N° 2048

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2025

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2026 (n° 1906)

 

TOME V

 

 

DÉFENSE

 

prÉparation et emploi des FORCES :

MARINE

PAR M. Yannick CHENEVARD

Député

——

 

 Voir le numéro : 1906

 

 

 

 


  1  

 

SOMMAIRE

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Pages

Première partie : Les crédits, l’environnement et l’activité de la Marine en 2024 et les perspectives pour 2025

I. Les crédits de la marine pour 2025 : une évolution positive conforme à la LPM

II. Les équipements

A. Les commandes et les livraisons effectuées en 2025 et les perspectives pour les années à venir

1. Les commandes et les livraisons

2. Les difficultés et retards rencontrés par plusieurs programmes font peser un risque sur les capacités de la Marine

a. Le système de lutte anti-mines du futur

b. Les patrouilleurs hauturiers

c. Le remplacement des frégates de surveillance dans les Outre-mer

3. Les reports de charge

B. Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

1. Les crédits 2026

2. Les enseignements de la mission Clémenceau 2025

C. Les crédits d’infrastructures

III. Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

A. Les campagnes de recrutement

B. Le recrutement en 2025

C. La réserve opérationnelle de la Marine

D. Une durée de service qui, en 2025, reste dans la moyenne haute, malgré de disparités selon les filières et les grades

Deuxième partie : le format de la marine

I. Une marine en pleine transformation, après une longue période d’affaiblissement

A. Le déclin de la marine après 1989

1. La Marine de la guerre froide : une flotte nombreuse, puissante, à même de faire face à un ennemi existentiel

2. Les dividendes de la paix ont été payés par les armées au prix d’un affaiblissement de leurs capacités

a. Un affaiblissement à tous les niveaux de la Marine

b. Des conséquences opérationnelles dont les leçons ont mis du temps à être tirées

B. Une remontée en puissance récente avec les deux dernières lois de programmation militaire

1. Fin du déclin et remontée en puissance

2. Le choix de la cohérence sur la masse a des effets dommageables sur les capacités de la Marine

II. L’aggravation des menaces met en danger et la sécurité de la France, et son rang parmi les nations

A. Un durcissement strategique acté par la nouvelle Revue nationale stratégique

1. Un nouveau contexte stratégique

2. De lourdes menaces pour la France, l’Union européenne et le monde, qui exigent une réponse à la hauteur

B. Un réarmement naval mondial, au bénéfice pour l’essentiel de nos compétiteurs

1. Des compétiteurs stratégiques qui accélèrent

a. La Chine

b. La Turquie

2. Des alliés pas forcément au rendez-vous de la menace

a. Les États-Unis

b. Le Royaume-Uni

c. L’Allemagne

d. L’Italie

III. Un format de la marine redefini dans une stratégie cohérente et ambitieuse

A. Accroître la masse

1. La permanence d’alerte des porte-avions

2. Dix-huit frégates de premier rang

3. Une véritable flotte stratégique française, servie par une industrie de construction navale performante

a. La nécessité de lever les obstacles à la constitution d’une véritable flotte stratégique française

b. Le maintien de la construction navale en France

4. Des stocks de munitions et de cibles plus importants

B. Tirer pleinement profit de la révolution des drones

1. La révolution des drones

2. La Marine et les drones aujourd’hui

3. Accélérer pour ne pas être dépasser

C. Garantir aux armées les moyens financiers de leurs missions

1. Utiliser pleinement les instruments européens

2. Maintenir l’effort malgré les incertitudes politiques et les contraintes budgétaires

D. Investir dans l’humain, le recrutement et la formation

1. Séduire les jeunes

2. Durcir la formation

3. Alléger les contraintes du schéma d’emplois

Travaux de la commission

I. Audition de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine

II. Examen des crédits

Annexe : liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

 


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   Première partie :
Les crédits, l’environnement et l’activité de la Marine
en 2024 et les perspectives pour 2025

I.   Les crédits de la marine pour 2025 : une évolution positive conforme à la LPM

Le présent projet de loi de finances pour 2026 se traduit par une augmentation de 6,7 milliards d’euros des crédits consacrés à la mission « Défense » par rapport à la LFI 2025. En effet, à l’augmentation de 3,2 Md€ déjà prévue en 2026 par la LPM 2024-2030 s’ajoutent 3,5 milliards d’euros de crédits supplémentaires visant à accélérer le réarmement du pays, conformément aux annonces du Président de la République aux Armées le 13 juillet dernier. Le PLF 2026 porte donc les ressources totales de la mission « Défense » à 57,1 milliards d’euros en crédits de paiement, hors pensions civiles et militaires de retraite.

Pour 2026, les crédits de l’action 3 « Préparation des forces navales » du programme 178 pour 2025 et les crédits de titre 2 inscrits au programme 212 pour les forces navales augmenteront globalement selon la répartition suivante :

(En millions d’euros)

Programme

Sous-action

Libellé sous-action

AE

Évolution

CP

Évolution

178

03-01

Commandement et activité des forces navales

503,6

+ 1,31%

457,0

- 13,11 %

03-05

Ressources humaines des forces navales

93,7

+ 9,49%

81,1

- 7,52 %

03-07

MCO du matériel des forces navales

2 944,7

- 2,68 %

2 903,2

+ 5,66%

03-08

Environnement opérationnel des forces navales

155,2

+ 23,27%

123,9

+ 15,4%

03-11

Infrastructures maritimes

335,9

- 33 %

333,4

- 4,06 %

03-12

Numérique opérationnel naval

108,5

-

87,3

-

Total P178 et évolution

4 141,6

- 2,22 %

3 986,5

+ 4,47%

212

56-01

Ressources humaines des forces navales

2 949,7

+ 2,5%

2 949,7

+ 2,5%

Total des crédits de la Marine et évolution

7 091,3

- 0,7 %

6 936,2

+ 3,3%

Source : Projet annuel de performance 2026.

Ces crédits, présentés ici globalement, feront l’objet d’une analyse plus détaillée, en particulier le MCO, les infrastructures et les ressources humaines, dans les développements à suivre du présent avis.

Votre rapporteur tient toutefois à souligner dès à présent trois points :

– la baisse en AE des crédits de la Marine s’explique essentiellement par la forte baisse des AE de la sous-action 03-11 relatives aux infrastructures maritimes, laquelle découle principalement d’un moindre besoin conjoncturel de travaux du PI Milhaud en 2026 (voir infra). Pour le reste, les AE de toutes les sous-actions (sauf celles du MCO) évoluent à la hausse ;

– la baisse constatée des CP de trois sous-actions doit être nuancée par la création d’une nouvelle sous-action, vers laquelle ont été ciblés certains des crédits dont elles bénéficiaient jusqu’alors ;

– la création d’une nouvelle sous-action 03-12 relative au numérique opérationnel naval, conséquence de la création du commissariat au numérique de défense (CND), permet à la Marine de conserver dans le P178, en les identifiant, l’ensemble des crédits relatifs au numérique opérationnel (informatique, moyens de transmission…).

II.   Les équipements

A.   Les commandes et les livraisons effectuées en 2025 et les perspectives pour les années à venir

1.   Les commandes et les livraisons

Les commandes et les livraisons de matériels militaires dans le domaine de la Marine, si elles relèvent formellement du Programme 146, intéressent néanmoins votre rapporteur qui, dans le présent avis, a l’ambition de présenter une vision globale des enjeux de la Marine.

Alors que, l’année dernière, ces informations n’étaient pas publiques, même si elles avaient été communiquées à votre rapporteur, cette année, elles le redeviennent, hors dissuasion.

S’agissant des commandes qui ont été passées en 2025 ou le seront en principe d’ici à la fin de l’année, sont concernées :

– le lancement en réalisation du système de drones aériens pour la Marine (SDAM), après un décalage d’un an, commandes et livraisons devant être précisées lors dudit lancement ;

– la commande du porte-avions de nouvelle génération (PA-ng), prévue dans la LFI pour 2025, qui devrait en principe intervenir d’ici la fin de l’année ;

– la commande d’une frégate de défense et d’intervention (FDI), dans une logique de soutien à l’export ;

– la commande d’un lot de torpilles lourdes Artémis et d’un lot de missiles antinavires Exocet.

S’agissant des livraisons intervenues en 2025 ou devant intervenir avant la fin de l’année, sont concernés :

– un bâtiment ravitailleur de forces (BRF), le Jacques Stosskopf, deuxième unité d’une série de quatre navires ;

– la frégate de défense et d’intervention (FDI) Amiral Ronarc’h, première d’une série de cinq ;

– le troisième des six patrouilleurs d’outre-mer (POM), l’Auguste Techer, a rejoint La Réunion en août dernier ;

– le sous-marin nucléaire d’attaque Tourville, troisième de la série ;

– un lot de torpilles lourdes Artémis ;

– 2 modules de lutte contre les mines (MLCM) ;

– 3 avions de patrouille maritime ATL2 rénovés.

En 2026, selon les mêmes informations transmises par le ministère des Armées, un effort particulier sera fait en matière de guerre des mines et de grands fonds marins :

– sont ainsi prévues les commandes de 4 MLCM, de 2 centres de contrôle des drones et de 2 bâtiments de guerre contre les mines (BGDM). Sera en outre livré un nouveau MLCM ;

– 2 AUV grands fonds et un ROV grands fonds devraient être commandés en 2026 tandis que deux AUV grands fonds et 2 ROV devraient être livrés, en tant que capacité exploratoire ;

– la commande de 2 bateaux hydro-océanographique dans le cadre du programme CHOF (capacité hydro-océanique du futur) ;

Les commandes et les livraisons suivantes sont programmées :

– la commande d’une nouvelle FDI, dans une logique de soutien à l’export, comme en 2025 ;

– la livraison de 3 avions de surveillance maritime AVISMAR, de deux patrouilleurs d’outre-mer et de 2 ATL2 rénovés ;

– la livraison du quatrième SNA Barracuda : le Dugay-Trouin ;

– s’agissant des munitions, sont prévues la commande d’un lot de missiles Météor et de missiles de combat NT et la livraison d’un lot de missiles Exocet.

Il ressort de cette liste comme des auditions de votre rapporteur que le niveau de commandes est à rebours de l’objectif affiché dans la LPM. Certes, s’il faut se féliciter des commandes et des livraisons intervenues en 2025 ou devant intervenir l’année prochaine, le retard pris par la DGA pour contractualiser définitivement le porte-avions de nouvelle génération (PA-ng), le programme SNLE 3G, les bâtiments de guerre des mines ainsi que la quatrième frégate de défense et d’intervention (FDI) ou encore certains avenants au programme des patrouilleurs hauturiers (PH), est inquiétant. C’est d’autant plus dommageable que les travaux ont été lancés par Naval group et Piriou sur ces différents équipements, comme votre rapporteur a pu le constater à Cherbourg pour le PA-ng et les SNLE 3G. À Lorient, où sont construits les FDI, Naval group a aussi pris la décision, malgré l’absence de commande, de ne pas arrêter son atelier coque et, par conséquent, de porter la dépense dans son bilan en attendant la signature du contrat. De même, Piriou préfinance les PH en attendant de se faire payer, étant précisé que ces retards de paiement et/ou de contractualisation deviennent habituels (voir infra). L’explication est budgétaire, comme pour les décalages de programmes, et votre rapporteur aura l’occasion d’y revenir à plusieurs reprises dans le cadre du présent avis.

2.   Les difficultés et retards rencontrés par plusieurs programmes font peser un risque sur les capacités de la Marine

S’il y a une grande satisfaction à voir des matériels modernes et performants renforcer la Marine, votre rapporteur a néanmoins une grande inquiétude sur le déroulement de certains programmes, lesquels subissent des décalages susceptibles d’avoir d’importantes conséquences sur la Marine et sa capacité à mener à bien ses missions. Ils sont aussi susceptibles de remettre en cause la visibilité dont les industriels ont besoin pour monter en puissance et satisfaire à l’injonction de passer en économie de guerre, tout en affaiblissant l’image et la portée de la LPM qui, certes, est respectée à l’euro près mais sans que les capacités promises ne soient finalement au rendez-vous.

a.   Le système de lutte anti-mines du futur

Le système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) vise à remplacer les moyens actuels (chasseurs de mines tripartites – CMT, déjà très anciens, bâtiments remorqueurs de sonars, bâtiments base de plongeurs démineurs) par étapes successives via un système de systèmes dronisé. Il apparaît d’autant plus nécessaire que la guerre des mines connaît une nouvelle actualité avec la guerre en Ukraine, qui a vu la Russie miner la mer Noire, tandis qu’en mer Rouge, les Houthis pourraient utiliser un jour cette arme pour paralyser le commerce international. Nécessaire, il est aussi urgent car le retrait progressif des vieux CMT, portés à bout de bras par le SLF, entraînera une rupture capacitaire en 2027, qui pourrait compliquer fortement la mise en œuvre de la dissuasion.

Après les inquiétudes exprimées par votre rapporteur dans son rapport 2024 sur l’exécution de la LPM, les réponses du MINARM au questionnaire budgétaire sont loin d’être rassurantes : après la livraison d’un premier MLCM en 2024, « il s’agira de contenir les retards industriels sur les livraisons attendues en 2025 et 2026. En effet, suite à des difficultés industrielles, le calendrier des livraisons a connu plusieurs reports successifs ». Par ailleurs, selon les informations communiquées à votre rapporteur, le module ainsi livré, parce que très novateur, nécessite encore des ajustements avant d’être opérationnel, obligeant à utiliser les anciens équipements.

Par ailleurs, outre ces modules, le programme porte aussi sur des bâtiments de guerre contre les mines (BGDM) et des bâtiments base pour plongeurs démineurs (BBPD). En vertu du Memorandum of Understanding signé en juillet 2023 entre la France, la Belgique et les Pays-Bas permettant à la France de faire l’acquisition du design du navire belgo-néerlandais, les BGDM français pourraient s’en inspirer en l’adaptant aux besoins spécifiques de notre pays. Ce projet s’inscrirait alors dans la continuité des bâtiments actuels de guerre des mines, les CMT ayant également été réalisés en coopération avec ces deux pays.

Or, d’après les informations transmises à votre rapporteur, cette dimension du programme apparaît déjà en décalage pour des raisons budgétaires mais également techniques, les discussions portant notamment sur le meilleur moyen de mettre à l’eau les drones, par l’arrière ou sur les côtés, et sur la présence à bord d’un caisson hyperbare. Si les BDGM doivent, naturellement, satisfaire aux besoins de la Marine, lesquels peuvent être différents de ceux de nos partenaires, votre rapporteur attire l’attention sur l’intérêt à ce qu’ils soient le plus proche possible des bâtiments construits pour la Belgique et les Pays-Bas. Moins ils en diffèreront, plus les économies d’échelle seront importantes et les délais raccourcis, ce qui est loin d’être négligeable dans le contexte budgétaire et stratégique actuel. Pour le moment, les industriels impliqués sont pour le moins « perdus » et en « manque total de visibilité » sur ce programme.

Le décalage du programme pose la question d’une capacité intérimaire de guerre des mines. Évidemment, une telle capacité ne pourra remplir toutes les missions qui seront dévolues aux BDGM mais elle sera utile à la sécurisation des approches de l’Île-Longue. Dans sa réponse au questionnaire, le ministère des Armées évoque ainsi « une solution intérimaire de guerre des mines hauturière à base de navires civils pour des missions au large de Brest ». Si celle-ci est évidemment la bienvenue, il semble impératif à votre rapporteur que les spécifications techniques soient aussi proches que possible des futurs BDGM, notamment s’agissant du dispositif de mise à l’eau des drones, afin d’éviter toute complication de nature à retarder ou renchérir ces derniers.

Le risque, naturellement, est que cette capacité intérimaire satisfaisant, dans une certaine mesure, les besoins essentiels, la contrainte budgétaire justifie l’arrêt du programme BGDM ou, du moins, son redimensionnement à la baisse, tentation évidente tant qu’il n’a pas été contractualisé.

b.   Les patrouilleurs hauturiers

Autre programme à susciter les inquiétudes de votre rapporteur, les patrouilleurs hauturiers ou océaniques, destinés à être déployés en métropole en remplacement des vieux avisos, entrés en service il y a près d’un demi-siècle et dont le nombre est désormais insuffisant pour assurer correctement des missions qui en font l’un des rouages essentiels de la Marine : soutien à la dissuasion, surveillance et protection des approches maritimes, lutte contre les trafics illicites, police des pêches, évacuation, protection, escorte et intervention dans le cadre de l’action de l’État en mer… C’est ainsi que, faute de patrouilleur disponible, il a été nécessaire de mobiliser des frégates La Fayette, redéployées à Brest depuis Toulon, pour sécuriser la sortie des SNLE de l’Île-Longue.

Sept patrouilleurs hauturiers ont été commandés en 2023 à un groupement de trois entreprises : CMN, Piriou et Socarenam, l’assistance à la maitrise d’ouvrage et la réalisation du système de combat ayant été attribuées à Naval Group. Ce consortium, s’il permet de soutenir des entreprises de construction navales françaises, notamment Socarenam, la plus petite, présente néanmoins un risque puisque ces trois entreprises, qui sont habituellement concurrentes, n’ont aucune expérience d’un travail en commun. Le rôle de contrôle et de coordination de Naval group, afin de s’assurer à la fois du niveau de qualité et des échanges de bonnes pratiques, apparaît donc essentiel à la réussite de ce programme.

Autre risque sur ce programme des PH, si la LPM 2024-2030 prévoit bien un format à 10 PH en 2035, le contrat précité ne comporte aucune option pour trois exemplaires supplémentaires. Votre rapporteur a toutefois découvert dans le PAP du P146 que la cible des PH était réduite à 9, le 10e PH étant remplacé par le futur patrouilleur côtier de nouvelle génération. Motivée par une contrainte financière toujours plus forte, cette décision rend d’autant plus urgente la contractualisation des deux derniers PH afin d’éviter à la Marine une rupture capacitaire majeure qui aurait des répercussions en chaîne, tout en compliquant la mise en œuvre de la dissuasion comme de l’action de l’État en mer.

c.   Le remplacement des frégates de surveillance dans les Outre-mer

Mises en service au début des années quatre-vingt-dix, dépourvues de sonar et faiblement armées, les frégates de surveillance déployées dans les Outre-mer doivent être remplacées par des bâtiments modernes, puissamment armés et capables de protéger nos intérêts dans une zone aussi contestée que l’Indopacifique.

Au niveau européen, la France, associée à l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la Roumanie, ont joint leurs efforts dans le cadre de la Coopération structurée permanente, en vue d’établir le cahier des charges d’un projet de corvette de patrouille européenne (EPC). Après un appel à projet MMPC call 1, lancé en 2021 dans le cadre du Fonds européen de défense, un second appel à projet, MMPC call 2, a été lancé en 2023, qui a retenu le projet porté par Naval group via Naviris.

Il était donc clair, depuis 2019, que les futures EPC avaient vocation à remplacer nos frégates de surveillance. Toutefois, les choses sont désormais moins certaines et les différentes informations que votre rapporteur a collectées pendant ses travaux sont pour le moins contradictoires. S’appuyant sur le fait que les FS seront prolongées jusqu’en 2034, certains interlocuteurs ont soutenu que la France ne participera pas au call 2, « compte tenu de la désynchronisation calendaire et capacitaire avec le projet de corvette européenne », tandis que d’autres ont au contraire affirmé que « des discussions sont en cours pour passer à une seconde étape du programme, qui pourrait autoriser les parties prenantes à développer leur démonstrateur sur la base de briques communes (call 2) ».

Une telle décision est lourde de conséquences, à la fois opérationnelles et industrielles. D’une part, la Marine devra continuer, au moins jusqu’à 2034, à utiliser des frégates de surveillance largement inadaptées aux enjeux de nos Outre-mer, en particulier en Indopacifique où la pression sur nos ZEE est considérable. D’autre part, il faudra un jour remplacer les FS et notre pays pourrait se retrouver contraint d’acheter des EPC qui seraient devenues, entre-temps, une sorte de « standard européen » de la catégorie, lesquelles ne correspondraient pas forcément au besoin de la Marine, tout en constituant un nouveau concurrent pour les FDI.

Évidemment, il reste la solution d’un programme national de corvette hauturière encore à définir et dont le financement serait, à ce jour, hautement improbable. Une autre hypothèse, permettant de doter la Marine, dans un délai raisonnable et à un coût réduit, de la capacité hauturière moderne dont elle a besoin Outre-mer, serait l’allongement de la série de patrouilleurs hauturiers au-delà des 7+2 prévus en métropole par une version spécifique aux Outre-mer. Le coût du remplacement des frégates de surveillance serait ainsi bien inférieur à ce que coûteraient les EPC, comme celui de leur MCO, l’effet de série jouant à plein dans les deux cas. En outre, ces bateaux, probablement plus petits que les EPC, pourraient aisément et sans aménagements compliqués stationner dans les ports ultramarins. S’agissant des équipements, avec un sonar de coque, un lanceur double télé-opéré SIMBAD-RC pour missiles Mistral et système d’arme rapproché RapidFire, sans oublier la capacité à accueillir des hélicoptères NH90 ou Guépard ainsi que des drones, le PH présenterait un rapport qualité/prix intéressant pour défendre nos intérêts Outre-mer.

3.   Les reports de charge

Votre rapporteur a demandé et obtenu du ministère des Armées le montant des reports de charge payés en 2025, par programme et par industriel.

– le programme le plus affecté est le programma Barracuda, pour un montant de 490 millions d’euros, suivi par le programme flotte logistique (270 millions d’euros), le programme FDI (174 millions d’euros) et la rénovation à mi-vie des FDA (76 millions d’euros). Sont également concernés le PH (36 millions d’euros) et le programme de lutte anti-mines du futur (25 millions d’euros). Au total, les reports de charge se sont élevés à 1,308 milliard d’euros ;

– logiquement, vu les programmes concernés, c’est Naval group qui a subi le plus de report de charges, avec un total de 836 millions d’euros, suivi par l’OCCAr, avec 380 millions d’euros. Les autres entreprises sont, en revanche, très loin derrière, pour des montants inférieurs à 20 millions d’euros, illustrant le choix de la DGA de protéger en premier lieu les PME et les ETI.

L’ampleur de ces reports de charge est inquiétante en ce qu’elle révèle l’incapacité du MINARM à payer ses fournisseurs et, en creux, une ambition capacitaire de la LPM qui n’est pas suffisamment financée. Les industriels, notamment Naval group, propriété de l’État, prennent sur eux et autofinancent les investissements en attendant d’être remboursés, assurant ainsi la continuité des programmes. Cette « cavalerie » n’est toutefois pas tenable dans la durée, sauf à mettre en risque et les programmes, et les entreprises concernées.

B.   Le maintien en condition opérationnelle des équipements navals et aéronavals

1.   Les crédits 2026

L’opération stratégique EPM (entretien programmé des matériels) regroupe les crédits destinés aux opérations d’entretien des matériels de la force d’action navale, de l’aéronautique navale, des forces sous-marines et des fusiliers-marins et commandos, excluant toutefois la dissuasion (ce qui explique le léger décalage avec les crédits de la sous-action 03-07). Ces crédits connaissent une forte hausse dans le PLF 2026 avec une augmentation de 43 % en AE (à 2,711 milliards d’euros), les CP augmentant plus faiblement de 7 % (à 2,274 milliards d’euros). Les augmentations se répartissent comme suit :

(en M€)

Description

Prévision de crédits 2026

AE

variation

CP

variation

Démantèlement milieu naval

14,712

+ 52,4%

7,381

+ 18,1%

EPM flotte navale

1 879,586

+ 105,3%

1 194,305

+ 6,7%

EPM munitions navales

68,295

- 48,0 %

143,646

- 15,4 %

EPM matériel terrestre

19,050

+ 8,3%

19,120

+ 14,2%

Démantèlement milieu aérien

1,481

+ 4,3%

0,998

- 30,7 %

EPM flotte de l’aéronautique navale

728,128

- 11,9 %

909,237

+ 12,4%

Total

2 711,252

+ 43,0%

2 274,691

+ 7,0%

Source : PAP 2026.

Cette forte augmentation est portée par l’augmentation de 105,3 % des AE de l’EPM de la flotte navale en raison :

– de la passation des tranches 2026-2029 du MCO des frégates multi-missions (FREMM), des frégates de défense aérienne (FDA) et des frégates de type Lafayette (FLF) ;

– de la préparation du 3e arrêt technique majeur du Charles-de-Gaulle à partir de 2027.

L’autre variation significative en 2026 est la forte chute des AE de l’EPM des munitions navales, les contrats pluriannuels pour le MCO des torpilles ayant été passés en 2025.

S’agissant plus spécifiquement du MCO aéronautique, votre rapporteur a noté l’augmentation de 12,4 % des CP qui devrait permettre une amélioration de la disponibilité des matériels. En effet, si les informations précises relatives à cette dernière ne peuvent être rendues publiques, les réponses au questionnaire contiennent plusieurs informations pertinentes.

La disponibilité des hélicoptères montre une légère amélioration en 2024, liée à la performance de la flotte des H160. Elle reste encore impactée par le fort taux d’immobilisation de la flotte NH90 Caïman Marine malgré une amélioration constante ces dernières années. Certes, un plan d’action, mis en œuvre depuis 2022 et impliquant tous les acteurs du MCO, tente d’améliorer la performance du soutien industriel, de sécuriser la logistique et d’alléger la charge de maintenance assurée par les forces, pour atteindre niveau de disponibilité correspondant à l’attendu opérationnel. Ses premiers effets se sont faits attendre, ils sont enfin visibles depuis fin 2024 mais restent fragiles compte tenu de la persistance de tensions logistiques, notamment sur les équipements livrés par Fokker, l’un des industriels impliqués dans le NH90.

S’agissant de la disponibilité des avions de guet aérien, de patrouille et de surveillance maritime, après une légère amélioration depuis 2020, celle-ci stagne en raison d’aléas techniques subis par les flottes d’ATL2 et de
Falcon 50M, imputables à la corrosion et au vieillissement des cellules ainsi qu’à des chantiers capacitaires entraînant des immobilisations prolongées. Un groupe de travail agrégeant les acteurs étatiques et industriels a été mis en place depuis l’été 2023 pour traiter les fragilités identifiées sur la disponibilité des ATL2.

La poursuite de la montée en puissance des marchés verticalisés (marché CALIPSO pour les flottes FALCON et marché OCEAN pour la flotte ATL2), la fin des chantiers de rétrofit ATL2 et de modification « TRITON » des F50M, combinés aux plans d’action en cours, devraient permettre de rehausser la disponibilité en 2025 et 2026.

Enfin, la disponibilité des Rafale M s’est nettement redressée grâce à la montée en puissance du marché de soutien verticalisé RAVEL, qui a notamment permis de baisser le nombre d’aéronefs en attente d’avis techniques de la part de l’industriel. Tout en restant à un haut niveau, la performance de l’agrégat restera néanmoins sous tension jusqu’en 2026, compte tenu des chantiers capacitaires de mise progressive au standard F4 et du vieillissement de la flotte (chantier 5000 heures de vol).

2.   Les enseignements de la mission Clémenceau 2025

Le 28 novembre dernier, le groupe aéronaval (GAN), composé du porte-avions Charles-de-Gaulle, de trois frégates, du bâtiment ravitailleur de forces (BRF) Jacques Chevallier et d’un sous-marin nucléaire d’attaque, a quitté Toulon pour une mission de cinq mois qui l’a mené, après avoir traversé la Méditerranée, la mer Rouge et l’océan Indien, dans l’océan Pacifique. Cette mission Clémenceau 2025, premier déploiement du GAN dans le Pacifique depuis la mission ALPHA dans les années soixante, a permis, via de nombreux exercices communs, de renforcer l’interopérabilité avec les alliés de la France, de cultiver nos partenariats en Indopacifique, de tester de nouveaux points d’appuis et de défendre la liberté de circulation là où elle est particulièrement contestée, dans les détroits de Bab-el-Mandeb, de Malacca ou encore autour de Taïwan.

Exceptionnelle par sa durée et son élongation, cette mission a été l’occasion de nombreuses expérimentations, en particulier s’agissant du MCO. En effet, tenir aussi longtemps à la mer, loin des points d’appuis habituels, a obligé le GAN à embarquer une capacité augmentée en maintenance navale afin d’être en mesure de faire face, le cas échéant seul, à l’ensemble des avaries qui, immanquablement, allaient survenir.

Les auditions du commandant du Charles-de-Gaulle et du sous-chef d’état-major Soutiens-Finances ont éclairé votre rapporteur sur les enseignements de cette mission et, notamment, l’importance de l’autonomie. En l’absence de points d’appuis, c’étaient aux marins du SLM eux-mêmes de gérer les avaries. Leurs compétences techniques, en soudure ou en chaudronnerie, étaient donc essentielles, comme la disponibilité des pièces de rechange emportées par le BRF, au sein duquel étaient aussi à disposition des conteneurs ateliers équipés d’imprimantes 3D. Les conférences téléphoniques régulières entre le chef machines, le SSF et Naval Group ont aussi été un élément déterminant, notamment afin d’anticiper les futures réparations. Enfin, alors qu’un encorbellement du porte-avions avait été endommagé, c’est une équipe de Naval group qui a été projetée afin de procéder en mer à sa réparation, après une première sécurisation par les marins. Au final, 80 % des avaries ont pu être réparées à bord, seuls 20 % ayant fait l’objet d’un signalement pour une réparation lors des escales.

Cette mission illustre ce qu’on appelle le « MCO de combat », composante essentielle d’une préparation opérationnelle centrée sur la haute intensité, qui sera à nouveau testée lors de l’exercice Orion 2026, en impliquant et les marins, et les industriels.

C.   Les crédits d’infrastructures

Le montant des crédits pour les infrastructures maritimes se présente comme suit dans le PLF 2026 :

(en millions d’euros)

Description

Prévisions de crédit 2026

AE

variation

CP

variation

OS infra

109,0

- 62,4 %

138,9

- 14,7 %

OS dissuasion – entretien des infrastructures de dissuasion

226,9

+ 5,8%

194,5

+ 5,4%

Total

335,9

- 33 %

333,4

- 4 %

Source : PAP 2026.

Si les crédits, en AE et en CP, consacrés à l’entretien des infrastructures de dissuasion sont en légère augmentation, ceux de l’OS infra, consacrés aux infrastructures dites « technico-opérationnelles » de la Marine sont en forte baisse. Celle-ci s’explique principalement par un moindre besoin conjoncturel du PI Milhaud en 2026 et ne remet pas en cause la remise à niveau des infrastructures de la Marine puisque ces crédits permettront de conduire les travaux suivants :

Ces crédits soutiendront également la conduite de travaux majeurs relatifs aux installations industrialo-portuaires dans les ports militaires :

– Brest : remise à niveau des infrastructures portuaires dans le cadre de l’accueil du BGDM, carénage du bateau-porte du bassin 9 et achèvement des chantiers en cours ;

– Toulon : poursuite des travaux relatifs à l’ATM3 du porte-avions Charles-de-Gaulle (réalisation de support terrestre, refonte de la station de pompage des grands bassins Vauban) ;

– Landivisiau : remise à niveau de la plateforme aéronautique (balisage de la plateforme) ;

– Cherbourg : construction d’un stand de tir acoustique de 200 m (IPO) ;

– Toulon : poursuite des travaux d’amélioration de la sécurité-protection sur la base navale.

S’agissant des crédits des infrastructures de vie, qui relèvent du P212, les auditions ont confirmé à votre rapporteur l’effort de la Marine en ce domaine, avec un « Plan hébergement » et un « Plan restauration », à hauteur de 33 millions d’euros, lesquels visent à réhabiliter un certain nombre de bâtiments dans les bases navales de Brest, Lorient, Toulon et Hyères.

III.   Les ressources humaines : un défi permanent pour renouveler les hommes et maintenir les compétences

A.   Les campagnes de recrutement

La stratégie de marketing de recrutement et de communication mise en œuvre par la Marine représente un coût de 10 millions d’euros par an, dont 6 millions d’euros dédiés à l’achat d’espaces publicitaires. Trois critères (fréquentation, dépôts de candidature, prises de rendez-vous) permettent de mesurer son efficacité, qui est en constante augmentation :

– + 37 % de la fréquentation du site lamarinerecrute.fr entre 2023 et 2024 (2,23 millions en 2023, 3,54 en 2024, et 4,3 estimé en 2025) ;

– + 18 % des dépôts de candidatures sur le site en 2024 ;

– + 30 % des prises de rendez-vous dans les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) en 2024.

Cette stratégie comprend des dispositifs très variés allant de l’organisation de campagnes publicitaires nationales (TV, affichage…), à la présence dans les salons des métiers et de l’orientation, en passant par de nombreux dispositifs digitaux dédiés à l’emploi et à la jeunesse (plateformes emplois, CVthèques, plateformes d’ambassadorat, réseaux sociaux…). La Marine est également présente en permanence sur Internet via son site carrière lamarinerecrute.fr. Depuis 2024 un outil méthodologique algorithmique de prévision de la modélisation du mix marketing a été mis en œuvre, afin d’optimiser l’investissement sur ces leviers marketing. Plus récemment, la stratégie de marque employeur de la Marine nationale, a su rapidement faire évoluer sa communication en adoptant des visuels plus en adéquation avec la posture de « Marine de combat ». Deux visuels (catapultage sur porte-avions nouvelle génération et sous-marin nucléaire d’attaque en plongée) ont ainsi vu le jour pour remplacer des visuels montrant des scènes de vie à bord.

B.   Le recrutement en 2025

La notion d’effectifs de la Marine nationale (MN) sous-tend deux réalités :

– les postes sous la responsabilité du CEMM ;

– l’ensemble des marins dont l’emploi est plus large que la Marine en elle-même puisqu’environ 9 300 d’entre eux servent au sein d’états-majors ou de différents organismes extérieurs à la Marine.

L’évolution des effectifs terminaux (volume de postes en équivalents temps plein – ETP) du personnel militaire et civil au sein de l’employeur Marine (« domaine fonctionnel mer ») est passé de 34 080 postes en 2020 à 34 525 en 2025 ; soit une augmentation de 445 postes, avec une cible à 34 620 en 2026. Il faut par ailleurs signaler qu’entre 2023 et 2024, les postes d’apprentis ont été comptablement sortis (- 180) et la campagne des transferts a provisionné le DF MER de 192 postes.

S’agissant des marins, le tableau suivant, issu des réponses au questionnaire budgétaire, retrace l’évolution de leur effectif depuis 2020 par catégorie de grade :

Sur la période 2020-2023 on constate une diminution de l’ordre de 250 marins par an portée par les effectifs des officiers mariniers. A contrario, la croissance est portée par les officiers qui permettent de répondre aux besoins d’expertise dans des domaines en développement (renseignement, cyber…).

Si la Marine peut se féliciter d’avoir atteint, cette fois encore, ses objectifs de recrutement, il faut garder à l’esprit, comme l’a rappelé le directeur du personnel militaire de la Marine, que le nombre d’emplois supplémentaires qui lui sont accordés par la LPM 2024-2030 (741 ETP) ne représente que la moitié des effectifs dont elle estimait avoir besoin pour accomplir ses missions. La Marine doit donc combler les manques en se transformant, notamment par une plus grande place accordée aux réservistes, dont le nombre est par ailleurs en augmentation rapide (voir infra) et en réfléchissant au futur service national volontaire. Toutefois, malgré ces efforts, le manque de personnel l’oblige à faire des choix, à prendre des effectifs pour les affecter dans d’autres postes, jugés plus prioritaires et, par conséquent, à délaisser certaines missions.

En outre, ce qui ne transparaît dans ces chiffres est un certain blocage de l’ascenseur social interne, avec des officiers mariniers qui, souvent, rechignent à passer le concours d’officier. Les raisons d’une telle réticence sont à chercher dans une certaine dégradation du statut des officiers, incluant une rémunération qui peut être jugée insuffisamment attractive par les officiers mariniers compte tenu des responsabilités et des contraintes supplémentaires qu’ils endosseraient. La modification de la grille indiciaire mise en œuvre conformément à l’amendement de votre rapporteur dans le cadre de la loi de programmation militaire est désormais réalisée pour les QMF et les Officiers-mariniers. Elle a déjà produit ses effets, celle concernant les officiers devrait être mise en place avant la fin 2025.

Enfin, les mêmes spécialités sont sous tension, qu’il s’agisse du nucléaire et du cyber, compte tenu de la concurrence avec les entreprises, mais également de l’hôtellerie-restauration ou du guet sémaphorique, jugées peu attractives.

C.   La réserve opérationnelle de la Marine

La réserve opérationnelle constitue aujourd’hui une ressource indispensable au fonctionnement courant et à l’accomplissement des missions de la Marine, tout en contribuant au lien Armées-Nation. La Marine a ainsi recours à des savoir-faire apportés jusqu’à aujourd’hui par d’anciens marins d’active, mais aussi depuis toujours par des jeunes réservistes, auxquels sont confiées des tâches adaptées à leur diplôme et à la formation dispensée par la Marine.

Cette réserve est utilisée dans les domaines des opérations, de la protection du territoire national et opérations intérieures et extérieures, du soutien et des compléments opérationnels, du recrutement et rayonnement et du soutien général. Pour répondre aux enjeux du doublement de ses effectifs voulu par le Président de la République et inscrit dans la LPM, la Marine a créé entre autres les flottilles de réserve maritimes (FRM) et les flottilles de réserve spécialisées (FRS). Elles accueillent et préparent des réservistes sans passé militaire, tandis que les flottilles de réserve côtières (FRC), entièrement constituées de réservistes, apportent une nouvelle capacité de sauvegarde maritime le long du littoral. Le tableau ci-dessous retrace depuis 2019 l’évolution, par catégorie de grades, des réservistes de la Marine :

Après un point bas atteint en 2022, à 4 702 réservistes, on observe une forte progression de leur nombre, qui devrait atteindre 6 743 fin 2025, soit une augmentation de 43 %. Quant au coût de cette réserve, il a presque doublé depuis 2019, passant de 23,8 à 46,1 millions d’euros.

D.   Une durée de service qui, en 2025, reste dans la moyenne haute, malgré de disparités selon les filières et les grades

Votre rapporteur a, comme chaque année, demandé à la Marine d’actualiser les données relatives aux années de service des marins, lesquelles sont retracées dans le tableau suivant :

Si l’indicateur 2025 est, comme l’indique la Marine, à relativiser car ne portant que sur les sept premiers mois de l’année, les chiffres 2024 ont interpellé votre rapporteur car il montre un mouvement contraire entre, d’une part, l’accroissement de la durée de service des officiers sous contrat et, d’autre part, une forte diminution de la durée de service des officiers de carrière. S’agissant des officiers mariniers, la même forte diminution s’observe mais, cette fois-ci, pour les officiers mariniers sous contrat, la durée de service des officiers mariniers de carrières restant remarquablement stable.

