N° 486
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIème LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324)
TOME IV
ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
PAR Mme Claire LEJEUNE
Députée
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Voir les numéros : 324 et 468 (Tome III, annexe 15).
SOMMAIRE
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Pages
I. Une chute sans précédent des crédits qui compromet la transition énergétique
A. Une réduction massive et inédite des crédits du programme 174
1. Une baisse sans précédent des aides à l’électrification des véhicules
a. Le transfert des crédits vers le programme 135
b. La réduction des aides à la rénovation énergétique des bâtiments
3. Des crédits stables pour le chèque énergie mais un risque accru de non‑recours
4. Les autres crédits du programme 174
II. Faire de la justice sociale le pilier de la transition énergétique
B. Rendre les véhicules électriques accessibles sur tout le territoire
1. Massifier le dispositif de leasing social, victime de son succès en 2024
2. Préserver le bonus écologique et la prime à la conversion
3. Lutter contre la SUV-isation des véhicules
a. Appliquer le malus poids aux véhicules électriques et durcir son barème
b. Supprimer l’éligibilité des véhicules les plus lourds au bonus écologique
4. Renforcer les obligations d’électrification des flottes d’entreprises
6. Augmenter les aides à l’achat de vélos électriques
a. Une réforme initiale encore insuffisante mais permettant des avancées
2. Garantir un reste à charge nul pour les ménages modestes
3. Redonner confiance et mieux accompagner les ménages
a. Améliorer le maillage informationnel et l’accompagnement dans les territoires
b. Renforcer les contrôles pour mettre fin à la fraude
D. Revaloriser et étendre le bénéfice du Chèque énergie
1. Un dispositif superficiel dans un contexte d’explosion de la précarité
2. Un taux de non-recours qui devrait exploser en raison de la fin de l’automaticité du versement
liste des personnes auditionnÉes
Afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, la bifurcation écologique de notre économie doit être engagée. Elle implique une planification qui replace l’État dans un rôle stratégique et redonne des moyens significatifs, à la fois budgétaires et réglementaires, à la puissance publique dans ses rapports avec les acteurs économiques.
Cette transformation de nos modes de production et de consommation doit concerner en priorité les deux secteurs de notre pays qui consomment le plus d’énergie. Ainsi, en 2023, le secteur du bâtiment a représenté 44 % de la consommation énergétique finale et près de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que celui des transports a consommé 34 % de l’énergie finale et émis près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre ([1]).
La bifurcation écologique suppose un investissement public massif et planifié. Ainsi, M. Jean Pisani-Ferry et Mme Selma Mahfouz estiment, dans leur rapport sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat » paru en mai 2023, que « le supplément de dépenses publiques induit par la transition climatique devrait être à l’horizon 2030 compris entre 25 et 34 milliards d’euros par an ». Les auteurs du rapport précisent qu’« il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. Sauf à parier sur la technologie, cela ne pourrait qu’accroître le coût pour les finances publiques et l’effort nécessaire les années suivantes pour atteindre nos objectifs climatiques ».
Pourtant, alors que la transition énergétique constitue l’un des plus grands défis de notre siècle, le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une baisse drastique des crédits budgétaires qui y sont consacrés.
Les crédits du programme 174 chutent ainsi de 58,86 % en autorisations d’engagement (AE) et de 61,22 % en crédits de paiement (CP) entre la loi de finances initiale (LFI) de 2024 et le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, passant ainsi de 5,82 milliards d’euros à 2,39 milliards d’euros en AE et de 5,43 milliards d’euros à 2,11 milliards d’euros en CP. Le changement de périmètre du programme, marqué par un transfert des crédits consacré au dispositif d’aides « Ma Prime Rénov’ » vers le programme 135 à hauteur de 1,01 milliard d’euros en AE et 1,38 milliard d’euros en CP, est loin d’expliquer à lui seul la chute des crédits. À périmètre constant, les crédits diminuent ainsi de 41,58 % en AE et de 35,73 % en CP.
Ce budget, présenté dans la première partie du présent avis, révèle toutes les contradictions d’un discours qui consiste à faire de l’environnement une priorité des politiques publiques sans y consacrer les financements nécessaires. Il traduit une vision de court terme qui reporte sur les années à venir le coût de l’inévitable transition écologique.
Les politiques de rénovation énergétique des logements et de verdissement de la flotte répondent à des enjeux environnementaux, mais également sanitaires, industriels et de pouvoir d’achat. Elles se situent ainsi au carrefour des préoccupations majeures des Français et supposent une intervention majeure et volontariste puissance publique. Afin de faire de la bifurcation écologique un levier de réduction des inégalités et d’éviter une transition écologique et sociale à deux vitesses, cette intervention doit en priorité permettre aux classes populaires et aux ménages modestes de répondre à leurs besoins fondamentaux. La deuxième partie du présent avis présente des pistes permettant de remettre l’exigence de justice sociale au cœur des politiques publiques de transition énergétique.
Enfin, la rapporteure pour avis déplore le non-respect de l’article 39 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui prévoit que le PLF est déposé à l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre de l’année précédant celle de l’exécution du budget. Les circonstances particulières découlant de la dissolution de l’Assemblée nationale, ainsi que les délais inédits de la nomination du Gouvernement, sont de la pleine responsabilité de l’exécutif et ont eu pour résultat l’impossibilité de mener le travail législatif dans de bonnes conditions. Ce retard de plus de dix jours a très largement compliqué le travail de contrôle des députés, et des rapporteurs budgétaires en particulier.
I. Une chute sans précédent des crédits qui compromet la transition énergétique
A. Une réduction massive et inédite des crédits du programme 174
Évolution des crédits du programme 174 entre la LFI 2024 et le PLF 2025
Source : Projet annuel de performances.
1. Une baisse sans précédent des aides à l’électrification des véhicules
L’action 03 « Aides à l’acquisition de véhicules propres » du programme 174 permet de financer le leasing social, le bonus automobile et la prime à la conversion.
Les crédits de cette action connaissent une chute sans précédent. Ils s’élèvent ainsi à 970,49 millions d’euros dans le PLF 2025, contre 1 501 millions d’euros dans la LFI 2024, soit une baisse de 35,34 %.
La diminution des crédits pourrait en réalité être encore plus importante en raison d’une surexécution de l’enveloppe de près de 300 millions d’euros en 2024, liée au succès du dispositif de leasing social. Dans ce cas, le budget consacré au verdissement de la flotte ne serait pas amputé d’un tiers, mais de la moitié des crédits par rapport à 2024.
Si la discussion parlementaire ne permettait pas de revenir sur la diminution inquiétante des crédits de l’action 03, les trois dispositifs d’aides que sont le leasing social, le bonus écologique et la prime à la conversion seraient clairement menacés. Les 530 millions d’euros de baisse des crédits impliquent en effet soit de supprimer certains dispositifs d’aide, soit de les restreindre en réduisant le montant des aides reçues ou les bénéficiaires éligibles. Interrogée par la rapporteure pour avis le 9 octobre dernier, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a indiqué que les arbitrages concernant la ventilation exacte des crédits n’étaient pas encore rendus. Le Gouvernement a donc manifestement choisi le montant de la diminution des crédits avant de décider quels dispositifs seraient impactés. Cette manière d’envisager l’action publique apparaît incompatible avec une vision planificatrice de la bifurcation écologique du parc automobile.
La réduction de plus d’un tiers des aides de l’action 03 est d’autant plus alarmante que le marché des véhicules électriques est loin d’être mature, comme en témoigne l’exemple allemand, où la suppression des aides à l’électrification des véhicules en décembre 2023 a entraîné une chute des ventes de ces véhicules de 32 % entre janvier et août 2024. Le soutien public à l’acquisition des voitures électriques par les ménages est d’autant plus nécessaire, étant donné le retard pris par la France en matière d’investissements dans de nombreux volets de la mobilité comme les transports collectifs et les mobilités douces.
2. Une diminution des aides à la rénovation énergétique des bâtiments, transférées vers le programme 135
a. Le transfert des crédits vers le programme 135
Depuis 2020, l’action 02 « Accompagnement de la transition énergétique » du programme 174, rattachée à la mission « Écologie, développement et mobilités durables », finance notamment les dépenses d’intervention des aides « Ma Prime Rénov’ » (MPR), instruites par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) pour le compte de l’État.
Le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat », rattaché à la mission « Cohésion des territoires », finance quant à lui les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Anah, ainsi que les dépenses d’intervention des aides à la pierre (dont MPR Copropriétés et MPR Sérénité), instruites par les délégations locales de l’Anah ou les collectivités délégataires.
À partir du 1er janvier 2025, les crédits relatifs aux aides MPR instruites par l’Anah pour le compte de l’État doivent être transférés au sein de l’action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » du programme 135, qui finance notamment l’adaptation des logements au vieillissement (Ma Prime Adapt’) et la lutte contre l’habitat indigne. Ce transfert de crédits ne modifie pas en soi les modalités d’instruction des aides MPR par l’Anah. Comme indiqué par la DGEC dans sa réponse au questionnaire de la rapporteure pour avis, « la DGEC et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) continueront de travailler en étroite collaboration pour la définition des critères et des barèmes relatifs à MPR ».
Le transfert des crédits de MPR vers le programme 135 permet certes de simplifier la gestion comptable de l’Anah. Il est cohérent avec la mise en place d’une politique l’amélioration de l’habitat comprenant l’ensemble de ses aspects (rénovation énergétique, adaptation, lutte contre l’habitat indigne…). La rapporteure pour avis veillera toutefois à ce que les éventuels redéploiements de crédits au sein du programme 135 ne se fassent pas aux dépens de la transition énergétique.
b. La réduction des aides à la rénovation énergétique des bâtiments
Le PLF 2025 prévoit une subvention globale pour l’Anah, qui comprend l’aide MPR, de 2 291 millions d’euros en AE et 2 521 millions d’euros en CP, soit une baisse de 1 130 millions d’euros en AE et de 628 millions d’euros en CP par rapport à la LFI 2024.
Selon la DHUP, les dotations allouées dans le PLF 2025 permettraient de financer seulement 85 000 rénovations performantes et globales et 210 000 rénovations par gestes.
