N° 2048

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2025

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2026 (n° 1906)

 

TOME IV

 

 

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

 

PAR Mme Isabelle SANTIAGO

Députée

——

 

 

 

 

_______________________________________________________________________________________________________________Voir le numéro : 1906


 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

Première partie : les crédits proposés pour 2026

I. Une armée de Terre mobilisée en 2025 et qui progresse sur les volets capacitaires et humains

A. Un engagement opérationnel soutenu sur le territoire national et sur le flanc est

1. L’armée de Terre demeure pleinement mobilisée en métropole et en outre-mer dans le contexte d’une refonte du dispositif Sentinelle

a. Un volume d’engagement toujours soutenu sur le territoire national

b. Une évolution en profondeur de l’opération Sentinelle

c. Une mobilisation en outre-mer accrue en 2025

2. Un engagement poursuivi sur le flanc est de l’Europe et la reconfiguration du dispositif en Afrique

a. Les missions opérationnelles sur le flanc est de l’Europe se poursuivent

b. La transformation de la présence française en Afrique est achevée

3. Le soutien à l’Ukraine continue à travers la formation de soldats et la cession d’équipements

B. L’atteinte des cibles de recrutement par des actions de fidélisation et la montée en puissance de la réserve

1. Les cibles de recrutement ont été atteintes malgré des difficultés sur certains métiers en tension

a. Un schéma d’emploi respecté en 2025

b. Des difficultés de recrutement persistent dans certains métiers en tension

2. La fidélisation est en nette amélioration grâce à des actions diversifiées, notamment en matière de rémunération et de soutien aux familles

a. L’amélioration continue de la fidélisation

b. La poursuite de la réforme du système de rémunération

c. L’amélioration des conditions de vie de militaires et de leur famille

d. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles

e. Des progrès dans la mixité

3. Le doublement des effectifs de la réserve s’accompagne d’une meilleure intégration à l’active, s’inscrivant dans une dynamique globale d’ouverture vers la jeunesse

4. La transformation vers une armée de Terre « au combat » a été poursuivie

C. les livraisons capacitaires se poursuivent même si des lacunes persistent

1. Les commandes et les livraisons du programme SCORPION en 2026 seront soutenues par la hausse des crédits

2. Le niveau de préparation opérationnelle est en amélioration

3. Le maintien en condition opérationnelle est l’objet d’investissements significatifs dans le PLF 2026

4. Des lacunes capacitaires demeurent s’agissant de la frappe dans la profondeur, des moyens de mobilité et de génie et des stocks de munitions

a. Le renouvellement indispensable du lance-roquette unitaire

b. Des programmes majeurs à concrétiser en matière de mobilité et de génie

c. La reconstitution des stocks de munitions est primordiale

II. Des crédits pour 2026 en hausse au bénéfice de l’entretien du matériel et de l’opérationnalisation des forces

A. Des crédits en hausse de 14,5 % pour améliorer l’entretien et les livraisons des véhicules et soutenir l’opérationnalisation des forces terrestres

1. Les crédits pour 2026 témoignent d’un effort marqué au bénéfice de l’armée de Terre

2. Présentation des crédits par nature et opération stratégique

a. Les crédits ventilés par titre : une hausse des ressources de 4 %

b. Les crédits ventilés par opération stratégique (OS) : une hausse des crédits de paiements de 14 %

B. Des points de vigilance pour 2026 portent sur le montant des reports de charges, le remboursement des surcoûts opérationnels et des décisions à prendre sur le segment lourd

1. Le niveau des reports de charge et de restes à payer est préoccupant

2. Le remboursement des surcoûts opérationnels doit être clarifié

3. La rénovation du segment lourd de décision nécessite une stratégie de long-terme

a. Le programme de char du futur doit se concrétiser

b. L’avenir de l’aérocombat

Deuxième partie : « Gagner la guerre avant la guerre » : Quelles priorités pour l’armée de terre ?

I. Une armée de terre plus stratégique et cohérente pour la haute intensité

A. Un plan de transformation cohérent sur les volets RH, capacitaires et d’entrainement opérationnel

B. L’adaptation des dispositifs d’engagement à la haute intensité

1. L’armée de Terre a engagé un pivot hypothèse d’engagement majeur qui doit permettre le déploiement d’une brigade « bonne de guerre »

2. Le commandement par l’intention adapte les processus de décision à la haute intensité

C. Le maintien en condition opérationnelle pour accroître la réactivité et tenir un engagement dans la durée

1. Le renforcement du maintien en condition opérationnelle est un levier majeur pour se préparer à la haute intensité

2. La structure intégrée du maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre (SIMMT) connaît une profonde restructuration

D. Des partenariats plus solides avec nos alliés, en particulier l’OTAN, pour renforcer les capacités de nation-cadre

1. L’armée de Terre s’appuie sur des capacités renforcées pour exercer le rôle de nation-cadre d’une opération multinationale

2. Le renouvellement des partenariats avec les alliés se poursuit

3. La maintenance est un axe de renforcement de l’interopérabilité

II. Une armée de terre plus puissante et innovante, gage de crédibilité dans tous les milieux

A. Une démarche capacitaire comme garantie de la crédibilité

1. L’acquisition de capacités différenciantes

2. La dronisation de l’aérocombat pour préparer le combat de demain

3. Anticiper les capacités de combat de demain à horizon 2030 puis 2040

4. Trouver le juste équilibre entre masse et haute technologie

B. La capacité à agir dans les milieux et les champs, en particulier le cyber et l’électromagnétique

1. L’intégration des effets opérationnels dans le multi-milieu et muli-champs

2. Investir davantage le cyber

3. Maîtriser l’environnement électromagnétique

C. Une armée de Terre plus innovante qui s’approprie les nouvelles technologies

1. Une politique efficace pour favoriser l’innovation centralisée et décentralisée

2. Préparer la robotisation de l’armée de Terre : le projet PENDRAGON

3. Investir l’intelligence artificielle

III. Une armée de Terre davantage soudée pour promouvoir l’esprit de défense

A. Une armée de Terre soutenue par la Nation pour accroître la résilience

1. Le renforcement de la cohésion nationale suppose des dispositifs ciblés et la montée en puissance de la réserve

2. Un lien renforcé entre les régiments et les territoires permettra de renforcer la place de l’armée de Terre dans la société

3. Tirer les leçons des JOP 2024 pour la coopération civilo-militaire

B. Une communauté humaine unie pour faire face à la haute intensité

1. Cultiver la cohésion au sein de l’armée de Terre

2. Une hybridation renforcée entre armée d’active et réserve

3. La formation s’adapte à la haute intensité

Travaux de la commission

I. Audition du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre

II. Examen des crédits

Annexe : auditions et déplacements de la rapporteure pour avis

1. Auditions

2. Déplacement en Estonie (2 au 4 septembre 2025)

3. Déplacement à Varces (17 septembre 2025)

4. Déplacement à Satory (29 septembre 2025)

 


   Introduction

Le projet de budget pour 2026 témoigne de l’effort important consenti par la Nation envers nos armées et de notre ambition en matière de défense. Le projet de loi de finances se traduit par une hausse de 6,7 milliards d’euros des crédits de la mission « Défense » par rapport à la LFI pour 2025. À l’augmentation de 3,2 milliards d’euros prévue par la loi de programmation militaire 2024-2030 s’ajoute une marche supplémentaire, de 3,5 milliards d’euros, visant à accélérer le réarmement, conformément aux annonces du Président de la République aux armées le 13 juillet 2025. De 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget de la Défense atteindra en 2026 57,1 milliards d’euros, hors pensions civiles et militaires de retraite.

Les crédits affectés au programme 178 « Préparation et emploi des forces » sont en augmentation de plus de 1,6 milliard d’euros en 2026, les portant à 15,9 milliards d’euros. Cette augmentation des crédits traduit la priorité que reconnaît la Nation au financement de l’adaptation de ses armées à la situation géopolitique. Cette hausse des crédits dans le projet de loi de finances 2026 concourt à trois objectifs stratégiques pour nos armées : la crédibilité opérationnelle, la solidarité stratégique, et la cohésion nationale.

S’agissant de l’armée de Terre, les crédits proposés dans le PLF 2026 sont en hausse de 14,5 % par rapport à 2025 et s’élèvent à 2,5 milliards d’euros. Cet effort budgétaire marqué permettra d’améliorer le maintien en condition opérationnelle (+13 % en CP) pour soutenir les livraisons de matériel (char Leclerc rénové, véhicules SCORPION) et de réaliser des exercices majeurs de signalement stratégique en 2026 (ORION 26, prise d’alerte OTAN). L’augmentation des crédits inscrit l’année 2026 comme un pivot dans la montée en puissance de l’armée de Terre, en permettant de renforcer le capacitaire, l’activité opérationnelle et l’entretien du matériel. Un effort particulier se retrouve dans le maintien en condition opérationnelle, dont les crédits en hausse de 190 millions d’euros permettront de disposer de véhicules aptes à l’entraînement opérationnel et à l’hypothèse d’un engagement majeur.

Votre rapporteure souligne plusieurs points de vigilance dans son avis budgétaire pour 2026. D’une part, certaines lacunes capacitaires persistent : le remplacement du lance-roquette unitaire, la remontée du stock des munitions, l’amélioration des capacités de soutien et de génie. D’autre part, le niveau de report de charge demeure préoccupant, la budgétisation des missions opérationnelles est toujours ambiguë et la rénovation du segment-lourd de décision doit s’imposer. La hausse des crédits proposée en 2026 devrait permettre d’accélérer dans ces domaines. À l’inverse, votre rapporteure se félicite des progrès réalisés en matière de fidélisation et de préparation opérationnelle, qui étaient des points d’attention dans son avis budgétaire pour 2025.

L’actualité géostratégique, marquée par un basculement stratégique et par l’accroissement de la conflictualité, justifie une adaptation de la stratégie de l’armée de Terre. À ce titre, votre rapporteure a choisi de consacrer la partie thématique de son avis budgétaire à la déclinaison de la stratégie « gagner la guerre avant la guerre » pour les forces terrestres. L’objectif est de souligner les potentialités ouvertes par la hausse des crédits proposée dans le budget pour 2026. L’augmentation du budget de l’armée de Terre permettra d’accélérer la transformation de l’armée de Terre dans trois directions – stratégique, innovante, soudée – et ainsi de se préparer à l’hypothèse d’un engagement majeur. L’armée de Terre entend demeurer un pilier de la souveraineté nationale, pour protéger le territoire et s’engager, au besoin, en coalition.


   Première partie : les crédits proposés pour 2026

I.   Une armée de Terre mobilisée en 2025 et qui progresse sur les volets capacitaires et humains

A.   Un engagement opérationnel soutenu sur le territoire national et sur le flanc est

1.   L’armée de Terre demeure pleinement mobilisée en métropole et en outre-mer dans le contexte d’une refonte du dispositif Sentinelle

a.   Un volume d’engagement toujours soutenu sur le territoire national

L’armée de Terre contribue au quotidien à la protection du territoire national et de la population à travers des missions de défense militaire et de défense civile, en hexagone et en outre-mer. À ce titre, elle participe à l’opération Sentinelle, à la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane dans le cadre de l’opération Harpie, à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte, à l’opération Héphaïstos de lutte contre les feux de forêts, ou encore la mission Titan permettant la protection de la base de Kourou.

Le nombre de militaires de l’armée de Terre engagés sur le territoire national, hors crises, est globalement constant depuis le pic d’engagement des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. On dénombre 3 750 militaires engagés quotidiennement tout au long de l’année. Aucune évolution majeure n’est à noter concernant le nombre de militaires déployés dans le cadre des missions Héphaïstos (150), Harpie (300), Titan (200), et du dispositif zonal de sécurité terrestre (DZST) de l’opération Sentinelle (3 000).

b.   Une évolution en profondeur de l’opération Sentinelle

Objet de la partie thématique de l’avis budgétaire 2025, l’opération Sentinelle connaît une évolution majeure depuis l’été 2025.

L’opération Sentinelle n’a pas connu d’inflexion significative entre avril 2021, date du désengagement des renforts qui avaient été décidés à la suite des attaques terroristes d’octobre 2020, et les Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024. Le dispositif permanent s’élève à 3 000 militaires auquel s’ajoutent une réserve opérative de 4 000 militaires en alerte et une réserve stratégique de 3 000 militaires, soit 10 000 soldats mobilisés. La période estivale et les fêtes de fin d’année font tous les ans l’objet d’un effort particulier avec des engagements compris entre 400 et 600 militaires en renfort. En moyenne, 3 750 militaires sont ainsi engagés quotidiennement tout au long de l’année.

Inspirées des ajustements réalisés à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, les réformes du dispositif visent à renforcer l’efficacité, la réactivité et la flexibilité du dispositif, tout en tenant compte de l’évolution des menaces pesant sur le territoire national. Elles participent du façonnement d’une opération Sentinelle « nouvelle génération ».

Ce nouveau visage de l’opération Sentinelle se traduit d’abord par un élargissement significatif de son périmètre. L’opération ne se limitera plus à la seule lutte contre le terrorisme, mais englobera l’ensemble des contributions terrestres des armées aux missions de défense civile. Cela inclut toujours la lutte contre le terrorisme, mais aussi l’appui à la lutte contre l’immigration clandestine, la sécurisation des grands événements, ainsi que la réponse aux catastrophes climatiques. À ce titre, l’opération de lutte contre les feux de forêts Héphaïstos est pleinement intégrée au champ d’action de Sentinelle nouvelle génération.

Dans le même temps, l’armée de Terre entend valoriser davantage les capacités militaires à forte valeur ajoutée. Seront ainsi mieux intégrés au dispositif les moyens spécialisés tels que les équipes cynotechniques, les unités du génie, les capteurs de détection ou encore les moyens d’aéromobilité. Dans le respect du cadre fixé par l’instruction ministérielle 10100, ces moyens pourront être mobilisés en fonction des besoins exprimés localement par les délégués militaires zonaux ou locaux, après validation par l’échelon central et sous réserve de disponibilité.

Par ailleurs, une déconcentration de la décision d’engagement est prévue afin de permettre une intervention rapide des moyens militaires déjà présents sur le terrain en cas de circonstances exceptionnelles. Cette évolution renforce la réactivité opérationnelle tout en maintenant un lien fort avec les autorités civiles locales.

Enfin, le cadre structurel de l’opération évolue avec la suppression du dispositif opérationnel permanent (DOP) au profit d’un nouveau format, le dispositif zonal de sécurité terrestre (DZST). Ce dernier permettra une modulation plus souple des effectifs engagés, à la hausse comme à la baisse, en fonction des besoins exprimés localement, et favorisera un dialogue civilo-militaire dynamique et permanent.

S’agissant des crédits, la dotation de 30 millions d’euros demeure inchangée dans le PLF 2026. Elle est inscrite à l’action 7 « surcoûts liés aux opérations intérieures » du programme 178.

c.   Une mobilisation en outre-mer accrue en 2025

L’armée de Terre est mobilisée dans la protection des Français d’outre-mer. L’armée de Terre poursuit trois missions principales en outre-mer : l’intervention en cas de catastrophe naturelle ou de conflit dans une zone voisine, la protection des points d’importance vitale et l’influence à travers des actions de partenariat. L’armée de Terre assure cette mission à travers plusieurs unités réparties dans les différentes régions ultramarines : le 33e régiment d’infanterie de marine en Martinique, le 9e régiment d’infanterie de marine et le 3e régiment étranger d’infanterie en Guyane, le régiment d’infanterie de marine du Pacifique en Nouvelle-Calédonie (FANC) et en Polynésie française (FAPF), ainsi que les forces armées présentes de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI), à La Réunion et Mayotte. En 2023, près de 4 000 militaires d’active, dont une part importante en mission de courte durée, et une centaine de civils étaient ainsi mobilisés dans ces forces de souveraineté stationnées en outre-mer.

Deux missions particulières contribuent à l’évolution significative des engagements humains et financiers pour 2025 en outre-mer. En mai 2024, pour faire face à la crise sur le territoire calédonien, 600 militaires supplémentaires ont été déployés par l’armée de Terre en Nouvelle-Calédonie, en renfort des effectifs des forces de souveraineté (FS) déjà présents. À l’issue de la phase de stabilisation de la situation sécuritaire, une partie du dispositif a été désengagée fin décembre 2024. Depuis janvier 2025, le dispositif en renfort s’établit à 200 militaires. Par ailleurs, en décembre 2024 après le passage du cyclone Chido à Mayotte, l’armée de Terre a engagé 320 militaires pour renforcer les effectifs des forces de sécurité déjà présentes. Le dispositif a été adapté en mars 2025 pour former un bataillon reconstruction (BATREC), encore déployé actuellement avec un format à 100 militaires.

Par ailleurs, près de 1 200 militaires sont détachés au ministère des Outre-mer pour encadrer environ 6 000 volontaires du service militaire adapté (SMA) répartis en sept régiments, ce qui témoigne de l’engagement de l’armée de Terre dans la formation et l’accompagnement des jeunes ultramarins.

Avec des moyens augmentés par la LPM 2024-2030, les forces de souveraineté maintiennent et renforcent les dispositifs en cours. La LPM 2024-2030 prévoit un renforcement significatif de ces forces par le renfort de 700 militaires (dont 60 % en missions de longue durée).

Les missions de courte durée effectuées par les unités de l’armée de Terre dans ces territoires participent également à leur entraînement opérationnel. Ces rotations permettent aux soldats de développer une expertise spécifique au milieu ultramarin, de s’aguerrir et de s’acculturer à des conditions généralement comparables aux opérations extérieures. Cette expérience contribue à fidéliser les militaires, en enrichissant leur parcours personnel, professionnel et en stimulant les économies locales.

La LPM permet aussi un renforcement capacitaire tenant compte des spécificités stratégiques, géographiques et opérationnelles propres à chaque territoire concerné. Aux Antilles, les forces armées verront leurs capacités en matière de connaissance du milieu renforcées grâce à la mise en place d’une section d’éclairage spécialisée. En Guyane, les moyens du génie seront augmentés pour soutenir l’opération Harpie contre l’orpaillage illégal. Dans le Pacifique, l’armée de Terre renforce ses capacités d’appui et d’assistance aux populations face aux risques climatiques. En Polynésie, les effectifs des unités de combat terrestre sont en cours d’augmentation de 50 %, tandis qu’en Nouvelle-Calédonie, des pelotons de reconnaissance, une section de mortiers de 120 mm et un hub opérationnel seront mis en place pour renforcer l’intervention en profondeur. Le déploiement de matériels du programme SCORPION, notamment 26 blindés Serval est aussi programmé. Enfin, dans l’océan Indien, les capacités tactiques sont consolidées par la création d’une section d’aide à l’engagement et d’une section génie à Mayotte, ainsi que par l’établissement d’un détachement de l’aviation légère de l’armée de Terre à La Réunion, équipé de deux hélicoptères de manœuvre Cougar.

2.   Un engagement poursuivi sur le flanc est de l’Europe et la reconfiguration du dispositif en Afrique

La contribution de l’armée de Terre dans le cadre des engagements opérationnels est recentrée sur les missions opérationnelles en Europe de l’Est (MISSOPS) et sur le partenariat militaire opérationnel (PMO) en Afrique.

a.   Les missions opérationnelles sur le flanc est de l’Europe se poursuivent

L’année 2025 a été marquée par la poursuite de l’engagement des militaires des forces terrestres au sein des missions opérationnelles AIGLE en Roumanie et LYNX en Estonie. Le déploiement des forces terrestres sur le flanc est constitue l’aboutissement du modèle de préparation opérationnelle de l’armée de Terre. Les unités conduisent en préparation des projections des entraînements normés visant à l’atteinte du standard opérationnel, standard désignant une unité apte au combat de haute intensité. Près de 1 750 soldats de l’armée de Terre y sont déployés dans le cadre des missions de réassurance de l’OTAN et de formation des soldats ukrainiens.


Déploiements de l’armée de Terre en europe

Source : présentation fournie à la rapporteure par la Mission LYNX.

La mission AIGLE est cruciale pour l’entraînement des forces pour améliorer le savoir-faire des unités dans un environnement exigeant. Depuis 2022, le Forward Land Forces-Battle Group (FLF-BG) conduit des exercices de tirs et de manœuvre avec les militaires roumains et les partenaires présents. La mission, au sein de laquelle la France exerce le rôle de Nation cadre, constitue une véritable opportunité de préparation opérationnelle multinationale. Le bataillon regroupe toutes les composantes du combat interarmes et du soutien : une compagnie d’infanterie sur VBCI, un escadron sur chars Leclerc, une batterie d’artillerie (composantes sol-sol, sol-air, drones, radars, etc.), une compagnie de combat du génie et une compagnie de commandement et de logistique. Ce bataillon comprend une compagnie d’infanterie belge dans le cadre du partenariat « Capacité Motorisée » (CaMo) et une compagnie d’infanterie espagnole. Le FLF-BG, intégré à la chaîne de commandement de l’OTAN, a pour mission principale de contribuer à dissuader toute menace envers l’intégrité de la nation hôte. En tout, 1 200 soldats sont déployés. Un « noyau » de poste de commandement de niveau brigade, est en outre déployé à Bucarest. Cet élément d’une dizaine d’officiers vise à préparer le déploiement de l’état-major tactique de la brigade en cas de déclenchement des plans de défense régionaux.

La mission LYNX, conduite en Estonie, au côté des Britanniques, constitue un véritable levier de puissance. Votre rapporteure a choisi d’y effectuer un déplacement en septembre 2025.

La présence avancée de soldats de l’OTAN en Estonie a été initiée en 2017 à la suite du sommet de Varsovie de 2016. L’opération s’inscrit dans le cadre du dispositif de renforcement de la frontière orientale de l’OTAN (enhanced forward presence – eFP) décidé après l’annexion de la Crimée en 2014 puis de la guerre en Ukraine en 2022. Le bataillon multinational de l’OTAN, sous commandement britannique, comprend environ 1 000 soldats sur le camp de Tapa, dans le nord de l’Estonie. Le bataillon est lui-même intégré de la première brigade d’infanterie estonienne. L’objectif du dispositif est de dissuader les compétiteurs stratégiques et de réassurer l’allié estonien du soutien de l’OTAN.

Depuis 2017, l’armée de Terre déploie en Estonie un sous-groupement tactique interarmes, à dominante infanterie motorisée sur Griffon complété par une composante blindée « roue–canon » (AMX10RC). Environ 350 soldats sont déployés, dont des éléments d’infanterie, de génie, de cavalerie et de soutien. Les soldats sont relevés par rotation de quatre mois.

La mission LYNX constitue un laboratoire pour l’interopérabilité et la pleine appropriation des matériels SCORPION déployés (Griffons et Serval), dont le fonctionnement peut être éprouvé dans des conditions hivernales. Le déploiement de matériel permet d’expérimenter, dans un environnement interallié, les performances du SICS (système d’information du combat SCORPION) et des architectures de commandement numérisé. L’engagement dans la mission LYNX permet de préparer les forces à un engagement réel, de développer les capacités d’adaptation et de réaliser des entraînements majeurs.

Le SGTIA français intégré au bataillon multinational de l’OTAN a ainsi activement participé à plusieurs exercices interalliés et interarmées. Ces exercices visaient à améliorer l’interopérabilité entre les forces françaises, estoniennes et alliées. Ainsi, lors de la mission LYNX XXII (février à mai 2025), la France s’est distinguée par sa participation active à plusieurs manœuvres multinationales. Elle a notamment contribué à l’exercice BOLD EAGLE, ainsi qu’à l’exercice HEDGEHOG 2025, ce dernier ayant réuni approximativement 16 000 soldats provenant d’une dizaine de nations alliées, avec un déploiement français de plus de 1 000 soldats et environ 250 véhicules blindés.

Depuis novembre 2023, une compagnie d’infanterie légère est également déployée par intermittence, à raison de deux rotations annuelles de trois mois, dans un cadre bilatéral France – Estonie, hors OTAN.

Déplacement de la rapporteure en Estonie

Dans le cadre de l’élaboration de l’avis budgétaire pour 2026, votre rapporteure s’est rendue en Estonie du 2 au 4 septembre 2026. L’objectif du déplacement était de rencontrer les troupes françaises présentes sur le territoire et d’échanger avec des responsables politiques sur la situation sécuritaire.

Le déplacement a commencé par une visite au sein de la société Milrem Robotics, qui développe des engins autonomes pour les armées. Les équipements produits par Milrem sont actuellement en service dans une vingtaine de pays principalement de l’OTAN. La société produit notamment le THEMIS, une plateforme de défense polyvalente montée sur chenilles, conçue pour diverses tâches opérationnelles et avec un haut niveau d’automatisation. En fonction de la nature et des besoins de la mission, le module peut passer du transport à l’attaque, de l’évacuation sanitaire à la neutralisation d’engins explosifs. Depuis 2022, le véhicule est utilisé par les forces ukrainiennes. Le directeur général de la société a signalé à votre rapporteure que l’engin n’est pas en service au sein de l’armée française, ce que votre rapporteure déplore.

Votre rapporteure s’est rendue sur le camp de Tapa, situé dans le centre de l’Estonie, et qui accueille environ 350 soldats français dans le cadre du renforcement de la posture défensive de l’OTAN sur sa frontière orientale. Le déplacement d’une demi-journée a permis de partager le quotidien des soldats français du sous groupement tactique interarmes (SGTIA) engagés dans le cadre de la mission LYNX. Les véhicules déployés (AMX-10, Griffon) ont été présentés à votre rapporteure. Votre rapporteure a également pu faire un point détaillé sur les infrastructures mises à disposition des forces françaises et sur les conditions de vie des soldats déployés. Votre rapporteure souligne que l’hébergement est encore perfectible, notamment s’agissant du couchage. Une partie importante des unités est logée dans un préfabriqué mal isolé et sans séparation entre les chambrées, avec un niveau sonore et lumineux très désagréable pour les soldats.

Le déplacement a aussi été l’occasion de souligner les apports concrets de l’opération LYNX pour les forces françaises en matière de préparation opérationnelle, de formation et de montée en compétences. L’opération améliore aussi l’interopérabilité avec les forces alliées, contribuant au renforcement de la crédibilité française au sein de l’OTAN.

Le déplacement s’est poursuivi par une série d’entretiens bilatéraux sur les questions de défense, au Parlement estonien puis au ministère de la défense. La guerre en Ukraine est au cœur de l’agenda politique et la Russie est considérée comme une menace grave pour le pays. En réponse, l’Estonie devrait augmenter le budget de la défense au-delà de 5 % de son PIB. L’Estonie prône une coopération accrue au sein de l’OTAN, en matière de soutien aérien, de présences de troupes au sol et de commandes d’équipements. Les échanges ont aussi permis d’aborder les menaces hybrides, l’Estonie étant en pointe dans le domaine.

b.   La transformation de la présence française en Afrique est achevée

Le dispositif des forces de présence françaises en Afrique Centrale et l’Ouest (AFCO) a connu une profonde transformation entamée à l’été 2023 sur décision du Président de la République. La transformation est considérée comme achevée en juin 2025 : de 3 500 soldats en 2023, les effectifs sont passés à un peu moins de 200.

evolution des effectifs militaires en Afrique entre 2023 et 2025

 

2023

2025

Côte d’Ivoire

905

94

Gabon

368

89

Sénégal

437

0

Tchad

1 800

0

Total

3 510

183

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

La présence militaire française a été dénoncée par les pays hôtes, conduisant à une redéfinition des partenariats. Au global, la nouvelle approche se fonde sur une relation partenariale, sur mesure et par pays, avec des effectifs stabilisés autour de 200 soldats. Elle se matérialise par la création du Commandement pour l’Afrique (CPA), opérationnel depuis janvier 2025, le retrait des soldats et le transfert des bases aux pays hôtes.

Au Sénégal, à la demande du partenaire, le départ des troupes françaises a été achevé en juillet 2025 et la restitution complète des emprises est terminée. En Côte d’Ivoire, le dispositif français suit une réduction des effectifs, à environ 95 militaires à l’été 2025. La restitution de l’ancienne base française, aujourd’hui rebaptisée camp Thomas d’Aquin Ouattara, s’inscrit dans une logique de partage et de gestion conjointe avec les autorités ivoiriennes. Au Gabon, la présence est également réduite, avec un effectif stabilisé à 80 militaires et la fin de la présence permanente d’un officier général français à Libreville.

Le retrait du Tchad, à la suite de la dénonciation unilatérale de l’accord bilatéral de coopération militaire en novembre 2024, marque un tournant majeur alors que le pays accueillait 1 800 soldats français en 2023. L’opération de désengagement SAFARA, menée entre décembre 2024 et mars 2025, a vu la quasi-totalité des forces françaises quitter le territoire, provoquant la suspension complète de la coopération militaire opérationnelle. Les trois emprises ont été restituées. La présence militaire française au Tchad se limite désormais à une mission de Défense au sein de l’ambassade de France à N’Djamena.

Parallèlement à ces réductions, l’année 2025 a été marquée par la signature, d’un nouveau traité de coopération militaire et de défense (TCMD) avec Djibouti. Conclu pour une durée de 20 ans, il réitère l’importance stratégique que revêt ce pays pour la France, notamment en garantissant un accès pérenne à des infrastructures clés, en consolidant la coopération opérationnelle et la formation des forces djiboutiennes.

3.   Le soutien à l’Ukraine continue à travers la formation de soldats et la cession d’équipements

Depuis 2023, la France participe à la formation de soldats ukrainiens sur le sol français et sur le territoire polonais avec la mission GERFAUT. En décembre 2025, la France aura formé plus de 19 000 soldats ukrainiens

En février 2023, la mission de partenariat opérationnel pour la formation de bataillons ukrainiens en Pologne a vu le jour sous le nom de GERFAUT, sous tutelle de l’European Union Military Assistance Mission in support of Ukraine (EUMAM). Cette mission est placée sous le commandement du Combined-Arms Training Command (CAT-C) polonais situé à Zagan.

Un sous groupement tactique de 160 formateurs, dont un détachement belge de 20 formateurs, assure la formation de bataillons ukrainiens. Entre février 2023 et juin 2025, 12 bataillons ukrainiens, ainsi que des centaines de cadres et spécialistes ont pu être formés par GERFAUT sur le sol polonais, soit environ 5 400 combattants. La formation s’effectue sur VAB ou autres matériels cédés.

Les dépenses résultant directement du conflit en Ukraine ont représenté 641 millions d’euros en 2024 (dernière date connue). Elles correspondent aux dépenses liées au renforcement du flanc oriental de l’OTAN (AIGLE et LYNX), aux formations du partenaire ukrainien, au remplacement des matériels et du carburant cédés à l’Ukraine ainsi que le surcoût de la Facilité européenne pour la paix (FEP). Néanmoins, l’effort à l’égard de l’Ukraine ne se traduit pas nécessairement pas un surcoût, une grande partie de l’aide repose aujourd’hui sur la cession d’équipements destinés à être retirés du service et dont le remplacement était d’ores et déjà prévu dans la loi de programmation militaire.

La brigade « Anne de Kiev »

Le Commandement terre Europe (CTE) a conduit en France du 10 septembre au 13 décembre 2024 la constitution et l’entraînement du niveau tactique au niveau commandement d’une brigade ukrainienne dont l’architecture de commandement était embryonnaire. La formation et l’équipement des près de 2 000 hommes formés en métropole ont constitué un défi d’une ampleur inédite, nécessitant une forte mobilisation de l’armée de Terre. La formation avait une double finalité :

– formation technique sur les matériels cédés par la France (AMX10RC, VAB, CAESAR, missiles Mistral et Milan, radar Bora, armement de petit calibre), incluant l’entretien et la maintenance ;

– formation tactique de l’unité, du niveau initial pour les soldats au niveau perfectionnement au profit des états-majors de brigade et de bataillon.

La France a été la seule nation à proposer cette offre complète intégrant équipement et formation d’une brigade. Les pays alliés ont fait preuve d’un fort intérêt pour ce modèle, qui a suscité la satisfaction du partenaire.

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

 

B.   L’atteinte des cibles de recrutement par des actions de fidélisation et la montée en puissance de la réserve

1.   Les cibles de recrutement ont été atteintes malgré des difficultés sur certains métiers en tension

a.   Un schéma d’emploi respecté en 2025

Les effectifs de l’armée de Terre s’élèveront à 111 971 au 31 décembre 2025, selon la réponse écrite reçue de la direction des ressources humaines de l’armée de Terre. Afin de garantir son attractivité, l’armée de Terre a bien adapté son modèle de ressources humaines. Les évolutions géopolitiques (multiplication et diversification des conflits), économiques (concurrence dans les métiers du numérique et de la maintenance), technologique (essor de la robotisation, de l’IA et du quantique) et démographiques (tarissement des classes à moyen terme) obligent l’armée de Terre à adapter son modèle pour s’assurer qu’il réponde toujours aux exigences de recrutement.

L’armée de Terre est une armée de flux, qui renouvelle une large partie de ses effectifs chaque année. Avec une durée moyenne d’engagement d’environ 6,5 années, l’armée de Terre doit recruter environ 15 000 soldats chaque année pour assurer la stabilité de son modèle, dont 12 000 militaires du rang. Ces vastes mouvements de ressources humaines sont renforcés par des facteurs externes - la multiplication des menaces et conflits, la concurrence du secteur privé dans plusieurs domaines, les évolutions technologiques - mais aussi par des facteurs internes, notamment des difficultés de fidélisation au sein d’une armée particulièrement jeune. Surtout, avec la chute de la natalité, l’évolution démographique à venir diminuera structurellement les cohortes de recrutement, avec un tarissement attendu à partir de 2028. En 2024, il y a eu 663 000 naissances en France, soit 2,2 % moins qu’en 2023 et 21,5 % de moins qu’en 2010, qui avait connu plus de 813 000 naissances ([1]).

L’année 2024 et le premier semestre 2025 ont connu une nette amélioration du recrutement, après une année 2023 difficile marquée par des objectifs non atteints. Votre rapporteure salue les progrès réalisés par l’armée de Terre dans ce domaine. En 2024, 14 638 nouveaux contrats ont été signés (hors Légion étrangère). Cette dynamique positive se poursuit en 2025, avec un objectif confirmé de 14 624 recrutements externe (hors Légion étrangère). Au premier semestre 2025, les objectifs de recrutement externe pour l’année sont atteints à 47 %. Après trois années de hausse, le taux de dénonciation de contrats des sous-officiers, de 16,5 % en 2023, a connu une baisse à 14,9 % en 2024, illustrant les premiers effets du plan ENSOA 2030 (renforcement des infrastructures, amélioration du logement, réduction de la formation initiale). Pour les militaires du rang, le taux de dénonciation se stabilise autour de 32 %, essentiellement du fait de l’intéressé.

Ce redressement s’appuie notamment sur une campagne de communication renouvelée, lancée en septembre 2024, ciblant les jeunes âgés de 17 à 32 ans, ainsi que sur une professionnalisation accrue des conseillers en recrutement, grâce à des formations spécifiques de type « force de vente », qui contribuent à optimiser l’efficacité des parcours de recrutement. Le taux de sélection est stable entre 2023 et 2024 parmi chaque grade, signe de l’attractivité de l’armée de Terre.

taux de sélection par profil de candidat

 

ESM ([2])

OSCE ([3])

EVSO ([4])

EVAT ([5])

2023

1/11

1/1,5

1,4

1/7

2024

1/11

1/1,2

1,4

1/1,7

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

 

Le schéma d’emploi devrait bien être respecté en 2025, grâce à la bonne dynamique de recrutement, accompagnée d’une fidélisation améliorée, qui a conduit à un ajustement à la baisse des recrutements pour ne pas dépasser les effectifs prévus. D’après les informations recueillies par votre rapporteure dans le cadre de son questionnaire budgétaire, la tendance devrait se maintenir en 2026, avec une cible prévisionnelle portée à 15 500 recrutements, concentrés en priorité sur les unités basées dans des garnisons jugées peu attractives et sur les métiers en tension. Les cibles d’effectifs pour 2026 à 2030 n’ont pas encore été déclinées officiellement : la possibilité de rattraper les effectifs non réalisés en 2023 sur la période est un point de réflexion.

 

b.   Des difficultés de recrutement persistent dans certains métiers en tension

Des difficultés de recrutement persistent toutefois dans certains métiers du numérique, de la maintenance industrielle et du renseignement. Afin d’accroître les recrutements, l’armée de Terre conduit des expérimentations et des modes d’actions innovants pour améliorer son attractivité auprès de la jeunesse. Les dispositifs de partenariats avec des établissements scolaires, notamment spécialisés, contribuent à améliorer l’attractivité de l’armée de Terre, en particulier dans les secteurs concurrentiels. Avec l’expérimentation conduite à Bordeaux avec l’école du digital Ynov, l’armée de Terre finance des étudiants qui signent un contrat de réserviste. À l’issue de sa formation, l’étudiant est engagé en qualité de sous-officier avec une spécialisation en cybersécurité, en data-center ou en cloud, au sein de l’unité qu’il intègre. La formation militaire générale est dispensée dans un second temps, une fois l’intégration réussie au sein du régiment. De leur côté, les métiers du cyber sont particulièrement suivis en interarmées, en lien étroit avec le COMCYBER. Les créations de postes sont scrutées au niveau ministériel afin de mesurer la capacité des gestionnaires à recruter et monter en compétence le personnel.

L’entrée en vigueur de la loi de programmation militaire 2024–2030 a par ailleurs ouvert la possibilité, sur autorisation du ministre des Armées, de prolonger la durée des services au-delà des limites réglementaires. Ce dispositif, qui participe à la rétention des compétences critiques tout en réduisant la pression sur le recrutement, permet aux militaires volontaires de poursuivre leur engagement au-delà de la durée prévue. En 2025, 91 militaires quitteront ainsi l’institution alors que leur départ était initialement programmé pour 2024.

2.   La fidélisation est en nette amélioration grâce à des actions diversifiées, notamment en matière de rémunération et de soutien aux familles

a.   L’amélioration continue de la fidélisation

Dans un contexte de concurrence accrue sur le marché de l’emploi et de tensions persistantes sur certaines compétences critiques, la fidélisation des personnels de l’armée de Terre s’affirme plus que jamais comme une priorité stratégique. Face à une dynamique de départs préoccupante en 2023 – avec un taux de départ de 12 % de la population globale –, l’armée de Terre a engagé un ensemble d’actions visant à inverser cette tendance. Les chiffres de 2024, avec un taux de départ ramené à 10,6 %, sont à cet égard encourageants : ils marquent non seulement une amélioration significative par rapport à l’année précédente, mais également un niveau en deçà de la moyenne des sept dernières années.

Votre rapporteure relève que cette tendance positive, qui se confirme pour 2025 dans l’ensemble des catégories, ne doit pas faire oublier les difficultés persistantes du modèle, principalement dans certains régiments exposés ou dans les filières techniques à forte valeur ajoutée. L’objectif serait à terme d’augmenter de 6,5 à 7 années la durée moyenne de service.

La tendance globale favorable résulte de la mise en œuvre de dispositifs concrets ayant un impact sensible sur le quotidien des militaires. Des régiments confrontés à des problématiques spécifiques ont ainsi bénéficié de mesures d’accompagnement renforcées, incluant l’amélioration des infrastructures, de l’hébergement, des équipements, ainsi que l’attribution de primes ciblées. Parallèlement, la gestion des ressources humaines a gagné en individualisation, notamment à travers l’ouverture de perspectives de réorientation et de mobilité interne, en particulier au bénéfice des militaires du rang. La création de la prime de lien au service (PLS), déployée notamment dans les filières techniques au profit des sous-officiers, a également contribué à renforcer la fidélisation des compétences clés.

Signe de l’amélioration de la fidélisation, près de 500 anciens engagés, ayant quitté l’armée à l’issue de leur premier contrat, ont choisi de se réengager. Ce chiffre témoigne d’un regain d’attractivité du métier des armes et pourrait jouer un rôle dissuasif pour certains soldats envisageant de quitter les rangs.

b.   La poursuite de la réforme du système de rémunération

Dans ce contexte, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) constitue une réforme d’ampleur. Déployée progressivement entre le 1er janvier 2021 et le 1er octobre 2023, elle visait à instaurer un dispositif plus équitable, plus lisible et plus cohérent, tant à l’intérieur des armées qu’auprès des interlocuteurs extérieurs. Sa mise en œuvre s’est échelonnée en plusieurs étapes : 2021 a vu l’introduction de l’IMGM (indemnité géographique des militaires), de la PLS (prime de lien avec le service) et de l’IDPNO (indemnité de départ des personnels non officiers) ; en 2022, ce sont l’ISAO (indemnité de sujétion d’absence opérationnelle), la PCRM (prime de commandement et de responsabilité militaire) et le dispositif PERF (prime de performance) qui ont été déployés ; enfin, en 2023, ont été instaurés l’IEM (indemnité d’état militaire), la PCS-Mil (prime de compétences spécifiques des militaires) et la 3PM (prime de parcours volontaire). Si cette réforme a permis des avancées notables, elle n’est pas exempte de limites. Certains effets de bords, comme l’augmentation de la part fiscalisée de la solde, ou des faiblesses structurelles, liées notamment à la forfaitisation de la plupart des dispositifs, doivent encore être corrigés. Le retour d’expérience prévu en 2026 constituera une opportunité précieuse pour procéder aux ajustements nécessaires, en particulier via la mise en cohérence des dispositifs et la revalorisation des forfaits.

Complément indispensable à la NPRM, la revalorisation des grilles indiciaires constitue un outil important de fidélisation, attendu par l’ensemble des militaires de l’armée de Terre. Au-delà de la reconnaissance institutionnelle, ces mesures visent à renforcer le modèle RH de l’armée, en valorisant les parcours longs, la prise de responsabilité, et en assurant une progression cohérente entre les différentes catégories de personnel. Un premier jalon a été posé 1er octobre 2024 avec la revalorisation des grilles des sous-officiers supérieurs, pour un coût de 46,2 millions d’euros en année pleine, entraînant des gains mensuels bruts moyens allant de 82 à 145 euros selon le grade. Une seconde phase concernera les officiers, pour un coût estimé à 62,7 millions d’euros en année pleine, avec des revalorisations significatives notamment pour les officiers brevetés. Les gains mensuels bruts sont estimés à 315 euros pour un lieutenant et 374 euros pour un colonel. À moyen terme (2027-2028), un rattrapage est également prévu pour les sous-officiers subalternes, afin d’assurer une cohérence entre les catégories et renforcer l’attractivité du recrutement interne.

Par ailleurs, afin de mieux appréhender les facteurs déterminants du départ volontaire, un nouveau questionnaire de sortie a été diffusé en 2024. Cet outil, encore en phase de consolidation, doit permettre d’enrichir les analyses de gestion et d’identifier des leviers d’action possibles. Votre rapporteure salue également la mise en œuvre du plan ENSOA 2030, qui cible spécifiquement la problématique des dénonciations précoces de contrat parmi les sous-officiers, dans les mois suivant leur engagement. Cette mesure s’inscrit dans une stratégie plus large de sécurisation des parcours dès les premières années de service.

c.   L’amélioration des conditions de vie de militaires et de leur famille

Au-delà des mesures strictement financières ou de gestion, la fidélisation repose également sur l’amélioration des conditions de vie des militaires et de leur famille. Le plan Famille 1 (PF1) a d’ores et déjà permis des avancées concrètes, bien que certaines actions, notamment sur la mobilité, nécessitent encore d’être consolidées. Le plan Famille 2 (PF2), inscrit dans la LPM 2024–2030 et doté d’un budget de 750 millions d’euros, s’inscrit dans une logique de continuité et de renforcement. Votre rapporteure, qui avait consacré en novembre 2021 un rapport sur le plan Famille, avec sa collègue Séverine Gipson, se félicite des avancées permises par les plans Famille successifs et appelle à leur renforcement. Le plan Famille 2, intégré à l’ambition Fidélisation 360 du ministère des Armées, poursuit trois objectifs majeurs : fidéliser les militaires, améliorer la disponibilité opérationnelle, renforcer la résilience des familles. S’il reste difficile, à ce stade, de mesurer l’impact des plans Famille sur la fidélisation et leurs effets concrets à une échelle micro, ces dispositifs sont néanmoins bien identifiés et appréciés par le personnel militaire. Le plan Fidélisation 360 marque un effort marqué sur l’attractivité des parcours (rénovation des grilles indiciaires notamment) et sur l’accompagnement de la mobilité.

La thématique du logement est un axe majeur du plan Famille 2. Le plan prévoit des efforts portés sur la rénovation et l’extension du parc domanial (Plan Ambition Logement), ainsi que sur le développement de solutions de logement adaptées. Le PLF 2026 devrait permettre d’accélérer dans la rénovation du parc de logement et l’ouverture de places en crèche. De même, le PLF 2026 prévoit une hausse de 4 % de l’opération budgétaire relative à la facilitation de la mobilité du personnel. La manœuvre est à articuler avec les rénovations menées par l’opérateur Nové. Votre rapporteure tient à ce titre à souligner que des arriérés de charges lui ont été signalés par des soldats, notamment jeunes, avec des rattrapages pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros. Ces arriérés sont un motif d’inquiétude majeur et doivent être évacués par un dialogue de haut niveau entre Nové et les chefs de l’armée de Terre. Si la rénovation du logement est positive pour améliorer les conditions de vie, elle ne doit pas se traduire par une hausse disproportionnée du loyer ou par des rattrapages déraisonnables.

Par ailleurs, des dispositifs comme « Mut’action » et « Cautioneo » facilitent désormais l’accès au logement locatif privé en sécurisant les garanties demandées par les bailleurs. Un dispositif de relogement d’urgence a également été instauré au bénéfice des personnels en situation de fragilité, notamment les blessés en fin de droit ou les familles confrontées à des violences. La facilitation des déménagements et la garantie d’un zéro reste à charge est également une priorité pour faciliter la mobilité.

L’évaluation du moral du personnel, réalisée chaque automne, fait apparaître une légère amélioration. Cette évolution, bénéfique pour la fidélisation, peut être attribuée à plusieurs facteurs : la consolidation des effectifs, la poursuite des livraisons d’équipements, et le maintien d’un haut niveau d’engagement opérationnel. Votre rapporteure attire néanmoins l’attention sur l’érosion du pouvoir d’achat, dont les effets sont particulièrement sensibles chez les officiers, où elle alimente un sentiment de déclassement. Par ailleurs, les tensions sur les effectifs, en particulier chez les sous-officiers, entraînent une suractivité structurelle susceptible d’altérer l’équilibre professionnel et de réduire l’attractivité de ces fonctions. Enfin, la vétusté persistante de certaines infrastructures d’hébergement, notamment pour les militaires du rang et réservistes, demeure un point de vigilance important. Des efforts sont néanmoins en cours pour y remédier, dans le cadre des investissements patrimoniaux évoqués précédemment.

d.   La lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Votre rapporteure rappelle que l’amélioration de la fidélisation passe aussi par un engagement renforcé en faveur de la mixité et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), conformément aux orientations prises par le ministère des Armées et l’état-major des armées. Une directive spécifique, élaborée en 2024, affirme une approche fondée sur la différenciation : il s’agit désormais de concevoir une armée pensée à la fois pour les femmes et pour les hommes, en prenant en compte les spécificités de chacune et de chacun.

Ce changement culturel implique par ailleurs une vigilance accrue de la chaîne de commandement face aux comportements inappropriés. La prévention des VSS repose désormais sur plusieurs mesures structurantes : généralisation des modules de formation, affichage obligatoire du baromètre VSS dans toutes les unités, politique de tolérance zéro sur le plan disciplinaire. Le signalement systématique des faits à l’autorité judiciaire constitue désormais la règle. En matière d’accompagnement, un parcours de référence a été mis en place pour garantir une prise en charge individualisée et continue des victimes. Un effort particulier a été entrepris au sein des lycées militaires, avec l’application d’une tolérance zéro sur les cas de discrimination et d’agressions sexuelles.

e.   Des progrès dans la mixité

Le renforcement de la mixité dans l’armée de Terre s’inscrit dans le plan d’actions et directives ministérielles et du chef d’état-major des armées. Plusieurs démarches ont permis de décliner cet objectif au sein de l’armée de Terre. Jusqu’à présent la prise en compte de la mixité dans l’armée de Terre reposait sur l’atténuation des différences, au risque de sous-estimer des besoins spécifiques des femmes. Désormais, elle est envisagée dans une logique de différenciation : une armée pensée pour les hommes et pour les femmes, qui prend mieux en considération les spécificités de chacune et de chacun.

Le changement culturel passe également par une évolution des représentations (visibilité de femmes modèles) et par le renforcement de la formation à l’exercice du commandement. L’armée de Terre s’engage ainsi à mieux prendre en compte le bien-être au travail et la conciliation de vie personnelle–vie professionnelle, avec par exemple l’assouplissement des périodes pour les concours. Le développement du mentorat ainsi que l’accompagnement par le haut encadrement à travers le coaching constituent également des leviers majeurs. Ces mesures profitent en réalité à l’ensemble des effectifs et sont donc bien perçues.

En 2025, la part des femmes, dans les effectifs totaux est de 12,9 %, consolidant la quatrième place de l’armée de Terre parmi les armées les plus féminisées au monde. Cette proportion varie cependant selon les corps : 14,3 % chez les sous-officiers, 12,5 % parmi les militaires du rang et 10,9 % au sein des officiers. Les dispositifs de mentorat visent précisément à accroître la représentation féminine chez les officiers, en renforçant la confiance et en favorisant l’accès aux responsabilités.

3.   Le doublement des effectifs de la réserve s’accompagne d’une meilleure intégration à l’active, s’inscrivant dans une dynamique globale d’ouverture vers la jeunesse

Comme le prévoit l’objectif fixé pour 2030, l’armée de Terre projette de doubler les effectifs de sa réserve opérationnelle, portant donc la cible à 48 209 réservistes. Cet objectif s’inscrit dans une trajectoire progressive : à la fin de l’année 2025, les effectifs visés sont de 28 817 réservistes, un niveau presque atteint dès le 31 juillet 2025 avec 28 527 personnels recensés. Cette augmentation des effectifs s’accompagne de la promesse d’une meilleure intégration des réservistes à l’active.

Cette volonté d’hybridation entre active et réserve, portée notamment par le CEMAT, s’exprime par diverses modalités concrètes : à travers l’emploi de réservistes en individuel ou en unités constituées dans les activités des unités d’active, l’insertion individuelle dans des unités, surtout au sein des états-majors ou encore la constitution de cellules de réserve intégrées aux unités d’active. Cette articulation permet non seulement d’apporter des renforts capacitaires mais aussi de mobiliser des expertises rares et adaptées aux nouveaux enjeux opérationnels.