Interrogé sur ce sujet, le directeur du personnel militaire de la Marine (DPMM) a pointé, s’agissant des officiers sous contrat, le changement de politique RH vis-à-vis de ces derniers, à compter de 2015, dans le sens d’un renouvellement systématique des contrats, sauf exception, ce qui se traduit forcément par un allongement, à terme, de la durée globale de service de ces derniers. Pour les officiers mariniers sous contrat, la diminution de la durée de service résulte
d’un passage plus important de ces derniers vers la filière d’officier marinier de carrière (cadre de maistrance).


Dans le même temps, la Marine observe que « si l’âge moyen de départ tend à légèrement diminuer suivant les catégories d’emploi, les volumes de départ ont pour leur part marqué un point d’inflexion en 2022-2023 en diminuant en 2024 », comme le montre le tableau suivant (nombre de départs par catégorie d’emploi) :

Cette baisse du nombre des départs est, à l’évidence, liée à l’ensemble des mesures mises en œuvre ces dernières années, s’agissant à la fois de la rémunération (nouvelle politique de rémunération des militaires et revalorisation indiciaire), de la prise en compte de l’équilibre vie privée/privé professionnelle (Plans famille I et II) et des efforts faits sur les infrastructures, en particulier de vie, lesquelles impactent le quotidien du marin et sa volonté de poursuivre son engagement.

 


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   Deuxième partie : le format de la marine

C’est au cardinal de Richelieu que la France doit la création d’une Marine permanente, au service du Roi et de ses intérêts, Marine dont on fêtera, en 2026, les quatre cents ans. C’est ainsi que, depuis près de quatre siècles, la Marine royale, devenue Marine nationale à la Révolution, est au service de la France et de ses souverains : rois, empereurs et peuple français. Elle a été de toutes les aventures et de toutes les guerres qu’a connues notre pays, depuis celles de
l’Ancien régime jusqu’aux plus récentes, accumulant les hauts faits d’armes et les épisodes les plus dramatiques, de la bataille de la Cheasapeake (1781) à Trafalgar (1805). Toujours, notre pays a pu compter sur sa Marine, pour le protéger mais aussi pour porter haut son pavillon et rayonner sur toutes les mers et océans de la planète.

Sans refaire ici la longue Histoire de la Marine, celle-ci révèle plusieurs constantes qui, aujourd’hui encore, éclairent son avenir comme ses enjeux :

– puissante sous l’Ancien régime, la Marine décline après la chute de l’Empire, déclin symbolisé par le naufrage de La Méduse en 1816. La remontée, entamée sous Napoléon III, s’enlise sous la Troisième République, obsédée par la « Revanche » sur terre, victime d’erreurs stratégiques (en particulier le choix de petits bâtiments au détriment des cuirassés), de manque de vision et de changements incessants de ministres de la Marine. Renouvelée après la Première Guerre mondiale, la marine française est largement détruite pendant la Seconde, avant de connaître des développements majeurs dans les années 50-60 (lancement des porte-avions Foch et Clémenceau, création de la force océanique stratégique…). En d’autres termes, son Histoire est celle d’une alternance de marées hautes et de marées basses ;

– cette alternance montre aussi la capacité de la Marine et des arsenaux, pendant les périodes de déclin, malgré les erreurs stratégiques, les vicissitudes politiques et les contraintes budgétaires, à conserver les compétences humaines et technologiques nécessaires, le moment venu, à la remontée en puissance ;

– celle-ci repose sur les hommes et, en particulier, sur l’attention à leur formation. Initiée par Richelieu dès 1626, la formation des officiers de marine est structurée à partir de 1669 par Colbert et son fils, la technicité et du matériel, et du milieu marin exigeant en effet dès l’origine une formation poussée. La Marine a multiplié les écoles et les formations afin de suivre des évolutions technologiques toujours plus rapides, tout en assurant dès l’Ancien régime la promotion de marins expérimentés pour pallier les lacunes d’un recrutement d’officiers principalement d’origine aristocratique.

La Marine d’aujourd’hui est l’héritière de cette longue histoire et c’est forte de celle-ci qu’elle affronte les défis présents et à venir. Ceux-ci sont nombreux : la guerre interétatique de haute intensité est de retour en Europe tandis que les théâtres d’affrontement entre les empires et leurs « proxys », étatiques ou non, se multiplient, durcissant comme jamais depuis la fin de la Guerre Froide l’environnement stratégique de notre pays, au point que le chef d’état-major des armées s’attende désormais à un choc vis-à-vis de la Russie dans les quatre prochaines années. L’allié américain qui, depuis 1945, garantit la protection de l’Europe est désormais incertain, obligeant les gouvernements et les peuples européens à se préoccuper, à nouveau, de leur défense.

Face à ces menaces, qui ne vont pas disparaître mais au contraire s’aggraver au cours des années à venir, il faut une Marine de combat qui retrouve des capacités en partie perdues dans l’illusion de la « fin de l’Histoire » et de son corollaire : les dividendes de la paix. Heureusement, bien que réduite, la Marine a conservé ses compétences et la remontée en puissance a commencé en 2018. Elle est cependant loin d’être suffisante et toujours fragile, à la merci de nos propres faiblesses, que nos ennemis ne manqueront jamais d’exploiter. Il y a toujours une bonne raison pour différer les sacrifices qu’implique la défense et notre époque ne fait pas exception. Les soubresauts politiques et les contraintes budgétaires ne doivent cependant pas remettre en cause le réarmement de notre pays. Il en va de sa sécurité et, donc de son avenir et de son rang parmi les nations.

Pour le cardinal de Richelieu, « les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée. ». Puisse la République et ses représentants ne pas refaire la même erreur.


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I.   Une marine en pleine transformation, après une longue période d’affaiblissement

A.   Le déclin de la marine après 1989

1.   La Marine de la guerre froide : une flotte nombreuse, puissante, à même de faire face à un ennemi existentiel

Alors que les transformations récentes du monde rappellent, sous de nombreux aspects, la Guerre froide, notamment par un nouveau choc des empires dont l’Europe est le jouet, il a semblé utile à votre rapporteur de présenter l’état de la Marine avant que la chute du mur de Berlin et le fantasme d’une « paix perpétuelle » par le droit et le commerce ne justifient son amoindrissement.

En 1990, les figures de proue de la Marine étaient, naturellement, ses deux porte-avions : le Foch et le Clémenceau. Mis à l’eau respectivement en 1957 et 1959, pouvant aligner un groupe aérien embarqué (GAé) de quarante avions et hélicoptères, ils assuraient à la France une présence permanente de l’alerte et la capacité à mener des opérations complexes sur l’ensemble des mers du globe.

Toujours en surface, notre pays alignait un porte-hélicoptères de 10 575 tonnes, le Jeanne d’Arc, un croiseur lance-missile, le Colbert, 14 frégates (lance-missiles, anti-aériennes et anti-sous-marine), 3 escorteurs de près de 3 000 tonnes, 7 aviso escorteurs de 103 mètres de long et 3 000 tonnes et 17 aviso de type 69, 15 patrouilleurs de différents types, 15 chasseurs de mines, complétés par 3 dragueurs océaniques et 4 bâtiments bases de plongeurs-démineurs.

En d’autres termes, 82 bâtiments auxquels, si on voulait un tableau plus précis, il faudrait ajouter l’ensemble des bâtiments de soutien que sont notamment, les transports de chaland de débarquement, les BATRAL, les bâtiments de soutien mobiles, les bâtiments ateliers ou encore les pétroliers ravitailleurs et transporteurs. Au final, en 1990, selon la réponse au questionnaire transmise par la Marine, la flotte de surface comportait 140 bâtiments de différents types.

Sous la mer, la force océanique stratégique alignait six sous-marins nucléaires lanceur d’engins de la classe Redoutable, dont le premier exemplaire éponyme avait été lancé en 1971. Notre pays disposait également de 4 sous-marins nucléaires d’attaques de classe Rubis, renforcés par quatre sous-marins d’attaque à propulsion classique de type Agosta et 8 sous-marins d’attaque de type Daphné.

Enfin, s’agissant des hommes, selon le décret n° 90-270 du 22 mars 1990 portant répartition des effectifs budgétaires du personnel militaire, les effectifs de la marine s’élevaient, en 1990, à 65 294 marins, toutes forces confondues.

Ces forces puissantes et nombreuses étaient nécessaires à l’époque. Notre pays était directement menacé par les troupes du Pacte de Varsovie, présentes à terre, derrière le rideau de fer, mais également sur toutes les mers bordant l’Europe. Mais elles étaient également nécessaires plus loin, partout où l’activisme soviétique, entre autres, menaçait nos intérêts nationaux. Ainsi, dans les années soixante-dix, les opérations extérieures Saphir I et II illustrèrent la reprise des interventions françaises en mer Rouge et dans l’océan Indien, deux zones déstabilisées après le renversement du Négus en 1974 et le conflit de l’Ogaden en 1977. En Méditerranée orientale, la guerre au Liban justifiait la présence permanente d’éléments de la Marine au large des côtes, entre 1976 et 1990, cependant que l’appui accordé aux gouvernements tchadien et tunisien en vertu d’accords de défense bilatéraux impliquait une posture de coercition à l’encontre de la Libye entre 1976 et 1984.

2.   Les dividendes de la paix ont été payés par les armées au prix d’un affaiblissement de leurs capacités

a.   Un affaiblissement à tous les niveaux de la Marine

Après 1989, pour la première fois de son histoire, la France n’a plus à redouter une invasion de son territoire. L’empire soviétique s’est effondré et, avec lui, s’est rapidement évanoui la conscience de la menace et la pression que celle-ci exerçait sur les populations et les gouvernements européens. Certes, toutes les menaces n’avaient pas disparu, d’autres persistaient et se sont même aggravées, comme le terrorisme, mais elles ne justifiaient plus les efforts budgétaires consentis pour construire et entretenir l’outil militaire de la Guerre froide.

En soi, l’expression « dividendes de paix », qui a désigné cette baisse des crédits militaires à partir de 1990, désormais consacrés à d’autres politiques publiques, essentiellement sociales, pourrait paraître appropriée mais cela n’aurait pas dû conduire à une vision trop idyllique des rapports entre nations se traduisant par un désarmement important. Il faut beaucoup de temps pour former les équipages et bâtir les bâtiments de combat, L’histoire nous rappelle que la guerre reste la norme. Entre 1985 et 1995, les dépenses militaires mondiales (pensions incluses) ont diminué de l’équivalent de 2,5 points de PIB.

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En trente ans, l’effort de notre pays en faveur de sa défense est donc passé de 3,5 % du PIB à moins de 2 %, le point bas ayant été atteint en 2018 à 1,84 % du PIB, pensions incluses. En excluant celles-ci, ce qui permet de mesurer le véritable effort de notre pays, le point bas est atteint en 2017 avec 1,35 % du PIB.

Le changement d’ère stratégique s’est accompagné de la publication, en 1994, d’un Livre blanc, le premier depuis 1972. Ce document, ainsi que ceux qui l’ont suivi en 2008 et en 2013, loin d’affirmer une politique ambitieuse doublée d’une vision à long terme des menaces auxquelles notre pays pourrait faire face, ont surtout servi à légitimer la baisse drastique des moyens des armées, les crédits de la défense devenant, dans un contexte budgétaire toujours plus tendu, la variable commode pour équilibrer les finances publiques.

Les moyens des armées ont donc diminué à partir des années quatre-vingt-dix et, comme les autres armes, la Marine a dû, elle aussi, payer les dividendes de la paix. Après le report de deux ans de l’entrée en service du porte-avions Charles-de-Gaulle, le décalage d’un an du programme des frégates légères et le rééchelonnement du rythme de construction des sous-marins nucléaires d’attaque Améthyste et Perle et des livraisons des avions de patrouille maritime Atlantique 2, le Livre blanc de 2013 a redéfini encore à la baisse par rapport au Livre blanc de 2008 le format de la Marine, lequel est resté inchangé depuis lors :

– un seul porte-avions : le Charles-de-Gaulle, en lieu et place du Clémenceau et du Foch, son « sister chip » n’ayant pas été commandé comme initialement prévu ;

– 15 frégates de premier rang : FREMM, FDA et 5 frégates furtives légères de type Lafayette. Certes, à première vue, le nombre de frégates est aujourd’hui supérieur à ce qu’il était en 1990 mais ces dernières ne peuvent réellement être considérées comme des frégates de premier rang ;

– 4 SNLE et 6 SNA, l’ensemble des sous-marins conventionnels ayant été retirés du service et non remplacés ;

À ces éléments structurants s’ajoute, naturellement, l’ensemble de bateaux de soutien précédemment cités. Toutefois, ceux-ci n’étant pas forcément remplacés, la Marine a dû prolonger pendant toutes ces années des bâtiments vieillissants, faiblement armés et/ou technologiquement dépassés, tels que les Avisos, les frégates de surveillance et les P400.

Au total, en 2025, en incluant les bâtiments en cours de construction qui rejoindront, à terme, la flotte de surface, celle-ci comporte 105 bâtiments (contre 140 en 1990) et 10 sous-marins (contre 22 en 1990).

Enfin, de manière cohérente avec la diminution du format, le nombre de marins à lui aussi diminué de plus de 30 %, pour se stabiliser autour de 40 000 tandis que le nombre de missiles et munitions était strictement contingenté.

Deux faits peuvent toutefois être objectés à ce triste tableau des moyens de la Marine, qui peuvent conduire à le nuancer comme à nuancer les conséquences de leur affaiblissement.

Le premier, c’est que la Marine, si elle a subi, comme les autres armées, une diminution de ses moyens, a réussi à préserver l’ensemble de ses capacités. Certes, le nombre d’exemplaires a diminué mais elle a toujours disposé du même éventail de matériels et des compétences humaines qui leur sont attachées.

Le deuxième tient aux capacités des nouveaux matériels, qui se sont accrues tandis que leur nombre diminuait. Ainsi, notre pays ne dispose-t-il plus aujourd’hui que d’un seul porte-avions mais il est à propulsion nucléaire et les avions qu’il transporte – Rafale Marine – ont des capacités très supérieures aux Super-Étendard. De même pour les SNA de type Suffren ou les frégates FREMM et FDA par rapport à ceux qu’ils ont remplacés. Largement automatisés, ces nouveaux bâtiments reposent, pour leur fonctionnement, sur un nombre réduit de marins. Pour rappel, le croiseur Colbert, ancêtre des FREMM, emportait près de 500 marins, contre 120 à 160 pour ces dernières.

Ces deux arguments sont pertinents mais leur portée doit, elle aussi, être relativisée. Des bâtiments plus modernes et plus puissants sont, naturellement, un atout significatif pour une Marine mais ils ne peuvent, à eux seuls, compenser la perte de masse qui, par elle-même, compromet l’accomplissement de ses missions et par conséquent, la sécurité du pays et la défense de ses intérêts. Enfin, ces nouveaux bâtiments doivent s’apprécier à la lumière des capacités dont disposent nos compétiteurs qui, eux aussi, se renforcent, à la fois en performance mais surtout en masse (voir infra).

b.   Des conséquences opérationnelles dont les leçons ont mis du temps à être tirées

Les conséquences opérationnelles de cette réduction du format de la Marine, compensée, pensait-on, le cas échéant, par un accroissement des capacités des nouveaux matériels, sont progressivement apparues en pleine lumière, en particulier lors des opérations à haute intensité.

De ce point de vue, l’opération Harmattan a été un instant de vérité. L’opération Harmattan est la contribution française à l’intervention militaire de 2011 dans le cadre de la guerre civile libyenne. Elle a commencé le 19 mars 2011 et s’est terminée le 31 octobre 2011. Elle a impliqué, s’agissant de la Marine, le déploiement du groupe aéronaval (GAN), composé à l’origine du porte-avions Charles de Gaulle, du sous-marin nucléaire d’attaque Améthyste, de trois frégates (la frégate anti-sous-marine Dupleix, la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, et la frégate légère furtive Aconit) et de bâtiments de soutien. La frégate antiaérienne Jean-Bart, présente sur zone dès le 7 mars 2011, a relayé le Forbin au sein du groupe aéronaval jusqu’au 1er juillet 2011. En plus du groupe aérien embarqué (GAé), des ATL 2 ont également été déployés, ainsi que les PHA Mistral et Tonnerre.

Cette mission a été un succès mais l’audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la Marine (CEMM), le 12 octobre 2011 par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, montre clairement que les limites humaines et matérielles de la Marine avaient été atteintes, voire dépassées.

Certes, « cette opération a nécessité un niveau d’engagement exceptionnel de l’ensemble des composantes de la marine. Nos unités ont appareillé en quelques jours, voire en quelques heures. Cet exercice de vérité nous a permis de mesurer notre réactivité, mais aussi notre capacité à mener des opérations de haute intensité, exigeant un niveau de coopération interarmées, inter-composantes et interalliée, dont très peu de marines sont aujourd’hui capables ». Toutefois, ces missions de combat « ont été menées de manière concomitante à nos missions permanentes même si, et j’y reviendrai, il a fallu faire des choix pendant cette période […] Toutes les demandes, notamment certaines prévues par le contrat opérationnel de la marine, n’ont pu être honorées », citant notamment « l’interruption de la présence d’Atlantique 2 en Océan indien, alors que la piraterie ne faiblit pas, l’absence de SNA en Atlantique pendant quatre mois, la réduction de la présence en Océan indien à un seul bâtiment de surface à compter du mois de juin, le gel de la mission Corymbe dans le golfe de Guinée en juillet 2011 ainsi que l’annulation de deux missions sur quatre de lutte contre le narcotrafic en Méditerranée ».

Par ailleurs, « la disponibilité des forces n’a pu être maintenue qu’au prix d’une tension extrême sur nos moyens de soutien. À titre d’exemple, à peine trois mois après le début des opérations, les taux de prélèvements de pièces sur les bâtiments avaient augmenté de 300 %, la permanence d’une FDA de type Horizon en état opérationnel a, en pratique, nécessité la mutualisation d’équipements entre les deux frégates (32 prélèvements mutuels sur des composants majeurs comme les conduites de tir, le radar de veille aérienne et la propulsion) ».

Malheureusement, les leçons de l’opération Harmattan n’ont pas été tirées et le Livre blanc de 2013 a confirmé à la fois les missions de la Marine et la diminution de ses moyens pour les accomplir, avec notamment la réduction de 18 à 15 du nombre de frégates de premier rang.

La lecture des auditions devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale du successeur de l’amiral Rogel, l’amiral Christophe Prazuk (2016-2020), montre les conséquences de ces décisions : suractivité de la marine et ruptures, plus ou moins temporaires, de capacités. Ainsi, lors de l’audition du 12 octobre 2016, il rappelle que « le Livre blanc de 2013 prévoyait des déploiements permanents sur deux théâtres ; nous sommes actuellement présents sur cinq théâtres de manière continue, dont trois qui réclament des moyens de premier rang et de la haute technologie », auxquels il faut ajouter « la posture permanente de sauvegarde maritime, qui concerne environ 10 % de nos effectifs » ainsi que « la surveillance de nos ZEE métropolitaines ou ultramarines ». Cette « suractivité » sollicite « particulièrement nos moyens les plus anciens », notamment « nos pétroliers-ravitailleurs mais également à nos patrouilleurs ».

Un an plus tard, le rapport annuel de performance 2016, cité par l’amiral Prazuk lors de son audition du 11 octobre 2017, éclaire les lacunes auxquelles faisait face la Marine : « la tenue de la fonction protection pour l’outre-mer est pénalisée par des ruptures temporaires de capacité des forces » ; « la défense maritime du territoire reste incomplète » ; « la faiblesse chronique des stocks de munitions ou de bouées acoustiques ainsi que le taux de disponibilité des frégates de premier rang constituent les principales limitations de la capacité de la marine à soutenir un engagement majeur » ; « les nombreuses activités de lutte anti-sous-marine en Atlantique Nord, les opérations de lutte/sauvetage en Méditerranée et le déploiement du groupe aéronaval ont fortement entamé les capacités de surveillance maritime ». Certes, le CEMM se félicitait du renouvellement en cours de nombreux matériels (SNA, frégates, missiles de croisière naval…). Il n’en restait pas moins que la réduction continue du format, associée à une suractivité chronique usant marins et matériels, menaçait l’accomplissement par la marine de ses missions sur le long terme.

B.   Une remontée en puissance récente avec les deux dernières lois de programmation militaire

1.   Fin du déclin et remontée en puissance

Le point bas ayant été atteint, une remontée en puissance était nécessaire, sauf à risquer le déclassement définitif de notre marine et, plus généralement, de nos forces armées. Il était d’autant plus nécessaire que l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, a marqué le retour de la menace militaire étatique, laquelle exige des moyens durcis, bien supérieurs à ceux utilisés dans la lutte anti-terroriste qui, depuis 2001, mobilisait pour l’essentiel nos armées. D’une manière générale, comme l’a constaté la Revue nationale stratégique (RNS) publiée le 13 octobre 2017, le monde entrait dans une nouvelle ère, celle « d’un système international durablement instable et incertain ». Comme l’a souligné le général François Lecointre, chef d’état-major des Armées, lors de son audition du 4 octobre 2017 devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale « les lignes qui, depuis 1989, dessinaient les contours du monde se sont brouillées sous l’effet combiné de trois facteurs principaux : le retour du recours à la violence comme mode légitimé de régulation des conflits, la persistance de la mise à l’écart d’une large partie du monde de la croissance et de l’amélioration des modes de vie, le durcissement de la menace terroriste djihadiste ».

Comme l’a rappelé le président de la République dans son discours d’ouverture de la conférence des ambassadeurs à l’été 2017, la France se doit « de tenir son rang dans un ordre mondial profondément bousculé », ce qui justifiait une nouvelle loi de programmation militaire (LPM). La LPM 2019-2025 du 13 juillet2018 a permis de réparer nos armées en mettant fin à des années de décroissance des moyens en les rehaussant à 295 milliards d’euros, soit une hausse du budget annuel de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, avant un bond à trois milliards d’euros par an à compter de 2023.

Outre des mesures générales en faveur des ressources humaines, dont les marins ont comme leurs homologues des autres armées bénéficié (Plan famille et autres mesures « à hauteur d’homme »), la LPM 2019-2025 a rompu avec des années de « bricolage », de renoncements et de décalage des livraisons en confirmant les grands programmes de renouvellement des moyens de la Marine. Ainsi en fut-il du SNLE 3G, dont « la phase de réalisation » interviendrait pendant la période de programmation, De même, le programme FROTLOG, prévu par la précédente LPM et consacré au renouvellement de la flotte logistique, connaît-il une accélération, avec la livraison anticipée du premier exemplaire, le futur BRF Jacques Chevallier. Le programme BATSIMAR confirme quant à lui le remplacement de trois types de navires largement dépassés : les patrouilleurs de haute mer en métropole (PHM), les P400 déployés dans les Outre-mer et les bâtiments de transport léger (BATRAL), la livraison des futurs patrouilleurs d’outre-mer (POM) étant en outre anticipée de deux ans. Le trou capacitaire identifié outre-mer, qui compromettait la souveraineté de notre pays sur sa ZEE, serait ainsi comblé plus rapidement que prévu. Enfin, le nombre d’ATL 2 rénovés est augmenté, porté de 15 à 18 exemplaires compte tenu des menaces accrues, notamment sous-marines. Le remplacement de la flotte d’ATL2 fera également l’objet, à l’horizon 2030‑2035, du programme PATMAR futur, prévu pour être élaboré courant 2022, pour une réalisation à compter de 2025 et des livraisons prévues après 2030.

Enfin, alors que la RNS 2017 avait affirmé que « le maintien de la supériorité aéromaritime implique de préparer le renouvellement du groupe aéronaval », la LPM a confirmé cette ambition : « les études seront […] initiées pour définir, au cours de cette LPM, les modalités de réalisation d’un nouveau porte-avions ».

L’agression de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, a constitué un électrochoc qui a justifié la décision du président de la République d’accélérer la remontée en puissance de nos armées avec une nouvelle LPM visant, cette fois, à les transformer afin de les adapter, notamment, aux enjeux de la guerre de haute intensité. S’appuyant, comme la précédente, sur une Revue nationale stratégique (RNS) présentée en novembre 2022, la nouvelle LPM du 1er août 2023, portant sur les années 2024-2030, mobilise ainsi 413,3 milliards d’euros sur la période en faveur de la Défense.

S’agissant de la Marine, outre le programme SNLE 3G, cette LPM confirme la construction du porte-avions nucléaire de nouvelle génération (PA-ng) qui remplacera le Charles-de-Gaulle en 2038, pour un montant de 5 milliards d’euros (soit la moitié de son coût global, estimé à 10 milliards d’euros). S’agissant des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) le programme Barracuda, qui les renouvelle complètement, est confirmé à la fois dans son format et son calendrier. Après la mise en service du Suffren en 2022, le deuxième de la série, le Duguay-Trouin l’a été en 2024 et le Tourville en 2025. Le De Grasse, qu’a visité votre rapporteur, vient d’être mis à l’eau à Cherbourg en 2025 et devrait être livré en 2026. Les deux derniers, le Casabianca et le Rubis, le seront en 2028 et 2029.

Par ailleurs, un effort important est fait s’agissant des nouveaux espaces de conflictualité et, en particulier, des grands fonds marins. En effet, la présentation par la ministre des Armées, le 16 février 2022, d’une stratégie de maîtrise des fonds marins (MFM) a mis en lumière à la fois les nouveaux enjeux de défense dans ce milieu immense, largement inconnu, opaque aux ondes électromagnétiques et, de ce fait, très exposé aux menaces hybrides, et les moyens nécessaires pour y faire face, moyens dont notre pays ne dispose pas actuellement. Afin de doter notre pays de la capacité de connaître, surveiller et agir dans les fonds marins, c’est-à-dire jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, la LPM 2024-2030 confirme l’acquisition d’une capacité souveraine, basée sur des drones et des robots, d’ici à 2030.

Est également confirmé le programme CHOF (capacité hydrographique et océanographique du futur), qui vise à renouveler les capacités du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Celui-ci serait désormais doté de deux bâtiments hydrographiques de nouvelle génération capables, notamment, de mettre en œuvre des drones sous-marins, notamment les drones MFM. Ils devraient entrer en service d’ici à 2030. De même, le programme de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) dotera-t-il notre Marine d’une capacité moderne de guerre des mines, basée à terme (2035) sur 5 BGDM, 8 systèmes de drones et 4 bâtiments base supports de plongeurs-démineurs.

Enfin, même s’ils sont moins visibles que les matériels, un triple effort est fait par la LPM dans deux domaines largement négligés depuis la fin de la Guerre froide alors même qu’ils sont essentiels à la remontée en puissance comme à la perspective d’un conflit de haute intensité :

 le maintien en condition opérationnelle (MCO) avec, notamment, le passage à une organisation basée sur des contrats verticalisés, donnant aux industriels une visibilité sur plusieurs années et à la Marine un seul interlocuteur par matériel. Cette révolution du MCO a permis l’amélioration de la disponibilité des matériels, condition essentielle au bon accomplissement de ses missions par la Marine dans un contexte marqué par la suractivité et les réductions de capacités ;

– les infrastructures, technico-opérationnelles et de vie (hébergements, écoles, restauration…) qui n’ont pas toujours été correctement entretenues ni rénovées, faute de moyens, nourrissant une « dette grise » qui impactait directement et les hommes et les matériels, démoralisant les premiers et nuisant aux performances des seconds ;

– les conditions de vie des marins avec la mise en place des Plans famille 1 et 2 et de l’ambition Fidélisation 360°, montrant une nouvelle attention portée par l’institution aux contraintes de la vie militaire. Les mesures contenues (garde des enfants, accompagnement du conjoint, facilités pour le logement, prise en charge des frais de transport…) conjugués à l’amélioration des soldes (NPRM et revalorisation indiciaire) ont incontestablement contribué à renforcer l’attractivité du métier et à fidéliser les marins, sans lesquels il n’y a pas de Marine.

Enfin, la Marine bénéficiera, comme les autres armées, de l’effort particulier fait dans cette LPM en faveur de la modernisation et du recomplètement des stocks de munitions. Ainsi, sur les 16 milliards d’euros de besoins programmés au titre des munitions, 11 milliards seront consacrés aux munitions complexes développées dans le cadre des programmes à effet majeur. De même, s’agissant des drones et des robots, 5 milliards d’euros doivent leur être consacrés d’ici à 2030.

2.   Le choix de la cohérence sur la masse a des effets dommageables sur les capacités de la Marine

Bien que cette LPM ait été, jusqu’à présent, comme la précédente, exécutée à l’euro près, la trajectoire budgétaire ayant été rigoureusement respectée, il n’en reste pas moins qu’en faisant le choix de la cohérence sur la masse, elle ne comble pas toutes les lacunes identifiées de la Marine, tout en obligeant celle-ci à décaler certains programmes. Ainsi en est-il des frégates de défense et d’intervention (FDI). Alors que la première – Amiral Ronarc’h, premier bateau entièrement digital, a déjà subi des retards, les quatre suivantes ne rejoindront pas la Marine d’ici à 2029, comme initialement prévu. La LPM ne vise en effet qu’une cible de trois FDI en 2030, les deux dernières étant renvoyées à la LPM suivante, l’obligeant à accomplir, pour peut-être les dix prochaines années, ses missions avec un nombre réduit de frégates de premier rang modernes.

Surtout, le nombre de frégates de premier rang reste fixé à 15 alors que, de l’avis général, il devrait être rehaussé à 18. C’est ce que souhaite la Marine depuis de nombreuses années, revendication reprise par le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu. Dans un entretien du 23 février 2025 au journal Le Parisien, ce dernier a admis que le nombre de navires de premier rang était désormais « un peu juste […]. Pour pouvoir faire face à des menaces dans la durée, il faut monter en puissance. La Marine dispose de quinze frégates. Si nous devions tenir plusieurs espaces maritimes en même temps, il faut une cible autour de dix-huit frégates ».

Non seulement les FDI font l’objet d’un décalage, sans certitude que la cible de 2035 soit atteinte mais le programme des patrouilleurs hauturiers, qui vise à remplacer d’ici 2027 les patrouilleurs de haute mer (PHM – ex Aviso) et les patrouilleurs de service public (PSP) fait aussi l’objet d’un décalage. Sept bâtiments seront mis en service d’ici à 2030 sur les dix initialement prévus, cible qui devrait être atteinte en 2035. Or, la Marine subit d’ores et déjà une réduction de capacité s’agissant des patrouilleurs hauturiers qui, conjuguée au retard de livraison de la première FDI, impacte directement la mise en œuvre de la dissuasion. C’est ainsi qu’une frégate La Fayette a dû être repositionnée en urgence de Toulon à Brest à partir de 2024 afin de protéger les SNLE quittant l’Île-Longue, faute de PHM disponible. Autre décalage, en matière de guerre des mines, si la cible finale a été confirmée, sa pleine réalisation a été décalée post 2030. Enfin, le quatrième bâtiment ravitailleur de forces (BRF), prévu pour 2029, est programmé pour prochaine LPM, retardant d’autant le retour de la flotte logistique de la Marine à sa pleine capacité.

En conclusion, comme l’a noté votre rapporteur dans son rapport d’exécution sur la LPM, « La montée en puissance capacitaire prévue par la LPM, quoique réelle, apparaît donc aujourd’hui sousoptimale. Les glissements observés ou prévisibles apparaissent préoccupants dans un contexte géopolitique où les États-Unis cherchent à moins s’impliquer dans l’organisation de la sécurité de l’Europe. Sur certains segments capacitaires ».

II.   L’aggravation des menaces met en danger et la sécurité de la France, et son rang parmi les nations

A.   Un durcissement strategique acté par la nouvelle Revue nationale stratégique

1.   Un nouveau contexte stratégique

Comme l’a souligné le président de la République dans son avant-propos de la RNS 2025, « nous sommes à un point de bascule. Les tendances relevées depuis plusieurs années déjà se sont accélérées de manière spectaculaire ».

La première est le retour de la guerre sur le sol européen, conséquence de la résurgence de la menace russe à partir de 2008, année qui a vu pour la première fois la Russie agresser militairement un autre État : la Géorgie. En 2014, c’est l’Ukraine qui, à son tour, a fait les frais de la nouvelle agressivité russe, laquelle s’est traduite par l’annexion de la Crimée et la déstabilisation durable de l’est du pays, devenue les années suivantes le lieu d’un conflit de basse intensité aux frontières de l’Europe ; ce conflit, faut-il le rappeler, est devenu une guerre de haute intensité le 24 février 2022 lorsque la Russie a envahi militairement l’Ukraine, conflit qui se poursuit encore aujourd’hui et a causé plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés. Cette menace qu’est la Russie n’est pas seulement conventionnelle mais également nucléaire et hybride, comme le montrent ses multiples attaques cyber ou (dés)informationnelles visant des pays européens comme probablement les survols de drones au-dessus de plusieurs aéroports européens.

L’agression de l’Ukraine par la Russie est la manifestation la plus visible et la plus brutale de la remise en cause, par certaines grandes puissances, de l’ordre international fondé sur les règles, et, plus généralement, de l’idéal démocratique. Leur stratégie de puissance, impliquant l’utilisation assumée de la force, remet en cause les principes fondateurs de ce dernier, tels que l’interdiction de l’agression armée, l’intangibilité des frontières ou la liberté de navigation. Cette deuxième tendance lourde n’est pas seulement le fait de la Russie mais également de la Chine ou de la Turquie, sans oublier, depuis l’élection de Donald Trump, du garant en dernier ressort dudit ordre : les États-Unis. Comme le souligne la RNS, « c’est bien le modèle européen de démocratie libérale et d’humanisme qui est aujourd’hui attaqué et contesté dans une offensive idéologique globale ».

Les États-Unis contribuent aussi largement, avec la Chine, à une autre tendance lourde qu’est l’âcreté toujours plus grande de la compétition économique internationale. Le commerce international n’est plus, aujourd’hui, forcément perçu comme un système gagnant-gagnant mais comme un jeu à somme nulle où la défense des intérêts commerciaux d’un État justifie de remettre en cause les règles de la mondialisation et la mondialisation elle-même, comme l’ont fait les États-Unis avec leurs droits de douane. Au-delà des intérêts commerciaux, le commerce international devient de plus en plus une arme à disposition des États les plus puissants. Ainsi la Chine utilise-t-elle le quasi-monopole dont elle dispose sur le raffinage des terres rares pour s’opposer aux nouveaux droits de douane américains, en restreignant leur exportation. Quant aux États-Unis, comme le rappelle la RNS, « Les leviers de la puissance américaine sont pleinement exploités au service d’un agenda plus protectionniste, doublé d’un lien quasi-systématique entre l’économie (droits de douane ou exigence de contreparties commerciales) et la sécurité ».

Quatrième tendance lourde, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes. Entamé dès 2010 sous la présidence Obama, le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l’Indopacifique vise à répondre à la menace que représente la Chine pour la suprématie américaine. Il justifie que les États-Unis concentrent leurs forces sur celle-ci en délaissant les autres théâtres, à commencer par l’Europe. Ce pivotement a connu une accélération brutale avec l’élection de Donald Trump, ses atermoiements sur la poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine, sans oublier ses tentatives de négociations directes avec la Russie sans l’Ukraine, afin de mettre un terme au conflit. Pour la RNS, « les États-Unis mènent une politique extérieure moins prévisible, avec des conséquences potentiellement majeures pour les alliances (notamment l’OTAN), les relations transatlantiques, la résolution du conflit en Ukraine et plus largement la sécurité en Europe, sur laquelle pèse le risque d’une conjonction entre la menace russe et un désengagement américain ».

Enfin, dernière tendance lourde, l’accélération du progrès technologique, lequel a des implications militaires majeures, via l’apparition d’armes autonomes ou, plus simplement, en renforçant considérablement l’efficacité des armes existantes. L’intelligence artificielle, encore balbutiante il y a quelques années seulement, est désormais au cœur des préoccupations de nos armées et constitue, après Internet à la fin des années quatre-vingt-dix, une nouvelle révolution industrielle, dans laquelle l’Europe, malheureusement, apparaît distancée. D’autres innovations majeures sont à probablement à venir, notamment en matière d’ordinateur quantique, lui aussi de nature à bouleverser l’art de la guerre par sa puissance de calcul. Elles sont aussi susceptibles de bouleversements économiques et sociaux, redéfinissant une nouvelle hiérarchie entre les États qui maîtriseront ces technologies et les autres qui dépendants des précédents, verront leur souveraineté remise en cause. Enfin, comme le souligne la RNS, face à de tels enjeux, « la compétition scientifique, technologique et industrielle s’est encore accélérée. Elle s’est traduite par la mise en place d’outils de contrôle, instrumentalisés par certains États, sur fond de rivalité sino-américaine ».

2.   De lourdes menaces pour la France, l’Union européenne et le monde, qui exigent une réponse à la hauteur

Ces cinq ruptures se renforcent et s’influencent mutuellement, créant un environnement particulièrement dangereux pour notre pays, l’Union européenne et le monde. Les illusions post-1989 sur la « fin de l’Histoire », la paix perpétuelle et le triomphe de la démocratie et du libre-échange sont désormais clairement dissipées, obligeant les États, dont la France, à adapter leur cadre de compréhension stratégique.

Comme l’explique la RNS 2025, « l’hypothèse d’une participation des armées françaises à une guerre majeure de haute intensité dans le voisinage de l’Europe et le risque d’actions concomitantes déstabilisatrices de nature hybride pour la sécurité intérieure de la France atteignent un niveau inégalé depuis la fin de la guerre froide », estimant même « centrale » l’hypothèse « d’une nouvelle agression russe contre l’Europe d’ici trois à cinq ans ». La guerre en Ukraine oblige ainsi à une remise en question profonde de nos certitudes stratégiques puisque, pour la première fois depuis 1949, la France et l’Union européenne se retrouvent face à un risque de guerre en Europe tout en étant incertains de la garantie de sécurité américaine. En d’autres termes, en cas de nouvelle agression armée visant un État membre de l’OTAN, nous devrons principalement compter sur nos seules armées et industries de défense européennes.