Les crédits prévus pour 2025 marquent un recul important par rapport à l’ambition affichée du Gouvernement, qui misait sur un objectif de 200 000 rénovations performantes dès 2024. Ce budget réduit entérine ainsi l’échec du Gouvernement à atteindre ses propres objectifs, puisque le nombre de rénovations performantes est estimé à 84 000 en 2024 et qu’aucune augmentation de ce nombre n’est anticipée en 2025.
L’enveloppe budgétaire prévue pour 2025 traduit le renoncement à respecter la trajectoire d’augmentation du nombre de rénovations performantes dans les prochaines années. En effet, dans une feuille de route parue en juillet 2023, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) indiquait que, pour permettre une baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2030 de 55 % par rapport à 1990, il faudrait effectuer 200 000 rénovations globales en 2024, 317 000 en 2025, 433 000 en 2026, 117 000 de plus en 2027, jusqu’à atteindre 900 000 rénovations performantes en 2030. Pour le Haut Conseil pour le climat (HCC), « le secteur résidentiel doit passer des 60 000 à 70 000 rénovations profondes effectuées annuellement (2012-2016), à 370 000 rénovations complètes par an a minima après 2022 et 700 000 par an à partir de 2030 » ([2]).
Le discours selon lequel il convient d’accélérer le rythme des rénovations pour atteindre les objectifs ambitieux définis par le SGPE ou le HCC est contradictoire avec la réalité d’une enveloppe budgétaire fortement réduite par rapport à 2024.
Enfin, si la dynamique des rénovations performantes des logements constatée fin 2024 (+ 50 % en octobre 2024 par rapport à octobre 2023) se poursuivait en 2025, comme il est permis de le croire, les crédits prévus en 2025 pourraient s’avérer insuffisants. Un recalibrage des aides à la baisse ou l’abandon de rénovations qui auraient pu être réalisées n’est donc pas à exclure.
Une logique planificatrice impliquerait au contraire de construire de manière volontariste les conditions de l’amplification de cette dynamique, par une série de mesures permettant de lever les contraintes, que celles-ci soient budgétaires ou informationnelles, et de systématiser le recours à la rénovation thermique globale, en particulier pour les ménages modestes, tout en priorisant les passoires thermiques. C’est la logique inverse qui semble être à l’œuvre : les échecs passés à atteindre les objectifs de rénovation deviennent un motif pour déplanifier les objectifs et entériner budgétairement les échecs futurs.
3. Des crédits stables pour le chèque énergie mais un risque accru de non‑recours
En 2025, l’action 02 « Accompagnement de la transition énergétique » du programme 174 financera uniquement le chèque énergie, en raison du transfert des crédits du dispositif d’aides MPR vers le programme 135.
Les crédits consacrés au chèque énergie s’élèvent à 900 millions d’euros en AE et 615 millions d’euros en CP dans le PLF 2025, contre 899 millions d’euros en AE et 795 millions d’euros en CP en LFI 2023 et 2024.
Si les crédits sont stables en AE, on constate une chute des CP de 180 millions d’euros par rapport aux années précédentes.
Le Gouvernement, en raison de la suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales, a fait le choix de mettre fin au versement automatique du chèque énergie. Alors que celui-ci faisait l’objet d’un taux de recours relativement élevé, proche de 84 % en 2023, ce changement des modalités d’attribution conduira inévitablement à une chute du taux de recours, anticipée par le Gouvernement à travers la baisse des crédits prévus en 2025.
Sauf à considérer que les contraintes budgétaires doivent entraîner une baisse du soutien apporté aux ménages les plus modestes et les plus vulnérables, cette décision n’est pas acceptable d’un point social. Le Gouvernement a fait le choix d’un taux de non-recours élevé au chèque énergie afin de réduire les crédits alloués à ce dispositif qui bénéficie pourtant aux ménages les plus modestes, qui ne peuvent déjà plus faire face à leurs factures d’énergie.
4. Les autres crédits du programme 174
Outre les crédits dévolus à l’accompagnement des ménages dans la transition énergétique, le programme 174 finance différentes actions d’ordre technique, sociales et pour la qualité de l’air.
– L’action 01 « Politique de l’énergie » regroupe principalement la subvention pour charges de service public à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le financement d’études relatives au domaine de l’énergie et des projets de territoire destinés à accompagner la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et des centrales à charbon, ainsi que le financement du Médiateur de l’énergie.
Son budget prévisionnel pour 2025 est de 178,5 millions d’euros en AE et de 181,12 millions d’euros en CP, soit une baisse de 4,72 % en AE et de 0,85 % en CP par rapport à la LFI 2024.
– L’action 04 « Gestion économique et sociale de l’après-mines » regroupe les financements des dispositifs sociaux mis en place dans le secteur minier après l’arrêt de l’exploitation du fer et du charbon.
Son budget prévisionnel pour 2025 est de 256,70 millions d’euros en AE et en CP, un montant en baisse de 5 % par rapport à la LFI 2024.
Ces crédits bénéficient essentiellement à l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), à hauteur de 206 millions d’euros de dépenses d’intervention et de 12,4 millions d’euros de subventions pour charges de service public.
Créée afin de gérer les prestations sociales prévues par le statut du mineur, l’ANGDM verse aux bénéficiaires, anciens mineurs et ayants droit, plus d’une centaine de prestations différentes, la majorité étant constituée par les prestations de logement et de chauffage. En sus de cette mission historique, l’ANGDM gère depuis 2012 les prestations relatives à l’action sanitaire et sociale pour le compte de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM). Elle assure enfin le suivi de différents types de contentieux sociaux découlant soit de son activité (prestations de chauffage et de logement) soit de la reprise des obligations rattachées aux anciennes activités minières (contentieux liés aux maladies professionnelles ou à la faute inexcusable de l’employeur).
– L’action 05 « Lutte contre le changement climatique et pour la qualité de l’air » finance différentes actions en matière de lutte contre l’effet de serre et de surveillance de la qualité de l’air.
Elle est dotée en 2025 de 81,56 millions d’euros en AE et de 78,50 millions d’euros en CP, soit une augmentation respective de 24,8 % et 23,2 % par rapport à 2024.
– L’action 06 « Soutien » finance, à hauteur de 6,2 millions d’euros, les dépenses de fonctionnement de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).
B. Une absence de réelle planification et de trajectoire pluriannuelle de financement préjudiciable pour les entreprises et les ménages
1. Une contradiction entre des objectifs de planification et l’absence de financements correspondants
En l’absence de financements pluriannuels, la seule planification à l’œuvre est une planification de l’échec, celle de l’abandon de l’atteinte de nos objectifs de transition énergétique et écologique.
Les travaux de planification engagés par la précédente majorité et poursuivis par le nouveau Gouvernement se caractérisent en effet par des renoncements, des retards de publication et, lorsque les documents sont publiés, par l’absence de trajectoire pluriannuelle de financement.
Tout d’abord, la rapporteure pour avis regrette l’absence de loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), qui aurait dû être promulguée avant le 1er juillet 2023 puis tous les cinq ans, en application de l’article L. 100-1-A du code de l’énergie, ainsi que le retard de publication des documents de planification (Stratégie nationale bas carbone – SNBC, troisième plan national d’adaptation au changement climatique – Pnacc, programmation pluriannuelle de l’énergie – PPE),
D’après les informations communiquées par la DGEC, les travaux d’élaboration de ces documents sont désormais relancés, une concertation publique sur la SNBC et la PPE devant être lancée dans les prochaines semaines. Quant au Pnacc, un budget de 150 millions d’euros était initialement prévu dans le plan, mais « la construction du budget n’a pas permis d’intégrer cette enveloppe » selon le ministère de la transition écologique. Il n’existe donc plus, à l’heure actuelle, d’enveloppe financière dévolue à l’adaptation au changement climatique.
Enfin, la nouvelle stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et énergétique de l’État, transmise au Parlement dans le cadre de la discussion de la loi de programmation des finances publiques 2023‑2027, ne comporte pas de trajectoire pluriannuelle de financement, contrairement à ce que son nom indique. Sur le fond, la stratégie pluriannuelle de financement reconnaît la nécessité d’augmenter les budgets consacrés à la transition écologique et énergétique, mais sans préciser ni les moyens, ni la trajectoire pour y parvenir. Le document, élaboré par la seule direction générale du Trésor, se borne ainsi à indiquer que « les investissements bas carbone devront avoir augmenté de 110 milliards d’euros par an en 2030 par rapport à 2021 ».
La méthode de planification actuelle repose sur les travaux du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Les documents publiés par le SGPE présentent des trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et des objectifs chiffrés par secteur. À titre d’exemple, le document de planification relatif à la décarbonation du secteur des bâtiments, sur lequel doit s’appuyer la révision de la SNBC, prévoit un objectif de suppression de 75 % des chaudières au fioul et de 20 % des chaudières au gaz – remplacées par des pompes à chaleur, des raccordements aux réseaux de chaleur urbains et des équipements biomasse notamment – et l’isolation thermique de 60 % des passoires énergétiques d’ici 2030. S’agissant du verdissement de la flotte automobile, le SGPE fixe un objectif de 66 % de part de marché des véhicules électriques au sein des immatriculations de voitures neuves en 2030, ainsi que des objectifs intermédiaires.
Auditionné par la rapporteure pour avis, le SGPE a indiqué que ses travaux ont permis de sortir d’une approche déclamatoire pour définir des trajectoires de décarbonation à horizon 2030, déclinées par secteurs, mais également d’améliorer la dimension interministérielle des politiques de transition énergétique. Si les arbitrages budgétaires du Gouvernement laissent sceptiques sur la réalité de ce changement d’approche, la nouvelle architecture gouvernementale laisse toutefois craindre un affaiblissement supplémentaire du rôle du SGPE, créé en 2020. S’il reste placé sous l’autorité du Premier ministre, le Secrétaire général a perdu son rôle de conseiller et de chef de pôle des secteurs liés à la transition écologique à Matignon. Ce nouveau positionnement traduit une perte d’influence politique et un affaiblissement du rôle de conseil du SGPE. En outre, le ministre délégué des transports, rattaché au ministre de la transition écologique sous le précédent Gouvernement, est désormais sous la tutelle de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Ce changement de tutelle montre bien que la décarbonation ne constitue plus la priorité affichée de la politique des transports.