Trois viviers de réservistes sont mobilisés pour répondre à ces différentes configurations : les réservistes de compétence, chargés de renforcer les unités spécialisées, les états-majors et formations organiques ; les réservistes affectés aux brigades engagées en opérations extérieures ; et ceux dédiés à la posture de protection du territoire national et de l’appui des populations en cas de catastrophe naturelle.

Sur le plan budgétaire, les crédits de masse salariale alloués à la RO évoluent proportionnellement à l’augmentation des effectifs (en 2025, une hausse de 26 millions d’euros de crédits était ainsi prévue pour la réserve). En 2026, les crédits de dépenses de personnel s’élèvent ainsi à 193 millions d’euros.

L’ouverture vers la jeunesse constitue un pilier fondamental de la politique RH de l’armée de Terre. Celle-ci vise à sensibiliser les jeunes à l’esprit de défense et à assurer un vivier de recrues suffisant pour l’avenir, les deux grands axes de sa stratégie. Elle adopte ainsi une posture proactive de sensibilisation à l’esprit de défense, d’incitation au volontariat et de valorisation de l’engagement militaire comme vecteur d’insertion et d’émancipation.

Parmi les initiatives mises en œuvre, figure le forum Terre Jeunesse, organisé chaque année depuis 2023. S’adressant aux étudiants âgés de 18 à 27 ans, il vise à promouvoir l’engagement militaire comme levier de réussite professionnelle, à mieux faire connaître les dispositifs proposés par l’armée de Terre, et à offrir un espace de dialogue sur la politique jeunesse. La prochaine édition, prévue pour janvier 2026, devrait accueillir entre 500 et 700 participants.

Le contrat de Volontaire découverte de l’armée de Terre (VDAT), expérimenté en 2024 dans le cadre des Jeux olympiques, a permis à une centaine de jeunes de vivre une première expérience d’engagement valorisante tout en allégeant la charge des unités. Fort de ce succès, le dispositif sera reconduit en 2025, avec un volume de 300 VDAT répartis dans dix régiments.

Enfin, le service militaire volontaire (SMV) constitue un outil d’insertion sociale et professionnelle particulièrement efficace. Ouvert aux jeunes de 18 à 25 ans, il associe une formation militaire initiale (1 mois), une formation complémentaire (4 mois) et un parcours de professionnalisation externalisé (400 heures). En 2024, 1 243 volontaires stagiaires (VS) et 245 volontaires experts (VE) ont été recrutés, avec un taux d’insertion de 86 % pour les VS. Depuis sa création en 2015, plus de 10 000 jeunes ont bénéficié du dispositif. L’objectif annoncé est l’incorporation de 1 500 jeunes par an (1 300 VS et 200 VE).

Le financement du SMV repose sur une architecture partenariale, incluant le ministère des Armées, les régions et le Fonds social européen. La formation professionnelle est très largement prise en charge par les régions (94 % en 2024), mais la conjoncture budgétaire de 2025 soulève des incertitudes quant à la pérennité de ce modèle. À la fin de l’année 2024, le coût total du SMV pour le ministère des Armées s’élevait à 46,88 millions d’euros, soit un coût moyen par volontaire estimé à 26 472 euros.

Toute nouvelle implantation d’unité SMV doit répondre à des conditions strictes : adossement à un soutien logistique existant, disponibilité d’infrastructures adaptées, bassin de recrutement disposant de centres de formations professionnelles, un tissu économique et social propice aux partenariats avec les entreprises locales, et une région et des élus favorables au financement de la formation.

Ainsi, votre rapporteure souligne que la montée en puissance de la réserve et son intégration dans les forces d’active vont de pair avec une stratégie ambitieuse d’ouverture vers la jeunesse. Elle permet à la fois de renforcer le modèle d’armée résiliente voulu par la LPM et de répondre à un enjeu sociétal majeur : offrir à la jeunesse des perspectives concrètes d’engagement et d’insertion.

Votre rapporteure recommande que l’on encourage davantage l’accès à ces dispositifs pour les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cela permettrait de les familiariser avec l’armée de Terre et l’esprit de défense, notamment dans les zones où le contact avec les forces armées est peu présent. Ces populations sont décrites un public prioritaire pour l’armée de Terre.

4.   La transformation vers une armée de Terre « au combat » a été poursuivie

Le modèle « au contact » se singularisait par la création d’une capacité de déploiement inédite de l’armée de Terre sur le territoire français dans le contexte des attentats de janvier 2015. Prenant acte de la nouvelle ère stratégique, mise en lumière par le conflit en Ukraine, le modèle « Au combat » met l’accent sur l’aptitude de l’armée de Terre à être engagée dans un conflit symétrique de haute intensité.

L’armée de Terre est ainsi également engagée dans une transformation structurelle de son modèle de ressources humaines, avec la création ou la reconfiguration de près de 9 000 postes depuis 2024, dans le cadre du modèle « au combat ».

Ces effectifs, issus à la fois d’un abondement LPM, de réorganisations internes et de redéploiements interarmées, permettent de renforcer les unités de mêlée et d’appui, les capacités dans les nouveaux champs de conflictualité, les états-majors ou encore les entités relevant des engagements internationaux. Cette transformation s’inscrit dans le cadre plus large des ambitions portées par le programme « Corps d’armée 2030 », et répond également à des besoins extérieurs nouveaux, comme ceux de l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense ou du Commissariat au numérique de défense.

Pour accompagner cette évolution, l’armée de Terre a engagé une série d’adaptations, en mettant l’accent sur l’accroissement du taux d’encadrement. Parmi ces adaptations, on compte celle de sa propre structure, avec le rattachement des organismes de formation à la direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT). On compte également la création de 1 000 postes d’officiers et 800 de sous-officiers. Enfin, le dispositif de recrutement a été densifié, notamment par l’expérimentation du parcours « Volontaires découverte de l’armée de Terre », par le développement de l’enseignement technique militaire (dont la création, depuis 2022, d’une école militaire dédiée), ou encore par l’ouverture d’une filière de BTS aéronautique au sein du lycée militaire de Saint-Cyr.

Parallèlement, l’offre de formation a été revue pour accompagner l’évolution des cadres. Des parcours professionnels renouvelés et un processus accéléré de réorientation participent désormais à garantir une meilleure adéquation entre compétences et besoins opérationnels. Enfin, la condition du personnel reste au cœur des priorités, notamment à travers les dispositifs d’accompagnement des familles et des blessés.

Le surcoût budgétaire induit par cette transformation, bien que difficile à évaluer de manière précise, sera contenu. L’augmentation de la mobilité des personnels n’a pas entraîné de dépenses supplémentaires significatives, tandis que les coûts de formation sont principalement corrélés à la hausse du recrutement prévue par la LPM. Les surcoûts liés aux réorientations internes restent quant à eux marginaux.

Organigramme « Armée de Terre au combat »

Source : rapport réalisé au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 par M. Jean-Michel Jacques, 12 mai 2023

La transformation de l’armée de Terre

L’environnement géopolitique témoigne de la permanence du combat terrestre, qui demeure le milieu privilégié de l’affrontement des volontés. Face aux incertitudes des années à venir, l’adT fait le choix de consolider ses atouts d’armée d’emploi éprouvée, tout en se transformant pour s’adapter à ce changement d’ère stratégique. Le bilan, après deux ans de transformation, confirme que le « plan est bon » selon les mots du CEMAT. Il permet de poursuivre l’objectif d’une armée de Terre stratégique, innovante et soudée.

Sa transformation s’effectue selon 4 axes :

Être et durer : la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) voit la cohérence de son action renforcée, avec pour objectif d’attirer, de générer et de favoriser la fidélisation de la ressource humaine au profit des unités de l’armée de Terre, de l’interarmées et de l’interministériel. Cet enjeu qui s’inscrit pleinement dans l’ambition fidélisation 360, grâce aux leviers déclinés au niveau ministériel et déclinés par l’armée de Terre se traduit in fine par un taux d’encadrement en sous-officiers et officiers plus marqué. Associant pleinement personnel d’active et de réserve, elle construit et préserve les compétences individuelles indispensables à chaque niveau de commandement, intègre et valorise les évolutions sociales et technologiques au sein d’un système des ressources humaines-Terre reconfiguré et contribue à répondre de manière réactive aux défis opérationnels actuels et futurs.

Acteur majeur de l’équilibre entre équipements, stocks et activité, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) porte l’ambition du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T) et logistique d’une armée de Terre de combat, en lien direct avec les industriels, la Direction générale de l’armement (DGA), les directions et services interarmées (DSIA) et les forces. Elle renforce la capacité du MCO-T à soutenir un engagement majeur en contribuant à la préparation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) à la guerre, et en entretenant une capacité industrielle étatique polyvalente et réactive. Simultanément, elle participe à la reconstitution de la profondeur logistique par la coordination au niveau stratégique des contributions des DSIA au soutien de l’armée de Terre.

Protéger : l’armée de Terre participe à un nouvel élan sur le territoire national avec la création d’un État-major interarmées du territoire national (EMIA-TN) sous l’autorité de l’état-major des armées (EMA). La division Terre de cet EMIA-TN contribue à rationaliser les chaînes organiques, opérationnelles et de soutien de l’armée de Terre et à optimiser l’action de l’armée de Terre en disposant d’organes de décision aux niveaux adéquats : local, zonal et national. De même, cette division Terre accompagne la montée en puissance de la réserve, qui va connaître une évolution profonde en appui de la force opérationnelle terrestre ou de la protection des territoires. Elle commandera, in fine, les unités de la réserve territoriale.

L’action des zones Terre s’inscrit en appui de la transformation en assurant la convergence entre les opérations, l’organisation et le soutien, en garantissant la réactivité et commandement de l’armée de Terre sur le territoire national, la cohérence du stationnement et de l’adaptation des infrastructures.

• Agir : le commandement de la force et des opérations terrestres (CFOT), créé par la transformation du Commandement des forces terrestres, s’est réorganisé pour répondre aux évolutions du contexte, aux ambitions de l’armée de Terre dans les trois espaces stratégiques et aux défis que pose la profondeur opérative du champ de bataille. Il exerce par délégation du chef d’État-major des armées (CEMA) le commandement sur les opérations terrestres en Europe. En poursuivant la montée en gamme de l’entraînement, il garantira pour 2027 la capacité des forces opérationnelles terrestres (FOT) à générer une division apte à la haute intensité dans les délais de réactivité attendue, tout en préparant le corps d’armée en 2030.

• Innover : créé en 2023, le commandement du combat futur (CCF) se constitue, après une phase de préfiguration, par la transformation du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC) et par l’intégration d’une chaîne de l’innovation et de l’expérimentation consolidée. Le CCF favorise l’accélération de la transformation de l’armée de Terre, rendue nécessaire par le changement de rythme de l’innovation et de la conflictualité. Il a pour mission d’animer la réflexion sur le combat futur et de proposer des approches innovantes dans les dimensions doctrinale, capacitaire et organisationnelle, en appuyant l’effort sur les enseignements technico-opérationnels afin d’initier les adaptations dans les forces.

De surcroît, les commandements divisionnaires spécialisés issus du modèle Au Contact (système d’information et de communication, renseignement, logistique, maintenance) sont transformés pour créer des commandements orientés vers des missions particulières (le Commandement du numérique et du cyber (CTNC) pour le numérique et le cyber, le Commandement des actions dans la profondeur (CAPR) pour les actions dans la profondeur et renseignement, le Commandement de l’appui et de la logistique de théâtre (CALT) pour l’appui logistique terrestre) ainsi que des États-majors de brigade équivalents à ceux de nos partenaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) (artillerie, génie, renseignement). Dans le même temps, les écoles des fonctions opérationnelles, ainsi que l’enseignement militaire supérieur Terre seront rassemblés avec les écoles de formation initiale dans un commandement de la formation rattaché à la DRHAT.

Source : avis budgétaire 2025 sur les crédits « forces terrestres ».

C.   les livraisons capacitaires se poursuivent même si des lacunes persistent

1.   Les commandes et les livraisons du programme SCORPION en 2026 seront soutenues par la hausse des crédits

Le programme SCORPION permet de moderniser les segments légers et médians de l’armée de Terre et d’accroître les capacités numériques pour opérer au sein d’une « bulle ». Lancé en 2014, il s’agit d’un programme capacitaire ambitieux, pour renouveler les véhicules terrestres de l’armée de Terre (VAB, AMX-10 RC). Il regroupe trois programmes menés en parallèle : l’armement, l’infrastructure et la rénovation à mi-vie du char Leclerc. En parallèle, le déploiement d’un système d’information unique (SICS) inscrit les véhicules dans une démarche de plateforme commune.

L’année 2025 avait été caractérisée par des livraisons importantes de matériel SCORPION, mais peu de commandes. En 2025, les forces terrestres ont obtenu la livraison de 33 véhicules blindés Jaguar, de 150 Griffons, de 103 Serval mais également de 10 véhicules blindés mortiers embarqués pour l’appui au contact (MEPAC). Au-delà du programme SCORPION, d’autres plateformes plus anciennes ont été renouvelées. Les forces terrestres ont bénéficié de 21 chars Leclerc rénovés, de six hélicoptères Tigre au standard appui destruction (HAD), mais également de 8 000 fusils d’assaut HK 416 et d’un lot missile moyenne portée (MMP). Toutefois, aucune commande de Jaguar, Griffon, MEPAC ou Serval n’a été passée en 2025. L’année 2025 avait été seulement marquée par la commande de 8 000 fusils d’assaut HK 416 et d’un lot de missile MMP.

Troisième année de la LPM 2024-2030, l’année 2026 sera marquée par une accélération du pivot de modernisation et d’adaptation de l’équipement des forces, déjà enclenché par la LPM. Le volet capacitaire de la mission Défense bénéficie d’une hausse de 3,3 milliards d’euros au titre des programmes à effet majeur.

En 2026, les forces terrestres devraient bénéficier de nombreuses livraisons de véhicules. L’armée de Terre devrait recevoir 242 véhicules Scorpion, dont 30 Jaguar, 122 Griffon, 20 Griffon MEPAC et 70 Serval. S’y ajoutent 21 chars Leclerc rénovés XLR et 120 Serval « appui Scorpion », issus du programme Véhicule Léger Tactique Polyvalent protégé (VLTP). En parallèle, 8 000 fusils d’assaut HK 416 seront livrés aux unités, de même que des systèmes de décontamination NRBC, des moyens de lutte anti-drones ou des systèmes de drones tactiques.

Des progrès sont également attendus en matière de communications. Le PLF 2026 prévoit la livraison de stations de communication satellitaires Syracuse IV ([6]), des postes Contact et leur intégration dans les véhicules terrestres ainsi que la modernisation continue du système de commandement et de conduite des opérations (SCCOA), qui permet de remplir les missions de surveillance et de contrôle de l’espace aérien, de coordination de la défense sol-air, de préparation et de conduite des opérations aériennes sur le territoire national ainsi qu’en opérations extérieures, dans une approche d’interopérabilité avec l’OTAN.

En parallèle, de nombreuses commandes de véhicules seront passées en 2026 pour accélérer dans le renouvellement de la flotte SCORPION. Il s’agira de 97 véhicules blindés SCORPION (essentiellement des Serval) de 260 Serval type VLTP et de 120 VBL. En outre, des commandes de 242 postes CONTACT pour intégration sur les véhicules Scorpion seront enregistrées. Les postes de radiocommunications Scorpion permettent de doter les forces d’un réseau global, sécurisé et résilient, déclinable dans les trois armées. Les autorisations d’engagements pour le programme SCORPION s’élèvent ainsi à 1,25 milliard d’euros dans le PLF 2026.

L’année 2026 est également marquée par la poursuite des livraisons des infrastructures SCORPION (INFRA SCORPION étape 1). L’objectif de ce programme est, dans cette première étape, de réaliser les infrastructures nécessaires à l’accueil des véhicules Griffon et Jaguar au sein de 40 formations de l’armée de Terre réparties sur 37 sites. En 2026, 2 nouvelles infrastructures seront livrées, portant le total à 35 réalisées sur 37. Les travaux consistent en la rénovation ou la création de hangars de remisage et dédiés à la simulation au combat, de travées d’entretien courant et de maintenance, de postes de lavage, de postes de ravitaillement en carburant, d’ateliers et de magasins multitechniques. Ils consistent également à adapter les infrastructures de formation dans les écoles de formation du soutien de Bourges et de formation à l’emploi d’Angers, Draguignan et Saumur. La réalisation des infrastructures de la force d’expertise du combat SCORPION (FECS) est également prévue.

À moyen terme, la rénovation de 110 VBCI est également programmée dans un futur programme alors que la cible de Serval de lutte anti-drones est portée de 40 à 48 unités en fin de LPM. Le programme pour le « successeur du LRU » (anciennement frappe longue portée terrestre) est doté de 315 millions d’euros et commencera en 2026. Le programme de « rétrofit » des viseurs des chars Leclerc est également accéléré.

Les véhicules Griffon sont en cours de déploiement dans les forces, avec 997 livrés unités d’ici fin 2026 sur 1 818 prévus en fin de LPM. Ainsi, la version Griffon sanitaire (SAN) commence à équiper les forces, alors que les véhicules blindés mortiers embarqués pour l’appui au contact (MEPAC) sont en cours de déploiement depuis 2025. Pour mémoire, le Griffon se distingue du véhicule de l’avant-blindé (VAB) auquel il succède par une meilleure protection (balistique, contre les mines et les engins explosifs improvisés), des capacités d’agression et d’observation accrues (tourelleau téléopéré), une plus grande mobilité et une ergonomie adaptée à l’emploi opérationnel. Le Griffon - Mortier Embarqué Pour l’Appui au Contact (MEPAC) est équipé d’un tourelleau téléopéré de 7,62 mm et du système d’artillerie ATLAS, permettant de garantir un appui feu immédiatement disponible au profit des forces engagées au contact.

Après la projection d’un premier groupement tactique interarmes (GTIA) équipé de 35 véhicules SCORPION au second semestre 2021 dans la bande sahélo-saharienne, dont le retour était très satisfaisant, des Griffons ont également été projetés dans le cadre de l’opération Lynx en Estonie. Ce déploiement a une nouvelle fois confirmé que le SICS et le Griffon répondaient au besoin opérationnel de l’armée de Terre. Pour mémoire, le système d’information du combat SCORPION (SICS) se distingue par son ergonomie permettant une utilisation simplifiée. Il intègre une première capacité de géolocalisation amie (GLA) et d’échange d’informations, apportant une véritable plus-value opérationnelle. Fonctionnant pour l’instant avec le poste radio de 4e génération (PR4G), les développements en cours portent sur l’intégration du SICS sur le système de radio CONTACT. Le Griffon véhicule d’Observation de l’Artillerie (VOA) commence également à être déployé dans les forces (3e régiment d’artillerie de marine (RAMa)) et les premiers retours sont également très positifs. Les capacités d’observation et l’ergonomie du véhicule devraient apporter un gain opérationnel significatif aux équipes d’observation de l’artillerie.

Le Jaguar, dont environ la moitié de la cible de livraison sera atteinte en 2026 (158 sur 300), est quant à lui un véhicule blindé médian de la gamme des 25 tonnes, équipé d’un canon de 40 mm et de missiles moyenne portée (MMP). Successeur de l’AMX10RCR et du VAB Méphisto, il a vocation à équiper les unités de cavalerie. Il doit profondément améliorer les capacités de combat des AMX 10 RCR (protection, mobilité, tir en mouvement, tir de missiles à 4 000 m). Toutefois, en 2021, dans le cadre du pilotage du programme, il a été acté que le développement du Jaguar serait incrémental avec trois standards successifs. Le 1er régiment étranger de cavalerie (1er REC), premier régiment Jaguar, a commencé sa transformation début 2022.

Enfin, le véhicule Serval, bénéficie d’un rythme livraison maintenant bien établi, avec 103 livraisons en 2025 et 70 en 2026. Les premiers Servals ont été livrés au 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) en mars 2023, permettant d’équiper les deux premiers régiments de brigades légères (3e RPIMa et 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA)). Sa mobilité est particulièrement appréciée par les utilisateurs des régiments dotés.

Le programme SCORPION prévoit également la modernisation des fonctions appui et reconnaissance à travers l’acquisition du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), le successeur du véhicule blindé léger (VBL) et l’engin blindé du génie combat (l’EGC), successeur de l’engin blindé du génie (l’EBG). À terme, il se traduira également par la rénovation du véhicule blindé du combat d’infanterie (VBCI). Le VBL est en cours de rénovation au stade ultima (VBL U) pour une cible 880 véhicules.

Le programme de rénovation à mi-vie (RMV) du char Leclerc vise à intégrer ce char dans le combat collaboratif SCORPION (Leclerc dit XLR), à l’adapter aux nouvelles menaces (amélioration des fonctions protection et agression) et à traiter les obsolescences lourdes. Ce programme est constitué de la rénovation du char lancée en réalisation en 2014 et de sa pérennisation nécessaire au maintien de la capacité char lourd. Son lancement en réalisation a été décidé en juillet 2023. La cible est fixée 200 chars rénovés.

 

 

 

 

 

calendrier des commandes et livraisons du programme SCORPION

 

 

Avant 2025

2025

2026

Après 2026

Cible

Jaguar

Commandes

195

0

0

105

300

Livraisons

95

33

30

142

Griffon

Commandes

1 165

0

0

653

1 818

Livraisons

725

150

122

821

VBL U

Commandes

610

120

120

30

880

Livraisons

349

103

115

313

MEPAC

Commandes

54

0

0

0

54

Livraisons

1

10

20

23

Serval

Commandes

881

0

97

0

978

Livraisons

292

103

70

513

RMV Leclerc

Commandes

200

0

0

0

200

Livraisons

34

21

21

124

Source : PAP 2026.

Priorités de la loi de programmation militaire 2024-2030

Les nouvelles priorités de la LPM 2024-2030, s’articulent autour de cinq axes :

– La défense sol-air (5 milliards d’euros de besoins programmés)

– Les drones et les robots (5 milliards d’euros de besoins programmés)

– Les munitions (16 milliards d’euros de besoins programmés)

– Le cyber (4 milliards d’euros de besoins programmés)

– Le renseignement (5 milliards d’euros de besoins programmés)

Source : avis budgétaire 2025.

2.   Le niveau de préparation opérationnelle est en amélioration

L’activité sur les parcs terrestres majeurs est prévue d’augmenter de manière continue pendant la LPM. Pour rappel, l’activité recouvre l’engagement de personnels, les heures « moteur » ou de marches générées par les équipements en service dans les armées et des munitions. Elle peut être réalisée en France comme à l’étranger et sous différentes formes (préparation opérationnelle, OPEX, MISSINT, MISSOPS, etc.). Aussi, la préparation opérationnelle est une part de l’activité dédiée à l’entraînement des forces.

Alors que la préparation opérationnelle était décrite comme un motif de vigilance l’année passée, la trajectoire prévue est maintenant suivie et l’activité n’est plus considérée comme un sujet de préoccupation. Cet objectif de hausse continue de l’activité reste conditionné à plusieurs facteurs concourants : la trajectoire d’augmentation des ressources budgétaires, la tenue du calendrier de livraisons d’équipements et la reconstitution des stocks et munitions. En 2026, le niveau d’activité devrait augmenter de 2 points et atteindre 73 % de la norme d’activité de la LPM.

Les cibles et les normes d’entraînement sont conformes à celles fixées en loi de programmation militaire. Pour mémoire, dans un contexte de durcissement des menaces internationales, il a été décidé que les données relatives à la disponibilité des matériels et à l’atteinte des normes d’entraînement OTAN sur matériel majeur, seraient placées sous la mention « Diffusion restreinte » à compter du PLF 2024. Votre rapporteure appelle à poursuivre les efforts en matière de simulation numérique pour acquérir les savoir-faire tout en préservant les véhicules.

3.   Le maintien en condition opérationnelle est l’objet d’investissements significatifs dans le PLF 2026

Le niveau de maintien en condition opérationnelle des parcs de véhicules est rendu difficile durant la phase de transition vers les véhicules SCORPION. Certains parcs doivent notamment faire face à la coexistence de matériels neufs et de matériels vieillissants, dont le maintien en service a été prolongé. S’agissant des nouveaux matériels (Serval, Jaguar), il est nécessaire d’acquérir encore des données via le retour d’expérience avant de développer une politique de soutien définitive. Le coût d’entretien d’un nouvel équipement suit une courbe en U : important durant les premières années d’utilisation, il se stabilise ensuite à la baisse, avant de repartir à la hausse au fur et à mesure que les obsolescences apparaissent.

La stratégie de soutien SCORPION s’appuie sur trois piliers : des marchés d’acquisition et de soutien initial puis de soutien en service de longue durée, la maintenance opérationnelle réalisée par l’armée de Terre, la gestion de la logistique des pièces de rechange chez l’industriel puis la livraison aux forces.

La forte hausse des crédits de maintien en condition opérationnelle (13 %, soit 190 millions d’euros supplémentaires) permettra d’augmenter le niveau d’activité de 2026 et de consolider l’effort drones établi lors de la LPM, de même que de poursuivre le renouvellement du matériel vers SCORPION et de renouveler les contrats de soutien. Cet effort se poursuivra à moyen terme avec le plan MCO-T 2030, porté par la SIMMT, et qui vise à adapter le maintien en condition opérationnelle à la haute intensité. Le plan MCO-T 2030, lancé en 2024, est centré sur la capacité à agir en engagement majeur. La disponibilité technique (DT) est aujourd’hui considérée comme satisfaisante pour les parcs en métropole ou à l’étranger (OPEX, MISSOPS). Pour l’année 2026, les objectifs sont d’améliorer la DT sur le segment SCORPION et sur le segment de décision (char Leclerc, VCBI, Caesar). Le Jaguar n’ayant pas encore son standard définitif, des surcoûts pourraient être à prévoir.

Un travail important a également été conduit en matière de réapprovisionnement de stocks de pièces de rechange. D’importants travaux ont été menés ces dernières années sous l’égide de la Cour des comptes pour fiabiliser la valeur et la gestion des stocks de l’État, en tenant compte en particulier de la dépréciation due au vieillissement des matériels et au retrait de service des parcs anciens. À l’avenir, avec le plan MCO-T 2030, la logique de flux tendus qui prévalait jusqu’à aujourd’hui évoluera vers marchés hybrides, en particulier sur matériel majeur (Griffon, Serval, Jaguar).

Montants des acquisitions directes de pièces de rechanges effectuées au profit du MCO-T

En millions d’euros

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Flux courant

135

162

85

183

176

255

Source : réponse écrite du ministère des Armées au questionnaire budgétaire.

Note : les données d’une année n correspondent aux achats effectués en n-1.

4.   Des lacunes capacitaires demeurent s’agissant de la frappe dans la profondeur, des moyens de mobilité et de génie et des stocks de munitions

a.   Le renouvellement indispensable du lance-roquette unitaire

Le renouvellement du lance-roquette unitaire (LRU) est une priorité capacitaire majeure, inscrit dans la LPM et décrit comme indispensable pour les opérations de toute nature comme pour la crédibilité stratégique de l’armée de Terre.

Le programme à effet majeur « successeur du LRU », qui vise à acquérir la capacité de frappe longue portée terrestre qui succédera au LRU, est aujourd’hui divisé en deux incréments. Le premier se concentre sur la frappe tactique couverte par le LRU (<150 km), le deuxième sur la frappe opérative (au-delà de 500 km voire de 1 000 km). La capacité de frappe longue portée sol-sol doit être utilisable pour des cadres d’emplois variés, depuis les opérations préventives de démonstration de puissance jusqu’aux opérations de coercition en haute intensité. Les 9 LRU dont dispose actuellement l’armée de Terre ont une capacité à frapper dans la frange 80-100 km et les châssis seront frappés d’obsolescence en 2027. La LPM prévoit ainsi un parc d’au moins 13 systèmes à fin 2030 et 26 à l’horizon 2035.

La phase de préparation du successeur au LRU a été lancée en juillet 2023 pour permettre en 2026 le lancement du programme, doté de 315 millions d’euros dans le PLF. Le lancement du programme en 2026 doit permettre d’étudier différentes options allant du développement d’une solution souveraine à l’acquisition de systèmes étrangers. Ainsi, un partenariat d’innovation a été notifié fin 2024 à deux groupements momentanés d’entreprises Safran - MBDA d’une part et Thales - ArianeGroup d’autre part. Les études de définition préliminaire, suivies d’un tir de démonstration mi-2026, permettront de juger de la maturité et de la crédibilité des deux solutions françaises dans le délai visé. En parallèle la DGA instruit des solutions alternatives basées sur des systèmes étrangers existants.

Votre rapporteure recommande l’accélération du développement d’une solution souveraine et invite à respecter les délais prévus. Une solution souveraine est la seule capable de préserver la liberté d’action de nos armées sur le long terme. Les avantages d’une solution souveraine sont nombreux : une liberté d’emploi, notamment en cas de conflit, une liberté de décision en ce qui concerne l’exportation du matériel (ITAR free), la maîtrise de l’évolution du système, mais également la garantie du caractère souverain de l’outil de production, permettant ainsi de mieux de maîtriser les cadences et les volumes de production dans le cadre de l’économie de guerre.

b.   Des programmes majeurs à concrétiser en matière de mobilité et de génie

Concernant les capacités du génie, les faiblesses identifiées n’ont pas encore débouché sur le lancement de programmes d’ampleur. Les lacunes du génie touchent principalement le brêchage, la dépollution de zone, le franchissement, l’appui à la mobilité et la contre-mobilité. Les décisions prises en LPM sur la remontée en puissance des capacités du génie pour la haute intensité sont confortées par le retour d’expérience de la guerre en Ukraine. Néanmoins, la remontée en puissance n’est pas encore suivie d’effets concrets. Le programme SYFRALL (système de franchissement lourd-léger) couvre le renouvellement des moyens de franchissement de l’armée de Terre. Le marché a été notifié en 2024 pour acquérir 8 portières d’ici 2030, avec une livraison à partir de 2027.

Du côté de l’engin du génie combat (EGC), les commandes devraient être lancées en 2026 pour une livraison des 5 premiers exemplaires à horizon 2030. L’armée de Terre dispose actuellement de l’Engin Blindé du Génie (EBG), dérivé d’un char AMX et mis en service en 1989. Le programme Engin du Génie de Combat (EGC) doit en prendre la suite, comme prévu par la LPM qui prévoit 5 engins en 2030 et 125 à horizon 2035.

Votre rapporteure appelle à accélérer dans ces projets majeurs pour l’armée de Terre afin de reconstituer une arme trop négligée durant les dernières décennies.

Concernant les capacités de mobilité et de logistique, la situation capacitaire des véhicules logistiques demeure toujours dégradée, bien que prise en compte avec un effet positif de la surmarche prévue pour 2026. Sur 2024-2025, les dispositions engagées pour atténuer les difficultés ont concerné, d’une part les premières livraisons, avec notamment les VLTP (véhicule léger tactique polyvalent) en version sanitaire, et d’autre part une accélération des commandes autour du programme flotte tactique et logistique terrestre (FTLT). Le programme (FTLT) vise à remplacer les camions en service de charge utile 4-6 t, les camions-citernes et porte-blindés, les engins de dépannage ainsi que les camions logistiques, en complément des porteurs polyvalents terrestres déjà acquis dans le cadre du programme PPT étape 1. Inscrit comme l’une des priorités du CEMAT, le programme a permis les commandes en 2025 de 152 citernes, 1 110 camions porteurs de charges utiles 6 tonnes (PL6t) et 70 camions-citernes de nouvelle génération (CCNG). Au total, plus de 2 000 véhicules seront livrés sur la LPM mais le programme ne portera ses fruits qu’à partir de 2028, malgré la commande de 300 véhicules supplémentaires grâce à la surmarche prévue pour 2026.

c.   La reconstitution des stocks de munitions est primordiale

La reconstitution des stocks de munitions est une priorité pour l’entraînement des forces et la préparation à la haute intensité. Le niveau des stocks de munitions demeure limité malgré des efforts pour la remontée en puissance, problématique accentuée par les cessions à l’Ukraine. Toutefois, les données précises de munitions sont des informations classifiées qui ne peuvent pas être communiquées dans le cadre d’un avis budgétaire.

Dans le cadre de la programmation, les secteurs jugés prioritaires sont les frappes dans la profondeur et la défense sol-air. L’armée de Terre est particulièrement concernée par la remontée de son stock d’obus de 155 mm, correspondant au standard OTAN d’artillerie compatible notamment avec le Caesar, le renouvellement des missiles anti-char MMP et la constitution d’un stock d’obus de 40 mm compatible avec le canon CTC du Jaguar. À ce titre, il est à noter que les quantités de missiles moyenne portée (MMP) livrés s’inscrivent déjà dans une logique d’économie de guerre. Les munitions MMP sont livrées lors de chaque lot annuel, augmenté depuis 2023. Le système de missile moyenne portée (MMP) est destiné à équiper les unités de combat au contact, certaines unités navales et les forces spéciales débarquées et à les doter d’une capacité de neutralisation de combattants, de cibles blindées et de petites embarcations, de jour comme de nuit jusqu’à 4 000 mètres au minimum. Il remplace notamment le missile de combat terrestre MILAN en service depuis 1974.

Les munitions sont financées à partir des crédits des programmes 146 et 178. D’après les informations transmises à votre rapporteure, 2,4 milliards sont consacrés au sein de la mission défense pour assurer la remontée en puissance des stocks.


II.   Des crédits pour 2026 en hausse au bénéfice de l’entretien du matériel et de l’opérationnalisation des forces

A.   Des crédits en hausse de 14,5 % pour améliorer l’entretien et les livraisons des véhicules et soutenir l’opérationnalisation des forces terrestres

1.   Les crédits pour 2026 témoignent d’un effort marqué au bénéfice de l’armée de Terre

Les crédits de l’armée de Terre pour 2026 sont en hausse de 14,5 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2025, pour atteindre 2,5 milliards d’euros. Selon les informations transmises à votre rapporteure par le major général de l’armée de Terre, les crédits permettront d’augmenter de deux points le niveau d’activité terrestre (73 %), de soutenir les livraisons du parc SCORPION (242 véhicules prévus en 2026) et leur entretien et de poursuivre la pérennisation du char Leclerc. L’effort des crédits pour l’armée de Terre permettra également de renforcer l’opérationnalisation des forces terrestres, avec la réalisation de l’exercice Orion 2026 puis la prise d’alerte OTAN, la formation et le recomplètement des munitions.

Au sein du programme 178 « préparation et emploi des forces », les crédits alloués au sein du budget opérationnel de l’armée de Terre (BOP Terre) sont inscrits à l’action 2 « Préparation des forces terrestres », qui compte cinq sous-actions. Dans le PLF 2026, 15,9 milliards d’euros sont affectés au programme 178 « Préparation et emploi des forces », dont près de 2,5 milliards d’euros en crédits de paiement pour l’action « préparation des forces terrestres », soit une hausse de 14,5 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2025.

Selon les informations transmises à votre rapporteure en réponse à son questionnaire budgétaire :

 S’agissant de la sous-action 1 « Commandement et activités des forces terrestres » : les crédits sont en hausse de 4,8 % en CP, pour atteindre 252,1 millions d’euros, en raison de la réalisation de grands exercices programmés ;

 S’agissant de la sous-action 5 « Ressources humaines des forces terrestres » : les crédits sont en hausse de 10,3 % et s’élèvent à 152,6 millions d’euros, cette augmentation absorbe les nouveaux besoins issus des métiers techniques en tension (cyber, numérique) et permet le renforcement de la formation vers la haute intensité ;

 S’agissant de la sous-action 7 « Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces terrestres » : les crédits sont en hausse de 13,4 % en crédits de paiement et 22,8 % en autorisation d’engagement, ce qui représente 1,7 milliard d’euros en CP et 2,2 milliards d’euros en AE. Le PLF 2026 engage un effort budgétaire marqué dans le maintien en condition opérationnelle des forces terrestres, qui est détaillé dans la partie sur l’entretien programmé du matériel ;

 S’agissant de la sous-action 8 « Environnement opérationnel des forces terrestres » : les crédits s’élèvent à 279,1 millions d’euros, soit une hausse de 7,8 % en crédits de paiement, afin de soutenir les équipements de cohérence, de soutenir le recomplètement en munitions et de développer l’innovation ;

– En dernier lieu, s’agissant de la sous-action 11 « Infrastructures terrestres » : les crédits de paiement sont en hausse de 31 % en conséquence des projets structurants dont les espaces d’entraînement alors que les AE sont en nette diminution conformément à la livraison d’infrastructures.

CrÉdits de l’action 2 « PrÉparation des forces Terrestres » du programme 178 pour 2026 par sous-actionS

en millions d’euros

S/Action

Rubrique

AE
LFI 2025

AE PLF 2026

Évolution en %

CP
LFI 2025

CP PLF 2026

Évolution en %

SA 02-01

Commandement et activités des forces terrestres

249,7

259,6

+4,0 %

240,6

252,1

+4,8 %

SA 02-05

Ressources humaines des forces terrestres

140,1

154,6

+10,4 %

138,3

152,6

+10,3 %

SA 02-07

MCO du matériel des forces terrestres

1 800,3

2 210,0

+22,8 %

1 465,1

1 661,6

+13,4 %

SA 02-08

Environnement opérationnel des forces terrestres

262,8

273,3

+4,0 %

259,1

279,1

+7,8 %

SA 02-11

Infrastructures terrestres

304,3

197,8

-35,0 %

107,6

141,2

+31,3 %

TOTAL

2 757,2

3 141,6

+13,9 %

2 210,6

2 530,3

+14,5 %

Source : PAP 2026.

2.   Présentation des crédits par nature et opération stratégique

a.   Les crédits ventilés par titre : une hausse des ressources de 4 %

ÉVOLUTION DES RESSOURCES POUR L’ARMÉE DE TERRE PRÉVUES EN LOI DE FINANCES INITIALE ET EXÉCUTÉES PAR TITRE DEPUIS N-3

Autorisations d’engagement

 

 

2022

2023

2024

2025

2026

Évolution 25-26

 

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

PLF

(en %)

titre 2

7 277

7 422

7 805

7 757

8 077

8 043

8 121,2

8 222,4

1 %

titre 3

2 943,4

2 619,36

1 505,3

2 453,66

2 422,7

2 979,6

2 310,4

2 776,1

20 %

titre 5

190,1

506,76

415,7

382,92

434,1

216,0

438,9

357,6

- 19 %

titre 6

4,7

6,16

4,7

7,69

4,9

6,6

7,9

7,9

0 %

total hors T2

3 138,3

3 132,28

1 925,6

2 844,27

2 861,7

3 202,2

2 757,2

3 141,6

14 %

Total

10 415

10 494

9 731

10 602

10 939

11 245,2

10 878,2

11 363,6

4 %

Crédits de paiement

 

 

2022

2023

2024

2025

2026

Évolution 25-26

 

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

PLF

(en %)

titre 2

7 277

7 422

7 805

7 757

8 077

8 043

8 121,2

8 222,4

1 %

titre 3

1 445,82

1 929,29

1 643,43

2 103,61

1 901,06

2 496,56

1 977,7

2 225,7

13 %

titre 5

219,70

330,80

235,11

203,66

287,55

289,65

225,0

296,7

32 %

titre 6

4,70

4,46

4,70

7,60

4,90

6,57

7,9

7,9

0 %

Total hors T2

1 670,22

2 264,55

1 883,24

2 314,87

2 193,51

2 792,80

2 210,6

2 530,3

14 %

Total

8 948

9 675

9 688

10 073

10 271

10 835,8

10 331,8

10 752,7

4 %

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

Les ressources de l’armée de Terre sont en hausse de 4 %, avec des évolutions contrastées selon la nature des dépenses.

– Les dépenses de personnel (titre 2) demeurent relativement stables en AE comme en CP (hausse de 1 %), après des années de forte augmentation en raison du contexte inflationniste et de la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) ;

– le titre 3 (fonctionnement) présente des variations à la hausse de 20 % en autorisations d’engagement (AE) et 13 % en crédits de paiement (CP) s’expliquant par un effort appuyé concernant l’entretien programmé des matériels ; la prise en compte de grands exercices dont ORION 26 ainsi que la prise d’alerte par la France de l’ARF (force d’action rapide) ([7]) de l’OTAN ; des coûts liés à la formation, afin de l’adapter au repyramidage des effectifs, à l’accroissement de la technicité des postes, au besoin d’internationalisation et au développement de formations techniques et l’effort de recomplètement en munitions ;

– pour le titre 5 (investissement), les variations majeures (hausse de 32 % en CP mais baisse de 19 % en AE) sont liées à la livraison d’infrastructures, ce qui réduit les AE, ainsi qu’à un effort sur les équipements d’accompagnement et de cohérence ce qui se traduit par de nombreux investissements en CP (développement de l’innovation dans les unités de l’armée de Terre, outillage, équipement des forces spécialisées, moyens numériques et système d’information opérationnelle et de commandement) ;

– Les dépenses de titre 6 (intervention) sont stables.

b.   Les crédits ventilés par opération stratégique (OS) : une hausse des crédits de paiements de 14 %

ÉVOLUTION DES RESSOURCES PILOTÉES PAR L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE, VENTILÉES PAR OPÉRATION STRATÉGIQUE

En millions d’euros, CP

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

Opération stratégique

2024

2025

2026

Évolution

CP ([8])

LFI

Exécution

LFI

PLF

 

AOP ([9])

216,9

350,5

257,9

270,4

5 %

FAS ([10])

133,4

177,8

146,8

163,0

11 %

EAC ([11])

261,0

462,6

247,8

314,9

27 %

EPM ([12])

1 458,2

1 699,9

1 450,5

1 640,7

13 %

dont EPM-Terre

914,1

1 073,7

882,3

967,1

10 %

dont EPM-Aéro

537,3

619

561,3

666,0

19 %

dont EPM-Naval

6,8

7,1

6,9

7,6

10 %

Infrastructures

123,9

105,2

107,6

141,2

31 %

Total

2 193,5

2 796,1

2 210,6

2 530,3

14 %

La dotation 2026 de l’opération stratégique (OS) « activité opérationnelle (AOP) » est en hausse de 5 % par rapport à 2025 en raison des activités programmées pour préparer les engagements opérationnels des forces terrestres. Ces crédits permettront de garantir l’opérationnalisation des éléments organiques de division au sein de la force opérationnelle terrestre (FOT), en particulier ses éléments organiques de division à travers la réalisation de l’exercice ORION 2026. En outre, ces crédits permettent de conforter la contribution à la posture opérationnelle de l’OTAN (prise d’alerte ARF 26, exercice STEADFAST DETERRENCE) et de poursuivre la transformation des systèmes de PC de niveau 1 à 3 (corps d’armée, division et brigade) par le déploiement de moyens de connectivité hybrides garantissant un niveau de classification interopérable avec les moyens de l’OTAN. La connectivité des forces au réseau One Web permettra d’assurer une connectivité par satellite, avec une solution européenne indépendante, dans l’attente du lancement de la constellation IRIS² ([13]). Enfin, ces crédits permettront de renforcer l’interopérabilité bilatérale en réalisant des exercices de signalement stratégique en Europe (BRAVE HUSSARD en Pologne) et en milieu grand froid (COLD RESPONSE en Norvège).

L’exercice ORION 2026

ORION 26 est un exercice majeur interarmées et interministériel organisé par l’état-major des armées.Il s’inscrit dans la manœuvre stratégique de l’OTAN et prépare les forces armées à la prise de l’Allied Reaction Force (ARF) au 1er juillet 2026 pour l’armée de Terre. ORION 2026 sera l’occasion de pratiquer des dizaines d’expérimentations dans différents domaines d’innovations, notamment dans les drones. ORION 2026 bénéficiant également du retour d’expérience ORION 23, les soutiens et de la logistique seront au cœur de l’entraînement, afin de les tester en haute intensité. L’exercice permettra également de tester la résilience des capacités de commandement et de contrôle (C2) dans un environnement multi-milieu et multi-champs (M2MC).

Outil de signalement stratégique à l’égard des compétiteurs, ORION 2026 permettra à la France de renforcer ses capacités en tant que nation-cadre et contribuera à la communication de l’OTAN. L’exercice mobilisera 10 000 soldats, dont 15 % issus de pays étrangers, et plus de 3 000 véhicules.

L’exercice est organisé en 4 phases :

– ORION 1, en décembre 2025 et janvier 2026, phase de plannification ;

– ORION 2, en février, manœuvre en terrain libre dont l’objectif général est d’entraîner la structure nationale de commandement de niveau opératif et tactique ;

– ORION 3, en mars, phase de gestion interministérielle de la crise sur le territoire nattional ;

– ORION 4 en avril, exercice de commandement en terrain libre de haute intensité.

Source : réponses écrites au questionnaire budgétaire.

Les crédits de l’OS « fonctionnement et activités spécifiques (FAS) » sont en hausse de 11 % par rapport à 2025 en raison de l’accroissement des effectifs dans les forces de souveraineté et servant dans les organisations internationales (OTAN) ainsi que d’un effort particulier effectué sur la formation. L’effort de formation doit permettre de l’adapter au repyramidage des effectifs et au développement de formations techniques, principalement à l’EMPT (école militaire préparatoire technique). Cette hausse de crédits permet également de prendre en compte l’ambition jeunesse au travers de la JDC nouvelle génération et de financer l’augmentation des mutations nécessaires à la transformation de l’armée de Terre, la hausse des effectifs permanents des forces de souveraineté, et du personnel en poste OTAN.

À ces évolutions d’effectifs s’ajoutent les revalorisations annuelles des plafonds d’indemnisation des frais de déplacement ainsi que l’augmentation des prix du transport aérien et des prestations de déménagement.

Dans le détail, les trois opérations budgétaires (OB) suivantes sont en hausse :

– En hausse de 4,4 % comparativement à la LFI 2025, l’OB « mobilité des personnels » permettra de finance les changements de résidence pour raisons de service du personnel militaire et civil ;

 – Augmentée de 15,0 %, l’OB « soutien des ressources humaines » permettra de couvrir les dépenses liées aux actions de recrutement et de formation, notamment dans les métiers techniques (cyber, numérique).

– Une OB « Énergies : gaz et électricité » est créée pour retracer les crédits destinés à l’énergie non opérationnelle.

S’agissant du maintien en condition opérationnelle, les crédits pour 2026 dans l’entretien programmé du matériel (EPM) sont marqués par une forte hausse de 190,2 millions d’euros, les portant à 1,6 milliard d’euros (+13 %).

Ressources allouées à l’entretien programmé des matériels (EPM) de l’Armée de Terre pour les années 2024, 2025 et 2026

CP en millions d’euros

 

LFI 2024

LFI 2025

PLF 2026

Écart 25-26

EPM terrestre

914

882

967

+85

EPM aéroterrestre

537

561

666

+105

EPM Naval

6,9

6,9

7,6

+0,6

Total EPM

1 458

1 451

1 641

+191

Source : réponse écrite au questionnaire budgétaire.

L’agrégat EPM terrestre est en hausse de 85 millions d’euros pour atteindre 967 millions d’euros. Les ressources allouées à l’EPM du milieu terrestre représentent 59 % de l’EPM global de l’armée de Terre. Cette part d’EPM du milieu terrestre est également prépondérante au niveau du BOP Terre, équivalant à 38 %. Il regroupe l’EPM « matériel terrestre » et l’EPM « matériel Scorpion ».

En premier lieu, la ressource « EPM matériel terrestre » est stable en CP à 761,9 millions d’euros et en baisse en AE de 2,7 %, ce qui se justifie par un moindre besoin d’engagement de marchés pluriannuels par rapport à 2025 (AMX10 RC et VBCI). Cette ressource devrait garantir le niveau de disponibilité des véhicules blindés et soutenir la montée en puissance du parc de véhicules d’appui. Les crédits permettront aussi de poursuivre les opérations de pérennisation du char Leclerc, au travers de l’achat de pièces de rechange et la rénovation de certains équipements. La flotte VBL sera modernisée au nouveau standard ULTIMA ([14]). Enfin, il s’agit avec ces crédits d’assurer les ultimes prolongations et les opérations de stockage d’une partie des parcs en fin de vie (VAB et LRU notamment) et de mettre en œuvre le nouveau marché de soutien du VBCI. Le maintien en conditions opérationnelles des matériels de mobilité et de génie sera amélioré.

En second lieu, l’EPM « matériel terrestre SCORPION » est en baisse de 5 % en AE (237,8 millions d’euros) en raison d’un moindre besoin d’engagements de marchés pluriannuels par rapport à 2025 sur les parcs Griffon et Jaguar. L’augmentation de 67 % en CP, pour atteindre 202,9 millions d’euros, permettra d’assurer l’entretien et l’augmentation d’activité des parcs connaissant en 2026 une forte augmentation des livraisons (Griffon MEPAC, Jaguar et Serval).

L’EPM « flottes aéroterrestres » est en augmentation de 105 millions d’euros, soit une hausse de 18,6 % en CP et 76,5 % en AE, pour assurer le financement de mini-drones DT46 destinés aux missions de renseignement d’origine image et d’acquisition d’objectifs, l’engagement de marchés pluriannuels pour les flottes Tigre, Cougar et Caiman et la hausse des coûts de maintenance associés. Les crédits permettront aussi de déployer 4 Caïman à Djibouti.

Enfin, l’EPM « milieu naval ADT » est en hausse en AE de 189,3 %, justifiée par l’engagement de marchés pluriannuels de soutien des tracteurs sous-marins et des propulseurs sous-marins de 3e génération équipant les plongeurs de l’armée de Terre.

Les crédits d’équipement d’accompagnement et de cohérence (EAC) regroupent les acquisitions de munitions non complexes destinées à la préparation opérationnelle (petits calibres et mortiers), de munitions spécifiques pour les forces spéciales ; le financement des besoins du domaine « système d’information et de communication » et les acquisitions de petits équipements (outillage, véhicule spécialisé de la gamme commerciale, matériel du génie), les expérimentations et évaluations de la section technique de l’armée de Terre (STAT) ; les acquisitions d’équipements divers (outillage de maintenance, véhicules spécialisés de la gamme commerciale, équipements des forces spéciales, engins de travaux publics, matériel de manutention, matériel nautique) et les investissements au profit de la préparation opérationnelle dans les domaines de la simulation et de la ciblerie des champs de tir.

Dans le PLF 2026, ces crédits augmentent de 27 % en CP et 22,3 % en AE par rapport au PLF 2025, pour maintenir l’effort de recomplètement en munitions (notamment de 155 mm) et développer l’innovation dans les unités de l’armée de Terre. Ces crédits s’élèvent ainsi à 314,9 millions d’euros en CP et 311,7 millions d’euros en AE.