La menace russe est déjà une réalité pour la Marine. Outre, les attaques cyber ou informationnelles précitées, la Marine russe met à la mer un nouveau SNA tous les 18 mois et ceux-ci multiplient les opérations dans l’Atlantique Nord et au large de nos côtes, où ils sont pistés par nos frégates et nos ATL2. Plus généralement, la Marine est pleinement engagée dans les opérations dans le cadre OTAN et est même devenue en 2025 la première nation contributrice en force de surface. Elle lutte également contre la flotte fantôme russe, comme l’a montré très récemment le déroutage du pétrolier russe Bocaray.

À ce risque de guerre sur le continent européen impliquant notre pays s’ajoutent d’autres menaces, partout dans le monde. La RNS 2025 cite ainsi, au Moyen-Orient, l’Iran, « principal défi stratégique pour la France et les Européens », le « conflit israélo-palestinien », « les attaques Houthis qui nuisent directement à la liberté de navigation, à nos intérêts et à ceux de nos partenaires ». Le terrorisme djihadiste est, quant à lui « au premier rang des menaces non-étatiques visant la France. La menace persistante de Daech et d’attaques terroristes en France et en Europe est désormais majeure ». En Afrique, les foyers de crise se multiplient et, surtout, la RNS fait le lien avec « la compétition stratégique entre les grandes puissances, la menace djihadiste et des menaces transnationales majeures (criminalité organisée dont narcotrafics, trafics d’armes et d’êtres humains) ». Enfin, en Indopacifique, la rivalité sino-américaine autour de Taïwan est susceptible de dégénérer en conflit mondial, affectant directement la France, à la fois en raison des territoires que nous avons dans cette zone mais également de notre dépendance au commerce maritime.

L’ensemble de ces crises questionne les moyens dont dispose notre pays pour y faire face. « L’évolution de l’environnement stratégique oblige la France à s’adapter, de manière simultanée, à l’urgence immédiate en accélérant son réarmement global » dans la perspective d’un conflit de haute intensité et après trois décennies d’amoindrissement de ses capacités militaires. Sans rentrer dans les développements de la troisième partie de la RNS 2025, celle-ci met l’accent sur « les munitions, les drones et munitions télé-opérées, la suppression des défenses adverses, la défense sol-air et lutte anti-drones, la guerre dans le champ électromagnétique, les feux dans la profondeur y compris les capacités de frappes de missiles conventionnels, les trames « contrôle de l’espace maritime » et « aviation de chasse », l’aviation de transport et la capacité à commander, le soutien à la composante terrestre de niveau opératif d’une coalition (nation-cadre)… ». Outre-mer, « les capacités des armées seront renforcées pour améliorer la surveillance des espaces souverains, pour constituer des points d’appui et intervenir sans préavis dans leur zone de responsabilité et pour accueillir des renforts venus de l’hexagone. À l’horizon 2030, elles disposeront de près de 1 000 militaires supplémentaires, d’équipements modernisés (Scorpion, drones, patrouilleurs maritimes, etc.) ». Enfin, « dans la prolongation des travaux relatifs à la réévaluation du dispositif de flotte stratégique [mené par votre rapporteur dans le cadre de sa mission gouvernementale], il s’agira, dès 2026, de travailler à l’établissement d’une liste de navires pouvant être réquisitionnés et de tirer tous les bénéfices de la « conteneurisation » de capacités (médicales, renseignement etc.) ».

En outre, il ne faut pas oublier les autres missions de la Marine qui, elle aussi, représentent une charge croissante sur les hommes et les matériels. Comme l’indique le ministère des Armées en réponse au questionnaire, « de manière générale, au cours des cinq dernières années, l’effort moyen journalier de la Marine nationale dans les approches maritimes du territoire national, au titre des missions de sécurité civile et de sûreté, montre une tendance haussière nette. À périmètre de ressources humaines contraint, le taux moyen d’effort quotidien s’est ainsi intensifié pour passer, en 2017, de 1 680 marins engagés en opérations au titre du territoire national, à plus de 2 100 en 2021, 2 380 en 2022, 3 146 en 2023 et 2 526 marins en 2024. Cet engagement repose notamment sur les états-majors opératifs (commandements de zone maritime) et tactiques (PC de force navale, de base aéronavale, de groupement de fusiliers) pour planifier, contrôler, conduire et coordonner ce surcroît d’activités ». Lors de son déplacement à Cherbourg, votre rapporteur a pu constater la pression que représente la lutte contre l’immigration clandestine, incluant le sauvetage en mer des migrants en détresse, pour la Marine. C’est également le cas à Mayotte. Enfin, il faut signaler la lutte toujours plus intense contre le narcotrafic qui a permis la saisie de 61 tonnes de drogues sur les huit premiers mois de 2025 (contre 48 tonnes en 2024).

Ce qui se lit en creux de la RNS 2025, c’est que l’effort de réarmement, pourtant remarquable, mis en œuvre par les deux dernières LPM, est aujourd’hui insuffisant, comme est inadapté, pour l’accomplissement de ses missions, le format de la Marine compte tenu des menaces présentes et à venir.

B.   Un réarmement naval mondial, au bénéfice pour l’essentiel de nos compétiteurs

1.   Des compétiteurs stratégiques qui accélèrent

a.   La Chine

En octobre 2022, dans son premier avis budgétaire, pour le PLF 2023, votre rapporteur relevait qu’en Indopacifique « la Chine possède un nombre de bâtiments supérieurs à l’ensemble de ses principaux compétiteurs [en excluant les États-Unis]. Elle a même ravi le titre de pays disposant de la plus grande Marine du monde aux États-Unis ». Trois ans plus tard, le constat est le même et est désormais reconnu par les États-Unis eux-mêmes. Dans son rapport annuel sur le développement militaire de la Chine, publié en décembre 2024, le Pentagone note que « la Chine a la plus grande marine du monde avec une flotte de plus de 370 navires et sous-marins, incluant 140 bâtiments de surface importants ».

Certes, la marine américaine a pour elle de disposer de 11 porte-avions, qui plus est nucléaires, contre 3 seulement pour la Chine, mais, surtout, plus d’une centaine de navires de combat de première ligne, dont certains armés de missiles de croisière, ainsi que 70 sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins. Une importante flotte amphibie (30 bâtiments), une centaine de navires de soutien et ravitaillement, une flotte de réserve, les avions de transport du Military Sealift Command, etc., complètent cette Marine. L’US Navy dispose en outre, contrairement à la Chine, d’un réseau dense de bases et de points d’appui, d’alliés et de partenaires, tout autour de la planète. Surtout, créée il y a 250 ans, elle a pour elle l’expérience du combat naval, sur l’ensemble des mers et océans, y compris de haute intensité, encore aujourd’hui en mer Rouge.

Seulement, contrairement aux États-Unis (voir infra), la Chine accélère toujours plus son réarmement naval, accentuant le déséquilibre en sa faveur. La comparaison avec les Américains doit en effet se faire sur un mode dynamique et celui-ci est, très clairement, en faveur de la Chine. Dans un article paru le 3 septembre 2025 dans Atlantico, M. Emmanuel Lincot, sinologue et chercheur associé à l’IRIS, rappelle que « la Chine met à la mer, tous les quatre ans, l’équivalent de la Royal Navy », ce qui montre, si besoin en était que stratégiquement parlant, la Chine « donne la priorité à la mer [car] le danger se situe moins à l’ouest que sur les mers ».

S’agissant de la flotte de surface et, en particulier, des porte-avions, le dernier-né, le Fujian, totalise plus de 80 000 tonnes contre 42 500 pour Charles-de-Gaulle. Bien qu’à propulsion électrique, il dispose d’un système de catapultage électromagnétique jusqu’alors réservé aux porte-avions américains, permettant la propulsion d’avions plus lourds. Le prochain porte-avions, dont la construction a déjà commencé, sera quant à lui à propulsion nucléaire et le premier d’une série permettant à la Chine, à l’horizon 2035, de disposer de six porte-avions, instruments essentiels pour une projection de puissance vers Taïwan.

L’autre axe de développement de la Marine chinoise, ce sont les sous-marins, lesquels sont nécessaires à sa stratégie de déni d’accès de la mer de Chine méridionale. Selon le même rapport du Pentagone, la Chine a construit, en quinze ans, 6 SNA (SHANG I type 093 et SHANG II type 093A) et 6 SNLE de classe JIN transportant chacun 12 missiles balistiques et le rythme s’accélère : la construction de 4 SNA SHANG III type 093B, les plus modernes, a été lancée entre mai 2022 et janvier 2023, qui pourraient être opérationnels d’ici à fin 2025. Trois ans seulement sont donc nécessaires à la Chine pour produire trois SNA.

D’une manière générale, alors que la Marine chinoise était, jusqu’à il y a quelques années, en retard technologiquement sur la marine américaine, c’est de moins en moins le cas pour les gros équipements comme les sous-marins mais également dans d’autres catégories. Comme le relève M. Emmanuel Lincot dans l’article précité, « on assiste à une montée en gamme du matériel chinois. Ainsi, lors du défilé du 3 septembre 2025 sur la place Tiananmen des missiles hypersoniques anti-navires de type « yi ji », « ying ji » pouvant être tirés depuis des navires ont été montrés. Des robots sous-marins sans équipage ainsi que des batteries de missiles laser anti-aériens de nouvelle génération capables de détruire des satellites et pouvant être embarqués sur un navire complètent cette panoplie ». En outre, par rapport à la marine américaine, elle peut s’appuyer sur les « 8 000 navires marchands battant pavillon chinois contre 80 battant pavillon américain. À tout moment, étant donné la nature du régime, ces navires peuvent être mobilisés par l’armée chinoise pour des besoins logistiques et notamment pour une opération amphibie contre Taïwan ».

Enfin, consciente de son manque de points d’appuis, la Chine cherche à s’implanter au-delà de la mer de Chine méridionale, notamment dans les zones lui permettant de contrôler le trafic maritime, dont elle est étroitement dépendante. C’est ainsi qu’elle a installé une base navale à Djibouti, sur le détroit de Bab-El-Mandeb, élément central de sa stratégie dite du « collier de perles visant à bénéficier d’installations portuaires dans des pays amis. À ce titre, elle a financé l’extension et la modernisation de la base navale de Ream dans le sud du Cambodge, possède le port de Gwadar au Pakistan ou encore le port de Hambantota au Sri-Lanka, entre autres.

b.   La Turquie

Pour les Ottomans, la mer était synonyme de conquête et la Méditerranée leur espace naturel d’expansion. Au XVIe siècle, malgré sa défaite lors de la bataille navale de Lépante, l’empire a imposé sa domination en Méditerranée orientale et a projeté son influence jusqu’à la régence d’Alger. Toutefois, le XIXe siècle verra progressivement la mer associée aux menaces et aux défaites à mesure que l’empire perdît ses territoires côtiers (Grèce, Algérie, Chypre, Égypte, Libye) et que la mer Noire, lac ottoman depuis le rattachement du Khanat de Crimée en 1475 dût être partagée avec la Russie. Cette perception de la mer, devenue négative, est symboliquement entérinée par Atatürk qui déplace la capitale d’Istanbul, ville maritime par essence, à la ville anatolienne d’Ankara.

Tout au long du XXe siècle, la Turquie est une puissance avant tout terrestre l’armée et de terre et, pour une part, l’armée de l’Air, captant l’essentiel des ressources et fournissant au pays ses plus hauts responsables militaires et le cas échéant, politiques. Comme le souligne une note de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) du 28 mai 2024, tout change avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2003. « Ce nouveau parti renoue avec une perception des mers comme étant un espace d’opportunités et de puissance à investir dans le but de sortir de l’immobilisme économique tout en nourrissant un projet d’influence régionale ». En août 2020, à la suite des tensions avec la Grèce, le président Erdogan a été très clair sur les ambitions turques : « la Turquie prendra ce qui lui revient de droit en mer Noire, en mer Egée et en Méditerranée […] Nous ne ferons absolument aucune concession sur ce qui nous appartient ».

Cette agressivité s’inscrit dans une doctrine navale intitulée « Mavi Vatan » (Patrie bleue), développée au début des années 2000 et officiellement reprise en 2019 par le président Erdogan lors du plus grand exercice naval de l’histoire de la Turquie qu’il a, justement, appelé « Mavi Vatan ». Aujourd’hui, comme le souligne la note précitée de FMES, « celle-ci n’est plus uniquement une contestation des ZEE gréco-chypriotes ; elle est devenue un slogan soulignant un investissement massif et multidimensionnel des mers : militaire (montée en puissance de la Marine), économique (recherche et exploitation d’hydrocarbures), industriel (indigénisation des capacités militaires), diplomatique (accords avec la Libye, soutien à la RTCN) et juridique (lawfare pour contester les normes internationales) ».

La Turquie s’est donné les moyens de ses ambitions en se lançant, dès les années quatre-vingt-dix, dans une vaste modernisation de sa marine dont les effets se font sentir à plein aujourd’hui. Comme l’a affirmé le président Erdogan, « notre objectif est l’indépendance maritime et la supériorité régionale » :

– le programme MILGEM a fourni à la marine turque quatre corvettes de lutte anti-sous-marine, une corvette de renseignement, une frégate multi-rôle de classe (3 supplémentaires sont en cours de construction) et se focalise aujourd’hui sur le développement des futures frégates lourdes de défense aérienne TF-2000, que la Marine devrait percevoir au début des années 2030 ;

– le programme MILDEN comprend la construction sous licence des six sous-marins allemands de Type 214TN (dont 3 sont déjà livrés) puis le développement d’un programme de sous-marins nationaux à horizon 2040 ;

– le premier porte-aéronefs turc, le TCG Anadolu, en service depuis fin 2022, qui transporte principalement des drones et des hélicoptères, sera complété par un sister-ship, le TCG Trakya, dont la conception a été lancée. Enfin, fin août 2025, le président Erdogan a annoncé le lancement du projet MUGEM, futur premier porte-avions conçu et construit dans le pays ; plus grand que le Charles-de-Gaulle, il sera pensé dès l’origine pour des drones de combat de dernière génération ;

– Le programme DIMDEG a permis le développement du pétrolier ravitailleur TCG Derya, livré à la marine turque en 2024 et plus adapté à la projection lointaine (hors Méditerranée) que ses deux prédécesseurs ;

– enfin, le programme MELTEM-III modernise les avions de patrouille maritime ATR-72 en renforçant les capacités de lutte anti-sous-marine et antisurface.

Comme le souligne la note précitée, « d’ici 2028-2030, le nombre de frégates possédées par la Turquie sera vraisemblablement passé de 17 à 23, haussant ainsi le nombre total de navires de 1er rang de 27 à 36. Ces nouvelles acquisitions feront augmenter le tonnage global, tout en abaissant l’âge moyen de la flotte autour de 15 ans. Ankara aura par ailleurs davantage diversifié ses capacités grâce à l’aboutissement de programmes de drones navals et aériens ».

2.   Des alliés pas forcément au rendez-vous de la menace

Face aux empires, à leur armada et leur agressivité retrouvée, nos deux principaux alliés que sont les États-Unis et le Royaume-Uni sont dans une situation délicate, tandis que les autres pays européens font ce qu’ils peuvent avec leurs moyens limités.

a.   Les États-Unis

Ainsi qu’il a été dit supra, l’US Navy reste la première marine du monde en termes de puissance, à défaut de l’être en nombre d’unités ou en tonnage. Sans revenir sur ses atouts, déjà évoqués supra, les développements à suivre s’appesantiront sur les faiblesses américaines, lesquelles sont bien documentées et concernent la totalité ou presque de la Marine.

D’une manière générale, l’industrie navale américaine est en déclin et ce déclin s’est accéléré avec le Covid qui a vu nombre d’ouvriers et techniciens être licenciés ou se reconvertir, conduisant à une perte de savoir-faire irremplaçables, à la fois dans la construction et dans la maintenance. Ainsi, dans les années soixante-dix, 5 % des navires commerciaux construits dans le monde (en tonnage brut) l’étaient aux États-Unis. Aujourd’hui, c’est seulement 1 %, une goutte d’eau face à la Chine (50 %), à la Corée du Sud (26 %) et au Japon (14 %).

S’agissant plus spécifiquement des chantiers navals militaires, ceux-ci cumulent les mêmes problèmes de ressources humaines auxquels s’ajoutent des décennies de sous-investissement, des problèmes d’approvisionnement et des errements de l’US Navy, qui multiplie les demandes de modifications, souvent tardives, entraînant retards et surcoûts. Par conséquent, comme l’a souligné le sénateur républicain Roger Wicker, à l’audition fin février de John Phelan, désigné ministre de la Marine américaine, « quasiment chaque gros programme […] est en retard, hors budget ou irrémédiablement hors des clous ». Les exemples suivants sont édifiants :

– les tranches IV et V des sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia affichent respectivement 36 et 24 mois de retard, ce qui est susceptible de compromettre par ricochet la livraison à l’Australie des exemplaires prévus dans le cadre de l’accord AUKUS ;

– les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Columbia, qui doivent remplacer les 12 SSBN de la classe Ohio, souffrent également de retards de 12 à 16 mois, en dépit du caractère hautement stratégique de ce programme.

– le troisième porte-avions nucléaire de la classe Gerald Ford, l’USS Enterprise est, lui aussi, très en retard sur son planning, de 18 à 26 mois ;

– enfin, la classe de frégates Constellation, appelées à jouer un rôle central dans la modernisation de la flotte de surface américaine, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, affiche un retard de 36 mois.

Naturellement, ces retards à répétition impactent directement la capacité de la Marine américaine à délivrer des bâtiments, alors que la Chine, elle, produit à plein régime. À l’occasion de son audition devant le Sénat américain le 1er février 2024, alors qu’il s’apprêtait à prendre les fonctions de commandant en chef pour l’Indopacifique, l’amiral Samuel Paparo Jr. a souligné qu’en 2023, la marine chinoise a intégré quinze nouvelles grandes unités combattantes de surface (croiseurs et destroyers) au service actif alors que l’US Navy n’en a admis que deux.

Les difficultés touchent également le maintien en condition opérationnelle. L’US Navy avait pour objectif de porter la disponibilité opérationnelle de ses navires amphibies à 80 %, mais se heurte à des difficultés à répétition. Un rapport du Government Accountability Office (GAO) indique qu’en mars 2024, 50 % des 32 navires se trouvaient dans un état insatisfaisant. Les dérives techniques posent de sérieux problèmes à l’US Marine Corps qui, faute navires disponibles, ne peut se préparer efficacement au combat. Depuis 2010, le non-respect des plannings de maintenance a fait perdre au total 28,5 années de formation et de déploiement.

Ces différents problèmes, notamment de maintenance, ont des effets opérationnels bien concrets, comme l’illustre le fiasco du déploiement du porte-avions Harry S. Truman en mer Rouge, marqué par les incidents suivants :

– mi-février 2025 : collision avec un navire marchand panaméen près de Port Saïd, entraînant le limogeage en pleine opération du commandant ;

– fin avril 2025 : chute en mer d’un Super Hornet pendant son remorquage dans le hangar du porte-avions ;

– début mai 2025 : rupture d’un brin d’arrêt lors de l’atterrissage d’un Super Hornet, provoquant sa chute par-dessus bord.

Ces incidents, qui révèlent de graves lacunes dans la formation des équipages, la maintenance des équipements et la chaîne de commandement, soulèvent de sérieuses questions sur l’état de préparation et l’efficacité opérationnelle de la première puissance navale mondiale.

b.   Le Royaume-Uni

Longtemps la première marine du monde, symbole de la puissance du Royaume-Uni et de son empire, sur lequel le soleil ne se couchait jamais, la Royal Navy n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les causes en sont bien connues et ont fait l’objet de nombreux rapports outre-manche : depuis la fin de la Guerre froide, les « dividendes de la paix » ont dicté une baisse continue des commandes navales, concentrées sur quelques programmes de prestige comme les sous-marins de classe Astute et les porte-avions HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales, délaissant tout le reste : frégates, patrouilleurs, bâtiments de soutien… pourtant essentiels pour tenir à la mer. La perte de compétence industrielle en résultant a pour conséquence des retards chroniques dans l’exécution des différents programmes autant que des défaillances répétées dans le MCO des bâtiments tandis que la réduction continue de leur nombre, leur vieillissement et leur mauvais entretien compromettent l’accomplissement des missions de la Royal Navy, désormais totalement dépendante de ses alliés pour les opérations de projection. Enfin, le Royaume-Uni souffre des départs massifs de marins expérimentés, des difficultés de recrutement et de la faible attractivité des carrières militaires. Les salaires sont médiocres, les carrières attirent moins et les formations se raréfient, au point qu’en 2024, la Royal Navy a utilisé LinkedIn pour trouver son prochain directeur des sous-marins nucléaires, espérant attirer un officier à la retraite ayant une expérience à la hauteur des exigences du poste.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Forte de 130 bâtiments en 1990, elle n’en aligne plus que 62 en 2025. Pire encore, le rythme de l’attrition s’accélère : depuis 2022, la Royal Navy a perdu 15 navires majeurs, pour seulement trois gains significatifs. Parmi les pertes : les deux navires de débarquement Albion et Bulwark, plusieurs frégates Type 23, des sous-marins d’attaque, des navires de soutien logistique et de guerre des mines. Selon les propres prévisions du ministère de la Défense, elle ne disposera que de sept frégates opérationnelles en 2026, bien en deçà du minimum requis de treize pour l’accomplissement de ses missions. La faute en revient à la fois au vieillissement des navires, qui enchaînent les avaries et les mises en cale sèche, mais également à la pénurie de marins, qui empêche de les armer et oblige, finalement, à les retirer du service pour limiter les coûts.

Lorsque les bâtiments existent, sont armés et sont (en principe) opérationnels, ils enchaînent les déconvenues qui, parfois confinent à l’humiliation. Ainsi, en 2024, alors que le HMS Queen Elizabeth devait participer à l’exercice Steadfast Defender de l’OTAN, un problème avec un accouplement sur l’arbre d’hélice tribord l’a contraint à déclarer forfait et à être remplacé par le HMS Prince of Wales qui, à son tour, a connu une avarie qui a retardé son départ de plusieurs jours… Plus généralement, faute d’un groupe aéronaval complet, le Royaume-Uni ne peut déployer ses porte-avions sans le soutien de ses alliés qui parfois, fait défaut, comme en mer Rouge.

Enfin, même la dissuasion apparaît compromise tant elle se déroule, faute de marins et de SNLE disponibles en nombre suffisant, dans des conditions qui sont sous-optimales. Exclusivement sous-marine, elle est mise en œuvre par quatre SNLE de classe Vanguard, porteurs de missiles Trident II D5 équipés de têtes nucléaires. À tout moment, comme en France, au moins un de ces sous-marins est en mer. Toutefois, les opérations de maintenance de ces SNLE lancés en 1993, en les immobilisant régulièrement et longuement, ont allongé considérablement la durée missions, atteignant des records comme celui du Vengeance, resté en mer 201 jours, contre environ 80 jours pour nos SNLE. Obliger l’équipage à rester près de sept mois en opération, sans contact avec l’extérieur et dans un milieu confiné, non seulement fait peser un risque considérable sur sa santé physique et mentale et, par conséquent, sur son efficacité opérationnelle, mais compromet aussi largement et la fidélisation, et le recrutement des sous-mariniers, ce qui oblige ceux qui restent à des missions encore plus longues…

Publiée en 2025, la revue stratégique de défense (Strategic Defence Review) tente de corriger le tir, notamment en portant le budget de défense à 2,7 % du PIB d’ici 2027 et jusqu’à 3,5 % à l’horizon 2035, une part substantielle de ces nouvelles ressources devant être affectée à la Marine. Reste qu’après trois décennies de chute libre, autant de temps sera probablement nécessaire à la Royal Navy pour remonter la pente.

c.   L’Allemagne

Si, nonobstant le sursaut appelé par l’Integrated Strategic Review, la marine britannique est en déclin, d’autres pays européens ont, eux, fait le choix de renforcer la composante marine de leurs forces armées. Parmi ceux-ci, l’Allemagne.

L’ossature de la marine allemande repose essentiellement sur 10 frégates, 5 corvettes, 6 sous-marins classiques et sur environ 16 000 personnels. Toutefois, s’agissant de la flotte de surface, sur les dix frégates, seules six (les F123 et F124) apparaissent suffisamment armées face à la conflictualité moderne, au point que l’Allemagne a préféré ne pas envoyer une frégate F125 en mer Rouge, ses moyens de défense sol-air du bâtiment étaient trop limités face aux capacités des Houthis. Les forces sous-marines sont, quant à elles, composées de 6 sous-marins classiques (SSK) de la classe U212A livrés entre 2005 (Batch 1) et 2015 (Batch 2). Enfin, l’Allemagne n’a jamais disposé de porte-avions.

Bien que la Bundeswehr soit une armée essentiellement terrestre, créée pour faire face aux forces du Pacte de Varsovie, le choc qu’a constitué l’agression russe de l’Ukraine a justifié un effort considérable de réarmement décidé par le Chancelier Scholtz : 10 milliards d’euros seront dévolus à la Marine, dont 4,6 milliards d’euros pour les nouvelles frégates F126, des bâtiments d’environ 165 mètres et de près de 10 000 tonnes. La tête de série, la Niedersachsen, a été mise sur cale en juin 2024 et devrait être livrée en juillet 2028 et, d’ici à 2035, l’Allemagne sera en mesure d’aligner 15 frégates de premier rang. S’agissant de la composante sous-marine, deux nouveaux sous-marins 212CD, version améliorée et agrandie des 212A, rejoindront la marine allemande d’ici à 2030. Enfin, les drones constituent un axe prioritaire de développement avec 18 Future Combat Surface System, des systèmes autonomes de lutte contre les mines, 6 drones aériens en complément des avions de patrouille maritime ou encore 6 drones sous-marins.

d.   L’Italie

Contrairement à l’Allemagne, l’Italie a toujours donné la priorité à sa Marine qui, en 2025, est l’une des premières d’Europe, s’appuyant sur une industrie navale parmi les plus performantes.

Depuis décembre 2024, l’Italie possède ainsi deux porte-aéronefs, l’ITS Trieste ayant rejoint l’ITS Cavour, ainsi qu’un groupe aéronaval qui a permis à ce dernier d’effectuer l’année dernière, une mission au long cours en Indopacifique, loin de la Méditerranée qui constituait, jusqu’alors, son espace privilégié. L’Italie compte franchir un nouveau pallier puisque, dans un entretien publié par le Corriere Della Sera, le 8 juin dernier, son chef d’état-major, l’amiral Enrico Credendino, a indiqué qu’elle envisageait de lancer un projet de porte-avions à propulsion nucléaire, lequel intégrerait aussi des drones qui sont l’une des priorités de sa marine : « la Marine a un projet budgétaire pour une période allant jusqu’en 2040. Elle envisage un porte-avions à propulsion nucléaire, mais aussi des drones de tout type. […] Nos soixante navires seront tous dotés de vastes espaces pour embarquer des drones. Le Trieste, notre unité la plus récente, embarque des chasseurs et des drones de toutes les tailles ».

S’agissant toujours de la flotte de surface, l’Italie surclasse notre pays en alignant dix FREMM, lesquels seront complétées par deux unités supplémentaires à la fin de la décennie, pour un coût de 1,5 milliard d’euros. Notre pays, quant à lui, n’en compte que huit. En 2030, la marine italienne aura donc seize frégates de premier rang, soit un nombre supérieur au nôtre, mais surtout le nombre qui lui avait été promis en 2005, lorsque le programme FREMM a été lancé. Pour rappel, notre pays s’était engagé, à l’époque, sur dix-sept FREMM avant que la
LPM 2009-2014 ramène ce chiffre à onze. Puis, en 2015, il fut décidé de le réduire à seulement huit unités au profit du programme de frégates de défense et d’intervention.

Enfin, toujours en 2024, l’Italie a annoncé deux investissements importants au profit de la Marina Militare, avec les commandes d’un quatrième sous-marin U212 NFS, version italienne des sous-marins allemands précités, et de cinq nouveaux navires chasseurs de mines, pour un montant total de 2,6 milliards d’euros.

III.   Un format de la marine redefini dans une stratégie cohérente et ambitieuse

A.   Accroître la masse

1.   La permanence d’alerte des porte-avions

Depuis 2001 et le désarmement du Foch et du Clémenceau, la France ne dispose plus que d’un seul porte-avions, le Charles-de-Gaulle. En 2038, ce dernier sera remplacé par le porte-avions nouvelle génération (PA-ng) dont la construction a commencé dans les ateliers de Naval group. Ce renouvellement de la capacité « porte-avions » n’a pas été sans nombreux débats au cours desquels ses opposants ont avancé, pour l’essentiel, trois arguments :

– le porte-avion est un matériel très coûteux. Pour rappel, le coût du
PA-ng est aujourd’hui estimé à plus de 10 milliards d’euros, autant d’argent qui pourrait être utilisé pour renforcer d’autres composantes de la Marine ;

– coûteux, le porte-avions serait également très vulnérable, en particulier aux missiles hyper-véloces et aux essaims de drones, aériens, navals et sous-marins, lesquels sont susceptibles de franchir et/ou de saturer ses défenses ;

– enfin, coûteux et vulnérable, le porte-avions est également un équipement très complexe, dont le maintien en condition opérationnel exige de nombreuses et longues périodes d’immobilisation, notamment plusieurs ATM (arrêt technique majeur) de plus de dix-huit mois pendant laquelle notre pays est privé du Charles-de-Gaulle.

Pour votre rapporteur, ces arguments n’en sont pas. Certes, un porte-avions représente une lourde charge ; mais comment quantifier le déclassement de notre pays s’il n’en possédait pas, à l’inverse de nos alliés et, surtout, de nos compétiteurs qui, eux, assument une telle dépense parce qu’ils voient clairement l’atout stratégique et opérationnel autant que symbolique que constitue la possession d’un porte-avions. Il est une base aérienne dont on ne connaît pas les coordonnées GPS. La mission Clémenceau 2025, exceptionnelle par sa durée et sa zone de déploiement, a ainsi confirmé la plus-value d’un groupe aéronaval (GAN) tant sur le plan militaire que diplomatique, démontrant la capacité de la France à projeter de la puissance loin et longtemps. Ce déploiement a renforcé la crédibilité française auprès de nos alliés et de nos partenaires tout en adressant un signal stratégique clair à nos compétiteurs.

Vulnérable, un porte-avions ? C’est oublier qu’il n’est jamais déployé seul mais toujours accompagné d’un groupe aéronaval composé, notamment, de frégates de défense aérienne et de SNA, à même de le protéger de toutes les menaces, à commencer par celles des drones et des missiles. Car enfin, s’ils étaient aussi vulnérables et donc inutiles, pour quelle raison les États-Unis, la Chine, l’Inde ou la Turquie dépenseraient-ils autant pour les multiplier ?

Enfin, l’argument de l’indisponibilité répétée et prolongée du Charles-de-Gaulle est réversible. Loin de plaider pour l’abandon de la capacité structurante qu’est le porte-avions, il montre au contraire qu’il faut en posséder au moins deux, comme l’ont compris les pays susmentionnés ainsi que, plus proches de nous, le Royaume-Uni et l’Italie, afin d’assurer une permanence d’alerte.

Or, une fenêtre d’opportunité va s’ouvrir avec le tuilage entre le Charles-de-Gaulle et le PA-ng, entre 2036 et 2038. Pendant ces deux années, la Marine sera en mesure d’armer deux porte-avions, deux équipages ayant été constitués pour ce tuilage. S’il pourrait être possible de prolonger quelques années de Charles-de-Gaulle, à condition que les chaudières, en particulier, le permettent, une autre solution, bien plus pérenne, serait d’envisager, dès maintenant, la construction d’un sister-ship du PA-ng, au coût réduit d’au moins 30 %. Forte de ses deux porte-avions – mais d’un seul GAN et d’un seul GAé, notre pays retrouverait la capacité qui était la sienne avec le Foch et le Clémenceau, celle d’une permanence d’alerte qu’exigent le durcissement du contexte stratégique et la multiplication des crises.

Alors que les travaux du PA-ng ont commencé, il est évident que la décision de lui donner un sister-ship doit être prise dans les prochaines années, afin que sa construction s’intègre dans les meilleures conditions au plan de charge de Naval group, tout en permettant les aménagements nécessaires dans la base navale de Toulon. La LPM 2024-2030 prévoit d’ailleurs que « seront menées des études de coûts qui permettront au Gouvernement de présenter au Parlement, en 2028, une estimation des crédits nécessaires à la conception, à la réalisation, à l’activité et à l’entretien d’un second porte-avions de nouvelle génération ainsi qu’aux infrastructures et aux dépenses de personnel liées à son fonctionnement ».

2.   Dix-huit frégates de premier rang

Les développements précédents ont, à plusieurs reprises, évoqué l’abaissement de l’ambition de notre pays, qui a renoncé pour des raisons budgétaires à ses dix-huit frégates de premier rang, se limitant à quinze dont dix FREMM et FDA, alors même que les menaces s’aggravent continuellement. Certes, les FDI vont progressivement remplacer les FLF et entraîner un véritable bond capacitaire en avant mais avec ses 15 frégates de premier rang, notre pays restera en deçà de l’Italie alors même que les menaces auxquelles il fait face, compte tenu de la répartition mondiale de ses intérêts, sont plus importantes. Quant à l’argument qu’avec le système du double équipage de 4 FREMM et un MCO performant, les jours de mer peuvent être maximisés, au point que notre pays compterait en pratique 1,5 FREMM de plus, il ne change rien au fait que ces 4 FREMM à double équipage ne peuvent pas être sur 5 ou 6 théâtres simultanément… Performance et masse, loin de s’opposer, s’additionnent et nos compétiteurs l’ont parfaitement compris.

Pour augmenter la masse, la solution la plus évidente – et la moins coûteuse - serait de se reposer sur les capacités de nos alliés. La marine italienne, par exemple, ne va-t-elle pas disposer, bientôt, de deux FREMM supplémentaires dont notre pays aurait bien besoin ? Séduisante, cette solution implique cependant une perte de souveraineté car la France serait en position de demandeuse et nos alliés pourraient refuser de fournir les bateaux car ils ne verraient pas leur intérêt à satisfaire à cette demande. Si, en Europe, on peut espérer un soutien car nos intérêts sont communs, qu’en sera-t-il pour des déploiements dans l’océan Indien ou plus loin encore, dans le Pacifique ?

M. Sébastien Lecornu, alors ministre des Armées, a lui-même reconnu la nécessité, pour notre pays, de disposer de 18 frégates de premier rang, soit 3 de plus qu’aujourd’hui. Reste la question : si la décision devait être prise en ce sens, quels types de frégates seraient concernés ?

Les FDI apparaissent comme les candidats naturels pour rejoindre les 6 FREMM. Bateau le plus moderne de la flotte de surface, les FDI disposent en outre, malgré leur densité, d’une marge d’évolution en termes d’armement. Elles pourraient ainsi accueillir, comme leurs homologues grecques, 32 missiles Aster, en plus d’une capacité renforcée en missiles Mistral et des brouilleurs, ainsi que des drones S100. Naval group aurait par ailleurs la capacité de produire, dans un délai raisonnable, ces trois FDI supplémentaires, à condition toutefois que la décision de les commander soit prise rapidement, afin que de sécuriser les approvisionnements nécessaires, notamment en composants électroniques. Cependant des frégates de plus de 7 000 tonnes présentent nos nombreux avantages comme la polyvalence, ou la possibilité d’effectuer des modifications y compris en armement lourd.

La question du renforcement de l’armement de nos bateaux se pose au-delà des FDI, en lien étroit avec la problématique drones, faisant apparaître un paradoxe pour le moins étonnant : si les FDI et les POM sont équipés de drones, tel n’est pas le cas de nos frégates de premier rang. C’est un souci majeur compte tenu de l’importance opérationnelle acquise par les drones, dont votre rapporteur espère qu’il sera résolu rapidement. Par ailleurs, il apparaît nécessaire de renforcer l’armement des FREMM et FDA, notamment par des conduites de tir STIR et des lanceurs Mistral, évolution qui serait envisagée.

3.   Une véritable flotte stratégique française, servie par une industrie de construction navale performante

a.   La nécessité de lever les obstacles à la constitution d’une véritable flotte stratégique française

Aujourd’hui, comme l’a souligné à plusieurs reprises votre rapporteur dans ses précédents avis, 90 % du trafic international de marchandises se fait par la mer avec cette conséquence que notre pays, comme tous les pays européens et au-delà, est étroitement dépendant des flux maritimes et des entreprises de transport maritime qui, concrètement, les animent.

Or, selon la dernière étude disponible ([1]), la France se situe, en 2024, au 24e rang des flottes mondiales par pavillon et au 19e rang pour sa flotte contrôlée. De manière plus éclairante, le tonnage français représente 0,4 % du tonnage mondial dont 61,4 % sont détenus par les cinq premiers pavillons (Liberia, Panama, Îles Marshall, Hong Kong et Singapour).

Si ces chiffres apparaissent peu flatteurs, ils masquent une évolution favorable de la flotte de commerce sous pavillon français ces dernières années, puisque celle-ci est passée de 415 navires de plus de 100 UMS représentant une capacité de transport de 6,3 millions d’UMS en 2019 à 441 navires totalisant près de 10 millions d’UMS en 2025. 193 navires sont inscrits au registre international français (RIF) 191 au registre métropolitain et 57 au registre d’Outre-mer.

Certes, c’est relativement peu mais ces 441 navires de commerce, dont 213 navires de transport représentant l’essentiel de la capacité de transport, sont une force pour notre pays et un appui essentiel à la Marine en cas de crise, en lui apportant une partie de la masse qui lui fait défaut et qui peut faire la différence en cas de conflit de haute intensité. Lors de la guerre des Malouines, en 1982, la Royal Navy a pu s’appuyer sur les navires de commerce britanniques pour s’approvisionner en munitions, en ravitaillement et en carburant.

C’est ce qu’on appelle la flotte stratégique, dont la loi sur l’économie bleue du 20 juin 2016 a posé le principe dans l’article L. 2213-9 au code la Défense : « les navires battant pavillon français peuvent être affectés à une flotte à caractère stratégique permettant d’assurer en temps de crise la sécurité des approvisionnements de toute nature, des moyens de communications, des services et des travaux maritimes indispensables ainsi que de compléter les moyens des forces armées ».