Par ailleurs, les objectifs chiffrés présentés par le SGPE, déclinés par secteurs et sous-secteurs jusqu’en 2030, ne s’accompagnent pas de trajectoires pluriannuelles de financement, secteur par secteur et jusqu’en 2030. Pire, le budget consacré à la transition énergétique en 2025, en forte baisse par rapport à l’année précédente, enterre la dynamique des investissements nécessaires pour réussir la transition énergétique et atteindre nos objectifs. Il illustre l’absence de cohérence entre ambitions affichées et moyens alloués. En l’état, du fait de ce manque de moyens, les activités du SGPE se définissent plus adéquatement comme de la prospective que comme de la planification.
Pourtant, l’investissement public dans la transition énergétique est financièrement rentable pour l’État. À titre d’exemple, une étude du collectif Rénovons ([3]) chiffre l’investissement public nécessaire pour la rénovation énergétique des bâtiments à 3,2 milliards d’euros par an en moyenne sur la période 2020-2040. Cette étude montre que l’investissement est intégralement récupéré pour l’État dès 2047, soit un temps de retour sur investissement de 27 ans, et que le plan de rénovation assure à l’État 1,13 euro de bénéfice net pour chaque euro investi. Des travaux menés par France Stratégie ont quant à eux permis de quantifier et de monétiser le bénéfice d’une rénovation thermique des logements. Ainsi, le gain moyen annuel pour la société produit par une rénovation est estimé à 7 500 euros, décomposé en 400 euros de réduction des coûts de soin, 1 400 euros d’amélioration du bien-être et 5 700 euros de réduction du risque de mortalité. Selon cette étude, la rénovation de l’ensemble des passoires énergétiques d’ici 2028 permettrait d’éviter des coûts de santé de près de 10 milliards d’euros par an ([4]).
À rebours de l’ensemble des recommandations scientifiques sur le sujet, le budget de 2025 traduit une vision de court terme, sans aucune planification, qui rendra le coût de la transition plus élevé à l’avenir.
2. La structuration des filières en faveur de la transition énergétique suppose une lisibilité et des financements à horizon de dix ans
L’ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure pour avis, qu’il s’agisse des représentants des industriels, des consommateurs, des associations environnementales ou des chercheurs, a exprimé le même besoin de lisibilité et de prévisibilité de l’action publique, à la fois en matière de verdissement du parc automobile et de rénovation énergétique des logements. Ils ont d’ailleurs explicitement formulé ces demandes en termes de planification.
Concernant la rénovation énergétique des bâtiments, l’Agence de la transition écologique (Ademe) a indiqué que « la modification régulière des systèmes d’aides est difficile à gérer par les ménages comme les professionnels. Il serait donc utile de mettre en place une programmation pluriannuelle de l’investissement dans la rénovation performante qui explicite la part entre subventions publiques et financements privés, donne une perspective à cinq voire dix ans sur les financements publics, tout en redéployant des dispositifs peu efficients d’un point de vue énergétique et peu équitables par rapport à un dispositif Ma Prime Rénov’ qui serait recentré sur les rénovations globales (comme préconisé par le Conseil des Prélèvements Obligatoires) et adapté aux revenus des ménages ». L’Agence note à juste titre qu’une façon de pérenniser les financements pourrait être de s’appuyer sur la prise en compte des co‑bénéfices de la rénovation et l’objectivation des dépenses publiques ainsi évitées par ailleurs. Les contrats à impacts permettent de mettre en évidence les retombées en matière d’assurabilité et de moindre sinistralité des logements, de santé, voire de retour à l’emploi.
Pour la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), la visibilité pluriannuelle des aides à la rénovation est essentielle pour que les entreprises puissent aborder le marché en toute sérénité et soient capables d’investir, de recruter et de former les salariés. Au-delà de la stabilité des dispositifs de financement public de la rénovation énergétique, la filière du bâtiment a exprimé le besoin d’une réelle vision planificatrice de la part l’État pour atteindre les objectifs fixés.
Le même constat s’applique à la politique de verdissement de la flotte. L’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035, prévue par un règlement européen du 19 avril 2023, ne doit plus être remise en cause. L’État doit planifier les étapes devant mener jusqu’à cette interdiction et accompagner les différents acteurs dans les changements à opérer par des mesures fortes et lisibles. À titre d’exemple, comme l’a rappelé M. Louis-Pierre Geffray, directeur des programmes de l’Institut Mobilités en Transition, « il est indéniablement nécessaire de porter dans les débats la nécessité de disposer d’une visibilité pluriannuelle à au moins cinq ans pour les mécanismes de malus CO2 et malus poids. Cette visibilité est nécessaire pour les acteurs. Seul cet élément permettra à la filière d’anticiper ses développements et de répondre aux objectifs français. Le cas échéant, nous pouvons considérer, à juste titre (comme l’énonce la filière automobile), que ces mécanismes ne répondent (majoritairement) qu’à une finalité budgétaire ».
L’État doit envoyer aux ménages et aux entreprises le signal que les objectifs de rénovation performante des bâtiments et d’électrification du parc automobile sont immuables, et y adosser une part de contrainte sur les acteurs économiques du secteur. Il doit sécuriser ces objectifs par une politique lisible et financée sur plusieurs années.
II. Faire de la justice sociale le pilier de la transition énergétique
A. Les ménages modestes et les classes populaires, premières victimes du manque d’ambition des politiques de transition énergétique
D’après les chiffres publiés par l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) en juin 2024, un nombre croissant de ménages français indiquent souffrir du froid chez eux : ils étaient 14 % en 2020, 20 % en 2021, 22 % en 2022 et 26 % en 2023. En outre, 59 % d’entre eux ont déclaré avoir souffert de la chaleur dans leur logement en 2022, soit une hausse de 8 points par rapport à 2020.
Les conséquences sanitaires de la précarité énergétique ont notamment été mises en évidence par une étude de la Fondation Abbé Pierre, initiée en 2023. Les personnes en situation de précarité énergétique sont ainsi deux fois plus nombreuses à souffrir de problèmes pulmonaires, trois fois plus nombreuses à avoir des crises d’asthme, et ont un risque accru de souffrir d’anxiété ou de dépression. En outre, la précarité énergétique conduit de nombreux ménages à utiliser des chauffages inadaptés, présentant un risque d’intoxication au monoxyde de carbone qui peut être à l’origine de maladies cardio-vasculaires et respiratoires parfois mortelles. En 2023, une étude complémentaire de la Fondation a mis en évidence les effets sanitaires et sociaux de la précarité énergétique d’été : développement ou aggravation des pathologies rénales ou cardiaques, problèmes de circulation sanguine, coûts liés à l’utilisation d’appareils pour refroidir le logement, etc.
La pauvreté constitue également un facteur aggravant face à la pollution de l’air. Ainsi, à Paris, les habitants les plus pauvres risquent trois fois plus de mourir d’un épisode de pollution que les habitants les plus riches, selon une étude menée par l’association Réseau Action Climat et l’Unicef ([5]). Cette étude rappelle que « parce que les populations pauvres peuvent plus difficilement se soustraire à des conditions défavorables faute de ressources suffisantes, elles sont davantage exposées à la dégradation de la qualité des milieux de vie (qualité de l’air intérieur dégradée et moins bonne isolation des logements, plus forte exposition au bruit…) ».
Enfin, d’après le dernier Baromètre des mobilités du quotidien de Wimoov de septembre 2024, soutenu par l’Ademe, 15 millions de personnes en France se trouvent en situation de précarité mobilité. Cet indicateur mesure la possibilité pour une personne d’accéder aux biens et aux services essentiels du quotidien. Ainsi, le fait de ne pas posséder de voiture dans des territoires où les transports en commun sont quasi inexistants et où les services publics sont de moins en moins accessibles, est souvent synonyme de renoncement, de précarisation, voire d’isolement social complet.
B. Rendre les véhicules électriques accessibles sur tout le territoire
Malgré les différentes aides financées par l’action 03 du programme 174, l’achat d’un véhicule électrique reste inaccessible pour les ménages modestes et les classes moyennes. En effet, le reste à charge pour l’achat d’une voiture neuve et l’installation d’une borne de recharge varie entre environ 10 000 et 40 000 euros selon les modèles. Pour une citadine standard, il est compris entre 26 000 et 28 000 euros pour les ménages des classes moyennes, ce qui représente entre 65 % et 130 % de leurs revenus annuels d’après une étude réalisée par l’institut I4CE (Institute for climate economics) ([6]).
Le reste à charge est beaucoup moins élevé pour une voiture électrique d’occasion (environ 7 000 euros pour les classes moyennes), mais ce marché reste peu développé. La part des voitures électriques dans le parc automobile s’élève en effet à seulement 2,2 % au 1er janvier 2024.
Dès lors, les ménages les plus précaires font face à des injonctions contradictoires. Ceux qui résident dans les territoires ruraux et périurbains et qui sont contraints d’utiliser la voiture pour leurs déplacements doivent s’équiper en véhicule électrique, alors que le marché ne leur est pas accessible. Cette contrainte est redoublée lorsqu’une zone à faible émission-mobilité (ZFE-m) est mise en place. Dans ce contexte, la réduction de plus d’un tiers des aides à l’acquisition des véhicules propres, prévue par le PLF 2025, est particulièrement incompréhensible. Les retards pris en matière d’électrification du parc automobile auront un coût social, sanitaire et écologique considérable pour ces territoires.
Dans l’attente de solutions de mobilités permettant à ces ménages de se passer de la voiture pour leurs trajets du quotidien, ces aides doivent au contraire être accrues.
1. Massifier le dispositif de leasing social, victime de son succès en 2024
Lancé en janvier dernier, le dispositif de leasing social permet de financer, pour une durée de trois ans, la location d’un véhicule électrique, sous forme de location avec option d’achat (LOA) ou de location longue durée (LDD). Il est accessible aux ménages appartenant aux cinq premiers déciles de revenu, habitant à plus de 15 kilomètres de leur lieu de travail et utilisant leur voiture personnelle pour s’y rendre. Contrairement au bonus écologique qui peut aussi financer la location de véhicule, le leasing social exige des loueurs un loyer maximal de 150 euros, y compris pour la première mensualité.
