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N° 527
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 octobre 2024
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2025 (n° 324)
TOME V
DÉFENSE
prÉparation et emploi des FORCES :
MARINE
PAR M. Yannick CHENEVARD
Député
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Voir le numéro : 324
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SOMMAIRE
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Pages
A. LES CRÉDITS DE LA MARINE POUR 2025 : UNE ÉVOLUTION POSITIVE CONFORME À LA LPM
1. Les commandes et les livraisons effectuées en 2024 et les perspectives pour 2025
2. Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals
3. Une évolution significative des crédits d’infrastructures
a. Les campagnes de recrutement
3. Le renforcement des liens avec la société civile
b. Le cas particulier de la marine marchande
1. Les erreurs du passé se paient encore aujourd’hui
2. Des menaces toujours plus nombreuses et plus intenses
B. les menaces obligent la marine À s’adapter afin d’y faire face
2. Des armements et des stratégies à adapter
DeuxiÈme partie : Les dÉtroits dans l’ocÉan indien, passages stratÉgiques et vulnÉrables
I. Les dÉtroits dans l’ocÉan indien : points stratÉgiques mais vulnÉrables du commerce international
A. Les dÉtroits et le droit qui leur est applicable
1. Les trois principaux détroits de l’océan Indien
d. Les autres points d’intérêt
B. l’intÉrÊt stratÉgique des dÉtroits les expose À de nombreuses menaces
a. Des points de passage essentiels au trafic maritime et, de ce fait, à l’économie mondiale
b. Une dépendance aux détroits variable selon les États
a. Le détroit d’Ormuz : guerres et rivalités stratégiques
b. Le canal de Suez : guerre et naufrage
c. Le détroit de Bab-El-Mandeb : guerre, piraterie et terrorisme
d. Le détroit de Malacca : piraterie
C. Une militarisation accrue du nord-ouest de l’ocÉan indien
1. Les opérations visant à préserver la liberté de navigation
a. La lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden
b. La désescalade dans le détroit d’Ormuz
2. Le développement d’une présence militaire permanente
II. La guerre en Mer rouge et ses consÉquences : une crise qui en annonce d’autres
2. Des conséquences différenciées selon les acteurs et les secteurs
b. La fragilisation de l’Égypte
c. Des risques majeurs pour l’environnement
B. les crises À venir dans les dÉtroits pourraient Être d’une plus grande ampleur
1. La rivalité sino-américaine
2. Le conflit-israélo-palestino-iranien et ses développements régionaux
A. la France a engagÉ l’ensemble de ses moyens pour prÉserver la libertÉ de circulation
a. Les forces françaises de Djibouti
b. Les forces françaises aux Émirats arabes unis
c. Les forces armées dans la zone sud de l’océan Indien
1. Proposition n° 1 : Renforcer et adapter les capacités de la Marine aux nouvelles menaces
2. Proposition n° 2 : Consolider l’action de l’Union européenne dans le nord-ouest de l’océan Indien
I. Audition de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’État- Major de la Marine
Annexe : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur POUR AVIS
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PremiÈre partie :
Les crÉdits, l’environnement et l’activité de la Marine
en 2024 et les perspectives pour 2025
I. POUR ACCOMPLIR SES MISSIONS, LES MOYENS DE LA MARINE AUGMENTERONT EN 2025 CONFORMÉMENT À LA NOUVELLE LPM
A. LES CRÉDITS DE LA MARINE POUR 2025 : UNE ÉVOLUTION POSITIVE CONFORME À LA LPM
Pour 2025, les crédits de l’action 3 « Préparation des forces navales » du programme 178 pour 2025 et les crédits de titre 2 inscrits au programme 212 pour les forces navales sont détaillés comme suit :
Par rapport au PLF 2024, les évolutions sont positives et conformes à la LPM 2024-2030 :
Les augmentations en autorisations d’engagement (AE) et en crédits en paiement (CP) sur la sous-action 01 « Commandement et activité des forces navales » traduisent notamment l’augmentation des coûts sur les activités opérationnelles (affrètements, dépenses d’escales, frais de déplacement…) ainsi que le recomplètement des stocks de munitions non complexes pour respecter la posture de réactivité multimilieux multichamps (PR M2MC). Ces augmentations reflètent également le renforcement qualitatif de la préparation opérationnelle orientée vers le combat de haute intensité.
L’augmentation des ressources en CP de la sous-action 05 « Ressources humaines des forces navales », vise à maintenir les efforts de recrutement, de fidélisation et de formation des marins. Elle permet de compenser l’inflation et de soutenir l’augmentation des flux de formation nécessaire à la satisfaction du besoin opérationnel.
La ressource en AE associée à la sous-action 07 « Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales » présente une hausse importante en raison du renouvellement de certains contrats de MCO liés aux prochains chantiers d’entretien majeur et aux opérations d’entretien courant des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). La ressource en CP est en augmentation pour renforcer la disponibilité des forces et couvrir différents surcoûts correspondant au traitement des obsolescences, aux prolongations de moyens anciens et à la montée en puissance des flottes intérimaires.
L’augmentation de la ressource en AE associée à la sous-action 08 « Environnement opérationnel des forces » s’inscrit dans la trajectoire prévue de renouvellement des équipements des commandos marine et d’accompagnement de la montée en puissance de la réserve opérationnelle.
Le niveau de ressource en AE et en CP de la sous-action 11 « Infrastructures maritimes » traduit l’effort important consenti dans la remise à niveau des infrastructures de la Marine nationale au profit des unités soutenues. Les principaux autres investissements concernent la modernisation des installations portuaires des ports métropolitains de Brest, Lorient et Toulon.
L’augmentation de 1 % du plafond d’emplois sur la sous-action 56-01 « Ressources humaines des forces navales » induit une hausse de 1 % des crédits programmés, très inférieure à celle de l’année dernière. Selon les informations transmises à votre rapporteur, ce chiffre s’explique par une stabilisation des prévisions de dépenses après une annuité 2024 particulière marquée par :
– des mesures catégorielles avec effet en année pleine, telles que l’attribution de 5 points d’indice majorés supplémentaire à tous les agents ou l’attribution spécifique de 1 à 9 points d’indices majorés supplémentaires pour les agents les moins rémunérés ;
– l’extension en année pleine du troisième volet de la NPRM entré en vigueur fin 2023, qui a engendré mécaniquement en 2024 un surcoût par rapport aux anciennes indemnités.
Si l’année 2025 prévoit également l’extension en année pleine de la révision de la grille indiciaire des sous-officiers supérieurs ainsi que la révision de la grille indiciaire des officiers, ces dépenses nouvelles sont moindres que celles engendrées par les phénomènes évoqués supra.
Les crédits relevant de ces différentes actions, présentés ici globalement, seront analysés plus précisément dans les parties dédiées du présent rapport.
1. Les commandes et les livraisons effectuées en 2024 et les perspectives pour 2025
Les commandes et les livraisons de matériels militaires dans le domaine de la Marine, si elles relèvent formellement du Programme 146, intéressent néanmoins votre rapporteur qui, dans le présent rapport, a l’ambition de présenter une vision globale des enjeux de la Marine.
Désormais, pour des raisons évidentes, ces informations ne sont plus publiques mais elles sont néanmoins communiquées à votre rapporteur. Votre rapporteur se contentera donc de renvoyer au dossier de presse du ministère des Armées qui contient quelques informations utiles sur les livraisons prévues en 2025 : 1 frégate de défense et d’intervention (FDI), 2 avions de patrouille maritime rénovés, 2 modules de lutte contre les mines, 1 bâtiment ravitailleur des forces (BRF), 2 patrouilleurs d’outre-mer (POM), des torpilles lourdes F21 et des missiles Aster. Le projet annuel de performance (PAP) de la mission défense confirme quant à lui la commande, en 2025, du PA-ng, ouvrant à cette fin les crédits en AE (10,25 milliards d’euros).
2. Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals
Les crédits de la sous-action 03-07 « Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales » augmenteront de 10 % en AE, à 3,026 milliards d’euros, et de 11 % en CP, à 2,748 milliards d’euros. Cette nouvelle augmentation, après celle de l’année dernière, concrétise la priorité que constitue le MCO dans le cadre de la LPM 2024-2030 et permettra de renforcer la disponibilité des forces et de couvrir les surcoûts, caractérisés notamment par la prolongation de certains moyens anciens et les travaux de rénovation à mi-vie des missiles de la Marine.
S’agissant plus spécifiquement du MCO aéronautique, la hausse des crédits en AE permettra notamment de contractualiser la mise en place de flottes intérimaires (location d’heures de vol auprès d’un prestataire) et du programme Balbuzard (location de biréacteurs civils, en solution de remplacement des Falcon d’ici 2026). En complément, le supplément de CP couvrira l’inflation et les aléas techniques rencontrés sur les flottes ATL2 et NH90, ainsi que les nouveaux standards Rafale et ATL2, plus complexes.
S’agissant des hélicoptères NH90, justement, votre rapporteur n’a pu que constater, lors de ses auditions, la persistance de graves problèmes de maintenance qu’il s’est efforcé de mieux comprendre. Si le NH90 est, de l’avis général, une remarquable machine, elle souffre néanmoins de trois défauts :
– un défaut de conception lié à la corrosion des matériaux. Si la corrosion découlant du milieu marin est aujourd’hui maîtrisée, il n’en va pas de même pour celle résultant des matériaux entre eux ;
– un plan de maintenance très compliqué, qui implique des immobilisations trop fréquentes et trop longues ;
– cette complexité découle en partie de l’organisation industrielle du programme NH90 qui associe Fokker, Leonardo et Airbus Helicopters, trois entreprises qui sont par ailleurs en concurrence sur de nombreux marchés et pour lesquelles la maintenance des NH90 n’est pas forcément la priorité.
Ne pouvant faire état publiquement de la disponibilité des NH90 – dont la faiblesse est pourtant de notoriété publique même si quelques progrès ont récemment été enregistrés, il se bornera à souligner que cette faible disponibilité impacte tant la préparation opérationnelle des pilotes que les opérations elles-mêmes.
3. Une évolution significative des crédits d’infrastructures
Le montant des crédits pour les infrastructures maritimes s’élèvera en 2025 à 501 millions d’euros en AE et 348 millions d’euros en CP, en augmentation respectivement de 52 % et 3 %. Hors dissuasion, les chiffres s’élèvent à respectivement 286,9 et 162,8 millions d’euros (arrondis), en augmentation de 92 % en AE et de 3 % en CP. Cet effort considérable en AE permettra de poursuivre la mise à niveau des infrastructures de la Marine, parmi lesquels l’adaptation des appontements Milhaud à Toulon pour l’accueil des nouveaux navires ainsi que la modernisation des réseaux électriques des ports de Brest et Toulon.
Ces crédits soutiendront également la conduite des travaux majeurs relatifs aux installations industrialo-portuaires dans les ports militaires :
– Brest : remise à niveau des infrastructures portuaires (adaptation des infrastructures pour l’accueil du BRF et FDI, réhabilitation du bassin 1 et carénage de grues de quai) ;
– Toulon : refonte de l’épi des Avisos et remise à niveau des grands bassins Vauban (amélioration et renforcement des installations de pompage, préalablement à l’arrêt technique majeur n° 3 du porte-avions) ;
– Landivisiau : remise à niveau de la plateforme aéronautique (balisage de la plateforme) ;
– Cherbourg : construction d’un stand de tir acoustique de 200 m (IPO) ;
– Toulon : poursuite des travaux d’amélioration de la sécurité-protection sur la base navale.
Seules les infrastructures dites technico-opérationnelles métropolitaines relèvent de l’action 03 du P178. Afin d’avoir une vision plus globale des infrastructures de la Marine, votre rapporteur s’est intéressé aux infrastructures d’outre-mer, donc les crédits sont retracés dans l’action 05 sous-action 89 du même programme s’agissant des infrastructures hors du territoire métropolitain. Des travaux importants sont ainsi prévus à Djibouti (mise à niveau sécuritaire du Poste d’Accueil Filtration, accostage des pousseurs 10 tonnes et réhabilitation du quai) et à La Réunion (adaptation des quais de la darse Foucque pour l’accueil des POM). Des travaux considérables sont par ailleurs en cours de planification pour le futur accueil du PA-ng à Toulon en 2035, lesquels relèvent du P146.
Enfin, s’agissant des crédits des infrastructures de vie, qui relèvent du P212, les auditions ont confirmé à votre rapporteur l’effort de la Marine en ce domaine, en particulier vis-à-vis des futurs marins puisqu’un « Plan hébergement » permettra la rénovation de 770 lits dans les écoles de la Marine, notamment l’école de maistrance à Brest.
C. LES RESSOURCES HUMAINES : UN DÉFI PERMANENT POUR RENOUVELER LES HOMMES ET MAINTENIR LES COMPÉTENCES
a. Les campagnes de recrutement
La stratégie de marketing de recrutement et de communication adoptée par la Marine, représente un coût de 10 millions d’euros par an, dont 6 millions d’euros dédiés à l’achat d’espaces publicitaires. Trois critères (fréquentation, dépôts de candidature, prises de rendez-vous) permettent de mesurer son efficacité, qui est en constante augmentation : augmentation de la fréquentation du site lamarinerecrute.fr de + 66 % entre 2022 et 2023 (1,68 million de visites en 2022, 2,84 millions en 2023), des dépôts de candidatures sur le site (+ 23 % en 2023), ainsi que les prises de rendez-vous dans les CIRFA (+ 40 %).
Cette stratégie comprend des dispositifs très variés allant de l’organisation de campagnes publicitaires nationales (TV, affichage…), à la présence dans les salons des métiers et de l’orientation, en passant par de nombreux dispositifs digitaux dédiés à l’emploi et à la jeunesse (plateformes emplois, CVthèques, plateformes d’ambassadorat, réseaux sociaux…). La Marine est également présente en permanence sur Internet via son site carrière lamarinerecrute.fr. Si la campagne 2020-2023 valorisait la diversité des emplois, la nouvelle stratégie de marketing 2024-2028, lancée en mars 2024, insiste sur les perspectives d’une vie d’aventures.
Le flux de recrutement de la Marine s’établit comme suit :
Catégories |
2022 (réalisé) |
2023 (réalisé) |
2024 (perspectives) |
Officiers |
210 |
200 |
197 |
Officiers mariniers |
1 088 |
1 201 |
1 212 |
QMF |
2 012 |
1 836 |
2 010 |
Volontaires dont VOA |
162
|
237
|
193
|
Apprentis dont Mousses |
254 |
258 |
270 |
TOTAL |
3 726 |
3 732 |
3 882 |
Source : état-major de la Marine
Le tableau suivant retrace quant à lui les effectifs terminaux prévisionnels de la Marine nationale en 2025 ainsi que la moyenne d’âge, par grade :
Catégories |
ETP 2025 |
Âge moyen |
Officiers |
5 428 |
38,1 |
Officiers mariniers |
24 560 |
34,6 |
QMM |
7 813 |
23,7 |
Volontaires |
277 |
24,5 |
Apprentis militaires |
203 |
17,8 |
TOTAL |
38 281 |
27,74 |
Source : état-major de la Marine
La Marine a confirmé à votre rapporteur que, s’agissant du recrutement officier, les objectifs de 2024 seront atteints d’un point de vue quantitatif et qualitatif. La sélectivité reste élevée d’une manière générale (supérieure à cinq et parfois à dix pour les spécialités opérationnelles) pour les concours externes (École navale et Officier Sous Contrat).
Pour le recrutement non-officier, qui se fait au fil de l’eau tout au long de l’année, l’évolution des flux de recrutement est pour le moment conforme aux années précédentes, malgré un ralentissement dans la transformation des dossiers de candidature en contrats signés. Toutefois, après plusieurs années de forte hausse des ambitions et des résultats, un plateau semble être atteint depuis 2023 s’agissant du recrutement des militaires du rang (quartiers-maîtres et matelots) et dans une moindre mesure sur celui des sous-officiers (officiers mariniers).
La Marine fait en particulier face à deux difficultés :
– l’évolution sociologique des candidats (volatilité, peur de l’engagement, manque de résilience, baisse du niveau scolaire et sportif) et le défi de la réorientation (90 % d’une classe d’âge bachelière et entamant des études supérieures, davantage attirés par les cursus officiers ou école de maistrance que vers les parcours militaires du rang, ou postulant pour des filières emblématiques et sursaturées) ;
– des tensions récurrentes sur certaines spécialités appartenant aux domaines du numérique, de l’aéronautique, du nucléaire, de la restauration et de la maintenance. Ces tensions sont appelées à durer en raison d’un marché de l’emploi fortement concurrentiel (taux d’emploi des jeunes de 15-24 ans historiquement fort et hausse des besoins d’employeurs disposant de moyens financiers parfois hors de portée pour la Marine).
Face à ce défi permanent du recrutement et à la forte concurrence du secteur privé, la Marine a mis en œuvre plusieurs mesures à destination de la jeunesse :
– la poursuite de l'amélioration de l’expérience candidat avec, en 2024, la numérisation et la simplification du dossier administratif ;
– le renforcement des partenariats avec les établissements scolaires (plus de 113) et les acteurs de l’emploi et de l’insertion des jeunes : renouvellement de la convention avec France Travail, approfondissement du partenariat avec Nomad Education, leader du soutien scolaire…
– le développement, avec le soutien de l’Éducation nationale, de filières « intégrées » (BUT de l’EAMEA MSP NUC, BTS CIEL, École des apprentis…).
Enfin, des études sont menées sur la valorisation des carrières dans les spécialités en tension et sur l'extension de la limite d'âge au recrutement pour anticiper le vieillissement de la population active et étendre les viviers.
a. Une durée de service qui, en 2024, reste dans la moyenne haute, malgré de fortes disparités selon les filières et les spécialités
Votre rapporteur a, comme chaque année, demandé à la Marine d’actualiser les données relatives aux années de service des marins, lesquelles sont retracées dans le tableau suivant :
Source : état-major de la Marine
Ces indicateurs montrent une relative stabilité de la durée des services chez les marins de carrière, comme chez les officiers sous contrat. On note toutefois, pour 2023, une hausse du temps de service chez les officiers mariniers sous contrat, dans laquelle la Marine voit un effet positif des nombreuses mesures de fidélisation qu’elle a mis en œuvre. Celles-ci s’organisent selon trois piliers :
– les mesures financières, avec la mise en œuvre du dernier volet de la NPRM, la revalorisation des grilles indiciaires et l’utilisation des primes et leviers de fidélisation, dont la prime de lien au service (PLS) ;
– les mesures de carrière avec notamment l’individualisation de la gestion de celle-ci, la modernisation de la formation initiale et continue (avec la digitalisation), le renforcement de la force morale et du sentiment d'appartenance de chaque marin à l'institution…
– la conciliation vie privée et vie professionnelle, via la mise en œuvre du Plan Famille 2 et des mesures « Fidélisation 360° » qui poursuivent, sur la période de la LPM 2024-2030, poursuivent certaines actions du Plan Famille 1 : développement de la garde d’enfants (construction de crèches et de maisons d’assistantes maternelles), intensification de la prise en compte des sujétions opérationnelles pour l’octroi d’aides…
Ces mesures vont le bon sens et votre rapporteur espère qu’elles permettront de réduire le risque que fait peser le manque de personnel dans certaines spécialités clés, notamment dans l’aéronavale, où le déficit RH s’élève à 12 % des effectifs (4 500 « marins du ciel »). Les spécialités concernées : contrôleur aérien, spécialiste de l’armement des missiles, spécialiste hélicoptères d'aéronautique navale (Hélaé) ou encore opérateur-préparateur de mission, sont critiques. Sans elles, c’est toute la mission qui est susceptible d’être remise en cause. Face à ces manques, l’éventail des solutions est réduit et n’est pas sans inconvénient : s’il est possible de faire appel aux réservistes, leur nombre n’est pas suffisant. On peut également solliciter plus fortement les personnels, mais avec le risque alors que ceux-ci se fatiguent, se lassent des contraintes et finalement quittent la Marine. Ne reste donc parfois, comme solution, qu’annuler ou reporter la mission.
b. La mise en œuvre de la NPRM comme les mesures de la LPM contribuent à maintenir l’attractivité de la carrière de marin
La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont le dernier volet est désormais en vigueur, est particulièrement appréciée des marins, même si certaines inquiétudes ont surgi. Elle est en effet susceptible d’avoir un impact sur leur taux d’imposition. L’impact de la fiscalisation de l’indemnité de garnison est quant à lui encore difficile à évaluer (chaque foyer fiscal ayant des paramètres propres) mais va mécaniquement conduire à une hausse du niveau moyen d’imposition des marins et par conséquent à l’éviction de certaines prestations sociales soumises au quotient familial. La clause de revoyure prévue en 2026 est essentielle pour tirer les enseignements trois ans après le déploiement. Elle devra prendre en compte la compensation de l’érosion des forfaits conséquente à l’inflation.
S’agissant de la grille indiciaire des militaires, l'article 7 de la LPM 2024-2030 dispose que « les grilles indiciaires des militaires du rang seront révisées avant la fin de l'année 2023. Les grilles indiciaires des sous-officiers et des militaires assimilés seront révisées avant la fin de l'année 2024. Les grilles indiciaires des officiers seront révisées avant la fin de l'année 2025. »
Ces révisions visent, par une mise en cohérence d’ensemble (militaires du rang, sous-officiers et officiers), à renforcer l’attractivité, la fidélisation et l’expertise. En accompagnement des mesures générales interministérielles (attribution de 1 à 9 points d’indice majoré supplémentaires à certains échelons des premiers grades des militaires du rang (MDR) et des sous-officiers, entrée en application le 1er juillet 2023), une progressivité renforcée de la grille indiciaire des MDR a été mise en place ainsi qu'une réévaluation de la grille indiciaire des sous-officiers afin de préserver l’escalier social :
– le « détassement » de la grille indiciaire des militaires du rang (MDR) a été mis en place le 1er novembre 2023 (suppression de l’échelle de solde n° 2 des MDR et maintien des échelles de solde n° 3 et 4 permettant de rétribuer la motivation à poursuivre l’acquisition de nouvelles qualifications) ;
– une revalorisation de la grille des sous-officiers supérieurs est prévue à compter du 1er décembre 2024.
La prochaine étape est une différenciation des parcours indiciaires des officiers en fonction des potentiels et performances constatés. Le ministère des Armées projette de mettre en œuvre une grille indiciaire des officiers rénovée à compter du 1er novembre 2025 pour conserver sur l’ensemble de la carrière de l’officier une dynamique indiciaire à des fins de fidélisation et de reconnaissance des potentiels. Ce projet de grille créerait trois échelles de solde distinctes :
– 1re échelle : officiers subalternes et officiers supérieurs non brevetés du grade de sous-lieutenant au grade de lieutenant-colonel ;
– 2e échelle : officiers brevetés de l’Enseignement militaire supérieur de deuxième degré (École de guerre ou équivalent), du grade de commandant à colonel ;
– 3e échelle : les colonels ou équivalents diplômés de l’EMS3 et généraux. Cette troisième échelle de solde permet de valoriser les officiers ayant un potentiel de cadres dirigeants.
3. Le renforcement des liens avec la société civile
Votre rapporteur n’a malheureusement pas obtenu les réponses qu’il souhaitait à ses questions sur la réserve opérationnelle de la Marine. Il n’est donc pas en mesure d’évaluer la montée en puissance de celle-ci, que la LPM souhaite doubler d’ici à 2030.
Tout au plus peut-il se féliciter, grâce aux informations parues dans la presse, de la concrétisation des flottilles de réserve côtière prévues dans le cadre de la LPM 2024-2030, dont les missions relèvent autant des missions militaires de protection du littoral : patrouille, renseignement, observation…, que de l’action de l’État en mer, en collaboration avec la gendarmerie, les douanes… Les premières escouades de la flottille de Brest seront bientôt opérationnelles. En 2025, elle comptera trois escouades de plus. La flottille de la Méditerranée sera créée la même année avec deux escouades ; toujours en 2025, les escouades des Antilles et de Nouvelle-Calédonie verront le jour. Pour la Manche et la mer du Nord, l’état-major et deux escouades sont annoncés en 2026.
b. Le cas particulier de la marine marchande
Les liens entre la marine marchande et la Marine nationale sont anciens, ces deux marines partageant par nature de nombreux savoir-faire en matière de navigation, manœuvre, mise en œuvre de plateformes propulsées, sécurité, etc.
Certains officiers de marine marchande ayant, auparavant, servi dans la Marine nationale gardent un lien dans la durée avec celle-ci, parfois avec un bâtiment ou un type de bâtiment avec lequel ils entretiennent ainsi une qualification immédiatement employable pour une mission ponctuelle sous statut d’officier de réserve.
La Marine nationale propose par ailleurs une préparation militaire supérieure dédiée (PMS MARMAR), à l’issue de laquelle les stagiaires souscrivent un contrat d’engagement à servir dans la réserve opérationnelle (ESR) d’un an. À l’issue de cette formation, des postes sous ESR sont ouverts principalement au profit de la force d’action navale (FAN) et du ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires (MTECT, pour la direction des affaires maritimes).
Comme votre rapporteur le préconisait dans le cadre de la mission gouvernementale que la première ministre lui avait confiée en 2023 sur « la réévaluation de dispositif de la flotte stratégique », plusieurs autres mesures ont été mises en œuvre afin de rapprocher la Marine de la marine marchande.
Dans le cadre des objectifs fixés par la LPM 2024-2030, les travaux de restructuration de la réserve opérationnelle en cours au sein de la Marine nationale ont permis d’identifier le renforcement du lien avec la Marine marchande comme un axe d’effort, cette dernière constituant un vivier naturel de renfort en cas de crise majeure ou de conflit. Depuis quelques mois, des actions sont menées afin de susciter davantage de volontaires parmi les officiers de Marine marchande et de créer des postes de réserve opérationnelle cohérents avec leurs compétences et leurs disponibilités. C’est ainsi qu’en 2024, on compte 19 stagiaires PMS sous ESR.
La coopération entre Marine nationale et marine marchande passe également par le développement des liens entre l’École navale et l’école nationale supérieure maritime (ENSM). Ceux-ci passent par la participation croisée de leurs deux directeurs aux conseils d’administration respectifs de ces écoles, dont la traduction concrète est le développement de synergies en matière scientifique (mise en place de projets de recherche d’intérêt conjoint, comme sur le roulis), pédagogique (études pour croiser les compétences les plus importantes pour développer le sens marin) ou sportif (organisation d’événements communs dans les sports emblématiques comme la voile, par exemple). Les deux établissements construisent également des parcours croisés, permettant d’offrir plus de perméabilité entre les deux Marines. Ainsi, l’ENSM propose à ses élèves intéressés un volontariat officier aspirant chef de quart au sein de la Marine nationale, éventuellement sous la forme d’une année de césure. Par ailleurs, les deux écoles travaillent à la mise en place d’équivalences pour les niveaux « commandant et commandant en second », ainsi que les modalités d’accès au concours d’officier de port adjoint. Enfin, l’ENSM est partie prenante du projet de construction d’une flotte stratégique, et cette thématique structurera vraisemblablement les échanges avec l’École navale pour sa réalisation.
La Marine nationale anime un réseau d’environ 500 réservistes citoyens. Ces personnalités issues de tous les secteurs de la société civile constituent un levier d’influence privilégié pour diffuser les messages que la Marine nationale souhaite véhiculer. En outre, nombreux sont ceux qui apportent bénévolement leur expertise particulière et leurs compétences à l’institution, notamment via les travaux de réflexion des groupes « Alidade » ou la plateforme de mentorat « La Passerelle ».
Le recrutement des réservistes citoyens se fait de manière centralisée par le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM) afin de garder une vision globale du vivier et d'en faciliter la gestion. Il se veut adapté aux besoins spécifiques de chaque autorité militaire de rattachement. Celles-ci sont donc consultées lors de la phase de présélection des candidatures pour s’assurer de leur pertinence. L’animation et l’emploi des réservistes citoyens sont ensuite pilotés par le CESM, en complément de l’animation de proximité assurée par les autorités militaires de rattachement précitées. Ce double lien a pour but de dynamiser et d’informer ce réseau, alimenté de cette manière par diverses communications, des événements ou des visites
II. Un effort en faveur de notre dÉfense qu’il faudrait amplifier face À l’Évolution des menaces prÉsentes et À venir
A. les menaces sont telles qu’elles interdisent tout relâchement dans l’effort de rÉarmement de notre pays
1. Les erreurs du passé se paient encore aujourd’hui
Alors que notre pays fait face à une situation budgétaire très compliquée, des voix se sont élevées pour que tous les ministères contribuent au redressement des finances publiques, même s’il fallait revenir pour ce faire sur les engagements pris dans le cadre des lois de programmation pluriannuelles. Les armées, par les masses financières importantes qu’elles représentent autant que par la discipline qui les caractérise, étaient les victimes toutes désignées de cette pratique dont notre pays a malheureusement abusé par le passé.
En effet, à partir de 1989, la chute du mur de Berlin, la dislocation de l’Union soviétique et le triomphe de la démocratie libérale ont laissé penser que la paix perpétuelle était à portée de main. Certes, l’OTAN avait survécu mais l’Occident n’avait, à cette époque, plus d’ennemis désignés. Si des guerres pouvaient encore éclater, elles restaient d’une ampleur somme toute limitée et, si nous devions intervenir, l’écrasante supériorité de nos armées nous garantissait la victoire facile.
Dans ces conditions, entretenir les armées de masse qui étaient celles de la Guerre froide n’était plus à l’ordre du jour et notre pays, comme l’ensemble du bloc occidental, pressé de toucher les dividendes de la paix, a entrepris de réduire considérablement la taille de ses armées et les dépenses qui leur étaient affectées. Alors que le budget de la Défense culminait à 6 % du PIB dans les années soixante, il a progressivement diminué jusqu’à tomber à 1,85 % en 2013. Le format de la Marine, comme celui des deux autres armées, a par conséquent dû faire l’objet d’une sévère adaptation : de deux porte-avions (le Foch et le Clémenceau), il ne lui en reste aujourd’hui plus qu’un (le Charles-de-Gaulle). De huit sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) initialement prévus, le nombre a été réduit à six dès les années quatre-vingt-dix. Quant aux nombres de frégates de premier rang, la cible a progressivement été diminuée avant d’être fixée à quinze par le Livre blanc de 2013.
La baisse des crédits pendant trois décennies a aussi eu pour conséquence que le renouvellement de la flotte n’a pu se faire, pour l’ensemble des bateaux, dans les délais exigés par leur obsolescence. C’est le cas notamment des patrouilleurs hauturiers Aviso, des chasseurs de mines tripartites, des patrouilleurs de service public ou des frégates Lafayette, dont toutes n’ont pas été rénovées. Les programmes de renouvellement ont été finalement lancés mais les nouveaux bateaux n’arriveront pas tous avant le retrait des anciens du service actif, créant une réduction temporaire de capacité au détriment de l’efficacité de la Marine. À titre d’exemple, faute de patrouilleur hauturier et de FDI, c’est une frégate Lafayette qui a été déployée cet été au large de l’île Longue pour sécuriser la sortie du SNLE. En outre, la prolongation au-delà de leurs limites de bâtiments anciens entraîne un surcoût important en matière de MCO. La situation est particulièrement critique s’agissant des patrouilleurs hauturiers, qui n’arriveront qu’en 2027-2028, et des chasseurs de mines tripartites, qui ne seront pas remplacés avant la fin de la décennie, alors même que les mines sont aujourd’hui une réalité en mer Noire et peut être, demain, en mer Rouge.
Les choix qui ont été faits à l’époque reposaient sur le pari que la paix serait perpétuelle et la guerre mise hors la loi par le droit et rendue impossible par l’universalisation de la démocratie et des droits de l’Homme. On le sait aujourd’hui, ce pari est perdu et la guerre de retour à nos portes sans que nos moyens ne soient adaptés à ce nouveau contexte.
2. Des menaces toujours plus nombreuses et plus intenses
L’actualité le confirme chaque jour. Le monde est plus dangereux que jamais et la guerre une réalité sur tous les continents, y compris le continent européen. La menace est également présente sur l’ensemble des mers et océans de la planète. Longtemps un sanctuaire à partir duquel les Occidentaux envoyaient leurs troupes, leurs missiles et leurs avions dans des guerres asymétriques, les mers sont redevenues des espaces de compétition, de contestation et de confrontation.
La conséquence de ce changement radical de l’environnement marin est la suractivité de la Marine ces dernières années. Malgré ses moyens contraints, la Marine assure ses missions sur l’ensemble des mers, partout où les intérêts de la France et de ses alliés l’exigent :
– pour évacuer les ressortissants français, au Yémen, en Haïti et peut-être, demain, au Liban ;
– pour lutter contre les trafics illicites, en particulier le trafic de drogue, dans les Caraïbes ou dans l’océan Indien ;
– pour protéger nos zones économiques exclusives, notamment contre la pêche illégale, au large de la Guyane ou dans l’océan Pacifique ;
– pour soutenir la liberté de navigation partout où elle est menacée, de la mer Rouge au détroit de Taïwan, en passant par le détroit d’Ormuz ;
– pour permettre la mise en œuvre de la dissuasion, via le déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, lequel exigent le concours de l’ensemble des moyens de la Marine (SNA, navires de surface, ATL2…) ;
– pour participer avec nos alliés aux différents exercices, notamment dans le cadre de l’OTAN, qui permettent d’accroître les compétences des marins tout en renforçant l’interopérabilité entre les différentes marines.
Les menaces contre nos intérêts sont ainsi nombreuses et le sont de plus en plus. Elles sont aussi plus intenses. La haute intensité est souvent présentée comme une perspective à laquelle il faut se préparer. Or, pour les marins qui, en mer Rouge, ont abattu les missiles et les drones qui cherchaient à couler leur navire, la haute intensité est déjà une réalité.
Dans ces conditions ; l’effort de réarmement entamé en 2018 avec l’adoption de la LPM 2019-2023 ne peut pas être relâché. Il doit être poursuivi avec constance et détermination afin que nos armées soient en mesure de faire face aux menaces et défendre nos intérêts et nos ressortissants. De ce point de vue, toute diminution de l’effort serait une faute dont le prix sera payé par nos enfants et nos petits-enfants. Le temps de la Marine, comme celui de l’armée de l’Air et de l’armée de Terre, est un temps long. Les décisions prises aujourd’hui commandent la sécurité de la Nation pour les prochaines décennies. Ne renouvelons pas les erreurs du début des années quatre-vingt-dix, dont nous subissons les conséquences aujourd’hui.
B. les menaces obligent la marine À s’adapter afin d’y faire face
Non seulement l’effort de réarmement doit se poursuivre, conformément à la LPM, mais il devra probablement être amplifié. En effet, ce que nous montre la suractivité de la Marine comme l’ampleur des menaces auxquelles notre pays fait face, c’est que son format est aujourd’hui inadapté.
Ainsi qu’il a été dit supra, le format à quinze frégates de premier rang remonte au Livre blanc de 2013. À cette époque, l’environnement stratégique était très différent de ce qu’il est actuellement. La Russie n’avait pas encore annexé la Crimée ni déstabilisé l’Ukraine. La Chine venait de lancer ses « Nouvelles routes de la soie » et commençait à peine son réarmement naval. Notre pays était solidement implanté en Afrique, fort du succès de l’opération Serval. Les quelques crises qui ont marqué cette époque (Libye, piraterie dans le golfe d’Aden ou terrorisme islamiste) étaient des crises somme toute classiques, c’est-à-dire asymétriques.
Or, tel n’est plus le cas. Comme l’a souligné l’ancien chef d’état-major de la Marine, l’amiral Pierre Vandier, d’un monde de crises, nous sommes passés à un monde de chocs. La différence entre les deux est majeure. Une crise a généralement une fin et cette fin signifie le retour à l’état antérieur. Au contraire, un choc modifie définitivement l’état antérieur auquel on ne reviendra jamais. De plus, ces chocs sont simultanés : une guerre de haute intensité est en cours en mer Rouge, le Proche-Orient est proche d’un embrasement général, la Chine multiplie les manœuvres autour de Taïwan tandis qu’en Afrique, l’heure approche de l’explosion de la bombe démographique.
Dans ces conditions, le format de la Marine tel qu’il est issu du Livre blanc de 2013, confirmé par les revues stratégiques successives, apparaît désormais inadapté. C’est un fait. À quinze frégates de premier rang, notre Marine est aujourd’hui la plus petite Marine qu’ait jamais connue notre pays. Rehausser ce nombre à dix-huit apparaît un minimum si l’on veut garantir à la Marine, sur le long terme, les moyens de remplir ses missions et, à notre pays, ceux de tenir son rang. Envisager un deuxième porte-avions, qui donnerait à notre pays la capacité d’un déploiement simultané, sur deux théâtres ou la permanence à la mer d’un GAN est une nécessité, appuyée sur l’opportunité que constituera le tuilage entre le Charles-de-Gaulle et le PA-ng en 2038, avec la présence de deux équipages parfaitement formés pour un passage de la situation de PA1 à PA2 et inversement. De même s’agissant des patrouilleurs hauturiers : sept sont prévus d’ici à 2030 mais il faut que les trois autres, renvoyés à la prochaine LPM, soient rapidement mis en production afin de bénéficier de l’effet de série. Il doit en être de même pour le programme des BGDM décalé en 2025. Il faut en finir avec les décalages de programmes ou des réductions de séries dont l’expérience montre qu’ils aboutissent en réalité à payer aussi cher, voire plus cher, des moyens moins nombreux (voir le programme FREMM), tout en augmentant le coût de MCO des vieux matériels qu’il faut prolonger.
Sur l’ensemble de ces points, des décisions devront être prises rapidement. On ne pourra probablement pas faire l’économie d’une nouvelle revue stratégique, voire d’un nouveau Livre blanc, qui prenne véritablement acte de la dégradation de notre environnement stratégique et réponde à la question de savoir quelle armée nous voulons pour notre pays.
2. Des armements et des stratégies à adapter
L’évolution rapide de la menace implique donc une évolution elle aussi rapide du format de notre Marine mais également de ses armements, de sa stratégie et de la préparation opérationnelle des marins.
En matière d’armement, les menaces imposent à notre Marine de faire le grand écart. Elle est en effet exposée :
– d’une part, à des menaces étatiques, avec des compétiteurs disposant des technologies les plus avancées en matière de missiles, de drones ou d’aéronefs ;
– et, d’autre part, à des organisations terroristes ou paraétatiques, comme les Houthis, disposant de matériels très simples comme des drones aériens et navals à bas prix mais en énormes quantités, susceptibles de saturer les systèmes de défense de nos navires.
Par ailleurs, les choses tendent à se compliquer lorsque des compétiteurs étatiques comme la Russie ou l’Iran mettent aussi en œuvre des essaims de drones et que des organisations paraétatiques comme les Houthis utilisent elles aussi des missiles balistiques.
Dans tous les cas, les dernières années, en particulier l’engagement de la Marine en mer Rouge (voir infra), ont montré que nos bâtiments, s’ils veulent survivre à la guerre de haute intensité, doivent disposer à la fois de moyens de défense antiaérienne sophistiqués et très coûteux, comme les missiles Aster, mais également de moyens plus simples et bien moins coûteux, tels que des canons. Il leur faut aussi bénéficier de défenses multi-menaces, multicouches, à 360° et soutenables, c’est-à-dire dont le « coût par tir » est aussi faible que sont nombreux les objets à détruire. De ce point de vue, la destruction d’un drone Houthis par un Aster tiré de la frégate Languedoc en janvier dernier, pour nécessaire qu’il a pu être dans cette circonstance, n’est absolument pas soutenable dans un engagement prolongé.
Défensives, ces armes simples et bon marché doivent également être offensives. Le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Nicolas Vaujour, a ainsi déclaré lors d’une audition au Sénat que la « vraie question » était « aussi de disposer d’armes d’usure capables d’épuiser un adversaire […] de façon à déployer [ces] armes de décision au moment opportun pour remporter la victoire ». En clair, il s’agit de fatiguer l’ennemi avant de lui porter l’estocade. « Usure et décision : l’un ne va pas sans l’autre. Il y a probablement un nouvel équilibre à trouver de ce point de vue ».
User l’ennemi comme se défendre contre ses attaques massives nécessitera donc de disposer d’un nombre conséquent de drones et de munitions. L’emploi des drones aériens, de surface et sous-marins dans la Marine est par conséquent un enjeu crucial des années à venir, avec de nouvelles capacités endurantes, économes et capables d’opérer dans des environnements hostiles. Quant aux munitions, un effort particulier doit être fait sur les missiles ainsi que sur les munitions de 40 et 76 mm et ce, sans attendre d’en manquer. Un Aster commandé aujourd’hui ne sera pas livré avant plusieurs années…
Le changement de stratégie doit également s’appliquer au MCO. Le temps qu’un équipement passe en MCO est un temps où il n’est pas engagé sur le terrain, pour de l’entraînement ou des opérations. C’est pourquoi votre rapporteur croit à l’avenir du MCO embarqué dont le développement produit d’excellents résultats qu’il conviendrait donc de renforcer. Les équipages pourraient ainsi être tous formés en maintenance de 1er ou de 2e niveau avec mise à disposition, par exemple, d’une imprimante 3D, formation et mise à disposition qui auraient de nombreuses conséquences positives : responsabilisation accrue des marins, autonomie plus importance de l’unité, allègement des circuits logistiques et du soutien à terre… À plus long terme, c’est la maintenance prédictive qui donnerait à notre Marine un avantage comparatif dans un contexte de guerre de haute intensité qui use fortement et rapidement les matériels mais le chemin est encore long avant que la technologie permette une connaissance complète et immédiate des besoins des bâtiments.
Enfin, ainsi qu’il a été dit supra, la haute intensité, c’est maintenant et la préparation opérationnelle des marins doit être adaptée en conséquence. L’état-major de la Marine et l’état-major des Armées sont parfaitement conscients de cette nécessité, comme le montrent les récents exercices Polaris et Orion. La complexification et l’intensification des entraînements permettront de rehausser le niveau opérationnel des armées. Toutefois, cette nécessité se heurte, elle aussi, à la question des moyens. En effet, parce que la Marine est en suractivité, le temps et les moyens manquent pour l’entraînement. De même que font en partie défaut les simulateurs, les munitions et les plastrons.
La haute intensité ne doit pas être un slogan mais se traduire dans les faits, à tous les niveaux : armement, stratégie, munitions et entraînement, ce qui est, une fois de plus, incompatible avec les moyens dont disposent aujourd’hui la Marine et l’ampleur des missions qu’elle doit assurer avec ces derniers.
C. l’adaptation ne pourra se faire sans une BITD française solide, rÉactive et innovante, soutenue par l’État
La France dispose d’un atout considérable, unique en Europe, d’une BITD de haut niveau couvrant l’ensemble du spectre des armements. Composée de grands groupes tels que Dassault, Naval Group ou Nexter, mais également de nombreuses PME et d’ETI réparties sur l’ensemble du territoire, elle constitue pour notre pays un élément majeur de son autonomie stratégique.
Cette BITD s’est construite dans la durée, durée qui peut parfois se compter en siècles tant les ancêtres de certaines des grandes entreprises actuelles trouvent leur origine dans les arsenaux de l’Ancien régime. Avec le temps et tant d’épreuves partagées, c’est une relation de confiance qui s’est établie entre l’État et les entreprises de la BITD, laquelle s’est poursuivie après leur privatisation. Sans cette confiance, il n’est pas possible à ces entreprises de donner le meilleur d’elles-mêmes ni à l’État d’exiger de celles-ci le meilleur. La relation entre l’État et les entreprises de la BITD implique, comme toute relation, que chacun réponde aux besoins de l’autre.
L’État a besoin d’une BITD qui soit solide, réactive et innovante, capable de fournir, au meilleur coût et dans les meilleurs délais, les armements dont les armées ont besoin pour assurer leurs missions. À cette fin, l’État doit leur donner la visibilité sans laquelle ces entreprises ne peuvent engager les investissements considérables qu’exige la guerre de haute intensité. Au-delà des discours, c’est avant tout par des commandes que le passage en économie de guerre se fera. Sans commandes de la part de leur principal client qu’est l’État, toute innovation de défense et toute augmentation du rythme et du niveau de production sont illusoires.
Une fois les commandes passées, l’État doit continuer à se montrer un partenaire fiable. Trop souvent dans le passé, des commandes, voire des programmes entiers, ont été remis en cause, annulés ou reportés, au détriment de l’entreprise, de l’État ou de notre sécurité. C’est à cette pratique, dictée uniquement par le court-termisme budgétaire, que nous devons une partie des difficultés capacitaires de nos armées actuellement. Depuis 1989, elle n’est toutefois intervenue qu’en temps de paix, à une époque où l’on croyait celle-ci perpétuelle, ce qui pourrait être vu comme une circonstance atténuante. Avec la dégradation rapide de notre environnement stratégique et le retour des empires et de la guerre de haute intensité en Europe, un gouvernement n’aurait aucune excuse à renouer avec cette pratique, dont les conséquences seraient encore plus catastrophiques aujourd’hui qu’elles le furent hier.
Par conséquent, il est absolument fondamental que l’État consacre aux programmes d’armement les ressources nécessaires, à la fois en AE et en CP. L’attention de votre rapporteur a ainsi été attirée sur l’écart qui se creuse entre les deux, qui oblige les entreprises à faire l’avance des fonds avant d’être, avec retard, remboursées par l’État tant que les montants restent limités et que les parties concernées sont les grands groupes, l’impact financier reste gérable mais ce n’est pas le cas pour les PME et les ETI, bien plus fragiles. Plusieurs cas ont été évoqués lors des auditions montrant l’impact de l’inflation sur l’équilibre économique d’un programme ainsi que la réticence, de la part du ministère des Armées, à appliquer la théorie de l’imprévision pour compenser les surcoûts. Votre rapporteur espère que cette réticence n’ira pas jusqu’à mettre en danger l’existence et des entreprises, et des programmes concernés.
Fort heureusement, depuis 2018 l’exécution de la LPM antérieure et celle votée l’année dernière permet de corriger, de réparer les erreurs du passé.
Enfin, l’État doit répondre au besoin de simplification de la commande publique, notamment des PME et des ETI, en adaptant ses procédures et ses exigences réglementaires. La DGA a démontré sa volonté d’agir dans ce domaine mais celle-ci doit être mieux partagée à tous les échelons de décision.
Inversement, les entreprises doivent elles aussi répondre aux besoins de l’État, en particulier sur le changement de paradigme que constitue la guerre de haute intensité. Longtemps, nos entreprises se sont distinguées et se distinguent encore par leur excellence technologique et la recherche constante de celle-ci, afin de procurer à nos armées une supériorité opérationnelle sur nos compétiteurs. Cette ambition doit rester intacte.
Mais elle doit désormais s’accompagner d’une autre ambition, dictée par les évènements en Ukraine ou en mer Rouge : être capable de produire rapidement et à bas coût les consommables dont nos armées ont besoin pour faire face à la masse ennemie. En d’autres termes, comme la Russie, les Houthis et leurs alliés, la BITD française doit être en mesure de fournir les armes capables de saturer les défenses de l’ennemi mais également d’opposer à leurs essaims de drones autre chose – plus simple, moins cher et plus rapide à produire – que des missiles Aster à plus d’un million d’euros. Le changement de paradigme est total pour les ingénieurs de l’armement puisqu’il leur faut désormais faire l’inverse de ce qu’ils ont fait ces dernières décennies.
Cette transformation sera certes compliquée à mettre œuvre sur le plan de la culture ou de l’organisation mais elle est absolument nécessaire, sauf à mettre en péril la capacité de nos armées à défendre nos intérêts. Comme l’avait souligné le chef d’état-major des armées lors d’un récent colloque à l’Institut Montaigne : « si on veut gagner la guerre il va falloir développer des armes d’usure peu chères, en parallèle des armes de haute technologie qui permettent d’emporter la décision »
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DeuxiÈme partie : Les dÉtroits dans l’ocÉan indien, passages stratÉgiques et vulnÉrables
Le trafic maritime est aussi vieux que le commerce, qui est aussi ancien que la civilisation elle-même. Toujours à la recherche de nouvelles marchandises à importer, de nouveaux marchés ou de terres à conquérir, les marins ont exploré toutes les mers et océans du monde, emportant avec eux savoirs et cultures. Les routes maritimes sont aussi celles des idées.
Comme l’eau, les marins trouvent toujours leur chemin et celui qu’ils cherchent est le plus court. Parce que la navigation maritime était – et est toujours, même si c’est dans une moindre mesure – dangereuse, réduire le temps passé en mer diminue les risques de celle-ci mais également son coût, lequel est directement lié au temps de transport. C’est ainsi que l’immense espace maritime – qui couvre plus de 70 % de la surface de notre planète – est pour ainsi dire vide de toute présence humaine, la quasi-totalité de la navigation commerciale se concentrant sur les quelques dizaines de routes maritimes qui, le plus rapidement possible, relient entre eux les grands ensembles économiques.
Or, si ces derniers imposent aux navires leur point de départ et leur point d’arrivée, c’est la géographie qui contraint leur chemin en haute mer et celle-ci les conduit, dans tous les océans, à emprunter les détroits et autres canaux, comme le montre la carte ci-après :
Les détroits et canaux, qui peuvent être naturels ou artificiels, sont des bras de mer étroits, cernés par des terres, qui font communiquer deux espaces maritimes. Ils constituent des traits d’union entre ces derniers et mais aussi entre les terres qui les bordent. Malacca, Bab-El-Mandeb, Ormuz, ou encore le Bosphore et les Dardanelles, Gibraltar, Suez ou Panama, des noms mythiques qui sont autant de passages obligés (ou privilégiés) pour les navires. Environ 150 à 180 détroits et passages maritimes mériteraient que nous y consacrions notre attention, une trentaine cependant apparaissent comme majeurs, douze d’entre eux sont considérés comme des points de passage de rang mondial, rappellent Catherine Biaggi et Laurent Carroué dans le dossier océans et mondialisation (géoconfluences 2024). Ainsi, les pétroliers et les méthaniers ayant chargé dans les pays du golfe persique sont obligés d’emprunter le détroit d’Ormuz pour livrer leurs clients asiatiques, européens ou américains. Quant au canal de Suez, il permet à un porte-conteneurs venant d’Asie et se dirigeant vers l’Europe de gagner 9,4 jours de navigation à une vitesse moyenne de 15 nœuds par rapport au contournement de l’Afrique par le cap de Bonne Espérance.
Passages obligés, les détroits sont, de ce fait, des facteurs de vulnérabilité stratégique. Avec la mondialisation des économies et l’internationalisation toujours croissante des chaînes de production et d’approvisionnement, 90 % des marchandises produites et consommées dans le monde transitent aujourd’hui sur les mers, en particulier les hydrocarbures. 20 % des besoins de l’Europe en pétrole et 80 % de ceux du Japon et de la Chine sont acheminés via l’océan. Plus précisément, on estimait en 2019 à près de 25 000 milliards de dollars la valeur des marchandises transitant par les grands passages maritimes stratégiques figurant dans la carte ci-dessus. En d’autres termes, sans la liberté de circulation à travers les détroits, nos économies ne seraient pas en mesure de fonctionner correctement.
Dès lors, selon sa localisation, un détroit peut – ou non – revêtir un enjeu stratégique et, par conséquent, être un lieu cristallisant les concurrences entre puissances cherchant à s’en assurer le contrôle, tout en attirant nombre d’acteurs non étatiques convoitant les richesses qui y circulent. De ce point de vue, les différents détroits de l’océan Indien (détroits d’Ormuz, de Malacca et de Bab-El-Mandeb, canal du Mozambique…) et ses prolongements (canal de Suez), parce qu’ils verrouillent le commerce entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, présentent un caractère vital pour notre pays et l’Union européenne.
Or, ces détroits sont aujourd’hui et, pour certains, depuis longtemps, exposés à d’importantes menaces dont l’origine est autant étatique que non étatique : actions hostiles de l’Iran dans le détroit d’Ormuz, attaques des Houthis yéménites contre les navires commerciaux en mer Rouge, terrorisme et piraterie dans la Corne de l’Afrique et le détroit de Malacca. D’autres menaces non moins redoutables pèsent sur la liberté de circulation maritime, qu’un simple accident dans le canal de Suez peut totalement paralyser.
Face à de telles menaces et à leurs conséquences, il n’est guère étonnant que toutes les grandes puissances soient aujourd’hui présentes militairement dans les détroits de l’océan Indien, dans des opérations visant notamment à garantir la liberté de circulation maritime mais aussi sur terre, en particulier à Djibouti ou aux Émirats arabes unis, deux États situés non loin du détroit de Bab-El-Mandeb et Ormuz où notre pays a installé des bases permanentes.
Il est donc plus que justifié que votre rapporteur poursuive, à l’occasion du présent avis, le travail entamé lors des précédents. Dans son avis sur le PLF 2024, il avait analysé les enjeux du canal du Mozambique, attirant l’attention sur le caractère stratégique de celui-ci, qui le serait encore plus si la voie de la mer Rouge devait être compromise (Dans celui de 2023 il y avait traité de l’Indopacifique de manière plus large). Aujourd’hui, c’est le cas avec la multiplication des attaques des Houthis sur les navires commerciaux franchissant le détroit de Bab-El-Mandeb. Analyser les conséquences de ces attaques, évaluer l’action et les moyens de notre pays dans la région et anticiper les prochaines crises, tel est l’objet du présent avis.
I. Les dÉtroits dans l’ocÉan indien : points stratÉgiques mais vulnÉrables du commerce international
A. Les dÉtroits et le droit qui leur est applicable
1. Les trois principaux détroits de l’océan Indien
Immense océan de 25 millions de kilomètres carrés, l’océan Indien comporte de nombreux détroits qui, comme votre rapporteur l’analysera infra, ont pris une importance stratégique avec le développement du commerce international. Trois d’entre eux présentent un intérêt particulier.
Le détroit de Bab-El-Mandeb, qui va du ras Siyyan au ras Menheli sur la péninsule arabique, en passant par l’île Perim, est la porte méridionale de la mer Rouge, marquant la continuité physique entre mer Rouge et mer d’Arabie et un point de passage entre la péninsule arabique et la corne de l’Afrique.
La voie maritime est particulièrement exiguë : 20 km pour le grand détroit, 30 km pour l’ensemble du détroit prenant en compte le petit détroit d’Alexandre séparé par l’île Perim. En outre, la navigation dans le détroit est rendue dangereuse par les conditions physiques et climatiques (vents forts, tempêtes fréquentes, inversion saisonnière des courants, côtes découpées et garnies de récifs), faisant du détroit de Bab-El-Mandeb un lieu redouté où les conditions nautiques sont périlleuses.
Sur le plan géopolitique, à l’exception de Djibouti, les États riverains du détroit se caractérisent par leur instabilité et les guerres fréquentes qui les opposent et/ou les déchirent. En Somalie, l'effondrement du régime de Siad Barre en 1991 a entraîné le pays dans une guerre civile, ponctuée d’interventions militaires étrangères, qui n’a pris fin qu’en 2006, même si le conflit avec la faction des Tribunaux islamique s’est poursuivi après cette date. Une partie du pays – le Somaliland, - échappe par ailleurs toujours au contrôle des autorités de Mogadiscio et prétend à l’indépendance, même s’il n’est pas reconnu par la communauté internationale.
Annexé en 1962 par l’Éthiopie, l’Érythrée ne recouvre l’indépendance qu’après trente ans de guerre, en 1993. Toutefois, les deux pays restent en état de guerre jusqu'à la signature d'un traité de paix en 2018. Si l’Érythrée est stable depuis, ce n’est pas le cas de l’Éthiopie, déchirée par une guerre civile en 2020-2021 opposant les forces gouvernementales à celles du Front de libération du peuple du Tigré, une région septentrionale de l’Éthiopie.
Enfin, le Yémen est lui aussi frappé par une guerre civile depuis le début des années 2000, lorsque la rébellion Houthis a entrepris de contester les autorités de Sanaa, prenant le pouvoir dans la capitale en 2015. Malgré l’intervention de l’Arabie saoudite, le conflit et la division du pays entre factions rivales se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui (voir infra).
b. Ormuz
Long de 212 km avec un minimum de largeur de 55 km, le détroit commence entre le ras-e Dastakan, sur l'île de Qeshm (Iran), et Jazirah Al Hamra (Émirats arabes unis). Il s’achève entre le Damāgheh-ye Kūh ou ras Al-Kuh, en Iran, et le ra's Līmā', en Oman. Il ouvre le golfe Persique (990 km est ouest, 335 km nord sud) sur le golfe d’Oman et l’océan Indien.
Du fait de la faible profondeur de ses eaux, il n'y a que deux voies de circulation de 3,2 kilomètres de large chacune, séparées par une zone tampon de la même largeur qui permet aux navires de ne pas se rencontrer lors du transit. Parce qu’elles frôlent les eaux territoriales iraniennes et omanaises, la circulation maritime est ainsi totalement dépendante de la géopolitique de l’Iran, principale puissance de la région, et de ses rapports avec les auteurs régionaux mais aussi internationaux, en particulier les États-Unis.
c. Malacca
À l’autre extrémité de l’océan Indien, le détroit de Malacca, principalement situé entre la péninsule malaise et l'île indonésienne de Sumatra, relie le détroit de Singapour et la mer de Chine méridionale au sud-est, à la mer d’Andaman, mer bordière de l’océan Indien, au nord-ouest. C’est un vaste entonnoir qui passe de 465 km de large au nord-ouest à 8,4 km au sud-est à Little Karimun. À cet endroit, il débouche sur le canal Philip (800 m de large par endroits) qui s’étend sur cent kilomètres entre Singapour et les îles Riau (Indonésie). De plus en plus étroit donc, le chenal navigable devient aussi de moins en moins profond, en passant de 200 m à 37 m dans la partie sud, pour tomber à 25 m dans le canal Philip du détroit de Singapour. C’est ce dernier qui fixe donc le format malaccamax de 20 mètres de tirant d’eau. Ce long trajet est, de plus, encombré de hauts-fonds (crêtes de sable, accumulations sédimentaires des apports des rivières de Sumatra…), de nombreux îlots, de récifs et d’îles.
Contrairement aux deux précédents détroits, les États riverains de ce détroit (Singapour, Indonésie, Malaisie et Thaïlande) sont des États stables et, avec certaines nuances, démocratiques. Ils ne connaissent pas de guerres civiles (même si certains conflits localisés peuvent exister) et n’ont pas de conflits entre eux ni avec les grandes puissances régionales, même s’il y a périodiquement des tensions, en particulier avec la Chine.
d. Les autres points d’intérêt
Les trois détroits présentés supra, s’ils l’ont été individuellement, afin de mieux appréhender leurs caractéristiques particulières, n’en forment pas moins un continuum, en tant que passages obligés sur les voies maritimes du commerce international (voir infra). Ce sont ces dernières qui les relient entre eux et qui justifient d’ajouter à ces trois détroits trois autres points d’intérêt qui leur sont également liés.
En effet, les navires quittant la Chine, le Japon ou la Corée du Sud et empruntant le détroit de Malacca poursuivent leur route soit vers la mer Rouge et la Méditerranée – via les détroits de Bab-El-Mandeb et le canal de Suez, soit vers l’océan Atlantique, via le canal du Mozambique (et le cap de Bonne Espérance). Les pétroliers ou méthaniers quittant, quant à eux, les pays du golfe Persique (Koweït, Bahreïn, Irak, Qatar ou Arabie saoudite), font route vers l’Europe, via les passages précités, ou vers l’Asie, via le détroit de Malacca. Dans les deux cas, ils empruntent le détroit d’Ormuz.
Le canal du Mozambique, dont les enjeux ont l’objet d’une analyse approfondie lors de l’avis de votre rapporteur sur le PLF 2024, sépare le Mozambique de Madagascar. Il présente une importance stratégique pour la France en raison des points d’appuis que sont Mayotte et les îles Glorieuses, qui lui permettent de surveiller le trafic maritime, tout en les exposant aux dangers de celui-ci, comme les naufrages.
Bien plus connu que le canal du Mozambique, le canal de Suez, qui relie la mer Rouge à la Méditerranée, présente, à l’inverse des autres détroits et canaux précédemment cités, deux particularités :
– c’est un canal artificiel, creusé au XIXe siècle par le Français Ferdinand de Lesseps, long de 193 kilomètres et d’une largeur comprise entre 280 et 345 mètres ;
– c’est un canal intérieur, en ce qu’il est entièrement sous la souveraineté d’un seul pays : l’Égypte, depuis que sa rive orientale – le Sinaï, a été évacuée par Israël en 1979.
Enfin, il faut dire un mot du détroit de la Sonde. Détroit « intérieur » qui sépare les îles indonésiennes de Sumatra et Java, sa largeur minimale est de 24 km entre les caps Tua sur Sumatra et Pujat sur Java. Utilisé pendant des siècles pour le commerce en provenance des Moluques vers l'Europe ou l'Inde, il souffre aujourd’hui de sa faible profondeur, de ses nombreux bancs de sable et de courants de marée puissants, si bien que le détroit de Malacca lui est largement préféré.
Au fil des siècles, les puissances qui dominèrent le monde furent celles qui eurent une politique maritime. Pour Cyril Coutansais, « qui dit empire maritime dit capacité hégémonique, soit une puissance détenant une flotte capable d’exercer sa force et son contrôle sur les mers, afin d’en maîtriser les principaux courants d’échange ». Deux visions du monde se sont confrontées juridiquement dès le XVIe siècle. Celle de ceux qui dominent et veulent la liberté des mers. Celle de ceux plus faibles qui désirent protéger leurs ressources.
La controverse sur la liberté des mers ne se réduit sans doute pas au célèbre débat symbolisé par Grotius et Selden. Cependant, force est de constater que les termes posés dans l’ouvrage du juriste hollandais « mare liberum » paru en 1609 et celui de l’anglais John Selden en 1635 « mare clausum », illustrent à la fois la nature ancillaire d’un droit au service des projets politiques et le fait qu’en réalité, la question de la liberté des mers avait commencé dès les premières grandes découvertes maritimes et des enjeux commerciaux qu’elles ont engendrés, c’est-à-dire au XIIe siècle.
Elle illustre aujourd’hui, la dialectique de cette situation : des courants juridiques contraires agitent les océans.
Liberté des mers, domination sur les mers, domination sous les mers.
Entre la norme de la liberté des navigants et les prétentions des États côtiers, il y a l’incarnation de cette tension entre une norme universelle, celle de la liberté applicable à cet espace unidimensionnel la mer, et des normes situationnelles, individualistes, applicables dans l’espace multidimensionnel qu’elle est devenue. Les hommes se sont séculairement comportés à l’égard de la mer comme des nomades, des transporteurs, des commerçants dans une vision pacifique. Des pillards, des conquérants dans une perspective belliqueuse.
Ainsi s’explique la place importante acquise par le droit du transport, du commerce maritime, l’une des matières les plus riches du droit de la Mer.
Bien que la question de savoir si l’État riverain à un détroit était en mesure de contrôler le trafic s’y déroulant du fait de sa souveraineté sur la rive, ou si, au contraire, l'accès au détroit était libre aux fins de la navigation internationale, se posait donc depuis le XVIIe siècle, c’est en 1949 seulement que la Cour internationale de justice (CIJ) a tranché la question. Dans son arrêt Détroit de Corfou, elle a considéré que, selon le droit international coutumier, un État avait le droit de faire transiter ses navires par les « détroits qui servent aux fins de la navigation internationale », en temps de paix, sans requérir l'autorisation préalable de l'État côtier, à condition que ce passage soit considéré comme « inoffensif ». Ce principe général favorable à la liberté de circulation complétait ainsi utilement les règles particulières issues de conventions telles que la convention de Montreux (1936) qui encadre la navigation dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles.
La CIJ a défini ces « détroits qui servent aux fins de la navigation internationale » selon deux critères :
– un critère géographique, qui impose que le détroit « mette en communication deux parties de la haute mer, ainsi que le fait que le détroit est utilisé aux fins de la navigation internationale » ;
– un critère fonctionnel, qui exige que le détroit soit « une route utile pour le trafic international » sans être forcément « une route à emprunter nécessairement entre deux parties de haute mer ».
Cette définition de la CIJ inspirera largement la Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée en 1982 à Montego Bay, laquelle constitue le cadre juridique actuel des détroits. Cette convention, ratifiée à ce jour par 149 États, conserve le droit de passage inoffensif des navires, à savoir un passage qui s'effectue sans porter « atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l'État côtier » et sans entrer dans ses eaux territoriales.
Toutefois, un problème s’est posé avec l’élargissement, acté par la Convention, de 3 à 12 milles marins la largeur de la mer territoriale, avec pour conséquence que la grande majorité des détroits internationaux, qui pour nombre d’entre eux, ne dépassaient pas 24 milles nautiques de largeur, allaient être soumis dans leur intégralité à un régime de mer territoriale.
La Convention a pris en compte cet élargissement en ajoutant une nouvelle disposition très importante, le droit de passage sur la mer territoriale d’un État, qui renforce la libre navigation dans les détroits internationaux. Ce droit de passage en transit est défini par la Convention comme étant « l’exercice de la liberté de navigation à seule fin d’un transit continu et rapide par le détroit ». Ce droit de passage doit s’effectuer de manière continue et rapide en s’abstenant de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre la souveraineté des États riverains du détroit.
Par conséquent, le libre passage au travers les détroits internationaux garantit une large liberté de navigation à tout navire, liberté qui serait illusoire si les États côtiers pouvaient contrôler le trafic dans le détroit. Le cadre juridique actuel des détroits a ainsi su concilier les intérêts stratégiques des grandes puissances militaires et économiques du globe tout en garantissant la sécurité des États côtiers du détroit qui, conservant leur souveraineté, ne doivent tolérer qu'un passage inoffensif des navires.
B. l’intÉrÊt stratÉgique des dÉtroits les expose À de nombreuses menaces
1. Des points de passage essentiels au trafic maritime, dont l’Union européenne est particulièrement dépendante
a. Des points de passage essentiels au trafic maritime et, de ce fait, à l’économie mondiale
Ainsi que votre rapporteur l’a souligné dès l’introduction, en raison de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement et d’un fonctionnement largement basé sur les hydrocarbures, l’économie mondiale repose aujourd’hui largement sur des échanges qui, pour 90 % d’entre eux, se font par la voie maritime.
Or, si le point de départ et le point d’arrivée d’une route maritime sont dictés par les acheteurs et les vendeurs, le chemin entre ces deux points l’est par la géographie. Le marin cherche toujours le plus court chemin parce que le coût du transport est directement lié à la durée de la navigation. Dans une économie mondialisée, le transport maritime l’est aussi, ouvert à une concurrence internationale qui impose de réduire toujours plus et la durée, et le coût du transit des marchandises.
Les routes maritimes les plus rapides sont donc inévitablement privilégiées, lesquelles obligent les navires à emprunter un nombre limité de détroits et canaux leur évitant de longs détours. Que l’on pense ainsi au temps gagné par un navire parti d’Asie qui traverse les détroits de Bab-El-Mandeb et le canal de Suez plutôt que le cap de Bonne-Espérance ; ou par un navire parti d’Europe vers l’Ouest américain via le canal de Panama, plutôt que de contourner l’Amérique du Sud. Le choix économiquement rationnel de la route conduit donc à concentrer les flux maritimes sur quelques détroits et canaux qui apparaissent, au sens propre, comme de véritables verrous ou goulots d’étranglement du trafic maritime mondial.
La carte ci-dessous illustre les flux maritimes dans l’océan Indien et le rôle majeur des détroits d’Ormuz, de Bab-El-Mandeb et de Malacca :
Source : Vesselfinder
Les chiffres, eux aussi, sont éloquents : 60 % du trafic maritime mondial passe par le détroit de Malacca, en particulier les pétroliers (40 % du trafic) et des porte-conteneurs (24 %). Le trafic maritime y a augmenté de 60 % en vingt ans, avec aujourd’hui entre 80 000 et 90 000 navires, selon les sources, y transitant par an. Les détroits de Bab-El-Mandeb et le canal de Suez sont empruntés chaque année par 20-25 000 navires, représentant 14 % du trafic maritime mondial. Quant au détroit d’Ormuz, avec 20-25 000 navires par an, on estime qu’entre un quart et un tiers des échanges maritimes mondiaux de pétrole et 20 % des flux de gaz liquéfié (GNL) y transitent, dirigés à 80 % vers l’Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud…).
Toutefois, il convient de préciser que l’importance stratégique de ces points de passage est variable, liée à la disponibilité ou non de routes maritimes ou de sources d’approvisionnement alternatives. Ainsi, même s’ils ont leurs contraintes propres, il est possible d’éviter Bab-El-Mandeb et le canal de Suez par le cap de Bonne-Espérance ou le détroit de Malacca par les détroits de la Sonde ou de Lombok. En revanche, si l’Arabie saoudite, avec les tubes Abqaiq-Yuanbu vers la mer Rouge, et les Émirats arabes unis, avec l’oléoduc Habshan-Fujairah vers le golfe d’Oman, disposent de moyens de contourner le détroit d’Ormuz, le débit de ces installations est faible puisqu’elles ne couvrent qu’un tiers des flux passant par Ormuz, lequel demeure donc incontournable.
Enfin, ces points de passage obligés jouent aussi un rôle majeur dans la fixation des itinéraires des réseaux de câbles sous-marins en fibre optique, lesquels sont des infrastructures stratégiques. Posés au fond des mers pour des raisons de coût, de facilité technique et de sécurité, ils transportent 98 % des flux mondiaux de télécommunication. On en trouve ainsi à Bab-el-Mandeb (17 câbles), Malacca (14), Ormuz (9), Gibraltar (5) et dans les Dardanelles (2).
Source : Submarine cable map
b. Une dépendance aux détroits variable selon les États
Si l’économie mondiale est, d’une manière générale, largement dépendante du trafic maritime, cette dépendance varie considérablement selon les États compte tenu de leurs ressources et de leur position géographique respective.
La première puissance économique mondiale – les États-Unis – est la moins dépendante de toutes. Les flux de marchandises en provenance d’Asie – et particulièrement de Chine – ne se heurtent pas aux goulots d’étranglement que sont les détroits et les canaux ; quant aux flux d’hydrocarbures du Moyen-Orient, ils prennent d’autres directions que celle de l’Amérique du Nord, désormais autosuffisante sur le plan énergétique. Tout au plus les Américains utilisent-ils plus que les autres le canal de Panama mais celui-ci, bien que très utile, n’a pas l’importance stratégique qu’ont pour d’autres États les détroits susmentionnés.
Parmi ces autres États, deux apparaissent largement dépendants des flux maritimes en général et des points de passage obligés en particulier. Le premier est la Chine. Si ses échanges avec l’Amérique sont aisés par voie maritime, il n’en va pas de même des autres. Ainsi, ses exportations et ses importations vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique sont toutes verrouillées par le détroit de Malacca (et au-delà, par les détroits de Bab-El-Mandeb et d’Ormuz et le canal de Suez) qui concentre 90 % du trafic maritime de la Chine et, en particulier, 80 % de son approvisionnement pétrolier.
En d’autres termes, toute interruption du trafic maritime, pour quelque raison que ce soit, aurait un impact majeur sur la Chine, dépendance dont elle a parfaitement conscience et depuis longtemps. Dès 2003, le président Hu Jintao avait rendu publiques ses préoccupations quant au « dilemme de Malacca » : une voie aisée à emprunter mais tout aussi facile à bloquer. Dix ans plus tard, son successeur Xi Jinping lance la Belt & Road Initiative (BRI), dont le maître-mot est la connectivité, laquelle doit lui permettre de diversifier son approvisionnement énergétique (pour le pétrole, de l’Iran au Venezuela en passant par le Nigéria) tout en mettant en œuvre des stratégies de contournement par des corridors terrestres. Nombre des décisions d’investissement prises dans le cadre de ces « Nouvelles routes de la soie » trouvent leur source dans le « dilemme de Malacca », qui restent cependant toujours d’actualité en 2024.
Les pays membres de l’Union européenne sont dans la même situation que la Chine. Dépendants de ce pays et de ses voisins (Japon, Corée du Sud…) pour leurs importations et leurs exportations de marchandises, ils le sont encore plus d’autres pays s’agissant de leurs importations d’hydrocarbures. 75 % des exportations européennes de marchandises transitaient – en 2023 – par les détroits de Bab-El-Mandeb et le canal de Suez et 21 % d’entre elles étaient à destination de la Chine. En revanche, la dépendance des pays européens aux détroits est bien plus limitée que celle de la Chine s’agissant des hydrocarbures. Une part prépondérante du gaz et du pétrole consommé dans l’Union européenne vient en effet des États-Unis, du Nigéria, de la Norvège et de l’Azerbaïdjan, autant de pays avec lesquels les transits maritimes et terrestres sont aisés. Pour notre pays, l’essentiel du pétrole brut (40 %) est importé d’Afrique et seulement 17 % du Moyen-Orient (en 2023). L’arrêt des importations russes d’hydrocarbures avec guerre en Ukraine s’est néanmoins traduit par une hausse des 185 % des exportations depuis le Moyen-Orient, compte tenu du besoin de chercher de nouvelles sources d’approvisionnement, en particulier en gaz.
Dans ces conditions, toute interruption du transit maritime par les détroits de Malacca, de Bab-El-Mandeb et du canal de Suez, sans oublier le détroit d’Ormuz, même si le flux de marchandises et de produits pétroliers prendrait probablement d’autres voies, aurait des conséquences considérables pour l’économie mondiale.
2. Des crises nombreuses et récurrentes, impliquant tant les acteurs régionaux que les grandes puissances internationales
Parce que les passages obligés que sont les détroits et canaux verrouillent le commerce mondial de marchandises et d’hydrocarbures, nombreux sont les États qui ont cherché à contrôler ou à bloquer ces voies maritimes, sans oublier les terroristes qui les menacent ou les pirates qui convoitent les richesses qu’elles transportent. Il n’est donc guère étonnant que le canal de Suez et les détroits d’Ormuz, de Bab-El-Mandeb et de Malacca aient été, de tous temps, exposés à la violence et aux crises, aux guerres et à la piraterie, en tant qu’enjeux de haute valeur et moyens de pression remarquables dans la lutte que se livrent les acteurs régionaux et les grandes puissances internationales.
a. Le détroit d’Ormuz : guerres et rivalités stratégiques
Sans remonter à la guerre Iran-Irak (1980-1988) dont l’un des épisodes a été la « guerre des pétroliers » durant laquelle plus de 600 navires ont été attaqués par les deux belligérants dans le golfe Persique, à la première guerre du Golfe (1990-1991) et la seconde guerre du Golfe (2003), force est de constater que le détroit d’Ormuz connaît régulièrement des montées de tensions dont l’origine est, aujourd’hui, quasi exclusivement l’Iran et sa politique agressive vis-à-vis d’Israël, des monarchies sunnites et de leurs alliés américains. Si elle ne peut mettre en œuvre une stratégie frontale de déni d’accès dans le détroit d’Ormuz qui ouvrirait la voie à des affrontements directs majeurs, elle entretient un climat permanent de tension à partir de ses bases navales de Bandar Abbas et Bandar Lengeh sur le détroit, de Jask et Chahbahar à son entrée sur le Golfe d’Oman et de ses îles dans le Golfe même.
L’Iran a ainsi, ces dernières années, multiplié les arraisonnements et saisies de navires (pétroliers, porte-conteneurs, cargos) dans sa mer territoriale, en violation de leur droit de passage inoffensif. En mai 2022, il a, par exemple, capturé deux pétroliers battant pavillon grec en représailles de la saisie en Méditerranée d’une cargaison de pétrole iranien transporté sous pavillon russe.
À ces tensions d’origine iranienne, avant tout dictées par des considérations régionales, s’ajoute la rivalité sino-américaine. Si, en 1979, la doctrine Carter a défini le golfe Persique comme une région vitale pour les intérêts américains, aujourd’hui les États-Unis considèrent le Moyen-Orient, en particulier le Golfe, comme une zone de concurrence géostratégique avec la Chine qui, en conséquence, s’est considérablement rapprochée de l’Iran.
b. Le canal de Suez : guerre et naufrage
Passage obligé de l’ensemble du trafic maritime entre la Méditerranée et l’océan Indien, via la mer Rouge et le détroit de Bab-El-Mandeb, le canal de Suez présente un intérêt stratégique évident dans une région particulièrement instable (et un pays – l’Égypte – qui ne l’est pas moins).
La guerre des Six jours, qui opposa en 1967 Israël et une coalition de pays arabes menée par l’Égypte, s’est traduite par la défaite de cette dernière et l’occupation, par le vainqueur israélien, de l’ensemble de la péninsule du Sinaï. En conséquence, alors que le canal de Suez était, jusqu’alors, tout entier dans le territoire égyptien, il était devenu une frontière entre deux pays ennemis, toujours en guerre et le lieu de dissémination de milliers de mines. La circulation maritime dans le canal a ainsi été totalement interrompue jusqu’en 1975.
Les conséquences, à l’époque, n’ont pas été si catastrophiques car la mondialisation de l’économie n’en était qu’à ses prémices. Le transport de pétrole s’est quant à lui adapté avec la mise en service des supertankers, l’accroissement de la taille des navires compensant l’allongement de la durée du trajet par le cap de Bonne-Espérance.
54 ans plus tard, ce n’est pas la guerre ni les mines qui paralysèrent le canal mais un simple naufrage. Dans la nuit du 23 au 24 mars 2021, le porte-conteneurs Ever Given se met en travers du canal qu’il va bloquer pendant sept jours avant de pouvoir être remorqué. Compte tenu de la mondialisation de l’économie aujourd’hui et de sa dépendance aux grandes voies maritimes, les conséquences ont été considérables : on estime à 9,6 milliards de dollars, la valeur des cargaisons qui empruntaient chaque jour le canal sur la route Asie/Europe. Au total, 425 navires se sont retrouvés soit bloqués dans le canal ou le grand Lac Amer, soit en attente aux entrées de Port Saïd et de Suez. Des semaines ont été nécessaires pour résorber l’ensemble du trafic supplémentaire en attente puisque la capacité journalière de transit du canal est de seulement 80 navires dans chaque sens.
Les risques pesant sur les détroits ne sont donc pas forcément des tensions militaires ou des guerres. De simples accidents révèlent, si besoin en était, à la fois le caractère essentiel de ces lieux mais également leur vulnérabilité intrinsèque.
c. Le détroit de Bab-El-Mandeb : guerre, piraterie et terrorisme
Le détroit de Bab-El-Mandeb est peut-être, de tous les détroits et canaux de la planète, celui qui présente les plus grandes vulnérabilités, tout en étant l’un des plus stratégiques puisque, comme le canal de Suez, il verrouille le trafic maritime entre la Méditerranée et l’océan Indien.
La menace la plus récurrente frappant ce détroit est la piraterie. Apparue au début des années 1990, la piraterie somalienne, a menacé les navires transitant sur les routes maritimes de l’océan Indien. Elle a sévi dans le golfe d’Aden et dans la quasi-totalité du bassin occidental de l’océan Indien, jusqu’à 800 miles nautiques des côtes somaliennes. Au total, depuis cette date, plusieurs milliers d’incidents (approches suspicieuses, attaques, détournements) ont été recensés, aboutissant à la capture de plusieurs dizaines de navires. Toutefois, cette menace appartient aujourd’hui largement au passé. Annoncée en août 2022, la suppression de l’Indian Ocean High Risk Area (HRA) au 1er janvier 2023 acte le déclin puis la quasi-disparition de la piraterie dans la zone.
L’autre menace spécifique à la zone du détroit de Bab-El-Mandeb et à la mer Rouge est le risque d’attaques terroristes, telles que celles revendiquées par Al-Qaïda de l’USS Cole en 2000 et du Limburg en 2002. Les Houthis, présentés comme des terroristes, représentent désormais une menace de bien plus grande ampleur que le fut Al-Qaïda à l’époque. La véritable guerre qu’ils mènent aujourd’hui dans le détroit sera détaillée dans la sous-partie qui suivra.
d. Le détroit de Malacca : piraterie
Par rapport aux trois autres détroits susmentionnés, le détroit de Malacca tranche quant à lui par sa tranquillité, même si elle n’est pas totale. Comme le détroit de Bab-El-Mandeb, il a pu connaître des actes de piraterie mais de bien moindre ampleur, qui n’ont jamais menacé réellement le trafic maritime.
C. Une militarisation accrue du nord-ouest de l’ocÉan indien
Tant le caractère stratégique des détroits que les menaces auxquelles ils sont exposés ont justifié l’intervention militaire des grandes puissances qui, toutes, sont présentes dans la région, soit par des opérations navales visant à préserver la liberté de circulation, soit par des implantations terrestres, en particulier à Djibouti.
1. Les opérations visant à préserver la liberté de navigation
a. La lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden
Par la menace que la piraterie dans le golfe d’Aden faisait peser sur le commerce international mais également sur la vie de toute personne en mer dans les zones qu’elle frappe, comme l’a montré la prise d’otages du navire de croisière Ponant en 2008, elle a justifié l’intervention des grandes puissances occidentales, laquelle a pris la forme de deux opérations principales lancées à la fin des
années 2000.
La première est une opération européenne : l’opération Atalanta, lancée en 2008, a un mandat très large. Reposant sur le déploiement de moyens navals et aéronavals, elle contribue à la dissuasion, à la prévention et à la répression de la piraterie et des vols à main armée au large des côtes de la Somalie, et à la lutte contre les trafics. Elle soutient le transport et l’acheminement de l'aide humanitaire à la Somalie en protégeant les navires du Programme alimentaire mondial. L’opération Atalanta protège également d'autres navires vulnérables et surveille les activités de pêche au large des côtes somaliennes. La France a fortement contribué, depuis sa création, à cette opération, notamment par le déploiement du groupe aéronaval dans le cadre de la mission Antarès.
La deuxième est une opération de l’OTAN : l’opération Ocean Shield, lancée en 2009. Impliquant les pays de l’OTAN disposant de capacités navales et aéronavales, cette opération visait, elle aussi, à effectuer des missions de surveillance aérienne destinées à localiser et à identifier les navires des pirates, à prévenir ou à faire échouer les détournements ainsi qu'à mettre fin aux attaques à main armée. La France n’a jamais participé à cette opération, préférant concentrer ses moyens dans l’opération Atalanta.
À ces deux opérations au long cours se sont ajoutés des déploiements plus ponctuels et d’une ampleur plus limitée, comme ceux du Groupe CTF-151 dirigé par les États-Unis, et ceux d’intervenants indépendants comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud, quoique plus ciblés sur la protection des navires battant leur pavillon.
Alors que la piraterie était, au tournant des années 2010, endémique dans la zone, ces différentes opérations ont permis d’en réduire considérablement l’impact, jusqu’à une quasi-disparition aujourd’hui. En conséquence, Ocean Shield s’est arrêté en 2016 et si Atalanta s’est poursuivie, son champ s’est élargi bien au-delà de la lutte contre la piraterie.
b. La désescalade dans le détroit d’Ormuz
Les menaces dans le détroit d’Ormuz sont très différentes de celles dans le golfe d’Aden. Ici, point de piraterie mais un risque majeur de confrontation militaire dans une zone aussi instable qu’essentielle au trafic pétrolier mondial.
Lancée le 25 février 2020 à l’initiative de la France, la mission EMASoH (European-led maritime awareness in the straight of Hormuz) vise à contribuer à la stabilisation de la région, dans un esprit de désescalade des tensions, par le déploiement de moyens de surveillance maritime dans le golfe Arabo-persique et le détroit d’Ormuz. Rassemblant 9 États membres (l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal), EMASoH a un volet militaire, l’opération Agénor, dont la France est le principal contributeur. Agénor a pour mission de protéger les intérêts économiques européens en garantissant la liberté de circulation dans le golfe Arabo-Persique et le détroit d’Ormuz, conformément à la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Cette opération européenne intervient en complément de l’International Maritime Security Construct (IMSC) formé en septembre 2019 sous l’impulsion des États-Unis, dont le volet opérationnel est la Coalition Task Force (CTF) SENTINEL. Comme l’opération Agénor, cette opération vise, par des patrouilles aériennes et maritimes, à prévenir les activités potentiellement menaçantes de l’Iran et de ses alliés et à garantir la liberté de circulation dans la voie stratégique qu’est le détroit d’Ormuz (et au-delà).
2. Le développement d’une présence militaire permanente
Si la multiplication des opérations navales autour des détroits de Bab-El-Mandeb et d’Ormuz est particulièrement visible, celles-ci font partie d’un phénomène plus large de militarisation de la zone qui s’enracine dans plusieurs territoires-clés de la région. En d’autres termes, aux opérations militaires ponctuelles s’ajoute de plus en plus l’installation de bases terrestres permanentes.
En effet, après la France qui a établi une présence militaire permanente à Djibouti dès 1977, date de l’indépendance du pays, ancienne colonie française, d’autres grandes puissances internationales ont également renforcé leur présence militaire. Ce pays, qui se distingue par sa stabilité dans la région, dispose en effet d’une position stratégique sur le détroit de Bab-El-Mandeb.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, 4 000 soldats et contractuels américains sont ainsi installés depuis 2003 à Djibouti dans le Camp Lemonnier, ancienne base de la Légion étrangère. Ils jouent un rôle décisif dans le soutien des opérations américaines en Afrique, notamment en Somalie contre les insurgés islamistes Shebab liés à Al-Qaïda, et au Yémen contre les terroristes
d’Al-Qaïda.
Plus récemment, c’est la Chine qui, en 2016, a obtenu du gouvernement djiboutien le droit d’installer elle aussi une base permanente sur son territoire, contrepartie d’investissements massifs dans le pays (plus de 14 milliards de dollars) accordés en contrepartie d’un endettement considérable. Première base militaire chinoise à l’étranger, capable d’accueillir 5 000 personnes et des navires à fort tonnage, tels que des porte-hélicoptères amphibies, cette base symbolise les ambitions chinoises en Afrique mais constitue aussi une nouvelle illustration de la rivalité sino-américaine, qui ne se borne pas à l’Indopacifique mais est bel et bien mondiale. Elle est enfin soupçonnée par les services de renseignements occidentaux d’héberger des unités de guerre électronique de l’Armée populaire de libération, soupçons d’autant plus fondés que le site est situé à proximité d’une station d’atterrage de câbles sous-marins partant en Asie et en Europe.
La situation stratégique et la stabilité remarquables de Djibouti séduisent au-delà de la France, des États-Unis et de la Chine. Le Japon dispose lui aussi d’une présence militaire réduite (180 hommes équipés de blindés légers dans une base de 20 hectares). L’Espagne maintient aussi un contingent modeste (50 hommes) localisé sur la base française. Il est en particulier chargé de mettre en œuvre des avions de surveillance maritime dans le cadre de l’opération européenne Atalanta. Depuis 2014, l’Italie dispose aussi d’une petite base de soutien aux missions européennes dans la région et à la mission bilatérale de formation de la police djiboutienne (qui s’est achevée fin 2017). Cette base est réduite, puisqu’elle est d’une capacité de 300 hommes, installés sur un terrain de 10 hectares sur la zone aéroportuaire de la capitale. La carte ci-dessous détaille les différentes implantations :
FMES Atlas stratégique 2024
II. La guerre en Mer rouge et ses consÉquences : une crise qui en annonce d’autres
A. la guerre en mer rouge : le rÉsultat d’une conjonction de crises au Moyen-orient, aux consÉquences considÉrables
1. Le contexte de la crise au Yémen : de la guerre civile au conflit régional impliquant les grandes puissances
Situé au nord du détroit de Bab-El-Mandeb, face à Djibouti, le Yémen fait face, depuis 2014, à une guerre civile, conséquence des troubles et divisions qui agitent le pays depuis la guerre du Saada en 2004, celle-ci résultant du sentiment de marginalisation des tribus chiites du nord, dont les Houthis, après l'unification du pays en 1990. Le conflit a fait à ce jour plus de 400 000 morts et entraîné des déplacements massifs de population, avec toutes les conséquences sanitaires qui en résultent : famine, maladies, défaut d’accès aux soins et à l’éducation…
En septembre 2014, les rebelles Houthis ont pris la capitale Sanaa et poursuivi leur descente vers le sud du pays où le gouvernement (sunnite) s’était réfugié. Cette victoire a entraîné l’internationalisation du conflit puisque, à partir de 2015, le gouvernement yéménite est soutenu par la Saudi Led Coalition (SLC), coalition de dix États arabes dirigée par l’Arabie saoudite avec l’appui, notamment en termes de renseignement, des États-Unis, tandis que les Houthis bénéficient de l’aide militaire de l’Iran chiite.
Si la guerre civile yéménite a une forte composante terrestre, le conflit s’est rapidement étendu vers le littoral et au-delà, en mer. Après les batailles des ports d’Aden (2015 et 2018), d’Al Mukalla (2015 et 2016) et d’Al Hudaydah (2018), le conflit a touché les îles de la mer Rouge jusqu’à l’île de Socotra à la sortie du Golfe d’Aden, qui ont une valeur stratégique dans le contrôle des mers bordières. Perim, au cœur du détroit, les Hanish (les deux grandes îles de Zuqar et al-Kabir) et la multitude des petites îles d’un littoral très découpé ont été à la fois des bases de départs pour les opérations des Houthis (patrouilles et frappes navales), comme, après leurs prises (2015-2016), des lieux d’implantations de la SLC (une piste à Perim directement sur le détroit et des installations permanentes dans le sud de l’île Zuqar). Enfin, la SLC a mis en place un blocus censé empêcher l’acheminement de l’aide militaire iranienne aux Houthis (en particulier des missiles et des drones) qui transitent principalement par la Somalie.
Toutefois, face à l’enlisement et au coût du conflit, l’Arabie saoudite a commencé à négocier en 2022 avec les Houthis, qui contrôlent 30 % du Yémen, dont la capitale, les séparatistes du Sud contrôlant une longue bande côtière sur le golfe d’Aden et le gouvernement légitime le reste du Yémen incluant la ville de Marib. En décembre 2023, les Houthis et le gouvernement du Yémen se sont engagés à respecter un cessez-le-feu, sous l’égide de l’ONU, prémisse à un processus de paix dont les modalités restent encore à définir, d’autant que le conflit yéménite a, depuis un an, pris une nouvelle dimension.
En effet, les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et la riposte israélienne ont entraîné une onde de choc dans toute la région et tout particulièrement au Yémen. En solidarité avec les Palestiniens, les Houthis ont retourné leurs armes vers des navires marchands et militaires israéliens ou soupçonnés d’être liés à des intérêts israéliens dans le golfe d’Aden et en mer Rouge. Un premier bâtiment, le Galaxy Leader, a ainsi été arraisonné. Par la suite les attaques se sont multipliées. En représailles les États-Unis et le Royaume-Uni ont mené des dizaines de frappes en janvier 2024 contre des positions Houthis au Yémen et en juillet 2024, Israël a bombardé le port yéménite d’Hodeïda suite à une attaque de drone. Les Houthis ont alors réorienté leurs actions vers les intérêts britanniques et américains en frappant prioritairement les navires de commerce et les navires de guerre qui leur sont liés. De plus, le 15 septembre dernier, ils ont revendiqué un tir de missile visant le centre d’Israël.
À ce propos, les Houthis avaient dès avant le 7 octobre 2023 les États-Unis en ligne de mire, en raison de soutien de ces derniers à la SLC. C’est ainsi qu’en 2016, ils avaient lancé deux missiles contre l’USS Mason. Ils s’en sont aussi pris aux autres alliés du gouvernement yéménite, en lançant des bateaux suicides contre un navire de guerre saoudien en janvier 2017 ou un missile contre un navire émirati en octobre 2016.
Il n’en reste pas moins que depuis un an, la guerre au Yémen a pris une nouvelle dimension, qui est mondiale, compte tenu de ses conséquences sur le trafic maritime (voir infra), et une nouvelle forme, par des attaques que l’on peut qualifier d’hybrides. Les Houthis utilisent en effet désormais des informations civiles, par exemple les relevés AIS (Automatic Identification System) librement accessibles sur Internet via des sites spécialisés comme Marine Traffic, qui leur permettent d’avoir en temps réel, ou quasi-réel, des informations sur le positionnement, la route et, surtout, l’identité d’un navire. Bien que ces navires soient des cibles civiles, ils n’hésitent pas à les frapper lorsqu’ils ont un lien – parfois très ténu – avec Israël et ses alliés. L’effet recherché n’est pas tant militaire qu’économique : atteindre de manière détournée les intérêts d’Israël et ceux de ses alliés, en portant préjudice aux systèmes logistiques mondiaux.
La carte ci-dessous donne une idée de la « poudrière » que représente aujourd’hui le conflit en mer Rouge compte tenu de ses liens avec les autres conflits régionaux et de l’implication des puissances régionales et les grandes puissances internationales.
FMES Atlas stratégique 2024
2. Des conséquences différenciées selon les acteurs et les secteurs
a. Le détournement des flux de marchandises n’a pas entraîné de rupture dans les chaînes d’approvisionnement
Le commerce international est aujourd’hui la cible des Houthis qui, après avoir visé les navires de guerre de leurs ennemis, s’en prennent désormais aux navires de commerce qui leur sont liés. Ils profitent de manière évidente de la situation stratégique du détroit de Bab-El-Mandeb et, plus généralement, de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Frapper dans cette zone revient ainsi à toucher des voies économiques vitales pour l’Europe, puisqu’aux pays du Golfe, il faut rajouter l’Inde qui a pris le relais de la Russie pour l’approvisionnement en essence du continent, en particulier pour le diesel routier.
Essentielle aux importations européennes d’hydrocarbures, cette voie maritime l’est également pour nos échanges de biens avec l’Asie. C’est en effet via le canal de Suez, la mer Rouge et le détroit de Bab-El-Mandeb que transitent les porte-conteneurs amenant les composants électroniques asiatiques vers l’Europe ou les automobiles européennes vers la Chine et le sud-est asiatique.
Depuis un an, les actions des Houthis contre les navires commerciaux ont eu pour conséquence l’augmentation des tarifs des assurances maritimes, dont la conséquence est le détournement de la plupart des navires des grandes entreprises de transport (Maersk, Hapag-Lloyd, MSC, CMA-CGM, Ever-green) vers la route du cap de Bonne-Espérance. Le trafic du canal de Suez, qui polarisait 15 % du trafic maritime mondial, s’est ainsi effondré de 66 %, tombant de 155,7 à 53,4 millions de tonnes de transit entre mars 2023 et avril 2024, tandis que les primes d’assurance explosaient de 0,04 % à plus de 0,1 % de la valeur du navire (+ 150%).
Toutefois, pour les armateurs, les conséquences financières sont restées limitées puisque le coût du détournement n’est que légèrement supérieur au coût du passage par le canal de Suez. De plus, même si les systèmes logistiques ont souffert, notamment certaines industries européennes comme l’automobile, qui ont connu un ralentissement d’activité dû à l’allongement des chaînes d’approvisionnement (+10-14 jours), aucune rupture majeure n’est à ce jour à déplorer, les grandes entreprises de transport maritime ayant été particulièrement réactives dans la réorientation des flux. Enfin, les prix du pétrole n’ont pas réellement été impactés par les actions des Houthis depuis la fin de l’année 2023. À environ 80 dollars par baril aujourd’hui, il est au même niveau qu’en 2021.
En réalité, les auditions de votre rapporteur l’ont amené à relativiser la menace que les Houthis font, aujourd’hui, peser sur le commerce mondial. Non seulement une alternative existe au flux des navires de commerce, via le cap de Bonne-Espérance mais il ne faut pas exagérer non plus l’efficacité des actions des Houthis. Ceux-ci ont tiré environ 600 objets vers les navires de commerce – missiles balistiques, missiles antinavires, drones aériens ou drones de surface, dont seulement 10 % ont atteint leur cible. Parmi la soixantaine de navires touchés, seuls 10 % (soit 6-7) ont été gravement endommagés. Les causes en sont tant la rusticité desdits objets – les missiles balistiques n’ont par exemple pas de guidage terminal – que la protection des navires de commerce par les frégates des opérations Aspides et Prosperity Guardian (voir infra).
b. La fragilisation de l’Égypte
Si, du point de vue global, les conséquences économiques sont limitées, l’Égypte apparaît comme l’un des principaux perdants des actions des Houthis en mer Rouge. La chute du trafic dans le canal de Suez, suite à la décision des armateurs de détourner leurs navires vers le cap de Bonne Espérance, a en effet entraîné l’effondrement des recettes que l’Égypte tire de ce trafic, dans une proportion considérable, comme le montre le graphique suivant :
Le canal de Suez avait rapporté à l'État égyptien environ 8,6 milliards d'euros sur l'année fiscale 2022-2023, soit 35 % de plus par rapport aux 6,4 milliards d'euros enregistrés l'année fiscale précédente. Ce pays profitait ainsi à plein de l’agrandissement du canal, achevé en 2015, et de la hausse du droit de passage. De telles recettes lui sont par ailleurs absolument nécessaires puisqu’elles représentent environ 10 % du budget de l’État.
La chute considérable de ces recettes depuis la fin de l’année 2023 a donc un impact direct sur le budget de l’État et, en particulier, sa capacité à assurer ses missions alors même que ce pays de 100 millions d’habitants est exposé à de graves menaces en matière d’alimentation et d’emploi et des jeunes. La baisse des moyens de l’État s’ajoute par ailleurs à une situation internationale extrêmement tendue puisque l’Égypte partage une frontière avec Israël et doit faire face à un risque d’immigration massive des Palestiniens suite aux opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza.
c. Des risques majeurs pour l’environnement
Parmi les cibles des Houthis en mer Rouge figurent les nombreux supertankers acheminant du pétrole vers l’Europe. Or, si de tels navires, transportant des dizaines de milliers de tonnes de pétrole, venaient à sombrer, les conséquences pour l’environnement marin et terrestre seraient désastreuses.
La catastrophe a ainsi évité de justesse lorsqu’en août 2024, le supertanker grec Sounion, transportant une cargaison de plus de 150 000 tonnes de pétrole brut, a pu être remorqué sous protection des navires de l’opération Aspides précitée, après avoir été attaqué par les Houthis. Si le navire avait sombré, la marée noire aurait été quatre fois plus importante que celle provoquée par l’Exxon Valdez en 1989 au large de l’Alaska.
Au-delà de ces attaques ciblées, c’est la menace des Houthis elle-même qui a des effets néfastes sur l’environnement. En effet, le détournement des navires de commerce vers le cap de Bonne-Espérance allonge considérablement le temps de transport et, par conséquent, la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre. La CNUCED estime ainsi à 70 % l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre pour un voyage aller-retour entre Singapour et l’Europe du Nord.
B. les crises À venir dans les dÉtroits pourraient Être d’une plus grande ampleur
Les détroits de l’océan Indien ont connu, ces dernières décennies, de nombreuses crises, rappelées pour les plus importantes supra. Toutefois, les évolutions récentes du contexte stratégique comme les enseignements qu’il est possible de tirer desdites crises et, en particulier de la guerre actuelle en mer Rouge, laissent augurer que d’autres pourraient être d’une plus grande ampleur.
1. La rivalité sino-américaine
La Chine ne fait pas mystère de ses ambitions : être la première puissance mondiale en 2049, cent ans après la fondation de la République populaire. L’ensemble de ses immenses ressources sont, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, consacrées à cette ambition et le temps presse puisque 2049, c’est dans 25 ans : les fruits de quatre décennies de croissance économique accélérées sont ainsi mis au service d’un accroissement considérable de ses capacités militaires, en particulier navales, s’appuyant sur la maîtrise des plus hautes technologies, mais également d’une stratégie d’influence mondiale (les « Nouvelles routes de la soie ») visant à la fois à sécuriser ses marchés et ses approvisionnements en matières premières mais également à se constituer un réseau d’alliés pouvant, le cas échéant, accueillir ses bases sur leur sol.
De ce point de vue, l’océan Indien et les terres qui le bordent représentent une cible prioritaire pour la Chine. C’est en Afrique, en effet, que se trouvent les matières premières dont le pays a besoin et du Moyen-Orient qu’il importe l’essentiel de son pétrole. La voie maritime passant par le détroit de Malacca et le détroit d’Ormuz est donc vitale, comme l’est aussi, dans une moindre mesure, la voie de la mer Rouge, reliant la Chine à ses clients européens. Il n’est donc guère étonnant que ce pays ait multiplié les investissements en Afrique, assujettissant par la dette de nombreux pays, et obtenu de Djibouti qu’il lui concède une base militaire dans ce lieu stratégique qu’est le détroit de Bab-El-Mandeb.
Face à la Chine, les États-Unis sont aujourd’hui la première puissance mondiale et souhaitent le rester le plus longtemps possible. Ils ont pris la mesure de la menace que constitue la Chine pour leur suprématie et n’hésitent pas à utiliser l’ensemble des moyens à leur disposition – militaires, diplomatiques, technologiques, financiers… – pour contrecarrer ses ambitions.
Si Taïwan et l’océan Pacifique sont souvent cités comme les lieux les plus probables de la confrontation entre ces deux empires, celle-ci pourrait également avoir lieu dans l’océan Indien pour la raison indiquée supra : la dépendance de la Chine vis-à-vis des importations en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique, lesquelles lui parviennent quasi exclusivement par la mer. Il ne fait pas de doute que, si les tensions devaient monter entre les États-Unis et la Chine, l’un des axes privilégiés de pression sur cette dernière sera le blocus des voies maritimes dont elle dépend, lesquelles passent par les verrous que sont le détroit d’Ormuz et le détroit de Malacca.
Or, les États-Unis sont militairement présents, via la 5e et la 7e flotte, dans l’ensemble de l’océan Indien, où ils disposent de nombreux points d’appuis et de nombreux alliés. À l’inverse, mis à part sur l’Iran et, dans une certaine mesure, sur Djibouti, le Sri Lanka et le Pakistan, la Chine ne peut compter que sur elle-même. De cette solitude et de sa vulnérabilité, elle a parfaitement conscience et a entrepris de les réduire. L’alliance de plus en plus étroite avec la Russie, aux immenses ressources en matières premières, participe de cet objectif, comme le projet d’un canal en Thaïlande, sur l’isthme de Kra, qui lui permettrait d’éviter le canal de Malacca.
Toutefois, la Chine ne serait pas la seule victime d’un blocage des voies maritimes dans l’océan Indien. L’Europe est aussi dépendante de celles-ci que l’est la Chine. S’il devait avoir lieu, un tel blocage entraînerait une crise autrement plus grave que les précédentes, parce qu’elle toucherait aux artères vitales du commerce international, sans le secours possible de voie de contournement. Le détroit d’Ormuz, en particulier, fonctionne comme un verrou et s’il y a un terminal pétrolier à Djeddah, il ne pallierait pas à l’interruption du trafic des supertankers en provenance du Golfe persique et à l’explosion des prix du baril en découlant.
2. Le conflit-israélo-palestino-iranien et ses développements régionaux
Depuis le 7 octobre 2023, le conflit israélo-palestinien connaît une nouvelle escalade que rien ne semble aujourd’hui pouvoir arrêter. L’attaque du Hamas a entraîné des représailles, à la fois à Gaza, contre cette organisation, mais également au Liban, contre le Hezbollah pro-iranien. En réaction à celles-ci, l’Iran a envoyé plusieurs centaines de missiles en Israël tandis que les Houthis ont lancé leurs attaques en mer Rouge contre les intérêts d’Israël et de ses alliés américains et britanniques (voir supra), tout en envoyant un missile sur Tel-Aviv. Les États-Unis, traditionnels garants de la sécurité au Proche-Orient, semblent avoir perdu leur capacité à contenir le déchaînement de violence de leur allié comme de leurs ennemis.
Ainsi qu’il a été dit supra, au-delà de la tragédie humaine et des destructions matérielles à Gaza et au Liban, les conséquences internationales de cet embrasement sont, pour le moment, limitées. Thermomètre incontestable des tensions au Moyen-Orient, le prix de baril du pétrole est resté jusqu’à présent stable, en dessous des 80 dollars.
Or, on ne peut exclure que les tensions aujourd’hui à l’œuvre au Moyen-Orient ne dégénèrent, tant dans le golfe Persique qu’en mer Rouge. Principal ennemi d’Israël, sous strictes sanctions américaines, patron du Hezbollah et des Houthis, allié de la Russie et de la Chine, l’Iran est en mesure de verrouiller le détroit d’Ormuz. Il a récemment renforcé ses bases et ses missiles sol-mer à Bandar Abbas, sur les îlots Tomb et Abou Moussa et dans le golfe d’Oman avec la base de Jask. Il y déploie également sa Marine nationale et celle du corps des Gardiens de la révolution islamique (Pasdarans). Le minage du détroit est aussi une possibilité. La menace que représente l’Iran n’est pas une illusion : en avril 2024, les Pasdarans ont saisi un porte-conteneurs géré par la compagnie maritime d’un milliardaire israélien.
Évidemment, les États-Unis et leurs alliés réagiraient à toute tentative de l’Iran de bloquer le détroit d’Ormuz mais les tensions et autres manœuvres militaires qui s’en suivraient auraient le même effet : le blocage du trafic des supertankers dans le Golfe persique et au-delà sans route alternative possible.
Plus au sud, ce sont les Houthis qui constituent la principale menace. Si les conséquences de leurs attaques ont été contenues, celles-ci se poursuivent et malgré les frappes américaines et britanniques, leur capacité à attaquer les navires commerciaux reste intacte. Selon les informations communiquées à votre rapporteur, au 1er septembre 2024, c’est 609 objets que ceux-ci avaient tirés, dont 298 drones tirés contre des bateaux, 208 missiles balistiques et 13 missiles de croisière, lesquels sont les plus difficiles à détecter car tirés au ras de l’eau. De même, les attaques par drones de surface, lesquelles emportent une explosive 10 à 15 fois plus importante que celle d’un drone aérien et 5 à 7 fois plus importante que celle d’un missile balistique, sont difficiles à détecter dans la nuit et le mouvement des vagues.
Ces chiffres montrent que les Houthis soit disposent de stocks considérables, soit que les armes et/ou leurs composants leur parviennent toujours, d’Iran, de Chine et d’ailleurs et ce, malgré la résolution 2 707 de l’ONU instituant un embargo sur les armes à destination du Yémen. Or, face à ce trafic, le renseignement fait largement défaut et lorsqu’une information parvient, il est rare que les moyens militaires permettant de l’exploiter soient disponibles avant sa péremption.
Dans une guerre qui se généraliserait à l’ensemble du Moyen-Orient, il ne fait pas de doute que les attaques redoubleraient, accentuant la pression sur une voie commerciale essentielle pour l’Europe mais également pour la stabilité de l’Égypte.
III. l’action de la France dans le nord-ouest de l’ocÉan indien : un succÈs mais des contraintes qu’il lui faudra surmonter
A. la France a engagÉ l’ensemble de ses moyens pour prÉserver la libertÉ de circulation
1. La France est historiquement présente dans l’océan Indien, où elle dispose de moyens militaires significatifs mais concentrés dans l’Est
Présente depuis le XVIIe siècle – et la colonisation de la Réunion, dans l’océan Indien, la France a maintenu une présence militaire permanente organisée autour de points d’appuis, lesquels peuvent être des territoires français, comme la Réunion ou Mayotte, mais également des bases dans des pays étrangers, à Djibouti et à Abou-Dhabi. À cette présence militaire permanente s’ajoutent des déploiements réguliers de bateaux et d’aéronefs en provenance de métropole dès lors que la situation sécuritaire et la défense des intérêts de notre pays l’exigent.
a. Les forces françaises de Djibouti
Les forces françaises installées dans la base de Djibouti (FFDJ) constituent le contingent le plus important de forces de présence françaises en Afrique. Avec près de 1 500 militaires déployés, les FFDJ s’articulent autour de cinq emprises principales centrées sur Djibouti :
– le 5e régiment interarmes d’outre-mer (5e RIAOM) ;
– le détachement de l’aviation légère de l’armée de Terre (DETALAT) armant 4 hélicoptères Puma et 3 Gazelle ;
– la base aérienne 188 avec ses 4 avions de défense aérienne Mirage 2000-5, 1 avion de transport tactique Casa et 3 hélicoptères Puma ;
– la base navale ;
– le centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert de Djibouti (CECAD).
Les FFDJ sont composées :
– d’un état-major interarmées ;
– de moyens d’infanterie (AMX 10 RC, VAB, canon de 155 mm, mortier de 120 mm) ;
– du groupement de soutien de la base de défense (GSBdD) des FFDJ et des formations relevant du soutien spécialisé (SEO, DID, SSA, DIRISI, SIMu).
Positionnées sur la façade Est de l’Afrique, les FFDJ constituent une plateforme stratégique, opérationnelle et logistique aussi appelée base opérationnelle avancée (BOA). À ce titre, les FFDJ sont en mesure d’accueillir mais également de projeter rapidement des forces en cas de crise dans la sous-région, vers l’océan Indien ou le Moyen-Orient, en facilitant notamment les mouvements des forces (acheminements, désengagements, relèves humaines et matérielles), en fournissant un point d’appui logistique aéroportuaire aux forces françaises mais aussi aux forces djiboutiennes et aux contingents alliés engagés dans la région et, enfin, en formant un réservoir de forces aguerries, acclimatées et entraînées rapidement projetables en cas de crise dans la sous-région.
b. Les forces françaises aux Émirats arabes unis
Les forces françaises aux Émirats arabes unis sont commandées par un officier général qui est aussi le commandant de la zone maritime de l’océan Indien (ALINDIEN). En tant que COMFOR FFEAU, ce dernier dispose d’un état-major interarmées et commande environ 650 militaires des trois armées répartis en trois implantations distinctes :
– La base navale accueille le haut commandement et l’état-major interarmées, ainsi que l’ensemble des organismes de soutien communs ou spécialisés des FFEAU. Élément de force maritime, placé sous le commandement organique d’ALFAN depuis le 1er septembre 2015, la base navale d’Abou Dhabi assure le soutien spécifique des forces maritimes en relâche opérationnelle aux Émirats arabes unis et participe aux missions des FFEAU. Si aucun navire n’est stationné en permanence sur place, elle peut accueillir tous les types de bâtiments de la Marine nationale, à l’exception du porte-avions, ce dernier pouvant accoster à proximité immédiate dans le port de commerce de Mina Zayed.
– La base aérienne 104 (BA 104) est implantée au sein de la base aérienne émirienne d’Al Dhafra, à 60 km d’Abou Dhabi. La BA 104 est un système de combat de l’Armée de l’air, sur lequel est stationné l’escadron de chasse 1/7 « Provence ». Par ailleurs, la base est conçue pour accueillir d’autres aéronefs (avions de chasse mais aussi transporteurs, ravitailleurs, etc.).
– Le 5e Régiment de Cuirassiers (5°RC) compte un escadron de commandement et de logistique, un escadron blindé à trois pelotons de chars Leclerc et une section d’infanterie sur VBCI, un sous groupement CAESAR renforcé d’une équipe de contrôle aérien avancé.
En tant que force de présence, les FFEAU ont pour principales missions d’appuyer nos déploiements opérationnels dans la région, de développer la coopération militaire bilatérale et d’animer la coopération régionale et, enfin, d’accueillir les troupes venues de métropole et les contingents étrangers pour parfaire leur aguerrissement en milieu désertique et en zone urbaine moyen-orientale.
c. Les forces armées dans la zone sud de l’océan Indien
Contrairement aux deux forces susmentionnées, les FAZSOI ne sont pas des forces de présence mais des forces de souveraineté en ce qu’elles sont stationnées dans deux départements d’outre-mer : La Réunion et Mayotte. Le COMSUP FAZSOI dispose d’un état-major interarmées et commande 1 600 militaires et plus de 300 civils de la Défense. Les forces armées dans la zone sud océan Indien sont composées d'unités des trois armées.
S’agissant de l’armée de Terre, il s’agit du 2e régiment de parachutistes d’infanterie de Marine (2e RPIMa), implanté à Pierrefonds à Saint-Pierre (La Réunion) et du détachement de Légion étrangère de Mayotte (DLEM), basé à Dzaoudzi (Mayotte) ;
S’agissant de la Marine, la base navale de Port des Galets, à la Réunion, constitue le port d’attache d’un bâtiment multimissions : le Champlain, de deux frégates de surveillance : le Nivôse et le Floréal, embarquant un hélicoptère Panther, et d’un patrouilleur, le Malin (qui va prochainement revenir à Brest).
La base navale de Mayotte, dont la mission principale est d’assurer la permanence de la lutte contre l’immigration clandestine, assure quant à elle le soutien des bâtiments affectés à Mayotte et constitue le port d’attache de deux vedettes côtières de surveillance maritime : le Verdon et l’Odet, d’un intercepteur semi-rigide : le Vetiver, d’un chaland de transport de matériel : le CTM13 et d’un remorqueur pousseur de 10 tonnes : le Morse.
Enfin, s’agissant de l’armée de l’air, celle-ci dispose à la Réunion d’un détachement, le DA 181, comprenant une unité navigante : l’escadron de transport (ET50), équipé de deux avions de transport Casa.
De cette présentation de nos forces dans l’océan Indien, il apparaît donc que nos forces et nos bases sont exclusivement présentes dans l’est de l’océan Indien, dans les trois endroits stratégiques que sont le canal du Mozambique, le détroit de Bab-El-Mandeb et le détroit d’Ormuz. Elles sont par ailleurs renforcées par des moyens, en particulier navals, en provenance de la métropole et peuvent, le cas échéant, s’appuyer sur les informations du MICA center de Brest.
Crée en 2016, le MICA Center (Maritime Information Cooperation and Awareness Center) est le centre d’expertise français dédié à la sûreté maritime, dont la compétence est mondiale. Sa mission est de favoriser l’échange d’informations et la coopération afin de faire face aux menaces au sein du monde maritime. Il recense et analyse en permanence les situations et événements touchant la navigation maritime sur l’ensemble des océans, informations reçues depuis les officiers de liaison français établis au sein des Information Fusion Centres de Singapour, Madagascar et New Delhi mais aussi depuis les navires de marine marchande intégrés à la Coopération navale volontaire (CNV) – environ 80 compagnies. Sur la base de ces dernières, il est en mesure de fournir aux navires et à leurs armateurs des informations sécuritaires personnalisées sur les zones maritimes à risques, des alertes en cas d’incident, des évaluations sécuritaires, des briefings particularisés, des exercices, etc. Il contribue ainsi directement au soutien des équipages des navires et de leurs armateurs en cas d’alerte de type piraterie en gardant un contact direct avec le navire attaqué ou le CSO de la compagnie, en mettant en garde les autres navires présents dans la zone, en transmettant l’alerte vers les centres compétents pour diriger une intervention et suivant le traitement post-alerte.
2. L’action sur le terrain : une participation active aux opérations militaires de sûreté maritime dans le nord-est de l’océan Indien
C’est la France qui, en 2008, a été à l’initiative de l’opération Atalanta mise en œuvre par l’Union européenne afin de lutter contre l'insécurité dans le golfe d’Aden et l'océan Indien, en lieu et place des différents déploiements nationaux. Bien que le QG de cette opération soit situé à Rota, en Espagne, la France a été l’un des principaux contributeurs à celle-ci, à la fois par les navires et les avions mis à disposition mais également parce que son point d’appui était Djibouti.
La France a également mis à disposition de l’opération le Maritime Security Center-Horn of Africa (MSCHoA). Hébergée au sein du MICA Center, cette cellule constitue l’interface entre le commandement militaire de l’opération, basé à Rota, en Espagne, et les navires de commerce naviguant dans ces eaux. Ses principales missions sont d’enregistrer tous les mouvements des navires et d’assurer en permanence la réception et le relais des alertes en cas d’évènement.
L’objectif de cette opération a évolué dans le temps. En effet, la présence des moyens militaires d’Atalanta dans la Corne de l’Afrique a incontestablement dynamisé la lutte contre la piraterie qui, avec les années, est devenue de moins en moins rentable et a fini par disparaître à peu près complètement. Pour autant, la mission Atalanta s’est poursuivie mais elle a désormais une autre finalité qui est la lutte contre les trafics illicites et, en particulier, le trafic d’armes et le trafic de drogue qui, elle aussi, a permis aux forces françaises de s’illustrer. Ainsi, en 2022, la frégate de surveillance Floréal a conduit sept opérations sur des boutres suspects qui ont débouché sur la saisie de plus de 1,3 tonne de méthamphétamine, 1,4 tonne d’héroïne et 6 tonnes de résine de cannabis. De même, en 2023, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude et la FLF La Fayette, ont saisi un total de 1 087,5 kg de différents divers stupéfiants sur deux boutres sans pavillon.
La France a ainsi déployé, depuis quinze ans, de très nombreux et différents bâtiments pour cette opération Atalanta, y compris le groupe aéronaval (GAN). En effet, dans le cadre de la mission Antarès, le GAN a soutenu pendant six semaines, en 2023, la force navale européenne engagée dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. Par ailleurs, le GAN a conduit de nombreux exercices conjoints avec la frégate espagnole Santa Maria, portant sur les ravitaillements à la mer ou des entraînements de lutte antiaérienne et de lutte antinavire.
Plus encore que dans l’opération Atalanta, la France s’est fortement impliquée dans l’opération Agénor, volet maritime de la mission EMASoH (European-led maritime awareness in the straight of Hormuz). Non seulement cette mission a été lancée, en 2020, à l’initiative de notre pays mais elle est commandée depuis la base navale des Forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (FEEAU). Notre pays a également mis à disposition de l’opération des moyens maritimes (FLF Guépatte, FLF Courbet, FREMM Languedoc…) et aériens (ATL2) ainsi que le MICA Center. Cette mission a été mise en sommeil le 27 juin dernier, conséquence du lancement de l’opération Aspides.
L’opération Aspides, lancée le 19 février 2024 à la suite des attaques des Houthis contre les navires commerciaux, constitue aujourd’hui la principale mission de sûreté maritime dans la région de la mer Rouge.
Pour autant, la France n’a pas attendu le lancement de cette mission pour intervenir militairement en mer Rouge. Dès décembre 2023, en effet, notre pays a engagé la frégate Languedoc afin de protéger sans attendre les navires commerciaux contre la menace des Houthis. Intégrée dans Aspides à sa création, cette frégate a ensuite été successivement remplacée par trois autres frégates qui, ensemble, ont conduit près de 50 accompagnements de navires de commerce afin d’en assurer la protection et celle de leur équipage. Au dernier bilan, dressé le 7 septembre 2024, l’opération a pu protéger 230 navires marchands, détruit 17 drones aériens et deux drones navals, intercepté quatre missiles balistiques, sans oublier une opération de sauvetage en mer de type SOLAS, avec 29 marins sauvés.
En effet, l’opération Aspides a pu prendre une forme inattendue suite à l’incident déjà évoqué impliquant le pétrolier Sounion. Pris pour cible par des combattants Houthis alors qu'il se trouvait près de l'embouchure de la mer Rouge, deux navires d'attaque rapides ont engagé un échange de tirs avec les gardes armés du Sounion avant que trois projectiles ne frappent le pétrolier. L'attaque initiale a provoqué un incendie à bord qui, même rapidement éteint, a entraîné une panne de moteur et la perte de propulsion. La frégate de défense aérienne (FDA) française Chevalier Paul a évacué l'équipage vers Djibouti le 22 août 2024. Pendant l'opération de sauvetage, elle a détruit un navire rempli d'explosif lancé contre le tanker à l'aide de ses canons Narwhal de 20 mm.
Concrètement, l’opération Aspides est commandée depuis le QG de Larissa, en Grèce, et implique principalement des navires grecs, italiens et français. Les Italiens en assurent le commandement tactique depuis leur navire (répartition des patrouilles, liens avec les navires de commerce…). En revanche, en raison de la situation opérationnelle, il est dangereux de faire voler des ATL2 au-dessus de la mer Rouge.
Une autre opération, Prosperity Guardian, dont l’objet est le même, est en cours en mer Rouge, patronnée par les États-Unis et impliquant principalement des moyens américains et britanniques. La France et les pays participant à Aspides ne participent pas à cette opération qui, défensive, a également un volet offensif. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont en effet mené des attaques contre les Houthis en bombardant à plusieurs reprises des cibles militaires telles que des sites de radar et de défense aérienne ou de stockage de missiles, entraînant des représailles via des salves de missiles antinavires contre des bâtiments civils et militaires américains et britanniques. En refusant de participer à cette opération, les États membres de l’Union européenne montrent ainsi clairement leur volonté de ne pas être associés à des actions agressives, limitant leur propre opération à une action défensive. La coordination entre les deux opérations est ainsi très limitée, réduite en pratique à des échanges pour « déconflicter » les passages d’aéronefs.
B. FAIRE FACE AUX FUTURES CRISES DES DÉTROITS IMPLIQUE UNE MONTÉE EN PUISSANCE DE LA MARINE ET UNE plus grande implication EUROPÉENNE
Les auditions qu’a menées votre rapporteur lui ont permis d’avoir un tableau clair des enjeux des détroits mais également de l’engagement de notre Marine en mer Rouge. Celui-ci est riche de leçons que l’état-major de la Marine a d’ores et déjà commencé à appliquer sur le terrain. Les propositions ci-dessous vont dans le même sens en visant à une plus grande efficacité de nos moyens et des moyens européens en mer Rouge et au-delà.
1. Proposition n° 1 : Renforcer et adapter les capacités de la Marine aux nouvelles menaces
La France s’est distinguée, dès que les Houthis ont commencé à s’en prendre aux navires de commerce, par le déploiement rapide d’une frégate en mer Rouge afin d’organiser leur protection face aux missiles et aux drones lancés par les Houthis. Parce que ce déploiement permet depuis près d’un an de tester au combat les matériels et les hommes dans les conditions de la haute intensité, votre rapporteur s’est efforcé, pour cet avis, de rassembler les informations sur le retour d’expérience de cette opération Aspides mais aussi sur la prise en compte de celui-ci par l’état-major de la Marine.
Force est de reconnaître que la préparation opérationnelle de la Force d’action navale a permis à nos marins de faire face à la menace, d’accomplir leur mission tout en préservant les hommes et les matériels des attaques de drones et de missiles, y compris balistiques, lancées par les Houthis.
Dans les premières semaines de 2024, c’est avec des Aster qu’ont été abattus les drones bon marché qui visaient notre frégate. Certes, il s’agissait de protéger une FREMM valant plus d’un milliard d’euros mais une telle disproportion dans la défense n’était pas soutenable compte tenu du coût du tir mais également du nombre d’Aster disponible.
Le premier retour d’expérience d’Aspides a donc porté sur la lutte anti-drones et révélé l’inadaptation de l’Aster à une attaque en saturation. Il a aussi mis en évidence des besoins nouveaux liés à la détection des drones et des missiles, à des systèmes d’artillerie et de missiles en couches, en complément des canons de 76 mm et de l’Aster, à des systèmes de brouillage adaptés à la menace des drones ainsi qu’aux systèmes de direction de combat.
Face à une menace immédiate, des équipements supplémentaires ont été intégrés à certaines FREMM dans un temps remarquablement court – un mois. C’est en s’appuyant sur le processus « urgence opérationnelle » que l’état-major de la Marine a pu décider d’équiper ces dernières de boules optroniques PASEO XLR et d’une conduite de tir STIR, avec des résultats opérationnels eux-mêmes immédiats : meilleure surveillance, meilleure caractérisation des menaces et meilleure gestion des armes et munitions. Votre rapporteur salue ici la réactivité conjointe de la direction générale de l’armement, du service de soutien de la flotte, de la FAN et des industriels (SAFRAN et Naval Group).
Quant aux équipages, ils ont dû également adapter en temps réel leurs tactiques, parfois sans attendre le feu vert de la DGA. L’Aster n’est désormais plus utilisé que contre les missiles et non plus contre les drones qui sont désormais tirés au canon, voire à la mitrailleuse depuis un hélicoptère lorsque les circonstances s’y sont prêtées. Il faut à ce titre saluer l’audace de l’équipage qui a pris l’initiative et mis en œuvre ces nouvelles tactiques. Il est acquis désormais que, contre les essaims de drones aériens, il est nécessaire de disposer de canons avec des cadences de tirs élevées ainsi que de brouilleurs de GPS, en attendant peut-être un jour les armes à énergie dirigée. En revanche, la tactique reste à affiner s’agissant des drones de surface qui, jusqu’à présent, à la connaissance de votre rapporteur, n’ont pas visé nos navires (qui, cependant, ont pu en détruire un lors de l’attaque du Sounion).
Le retour d’expérience d’Aspides se traduit également dans le présent PLF, avec notamment le renforcement qualitatif de la préparation opérationnelle permis notamment par la hausse des crédits de l’OS « Activité opérationnelle » (+18 % en AE et +10 % en CP). Les travaux menés dans le cadre de l’A2PM 2024 ont également permis de renforcer la cohérence des programmes patrouilleurs hauturier (PH) et bâtiments ravitailleurs de forces (BRF) en prenant en compte la dotation initiale de munitions de 40 mm et en ajustant le calendrier de livraisons des missiles SIMBAD RC.
L’opération Aspides présente donc de nombreux motifs de satisfaction pour la Marine. Toutefois, s’ajoutant à l’ensemble des autres opérations de la Marine, elle entraîne une suractivité de celle-ci qui oblige à faire des choix dans les priorités, en prélevant des bateaux jusqu’à présent affectés à d’autres opérations. En outre, les changements tactiques, pour justifiés qu’ils soient, obligent la Marine à revoir à la hausse ses stocks de munitions, complexes ou non. Or, ainsi qu’il a été dit supra, un Aster commandé aujourd’hui ne sera livré qu’en 2028 et les munitions de 40 mm qu’en 2027. Enfin, l’opération Aspides met en évidence le retard qui avait été pris par notre pays en matière drones navals mais également de drones de haute altitude, particulièrement pertinents dans un environnement aussi hostile que la mer Rouge, où les Houthis disposent de moyens sol-air et annoncent régulièrement avoir détruit des Reapers américains.
Se trouve donc posée, une fois de plus, la question des moyens de la Marine, déjà évoquée dans la première partie du présent rapport. Un format à 18 serait une première marche à cette impérieuse adaptation. Celles-ci mériteraient une analyse actualisée dans un nouveau Livre blanc qui tirerait les enseignements des deux dernières années et mettrait, enfin, nos moyens à la hauteur des menaces.
2. Proposition n° 2 : Consolider l’action de l’Union européenne dans le nord-ouest de l’océan Indien
S’il faut évidemment saluer l’implication de l’Union européenne dans la région, avec pas moins de trois opérations militaires – Agénor, Aspides et Atalanta, les auditions qu’a menées votre rapporteur ont néanmoins mis en évidence un certain nombre de difficultés et ouvert plusieurs pistes d’amélioration.
La première difficulté tient à l’existence de trois opérations distinctes dans le nord-ouest de l’océan Indien, même si Agénor a été mise en sommeil fin juin 2024. Cette mise en sommeil ainsi que la création d’Aspides quelques mois auparavant doivent être l’occasion de réfléchir à une rationalisation de l’action de sécurité maritime de l’Union européenne dans la région. Pour votre rapporteur, les opérations Aspides et Atalanta devraient être fusionnées en une seule opération européenne allant de la mer Rouge à la mer d'Arabie, faisant face à toutes les menaces, des Houthis au Yémen aux Iraniens dans le détroit d’Ormuz. Une telle opération unique, dotée d’un mandat étendu sur la sécurité maritime et la lutte contre les trafics, notamment d’armes, non seulement faciliterait la génération de force dans un contexte de moyens contraints mais constituerait également un signalement stratégique vis-à-vis de nos compétiteurs régionaux (et au-delà). Votre rapporteur est toutefois conscient des obstacles politiques à une telle fusion des opérations, notamment de l’Espagne qui commande Atalanta, mais au regard des enjeux, il doit être possible de les surmonter.
Fusionnée ou pas, l’opération Aspides fait face quant à elle à des difficultés particulières, notamment en raison de son caractère exclusivement défensif. Comme l’a souligné le VAE (2S) Pascal Ausseur dans un entretien au média B2 Pro le 11 avril dernier, « une mission purement défensive ne règle rien. On protège de la grêle, un peu, en sachant qu'il y aura des grêlons qui passeront. Cela ne passe pas de message. Cela ne fait peur à personne et on ne dissuade donc personne. C'est finalement un signal de faiblesse. Dans un monde qui se durcit et où la faiblesse est perçue comme une vulnérabilité, cela montre plutôt les limites de l'action européenne. Et présente des risques. Si un bateau protégé est touché, ou pire, si un navire de guerre est atteint, ce qui n'est pas impossible, le signal de faiblesse sera clair. Et, aujourd'hui, malheur aux faibles, surtout s'ils sont occidentaux. C'est la difficulté du fort. Quand il entre dans le conflit, il doit se donner les moyens de gagner. Et, dans le cas d’Aspides où nous nous plaçons dans une posture de défense partielle, nous ne sommes pas en mesure de l'emporter ».
Si Aspides a le mérite d’apporter une réponse, même partielle, aux menaces pesant sur la liberté de navigation, les États membres de l’Union européenne doivent en effet être conscients qu’elle ne suffira pas, loin de là, à sécuriser le commerce international en mer Rouge, et encore moins si la situation devait se dégrader. Les États-Unis et le Royaume-Uni, avec l’opération Prosperity Guardian, ont inclus des frappes à terre contre les Houthis, leurs stocks de missiles et de drones ou leurs stations radars, afin de réduire la menace elle-même et non, simplement, pallier ses conséquences. Étendre le mandat d’Aspides est cependant une décision politique, qui devra être prise à l’unanimité au niveau européen, dont les implications vont bien au-delà des seuls enjeux militaires.
Enfin, le dernier axe d’amélioration de l’opération Aspides porte sur le rôle du MICA Center, remarquable outil. Le MSCHoA précité a été créé pour l’opération Atalanta et la lutte contre la piraterie. Il est regrettable qu’il ne puisse être utilisé pour Aspides et les attaques des Houthis alors même qu’il reçoit déjà des officiers de cette opération (2 officiers pour le moment). La fusion des deux opérations permettrait de lever de mettre un terme à cette incohérence.
3. Proposition n° 3 : Accroître l’implication des différents acteurs en mer Rouge : États européens, puissances locales et armateurs
Ainsi qu’il a été dit supra, seuls trois États membres, l’Italie, la Grèce et la France, contribuent à la mission Aspides, avec les bateaux suivants :
— la frégate italienne de défense antiaérienne de la classe Horizon, Andrea Doria, qui sert de navire amiral ;
— son équivalent français, le Chevalier Paul ;
— la frégate grecque HS Psara ;
Pour votre rapporteur, compte tenu du caractère vital, pour l’Union européenne, du trafic maritime dans la mer Rouge, il est décevant que si peu de nations mettent à disposition leurs navires pour y garantir la liberté de circulation.
Certes, d’autres pays, tels que les Pays-Bas, la Belgique ou l’Allemagne, ont participé dans le passé à Aspides mais ils n’ont pas renouvelé leur engagement, préférant mobiliser leurs moyens ailleurs. Ainsi, la frégate allemande Hamburg, qui devait rejoindre l'opération, est actuellement maintenue pour un temps indéterminé en Méditerranée, afin de pouvoir répondre à un besoin éventuel d'évacuation des quelque 2 000 ressortissants allemands présents au Liban. Quant à l’Espagne, elle limite sa participation à l’opération Atalanta, qu’elle dirige depuis Rota. En comparaison, ce n’est pas moins de six frégates que les seuls États-Unis ont déployées dans la région.
Il est évident qu’avec seulement trois navires et aucun moyen de patrouille aérienne, il n’est pas possible à Aspides d’assurer dans des conditions satisfaisantes la mission qui est la sienne. Bien plus, déployer des moyens aussi limités joue également, sur le plan stratégique, contre l’Union européenne. Nos compétiteurs dans la région (et au-delà) sont susceptibles de l’interpréter comme une incapacité à en déployer plus et/ou un désintérêt pour la région.
Par conséquent, votre rapporteur considère urgent pour notre pays de mobiliser l’ensemble de ses relais politiques, diplomatiques et militaires afin de convaincre ses partenaires européens de déployer, dans la région, des moyens à la hauteur des enjeux pour l’Union européenne. Ceux-ci existent, y compris chez ceux qui participent déjà : l’Italie a une importance flotte, aujourd’hui mobilisée dans la lutte contre l’immigration clandestine ; de même, les Grecs ont une solide expérience en matière d’opérations sur le littoral. Ensemble, les Européens peuvent et doivent défendre leurs intérêts.
Ces mêmes relais pourraient utilement être mobilisés également vis-à-vis des pays de la région, dont la coopération est essentielle au succès des opérations de sécurisation maritime. L’attitude de certains d’entre eux peut être questionnée. Fin septembre, votre rapporteur devait ainsi être transféré sur le Chevalier Paul par hélicoptère depuis Djeddah mais l’Arabie saoudite a refusé l’autorisation de survol de son territoire. L’une des explications à de telles réticences pourrait être la volonté de certains pays de ne pas s’afficher avec des pays considérés comme alliés d’Israël et, ce faisant, susciter la colère de leur opinion publique.
Enfin, il serait utile d’impliquer plus fortement les armateurs dans la sécurisation de la voie maritime de la mer Rouge, via par exemple les renseignements qu’ils seraient susceptibles de fournir ou par l’équipement de leurs navires avec des brouilleurs de GPS, entre autres.
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I. Audition de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’État- Major de la Marine
La commission a entendu l’Amiral Nicolas Vaujour, Chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances pour 2025 (n°324) au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2024.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous poursuivons le cycle des auditions budgétaires en recevant le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Nicolas Vaujour.
J’en profite pour saluer notre rapporteur pour avis, M. Yannick Chenevard, un ancien marin.
Amiral, grâce au respect de la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 et à l’augmentation de 3,3 milliards d’euros du budget de la défense en 2025 par rapport à 2024, la Marine bénéficiera, comme les autres armées, de ressources supplémentaires. Cela n’est pas inutile compte tenu de la hausse des conflictualités et des tensions croissantes à l’échelle internationale, particulièrement en mer.
L’année 2024 a été particulièrement riche sur le plan opérationnel pour la Marine nationale. Je pense aux différents déploiements de nos marins, de la mer Rouge à la mer Méditerranée, du golfe de Guinée à la Chine ou encore récemment au large du Liban, où des moyens ont été déployés par précaution, en cas d’évacuation.
Je n’oublie pas non plus l’engagement de la Marine nationale dans le cadre de la posture permanente de sauvegarde maritime qui regroupe un ensemble de missions très diverses, relevant de la défense maritime du territoire et de l’action de l’État en mer.
Pour faire face à ce contexte géostratégique bouleversé, en 2025, la Marine pourra compter sur un effort de réarmement commun de nos trois armées qui lui bénéficiera pleinement avec, entre autres, la réception d’une nouvelle frégate de défense et d’intervention, de deux nouveaux patrouilleurs outre-mer et d’un bâtiment ravitailleur supplémentaire, ou encore, le lancement en réalisation du porte-avions de nouvelle génération.
Afin d’entrer dans le cœur du sujet, je vous poserai deux questions.
La première question concerne l’adéquation entre le contexte dans lequel la Marine évolue et les moyens qui sont les siens. En tant que chef d’état-major, face à l’évolution de la conflictualité et des avancées technologiques, quel est votre cap et quelles priorités identifiez-vous pour la marine nationale dans les prochaines années ?
Ma seconde question concerne nos marins. Notre commission sera particulièrement attentive à la manière dont vous envisagez les ressources humaines dans la marine.
Amiral Nicolas Vaujour. Mesdames et messieurs les députés, je suis toujours très heureux d’évoquer avec vous la situation de la marine, qui est particulièrement active.
Quarante-trois bâtiments sont actuellement en mer et 4 600 marins sont déployés pour la protection des Français de métropole et de nos outre-mer, ainsi que de nos intérêts vitaux, auxquels s’ajoutent les sous-marins. En mer Rouge, se trouvent La Provence et un Atlantique 2 ; en Méditerranée orientale, la frégate multi-missions de défense aérienne (FREMM-DA) Lorraine et le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral ; en Atlantique, la frégate Aquitaine et un Atlantique 2 ; en Atlantique Sud, le Dixmude avec le Commandant Ducuing ; en Baltique, le chasseur de mines tripartite (CMT) Sagittaire. Nous avons des commandos marine déployés en opération, et sous l’eau, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) patrouille en permanence pour la dissuasion nucléaire. Une quarantaine de bateaux sont donc en permanence à la mer.
Il y a un an, nous évoquions l’accélération du désordre, la volatilité du contexte et le durcissement des menaces. Depuis le 7 octobre, l’accumulation de crises très violentes montre qu’on est passé d’une observation du désordre à une vie dans le désordre. Nous n’observons plus le développement des conflits, nous sommes dans la crise. En mer Rouge les bâtiments font quotidiennement face à la menace. Et pendant que ce désordre se cristallise en crises, nous devons poursuivre toutes les missions permanentes. Pour le dire autrement, « pendant les travaux, la vente continue ». La vente, c’est l’ensemble des missions permanentes et les travaux, ce sont les chocs auxquels la Marine fait face.
La crise au Proche et Moyen-Orient qui concentre l’attention de l’opinion internationale, se traduit directement pour la Marine par l’opération Aspides destinée à la protection de nos intérêts économiques et de nos bâtiments de commerce en mer Rouge, ainsi que par le déploiement au large du Liban. Quel chemin parcouru par la Marine depuis un an ! En décembre 2023, nous abattions les premiers drones houthis qui attaquaient les navires ; en mars, un de nos hélicoptères Panther abattait en vol un drone à l’aide de sa mitrailleuse de sabord. Puis, des missiles balistiques dirigés vers des bâtiments de commerce étaient interceptés par nos frégates de défense aérienne et des FREMM DA. Enfin, en août, une frégate abattait un drone de surface.
Cela montre l’évolution et de la menace et du panorama. Il ne s’agit plus uniquement de petits drones aériens, mais aussi de missiles balistiques, de missiles antinavires et de drones de surface. Très peu de marines sont capables de répondre à l’ensemble de ces menaces. Très peu sont capables d’intercepter un missile, le délai de réaction entre la première détection et l’ordre étant réduit à quelques secondes. Cela nécessite un entraînement de très haut niveau de nos équipages et une très grande adaptabilité. De même qu’en Ukraine, les Ukrainiens s’adaptent en permanence à la menace russe, de même nous nous adaptons en permanence à la menace houthie. Nous apprenons tous les jours comment renforcer notre préparation opérationnelle et les capacités technologiques embarquées. Nous réalisons des exercices et, dès que nous trouvons un système efficace, nous l’embarquons sur nos bateaux. Pour disposer de moyens de réponse immédiate, nous prenons parfois le risque de recourir à des systèmes qui ne sont pas encore qualifiés.
En Méditerranée orientale, un bâtiment est déployé en précaution. Un porte-hélicoptères amphibie, accompagné de son escorte permettrait de réduire le délai de réactivité si la situation venait à se dégrader. Nous sommes présents en permanence dans cette zone depuis de nombreuses années. Une frégate observe et communique les évolutions constatées au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à Paris, donc au chef d’état-major des armées et à l‘autorité politique, de façon à apprécier une dégradation et les signaux faibles qui pourraient affecter la sécurité régionale.
On approche des mille jours de guerre en Ukraine. L’Atlantique est un lieu de compétition et de friction potentielle pour la Marine. Nous voyons régulièrement des bâtiments russes passer au large de nos eaux, en Manche, en mer du Nord et en Atlantique. Chaque fois, nous déployons un bâtiment pour l’escorter et lui montrer que nous le surveillons. Nous surveillons également la présence de sous-marins russes en Atlantique. C’est la lutte anti-sous-marine de théâtre réalisée avec nos alliés, de façon à mesurer leur taux d’activité.
Nous sommes également très investis dans les missions de réassurance de l’Otan, auxquelles nous participons en mer Baltique, en mer Méditerranée et en Atlantique.
Tout cela se cumule avec nos opérations nationales, notamment la protection de nos intérêts vitaux par le déploiement permanent à la mer d’un SNLE. Presque 80 % de la marine contribue un jour ou l’autre à la posture de dissuasion, qu’il s’agisse de nos vedettes de gendarmerie maritime, des commandos marine, des fusiliers marins pour protéger la rade, des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) qui protègent les SNLE ou des moyens de la guerre des mines pour vérifier les chenaux.
Sur le territoire national, nous accomplissons de nombreuses missions quotidiennes de protection de nos approches. En outre, cette année, pour les JO, nous avons assuré la venue de la flamme et la protection des événements nautiques à Marseille et, à Papeete, la protection de l’épreuve de surf.
L’action de l’État en mer pour la protection de l’ensemble de nos concitoyens nous engage au quotidien.
Face à la crise des migrations, nous assurons de missions de sauvegarde de la vie humaine dans la Manche et la mer du Nord. Je vous citerai le compte rendu que m’a fait le 15 octobre le commandant du Flamant, un patrouilleur de service public (PSP), embarquant un équipage de vingt-trois personnes : « Amiral, je me permets de vous écrire pour témoigner du savoir-faire de nos marins. Au plus fort de l’action, le 15 octobre, une embarcation en noria avec la vedette de gendarmerie allait de l’embarcation en naufrage à mon bateau. Sur la plage arrière, des matelots se relayaient pour faire des massages cardiaques sur trois victimes. Plage avant, un treuillage de plongeur de bord depuis l’hélicoptère venu de la terre évacuait des personnes en situation critique. À l’arrière de la passerelle, soixante-cinq naufragés recevaient couvertures, eau, nourriture, notre équipage s’attachant à préserver le calme. À l’infirmerie, se trouvaient un enfant et des blessés légers dont certains sous oxygène. En passerelle, on assurait la coordination des secours, en lien avec le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Manche-mer du Nord ». Vingt-trois marins, pleinement engagés et assistés par les autres administrations de l’État, ont réalisé un travail remarquable en ont sauvé soixante-cinq.
L’action de l’État en mer s’exerce aussi dans le cadre de la prévention de la pollution. Nous avons suivi récemment des bateaux transportant des matières toxiques. Avec nos partenaires des autres pays, nous essayons de sécuriser cette activité.
Cette année, la lutte contre le narcotrafic a permis à la Marine nationale d’intercepter 43 tonnes de drogue. Ce volume colossal montre que nous avons développé avec succès des modes d’action pour intercepter de plus en plus de drogue. Le trafic augmente, mais notre action est plus efficace. Lors de son audition, un trafiquant intercepté au large de la Guyane déclarait : « L’équipage du Ventôse, c’est « El diablo », nous n’avons pas vu venir la Marine nationale, elle nous a interceptés et nous n’avons rien pu faire ». Cela montre que nous ne sommes au niveau et que nous leur faisons peur.
À Mayotte, nous participons à la lutte contre l’immigration illégale et à la police des pêches. En Afrique de l’Ouest, dans le cadre de la mission Corymbe, nous formons certains de nos partenaires africains, dans le cadre du stage SIREN qui fonctionne remarquablement bien. En ce moment même, sur le Dixmude, trente-trois officiers de marines africaines viennent partager leur expérience et progresser ensemble.
La grande force de la marine, c’est notre agilité et notre capacité à intervenir partout et à porter l’effort en fonction du besoin sur les différents théâtres.
Toutefois, ces conflits ont des effets sur le trafic commercial en mer. Ils entraînent une augmentation de 60 % de la navigation par le cap de Bonne Espérance et, par conséquent, une augmentation du rythme de passage au large de La Réunion. Un aménagement de la réglementation est en cours pour empêcher que les bateaux ne passent trop près de l’île. Car les marins aiment être proches de la côte pour capter les réseaux téléphoniques et se reconnecter avec la terre. De surcroît, l’augmentation de 60 % du trafic par le cap de Bonne Espérance, se traduit par une hausse de plus de 15 % des émissions de gaz à effet de serre par les bateaux, car cela impose dix jours de plus de transit vers l’Europe.
Les conflits en mer entraînent le développement de la guerre hybride dont nous voyons les effets en mer de Chine méridionale. Les vidéos des interceptions des bateaux Philippins par des bateaux chinois montrent des actions d’une grande violence.
Nous avons vu aussi, sur les fonds marins, des attaques d’infrastructures critiques.
Pour mes partenaires des îles du Pacifique Sud avec qui j’entretiens régulièrement des relations, la crise environnementale a des effets critiques. Nous devons les aider lorsque survient un désastre climatique avec des conséquences humanitaires.
Tiraillé entre un très grand nombre de missions, je suis obligé d’optimiser au maximum les moyens afin de faire porter l’effort là où on l’estime nécessaire et urgent et d’essayer de partager le fardeau avec d’autres, notamment nos partenaires européens, comme nous le faisons en mer Rouge, au large de la Libye et ailleurs. Il faut se coordonner pour garantir une efficacité opérationnelle, sachant, bien entendu, que j’assume pleinement la charge des missions pleinement souveraines.
J’ai développé le plan stratégique « Marins de combats » dont un journaliste a repris quelques punchlines. Je vise l’agilité au filet, la puissance et la mobilité en fond de court. Je recherche l’agilité du temps court et la détermination du temps long.
Le temps court, parce qu’il faut avoir sur les bateaux des athlètes de très haut niveau, c’est-à-dire des marins très bien préparés pour partir en mission en mer Rouge. Ils doivent être capables d’intercepter un missile balistique, ce qui requiert un entraînement de très haut niveau, car on ne sait ni quand cela va avoir lieu ni quand il faudra délivrer l’effet. Il faut des marins non seulement entraînés, mais aussi des navires dotés de capacités offensives et défensives, qu’on fait évoluer en boucle très courte.
Nous testons la capacité à embarquer un nouveau système au moyen des entraînements Wildfire réalisés à Toulon. Nous demandons aux industriels de venir sur nos bateaux avec tout ce qu’ils ont sur étagère et on les confronte aux menaces de type « mer Rouge » et « mer Noire » afin de repérer les systèmes efficaces : des drones de surface et des drones aériens attaquant en essaim nos bateaux. Nous achetons ceux qui fonctionnent, pour les embarquer. Nous l’avons fait deux fois d’affilée. Nous réalisons cet exercice tous les six mois en fonction de l’évolution de la menace. Lors d’un récent exercice, il y a trois semaines, un système a été testé à Toulon sur La Lorraine, et l’industriel nous l’a laissé pour le tester en opérations. C’est une prise de risque, c’est ma responsabilité, parce que le processus de qualification n’est pas entièrement suivi, mais nous souhaitons le faire avec la direction générale de l’armement (DGA) et avec le chef d’état-major des armées (CEMA), pour accélérer l’innovation et permettre la mise à disposition de systèmes efficaces à nos unités.
Nous devons aussi rehausser la préparation au combat. Le dernier Atlantique 2 vient d’être qualifié opérationnel. L’équipage, parti directement en pistage d’un sous-marin russe en Atlantique a fait merveille, ce qui montre que notre préparation est au bon niveau.
Nous avons développé des laboratoires d’innovation dans toutes nos forces organiques. Le laboratoire des fusiliers marins et commandos (LABFUSCO) tient la corde et réalise, grâce à une énergie et une volonté remarquables, des développements incroyables.
Pour libérer cette énergie, nous venons de créer le Dronathlon. En complément de l’exercice Wildfire, destiné à tester nos bateaux face à la menace drone, il s’agit ici d’analyser tout ce qu’on peut tirer des drones. Nous avons réuni une quarantaine d’entreprises sur la presqu’île de Saint-Mandrier auxquelles nous avons demandé de nous présenter toutes leurs innovations afin de les tester dans des scénarios opérationnels. Cela permet de repérer plus rapidement les briques technologiques que l’on peut faire monter en compétence et celles qu’on peut embarquer demain sur nos bateaux.
Dans le temps long, en tant que chef d’état-major de la Marine, je suis responsable de garantir et maintenir les savoir-faire. Quand nous recevons de nouveaux sous-marins comme les Barracuda, nous devons maintenir les anciens en service. Il nous revient de transférer le savoir-faire de l’ancienne à la nouvelle génération. Or s’agissant d’une marine de « temps long », la Marine présente des biseaux capacitaires dans toutes ses composantes. Celui des sous-marins, en cours, se passe bien, celui des patrouilleurs outre-mer se passe également très bien. Nous remontons la pente après une rupture de capacité. Celui des bâtiments ravitailleurs de forces est également en cours. Celui de la guerre des mines sera difficile, car « droniser » entièrement la capacité sera une révolution. Il faudra aussi le réaliser pour l’arrivée des avions de surveillance maritime et pour le porte-avions de nouvelle génération, évoqué récemment par le ministre dans une allocution récente.
Le renforcement du lien à la nation est un sujet essentiel. La Marine organise quatre-vingt-quinze préparations militaires réparties sur le territoire. L’année dernière, j’étais allé à Annecy où nous avons six préparations militaires Marine. J’ai rencontré des jeunes pleinement engagés, qui avaient vraiment envie de donner de leur temps à la Marine. Les préparations militaires Marine représentent chaque année plus de 15 % de mon recrutement, et elles sont essentielles.
J’ai parlé des partenariats avec mes homologues partout dans le monde. Il est indispensable de les renforcer afin de partager le fardeau. Je ne peux pas tout faire tout seul, il faut des partenaires de confiance, qui apportent une autre vision des crises et des accès aux théâtres de crise.
Comment conserver la supériorité opérationnelle dans le futur ? Elle n’est pas seulement technologique, même si nous avons créé une « start-up » pour développer l’IA dans la Marine, comme on en fait dans les autres armées, elle nécessite aussi de s’interroger sur nos jeunes en 2050. Comment sera alors la société ? Quels facteurs démographiques devons-nous prendre en compte pour continuer à recruter ? Quels seront les nouveaux métiers à bord des bâtiments et unités ? Y aura-t-il des data scientists ? Comment créer des filières d’expertise ? L’anticipation des changements sociétaux est un sujet sur lequel nous travaillons activement avec des spécialistes.
La gestion des ressources humaines est au cœur du métier du chef d’état-major. La dynamique est bonne, nous parvenons à assurer le recrutement. Je recrute un peu moins de 4 000 personnes chaque année, même dans les métiers difficiles. De plus, les mesures de fidélisation décidées l’an dernier commencent à porter leurs fruits. Nous constatons un moindre départ de nos marins. Il faut ensuite valoriser les compétences de chacun et donner du sens pour que les gens restent. C’est un effort quotidien.
La marine a un bon moral, soutenu par un bon état d’esprit d’équipage et par de belles missions. En revanche, comme d’autres armées, nous avons fait face à la vague #MeToo. Des évènements ont montré l’existence dans la Marine de faits inacceptables et la nécessité de renforcer nos plans d’actions, ce qui a été fait sous l’impulsion du ministre. Nous avons renforcé nos actions afin de libérer la parole des victimes, de mieux les accompagner et de sanctionner les auteurs. Nous avons développé la transparence et la prévention afin de renforcer le « savoir-vivre ensemble » dans nos unités, où l’on fait face à une grande promiscuité, en étant parfois déployés plus de quatre mois en mer. La féminisation enregistre de grands succès dans la marine où elle atteint 16 %. Dix-sept commandants d’unité sont des femmes, dont neuf sur des unités de combat.
Nous adoptons un modèle de formation agile. Nous nous adressons à toutes les catégories de population. Nous embauchons des mousses, à la fin de la troisième, donc des non majeurs âgés de 16 à 17 ans, que nous accompagnons. À Saint-Mandrier, nous allons recréer l’école des apprentis dans les métiers du numérique et de l’électricité qui font face à un manque. Nous allons rouvrir des classes de première professionnelle et de bac professionnel à même d’accompagner des jeunes jusqu’à l’embauche dans la Marine. La préparation au BTS Nucléaire à Cherbourg rencontre un grand succès : après avoir ouvert trente places cette année, nous en ouvrirons quarante-cinq l’année prochaine. C’est une très belle filière.
Nous faisons tout cela pour être au rendez-vous des biseaux capacitaires. Pour réussir le biseau entre les deux porte-avions, entre les SNLE de la classe Le Triomphant et les SNLE 3G, nous allons devoir créer des compétences supplémentaires. C’est pourquoi la Marine embauche aujourd’hui les marins titulaires du BTS NUC. Cela fait partie d’un plan stratégique « du temps long » dont je ne connaîtrai pas les effets, mais que verront nos successeurs, puisque tout cela arrivera dans les années 2040.
La marine entend se saisir de tous les leviers capables de répondre aux défis qui nous sont lancés, tel que celui de l’écartèlement des missions, et pour anticiper les défis de demain. Nous apportons des solutions pour le chef d’état-major des armées et pour le Président de la République. J’ai fixé pour ambition à la Marine d’être forte de ses savoir-faire, rassembleuse de ses partenaires et redoutée par ses adversaires.
M. Frédéric Boccaletti (RN). Amiral, l’année écoulée a été riche en engagements pour notre Marine nationale : sous les mers, avec des contacts quotidiens avec les sous-marins russes ; en surface, avec les affrontements en mer Rouge. En tant que député du Var, territoire ou l’empreinte de la Marine nationale est considérable, j’ai conscience de son statut particulier qui tient autant de la qualité de nos équipages et de nos navires que dans la perception de nos adversaires, laquelle doit d’ailleurs être adaptée aux nouvelles menaces et champs de conflictualité.
À l’approche de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, le nombre de bâtiments de premier rang a son importance. Cela conduit à nous pencher sur le cas des frégates légères furtives (FLF). La rénovation de trois d’entre elles nous laisse avec seulement trois bâtiments voués à une obsolescence programmée. Quelle doit être l’évolution du domaine d’emploi des deux dernières frégates légères furtive et comment cela se traduit-il dans le PLF ? Pourront-elles intégrer pleinement le plan programmatique de la force d’action navale et compenser le retrait des derniers patrouilleurs de haute-mer (PHM) dans l’attente de l’exécution complète du programme de patrouilleurs hauturiers ?
Le PLF pour 2025 permet-il de disposer de munitions suffisantes les frégates de défense et d’intervention ? Quels sont les bénéfices à l’export des ventes des frégates en 2024 et leurs effets attendus sur le budget 2025 pour la Marine ?
Enfin, merci, Amiral, d’avoir cité à plusieurs reprises la base de Saint-Mandrier, qui me tient à cœur.
Amiral Nicolas Vaujour. Historiquement, nous avons rénové les FLF quand nous avons défini, dans la précédente LPM, le format des frégates à quinze : les huit FREMM, les deux frégates de défense aérienne (FDA) et cinq frégates de défense et intervention (FDI). C’est ce que nous visons pour 2032. Pour faire le biseau qui importait beaucoup au chef d’état-major de la Marine, à l’époque, on avait prévu la rénovation de trois FLF, afin de garantir, à la fin de livraison des FREMM, l’attente des FDI. Se posait alors la question des deux dernières FLF. À l’époque, on nous avait suggéré de les vendre mais nous nous y étions opposés car nous en avions besoin pour la trame des patrouilleurs hauturiers, confrontée au même problème de biseau capacitaire. Ce sont nos avisos vénérables, devenus anciens – Le Premier Maître L’Her, 44 ans Le Commandant Bouan, 41 ans. Les patrouilleurs hauturiers n’arriveront qu’à partir de 2027.
Pour assurer la transition avec les avisos que l’on va désarmer, pour des raisons de sécurité, j’ai besoin d’un moyen. Deux frégates non rénovées vont passer au niveau « patrouilleur ». Avec L’Arago, Le Malin, et un patrouilleur de gendarmerie, l’ensemble palliera la rupture capacitaire. Ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas rénovées que nous ne sommes pas capables d’y mettre un système en plus. On n’y a pas mis les équipements installés dans les FLF rénovées. J’aurais préféré en rénover cinq, mais choisir c’est renoncer et nous avons retenu cette option.
Concernant les munitions, grâce à la LPM et au PLF, nous avons fait un effort important. Pour la période comprise entre 2025 et 2035, 180 missiles Aster ont été commandés, plus un package intégré dans le cadre de la LPM. Nous recevons de nombreux missiles Mistral. Nous attendons la livraison de missiles mer-mer 40 rénovés et des torpilles de combat F21 sont en cours de livraison.
Mais vous avez raison sur un point. Dans une logique de stock, nous achetions des missiles que nous stockions en soute et dont ils ne sortaient que pour rénovation. Mais comme nous en utilisons en mer Rouge et qu’il est douteux que les tensions s’apaisent rapidement, nous sommes passés d’une logique de stock à une logique de flux.
Je ne vous cache ma grande satisfaction d’avoir vu la FDI Amiral Ronarc’h appareiller de Lorient, la semaine dernière. Les premiers résultats sont bons. Nous le réceptionnerons officiellement l’été prochain. Dans la LPM, il est prévu de doter ces bâtiments en munitions suffisantes. Ils ne seront pas surarmés et nous avons gardé une capacité d’évolution supplémentaire.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées sur les crédits de la Marine nationale. Amiral, les aspects opérationnels étant liés aux aspects budgétaires, je rappellerai que, les sept dernières années, la LPM a été exécutée à l’euro près. Si on avait réalisé correctement les LPM antérieures, nous n’aurions pas de trous capacitaires.
En 2008, il était question d’avoir vingt-trois frégates de haut rang. Après le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ce nombre a été réduit à dix-huit. On en a commandé dix-sept, puis onze, puis huit. Le format actuel est de quinze frégates de premier rang. Le contexte international et les missions habituelles de la Marine montrent qu’on est un peu juste. Or lorsqu’il était chef d’état-major de la Marine, l’amiral Prazuck rappelait l’objectif d’au moins dix-huit. Qu’en est-il de cet objectif : est-il quinze, dix-huit, voire plus, en imaginant que nous n’ayons aucune contrainte budgétaire ?
Le NH90 est un hélicoptère remarquable dans la lutte anti-sous-marine. Tout le monde en est satisfait, sauf que nous rencontrons des difficultés de MCO. Observez-vous une amélioration du côté des industriels dans ce domaine ?
Amiral Nicolas Vaujour. Dans la Marine, on est héritier et bâtisseur. On hérite d’une situation et il faut faire avec ce qu’on a. De fait, on est passé de vingt-trois à quinze frégates de premier rang, au fil des LPM successives et des dividendes de la paix. Je ne reviens pas sur les quinze frégates prévues dans la LPM. Quand bien même nous en commanderions aujourd’hui, elles ne seraient pas livrées avant très longtemps.
Nous avons développé deux axes d’action.
Le premier vise optimiser notre MCO. La disponibilité se mesure en parc ou en ligne. Pour les bâtiments, elle n’est qu’en parc. Sur quinze frégates, combien sont disponibles ? Nous avons fait un effort colossal pour le MCO. Nous avons poussé les industriels à s’améliorer, nous les avons mis en concurrence afin de réduire nos coûts de MCO et augmenter la disponibilité de nos bâtiments. Cet effort de nombreuses années porte ses fruits. La Marine peut être fière d’obtenir 75 à 80 % de disponibilité des frégates en parc. C’est un niveau très difficile à obtenir. Chaque bâtiment est employé au maximum des possibilités de MCO, avec nos industriels.
Le second axe, c’est de faire plus de jours de mer. Pour ce faire, outre le MCO, il y a les hommes. Nous avons donc mis en place les bâtiments à double équipage. Cela a permis d’augmenter les jours de mer et, avec les quinze frégates, nous sommes capables de faire un peu plus de jours de mer.
Ces deux axes ont permis de maintenir l’effort sur l’ensemble des théâtres d’opérations. C’est difficile et fragile. Mes camarades britanniques affichent un taux de disponibilité faible pour les frégates de défense aérienne et pour les frégates ASM. La Marine a plus de disponibilité, alors qu’ils ont plus de frégates, ce qui montre bien la difficulté à agir sur l’ensemble des leviers. Le service de soutien de la flotte (SSF) a montré que cela pouvait mieux fonctionner dans le cadre de contrats verticalisés dès lors qu’on mettait des industriels en concurrence. J’ai conscience que la Marine ne pourrait pas aller jusqu’à 90 % de disponibilité des frégates, car ce serait bien trop coûteux. J’ai conscience des contraintes budgétaires de la Nation et que l’effort consenti dans le PLF pour 2025 est déjà remarquable et, à juste titre, remarqué.
De fait, le MCO du NH90 est un sujet. Nous le traitons avec Airbus, animés de la volonté farouche d’améliorer le système, mais force est de constater qu’on n’est pas encore aux résultats attendus. La flotte intérimaire de H160 devait libérer les NH90 des missions de sauvetage en Manche et mer du Nord et à Toulon. Ce sont très beaux hélicoptères mais nous n’avons pas retrouvé le niveau de disponibilité attendu des NH90. L’effort doit être poursuivi. Des plans d’action industriels doivent apporter une amélioration, mais cela fait partie des difficultés du MCO. Si je suis entièrement satisfait du niveau disponibilité des frégates et les Rafale, ce n’est pas le cas pour les NH90. Nous travaillons activement sur le sujet avec le CEO d’Airbus.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Amiral, puisque l’opération Aspides coûte cher, nos adversaires ont intérêt à faire monter les coûts. Lors de la visite de l’opération Agénor, j’ai trouvé que le partage du fardeau était très relatif et il doit en être de même de la configuration de l’opération Aspides. En réalité, les principaux bénéficiaires sont moins les Français que de grands commerçants du nord de l’Europe. Participent-ils à due concurrence ?
Comment vont évoluer les équivalents temps plein du centre de traitement des données à Toulon, que j’ai pu aussi visiter ? Il y avait des besoins. Tient-on le calendrier de la maîtrise des fonds marins du point de vue de l’embauche du personnel ? Pourriez-vous fournir des précisions sur le calendrier de livraison du système de drones aériens pour la Marine (SDAM) ?
Enfin, 26 milliards d’euros d’ouverture de crédit d’autorisation d’engagement sont prévus pour la dissuasion, représentant quatorze pages dans le programme 178 « Préparation et emploi des forces », soit un quart du total des autorisations d’engagement, notamment pour l’achat de super calculateurs. Le marché est-il déjà passé ?
Amiral Nicolas Vaujour. Concernant la soutenabilité du programme Aspides, nous agissons sur plusieurs axes. Vous l’avez dit, c’est coûteux. Quand on tire un missile Aster sur un missile balistique, on dépense beaucoup. L’objectif est d’être le plus efficace possible en termes opérationnels, de n’utiliser l’Aster que lorsqu’on en a vraiment besoin, d’utiliser le canon quand on peut intercepteur au canon et d’utiliser des brouilleurs quand c’est possible. Nous recherchons la meilleure efficacité opérationnelle dans l’ensemble des domaines : missiles, canons et brouilleurs. C’est bien dans ces trois catégories qu’on essaie de trouver des pépites pour améliorer le coût de chaque tir. Nous y parvenons bien. Sur certaines frégates, grâce à de petites innovations, nous avons amélioré les conduites de tir afin d’engager beaucoup plus loin et d’éviter d’utiliser un missile quand on peut employer le canon.
Concernant le partage de fardeau, il ne vous a pas échappé que l’opération Aspides étant commandée par la marine grecque, laquelle fournit l’effort majeur en termes d’état-major et de ressources humaines. Le CEMA vous a indiqué que nous avions privilégié les partenaires européens, dans un souci de partage efficace. Nous sommes présents en permanence dans cette zone, les Italiens et les Grecs aussi. D’autres pays européens rejoignent régulièrement l’opération. Nous avons déplacé le curseur de l’opération Agénor. Il est vrai que nous portions une bonne part du fardeau. Nous l’avons mise en sommeil, l’été dernier, pour reporter l’effort sur cette nouvelle zone.
S’agissant des grandes entreprises mondiales de commerce maritime par containers du monde qui passent encore en mer Rouge, la société CMA CGM par exemple, ou d’autres encore, directement liées aux intérêts français, peuvent bénéficier d’une escorte par des unités françaises pour les aider à franchir le détroit de Bab-el-Mandeb.
Pour la maîtrise des fonds marins, nous avons très récemment commandé un robot téléopéré (ROV), drone qui doit nous permettre d’aller jusqu’à six mille mètres. Quand Mme Florence Parly nous avait demandé de retrouver La Minerve, nous nous étions rendu compte que l’évolution technologique permettait d’aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite. Après avoir loué des ROV pour apprendre, nous en avons commandé pour en disposer en autonomie. L’objectif est d’être capable à la fois de détecter ce qui se passe sous l’eau et d’intervenir en cas d’incident volontaire ou involontaire. Cela nécessite des liens inter-agences, inter-administrations ministérielles et avec le monde civil. Nos grands entrepreneurs des fonds marins, Orange, Alcatel et autres, ont de grandes connaissances et le partage d’information nous aide à comprendre, tandis que nous pouvons leur fournir des informations. Si un grand compétiteur reste un peu trop longtemps dans une zone où il y a des câbles, grâce au ROV – 6 000 m, nous serons capables de surveiller ou de demander à une agence si elle a perçu quelque chose. Nous progressons à travers les missions Calliope. Nous opérons immédiatement des vérifications sous l’eau.
La Marine fait preuve d’une grande dynamique en matière de drones. On dit parfois que nous n’avons pas de drones, alors qu’il y en a partout. Les patrouilleurs outre-mer et les patrouilleurs hauturiers ont des drones SMDM ; les porte-hélicoptères amphibies ont des drones S100 Schiebel. Nous avons des drones sous-marins ou de surface pour toute la guerre des mines. Nous utilisons des drones en Manche-mer du Nord pour la sauvegarde de la vie humaine. Dans cette perspective, nous avons formé beaucoup de marins. Nous avons même des drones SMDM dans les sémaphores, pour aller surveiller les approches maritimes.
Nous élaborons avec la DGA et Airbus le SDAM, doté d’un système extraordinaire qui est l’appontage automatique. Mais il ne sera pas disponible avant longtemps. J’ai dit au chef d’état-major des armées et au ministre que ce devrait être un bon drone dans le futur mais que la Marine avait aussi besoin de drones tout de suite. L’appontage automatique est une technique vers laquelle s’orientent les Américains pour leurs avions de chasse et sur laquelle Dassault travaille. Je suis particulièrement intéressé car cela réduira le temps de formation. Or tout temps de formation gagné, permet plus de jours de mer.
Les 26 milliards d’euros de la dissuasion s’inscrivent dans un renouvellement capacitaire et dans la fabrication des futurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE 3G) destinés à remplacer les sous-marins de la classe Le Triomphant. Ce sont des investissements de temps très long.
Mme Anna Pic (SOC). Amiral, dans un contexte de dégradation significative de nos finances publiques, alors que dans le PLF pour 2025, des efforts importants sont demandés à la quasi-intégralité des postes de dépenses de l’État, la mission Défense est un des rares secteurs épargnés. Son budget est conforme aux engagements votés dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire.
Si nous accueillons ce choix avec un regard bienveillant, la réalité stratégique dans laquelle le Parlement a voté cette LPM, il y a plus d’un an, n’est plus celle d’aujourd’hui. L’accélération et l’intensité des conflits dans plusieurs zones ont créé les chocs que vous avez évoqués. Cet état de fait impose de se demander si les crédits votés seront suffisants pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Dans le domaine capacitaire, faut-il réorienter nos priorités pour répondre à des crises qui n’étaient alors qu’envisagées ?
Lors de son audition par notre commission, le ministre de la défense déclarait que l’année 2025 serait celle de la passation de commandes du porte-avions de nouvelle génération. Quelle part lui sera allouée sur l’ensemble des crédits alloués à la Marine nationale ?
À la lecture du bleu budgétaire, malgré la hausse générale, nous constatons deux baisses de crédits, celle de l’autorisation d’engagement concernant la sous-action n° 03.05 sur les ressources humaines des forces navales et des crédits de paiement concernant l’environnement opérationnel des forces navales dans la sous-action n° 03.08. Quelles sont les conséquences concrètes de ces baisses de dépense ?
Amiral Nicolas Vaujour. Je ne saurais répondre avec précision à la question sur la sous-action relative aux ressources humaines, mais je crois pouvoir vous dire qu’agissant en lien très direct avec la DRH-MD, les engagements et les ressources financières permettent d’embaucher à hauteur des besoins. L’agilité du T2 me permet d’embaucher des réservistes. Le dialogue franc et clair avec la DRH-MD permet d’ajuster nos copies dans de bonnes conditions.
Le fait que le Gouvernement et le Parlement envisagent un budget conforme pour les armées nous impose et impose à nous, chefs militaires, une exigence renforcée sur la bonne consommation des crédits qui nous sont alloués. Je le répète, dans le contexte opérationnel je ne fais pas de dépenses inutiles.
Le ministre a annoncé le lancement du porte-avions de nouvelle génération fin 2025. Son devis et son coût relèvent de la DGA, en discussion avec les trois grands industriels concernés : Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique, qui construiront la coque, et TechnicAtome qui fabrique les chaudières nucléaires de propulsion. Ce devis doit faire l’objet de travaux itératifs pour aboutir, fin 2025, à un coût que je suis incapable d’indiquer. DGA, Naval Group et l’ensemble des industriels responsables travaillent d’arrache-pied pour rendre la copie soutenable et conforme à la prévision de la LPM.
Je confirme le besoin opérationnel de cet objet. J’ai parlé de l’agilité au filet et de la puissance en fond de court. Dans la guerre en Ukraine, les trois dernières années, l’agilité au filet, c’était l’utilisation massive de drones qui a permis de contenir les Russes, une agilité que la Marine développe au quotidien en mer Rouge. Mais nous avons aussi besoin de la puissance de fond de court qui apporte la résilience. La profondeur stratégique de la Russie, c’est son territoire, ce qui lui donne sa résilience et la capacité à produire des effets lointains et en permanence. Dans la Marine, la profondeur de fond de court c’est bien le porte-avions qui la procure, ainsi que la puissance qui use l’adversaire et permet d’agir. La supériorité opérationnelle est offerte par l’arme aérienne venant d’un porte-avions. Or nombre de pays se ferment ou refusent qu’on accoste chez eux. Un pays européen s’est vu interdire de faire escale dans un pays du Golfe, parce qu’il participait à la mission Aspides. La fermeture relative du monde est une réalité à laquelle nous faisons face. Le porte-avions offre de façon unique un accès mobile et puissant.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Le budget 2025 de nos armées doit atteindre 60 milliards d’euros, en hausse de près de 6 % pour la mission Défense, comme prévu dans la LPM. Compte tenu de la recrudescence des conflits et connaissant l’intérêt de la Marine nationale pour la défense de la France à l’étranger, notre budget prévoit-il des moyens supplémentaires pour renforcer la présence de la Marine dans les zones stratégiques tels que la mer Rouge, l’océan Indien ou le Pacifique ? Des partenariats internationaux sont-ils envisagés dans le cadre de la coopération militaire navale ? Si oui, avec quels pays et comment sont-ils financés ?
Amiral Nicolas Vaujour. Il est difficile de relier directement au budget ce que la Marine réalise en mer Rouge. Il y a des remboursements et le CEMA a dû vous parler du budget opérationnel de programme (BOP) pour les opérations extérieures.
En mer Rouge, nous avons une frégate et un Atlantique 2 en quasi permanence depuis décembre 203. Nous faisons de la protection des lignes maritimes civiles à Bab-el-Mandeb, mais nous luttons également contre les trafics qui alimentent les systèmes d’armes pour attaquer les bateaux de commerce. Nous avons renforcé les bâtiments déployés. Là où l’on envoyait des frégates comme des FLF ou des frégates de surveillance, nous envoyons des frégates de défense aérienne FDA et des FREMM, c’est-à-dire des bâtiments de premier rang.
En océan Indien, nous poursuivons la lutte contre les trafics illicites de drogue et de migrants au large de Mayotte, ou nous intervenons beaucoup. Nous essayons de partager la tâche avec certains partenaires car on ne peut pas être présents en permanence. Nous avions une frégate française intégrée au groupe du porte-avions italien Cavour, et, inversement, quand nous déploierons le porte-avions Charles-de-Gaulle, nous intégrerons une frégate italienne. On partage le fardeau.
Nous saluons l’arrivée des patrouilleurs Outre-mer (POM), beaucoup mieux que ceux du type P400. Ils vont plus loin, ont une plus grande autonomie, sont dotés d’un drone, de deux embarcations, contre une, etc. Nous avons renforcé la capacité des bateaux, chacun dans leur zone. Nous n’en avons pas beaucoup plus, mais les bateaux que nous avons ont une capacité opérationnelle bien supérieure. Grâce à son drone capable de s’éloigner de 40 milles nautiques de son bateau, le patrouilleur Outre-mer voit beaucoup plus loin et est donc bien plus efficace en opération.
Nous devons également réaliser en outremer le biseau des vénérables Falcon 200 Gardian par des Falcon 50, et puis par des Falcon 2000, les Albatros du programme AVSIMAR. Là aussi, nous allons renforcer notre présence outre-mer.
Dans le Pacifique, nous travaillons avec les alliés. J’ai eu de nombreuses discussions avec mes homologues italien et britannique, afin de mieux synchroniser nos déploiements pour que l’empreinte européenne au sens large dans l’Indopacifique soit la plus pertinente possible. À moins de vouloir faire une démonstration, il n’est pas toujours pertinent d’arriver tous en même temps. Pour exercer un effet à long terme, il vaut mieux se répartir les créneaux. Cela évite d’être en permanence dans la zone avec des moyens du haut du spectre tout en montrant notre volonté d’y être en permanence.
M. Damien Girard (EcoS). Amiral, lors d’une rencontre avec le commandement de la base aéronautique aéronavale de Lann-Bihoué, celui-ci a souligné le rôle central de l’aéronavale dans la lutte contre le narcotrafic. Vous obtenez de bons résultats. Pourtant, le nombre d’homicides et de tentatives d’homicides liés au trafic explose. La marine nationale envisage-t-elle de renforcer la lutte contre le narcotrafic ? Quels moyens supplémentaires seront alloués à cet effort ?
La Marine nationale est, par nature, un expert des océans et un observateur privilégié des changements climatiques et de l’évolution des écosystèmes. Vous êtes au cœur des enjeux environnementaux marins. Vous jouez un rôle central dans l’action de l’État en mer, dans la lutte contre les infractions comme les dégazages ou la surpêche. Comment la Marine nationale envisage-t-elle d’intensifier ses actions pour lutter contre les diverses formes de pollution, la surpêche ou pour protéger les zones marines sensibles ?
En 2009, le Grenelle de la mer, avait acté la création d’un inventaire des décharges sous-marines de munitions chimiques et de déchets nucléaires. Qu’en est-il de cet objectif ? Comment pouvez-vous traiter les pollutions liées à ces explosifs et munitions immergés ? Par exemple, au large de Groix, il existe une décharge sous-marine datant de la Seconde Guerre mondiale. Comment sont surveillés ces sites et les risques qu’ils impliquent pour la santé publique, notamment à proximité des parcs à coquillages ou de zones de baignade ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour mener ces actions ?
Amiral Nicolas Vaujour. Dans la lutte contre le narcotrafic, le nombre d’interceptions est en augmentation, passant cette année à 43 tonnes, de même que le nombre de délits observés à terre. L’amiral Fagan, commandant du Coast Guard américain, m’a indiqué que le business model de la cocaïne dans le monde avait évolué. Il y a beaucoup moins de trafic de cocaïne aux États-Unis en raison du développement des drogues de synthèse, en sorte que la surproduction de cocaïne en Amérique du Sud s’est reportée vers l’Europe. Cela explique pour partie nos succès en opérations et la forte augmentation des volumes interceptés. Une récente opération qui nous a permis d’intercepter dix tonnes de cocaïne, représentant, à la revente, 500 millions d’euros, est révélatrice de la bascule du flux de drogue de l’Amérique du Sud vers l’Europe, laquelle explique l’augmentation des violences commises sur notre territoire.
Chaque bâtiment qui appareille doit être capable de faire une opération de narcotrafic. Ces opérations dépendent essentiellement du renseignement. Très bien mené en inter-agences, en France entre l’Office antistupéfiants (OFAST), la Marine et nos systèmes de renseignement, il permet d’identifier les vecteurs traversant l’Atlantique ou arrivant dans l’océan Indien. En cas de suspicion, l’OFAST nous appelle. Si un bâtiment est présent dans la zone, on y va. Il y a deux jours, j’étais en visite au Maroc. Le bâtiment qui devait faire escale au Maroc s’est détourné pour faire une interception en Atlantique. C’est grâce au renseignement que nous parvenons à bien identifier les flux et à en traiter une partie.
Cela dit, je reste pessimiste. Mon homologue colombien m’a dit que pour agir efficacement et faire en sorte que le trafic de cocaïne entre la Colombie et l’Europe ne soit plus rentable, il faudrait intercepter 80 % du trafic, contre 15 % aujourd’hui. Nous ne sommes pas prêts d’en avoir terminé. C’est un effort au quotidien. Cela ne veut pas dire qu’il faut faiblir, mais il faut continuer et faire beaucoup de prévention chez nous. Quand il n’y aura plus de consommateurs, il y aura moins de problèmes.
Concernant les enjeux climatiques, je vous renvoie à mon interview du Greenletter Club sur les enjeux climatiques vus de la Marine et sur notre action au quotidien. Nous sommes pleinement intégrés à l’environnement. Quand vous traversez une tempête avec onze mètres de creux, l’environnement prend tout son sens. Par définition, le marin est confronté aux phénomènes climatiques et il les observe. Un mètre d’eau de plus au Bangladesh, ce sont trente millions de déplacés. La perception de l’urgence climatique par mes homologues du Pacifique Sud ou bangladais est bien plus grave que la perception européenne. Or nous sommes en contact direct avec ces pays qui sont dans l’urgence climatique.
En matière d’environnement nous agissons dans plusieurs directions.
Nous contribuons à l’observation des phénomènes. Chaque jour, toutes les quatre heures, un marin fait la météo à bord et la reporte à Météo France. Nous sommes des capteurs de Météo France et de biodiversité. En Méditerranée, on connaît quasiment le nombre de thons rouges, ce qui permet une pêche responsable, mais ce n’est pas du tout le cas en océan Indien où il y a des zones dont on ne sait rien, faute de passage de bateaux et de capteurs. Nous avons proposé à la Sorbonne que des chercheurs embarquent sur nos bateaux pour faire des mesures de biodiversité là où nous opérons. Cela nous est facile : nous nous arrêtons une demi-heure pour faire un relevé de bioplancton. Cette petite contribution permet de mieux connaître ce qui se passe et de mieux décider.
En termes de maîtrise, notre système de lutte contre la pollution est jugé pertinent et efficace. Le Centre d’expertises pratiques de lutte antipollution (CEPPOL) et le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) nous permettent de lutter contre les pollutions et d’analyser leurs conséquences. Grâce à ce système d’alerte quotidienne, il n’y a plus de catastrophes comme celle de l’Amoco Cadiz au large d’Ouessant. Des remorqueurs de haute mer affrétés par la Marine nationale ont des délais d’alerte à vingt minutes qui permettent de remorquer un bateau en avarie de machine pour éviter qu’il aille se crasher sur nos côtes. Cette organisation pertinente placée sous les ordres du préfet maritime est enviée par nombre de pays.
Nous agissons également pour les éoliennes en mer et les nouveaux parcs installés dans le cadre du programme Objectif 45 gigawatts de production électrique à l’horizon 2050. Pour un marin et un responsable de la sécurité en mer, ces grands parcs éoliens situés au-delà de nos eaux territoriales sont une richesse à protéger au même titre que les eaux territoriales. Une réglementation fixe une bande d’arrêt d’urgence de dix milles nautiques entre le rail des bateaux passant en Manche-mer du Nord et les parcs éoliens, afin de nous donner le temps de rattraper un bateau transportant des matières toxiques en avarie pour éviter qu’il ne s’échoue sur une éolienne. Il faut laisser de la place au développement éolien en mer et trouver le bon curseur pour répondre à ces enjeux.
Concernant la surpêche, il y a des zones dans le monde où l’on sait mesurer l’écosystème halieutique, notamment l’Atlantique Nord, où il est très surveillé par l’Union européenne. Nous y connaissons le stock de cabillauds et de morues ainsi que son évolution. Nous connaissons le nombre de coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc, moyennant quoi on y pratique une pêche responsable et celle qui vient d’ouvrir cette année s’annonce bonne. Nous connaissons le stock grâce à la réglementation et à la régulation surveillée par les administrations en mer, notamment les affaires maritimes.
Il y a de la surpêche en Guyane, où des pêcheurs illicites viennent pêcher dans nos eaux, et aussi dans l’océan Indien et dans l’Atlantique Sud. Je ne protège pas le monde entier. Je régule les pratiques dans les eaux de nos zones économiques exclusives (ZEE). C’est parfois très violent, notamment en Guyane où à défaut d’être des opérations de combat, nous faisons face à une très forte opposition. Ceux qui ont des licences peuvent pêcher dans nos eaux et ceux qui n’en ont pas ne le peuvent pas.
La réalité historique et connue des munitions sous-marines fait l’objet avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de travaux d’analyse des stocks, de leur dangerosité et des modes d’action à entreprendre.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Les métiers cyber et data jouent un rôle essentiel dans la marine nationale et plus largement dans les forces armées. Compte tenu de la numérisation croissante des systèmes navals de communications et d’opération, la protection contre les cyberattaques est devenue une priorité stratégique, de même que la lutte offensive. Les experts en cybersécurité assurent la résilience des systèmes d’information critiques tandis que les spécialistes en data exploitent les données massives. On peut donc dire que vous naviguez aussi dans un océan de data.
L’augmentation de la conflictualité est en partie liée à la démocratisation des évolutions technologiques. Grâce à la LPM, la France investit dans de nouvelles frégates multimissions, dans des frégates de défense et intervention ainsi que dans les drones sous-marins intégrant ces technologies afin de rester au niveau de nos compétiteurs.
Comment la marine nationale se prépare-t-elle à attirer et former des talents nécessaires pour répondre aux besoins croissants face à la concurrence entre le public et le privé et à la concurrence interarmées. Quelle est la part des spécialistes cyber dans la marine ? L’investissement le plus important, le porte-avions de nouvelle génération, sera un concentré de nouvelles technologies qui accueillera le système de combat aérien du futur (SCAF) ainsi que des drones qui révolutionneront le combat collaboratif. Comment vous préparez-vous à ces innovations, en particulier en matière de ressources humaines ?
Amiral Nicolas Vaujour. Depuis quelques années, nos bateaux ont franchi des marches numériques. Les premiers bateaux numériques étaient les frégates Horizon, suivies des FREMM. Nous avons franchi une autre marche avec les frégates de défense et d’intervention. Deux data centers embarqués dans L’Amiral Ronarc’h contiennent tous les logiciels nécessaires au fonctionnement du bateau.
Afin de gérer ces données, nous avons créé l’équivalent d’une start-up dans laquelle nous avons réuni des agents opérationnels et des data scientists. L’important, dans ce domaine, est d’avoir la « distance zéro » entre l’ingénieur et l’opérationnel, car il faut aller très vite et en boucle courte. En rapprochant des maîtres principaux et des data scientists, nous avons obtenu, en moins d’un an, des résultats extraordinaires qui nous permettent de définir de ce que nous voulons faire. De même que pour les bateaux, nous n’aurons pas plus de moyens mais nous les utiliserons au mieux. En plus du volet MCO et du double équipage, l’intelligence artificielle permet de mieux utiliser les radars, sonars et moteurs. Je ne remplacerai pas mon antenne radar, mais j’essaierai d’en tirer davantage qu’aujourd’hui. Après la « première pression à froid », nous voulons une deuxième pression pour tirer de nos données la substantifique moelle. Pour utiliser véritablement l’ensemble des données, nous avons embarqué des data hubs. À titre d’expérience, nous avons mis sur La Provence, un data hub pour absorber l’ensemble des données du navire et des data scientists pour les optimiser. Nous avons tiré très vite beaucoup de bénéfices de cette expérimentation.
Pour franchir la deuxième marche, je vais embarquer cinq data hubs sur trois bâtiments plus un avion Atlantique 2 et un sous-marin connectés entre eux. Vous avez raison de dire que c’est un sujet de spécialistes. Le maître principal canonnier sait coder en Python mais il n’est pas data scientist. J’ai donc demandé à nos industriels et à la nouvelle agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), créée par le ministre, de mettre pour emploi des spécialistes dans la Marine. Nous les transformons en réservistes opérationnels pour les embarquer en opération afin de tester, faire évoluer et préfigurer le système de combat du futur porte-avions. Il ne s’agit pas uniquement de tirer la substantifique moelle des bâtiments mais aussi de renforcer la force navale et de révolutionner les systèmes de combat. Nous embarquons les grands industriels, par groupes de trois ou quatre et nous utilisons la réserve de la Marine.
Aura-t-on besoin de data scientists à bord demain ? Nous aurons sans doute besoin de marins capables de coder en Python sur les lacs de données créés à bord des unités. Ils n’auront pas besoin de tout faire mais ils pourront améliorer le système. Cela implique la création d’une filière. Nous allons créer des apprentis du numérique à Saint-Mandrier, l’année prochaine, dont certains deviendront peut-être des data scientists de la Marine. Aujourd’hui, dans ce domaine très volatil, nous embauchons dans le civil pour un, deux ou trois ans au maximum. Ces jeunes sont intéressés par le passage dans les armées, qui donnent à leur CV une coloration un peu différente. Pleinement embarquée dans le domaine de l’intelligence artificielle, la Marine avance assez vite.
Dans le domaine de la cyberdéfense, nous avons anticipé. Nos bateaux sont placés en permanence sous contrôle du centre de cyberdéfense de la Marine que nous avons créé. Des sondes informatiques installées à bord détectent tout mouvement anormal sur les réseaux et permettent de voir si l’on est attaqué. On s’entraîne en introduisant de faux virus, ce qui permet de voir si le centre réagit en temps et en heure et si l’équipage réagit correctement. Notre préparation opérationnelle comprend donc un important volet cyber.
Vous avez parlé des modes d’action offensifs. De fait, en travaillant sur le cyber et sur l’IA, on s’aperçoit qu’il existe des modes d’action potentiels sur lesquels nous travaillons aussi avec les organismes compétents.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Amiral, la sécurité des espaces maritimes est un enjeu pour les Outre-mer. Les menaces sont multiples, des passeurs de migrants clandestins aux pilleurs d’espèces marines protégées, en passant par les pollueurs, les trafiquants de stupéfiants, les pirates et les terroristes. La piraterie et le grand banditisme sur mer prennent de nouvelles formes et s’adaptent aux évolutions technologiques, notamment en matière d’armement. Si les risques sont majoritairement civils, les militaires sont les seuls à pouvoir à pouvoir réellement agir en haut mer et appuyer les activités régaliennes de surveillance et de sécurité des eaux territoriales et du littoral.
La LPM souligne l’importance de nos territoires ultramarins, puisque 13 milliards d’euros sont consacrés à la souveraineté outre-mer, grâce à la livraison de cinq patrouilleurs outre-mer et le recrutement de mille militaires. Quelles sont les livraisons attendues en 2025 ? En matière de ressources humaines, la marine a-t-elle une stratégie particulière de recrutement directement en outre-mer ? Enfin, des entraînements spécifiques ont-ils lieu dans ces territoires ?
Amiral Nicolas Vaujour. Nos Outre-mer sont importants. Les marins sont toujours heureux de partir Outre-mer. Je viens de me rendre à Mayotte et à La Réunion où la Marine participe activement à la protection de nos zones économiques exclusives. Chaque préfet de territoire ou président de pays attend beaucoup de nous pour protéger les ressources halieutiques et lutter contre les trafics. Nous ne sommes pas la seule administration. À Mayotte, la gendarmerie, la police de l’air et des frontières et la Marine agissent en étroite collaboration pour lutter contre l’arrivée de kwassa-kwassas depuis les Comores et, de façon générale, contre le trafic de migrants venant aussi d’Afrique continentale.
L’organisation particulière de l’action de l’État en mer s’applique aussi dans les Outremers. La marine assure la coordination et la maintenance des Zodiacs de la police et le système fonctionne bien.
Le recrutement évolue de façon significative outre-mer, où il représente 12 %, contre 7 %, il y a quatre ans. Cette augmentation de cinq points montre l’attachement de nos Français d’Outre-mer à la Marine nationale. Quand j’ai visité le patrouilleur Teriieroo a Teriierooiterai affecté à Tahiti, il y avait à bord quatre Tahitiens très fiers du nom du bateau et de faire la traversée de Brest à Papeete. Non seulement nous nous efforçons d’avoir plus de personnes dans nos Outre-mer en renforçant nos bases navales, en augmentant le nombre d’unités, donc de marins affectés, mais encore nous y recrutons davantage. Nous générons de vraies vocations sur place avec des emplois territoriaux. Quand j’étais à La Réunion, j’ai embarqué sur un remorqueur dont les deux patrons étaient Réunionnais.
Nous allons y développer les flottilles côtières, comme nous avons commencé de le faire en métropole, afin de développer le lien de la réserve de nos territoires outre-mer avec la Marine nationale. Nous avons ouvert cette année deux flottilles côtières à Bayonne et La Rochelle. Nous donnons à des réservistes un Zodiac et la capacité de patrouiller en mer au profit de l’État et nous voulons le faire outre-mer. À La Réunion, ils attendent avec impatience d’obtenir des Zodiac un peu plus tôt. La volonté est grande dans nos territoires d’aider à la protection de l’environnement et à lutter contre les trafics dans nos eaux.
Les nouveaux patrouilleurs arrivent outre-mer. Le Teriieroo a Teriierooiterai est à Papeete, l’Auguste Bénédig est à Nouméa. En 2025, on verra en arriver un à La Réunion et un deuxième à Nouméa en, et en 2026, un autre à Papeete et un dernier à La Réunion. Fin 2026, le remplacement de tous les patrouilleurs sera terminé, auquel s’ajoutera l’arrivée des avions de surveillance et d’intervention maritime (AVSIMAR). Le renouvellement complet de nos plots outre-mer répondra à ces enjeux. Autrefois on avait des frégates de surveillance, P400, Falcon Guardian et les bâtiments de transport léger (BATRAL) ; demain, nous aurons toujours les frégates de surveillance, avec une perspective de corvettes hauturières, des Falcon AVSIMAR 2000, deux patrouilleurs par Outre-mer et les bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) qui font le travail de labour et qui sont très utiles, notamment pour ravitailler l’eau à Mayotte.
M. Alexandre Dufosset (RN). Amiral, la défense maritime dans la zone Sud de l’océan Indien dont les ressources attirent les convoitises repose sur la base navale de la Pointe-des-Galet à La Réunion. Six navires y sont basés, dont trois seulement sont armés, deux frégates et un patrouilleur, Le Malin, un ancien bateau de pêche reconverti. La LPM puis le projet de loi de finances pour 2024 prévoyaient la construction de six patrouilleurs d’outre-mer supplémentaires, dont deux sont censés être déployés à La Réunion d’ici à 2025, en remplacement du Malin. Le premier devait être livré d’ici mi-2025, mais le second n’est pas encore sur cale. Pensez-vous que le renforcement de la composante interviendra avec l’ampleur financière initialement prévue et dans les délais annoncés ?
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Ma question concerne le porte-avions de nouvelle génération qui doit être opérationnel en 2038 et dont la conception doit démarrer en 2025. Au mois d’avril, le ministre s’est félicité de la commande notifiée par la DGA, relative à la propulsion nucléaire du futur bâtiment. Sa construction sera-t-elle réalisée dans le délai imparti eu égard aux dépenses à engager ? Par exemple, en 2025, un peu plus de 200 millions d’euros ont été prévus alors qu’il faudrait 680 millions d’euros pour atteindre l’objectif. Le ministre s’est réjoui du fait que la construction de notre futur porte-avions favorisera l’activité de nos entreprises et de leurs sous-traitants. Pourtant les futures catapultes électromagnétiques seront produites par les États-Unis. N’aurait-il pas été plus pertinent de les développer en interne ? Comment garantir le maintien de notre souveraineté, qui dépend étroitement de nos dépenses militaires alors que le projet de loi de finances austéritaire hypothèque une part non négligeable de notre croissance économique future et des recettes fiscales qui en résulteront ? Comment maintenir la dépense dans le temps ?
Amiral Nicolas Vaujour. À La Réunion, les patrouilleurs de haute-mer l’Auguste Techer doit arriver en 2025, et le Felix Éboué en 2026. Cela bouclera la copie réunionnaise et l’arrivée de l’ensemble des patrouilleurs outre-mer. J’en attends beaucoup en raison de leurs capacités nettement supérieures.
Dans l’avenir se posera la question du remplacement des frégates de surveillance après la LPM. C’est le sujet des corvettes hauturières qui pourraient être construites avec des partenaires européens afin de partager les coûts de développement.
Dans les Outre-mer, nous avons besoin d’autonomie. Nous avons besoin d’un bâtiment qui part de La Réunion et revient à La Réunion en passant par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), ce qui implique un peu d’autonomie en termes de gazole et de capacité de résilience à la mer. Cela nous distingue de nos camarades européens qui disent qu’avec 5 000 milles nautiques, on sait tout faire. À 5 000 milles nautiques, je ne sais pas faire une mission en Terres australes sans risque.
Vous avez raison de dire que nos bateaux sont assez peu armés, mais nous ne pouvons pas avoir des frégates de premier rang partout. C’est le juste nécessaire permettant d’exécuter les missions et de faire face à des trafics d’une violence moyenne, notamment le trafic de la pêche illicite.
La construction du porte-avions de nouvelle génération est un projet ambitieux qui doit procéder d’une volonté politique forte, ce qui est le cas du ministre et du Président de la République. Il peut faire l’objet d’une grande fierté nationale. Nous sommes capables de le construire. Nous nous sommes interrogés sur l’achat des catapultes aux États-Unis, mais le coût aurait été beaucoup plus élevé de les construire nous-mêmes. Le Porte-avions de nouvelle génération est un investissement national. Les pompes primaires sont fabriquées dans le nord de la France par les sous-traitants de TechnicAtome, les optiques sont fabriquées par différentes entreprises françaises. Tout ce que vous allez payer pour le porte-avions, hormis le petit volet américain, viendra irriguer nos territoires, nos entreprises et nos communautés locales.
Au-delà de l’irrigation de nos territoires, il y a un enjeu technologique et humain. En 2020, le Président a retenu la propulsion nucléaire pour le porte-avions de nouvelle génération. La Marine était très ouverte. Il y avait deux options sur la table. D’un point de vue stratégique, choisir la propulsion nucléaire permet aux industriels de maintenir leurs compétences. Pour passer d’une génération technologique à une autre, ils font face un biseau capacitaire.
Le porte-avions est l’outil du choix politique par excellence. Le Président de la République choisit ce qu’il fait avec le porte-avions. Sans porte-avions, vous devez demander à vos alliés, turcs, italiens ou britanniques de vous escorter pour mener vos opérations. Dans l’inconscient collectif français, ce serait dur à accepter. C’est l’outil souverain par excellence. Porteur de l’arme nucléaire, il peut adresser des messages stratégiques d’une autre dimension vis-à-vis de certains compétiteurs. Or la France est capable de le faire. Eu égard à l’efficacité des chantiers de l’Atlantique dans la construction des coques de navires de grande taille, je suis à peu près certain qu’ils sortiront celle-ci à l’heure. Visiter les Chantiers de l’Atlantique, les nefs de Naval Group à Cherbourg ou L’Amiral Ronarc’h à Lorient est bluffant. On disait qu’on n’arriverait pas à faire les JO et nous les avons faits, ce qui est une vraie fierté. De même, nous sommes capables de le faire et ce sera une grande fierté nationale.
Mme Stéphanie Galzy (RN). Amiral, notre pays possède une histoire maritime remarquable. Le cardinal de Richelieu a créé la première véritable flotte française, établissant ainsi la France comme une puissance maritime de premier plan. Aujourd’hui, la Marine nationale française demeure une composante essentielle de nos forces armées, jouant un rôle crucial dans la défense et la sécurité maritime de notre nation. Elle assure la protection de nos intérêts en mer, la surveillance de nos eaux territoriales et la projection de notre influence à l’international.
La Marine nationale n’endosse pas seulement un rôle de protection de notre souveraineté, elle s’engage également dans la formation de notre jeunesse. En 2024, près de 4 000 nouvelles recrues ont rejoint ses rangs, se spécialisant dans divers domaines, et nombreux sont ceux qui graviront les échelons pour devenir officiers. Estimez-vous que la Marine nationale dispose encore des moyens nécessaires pour continuer de remplir cette mission d’ascenseur social ?
Mme Gisèle Lelouis (RN). Amiral, en tant que députée de Marseille, qui est, je le rappelle, la plus belle ville du monde, je voudrais saluer la contribution de la Marine nationale à la sécurisation des Jeux olympiques et de leurs épreuves en mer tenues dans la marina de Marseille. Bravo à vos forces engagées dans cette belle mission, comme aux marins-pompiers qui, chaque jour sont au contact et au secours des Marseillais.
Ma question portera sur les défis navals auxquels est confrontée la marine à la lumière des enseignements de la guerre en Ukraine. La marine russe connaît de grosses difficultés en mer Noire, car elle a peu innové et mal anticipé de nouvelles menaces, comme les drones. Dans ce contexte, le PLF pour 2025 vous permet-il de répondre efficacement à ces nouveaux enjeux ?
Amiral Nicolas Vaujour. La date de création de la marine donne lieu à un débat d’historiens. Je vous remercierai de ne pas rester sur la date 1621, car c’est bien 1626 : nous fêterons bientôt les quatre cents ans de la marine. Pour nous, c’est l’édit de Saint-Germain qui, en 1626 réunit la marine du Ponant et la marine du Levant en une seule et même marine, alors qu’auparavant, les corsaires donnaient la moitié pour le roi et gardaient l’autre moitié pour eux. La Marine alors devenue nationale.
La Marine est un pourvoyeur de formation et d’ascenseur social. Ce vecteur fonctionne remarquablement bien mais je veux continuer à le renforcer. En effet, 26 % des marins sont embauchés sans baccalauréat et on le leur fait passer. Nous avons 248 mousses. Le mousse est parfois un élève en échec scolaire en classe de 3e et nous offrons une possibilité que la plupart saisissent. Voir grandir les mousses, voir ce qu’ils deviennent est extraordinaire. Lors des vœux aux armées, en janvier dernier, à Cherbourg, nous avons présenté au Président un mousse devenu titulaire d’un brevet supérieur d’ingénieur atomicien et second maître. Entré à 17 ans dans la marine en échec scolaire, il a franchi toutes les marches. Nous lui avons ouvert la porte et il est entré. Nous lui avons dit qu’il était capable de faire mieux, il a saisi l’occasion et nous l’avons accompagné. Je dis à tous mes commandants qu’ils doivent être des ouvreurs de postes et offrir à l’ensemble de nos marins la possibilité de progresser. Ma stratégie RH, c’est de donner envie d’entrer, donner envie de rester et donner envie de progresser.
Un contre-amiral aujourd’hui est ancien matelot. Il y a trois ans, l’amiral commandant supérieur aux Antilles était un ancien matelot. Le commandant du sous-marin Tourville était matelot opérateur sonar quand il est entré dans la Marine. Il est aujourd’hui capitaine de frégate après avoir gravi tous les échelons.
L’ascenseur social fonctionne mais on doit l’accompagner encore mieux. À l’entrée, le niveau scolaire est parfois un peu insuffisant. Autrefois une stratégie élitiste consistait à faire entrer cent personnes dans les écoles de formation et à en renvoyer les vingt qui avaient des résultats insuffisants. C’est terminé. Même si cela prend plus de temps, je préfère laisser partir les personnes non motivées plutôt que les marins motivés qui n’ont pas le niveau mais que l’on accompagne.
La plus belle rade est-elle à Marseille, à Brest ou à Toulon ? Le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) est la plus grosse unité de la Marine. C’est aussi une pépite en termes d’ascension sociale, de gestion de compétences.
Certes, en mer Noire, les forces russes n’ont pas su faire face aux Ukrainiens., mais un an après, ils font un peu mieux, ce qui montre bien leur capacité d’adaptation. Comment s’adaptent-ils face à une nouvelle menace, comment s’adapter et quelles leçons en tirer ? Ils ont fait face à des drones aériens et à des drones de surface, c’est-à-dire des petites embarcations chargées d’explosifs, télécommandées, et à des missiles de croisière et antinavires. On avait l’habitude des missiles antinavires et des missiles balistiques, mais les drones de surface étaient plus difficiles à contrer.
Nous faisons un retour d’expérience quotidien. Pendant la mission Aspides, nous avons montré que nous étions capables de traiter un drone de surface en mer Rouge. Dans des exercices comme Wildfire, nous faisons attaquer nos bateaux par des essaims de drones pour analyser comment les traiter au moyen de brouilleurs ou de canons et comment faire évoluer la réponse de façon pertinente. Les Russes n’avaient pas cette agilité. Ils ont pris suffisamment de mauvais coups, plusieurs dizaines bateaux ont été neutralisés en mer Noire, ce qui a obligé la marine russe à repenser son système. Ils s’adaptent, nous nous adaptons et nous titillons nos industriels pour obtenir la meilleure réponse possible, et ils sont innovants. Ils le montrent avec le Dronathlon. J’ai dit que nous avions réuni trente-cinq entreprises sur la presqu’île de Saint-Mandrier pour montrer tout ce à quoi ils avaient pensé, dans le domaine défensif comme dans le domaine offensif. Puisque les Ukrainiens utilisent des drones offensifs, il n’y a pas de raison que la Marine nationale n’en utilise pas. Nous avons des prototypes.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je souscris pleinement à l’idée que la Marine peut être un escalier social, puisqu’il y a quelques années, je suis entré comme matelot dans la marine nationale. Je ne peux que remercier la marine et les armées pour la possibilité qu’elles offrent.
Mme Josy Poueyto (Dem). J’évoquerai la mission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées, notamment dans la marine, qui est à l’origine de sa création par le ministre, très attentif et vigilant sur ces dossiers. J’en ai fait partie avec Laetitia Saint-Paul. Nous nous sommes même déplacés sur une frégate.
Amiral Nicolas Vaujour. Il y a eu des violences sexuelles et sexistes dans la Marine et c’est totalement inacceptable. Le ministre a impulsé une remise à plat de nos organisations et de notre capacité de réponse. Il nous faut apporter des améliorations et surtout faire en sorte que cela cesse. Dans la marine comme dans les autres armées, nous avons renforcé notre arsenal disciplinaire et créé les conditions pour libérer la parole. Il est indispensable d’offrir aux victimes un cadre d’expression, puis de les accompagner. L’excellente idée du ministre de désigner la Maison des femmes comme association d’accompagnement des victimes renforcera notre capacité à les soutenir.
Évidemment, il faut sanctionner les auteurs beaucoup plus vite par des outils de suspension et le recours systématique à l’article 40. On avait abandonné l’uniformisation de la réponse. Chaque zone faisait comme elle l’estimait juste. Nous avons réintroduit l’homogénéité de la réponse, notamment des sanctions afin d’envoyer le signal clair que des agissements sont devenus totalement inacceptables.
Il faut imposer la transparence. Comme je l’ai dit au ministre, la Marine est transparente. Il y a eu des violences. Il faut faire avancer rapidement tous les dossiers en cours, pour le bien des victimes.
Il convient de structurer l’organisation pour répondre aux futurs évènements. Malheureusement, il y en aura encore. Nous renforçons les formations dans les écoles. Il faut rappeler les règles la force de la politesse et, de manière générale, de l’éducation, afin d’atteindre un bon niveau de vie en équipage. Plus les formations sont longues, meilleure est la qualité des marins en sortie de cours.
Il faut aussi faire un effort en faveur de l’accueil des femmes à bord des unités. Le rôle de nos commandants, responsables du moral, de l’esprit d’équipage et du savoir-vivre ensemble est central. Dans la Marine, on a lancé de nouvelles directives pour mieux « savoir-vivre ensemble ». Quand un équipage, dont 20 % de femmes à bord part quatre mois en mer, la promiscuité peut présenter des risques. Nous avons édicté des règles claires à respecter. En cas de non-respect, le renvoi en métropole doit être systématique.
Nous y sommes très attentifs aussi parce que nous avons besoin de mixité dans la Marine. Dans nos bateaux, le personnel féminin a une influence très positive. Les réussites en opération, on les doit à tous les marins, hommes et femmes. Je le disais dans mon propos liminaire, dix-sept femmes sont commandants d’unité et neuf femmes sont commandants d’unités embarquées, à la mer. Je vous invite à regarder la vidéo que j’ai repostée sur LinkedIn, pour écouter un commandant d’unité, lieutenant de vaisseau féminin, interviewée sur le quai à Brest, lors des fêtes de la mer. Elle tient avec naturel des propos remarquables sur la mixité dans la Marine et son rôle de commandant.
Enfin, j’ai besoin que les femmes restent plus longtemps dans la Marine, ce qui est plus compliqué. Grâce au double équipage, nous avons permis un meilleur accompagnement de la parentalité et de la maternité en rendant plus prévisibles les départs en mer.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci beaucoup, Amiral, pour votre présence et avoir répondu à nos questions.
La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Yannick Chenevard, les crédits relatifs à la « Préparation et à l’emploi des forces : Marine » de la mission « Défense » pour 2025, au cours de sa réunion du 30 octobre 2024.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En préambule, je précise que j’émettrai un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense.
« Les vagues roulées depuis l’Inde par la mousson viennent se briser contre les roches noires que l’on voit par intervalles sortir des torrents d’écume, comme d’éternels suppliciés. La mer est furieuse dans cette passe coincée entre l’île de Périm et la côte. » Ces phrases extraites des Secrets de la mer Rouge d’Henry de Monfreid évoquent le détroit de Bab-el-Mandeb, en 1914.
Il existe 150 à 180 détroits et passages internationaux. Douze représentent des passages de rang mondial ; trois requièrent notre attention aujourd’hui et deux le nécessiteront dans les années qui viennent. Du gaz au pétrole, des métaux rares aux conteneurs, la mer, comme elle le fut toujours dans notre histoire, est plus encore aujourd’hui au cœur de notre fonctionnement, de notre liberté, de notre souveraineté.
Les pétroliers et méthaniers ayant chargé dans les pays du golfe persique sont obligés d’emprunter le détroit d’Ormuz pour livrer leurs clients asiatiques, européens ou américains. Quant au canal de Suez, il permet à un porte-conteneurs venant d’Asie et se dirigeant vers l’Europe de gagner 9,4 jours de navigation à quinze nœuds, en évitant de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Le détroit de Malacca, qui voit passer un navire toutes les soixante secondes, est le passage indispensable, mais vulnérable des flux économiques vers ou à partir de la mer de Chine : 80 500 y transitent tous les ans. Cela représente 18,5 % du trafic mondial ; son blocage entraînerait des répercussions économiques et sociales importantes pour la Chine en particulier. Pékin l’appelle d’ailleurs « le dilemme de Malacca », sorte de nœud coulant se refermant sur le fonctionnement de cet espace économique majeur.
Dans cette zone qui représentera bientôt 40 % de l’économie mondiale, que l’on appelle désormais l’Indopacifique, se trouvent six pays du G20, trois des cinq premières économies mondiales, neuf des dix premiers ports mondiaux et les cinq pays les plus peuplés de la planète.
Routes obligées, les détroits sont de ce fait devenus des facteurs de vulnérabilité stratégique, compte tenu de la mondialisation des économies et de l’internationalisation toujours croissante des chaînes de production et d’approvisionnement. Ainsi, 90 % des marchandises produites et consommées dans le monde transitent sur les mers, en particulier les hydrocarbures : 20 % des besoins de l’Europe, 80 % de ceux du Japon et de la Chine sont acheminés via les mers.
En 2019, on estimait à près de 25 000 milliards de dollars la valeur de marchandises transitant par les grands passages maritimes stratégiques. Sans la liberté de circulation à travers ces lieux de passage, nos économies ne seraient pas en mesure de fonctionner correctement. Aussi, tenir un détroit revêt un caractère stratégique ; en assurer la liberté de circulation, par la force si besoin, l’est tout autant. Les différents passages de l’océan Indien (Ormuz, Malacca, Bab-el-Mandeb, le canal du Mozambique et ses prolongements, le canal de Suez), parce qu’ils verrouillent le commerce entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, présentent un caractère vital pour notre pays et l’Union européenne.
Ils sont depuis longtemps exposés à d’importantes menaces dont l’origine est autant étatique que non étatique : actions hostiles de l’Iran dans le détroit d’Ormuz, attaques des Houthis yéménites contre des navires commerciaux en mer Rouge, terrorisme et piraterie dans la corne de l’Afrique. Ainsi, il n’est pas étonnant que toutes les grandes puissances soient aujourd’hui présentes militairement dans les détroits de l’océan Indien.
Longtemps sanctuaires, les mers sont redevenues des espaces de compétition, de contestation et de confrontation. Ainsi, des opérations comme Aspides, Atalante, Agénor visent à garantir la liberté de circulation maritime ou la lutte contre la piraterie. Elles sont menées par notre Marine, loin de l’Europe, dans l’indifférence quasi générale.
La présence durable à terre de deux bases permanentes à Djibouti ou aux Émirats arabes unis, deux États situés non loin du détroit de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz, représente un atout important. Les menaces contre nos intérêts sont nombreuses ; elles le seront d’ailleurs de plus en plus. La haute intensité, souvent présentée comme une perspective à laquelle il faut se préparer, est déjà une réalité pour nos marins qui, en mer Rouge, ont abattu missiles et drones qui cherchaient à les couler ou à couler des navires de commerce, confirmant ainsi leur haut niveau opérationnel.
Conséquence de ce changement radical, la suractivité de notre Marine doit être relevée. Elle est ainsi présente sur toutes les mers du globe. Cette suractivité met en lumière la grande qualité de nos équipages et de nos bâtiments de combat. Elle révèle aussi les limites de formats décidés dans un temps désormais révolu. Le nombre de quinze frégates de premier rang arrêté dans le Livre blanc de 2013 est désormais insuffisant au regard de la situation internationale et du nombre de missions de nos bâtiments. En conséquence, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion pour atteindre l’objectif de dix-huit frégates, qui doit désormais être considéré comme un minimum.
Par ailleurs, considérant l’importance de maîtriser les détroits, les canaux et les accès aux ports, le programme de bâtiments de guerre des mines (BGDM) doit impérativement débuter en 2025 pour tenir l’objectif de quatre bâtiments à la fin de cette LPM, puis de deux dans la suivante. La commande du porte-avions nouvelle génération (PANG) est une nouvelle importante. Conforme à la LPM, ce projet ne doit souffrir d’aucun retard, comme celui des sous-marins nucléaire lanceur d’engins dits de nouvelle génération (SNLE-NG), des sous-marins nucléaires d’attaque de nouvelle génération (SNA-NG), des patrouilleurs outre-mer, du programme avions de surveillance et d'intervention maritime (Avsimar) et des bâtiments ravitailleurs de forces (BRF).
Je pourrais poursuivre cette liste pour illustrer à quel point, après le temps si destructeur des réductions de crédits de la défense pendant trente ans, notre Marine ne peut désormais plus souffrir de retard de commande et de livraison de l’une de ses composantes. La prolongation de nos aviso-escorteurs de type A69 et le déplacement d’une frégate légère furtive de Méditerranée vers l’Atlantique pour pallier leur désarmement inévitable illustre le « Tetris » permanent que doit réaliser la Marine pour remplir des missions qui lui sont confiées. Après avoir vu se dégrader considérablement les moyens mis à sa disposition, le temps du remplacement commencé ne doit surtout pas s’arrêter, ni même ralentir. Notre devoir est d’y veiller.
S’agissant plus précisément du programme 178, je ne peux que me féliciter de l’augmentation des crédits de la Marine pour 2025, de 14 % en autorisations d’engagement, à 3,7 milliards d’euros ; et de 11 % en crédits de paiement, à 3,5 milliards d’euros. L’augmentation permettra de mettre en œuvre les principales priorités de la Marine : le renforcement qualitatif de la préparation opérationnelle orientée vers le combat de haute intensité, la remise à niveau des infrastructures maritimes et le maintien de l’effort de recrutement, de fidélisation, de formation des marins.
Ce dernier point est particulièrement important. Notre Marine ne vaut, comme d’ailleurs nos armées, que par les femmes et les hommes qui la servent. Notre devoir est de leur donner les moyens d’accomplir leur mission ; nous leur sommes redevables.
Pour finir, je tiens à citer le cardinal de Richelieu, pour qui « la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire ».
Mme Corinne Vignon (EPR). 5 milliards d’euros sont prévus pour le programme PANG dans la loi de programmation militaire en cours d’exécution et cinq autres doivent y être consacrés dans la suivante. Vous soulignez dans votre rapport les autorisations d’engagement de crédits destinés à la commande du futur porte-avions en 2025. La machine est en route et les calendriers industriels vont s’aligner pour l’objectif 2038. Il n’en demeure pas moins que le programme PANG est particulier, en raison des dimensions exceptionnelles de ce navire. Quels sont, selon vous, les points de vigilance auxquels le Parlement devra prêter attention dans les années à venir, afin de s’assurer que ce programme soit mené à bien ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Le réarmement naval mondial est impressionnant, en particulier en Asie. À titre d’exemple, la Chine va prochainement aligner son troisième porte-avions, lequel disposera de catapultes électromagnétiques. Cette technologie, maîtrisée également par les États-Unis, équipera le PA-ng, lui permettant de propulser des avions plus lourds que les actuelles catapultes à vapeur.
Le porte-avions Charles-de-Gaulle pèse 42 000 tonnes, quand le PA-ng en fera pas loin du double. Ce sera donc un très gros bâtiment de combat, le plus gros bâtiment de combat européen, ce qui nécessite d’ailleurs des travaux d’infrastructure colossaux à Toulon. Sa construction ne doit souffrir d’aucun retard. Non seulement le Charles-de-Gaulle n’est pas éternel – le prochain arrêt technique majeur indiquera l’état de ses chaudières nucléaires, mais on ne construit pas un porte-avions comme n’importe quel bateau. Les Chantiers de l’Atlantique, qui construiront le PA-ng, ont un plan de charge calé sur une date de livraison en 2038, à condition que les décisions soient prises dans les temps. Les retarder ferait donc courir le risque d’une rupture capacitaire. Les Anglais l’ont vécu ; ils le payent très cher aujourd’hui.
M. Karl Olive (EPR). Je souhaite vous interroger sur la composante aéronautique, fer de lance de notre armée, au cœur de notre ambition géostratégique. Dans le budget 2025, il est prévu que l’augmentation en crédits de paiement couvre notamment les aléas techniques rencontrés sur les flottes d’hélicoptères NH90, une « remarquable machine », qui souffrirait de trois défauts : un défaut de conception liée à la corrosion des matériaux, un plan de maintenance très compliqué et une complexité de l’organisation industrielle. Pouvez-vous approfondir ces éléments et nous faire part de votre avis sur l’avenir du NH90 dans la Marine ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il s’agit effectivement d’un magnifique appareil mais encore faut-il qu’il vole. Malheureusement, son taux de disponibilité n’est absolument pas satisfaisant. Ces difficultés sont largement liées au fait qu’il y a trois industriels impliqués – Airbus Helicopters, Leonardo et Fokker, qu’ils sont concurrents, sans véritable chef de fil, si bien que la fourniture de pièces de rechange ne fait probablement pas partie de leurs priorités. En conséquence, malgré leurs qualités incontestables, un trop grand nombre de ces hélicoptères restent cloués au sol.
Pour les futurs programmes, les leçons doivent être tirées de l’expérience du NH90, dont l’une est de ne pas rééditer l’erreur de faire travailler ensemble trois industriels concurrents.
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). La zone indo-pacifique est tellement vaste qu’il est nécessaire de bien y coordonner notre action, par exemple contre la piraterie ou la surpêche aux abords de nos territoires ultramarins. La coordination entre les différents segments de notre armée, et notamment sa composante satellitaire est-elle efficiente ? Des améliorations sont-elles envisagées ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. L’utilisation du satellite constitue un atout qui permet effectivement de diriger ensuite nos bateaux là où des menaces ont été détectées. Mais cela nécessite que les bateaux soient équipés de liaisons et de capacités leur permettant d’utiliser les images satellitaires. Tel est le cas, par exemple, des nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM), qui, avec leur allonge importante et leur armement renforcé, illustrent le changement opérationnel dans la défense de nos Outre-mer.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Tout d’abord, je vous remercie d’avoir cité Henri de Monfreid lors de votre introduction. Ensuite, le projet de loi de finances 2025 présenté par le Gouvernement permet une nouvelle fois de respecter à l’euro près la trajectoire budgétaire que nous avions décidée ensemble lors de l’adoption de la loi de programmation militaire 2024-2030, soit un exploit compte tenu de la situation budgétaire que nous connaissons.
Cette remarque me permet de souligner l’évolution de la temporalité de certains programmes. Je pense notamment au programme de bâtiments de guerre des mines, le BGDM. Prévu cette année, le lancement de ce programme est finalement retardé à 2025. Quel impact ce report entraînera-t-il quant à la tenue des délais de livraison initialement prévus dans la loi de programmation militaire (LPM) ? Quel impact aura-t-il pour notre Marine nationale ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Dans mon propos liminaire, j’évoquais la tenue des détroits, des canaux et des accès et sorties des ports. Nos chasseurs de mines tripartite ont été remarquables, ils ont rempli leur mission et continuent de le faire, mais ici aussi, la flotte a vieilli. En conséquence, il est absolument nécessaire que les BGDM prévus dans la LPM soient livrés dans les délais, malgré le report déjà subi en 2024. Aujourd’hui, la guerre des mines est redevenue d’actualité et les BGDM sont essentiels pour préserver la liberté de circulation dans des détroits et des canaux qui pourraient être minés par des puissances hostiles.
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La commission en vient maintenant aux interventions des groupes politiques.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle la suite de l’examen pour avis des missions « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », « Défense » et « Sécurités ».
Nous commençons par les interventions des orateurs des groupes avant le vote sur les amendements et les crédits de ces trois missions.
Mme Caroline Colombier (RN). J’ai une pensée pour les hommes et les femmes engagés sous nos drapeaux, qu’ils soient militaires, civils de la Défense, membres des forces de l’ordre ou anciens combattants. Par-delà les chiffres, ils sont au cœur des missions budgétaires dont nous allons débattre. Nous devons être collectivement à la hauteur de leur engagement, présent ou passé, qui peut aller jusqu’au sacrifice ultime.
Notre groupe d’opposition ne manquera pas d’interroger les ministres sur les manques et les incohérences des budgets présentés – c’est le jeu démocratique. Mais n’oublions pas l’essentiel : par-delà les clivages, nous parlons pour le même pays, la même nation, le même drapeau et pour tous ceux qui les défendent. Les ministres des armées et des anciens combattants représentent les armées d’une France qui tient encore son rang dans le concert des nations, grâce notamment à sa puissance militaire.
Celle-ci est cependant limitée. Notre armée n’a pas la masse critique – thème cher au général Burkhard – pour affronter un conflit de haute intensité. Elle est sous-dimensionnée pour protéger le deuxième domaine maritime du monde, avec seulement une centaine de navires. Les récents exercices Orion ont montré que beaucoup reste à faire dans le domaine des satellites. Son service de santé, pourtant le meilleur au monde, ne peut prendre en charge que huit blessés en urgence absolue en cas d’engagement majeur.
L’armée britannique qui, comme la nôtre, fut un temps incontestée, fait face aux mêmes défis. La question est de savoir si nous sommes prêts à aller vers la guerre, selon le titre du dernier livre du ministre des armées, comptable des moyens mis en œuvre dans ce domaine. Il faut bien constater qu’il existe un écart entre l’autosatisfecit auquel il s’est livré et la réalité.
La hausse de 3,3 milliards des crédits de la mission Défense prévue pour 2025 par la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM 2024 – 2030) n’est qu’une façade. Si l’on tient compte du surcoût des opérations extérieures (Opex), qui atteint 2 milliards et pour lequel aucune solidarité ministérielle n’est à attendre, et de la hausse de l’aide à l’Ukraine par le biais du recomplètement des matériels et des fonds alloués à la Facilité européenne pour la paix (FEP), la marche budgétaire est en réalité un faux plat. Si l’on ajoute à tout cela les gels et les surgels de crédits, dont le montant s’élève à 2,6 milliards pour 2024 et qui ne manqueront pas de se reproduire en 2025, on constate que le projet de loi de finances pour 2025 ne prévoit aucune hausse du budget de nos armées.
Dans le détail, on y retrouve les lubies macronistes qui font tant de mal à nos armées : 813 millions sont prévus pour le système de combat aérien du futur (Scaf) et 97,6 millions affectés au programme système principal de combat terrestre (MGCS) – deux projets qui s’enlisent et sont voués à l’échec. Le Scaf va à l’encontre de tous les fondamentaux de la coopération industrielle : ni doctrine d’emploi commune, ni coopération commune, ni spécification commune. Le MGCS est affecté des mêmes tares, que confirme le lancement par l’Allemagne et l’Italie d’un projet concurrent.
Pourtant, le Gouvernement persévère, au détriment des intérêts de notre pays et de toute logique industrielle. Certes, il faut un char du futur. Certes, il faut un avion du futur. Certes, la coopération est souhaitable, à condition qu’elle soit réellement utile et non destinée à satisfaire des chimères européistes qui ne mènent à rien – la référence gaulliste n’échappera pas à nos ministres.
Concernant la mission Défense, les amendements du groupe Rassemblement national s’attacheront à préserver une armée souveraine, plus humaine et plus innovante. Nous proposerons la réallocation des moyens dévolus à des programmes ou à des structures inutiles à des segments de nos armées qui en ont bien besoin. Nous défendrons une augmentation des moyens pour le cadre de travail et de vie de nos militaires et de leurs familles. Nous proposerons des amendements permettant d’innover et de rester dans la course avec nos compétiteurs, notamment dans le domaine spatial.
Les crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation sont stables, à hauteur de 1,9 milliard. Toutefois, nous dénonçons avec force les économies réalisées sur le dos du monde combattant par le biais de la stagnation de la pension militaire d’invalidité (PMI). L’an dernier, devant cette commission, la secrétaire d’État Patricia Mirallès s’était engagée à faire progresser le point d’indice de la PMI de 4 % en deux ans. Tel ne sera pas le cas.
Faire des économies sur les anciens combattants en leur accordant une aumône n’est pas acceptable ! Notre groupe défendra une hausse du point d’indice de la PMI alignée sur le taux d’inflation de 2024. Sans vouloir polémiquer, chacun sait quelle mauvaise gestion a durablement affecté nos finances publiques. Faire des économies d’accord, mais pas au détriment de nos anciens combattants !
Par ailleurs, nous aurons à cœur de défendre le patrimoine du monde combattant, sans lequel la mémoire ne repose sur rien, par le biais d’amendements relatifs à la préservation des drapeaux, des stèles et des plaques commémoratives. Nous aurons également à cœur de défendre les moyens accordés aux associations et à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG). Enfin, nous défendrons une extension de la demi-part fiscale accordée aux veuves d’anciens combattants.
Concernant la mission Sécurités, dont les crédits relèvent du ministère de l’Intérieur, nous tiendrons compte des observations du major général de la gendarmerie nationale (MGGN). L’un de nos membres, ancien gendarme, aura à cœur de défendre ses frères d’armes.
Notre vote sur les trois missions qui nous sont soumises pour avis dépendra du sort réservé à nos amendements. Nous sommes un parti d’opposition responsable. Nous espérons que le Gouvernement le sera à l’identique pour aboutir à un budget acceptable par tous.
M. Yannick Chenevard (EPR). 50,5 milliards de crédits : telle est l’enveloppe qui sera consacrée à notre défense en 2025, soit 3,3 milliards de plus qu’en 2024, ce qui est conforme à la trajectoire fixée par la LPM 2024 – 2030. Cela représente 18 milliards de plus qu’en 2017. L’effort est colossal, d’autant qu’il a été engagé après des décennies de coupes budgétaires et de baisses drastiques. Ce que je qualifiais ce matin de saignées a été rappelé en chiffres par le ministre devant notre commission : disparition d’un régiment sur deux de l’armée de Terre ; fermeture de onze bases aériennes ; réduction de 135 à 85 du nombre de bâtiments de combat. Le budget soumis à notre examen pour avis est donc une étape essentielle. Pour la huitième année consécutive, le budget de la défense augmente ; il aura doublé en 2030, à l’issue de l’application de la LPM 2024 – 2030.
Pour nos armées, la nation consent un effort financier inédit, qui doit être particulièrement salué dans le contexte budgétaire que nous connaissons. Chaque euro doit être optimisé. Le respect de la trajectoire de la LPM 2024 – 2030 permettra à la France de poursuivre la préparation et la transformation de son armée, et de tenir son rang ainsi que ses engagements dans un contexte de durcissement de la conflictualité.
Ces crédits contribueront à financer les priorités retenues. Une attention particulière sera portée à la modernisation de notre dissuasion nucléaire. Dans son rapport, notre collègue François Cormier-Bouligeon salue l’investissement massif prévu par le projet de finances pour 2025 en faveur de notre dissuasion. L’année 2025 sera notamment celle du lancement de la réalisation du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G), et du renouvellement des missiles de nos composantes océanique – M51 – et aéroportée – ASN4G.
Ce budget garantit également d’autres investissements, qui participent au renforcement de notre autonomie stratégique, notamment dans les domaines de l’espace, des fonds marins, du cyber, du renseignement, de la sphère informationnelle et de l’innovation, afin de donner à nos armées les capacités de renseignement, d’analyse et d’action dans les champs hybrides, matériel et immatériel.
Le budget 2025 profitera directement à nos militaires, dans leur quotidien. Des moyens seront mis en œuvre pour parfaire l’équipement du combattant, la préparation opérationnelle et les conditions d’entraînement, pour renforcer le plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires, dit plan « famille », et pour améliorer la politique salariale. Outre répondre aux besoins essentiels de nos armées, ce budget permettra de soutenir notre tissu économique et d’ancrer progressivement notre industrie de défense dans une logique d’économie de guerre.
Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation, le projet de loi de finances prévoit un budget stable, ce dont nous nous réjouissons. L’enveloppe du programme 169 Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation permettra notamment de financer l’ouverture d’une nouvelle maison Athos, à Colmar. S’agissant de la transmission de la mémoire, l’enveloppe concrétisera notamment un engagement fort contre l’antisémitisme au profit du Mémorial de la Shoah. Quant à la gendarmerie, son budget est porté à 6,9 milliards, ce qui permettra notamment de créer quatre-vingts brigades et sept escadrons de gendarmerie mobile.
Ce budget est à la hauteur des enjeux et des menaces. Il s’agit d’un effort colossal, que la nation consent dans un contexte budgétaire resserré, pour assurer la défense de ce que nous sommes : une nation libre. Notre groupe votera les crédits des missions.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Dans le contexte d’austérité massive et de matraquage social qu’incarne le budget 2025, la mission Défense fait figure d’exception. De là à dire qu’elle a été sanctuarisée et que la marche de 3,3 milliards prévue par la LPM 2024 – 2030 est pleinement respectée, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Le groupe La France insoumise est obligé de faire part de ses réserves pour trois raisons : l’insincérité, l’insoutenabilité et – pour la rime – la naïveté.
L’insincérité tient au fait que figurent au budget des armées des dépenses qui ne devraient pas y figurer. Le ministre a eu beau nous dire que l’exécution de la loi finances pour 2024 n’est pas achevée et qu’il ne désespère pas d’éviter des annulations de crédits ou l’imputation de dépenses exceptionnelles à son ministère, nous n’en croyons rien. Il est évident que les dépenses plus ou moins imprévues engagées dans le soutien à l’Ukraine, dans l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP) et dans le déploiement d’effectifs en Nouvelle-Calédonie/Kanaky auront un impact sur l’exécution du budget 2024 et engendreront des reports de charges. Ainsi, même si la somme allouée semble facialement conforme à la LPM 2024 – 2030, il faudra payer plus avec la même somme. La baisse effective est donc incontestable.
Au demeurant, le ministre en a convenu à demi-mot lorsqu’il a affirmé que, avec le projet de budget 2025, la « programmation physique » ne sera pas affectée. Cette idée de programmation physique, dont l’usage n’est guère courant, nous fait comprendre sans peine qu’il existe au sein du ministère une programmation non physique qui, elle, sera affectée. On devine ce qu’elle désigne. C’est principalement la préparation opérationnelle qui fera les frais de cette insincérité, ce qui n’est pas acceptable.
En matière d’insincérité, un autre point noir persiste, alors même qu’il a été signalé par le rapporteur pour avis Bastien Lachaud : le flou entourant les définitions respectives des missions extérieures (Missops) et des Opex, qui non seulement permet de contourner le Parlement, mais a des conséquences financières que le rapporteur pour avis a eu le loisir de présenter ce matin.
Le deuxième sujet de préoccupation est la soutenabilité de la trajectoire que dessine ce projet de budget. Même si l’on peut se féliciter qu’il confirme le lancement de programmes à effet majeur (PEM) structurants pour nos armées et pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), parmi lesquels le porte-avions de nouvelle génération (PANG) est peut-être le plus important, il n’en demeure pas moins que nous voyons s’édifier un véritable mur des restes à payer après 2027, qui a de quoi nous inquiéter. Il est logique que le décalage entre autorisations d’engagement (AE) et crédits de paiement (CP) s’accroisse notablement en cette deuxième année d’application de la LPM 2024 – 2030. Nous sommes au début d’un cycle, j’en conviens.
Il n’en reste pas moins que l’explosion des crédits à ouvrir après 2027 obérera toute marge de manœuvre pour le prochain Président de la République – si tant est que nous devions attendre cette date pour en élire un –, ce qui soulève des interrogations du point de vue démocratique. On m’objectera qu’il s’agit de la contrepartie de l’idée même de programmation. Quoi qu’il en soit, la trajectoire des crédits à ouvrir année après année est inquiétante. Les dépenses qui devront être engagées après 2027 pour honorer des AE ouvertes dès à présent sont vertigineuses ; elles risquent fort d’empêcher tout nouvel investissement.
J’en viens à la naïveté, qui caractérise sans discontinuer les choix du Gouvernement en matière de coopération. Le choix d’écarter Atos du marché du supercalculateur qui équipera l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad) est présenté comme technique. Il demeure incompréhensible, surtout si l’on prétend sauver cette entreprise.
Quant à l’obstination du Gouvernement à poursuivre les programmes franco-allemands Scaf et MGCS, nous donnons l’alerte depuis plusieurs années sur l’absence totale de fiabilité du partenaire allemand. Au fil des ans, les faits – hélas ! – nous donnent raison.
Ce mois-ci, nous avons successivement appris que l’Allemagne s’engage avec le Royaume-Uni pour le développement d’un drone de combat, dont on voit mal comment il n’aurait pas vocation à s’intégrer au Scaf, et, plus inquiétant, que Rheinmetall, qui est déjà le passager clandestin du MGCS, s’engage dans un projet de char avec l’Italien Leonardo. La démonstration que j’ai faite à plusieurs reprises est plus que jamais pertinente : tandis que le MGCS devient l’unique option de Nexter, il devient parfaitement rentable et avantageux pour les Allemands d’en partir au dernier moment : ils seront alors sans concurrent européen sur le marché et nous n’aurons plus qu’à acheter allemand, au nom de la préférence européenne que nous promouvons par ailleurs.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas approuver ce budget.
Mme Anna Pic (Soc). Dans un contexte d’austérité budgétaire généralisée, la mission Défense du projet de loi de finances pour 2025 est l’une des seules à être préservée. Ses crédits augmentent de 3,3 milliards pour atteindre 50,5 milliards, comme prévu par la LPM 2024 – 2030. Compte tenu des besoins de nos armées, nous nous en réjouissons.
Si cette augmentation correspond à l’euro près aux engagements que nous avons votés, diverses raisons incitent à croire que, par-delà les aspects budgétaires, nous ne serons pas en mesure d’appliquer les dispositions adoptées il y a un an et demi, et à remettre en cause la sincérité des éléments qui nous sont présentés.
Le déploiement significatif de militaires dans le cadre des JOP sera vraisemblablement pris en charge dans sa totalité par le ministère des Armées. Il s’agit de dépenses déjà engagées dont le ministère ne pourra s’exonérer. Par effet de substitution, certains programmes – lesquels ? – en pâtiront.
Le même raisonnement peut s’appliquer au financement des Opex, dont les provisions étaient insuffisantes, d’autant que le flou subsiste concernant leur qualification et leur intégration dans le budget dédié. Il en va de même s’agissant du soutien à l’Ukraine, qui n’est pas au niveau attendu, en plus d’être particulièrement flou, comme l’a rappelé Thierry Sother lors de l’audition du chef d’état-major des armées (Cema), qu’il a interrogé sur les crédits alloués à la FEP.
En outre, le financement de la mobilisation de nos armées en soutien aux forces ukrainiennes ne doit pas être intégré – la LPM 2024 – 2030 l’indique clairement – à la trajectoire budgétaire que nous avons adoptée. Par ailleurs, comme le rappelle Isabelle Santiago dans son rapport sur avis sur le budget des forces terrestres au sein du programme Préparation et emploi des forces, de fortes inquiétudes subsistent sur la fin de l’exercice budgétaire en cours, au point de compromettre la capacité de ces forces à atteindre les objectifs fixés par la LPM 2024 – 2030, notamment sur les gels et surgels survenus en cours d’année.
Nous défendrons plusieurs amendements illustrant nos diverses interrogations sur le projet de budget 2025. L’un d’eux visera à abonder à hauteur de 200 millions le fonds de soutien à l’Ukraine, dont l’adoption permettrait à la France de se conformer aux engagements pris, dans les cadres national et bilatéral, avec le gouvernement ukrainien. Compte tenu de la rapidité de l’évolution du contexte géopolitique et géostratégique et des menaces qui en découlent pour la France et l’Europe, nous donnerons l’alerte sur la nécessité, pour le ministère des Armées, de mettre l’accent sur le renseignement et sur la recherche stratégique, en vue d’anticiper les menaces.
Si l’annonce du ministre Lecornu relative au lancement du PANG est la bienvenue du point de vue du respect du calendrier, nous appelons l’attention de l’Assemblée nationale sur les conséquences qui en résulteront sur le financement des autres équipements de la Marine nationale, qui ne sont pas moins nécessaires. Dans un contexte de multiplication de l’emploi des forces maritimes, les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2025 risquent fort d’être insuffisants.
Par ailleurs, plusieurs de nos amendements viseront à la remise d’un rapport, pour évaluer notamment la poursuite du plan « famille 2 », la mise en œuvre du dispositif d’économie de guerre et l’équilibre entre rémunération indiciaire et rémunération indemnitaire, dont nous débattons chaque année.
Dans le cadre de l’examen de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, nous présenterons deux amendements portant sur des mesures que nous avons défendues l’an dernier, en espérant que le nouveau gouvernement fera davantage preuve d’esprit d’ouverture que le précédent. Il s’agit d’accorder une réparation, aussi légitime que dérisoire du point de vue strictement financier, aux membres rapatriés des forces supplétives de statut civil de droit commun de la guerre d’Algérie. Cette demande de réparation ayant été explicitement reconnue par le rapport annexé de la LPM 2024 – 2030, il est plus que temps de confirmer le financement correspondant, soit 92 290 euros. L’Assemblée nationale doit rendre justice aux vingt-deux derniers survivants avant qu’il ne soit trop tard.
La situation budgétaire de la France et les dépenses contraintes précédemment évoquées obligeront le ministère à faire des sacrifices. Au groupe Socialistes et apparentés, nous sommes ouverts à l’idée de prendre position sur les choix opérés par l’exécutif ; encore faudrait-il que nous soyons en mesure de les apprécier pleinement. Aussi aimerions-nous savoir où sont les coupes cachées avant de nous prononcer. En fonction du sort qui sera réservé à nos amendements et des réponses que nous attendons, notre groupe se prononcera favorablement ou s’abstiendra lors du vote des crédits des trois missions.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Notre commission est privilégiée : deux des trois budgets que nous examinons – la mission Défense et le programme Gendarmerie nationale – sont en augmentation. En cette période difficile pour nos finances publiques, il convient de le rappeler.
Le groupe Droite républicaine votera les crédits de la mission Défense, en prenant acte du respect intégral de la LPM 2024 – 2030. La tentation a été grande de faire participer la défense à l’effort budgétaire important que notre pays doit consentir, mais les crédits annoncés sont bel et bien là, et la cible d’augmentation nette des effectifs prévue par la LPM 2024 – 2030 est maintenue. Dès le mois de juillet, lors de la présentation de notre pacte législatif, notre groupe a classé le respect de la LPM 2024 – 2030 parmi ses lignes rouges.
Toutefois, comme nous l’avons rappelé à M. le ministre lors de son audition, plusieurs points appellent notre vigilance. Le premier est le gel des crédits, qui prendra dans les mois à venir une importance majeure : il s’agira d’éviter que Bercy prenne ce qu’il n’a pu obtenir lors de la présentation du budget. Plusieurs de nos rapporteurs pour avis se sont exprimés ce matin sur ce point.
Le deuxième est le financement des Opex et des opérations intérieures (Opint), qui est en baisse par rapport à la programmation, pour les raisons objectives que nous connaissons tenant à la situation en Afrique saharo-sahélienne. Toutefois, la hausse de la conflictualité, largement décrite par les chefs d’état-major devant notre commission depuis plusieurs années, exclut que nous baissions la garde – les tensions graves au Proche-Orient nous le rappellent chaque jour.
Quant à l’amplification des Opint, elle est aussi source d’inquiétude. Si celles menées dans le cadre des JOP étaient prévues et connues, les événements dramatiques survenus en Nouvelle-Calédonie ne manquent pas de nous inquiéter s’agissant de leurs répercussions budgétaires. S’agissant de l’aide, essentielle, à l’Ukraine, nous sommes attachés à son financement interministériel.
Nous nous opposerons aux amendements visant à remettre en cause l’équilibre, que nous savons fragile, de la LPM 2024 – 2030. Battons-nous ensemble, comme nous l’avons fait lors de son examen, pour nous assurer qu’elle est exécutée à l’euro près !
Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, nous partageons certaines craintes exprimées par notre rapporteur pour avis, mais nous comptons particulièrement sur la ténacité de notre nouveau ministre délégué pour faire avancer les questions qui nous tiennent à cœur, telles que la revalorisation de la retraite des combattants. Nous n’oublions pas ce que nous leur devons.
Nous prenons acte de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur l’indemnisation des harkis. Nous regrettons qu’il ait fallu une décision de justice pour qu’ils obtiennent gain de cause – ultime symbole de cette douloureuse question ! Concernant la jeunesse, nous soutenons la volonté du Gouvernement de revoir en profondeur la journée défense et citoyenneté (JDC), qui ne répond plus à sa vocation première.
Dans un contexte budgétaire difficile et contraint, le budget Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation permet de maintenir les droits, d’avancer sur de nombreux sujets et d’instaurer une juste indemnisation de nos compatriotes harkis. Notre groupe votera ses crédits.
Au sein de la mission Sécurités, les crédits du programme Gendarmerie nationale augmentent de plus de 500 millions. Nous saluons cet effort. Cependant, son schéma d’emploi nul fait peser des menaces sérieuses sur l’exécution des engagements de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) en matière de création de brigades. Le déploiement de nouvelles brigades en est un engagement essentiel. Nos concitoyens l’attendent. Quant à la montée en puissance de la réserve, pilier essentiel de la gendarmerie, elle suscite aussi des inquiétudes justifiées. En raison de ces interrogations légitimes et en attendant le sort fait à nos amendements ainsi que les réponses du Gouvernement, le groupe Droite républicaine s’abstiendra sur les crédits du programme Gendarmerie nationale.
M. Damien Girard (EcoS). Ce budget est utile et globalement adapté à notre armée et à l’environnement stratégique. L’augmentation du montant des crédits des quatre programmes de la mission Défense est nécessaire pour respecter le cadre fixé par la LPM 2024 – 2030 et accompagner l’adaptation de notre armée aux tensions géopolitiques, au retour de la haute intensité sur notre continent et aux conséquences du péril écologique.
Le renforcement des moyens concourant aux exigences d’une dissuasion nucléaire robuste et crédible ainsi que la poursuite de la modernisation des équipements sont vitaux pour notre sécurité et pour celle de l’Europe. Les efforts en matière de remise à niveau des infrastructures, de maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels et d’investissement des nouveaux champs de conflictualité, au premier rang desquels les fonds marins, sont réels et contribuent à notre préparation.
Toutefois, ce budget n’est pas à la hauteur des ambitions que nourrit la France et des responsabilités qu’elle assume. Le domaine maritime en témoigne. Notre Marine a dû recourir à un bricolage provisoire pour maintenir l’activité de quinze frégates de premier rang en attendant la livraison des frégates de défense et d’intervention (FDI). Cette rupture capacitaire démontre que l’objectif de quinze frégates de premier rang est insuffisant pour assumer les responsabilités de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) du monde et la protection de nos nombreux territoires dits d’outre-mer.
À titre comparatif, l’Italie vise seize frégates de premier rang, alors que sa zone d’intérêt maritime est plus réduite. Le retour au format qui prévalait avant la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, soit dix-huit frégates de premier rang, est un minimum.
Certes, les navires de second rang sont plus nombreux. Ils sont capables d’assurer certaines missions. Néanmoins, ils demeurent complémentaires des frégates de premier rang et ne disposent pas des mêmes capacités face aux enjeux de haute intensité caractérisant la nouvelle donne géopolitique. Évacuation des ressortissants français des pays en tension ; lutte contre les trafics illicites, notamment dans l’océan Indien et dans les Caraïbes ; protection de notre ZEE, notamment dans l’océan Pacifique ; soutien à la liberté de navigation ; mise en œuvre de la dissuasion ; participation aux exercices, notamment dans le cadre de l’Otan : notre Marine est partout et tout le temps. Elle doit être dotée correctement pour assurer sa mission.
Plus généralement, la stratégie de la France dans l’Indopacifique doit s’appuyer une réalité capacitaire, notamment maritime, sous peine d’être une ambition de feuille de papier. Notre Marine aurait pu être mieux dotée, à un coût réduit, sans les décalages et les réductions de séries ayant affecté certains programmes, notamment celui des frégates multimissions (Fremm).
Les ressources humaines du ministère des Armées demeurent en tension, qu’il s’agisse de l’accompagnement des conjoints, de la revalorisation salariale ou de l’amélioration de la condition des militaires. Les marges de progression sont réelles. L’effort ne doit pas être relâché. Le taux de rotation élevé du personnel, provoqué par une insuffisante fidélisation, engendre concrètement des coûts supplémentaires de recrutement et de formation.
À cet égard, la réserve opérationnelle est un outil précieux, dont la montée en puissance doit continuer à être accompagnée. La sanctuarisation des moyens qui lui sont attribués est nécessaire. Pourtant, le rapport pour avis sur le programme Gendarmerie nationale indique que le projet de loi de finances pour 2025 remet directement en cause les engagements de la Lopmi sur la montée en puissance des réserves de la gendarmerie. La réserve doit être soutenue dans son ensemble, de façon constante et programmée. L’Assemblée nationale doit y être attentive.
Le groupe Écologiste et social votera ce budget, dont les imperfections ne font pas oublier l’essentiel : une adaptation budgétaire réelle de notre armée à un contexte international plus que dégradé. J’émets toutefois une réserve sur son orientation générale. Ni la LPM 2024 – 2030 ni le projet de loi de finances pour 2025 n’effectuent de véritable priorisation stratégique de nos forces armées. Enjeu méditerranéen, positionnement face à la Russie, stratégie de la France dans l’Indopacifique, préservation de notre capacité à entrer en premier sur un théâtre d’Opex, maintien de l’effectivité de notre dissuasion : vous conviendrez que l’augmentation du budget, bien réelle, est insuffisante compte tenu de ces multiples objectifs, dont je pourrais ajouter qu’ils sont très ambitieux à l’aune de notre situation budgétaire.
Une priorisation des enjeux donnant à notre flanc sud-est l’importance qu’il mérite permettrait de rationaliser les dépenses prévues par la LPM 2024 – 2030. La construction d’une sécurité européenne prise en main par les Européens est un enjeu de long terme, au sein duquel la France doit être capable d’humilité dans son rapport à ses partenaires et d’ambition dans sa contribution à la défense collective de notre continent.
Mme Josy Poueyto (Dem). En votant la LPM 2024 – 2030, nous nous sommes fixé l’objectif de transformer nos armées. Après des années de sous-investissement, face à un environnement stratégique chaque année plus dégradé, il était temps de renforcer et de moderniser notre modèle d’armée. Je salue le travail de notre ministre des armées, Sébastien Lecornu, qui a engagé cette réforme d’ampleur et continue de veiller à son déploiement.
Avec un budget de 50,5 milliards, soit une hausse de 3,3 %, les crédits de la mission Défense sont ambitieux. Ils respectent la trajectoire votée par le Parlement, ce dont dépend sa crédibilité. Nous avons choisi de privilégier la cohérence et l’efficacité à la masse. L’entraînement et l’équipement de nos militaires sont donc particulièrement importants. En 2025, 10 milliards seront investis dans les équipements et leur MCO, et près de 8 milliards seront consacrés à la préparation et à l’emploi des forces. Nous n’ignorons pas la nécessité de nous adapter aux nouvelles menaces et d’anticiper des sauts technologiques pour avoir une guerre d’avance plutôt qu’une guerre de retard. L’innovation sera l’une des priorités pour 2025, ce dont nous nous réjouissons.
Le cyber, le renseignement, les drones et l’intelligence artificielle sont des domaines stratégiques pour nos trois armées. Ils deviennent indispensables pour les guerres de demain. Nous saluons ce budget, qui alloue plus de 1 milliard à l’innovation, 300 millions au cyber et 450 millions aux drones. Un effort supplémentaire de 100 millions par rapport aux 200 millions prévus par la LPM 2024 – 2030 pour l’intelligence artificielle doit nous permettre d’acquérir un supercalculateur pour nos armées dès l’année prochaine.
Cette transformation de nos armées vise à renforcer notre autonomie stratégique et à maintenir la France au rang des grandes puissances. En augmentant de 8 % le budget de la dissuasion, nous pouvons engager la modernisation de ses deux composantes et la construction du PANG, assurant notre posture de nation-cadre auprès de nos alliés comme de nos adversaires.
De tels objectifs sont hors d’atteinte si nous ne disposons pas des ressources nécessaires. Nous nous félicitons de la montée en puissance de nos armées, nourrie par la poursuite de l’effort en faveur de la réserve opérationnelle, qui bénéficiera de la création de 700 équivalents temps plein (ETP) et de plus de 27 000 recrutements. Ces emplois seront les bienvenus dans le renseignement, le cyber et l’intelligence artificielle, secteurs d’avenir pour nos armées.
Deux autres éléments s’avèrent cruciaux pour nos militaires et leurs familles : l’amélioration de leurs conditions de vie en emprise et la reconnaissance de leur engagement au service de la nation. Notre groupe a toujours été particulièrement attentif à l’accompagnement des familles de nos militaires, qui subissent elles aussi les contraintes de cet engagement. Nous saluons le déploiement du plan Fidélisation 360, qui vise à améliorer le quotidien des militaires dans les emprises.
En 2025, ces mesures permettront la rénovation du parc immobilier de nos armées, qui se trouve parfois dans un état de vétusté avancée. J’appelle l’attention de la commission sur les casernes de gendarmerie dont la rénovation est attendue de longue date par nos gendarmes, comme l’a rappelé Valérie Bazin-Malgras ce matin. Nous sommes également très attachés au plan « famille 2 », qui sera doté de 51 millions pour augmenter l’offre de garde de jeunes enfants, construire des crèches et étendre la prestation de soutien en cas d’absence prolongée du domicile.
Notre reconnaissance pour le sacrifice de nos militaires doit être sans faille, notamment lorsqu’ils sont blessés ou deviennent anciens combattants. Nous espérons que la promesse de construction de nouvelles maisons Athos en 2025 sera suivie d’effets, tant ces structures sont importantes pour la guérison.
Le groupe Les Démocrates salue l’effort budgétaire consenti dans le projet de loi de finances pour nos armées. Les crédits de la mission Défense, de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation et du programme Gendarmerie nationale traduisent notre volonté de poursuivre la transformation de nos armées, de soutenir au mieux nos soldats ainsi que leurs familles et d’honorer la mémoire de ceux qui se sont battus pour la France. Notre groupe votera ces crédits.
Mme Lise Magnier (HOR). Le groupe Horizons & indépendants soutient les efforts nécessaires consacrés à la réduction des dépenses publiques et au redressement des comptes publics. Il ne nous semble pas moins nécessaire de préserver les trajectoires des lois de programmation dans les domaines régaliens, pour nos armées, pour nos policiers, pour nos gendarmes, pour notre sécurité civile et pour notre justice.
S’agissant de la mission Défense, notre groupe salue l’augmentation continue du budget alloué à nos armées. Notre pays évolue dans un monde dangereux, caractérisé par des rivalités entre puissances et des menaces hybrides émanant d’acteurs étatiques et non étatiques – un monde dans lequel nos intérêts doivent être protégés. Nous saluons le choix de préserver et de confirmer les engagements pris dans le cadre de la LPM 2024 – 2030.
Il faut toutefois bien constater que, depuis son adoption, l’environnement stratégique de la France est en constante évolution. En 2023, la guerre en Ukraine entrait dans sa deuxième année et les Ukrainiens pouvaient encore compter sur l’engagement résolu de l’Europe et des États-Unis. La perspective d’une victoire électorale de Donald Trump bouleverse la donne. Par ailleurs, les tensions au Proche-Orient n’avaient pas atteint les sommets actuels. Le dispositif militaire français en Afrique entamait tout juste sa transformation, qu’il a fallu accélérer au lendemain du coup d’état au Niger. Le tournant de l’intelligence artificielle, qui n’était pas complètement intégré dans les efforts prioritaires identifiés par la LPM 2024 – 2030, est désormais bien pris en compte, comme le montre l’excellent rapport d’Anne Le Hénanff.
Le groupe Horizons & indépendants soutient les quatre inflexions stratégiques du budget des armées : le nouvel effort prioritaire sur l’intelligence artificielle ; la fidélisation de nos soldats ; le rééquilibrage stratégique en Afrique et sur le flanc est de l’Europe ; l’accélération de l’effort d'acquisition de munitions. Il veillera à préserver ce qu’il considère comme des fondamentaux : la dissuasion nucléaire comme pilier de notre souveraineté ; la place de la France dans l’Alliance atlantique et son action pour la défense européenne ; l’action du ministère des Armées en faveur de la qualité de vie de nos soldats et de leurs familles. Notre groupe votera les crédits de la mission Défense.
S’agissant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, notre groupe salue la relative stabilité des crédits qui lui sont alloués. Ce budget consacre le maintien des efforts pour nos blessés, pour les harkis et leurs familles en tenant compte de la décision de la CEDH du 4 avril 2024, et pour la reconnaissance envers le monde combattant dans toute sa diversité. Le montant de 1,8 milliard permettra aussi, après une année riche en commémorations de la Libération, d’envisager une fête nationale d’ampleur pour les 80 ans de la victoire du 8 mai 1945.
Le lien armées-jeunesse bénéficie d’une attention particulière : les crédits qui y sont consacrés augmentent de plus de 50 %. Nous appelons de nos vœux la transformation de la JDC et souhaitons qu’elle devienne enfin une journée d’intérêt national pour les jeunes citoyens. Nous voterons les crédits de la mission.
Concernant le programme Gendarmerie nationale, nous saluons l’augmentation générale allouée au budget de la mission Sécurités. Il est indispensable que l’effort budgétaire pour la création de 239 brigades de gendarmerie se poursuive. Si quatre-vingts brigades ont été créées, le maillage territorial doit s’intensifier. La gendarmerie est présente sur 95 % du territoire national et assure la protection de plus de la moitié de nos concitoyens. Nos gendarmes méritent toute notre attention et, surtout, les moyens d’exercer leurs missions. Si l’ordre dans les comptes est une priorité pour le groupe Horizons & indépendants, il ne doit pas être obtenu au détriment de l’ordre dans la rue, indispensable à notre cohésion sociale. Notre groupe votera les crédits de la gendarmerie nationale.
M. David Habib (LIOT). Le budget de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation est stable. Il aurait été judicieux de consacrer son évolution à la revalorisation du point d’indice de la PMI. Notre groupe signale à l’attention l’insuffisante reconnaissance de celles et ceux qui ont combattu pour notre pays et méritent notre respect ainsi que notre accompagnement.
S’agissant de la gendarmerie nationale, j’ai été satisfait, comme d’autres ici, de la décision prise dans le cadre de la Lopmi de créer 239 brigades d’ici 2027. Depuis ma première élection en 2002, quatre gendarmeries ont été fermées dans ma circonscription. Grâce à la Lopmi, nous avons enregistré, pour la première fois, la création d’une brigade mobile, qui fait particulièrement bien son travail. Un engagement est pris pour 2025 ; toutefois, la question des effectifs obère la capacité à créer des brigades de gendarmerie. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n’est pas une stratégie de maillage territorial. Ce questionnement devra obtenir réponse de la part du Gouvernement au cours de l’exercice budgétaire.
Concernant les 50 milliards inscrits au budget la mission Défense, nous saluons le respect de la LPM 2024 – 2030. Nous avons trois sujets de préoccupation. Le premier est le financement des Opex, qui suppose une solidarité des autres ministères. Nous avons conscience qu’elle a des limites. Le deuxième est la capacité à consommer les crédits d’armement – 20 milliards de commandes pour nous faire entrer dans l’économie de guerre –, qui suppose que les 200 000 salariés des quelque 4 000 industries concernées soient informés et formés, en capacité d’être recrutés, et connaissent suffisamment à l’avance les demandes du ministère des Armées. Le troisième est l’application du plan « famille 2 », qui se heurte à la question de la mobilité. Face à tout cela, nous appelons à un effort de déconcentrations des pouvoirs, tout en étant conscient qu’elle n’est pas, en Macronie, la préoccupation première. Le local est capable d’apporter des réponses là où l’échelon national est ankylosé.
Ne pas voter ce budget serait étrange – j’en ai voté de moins bons. Nous le voterons avec les réserves que je viens d’énumérer.
M. Édouard Bénard (GDR). De 2017 à 2024, les crédits de la mission Défense ont augmenté de 46 %. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une nouvelle augmentation de 3,3 milliards, qui en porterait le budget à 50,5 milliards, soit une hausse de 7,5 %, au moment même où le Gouvernement entend tailler dans grand nombre de dépenses publiques. Cette hausse s’inscrit dans le cadre plus général de la LPM 2024 – 2030, à laquelle ce budget est conforme.
Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont voté contre la LPM 2024 – 2030. Ils ne sont pas opposés aux investissements matériels permettant de renouveler et moderniser l’équipement de nos forces armées en tant que tels, mais considèrent que certains axes d’investissement retenus par la LPM 2024 – 2030 et leur déclinaison dans le projet de loi de finances pour 2025 intriguent du point de vue des évolutions technologiques et de la réalité de leur caractère opérationnel.
L’année 2025 sera celle du lancement officiel du PANG, grâce à un budget de 224 millions. Nous avons eu l’occasion de formuler nos réserves sur le chantier d’un nouveau porte-avions nucléaire. Nous nous interrogeons toujours sur sa pertinence et sur son coût, s’agissant d’un outil particulièrement coûteux à l’intérêt stratégique limité. Lorsque la France s’est engagée contre l’État islamique, 80 % des frappes aériennes ont été effectuées au départ de la Jordanie, contre 20 % depuis le Charles de Gaulle. Par ailleurs, l’emploi d’un porte-avions ne dispense pas de l’autorisation de survoler l’espace aérien d’États tiers pour mener à bien les missions confiées aux avions embarqués, comme d’ailleurs celles des avions de l’armée de l’air et de l’espace (AAE), ce qui limite l’intérêt du PANG.
Certains experts militaires affirment que notre pays doit augmenter le nombre de Fremm, pour assurer des missions diverses plus importantes et quotidiennes telles que la surveillance maritime, l’écologie marine et la lutte contre les trafics. Notre pays n’a pas les capacités financières nécessaires pour mener de front ces deux chantiers. Il ne peut en choisir un qu’au détriment de l’autre.
Les moyens significatifs consacrés à la dissuasion nucléaire, notamment sa composante sous-marine qui bénéficiera de 752 millions en 2025 pour financier les SNLE 3G, dans le cadre d’une enveloppe globale de 5,8 milliards, ne nous intriguent pas moins. Le retour d’expérience (Retex) du conflit russo-ukrainien démontre les limites de la dissuasion.
Concernant la seule dissuasion nucléaire sous-marine, son intérêt stratégique tient à la mobilité des sous-marins et à la difficulté, pour la partie adverse, de les localiser. Le progrès continu de l’intelligence artificielle allié au réseau de surveillance satellitaire et aux dispositifs de surveillance sous-marine tels que les réseaux de balises dérivantes, les radars et les sonars haute fréquence, pourraient remettre en question, dans un avenir proche, le caractère furtif des SNLE, qui fait tout leur intérêt stratégique.
Ainsi, le budget consacré à la dissuasion nucléaire, appelé à monter en charge dans le cadre des engagements pris dans le cadre de la LPM 2024 – 2030, cannibalise des moyens qui pourraient être plus judicieusement employés à l’équipement et à l’entraînement de nos forces armées conventionnelles pour assurer la sécurité du territoire. Alors même que l’objectif de 185 Rafale à l’horizon 2030 est considéré comme le minimum nécessaire par l’état-major de l’AAE, le budget consacré à la dissuasion nucléaire en 2025 permettrait à lui seul d’en acquérir soixante. Or ces chasseurs peuvent, avec l’appui d’avions ravitailleurs, être projetés en quarante-huit heures partout sur le territoire français, sans avoir besoin d’un groupe aéronaval (GAN).
S’agissant de la partie recettes du budget, l’ampleur des commandes d’équipements et de services du ministère des Armées auprès d’entreprises à capitaux français nous autorise à nous interroger sur le niveau de retour de recettes dans le budget de l’État. À titre d’exemple, la décision du groupe industriel KNDS – réunissant dans une holding le français Nexter, issu de la privatisation de GIAT Industries privatisé, et l’armurier allemand Krauss-Maffei Wegmann – d’implanter son siège aux Pays-Bas pour des raisons d’optimisation fiscale intrigue, d’autant que son capital est détenu à 50 % par l’État français. Ce sont autant de rentrées fiscales manquantes à l’heure où nous cherchons des recettes supplémentaires, pouvant notamment servir à abonder le budget de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, en particulier pour revaloriser plus substantiellement la valeur du point d’indice de la PMI, qui sert au calcul de la PMI et de l’allocation de reconnaissance du combattant.
À défaut d’une réécriture profonde des orientations de la mission Défense du projet de loi de finances élaboré par le Gouvernement, en cohérence avec notre vote sur la LPM 2024 – 2030, les députés de la Gauche démocrate et républicaine n’approuveront pas les crédits.
M. Matthieu Bloch (UDR). Au nom du groupe UDR, je rends hommage aux femmes et aux hommes engagés – militaires, gendarmes et réservistes – qui protègent nos compatriotes au quotidien, parfois au péril de leur vie. Ils font partie de ceux pour lesquels l’engagement, la patrie et le sacrifice ont un sens. Nous leur devons reconnaissance.
Notre position est claire : seule une grande ambition en matière de défense permettra à la France d’assurer son indépendance. Face à la résurgence des foyers de tension dans le monde, notamment à l’est de notre continent, au Proche-Orient et dans le Caucase, où l’Azerbaïdjan multiplie les agressions contre le peuple arménien, la France n’a plus le choix. Elle doit se maintenir parmi les grandes puissances dans le concert des nations, à l’heure où cette place lui est plus que jamais contestée.
Concernant la mission Défense, nous reconnaissons la nette augmentation des efforts pour l’équipement de nos forces, à hauteur de près de 6 milliards pour notre dissuasion et de 1,9 milliard pour nos Rafale, et pour la mise en marche du PANG, que nous soutenons.
Toutefois, nul ici n’est naïf : cette hausse de crédits ne pourra être que d’apparence, en raison du gel de crédits par Bercy sur l’exercice 2024, de l’ordre de 2,6 milliards. Les quelque 570 millions prévus pour les Opex ne permettront pas, comme chaque année, d’assumer les surcoûts induits par le déploiement de nos soldats. J’ai une pensée particulière pour ceux mobilisés au Proche-Orient, en Méditerranée et dans le cadre des opérations Aigle en Roumanie et Lynx en Estonie. Si la France doit se maintenir comme grande puissance militaire, il faudra envisager une plus grande ambition financière sur ce point.
Par ailleurs, l’objectif de relocalisation de notre production d’équipements militaires est évoqué sans être concrétisé. Ce budget aurait dû être l’occasion d’engagements forts. Nous devons assurer le maintien de la France parmi les fleurons industriels de l’armement. Nous sommes aux prémices de potentielles dépendances industrielles à l’échelon européen, sans objectif militaire et géopolitique commun, et nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Au groupe UDR, nous souhaitons que les missions régaliennes de l’État soient exercées d’abord au service du peuple français. Dans ces circonstances et compte tenu des crédits proposés, il s’abstiendra sur la mission Défense.
Concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, nous faisons le vœu d’une revalorisation forte du point d’indice de la PMI pour permettre aux invalides de procéder aux soins de kinésithérapie ou de rééducation fonctionnelle dont ils ont besoin, et surtout d’obtenir des prothèses et divers équipements partiellement remboursés par la Sécurité sociale. Nous nous opposons à la baisse de l’allocation de reconnaissance du combattant alors même que le Gouvernement prévoit 14 millions supplémentaires pour le lien armées-jeunesse, avec des objectifs bien minces de refonte de la JDC. Il est invraisemblable que le Gouvernement fasse le choix de faire des économies sur nos héros de guerre. Le groupe UDR votera contre les crédits de cette mission.
Enfin, la hausse envisagée des crédits de la mission Sécurités ne nous semble pas à la hauteur des enjeux. D’abord, les crédits de 173 millions consacrés à l’exercice des missions militaires sont relativement faibles. Ensuite, les signaux rouges sont nombreux en matière de maintien de l’ordre public dans notre pays. Lundi dernier encore, le ministre de l’intérieur a rappelé le niveau très élevé de la menace terroriste, en demandant une plus grande sécurisation des lieux de culte chrétiens pour la Toussaint. Il y a quelques jours, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a décidé de prolonger le couvre-feu dans l’archipel jusqu’au 4 novembre. Quel message ce budget enverra-t-il à nos gendarmes ? Des mesures fortes s’imposent, au premier rang desquelles une véritable revalorisation des conditions de vie et d’exercice opérationnel de nos gendarmes. Le groupe UDR votera contre les crédits de la mission Sécurités présentés par le Gouvernement.
M. le président Jean-Michel Jacques. Merci à tous les orateurs de groupe. Nous allons passer maintenant à l’examen des amendements déposés devant notre commission avant de voter sur les crédits des trois missions dont nous sommes saisis.
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La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-DN109 de M. Frédéric Boccaletti
M. Frédéric Boccaletti (RN). Cet amendement d’appel vise à favoriser le bon développement du bataillon de renseignement de réserve spécialisé (B2RS), ayant vocation à offrir une capacité nouvelle de recherche en sources ouvertes. Installé à Strasbourg, il a vocation à créer d’autres compagnies au sein d’autres villes universitaires. Il s’agit d’alerter le Gouvernement sur son manque de visibilité au sein de la programmation. Le budget provisionné ne garantit pas le bon développement de ce bataillon.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Les crédits du B2RS sont rattachés à l’armée de Terre et non aux deux services de renseignement – la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) – du programme 144. La direction du renseignement militaire (DRM) relève, quant à elle, du programme 178. Le ciblage des crédits tel qu’il apparaît dans le dispositif de l’amendement n’est donc pas correct. Par ailleurs, la brigade de renseignement a été dissoute en 2016 au profit de la brigade de renseignement et cyber-électronique (BRCE). Avis défavorable.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Je m’étonne que l’amendement cible uniquement la BRCE, créée le 1er août 2024, et non tous les réservistes de l’armée de Terre. Avis défavorable.
M. Frédéric Boccaletti (RN). Les services de l’Assemblée ont validé l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN100 de M. Frédéric Boccaletti
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN102 de M. Frédéric Boccaletti
M. Romain Tonussi (RN). Cet amendement vise à soutenir et à pérenniser nos compétences en matière de cartographie. Sans les géographes militaires du 28e groupe géographique de l’armée de Terre, qui travaillent à l’abri des regards, il aurait été difficile de protéger les JOP. À l’heure du système d’information du combat Scorpion (SICS) et de Google Maps, il faut préserver la capacité à imprimer des cartes de manière autonome, car nos réseaux demeurent vulnérables.
Sur des théâtres d’opérations complexes, où les brouillages sont de plus en plus fréquents, cette compétence est primordiale et infaillible, à condition d’être régulièrement mise à jour. La carte sur papier a un bel avenir. Le présent amendement vise à pérenniser cette compétence et à lui permettre d’évoluer.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La déroute des armées françaises en 1870 relevait de la méconnaissance de la cartographie. Heureusement, nous avons progressé depuis lors. Il est indispensable de maintenir les efforts dans ce domaine, notamment si nos armées sont amenées à combattre dans des conditions dégradées, où les solutions numériques disparaissent.
J’émets toutefois un avis défavorable à votre amendement, pour deux raisons. La cartographie ne relève pas uniquement de l’armée de Terre. La Marine et l’AAE ont également besoin de services de cartographie compétents. L’amendement aurait davantage sa place dans une action dédiée à la formation interarmées, pour que les armées puissent toutes bénéficier d’un soutien dans le domaine cartographique. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN49 de Mme Caroline Colombier
Mme Caroline Colombier (RN). Cet amendement vise à acquérir un lot de chars Leclerc Évolution. Ce char, présenté lors du salon de l’armement Eurosatory en juin 2024, est un char de génération intermédiaire offrant une véritable solution pour établir une transition opérationnelle et technologique entre le Leclerc, actuellement en service, et le char du futur du projet MGCS. Cela permettrait de lancer son exportation, à l’heure où les nouveaux modèles de chars allemands sont exportés en Europe. Nous préconisons l’achat de six chars, pour un coût unitaire estimé à 8 millions.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous sommes un certain nombre à soutenir l’évolution du char Leclerc, notamment pour que les industriels français soient en capacité de proposer des solutions innovantes telles que le projet de canon Ascalon développé par KNDS France, mais plutôt dans le cadre du MGCS.
Il est inutile d’abonder le programme 146 pour l’acquisition du Leclerc Évolution, qui n’est pas un produit fini que nous pourrions commander et acquérir sur étagère dès 2025, mais un prototype. J’ignore d’ailleurs comment vous avez pu chiffrer le coût de son acquisition. Par ailleurs, en cas d’échec de la coopération sur le MGCS, les études nationales et les acquis obtenus par les acteurs de la BITD sur les briques technologiques que nous avons financées serviront à financer une solution alternative. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. La qualité du démonstrateur Leclerc Evolution de KNDS est indéniable. Toutefois, nos auditions ont permis de mieux cerner les besoins militaires de l’armée de Terre. Les forces terrestres ne souhaitent pas d’un char Leclerc amélioré. L’enjeu consiste à ne pas rater la marche du changement de génération en consacrant des ressources à un modèle intermédiaire. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN20 de M. Laurent Jacobelli
M. Laurent Jacobelli (RN). Il y a douze ans, on nous promettait le char du futur en collaboration avec l’Allemagne : le MGCS. Nous n’en sommes qu’à l’étape des études préalables. Il faut bien constater que ce projet a du mal à avancer, en raison d’intérêts contraires – du côté allemand – et de projets alternatifs – en Allemagne et en Italie. Cela donne l’impression que nos programmes sont stérilisés pour permettre à nos concurrents de développer les leurs. Le présent amendement vise à réattribuer les crédits alloués au MGCS à l’étude et à la fabrication d’un char alternatif français.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je m’inscris en faux contre vos propos. Le projet MGCS progresse. Il y a quelques mois, les états-majors des armées française et allemande ont formulé l’expression commune de leurs besoins, et un accord a été cosigné par les ministres Lecornu et Pistorius.
Je prends note de votre remise en cause idéologique des partenariats européens. Notre vision est différente de la vôtre, d’autant que nous devrons faire des efforts pour faire travailler ensemble nos BITD nationales à l’échelle européenne. Je salue moi aussi l’excellent travail de KNDS France, mais je ne puis émettre un avis favorable à l’amendement.
Par ailleurs, j’aimerais vous poser la question suivante : sur quelle base le char intermédiaire que vous appelez de vos vœux doit-il reposer ? Sur un châssis de Léopard ? Sur un châssis à faible contenu allemand – pour l’exportation dont parlait notre collègue Colombier, par exemple dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, un tel châssis n’est pas envisageable ? Avec quel niveau d’automatisation ? Ces questions ne sont pas tranchées dans votre proposition. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Même avis. Nous devons faire confiance aux utilisateurs. Nous sommes députés de la nation. Tout le monde, au sein des armées, notamment le chef d’état-major de l’armée de Terre (Cemat), que nous avons auditionné, dit que la solution que vous proposez ne correspond pas à leur souhait. Faisons confiance au Cemat pour choisir le système qui correspondra le mieux aux besoins de nos armées. Les deux états-majors se sont parlé ; les ministres ont signé des documents. Avis défavorable.
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Le MGCS n’est pas uniquement un char. Il s’agit d’un système incluant des drones terrestres et s’inscrivant dans une dimension de combat collaboratif. Tout cela justifie sa production en collaboration.
Par ailleurs, les chars Leclerc ayant été modernisés, les utilisateurs considèrent que les enjeux sont désormais la logistique et le maintien MCO. Nous y sommes très attachés. Nos chars doivent être opérationnels.
M. Laurent Jacobelli (RN). Je vous remercie, monsieur Cormier-Bouligeon, de me prêter le talent de pouvoir répondre en deux minutes à une question que le couple franco-allemand n’a pas réussi à élucider en douze ans. Nos homologues allemands nous ont clairement indiqués – lors d’une réunion à laquelle j’étais et certains d’entre vous aussi – développer le char Léopard pour faire concurrence à la France, le MGCS étant le cadet de leurs soucis. Soyons un peu réalistes et pragmatiques !
La commission rejette l’amendement
Amendement II-DN65 de M. Emmanuel Fernandes
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Sur les théâtres d’opérations à haute intensité, les drones de combat, notamment antichar, sont arrivés, sans faire disparaître les dispositifs antichars standards sol-sol ou sol-air. La maîtrise de ces dispositifs ainsi que de ceux qui les empêchent d’opérer est décisive. C’est pourquoi il importe d’élaborer des dispositifs passifs – tels que des parapluies – et actifs capables de protéger les chars Leclerc des éléments antichars.
La vulnérabilité liée à l’absence de dispositifs tactiques de protection contre ces attaques est plus que significative. En l’absence de réponse matérielle adaptée, elle est susceptible d’entraîner une incapacité opérationnelle de nos unités blindées. Devant les atermoiements du ministère et afin de lever les doutes qui subsistent sur la volonté réelle de financer de tels dispositifs, nous appelons l’attention du Gouvernement et de la représentation nationale sur ce sujet.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Je partage votre analyse. Le Retex ukrainien met en lumière la grande fragilité des chars, notamment face à la menace des drones. Deux programmes – Prometeus (Protection multi-effets terrestre unifiée) et Pronoia (protection novatrice orientable intégrée d’autoprotection) – sont menés par la direction générale de l’armement (DGA). Ils étudient la pertinence de l’intégration de systèmes de protection active, travaillant respectivement sur une solution hard kill et soft kill. L’amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement d’appel permet de rappeler que le calendrier n’est pas tenu, alors même que la question de la protection des chars Leclerc a déjà été soulevée. Le rôle de la représentation nationale est de manifester sa volonté ferme et claire qu’il le soit. Nous ne sommes pas là uniquement pour tenir le crachoir du Gouvernement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN73 de M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP)
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous souhaitons acter, par cet amendement d’appel, notre volonté de voir émerger un projet de char intermédiaire entre le projet MGCS et le char Leclerc. Si le premier n’aboutit pas, nous n’avons pas – contrairement à l’espérance exprimée par notre collègue Cormier-Bouligeon – de plan B.
Il est faux de dire que les briques technologiques en cours de développement dans le cadre de la recherche sur le MGCS suffiraient à construire un char. Les compétences générales auront été perdues. L’industriel en est parfaitement conscient et sans doute prêt à en témoigner devant la représentation nationale.
Nous devons, en toute logique et en toute responsabilité, nous assurer de la conservation de nos savoir-faire et mettre à niveau un char nous permettant de procéder à la transition. Les Allemands immobilisent le capital de Nexter dans cette recherche. S’ils s’en retirent, ils auront un produit sur étagère, et nous nos yeux pour pleurer.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Sur ce segment, je ne crois pas à une solution entièrement souveraine. Nous investissons dans le développement de briques technologiques qui nous seront utiles le moment venu, dans le MGCS ou dans un programme alternatif. Nous sommes tous en alerte sur ce sujet. Le présent amendement d’appel est plus raisonnable que le précédent.
Faisons confiance à nos industriels – la France est responsable ou coresponsable de six des huit piliers, dont la « fonction feu », qui me semble être la plus importante – et à la coopération franco-allemande. Si M. Trump est élu le 5 novembre et réduit le soutien américain à l’Otan, les BITD nationales auront intérêt à coopérer pour assurer la défense du continent. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Il faut allouer les moyens nécessaires à la pérennisation et à la modernisation du char Leclerc pour prolonger son utilisation jusqu’en 2040, voire en 2045. À titre personnel, je m’abstiendrai. Notre groupe est favorable à la coopération à long terme et souhaite que le projet MGCS, entamé il y a un certain temps, avance. Il n’en nourrit pas moins des réserves sur cette coopération, dont il souhaite qu’elle aille à son terme et s’ouvre à d’autres partenaires.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Ces réponses sont de nature à nous inquiéter. C’est précisément pour avoir trop fait confiance que nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises le bec dans l’eau, comme ce fut le cas récemment pour le projet de système de patrouille maritime MAWS. Les Allemands ne sont pas des partenaires fiables dans le domaine de l’armement, ce que je regrette.
Par ailleurs, en estimant que la France n’est pas capable de développer un programme intermédiaire, M. Cormier-Bouligeon admet que la France a eu tort de faire confiance lorsque KMW et Nexter ont fusionné pour créer KNDS. De notre côté, nous avions raison de nous opposer à une telle perte de souveraineté. C’est ce à quoi nous engage le rapporteur ; nous nous y refusons.
M. Sylvain Maillard (EPR). Monsieur Saintoul, vous refusez ce que tous les partenaires et les deux ministres ont signé. Vous négligez l’avis des armées et proposez une solution dégradée. Certes, la création d’un nouveau système de défense exige d’inventer des briques technologiques, donc de prendre des risques, de se donner le temps et d’agir dans le cadre d’une coopération européenne susceptible d’être élargie à d’autres partenaires. Des briques technologiques nous manquent pour le construire. Nous avons besoin de l’apport des autres. La volonté politique est là, la volonté industrielle aussi – tel n’a pas toujours été le cas. Donnons-nous les moyens et accompagnons la volonté des ministres ! Nous verrons ce qui se passe dans les années à venir. Tout semble aligné pour que le projet fonctionne.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN116 de Mme Anna Pic
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Si l’on tient compte de la commande de 200 missiles Aster, du lancement du PANG et de la multiplication de l’emploi des forces navales, la hausse des crédits alloués aux forces navales, certes importante, doit excéder la marche prévue par la LPM 2024 – 2030.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Les crédits alloués aux munitions connaissent une hausse très importante de 16 % en AE et de 23 % en CP. Je mets en garde contre la tentation de prendre sur le budget du PANG pour abonder celui des munitions. Lorsque nous avons commencé à réfléchir au remplacement des porte-avions Foch et Clemenceau, nous avons construit le Charles-de-Gaulle puis renoncé en 2013, sur décision du président Hollande, à construire son bâtiment-frère. Or les porte-avions, pour citer Jacques Chirac, sont comme les gendarmes, ils vont par deux.
Considérant que les crédits alloués aux munitions sont en forte hausse et qu’il ne faut surtout pas toucher au PANG, dont j’ai rappelé l’importance ce matin, je suggère le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je suis surpris que le rapporteur pour avis reprenne à son compte les propos du président Chirac selon lesquels les porte-avions vont par deux, alors même que la LPM 2024 – 2030 n’en prévoit qu’un.
Je profite de l’évocation de projets navals pour rappeler à notre collègue Maillard que la dernière fois que nous nous sommes fiés à une volonté politique fermement exprimée par nos partenaires, nous l’avons amèrement regretté : c’était l’affaire Aukus. Plusieurs contrats de construction de sous-marins nous sont passés sous le nez faute de partenaires fiables. C’est ce qui risque de se passer avec l’Allemagne. Dans les deux cas, les volontés ne sont pas alignées.
Par ailleurs, le rôle des chefs d’état-major est de trouver des accords sous l’injonction des politiques. Ils seront capables de définir des spécifications souveraines et la BITD française, si on le lui demande, s’en sortira.
L’amendement est retiré.
Amendement II-DN95 de Mme Stéphanie Galzy
Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement vise à appeler l’attention du Gouvernement sur la capacité de nos armées à surveiller efficacement notre ZEE, qui représente une richesse inestimable pour notre nation sur les plans économique et environnemental. Les enjeux sont multiples, de la protection de nos ressources à la lutte contre les activités illégales, de la préservation de notre environnement maritime à l’affirmation de notre souveraineté. Nos armées disposent-elles des équipements adéquats, des ressources humaines suffisantes et des technologies de pointe nécessaires pour mener à bien les missions complexes qu’exigent leur surveillance et leur protection ? Nous demandons au Gouvernement de prendre des mesures concrètes pour renforcer nos capacités de surveillance maritime.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Le renouvellement des flottes de patrouilleurs outre-mer (POM), de bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) et de frégates de surveillance (FS), ainsi que des connexions satellitaires et des drones, est en cours, par plots. Le mouvement de renforcement de la sécurisation et de la surveillance de notre ZEE est et d’ores et déjà initié et assumé. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN70 de Mme Murielle Lepvraud
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Un amendement similaire à celui-ci avait fait l’objet d’un avis favorable de notre commission lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024. L’usage du 49-3 par le gouvernement Borne a empêché son examen en séance publique.
Nous appelons une nouvelle fois l’attention du Gouvernement sur le statut des sous-mariniers engagés dans la dissuasion nucléaire. Alors même qu’ils sont engagés en permanence pour maintenir notre posture stratégique, ils ne bénéficieront jamais du statut d’ancien combattant. Les opérations dans lesquelles ils sont engagés n’ont pas la qualification d’Opex et ils ne satisfont pas aux autres critères d’obtention de la carte du combattant.
Notre amendement est plus ambitieux que l’amendement II-DN1 du président Jacques, et financé. Nous espérons qu’il sera lui aussi adopté à l’unanimité, pour qu’il soit débattu dans l’hémicycle et pour que notre appel soit concrétisé.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Le rapport prévu par l’amendement II-DN1 nous permettra d’être éclairés sur ce point. Nous sommes tous d’accord pour dire que la situation faite à nos sous-mariniers naviguant à bord des SNLE a quelque chose d’inique. Ils doivent bénéficier des mêmes avantages que les autres militaires. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN48 de M. Frédéric Boccaletti
M. Frédéric Boccaletti (RN). Par cet amendement d’appel, le groupe Rassemblement national appelle l’attention du Gouvernement sur le statut des sous-mariniers œuvrant à notre dissuasion. Engagés en permanence pour maintenir notre posture stratégique, pilier de notre sécurité et de notre défense nationale, ils ne bénéficieront jamais du statut d’ancien combattant, en raison notamment de la qualification de leur mission, qui n’est pas considérée comme une Opex. Il faut leur accorder la reconnaissance qu’ils méritent.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. M. Boccaletti et moi-même nous retrouvons souvent dans les associations d’anciens marins de la région de Toulon. Je souscris pleinement à ses propos mais attendons le rapport, nous verrons ensuite quelle direction suivre.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Notre collègue Chenevard nous a proposé par deux fois d’attendre le rapport prévu à l’amendement II-DN1. Or nous ne sommes pas certains que le budget de la défense sera examiné en séance publique, de sorte que ce rapport ne sera peut-être pas même demandé.
Par ailleurs, ce n’est pas parce que le Gouvernement est sommé par la représentation nationale de lui remettre un rapport, ni même parce qu’il s’engage à le faire, qu’il le fait. Je rappelle que nous attendons toujours le rapport sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, qui nous avait été promis pour le printemps et qui est toujours dans les limbes, peut-être parce que son contenu ne fait pas plaisir au ministre.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN25 de M. Alexandre Dufosset
M. Alexandre Dufosset (RN). Il vise à augmenter les moyens de la lutte anti-sous-marine (ASM), dont l’exercice Squale a rappelé en juin dernier qu’elle est cruciale, notamment dans le cadre d’une guerre de haute intensité. Nous proposons d’amplifier la tendance en cours, en augmentant de 10 millions les crédits qui lui sont alloués, ce qui permettra à nos armées de disposer des équipements les plus pointus dans ce domaine.
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Le triangle opérationnel Atlantique 2 – frégates – sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), complété par le NH90, est le meilleur au monde pour la chasse aux sous-marins, à tel point que les Américains nous demandent de pister ceux qui entrent en Méditerranée. Par ailleurs, la lutte ASM bénéficiera de l’augmentation des crédits alloués à la Marine – à hauteur de 14 % en AE, soit 3,7 milliards, et de 11 % en CP, soit 3,5 milliards. L’amendement n’apporte donc aucun élément significatif en matière de lutte ASM.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN142 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de modifier le statut des officiers mariniers commissionnés employés sur des postes de baleiniers en Polynésie française pour leur permettre de continuer à servir après dix-sept ans de service. Ils sont les seuls à savoir accoster sur certains archipels en passant au-dessus de la barrière de corail qui les entourent. Leur formation est longue, dans la mesure où chaque atoll est unique et n’a qu’un seul chemin d’accès. Il est donc indispensable de leur permettre de continuer à servir après leurs dix-sept ans de service. Leur demande est aussi celle des forces armées en Polynésie française (FAPF).
M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une situation, que nous avons déjà déplorée l’an dernier. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN138 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’Alphajet, qui équipe la Patrouille de France, arrivera en fin de vie vers 2032-2033. L’amendement vise à créer un programme permettant de lui donner un successeur.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je ne doute pas que la Patrouille de France disposera, en tout état de cause, d’un successeur de l’Alpha Jet. Faut-il acquérir un système sur étagère, en développer un en coopération avec nos partenaires espagnol et britannique ou développer un nouvel avion de façon autonome ? Cette dernière option aurait nécessairement un coût significatif, bien supérieur aux 50 millions prévus par l’amendement. Dans l’attente d’une décision à ce sujet, inscrire des crédits dès 2025 semble prématuré. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il est plus que temps, compte tenu de la durée des programmes de ce type, de prévoir un successeur à l’Alpha Jet. Un avion sur étagère, je n’en vois pas. Une coopération de plus, il aurait fallu y penser il y a dix ans. Il est urgent, si nous voulons que la Patrouille de France continue à exister et à faire rêver les Français, de se pencher sur un tel programme. Un budget de 50 millions est un bon début.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN66 de M. Aurélien Saintoul
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il concerne également le successeur de l’Alpha Jet. Nous l’avions déposé l’an dernier. Le ministère des Armées nous avait répondu que la solution consiste à développer ou à acquérir un avion modulaire répondant à la fois aux besoins de la Patrouille de France, à la fonction RED AIR et à l’avion de complément à l’aune du Scaf et de son vecteur habité, l’avion de chasse de sixième génération (NGF). Cette réponse très floue n’est pas rassurante. Il n’est pas envisageable que la Patrouille de France évolue sur des appareils qui ne seraient pas français à 100 %. C’est pourquoi nous souhaitons créer une dotation matérielle pour la Patrouille de France.
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je suis plongé dans un abîme de perplexité. Cet amendement est quasi identique à l’amendement II-DN138, que vous avez rejeté. Quelle est votre logique de vote ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN64 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il vise à créer une ligne budgétaire pour garantir l’internalisation de la fonction RED AIR. Nous n’avons pas eu d’éclairage à ce sujet l’an dernier, faute d’examen du budget en séance publique. Cette fonction, liée à la souveraineté nationale, ne peut être ni déléguée ni confiée à des prestataires privés, a fortiori s’ils sont étrangers.
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Comme je l’ai rappelé ce matin, il me semble nécessaire de réinternaliser la fonction RED AIR, qui n’existe plus au sein de l’AAE en raison du format de nos armées. Cette mission doit être confiée uniquement à des entreprises françaises, à l’exclusion d’entreprises étrangères qui s’établiraient quelque temps en France pour répondre à l’appel d’offres. Toutefois, l’amendement II-DN138 me semble préférable à celui-ci. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN37 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Chacun connaît la position de notre groupe sur le programme Scaf et sur ses atermoiements. Le dernier en date est le rapprochement entre Berlin et Londres en novembre 2023, matérialisé par la signature de l’accord Trinity House Agreement prévoyant l’élaboration d’un drone de combat susceptible de concurrencer le Scaf.
Dans son ouvrage Vers la guerre ?, le ministre Lecornu lui-même émet des doutes sur la réussite du programme. Le Scaf, c’est le MGCS en pire. Nous souhaitons un programme souverain, financé par la réattribution des fonds du Scaf au développement – enfin ! – d’un avion par des sociétés françaises.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nos collègues du Rassemblement national ont de la suite dans les idées : ils ne veulent aucune coopération franco-allemande, ce qui serait presque une bonne nouvelle les concernant.
Sur le fond, je suis moins inquiet que vous sur le calendrier du Scaf. Nous disposons, dans l’attente du Scaf, d’une solution transitoire très ambitieuse : le Rafale standard F5. Un lancement de la phase 2 du Scaf en 2026 ne portera pas préjudice à l’AAE.
Par ailleurs, vous avez parfaitement raison de rappeler la nécessité de préserver nos intérêts nationaux, notamment dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Or cette exigence est pleinement intégrée : dans le cadre de la phase 1B, la France aura consacré plus de 700 millions d’euros à des travaux purement nationaux.
Enfin, l’entrée dans la phase 2, qui sera déterminante, doit dépendre d’engagements de nos partenaires sur la préservation de nos intérêts industriels et de notre liberté d’exportation. Si ces conditions sont réunies, le développement en coopération, qui permet de diviser les coûts par trois, doit être privilégié pour aboutir à un démonstrateur. Avis défavorable
Mme Sabine Thillaye (Dem). Il faut, entre partenaires, faire preuve d’un minimum de respect et de confiance mutuelle. Si chacun passe son temps à se plaindre de l’autre, il est impossible d’aboutir. À trop parler des projets qui patinent, on en oublie ceux qui marchent. J’appelle l’attention sur la coopération entre les motoristes MTU Aero Engines et Safran, qui marche particulièrement bien. Si elle est efficace, c’est parce que les objectifs ont été bien définis au préalable, dès 2018, et la propriété intellectuelle bien délimitée. À condition de dialoguer et de définir clairement les priorités ainsi que la méthode dès le début, les coopérations aboutissent. Si l’on s’inscrit dans un esprit de concurrence de part et d’autre et non de confiance, rien ne peut aboutir.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je remercie M. Cormier-Bouligeon d’avoir signalé l’importance du standard F5 et de la dronisation du Rafale. Nous défendons cette idée depuis de nombreuses années, notamment en rappelant l’importance du programme Neuron. Nous aurions pu voter cet amendement, malheureusement l’alternative au Scaf proposée n’est pas la bonne.
Nous devons avancer et procéder à un saut technologique. Tel est le sens de l’amendement II-DN76, qui vise à remplacer le Scaf par le développement d’un avion spatial qui est à l’étude chez certains de nos industriels et qui permettrait à la France, dans les décennies à venir, d’être à la pointe de la technologie et de maîtriser une technologie de rupture indispensable, à laquelle il faut consacrer autant de ressources que possible.
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Monsieur Giletti, le drone de combat prévu par l’accord germano-britannique récemment signé est à l’Eurofighter ce que le projet de drone issu du programme Neuron serait au Rafale standard F5.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN130 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel vise à alerter la représentation nationale sur le besoin en MCO qui se fera sentir l’an prochain en raison de la cession aux forces armées ukrainiennes de Mirages 2000-5, cession qui provoquera nécessairement un report d’activités sur les avions Rafale et sur les avions Mirage-2000D.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN135 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à augmenter les crédits relatifs aux infrastructures opérationnelles de l’armée de l’air et de l’espace. Ce budget est en diminution dans le projet de loi de finances pour 2025. Pour ne citer qu’elles, les pistes aéronautiques sont pourtant un outil de combat à part entière. Cette baisse de crédits empêchera de parer à la vétusté croissante des infrastructures opérationnelles de l’armée de l’air et de l’espace
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN76 de M. Aurélien Saintoul
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La coopération sur le Scaf est un vrai sujet. Il est impensable que la France se lie les mains dans une telle coopération compte tenu du résultat des autres coopérations avec l’Allemagne, d’autant que le partenaire allemand vient de signer un accord avec le Royaume-Uni pour un projet quasi concurrent du Scaf.
Il est nécessaire de penser dès à présent le saut technologique dont nous avons besoin, non en produisant un F-35 amélioré, comme pourrait l’être le NGF, mais en opérant un saut technologique, notamment en travaillant à l’avion spatial qui, en se déplaçant à haute altitude, serait quasi indétectable et quasi intouchable par les moyens de défense actuels, et pourrait tout à la fois frapper au sol et dans l’espace. Ce modèle d’avion est en développement chez nos industriels. Les Américains et les Chinois y travaillent également. Ne pas investir massivement dans un tel modèle d’avion spatial serait criminel pour notre défense.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. L’avion spatial fait déjà partie des axes d’innovation du ministère au titre des études technico-opérationnelles, comme le prévoit la LPM 2024-2030. Par ailleurs, le programme Scaf poursuit son développement, notamment grâce aux crédits dédiés aux études amont dans le programme 144. Avis défavorable.
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Comme je l’indique dans mon rapport et comme je l’ai expliqué ce matin, le standard F5 et son drone d’accompagnement pourraient faire le lien avec le NGF et avec la rupture technologique évoquée par M. Lachaud, à laquelle nous croyons aussi. Cela démontre que les arguments opposés à mon amendement II-DN37 étaient tout à fait fallacieux. Je regrette une fois encore le sectarisme et l’idéologie dont font preuve nos collègues du groupe La France insoumise.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur Giletti, je ne comprends pas pourquoi vous dites cela. Nous n’avons absolument pas supprimé les crédits alloués au standard F5 du Rafale, bien au contraire. Nous le soutenons depuis longtemps. Nous savons très bien qu’il standard peut être le chaînon manquant qui nous sépare du NGF. Nous ne voyons pas l’intérêt de plaider en faveur d’un Scaf français alors même que nous disposons du Rafale standard F5, dont le budget est indispensable pour avancer vers la rupture technologique de l’avion spatial. Il ne s’agit pas de sectarisme, mais de logique.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN131 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. J’ai eu ce matin l’occasion de regretter l’abandon, dans la LPM 2024 – 2030, du lancement du satellite Syracuse 4C, qui figurait dans la précédente LPM. Cela crée un trou capacitaire dans nos télécommunications spatiales. Le présent amendement vise à rétablir les crédits pour le lancement du troisième satellite Syracuse 4C, qui pourrait être aussi une bouée de sauvetage pour les entreprises du spatial français – Thales Alenia Space et Airbus Space and Defense –, qui connaissent des difficultés.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Tel Henri Salvador, M. Giletti aimerait tant voir Syracuse ! L’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, le général Mille, a dit devant cette commission : « Nous avons, à une époque, imaginé d’énormes satellites en orbite géostationnaire. Mais les constellations qui évoluent en orbite basse ont aussi des avantages. Les deux sont complémentaires pour assurer l’efficacité et la redondance dont les armées ont besoin. Mettre tous nos objets sur l’orbite géostationnaire serait à mon sens dangereux. »
Par ailleurs, la LPM 2024 – 2030 prévoit le lancement de Syracuse V, ce qui assure la continuité sur ce segment. Enfin, comme vous le rappelez vous-même dans votre exposé sommaire, le montant exigé par le lancement d’un troisième satellite est significatif. Si nous avons 800 millions à allouer, il y a d’autres priorités pour s’adapter à l’évolution de la menace. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN136 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Loin de moi l’idée d’opposer les capacités satellitaires en orbite basse et en orbite haute, dont j’ai rappelé ce matin qu’elles sont complémentaires. Le lancement du Syracuse 4C aurait permis de surveiller la zone indopacifique, qui n’est pas couverte par nos satellites souverains de télécommunications spatiales. Le présent amendement vise à rappeler la nécessité de lancer au plus vite les premières études relatives à Syracuse V, certes prévu par la LPM 2024 – 2030, mais dont nous n’avons pas le calendrier.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN79 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous avons mis en garde, lors de l’examen de la LPM 2024 – 2030, contre l’erreur qu’est la suppression du Syracuse 4C au profit d’une hypothétique constellation européenne Iris2, qui soulève une question de souveraineté, un projet européen ne pouvant garantir la souveraineté française. Nous constatons à présent que le projet Iris2 est à la peine, en raison de la crise du secteur des satellites en Europe et de la façon dont la Commission européenne gère les programmes spatiaux. Le risque de trou capacitaire est réel. Il n’est pas envisageable que les armées françaises ne bénéficient plus de moyens de communication clairement sécurisés.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN28 de M. Julien Limongi
M. Julien Limongi (RN). Le rapport annexé de la LPM 2024 – 2030 recense les ruptures capacitaires potentielles – elles sont nombreuses – susceptible de provoquer un trou capacitaire pour de nombreuses technologies. Tel est le cas s’agissant des satellites. Le présent amendement porte sur les satellites en général, en orbite haute et en orbite basse. Il vise à renforcer les moyens alloués à leur développement technologique.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous avons abordé la question en évoquant le satellite Syracuse V. Par ailleurs, nous sommes favorables à la constellation Iris2. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN12 de Mme Florence Goulet
Mme Florence Goulet (RN). Les tensions internationales s’étendent. L’espace est devenu un champ de confrontation. Sa militarisation s’intensifie. Nos infrastructures spatiales, peu visibles, sont indispensables à la défense nationale, aux communications et à l’économie. Elles sont directement menacées par des satellites espions ou armés.
La France a pris des initiatives en la matière. Toutefois, les moyens actuels sont insuffisants pour garantir la mise en œuvre rapide et efficace des programmes. L’amendement prévoit d’accroître les financements pour assurer une protection optimale de nos infrastructures spatiales et préserver notre souveraineté dans ce nouvel espace de confrontation.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.
Amendements II-DN134, II-DN139, II-DN133 et II-DN137 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’amendement II-DN134 alloue des moyens supplémentaires à l’acquisition d’un radar de veille spatiale Graves. Les capacités spatiales sont indispensables à la compréhension des situations. Il s’agit de moderniser notre système de détection de l’espace.
L’amendement II-DN139 vise à augmenter les moyens alloués à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) pour accélérer le développement du radar Graves et permettre à la France de maintenir son rang parmi les puissances mondiales.
L’amendement II-DN133 vise à faire respecter l’effectif théorique initial du commandement de l’espace (CDE), installé à Toulouse. Le respect de la stratégie spatiale de défense (SSD) se joue aussi à hauteur d’homme. Le CDE emploie actuellement 320 militaires, dont environ 85 % appartiennent à l’AAE. Un effectif de 470 personnes est prévu à l’horizon 2030, alors qu’il était initialement prévu un effectif de 500 militaires dès 2025.
L’amendement II-DN137 porte sur le drone volant à moyenne altitude et longue endurance (MALE) européen. J’ai interrogé ici même le ministre Sébastien Lecornu sur les atermoiements de ce programme. Il a reconnu l’existence de retards et indiqué qu’il faudra s’interroger sur la pertinence d’un drone MALE européen en 2032. Cet amendement d’appel met en lumière un drone auquel il faut donner sa chance, l’Aarok, mis au point par Turgis & Gaillard. Il peut être un très bon complément à l’hypothétique drone MALE européen.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La demande formulée par l’amendement II-DN134 nous semble prématurée. Le radar Graves-NG, qui succédera au radar Graves, est en développement. Attendons son aboutissement avant de commander un second radar Graves. Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement II-DN137, il va de soi que nous devons être attentifs au segment des drones. Mini-drones, munitions teléopérées, drones tactiques, drones aériens de la Marine, drones MALE : nous devons faire porter l’effort sur tout le spectre. S’agissant plus du drone Aarok, le ministre des armées lui-même a jugé le projet intéressant. Le « patch drones et robots » de la LPM 2024 – 2030, doté de 5 milliards d’euros de besoins programmés, permet d’intégrer ce type d’objet dans la programmation.
S’il n’y a pas de crédits dédiés à ce drone dans le projet de loi de finances pour 2025, ce n’est pas par manque d’intérêt, mais parce qu’il est trop tôt. Ce drone a commencé ses essais au sol en avril 2024. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Avis défavorable sur le 137.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. L’Onera bénéficie de subventions à hauteur de 129 millions d’euros pour charge de service public et pour charge d’investissement. Par ailleurs, en tant qu’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), il bénéficie d’un soutien important par le biais de marchés avec le ministère des Armées et des Anciens combattants. En tant qu’établissement dont les activités sont duales, il bénéficie également des marchés du domaine civil. Je doute donc qu’une hausse de ses crédits de 1 million ait un impact significatif, sinon sur les crédits du programme 146 que l’amendement prévoit d’amputer. Avis défavorable.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous examinons de multiples amendements d’appel à 1 euro. Les amendements d’appel devraient être réservés à l’examen du budget en séance publique, où le ministre est présent et peut répondre. Demande de retrait ou avis défavorable sur l’amendement II-DN133.
La commission rejette successivement les amendements II-DN134, II-DN139 et II-DN133.
Elle adopte l’amendement II-DN137.
Amendement II-DN47 de Mme Caroline Colombier
Mme Caroline Colombier (RN). Il vise à l’acquisition d’une solution souveraine en matière de drones. Le drone Aarok a été félicité par le CEMAAE, qui est favorable à son expérimentation. Il s’agit de doter nos forces armées d’un outil souverain de surveillance et de renseignement.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Je fais observer que cet amendement prévoit un budget de 40 millions.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN61 de M. Christophe Marion
M. Christophe Marion (EPR). Cet amendement, que je retire, ne prévoit pas 40 millions pour acquérir un drone qui n’existe pas encore, mais 10 millions pour le finaliser.
L’amendement est retiré.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte l’amendement II-DN23 de M. Alexandre Dufosset.
Amendement II-DN108 de M. Frédéric Boccaletti
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. S’agissant d’un amendement d’appel, j’invite son auteur à le déposer en séance publique, le Gouvernement n’étant pas représenté en commission. Sur le fond, il est redondant avec l’amendement II-DN147, que j’ai déposé en tant que rapporteur pour avis du programme Soutien et logistique interarmées, visant à abonder les crédits du service de santé des armées (SSA) et que j’invite la commission à adopter. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN78 de M. Aurélien Saintoul
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit de mettre en lumière les lacunes budgétaires de la pharmacie centrale des armées (PCA) et les actions de recherche du SSA, malmenés par des années de politique d’austérité. Il s’inscrit dans la continuité des observations de mon rapport pour avis. Une action ambitieuse est nécessaire pour renforcer le SSA et sa capacité de répondre à des engagements de haute intensité et de longue durée. Avis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle adopte l’amendement II-DN6 de M. Frank Giletti.
Amendement II-DN5 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. La SSD a un sens si nous sommes en mesure d’agir dans l’espace, ce qui constitue une véritable rupture. Compte tenu des retards du programme d’yeux en orbite pour un démonstrateur agile (Yoda), confirmés par le projet annuel de performances (PAP), l’amendement vise à obtenir un calendrier de sa mise en œuvre.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Notre collègue n’a pas défendu le bon amendement. S’agissant de l’amendement II-DN5, j’en suggère le retrait au profit de l’amendement II-DN147, que j’ai déposé en tant que rapporteur pour avis et que je vous invite à adopter, et émets à défaut un avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN26 de M. Alexandre Dufosset
Mme Nadine Lechon (RN). Il vise à augmenter les effectifs du SSA. En l’état actuel de ce dernier, notre pays, comme l’indiquent les rapports publiés par la Cour des comptes en juin 2023 et par le Sénat en septembre 2023, notre pays ne pourrait soigner de façon adéquate les blessés d’un conflit de haute intensité. Il convient d’accélérer et de faciliter le recrutement de personnel, notamment par des mesures d’incitation de nature financière telle que des primes, des prêts d’acquisition immobilière et des aides à la mobilité familiale.
Le présent amendement prévoit d’abonder de 10 millions en AE et en CP les crédits du titre II (T2) de la sous-action 58.06 Fonction santé de l’action 58 Logistique et soutien interarmées – Personnel travaillant pour le programme Préparation et emploi des forces du programme 212 Soutien de la politique de défense. Afin de respecter l’impératif de recevabilité financière, il prévoit de minorer du même montant les crédits en AE et en CP de l’action 8 Relations internationales et diplomatie de défense du programme 144.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les ressources humaines du SSA sont un véritable sujet. Le SSA a énormément de difficultés à recruter et à fidéliser. Malheureusement, j’émets un avis défavorable. Un abondement immédiat de 10 millions ne me semble pas résoudre le problème.
Il faut une dizaine d’années pour former des médecins. Augmenter les crédits du T2 de 10 millions n’est pas forcément la meilleure des solutions. Il faut les augmenter dans la durée et accompagner cette augmentation par celle des budgets alloués à l’entretien des infrastructures et aux capacités de formation, compte tenu de la longueur des parcours d’études. Il est indispensable de travailler sur le capacitaire. Je vous invite à voter l’amendement II-DN147, qui vise à améliorer les capacités du SSA.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN147 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à abonder les crédits dédiés au SSA afin de soutenir le renforcement de ses capacités de rôle 2 et 3 – chirurgie initiale et de sauvetage ; traitement hospitalier sur le théâtre – pour préparer les opérations des conflits de haute intensité.
L’amendement vise aussi à répondre au Retex de l’opération de secours aux populations civiles victimes des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza. Cette mission a démontré la complexité, pour le SSA, qu’induit le traitement de nombreuses victimes de combats de haute intensité.
Nous proposons de renforcer les moyens du SSA, à hauteur de 20 millions, afin de soutenir une démarche d’acquisition des matériels nécessaires à la mise en œuvre de capacités de soutien médical de rôle 2 et 3 pour des engagements de haute intensité et de longue durée.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN43 de Mme Caroline Colombier
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les bras m’en tombent. Vous votez contre un amendement à 20 millions mais vous défendez un amendement à 18 millions. J’avoue ne pas comprendre. Un crédit de 18 millions est insuffisant pour atteindre l’objectif fixé par l’amendement. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN141 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à rappeler au Gouvernement la nécessité de renforcer les moyens civils relatifs aux évacuations sanitaires (Evasan) dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) afin de limiter la pression induite par les Evasan sur les personnels, matériels et vecteurs des forces de souveraineté. Dans les collectivités d’outre-mer, les autorités civiles doivent se réapproprier pleinement la compétence Evasan, qui leur revient en droit, afin d’obérer le moins possible les capacités opérationnelles des armées.
Votre rapporteur a constaté en Polynésie française que les réquisitions et les demandes de concours fréquentes des forces de souveraineté dans le cadre des Evasan peuvent entraîner une sursollicitation des forces, des soutiens et des matériels. Si le rythme anormalement élevé des Evasan réalisé par les forces armées dans le Pacifique en lieu et place des autorités civiles a légèrement diminué depuis la crise de la covid-19, il se maintenait à un niveau supérieur à celui d’avant-covid lors de mon déplacement, en juin 2023.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN29 de M. Julien Limongi
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le « patch munitions » de la LPM 2024 – 2030 est doté de 16 milliards. L’effort est réel.
S’agissant de cet amendement relatif à la filière des munitions de petit calibre, je rappelle que nous développons un partenariat avec nos amis belges. Les ministres ont signé une lettre d’intention. Les discussions sont en cours avec l’industriel FN Herstal. Cette collaboration répondra à votre légitime préoccupation. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle adopte l’amendement II-DN15 de Mme Florence Goulet.
Amendements II-DN54, II-DN56, II-DN59 et II-DN58 de M. Thierry Tesson
M. Thierry Tesson (RN). Il s’agit d’alerter sur la nécessaire montée en puissance des réserves de missiles air-air. La LPM 2024-2030 prévoit le renouvellement du missile d’interception, de combat et d’autodéfense (Mica) par le Mica NG. D’après le PAP 2024, un premier lot devrait être livré à l’AAE d’ici 2026 et aucune nouvelle commande n’est prévue avant. Les stocks sont insuffisants. En cas d’engagement aérien majeur, nos forces aériennes seraient rapidement à court de munitions, donc en difficulté pour mener à bien leur mission. Afin de permettre à l’AAE et à notre aéronautique navale d’être en mesure de continuer à jouer leur rôle de protection du territoire et de respect des engagements pris auprès de nos alliés, des commandes sont nécessaires.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il importe de remettre à niveau nos stocks de missiles, qu’il s’agisse des Mica, des Aster, des systèmes de croisière conventionnels autonomes à longue portée (Scalp) ou des autres. Des crédits de 16 milliards y sont consacrés sur la période 2024-2030, dont près de 2 milliards pour l’année 2025. Les missiles Mica ne sont pas oubliés : le projet de loi de finances pour 2025 prévoit près de 150 millions en AE et 200 millions en CP. Un lot de missiles Mica remotorisés sera livré à l’AAE en 2025, avant que ne soit livré le Mica NG. Je profite de l’occasion pour saluer MBDA, ses dirigeants et ses collaborateurs, notamment ceux du site de Bourges. Avis défavorable.
La commission adopte successivement les amendements.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle adopte l’amendement II-DN44 de M. Emeric Salmon.
Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle adopte successivement les amendements II-DN101 de M. Frédéric Boccaletti et II-DN45 de M. Emeric Salmon.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-DN111 de M. Sébastien Saint-Pasteur.
Amendement II-DN115 de Mme Anna Pic
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Le programme 144 ne comprend que deux services de renseignement, la DGSE et la DRSD. La direction du renseignement militaire (DRM) relève, quant à elle, du programme 178. Par ailleurs, la DGSE et la DRSD sont satisfaites de leurs budgets respectifs, qui sont conformes à la LPM 2024 – 2030. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
L’amendement II-DN67 de M. Aurélien Saintoul est retiré.
Amendement II-DN75 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il vise à financer la recréation d’une filière industrielle de munitions de petit calibre. Son montant – 500 millions – est bien plus élevé que ceux des amendements de nos collègues du Rassemblement national et plus conforme à l’objectif visé. Il s’agit, depuis plusieurs années, d’un marronnier de notre commission. Notre collègue Chassaigne, notamment, a souvent plaidé pour la renationalisation d’une filière de munitions de petit calibre. Donnons-lui acte qu’il avait raison.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Cela sent bon les années 1980 ! Les industriels n’y sont pour rien. Ce qui compte, ce sont les commandes de l’État. Créer un pôle public de l’armement ne changera rien à l’affaire. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN77 de M. Aurélien Saintoul
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il vise à la nationalisation d’Atos. Depuis des mois, on nous explique qu’Atos doit être sauvée, mais le projet de sauvetage est pour le moins nébuleux. Nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes.
On nous explique que, pour reprendre une entreprise dont le passif est de 5 milliards, il faut débourser 700 millions pour acquérir des activités dites stratégiques mais très mal définies – lesquelles ne le sont pas ? Or un rapide calcul basé sur la valeur des actions donne le chiffre de 70 millions. Ce montant est plus cohérent que celui de 700 millions, s’agissant d’une entreprise plombée par une dette de 5 milliards. Je ne vois aucune raison de faire un cadeau particulier aux actionnaires. L’État a absolument besoin de nationaliser Atos. Le montant de 70 millions est tout à fait raisonnable pour une entreprise de souveraineté dont il faut absolument préserver les compétences sans se plomber en rachetant pour 5 milliards de dette.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Des années 1980, nous passons à 1917 ! C’est retour vers le futur ! Vous décidez de rayer d’un trait de plume une dette pourtant bien réelle de 5 milliards. Avis défavorable.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Je soutiens l’amendement, qui me semble répondre à des besoins de souveraineté. La nécessité de conserver un outil de production et de souveraineté en matière de données et de supercalculateurs n’a pas de date. 1917 ou une autre, peu importe ! Nous avons besoin d’Atos, qui est exposé au risque d’une vente à la découpe, non selon la valeur stratégique des activités, mais selon leur rentabilité. Nous ne pouvons pas nous permettre qu’une part d’Atos soit vendue au motif qu’elle est rentable et de laisser le reste se dévitaliser.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je n’ai pas voulu dramatiser l’enjeu, croyant que nous sommes tous sensibles à la gravité du sujet. La désinvolture du rapporteur pour avis me laisse pantois. Il ne s’agit pas de faire une petite blague et de se demander s’il s’agit d’une solution datant de 1917. Il s’agit de répondre à un enjeu parfaitement contemporain lié à la mondialisation, notamment à la mondialisation financière.
S’il vous semble pertinent de laisser vendre à la découpe une entreprise qui développe une filiale telle que Worldgrid, qui développe des systèmes de contrôle-commande pour centrales nucléaires, et si vous vous sentez à l’aise avec une telle perte de souveraineté dans ce domaine, alors même qu’il s’agit d’une entreprise de rentes garantissant la survivabilité financière d’Atos, vous avez le droit de penser que je suis ringard. Je n’en pense pas moins que vendre Worldgrid n’est pas une bonne idée.
Si vous pensez que nous pouvons nous passer d’un champion national en matière de supercalculateurs et d’intelligence artificielle, c’est votre droit. Je crois, moi, à l’avenir d’un champion intégré. Racheter une entreprise ayant 5 milliards de dettes ne signifie pas les effacer d’un trait de plume, mais se donner les moyens d’un projet industriel sérieux et crédible à l’avenir, et non de se contenter de la vendre à la découpe en s’obligeant à l’avenir à conclure des contrats exclusivement avec HP.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN151 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement de sincérisation du budget porte sur un sujet que j’ai longuement abordé ce matin. Dès lors que le Gouvernement décide de créer la catégorie de Missops, de leur allouer un budget important – plusieurs centaines de millions chaque année – et de le prélever sur divers BOP des armées sans assurer la traçabilité et la visibilité de son coût réel pour le ministère, donc de ce qui doit être déduit de la planification de la LPM 2024 – 2030, il nous semble important à tout le moins de sincériser ce budget en créant une ligne budgétaire où inscrire les surcoûts des Missops.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Je souscris à ce constat. Il faut clarifier le statut des Missops, dont relèvent les opérations Aigle et Lynx, et mieux identifier les surcoûts associés, dont l’impact budgétaire pour l’armée de Terre est significatif. Avis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN51 de M. Daniel Grenon
M. Daniel Grenon (NI). Plusieurs experts alertent sur l’insuffisance de la provision de 800 millions destinée à financer les coûts assumés par les armées dans le cadre des Opex. Ces opérations, notamment les déploiements en Estonie dans le cadre de la mission Lynx et en Roumanie dans le cadre de la mission Aigle, en coopération avec les autres puissances de l’Otan, représentent un coût financier sous-estimé. Le seul coût de cette dernière a été estimé à 700 millions en 2022 par le Sénat, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Compte tenu de l’insuffisance des provisions, le présent amendement d’appel vise à interroger le Gouvernement sur le manque de moyens alloués à l’armée pour les Opex.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement vise à abonder la provision des Opex-Missint afin de faire face au surcoût éventuel des missions menées sur le flanc est de l’Europe. Or ces opérations ne relèvent pas des Opex aux yeux du Gouvernement, qui les qualifie de Missops, ce qui est l’un des aspects du problème.
Ce faisant, l’amendement ajoute de la confusion à une situation déjà illisible, d’autant que son montant est sous-dimensionné par rapport au montant effectif des surcoûts des Missops. Surtout, il ne résout pas le problème majeur du traitement des Missops et des Opex : le refus répété du Gouvernement de se soumettre à l’obligation découlant de l’article 35 de la Constitution qui prévoit l’autorisation des interventions des forces armées à l’étranger par le Parlement et son information à leur sujet. Je regrette que vous n’ayez pas voté l’amendement II-DN151, qui permettait de régler la question que vous soulevez. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN146 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à abonder les crédits dédiés au financement des opérations prioritaires et rapidement envisageables par le service d’infrastructure de la défense (SID) afin d’améliorer les conditions de vie et de travail de nos forces armées. En 2022, le lancement de l’opération « Poignées de porte », dotée de 40 millions, avait permis de cibler la réalisation de 1 200 opérations de moyenne ou de faible envergure pré-identifiées, permettant de résoudre concrètement des irritants chroniques des militaires.
Les auditions de votre rapporteur pour avis portant sur les soutiens et sur la logistique interarmées révèlent des besoins persistants. Je suggère donc un abondement des crédits dédiés à la politique immobilière afin de relancer l’ambition issue de la première opération « Poignées de porte » et contribuer à l’amélioration de la condition militaire.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN33 de Mme Michèle Martinez
Mme Michèle Martinez (RN). Il vise à appeler l’attention sur la situation tendue rencontrée par les militaires, les civils de la défense et leurs familles pour se loger. Le logement joue un rôle indéniable pour attirer et retenir les effectifs. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit des moyens certes en hausse, mais loin d’être suffisants, tant nous partons de loin en matière de logement. Pour construire plus et plus vite, j’espère obtenir un avis favorable.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement prévoit un abondement de 30 millions pour la politique de logement du ministère des Armées. Il est évident qu’il faut traiter la situation du logement au sein de ce ministère. C’est une question de justice.
Toutefois, les travaux de votre rapporteur pour avis ont permis de mettre en lumière les capacités contraintes du SID, qui a des problèmes de recrutement majeurs. Il ne paraît pas envisageable que ce service puisse absorber la maîtrise d’ouvrage équivalente à un abondement de 30 millions sur une seule année. J’invite plutôt à ouvrir une réflexion sur la transformation à long terme des capacités du SID, qui me paraît préférable, couplée à une juste augmentation des crédits dont il a la responsabilité. Je défendrai l’amendement II-DN148 à cet effet et invite la commission à l’adopter.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-46 de M. Emeric Salmon
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Compte tenu des besoins identifiés par mon travail, il me semble que l’amendement II-DN68 de M. Bex est mieux dimensionné par rapport aux besoins. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN68 de M. Christophe Bex
M. Christophe Bex (LFI-NFP). En vue de la revalorisation du patrimoine, nous proposons un redéploiement de crédits réaliste et réalisable de 8 millions.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Quitte à voter des crédits que le SID risque de ne pas pouvoir dépenser, je suis favorable au vote de crédits supplémentaires de 8 millions, en espérant que le SID me donne tort et parvienne à les dépenser.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-DN148 et II-DN153 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le II-DN148 est un amendement d’appel portant sur la politique du logement mise en œuvre par la direction des territoires, de l’immobilier et de l’environnement (DTIE).
Les dispositions appliquées pour le paiement des charges du logement prévoient une retenue pour le logement et l’ameublement, dont le taux correspond à 10 % de la rémunération des militaires soumise à retenue pour pension. Le taux de la retenue pour un fonctionnaire civil du ministère des Armées muté dans un territoire d’outre-mer est fixé à 15 % du salaire soumis à retenue. L’amendement vise à aligner le taux de la retenue pour charge de logement des personnels civils du ministère des Armées dans les outre-mer sur le taux de retenue appliquée au personnel militaire.
L’amendement II-DN153 traite du logement des militaires affectés à l’étranger. J’ai évoqué ce matin les problèmes qu’ils rencontrent. L’indemnité de résidence à l’étranger (IRE) est nettement insuffisante pour répondre aux besoins de nos militaires dans de très nombreux pays. En Corée du Sud par exemple, un militaire louant un appartement doit d’abord verser de 50 % à 90 % de la valeur du bien, ce qui est impossible, notamment pour les sous-officiers. Il est donc indispensable de revoir la politique du logement pour nos militaires affectés à l’étranger.
La commission adopte successivement les amendements.
Amendement II-DN60 de M. Thierry Tesson
M. Thierry Tesson (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur la nécessaire rénovation des infrastructures sportives du ministère des Armées, dont j’ai pris la mesure lors d’un déplacement dans le régiment cantonné à Douai, ville qui m’est chère. L’absence d’un plan de rénovation de ces infrastructures pose problème s’agissant de la préparation des soldats et de leurs conditions de vie, lesquelles jouent un rôle majeur pour fidéliser nos troupes. L’amendement prévoit d’accorder un budget à la rénovation des infrastructures sportives du ministère.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit certes d’un amendement d’appel, compte tenu de l’insuffisance du budget de 1 million proposé. Je vous invite à le retirer et à le défendre en séance publique pour que le ministre puisse vous répondre et émets à défaut un avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN71 de M. Abdelkader Lahmar
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il s’agit d’un amendement qui nous tient particulièrement à cœur et que notre groupe défend depuis plusieurs années. Notre collègue Lachaud a été rapporteur de la mission d’information sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées. Quelques années après la publication de son rapport, le « Me too » des armées a confirmé la nécessité, pour les militaires, de disposer d’un recours au sein de l’Assemblée nationale pour faire valoir leurs droits.
Le présent amendement vise à financer la création d’un comité parlementaire chargé suivi du respect des droits des militaires. On objectera qu’une telle instance ferait doublon celles qui sont chargées de la condition des personnels. En réalité, elle offrirait aux militaires une possibilité supplémentaire de faire valoir leurs droits dans des situations à laquelle ils ne voient pas toujours d’issue. Au demeurant, l’usage démontre que les militaires écrivent régulièrement à des parlementaires faute de trouver une issue. Il s’agit de garantir le respect des droits des militaires.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Avis favorable. J’ai formulé une telle préconisation dans mon rapport de 2019.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN145 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à renforcer l’engagement du ministère des Armées en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap en l’inscrivant dans une politique plus large de diversité sociale et de lutte contre toutes les formes d’inégalités. Le ministère des Armées est le deuxième employeur public en France. Il a donc une capacité d’entraînement et une responsabilité l’obligeant à l’exemplarité dans la promotion de l’inclusion professionnelle et dans la lutte contre les discriminations. Pourtant, le taux d’emploi des personnes handicapées dans l’armée est encore trop bas par rapport à la moyenne nationale. L’objectif annoncé lors du lancement du plan « handicap » d’un taux de 6 % de personnels en situation de handicap en 2024 n’a pas été atteint. C’est pourquoi je propose une augmentation significative du budget dédié.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN149 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’inscrit dans le cadre du « Me too » des armées et de la publication de mon rapport d’information en 2019. Les chiffres sont terrifiants. La mission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes (VSS) donne des chiffres terrifiants de dizaines de viols, de centaines d’agressions sexuelles et surtout d’un tiers des femmes militaires victimes de VSS. Il est donc urgent de réagir. Le ministre a commis deux circulaires. Toutefois, les effectifs de la cellule Thémis sont encore trop faibles pour répondre à l’afflux des demandes pour entendre la parole des victimes qui se libère. C’est pourquoi je propose d’en augmenter leur budget pour permettre de procéder à des recrutements.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN144 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La rémunération indiciaire des sous-officiers supérieurs devait augmenter au 1er octobre. Tel n’a pas été le cas. Le ministère annonce une augmentation au 1er décembre. Cela représente deux mois de solde augmentée perdus pour les militaires. Il importe, pour fidéliser nos armées, que les militaires aient confiance dans l’engagement et dans la parole donnée par le ministre. C’est pourquoi je propose d’augmenter la ligne budgétaire afférente, afin de compenser ces deux mois et de faire en sorte que la hausse de la revalorisation indiciaire soit datée du 1er octobre et non du 1er décembre.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN38 de M. Julien Limongi
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le problème que me pose cet amendement est qu’il propose une revalorisation limitée aux seuls officiers et sous-officiers de l’armée de Terre. Il ne me semble en aucun cas justifié d’exclure de mesures de revalorisation les personnels de l’armée de l’AAE, de la Marine et des services interarmées. Les efforts doivent concerner les forces dans leur ensemble, qui concourent toutes à l’exercice des missions des armées et partagent les mêmes défis de fidélisation et d’attractivité. Je suggère le retrait de l’amendement en vue de le rédiger autrement et le présenter en séance publique, et émets à défaut un avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement II-DN150 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les militaires affectés à l’étranger bénéficient d’une prime, l’IRE. Leurs grades correspondent à des catégories de fonctionnaires civils. Les sous-officiers sont traités au niveau de leur prime comme des fonctionnaires de catégorie C. Or les postes qu’ils occupent justifient leur rattachement à la catégorie B.
Il s’agit d’une perte de revenu chiffrée à 1,9 million pour les sous-officiers affectés à l’étranger. Il en résulte des difficultés pour se loger, mais aussi des failles de sécurité. J’ai évoqué ce matin le cas d’un sous-officier obligé de faire du baby-sitting le soir pour financer son logement, ce qui est scandaleux. Un militaire qui n’a pas les moyens de survivre est une proie facile pour les services de renseignement étrangers. Je propose d’abonder de 1,9 million la ligne de crédits afférente.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN152 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une autre bizarrerie de la situation des militaires français à l’étranger. Les militaires dont le conjoint ne travaille pas perçoivent le supplément familial de solde à l’étranger (SUFE), dont la particularité est d’être versé même si le conjoint travaille pour une rémunération inférieure à un certain montant.
Le SUFE est calculé sur la base de l’indice brut majoré 300, qui a été retenu à une période où l’indice minimum de la fonction publique était 262. Autrement dit, un conjoint de militaire travaillant à l’étranger au niveau du Smic ferait perdre à son conjoint le bénéfice du SUFE. Ne pas en revoir l’indice prive des dizaines de militaires d’un revenu complémentaire indispensable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN143 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je l’ai déposé l’an dernier, mais il n’a pas été examiné en séance publique, le 49-3 ayant coupé court à nos débats. Il vise à améliorer le statut des personnels civils de recrutement local de Polynésie, dont le statut très particulier est une manière, pour l’État français, de reconnaître sa dette due aux essais nucléaires dans le Pacifique. Ce statut, certes protecteur, fige certains personnels dans un même poste ou dans une même catégorie. L’idée est d’y inclure des postes de catégorie A. Il s’agit d’une mesure de justice sociale à destination des personnels civils de recrutement local de Polynésie.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN36 de M. Thierry Tesson
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Dans le domaine spatial, le budget des études amont prévoit 70 millions d’euros en AE et en CP. Celui alloué à la dissuasion est d’environ 202 millions d’euros. Le montant de 1 million d’euros est en quelque sorte un montant d’appel. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN57 de M. Thierry Tesson
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. La direction générale de l’armement (DGA) a notifié le 5 mars 2024 des accords-cadres auprès de cinq sociétés en vue d’identifier les solutions permettant le développement d’ordinateurs quantiques universels. Cela représente un investissement de 500 millions dans le cadre de France 2030. Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN24 de M. Alexandre Dufosset
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le montant de 10 millions est cosmétique par rapport aux montants d’ores et déjà engagés dans le domaine du quantique. Outre le programme PROQCIMA, le ministère participe au programme ADEQUADE, financé par le Fonds européen de la défense (FEDef) et coordonné par Thales. Par ailleurs, la gravimétrie quantique est d’ores et déjà une réalité grâce au programme de capacité hydro-océanographique future (CHOF). Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN39 de M. Laurent Jacobelli
M. Laurent Jacobelli (RN). Il offre l’occasion de régler deux problèmes. Le premier problème s’appelle l’Agence européenne de défense (AED), qui est clairement un organisme qui ne sert pas à grand-chose et bat en brèche la souveraineté des États en matière de défense, qui est pourtant la seule concevable. Nous proposons de prendre l’argent de ce budget – 8,7 millions – pour régler un second problème, celui du MCO, souvent décrit comme un problème ou un point de vigilance par les rapporteurs pour avis. Retrouver notre souveraineté nationale, aider nos armées à s’entraîner et à rester opérationnelles : cet amendement deux-en-un est fort de sens.
Contre l’avis de la rapporteure pour avis Anne Le Hénanff, la commission adopte l’amendement.
Contre l’avis de la rapporteure pour avis Anne Le Hénanff, la commission adopte l’amendement II-DN22 de Mme Florence Goulet.
Amendement II-DN103 de M. Boris Vallaud
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Il vise à accompagner le développement d’une stratégie complémentaire au transfert d’armes en abondant de 200 millions l’aide à l’Ukraine, qui est un engagement que nous soutenons, mais qui ne doit pas peser sur le budget des armées.
Afin de ne pas amputer les budgets sur lesquels l’amendement est gagé, ses auteurs comptent sur l’application de l’article 4 de la LPM 2024 – 2030 prévoyant que l’aide à l’Ukraine ne pèse pas sur le budget des armées.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous partageons l’ambition de Mme Santiago : nous avons soutenu la création du fonds spécial de soutien à l’Ukraine à hauteur de 100 millions en 2022, ainsi que son abondement à hauteur de 200 millions en 2023 puis en 2024. Je crois comprendre que le Gouvernement cherche à modifier son mode de financement, notamment en utilisant les intérêts des actifs russes gelés en Europe. Nous préférons faire payer les milliardaires russes proches de M. Poutine que les contribuables français. Je suis favorable à l’objectif mais émets un avis défavorable à l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN72 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit de faire respecter une promesse ministérielle. L’an dernier, nous avons demandé au ministre d’indiquer dans les bleus budgétaires le montant exact de la contribution française à l’Otan, dans la mesure où elle est amenée à exploser pour atteindre près de 1 milliard à la fin de la décennie. Cette information figure dans les bleus budgétaires, nous a répondu en substance le ministre. Contraint de constater qu’elle n’y figure pas, il nous a concédé le point et s’est engagé à faire en sorte qu’elle y figure.
Non seulement elle n’y figure toujours pas, mais les questions posées en tant que rapporteur pour avis pour obtenir le montant précis du budget alloué à l’Otan sont restées sans réponse. Nous proposons donc de créer une ligne budgétaire Contributions internationales – Otan afin que le Parlement puisse contrôler l’action du Gouvernement et vérifier le montant réel de cette contribution.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN74 de Mme Murielle Lepvraud
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Le projet de loi de finances pour 2024 comporte une stratégie climat-défense visant à adapter nos armées aux bouleversements induits par les changements climatiques. Ce document se contente de mentionner la nécessité d’adapter les capacités politiques et les doctrines, et d’anticiper les exigences et les contraintes normatives. Le changement climatique est de plus en plus structurant pour toutes les activités humaines. Les armées n’y échapperont pas.
Nous nous interrogeons notamment sur la pérennité du moteur thermique alors même que l’Union européenne prévoit d’en interdire la vente à partir de 2035. Une exemption pour les moyens militaires terrestres est imaginable pour des raisons d’efficacité opérationnelle. Toutefois, dès lors que les principaux constructeurs ne produiront plus de véhicules thermiques, aucun n’acceptera de continuer à en produire pour les micro-marchés des besoins militaires. Nous serons obligés d’évoluer. Mieux vaut anticiper que subir. C’est la raison pour laquelle nous proposons la création d’un programme intitulé Préparer l’après-pétrole.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La lutte contre le changement climatique et la transition énergétique des activités humaines constituent un objectif civilisationnel. Les auditions de notre commission ont rappelé combien le changement climatique et la raréfaction des ressources naturelles agissent comme un amplificateur des risques géostratégiques. Le ministère des Armées a enfin pris conscience du problème. Le général Burkhard nous a enfin donné raison. Mme Lepvraud et plusieurs d’entre nous alertent de longue date à ce sujet. Il est nécessaire de tenir compte des enjeux de transformation des forces et des moyens de nos armées dans un monde post-pétrole. Le présent amendement vise à engager cette réflexion. Il est utile et nécessaire. Avis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Après l’article 59 :
Amendement II-DN83 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement ne coûte pas cher. Il invite le Gouvernement à nous remettre un rapport pour avancer dans la connaissance et la compréhension de deux problèmes majeurs. Le premier est la gestion des débris spatiaux dans un contexte d’inflation et de prolifération des capacités orbitales et la réponse à apporter à cette question devenue critique. Le second est la météo spatiale, dont l’importance croît avec le trafic orbital. L’enjeu est d’objectiver l’existant et son devenir à brève échéance pour anticiper les évolutions susceptibles d’affecter le trafic des satellites, notamment des satellites militaires, et d’amorcer une réelle programmation cadre dans le domaine spatial.
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. L’accroissement de la densification spatiale en orbite basse crée de nombreux risques. On estime à près de 40 000 le nombre d’objets de plus de 10 centimètres et à un peu moins d’un million le nombre d’objets de plus d’un centimètre. Sans sectarisme et pour faire avancer la connaissance et le bien de l’humanité, j’émets un avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN132 de M. Frank Giletti, rapporteur pour avis
M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il vise à réaliser notre capacité d’action dans l’espace, qui sera la véritable rupture de la stratégie spatiale de défense.
M. François Cormier-Bouligeon rapporteur pour avis. À l’amendement Yoda défavorable le rapporteur du programme 146 est. Vous avez consacré la partie thématique de votre rapport au domaine spatial. Vous avez donc auditionné toute la filière du spatial militaire. Votre rapport comporte toutes les informations utiles. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN80 de M. Aurélien Saintoul
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il s’agit d’obtenir du Gouvernement un rapport sur sa stratégie de surveillance maritime. Année après année, nous empilons les mesures et créons des programmes dans tous les domaines maritimes possibles. Nous manquons d’une vision d’ensemble de la protection de la souveraineté du territoire maritime. Il est tout à fait illusoire de considérer que la France exerce pleinement sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire maritime. Nous ne pouvons pas nous résoudre à cet abandon. Nous demandons au Gouvernement de détailler une stratégie globale articulant les moyens engagés. Un tel document existe mais ne propose aucune vision ni aucun but clair.
Contre l’avis du rapporteur pour avis Yannick Chenevard, la commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN82 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’obtenir du Gouvernement des éléments précis sur l’impact des reports de commandes sur le coût des programmes et sur la capacité des armées à remplir les contrats opérationnels. La marche affichée de 3,3 milliards est faciale, dès lors qu’elle intègre des dépenses imprévues. Il y a donc report de charges. De même, si le financement interministériel du surcoût du BOP Opex n’est pas activé, cela augmentera encore les reports de charges.
Même si tout se déroule comme prévu d’ici 2030, le mur des AE sera supérieur à 150 milliards d’euros, soit près de trois fois le budget de la Défense. Cela soulève deux questions : le budget est-il soutenable ? Quid de l’enjeu démocratique ? Le prochain Président de la République, qui sera élu au plus tard en 2027, sera pieds et poings liés par des engagements excédant largement la logique de planification. Il est indispensable de faire la clarté sur les surcoûts et sur les reports de charges.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je pourrais me contenter de mentionner les rapports prévus aux articles 9 et 10 de la LPM 2024 – 2030 ainsi que les nombreux rapports de la Cour des comptes. M. Lachaud soulève la question de l’ampleur des AE. Les programmes de défense sont lourds et de longue durée. Nous sommes obligés de recourir aux AE pour les financer, même si elle rigidifie les budgets. Des objets tels que le PANG et le standard F5 du Rafale doivent faire l’objet d’une prévision.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN86 de M. Aurélien Saintoul
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il vise à obtenir du Gouvernement un rapport faisant état du bilan global et des sommes perçues par l’État français au titre des redevances sur les exportations d’armement de la part des industriels et de leurs sous-traitants. Lorsque nous exportons des armements, les entreprises versent une redevance à l’État, qui est la contrepartie des subventions versées et du soutien à l’export.
Sur ce sujet, l’opacité règne depuis de nombreuses années. Le montant de ces redevances n’est pas communiqué à la représentation nationale. Nous ne sommes pas certains que le Gouvernement fasse le nécessaire pour obtenir les montants dus. Il s’agit de faire la lumière sur ce qui a pu se passer au cours des dernières années. Au demeurant, la Cour des comptes a appelé notre attention sur le sujet sans parvenir à donner un chiffre exact.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Sans préjudice du fond, l’indicateur de performance que vous souhaitez créer n’a pas sa place dans le programme 144. Il en existe un permettant de mesurer le délai de traitement des dossiers d’exportation de matériels de guerre mais uniquement du point de vue de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). L’indicateur proposé devrait figurer dans le programme 129 Coordination du travail gouvernemental, qui comprend notamment les crédits du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il ne s’agit pas de créer un indicateur mais d’obtenir un rapport permettant de faire le point sur ce qui a pu se passer au cours des dix dernières années en matière de redevances. Ont-elles été versées ou non ? Pourquoi ? Ces questions sont légitimes. Aucun document ne permet de le savoir, alors même que le doute est fort s’agissant de la possibilité que les entreprises se soient affranchies de cette obligation.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN87 de M. Aurélien Saintoul
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il s’agit d’obtenir un rapport sur l’importation de matériels de guerre et de biens et technologies à double usage, qui serait le pendant du rapport annuel sur les exportations de ces matériels. Il est indispensable que la représentation nationale soit éclairée sur les volumes de biens à double usage et de matériels de guerre que la France importe. Cet exercice de transparence est nécessaire et indispensable pour savoir de qui nous pourrions dépendre dans les prochaines années, notamment en cas de conflit. Chacun connaît les réglementations américaines de contrôle des exportations en matière de défense (ITAR & EAR), qui ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années et nous ont incités à désitariser les matériels de guerre. Cette réflexion devrait être appliquée à tous les États.
M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’annexe 11 du rapport sur les exportations d’armement recense d’ores et déjà les matériels importés en application du traité sur le commerce des armes (TCA), qui prévoit que les États parties sont tenus d’établir un rapport annuel sur leurs exportations et leurs importations d’armement.
La commission rejette l’amendement.
Amendements II-DN118 de Mme Anna Pic et II-DN97 de Mme Isabelle Santiago ensemble
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Le II-DN118 prévoit un rapport sur les modalités de financement des Opex de la France.
Le II-DN97 porte sur le plan « famille 2 ». Un rapport précisant l’état d’avancement de sa mise en œuvre est nécessaire, compte tenu du taux d’inflation, des diverses mobilisations des personnels, des difficultés de réinsertion de certains d’entre eux et des accompagnements mis en œuvre, s’agissant notamment des soins et de la scolarisation des enfants.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement II-DN118 fait clairement écho à l’enjeu de traitement budgétaire et de qualification juridique des engagements à l’étranger des forces armées. J’ai soulevé la question à de très nombreuses reprises. Le refus répété du Gouvernement de se soumettre à l’obligation découlant de l’article 35 de la Constitution d’information et de contrôle du Parlement a abouti à une situation illisible, ubuesque et contraire aux dispositions de la LPM 2024 – 2030.
Ma conviction est qu’il faut considérer toutes les missions opérationnelles à l’étranger comme entrant dans le champ de l’article 35 de la Constitution, dont le respect doit conditionner tout financement interministériel. Le ministre a reconnu un enjeu de lisibilité. Toutefois, il me semble nécessaire d’attendre la réponse à la question juridique avant d’en tirer les enseignements pour le traitement budgétaire. Sagesse.
S’agissant de l’amendement II-DN97, les travaux de votre rapporteur pour avis ont permis d’identifier les retombées du plan « famille », en écho à la mission d’information sur le plan « famille » dont Mme Santiago était co-rapporteur. J’ai aussi analysé les développements en cours du plan « famille 2 », identifié certaines de ses lacunes et rappelé que certaines actions annoncées ou prévues restent à mettre en œuvre.
Cet amendement permettra utilement de renforcer le suivi par le Parlement de ces politiques fondamentales pour l’amélioration de la condition militaire et la réussite des efforts de fidélisation et de s’assurer que les engagements pris dans la LPM 2024 – 2030 sont réellement suivis d’effets concrets. Avis favorable.
La commission adopte successivement les amendements.
Amendement II-DN117 de Mme Anna Pic
Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Nous souhaitons obtenir un rapport sur l’adaptation de la politique de rémunération des militaires évaluant l’action du Gouvernement en faveur d’un meilleur équilibre entre rémunération indiciaire et rémunération indemnitaire, formulant des recommandations, et évaluant leur coût financier et leurs implications budgétaires en vue du prochain projet de loi de finances et des mesures.
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme l’indique mon rapport pour avis, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) n’a pas été à la hauteur des attentes, en raison d’effets négatifs que votre rapporteur pour avis a déjà évoqués à plusieurs reprises, notamment la fiscalisation de l’indemnité de garnison et les conditions de gestion et de versement de l’indemnité de sujétion d’absence opérationnelle (ISAO).
Toutefois, la présente demande de rapport sur les effets de la NPRM et sur les équilibres de la rémunération des militaires ne me paraît pas idéalement positionnée. À court terme, les effets pervers de la NPRM sont déjà bien identifiés et gagneraient à être résolus au plus vite. À moyen terme, la LPM 2024 – 2030 prévoit une clause de revoyure en 2026 et le Parlement sera récipiendaire d’un rapport sur le sujet. Je préconise plutôt une mission d’information dans le courant de l’année 2025 visant à analyser les effets de la fiscalisation. Sagesse.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN122 de M. Frédéric Boccaletti
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’ai déjà eu l’occasion de souligner que la fiscalisation de l’indemnité de garnison soulève une grande difficulté. Elle devrait, à partir de l’exercice fiscal 2025, effacer une partie significative des bénéfices de la NPRM en raison de la hausse consécutive de l’impôt sur le revenu et de la perte de bénéfice des prestations sociales. Ses effets restent toutefois difficiles à chiffrer.
Il me paraît donc plus adapté de prévoir la remise d’un rapport identifiant les effets de la fiscalisation de l’indemnité de garnison plutôt que ceux de sa défiscalisation. En dépit de mes demandes répétées, le ministère a été incapable de chiffrer les effets de la fiscalisation a priori. Nous le ferons a posteriori. Je pense qu’il n’est pas moins incapable, à moins qu’il s’agisse de mauvaise volonté, de nous donner des éléments sur la défiscalisation de l’indemnité de garnison. Soit le ministère n’en a pas les capacités, soit il ment ouvertement à la représentation nationale depuis trois ans. Sagesse.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN107 de M. Sébastien Saint-Pasteur
Mme Isabelle Santiago, rapporteur pour avis. Il vise à obtenir un rapport sur les coûts engendrés par les développements de technologies et les matériels innovants liés aux nouveaux espaces de conflictualité. Ce rapport pourrait différencier les trois espaces que sont le spatial, les fonds marins et le cyber. Ce dernier nécessite le développement de technologies innovantes spécifiques pour que la France assure sa supériorité dans ce domaine, où se mêlent puissances militaires et acteurs majeurs de l’économie. Ce rapport pourrait contribuer à la formulation d’une stratégie opérationnelle pour que la France ait l’ascendant militaire dans le cyberespace et puisse investir les domaines émergents liés à l’intelligence artificielle.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Je souscris à la nécessité de disposer d’informations sur les coûts engendrés par l’émergence de nouveaux espaces de conflictualité. Il y a des informations à ce sujet dans les annexes budgétaires de la mission Défense, certes partielles et parfois peu claires. J’ai indiqué cet axe d’amélioration dans mon rapport pour avis.
Nous disposons toutefois d’éléments dans le rapport transmis aux parlementaires en vertu de l’article 10 de la LPM 2024 – 2030 relatif à son exécution. Je suis favorable à la clarification de la répartition du budget total dédié, au titre de l’innovation de défense ainsi que des programmes d’armement, aux nouveaux espaces de conflictualité et à d’autres domaines transverses tels que l’intelligence artificielle. Je suggère le retrait de l’amendement pour en retravailler la rédaction et le présenter, avec mon soutien, en séance publique.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-DN85 de M. Aurélien Saintoul
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous sommes très préoccupés par le risque de privatisation des fonctions régaliennes liées au ministère de la Défense. C’est pourquoi nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport dressant un bilan de l’éventuel recours aux entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD).
S’agissant des matériels importés, l’annexe 11 du rapport sur les exportations d’armement est tout sauf exhaustive. Elle précise exclusivement les imports de matériel déjà constitués, et absolument rien sur les composants qui nous intéressent.
Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte l’amendement.
Amendement II-DN140 de M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis
M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit d’obtenir un rapport sur la scolarisation des enfants des militaires français à l’étranger, qui bénéficient à cette fin d’une prime, la majoration familiale à l’étranger (MFE). Elle permet de prendre en charge à l’euro près les frais de scolarité dans les établissements français de référence du pays. Malheureusement, elle ne tient compte ni des frais de transport, ni des frais de demi-pension, ni des frais d’uniforme, parfois inabordables avec un traitement de militaire, comme c’est le cas au lycée Rochambeau à Washington.
Un tel rapport permettrait de vérifier qu’il n’y a pas de solution plus efficace que la MFE pour résoudre ce problème, qui se pose particulièrement dans les pays anglo-saxons et scandinaves. Ainsi, les militaires ayant une famille sont de fait exclus des affectations à la délégation française à l’ONU, en raison du coût de la vie sur place.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Cette question a été abordée lors de la présentation du plan « familles » en 2021. Les militaires de pays étrangers, par exemple les Américains en poste à Naples pour l’Otan, perçoivent des primes permettant de financer leur vie de famille. Les nôtres travaillent souvent avec des militaires étrangers. Ce problème dure depuis des années et doit être réglé.
La commission adopte l’amendement.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux explications de vote.
M. Laurent Jacobelli (RN). Nous étions partis pour ne pas voter le budget de la mission Défense. Il intègre désormais d’importantes dispositions proposées par le Rassemblement national, notamment la fin des subventions à l’AED ainsi que la prise en compte de demandes capacitaires, de la santé, du logement et du salaire de nos militaires, de la situation des harkis et de la tension sur le point d’indice de la PMI. Nous y sommes donc favorables.
M. Yannick Chenevard (EPR). Nous étions partis pour voter ce budget. Un rapide calcul indique que nous avons augmenté de 800 millions un budget déjà considérable. Nous ne le voterons pas.
Mme Lise Magnier (HOR). Nous étions partis pour voter les crédits de la mission Défense. Nous avons amputé de 100 millions nos capacités de commandes de matériel, dont nos forces ont besoin. Nous avons amputé de 60 millions le financement de l’opération Sentinelle, au détriment de la sécurité du territoire national. À force de petits bougés, nous sommes parvenus à un budget qui prévoit 800 millions de bougés dans la trajectoire de la LPM 2024 – 2030. Pour nous, c’est inquiétant. Nous avons abondé de 300 millions les crédits du SSA, qui n’aura absolument pas les moyens concrets de les dépenser. La maquette budgétaire a fortement dévié de la trajectoire prévue par la LPM 2024 – 2030. Nous nous abstiendrons sur le vote de ces crédits.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Nous nous abstiendrons sur le vote des crédits, dans l’attente du débat en séance publique. Auparavant, nous souhaitons obtenir des réponses au sujet des mesures budgétaires de l’année 2024 impactant le budget qui nous est proposé. Nous tenons à la sécurisation des budgets de nos armées.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous avons remporté des victoires lors de l’examen de ce budget. Notre propos liminaire était très clair : nous ne ratifions pas l’idée selon laquelle la marche de 3,3 milliards est respectée. Les dépenses imprévues et les dépassements de crédits, dans le cadre des Opex, de l’aide à l’Ukraine, des JOP, de l’intervention en Nouvelle-Calédonie/Kanaky et des MissOps effacent ce montant. Des crédits de 800 millions ne permettent pas de compenser la perte que représentent ces dépenses indues.
Par ailleurs, la trajectoire budgétaire globale présente, à l’horizon 2027 et surtout 2030, un mur de restes à payer. Les gains que nous avons remportés au cours de cet examen ne permettent pas de l’éviter. Nous voterons contre ce budget.
Nous espérons avoir l’occasion de plaider en séance publique en faveur de la nationalisation d’Atos, qui est notre principale victoire mais qui n’est qu’un pas.
M. Michel Gonord (DR). Nous aurions voté le budget, mais déformé par des modifications de 800 millions, nous ne le voterons pas.
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense modifiés.
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Annexe :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur POUR AVIS
M. Philippe Missoffe, délégué général du GICAN, et de M. Jean-Marie Dumon, délégué général adjoint
Vice-amiral Serge Bordarier, commandant de la Force maritime de l’aéronautique navale
Vice-amiral d’escadre Christophe Cluzel, commandant de la Force d’action navale
Contre-amiral Hugues Lainé, commandant des forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis, commandant de la zone maritime océan Indien
Vice-amiral Emmanuel Slaars, sous-chef Opérations à l’état-major de la Marine
Contre-amiral David Desfougères, Sous-chef d’état-major Plans et programmes
Contre-amiral Ludovic Segond, sous-chef d’état-major Soutiens et finances
M. Guillaume Rochard, directeur Stratégie, Partenariats et Fusions-acquisitions de Naval group, et l’amiral (2S) Stanislas Gourlez de la Motte, conseiller du président du groupe
M. Jean-René Gourion, directeur général délégué de MBDA France et de l’amiral (2S) Hervé de Bonnaventure, conseiller du directeur général
Capitaine de vaisseau Jérôme Henry, commandant de la FREMM-DA Alsace