Si le principe a été aisé à poser, sa mise en œuvre concrète s’est heurtée à de nombreux obstacles, au point qu’en 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a constaté que « le dispositif n’a jamais abouti » et « qu’il n’a jamais défini les droits et devoirs des armateurs ni de l’État », mandatant votre rapporteur pour relancer la mise en place de la flotte stratégique ([2]).

Le contexte est aujourd’hui très différent de ce qu’il était en 2016 et même en 2023, alors que le chef d’état-major des armées, auditionné le 22 octobre dernier par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, a dit craindre « un choc d’ici trois à quatre ans face à la Russie ». Il y a urgence et, comme l’a rappelé le secrétaire général de la Mer lors de la dernière conférence nationale maritime organisée le 13 mai 2025, l’évolution du contexte international nécessite, pour l’État, d’être en mesure de s’appuyer sur une flotte stratégique issue de la marine marchande pour contribuer à la sécurité nationale et à la gestion de crise. Elle doit pouvoir appuyer, si besoin, la Marine dans ses opérations.

Les besoins du MINARM vis-à-vis d’une flotte stratégique ont été identifiés et présentés lors de la dernière CNM. Cette note s’attache à mettre en parallèle les premiers besoins identifiés et les types de navires susceptibles d’y répondre. En revanche, les armateurs apparaissent réticents à participer à cette flotte stratégique, cherchant à obtenir une définition précise de leurs droits et devoirs et, surtout, une compensation pour les éventuelles sujétions qui leur seraient imposées. Pourtant, le transport maritime est l’un des secteurs les plus aidés fiscalement dans notre pays, cumulant exonération de TVA, taxe au tonnage forfaitaire et soutien aux investissements.

Les recommandations figurant dans le rapport précité de votre rapporteur ont commencé à être mises en œuvre (plus de 60 % aujourd’hui). Il est urgent de continuer dans cette voie qui est l’une de celles à privilégier pour accroître, à moindre coût, la masse de notre Marine tout en préparant notre pays à un conflit de haute intensité. C’est d’ailleurs l’un des axes d’effort de la RNS 2025.

b.   Le maintien de la construction navale en France

Disposer d’une flotte stratégique française est essentiel mais celle-ci est inséparable d’une industrie de la construction navale à même de fournir à notre pays les bateaux dont, le cas échéant, il pourrait avoir besoin en cas de crise majeure.

Or, force est de constater que celle-ci n’a pas échappé la désindustrialisation massive qui, depuis plusieurs décennies, a frappé notre pays. À partir des années 1960, le Japon, puis par la suite la Corée du Sud dans les années 1990 et enfin la Chine dans les années 2000 accaparent en effet le marché de la construction navale, les constructeurs asiatiques détenant aujourd’hui plus de 90 % du carnet de commandes mondial. Les constructeurs navals français ont survécu et parfois prospéré, en particulier ceux qui ont su se positionner sur une niche porteuse telle que la croisière ou la plaisance, mais ce ne sont pas forcément les bateaux dont la Marine aurait besoin en cas de conflit, ceux-ci étant surtout des bateaux de transport désormais quasi-exclusivement fabriqués en Asie.

La défense représente, pour les chantiers navals français, une chance qu’ils ont sue, comme Pirou ou Socarenam, saisir pour se diversifier dans un secteur en forte croissance. Ils se heurtent pourtant à des difficultés tenant à la nature particulière du secteur et du client, telles que les spécifications techniques et les retards de paiement, lesquelles s’ajoutent aux difficultés intrinsèques de l’industrie : charges élevées, concurrence acharnée et difficultés de recrutement.

Soutenir ces entreprises est une nécessité stratégique, ce que les États-Unis ont parfaitement compris. Le président Trump a ainsi créé un bureau de la construction navale directement rattaché à la Maison-Blanche tout en incitant, par la taxation, les chantiers navals étrangers à investir aux États-Unis. Avant même ces décisions, l’Inflation Reduction Act (2022) porté par son prédécesseur Joe Biden avait ciblé 40 milliards d’euros sur le secteur de la construction navale, ce qui montre que ces enjeux dépassent les clivages partisans.

Pour ce faire, si la France ne dispose pas des moyens politiques et financiers des États-Unis, elle dispose de quelques atouts. Elle pourrait ainsi flécher les ressources issues du marché européen du carbone vers le secteur de la construction navale, sous couvert de l’aider à se décarboner ([3]) ou obliger les entreprises publiques ou très liées à l’État à acheter leurs navires à des chantiers français ou, à défaut, européen. Il est ainsi désolant qu’Orange marine, malgré toutes les aides qu’il reçoit en tant qu’armateur, ait acheté ses deux derniers câbliers au Sri Lanka.

4.   Des stocks de munitions et de cibles plus importants

La haute intensité se caractérise par une consommation effrénée de munitions dont la guerre en Ukraine, chaque jour, donne l’exemple : jusqu’à 20 000 obus sont tirés quotidiennement par les Russes et les Ukrainiens. De même, nos frégates, confrontées aux drones et aux missiles lancés par les Houthis ont consommé de manière inédite Asters et autres munitions. L’enjeu est d’une telle importance que les munitions, après avoir été largement sacrifiées pour payer les « dividendes de la paix », ont fait l’objet d’un réel effort dans le cadre de la LPM 2024-2030, avec 16 milliards d’euros qui leur seront consacrés.

Les munitions sont aussi l’une des raisons de la « sur-marche » annoncée par le président de la République le 13 juillet dernier et les crédits de la mission « Défense » traduisent cette priorité. S’agissant de la Marine, Aster, Mistral, Exocet et autres torpilles figureront parmi les munitions dont elle bénéficiera cette année.

Important dans la perspective d’une utilisation au combat, les munitions sont également fondamentales pour la préparation opérationnelle. Il n’est pas envisageable de préparer nos soldats à la haute intensité s’ils ne peuvent s’entraîner dans des conditions les plus proches possibles de la réalité, incluant le tir de munitions réelles. S’agissant des munitions complexes, c’est même une nécessité si l’on veut que les marins conservent leur savoir-faire à la fois dans la préparation des munitions et dans leur utilisation.

Ce qui est prévu dans le présent PLF va donc dans le bon sens. D’après les informations transmises à votre rapporteur, 12 missiles acquis sur le P146 devraient être tirés en 2026, leur préparation pour le tir étant financée par le P178 :

– 5 Mistral ;

– 5 Aster (3A30 + 2A15) ;

– 1 exocet MM40B3C ;

– 1 exocet AM39.

Par ailleurs, 6 tirs de torpilles d’exercices sont également prévus dont les coûts seront supportés par le P178 :

– 4 tirs de torpilles MU90 ;

– 2 tirs de torpilles F21.

Plus de munitions, c’est aussi plus de cibles pour l’entraînement des marins, comme cela a été le cas lors de l’exercice Wilfire, qui a vu ces derniers s’exercer au tir réel sur plus de 80 drones. De tels exercices, directement liés au durcissement de la préparation opérationnelle (voir infra) sont un élément fondamental de la marine de combat dont notre pays doit se doter.

B.   Tirer pleinement profit de la révolution des drones

1.   La révolution des drones

Si les drones font, depuis les années 2000, partie du paysage militaire, ayant notamment été utilisés par la France au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane et, avant cela, par les États-Unis en Afghanistan et en Irak, c’est véritablement la guerre en Ukraine qui a révélé au monde toutes leurs potentialités sur le champ de bataille, ainsi que l’usage qu’en ont fait les Houthis en mer Rouge, d’ailleurs largement inspiré des militaires Ukrainiens.

Au-delà de leur infinie variété, les drones présentent des caractéristiques communes :

– ce sont des machines capables d’agir seules, qu’elles soient autonomes ou contrôlées à distance, ce qui leur permet d’être déployées dans des milieux par nature hostiles à l’homme, en particulier les grands fonds marins, ou d’accomplir des missions trop risquées pour être confiées à un militaire, d’autant plus que leur coût réduit permet aisément d’envisager leur perte ;

– le propre des drones est d’agir à distance, avec une élongation et une endurance plus ou moins longue selon leur taille ;

– agissant à distance, sans présence humaine, pouvant être chargés de capteurs ou d’explosifs, ils peuvent être utilisés à des fins très différentes : surveillance, renseignement ou destruction d’une cible, soit via un missile qu’ils emportent (pour les drones aériens), soient en étant dotés d’une charge explosive et en allant s’y écraser, comme en Ukraine, pour les drones de surface ou les drones aériens. Enfin, ils peuvent, en tant que tels, servir de leurre et saturer les défenses anti-aériennes ou perturber le trafic aérien, en tant qu’attaques hybrides dont certains aéroports européens, récemment, ont fait les frais ;

– ils sont d’un coût relativement modeste et d’un entretien facile, voire ne nécessite aucun entretien dès lors qu’ils sont utilisés comme « consommables », comme aujourd’hui en Ukraine ;

– la technologie des drones est en évolution extrêmement rapide, compte tenu des faibles coûts d’entrée, nourrie par les progrès en matière d’électronique aujourd’hui et, demain, par l’intelligence artificielle, susceptible d’accroître considérablement leur autonomie.

En d’autres termes, à l’infinie variété des drones répond l’infinie variété de leurs missions, dans tous les milieux, aérien, terrestre et marin, pour un coût relativement modique et une efficacité potentiellement maximale, surtout en essaim.

2.   La Marine et les drones aujourd’hui

L’une des personnalités auditionnées par votre rapporteur dans le cadre du présent avis a ainsi résumé l’approche de la Marine en matière de drones : « délivrer, développer et tester ».

S’agissant des drones aériens, la Marine « délivre ». Elle met aujourd’hui en œuvre deux types de drones :

– le SMDM est un système de drone à usage maritime capable de décoller et d’apponter sur des navires sans plateforme hélicoptère. Destiné à renforcer les capacités aériennes de surveillance, de détection et d’identification de la Marine, il lui permet d’identifier des bâtiments à des distances supérieures aux portées radar et de caractériser, en temps réel la menace par un flux vidéo. Le SMDM offre ainsi à la Marine nationale une véritable allonge informationnelle, démultipliant l’efficacité des navires qu’il équipe. Après avoir commandé 18 de ces drones en 2022, la DGA a passé une commande supplémentaire de 15 SMDM en 2023, lesquels équiperont les patrouilleurs de haute-mer, les patrouilleurs outre-mer et les frégates de surveillance ;

– le drone S100 est lui aussi un drone utilisé par la Marine pour des missions de surveillance maritime, de police des pêches, de soutien aux opérations amphibies et de lutte contre le narcotrafic. Elle en possède six aujourd’hui. Déployée à partir d’un PHA, disposant d’une endurance de six heures, sa version 2 offre une meilleure résistance au brouillage GPS et dispose de nouveaux capteurs, comme la caméra Wescam MX-10 NG et le système électro-optique de détection automatique P8 d’Ocean Watch ;

– enfin, le 17 juin dernier, la DGA a signé un accord-cadre avec Airbus Helicopters et Naval Group en vue d’acquérir six drones VSR-700 qui équiperont quatre des huit FREMM ainsi que deux des cinq FDI. D’autres commandes devraient suivre puisque ces drones sont également destinés à équiper les FDA, les PHA et les PH, pour un total de 15 exemplaires prévus par la LPM. Drone à décollage vertical pouvant être déployés jusqu’à 150 km du bateau porteur, le VSR-70 est équipé d’un radar, d’une boule optronique et d’un récepteur AIS. La DGA n’écarte pas, à l’avenir, de le doter d’autres charges utiles, comme des bouées acoustiques, lui donnant ainsi une capacité anti sous-marine.

En matière de drone sous-marin, hors guerre des mines, la Marine « développe ». Mettant en œuvre la stratégie de maîtrise des fonds marins, rendue publique en 2022, qui vise à donner à notre pays la capacité de connaître, de surveiller et d’agir jusqu’à 600 mètres de profondeur, la DGA a ainsi notifié à Naval Group un accord-cadre pour le développement d’un démonstrateur de drone sous-marin de combat sans équipage (UCUV), de grande dimension et capable de mener à bien, en autonomie, une mission pouvant s’étaler sur plusieurs jours.

Enfin, les drones de surface sont encore en phase de « test », la Marine étant bien moins avancée s’agissant de ces derniers que pour les drones aériens et les drones sous-marins. Ainsi, elle multiplie les tests de matériels lui permettant la fois de jauger de leurs capacités mais aussi d’affiner ses propres besoins opérationnels. À titre d’exemple, la Marine a récemment testé le drone Mariner du norvégien Maritime robotics dans la rade de Toulon, lequel pourrait, peut-être, compléter, voire remplacer les patrouilles humaines effectuées en semi-rigides pour la surveillance des sites côtiers sensibles.

3.   Accélérer pour ne pas être dépasser

Si les drones sont une réalité dans les armées depuis longtemps, force est de constater ici, après bien d’autres rapports, que notre pays a pris du retard en la matière, au point de devoir acheter des drones Reaper aux États-Unis pour être en mesure de surveiller le Sahel. Son équivalent européen, le drone MALE, actuellement en cours de développement dans le cadre d’une coopération européenne, n’arrivera pas avant plusieurs années. Le retard est également visible sous la mer. Pendant que la DGA notifie le contrat-cadre de développement de l’UCUV, l’US Navy dispose d’ores et déjà du premier des cinq exemplaires commandés de son drone océanique de 26 mètres de long et 8 tonnes, l’Orca.

Pour expliquer ce retard, il y a la durée considérable des tests nécessaires à la fois à la Marine et aux industriels concernés. Ainsi, la Marine a commencé à tester le S100 en 2008 pour évaluer le Système d’Appontage et de Décollage Automatique mis au point par Naval Group (DCNS à l’époque) depuis la frégate anti-sous-marine Montcalm. Puis, en 2011, il revint au Centre d’Expérimentations Pratiques de l’Aéronautique Navale de mener des essais et des évaluations de ce drone à bord de L’Adroit, un patrouilleur hauturier qui avait été temporairement mis à la disposition de la Marine par Naval Group. Ce travail se poursuivit par la suite, avec l’objectif de déployer les S100 depuis un porte-hélicoptère amphibie de type Mistral et c’est seulement des années plus tard que les S100, enfin, ont été déployés. De même, il a fallu des années à Airbus Helicopters pour maîtriser la capacité de mettre en œuvre un drone depuis un navire avec une forte dynamique et de forts angles de roulis et tangage.

Le contexte, à l’époque, était différent, et prendre des années pour développer ces programmes n’a, finalement, pas eu de conséquence. Il en va autrement désormais face à des compétiteurs qui accélèrent. Tant la Marine, pour l’expression de ses besoins, que la DGA, pour les spécifications, la certification et la contractualisation, doivent prendre en compte l’urgence afin de disposer, dans les meilleurs délais, des matériels nécessaires, notamment pour les futurs drones aériens lesquels pourraient être des drones offensifs, c’est-à-dire emportant une charge explosive et/ou un missile, tel que le drone Schiebel S300. Quant aux drones de surface, hors guerre des mines, la Marine est encore en phase de test. Il faut toutefois se réjouir du lancement, en 2026, d’un programme à effet majeur (PEM) drones navals, qui devrait permettre d’accélérer, en particulier s’agissant de ces drones de surface qui sont, pour le moment, le principal « angle mort » de la Marine en matière de drone.

Cette accélération implique une adaptation de la DGA. Si l’expertise de ses ingénieurs est unanimement reconnue, si elle a démontré sa capacité à mener à bien des projets d’une immense complexité, sur des décennies, et à maîtriser les technologies les plus avancées, elle a le défaut de ses qualités en ce qu’elle n’est pas suffisamment agile pour décider rapidement, pour alléger lorsqu’il le faut les contraintes normatives et pour mettre en œuvre des petits projets, techniquement simples, à bas coût, du « consommable » en quelque sorte, comme le sont parfois les drones à la mode ukrainienne. Les choses changent cependant et, face à la menace des Houthis en mer Rouge, votre rapporteur avait noté, l’année dernière, comment la DGA avait accompagné le renforcement en temps réel ou presque des moyens anti-drones des frégates. Il faut cependant aller plus loin dans l’agilité, comme l’a rappelé le chef d’état-major de la Marine lors de son audition devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale et dans son plan stratégique. L’exemple ukrainien le montre tous les jours, c’est une condition du succès opérationnel.

Enfin, la révolution des drones pose la question des porteurs. Aujourd’hui, la Marine n’envisage les drones que lancés ou mis à l’eau depuis un bateau existant, frégates, POM, PH ou PHA. Or, s’ils constituent, naturellement, un atout pour ces navires, dont ils renforcent les capacités et améliorent les conditions de réalisation de leurs missions, le fait est qu’ils ne sont pas dédiés aux drones et qu’ils ne peuvent en emporter qu’un nombre très limité, ce qui empêche la mise en œuvre de stratégie telle que les attaques en essaim. Dans ces conditions, votre rapporteur estime nécessaire une réflexion sur une nouvelle classe de bâtiments, des porte-drones, qui pourraient emporter un grand nombre de drones, à la fois aériens, de surface ou sous-marins, comme l’ont compris des pays tels que la Turquie, le Portugal ou Singapour, en voie de se doter d’un tel bâtiment.

Au final, les drones sont le moyen le plus simple, le plus rapide et le moins coûteux pour nos armées pour gagner en masse, notamment dans le domaine sous-marin, tout en leur permettant d’accomplir de manière plus efficace leurs missions.

C.   Garantir aux armées les moyens financiers de leurs missions

Des développements qui précèdent, votre rapporteur a parfaitement conscience qu’ils ont pour conséquences un accroissement important des dépenses militaires. Il estime toutefois cet effort absolument nécessaire compte tenu à la fois des besoins de la Marine comme des menaces auxquelles notre pays est exposé. Refuser ces efforts, les décaler ou les amoindrir fera prendre un risque considérable pour la France, dont les effets iraient bien au-delà des sommes économisées.

1.   Utiliser pleinement les instruments européens

L’accroissement des dépenses militaires, motivé par le durcissement du contexte stratégique, est général en Europe et fait consensus parmi les pays européens. Ceux-ci ont donc fait le choix de mettre en commun leurs efforts au niveau de l’Union européenne, laquelle s’est vue reconnaître un rôle inédit en matière d’industrie de défense et de renforcement des capacités militaires des États membres.

Dès 2017 et plus encore après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les crédits du budget européen ont été mobilisés pour la défense à travers différents instruments visant à soutenir les programmes d’armement en commun :

–  la Coopération structurée permanente (CSP), qui rassemble la totalité des États membres (sauf Malte) autour de projets de développement capacitaire menés en commun ;

– le fonds européen de défense (FEDef), doté de 7 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel actuel (CFP), dont l’objet est de financer des projets de développement capacitaires et, en particulier, ceux élaborés de la CSP précitée ;

– le projet EDIP (European Defence Industry Program), actuellement en cours de finalisation, doté de 1,5 milliard d’euros, qui lui aussi vise à soutenir des projets de développement capacitaire en commun en incluant une part minimale de composants européens afin de soutenir la BITDE.

Si les fonds ainsi mobilisés apparaissent limités, ils ne constituent pas moins un fort effort de levier en ce qu’ils incitent les États à soutenir, eux aussi, les programmes dans une logique de cofinancement et à inciter les entreprises de défense européennes, souvent concurrentes, à coopérer entre elles.

Ces instruments ne constituent par ailleurs qu’un début puisque la Commission européenne a annoncé la création d’un nouvel instrument spécifique intitulé SAFE qui, lui, sera doté de 150 milliards d’euros qu’elle lèvera sur les marchés financiers pour aider les États membres à augmenter rapidement leurs investissements dans la défense. De même, le projet de CFP pour la période 2028-2034 prévoit 131 milliards d’euros de crédits budgétaires pour la Défense et l’Espace.

Autant d’argent constitue une opportunité pour notre pays et nos entreprises de Défense, qu’il faut absolument saisir à la fois pour renforcer nos capacités de défense mais également pour assurer la pérennité de notre BITD. Dès lors que l’allocation de ces ressources sera décidée par la Commission européenne, en accord avec les États membres, notre pays doit pouvoir jouer de son influence tant à Bruxelles que dans les capitales européennes afin d’en bénéficier, et s’impliquer plus qu’il ne le fait actuellement dans la CSP, en particulier pour les projets maritimes. Quant à nos entreprises, des plus grandes aux plus petites PME, qui seront les bénéficiaires directs ou indirects de ces fonds, il leur appartient de se rapprocher de leurs homologues européennes pour constituer des consortiums et répondre au mieux aux futurs appels d’offres.

Si ces fonds européens sont, naturellement, les bienvenus dans le contexte actuel, la tentation sera évidente, pour un gouvernement à la recherche d’économies budgétaires, de diminuer à due concurrence les crédits nationaux en faveur de la Défense. Dans ces conditions, les crédits européens ne viendraient pas abonder mais se substituer aux crédits nationaux, aboutissant à une stagnation de l’effort global de défense qui serait contreproductive.

2.   Maintenir l’effort malgré les incertitudes politiques et les contraintes budgétaires

L’Histoire de la Marine est celle du temps long. Il faut beaucoup de temps pour construire une Marine performante mais il en faut encore plus, lorsque les compétences sont perdues, pour la reconstruire. Maintenir ces compétences et ces performances est un combat quotidien que le déplacement de votre rapporteur sur le site de Naval Group à Cherbourg a illustré. Dans d’immenses hangars sont assemblés les futurs SNA tandis que les premières pièces des SNLE 3G et du
PA-ng ont été découpées, pressées et/ou soudées. L’ensemble des opérations implique du matériel de haute technologie, spécialement développé à cette fin, mais également des connaissances accumulées et transmises depuis des décennies par des ouvriers et des ingénieurs hautement qualifiés, au sein de Naval Group et de ses sous-traitants, répartis sur tout le territoire. Interrompre cette chaîne séculaire, voire multiséculaire, c’est risquer la perte irrémédiable d’un savoir-faire qui rendrait notre pays dépendant de ses partenaires et, de ce fait, le mettrait en danger, tout en le déclassant dans une compétition mondiale qui s’accélère.

La constance dans l’effort et la visibilité donnée aux industriels sont donc d’une importance vitale. Un programme tel que les SNLE 3G s’appuie sur des décennies d’expérience, mettra vingt ans à sortir le premier sous-marin qui naviguera pendant les quarante années suivantes. C’est ce temps long qui a justifié, dès les années soixante, la première LPM et toutes celles qui ont suivi. Si les LPM n’ont, malheureusement, plus été respectées à partir des années quatre-vingt-dix et, bien plus, ont organisé l’affaiblissement de nos armées, il faut donc se féliciter que depuis six ans, les deux LPM successivement adoptées aient été rigoureusement respectées, dans un contexte budgétaire pourtant particulièrement contraint.

Le durcissement du contexte stratégique exige cependant d’aller plus loin, ce dont le président de la République est parfaitement conscient. Dans son discours du 13 juillet 2025 à l’Hôtel de Brienne, il a estimé nécessaire d’accélérer la trajectoire budgétaire en doublant, dès 2026, la marche de 3,3 milliards d’euros prévue par la LPM.

Seulement, il semble évident que cette « sur-marche » et celle prévue l’année suivante ne suffiront pas compte tenu de l’ampleur des besoins. Votre rapporteur a en effet interrogé le ministère des Armées sur les marges de manœuvre disponible au sein de la LPM pour lancer de nouveaux programmes. La réponse est sans équivoque : « les AE engagées en 2024 pour les programmes à effet majeur et les infrastructures associées du domaine naval s’élèvent à 1 830 M€. La LPM 2024-2030 prévoit sur la période 20 226 M€ d’engagement pour ce même périmètre. La part déjà engagée représente donc 9 %. La part non-engagée ne représente cependant pas une marge de manœuvre financière car des programmes déjà lancés peuvent faire l’objet d’engagements futurs nécessaires à la complétion du programme. Toute nouvelle priorité se ferait donc au détriment de programmes prévus par la LPM ».

Maintenir l’effort et même l’accroître est nécessaire mais jamais il n’a été aussi incertain depuis 2018. Le nombre des Premiers ministres depuis la dissolution, conséquence de la division de notre Assemblée nationale, fait peser une hypothèque majeure sur la double marche annoncée par le président de la République et sur la trajectoire de la LPM elle-même, sans même parler de l’effort supplémentaire allant au-delà des 413,3 milliards d’euros prévus par cette dernière.

Si jamais le PLF 2026 devait être rejeté, ne resterait comme solution qu’une loi spéciale qui, en attendant un hypothétique nouveau PLF, se contenterait de reconduire les crédits de l’année 2025 et, par conséquent, s’agissant des crédits de la mission Défense, n’inclurait ni la marche de 3,3 milliards d’euros prévue dans la LPM, ni la double marche annoncée par le président de la République. C’est donc l’ensemble des programmes d’armement qui seraient impactés, par des autorisations d’engagements et des crédits de paiement qui seraient insuffisants non seulement pour poursuivre les programmes mais pour simplement payer le reste à charge 2025, menaçant leur bonne exécution affaiblissant les entreprises de la BITD.

D.   Investir dans l’humain, le recrutement et la formation

1.   Séduire les jeunes

C’est un fait largement connu que la natalité, dans notre pays décroît régulièrement au point que le seuil de remplacement des générations, fixé à 2,1 enfants par femme, n’a plus été atteint depuis exactement 40 ans. En 2024, il s’est ainsi établi à 1,62, soit 663 500 naissances.

Ce choc démographique, dont les conséquences sont aussi massives que non anticipées dans les politiques publiques, impactera aussi fortement le recrutement des armées en général et de la Marine en particulier. Aujourd’hui, elles recrutent dans la classe d’âge 2005-2007 qui comporte environ 800 000 jeunes. Dans dix-huit ans, ce sera autour de 660 000. Non seulement il est pour l’heure improbable que la tendance se retourne mais se retournerait-elle que cela ne changera rien. Les futurs soldats des années 2040 sont déjà nés.

En outre, ces jeunes sont très différents de leurs aînés, comme l’a montré un récent rapport de la commission de la défense sur la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense ([4]). Interrogé sur ce sujet, le capitaine de vaisseau Laurent Machard de Gramont, chef du pôle « recrutement, écoles et formation » pour la Marine nationale, a souligné combien « il est frappant de constater à quel point ils ont, comme les Français en général, une méconnaissance des enjeux maritimes. La Marine voit des jeunes qui sont motivés mais qui, d’une manière générale, acceptent difficilement le mode de vie qu’elle leur propose : pas d’internet sur les bateaux, et donc pas de réseaux sociaux, longue période d’éloignement etc… Ils sont à la fois plus volatils que leurs aînés, ce qui exige de notre part un effort supplémentaire de fidélisation, tout en réclamant du sens à leur vie, qui peut également soutenir leur engagement ».

L’enjeu est donc d’importance pour la Marine qui l’a parfaitement saisi et entrepris de créer des liens avec la jeunesse, notamment via les préparations militaires marine (PMM). Celles-ci permettent de découvrir le milieu maritime, les missions de la Marine et la vie militaire, tout en suscitant des vocations. Les chiffres dont disposent votre rapporteur témoignent d’un fort engouement. Si, en 2020, on comptait déjà 2 348 admis, la tendance est depuis à la hausse avec un pic à 3 223 en 2024, avec des taux de remplissage oscillant entre 87 % et 91 % ces trois dernières années. Comme l’explique la Marine dans ses réponses au questionnaire, « ces résultats confirment le rôle essentiel de ce dispositif de découverte qui constitue un vivier précieux pour le recrutement de militaires d’active et de réservistes opérationnels ».

Le déploiement des escouades et flottilles côtières sur les trois façades littorales métropolitaines et outre-mer permet quant à lui d’accroître l’ancrage territorial de la Marine, donc sa visibilité et son rayonnement auprès des jeunes, dans des régions où la Marine n’est pas forcément présente et qui pourraient constituer un vivier de recrutement.

Séduire les jeunes, c’est aussi aller les chercher là où ils sont, c’est-à-dire à l’école, et leur offrir une formation adaptée à leurs aspirations comme aux besoins de la Marine. Lors de sa visite à l’école des applications militaires de l’énergie atomique (EAMEA), près de Cherbourg, votre rapporteur a pu constater que cette école, historiquement tournée vers la formation interne des atomiciens de la Marine, s’était ouverte à des étudiants via deux formations initiales :

– un BUT (BAC+3) en Génie industriel et maintenance nucléaire, réalisé sous statut militaire, en partenariat avec l’institut universitaire et technologique de (IUT) de Cherbourg ;

– un BTS (BAC+2) Maintenance des Systèmes de Production nucléaire, réalisé sous statut militaire, en partenariat avec le lycée Tocqueville de Cherbourg.

Ces formations sont un bel exemple d’anticipation dans une filière en tension qui le sera encore plus les années à venir en raison de la relance du nucléaire en France et dans le monde, laquelle exercera une forte pression sur les atomiciens, malgré le gentleman agreement entre la Marine, EDF et les autres industriels du secteur nucléaire. D’une manière générale, la réduction des classes d’âge aura pour conséquence, au-delà du nucléaire, une plus forte concurrence entre les employeurs pour séduire les jeunes.

Enfin, l’apprentissage est en développement rapide au sein de la Marine, avec 350 apprentis par an qui présentent, sur le plan budgétaire, un avantage considérable en ce qu’ils ne sont pas intégrés dans le plafond d’emplois, lequel contraint fortement le flux des recrutements (voir infra).

Enfin, séduire les jeunes, c’est évidemment prendre en compte leur aspiration à un meilleur équilibre entre la vie de famille et la vie professionnelle. L’ambition « Fidélisation 360° » qui réoriente certaines mesures du « Plan famille 2 », y contribue.

Au final, la Marine continue à attirer et attire même de plus en plus les jeunes. En effet, selon les informations transmises à votre rapporteur, le nombre de candidats aux différents concours augmente tous les ans. Ainsi, 2720 jeunes se sont présentés à l’école Navale en 2025, pour 85 places, contre 1685 en 2019. S’agissant des concours de sous-officiers, la croissance n’est pas moindre, avec 353 candidats en 2025 contre 157 en 2019, pour 80 places (56 en 2019).

2.   Durcir la formation

Il ressort des auditions de votre rapporteur que le changement stratégique découlant de la guerre en Ukraine a été intégré par l’état-major de la Marine au plus haut niveau, nourrissant un travail de réflexion orienté sur l’idée du « fight tonight », dont la traduction concrète est un durcissement de la préparation opérationnelle des marins.

Dès la formation initiale, qu’il s’agisse des équipages ou des officiers mariniers, un choc de transformation à l’entrée a été instauré. Celui-ci regroupe désormais une majorité des exercices de terrain et des modules de protection-défense. Il s’agit d’une démarche comparable à celle mise en œuvre pour les officiers, afin d’ancrer très tôt dans le parcours de chaque marin la dimension opérationnelle et l’exigence du métier.

Par ailleurs, l’embarquement et la visite d’unités opérationnelles sont devenus des étapes incontournables. Ils permettent aux jeunes marins de se confronter rapidement à la réalité du terrain et d’acquérir une meilleure connaissance de la Marine nationale, de ses missions, de ses contraintes, et de son engagement dans un environnement de plus en plus exigeant.

Dans le prolongement de cette dynamique, l’École des systèmes de combat et armées navales a récemment été renommée École du combat naval. Ce changement de nom reflète une évolution de fond : l’accent est désormais davantage mis sur l’apprentissage des opérations et du combat, avec une logique d’entraînement plus proche de la réalité opérationnelle. À titre d’exemple, la Marine a récemment organisé l’exercice Wildfire où, face à 80 véritables drones navals, aériens et sous-marins, elle a pu tester la réactivité des équipages, renforcer leur agilité tactique et éprouver leur capacité à se coordonner entre unités dans un environnement opérationnel exigeant.

L’audition d’un ancien commandant du Charles-de-Gaulle, a confirmé que la haute intensité n’est plus une vue de l’esprit pour la Marine. Déjà, dans son avis sur le PLF 2025, votre rapporteur avait longuement analysé les enjeux de la mer Rouge et détaillé les attaques auxquelles ont fait face nos frégates déployées dans le cadre d’Aspides, impliquant drones aériens, drones de surface et missiles, et les moyens mis en œuvre pour les contrer. À son tour, en 2025, le Charles-de-Gaulle a traversé cette zone particulièrement dangereuse après que l’équipage s’y soit longuement préparé avant d’embarquer. Sur place, tous les marins étaient à leur poste de combat, 24h/24, et la moitié de l’équipage sur le pont, afin de parer la menace, d’où qu’elle vienne. Si aucune attaque n’a heureusement eu lieu, l’ensemble des procédures ont pu être testées et faire l’objet d’un retour d’expérience précieux.

Cette mission, comme celles qui l’ont précédée en mer Rouge, est en effet une riche source d’expériences, notamment sur l’utilisation des drones et la lutte anti-drones, laquelle infuse dans les écoles grâce aux réunions force/écoles et aux évolutions des formations dans le cadre du dialogue entre autorités de domaine de compétence, écoles et bureau formation de la direction du personnel de la Marine.

Le rôle des écoles est donc central, non seulement pour la formation initiale mais également pour la formation continue des marins. Votre rapporteur regrette donc que les moyens affectés à celles-ci diminuent, en particulier l’effectif du personnel permanent, avec 361 postes vacants aujourd’hui. Certes une partie est compensé par les réservistes mais ces carences sont un mauvais signal envoyé et aux jeunes, et aux marins. De même, lors de sa visite à l’École navale, votre rapporteur a été informé qu’elle aussi avait perdu 17 formateurs. En outre, nombre de ses bâtiments, parfois rendus inutilisables, compromettent à terme la pleine efficacité de son action.

Continuer dans la voie du durcissement de la préparation opérationnelle, en y mettant les moyens humains et matériels nécessaires, apparaît donc comme une obligation pour toute sa substance à la marine de combat.

3.   Alléger les contraintes du schéma d’emplois

La Marine, jusqu’à présent, a su attirer les jeunes dont elle avait besoin, avec cette réserve, évoquée supra, que l’augmentation des postes qu’elle a obtenue dans la LPM ne représente que la moitié de ses demandes exprimées lors de l’élaboration de celle-ci. Par conséquent, certes, elle remplit son plafond d’emplois mais celui-ci est jugé trop bas compte tenu des missions toujours plus nombreuses et intenses qu’elle a à accomplir.

Ce plafond d’emploi, fixé annuellement par la loi de finances, décline l’objectif pluriannuel fixé dans la LPM. Ainsi, en 2030, le nombre des marins devrait avoir augmenté de 741 ETP depuis 2024 mais le rythme de progression fait l’objet d’une discussion, année après année, entre la DRHMD, la DPMM et le ministère des comptes publics.

Or, actuellement, la Marine comme les armées en général sont dans une situation favorable s’agissant du recrutement, c’est-à-dire que le nombre de candidats est largement supérieur aux nombres de postes proposés et que, sans sacrifier la qualité, elles seraient en mesure de recruter plus que les ETP ouverts par les lois de finance. En raison de ce plafond d’emploi, elles sont donc obligées de refuser aujourd’hui des candidats qu’elles ne sont pas sûres de retrouver les années suivantes, prenant ainsi le risque d’arriver au bout de la période en 2030 sans avoir, au final, satisfait leurs objectifs de recrutement si jamais la conjoncture actuellement favorable devait se retourner. Si ce devait être le cas, non seulement elles n’auraient pas les ressources dont elles ont besoin mais leur plafond d’emplois pourrait être raboté au niveau réellement atteint…

Il faut également avoir conscience que lorsqu’un militaire est recruté, quelle que soit son arme, il lui faut plusieurs mois, sinon années, de formation avant d’être pleinement opérationnel.

Alors que le chef d’état-major des Armées a publiquement indiqué craindre un choc contre la Russie dans les quatre prochaines années, il est contreproductif que le schéma d’emplois contraigne à ce point le recrutement des armées. Certes, accélérer le recrutement aura un impact en trésorerie, la charge pensant dès maintenant et non dans les années suivantes, mais sans augmenter le nombre global des effectifs puisque la cible 2030 resterait inchangée. Pour la Marine, le nombre de marins potentiellement concernés serait de quelques dizaines par an, une charge limitée pour sécuriser des recrutements sur, potentiellement, plusieurs décennies.


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   Travaux de la commission

I.   Audition de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine

La commission a entendu l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906) au cours de sa réunion du jeudi 23 octobre 2025.

M. Loïc Kervran, président. Nous avons le grand plaisir de terminer notre cycle budgétaire par l’audition de l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine.

L’année 2025 a vu, pour la première fois depuis longtemps, un porte-avions français déployé en Asie Pacifique. Dans le cadre de la mission Clémenceau 2025, le Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval ont navigué jusqu’au large de Taïwan. Au cours de ce périple de cinq mois couvrant 40 000 milles nautiques, ils ont participé à plusieurs exercices majeurs avec notre allié américain et nos partenaires stratégiques indiens et indonésiens. Ils ont également contribué à défendre le droit international et la liberté de navigation dans des zones où ces principes sont particulièrement menacés.

Cette mission, que seules quelques rares marines au monde peuvent réaliser, fait notre fierté et démontre à nos alliés comme à nos compétiteurs l’étendue de nos capacités et notre détermination. Cette présence s’avère indispensable à l’heure où le réarmement naval se généralise, accompagné d’une montée des menaces maritimes, non seulement en Asie Pacifique, mais également plus près de nous, en mer Rouge ou en Atlantique Nord, voire jusqu’à nos propres côtes qu’approchent régulièrement sous-marins et navires russes. La Marine fait face quotidiennement à ces menaces, où qu’elles surviennent dans le monde.

Ces moyens ont été ou sont en cours de renouvellement. Le programme de sous‑marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) 3G, Barracuda, le porte-avions nouvelle génération (PANG), les patrouilleurs d’outre-mer, les bâtiments ravitailleurs et les bâtiments de guerre des mines constituent quelques-uns de nos programmes emblématiques.

L’ancien ministre des Armées, devenu Premier ministre, a lui-même reconnu leur caractère parfois insuffisant, soulignant notamment la nécessité de disposer de dix-huit frégates de premier rang. Alors que le projet de loi de finances (PLF) 2026 concrétise l’annonce du président de la République d’une surmarche budgétaire pour les crédits de la mission défense, votre analyse des menaces actuelles et des moyens dont dispose ou devrait disposer la Marine pour y faire face nous sera véritablement précieuse.

