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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIème LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324)
TOME IX
INVESTIR POUR LA FRANCE DE 2030
RECHERCHE DANS LE DOMAINE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
PAR Mme Constance de PÉLICHY
Députée
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Voir les numéros : 324 et 468 (Tome III, annexe 29).
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SOMMAIRE
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Pages
première partie : ANALYSE BUDGÉTAIRE DES CRÉDITS DE LA MISSION « INVESTIR POUR LA France DE 2030 »
A. La lisibilité du dispositif France 2030 peut encore être améliorée
B. La recherche a besoin d’un mode de financement pérenne
seconde partie : Les travaux de recherche sur le nucléaire civil, notamment les réacteurs innovants
A. Une politique de recherche largement orientée vers des enjeux à moyen terme
A. Des financements publics et privés cohérentS devant être maintenus
B. des enjeux stratégiques nécEssitant une meilleure planification
ANNEXE 1 : La gouvernance de « France 2030 »
ANNEXE 2 : Les lauréats de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants »
liste des personnes auditionnées
Pour la seconde année consécutive, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire se saisit pour avis de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Cette évolution du périmètre de la saisine résulte de la transformation du modèle de financement de la recherche française en matière de développement durable et de décarbonation de l’économie.
Depuis plus de dix ans, quatre programmes d’investissements d’avenir (PIA) ont été lancés. Le 12 octobre 2021, le Président de la République présentait le plan France 2030. Ce plan d’investissement vient prendre la suite des PIA précédents. Les plans d’investissement successifs consacrent un effort d’investissement ciblé exceptionnel qui s’inscrit au-delà du cadre budgétaire habituel, à savoir la mission « Recherche et enseignement supérieur », pour financer tout le cycle de vie de l’innovation jusqu’à son déploiement et son industrialisation.
Le plan France 2030 porte un effort d’investissement inédit : le plan intègre le PIA 4 pour une enveloppe totale de 54 milliards d’euros. Il s’inscrit dans une logique d’investissement particulière : 50 % des dépenses devront servir à la décarbonation de l’économie et aucune dépense ne doit être défavorable à l’environnement.
Cet avis budgétaire se concentre sur les travaux de recherche sur le nucléaire civil, notamment les réacteurs innovants.
première partie : ANALYSE BUDGÉTAIRE DES CRÉDITS
DE LA MISSION « INVESTIR POUR LA France DE 2030 »
I. La MISSION Poursuit le financement de la recherche en veillant à ce que les crédits soient favorables à l’environnement
Chargée d’étudier la mission « Investir pour la France de 2030 » pour la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, votre rapporteure pour avis se concentre sur les programmes 424 et 425, notamment les financements en matière d’environnement.
A. La baisse des crédits de paiement du programme 424 traduit le ralentissement des décaissements du volet dirigé du plan France 2030
Le programme 424 vise à mettre en œuvre aux priorités d’investissement qui répondent aux enjeux de transition économique, sociétale et environnementale. Les actions sont structurées selon les différents degrés de maturité des innovations.
Le programme 424 sera doté de 4,37 milliards d’euros en crédits de paiement en 2025. Sa dotation diminuera de 1,32 milliard d’euros par rapport à 2024 (- 23,16 %).
– L’action « Programmes et équipements prioritaires de recherche » (PEPR)
Cette action finance des projets de recherche intervenant en amont de la chaîne de valeur. Elle est dotée de 3 milliards d’euros pour une période de cinq ans et entièrement affectée à l’Agence nationale de la recherche (ANR). Cette action prend le relais des programmes prioritaires de recherche et des équipements prioritaires de recherche financés dans le cadre des précédents volets du programme d’investissements d’avenir (PIA).
Il existe deux types de PEPR :
● Les PEPR adossés aux stratégies nationales d’accélération (2 milliards d’euros) : afin de lever les verrous scientifiques ou technologiques, le Gouvernement a défini les stratégies suivantes :
● Les PEPR exploratoires (1 milliard d’euros) : ces 17 PEPR permettent le déploiement d’une politique scientifique dans des domaines émergents d’intérêt national ou européen. Pour les domaines les plus prometteurs, une stratégie d’accélération pourra être lancée par l’État.
Au 30 juin 2024, près de 2 milliards d’euros ont été engagés, ce qui représente 66 % de l’enveloppe totale de l’action.
– L’action « Maturation de technologies, R&D, valorisation de la recherche »
Cette action sera dotée de 114 millions d’euros en 2025. La dotation de l’action diminuera de 82 % par rapport à 2024.
Initialement dotée de 1,5 milliard d’euros, cette action a été portée à 3 milliards d’euros dans le cadre de France 2030. Les crédits sont gérés par Bpifrance (1,8 milliard d’euros), l’Agence de la transition écologique (Ademe) (200 millions d’euros) et l’ANR (720 millions d’euros). Cette action ambitionne de soutenir des projets portés principalement par des entreprises pour accompagner la maturation des technologies.
Au 30 juin 2024, des projets de maturation ont été engagés à hauteur de 1,5 milliard d’euros dans le cadre de :
– L’action « Démonstration en condition réelle, amorçage et première commerciale »
Cette action sera dotée de 500 millions d’euros en 2025. La dotation de l’action diminuera de plus de 59 % par rapport à 2024.
Initialement dotée de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, l’enveloppe a été portée à 7,5 milliards d’euros par France 2030. Cette action est opérée par les quatre opérateurs de France 2030 ; elle vise à soutenir la mise en œuvre des premières réalisations industrielles ou de services dans différents domaines, comme les énergies renouvelables ou le bois de construction. Au 30 juin 2024, 3,9 milliards d’euros ont déjà été formellement engagés auprès de 1 020 projets, dont 800 millions d’euros décaissés.
– L’action « Soutien au déploiement »
Cette action sera dotée de 919 millions d’euros en 2025, soit une diminution de 50 % par rapport à 2024.
Initialement abondée à hauteur de 3 milliards d’euros sur cinq ans, son enveloppe totale s’élève désormais à 10,5 milliards d’euros à la suite de France 2030. Cette action accompagne le déploiement à grande échelle des technologies matures ; elle vise à soutenir la diffusion des innovations et l’implantation de sites industriels, notamment dans le cadre de projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC).
Au 30 juin 2024, 5,9 milliards d’euros avaient été formellement engagés sur 850 projets, dont 1,5 milliard d’euros décaissés.
Au mois de février, l’ancien ministre de l’Économie et des finances avait communiqué sur sa volonté de faire émerger un PIIEC dans le domaine de l’énergie nucléaire, afin de limiter le contrôle de la Commission européenne sur les aides d’État versées et encourager la coopération entre industriels de plusieurs États membres.
– L’action « Accélération de la croissance »
Cette action porte une partie des crédits alloués aux investissements en fonds propres de France 2030, à hauteur de 3,5 milliards d’euros. En 2025, 810 millions d’euros seront ouverts sur cette action, soit un montant en hausse de 285 % par rapport à 2024.
À ce jour, six instruments d’investissement sont rattachés à cette action : le dispositif « French tech Souveraineté » (1,05 milliard d’euros dont 608 millions sont engagés dans 17 projets et 505 millions décaissés au 30 juin 2024), le fonds « SPI‑Société de projets industriels n° 2 » (1 milliard d’euros), le « Fonds national de venture industriel » (350 millions d’euros dont 135 millions ont été engagés au 30 juin 2024), le fonds « Deep Tech » (100 millions d’euros), le fonds national d’amorçage 3 et le fonds « Ecotechnologies 2 ».
Le fonds « Ecotechnologies 2 » intervient sur les sujets en lien avec la transition écologique et énergétique en accompagnant des sociétés développant des solutions technologiques.
– L’action « Industrialisation et déploiement »
Cette action a été créée en 2022 avec le lancement de France 2030 pour une enveloppe totale de 13 milliards d’euros. Dotée de plus de 2 milliards d’euros en 2025, elle intervient en aval de la chaîne de valeur pour financer des projets de décarbonation de l’industrie ou de relocalisation d’activité.
Au 30 juin 2023, les crédits ont été engagés à hauteur de 8 milliards d’euros (61 % de l’enveloppe globale) au profit de 865 projets, près d’un milliard d’euros a déjà été décaissé.
Les ambitions de la loi de programmation pour la recherche
revues à la baisse par le PLF 2025
Voté en 2020, l’article 1er de la loi de programmation de la recherche ([1]) (LPR) fixe deux objectifs à atteindre d’ici à 2030 : l’effort national de recherche, porté par les administrations et les entreprises, doit représenter au moins 3 % du produit intérieur brut (PIB) et l’effort de recherche publique doit s’élever à au moins 1 % du PIB.
La LPR prévoit plusieurs mesures pour revaloriser la recherche : la hausse des crédits d’intervention de l’Agence nationale de la recherche (ANR), la revalorisation des carrières dans la recherche (progression indemnitaire, mesures en faveur des jeunes chercheurs, rémunération des doctorants), l’augmentation des effectifs ou encore la revalorisation des moyens affectés aux laboratoires et grandes infrastructures de recherche.
Suite à la LPR, l’ANR bénéficie d’un soutien inédit qui lui a permis de relever le taux de succès ([2]) de l’appel à projets générique (AAPG) à 25 % en 2024, contre 17 % en 2020. Par ailleurs, le taux du préciput ([3]) a été augmenté afin de renforcer le financement des laboratoires, en passant à 30 % en 2024 contre 19 % en 2020.
Néanmoins, le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » est de 31,7 milliards d’euros en AE et 31,2 milliards d’euros en CP, soit une baisse de 1,97 % et 1,74 % par rapport à 2024. En revanche, le budget d’intervention de l’ANR est porté à 1,4 milliard d’euros, soit une augmentation de 120 millions d’euros.
La nouvelle méthode de suivi de l’impact environnemental des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » a établi que 49 % des crédits programmés peuvent être considérés comme exerçant un impact favorable sur l’environnement, 37 % ont un impact a priori neutre et 13 % n’ont pas pu être cotés. Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables » enregistre une baisse de 13,24 % en AE et 16,44 % en CP par rapport à 2024.
B. le recul des crédits de paiement du programme 425 traduit la fin des paiementS du volet structurel de France 2030
Le programme 425 sera doté de 778 millions d’euros en CP en 2025 (- 52 % par rapport à 2024). Hérité du PIA 4, le programme 425 avait initialement pour objectif d’assurer une contribution pérenne aux organismes d’enseignement, de formation, de recherche et d’innovation. Depuis 2022, France 2030 a assigné un nouvel objectif à ce programme, celui de créer des ponts entre la recherche et les entreprises sur les innovations de rupture et les filières stratégiques.
– L’action Financement de l’écosystème ESRI et valorisation
Cette action porte les subventions versées à l’ensemble de l’écosystème de l’enseignement supérieur et de la recherche ainsi qu’aux structures de valorisation créées dans le cadre des précédents volets du PIA (établissements du premier et du second degrés ainsi que des universités, des organismes de recherche, des instituts hospitalo-universitaire (IHU), des instituts de recherche technologique (IRT) et pour la transition énergétique (ITE) ou encore des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). Cette action sera abondée à hauteur de 120 millions d’euros, soit une dotation minorée à hauteur de 45,4 % par rapport à 2024.
Au 30 juin 2024, 2,3 milliards d’euros ont été engagés et 265 millions décaissés.
– L’action « Aide à l’innovation ‟bottom-up” (subventions et prêts) »
Cette action vise à simplifier les dispositifs d’aide à l’innovation en les regroupant dans une enveloppe unique comprenant l’ensemble des aides à l’innovation proposées par Bpifrance (aides au guichet, aides nationales, PIA régionalisé). L’action sera dotée de 463,6 millions d’euros en 2024, un montant en baisse de 36 % par rapport à 2024.
– L’action « Aide à l’innovation ‟bottom-up” (fonds propres) »
Cette action, dotée d’une enveloppe globale de 3 milliards d’euros, vise à soutenir la croissance de start-up à tous les stades de développement. L’action sera dotée de 195 millions d’euros pour 2025, soit une baisse de 72 % par rapport à 2024.
Un fonds « Entrepreneurs du vivant », doté de 395 millions d’euros est encadré par la convention du 12 avril 2024 avec la Caisse des dépôts et consignations. Il a pour objectif d’avoir un effet levier pour accélérer la transition vers l’agroécologie des exploitations agricoles et des filières agricoles, dans un contexte de renouvellement des générations.
II. néanmoins des interrogations persistent sur la lisibilité du dispositif et le choix d’un mode de financement compétitif de la recherche
A. La lisibilité du dispositif France 2030 peut encore être améliorée
Votre rapporteure pour avis souhaite revenir sur les conditions dans lesquelles le plan France 2030 a été adopté. À l’automne 2021, en pleine crise sanitaire, le Gouvernement a déposé un amendement ouvrant 34 milliards d’euros sur la mission « Investir pour la France de 2030 ». Les opérateurs du plan n’ont été que très partiellement consultés et le Parlement n’a pas été associé à sa création. Par ailleurs, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2023, du fait de l’application du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, l’Assemblée nationale n’a pu débattre du plan France 2030 en séance publique.
– Une multitude d’acteurs
L’architecture de la gouvernance de France 2030 résulte des PIA successifs. Lors de sa présentation, l’ambition était de simplifier et renforcer la lisibilité de ce grand plan d’investissements. Les auditions menées par votre rapporteure pour avis démontrent que les ambitions affichées ne sont que partiellement atteintes.
France 2030 est organisé autour de plusieurs structures (voir annexe). Au niveau stratégique, un comité d’orientation stratégique placé auprès du Président de la République propose de grandes orientations stratégiques et technologiques et veille au suivi du plan.
Ces orientations sont ensuite déclinées par le conseil interministériel de l’innovation (C2i), présidé par le Premier ministre, qui arbitre la répartition budgétaire et arrête les orientations de France 2030. Le C2i est assisté d’un comité exécutif (Comex), présidé par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI). En parallèle, le comité France 2030, également présidé par le Premier ministre, assure le suivi de l’exécution du plan et associe les représentants d’élus, des acteurs de la recherche et des entreprises. Les acteurs auditionnés apprécient la facilité d’arbitrage des décisions, conséquence du rattachement au Premier ministre.
À un niveau opérationnel, quatorze comités de pilotage ministériels (CPM) assurent le pilotage et le suivi des différentes thématiques de France 2030 en y associant les ministres concernés et différentes personnalités qualifiées. Les travaux des CPM sont quant à eux préparés par des comités de pilotage ministériels opérationnels (CPMO), dirigés par les directions générales des ministères concernés. Ces derniers sont notamment chargés de valider le cahier des charges des procédures de sélection des projets et les propositions formulées par les comités de sélection. Le SGPI est enfin chargé d’assurer la coordination de l’exécution de l’ensemble du plan, ainsi que de piloter l’évaluation des projets.
Enfin, les quatre opérateurs historiques du PIA sont chargés de la gestion des crédits de France 2030. Il s’agit de l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Agence de la transition écologique (Ademe), Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations.
La gouvernance choisie superpose les comités qui multiplient les instances de décision au détriment de la lisibilité globale du dispositif.
– Une multitude de thématiques
France 2030 est un plan d’investissements de grande ampleur qui s’inscrit dans le champ des quatorze stratégies d’accélération précédemment mentionnées. Les stratégies d’accélération donnent lieu à des appels à projets, décidés par le Comex. La multiplication des thématiques et des appels à projets nuit à la lisibilité globale du dispositif pour les candidats.
L’ensemble des opérateurs auditionnés font un effort pour simplifier et accélérer les processus de candidature et de sélection des projets. Par exemple, la CDC a indiqué que les premiers appels à projets se faisaient sur le format classique d’un dossier volumineux, puis elle a basculé vers le format allégé d’une lettre d’intention. Toutefois, ce délai est souvent inutilement rallongé par l’inertie des instances de décision ou par des annonces résultant d’un agenda politique.
B. La recherche a besoin d’un mode de financement pérenne
Comme évoqué précédemment, votre rapporteure pour avis souligne l’effort d’investissement porté par France 2030. Néanmoins, ce plan d’investissement ne peut se substituer à un financement pérenne et prévisible des organismes de recherche.
France 2030 s’inscrit dans une logique de financement compétitif, dans laquelle la recherche est financée par des appels à projets sur des thèmes précis. Ce mode de financement présente plusieurs désavantages.
Tout d’abord, il ne couvre pas les coûts fixes des organismes de recherche.
Par ailleurs, France 2030 assure, en moyenne, des financements pour une durée de cinq ans. Ce délai permet une certaine prévisibilité pour les équipes de recherche ; toutefois, il ne s’agit pas de financements pérennes mais bien de financements associés à un projet spécifique. Les chercheurs expriment une lassitude à l’égard d’un financement par des appels à projets qui ne permettent pas de travailler sur le temps long. Certains axes de recherche sont récurrents, notamment la recherche sur le développement durable, ces axes ont besoin d’une politique de recherche sur le temps long, traduite par des crédits pérennes.
De plus, les crédits annoncés peuvent être indisponibles. La mission « Investir pour la France de 2030 » n’est pas soumise au mécanisme de la mise en réserve sur les CP ouverts en loi de finance initiale. En revanche, les crédits de la mission restent soumis aux décisions de gel qui rendent indisponibles les crédits concernés. Ainsi, 1 215 millions d’euros en CP ont été gelés en février 2024 et en juillet 2024. Le décret n° 2024-602 du 26 juin 2024 portant transfert de crédits a modifié les crédits disponibles de la mission pour un montant global de – 67,28 millions d’euros en AE et en CP.
Enfin, d’ici 2026 le plan France 2030 devrait arriver à son terme avec la fin des processus de sélection des projets. Selon le SGPI, il reste encore 13,5 milliards d’euros qui ne sont pas formellement engagés auprès de bénéficiaires finaux mais programmés sur des appels à projets ouverts ou à initier (sur les 54 milliards prévus par France 2030). Dans les années à venir, les opérateurs procéderont au suivi et à la modélisation des impacts. Si aucun programme d’investissement ne prend la suite de France 2030, alors les opérateurs devront gérer la décroissance.
Ainsi, France 2030 est un outil complémentaire pour financer la recherche dans des domaines identifiés comme stratégiques. Néanmoins, ce mode de financement ne doit en aucun cas devenir la principale source de financement des équipes de recherche.
seconde partie : Les travaux de recherche sur
le nucléaire civil, notamment les réacteurs innovants
I. La recherche sur les réacteurs innovants est un enjeu de souveraineté énergétique majeur pour la France
Depuis la fin de la pandémie de COVID-19, la France a subi plusieurs chocs ayant mis en lumière sa vulnérabilité face à des événements externes et internes. La crise ukrainienne, la dépendance aux importations de gaz, les défaillances du parc nucléaire historique et la volatilité des marchés mondiaux ont contribué à créer des tensions sur l’approvisionnement en énergie. Ces événements ont conduit à une prise de conscience généralisée : la souveraineté énergétique est un enjeu crucial. Elle repose sur un équilibre complexe entre la réduction de la dépendance aux énergies fossiles, l’utilisation du nucléaire, l’investissement dans les énergies renouvelables, et la gestion des infrastructures.
Lors du discours de Belfort le 10 février 2022, le Président de la République a annoncé la relance du nucléaire français. Selon le Président, le nucléaire est indispensable pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés d’ici 2050. La relance de toute la filière repose sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes au-delà de 50 ans, sur la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 (European Pressurized Reactor), et sur la possibilité d’en construire huit autres à plus long terme. Après plusieurs décennies de stagnation, ces annonces constituent un signal fort pour tous les acteurs de la filière.
À ce jour, le nucléaire représente 67 % du mix électrique français ([4]), ce qui permet d’avoir un mix électrique décarboné à plus de 92 % et fait de la France l’un des pays les plus nucléarisés au monde. Le parc nucléaire existant est constitué de 56 unités de production, implantées dans 18 centrales exploitées par Électricité de France (EDF). L’ensemble du parc en fonctionnement a été construit par Framatome, utilisant la technologie de réacteur à eau pressurisée (REP). Chaque centrale comprend deux, quatre ou six réacteurs en exploitation avec trois niveaux de puissance possibles par réacteur.
CARTE DES RÉACTEURS EDF EN EXPLOITATION
Source : IRSN
La volonté de relancer la filière nucléaire s’est traduite par deux projets de loi adoptés par le Parlement. D’une part la loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes accélère les procédures administratives afin de faciliter la construction de nouvelles installations nucléaires. D’autre part, la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire prévoit la création au 1er janvier 2025 de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue de la fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Au regard des ambitions affichées, votre rapporteure pour avis estime qu’il est indispensable de disposer d’une expertise scientifique indépendante, tant pour le développement des nouvelles technologies, que la construction de nouvelles centrales et l’entretien de l’existant.
Les auditions menées par votre rapporteure pour avis ont permis d’identifier deux temporalités dans les travaux de recherche : les technologies matures pour lesquelles la recherche s’oriente vers la construction d’une chaîne industrielle (disponibilité à l’horizon 2050) et les technologies de faible maturité pour lesquels une coopération internationale est nécessaire (disponibilité à l’horizon 2100).
A. Une politique de recherche largement orientée vers des enjeux à moyen terme
Les financements alloués à la recherche sur les réacteurs nucléaires innovants servent principalement à financer des technologies disponibles immédiatement ou à l’horizon 2050.
– Le prolongement des capacités existantes
Tout d’abord, le remplacement des capacités nucléaires existantes pose particulièrement question avec l’entrée dans la décennie 2020 : la très grande majorité du parc ayant été mis en service entre 1979 et 1994 (52 réacteurs sur 56 actuellement en fonctionnement). Ces installations arrivent simultanément au bout de leur quarantième année de fonctionnement, cela impose de penser rapidement à des solutions adaptées.
Pour les installations existantes, les travaux de recherche visent à identifier et lever les verrous techniques et scientifiques afin de poursuivre l’exploitation du parc jusqu’à et au-delà de 60 ans. Les enjeux technologiques identifiés sont de connaître le mode de vieillissement des composants non remplaçables (cuve et enceinte de confinement) et analyser les composants remplaçables sensibles (câbles, internes de cuve etc.). Ces travaux de recherche sont menés par EDF avec l’appui du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour un budget de 50 millions d’euros par an.
Jules Horowitz : un réacteur de recherche pour tester les matériaux sous irradiation
Le projet de réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), piloté par le CEA, vise à tester le comportement de matériaux et combustibles sous irradiation, en soutien aux réacteurs nucléaires actuels et futurs. Le RJH, actuellement en construction sur le site CEA de Cadarache, constituera un outil expérimental d’irradiation unique en Europe à destination de l’industrie nucléaire, des organismes de recherche, ainsi que des autorités de sûreté nucléaire.
Étudier le comportement des matériaux de structure sous irradiation constitue un enjeu fondamental pour la sûreté, la compétitivité des centrales nucléaires actuelles et futures, et l’augmentation de leur durée de fonctionnement.
La construction du réacteur a débuté en 2009 pour une entrée en service en 2014, mais en raison de plusieurs retards liés à des aspects techniques et réglementaires, la mise en service est actuellement estimée à 2032-2034. Le coût du projet est aujourd’hui évalué à 1,7 milliard d’euros.
La poursuite du fonctionnement des réacteurs existants est conditionnée par un avis de l’ASN sur les points techniques majeurs soulevés par la perspective d’une durée d’exploitation jusqu’à 60 ans du parc nucléaire d’EDF et sur les analyses particulières ou les recherches à réaliser en amont des réexamens périodiques pour envisager une poursuite de fonctionnement au-delà de 60 ans.
– La construction de SMR et EPR2
Par ailleurs, la recherche sur les réacteurs innovants porte sur le développement du nouveau nucléaire, à savoir les projets de construction EPR2 et les projets de développement des SMR.
S’agissant de l’EPR2, la technologie s’appuie sur celle de l’EPR de Flamanville dont la construction a été lancée en 2007 et s’est achevée début 2024. Le budget initial était de 3,3 milliards d’euros et est désormais estimé à 19,1 milliards d’euros. Les modifications de l’EPR2 par rapport à l’EPR sont importantes, elles visent à en simplifier sa construction sans rogner sur la sûreté. Les principales simplifications sont :
– Le retrait de l’accès humain au bâtiment réacteur en fonctionnement ;
– La suppression du quatrième train de sauvegarde ;
– La création d’une enceinte unique de confinement, doublée d’une paroi d’acier ;
– La standardisation du répertoire des items utilisés dans la construction.
L’état d’avancement du programme de construction des EPR2
EDF a engagé un programme de construction de réacteurs EPR 2 en France. Une première paire de réacteurs est prévue sur le site de Penly, une deuxième sur le site de Gravelines et une troisième sur le site du Bugey. EDF a pour objectif de mettre en service les réacteurs EPR 2 du site de Penly à l’horizon de 2035-2037.
Dans cette perspective, un débat public a été organisé d’octobre 2022 à février 2023, à la suite duquel EDF a déposé une demande de décret d’autorisation de création auprès de la ministre chargée de la sûreté nucléaire fin juin 2023. Cette demande est en cours d’instruction par l’ASN, avec l’appui technique de l’IRSN.
Lors de son audition, EDF a indiqué que le principal défi est de maîtriser la qualité de la construction des EPR2 dans les coûts et les délais fixés. Les travaux de recherche portent essentiellement sur l’utilisation du numérique en appui du pilotage à la construction et le développement de nouveaux modes de construction (« steel concrete ([5]) » et fabrication additive ([6])).
Le coût du capital : un élément déterminant pour
maintenir la compétitivité du nucléaire
Suite au discours de Belfort, des incertitudes persistent sur le financement des nouveaux réacteurs EPR2. Les projets de construction nucléaire nécessitent des investissements en capital important, sans revenus avant la mise en service, soit pendant une période de 10 à 15 ans. Au-delà des spécificités relatives à leur taille et leur durée, ces projets sont soumis aux aléas des prix du marché de l’électricité et aux changements politiques.
Le parc nucléaire actuel a été construit par autofinancement, puis par un emprunt porté par EDF dans un contexte de quasi-monopole, de tarification fixée par l’État et avant la réglementation européenne concernant les aides d’État. Ce modèle de financement n’est plus réplicable.
Selon l’Agence pour l’énergie nucléaire ([7]), les dépenses en capital requises pour construire une centrale nucléaire représentent entre 50 et 70 % des coûts de production d’électricité, les coûts du combustible environ 20 %, et les dépenses d’exploitation et de maintenance les 20 % restants. Les coûts en capital constituent donc la part prédominante du coût final du mégawattheure pour le consommateur.
Dans un avis publié en octobre 2022 ([8]), la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) présente plusieurs leviers pour faire baisser le coût du capital : sécuriser la place du nucléaire dans la taxonomie européenne, instaurer un cadre régulatoire couvrant les risques de marché (en prix et en volume) et intervenir par un investissement direct ou un partage des risques de construction.
– L’adaptation au changement climatique
Au-delà des travaux de recherche précédemment mentionnée, les entreprises du nucléaire, notamment EDF, mènent des travaux de recherche sur les briques technologiques et l’adaptation au changement climatique.
À court terme, il est nécessaire de maintenir la filière nucléaire à la pointe de la technologie en utilisant de nouveaux matériaux, en perfectionnant les techniques de soudure, en accompagnant le déploiement de l’intelligence artificielle ou encore en développant la simulation numérique. Ces travaux de recherche appliquée servent au quotidien et accompagnent la relance de toute la filière.
Par ailleurs, à plus ou moins long terme les installations nucléaires doivent s’adapter au changement climatique. Les effets du changement climatique pour le nucléaire français sont particulièrement préoccupants s’agissant de la ressource en eau.
Selon les prévisions scientifiques les volumes d’eau devraient peu évoluer. En revanche, il est prévu une plus grande volatilité et des disparités géographiques dans la répartition des précipitations. Ces éléments imposent d’adapter les installations nucléaires aux variations des débits d’eau, notamment celui de la Loire. De plus, la température de l’eau rejetée par les centrales est un enjeu majeur en raison de son impact sur les écosystèmes aquatiques. Les systèmes de refroidissement des centrales peuvent fonctionner en circuit ouvert (avec des mesures nécessaires pour s’assurer que l’eau rejetée ne réchauffe pas excessivement le cours d’eau) ou en circuit fermé. En circuit fermé, l’eau est d’abord refroidie dans des tours de refroidissement, mais ces dernières provoquent une évaporation, soulevant ainsi la question des prélèvements d’eau.
Afin d’anticiper au mieux les aléas climatiques, EDF s’est doté d’un service climatique. Ce service s’appuie sur les modèles du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour prédire le climat (températures, précipitations et vents) et réduire les impacts des ouvrages nucléaires (biodiversité, sédiments) à l’échelle régionale.
B. L’émergence de technologies plus avancées à long terme nécEssitant une recherche coordonnée au niveau mondial
Au-delà des innovations précédemment mentionnées, le secteur du nucléaire mène des travaux de recherche préparant l’avenir du nucléaire en utilisant des technologies bien plus avancées, avec une maturité prévue à l’horizon 2100. Ces travaux concernent le développement des réacteurs Advanced Modular Reactors (AMR) de génération IV et des réacteurs utilisant la fusion nucléaire.
– Les réacteurs de génération IV
Les réacteurs de quatrième génération sont conçus pour être plus performants et visent à :
– Réduire la quantité de combustible nucléaire nécessaire, via le recyclage des combustibles usés ;
– Exploiter de nouveaux types de combustibles comme le thorium afin de réduire la dépendance à l’uranium ;
– Améliorer la sécurité des installations en intégrant des mécanismes d’arrêt passif, qui n’ont pas besoin d’intervention humaine ;
– Renforcer la compétitivité du coût de production par rapport à celui d’autres énergies.
Le Forum international génération IV (GIF) reconnaît six concepts de réacteurs innovants qualifiés de quatrième génération :
– Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (SFR) : ils utilisent du sodium liquide comme fluide de refroidissement et des neutrons rapides pour améliorer la fission du combustible. Ils peuvent recycler les combustibles usés. Ce concept est considéré par le CEA comme l’AMR ayant la maturité la plus élevée.
– Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz (GFR) : ils utilisent un gaz (hélium) comme fluide de refroidissement. Ces réacteurs sont efficaces énergétiquement et ont le potentiel de produire de l’hydrogène en plus de l’électricité.
– Les réacteurs à sels fondus (MSR) : le combustible est dissous dans du sel fondu, qui sert également de fluide de refroidissement. Cette technologie offre des garanties de sûreté car les sels fondus se solidifient en cas de fuite, et permet de recycler certains combustibles. Selon le CEA, ce concept est actuellement de très faible maturité.
– Les réacteurs à très haute température refroidis à l’hélium (VHTR) : ce sont des réacteurs modulaires à haute température (jusqu’à 1 000 °C), utilisant l’hélium comme fluide de refroidissement. D’après le CEA, leur niveau de maturité est intermédiaire.
– Les réacteurs rapides refroidis au plomb (LFR) : ils utilisent du plomb liquide ou un alliage de plomb et de bismuth pour le refroidissement. Ils sont capables de résister à des conditions extrêmes et permettent le recyclage du combustible. Selon le CEA, la maturité de ce concept est faible.
– Les réacteurs supercritiques à eau (SCWR) : ils utilisent de l’eau à température et pression supercritiques (374 °C et 22,1 MPa) comme fluide de refroidissement. Bien que leur design soit simple et qu’ils soient thermiquement efficaces, les matériaux doivent être adaptés à des températures et pressions extrêmement élevées.
– La fusion nucléaire
En parallèle des travaux de recherche reposant sur la fission nucléaire, d’autres recherches sont menées sur la fusion nucléaire. À ce stade des connaissances, la fusion peut se faire par confinement magnétique (projet européen ITER et projet japonais JT-60SA) ou par confinement inertiel en utilisant des lasers (le National Ignition Facility en Californie et le Laser Mégajoule en France).
Bien que tous les projets de réacteurs à fusion doivent encore démontrer leur faisabilité scientifique et technique, la technologie par confinement magnétique semble la plus avancée. Les recherches dans le domaine de la fusion nucléaire ont notamment pour objectif de démontrer la capacité de produire plus d’énergie qu’il n’en a fallu pour initier et maintenir les réactions de fusion. Les obstacles scientifiques, technologiques et industriels à surmonter restent nombreux.
Le CEA et ses partenaires académiques et industriels travaillent sur les domaines stratégiques permettant de lever ces obstacles, notamment la physique des plasmas, le développement d’aimants supraconducteurs pour la fusion par confinement magnétique, les lasers de haute puissance et haute cadence, ainsi que leur architecture pour la fusion par confinement inertiel, la robotique et les diagnostics en milieu nucléaire, le cycle du combustible de la fusion, de la ressource à la gestion des déchets nucléaires, la sûreté et les processus réglementaires, les matériaux à faible activation ou à désactivation rapide et à forte résistance aux radiations, les systèmes d’extraction de chaleur, où les métaux liquides pourraient jouer un rôle.
Le CEA a conçu, construit et exploite des machines à fusion nucléaire :
– Dans le domaine de la fusion par confinement magnétique : des tokamaks ([9]), dont l’actuel WEST en exploitation à l’Institut de recherche sur la fusion magnétique situé à Cadarache ;
– Dans le domaine de la fusion nucléaire par confinement inertiel : le laser Mégajoule sur le site de la direction des applications militaires du Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine.
La recherche sur les réacteurs de génération IV et les réacteurs utilisant la fusion nucléaire mobilise des capitaux très importants sur des technologies encore peu matures, avec des résultants attendus d’ici la fin du siècle. La compétition entre les pays menant des travaux de recherche dans ces domaines est donc relativement faible, d’où l’existence de nombreux partenariats internationaux.
Par exemple, le projet ITER, qui vise à démontrer la faisabilité technologique de la fusion nucléaire par confinement magnétique, regroupe sept membres : la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde, le Japon, la Russie et l’Union européenne. Le traité ITER a été signé en 2005 et ratifié en 2007 pour créer l’organisation internationale ITER, responsable de la conception, de la construction, de l’exploitation et de la préparation au démantèlement des installations. Les contributions des membres sont majoritairement en nature (90 %).
II. la recherche sur les réacteurs innovants bénéficie de financements conséquents mais souffre d’un manque de planification au regard des ambitions affichées
A. Des financements publics et privés cohérentS devant être maintenus
Annoncé par le Gouvernement en novembre 2020, le plan France Relance prévoit un plan de soutien sectoriel à la filière nucléaire doté de 470 millions d’euros, dont 110,5 millions d’euros d’aides de l’État et 366 millions d’euros d’investissement pour l’industrie. Le plan de relance du nucléaire repose sur les dispositifs suivants :
– La création d’un fonds d’investissement « Fonds France Nucléaire » que l’État et EDF abondent à parts égales, à hauteur de 100 millions d’euros. Ce fonds, géré par Siparex, vise à consolider l’actionnariat et à accompagner les augmentations de capital des PME et des ETI de la filière pour renforcer leur solidité et soutenir leur croissance ;
– Le soutien de projets de modernisation, de développement ou de relocalisation des sites industriels au service de la filière électronucléaire, ainsi que de projets de recherche et développement dits « Usine du futur », visant à renforcer la compétitivité des entreprises et à lever les verrous technologiques à leur performance. L’appel à projet géré par Bpifrance est doté de 120 millions d’euros ;
– Le financement d’initiatives visant à maintenir et à renforcer les compétences critiques de la filière nucléaire. L’appel à projets « Renforcement des compétences de la filière nucléaire », opéré par Bpifrance est doté de 27 millions d’euros ;
– Le soutien à la recherche et au développement notamment sur le recyclage du combustible nucléaire ;
– Le financement des études pour la conception de centrales de petite taille (SMR) : la phase d’avant-projet sommaire du projet NUWARD a été financée à hauteur de 50 millions d’euros.
Lors de son audition, EDF a fait un retour très positif à votre rapporteure pour avis sur le volet nucléaire du plan France Relance. Il a permis de financer des briques technologiques et de renforcer l’attractivité de la filière.
Le plan « France 2030 » prévoit également un volet dédié au nucléaire, doté de 1,2 milliard d’euros. Le volet nucléaire de « France 2030 » repose sur les dispositifs suivants :
– Construire un SMR européen porté par la filière française. Ce dispositif vise à financer la phase d’avant-projet détaillé du projet NUWARD porté par EDF ;
– Soutenir de nouveaux concepts complets de réacteurs nucléaires innovants dans les domaines de la fission et de la fusion nucléaires, afin de créer un nouvel écosystème de start-up nucléaires. Cette ambition se décline en trois phases : maturation initiale, preuve de concept et prototypage ([10]). Le premier appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants » ([11]), opéré par Bpifrance, a été lancé en mars 2022 et clôturé en juin 2023. Les projets lauréats sont au nombre de onze (sur quinze déposés) ; ils reposent sur des technologies très diverses pour une aide de l’État à hauteur de 27,8 millions d’euros. Le CEA joue un rôle déterminant dans l’expertise scientifique et l’accompagnement des projets. Par ailleurs, le Commissariat a attiré l’attention de votre rapporteure pour avis sur le fait que l’enveloppe prévue par France 2030 n’est dimensionnée que pour faire émerger un « champion français » dans les SMR, et qu’elle est trop faible pour accompagner financièrement deux projets jusqu’à la fin. Bien qu’elle permette de faire un effet de levier sur les financements privés, des interrogations persistent quant à l’écosystème du capital-risque français ;
– Développer des solutions innovantes pour la gestion des matières et déchets radioactifs ainsi que la recherche d’alternatives au stockage géologique profond. Cet axe s’est traduit par l’appel à projets, opéré par Bpifrance avec l’appui de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), représentant 134,9 millions d’euros d’investissements, soutenus à hauteur de 71,7 millions d’euros par l’État ;
– Confirmer la faisabilité du multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée ;
– Soutenir les efforts d’innovation de la filière par le déploiement d’outils de recherche performants et rénovés. Cet axe s’est traduit par un soutien de 9 millions d’euros au projet « Passive Systems Thermohydraulic Investigations for Safety (PASTIS) », porté par l’IRSN, qui a pour objectif de développer une plateforme expérimentale, destinée à acquérir les connaissances nécessaires à l’expertise des systèmes de sûreté passifs, dont l’utilisation est envisagée dans la plupart des concepts de SMR.
Votre rapporteure pour avis salue l’effort financier porté par les plans « France Relance » et « France 2030 ». Cet accompagnement financier permet de redynamiser l’ensemble de la filière en renforçant l’attractivité des métiers du nucléaire et en donnant une orientation claire aux acteurs.
Au cours des auditions, votre rapporteure pour avis a observé que les financements publics étaient très souvent complétés par des financements privés (ratio de 1 pour 1). La recherche en matière de nucléaire se fait principalement sur le mode de la recherche partenariale. La collaboration entre des acteurs de la recherche publique (comme les universités, les laboratoires publics, les instituts de recherche) et les acteurs privés vise à mutualiser les compétences, les ressources et les savoir-faire. La recherche partenariale permet de combler le fossé entre la recherche fondamentale (généralement menée dans les institutions publiques) et la recherche appliquée, qui est plus orientée vers les besoins du marché. Par exemple, parmi les onze lauréats de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants » quatre start-up résultent d’un essaimage interne du CEA.
S’agissant du PLF 2025, votre rapporteure pour avis est particulièrement inquiète concernant le budget destiné à financer la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue de la fusion de l’ASN et de l’IRSN. Au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durable », le nouveau programme 235 prévoit un budget total de 365 millions d’euros, dont 226 millions en crédits de personnel et 138 millions en dépenses de fonctionnement et d’investissement. Or, les deux organismes ont indiqué à votre rapporteure pour avis avoir besoin de 388 millions d’euros, dont 230 millions en crédits de personnel et 158 en dépenses de fonctionnement et d’investissement. Il manque donc 23 millions pour mener à bien la fusion des deux entités.
Les montants annoncés sont insuffisants et menacent le dynamisme de la filière nucléaire. D’une part, il manque 20 millions d’euros au titre des dépenses de fonctionnement et d’investissement ; cela est extrêmement préoccupant quant à la continuité des activités de recherche (aujourd’hui menées par l’IRSN). L’IRSN a indiqué à votre rapporteure que la recherche serait la première activité impactée si le budget était insuffisant. De plus, l’Institut redoute un effet « démoralisant » sur l’ensemble du personnel, auprès desquels l’annonce de la fusion a déjà entraîné de nombreux départs. D’autre part, les 5 millions manquants en crédits de personnel ralentiront l’activité d’expertise et de décision de l’ASNR.
Votre rapporteure pour avis regrette que l’ASNR ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour absorber le surplus d’activité des années à venir, issu du prolongement du parc nucléaire existant, de la construction des EPR2 et du développement des SMR.
B. des enjeux stratégiques nécEssitant une meilleure planification
Aujourd’hui, l’industrie nucléaire française est organisée sur le modèle « 3x1 » avec un seul exploitant, une seule technologie, et un seul usage :
– EDF est l’unique exploitant de l’ensemble des centrales nucléaires en France. Cette structure permet une efficacité accrue dans la gestion des ressources, la standardisation des procédures de sécurité et une simplification des relations l’ASN.
– La France utilise presque exclusivement des réacteurs à eau pressurisée (REP) pour ses centrales nucléaires. Ces réacteurs s’appuient sur une technologie éprouvée et ont été adoptés en série dans le cadre du programme nucléaire civil français lancé dans les années 1970. L’utilisation d’une seule technologie permet de simplifier la chaîne d’approvisionnement, d’uniformiser les processus de maintenance et de réduire les coûts de production.
– Enfin, l’usage du nucléaire est strictement dédié à la production d’électricité pour répondre aux besoins énergétiques du pays.
Ce modèle va nécessairement évoluer avec le déploiement des SMR. L’arrivée d’acteurs privés sur le marché des SMR va mettre fin au modèle de l’exploitant unique. Les onze lauréats de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants » sont des start-up privées, qui envisagent à long terme de déployer leur technologie sous licence ou d’en être l’exploitant. De plus, les SMR introduisent de nouvelles technologies qui pourront coexister avec les réacteurs REP. Enfin, en plus de la production d’électricité civile, les SMR pourraient avoir d’autres usages comme le chauffage urbain (projet CALOGENA), la production d’hydrogène ou encore fournir de l’électricité et de la chaleur à des sites industriels (start-up Jimmy pour le sucrier Cristanol dans la Marne ([12])).
Cependant la viabilité commerciale à grande échelle des SMR reste encore incertaine. En effet, la réussite des SMR repose sur un modèle économique dont les principaux aspects sont :
– La capacité à produire en série des réacteurs standardisés dans des usines afin de réduire les coûts unitaires de construction ;
– La réduction des coûts d’investissement initiaux et des délais de construction par rapport aux grandes centrales nucléaires ;
– La diversification des revenus grâce à des applications multiples (électricité, chaleur, hydrogène) ;
– La capacité à mener la course au développement des SMR dans le monde. Les États-Unis sont à l’avant-garde du développement des SMR, avec plusieurs projets en cours tels que NuScale Power, TerraPower et X-energy. Le Canada, la Russie et la Chine conduisent également des projets de SMR.
Au regard de l’ensemble des éléments précédemment mentionnés, votre rapporteure pour avis s’interroge sur la pérennité du modèle des SMR. L’arrivée de nouveaux acteurs privés soulève des questions sur leur capacité à assurer la sûreté de leurs installations, leur capacité à répondre en cas d’accident nucléaire, leur solidité financière au regard de la fragilité du modèle économique et sur leur responsabilité dans la gestion des déchets nucléaires.
La question de la gestion des déchets nucléaires produits par les start-up lauréates de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants » se pose déjà. Le CEA a indiqué à votre rapporteure pour avis que pour la phase 2 (preuve de concept), les start‑up sélectionnées produiront des déchets et devront d’ores et déjà financer leur traitement.
L’arrêt du projet NUWARD
Le projet NUWARD a pour but de concevoir un SMR avec une puissance électrique d’environ 300 MWe. La phase d’avant-projet détaillé, porté par la société Nuward (filiale à 100 % d’EDF), a fait l’objet d’un contrat d’aide signé entre Bpifrance et Nuward le 8 mars 2024, à hauteur 300 millions d’euros. Cette aide a été notifiée par l’État à la Commission européenne et a fait l’objet d’une décision d’autorisation. Le dossier d’options de sûreté a été soumis à l’ASN en juillet 2023.
Le 1er juillet 2024, Nuward a notifié à Bpifrance sa décision d’interrompre le développement du réacteur NUWARD du fait d’un business plan considéré comme non soutenable économiquement. Lors de son audition, le CEA a indiqué que les technologies utilisées étaient trop innovantes et la disponibilité technique trop lente. Le projet ne correspondait pas aux attentes du marché.
Lors de son audition Bpifrance a indiqué que l’examen des conséquences contractuelles et financières de la décision d’arrêt de programme est en cours. De son côté, EDF a précisé que le projet NUWARD n’est pas suspendu mais que son design va être redéfini.
Les auditions menées par votre rapporteure pour avis l’ont conduite à s’interroger sur les difficultés rencontrées lors de la construction de l’EPR de Flamanville et la capacité à construire six nouveaux EPR2. Les auditions ont démontré la difficulté à créer une chaîne de valeur industrielle après plusieurs décennies sans aucun projet de construction, ce qui a inévitablement conduit à une perte des savoir-faire. L’ASN considère qu’une large part des difficultés rencontrées par le projet de réacteur EPR à Flamanville a pour origine la perte de compétences des acteurs industriels. Cette perte de compétences concerne tant les opérateurs nucléaires eux-mêmes (EDF et Framatome) que leurs fournisseurs et sous-traitants.
Dans les dix prochaines années, la filière nucléaire va devoir procéder à des recrutements massifs pour faire face à tous les grands programmes nucléaires en cours, comme le grand carénage, la construction de six EPR2 ou encore le déploiement d’installations du cycle. La note MATCH produite par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen) en avril 2023 porte sur l’adéquation entre les besoins et les ressources de la filière nucléaire civile. La filière prévoit une croissance de 25 % du volume de travail d’ici 2 033. Pour absorber ce surplus d’activité, la filière estime que 100 000 recrutements seront nécessaires (pour moitié afin de compenser les départs et pour moitié afin d’absorber la croissance d’activité), soit 10 000 recrutements par an. La filière du nucléaire doit donc renforcer son attractivité afin d’attirer de nouveaux talents.
* *
Le budget présenté poursuit l’effort pour financer certains travaux de recherche stratégiques. Votre rapporteure pour avis émet donc un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».
Néanmoins, dans quelques années, le plan France 2030 arrivera à son terme. Il est donc essentiel de rappeler que la recherche française ne peut, et ne doit, se financer uniquement par des appels à projets successifs. Ce mode de financement n’assure ni la pérennité ni la lisibilité nécessaires aux activités de recherche. De plus, il n’est pas adapté aux enjeux récurrents et à long terme, comme le développement durable.
La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 : Recherche dans le domaine du développement durable » le mercredi 23 octobre 2024 après-midi.
Mme Constance de Pélichy, rapporteure pour avis (Recherche dans le domaine du développement durable). Le plan Investir pour la France de 2030 est destiné à placer la France à l’avant-garde de la recherche et de l’innovation, en particulier en ce qui concerne la décarbonation de l’économie et la transition énergétique. Depuis plus de dix ans, quatre programmes d’investissements d’avenir (PIA) ont été lancés. Le 12 octobre 2021, le Président de la République a présenté le plan d’investissement France 2030, qui prend la suite des PIA.
Au-delà du cadre budgétaire habituel, les plans d’investissement successifs consacrent un effort exceptionnel au financement de l’ensemble du cycle de vie de l’innovation, jusqu’à son déploiement et son industrialisation. Je me concentrerai sur les crédits les plus importants demandés dans le cadre du PLF pour 2025.
Il convient tout d’abord de souligner l’effort inédit du plan France 2030 ; il intègre le PIA 4, pour 54 milliards d’euros. Son objectif est clair : répondre aux grands défis économiques, écologiques et technologiques. Il met un accent particulier sur la décarbonation, à laquelle il consacre 50 % des dépenses, sachant qu’aucune dépense ne doit être défavorable à l’environnement.
La nouvelle méthode de suivi de l’impact environnemental des crédits de la mission Investir pour la France de 2030 a établi que 49 % des crédits programmés ont un impact favorable sur l’environnement et 37 % un impact a priori neutre, tandis que 13 % n’ont pas pu être cotés. L’exécution du plan France 2030 arrive à maturité, puisque 75 % des crédits ont déjà été engagés. L’ensemble des organismes privés et publics ont souligné les effets positifs de ce plan sur le dynamisme de la recherche française.
J’émettrai toutefois deux réserves importantes. D’une part, la lisibilité du dispositif peut être améliorée. D’autre part, le financement de la recherche par appels à projets ne doit pas devenir le mode de financement habituel de la recherche française.
Le plan France 2030 empile plusieurs acteurs, structures et thématiques. Les instances de décision se superposent, ce qui rallonge les délais de sélection et de contractualisation des projets. Ce ralentissement est préjudiciable aux candidats des appels à projets, qui peuvent attendre plusieurs mois la décision finale.
Malgré l’effort d’investissement de France 2030, le PLF pour 2025 s’inscrit dans un contexte général très préoccupant. Le Gouvernement poursuit, certes, un grand plan d’investissement pour financer des innovations de rupture dont les entreprises sont largement bénéficiaires. Or les appels à projets de France 2030 n’offrent pas des financements pérennes, mais des financements ciblés sur des projets spécifiques qui ne permettent pas de travailler dans le temps long. Dans quelques années, le plan France 2030 arrivera à son terme. Il est donc essentiel que la recherche française ne soit pas soutenue uniquement par des appels à projets successifs, ce mode de financement n’étant pas adapté aux enjeux de long terme comme le développement durable.
J’ai souhaité faire un focus sur les recherches concernant le nucléaire civil, en particulier les réacteurs innovants. Depuis la fin de la pandémie de covid-19, la France a subi plusieurs chocs : crise ukrainienne, dépendance aux importations de gaz, défaillances du parc nucléaire historique, volatilité des marchés mondiaux. Ces chocs ont démontré combien la souveraineté énergétique était un enjeu crucial.
Dans son discours du 10 février 2022 à Belfort, le Président de la République a annoncé la relance du nucléaire français. La relance de toute la filière repose sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes au-delà de cinquante ans, la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR 2 et la possibilité d’en construire huit autres à plus long terme. Après plusieurs décennies de stagnation, ces annonces constituent un signal fort pour tous les acteurs de la filière. Mais pour relancer celle-ci, il est indispensable de disposer d’une expertise scientifique indépendante, tant pour développer de nouvelles technologies que pour construire de nouvelles centrales et entretenir l’existant.
À court terme, c’est-à-dire à l’horizon de 2050, les travaux de recherche visent à prolonger la durée de vie des cinquante-six unités de production existantes, à finaliser l’EPR 2 et les petits réacteurs modulaires et à adapter le nucléaire au changement climatique, notamment à l’évolution de la ressource en eau. À long terme, à l’horizon de 2100, ils visent à développer les réacteurs nucléaires de quatrième génération et à coopérer au niveau mondial sur la fusion nucléaire.
Le plan France 2030 consacre un volet au nucléaire. Doté de 1,2 milliard, il finance principalement trois dispositifs.
Le premier est la construction d’un petit réacteur modulaire – ou SMR – Nuward, qui a malheureusement été mise en pause.
Le deuxième est l’appel à projets Réacteurs nucléaires innovants lancé par BPI France. Les onze projets lauréats reposent sur des technologies très diverses, pour une aide de l’État de 27, 8 millions.
Le troisième est le projet Pastis – Passive Systems Thermohydraulic Investigations for Safety – conduit par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Il vise à développer une plateforme expérimentale destinée à acquérir les connaissances nécessaires à l’expertise des systèmes de sûreté passifs dont l’utilisation est envisagée dans la plupart des concepts de SMR.
Néanmoins, la relance de la filière ne peut se faire sans l’existence d’une autorité de sûreté forte et compétente. Comme mon collègue Vincent Thiébaut, je suis particulièrement inquiète du budget de la nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) issue de la fusion de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’IRSN. J’en profite pour vous remercier d’avoir adopté mon amendement précédemment. L’IRSN m’a indiqué que la recherche serait la première activité affectée si le budget était insuffisant.
Quelles évolutions entraîneront les évolutions technologiques que je viens d’évoquer ? L’industrie nucléaire française est organisée sur le modèle « 3 x 1 », avec un seul exploitant, EDF ; une seule technologie – la France utilise presque exclusivement des réacteurs à eau pressurisée pour ses centrales nucléaires, technologie éprouvée et construite en série depuis les années 1970 – ; et un usage unique : la production d’électricité pour répondre aux besoins énergétiques du pays.
Ce fonctionnement évoluera inévitablement avec le déploiement des SMR. L’arrivée d’acteurs privés sur ce marché mettra fin au modèle de l’exploitant unique. Pour rappel, onze lauréats ont remporté l’appel à projets Réacteurs nucléaires innovants ; à long terme, ces start-up privées envisagent de déployer leur technologie sous licence ou d’en être l’exploitant. De plus, les SMR introduisent de nouvelles technologies qui pourront coexister avec les réacteurs à eau pressurisée (REP). Outre la production d’électricité civile, les SMR pourraient avoir d’autres usages comme le chauffage urbain, la production d’hydrogène ou la fourniture d’électricité et de chaleur à des sites industriels, comme le fait la start-up Jimmy pour le sucrier Cristanol dans la Marne.
J’émets deux réserves. Tout d’abord, la viabilité commerciale à grande échelle des SMR est incertaine. Leur développement fait l’objet d’une course mondiale, notamment avec les États-Unis et la Chine. Il faudra réussir à standardiser la construction de ces réacteurs et réduire les délais de construction. Vu la fragilité du modèle économique, je m’interroge sur la solidité financière de ces acteurs ainsi que sur leur capacité à assurer la sûreté et à répondre en cas d’accident.
Ensuite, je m’interroge sur la responsabilité de ces nouveaux acteurs dans la gestion des déchets nucléaires. L’histoire nous montre que les industriels tentent très souvent de se soustraire à leurs obligations en matière de dépollution et de traitement des déchets. Or les déchets nucléaires ne sont pas n’importe quels déchets ; ils sont dangereux du fait de leur radioactivité et de leur durée de vie. Leur gestion repose sur des processus rigoureux de traitement, de confinement et de stockage.
Pour conclure, il me paraît utile de penser d’ores et déjà à l’après France 2030, notamment pour la recherche relative au développement durable. Toutefois, l’effort d’investissement de France 2030 est salué par l’ensemble de la communauté de recherche et témoigne d’une ambition en matière de développement durable. Je suis donc favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Pierre Meurin (RN). Je regrette l’absence de ministre, alors que nous débattons de grands investissements qui requièrent une vision pour notre pays. Il est déplorable que le Gouvernement ne s’intéresse pas aux travaux de la commission du développement durable, alors que la transition écologique est un enjeu majeur, qu’il affiche comme tel – mais peut-être n’est-ce que de la communication. Au reste, étant donné que la commission des finances va coiffer nos travaux, je me demande s’ils ont une utilité.
Nous partageons certains objectifs du plan France 2030. Malheureusement, il n’en émerge rien de concret. À titre d’exemple, le site nucléaire de Marcoule s’est porté candidat à un appel à projets relatif aux SMR, mais reste sans réponse. Personne ne sait où en est le dossier. Avez-vous des informations à ce sujet ? Les investissements dans l’hydrogène ne sont pas non plus à la hauteur.
France 2030 est un dispositif techno dont nous peinons à comprendre la gouvernance. Je suis dépité de parler de sujets aussi stratégiques, qui pèsent plusieurs dizaines de milliards d’euros, au moment même où l’on débat du PLF en séance. Les conditions ne sont pas réunies pour que nous travaillions correctement.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Les ministres concernés se sont rendus disponibles avant la réunion, et vous aviez le loisir de leur poser toutes vos questions sur le PLF. J’ajoute que dans ma circonscription, des acteurs qui réindustrialisent la filière du lin ont obtenu des financements grâce à France 2030 et pourront mener à bien leurs projets. Ce programme aide donc concrètement les entreprises, sur le terrain.
M. Anthony Brosse (EPR). La mission Investir pour la France de 2030 est composée de quatre programmes mêlant recherche, modernisation des entreprises – elles sont nombreuses à recevoir des aides dans tous les territoires – et investissements stratégiques. Ses crédits de paiement atteignent 5,8 milliards, avec de fortes disparités. Si ce montant baisse de près de 25 % par rapport à 2024, après une hausse exceptionnelle, il reste supérieur à celui de 2023. Son ambition est intacte : offrir des moyens plus importants pour répondre aux défis écologiques, démographiques, économiques, industriels et sociaux.
Résolument tourné vers l’avenir, le programme 421, Soutien des progrès de l’enseignement et de la recherche, octroie 40 millions au financement de projets de recherche de haut niveau destinés à faire face au changement climatique, ou encore 31 millions à l’action 03, Équipements structurants de recherche, afin de doter la recherche française d’équipements de haut vol et de lui permettre d’accueillir des expérimentations de pointe. Il importe que la puissance publique soutienne ces secteurs en plein essor, confrontés à une compétitivité accrue pour s’approprier les futures technologies de rupture et faire émerger des champions français et européens. Le programme 422, Valorisation de la recherche, lié sur le fond au programme 421, voit ses crédits portés à 234 millions, contre 88 millions l’an dernier, afin de soutenir le développement de projets innovants, de nouvelles structures d’innovation et de transferts de technologies.
Les crédits de paiement du programme 423, Accélération de la modernisation des entreprises, sont majorés de plus de 1 200 %, passant de 14 millions à plus de 185 millions. Dotée de deux nouvelles actions, la mission vise à aider les entreprises françaises et s’adapter à un contexte économique de plus en plus agressif. Exemple parmi tant d’autres, l’entreprise Mesnard Catteau, à Saint-Loup-des-vignes, dans ma circonscription, a pu financer son projet de thermocompression pour l’industrie automobile. La réindustrialisation opérée depuis 2017, avec la création de plus de 100 000 emplois industriels nette, fait partie des réussites de la politique de l’emploi menée depuis lors. Elle doit être poursuivie pour maintenir l’activité industrielle dans nos territoires.
Enfin, le programme 424, Financement des investissements stratégiques, en baisse de 23 %, vise à prioriser les investissements face aux enjeux de transition de notre économie et de notre société. Ses actions, dont certaines sont encadrées par des conventions entre l’État et l’Ademe ou encore BPI France et engagées depuis 2022, ont permis de structurer les investissements dans les domaines de l’innovation et de l’industrie. Une évaluation sera utile pour ajuster notre vision, assurer un pilotage plus juste des investissements et anticiper le programme France 2040. Ces engagements peuvent se traduire par des prises de participation en fonds propres ; 1 milliard d’euros seront ainsi consacrés à l’alimentation de fonds d’investissement dédiés à la rupture technologique, comme French Tech Souveraineté, à des fonds de sociétés industrielles, mais aussi au développement de l’agriculture durable, avec les fermes de demain.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Le plan France 2030 est un symptôme de la Macronie : d’un côté les dotations habituelles et les plafonds d’emploi des organismes de recherche publics stagnent, voire baissent – le budget de la mission Recherche et enseignement supérieur diminue de 2 % – ; de l’autre côté, France 2030 saupoudre de l’argent public à travers des appels à projets innovants de recherche dont les entreprises sont largement bénéficiaires. Par définition, ces financements sont ponctuels, ce qui est particulièrement problématique si l’on s’intéresse à la planification écologique et au développement durable. Ce domaine demande en effet d’investir dans le temps long, avec des fonds pérennes, pour faire face – excusez du peu ! – au plus grand défi que l’humanité ait jamais eu à affronter. Nous avons besoin prioritairement de recherche publique, de temps et de liberté académique, là où le secteur privé recherche avant tout le profit.
Le volet nucléaire du plan France 2030 atteint 1,2 milliard. Une partie de cette somme colossale finance la recherche sur les SMR, présentés comme l’avenir de la filière et vantés par Emmanuel Macron. En réalité, selon le rapport d’Antoine Bonduelle, ingénieur expert auprès du Giec – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, les SMR ne résisteraient pas à l’analyse en matière de coûts, de risques et de technologie. L’expert parle même d’une diversion dégainée par l’industrie du nucléaire pour faire oublier sa stagnation et ses nombreux échecs, notamment le fiasco à 19 milliards de l’EPR de Flamanville : « Les SMR nous sont présentés comme des réacteurs nucléaires bon marché, mais en réalité, il n’en est rien, […] ni la construction ni l’exploitation des petits réacteurs ne peuvent égaler les coûts de leurs homologues de grande taille, eux-mêmes désormais largement distancés par les énergies renouvelables électriques. » Tout est dit. L’État persiste donc à investir dans une énergie en réalité passéiste, soit avec des SMR qui sont loin d’être au point, soit en misant sur les EPR 2 qu’on ne maîtrise pas non plus et qui mettront quinze à vingt ans à sortir de terre, si tout va bien, comme le rappelait le président de l’ASN lors de sa dernière audition. Pourtant, des projets d’énergies renouvelables pourraient être prêts en cinq à sept ans. Dans un contexte d’urgence climatique, nous n’avons pas vingt ans pour agir – on ne sait plus sur quel ton le dire.
Par ailleurs, l’arrivée de petits exploitants de SMR ayant très peu, voire pas du tout d’expérience dans ce domaine pose de sérieux problèmes de sûreté. Je vous cite, madame la rapporteure pour avis : « Cela soulève des questions sur leur capacité à assurer la sûreté de leurs installations et leur capacité à répondre en cas d’accident nucléaire. » Rien que ça.
Enfin, d’après le bleu budgétaire du plan France 2030, au 30 juin 2024, 300 millions ont été engagés pour Nuward, le projet de SMR d’EDF. Or le lendemain même, EDF a annoncé l’arrêt du projet. Quel est donc ce scandale ? Voilà une nouvelle preuve que les SMR sont un mirage et qu’y investir aveuglément, au motif qu’ils sont innovants, est irresponsable. Surtout, où sont allés les 300 millions débloqués ? Le PLF ne répond pas à cette question. Cette somme correspond à 18 % du budget du ministère de la santé, par exemple. Où est l’argent, et à quoi va-t-il servir ?
M. Fabrice Barusseau (SOC). La mission Investir pour la France de 2030 devrait nous permettre de relever les défis de demain en matière de développement durable et de décarbonation de l’économie, notamment grâce à une recherche favorable à l’environnement en général, et portant sur le nucléaire civil en particulier. Pour cela, l’État doit être moteur et planificateur. Or tel n’est pas le cas. D’une part, les crédits du programme 424, destinés au financement des investissements stratégiques, diminuent de manière conséquente, de 1,32 milliard. D’autre part, les crédits du programme 425, Financement structurel des écosystèmes d’innovation, sont amputés de 52 %, pour atteindre péniblement 778 millions. Ce programme doit favoriser les liens entre les chercheurs et les entreprises afin de transposer les avancées de la recherche dans l’économie pour les projets favorisant l’environnement.
Au-delà de ces baisses, le système d’appels à projets n’assure aucune pérennité au financement de la recherche ; il accroît même le coût de la gestion de projet, parfois aux dépens de la recherche elle-même. Nos universités et nos centres de recherche doivent avoir l’assurance de pouvoir travailler sur de la recherche fondamentale dans le temps long ; c’est à cette condition que nous serons un pays innovant et résiliant en matière de changement climatique.
Par ailleurs, aucune vraie stratégie ne se profile concernant les SMR, comme en atteste l’interruption, le 1er juillet dernier, du projet Nuward d’EDF, l’un des piliers de ce volet. Nous ne voyons pas non plus de réflexion ni de stratégie concernant les start-up sélectionnées pour développer de nouveaux projets de SMR, tant en matière de rentabilité de la production que de gestion des déchets – ce dernier point est d’autant plus préoccupant que nous laissons une dette aux générations futures.
Pire, à l’heure où l’État permet à des start-up de se lancer dans une filière aussi stratégique et à risque, le Gouvernement décide de fusionner l’ASN et l’IRSN sans donner à la nouvelle entité les moyens d’assurer ses missions, puisqu’il manque environ 23 millions pour mener à bien la fusion. On peut légitimement s’interroger sur ce qui est présenté comme notre seule solution de développement pour l’avenir ; outre les surcoûts et les décalages de planning induits par la construction de l’EPR de Flamanville, est-on capable de construire six nouveaux EPR ?
Aussi avons-nous de réelles craintes pour l’avenir. Les membres du groupe Socialistes ne peuvent se satisfaire des crédits alloués à cette mission. Nous travaillerons à rétablir des moyens et une stratégie claire en faveur du développement durable et de la décarbonation de l’énergie.
M. Vincent Descoeur (DR). Bien que la dotation du programme 424 diminue, à 4,3 milliards, elle permettra tout de même de financer les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), à hauteur de 3 milliards, ainsi que la recherche dans les domaines innovants, à hauteur de 1 milliard. Hérité du PIA 4, le programme 425 a été réorienté vers un nouvel objectif : créer des ponts entre la recherche et les entreprises. Son examen appelle une remarque sur l’échelonnement des 54 milliards, dont les autorisations d’engagement ont d’ores et déjà été ouvertes pour plus de 40 milliards. Souvent, dans ce genre de programme, les financements les plus lourds sont mobilisés en fin d’exercice. Quelles garanties avons-nous que la totalité des sommes fléchées sera effectivement versée ? Dès 2022, nous avions pointé le risque d’une garantie peut-être insuffisante.
Mme la rapporteure pour avis a exprimé des remarques intéressantes, que nous partageons, sur les limites du financement par appels à projets : il ne couvre pas les coûts fixes des organismes de recherche, il n’offre qu’une lisibilité à court terme, et les crédits risquent d’être gelés, comme ce fut le cas pour plus de 1 milliard d’euros en février 2024. Enfin, il induit une multiplication des instances de décision, au détriment d’une lisibilité globale du dispositif.
La deuxième partie du rapport souligne les défis liés à la planification des projets nucléaires. Nous sommes très favorables à l’investissement et au développement de nouveaux réacteurs pour compenser l’obsolescence de notre parc, mais aussi pour garantir notre souveraineté énergétique. Toutefois, les retards récurrents des programmes précédents mettent en doute nos capacités de relance, alors que nous avons perdu du savoir-faire et de l’expertise. En la matière, l’anticipation est indispensable, d’autant que nous pouvons nous interroger sur notre aptitude à mener ces projets dans les temps. Peut-être notre capacité d’investissement est-elle sous-estimée, comme l’a laissé penser EDF dans son audition, étant entendu que le défi reste la maîtrise de la qualité de construction en respectant les coûts et les délais fixés.
M. Jimmy Pahun (Dem). Je salue votre choix d’avoir exploré le domaine de la recherche nucléaire, tant il est crucial d’anticiper les évolutions de notre filière énergétique.
Certaines critiques s’imposent, pour nous assurer que les ambitions affichées sont accompagnées des moyens nécessaires. Concernant les crédits alloués, il est important de rappeler que la mission Investir pour la France de 2030 est dotée d’une enveloppe fixe de 54 milliards. La réduction des crédits de certains postes s’explique notamment par un ralentissement des décaissements, car une grande partie des financements engagés en 2024 ne nécessitent pas de nouveau décaissement immédiat. Cela ne remet pas en cause l’engagement de la France dans le développement de technologies nucléaires de nouvelle génération, comme les EPR 2 et les SMR, enjeu crucial pour notre transition écologique et l’atteinte de nos objectifs de neutralité carbone à l’horizon de 2050.
Vous soulignez un manque de coordination et de planification dans le développement des réacteurs innovants de type EPR 2 et SMR, faisant craindre un risque de dispersion des ressources et une gestion fragmentée des priorités dans le temps long.
Vous critiquez également le mode de financement actuel, qui repose principalement sur des appels à projets dans le cadre du plan France 2030 ; il n’offrirait pas la stabilité nécessaire pour des recherches de long terme, notamment dans un domaine aussi stratégique que le nucléaire.
Je voudrais vous interroger sur l’émergence de nouveaux acteurs et leurs liens avec l’opérateur historique des centrales, EDF. Si l’arrivée de start-up est fortement accompagnée par l’État, l’investissement public ne pourra constituer le seul accompagnement de ces nouveaux acteurs face à une concurrence étrangère dopée aux investissements privés massifs – pensons à Amazon. Quel rôle EDF pourrait-il jouer pour coordonner ces financements en partie privés ?
Vous évoquez par ailleurs le défi de la sûreté lié à l’émergence de ces nouveaux réacteurs. Ces modèles seront-ils construits en France ? Sont-ils essentiellement destinés à l’exportation ? Les autorités contrôlent-elles suffisamment les normes de sûreté dans le développement de ces technologies ? Risque-t-on une course au moins-disant en matière de sûreté, pour des raisons économiques ?
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). En pleine transformation mondiale impulsée par la transition numérique, la décarbonation et l’innovation technologique, la France fait face à des défis majeurs. La compétitivité de notre économie, notre souveraineté scientifique et technologique, ainsi que la résilience de notre société face aux crises climatiques, sanitaires et industrielles nécessitent un engagement fort et concerté.
Le plan France 2030 a indéniablement aidé de nombreuses entreprises. Permettez-moi de faire un focus sur la recherche et les programmes et équipements prioritaires de recherche, qui nécessitent des financements de long terme. La planification budgétaire pour 2025 doit être ambitieuse afin de garantir aux chercheurs, aux laboratoires et aux entreprises innovantes qu’ils pourront poursuivre leurs travaux sans rupture de financement. Au cœur de l’initiative Investir pour la France de 2030, les PERP répondent précisément à ces enjeux. Ils incarnent la vision stratégique de notre pays pour une recherche d’excellence capable d’apporter des réponses innovantes, concrètes et durables aux défis du XXIe siècle. Les PEPR ont pour objectif d’orienter la recherche française vers les technologies de rupture qui définiront le paysage mondial de demain. En 2025, ils recevront un soutien financier renforcé pour accélérer l’innovation dans des secteurs clés comme l’intelligence artificielle et les biotechnologies, afin de répondre aux priorités nationales en matière de santé, de mobilité durable et de transition écologique, et pour assurer l’indépendance stratégique de la France face à la concurrence internationale.
Soutenir les PEPR dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 est donc un impératif stratégique. C’est un engagement en faveur de notre souveraineté scientifique et technologique, de notre compétitivité économique et de la préservation de notre planète pour les générations futures. Évidemment, ce ne sera jamais assez. Pour autant, nous sommes favorables à ce programme.
Je vous rejoins, madame la rapporteure pour avis, sur la nécessité de penser le financement à long terme et de s’interroger sur l’incertitude liée au fonctionnement par appels à projets, au-delà du délai de cinq ans. En tant que présidente du Groupe santé environnement, je remercie tous les chercheurs qui travaillent sur ces questions essentielles et qui nous aident à penser une France sûre et durable.
Mme Constance de Pélichy, rapporteure pour avis. Je connais des entreprises lauréates du plan France 2030 qui n’auraient pas réalisé certains investissements ni lancé certains projets de recherche sans cette aide. Je pense par exemple à Swiss Krono, à Sully-sur-Loire, entreprise spécialisée dans le bois qui a financé un projet très innovant de chaudière biomasse ; elle tire désormais essentiellement son énergie des déchets de ses propres productions.
Nous sommes nombreux à évoquer des insuffisances en matière de lisibilité et de méthodologie, en dépit d’une gouvernance directement rattachée au Premier ministre, gage d’efficacité en théorie. C’est là un problème bien français : même quand on cherche à faire simple et efficace, chacun veut s’en mêler, si bien que les procédures s’alourdissent et que la réactivité et la lisibilité en pâtissent.
Certains d’entre vous regrettent la baisse des budgets. Les engagements pluriannuels pris dans le cadre de France 2030 sont malgré tout respectés. Il convient désormais de savoir comment travailler dans le temps long. Le plan France 2030 a d’abord concentré ses efforts sur le court terme, pour lancer la dynamique. Cela nourrit des attentes et risque de créer des frustrations lorsque le plan arrivera à échéance, alors que certains projets n’auront pas atteint leur maturité. Il faudra savoir comment passer à l’étape suivante.
J’avais déjà observé, lorsque j’étais maire, que les parlementaires n’étaient guère favorables aux appels à projets pour les collectivités. Je constate qu’il en est de même pour la recherche. Si ce fonctionnement a le mérite de lancer rapidement une dynamique, il se concilie difficilement avec une planification à long terme. Il ne saurait donc suffire pour financer des projets de recherche.
À titre personnel, je suis plutôt favorable au nucléaire, essentiel à mes yeux pour répondre à nos besoins en électricité avec un mix énergétique plus favorable. Néanmoins, les auditions m’ont fait nourrir des inquiétudes à l’égard des SMR. On ne joue pas aux apprentis sorciers avec le nucléaire ; les enjeux de sûreté sont démentiels. Nous disposons d’une organisation très structurée, organisée autour d’un acteur unique, d’un seul type de production – les EPR d’ancienne génération – et d’un seul usage – la production d’électricité. Des garde‑fous sont présents, et cela fonctionne. Je crains qu’en nous lançant tous azimuts dans les SMR, la situation ne nous échappe au profit d’acteurs privés guidés par le seul profit, qui ne répondront pas à leurs obligations en matière de sûreté et de gestion des déchets. Qu’adviendra-t-il si le constructeur ou l’exploitant d’un SMR fait faillite ? La collectivité devra-t-elle venir à son secours ?
Cela pose la question du mode de financement de ces installations, qui est largement déterminé par l’Union européenne. À l’époque, l’État a pu investir massivement dans des centrales nucléaires sans que cela ne pose de problème à personne. Désormais, la réglementation européenne considère les aides d’État comme une distorsion de concurrence. Des discussions sont en cours pour trouver un modèle de financement « bruxello-compatible », considérant que l’enjeu énergétique peut s’abstraire des questions de concurrence. Si Bruxelles se montre favorable à des aides d’État très soutenues, voire à une nationalisation des investissements dans le nucléaire, nous pourrions bâtir des réponses plus sûres. Pour autant, nous sommes engagés dans une compétition mondiale pour les SMR avec les États-Unis et la Chine. Si nous n’investissons pas dans cette technologie, nous risquons de voir s’installer des SMR américains ou chinois sur notre sol, à moins d’interdire tout équipement de ce type.
Article 42 et état B : mission Investir pour la France de 2030
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030, non modifiés.
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liste des personnes auditionnées
(par ordre chronologique)
Électricité de France (EDF)*
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
M. Bernard Salha, directeur « recherche et développement » et directeur technique groupe
M. Florent Jourde, directeur adjoint des affaires publiques
Société française d’énergie nucléaire (SFEN)*
Mme Valérie Faudon, déléguée générale
M. Thomas Jaquemet, responsable affaires publiques
Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Jean-Christophe Niel, directeur général
Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire
M. Patrice Bueso, directeur de la stratégie
Mme Emmanuelle Mur, responsable des relations institutionnelles
Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
M. Bernard Doroszczuk, président
Secrétariat général pour l’investissement (SGPI)
Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe pour l’investissement
Mme Corinne Silvestri, conseillère énergie
Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Philippe Stohr, directeur des énergies
Mme Hélène Latour, responsable des affaires publiques
Caisse des dépôts et des consignations (CDC)
Mme Marianne Faucheux, directrice adjointe du département cohésion sociale et territoriale, direction de l’investissement de la Banque des territoires
M. Christophe Charenton, conseiller relations institutionnelles
Agence nationale de la recherche (ANR)
M. Arnaud Torres, directeur des grands programmes d’investissement de l’État
Mme Cécile Schou, conseillère relations institutionnelles
BPI France
Mme Sophie Rémont, directrice de l’expertise et des programmes au sein de la direction de l’innovation
M. Daniel Demeulenaere, directeur de la stratégie et du développement
M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, directeur des relations institutionnelles
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.
([2]) Le taux de succès correspond au taux de sélection des projets.
([3]) Le taux de préciput correspond à la part des financements de l’ANR qui revient aux établissements gestionnaires et hébergeurs. En 2027, le taux du préciput devrait atteindre 40 %.
([4]) https://www.rte-france.com/eco2mix/la-production-delectricite-par-filiere consulté le 13 octobre 2024.
([5]) Structures composites combinant des plaques d’acier et un cœur de béton à l’aide d’un système de connexion. Elles sont caractérisées par leur résistance, rigidité, durabilité, étanchéité et leur modularité.
([6]) Technique consistant à fabriquer des objets par addition de matière en couches successives.
([7]) OCDE, Réduction des coûts en capital des centrales nucléaires, 2000.
([8]) SFEN, Comment financer le renouvellement du parc nucléaire, 2022.
([9]) Le tokamak est une machine expérimentale conçue pour exploiter l’énergie de la fusion. Dans l’enceinte d’un tokamak, l’énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide.
([10]) Les différentes phases ont un montant d’aide maximum : phase 1 – 10 M€, phase 2 – 80 M€ et phase 3 - 300 M€.
([11]) Les réacteurs nucléaires innovants sont de nouvelles générations de réacteurs conçus pour améliorer la sécurité, l’efficacité, la durabilité, et la flexibilité des centrales nucléaires par rapport aux réacteurs actuels.
([12]) Le 29 avril 2024, la start-up Jimmy a annoncé avoir déposé une demande d’autorisation de création auprès du ministère de la Transition écologique, « pour un projet de générateur thermique ». Le projet vise à produire de la chaleur sur le site industriel de Cristanol, à Bazancourt afin de décarboner le procédé industriel local du sucrier européen Cristal Union.