Lancé en janvier 2024, le leasing social a connu un succès important et non anticipé, près de 50 000 contrats ayant été conclus en six semaines, ce qui a conduit le Gouvernement à y mettre fin de manière brutale dès le 12 février 2024, afin de limiter le coût budgétaire des aides à la conversion.
Le succès du leasing social montre que ce dispositif permet de répondre à une réelle demande populaire d’un véhicule à un prix abordable, tout en traduisant l’appétence de la population pour des mobilités plus écologiquement vertueuses. Il a bénéficié à des ménages qui n’auraient pas pu acquérir un véhicule neuf et a permis de réorienter les moyens de l’État vers le soutien à de plus petits véhicules électriques, à la fois plus accessibles et plus vertueux sur le plan environnemental que les véhicules jusque-là subventionnés via le bonus écologique.
Pour ces raisons, le dispositif de leasing social doit être massifié en 2025 pour concerner a minima 100 000 véhicules. Il doit également être mieux ciblé sur les ménages des premiers déciles de revenus.
Afin qu’un tel volume de véhicules soit disponible, la rapporteure pour avis, reprenant une préconisation de l’association Transport et Environnement et de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), appelle l’État à passer un contrat avec la filière pour la production de véhicules électriques adaptés aux besoins du leasing social, c’est-à-dire des petits modèles actuellement non produits en France mais qui, dans le cadre d’une stratégie industrielle priorisant la bifurcation écologique et la relocalisation de la production, auraient vocation à l’être. Pour l’industrie automobile, le leasing social représente l’opportunité d’un marché additionnel, avec des commandes garanties et un risque financier minime, à condition que l’État s’engage sur la pérennité du financement du dispositif sur plusieurs années.
Lancé dans la précipitation, le dispositif a néanmoins rencontré certains dysfonctionnements qui devront être corrigés en 2025. Un appel à témoignages réalisé par l’UFC-Que choisir montre que les conditions de souscription de l’aide sont perfectibles. Un manque d’information, notamment sur les frais de mise à la route, et des retards de livraison ont été constatés. En outre, certains concessionnaires ont indûment exigé un chèque de caution de 13 000 euros, dans l’attente du remboursement par l’État des services de paiement. Une définition plus claire des conditions d’octroi de l’aide et une meilleure communication par le ministère de la transition écologique sont donc indispensables.
Ensuite, si l’aide au leasing a connu un succès important auprès des ménages modestes, le dispositif bénéficie essentiellement au constructeur dans la mesure où celui-ci récupère le véhicule à l’issue de la période de location de trois ans. La durée de maintien des véhicules dans le dispositif pourrait donc être étendue. Un véhicule détenu pendant trois ans par un ménage pourrait ainsi être remis à la disposition d’un autre ménage à l’issue de la première période de leasing, afin d’élargir l’offre de véhicules disponibles.
Enfin, la rapporteure pour avis considère que la massification du dispositif doit s’accompagner d’un rééquilibrage entre le financement public et le financement privé. L’aide publique accordée par véhicule, estimée à 13 000 euros en 2024, pourrait être réduite afin de mettre davantage à contribution les constructeurs et les sociétés de leasing, qui bénéficient largement du dispositif.
2. Préserver le bonus écologique et la prime à la conversion
Le « bonus écologique » vise à accompagner, par une aide à l’achat ou à la location longue durée, les acquéreurs de véhicules électriques et de cycles. Depuis le 1er janvier 2023, les véhicules hybrides rechargeables, ainsi que les voitures particulières électriques dont le coût d’acquisition est supérieur à 47 000 euros ou dont la masse en ordre de marche est supérieure à 2,4 tonnes, ne sont plus éligibles au bonus. Depuis le 15 décembre 2023, le bonus est également conditionné à l’atteinte d’un score environnemental minimal afin de prendre en compte l’empreinte carbone du véhicule sur toutes les étapes de son cycle de vie avant son utilisation sur route. Ce critère permet ainsi de s’assurer que seuls les véhicules les plus vertueux sur le plan environnemental peuvent bénéficier du bonus écologique.
Le prix moyen des voitures particulières acquises grâce au bonus s’élève à 33 800 euros en 2024. Pour un ménage modeste, le montant du bonus peut atteindre jusqu’à 7 000 euros, sachant qu’un cumul est possible avec l’aide au leasing électrique d’un montant de 6 000 euros, ou la prime à la conversion d’un montant maximal de 5 000 euros hors zone à faible émission (ZFE) et 8 000 euros en ZFE. Pour l’acquisition d’une voiture électrique de 33 800 euros, le reste à charge pour un ménage modeste « gros rouleur » s’élève ainsi à 20 800 euros en cas de bénéfice d’une aide au leasing ; il est de 18 000 euros pour un ménage très modeste ou modeste « gros rouleur » en cas de bénéfice d’une prime à la conversion en ZFE. Ainsi, même en cumulant les différentes aides disponibles, le coût des véhicules électriques reste élevé pour les ménages modestes, si bien que le bonus écologique bénéficie principalement aux ménages les plus aisés. Seuls 20 % des bénéficiaires des 155 000 bonus attribués en 2024 sont des ménages appartenant aux cinq premiers déciles de revenus.
La rapporteure pour avis propose plusieurs ajustements au bonus écologique afin de l’orienter vers des véhicules plus légers, plus accessibles et plus vertueux sur le plan environnemental. Le bonus pourrait ainsi être limité aux véhicules inférieurs à 1,9 tonne, contre 2,4 tonnes actuellement. L’éco-score pourrait être affiné et davantage pris en compte. En outre, le montant du bonus doit être plus finement modulé selon les revenus de l’acquéreur, la majoration actuelle prévue pour les acquéreurs les plus modestes étant insuffisamment attractive.
Enfin, un décret du 12 février 2024 a supprimé le bonus écologique pour les véhicules électriques d’occasion ([7]). Cette mesure doit être réintroduite afin d’encourager le marché des véhicules électriques d’occasion, encore embryonnaire mais amené à se développer.
La prime à la conversion est une aide à l’achat d’un véhicule peu polluant (électrique ou classé Crit’Air 1) neuf ou d’occasion, attribuée en échange de la mise au rebut d’un ancien véhicule polluant. Versée sous condition de ressources, son montant peut atteindre jusqu’à 3 000 euros pour l’achat d’une voiture thermique et jusqu’à 5 000 euros pour l’achat d’une voiture électrique.
En 2024, sur les 31 000 primes attribuées, 72 % des bénéficiaires sont des ménages appartenant aux cinq premiers déciles de revenus. Parmi ces derniers, 32 % sont des ménages dits « gros rouleurs » ou des ménages appartenant aux deux premiers déciles de revenus.
Depuis 2018, le Commissariat général au développement durable (CGDD) réalise une évaluation socio-économique annuelle du dispositif de la prime à la conversion. Son dernier bilan, qui porte sur l’année 2022 lors de laquelle plus de 90 000 primes ont été attribuées à des voitures particulières pour un coût budgétaire de 233 millions d’euros, met en évidence les effets positifs de la prime sur les plans sociaux, environnementaux et économiques. Le principal bénéfice lié à cette aide provient de la réduction de la pollution atmosphérique aux particules fines : 35 tonnes d’émissions sont ainsi évitées, entraînant une diminution des maladies respiratoires, cardiovasculaires et de la mortalité valorisée à hauteur de 43 millions d’euros. Les économies de carburant s’élèvent à 24 millions d’euros et les économies d’entretien des véhicules à 18 millions d’euros (les véhicules anciens ayant des coûts d’entretien environ deux fois supérieurs). Les émissions de CO2 sont réduites de 120 000 tonnes, valorisées à hauteur de 19 millions d’euros. Le bilan du CGDD souligne enfin que les gains – notamment environnementaux – sont plus importants lorsque les bénéficiaires sont des ménages appartenant aux deux premiers déciles de revenus ou des « gros rouleurs » des déciles 3 à 5, ceux-ci possédant souvent de vieux véhicules diesel très polluants.
Pourtant, la prime à la conversion est particulièrement menacée en 2025. D’après les informations communiquées à la rapporteure pour avis, la diminution des crédits consacrés au verdissement de la flotte de véhicules en 2025 pourrait notamment se traduire par la suppression de la prime à la conversion.
La rapporteure pour avis s’oppose fermement à sa disparition et propose deux ajustements. Elle souhaite tout d’abord exclure les véhicules thermiques et hybrides neufs du bénéfice de la prime. Cette proposition est cohérente avec la nécessité de cesser progressivement de produire de nouveaux véhicules thermiques et hybrides rechargeables. Ensuite, il est proposé d’augmenter le montant de la prime en créant une « super prime » pouvant aller jusqu’à 8 000 euros, soit 3 000 euros de plus que le montant maximum actuel. Cette super prime serait réservée aux ménages les plus modestes. Ces derniers sont en effet plus susceptibles de s’orienter vers l’achat de véhicules d’occasion que de véhicules neufs, et de véhicules thermiques par rapport à des véhicules électriques, principalement pour des raisons économiques. L’augmentation de montants de la prime pour les ménages appartenant aux premiers déciles de revenu pourrait leur permettre d’accéder également à la motorisation électrique.
3. Lutter contre la SUV-isation des véhicules
Les politiques de verdissement de la flotte de véhicules reposent largement sur le remplacement progressif des véhicules thermiques par des véhicules électriques. Pourtant, l’électrification des véhicules ne saurait être le seul critère à prendre en compte. Ces véhicules doivent également être plus sobres, moins consommateurs de matières premières, et accessibles aux ménages modestes.
Or, la part des SUV (« Sport utility vehicle ») dans les ventes a été multipliée par dix en quinze ans. Ils représentent ainsi 49 % des ventes de voitures neuves en France en 2023, contre 5 % en 2008. En 2023, Renault, Peugeot et Dacia ont ainsi vendu près de 300 000 SUV. Ces quinze dernières années, les trois constructeurs français ont inondé le marché français avec plus de 3 000 000 de SUV, soit près de 40 % des SUV commercialisés en France entre 2009 et 2023. Dans ce contexte, la commercialisation prochaine de la R5 électrique mérite d’être saluée, mais son prix s’élèverait à plus de 33 000 euros, un montant bien trop élevé pour la grande majorité des ménages.