Enfin, l’aggravation des menaces soulève non seulement des enjeux capacitaires, mais également humains. Nos marins vont probablement connaître, pour reprendre l’expression de votre prédécesseur l’amiral Vandier, « le feu à la mer ». Cette réalité implique des adaptations en matière de recrutement, de formation et de préparation opérationnelle. Je vous cède donc la parole, Amiral, en vous remerciant de partager avec nous votre vision sur ces questions stratégiques et les défis humains et capacitaires auxquels vous faites face.

M. l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine. Je vous remercie de m’accueillir à nouveau. C’est toujours un honneur de m’exprimer devant la Commission de la Défense pour parler de la Marine, des défis que nous affrontons et de nos projets, grâce à votre soutien dans le cadre du PLF 2026.

La Marine est effectivement engagée sur tous les fronts. Nous comptons aujourd’hui plus de 27 bâtiments à la mer, répartis à travers le monde, ce qui représente entre deux mille et trois mille marins qui servent la France en ce moment même, comme chaque jour. Nous évoluons dans un contexte caractérisé par les rapports de force et, comme vous l’avez souligné, par une désinhibition de la violence rappelée également par le chef d’état-major des Armées (CEMA) et la ministre. Quotidiennement, nos marins prennent des risques pour accomplir leur mission. Mon prédécesseur l’avait anticipé, et les faits lui donnent raison : nos marins conduisent des actions de feu, comme cela s’est produit l’année dernière en mer Rouge. Le monde devient de plus en plus violent, vous en êtes parfaitement conscients. Nos marins s’exposent donc chaque jour pour protéger la France, les Français et leurs intérêts sur tous les océans.

Ce contexte s’avère particulièrement exigeant pour la Marine car nos capacités sont fortement sollicitées. Après deux années à sa tête, je m’efforce de tirer tous les enseignements des conflits auxquels nous faisons face, qu’il s’agisse de l’Ukraine, du Proche et Moyen-Orient ou de la mer Rouge, pour vous démontrer que ces leçons sont pleinement intégrées dans le PLF 2026, en parfaite conformité avec le plan stratégique que j’ai proposé dès ma prise de fonction.

Notre Marine est extrêmement sollicitée dans le Grand Nord, où nous observons un continuum de tension entre l’Arctique, l’Atlantique Nord et la Baltique. Nous y surveillons, aux côtés des forces de l’Otan et parfois de manière pleinement souveraine lorsque nous opérons à proximité de nos eaux, les unités russes déployées dans ces zones. Depuis 2022, le nombre d’unités affectées à ces missions augmente constamment. Nous nous coordonnons avec nos alliés, qu’il s’agisse des Américains et des Britanniques dans l’Atlantique Nord, des Britanniques dans la Manche, ou des Espagnols plus au sud, pour empêcher le développement d’actions hybrides comme nous l’observons régulièrement en Baltique. Cette vigilance nous permet également, au-delà des unités russes, de surveiller ce que nous appelons la dark fleet, dont l’interception récente du Boracay constitue un exemple significatif.

En Méditerranée, notre engagement est total, d’abord pour observer la recomposition des équilibres, que ce soit au large d’Israël ou de Gaza, en Syrie ou au Liban, mais aussi en mer Noire, où nous sommes déployés depuis la Roumanie. Nous y envoyons régulièrement nos avions de patrouille maritime et des unités de plongeurs démineurs pour aider les Roumains à faire face aux mines dérivantes issues du conflit russo-ukrainien.

En mer Rouge, nous poursuivons l’opération Aspides de protection du trafic commercial. Malgré les déclarations d’apaisement régulières des Houthis, nous constatons que les attaques reprennent périodiquement, ce qui explique la satisfaction particulière de nos armateurs quant à notre capacité à maintenir cette mission pour assurer leur protection et permettre au commerce de continuer à transiter par Bab-el-Mandeb, malgré une baisse de 50 % du trafic depuis 2023.

Enfin, nous sommes présents dans tous les territoires d’outre-mer, aux Antilles, dans le Pacifique, dans l’océan Indien, pour lutter contre les trafics et les activités illicites, notamment les trafics de drogue. Nous avons désormais franchi le seuil des 63 tonnes de drogues interceptées depuis le début de l’année, un chiffre colossal qui démontre l’intensification de ce phénomène. Nous combattons également les activités illicites comme la pêche illégale en Guyane, où nous avons saisi plus de trois cents kilomètres de filets l’année dernière, ce qui représente un volume considérable.

Le constat global de cet engagement tous azimuts révèle que nous sommes collectivement mis à l’épreuve. Cela concerne l’ensemble des forces, pas uniquement la Marine, que ce soit à l’est de l’Europe avec les drones russes en Roumanie, ou au Danemark où des frictions ont été observées. La Marine fait directement l’objet de tests en Baltique, comme des « accrochages » ou des « incidents de conduite de tirs », manifestations d’une posture peu amicale de la Russie qui cherche à affirmer sa présence. Pour la Marine, cela implique de disposer de marins capables de réagir à toutes les situations : chasse aux sous-marins russes dans l’Atlantique Nord, protection réactive de nos navires en mer Rouge, et maîtrise absolue en Baltique pour éviter toute escalade. Ces exigences nécessitent des marins exceptionnellement formés et compétents, et je dois reconnaître que nous sommes particulièrement bien dotés à cet égard.

L’analyse des retours d’expérience des conflits actuels est fondamentale. Nous constatons d’abord que dans ce monde dominé par les rapports de force, la dissuasion conserve toute sa pertinence et démontre son efficacité. L’effort continu que notre Nation consacre à la dissuasion doit être maintenu, et le PLF le confirme, ce qui constitue une décision avisée.

L’Ukraine nous enseigne deux leçons majeures. Premièrement, en l’absence de supériorité aérienne, on assiste à un enlisement autour d’une ligne de front, phénomène particulièrement frappant, tant sur terre qu’en mer. Deuxièmement, face à une puissance établie, l’agilité devient une qualité essentielle pour contourner l’adversaire. L’Ukraine illustre parfaitement l’importance cruciale de cette agilité, qualité que nous développons intensivement au sein de la Marine. Nous devons impérativement cultiver cette capacité d’adaptation pour intégrer rapidement de nouveaux équipements en fonction des menaces émergentes.

Le dernier grand enseignement nous vient de la « guerre des douze jours » entre l’Iran d’une part, et Israël et les États-Unis d’autre part. Elle confirme l’importance décisive de la puissance aérienne pour garantir notre liberté d’action. Toutefois, cette puissance aérienne doit s’accompagner d’une capacité robuste d’autoprotection. Sans le système Iron Dome, Israël n’aurait probablement pas pu adopter une posture offensive.

Les États-Unis ne disposaient plus véritablement de l’accès nécessaire sur le théâtre pour réagir efficacement aux besoins opérationnels. Je rappelle qu’ils avaient évacué la base d’Al Udeid au Qatar et, en complément, avaient déployé deux porte-avions pour maîtriser l’escalade potentielle des Iraniens dans le golfe d’Oman, exercer une pression sur l’Iran et garantir que leur action demeure maîtrisée dans sa temporalité comme dans son intensité.

L’ensemble de ces retours d’expérience confirme que nous, Marine nationale, nous orientons dans la bonne direction, ce que je vais maintenant détailler concernant le PLF 2026.

En premier lieu, ces surmarches, inscrites tant dans le socle du PLF que dans les mesures complémentaires, portent un effort considérable sur les munitions, c’est une nécessité absolue. Nous avons impérativement besoin de cet investissement pour renforcer la cohérence et la résilience de notre dispositif. Le PLF intègre donc des actions de maintien en condition opérationnelle ainsi que d’augmentation des stocks, qu’elles proviennent de la LPM ou des surmarches. Une particularité mérite d’être soulignée : nous avons recherché un équilibre ‑ vous vous souvenez peut-être de mes premières interventions ici où je distinguais armes d’usure et armes de décision - avec une augmentation de nos armes complexes, complétée par l’acquisition substantielle d’armes d’usure et de munitions télé-opérées. Ces dernières amélioreront significativement ce que j’appelle le cost per kill, c’est-à-dire notre capacité à optimiser l’efficacité et l’efficience dans l’utilisation de nos munitions.

Le deuxième élément essentiel concerne le renforcement de nos unités face aux menaces actuelles, notamment la lutte anti-drones. Pour la Marine, comme pour l’armée de Terre et l’armée de l’Air et de l’espace, nous développons de nombreux modes d’action contre la menace aérienne : nouveaux brouilleurs intégrés, nouvelles conduites de tir, renforcement de l’arsenal de petits missiles pour éviter l’usage exclusif des missiles Aster. Nous adaptons également nos outils contre les menaces de surface pour accroître notre efficacité.

Nous intensifions également l’activité de préparation opérationnelle. Vous connaissez déjà, j’en ai fait état l’an dernier, les exercices Wildfire qui permettent d’entraîner nos unités, particulièrement au large de Toulon, face à ces menaces émergentes. Le dernier exercice, conduit récemment, consistait à confronter nos bâtiments à des essaims de drones. Au-delà de la neutralisation individuelle des drones, relativement simple en définitive, la lutte contre les essaims constitue un défi autrement plus complexe. C’est précisément sur cette problématique que nous concentrons nos efforts, avec des résultats très prometteurs. Lors du dernier Wildfire, des dizaines de drones aériens et de surface ont attaqué les bâtiments de la Marine. Pour y faire face, nous avons déployé tous les nouveaux équipements développés par des start-ups, des PME et de grandes entreprises, ce qui nous permet de sélectionner les solutions les plus performantes.

Nous avons considérablement renforcé notre capacité à protéger nos emprises. J’ai expressément demandé à la Marine d’évoluer de la lutte contre le terrorisme vers la protection contre la menace étatique, ce qui représente un changement fondamental de paradigme et de niveau de protection. Nous avons achevé le premier cycle d’exercices, inauguré par l’exercice Typhon à Toulon, suivi de Cyclone à Cherbourg et de Bourrasque à Brest. À chaque occasion, nous avons demandé à nos unités des forces spéciales d’adopter la perspective d’un adversaire russe et d’attaquer nos installations avec une totale liberté d’action. Cette démarche nous a véritablement mis à l’épreuve, révélant à la fois nos points forts et nos vulnérabilités. En définitive, elle nous permet de progresser significativement.

Tout cela relève de ce que j’appelle régulièrement « l’agilité du temps court » : notre capacité à renforcer rapidement nos stocks de munitions et notre cohérence opérationnelle. Parallèlement, nous poursuivons la « détermination du temps long » à travers les grands programmes en cours, inscrits tant dans le PLF 2025 que dans le PLF 2026. Fin 2025 marquera le lancement en réalisation du PANG ainsi lancement en réalisation de la deuxième phase des SNLE de troisième génération. En 2026, nous lancerons la réalisation du renouvellement de notre composante d’avions de patrouille maritime.

Ma responsabilité fondamentale en tant que chef militaire et chef de la Marine nationale consiste à garantir au président de la République que le renouvellement des capacités s’effectue sans aucune perte de compétences, ce qui implique un maintien rigoureux des biseaux capacitaires. Nous sommes actuellement en plein biseau des sous-marins nucléaires d’attaque, passant des Rubis aux Suffren. Cette transition se déroule bien mais nécessite des ajustements permanents pour garantir que les équipages maîtrisent les nouveaux équipements tout en assurant le transfert des savoir-faire. Nous conduisons une démarche similaire pour les frégates avec les frégates de défense et d’intervention (FDI), et nous aborderons prochainement le renouvellement des patrouilleurs hauturiers.

Dans cette détermination du temps long, au-delà de ces équipements majeurs, figure également le renforcement de nos infrastructures. Une puissance navale repose fondamentalement sur quatre piliers : des marins, des bâtiments, un tissu industriel et des infrastructures. Nous poursuivons donc, sur le temps long, le renouvellement et le renforcement de nos équipements dans nos bases navales. C’est ce que nous réalisons actuellement avec les bassins pour sous-marins à Toulon, ce que nous entreprendrons à l’Île Longue ainsi que pour le PANG.

Il est absolument crucial de maintenir cet écosystème et, grâce à la DGA que je tiens à remercier, d’identifier les entreprises détentrices des savoir-faire indispensables. Cette approche constitue un atout essentiel qui suscite l’admiration à l’international. Je reviens de Suède où mon homologue m’interrogeait précisément sur notre capacité à maintenir 80 % de disponibilité sur nos frégates, performance unique en Europe. Cette réussite résulte précisément de l’effort collectif entre industrie, Marine et DGA, ainsi que notre service de soutien de la flotte. Cette démarche s’inscrit parfaitement dans mon plan stratégique « Agilité du temps court, détermination du temps long ».

J’ai principalement abordé les aspects capacitaires et financiers, mais d’autres leviers d’agilité existent, dont un absolument fondamental : les ressources humaines. En matière de recrutement, nous faisons preuve d’une agilité constante pour adapter nos offres à l’évolution de la société. Le brevet de technicien supérieur (BTS) nucléaire, que j’avais déjà évoqué l’an dernier et qui s’est enrichi cette année d’un bachelor universitaire de technologie (BUT), connaît un succès remarquable. Nous venons de rouvrir l’école des apprentis à Toulon, qui entre désormais dans sa phase de maturité. Ces initiatives nous permettent d’avancer et de recruter conformément à nos objectifs, ce qui constitue un atout majeur.

Cette agilité se manifeste également dans les opérations. J’ai mentionné l’arraisonnement du pétrolier de la dark fleet russe. Notre capacité à établir un continuum entre l’action armée et l’action judiciaire représente un avantage déterminant. Ce dialogue particulièrement nourri, facilité par le Secrétariat général de la mer et notre organisation des préfets maritimes, nous confère cette capacité unique. Mes homologues étrangers apprécient cette compétence mais ne parviennent pas à la reproduire. Plus précisément, certains souhaitent l’acquérir sans y parvenir, tandis que d’autres pourraient la développer mais ne le désirent pas. En définitive, notre système politique et militaire nous permet d’accomplir ces missions avec excellence, ce qui positionne la Marine française comme un leader au sein de l’Union européenne et de l’Otan.

Je suis déterminé à maintenir cette position en « ligue 1 », objectif que j’ai clairement assigné à l’ensemble de la Marine. Je souhaite bâtir une marine forte de ses savoir-faire, rassembleuse, respectée par ses partenaires et redoutée par ses adversaires. Ce qui m’empêche de dormir quotidiennement, c’est de disposer de solutions sans pouvoir les déployer auprès de mes unités. Nous travaillons activement sur ce point avec la DGA. Nous disposons souvent d’options existantes sur étagères. Il nous faut développer une agilité et une réactivité exceptionnelles pour acquérir ces équipements et les intégrer rapidement sur nos unités. Il s’agit fondamentalement d’un état d’esprit qui nécessite une aptitude à prendre des risques. Je vous garantis que j’assume pleinement cette responsabilité et cette prise de risque. Nous nous efforçons de faire évoluer les mentalités dans tous les services pour obtenir cette même réactivité de l’ensemble des acteurs. Cet état d’esprit se diffuse progressivement, ce qui constitue une excellente avancée.

Plusieurs raisons nous permettent de demeurer optimistes malgré les défis. Notre jeunesse s’engage avec conviction et se montre prête à servir la France. J’en ai été témoin lors de la présentation au drapeau avec Madame la ministre des Armées samedi dernier. Observer ces jeunes s’engager pour une carrière longue dans la Marine était véritablement remarquable et me rend particulièrement confiant. Nous sommes également prêts à accueillir des volontaires dans le cadre d’un service national de plus courte durée si un tel dispositif venait à être instauré.

Je vous remercie pour votre soutien, indispensable à l’obtention d’un budget nous permettant de fonctionner efficacement et de continuer à protéger la France, les Français et leurs intérêts sur tous les océans du monde.

M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie pour ce propos liminaire très éclairant. Agilité du temps court, détermination du temps long : nous nous inscrivons exactement dans la philosophie de la LPM et de la sur-marche cette année. Je cède maintenant la parole aux orateurs de groupe.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Notre France n’est pas uniquement une puissance continentale, elle est également une puissance maritime. Nos marins sillonnent la France de Toulon à Nouméa, portant notre présence bien au-delà de nos frontières terrestres. Cette présence planétaire constitue un héritage séculaire qui nous impose de maintenir une Marine nationale forte, à la hauteur de nos ambitions stratégiques, alors que la compétition navale s’intensifie.

La Méditerranée redevient un espace de rivalité tandis que dans l’océan Indien et le Pacifique, certaines puissances accroissent considérablement leurs flottes.

Nous ne pouvons pas nous reposer sur les acquis du passé. Nos plateformes et nos technologies doivent impérativement suivre le rythme imposé tant par nos compétiteurs que par nos alliés. Le Rassemblement national exprime son inquiétude, partagée par de nombreux acteurs, face au manque de visibilité industrielle concernant le PANG et à l’incertitude entourant le maintien du Charles de Gaulle au-delà de 2038. À ce jour, le rapport détaillé prévu par la LPM n’a jamais été transmis au Parlement.

Pouvez-vous nous confirmer que la Marine nationale dispose d’une visibilité réelle sur le calendrier industriel, afin d’éviter toute rupture capacitaire entre le retrait du Charles de Gaulle, dont la date sera précisée après l’arrêt technique majeur de 2028, et l’entrée en service du PANG ?

Concernant le service national universel, si les objectifs affichés s’alignent avec les propositions que nous défendons de longue date, la spécificité de la Marine nationale appelle un modèle différent. Nous préconisons une approche sélective fondée sur le volontariat en raison du particularisme de votre armée. Quelle est votre position sur ce point ?

Enfin, même si le recrutement semble stabilisé, la fidélisation demeure un point de vigilance crucial. Dans les métiers techniques, la concurrence du secteur privé reste intense. Les indicateurs de fidélisation pour les années à venir apparaissent moins favorables que dans l’armée de Terre et l’armée de l’Air. Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour inverser cette tendance ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Vous soulevez plusieurs questions importantes concernant le porte-avions de nouvelle génération, la puissance maritime, le service militaire et la fidélisation des personnels.

Permettez-moi de commencer par la fidélisation. Je ne partage pas entièrement votre analyse sur ce point. Au contraire, la situation dans la Marine s’avère plutôt satisfaisante. En 2024, nous avons enregistré 1 000 départs en moins, ce qui constitue un indicateur très positif et démontre l’efficacité des outils de fidélisation mis en place. Le principal levier réside dans la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) que vous avez votée l’année dernière et qui a produit tous ses effets. L’attente des officiers concernant la grille spécifique cette année viendra compléter et parachever cette manœuvre de fidélisation. Sur ce plan, nous sommes relativement confiants. Le dispositif fonctionne efficacement. Nous anticipions une période d’ajustement six mois après l’introduction de la NPRM, mais celle-ci ne s’est pas manifestée. Cela indique que nous avons atteint un équilibre satisfaisant qui incite les personnels à poursuivre leur engagement. Vous avez néanmoins raison, la fidélisation demeure un enjeu quotidien qui ne se limite pas au seul levier de la rémunération. La gestion personnalisée de chaque marin, avec des parcours professionnels adaptés, constitue également un facteur déterminant de maintien dans l’institution.

Nous dialoguons par ailleurs avec les grands groupes industriels susceptibles de recruter nos personnels qualifiés. Nous avons établi plusieurs conventions avec ces acteurs pour éviter les départs non maîtrisés. Cela ne signifie pas que nous nous opposons aux départs, mais que nous entretenons un dialogue constructif avec ces entreprises afin que ces mouvements soient anticipés et gérés de part et d’autre. À titre d’exemple, nous avons développé une collaboration étroite avec les entreprises du secteur nucléaire pour créer des synergies plutôt que de nous livrer à une concurrence contreproductive. Cette approche porte ses fruits. Je demeure toutefois vigilant concernant la fidélisation, qui nécessite une attention constante.

Concernant le service national, qu’il soit militaire ou volontaire, les modalités précises seront définies et annoncées par le Président de la République. La Marine se tient prête à accueillir ces effectifs qui viendront compléter nos personnels d’active et nos réservistes. Mon souhait est de pouvoir les employer comme les autres marins, qu’ils servent sur nos bâtiments, sur nos bases, dans nos sémaphores ou sur l’ensemble de nos emprises. Cette intégration apportera un nouvel élan de jeunesse et renforcera considérablement le lien armée nation. Je considère comme essentiel que ce service soit utile, opérationnel et d’une durée suffisante, c’est-à-dire supérieure à un mois.

S’agissant de la puissance maritime et du PANG, vous avez raison de rappeler que nous sommes dépositaires de 400 ans d’histoire qui nous engagent. Nous célébrerons cet héritage l’année prochaine à travers diverses cérémonies. Pour le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et le PANG, ma responsabilité consiste à garantir que le biseau, prévu actuellement aux alentours de 2038 respecte bien ce calendrier. Notre objectif est de faire en sorte que la fin de vie du Charles de Gaulle s’articule parfaitement avec la montée en puissance du PANG. Nous travaillons d’arrache-pied avec l’industrie et la DGA, que je tiens à remercier pour leurs efforts considérables cette année afin de présenter une proposition solide d’ici fin 2025. Vous avez raison de souligner l’importance du jalon fixé pour 2029, qui correspond à la fin de l’arrêt technique du porte-avions. Ce jalon doit nous permettre de déterminer l’architecture du biseau capacitaire que nous devrons établir à l’issue de l’arrêt technique du Charles de Gaulle. La durée de vie résiduelle que nous pourrons attribuer au Charles de Gaulle sera déterminante dans notre planification. Notre priorité cette année est de lancer la réalisation effective du porte-avions, en poursuivant les anticipations initiées l’an dernier, afin d’engager la première tranche du contrat. Nous sommes actuellement à un point critique de décision. Vous avez entendu le CEMA et le DGA s’exprimer positivement sur ce sujet. Il reste évidemment une décision politique à prendre. Nous avons œuvré sans relâche pour que cette décision intervienne cette année et repose sur des bases solides.

M. Loïc Kervran, président. Je profite de ces questions relatives à la fidélisation pour saluer la présence de notre collègue Caroline Colombier, avec qui nous avons travaillé au nom de la Commission sur les aspects de fidélisation et de recrutement. Je donne maintenant la parole à Yannick Chenevard, rapporteur du budget Marine.

M. Yannick Chenevard (EPR). Avec ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France est présente dans tous les océans, son pavillon flotte partout. La France constitue véritablement une nation monde, dimension essentielle lorsque l’on aborde les questions relatives à notre Marine. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus hier par le CEMA concernant le PANG, qui a affirmé : « Nous aurons un bon porte-avions ». Cette assurance mérite d’être soulignée.

Je souhaite en revanche évoquer un élément que nous avons collectivement adopté dans le cadre de la LPM : la nécessité d’examiner prochainement la question de la permanence de l’alerte concernant le ou les porte-avions. Cette réflexion revêt une importance capitale.

Nous procédons actuellement à un renouvellement capacitaire quasi intégral, phénomène sans précédent au cours des 40 dernières années. Ce point mérite d’être souligné, avec d’importantes livraisons de navires et de sous-marins de grande qualité. Le principe de l’augmentation de 15 à 18 frégates de premier rang a été acté par le ministre devenu Premier ministre. Dans quel délai envisagez-vous d’atteindre cet objectif ? Le concept des coques blanches vous semble-t-il pertinent sur le plan industriel et sur le plan de la capacité à disposer immédiatement de ces bâtiments, à l’instar de ce que pratiquent les Italiens ? Le programme des bâtiments de guerre des mines (BGDM) connaît des retards. Comment envisagez-vous d’assurer la transition, notamment avec la fin programmée des chasseurs de mines tripartites (CMT) ? Quelles options sont possibles pour remplacer les frégates de surveillance ? Le programme des european patrol corvettes (EPC) ne semble manifestement pas correspondre à nos besoins. Comment percevez-vous cette situation et quel type de bâtiment pourrait répondre à nos exigences ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Votre remarque liminaire est absolument fondamentale. La Marine française se distingue par sa dimension mondiale, son caractère nucléaire et son efficacité opérationnelle. Je le répète souvent, ces caractéristiques peuvent sembler évidentes pour les observateurs attentifs en France, mais leur portée est considérable. Je reviens de Suède où la carte des opérations navales suédoises est nettement plus restreinte : un peu d’Arctique, la Baltique, une partie de la Manche, mais pas au-delà, ce qui est parfaitement compréhensible. L’Italie présente également un profil différent. La France a cette singularité d’être présente partout dans le monde, ce qui exige des moyens adaptés pour surveiller notre zone économique exclusive. Cette surveillance ne constitue pas une fin en soi, mais vise fondamentalement à protéger nos territoires ultramarins.

Concernant le porte-avions, vous avez parfaitement raison. Un amendement à la LPM demande au gouvernement de conduire une étude de coûts sur un second porte-avions et de la remettre au parlement en 2028. Nous avons initié cette réflexion en commençant par définir précisément ce que recouvre la notion de permanence.

Il convient de distinguer la permanence de l’alerte, la permanence en mer, ou encore la permanence en mer lointaine. Comme vous le savez, le raisonnement est similaire pour les SNLE : si vous souhaitez une permanence résiliente en mer lointaine, quatre unités sont nécessaires. Pour une permanence en mer proche, trois suffisent. Pour une permanence d’alerte, deux sont requises. Avec un seul bâtiment, vous couvrez environ 65 % du temps d’alerte. Voilà la réalité mathématique de la permanence.

La question suivante porte sur la manière de construire ce dispositif. Nous examinons actuellement tous ces paramètres. Au-delà de l’aspect budgétaire, la dimension industrielle est cruciale. À quel moment est-il plus opportun d’agir ? Est-il préférable de construire deux porte-avions similaires, donc deux porte-avions à propulsion nucléaire ? Ou vaut-il mieux, par la suite, opter pour des porte-avions différents, c’est-à-dire conventionnels ? Cette équation complexe, nous sommes en train de la poser méthodiquement pour répondre à cette question fondamentale. La décision n’est pas à prendre aujourd’hui. Notre priorité actuelle est de lancer le successeur du Charles de Gaulle, tout en envisageant d’autres configurations si nous parvenons à prolonger le programme tel qu’il est conçu et à étendre la durée de vie du porte‑avions actuel. L’horizon de décision se situe autour du jalon portant sur l’évaluation de l’état du Charles de Gaulle et de son potentiel, aux alentours de 2029.

Nous disposons donc d’un jalon qui concerne simultanément le programme de porte‑avions nouvelle génération et l’éventuelle permanence à la mer avec ses implications et son calendrier décisionnel. Cela nous accorde un certain délai pour explorer ces différentes options, ce qui constitue un avantage appréciable.

Concernant le renouvellement capacitaire, vous avez entièrement raison, nous sommes en pleine transformation. J’ai évoqué la transition des sous-marins Rubis vers les Barracuda. La bonne nouvelle est que nous disposons aujourd’hui de plus d’équipages formés pour les Barracuda que pour les Rubis, ce qui nous permet d’envisager d’accélérer cette transition. Nous renouvelons également nos frégates, nos patrouilleurs hauturiers, nos BGDM, nos avions de patrouille maritime, ainsi que nos aéronefs et nos effectifs. Nous bénéficions effectivement à un renouvellement quasiment complet.

Pour revenir sur les frégates, le ministre avait effectivement établi que le format optimal de la Marine se situait plutôt autour de 18 frégates, alors que nous en comptons actuellement 15. Je vous avais expliqué l’an dernier que, pour optimiser nos capacités, nous avons d’abord atteint une disponibilité remarquable avec 80 % des frégates opérationnelles, et nous avons ensuite doublé les équipages sur certains bâtiments pour accroître leur temps de présence à la mer. Nous atteignons désormais les limites de ce que nous pouvons accomplir avec 15 unités. Si nous devions augmenter notre engagement opérationnel, un accroissement du nombre de frégates deviendrait nécessaire. C’est précisément ce qu’avait indiqué le ministre : assurer une présence permanente supplémentaire, que ce soit en mer Noire ou dans une autre zone géographique, requiert trois frégates additionnelles.

Nous maintenons aujourd’hui une permanence en Atlantique, une en Méditerranée et une en océan Indien. Cela représente déjà neuf frégates. Nous disposons également de deux frégates d’alerte à Brest et deux à Toulon, ce qui ajoute quatre bâtiments supplémentaires. En comptant deux navires en arrêt technique, nous atteignons ainsi notre flotte actuelle de quinze frégates. Cette arithmétique démontre clairement que nous atteignons une limite structurelle. Pour toute mission additionnelle, nous devons réorganiser l’ensemble de ces moyens et procéder à des arbitrages impliquant nécessairement des renoncements. Les trois frégates supplémentaires évoquées ne sont pas encore financées. Cette question relèvera probablement de la prochaine LPM. Le nombre de frégates est effectivement un facteur crucial et nous exploitons actuellement nos capacités au maximum.

Concernant votre question sur les « coques blanches », il s’agit d’optimiser notre production pour réduire le coût de fabrication de nos frégates. Les Italiens démontrent avec cette stratégie qu’une optimisation de l’outil industriel permet de produire davantage à coûts moindres, augmentant ainsi le nombre de bâtiments à budget constant. Le principe consiste à fabriquer des coques standardisées destinées soit à la France, soit à l’export. J’insiste sur le fait que le principal critère de décision pour l’achat de nos matériels est aujourd’hui le délai de livraison. Je reviens de Suède où cette question est centrale. Notre capacité à produire dans les délais impartis permet de remporter des contrats d’armement, comme les Italiens le démontrent avec Fincantieri. Naval Group travaille donc activement avec la DGA pour améliorer notre processus industriel et accroître notre efficacité.

Je plaide personnellement en faveur de cette approche, sans modifier pour autant les équilibres de la LPM. Il ne s’agit pas de bouleverser les flux financiers, mais d’accepter le risque calculé de fabriquer des coques standardisées par anticipation. Dans le pire des cas, nous recevrons nos bâtiments un peu plus tôt, ce qui n’est guère problématique. Dans le meilleur scénario, nous parviendrons à les vendre à l’export, maintenant ainsi notre outil industriel au niveau optimal de performance.

Concernant les bâtiments de guerre des mines, ou plus précisément la transition vers les nouveaux systèmes, nous gérons probablement l’un des passages les plus complexes de notre histoire navale. Nous évoluons d’un système habité traditionnel - le Chasseur de Mines tripartite CMT - vers un dispositif entièrement dronisé. Nous venons de réceptionner à Brest les premiers éléments de série de ce système de lutte anti-mines future à base de drones. Cette capacité représente vraisemblablement la première capacité militaire entièrement dronisée dans nos armées. Ce pari, initié il y a une dizaine d’années, illustre notre volonté d’innovation malgré les risques inhérents à cette transformation. Nous les avons rencontrés et les difficultés sont réelles, mais nous approchons de l’aboutissement.

Notre objectif est de démontrer, dès le début de l’année 2026, notre capacité à remplacer intégralement nos bâtiments habités en déployant uniquement des systèmes de drones dans la rade de Brest pour valider les capacités militaires. Nous progressons significativement, même si le succès n’est pas encore totalement acquis. Les discussions avec Thales sont parfois ardues, mais nous maintenons un dialogue vigilant. Il reste à développer la capacité de projection de ce système depuis la mer. Nous avons établi sa fonctionnalité depuis la terre, mais le déploiement maritime constitue encore un défi majeur, nécessitant probablement des solutions transitoires avant la mise en service de bâtiments de guerre des mines plus adaptés.

Cette question retient particulièrement notre attention car elle conditionne notre capacité de projection au-delà des zones couvertes par les drones à partir de la terre, notamment en haute mer, dans le Golfe ou dans nos territoires ultramarins. Nous y travaillons intensivement. Le programme des bâtiments de guerre des mines ayant été décalé, nous cherchons des solutions provisoires pour embarquer nos systèmes de drones existants sur des navires de type supply, en attendant de disposer de moyens capables d’opérer dans les outre‑mer.

Concernant les frégates de surveillance, nous bénéficions d’une évolution plutôt favorable puisque nos bâtiments actuels conservent encore une capacité opérationnelle satisfaisante, nous permettant de les prolonger. Dans le cadre habituel de nos actualisations de LPM, nous identifions ici une possible marge de manœuvre. Nous collaborons avec nos partenaires européens pour concevoir la corvette du futur. Bien que nos frégates de surveillance approchent progressivement de leur limite opérationnelle, elles conservent encore une certaine vitalité, nos besoins demeurent exigeants. La protection de nos 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive requiert des bâtiments dotés d’une endurance hauturière et d’une autonomie essentielles, mais également d’un armement renforcé, car nos frégates ont été conçues à l’époque des « dividendes de la paix », contexte désormais révolu. Cet investissement important s’inscrit dans le cadre d’un projet européen dont nous conserverons les meilleurs éléments, tout en acceptant un certain report du programme, que l’état de nos frégates de surveillance nous permet heureusement d’envisager.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je tiens à remercier l’Amiral pour ses interventions toujours concises et exhaustives, ce qui est véritablement appréciable. J’aimerais vous poser plusieurs questions succinctes concernant des sujets que vous avez abordés dans votre intervention liminaire.

Tout d’abord, pourriez-vous préciser de ce qui relève dans le PLF de la marche normale et de la surmarche ? Je suis conscient que nous sommes en audition budgétaire et que ce sujet peut paraître technique, mais la question me semble pertinente.

Ma deuxième question concerne le retour d’expérience ukrainien que vous avez évoqué, notamment à travers l’exercice Wildfire. Nous avons déjà abordé le sujet du PANG, mais s’il s’agit d’être agile, constant et déterminé dans la durée, il convient néanmoins de s’interroger sur les implications du naufrage de la Moskva pour l’un des programmes les plus structurants de toutes nos armées. J’apprécierais d’entendre votre analyse plus détaillée sur ce point.

Ma troisième question porte sur l’ouverture de la route du Nord. Vous avez certainement observé, il y a quelques jours, une nouvelle « réussite » avec la traversée d’un bâtiment chinois dans des délais extrêmement courts. Les Américains ont commandé depuis longtemps des brise-glaces, une décision d’ailleurs confirmée en priorité par le président Trump. La France sera-t-elle capable de répondre aux besoins futurs dans cette zone stratégique ? Je vous laisse naturellement le soin de définir ce que seraient, de façon réaliste, ces besoins dans la région de la route du Nord.

Par ailleurs, en tant que membre du conseil des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), j’en profite pour vous interroger sur le successeur éventuel du Marion Dufresne. Je comprends que cette question ne relève pas exclusivement de votre responsabilité, mais des discussions ont-elles été engagées sur ce sujet ? Notre inquiétude commence en effet à croître.

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant les munitions, je tiens à préciser notre stratégie d’allocation budgétaire. Nous avons augmenté de 50 % les crédits via la LPM, auxquels s’ajoutent 50 % supplémentaires grâce à la sur-marche budgétaire, démontrant ainsi l’ampleur de notre effort. La répartition varie selon les types de munitions : certaines bénéficient d’une augmentation de 92 % dans la LPM avec un complément de 15 % en surcouche. Ces variations s’expliquent par nos objectifs prioritaires d’amélioration qualitative, de renforcement de notre résilience et de cohérence globale. Nous avons concentré nos efforts supplémentaires sur les domaines accusant un retard, tandis que les secteurs déjà bien dotés n’ont reçu que des compléments modestes. Cette approche nous permet d’atteindre un équilibre satisfaisant entre qualité et durcissement de nos capacités.

Pour illustrer cette démarche, prenons l’exemple des frégates. Nous avions fait le choix il y a quelques années de réduire la diversité des missiles embarqués au profit des seuls Aster. Les surcouches budgétaires nous permettront désormais de réintégrer des missiles de plus petit calibre, notamment le SATCP Mistral, bien plus efficace contre les drones que ne le sont les Aster. Nous améliorerons ainsi l’autodéfense de nos bâtiments.

La sur- marche nous permettra également d’acquérir ce que nous appelons les armes d’usure et les munitions télé-opérées (MTO). Nous mobilisons actuellement l’ensemble de notre écosystème industriel sur ces développements, des grandes entreprises comme MBDA aux start-ups et PME. La Marine elle-même contribue à cet effort d’innovation grâce à notre laboratoire de production qui conçoit les prototypes de ces équipements. Notre défi consiste maintenant à passer à l’échelle industrielle, soit en confiant la production à un industriel établi, soit en utilisant les capacités de notre service de maintenance qui dispose de petites unités de fabrication, soit en développant nous-mêmes ces solutions selon une approche que j’appellerais « à l’ukrainienne ». Si vous visitez le laboratoire de la Force d’action navale à Toulon, vous y découvrirez des volontaires et alternants qui ont développé un drone quadrirotor capable de neutraliser un drone de surface hostile en s’écrasant sur lui. Ce dispositif est opérationnel au stade de prototype, mais nécessite une industrialisation, processus dans lequel la DGA nous accompagne avec une agilité remarquable.

La sur-marche budgétaire couvre également le renforcement de nos capacités de dronisation, avec l’extension des dispositifs présents dans nos sémaphores, sur les porte‑hélicoptères et sur les frégates. Cela inclut des drones comme le S100 ou le Système de drone aérien pour la Marine (SDAM). Nous recherchons une plus grande cohérence, un durcissement de nos capacités et une amélioration qualitative de l’équipement de nos navires.

Concernant la vulnérabilité de nos bâtiments que vous avez évoquée avec l’exercice Wildfire, nous avons réalisé des progrès considérables au cours des trois dernières années, particulièrement dans la défense anti-drones, à la suite des enseignements tirés des opérations en Mer Noire avec les drones de surface ou à terre avec les drones aériens. Aujourd’hui, nous ne sommes plus pris au dépourvu face à ces menaces, que ce soit en matière de détection, de brouillage ou de neutralisation. Nous avons expérimenté diverses solutions, y compris des systèmes apparemment désuets comme les canons bi-tubes rappelant ceux de la Seconde guerre mondiale. Cette démarche nous a permis d’identifier précisément les systèmes les plus efficaces pour chaque type de menace. Le PLF 26 nous permettra d’acquérir ces équipements, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement les plus coûteux.

Nous poursuivons cette dialectique permanente entre le bouclier et la cuirasse. Si l’on m’avait dit il y a cinq ans que nous serions capables d’intercepter des missiles balistiques instantanément, j’aurais exprimé quelques réserves. Pourtant, en Mer rouge, nous avons démontré cette capacité, avec encore des marges de progression. Nous avons identifié ces marges avec nos industriels, notamment Thales, pour améliorer les performances de nos radars. Nous sommes donc confiants dans notre capacité à contrer les futures menaces, y compris les missiles hypersoniques russes qui ne fonctionnent pas encore de façon optimale au vu de leurs nombreux essais infructueux.

