N° 524
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2025,
TOME I
SANTÉ
PAR Mme Anchya BAMANA,
Députée.
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Voir les numéros : 324, 468 (annexe 40).
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SOMMAIRE
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Pages
I. Première partie : l’évolution des crédits de la mission Santé
A. La mission Santé dans le projet de loi de finances pour 2025
B. Programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins
C. Programme 183 Protection maladie
II. Seconde partie : les inégalités de santé à Mayotte
A. Miné par de nombreuses problématiques, le système de santé mahorais est dans un état alarmant
1. Un territoire singulier et marqué par des déterminants extrêmement défavorables
a. De très fortes inégalités de santé persistent par rapport au reste de la France
a. Une offre de soins presqu’exclusivement publique, reposant sur le centre hospitalier de Mayotte
3. Les mesures visant à compenser le déficit d’offre de soins soulèvent de nouvelles problématiques
a. Des mesures d’équité et d’attractivité financières suspendues en pleine crise
c. Des difficultés à faire émerger une offre de formation en santé
B. Il est urgent d’engager de nouvelles mesures de soutien massif au système de santé de mAYOTTE
a. Mettre en place un choc d’attractivité et de fidélisation des personnels soignants
b. Restructurer le dispositif d’Evasan pour en améliorer le fonctionnement
a. Soutenir le centre hospitalier de Mayotte et développer les structures de soins
c. Un pilotage rénové et davantage axé sur la prévention primaire
d. Mettre véritablement en place l’égalité républicaine à Mayotte
e. Des mesures qui doivent s’inscrire dans une action publique plus large
Liste des personnes entendues par la rapporteure
Annexe N° 1 : Carte de l’offre de soins à Mayotte
Annexe N° 2 : Chiffres-clés de la caisse de sécurité sociale de Mayotte en 2023
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La mission Santé, dont les crédits s’élèvent à 1,6 milliard d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025, est une mission du budget de l’État portant sur une thématique relevant très largement du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Elle comprend notamment les crédits liés à l’aide médicale de l’État (AME), mais aussi ceux liés à des thématiques aussi importantes que la prévention. En lien avec ces enjeux, j’ai choisi de concentrer mes travaux sur les inégalités d’accès aux soins à Mayotte, ce territoire devenu département français en 2011 et dont j’ai la chance d’être une représentante.
Pour cela, j’ai voulu donner la parole à toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des autorités politiques, sanitaires et médicales à tous les niveaux, de soignants, d’associations, d’usagers ou encore de chercheurs. J’ai conduit pendant deux mois des dizaines d’auditions à l’Assemblée nationale, à Mayotte puis en Corse. En auditionnant les agences régionales de santé (ARS) de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe, ainsi que les autorités de La Réunion, j’ai souhaité donner une dimension comparative à mes travaux afin de distinguer d’éventuelles difficultés communes aux départements et régions d’outre-mer (Drom) et à la Corse. Ces territoires souvent délaissés, sinon méprisés, sont tous marqués par des problématiques singulières liées à leurs caractéristiques historiques, géographiques ou encore démographiques, qui mettent leur système de soins en grande tension et les conduisent souvent à devoir composer avec des ressources rares.
Pour autant, il est frappant de voir à quel point Mayotte souffre d’une situation exceptionnellement dégradée, sans comparaison avec tout autre département français, alors même que l’on connaît l’ampleur des déserts médicaux dans notre pays aujourd’hui. Bouleversée par une immigration irrégulière massive et incontrôlée, qui pourrait conduire au doublement de la population de l’île d’ici 2050, la société mahoraise mais aussi son système de santé et ses institutions, qui n’ont jamais été calibrés pour faire face à cela, se trouvent au bord de l’effondrement.
Ainsi, l’expression « désert médical » ne peut suffire à qualifier Mayotte. « À Mayotte, il ne faut pas être gravement malade » disait d’ailleurs un soignant lors d’une audition. Mais avec un seul établissement de santé et à peine 260 médecins au total pour 321 000 habitants estimés – en réalité bien plus sans doute – là où tout autre territoire similaire en compte facilement le triple, l’offre de soins mahoraise est gravement défaillante. Dans ces conditions se multiplient les écueils tels que la crise de l’eau, celle du choléra ou encore les problèmes d’insécurité, ces difficultés étant favorisées par un taux de pauvreté qui s’élève à 77 % et par de graves lacunes en matière d’infrastructures et de services publics. Cela se traduit bien évidemment par des pertes de chance et des situations inacceptables, l’espérance de vie pour les femmes et les hommes à Mayotte étant respectivement inférieures de sept et onze ans aux moyennes nationales.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ne peuvent rester inactifs : « nous sommes face à une situation catastrophique qui nécessite des mesures urgentes. Nous voyons nos services s’effondrer, et tout le travail fait est en train de disparaître », souligne un autre témoignage.
C’est pourquoi le présent rapport entend établir un état des lieux de la situation et, surtout, esquisser les voies et moyens d’une action publique à la hauteur de la situation, c’est-à-dire permettant la revitalisation et la pérennisation du système de santé à Mayotte. Il montre qu’à court terme, des moyens matériels et humains supplémentaires sont une priorité absolue pour mieux répondre aux besoins des Mahorais, tandis qu’il s’agit de piloter la construction d’une offre de soins robuste pour garantir l’égalité républicaine à moyen et long termes à Mayotte.
Loin d’être abstrait, ce rapport formule des pistes d’évolution aussi bien réglementaires que législatives, s’inspirant d’autres territoires et portant entre autres sur l’attractivité et la formation des personnels soignants, ainsi que sur la restructuration du dispositif d’évacuation sanitaire. La plupart de ces mesures peuvent et doivent être engagées dès demain tandis que d’autres pourront être déployées à travers l’examen des projets de lois relatif à Mayotte, attendus fermement dès le premier trimestre 2025.
I. Première partie : l’évolution des crédits de la mission Santé
A. La mission Santé dans le projet de loi de finances pour 2025
● La mission Santé se compose depuis 2023 de trois programmes placés sous l’autorité de la ministre chargée de la santé et de l’accès aux soins :
– le programme 183 Protection maladie ;
– le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ;
– le programme 379 Reversement à la Sécurité sociale des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR), créé par la loi de finances pour 2023 ([1]).
● Les crédits affectés à la mission Santé dans le projet de loi de finances pour 2025 subissent une baisse très significative (– 39,93 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Ils s’élèvent à près de 1,643 milliard d’euros en crédits de paiement (CP). Cette baisse trouve avant tout son explication dans la quasi-extinction des crédits du programme 379 (– 92,47 %), qui avait un caractère temporaire. Les programmes 204 et 183 connaissent respectivement une baisse significative (– 18,05 %) et une hausse notable (+ 9,15 %), cette dernière amenée toutefois à être tempérée en cours d’examen parlementaire, le Gouvernement ayant annoncé le gel des crédits liés à l’aide médicale de l’État (AME).
● En dépit des critiques formulées chaque année par la représentation nationale, la mission Santé continue à mobiliser deux principaux indicateurs, présentés comme les plus représentatifs :
– l’indicateur général 1.1 d’état de santé perçue, correspondant au pourcentage de la population de 16 ans et plus se déclarant en bonne ou très bonne santé générale. Selon cet indicateur, un bon ou très bon état de santé général est ressenti par 65,1 % des citoyens en 2022, la cible fixée pour 2025 étant de 66 % ;
– l’indicateur général 1.2 d’espérance de vie en bonne santé, dont la cible à la naissance est fixée à 67,1 ans en 2025.
Comme le soulignait déjà il y a deux ans le député Christophe Bentz, alors rapporteur pour avis des crédits de la mission Santé ([2]), l’écueil de ces indicateurs généralistes réside dans le fait qu’ils ne tiennent compte ni des spécificités régionales ni des disparités sociales. Celles-ci sont pourtant majeures, comme l’illustre le cas de Mayotte présenté dans la seconde partie du présent avis, et devraient être mises au centre des politiques sanitaires.
RÉCAPITULATION DES CRÉDITS PAR PROGRAMME ET ACTION POUR 2024 ET 2025
Source : projet annuel de performances pour 2025 de la mission Santé.
● La stratégie poursuivie en 2025 en termes de prévention, de sécurité sanitaire et d’offre de soins est présentée comme s’inscrivant en pleine cohérence avec la nouvelle stratégie nationale de santé (SNS) dont la publication est à venir. Ainsi, le Gouvernement indique que les nouvelles priorités de la SNS recouvrent largement les axes principaux du programme 204 demeurés à ce stade identiques, soit :
– piloter et coordonner le réseau des opérateurs pour une meilleure efficacité de la prévention et de la sécurité sanitaire ;
– promouvoir la recherche et mobiliser les connaissances scientifiques pour une meilleure politique de santé publique ;
– améliorer la gestion des crises sanitaires et des situations d’urgence ;
– moderniser l’offre de soins.
● Aussi, le programme 204 se voit assigner deux grands objectifs :
– améliorer l’état de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé ;
– prévenir et maîtriser les risques sanitaires.
Pour autant, ce programme ne représente en pratique que des interventions marginales et éparses du ministère de la santé sur ces sujets.
Comme ses prédécesseurs, la rapporteure observe d’ailleurs que les indicateurs de performance reliés à ces objectifs sont très imparfaits, à l’image des trois indicateurs censés permettre de mesurer l’atteinte du premier objectif : le taux de couverture vaccinale contre la grippe chez les personnes de plus de 65 ans, le taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal pour les personnes de 50 ans à 74 ans ainsi que la prévalence du tabagisme quotidien en population de 18 ans à 75 ans.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 204 ENTRE 2025 ET 2024
(en euros)
Source : projet annuel de performances pour 2025 de la mission Santé.
Les crédits du programme connaissent dans le projet de loi de finances pour 2025 une forte baisse par rapport à l’exercice précédent (– 14,14 % en autorisations d’engagements). Ils s’élèvent à près de 229,5 millions d’euros, un montant extrêmement faible au regard des enjeux, les différentes actions qui composent le programme connaissant des évolutions variables.
Les crédits affectés à l’action 11, qui vise à structurer, rationaliser et mieux piloter les actions de santé publique, constituent toujours le premier poste de dépenses du programme (25,4 % des crédits) et accusent après avoir augmenté l’an passé une baisse annuelle significative (– 17,15 %), revenant à près de 58,4 millions d’euros en AE. Cette évolution traduit un pilotage de la politique de santé publique insatisfaisant, les crédits de cette action finançant des mesures aussi nécessaires que des interventions associatives ou la recherche dans le domaine de la santé publique.
L’action 12, qui vise à améliorer la santé des populations et à réduire les inégalités d’accès aux soins, illustre bien la disproportion entre les ambitions du programme et ses moyens. Elle poursuit sa baisse (– 8,92 %) et, avec 919 000 euros en AE, elle représente seulement 0,4 % des crédits de la mission.
Les crédits de l’action 14, qui porte sur la prévention des maladies chroniques et la qualité de vie des malades, s’élèvent à moins de 46 millions d’euros. S’ils reculent dans une moindre mesure que d’autres actions (– 2,37 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024), cette tendance interroge particulièrement au regard des enjeux croissants liés à ces thématiques, en lien notamment avec le vieillissement de la population et la prégnance des inégalités sociales. Elle montre à tout le moins que la prévention n’est en aucun cas un axe sérieusement développé par le Gouvernement.
L’action 15, qui regroupe des crédits affectés aux mesures de prévention des expositions à des risques pour l’homme liés à l’environnement et à la nutrition, connaît une baisse modérée (– 1,60 %) pour 2025.
La chute des crédits de l’action 16, relative à la veille et à la sécurité sanitaire, est quant à elle massive (– 65,92 %). Elle fait suite à une hausse encore plus importante l’année précédente, résultant principalement de la mise en place de crédits (7,2 millions d’euros) dédiés à la constitution des stocks européens RescUE face aux risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques).
L’action 17, qui concerne la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins, reste très peu dotée (1,9 % des crédits). Elle voit son enveloppe baisser de 2,68 %.
Enfin, l’action 19, relative à la modernisation de l’offre de soins, se singularise. Elle est la seule action du programme à voir ses crédits augmenter pour 2025 (+ 24, 06%, à 70,6 millions d’euros). La grande majorité de ces fonds permet de financer l’Agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna.
C. Programme 183 Protection maladie
Le programme 183 Protection maladie représente la majeure partie des crédits de la mission Santé. Il recouvre des enjeux particulièrement importants, à commencer par l’aide médicale de l’État (AME), qui compte elle-même pour la quasi-totalité des crédits du programme.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 183 ENTRE 2025 ET 2024
(en euros)
Source : projet annuel de performances pour 2025 de la mission Santé.
● Le montant total des crédits du programme inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 s’élève à 1 327,6 millions en AE et CP, soit un écart de + 111,3 millions d’euros (+9,15 %) par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2024. Cette forte hausse apparaît d’autant plus préoccupante qu’elle est intégralement liée à celle de l’action 02 portant sur l’AME, traduisant la mauvaise maîtrise de ce dispositif qui assure la prise en charge des frais de santé des personnes étrangères en situation irrégulière.
La direction de la sécurité sociale (DSS) indique dans une contribution que cette hausse est notamment à mettre en lien avec celle du nombre de bénéficiaires de l’AME de droit commun, atteignant les 456 689 bénéficiaires au 31 décembre 2023, dont 44 236 outre-mer. Alors que l’effectif total des bénéficiaires a augmenté de 11 % entre 2022 et 2023, il a plus que doublé en vingt ans (180 415 bénéficiaires en 2003). Parmi ces bénéficiaires, 314 168 ont reçu au moins un remboursement pour un soin au cours du dernier trimestre 2023, soit 69 %. La DSS indique par ailleurs que, sur 106 caisses d’assurance maladie en 2023 ([3]), dix seulement concentrent 63 % de la dépense : la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de Paris représente 20 % de la dépense d’AME totale, celle de Bobigny 10 % et celle de Cayenne 8 %.
● La DSS précise que l’augmentation prévue de la dotation versée par l’État à l’assurance maladie tient essentiellement à l’anticipation de la poursuite de la progression tendancielle des dépenses d’AME de droit commun, alors que la hausse constatée durant l’exercice 2024 s’élève à 72 millions d’euros pour un montant estimé à 1 210 millions d’euros. Cette hausse traduit également l’augmentation tendancielle de la dépense moyenne par consommant observée sur l’ensemble des postes de dépenses de l’AME (+ 1 % pour les produits de santé, + 2,3 % pour les autres soins de ville et + 0,6 % pour les prestations hospitalières).
Aussi, 136,3 millions d’euros de crédits supplémentaires ont été inscrits sur le programme au titre de l’AME de droit commun, prenant en compte les prévisions de dépenses de l’AME de droit commun en hausse de 64 millions d’euros pour l’exercice 2025, ce qui traduit une hausse prévisionnelle de + 4,7 % des dépenses d’AME de droit commun par rapport aux dépenses constatées lors de l’exercice 2024. Une mesure d’économie de 25 millions d’euros serait par ailleurs intégrée, correspondant à l’effort budgétaire envisagé par le Gouvernement et prolongeant la mesure de 10 millions d’euros initialement inscrite dans l’annuité 2025 du programme au sein de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ([4]), ainsi que le montant de 50 millions d’euros de crédits annulés en février 2024 sur le programme ([5]).
● Dans ces conditions, comme son prédécesseur Christophe Bentz ([6]), la rapporteure estime nécessaire de remettre en cause la prise en charge de certains soins composant le panier de soins de l’AME (dentaire, obstétrique, gynécologie, optique, etc.). Elle juge absolument indispensable de réformer l’AME, dont la vocation et la destination ont été largement dévoyées, afin de revenir à la philosophie d’origine de cette aide qui avait pour but d’apporter uniquement des soins à caractère urgent et de lutter contre les maladies contagieuses importées de l’étranger, dans un souci de protection des Français et de la santé publique nationale. L’objectif n’est pas d’arrêter toute forme de soins, mais de réduire le panier de soins au strict minimum pour se concentrer sur un dispositif à visée humanitaire uniquement, visant à répondre à des situations exceptionnelles et graves.
La rapporteure rappelle par ailleurs que, dans le cadre des débats parlementaires sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ([7]), la Première ministre Élisabeth Borne avait missionné MM. Claude Évin et Patrick Stefanini afin d’évaluer l’AME et d’identifier des évolutions possibles du dispositif. Leur rapport conclusif met en lumière plusieurs scandales ([8]), parmi lesquels :
– le fait de faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne retire pas le droit à l’AME. Les rapporteurs estimaient ainsi « souhaitable que l’éligibilité à l’AME tienne compte, de manière complète, des décisions prises en matière d’éloignement par l’autorité administrative ou judiciaire à l’égard des bénéficiaires de l’AME » ;
– l’existence d’un statut de « cohabitant » pour le droit à l’AME, c’est‑à‑dire qu’une personne qui vit avec un bénéficiaire de l’AME peut réclamer le droit à l’AME ;
– l’absence de vérification de la possibilité de réaliser les soins dans le pays d’origine ;
– l’absence de ticket modérateur pour les bénéficiaires de l’AME, qui sont des étrangers en situation irrégulière, alors qu’un Français modeste accède à sa couverture santé en payant un ticket modérateur.
En janvier 2024, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé au cours de sa déclaration de politique générale une réforme de l’AME par voie réglementaire avant l’été 2024, sur la base des propositions des rapporteurs. Aucun projet de texte n’a toutefois été publié pour l’instant, notamment en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale et du changement de Gouvernement.
Bien plus, le Gouvernement, qui avait annoncé être finalement favorable à un gel des crédits consacrés à l’AME et devait déposer un amendement dans le cadre de l’examen de la présente mission, reste marqué par des dissensions. Aucun amendement de la sorte n’a été déposé à ce stade.
● Comme les années précédentes, les enveloppes pour la dotation forfaitaire dédiée aux soins urgents (70 millions d’euros), les crédits alloués aux autres actions de l’AME (1 million d’euros) et la dotation dédiée au FIVA (8 millions d’euros) sont quant à elles reconduites à l’identique.
D. Programme 379 Reversement à la sécurité sociale des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR)
Le programme 379 est un programme temporaire intégré de manière artificielle au sein de la mission Santé afin d’assurer la compensation à la sécurité sociale des dons de vaccins aux pays tiers ainsi que le reversement des recettes de la facilité pour la relance et la résilience (FRR) de l’Union européenne dédiées au volet investissement du Ségur de la Santé, qui représentait 6 milliards d’euros sur cinq ans, intégrés au plan « France Relance » présenté en septembre 2020. Ce programme intègre ainsi le reversement à la sécurité sociale, au titre du Ségur, d’une part des recettes européennes versées aux États membres.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 379 ENTRE 2025 ET 2024
(en euros)
Source : projet annuel de performances pour 2025 de la mission Santé.
Les crédits qui lui sont alloués dans le projet de loi de finances connaissent une très forte baisse (– 92,47 %), qui conduit à la quasi-extinction du programme, doté de 94 millions d’euros pour l’année à venir. Comme l’indique la DSS dans une contribution, les principaux arbitrages retenus pour le programme 379 « correspondent à des mesures de périmètre et à un ajustement budgétaro-comptable » :
– la disparition des actions 01 Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et 03 Neutralisation des pertes de recettes de la branche Maladie au titre des fonctionnaires territoriaux suite à la bascule de taux Maladie/CNRACL de la maquette du programme, dans la mesure où aucune dépense au titre de ces actions n’est prévue au sein du budget de l’État pour l’année 2025 et pour les années ultérieures ;
– une diminution de 340 millions d’euros du montant de crédits à ouvrir sur le programme par rapport à l’annuité 2025 retenue dans la loi de programmation des finances publiques 2023‑2027, sans remise en cause des 434 millions d’euros qui doivent être reversés à la sécurité sociale au titre du « Ségur investissement » en 2025. Ce montant sera couvert en partie par les crédits budgétaires ouverts sur le programme en 2025 (soit 94 millions d’euros) et pour partie par la prise en compte de la créance détenue par l’État auprès de la sécurité sociale (soit 340 millions d’euros résultant des dispositifs d’urgence prévus antérieurement, dont la nature temporaire permet un redéploiement des crédits non-consommés).
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II. Seconde partie : les inégalités de santé à Mayotte
A. Miné par de nombreuses problématiques, le système de santé mahorais est dans un état alarmant
Malgré la départementalisation intervenue en 2011, Mayotte reste un territoire singulier et en très grande difficulté par rapport au reste de la France. Le système de santé mahorais ne déroge pas à cette observation. Il se trouve dans un état alarmant. Bien plus, alors même qu’il ne parvient déjà pas à répondre aux besoins, il se dégrade encore, laissant entrevoir la possibilité d’un effondrement.
1. Un territoire singulier et marqué par des déterminants extrêmement défavorables
a. De très fortes inégalités de santé persistent par rapport au reste de la France
La population mahoraise souffre de « conditions de vie précaires, voire misérables, propices à l’altération de la santé », comme le décrivait déjà l’Igas en 2017 dans un rapport d’évaluation des besoins de santé à Mayotte, jamais publié ([9]). Aussi, la plupart des indicateurs de santé à Mayotte sont très dégradés. Ils montrent un fort retard et illustrent les profondes inégalités de santé qui persistent par rapport au reste de la France :
– 77 % des habitants de Mayotte vivent en dessous du seuil de pauvreté national ([10]), contre 14,4 % en France métropolitaine ([11]). Les conditions de vie précaires de nombreux foyers, marquées par une forte proportion d’habitat insalubre, une hygiène insuffisante, la pollution de l’air ou encore des difficultés d’accès à l’eau et à l’assainissement, ont des conséquences directes et pénalisantes pour la santé des habitants. Ainsi, à Mayotte, 70 % de la population vit dans un habitat insalubre, ce qui complique d’ailleurs la dispensation des soins à domicile, tandis que 25 % des Mahorais n’ont pas de raccordement entre le réseau d’eau potable et le domicile ;
– l’espérance de vie est très en deçà de celle observée dans le reste de la France. Sous l’effet de la pandémie de covid‑19, l’espérance de vie à la naissance a reculé nettement à Mayotte en 2021 (– 2 ans). En s’établissant à 74 ans pour les femmes et à 72 ans pour les hommes, elle est inférieure de 7 à 11 ans aux moyennes nationales (85,5 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes ) ([12]) ;
– les taux de couverture vaccinale sont très faibles. Avant la campagne de rattrapage vaccinal engagée par l’agence régionale de santé (ARS) en 2023, la moitié des élèves de primaire et les trois quarts des collégiens n’étaient pas à jour de leurs rappels du vaccin diphtérie – tétanos – poliomyélite (DTP). Cet enjeu est considérablement renforcé par l’arrivée permanente de « kwassas éducatifs » ([13]), pourvoyeurs d’une population non vaccinée et à risque ;
– les indicateurs de mortalité périnatale sont deux à trois fois plus importants que dans l’Hexagone avec, en 2021, un taux de mortinatalité de 17,9 pour 1 000 naissances totales (contre 8,1 dans l’Hexagone), un taux de mortalité infantile de 8,6 pour 1 000 naissances vivantes (contre 3,4 dans l’Hexagone) et un taux de mortalité néonatale de 5,3 ‰ (contre 2,6 dans l’Hexagone) ([14]) ;
– la prévalence des maladies chroniques est très supérieure aux moyennes nationales. Ainsi, en 2019 et à structure de population équivalente, les pathologies les plus déclarées à Mayotte par les personnes âgées de quinze ans ou plus, dont la prévalence est en augmentation selon les données de Santé publique France, sont l’hypertension artérielle (38 % contre 17 % dans l’Hexagone) et le diabète (13 % contre 7 %) ([15]). Une mauvaise santé buccodentaire ressort également (19 % contre 13 %) ([16]) ;
– on relève une forte prévalence des problèmes de santé sexuelle et des violences sexistes ou sexuelles (VSS). Les données de Santé publique France montrent par exemple que le premier rapport sexuel a lieu avant 15 ans pour 30 % de la population mahoraise (contre 16 % en France métropolitaine), qu’il s’agit d’un rapport forcé pour 11 % des femmes (contre 2 %) et d’un rapport non protégé pour 70 % des femmes (contre 10 %), tandis que les associations alertent quant à l’indisponibilité des préservatifs et à la prévalence du VIH. Par ailleurs, 79 % des consultations pour agression sexuelle dispensées à l’unité médico-judiciaire (UMJ) du centre hospitalier de Mayotte (CHM) concernent des agressions sur mineurs ([17]) ;
– 55,9 % de la population de 15 ans et plus (64,4 % des femmes) se trouvent en situation de surpoids ou d’obésité ([18]), contre 46 % en moyenne nationale ([19]). La progression de ces problématiques est notamment à mettre en rapport avec celle de la consommation de boissons sucrées. À cet égard, de nombreux témoignages soulignent les conséquences négatives d’un marché saturé par des boissons plus sucrées qu’ailleurs, malgré l’adoption en 2013 d’une loi limitant l’excès de sucre dans les produits vendus outre-mer ([20]), lesquelles sont désormais distribuées en grand nombre lors de cérémonies telles que les manzarakas à l’occasion des mariages, mais aussi lors l’autres manifestations en tous genres, qui deviennent des prétextes à la surconsommation de sodas ;
– en 2019, le taux de renoncement aux soins est supérieur de 9 points à celui de l’Hexagone (38 % contre 29 %) ([21]). La question financière en est la principale cause à Mayotte, en lien avec la situation de grande précarité d’une large partie de la population. Ainsi, 34 % des habitants ont déjà renoncé à des soins en raison d’un manque de revenus. Cette question est majeure à Mayotte, où les loyers sont souvent plus élevés qu’à Paris ;
– la prévalence des problèmes de santé mentale est deux fois plus élevée à Mayotte, où 20 % de la population déclare des syndromes dépressifs majeurs ou mineurs ;
– la santé des enfants est particulièrement dégradée à Mayotte, où des situations de carence nutritionnelle sont observées. La malnutrition frapperait 10 % des enfants de 4 à 10 ans ([22]). Plus globalement, 11 % des habitants de Mayotte de quinze ans ou plus se déclarent en mauvaise ou très mauvaise santé en 2019, contre 7 % en France métropolitaine. Les auditions de la rapporteure montrent d’ailleurs que les problèmes de santé, par exemple s’agissant du cancer, restent mal diagnostiqués et culturellement tabous. Cela peut conduire à des sous-déclarations, à des prises en charge retardées et dans un état plus dégradé, mais aussi à une exclusion sociale des personnes malades ;
– la prégnance de difficultés est liée à la littératie en santé ([23]), notamment en relation avec un niveau de diplôme plus faible de la population mahoraise. 60 % des Mahorais déclarent des difficultés à comprendre les recommandations sanitaires.
Enfin, comme le souligne la direction générale de la santé (DGS) dans une contribution envoyée à la rapporteure, « par son positionnement géographique et son climat tropical, ce territoire est soumis à la fois des risques et aléas climatiques, comme la crise de l’eau en 2023, ou à des risques sanitaires spécifiques et communs à d’autres départements d’outre-mer, tels que le paludisme, la dengue ou encore la leptospirose ». Des risques émergents et des pathologies quasi disparues ailleurs en France continuent de circuler ou sont réintroduites sur le territoire par l’immigration illégale, à l’image de l’épidémie de choléra du début d’année, mais aussi de la lèpre ou de la gale.
b. Une démographie insoutenable, bouleversée par une immigration irrégulière massive qui déstabilise l’offre de soins
La situation sanitaire dégradée à Mayotte est d’autant plus significative et singulière que la population mahoraise est bien plus jeune qu’ailleurs en France. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’âge moyen est de 23 ans, contre 41 ans en France métropolitaine. Ainsi, la moitié des habitants de Mayotte a aujourd’hui moins de 18 ans, les personnes de 60 ans et plus ne représentant que 4 % de la population.
La jeunesse de la population de Mayotte est principalement favorisée par un fort excédent des naissances sur les décès. En 2023, avec 4,5 enfants par femme ([24]), la fécondité reste exceptionnelle à Mayotte et dépasse fortement la moyenne métropolitaine de 1,68 enfant par femme ([25]).
Aussi, Mayotte est le département ayant la plus forte croissance démographique de France (+ 3,8 % par an en moyenne de 2012 à 2017 selon l’Insee), tous territoires confondus. Elle se caractérise par une densité de population particulièrement élevée, en augmentation constante compte tenu de la croissance démographique soutenue constatée depuis les années 1970. L’archipel ne comptait ainsi que 23 400 habitants en 1958 lors du premier recensement effectué par l’Insee.
● La démographie de Mayotte reste toutefois difficile à estimer, soulevant des contestations au niveau local. Si, au 1er janvier 2024, la population est estimée par l’Insee à 320 901 personnes, ce chiffre peut être légitimement remis en cause pour deux raisons :
– le dernier recensement date de 2017 (256 518 habitants) et les données populationnelles sont basées, depuis lors, non pas sur des recensements mais sur des estimations de population, très difficile à apprécier finement au regard de l’importance de la croissance démographique. La prochaine actualisation, basée sur une nouvelle méthodologie de recensement, est prévue pour le mois de décembre 2025 ;
– la très forte immigration clandestine qui affecte Mayotte est elle-même, par définition, difficile à estimer. En tout état de cause, elle semble d’une ampleur telle que la population réelle de l’archipel ne peut être que significativement supérieure à l’estimation faite par l’Insee. À cet égard, si la nouvelle méthodologie de recensement permettra en 2025 de retrouver une analyse plus fine du solde migratoire, elle ne précisera toujours pas si la personne est en situation régulière ou non.
● L’archipel présente aujourd’hui une forte proportion de résidents étrangers, essentiellement en provenance des Comores mais désormais aussi d’autres pays africains. Selon une enquête conduite en 2018 par l’ Institut national d’études démographiques (Ined) ([26]), une recomposition importante de la population est en cours. Plus de la moitié des adultes habitant l’île n’y sont pas nés et sont originaires des îles comoriennes voisines, tandis que les trois quarts des enfants qui y naissent sont issus de mères étrangères, comoriennes pour la plupart ([27]). Au total, plus de la moitié de la population immigrée est, selon l’Insee en situation irrégulière. C’est donc au moins un quart de la population mahoraise qui se trouve en situation irrégulière ([28]).
À horizon 2050, entre 440 000 et 760 000 habitants vivraient à Mayotte selon différents scénarios étudiés par l’Insee, basés avant tout sur l’évolution du solde migratoire. En d’autres termes, si le solde migratoire continuait à être excédentaire, ce qui est le plus probable en l’absence d’action publique forte, la population mahoraise doublerait au cours des vingt-cinq prochaines années.
Évolution de la population de Mayotte à l’horizon 2050 selon les trois scénarios de projection de l’Insee
Source : Insee, recensements de population, Omphale.
De toute évidence, la société mahoraise est déjà bouleversée par les flux d’immigration irrégulière qui saturent et submergent des services publics qui ne sont pas calibrés pour faire face. La poursuite de la croissance démographique est absolument insoutenable. Elle ne pourra en aucun cas être absorbée par les ressources de l’archipel, d’autant plus que la population immigrée se singularise par un état de grande précarité sanitaire et sociale ([29]) et que, selon l’Insee, la fécondité des femmes nées à l’étranger est deux fois supérieure à celle des femmes nées à Mayotte.
2. Un système de santé exsangue, presque exclusivement basé sur un centre hospitalier en grande souffrance
a. Une offre de soins presqu’exclusivement publique, reposant sur le centre hospitalier de Mayotte
● Le système de santé de Mayotte, dont une cartographie est présentée en annexe, est presque exclusivement organisé autour du centre hospitalier de Mayotte (CHM). Il concentre la totalité des capacités hospitalières et il œuvre dans toutes les sphères de l’assistance, de la prévention aux soins plus spécialisés avec 72 % de prise en charge de la consommation de soins globale de l’île ([30]). Il dispense réalise l’essentiel des consultations et des soins de premier recours sur plusieurs sites :
– un site principal situé à Mamoudzou. Il concentre l’activité et comprend un plateau médico-technique complet en médecine-chirurgie et obstétrique (MCO). Il accueille le siège Samu-Centre 15 et les urgences 24 heures sur 24;
– quatre centres médicaux de référence (CMR), à Dzoumogné, Kahani, Mramadoudou et Pamandzi, qui organisent les prises en charges médicales de premier recours. De plus, ceux-ci assurent une permanence médicale 24 heures sur 24 ainsi que, théoriquement, les accouchements et l’accueil des suites de couches, ainsi que des soins dentaires ;
– une unité d’hospitalisation à domicile (HAD), une équipe mobile d’accompagnement aux soins palliatifs et un service de soins de suite et de réadaptation ouvert en 2021, en Petite-Terre ;
– dix centres de consultations périphériques (CCP) ([31]), qui assurent les soins primaires de proximité (suivi des plaies, renouvellement de pansements, suivi de traitements) ainsi que les actions de prévention.
Une grande partie de la population vit toutefois éloignée des zones d’offre de soins, la circulation automobile souffrant de problèmes majeurs d’engorgement, et les structures de soins demeurent souvent difficilement accessibles en l’absence de transport en commun et d’un trafic routier fluide.
● Aussi, l’offre de soins privée et le secteur libéral, bien loin d’être « en plein développement » ou dans une « dynamique qui est appelée à perdurer pendant les prochaines années » ([32]), comme l’indique l’ARS, demeurent embryonnaires et presque absents.
Il n’y a pas de permanence de soins ambulatoire (PDSA) de médecine de ville – de toute façon inimaginable dans des conditions sécuritaires qui empêchent de sortir la nuit. La permanence médicale est assurée par le CHM grâce à son service d’urgence et aux CMR.
Quelques modes d’exercice collectif se développent à l’image des quatre maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) labellisées ([33]), des trois centres de santé (polyvalent et spécialisés) ([34]) et de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) qui vient de s’organiser au sud ([35]).
Le territoire dispose par ailleurs d’une offre de dialyse mise en place par le groupe Clinifutur, comprenant un centre lourd au sein même du CHM ainsi que deux unités à Kawéni et Mramadoudou. Un dispositif d’hospitalisation à domicile a également ouvert en 2022. Certains centres privés ou à but non lucratif comme EPVS et Onakia ont des spécialistes en mission sur des activités d’otorhinolaryngologie, d’ophtalmologie ou encore de neurologie.
Si plusieurs projets sont à l’étude pour compléter cette offre privée, ils peinent à se structurer. Il s’agit notamment de l’installation d’une clinique dans le sud de l’île, qui reste à l’état de projet alors que l’ARS a accordé en 2019 au groupe Clinifutur l’agrément d’ouverture d’un nouvel établissement à Chirongui, avec près de 60 lits répartis entre la médecine et la chirurgie. Sont également prévus une offre privée de soins de suites et de réadaptations (SSR) aux Hauts Vallons et de nouveaux centres de dialyse dans le nord et l’ouest.
● Comme l’indique l’ARS, le secteur médicosocial mahorais, officiellement labellisé en novembre 2012, est quant à lui relativement jeune et en pleine structuration. Il compte actuellement près de 1 000 places, dont 870 destinées aux personnes en situation de handicap et 100 aux personnes âgées ou relevant des soins infirmiers à domicile. Cinq plateformes dédiées aux handicaps (déficiences sensorielles, polyhandicap, autisme, dispositifs intégrés et adultes handicapés) et deux aux personnes âgées (services aux personnes âgées et institutionnalisation) viennent compléter cette offre.
● Les associations sont des acteurs incontournables de la santé de proximité. Elles contribuent de manière proactive à améliorer l’offre de santé, en étant gestionnaires d’établissements ou services sociaux et médico-sociaux ou encore en tant que porteuses de projets de santé publique au plus près de la population. Aussi, les démarches d’« aller vers » apparaissent plus développées à Mayotte qu’ailleurs en France.
Si les associations sont soutenues par les acteurs du territoire tels que la préfecture et l’ARS, les travaux de la rapporteure mettent en lumière leurs difficultés à développer une action durable et cohérente. Ces difficultés tiennent notamment à l’absence de directives claires et de suivi par les autorités sanitaires, au manque de ressources et de professionnels dans un modèle basé sur le bénévolat qui a atteint ses limites, ou encore en raison de financements variables, à l’image de l’Association mahoraise pour la lutte contre le cancer (Amalca) auditionnée par la rapporteure. Des associations comme la Croix-Rouge ont par ailleurs du mal à attirer des professionnels métropolitains, faute de pouvoir compenser financièrement la cherté de la vie à Mayotte, ne serait-ce qu’en s’alignant sur le régime proposé par le CHM.
● Quant à la protection maternelle et infantile (PMI), elle connaît de grandes difficultés, comme dans beaucoup de départements. Mais ses dix-huit centres demeurent un complément essentiel au CHM.
Face aux importants besoins de prise en charge de la femme et du jeune enfant, couplés à une absence de planning familial et à une médecine de ville embryonnaire, la PMI a vu ses missions renforcées à la suite d’un rapport de l’Igas ([36]). En 2024, elle compte 6 médecins, 2 pharmaciennes, 14 sages-femmes, 42 infirmières et infirmières puéricultrices, 10 aides-soignantes, 12 éducateurs de jeunes enfants ou encore dix-huit éducateurs en santé ([37]). Les non-assurés sociaux représentent près de 85 % des patients pris en charge. La PMI a dispensé, en 2023, 23 307 consultations pour 11 407 femmes et 32 671 consultations pour 18 671 enfants. Elle a aussi délivré 63 019 doses de vaccins.
La PMI prend en charge près de 85 % de la vaccination obligatoire des 0‑6 ans, notamment grâce à la dérogation de prescription vaccinale, unique en France, dont bénéficient ses infirmières et puéricultrices sur cette population. Elle intervient par ailleurs fréquemment en école maternelle pour les bilans de santé des enfants de 4 ans.
Soumise à des obligations de résultat, la PMI reste toutefois marquée par un sous-équipement chronique, par une action déployée dans des conditions dégradées, par des contraintes administratives et par une incertitude budgétaire qui met en péril la pérennité de ses actions. Aussi, l’activité en 2023 a été fortement marquée par la crise l’eau qui a entraîné une fermeture des locaux plus d’un jour sur deux pendant plus de trois mois, et par la fermeture totale des trois quarts du parc de PMI lors de mouvements sociaux.
b. Le centre hospitalier de Mayotte, un établissement qui concentre les difficultés et fonctionne en mode crise
Bien des problématiques mahoraises finissent par mobiliser le CHM, où elles se concentrent. Cet établissement doit composer avec les carences de l’offre de soins mais aussi avec les défaillances du maintien de l’ordre public, aggravant la charge à laquelle il doit faire face. Alors que l’essentiel de la santé du territoire pèse sur cet établissement, il ne dispose pas de ressources suffisantes et se trouve réduit à un fonctionnement en mode dégradé, comme s’il se trouvait dans un état de crise permanente.
● Avec 424 lits et 141 places autorisés, le CHM a accueilli près de 40 000 séjours en 2023 ([38]). Toutefois, le nombre de lits et places réels (464 lits et 165 places) dépasse le nombre autorisé afin de répondre aux importants besoins de prise en charge. Cette problématique illustre d’ailleurs le fait que les actions déployées à Mayotte, pour faire face aux difficultés, peuvent l’être en dehors de tout cadre réglementaire voire législatif.
La prise en charge proposée tend à se concentrer sur les urgences et la maternité, faisant l’impasse sur la plupart des spécialités et ne permettant ni un suivi adapté ni une continuité des soins après le retour au domicile. Aussi, des services tels que la néonatalité et la pédiatrie sont saturés et fonctionnent avec un nombre de médecins extrêmement limité, se trouvant exposés à une fermeture en cas d’absence ou de départ de l’un d’eux. Le nombre de passage aux urgences a quant à lui augmenté de 7,7 %, passant de 54 654 en 2022 à 58 710 en 2023 (tri et réorientation inclus) ([39]).
Par ailleurs, les équipements de l’hôpital, faute de praticiens ou d’entretien, font l’objet d’une rapide dégradation. Le mammographe du CHM est en panne depuis près de deux ans, ce qui constitue une véritable perte de chances pour les femmes pouvant être atteintes d’un cancer du sein : elles sont conduites soit à attendre un diagnostic dans l’angoisse, soit à aller le chercher à La Réunion. De la même manière, selon les syndicats, seules sept des vingt ambulances seraient en état de fonctionner.
● Les auditions de la rapporteure montrent des conditions de travail très dégradées et difficiles pour les soignants, à tel point qu’elles entraînent des démissions, à l’image de celle de la cheffe du service des urgences du CHM en mai 2024. Cette démission a suscité une mission de réorganisation des urgences confiée à François Braun durant l’été, qui a conduit à recentrer les urgentistes sur la régulation, la prise en charge des box et la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) et, afin de préserver les ressources médicales sur des « vraies » urgences, au déploiement futur d’une unité mobile hospitalière paramédicale (UMHP).
Loin d’être stabilisée ou satisfaisante, la situation reste toutefois très délicate au CHM, qui continue à voir ses médecins et ses chefs de service démissionner ou envisager de le faire, à l’image du chef du service gynéco-obstétrique. Au-delà des tensions résultant des conditions d’exercice, les témoignages font état de problèmes de compétence des directions de certains services ainsi que de processus de recrutement opaques.
● La situation migratoire et sécuritaire, en l’absence de mesures régaliennes fortes, accroit sensiblement les difficultés. En effet, l’immigration illégale, venant notamment des Comores mais aussi de Madagascar et de l’Afrique des Grands Lacs, participe à l’engorgement des structures du CHM, seul établissement capable de prendre en charge des patients sans affiliation sociale. Bien plus, la situation sécuritaire et urbaine le conduit à devoir affréter et gérer des bus pour les soignants, lesquels n’échappent pas aux caillassages.
● Alors qu’avec près de 10 000 naissances par an, le CHM est la plus grande maternité d’Europe, et non pas seulement de France ([40]). Celle-ci est toutefois très sous-dotée, à tel point que les accouchements hors maternité sont bien plus fréquents qu’ailleurs (7 % des naissances contre 0,3 % dans l’Hexagone).
Alors que, selon l’ARS, il faudrait 170 sages-femmes pour répondre aux besoins à Mayotte, le département n’en compte que 90, notamment grâce à la réserve sanitaire, et même seulement 70 pendant l’été et la période de Noël. Les différents sites prévus pour l’obstétrique se trouvent affectés :
– à Mamoudzou, où sont accueillies 70 % des naissances, on ne compte que six salles d’accompagnement. Le taux d’occupation des lits du pôle gynécologie-obstétrique a été de 144 % en 2023, c’est-à-dire bien supérieur aux recommandations nationales ;
– l’ARS, faute de sages-femmes et pour garantir la qualité des soins, a souhaité réorganiser l’offre sur deux centres de périnatalité de proximité en Petite-Terre et à Kahani, tout en travaillant à améliorer les liaisons (hélicoptère) pour permettre les accouchements à la maternité de Mamoudzou. Par conséquent, deux des quatre maternités périphériques (Mramadoudou et Dzoumogné), où le fonctionnement repose uniquement sur des sages-femmes, des puériculteurs, des infirmiers et des aides-soignants, ont été fermées en juillet 2023.
Ayant eu l’occasion de visiter le site de Mramadoudou au cours de ses travaux, la rapporteure relève que sa fermeture est intervenue dans des conditions jugées brutales et avec une communication jugée inadaptée, notamment à l’égard de la population et des auxiliaires de puériculture. Les personnels concernés appellent à spécialiser ces sites dans l’accueil pré et post-natalité. Ils relèvent que la centralisation des naissances à Mamoudzou entraîne d’importantes difficultés de transport pour les habitants du sud, et ne permet pas de répondre pleinement aux attentes de la population. Aussi, alors que les soignants indiquent que des femmes continuent chaque semaine à se présenter à Mramadoudou pour accoucher, France Assos Santé souligne, dans une contribution, que les fermetures contraignent d’autres femmes à accoucher à domicile, ce qui est particulièrement périlleux dans un contexte de mal logement.
● Les difficultés du CHM tiennent également à son mode de financement, ou plutôt de sous-financement, qui reste exceptionnel en France.
En effet, cet établissement ne se voit pas appliquer la tarification à l’activité (T2A). Il bénéficie encore d’une dotation annuelle de financement (DAF). Celle-ci ne suffit toutefois pas à compenser son déficit chronique, qui s’élève à près 22 876 670 euros pour l’exercice 2023, contre 8 927 373 euros pour l’exercice 2022 ([41]). Selon des témoignages, ce déficit pourrait même être bien plus important et avoisiner les quarante millions d’euros, en prenant en compte les engagements hors bilan du CHM et les paiements non honorés. Dans ce contexte, la direction aurait commandité deux audits sur le fonctionnement de chaîne de facturation et sur la gestion des ressources humaines concernant les personnels médicaux.
Un autre point notable est l’absence à Mayotte d’aide médicale de l’État (AME). Les personnes en situation irrégulière, donc non affiliées à la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), peuvent bénéficier de soins dans les établissements de santé publics dans les conditions prévues à l’article L. 6416‑5 du code de la santé publique, c’est-à-dire moyennant le versement d’une provision financière – sauf pour les mineurs, les femmes enceintes, en cas de risque d’altération grave et durable de l’état de santé et dans le cadre de la lutte contre les maladies transmissibles graves, sous conditions de ressources ([42]). Ainsi, la prise en charge des personnes en situation irrégulière s’apparente à la forme d’aide d’urgence vitale (AUV) que le Rassemblement National envisage sur l’ensemble du territoire national en lieu et place de l’AME. Dans le cadre de l’AUV, une ligne budgétaire serait dédiée à Mayotte qui en serait bénéficiaire.
Bien plus, la prise en charge des personnes en situation irrégulière ne peut s’effectuer que dans les services du CHM, ce qui affecte l’emploi de sa dotation annuelle de fonctionnement et qui explique en grande partie son engorgement. En effet, comme le souligne la DGOS dans une contribution, en l’absence d’AME à Mayotte, ces personnes ne peuvent pas accéder aux soins de ville, tels que le réseau de sages-femmes libérales pour les suivis de grossesses, le réseau d’infirmiers libéraux ou encore le service privé d’hospitalisation à domicile pour les soins post-hospitalisation. L’absence d’AME contribue à limiter le recours aux soins des personnes sans affiliation sociale, en même temps qu’elle fragilise la situation financière et les capacités d’accueil des urgences du CHM qui les prend en charge. Combinée à l’absence de T2A, l’absence d’AME entraîne également une moindre transparence sur les actes et les soins dont bénéficient les personnes en situation irrégulière.
c. Un désert médical sans comparaison possible avec tout autre département français et de plus en plus aride
Mayotte fait face à une densité médicale si faible et insuffisante que les mots « désert médical » semblent inadéquats pour qualifier la situation.
Avec 260 médecins en activité en 2024, soit un ratio de 81 médecins pour 100 000 habitants en s’en tenant à la population estimée par l’Insee, Mayotte se situe très loin de la densité médicale moyenne en France, qui s’élève à 353 médecins en activité pour 100 000 habitants selon le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) ([43]). Cette sous-densité médicale est sans aucune mesure avec tout autre département français, y compris avec les autres départements et régions d’outre-mer (Drom) : Mayotte est deux fois moins bien dotée en médecins que le deuxième département le moins bien doté de France, l’Eure, qui compte 165 médecins pour 100 000 habitants selon l’Insee.
effectif DE Médecins et densité médicale
dans les départements et régions d’outre-mer en 2024
Départements et régions d’outre-mer |
Effectif de médecins en activité ([44]) |
Population estimée ([45]) |
Densité médicale pour 100 000 habitants |
Guadeloupe |
1 365 |
378 561 |
361 |
Guyane |
734 |
295 385 |
248 |
Martinique |
1 205 |
349 925 |
344 |
Mayotte |
260 |
320 901 |
81 |
La Réunion |
3 304 |
885 700 |
373 |
Bien plus, cette densité continue à se dégrader et le conseil départemental de l’Ordre des médecins, auditionné par la rapporteure, alerte quant à la baisse de près de près de vingt inscrits, soit 10 % des médecins, intervenue au cours de la dernière année seulement.
La pénurie touche particulièrement les spécialistes, mais elle n’épargne pas les médecins généralistes. Elle se traduit par une prise en charge dégradée voire par l’absence de prise en charge, ce qui ne peut avoir pour conséquence qu’une perte de chances pour la population de Mayotte. Ainsi, les témoignages recueillis par la rapporteure mettent en lumière des pratiques de tri de patients, de dépassement de tâches ou encore de renouvellement d’ordonnances sans revoir le patient. Une soignante du site de Mramadoudou confie : « nous sommes fatigués et nous essayons de faire au mieux pour la population… Nous mettons des Sparadraps pour compenser, mais ça ne tiendra pas longtemps et des urgences émergent car les gens ne sont pas traités. Au final ce sont les patients qui trinquent. »
● La médecine de ville reste embryonnaire et concentrée sur la ville de Mamoudzou (pour la moitié des professionnels). Elle est composée de 33 médecins généralistes libéraux, soit moins de 12 médecins libéraux pour 100 000 habitants (contre 169 pour 100 000 habitants dans l’Hexagone et une moyenne de 129 dans les autres Drom), et seulement 6 médecins spécialistes libéraux (en gynécologie obstétrique, psychiatrie, biologie, radiologie et cardiologie).
Seul l’effectif des infirmiers libéraux s’est accru de manière importante, du fait notamment de la création en 2001 de l’institut de formations en soins infirmiers (Ifsi) au sein de l’institut d’études en santé (IES) du CHM. Le département reste toutefois bien moins doté que le reste du pays : on comptait 301 infirmiers pour 100 000 habitants à Mayotte en 2021, mais 1 085 infirmiers pour 100 000 habitants en France métropolitaine ([46]).
Concernant les pharmacies d’officine, le territoire est également bien en deçà de la moyenne nationale. Il compte seulement 8 pharmacies d’officine pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 28 dans les autres départements et régions d’outre-mer, et de 32 au niveau national. Le prochain recensement de la population à Mayotte devrait permettre l’attribution de nouvelles licences en 2026.
● La santé scolaire est dans une situation de « grande misère » selon les mots employés par l’Igas en 2017 ([47]). Comme le souligne la DGOS dans une contribution adressée à la rapporteure, « la médecine scolaire est très largement sous dotée pour faire face aux enjeux du territoire mahorais ». Elle subirait de nombreuses difficultés. Le manque de ressources médicales et paramédicales au sein de l’Éducation nationale est déploré, mais aussi le défaut d’offre libérale qui impose une surcharge d’activité à la médecine scolaire, utilisée comme un soin de premier recours par les élèves non affiliés notamment.
En effet, la médecine scolaire ne dispose que de deux médecins et d’une vingtaine d’infirmières pour 117 000 élèves, soit un ratio d’un infirmier pour 5 850 élèves contre un infirmier pour 857 élèves en métropole ([48]).
Par conséquent, les services de santé scolaire de Mayotte ne peuvent chercher à accomplir – tant bien que mal – que la première de leur mission, le suivi de la santé scolaire. Ils renoncent ainsi à d’autres missions comme l’éducation à la sexualité, le parcours éducatif de santé, la prévention des conduites addictives ou encore la formation aux premiers secours. Le rectorat indique que les visites médicales, notamment pour les élèves de 6 ans, ont été retardées cette année en raison de grèves et de problèmes logistiques, et que l’absence de médecins pour valider les dossiers a causé des retards dans les notifications et les orientations des élèves auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
Alors qu’un tiers de la population de Mayotte relève du périmètre d’intervention du rectorat, la collaboration avec l’ARS est déterminante et se fait à deux échelles :
– sur de grosses campagnes comme le rattrapage vaccinal en milieu scolaire organisé en 2023, où les équipes de l’ARS appuyées par la réserve sanitaire se sont rendues dans les écoles pour effectuer les rattrapages DTP/ROR ([49]) et proposer une vaccination contre les infections à papillomavirus humain (HPV). La DGOS indique que de très bons résultats ont été enregistrés, permettant à Mayotte d’obtenir le plus fort taux de vaccination HPV de France ;
– en coopération « médicale », l’enjeu étant de construire un schéma commun entre l’éducation nationale et le CHM, notamment pour sécuriser la vaccination des jeunes. La DGOS indique qu’une expérimentation sur ce point sera engagée dans la commune de Mamoudzou.
● Il en va de même de la médecine du travail : depuis 2015, un seul médecin exerce au service de santé au travail (Medetram) à Mamoudzou pour environ 15 000 salariés dans tous les métiers du privé. Il constate l’émergence de nouveaux risques, notamment alimentaires et cardiovasculaires, en dépit de conditions de travail qui tendent à s’améliorer. Mais il ne peut ni établir de prescription, ni formuler de demande d’évacuation sanitaire.
d. Un système de plus en plus basé sur des évacuations sanitaires, insatisfaisantes et révélatrices d’une dépendance plus large envers La Réunion
● Pour pallier les défaillances de l’offre de soins, le dispositif d’évacuation sanitaires (Evasan) est essentiel pour le système de santé mahorais ([50]). En 2023, 1 792 Evasan ont eu lieu, concernant près de 500 mineurs ([51]). Dans 40 % des cas, elles concerneraient des patients non-affiliés sociaux. Environ 90 % des évacuations sanitaires sont effectuées vers La Réunion, où 70 % d’entre elles sont alors prises en charge par le CHU ([52]), et 10 % vers la métropole.
À la différence d’autres territoires ultramarins, où ce dispositif apparaît subsidiaire et ne concerne que quelques centaines de personnes, il tend à devenir un mode de prise en charge normal à Mayotte. Conformément à une instruction ministérielle, il couvre à la fois les évacuations sanitaires, qu’il s’agisse de transferts inter-hospitaliers pour des soins urgents ou non, et les transferts sanitaires concernant le déplacement de patients externes ou orientés par un médecin libéral ([53]). Aussi, alors que le nombre d’Evasan vers La Réunion était de 503 en 2010, il a augmenté de près de 10 % par an depuis lors ([54]).
Une commission médicale des évacuations sanitaires est instituée auprès de la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), sous la présidence du médecin-conseil de cette caisse, et se réunit chaque semaine pour examiner les dossiers des patients ([55]).
● Au cours des dernières années, le fonctionnement de ce dispositif a donné lieu à diverses critiques : la réservation de cette offre aux populations étrangères ou en situation irrégulière, et le manque d’accompagnement des patients en amont, au cours et en aval de leur Evasan. Une autre particularité des évacuations sanitaires à Mayotte tient à la délégation de l’ensemble du dispositif au CHM qui en supporte la charge financière et technique. Le CHM se retrouve dès lors à affecter plusieurs personnels à la gestion et à l’organisation de transports y compris, le plus souvent, en dehors de toute urgence et pour des personnes en situation irrégulière.
Aussi, l’ARS Mayotte a lancé en 2023 une mission « flash » portant sur l’organisation et l’amélioration du dispositif. Si elle a montré qu’il est fonctionnel, elle a souligné plusieurs problématiques qui l’affectent :
– l’architecture institutionnelle est source de complexité et manque de lisibilité pour les usagers. Le dispositif reste peu compris de la population aussi bien que des professionnels de santé, notamment libéraux, du fait notamment de l’idée persistante que les Evasan ne sont ouvertes qu’aux non-affiliés. Les auditions de la rapporteure montrent aussi de fortes insatisfactions liées à des décisions de la commission médicale des évacuations sanitaires. Étant soumise au secret médical, elle n’est composée que de médecins ; l’absence de représentants d’usagers contribue à son opacité, ce qui pose d’autant plus de difficultés qu’elle peut prendre deux décisions contraires pour un même cas à une semaine d’intervalle, par exemple en tenant compte de la présence de soignants en mission à Mayotte. Ces insatisfactions, allant jusqu’à des suspicions de discrimination, sont d’autant plus regrettables qu’elles ne semblent pas observées dans les autres Drom ;
– il existe des enjeux de partage des responsabilités et de coordination entre les nombreux acteurs : service Evasan et service social du CHM, CSSM, cellule de la CSSM au CHU de La Réunion, cellule de coordination logistique des Evasan (Clem), etc. ;
– l’insuffisante prise en compte de l’expérience patient se traduit par un accompagnement social et administratif qui apparaît insuffisant au départ et pendant le séjour. Les témoignages recueillis par la rapporteure donnent à voir des patients laissés dans le flou une fois le diagnostic posé avant d’être suspendus à la décision de la commission médicale, puis des malades délaissés à leur arrivée à La Réunion où l’accueil peut être difficile voire source de conflits. Il en résulte ainsi une perte de lien social et une solitude, notamment chez les patients en séjour long. La barrière de la langue constitue également un frein majeur au bon déroulé des soins et de la vie quotidienne, tandis que le suivi médical est décrit partiel voire inexistant au retour. S’ajoute un enjeu spécifique aux familles et à l’accompagnement des enfants : 50 % d’entre eux seraient transportés sans accompagnant, soit car ils reçoivent des soins courts, soit car leurs accompagnants n’ont pas de laissez-passer. Aussi, la prise en charge ne permet pas aux patients de choisir d’être transportés vers un lieu autre que l’établissement le plus proche permettant de traiter leur pathologie, même si cela aurait pu favoriser leur suivi ou les rapprocher des leurs ([56]). Dans ce contexte, dans un rapport sur les Evasan, la Cimade décrit « une procédure source d’angoisses et d’arrachement », le « piétinement des liens familiaux et de l’intérêt des enfants » ou encore le « stigmate de l’Evasan » ([57]) ;
– le financement du dispositif est déficitaire et repose sur le budget du CHM à hauteur d’environ 6 millions d’euros. Le coût total, hors hébergement et alimentation des patients, est de 13,4 millions d’euros, avec un financement DAF à hauteur de 6,5 millions d’euros et un financement CSSM évalué à 800 000 euros ;
– s’ajoutent des enjeux liés au retour à Mayotte, qui doit être organisé par la cellule de coordination logistique, et à la régularité du séjour. En effet, si la préfecture de La Réunion refuse désormais systématiquement les demandes de titre de séjour formulées par les patients à l’occasion d’une Evasan, elle estime que 5 à 10 % d’entre eux refusent de repartir et elle fait état de cas de fugues ([58]).
Plus globalement, la place centrale d’un tel dispositif doit être interrogée. Elle peut constituer un frein au développement de l’offre de soins sur l’île sans proposer une prise en charge pleinement satisfaisante car, même en urgence, il faut cinq à six heures pour être pris en charge à La Réunion. Aussi, si les patients de Mayotte permettent au CHU de La Réunion d’atteindre une taille critique lui garantissant un certain niveau d’activité, ils peuvent parfois déstabiliser cet établissement, lui-même en proie à des difficultés financières et organisationnelles ([59]).
● Les Evasan montrent la forte dépendance de Mayotte à l’offre de soins de La Réunion. Cette dépendance dépasse toutefois largement ce seul dispositif et, comme le souligne le directeur général du CHU de La Réunion, les échanges entre les établissements et les personnels soignants des deux départements sont anciens et fréquents.
Ainsi, le CHM a dû déléguer, pendant plusieurs mois en 2024, la gestion du Samu à La Réunion, ce qui n’était pas sans poser de problèmes de langue et de connaissance du territoire par exemple. De la même manière, le directeur général de l’ARS Mayotte a dû demander à son homologue de La Réunion de prendre un arrêté de réquisition de praticiens au mois d’août pour compenser le manque de médecins urgentistes au CHM ([60]).
Pour prévenir les situations d’urgence, une coopération médicale et des partenariats sont prévus, concernant notamment des postes partagés, représentant 3,56 postes en équivalent temps plein (ETP) en 2023 ([61]). Des professionnels du CHU de La Réunion viennent ainsi à Mayotte effectuer des missions, par exemple en gynécologie ou en réanimation. Neuf praticiens faisant fonction d’interne (FFI) du CHU sont mis à disposition du CHM en cardiologie, cancérologie, neurologie ou encore cardiopédiatrie.
Ce partenariat porte également sur la formation, la mission d’enseignement dévolue au CHU s’étendant à Mayotte. Une partie des internes du CHU intervient donc à Mayotte tandis que les rares professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU‑PH) du CHU participent à des missions d’appui au CHM : 53 missions d’expertise, soit 395 jours, auraient ainsi été accomplies en 2023, principalement en médecine légale et diabétologie-endocrinologie ([62]).
Si une telle dépendance ne peut être que dommageable, elle se traduit en outre par une coopération difficile, marquée par une défiance réciproque et par des tensions entre populations, mais aussi entre soignants et institutions.
Des problèmes communicationnels demeurent par exemple, à l’image de la création d’un espace éthique régional (Erer) de l’océan Indien ([63]), dont le CHM n’a été informé qu’une fois la décision prise.
3. Les mesures visant à compenser le déficit d’offre de soins soulèvent de nouvelles problématiques
a. Des mesures d’équité et d’attractivité financières suspendues en pleine crise
Les problématiques brûlantes concentrant les inquiétudes de la communauté médicale à Mayotte lors des auditions conduites par la rapporteure portaient sur l’indemnité particulière d’exercice (IPE).
Instituée en 2014 ([64]), cette indemnité propre à Mayotte vise moins à attirer les praticiens qu’à compenser le coût de la vie sur place et à assurer une certaine forme d’équité vis-à-vis des autres territoires ultramarins, à commencer par La Réunion où le taux d’indexation de la rémunération des fonctionnaires est majoré de 53 % alors ce taux n’est que de 40 % à Mayotte malgré un coût de la vie plus élevé et des conditions de vie plus difficiles. En contrepartie d’un engagement à accomplir une période de deux années consécutives de service au CHM, les praticiens hospitaliers perçoivent une IPE d’environ 1 500 euros à 3 000 euros bruts mensuels selon l’échelon, pour un coût total d’environ 2 millions d’euros en 2023.
En réponse aux difficultés de recrutement au CHM, la Première ministre a annoncé un plan d’attractivité en décembre 2023. Il comprend notamment la revalorisation et l’élargissement de l’attribution de cette indemnité. Cette mesure, mise en œuvre par décret en février 2024 ([65]), a ouvert la possibilité d’accorder l’IPE au médecin en couple avec un autre médecin salarié du centre hospitalier de Mayotte et a augmenté son montant de 50 %. Toutefois, dans la mise en œuvre de ces dispositions, la DGOS a été informée que, contrairement aux règles applicables pour les régimes indemnitaires de même nature, où le non-renouvellement constitue la règle, le CHM avait comme pratique une reconduction systématique de l’IPE à chaque échéance biennale. La DGOS a alors, dans le même décret, supprimé le caractère renouvelable de l’IPE : 81 des 89 praticiens hospitaliers la percevant sont concernés par cette non-reconduction.
Cette dernière mesure, très regrettable, a conduit à des baisses de revenus majeures et à un sentiment pour les praticiens d’être poussés vers la sortie, ce sentiment s’étant matérialisé par de nombreuses annonces de démission. Elle prend place dans un contexte sanitaire critique et dans un climat de défiance déjà fort, qu’illustre le témoignage d’une soignante : « Nous avons l’impression qu’il y a une volonté de saboter ce qui est en place pour laisser la place aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). »
b. Le recours à la réserve sanitaire, aux contrats courts et aux praticiens étrangers sont des mesures palliatives qui suscitent des interrogations
La situation sanitaire à Mayotte et le déficit d’offre de soins conduisent les autorités à faire appel à des personnels extérieurs pour de courtes durées, ce qui n’est pas sans effets pervers et sans difficultés.
● En premier lieu, il s’agit de personnels relevant de la réserve sanitaire et de la solidarité nationale. Entre 2020 et 2024, Mayotte a bénéficié de l’envoi de 4 386 de ces professionnels : 556 volontaires et 3 830 réservistes sanitaires ([66]). La réserve sanitaire a été déployée régulièrement en appui du CHM pour les urgences, la réanimation, la maternité, la médecine polyvalente ou encore la psychiatrie. La cellule de Santé publique France à Mayotte a également bénéficié d’un appui de réservistes pour le suivi de la crise du choléra.
Réservistes et volontaires mobilisés à Mayotte depuis 2020
Mayotte |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
TOTAL |
Réservistes |
361 |
1 121 |
893 |
655 |
800 |
3 830 |
Volontaires |
|
24 |
|
391 |
141 |
556 |
Total |
361 |
1 145 |
893 |
1 046 |
941 |
4 386 |
Source : données Santé publique France et DGS, octobre 2024.
Lorsque les capacités de cette réserve ne suffisaient plus ou que certains profils de professionnels de santé à mobiliser étaient manquants, le ministère chargé de la santé a fait appel, en renfort, au mécanisme de la « solidarité nationale ». Cette dernière, qui consiste au lancement d’appels à volontariat auprès des professionnels de santé à travers les ARS, les sociétés savantes et les ordres pour identifier hors de la réserve sanitaire ceux qui pourraient se rendre disponibles pour une mission de renfort, a été déployée notamment pour appuyer la réanimation du CHM en 2021 lors de l’épidémie de covid‑19. La solidarité nationale a également été mobilisée au cours des années 2023 et 2024 en appui au CHM, notamment concernant la maternité et les urgences, et en renfort à l’ARS pour la gestion de la crise de l’eau.
Bien qu’essentielles à court terme pour le soutien de l’offre de soins locale et le déploiement des politiques de santé publique, la réserve sanitaire et la solidarité nationale peuvent, comme le souligne l’ARS dans une contribution, « générer des effets de bord en favorisant l’attractivité au détriment de la fidélisation ». Celle‑ci ajoute que « malheureusement, la situation des derniers mois était si critique que nous avons très certainement favorisé l’attractivité au détriment de la fidélisation dans une certaine mesure car nous ne pouvions pas nous permettre de nous passer de réservistes durant une longue période. C’est un risque qui a été pris consciemment. Maintenant que la situation des urgences se clarifie, au moins à court terme, il faudra se reposer la question dans les prochains mois de l’avenir de ces demandes de mobilisation ».
Ces mesures sont très coûteuses, les personnels étant pris en charge pour le transport et le logement. La DGS indique que, pour l’année 2023, le coût des missions de la réserve sanitaire portant sur le rattrapage vaccinal (188 réservistes, 4 250 jours de mission) et sur la périnatalité (404 réservistes, 8 205 jours de mission) s’élevait respectivement à 2,3 millions d’euros et 4,5 millions d’euros. Cela équivaut à un coût journalier moyen d’environ 550 euros par réserviste, manifestement très supérieur à la rémunération d’un spécialiste dans un établissement hospitalier, mais aussi au coût d’une prime permettant d’attirer et de fidéliser les personnels permanents, à l’image de l’IPE.
● Une autre modalité de renfort temporaire passe par le recours à des contrats courts. De janvier à septembre 2024, le CHM a employé près de 150 praticiens contractuels, soit 97 contrats de moins de six mois et 77 contrats de motif 2 ([67]), pour une durée contractuelle moyenne de 2 mois. Ces recrutements sont notamment encouragés par le présent directeur général de l’ARS dans l’espoir de « redonner de la sérénité » aux services en diminuant la charge de travail, et de bâtir une politique de fidélisation. Comme celui-ci le reconnaît toutefois, si ces pistes constituent une amorce intéressante, elles demeurent fragiles.
Bien plus, la rapporteure constate que l’effet produit par ces contrats peut être inverse à celui recherché : en introduisant d’importantes rotations de personnels (turnover), ils favorisent la désorganisation ou la difficulté à gérer les services, et nuisent à la qualité des soins ainsi qu’à leur suivi. Le rapport d’activité du CHM montre qu’en 2023, « le recours aux remplaçants et contrats de courte durée a fortement augmenté le taux de turnover du personnel médical », cette augmentation s’élevant à 34,9 % ([68]). Aussi, ce rapport donne à voir un taux alarmant de rotation, de 223,54 % en 2023 pour les personnels médicaux, à mettre en rapport avec le taux de rotation médian au niveau national en 2021 : de 13,6 % pour les CHU, de 16,8 % pour les CH de grande taille, de 19 % pour les CH de taille moyenne et de 24 % pour les CH de petite taille ([69]).
Les associations de patients déplorent la dégradation du service qui en résulte, les usagers étant contraints de représenter à chaque fois leur situation à un praticien nouvellement arrivé. Surtout, les contrats courts introduisent une inéquité majeure avec les personnels permanents, qui voient leurs collègues percevoir une rémunération bien plus importante qu’eux, pour une expérience et une durée d’engagement pourtant bien moindres. Aussi, de nombreux témoignages montrent l’émergence d’un phénomène de « mercenarisation », et notamment de personnels permanents ayant quitté leur emploi pour revenir par la suite sur des contrats courts.
● Les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) constituent un autre gisement pour compléter les effectifs. Selon le Cnom, l’effectif de médecins actifs à diplôme étranger a augmenté de 485,7 % entre 2010 et 2023, passant de 14 à 83 personnes ([70]). Selon les chiffres transmis par le CHM, 39 Padhue y exerceraient aujourd’hui, soit 41 % des praticiens hospitaliers titulaires. Très utilisé dans les autres Drom où, selon les directeurs d’ARS auditionnés, il ne poserait pas de problème majeur, ce dispositif augmente donc très significativement à Mayotte où il reste contesté, particulièrement depuis la création en 2024 du dispositif « Padhue outremer » dérogatoire au droit commun.
L’intégration de Mayotte dans le dispositif « Padhue outre-mer »
suscite des inquiétudes
La loi dite « Valletoux » du 27 décembre 2023 ([71]), mise en application par décret en juillet 2024 ([72]), a intégré Mayotte dans le dispositif Padhue applicable à certains territoires ultramarins ([73]), à l’exception notable de La Réunion, et a étendu celui-ci à 2030.
Dans ces territoires, les directeurs généraux d’ARS peuvent, par dérogation aux conditions générales d’exercice, délivrer une autorisation de plein d’exercice, dans une structure de santé située dans leurs ressorts territoriaux respectifs, à un professionnel de santé ressortissant d’un pays hors de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, dès lors que celui-ci a reçu un avis favorable de la commission territoriale d’exercice de sa spécialité.
Cette procédure dérogatoire concerne les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens. Elle ne présente pas les garanties de la procédure Padhue de droit commun, qui comprend une autorisation provisoire d’exercice couplée à un engagement à passer des épreuves de vérification des connaissances (EVC) avant de suivre un parcours de consolidation des compétences (PCC).
Elle suscite de vives inquiétudes à Mayotte, notamment quant à la capacité à évaluer le diplôme et la compétence de ces professionnels, et à l’éventualité que cette procédure ne devienne un mode de recrutement classique se substituant au vivier local et finissant par concerner la majorité des postes, comme au Centre hospitalier de l’ouest guyanais (CHOG). Bien plus, ce dispositif suppose de disposer de praticiens hospitaliers disponibles pour des fonctions d’encadrement.
Dans ce contexte et pour favoriser la bonne intégration de ces professionnels, le directeur général de l’ARS Mayotte a édicté plusieurs mesures :
– un Padhue ne peut être imposé dans un service. La demande doit être formulée par le chef de service ;
– le Padhue est évalué par le chef de service après trois mois. L’arrêt automatique de l’exercice est prévu en l’absence d’avis dans les délais ;
– le nombre de Padhue est limité à 35 % de l’effectif d’un service ;
– le Padhue recruté s’engage moralement à passer une formation diplômante française.
Il est toutefois trop tôt pour en évaluer les effets. À ce stade, 38 postes, essentiellement en médecine générale, auraient été ouverts au recrutement dans le cadre de ce dispositif. Lors de la visite de la rapporteure, aucun poste n’avait encore été pourvu mais deux candidats avaient été retenus suite à la commission de sélection, organisée en août.
c. Des difficultés à faire émerger une offre de formation en santé
● L’offre de formation aux métiers de la santé reste très insuffisante à Mayotte.
Si un institut de formations en soins infirmier (Ifsi) a été ouvert en 2001 au sein de l’institut d’études en santé (IES) du CHM ([74]), ses capacités demeurent très faibles malgré leur augmentation au fil des années. Seuls 35 étudiants sont formés à Mayotte tandis que les autres sont accueillis dans d’autres régions grâce à des partenariats (Occitanie, Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes). De jeunes Mahorais sont ainsi contraints d’aller à La Réunion ou en métropole poursuivre des formations de santé.
Concernant la formation médicale, il n’y a pas à Mayotte de parcours d’accès spécifique santé (Pass) ([75]). Les étudiants ont la possibilité de suivre le parcours licence « accès santé » (LAS) en collaboration avec l’université de Montpellier, qui leur réserve six places en deuxième année. Les trois unités d’enseignement spécifiques du parcours LAS sont dispensées à distance. Cela ne permet toutefois pas de prévenir la fuite des meilleurs éléments, qui préfèrent étudier directement en Europe, d’autant plus qu’il n’y a toujours aucun quota dédié à Mayotte dans le numerus apertus ([76]) qui concerne l’océan Indien et qui bénéficie avant tout aux étudiants de La Réunion.
d. Une nouvelle agence régionale de santé qui peine à trouver sa place dans un écosystème en difficulté à faire émerger des projets
● Pour faire face aux nombreuses difficultés évoquées précédemment, une ARS de plein exercice a été créée le 1er janvier 2020 à Mayotte, pour définir et coordonner la politique de santé sur l’ensemble de l’île.
L’ARS a engagé dès avril 2022 des travaux pour l’élaboration du premier projet régional de santé (PRS) spécifiquement dédié à Mayotte. Conformément au cadre juridique applicable ([77]), ces travaux ont impliqué la concertation de nombreux acteurs avec notamment l’organisation de plusieurs débats publics, dans l’esprit du CNR Santé. Le PRS Mayotte a finalement été adopté le 30 octobre 2023.
Le projet régional de santé détermine la stratégie de l’ARS sur l’ensemble des problématiques rencontrés par le système de santé mahorais, ainsi que les actions à conduire pour apporter des solutions. Il constitue à la fois la feuille de route de la politique de santé de l’ARS Mayotte pour les dix années à venir et une référence pour l’ensemble des partenaires de l’île en matière de santé. S’il est encore trop tôt pour un véritable bilan de la mise en œuvre du PRS, les premiers retours laissent présager un outil dressant un diagnostic pertinent mais dont la mise en œuvre et le suivi restent lacunaires car ils doivent être garantis par une action publique vigilante et déterminée.
● Aussi, de grandes difficultés des acteurs à co-construire, faire aboutir rapidement et maintenir des projets à Mayotte semblent persister en dépit de la création de l’ARS.
Ces difficultés portent d’une part sur l’articulation des compétences et des financements entre les différents acteurs. Le financement des formations paramédicales demeure un sujet de débat : alors qu’un co-financement était initialement prévu concernant l’IES, devant se traduire par une montée en charge progressive des dotations du conseil départemental, le fonctionnement de cet Ifsi demeurerait couvert financièrement au moins à 75 % par le CHM. Bien plus, comme le souligne l’ARS dans une contribution, « il existe une interrogation non clarifiée à ce jour sur l’effectivité de la compensation par l’État du transfert de la compétence " formation " au moment de la départementalisation ». En effet, les financements de l’État associés à l’exercice de cette compétence avaient été calibrés sur une capacité de 25 places ; or, l’institut en propose 85 aujourd’hui.
De la même manière, les missions du département en matière d’aide sociale à l’enfance (ASE) et de protection maternelle et infantile (PMI) ne sont que très partiellement compensées par l’État.
Ces difficultés portent d’autre part sur la coordination et la détermination de chacun des acteurs à faire émerger rapidement de nouveaux projets. Deux projets sont particulièrement représentatifs de ces écueils :
– la mise en œuvre d’une première année de médecine (Pass) à Mayotte ou, à tout le moins, d’une classe préparatoire à celle-ci. La rapporteure constate avec regret que ces propositions sont évoquées par les autorités depuis plus de dix ans, sans action publique crédible pour les concrétiser ;
– la restructuration et, surtout, l’extension du CHM à travers la création d’un second site hospitalier à Combani, permettant d’augmenter sensiblement le capacitaire de prise en charge et de développer de nouvelles spécialités. Malgré l’officialisation de ce projet en février 2022 par M. Sébastien Lecornu, alors ministre des outre-mer, un malentendu persiste entre les acteurs quant aux modalités de cession des parcelles possédées par le conseil départemental.
B. Il est urgent d’engager de nouvelles mesures de soutien massif au système de santé de mAYOTTE
Le constat des difficultés de Mayotte a été posé déjà à de nombreuses reprises, donnant l’impression d’une situation insuffisamment prise en compte, voire négligée, à Paris. Ce sentiment est bien résumé dans le projet régional de santé : « Mayotte ne dispose aujourd’hui pas d’un système de santé à la hauteur des exigences qui s’imposent à l’ensemble des territoires français. L’objectif qui en découle l’est tout autant : la population mahoraise doit pouvoir bénéficier des mêmes opportunités en matière de santé qui sont offertes à leurs compatriotes, afin que l’état de santé individuel et collectif dans le 101ème département n’apparaisse plus comme l’indélébile indicateur négatif du panorama sanitaire français. [ ...] Il convient d’aller vite. » ([78])
Si l’offre de soins s’est montrée assez résiliente pour surmonter, tant bien que mal, les crises des dernières années, cela s’est produit dans des conditions inacceptables qu’il importe de corriger sans tarder alors que l’offre de soins continue à se dégrader. Si le législateur a sa part à jouer dans ce processus, une grande partie des mesures requises relève toutefois du domaine réglementaire. C’est pourquoi la rapporteure appelle le Gouvernement à s’engager pleinement en faveur d’une amélioration de la situation sanitaire à Mayotte. Aussi, elle souligne que les initiatives présentées ci-après sont complémentaires et qu’elles ont vocation à être déployées concurremment.
1. À court terme, des moyens matériels et humains supplémentaires sont une priorité absolue pour mieux répondre aux besoins des Mahorais
a. Mettre en place un choc d’attractivité et de fidélisation des personnels soignants
Il s’agit en premier lieu de poursuivre et d’intensifier significativement la politique d’attractivité pour garantir la présence en nombre suffisant de professionnels de santé. Les objectifs définis par le PRS doivent être réaffirmés et portés au plus haut niveau, de façon à résorber le désert médical de Mayotte. La gravité de la situation sanitaire et la fragilité du système de soins à Mayotte imposent de renoncer à la poursuite d’économies de bouts de chandelle, qui finissent par aggraver la situation. De toute évidence, des mesures financières, fiscales et matérielles d’indemnisation ou d’attractivité, même très importantes, seront bien moins coûteuses et bien plus bénéfiques que les dispositifs de compensation de la pénurie de soignants actuellement en œuvre. Si elles n’apporteront pas toutes les solutions, elles doivent permettre au minimum de compenser les conditions de vie difficiles à Mayotte.
● La première mesure à mettre en œuvre, de toute urgence, est la sanctuarisation du caractère renouvelable de l’indemnité particulière d’exercice (IPE), qui gagnerait même à être réévaluée. Tout ou partie de cette indemnité pourrait être défiscalisé. Elle pourrait également être étendue à d’autres professionnels de santé que les seuls praticiens hospitaliers.
Selon la DGOS, ce rétablissement serait imminent et seulement suspendu à la signature de la ministre de la santé et de l’accès aux soins. Tenant compte des problématiques spécifiques d’attractivité à Mayotte, une prochaine modification réglementaire permettrait le renouvellement de l’IPE aux praticiens hospitaliers reconduisant leur engagement. Dans l’attente, la DGOS indique que la situation des personnels concernés d’ici la fin de l’année 2024 serait sécurisée auprès du comptable public.
● Il est également nécessaire, dans le même temps, de s’assurer d’une présence médicale durable et bénéfique afin de construire une offre de soins pérenne et robuste. Dans cette perspective, les pouvoirs publics doivent s’attacher à faire primer les mesures de fidélisation sur les dispositifs d’attractivité de courte durée. Cela implique des initiatives en direction de personnels titulaires qui soient fortes et plus favorables que les conditions d’accueil dans le cadre de la réserve sanitaire ou de contrats courts. Pourrait être prévue l’augmentation à 53 % de l’indexation des rémunérations des praticiens hospitaliers, comme c’est le cas à La Réunion, afin de rester compétitif avec les autres territoires et avec les missions à l’étranger en zone de conflit ou à haut risque, compte tenu situation sécuritaire et sanitaire très dégradée.
Si les missions de courte durée n’ont pas vocation à disparaître, il est par ailleurs nécessaire de s’assurer de leur pertinence et de maximiser leur utilité tout en prévenant les effets de bord. Aussi, la prolongation de la durée de séjour des intervenants dans le cadre de la réserve sanitaire ou de contrats courts doit être un objectif. Il s’agit par ailleurs de s’assurer du suivi des mesures prises : par exemple de prévoir une mission avec une dose de rappel, à la suite d’une première venue liée à une campagne de vaccination.
● La poursuite de conventionnement entre les autorités mahoraises et d’autres établissements, notamment en métropole, pourrait permettre de développer des formations et des postes médicaux partagés. À cet égard, une convention a été signée l’an dernier pour permettre à six étudiants d’intégrer la formation d’orthoptie de l’Université Paris Cité, grâce à un financement du conseil départemental.
● Une réelle impulsion doit être apportée en faveur de la médecine de ville. Son actuel caractère embryonnaire n’a rien d’une fatalité. L’ouverture de la maison médicale de Ouangani, dans laquelle exercera prochainement le seul cardiologue de Mayotte, incarne la capacité à édifier des projets ambitieux au service de la santé des Mahorais, dès lors qu’est rassemblée une véritable volonté d’aboutir malgré les difficultés.
La maison de santé de Ouangani, ou l’incarnation de la possibilité
de mener des projets ambitieux à Mayotte
La maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) « Moinechat Ali Combo », fondée par le docteur Elhad Mohamadi, a été inaugurée à Ouangani en avril 2024.
La principale difficulté consistait à financer ce projet dont le coût total s’élève à 3,3 millions d’euros. Au-delà de l’investissement des collectivités (500 000 euros de la part du département, 180 000 euros de la commune et 168 000 euros de l’intercommunalité), le docteur Mohamadi a été contraint pour obtenir un prêt, face aux réticences des banques privées, de se tourner vers l’Agence française de développement (AFD). L’État est d’abord demeuré largement absent du projet, l’ARS étant intervenue dans un second temps pour apporter un soutien – essentiel – à l’acquisition de matériel.
Cette maison de santé se présente désormais, à son échelle, à la pointe de l’offre de soins à Mayotte. Elle accueille plusieurs médecins généralistes, un chirurgien orthopédique, un site de prélèvements biologiques, un site de radiologie, une sage-femme, un échographiste-maieuticien, une pharmanie, deux kinésithérapeutes ou encore un logement pour un étudiant de médecine en stage. Elle comptera prochainement, parmi ses professionnels, le seul cardiologue de Mayotte. Par ailleurs, grâce à la mobilisation d’outils numériques, la file active par médecin y serait plus importante qu’au CHM (40 patients par jour contre 25).
À cet égard, au-delà de la loi « Valletoux » qui a pérennisé le fonctionnement des MSP à un seul médecin, deux dérogations ont été prises par le directeur général de l’ARS pour autoriser la création d’antennes pour les centres de santé ophtalmologique et de télémédecine, en affranchissant ces derniers de la règle des trente minutes de proximité.
Des mesures d’attractivité et de valorisation de l’exercice libéral doivent encore être prises pour favoriser l’installation des professionnels à Mayotte, à commencer par la création d’une zone franche permettant d’exonérer d’impôts les professionnels qui s’installent. En effet, au regard des grandes difficultés connues par le département, il est tout à fait anormal que Mayotte demeure exclu des dispositifs qui existent en Europe comme dans les autres Drom ([79]), à l’image des zones franches urbaines (ZFU) mises en place dans certains quartiers de Saint‑Denis à La Réunion ou des zones France ruralités revitalisation (FRR) que l’on rencontre en Guyane ([80]). Dans ce contexte, la rapporteure appelle le Gouvernement à classer, dès demain, l’intégralité du territoire mahorais dans ces zonages ou à prévoir tout autre dispositif plus pertinent.
Enfin, il s’agit de mettre tout en œuvre pour développer sur le territoire des filières de spécialité dont le CHM serait dépourvu, y compris en soutenant les établissements privés. À ce sujet, les groupes Clinifutur et Les Flamboyants ont obtenu une autorisation pour s’installer à Mayotte, mais des difficultés persistent pour faire sortir de terre ces projets, et notamment pour acquérir le foncier, qui nécessite le plein engagement et l’accompagnement des pouvoirs publics.
● Un autre levier mobilisable à court terme repose dans l’adaptation de certaines règles nationales à Mayotte, au besoin à travers la mise en œuvre de règles dérogatoires.
Au regard de la pénurie médicale, il s’agit notamment d’adapter le cadre juridique pour renforcer l’attractivité, régulariser certaines pratiques et limiter tout risque juridique en :
– ouvrant toutes les prescriptions aux médecins scolaires et aux médecins de la PMI à Mayotte, tout en dotant les infirmeries de façon à pouvoir répondre aux besoins. De la même manière, la réglementation doit évoluer pour permettre à tous les médecins de Mayotte de formuler des demandes d’évacuation sanitaire ;
– relevant l’âge limite de recrutement de praticiens en cumul emploi-retraite, établi aujourd’hui à 75 ans ([81]). Cela contribuerait à une plus grande équité vis-à-vis des effectifs de la réserve sanitaire, auxquels aucune limite d’âge ne s’applique et pour lesquels seul un certificat d’aptitude est demandé ;
– instaurant un droit au retour dans leur service d’origine pour les praticiens hospitaliers titulaires qui acceptent une mutation à Mayotte ;
– autorisant les étudiants en licence de remplacement à travailler sur des postes vacants au CHM, en PMI ou au rectorat.
Il s’agit également de favoriser le développement de certaines pratiques permettant de mieux répondre aux besoins des Mahorais. Au regard des problèmes de transport et des carences de l’offre de soins à Mayotte, le développement de la téléconsultation, apparaît une piste prometteuse, d’ailleurs préconisée par la CSSM, qui propose de relever significativement à Mayotte le seuil réglementaire maximal d’actes réalisés en téléconsultation ([82]). Plus globalement, l’ensemble des acteurs du système de soins sont appelés à se saisir des outils numériques de suivi des patients, y compris les médecins libéraux, dont certains n’utiliseraient pas d’ordinateur.
b. Restructurer le dispositif d’Evasan pour en améliorer le fonctionnement
Alors que la consolidation de l’offre de soins ne permettra pas de limiter significativement le nombre d’Evasan à court terme, il apparait crucial d’améliorer et de réorganiser ce dispositif. Dans cette perspective, dans la continuité des travaux de la mission « flash » mandatée par l’ARS en lien avec le CHM et la CSSM, qui a identifié dix objectifs clés, il s’agit de travailler sur plusieurs axes :
– un guichet unique facilement identifiable pour l’ensemble des demandes d’Evasan et une transparence accrue vis-à-vis de la population, notamment en ce qui concerne les décisions de la commission médicale, en rappelant à chaque médecin qui formule une demande d’Evasan qu’il est libre de présenter le dossier à la commission et en transmettant la décision motivée au patient ;
– une procédure simplifiée, comprise par les professionnels de santé (libéraux comme hospitaliers) et permettant à la population un accès effectif aux soins ainsi que le plein exercice de ses droits, y compris grâce à des voies de recours adaptées. À cet égard, bien que l’on comprenne aisément la nécessité de prévenir les fraudes, plusieurs témoignages interrogent la pertinence d’ajouter l’avis du médecin-conseil de la CSSM à celui formulé déjà formulé en amont par un médecin à Mayotte ;
– un accompagnement renforcé et un dispositif intégré au parcours patient, avec une continuité de l’amont à l’aval grâce à la coopération entre les acteurs hospitaliers et de ville. Il s’agit notamment, comme le suggère la Cimade ([83]), de s’assurer que cette procédure soit comprise par tous, d’éviter la séparation des familles et de mieux accompagner les patients, que ce soit avant, mais aussi pendant et après leur évacuation sanitaire. À cet égard, la rapporteure se félicite de l’action de l’Association mahoraise pour la lutte contre le cancer (Amalca) et se réjouit de la création en 2022 de l’Association des soignants contre le cancer (Asca) qui, grâce au bénévolat des soignants et malgré de très faibles moyens, a notamment pu développer des kits Evasan et de faciliter l’accompagnement. De telles associations doivent être soutenues par les pouvoirs publics et peuvent jouer un rôle majeur, sur le modèle de l’association Inseme ([84]), qui a développé en Corse une action formidable au service des patients et de leurs proches ;
– un dispositif intégré, qui rassemble tous les acteurs concernés et dans lequel chacun se concentre sur son cœur de métier et déployé à travers une organisation coordonnée. Un système d’information unique, commun à l’ensemble des partenaires, doit être créé, ainsi qu’une coopération renforcée avec les services receveurs pour fluidifier la prise en soins des patients de Mayotte.
Aussi, la responsabilité de la prise en charge des transferts sanitaires nécessite d’être réexaminée. Il appartient à l’ARS, dès les prochains mois, de travailler avec le CHM et la CSSM pour restructurer le dispositif et bien différencier deux composantes ([85]) :
En Corse, des carences des services publics palliées par
les formidables actions de l’association Inseme
Inseme est une association créée en 2009 par Laetitia Cucchi-Genovesi face aux grandes difficultés vécues par les patients et leurs accompagnants dans le cadre des évacuations et des transports sanitaires vers le Continent. Au fil des années, l’association est parvenue à développer un ensemble d’actions permettant de compenser les carences des services publics ([86]), particulièrement en matière de prise en charge matérielle et de logistique lors de ces déplacements médicaux contraints. Parmi ces nombreuses actions figurent :
– l’information du public, aujourd’hui assurée notamment grâce à une plateforme d’information comprenant des bureaux d’information et un numéro vert dédié aux départs urgents ;
– la mise à disposition de fonds de soutien destinés à aider les familles à faire face aux frais importants non pris en charge par l’assurance maladie (hébergement, transport des accompagnateurs) ;
– l’acquisition d’appartements à Marseille, Nice et Paris, permettant d’héberger à moindre coût les accompagnants des patients hospitalisés, qu’elle parvient à acheter grâce aux dons ;
– la mise en place d’un réseau de solidarité, comprenant entre autres plusieurs centaines d’accompagnateurs bénévoles ;
– des partenariats avec les aéroports et les compagnies aériennes et maritimes, prévoyant la formation des agents de façon à préserver la dignité des patients, des salles d’attente spécifiques, ou encore l’instruction de dossiers par l’association pour permettre au patient de bénéficier du tarif résident ;
– un dispositif d’accompagnement juridique grâce à un avocat bénévole.
L’association, désormais reconnue d’utilité publique ([87]), se fonde d’abord sur des soutiens financiers privés issus de la solidarité de la population corse et du mécénat d’entreprises implantées sur le territoire puis, dans une moindre mesure, sur le soutien d’acteurs publics. Agréée par l’ARS afin de représenter les intérêts des usagers de santé, l’association est parvenue, par la pression exercée sur les pouvoirs publics, à rendre public le nombre annuel de déplacements sur le continent pour raisons médicales – soit 26 000 environ – et à faire mentionner ceux-ci dans le PRS de Corse. Sa présidente souligne la nécessité de prouver sa crédibilité puis d’instaurer un rapport de force pour progressivement faire bouger les lignes. Elle constate que, comme à Mayotte, la règle du « bord à bord » prévoyant la prise en charge dans le lieu le plus proche pose des difficultés pour les familles.
En 2023, l’association, qui a agi en faveur de 1 319 personnes, dispose de neuf appartements sur le Continent ([88]). Elle compte six salariés. Elle a pu bénéficier de 2 500 heures de bénévolat et lever près de 325 000 euros grâce à 914 actions de solidarité.
– les évacuations sanitaires à proprement parler, c’est-à-dire revêtant un caractère d’urgence, qui doivent continuer à être assurées par le CHM avec un vecteur aérien dédié ;
– les rapatriements sanitaires (« Rapasan ») et les transports sanitaires, qui concernent des soins programmés et qui peuvent être assurés grâce à des vols commerciaux sur le modèle pratiqué dans d’autres territoires tels que la Corse. Ces Rapasan, qui représentent la majeure partie de ce qui est inclus aujourd’hui sous le terme générique « Evasan », doivent être assurés par un bureau dédié de la CSSM ([89]), déchargeant d’autant le CHM. Cette gestion doit inclure une astreinte téléphonique, le conventionnement avec des établissements d’accueil et un suivi de la prise en charge.
2. À moyen et long termes, piloter la construction d’une offre de soins robuste pour garantir l’égalité républicaine à Mayotte
Il appartient aux pouvoirs publics de déployer une action permettant, à moyen et long termes, de tendre vers une autonomie des prises en charge sanitaires des patients sur le territoire.
a. Soutenir le centre hospitalier de Mayotte et développer les structures de soins
Cela suppose de pérenniser et consolider l’offre de soins proposée par le CHM, qui doit être organisé pour proposer une activité couvrant la plupart des spécialités ainsi que des soins non programmés.
Il s’agit ainsi d’accompagner le CHM dans sa restructuration engagée sur la période 2023-2026, afin de mieux répondre aux besoins de la population et aux conditions de travail des professionnels de santé, en définissant de nouveaux parcours et filières de soins. Alors que les travaux doivent commencer au début de l’année 2025, l’établissement verra ses capacités d’hospitalisation augmentées en néonatalogie, en obstétrique ou encore en soins critiques. Le service d’accueil des urgences sera redimensionné avec des filières de prise en charge identifiées pour les adultes et les enfants ainsi qu’en santé mentale. Des nouvelles filières en cardiologie et en dialyse feront l’objet de partenariats. Alors que les soins psychiatriques restent quasiment inexistants à Mayotte, le secteur de la psychiatrie serait profondément modifié et renforcé avec l’ouverture d’un bâtiment dédié permettant de dispenser des consultations spécialisées programmées.
À plus long terme, il s’agit d’entériner la création du second site hospitalier à Combani et de travailler aux bonnes conditions de mise en œuvre de ce projet. Celui-ci suppose le recrutement de 1 000 nouveaux professionnels de santé d’ici dix ans et, par conséquent, la construction de logements et d’infrastructures permettant de les accueillir. En octobre 2024, la répartition des activités entre les deux sites ayant été arrêtée et le projet médico-soignant validé pour remise à l’ARS, le CHM diligente des études sur la faisabilité et sur le financement du projet.
Il est indispensable que l’État joue pleinement son rôle sur ces deux projets, conformément à la parole du Président de la République. Il est appelé à les suivre au plus près pour garantir les investissements suffisants, coordonner les acteurs et apporter l’expertise nécessaire.
● De la même manière, les bonnes conditions de création des nouveaux établissements médico-sociaux devront être réunies par les pouvoirs publics, alors que l’ARS vient de lancer des appels à projet concernant la construction :
– d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de 80 places, dont 20 places en accueil de jour et 10 places en hébergement temporaire. La Croix-Rouge n’a, par exemple, pas pu se positionner sur ce projet au regard de son coût et des surcoûts spécifiques à Mayotte ;
– d’un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) de 50 places à destination des personnes en situation de handicap.
b. Consolider l’offre de formation pour permettre la mise en place d’une première année de médecine et accroitre les effectifs paramédicaux
Comme le souligne l’ARS dans une contribution, « il apparaît primordial dès à présent [...] d’augmenter significativement les capacités de formation médicales et paramédicales à Mayotte ». Le développement d’une offre de formation à Mayotte doit en effet autoriser les jeunes du territoire à s’engager dans des voies professionnelles d’avenir, mais aussi former des futurs professionnels de santé susceptibles d’exercer de façon pérenne dans l’île.
Le temps n’est plus à l’étude de faisabilité – ces mesures étant discutées depuis des années voire des décennies – mais à l’engagement d’une action publique déterminée de consolidation de l’offre de formation à Mayotte.
● Concernant la formation médicale, l’enjeux principal porte sur la structuration d’une première année de médecine à Mayotte, qui figure parmi les actions prioritaires définies pour 2028 par le PRS ([90]), et qui existe déjà dans tous les autres Drom ainsi qu’en Corse.
Les divergences de vues à ce sujet, particulièrement concernant l’opportunité et la faisabilité à Mayotte d’un parcours d’accès spécifique santé (Pass), semblent très fortes entre, d’une part, le directeur général de l’ARS, le recteur et le président de l’université de Mayotte et, d’autre part, le préfet, les personnels soignants et les représentants associatifs et d’usagers.
Le directeur général de l’ARS considère qu’il serait trop tôt pour ce Pass au regard notamment des capacités mahoraises, du manque de praticiens encadrants et du niveau scolaire. Il entend consacrer son action à un partenariat avec l’université de La Réunion afin de permettre aux candidats mahorais de s’inscrire en classe préparatoire et de bénéficier de places dédiées en études de santé. Dans cette perspective, les échanges de la rapporteure avec la doyenne de l’unité de formation et de recherche (UFR) santé de l’université de La Réunion laissent entrevoir des pistes prometteuses pour les candidats mahorais, qui pourraient :
– s’inscrire à l’année préparatoire au Pass prévue à La Réunion, en suivant des cours suivis en visioconférence ;
– bénéficier de cinq places réservées en Pass à La Réunion ;
– bénéficier de cinq places dans le cadre de procédures passerelle. Ce dispositif permet aux titulaires de certains titres ou diplômes, notamment infirmiers, l’accès direct en deuxième ou troisième année d’une des deux filières de santé proposées à La Réunion (médecine et maïeutique), sans avoir à valider la première année des études de santé ni à passer les épreuves d’accès dites « MMOP » (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie). Il reste toutefois très méconnu à Mayotte, où aucun élève de l’Ifsi ne candidate à ce jour.
Les travaux de la rapporteure soulignent la nécessité de s’engager dans cette voie dès demain en établissant des conventions avec l’université de La Réunion. Cette orientation ne peut toutefois être suffisante. Il est possible et nécessaire pour les autorités publiques d’aller plus loin et de travailler avec tous les acteurs pour ouvrir, à Mayotte même :
– une classe préparatoire publique dès l’an prochain, comprenant un internat et des logements relevant du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Comme le soulignent le rectorat et l’université de Mayotte, l’accompagnement des préparationnaires sera un enjeu clef. Il s’agit de créer des conditions matérielles favorisant leur réussite. Or, s’il existe un Crous commun à La Réunion et Mayotte ([91]), celui-ci est basé à La Réunion où est située la totalité des logements proposés ;
– un Pass, sur le modèle existant dans les autres Drom. Il n’y a aucune raison de douter de la capacité de Mayotte à produire d’excellents étudiants puisque certains parviennent déjà à suivre des études de médecine. Cette perspective doit être explorée au plus tôt grâce à des moyens adaptés, les cours pouvant être dispensés de manière hybride sur le modèle guyanais ([92]) et les étudiants passer un concours spécifique. Sur le modèle corse, des professeurs pourraient être reçus à Mayotte pour dispenser la formation en première année.
Cette voie accroîtrait le nombre d’étudiants formés en médecine et, à terme, les praticiens exerçant sur l’île. Certes, les étudiants qui réussiraient cette première année devraient toujours, au moins dans un premier temps, poursuivre leurs études au loin. Mais, ayant effectué cette première année, ayant bénéficié de conventions, suivi des stages et reçu des incitations au retour, ils ne manqueraient pas de revenir. Quant à ceux qui échouent, il leur serait possible d’évoluer vers une autre formation à Mayotte, par exemple à l’Institut des études de santé (IES).
Dans la perspective d’une première année de médecine à Mayotte,
l’exemple corse est particulièrement instructif
La Corse, dont la population est proche de celle de Mayotte et qui est encore, elle aussi, dépourvue de CHU, était confrontée aux mêmes doutes lors de la création d’une première année de médecine en 2004.
L’Institut universitaire de santé (IUS), basé à Corte et rattaché à l’université de Corse, propose aujourd’hui à environ 160 étudiants un Pass et à près de 50 étudiants une LAS reposant sur la mention sciences de la vie,. Ces étudiants, souvent boursiers, résident à Corte et peuvent bénéficier de logements du Crous. Ils sont vivement encouragés à suivre les cours en présentiel. Ils bénéficient d’un système de tutorat avec un enseignant et de parrainages avec d’anciens étudiants. Le corps enseignant est pour moitié composé de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) en provenance du Continent, dont le transport est pris en charge intégralement, pour l’enseignement des matières les plus médicales.
Les étudiants poursuivent ensuite leur formation dans les universités partenaires à Marseille, Nice et Paris grâce à des conventions qui leur ouvrent près de 60 places dans le contingent prévu par le numerus apertus de ces partenaires pour les filières médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie (MMOPK). Même en l’absence de CHU, des financements et des conventions existent pour assurer la présence de maîtres de stage universitaires (MSU) dans les centres hospitaliers de Corse, ce qui autorise les étudiants à y effectuer des stages d’internat.
Vingt ans après la création de cette formation, le retour d’expérience est si favorable que sera prochainement ouvert un premier cycle entier, comprenant les deuxième et troisième années également. Les enseignements de cette expérience sont, dans la perspective de la création d’un Pass à Mayotte, particulièrement précieux :
– le dispositif a eu un effet multiplicateur important sur le nombre d’étudiants corses formés dans ces filières. Il a notamment facilité la prise en charge par les familles d’une première année particulièrement intense et concurrentielle ;
– les acteurs sont unanimes : le niveau des étudiants corses n’est pas inférieur à celui de leurs camarades durant la poursuite d’études. Ils ne souffrent pas de problèmes d’intégration particuliers ;
– le taux d’installation en Corse des médecins ayant suivi ce dispositif est important pour les médecins généralistes (59 % à 70 % selon les sources) ;
– si l’université a été motrice dans la création de ce dispositif, elle a pu compter sur le soutien de l’État et de la Collectivité de Corse. Une convention tripartite a défini dès son article 1er l’ambition portée. La Collectivité offre des bourses aux étudiants admis à poursuivre leurs études sur le continent.
Il s’agira toutefois d’établir des partenariats avec plusieurs facultés, et non pas avec la seule université de La Réunion. Elle a le mérite d’être proche et elle proposera prochainement une formation comprenant également l’intégralité du deuxième cycle ([93]). Mais elle reste caractérisée par des capacités limitées, qu’il s’agisse des places disponibles ou du nombre d’enseignants hospitalo-universitaires.
● Concernant la formation paramédicale, il s’agit de consolider l’offre actuelle et de clarifier son financement.
Dans cette perspective, le projet de création d’un second Ifsi est déterminant. Il doit faire l’objet d’un accompagnement et d’un soutien renforcé des pouvoirs publics. Confié à la Croix-Rouge, ce projet, dont le coût s’élève à 4,8 millions d’euros, comprendra près de 65 élèves par promotion et formera chaque année 150 infirmiers à Mayotte, les 85 étudiants issus du CHM ayant vocation à suivre les spécialisations les plus techniques. Si son démarrage est envisagé dès la fin d’année prochaine, il conviendra de résoudre la problématique des terrains de stage, qui suppose de mobiliser des partenaires en métropole.
Les capacités de formation de l’IES gagneraient par ailleurs à être étoffées à travers des partenariats élargis à l’image de l’ouverture à la rentrée 2024 d’une formation d’infirmier de bloc opératoire diplômé d’État (Ibode) bénéficiant à six étudiants, suite à la signature d’une convention avec le CHU de Nantes, et du conventionnement avec l’Ifsi du Havre prévu pour la rentrée 2024.
Se pose par ailleurs la question du modèle de financement de la formation paramédicale à Mayotte alors que l’Ifsi est aujourd’hui intégré au CHM, ce qui excède ses missions et fait reposer sur lui une forte charge financière. Si les compétences relatives aux formations sont exercées par le conseil départemental dans sa pleine compétence régionale, il apparaît nécessaire que l’État puisse venir en appui pour un développement rapide de l’offre de formation dans les prochaines années.
Des discussions entre l’ARS, le CHM et le conseil départemental doivent être engagées et conduire à l’abondement des financements versés par l’État, et permettre au conseil départemental d’engager une action publique forte pour le développement des compétences des futurs professionnels en fonction des réalités sanitaires et sociales du territoire.
● Toutefois, il ne suffit pas de créer des places de formation sur le territoire. Il faut pouvoir garantir une offre de stages qualifiants en quantité suffisante, ce qui réaffirme la nécessité et l’urgence d’attirer des praticiens et de renforcer les structures du CHM. Dans l’attente, il serait possible de pallier certaines difficultés d’acquisition d’apprentissages essentiels au moyen d’équipements de simulation en santé performants armés d’équipes de formateurs compétents.
Les moyens actuels d’enseignement à distance peuvent également mettre à la disposition des étudiants des supports de qualité que l’offre de formation et de soins actuels peut difficilement concevoir. Ces propositions nécessitent des partenariats avec des établissements de formation, universités et écoles de métropole.
c. Un pilotage rénové et davantage axé sur la prévention primaire
● Le développement d’une politique de santé robuste à moyen et long termes pose inévitablement la question de sa gouvernance, qui suppose un travail en bonne intelligence, la détermination de tous les acteurs, ainsi qu’une ambitieuse politique de prévention. Dans cette perspective, il apparaît nécessaire pour l’ARS de parvenir sans tarder à un stade de maturité tel qu’elle puisse jouer pleinement son rôle et accompagner des améliorations substantielles de la santé publique.
Sans doute plus encore que sur tout autre territoire, l’ARS est amenée à garantir le dialogue et l’engagement de tous les acteurs, sans lesquels aucune politique de santé ne saurait prospérer. Cela suppose, pour limiter le fort taux de rotation qui concerne aussi l’administration des politiques de santé à Mayotte, de développer, à l’ARS particulièrement, une politique de formation et de promotion interne des agents mahorais, de façon à disposer d’un vivier de cadres locaux capables de déployer une action publique dans la durée.
Plus globalement, l’ensemble des pouvoirs publics, y compris à Paris, devront accorder la plus grande vigilance au suivi et à la mise en œuvre du PRS.
● Un pilotage rénové implique, pour les autorités, de disposer d’indicateurs sanitaires et populationnels fiables, qu’il s’agisse de données telles que le recensement, mais aussi d’études épidémiologiques, à l’image d’une étude qui reste à mener sur le cancer à Mayotte. Plus globalement, il est nécessaire de réévaluer les besoins pour adapter les effectifs et les financements en conséquence, par exemple en matière de santé scolaire.
● Aussi, il est urgent de mettre en place une politique de prévention, concernant non pas seulement la prévention secondaire mais aussi, et surtout, la prévention primaire ([94]), qui comprend selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire la survenue ou l’incidence des maladies, des accidents et des handicaps.
À cet égard, le directeur général de l’ARS, durant son audition, s’est engagé à lancer prochainement une campagne sur les risques de la consommation de boissons sucrées. La CSSM, comme toutes les caisses locales, ne peut rester à l’écart de la démarche, qui doit également concerner la prévention en santé sexuelle et reproductive, ni se considérer comme venant seulement en appui de l’ARS. Elle est invitée à engager, aux côtés de l’ARS, des campagnes de prévention ciblées, les initiatives nationales ne répondant pas aux spécificités de Mayotte.
L’ensemble des acteurs locaux doivent contribuer à cette politique et mobiliser tous les outils pertinents. Parmi ceux-ci figure le contrat local de santé (CLS), conclu par les ARS avec les collectivités territoriales et défini par le code de la santé publique ([95]). Le CLS, « garantissant la participation des usagers, notamment celle des personnes en situation de pauvreté, de précarité ou de handicap et, portant sur la promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l’accompagnement médico-social et social », et s’adressant prioritairement aux zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins, apparaît particulièrement pertinent à Mayotte.
La santé communautaire, qui s’appuie sur les communautés au plus près de la population pour promouvoir la santé et la prévention, est un autre levier prometteur, comme l’ont montré les référents communautaires formés contre le choléra. Alors que cet outil permet de faire vivre les CLS, il est resté à l’état de projet, faute d’un suivi et d’une action dans la durée par les directions successives de l’ARS. Dans ce contexte, la Croix-Rouge française, dans une contribution, appelle à investir « massivement dans la prévention, au quotidien, comme en temps de crise, à destination de toute la population et en intégrant le rôle des relais communautaires ».
● Enfin, la mise en place d’une réelle démocratie en santé apparaît une condition nécessaire à la construction d’un système de santé à la hauteur des enjeux du territoire mahorais, et garantissant une meilleure prise en charge des besoins des usagers. Il s’agit notamment de faire mieux connaître les postes de représentants des usagers, et de mieux les associer à l’élaboration de la politique de santé à travers une organisation et un suivi assurés par l’ARS.
d. Mettre véritablement en place l’égalité républicaine à Mayotte
Pour toutes les raisons précédemment évoquées, les Mahorais ne sont pas véritablement égaux à leurs concitoyens français au regard de la protection sociale.
● En matière de soins de santé comme de prestations sociales, des spécificités subsistent à Mayotte par rapport au droit commun et aux règles en vigueur dans les autres Drom, parmi lesquelles l’absence d’aide médicale de l’État (AME) mais aussi :
– l’absence de la protection universelle maladie (Puma) ([96]). Elle est d’autant plus problématique que les jeunes gens qui partent en études ne peuvent avoir de carte vitale avec leur propre droit à la couverture santé, et que la Puma pourrait permettre d’identifier plus précisément les catégories d’assurés pour pouvoir mener des actions de prévention ciblées. Selon les chiffres transmis par la direction de la sécurité sociale (DSS), 233 000 personnes seraient aujourd’hui couvertes par le régime d’assurance maladie obligatoire, soit 73 % de la population mahoraise estimée par l’Insee ([97]) ;
– l’existence d’une seule catégorie d’invalidité à Mayotte au lieu de trois, et l’absence de l’allocation supplémentaire d’invalidité ([98]) ;
– des prestations non alignées sur le régime de droit commun tant en termes de montant qu’en termes de volume, comme l’indique le tableau comparatif des prestations familiales annexé au présent avis ;
– la gratuité totale des soins dispensés aux assurés et aux non assurés à l’hôpital de Mayotte (absence de participation forfaitaire, etc).
● La DSS indique qu’en matière de prestations en espèces, les règles d’ouverture du droit aux indemnités journalières maladie, maternité et paternité et les montants sont globalement identiques à ceux prévus par le droit commun. Des allocations d’accompagnement des proches (allocation journalière d’accompagnement des personnes en fin de vie, allocation journalière du proche aidant) ont par ailleurs été étendues à Mayotte.
Elle souligne que des mesures ont été prises ces dernières années pour favoriser l’accès aux soins de la population, en particulier celle aux ressources modestes :
– exonération du ticket modérateur sous condition de ressources à compter de 2019 ([99]) ;
– ouverture à Mayotte de la complémentaire santé solidaire (CSS) depuis le 1er janvier 2024, avec des règles d’éligibilité identiques à celles des autres Drom. Au 31 août 2024, 76 323 personnes bénéficiaient d’un contrat de CSS actif. Malgré cela, les complémentaires santé restent extrêmement peu développées à Mayotte : 52,7 % des personnes couvertes par la CSSM n’ont pas de complémentaire santé, alors qu’au niveau national seuls 4 % de la population ne sont pas couverts ([100]).
Plusieurs dispositifs de droit commun restent toutefois méconnus voire inappliqués à Mayotte, où ils pourraient pourtant fortement contribuer à la santé publique. C’est le cas du « 100 % santé », institué à partir de 2019 ([101]) et rendu applicable à Mayotte en même temps que la C2S, qui correspond à un panier de soins bénéficiant d’une prise en charge, dans les domaines de l’optique, du dentaire et de l’audiologie, à 100 % par la sécurité sociale et les complémentaires en santé.
Il en va de même du dispositif du médecin traitant : sur les 110 000 assurés de la CSSM, seuls 18 000 environ ont un médecin traitant, soit 16 % ([102]).
● Dans ce contexte, l’amélioration de la couverture maladie et de la protection sociale à Mayotte doit être une priorité.
Cela suppose de déployer davantage les dispositifs « d’aller-vers » afin de renforcer l’accès aux droits et de lutter contre le renoncement aux soins liés aux difficultés de mobilité. À cet égard, la Croix-Rouge déploie en lien avec l’ARS une « plateforme santé précarité », qui offre une prise en charge sanitaire et sociale aux personnes en situation de très grande précarité : elle plaide également pour des dispositifs tels que celui qu’elle porte pour des consultations médicales gratuites en Guyane grâce à un financement de l’ARS locale par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (Cpom), ou le bus dépistage santé qu’elle a ouvert en Guadeloupe. Elle souligne que d’autres dispositifs comme les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) dispenseraient des consultations gratuites aux personnes en situation de précarité et les accompagneraient dans leurs démarches ([103]).
Cela suppose également une réflexion globale sur l’opportunité de poursuivre le processus de convergence entre le droit applicable à Mayotte et le droit commun, notamment en matière d’assurance maladie, et d’appliquer ainsi pleinement le code de la sécurité sociale à Mayotte.
Une telle réflexion devra enfin porter sur la place de la sécurité sociale et sur le positionnement de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), caisse multibranche créée en 2004. D’une part, comme le souligne son président, « la sécurité sociale ne permet pas aujourd’hui d’intégrer l’ensemble de la population », ses structures étant dimensionnées vis-à-vis des seules personnes en situation régulière. D’autre part, la caisse n’assure toujours pas la gestion de la mutualité sociale agricole (MSA), déléguée à la MSA Armorique ; il s’agirait de construire une caisse de sécurité sociale couvrant l’ensemble des branches et disposant d’une gouvernance locale, en cohérence avec le modèle suivi pour les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) des autres Drom.
e. Des mesures qui doivent s’inscrire dans une action publique plus large
Toutes les mesures précédemment évoquées ne pourront produire d’effets substantiels et durables que si elles s’intègrent dans une action publique plus large et transversale.
● Les politiques d’amélioration de la santé publique et d’attractivité ne peuvent porter sur la seule offre de soins. Elles supposent une cohérence globale de l’action publique. Cela suppose ainsi des adaptations de la politique fiscale et notamment de l’octroi de mer, qui pèse fortement sur le coût des produits transportés à Mayotte, y compris lorsqu’ils ont un usage sanitaire. Par exemple, concernant l’activité de santé sexuelle reproductive (SSR), cette taxe est appliquée sur les préservatifs distribués aux partenaires par la Croix-Rouge pour le compte de l’ARS, dont elle renchérit le coût de près de 24 % ([104]). Il est, dès lors, nécessaire de réformer l’octroi de mer en veillant à compenser son produit, aujourd’hui affecté aux collectivités, par un financement du même montant.
Bien plus, un travail colossal d’amélioration des infrastructures est nécessaire pour améliorer le réseau routier et les transports, l’hygiène et la salubrité à travers l’accès à l’eau et une ambitieuse politique du logement.
● De la même manière, la politique éducative doit être massivement soutenue pour dispenser à tous une formation de qualité dans des conditions matérielles similaires au reste du territoire national. La restauration scolaire, qui est un outil d’intégration mais peut être aussi un outil de prévention, et qui fournit souvent le seul repas du jour à l’élève, apparaît cruciale. Plus globalement, c’est toute la politique de formation à Mayotte qu’il convient de soutenir à travers un plan d’investissement et des moyens renforcés dans les lycées également, alors que les réseaux d’éducation prioritaire REP et REP+ définis au niveau national ne visent aujourd’hui que les écoles et les collèges. D’autres enjeux qui semblent mineurs, comme la disponibilité d’eau et de savon dans les établissements, revêtent à Mayotte une portée singulière.
● Il s’agit en outre de travailler sur les enjeux régaliens à l’image des flux migratoires et des enjeux sécuritaires, comme le souligne le député Yoann Gillet dans l’avis budgétaire remis au nom de la commission des lois sur la mission Outre-mer du projet de loi de finances pour 2025 ([105]). La maîtrise du solde migratoire et particulièrement de l’immigration, notamment irrégulière, ainsi que l’usage des outils régaliens pour préserver l’ordre public, sont des enjeux décisifs pour la stabilité de la société mahoraise comme pour la soutenabilité du système de santé. À cet égard, l’échec de l’opération Wuambushu ([106]) qui, selon le préfet, n’a fait baisser la délinquance que de 4 %, donne une idée de l’ampleur des moyens à déployer.
Dans le même esprit, des mesures sont attendues en matière de sécurité alimentaire et de lutte contre les pesticides. Cela suppose de renforcer la production endogène en construisant une agriculture de qualité sur l’île. Cela implique aussi de prendre des mesures de police sanitaire et commerciale en s’assurant notamment de la bonne application de la loi « Lurel » de 2013, et en intensifiant la répression des ventes de produits agricoles toxiques liés à l’usage intense de pesticides importés clandestinement.
● Dans ce contexte, la rapporteure appelle les autorités nationales, qu’il s’agisse de ses collègues parlementaires ou des membres du Gouvernement, ainsi que les autorités locales, à s’engager pleinement pour améliorer significativement la situation à Mayotte. Alors que bien des mesures peuvent être prises dès maintenant au niveau réglementaire, des projets de loi relatifs à Mayotte, reportés en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, doivent être examinés au premier trimestre 2025 afin de décider des évolutions législatives nécessaires.
Au cours de sa première réunion du mardi 12 novembre 2024, la commission auditionne Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins, sur les crédits de la mission Santé du projet de loi de finances pour 2025 ([107]).
M. le président Frédéric Valletoux. Nous suspendrons tout à l’heure la réunion pour aller voter dans l’hémicycle sur la première partie du projet de loi de finances (PLF).
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. La mission Santé des ministères sociaux est composée de trois programmes. En lien avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les crédits de cette mission sont la traduction budgétaire de notre politique globale de santé et d’accès aux soins, définie dans le cadre de notre stratégie nationale de santé, autour de trois objectifs. Le premier est de poursuivre et d’amplifier nos politiques en faveur de la prévention afin d’améliorer la santé pour tous. Notre société et notre système de santé doivent en effet adopter une vraie culture de la prévention. Le deuxième est de garantir l’accès à des soins de qualité à tous, dans tous les territoires, en poursuivant les investissements engagés, en ouvrant de nouveaux droits au service de nos concitoyens et en protégeant l’hôpital, ainsi qu’en améliorant l’organisation de notre système de santé et en favorisant l’attractivité des métiers du soin. Le troisième objectif est d’assurer la sécurité sanitaire et de protéger les Français contre les différents risques, comme les menaces épidémiologiques. Ce sont là des objectifs que le Gouvernement porte depuis 2017 et que nous souhaitons poursuivre et accentuer en 2025.
Dans cette perspective, les crédits de la mission Santé pour 2025 s’élèvent à 1,64 milliard d’euros. Si une baisse de 40 % en crédits de paiement est constatée par rapport à 2024, elle ne s’explique pas par une moindre ambition : elle résulte, pour l’essentiel, de l’évolution de la chronique des paiements réalisés au titre du programme 379, programme budgétaire temporaire qui permet le reversement effectif à la sécurité sociale des crédits européens relevant de la Facilité pour la reprise et la résilience de l’Union européenne. Le plan national de relance et de résilience et sa composante « Ségur investissement » est en voie d’achèvement. Le programme 379 est logiquement en force diminution pour 2025.
De même, le dispositif transitoire de compensation pour la branche maladie de la perte de recettes générées par la baisse d’un point de cotisations au titre de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales n’a pas été reconduit en 2025. En effet, le niveau de cotisation pour la branche maladie étant revenu au niveau de 2023, cette compensation n’est plus nécessaire.
Au cours du débat, le Gouvernement nous soumettra, comme il s’y est engagé, des amendements visant à diminuer les crédits de 5 milliards d’euros par rapport au projet de loi finances initial. Il s’agit d’un effort transverse et global et, à ce titre, les crédits du programme 379 seront diminués de 40 millions d’euros. Cette baisse ne signifiera néanmoins pas que nous allons arrêter de financer le Ségur investissement : nous serons au rendez-vous. Les remboursements à la sécurité sociale au titre du programme 379 seront simplement lissés par rapport à la prévision initiale. Cette décision a été prise en responsabilité.
J’en viens aux crédits des programmes 204 et 183.
Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins, se voit affecter près de 221 millions d’euros de crédits de paiement. Cette diminution de 18 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 découle pour l’essentiel, comme c’est le cas pour le programme 379, d’une dynamique tendancielle de la dépense, avec en particulier l’appel à projets « Réserve européenne de ressources » (RescEU), dispositif important visant à constituer des stocks au niveau européen en cas de crise, afin de pouvoir nous prémunir et agir contre les risques nucléaires, radiologique, biologique et chimique. Un nouvel appel à projets, lancé en 2024, s’est traduit par un besoin de plus de 40 millions. En 2025, deuxième année du projet, le besoin est mécaniquement moindre que l’année précédente.
Hors dynamique tendancielle de la dépense, le Gouvernement procédera également à une baisse de 10 millions d’euros par amendements sur le programme 204 : c’est le pendant de l’effort de 40 millions réalisé sur le programme 379. Au total, la mission Santé contribuera à hauteur de 50 millions à la réduction supplémentaire de 5 milliards de dépenses. Je le répète, la situation de nos finances publiques implique un effort collectif. Je serai toutefois très attentive à ce que cela ne nous fasse pas revoir nos ambitions à la baisse. Notre système de santé l’exige.
L’action financée par ce programme budgétaire 204 se caractérise par la poursuite de la recherche d’efficacité et d’efficience, avec en ligne de mire notre volonté de poursuivre et d’amplifier nos politiques en faveur de la prévention, tout en ciblant toujours mieux l’action publique en fonction des besoins. C’est un impératif de santé publique, pour répondre aux enjeux démographiques et épidémiologiques auxquels nous faisons face. Pour répondre à cette préoccupation première des Français, nous concentrons nos efforts, dans le cadre de ce programme, sur quatre grands objectifs.
Le premier est de continuer à renforcer la prévention et le repérage à toutes les échelles et dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’accès aux soins, de la psychiatrie ou des associations. Dans ce cadre, une attention particulière sera apportée au pilotage et à la coordination du niveau des agences, de l’Institut national du cancer (Inca) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Deuxième objectif : nous poursuivrons la promotion de la recherche et la mobilisation des connaissances scientifiques pour une meilleure politique de santé publique. Les appels à projets de recherche en santé publique sont particulièrement ciblés sur la prévention, sur les services de santé de proximité et sur la performance des parcours de santé. Une meilleure utilisation des bases de données existantes devra permettre d’élaborer des programmes et actions de prévention plus ciblés.
Sensibiliser différemment en fonction des publics et en portant des messages adaptés pour renforcer les actions de prévention : tel est notre objectif. Un exemple concret est celui de la vaccination, qui est l’un des meilleurs outils de la prévention. Les taux de vaccination en France restent encore insuffisants. La faible adhésion aux campagnes de vaccination peut s’expliquer en partie par de fausses croyances et en partie aussi, semble-t-il, par de la lassitude dans cette période de post‑covid. Nous devons agir pour accompagner les Français afin qu’ils se fassent vacciner dès le plus jeune âge, car les inégalités de santé s’ancrent au moment de l’enfance.
Troisième objectif : afin d’améliorer la gestion des crises sanitaires et des situations d’urgence, nous renforçons les actions visant l’anticipation des risques, la prévention et la lutte contre les vecteurs de maladie. La poursuite de cet objectif est très concrète : les doctrines sanitaires de préparation et d’intervention seront adaptées, la formation des agents sera renforcée et la réalisation d’exercices de crise se verra donner un caractère prioritaire. Une attention particulière s’attachera aux systèmes d’information dédiés à la veille et à la sécurité sanitaire ; une attention particulière sera attachée à leur développement et à leur maintenance en condition opérationnelle. L’expérience du covid a montré la nécessité de cette adaptation permanente des agents et des outils à la crise, afin de faire face le moment venu.
Quatrième et dernier objectif : nous poursuivons la démarche de territorialisation de l’organisation des soins et des parcours, pour moderniser l’offre de soins. Nous continuons à soutenir la permanence de soins ambulatoires dans tous nos territoires, car c’est un enjeu majeur pour nos concitoyens que de pouvoir obtenir une réponse à leurs besoins de santé, en soutenant notamment les associations qui soutiennent cette permanence de soins. Une attention particulière sera apportée aux outre-mer, en particulier l’agence de santé de Wallis‑et‑Futuna, bénéficiaire de crédits issus du Ségur de la santé.
Au total, l’action conduite dans le cadre du programme 204 doit se lire dans le prolongement de celle qui est déclinée dans le cadre PLFSS, et en complémentarité avec elle. Le déploiement du service d’accès aux soins, qui couvre désormais 94 % de la population, sera poursuivi afin de répondre aux besoins de soins non programmés. Le maillage des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), véritable outil d’exercices coordonnés, continue de s’étendre et nous en poursuivrons le développement dans les zones qui n’en sont pas encore pourvues.
Au même titre que la prévention, dont j’ai déjà martelé l’importance durant nos échanges sur le PLFSS, on peut marteler aussi l’importance du besoin de l’accès aux soins dans tous nos territoires, en priorité dans ceux qui sont en déprise. Les financements permis par le programme 204 participent à la poursuite de cette stratégie.
Le programme 183 permet d’assurer la protection face à la maladie dans des situations relevant de la solidarité nationale, en complément des politiques de sécurité sociale. Il finance principalement l’aide médicale de l’État (AME), destinée aux personnes démunies en situation irrégulière ne pouvant accéder la protection universelle maladie. Les crédits de ce programme s’élèvent à près de 1,3 milliard d’euros en crédits de paiement.
Comme l’a indiqué le Premier ministre, les dépenses de l’AME doivent être maîtrisées. Le Gouvernement et le Parlement prendront toutes les dispositions nécessaires pour que ces dépenses ne progressent pas. Toutefois, l’AME, outre qu’elle est un dispositif bien géré et bien contrôlé, a une utilité sanitaire réelle. Elle répond à des objectifs de santé et de salubrité publiques et permet de limiter la propagation des maladies. Sa suppression aggraverait encore davantage la pression sur les services d’urgence. Comme l’a souligné récemment le rapport de MM. Claude Évin et Patrick Stefanini, très riche d’enseignements, l’AME est un dispositif de santé publique, qui doit continuer à vivre mais qui peut être adapté. Sans remettre en cause les principes essentiels de ce dispositif, nous envisagerons, bien sûr, de continuer à l’améliorer et à l’adapter.
Par ailleurs, sans remettre en cause son utilité incontestable pour la santé publique, nous souhaitons, en toute logique, une maîtrise des dépenses de l’AME, comme nous souhaitons c’est le cas pour toutes nos lignes budgétaires et toutes nos politiques. Nous prendrons en ce sens toutes les dispositions pour tendre vers une stabilité des dépenses entre 2004 et 2025. Il est évident que, dans le contexte actuel d’efforts dans tous les domaines pour maîtriser nos dépenses, il n’y a pas de logique à ce que l’AME fasse exception.
Je rappelle du reste que l’AME est déjà l’argent public le mieux contrôlé de la République. Nous continuerons nos efforts en matière de contrôle, que ce soit lors de l’attribution des droits ou a posteriori, pour améliorer l’efficacité de notre politique de lutte contre la fraude.
En un mot, la mission Santé mise sur la prévention, la poursuite de la sécurité sanitaire et l’organisation d’une offre de soins de qualité pour tous et partout.
Mme Anchya Bamana, rapporteure pour avis. J’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui mon avis sur la mission Santé du projet de loi de finances pour 2025. Ce travail m’a conduite à examiner de près les crédits de cette mission, mais également, à m’intéresser aux dramatiques inégalités de santé qui touchent Mayotte. Élue de ce département, je suis particulièrement investie dans cet effort pour porter la voix des Mahorais, qui subissent une crise sanitaire et sociale d’une ampleur inédite en France.
J’ai voulu donner la parole à toutes les parties prenantes et j’ai conduit pendant deux mois des dizaines d’auditions à l’Assemblée nationale, avec les agences régionales de santé (ARS) des Antilles-Guyane, à La Réunion, à Mayotte, puis en Corse, afin de donner une dimension comparative à mon propos et d’évaluer quels dispositifs pourraient être importés et adaptés à Mayotte.
Les crédits de la mission Santé présentés par le Gouvernement pour 2025 s’élèvent à 1,6 milliard d’euros. Ces crédits, qui portent sur une thématique relevant très largement du PLFSS, sont en grande partie liés à l’AME. Ce dispositif, destiné à financer les soins pour des personnes en situation irrégulière, concentre la quasi-totalité des crédits du programme 183 sur la protection maladie. La baisse significative de près de 40 % des crédits de la mission Santé par rapport à 2024 trouve donc avant tout son explication dans la quasi-extinction des crédits du programme 379, qui était un programme temporaire ajouté lors de la crise sanitaire. Elle ne doit pas masquer la hausse notable des crédits liés à l’AME, supérieurs de 9 % à ceux qui étaient prévus en 2024, soit un écart à la hausse de 111 millions. Le nombre de bénéficiaires de l’AME de droit commun atteint 457 000 au 31 décembre 2023, soit une hausse de 11 % entre 2022 et 2023. Ce nombre a plus que doublé en vingt ans.
Cette hausse tendancielle de la dépense appelle une réflexion et il est de notre devoir d’examiner l’efficience de ce dispositif. Il apparaît absolument indispensable de réformer l’AME, dont la vocation et la destination ont été largement dévoyées, afin de revenir à la philosophie d’origine de cette aide, qui avait pour but d’apporter uniquement des soins à caractère urgent et de lutter contre les maladies contagieuses importées, dans un souci de protection des Français et de la santé publique nationale. L’objectif n’est certainement pas d’arrêter toute forme de soins, mais de réduire le panier de soins au strict minimum.
À ce propos je poserai deux questions à Mme la ministre.
Premièrement, je rappelle qu’en janvier 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé une réforme de l’AME par voie réglementaire avant l’été 2024, sur le fondement des propositions du rapport Évin-Stefanini. Aucun texte n’a toutefois été publié à ce jour : où en est cette réforme et en quoi consistera-t-elle ?
Deuxièmement, votre collègue Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, a annoncé que les crédits consacrés à l’AME dans le cadre de ce PLF seraient finalement gelés. Nous voyons tous les dissensions qui se manifestent entre vous mais, alors que le Gouvernement devait déposer un amendement dans le cadre de l’examen de la présente mission, nous ne voyons toujours rien : où est cet amendement censé geler les dépenses de l’AME ?
J’en viens à la seconde partie de mon rapport, portant spécifiquement sur les inégalités de santé à Mayotte.
Ce département souffre, je le répète, d’une situation exceptionnellement dégradée, sans comparaison avec celle de tout autre département, malgré l’ampleur des déserts médicaux dans notre pays. Bouleversée par une croissance démographique, alimentée par une immigration irrégulière massive et incontrôlée, qui pourrait conduire au doublement de la population de l’île d’ici 2050, la société mahoraise, ainsi que son système de santé et ses institutions, qui n’ont jamais été calibrés pour faire face à une telle situation, se trouvent au bord de l’effondrement. Le taux de pauvreté y est de 77 % et cette précarité extrême a un impact direct sur l’état de santé des habitants. À Mayotte, 70 % de la population vivent dans un habitat insalubre et 25 % des foyers ne sont pas raccordés à l’eau potable.
La plupart des indicateurs de santé sont alarmants : l’espérance de vie, par exemple, est de sept à onze ans inférieure à celle de l’Hexagone. Avec 4,5 enfants par femme en 2023, la fécondité reste exceptionnelle et dépasse fortement la moyenne métropolitaine, qui est de 1,68 enfant par femme. Les spécificités démographiques accentuent les besoins de santé dans un territoire où le système sanitaire est structurellement sous-dimensionné. Avec des infrastructures sanitaires dramatiquement insuffisantes, nous ne pouvons même pas parler, à Mayotte, de « désert médical » : nous comptons à peine 260 médecins au total, soit quatre fois moins que la moyenne française, et il y a seulement 30 médecins libéraux sur l’île.
Le système de santé repose presque exclusivement sur le centre hospitalier de Mayotte (CHM), seul établissement de santé de l’île, qui concentre 72 % des soins prodigués et subit une pression extrême, notamment à cause du service des urgences et de la maternité, qui sont submergés par des patients sans couverture sociale, d’autant plus que l’AME n’existe pas à Mayotte. Avec plus de 10 000 naissances par an, Mayotte est la plus grande maternité d’Europe. Le nombre de sages-femmes est pourtant largement insuffisant, surtout lors des périodes de vacances. Il se traduit par un taux d’accouchements hors maternité très préoccupant : c’est le cas de 7 % des naissances, soit vingt fois plus qu’en métropole.
Ainsi, le CHM est en état de crise permanente et des défaillances sont constatées dans tous ses services. Mis sous perfusion avec des contrats courts, la réserve sanitaire ou encore des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), il voit en outre apparaître un mercenariat au détriment des patients et des personnels permanents, dont je salue l’engagement. Au CHM, le taux de rotation est alarmant et dépasse les 220 % en 2023 pour les personnels médicaux.
Dans ce contexte, le Gouvernement a eu la regrettable idée, en début d’année, de supprimer l’indemnité particulière d’exercice (IPE), prime spécifique dont bénéficiaient les praticiens hospitaliers pour compenser leurs conditions de vie et de travail. De nombreux praticiens, ayant le sentiment d’être poussés vers la sortie, ont depuis lors donné leur démission.
Par ailleurs, le CHM n’est pas financé par la tarification à l’activité, mais par une dotation annuelle fixe qui ne permet pas du tout de répondre aux besoins. Ainsi, l’hôpital connaissait en 2023 un déficit de plus de 22 millions d’euros.
Pour compenser les carences de l’offre de soins, le recours aux évacuations sanitaires (Evasan) est devenu un mode de prise en charge normal à Mayotte, bien au‑delà de ce qui est acceptable. En 2023, près de 1 800 patients, dont de nombreux enfants et 40 % de personnes en situation irrégulière, ont été évacués vers La Réunion. Ces évacuations dépendent d’une commission opaque, dont les décisions sont mal comprises par les usagers. La Cimade décrit ainsi « une procédure source d’angoisses et d’arrachement » et le « piétinement des liens familiaux et de l’intérêt des enfants », ce qui crée des « souffrances psychologiques et sociales graves ».
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ne peuvent rester inactifs. Comme le souligne l’un des témoignages que j’ai recueillis, « nous sommes face à une situation catastrophique qui nécessite des mesures urgentes. Nous voyons nos services s’effondrer, et tout le travail fait est en train de disparaître. »
L’État doit prendre enfin la pleine mesure de cette situation : il est impensable que nous ne répondions pas de manière forte et rapide à cette crise. À Mayotte, le droit à la santé n’est pas respecté et la France ne peut pas tolérer une telle disparité au sein même de ses territoires. Je formule donc plusieurs recommandations.
À court terme, les moyens matériels et humains supplémentaires sont une priorité absolue pour mieux répondre aux besoins. Il est en effet impératif de mettre en place un choc d’attractivité pour encourager les praticiens à s’installer durablement à Mayotte.
La réintroduction de l’indemnité particulière d’exercice est cruciale. Elle doit être complétée dès demain par des mesures telles que, pour les professionnels de santé libéraux, la création d’une zone franche couvrant tout le territoire mahorais, comme c’est le cas dans les autres départements et régions d’outre-mer.
L’amélioration du parcours patient et la restructuration des Evasan sont tout aussi indispensables pour mieux répondre aux besoins des Mahorais. Il faut rendre à ce dispositif sa vocation initiale de solution exceptionnelle, en mettant à contribution la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, comme cela est prévu réglementairement.
À moyen et long terme, il s’agit, en faisant émerger un vivier de cadres locaux, de piloter la construction d’une offre de soins robuste, ce qui demande d’agir sur plusieurs leviers.
Il est également nécessaire de développer la filière de formation locale. Cela suppose de renforcer la formation paramédicale, mais aussi de mettre en place une première année de médecine dans le cadre du parcours d’accès spécifique santé. L’exemple corse montre bien que cette voie est possible à Mayotte, dès lors qu’elle est soutenue par les pouvoirs publics, qu’elle s’appuie sur des partenariats robustes et que les étudiants peuvent bénéficier d’aides et de logements du centre régional des œuvres universitaires et scolaires, qui n’existent toujours pas à Mayotte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des porte‑parole des groupes.
M. Thierry Frappé (RN). Ma question portera sur la suppression, demandée par notre mouvement depuis de nombreuses années, de l’AME. À la suite des élections législatives de juin et juillet dernier, les Français ont fait savoir que la question migratoire était centrale pour eux. Nous nous félicitons qu’un gouvernement entende enfin cette proposition.
Le rapport de Mme Bamana met en évidence la dernière analyse de la direction de la sécurité sociale, nous permettant d’analyser clairement l’augmentation des dépenses de l’AME au cours des dernières décennies. En 2023, elle a concerné 456 689 bénéficiaires de droit commun, ce qui s’est traduit par une augmentation de 11 % en un an et un doublement depuis 2003. Nous sommes loin d’une analyse stable et d’une perspective précise. En effet, la croissance du nombre de bénéficiaires de l’AME s’accélère, tout comme les coûts associés.
L’augmentation du budget alloué à ce dispositif est donc inéluctable, comme le démontre la hausse constatée en 2024, atteignant 72 millions d’euros et portant le montant total des dépenses d’AME à 1 210 millions d’euros, soit 1,2 milliard par an.
L’AME présente en outre un important problème de gestion : dix caisses primaires d’assurance maladie (Cpam) représentent 63 % de la dépense totale, dont la Cpam de Paris qui, à elle seule, englobe 20 % des dépenses, celle de Bobigny, qui compte pour 10 %, et celle de Cayenne, pour 8 %.
Cette répartition inégale des charges pèse lourdement sur les infrastructures sanitaires de certaines zones et sur leur capacité à répondre aux besoins de la population. Il faut également souligner la progression constante de la dépense moyenne par personne : elle a atteint 1 % en 2023 pour les produits de santé, 2,3 % pour les soins de ville et 0,6 % pour les prestations hospitalières. Cette dérive se poursuivra si aucune correction n’est envisagée. Nous entendons les inquiétudes des professionnels de santé, mais supprimer l’AME ne signifie pas négliger les questions de santé publique, bien au contraire. Nous appelons à une prise de responsabilité pour recentrer les ressources et préserver un système de santé solidaire envers ceux qui en ont le plus besoin. Nous ne pourrons pas indéfiniment dédier plus de 1 milliard d’euros à ce dispositif : la priorité doit être donnée à la protection sociale de nos concitoyens, d’autant que la pression sur les finances publiques et les défis économiques actuels imposent de faire des choix rationnels et justes. Comment pouvez-vous expliquer à nos concitoyens qu’il faut faire un effort sur le budget national, alors que vous ne cessez d’augmenter le budget alloué aux étrangers en situation irrégulière ? Comment le justifier auprès de nos concitoyens, eux qui ne peuvent ni consulter un médecin ni accéder à des soins auxquels les étrangers en situation irrégulière peuvent prétendre ? Il convient de revoir l’AME et de réduire son panier de soins au strict minimum.
Vous dites vouloir réformer les conditions d’accès à l’AME, mais dans quel délai ? Il est temps de la supprimer pour créer un nouveau dispositif essentiel au maintien de la vie des étrangers en situation régulière. La suppression du dispositif actuel permettrait de réorienter des moyens financiers vers des priorités de santé publique, de solidarité nationale et de soutien aux infrastructures médicales locales.
M. Michel Lauzzana (EPR). À 1,6 milliard d’euros, les crédits de la mission Santé du PLF 2025 connaissent une baisse significative qui tient essentiellement au programme 379, c’est‑à‑dire aux mesures temporaires de soutien s’inscrivant dans le plan de relance post‑covid.
Par ailleurs, le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins suit les grandes lignes de la future stratégie nationale de santé, dont les priorités sont les suivantes : renforcer la prévention et la sécurité sanitaire, améliorer la gestion des crises sanitaires et des urgences, moderniser l’offre de soins pour assurer un meilleur accès à la santé. Ses crédits diminuent, et notre groupe restera vigilant quant au suivi des objectifs – je pense notamment au déploiement d’une véritable politique de prévention dans l’ensemble du territoire.
La prévention, en particulier contre le cancer, doit être la feuille de route de votre ministère. Investir dans la prévention, c’est non seulement investir pour l’avenir, mais aussi alléger la charge qui pèse sur notre système de soins. J’en profite pour saluer votre décision, madame la ministre, d’interdire les sachets de nicotine prisés par les jeunes, porte d’entrée vers la dépendance tabagique aux conséquences sanitaires potentiellement graves – j’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
J’en viens au programme 183 Protection maladie, qui inclut l’ALE À ce sujet, notre groupe est clair : nous nous fondons en particulier sur le rapport Stefanini‑Évin de 2023, qui conclut que l’AME est utile, maîtrisée pour l’essentiel mais exposée à l’augmentation récente du nombre de bénéficiaires. Nous ne sommes aucunement favorables à sa suppression ni à son remplacement par une aide d’urgence, mais nous pourrons être attentifs à certaines propositions, concernant par exemple son périmètre. En conséquence, notre groupe votera les crédits de la mission Santé.
Permettez-moi enfin de vous poser deux questions.
La médecine nucléaire est en pleine mutation et effectue des avancées significatives dans le traitement de certains cancers. Or les services qui la pratiquent manquent de moyens et de matériel. Quelles actions concrètes le Gouvernement envisage-t-il de mener pour soutenir le développement de cette nouvelle technique de lutte contre le cancer ? Un rapport gouvernemental sur le sujet serait bienvenu.
La prévention est par ailleurs un pilier essentiel de la stratégie nationale de santé. Quelles mesures phares comptez-vous lancer afin de la renforcer, notamment en matière de dépistage précoce, de sensibilisation aux risques évitables et de réduction des inégalités de santé ?
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Je commencerai par vous souhaiter bon courage, madame la ministre, pour mettre notre système de santé en état de fonctionnement ! Après sept années de Macronie, le constat est sans appel : notre modèle de santé publique est à bout de souffle. Les hôpitaux ont perdu plus de 43 000 lits en dix ans ; le nombre de médecins généralistes a baissé de 11 % en moyenne, et encore davantage dans les déserts médicaux ; plus de 31 % des professionnels de santé se disent épuisés. Vous avez été désavouée, puisque votre propre majorité a rejeté le PLFSS à l’unanimité en commission des affaires sociales ; en séance en revanche, nous avons fait adopter le PLFSS du Nouveau Front Populaire avec 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour financer notre modèle social, alors que vous cherchiez 15 milliards. Cela permettra de financer l’hôpital public et d’augmenter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, qui baisse depuis des années – nous défendrons un amendement d’appel en ce sens. Que vous faut-il de plus ?
Le budget de santé de l’État s’effondre, puisque les dépenses chuteront de près de 40 % en 2025. La baisse la plus significative touche les crédits alloués au Ségur de la santé. Pourtant annoncés en grande pompe, les investissements du Ségur sont bien en deçà des besoins et des promesses : sur les 15 milliards d’euros promis, nous n’en sommes qu’à 6 milliards, dont 2 milliards pour le numérique. De qui se moque-t-on ? Nombre de professionnels de santé médico-sociaux et associatifs n’ont pas reçu leur prime Ségur, preuve que malgré les applaudissements durant le covid, les soignants sont encore méprisés. L’hôpital public est particulièrement touché, puisque seuls 95 millions d’investissement lui sont alloués en 2025. Les hôpitaux sont obligés de contractualiser avec les ARS, de sorte que la mainmise de l’État dans les politiques publiques de santé soit renforcée. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux.
Sur une note plus positive, nous constatons que l’idéologie réactionnaire et xénophobe de M. Retailleau et de ses amis d’extrême droite n’a pas encore infecté l’AME. Pilier de la santé publique et de l’équité d’accès aux soins, l’AME est aussi une mesure de bon sens économique : grâce à une prise en charge rapide, elle permet d’éviter que des maladies ne se propagent et que des patients ne se présentent dans un état catastrophique. Les moyens qui lui sont alloués sont néanmoins insuffisants : faute de soignants, des bénéficiaires ont dû attendre plus de neuf mois pour recevoir certains soins. Remettre en cause l’AME, comme le voudrait la grande coalition des xénophobes de la loi « asile et immigration », serait donc à la fois contre‑productif et profondément inhumain. Faut-il rappeler que 49 % des étrangers en situation irrégulière n’y ont même pas recours, et que les fraudes à ce dispositif sont quasiment inexistantes ? Le Gouvernement doit cesser de se contredire et doit s’engager fermement à préserver et à renforcer l’AME.
Pour ce qui concerne le programme Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins, c’est l’hécatombe : baisse des crédits pour la prévention des maladies chroniques, baisse des subventions de l’Inca alors que le nombre de cas augmente, baisse des investissements dans la recherche fondamentale, baisse des moyens pour la prévention contre les maladies sexuellement transmissibles et le VIH, alors que le nombre de cas remonte depuis cette année, baisse de 60 % des crédits alloués à la veille et à la sécurité sanitaire... Vous ne tirez aucune leçon de la crise du covid, alors que ce budget devrait permettre d’anticiper les crises sanitaires et de s’y préparer. C’est sans parler de la grande oubliée, la santé mentale, pourtant annoncée en grande pompe comme grande cause nationale de 2025 par le Premier ministre.
Revenons à l’essentiel : une bonne gestion consiste à prévenir, car mieux vaut prévenir que guérir. Nous avons besoin d’un plan de prévention efficace et d’investissements massifs dans le service de la santé publique ; pour cela, il faut adopter nos amendements de crédit dans la présente discussion budgétaire, et surtout, adopter le PLFSS 2025 du Nouveau Front Populaire.
M. Arthur Delaporte (SOC). De qui se moque-t-on ? On serait tenté d’examiner cette mission Santé comme si de rien n’était : on évoquerait la baisse drastique des crédits, alors que la santé est la première préoccupation des Français ; on évoquerait vos carences, alors qu’il faut offrir à l’hôpital des conditions plus dignes, mieux réguler les médecins pour lutter contre les déserts médicaux, défendre un système de santé plus juste, accorder des moyens supplémentaires à la prévention, à la santé mentale, à la santé des femmes ou encore à la lutte contre les addictions – à ce sujet, votre gouvernement fait preuve d’ambivalence, vu la stratégie du ministre de l’intérieur. Mais il se trouve qu’en ce moment même, l’Assemblée s’apprête à rejeter la première partie du PLF, rendant la présente audition presque caduque. Les groupes de la « majorité » – vos soutiens, madame la ministre – ont annoncé qu’ils voteraient contre le budget que nous sommes ici censés modifier. Avouez que la situation est cocasse ! Nous pourrions en sourire s’il ne s’agissait de la santé des Françaises et des Français.
Je ne peux m’empêcher de dénoncer le comportement du socle dit « commun », qui est fort désuni face au budget pour 2025, singulièrement en ce qui concerne la santé, les uns défendant l’AME, les autres voulant la réduire.
S’agissant du financement de la sécurité sociale, vous avez usé d’un article 49, alinéa 3, qui ne disait pas son nom : vous avez fait traîner les débats afin de transmettre le texte initial au Sénat, nous empêchant de discuter, par exemple, de l’article 23, qui entraîne une baisse des dépenses de retraites, et laissant ensuite le beau jeu à Laurent Wauquiez. Vous avez mis en scène votre démobilisation pour pouvoir rejeter la première partie du PLF et escamoter la santé. Il est tout de même facile de ne pas se mêler aux débats pendant trois semaines, pour affirmer ensuite que le budget est inacceptable !
En définitive, vous nous présentez une mission Santé sans que nous puissions examiner d’amendements ni voter de mesures. Le Gouvernement ne retiendra rien de nos propositions dans le texte final. Cette mission est sacrifiée. Les crédits de la santé baissent de 1 milliard d’euros ; la cause en est, selon vous, la disparition du financement de l’investissement annoncé lors du Ségur, le programme étant prétendument achevé. Êtes‑vous certaine, madame la ministre, que tous les établissements ont reçu leur dotation ? Si oui, pour quel montant ? Combien de places d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont été construites ou rénovées ? Sans indication précise sur l’emploi de ces sommes, nous ne comprenons pas pourquoi les versements post-covid sont supprimés, ni pourquoi le budget baisse dans de telles proportions.
J’ajoute que les crédits prévus pour la prévention, la santé environnementale ainsi que la modernisation de l’offre de soins, dont vous targuez, baissent également.
Je reviendrai enfin sur l’unique sujet évoqué par notre collègue de l’extrême droite, gangrenée par des obsessions racistes et stigmatisantes, qui cherche, avec son laïus habituel, à faire encore pire en réduisant le budget dédié à l’AME. J’espère que vous ne céderez pas aux sirènes du Rassemblement National, car l’AME est bel est bien menacée – aberration sanitaire et économique qui touche à la santé des personnes, à la prévention, à la santé publique, mais aussi aux conditions de travail du personnel soignant. Que direz-vous, collègues du RN, aux infirmières et aux médecins qui devront accueillir des malades encore plus malades ? Que direz‑vous aux hôpitaux qui devront assumer des dépenses nouvelles, la solidarité nationale n’ayant pas joué en amont ? Que direz-vous aux proches des malades pris en charge trop tardivement, alors qu’un simple contrôle de routine aurait pu éviter que leur état ne se dégrade ? Nous avons des propositions plus justes, plus adaptées à l’air du temps ; malheureusement, votre mascarade nous empêchera de les examiner.
Mme Josiane Corneloup (DR). En dehors du programme 379, la mission Santé recouvre les crédits du budget de l’État destinés à l’élaboration et à la conduite de la politique globale de santé ; elle met l’accent sur la prévention, la sécurité sanitaire et l’organisation d’une offre de soins de qualité dans tous les territoires. Son budget baisse d’environ 40 %, ce qui s’explique en grande partie par l’amenuisement des crédits de paiement du canal budgétaire de reversement de fonds européens à la sécurité sociale que constitue le programme 379.
Les évolutions sont plus limitées pour les deux autres programmes structurants de la mission. L’AME de droit commun constitue 80 % des crédits du programme 183, à 1,319 milliard d’euros en 2025, en hausse de 9,15 % par rapport à la LFI 2024. Selon Véronique Louwagie, rapporteure spéciale de la commission des finances, que nous saluons pour la précision de son avis et la qualité de son analyse, l’AME de droit commun doit faire l’objet d’une réforme structurelle. Seule une maîtrise ferme de l’immigration illégale permettrait de la contenir à un niveau raisonnable pour la solidarité nationale – on ne peut pas demander aux Français des efforts sans que l’État rationalise ses dépenses. Nous estimons que l’AME devrait être limitée aux soins urgents et aux soins liés à la lutte contre les pandémies, à la grossesse et aux vaccinations obligatoires, afin d’aligner la situation française sur celle des autres pays européens. Notre régime d’AME constitue une exception en Europe, la plupart des pays voisins ne prenant en charge gratuitement, pour les étrangers en situation irrégulière, qu’un éventail de soins urgents liés à la maternité et aux mineurs ou une série de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics. Les conditions d’éligibilité à l’AME ont été légèrement durcies par l’article 264 de la loi de finances pour 2020 afin d’éviter des détournements et de renforcer la lutte contre la fraude. Néanmoins ces dispositions ne compensent pas la progression continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière éligibles à cette prestation, et ne parviennent pas à freiner l’augmentation tendancielle des dépenses de l’AME. Il est nécessaire de prévenir les risques de détournement du dispositif et de renforcer la lutte contre la fraude, tout en favorisant l’accès aux soins des plus vulnérables.
Les crédits de paiement du programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins baissent par rapport à la loi LFI 2024, passant de 267 à 229 millions d’euros – tendance à relativiser si l’on prend en considération les 20 millions d’annulations de crédits décidées début 2024.
En matière de prévention, je souhaite insister sur la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation sur l’endométriose – de nombreuses femmes ignorent qu’elles en sont atteintes – et sur les cancers gynécologiques. Trop méconnus, ces derniers touchent 17 400 nouvelles patientes chaque année et sont souvent oubliés des stratégies de prévention et de dépistage, ce qui empêche les femmes de bénéficier d’une prise en charge rapide. Les cancers de l’ovaire et de l’endomètre, en particulier, sont peu dépistés et généralement détectés à un stade avancé.
Enfin, compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques, le Gouvernement doit élaborer une stratégie de prévention globale et de long terme.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Permettez-moi tout d’abord d’exprimer notre profond désarroi face à cet examen kafkaïen des lois financières relatives à la santé et à la prévention. Nous dénonçons l’absurdité de cette séquence budgétaire où chacun se renvoie les sujets qui comptent, entre le PLFSS et le volet Santé du PLF. C’est ainsi qu’une fois de plus, nous ne pourrons pas aborder la santé mentale, grande cause dont nous ne voyons toujours pas la couleur : ni formation aux premiers secours en santé mentale, ni recrutement de psychologues dans les centres médico-psychologiques pour pallier les immenses carences du dispositif Mon soutien psy... Nous ne pourrons pas non plus, ni à l’occasion du PLF, ni à l’occasion du PLFSS, discuter sérieusement du congé pour fausse couche et de la prise en charge du test de détection de l’endométriose, qui épargnerait aux femmes des années d’errance médicale.
La seule avancée pour la santé des femmes actée l’an passé, le remboursement des protections menstruelles pour les moins de 25 ans, n’a toujours pas été appliquée, faute de décret.
L’effort budgétaire visant à renforcer les CPTS et les centres de santé pluriprofessionnels ne parvient pas à cacher la baisse inédite des crédits alloués aux programmes de prévention. Pourquoi avoir réduit de 20 % les crédits dédiés au développement de la démocratie sanitaire et à la recherche en santé publique ? Comment expliquer la baisse de 66 % des crédits alloués à l’anticipation des crises sanitaires ? Cette saignée de 38 millions d’euros ne fera que reproduire l’impréparation totale qui a présidé à la crise du covid-19. En tant que médecin, vous savez pourtant que, si le coronavirus était exceptionnel par ses dégâts, les pandémies seront de plus en plus fréquentes puisque la perturbation des écosystèmes accroît la transmission des virus.
L’amputation de 30 millions d’euros des crédits dédiés à la prévention des risques liés à l’environnement témoigne du manque de considération du Gouvernement pour la santé environnementale. La pollution de l’air à elle seule est responsable d’environ 48 000 décès prématurés chaque année, et les pesticides provoquent 20 000 cancers annuels. La chlordécone, pourtant interdite depuis plus de trente ans, continue d’empoisonner la population dans les Antilles. Nous apprenions il y a quelques jours l’existence d’un risque de contamination généralisée au mercure dans les boîtes de thon. Comment répondre à ces enjeux cruciaux, alors que les crédits baissent de façon incompréhensible ? Sans une politique de santé environnementale ambitieuse, qui prévienne avant de guérir, nous n’y arriverons pas.
Prévenir avant de guérir, c’est également l’adage que doit suivre l’AME. L’Espagne a abrogé les restrictions d’accès aux soins pour les étrangers qu’elle avait un temps décidées, et qui ont eu des conséquences humaines et sanitaires catastrophiques. Nous ne devons pas céder aux vindictes xénophobes du Rassemblement National. Quand la digue de l’humanité s’affaisse, quand les chantres de la haine – celle-là même qui a mené à l’élection de Donald Trump – appellent à restreindre un dispositif qui ne prend même pas en charge les frais de traitement des handicapés en situation irrégulière, nous devons résister. Le groupe Écologiste et Social sera force de proposition pour apporter des réponses financières aux besoins du pays, alors que le budget qui nous est soumis est incapable de protéger la population.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je souhaite vous interroger tout particulièrement sur le programme 204 touchant à la prévention et à l’AME. Comme vous, le groupe Les Démocrates défend une approche populationnelle de la santé, ciblée vers ceux qui en ont le plus besoin. Cette stratégie de prévention repose sur plusieurs piliers : un portage politique fort et interministériel, un budget propre et ambitieux, des priorités et des objectifs identifiés, des acteurs nationaux et locaux chargés de déployer les orientations.
Le « jaune » budgétaire relatif à la prévention en santé est riche d’enseignements. Au-delà des questions budgétaires, il insiste sur la nécessité de mieux coordonner des acteurs et des dispositifs foisonnants. La politique de prévention est ainsi soutenue par le fonds d’intervention régional, à la main des ARS, doté de 571 millions d’euros, tandis que 905 millions sont alloués à la promotion de la santé dans son ensemble. Elle passe aussi par d’autres fonds gérés par l’assurance maladie, comme le fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire, pour 470 millions. S’y ajoutent des financements par le biais de la Mutualité sociale agricole pour plusieurs dizaines de millions d’euros, des fonds destinés à la lutte contre les addictions pour 130 millions, le fonds pour l’innovation du système de santé pour 125 millions, ou encore les fonds liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles pour plusieurs centaines de millions. Quelle politique entendez‑vous mener pour coordonner l’ensemble de ces acteurs, qui ont tendance à intervenir en silos ? Une politique interministérielle s’impose.
Notre groupe est par ailleurs attaché à l’AME, qui prend en charge les frais de santé des personnes démunies en situation irrégulière ne pouvant accéder à la protection universelle maladie. Ce programme peut toutefois être amélioré. Dans le cadre de la migration légale, l’Office français de l’immigration et de l’intégration impose une visite médicale aux primo‑arrivants. Outre un examen clinique général, elle est l’occasion de vérifier les vaccinations, dans un objectif de prévention et de dépistage. Pourquoi ne pas proposer un dispositif similaire aux étrangers en situation irrégulière lors de leur demande d’asile ? À l’issue de la consultation, un certificat médical leur serait remis et figurerait dans leur dossier. Seriez-vous prête à soutenir une telle mesure de santé publique ?
L’audition est suspendue de dix-sept heures vingt-cinq à dix-sept heures quarante.
M. Laurent Panifous (LIOT). Le champ de la mission Santé est assez restreint, et traduit la stratégie nationale de santé 2023-2033. L’absence de publication officielle de cette dernière nous interroge, d’autant que les chiffres inscrits dans le bleu budgétaire sont imprécis et permettent difficilement de suivre l’évolution réelle des crédits. La plupart diminuent en 2025, alors que les enjeux sanitaires sont de plus en plus prégnants. Les crédits de l’action Veille et sécurité sanitaire reculent de 65 %, sans que nous puissions connaître en détail la nature de cette baisse. Nous aimerions obtenir davantage de précisions, d’autant que vous dites vouloir renforcer la préparation et la réponse aux crises sanitaires.
La précédente stratégie nationale de santé nous livre deux enseignements : d’une part, la prévention des maladies chroniques est insuffisante alors que la population vieillit ; d’autre part, de très fortes inégalités sanitaires, aussi bien sociales que territoriales, persistent. Pourtant, les crédits consacrés aux actions Santé des populations et Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades diminuent. De telles évolutions suscitent des interrogations, sachant que les infections sexuellement transmissibles – notamment au VIH – progressent, que le Gouvernement dit vouloir faire de la santé mentale une priorité, ou encore que la prévention et la prise en charge des pathologies gynécologiques comme l’endométriose accusent des retards – et ce ne sont là que quelques exemples. Je pourrais aussi citer le danger que représentent les risques environnementaux, la récurrence des maladies vectorielles et la pollution – je pense notamment au chlordécone aux Antilles ou aux polluants éternels, qui doivent être pris très au sérieux. Dans ce contexte, il est indispensable de préserver les moyens de l’Anses ; le récent scandale des eaux minérales Nestlé ne peut qu’y encourager.
La future stratégie nationale affirme vouloir assurer un égal accès aux soins pour chacun en rendant les soins financièrement plus accessibles à tous. Mais comment cela pourrait-il être le cas, alors que les franchises médicales et le ticket modérateur augmentent ?
Concernant l’AME, qui concentre l’essentiel des crédits, on ne peut que déplorer que chaque année, l’examen de cette mission soit prétexte à un débat nourri de fantasmes et de stéréotypes. Oui, ces crédits augmentent ; c’est l’effet d’une hausse du nombre de bénéficiaires, et notre volonté d’apporter des soins à ceux qui en ont besoin ne doit pas faillir. Aucun rapport ne démontre l’existence d’un tourisme médical. La dernière réforme a déjà fortement limité l’accès à l’AME en introduisant notamment un délai de carence. Les contrôles font état d’une infime part de dossiers rejetés, preuve d’une absence de fraude. En revanche, le non-recours existe bien et bien, ce qui va au détriment de la santé de tous. Par conséquent, je m’inquiète de la décision du ministre du budget et des comptes publics de déposer un amendement visant à geler ces crédits, ainsi que des propos du Premier ministre indiquant que l’AME ne doit pas être détournée de son but, c’est‑à‑dire être un outil de santé publique. Or c’est déjà le cas. Doit-on s’attendre à une nouvelle réforme de l’AME ? Je sais votre volonté de la préserver, madame la ministre, mais pouvez-vous nous assurer de l’engagement du Gouvernement dans son ensemble ?
M. François Gernigon (HOR). La mission Santé finance, d’une part, le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins et le programme 183 Protection maladie. Pour l’année 2025, les autorisations d’engagement de cette mission s’inscrivent en baisse de près de 40 % à quelque 1,6 milliard d’euros, ce repli étant essentiellement dû à l’extinction progressive du programme 379, lié à la crise sanitaire du covid‑19.
Le programme 204 finance les politiques de prévention nationale, notamment les agences de santé ou les campagnes de communication destinées au grand public. Il s’inscrit dans la politique globale de prévention voulue par le Gouvernement, qui s’est élargie à de nouvelles mesures prises dans la loi de finances pour 2024, telles que le déploiement des rendez-vous de prévention aux âges clefs de la vie ou l’amplification de la politique de vaccination. Ce programme est en baisse, mais je me réjouis que, lors de nos débats sur le PLFSS, la représentation nationale ait émis des propositions nombreuses et sérieuses afin de renforcer ces politiques. Nous pouvons en effet tous nous accorder sur le fait qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine essentiel de la prévention. Mon groupe estime que cette baisse de crédits, bien que nécessaire à court terme, doit s’accompagner d’une réflexion plus globale sur des réformes structurelles capables de garantir la viabilité à long terme de notre système de sécurité sociale. Dans cette perspective, la prévention doit être considérée comme un investissement à long terme pour la santé de nos concitoyens et le contrôle des dépenses d’assurance maladie.
Le programme 183 finance l’AME, dispositif créé pour prendre en charge les soins de santé des étrangers en situation irrégulière, afin de garantir un accès aux soins essentiels pour cette population dans le respect des engagements humanitaires de la France. Pour ses bénéficiaires, l’AME couvre les soins d’urgence, les consultations et traitements liés à des maladies chroniques, et, dans certains cas, des interventions médicales spécialisées. Elle inclut également des volets de prévention, ce qui la distingue d’une simple aide d’urgence. Cette couverture doit poursuivre un objectif essentiel de salubrité publique, puisqu’elle a pour but d’éviter que des pathologies transmissibles ne se propagent par manque de prise en charge.
Il était prévu d’augmenter de 8 % les crédits alloués à l’AME. Cette hausse correspondait-elle, à droits constants, à une augmentation du nombre de bénéficiaires ? Dans ce cas, comment son annulation, annoncée par le ministre du budget et des comptes publics, sera-t-elle mise en œuvre ? Ces derniers temps, il a été beaucoup question de recentrer ce dispositif sur les soins d’urgence, voire de le supprimer purement et simplement. Le Gouvernement envisage-t-il une réforme qui saurait préserver l’impératif de salubrité publique, en assurant notamment que les risques sanitaires liés à une réduction de la prise en charge seront correctement évalués et prévenus ? Un éclairage de votre part sur la compatibilité entre une éventuelle refonte de l’AME et la préservation de cet impératif de santé publique serait particulièrement précieux pour guider notre réflexion.
M. Yannick Monnet (GDR). L’Assemblée nationale venant de rejeter la partie « Recettes » du budget pour 2025, je suis un peu surpris que nous poursuivions des travaux dont l’utilité m’apparaît douteuse...
M. le président Frédéric Valletoux. Vous pouvez renoncer à vous exprimer...
M. Yannick Monnet (GDR). Non, je vais me prêter au jeu parce que j’ai toujours quelque chose à dire... mais j’aime bien faire des choses qui me paraissent utiles.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous allons achever l’audition en cours et procéder également à l’audition des ministres qui était prévue ce soir sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, car l’examen du budget n’est pas terminé : le texte part au Sénat mais il reviendra devant notre assemblée.
M. Yannick Monnet (GDR). Si nos débats sont entendus et pris en compte, pourquoi pas ?
Quoi qu’il en soit, j’ai deux motifs de satisfaction : l’adoption de plusieurs amendements en commission des finances ; le maintien de l’AME.
La commission des finances avait ainsi décidé d’accorder une dotation de 100 millions d’euros pour l’Établissement français du sang, une compensation de l’inflation pour les Ehpad à hauteur de 650 millions, une prise en charge spécifique des femmes victimes de violences pour 20 millions, ou encore une dotation supplémentaire de 20 millions d’euros pour assurer un égal accès aux soins. L’adoption de ces amendements montre que de gros besoins ne sont pas couverts par cette mission budgétaire.
Quant au maintien de l’AME, j’espère qu’il survivra jusqu’à la fin des discussions budgétaires. L’AME est un sujet de santé publique et non pas un sujet d’immigration. Pour les finances publiques, le maintien de cette aide coûte moins cher que sa suppression. La façon qu’ont certains d’instrumentaliser le sujet est vraiment terrible.
Mais je voulais surtout intervenir sur la prévention, dont vous avez fait une priorité, en renchérissant sur les critiques déjà émises par les précédents orateurs. Non seulement les crédits sont éparpillés, mais les budgets de toutes les actions concernées sont en baisse. Au‑delà de la question des moyens, il faut admettre un déficit de la politique de prévention. Dans un rapport publié en décembre 2021, la Cour des comptes jugeait les résultats de la France globalement médiocres dans ce domaine. Quant à l’Organisation européenne du cancer, elle estime que notre pays a pris du retard en matière de détection, l’écart le plus important étant constaté pour le cancer du sein dont le taux de dépistage est de 46,9 % en France, contre 54 % à l’échelle européenne. Or les oncologues sont les premiers à souligner l’importance des campagnes de prévention.
Puisque vous faites de la prévention une priorité, quelle proposition formulez‑vous pour qu’une réelle politique publique soit enfin lancée ? Doit-elle intégrer les lois de financement de la sécurité sociale ? Que devrait être le rôle des mutuelles en la matière ? Comment une politique de prévention peut-elle se mettre en place dès lors que les gouvernements successifs ont réduit à peau de chagrin la médecine scolaire et la médecine du travail, qui sont pourtant des relais essentiels de la prévention aux différents âges de la vie ?
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Thibault Bazin (DR). L’AME représente 80 % des crédits de la mission Santé, soit 1,3 milliard d’euros pour 2025, ce qui correspond à un accroissement de 9 % par rapport à la LFI 2024. L’article 264 de la loi de finances pour 2020 avait introduit des conditions d’éligibilité à l’AME afin de lutter contre la fraude, mais force est de constater que ces mesures ne parviennent pas à pondérer l’effet de la progression continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière éligibles à cette prestation. Le nombre de bénéficiaires de l’AME a augmenté de 8 % en un an pour atteindre près de 480 000 en 2024. Puisque les deux facteurs sont corrélés, si nous luttons mieux contre l’immigration illégale, nous diminuerons d’autant les dépenses de l’AME.
Il faut aussi réformer le périmètre de prise en charge pour le rapprocher de celui dont tous les Français peuvent bénéficier, en se concentrant sur les soins urgents. Avec mon collègue Philippe Juvin, j’ai proposé un amendement qui permettrait de s’atteler au problème : les frais ne seraient plus pris en charge lorsqu’ils correspondent à des prestations liées à des pathologies non sévères, quand elles ne concernent pas des traumatismes, fractures, brûlures, infections, hémorragies, tumeurs suspectées ou avérées. Comment peut-on accepter que des interventions pour oreilles décollées soient prises en charge pour les étrangers en situation irrégulière ? Madame la ministre, comment comptez-vous faire pour que l’AME se concentre sur les soins urgents ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Mon intervention va compléter celle de mon collègue Thibault Bazin. En réponse à l’une de mes questions sur le budget de l’AME, le Gouvernement s’était engagé à faire en sorte que ces crédits n’augmentent pas, voire qu’ils diminuent pour l’exercice budgétaire à venir. Madame la ministre, nous avons d’ailleurs eu un échange au sujet de ces prestations qui ne relèvent pas du soin urgent, telles que les gastroplasties ou le recollement des oreilles, évoqué par mon collègue. Vous étiez sceptique, alors que ces interventions figurent dans des listes sur le site de la sécurité sociale, voire dans des documents du ministère. Vous m’aviez alors dit que vous alliez vous informer sur le nombre d’interventions de ce type financées par l’AME. Qu’en est-il ? Si aucune intervention n’a été effectuée, alors il est possible de sortir ces indications de la liste. S’il y en a, nous devons remette en question notre politique de solidarité.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je ne vais pas parler d’AME car je veux vous interroger, madame la ministre, sur un vrai sujet : l’accès à la protection vaccinale contre le papillomavirus humain (HPV), une infection sexuellement transmissible qui cause chaque année près de 30 000 lésions précancéreuses, ce qui conduit à 7 000 à 8 000 cancers effectifs. À une large majorité, l’Assemblée nationale avait décidé de développer des équipes mobiles dans les collèges, afin de vacciner gratuitement les élèves des deux sexes. Au nombre des obstacles à lever, vous avez évoqué les croyances personnelles des personnes qui s’inscriraient en rupture par rapport aux pratiques vaccinales. Pour ma part, je pense que les infirmières scolaires sont trop peu nombreuses – une pour 1 600 élèves – pour être en mesure de faire de la prévention et encore moins de vacciner. Je pense aussi à un manque de pédagogie sanitaire mettant en lumière le lien entre HPV et cancer, au fait que l’on superpose une campagne de vaccination et un dépistage par frottis, ce qui rend peu évidente la distinction entre les deux. N’oublions pas non plus le rôle des inégalités sociales de santé : le cancer du col de l’utérus est particulièrement corrélé au niveau de diplôme et de revenu. En résumé, les institutions ne sont pas adaptées à la protection vaccinale, ce qui relativise le rôle des croyances personnelles.
M. Jérôme Guedj (SOC). Vous me permettrez de squatter le débat pour revenir sur le budget de la sécurité sociale, dont nous n’avons pas pu aller au bout de l’examen, à un moment où Laurent Saint-Martin promet de reprendre des amendements sur la partie « Recettes » du budget de l’État. Lors des débats sur le PLFSS, 213 amendements ont été adoptés, certains relatifs à des questions auxquelles vous êtes sensible, notamment dans le domaine de la prévention. Très peu d’entre eux ont été retenus dans le texte transmis au Sénat. Vous aviez pourtant manifesté beaucoup d’enthousiasme pour la taxe sur les sodas – l’un des rares amendements à avoir été retenu et pour lequel vous aviez demandé une seconde délibération –, mais aussi pour d’autres mesures concernant notamment le nutri‑score et le sucre ajouté, que l’on ne retrouve pas dans le texte transmis au Sénat. C’est dommage.
Mme la ministre. Vos interventions tournent autour de trois grands thèmes : la prévention, l’AME et les moyens d’investissement.
Quant à vous, madame la rapporteure pour avis, vous m’avez interrogée sur la situation de Mayotte, où tout repose sur un établissement hospitalier en raison du manque de médecins, qui sont difficiles à fidéliser, et de centres médicaux où les gens ne se rendent d’ailleurs pas facilement. Je peux vous informer que j’ai signé une lettre de couverture visant à renouveler l’IPE. Il nous faut désormais travailler sur la rémunération des praticiens, afin de la rendre suffisamment attractive pour qu’ils restent plus longtemps sur le territoire, et aussi sur leur formation. Le recours aux Padhue doit être encore plus facilité en outre-mer que dans l’Hexagone, et Mayotte va bénéficier en partie de l’ouverture de quatre-vingts postes par les ARS. L’intervention de la réserve sanitaire n’est pas une solution satisfaisante, mais l’expression d’une solidarité nationale qui doit continuer à s’affirmer le temps que nous trouvions les moyens de créer une situation plus pérenne pour les professionnels de santé dans ce département.
S’agissant du programme 204, il faut souligner que ces crédits s’imbriquent avec ceux du PLFSS. Notons que les enveloppes budgétaires sont maintenues au même niveau que l’an passé pour l’Inca, l’Anses et les nombreuses associations qui luttent contre les addictions au tabac, à alcool et autres. La diminution du budget est due pour l’essentiel aux stocks européens RescEU, constitués en cas de crise sanitaire et payés en partie par l’Union européenne : l’enveloppe correspond aux besoins, mais elle est moins importante que l’an dernier. L’agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna bénéficie d’une hausse de 4 millions d’euros de ses crédits de fonctionnement ainsi que de ses crédits d’investissement. Aucun de nos acteurs majeurs en prévention ne souffre donc d’une perte de moyens.
Faut-il améliorer la visibilité et les politiques de prévention ? Oui, en effet. Ces politiques sont éparpillées par nature puisqu’elles relèvent de divers ministères : l’éducation nationale, le travail, l’environnement, l’agriculture. Les financements viennent majoritairement du programme 204 de cette mission, mais certains émanent du PLFSS par le biais de la Caisse nationale de l’assurance maladie, des mutuelles, du tissu associatif. Nous devons dépasser cette complexité et parvenir à structurer cette politique, je suis entièrement d’accord avec vous tous sur ce point. Peut-être faut-il aussi envisager une évolution de son financement ? Je vais lancer une mission et demander l’aide de parlementaires pour réfléchir à tout cela. La création d’agences n’a pas le vent en poupe, mais il faudra se placer à l’échelle interministérielle pour plus de visibilité, moins de redondances, plus de rationalité et d’efficacité. Selon les évaluations, la prévention reçoit environ 5,5 milliards d’euros de divers canaux, ministères et collectivités territoriales.
Sur l’AME, je tiens à éviter toutes les caricatures. Femme de bon sens, pragmatique, je regarde les chiffres et lis les rapports écrits par des personnes aux opinions diverses – tel celui, fort intéressant, de MM. Claude Évin et Patrick Stefanini, que j’ai rencontrés. L’AME est un problème de santé publique. Les médicaments représentant la charge financière la plus élevée au titre de l’AME sont des traitements antiviraux contre le VIH : il ne s’agit pas d’une thérapeutique d’urgence, mais d’une urgence sanitaire. Si nous ne soignons pas ces personnes, qui ont souvent été infectées en France, nous devrons affronter un vrai problème de santé publique dû au risque de transmission de maladies dangereuses.
L’exemple des oreilles décollées est caricatural : l’objectif de l’intervention, dont le coût était de 10 000 euros en 2023, n’était pas esthétique mais anti‑infectieux ; quant à l’anneau gastrique, dont j’ignore l’indication médicale, l’intervention a coûté 4 000 euros. Mettre en avant ces deux exemples n’a d’autre but que de dire, de manière malhonnête, que la population française serait privée de soins offerts aux étrangers. Il faut adopter une approche responsable, fondée sur le souci de la santé publique : dans cette optique, l’AME doit rester ce qu’elle est.
Le ministre de l’intérieur a convenu avec moi que l’AME était bien un sujet de santé publique : nous allons travailler ensemble pour améliorer le dispositif et en gommer les aspects injustes, comme le propose le rapport de MM. Stefanini et Évin.
Le contrôle de la fraude s’effectue a priori sur les dossiers d’inscription : 2 % des dossiers examinés ne se sont pas révélés conformes à la législation. Des contrôles a posteriori sont également effectués sur les dépenses : là encore, les fraudes sont très marginales. L’AME donne accès à la médecine de ville pour les immigrés en situation irrégulière ayant des revenus inférieurs à 847 euros par mois : la dispense de ces soins détourne cette population de l’hôpital et allège le coût de leur prise en charge. Une aide médicale urgente coûterait beaucoup plus cher, car les patients seraient pris en charge plus tardivement ; elle augmenterait en outre le risque sanitaire encouru par la population française. Ma position est à la fois rationnelle et humaine.
En matière de médecine nucléaire, notre objectif est d’assurer la qualité et la sécurité du parcours des patients. Le nombre de professionnels formés doit être suffisant ; celui de médecins nucléaires a d’ailleurs augmenté de 32 % entre 2012 et 2023 : vous pouvez juger que leurs effectifs étaient si faibles que ceux-ci restent déficitaires, voilà pourquoi nous devons maintenir notre effort. Nous devons ouvrir une réflexion sur la pratique avancée, notamment pour les manipulateurs en électroradiologie médicale, catégorie où des besoins existent. Le Ségur de la santé revalorisera leur rémunération ainsi que celle des praticiens des services de médecine nucléaire des établissements de santé.
Je vous remercie, monsieur Lauzzana, pour votre engagement en faveur de l’interdiction, à visée préventive, des produits de vapotage de type « puff ».
La lutte contre l’endométriose entre dans la politique de prévention : la Haute Autorité de santé vient d’autoriser un nouveau test salivaire de détection.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Il coûte 1 000 euros !
Mme la ministre. Oui, il est très cher, mais si son utilisation se répand, son prix baissera.
Je souhaite agir globalement pour la santé des femmes, en commençant par celle des adolescentes. La prise en compte des risques liés à la sexualité comme le VIH est essentielle. Nous devons également porter notre attention sur la périnatalité et mieux accompagner, notamment sur le plan mental, les femmes qui viennent d’accoucher. Les sujets sont nombreux : je pense notamment aux ovaires polykystiques ou à la ménopause, sur laquelle j’ai confié une mission à Stéphanie Rist. Le financement des serviettes périodiques est inscrit au PLFSS et non au PLF. Je vais signer, sur ce sujet comme sur les autres, tous les décrets en attente.
Dans le PLF 2025, les crédits de l’AME croissent de 8 % ou 9 % : traduisant le travail préparatoire réalisé avant la dissolution de l’Assemblée nationale, cette augmentation correspond à l’estimation de la hausse des besoins. La lutte contre la fraude et contre le recours à des soins inadaptés est essentielle. Le travail sur l’évolution des droits de l’AME permettra de tenir en 2025 l’enveloppe de cette année. Le ministre du budget et des comptes publics a évoqué le dépôt d’un amendement allant en ce sens.
Il n’est pas toujours aisé de comprendre l’articulation entre les crédits de la mission Santé du PLF et le PLFSS. Les dépenses d’investissement, issues d’un financement européen, se trouvent dans le programme 379 Reversement à la sécurité sociale des recettes de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR). Leur montant de 6 milliards d’euros est identique aux prévisions, preuve que l’Union européenne n’a pas réduit son soutien. Dans le PLFSS figure le déploiement des crédits de financement des investissements. Nous devrons reporter certaines dépenses car certains projets ne sont pas prêts : les capacités de déploiement des investissements annoncés se révèlent en effet variables. Il conviendrait de privilégier une approche pluriannuelle, fondée sur la définition de priorités. Les services du ministère et mon cabinet travaillent actuellement à faire émerger une vision précise des investissements à venir.
M. le président Frédéric Valletoux. Le rejet par notre assemblée de la première partie du PLF nous empêchera d’examiner demain matin les amendements à la mission Santé. Nous auditionnerons ce soir les quatre ministres concernés par les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances : ainsi, après avoir reçu la ministre du travail et de l’emploi la semaine dernière, nous aurons entendu le Gouvernement sur l’ensemble des missions relatives au périmètre de notre commission. Ces auditions sont utiles car le PLF reviendra à l’Assemblée après son passage au Sénat.
Mme la rapporteure pour avis. Je vous invite, mes chers collègues, à lire mon rapport, centré sur Mayotte. Madame la ministre, la situation sur place est catastrophique et la perfusion de la réserve sanitaire a atteint ses limites. J’ai formulé quelques recommandations dont j’aimerais discuter avec vous.
Mme la ministre. Je suis à votre disposition et à celle de l’ensemble des députés de la commission pour évoquer tout sujet qui vous paraîtrait important. S’agissant de Mayotte, je suis preneuse de toute piste d’amélioration.
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L’ordre du jour de la commission prévoyait l’examen pour avis et le vote sur les crédits de la mission Santé au cours de sa réunion du 13 novembre 2024. L’Assemblée nationale ayant rejeté la première partie du projet de finances pour 2025 avant le début de cette réunion, l’examen de ce projet de loi a été interrompu et les crédits de la mission n’ont pas été examinés.
Recommandation n° 1 : Déployer un grand plan d’attractivité des professionnels de santé privilégiant la fidélisation et comprenant notamment :
– la sanctuarisation et l’extension de l’indemnité particulière d’exercice (IPE) ;
– l’augmentation à 53 % de l’indexation des rémunérations des praticiens hospitaliers, comme c’est le cas à La Réunion.
Recommandation n° 2 : encourager le conventionnement avec d’autres établissements hospitaliers afin de développer des postes médicaux partagés.
Recommandation n° 3 : encourager le développement de l’offre de soins de ville en mettant en place une zone franche. Le Gouvernement peut classer, dès demain, l’intégralité du territoire mahorais dans les zonages prioritaires pertinents, à l’image des zones France ruralités revitalisation (ZRR).
Recommandation n° 4 : adapter certaines règles nationales relatives à la profession médicale, notamment en ouvrant toutes les prescriptions aux médecins scolaires et aux médecins de la PMI à Mayotte et en relevant le plafond lié à l’activité réalisée en téléconsultation.
Recommandation n° 5 : restructurer largement le dispositif d’évacuation sanitaire, notamment en soutenant les associations et en distinguant les évacuations sanitaires à proprement parler, c’est-à-dire revêtant un caractère d’urgence, qui doivent continuer à être assurées par le CHM, et les rapatriements sanitaires et les transports sanitaires, qui doivent être pris en charge par la CSSM.
Recommandation n° 6 : réévaluer la dotation du CHM et mettre en place une aide d’urgence vitale (AUV) associée à une ligne budgétaire spécifique à la prise en charge des personnes en situation irrégulière.
Recommandation n° 7 : garantir les bonnes conditions de réalisation des projets de restructuration du CHM, et la construction des établissements médico-sociaux, par un soutien et un pilotage étatiques permettant la coordination des acteurs.
Recommandation n° 8 : augmenter significativement les capacités de formation paramédicales à Mayotte en soutenant le projet de second Ifsi et en développant les partenariats.
Recommandation n° 9 : mettre en place une première année de médecine (Pass) incluant dès l’an prochain :
– une classe préparatoire publique, ainsi qu’un internat et des logements du Crous, à Mayotte ;
– la signature d’une convention avec l’université de La Réunion permettant aux étudiants mahorais de bénéficier de cinq places réservées en Pass à La Réunion et de bénéficier de cinq places dans le cadre de procédures passerelle ;
– dans le même temps, l’établissement de partenariats avec d’autres universités et la constitution d’un corps enseignant permettant de mettre en place un Pass à Mayotte.
Recommandation n° 10 : développer, à l’ARS particulièrement, une politique de formation et de promotion interne des agents mahorais, de façon à garantir un vivier de cadres locaux en capacité de déployer une action publique dans la durée.
Recommandation n° 11 : développer des campagnes de prévention primaire massives et ciblées, en associant l’ARS et la CSSM.
Recommandation n° 12 : associer les collectivités à la politique de santé publique, en mobilisant les contrats locaux de santé (CLS) et des dispositifs de santé communautaire.
Recommandation n° 13 : assurer l’égalité républicaine en engageant une réflexion globale sur l’opportunité de poursuivre le processus d’alignement social, en garantissant l’accès aux droits et en assurant l’effectivité des dispositifs de droit commun tels que la protection universelle maladie (Puma) et le « 100 % santé », et, à terme, la pleine application du code de la sécurité sociale.
Recommandation n° 14 : confier la gestion de la mutualité sociale agricole (MSA) à la CSSM, en cohérence avec le modèle suivi pour les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) des autres Drom.
Recommandation n° 15 : réformer l’octroi de mer en veillant à compenser son produit, aujourd’hui affecté aux collectivités, par un financement du même montant.
Recommandation n° 16 : intégrer la politique de santé dans le cadre d’une action publique ambitieuse et globale, déployée par voie réglementaire immédiatement et par l’examen des projets de loi sur Mayotte dès le premier trimestre 2025 afin :
– de mettre en place une stratégie globale de développement des infrastructures de transport, de logement ou encore d’éducation avec l’ensemble des parties prenantes posant un cap et des objectifs clairs pour l’ensemble des infrastructures essentielles du département (recommandation commune avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Yoann Gillet ([108])) ;
– de répondre aux enjeux régaliens, à l’image des flux migratoires et des enjeux sécuritaires, qui sont cruciaux pour la stabilité de la société mahoraise comme pour la soutenabilité du système de santé.
Liste des personnes entendues par la rapporteure
(par ordre chronologique)
Auditions conduites à l’Assemblée nationale (entre le 17 septembre et le 18 octobre 2024)
Table ronde :
– Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) – M. Benoît Ourliac, sous-directeur de l’observation de la santé et de l’assurance maladie
– Santé publique France – Mme Caroline Semaille, directrice générale, M. Didier Che, directeur de la direction des régions, Mme Alima Marie-Malikite, directrice de cabinet, et M. Youssouf Hassani, délégué régional de la cellule Mayotte
Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – M. Loup Wolff, directeur interrégional La Réunion-Mayotte
Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) – M. Nourdine Dahalani, président, et M. Philipe Féry, directeur général
Table ronde avec les agences régionales de santé (ARS) ultramarines et de Corse :
– ARS Corse – Mme Marie-Hélène Lecenne, directrice générale
– ARS Guadeloupe – Dr Florelle Bradamantis, directrice générale adjointe
– ARS Guyane – M. Romain Brochard, directeur général par intérim, Mme Estelle Richard, directrice de l’offre de soins, M. Alexandre Boichon, directeur de l’autonomie, Mme Anne Cariou, directrice de l’animation territoriale, et Dr Francky Mubenga, directeur de la santé publique par intérim
– ARS Martinique – Mme Anne Bruant Bisson, directrice générale M. Fabien Laleu, directeur général adjoint et Mme Christelle Litan, directrice de l’offre de soins et de l’autonomie
Conseil de surveillance du centre hospitalier de Mayotte (CHM) – M. Dhinouraine M’Colo Mainti, président
Table ronde spécifique à La Réunion :
– ARS La Réunion – M. Gérard Cotellon, directeur général
– CHU de La Réunion– M. Lionel Calenge, directeur général, et Mme Sabrina Wadel, secrétaire générale
– M. Jérôme Filippini, préfet de La Réunion
Table ronde :
– Ministère de la santé et de l’accès aux soins – Direction générale de l’offre de soins (DGOS) M. Arnauld Gauthier, sous-directeur de l’appui au pilotage et des ressources
– Ministère de la santé et de l’accès aux soins – Direction de la sécurité sociale (DSS) – Mme Marion Muscat, sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, et Mme Christine Labat, cheffe de projet auprès du directeur de la sécurité sociale
– Ministère des outre-mer – Direction générale des outre-mer (DGOM) – M. Olivier Jacob, directeur général et Mme Sandrine Jaumier, adjointe à la sous-direction des politiques publiques
Préfecture de Mayotte – M. François-Xavier Bieuville, préfet
Université de La Réunion – Mme Bérénice Doray, doyenne de l’unité de formation et de recherche (UFR) Santé
Auditions conduites à Mayotte (du lundi 23 au vendredi 27 septembre 2024)
Visite des maternités de Mramadoudou et Kahani
Association mahoraise pour la lutte contre le cancer (Amalca) Mme Nadjlat Attoumani, présidente, M. Barrabé Said Mohamed, premier vice-président, Mme Rouzna Ahmed Abdallah, deuxième vice-présidente, Mme Fardat Durand, trésorière, M. Aynoudine Salime, membre de la commission Action, Mme Zamzam Saidali, chargée de mission
Centre hospitalier de Mayotte (CHM) - M. Jean-Mathieu Defour, directeur général, M. Mohamed Zoubert, directeur de cabinet, et Dr Nadjaty Harouna, vice-présidente de la commission médicale d’établissement (CME)
Conseil départemental de Mayotte Mme Zamimou Ahamadi, vice-présidente en charge des finances et des affaires européennes, M. Mohamed El Hadi Soumaila, directeur général des services, M. Zoubair Ben Jacques Alonzo, directeur de cabinet du président, et Dr Pierre-Alain Sauves, directeur de la protection maternelle et infantile (PMI)
Commission des usagers du CHM Mme Dhoimrati Mtregoueni, présidente
Association des soignants contre le cancer (ASCA) Mme Anrifia Ali Hamadi, présidente, ainsi que plusieurs membres de l’association
Groupe Les Flamboyants Mme Aude d’Abbadie-Savalli, directrice générale
Syndicats du CHM représentants de la CFDT, de la CGT, de FO, de la CFTC, du CDS-SMPS et de la CFE-CGC
Visite du CHM Services des urgences, de la maternité, des évacuations sanitaires et du Samu
Table ronde sur la formation :
– Université de Mayotte – M. Abal-Kassim Cheik Ahamed, président
– Académie de Mayotte – M. Jacques Mikulovic, recteur, M. Benjamin Lazard-Peillon, directeur de cabinet, Mme Alissa Viguier, responsable Enseignement supérieur, Mme Isabelle Chagnard, infirmière et conseillère technique, Mme Anissa Boukendala, conseillère technique, et M. Jean-Philippe Ciserane, chargé de mission
Services interprofessionnels de santé au travail de Mayotte (Medetram) Dr Edouard Foltzer, médecin, et Mme Housnati Assany, infirmière
Syndicats de l’ARS Mayotte – M. Kamalidine Dahalani, représentant CFDT
France Assos Santé Mayotte – M. Houdjate, représentant de l’Union départementale des associations familiales de Mayotte (Udaf), M. Banou, représentant de France Alzheimer, Mme Antufaty Hafidhou, représentante de l’Union départementale confédération syndicales des familles de Mayotte (UDCSF)
Maison de santé « Moinecha Ali Combo » à Ouangani – Dr Elhad Mohamadi, fondateur
ARS Mayotte – M. Sergio Albarello, directeur général, M. Alexandre Bugay, directeur de cabinet, M. Bastien Morvan, ancien directeur de cabinet
Pôle santé de l’Académie de Mayotte – Dr Katia Magnin et Dr Gérard Javaudin, médecins scolaires
Table ronde :
– Dr Anne-Marie de Montera, présidente du conseil départemental de l’Ordre des médecins
– Dr Sophie Fouchard, cheffe de pôle des centres de référence
– Dr Thierry Lahalle, président du syndicat des praticiens hospitaliers de Mayotte (SPHM)
Croix-Rouge française – M. Kadafi Attoumani, directeur de la délégation territoriale de Mayotte
Auditions conduites en Corse (les mercredi 6 et jeudi 7 novembre 2024)
Préfecture de Corse – M. Jérôme Filippini, préfet
Université de Corse – M. Éric Leoni, vice-président en charge de la formation, et Mme Sophie Vincenti, directrice adjointe de l’Institut universitaire de santé
Visite du centre hospitalier (CH) d’Ajaccio – M. Jean-Luc Pesce, directeur général, accompagné de ses équipes et de représentants des usagers
Association Inseme – Mme Laetitia Cucchi-Genovesi, présidente
ARS Corse – Mme Marie-Hélène Lecenne, directrice générale, M. José Ferri, directeur de l’organisation des soins
Académie de Corse – M. Rémi-François Paolini, recteur, Dr Sylvie Ferrara, conseillère technique Santé, et Mme Lydia Arrighi, cheffe du service régional de l’enseignement supérieur
Table ronde avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) des médecins libéraux, des pharmaciens et des infirmiers de Corse
Annexe N° 1 : Carte de l’offre de soins à Mayotte
Source : ARS Mayotte.
Annexe N° 2 : Chiffres-clés de la caisse de sécurité sociale de Mayotte en 2023
Source : Caisse de sécurité sociale de Mayotte.
Annexe N° 3 : Comparatif des prestations familiales de Mayotte, des départements et régions d’outre-mer et de droit commun
Source : Caisse de sécurité sociale de Mayotte, Analyses & Études des Caisses d’allocations familiales des départements d’outre-mer - n° 1, Supplément CSS Mayotte, août 2024.
([1]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
([2]) Avis n° 364, tome I, de M. Christophe Bentz au nom de la commission des affaires sociales sur la mission Santé du projet de loi de finances pour 2023, 19 octobre 2022.
([3]) Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) ou caisses générales de sécurité sociale (CGSS) dans certains territoires ultramarins.
([4]) Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
([5]) Décret n° 2024‑124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
([6]) Op. cit.
([7]) Projet de loi n° 304 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, déposé le mercredi 1er février 2023 au Sénat.
([8]) Rapport sur l’aide médicale de l’État, établi par Claude Évin et Patrick Stefanini, décembre 2023.
([9]) Igas, Évaluation des besoins de santé à Mayotte (rapport non publié), n° 2016‑106R, mai 2017.
([10]) Soit 40 % en dessous du seuil de pauvreté local. Insee Première. « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte », n° 1804, juillet 2020.
([11]) Insee, L’essentiel sur... la pauvreté, 17 octobre 2024.
([12]) Insee, Plus de 10 000 naissances en 2021 et décès en forte hausse, Flash Mayotte n° 142, septembre 2022.
([13]) Cette appellation fait référence aux kwassa-kwassas, embarcations utilisées depuis les Comores pour transporter des personnes en situation irrégulière. Les enfants ainsi convoyés sont alors pris en charge dans le système sanitaire et scolaire de Mayotte.
([14]) ARS Mayotte & ORS Mayotte. Panorama statistique de la santé à Mayotte 2024.
([15]) L’enquête de santé Unono Wa Maore conduite en 2019 montre que, pour la population âgée de 30 à 69 ans, la prévalence du diabète est passée de 10,5 % en 2008 à 17,7 % en 2019, tandis que la prévalence de l’hypertension artérielle est passée de 44 % à 48 % sur la même période.
([16]) ARS Mayotte & ORS Mayotte. Panorama statistique de la santé à Mayotte 2024, p. 62.
([17]) UMJ, rapport d’activité 2023, p. 5.
([18]) Enquête Unono Wa Maore, Santé publique France, 2019.
([19]) Drees, Surpoids et obésité : facteurs de risque et politiques de prévention en France et dans le monde, Les dossiers de la Drees, n° 118, 17 juillet 2024.
([20]) Loi dite « Lurel » n° 2013‑453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer.
([21]) ARS Mayotte & ORS Mayotte. Panorama statistique de la santé à Mayotte 2024, p. 42.
([22]) Igas, La pédiatrie et l’organisation des soins de santé de l’enfant en France, juin 2021, p. 50.
([23]) La littératie en santé désigne la capacité d’un individu à trouver de l’information sur la santé, à la comprendre et à l’utiliser dans le but d’améliorer sa propre santé ou de développer son autonomie dans le système de santé. Cette capacité évolue au cours de la vie.
([24]) Insee, L’essentiel sur… Mayotte, 18 octobre 2024.
([25]) Insee première, Bilan démographique 2023, n° 1978, 16 janvier 2024.
([26]) Ined, Mayotte : plus d’un adulte sur deux n’est pas né sur l’île, Population & société, n° 560, novembre 2018.
([27]) Insee, Une fécondité toujours élevée, Flash Mayotte, n° 166, 7 décembre 2023.
([28]) Insee, Migrations, natalité et solidarités familiales, La société de Mayotte en pleine mutation, Insee analyses Mayotte, n° 12, 10 mars 2017.
([29]) À cet égard, l’ARS Mayotte indique que, bien que marginale dans l’activité du CHM (environ 10 prises en charge aux urgences pour 1 400 passages hebdomadaires), l’arrivée par « kwassas sanitaires » (deux à trois malades par bateau dédié à ce transport) de patients dans des états cliniques souvent très dégradés nécessite leur prise en charge aux services des urgences et des soins critiques.
([30]) Chiffres transmis par la direction générale de l’offre de soins (DGOS).
([31]) Situés à Sada, M’tsapéré, M’tsangamouji, Bandrélé, Bouéni, Passamainty, M’tsamboro, Koungou, Mamoudzou (Jacaranda), Dembeni -Iloni.
([32]) ARS Mayotte, « La santé à Mayotte : état des lieux », article publié sur le site de l’ARS le 5 janvier 2024.
([33]) Deux à Mamoudzou, une à Bouéni et une venant d’ouvrir à Ouangani, une cinquième étant prévue à Kawéni.
([34]) À Mamoudzou, Bandrélé et Mtsamboro.
([35]) Une autre CPTS est en cours de constitution pour atteindre l’objectif, fixé dans le projet régional de santé (PRS), d’en avoir cinq.
([36]) Igas, La pédiatrie et l’organisation des soins de santé de l’enfant en France, juin 2021.
([37]) Contribution adressée par le directeur de la protection maternelle et infantile de Mayotte.
([38]) CHM, rapport d’activité 2023, p. 4.
([39]) Id., p. 31.
([40]) Selon le CHM, 10 795 naissances ont été recensées en 2022 et 10 284 en 2023. En 2024, leur nombre devrait être légèrement inférieur à 10 000.
([41]) CHM, rapport d’activité 2023, p. 36.
([42]) Réponse du Gouvernement à la question écrite n° 10189 sur l’aide médicale de l’État à Mayotte, publiée au Journal officiel du 19 mars 2024, p. 2230.
([43]) Drees, Les dépenses de santé en 2022, édition 2023, p. 187.
([44]) Source : Cnom, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2024, pp. 19-20.
([45]) Source : Insee, estimations de population, données provisoires publiées le 11 mars 2024.
([46]) Données transmises par l’administration centrale.
([47]) CSSM, Analyses & Études des Caisses d’allocations familiales des départements d’outre-mer, n° 1, Supplément CSS Mayotte, août 2024.
([48]) Contribution adressée par le rectorat de Mayotte.
([49]) Diphtérie, tétanos et poliomyélite ainsi que rougeole, oreillons et rubéole.
([50]) Dispositif issu de l’ordonnance n° 96‑1122 du 20 décembre 1996.
([51]) CHM, rapport d’activité 2023, p. 5.
([52]) Selon les chiffres transmis par le CHU de La Réunion, les patients de Mayotte représentent 1,5 % de ses patients hospitalisés, mais 5 % des journées d’hospitalisation.
([53]) Instruction DGOS/R2/DSS/1A/2022/253 du 5 décembre 2022 relative à la mise en œuvre de la définition et de la répartition de la prise en charge financière des évacuations sanitaires (EVASAN) en Corse et en Outre‑mer.
([54]) Données transmises par le CHU de La Réunion.
([55]) Décret n° 2004‑942 du 3 septembre 2004 portant application de l’ordonnance n° 2002‑411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte (partie Assurance maladie), article 6.
([56]) Article 39 du décret n° 2004‑942 du 3 septembre 2004 portant application de l’ordonnance n° 2002‑411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte (partie Assurance maladie). Une règle similaire, dite « de bord à bord », est prévue à l’article R. 322‑10‑5 du code de la sécurité sociale.
([57]) La Cimade, Évacuations sanitaires entre Mayotte et La Réunion, soigner, séparer, précariser, rapport d’observation, février 2024.
([58]) La préfecture souligne que le dispositif de titre de séjour applicable à Mayotte ne permet pas au préfet de La Réunion de procéder à des reconduites directement dans le pays d’origine, même si le titre de séjour de la personne a expiré.
([59]) Son directeur souligne par exemple que le coefficient géographique qui s’applique à la T2A, tout comme le tarif journalier des prestations servant de base au calcul du ticket modérateur, ne sont pas actualisés et déterminés de manière à prendre convenablement en compte le surcoût de la vie dans les territoires ultramarins.
([60]) Arrêté n° 1472 portant réquisition de médecins urgentistes afin d’assurer la régulation médicale des appels d’urgences passés au SAMU de Mayotte et déportée au SAMU de La Réunion.
([61]) 2,73 ETP en gynécologie-obstétrique et 0,83 ETP en réanimation polyvalente.
([62]) Chiffres transmis par le CHU de La Réunion.
([63]) Les ERER ont pour mission de développer, à l’échelle régionale, une culture éthique chez les professionnels de santé et également dans le grand public. Ils assurent des missions de formation, de documentation et d’information, de rencontres et d’échanges mêlant plusieurs disciplines.
([64]) Décret n° 2014‑1024 du 8 septembre 2014 portant création d’une indemnité particulière d’exercice pour les praticiens hospitaliers à temps plein et les praticiens des hôpitaux à temps partiel des disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques dans le Département de Mayotte
([65]) Décret n° 2024‑126 du 21 février 2024 relatif à l’indemnité particulière d’exercice octroyée aux praticiens hospitaliers exerçant à Mayotte.
([66]) 141 référents de mission, 1 109 réservistes de professions médicales et 2 580 réservistes issus de professions non médicales.
([67]) Le motif 2, autorisant des rémunérations supérieures aux autres types de contrats de praticiens contractuels, correspond aux contrats visant à assurer une activité nécessaire à l’offre de soins sur le territoire, en cas de difficultés particulières de recrutement ou d’exercice.
([68]) CHM, rapport d’activité 2023, p. 35.
([69]) Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), Analyse des bilans sociaux des établissements publics de santé en 2021, février 2022, p. 81.
([70]) Cnom, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2024, p. 59.
([71]) Loi n° 2023‑1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, article 37.
([72]) Décret n° 2024‑664 du 3 juillet 2024 modifiant le décret n° 2020‑377 du 31 mars 2020 relatif à l’exercice dans certains territoires d’outre-mer des professions de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme et pharmacien par des personnes ne remplissant pas les conditions de nationalité et de diplôme normalement applicables.
([73]) Dispositif prévu à l’article L. 4131‑5 du code de la santé publique et applicable en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
([74]) L’IES comprend également un institut de formation des aides-soignants (Ifas), un institut de formation des auxiliaires de puériculture (Ifap), une école de puéricultrice diplômées d’État (EPDE) et des classes préparatoires pour l’accès aux formations de l’IES.
([75]) Pour accéder aux études de santé, plusieurs parcours se sont substitués à la première année commune aux études de santé (Paces) en 2020 : un Pass avec une mineure d’une autre discipline ; une LAS avec une mineure santé ; ou une formation paramédicale.
([76]) L’article 1er de la loi n° 2019‑774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi « OTSS », a supprimé le numerus clausus mis en œuvre en 1971 pour le remplacer par un « numerus apertus ». Les capacités d’accueil des formations en deuxième et troisième années de premier cycle sont, depuis lors, non plus fixées par voie réglementaire mais déterminées annuellement par les universités, qui doivent prendre en compte des objectifs pluriannuels d’admission tenant eux-mêmes compte des besoins de santé du territoire en priorité, puis des capacités de formation (article L. 631‑1 du code de l’éducation).
([77]) Les articles L. 1432‑4 et L. 1434‑10 du code de la santé publique disposent que le PRS est élaboré par l’ARS en concertation avec l’ensemble la conférences régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) et les conseils territoriaux de santé où sont représentés : professionnels de santé comme établissements de santé, les collectivités territoriales, les représentants des usagers. L’article R. 1434‑1 du même code dispose que le PRS arrêté par le DG ARS après consultation : du préfet de région, des conseils départementaux de citoyenneté et de l’autonomie, des collectivités territoriales, de la CRSA et du conseil de surveillance de l’ARS.
([78]) ARS Mayotte, projet régional de santé, édito du directeur général, p. 3.
([79]) La liste des ZFU ultramarines figure en annexe du décret n° 96‑1155 du 26 décembre 1996 portant délimitation de zones franches urbaines dans certaines communes des départements d’outre-mer, en application de la loi n° 96‑987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville.
([80]) Annexe de l’arrêté du 19 juin 2024 constatant le classement de communes en zone France ruralités revitalisation, pris en application de l’article 44 quindecies A du code général des impôts.
([81]) Article 138 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, modifié par l’article 4 de la loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels.
([82]) L’article 87-7 de la convention médicale de 2024 fixe ce seuil à hauteur de 20 % du volume d’activité globale conventionnée du médecin, sur une année civile. Pour les psychiatres, ce seuil est porté à 40 %.
([83]) La Cimade, Évacuations sanitaires entre Mayotte et La Réunion, soigner, séparer, précariser, rapport d’observation, février 2024.
([84]) Inseme signifie « ensemble » en langue corse.
([85]) Le directeur général de l’ARS indique qu’une telle restructuration serait engagée et devrait être annoncée prochainement dans un communiqué de presse commun.
([86]) Ces difficultés et carences ont été reconnues par le Conseil économique, social, environnemental et culturel de Corse (Cesec) dans un rapport « Déplacements médicaux vers le continent : innover pour supprimer les inégalités territoriales », adopté le 18 septembre 2018.
([87]) Décret du 15 juillet 2019 portant reconnaissance de l’association INSEME comme établissement d’utilité publique.
([88]) Association Inseme, rapport d’activité 2023.
([89]) Le directeur de la CSSM estime que la création d’un tel bureau suppose de mobiliser 5 ETP.
([90]) ARS Mayotte, Projet régional de santé, édito du directeur général, p. 69.
([91]) Article D. 822-9-1 du code de l’éducation.
([92]) Les cours en Pass sont dispensés en Guyane de façon hybride, en présentiel à Cayenne et en visio-conférence avec l’Université des Antilles, et sont disponibles sur supports vidéo. Les deuxième et troisième années du premier cycle de médecine sont également proposées sur le campus de Cayenne, tandis que le deuxième cycle est organisé en partenariat avec l’Université des Antilles, tant pour les cours que les stages. Le troisième cycle va être déployé sur le même modèle.
([93]) La formation en quatrième année a ainsi été ouverte en 2023. L’ouverture de la cinquième année est prévue pour août 2025 et celle de la sixième année en août 2026.
([94]) L’OMS distingue trois niveaux de prévention. La prévention secondaire caractérise une intervention qui cherche à diminuer la prévalence d’une maladie dans une population, tandis que la prévention tertiaire intervient après la survenue de la maladie et tend à réduire les complications et les risques de rechute.
([95]) IV de l’article L. 1434‑10 du code de la santé publique.
([96]) Entrée en vigueur au 1er janvier 2016 au niveau national, la Puma permet la prise en charge des frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie, pour les personnes qui travaillent ou résident en France de manière stable ou régulière. Cette prise en charge est assurée même en cas de changement de situation professionnelle, familiale ou de résidence.
([97]) Les données transmises par la DSS, basées sur le dernier rapport d’activité de la CSSM, indiquent que sur près de 570 millions d’euros de prestations versées en 2023, les dépenses du risque maladie se sont élevées à près de 423 millions d’euros, dont 266 millions d’euros de dotations annuelles de financement à l’hôpital et 121 millions d’euros de prestations en soins de ville, soit +6,23 % par rapport à 2022. Ces dépenses sont couvertes à hauteur de 88 millions d’euros par les cotisations recouvrées par la CSSM, le reste étant financé par le régime général de sécurité sociale. Mayotte bénéficie des mêmes fonds que la France métropolitaine et les Drom, notamment le fonds d’intervention régional (FIR).
([98]) Compte tenu notamment d’un montant minimum de pension d’invalidité à Mayotte de la moitié du SMIC, donc nettement plus élevé que dans les autres territoires.
([99]) Article 53 de la loi n° 2018‑1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.
([100]) Drees, La complémentaire santé : acteurs, bénéficiaires, garanties, Panoramas de la Drees, édition 2024.
([101]) Article 51 de la même loi.
([102]) La CSSM couvre en 2023 près de 217 000 personnes, soit 110 000 assurés et 107 000 ayants droit.
([103]) Les Pass sont des unités de soins hospitalières ouvertes à toute personne malade en situation de précarité. Elles proposent une prise en charge médicale et sociale, ou une orientation, pour des personnes ayant besoin de soins mais ayant du mal à y accéder, du fait de l’absence de protection sociale, de leurs conditions de vie, ou de leurs difficultés financières.
([104]) Les chiffres transmis par la Croix-Rouge montrent ainsi que le coût de l’acheminement représente 60,38 % de la valeur de la marchandise, le coût de l’octroi de mer représentant 23,55 % de cette valeur.
([105]) Avis n° 471, tome VI, de M. Yoann Gillet au nom de la commission des lois sur la mission Outre-mer du projet de loi de finances pour 2025.
([106]) Cette opération a été lancée en avril 2023 par le ministère de l’intérieur avec le triple objectif de détruire les bidonvilles, de lutter contre la délinquance et d’expulser les personnes en situation irrégulière.
([108]) Avis précité.