Ces chiffres montrent que les constructeurs français ont largement misé sur les SUV pour maximiser leurs marges. Auditionnée par la rapporteure pour avis, la Plateforme automobile (PFA) a confirmé la stratégie de montée en gamme et de SUV-isation des industriels français, au motif que les coûts de production en France ne permettraient pas une rentabilité suffisante des petits modèles de véhicules. Cette stratégie conduira d’ici plusieurs années à alimenter le marché de l’occasion avec des véhicules inadaptés aux objectifs de réduction de poids du parc roulant et toujours hors de portée des ménages modestes et des classes populaires.
La SUV-isation des véhicules soulève plusieurs problèmes, mis en évidence dans une récente étude de WWF et l’UFC-Que choisir ([8]). Tout d’abord, leur développement est incompatible avec les objectifs climatiques de la France en 2030. Les SUV ont ainsi constitué la deuxième source de croissance des émissions de CO2 en France lors de la dernière décennie ([9]). Les SUV électriques sont par ailleurs jusqu’à cinq fois plus consommateurs de métaux critiques (lithium, nickel, cobalt…) qu’une petite citadine électrique. Ils soulèvent également un enjeu social puisque leur acquisition restera inabordable, y compris sur le marché de l’occasion, pour les classes populaires. Ils posent en outre des questions de sécurité routière, puisqu’un piéton a entre 30 % et 100 % plus de risques d’être tué en cas de collision avec un SUV par rapport à une voiture standard.
Il convient donc de réorienter les aides publiques afin de favoriser à la fois l’offre et la demande de petits véhicules électriques accessibles et sobres, lorsqu’aucune alternative à l’automobile n’est envisageable. Seul le développement de modèles d’entrée de gamme vertueux permettra de répondre au besoin de massification des véhicules électriques, première étape d’un plan devant conduire à terme à la réduction du parc automobile au profit de mobilités plus douces.
a. Appliquer le malus poids aux véhicules électriques et durcir son barème
Le malus poids est une taxe assise sur la masse en ordre de marche des véhicules. Il s’applique depuis le 1er janvier 2024 aux véhicules particuliers neufs diesel et essence à partir de 1 600 kilogrammes (kg), à raison de 10 à 30 euros par kg, le malus atteignant 30 euros par kg pour les véhicules dont le poids est supérieur ou égal à 2 100 kg.
Le barème actuel est trop peu incitatif pour infléchir véritablement l’offre et la demande de véhicules lourds. Le malus ne s’applique en effet qu’à 12 % des véhicules vendus chaque année en France, sur la base des ventes de 2023. Seuls 2 % des véhicules vendus se voient appliquer un malus significatif, c’est-à-dire allant au-delà de 5 % du prix de vente.
La rapporteure pour avis appelle à un renforcement du malus poids, qui permettrait de décourager réellement l’achat de modèles de véhicules inutilement lourds, mais aussi de générer des recettes fiscales pouvant être réinvesties dans des solutions de mobilité plus durables.
Le malus pourrait être abaissé progressivement, à raison d’une baisse minimale de 50 kg par an, avec une visibilité sur une période d’au moins cinq ans. Le caractère pluriannuel de la mesure d’abaissement du malus doit permettre aux industriels de disposer d’une visibilité suffisante pour adapter leur offre de véhicule. Cette temporalité est établie au regard du temps de développement des nouveaux modèles, de l’ordre de trois à quatre ans aujourd’hui. À l’inverse, l’absence de pluriannualité de la mesure prévue par le PLF 2025, qui propose d’abaisser le seuil de déclenchement du malus poids à 1,5 kg en 2026, constitue surtout une mesure d’ordre budgétaire, qui n’offre pas aux industriels des garanties suffisantes à même d’entraîner une modification de leurs investissements dans la durée.
En outre, le malus poids doit être élargi à l’ensemble des véhicules hybrides, qu’ils soient ou non rechargeables, sans abattement.
La rapporteure pour avis est également favorable à l’extension du malus poids aux véhicules électriques, tout en prévoyant un abattement de 300 kg pour tenir compte du poids de la batterie. Le seuil pourrait ainsi être fixé à 1,6 tonne (1,9 tonne en tenant compte du poids de la batterie) en 2025, pour être ensuite abaissé progressivement, à raison d’une baisse minimale de 50 kg par an, avec une visibilité sur une période d’au moins cinq ans.
b. Supprimer l’éligibilité des véhicules les plus lourds au bonus écologique
Aujourd’hui, les véhicules électriques pesant jusqu’à 2,4 tonnes sont éligibles au bonus écologique, sous réserve du respect des autres critères du bonus.
La rapporteure pour avis recommande d’abaisser le poids maximal permettant de bénéficier du bonus écologique à 2 tonnes en 2025, afin d’inciter à la baisse générale du poids des véhicules électriques. Afin de donner de la visibilité aux constructeurs, ce plafond pourrait ensuite être abaissé chaque année pendant une période de cinq ans.
4. Renforcer les obligations d’électrification des flottes d’entreprises
Près de 60 % des véhicules neufs achetés en France le sont par des entreprises. Leurs parcs automobiles se caractérisent en outre par un très fort taux de renouvellement. En effet, les véhicules professionnels sont conservés en moyenne pendant trois ans par l’entreprise avant d’être revendus. Les entreprises sont ainsi les premiers pourvoyeurs du marché de l’occasion, qui représente près de 90 % des achats de voitures particulières.
La décarbonation des flottes d’entreprises constitue donc un levier efficace pour diminuer plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre du parc automobile français, pour accroître l’offre de véhicules électriques de petite taille ou de taille intermédiaire et pour développer le marché des véhicules électriques d’occasion.
Le verdissement du parc automobile des entreprises a été esquissé par la loi d’orientation des mobilités de 2019 et par la loi « climat et résilience » de 2021, sans toutefois que les mesures prévues ne se traduisent par des avancées concrètes, aucune sanction n’ayant été prévue pour les entreprises ne respectant pas les obligations légales. En pratique, aucune d’entre elles ou presque ne réalise le reporting prévu par la loi.
Il convient donc de renforcer les obligations d’électrification des véhicules d’entreprise, grâce à une hausse des quotas assortie de sanctions pouvant atteindre 10 000 euros par véhicule manquant à l’objectif. L’absence de reporting sur l’atteinte des objectifs doit en outre être rendue publique (« name and shame ») et donner lieu à des sanctions financières dissuasives.
À côté du verdissement de leur flotte, les entreprises doivent également déployer plus massivement des solutions de mobilité douce, notamment les vélos électriques, pour leurs salariés. Une obligation de sensibilisation ou de formation des gestionnaires de flottes d’entreprises aux alternatives à la voiture pourrait y contribuer.
Enfin, la suppression de niches brunes, comme celle qui permet aux véhicules thermiques et hybrides d’être comptés dans les amortissements des comptes d’entreprises et ainsi échapper à l’impôt sur les sociétés, constituerait une incitation forte à l’accélération du verdissement des flottes des entreprises.
5. Restructurer la filière automobile en faveur d’une production locale et bas carbone, créatrice d’emplois
Près de 100 000 emplois ont été détruits dans l’industrie automobile française en dix ans. Selon un rapport conjoint de la Fondation pour la nature et l’homme et de la CFDT Métallurgie de juin 2021, « le principal facteur de la baisse d’activité et d’emplois réside dans les arbitrages internationaux des grands donneurs d’ordres du secteur : délocalisations, approvisionnement dans les pays à bas coût et abandon de la production des petits modèles ». Le nombre de véhicules assemblés en France est ainsi passé de 3 millions au début des années 2000 à 2 millions en 2019 et à 1,3 million en 2020. Au début des années 2000, une voiture sur deux vendues sur le marché était fabriquée en France ; en 2020, une sur cinq. Comme confirmé à la rapporteure pour avis lors de l’audition de la Plateforme automobile (PFA), les constructeurs français ont privilégié une stratégie de délocalisation et de montée en gamme de la production de véhicules.
La relocalisation de la production de véhicules électriques constitue un enjeu à la fois environnemental et social.
La mise en place du score environnemental constitue une première étape en faveur de cette relocalisation. Ainsi, depuis le 15 décembre 2023, l’attribution du bonus écologique pour l’acquisition d’une voiture particulière neuve est conditionnée à l’atteinte d’un score environnemental minimal. L’application de ce critère a ensuite été étendue, pour l’éligibilité des voitures particulières neuves, au dispositif de leasing, à compter du 1er janvier 2024, et de la prime à la conversion, à compter du 14 février 2024.
L’introduction du score environnemental permet de valoriser la performance environnementale de la production et de l’acheminement des véhicules électriques. Le SGPE estime ainsi que la mise en place de ce critère permet, en analyse de cycle de vie, de réduire l’empreinte carbone française de 1 à 2 mégatonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions annuelles à l’échappement de 850 000 voitures thermiques.
De plus, ce critère renforce la compétitivité des voitures électriques neuves produites dans les conditions environnementales les meilleures. D’après les chiffres publiés par le SGPE, l’introduction du critère environnemental a conduit à une hausse de la part de marché des véhicules fabriqués en France et en Europe et à une baisse de celle des véhicules importés d’Asie dans les immatriculations de voitures particulières neuves en France. La part de marché des véhicules électriques assemblés en Asie diminue ainsi de 45 % en décembre 2023 à 24,8 % en juin 2024, tandis que celle des véhicules assemblés en France et en Europe a fortement augmenté, passant de respectivement 10 % et de 45 % en décembre 2023 à 20 % et 53,8 % en juin 2024.
Lieu d’assemblage des véhicules électriques immatriculés
Source : SGPE.
Selon l’Ademe, certains constructeurs ont également modifié leurs acheminements logistiques, se tournant vers des modes massifiés tel que le train, afin d’améliorer leur score environnemental.
Les modalités de calcul du score environnemental présentent toutefois des limites. D’abord, la méthodologie actuelle de calcul score ne permet pas de se prémunir contre des pratiques d’assemblage de type « Complete knock-down » (CKD) qui consistent à exporter un véhicule en kit puis à l’assembler dans le pays d’importation. À cet égard, l’approvisionnement en batterie reste massivement issu d’importations provenant de Chine, y compris pour les véhicules électriques assemblés sur le territoire métropolitain. Le soutien à l’industrie française des batteries est donc indispensable.