Quant à la route du Nord, vous avez parfaitement raison de souligner le passage récent d’un navire chinois. Nous observons une militarisation croissante de l’Arctique et une volonté d’appropriation territoriale de la part des grandes puissances. Les enjeux sont doubles : le contrôle des routes maritimes et l’exploitation des ressources sous-marines, qu’il s’agisse d’hydrocarbures ou de terres rares comme celles présentes au Groenland. Nous assistons à un véritable partage du monde arctique entre grandes puissances, auquel la France ne participe pas, d’abord parce que nous ne sommes pas un État riverain, mais aussi car elle ne s’inscrit pas dans cette dynamique géopolitique d’appropriation.

Le réchauffement climatique ouvrira certainement la route du Nord de façon plus pérène, mais cette perspective n’est pas immédiate. Actuellement, seuls des navires très spécifiques, comme les brise-glaces ou ceux dotés d’une classification glace élevée, peuvent y naviguer. L’absence d’infrastructures logistiques dans le Grand Nord rend cette route encore dangereuse et peu adaptée à un trafic intense. Concernant notre préparation et la question des brise-glaces, la Marine nationale n’en possède pas en propre. La France dispose d’un seul brise-glace, l’Astrolabe, acquis par les TAAF et opérant principalement dans l’hémisphère sud. Il est important de noter que la construction d’un brise-glace n’est pas particulièrement complexe et que nous maintenons les compétences nécessaires à leur utilisation. Nous avons formé des équipages, des commandants et des pilotes de glace capables d’opérer dans ces environnements extrêmes. Cette expertise, préservée grâce à l’Astrolabe, pourrait être déployée dans l’Arctique si nécessaire.

Mme Anna Pic (SOC). Je souhaite approfondir certains points que vous avez déjà partiellement abordés. Le projet de budget que nous examinons aujourd’hui prévoit une hausse globale de 13 % par rapport à 2025, représentant 6,7 milliards d’euros supplémentaires, avec l’objectif déclaré d’adapter nos armées à la situation internationale. Si cet effort est remarquable dans notre contexte budgétaire actuel, cette augmentation financera principalement le report de paiement, autrement dit les impayés de matériels déjà livrés.

La Marine nationale ne bénéficiera qu’à la marge de cette augmentation, les crédits alloués à la préparation des forces navales connaissant une légère hausse en crédits de paiement mais une baisse en autorisations d’engagement. Le déficit chronique de frégates, que vous signalez à juste titre depuis plusieurs années, va donc perdurer, et l’engagement de sa résorption devra encore attendre. Vous avez souligné à plusieurs reprises votre ingéniosité pour accomplir vos missions malgré ces contraintes. La revue nationale stratégique nous rappelle d’ailleurs combien nos départements et régions d’outre-mer (DROM) et nos collectivités d’outre-mer (COM) sont au cœur des enjeux de recomposition des équilibres mondiaux et du rôle essentiel de la Marine nationale.

Ma première question, simple dans sa formulation mais complexe dans sa réponse : avec un budget en stagnation, comment envisagez-vous d’élargir vos marges de manœuvre pour assurer des missions qui vont, elles aussi, s’étendre ?

Concernant les enjeux de préparation opérationnelle, vos forces sont déployées de manière permanente à travers le monde et confrontées à des menaces extrêmement variées. Comment garantir la montée en puissance nécessaire face à l’intensité et à la fréquence de vos déploiements ? Quels sont les principaux freins à cette montée en puissance ?

Enfin, il semblerait que le retour de la guerre des mines puisse engendrer une rupture capacitaire à court et moyen terme. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Je n’établirai pas de comparaison avec mes homologues. Le PLF ou l’actualisation de la LPM présente une copie équilibrée, décidée avec le CEMA. Nous disposons peut-être de moins de ressources pour les marches ou sur-marches, mais potentiellement davantage pour le socle. L’équilibre entre les trois armées est fondamental pour qu’elles puissent assumer l’ensemble de leurs missions.

L’enjeu essentiel concerne nos marges de manœuvre et notre capacité à faire face au choc que le CEMA vous a présenté, un choc attendu ou du moins envisagé dans trois à cinq ans. J’articule actuellement notre action autour de trois lignes d’opération : les savoir-faire, les partenaires et les adversaires.

Concernant les adversaires, l’enjeu est la létalité, bien prise en compte par le PLF. Il s’agit de la capacité de nos armes et de nos munitions à opérer efficacement. J’ai fixé comme axe prioritaire à la Marine la létalité au premier coup depuis un an et demi. Nous devons être performants et l’être dès le premier tir.

L’axe partenarial est essentiel. Avec qui opérons-nous ? En mer Rouge, nous assurons une permanence de frégate, mais pas nécessairement une présence constante au même endroit. Cette frégate doit accomplir plusieurs missions différentes : lutte contre la piraterie, protection du commerce maritime, coopération avec nos partenaires, lutte contre le trafic d’armes, etc. Nous avons besoin d’être plusieurs, donc de nous appuyer sur nos partenaires. Sans eux, nous sommes incapables d’assumer l’ensemble des missions que nous nous fixons, qu’elles relèvent de l’Otan, de l’Union européenne ou du cadre national.

Depuis ma prise de fonctions, j’ai mené plus de 200 réunions bilatérales avec des partenaires pour construire la confiance, développer l’interopérabilité et organiser les opérations conjointes. Mon homologue suédois m’a proposé d’agir ensemble pour être plus efficaces, chacun apportant des capacités complémentaires. Nous travaillons de même avec l’Italie, la Grèce, l’Allemagne sur les missions Irini, Atalanta, Aspides. Notre capacité opérationnelle repose largement sur ces partenariats, que je développe quotidiennement, non seulement en Europe mais aussi dans l’océan Indien avec l’Inde, l’Indonésie, les Philippines ou le Japon.

Dans le golfe de Guinée, nous avons développé le partenariat Siren avec plusieurs pays riverains. À l’image de ce que fait la Jeanne d’Arc, nous embarquons sur un porte‑hélicoptères amphibie (PHA), pendant un mois, des officiers de différentes nations du golfe de Guinée – trente-six cette année, dont des instructeurs étrangers. Nous travaillons ensemble à la lutte contre la pêche illicite et nous nous entraînons aux opérations de réponse aux catastrophes climatiques. Cette démarche rassemble tous les acteurs régionaux, et lorsque j’affirme vouloir une marine rassembleuse de ses partenaires, c’est précisément cela que je vise, avec des résultats très positifs.

Quant à la montée en puissance pour la haute intensité, nous avons modifié notre philosophie d’entraînement. Il y a cinq ans, nous privilégiions les exercices très séquencés : une heure consacrée au tir, puis un exercice de manœuvre, et ainsi de suite. Nous avons instauré l’exercice en free play – sans règles prédéfinies, avec des adversaires et des alliés qui s’affrontent, et où seul le meilleur l’emporte. La Marine avait initié cette approche avec l’amiral Vandier. Je l’ai poursuivie, notamment avec les Italiens, en divisant la Méditerranée en deux zones, le porte-aéronefs Cavour d’un côté et le Charles de Gaulle de l’autre, chacun cherchant à prendre l’avantage.

Cette année, nous avons réalisé cet exercice en Atlantique, demandant aux forces de l’Otan de jouer le rôle d’adversaires tandis que nous tentions une opération de débarquement contre une force de l’Otan jouant en free play. C’est une première, une révolution pour l’Otan. Vous commencez avec vos stocks de munitions et vos marins. Si vous épuisez vos munitions, vous êtes éliminé. Si vous êtes touché durement, vous êtes hors-jeu. Cette approche vous oblige à penser comme l’adversaire, et c’est précisément ce que nous recherchons : développer une culture opérationnelle extrêmement avancée et réactive.

Vous avez raison concernant la Moskva qui a été touchée par deux missiles subsoniques. Il est inacceptable de se faire intercepter ainsi, cela révèle complète impréparation. Ce navire n’aurait jamais dû être coulé par deux missiles subsoniques. Dans la Marine française, l’interception de missiles subsoniques est considérée comme une opération standard, sans difficulté majeure. Cet incident montre aussi que les Russes ont privilégié la capacité offensive au détriment de la défensive. Ils ont développé de nombreuses armes dites « de supériorité » ou « de décision », mais ont négligé leurs capacités d’autodéfense. Cela constitue actuellement un avantage tactique majeur en mer Noire, permettant aux Ukrainiens de contourner efficacement la puissance navale russe.

Nous poursuivons le développement de nos exercices free play sous l’appellation Polaris. L’année prochaine, nous intégrerons ce dispositif dans l’exercice interarmées Orion. Ces initiatives nous confèrent précisément cette marge de manœuvre opérationnelle que vous appelez de vos vœux. Notre objectif principal réside dans la réalisation de démonstrations stratégiques concrètes, destinées à prouver nos capacités réelles à nos adversaires potentiels. Ainsi, lorsque nous coulons la coque d’un ancien aviso au large de Brest, il s’agit d’une démonstration tangible de l’efficacité de nos torpilles F21 et de notre savoir-faire opérationnel. Je précise que la coque avait été préalablement dépolluée.

Nous avons également démontré notre maîtrise dans l’utilisation offensive des drones de surface. Ces démonstrations revêtent une double importance : elles transmettent un message stratégique clair à l’adversaire tout en renforçant la confiance de nos équipages dans leurs systèmes d’armes. Comme vous avez pu le constater dans les séquences vidéo que je poste régulièrement sur internet, nous avons testé avec succès nos missiles Aster contre des missiles Mica Air-Air ainsi que contre une bombe A2SM. Ces opérations, loin d’être simples, impliquent des interceptions de menaces supersoniques. Leur réussite atteste de l’excellence de nos équipages, de la fiabilité de nos matériels et de notre capacité à maintenir un écosystème opérationnel performant.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Vous écouter nous fait prendre conscience, bien que nous le sachions tous ici, que la menace se présente désormais à 360°. Nous pensons tous naturellement à la menace russe, vitale pour l’Europe, mais cette réalité s’étend à l’échelle mondiale. Vos propos me rappellent la célèbre phrase de Richelieu rappelant que « les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée ».

Notre excellent collègue Yannick Chenevard ayant déjà formulé la plupart des questions que je souhaitais vous adresser, je me concentrerai sur la nécessité de disposer de 18 frégates. Voilà maintenant une décennie que nous entendons cette requête. Le ministre l’a affirmé, il est temps désormais de concrétiser cet engagement. Indépendamment des considérations budgétaires, quelle serait la capacité réelle de Naval Group à produire ces trois frégates supplémentaires, et selon quel calendrier, sachant que des FDI sont déjà commandées ? Si cette mesure ne figure pas dans le PLF 2026, sachant que la ministre a annoncé un vote sur une forme de LPM rectificative avant la fin de l’année, fixons-nous au minimum cet objectif pour 2035, ce qui me paraît fondamental ?

Ma seconde question porte sur la célébration cette année de votre 400e anniversaire. Pourriez-vous nous détailler davantage le programme prévu ? Comment pouvons-nous le faire rayonner dans nos territoires, notamment dans un département comme le mien, la Seine-et-Marne, où le lien avec la mer n’est pas évident ? Quelles initiatives pourrions-nous développer, particulièrement avec les correspondants défense que nous pourrions, à mon sens, pleinement mobiliser ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Votre observation concernant la menace à 360° est parfaitement fondée. Je vous livre un exemple récent : samedi dernier, lors de la visite de la ministre des Armées et des Anciens combattants, nous lui avons fait découvrir successivement une frégate multimissions (Fremm) en mer, puis un SNLE. Elle a également pu observer le passage d’un drone du système de guerre des mines, avant d’assister à la présentation aux drapeaux à l’École navale. Sur la frégate, programmée pour partir en patrouille l’après-midi même après la visite ministérielle, nous avons identifié sur l’écran tactique une frégate russe se dirigeant vers la Manche. La mission de notre bâtiment, sitôt la visite achevée, a donc consisté à surveiller ce navire russe transitant par la Manche. Je tiens à souligner que chaque semaine, un bâtiment russe passe en Manche Mer du Nord, et chaque semaine, nous déployons un navire pour assurer sa surveillance, en coopération permanente avec nos alliés britanniques et espagnols.

Cette menace existe réellement, non seulement le long de nos approches maritimes, mais également à l’autre extrémité du monde. En parlant de partenaires, je peux évoquer les Australiens qui ont été particulièrement perturbés par la manœuvre chinoise consistant à mener des opérations dans leurs eaux territoriales, tout autour de leur pays, ce qui a suscité une vive irritation de leur part.

Concernant l’objectif des 18 frégates, aborder ce sujet sans évoquer l’aspect budgétaire reste délicat. Les capacités de production de Naval Group sont bien réelles : l’entreprise dispose d’une capacité maximale de deux frégates par an sur le site de Lorient. Ils l’ont démontré pour les frégates grecques qui nécessitaient une livraison accélérée. Néanmoins, leur organisation actuelle est calibrée pour une production optimale d’une frégate par an, ce qui représente leur optimum industriel. Les contrats de coques blanches, mentionnés par le député Chenevard, permettent, avec ce rythme d’une frégate par an, de maintenir notre outil de production à son meilleur niveau d’efficience économique. Naval Group peut certainement passer à une cadence de deux unités annuelles, mais cela nécessite évidemment des commandes supplémentaires. J’estime que si nous prenions cette décision aujourd’hui, ils seraient probablement en mesure d’augmenter leur production dans un délai de deux à trois ans, accélérant ainsi considérablement nos livraisons.

Le calendrier actuel prévoit la livraison de la deuxième frégate française en 2027, la troisième en 2029-2030, entre-temps les quatre frégates grecques, puis potentiellement d’autres commandes à l’export, suivies des livraisons en 2031-2032. En résumé, avec le rythme actuel d’une unité annuelle, notre programme s’étend jusqu’en 2032. Doubler la cadence compresserait naturellement ce calendrier, sauf en cas de commandes additionnelles. Nous constatons clairement que ces considérations dépassent l’horizon de la LPM actuelle.

Quant aux célébrations du 400ᵉ anniversaire, nous avons conçu un programme ambitieux articulé autour de deux axes majeurs : la jeunesse et les territoires, ce qui rejoint directement votre préoccupation. Nous souhaitons également démontrer notre puissance navale et mettre en valeur le combat naval. Concernant le volet jeunesse et territoires, nous organiserons fin mai-début juin, sur une semaine entière, des manifestations dans 46 villes non portuaires, souvent dotées de préparations militaires marines. Dans chacune d’elles, nous prévoyons une cérémonie, suivie d’une présentation pédagogique de la Marine. Nous inviterons ensuite les jeunes à découvrir le film spécialement réalisé pour ce 400ᵉ anniversaire, qui sera projeté en plein air afin d’accueillir un maximum de participants dans chacune de ces 46 villes.

Ces initiatives s’inscrivent en complément d’un partenariat substantiel que nous avons établi avec l’Éducation nationale. Ce ministère a non seulement validé mais s’est engagé à mettre en œuvre un programme pédagogique ciblant trois niveaux scolaires : CM2, et les deux cycles d’enseignement du collège et du lycée. Nous fournirons des supports pédagogiques permettant aux enseignants d’aborder l’histoire de la Marine et ses missions actuelles, et l’histoire maritime de la France, ans. Ces ressources comprendront des présentations, des courts-métrages et divers documents visuels. Les professeurs d’histoire-géographie intégreront ainsi l’histoire navale française dans leur enseignement pour ces cycles spécifiques. Cette démarche élargira considérablement le rayonnement de notre action, notamment lors de notre journée thématique « Jeunesse et Territoires » qui ciblera précisément ces classes d’âge du primaire et du secondaire. Nous établirons naturellement des contacts avec nos correspondants de défense et les municipalités pour coordonner ces manifestations.

Nous prévoyons une démonstration aéronavale le 8 mai, dépassant le cadre d’une simple revue navale, afin de mettre en valeur nos capacités opérationnelles, nos innovations et nos partenariats. Cet événement se déroulera principalement dans la région Sud. Par ailleurs, nous commémorerons la bataille de Chesapeake le 5 septembre à Paris. Après deux années de célébration au Jardin du Luxembourg, nous ambitionnons d’investir le Trocadéro cette année, dans l’optique d’accueillir un public plus nombreux. Notre volonté est de proposer un événement accessible et intégré dans l’espace urbain.

Concernant le financement, nous avons sollicité et obtenu le soutien de mécènes, ce qui nous permet de réaliser ces manifestations sans contribution budgétaire de l’État. Notre objectif fondamental est que la Marine nationale éprouve de la fierté à se présenter aux yeux de nos concitoyens, suscitant ainsi un sentiment d’appartenance collective. Nous souhaitons que ces célébrations revêtent un caractère véritablement populaire et rassembleur, particulièrement dans des lieux où notre présence est habituellement limitée.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Le cyclone Chido qui a frappé Mayotte a mis en évidence le rôle déterminant de la Marine nationale face aux conséquences du changement climatique. Cet événement a souligné l’importance des escouades côtières de réserve et la nécessaire montée en puissance des réservistes dont les compétences civiles sont susceptibles de renforcer la résilience nationale face aux crises climatiques. À ce sujet, comment envisagez-vous de consolider le rôle des escouades de réserve pour garantir une mobilisation rapide lors des événements climatiques ? Est-il prévu de coordonner nos efforts avec nos partenaires européens ? Par ailleurs, comment développer des partenariats civilo-militaires optimisant l’utilisation des capacités maritimes en intervention civile ?

Concernant les câbles sous-marins, qui assurent plus de 99 % des échanges numériques mondiaux, nous observons une menace croissante en Europe avec le sabotage de ces infrastructures critiques. La stratégie de maîtrise des fonds marins, fondée sur l’emploi de drones et robots sous-marins profonds, se déploie actuellement. Elle s’accompagne d’une coopération civile et militaire ainsi que de partenariats internationaux. L’objectif consiste à protéger ces installations, dissuader les potentiels agresseurs, tout en renforçant le cadre juridique européen. Existe-t-il un faisceau d’indices suggérant une stratégie systémique visant à tester la vulnérabilité de nos infrastructures ? Quels sont les moyens à notre disposition, particulièrement au niveau européen, pour répondre de façon coordonnée à ces provocations répétées émanant de puissances hostiles, en complément des éléments que vous nous avez déjà présentés ?

Enfin, la Marine intervient contre les trafics illicites et les activités clandestines en mer, comme l’illustre le cas de la flotte fantôme russe. La Marine dispose-t-elle d’un plan d’engagement conjoint avec nos alliés européens pour intercepter des navires suspects opérant depuis les ports tiers ou sous pavillon de complaisance ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant le changement climatique et le cyclone Chido, nous constatons effectivement une multiplication de ces phénomènes. La Marine observe directement ces évolutions climatiques et je tiens à souligner qu’en Europe, nous n’avons pas pleinement conscience de la réalité vécue par les pays directement affectés. Je cite régulièrement les propos tenus par mon homologue du Bangladesh à la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) à Nice : une élévation du niveau de la mer d’un mètre entraînerait le déplacement de 20 millions de personnes au Bangladesh, soit l’équivalent d’un tiers de la population française. Ce seraient les premiers réfugiés climatiques. Pour lui, il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais d’une réalité à laquelle il doit se préparer. Dans nos territoires d’outre-mer particulièrement, ces changements s’opèrent plus rapidement qu’en Europe. La Marine témoigne nécessairement de ces phénomènes, notamment de tempêtes d’intensité croissante. La tempête Benjamin qui a touché nos côtes hier reste mineure comparée aux événements météorologiques extrêmes observés ailleurs dans le monde.

Quant à l’apport des escouades côtières face à ces défis, la réponse est affirmative. Ces unités ont précisément été créées pour compléter l’action des forces de la Marine, de la gendarmerie maritime et des forces de sécurité en général, afin d’intervenir sur notre territoire où les réductions d’effectifs avaient diminué notre empreinte territoriale. La possibilité d’engager des réservistes nous permet désormais de renforcer notre présence dans ces zones, ce que nous accueillons très favorablement. Nous avons initialement déployé ce dispositif à La Rochelle et à Bayonne. En 2025, nous avons ouvert Sète et Cannes en Méditerranée, ainsi que Piriac-Saint-Nazaire, Concarneau et Saint-Malo dans l’Atlantique, sans oublier Pointe‑à‑Pitre et Nouméa dans nos territoires ultramarins. D’autres implantations sont prévues en 2026, notamment dans la Manche et en Mer du Nord.

L’objectif consiste à réunir environ 70 marins réservistes dans chaque zone, parfaitement intégrés à leur territoire, capables d’intervenir rapidement en complément des forces régulières sous l’autorité du préfet maritime. Face à une pollution côtière par exemple, les navires de la Marine interviendront bien entendu, mais ces escouades offriront une capacité d’action supplémentaire, plus rapide et en liaison immédiate avec les collectivités territoriales. L’aspect particulièrement intéressant de ce concept réside dans l’intégration complète des escouades côtières au sein de leur environnement local. J’ai demandé au responsable de ce projet de veiller à ce que ces unités incluent le responsable du port, le réparateur d’embarcations pneumatiques, le boulanger, le médecin - des acteurs formant un ensemble cohérent et efficace. C’est précisément ce qui se réalise actuellement. Nous sommes donc extrêmement satisfaits des premiers résultats, et le dispositif se développe remarquablement bien. Nous avons inauguré l’escouade de Piriac-Saint-Nazaire la semaine dernière, renforçant ainsi l’efficacité de notre chaîne d’action de l’État en mer, dispositif unique qui me permet d’aborder la question de la flotte fantôme.

Notre spécificité en Europe tient au fait que le commandant en chef d’une zone maritime, par exemple l’amiral Quérat pour l’Atlantique, cumule les fonctions de commandant militaire des opérations et de préfet maritime. Il est donc habilité à coordonner l’action de l’État en mer en qualité de préfet, dirigeant ainsi les affaires maritimes, les douanes, la gendarmerie, la Marine et d’autres services pour garantir une action cohérente face aux défis rencontrés.

L’affaire du Boracay a débuté au Danemark où les autorités ont suspecté plusieurs navires d’avoir lancé des drones au-dessus de leur territoire, identifiant. Ces navires ont ensuite traversé la Manche et la Mer du Nord, où nous leur avons demandé leurs documents d’identification. Nous avons constaté que le Boracay présentait des documents d’immatriculation peu fiables, notamment concernant son pavillon déclaré. Après vérification auprès du pays concerné, celui-ci a indiqué que le navire n’était pas enregistré sous son autorité. Nous ignorons l’identité précise de ce navire, mais avons établi qu’il falsifiait son pavillon, contrevenant ainsi aux règlements internationaux. Notre avantage réside dans l’intégration du droit international dans notre législation nationale, permettant ainsi à la Marine nationale et aux commandants de navires d’agir directement en droit national pour prévenir les infractions aux conventions internationales, qu’il s’agisse de la convention de Montego Bay pour la sécurité maritime ou de la convention de Vienne concernant le trafic de stupéfiants.

Dans ce cadre, le CEMA a proposé au Président de la République d’intercepter ce navire pour vérifier la présence éventuelle de drones. Nous sommes montés à bord en raison de l’infraction au droit du pavillon. Nous avons constaté deux éléments : premièrement, la confirmation de l’infraction au droit du pavillon, et deuxièmement, que le navire avait refusé d’obtempérer et s’était opposé à notre montée à bord. Nous l’avons donc dérouté et signalé au procureur de la République, prérogative relevant du préfet maritime lorsqu’un navire enfreint le droit international. Le procureur s’est saisi de l’affaire, convoquant le commandant et son second pour comparaître devant le tribunal afin de répondre de ces actes.

Nous disposons effectivement de cette capacité d’intervention. Concernant nos partenaires européens – et nous déployons actuellement d’importants efforts pour renforcer leur coopération – j’ai récemment organisé un briefing à l’intention de mes homologues européens sur ce sujet. Ils ont tous exprimé leur satisfaction quant à notre action, mais comme je l’évoquais précédemment, certains peuvent agir mais ne le souhaitent pas, d’autres le souhaitent mais n’en ont pas les moyens. En réalité, peu de pays possèdent véritablement la capacité de mener de bout en bout l’opération que nous avons exécutée. Nous appelons de nos vœux l’extension de cette capacité et encourageons nos partenaires à obtenir les autorisations politiques nécessaires.

Nous disposons également d’une autre capacité majeure : le partage d’informations, notamment via le MICA Center à Brest, qui maintient des liens avec l’ensemble des armateurs et facilite ces opérations. La lutte contre la flotte fantôme revêt une importance capitale car elle contourne les sanctions de l’Union européenne, ce qui est inacceptable. Nous estimons que cette flotte représente actuellement 40 % de l’effort de guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. Par ailleurs, 80 % du pétrole exporté transitent par la mer Baltique, principalement via cette flotte fantôme. Agir sur ce levier constitue donc un moyen de pression économique direct et significatif. Cette démarche est essentielle et requiert une action collective, à laquelle nous nous employons activement.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je tiens à saluer l’engagement de tous nos marins qui assurent quotidiennement notre protection à travers les différentes missions que vous avez évoquées. J’aimerais souligner qu’ils sauvent également des vies, particulièrement en Manche. J’en suis personnellement témoin avec le port de Ouistreham, où ils portent secours à de nombreux migrants désespérés tentant la traversée. Il est essentiel de rappeler cette dimension de sauvetage dans leurs missions.

Je souhaite revenir sur vos propos, Amiral, lorsque vous avez déclaré : « Nous sommes prêts à accueillir des volontaires si un jour un service est instauré ». Sans vous demander de préciser la nature de ce service, qui dépasse votre champ de compétence, je fais un parallèle avec votre récente visite en Suède. Ce pays a rétabli un service militaire obligatoire d’une durée de 9 à 15 mois, mais selon un modèle sélectif où l’armée choisit les profils correspondant à ses besoins, ce qui représente environ 8 % d’une classe d’âge. Cette sélection s’opère en fonction des capacités d’hébergement, d’incorporation et des nécessités opérationnelles.

Ayant eu l’honneur de rédiger un rapport sur cette question l’année dernière avec ma collègue Martine Étienne, j’ai proposé le rétablissement en France d’un service militaire obligatoire suivant ce même principe. En appliquant ce ratio de 8 %, nous pourrions incorporer environ 51 000 jeunes par an. Ma proposition de loi prévoit une durée de 6 mois. Quelle serait la capacité d’incorporation de la Marine nationale dans l’hypothèse d’un service de 6 mois ?

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Concernant le sauvetage en mer, vous avez parfaitement raison. La Marine sauve chaque année environ 6 000 vies en mer, principalement aujourd’hui en Manche Mer du Nord, face à ce drame humain que constituent les traversées de migrants de la France vers la Grande-Bretagne. Ces opérations s’effectuent dans des conditions extrêmement difficiles, et je tiens à saluer l’engagement remarquable de nos marins dans ces missions particulièrement éprouvantes.

Nous constatons une diminution de la mortalité ces dernières années, mais les situations demeurent extrêmement complexes. Les embarcations récemment interceptées transportaient jusqu’à plus de cent personnes. Il faut comprendre que les conditions à bord sont dramatiques, avec des relations extrêmement tendues entre les passagers. Les décès surviennent souvent par étouffement à bord même des embarcations, faute d’espace suffisant, sans oublier les actes de violence entre migrants. Cet engagement dans le sauvetage en mer mobilise en permanence près de six navires en Manche Mer du Nord : deux affrétés, deux de la Marine nationale et deux relevant d’autres administrations, représentant un effort considérable.

Sur le service militaire, j’ai effectivement échangé avec mon homologue suédois sur ce sujet. Le modèle suédois combine une inscription obligatoire avec une sélection des profils retenus. Je ne peux préjuger du modèle qui serait retenu pour la France, mais cette approche me semble intéressante. Actuellement, nous disposons déjà d’un dispositif obligatoire avec la journée défense et citoyenneté (JDC). Cette base existante pourrait évoluer vers un service national ou militaire, selon la forme qui sera déterminée. L’essentiel, à mon sens, est que ce dispositif soit véritablement utile tant aux forces armées qu’à la Nation.

Pour être utile à la Marine, le service national doit être véritablement opérationnel, en permettant aux jeunes de travailler et de compléter effectivement nos ressources humaines. L’efficacité exige une durée suffisante. Le modèle d’une formation pour un mois ne répond pas à nos besoins. Une formation de dix mois s’avère nettement préférable. Vous avez évoqué deux périodes de 6 mois. Former un marin pour 6 mois sur un navire présente de réelles complications. Notre modèle actuel pour les volontaires officiers d’active (VOA) prévoit une période d’un an, ce qui permet une formation complète, un embarquement efficace et une réelle opérationnalité à bord.

À mon entrée dans la Marine, notre structure d’effectifs formait une véritable pyramide. Nous sommes passés de cette pyramide équilibrée à ce que j’appelle une « bouteille d’Orangina ». Nous avons beaucoup moins de matelots sur nos bâtiments, et beaucoup plus de cadres. Si le service national nous permet de retrouver une vraie pyramide des âges avec une base étalée, il renforcera considérablement la résilience de notre système.

Concernant les effectifs, la marine recrute déjà 4 000 personnes chaque année, ce qui représente un effort substantiel. Notre limitation provient d’abord de nos capacités de recrutement et d’emploi. Si je peux employer ces jeunes partout, le problème se limite au recrutement supplémentaire. Toutefois, recruter 1 000 personnes supplémentaires équivaut à une augmentation de 25 % de notre effort actuel, 2 000 représenteraient 50 % de plus. Si nous devions intégrer davantage, par exemple 10 000 personnes selon le ratio Marine pour un service national de 50 000 jeunes par an, nous ne pourrions actuellement ni les nourrir, ni les habiller, ni les loger convenablement.

En résumé, nous pouvons intégrer 1 000 jeunes annuellement. Au-delà, tout dépend des investissements consentis pour l’infrastructure, l’habillement et l’accompagnement de cette montée en puissance. Je soutiens cette démarche, à condition qu’elle s’accompagne d’un plein-emploi dans la Marine. Si je ne peux pas les affecter efficacement, cela limitera nécessairement le nombre de postes disponibles. Retrouver une structure pyramidale plus résiliente constituerait pour moi une avancée significative. Par ailleurs, nous devons impérativement développer l’infrastructure nécessaire pour les accueillir dignement. Des conditions de logement indécentes réduiraient rapidement le volontariat. Le système fonctionne bien avec des jeunes motivés. La sélection par tirage au sort, comme pratiquée dans d’autres pays, ne me semble pas générer beaucoup d’adhésion.

M. Loïc Kervran, président. Pour clôturer cette audition, Monsieur Julien Limongi souhaite poser une question individuelle.

M. Julien Limongi (RN). Dans le cadre de la LPM, le programme des frégates de taille intermédiaire prévoit la livraison progressive des frégates de défense et d’intervention. Ces bâtiments beaucoup plus technologiquement avancés que les frégates qu’ils remplacent – radar Sea Fire, système numérique intégré, maintenance logicielle, capacité cyber – requièrent des compétences nouvelles et hautement spécialisées. Dès lors, on ne peut pas simplement transférer les équipages des frégates de type Lafayette vers ces nouveaux bâtiments, sans un effort de formation et de recrutement adapté. Comment la Marine nationale entend-elle préparer et accompagner cette transition en termes de compétences ?

Nous savons que ces spécialités, notamment dans le domaine cyber et la maintenance logicielle, comptent déjà parmi les métiers en tension au sein des armées. Plus précisément, quelle stratégie est mise en œuvre pour former, attirer et fidéliser les personnels capables de maîtriser ces systèmes de nouvelle génération ? Des personnels issus, je l’espère, de mon département de Seine-et-Marne, de ma ville de Provins, bien entendu, mais aussi, bien évidemment, de toute la France.

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Le programme frégates de taille intermédiaire (FTI) a évolué vers le programme FDI et nous disposons désormais d’un navire intégrant de nombreuses innovations, conçu pour évoluer. Nous avons délibérément développé une architecture aussi ouverte que possible, bien que nous aspirions à l’améliorer encore davantage, afin de permettre l’évolution du système dans la durée. Vous soulevez un point pertinent concernant l’émergence de nouveaux métiers à bord. La question stratégique fondamentale que je me pose est celle des métiers de la Marine à l’horizon 2030, 2040, 2050. Dois-je créer une filière de data scientists sur nos bâtiments pour 2035 ? Cette réflexion est en cours. Concernant le domaine cyber, la décision est déjà prise : nous devons absolument disposer de spécialistes cyber embarqués.

Nous avons considérablement renforcé la protection cyber de nos navires, qui intègrent de nombreux systèmes électroniques et numériques. Une surveillance permanente et en temps réel de la situation cyber de nos bâtiments est désormais opérationnelle. Dans ce domaine, notre niveau est satisfaisant. En matière d’intelligence artificielle, lors de la dernière mission Clémenceau, nous avons embarqué des data hubs, c’est-à-dire des serveurs puissants qui collectent l’ensemble des données d’un navire et, grâce à des algorithmes avancés, les présentent de manière optimisée. Cette approche permet d’augmenter significativement les capacités opérationnelles sans modification structurelle du bâtiment.

Cette initiative a été développée grâce à une entité innovante au sein de la Marine, le Centre de support de la donnée et de l’intelligence artificielle de la Marine (CSDIAM), qui emploie de véritables data scientists. Nous avons fait embarquer ces experts, y compris comme réservistes opérationnels. Durant la mission Clémenceau 25, 18 réservistes opérationnels ont accompagné nos marins pour développer des algorithmes, du codage Python et optimiser l’organisation des données à bord. L’intelligence artificielle n’est pas une simple perspective théorique ou un projet futur, mais une réalité que nous déployons activement.

Aujourd’hui, les navires équipés d’un data hub disposent d’un équivalent de ChatGPT de niveau secret, fonctionnant sans connexion internet mais intégrant toutes nos notes de renseignement et documentations. Cet outil accélère considérablement la recherche d’informations et l’intégration des données. Pour développer ces capacités, nous devons attirer des data scientists, malgré leur coût élevé et leur mobilité professionnelle. Nous devons nous adapter à ce mode de fonctionnement : les retenir deux ou trois ans constitue déjà un objectif raisonnable. Ces professionnels valorisent cette expérience sur leur CV.

Parallèlement, nous développons notre propre filière, notamment la spécialité cybersécurité, informatique et réseaux électroniques (CIEL), qui regroupe l’ensemble des métiers du numérique. Cette approche nous permet, tant au niveau BTS qu’au niveau apprentissage, de recruter des talents là où ils se trouvent et de les intégrer dans un parcours structuré.

La fidélisation de ces profils représente un défi majeur que nous devons relever. Toutefois, nous proposons des expériences uniques qu’aucune autre organisation ne peut offrir. Pour ceux qui ont vu le film « Le Chant du Loup », nous formons notamment les « oreilles d’or ». Les « oreilles d’or » s’appuient sur un centre d’interprétation du renseignement acoustique situé à Toulon, qui constitue la première unité de la Marine ayant intégralement adopté l’intelligence artificielle. Nous avons sollicité l’expertise d’une start-up pour accompagner cette transformation complète. Nous avons maintenu les effectifs de marins tout en augmentant la productivité de cet organisme d’un facteur de 40 à 50 par rapport à nos capacités antérieures, grâce à l’intelligence artificielle. Il n’est évidemment pas question de remplacer le marin oreille d’or, capable d’analyser certains signaux bien mieux qu’un algorithme, et cela ne sera probablement pas possible avant longtemps. En revanche, l’algorithme prend désormais en charge toutes les tâches simples, tandis que l’expertise humaine reste indispensable pour les analyses complexes. Cette répartition des tâches génère une réelle satisfaction chez nos marins qui interviennent désormais uniquement lorsque leur expertise est nécessaire, sans devoir consacrer des heures à des travaux sans réelle valeur ajoutée, et que l’algorithmie traite efficacement. Sur les aspects cruciaux, ce sont eux seuls qui peuvent identifier avec précision des actions spécifiques comme l’ouverture d’un sas , ou le démarrage d’un équipement d’un sous-marin russe. Ces compétences restent l’apanage exclusif de l’humain aujourd’hui. Cette unité, pionnière dans l’adoption intégrale de l’intelligence artificielle, présente des résultats absolument remarquables.

M. Loïc Kervran, président. Je vous remercie Amiral d’avoir porté la voix de notre Marine nationale qui assume des missions essentielles telles que la protection du territoire, la dissuasion nucléaire, le sauvetage en mer, la sécurisation du commerce mondial, la lutte contre le narcotrafic et la protection environnementale. Notre Marine mondiale constitue une véritable fierté pour notre commission ainsi que pour notre pays. Soyez assuré que notre commission demeure pleinement déterminée à la doter de tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

M. l’amiral Nicolas Vaujour. Nous comptons sur votre soutien !

 


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II.   Examen des crédits

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Yannick Chenevard, les crédits relatifs à la « Préparation et à l’emploi des forces : Marine » de la mission « Défense » pour 2026, au cours de sa réunion du 29 octobre 2025.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. « Pour avoir une marine, il faut la vouloir beaucoup et surtout la vouloir longtemps. » C’est par ces mots que le prince de Joinville nous rappelle l’importance de la constance en matière navale. Figure emblématique de l’histoire maritime française du XIXe siècle, innovateur et passionné de révolution industrielle, il prit la mer dès l’âge de 13 ans. Devenu amiral, il présida en 1846 la commission qui adopta la propulsion mécanique pour la marine de guerre, alors que la voile dominait encore largement.

L’année prochaine, nous célébrerons les 400 ans de la création de notre marine de combat par le cardinal de Richelieu. Ces quatre siècles représentent en réalité une succession de phases contrastées pour construire, armer et entretenir une marine digne de notre pavillon. Au fil du temps, des décisions malheureuses l’ont parfois affaiblie, notamment à la fin du XIXe siècle où contraintes budgétaires, erreurs stratégiques et instabilité politique se sont conjuguées pour la fragiliser. Compte tenu du rôle essentiel de la mer comme instrument de puissance, ces périodes se sont révélées durablement préjudiciables à la France.

À l’inverse, d’autres époques ont été portées par une forte ambition pour notre pavillon, hissant notre marine au plus haut niveau grâce aux compétences humaines et technologiques qu’elle a toujours su préserver. Ce fut notamment le cas pendant la Guerre froide où, après avoir été détruite durant la Seconde guerre mondiale, notre pays alignait deux porte-avions, vingt-deux sous-marins dont dix nucléaires, et quatre-vingt-deux bâtiments de surface, auxquels s’ajoutaient les navires de soutien. Une marine puissante pour un monde instable.