Les crédits de l’OS INFRA ont vocation à financer les infrastructures spécifiques concourant à la préparation opérationnelle de l’armée de Terre. L’OS recouvre les dépenses liées à la construction, la modernisation et le maintien en condition de ces infrastructures. Les CP poursuivent une trajectoire haussière (+31%), en raison de la poursuite en 2026 de projets structurants (APOGEE ([15]), ENSOA ([16])) et aux opérations liées à l’arrivée de matériels Scorpion). Plusieurs opérations d’ampleur sont attendues en 2026 :

– l’adaptation des infrastructures pour l’accueil des fonctions « communication, command & control » (3C), notamment au poste de commandement et à l’état-major du commandement des actions en profondeur et du renseignement (CAPR) ;

– la rénovation et la mise aux normes des infrastructures aéronautiques sont devenues nécessaires pour accueillir les nouveaux aéronefs exploités par l’armée de Terre. À ce titre, l’atelier de maintenance du 61e régiment d’artillerie fera l’objet d’une adaptation pour l’arrivée de nouveaux drones ;

– l’adaptation de ses infrastructures techniques, avec par exemple la construction d’un bâtiment de maintenance pour les drones au 61e régiment d’artillerie ;

– le développement des infrastructures de préparation opérationnelle (pour rejoindre le standard de haute intensité pour tous les régiments) et de celles des douze espaces d’entraînement dans les domaines de la manœuvre, du tir, de l’aguerrissement et du combat en zone urbaine ;

– la création du pôle national des opérations aéroportées (PNOAP) à Toulouse.

B.   Des points de vigilance pour 2026 portent sur le montant des reports de charges, le remboursement des surcoûts opérationnels et des décisions à prendre sur le segment lourd

1.   Le niveau des reports de charge et de restes à payer est préoccupant

Avec l’accélération de la LPM prévue par la surmarche dans les crédits pour 2026, le risque est d’accroître le report de charge déjà préoccupant dans la mission Défense. L’atteinte de l’objectif de hausse des crédits de fin de LPM en 2027 suppose d’être en capacité d’exécuter de facto ces dépenses, sans générer une cavalerie budgétaire excessive avec deux conséquences néfastes. D’une part, le report de charge met en tension la gestion de la trésorerie des fournisseurs et du ministère des Armées. D’autre part, elle rigidifie les crédits, en contraignant l’engagement de dépenses prévues normalement une année passée.

Depuis l’année 2024 et le début de la loi de programmation militaire, l’exécution budgétaire de la mission Défense est pénalisée par des reports de charges, qui s’élèvent à 8 milliards d’euros fin 2024. Le report de charges désigne des dépenses reportées en début d’année suivante, faute de capacités d’engager les crédits alors que le matériel a été livré. Le report de charges constitue une sorte de fonds de roulement pour le ministère de la Défense, avec des conséquences négatives pour la trésorerie des industriels comme pour le ministère, qui doit payer des intérêts moratoires. Fin 2024, le report de charges a atteint 23,8 % des crédits de la mission Défense hors masse salariale, un niveau dénoncé par la Cour des comptes dans son rapport sur l’exécution budgétaire. Le report de charges a été aggravé, fin 2024, par le maintien de crédits gelés en fin de gestion, pour un montant de 775 millions d’euros. Votre rapporteure sera vigilante à ce que ce niveau retrouve un niveau acceptable fin 2025, au minimum en repassant sous le seuil de 20 %. Surtout, la surmarche prévue par le PLF 2026 ne doit pas se traduire par une aggravation de même ampleur du report de charge l’année prochaine, ce qui rendrait de fait inopérant l’accélération de la LPM.

Sur le BOP Terre, le reste à payer s’élève à 5,9 milliards d’euros à fin 2024. Le reste à payer englobe les reports de charges et les paiements à venir non réalisés. Le reste à payer témoigne donc d’une contrainte sur la capacité à engager les crédits de paiement, ce qui pourrait être encore accru par la hausse prévue dans le PLF 2026. L’essentiel du reste à payer du BOP Terre est porté par l’entretien programmé du matériel, au titre notamment du Tigre et du Guépard. À fin 2025, le reste à payer prévisionnel est estimé à 6,4 milliards d’euros, soit une augmentation de 522 millions d’euros. Or, dans un contexte d’accroissement des contrats de MCO de long-terme plus verticalisés, un risque existe d’augmenter encore ces restes à payer. La hausse des crédits de l’entretien programmé du matériel (EPM) devrait permettre de réduire ce montant, ce à quoi votre rapporteure sera vigilante en fin de gestion.

2.   Le remboursement des surcoûts opérationnels doit être clarifié

L’engagement sur le flanc oriental est réalisé sous le régime budgétaire et opérationnel des missions opérationnelles (MISSOPS). Les surcoûts résultant de ces opérations font l’objet d’un traitement budgétaire spécifique : certaines dépenses sont imputées sur le BOP OPEX-MISSINT et d’autres sont préfinancées par le budget opérationnel terrestre, dans l’attente d’un remboursement prévu dans le cadre de l’article 5 de la LPM. En pratique, le financement résultant des surcoûts s’opère en fin de gestion. Ainsi, l’armée de Terre ne dispose pas de ressources financières en propre pour les dépenses résultant du renforcement du flanc est de l’OTAN et doit préfinancer une partie des surcoûts, en attente d’arbitrages de fin de gestion. Les surcoûts ont atteint 217 millions d’euros en 2024. Pour 2025, ces montants ne sont pas encore consolidés.

Dès lors, votre rapporteure appelle à clarifier le statut juridique des MISSOPS pour les rapprocher des OPEX et imputer directement les dépenses sur le BOP dédié. Les missions sur le flanc est pourraient ainsi bénéficier d’une prévision de dépense individualisée en loi de finances initiale, sans recourir à des arbitrages de fin de fin de gestion qui mettent l’armée de Terre sous pression.

3.   La rénovation du segment lourd de décision nécessite une stratégie de long-terme

a.   Le programme de char du futur doit se concrétiser

Comme dans son avis budgétaire pour 2025, votre rapporteure regrette les lenteurs dans la mise en œuvre concrète du programme de char du futur (MGCS), alors que le besoin de remplacement du char Leclerc à l’horizon 2040 constitue un besoin prioritaire pour l’armée de Terre. Votre rapporteure salue néanmoins le lancement de la co-entreprise franco-allemande en avril 2025.

En 2026, 115 millions d’euros sont ainsi affectés en AE pour lancer le développement du char, ce qui pourrait permettre d’accélérer le programme, en lançant une phase d’étude et de démonstration technologique.

Pour mémoire, depuis 2018, le programme MGCS (Main Ground Combat System) vise à développer et produire un système de combat qui succédera au char Leclerc, dans le contexte d’une coopération franco-allemande structurante, à horizon 2040. Le MGCS sera le système majeur pour emporter la décision dans le milieu terrestre. Il apportera une capacité « haut du spectre » pour faire face aux futures menaces et pleinement intégrée au combat collaboratif. Ceci imposera de combiner localement plusieurs fonctions dans un système multiplateforme : se déplacer, détruire la menace jusqu’au haut du spectre futur, observer, détecter, décamoufler, identifier à une portée accrue, perturber, brouiller, détruire les capacités de détection ennemies, fusionner les données, maîtriser les réseaux, améliorer la supervision, se protéger, réduire sa signature, prévenir l’impact, neutraliser les effets, s’intégrer au combat collaboratif.

Un marché pour la première étape d’étude d’architecture système a été attribué par l’Allemagne à un acteur industriel réunissant KMW, KNDS France (assisté de Thalès pour assurer l’intégration de MGCS à Scorpion) et Rheinmetall. Ce marché a depuis fait l’objet d’un avenant pour permettre l’approfondissement des travaux d’étude d’architecture qui se sont achevés en 2023.

En avril 2024, un mémorandum d’entente a été signé entre les deux nations pour permettre la restructuration du programme selon une approche par niveaux et piliers afin de démarrer les travaux de R&T incluant des démonstrations. Ces travaux d’études et de démonstrations technologiques seront conduits par une co-entreprise créée en avril 2025, de droit allemand, constituée à parts égales entre KNDS France, Thalès, KNDS Allemagne et Rheinmettal. Le projet est organisé en huit piliers (plateforme, fonction canon, fonction feu innovante, système de mission, simulation, capteurs, protection et infrastructures) pour assurer un partage des tâches efficaces entre les deux pays.

Maintenant que le mémorandum a été signé et que la société a été créée, il s’agit de lancer la signature d’un premier contrat « LPA » (Level Pillar Approach) en 2026. Les contrats devront permettre de lever progressivement les incertitudes sur la stabilité financière et politique du projet.

En attendant l’arrivée de son successeur, le char Leclerc poursuit sa modernisation pour faire la jonction avec le MGCS. Les travaux de rénovation sont réalisés sur le site de l’industriel KNDS France à Roanne. Au total, 200 chars modernisés ont été commandés par la DGA.

b.   L’avenir de l’aérocombat

La LPM 24-30 a pérennisé, pour l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), une maquette à 147 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (HRA) et à au moins 105 hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA) en fin d’exercice. Des efforts de renouvellement importants doivent encore se concrétiser d’ici la fin de la LPM.

Le Tigre est un hélicoptère de combat pouvant assurer la lutte de jour comme de nuit contre des objectifs terrestres durcis ou aériens lents. Il assure des missions d’appui-protection (version Tigre HAP) et d’appui-destruction (version Tigre HAD). Sa vitesse élevée et sa manœuvrabilité sont optimales pour le vol tactique. La version HAP dispose d’un canon de 30 mm et de roquettes et peut embarquer quatre missiles MISTRAL. La version HAD peut embarquer en outre des missiles de destruction air-sol (HELLFIRE 2). Le développement du standard Mk3 du Tigre, issu d’une coopération franco‑allemande initiée dans les années 1980, est aujourd’hui conduit sous maîtrise d’ouvrage déléguée de l’OCCAR, en partenariat avec l’Espagne. Pour mémoire, en 2021, l’Allemagne a annoncé son retrait sur l’évolution vers le standard 3, ce qu’elle a confirmé en 2023.

Dans la LFI 2024, l’activité « Hélicoptère de combat du futur » a été créée pour permettre le renouvellement des capacités d’hélicoptères d’attaque, successeur du Tigre à l’horizon 2040. Le programme prévoit en particulier d’analyser le besoin futur de capacités d’attaque pour l’aérocombat à cet horizon et d’en définir les concepts d’architectures capacitaires.

À terme, le parc Tigre restera stable à 67 appareils. La rénovation d’une partie du parc, menée en coopération avec l’Espagne et dont le volume reste à préciser, débutera en 2030. Des décisions sont donc attendues sur l’avenir du Tigre après 2030. La hausse des crédits de l’EPM flotte aéroterrestre devrait permettre d’engager ces programmes, de même que de réduire le montant de restes à payer.

S’agissant de l’hélicoptère interarmées léger Guépard (HIL), le premier vol a eu lieu le 24 juillet 2025 à Marignane. Le HIL a vocation à remplacer cinq modèles d’hélicoptères différents actuellement en service. Les HIL sont destinés à la réalisation d’un large spectre de missions opérationnelles en dehors du champ des missions confiées aux hélicoptères spécialisés (Tigre, NH90 Caïman, Cougar et Caracal) : renseignement, appui feux, lutte anti navire, protection, transport léger, soutien logistique léger, secours, appui au commandement et formation. Ils remplaceront progressivement les flottes d’Alouette III, Gazelle, Dauphin, Panther et Fennec. Le programme a été lancé en 2017 pour des premières livraisons à horizon 2027. À terme, l’armée de Terre devrait être dotée de 80 HIL, dont 18 en fin de LPM. Il s’agit maintenant d’accélérer dans ce programme.

S’agissant des hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA), la cible Caïman sera de 81 aéronefs en 2029, dont 18 au standard forces spéciales et le parc Puma vieillissant devrait atteindre 10 aéronefs.

Le format de l’ALAT doit également intégrer la dronisation de l’aérocombat. La dronisation doit permettre de développer un système de combat qui intégrera de manière optimisée des plateformes habitées et non habitées dans le but de renforcer significativement l’efficacité opérationnelle de l’ALAT sur l’intégralité du spectre de la conflictualité. En attendant la pleine maturité du système d’aérocombat du futur, prévue à l’horizon 2045, l’introduction des drones sera progressive avec deux axes de développement : effecteurs lancés depuis des aéronefs (ELA) au travers de munitions téléopérées ; développement d’un drone tactique d’aérocombat (DTA). Les crédits pour 2026 devraient permettre de soutenir les commandes de drones, notamment les DT 46 pour le renseignement et les drones FPV pour l’entraînement.


   Deuxième partie : « Gagner la guerre avant la guerre » : Quelles priorités pour l’armée de terre ?

« Notre but est de gagner la guerre avant la guerre » : c’est ainsi que le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général d’armée Pierre Schill, résumait la mission de l’armée française, lors de son audition du 9 juillet 2025 devant la commission de la défense nationale de l’Assemblée nationale.

La doctrine « gagner la guerre avant la guerre », formulée par le chef d’état-major des armées (CEMA), le général d’armée Thierry Burkhard en 2021, incarne une inflexion majeure de la vision stratégique des armées. Dans un contexte de compétition stratégique mondiale accrue, la France ne peut plus se contenter de réagir une fois le conflit engagé. Il s’agit désormais d’agir en amont du déclenchement des hostilités, en combinant les moyens militaires, diplomatiques et informationnels, pour dissuader, contenir ou déstabiliser l’adversaire potentiel avant que le conflit n’éclate.

La bascule géostratégique, marquée selon les mots du CEMAT par « l’urgence et la radicalité », justifie une déclinaison de cette stratégie pour l’armée de Terre. D’une part, on assiste à une dégradation du contexte international, en raison des menaces hybrides, de la montée des puissances rivales et de la multiplication des conflits. Les menaces hybrides sont celles qui combinent des actions de déstabilisation au caractère progressif, dissimulé et multidimensionnel (économique, informationnel, politique, militaire). Elles sont « sous le seuil de la guerre » car elles ne doivent pas être suffisamment graves pour justifier un conflit ouvert avec l’opposant. Le contexte géopolitique est également marqué par les avancées de l’armée russe en Ukraine – le président de la République a affirmé que l’objectif de la Russie était une « capitulation » ukrainienne –, ainsi que des tensions persistantes au Moyen-Orient. La guerre des « 12 jours » entre Israël et l’Iran et l’intensification du conflit dans la bande de Gaza témoignent de la remise en cause persistante du droit international. Dès lors, la guerre en Ukraine et les conflits au Moyen Orient sont la traduction concrète d’une instabilité stratégique marquée par le recours désinhibé à la force, la fébrilité des alliances et le recul du multilatéralisme.

D’autre part, l’allié américain, moteur et garant historique de la défense atlantique, fait montre d’un certain désengagement. Alors que la sécurité européenne a été construite depuis 1949 sur l’assistance mutuelle en cas d’agression, le président Trump a laissé entrevoir à plusieurs reprises qu’il n’interviendrait pas en Europe pour défendre un membre de l’OTAN. Les États-Unis entretiennent par ailleurs l’ambigüité sur leur volonté d’apporter des garanties de sécurité à l’Ukraine dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu.

Votre rapporteure a donc choisi de consacrer la deuxième partie de son avis budgétaire à la déclinaison de la stratégie « gagner la guerre avant la guerre » pour l’armée de Terre, afin de souligner les transformations permises par le budget pour 2026, qui propose d’accroître les ressources de l’armée de Terre de 14,5 %. Ce budget, porté à 2,5 milliards d’euros de crédits, doit donner les moyens à l’armée de Terre de rester la garantie de sécurité du territoire et de la Nation. Cette partie du rapport permet d’évoquer les travaux entrepris par l’armée de Terre, dans un contexte géopolitique troublé, pour protéger la souveraineté de la Nation. L’objectif de votre rapporteure est d’inscrire les crédits alloués à l’armée de Terre dans un contexte stratégique, pour remettre en perspectives le budget des forces terrestres proposé au vote des parlementaires. Les crédits pour 2026 permettront en effet à l’armée de Terre de poursuivre une stratégie cohérente et ambitieuse, pour accélérer les développements en cours et préparer l’avenir. La France a besoin d’une armée de Terre de combat, prête au besoin à défendre le territoire et à s’engager en coalition.

Cette stratégie implique pour l’armée de Terre de disposer d’une armée forte, dissuasive, avec un moral élevé, s’appuyant sur une Nation soudée, et sur un outil industriel puissant. L’armée de Terre doit être capable d’imposer des rapports de force dissuasifs pour gérer l’escalade et montrer sa détermination. Elle doit donc, par l’envoi de signaux stratégiques, être à la fois crédible à l’égard de ses alliés et redoutée par ses adversaires. Le contexte stratégique actuel se caractérise par des menaces crédibles à l’encontre de la France comme de nos alliés et partenaires ; mais surtout par le rétablissement de rapports de puissance. C’est le sens de l’expression « gagner la guerre avant la guerre » : il faut être crédible, sans faiblesse pour prévenir l’engagement. L’armée de Terre a toute sa place à jouer dans ce dispositif, pour incarner un pilier de la souveraineté nationale.

Cette stratégie suppose également d’être prêt à s’engager en haute intensité, car les guerres peuvent être imposées à la France. Si l’objectif sous-entendu par l’expression « gagner la guerre avant la guerre » est de contenir la montée aux extrêmes, la doctrine doit aussi préparer à l’éventualité d’un engagement majeur. L’armée de Terre française poursuit deux objectifs complémentaires qui sont de montrer sa détermination à prévenir la survenue d’un conflit et sa capacité à emporter la décision le cas échéant. Cela suppose un nouveau dimensionnement de l’armée de Terre vers la haute intensité.

Les implications de cette stratégie pour l’armée de Terre sont nombreuses : augmentation de la létalité et de la portée des armements et munitions ; usage généralisé de la robotique de la connectivité et des systèmes de commandement ; mixité renforcée entre armée d’active et de réserve ; liens accrus entre l’armée et les populations ; maîtrise du champ immatériel.

« Gagner la guerre avant la guerre » nécessite également d’avoir des partenaires et alliés solides, capables d’envoyer des signaux à l’adversaire, et de prendre des risques le cas échéant. Il s’agit concrètement de réaliser et d’entretenir des partenariats, notamment au travers de l’OTAN, capables de dissuader un adversaire de s’engager. Pour cela, l’armée de Terre construit un équilibre entre sa capacité d’entraînement auprès de ses alliés et son autonomie stratégique pour assurer la souveraineté du territoire.

Dès lors, cette stratégie se décline en trois grands axes, qui sont développés successivement dans le rapport : (i) une armée de Terre plus stratégique ; (ii) une armée de Terre plus puissante et innovante ; (iii) une armée de Terre davantage soudée par la fraternité d’armes. Une armée de Terre plus stratégique doit être capable de s’engager dans un conflit de haute intensité en adaptant sa démarche capacitaire et de maintien en condition opérationnelle tout en étant entourée de partenariats solides, pour produit des effets opérationnels. En outre, le renforcement des facteurs de puissance dans tous les champs est un gage indispensable de crédibilité tandis que l’innovation doit permettre d’investir les nouvelles priorités (drones, robotique, IA). Enfin, l’armée de Terre souhaite promouvoir l’esprit de défense dans ses rangs comme dans la population, pour développer la résilience de la Nation.

Déplacement de la rapporteure à la 27e brigade d’infanterie de montagne

Le déplacement effectué à Varces (38) auprès de la 27ᵉ brigade d’infanterie de montagne (27ᵉ BIM) a permis, à travers plusieurs démonstrations tactiques et de visites d’infrastructures, d’illustrer de manière concrète le rôle structurant que joue l’échelon de la brigade au sein de l’armée de Terre. Au travers de ce déplacement, votre rapporteure a pu aborder les composantes de la doctrine « gagner la guerre avant la guerre ».

Unité de commandement de niveau intermédiaire, la brigade bénéficie d’une organisation complète – état-major, ressources humaines, renseignement, soutien logistique et maintenance – qui lui confère une véritable autonomie fonctionnelle. Avec un effectif d’environ 7 000 militaires, elle demeure suffisamment compacte pour conserver une forte réactivité opérationnelle, étant théoriquement projetable « dès ce soir », selon les mots du CEMAT.

Les sept brigades interarmes, telles que la 27ᵉ BIM, sont conçues comme des entités capables de produire des effets, grâce à la complémentarité et à l’interopérabilité de leurs composantes (infanterie, artillerie, cavalerie, génie, renseignement, santé). Elles constituent un échelon privilégié des scénarios d’engagement dans un cadre international, notamment de l’OTAN, en restant placées sous commandement divisionnaire. C’est dans cette perspective que le CEMAT promeut une « brigadisation » accrue de l’armée de Terre, reposant sur des brigades à la fois interarmes et spécialisées, dotées de capacités autonomes de commandement et de soutien.

Au cours de cette visite, les spécificités de la 27ᵉ BIM ont été particulièrement mises en évidence. Brigade légère de l’armée de Terre, héritière de la 27e division alpine, la 27e BIM peut être projetée en urgence sur tous les territoires dès les prémices d’une crise nécessitant l’emploi de la force armée, en terrain difficile, montagneux et grand froid, ses milieux de prédilection pour l’entraînement et l’intervention. La 27e brigade d’infanterie de montagne, commandée par le général Antoine de la Bardonnie, est forte de 6 600 soldats de montagne. Elle s’appuie également sur une réserve opérationnelle d’environ 1 200 hommes.

La démonstration d’un groupe d’infanterie en zone urbaine a confirmé le haut niveau de préparation et de maîtrise tactique des soldats de la brigade. Les unités ont également effectué une démonstration de drones, permettant d’illustrer les apports tactiques dans les milieux difficiles. Enfin, la présentation des moyens de commandement a montré les capacités d’adaptation et d’innovation de la brigade : un dispositif monté sur batteries et facilement transportable a été développé par la brigade pour être déployé rapidement. Les échanges avec les officiers ont nourri la réflexion de votre rapporteure sur la doctrine de l’armée de Terre : équilibre entre la masse et la haute technologie ; arbitrage entre la stratégie directe (fondée sur l’engagement) et la stratégie indirecte qui prévient la montée aux extrêmes ; ou encore débat entre la mobilité offensive et la capacité de protection.

Votre rapporteure souhaite mettre en exergue plusieurs éléments saillants retirés de ce déplacement pour nos armées. Il est d’abord indispensabe de poursuivre les efforts pour organiser l’innovation décentralisée au sein des brigades, afin de permettre des avancées importantes au plus près du terrain – comme illustré par les moyens de commandament évoqués précédemment. Votre rapporteure encourage également à accroître les moyens subsidiaires laissés à la main des brigadiers. Cette enveloppe a montré toute sa pertinence pour le renouvellement de matériel ou des expérimentations. Enfin, la question de la norme dans l’achat de drones mériterait une actualisation, pour favoriser l’acquisition de drones bon marché utiles pour l’entraînement.

I.   Une armée de terre plus stratégique et cohérente pour la haute intensité

A.   Un plan de transformation cohérent sur les volets RH, capacitaires et d’entrainement opérationnel

Le contexte géostratégique plaide pour une accélération de la transformation de l’armée de Terre. Avec le modèle de l’armée de Terre « de combat », l’enjeu est l’adaptation du modèle « au contact » à un environnement de haute intensité et interalliés. Le modèle au contact, lancé en 2015, a permis de consolider les acquis et d’entamer une remontée en puissance de l’armée de Terre. Le fil rouge à présent est le plan « au contact » qui traduit une montée en puissance vers la haute intensité. Ce plan de transformation est assuré par le contrat opérationnel de l’armée de Terre et traduit l’ambition politique en modèle capacitaire. Il doit permettre à l’armée de Terre d’être prête « dès ce soir », en développant l’innovation, les capacités d’action et la protection. Le plan cherche à consolider le socle de la force terrestre notamment via le programme SCORPION, tout en développant les capacités spécialisées et différenciantes aux volumes limités. À cette ambition opérationnelle s’adosse un travail de mise en cohérence des ressources. La transformation doit permettre à l’armée de Terre d’agir dans les trois espaces stratégiques que sont le territoire national (« cœur de souveraineté »), en Europe (« solidarité stratégique ») et au loin (« prévention et influence »).

Cette transformation suppose une démarche capacitaire cohérente et opérationnelle, au service du déploiement d’une division, qui peut se diviser en trois axes.

Le premier axe est de disposer de capacités de déploiement, en mesure d’acheminer des troupes par voie ferroviaire, maritime et aérienne. Ces capacités sont doublées de soutien logistique, avec pour objectif de soutenir une division, soit 10 000 véhicules (soutien sanitaire, soutien pétrolier, munitions, vivres etc.).

Il s’agit ensuite de disposer des capacités de manœuvre cohérentes, par des capacités génie de franchissement et de brêchage, reconnaissance et appui feu au contact. On peut citer à ce titre la création d’une brigade de génie en 2024, le renouvellement des capacités de franchissement avec le programme SYFRALL pour remplacer le pont flottant motorisé (300 mètres de portière attendus en 2030) ou le remplacement des engins blindés du génie par l’engin du génie combat (EGC).

Enfin, l’armée de Terre doit poursuivre son acquisition de capacités-clefs « différenciantes » attendues d’une nation-cadre (feux sol-sol indirects, lutte anti-drone, défense sol-air, soutien logistique), en particulier dans la frappe dans la profondeur. L’armée de Terre poursuit ainsi la densification de son artillerie, avec d’ici 2030, plus de 100 Caesar et 54 MEPAC. En parallèle, il s’agit de renouveler le segment lourd de décision avec le VCBI, le char Leclerc rénové et le Tigre.

La préparation opérationnelle en tire également les conséquences, avec pour l’armée de Terre des exercices d’ampleur pour se préparer aux combats de demain et une importante augmentation des crédits afférents en 2026. Les crédits nécessaires à la conduite des exercices sont en forte hausse en 2026 afin d’assurer l’opérationnalisation des forces. Les crédits de titre 3 sont en augmentation de 13 % en crédits de paiement alors que la dotation de l’OS « activité opérationnelle » sont en hausse de 5 % pour financer ces exercices.

Les retours d’expérience des grands exercices des années 2024 et 2025 confirment ses priorités, ce dont témoigne la programmation pour 2026 :

– ORION 26 sera l’exercice majeur interarmées, interservices et interministériel destiné à éprouver la transformation de la chaîne de commandement du niveau stratégique au niveau tactique ;

– DOUMENC est un exercice avec des troupes déployées du commandement de l’appui et de la logistique de théâtre (CALT), qui permettra de valider la capacité des forces terrestres à assurer le soutien du champ de bataille dans un contexte de haute intensité ;

– STEADFAST DETERRENCE 26 sera l’exercice de certification dans le cadre de l’Allied Reaction Force (ARF) de l’OTAN ;

– AFRICAN LION est un exercice militaire multinational annuel organisé entre les États-Unis et les Forces armées royales marocaines, l’édition 2026 se déroulera au Maroc et permettra de renforcer l’interopérabilité aéroportée et de coopération dans la zone Nord-Afrique.

À l’horizon 2030, l’armée de Terre ambitionne de pouvoir déployer une division relevable et d’être en capacité d’être nation-cadre pour un corps d’armée. Pour y parvenir, les travaux de cohérence reposent sur la modernisation, le renforcement de son interopérabilité et son adaptation aux menaces émergentes, notamment la robotique, avec le projet PENDRAGON qui est développé dans la partie innovation.

B.   L’adaptation des dispositifs d’engagement à la haute intensité

1.   L’armée de Terre a engagé un pivot hypothèse d’engagement majeur qui doit permettre le déploiement d’une brigade « bonne de guerre »

L’armée de Terre, pour préparer l’engagement majeur, a choisi de se transformer avec le pivot hypothèse d’engagement majeur (dit pivot HEM). Le pivot permet d’adapter les structures et ses processus de fonctionnement au plus près de ceux du temps de guerre. L’armée de Terre a donc opéré une bascule en profondeur de sa transformation organique et opérationnelle vers l’engagement majeur, en termes organisationnels, de commandement, de ressources humaines, de matériels, de savoir-faire et d’activité-entraînement. Cela doit permettre de déployer une brigade « bonne de guerre » en 2025, puis une division en 2027 et un corps d’armée en 2030.

La transformation du commandement de la maintenance en commandement de l’appui et de la logistique de théâtre (CALT) doit mieux répondre au pivot HEM. La mission du CALT est de retrouver un outil de combat sur les arrières en vue d’une pleine capacité opérationnelle en appui de l’engagement d’une division haute intensité en 2027 et d’un corps d’armée en 2030. Le CALT est organisé autour d’un état-major et de trois brigades spécifiques et complémentaires (génie, logistique, maintenance). Sa vocation opérationnelle se concrétisera en 2026 par l’armement du Joint Logistic Support Group de l’alerte OTAN de la Force de réaction alliée (ARF).

Le premier jalon de cette transformation est le déploiement, en 10 jours, d’une brigade (environ 7 000 hommes) « bonne de guerre » dès 2025. Il sera validé lors de l’exercice DACIAN FALL, à l’automne 2025, en Roumanie. Votre rapporteure se félicite que l’armée de Terre achève cette transformation dans le calendrier prévu. Au-delà, l’ambition de l’armée de Terre demeure en 2027 le déploiement en 30 jours d’une division SCORPION avec l’essentiel de ses appuis et soutiens, soit 25 000 hommes et 9 000 véhicules. L’effort d’équipement associé est à porter sur les éléments organiques de division qu’il faut consolider : défense sol-air, feux dans la profondeur, lutte anti-drone, guerre électronique, NRBC, capacités d’appui à la mobilité et contre-mobilité. En outre, l’armée de Terre a adapté ses structures de commandement et de contrôle au combat opératif et a créé des échelons de commandement divisionnaire.

Enfin, le déploiement d’un corps d’armée crédible de 29 000 soldats à compter de 2030 implique le renouveau du segment de décision (blindés, char Leclerc, hélicoptère), une densification des éléments organiques ainsi qu’un effort d’acquisition de capacités de rupture distribuées aux plus bas niveaux (drone, guerre électronique, robot). En termes chiffrés, cela se traduit par un objectif d’ici 2030 de 3 000 véhicules blindés (Griffon, Serval ou Jaguar), 200 chars de combat Leclerc modernisés, plus de 100 Caesar, 82 hélicoptères de manœuvre et plus de 3 000 drones et munitions téléopérées.

2.   Le commandement par l’intention adapte les processus de décision à la haute intensité

Le commandement par l’intention (CPI) fait partie intégrante des efforts réalisés pour une armée de Terre plus stratégique en adaptant les processus de commandement. Le concept de commandement par l’intention vise à insuffler une culture du résultat dans les régiments en responsabilisant les unités. Il nécessite une adaptation au quotidien : « la subsidiarité est un mot ; le commandement par intention est un acte » selon les mots du CEMAT. Ce concept stratégique repose sur trois principes.

Le CPI repose en premier lieu sur l’intelligence collective, grâce à laquelle les chefs et leurs subordonnés sont employés à meilleur escient. Il s’agit de rechercher une plus grande subsidiarité dans la prise de décision. Les premiers donnent des orientations de commandement en terme d’objectifs. Les subordonnés sont quant à eux chargés de comprendre les enjeux en présence et de prioriser les finalités sur les modalités d’exécution.

Le commandement par intention suppose ensuite d’être enseigné, transmis et appliqué à l’entraînement pour produire des effets. Le dialogue de commandement est donc au cœur de son fonctionnement, assurant un alignement de la chaîne hiérarchique sur les objectifs à atteindre. Il s’agit ainsi d’encourager les prises d’initiative, avec un contrôle suffisant qui ne bride pas les décisions prises en bas de l’échelle hiérarchique. Le retour d’expérience ukrainien témoigne de l’importance de s’appuyer sur chaque échelon pour absorber les innovations technologiques et stratégiques.

Le CPI est enfin une discipline, tournée vers la culture du résultat et de l’initiative plutôt que celle de la norme. Cela implique que chefs et subordonnés assument leurs responsabilités, dans le respect de ces principes, pour favoriser un mouvement de décentralisation tactique.

Le CPI est donc un outil essentiel pour « gagner la guerre avant la guerre » en garantissant que le respect du commandement n’est pas synonyme de frein à la prise de décision. Il donne aux subordonnés la liberté d’agir rapidement, tout en respectant l’objectif fixé par le commandement. Cette méthode permet d’anticiper, de contrer des actions hostiles dès leur apparition et d’éviter l’escalade. Elle renforce l’agilité, la réactivité et l’innovation de nos forces, tout en maintenant la cohérence stratégique.

C.   Le maintien en condition opérationnelle pour accroître la réactivité et tenir un engagement dans la durée

1.   Le renforcement du maintien en condition opérationnelle est un levier majeur pour se préparer à la haute intensité

Au fil des LPM successives, le maintien en condition opérationnelle (MCO) a fait l’objet d’investissements financiers croissants, pour remplir deux missions distinctes. Cet effort se poursuit dans le PLF 2026, avec une hausse de 13 % des crédits pour les porter à 1,7 milliard d’euros. Il s’agit d’une part de pouvoir agir « dès ce soir », c’est-à-dire d’assurer la réactivité des forces ; et d’autre part de pouvoir tenir l’engagement dans la durée sur un scénario de haute intensité. La LPM 2024-2030 prévoit ainsi une augmentation de 40 % des crédits destinés au MCO. Cette croissance des crédits a des conséquences concrètes, permettant aux unités de renforcer leur parc, en interne ou avec le soutien d’industriels. Ces derniers, à l’image de l’entreprise ARQUUS auditionnée par votre rapporteure, constatent déjà les effets de cet effort budgétaire : leur chiffre d’affaires a fortement augmenté grâce à leurs activités liées au MCO.

S’agissant de la capacité à agir « dès ce soir », le MCO terrestre (MCO-T) a jusqu’à présent prouvé sa capacité à soutenir les forces engagées à plusieurs reprises, comme en témoignent les déploiements rapides de Serval en 2013 ou plus récemment, de LYNX en Estonie. Il s’agit également d’être en capacité de relever la disponibilité technique (DT) sur court préavis. Une étude conduite par le major général de l’armée de Terre le 26 juin 2025 précise qu’un effort intensif de maintenance permettrait de remonter le niveau de disponibilité technique terrestre de 6 points en un mois.

Pour tenir dans la durée, la profondeur logistique (stocks de rechanges déployés sur le terrain) est décrite comme clé par l’armée de Terre. Un effort est en cours pour consolider les stocks, dans une démarche de cohérence opérationnelle de soutenabilité financière, avec l’objectif de tenir un engagement dans une perspective de haute intensité. La hausse de 27 % des crédits d’équipements et de cohérence dans le PLF 2026 permettra de maintenir l’effort de recomplètement des munitions. L’armée de Terre ambitionne également de passer des marchés de soutien « bons de guerre », pour augmenter l’autonomie, la réactivité, la résilience et d’une manière générale la performance globale du MCO terrestre. Pour ce faire, les crédits d’entretien du matériel SCORPION sont en hausse de 67 % en CP en 2026 pour assurer le déploiement des marchés d’entretien sur les parcs en augmentation (MEPAC, Jaguar, Serval).

L’hybridité du système de MCO constitue un atout majeur, garantissant un juste équilibre entre les besoins en opérations extérieures et ceux sur le territoire national. Lors de déploiements, la capacité des régiments à assurer eux-mêmes certaines opérations de maintenance renforce à la fois leur autonomie et leur résilience. En parallèle, l’externalisation en métropole permet aux industriels de mobiliser des ressources humaines et des compétences techniques supérieures, contribuant à un MCO plus efficace et plus productif. En plus de l’externalisation du MCO, l’armée de Terre peut s’appuyer sur les industriels pour participer à la formation des régiments. Le déploiement d’initiatives de compagnonnage, articulées autour des antennes locales de l’entreprise, permet ainsi d’accompagner un nombre croissant de régiments et de renforcer l’expertise technique des forces terrestres. La maintenance prévisionnelle se développe également avec le programme HUMS.

2.   La structure intégrée du maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre (SIMMT) connaît une profonde restructuration

L’évolution du maintien en condition opérationnelle se traduit aussi par une réorganisation en profondeur des attributions du directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), que votre rapporteure a rencontré à Satory le 29 septembre 2025.

La SIMMT a la charge du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres des armées, directions et services du ministère. La SIMMT est l’un quatre grands commandements de l’armée de Terre. Elle planifie et conduit en lien avec la DGA l’architecture du soutien des équipements terrestres en service. Elle est en charge de l’entretien de quatre millions d’équipements, dont 25 000 véhicules, pour un patrimoine total d’environ 23 milliards d’euros. Le rôle de la SIMMT est ainsi d’assurer aux unités un niveau d’entraînement opérationnel satisfaisant et d’être prêt à l’engagement.

Le modèle de maintenance de la SIMMT a été profondément revu pour se préparer à la haute intensité, dans le cadre du plan Ambition MCO-T 2030. Contribuant directement aux activités de préparation et d’engagements opérationnels des Armées, la SIMMT, avec ce plan, interroge son modèle de soutien maintenance et logistique. Si le modèle a répondu aux besoins des forces au cours des deux dernières décennies, il doit à présent être durci pour lui permettre de résister à un engagement de plus haute intensité et être doté de l’épaisseur logistique requise pour assurer la continuité du soutien dans la durée et dans l’espace.

Le plan est organisé en trois lignes d’opérations structurantes : (i) évolutions de la maintenance industrielle ; (ii) évolutions de la maintenance opérationnelle ; (iii) mesures à mettre en œuvre pour gagner en performance et réduire les coûts. À coûts maîtrisés, il s’agit de disposer à l’horizon 2030 d’un système de maintenance des matériels terrestres robuste, réactif et endurant, capable de soutenir la préparation opérationnelle des forces et leur engagement sur tout le spectre de la conflictualité, en s’appuyant sur une plus grande profondeur industrielle et logistique.

Le plan se traduit par de nombreux ajustements fonctionnels et techniques. L’autorité fonctionnelle du DC SIMMT a été élargie à l’ensemble de la logistique opérationnelle, renforçant ainsi les synergies au profit du MCO. La SIMMT dispose elle-même de capacités renforcées, grâce à plus de liens avec la BITD. Il s’agit de disposer, à horizon 2030, d’un système de maintenance robuste, réactif et endurant. Jusqu’à présent, le modèle de maintenance reposait sur des contrats de maintenance à flux tendu, qui offraient une grande latitude aux industriels. Avec le retour de la guerre, la SIMMT a revu largement son modèle pour disposer d’un stock différencié et résilient. Pour cela, la SIMMT travaille à améliorer son expertise technique en propre et développe notamment l’intelligence économique, pour identifier les sources de vulnérabilités des pièces au fournisseur de rang deux ou trois.

L’ingénierie de la chaîne logistique au cœur de la transformation. Le stock est redevenu un facteur déterminant pour garantir la performance du soutien et la résilience des Armées. Constitué de manière différenciée selon l’importance, l’accessibilité et l’origine des rechanges, il s’avère un élément indispensable de couverture des risques et de maîtrise des coûts. Pour la maintenance et la logistique en opération, le risque à couvrir est celui de l’augmentation soudaine du besoin en ressources généré par un engagement majeur. Il s’agit de modéliser ce besoin en pièces détachées et consommables et, tenant compte des facteurs de rapidité et de sécurité des réapprovisionnements, constituer, entretenir et moduler les stocks pour en maîtriser les coûts.

Face aux difficultés de recrutement de la SIMMT dans ses métiers spécialisés, votre rapporteure recommande de poursuivre les efforts pour capter les jeunes directement dès le lycée, avec la signature de contrats d’engagement. Les difficultés de recrutement se retrouvent en particulier dans les métiers de mécanicien ou d’acheteur. L’école militaire préparatoire technique (EMPT), située à Bourges et créée en 2022, représente un modèle à suivre qui a inspiré le projet de centre de formation professionnelle initiale pour le personnel civil technique du MCO-T. Le centre sera situé à Satory.

Les partenaires de la SIMMT de la BITD ont étudié et assimilé les objectifs de l’ambition MCO-T 2030. Cette ambition s’inscrit dans la continuité de travaux entamés dès 2019 sur la résilience et poursuivis notamment avec le GICAT au travers d’études confiées à la commission de soutiens et services. L’enjeu des marchés de soutien « bons de guerre » est de s’assurer de la bonne traduction des impératifs de la finalité opérationnelle dans les contrats. Ces changements ne peuvent s’opérer qu’au rythme des échéances contractuelles et avec pragmatisme, au cas par cas. La SIMMT a identifié quelques caractéristiques d’un contrat de soutien apte à la haute intensité : (i) fonctionnement de type « train as you fight »  ([17]); (ii) obligation de stocks pour faire face à une hausse soudaine de l’activité ; (iii) accès à des fournisseurs multiples ; (iv) contrat ancré dans le tissu économique national.

Afin de constituer des stocks suffisants en cas d’engagement majeur, l’armée de Terre bâtit de nouveaux marchés, dits « marchés de soutien hybrides » (MSH), qui visent à sortir du forfait à l’activité pour évoluer vers une logique de constitution de stocks de propriété étatique et de paiement à l’acte de maintenance. La transformation du marché de soutien EBMR ([18]) (engin blindé multi-rôle) en MSH est prévue à l’horizon 2029.

D.   Des partenariats plus solides avec nos alliés, en particulier l’OTAN, pour renforcer les capacités de nation-cadre

1.   L’armée de Terre s’appuie sur des capacités renforcées pour exercer le rôle de nation-cadre d’une opération multinationale

Les partenariats sont essentiels à la France garantir sa capacité intégratrice et son interopérabilité avec ses alliés de l’OTAN. Ils permettent d’atténuer ses manques capacitaires et d’assumer le rôle de nation cadre dans le contexte des plans de l’OTAN. Le concept de nation-cadre permet aux nations ayant réduit la taille de leurs forces armées d’intégrer leurs capacités au sein d’une nation-cadre plus vaste, souvent un grand pays d’Europe ou les États-Unis. La nation-cadre fournit la logistique et le commandement pour créer l’ossature de l’armée de coalition. Les petites armées y apportent de leur côté leurs capacités spécialisées. L’armée de Terre française dispose d’une expérience dans les opérations extérieures, de moyens capacitaires et d’une chaîne institutionnelle efficace qui lui permettent d’assumer ce rôle.

Pour permettre à la France de rester leader de l’architecture de sécurité en Europe comme nation-cadre, deux domaines doivent être consolidés (i) les capacités de commandement, pour être capable de fédérer dans une logique interarmées et interalliées et intégrer les capacités ; (ii) les capacités différenciantes, éléments d’appui et de soutien indispensables pour l’engagement d’une division et au-delà, au nom de l’autonomie stratégique. L’importance d’acquérir des capacités différenciantes est détaillée supra. Ce pivot de l’armée de Terre vers l’interopérabilité est pris en compte dans les travaux capacitaires, notamment grâce à l’effort budgétaire supplémentaire proposé dans le PLF 2026. Ces besoins sont prolongés par une réflexion quant à la densification du modèle d’armée au-delà de 2030.

Les efforts engagés sur les outils de commandement et de contrôle (C2) sont primordiaux pour permettre à la France de renforcer ses capacités de commandement. Les systèmes de C2 doivent tendre vers une interopérabilité native, ce qui passe principalement par l’acquisition d’un système commun et de normes partagées. Par exemple, l’outil Sitaware HeadQuarters, adopté par l’OTAN et de nombreux pays membres, permet de disposer d’un logiciel intégrateur. En matière de normes communes, il peut s’agir d’ondes comme celles développées par le projet ESSOR ([19]). ESSOR est un projet de coopération structurée permanente pour la conception d’une architecture de radio à haut débit pour les usages militaires sécurisés.

Le déploiement permanent de la mission Aigle en Roumanie a permis une montée en gamme importante dans l’intégration des unités alliées et dans l’insertion au sein de la chaîne de commandement OTAN. Cette mission, au sein d’un bataillon multinational (France, Belgique, Luxembourg et Espagne) sous commandement français, contribue directement à la crédibilité de la France en tant que nation-cadre. De même, l’interopérabilité est au cœur des exercices conduits au par la mission Lynx en Estonie. Le déploiement et l’entraînement communs permettent ces progrès par l’identification puis la résolution des difficultés rencontrées dans les domaines de la logistique et de l’interopérabilité technique. Afin d’améliorer l’interopérabilité des systèmes d’information avec la division OTAN, des solutions techniques ont été proposées et sont en cours de validation, en liaison avec les autorités roumaines. À ce titre, l’exercice DACIAN FALL 25, qui se déroulera en Roumanie à l’automne, sera une occasion majeure de tester les capacités de la France en tant que nation-cadre de niveau brigade. Il permettra de démontrer l’aptitude de l’armée de Terre à déployer une brigade complète, intégrée dans une division multinationale et intégrant des Alliés (Belgique et Luxembourg).

L’armée de Terre s’appuie sur un nouveau commandement opératif subordonné à l’état-major des armées : le commandement terrestre pour l’Europe (CTE). Implanté au sein du Commandement de la force et des opérations terrestres (CFOT) à Lille, dont le général commandant est également le commandant Terre Europe, le CTE a été officiellement créé en octobre 2023 et a atteint sa pleine capacité opérationnelle au printemps 2024. Le CTE remplit trois missions distinctes :

– il commande les troupes de l’armée de Terre déployées en Europe au profit de l’OTAN, de l’UE ou à l’occasion d’exercices ponctuels ;

– il garantit la montée en puissance de l’armée de Terre et assure sa capacité de déploiement logistique à travers l’Europe ;

– il est l’interlocuteur de l’OTAN, l’UE ou des pays partenaires pour tous les sujets à dominante terrestre sur la zone Europe.

C’est le CTE qui exerce le commandement opératif sur le dispositif Aigle. Il invite semestriellement les alliés contributeurs au dispositif à une séquence de travail visant à accroître l’intégration et l’interopérabilité des différentes unités.

En outre, l’armée de Terre développe les éléments organiques pour renforcer son aptitude à commander des divisions alliées. De nouvelles brigades ont été créées à cet effet : brigade de renseignement, brigade d’artillerie (frappes indirectes et défense sol-air), brigade de génie, brigade de soutien logistique, brigade aérocombat, groupement de forces spéciales.

2.   Le renouvellement des partenariats avec les alliés se poursuit

De manière globale, l’armée de Terre est engagée dans un processus de développement de ses partenariats avec des alliés. L’armée de Terre renforce ses partenariats en Europe à travers la Coalition des Volontaires et les coalitions capacitaires en soutien à l’Ukraine, notamment via l’initiative de l’OTAN NSATU ([20]) qui permet de mutualiser les efforts de formation, de dotation et de reconstitution des stocks de munitions. L’armée de Terre poursuit également son action en Afrique grâce aux forces pré-positionnées (notamment Djibouti) et aux coopérations de sécurité, centrées sur l’entraînement et l’équipement des forces partenaires. Enfin, elle consolide sa présence au Proche et Moyen-Orient (commandement de la mission OTAN en Irak ([21]) depuis mai 2025) et en Asie (exercice SHAKTI 2025 avec l’Inde, coopération Indo-Pacifique), illustrant une stratégie d’interopérabilité globale et de contribution aux coalitions.

Illustrant le rôle majeur de l’armée de Terre, la France a accueilli à Toulon, en juin 2025, le symposium des chefs d’état-major des armées de Terre méditerranéens. Ce forum a réuni 15 pays dans le cadre de l’initiative franco-italienne « flanc sud », afin de fédérer les efforts de sécurité régionaux. Quatre chantiers de coopération ont été lancés : la préparation opérationnelle à dix ans ; la lutte contre les menaces hybrides et cyber ; le développement d’initiatives communes en matière de secours et gestion de crises ; la mise en avant d’actions de cohésion et de jeunesse.

Le partenariat CaMo avec la Belgique est un exemple d’une coopération transfrontalière approfondie. Le partenariat, signé le 8 novembre 2018, institue un partenariat stratégique qui couvre un large spectre « DORESE » (doctrine, organisation, ressources humaines, entraînement, soutien équipement). La transformation de l’armée de Terre belge vise un SGTIA « scorpionisé » projetable en 2027, et une brigade transformée en 2030. Cette dernière sera nativement interopérable avec les six brigades françaises Scorpion. Le montant total des commandes réalisées par la Belgique dans le cadre du programme CaMo s’élève à 2,8 milliards d’euros et couvre les matériels majeurs de l’armée de Terre française (Griffon, Jaguar, Caesar, MEPAC).

Le développement en commun par la France et la Belgique de nouvelles capacités est envisagé : engins du génie de combat (EGC), moyens de Simulation technico-tactique CaMo et Scorpion (SITTACS), capacité de reconnaissance NRBC. La Belgique participe enfin aux côtés de la France à l’étude de conception du futur Véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE).

3.   La maintenance est un axe de renforcement de l’interopérabilité

D’un point de vue doctrinal, l’interopérabilité de la maintenance se structure dans le cadre des travaux de standardisation portés par l’OTAN. Un groupe de travail a été créé à ce titre. La problématique est plus complexe dans le domaine capacitaire, compte tenu des enjeux industriels. Plus que l’interopérabilité, c’est l’interchangeabilité qui permettrait de gagner en agilité.

En matière des pièces de rechange, l’enjeu est d’enrichir les références utilisées dans la nomenclature de l’OTAN. Mis en place dans les années 1950, le système OTAN de codification (S.O.C.) est le procédé uniforme et commun d’identification, de classification et de numérotation des articles de ravitaillement des pays de l’OTAN. Obligatoire en France depuis 1970, ce système est basé sur l’emploi des numéros de nomenclature OTAN (N.N.O.) pour la gestion et l’approvisionnement de ces mêmes articles par les armées françaises et étrangères. Étendu à l’ensemble des activités du MCO-T, le sourcing vise à enrichir le NNO des références des fabricants réels et à connaître les alternatives. La SIMMT a entamé un travail à ce sujet.

II.   Une armée de terre plus puissante et innovante, gage de crédibilité dans tous les milieux

A.   Une démarche capacitaire comme garantie de la crédibilité

1.   L’acquisition de capacités différenciantes

Être une armée crédible suppose de poursuivre l’acquisition de capacités différenciantes dont l’impact sur le terrain est considérable aussi bien pour l’emploi de ses unités que pour dissuader l’adversaire de s’engager sur le champ aéroterrestre, dans une perspective de « gagner la guerre avant la guerre ».

Dans ce cadre, la préservation des enveloppes destinées à l’armée de Terre, voire l’augmentation de ces enveloppes, même en cas de réajustements capacitaires internes, est fondamentale pour que l’armée de Terre puisse se doter d’équipements indispensables à sa crédibilité, notamment au sein de l’OTAN. L’augmentation des crédits de 14,5 % dans le PLF pour 2026 permettra donc d’accélérer dans l’acquisition de capacités différenciantes.

Dans la dimension frappes dans la profondeur, les priorités de développement sont les suivantes :

– la frappe longue portée terrestre avec à la fois le remplacement du lance-roquette unitaire (LRU), évoqué en première partie, et le développement d’un missile balistique cherchant à atteindre des portées de 1 000 voire 2 500 km. Le deuxième incrément du programme LRU a justement pour objectif de développer une nouvelle capacité de frappe très longue portée (FLP-T) ;

– les munitions téléopérées de moyenne et longue portée qui devraient permettre des frappes dans la profondeur jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres au-delà de la zone des contacts ;

– la densification de la trame des feux indirects d’artillerie, illustrée par les livraisons de mortiers embarqués sur Griffon (MEPAC) entamée en 2025 et 2026, le renouvellement et l’augmentation du nombre de Caesar, avec les munitions nécessaires et de nouvelles capacités de frappe longue portée. À horizon 2030, il s’agit de disposer de 54 MEPAC et 100 Caesar ;

– la « dronisation » de l’aérocombat. Il s’agit de renforcer l’aptitude de nos hélicoptères à coopérer avec des drones et des munitions téléopérées. Cette coopération permettra de conduire des bascules d’effort sur la ligne des contacts et des raids dans la profondeur adverse en exposant moins les plateformes habitées, en embarquant davantage d’effecteurs et en disposant de moyens plus létaux (missiles anti-char à portée étendue jusqu’à 12 km) ;

– les capteurs, pour recueillir du renseignement plus loin dans le dispositif ennemi. Les capteurs permettront de savoir où frapper grâce notamment aux drones tactiques, aux radars terrestres et aux capteurs dans le champ électromagnétique. Le développement des capteurs permettant d’utiliser le logiciel de navigation Galileo PRS ou les satellites de la constellation SYRACUSE est ainsi évoqué comme des priorités. L’objet est de permettre de mutualiser les données collectées par des capteurs entre les membres de la fonction interarmées du renseignement (FIR) pour rapprocher les renseignements des besoins tactiques, voire d’une coalition.

En parallèle, la protection des véhicules dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité doit être renforcée. Deux programmes – PROMETEUS (Protection multi effets terrestre unifiée) et PRONOIA (protection novatrice orientable intégrée d’autoprotection) – sont menés par la direction générale de l’armement (DGA). Ils étudient la pertinence de l’intégration de systèmes de protection, travaillant respectivement sur une solution hard kill (destruction d’une menace avant qu’elle atteigne un véhicule blindé) et soft kill (brouillage). Ces dispositifs pourront être déployés sur les véhicules blindés SCORPION ou le char Leclerc.

2.   La dronisation de l’aérocombat pour préparer le combat de demain

La trame drones de l’armée de Terre vise à acquérir des drones capables d’appuyer la manœuvre aéroterrestre. L’armée de Terre s’est ainsi engagée dans une généralisation jusqu’aux plus bas échelons via un Pacte Drones, appuyé notamment par les industriels du GICAT. Pour mémoire, la trame drone bénéficie de 5 milliards d’euros programmés sur la période de la LPM, dont 600 millions d’euros pour 2026.

Le premier enjeu de la dronisation de l’aérocombat est celui de la massification. L’armée de Terre poursuit des objectifs de baisse des coûts et de maintien à niveau des vecteurs dont l’évolution rend rapidement obsolète les modèles en service. On peut citer à ce titre les commandes de drones Parrot Mk3 (drone tactique d’un kilogramme) ou Black Hornet (micro-drone de reconnaissance d’une vingtaine de grammes).

Le deuxième enjeu est celui de la formation de masse des soldats, voire des réservistes, et la montée en gamme technique de ces télépilotes qui sont particulièrement ciblés sur le champ de bataille. Dans cette optique, le commandement du combat futur appuie la création de centres d’entraînement tactique de drones (CETD). Ces centres permettent de donner les connaissances et l’autonomie nécessaires aux opérateurs, avec des résultats décrits très positifs pour un coût faible. À terme, toutes les brigades devraient disposer d’un CETD, avec un budget d’environ 40 000 euros pour l’ouverture d’un centre. À fin 2025, huit CETD seront actifs et trois sont planifiés pour 2026, dont un en outre-mer. Une commande de 1 000 drones d’entraînement a été signée le 30 juin 2025 pour favoriser l’appropriation des forces.

Il s’agit aussi d’adapter la doctrine pour intégrer les drones. L’armée de Terre doit constituer des unités spécialisées qui emploieront différents types de drones pour produire de façon autonome et avec une boucle décisionnelle très courte des effets sur l’ennemi. C’est le principe qui guide la création de l’escadron de drones de chasse, dont l’armée de Terre va se doter prochainement sous forme d’un prototype. Sur le segment haut, le SDT (Patroller) rencontre toujours des difficultés techniques et doit faire preuve de son aptitude opérationnelle. L’avenir du programme est en cours d’instruction. Pour mémoire, le SDT Patroller, déployé au sein du 61e régiment d’artillerie, remplit des missions de recherche de renseignement.

En matière de lutte anti-drones (LAD), le programme lancé début 2021 vise à renforcer significativement les moyens de lutte contre les mini et micro-drones. Le principal fait marquant récent est la commande fin 2024 de 24 capacités LAD sur Serval (basée sur du canon de 30 mm) et de 100 fusils brouilleurs. La défense sol-air devrait ainsi être dotée de 900 millions d’euros de crédits en 2026, sur les 5 milliards d’euros prévus dans la LPM.

3.   Anticiper les capacités de combat de demain à horizon 2030 puis 2040

Le projet VULCAIN pilote l’introduction des systèmes automatisés dans les forces terrestres afin d’en assurer la cohérence. Son horizon est celui de 2030. Le volet équipement du projet comprend des robots, des drones et des munitions télé-opérées (MTO). L’effort est porté sur les MTO avec des livraisons prévues en 2026. Des modèles de portée accrue sont prévus d’ici 2029.

La démarche TITAN, de plus long-terme, vise la modernisation du segment de décision avec le projet MGCS, l’extension du combat collaboratif initié par Scorpion et le renforcement de la connectivité. Le premier semestre 2025 a vu achever une première étape de la démarche TITAN avec la définition des attendus. Celle-ci confirme les premières évolutions et transformations en cours et programmées au sein de l’armée de Terre l’année 2026 verront la poursuite des études.

4.   Trouver le juste équilibre entre masse et haute technologie

La guerre en Ukraine et le retour du spectre de la haute intensité mettent en exergue le nécessaire couplage de masse et de technologie. Dans le sillage du rapport d’information sur le sujet réalisé par M. Thomas Gassilloud et M. Damien Girard ([22]), votre rapporteure invite l’armée de Terre à faire évoluer sa doctrine pour trouver le meilleur équilibre. L’enjeu est de maîtriser les nouvelles technologies (drones, robots, MTO, intelligence artificielle) tout en garantissant l’épaisseur du modèle et d’en maîtriser les coûts. La masse reste le premier facteur de puissance. Elle participe au signalement stratégique, à la capacité de faire front puis de durée. Mais l’armée de Terre doit rester dans la course en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Plusieurs exemples permettent d’illustrer les développements dans ce domaine.

En matière de drones, la massification des systèmes aériens doit s’accompagner d’une autonomie accrue et de détecteurs entraînés par l’IA pour optimiser l’action tandis que les MTO offrent des solutions de frappe à moindre coût. En complément, l’intégration de solutions alternatives au positionnement GPS paraît indispensable face au brouillage électromagnétique. En matière de connectivité, l’hybridité des moyens de communication militaire et civil permet de renforcer la résilience du système. Par ailleurs, les robots participeront à la massification de puissance tout en remplaçant les soldats sur certaines opérations (génie ou transport de blessés).

B.   La capacité à agir dans les milieux et les champs, en particulier le cyber et l’électromagnétique

1.   L’intégration des effets opérationnels dans le multi-milieu et muli-champs

L’intégration des effets opérationnels en multi-milieux et multi-champs (M2MC) est décrite comme une nécessité pour l’armée de Terre. Le M2MC désigne la capacité à opérer simultanément ou de manière synchronisée dans divers milieux et champs, en exploitant la synergie entre les différents commandements. Il renvoie à l’influence, au cyber, au champ électromagnétique mais aussi au milieu spatial, terrestre, aérien (dont la très haute altitude) et maritime. Il s’agit également pour l’armée de Terre de développer les capacités à agir dans les trois espaces du champ de bataille : la zone arrière, la zone des contacts, la profondeur tactique.

Les futurs systèmes de commandement et de contrôle (C2) doivent en tirer les conséquences. Le C2 permet d’engager et de manœuvrer des capacités d’actions militaires dans des milieux physiques, humains ou des champs immatériels. Un C2 plus efficace doit fluidifier et accélérer la boucle OODA : Observation-Orientation-Décision-Action. L’enjeu pour les états-majors est de conserver une vue d’ensemble malgré l’abondance d’informations, tout en ajustant le niveau de subsidiarité selon le contexte. C’est tout le défi de construction d’une chaîne C2 capable de commander une opération en haute intensité et dans les sept milieux et champs, au besoin en étant interopérables avec nos alliés. Les radios Contact, interopérables avec l’OTAN en coalition, de même que la modernisation continue du système de commandement et de conduite des opérations (SCCOA), permettront de renforcer les capacités en la matière.

Pour exploiter les potentialités offertes par ces réseaux civils et les intégrer de façon sécurisée dans ses architectures de C2, l’armée de Terre a développé le concept d’hybridation, qui combine l’emploi des réseaux militaires et réseaux civils. L’hybridation des réseaux doit permettre d’accroître la robustesse et la résilience des systèmes de commandement opérationnel dans un environnement électromagnétique désormais particulièrement contesté voire faisant l’objet de stratégies de déni d’accès. C’est l’objet du programme d’innovation Hydre qui bénéficie d’un financement de 3 millions d’euros.

À ce titre, ORION 26 sera un exercice déterminant pour tester ces capacités. ORION est une activité majeure et particulièrement ambitieuse, à la fois une synthèse et des stress tests des structures de commandement. Celles-ci vont devoir opérer dans un environnement interarmées, tout en pensant la conduite de la guerre dans les champs immatériels : influence, cyber et champ électromagnétique.

2.   Investir davantage le cyber

Le cyberespace est devenu un lieu de confrontation militaire à part entière qui se combine également aux milieux traditionnels. Cet espace permet de diversifier les effets militaires envisageables et de discriminer finement les cibles sur lesquelles ils s’appliquent. Dans le domaine de l’influence, les compétiteurs stratégiques ont développé depuis plusieurs années des capacités sophistiquées et ciblent régulièrement la France au travers de sa population mais également de ses forces armées.

Le cyber est donc un domaine privilégié pour « gagner la guerre avant la guerre ». En matière de cyber, cette doctrine revient à ne pas laisser espérer à un adversaire que la France pourrait perdre une guerre avant même de la faire à cause d’attaques cyber massives sur ses réseaux critiques (énergie, transport, communication, défense).

Il s’agit donc d’abord de démontrer la capacité permanente de vigilance dans nos réseaux, pour faire savoir aux adversaires qu’ils ont été repérés et assurer leur exclusion. Pour ce faire, l’armée de Terre s’appuie sur une organisation cohérente et collective de cybersécurité, mise en œuvre par l’ANSSI et les acteurs privés.

En outre, il s’agit de pouvoir attribuer une attaque cyber. L’attribution est le geste politique par lequel l’État montre qu’il est conscient de l’enjeu et techniquement capable de répondre et d’assumer le rapport de force. À ce titre, la France a attribué à plusieurs reprises des attaques cyber à la Russie.

L’armée de Terre adapte son action en poursuivant le renforcement RH et organisationnel de sa sécurité numérique, avec notamment la création d’un régiment dédié. Sous le patronage du COMCYBER, elle a créé en 2024 de nouvelles unités qui ont fait l’objet d’un effort RH et équipement qui devra se poursuivre d’ici 2030. Cela permettra aux unités aéroterrestres en opération de disposer au plus près de capacités de défense et d’agression dans le cyberespace. La création du BTS cyber est significative, avec 50 % des diplômés qui deviennent sous-officiers de l’armée de Terre et 50 % qui rejoignent le renseignement.

L’armée de Terre s’est ainsi structurée pour s’imposer, au sein des armées, comme la référence en matière de cyberdéfense. Elle dispose d’unités spécialisées dans le domaine de la lutte informatique défensive (LID), de lutte informatique offensive (LIO) et de la lutte informatique d’influence (L2I). L’effort est désormais porté sur l’intégration des effets cyber à la manœuvre tactique.

3.   Maîtriser l’environnement électromagnétique

Les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient ont montré que sans une maîtrise parfaite de l’environnement électromagnétique, il est pratiquement impossible de vaincre. Pour répondre à ces enjeux, l’armée de Terre entraîne ses structures de commandement à intégrer cette dimension. Les exercices interarmées, comme Orion, permettent de tirer les leçons nécessaires pour mieux s’organiser d’ici 2030. L’armée de Terre renforce également ses moyens en matière de surveillance électronique et de renseignement d’origine électromagnétique. Le 44e et le 54e régime de transmissions sont en pointe dans ce domaine.

Pour ce faire, une refonte de la doctrine de l’armée de Terre sur la guerre dans le champ électromagnétique est en cours. Elle sera assurée en cohérence avec les doctrines de l’OTAN et interarmées.

C.   Une armée de Terre plus innovante qui s’approprie les nouvelles technologies

1.   Une politique efficace pour favoriser l’innovation centralisée et décentralisée

L’innovation est un facteur clé pour l’armée de Terre afin de rester dans la course face aux compétiteurs et de s’imposer comme une armée crédible. Cette volonté d’innovation s’exprime au sein d’une structure centralisée, le Commandement du combat futur (CCF), et par la volonté de promouvoir l’innovation décentralisée au sein des unités. L’innovation planifiée, c’est-à-dire préparée en amont par le financement et l’orientation de la recherche technologique, est centralisée et du ressort de la DGA en lien avec le bureau « plans » de l’état-major de l’armée de Terre (EMAT), qui a un rôle de prescripteur.

Le Commandement du Combat du Futur (CCF) a été créé le 1er août 2023 pour devenir le grand référent de l’innovation capacitaire et doctrinale de l’armée de Terre. Votre rapporteure s’est rendue au CCF pour mieux appréhender les développements en cours de l’armée de Terre. Situé sur le plateau de Satory pour ses fonctions techniques, le CCF incarne la volonté de rapprocher la recherche et développement des réalités opérationnelles. Le CCF s’est vu confier les missions de prospective, d’innovation, de doctrine et de retour d’expérience.

Le CCF est placé sous l’autorité directe du CEMAT et repose sur quatre piliers complémentaires : (i) le centre d’études stratégiques, chargé de la prospective des conflits, des mutations technologiques et sociétales ; (ii) la section Technique de l’armée de Terre (STAT), qui pilote les programmes d’armement, de leur conception à leur retrait, en lien avec la DGA ; (iii) le laboratoire du combat futur, en charge de rendre opérationnelle l’innovation et de penser la tactique de demain ; (iv) la division « Développement des forces », qui traduit les innovations en doctrine, concepts d’emploi, et veille à leur intégration dans un cadre interarmées et multinational. Sur le plan financier, le CCF dispose pour l’innovation d’une délégation de budget annuel de l’ordre de 10 millions d’euros.

L’innovation se développe en particulier au travers de la sous-direction innovation de la Section technique de l’armée de Terre (STAT), qui inclut notamment le Battle Lab Terre (BLT) pour capter de manière centralisée l’innovation civile à caractère dual. Le laboratoire du combat futur (LCF) est de son côté chargé de dynamiser les expérimentations dans les unités (notamment règlementairement et financièrement), de créer et d’entretenir une communauté des innovateurs (ingénieurs civils, opérationnels et chercheurs) et d’accélérer les innovations par leur mise en situation tactique. L’armée de Terre dispose en outre de 250 référents « simplification et innovation » (formation annuelle de deux jours) au sein des unités avec pour mission de centraliser et de coordonner les projets d’innovation. L’intérêt est de disposer de personnels issus des unités qui maîtrisent leur milieu.

L’innovation s’appuie également sur un réseau d’acteurs pilotés par le CCF, avec la mise en place en 2025 des pôles exploratoires. Il s’agit de 13 pôles d’excellence spécialisés articulés autour de commandements de niveau brigade.


Cartographie des pôles exploratoires du CCF

Source : planche fournie par le CCF.

L’état-major du CCF a en outre recruté trois conseillers du COM CF (juriste, financier et industriel) comme réservistes. Le CCF dispose enfin d’un panel de civils sous contrat, de stagiaires, d’alternants et de réservistes, ainsi que d’officiers spécialistes de différents domaines.

Ce dispositif se double d’un état d’esprit pionnier qui est porté par le haut commandement et relayé jusque dans les régiments, qui ont chacun un référent « innovation », pour développer une culture de l’innovation. Il va de pair avec le commandement par l’intention qui développe l’esprit d’initiative. Le bureau de coordination de l’innovation du CCF est ainsi chargé instruire les idées remontées des unités, via le système d’information hAPPi.

Dans cet effort pour insuffler et entretenir une dynamique d’innovation, la convention COMBATERRE a été organisée début avril 2025, afin de favoriser la rencontre des autorités militaires, des innovateurs militaires des états-majors et des unités opérationnelles avec les industriels du domaine aéroterrestre, ainsi que le forum TECHTERRE, réunissant innovateurs militaires, civils et chercheurs en juillet 2025.

Le numérique, le cyber, l’intelligence artificielle ont pris naturellement leur place au milieu des initiatives d’innovation et d’expérimentation tant centralisées que décentralisées. Un bureau « numérique » et un bureau « cyber » assurent la cohérence d’ensemble de ces questions de manière centralisée à l’EMAT. Un certain nombre de projets sont en cours en lien avec l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense (AMIAD), comme l’intégration de l’IA dans les processus de décision opérationnelle ou le projet PENDRAGON.

Au total, d’après les informations transmises à votre rapporteure, plus d’1 million d’euros a été engagé en 2025 au profit des innovations liées aux drones et 3,7 millions d’euros pour financer des innovations au profit de la 7e brigade blindée dite « bonne de guerre ».

2.   Préparer la robotisation de l’armée de Terre : le projet PENDRAGON

Le projet PENDRAGON ambitionne de créer une unité militaire robotisée autonome capable de renforcer les capacités françaises de combat terrestre d’ici 2030. Placé sous l’autorité de l’AMIAD, PENDRAGON vise la constitution d’une capacité d’expérimentation composée d’une vingtaine d’appareils robotiques terrestres et aériens. Pleinement intégrée à ce programme, l’IA permettra aux drones et robots de communiquer entre eux de façon autonome. Ces efforts s’inscrivent dans un mouvement global « d’aller vers l’automatisation des moyens », selon les mots de Bertrand Rondepierre, directeur de l’AMIAD.

Les premières missions confiées serviront essentiellement à l’appui des forces, à travers des fonctions de surveillance, de reconnaissance, de soutien logistique ou encore d’évacuation de blessés par drones terrestres. Progressivement, selon le calendrier et les résultats des expérimentations, ces capacités pourront s’étendre à des rôles de riposte plus offensifs. Cela suppose de définir avec précision les règles d’emploi de telles unités robotisées afin d’instaurer un niveau de confiance suffisant avec le commandement. Comme pour des unités humaines, la responsabilité restera pleinement assumée par le chef militaire. La Défense française refuse explicitement les systèmes totalement autonomes, mais se dit prête à explorer des systèmes à autonomie encadrée, avec l’exigence que l’humain demeure dans la boucle de décision, même si les conditions opérationnelles (rapidité des engagements, possibles ruptures de communication, traçabilité des décisions, etc.) posent des défis nouveaux. En matière de génie, le développement de robot est perçu comme une opportunité forte, pour réaliser des missions de déminage ou d’ouverture d’itinéraires sans mettre en danger les unités.

Dans un registre similaire, des progrès significatifs ont été réalisés sur le marché des véhicules terrestres sans pilote, ou unmanned ground vehicles (UGV) lourds, qui remplissent à la fois des fonctions communes comme la reconnaissance, mais aussi des missions plus spécifiques telles que le transport de drones ou de matériels divers. L’entreprise estonienne Milrem Robotics, dont votre rapporteure a rencontré les dirigeants lors de son déplacement en Estonie, s’est imposée comme un acteur pionnier en Europe. Son robot, le THEMIS (Tracked Hybrid Modular Infantry System), est un véhicule terrestre sans pilote modulaire et hybride, capable d’être rapidement configuré pour différentes missions, allant de l’appui logistique à la reconnaissance, en passant par des capacités de combat léger avec des armes téléopérées. Le THEMIS, déjà adopté par plusieurs pays de l’OTAN, constitue la plateforme centrale sur laquelle repose le deuxième consortium industriel européen dédié au robot multi-missions modulaire non armé appelé iMUGS2, un projet auquel participe également la France.

3.   Investir l’intelligence artificielle

Le programme PENDRAGON traduit une volonté stratégique plus vaste de structurer un écosystème industriel français autour de l’IA de défense. Le projet mobilise déjà de nombreux acteurs, universitaires, industriels et startups, dans le cadre des programmes nationaux (dont France 2030) pour consolider la souveraineté technologique. L’IA pourrait avoir de nombreuses implications pour l’armée de Terre : contribuer à l’aide à la décision, optimiser l’utilisation de capteurs, améliorer la gestion courante ([23]).

Comme expliqué par une entreprise innovante interrogée par votre rapporteure, l’intelligence artificielle (IA) de défense doit franchir trois étapes successives :

– la souveraineté, c’est-à-dire disposer de modèles entraînés sur données européennes, sécurisés et maîtrisés, pour éviter toute dépendance aux fournisseurs américains ou chinois ;

– l’adaptation opérationnelle, en disposant d’IA capables d’apprendre et de s’entraîner rapidement à partir des données de terrain ;

– la robustesse, avec des algorithmes capables de fonctionner en conditions réelles dégradées (faible connectivité, brouillage) et à faible consommation.

Alta Ares : une start-up engagée sur le terrain ukrainien

Alta Ares est une start-up française née au sud-est de l’Ukraine à la fin de l’année 2023. Spécialisée dans l’IA embarquée pour la vision et l’analyse vidéo en temps réel, elle développe des briques logicielles d’analyse d’images et vidéo destinées à être embarquées directement sur drones. Son logiciel permet la détection, la classification et le suivi d’objectifs (véhicules, batteries d’artillerie, personnels, signatures de munition glissante) sans dépendre d’un lien continu vers le cloud. Les solutions visent à réduire la charge cognitive des opérateurs et à fournir des alertes exploitables en temps réel sur le théâtre. Alta Ares développe également des solutions d’IA embarquée pour la maîtrise de l’espace aérien tactique. L’entreprise propose des dômes tactiques de protection dotés d’une portée opérationnelle de 30 kilomètres, déployables le long des frontières pour protéger sites sensibles et infrastructures critiques. Sa solution logicielle « Pixel Lock » transforme un drone intercepteur en système semi-autonome capable de neutraliser efficacement les drones ennemis.

Alta Ares connaît des déploiements opérationnels quotidiens sur le théâtre ukrainien, un nombre important d’expérimentations avec l’armée française, et la société a été invitée à des exercices internationaux.

Source : réponse écrite au questionnaire.

Les entreprises innovantes auditionnées par votre rapporteure ont convergé sur les modifications normatives à apporter pour accélérer l’IA de défense et plus largement pour donner une place accrue aux start-ups dans la commande publique. Il s’agit en premier lieu d’éviter le « stop and go » budgétaire ou normatif, en assurant la pluriannualité des dépenses et en limitant les revirements législatifs. La LPM 2024-2030 est ainsi considérée comme un réel progrès : les programmes ont été réalisés dans les temps et les financements décaissés. Ensuite, la responsabilisation des acheteurs publics est considérée comme un frein à l’innovation dans les marchés publics. En effet, alors que la responsabilité des acheteurs publics peut être engagée à l’occasion d’un litige, les administrations ne sont pas incitées à la créativité, notamment dans l’attribution des contrats. Votre rapporteure invite donc à revoir ce dispositif, dans le sillage de l’ordonnance du 23 mars 2022 ([24]) relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics qui a assoupli les sanctions.

Enfin, les seuils des marchés publics européens sont décrits comme des freins à l’innovation. Les seuils de la commande publique sont des facteurs limitants pour l’accès des start-ups ou des PME aux achats gouvernementaux, avec une publicité et une mise en concurrence obligatoire au-delà de 40 000 euros ([25]). Les marchés de gré à gré sont donc très restreints, ce qui limite les achats de matériels innovants, comme des logiciels d’intelligence artificielle. Néanmoins, les seuils des marchés publics étant définis au niveau européen, il serait donc illusoire d’appeler à leur révision. Plutôt, votre rapporteure rappelle l’obligation imposée aux pouvoirs adjudicateurs de favoriser l’allotissement des contrats pour permettre aux entreprises innovantes de se positionner.

Surtout, votre rapporteure insiste sur l’utilité du dispositif d’achat public innovant et suggère de relever spécifiquement ce seuil. Pour mémoire, La loi de programmation militaire 2019-2025 avait fixé pour objectif que la politique d’achat public favorise l’acquisition de matériels et de services innovants dans l’ensemble des domaines d’activité en matière de défense et de sécurité. Le contrat doit répondre à la définition d’un marché de défense et de sécurité tel que défini à l’article L. 1113-1 du code de la commande publique ([26]).

Plusieurs dispositifs sont prévus par le code de la commande publique et permettent l’achat innovant jusqu’à 300 000 euros HT. En matière de défense ou de sécurité, en application de l’article R. 2322-6 du code de la commande publique, l’acheteur public peut passer sans publicité ni mise en concurrence préalables un marché de services de R&D pour lequel il acquiert la propriété et finance la prestation. En application de l’article R. 2322-7 du code de la commande publique, l’acheteur peut également conclure des marchés de gré à gré concernant des produits fabriqués uniquement à des fins de R&D. Le décret du 30 décembre 2024 ([27]) a ainsi instauré un dispositif de marché innovant en matière de défense et de sécurité, avec un seuil relevé à 300 000 euros HT, contre 100 000 euros HT pour les achats classiques (article R. 2322-16 du code de la commande publique). Ce dispositif permet d’acheter « sur étagère » une solution innovante et il est considéré comme très positif par les acteurs économiques auditionnés par votre rapporteure. Dès lors, votre rapporteure recommande de doubler ce seuil à 600 000 euros au minimum.

III.   Une armée de Terre davantage soudée pour promouvoir l’esprit de défense

A.   Une armée de Terre soutenue par la Nation pour accroître la résilience

1.   Le renforcement de la cohésion nationale suppose des dispositifs ciblés et la montée en puissance de la réserve

Le renforcement de la cohésion nationale (CN) est le premier axe de la stratégie militaire générale (2023) du CEMA. Elle est le centre de gravité d’une Nation résiliente prête à affronter des chocs. La cohésion nationale est ce qui permet à une nation de résister aux chocs, de rester unie et de soutenir un effort de défense dans la durée. Une nation soudée renforce son potentiel de dissuasion et sa crédibilité stratégique. Cette cohésion ne relève pas uniquement du champ militaire : elle repose sur un lien solide entre les Armées et la Nation, sur la diffusion d’une culture de défense partagée, et sur l’implication des citoyens dans la résilience collective.

Les armées conduisent des actions contribuant au renforcement de la cohésion nationale et de l’esprit de défense sur trois cibles : la jeunesse, la réserve et la Nation dans son ensemble.

S’agissant de la jeunesse, l’armée de Terre développe des dispositifs d’engagement mieux structurés et plus attractifs. La journée défense et citoyenneté « nouvelle génération » (JDC NG) est déployée depuis 2025, avec des crédits en hausse dans le PLF pour 2026. Elle est désormais davantage axée sur l’esprit de défense et vise à susciter l’engagement de la jeunesse, en particulier vers les métiers de la défense. Cette JDC NG se déroule sur une journée complète, prioritairement sur des sites militaires, et son contenu intègre des ateliers immersifs, ludiques et participatifs. Elle est animée par un encadrement professionnalisé composé notamment de réservistes recrutés et formés spécifiquement. D’autres outils cibles sont utilisés : stages, classes de défense, périodes militaires, en privilégiant la « militarité » du contact. Les stages de troisième et se seconde sont un levier privilégie pour initier des adolescents à l’esprit de défense. Une trentaine de jeunes peuvent être intégrés à un régiment durant une semaine, avec de nombreuses activités et immersion proposées. Par ailleurs, une classe de défense est un projet pédagogique, interdisciplinaire et pluriannuel, mené à l’initiative d’une équipe enseignante et en partenariat avec une unité militaire marraine. Le projet permet des échanges toute l’année entre des militaires et les élèves, autour d’une thématique définie. Le dispositif est destiné à des classes de fin de collège ou de lycée, notamment en réseau d’éducation prioritaire. On dénombre 500 classes de défense pour 12 500 élèves impliqués. Alors que la JDC nouvelle génération touche la masse, les stages de seconde ou les classes de défense touchent en profondeur un public plus réduit. La contribution à la formation des enseignants demeure un levier multiplicateur de l’éducation à la défense.

La montée en puissance de la réserve s’effectue dans le cadre du plan réserve 2030. La réserve, trait d’union entre la société civile et le monde militaire, concourt directement à la cohésion et à la résilience nationale et préfigure la mobilisation des forces vives de la Nation. Au sein des trois armées, la réserve est passée de 36 000 engagés en 2017 à plus de 44 000 personnels en 2024 : l’objectif est de doubler ce chiffre pour atteindre 80 000 à horizon 2030.

Pour atteindre l’objectif d’un doublement des effectifs de la réserve opérationnelle de l’armée de Terre à l’horizon 2030, à savoir 48 000 réservistes sur les 80 000 toutes armées et services confondus, l’armée de Terre est engagée dans une transformation profonde impliquant un changement d’échelle et de modèle. L’ambition de l’armée de Terre est de disposer d’une réserve pleinement intégrée, qui apporte un supplément de masse et de compétences à l’armée d’active, et offre un vecteur essentiel de participation de l’armée de Terre à la cohésion nationale dans les territoires. Cette évolution vise notamment à améliorer l’intégration de cette force à l’active, pour lui conférer une épaisseur supplémentaire. Ressource indispensable dans un cadre d’engagements permanents sur le territoire national et en opérations extérieures (OPEX), la RO1 (réserviste opérationnelle de premier niveau) a vocation à participer au renforcement de l’efficacité opérationnelle. Pour fin 2025, le nombre de réservistes opérationnels devrait atteindre 28 817. Les besoins supplémentaires en matière d’équipements s’élèvent à montant total de 193 millions d’euros en fin de période (2028-2030).

Enfin, il s’agit d’insuffler à l’ensemble de la Nation un véritable esprit et une volonté de défense. Dans un contexte stratégique marqué par le retour des menaces de haute intensité, la résilience collective repose autant sur la capacité de nos armées que sur l’adhésion de la société à leur mission. Cet esprit de défense doit irriguer l’éducation, la vie civile et l’engagement citoyen, afin de recréer un lien fort entre l’armée et la Nation. C’est à cette condition que la France pourra affirmer durablement sa souveraineté et sa liberté d’action.

2.   Un lien renforcé entre les régiments et les territoires permettra de renforcer la place de l’armée de Terre dans la société

Afin de toucher la Nation dans toute sa diversité, l’armée de Terre souhaite renforcer le lien entre les régiments et les territoires. Si les dispositifs « Reserve 2030 » et « formation académique – découverte de la vie militaire » déjà évoqués y contribuent déjà, il est indispensable de consolider l’ancrage local des unités.

L’armée de Terre bénéficie d’un maillage territorial dense, assurant aux unités une présence locale qui est un atout pour transmettre à la Nation l’esprit de défense. L’armée de Terre, présente dans 93 départements, s’inscrit comme un acteur local, participant à l’écosystème éducatif, économique et social. L’armée de Terre cite l’exemple d’un régiment témoin, qui génère 1 740 emplois, 1 000 enfants scolarisés et contribue à hauteur de 50 millions d’euros à la création de richesse du département.

Les efforts en ce sens se traduisent d’abord par un maillage territorial renforcé et une offre « protection » dont la réactivité est accrue. Le dialogue civilo-militaire constitue un levier majeur dans cette démarche : il s’exprime par l’organisation d’exercices en terrain libre, favorisant les échanges avec les autorités locales et la population. Le concept de « garnison de combat » entend assurer aux régiments une présence continue dont découle une capacité de réaction rapide. La prise en compte des territoires d’outre-mer, avec la création de trois hubs opérationnels, renforce la présence des forces armées dans les territoires ultramarins et participe à ancrage sur l’ensemble du territoire national. L’évolution de la mission Soutien Territorial local (STL) parachève ces efforts, en structurant un dialogue civilo‑militaire renforcé aux niveaux interministériel, préfectoral et départemental, ce qui permet une coordination agile en période de crise. Enfin, cette détermination de l’armée de Terre s’exprime par une communication locale accrue, l’organisation d’actions mémorielles pour renforcer la visibilité des régiments dans le dynamisme territorial économique, social et culturel.

À ce titre, l’armée de Terre a signé le 15 octobre dernier une convention de partenariat avec l’association des maires de France (AMF) afin de développer des synergies pour répondre aux besoins de sécurité, de gestion de crises et de développement local mais aussi consolider le lien armée-Nation. L’armée de Terre et l’AMF entendent promouvoir des initiatives en matière de sécurité, de défense et de gestion de crise, mais aussi des actions en direction de la jeunesse.

Votre rapporteure tient également à souligner la forte dimension locale que revêtent les dispositifs « avec nos blessés » ou le Plan Famille 2. Leur consolidation permet d’affermir le lien avec la Nation, en favorisant une plus grande cohésion dans les territoires, notamment dans le parc locatif et dans la scolarisation des enfants.

3.   Tirer les leçons des JOP 2024 pour la coopération civilo-militaire

L’engagement des armées dans la sécurisation des Jeux Olympiques de Paris 2024 (JOP) constitue la plus importante opération interarmées sur le territoire national depuis plusieurs décennies, qui permettra d’inspirer les futurs engagements sur le territoire national et d’améliorer la coopération civilo-militaire.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des JOP 2024. Les facteurs clés du succès du dialogue civilo-militaire (DCM) résident dans l’anticipation commune des difficultés, dans la mise en place d’exercices conjoints en amont de l’événement et dans un bon niveau de connaissance mutuelle. Un autre enseignement est que le niveau zonal, incontournable dans la structuration du DCM, participe directement à l’atteinte des effets demandés par l’autorité civile.

B.   Une communauté humaine unie pour faire face à la haute intensité

1.   Cultiver la cohésion au sein de l’armée de Terre

Pour appuyer la doctrine « gagner la guerre avant la guerre » formulée par l’ancien CEMA, le général d’armée Thierry Burkhard, l’armée de Terre entretient la cohésion au sein de ses rangs, un objectif qui passe notamment par la diffusion et l’application de valeurs fondamentales, une plus grande écoute et un modèle de commandement adapté. Dans sa vision stratégique, le CEMA priorisait le soutien de « la communauté humaine des armées, sa résilience, ses compétences [et] sa richesse ». Cette communauté humaine repose sur des qualités et engagements indissociables de l’armée de Terre, telles que le respect, l’estime mutuelle, l’intégrité morale, le sang froid ou encore le fait de bien vivre la mixité.

La fraternité d’armes constitue le lien qui unit tous les soldats, sans distinction de grade, assurant un esprit de corps. Elle se matérialise particulièrement dans l’accompagnement et le soutien des blessés, qu’ils soient physiques ou psychiques. En 2025, l’armée de Terre dénombre près de 3 000 blessés parmi ses rangs. Ce chiffre atteint les 20 000 au cours des 35 dernières années.

L’accompagnement des blessés incarne la fraternité d’armes telle qu’elle est promue par l’armée de Terre. Cette fraternité, définie comme un lien de solidarité profonde entre soldats, sans aucune notion de grade, trouve une expression concrète dans le soutien apporté à ceux qui ont été physiquement ou psychiquement atteints en service. Cette attention aux blessés relève d’un véritable devoir moral, porté par les camarades, les chefs et par toute la chaîne hiérarchique. Par le biais d’organes institutionnels dédiés comme la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre (CABAT), l’armée de Terre organise un accompagnement global, allant de l’aide immédiate, à la réinsertion professionnelle.

Par ailleurs, le travail sur la relation chefs-subordonnés doit être amplifié. Le commandement par l’intention poursuit l’objectif d’accroître la subsidiarité dans les décisions et de mieux responsabiliser les subordonnés. Les chefs de corps doivent avoir des leviers d’actions concrets pour donner du sens à leur mission et être en capacité de répondre aux besoins de leurs hommes. Les crédits « subsidiarité » leur permettent dans cet esprit d’agir dans trois dimensions : la réactivité, la condition du personnel de proximité et l’autonomisation des infrastructures. Votre rapporteure appelle à une hausse vigoureuse des crédits de subsidiarité à la main des brigadiers. Les conseils de la fonction militaire (CFMT) jouent également un rôle clé dans la détection des problèmes du terrain. Grâce à la concertation et le dialogue interne, ceux-ci permettent au commandement de lancer des chantiers indispensables, soulevés par des propositions et études de ces conseils, souvent remontées au Conseil supérieur de la fonction militaire. Ont ainsi été abordés les problèmes de VSS et d’addictions. C’est dans cet esprit qu’en 2024, une directive spécifique aux questions de mixité a été publiée et des modules de formation créés à l’attention de tous les soldats pour apprendre à la fois à commander une unité mixte et à vivre en unité mixte.

Afin de renforcer la fraternité d’armes et l’esprit de corps, le CEMAT a indiqué, dans son ordre du jour du 29 septembre 2025, les grandes lignes de la Fondation Armée de Terre qui sera prochainement créée.  La raison d’être de la Fondation Armée de Terre sera de « fédérer et d’amplifier les actions menées au profit de la communauté Terre ». Ainsi, elle agira dans trois domaines prioritaires, à savoir la jeunesse, l’accompagnement des militaires et de leurs familles et la valorisation du patrimoine de l’armée de Terre. Cette fondation devrait être déclarée d’utilité publique et s’appuiera sur le monde associatif des anciens combattants et sur des partenaires économiques.

La cohésion renforcée au sein de l’armée de Terre requiert également une plus grande reconnaissance de l’institution envers ses soldats. Les plans Famille, les réformes dans la mobilité ou la parentalité, la nouvelle politique de rémunération, la revalorisation des grilles indiciaires, l’effort conduit dans le logement offrent au soldat le sentiment d’être protégé par l’institution. Pour les soldats du rang en particulier, ces mesures incarnent le soutien de l’armée et renforcent la cohésion des troupes. Elles accroissent le moral des soldats et in fine, améliorent la capacité de l’armée de Terre à produire des effets.

2.   Une hybridation renforcée entre armée d’active et réserve

Sur la réserve, l’état-major des armées a diffusé le 7 mai 2025 le plan réserve 2030, qui met en relief les deux principes qui doivent guider la montée en puissance de la réserve. D’une part, le recrutement et l’emploi d’un réserviste doivent être liés à un besoin objectif, qui est de réaliser une mission fonctionnelle ou opérationnelle au sein des armées, directions et services, limitée dans le temps. D’autre part, la réserve doit être totalement intégrée à l’active en lui apportant l’épaisseur nécessaire pour répondre au contrat opérationnel. L’objectif est de disposer, d’ici 2035, d’un réserviste pour deux militaires d’active.

Il découle de ces deux principes, plusieurs évolutions qui garantissent à la réserve une meilleure réactivité et une meilleure complémentarité avec l’active en cas de mobilisation. Le réserviste est considéré de la même façon que le personnel d’active, et à ce titre, est géré par la chaîne RH d’active, s’entraîne aux côtés ou au sein des unités d’active, et est équipé à terme de la même manière. La relation entre l’employeur civil, l’employeur militaire et le réserviste est renforcée pour favoriser la proximité du réserviste avec sa formation d’emploi, et susciter une meilleure implication de l’entreprise. Le système d’information dédié (ROC) se transforme pour permettre une information plus efficace du réserviste et une capacité de communication massive en cas de mobilisation. Enfin, la fiabilisation de la réserve de disponibilité (anciens militaires rappelables pendant cinq ans après la fin du service) est également lancée pour garantir le bon déroulement d’un éventuel rappel de la réserve opérationnelle.

3.   La formation s’adapte à la haute intensité

Pour répondre aux défis mentionnés, l’armée de Terre adapte sa formation, avec un effort en matière de crédits dans le PLF 2026. Les crédits de l’OS « fonctionnement et activités spécifique » sont ainsi en hausse de 11 % pour améliorer la formation. La priorité dans le domaine est de mettre l’accent sur l’opérationnalisation et la consolidation des brigades. Quatre lignes d’opération sont identifiées : assurer la cohérence des formations pour répondre aux besoins des employeurs ; inscrire les organismes et les contenus de formation dans la haute intensité (HI) ; harmoniser un style de formation par de nouvelles pratiques pédagogiques ; diversifier et consolider les interactions avec les partenaires.

Le contexte géopolitique incite à structurer un enseignement de type engagement de haute intensité. La formation dite de masse est en cours de développement pour faire face à une nouvelle augmentation sensible des besoins en fonction de scenarios différenciés.  Plusieurs pistes ont d’ores et déjà été identifiées, telles que le recentrage des programmes pédagogiques sur le cœur de métier, ou la densification des périodes de formation (travail en horaires étendus et les week-ends).


   Travaux de la commission

I.   Audition du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre

La commission a entendu M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de finances 2026 (n° 1906), au cours de sa réunion du jeudi 23 octobre 2025.

M. Loïc Kervran, président. Je vous prie d’excuser l’absence du président Jean‑Michel Jacques ce matin. Il accompagne actuellement la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées et des Anciens Combattants à la maison Athos de Caen, en déplacement auprès de nos soldats et particulièrement de nos militaires blessés. Il s’agit d’un enjeu auquel toute notre Commission est particulièrement attachée, et lui sans doute encore plus que quiconque.

J’ai donc l’honneur de présider cette audition ce matin, alors que nous poursuivons et terminons notre cycle consacré au PLF 2026. Nous recevons le Général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre.

En ce 23 octobre, permettez-moi tout d’abord de rendre hommage aux 58 militaires français tués sur le poste Drakkar à Beyrouth, appartenant au 1er et au 9e RCP. Je tiens à rappeler que le 1er RCP était basé en 1945 à Avord dans ma circonscription, où on l’appelait alors « infanterie de l’air ». Ces militaires étaient déployés dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth, et non de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). J’adresse une pensée émue à ces soldats, à leurs camarades, à leurs familles, ainsi qu’à nos alliés américains également frappés quelques minutes auparavant.

Concernant le projet de loi de finances pour 2026 relatif à l’armée de Terre, Madame Isabelle Santiago est notre rapporteure pour avis sur ces crédits. Sur les 15,9 milliards d’euros en crédits de paiement consacrés au programme 178 « Préparations et emplois des forces », 2,5 milliards sont dédiés aux forces terrestres, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2025. Mon Général, nous souhaiterions que vous nous détailliez les besoins justifiant cette hausse et les priorités auxquelles seront affectés ces crédits supplémentaires, qu’il s’agisse de la préparation opérationnelle, de l’entretien programmé des matériels ou de l’infrastructure.

L’année 2025 a par ailleurs été celle de la consolidation de l’engagement de l’armée de Terre sur le flanc est de l’Europe, en Roumanie et en Estonie, et a permis la montée en puissance de la Brigade « bonne de guerre ». Nous aimerions vous entendre sur ce nouveau dispositif d’engagement et sur les choix stratégiques qui le sous-tendent.

Sur le volet des ressources humaines, que j’ai particulièrement étudié il y a quelques mois dans le cadre d’un rapport parlementaire sur cette thématique, je tiens à saluer les progrès de l’armée de Terre en matière de fidélisation. Les cibles de recrutement ont été atteintes en 2025 et le schéma d’emploi devrait être respecté. Cette excellente nouvelle survient après une période difficile qui nous avait tous préoccupés. Cet aspect est fondamental pour une armée en constant renouvellement, placée sous le signe de la jeunesse et du renforcement de la masse. Le budget 2026 devrait permettre de consolider ces acquis, notamment dans la perspective d’une hybridation renforcée avec la réserve.

Enfin, sur le plan capacitaire, vous pourrez sans doute nous éclairer sur l’effort prévu par le PLF pour acquérir des capacités indispensables à notre réarmement et à notre préparation à la haute intensité, notamment les hélicoptères NH90, les véhicules blindés Scorpion et bien entendu les munitions, qu’elles soient de gros calibres, antichars ou télé‑opérées.

M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je vous remercie pour cette évocation de l’attentat du Drakkar et des soldats qui y ont perdu la vie. En ouverture de mon propos, j’aimerais avoir une pensée pour les 15 000 soldats de l’armée de Terre actuellement en mission ou déployés, ainsi que pour les 15 000 qui se tiennent en alerte. Ils sont l’expression de la volonté de la Nation et de la crédibilité de ses armées.

Sans revenir sur chaque épisode de l’actualité internationale, il m’apparaît important d’évoquer le rythme et l’intensité des crises que le monde connaît. Ils confirment que nous vivons un moment géostratégique. Des événements graves, comme les frappes récentes sur l’Ukraine ou les violations d’espaces aériens de pays alliés, passent presque inaperçus dans la succession des événements. Ces faits ne sont pourtant pas anecdotiques. Ils traduisent l’urgence de la menace et la radicalité de la bascule du contexte international. Nous assistons à un changement d’ère, à un retour des Empires qui doit dicter notre posture. Pour être libres, il faut être craints, pour être craints, il faut être forts. J’ajouterai que pour l’armée de Terre, être forts signifie se tenir prêts et le faire savoir à nos alliés comme à nos adversaires.

Se tenir prête, c’est ce que fera l’armée de Terre en 2026, forte des deux premières années d’une transformation dont nous pouvons déjà mesurer les effets. J’estime que le plan est bon. Les choix opérés en 2023 grâce à la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 sont pertinents. Mais, l’urgence et la radicalité du contexte imposent d’en accélérer la mise en œuvre. Le projet de loi de finances pour 2026 en donne les moyens.

La France entend peser sur son destin et tenir son ambition de puissance d’équilibres et d’entraînement, de moteur d’une architecture de sécurité en Europe qui soit un pilier crédible de l’Alliance Atlantique. Elle a besoin d’une armée de Terre « de combat », prête à remplir des missions allant de la protection du territoire à une contribution déterminante à la défense collective de l’Europe sous forme d’un commandement en coalition.

Le diagnostic qui a présidé au plan de transformation de l’armée de Terre porté par la loi de programmation militaire reste valide, mais les événements récents en confirment, avec une force particulière, l’indispensable accélération et amplification.

Je tire trois enseignements militaires des combats terrestres qui se déroulent sous nos yeux.

Le premier concerne l’ampleur des engagements menés par de grandes unités disposant de moyens massifs et de saturation du champ de bataille. Les combats s’étendent au-delà de la ligne de front, dans la profondeur et sur les arrières. Les capacités logistiques, le soutien et la régénération sont visés, mettant au défi la résilience industrielle des nations.

Le deuxième enseignement tient à la vitesse d’adaptation. Les modalités se révèlent innovantes et évolutives, intégrant rapidement les progrès technologiques et les percées tactiques, sans pour autant disqualifier les procédés préexistants.

Le troisième enseignement porte sur l’exploitation des champs immatériels. Les outils numériques constituent des vecteurs de puissance potentiels pour nos systèmes de renseignement et de commandement. À l’inverse, les adversaires mènent des campagnes de désinformation et des attaques cyber pour déstabiliser les sociétés en deçà du seuil de l’affrontement, ou en prolongement de la guerre sur les arrières jusqu’au cœur des nations.

Dans ce monde où le champ des perceptions est devenu un des champs de bataille, il ne suffit plus d’être fort, il faut le faire savoir. Il faut montrer sa force avant de la démontrer, afficher sa préparation, sa cohérence, sa détermination. Montrer sa préparation, sa cohérence, sa détermination, c’est asseoir sa crédibilité, c’est déjà peser sur le rapport de forces. À travers sa transformation, l’armée de Terre construit des outils de puissance adaptés aux enseignements des conflits en cours et de leur évolution. Son but est la crédibilité, adaptée de manière continue pour décourager en permanence, protéger la France et ses habitants quoi qu’il arrive, rassurer ses partenaires et, le cas échéant, vaincre en coalition. L’objectif est double : être prêt dès ce soir, je dirais même dès ce matin, et s’adapter pour demain.

Mes quatre priorités sont donc le commandement et la connectivité pour accélérer la décision, l’acquisition de la transparence du champ de bataille par le renseignement et son exploitation, la létalité par la densité, la rapidité et la précision des feux et des autres moyens d’attaque, et enfin la protection au contact comme sur nos arrières.

Pour cadencer l’effort, l’effet majeur retenu est de disposer d’une division « bonne de guerre », déployable en 30 jours en 2027. Une division agrège, autour d’un poste de commandement, des appuis et des soutiens ainsi que deux brigades. La première étape est atteinte cette année avec une brigade « bonne de guerre », c’est-à-dire 8 000 soldats équipés avec leurs moyens, leurs véhicules et leurs munitions, entraînés, commandés, et prêts à être déployés quelle que soit la mission à remplir. Entre la brigade « bonne de guerre » de 2025 et la division de 2027, l’année 2026 sera consacrée à la montée en puissance des appuis et soutiens différenciants, en particulier : les feux et la logistique.

En deux ans seulement, le plan « armée de Terre de combat » a déjà produit des effets tangibles et des bénéfices capacitaires concrets : nous atteindrons cette année 45 % du total des livraisons de véhicules Scorpion. Le virage de l’innovation donne de premiers résultats : la dronisation est en marche, symbolisée par la création des centres d’entraînement tactique drones au sein des brigades. La situation des ressources humaines de l’armée de Terre est confortée, avec une amélioration sensible de la fidélisation depuis 2023.

Malgré la pertinence de ce plan, l’urgence du contexte nous impose d’accélérer, sa radicalité exige d’amplifier. La barrière des signalements stratégiques est en partie déjà franchie, comme le chef d’état-major des armées (CEMA) l’a exposé devant vous. Nos adversaires ne se contentent plus d’observer à distance, ils nous testent. Chaque provocation, chaque attaque, même hybride, constitue un banc d’essai de notre cohérence et de notre détermination collective. Il est impératif d’apporter une réponse justement proportionnée et sans faiblesse à ces tests qui pourraient sinon, préfigurer un choc de plus grande ampleur et donc plus dangereux dans les années à venir. Nous devons être prêts, et le faire savoir. C’est le but de l’armée de Terre qui entend donc demeurer stratégique, innovante et soudée. L’armée de Terre est stratégique : elle protège et agit chaque jour, sur le territoire national dans l’hexagone et outre-mer comme à l’étranger. Elle « fait le job », c’est-à-dire qu’elle produit les effets attendus par la Nation.

En 2025, elle a rempli ses missions et contribué au signalement stratégique par ses engagements opérationnels comme Dacian Spring, Pikne, et Brigade Expansion actuellement déployée en Roumanie, par ses exercices majeurs, tel Warfighter 25, ainsi que par ses coopérations renforcées en Afrique ou avec l’Inde lors de l’exercice Shakti. L’année 2026 sera placée sous le signe des coalitions afin de franchir une étape supplémentaire dans la préparation aux chocs et la démonstration de notre détermination.

Concernant la préparation opérationnelle, l’effort porté sur le maintien en condition opérationnelle, les munitions et l’activité au sens large que vous avez mentionné permettra de dépasser les 70 % de la norme de référence visée en fin LPM. Cette année sera notamment marquée par Orion 26, exercice majeur qui mobilisera nos états-majors et nos unités aux côtés de nos alliés. Il sera l’occasion de tester l’interopérabilité à grande échelle et de valider la préparation opérationnelle de nos soldats. Cet exercice éprouvera nos concepts d’emploi interarmes, interarmées, interalliés et même interministériels.

En matière d’engagement opérationnel, outre les missions en cours et celles qui se déclencheront au fil de l’année, l’armée de Terre tiendra en 2026 trois dispositifs d’alerte simultanément. Premièrement, l’échelon national d’urgence, que nous appelons « Guépard », comprenant 7 000 soldats prêts à partir avec des délais d’alerte échelonnés de 12 heures à 5 jours, y compris pour des missions souveraines nationales. Deuxièmement, l’alerte de premier rang de l’Otan, l’Allied Response Force (ARF) 2026, qui sera structurante. En surplomb, nous nous tiendrons prêts à déployer des forces dans le cadre de garanties de sécurité, le cas échéant au profit de l’Ukraine.

Être stratégique dans le monde qui vient, c’est être innovant. L’armée de Terre est innovante, elle s’adapte en permanence. Il n’y a pas de point d’arrivée, car il n’y a pas d’armée innovée.

Dans cette perspective, nous poursuivrons en 2026 la transformation des structures de l’armée de Terre pour les adapter aux besoins des conflits modernes. Cette transformation a débuté par la réorganisation du commandement haut de l’armée de Terre avec les commandements Alpha, qui permettent la mise en synergie des moyens d’action dans la profondeur du champ de bataille, dans ses arrières, dans son environnement et dans son espace numérique. Cette transformation se poursuit avec le renforcement progressif des régiments d’appui et de soutien qui délivreront les feux longue portée et la logistique, mes efforts pour 2026, mais aussi la guerre électronique, la défense sol-air, le génie, le renseignement. La transformation se fait ici au rythme de l’arrivée des équipements.

Concernant ces équipements, et toujours dans une démarche d’innovation, nous poursuivrons la montée en puissance du parc CAESAR avec la livraison de dix CAESAR de nouvelle génération, d’obus d’artillerie et de vingt Mortiers Embarqués Pour l’Appui au Contact (MEPAC). Les stocks de roquettes et de missiles seront renforcés. Un effort particulier sera porté sur les drones et la boucle renseignement-feux avec la livraison prévue de drones et Munitions Télé Opérées couvrant la trame de l’armée de Terre depuis le drone à pilotage immersif (les First Person View : FPV) avec 3 000 FPV d’entraînement sans charge, jusqu’aux drones les plus endurants, dits « opératifs ».

Cette montée en puissance s’accompagnera d’un effort logistique considérable pour donner à nos chaînes davantage de robustesse et de réactivité. L’exemple emblématique est celui des contrats de marché de soutien hybride, dont bénéficie notamment le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), permettant de passer d’une logique de flux à une logique de stocks, seule compatible avec un engagement majeur. Les flottes de camions de transport seront modernisées pour remplacer les GBC vieillissants. Nous réceptionnerons les premiers wagons de transport polyvalents interarmées et passerons 145 nouvelles commandes en 2026 pour densifier nos moyens logistiques.

En complément de ces transformations de structures et de cette modernisation par les équipements, nous intensifierons encore notre effort en matière d’innovation en 2026, tant « par le haut » que « par le bas », alliant évolutions techniques et doctrinales.

L’innovation par le haut concerne principalement les programmes d’équipements majeurs et les capacités structurantes. Le commandement du combat futur en constitue le moteur, avec pour mission d’éclairer l’avenir en lien étroit avec la base industrielle et technologique de défense. L’une des réalisations phares prévues pour 2026 est le Data Hub de l’Avant. Il s’agit d’un cloud tactique embarqué au sein des postes de commandement, conçu pour agréger, traiter et distribuer en temps réel des données issues de capteurs, de systèmes de combat et de renseignements vers les éléments de contact. Les livraisons prévues en 2026 des postes CONTACT, des postes pour véhicules, des kits d’hybridation et des moyens de guerre électronique s’intégreront dans cette démarche de data hub de l’avant.

L’innovation par le bas repose quant à elle sur l’initiative des soldats, leur connaissance intime du terrain et l’expérimentation. C’est le bouillonnement de « l’esprit pionnier » : les unités recherchent, détournent, manipulent, adaptent et proposent des solutions. Cette dynamique nous permet de capter les idées des utilisateurs et porte ses fruits depuis deux ans. Nous amplifierons encore cet élan en 2026 en accordant davantage de subsidiarité aux unités via des enveloppes dédiées et en déconcentrant une part des crédits consacrés aux opérations d’armement. En la matière, la subsidiarité produit un effet démultiplicateur.

Innover signifie enfin anticiper les ruptures à venir. Les quatre dernières années ont vu l’essor des drones aériens de combat et leurs conséquences sur la manœuvre tactique et opérative. J’ai la conviction que les prochaines années verront la maturation des drones terrestres. C’est précisément le sens de l’initiative Pendragon, menée conjointement avec l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad). Son objectif consiste à doter l’armée de Terre d’une première unité robotisée d’ici l’été 2026. La robotisation terrestre constituera une révolution culturelle et tactique que l’armée de Terre entend anticiper et exploiter.

Cette armée de Terre stratégique et innovante doit demeurer soudée. Mon troisième axe d’effort de l’armée de Terre pour être prête et le fasse savoir, sera de consolider son socle d’armée d’emploi, soudée par la fraternité d’armes. Dans cette perspective, j’ai choisi pour 2026 le mot d’ordre « servir ». Il témoigne de la relation entre la Nation et ceux qui s’engagent pour la défendre. Pour les soldats de l’armée de Terre, il s’agira d’un effort de considération, cette fraternité d’armes verticale du chef envers les subordonnés, mais aussi des subordonnés envers leur chef, par la pratique d’un commandement par intention, plus subsidiaire, sans renoncer à la culture du résultat et à la maîtrise du risque ; un commandement qui oblige autant le chef qu’il responsabilise le subordonné.

Servir implique également de permettre à davantage de jeunes Français de contribuer à la défense pour quelques jours ou quelques mois, sans en faire leur métier. En 2026, nous poursuivrons la montée en puissance de la réserve, conformément au plan de la LPM, passant de 29 000 à près de 32 000 réservistes. Nous constituerons cette année une première Brigade de défense du territoire national, composée majoritairement de cadres et de soldats de réserve, sans s’y limiter. Elle illustre la transition vers un modèle d’armée hybride, combinant active, réserve et toutes les formes de volontariat, offrant ainsi à l’armée de Terre une combinaison optimale de masse et de compétences pour remplir ses missions.

Les ressources prévues par le projet de loi de finances de 2026 permettront de poursuivre la mise en œuvre du plan de fidélisation 360°, particulièrement dans ses volets hébergement et logement, en soutien à la condition de vie des soldats et de leurs familles. Nos soldats demeurent notre préoccupation la plus importante.

Le plan est bon. Le contexte exige de l’accélérer et de l’amplifier. En 2026, nous poserons des jalons décisifs qui permettront en 2027 de disposer d’une division modernisée, « bonne de guerre », déployable en 30 jours, et d’atteindre en 2030 un niveau de corps d’armée pleinement apte à commander en coalition. Nous avançons avec lucidité et détermination dans la transformation de l’armée de Terre. Nous le faisons grâce à l’effort de la Nation, que nous mesurons pleinement, et au professionnalisme des hommes et des femmes qui servent aujourd’hui. Ces hommes et ces femmes sont prêts. En 2026, ils resteront prêts.

M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie pour ces propos liminaires. Vous l’avez souligné, l’ampleur de l’engagement, la vitesse de l’adaptation et l’immatérialité des champs exploités constituent nos défis actuels. L’objectif de cette commission consiste précisément à faire en sorte que notre nation, prête aujourd’hui, le demeure demain malgré toutes les ruptures. Notre responsabilité est de faire savoir que nous sommes prêts.

M. Julien Limongi (RN). Mon Général, derrière l’affichage d’un maintien de la trajectoire budgétaire à hauteur de 6,7 milliards d’euros supplémentaires, force est de reconnaître qu’il s’agit d’une hausse en trompe-l’œil. Les reports de charges, les restes à payer et cette dette grise qui enfle d’année en année compromettent sérieusement la sincérité et la soutenabilité de la LPM.

Je sais, mon Général, que vous n’êtes pas comptable des décisions politiques ayant conduit à cette situation. Vous connaissez mieux que quiconque les failles capacitaires qui affectent aujourd’hui nos forces, mais les besoins, eux, sont bien réels. Nous le constatons sur les feux, les stocks de munitions, le manque d’entraînement ou encore les difficultés persistantes en maintenance, comme pour le Serval.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si l’armée de Terre fournit des efforts – elle en fait de considérables – mais comment, malgré ces efforts, elle pourra parer au plus pressé dans un contexte budgétaire aussi contraint. La question que tous se posent mais que personne n’ose vraiment formuler : en cas de réel coup dur, comment procéderons-nous ? Avec des failles capacitaires identifiées, des stocks insuffisants et des marges financières quasi nulles, serions-nous en mesure de tenir durablement dans un engagement majeur ?

Enfin, un mot sur le système principal de combat terrestre (MGCS) : nous n’avons plus de nouvelles et nombreux sont ceux qui s’interrogent sur son devenir. Ira-t-il à son terme ou connaîtra-t-il le même destin incertain que le système de combat aérien du futur (SCAF) ?

Mon Général, votre éclairage sur ces points est essentiel pour que nous puissions collectivement mesurer la réalité de la situation au-delà des effets d’annonce.

M. le général d’armée Pierre Schill. Je souhaite d’abord apporter une réponse de principe : nous serons, par nature, toujours confrontés à une situation de manque. Ma responsabilité consiste au premier ordre à employer au mieux les ressources qui sont allouées à l’armée de Terre, ensuite contribuer à la construction du plan général du ministère, et enfin, en tant que citoyen conscient des enjeux de défense nationale, à participer au débat global sur l’effort de défense.

Concernant l’équilibre au sein du ministère des armées entre les grands choix stratégiques, je tiens un raisonnement similaire à celui que j’applique pour l’armée de Terre. Le plan général me paraît pertinent. Il repose sur un équilibre entre les impératifs de demain ‑ concrètement les équipements structurants – et ceux d’aujourd’hui ou de l’immédiat, mais aussi l’entraînement et les stocks de munitions. Cet équilibre me semble approprié, et nous le maintenons au fil des années successives, grâce aux ressources attribuées conformément à la LPM.

Ce plan s’inscrit néanmoins dans un environnement profondément bousculé. Le CEMA a souligné qu’aujourd’hui, nous devons réajuster ce plan selon une double logique – et mon propos vaut autant pour le ministère que pour l’armée de Terre. D’une part, nous devons probablement réinvestir davantage dans le court terme, par rapport au long terme : cela concerne les petits équipements, l’activité d’entraînement, les stocks de munitions, tout ce qui donnera sa pleine cohérence à l’ensemble des équipements dans des délais plus resserrés que ceux initialement prévus. D’autre part, nous devons adapter notre stratégie en fonction de l’évolution de la menace et du rythme des innovations technologiques.

Pour l’armée de Terre spécifiquement, les efforts consentis en 2026, notamment grâce aux ressources supplémentaires par rapport aux prévisions initiales de la LPM, mais également par un réajustement de cette programmation, permettent d’intensifier notre effet en matière d’activités et d’acquisition de munitions. Concernant les équipements de cohérence, je crois à la pertinence d’une logique de subsidiarité, y compris pour les enveloppes budgétaires et les décisions de l’état-major des armées vers l’armée de Terre et vers les unités pour ajuster au plus près les moyens aux besoins opérationnels.

Cela nous amène à la question cruciale de notre capacité à répondre à une crise majeure. Ce que je peux garantir avec certitude, c’est que l’armée de Terre, avec tous ses moyens réunis, sera sur les remparts de notre pays, telle qu’elle est, en tirant le meilleur parti de ce qu’elle possède. Mais nous ne sommes pas seuls, et la vraie question est de savoir comment l’Europe dans son ensemble se tiendra sur les remparts du continent face à une menace majeure.

Objectivement, la France constitue aujourd’hui un élément moteur aux niveaux politique, politico-militaire et militaire dans la coalition des volontaires pour l’Ukraine, point d’application d’une démarche de nation-cadre plus globale. Nous sommes concrètement en position de direction avec les Britanniques. Dans les interactions avec mon homologue et avec l’armée de Terre britanniques, nous représentons une référence, y compris pour les Britanniques eux-mêmes. Les Européens sont-ils complètement prêts ? Non, il existe un enjeu réel d’augmentation de l’effort de défense. Mais la question de la coalition, et de notre capacité à agir ensemble, constitue le premier pilier de notre efficacité collective.

Enfin, il convient d’évoquer les relations bilatérales, notamment le projet MGCS avec les Allemands que vous mentionniez. L’armée de Terre a formulé l’expression d’un besoin militaire commun avec l’Allemagne depuis 2023. Les choses avancent manifestement puisque la société industrielle ad hoc a été créée au cours de l’année 2025, l’appel à contrat lui a été transmis, et elle doit répondre d’ici la fin de l’année afin de permettre une contractualisation d’au moins un premier incrément en 2026.

Mme Corinne Vignon (EPR). Le 25 décembre dernier, vous présentiez vos grandes orientations à la section technique de l’armée de Terre (Stat) à Versailles. Vous avez alors déclaré aux journalistes : « Nous devons être prêts dès ce soir à la guerre de haute intensité ». Après la 7e brigade « bonne de guerre », capable d’être déployée en quinze jours avec armes et bagages sur le flanc est de l’Europe, la France vise la capacité de déployer une division, soit environ 19 000 hommes sous trente jours en 2027, puis l’objectif sera de commander et d’aligner avec des pays partenaires un corps d’armée, soit 60 000 hommes, en 2030.

Pour préparer cet engagement majeur, l’armée de Terre fait preuve d’une remarquable inventivité. Je pense notamment au système anti-drone Proteus que la Stat a développé en seulement quatre mois en installant un canon couplé à une caméra thermique sur un châssis de camion. La robotisation constitue également un chantier clé pour l’armée de Terre, avec une première unité d’une vingtaine de robots terrestres prévue pour 2026.

Pour donner à nos armées les moyens de ces ambitions, le projet de loi de finances 2026 prévoit une augmentation de 3,2 milliards d’euros des crédits de la mission défense, auxquels s’ajoute une sur-marche de 3,5 milliards d’euros. Estimez-vous que l’armée de Terre s’adapte suffisamment rapidement aux nouvelles formes de conflits de haute intensité ? Ce projet de loi de finances vous donne-t-il les moyens suffisants ? De quels équipements avez‑vous réellement besoin ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Permettez-moi une précision préalable concernant cette question d’être prêt « ce soir » et l’hypothèse d’un engagement majeur. Le CEMA a clairement défini sa vision. L’élément difficile à faire comprendre, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des armées, réside dans le fait que l’avenir n’est pas écrit. Notre mission, ma mission en tant que chef de l’armée de Terre, consiste à peser sur cet avenir, à empêcher que le pire n’advienne. Pour ce faire, nous devons être pleinement conscients des menaces, de leur urgence, de leur radicalité et de l’impérieuse nécessité de s’y préparer y compris dans leurs formes les plus extrêmes.

Concrètement, notre rôle immédiat consiste à être nation-cadre, c’est-à-dire à entraîner nos alliés aujourd’hui, à répondre demain efficacement à des tests, et le cas échéant à un choc plus important de la part d’adversaires potentiels, notamment russes, comme l’a expliqué le CEMA. L’équilibre de notre discours vers l’extérieur ne traduit pas un inéluctable glissement vers le pire, mais illustre parfaitement l’adage : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ».

Nous devons simultanément préparer le pire en maîtrisant les conditions d’un engagement majeur, tout en agissant aujourd’hui avec nos moyens actuels, prêts à démontrer nos capacités, tant par l’entraînement que par des démonstrations concrètes si nécessaire. Tout ce que nous conduisons actuellement s’inscrit dans cette logique.

Cette progression d’une brigade « bonne de guerre » en 2025, une division en 2027 et un corps d’armée en 2030 – ou plus précisément la capacité de commandement d’un corps d’armée en 2030 – ne signifie pas que nous ne disposerons pas de ce corps d’armée avant 2030. Il existe déjà. Notre objectif est que ce qui constitue l’état de l’art aujourd’hui dans le cadre de l’Otan puisse être atteint de manière crédible à cette échéance. Je suis néanmoins convaincu que l’horizon lui-même évoluera et qu’en 2030, nous constaterons des évolutions technologiques, des transformations chez nos adversaires comme chez nos alliés, qui nécessiteront d’autres avancées.

Ce cadencement à travers cette brigade, cette division et ce corps d’armée vise également à marquer concrètement plusieurs évolutions structurelles. Comme vous l’avez souligné, ces évolutions concernent principalement les capacités différenciantes d’appui et de soutien plutôt que les unités de contact. C’est pourquoi j’ai moins évoqué les chars et l’infanterie pour mettre davantage l’accent sur la puissance de feu, le cyber, la logistique et sa profondeur, la lutte anti‑drone et d’autres domaines clés.

Pour nous inscrire dans cette trajectoire, nous menons, sous l’égide de l’état-major des armées, en lien avec les industries et la Direction générale pour l’armement (DGA), un ensemble de réformes et d’évolutions qui s’inscrivent aujourd’hui dans un temps relativement long car elles concernent des capacités structurantes. L’objectif partagé avec la DGA et l’état‑major des armées consiste à accélérer certaines de ces évolutions, notamment dans les grandes capacités. Je citerai, à titre d’exemple, le domaine particulièrement prometteur de la robotisation. En 2026, nous visons la création d’une première unité de démonstration opérationnelle robotisée, avançant ainsi considérablement ce que nous envisagions initialement pour la décennie suivante avec le programme Titan. La démarche descendante structurée pour préparer les grands programmes futurs tels que Titan doit absolument, j’en suis de plus en plus convaincu, demeurer un substrat, mais doit être alimentée par une démarche ascendante. Certaines initiatives, parfois modestes, peuvent paraître empiriques, mais sont importantes car elles constituent un vecteur de subsidiarité. Le fait d’accorder des marges de manœuvre et de valoriser les idées émergeant du terrain, en sélectionnant certaines pour les déployer à plus grande échelle, est indispensable.

Le terme que j’ai choisi pour caractériser notre approche de l’innovation en 2026 est « industrialisation », qui intègre à la fois la montée en puissance au niveau supérieur et la capacité à faire passer à l’échelle les inventions pertinentes venues du terrain. Cette approche me semble la plus adaptée pour combiner efficacement nos impératifs immédiats et notre ambition de long terme.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Mon général, merci pour ce propos liminaire dans lequel vous avez indiqué à plusieurs reprises que le plan était bon et que la LPM correspondait à vos attentes. Pourtant, le budget de cette année propose aux parlementaires d’adopter un budget avec une marge à 6,7 milliards et non pas 3,2 comme la LPM le prévoyait initialement. Si la LPM est effectivement pertinente, pourquoi avons-nous besoin de cette marche supplémentaire de 3,5 milliards ? Pouvez-vous nous préciser à quoi vont servir ces 3,5 milliards ? S’agit-il de programmes majeurs ou de davantage de matériel pour les forces, ou bien cela va-t-il permettre, comme la ministre l’a affirmé il y a deux jours, de mieux entraîner nos forces et de renforcer les stocks de munitions ? Je perçois une contradiction entre l’affirmation d’une bonne LPM et la nécessité, dès la deuxième année, de doubler la marche budgétaire.

Par ailleurs, vous avez évoqué les frappes dans la profondeur, ce qui nous amène à la question du renouvellement du programme du Lance-Roquettes Unitaire (LRU). Où en sommes-nous sur ce dossier ? Nous savons qu’un consortium lancé par la DGA en est au stade du projet, et que parallèlement l’entreprise Turgis et Gaillard propose directement un modèle, le Foudre, quasiment disponible. Nous avons également connaissance que l’armée de Terre envisage potentiellement une solution étrangère. Quelle est aujourd’hui l’option qui vous semble la plus pertinente ?

Enfin, vous avez indiqué que la dronisation était en marche. À quel degré cette transformation s’opère-t-elle actuellement au sein de l’armée de Terre ? L’armée de Terre du futur doit-elle être principalement une armée de drones ou une armée de chars ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Concernant votre question sur la surmarche et les ressources supplémentaires, le plan est effectivement bon dans sa philosophie, sa structure et son économie générale, compte tenu des ressources initialement consacrées par notre pays à ce plan. Néanmoins, plus nous disposons de ressources, mieux nous pouvons les employer de manière ciblée et efficace.

Premièrement, face à l’urgence et à la radicalité des menaces actuelles, notre pays s’oriente vers un effort budgétaire accru pour sa défense, nonobstant la situation budgétaire générale. Cette démarche tient compte non seulement des menaces, mais également des opportunités, tout en incitant nos partenaires à suivre cette voie. Nous saisissons donc une opportunité de ressources supplémentaires qui nous est offerte.

Deuxièmement, l’armée de Terre, probablement plus que d’autres armées, s’appuie sur une multitude de petits équipements et de capacités combinées pour obtenir une efficacité optimale. Cette caractéristique lui confère une adaptabilité et une polyvalence supérieures, tant dans ses actions que dans sa capacité à réajuster la direction de sa progression, de son équipement et de sa modernisation. Nous sommes particulièrement attentifs à l’emploi de ces ressources supplémentaires. Nous souhaitons contribuer au développement d’un certain nombre de petites industries ou de capacités qui présenteront des retours sur investissement très élevés, avec des commandes dès 2025 pour des livraisons en 2026, et des commandes en 2026 pour des livraisons la même année et les suivantes.

Pour répondre précisément à votre question sur l’utilisation de ces marches supplémentaires pour l’armée de Terre, il s’agit effectivement de constituer des stocks de munitions, et prioritairement des stocks de munitions de guerre plutôt que d’entraînement, qui étaient déjà prévues dans la LPM. Nous consolidons également le niveau d’activité programmé dans la LPM, conformément à cette norme que nous avions définie il y a plusieurs années comme étant l’objectif optimal pour une armée moderne – de l’ordre de 120 heures de char par an pour un équipage, par exemple. La LPM prévoyait d’atteindre cette norme d’activité en 2030, grâce à ces surmarches et ressources supplémentaires, nous accélérons significativement notre progression vers ces objectifs.

Mon troisième point porte sur l’ouverture de nouveaux domaines, notamment celui de la robotique. Nous n’anticipions pas une accélération aussi rapide. Le projet Vulcain de l’armée de Terre prévoyait une évolution assez linéaire, et nous envisagions cette robotisation principalement pour la décennie suivante. Or, l’évolution technologique ces dernières années est telle qu’un objectif que nous situions en en fin de LPM est aujourd’hui plus proche. Il est donc impératif d’accélérer nos efforts et nos investissements dans ce domaine.

Ces surmarches et ressources supplémentaires nous permettent d’avancer significativement sur plusieurs programmes structurants. Vous avez évoqué les feux dans la profondeur, qui constitueront une combinaison entre successeurs du LRU et munitions télé‑opérées. Il s’agit de ma priorité absolue, car dans l’équilibre entre protection et agression, cette dimension de létalité dans la profondeur de l’adversaire tactique – jusqu’à 150 kilomètres environ – revêt une importance capitale. Grâce à ces ressources additionnelles, nous acquerrons des drones qui compenseront le retard des systèmes de drones tactiques (SDT) Patroller, ainsi que des munitions télé-opérées capables de frapper dans cette profondeur du champ de bataille tactique. J’ai l’espoir que nous parviendrons ainsi à résoudre la question cruciale de la frappe dans la profondeur que vous mentionniez. Ces capacités sont urgentes et structurantes pour notre armée.

Actuellement, la rapidité d’acquisition de ces moyens dépend des dimensions industrielles et de la mise en compétition que vous avez évoquée entre les sociétés Thales/Safran et MBDA/Ariane ainsi que du projet Turgis Gaillard, qui propose une solution alternative. L’acquisition éventuelle de moyens étrangers, alors même que la LPM prévoit une capacité souveraine, reste une option –américaine avec Himars, européenne avec Pulse ou Europulse, voire indienne. Une telle solution étrangère serait envisageable uniquement si elle permettait d’acquérir très rapidement et à moindre coût ces capacités à titre intérimaire, même si toutes les fonctionnalités souhaitées n’étaient pas présentes.

Ma préférence reste clairement en faveur d’une solution souveraine, déployable très rapidement, économique et efficace. Une telle solution constituerait une option satisfaisante, car nous avons toujours intérêt à investir nos crédits dans l’industrie nationale plutôt qu’à l’étranger. J’ai donc de grandes attentes vis-à-vis des essais prévus au milieu de l’année 2026. Je souhaite que 2026 soit l’année de la décision.

Sur la question des drones et des chars, la réponse est simple : il nous faut les deux. Les champs de bataille actuels démontrent que les nouvelles capacités ne remplacent pas les anciennes, mais les complètent. Je suis convaincu que le char demeurera une composante essentielle de nos armements dans les 20 ou 30 prochaines années, constituant un système de combat capable de remporter un duel tactique, de percer les défenses adverses et d’exploiter dans la profondeur. Ces futurs chars seront toutefois différents de ceux d’aujourd’hui. Ils seront conçus ab initio dans une logique de robotisation, d’automatisation et d’inter connectivité, s’inscrivant dans le concept du combat collaboratif que nous développons déjà, comparable à ce que représente le F-35 dans le domaine de la chasse aérienne. C’est pourquoi l’unité robotisée Pendragon, expérimentation de 2026 intégrera une combinaison de véhicules terrestres et de drones aériens, coordonnés par une intelligence artificielle dite « inter-agent ». Celle-ci recevra des ordres tactiques, comme à une unité conventionnelle, tout en autorisant une forme d’autonomisation.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je tiens à m’associer aux pensées pour les familles de nos militaires, comme l’a évoqué en préambule le vice-président. Ayant l’honneur d’être rapporteure sur ce budget et de rencontrer les hommes et femmes de nos armées, j’ai pu constater la puissance qui se dégage de cette jeunesse engagée sur le terrain, où l’innovation et la passion pour notre nation étaient remarquables. Je salue ces militaires ainsi que leurs familles.

Je n’aborderai pas aujourd’hui l’intégralité du rapport que je présenterai la semaine prochaine. Je souhaite plutôt vous interroger sur l’exercice Orion 2026. L’augmentation des crédits va notamment permettre de financer cette opération majeure. Pour les plus anciens d’entre nous, nous avons déjà eu l’occasion d’observer les précédentes éditions de cet exercice.

Orion 2026 sera un exercice interarmées et interministériel qui s’inscrit dans une manœuvre stratégique de l’Otan et qui prépare nos forces armées à la prise d’alerte au 1er juillet 2026. L’exercice doit permettre de tester les soutiens, la logistique et les capacités de commandement. Comment Orion 2026 permettra-t-il de mieux préparer nos forces à la haute intensité ? Quelles sont les différentes phases de l’exercice et les priorités qui y seront associées ? Pouvez-vous également détailler les crédits qui seront affectés à Orion 2026 ? Enfin, Orion constitue un outil de signalement stratégique pour nos alliés et nos compétiteurs. Comment cet exercice contribuera-t-il à « Gagner la guerre avant la guerre » ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Orion 2026 constitue effectivement la suite de l’exercice Orion 2023 que vous avez mentionné. Orion 2023 résultait d’une intuition du chef d’état-major de l’armée de Terre, mon prédécesseur, le Général Burkhard, qui avait perçu la nécessité d’une préparation plus exigeante. Il avait compris qu’il fallait renouer avec les grands exercices, nonobstant leur coût et le temps qu’ils exigent pour des soldats déjà fortement sollicités, parce que ces grands exercices sont mobilisateurs et qu’ils produisent des enseignements opérationnels irremplaçables. L’armée de Terre réalise actuellement plus de 130 jours de découchés par an et par militaire, et nous maintiendrons ce niveau l’année prochaine.

Cette intuition de conduire un exercice permettant d’exécuter des manœuvres réelles, et non uniquement théoriques, afin d’en tirer des enseignements pratiques, s’est révélée excellente. À la lumière des enseignements d’Orion 2023, nous avons donc programmé cette nouvelle édition pour 2026.

Comme vous l’avez souligné, il s’agit avant tout d’un exercice interarmées qui mobilisera l’ensemble des capacités des armées. Il sera également interministériel, en intégrant les stades de défense introduits dans la réflexion sur la LPM.

Le schéma général de l’exercice ressemblera à celui de 2023, avec une durée totale d’environ quatre mois articulée en quatre phases principales, dont trois verront le déploiement d’importantes forces sur le terrain. La première phase consistera en une entrée en premier – alors qu’elle s’était déroulée autour de Toulon en 2023, elle se tiendra cette fois sur la façade atlantique. Une phase intermédiaire portera sur ces fameux stades de défense, la résilience de la Nation, le rôle de notre pays en tant que nation hôte vis-à-vis de l’Otan, les flux logistiques et la mobilisation éventuelle des réserves.

Les deux dernières phases mobiliseront plus directement l’armée de Terre avec des manœuvres de grande ampleur, principalement dans le nord-est de la France. Dans la phase finale, le poste de commandement de corps d’armée jouera le rôle principal avec les éléments d’appui, constituant ainsi un exercice d’envergure exceptionnelle.

Nous veillons néanmoins à définir clairement les priorités de cet exercice pour ne pas en augmenter infiniment la complexité et compromettre l’atteinte des objectifs. Cette exigence est d’autant plus importante que l’exercice comportera une dimension interalliée significative. Nous avons invité plusieurs alliés, il importe que l’exercice présente pour eux un intérêt opérationnel réel.

L’équilibre entre participation alliée, éléments simulés et phases réellement jouées sur le terrain sera donc soigneusement calibré. L’exercice mobilisera plus de 10 000 hommes, dont 15 à 20 % d’effectifs alliés. Pour l’armée de Terre spécifiquement, nous déploierons près de 3 000 véhicules. Le coût total s’élèvera à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Dans la construction de notre préparation opérationnelle pour l’année à venir, nous avons effectué des arbitrages entre différents types d’entraînement : la préparation opérationnelle de base dans les garnisons, l’entraînement interarmes autour des garnisons dans nos camps et centres d’entraînement, où nous disposons d’outils de simulation performants, et ces grands exercices.

Quant aux bénéfices attendus d’Orion 2026, il s’agit d’abord d’un outil d’apprentissage nous permettant de vérifier l’efficacité des dimensions logistiques, territoriales et de coordination, et d’en tirer les enseignements nécessaires. Nous mettrons particulièrement à l’épreuve nos savoir-faire en matière de commandement, en centrant l’exercice sur les postes de commandement. Par ailleurs, cet exercice démontrera à nos alliés notre légitimité et notre crédibilité, prouvant l’intérêt de s’entraîner avec nous. Il constituera un signal fort sur nos capacités opérationnelles, à l’instar de l’exercice Zapad organisé par les Russes.

Enfin, l’exercice sera un vecteur d’innovation. Nous y déploierons plusieurs innovations technologiques et tactiques. Le calendrier même de l’exercice a poussé de nombreux acteurs de l’innovation à se fixer l’année 2026 comme échéance pour être prêts à démontrer leurs capacités, ce qui représente un effet d’entraînement extrêmement bénéfique.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je m’associe pleinement aux propos de mes collègues concernant notre infinie reconnaissance envers les femmes et les hommes qui servent sous votre commandement, unis par la fraternité d’armes, le sens de la mission et les sacrifices qu’ils consentent.

Je souhaite vous interroger non pas sur des aspects budgétaires, mais sur deux éléments de réflexion stratégique. Premièrement, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, nous constatons aujourd’hui en Ukraine une situation de blocage tactique en haute intensité, soulevant des interrogations sur les difficultés de la manœuvre. Cette crise de la manœuvre est notamment liée à la transparence du champ de bataille. Quelle est votre vision concernant l’avenir de la manœuvre aux niveaux tactique et opératif ? Est-ce que la manœuvre de demain sera d’abord une manœuvre par les appuis, que ce soit l’artillerie ou les drones ?

Par ailleurs, l’un des éléments fondamentaux de cette manœuvre concerne la protection du corps de bataille en défense sol-air basse couche, particulièrement la lutte anti‑drones. Nous avons déjà évoqué des systèmes comme le Proteus ou le retour du canon. Il y a trois ans, lors d’une mission parlementaire j’ai été particulièrement impressionné par les avancées réalisées par la Stat en très peu de temps. Avec la commande des Serval Lutte anti‑drones (LAD) à venir, comment envisagez-vous cette défense anti-drones du corps aéroterrestre qui, opérant sur un champ de bataille, peut utiliser les moyens cinétiques bien plus efficacement que dans des environnements civils au-dessus de nos villes ? Quelle est votre vision de la protection du corps de bataille dans ce domaine ? Considérez-vous que le format de défense sol-air de notre armée de Terre, avec un seul régiment d’artillerie, le 54e, est suffisant ?

Les Russes et les Ukrainiens développent des drones guidés par fibre optique. Ces dispositifs sont-ils brouillables ? Cela semble très difficile. Disposons-nous face à eux d’autres moyens que cinétiques ?

M. le général d’armée Pierre Schill. La question du blocage de la manœuvre se situe au cœur de nos réflexions. L’enjeu consiste à observer attentivement les conflits actuels qui nous enseignent beaucoup, tout en distinguant les conclusions conjoncturelles des enseignements plus structurels.

J’estime que le blocage tactique observé aujourd’hui dans les plaines ukrainiennes relève davantage d’une conjoncture propre aux deux belligérants, à la nature du terrain et à l’épuisement initial, plutôt qu’à un élément véritablement structurant. Néanmoins, certains facteurs structurels contribuent effectivement à ce blocage tactique.

Nous analysons souvent cette situation en considérant que les capacités de commandement seront démultipliées par l’intelligence artificielle et l’ensemble des technologies numériques, ce qui transformera réellement les modalités de commandement. Ces évolutions sont plutôt favorables à la manœuvre, car elles confèrent agilité et capacité à identifier les points décisifs.

Cependant, le second facteur, antinomique avec le premier, est la transparence du champ de bataille. Cette transparence des dispositifs constitue indéniablement un élément structurant des combats futurs. Sur certains terrains, elle favorise naturellement la défense et complique l’offensive. Mais si les dispositifs sont visibles, les intentions peuvent demeurer difficiles à discerner. Nous avons observé plusieurs exemples, notamment la percée de Koursk où, malgré la connaissance du dispositif, les Ukrainiens ont réussi à mener une manœuvre offensive. Dans les environnements offrant des possibilités de dissimulation, soit grâce à des moyens spécifiques, soit en zone urbaine ou souterraine, l’offensive peut également prévaloir.

La puissance des moyens d’agression actuels, leur portée et leur allonge, associées à cette transparence, tend à entraver les manœuvres et les concentrations, et permet d’attaquer directement les chaînes logistiques. Cela favorise donc la défense et soulève la question cruciale de la protection, actuellement mise en défaut. Le « bouclier » va nécessairement progresser mais je ne pense pas qu’une invention unique bouleversera la donne. Nous devons concevoir une combinaison cohérente de systèmes, mêlant dispersion, camouflage visuel et électromagnétique, ainsi que des systèmes de défense multicouches. Il nous faut nous protéger contre tous les niveaux de menace, depuis les simples moyens de reconnaissance jusqu’aux capacités étatiques sophistiquées. L’enjeu de protection contre la menace aérienne est tel que de nombreux moyens émergeront, j’en suis convaincu. Un article récent évoquait un potentiel de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards d’euros derrière ce marché de la protection contre les moyens aériens. Les capacités militaires doivent impérativement bénéficier de ces développements.

Avons-nous suffisamment investi dans cette protection contre la menace aérienne ? Probablement pas. Cette lacune s’explique en partie par le fait que nous ne pouvions pas prévoir il y a quatre ans l’explosion quantitative des drones et leur association avec l’intelligence artificielle. L’évolution technologique a engendré une transformation doctrinale et tactique qui nous contraint à accélérer nos efforts, d’autant plus que le conflit à l’est de l’Europe risque de disperser des combattants démobilisés maîtrisant ces technologies. Cette protection constitue donc l’une de nos priorités d’accélération, tant en recherche fondamentale qu’en acquisitions.

Comme nous distinguons les drones du combattant, les drones intermédiaires et les drones du commandement, nous développons différents niveaux de défense antiaérienne. Au niveau individuel, nous déployons des systèmes de détection des signaux électromagnétiques et d’autres moyens élémentaires. Pour l’échelon intermédiaire, nous développons des capacités comme le Proteus, complétées par les radars en cours d’acquisition. Enfin, des systèmes de défense sol-air spécialisés couvriront jusqu’à la très haute altitude, domaine actuellement confié à l’armée de l’Air et de l’Espace.

Concernant les drones à fibre optique, nous expérimentons également cette technologie précisément parce qu’elle résiste au brouillage. Nous développons néanmoins des parades adaptées, qu’il s’agisse de lasers, d’armes à effet dirigé ou de cages de protection. La lutte anti-drones constitue l’un des axes d’accélération prioritaires pour les années à venir.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). J’adresse aujourd’hui une pensée particulière aux victimes de l’attentat du Drakkar, survenu il y a exactement quarante-deux ans, ainsi qu’à nos soldats actuellement en opération.

Le projet de MGCS vise à développer un nouveau système de combat terrestre complet et non simplement un futur char. Nos chars Leclerc sont en cours de modernisation avec la version XLR. Toutefois, ces chars Leclerc modernisés pourront-ils assurer la transition jusqu’au déploiement du MGCS ? Cette rénovation s’avère-t-elle suffisante ? Risquons-nous de faire face à un trou capacitaire ? Par ailleurs, pourriez-vous nous apporter des précisions chiffrées concernant la rénovation et l’acquisition des VBCI ?

Vous avez évoqué notre capacité à intervenir dans un conflit de haute intensité. Cette perspective impose une évolution significative de nos équipements, de notre préparation opérationnelle et potentiellement de nos modes d’action. La formation de nos militaires aux conditions climatiques extrêmes, tant désertiques qu’arctiques, témoigne de cette adaptation de l’armée de Terre. Comment le maintien en condition opérationnelle, particulièrement celui des véhicules, répond-il à ces nouvelles exigences opérationnelles ? Quels enseignements tirez-vous de l’utilisation des imprimantes 3D dans ce contexte ?

Concernant l’appui et la logistique, je constate, en tant que rapporteur de la mission sur les armes du génie, des besoins importants et un retard significatif à combler. L’appui au combat et l’aide au déploiement nécessitent des investissements substantiels, notamment depuis les enseignements tirés en Ukraine et au Moyen-Orient. En avril 2023, vous aviez annoncé que le génie bénéficierait d’un renforcement d’effectifs permettant de recréer des unités spécialisées disparues dans le minage, le contre-minage et le franchissement, ainsi que de consolider des capacités aujourd’hui insuffisantes comme l’ouverture d’itinéraires et le franchissement fluvial. Quelle est la situation actuelle, fin 2025, et quelle visibilité pouvez‑vous offrir au génie à court terme ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Concernant le MGCS et l’avenir du char, je n’ai pas aujourd’hui d’idées arrêtées sur les solutions de court, moyen et long terme, car nous devons construire une réponse intégrant des dimensions opérationnelles, industrielles et internationales. Je maintiens néanmoins que le char, ou un système remplissant ses fonctions essentielles de duel et de capacité de pénétration, demeurera un élément structurant des armées futures et donc de l’armée de Terre française.

Dans le format général de notre armée de Terre, 200 chars Leclerc, ou 200 systèmes équivalents, représentent le volume approprié, correspondant à une brigade blindée capable de conduire ce type d’opération. Cette capacité s’avère fondamentale dans le cadre de l’entraînement avec certains de nos alliés en tant que nation-cadre, et pour la consolidation de nos forces. Actuellement, cette fonction est assurée par quatre régiments équipés de chars Leclerc que nous rénovons en transformant la tourelle analogique en tourelle numérique. Cette numérisation permet d’intégrer de nouveaux viseurs, des dispositifs supplémentaires d’aide à la visée et de commandement. Nous procédons également à des évolutions de la motorisation et de la protection, mais fondamentalement, il s’agit du Leclerc amélioré.

Le MGCS ou ce qui existera dans quinze ans représentera certainement une rupture technologique. Ce sera un système né dans un univers robotisé, intégrant le cloud de combat et l’échange d’informations, constituant un véritable saut générationnel. Mon enjeu consiste à déterminer comment négocier cette transition. Je ne sais pas aujourd’hui si le projet franco‑allemand ou européen aboutira suffisamment rapidement pour que nos chars Leclerc rénovés soient directement remplacés par ce nouveau système. Peut-être faudra-t-il un engin intermédiaire, mais je souhaite limiter l’investissement dans cette transition pour ne pas compromettre notre participation à cette future génération.

Ces réflexions sont menées conjointement avec la DGA et l’état-major des armées. J’envisage une transition progressive. Comme le CEMA l’a mentionné devant votre commission, nous ne sommes plus dans une logique de remplacement brutal. Il n’y aura pas un jour avec 200 Leclerc rénovés et le lendemain 200 MGCS. Nous aurons une période de coexistence du Leclerc rénové avec une première capacité MGCS ou équivalent, dans des proportions variables. Ce sera une caractéristique de ce monde en constante innovation, où les générations d’équipements se superposent davantage qu’elles ne se succèdent.

Concernant les VBCI, la rénovation à mi-vie n’est pas prévue à ce stade. Mon objectif est néanmoins de mener les évolutions indispensables de la configuration actuelle des VBCI. J’espère que nous réussirons à exporter ce véhicule, dont les recettes pourraient, le cas échéant, contribuer à financer une modernisation ultérieure. L’enjeu du maintien en condition opérationnelle (MCO) des VBCI réside dans la refonte des marchés : il ne s’agit plus de contrats fondés sur les heures de fonctionnement, mais sur la constitution de stocks étatiques correctement dimensionnés et gérés. Cette approche permet, d’une part, d’optimiser les coûts de maintien en condition opérationnelle et, d’autre part, de disposer de lots de déploiement immédiatement utilisables en cas d’opération majeure.

Nous venons de signer un premier marché de ce type pour le VBCI. Ce marché s’inscrit dans l’ambition MCO 2030 développé par la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) qui comporte plusieurs composantes, dont celle que vous évoquiez concernant l’emploi des imprimantes 3D et la fabrication additive, facteurs clés de la nouvelle logistique. Cette démarche soulève des questions de propriété intellectuelle et de certification des pièces par les industriels. Dans ce cadre, la SIMMT a obtenu une délégation de la DGA pour certifier certaines pièces, ce qui accélère considérablement le processus. Chaque régiment du matériel dispose désormais d’imprimantes 3D en réseau, dont les transferts de plans sont certifiés par blockchain, garantissant ainsi la qualité des pièces et permettant de rendre compte précisément aux industriels du nombre de pièces fabriquées. La SIMMT poursuit l’acquisition de ces imprimantes pour tous les régiments afin de développer cette capacité de fabrication additive.

Enfin, concernant le génie, nous avons créé une brigade spécifique en regroupant les régiments auparavant dispersés au niveau divisionnaire. Cette réorganisation a replacé le génie et son rôle d’appui au centre de nos préoccupations. Le premier régiment que nous allons dédoubler ou recréer dans le cadre du renforcement progressif des capacités d’appui et de soutien sera probablement un régiment du génie, car nous disposons actuellement d’unités surdimensionnées, comme le 19e régiment du génie à Besançon. Dans le cadre du renforcement des capacités de cette fonction opérationnelle, celle-ci bénéficiera en priorité des nouveaux équipements tels que des moyens de franchissement, de bréchage et d’importants systèmes robotisés.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je tiens également à saluer l’ensemble des femmes et des hommes qui portent l’uniforme pour assurer notre protection et notre défense, ainsi que les familles et camarades des 58 soldats morts il y a 42 ans lors de l’attentat du Drakkar.

Mon intervention porte sur deux axes et deux formules que vous avez employées dans votre propos liminaire. Vous avez affirmé qu’il faut « se tenir prêts car nos adversaires nous testent ». Concernant cette formule « nos adversaires nous testent », pourriez-vous préciser quels types de tests nos adversaires conduisent actuellement, afin que chacun puisse appréhender pleinement la situation présente ? Par ailleurs, je note avec intérêt l’évolution sémantique : il y a peu, nous parlions de « compétiteurs », et aujourd’hui nous évoquons des « adversaires ». Pouvez-vous expliciter cette évolution terminologique ?

Quant à l’expression « se tenir prêts », nous saluons les crédits supplémentaires alloués dans ce budget ainsi que l’atteinte de l’objectif concernant la brigade « bonne de guerre » avec 8 000 soldats. Cette brigade « bonne de guerre » intègre-t-elle des réservistes ? Où en sommes-nous concernant les « réservistes fantômes », ces personnes qui s’engagent parallèlement à leur activité professionnelle et qui, craignant de se déclarer auprès de leur employeur, utilisent leurs congés payés pour servir ?

Vous savez mon engagement pour faire reconnaître dans le Code du travail que la discrimination liée à l’engagement dans la réserve doit être sanctionnée. Je n’ai malheureusement pas encore réuni suffisamment de cosignataires.

M. le général d’armée Pierre Schill. Vous soulignez à juste titre que nous sommes observés, scrutés, évalués. Il s’agit d’une réalité tangible : l’Otan a effectivement tiré sur des drones russes survolant son territoire. Des chasseurs russes ont également débordé de leur trajectoire dans la Baltique, pénétrant l’espace aérien estonien. Face à ces incidents, les chasseurs de l’Otan en alerte ont décollé et escorté ces appareils. Les réactions que nous adoptons face à ces événements sont minutieusement analysées par les Russes.

Ces faits sont documentés et publiés par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), notamment en ce qui concerne l’instrumentalisation de certaines manœuvres informationnelles comme, par exemple, les étoiles de David, les cercueils ou les têtes de cochons. Nous constatons objectivement des interactions entre les Russes au sens large et l’Otan. Certaines peuvent être délibérées, d’autres probablement fortuites, mais notre réaction collective est un signal envoyé et reçu. Sa signification s’avère cruciale car elle est scrutée par nos adversaires. Il s’agit de transmettre les messages appropriés.

Ces tests consistent principalement à nous éprouver dans l’« entre-deux » de la conflictualité, c’est-à-dire dans le champ hybride. Ils peuvent prendre la forme de signaux mineurs dans le domaine informationnel, comme des tags, pour évaluer si nous manifestons une volonté suffisante pour affirmer le caractère inacceptable de ces actes ou si, au contraire, nous reculons progressivement en tolérant davantage d’incursions.

Un autre aspect de cet entre-deux concerne la cohésion entre les nations alliées alors que l’article 5 de l’Otan stipule qu’une attaque contre un membre constitue une attaque contre tous, engageant l’ensemble des pays à contribuer à la défense collective. Ces manœuvres tentent de créer des divergences d’appréciation, certains minimisant la gravité des incidents quand d’autres la soulignent, provoquant ainsi une forme de désunion.

Cette réalité représente un enjeu majeur face à la succession d’événements : nous devons percevoir la montée progressive des tensions. À l’image de la marée qui s’élève imperceptiblement lorsqu’on se tient au bord de l’eau, mais dont la progression devient évidente après une heure d’absence, l’enjeu réside dans notre capacité à déterminer la réaction appropriée. Se tenir prêts revêt donc une importance capitale tant pour manifester notre résolution que pour la démontrer concrètement si nécessaire.

S’agissant des réservistes, au sein de l’armée de Terre, nous observons une progression quantitative : nous comptions 24 000 réservistes au début de la LPM et nous visons 50 000 réservistes au-delà de 2030. Actuellement, nous atteignons nos objectifs d’effectifs et, à la fin de cette année, nous compterons 28 000 réservistes, avec une perspective d’augmentation de 3 000 réservistes supplémentaires l’an prochain.

L’armée de Terre a fait le choix de ne pas constituer des unités exclusivement de réservistes qui formeraient une armée de réserve distincte de l’armée d’active. Nous privilégions plutôt l’articulation optimale entre ces deux types de ressources. Ainsi, dans les états-majors, des réservistes interviennent en tant que renforts individuels, tandis que dans les unités, ils contribuent directement aux missions. Lorsque nous affirmons que la 7e Brigade blindée est « bonne de guerre », cela inclut des réservistes dans ses rangs. Cette brigade est déployée en Roumanie avec des réservistes.

La question des « réservistes fantômes » demeure une difficulté réelle, malgré nos efforts constants. Il est primordial que nous progressions via la Garde nationale en concluant des accords avec les organisations patronales et les entreprises, afin de valoriser l’engagement des réservistes qui est bénéfique pour l’entreprise. Cet engagement citoyen témoigne de qualités personnelles qui enrichissent l’environnement professionnel.

Toutefois, la réalité du terrain reste prégnante : lorsque trois personnes doivent accomplir un travail déterminé et qu’une d’entre elles s’absente, ce sont les autres qui doivent compenser. La relation qu’entretient le réserviste avec son environnement professionnel immédiat – non seulement sa hiérarchie mais également ses collègues – relève d’une dimension personnelle difficile à réglementer uniformément. Nous poursuivons nos efforts dans ce domaine et je vous remercie de votre soutien dans cette démarche, mais une part de cette problématique restera inévitablement tributaire des arrangements directs entre l’employé et son environnement professionnel.

Nous pouvons, et je l’espère sincèrement, améliorer l’image générale de la réserve pour que cet engagement soit de plus en plus considéré comme positif tout en admettant qu’une part irréductible demeurera liée aux situations individuelles.

M. Loïc Kervran, président. Nous passons maintenant aux questions individuelles.

Mme Sophie Errante (NI). Je vous remercie Général, pour vos propos liminaires et vos réponses. Je souhaite saluer la convention que vous avez signée avec le président de l’Association des maires de France (AMF) et aborder la question des commémorations du 11 novembre que nous organiserons prochainement dans nos circonscriptions. Nous sommes déjà interrogés sur cette transition d’une posture de « maintien de la paix » vers celle « d’éviter la guerre ». Face à nos concitoyens, en lien avec les remarques précédentes sur les réservistes, des questions essentielles se posent : comment s’engager, de quelles compétences avons-nous besoin, quels profils recherchons-nous ? Ces interrogations revêtent une importance capitale.

Vous avez évoqué dans votre convention avec l’AMF l’accent mis sur les communes disposant de garnisons. Je considère qu’il faut étendre cette approche à l’ensemble des communes françaises. Dans le contexte actuel de campagne municipale, où chaque candidat prépare son projet pour mars prochain, il est fondamental que tous les futurs élus comprennent pleinement le monde dans lequel nous évoluons. Cette prise de conscience doit s’effectuer sans verser dans « l’hyper-peur » ni terroriser la population, car les images de charniers actuelles suscitent déjà de vives inquiétudes auprès des familles. Nous changeons véritablement d’échelle et d’atmosphère. Il est important que vous puissiez rassurer tout en demeurant fermes et déterminés.

Mme Michèle Martinez (RN). Une armée ne vaut que par les hommes et les femmes qui la composent. Si mes collègues ont justement souligné les failles capacitaires, permettez-moi d’aborder l’autre défi majeur : celui de la fidélisation. Le taux de renouvellement des primo contrats, dont l’administration souhaite la reconduction, constitue un indicateur clé de cette fidélisation. Pour les militaires du rang, j’observe qu’en 2022, le taux de dénonciation de ces primo contrats a atteint 35 %. Les causes sont largement identifiées : désarroi face à l’opération Sentinelle, difficultés à concilier engagement militaire et vie familiale, conditions d’hébergement insatisfaisantes.

Il serait toutefois inexact d’affirmer qu’aucune mesure n’est prise. Nous constatons l’allocation de 148 millions d’euros en autorisations d’engagement pour l’action sociale et l’inclusion, comprenant notamment le plan fidélisation 360. Le plan ambition logement se poursuit également. Cependant, nous demeurons très préoccupés concernant ce volet logement. Bien que peu de données nous soient accessibles, nous savons que les retards et les obstacles s’accumulent. Sans vous rendre comptable de décisions qui excèdent votre périmètre de responsabilité, quel regard portez-vous sur ces plans stratégiques pour relever le défi de la fidélisation ?

M. le général d’armée Pierre Schill. Je souhaite répondre à votre question en commençant par une réflexion générale qui prolonge mes propos précédents. La difficulté majeure de notre communication et de la prise de conscience collective réside dans la nécessité de conjuguer deux dimensions : d’une part, la gravité, au sens de l’urgence et de la radicalité de la menace et de son évolution, qui nous fait basculer d’un monde de maintien de la paix vers un monde où nous devons éviter la guerre ; d’autre part, cette gravité doit s’accompagner d’une forme d’optimisme, ou à tout le moins d’une confiance en nos forces.

À la tête de l’armée de Terre, ma mission consiste à agir, à peser pour empêcher le pire. Je dispose des ressources nécessaires, tant budgétaires que matérielles, mais surtout humaines. Notre institution compte 130 000 personnes portant l’uniforme de l’armée de Terre, dont 110 000 au sein de l’armée de Terre proprement dite. C’est une armée jeune, avec une moyenne d’âge de 32 ans, qui descend à 28 ans dans les régiments. Nous accueillons chaque année entre 14 000 et 15 000 jeunes. Je témoigne très sincèrement ‑ et j’espère que certains d’entre vous ont pu le constater lors de la Présentation de l’armée de Terre à l’École militaire en rencontrant nos soldats – que ces militaires sont habités par la gravité et la sérénité. Ils savent que leur engagement peut impliquer toute leur personne, mais ils manifestent une volonté d’agir et un sens du devoir absolument remarquables.

Notre pays possède des ressources considérables, au sein d’un continent aux immenses richesses. Lorsque l’on compare notre PIB à celui de la Russie, nous disposons objectivement des moyens nécessaires pour peser sur notre destin. Au niveau qui est le mien, je peux affirmer que nous agissons efficacement. Nous représentons une partie de la jeunesse française – 15 000 recrues sur une classe d’âge de 850 000 jeunes – et nous touchons un public plus large encore à travers les préparations militaires, nos lycées militaires, le service militaire volontaire, environ 40 000 jeunes par an, sans compter ceux que nous rencontrons lors des journées défense et citoyenneté.

Nous pouvons avoir confiance en cette jeunesse, même s’il demeure indispensable de donner du sens, notamment par nos modes de commandement. Tous les responsables et élus – comme nous l’avons souligné dans notre convention avec l’AMF – partagent un enjeu collectif : affirmer que le bien supérieur, le bien collectif mérite qu’on le serve et que nous disposions des moyens nécessaires pour y parvenir. Ce service du bien commun revêt des formes multiples et vastes, dont l’engagement des élus fait partie intégrante. L’engagement militaire en constitue une modalité particulière.

J’ai le devoir d’accueillir des jeunes souhaitant servir dans les armées, même pour une durée limitée. Cet engagement temporaire représente quelques jours par an, en moyenne 35 à 40 jours pour les réservistes, certains s’investissant moins, d’autres davantage. D’autres formes de service sont possibles. Nous poursuivons les expérimentations de découverte de l’armée de Terre et demeurons prêts à répondre à d’éventuelles nouvelles formes de service qui seraient proposées.

Concernant les réserves, nous ne pouvons pas accueillir tous les jeunes qui souhaitent nous rejoindre. Notre système actuel, hérité du passé, impose à tous le même parcours d’entrée dans la réserve avec une phase initiale de deux semaines de terrain et de tir pour commencer par le rang. Nous travaillons désormais à ouvrir des voies d’accès direct pour les sous‑officiers, officiers et spécialistes.

Dans le cadre de notre engagement collectif autour du 11 novembre, journée de commémoration de tous les morts pour la France, nous devons porter un discours d’optimisme et montrer comment influer sur le monde futur à travers différentes formes d’engagement, dont l’engagement militaire. Après les élections municipales, je m’attacherai à informer les élus désignés au sein des conseils municipaux comme correspondants défense afin de contribuer concrètement à la mise en œuvre de la convention que nous avons signée avec l’AMF.

Sur la question de la fidélisation, notre situation est objectivement satisfaisante. Après le ralentissement des recrutements observé en 2023, nous avons retrouvé un recrutement satisfaisant. Nous atteindrons à la fin de l’année 2025 les effectifs qui nous sont alloués par la LPM. J’aurais même pu intégrer davantage de personnel si les droits accordés avaient été plus importants. Nous connaissons actuellement une dynamique favorable qui concerne l’ensemble des catégories : militaires du rang, sous‑officiers et officiers. Cette dynamique positive se manifeste d’abord au niveau du recrutement. Les taux de candidature, y compris pour les militaires du rang, sont satisfaisants. En cette fin d’année notamment, nous pourrons effectuer des recrutements supplémentaires ciblés sur des profils de qualité, particulièrement dans les spécialités en tension comme le cyber, l’électronique, le soutien, la mécanique et d’autres domaines pour lesquels nous rencontrons habituellement des difficultés de recrutement.

Les jeunes Français nous rejoignent avant tout pour servir, et principalement dans ce qu’ils considèrent comme le cœur du métier militaire – le combat – plutôt que pour exercer au sein des armées le métier qu’ils pourraient exercer ailleurs. Cette dimension constitue notre richesse et explique en grande partie l’attrait que nous exerçons sur la jeunesse. Elle s’engage pour une armée authentique, une armée d’emploi. Notre pays manifeste une réelle volonté de se défendre et cela suscite chez nos jeunes une aspiration forte à servir, notamment sous l’uniforme militaire. C’est pourquoi notre campagne de recrutement, articulée autour du défi « Peux-tu le faire ? », rencontre un vif succès. Elle interpelle les jeunes sur leur capacité à relever un défi, donnant ainsi du sens à leur engagement. L’incorporation et le recrutement fonctionnent donc efficacement, y compris pour les militaires du rang. Nous avons intégré cette année 15 000 jeunes et nous prévoyons un volume similaire en 2026.

Toutefois, le second aspect crucial de la gestion des effectifs concerne la fidélisation. Sur ce plan, la situation des sous-officiers est particulièrement favorable cette année, avec environ 15 % de « sur-fidélisation ». 15 % des sous-officiers qui nous auraient quittés les années précédentes ont choisi de rester. Il s’agit d’un effet direct de la nouvelle grille indiciaire des sous-officiers, au profil dynamique, avec des augmentations concentrées aux niveaux intermédiaire et supérieur, ce qui incite les sous-officiers à poursuivre leur carrière. Son impact n’a donc pas été uniquement ponctuel : il se prolonge cette année. Nous anticipons des résultats similaires avec les grilles des officiers, qui entrent en vigueur prochainement. Certains officiers sont probablement restés pour en bénéficier. Mais nous espérons que leur structure encouragera durablement la fidélisation. La situation est plus complexe pour les militaires du rang, qui constituent un flux très important. L’armée de Terre compte 65 000 militaires du rang et en recrute 12 000 chaque année. Les résultats obtenus une année ne garantissent pas ceux de l’année suivante. Notre enjeu principal est le renouvellement de leur premier contrat. Actuellement, les militaires du rang servent en moyenne 6,5 années dans l’armée de Terre ; notre objectif serait d’atteindre au moins sept années.

Vous avez évoqué un taux de 30 %. Ce chiffre correspond également au pourcentage de militaires du rang qui ne franchissent pas le cap des six premiers mois. Le choc initial est considérable. Malgré toutes les informations préalables fournies, la vie en collectivité peut s’avérer difficile, d’anciennes blessures dissimulées pour pouvoir s’engager se révèlent, l’éloignement familial pèse, etc. Notre objectif serait de ramener ce taux à 25 %, un seuil que nous visons depuis longtemps. Nous n’avons jamais réussi à faire mieux, et aucune armée ne parvient à des résultats supérieurs. Nous devons maintenir nos efforts pour atteindre cet objectif de 25 %, contre 30 % actuellement.

Au-delà des premiers mois, les aspects matériels – logement, hébergement, conditions de vie – constituent évidemment des facteurs déterminants. Ces éléments ne sont pas primordiaux au début de l’engagement, puisque les jeunes s’engagent principalement pour le sens et l’aventure. Cependant, ils deviennent progressivement plus importants à mesure que la carrière avance, notamment concernant la mobilité. Cette problématique est moins prégnante pour les militaires du rang, qui ne sont en principe pas soumis à mobilité géographique. Mais pour les autres catégories, la mobilité soulève les questions de l’emploi du conjoint, de l’accession à la propriété, de la scolarité des enfants et de l’accès aux soins. Plus la carrière progresse, plus les contraintes de la vie militaire sont prégnantes, d’où l’importance de leur compensation par le plan Fidélisation 360° et l’attention portée aux questions d’hébergement.

Le logement est aujourd’hui traité par le contrat Nové, qui en est à ses débuts. Comme toujours dans les phases initiales, des ajustements sont nécessaires. J’espère que les adaptations en cours, associées à une meilleure information, permettront à ce contrat de produire les effets attendus. Les critiques actuelles résultent principalement de la concomitance entre la hausse des loyers et les aléas initiaux de la mise en œuvre du dispositif.

Mme Florence Goulet (RN). Le programme Scorpion de renouvellement de nos engins blindés et de numérisation du champ de bataille se concrétise dans nos régiments par la livraison de Griffons, Jaguars et Servals en remplacement des AMX-10 RC, ERC-90 Sagaie et véhicules de l’avant blindés (VAB). Pourtant, certains experts s’interrogent déjà sur leur vulnérabilité électromagnétique en raison de leurs nombreux capteurs et de leur mise en réseau qui les rendraient plus facilement détectables. Ils questionnent également leur résistance face à un brouillage massif ainsi que leur adaptation à la menace des drones révélée par le conflit ukrainien.

Malgré la commande de 200 chars Leclerc modernisés, le programme Scorpion est-il déjà inadapté au regard du retour de la menace de haute intensité en centre Europe ?

M. Christophe Blanchet (Dem). J’avais préparé une question, mais je préfère réagir à votre réponse concernant les réserves. Nous partageons le même objectif, mais permettez‑moi de souligner une nuance importante. Concernant les critères de discrimination au travail, leur raison d’être est précisément d’empêcher qu’un salarié se voie refuser une prime, un emploi ou une promotion en fonction de certaines caractéristiques. Parmi ces critères figurent l’origine, le genre, les mœurs, l’orientation sexuelle, la religion, mais également les opinions politiques, les activités syndicales ou le statut de lanceur d’alerte.

Actuellement, des réservistes ne se déclarent pas auprès de leur entreprise par crainte de ne pas obtenir une prime ou une promotion. Pour ceux qui souhaitent se déclarer – car il convient de préserver la liberté de choix de chacun, certains préférant ne pas révéler leur engagement – il existe des jurisprudences attestant de discriminations réelles au travail. Pourquoi ne pas inscrire l’engagement dans une réserve parmi ces critères protégés contre la discrimination ? Parmi les 25 critères existants, celui qui devrait primer sur tous les autres est précisément celui qui concerne l’engagement au service de la patrie.

J’estime que nous devons faire évoluer ce cadre, nous devons franchir un cap décisif pour la réserve. Il est essentiel que ceux qui souhaitent affirmer leur engagement puissent le faire sans crainte, car nous n’avons plus la capacité d’attendre.

M. le général d’armée Pierre Schill. Je partage entièrement votre position sur le fond. L’engagement pour la défense mérite notre plus haute considération, particulièrement lorsqu’il prend la forme d’un engagement dans la réserve. Nous ne pouvons qu’admirer ces réservistes qui mènent plusieurs vies en parallèle : une vie professionnelle, une vie de réserviste, et pour nombre d’entre eux, un engagement associatif.

Nous devons en effet favoriser une culture de valorisation de l’engagement collectif et plus particulièrement de l’engagement dans la réserve, non seulement en théorie mais aussi dans la pratique quotidienne des entreprises. Mon propos visait à souligner, à travers les témoignages de jeunes réservistes, que malgré les dispositions, agréments ou conventions établis au plus haut niveau, la réalité de terrain demeure très individuelle. La situation s’apparente parfois à celle d’une femme enceinte – aucune discrimination ne devrait exister en principe, mais dans certains environnements professionnels, les absences liées à l’engagement dans la réserve sont mal acceptées. Nous devons travailler sur cette dimension culturelle afin que l’engagement dans la réserve puisse être pleinement vécu.

Cette question devient d’autant plus cruciale que l’évolution de notre réserve implique un impératif croissant disponibilité. À ce stade, dans la grande majorité des cas, nous convoquons un réserviste quand il peut se rendre disponible. Mais l’objectif serait de le convoquer quand nous en avons réellement besoin. Si le nombre de jours d’activité annuelle augmente, nous devrons pouvoir les mobiliser selon nos propres impératifs, ce qui imposera mécaniquement davantage de contraintes sur leur environnement professionnel.

Concernant le programme Scorpion, il s’agit incontestablement d’un programme d’avenir. Le terme Scorpion revêt plusieurs dimensions : la réalité du programme lui-même, le concept qu’il incarne, et plus largement la modernisation de l’armée de Terre. Cette modernisation s’articule autour du combat collaboratif, c’est-à-dire l’intégration des systèmes de commandement et la mise en réseau des équipements modernes issus de cette génération Scorpion – Griffon, Serval, Jaguar – ou adaptés à celle-ci, comme le Leclerc rénové.

L’étude ayant conduit à identifier le combat collaboratif comme la clé de voûte capacitaire de la décennie 2020-2030 s’est avérée pertinente. L’essentiel réside dans le système de commandement, la mise en réseau, et la défense collaborative : une agression contre un élément est immédiatement connue de l’ensemble du dispositif qui peut y répondre. De même, l’attaque collaborative permet qu’un observateur détectant une cible puisse la faire traiter de manière quasi automatisée par un autre acteur distant.

Cette conception novatrice a révélé, lors de sa mise en œuvre, des éléments à corriger ou à adapter. Nous avions initialement conçu ces systèmes en présumant notre supériorité dans le spectre électromagnétique, avec des systèmes plutôt rayonnants, émettant en permanence pour maintenir la coordination. Cette approche manque de discrétion et requiert une évolution, mais le système demeure parfaitement adaptable.

Se posent également des questions de masse, de cible et de silhouette. Les véhicules Scorpion n’ont pas été conçus pour percer les lignes ennemies, mais pour renouveler le segment médian de l’armée de Terre, celui des brigades légères blindées. Cette orientation reflète les atouts traditionnels français, en particulier notre impératif de polyvalence. Nous ne nous limitons pas au modèle de combat observé en Ukraine, nous entendons couvrir l’intégralité du spectre des missions possibles, y compris l’entraînement de nos alliés hors d’Europe, la prévention des crises, l’intervention rapide.

Ce qui caractérise l’armée de Terre française, c’est précisément cette position intermédiaire, ce concept de blindé léger. Ces véhicules ne sont pas destinés à être prioritairement embossés ou enterrés en première ligne pour une défense statique, d’autres matériels rempliront cette fonction.

Enfin, leur évolutivité constitue un atout majeur. Concernant la lutte anti-drones, je reste ainsi serein sur le potentiel de nos Scorpion. Avec nos 1500 Griffon et Serval actuels – qui atteindront 3 000 unités à terme – nous disposons d’autant d’armes anti-drones potentielles grâce aux tourelleaux télé-opérés. Nous pouvons y intégrer une couche d’intelligence artificielle, comme nous l’avons fait pour le Proteus, permettant de détecter les drones, calculer le point d’interception en fonction de la vitesse de défilement, le tout avec des mises à feu électriques. J’ai l’absolue conviction que ces systèmes s’adapteront à cette évolution.

Les kits qui viennent en superstructure du Scorpion nous offrent une capacité d’adaptation considérable. Au moment où nous intensifions nos livraisons ‑ 190 Serval l’an prochain, 20 Griffon dotés de mortier embarqué pour l’appui au contact (Mepac), 30 Jaguar et 110 Griffon – je me réjouis de l’arrivée de ces véhicules, tout en veillant, avec l’industriel et la DGA, à réaliser les adaptations nécessaires pour répondre aux défis émergents.

M. Loïc Kervran, président. Nous arrivons au terme de cette importante audition préparatoire à notre avis et à nous discussions budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2026. Je vous remercie particulièrement, sachant que vous êtes revenu ce matin d’une mission importante au Rwanda.

 


II.   Examen des crédits

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Isabelle Santiago, les crédits relatifs à la « Préparation et emploi des forces : Forces terrestres » de la mission « Défense » pour 2026, au cours de sa réunion du 29 octobre 2025.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Pour la deuxième année consécutive, j’assure la fonction de rapporteur pour avis sur les crédits des forces terrestres et, pour la deuxième fois j’ai dû préparer ce rapport sans disposer du budget définitif. Je tiens à remercier l’administrateur Valentin Sayagh qui m’accompagne dans ce travail, ainsi que nos militaires qui ont facilité nos échanges malgré des circonstances politiques complexes, notamment lors de notre première audition qui a coïncidé avec l’annonce du Premier ministre concernant le vote de confiance.

L’armée de Terre, ce sont d’abord des hommes et des femmes engagées en métropole, en Outre-mer et à l’étranger. Pour illustrer leur rôle structurant, j’ai choisi comme l’année dernière de commencer ma présentation par une vidéo.

Les crédits affectés au programme 178 « Préparation et emploi des forces » connaissent une augmentation substantielle de plus de 1,6 milliard d’euros, les portant à 15,9 milliards d’euros. Cette hausse traduit clairement la priorité accordée par notre Nation à l’adaptation des armées face à la situation géopolitique actuelle. Le PLF poursuit ainsi trois objectifs majeurs : la crédibilité opérationnelle, la solidité stratégique et la cohésion nationale.

Un film est diffusé.

Je remercie l’état-major de l’armée de Terre pour cette vidéo qui nous permet de nous projeter et d’observer le rayonnement de nos armées. Je tiens à saluer les hommes et les femmes qui y servent.

Pour l’armée de terre, les crédits sont en hausse de 14,5 % par rapport à 2025 et s’élèvent à 2,5 milliards d’euros. Ils s’inscrivent l’année 2026 comme un pivot dans la montée en puissance de l’armée de Terre, permettant de renforcer l’activité opérationnelle et l’entretien du matériel. Le niveau d’activité devrait ainsi augmenter de deux points. La hausse des crédits sera mise au service de deux priorités, la préparation opérationnelle et le maintien en conditions opérationnelles (MCO) du matériel.

Premièrement, les crédits permettront de renforcer la préparation opérationnelle. L’armée de Terre participera à l’exercice ORION 2026 et à la prise d’alerte « ARF » de l’OTAN le 1er juillet 2026. ORION 2026 constituera l’exercice majeur de signalement stratégique. Il mobilisera dix mille soldats, dont 15 % issus de pays étrangers, et trois mille véhicules. Cet exercice permettra de tester les moyens de commandement, le soutien, la logistique et la haute intensité. Il se déploiera sur de nombreux territoires où vous pourrez vous rendre aux côtés de nos armées.

En matière de préparation opérationnelle, un effort significatif a également été fait sur la reconstitution des stocks de munitions, avec des crédits de petits équipements en augmentation de 27 %. Je salue cette avancée alorsd que la préparation opérationnelle était un point d’attention l’année passée.

Deuxièmement, les crédits dédiés à l’entretien programmé du matériel (EPM) progressent de 190 millions d’euros. Le plan MCO-2030, mis en œuvre par la SIMMT, fait également évoluer les contrats de soutien d’une logique de flux-tendu à des marchés hybrides plus performants pour la haute intensité. Cette hausse permettra de soutenir l’accélération des livraisons de matériel majeur, avec deux cent quarante-deux véhicules prévus pour 2026 - Griffons, Jaguars, mortiers embarqués pour l’appui au contact (MEPAC) - et vingt et un chars Leclerc rénovés.

Sur le plan humain, je me félicite de l’amélioration de la fidélisation et de la réalisation du schéma d’emploi. Ayant été rapporteure sur le plan Famille 1 et participé au plan Famille 2, je déposerai de nombreux amendements sur ces sujets car ils contribuent directement à la fidélisation dans nos armées. L’objectif de 15 000 recrutements devrait être atteint d’ici à la fin de l’année.

L’armée de Terre est pleinement mobilisée en 2025 et cet engagement se poursuivra en 2026. Nous dénombrons trois mille sept cent cinquante soldats déployés en métropole et en Outre-mer. Le rapport comporte toute une partie consacrée à l’Outre-mer où de nombreuses actions sont menées. L’opération Sentinelle, qui constituait l’année passée l’objet de la partie thématique, a entamé une évolution en profondeur pour mieux s’articuler avec les missions de défense civile et adopter un fonctionnement plus souple. Sur le flanc Est, l’armée de terre poursuit ses missions AIGLE en Roumanie où elle est nation-cadre et LYNX en Estonie. Je me suis rendue sur le camp de Tapa, en Estonie, en septembre dernier, où j’ai pu apprécier le déploiement en cours.

Je souhaite attirer votre attention sur trois points de vigilance. En matière capacitaire, le remplacement du lance-roquettes unitaire (LRU) devient urgent. La reconstitution des stocks de munitions progresse mais doit impérativement se poursuivre. La mobilité et le génie demeurent des sujets de grande attention.

D’un point de vue budgétaire, le financement des missions opérationnelles soulève des questions de fond que nous nous sommes souvent posées ici en Commission de la Défense et lors des débats sur la LPM.

Enfin, la rénovation du segment lourd de décision, le char du futur et l’aéroterrestre, nécessite une stratégie claire de long terme dans un contexte de robotisation et de dronisation. Ces questions fondamentales doivent trouver des réponses précises, l’accélération de l’innovation étant très rapide et exigeant que nous soyons plus qu’au rendez-vous.

Concernant la partie thématique de mon rapport, « gagner la guerre avant la guerre » pour l’armée de Terre, mon objectif est de souligner les avancées concrètes permises par ce budget. Avec la hausse des crédits, la France choisit résolument de se doter d’une armée de terre de combat, prête, comme le dit le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) à défendre le territoire et à s’engager en coalition. Cette stratégie implique de disposer d’une armée forte, dissuasive, avec un moral élevé, s’appuyant sur une nation soudée. L’armée de terre doit être capable d’imposer des rapports de force dissuasifs pour gérer l’escalade et montrer sa détermination. Elle doit, par l’envoi de signaux stratégiques, être à la fois crédible à l’égard de ses alliés et redoutée par ses adversaires.

Mme Florence Goulet (RN). Comme vous l’avez souligné dans votre rapport, cette mission bénéficie d’une hausse de crédits. Néanmoins, le niveau de rapport de charges demeure préoccupant et certaines lacunes capacitaires persistent. La solution de remplacement du char Leclerc à l’horizon 2040 n’est toujours pas définie, alors que l’on constate déjà un très faible taux de disponibilité du Leclerc dans les unités. La poursuite du programme main ground combat system (MGCS) apparaît de moins en moins crédible, tandis que l’Allemagne s’est déjà engagée dans une nouvelle voie avec le développement d’un Léopard 3. Les 115 millions d’euros affectés en autorisations d’engagement (AE) pour lancer le développement du projet MGCS seraient-ils mieux utilisés s’ils étaient affectés à un projet de char français ? Le temps presse, le général Schill ayant réaffirmé que le char ou quelque chose qui ressemble à un char ou qui remplit les fonctions d’un char, c’est-à-dire le duel et la capacité de percer, restera un des éléments structurants des armées futures.

M. Guillaume Garot (SOC). Vous évoquez des points de vigilance, dont la mobilité et le génie. Pouvez-vous préciser votre position ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Sur le char du futur, le CEMAT a répondu et j’ai détaillé un certain nombre d’éléments dans mon rapport. Je souhaite rester humble concernant ce dossier. Sur le fond, la création de l’entreprise franco-allemande a été finalisée en avril 2025, avec la signature d’un accord entre nos deux pays. Il s’agit d’une avancée majeure, car ce projet stagnait depuis longtemps, ce que les parlementaires dénonçaient chaque année. Les contrats seront lancés en 2026. Maintenant que l’entreprise est créée, nous avons bon espoir que le projet avance. Ce dossier nécessite un suivi rigoureux, sachant que les délais sont traditionnellement longs sur les questions relatives aux chars.

Le génie n’a pas été considéré comme prioritaire pendant très longtemps. Aujourd’hui, dans notre réflexion sur la haute intensité, nous identifions des lacunes importantes dans nos dispositifs, notamment tout ce qui concerne le brêchage, la dépollution des zones et les capacités de franchissement. Nous manquons de ponts spéciaux et d’autres équipements nécessitant l’appui du génie pour la mobilité et la contre-mobilité. Le rapport consacre un chapitre entier au matériel requis, jusqu’aux camions de transport des troupes.

Le génie militaire recouvre un ensemble de sujets souvent éclipsés par les grandes thématiques comme les LRU, les tirs dans la profondeur ou les chars. Pourtant, ces questions très concrètes permettent justement à nos armées de se déplacer efficacement. Nous devons impérativement renforcer nos capacités dans ce domaine, notamment en simplifiant les marchés publics avec des cahiers des charges plus rapides et plus efficaces.

Mme Nadine Lechon (RN). La PME bisontine SilMach a annoncé cet été qu’elle équiperait les gilets pare-balles de nos soldats de capteurs intelligents révolutionnaires, capables de détecter en temps réel la moindre faille dans les équipements de protection. Cette nouvelle est particulièrement positive, d’autant qu’elle provient d’une petite entreprise qui aspire à contribuer à la restructuration de nos armées et à dynamiser notre BITD. L’entreprise a prévu de commencer la livraison de ces nouveaux capteurs dès la fin de l’année 2025. Le coût d’équipement des gilets avec ces capteurs a-t-il été quantifié ? Quelles unités en bénéficieront prioritairement ? Un coût d’entretien a-t-il été évalué ?

M. Thomas Gassilloud (EPR). Madame la rapporteure, je tiens à vous remercier pour ce rapport sur l’armée de terre, composante essentielle de nos forces armées. Il convient de rappeler que l’armée de terre représente plus de la moitié des hommes et femmes en uniforme du ministère, avec plus de 110 000 militaires qui servent notre pays.

Je souhaite vous interroger sur la possibilité de doter nos armées d’équipements plus simples et plus rustiques, correspondant strictement au cahier des charges, notamment grâce au principe de subsidiarité. Ce principe permettrait aux chefs militaires de terrain d’acquérir des équipements peut-être moins sophistiqués mais parfaitement adaptés à leurs besoins opérationnels.

Comme vous le savez, l’armée de terre a expérimenté avec succès des enveloppes de subsidiarité de 100 000 à 150 000 euros par régiment. À l’échelle des 100 unités élémentaires de l’armée de terre, le coût total équivaut au prix de quelques missiles. J’aimerais connaître votre position sur l’augmentation de ces enveloppes de subsidiarité. Avec notre collègue Damien Girard, nous avons proposé de les doubler et, au-delà du niveau régimentaire, de doter le CEMAT d’un budget d’environ 100 millions d’euros pour lui permettre de réaliser des acquisitions réactives avec des matériels disponibles sur étagère.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Les gilets technologiquement avancés n’ont pas été évoqués lors des visites que j’ai effectuées, y compris celles consacrées à l’innovation, bien que leur livraison soit visiblement programmée. Je m’en réjouis naturellement mais je ne peux donc pas vous indiquer si ces équipements ont été intégrés dans la planification budgétaire. Ils s’inscrivent certainement dans le cadre plus large des marchés publics et de la logistique d’équipement de nos forces armées.

Concernant la subsidiarité, je partage entièrement votre analyse. Dans nos bases militaires, nous observons effectivement un contraste entre des technologies très avancées et la nécessité de savoir opérer en mode dégradé. Les exercices, qu’ils concernent les forces navales, terrestres ou aériennes, intègrent systématiquement cette dimension. L’objectif fondamental reste d’assurer l’opérationnalité de nos forces en tout temps et en tout lieu. Si les nouvelles technologies apportent des capacités considérables et stimulent l’innovation, nos militaires apprennent également à fonctionner dans des conditions dégradées, ce qui fait partie intégrante de leur entraînement.

Mon groupe et moi-même soutenons une augmentation substantielle des enveloppes de subsidiarité. Nous proposons de les porter à environ 500 000 euros pour donner aux régiments une véritable capacité d’action, en lien avec le tissu économique local. Cette agilité est cruciale face à la rapidité de l’innovation. Les procédures d’acquisition centralisées entraînent des délais considérables, au point qu’un drone peut devenir obsolète avant même sa livraison. Il est donc impératif de donner à nos forces cette flexibilité au plus près du terrain.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je tiens à saluer l’évolution significative de l’armée de Terre ces dernières années ainsi que ce budget en augmentation substantielle, notamment pour les munitions qui demeurent un élément essentiel pour l’entraînement de nos soldats.

Concernant l’opération Sentinelle, qui constitue un dispositif majeur de protection de notre population sur le territoire national, plusieurs stratégies de modulation ont été mises en œuvre. Sommes-nous toujours dans la même configuration qu’il y a quelques années ou cette doctrine a-t-elle récemment évolué ?

Par ailleurs, s’agissant du matériel, particulièrement l’équipement SCORPION qui transforme en profondeur l’armée de terre et ses capacités opérationnelles, respectons-nous le calendrier initialement prévu ?

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Ma question porte sur les hautes technologies et les stratégies d’acquisition en produits innovants. J’aimerais obtenir des précisions sur la doctrine et les priorités établies en la matière. Nous parlons d’intelligence artificielle, du programme PENDRAGON, de dronisation et de numérisation. Ces orientations peuvent créer des effets d’aubaine pour de nombreuses start-up qui se positionnent sur ces créneaux sans nécessairement répondre aux besoins réels des forces.

Je m’interroge donc sur nos priorités et sur les risques de saupoudrage dans un écosystème où certaines entreprises n’ont pas la capacité de monter en échelle. Les retours d’expérience sur ces stratégies sont-ils véritablement probants ?

Je m’inquiète particulièrement des risques de discontinuité de service avec des entreprises qui promettent beaucoup mais délivrent finalement peu.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Concernant l’opération Sentinelle, nous constatons effectivement une évolution significative. Les recommandations présentées en commission de la Défense sont désormais mises en œuvre. Nous avons évolué vers davantage d’agilité et de capacité de réponse aux demandes exceptionnelles, tout en réduisant le dispositif permanent à trois mille hommes. Cette transformation n’altère en rien la sécurité sur notre territoire, car elle s’appuie sur une coordination renforcée, inspirée notamment de l’expérience des Jeux olympiques, avec des forces plus mobiles.

Le programme Pendragon intègre drones, robotisation et intelligence artificielle dans un ensemble cohérent d’innovations majeures. Les capacités robotiques que nous avons pu observer, notamment en Estonie, offrent des possibilités exceptionnelles : livraison de matériel sans exposition humaine, évacuation de blessés en zone de combat, etc. La France ne peut se permettre de manquer ce virage technologique déterminant. Le rapport détaille ces innovations dont les applications concrètes présentent un intérêt stratégique considérable pour nos forces.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). J’ai interpellé la semaine dernière le délégué général pour l’armement (DGA) et le chef d’état-major des armées (CEMA) au sujet du programme du char du futur, le MGCS. Le remplacement du Leclerc à l’horizon 2040 constitue un besoin prioritaire pour l’armée de terre, mais nous manquons actuellement de visibilité sur cette transition. Comment cette jonction serait-elle échelonnée ? Est-il envisagé de rejoindre le programme européen Main ARmoured Tank of Europe (MARTE) pour assurer cette période transitoire ?

Ma seconde question concerne le génie militaire. En tant que co-rapporteure d’une mission sur ce sujet, j’ai constaté que des efforts considérables restent à accomplir pour atteindre nos objectifs opérationnels. Quels sont les besoins budgétaires spécifiques pour le génie, considérant le retard à rattraper dans la préparation aux conflits de haute intensité ?

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je partage entièrement votre analyse, Madame la rapporteure, concernant la nécessité d’un processus d’acquisition plus proche des régiments, intégrant un principe de subsidiarité pour garantir davantage d’agilité. Dans les échanges que vous avez menés, avez-vous identifié des modifications nécessaires du code des marchés publics, tant dans sa partie législative que réglementaire, et quelles seraient ces modifications ?

Par ailleurs, concernant PENDRAGON et le rôle de l’innovation dans l’évolution de l’art militaire, l’une des conditions essentielles de réussite, comme l’a démontré l’exercice Task Force X, réside dans l’adoption d’une architecture logicielle ouverte permettant l’intégration de solutions développées par des start-up. Avez-vous mené une réflexion sur cette nécessité d’ouverture des systèmes logiciels et quelles conclusions en tirez-vous ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Concernant le char du futur, le rapport expose de façon détaillée la situation actuelle de ce programme. Nous avons franchi une étape importante avec la création d’une co-entreprise franco-allemande en avril 2025 et la signature du mémorandum d’entente. Le premier contrat sera signé en 2026, permettant de lever progressivement les incertitudes sur la stabilité financière et technique du projet. En attendant l’arrivée de son successeur, le char Leclerc poursuit sa modernisation pour assurer la transition. Les travaux de rénovation sont actuellement réalisés sur le site de l’industriel KNDS à Roanne, avec un total de 200 chars modernisés commandés par la DGA. Il convient néanmoins de rappeler que ces programmes s’inscrivent dans le temps long.

Concernant le code des marchés publics, nous avons effectivement identifié ce point comme essentiel. Face à l’accélération de l’innovation, nous devons impérativement trouver les solutions juridiques permettant davantage d’agilité. Cette réflexion doit être collective, car nous ne pouvons pas nous permettre de conserver un système qui, sans négliger les exigences du droit, ralentit excessivement les procédures d’acquisition. Cette question a également été soulevée lors de l’audition du DGA, confirmant qu’il s’agit d’une problématique majeure nécessitant des évolutions législatives.

Les start-up travaillent activement sur les innovations. Pour avoir observé sur le terrain comment cela se déroule, je peux affirmer qu’il est véritablement impressionnant de constater aujourd’hui la richesse du tissu territorial, l’implication des entreprises, le déploiement d’imprimantes 3D et tout un écosystème extrêmement innovant, y compris parmi nos jeunes recrues militaires. Cette dynamique contribue à la fidélisation des effectifs, car ces personnels sont réellement passionnés par les projets qu’ils nous ont présentés et qu’ils développent en collaboration avec les entreprises implantées dans nos territoires.

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons l’examen pour avis des crédits des missions Sécurités, Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation et Défense.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. José Gonzalez (RN). Dans un monde de plus en plus conflictuel, l’examen du budget de la défense revêt une importance particulière. Notre chère France peut compter sur une armée exceptionnelle pour la défendre et faire respecter ses intérêts. Cet outil militaire, qui fait référence en Europe, repose sur des hommes et des femmes exemplaires, dévoués à leur patrie. Je tiens, au nom du groupe Rassemblement national, à les saluer et à leur témoigner notre plus profond respect.

Respecter nos militaires, c’est d’abord dire la vérité sur une réalité qu’ils connaissent et éprouvent sur le terrain. Certes, nous disposons d’un modèle d’armée complet, notre budget de la défense connaît sur le papier une hausse de 6,5 milliards d’euros, nos armées mènent avec succès des opérations comme Sagittaire, mais ce modèle est fragile. Malgré les surmarches annoncées, la loi de programmation militaire (LPM) est compromise et sa sincérité budgétaire remise en question : 13 milliards de recettes supplémentaires annoncées ne sont toujours pas réellement budgétées, et le secrétariat général pour l’administration (SGA) n’a pu donner aucune précision sur ces recettes miracles. L’inflation ronge le budget à hauteur de 30 milliards d’euros, selon les propres estimations du ministère des armées. Les reports de charges ont explosé avec un doublement en deux ans, passant de 3,8 milliards fin 2022 à plus de 8 milliards, et la surmarche de 3,5 milliards annoncée pour 2026 ne suffit même pas à les combler.

Malgré l’explosion de ces reports de charges, justifiés par une hausse légitime des achats de matériels, l’équipement des armées reste en souffrance et nous ne disposons plus, en tant que parlementaires, des données de maintien en condition opérationnelle (MCO), poste de dépenses traditionnellement coûteux.

Permettez-moi également, en tant que doyen de cette assemblée, de relativiser les accents triomphants du gouvernement quand il annonce des hausses budgétaires inédites ou qu’il disserte sur « l’économie de guerre », une expression fumeuse dans laquelle notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ne se retrouve pas. La part du PIB consacrée à la défense était de 6,1 % en 1960, elle est estimée à 2,06 % cette année. Pour un pays qui n’est plus totalement en paix, comme le dit Sébastien Lecornu, il n’y a là rien d’exceptionnel – mais il est vrai que la modestie est une qualité peu développée en Macronie.

À cette situation financière déjà grave s’ajoute le coût de l’idéologie. Je pense aux lubies européistes qui, en dehors de toute logique industrielle, minent nos budgets, mettent à mal notre souveraineté et alimentent les carnets de commandes de la BITD américaine. C’est ainsi que 1,2 milliard d’euros sont budgétés pour le SCAF (système de combat aérien du futur) et 120 millions pour le MGCS (système principal de combat terrestre), c’est-à-dire pour des projets qui n’en finissent pas de mourir et que l’on maintient artificiellement en vie, au nom d’une Europe de la défense qui n’existe pas et que ne permet d’ailleurs aucun traité.

Autre idéologie : celle de l’écologisme débridé qui, dans un monde dangereux, ne voit pas d’autre priorité que d’imposer à nos armées des achats de véhicules électriques ou des plans de préservation de la biodiversité dans les casernes.

Nos armées doivent faire face à des failles capacitaires graves : manque de feu, manque de chars, manque de frégates, manque de Rafale, manque de munitions, manque d’entraînement pour tenir dans un conflit de haute intensité… Or, pour certains, la priorité est à l’écologie ou à l’Europe – Europe qui, avec ses programmes, va dépenser l’argent du contribuable français pour acheter américain, on le voit avec l’Allemagne qui passe commande de F-35.

Les armées ne sont rien sans les hommes et les femmes qui les composent. Là encore, il y a urgence. Pour 2026, les cibles de recrutement sont maintenues, mais c’est surtout à la fidélisation qu’il faut s’intéresser. En 2022, 35 % des primo-contrats étaient dénoncés. Certes, les efforts sont faits, notamment avec le plan Fidélisation 360, qui inclut désormais le plan Famille 2, tous deux en hausse pour 2026. Toutefois, sur un vecteur aussi stratégique que le logement pour assurer la fidélisation, les retards et les difficultés s’accumulent.

Respecter les armées, c’est enfin rétribuer à leur juste valeur ceux qui se sont battus en leur sein. Cette année encore, dans le monde combattant, la question du point de la pension militaire d’invalidité (PMI) cristallise les débats. Nous demandons qu’il soit aligné sur l’inflation, donc revalorisé d’au moins 1 %. Nous tenons également à la préservation de la politique de mémoire pour nos compatriotes juifs, qui font face à un antisémitisme débridé, ainsi que pour les anciens combattants indochinois ou harkis, si injustement maltraités.

Depuis l’adoption de la LPM, les constats que nous avons établis sur le manque de sincérité budgétaire, sur les failles capacitaires ou sur les enjeux liés aux ressources humaines se révèlent malheureusement justes.

Nous continuerons de mener notre combat en faveur d’une défense française solide, cohérente et souveraine. Pour reprendre une formule inscrite sur l’un des murs de la salle de notre commission, la raison d’être d’un État, c’est sa défense. Au Rassemblement national, nous aimons la France et nous voulons la défendre. Nous ne la sacrifierons pas à un délire d’État européen que d’aucuns, de manière plus ou moins assumée, appellent de leurs vœux. Vive nos forces armées et vive la France !

M. Yannick Chenevard (EPR). La situation internationale ne cesse de se dégrader. Les empires sont de retour, le droit international est piétiné : la loi du plus fort s’impose désormais. Depuis 2017, les lois de programmation militaire ont été exécutées à l’euro près. Compte tenu du contexte international, nous ne pouvons relâcher nos efforts. Pour 2026, les crédits de la mission Défense s’élèvent à 57,1 milliards d’euros – 6,7 milliards de plus qu’en 2025, soit une hausse de 13 %. Conformément aux annonces du président de la République, cette progression est supérieure de 3,5 milliards à la trajectoire initialement prévue par la LPM, ce qui représente 24,8 milliards de plus qu’en 2017.

Nous avons cru naïvement que la paix était durable. Si la société a profité des dividendes de la paix, nos armées ont largement réglé la facture. Avec le président Jean‑Michel Jacques et mon collègue Sébastien Saint-Pasteur, nous avons présenté un rapport d’information sur la mise en application de la loi de programmation 2024-2030. « Chacun doit mesurer que la préservation de la paix et de notre liberté dépend plus que jamais des décisions qui seront prises aujourd’hui », avons-nous souligné. Nous nous devons d’accompagner nos armées, et cela se traduit par le respect de la trajectoire de la loi de programmation militaire. Nous réparons, nous consolidons afin que le contrat opérationnel soit rempli.

En 2026, l’augmentation des crédits bénéficiera à l’ensemble des postes, mais ce sont plus particulièrement les matériels qui en profiteront, avec 13,9 milliards de crédits alloués aux investissements sur les équipements, soit une augmentation de 31,8 % par rapport à 2025.

Clé de voûte de notre sécurité nationale, le budget de la dissuasion connaît une augmentation de 7 %. Je rappellerai ici la nécessité de valider le lancement en réalisation du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G), tout comme celui du porte-avions de nouvelle génération (PANG), qui doivent tous deux avoir lieu avant la fin de l’année.

Pour préserver le rang et la fiabilité de la France au sein de l’espace euro-atlantique et pour garantir la capacité de nos forces à s’engager, à l’emporter, une actualisation de la programmation militaire sera présentée à l’automne. Cette ambition oriente déjà le projet de loi de finances pour 2026, avec un effort ciblé sur des domaines capacitaires stratégiques : innovation, espace, drones, défense sol-air et munitions. Des investissements significatifs sont prévus au bénéfice de toutes les armées et de tous les milieux de conflictualité.

La mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation voit ses crédits reculer d’environ 6 %. Cette baisse tient d’abord à la diminution tendancielle du nombre d’ayants droit et d’ayants cause. L’enveloppe permet toutefois d’améliorer certains droits ou d’élargir l’éligibilité, lorsque cela est justifié. Le programme 169, doté de 1,66 milliard de crédits, garantit la reconnaissance et la réparation, finance la politique de mémoire et renforce le lien armée-nation. Quant au programme 158, il finance les réparations dues aux orphelins de la déportation et des persécutions antisémites ainsi qu’aux victimes de spoliation et d’actes de barbarie ; ces tâches essentielles seront remplies grâce aux 78,4 millions d’euros alloués en autorisations de programme (AE) et crédits de paiement (CP), une enveloppe dont le léger recul est dû à la décroissance naturelle du nombre de bénéficiaires.

Les crédits alloués à la mission Sécurités augmenteront de 371 millions pour atteindre 17 milliards. Elle concourt aux actions du ministère de l’intérieur et vise à assurer la sécurité de notre nation. Soulignons une nouvelle augmentation des effectifs attendue pour l’année 2026 et prévue par le projet de loi de finances.

Avec ce projet de budget, nous poursuivons les efforts entamés en 2017.

Nos armées ne valent que par celles et ceux qui les servent, et à qui je souhaite rendre hommage.

Mme Anna Pic (SOC). Au premier semestre 2023, lorsque nous examinions le projet de loi de programmation militaire 2024-2030, le groupe Socialistes et apparentés s’inquiétait de la sincérité des éléments budgétaires qui nous étaient présentés. Nous dénoncions un texte financièrement sous-doté au regard des principaux objectifs affichés ‑ maintenir notre modèle d’armée complet pour nous permettre d’être une nation-cadre auprès de nos partenaires européens et otaniens. Deux ans et demi plus tard, avec une surmarche de 3,5 milliards d’euros qui porte le budget de la mission Défense à 57,1 milliards, force est de constater que nous avions fait preuve de discernement et que nos préoccupations étaient fondées.

Une fois pris en considération les reports de charges, qui seraient plus justement désignés sous le terme d’impayés, et l’inflation, les ambitions nécessitaient d’être revues à la baisse. Bien sûr, nous accueillons avec une certaine satisfaction cette hausse des crédits, au vu du durcissement du contexte géostratégique et de la nécessité d’être au cœur de la nouvelle architecture de sécurité collective du continent européen que nous appelons de nos vœux. Néanmoins, cette augmentation ne doit ni se faire au détriment du modèle social auquel nous sommes attachés, ni nous dispenser de nous interroger sur les ambitions affichées par le gouvernement.

Le budget du ministère des armées est menacé par une crise de croissance induite par des rigidités budgétaires particulièrement préoccupantes. Ces dernières mettent en péril la soutenabilité à moyen terme de la trajectoire budgétaire. Elles se traduisent d’abord par une hausse des AE affectées non engagées, qui ont atteint 30,3 milliards fin 2023. Elles se manifestent ensuite par une hausse structurelle des restes à payer, qui ont quasiment doublé entre 2017 et 2024 pour atteindre 99 milliards fin 2024, si bien que près de 90 % des CP prévus en 2025, hors dépenses de personnel, étaient destinés à épurer ce stock qui continue d’être alimenté. Début 2025, ces rigidités étaient telles qu’au sein du programme 146, Équipement des forces, aucun crédit n’était disponible pour financer les nouveaux investissements prévus. Elles se révèlent aussi à travers une hausse anormale du report de charges, avec un stock de 8 milliards d’euros transféré de 2024 à 2025. Citons enfin une pratique budgétaire discutable de la réserve de précaution et une sous-estimation chronique des surcoûts, notamment pour les opérations extérieures (Opex) et les missions opérationnelles (Misops).

Parmi les conséquences de cette situation, soulignons des retards sur plusieurs segments capacitaires ou des reports, une absence de visibilité pour les acteurs de la BITD qui pèse cruellement sur la trésorerie des entreprises du secteur – tout particulièrement sur les PME et les ETI – et limite in fine la montée en puissance qu’exige d’eux l’injonction à l’économie de guerre, une baisse des crédits alloués au service de santé des armées, et une absence de marges de manœuvre pour renforcer l’ambition de la politique des ressources humaines et de l’action sociale du ministère.

Tout cela nourrit des inquiétudes sur notre capacité à faire preuve de souplesse en matière de redéploiements de crédits si cela s’avérait nécessaire au cours de l’année à venir, qui sera marquée par la réorientation et le renouvellement de la loi de programmation militaire.

Nous tenons également à souligner que, malgré des missions sans cesse élargies, la marine nationale ne profitera qu’à la marge de la surmarche budgétaire proposée. Si nous pouvons comprendre ce choix, nous tenons à saluer l’agilité de nos marins et appelons le gouvernement à répondre dans les plus brefs délais à certains de leurs vœux – je pense en particulier aux trois frégates qu’ils demandent de longue date.

Le budget de la mission relative au monde combattant connaît une baisse de crédits de 6,3 %. Certes, elle reflète la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires, mais elle affecte certaines enveloppes. Nous constatons l’absence de revalorisation du point de PMI en fonction de l’inflation et déplorons que le gouvernement n’ait pas transmis au Parlement le rapport qu’il devait lui remettre à ce sujet. Par ailleurs, les montants alloués à l’allocation de reconnaissance du combattant sont en baisse, tout comme la subvention d’action sociale à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), du fait de la fin de la mesure destinée aux pupilles de la nation devenus majeurs introduite en 2024, dont bénéficiaient 12 000 personnes.

Malgré l’ensemble de ces réserves, auxquelles nos amendements tenteront de répondre, nous voterons très probablement le budget de ces trois missions.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Examiner le budget de la défense, c’est toujours un moment de gravité. Ce que nous décidons aujourd’hui dans notre assemblée, c’est ce qui permettra demain de solder et surtout d’équiper celles et ceux qui portent les armes de la France au risque de leur vie et qui, en s’engageant, ont fait le choix de la mort comme hypothèse de travail. On ne peut avoir de discussions ici sans penser à ces femmes et ces hommes avec infiniment de gratitude.

Notre budget de la défense est marqué par un effort considérable : son augmentation s’élève à 6,7 milliards d’euros avec les marches et les surmarches. Cet effort répond à la gravité de l’heure, alors que pèsent des menaces à 360 degrés : flanc est de l’Europe –°le général Mandon a souligné cette menace majeure, à la suite de son prédécesseur, le général Burkhard –, Méditerranée, commerce maritime, outre-mer, menaces hybrides. Lors de l’examen de la LPM, le groupe Droite républicaine avait souligné que les objectifs fixés constituaient un minimum et que rien n’interdisait d’aller plus loin. Aujourd’hui, nous allons plus loin et nous saluons ce budget, en faveur duquel nous voterons.

Quelques points doivent toutefois retenir notre attention. Tout d’abord, nous ne voterons que des annuités budgétaires. C’est normal, car c’est une exigence de l’exercice, mais je regrette que des premiers jalons ne soient pas posés en vue des changements de format qu’opérera la future mise à jour de la LPM, qu’il s’agisse du nombre de frégates et de régiments ou de l’ampleur de la flotte aérienne. Il y a aussi une urgence : la frappe dans la profondeur. Certains éléments du budget concernent les lance-roquettes unitaires (LRU), mais il faut aller plus vite et réfléchir à nos capacités balistiques – missiles aérobalistiques et missiles balistiques terrestres –, qui sont décisives.

Enfin, je veux insister sur les coopérations. Nous souhaitons tous une mutualisation qui préserve notre souveraineté tout en permettant de faire plus et moins cher. Notre groupe sera favorable aux programmes comme ceux portant sur le SCAF ou le MGCS, à condition qu’ils répondent aux besoins, que le principe du best athlete s’applique et que la France conserve sa liberté de manœuvre au grand export, car il s’agit d’un élément de sa souveraineté et de sa diplomatie à l’échelle mondiale.

Cette hausse budgétaire n’est, je l’espère, qu’une première étape. Le budget de la défense représentera 2,2 % du PIB si le projet de loi de finances est voté ; pendant la guerre froide, lorsque la menace communiste était à nos portes, sa part était de 3,5 %.

Je terminerai en lançant un appel d’une certaine gravité. Tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons n’aura de sens que si nous adoptons un budget. Nous ferons tout pour que ce soit le cas. Dans le cas contraire, les premiers qui souffriront, qui manqueront de moyens et d’entraînement, qui ne pourront pas assurer la sécurité des Français, ce sont nos soldats, nos militaires. La responsabilité commence ici, dans cette commission, et j’appelle tous les groupes à l’avoir à l’esprit quand viendra le moment de voter dans l’hémicycle. Nous le devons à la France, nous le devons à nos armées.

M. Damien Girard (EcoS). L’armée française est une armée expérimentée, efficace, en cours de modernisation. Toutefois, une révision de la LPM est nécessaire pour définir un modèle d’armée qui réponde aux menaces qui pèsent sur notre pays. Ces discussions budgétaires doivent être l’occasion de proposer les premiers éléments d’une doctrine de défense de sécurité globale, car la profondeur stratégique ne peut se penser uniquement en termes géographiques et capacitaires ; elle doit aussi se comprendre comme une capacité des sociétés à renforcer leur résilience face aux conséquences du réchauffement climatique et à maîtriser leur dépendance énergétique, industrielle ou alimentaire.

La France fait face à des puissances qui utilisent tout le spectre de la guerre hybride pour porter atteinte à ses intérêts de sécurité. Nous proposons ainsi de porter à 1 milliard d’euros par an l’effort consacré à la réserve opérationnelle de l’armée de terre. Nous proposons également de renforcer les moyens des services de santé des armées et de moderniser les infrastructures de santé, militaires comme civiles. Ces menaces étant continentales, il appartient à notre pays de s’inscrire pleinement dans un cadre européen, fondé sur la mutualisation des moyens, la complémentarité industrielle et une autonomie décisionnelle partagée.

Pour ces raisons, notre groupe appelle à la préparation, d’ici à 2027, d’un nouveau Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale et européenne, adossé à un débat démocratique approfondi sur notre modèle d’armée, nos dépendances et notre doctrine d’emploi des forces. Il s’agira d’aller beaucoup plus loin que le Livre blanc de la Commission européenne, qui ne remet pas en cause la dépendance européenne à l’Otan et aux États-Unis. Nous saluons à ce titre la poursuite des projets européens financés par le programme 146. Si nous partageons le constat que certains programmes européens présentent un risque de pilotage déséquilibré, nous refusons de claquer la porte et appelons à toujours rechercher des alternatives européennes. L’Europe, c’est en effet la masse, comme l’a déclaré devant notre commission le chef d’état-major des armées, le général Mandon. Et la masse est un facteur de supériorité stratégique. La dissuasion nucléaire ne suffit pas. L’agression d’un pays non doté d’armes nucléaires par un pays qui l’est montre la vulnérabilité de notre modèle. Nous devons renforcer notre dissuasion conventionnelle à l’échelle européenne pour être capables de répondre collectivement à une guerre de haute intensité. La France doit y prendre sa part, en tirant pleinement parti de ses atouts que sont ses forces aéronavales, ses capacités de frappe en profondeur ou ses divisions projetables.

Par ailleurs, même si l’on augmente les crédits dédiés à la défense, nous devrons toujours avancer avec des budgets contraints. Nous savons la nécessité d’un effort de défense accru, mais nous insistons pour que celui-ci ne se fasse jamais au détriment des budgets sociaux et écologiques, qui sont essentiels. Cet effort doit être débattu démocratiquement et financé en priorité par les plus aisés. La politique de défense n’a pas à rester un domaine réservé. Il importe que le Parlement soit pleinement associé à son pilotage. Nous proposons la création d’une instance parlementaire de suivi capacitaire et budgétaire de la LPM, dotée d’experts civils et militaires indépendants.

L’effort de défense doit suivre un principe de stricte suffisance et améliorer la gouvernance budgétaire de nos armées, dont les lourdeurs risquent d’annuler les effets bénéfiques de la LPM. Il faut renforcer la subsidiarité budgétaire, qui est un gage d’efficacité, comme l’a montré l’expérience de l’armée ukrainienne. Nous proposons 100 000 euros par formation administrative pour les achats d’équipements de proximité et 100 millions d’euros par armée pour les dépenses urgentes, en gestion autonome. C’est une révolution administrative nécessaire pour renforcer les capacités d’innovation, de subsidiarité et de réactivité de nos armées.

Enfin, nous devons envoyer un signal de solidarité à nos alliés ukrainiens et de constance stratégique à la Russie, qui entretient une menace systémique à notre encontre. La sécurité de l’Europe se joue aujourd’hui en Ukraine. La France lui a déjà apporté près de 8,6 milliards d’euros depuis 2022, mais l’effort européen s’essouffle – l’aide mensuelle a chuté de 57 % depuis le début de l’année. Il nous faut donc sanctuariser dans le PLF, au sein du programme 146, une ligne budgétaire dotée de 300 millions dédiée au soutien à l’effort de défense ukrainien. Cela représente seulement deux jours de combats de l’armée ukrainienne.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Il serait difficile de ne pas nous montrer satisfaits devant ce budget de la défense en forte progression, de 6,7 milliards d’euros. Il s’agit d’un effort remarquable dans la période budgétaire complexe que nous connaissons, tout comme est remarquable l’augmentation constante depuis 2017 du budget des armées, qui est passé de 32 à 57 milliards. Je veux saluer la vision et la volonté forte du président de la République, chef des armées.

Le présent budget s’inscrit dans un contexte international particulièrement tendu : guerre en Ukraine, instabilité au Moyen-Orient et au Proche-Orient, désengagement progressif des États-Unis. Cela impose d’accélérer la montée en puissance de nos armées et de nos engagements auprès de nos partenaires.

Ce budget vient renforcer de 3,6 milliards la trajectoire prévue par la LPM et concrétise de nouvelles ambitions portées par la révision de la revue nationale stratégique (RNS), à laquelle nous avons collectivement apporté notre contribution.

Les quatre programmes de la mission Défense progressent fortement, avec une dynamique particulière pour le capacitaire. Le réarmement donne la priorité aux moyens de souveraineté – dissuasion et espace –, aux munitions et à la capacité des armées à s’engager à court terme – drones, défense sol-air, guerre électromagnétique, frappes dans la profondeur ‑ tout en accentuant l’investissement dans les technologies de rupture.

La remontée en puissance ne saurait être uniquement matérielle ; elle repose aussi sur les femmes et les hommes qui composent nos armées. Ainsi, 830 postes supplémentaires seront créés, notamment dans des domaines stratégiques, et la politique salariale continuera de s’améliorer, en particulier avec le rattrapage indiciaire des officiers. En outre, la réserve opérationnelle poursuit sa montée en puissance.

Je veux remercier nos rapporteurs pour avis pour leurs analyses. Nous mesurons l’importance de l’adaptation permanente de nos armées et de l’agilité qui leur est nécessaire sur les plans stratégique, capacitaire et humain. Les enjeux sont majeurs dans le contexte international que nous connaissons. Permettez-moi de dire tout mon respect et ma gratitude à l’ensemble de la communauté de défense, militaire et civile. Nous veillerons à la révision de la LPM et à l’utilisation de la surmarche de 3,6 milliards.

Les crédits de la mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation, qui s’élèvent à 1,7 milliard d’euros, connaissent une baisse qui reflète principalement la diminution naturelle du nombre des bénéficiaires. Aucune des actions mises en œuvre en faveur du monde combattant n’a été supprimée. Toutefois, j’accorderai une attention particulière à la valeur du point de PMI. En 2022, il avait été décidé avec les associations – et je m’y étais personnellement engagée – qu’il y aurait une clause de revoyure tous les deux ans. Or cela n’a pas été le cas. Je demande instamment qu’elle soit mise en œuvre. Ce n’est pas forcément sur l’inflation qu’il faut aligner l’évolution du point de PMI ; déterminer sa progression nécessite de mener des études complexes.

Le programme Gendarmerie nationale, dont les crédits augmentent de 158 millions, est marqué par un renforcement du maillage territorial, le déploiement de cinquante-huit nouvelles brigades et la montée en puissance de la réserve opérationnelle, toutes choses importantes pour nos territoires qui comptent sur la gendarmerie pour assurer leur sécurité. Nous devons être sensibles à l’effort consacré à l’immobilier, qu’il faudra pérenniser, notamment en le plaçant parmi les priorités de la programmation pluriannuelle.

Le groupe Les Démocrates votera bien sûr ces trois budgets, après avoir examiné avec soin les amendements. Notre responsabilité est de trouver toutes les solutions pour que ce projet de loi de finances soit voté, faute de quoi nous mettrions nos armées, en particulier la gendarmerie, en grande difficulté. Ici, dans cette commission, nous voulons les faire avancer. Tâchons de ne pas les faire reculer dans l’hémicycle ! L’heure est trop grave.

M. Loïc Kervran (HOR). Les trois missions que nous examinons sont absolument essentielles pour la protection des Français et de leur territoire. Quand j’ai été élu député, il y a huit ans, la somme que notre pays consacrait à sa défense était d’un peu plus de 30 milliards d’euros ; si nous adoptons ce budget, elle avoisinera 60 milliards. Nous pouvons tous être fiers d’avoir accompagné cette montée en puissance.

Nous vivons dans un monde dangereux. La France est confrontée à de nombreuses menaces émanant d’acteurs variés. Aux conflits conventionnels s’ajoutent les menaces hybrides et de nouveaux champs de conflictualité comme le cyber, l’espace ou la désinformation. La Russie menace le flanc est de l’Europe, l’Indo-Pacifique demeure un foyer majeur de tensions, et les crises se multiplient au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

Notre groupe déplore une forme de déconnexion entre le débat national et les priorités qui devraient guider l’action de la nation. Alors que la dette publique et le déficit menacent notre souveraineté, nous dépensons toujours plus. Alors que nous devrions renforcer la compétitivité de nos entreprises face aux géants étrangers, certains souhaitent au contraire taxer davantage, décourager l’investissement et l’entrepreneuriat. Nous espérons que le débat sur ces crédits permettra de nous recentrer sur les enjeux les plus pressants : la protection de nos intérêts et de notre souveraineté, la montée en puissance de nos armées, la participation de la nation tout entière à l’effort de défense.

Sur la mission Défense, avec une augmentation de 6,7 milliards d’euros, soit 3,5 milliards de plus que ce que prévoyait la trajectoire de la LPM, nous faisons le choix d’un réarmement rapide et maîtrisé. C’est un signal de fermeté adressé à nos adversaires, un gage de crédibilité envoyé à nos alliés, et une marque de confiance pour nos armées.

Le projet de loi de finances consacre des moyens inédits à la modernisation de nos équipements et au soutien de la base industrielle et technologique de défense. Ces investissements garantissent notre autonomie stratégique, mais ils irriguent aussi l’économie nationale et soutiennent des milliers d’emplois hautement qualifiés dans l’industrie et la recherche.

L’effort consenti pour les femmes et les hommes du ministère des armées mérite également d’être salué. Pensons au plan Fidélisation 360, à la création de nouvelles crèches, à la rénovation de logements, à la montée en puissance de la réserve, à la réforme statutaire des officiers.

Pour le monde combattant, le budget traduit la constance et la fidélité de la nation envers celles et ceux qui se sont engagés pour elle. Il poursuit une politique ambitieuse de réparation et d’accompagnement à travers, par exemple, le renforcement du dispositif Athos pour la prise en charge des blessures psychiques, et le soutien réaffirmé à l’Institution nationale des Invalides.

La mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation consacre la continuité de notre engagement envers les harkis et leurs familles. Elle incarne le devoir moral de l’État à l’égard des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie de la Seconde guerre mondiale. Elle est également tournée vers la jeunesse et vers l’avenir, à travers la journée défense et citoyenneté (JDC) nouvelle génération et le plan Ambition armées‑jeunesse.

Enfin, au sein de la mission Sécurités, la gendarmerie nationale, qui assure la protection de plus de la moitié de la population française, voit ses moyens augmenter tant pour les missions d’ordre et de sécurité publics que pour l’accroissement des effectifs – ce qui est bienvenu, si l’on veut réellement déployer de nouvelles brigades dans les zones rurales ‑ et la montée en puissance de la réserve opérationnelle.

Les crédits de ces trois missions forment un tout cohérent. Ils renforcent la crédibilité de la France sur la scène internationale, la protection des Français au quotidien et le lien armée-nation. Nous les adopterons, conscients de ce que nous devons à celles et ceux qui servent la France tous les jours et à qui nous rendons hommage.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Au nom du groupe LIOT, je tiens d’abord à saluer l’engagement sans faille de tous nos militaires qui, chaque jour, œuvrent pour la sécurité de nos concitoyens et de notre République. Dans un contexte géopolitique toujours plus instable, le soutien des parlementaires envers nos militaires doit être à la hauteur. C’est pour cette raison que, sans suspense, notre groupe votera pour les crédits de ces trois missions. Ce vote favorable ne signifie pas pour autant que nous donnons un blanc-seing au gouvernement. Comme je n’ai que cinq minutes et que le cumul des crédits des trois missions représente 95 milliards d’euros, soit 19 milliards la minute, je vais limiter mon propos à trois sujets.

Je soulignerai d’abord le point le plus positif, la hausse de nos dépenses militaires de 6,7 milliards d’euros. Dans le contexte budgétaire actuel, notre groupe salue le respect de la programmation militaire et la surmarche pour accélérer notre réarmement. Le ministère des armées a gagné la bataille des chiffres avec Bercy, il doit maintenant gagner la bataille de l’opinion. Alors qu’on demande des efforts à tous nos services publics, aux écoles, aux hôpitaux, à la culture, il faut que le ministère des armées soit exemplaire. Il y a là un enjeu fort en termes d’acceptabilité. Cette bataille de l’opinion, il faut la gagner au niveau national, mais aussi au niveau européen. C’est sur cette base que l’on pourra prendre des décisions courageuses.

Si l’on cherche des crédits, il y a une manne financière qu’on ne peut plus laisser de côté : les avoirs russes gelés en France. J’ai déposé une proposition de résolution, très largement cosignée par les membres des différents groupes de notre assemblée, demandant que ce capital soit enfin mobilisé au profit de l’Ukraine. Il faut être clair à propos de ce conflit : l’agresseur, c’est Poutine ; l’ennemi, c’est la Russie. Dans ces conditions, il est légitime que ces avoirs contribuent à l’effort de guerre, mais surtout à la reconstruction, conformément au droit international. Au niveau européen, ça bloque : encore cette semaine, la Belgique s’est opposée à l’utilisation des avoirs. Pourtant, il ne faut pas attendre. La France peut agir seule sur les avoirs bloqués sur son territoire, faute de quoi il faudra financer les dépenses par la dette, et je ne pense pas que cela plaise à nos concitoyens.

Le deuxième sujet que je tiens à aborder concerne les conditions de vie de nos militaires. L’efficacité de nos armées passe par des conditions de logement et de vie décentes. C’est d’autant plus vrai pour l’armée de terre, où l’hébergement en caserne a historiquement une fonction éminemment structurante. Or, dans nos territoires, le parc est dégradé : les bâtiments sont souvent vétustes, parfois même insalubres. On a un peu l’impression que les conditions de vie sont devenues, au fil des années, la variable d’ajustement budgétaire du ministère. Lorsque je travaillais au cabinet du ministre de la défense, il y avait à côté de mon bureau une cellule ayant pour unique mission de traiter les problèmes liés aux bâtiments : les documents que j’ai pu voir étaient atterrants, mais nous pouvons malheureusement faire les mêmes constats aujourd’hui. Cette situation présente donc des risques : un risque de fracture sociale au sein même de l’institution militaire, un risque pour la préparation opérationnelle, un risque pour la cohésion des unités, et un risque pour l’attractivité des armées. Le général Hubert Bonneau a dressé le même constat pour la gendarmerie nationale : manque d’effectifs, unités sous tension, flotte automobile vétuste. Quand je vois défiler les milliards que nous votons pour les ministères, je ne peux pas accepter qu’ils ne profitent pas aux femmes et aux hommes qui servent la nation avec un dévouement remarquable.

Je consacrerai mon dernier point à nos liens avec l’Otan. Je rappelle que la logique de défense collective est au cœur de l’idée française d’autonomie stratégique de l’Europe. Elle passe par un renforcement du pilier européen de l’Otan. En 2026, la France reste le quatrième contributeur, avec près de 415 millions ; c’est louable, mais cela n’efface pas le regain de méfiance au sein même de l’organisation. L’enjeu, désormais, est qu’au-delà des contributions budgétaires, notre pays maintienne son niveau d’influence au sein de l’Alliance. Mon collègue David Habib est chargé d’un rapport sur ce sujet, et j’espère que votre commission suivra de près ses recommandations.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera pour ces crédits, tout en restant bien évidemment très attentif à leur mise en œuvre concrète.

M. Édouard Bénard (GDR). Le PLF pour 2026 prévoit une hausse de 13 % du budget de la mission Défense, soit un montant actualisé de 57,2 milliards de CP, hors pensions civiles et militaires de retraite. Cette somme astronomique marque une progression ô combien significative, conforme, semble-t-il, à la trajectoire fixée par la LPM. Au-delà de cette envolée budgétaire, une question subsiste : que nous dit ce budget de l’état réel de nos armées ? Est-il une nouvelle fois question de dépenser sans compter, ou s’agit-il de renforcer véritablement la capacité opérationnelle de la France ?

Le PLF pour 2026 concentre l’essentiel de ses efforts capacitaires dans ses trois armées. Pour l’armée de terre, le programme Scorpion continue de monter en puissance avec la modernisation du char Leclerc, la transformation d’infrastructures sur plusieurs dizaines de sites, ou encore la livraison des Griffon, des Jaguar et des Serval. Côté pile, l’objectif est clair et assumé, il s’agit de préparer nos forces armées au combat de haute intensité. Côté face, de nombreux problèmes demeurent. La reconstitution de nos stocks de munitions, notamment pour les petits calibres, avance lentement, et le maintien en condition opérationnelle reste sous tension, pesant sur la disponibilité de nos véhicules. Résultat : un équipement flambant neuf sans entretien régulier, des munitions insuffisantes, une capacité qui n’a plus de réelle que le nom.

Dans les airs, le constat est le même. Le budget 2026 consacre plusieurs milliards aux Rafale F5, aux drones Male (moyenne altitude longue endurance), ou encore au programme SCAF qui, soit dit en passant, suscite de plus en plus de frilosité à Berlin. En attendant, le taux de disponibilité de nos flottes aériennes peine encore à dépasser 65 %. En réalité, nous discutons du combat du futur alors que le combat au présent repose encore sur des appareils partiellement immobilisés. La modernisation est nécessaire, mais elle ne peut produire ses effets que si elle s’accompagne d’un soutien industriel solide, d’un nombre suffisant de techniciens spécialisés et d’un renforcement du MCO afin d’éviter les goulots d’étranglement.

Cette question du taux de disponibilité de nos armées renvoie à un enjeu plus large, celui de la transparence budgétaire. Le programme 146, Équipement des forces, fixe bien des objectifs pour l’année 2026 : un taux de réalisation des livraisons de 85 %, une évolution annuelle moyenne des délais de réalisation des opérations d’armement principales inférieure à deux mois, une évolution moyenne des devis à terminaison inférieure ou égale à 1,5 %, des intérêts moratoires inférieurs ou égaux à 0,5 %. Cependant, ces chiffres échappent au contrôle parlementaire, car nous ne savons pas quels programmes respectent pleinement leurs objectifs et lesquels dérapent. Sans cette visibilité, le Parlement ne peut pas contrôler efficacement la dépense publique et en mesurer les effets sur la disponibilité et la performance de nos forces armées. En ce sens, il serait légitime d’exiger la publication annuelle de ces données, programme par programme.

Cette quête de clarté est d’autant plus nécessaire que notre pays nourrit une ambition maritime de premier plan dans l’Indo-Pacifique, l’Atlantique, la Méditerranée et dans nos territoires ultramarins. Le PLF pour 2026 lui consacre 4,1 milliards d’euros, soit près d’un quart du budget de la préparation des forces. Parmi ces crédits, 108 millions sont fléchés vers le numérique naval, un demi-milliard vers les infrastructures portuaires et près de 600 millions vers le porte-avions du futur. Ici encore, ces milliards n’ont de sens que s’ils s’accompagnent d’une amélioration de la disponibilité réelle des frégates, des sous-marins ou des patrouilleurs. S’agissant du PANG, il est impératif d’anticiper les risques liés aux coûts et aux délais afin d’éviter qu’ils n’absorbent les crédits du MCO et fragilisent toute la flotte existante. Il serait donc pertinent que le Parlement dispose d’indicateurs et de trajectoires de disponibilité très précis pour mesurer la progression réelle du parc naval, ainsi que des plans de maintenance afin de prévoir d’éventuelles périodes de creux opérationnel.

Si ce budget traduit une volonté indéniable de réarmer la France, il doit cependant pouvoir reposer sur trois piliers essentiels : des forces réellement prêtes et disponibles ; une dépense publique transparente et mesurable ; une ambition stratégique mise en œuvre avec rigueur. Pour réarmer, il ne suffit pas d’acheter ; il faut également entretenir, former, anticiper et rendre des comptes.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Entêtement, effets d’annonce et rafistolage : ce n’est pas le titre d’une comédie, hélas, mais le sous-titre de la mission Défense de ce budget, qui est un véritable théâtre d’ombres.

Commençons par le début. Nous avons sous les yeux le budget défendu par une ministre qui n’a pris aucune part dans son élaboration, puisqu’elle l’a découvert à peu près en même temps que nous. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’idée que l’on se fait de la démocratie et du contrôle parlementaire, cela veut dire beaucoup. Notons ensuite que si la hausse des autorisations d’engagement et des crédits de paiement est incontestable, elle pose deux questions : d’une part, celle de la soutenabilité de la trajectoire budgétaire, que nous avions évoquée l’an dernier avant que le 49.3 nous prive de débats en séance ; d’autre part, celle de la sincérité, car il n’y a pas lieu de se réjouir d’une hausse deux fois plus élevée que celle prévue par la LPM. On ne le répétera jamais assez, si le budget de la défense a dû être doublé par rapport au niveau prévu il y a deux ans, soit plus d’un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, alors il faut nécessairement en conclure que le projet du gouvernement était soit sous-calibré, soit sous-budgété.

Cela n’émeut apparemment pas grand monde, mais c’est là aussi un problème démocratique fondamental. À chaque fois que nous avons ingénument demandé aux personnes auditionnées par notre commission quelles dépenses, au sein de chaque programme, bénéficiaient de la marche et quelles autres de la surmarche, nos interlocuteurs furent en peine de répondre. L’exécutif a avoué à demi-mot que le travail sur la LPM avait été bâclé, puisque le président de la République a annoncé une nouvelle loi de programmation militaire. Je constate néanmoins qu’elle ne figure pas dans l’ordre du jour prévisionnel communiqué par le gouvernement et partagé hier par la présidente Yaël Braun-Pivet. Celles et ceux qui traitent les sujets de défense avec sérieux – et il y en a ! – ne savent plus vraiment à quel saint se vouer.

On en est donc réduit à conjecturer que, aux yeux même de ceux qui l’ont faite, quelque chose dans cette LPM ne va pas et mérite d’être corrigé, tout en constatant que les orientations structurantes qu’elle comporte sont toutes confirmées, jusqu’à l’absurde parfois ‑ et jusqu’au sabotage, suis-je même tenté de dire. Il en va ainsi du projet de SCAF, mais aussi et peut-être surtout du MGCS, dont nous annonçons depuis des années qu’il signera la liquidation de la capacité industrielle française dans le secteur des chars, notamment du fait de la déloyauté du « partenaire » allemand, trop heureux que Rheinmetall demeure le seul acteur sur le marché européen à l’issue de ce fiasco programmé. Cette histoire est emblématique, et nous appelons à un sursaut. L’exécutif doit absolument cesser de se bercer d’illusions s’agissant de ce qu’il appelle abusivement « l’autonomie stratégique européenne », dont la seule manifestation concrète, le programme ReArm Europe, n’est autre chose qu’un moyen pour l’Allemagne de convertir son outil industriel et pour les États-Unis de consolider leur influence en vendant du matériel produit en Europe sous licence américaine. Il serait temps de se réveiller : le déclassement de la France n’est pas loin.

Le cadre géopolitique dans lequel le gouvernement situe son action n’a nullement changé, comme l’atteste l’explosion de la contribution financière à l’Otan, alors même que Trump, à la Maison-Blanche, menace et pressure ses alliés. Ses foucades n’ont d’ailleurs pas fini de nous mettre en danger, puisqu’il évoquait hier l’idée d’en finir avec la technologie des catapultes électromagnétiques qui doivent équiper notre futur porte-avions. Cette dépendance massive devrait cesser, à mon avis, de faire lever les yeux au ciel quand on l’évoque. Et que dire de la dépendance de la France tout entière vis-à-vis des services informatiques des Gafam ?

S’il est évident que dans les armées, soldats et officiers œuvrent sans relâche – et nous les saluons – pour anticiper la guerre de demain avec d’incontestables réussites, il est aussi clair qu’ils sont freinés par l’absence de réflexion politique sur le format des armées. On hésite à passer de quinze à dix-huit frégates, sujet d’importance certes, mais où en est-on du programme massif de drones dont la marine aurait besoin pour assurer notre souveraineté sur notre vaste territoire maritime et protéger nos approches ? Qu’on autorise en passant le membre du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) que je suis à alerter sur le besoin de lancer la construction du Marion Dufresne 3, navire à la fois civil et militaire qui dessert les Taaf.

Il reste beaucoup à dire concernant l’espace, la frappe dans la profondeur, le changement climatique ou encore la production de munitions – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Ne disposant que de cinq minutes, je suis obligé de dire brièvement qu’il est regrettable de devoir déposer, année après année, des amendements semblables pour revaloriser le point de PMI, garantir la demi-part fiscale des veuves et s’assurer que les droits des tirailleurs, des combattants d’Afrique du Nord et de leurs descendants sont réellement reconnus. Force est de constater qu’il y a loin des paroles sur la reconnaissance de la nation aux actes.

J’ajoute, monsieur le président, que mon groupe regrette que vous n’ayez pas suivi l’exemple de Thomas Gassilloud, qui avait choisi de saisir notre commission pour avis au sujet de la réforme des retraites. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, en cours d’examen devant la commission des affaires sociales, comporte des dispositions entravant le cumul emploi-retraite, un dispositif spécifique aux carrières militaires qui concourt à leur attractivité. Notre commission aurait dû éclairer ce point technique complexe, qui suscite non sans raison l’inquiétude dans nos armées. Le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire sera extrêmement vigilant à ce sujet durant l’examen du PLFSS en séance.

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La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

 

Article 49 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN3 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Mon amendement vise à concrétiser l’adaptation opérationnelle de nos forces à la réalité de la guerre de haute intensité. La semaine dernière, le chef d’état-major des armées a confirmé devant nous la pertinence des propositions du rapport d’information sur la masse et la haute technologie, élaboré par M. Thomas Gassilloud et moi-même, s’agissant d’un besoin de confiance accrue dans l’autonomie capacitaire de nos forces. Des enveloppes à disposition des unités existent déjà, mais elles sont limitées et supposées être dédiées à des dépenses logistiques.

Faire confiance au terrain et à nos militaires est donc l’objet de cet amendement, qui vise à créer de véritables enveloppes de subsidiarité en offrant une marge de manœuvre supplémentaire aux unités administratives de base pour l’achat de petit capacitaire. Je garde ainsi en mémoire l’achat de drones sur ses fonds logistiques régimentaires par le 1er RHP (régiment de hussards parachutistes) de Tarbes afin de s’entraîner à ce nouvel outil. De telles enveloppes dédiées à l’innovation et à la dotation capacitaire seraient un terreau pour l’innovation, l’expérimentation et l’adaptation de nos forces, tout en permettant rattrapage du petit capacitaire encore manquant sur le terrain.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le sujet est intéressant, mais il relève de l’actualisation de la LPM et je propose en outre de ne pas pénaliser la politique immobilière du programme 212.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Merci, monsieur Cormier-Bouligeon, de défendre la politique de logement du programme 212, qui est en effet fondamentale.

Pourrions-nous, au lieu d’évoquer les gages, avoir un débat sur le fond ? Notre groupe votera contre cet amendement parce que, d’après ce que j’ai compris des auditions que j’ai menées, l’essentiel du budget de la surmarche a déjà été affecté à des munitions. Cela pose problème : soit la LPM a été bien pensée, et les munitions auraient alors déjà dû être prévues, soit elle a été sous-évaluée, et nous avons alors besoin d’une surmarche. Je ne pense donc pas que la question soit de savoir si cela relève de la révision de la LPM, qui n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour du Parlement. De fait, puisque nous disposons de l’ordre du jour prévisionnel jusqu’en février, j’ignore si cette LPM sera examinée avant le début du mandat du prochain président.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Je voterai contre l’amendement mais j’en soutiens le principe et souhaite que nous en débattions en séance publique.

Je voterai contre car il faut être attentif à l’affectation et au montant des crédits transférés. Il y a dans l’armée de terre 100 unités élémentaires et nous parlons de 150 000 euros par unité, soit 15 millions en tout et non 1,5 milliard.

Ce qui importe, c’est la subsidiarité. Il faut offrir aux chefs militaires de terrain davantage de souplesse et de réactivité pour acheter des équipements. Les enveloppes de subsidiarité de l’armée de terre sont sans doute les euros les mieux dépensés du ministère.

Elles permettent aux chefs de terrain de se fournir auprès d’entreprises de leur territoire, de façon réactive et utile, sans forcément passer sous les fourches caudines des classiques procédures d’attribution des marchés publics. Les augmenter un peu présente un grand intérêt pour nos forces. Si un chef de corps peut envoyer 1 000 personnes au combat, nous devrions pouvoir lui donner l’équivalent de 100 euros par personne pour acheter des petits équipements de terrain.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). La subsidiarité telle que la décrit notre collègue Thomas Gassilloud me laisse sceptique. Je comprends la logique de réactivité, de souplesse et d’efficience, mais en ce qui concerne le capacitaire stricto sensu, à l’exclusion du MCO, surtout s’il s’agit de munitions, sa proposition va trop loin.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Ces enveloppes, d’un montant unitaire d’environ 150 000 euros, servent à trois choses dans les régiments : l’entretien des infrastructures – depuis la réforme des bases de défense, il faut parfois remonter très haut pour changer une ampoule ; le soutien aux familles ; l’achat de petits équipements à usage spécifique au régiment, dont les munitions ne font pas partie.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN148 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à augmenter de 150 millions les crédits de la sous-action Soutien des forces par les bases de défense alloués au Centre interarmées de coordination du soutien (Cicos). Trois déficits structurels majeurs menacent le fonctionnement quotidien de nos forces.

Premièrement, la hausse des coûts de l’énergie des dernières années a grevé le budget des bases de défense de 160 millions. Deuxièmement, le Cicos ne récupère pas les 100 millions attendus en 2025 du compte d’affectation spéciale (CAS) Gestion du patrimoine immobilier de l’État, en violation des dispositions de l’article 4 de la LPM 2024-2030, qui prévoit le retour de l’intégralité du produit des cessions immobilières du ministère des armées. Troisièmement, l’accumulation de la dette grise et les transferts de charges nouvelles, notamment liées aux grandes opérations d’armement, pèsent sur le soutien des bases de défense, dont les travaux de maintenance lourde ne peuvent plus être différés.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN2 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Cet amendement vise à rappeler le trou capacitaire significatif que constitue notre capacité réduite et largement obsolète de frappe dans la profondeur. L’acquisition au plus vite d’une capacité renouvelée de frappe dans la profondeur de quarante-huit systèmes est une priorité, comme le rappelle le rapport d’information « De la professionnalisation à l’hybridation, pour une transformation de notre défense » de la mission menée par Thomas Gassilloud et moi-même. Le présent amendement vise à préparer dès maintenant une politique de dotation capacitaire en la matière, par exemple en s’appuyant sur la solution Foudre de la société Turgis & Gaillard.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je partage l’avis de l’auteur de l’amendement, mais nous débattrons de ce sujet lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les autorités militaires que nous avons auditionnées ont rappelé l’urgence d’un tel achat et de sa dotation aux unités. Je ne pense pas qu’ils ont le temps d’attendre une hypothétique révision de la LPM 2024-2030.

Malheureusement, nous ne voterons pas l’amendement car il lui manque la garantie que la capacité envisagée soit souveraine. La solution proposée par Turgis & Gaillard, que je suis avec beaucoup d’intérêt, est citée parmi d’autres. Or acheter américain ou indien sur étagère n’est pas exclu, ce qui réduirait notre capacité indépendante.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN6 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Mon amendement vise à améliorer la préparation et la gestion de nos stocks face au retour des guerres de haute intensité. Il appelle le gouvernement à garantir une remise en service optimale de nos véhicules terrestres, notamment ceux retirés du service à l’occasion du programme Scorpion, afin de conforter la profondeur capacitaire de nos stocks.

Thomas Gassilloud et moi-même avons constaté que les stocks susceptibles d’être exploités en cas de besoin capacitaire urgent ou de soutien à un pays allié comme l’Ukraine ne peuvent l’être dans des délais satisfaisants, faute de capacité de reconditionnement et d’entretien. Nous pouvons éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant à nos militaires les moyens humains et logistiques de stocker, dans des conditions propices à leur remise en service rapide, les équipements retirés des unités actives.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Sur ce segment, les dépenses que nous avons adoptées dans le cadre de la LPM 2024-2030 sont déjà élevées. Le taux de scorpionisation de notre armée de terre dépasse 50 %. Cette année, nous avons été livrés de 150 Griffon, 103 Serval et 33 Jaguar. En 2026, nous attendons 122 Griffon, 110 Serval et 30 Jaguar. Demander des dépenses supplémentaires me semble excessif. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN30 de M. Aurélien Saintoul et II-DN96 de M. Laurent Jacobelli (discussion commune)

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement quasi traditionnel vise à créer une ligne budgétaire dédiée à un système de char du futur souverain. Le partenariat avec l’Allemagne visant à produire le MGCS est voué à l’échec, comme nous le disons depuis un moment.

La récente association de Rheinmetall et de Leonardo dans le projet Marte (Main armoured tank of Europe) est une nouvelle démonstration que l’enjeu, pour les Allemands, ne consiste pas vraiment à aller au bout du projet mais bien à immobiliser la trésorerie de Nexter et à s’assurer que, in fine, l’entreprise française disparaisse du marché pour y rester seule. L’opération, habile, ne profite certainement pas à la France.

M. Laurent Jacobelli (RN). Faire semblant de s’allier, neutraliser l’adversaire économique, prendre le pas sur lui, développer ses propres solutions pour tuer un concurrent : c’est exactement la stratégie de l’Allemagne dans le cadre du développement d’un char européen. Si même certains de ses fervents défenseurs admettent que le MGCS pourrait aller dans le mur, c’est qu’il est temps de réallouer les montants qui lui sont dédiés au développement d’une solution souveraine, donc française – la souveraineté étant le propre des États, la souveraineté européenne n’existe pas.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il ne me semble pas pertinent d’opposer le MGCS et la capacité intermédiaire, d’autant qu’elles s’avéreront sans doute complémentaires. Nous aurons ce débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Je serai le premier à déposer un amendement prévoyant des crédits pour aller vers la capacité intermédiaire. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements II-DN4 de M. Damien Girard, II-DN47 de Mme Anna Pic et II-DN101 de Mme Caroline Colombier (discussion commune)

M. Damien Girard (EcoS). L’amendement II-DN4 vise à rappeler la nécessité, pour la marine nationale, de confirmer le format à dix-huit navires de premier rang, par exemple en recourant à une stratégie de « coques blanches » mises à disposition de la marine nationale et prélevées en cas de commande à l’export.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement II-DN47 vise à rappeler la nécessité de doter la marine nationale de ses dix-huit frégates de premier rang, prévues lors de l’examen de la LPM 2024-2030 pour lui permettre de faire face à une crise sans compromettre ses missions.

Une permanence sur zone requiert trois frégates, une alerte permanente deux. La France assure une permanence dans l’océan Indien, une en Méditerranée orientale, une dans l’Atlantique Nord et la Baltique, et deux alertes permanentes à Brest et à Toulon, où les deux frégates restantes sont en entretien. Le plafond capacitaire est atteint.

Mme Caroline Colombier (RN). La semaine dernière, devant cette commission, la ministre des armées a annoncé le renoncement aux trois frégates supplémentaires, pourtant considérées comme indispensables par le chef d’état-major de la marine. Cette décision est lourde de conséquences pour notre souveraineté.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il est exclu de mettre ce sujet de côté. Il fera l’objet d’un très beau débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030, à l’issue duquel nous serons sans doute nombreux à voter la même chose. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Chacun ici est convaincu de la nécessité de disposer de trois frégates supplémentaires. Il incombe à la marine d’en définir la nature et le tonnage pour que nous puissions y travailler lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030, ce qui est exclu dans le cadre en vigueur. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Disposer de trois frégates supplémentaires est une nécessité, chacun en convient. S’il faut distinguer la programmation pluriannuelle des annuités budgétaires, il est toujours bon que notre commission, en ces temps d’incertitude budgétaire, administre une piqûre de rappel. L’adoption d’amendements d’appel transférant la somme symbolique de 1 euro en offre l’occasion.

L’amendement II-DN47 est retiré.

Successivement, la commission rejette l’amendement II-DN4 et adopte l’amendement II-DN101.

 

Amendement II-DN81 de M. Thierry Tesson

M. Thierry Tesson (RN). Le ministre de la défense qu’était l’actuel premier ministre a reconnu à plusieurs reprises que nous pouvions aller plus loin. Il dispose désormais, dans un contexte budgétaire certes contraint, de tous les leviers.

Il serait bon que les crédits de la défense progressent à la hauteur des ambitions affichées. Cet amendement d’appel vise à minorer de 1 euro les crédits de l’action 08, Relations internationales et diplomatie de défense, du programme 144, Environnement et prospective de la politique de défense, au profit de l’action 09, Engagement et combat, du programme 146, Équipement des forces.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’ai peut-être mal compris les propos de notre collègue, mais dire que les crédits ne progressent pas à la hauteur des ambitions affichées alors même que nous allons voter une surmarche au sein d’une LPM record laisse songeur. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Les besoins sont identifiés. Nous en débattrons dans le cadre de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN82 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). La réduction d’une unité de la cible des patrouilleurs hauturiers est un signal capacitaire désastreux envoyé à nos marins. Y substituer un patrouilleur côtier de nouvelle génération n’est manifestement pas adapté à nos besoins. Nous craignons que le programme subisse, coup de boutoir après coup de boutoir, le même renoncement que celui constaté concernant les frégates de défense et d’intervention (FDI).

Si le gouvernement considère réellement que la défense est un budget sanctuarisé, nous proposons deux mesures de bon sens permettant d’allouer des ressources sur quatre ans au financement du dixième patrouilleur hauturier. À défaut, vous n’aurez ni masse ni cohérence.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit sept patrouilleurs hauturiers ; la suivante en prévoira trois. Il faut savoir raison garder.

L’actualisation de la LPM permettra d’évaluer les besoins supplémentaires, dont je me permets de rappeler qu’ils exigent non seulement des crédits supplémentaires mais aussi une capacité industrielle. La LPM 2024-2030 offre un cadre dans lequel je suggère de rester. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Nous donnons l’alerte. Si nous comprenons que les besoins sont partout dans le cadre de la montée en puissance de notre effort de défense, nous constatons que la hausse de 13 % des crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2026 ne bénéficiera qu’à la marge à la marine. C’est compréhensible à l’aune des priorités actuelles, mais les enjeux stratégiques, sur les océans, sont forts, de la capacité de projection et d’intervention à la dissuasion nucléaire des puissances dotées en passant par le contrôle des voies d’approvisionnement et la sécurisation des infrastructures sous-marines.

Tandis que le voisinage immédiat de la France demeure un espace de friction, elle doit assurer sa liberté d’action en mer et de navigation et faire respecter ses droits dans ses frontières maritimes, notamment au large de ses territoires ultramarins. Nous proposons de soutenir la montée en puissance de la marine nationale en fléchant 10 millions d’euros, en AE et en CP, de l’action 07 vers l’action 03 du programme 178.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Là comme ailleurs, la cohérence est de mise. Notre stratégie repose sur le renouvellement capacitaire de tous les secteurs, des patrouilleurs outre-mer (POM) aux frégates de surveillance (FS) en passant par le porte-avions de nouvelle génération (PANG) et les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).

Il faut rester dans ce cadre, qui nous permet d’atteindre nos objectifs. Si demain nous devons monter en puissance, nous verrons comment faire dans le cadre de l’actualisation de la LPM 2024-2030, en gardant à l’esprit l’indispensable capacité industrielle.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN142 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le présent amendement vise à régler le problème posé par le statut d’officier marinier commissionné (OMC) des baleiniers civils de Polynésie, où la complexité de la navigation dans les atolls et du franchissement des récifs exige une solide expérience qui s’acquiert au contact d’aînés. La possibilité de servir sous contrat offerte aux baleiniers civils de Polynésie s’arrête, faute de pouvoir accéder au brevet supérieur, au grade de maître, atteint à l’âge de quarante-sept ans ou à l’issue de dix-sept ans de service. Il en résulte une perte de compétences obligeant à former de nouveaux baleiniers.

Il serait sage de permettre aux baleiniers civils de Polynésie d’accéder au brevet supérieur pour les conserver plus longtemps en service actif. Le montant de l’amendement est symbolique, mais la mesure proposée changerait le quotidien des forces armées en Polynésie française (FAPF).

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. C’est la troisième année consécutive, me semble-t-il, que nous soutenons collectivement cet amendement. Il y a quelque chose d’un peu inique à considérer que, après dix-sept ans de service, les gens ne sont plus en capacité de remplir leur mission. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel vise à soulever la question de la pertinence du PANG, dont nous ignorons s’il sera lancé d’ici à la fin de l’année. En 2040, un porte-avions sera-t-il en capacité de résister à des nuées de drones à faible coût – quelques dizaines de milliards d’un côté, quelques centaines de milliers d’euros de l’autre ? Sommes-nous certains de la pertinence d’un tel projet ? Par ailleurs, l’approvisionnement en catapultes électromagnétiques crée une dépendance à l’égard des États-Unis.

Cela fait beaucoup de questions pour un programme très onéreux. Nous souhaitons que le débat se tienne avant une éventuelle actualisation de la LPM 2024-2030.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Un porte-avions, c’est une base aérienne dont on ne connaît pas les coordonnées GPS. Un porte-avions parcourt à peu près 1 000 kilomètres par jour. Si un satellite le repère, il doit, au survol suivant, le rechercher dans une zone aussi grande que le département de la Loire.

Si les États-Unis ont onze porte-avions, si les Chinois en sont au troisième, si plusieurs pays tels que l’Italie envisagent la construction d’un porte-avions à propulsion nucléaire, c’est bien qu’il s’agit d’un outil de suprématie navale et aérienne. Au surplus, le porte-avions français emporte l’arme nucléaire. Avis défavorable.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La plaidoirie de notre rapporteur pour avis Chenevard est impeccable. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous retirons l’amendement, qui visait à ouvrir le débat. Nous l’aurons avec la ministre en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN133 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). La semaine dernière, j’ai rappelé à la ministre des armées l’importance stratégique de la protection de nos intérêts au sein de notre zone économique exclusive (ZEE) et les tensions croissantes qu’elle fait peser sur notre marine. Pour que cet atout en reste un, il est impératif d’être à la hauteur en matière de densité des équipements mobilisables.

Nous avons cru comprendre que la défense est un enjeu stratégique pour le bloc central et rappelons que les deux dernières LPM prévoient la rétrocession intégrale du produit des cessions immobilières du ministère. Nous appelons donc à la restitution des 150 millions issus de la vente de l’îlot Saint-Germain pour financer trois POM supplémentaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit six POM, dont trois ont été livrés. Les trois autres le seront avant 2030. Pour l’heure, il ne semble pas nécessaire d’aller au-delà. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Notre stratégie est très équilibrée. Les nouveaux POM font trois fois la taille des précédents. D’une jauge de 1 300 tonnes, ils ont une allonge de 5 500 nautiques, soit près de 1 000 nautiques de plus que les précédents. Ils embarquent plus de marins. L’équilibre prévu par la LPM est parfait. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN90 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement devenu classique vise à réaffecter les fonds alloués au SCAF à un avion de chasse de sixième génération (NGF) souverain. Le blocage des industriels ne faisant plus de doute, il est urgent de trouver une solution faisant confiance à la BITD des Français, qui a toutes les capacités nécessaires pour créer le premier pilier du SCAF.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN29 de M. Bastien Lachaud, II-DN150 de M. Frank Giletti et II-DN5 de M. Damien Girard (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement II-DN29 est un amendement d’appel, à hauteur de 50 millions. Il faut agir vite et faire vivre le débat sur l’avenir de la Patrouille de France, car rien n’avance.

Les Alpha Jet continuent de vieillir et sortiront bientôt du service actif sans qu’aucune solution souveraine n’existe. La Patrouille de France volera-t-elle un jour avec des avions qui ne seront pas français ? Ou bien nous sommes en capacité de lui fournir des Rafale, ou bien nous trouvons une solution alternative.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il faut trouver une solution souveraine pour remplacer les avions de la Patrouille de France, qui assurent aussi la mission Red Air nécessaire à l’entraînement des forces de l’armée de l’air et d’espace (AAE).

M. Damien Girard (EcoS). Acquérir un segment d’aviation de chasse léger susceptible d’effectuer, à un coût maîtrisé, des missions d’entraînement, de démonstration et d’attaque au sol en milieu permissif offrirait à nos forces une masse intéressante, complémentaire du Rafale et respectueuse des contraintes budgétaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Ce sujet nous donnera l’occasion d’un échange de vues sans doute convergentes lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Pour l’heure, tenons-nous à l’annualité budgétaire 2026 rappelée par le ministre Jean-Louis Thiériot. Avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je suggère le retrait de l’amendement II-DN29 au profit du mien. J’émets un avis défavorable à l’amendement II-DN5, n’ayant pas entendu, lors des auditions que j’ai menées, l’expression d’un besoin en matière d’avion léger – les besoins identifiés sont la succession de l’Alpha Jet, le remplacement, dans l’aviation de transport tactique, des Casa et CH-130 vieillissants, et le NGF.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’aurais été ravi de retirer mon amendement au profit du vôtre, cher collègue. Malheureusement, il est moins-disant de 5 millions. Nous ne pouvons souscrire à ce manque de volontarisme.

Successivement, la commission rejette l’amendement II-DN29 et adopte l’amendement II-DN150.

En conséquence, l’amendement II-DN5 tombe.

 

Amendement II-DN117 de M. Romain Tonussi

M. Romain Tonussi (RN). Cet amendement vise à réorienter une partie des crédits consacrés à la transition écologique du patrimoine immobilier des armées vers la préparation et l’entraînement de l’AAE. Une part non négligeable des moyens est absorbée par des études environnementales et par des installations photovoltaïques dans les emprises militaires.

Ces démarches ne répondent pas toujours directement aux besoins quotidiens de nos forces, mais plutôt à des contraintes idéologiques. Nous souhaitons privilégier l’entraînement et les capacités de préparation opérationnelle de nos bases aériennes.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Notre collègue Tonussi évoque une dimension idéologique, dans le travail de nos armées, en matière de performance énergétique. J’y vois au contraire une preuve éclatante de pragmatisme. Les économies d’énergie réalisées sur le parc immobilier dégagent des marges financières.

Par ailleurs, il y a un enjeu de disponibilité et d’efficacité du service de l’énergie opérationnelle (SEO), y compris en opération. Croire que l’on peut se dispenser de préparer l’avenir et de réfléchir aux moyens de doter un camp des meilleurs standards en matière énergétique, c’est ne pas comprendre les besoins réels des armées en opération. Du point de vue du soutien, s’assurer de la plus grande diversité possible des ressources en énergie de nos soldates et de nos soldats est une priorité.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). J’ai eu la responsabilité de certains de ces dépenses, que j’ai engagées au sein du ministère. Le ministère des armées n’est pas un objet particulier qui vit à côté de la société. Nos militaires sont jeunes et, comme tels, très sensibles aux mesures environnementales, contrairement à ce que vous semblez penser, monsieur Tonussi. Ils ont à cœur de travailler dans un environnement où tout cela est mis en œuvre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN68 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement devenu classique vise à assurer la réalisation de la promesse du gouvernement, qui est aussi celle du président de la République, d’augmenter de trente Rafale le format de l’aviation de chasse française, qui est sursollicitée.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous ne financerons pas deux escadrons supplémentaires sur l’annualité 2026, mais ce sujet nous offrira l’occasion d’un beau débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Par cohérence, je suis favorable à l’administration d’une piqûre de rappel s’agissant du format de notre flotte d’avions de chasse comme je l’étais s’agissant de nos frégates. Je voterai donc l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques II-DN70 de M. Frank Giletti et II-DN106 de M. Jean-Louis Thiériot

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Le moteur du futur Rafale standard F5 est un impensé de la LPM 2024-2030 et du projet de loi de finances pour 2026. Il faut absolument étudier l’évolution du moteur M88-T-REX produit par Safran. Les besoins électriques et la masse emportée du Rafale augmentent. Il faut passer, pour le Rafale actuel, d’un moteur de 7,5 tonnes de poussée à un moteur de 9 tonnes de poussée et, pour le Rafale standard F5 et le NGF, à un moteur de 11 tonnes de poussée.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Le moteur M88-T-REX peut constituer un jalon dans l’élaboration du Rafale standard F5 et du SCAF, qu’il soit produit en coopération ou non. À ce sujet, si le programme SCAF, qui suscite dans cette commission des inquiétudes répandues que je partage, devait ne pas aboutir, la responsabilité ne saurait en incomber à la France. Elle ne pourrait qu’incomber aux industriels ou à nos partenaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je suis parfaitement aligné avec ce que viennent de dire nos collègues. Il faut financer le développement du moteur M88-T-REX en répartissant la charge entre l’État et l’industriel. J’émets, une fois n’est pas coutume, un avis favorable à cet amendement d’appel.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement II-DN69 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel vise à rétablir la cible de cinquante avions A400M prévue par la LPM 2013-2019. Sursollicités, ces avions ont fait preuve d’une efficacité remarquable dans les dernières crises.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis des rapporteurs pour avis, elle rejette l’amendement II-DN104 de M. Julien Limongi.

 

Amendements II-DN38 de M. Bastien Lachaud et II-DN151 de M. Frank Giletti (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit de créer une ligne budgétaire Système d’alerte avancée pour dénoncer le nouveau programme de coopération franco‑allemand Odin’s Eye et le remplacer par un programme national ou en coopération sous direction française. Une nouvelle fois, la France fait le choix d’une coopération franco-allemande perdante.

En dépit de l’échec du MGCS et du SCAF, la France continue, au nom d’un intérêt franco-allemand illusoire, à abandonner son industrie et ses capacités : ce programme confié à l’industriel allemand OHB relègue nos acteurs nationaux à un rôle secondaire alors même que nous possédons toutes les briques technologiques permettant de le développer. Nous souhaitons que la France reprenne ses esprits et développe une capacité propre d’alerte avancée.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. En matière d’alerte avancée, la France avait de l’avance. Malheureusement, la LPM 2024-2030 n’en fait pas mention. Nous proposons la création d’un programme budgétaire dédié. La prolifération des missiles balistiques nous oblige à nous doter de cette capacité.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le sujet mérite une réponse un peu plus argumentée. Je constate que rien ne justifie ce programme sinon l’idéologie du franco‑allemand à l’exclusion du reste.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Il ne s’agit pas d’une coopération exclusive entre la France et l’Allemagne. Elle s’inscrit dans le cadre européen et inclut l’Espagne, l’Italie, la Lituanie et l’Autriche, en attendant que d’autres pays la rejoignent.

Compte tenu de l’ampleur des systèmes, la France n’a pas les moyens de développer seule un tel programme. Certes, elle en maîtrise les briques technologiques, mais ce programme vise à défendre l’espace aérien européen dans son ensemble et pas seulement l’espace aérien français.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Le programme Odin’s Eye inclut des industriels français tels que Thales et MBDA ainsi que l’Onera (Office national d’études et de recherches aérospatiales). Par ailleurs, en dépit de divergences de vues en matière capacitaire selon les systèmes d’armes et les doctrines des uns et des autres, il s’agit d’assurer le suivi tactique des situations, qui est une exigence identique quelles que soient les différences, au demeurant légères, entre les doctrines défensives. Il semble possible d’avancer raisonnablement sur ce projet.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN152 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Par cet amendement d’appel je demande le développement d’un missile aérobalistique, qui est une nécessité pour l’armée de l’air et de l’espace. Les avantages opérationnels sont en effet connus : difficulté de détection, rapidité accrue, manœuvrabilité lors de la course finale et portée allant de 500 à 1 000 kilomètres, ce qui augmenterait de manière substantielle l’allonge d’un raid aérien conventionnel.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Je vous renvoie, à mon tour, à l’actualisation de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN32 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement, lui aussi d’appel, vise à garantir l’existence des satellites de communication nécessaires à nos armées dans le cadre du projet IRIS² (infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite). J’avais alerté notre commission l’année dernière sur les difficultés que nous traversions, mais la situation est encore plus compliquée que prévu, en raison de désengagements probables, notamment de l’Allemagne, qui consacre beaucoup d’argent au développement de sa propre constellation de satellites – on voit, là encore, que la coopération franco-allemande peut patiner. Le rapport que j’ai publié avec Mme Vignon insistait sur la nécessité d’assurer le déploiement du programme à l’horizon 2030, de garantir l’interopérabilité d’Iris² avec d’autres systèmes, comme Syracuse, et de renforcer les capacités d’observation militaire et les systèmes antibrouillage, à des fins de sécurisation, mais le problème reste entier.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous en avons débattu ce matin. Votre rapport a mis en lumière le besoin capacitaire dans ce domaine. Avis favorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je souscris au raisonnement qui sous-tend cet amendement. J’ai déploré, moi aussi, la situation dans un rapport consacré au spatial de défense. Il serait très hasardeux de renoncer à un satellite patrimonial ultrasécurisé au profit d’une constellation européenne civile de connectivité en orbite basse. Même avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN71 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel incite, dans la lignée des précédents, à une accélération du programme IRIS², qui va remplacer les satellites CSO (composante spatiale optique). Les décalages deviennent, en effet, préoccupants. Il faut sécuriser le passage à la réalisation industrielle afin d’éviter une faille capacitaire en matière de Roim (Renseignement d’origine image).

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il ne faudrait pas que notre collègue y prenne goût, mais j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN72 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement relatif au programme Celeste, qui doit remplacer Ceres – capacité de renseignement électromagnétique spatiale – vise aussi à éviter un trou capacitaire, en matière de renseignement d’origine électromagnétique.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Même avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle rejette l’amendement II-DN116 de M. Thibaut Monnier.

 

Amendement II-DN35 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement vise à créer un programme de radars acoustiques pour la lutte contre les drones. La guerre en Ukraine démontre l’importance cruciale de disposer de programmes aussi performants que possible dans ce domaine.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN7 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Il s’agit de contribuer à l’effort d’adaptation de nos armées, dans toutes leurs strates, au tournant capacitaire que constitue le développement des drones. Leur diffusion massive dans la société et l’armée est un élément fondamental de la capacité d’adaptation et d’innovation de l’Ukraine face à l’armée russe. Cet amendement, qui est inspiré d’une proposition de la mission d’information sur la masse et la haute technologie et s’inscrit dans la continuité de la création de l’École des drones de l’armée de terre, vise à doter chaque élève sous-officier et officier d’un drone FPV (vol en immersion) commercial, pour favoriser une appropriation systématique par nos forces de cet outil nouveau, qui transforme durablement le visage des théâtres d’opérations.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’ai plutôt l’impression, pour m’être rendu à l’École des drones et au 61e régiment d’artillerie, que la remontée actuelle des crédits est suffisante. Nos soldats m’ont dit qu’ils avaient surtout besoin de davantage de souplesse par rapport au catalogue au sein duquel ils peuvent passer commande au moyen des crédits de subsidiarité. Avis défavorable.

M. le président Jean-Michel Jacques. J’ajoute qu’il faut penser à la question de l’industrialisation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN143 de M. Bastien Lachaud et II-DN50 de Mme Isabelle Santiago (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous propose une augmentation de crédits afin de soutenir la montée en puissance du service de santé des armées (SSA). Malgré la hausse globale du budget de la fonction santé, les crédits de fonctionnement du SSA doivent baisser de 12 millions d’euros, ce qui constitue une incohérence.

Mme Anna Pic (SOC). Nous dénonçons également, par notre amendement, la baisse de 17 % des crédits alloués au service de santé des armées. Cette évolution est d’autant plus inacceptable que deux rapports, l’un de la Cour des comptes et l’autre du Sénat, critiquaient déjà en 2023 des choix budgétaires qui touchaient d’une manière disproportionnée à cette pièce maîtresse de notre outil de défense et appelaient, au contraire, à la consolider.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les deux amendements vont dans le même sens, mais je considère que le mien est mieux calibré, puisque la hausse des crédits qu’il propose correspond exactement à la baisse prévue pour les crédits de fonctionnement et aux besoins du service de santé des armées. J’invite donc au retrait de l’amendement II-DN50 au profit du mien.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Nous avons tous fait le constat ces dernières années, me semble-t-il, que ce qui s’est passé au SSA avait un effet destructeur. Je propose plutôt que la commission se saisisse de cette question en créant une mission d’information chargée d’établir un rapport sur la réalité des déflations de crédits qui sont intervenues et les besoins réels de remontée en puissance du SSA.

Mme Anna Pic (SOC). On nous explique chaque année que les rapports, ça va bien. En l’occurrence, il en existe plusieurs, de la Cour des comptes et du Sénat, qui dénoncent la situation. Nous avons déjà quelques éléments.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Tout cela n’est pas faute d’avoir lancé des alertes, notamment lors des débats consacrés à la loi de programmation militaire. Nous avons demandé au ministre une feuille de route claire pour les projets concernant le SSA. Remettre encore la question à demain serait une sorte de renoncement qui ne me paraîtrait pas très sage.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements II-DN141 de M. Bastien Lachaud et II-DN137 de Mme Catherine Hervieu (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose, pour les mêmes raisons, une augmentation des crédits d’infrastructure du service de santé des armées.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Notre amendement vise aussi à augmenter les moyens alloués aux infrastructures de santé. La multiplication des crises et des conflits et le changement climatique exposent les combattants à des risques sanitaires qui évoluent, notamment lors des opérations extérieures. La feuille de route du SSA pour 2024‑2030 n’a été élaborée et validée qu’après l’adoption de la LPM. Aborder cette question lors des débats budgétaires me paraît tout à fait pertinent.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Tout cela est bien documenté dans mon rapport. Je demande le retrait de l’amendement II-DN137, qui me semble moins bien calibré que le mien.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN135 de Mme Catherine Hervieu

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vous séduira peut-être davantage puisqu’il propose une augmentation de crédits un peu plus faible – 3 millions d’euros au lieu de 5 – au profit du SSA.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Une hausse de crédits de 3 millions d’euros me paraît insuffisante, mais ce serait toujours mieux que rien. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN37 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à enclencher un programme de nationalisation d’ArianeGroup. La privatisation du programme Ariane 6 était une lourde erreur stratégique et industrielle, qui a conduit à quatre années de retard pour le développement, la construction et le tir inaugural du lanceur, lequel a finalement eu lieu en juillet 2024. Nous avons ainsi subi une rupture temporaire, mais tout à fait délétère, de notre accès souverain à l’espace : les satellites Galileo ont été lancés grâce à SpaceX, ce qui est quand même assez scandaleux.

Il faut reconstruire notre autonomie stratégique en interrompant la longue marche vers la privatisation, qui se poursuit depuis les années 1990. L’indépendance de notre accès à l’espace n’a pas de prix, et c’est le minimum pour honorer notre statut historique de puissance spatiale. Nous devons, par ailleurs, veiller à anticiper l’après-Ariane 6, par la montée en puissance de MaiaSpace et la consolidation de nos efforts stratégiques, notamment pour contrer la concurrence de nos sympathiques partenaires allemands, qui développent la même gamme de lanceurs. La nationalisation d’ArianeGroup permettra de redonner de la puissance financière et capacitaire au programme spatial français dans ce domaine.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Même si vous proposiez en contrepartie l’installation d’un site d’ArianeGroup, je resterais opposé à un changement de capital. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN36 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement, qui vise à nationaliser Atos, avait été adopté l’an dernier, avant d’être balayé lors du recours au 49.3. La situation a passablement changé sur le plan financier, puisque le cours de bourse est sensiblement remonté. Les décisions de restructuration de la dette d’Atos ont permis aux banques d’éponger leurs pertes, d’une certaine façon, et Atos reste un acteur incontournable pour tout projet de mise en œuvre de la souveraineté numérique. En revanche, la situation industrielle n’a pas réellement évolué : c’est une liquidation ou en tout cas une vente à la découpe qui se dessine. Or il ne faudrait pas laisser se produire une catastrophe semblable à celle d’Alstom. Si nous voulons avoir une ambition en matière de souveraineté numérique, nous ne pouvons pas passer notre temps à confier notre destin à d’autres, à travers un financement des Émirats arabes unis, par exemple.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je salue votre cohérence idéologique, mais la nôtre est à l’opposé. Avis défavorable.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je crois que l’amendement avait été adopté, la dernière fois, grâce aux voix du Rassemblement national. Vous aurez peut-être un petit souci ce soir, monsieur Saintoul, en l’absence des membres de ce groupe.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN132 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement vise à vous alerter sur la situation de l’entreprise Europlasma, dont j’ai déjà dit à plusieurs reprises qu’elle était un dangereux repreneur en série. Elle a en effet repris les Fonderies de Bretagne – vous connaissez bien ce dossier, monsieur le président – ainsi que Valdunes et Luxfer. En réalité, ce repreneur met en danger l’ensemble des sites qu’il rachète successivement en faisant de la cavalerie budgétaire. La situation est en train de devenir critique : la bulle ne cesse de grossir et son explosion fera extrêmement mal. Nous ne proposons pas de nationaliser, stricto sensu, Europlasma, mais de racheter l’entreprise pour 1 euro symbolique. Faire bénéficier des escrocs – j’ose employer ce mot – d’argent public en récompense de leur cavalerie budgétaire n’aurait, en effet, pas de sens. Il est urgent de remettre de la cohérence dans la filière des munitions, qui est indispensable pour notre souveraineté.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je ne sais pas si nous pouvons aller dans la direction souhaitée par notre collègue. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il existe un carnet de commandes, notamment pour des munitions de 155 mm. Les difficultés de l’entreprise ne peuvent donc pas venir d’un manque de commandes publiques. J’émets un avis défavorable à cet amendement, qui reviendrait quand même un peu à réaliser une nationalisation, mais nous devrons rester attentifs à l’avenir de ce groupe.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Cette société a complètement obliqué à partir de l’invasion de l’Ukraine, en tout cas pour ce qui est des Forges de Tarbes, reprises en 2021. Elle a fait des annonces frauduleuses, comme celle de la conclusion d’un contrat avec l’Ukraine pour la livraison de 100 000 obus, alors qu’elle n’en produit pas plus de 40 000 par an depuis trois ans. Nous avons, par ailleurs, affaire à un mode de financement totalement opaque, reposant sur des instruments un peu complexes, qui relèvent de la finance dilutive, laquelle pose de graves problèmes, y compris selon l’Autorité des marchés financiers. Dans le cas des Forges de Tarbes, la solution la plus évidente était une réinternalisation au sein de Nexter, dont cette entreprise a été une filiale, mais cela s’est révélé impossible parce que, comme nous l’a dit un conseiller de la ministre de l’époque, Mme Parly, le partenaire allemand au sein de KNDS l’a refusé. Nous aurions tort de balayer d’un revers de la main un problème aussi profond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN49 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). L’attractivité des carrières et la fidélisation, nécessaire, des hommes et des femmes qui servent dans nos armées dépendent des conditions de vie offertes aux militaires et à leur famille. Pourtant les crédits du programme 212 ne bénéficient d’aucune augmentation. Nous proposons, par cet amendement, de renforcer l’investissement dans les crèches et le logement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La question du logement est évidemment cruciale pour la fidélisation des militaires, mais il ressort de mes auditions et de la lecture du bleu qu’il existe déjà une volonté du ministère d’investir massivement dans ce domaine. Comme je l’ai indiqué ce matin, la ligne budgétaire concernée est en hausse de 116 millions d’euros. Je préférerais que l’on évalue les réalisations que permettra cette hausse avant de confier au ministère plus d’argent : soyons prudents. Je vous demande de retirer cet amendement.

Mme Anna Pic (SOC). Je vais le retirer au profit du suivant, qui prévoit uniquement un renforcement de l’offre de structures d’accueil pour les jeunes enfants.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN53 de Mme Isabelle Santiago

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement concerne un enjeu majeur pour la condition des militaires et leur fidélisation. Le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire a encore rappelé dans un rapport publié cet été que près d’un militaire sur deux avait au moins un enfant à charge, ce qui représente au total 350 000 enfants, dont plus de la moitié a moins de 11 ans. Malheureusement, la mobilité régulière et les sujétions de service rendent souvent difficile la gestion des foyers familiaux. Dans ces conditions, il me paraît tout indiqué de renforcer les moyens d’accueil des enfants de militaires et j’émets donc un avis favorable à l’amendement.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). C’est effectivement un sujet important. La LPM comporte un plan Famille 2, repris dans le plan Fidélisation 360, qui prévoit des crédits en la matière. Je veux bien qu’on augmente toujours les lignes budgétaires, mais ce sont les capacités de mise en œuvre qui comptent. Prévoir 10 millions d’euros de plus, comme le demande cet amendement, serait facialement bien, mais on ne pourrait pas nécessairement déployer 10 millions supplémentaires pour créer des crèches.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Quand on augmente de 116 millions d’euros le budget prévu pour le logement, on sait comment dépenser ces crédits. Si nous prévoyons 10 millions de plus pour les crèches, on saura aussi comment les dépenser. Sinon, il faudra que la ministre démissionne pour laisser la place à quelqu’un de plus compétent. Si c’est ce que vous pensez, madame Darrieussecq, dites-le clairement.

Mme Anna Pic (SOC). Mme Santiago travaille sur les plans « famille » depuis de nombreuses années – elle a conduit plusieurs missions d’information à ce sujet. Si elle propose un tel amendement, il n’est pas d’appel. Nous aurons là un levier pour travailler conjointement avec les collectivités territoriales, qui souhaitent mieux insérer les familles de militaires dans les territoires. Nous saurons parfaitement comment dépenser ces 10 millions d’euros là où se trouvent des bases de défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement II-DN54 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN144 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens de la cellule Thémis, placée au sein du contrôle général des armées. La mission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) a appelé à un dimensionnement de cette cellule à la mesure des tâches qui lui sont confiées. Son effectif était de quinze personnes à la fin 2024, ce qui demeure largement insuffisant au vu de l’ampleur de ces violences, d’autant que le ministre précédent, Sébastien Lecornu, a engagé un renforcement de la lutte menée dans ce domaine au sein de la défense. Les armées ont recensé 42 faits de VSS en 2022, 49 en 2023, 252 en 2024 et 133 au premier semestre de cette année : la parole se libère, ce qui est une bonne chose. Nous devons mettre en face les moyens pour la recueillir.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN146 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires) s’est notamment traduite par la création, en 2023, d’une prime de parcours professionnels (3PM), qui a fusionné l’ensemble des primes liées à la qualification professionnelle. La 3PM vise à valoriser les parcours de carrière et à reconnaître l’expertise acquise au fil du temps par les militaires. Seuls ceux du rang ne peuvent pas en bénéficier, car il n’existe aucune balise pour ce faire au sein de leurs carrières. Cela constitue un handicap en matière de fidélisation, particulièrement pour les militaires du rang expérimentés, dont le savoir-faire est précieux pour les armées. Mon amendement étendra le bénéfice de la 3PM aux militaires du rang à partir de huit ans de service. Cette mesure permettra de les fidéliser en reconnaissant leur parcours professionnel et leur expertise acquise, tout en alignant leur traitement sur celui des autres catégories de militaires.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur pour avis François Cormier-Bouligeon, la commission rejette l’amendement II-DN51 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN18 de Mme Corinne Vignon

Mme Corinne Vignon (EPR). Depuis 2020, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, l’Inria, s’engage résolument aux côtés du ministère des armées dans le cadre d’une cellule « défense et sécurité » qui a déjà conduit plus de 120 projets stratégiques avec la DGA (direction générale de l’armement), la DRM (direction du renseignement militaire), l’Agence de l’innovation de défense ou le SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales). Les domaines concernés sont essentiels : les drones, le renseignement spatial, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la détection de deep fakes, la protection de systèmes autonomes ou encore la fusion de données massives. Cet amendement vise à donner à l’Inria les moyens d’amplifier ces coopérations.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Pour avoir auditionné l’Inria et savoir ce que fait cet institut depuis de nombreuses années – il a notamment fait le choix, depuis un certain temps, de ne pas recourir aux Gafam –, j’émets un avis favorable. Les 5 millions d’euros prévus par cet amendement donneront à l’Inria une agilité supplémentaire pour répondre à certains appels d’offres ou à certaines demandes.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-DN33 de M. Aurélien Saintoul, II-DN95 de Mme Catherine Hervieu, II-DN26 et II-DN27 de Mme Natalia Pouzyreff (discussion commune)

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). L’amendement II-DN33 vise à augmenter les crédits destinés à la recherche stratégique. Les autorisations d’engagement pour cette sous-action doivent en effet baisser de 11,07 %, et les crédits de paiement de 15,92 %. Alors que les lignes budgétaires consacrées à la prospective de défense augmentent globalement, celle dédiée à la recherche stratégique est en baisse. Le signal ainsi envoyé est celui d’un désintérêt pour la réflexion stratégique indépendante au moment où la France devrait au contraire renforcer ses capacités d’analyse, d’anticipation et de compréhension des crises internationales, qui sont suraiguës en ce moment.

Ces capacités permettent de décrypter les mutations géopolitiques, militaires ou technologiques dans un contexte marqué par une instabilité mondiale croissante et des violations du droit international. La revue nationale stratégique de 2025 a ainsi rappelé à deux reprises que cette recherche constituait une priorité de la politique de défense. Les actes contredisent, hélas, le discours. L’augmentation des crédits de la recherche stratégique que nous proposons permettrait au gouvernement de tenir sa parole, alors que le budget des armées est globalement en hausse d’environ 13 % en 2026. Le groupe La France insoumise souhaite que les crédits destinés à la recherche stratégique suivent la même trajectoire.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Les crédits alloués à la sous-action Recherche stratégique ne doivent faire l’objet d’aucune baisse si nous voulons préserver la continuité, la diversité et la visibilité de la recherche française en la matière. Ces crédits doivent soutenir une réflexion nationale indépendante, l’anticipation des menaces émergentes et la formation d’une expertise souveraine dans les domaines de la stratégie, de la géopolitique, de la défense et des nouvelles conflictualités ; ils doivent également permettre l’ouverture de nouveaux champs d’investigation prioritaires : l’espace numérique et ses vulnérabilités, la désinformation et les opérations d’influence, la guerre hybride ainsi que les impacts sécuritaires du réchauffement climatique.

Comme le rappelle régulièrement la revue Défense nationale, la France a développé une pensée stratégique propre, alliant profondeur historique, approche globale et sens politique. Les financements de la recherche restent souvent modestes alors qu’ils sont essentiels pour la formation d’une nouvelle génération d’experts français et européens. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement qui vise à consolider les crédits alloués à la recherche stratégique.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nos amendements ont le même objet. Dans un contexte géopolitique marqué par de profonds bouleversements, il importe de préserver les moyens de notre recherche stratégique et ainsi l’expertise développée dans nos think tanks.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable. Comme je l’ai dit ce matin lors de la présentation de mon rapport, l’essentiel de la baisse est faciale : des crédits passeront de l’action 07 à l’action 08 du programme 144. Il n’y a donc pas lieu d’adopter ces amendements. Je constate néanmoins qu’ils nous ont donné l’occasion, ce qui est vraiment heureux, de mettre en lumière l’importance de la recherche stratégique pour notre rayonnement et notre influence.

Les amendements II-DN26 et II-DN27 sont retirés.

La commission rejette successivement les amendements II-DN33 et II-DN95.

 

Amendement II-DN25 de Mme Natalia Pouzyreff

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Cet amendement fait suite au rapport de la mission « influence » que j’ai conduite avec Marie Récalde. Face à la guerre hybride menée par certains compétiteurs, je propose des crédits supplémentaires pour les travaux de recherche scientifique, en particulier ceux portant sur la guerre cognitive.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Même position que sur les amendements précédents. Les mêmes causes, à savoir des transferts de crédits d’une action à une autre, produisent les mêmes effets : demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nous souhaitons, en réalité, la création d’une nouvelle ligne budgétaire, relative à la guerre cognitive. C’est important, au moins pour le symbole.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de M. Damien Girard

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vise à aligner les moyens budgétaires de la réserve opérationnelle sur la réalité du besoin de masse de l’armée française. Notre cadre budgétaire fortement contraint ne permet ni de fidéliser les réservistes ni d’en faire un usage opérationnel totalement adapté aux besoins. Comment donner envie de consacrer du temps à son pays lorsque des équipements doivent être partagés entre plusieurs réservistes et que les paiements sont retardés de plusieurs mois, voire d’une année ? Le rapport de la mission d’information sur la masse et la haute technologie a évalué à 1 milliard d’euros les besoins budgétaires pour la montée en puissance de la réserve et la constitution d’une véritable division de réservistes low tech (basse technologie) pour augmenter notre profondeur stratégique.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne suis pas convaincu, à titre personnel, de l’utilité de la réserve opérationnelle dans ce cadre. Néanmoins, les auditions que j’ai menées ont montré qu’il était important de garantir aux réserves des moyens budgétaires stables, un équipement suffisant, assez de jours d’activité et des missions suffisamment intéressantes. Je salue à ce titre le rehaussement de la norme d’activité à quarante-cinq jours par an en 2026.

Il me semble que cet amendement manque de précision. S’il s’agit de garantir l’activité des réservistes, il serait préférable de verser tout ou partie des crédits concernés au programme 212, qui finance les dépenses de personnel de la mission Défense, y compris pour les réservistes. Or cet amendement ne vise que le programme 178. Je vous suggère de le retirer pour le retravailler en vue de la séance. À défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN147 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’ai longuement abordé ce matin la question de la différence entre les Missops et les Opex, le bleu budgétaire nous ayant informés que le financement de certaines Missops, sans qu’on sache exactement lesquelles, serait désormais complètement intégré dans le BOP (budget opérationnel de programme) consacré aux Opex, ce qui pose un vrai risque d’insincérité budgétaire. Je vous propose, en réponse, de créer un programme dédié aux Missops, qui permettra de déterminer précisément les surcoûts liés à ces opérations et l’éventuelle contribution interministérielle. Il ne faut pas, en tout cas, fusionner les Missops et les Opex. J’ajoute que l’adoption de cet amendement vous donnera le moyen de contrer mes prises de position concernant le risque de confusion entre ces missions, puisqu’une véritable distinction budgétaire sera désormais établie.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN92 de Mme Catherine Hervieu

Mme Catherine Hervieu (EcoS). La menace durable qui est posée par la Russie confirme que la sécurité de l’Europe sur le long terme se joue en Ukraine. De cette épreuve doit émerger l’architecture de sécurité du continent européen pour les décennies à venir. Cependant, l’aide militaire apportée par les pays européens à l’Ukraine a fortement faibli ces derniers mois.

Ce soutien militaire a coûté jusqu’à présent 5,9 milliards d’euros à la France, auxquels s’ajoutent 400 millions investis dans le fonds bilatéral de soutien à l’Ukraine et la contribution de la France au mécanisme de la Facilité européenne pour la paix. Paris contribue à hauteur de 18 %, soit 2,3 milliards d’euros, à cette enveloppe financière des Vingt-Sept qui a été instaurée pour aider les États membres livrant des armes à Kiev.

Le présent amendement vise à conforter le financement de notre action pour l’Ukraine en augmentant la dotation de l’action 13, Soutien à l’effort de défense de pays tiers, du programme 146.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous sommes tous conscients, me semble-t-il, que la France prend pleinement sa part dans le soutien à l’Ukraine. Je suis obligé d’évoquer le canon Caesar, qui est une pépite berruyère, c’est-à-dire de Bourges, mais notre soutien à l’Ukraine ne s’y limite pas, puisqu’il inclut aussi la lutte antiaérienne, la lutte antichar ou encore la mobilité sous blindage. Nous faisons déjà beaucoup dans le cadre de notre contribution à la Facilité européenne pour la paix, du fonds bilatéral de soutien à l’Ukraine et du fonds de concours spécifique au sein du programme 146. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement II-DN149 de M. Bastien Lachaud est retiré.

 

Amendement II-DN131 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Cet amendement d’appel vise à appeler l’attention du gouvernement et de la représentation nationale sur la nécessité de créer une direction des affaires européennes au sein de la DGA afin de contribuer à l’émergence d’une véritable BITD européenne, objectif qui nous paraît indispensable pour la structuration de l’architecture de sécurité collective à l’échelle du continent. L’idée de renforcer le pilier européen de l’Otan ne saurait suffire : nous devons aussi être en mesure de porter la voix de nos industriels, de travailler à l’élaboration et à la structuration de partenariats ou encore de faire de la prospective par filières. Pour des raisons de cohérence et d’efficacité, cette nouvelle direction de la DGA pourrait devenir l’interlocutrice privilégiée de la Commission européenne et de ses services.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. On voit qu’il existe une très importante divergence d’approche au sein du Nouveau Front populaire.

Mme Anna Pic (SOC). Quelle grande nouvelle !

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il faudrait au moins l’assumer devant les électeurs.

Vous voulez une BITD européenne. Nous souhaitons plutôt des coopérations entre les BITD nationales en Europe et nous plaidons plutôt pour un pilier européen au sein de l’Otan.

Par ailleurs, il existe déjà à la DGA des organes, tels que la direction internationale de la coopération et de l’export, la direction de l’industrie de défense et la direction de la préparation de l’avenir et de la programmation, qui prennent en compte la dimension européenne et dialoguent avec la Commission pour mettre en avant et soutenir les industries françaises dans le cadre des programmes européens.

Par conséquent, avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nous devons privilégier les liens entre l’AED, l’Agence européenne de défense, dont nous avons eu l’occasion d’auditionner le directeur exécutif adjoint, et la DGA. Cela pourrait passer par la création de nouveaux canaux d’interaction, mais le montant prévu par cet amendement – 10 millions d’euros – me paraît un peu élevé.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Le rapporteur pour avis a cru pouvoir jeter une pierre dans le jardin du Nouveau Front populaire, mais il serait sans doute très édifiant de se reporter aux comptes rendus des interventions de nos collègues macronistes, qui ont toujours dit qu’ils croyaient en une BITD européenne – nous avons très régulièrement eu droit à ce genre de propos. Je suis un peu étonné d’entendre les mêmes collègues dire maintenant qu’ils n’en veulent pas. Ce sont peut-être des raffinements un peu byzantins, mais une telle évolution témoigne d’une capacité à louvoyer qui n’annonce rien de bon.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement visait à susciter une discussion. Je peux maintenant le retirer.

J’ajoute tout de même que l’idée qu’il faudrait structurer une BITD européenne apparaissait très clairement dans les propos tenus devant nous par les différents chefs d’état-major, notamment M. Mandon, lors des auditions de ces dernières semaines. Je ne crois donc pas que ce soit chez moi un tropisme proprement socialiste.

La création d’une direction européenne au sein de la DGA permettrait d’avoir un interlocuteur unique en la matière. Lors des auditions de la mission d’information sur la BITD qui est en cours au sein de la commission des affaires européennes, nous avons entendu des industriels, mais aussi d’autres acteurs, déclarer qu’il était difficile de trouver des spécialistes de ces questions. Par ailleurs, nous ne sommes peut-être pas suffisamment présents auprès de la Commission pour tirer le meilleur parti des outils qui ont été mis à la disposition de nos industriels et de nos armées pour construire une architecture de sécurité collective.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Marie Récalde

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons de renforcer l’action internationale du ministère des armées au moyen d’une légère augmentation du budget alloué à la diplomatie de défense. Cet amendement fait suite à la mission d’information sur les stratégies d’influence.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. À en croire son exposé sommaire, cet amendement vise à « renforcer considérablement » l’action internationale du ministère des armées. Vous ne parlez plus que d’une de « légère augmentation » de ses crédits, ce qui me semble plus conforme, étant donné que vous proposez une hausse de 100 000 euros, sur un budget total de 98,1 millions. Mon avis est défavorable, même si je salue cette mise en valeur de notre diplomatie de défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN52 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Cet amendement vise à créer un fonds de préfinancement au profit des PME et ETI participant à la base industrielle et technologique de défense, afin de soutenir notre souveraineté industrielle.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous sommes tous sensibles au financement des PME et ETI, mais la première chose à faire pour les aider serait de voter un budget dans les temps. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN107 de M. Sébastien Saint-Pasteur

Mme Anna Pic (SOC). Toujours pour soutenir la BITD, cet amendement vise à faciliter le passage de commandes fermes, à accélérer le recomplètement des stocks et à donner à nos TPE et PME la visibilité dont elles ont besoin s’agissant des munitions, des drones et des capacités anti-drones.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’objectif est louable, mais il y a un problème : l’action 11 du programme 146 que vous souhaitez abonder concerne le financement des activités de fonctionnement de la DGA. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN126 et II-DN125 de Mme Christine Arrighi

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Ces deux amendements ont le même objet : le renforcement de notre souveraineté fiscale à l’heure où l’effort de défense ne peut être que militaire.

Il s’agit d’abord d’aider les PME de la BITD à se mettre en conformité fiscale et à respecter les règles de transparence des marchés publics et des exportations, ce qui requiert un conseil public, compétent et disponible. Or le plafond d’emplois de la DGFIP (direction générale des finances publiques), dont c’est la mission, doit encore diminuer de 400 ETP (équivalents temps plein). Renforcer ses crédits de 3 ou 2 millions d’euros, comme y tendent respectivement les amendements II-DN126 et II-DN125, permettrait de mobiliser 60 ou 40 ETP supplémentaires et ainsi d’assurer un niveau minimal de service public fiscal auprès des entreprises.

De plus, ces moyens supplémentaires nous permettraient de mieux nous assurer que les grands groupes et leurs sous-traitants respectent le droit fiscal français. Il s’agirait donc aussi d’un outil de souveraineté économique et budgétaire, qui sécuriserait nos dépenses de défense et garantirait un juste retour pour l’État.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à l’idée de ponctionner les crédits de la mission Défense pour renforcer les effectifs de la DGFIP.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN40 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Comme nous l’avions fait lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous proposons ici de créer une nouvelle action, destinée à préparer l’après-pétrole. Lors de son audition par notre commission, le général Burkhard a en effet confirmé notre intuition en soulignant la nécessité d’anticiper la fin du moteur thermique. La somme que nous proposons d’allouer est modeste, mais elle permettrait d’enclencher une réflexion et même une action volontariste de la part du ministère sur une question qu’il ne faut pas négliger. Il serait illusoire de penser que, lorsque le peak oil (pic pétrolier) sera atteint, les armées pourront bénéficier des dernières gouttes de pétrole disponibles.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement réaffirme l’importance de consolider notre souveraineté énergétique, en plus d’anticiper les futurs besoins des forces armées. Il vise à prendre l’initiative de la transition énergétique et écologique, plutôt que d’en subir les conséquences, ainsi qu’à répondre aux enjeux capacitaires prégnants de nos armées. Les auditions que j’ai menées auprès des services de soutien et des unités responsables de la logistique et des acheminements ont montré combien la question énergétique conditionne la capacité opérationnelle de nos armées. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN1 de M. Damien Girard

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Par cet amendement nous soulignons le manque de moyens dont dispose le Parlement pour contrôler l’application concrète de la LPM. Dans un récent rapport d’information, Damien Girard et Thomas Gassilloud ont en effet constaté que notre institution a besoin de spécialistes de l’armement et des budgets régaliens. Nous proposons donc de dégager des crédits pour vérifier que les engagements du gouvernement sont tenus.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La création d’un institut parlementaire de suivi de la LPM est un objectif louable, tant nous nous interrogeons sur la sincérité de son exécution. Cependant il me semble qu’un tel amendement n’a pas sa place dans un projet de loi de finances. Il conviendrait plutôt de le défendre dans le cadre des discussions relatives au budget des assemblées parlementaires. Mon avis est donc défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense, modifiés.

 

 

Article 52 et état G : Objectifs et indicateurs de performance

 

Amendement II-DN145 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’ai évoqué ce matin la rigidification de la trajectoire budgétaire de la mission Défense. Afin de la maîtriser, il me semble important de disposer d’un objectif et d’un indicateur de performance afférents.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je fais le même constat : avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Après l’article 68

 

Amendement II-DN34 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à ce que le gouvernement établisse un état des lieux des moyens consacrés à la météo spatiale et à la lutte contre les débris spatiaux. Pareille proposition a déjà été approuvée l’an dernier à l’unanimité par notre commission, mais les problèmes restent entiers, voire deviennent critiques.

En matière de météo spatiale, il convient d’étudier le phénomène des éruptions solaires, qui peuvent endommager les plateformes et mettre en danger des opérations. Se pose également la question de la contractualisation avec des entreprises privées, alors qu’il convient évidemment de soutenir le développement d’applications et de services robustes.

Quant à la pollution spatiale, elle demeure un énorme problème. Le trafic orbital est largement contrarié par l’expansion de ce qu’on appelle les mégaconstellations. Nous connaissons celle d’Elon Musk, mais doivent s’y ajouter celle de Jeff Bezos, à laquelle sera associée Arianespace, ou encore la constellation chinoise Guowang. Le risque d’encombrement auquel nous faisons face interroge quant à l’avenir de l’industrie spatiale à court et moyen termes. Disposer enfin d’un rapport et donc d’un diagnostic à ce sujet permettrait d’éclairer nos décisions.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN130 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement nous demandons un rapport évaluant le coût financier et les besoins humains nécessaires à la commande et au fonctionnement d’un deuxième porte-avions de nouvelle génération.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Nous avons déjà inclus une demande de rapport à ce sujet au sein de la LPM. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN55 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). La mer étant un espace très contesté et l’heure étant à la réduction de la dette publique, nous demandons la remise d’un rapport sur le coût de la sécurisation, par la marine nationale, du commerce maritime international, ainsi que sur son évolution. De fait, 90 % des échanges ont lieu par voie maritime, tandis que 98 % des transferts de données sont effectués grâce aux câbles sous-marins.

Je précise qu’une telle évaluation pourrait nous permettre de sortir ces dépenses du calcul de notre déficit, celles-ci étant en lien avec les intérêts de l’Union européenne.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En mer rouge, Les navires commerciaux sont escortés par des bâtiments participant à l’opération Aspides, menée par l’Union européenne Le coût est donc partagé entre pays européens et avec l’Union européenne.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous soutiendrons cet amendement, même si nous aurions aimé que le rapport porte aussi sur les gains que cette action de l’État représente pour les compagnies maritimes, notamment en matière d’assurance. J’avais d’ailleurs posé cette question à la représentante de CMA-CGM lorsque notre commission l’a auditionnée.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il s’agit là d’un amendement récurrent visant à demander au gouvernement la remise d’un rapport présentant une stratégie globale en matière de surveillance maritime, ainsi que le coût d’une telle stratégie. Nous répétons depuis des années que la marine n’a pas les moyens de surveiller l’ensemble de notre territoire maritime, le deuxième plus vaste du monde, c’est-à-dire d’assurer notre souveraineté pleine et entière. Nous avons besoin d’un plan global et ne pouvons-nous contenter d’une approche pointilliste.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis Yannick Chenevard, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Sébastien Saint-Pasteur

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement, nous proposons la création d’un « marron » budgétaire, soit un rapport annuel annexé au projet de loi de finances, afin de disposer d’un suivi consolidé et transparent de l’accès des acteurs français, notamment les PME et ETI, aux financements européens de défense, et ce afin d’accompagner la montée en puissance de notre BITD.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Dans la mesure où des zones floues entourent les Opex, les Misops et les Missint (missions intérieures), nous demandons un rapport sur les modalités de financement et le statut des forces déployées dans les différentes missions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement fait écho aux préoccupations soulevées dans mon rapport pour avis et je suis ravi que d’autres parlementaires estiment qu’il y a un flou. De fait, le cadre juridique et financier des interventions de l’armée française à l’étranger est rendu opaque par une pratique arbitraire et illégitime du gouvernement, qui cherche à s’exonérer du contrôle parlementaire, pourtant prévu à l’article 35 de la Constitution.

Un rapport sur les opérations extérieures est bien transmis au Parlement chaque année. Cependant, je note que si le gouvernement y inclut les missions opérationnelles que nous assurons sur le flanc est de l’Europe, il refuse de modifier en conséquence le statut et la rémunération des militaires qui y participent. Il y a donc bien un problème : le ministère ne fait plus la différence entre les opérations.

Quoi qu’il en soit, je demande donc le retrait de cet amendement. Le rapport annuel du gouvernement ne nous apprend déjà rien, ce dernier ne souhaitant pas être honnête sur cette question.

Mme Anna Pic (SOC). Je reste optimiste ! Sébastien Lecornu, alors ministre des armées, nous avait promis les informations précises et transparentes que nous demandions depuis très longtemps. Je suis sûre qu’elles nous parviendront.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN58 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Cet autre amendement du groupe SOC vise à renforcer le contrôle parlementaire sur la soutenabilité, donc la sincérité budgétaire de la mission Défense. En effet, malgré la hausse de 13 % des crédits qui lui sont alloués, nous craignons que le budget du ministère des armées ne connaisse une crise de croissance en raison de rigidités budgétaires particulièrement préoccupantes. Nous demandons donc qu’un rapport nous soit remis chaque année pour garantir la transparence et la cohérence de la trajectoire financière avec les ambitions affichées dans la LPM.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable : la Cour des comptes a déjà rendu un rapport à ce sujet cette année. D’ailleurs, dans le cadre de nos réflexions sur les moyens de l’Assemblée, peut-être pourrions-nous réfléchir à adosser cette institution à la nôtre !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN154 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à obtenir un rapport sur les conséquences budgétaires qu’aurait le recours à un dispositif de recrutement fonctionnant sur un principe d’avance-retard. Nous en avons parlé, et M. Chenevard a lui-même fait part de sa préoccupation : il y a une inadéquation entre la gestion annuelle des recrutements et la programmation pluriannuelle du budget des armées.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN59 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement nous demandons qu’un rapport nous soit remis sur l’exécution de la loi de programmation militaire, en intégrant le retour d’expérience du conflit en Ukraine. Les choses ont beaucoup évolué depuis la promulgation de cette loi et nous craignons que le délai de trois ans que nous nous sommes fixé nous empêche de réorienter nos capacités de manière dynamique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN61 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons ici une évaluation des besoins des conjoints de militaires en matière d’accès à l’emploi et à la formation, des dispositifs existants et des possibilités de coordination entre les politiques des ministères chargés des armées, du travail et des collectivités territoriales.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme je l’avais dit dans mon rapport pour avis de l’an dernier, l’accompagnement des conjoints de militaires est insuffisant pour compenser leurs difficultés. L’accès à l’emploi est très variable selon les territoires et les employeurs sont parfois réticents à les recruter, anticipant une mobilité proche du conjoint ‑ des difficultés qui touchent très majoritairement les femmes.

Les travaux engagés en faveur d’un éventuel pass emploi pour les conjoints de militaires allant dans le bon sens, je ne suis pas sûr qu’un rapport sur cette question suscite une évolution sensible. Sagesse.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). C’est notre job d’évaluer les politiques publiques ! Certes, il faut que l’Assemblée nous en donne les moyens et que nos questions fassent l’objet de réponses transparentes, mais ce travail est plus utile que beaucoup d’autres que nous pouvons faire ici.

Mme Anna Pic (SOC). Je suis parfaitement d’accord avec vous. Nous aimerions pouvoir conduire davantage de missions d’information et disposer des moyens suffisants pour ce faire, c’est-à-dire en n’étant pas restreints par des délais très courts ou par un nombre limité de déplacements. C’est à ces conditions que nous pourrions réaliser nous-mêmes les rapports que nous demandons.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je rappelle que six missions d’information ont toujours lieu simultanément : les administrateurs travaillant pour notre commission ne peuvent en faire davantage. De plus, tous les déplacements demandés ont été acceptés. Peut-être faudrait-il avoir les moyens de recruter davantage de collaborateurs ou d’administrateurs.

Mme Anna Pic (SOC). C’est cela même !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN128 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Ce dernier amendement vise à obtenir un rapport étudiant le coût d’une participation de la France à une coalition de pays chargés d’établir une zone d’exclusion aérienne en Ukraine.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). La question étant loin d’être tranchée, demander un rapport me semble prématuré.

La commission rejette l’amendement.

 


   Annexe :
auditions et déplacements de la rapporteure pour avis

(Par ordre chronologique)

  1.   Auditions

      État-major des armées ‒ M. le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » ;

      État-major de l’armée de Terre ‒ M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major ;

      État-major de l’armée de Terre ‒ M. le général de corps d’armée Frédéric Gout, directeur des ressources humaines ;

      État-major de l’armée de Terre ‒ M. le général de corps d’armée Patrick Justel, major général ;

      Table ronde d’industriels ‒ M. Jean Marc Duquesne, DG du GICAT M. Jean-Marc Zuliani, PDG de EOS ‒ M. Hadrien Canter, PDG de Alta Ares ‒ M. Thibault de la Hay, Directeur Europe, Afrique, UE et OTAN de DCI ;

      Arquus ‒ M Emmanuel Levacher, directeur général ; Mme Clémence Bouvier, cheffe de projet affaires publiques.

2.   Déplacement en Estonie (2 au 4 septembre 2025)

      Société Milrem Robotics ‒ M. Kuldar Vaarsi, directeur général ‒ M. Olivier Chabilan, directeur technique senior ;

      M. Emmanuel Mignot, ambassadeur de France en Estonie ; M. le colonel Christophe Degand, attaché de défense ;

      Base militaire de Tapa ‒ M. le lieutenant-colonel Raphael Chavez, SNR France ;

      M. Leo Kunnas, vice-président de la commission de défense du Parlement estonien ;

      Mme Tuuli Duneton, sous-secrétaire à la politique de défense.

3.   Déplacement à Varces (17 septembre 2025)

      M. le général de brigade Antoine Faurichon de la Bardonnie, commandant de la 27e Brigade d’infanterie de montagne.

4.   Déplacement à Satory (29 septembre 2025)

      Commandement du Combat Futur (CCF) ‒ M. le général de corps d’armée Bruno Baratz, commandant du combat futur ;

      SIMMT ‒ M. le général de corps d’armée Richard Ohnet, directeur central.


([1]) INSEE, statistiques et estimations d’état civil.

([2]) École spéciale militaire de Saint-Cyr.

([3]) Officiers sous contrat encadrement.

([4]) Engagé volontaire sous-officier.

([5]) Engagé volontaire de l’armée de Terre.

([6]) Syracuse est un système de communication par satellites géostationnaires sécurisés.

([7]) La Force de réaction alliée (ARF) est une force multinationale multi milieu à haut niveau de préparation capable de se déployer sur très court préavis pour mener un large éventail de missions.

([8]) Crédits de paiement.

([9]) Activités opérationnelles.

([10]) Fonctionnement et activités spécifiques.

([11]) Équipement d’accompagnement et de cohérence.

([12]) Entretien programmé du matériel.

([13]) Le projet de constellation IRIS2 a pour objectif de fournir une infrastructure sécurisée de communication par satellite, en particulier à destination des gouvernements et des organisations critiques en Europe.

([14]) Les principales modifications sont les suivantes : moteur de 130ch, assistance au freinage, air conditionné.

([15]) Application pour l’Optimisation de la Gestion en sécurité des activités d’un Espace d’Entrainement.

([16]) École Nationale des Sous-Officiers d’Active.

([17]) Dicton militaire que l’on peut traduire par « entraînement difficile, guerre facile ».

([18]) Le marché couvre Jaguar, Griffon et MEPAC.

([19]) European Secure Software-defined Radio.

([20]) Security Assistance and Training for Ukraine.

([21]) La Nato Mission Iraq (NMI) est une mission non combattante de conseil et développement capacitaire au profit des forces de sécurité irakiennes.

([22]) « Masse et haute technologie : quels équilibres pour les équipements militaires français ? », Gassilloud et Girard, juin 2025.

([23]) L’outil GénIAl, réalisé par l’état-major des armées (EMA), est un agent conversationnel de type « chat GPT » qui offre depuis le début de l’année 2025 un appui dans l’exécution des tâches administratives du quotidien.

([24]) Ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.

([25]) Pour les marchés d’une valeur inférieure à 40 000 € HT, un acheteur public peut recourir à une procédure négociée sans publicité, ni mise en concurrence. Cette procédure, dite de « gré à gré », est définie à l’article R. 2122-8 du code de la commande publique.

([26]) Un marché de défense ou de sécurité est un marché conclu par l’État ou l’un de ses établissements publics et ayant pour objet :

1°La fourniture d’équipements, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, qui sont destinés à être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre, qu’ils aient été spécifiquement conçus à des fins militaires ou qu’ils aient été initialement conçus pour une utilisation civile puis adaptés à des fins militaires ;

2°La fourniture d’équipements destinés à la sécurité, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale ;

3°Des travaux, fournitures et services directement liés à un équipement mentionné au 1° ou au 2°, y compris la fourniture d’outillages, de moyens d’essais ou de soutien spécifique, pour tout ou partie du cycle de vie de l’équipement. Pour l’application du présent alinéa, le cycle de vie de l’équipement est l’ensemble des états successifs qu’il peut connaître, notamment la recherche et développement, le développement industriel, la production, la réparation, la modernisation, la modification, l’entretien, la logistique, la formation, les essais, le retrait, le démantèlement et l’élimination ;

4°Des travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou des travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale.

Les principes énoncés à l’article L. 3, lorsqu’ils s’appliquent à des marchés de défense ou de sécurité, ont également pour objectif d’assurer le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne.

([27]) Décret n° 2024-1251 du 30 décembre 2024 portant diverses mesures de simplification du droit de la commande publique.