Ensuite, les seuils actuels d’attribution du bonus rendent éligibles des gros véhicules, dont le poids est supérieur à deux tonnes et qui présentent des batteries de très fortes capacités (supérieure à 80 kWh).
La rapporteure pour avis recommande d’augmenter le score environnemental minimal permettant de bénéficier des aides à l’électrification, afin d’exclure les véhicules les plus imposants et de favoriser davantage l’achat de petits véhicules plus vertueux. En effet, comme indiqué par l’Ademe, l’impact carbone d’un véhicule électrique est deux fois plus élevé lors de la production que celui d’un véhicule thermique ; cette tendance s’inversant lors de la phase d’usage du véhicule.
Par ailleurs, le développement de la production de véhicules électriques se traduit par une transformation des savoir-faire qui rend indispensable l’accompagnement social des salariés de l’automobile. En effet, la fabrication des moteurs électriques requiert 60 % de main-d’œuvre en moins par rapport à un moteur diesel et 40 % de main-d’œuvre en moins par rapport à un moteur essence. La conversion à l’électrique s’accompagne donc d’un risque de destruction d’emplois et de pertes de savoir-faire accru.
Des sites industriels paient le prix fort de la transition du secteur, lorsque celle-ci se traduit par des délocalisations et une perte souveraineté industrielle et de maîtrise technologique. Selon certains syndicats, 6 581 emplois directs répartis sur vingt‑huit sites ont été supprimés ou menacés entre septembre 2023 et septembre 2024, chez Stellantis, Renault Alpine, Valéo, Fonderie de Bretagne, Autoliv, Bosch Mondeville, Novares et Dumarey à Strasbourg.
Pour la rapporteure pour avis, le groupe Renault, qui bénéficie d’argent public sous forme de subventions et de crédits d’impôts, doit rendre des comptes à l’État. Il ne peut prendre des décisions reposant sur la seule rentabilité, ni encore moins sur une stratégie de réorganisation qui se ferait au détriment des travailleurs, avec des pertes d’emplois et une mise au rebut de leurs savoir-faire. Alors que l’État s’est progressivement désengagé du capital de Renault depuis sa privatisation dans les années 1990, la question d’une nationalisation du groupe mérite d’être posée.
6. Augmenter les aides à l’achat de vélos électriques
L’électrification du parc automobile doit se faire dans un contexte de transition globale des mobilités, avec un renforcement des mobilités douces et notamment de l’usage du vélo.
Ainsi, les aides publiques comme le bonus vélo, d’un montant actuel de 400 euros (pouvant être porté jusqu’à 2 000 euros pour un vélo cargo), et la prime à la conversion doivent être soutenues et augmentées. Pour que cette transition vers des mobilités douces soit efficace, elle doit s’accompagner par des campagnes publiques d’information et de sensibilisation pour encourager l’usage du vélo pour les déplacements du quotidien, en particulier dans les grandes agglomérations.
Ces démarches doivent également s’accompagner d’une politique cohérente et conséquente d’intégration de ce mode de transport par un réaménagement du territoire, une massification et une sécurisation des voies cyclables, véloroutes et voies vertes.
C. Permettre aux ménages modestes de bénéficier d’un service public de rénovation globale et performante de leur logement
1. En 2024, une réforme favorable aux rénovations globales et performantes, dont l’ambition initiale a été abandonnée
a. Une réforme initiale encore insuffisante mais permettant des avancées
La LFI 2024 était marquée par une volonté de rééquilibrage des aides en faveur des rénovations performantes et globales, grâce à la mise en place de deux parcours distincts :
– un parcours centré sur des projets de rénovations performantes et globales induisant au moins deux sauts de classe du diagnostic de performance énergétique (DPE). Les ménages sont systématiquement accompagnés dans leur projet par un accompagnateur agréé par l’Anah (Mon Accompagnateur Rénov’), les taux de financement peuvent atteindre 80 % à 90 % du coût des travaux pour les plus modestes d’entre eux et le plafond de financement peut aller jusqu’à 70 000 euros ;
– un parcours centré sur le remplacement des modes de chauffage carbonés grâce à une aide forfaitaire « par geste ». Afin d’encourager les rénovations globales et performantes, la réforme prévue en 2024 limitait le financement des rénovations par geste, moins efficaces. Elle prévoyait ainsi l’instauration d’un DPE ou d’un audit énergétique obligatoire, un ciblage des gestes de changement de chauffage (notamment l’impossibilité de réaliser des gestes d’isolation ou de ventilation seuls), ainsi que la non-éligibilité des passoires thermiques en étiquette F ou G, qui devaient être orientées vers une rénovation globale.
Le précédent Gouvernement a toutefois rapidement renoncé à cette réforme ambitieuse du dispositif MPR. Si les aides aux projets de rénovations globales et performantes ont été maintenues, un décret du 21 mars 2024 est venu assouplir les conditions pour bénéficier de l’aide aux « mono-gestes » entre le 15 mai et le 31 décembre 2024. Cette aide est ainsi redevenue éligible pour tous logements, y compris les passoires thermiques, et tous les types de travaux, sans obligation d’audit ou de DPE.
Alors que le précédent Gouvernement avait qualifié ce renoncement de « période pédagogique » devant permettre aux artisans du secteur du bâtiment de se préparer à l’entrée en vigueur définitive de la réforme de MPR dans sa version du 1er janvier 2024, la DGEC et la DHUP ont indiqué que les aménagements favorables aux mono-gestes seraient prolongés en 2025.
La rapporteure pour avis regrette la réouverture du financement public des mono‑gestes. D’abord, la réalisation de ce type de travaux ne fait pas l’objet d’un accompagnement obligatoire. Ensuite, elle limite la capacité des ménages à effectuer une rénovation d’ampleur par la suite. Enfin, certains « mono-gestes », comme le fait d’installer une pompe à chaleur dans une passoire thermique, constituent une absurdité coûteuse et inefficace. Le choix de soutenir uniquement la décarbonation du chauffage saperait la planification écologique et pourrait s’avérer coûteux pour les finances publiques, dans la mesure de nouvelles capacités de production électrique devront être soutenus. Comme indiqué par le Réseau de transport d’électricité (RTE), l’accélération progressive de l’isolation des bâtiments doit accompagner le déploiement des pompes à chaleur. Enfin, la rénovation par mono-gestes conduit les ménages les plus modestes dans une impasse financière dissuasive, puisque la question du financement du reste à charge se pose comme un obstacle à chaque mono-geste envisagé, retardant inévitablement la rénovation globale du logement.
Au final, seule une action publique résolument orientée vers la rénovation performante et globale du bâti permettra de lutter contre la précarité énergétique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur.
Or, les derniers chiffres de l’Anah montrent que le nombre de rénovations globales et performantes reste très faible au regard des objectifs du SGPE ou du HCC. Le parcours accompagné a ainsi fait l’objet de 70 485 dossiers déposés et 38 720 dossiers engagés entre le 1er janvier et le 30 septembre 2024. Néanmoins, après une période d’appropriation des nouvelles dispositions de janvier à mars 2024, la distribution des aides a été marquée par une accélération progressive de la dynamique des rénovations d’ampleur. En octobre 2024, le nombre de dossiers déposés a ainsi augmenté de 50 % par rapport à la même date en 2023. Les ménages se sont donc progressivement emparés du nouveau dispositif de soutien aux rénovations globales et performantes.
Alors que l’Ademe considère qu’en 2050, 80 à 90 % du parc de logements devra disposer d’une étiquette énergétique A ou B, contre 6 % actuellement, un ralentissement des aides à la rénovation par geste est nécessaire pour orienter massivement la dépense publique vers des rénovations efficaces.
La massification des rénovations globales et performantes est en outre cohérente avec l’interdiction progressive de la location des passoires thermiques, prévue par la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 et dont le calendrier d’entrée en vigueur doit être maintenu. Si l’on peut regretter que cette interdiction ne s’accompagne pas de sanctions, elle constitue néanmoins un signal fort en faveur d’une accélération du rythme des rénovations performantes. À l’inverse, l’annonce par le Premier Ministre, lors de son discours de politique générale, d’une « adaptation » et d’une « simplification » du DPE contribue à brouiller le message, d’autant plus que la rapporteure pour avis n’a pas obtenu d’éléments sur le contenu de la réforme annoncée. Enfin, les acteurs de la filière du bâtiment auditionnés par la rapporteure pour avis ne se sont pas montrés favorables à une réforme du DPE, plaidant en faveur de la stabilisation de cette réglementation.
2. Garantir un reste à charge nul pour les ménages modestes
La réforme du dispositif MPR en 2024 a permis d’améliorer la prise en charge des rénovations globales pour les ménages modestes. Le niveau de financement peut désormais atteindre jusqu’à 70 000 euros en cas de saut de quatre classes énergétiques. Le taux de prise en charge peut quant à lui atteindre 90 % pour les ménages aux revenus très modestes rénovant une passoire thermique (étiquette F ou G).
Des aides complémentaires peuvent également être mises en place par les collectivités territoriales, ce qui permet, dans certains cas et pour les ménages modestes et très modestes, d’atteindre un reste à charge nul. Toutefois, la rapporteure pour avis considère que la prise en charge complémentaire du reste à charge ne doit pas varier selon les priorités politiques des collectivités. En outre, alors que les marges budgétaires des collectivités devraient se réduire fortement en 2025, l’État ne saurait s’appuyer sur ce financement local complémentaire.
Au final, malgré l’évolution des barèmes en 2024 et l’aide aléatoire des collectivités territoriales, le reste à charge que les ménages financent par apport personnel ou en contractant un prêt peut se compter en dizaines de milliers d’euros, ce qui représente plusieurs années de revenus pour les ménages les plus modestes.
C’est pourquoi la rapporteure pour avis est favorable à un reste à charge nul pour les ménages modestes et très modestes, financé par le budget de l’État. En supprimant ainsi la barrière financière empêchant ces ménages d’effectuer des travaux de rénovations d’ampleur, cette mesure créerait un effet de levier important en faveur des rénovations globales et performantes des logements.
Enfin, l’obtention d’un prêt à taux zéro (Éco-PTZ) peut constituer une solution complémentaire pour couvrir le reste à charge des ménages plus aisés, mais elle n’est pas adaptée aux ménages plus modestes qui n’ont pas les moyens de s’endetter sur plusieurs années. Afin d’améliorer son déploiement par les banques – la plupart d’entre elles étant réticentes à le proposer à leurs clients, un système de bonus-malus pourrait être mis en place pour les banques qui proposent ou non un tel prêt.
3. Redonner confiance et mieux accompagner les ménages
a. Améliorer le maillage informationnel et l’accompagnement dans les territoires
Les politiques de rénovation énergétique des logements reposent largement sur une logique incitative qui suppose que les ménages soient convaincus des bénéfices de ces politiques et accompagnés dans leurs démarches.
Or, les enquêtes menées par l’UFC-Que choisir mettent en évidence un manque de visibilité et de compréhension des aides, ainsi qu’une méconnaissance de l’existence de certaines d’entre elles par les consommateurs. La crainte de rencontrer un artisan incompétent ou malhonnête est également réelle et constitue, selon l’association, un frein à la décision d’entamer des travaux.
Il est donc nécessaire d’améliorer l’information et de mettre en place un service public de la rénovation énergétique. La présence physique de ce service public doit être renforcée dans les territoires.
Lancé le 1er janvier 2022, France Rénov’ est un service public de proximité qui se déploie en partenariat avec les collectivités territoriales et dont la vocation est d’informer, de conseiller, d’orienter et d’accompagner les ménages dans leurs projets de rénovation. Ce service repose aujourd’hui sur un site internet et un numéro de téléphone uniques, ainsi que sur un réseau de près de 2 669 conseillers, présents dans 588 guichets répartis sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, les ménages qui souhaitent réaliser une rénovation performante et globale de leur logement bénéficient, depuis le 1er janvier 2024, du service « Mon Accompagnateur Rénov’ » (MAR), c’est-à-dire d’un professionnel chargé de les accompagner dans la définition de leur projet, la préparation de leur dossier et la recherche d’artisans qualifiés. D’après la DHUP, l’accélération progressive de la dynamique des rénovations d’ampleur à compter du deuxième trimestre 2024 s’est accompagnée d’une augmentation forte du nombre de structure agréées MAR. Au 1er octobre 2024, 1 035 structures, soit 3 485 professionnels, ont reçu l’agrément pour exercer la profession.
Enfin, depuis le 1er janvier 2024, le réseau des espaces France Rénov’ a vu son maillage territorial renforcé dans le cadre d’une convention conclue entre l’Anah et France Services. Ainsi, 2 750 espaces France Services accompagnent désormais les ménages dans la préparation de leur dossier de rénovation de logement. Les 7 700 agents de France Services ont ainsi été formés pour orienter les usagers vers le service France Rénov’ lorsqu’ils ont un projet de rénovation de leur habitat. Dans un nombre croissant de territoires, ce partenariat se traduit par des permanences de conseillers France Rénov’ au sein d’espaces France Services et des actions d’animation et de sensibilisation sur la rénovation énergétique.
La DHUP a toutefois indiqué à la rapporteure pour avis que « malgré des financements dédiés, les modalités de financement et la priorité donnée au déploiement du réseau de guichets n’ont pas permis de développer fortement des actions spécifiques d’« aller vers » les plus modestes ou précaires ».
Cette évolution de la politique de rénovation énergétique vers un meilleur accompagnement des ménages doit être poursuivie et renforcée par une massification du nombre de MAR, dont la formation doit être améliorée. Les compétences des MAR ne doivent pas être uniquement d’ordre technique ; les accompagnateurs doivent pouvoir effectuer un travail social auprès des publics précaires. L’accompagnement doit être mieux adapté à chaque territoire et davantage ciblé vers les ménages modestes et très modestes. À cet égard, l’outil de cartographie Geodip, piloté par l’ONPE depuis 2021, permet aux acteurs territoriaux de cartographier des indicateurs de précarité énergétique liés aux dépenses d’énergie du logement. Les acteurs de terrain peuvent s’appuyer sur cet outil pour mettre en œuvre un accompagnement adapté répondant aux besoins des populations.
b. Renforcer les contrôles pour mettre fin à la fraude
Interrogée par la rapporteure pour avis, la DHUP a reconnu que « la rénovation énergétique est en proie à des risques très élevés de fraude aux aides, arnaques ou d’abus ».
La politique de lutte contre la fraude doit donc être renforcée. En premier lieu, l’indépendance et la compétence des MAR doivent être mieux garanties et contrôlée. En effet, près de 15 % d’entre eux seraient suspectés de conflits d’intérêts d’après les associations de consommateurs. L’État doit être en capacité de contrôler les éventuels liens d’intérêts qui pourraient exister entre les accompagnateurs et les entreprises qui effectuent des travaux.
Un décret du 22 juillet 2022 ([10]) prévoit que « Tout opérateur souhaitant être agréé [MAR] doit remplir une condition d’indépendance au regard de l’exécution d’un ouvrage dans le domaine de la rénovation énergétique. À ce titre :
1° Il établit qu’il n’est pas en mesure d’exécuter directement un ouvrage ;
2° Il est tenu au respect d’une stricte neutralité, à performance égale, vis-à-vis des équipements, solutions technologiques et scénarios de travaux proposés ainsi qu’une stricte neutralité, à qualité égale, vis-à-vis des entreprises de travaux proposées ».
A posteriori, l’Anah et ses délégations locales procèdent à des contrôles sur pièces et sur place des prestations réalisées par les MAR, ainsi qu’à des contrôles de la structure et de son activité.
Les règles visant à prévenir tout conflit d’intérêts ainsi que les contrôles menés par l’Anah restent toutefois insuffisants pour mettre fin à la fraude aux accompagnements.
Dans ce contexte, les actions visant à prévenir tout risque de conflits d’intérêts ou de pratiques frauduleuses doivent être renforcées : accélération du traitement des signalements provenant des espaces France Rénov’, des collectivités ou des ménages ; mobilisation forte de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des directions départementales de la protection des populations (DDPP) et partage d’information avec l’Anah et ses délégations lors de l’instruction des demandes d’agrément et lors du contrôle des structures agréées ; communication claire des critères d’indépendance et de neutralité.
Ensuite, la délivrance du label « reconnu garant de l’environnement » (RGE), dont bénéficient aujourd’hui près de 63 000 entreprises, doit être mieux encadrée. Les critères permettant d’obtenir la certification doivent être rendus davantage exigeants, notamment en matière de formation pour les catégories de travaux liées à l’efficacité énergétique. Les contrôles ciblés sur les entreprises qui réalisent des travaux de mauvaise qualité ou faisant état de pratiques commerciales trompeuses doivent se multiplier, et les moyens et niveaux de sanction doivent être élargis.
Une autre proposition, formulée par les représentants des professionnels du bâtiment, consiste à réglementer plus strictement la sous-traitance en limitant celle-ci à deux rangs dans le secteur du bâtiment.
Par ailleurs, afin de protéger les consommateurs de tarifications excessives lors de la réalisation des travaux, un registre des actes de rénovation les plus courants, comportant un référentiel des prix au niveau local, pourrait être mis en place dans chaque point d’accueil France Renov’.
La rapporteure pour avis est également favorable à l’interdiction du démarchage physique (à l’exception des MAR) en vue de proposer des travaux de rénovation énergétique, une mesure proposée par les associations de consommateurs. Le point unique d’accès à l’information et à la prise de décision doit être un guichet France Renov’, ce qui suppose un maillage territorial suffisamment dense pour permettre à chaque Français de bénéficier d’un conseil ou d’une orientation.
Enfin, les réflexions visant à mettre en place une garantie de résultats en termes de performance énergétique à la fin des travaux doivent être poursuivies. Des travaux expérimentaux sont ainsi en cours dans le cadre du programme Profeel pour garantir la performance énergétique intrinsèque des bâtiments, mais aussi dans le cadre de l’appel à projets « Opérateurs ensembliers de la rénovation » (Oreno) de l’Ademe. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) développe également un outil permettant d’évaluer la qualité des travaux réalisés.
La mise en œuvre de ces différentes mesures de contrôle et de lutte contre la fraude nécessite des moyens humains importants. Les effectifs de la DGEC, de l’Anah, de la direction générale des finances publiques, de la mission interministérielle de coordination anti-fraude doivent être renforcés. À titre d’exemple, la DGEC a indiqué lors de son audition disposer de seulement 7 ETP chargés de la lutte contre la fraude. Elle estime que ce nombre doit être doublé ou triplé pour améliorer cette politique et augmenter le nombre de contrôles sur place.
Les certificats d’économie d’énergie, un dispositif complexe et coûteux
pour des résultats incertains
Créés par la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, les CEE sont les principaux outils de la politique d’efficacité énergétique. Ils consistent, via un mécanisme de marché, à obliger les fournisseurs d’énergies et les vendeurs de carburants automobiles, à soutenir des actions d’économies d’énergie. Un objectif global pluriannuel réparti entre eux en fonction de leur volume de vente auprès des particuliers et des entreprises tertiaires est alors atteint.
Dans un rapport paru en juillet 2024, la Cour des comptes met en évidence les nombreux dysfonctionnements de cet outil. Ainsi, si le mécanisme des CEE semble de prime abord contraindre les fournisseurs d’énergie à financer des économies d’énergie en versant des aides financières aux ménages et entreprises, les fournisseurs d’énergie répercutent les coûts nécessaires à l’obtention des certificats dans leurs prix de vente. Le coût associé aux CEE est donc supporté par les ménages et les entreprises du secteur tertiaire, s’apparentant sur le plan économique à une taxe sur l’énergie. L’accroissement des objectifs d’économies d’énergie assignés au dispositif par l’État se traduit par son renchérissement, avec un coût de l’ordre de 6 milliards d’euros par an en moyenne pour les années 2022 et 2023. D’après la Cour, en 2023, chaque ménage a ainsi, en acquittant ses factures d’énergies, financé à hauteur de 164 euros en moyenne le dispositif, soit un peu plus de 4 % de ces factures.
La principale faiblesse du dispositif réside dans l’incertitude qui entoure ses résultats réels. En effet, le volume de certificats délivrés ne correspond pas aux économies d’énergie réelles. Les résultats affichés surévalueraient les économies d’énergie réalisées en 2022 et 2023 d’au moins 30 %, selon les estimations de la Cour. Par ailleurs, la Cour constate que le dispositif des CEE est toujours confronté à d’importants phénomènes de fraude, en particulier dans le secteur du bâtiment.
Si la suppression immédiate du dispositif des CEE pourrait créer de l’instabilité sur le marché de la rénovation thermique en raison de son fonctionnement tentaculaire, il n’apparaît ni raisonnable, ni souhaitable qu’il soit maintenu à court terme compte tenu de son inefficacité et de son opacité. Sa transformation en fonds budgétaire intégré dans un plan national plus vaste d’économies d’énergie doit être envisagée.
D. Revaloriser et étendre le bénéfice du Chèque énergie
Créé en 2018 pour remplacer les tarifs sociaux de l’énergie, le chèque énergie est attribué aux ménages modestes afin de les aider à payer leurs factures d’électricité et de gaz.
L’éligibilité à cette aide de l’État dépend du revenu fiscal de référence et de la composition des ménages, définie en unité de consommation (UC).
Barème du chèque énergie en fonction des revenus et
de la composition du ménage
|
Niveau de revenu fiscal de référence (RFR) par unité de consommation (UC) |
|||
|
RFR / |
5 700 € ≤ RFR / |
6 800 € ≤ RFR / |
7 850 ≤ RFR / |
1 UC |
194 € |
146 € |
98 € |
48 € |
1 < UC < 2 |
240 € |
176 € |
113 € |
63 € |
2 UC ou + |
277 € |
202 € |
126 € |
76 € |
Source : questionnaire budgétaire.
En 2023, 5,6 millions de ménages ont bénéficié du chèque énergie, pour un montant moyen de 148,56 euros.
1. Un dispositif superficiel dans un contexte d’explosion de la précarité
D’après la Cour des comptes, parmi les 3,7 millions de ménages en situation de précarité énergétique, 25 % ne bénéficient pas du chèque énergie ([11]). En effet, cette aide n’est attribuée qu’aux ménages très modestes : le plafond de revenu pour en bénéficier s’élève à 11 000 euros par an, ce qui exclut de nombreux ménages confrontés à des difficultés financières pour chauffer leur logement. Ainsi, toutes les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 216 euros par mois et par unité de consommation, ne touchent pas le chèque énergie. En outre, si depuis le PLF 2024 les locataires d’un logement social peuvent enfin utiliser leur chèque énergie auprès de leur bailleur pour payer les charges énergétiques, ce n’est toujours pas le cas pour les locataires du parc privé. D’autres publics, comme les personnes en réinsertion vivant dans des logements en intermédiation locative ou les gens du voyage, ne sont pas non plus éligibles au chèque énergie. Ce dispositif s'apparente donc à un pansement dont la logique et le montant ne permettent pas aux ménages de faire face à une flambée des prix de l’énergie.
Pour que le dispositif ait un impact substantiel, les conditions d’éligibilité au chèque énergie auraient dû être élargies pour concerner les ménages dont le plafond de revenus ne dépasse pas 16 680 euros par an, soit l’équivalent d’un Smic annuel. En outre, les modalités de dépense du chèque énergie doivent évoluer pour que les occupants de logements chauffés collectivement ou non titulaires de leurs contrats d’énergie puissent l’utiliser.
Avec un montant moyen de 148,56 euros en 2023, le chèque énergie ne couvre, dans la grande majorité des cas, qu’une petite partie des dépenses énergétiques. Selon la commission de régulation de l’énergie (CRE), alors que la facture énergétique pour le logement était en moyenne de 1 744 euros par an en 2022, la facture moyenne des ménages au tarif réglementé a augmenté de 40 % entre 2022 et 2024, et même de 65 % depuis 2018.
En attendant les effets d’une véritable politique structurante de rénovation performante qui reste à engager, les « aides curatives » constituent une réponse de l’État largement insuffisante et susceptible de constituer une variable d’ajustement budgétaire. La rapporteure pour avis considère que le blocage des prix de l’énergie constituerait une mesure plus efficace pour permettre aux ménages modestes de faire face à leurs factures énergétiques.
2. Un taux de non-recours qui devrait exploser en raison de la fin de l’automaticité du versement
Jusqu’à présent, le chèque énergie était attribué sur la base des revenus et de la composition des ménages, des données que possède l’administration. Toutefois, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a conduit à réformer les modalités de versement du chèque énergie à compter de 2025. Les ménages éligibles au chèque énergie devront désormais effectuer une déclaration sur une plateforme en ligne, sur laquelle ils devront renseigner les informations relatives à leur contrat d’électricité et à leur identité fiscale. La démarche devra être répétée en cas de déménagement ou de changement de contrat d’énergie.
Malgré les alertes répétées des associations, le Gouvernement a ainsi choisi de mettre fin à l’automatisation du dispositif, ce qui entraînera un non-recours massif à cette aide. Dans une réponse écrite au questionnaire de la rapporteure pour avis, la DGEC indique : « nous sommes conscients que ce nouveau dispositif introduit dans un premier temps une forme de quérabilité du chèque pour certains foyers. Nous travaillons avec les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux sur les moyens possibles pour permettre d’automatiser au maximum l’identification de ménages éligibles pour l’année 2025 » et ajoute : « dans le contexte budgétaire actuel, la solution retenue est la plus efficace, même si elle réduit l’automaticité de l’attribution des chèques les premières années ».
La chute des crédits de paiement consacrés au financement du chèque énergie dans le PLF 2025, de 180 millions d’euros par rapport aux années précédentes, montre que le Gouvernement anticipe le faible succès de la plateforme de demande du chèque énergie et en profite pour réduire les crédits destinés à cette aide aux ménages les plus précaires.
Le non-recours au chèque énergie prive également les bénéficiaires potentiels des mesures de protection qui dépendent du chèque, comme le délai de quinze jours supplémentaires avant une coupure d’électricité ou une réduction de puissance en cas d’impayés, ou l’exemption de frais de mise en service en cas de déménagement.
Après avoir auditionné Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, le 16 octobre 2024, et M. François Durovray, ministre délégué chargé des transports, le 22 octobre 2024, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » le mardi 22 octobre 2024 après-midi et soir et le mercredi 23 octobre 2024 matin et après-midi (voir le tome X de l’avis n° 486 : https://assnat.fr/XlYRCY).
À l’issue de cet examen, elle a émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission.
liste des personnes auditionnÉes
(par ordre chronologique)
La Plateforme automobile (PFA) *
M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales, techniques et réglementaires
Mme Louise d’Harcourt, responsable des affaires publiques et parlementaires
Audition conjointe de représentants du secteur du bâtiment
– Fédération française du bâtiment (FFB) *
M. Olivier Salleron, président
M. Eric Durand, directeur des affaires techniques
M. Benoît Vanstavel, directeur des relations institutionnelles
– Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) *
M. David Morales, administrateur confédéral en charge des affaires économiques
M. Thibaut Bousquet, directeur des affaires publiques
Audition conjointe des représentants des consommateurs
– UFC-Que choisir *
M. Benjamin Recher, chargé des relations institutionnelles France
– Union nationale des associations familiales (Unaf)
M. Dominique Le Bail, administrateur
Mme Valentine de La Morinerie, chargée de mission « Environnement-développement durable »
Audition conjointe des représentants associatifs environnementaux
– Cler – réseau pour la transition énergétique *
M. Damien Barbosa, chargé de la campagne « Rénovons »
– Réseau Action Climat (RAC) *
M. Pierre Leflaive, responsable « Transports »
– The Shift Project *
M. Laurent Perron, chef de projet « Industrie automobile » et coordinateur « Mobilité »
M. Pierre Lachaise, pilote du plan de transformation de la loi française pour les shifters
Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM)
M. Laurent Bergeot, directeur général
M. Joïc Berthaud, directeur des prestations et du logement
Mme Tatiana Petrova, directrice de cabinet
Secrétariat général à la planification écologique (SGPE)
M. Antoine Pellion, secrétaire général
Mme Léa Bouder, directrice de programme « Financement et budget »
Fondation Abbé Pierre *
Mme Hélène Denise, chargée du plaidoyer
Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah)
Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale
M. Mathieu Przybylski, directeur de cabinet
M. Antonin Valière, responsable des relations institutionnelles
Agence de la transition écologique (Ademe)
Mme Patricia Blanc, directrice générale déléguée
M. Jérémie Almosni, directeur « Villes et territoires durables »
Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
Mme Sophie Mourlon, directrice générale
Mme Coralie Ruffenach, sous-directrice de l’efficacité énergétique et de l’air
Audition conjointe
– Mission de coordination interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments
M. Simon Huffeteau, coordinateur interministériel
– Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP)
Mme Anne-Emmanuelle Ouvrard, adjointe au directeur
M. Emmanuel Rousselot, sous-directeur du financement de l’économie
Mme Nolwenn Sarian, adjointe au sous-directeur du financement de l’économie
M. Antoine Caron, sous-directeur de la qualité et du développement durable dans la construction
M. Thomas Zuelgaray, adjoint au sous-directeur de la qualité et du développement durable dans la construction
Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) *
M. Louis-Pierre Geffray, directeur des programmes de l’Institut Mobilités en Transition, chercheur associé à l'Iddri
M. Andreas Rüdinger, coordinateur chargé de la transition énergétique à l’Iddri
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Association négaWatt *
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) D’après les chiffres clés de l’énergie, édition 2024, et le rapport Snecten du Citepa du 19 juin 2024.
([2]) Haut Conseil pour le climat, Rénover mieux, leçons d’Europe, novembre 2020.
([4]) https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/thema_-_renovation_energetique_des_logements.pdf
([5]) https://reseauactionclimat.org/wp‑content/uploads/2021/10/injusticesocialedanslair_rapport_final_webpages.pdf
([7]) Décret n° 2024-102 du 12 février 2024 relatif aux aides à l'achat ou à la location de véhicules peu polluants.
([8]) https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2024-10/WWF%20-%20Barometre%20SUV%20-%2030sept24%20-%20VF.pdf
([10]) Décret n° 2022-1035 du 22 juillet 2022 pris pour application de l'article 164 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
([11]) Cour des comptes, Rapport sur le chèque énergie, février 2022
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2022-02/20220224-rapport-cheque-energie.pdf