Cette grande marine, comme l’ensemble des armées, fut considérablement réduite dès 1990. Les pays occidentaux croyaient naïvement à l’avènement d’un homme devenu pacifique et à l’instauration d’une paix perpétuelle. Nous nous sommes donc empressés de recueillir les dividendes de la paix, réduisant nos dépenses de défense jusqu’à 1,35 % du PIB, hors pensions. Nous avons commis une erreur.

Retrouvant le cycle habituel de la marche du monde et des guerres qui l’accompagnent, nous constatons que les empires sont de retour. La mer constitue tout naturellement l’un de leurs terrains d’affrontement, car maîtriser la mer, c’est maîtriser le monde. La guerre en Ukraine mobilise légitimement toutes les attentions depuis 2022. Prenons garde cependant qu’elle ne détourne notre vigilance des enjeux maritimes.

Les prochains engagements majeurs pourraient bien se dérouler en mer. Je pense particulièrement à la mer de Chine, à l’océan Indien ou à la mer Rouge, où nos marins sont régulièrement visés par des missiles balistiques lorsqu’ils escortent les navires de commerce. Les grandes routes maritimes et les détroits comme ceux de Malacca, de la Sonde, de Lombok, ainsi que les canaux comme Suez, risquent de devenir des zones de confrontation maritime. Des sous-marins et bâtiments russes naviguent délibérément à proximité de nos côtes. Par ailleurs, les pressions exercées dans nos zones économiques exclusives outre-mer, le narcotrafic et la traite des êtres humains ne faiblissent pas. N’oublions pas notre dépendance au commerce maritime pour nos approvisionnements en biens et en énergie.

Nos compétiteurs ont parfaitement intégré ces réalités. Depuis 2000, la Russie a admis au service actif vingt sous-marins d’attaque. La Chine possède aujourd’hui, en nombre d’unités, la plus grande marine du monde avec soixante sous-marins et trois porte-avions - elle en alignera six d’ici 2035. En revanche, les États-Unis accumulent les déconvenues dans leurs programmes navals, cumulant retards, problèmes techniques et surcoûts. De son côté, la Royal Navy souffre d’années de sous-investissement et de ruptures capacitaires. Elle peine à recruter, voire à conserver ses marins, ce qui la contraint à désarmer certains bâtiments.

Face à ce sombre tableau, réjouissons-nous que depuis 2017, la France renforce durablement sa marine. Des investissements considérables ont été consentis pour notre flotte qui se renouvelle, se modernise et se transforme. Aucun secteur capacitaire n’est négligé et les recrutements progressent. Son objectif est de faire face aux menaces. Nous devons saluer cet effort qui a mis un terme à des décennies de sous-investissement et conjuré le risque de déclassement qui en découlait.

Néanmoins, il faut amplifier encore cet effort, car nos compétiteurs accélèrent et les menaces s’aggravent partout. Dans le budget 2026, marches et surmarches de 6,7 milliards d’euros permettront d’augmenter de 4,5 % les crédits de paiement de la marine au titre du P178, les portant ainsi à 3,986 milliards d’euros. Les autorisations d’engagement demeurent quasiment stables à 4,141 milliards d’euros, et de nombreux investissements se poursuivent. Je suis donc favorable à leur adoption.

Toutefois, j’identifie plusieurs risques concernant certains programmes sur lesquels je souhaite attirer votre attention. Le premier concerne les bâtiments de guerre des mines (BGDM), dont la première livraison n’interviendra qu’en 2031. En raison de l’âge avancé de nos chasseurs de mines tripartites, du retour de la guerre des mines, du besoin de sécurisation des abords de la pointe bretonne et de la nécessité d’assurer la liberté de navigation dans les détroits, il est impératif de trouver des solutions évitant toute rupture capacitaire. Ces moyens seraient cruciaux si nos propres ports devaient être minés dans le cadre d’un conflit avec la Russie.

Le deuxième programme concerne les frégates de surveillance déployées dans nos territoires d’outre-mer. Pour des raisons budgétaires, leur service sera prolongé jusqu’en 2034, soit 4 à 5 ans de plus que prévu initialement. Faiblement armées et dépourvues de sonar, malgré leurs qualités indéniables, elles doivent être remplacées par des bâtiments plus puissamment armés. Les corvettes de patrouille européenne semblaient programmées pour prendre leur relève, mais les différentes auditions que j’ai menées n’ont pas dissipé les incertitudes quant à la participation de notre pays à la deuxième phase de ce programme européen.

Enfin, dernier point préoccupant, le contrat du porte-avions de nouvelle génération (PANG) n’est toujours pas signé malgré le vote des autorisations d’engagement dans le PLF 2025. Il en va de même pour les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération (SNLE-3G).

Par ailleurs, les retards de paiement qui mettent en péril programmes et entreprises qui les réalisent s’accumulent.

Ces décalages de programme soulèvent la question plus large du format de notre marine. Il apparaît aujourd’hui clairement insuffisant au vu des missions à accomplir. Le Premier ministre, alors ministre des Armées, l’a lui-même reconnu : quinze frégates de premier rang, ce n’est pas assez. J’ajouterai pour ma part qu’un seul porte-avions est insuffisant pour assurer la permanence de l’alerte, tout comme demeure insuffisant l’effort sur les drones et sur les munitions, malgré une nette amélioration. Tout cela démontre que la LPM, malgré l’augmentation des crédits, mérite a minima une réévaluation.

Face à des enjeux au moins aussi importants que pendant la Guerre froide, notre pays doit retrouver son format de 1989. Il y va de nos approvisionnements, de la sécurité de nos outre-mer et de notre indépendance.

« La France sans une grande Marine ne saurait rester la France ». C’est ce que le général de Gaulle a rappelé dans un discours à l’école navale. Depuis quatre cents ans, la France est une nation monde. Au moment où les incertitudes politiques sont majeures, rien ne serait pire que de relâcher nos efforts. Une marine s’inscrit dans le temps long, il faut la vouloir longtemps pour qu’à la fin elle dispose des moyens d’accomplir ses missions.

Au fil des siècles, il y a toujours eu de bonnes raisons pour refuser les sacrifices nécessaires, vitaux même. Décaler un programme, c’est faire quelques économies aujourd’hui qui seront payées bien plus chères demain. Lors de sa dernière audition, le CEMA nous a rappelé craindre une confrontation avec la Russie d’ici 4 ans. Ne relâchons pas nos efforts au moment où l’Histoire nous contraint de les accroître. En termes marins, cela se dit : ne mollissons pas !

Mes chers collègues, « la France, par sa situation, est destinée à commander sur les mers. Et il est de l’intérêt de l’État de donner à la Marine les moyens de sa grandeur. » Ces paroles ont 400 ans, l’âge de notre Marine. Elles sont du cardinal de Richelieu.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Votre rapport souligne le renoncement à la masse sans laquelle la Marine ne retrouvera jamais la cohérence nécessaire à l’accomplissement de ses missions. Alors que la mission défense acte le renoncement à la dixième unité de patrouilleurs hauturiers et ne prévoit toujours pas la contractualisation des huitième et neuvième, nous craignons un scénario similaire à celui des frégates de défense et d’intervention (FDI).

Dans le même temps, les rapports de charge s’alourdissent, fragilisant nos industriels. Additionnées à ces annonces restées sans suite, ces contraintes menacent la solidité de notre tissu industriel. Comment éviter que cette double tendance ne casse la dynamique industrielle et ne compromette davantage la remontée en puissance de notre Marine nationale ?

M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Ces dernières années, les menaces auxquelles nos armées sont confrontées se sont superposées, diversifiées et aggravées. Cette réalité est particulièrement vraie pour notre Marine nationale.

Face à cette situation, notre Marine s’appuie sur des outils formidables : nos quinze frégates de premier rang, polyvalentes. Ces navires assurent la protection du groupe aéronaval ainsi que la défense anti-sous-marine, antiaérienne et antisurface. Ils incarnent la liberté d’action et la capacité d’intervention autonome de la France sur toutes les mers et tous les océans.

Depuis 2022, vous appelez à rehausser leur format afin de passer à dix-huit unités. Le ministère y a répondu. Vous réitérez cet appel dans le rapport que vous venez de nous présenter. Pouvez-vous nous éclairer sur la capacité actuelle des chantiers à produire ces navires supplémentaires ainsi que sur les calendriers probables de livraison, compte tenu de la LPM en cours et des contraintes industrielles identifiées ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La LPM actuelle prévoit sept patrouilleurs hauturiers et trois supplémentaires sur la LPM suivante. Le premier est actuellement en chantier chez Piriou et les travaux avancent de manière satisfaisante. Il est important de rappeler la mission de ces patrouilleurs hauturiers : ils remplaceront nos vieux avisos escorteurs type 1969, qu’il est véritablement temps de renouveler. Ces nouveaux bâtiments, d’environ 2 400 tonnes et 92 mètres de long, seront de très beaux navires bien armés. Pour le moment, la fabrication suit le calendrier prévu, même si je ne peux évidemment pas vous garantir l’absence de glissement sur la fin de la LPM.

Sur les frégates de premier rang, Naval Group produit actuellement à Lorient une FDI tous les 18 mois. La LPM actuelle prévoit trois FDI et deux sur la suivante. Nous respectons donc les délais, la production avance correctement, et d’ailleurs, la première unité, l’Amiral Ronarc’h, fait le bonheur des marins.

Si nous devions passer à un format à 18 frégates de premier rang, il faudrait que la marine définisse précisément ses besoins. Devons-nous poursuivre la série FDI, éventuellement avec seize silos de lancement supplémentaires d’Aster 30, en plus des seize existants ? Cette question a été soulevée par notre commission il y a 2 ans. Ou bien avons-nous besoin de frégates multimissions (FREMM) supplémentaires, des navires bien plus lourds, de plus 7 000 tonnes ? Ou d’un autre navire, encore à définir ? C’est à la Marine de répondre.

Avec cette perspective de monter en puissance, le principe des « coques blanches », utilisées par l’Italie, a tout son intérêt. Ce principe consiste à construire des navires et, en l’absence d’acheteur immédiat à l’export, c’est la Marine qui les acquiert, ce qui permet de maintenir l’activité dans les chantiers navals, de tenir les délais et les prix.

Mme Caroline Colombier (RN). La Marine nationale est aujourd’hui confrontée à deux défis majeurs : la prolifération des drones sous-marins offensifs, parfois de type kamikaze, et la vulnérabilité croissante de nos câbles sous-marins qui assurent plus de 95 % du trafic mondial de données. Le PLF 2026 prévoit-il un renforcement significatif des moyens dédiés à la surveillance et à la protection de ces infrastructures, notamment dans le cadre du système de lutte antimines navales futur (SLAM-F) ou via le développement de drones autonomes anti-sous-marins ? Plus largement, comment la Marine anticipe-t-elle la montée en puissance des menaces hybrides sous-marines, à la fois technologiques et informationnelles, dans un contexte de compétition stratégique accrue sur les fonds marins ?

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous venez d’affirmer qu’un modèle à un seul porte-avions n’était sûrement pas suffisant. Je ne vais pas entrer dans le débat un porte-avions, deux porte-avions ou zéro porte-avions. Un choix semble avoir été fait d’un porte-avions en acceptant certaines dépendances. Je pense notamment aux catapultes électromagnétiques, où la décision a été prise d’une dépendance aux États-Unis avec l’achat de ces équipements déjà planifié. Dans votre rapport, vous précisez que seules deux nations produisent aujourd’hui des catapultes électromagnétiques : les États-Unis et la Chine. Le président Trump vient de déclarer lors de son déplacement au Japon qu’il souhaitait abandonner les catapultes électromagnétiques et qu’il allait prendre un ordre exécutif pour revenir aux catapultes à vapeur afin d’éviter des coûts de 900 millions de dollars. Si les États-Unis arrêtent cette production, je ne crois pas que l’industriel américain continuera la fabrication ou assurera le maintien en conditions opérationnelles pour les catapultes françaises. Quel est donc le plan B pour notre porte-avions si les États-Unis arrêtent cette production ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Votre question sur la maîtrise des fonds marins est particulièrement importante. Comme vous l’avez rappelé, 95 % de nos communications transitent par des câbles sous-marins, lesquels peuvent également supporter divers capteurs susceptibles d’accomplir bien d’autres fonctions.

Le programme SLAM-F revêt une importance capitale. Je dois cependant reconnaître qu’il accuse actuellement un dérapage dans le cadre de la LPM, ce que je regrette profondément, notamment concernant la partie BGDM. Une capacité intérimaire est donc nécessaire, sur laquelle la Marine travaille actuellement.

Il convient néanmoins de souligner que le premier module de lutte contre les mines a déjà été livré, qu’il remplit parfaitement sa mission et démontre une efficacité remarquable. De ce point de vue, nous n’aurons pas à déplorer de perte capacitaire, ce qui est fondamental.

Concernant les catapultes électromagnétiques, leur nécessité s’explique d’abord par l’évolution considérable du poids des aéronefs depuis les années quatre-vingt. Considérez simplement la différence entre les Étendard, les Super Étendard et les Rafale actuels - nous parlons d’appareils radicalement différents. L’armement embarqué sous ces appareils et leur capacité d’emport en kérosène impliquent également des masses extrêmement importantes. C’est précisément en cela que la catapulte électromagnétique démontre toute son efficacité. Son avantage réside également dans sa capacité à effectuer des lancements répétés sans interruption, contrairement aux systèmes à vapeur. Cette caractéristique confère une efficacité nettement supérieure pour le déploiement d’un groupe aérien embarqué.

Quant au président Trump et ses choix en la matière, nul doute qu’il changera encore d’avis demain. Je pense que lorsque ses marins lui auront fait comprendre que les catapultes à vapeur ne conviennent que pour lancer des appareils légers, et non les aéronefs modernes, il reviendra sur sa position. Il est d’ailleurs significatif que les Chinois, qui viennent de lancer leur troisième porte-avions - un véritable porte-avions cette fois, et non un simple porte-aéronefs - l’aient équipé de catapultes électromagnétiques. Si la Chine a fait ce choix, c’est qu’il présente manifestement un intérêt stratégique.

Pour revenir au fond de votre question, je tiens à rappeler qu’au moment du lancement du Charles de Gaulle, un sister-ship était prévu. Nous aurions dû, quelques années après le désarmement du Foch, disposer d’un second porte-avions à propulsion nucléaire. Ça n’a pas été le cas. Je soutiens aujourd’hui la nécessité d’un second porte-avions pour assurer la permanence de l’alerte. Si ce choix devait être fait, il serait alors peut-être rentable d’investir nous-mêmes dans des catapultes magnétiques et les brins d’arrêt associés.

Mme Nadine Lechon (RN). Je souhaite revenir sur les FDI. La frégate Amiral Ronarc’h, livrée à la Marine nationale le 17 octobre dernier, sera suivie dans les années à venir par plusieurs autres frégates qui viendront renforcer nos forces navales. Si ces bâtiments peuvent déjà accomplir de nombreuses missions, il a été indiqué que nos frégates sont moins bien équipées que celles livrées à la marine grecque. Certes, la Grèce se trouve dans une situation de tension permanente avec son turbulent voisin turc, mais cette différence soulève néanmoins des interrogations. Est-ce que le PLF 2026 prend bien en compte le coût éventuel d’une mise à niveau de nos FDI, dans l’hypothèse où nous devrions ultérieurement améliorer leur armement et leurs équipements.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je tiens à souligner la pertinence de votre rappel : la guerre en Ukraine ne doit pas nous faire oublier que nous devons être prêts à affronter des menaces à 360 degrés. Lorsque nous entendons aujourd’hui le Secrétaire américain à la Défense affirmer que l’approvisionnement de l’Europe qui transite par les détroits relève d’abord d’un intérêt européen, nous pouvons imaginer que si demain un conflit éclate en zone Asie Pacifique mobilisant les forces américaines, la protection de Bab-el-Mandeb, de Malacca ou d’Ormuz deviendra essentiellement un problème français.

Ma question porte sur la guerre des mines, sujet qui, vous le savez, constitue l’une de mes préoccupations constantes. Le retard que nous accusons concernant les BDGM - pas le programme SLAM-F dans sa partie robotique - est-il dû à un problème budgétaire ou à une difficulté technique ? En termes plus précis, les marches ou surmarches budgétaires actuelles ou futures permettront-elles de le résoudre ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Comme je l’indiquais en préambule, nous avons commandé cinq FDI : trois dans le cadre de l’actuelle LPM, deux dans la suivante. Les trois premières unités sont équipées de seize missiles Aster. Les unités numéro 4 et 5 seront dotées de 32 Aster. Par la suite, une mise à niveau des unités 1, 2 et 3 sera effectuée.

Trois pays ont passé commande de BGDM construits en France chez Piriou : la Belgique, les Pays Bas et la France. Les Belges ont reçu leur premier bâtiment il y a quelques semaines, ce qui démontre que le programme avance correctement.

Quant à notre retard, il s’explique par plusieurs facteurs. L’une des raisons principales réside dans la spécificité de notre approche de la guerre des mines : la France emploie des plongeurs démineurs qui interviennent parfois à des profondeurs nécessitant la présence à bord d’un caisson hyperbare pour traiter d’éventuels accidents de remontée. Comme vous le savez, en cas d’accident de plongée, il faut pouvoir recomprimer les bulles d’azote pour éviter qu’elles ne provoquent des lésions cérébrales. Cet équipement représente une extension de 3,50 mètres de la longueur du bâtiment. Si ce n’est pas nécessairement la cause première du retard, c’est néanmoins un élément significatif. Par ailleurs, la Marine réfléchit également aux modalités de mise à l’eau des équipements, hésitant entre un déploiement latéral bâbord/tribord ou par l’arrière du navire.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Merci Monsieur le rapporteur de nous faire partager votre passion pour la Marine nationale, et je dois dire que nous partageons pleinement vos constats.

Si nous recevons effectivement de nouvelles unités navales, nous disposons également de bâtiments plus anciens dont le MCO peut parfois entraîner l’immobilisation pendant de très longs mois. Le MCO est-il suffisamment agile, efficace et rapide ? Quelle analyse faites-vous de cette situation ? Considérez-vous que ce poste est correctement financé ?

M. Thomas Gassilloud (EPR). Je tiens à remercier le rapporteur pour son travail approfondi concernant notre marine, dont les capacités sont essentielles, y compris dans le contexte de la guerre d’agression russe en Ukraine. Lors de mes échanges avec le chef d’état‑major de la marine ukrainienne à Odessa, celui-ci m’a décrit comment il était parvenu à immobiliser la flotte russe en mer Noire, permettant ainsi la réouverture des routes commerciales ukrainiennes.

Essayons de raisonner avec les moyens dont nous disposerons effectivement dans les prochaines années, et non avec ceux de nos aspirations idéales. Je souhaite vous interroger sur votre travail concernant la flotte stratégique. J’ai constaté hier dans l’hémicycle que nous avions besoin de consolider le consensus autour de l’importance du pavillon français. Notre marine nationale dispose d’une centaine de bâtiments, tandis que la flotte stratégique, c’est-à-dire la flotte marchande, compte environ quatre cents navires. Pour conduire des opérations d’envergure, comme l’ont démontré les Britanniques en 1982 lors de la reprise des Malouines malgré l’importance de leur Royal Navy, la mobilisation des capacités civiles s’avère indispensable. Durant la guerre froide, nous bénéficions à la fois du volume de nos moyens militaires et d’une articulation efficace avec les moyens civils. Le PLF 2026 prévoit-il des ressources permettant de retrouver cette cohérence capacitaire entre la marine nationale et la marine marchande ?

M. Damien Girard (EcoS). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la clarté de votre rapport. Je me réjouis que vous y repreniez le besoin d’une évolution à 18 frégates de premier rang pour notre marine, constituant un minimum comparable à celui de l’Italie qui dispose pourtant d’un périmètre stratégique bien plus restreint.

Face aux nombreuses menaces en Europe, en Outre-mer, et pour assurer notre dissuasion, l’acquisition de trois FDI supplémentaires apparaît véritablement nécessaire. L’hypothèse que vous évoquez d’un prêt de frégates de la marine italienne à la marine nationale semble toutefois peu opérationnelle et difficilement compatible avec notre souveraineté nationale. Je comprends que nos marges de manœuvre budgétaires sont limitées – nous en sommes tous conscients – mais pourquoi ne pas avoir davantage exploré dans votre rapport la possibilité de commandes supplémentaires en format « coques blanches » ? Vous venez d’ailleurs de l’évoquer oralement, et cette option est également approuvée par le chef d’état-major de la marine nationale. Cette approche nous permettrait de renforcer notre compétitivité industrielle en disposant de bâtiments immédiatement disponibles pour des clients étrangers, tout en les mettant à disposition de notre propre marine dans l’attente d’une éventuelle conclusion de ces contrats.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En matière de MCO, nos équipes parviennent à accomplir de véritables miracles. Cela concerne notamment plusieurs bâtiments anciens, tels que les avisos – désormais appelés patrouilleurs de haute mer – qui nécessitent un travail remarquable des équipes, tout comme nos vieux chasseurs de mines.

La mission Clémenceau 25 illustre parfaitement cette excellence : l’envoi pendant plusieurs mois d’un groupe aéronaval aussi loin de nos bases, en mer de Chine et dans l’océan Indien, représente un défi logistique considérable. La réussite du MCO, y compris à grande distance de nos infrastructures, démontre notre grande capacité d’intervention rapide. Cette performance mérite d’être saluée, car l’arrière est ce qui permet à l’avant de tenir.

Le principe de la flotte stratégique est effectivement fondamental. Je vous remercie d’avoir rappelé la mission gouvernementale qui m’a été confiée sur la réactualisation de ce dispositif. Actuellement, un certain nombre de navires ont été identifiés pour intégrer la flotte stratégique. Parmi les quelque quatre cent cinquante bâtiments sous pavillon français, tous n’ont pas vocation à y être incorporés. Un navire poseur de câbles sous-marins y sera intégré, de même que des bâtiments assurant certaines missions spécifiques avec des équipages combinés. Le dispositif progresse de manière très satisfaisante. Nous avons déjà mis en œuvre plus de 65 % des recommandations formulées dans ce rapport. La marine marchande, les armateurs et la marine nationale avancent efficacement, ensemble, notamment sur le volet des formations avec des préparations militaires supérieures spécialement créées pour permettre aux élèves de l’École de la Marine Marchande d’endosser l’uniforme, de suivre une préparation militaire spécialisée, et de pouvoir ensuite être mobilisés au titre de la flotte stratégique. Cette évolution est très encourageante et mérite d’être soulignée. La LPM a d’ailleurs modifié plusieurs articles du Code de la Défense en ce sens.

Pour conclure sur le point évoqué par Monsieur Girard, j’ai peut-être été mal compris : il ne s’agit aucunement d’emprunter des frégates italiennes, mais bien d’adopter le principe que les Italiens ont mis en place, à savoir celui des « coques blanches » dont j’ai rappelé les avantages.

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La commission en vient maintenant aux interventions des représentants des groupes politiques.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous poursuivons l’examen pour avis des crédits des missions Sécurités, Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation et Défense.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. José Gonzalez (RN). Dans un monde de plus en plus conflictuel, l’examen du budget de la défense revêt une importance particulière. Notre chère France peut compter sur une armée exceptionnelle pour la défendre et faire respecter ses intérêts. Cet outil militaire, qui fait référence en Europe, repose sur des hommes et des femmes exemplaires, dévoués à leur patrie. Je tiens, au nom du groupe Rassemblement national, à les saluer et à leur témoigner notre plus profond respect.

Respecter nos militaires, c’est d’abord dire la vérité sur une réalité qu’ils connaissent et éprouvent sur le terrain. Certes, nous disposons d’un modèle d’armée complet, notre budget de la défense connaît sur le papier une hausse de 6,5 milliards d’euros, nos armées mènent avec succès des opérations comme Sagittaire, mais ce modèle est fragile. Malgré les surmarches annoncées, la loi de programmation militaire (LPM) est compromise et sa sincérité budgétaire remise en question : 13 milliards de recettes supplémentaires annoncées ne sont toujours pas réellement budgétées, et le secrétariat général pour l’administration (SGA) n’a pu donner aucune précision sur ces recettes miracles. L’inflation ronge le budget à hauteur de 30 milliards d’euros, selon les propres estimations du ministère des armées. Les reports de charges ont explosé avec un doublement en deux ans, passant de 3,8 milliards fin 2022 à plus de 8 milliards, et la surmarche de 3,5 milliards annoncée pour 2026 ne suffit même pas à les combler.

Malgré l’explosion de ces reports de charges, justifiés par une hausse légitime des achats de matériels, l’équipement des armées reste en souffrance et nous ne disposons plus, en tant que parlementaires, des données de maintien en condition opérationnelle (MCO), poste de dépenses traditionnellement coûteux.

Permettez-moi également, en tant que doyen de cette assemblée, de relativiser les accents triomphants du gouvernement quand il annonce des hausses budgétaires inédites ou qu’il disserte sur « l’économie de guerre », une expression fumeuse dans laquelle notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ne se retrouve pas. La part du PIB consacrée à la défense était de 6,1 % en 1960, elle est estimée à 2,06 % cette année. Pour un pays qui n’est plus totalement en paix, comme le dit Sébastien Lecornu, il n’y a là rien d’exceptionnel – mais il est vrai que la modestie est une qualité peu développée en Macronie.

À cette situation financière déjà grave s’ajoute le coût de l’idéologie. Je pense aux lubies européistes qui, en dehors de toute logique industrielle, minent nos budgets, mettent à mal notre souveraineté et alimentent les carnets de commandes de la BITD américaine. C’est ainsi que 1,2 milliard d’euros sont budgétés pour le SCAF (système de combat aérien du futur) et 120 millions pour le MGCS (système principal de combat terrestre), c’est-à-dire pour des projets qui n’en finissent pas de mourir et que l’on maintient artificiellement en vie, au nom d’une Europe de la défense qui n’existe pas et que ne permet d’ailleurs aucun traité.

Autre idéologie : celle de l’écologisme débridé qui, dans un monde dangereux, ne voit pas d’autre priorité que d’imposer à nos armées des achats de véhicules électriques ou des plans de préservation de la biodiversité dans les casernes.

Nos armées doivent faire face à des failles capacitaires graves : manque de feu, manque de chars, manque de frégates, manque de Rafale, manque de munitions, manque d’entraînement pour tenir dans un conflit de haute intensité… Or, pour certains, la priorité est à l’écologie ou à l’Europe – Europe qui, avec ses programmes, va dépenser l’argent du contribuable français pour acheter américain, on le voit avec l’Allemagne qui passe commande de F-35.

Les armées ne sont rien sans les hommes et les femmes qui les composent. Là encore, il y a urgence. Pour 2026, les cibles de recrutement sont maintenues, mais c’est surtout à la fidélisation qu’il faut s’intéresser. En 2022, 35 % des primo-contrats étaient dénoncés. Certes, les efforts sont faits, notamment avec le plan Fidélisation 360, qui inclut désormais le plan Famille 2, tous deux en hausse pour 2026. Toutefois, sur un vecteur aussi stratégique que le logement pour assurer la fidélisation, les retards et les difficultés s’accumulent.

Respecter les armées, c’est enfin rétribuer à leur juste valeur ceux qui se sont battus en leur sein. Cette année encore, dans le monde combattant, la question du point de la pension militaire d’invalidité (PMI) cristallise les débats. Nous demandons qu’il soit aligné sur l’inflation, donc revalorisé d’au moins 1 %. Nous tenons également à la préservation de la politique de mémoire pour nos compatriotes juifs, qui font face à un antisémitisme débridé, ainsi que pour les anciens combattants indochinois ou harkis, si injustement maltraités.

Depuis l’adoption de la LPM, les constats que nous avons établis sur le manque de sincérité budgétaire, sur les failles capacitaires ou sur les enjeux liés aux ressources humaines se révèlent malheureusement justes.

Nous continuerons de mener notre combat en faveur d’une défense française solide, cohérente et souveraine. Pour reprendre une formule inscrite sur l’un des murs de la salle de notre commission, la raison d’être d’un État, c’est sa défense. Au Rassemblement national, nous aimons la France et nous voulons la défendre. Nous ne la sacrifierons pas à un délire d’État européen que d’aucuns, de manière plus ou moins assumée, appellent de leurs vœux. Vive nos forces armées et vive la France !

M. Yannick Chenevard (EPR). La situation internationale ne cesse de se dégrader. Les empires sont de retour, le droit international est piétiné : la loi du plus fort s’impose désormais. Depuis 2017, les lois de programmation militaire ont été exécutées à l’euro près. Compte tenu du contexte international, nous ne pouvons relâcher nos efforts. Pour 2026, les crédits de la mission Défense s’élèvent à 57,1 milliards d’euros – 6,7 milliards de plus qu’en 2025, soit une hausse de 13 %. Conformément aux annonces du président de la République, cette progression est supérieure de 3,5 milliards à la trajectoire initialement prévue par la LPM, ce qui représente 24,8 milliards de plus qu’en 2017.

Nous avons cru naïvement que la paix était durable. Si la société a profité des dividendes de la paix, nos armées ont largement réglé la facture. Avec le président Jean‑Michel Jacques et mon collègue Sébastien Saint-Pasteur, nous avons présenté un rapport d’information sur la mise en application de la loi de programmation 2024-2030. « Chacun doit mesurer que la préservation de la paix et de notre liberté dépend plus que jamais des décisions qui seront prises aujourd’hui », avons-nous souligné. Nous nous devons d’accompagner nos armées, et cela se traduit par le respect de la trajectoire de la loi de programmation militaire. Nous réparons, nous consolidons afin que le contrat opérationnel soit rempli.

En 2026, l’augmentation des crédits bénéficiera à l’ensemble des postes, mais ce sont plus particulièrement les matériels qui en profiteront, avec 13,9 milliards de crédits alloués aux investissements sur les équipements, soit une augmentation de 31,8 % par rapport à 2025.

Clé de voûte de notre sécurité nationale, le budget de la dissuasion connaît une augmentation de 7 %. Je rappellerai ici la nécessité de valider le lancement en réalisation du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G), tout comme celui du porte-avions de nouvelle génération (PANG), qui doivent tous deux avoir lieu avant la fin de l’année.

Pour préserver le rang et la fiabilité de la France au sein de l’espace euro-atlantique et pour garantir la capacité de nos forces à s’engager, à l’emporter, une actualisation de la programmation militaire sera présentée à l’automne. Cette ambition oriente déjà le projet de loi de finances pour 2026, avec un effort ciblé sur des domaines capacitaires stratégiques : innovation, espace, drones, défense sol-air et munitions. Des investissements significatifs sont prévus au bénéfice de toutes les armées et de tous les milieux de conflictualité.

La mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation voit ses crédits reculer d’environ 6 %. Cette baisse tient d’abord à la diminution tendancielle du nombre d’ayants droit et d’ayants cause. L’enveloppe permet toutefois d’améliorer certains droits ou d’élargir l’éligibilité, lorsque cela est justifié. Le programme 169, doté de 1,66 milliard de crédits, garantit la reconnaissance et la réparation, finance la politique de mémoire et renforce le lien armée-nation. Quant au programme 158, il finance les réparations dues aux orphelins de la déportation et des persécutions antisémites ainsi qu’aux victimes de spoliation et d’actes de barbarie ; ces tâches essentielles seront remplies grâce aux 78,4 millions d’euros alloués en autorisations de programme (AE) et crédits de paiement (CP), une enveloppe dont le léger recul est dû à la décroissance naturelle du nombre de bénéficiaires.

Les crédits alloués à la mission Sécurités augmenteront de 371 millions pour atteindre 17 milliards. Elle concourt aux actions du ministère de l’intérieur et vise à assurer la sécurité de notre nation. Soulignons une nouvelle augmentation des effectifs attendue pour l’année 2026 et prévue par le projet de loi de finances.

Avec ce projet de budget, nous poursuivons les efforts entamés en 2017.

Nos armées ne valent que par celles et ceux qui les servent, et à qui je souhaite rendre hommage.

Mme Anna Pic (SOC). Au premier semestre 2023, lorsque nous examinions le projet de loi de programmation militaire 2024-2030, le groupe Socialistes et apparentés s’inquiétait de la sincérité des éléments budgétaires qui nous étaient présentés. Nous dénoncions un texte financièrement sous-doté au regard des principaux objectifs affichés ‑ maintenir notre modèle d’armée complet pour nous permettre d’être une nation-cadre auprès de nos partenaires européens et otaniens. Deux ans et demi plus tard, avec une surmarche de 3,5 milliards d’euros qui porte le budget de la mission Défense à 57,1 milliards, force est de constater que nous avions fait preuve de discernement et que nos préoccupations étaient fondées.

Une fois pris en considération les reports de charges, qui seraient plus justement désignés sous le terme d’impayés, et l’inflation, les ambitions nécessitaient d’être revues à la baisse. Bien sûr, nous accueillons avec une certaine satisfaction cette hausse des crédits, au vu du durcissement du contexte géostratégique et de la nécessité d’être au cœur de la nouvelle architecture de sécurité collective du continent européen que nous appelons de nos vœux. Néanmoins, cette augmentation ne doit ni se faire au détriment du modèle social auquel nous sommes attachés, ni nous dispenser de nous interroger sur les ambitions affichées par le gouvernement.

Le budget du ministère des armées est menacé par une crise de croissance induite par des rigidités budgétaires particulièrement préoccupantes. Ces dernières mettent en péril la soutenabilité à moyen terme de la trajectoire budgétaire. Elles se traduisent d’abord par une hausse des AE affectées non engagées, qui ont atteint 30,3 milliards fin 2023. Elles se manifestent ensuite par une hausse structurelle des restes à payer, qui ont quasiment doublé entre 2017 et 2024 pour atteindre 99 milliards fin 2024, si bien que près de 90 % des CP prévus en 2025, hors dépenses de personnel, étaient destinés à épurer ce stock qui continue d’être alimenté. Début 2025, ces rigidités étaient telles qu’au sein du programme 146, Équipement des forces, aucun crédit n’était disponible pour financer les nouveaux investissements prévus. Elles se révèlent aussi à travers une hausse anormale du report de charges, avec un stock de 8 milliards d’euros transféré de 2024 à 2025. Citons enfin une pratique budgétaire discutable de la réserve de précaution et une sous-estimation chronique des surcoûts, notamment pour les opérations extérieures (Opex) et les missions opérationnelles (Misops).

Parmi les conséquences de cette situation, soulignons des retards sur plusieurs segments capacitaires ou des reports, une absence de visibilité pour les acteurs de la BITD qui pèse cruellement sur la trésorerie des entreprises du secteur – tout particulièrement sur les PME et les ETI – et limite in fine la montée en puissance qu’exige d’eux l’injonction à l’économie de guerre, une baisse des crédits alloués au service de santé des armées, et une absence de marges de manœuvre pour renforcer l’ambition de la politique des ressources humaines et de l’action sociale du ministère.

Tout cela nourrit des inquiétudes sur notre capacité à faire preuve de souplesse en matière de redéploiements de crédits si cela s’avérait nécessaire au cours de l’année à venir, qui sera marquée par la réorientation et le renouvellement de la loi de programmation militaire.

Nous tenons également à souligner que, malgré des missions sans cesse élargies, la marine nationale ne profitera qu’à la marge de la surmarche budgétaire proposée. Si nous pouvons comprendre ce choix, nous tenons à saluer l’agilité de nos marins et appelons le gouvernement à répondre dans les plus brefs délais à certains de leurs vœux – je pense en particulier aux trois frégates qu’ils demandent de longue date.

Le budget de la mission relative au monde combattant connaît une baisse de crédits de 6,3 %. Certes, elle reflète la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires, mais elle affecte certaines enveloppes. Nous constatons l’absence de revalorisation du point de PMI en fonction de l’inflation et déplorons que le gouvernement n’ait pas transmis au Parlement le rapport qu’il devait lui remettre à ce sujet. Par ailleurs, les montants alloués à l’allocation de reconnaissance du combattant sont en baisse, tout comme la subvention d’action sociale à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), du fait de la fin de la mesure destinée aux pupilles de la nation devenus majeurs introduite en 2024, dont bénéficiaient 12 000 personnes.

Malgré l’ensemble de ces réserves, auxquelles nos amendements tenteront de répondre, nous voterons très probablement le budget de ces trois missions.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Examiner le budget de la défense, c’est toujours un moment de gravité. Ce que nous décidons aujourd’hui dans notre assemblée, c’est ce qui permettra demain de solder et surtout d’équiper celles et ceux qui portent les armes de la France au risque de leur vie et qui, en s’engageant, ont fait le choix de la mort comme hypothèse de travail. On ne peut avoir de discussions ici sans penser à ces femmes et ces hommes avec infiniment de gratitude.

Notre budget de la défense est marqué par un effort considérable : son augmentation s’élève à 6,7 milliards d’euros avec les marches et les surmarches. Cet effort répond à la gravité de l’heure, alors que pèsent des menaces à 360 degrés : flanc est de l’Europe –°le général Mandon a souligné cette menace majeure, à la suite de son prédécesseur, le général Burkhard –, Méditerranée, commerce maritime, outre-mer, menaces hybrides. Lors de l’examen de la LPM, le groupe Droite républicaine avait souligné que les objectifs fixés constituaient un minimum et que rien n’interdisait d’aller plus loin. Aujourd’hui, nous allons plus loin et nous saluons ce budget, en faveur duquel nous voterons.

Quelques points doivent toutefois retenir notre attention. Tout d’abord, nous ne voterons que des annuités budgétaires. C’est normal, car c’est une exigence de l’exercice, mais je regrette que des premiers jalons ne soient pas posés en vue des changements de format qu’opérera la future mise à jour de la LPM, qu’il s’agisse du nombre de frégates et de régiments ou de l’ampleur de la flotte aérienne. Il y a aussi une urgence : la frappe dans la profondeur. Certains éléments du budget concernent les lance-roquettes unitaires (LRU), mais il faut aller plus vite et réfléchir à nos capacités balistiques – missiles aérobalistiques et missiles balistiques terrestres –, qui sont décisives.

Enfin, je veux insister sur les coopérations. Nous souhaitons tous une mutualisation qui préserve notre souveraineté tout en permettant de faire plus et moins cher. Notre groupe sera favorable aux programmes comme ceux portant sur le SCAF ou le MGCS, à condition qu’ils répondent aux besoins, que le principe du best athlete s’applique et que la France conserve sa liberté de manœuvre au grand export, car il s’agit d’un élément de sa souveraineté et de sa diplomatie à l’échelle mondiale.

Cette hausse budgétaire n’est, je l’espère, qu’une première étape. Le budget de la défense représentera 2,2 % du PIB si le projet de loi de finances est voté ; pendant la guerre froide, lorsque la menace communiste était à nos portes, sa part était de 3,5 %.

Je terminerai en lançant un appel d’une certaine gravité. Tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons n’aura de sens que si nous adoptons un budget. Nous ferons tout pour que ce soit le cas. Dans le cas contraire, les premiers qui souffriront, qui manqueront de moyens et d’entraînement, qui ne pourront pas assurer la sécurité des Français, ce sont nos soldats, nos militaires. La responsabilité commence ici, dans cette commission, et j’appelle tous les groupes à l’avoir à l’esprit quand viendra le moment de voter dans l’hémicycle. Nous le devons à la France, nous le devons à nos armées.

M. Damien Girard (EcoS). L’armée française est une armée expérimentée, efficace, en cours de modernisation. Toutefois, une révision de la LPM est nécessaire pour définir un modèle d’armée qui réponde aux menaces qui pèsent sur notre pays. Ces discussions budgétaires doivent être l’occasion de proposer les premiers éléments d’une doctrine de défense de sécurité globale, car la profondeur stratégique ne peut se penser uniquement en termes géographiques et capacitaires ; elle doit aussi se comprendre comme une capacité des sociétés à renforcer leur résilience face aux conséquences du réchauffement climatique et à maîtriser leur dépendance énergétique, industrielle ou alimentaire.

La France fait face à des puissances qui utilisent tout le spectre de la guerre hybride pour porter atteinte à ses intérêts de sécurité. Nous proposons ainsi de porter à 1 milliard d’euros par an l’effort consacré à la réserve opérationnelle de l’armée de terre. Nous proposons également de renforcer les moyens des services de santé des armées et de moderniser les infrastructures de santé, militaires comme civiles. Ces menaces étant continentales, il appartient à notre pays de s’inscrire pleinement dans un cadre européen, fondé sur la mutualisation des moyens, la complémentarité industrielle et une autonomie décisionnelle partagée.

Pour ces raisons, notre groupe appelle à la préparation, d’ici à 2027, d’un nouveau Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale et européenne, adossé à un débat démocratique approfondi sur notre modèle d’armée, nos dépendances et notre doctrine d’emploi des forces. Il s’agira d’aller beaucoup plus loin que le Livre blanc de la Commission européenne, qui ne remet pas en cause la dépendance européenne à l’Otan et aux États-Unis. Nous saluons à ce titre la poursuite des projets européens financés par le programme 146. Si nous partageons le constat que certains programmes européens présentent un risque de pilotage déséquilibré, nous refusons de claquer la porte et appelons à toujours rechercher des alternatives européennes. L’Europe, c’est en effet la masse, comme l’a déclaré devant notre commission le chef d’état-major des armées, le général Mandon. Et la masse est un facteur de supériorité stratégique. La dissuasion nucléaire ne suffit pas. L’agression d’un pays non doté d’armes nucléaires par un pays qui l’est montre la vulnérabilité de notre modèle. Nous devons renforcer notre dissuasion conventionnelle à l’échelle européenne pour être capables de répondre collectivement à une guerre de haute intensité. La France doit y prendre sa part, en tirant pleinement parti de ses atouts que sont ses forces aéronavales, ses capacités de frappe en profondeur ou ses divisions projetables.

Par ailleurs, même si l’on augmente les crédits dédiés à la défense, nous devrons toujours avancer avec des budgets contraints. Nous savons la nécessité d’un effort de défense accru, mais nous insistons pour que celui-ci ne se fasse jamais au détriment des budgets sociaux et écologiques, qui sont essentiels. Cet effort doit être débattu démocratiquement et financé en priorité par les plus aisés. La politique de défense n’a pas à rester un domaine réservé. Il importe que le Parlement soit pleinement associé à son pilotage. Nous proposons la création d’une instance parlementaire de suivi capacitaire et budgétaire de la LPM, dotée d’experts civils et militaires indépendants.

L’effort de défense doit suivre un principe de stricte suffisance et améliorer la gouvernance budgétaire de nos armées, dont les lourdeurs risquent d’annuler les effets bénéfiques de la LPM. Il faut renforcer la subsidiarité budgétaire, qui est un gage d’efficacité, comme l’a montré l’expérience de l’armée ukrainienne. Nous proposons 100 000 euros par formation administrative pour les achats d’équipements de proximité et 100 millions d’euros par armée pour les dépenses urgentes, en gestion autonome. C’est une révolution administrative nécessaire pour renforcer les capacités d’innovation, de subsidiarité et de réactivité de nos armées.

Enfin, nous devons envoyer un signal de solidarité à nos alliés ukrainiens et de constance stratégique à la Russie, qui entretient une menace systémique à notre encontre. La sécurité de l’Europe se joue aujourd’hui en Ukraine. La France lui a déjà apporté près de 8,6 milliards d’euros depuis 2022, mais l’effort européen s’essouffle – l’aide mensuelle a chuté de 57 % depuis le début de l’année. Il nous faut donc sanctuariser dans le PLF, au sein du programme 146, une ligne budgétaire dotée de 300 millions dédiée au soutien à l’effort de défense ukrainien. Cela représente seulement deux jours de combats de l’armée ukrainienne.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Il serait difficile de ne pas nous montrer satisfaits devant ce budget de la défense en forte progression, de 6,7 milliards d’euros. Il s’agit d’un effort remarquable dans la période budgétaire complexe que nous connaissons, tout comme est remarquable l’augmentation constante depuis 2017 du budget des armées, qui est passé de 32 à 57 milliards. Je veux saluer la vision et la volonté forte du président de la République, chef des armées.

Le présent budget s’inscrit dans un contexte international particulièrement tendu : guerre en Ukraine, instabilité au Moyen-Orient et au Proche-Orient, désengagement progressif des États-Unis. Cela impose d’accélérer la montée en puissance de nos armées et de nos engagements auprès de nos partenaires.

Ce budget vient renforcer de 3,6 milliards la trajectoire prévue par la LPM et concrétise de nouvelles ambitions portées par la révision de la revue nationale stratégique (RNS), à laquelle nous avons collectivement apporté notre contribution.

Les quatre programmes de la mission Défense progressent fortement, avec une dynamique particulière pour le capacitaire. Le réarmement donne la priorité aux moyens de souveraineté – dissuasion et espace –, aux munitions et à la capacité des armées à s’engager à court terme – drones, défense sol-air, guerre électromagnétique, frappes dans la profondeur ‑ tout en accentuant l’investissement dans les technologies de rupture.

La remontée en puissance ne saurait être uniquement matérielle ; elle repose aussi sur les femmes et les hommes qui composent nos armées. Ainsi, 830 postes supplémentaires seront créés, notamment dans des domaines stratégiques, et la politique salariale continuera de s’améliorer, en particulier avec le rattrapage indiciaire des officiers. En outre, la réserve opérationnelle poursuit sa montée en puissance.

Je veux remercier nos rapporteurs pour avis pour leurs analyses. Nous mesurons l’importance de l’adaptation permanente de nos armées et de l’agilité qui leur est nécessaire sur les plans stratégique, capacitaire et humain. Les enjeux sont majeurs dans le contexte international que nous connaissons. Permettez-moi de dire tout mon respect et ma gratitude à l’ensemble de la communauté de défense, militaire et civile. Nous veillerons à la révision de la LPM et à l’utilisation de la surmarche de 3,6 milliards.

Les crédits de la mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation, qui s’élèvent à 1,7 milliard d’euros, connaissent une baisse qui reflète principalement la diminution naturelle du nombre des bénéficiaires. Aucune des actions mises en œuvre en faveur du monde combattant n’a été supprimée. Toutefois, j’accorderai une attention particulière à la valeur du point de PMI. En 2022, il avait été décidé avec les associations – et je m’y étais personnellement engagée – qu’il y aurait une clause de revoyure tous les deux ans. Or cela n’a pas été le cas. Je demande instamment qu’elle soit mise en œuvre. Ce n’est pas forcément sur l’inflation qu’il faut aligner l’évolution du point de PMI ; déterminer sa progression nécessite de mener des études complexes.

Le programme Gendarmerie nationale, dont les crédits augmentent de 158 millions, est marqué par un renforcement du maillage territorial, le déploiement de cinquante-huit nouvelles brigades et la montée en puissance de la réserve opérationnelle, toutes choses importantes pour nos territoires qui comptent sur la gendarmerie pour assurer leur sécurité. Nous devons être sensibles à l’effort consacré à l’immobilier, qu’il faudra pérenniser, notamment en le plaçant parmi les priorités de la programmation pluriannuelle.

Le groupe Les Démocrates votera bien sûr ces trois budgets, après avoir examiné avec soin les amendements. Notre responsabilité est de trouver toutes les solutions pour que ce projet de loi de finances soit voté, faute de quoi nous mettrions nos armées, en particulier la gendarmerie, en grande difficulté. Ici, dans cette commission, nous voulons les faire avancer. Tâchons de ne pas les faire reculer dans l’hémicycle ! L’heure est trop grave.

M. Loïc Kervran (HOR). Les trois missions que nous examinons sont absolument essentielles pour la protection des Français et de leur territoire. Quand j’ai été élu député, il y a huit ans, la somme que notre pays consacrait à sa défense était d’un peu plus de 30 milliards d’euros ; si nous adoptons ce budget, elle avoisinera 60 milliards. Nous pouvons tous être fiers d’avoir accompagné cette montée en puissance.

Nous vivons dans un monde dangereux. La France est confrontée à de nombreuses menaces émanant d’acteurs variés. Aux conflits conventionnels s’ajoutent les menaces hybrides et de nouveaux champs de conflictualité comme le cyber, l’espace ou la désinformation. La Russie menace le flanc est de l’Europe, l’Indo-Pacifique demeure un foyer majeur de tensions, et les crises se multiplient au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

Notre groupe déplore une forme de déconnexion entre le débat national et les priorités qui devraient guider l’action de la nation. Alors que la dette publique et le déficit menacent notre souveraineté, nous dépensons toujours plus. Alors que nous devrions renforcer la compétitivité de nos entreprises face aux géants étrangers, certains souhaitent au contraire taxer davantage, décourager l’investissement et l’entrepreneuriat. Nous espérons que le débat sur ces crédits permettra de nous recentrer sur les enjeux les plus pressants : la protection de nos intérêts et de notre souveraineté, la montée en puissance de nos armées, la participation de la nation tout entière à l’effort de défense.

Sur la mission Défense, avec une augmentation de 6,7 milliards d’euros, soit 3,5 milliards de plus que ce que prévoyait la trajectoire de la LPM, nous faisons le choix d’un réarmement rapide et maîtrisé. C’est un signal de fermeté adressé à nos adversaires, un gage de crédibilité envoyé à nos alliés, et une marque de confiance pour nos armées.

Le projet de loi de finances consacre des moyens inédits à la modernisation de nos équipements et au soutien de la base industrielle et technologique de défense. Ces investissements garantissent notre autonomie stratégique, mais ils irriguent aussi l’économie nationale et soutiennent des milliers d’emplois hautement qualifiés dans l’industrie et la recherche.

L’effort consenti pour les femmes et les hommes du ministère des armées mérite également d’être salué. Pensons au plan Fidélisation 360, à la création de nouvelles crèches, à la rénovation de logements, à la montée en puissance de la réserve, à la réforme statutaire des officiers.

Pour le monde combattant, le budget traduit la constance et la fidélité de la nation envers celles et ceux qui se sont engagés pour elle. Il poursuit une politique ambitieuse de réparation et d’accompagnement à travers, par exemple, le renforcement du dispositif Athos pour la prise en charge des blessures psychiques, et le soutien réaffirmé à l’Institution nationale des Invalides.

La mission Monde combattant, mémoire et liens avec la Nation consacre la continuité de notre engagement envers les harkis et leurs familles. Elle incarne le devoir moral de l’État à l’égard des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie de la Seconde guerre mondiale. Elle est également tournée vers la jeunesse et vers l’avenir, à travers la journée défense et citoyenneté (JDC) nouvelle génération et le plan Ambition armées‑jeunesse.

Enfin, au sein de la mission Sécurités, la gendarmerie nationale, qui assure la protection de plus de la moitié de la population française, voit ses moyens augmenter tant pour les missions d’ordre et de sécurité publics que pour l’accroissement des effectifs – ce qui est bienvenu, si l’on veut réellement déployer de nouvelles brigades dans les zones rurales ‑ et la montée en puissance de la réserve opérationnelle.

Les crédits de ces trois missions forment un tout cohérent. Ils renforcent la crédibilité de la France sur la scène internationale, la protection des Français au quotidien et le lien armée-nation. Nous les adopterons, conscients de ce que nous devons à celles et ceux qui servent la France tous les jours et à qui nous rendons hommage.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Au nom du groupe LIOT, je tiens d’abord à saluer l’engagement sans faille de tous nos militaires qui, chaque jour, œuvrent pour la sécurité de nos concitoyens et de notre République. Dans un contexte géopolitique toujours plus instable, le soutien des parlementaires envers nos militaires doit être à la hauteur. C’est pour cette raison que, sans suspense, notre groupe votera pour les crédits de ces trois missions. Ce vote favorable ne signifie pas pour autant que nous donnons un blanc-seing au gouvernement. Comme je n’ai que cinq minutes et que le cumul des crédits des trois missions représente 95 milliards d’euros, soit 19 milliards la minute, je vais limiter mon propos à trois sujets.

Je soulignerai d’abord le point le plus positif, la hausse de nos dépenses militaires de 6,7 milliards d’euros. Dans le contexte budgétaire actuel, notre groupe salue le respect de la programmation militaire et la surmarche pour accélérer notre réarmement. Le ministère des armées a gagné la bataille des chiffres avec Bercy, il doit maintenant gagner la bataille de l’opinion. Alors qu’on demande des efforts à tous nos services publics, aux écoles, aux hôpitaux, à la culture, il faut que le ministère des armées soit exemplaire. Il y a là un enjeu fort en termes d’acceptabilité. Cette bataille de l’opinion, il faut la gagner au niveau national, mais aussi au niveau européen. C’est sur cette base que l’on pourra prendre des décisions courageuses.

Si l’on cherche des crédits, il y a une manne financière qu’on ne peut plus laisser de côté : les avoirs russes gelés en France. J’ai déposé une proposition de résolution, très largement cosignée par les membres des différents groupes de notre assemblée, demandant que ce capital soit enfin mobilisé au profit de l’Ukraine. Il faut être clair à propos de ce conflit : l’agresseur, c’est Poutine ; l’ennemi, c’est la Russie. Dans ces conditions, il est légitime que ces avoirs contribuent à l’effort de guerre, mais surtout à la reconstruction, conformément au droit international. Au niveau européen, ça bloque : encore cette semaine, la Belgique s’est opposée à l’utilisation des avoirs. Pourtant, il ne faut pas attendre. La France peut agir seule sur les avoirs bloqués sur son territoire, faute de quoi il faudra financer les dépenses par la dette, et je ne pense pas que cela plaise à nos concitoyens.

Le deuxième sujet que je tiens à aborder concerne les conditions de vie de nos militaires. L’efficacité de nos armées passe par des conditions de logement et de vie décentes. C’est d’autant plus vrai pour l’armée de terre, où l’hébergement en caserne a historiquement une fonction éminemment structurante. Or, dans nos territoires, le parc est dégradé : les bâtiments sont souvent vétustes, parfois même insalubres. On a un peu l’impression que les conditions de vie sont devenues, au fil des années, la variable d’ajustement budgétaire du ministère. Lorsque je travaillais au cabinet du ministre de la défense, il y avait à côté de mon bureau une cellule ayant pour unique mission de traiter les problèmes liés aux bâtiments : les documents que j’ai pu voir étaient atterrants, mais nous pouvons malheureusement faire les mêmes constats aujourd’hui. Cette situation présente donc des risques : un risque de fracture sociale au sein même de l’institution militaire, un risque pour la préparation opérationnelle, un risque pour la cohésion des unités, et un risque pour l’attractivité des armées. Le général Hubert Bonneau a dressé le même constat pour la gendarmerie nationale : manque d’effectifs, unités sous tension, flotte automobile vétuste. Quand je vois défiler les milliards que nous votons pour les ministères, je ne peux pas accepter qu’ils ne profitent pas aux femmes et aux hommes qui servent la nation avec un dévouement remarquable.

Je consacrerai mon dernier point à nos liens avec l’Otan. Je rappelle que la logique de défense collective est au cœur de l’idée française d’autonomie stratégique de l’Europe. Elle passe par un renforcement du pilier européen de l’Otan. En 2026, la France reste le quatrième contributeur, avec près de 415 millions ; c’est louable, mais cela n’efface pas le regain de méfiance au sein même de l’organisation. L’enjeu, désormais, est qu’au-delà des contributions budgétaires, notre pays maintienne son niveau d’influence au sein de l’Alliance. Mon collègue David Habib est chargé d’un rapport sur ce sujet, et j’espère que votre commission suivra de près ses recommandations.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera pour ces crédits, tout en restant bien évidemment très attentif à leur mise en œuvre concrète.

M. Édouard Bénard (GDR). Le PLF pour 2026 prévoit une hausse de 13 % du budget de la mission Défense, soit un montant actualisé de 57,2 milliards de CP, hors pensions civiles et militaires de retraite. Cette somme astronomique marque une progression ô combien significative, conforme, semble-t-il, à la trajectoire fixée par la LPM. Au-delà de cette envolée budgétaire, une question subsiste : que nous dit ce budget de l’état réel de nos armées ? Est-il une nouvelle fois question de dépenser sans compter, ou s’agit-il de renforcer véritablement la capacité opérationnelle de la France ?

Le PLF pour 2026 concentre l’essentiel de ses efforts capacitaires dans ses trois armées. Pour l’armée de terre, le programme Scorpion continue de monter en puissance avec la modernisation du char Leclerc, la transformation d’infrastructures sur plusieurs dizaines de sites, ou encore la livraison des Griffon, des Jaguar et des Serval. Côté pile, l’objectif est clair et assumé, il s’agit de préparer nos forces armées au combat de haute intensité. Côté face, de nombreux problèmes demeurent. La reconstitution de nos stocks de munitions, notamment pour les petits calibres, avance lentement, et le maintien en condition opérationnelle reste sous tension, pesant sur la disponibilité de nos véhicules. Résultat : un équipement flambant neuf sans entretien régulier, des munitions insuffisantes, une capacité qui n’a plus de réelle que le nom.

Dans les airs, le constat est le même. Le budget 2026 consacre plusieurs milliards aux Rafale F5, aux drones Male (moyenne altitude longue endurance), ou encore au programme SCAF qui, soit dit en passant, suscite de plus en plus de frilosité à Berlin. En attendant, le taux de disponibilité de nos flottes aériennes peine encore à dépasser 65 %. En réalité, nous discutons du combat du futur alors que le combat au présent repose encore sur des appareils partiellement immobilisés. La modernisation est nécessaire, mais elle ne peut produire ses effets que si elle s’accompagne d’un soutien industriel solide, d’un nombre suffisant de techniciens spécialisés et d’un renforcement du MCO afin d’éviter les goulots d’étranglement.

Cette question du taux de disponibilité de nos armées renvoie à un enjeu plus large, celui de la transparence budgétaire. Le programme 146, Équipement des forces, fixe bien des objectifs pour l’année 2026 : un taux de réalisation des livraisons de 85 %, une évolution annuelle moyenne des délais de réalisation des opérations d’armement principales inférieure à deux mois, une évolution moyenne des devis à terminaison inférieure ou égale à 1,5 %, des intérêts moratoires inférieurs ou égaux à 0,5 %. Cependant, ces chiffres échappent au contrôle parlementaire, car nous ne savons pas quels programmes respectent pleinement leurs objectifs et lesquels dérapent. Sans cette visibilité, le Parlement ne peut pas contrôler efficacement la dépense publique et en mesurer les effets sur la disponibilité et la performance de nos forces armées. En ce sens, il serait légitime d’exiger la publication annuelle de ces données, programme par programme.

Cette quête de clarté est d’autant plus nécessaire que notre pays nourrit une ambition maritime de premier plan dans l’Indo-Pacifique, l’Atlantique, la Méditerranée et dans nos territoires ultramarins. Le PLF pour 2026 lui consacre 4,1 milliards d’euros, soit près d’un quart du budget de la préparation des forces. Parmi ces crédits, 108 millions sont fléchés vers le numérique naval, un demi-milliard vers les infrastructures portuaires et près de 600 millions vers le porte-avions du futur. Ici encore, ces milliards n’ont de sens que s’ils s’accompagnent d’une amélioration de la disponibilité réelle des frégates, des sous-marins ou des patrouilleurs. S’agissant du PANG, il est impératif d’anticiper les risques liés aux coûts et aux délais afin d’éviter qu’ils n’absorbent les crédits du MCO et fragilisent toute la flotte existante. Il serait donc pertinent que le Parlement dispose d’indicateurs et de trajectoires de disponibilité très précis pour mesurer la progression réelle du parc naval, ainsi que des plans de maintenance afin de prévoir d’éventuelles périodes de creux opérationnel.

Si ce budget traduit une volonté indéniable de réarmer la France, il doit cependant pouvoir reposer sur trois piliers essentiels : des forces réellement prêtes et disponibles ; une dépense publique transparente et mesurable ; une ambition stratégique mise en œuvre avec rigueur. Pour réarmer, il ne suffit pas d’acheter ; il faut également entretenir, former, anticiper et rendre des comptes.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Entêtement, effets d’annonce et rafistolage : ce n’est pas le titre d’une comédie, hélas, mais le sous-titre de la mission Défense de ce budget, qui est un véritable théâtre d’ombres.

Commençons par le début. Nous avons sous les yeux le budget défendu par une ministre qui n’a pris aucune part dans son élaboration, puisqu’elle l’a découvert à peu près en même temps que nous. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’idée que l’on se fait de la démocratie et du contrôle parlementaire, cela veut dire beaucoup. Notons ensuite que si la hausse des autorisations d’engagement et des crédits de paiement est incontestable, elle pose deux questions : d’une part, celle de la soutenabilité de la trajectoire budgétaire, que nous avions évoquée l’an dernier avant que le 49.3 nous prive de débats en séance ; d’autre part, celle de la sincérité, car il n’y a pas lieu de se réjouir d’une hausse deux fois plus élevée que celle prévue par la LPM. On ne le répétera jamais assez, si le budget de la défense a dû être doublé par rapport au niveau prévu il y a deux ans, soit plus d’un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, alors il faut nécessairement en conclure que le projet du gouvernement était soit sous-calibré, soit sous-budgété.

Cela n’émeut apparemment pas grand monde, mais c’est là aussi un problème démocratique fondamental. À chaque fois que nous avons ingénument demandé aux personnes auditionnées par notre commission quelles dépenses, au sein de chaque programme, bénéficiaient de la marche et quelles autres de la surmarche, nos interlocuteurs furent en peine de répondre. L’exécutif a avoué à demi-mot que le travail sur la LPM avait été bâclé, puisque le président de la République a annoncé une nouvelle loi de programmation militaire. Je constate néanmoins qu’elle ne figure pas dans l’ordre du jour prévisionnel communiqué par le gouvernement et partagé hier par la présidente Yaël Braun-Pivet. Celles et ceux qui traitent les sujets de défense avec sérieux – et il y en a ! – ne savent plus vraiment à quel saint se vouer.

On en est donc réduit à conjecturer que, aux yeux même de ceux qui l’ont faite, quelque chose dans cette LPM ne va pas et mérite d’être corrigé, tout en constatant que les orientations structurantes qu’elle comporte sont toutes confirmées, jusqu’à l’absurde parfois ‑ et jusqu’au sabotage, suis-je même tenté de dire. Il en va ainsi du projet de SCAF, mais aussi et peut-être surtout du MGCS, dont nous annonçons depuis des années qu’il signera la liquidation de la capacité industrielle française dans le secteur des chars, notamment du fait de la déloyauté du « partenaire » allemand, trop heureux que Rheinmetall demeure le seul acteur sur le marché européen à l’issue de ce fiasco programmé. Cette histoire est emblématique, et nous appelons à un sursaut. L’exécutif doit absolument cesser de se bercer d’illusions s’agissant de ce qu’il appelle abusivement « l’autonomie stratégique européenne », dont la seule manifestation concrète, le programme ReArm Europe, n’est autre chose qu’un moyen pour l’Allemagne de convertir son outil industriel et pour les États-Unis de consolider leur influence en vendant du matériel produit en Europe sous licence américaine. Il serait temps de se réveiller : le déclassement de la France n’est pas loin.

Le cadre géopolitique dans lequel le gouvernement situe son action n’a nullement changé, comme l’atteste l’explosion de la contribution financière à l’Otan, alors même que Trump, à la Maison-Blanche, menace et pressure ses alliés. Ses foucades n’ont d’ailleurs pas fini de nous mettre en danger, puisqu’il évoquait hier l’idée d’en finir avec la technologie des catapultes électromagnétiques qui doivent équiper notre futur porte-avions. Cette dépendance massive devrait cesser, à mon avis, de faire lever les yeux au ciel quand on l’évoque. Et que dire de la dépendance de la France tout entière vis-à-vis des services informatiques des Gafam ?

S’il est évident que dans les armées, soldats et officiers œuvrent sans relâche – et nous les saluons – pour anticiper la guerre de demain avec d’incontestables réussites, il est aussi clair qu’ils sont freinés par l’absence de réflexion politique sur le format des armées. On hésite à passer de quinze à dix-huit frégates, sujet d’importance certes, mais où en est-on du programme massif de drones dont la marine aurait besoin pour assurer notre souveraineté sur notre vaste territoire maritime et protéger nos approches ? Qu’on autorise en passant le membre du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) que je suis à alerter sur le besoin de lancer la construction du Marion Dufresne 3, navire à la fois civil et militaire qui dessert les Taaf.

Il reste beaucoup à dire concernant l’espace, la frappe dans la profondeur, le changement climatique ou encore la production de munitions – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Ne disposant que de cinq minutes, je suis obligé de dire brièvement qu’il est regrettable de devoir déposer, année après année, des amendements semblables pour revaloriser le point de PMI, garantir la demi-part fiscale des veuves et s’assurer que les droits des tirailleurs, des combattants d’Afrique du Nord et de leurs descendants sont réellement reconnus. Force est de constater qu’il y a loin des paroles sur la reconnaissance de la nation aux actes.

J’ajoute, monsieur le président, que mon groupe regrette que vous n’ayez pas suivi l’exemple de Thomas Gassilloud, qui avait choisi de saisir notre commission pour avis au sujet de la réforme des retraites. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, en cours d’examen devant la commission des affaires sociales, comporte des dispositions entravant le cumul emploi-retraite, un dispositif spécifique aux carrières militaires qui concourt à leur attractivité. Notre commission aurait dû éclairer ce point technique complexe, qui suscite non sans raison l’inquiétude dans nos armées. Le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire sera extrêmement vigilant à ce sujet durant l’examen du PLFSS en séance.

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*      *

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

 

Article 49 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-DN3 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Mon amendement vise à concrétiser l’adaptation opérationnelle de nos forces à la réalité de la guerre de haute intensité. La semaine dernière, le chef d’état-major des armées a confirmé devant nous la pertinence des propositions du rapport d’information sur la masse et la haute technologie, élaboré par M. Thomas Gassilloud et moi-même, s’agissant d’un besoin de confiance accrue dans l’autonomie capacitaire de nos forces. Des enveloppes à disposition des unités existent déjà, mais elles sont limitées et supposées être dédiées à des dépenses logistiques.

Faire confiance au terrain et à nos militaires est donc l’objet de cet amendement, qui vise à créer de véritables enveloppes de subsidiarité en offrant une marge de manœuvre supplémentaire aux unités administratives de base pour l’achat de petit capacitaire. Je garde ainsi en mémoire l’achat de drones sur ses fonds logistiques régimentaires par le 1er RHP (régiment de hussards parachutistes) de Tarbes afin de s’entraîner à ce nouvel outil. De telles enveloppes dédiées à l’innovation et à la dotation capacitaire seraient un terreau pour l’innovation, l’expérimentation et l’adaptation de nos forces, tout en permettant rattrapage du petit capacitaire encore manquant sur le terrain.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Le sujet est intéressant, mais il relève de l’actualisation de la LPM et je propose en outre de ne pas pénaliser la politique immobilière du programme 212.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Merci, monsieur Cormier-Bouligeon, de défendre la politique de logement du programme 212, qui est en effet fondamentale.

Pourrions-nous, au lieu d’évoquer les gages, avoir un débat sur le fond ? Notre groupe votera contre cet amendement parce que, d’après ce que j’ai compris des auditions que j’ai menées, l’essentiel du budget de la surmarche a déjà été affecté à des munitions. Cela pose problème : soit la LPM a été bien pensée, et les munitions auraient alors déjà dû être prévues, soit elle a été sous-évaluée, et nous avons alors besoin d’une surmarche. Je ne pense donc pas que la question soit de savoir si cela relève de la révision de la LPM, qui n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour du Parlement. De fait, puisque nous disposons de l’ordre du jour prévisionnel jusqu’en février, j’ignore si cette LPM sera examinée avant le début du mandat du prochain président.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Je voterai contre l’amendement mais j’en soutiens le principe et souhaite que nous en débattions en séance publique.

Je voterai contre car il faut être attentif à l’affectation et au montant des crédits transférés. Il y a dans l’armée de terre 100 unités élémentaires et nous parlons de 150 000 euros par unité, soit 15 millions en tout et non 1,5 milliard.

Ce qui importe, c’est la subsidiarité. Il faut offrir aux chefs militaires de terrain davantage de souplesse et de réactivité pour acheter des équipements. Les enveloppes de subsidiarité de l’armée de terre sont sans doute les euros les mieux dépensés du ministère.

Elles permettent aux chefs de terrain de se fournir auprès d’entreprises de leur territoire, de façon réactive et utile, sans forcément passer sous les fourches caudines des classiques procédures d’attribution des marchés publics. Les augmenter un peu présente un grand intérêt pour nos forces. Si un chef de corps peut envoyer 1 000 personnes au combat, nous devrions pouvoir lui donner l’équivalent de 100 euros par personne pour acheter des petits équipements de terrain.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). La subsidiarité telle que la décrit notre collègue Thomas Gassilloud me laisse sceptique. Je comprends la logique de réactivité, de souplesse et d’efficience, mais en ce qui concerne le capacitaire stricto sensu, à l’exclusion du MCO, surtout s’il s’agit de munitions, sa proposition va trop loin.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Ces enveloppes, d’un montant unitaire d’environ 150 000 euros, servent à trois choses dans les régiments : l’entretien des infrastructures – depuis la réforme des bases de défense, il faut parfois remonter très haut pour changer une ampoule ; le soutien aux familles ; l’achat de petits équipements à usage spécifique au régiment, dont les munitions ne font pas partie.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN148 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il vise à augmenter de 150 millions les crédits de la sous-action Soutien des forces par les bases de défense alloués au Centre interarmées de coordination du soutien (Cicos). Trois déficits structurels majeurs menacent le fonctionnement quotidien de nos forces.

Premièrement, la hausse des coûts de l’énergie des dernières années a grevé le budget des bases de défense de 160 millions. Deuxièmement, le Cicos ne récupère pas les 100 millions attendus en 2025 du compte d’affectation spéciale (CAS) Gestion du patrimoine immobilier de l’État, en violation des dispositions de l’article 4 de la LPM 2024-2030, qui prévoit le retour de l’intégralité du produit des cessions immobilières du ministère des armées. Troisièmement, l’accumulation de la dette grise et les transferts de charges nouvelles, notamment liées aux grandes opérations d’armement, pèsent sur le soutien des bases de défense, dont les travaux de maintenance lourde ne peuvent plus être différés.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN2 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Cet amendement vise à rappeler le trou capacitaire significatif que constitue notre capacité réduite et largement obsolète de frappe dans la profondeur. L’acquisition au plus vite d’une capacité renouvelée de frappe dans la profondeur de quarante-huit systèmes est une priorité, comme le rappelle le rapport d’information « De la professionnalisation à l’hybridation, pour une transformation de notre défense » de la mission menée par Thomas Gassilloud et moi-même. Le présent amendement vise à préparer dès maintenant une politique de dotation capacitaire en la matière, par exemple en s’appuyant sur la solution Foudre de la société Turgis & Gaillard.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je partage l’avis de l’auteur de l’amendement, mais nous débattrons de ce sujet lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les autorités militaires que nous avons auditionnées ont rappelé l’urgence d’un tel achat et de sa dotation aux unités. Je ne pense pas qu’ils ont le temps d’attendre une hypothétique révision de la LPM 2024-2030.

Malheureusement, nous ne voterons pas l’amendement car il lui manque la garantie que la capacité envisagée soit souveraine. La solution proposée par Turgis & Gaillard, que je suis avec beaucoup d’intérêt, est citée parmi d’autres. Or acheter américain ou indien sur étagère n’est pas exclu, ce qui réduirait notre capacité indépendante.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN6 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Mon amendement vise à améliorer la préparation et la gestion de nos stocks face au retour des guerres de haute intensité. Il appelle le gouvernement à garantir une remise en service optimale de nos véhicules terrestres, notamment ceux retirés du service à l’occasion du programme Scorpion, afin de conforter la profondeur capacitaire de nos stocks.

Thomas Gassilloud et moi-même avons constaté que les stocks susceptibles d’être exploités en cas de besoin capacitaire urgent ou de soutien à un pays allié comme l’Ukraine ne peuvent l’être dans des délais satisfaisants, faute de capacité de reconditionnement et d’entretien. Nous pouvons éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant à nos militaires les moyens humains et logistiques de stocker, dans des conditions propices à leur remise en service rapide, les équipements retirés des unités actives.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Sur ce segment, les dépenses que nous avons adoptées dans le cadre de la LPM 2024-2030 sont déjà élevées. Le taux de scorpionisation de notre armée de terre dépasse 50 %. Cette année, nous avons été livrés de 150 Griffon, 103 Serval et 33 Jaguar. En 2026, nous attendons 122 Griffon, 110 Serval et 30 Jaguar. Demander des dépenses supplémentaires me semble excessif. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN30 de M. Aurélien Saintoul et II-DN96 de M. Laurent Jacobelli (discussion commune)

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement quasi traditionnel vise à créer une ligne budgétaire dédiée à un système de char du futur souverain. Le partenariat avec l’Allemagne visant à produire le MGCS est voué à l’échec, comme nous le disons depuis un moment.

La récente association de Rheinmetall et de Leonardo dans le projet Marte (Main armoured tank of Europe) est une nouvelle démonstration que l’enjeu, pour les Allemands, ne consiste pas vraiment à aller au bout du projet mais bien à immobiliser la trésorerie de Nexter et à s’assurer que, in fine, l’entreprise française disparaisse du marché pour y rester seule. L’opération, habile, ne profite certainement pas à la France.

M. Laurent Jacobelli (RN). Faire semblant de s’allier, neutraliser l’adversaire économique, prendre le pas sur lui, développer ses propres solutions pour tuer un concurrent : c’est exactement la stratégie de l’Allemagne dans le cadre du développement d’un char européen. Si même certains de ses fervents défenseurs admettent que le MGCS pourrait aller dans le mur, c’est qu’il est temps de réallouer les montants qui lui sont dédiés au développement d’une solution souveraine, donc française – la souveraineté étant le propre des États, la souveraineté européenne n’existe pas.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il ne me semble pas pertinent d’opposer le MGCS et la capacité intermédiaire, d’autant qu’elles s’avéreront sans doute complémentaires. Nous aurons ce débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Je serai le premier à déposer un amendement prévoyant des crédits pour aller vers la capacité intermédiaire. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements II-DN4 de M. Damien Girard, II-DN47 de Mme Anna Pic et II-DN101 de Mme Caroline Colombier (discussion commune)

M. Damien Girard (EcoS). L’amendement II-DN4 vise à rappeler la nécessité, pour la marine nationale, de confirmer le format à dix-huit navires de premier rang, par exemple en recourant à une stratégie de « coques blanches » mises à disposition de la marine nationale et prélevées en cas de commande à l’export.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement II-DN47 vise à rappeler la nécessité de doter la marine nationale de ses dix-huit frégates de premier rang, prévues lors de l’examen de la LPM 2024-2030 pour lui permettre de faire face à une crise sans compromettre ses missions.

Une permanence sur zone requiert trois frégates, une alerte permanente deux. La France assure une permanence dans l’océan Indien, une en Méditerranée orientale, une dans l’Atlantique Nord et la Baltique, et deux alertes permanentes à Brest et à Toulon, où les deux frégates restantes sont en entretien. Le plafond capacitaire est atteint.

Mme Caroline Colombier (RN). La semaine dernière, devant cette commission, la ministre des armées a annoncé le renoncement aux trois frégates supplémentaires, pourtant considérées comme indispensables par le chef d’état-major de la marine. Cette décision est lourde de conséquences pour notre souveraineté.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il est exclu de mettre ce sujet de côté. Il fera l’objet d’un très beau débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030, à l’issue duquel nous serons sans doute nombreux à voter la même chose. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Chacun ici est convaincu de la nécessité de disposer de trois frégates supplémentaires. Il incombe à la marine d’en définir la nature et le tonnage pour que nous puissions y travailler lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030, ce qui est exclu dans le cadre en vigueur. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Disposer de trois frégates supplémentaires est une nécessité, chacun en convient. S’il faut distinguer la programmation pluriannuelle des annuités budgétaires, il est toujours bon que notre commission, en ces temps d’incertitude budgétaire, administre une piqûre de rappel. L’adoption d’amendements d’appel transférant la somme symbolique de 1 euro en offre l’occasion.

L’amendement II-DN47 est retiré.

Successivement, la commission rejette l’amendement II-DN4 et adopte l’amendement II-DN101.

 

Amendement II-DN81 de M. Thierry Tesson

M. Thierry Tesson (RN). Le ministre de la défense qu’était l’actuel premier ministre a reconnu à plusieurs reprises que nous pouvions aller plus loin. Il dispose désormais, dans un contexte budgétaire certes contraint, de tous les leviers.

Il serait bon que les crédits de la défense progressent à la hauteur des ambitions affichées. Cet amendement d’appel vise à minorer de 1 euro les crédits de l’action 08, Relations internationales et diplomatie de défense, du programme 144, