
À la fois affolé par ces constats et ahuri par les insuffisances de ce budget, je lance l’alerte. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous l’entendrez et que vous disposerez d’une marge de manœuvre suffisante pour en tenir compte.
Quelle est votre position s’agissant de la sécurisation des établissements pénitentiaires ? Comment allez-vous mettre hors d’état de nuire les narcotrafiquants qui y œuvrent ? Avec quelles mesures ferez-vous mieux que votre prédécesseur dans ce domaine ?
M. le président Florent Boudié. Je précise que le Gouvernement a bien déposé un amendement, mais en séance, conformément à la tradition. J’ai donc déposé un amendement identique et c’est le premier que nous examinerons.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Philippe Schreck (RN). Même avec cet amendement, le budget de la justice pour 2025 rend caduque la loi de programmation de 2023. C’est à se demander si cette loi n’est pas, elle aussi, frappée de l’insincérité budgétaire qui caractérise beaucoup de lois de finances depuis plusieurs années.
Le PLF initialement présenté prévoyait 10,242 milliards, alors que 10,681 milliards étaient inscrits dans la loi de programmation. Même en ajoutant 250 millions, il en manque encore 250 pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de la justice tels que nous les avons identifiés dans la LOPJ. Il faut ajouter à cette baisse les 320 millions rabotés par Bercy au mois de février ainsi que le surgel de 280 millions. Entre les montants promis puis rabotés, ceux qui ont été exécutés et qui vont être rajoutés, on a du mal à s’y retrouver.
Les 250 millions d’euros supplémentaires sont destinés à financer les nouveaux personnels recrutés et les augmentations indiciaires mais, en réalité, les coupes budgétaires demeurent. Clairement, le budget pour 2025 sonne le glas du plan 15 000 places de prison, que l’actuel Premier ministre souhaitait pourtant porter à 20 000 places – mais c’était au temps de la primaire LR.
C’est le budget du renoncement. Les dépenses immobilières s’écroulent, avec une baisse de 43 % des crédits pour l’administration pénitentiaire et de 60 % pour ceux l’administration de la justice. Nous verrons comment la correction que vous souhaitez apporter tempérera ces évolutions.
Votre prédécesseur avait cherché à masquer sa procrastination et son incapacité à réaliser le plan de construction de 15 000 places de prison à grand renfort de communication. On a l’impression que vous ne le ferez peut-être pas, car cela ne correspond pas à vos convictions.
Comme l’a relevé le rapporteur pour avis, le PLF sonne aussi le glas de l’amélioration des moyens de sécurité active et passive dévolus à l’administration pénitentiaire. Et ce, alors même que le drame d’Incarville – qui aurait peut-être dû être évité – pèse dans l’esprit de chaque surveillant et que malheureusement les criminels courent toujours.
Les métiers du greffe restent dévalorisés et l’aide aux victimes stagne, alors que ces dernières sont de plus en plus nombreuses.
Notre groupe avait proposé un contre-budget qui rendait du pouvoir d’achat aux Français, réalisait des économies structurelles et, surtout, qui laissait intacte la LOPJ. Nos amendements ont pour but de faire correspondre le budget de la justice à cette dernière. Nous verrons comment ils seront accueillis.
En l’état, nous voterons contre les crédits de cette mission.
M. Jean Terlier (EPR). Le budget de la justice pour 2025 devait s’inscrire dans une augmentation historique de plus de 40 % des crédits depuis 2017, conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027 adoptée il y a un an. Il s’agissait de mettre en place une politique ambitieuse pour le système judiciaire et de le doter de moyens inédits, adaptés à de multiples enjeux. Le recrutement massif d’agents, notamment de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et d’attachés de justice ; la revalorisation des métiers, en particulier de magistrat, de surveillant pénitentiaire et de greffier ; le déploiement d’une stratégie de transition numérique ; la création de nouvelles places de prison, tout cela avait fait naître la perspective d’un appareil judiciaire plus efficace et armé pour pleinement réussir sa mission… à condition que le budget du ministère augmente progressivement jusqu’en 2027.
Pour 2025, le compte n’y était pas : la version initiale du PLF prévoyait 10,24 milliards de crédits pour la mission Justice, hors contribution au compte d’affectation spéciale (CAS). Lors de votre première audition par notre commission, vous aviez fait part de votre préoccupation face à ce premier scénario. Les membres de notre groupe la partageaient, car la matérialisation de l’effort historique prévu est aussi vitale pour la confiance entre l’institution judiciaire et le citoyen qu’attendue par l’ensemble des acteurs de terrain.
Les arbitrages de ces derniers jours ont permis de rectifier le tir et de trouver un meilleur compromis entre, d’une part, une exigence budgétaire particulière pour 2025 et, d’autre part, la nécessaire poursuite des efforts et le respect des engagements pris à l’occasion de la loi de programmation. Le Gouvernement s’est engagé à doter la justice de 250 millions supplémentaires. Les députés du groupe Ensemble pour la République saluent cet ajustement indispensable et seront particulièrement attentifs aux suites données à ces annonces.
Parmi les grandes réformes et les engagements forts pris par l’exécutif figure en premier lieu le recrutement massif et attendu de personnels de justice. Il doit conduire à une augmentation de plus de 20 % des effectifs – par exemple, dans un tribunal judiciaire comme celui de Castres.
La création de 15 000 nouvelles places de prison à l’horizon 2027 constitue la promesse d’une administration pénitentiaire plus forte, de conditions de travail améliorées et d’une meilleure lutte contre la surpopulation carcérale. Nous avons tous parfaitement conscience des difficultés de construction de ces places. Chacun souhaite plus de places de prison, mais rarement à côté de chez soi…
Pour pallier ces difficultés d’exécution, nous avons prévu dans la LOPJ que la Chancellerie puisse déplacer un programme de construction enlisé vers un territoire plus accueillant. J’avais pris l’initiative de l’amendement adopté en ce sens notamment pour pouvoir aboutir à la création d’une prison dans le sud du Tarn.
Dans le contexte budgétaire singulier que nous connaissons – et qui pourrait bien perdurer les prochaines années –, pensez-vous que l’objectif de création de nouvelles places de prison demeure réaliste ? Les crédits supplémentaires en faveur de la mission Justice vont-ils constituer un apport décisif ?
La mise en place de la réforme du code de la justice pénale des mineurs a donné des premiers résultats encourageants, avec notamment un raccourcissement des procédures. Un mineur est désormais jugé en moyenne en huit mois, contre dix-huit mois avant 2021. La réponse pénale en sort renforcée. Pensez-vous que le contexte budgétaire actuel serait de nature à remettre en cause la réussite de cette réforme ?
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Le budget alloué à la justice est à l’image du budget de l’État dans son intégralité : l’œuvre d’une droite répressive et proche des attentes de l’extrême droite, qui se consacre essentiellement au volet carcéral et sécuritaire, bien loin de combler le déficit humain, matériel et financier dont souffrent ce service public et ses usagers.
Le Gouvernement nous vend 400 millions d’augmentations pour la justice, mais la réalité est tout autre. Avec l’inflation de 2 %, cette progression est ramenée à 55 millions, ce qui ne permet même pas de rattraper les 330 millions annulés en février 2024. Cette dernière coupe budgétaire, opérée sans aucune consultation des professionnels, a de lourdes conséquences pour tous les travailleurs de la justice, et le principal perdant est le justiciable.
En réalité, la totalité des programmes de la mission Justice s’inscrit dans une ligne politique austéritaire et subit des coupes budgétaires. Les seules minces augmentations sont consacrées à l’ouverture de nouveaux centres pénitentiaires et de centres éducatifs fermés. Pourtant, l’urgence est d’investir dans la formation, le recrutement et l’accompagnement. Mais votre gouvernement préfère le tout-sécuritaire, au détriment de l’humain et des conditions de travail des professionnels, mais aussi au détriment des moyens pour l’instruction et la résolution des affaires.
S’agissant des recrutements, ce budget ne respecte même pas le minimum que le Gouvernement avait lui-même prévu dans la LOPJ. Alors que 600 postes de magistrats et de greffiers devaient être créés chaque année – ce qui était déjà insuffisant –, ce budget n’en prévoit plus que 270. Ce n’est qu’une goutte d’eau pour un secteur déjà au bord de l’implosion et cela nous maintient dans le bas du classement des pays européens au regard du nombre de magistrats : la moyenne européenne est de 22 magistrats pour 100 000 habitants mais nous n’en sommes qu’à 11 pour 100 000.
C’est encore pire pour les recrutements dans l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Aucun schéma d’emploi n’est prévu, alors que ces secteurs vivent une crise sans précédent et que la PJJ a déjà subi cet été la suppression de 500 postes.
Voici un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le budget de la justice pour l’année 2025, dans la continuité des politiques qui ont mené à la situation alarmante que l’on connaît. Ce budget dégrade encore davantage les conditions de travail des agents et la qualité du service rendu aux usagers – qu’il s’agisse des justiciables, des mineurs en état de grande vulnérabilité, des personnes détenues ou des victimes de VSS.
Nous pouvons faire autrement, en votant les amendements qui ont été adoptés par la commission des finances la semaine dernière, et qui ont permis d’aboutir à un budget en rupture totale avec l’austérité imposée depuis des années. Libre à chacun de voter en son âme et conscience, tout en sachant que ces votes nous engagerons face aux professionnels qui luttent chaque jour dans nos circonscriptions pour faire tenir debout un service public au bord de l’implosion.
Comme notre groupe l’a déjà fait en commission des finances, nous proposerons de nouveau ce que nous considérons être le minimum indispensable pour permettre à la justice de fonctionner : recrutement de 2 143 magistrats, de 1 772 greffiers, de 500 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et de 500 agents pour la PJJ ; augmentation de l’aide juridictionnelle, pour que chaque justiciable puisse faire valoir ses droits sans conditions de ressources ; expérimentation de la régulation carcérale pour lutter contre une surpopulation qui a valu plusieurs fois à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; mise en place d’un plan de formation des magistrats pour lutter contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme ; renforcement de l’aide juridictionnelle pour les victimes de VSS ; augmentation du budget alloué aux téléphones grave danger ; ouverture d’un nouveau centre ouvert pour les détenues et création d’un fonds pour améliorer leurs conditions de détention ; enfin, placement de la police judiciaire sous l’autorité du ministre de la justice, afin de renforcer cette police et de la recentrer sur le travail d’enquête en lien direct avec la justice.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés regrette l’infléchissement de la trajectoire budgétaire de la justice, alors que ses besoins vont croissant. Une justice de qualité qui respecte des délais raisonnables ne peut être rendue sans moyens financiers. L’effet yo-yo de la régulation budgétaire fragilise totalement les juridictions en bloquant leurs projets.
Le recrutement d’attachés de justice, qui était tellement attendu dans les juridictions, est égal à zéro. C’est vraiment difficilement acceptable, car leur rôle est essentiel dans l’équipe qu’ils forment avec les magistrats et les greffiers.
S’agissant des délais, nous ne sommes pas dupes non plus de chiffres en trompe-l’œil qui englobent tout et ne veulent finalement plus rien dire. Nous restons toujours parmi les plus mauvais élèves d’Europe en matière de justice, derrière l’Espagne et l’Italie, et la durée de traitement des affaires est trop longue. Sur ce point, on parle toujours du pénal mais les délais de jugement exagérés dans les affaires civiles et sociales contribuent largement au discrédit de la justice. À Lyon, il faut attendre dix-huit mois pour obtenir une décision du juge aux affaires familiales (JAF) et quatre ans pour que le caractère irrégulier d’un licenciement soit reconnu par la chambre sociale de la cour d’appel. Il s’agit pourtant du contentieux du quotidien, moins visible et dont on parle rarement, mais qui concerne les enfants et l’organisation de la vie de nos concitoyens. Les juges pour enfants ont aussi beaucoup de mal à suivre les mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, alors que la question éducative est essentielle.
Pendant les auditions, des magistrats nous ont alertés sur les stocks très volumineux d’affaires pendantes devant les cours d’assises et les cours criminelles départementales. Ces retards ont de lourdes conséquences : les victimes sont furieuses, car il est inacceptable de devoir attendre aussi longtemps et, plus grave encore, des personnes en détention provisoire vont devoir être libérées avant leur procès pour respecter les délais prévus par le code de procédure pénale à peine de nullité. Résorber ces stocks est donc une priorité.
Les frais de justice vont certes augmenter, mais ils sont absorbés à hauteur de 92 % par la justice pénale. Ils sont certes indispensables à la manifestation de la vérité, mais sont aussi nécessaires à une justice de qualité en matière civile, car ils permettent une approche à la fois scientifique et humaine.
Par ailleurs, nous déplorons le choix politique incohérent du Gouvernement qui consiste à diminuer les crédits en faveur des associations locales de médiation familiale, alors même que le législateur favorise depuis des années le recours à cette dernière afin de réduire le phénomène de judiciarisation.
Cette politique consistant à faire un pas en avant, deux pas en arrière est délétère, car elle génère une souffrance au travail pour les personnels de justice. Or on sait qu’il existe un véritable problème de recrutement des greffiers.
Enfin, je vous alerte encore une fois au sujet de la surpopulation carcérale. Ce n’est pas un syndicat qui tire la sonnette d’alarme, c’est un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire – c’est un comble – qui implore les chefs de juridiction de ne plus envoyer de personnes en détention. Les personnels de l’administration pénitentiaire craquent et la prison ne joue plus son rôle.
M. Philippe Gosselin (DR). Ce budget pour 2025 aurait normalement dû suivre la feuille de route claire adoptée avec la loi d’orientation et de programmation du 20 novembre 2023, il y a moins d’un an. Cette programmation avait été patiemment discutée, parfois triturée, mais en tout cas élaborée avec l’intention sincère de sortir la justice de la voie de la clochardisation, pour reprendre une expression chère à un ancien garde des sceaux et ancien président de cette commission.
Autant dire, monsieur le ministre, que le compte n’y est pas, malgré votre bonne volonté. Et il n’y sera toujours pas malgré l’amendement du Gouvernement proposant 250 millions supplémentaires, car cela ne représente qu’environ la moitié de la somme nécessaire.
Comme beaucoup de collègues, notre groupe est notamment inquiet s’agissant des créations de postes. Vous avez raison d’essayer de nous rassurer, mais les objectifs fixés en 2023 seront très difficiles à atteindre. On peut même dire qu’ils resteront inaccessibles, car ce qui n’aura pas été fait en 2025 ne pourra pas nécessairement l’être en 2026. Comme il n’y a pas de schéma d’emplois, il est difficile d’y voir clair. Il y aura peu de nouveaux postes de magistrats par rapport à ce qui était attendu. Il est prévu de créer 349 postes dans l’administration pénitentiaire mais ils répondent aux besoins liés à l’ouverture de nouveaux établissements. Je me réjouis certes de celle-ci, mais les moyens ne sont pas à la hauteur des attentes.
En matière d’investissement, les AE connaissent une chute de 30 % – qui aurait pu même atteindre 50 % si l’on se réfère au projet initial. En tout cas, on est bien loin du milliard de crédits de l’an passé. Les CP sont, quant à eux, quasiment stables.
Tout cela augure mal du plan 15 000 plus 3 000 places, une addition qui résulte d’un savant équilibre trouvé dans la LOPJ. Comment le ministère peut-il s’engager à respecter le calendrier de construction des nouveaux établissements, sachant qu’il y a deux ans déjà, un rapport d’information de Patrick Hetzel montrait qu’on était très loin du compte, avec seulement 2 700 places construites ? On voit donc mal comment l’objectif de 18 000 places pourrait être atteint. Où en est-on, en pratique, avec les collectivités concernées ?
L’aide juridictionnelle (AJ) a tendance à stagner et ne prend pas en compte les procès hors normes. Où en est le décret prévoyant de revaloriser l’AJ ?
Les délais d’instruction et de jugement sont encore beaucoup trop longs.
Enfin, pourriez-vous dresser un bilan du déploiement des TGD ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). La justice, par sa qualité et les moyens dont elle dispose, incarne l’ambition que notre pays nourrit pour lui-même. En accomplissant sa mission, elle dissipe les germes et les termes de la violence et apaise notre société. Service public par excellence, elle doit impérativement réussir, et en premier lieu pour trancher des questions du quotidien, telles que les séparations, la garde des enfants et, parfois, les violences faites par les autres ou à soi-même.
Mais la justice est à bout de souffle. Lors des états généraux de 2022, elle a été diagnostiquée en état de délabrement avancé et n’ayant plus les moyens de remplir son rôle. En 2023, avec la loi d’orientation et de programmation, et malgré une modeste augmentation des crédits de fonctionnement, le précédent gouvernement a choisi d’enfoncer le pays dans la logique du tout carcéral. Notre groupe a toujours considéré celle-ci comme une impasse et s’est opposé dès le départ à cette orientation, qui ignore la souffrance des professionnels, ajoute parfois à celle des victimes, ne prépare pas les condamnés à sortir de prison dans de bonnes conditions, et ne résout aucun des problèmes structurels.
Le PLF pour 2025 – heureusement très largement corrigé en commission des finances grâce aux amendements des groupes du Nouveau Front populaire – a confirmé que le Gouvernement renonçait aux ambitions qui avaient été fixées. Les CP alloués à la mission Justice pour 2025 sont fixés à 10,24 milliards, hors CAS, par le PLF initialement déposé, soit une augmentation de seulement 1,1 % par rapport à 2024. Quant aux ambitions en matière de créations de postes, elles ont été drastiquement réduites. Il est difficile de comprendre une telle politique après les déclarations qui avaient accompagné le vote de la loi de programmation.
Cette orientation budgétaire n’est pas acceptable, car elle a pour conséquence directe de briser des parcours de vie. Tout commence dès l’enfance, avec des jeunes fragilisés par des carences et par le fait qu’ils ne peuvent pas bénéficier d’un accompagnement adéquat, en particulier par la PJJ, faute de moyens et d’effectifs d’éducateurs, de psychologues et d’assistants sociaux. Tout cela renforce les risques de comportements délinquants.
C’est une justice industrielle qui les attend, avec 60 000 comparutions immédiates chaque année. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, auditionnée par notre commission, a ainsi dit : « […] on juge des gens dont on ne sait pas grand-chose, dans des conditions assez lamentables qui ne permettent ni à l’avocat de travailler, ni au prévenu de se défendre, ni au magistrat de rendre des jugements appropriés. »
L’obsession sécuritaire et le tout carcéral se traduisent par une justice à la fois trop lente et expéditive Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’une justice républicaine. Comment parvenir à des décisions justes lorsque celles-ci sont prises par des professionnels épuisés par le rythme frénétique qui leur est imposé. Cette justice-là, caractérisée par une politique du chiffre et une précarisation des métiers, ne respecte personne – ni les victimes, ni les prévenus, ni les professionnels.
Nos prisons deviennent trop souvent l’école du crime. Elles alimentent une spirale de la récidive, qui est largement due au sous-investissement des pouvoirs publics à l’égard des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), chargés de la mission essentielle de lutter contre la récidive. Les efforts avaient permis de renforcer leurs effectifs mais on voit bien que l’on tourne de nouveau le dos à cette ambition.
Et pourtant, une autre voie est possible. Nous l’avons montré lors des débats, en augmentant les crédits que votre gouvernement avait refusé d’accorder à la justice. Qu’il s’agisse de magistrats, de greffiers et des Spip, nous avons voulu doter la justice de moyens conséquents et d’un fonctionnement digne d’un État de droit.
J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez les défendre. Je le dis d’autant plus que les conditions d’examen de ce budget sont totalement aberrantes, avec une commission des finances qui décide en amont de la commission des lois des moyens qui doivent être affectés au ministère. Ce n’est tout simplement pas admissible.
M. Philippe Latombe (Dem). Lors de votre première audition, vous aviez souligné à juste titre qu’il était de notre responsabilité de lutter contre la défiance grandissante à l’égard des institutions en général et de la justice en particulier. Renouer le lien de confiance entre les Français et la belle institution que vous dirigez n’est pas chose aisée, à plus forte raison dans un contexte budgétaire contraint.
Ce contexte vous a valu d’être confrontés à un chemin escarpé dès votre prise de fonction. La mission Justice a de fait été amputée d’une partie substantielle de son budget par le décret d’annulation de février dernier, avec une baisse des crédits de 327,9 millions en AE comme en CP, soit respectivement 2,3 % et 2,7 % des crédits de la mission pour 2024.
Avec un PLF pour 2025 présentant des crédits à hauteur d’environ 10 milliards, force est de constater que le compte n’y est pas au regard de la trajectoire fixée par la loi de programmation. L’enveloppe initiale est une source de déception.
Tout d’abord, il est évident que le niveau des crédits ne permet pas de respecter les engagements pris dans l’article 1er de la LOPJ, qui prévoyait 10,68 milliards en 2025. Avec 10,24 milliards de CP prévus dans le PLF, la différence est de 440 millions.
De la même façon, le programme Administration pénitentiaire – qui représente tout de même 42 % de la mission – est marqué par une très forte diminution des AE, de l’ordre de 2,1 milliards. Cette baisse conduit à s’interroger sur la capacité à respecter les objectifs fixés par le plan 15 000 places à l’horizon 2027. Toutefois, nous sommes satisfaits que ce budget permette d’accompagner la hausse des effectifs de l’administration pénitentiaire, nécessaire pour ouvrir les nouveaux établissements et pour le bien-être des agents. En effet, le taux d’occupation des établissements continue de s’accroître. La population carcérale a atteint en septembre un nouveau record avec 78 969 détenus pour 62 000 places, ce qui porte la densité carcérale à 127,3 %. Il est par conséquent impératif que les délais du plan 15 000 places soient tenus.
Autre déception, une telle baisse du budget ne permet en aucun cas d’assurer une justice plus proche, plus protectrice et plus rapide. La justice ne peut pas être plus rapide si nous ne respectons pas l’engagement de financer 10 000 postes supplémentaires. Elle ne peut pas être plus proche et protectrice si nous ne poursuivons pas les investissements et la modernisation tant attendus.
Mais nous croyons que vous avez pris la mesure de ces difficultés. En témoigne l’amendement que vous proposez et que nous soutenons. Nous espérons qu’il permettra de recruter davantage, afin de respecter les cibles de créations d’emplois prévues pour 2027, tout en poursuivant un développement numérique qui soit à la hauteur des besoins des acteurs du judiciaire. Surtout, nous appelons de nos vœux une augmentation du budget qui permette à notre système judiciaire d’être moins étrillé par de multiples rapports internationaux.
Fidèle à sa ligne, notre groupe sera en tout état de cause vigilant s’agissant de l’enveloppe globale de la mission à l’issue des débats.
Si l’on ne peut pas vous attribuer la paternité de la baisse de budget alloué à la justice, nous espérons que votre constante mobilisation permettra à ce budget d’honorer nos engagements.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je ne voterai pas votre budget pour la justice.
Je ne peux pas voter un budget qui nous ramènerait plusieurs années en arrière. Au sein de mon groupe, nous sommes tout à fait conscients de l’urgence budgétaire et de la nécessité de redresser les comptes publics, mais pas sur le dos de l’institution judiciaire. La justice est à l’os et il n’y a plus rien à raboter.
Sur 1 000 euros d’argent public, 6 euros seulement servent à financer la justice. Et l’on en était à 4 euros avant la LOPJ votée en novembre 2023 – c’est dire si l’on revient de très loin. Par comparaison, les dépenses en matière de sécurité représentent 25 euros, la défense 31 euros, la santé 208 euros et les retraites 248 euros. La justice a le plus petit budget et le PLF propose de réduire encore ce presque rien.
Nous pensions avoir définitivement tourné la page du sous-investissement grâce à l’ambition budgétaire d’Éric Dupond-Moretti et aux crédits historiques qui avaient été programmés jusqu’en 2027. Ils devaient permettre de revaloriser les agents, de réhabiliter tribunaux et prisons mais aussi d’étoffer les équipes de magistrats. Tout cela n’était d’ailleurs qu’un début de rattrapage tant la justice est appauvrie. Et rappelons-nous que, pour y arriver, il avait fallu solliciter tout l’écosystème judiciaire pendant des mois, après les travaux menés par les états généraux de la justice.
Allons-nous défaire ce qui allait dans le bon sens, refaire de la justice le parent pauvre des lois de finances ? Il faut régler la question des moyens, même si ce n’est pas la panacée. Sans les moyens prévus, les juridictions n’auront pas de perspective pour sortir de la crise où elles se trouvent, de l’aveu même des procureurs et des présidents de tribunaux et de cours. Des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales ne verront pas le jour, le contentieux social explosera et il sera impossible de répondre aux urgences, notamment en matière pénale. Dans les prisons, le manque de places perdurera, avec des taux d’occupation qui atteignent 150 % et jusqu’à plus de 200 % dans certaines maisons d’arrêt. D’autres priorités pourraient être sacrifiées, comme les recrutements, l’immobilier judiciaire ou le numérique.
Personne ne peut se satisfaire de cette situation ; je ne m’en satisfais pas. La justice n’est pas n’importe quel service public ; elle est l’ultime recours, la richesse de ceux qui n’en ont pas pour trouver un peu d’ordre et d’équilibre. Comme le disait Portalis, la justice est la première dette de la souveraineté. Nous devons tout faire pour honorer cette dette, dans les discours comme dans les actes, en donnant à l’institution judiciaire les moyens d’agir pour espérer rétablir un peu de confiance chez nos concitoyens.
Avec 6 euros, on ne peut pas faire de miracle. Avec moins de 6 euros, il sera difficile de faire croire que la lutte contre la criminalité organisée, contre le narcotrafic, contre les violences intrafamiliales et les autres missions qui s’ajoutent sans cesse seront érigées au rang de priorité. On ne peut pas faire plus de justice avec moins, quand bien même tous ceux qui concourent à l’œuvre de justice font montre d’un engagement constant – il faut les en remercier.
Si, à l’issue de nos débats, le compte n’y est pas – il manque 250 millions – nous ne voterons pas ce budget.
Mme Martine Froger (LIOT). Notre groupe est réservé sur le budget de la justice. Certes, les choses se présentent mieux que lors de votre première audition devant notre commission, puisque vous avez réussi à négocier une amélioration de 250 millions, mais la trajectoire fixée par la LOPJ n’est toujours pas respectée. Ce recul budgétaire envoie un mauvais signal et semble difficilement compatible avec la promesse faite par votre prédécesseur de sortir le service public de la justice de son état de délabrement. Notre justice reste dans une logique de rattrapage. En dépit de la baisse des crédits, la hausse des effectifs de magistrats, de greffiers et du personnel pénitentiaire sera-t-elle conforme à la trajectoire de la LOPJ ?
Les agents des Spip, essentiels à la politique d’insertion, ont une nouvelle fois l’impression d’être les oubliés de la pénitentiaire. Les créations de postes pour 2025 restent insuffisantes. Elles ne tiennent compte ni du manque actuel d’agents – environ 455 personnes, soit 7 % du total des effectifs – ni des conditions de travail qui se dégradent et de la charge de travail qui augmente au fur et à mesure que le nombre de détenus progresse. On ne peut pas défendre une politique de prévention de la délinquance, de sécurité publique et d’insertion tout en rabotant ses moyens.
Notre groupe s’inquiète des conditions indignes de détention. Le taux moyen d’occupation est de 150 % dans les maisons d’arrêt – il est de 220 % chez moi, en Ariège – et 3 600 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol. Le bleu budgétaire prévoit une cible d’occupation de 164 % en 2025. Que proposez-vous face à cette situation d’urgence ? Le plan 15 000 places de prison, connaît chaque année des retards importants. Il ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale. Notre groupe appelle à sortir de cette logique immobilière qui, au fil des années, n’affiche que des résultats médiocres. Nous demandons le lancement et le financement d’une véritable régulation carcérale dans tous les territoires et le renforcement de la prévention de la récidive par le recours aux peines alternatives, notamment le travail d’intérêt général et les placements à l’extérieur.
Quels sont les moyens déployés pour accompagner les agents pénitentiaires, qui sont épuisés par leurs conditions de travail et par les agressions, qui sont en augmentation ? La LOPJ a prévu le recrutement de contractuels adjoints pour aider les surveillants, mais les documents budgétaires ne contiennent aucune information à ce sujet. Où en est ce projet ?
Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le ministre, le 8 octobre dernier vous annonciez devant notre commission que l’enveloppe prévue pour votre ministère ne répondrait ni aux besoins ni aux engagements. On peut vous reconnaître cette franchise.
Je suis d’accord avec vous, ce budget n’est pas à la hauteur. Il ne respecte pas les objectifs de la LOPJ alors même qu’elle est déjà insuffisante pour rattraper le retard accumulé après trente ans d’abandon de la justice. Les auteurs du rapport des états généraux de la justice du 8 juillet 2002 font ainsi part d’« un sentiment de désespoir, voire de honte, qui domine face au manque de moyens humains et matériels, d’appuis techniques efficaces et cohérents, face aussi aux réformes incessantes et à l’impossibilité de bien remplir sa mission […]. »
À l’occasion des discussions budgétaires, nous avons dénoncé à maintes reprises la défaillance du service public de la justice – les exemples dans nos circonscriptions ne manquent pas. L’accumulation des textes législatifs a complexifié inutilement le système judiciaire et a accru la tâche des professionnels au détriment du justiciable. Le procureur François Molins a souligné qu’aucun autre corps n’a dû faire face à autant de réformes et d’inflation de normes en vingt ans. Cet empilement de réformes, dans lequel nous avons notre responsabilité, témoigne d’une vision court-termiste des gouvernements et d’une volonté de répondre en urgence par la communication, sans véritable concertation. De nombreuses propositions phares des états généraux de la justice n’ont d’ailleurs pas été reprises. Ce constat d’abandon laisse les travailleurs et travailleuses de ce secteur en souffrance, faute de création de postes. Alors que 1 500 magistrats et 1 800 greffiers devaient renforcer les effectifs à l’horizon 2027 et 1 100 attachés de justice devaient être recrutés sur la période 2023-2025, le budget 2025 ne prévoit que 270 ETP.
Les orientations budgétaires ne permettront pas de lutter contre la récidive et n’auront pas d’effet sur l’explosion de la surpopulation carcérale – 80 000 personnes sont détenues dans les prisons françaises. De façon regrettable, la priorité du Gouvernement, comme celle de nombreux autres avant lui, demeure la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. L’enfermement reste encore et toujours la peine de référence. En 2025, l’administration pénitentiaire prévoit que la dette accumulée pour la construction de nouvelles places de prison s’élèvera à près de 5,4 milliards d’euros. Pourtant, l’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais résolu le problème de la surpopulation carcérale et n’est pas utile pour lutter contre la récidive. À l’opposé de ces choix, nous soutenons une politique de développement des peines alternatives, comme le placement à l’extérieur, accompagnée d’un mécanisme de régulation carcérale. Une telle politique fait consensus dans l’ensemble du secteur.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Je me réjouis que vous ayez réussi à récupérer 250 millions sur le demi-milliard qui vous a été enlevé, mais cette victoire est aussi une défaite, puisque cela fait aussi 250 millions en moins. Vous avez annoncé vouloir faire des économies sur le plan « prison ». Je suis stupéfaite que la construction de 18 000 places supplémentaires – avec les 3 000 places ajoutées à l’objectif initial par l’amendement Ciotti – soit à nouveau repoussée, mais je suis en même temps ravie de voir que l’ensemble des groupes a regretté ce retard.
Le programme dédié à l’administration pénitentiaire prévoit des dépenses de sécurisation active, comme les caméras-piétons, mais aussi de sécurisation passive, comme les dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites. Les services de renseignement s’inquiètent face à la tentative d’institutionnalisation du narcotrafic qui, s’inspirant des mafias d’Amérique latine, cherche à infiltrer les centres pénitentiaires en présentant massivement des candidats aux concours de gardien de prison. Comment se fait-il que seulement 20 établissements pénitentiaires sur 136 sont couverts par un dispositif de brouillage, sachant qu’une partie du trafic est gérée depuis l’intérieur des prisons ? Comment se fait-il que, dépassés par la surpopulation carcérale, les surveillants soient forcés de tolérer la vente et la consommation de drogues, comme l’a révélé Le Figaro dans une enquête sur la prison de Bordeaux-Gradignan ? Que comptez-vous faire face à l’ampleur de ces tentatives d’infiltration avec votre maigre budget ?
Face à ces attentes, ces désillusions et ces questions, notre groupe se voit dans la désolante obligation de voter contre le budget de la justice.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Jordan Guitton (RN). Vous avez finalement obtenu que le budget de la justice ne baisse que de 250 millions et n’avez donc pas quitté vos fonctions. Mais il ne peut y avoir de volonté politique sans budget ; or le budget n’est pas là. Vous avez donc choisi de rééchelonner les créations de 15 000 places de prison supplémentaires, que nous avions votées à une large majorité. Ce projet est pourtant essentiel à la réussite du système judiciaire car il existe un lien entre le manque de places de prison et le laxisme judiciaire. Si les prisons sont pleines, ce n’est pas en raison d’une plus grande fermeté de la justice, mais de l’augmentation de la violence.
Quels projets ne seront pas réalisés à cause de la baisse de votre budget ? Comment le plan « prison » sera-t-il rééchelonné ? Serez-vous un ministre qui tient ses promesses ou, comme vos prédécesseurs, un ministre qui échoue ?
Mme Caroline Yadan (EPR). La justice restaurative apaise les tensions inhérentes au conflit judiciaire en permettant aux victimes de se reconstruire et aux auteurs de faits criminels ou délictueux de prendre conscience de la gravité de leurs actes. Au cours de la législature précédente, je me suis beaucoup mobilisée sur ce sujet, notamment en mettant en place un groupe de travail pour faire connaître le concept de justice restaurative, pour étudier son encadrement par la loi et pour élaborer des propositions visant à une meilleure intégration de la justice restaurative dans notre système judiciaire.
La justice restaurative ouvre la voie à une justice plus humaine, qui encourage la compréhension mutuelle et la résilience de la communauté. À l’heure où la violence verbale, symbolique et physique est devenue un mode d’expression courant dans notre société, il est essentiel d’apaiser les esprits et de retrouver les moyens de dialoguer, d’entendre, de comprendre et de se confronter, c’est-à-dire de communiquer, pour aboutir à des échanges pacifiés. C’est en favorisant le dialogue et en redonnant une place centrale à la parole des victimes que nous pourrons bâtir un système judiciaire plus juste et plus harmonieux.
Quelles sont vos pistes pour uniformiser l’offre de justice restaurative sur le territoire, développer sa pratique et mieux sensibiliser les acteurs concernés ?
Mme Marie-France Lorho (RN). La plateforme Pharos, qui lutte contre la cybercriminalité, croule sous les signalements. Selon un récent rapport de l’administration et des syndicats de police, le nombre de signalements est passé de 4 000 par semaine à 1 000 par jour alors qu’il n’y aurait que quarante-neuf agents pour gérer ce flux. Les moyens matériels aussi sont insuffisants, avec notamment des ordinateurs connectés à l’ADSL plutôt qu’à la fibre optique.
Au premier semestre 2023, les atteintes sur mineur constituaient 12,7 % des signalements adressés à Pharos, dont la mission apparaît donc comme complémentaire à celle de la PJJ. Est-il possible d’augmenter les moyens alloués à Pharos au sein du programme 182, Protection judiciaire de la jeunesse ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’aimerais avoir des précisions sur le montant réel du gel budgétaire pour 2024 ainsi que pour 2025. Les 250 millions que vous avez obtenus représentent-ils une diminution du gel des crédits pour 2024 ou une moindre diminution du budget prévu pour 2025 ? En tout cas, ils ne me semblent pas suffisants pour rester sur la trajectoire de la LOPJ.
Que prévoyez-vous pour agir sur la surpopulation carcérale ? Il est essentiel d’avancer sur la régulation.
Mme Pascale Bordes (RN). Les chiffres de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) révèlent la réalité de la justice pénale dans notre pays : comparé à la moyenne européenne, la France compte 11 juges contre 17 pour 100 000 habitants et 3 procureurs contre 11 pour 100 000 habitants, chacun de ces derniers ayant à traiter 2 027 affaires en première instance contre 204.
De leur côté, les chefs de juridiction ont lancé un véritable cri d’alarme lors de leur audition par la rapporteure pour avis. Ils ont dénoncé le manque de moyens pour juger, y compris en matière criminelle où certaines affaires sont jugées dix ans après les faits ; le manque de locaux ; l’impossibilité de payer les prestataires depuis le mois d’octobre. Au 1er juin 2024, les 1 647 magistrats du parquet de première instance devaient traiter plus de 3,5 millions de procédures entrantes, en plus de celles déjà en stock, sans compter les 3,5 millions de procédures encalminées dans les placards des commissariats et des gendarmeries.
Que comptez-vous faire pour sortir la justice de l’ornière ? Allez-vous en faire une grande cause nationale pour que nos concitoyens retrouvent confiance en cette institution ?
M. Éric Pauget (DR). L’exigence d’effectivité réelle des sanctions doit s’appliquer aux consommateurs de drogues, qui alimentent les trafics. Il faut donc réduire le volume inerte de peines jamais exécutées. L’encellulement individuel des consommateurs condamnés au sein des maisons d’arrêt n’est toutefois pas adapté à leur niveau de risque.
Alors que le plan « prison » connaît des retards, une nouvelle organisation pénitentiaire semi-fermée pourrait être une solution. La transformation de bâtiments publics désaffectés pourrait permettre de créer des établissements accueillants les primo-condamnés et les condamnés à de courtes peines.
Êtes-vous favorable, comme Michel Barnier, à l’augmentation de peines courtes pour ces condamnés, notamment les consommateurs de stupéfiants, et à leur exécution dans ces prisons d’un genre nouveau ?
Mme Sophie Blanc (RN). Entre surpopulation, trafic de drogue et radicalisation croissante, le personnel pénitentiaire de la prison de Perpignan fait face à une intensification alarmante des incidents, qui sont de plus en plus violents et fréquents. Dans le cadre du plan « prison », doit être construit à Rivesaltes un centre de détention de 515 places pour désengorger la région ; la décision récente de rééchelonner le plan remet en question cet engagement initial. Ce report ne risque-t-il pas de saper la confiance du personnel pénitentiaire et des citoyens dans le ministère de la justice ?
Les agents, sous pression constante, sont contraints de travailler dans un climat explosif, qui compromet chaque jour davantage leur sécurité ainsi que celle des détenus. En cas de report des crédits d’investissement, que prévoyez-vous pour honorer les engagements du plan « prison » ?
Est-il envisageable de réévaluer les priorités budgétaires en faveur des établissements en situation critique pour y assurer la sécurité des agents, renforcer la lutte contre la radicalisation et garantir des conditions de détention acceptables ?
M. Jean Moulliere (HOR). La violence liée au trafic de stupéfiants est un fléau qui fait chaque année de plus en plus de victimes, directes et indirectes. Le Nord, comme d’autres départements frontaliers, est particulièrement touché. Il est urgent de trouver des solutions durables, justes et fortes car les conséquences pour notre société sont graves : la santé de nos jeunes est lourdement affectée et le sentiment d’insécurité se renforce.
Tous nos concitoyens sont concernés et pas seulement ceux des quartiers de banlieue puisque les centres-villes sont maintenant touchés par cette guérilla urbaine. La mise en péril de nos jeunes, happés par les réseaux de trafiquants, rend cette situation d’autant plus urgente à résoudre. En tant que responsables politiques, nous ne pouvons nous résoudre à compter les morts. Nous avons besoin de nouvelles solutions pour renforcer la lutte contre des trafiquants qui sont de plus en plus organisés et qui adaptent leurs méthodes pour contourner habilement la loi et anticiper les réglementations.
Je connais votre implication dans la question des repentis aux côtés du président Marcangeli, mais, plus largement, quelles mesures concrètes et adaptées envisagez-vous pour intensifier la lutte contre le narcotrafic sur l’ensemble du territoire ?
Mme Monique Griseti (RN). Les mineurs, qui commettaient des actes relevant plus de l’erreur de jugement et de l’immaturité, font aujourd’hui partie d’une criminalité organisée qui gangrène notre société et prennent part à des assassinats pour le compte du narcobanditisme. À Marseille, selon un rapport de la Cour des comptes, 26 % des mis en cause pour faits de délinquance sur la voie publique sont mineurs. Les Marseillais, et les Français en général, attendent une réponse ferme pour protéger les mineurs et être protégés des pires agissements de ces derniers.
Le PLF 2025 prévoit d’augmenter de 1,3 % les sommes allouées à la mise en œuvre des décisions de justice concernant les mineurs ; encore faudrait-il que les décisions de justice soient prononcées et qu’elles soient adaptées à la gravité des crimes. Cette augmentation vous paraît-elle suffisante pour atteindre les objectifs de répression, pour préserver les mineurs et pour assurer que les peines complémentaires prévues par le code de la justice pénale des mineurs sont effectivement appliquées afin de ramener les mineurs délinquants dans le cadre républicain et civique ?
M. Hervé Saulignac (SOC). Sur France Info ce matin, vous avez déclaré qu’un parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic « peut tout à fait être une solution ».
Dans le contexte budgétaire actuel et face à la surcharge de travail des magistrats, cette déclaration pose question, d’autant que la création par la loi du 24 décembre 2020 d’un pôle régional environnemental dans le ressort des trente-six cours d’appel avait été prévue à moyens constants et donc sans création de postes de magistrats spécialisés. Comment envisagez-vous de financer ce nouveau parquet ?
Mme Émilie Bonnivard (DR). Le principal obstacle auquel se heurte le plan « prison » me semble davantage lié à la difficulté de trouver des sites et de lever les freins à la construction qu’à un problème de sous-financement. Envisagez-vous des mesures pour accélérer la réalisation de ce plan ? Parmi les pistes envisageables, la reconnaissance des places de prison dans la loi SRU ou la démarche Grand chantier pourraient faciliter l’acceptation par les collectivités de la construction de prisons. Une communication positive aiderait également : j’ai, dans ma circonscription, un centre pénitentiaire qui crée à la fois de l’emploi et d’autres externalités positives.
Pouvez-vous faire un point sur l’avancement du protocole décidé à la suite du drame d’Incarville pour mieux prendre en compte les demandes urgentes des personnels pénitentiaires pour assurer leur sécurité ? J’aimerais aussi vous entendre sur le déficit de communication entre le renseignement pénitentiaire et le renseignement judiciaire, qui est à la source de ce drame.
M. Didier Migaud, ministre. Je suis partagé : la justice est certes loin d’être réparée et le constat des états généraux de la justice reste d’actualité, mais on ne peut pas réparer en trois ou quatre ans trente ou quarante ans d’abandon de la part des gouvernements de tous bords qui se sont succédé.
Tout de même, le budget de la justice a augmenté de 53 % depuis 2017. On est encore loin de pouvoir répondre à tous les besoins, surtout quand on compare la France à d’autres pays européens comparables, mais peu de budgets ont connu une telle augmentation.
Sur les 487 millions de réduction initiale – et non 500 millions –, j’en ai récupéré 250 millions grâce à un arbitrage favorable du Premier ministre. Je n’aurais pas été en mesure de consommer davantage. Par exemple, je n’ai pas décidé de rééchelonner le programme de construction de prisons ; simplement, j’ai constaté l’impossibilité de réaliser certaines opérations, notamment du fait d’oppositions locales. Aidez-moi donc à convaincre les élus locaux ! Je suis certes favorable aux peines alternatives, mais il y a quand même besoin de nouveaux centres de détention.
Je compte utiliser ces 250 millions pour respecter tous les engagements pris, notamment le protocole Ségur et le protocole d’Incarville, pour augmenter les effectifs de magistrats, de personnels de greffe, de juristes assistants et de personnels pénitentiaires. Le respect de ces engagements était ma priorité et j’y suis parvenu aussi grâce aux députés, notamment ceux du bloc central. Je vous en remercie.
Je vous remercie aussi de vos encouragements car, en définitive, malgré les critiques, votre commission manifeste une certaine unanimité : tout le monde soutient la justice et souhaite qu’elle obtienne des crédits complémentaires !
Je tiens à vous rassurer quant aux priorités que vous avez évoquées.
Les crédits alloués à la lutte contre les violences intrafamiliales ont sensiblement augmenté ; dans toutes les juridictions, des moyens importants y sont consacrés. Mais il est vrai que si la priorité est donnée à ce type de contentieux, ce peut être au détriment des autres, compte tenu des moyens contraints de la justice. C’est la raison pour laquelle les effectifs supplémentaires sont attendus avec impatience.
En 2024, une annulation de crédits, à hauteur de 328 millions d’euros, est intervenue au mois de février, à laquelle s’est ajouté un gel de 297 millions, soit un total de 625 millions de crédits indisponibles. Au terme d’une bataille contre Bercy, 355 millions ont été dégelés, ce qui nous a finalement permis d’honorer nos factures de fin d’année et de ne pas commencer l’année prochaine avec un budget amputé de factures en souffrance.
Par ailleurs, nous avons obtenu 250 millions supplémentaires au titre du projet de budget pour 2025 auxquels s’ajoute une hausse de 100 millions par rapport à l’année précédente, soit une augmentation du budget de la justice de 358 millions. On peut considérer que ce n’est pas suffisant, mais cela me permet de tenir l’ensemble de nos engagements. Ma priorité était de respecter la parole de l’État.
S’agissant du programme pénitentiaire, nous ferons le point sur l’ensemble des réalisations susceptibles de déboucher en 2025. Mais, encore une fois, si certaines opérations ne se font pas, c’est en raison de l’opposition qu’elles suscitent dans la population et parmi les élus. C’est le cas, par exemple, du projet de Noiseau. Peut-être faut-il réfléchir à des formules qui incitent davantage les élus à accueillir ce type de structures. Je suis prêt à en discuter avec Catherine Vautrin et le ministre des comptes publics, car cela peut être une solution, même si elle ne sera sans doute pas efficace face à des oppositions de principe.
Par ailleurs, nous devons consentir des efforts pour sécuriser davantage nos prisons, dans l’intérêt des surveillants pénitentiaires et des détenus eux-mêmes. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer l’ensemble des acteurs de la justice, notamment les personnels pénitentiaires, qui effectuent un travail remarquable. Il arrive que certains d’entre eux craquent ; nous ne pouvons que ressentir émotion et malaise face à de telles situations. C’est pourquoi nous avons signé avec les organisations syndicales des protocoles qui visent à améliorer la qualité de vie au travail. Nous sommes conscients des difficultés rencontrées par les magistrats, les personnels de greffe et les personnels pénitentiaires. Je sais, pour en être régulièrement informé en tant que garde des sceaux, qu’il se passe rarement plusieurs jours sans que des personnels pénitentiaires ou des magistrats soient bousculés ou menacés.
Il est profondément injuste que la justice soit critiquée comme elle l’est parfois, eu égard au travail remarquable qu’elle accomplit au quotidien en s’efforçant de répondre aux attentes de nos concitoyens. Plus de 2 millions de décisions de justice sont rendues chaque année – essentiellement en matière civile, du reste.
J’aurai l’occasion de proposer avec le ministre de l’intérieur, à Marseille, des réactions immédiates au fléau qu’est la criminalité organisée. Elle constitue une menace grandissante et gravissime, car elle recourt aux méthodes ultraviolentes des cartels sud-américains, lesquelles n’avaient pas cours jusqu’à présent dans notre pays. Je partage le sentiment du ministre de l’intérieur face à ce fléau. Nous devons donc faire en sorte que la justice soit mieux armée pour le combattre.
Nous allons donc proposer des mesures appropriées, dans l’attente de la présentation d’une proposition ou d’un projet de loi, car des mesures législatives seront nécessaires, que ce soit pour définir le statut du repenti ou pour réviser certaines procédures dont les avocats peuvent abuser, par exemple. Il convient également de favoriser l’échange d’informations : les services de renseignement doivent pouvoir être sollicités dans la lutte contre la criminalité organisée, qui dispose de moyens considérables, notamment pour corrompre certains de nos agents.
S’agissant de l’exécution des peines et de la régulation carcérale, je vais charger un groupe de travail rassemblant les acteurs de la justice de me proposer des mesures de nature à resserrer l’écart entre le prononcé d’une décision et son exécution, sachant que de telles mesures peuvent avoir des conséquences sur la population carcérale. La prison peut être une solution, mais elle ne l’est pas toujours pour certains délits. Le juge doit donc avoir à sa disposition une palette de sanctions. Il ne suffit pas de se dire favorable aux courtes peines ; il faut également prévoir les lieux d’enfermement où elles seront exécutées, surtout dans un contexte de surpopulation carcérale.
Les difficultés liées aux délais d’audiencement, évoquées par plusieurs d’entre vous, sont une autre de mes préoccupations. Nous allons étudier les moyens d’y remédier dans les tribunaux et les cours d’appel concernés, avec des effectifs supplémentaires et quelques renforts. Il nous faut, du reste, désencombrer la chaîne pénale en recourant à la déjudiciarisation ou à la dépénalisation, en trouvant un meilleur équilibre entre sanctions administratives et sanctions pénales. Ce sont de véritables défis qu’il nous faut relever, et je serai toujours à votre disposition pour les évoquer avec vous.
En conclusion, je tiens à ce que les moyens de la justice soient confortés et renforcés. Vos attentes et celles de nos concitoyens sont nombreuses ; je les prends en considération et, encore une fois, je suis sensible au soutien unanime que vous apportez à mon budget.
M. le président Florent Boudié. Merci pour cette touche d’humour, monsieur le ministre ! Je vous remercie pour vos réponses, je vais vous raccompagner et nous aborderons ensuite l’examen des crédits et les amendements.
La réunion est suspendue de dix-huit heures trente-cinq à dix-huit heures quarante-cinq.
* *
II. Examen pour avis des crédits
Puis, lors de cette même réunion, la Commission examine pour avis les crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).
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Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CL495 de M. Florent Boudié
M. le président Florent Boudié. J’ai souhaité déposer cet amendement identique à celui que le Gouvernement déposera en séance publique afin que nous puissions en débattre. Il s’agit d’abonder les crédits de la mission Justice à hauteur de 249 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, répartis entre les programmes Justice judiciaire, Administration pénitentiaire, Protection judiciaire de la jeunesse, Accès au droit et à la justice, et Conduite et pilotage de la justice. Ainsi les créations de postes annoncés dans le cadre de la LOPJ pourraient-elles être maintenues.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je relève qu’aucun de ces crédits de paiement n’est affecté au Conseil supérieur de la magistrature, que ceux alloués à l’administration pénitentiaire sont nettement supérieurs aux crédits réservés à la justice judiciaire et que nous ignorons, faute d’une information précise du ministre sur ce point, si les crédits seront suffisants pour créer les postes de magistrats et de greffiers prévus dans la loi de programmation pour l’année 2025. Car, en l’état, le bleu budgétaire prévoit 125 créations de postes de magistrat au lieu de 343 et 145 postes de greffier au lieu de 330. Tant que nous ne disposons pas d’informations supplémentaires, je ne peux donc pas donner un avis favorable à cet amendement.
M. le président Florent Boudié. Je m’en doutais un peu, madame la rapporteure pour avis.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Tout d’abord, je veux bien connaître l’astuce qui permet de déposer des amendements de ce type sans les gager. Peut-être est-ce le privilège du président de la commission.
Je ne suis pas opposé à ces 250 millions d’euros supplémentaires, mais je n’y suis pas pour autant favorable : j’opterai plutôt pour une abstention bienveillante. Je note que seulement 50 millions environ sur 250 relèvent du titre 2. Cela me paraît d’autant plus léger que le ministre nous a annoncé que ces crédits supplémentaires permettraient de valider les protocoles d’accord signés avec les personnels et les recrutements. Je n’ai rien contre le fait que l’on abonde également les dépenses de fonctionnement, car elles ont besoin de l’être, mais je souhaiterais savoir à quoi seront affectés les crédits hors titre 2.
M. le président Florent Boudié. Cet amendement est recevable au titre de l’article 40, car le Gouvernement a clairement manifesté ses intentions, notamment en déposant, en vue de la séance publique, un amendement identique, qui porte le numéro 896, et qui sera très prochainement rendu public.
M. Jean Terlier (EPR). Depuis 2017, les députés du groupe LFI n’ont jamais voté les augmentations du budget de la justice, qui a pourtant enregistré une hausse de 53 %. Le ministre a annoncé très clairement que la trajectoire des recrutements serait maintenue. Comment pouvez-vous soutenir le contraire ? Il faut être réaliste !
Les 237 millions manquants s’expliquent par l’impossibilité de consommer les crédits affectés à la construction de prisons, en raison de blocages locaux. Mais la trajectoire de recrutement prévue dans la LOPJ – 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice – sera maintenue. Il faut se satisfaire des engagements pris par le ministre – je le dis à Naïma Moutchou, qui a annoncé qu’elle ne voterait pas pour le budget.
M. Philippe Schreck (RN). Avec ces 250 millions d’euros, nous faisons la moitié du chemin à parcourir pour respecter la loi de programmation ; ce n’est donc pas mal. Il nous reste à faire l’autre moitié d’ici à la séance publique, pour peu que celle-ci se tienne, ce qui n’est pas garanti.
Le ministre a menacé de démissionner s’il n’obtenait pas des crédits qu’il nous a dit ne pas avoir demandés faute de pouvoir les utiliser. C’est un peu tourmenté… Toujours est-il que nous nous prononcerons en faveur de cet amendement, sachant que cela ne préjuge en rien de notre vote final sur un budget insuffisant au regard de la loi de programmation que nous avons adoptée et des besoins des Français.
M. le président Florent Boudié. C’est précisément parce qu’il n’est pas certain que la discussion du projet de loi de finances pour 2025 se poursuive que j’ai souhaité que nous puissions débattre de cet amendement.
M. Philippe Gosselin (DR). On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Je considère, pour ma part, qu’il nous faut faire bonne figure. À cet égard, madame la rapporteure pour avis, votre intervention était à charge. Les choses sont heureusement plus contrastées, même si l’on peut s’interroger sur les crédits du titre 2.
Je persiste néanmoins à déplorer l’absence de 237 millions. Quand bien même ils ne seraient pas utilisés en 2025, nous en avons véritablement besoin dans le cadre d’un plan de construction de places de prison : nous devons nous donner les moyens de pallier le manque de terrains et de convaincre les collectivités – nous y reviendrons.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je m’interroge, moi aussi, sur les perspectives qu’offre cet amendement en matière d’effectifs : c’est le nerf de la guerre. J’espère que la trajectoire sera respectée, mais je n’ai aucune certitude à ce sujet. Quoi qu’il en soit, l’amendement va dans le bon sens ; je voterai donc pour, à titre conservatoire, car c’est mieux que rien. Mais je n’en pense pas moins. Il manque toujours 250 millions d’euros pour respecter la trajectoire budgétaire ; c’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que je défendrai dans quelques instants.
M. Philippe Latombe (Dem). La grosse déception ressentie par notre groupe lors de la présentation de l’enveloppe initiale est atténuée par cet amendement ; nous voterons donc en faveur de son adoption. Il nous faut maintenant convaincre plus largement pour faire l’autre moitié du chemin et respecter la trajectoire fixée par la loi de programmation du ministère de la justice que nous avons adoptée, il faut le rappeler, au mois de novembre dernier. Notre objectif était de réparer certains dysfonctionnements. Nous ne le faisons pas entièrement ; c’est décevant.
M. Hervé Saulignac (SOC). Tout le monde s’accorde à reconnaître que le compte n’y est pas, mais ce n’est pas un motif valable pour décevoir les attentes des magistrats et des greffiers. Nous voterons donc pour cet amendement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! On est très loin de ce qu’il faudrait faire, mais nous voterons pour cet amendement. J’attends cependant du Gouvernement qu’en séance publique, il se déclare favorable aux excellentes améliorations que nous avons apportées en commission des finances et que nous ne manquerons pas de confirmer au cours de cette réunion.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Monsieur Terlier, je n’ai fait qu’indiquer attendre du ministre les précisions qui s’imposent pour s’assurer que cet amendement comporte des crédits en titre 2 suffisants pour créer les 343 postes de magistrat, les 320 postes de greffier et les 307 postes d’attaché de justice que nous sommes en droit d’attendre en 2025. Tant que nous n’aurons pas obtenu ces précisions, nous nous en tiendrons à une abstention bienveillante.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-CL272 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Il s’agit de l’amendement le plus cher que j’ai déposé en sept ans : un demi-milliard d’euros ! Bien entendu, c’est un amendement d’appel. Mais il manque encore 250 millions pour respecter la trajectoire de la loi de programmation, laquelle ne marque pourtant que le début du rattrapage. J’attends donc les réponses du ministre en séance publique.
L’amendement est retiré.
Amendements II-CL267 de M. Pouria Amirshahi et II-CL393, II-CL455 et II-CL454 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Selon les conclusions du rapport du 5 octobre 2024 de la Cepej, le nombre de magistrats pour 100 000 habitants est de seulement de 11,3 en France, contre 24,7 en Allemagne, la moyenne s’établissant à 17,8 pour les pays du Conseil de l’Europe. Pour renforcer notre capacité à bien juger, nous proposons donc de créer 1 000 nouveaux postes de magistrat en 2025.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable. Toutefois, nous proposons, quant à nous, par l’amendement II-CL393, de créer 1 500 postes de magistrat.
Pour ceux qui seraient tentés de tourner ce type d’amendements en ridicule, je rappelle qu’en recrutant 1 200 magistrats par an, il nous faudrait dix ans pour atteindre le ratio de magistrats pour 100 000 habitants qui prévaut en Allemagne. Nous en sommes loin puisque, si le ministre respecte la trajectoire de la loi de programmation, 343 magistrats seront recrutés l’an prochain, lesquels, qui plus est, compenseront, pour un tiers, des postes vacants.
Quant aux amendements II-CL455 et II-CL454, qui sont de repli, ils tendent à créer respectivement 500 et 218 postes de magistrat.
M. Jean Terlier (EPR). Ces amendements visent à créer, d’ici à 2027, un peu plus de 5 000 postes de magistrat tandis que la loi de programmation prévoit d’en créer 1 500, ainsi que 1 800 postes de greffier et 1 000 postes d’attaché de justice. Selon les responsables de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes (ENG), que nous avons auditionnés lors de l’examen de la loi de programmation, le doublement des effectifs d’élèves qu’implique la trajectoire retenue dans la loi contribuerait déjà à tendre les flux, de sorte qu’il serait rigoureusement impossible d’en former cinq fois plus sur la même période. Parce que nous préférons nous en tenir à la trajectoire réaliste de la loi de programmation, nous voterons contre ces amendements.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Terlier découvre les raisons pour lesquelles nous n’avons pas voté pour la LOPJ ! De fait, nous souhaitions recruter davantage de magistrats et nous nous opposions à une ventilation des dépenses qui traduit la volonté d’augmenter la cadence de la répression. Tel n’est pas notre projet politique.
Il est vrai qu’en l’état actuel des moyens de l’ENM et de l’ENG, il serait impossible de former autant de magistrats que nous le souhaitons. C’est bien pourquoi, chaque année, nous proposons d’augmenter leurs moyens. Ces écoles pourraient ainsi créer des antennes dans les différentes régions de manière à multiplier les petites promos, en lien avec les facultés de droit. On pourrait également, comme cela a été fait en partie, favoriser les passerelles. Bref, beaucoup de mesures peuvent être prises, mais il faut pour cela une volonté politique, un budget et des perspectives.
Du reste, dans l’absolu, il faudrait que les projets de loi de finances soient construits à partir des besoins réels : s’il n’est pas possible de les satisfaire dans l’immédiat, au moins tracerait-on une perspective.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteur pour avis. Je vous invite à voter pour l’amendement II-CL393, car il est mieux-disant que le II-CL267.
Successivement, la commission rejette les amendements II-CL267 et II-CL393, adopte l’amendement II-CL455 et rejette l’amendement II-CL454.
Amendement II-CL228 de Mme Colette Capdevielle
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous proposons d’abonder le programme Justice judiciaire afin d’augmenter les effectifs de magistrat des juridictions pénales.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je partage l’objectif, mais nous allons examiner des amendements plus ciblés qui visent à augmenter les moyens du parquet national financier, les effectifs des juges des enfants et des magistrats spécialisés dans les violences sexistes et sexuelles. Je vous invite donc à retirer votre amendement.
L’amendement est retiré.
Amendements II-CL449 et II-CL450 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Lors de la création du parquet national financier (PNF), l’étude d’impact précisait que chaque magistrat devait avoir à traiter huit dossiers. Or le PNF compte 18 magistrats qui traitent 772 procédures par an. Il convient donc de créer 78 postes de magistrat supplémentaires pour respecter le ratio initialement envisagé.
L’amendement II-CL450 est de repli : il vise à créer 13 postes de magistrat supplémentaires au sein du PNF.
La commission rejette l’amendement II-CL449.
Elle adopte l’amendement II-CL450.
Amendements II-CL456 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL378 de M. Arnaud Bonnet (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Chaque juge des enfants suit en moyenne 800 enfants, soit plus de 450 situations, au lieu de 325. Selon le Syndicat de la magistrature, qui a longuement étudié la question, il faudrait recruter 235 juges des enfants et autant de greffiers pour remédier à la situation des enfants en danger.
La commission adopte successivement les amendements.
Amendement II-CL482 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le groupe LFI s’est toujours opposé à la création des cours criminelles départementales, pour la simple et bonne raison que ces cours, qui ne comportent pas de jury populaire, dérogent au principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français. Nous souhaitons que les cours d’assises aient davantage de moyens et que les jurys populaires soient étendus aux tribunaux correctionnels.
Toujours est-il que la création de ces cours a accru la charge de travail des magistrats, puisque chacune requiert cinq magistrats professionnels au lieu de trois pour une cour d’assises. Nous proposons donc de recruter 202 magistrats supplémentaires pour permettre aux cours criminelles de fonctionner convenablement.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons en faveur de l’amendement. Les cours criminelles départementales ne fonctionnent absolument pas. L’énorme stock d’affaires à traiter provoque une embolie dans les juridictions, qui peinent même à trouver des locaux.
Ces cours posent un problème de principe : la justice criminelle doit être rendue par le peuple.
M. Philippe Schreck (RN). En adoptant l’amendement II-CL455, nous avons décidé de créer 500 postes de magistrat supplémentaires. Pourquoi pas, mais depuis, nous avons validé la création de 200 postes de juge pour enfants et désormais, vous nous proposez 200 postes de magistrat dans les cours criminelles. Ces postes sont-ils compris ou s’ajoutent-ils aux 500, auquel cas les crédits supplémentaires que nous avons votés ne suffiront pas ? Il n’y a plus aucune cohérence ni sérieux budgétaire.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je rappelle notre opposition aux cours criminelles départementales et notre préférence pour les cours d’assises faisant intervenir un jury populaire en vertu du principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français, au moins pour les crimes.
En tout état de cause, les cours existent et souffrent déjà des mêmes travers que les cours d’assises, à savoir l’engorgement et des délais de jugement qui ne sont pas conformes aux promesses initiales. Si l’expérimentation avait donné satisfaction sur les délais, la généralisation pèche par manque de moyens.
À l’attention de M. Schreck, notre ambition initiale était le recrutement de 1 500 magistrats mais la commission a adopté l’amendement de repli. Nous essayons donc de grappiller des postes, catégorie par catégorie. Vous prenez ainsi conscience de l’ampleur des besoins.
M. Philippe Gosselin (DR). Nous avons l’illustration ici de ce à quoi nous assistons en ce moment : le concours Lépine de l’amendement, en vertu duquel chacun se sent autoriser à voter tout et n’importe quoi.
Votre proposition est en totale contradiction avec le premier amendement de cadrage budgétaire qui a été voté avec l’abstention de nos collègues La France insoumise. Les amendements qui sont adoptés ne respectent pas davantage la trajectoire définie dans la loi de programmation de l’an dernier.
Face à une telle incohérence des votes, il faudra un texte ou une procédure balai pour remettre un peu d’ordre.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Nous n’avons jamais caché notre volonté de combler les insuffisances de la loi de programmation – sur les 1 500 postes de magistrats prévus, 500 compensent des postes vacants ; quant aux 1 800 postes de greffiers, 700 correspondent à une requalification et non à une création de poste.
La commission des finances a adopté des amendements bien plus généreux sans amputer le budget puisque nous transférons les crédits du programme Administration pénitentiaire destinés au plan 15 000 places de prison, auquel nous sommes opposés. Par ailleurs, nous avons toujours appelé à lever le gage et à supprimer l’article 40.
Enfin, nous répondons aux besoins identifiés par les personnes que nous avons auditionnées ainsi qu’au désarroi qu’elles ont exprimé face au risque de voir s’envoler les créations de postes promises d’ici à 2027.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je voudrais répondre au procès en dépenses inconsidérées qui nous est intenté.
D’abord, nos propositions visent à répondre à des besoins. Ensuite, les amendements sont gagés. En outre, nous avons dégagé en première partie des recettes pour financer la politique publique que nous appelons de nos vœux. Enfin, rien n’interdit en séance à nos collègues du bloc central d’être à leur tour raisonnables et de concourir à l’amélioration du fonctionnement de la justice dans notre pays. Si vous n’étiez pas arc-boutés sur les réductions d’effectifs et de dépenses, nous pourrions trouver des compromis. Essayons d’être un peu plus ambitieux que le Gouvernement et ses 250 millions.
M. Philippe Gosselin (DR). Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître une constance et une certaine cohérence programmatique et idéologique de votre part. Je ne vous la reproche pas mais je ne la partage évidemment pas.
Madame la rapporteure pour avis, je vous invite à vous plaindre de l’article 40 auprès du président de la commission des finances dont nous savons à quelle famille politique il appartient.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La discussion de la première partie du projet de loi de finances a permis, jusqu’à présent, de réinjecter 40 milliards d’euros dans le budget de l’État, soit le montant exact des économies dans les services publics voulues par M. Barnier. Demain, vous aurez la possibilité de voter un amendement dont l’objet est de taxer les profits des multinationales et qui rapporterait 27 milliards.
La commission adopte l’amendement.
Amendements II-CL480 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL229 de Mme Céline Thiébault-Martinez (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter les moyens humains affectés à la justice civile, en ajoutant un magistrat par tribunal judiciaire.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement II-CL229 vise également à renforcer les effectifs de magistrats dans la justice civile.
Selon le syndicat de la magistrature, les efforts budgétaires précédents sont manifestement insuffisants puisque dans certaines juridictions, il reste encore un stock d’affaires pour deux ans.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement est mieux-disant, mais s’il n’était pas adopté, je serai favorable au II-CL229.
L’amendement II-CL229 est retiré.
La commission adopte l’amendement II-CL480.
Amendement II-CL448 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les associations féministes réclament 2,6 milliards pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 300 millions au bénéfice de la justice, en particulier pour recruter des magistrats spécialisés. L’amendement ouvre 36 millions d’euros pour créer les 603 postes nécessaires.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL452 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La juridiction du Val d’Oise, dans laquelle je me suis rendue, a besoin, dès l’année prochaine, de trente-sept magistrats et trente-sept greffiers supplémentaires pour fonctionner de manière optimale, sans attendre les recrutements promis par la loi de programmation. Tel est l’objet de l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL453 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le nombre de juges d’instruction est passé de 542 en 2020 à 562 en 2024, soit une hausse de 3,6 % en quatre ans, alors que le nombre de procédures a augmenté en moyenne de 2 % par an. La conséquence en est un allongement des délais d’instruction. Afin de les réduire, il est proposé de créer cinquante postes supplémentaires de juge d’instruction.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est logique que les infractions de nature criminelle liées au narcotrafic soient traitées par un juge d’instruction. On ne peut pas faire de la lutte contre la criminalité organisée une priorité et refuser d’y consacrer les moyens nécessaires. Les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) sont totalement engorgées et les juges d’instruction croulent sous les dossiers qui concernent des individus très dangereux. La création d’un parquet national anticriminalité organisée ne résoudra pas le problème si elle ne s’accompagne pas de postes supplémentaires de magistrat et de policier judiciaire.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Il faudra pousser les murs, qui l’ont déjà été, de l’ENM.
Je voterai d’autant moins l’amendement que je suis favorable à la suppression du juge d’instruction, qui est totalement schizophrène – il doit juger à charge et à décharge –, et à la création d’un véritable juge de l’enquête.
La commission adopte l’amendement.
Amendements II-CL458 et II-CL457 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit de créer des postes de greffier : 500 dans l’amendement II-CL458 et 215 dans l’amendement II-CL457, que je retire. Les effectifs prévus par la loi de programmation sont insuffisants, d’autant que 700 des 1 800 postes promis ne sont que des requalifications.
L’amendement II-CL457 est retiré.
La commission rejette l’amendement II-CL458.
Amendement II-CL266 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je retire l’amendement mais je souhaiterais néanmoins rappeler les missions méconnues mais essentielles qu’exercent les greffiers : préparer et suivre les dossiers, authentifier les actes judiciaires, organiser le calendrier des audiences, assurer la transparence des procédures, accueillir et renseigner le public, etc. Ils méritent d’être défendus et valorisés.
L’amendement est retiré.
Amendements II-CL230 de Mme Colette Capdevielle, II-CL231 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL459 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL230 a pour objet de renforcer les effectifs des attachés de justice qui travaillent aux côtés des magistrats judiciaires. Le budget pour 2025 prévoit zéro recrutement. Or on ne peut pas embaucher davantage de magistrats et des greffiers sans leur adjoindre des attachés de justice. Il est donc proposé de financer 1 000 ETP supplémentaires.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement tend à atteindre l’objectif de recrutement de 1 100 attachés de justice à l’horizon 2027 en y consacrant les moyens nécessaires.
La commission adopte l’amendement II-CL230.
En conséquence, l’amendement II-CL231 tombe et l’amendement II-CL459 est retiré.
Amendement II-CL460 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. L’amendement vise à allouer les crédits nécessaires au recrutement de quatre personnes supplémentaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, là où le plafond d’emplois prévu dans le PLF est stable.
La commission adopte l’amendement.
Amendements II-CL399 de Mme Danièle Obono, II-CL299 de M. Emmanuel Duplessy, II-CL479 et II-CL462 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Dans son rapport de 2023, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande d’accroître de manière significative la proportion de magistrates et magistrats bénéficiant d’une formation initiale et continue au contentieux en matière de racisme et de discrimination.
Il existe un décalage très important entre le nombre de personnes – plus d’un million par an – qui indiquent avoir été victimes d’un acte raciste et les procédures qui sont engagées. La Défenseure des droits alerte sur ce chiffre noir et déplore que les victimes et leur préjudice ne soient pas reconnus comme tels.
Malgré le plan national 2023-2026 de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, et l’annonce d’actions de sensibilisation dans le cadre d’un partenariat entre la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT et l’ENM, les réalisations restent floues et les données manquent pour les évaluer. En outre, le plan gouvernemental ne s’accompagne d’aucun moyen supplémentaire et se borne à indiquer que les ministères concernés se sont engagés à y consacrer les moyens nécessaires. Pour pallier ces insuffisances, nous proposons, par l’amendement II-CL399, d’allouer 8 millions à la formation.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement II-CL299 tend à renforcer la formation des magistrats aux violences faites aux femmes. On sait à quel point la procédure pénale peut être violente pour les victimes. Il est donc indispensable de mieux former les magistrats pour qu’ils puissent, à chaque étape de la procédure, mieux accompagner les victimes. C’est aussi une manière de faciliter l’accès au droit et à la justice pour les victimes.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement a pour but de s’assurer que les élèves de l’ENM et les magistrats reçoivent une formation à la hauteur en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les crédits en 2024 ont permis d’organiser seulement quinze sessions, donc de former 492 personnes, sans caractère obligatoire. L’amendement reprend le chiffrage établi par les associations féministes.
Je donne un avis favorable à l’excellent amendement de Mme Obono bien que l’ENM ait fait de nombreux progrès dans la formation à la lutte antiraciste ainsi qu’à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Le sujet des violences sexistes, sexuelles mais aussi intrafamiliales est ainsi abordé dans toutes les simulations d’audience. Tout cela reste néanmoins insuffisant. Je vous invite donc à voter les amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CL475 de Mme Gabrielle Cathala, amendements identiques II-CL114 de Mme Elsa Faucillon et II-CL226 de Mme Colette Capdevielle, amendement II-CL467 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement II-CL475 vise à financer la présence systématique d’un avocat lors de l’audition d’un mineur dans le cadre de mesures d’assistance éducative. C’est une demande ancienne de tous les représentants de la profession d’avocat. L’amendement II-CL467 est un amendement de repli.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’objet est le même que celui de la rapporteure.
L’accompagnement d’un avocat est un moyen de préparer l’enfant à prendre la parole mais aussi de soutenir cette parole. Certains juges des enfants font valoir qu’ils jouent déjà deux rôles, celui du magistrat et celui de l’avocat. Mais il me semble impossible de tenir les deux postures en même temps. Certes le juge n’est pas là pour établir une quelconque culpabilité de l’enfant, mais il n’est pas en mesure de le préparer ni de le tenir informé de ses droits. C’est à l’avocat, qui y est formé spécialement, de le faire.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de la présence d’un avocat lorsqu’il se retrouve face au juge et à ses parents qui peuvent être en désaccord ? Parce que, bien souvent, la parole de l’enfant est instrumentalisée s’il n’est pas assisté.
Il est bien question de l’enfant lorsque le juge prononce une mesure d’assistance éducative. Il est particulièrement choquant qu’en 2024, un mineur se retrouve seul face au juge des enfants. Il doit bénéficier, au titre de l’aide juridictionnelle, de l’assistance d’un avocat formé et indépendant des deux parents. C’est vraiment le moins que l’on puisse faire pour garantir les droits de l’enfant.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CL466 et II-CL464 de Mme Gabrielle Cathala, II-CL110 de Mme Elsa Faucillon, amendements identiques II-CL224 de Mme Colette Capdevielle et II-CL264 de M. Pouria Amirshahi, amendement II-CL468 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les amendements tendent à augmenter le montant de l’unité de valeur de l’aide juridictionnelle. Les avocats nous le disent, la faiblesse de l’unité de valeur les fragilise.
L’amendement II-CL475 qui a été adopté par la commission des finances porte le montant à 60 euros – c’est la version idéale, promue par le Conseil national des barreaux. Certains amendements de repli proposent 40 euros en s’inspirant du rapport Perben, d’autres 42,2 pour prendre en compte l’inflation.
M. Philippe Schreck (RN). Je ne suis pas étonné que les avocats soient favorables à une hausse de l’unité de valeur. Les quatre premiers amendements sont un peu déraisonnables eu égard à la contrainte budgétaire actuelle.
Cependant, on sait que la faible rémunération de l’aide juridictionnelle a créé une défense à deux vitesses. Certains cabinets se détournent de cette mission, car les sommes allouées ne couvrent pas les frais fixes. Il convient donc d’envisager une montée en charge de l’unité de valeur.
M. Philippe Gosselin (DR). Il s’agit d’un vieux débat. L’aide juridictionnelle est dotée de 661 millions pour 2025, soit une hausse de 0,4 %. J’aurais donc tendance à dire que le compte n’y est pas.
Un décret visant à ajuster les barèmes de rétribution, notamment pour les procès hors normes, est en préparation – des précisions de la part du ministre auraient été bienvenues.
Les montants proposés dans les amendements font malheureusement exploser le budget. Néanmoins, je plaide pour une application du rapport Perben. Un rattrapage a été effectué, il faut le signaler, mais il n’est sans doute pas à la hauteur des attentes ni surtout des besoins.
Mme Naïma Moutchou (HOR). La rétribution de l’unité de valeur n’est pas adaptée à la charge de travail, à la complexité des contentieux ni au temps passé par les avocats à l’aide juridictionnelle.
Philippe Gosselin et moi avions recommandé dans notre rapport sur le sujet une revalorisation régulière de l’unité de valeur plutôt que par à-coups, tout en posant la question du financement global de l’aide juridictionnelle. Celui-ci étant assuré par des ressources de l’État, il n’est pas pérenne. Nous avions ainsi plaidé pour le retour du droit de timbre, dont les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle auraient été exonérés.
Les amendements vont dans le bon sens, car le travail doit être rétribué à sa juste valeur du travail, mais nous devons trouver une solution durable. C’est une charge constante qui continue d’évoluer dans le temps ; elle représente plus d’un demi-milliard d’euros.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’invite mes collègues à voter le dernier amendement, moins coûteux – 50 millions – et qui permet au moins de couvrir l’inflation.
Mme Colette Capdevielle (SOC). L’État a la possibilité, en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, de se retourner contre la partie perdante. Il commence à en faire usage depuis peu. Il serait d’ailleurs intéressant que le ministère nous communique les sommes qui sont recouvrées à ce titre.
Devant la cour d’appel, le timbre est payé par l’appelant et l’intimé. Le paiement du timbre devant le juge du premier degré me semble constituer une entrave à l’accès à la justice, notamment pour la classe moyenne qui ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La revalorisation à 60 euros de l’unité de valeur – soit 120 euros de l’heure, ce qui correspond au tarif habituel des avocats – est la seule manière pour les avocats de l’aide juridictionnelle de ne pas travailler à perte.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission rejette successivement les amendements en discussion commune II-CL225 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL465 de Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis.
Amendement II-CL425 de M. Philippe Schreck
M. Philippe Schreck (RN). Les crédits nécessaires pour le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle en 2025 ont été évalués à presque zéro – ils sont de 30 000 euros – contre 1 million en 2024, sans que nous ayons d’explications à ce sujet. Il faut prévoir des moyens pour l’aide juridictionnelle. Le but de notre amendement est de rétablir ce budget au même niveau que lors des exercices précédents.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je note que vous êtes davantage préoccupé par le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle que par la revalorisation de l’unité de valeur pour la mission de service public exercée par les avocats. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CL478 et II-CL470 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL428 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mes amendements visent à augmenter le budget pour les associations d’aide aux victimes. Les montants très modestes que je propose, respectivement de 8 et 7 millions d’euros, ne conduiront personne à s’étouffer ici, mais ces amendements sont très attendus par le secteur associatif, qui est paupérisé par l’obligation de verser la prime Ségur depuis un arrêté publié en août sans aucune compensation de la part du ministère de la justice.
La commission adopte successivement les amendements II-CL478 et II-CL470.
Elle rejette l’amendement II-CL428.
Amendement II-CL463 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter de 2,4 millions d’euros les crédits alloués au développement de l’accès au droit et aux réseaux judiciaires de proximité.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CL232 de Mme Céline Thiébault-Martinez, II-CL473 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL429 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL232 vise à augmenter de 4,5 millions d’euros l’aide aux victimes, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de téléphones grave danger.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise également à augmenter le nombre de TGD. On en compte actuellement environ 6 000 alors qu’il en faudrait 7 500 selon le chiffrage des associations féministes. Cette mesure est complémentaire de la mise à disposition de bracelets anti-rapprochement et de la création postes de magistrats supplémentaires pour lutter contre les VSS.
M. Philippe Schreck (RN). La lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales, demeure une cause nationale. Les 6 000 téléphones grave danger en service sont insuffisants. L’amendement II-CL429 prévoit donc des crédits supplémentaires, dans des proportions plus modestes que les amendements précédents, mais nous proposons par ailleurs de renforcer le dispositif des bracelets anti-rapprochement.
M. Philippe Gosselin (DR). Il y a sans doute des économies à faire, mais nous devons renforcer les efforts concernant les TGD, qui ont fait leurs preuves.
La commission adopte successivement les amendements II-CL232 et II-CL473.
Elle rejette l’amendement II-CL429.
Amendements II-CL361 de M. Philippe Schreck et II-CL477 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)
M. Philippe Schreck (RN). Mon amendement, qui a reçu un avis favorable du rapporteur en commission des finances, vise à mettre le projet de loi de finances en cohérence avec la loi de programmation de la justice en matière immobilière. De nombreuses rénovations et même constructions de tribunaux étaient prévues, mais le budget pour 2025 tend à mettre un coup d’arrêt à cette dynamique – les 250 millions d’euros supplémentaires qui ont été votés ne concernent pas l’immobilier de la justice et des services pénitentiaires. Alors que les crédits pour la rénovation et la construction de juridictions s’élevaient l’an dernier à 456 millions d’euros, le PLF pour 2025 ne prévoit que 171 millions, ce qui représente une baisse de près de 60 %. En parallèle, les montants des contrats de partenariat public-privé continuent à augmenter alors qu’on sait qu’ils posent beaucoup de difficultés.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise à allouer 93 millions d’euros supplémentaires au programme 166. Les crédits consacrés aux investissements immobiliers des services judiciaires ont reculé en 2024 et devraient également baisser en 2025, de 62 % en autorisations d’engagement et de 26 % en crédits de paiement. Je vous propose de corriger cette trajectoire.
Avis défavorable à l’amendement II-CL361.
La commission rejette l’amendement II-CL361.
Elle adopte l’amendement II-CL477.
Amendements II-CL268 de M. Pouria Amirshahi et II-CL394 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes entrés dans une phase de crétinisme parlementaire absolu. Cela fait plusieurs semaines que ce débat budgétaire, qui s’est engagé d’une manière précipitée du fait de la dissolution, nous plonge dans des situations incroyables : nous devons siéger en même temps en séance pour voter des recettes, en commission des finances pour voter des dépenses, mais aussi en commission des affaires sociales pour examiner le PLFSS, tout cela dans une boucle sans fin. Nous sommes même appelés aujourd’hui à donner un avis à la commission des finances sur des amendements qu’elle a déjà examinés ! Un tel niveau de dégradation du débat parlementaire n’est pas admissible. Je ne doute pas que vous en ayez conscience, monsieur le président, ni que vous ayez l’intention de vous exprimer avec force à ce sujet, mais la réunion que vous avez été dans l’obligation de convoquer est totalement absurde. Le moment que nous vivons n’a aucun sens démocratique. J’ignore dans quelles conditions les débats reprendront ce soir, mais nous nous demandons, au groupe Écologiste et social, si nous devons continuer à débattre d’amendements déjà examinés par la commission des finances.
M. le président Florent Boudié. Voulez-vous dire, mon cher collègue, qu’il n’y aurait pas beaucoup de sens à examiner en commission des lois des missions budgétaires qui ne feraient pas l’objet d’un débat en séance ? C’est une question rhétorique.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Même si je partage en partie les propos de Pouria Amirshahi, je vais présenter l’amendement d’appel II-CL394, qui demande le rattachement de la police judiciaire à la mission Justice, au sein d’un programme spécifique, et non à la mission Sécurités. La justice a, en effet, vocation à mener les investigations et la perspective que nous traçons ne semble pas déplaire au garde des sceaux – nous avons eu l’occasion de lui en parler.
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable à l’amendement de Jean-François Coulomme. J’invite Pouria Amirshahi à retirer le sien, non pour une raison de fond mais parce qu’il coûterait 3,1 milliards, ce qui aurait pour conséquence de vider totalement les crédits d’un programme et d’interrompre nos débats.
L’amendement II-CL268 est retiré.
La commission rejette l’amendement II-CL394.
* *
Lors de sa réunion du mardi 5 novembre 2024 à 21 heures la Commission poursuit l’examen pour avis des crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et de l’accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen pour avis des crédits de la mission Justice.
Article 42 et État B (suite) : Crédits du budget général
Amendement II-CL430 de M. Philippe Schreck
M. Philippe Schreck (RN). Défendu.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Avis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL360 de M. Philippe Schreck
M. Philippe Schreck (RN). Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit un fort recul du budget de l’immobilier pénitentiaire, qui a subi un important coup de rabot en février 2024. Les dépenses d’investissement passent de 712 à 405 millions, soit une baisse de 43 %. Le discours du ministre relève clairement de l’évitement : « Je n’arrive pas à consommer mon budget, donc je le rends ». Renoncer à un budget, c’est renoncer à une politique.
Il faut rétablir le budget de l’immobilier pénitentiaire pour réaliser le plan 15 000 places de prison, première étape du plan « 18 000 places de prison ». Ce plan est indispensable pour lutter contre la surpopulation carcérale, que certains dénoncent à raison, pour améliorer le respect de la dignité des détenus et leur condition de détention, ce pour quoi la France a souvent été condamnée, et pour privilégier l’encellulement individuel. Comme d’autres précédemment soutenus, cet amendement n’a d’autre objet que tenter de faire coïncider le projet de loi de finances pour 2025 avec loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL390 de Mme Florence Goulet
Mme Florence Goulet (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur l’état critique des établissements pénitentiaires français. Dans ma circonscription de la Meuse, le centre de détention de Montmédy accueille 330 détenus, soit sa capacité maximale. Il est en première ligne de la crise. Une trentaine de postes, sur un effectif théorique de soixante-dix surveillants pénitentiaires, sont vacants, ce qui induit inévitablement une surcharge de travail, une dégradation des conditions de travail et une multiplication des incidents.
Agressions de surveillants, évasions, livraisons de stupéfiants par drone et incendies de véhicules sont désormais des réalités quotidiennes. Depuis plusieurs années, nos prisons souffrent d’une surpopulation chronique, aggravée par un manque cruel de moyens humains et matériels. Au 1er juillet 2024, le taux d’occupation de nos établissements pénitentiaires a atteint 127 %. Le budget alloué à l’administration pénitentiaire est trop faible pour lui permettre de relever les défis afférents. Il faut agir dès aujourd’hui pour la sécurité de demain.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL388 de Mme Martine Froger
Mme Martine Froger (LIOT). Il vise à lutter contre la surpopulation carcérale et à inciter l’État à développer une politique d’insertion ambitieuse par la mise en œuvre d’un mécanisme de régularisation carcérale contraignant. L’objectif est de financer à hauteur de 10 millions, dans les territoires, des commissions réunissant toutes les parties prenantes afin de prévoir des peines alternatives dès qu’un établissement présente un taux d’occupation supérieur à 100%.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Je suis opposé par principe à toute régulation carcérale, qui relève à mes yeux d’une idéologie laxiste ayant pour effet de faire sortir des prisons un grand nombre de détenus. Vous prenez le problème à l’envers. Pour vous, il y a trop de délinquants, donc il faut les relâcher. Pour nous, il faut construire des places de prison pour en accueillir davantage.
M. le président Florent Boudié. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vos arguments mais nous verrons cela une autre fois.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL414 de Mme Gabrielle Cathala
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Il vise à améliorer les conditions de détention des femmes. L’Observatoire international des prisons (OIP) a indiqué à plusieurs reprises que les femmes détenues souffrent d’une hygiène dégradée. Elles sont souvent en situation de précarité menstruelle. Le présent amendement vise à créer une ligne budgétaire de faible montant – 1 million – pour pallier les manquements constatés.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. L’OIP ne fait pas partie des références sur lesquelles je me fonde. J’émets toutefois un avis favorable à l’amendement, sous réserve que le Gouvernement lève le gage.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL483 de M. Romain Baubry
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter le budget alloué au recrutement du personnel pénitentiaire. Le schéma d’emploi prévoit la création de 305 postes d’agents de surveillance. Je propose de doubler ce chiffre, soit 710 surveillants pénitentiaires supplémentaires pour 2025. Nos prisons manquent cruellement d’effectifs. Aucun des établissements pénitentiaires que j’ai visités ne fait exception.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL484 de M. Romain Baubry
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) sont le cœur du réacteur des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Ce sont eux qui assurent le suivi des personnes condamnées à une mesure judiciaire en milieu ouvert et l’accompagnement des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement.
Ce qui vient d’abord à l’esprit, lorsque l’on évoque l’administration pénitentiaire, ce sont les personnes incarcérées, qui sont près de 80 000 dans notre pays. Or, il faut y ajouter près de 180 000 personnes suivies en milieu ouvert, condamnées à des mesures judiciaires telles que des travaux d’intérêt général (TIG).
En tout, l’administration pénitentiaire assure donc le suivi d’environ 260 000 personnes. Ce sont les CPIP qui s’en chargent. Ils ont donc une lourde charge de travail. Par ailleurs, leur rôle est décisif dans le processus de réinsertion des personnes condamnées. Il me semble essentiel de faire connaître davantage ce métier en lançant une campagne de communication pour recruter davantage.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL343 de M. Michaël Taverne, amendements II-CL345 et II‑CL362 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Philippe Schreck (RN). Ils visent à augmenter les moyens de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap), réduits de 300 000 euros dans le budget 2025, alors même que l’on nous annonce des recrutements de surveillants pénitentiaires à hauteur de près de 500 équivalents temps plein (ETP). Il y a une contradiction entre objectif de formation et objectif de recrutement. Il faut rendre à cette école les moyens d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CL485 de M. Romain Baubry
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Les personnels pénitentiaires doivent être davantage protégés compte tenu des menaces et des violences qu’ils subissent. Des menaces, ils en reçoivent au quotidien entre les murs de la prison, mais les actes de violence se multiplient également à l’extérieur. Ils sont de plus en plus fréquemment attaqués à domicile ; leurs familles sont elles aussi agressées. Des couples sont passés à tabac en pleine rue, des agents suivis jusqu’à leur domicile. Tels sont les risques quotidiens que prennent les agents pénitentiaires.
Ces situations ne sont pas acceptables. Nous devons non seulement allouer davantage de moyens à leur sécurité mais aussi leur garantir un meilleur accompagnement s’ils sont confrontés à des violences. Le présent amendement vise à créer un fonds sur le modèle du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Ce fonds permettrait notamment de recouvrer, en totalité ou sous forme d’avance, puis dans le cadre d’un mandat, les sommes dues aux agents et à leurs familles.
La commission rejette l’amendement.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-CL358 de Mme Colette Capdevielle.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-CL377 de Mme Colette Capdevielle.
Amendement II-CL359 de M. Philippe Schreck
M. Philippe Schreck (RN). Il tire les conséquences du drame d’Incarville, où deux de nos surveillants pénitentiaires ont été assassinés – il n’y a pas d’autres mots – et trois grièvement blessés – ils sont toujours soignés et n’ont pas repris leur travail. Malheureusement, les auteurs n’ont pas été interpellés.
Il y a plusieurs causes à ce drame. L’une d’elles est l’insuffisance, voire le caractère symbolique de la protection passive du véhicule utilisé pour l’extraction judiciaire des détenus. Comme seule protection, ce véhicule avait la signalétique de l’administration pénitentiaire, ce qui permettait de parfaitement le cibler. Certains ont dit, toute considération pour la gravité de l’événement mise à part, qu’il s’agissait d’un camion de pizzaïolo ou de livreur – aucun blindage, aucun mécanisme anti-intrusion, aucun mécanisme de sécurité passive, aucun mécanisme d’alerte.
La discussion avec les syndicats qui a suivi le drame a abouti à la préconisation de trente-trois mesures, parmi lesquelles la montée en charge du blindage des véhicules, qui est indispensable pour protéger, lors des extractions judiciaires par ailleurs trop nombreuses, nos fonctionnaires pénitentiaires et parfois les détenus, voire les usagers de la route. Depuis lors, rien n’a changé.
Nous verrons qui votera contre le blindage des véhicules de l’administration pénitentiaire. Le présent amendement vise à la doter d’un budget à cet effet, afin que ses fonctionnaires ne soient pas démunis lors des extractions judiciaires et des transfèrements vers un hôpital ou une juridiction.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Le drame d’Incarville, qui a coûté la vie à deux agents de l’administration pénitentiaire, doit nous faire réfléchir à l’équipement que nous voulons allouer aux surveillants chargés d’escorter les détenus hors des prisons. L’achat et l’équipement de véhicules font partie de leurs souhaits pour accomplir leur mission en toute sécurité. Lorsque nous discutons avec eux, ils nous disent les difficultés matérielles qu’ils rencontrent au quotidien, notamment en raison de véhicules en panne, en nombre insuffisant ou insuffisamment sécurisés. Avis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL486 de M. Romain Baubry, amendement II-CL271 de Mme Naïma Moutchou, amendements II-CL351, II-CL373 et II-CL374 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’émets d’emblée un avis favorable aux amendements autres que le mien soumis à discussion commune.
Il s’agit de renforcer les brouilleurs de téléphonie installés dans les prisons. Lors de chacun de mes déplacements dans les établissements pénitentiaires, j’ai constaté que mon téléphone captait très bien le réseau. Si mon téléphone capte très bien le réseau, alors ceux que les détenus arrivent à faire entrer dans leurs cellules captent de même, ce qui leur permet de poursuivre leurs trafics et de se livrer à toute autre exaction de l’intérieur de la prison.
Il faut absolument agir. C’est là le nerf de la guerre de la sécurisation des établissements pénitentiaires. En 2023, près de 53 000 téléphones ou accessoires téléphoniques ont été saisis. Au 1er septembre de cette année, nous en sommes déjà à 45 000. À ces chiffres impressionnants, il faut ajouter les téléphones qui ne sont jamais repérés ni saisis. Imaginer que les criminels sont en lien permanent avec l’extérieur, alors même que la prison est censée les en isoler pour protéger la société, donne le vertige.
Il faut agir pour éviter que le drame d’Incarville ne se reproduise. Il faut agir pour protéger nos agents pénitentiaires et nos concitoyens. Adopter au moins l’un des amendements, qui prévoient des moyens supplémentaires pour équiper les établissements pénitentiaires, est logique.
M. Jean Moulliere (HOR). L’amendement II-CL271 est un amendement d’appel visant à alerter sur l’utilisation du téléphone portable dans les établissements pénitentiaires. En dépit de son interdiction, elle est malheureusement monnaie courante. À quoi bon condamner un délinquant à une privation de liberté s’il peut entretenir son trafic depuis sa cellule ? Notre amendement vise à généraliser les brouilleurs de télécommunication dans les cellules.
M. Philippe Schreck (RN). L’assassinat d’Incarville a vraisemblablement été piloté depuis une prison. Les membres de la tristement célèbre DZ Mafia continuent, comme le relate un article de presse paru il y a quelques jours, de gérer leurs trafics grâce à des téléphones portables, alors même qu’ils sont détenus à l’isolement.
Il faut faire en sorte que les prisons ne soient plus un maillon des cartels de nos quartiers. Manifestement, les téléphones entrent dans les prisons, en dépit des dispositifs anti‑projection et des portiques de sécurité. Il faut donc massivement les équiper de brouilleurs de téléphonie – tel n’est pas le cas à ce jour.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’indique à nos collègues du groupe Horizons que, s’ils veulent généraliser les brouilleurs de téléphonie au sein des établissements pénitentiaires, il convient de voter mon amendement, qui a été chiffré en fonction du nombre de brouilleurs manquants et du coût réel de ce type de dispositif.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CL487 de M. Romain Baubry et II-CL350 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Pour empêcher les téléphones portables d’entrer dans les établissements pénitentiaires, plusieurs dispositifs sont nécessaires. Deux revêtent une importance particulière : les dispositifs anti-projection et les dispositifs anti-drone.
De nos jours, les détenus se font livrer des repas UberEats à la fenêtre de leur cellule par drone. Les drones sont aussi, ce qui est plus grave, une voie d’entrée très usitée des téléphones et de la drogue. Ce phénomène est récent mais sa progression est exponentielle, notamment dans les établissements suffisamment bien conçus pour qu’il soit difficile d’y projeter des objets..
Les brouilleurs de drone sont des dispositifs éprouvés. Les syndicats d’agents pénitentiaires confirment ce constat. Nous devons investir dans ces dispositifs, qui contribuent à limiter l’entrée des téléphones, de drogue et d’armes dans les centres pénitentiaires. Le budget nécessaire pour ce faire est de 250 000 euros par brouilleur, soit 24 millions pour l’année 2025 et l’ensemble des établissements pénitentiaires.
M. Philippe Schreck (RN). Manifestement, certains ici sont pour le statu quo. Pas de dispositif anti-projection, pas de portique de sécurité, pas de brouilleur de drone : tout va bien dans nos prisons ! Elles sont en réalité des zones de non-droit et de pilotage de trafics, ce qui n’est pas sérieux.
Les voyous utilisent de plus en plus les drones, parce que leur technologie est de plus en plus évoluée et leur coût toujours moindre, pour se faire livrer des armes blanches, de la drogue – certains ici n’y voient pas d’inconvénient – et des téléphones. Il faut endiguer ce phénomène. Les brouilleurs de drone sont des dispositifs maîtrisés. Il convient d’adosser les moyens adéquats aux politiques suivies, faute de quoi elles demeurent des déclarations d’intention.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis favorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CL348 de M. Philippe Schreck, amendements II-CL489 et II-CL488 de M. Romain Baubry (discussion commune)
M. Philippe Schreck (RN). Il s’agit d’augmenter le budget alloué aux dispositifs anti-projection. Ceux qui ne voient pas d’inconvénient aux livraisons par drone dans les prisons et au pilotage des trafics depuis les prisons voteront naturellement contre ces amendements.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. J’ai consacré la partie thématique de mon rapport à la sécurisation des établissements pénitentiaires, qui est une priorité pour leur personnel et qui doit l’être pour nous. Notre système pénitentiaire ne peut pas fonctionner si nos prisons ne sont pas étanches. Nous ne pouvons pas garantir la protection de notre société si les détenus peuvent communiquer à leur guise avec l’extérieur, parfois pour poursuivre leurs trafics ou se livrer à d’autres exactions.
Pour empêcher les téléphones portables d’entrer dans les centres pénitentiaires, plusieurs dispositifs sont nécessaires, parmi lesquels les dispositifs anti-projection. Les constats de terrain confirment que ces derniers permettent de réduire le nombre de téléphones entrant dans les centres de détention. Dans certains établissements pénitentiaires que j’ai visités, les murs extérieurs sont situés bien trop près des zones de détention, ce qui rend les projections très faciles.
Les glacis ajoutés autour des murs pour garantir une certaine sécurité sont souvent très faciles à franchir. J’ai parcouru celui de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas : le grillage qui l’enserre ressemble à du gruyère tant il est percé et découpé. Il suffit aux complices des détenus de le traverser et de se placer au pied du mur d’enceinte pour balancer tout ce qu’ils veulent à l’intérieur. Les réparations réalisées sur le grillage sont des rustines qui n’entravent en rien les projections. Les agents de l’établissement réclament l’installation de barbelé concertina pour en renforcer la sécurité. Ils demandent aussi l’installation de filets anti-projection.
J’émets un avis favorable à l’amendement II-CL348.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CL490 de M. Romain Baubry, amendements II-CL349, II-CL371 et II-CL372 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Le développement de la vidéosurveillance, l’amélioration des systèmes et l’installation de portiques sont autant de solutions utiles pour accroître la sécurité des établissements pénitentiaires et aider les personnels qui en ont la charge. Je suis effaré par la mauvaise qualité des systèmes de vidéosurveillance dont sont équipées nos prisons.
Les caméras sont pourtant l’un des outils les plus efficaces pour sécuriser la détention. Il n’est pas normal que leur qualité soit si médiocre. Nous sommes à l’heure de l’intelligence artificielle. Or, nos prisons ne profitent pas du tout de cette évolution technologique. Le présent amendement prévoit un budget complémentaire de 9 millions pour améliorer les systèmes de vidéosurveillance en y intégrant l’intelligence artificielle. J’émets un avis favorable aux amendements de repli II-CL349, II-CL372 et II-CL372.
M. Philippe Schreck (RN). Nous avons évoqué les portiques de sécurité, les dispositifs anti-projection et les brouilleurs de drone. Tout compris, le budget alloué à la sécurisation de nos prisons pour 2025 est légèrement inférieur à 40 millions, soit moins de 1 million par établissement. Nous avons une responsabilité vis-à-vis des détenus et de nos fonctionnaires, notamment de nos surveillants. En refusant le moindre coup de pouce en faveur de ces dispositifs indispensables – puisque nous courons après les voyous, les intrusions et les complices de détenus –, nous faisons preuve d’une forme de renoncement.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CL352, II-CL375 et II-CL376 de M. Philippe Schreck (discussion commune)
M. Philippe Schreck (RN). Le bracelet anti-rapprochement (BAR) est un dispositif dont le principe est unanimement approuvé. Il s’inscrit dans le cadre de la cause nationale qu’est la lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales.
Ces amendements visent à prévoir la montée en charge du financement des BAR. Ils ont eu la faveur de la commission des finances, ce qui est assez miraculeux pour être signalé. Ce qui mérite aussi de l’être, c’est que les projets de loi de finances, en matière de BAR, procèdent par copier/coller. En 2025 comme en 2024 et en 2023, le budget de fonctionnement consacré à leur modernisation est de 5 millions, ce qui ne résout en rien les problèmes rencontrés, notamment en matière d’opérateurs et de suivi.
Il est désolant de voir, projet de loi de finances après projet de loi de finances, les crédits reconduits sans qu’on s’interroge sur l’origine des problèmes de déploiement de ce dispositif – dysfonctionnements, diminution du nombre de bracelets distribués. La lutte contre les violences intrafamiliales, érigée au rang de grande cause, impose de soutenir sa montée en charge.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Tous les amendements tendant à renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires ayant été rejetés, il ne faudra pas vous émouvoir, chers collègues, lorsqu’un drame surviendra en leur sein ou lorsqu’une escorte sera à nouveau attaquée. Vous devrez dire, droit dans les yeux, aux membres des familles des victimes que vous n’avez rien fait.
Quant aux victimes de violences intrafamiliales, il est évident que nous devons tout mettre en œuvre pour les protéger. Le bracelet anti-rapprochement a fait ses preuves et nous donnerons un avis favorable à ces amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CL391 de M. Pascal Markowsky
M. Pascal Markowsky (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur la situation de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré : nous proposons 3 millions pour rénover le quartier disciplinaire de la citadelle, qui n’est plus conforme aux normes. Par ailleurs, les conditions actuelles de transfert exposent à des problèmes de sécurité. Il importe de créer un environnement plus sûr et plus fonctionnel pour les détenus et pour les personnels, dont nous relayons ici les demandes.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis favorable. Lorsque j’ai visité cet établissement, j’ai été scandalisé par son état, contre lequel tous les personnels protestent. La maison centrale étant divisée en deux structures séparées par la voie publique, les personnels doivent opérer des transferts d’une grande complexité pour conduire les détenus sanctionnés dans le quartier disciplinaire. Il est indispensable de financer des travaux de rénovation en vue d’une remise en état rapide.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL423 de M. Romain Tonussi
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Nous prévoyons de donner au centre de détention de Salon-de-Provence des moyens budgétaires pour acquérir des dispositifs de sécurité indispensables – filins anti-hélicoptères, systèmes de brouillage de drones et de téléphones, filets anti-projection.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-CL409, II-CL410 et II-CL406 de M. Jean-François Coulomme, II-CL491 de M. Romain Baubry, II-CL411 de Mme Gabrielle Cathala, II-CL227 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL389 de Mme Martine Froger (discussion commune)
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Maillon essentiel de la réinsertion et de l'accompagnement social, juridique et sanitaire des personnes condamnées, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) contribuent à assurer l’individualisation des peines. Pour soutenir le développement du suivi en milieu ouvert, que nous appelons de nos vœux, il est nécessaire d’augmenter les effectifs de tous leurs agents. Nous proposons donc un plan de recrutement portant sur 3 000 équivalents temps plein (ETP) dans l’amendement II-CL409, 1 500 ETP dans l’amendement II-CL410 et 500 ETP dans l’amendement II-CL411.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Comme d’autres professions du secteur social ou médico-social, les personnels des Spip n’ont pas reçu le complétement de traitement indiciaire de 183 euros du Ségur de la santé. Nous voulons faire en sorte, par l’amendement II-CL406, qu’ils en bénéficient, compte tenu de l’accompagnement socio‑éducatif qu’ils assurent.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. L’amendement II-CL491 vise à créer dans chaque département deux postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) spécialement chargés du suivi des peines de travaux d’intérêt général (TIG) que le manque actuel de contrôle rend inefficaces.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Notre amendement II-CL227 prévoit la création de 100 ETP supplémentaires au sein des Spip, augmentation qui viendrait s’ajouter à la hausse déjà prévue dans le programme Administration pénitentiaire.
Mme Martine Froger (LIOT). Les Spip jouent un rôle clef en matière de réinsertion et de prévention de la récidive mais le nombre de personnes suivies par conseiller est bien trop élevé. Il apparaît essentiel de leur accorder des moyens supplémentaires pour assurer leurs missions et répondre aux enjeux de notre politique pénale. Notre amendement II‑CL389 vise à compenser la diminution de 0,5 million que leur budget a subie.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Mon avis sera défavorable sur les amendements II-CL409, II-CL410, II-CL406 et II-CL411, qui procèdent à des ponctions sur les crédits dédiés au programme immobilier pénitentiaire et au plan « 15 000 », et favorable sur les amendements II-CF491, II-CL227 et II-CL389.
Successivement, la commission rejette les amendements II-CL409, II-CL410, II‑406, II-CL491 et II-CL411, puis elle adopte les amendements II-CL227 et II-CL389.
Amendements II-CL400, II-CL401, II-CL403, II-CL404, II-CL405 de M. Jean-François Coulomme, II-CL233 de Mme Colette Capdevielle, II-CL492, II-CL494 et II-CL493 de M. Romain Baubry (discussion commune)
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) souffrent d’un manque cruel de personnels. Alors que les éducateurs, pour bien faire leur travail, devraient s’occuper de seulement vingt jeunes, c’est souvent de 80 qu’ils ont la charge. Or, leur rôle d’accompagnement est décisif pour les arracher à la spirale de la délinquance. Nous proposons donc un vaste plan de recrutement sur trois ans de 3 000 ETP, ce qui ne fait jamais qu’une trentaine d’agents par département. L’amendement II-CL400 financerait un premier volet à hauteur de 50 millions. Il est suivi d’amendements de repli.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Mes amendements entendent également renforcer le budget de la PJJ en ponctionnant certains des crédits de l’administration pénitentiaire ne nous semblant pas prioritaires. L’amendement II-CL492 redéploie ainsi les crédits, d’un montant de 7,5 millions, du plan de déploiement du Numérique en détention (NED) qui consiste à mettre à disposition des détenus des tablettes pour effectuer diverses démarches, lesdites tablettes faisant bien souvent l’objet de détériorations volontaires et étant délaissées par certains détenus au profit de supports papier. Dans la même logique, l’amendement II-CL493 retire 1 million aux crédits alloués au renouvellement du matériel sportif destinés aux détenus.
Avis favorable sur l’amendement II-CL233 et ceux que j’ai défendus et défavorable sur les autres.
Successivement, la commission rejette les amendements II-CL400, II-CL401, II‑CL403, II-404, II-CL405, adopte l’amendement II-CL233, puis rejette les amendements II‑CL492, II-CL494 et II-CL493.
Amendements II-CL433 de M. Philippe Schreck et II-CL407 de M. Jean-François Coulomme. (discussion commune)
M. Philippe Schreck (RN). Notre amendement vise à augmenter les crédits alloués aux centres éducatifs fermés (CEF). Dans certaines zones dominées par les trafics et la délinquance, les mineurs, parfois très jeunes, fournissent à la criminalité organisée une main‑d’œuvre bon marché, d’autant plus utile qu’elle jouit d’une certaine impunité sur le plan judiciaire. Le droit pénal devra vraisemblablement s’adapter à cette évolution. La réponse apportée par la justice ne nous semble pas pertinente : ou bien les jeunes sont renvoyés dans les quartiers mêmes d’où ils viennent, avec des sanctions tardives et symboliques, ou bien ils sont incarcérés de manière sèche, ce qui n’est pas satisfaisant. Les CEF constituent une bonne solution car ils évitent de replonger les mineurs dans des milieux criminels ou délinquants, dont ils sont aussi les victimes.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Notre amendement va dans la direction opposée au précédent : il redéploie une partie des crédits consacrés aux CEF vers un nouveau programme dédié au développement des mesures en milieu ouvert.
La loi Perben 1, à l’origine de la création de ces centres en 2002, contenait de nombreuses dispositions durcissant la réponse pénale en direction des mineurs. Elle a réformé en profondeur l’ordonnance de 1945, laquelle a subi depuis de nouveaux assauts marqués par une prééminence du punitif sur l’éducatif altérant l’esprit même de ce texte selon lequel le jeune délinquant est une personne en danger.
En outre, les CEF n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Certaines associations les qualifient même d’« antichambre de la prison » et des cas de maltraitances ont été révélés.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. La réponse à la délinquance des mineurs est l’un des défis les plus importants que nous ayons à relever. Nous devons accorder davantage de crédits aux CEF pour en construire de nouveaux. Je serai donc favorable à l’amendement II-CL433.
Mon avis sera par conséquent défavorable sur l’amendement II-CL407. La vision qu’ont nos collègues de gauche de la délinquance des mineurs me paraît pour le moins naïve. Notre pays est confronté à la montée d’une délinquance plus juvénile et plus violente, évolution amplifiée par le développement des bandes et l’usage des réseaux sociaux. Face à ce phénomène, la justice peine à se faire entendre. Les CEF permettent d’apporter une réponse ferme aux auteurs d’actes de délinquance qui pourrissent de plus en plus la vie de nos concitoyens.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Peut-être voudriez-vous revenir aux bagnes pour enfants ? Selon vous, nous ne serions pas conscients des problèmes de délinquance mais ce sont des jeunes de nos circonscriptions qui sont pris dans des rixes et qui meurent. Nous cherchons à comprendre et nous écoutons ces gamins qui ont souvent plein de choses à dire sur les problèmes qu’ils vivent. Nous savons que les enfermer n’est pas efficace. Il faut se tourner vers des mesures de prévention, mot que vous n’employez jamais, car, pour vous, assurer la sécurité passe forcément par des logiques punitives. Nous sommes contre cette politique de la terreur.
M. Yoann Gillet (RN). Quand j’entends nos collègues d’extrême gauche refuser la fermeté car il ne faudrait pas punir sévèrement de pauvres petits enfants, je suis stupéfait. Demandez donc aux Français s’ils considèrent comme un enfant de chœur un jeune de 16 ans ayant commis des actes de délinquance. Ce qui compte avant tout, c’est protéger nos concitoyens, mais cela ne semble pas être la priorité de ceux qui préfèrent laisser les délinquants en liberté.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous nous accordons tous sur l’objectif : favoriser le retour dans la société des jeunes ayant commis des actes de délinquance sans qu’ils ne récidivent. Toutefois, les CEF, dont le fonctionnement est extrêmement onéreux, sont un échec. Il nous faut en tirer les conséquences en nous tournant vers d’autres solutions qui, elles, fonctionnent : les séjours de rupture, les peines de probation, l’éloignement du lieu de vie.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je n’ai pas envie de me laisser enfermer dans cette opposition insupportable entre laxisme et fermeté. Personne ne souhaite voir monter la violence chez les jeunes. Personne ne peut consoler les parents d’un garçon de 14 ans tué à coups de couteau dans une rixe. Il faut arrêter de mentir aux gens et admettre que nous sommes confrontés à un phénomène complexe. Ce n’est pas en les condamnant à des peines d’emprisonnement ferme de quatre ou six ans qu’on empêchera des jeunes de s’armer à nouveau de battes ou de couteaux pour affronter une bande rivale. C’est la société tout entière qui doit assumer, avec l’aide des services publics, la responsabilité d’apporter une réponse adéquate.
M. Jean Terlier (EPR). Je n’ai pas non plus envie de me laisser enfermer dans cette opposition mais, contrairement à ce qu’affirme Mme Capdevielle, les CEF fonctionnent. Nous avons pu l’établir, Cécile Untermaier et moi-même, à l’issue de notre mission d’information sur la justice des mineurs. Certes, leur fonctionnement coûte cher mais le niveau d’encadrement est élevé et les personnels assurent une réelle prise en charge éducative auprès de mineurs qui sont parfois à rééduquer totalement. Je m’opposerai aux amendements visant à en créer plus que les vingt nouveaux prévus dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 mais je tiens à la trajectoire budgétaire qui a été tracée.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. M. Léaument fait un amalgame entre CEF et prison, ce faisant, il semble ignorer que, précisément, le placement dans ces centres peut éviter aux jeunes de finir en prison.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Justice.
Après l’article 60 :
Amendement II-CL113 de Mme Elsa Faucillon
Mme Elsa Faucillon (GDR). La prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) est nécessairement spécifique ; elle inclut, par exemple, leur accompagnement vers la régularisation. Si certains conseils départementaux assurent cette prise en charge – de façon souvent low cost toutefois –, c’est moins souvent le cas de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous demandons la remise d’un rapport sur une formation des personnels de ces administrations à cette prise en charge spécifique.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis défavorable.
M. Philippe Gosselin (DR). La majorité des personnels sont tout de même formés, et je ne peux laisser dire que les départements n’assumeraient pas leurs responsabilités. Nombre d’entre eux consacrent des millions d’euros aux MNA, et les dépenses liées à l’ASE ont pratiquement doublé ces dernières années.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Tous les départements ne mènent pas la même politique s’agissant de la protection de l’enfance et de la prise en charge des MNA. La tendance générale, néanmoins, est à l’amoindrissement de celle-ci. Certains départements passent des appels d’offres au prix de 45 euros la journée, une somme largement insuffisante. Les personnels de la PJJ sont formés, certes, mais la prise en charge des MNA soulève des enjeux spécifiques liés aux traumas que certains d’entre eux ont vécus, ou encore à leur régularisation.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL111 de Mme Elsa Faucillon
Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je suis évidemment favorable à cet amendement. La formation aux violences sexistes et sexuelles, dont nous avons débattu au sujet des magistrats, doit concerner l’ensemble des personnels de la justice.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CL356 de Mme Émilie Bonnivard
Mme Eliane Kremer (DR). Un rapport d’information pointe le retard pris par le programme de construction de 15 000 places de prison. Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport sur son état d’avancement.
M. Romain Baubry, rapporteur pour avis. Avis défavorable : vous dites vous‑même qu’un rapport d’information a déjà été publié. Nous pourrons aussi vous transmettre les éléments que nous avons reçus à ce sujet de la part du directeur de l’administration pénitentiaire.
M. Philippe Gosselin (DR). Je voterai cet amendement de mes collègues. Sans doute notre commission aurait-elle intérêt à organiser prochainement une audition du directeur de l’administration pénitentiaire ou du ministre, voire des deux, sur ce sujet du plan de construction de 18 000 places de prison au total. Ce pourrait être intéressant, dans la mesure où le ministre n’a pas eu le temps aujourd’hui de répondre de façon détaillée à nos questions.
M. le président Florent Boudié. Dès réception, je vous communiquerai l’état des lieux précis que j’ai demandé au ministre de nous fournir rapidement à ce sujet.
La commission rejette l’amendement.
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À Paris
M. Jérôme Bertin, directeur général
Mme Isabelle Sadowski, directrice générale adjointe
Mme Christiane Legrand, présidente
M. Benjamin Sayous, directeur général
Mme Corinne Morel, présidente
Mme Patricia Brunel, secrétaire et membre du conseil d’administration
M. Xavier de Fontgalland, membre du conseil d’administration
M. Jean-François Bohnert, procureur national financier
M. Antoine Jocteur-Monrozier, vice-procureur financier, secrétaire général
M. Frédéric Macé, président, juge d’instruction au tribunal judiciaire de Bordeaux
M. Richard Foltzer, secrétaire général, 1er vice-président Instruction au tribunal judiciaire de Nanterre
Table ronde des organisations d’avocats
Me Anne-Sophie Lepinard, présidente de la commission « Accès au droit »
Me Nawel Oumer, présidente de la commission « Égalité »
Mme Mona Laaroussi, chargée de mission affaires publiques
Me Laure Tric, membre du Conseil de l’Ordre
Me Zohra Primard, vice-présidente de la commission « Accès au droit »
Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente
Mme Ernestine Ronai, vice-présidente, présidente de l’Observatoire des violences en Seine-Saint-Denis
Audition commune
M. Éric Corbaux, président de la CNPG, procureur général près la cour d'appel de Poitiers
M. Raphaël Balland, vice-président de la CNPR, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Béziers
M. Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon
Audition commune
M. Bertrand Menay, président de la CNPTJ, président du tribunal judiciaire de Versailles
Mme Gwenola Joly-Coz, présidente de la CNPP, première présidente de la cour d’appel de Poitiers
M. Tristan Gervais de Lafond, membre du bureau de la CNPP, premier président de la cour d’appel de Montpellier
M. Marc Jean-Talon, membre du bureau de la CNPP, premier président de la cour d’appel de Nancy
Mme Nathalie Roret, directrice
M. Haffide Boulakras, directeur adjoint chargé de la formation continue, des formations professionnelles et spécialisées et du département international
M. Samuel Lainé, directeur adjoint chargé des recrutements, de la formation initiale et de la recherche
M. Ludovic Friat, président
Mme Stéphanie Caprin, vice-présidente
Mme Rachel Beck, secrétaire nationale
Mme Kim Reuflet, présidente
Mme Cendra Leblanc, secrétaire permanente
Mme Judith Allenbach, secrétaire permanente
Mme Delphine Blot, membre du conseil national
Mme Valérie-Odile Dervieux, membre du conseil national
Me Judith Krivine, présidente
Me Bénédicte Mast
M. Roland de Lesquen, directeur adjoint des services judiciaires et responsable de programme
Mme Véronique Court, directrice
Table ronde des syndicats de greffiers
M. Jean-Jacques Pieron, greffier au tribunal judiciaire de Vannes
M. Cyril Papon, secrétaire général
Mme Émilie Dumay, trésorière
M. Hervé Bonglet, secrétaire général, secrétaire administratif à la cour d’appel de Dijon
M. Franck Le Guern, secrétaire général adjoint, greffier au tribunal de Guingamp
Audition commune
Mme Carine Chevrier, secrétaire générale
M. Philippe Clergeot, directeur, secrétaire général adjoint
Mme Anne-Sophie Bernachot, cheffe par intérim du service de l’accès au droit et à la jsutice et de l’aide aux victimes
M. Pascal Prache, directeur des services judiciaires
M. Roland de Lesquen, directeur adjoint
Mme Christine Julard, sous-directrice des finances, de l’immobilier et de la performance
M. Thomas Parisotto, adjoint au chef de bureau FIP 3
À Pontoise
Me Stéphane Alaimo, bâtonnier de l’Ordre
Mme Ilhame Aguida, directrice, et ses équipes
M. Vincent Reyaud, président
M. Pierre Sennès, procureur de la République
Mme Tiffanie Reiss, vice-présidente, secrétaire générale de la présidence
([1]) C’est-à-dire qu'elle était envoyée dans différents tribunaux du Nord et du Pas-de-Calais en fonction des besoins, voir la tribune publiée le 23 novembre 2021 dans le journal Le Monde – « L’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout » ».
([2]) à noter que l’article 14 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août relative aux lois de finances prévoit que le montant cumulé des crédits annulés par décret ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances de l’année en cours.
([3]) Note d’analyse de l’exécution budgétaire (NEB) 2023 de la mission « Justice », Cour des comptes, avril 2024.
([4]) https://www.justice.gouv.fr/actualites/actualite/e-dupond-moretti-annonce-repartition-renforts-deffectifs-chaque-juridiction
([5]) Rapport annuel de performances de la mission Justice, annexe au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023.
([6]) NEB de la Cour des comptes précitée.
([7]) Soit les quatre programmes dans le périmètre du présent rapport et les deux programmes hors périmètre du présent rapport (Protection judiciaire de la jeunesse et Administration pénitentiaire).
([8]) Rapport du comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale, octobre 2022, p 31.
([9]) Discours de rentrée 2024 de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris, audience solennelle du 23 janvier 2024.
([10]) Ibid
([11]) Synthèse annuelle du PNF, 2023.
([12]) Note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Justice 2023, Cour des comptes, avril 2024.
([13]) Cour des comptes, « Améliorer la gestion du service public de la justice », dans Les enjeux structurels pour la France, octobre 2021.
([14]) « Les présidents de tribunaux estiment qu’il faudrait 35 % de juges en plus », article dans Le Monde daté du 16 février 2022.
([15]) Communiqué de presse du 11 juillet 2024 – « Charge de travail des magistrats : la DSJ acte les référentiels mais en repousse la mise en œuvre », Union syndicale des magistrats.
([16]) Note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Justice 2023, Cour des comptes, avril 2024.
([17]) Rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur l’aide juridictionnelle, présenté par M. Gosselin et Mme Moutchou, députés, juillet 2019.
([18]) Rapport de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, mission présidée par Dominique Perben, remis au garde des Sceaux en juillet 2020.
([19]) Rapport d’activité du comité national de l’ordonnance de protection 2020-2021, publié en juin 2021.
([20]) Rapport de l’Inspection générale de la Justice – Mission sur les homicides conjugaux, octobre 2019.
([21]) Rapport sur la proposition de loi visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l’ordonnance provisoire de protection immédiate, déposé le 30 avril 2024 à la présidence du Sénat, par la rapporteure Dominique Vérien.
([22]) Rapport de la Fondation des femmes, « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? », édition 2023.
([23]) Rapport parlementaire «Plan rouge VIF : améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », par Émilie Chandler, députée du Val d’Oise, et Dominique Vérien, sénatrice de l’Yonne, remis en mai 2023 au garde des Sceaux, M. Éric Dupond-Moretti.
([24]) Circulaire de mise en œuvre du décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel, n° JUSB2332178C.
([25]) Avant l’adoption de l’amendement du Gouvernement ouvrant 249 millions d’euros de crédits supplémentaires.
([26]) Rapport de la Fondation des femmes précité, p 47.
([27]) Directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, transposée par la loi n°2015-993 du 17 août 2015.
([28]) Rapport précité, recommandation n° 22.
([29]) Publication du syndicat de la magistrature, « La justice protège-t-elle les enfants en danger ? état des lieux d’un système qui craque », mai 2024.
([30]) Compte rendu n° 17 de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, audition, ouverte à la presse, des représentants du Conseil national des barreaux.
([31]) La liste complète des membres : la Ligue des droits de l’Homme, le conseil national des barreaux, la conférence des bâtonniers, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France, le barreau de Paris, le SNPES PJJ/FSU, la CGT, la FSU, Union syndicale Solidaires, Solidaires Justice, SNUAS-FP/FSU, Fédération Sud santé sociaux, SNUTER la FSU territoriale, SNEPAP FSU, Fédération Sud Collectivités territoriales, DEI France, la FCPE.
([32]) Lettre ouverte aux parlementaires par le collectif Justice des enfants, publiée par le conseil national des barreaux sur son site Internet le 14 mai 2020.
([33]) Rapport d’évaluation sur la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, secrétariat général et directions du ministère de la Justice, octobre 2023.
([34]) En 2020, selon le rapport précité, 72 emplois de magistrats et 100 emplois de greffiers supplémentaires étaient affectés dans les juridictions pour préparer l’entrée en vigueur du CJPM.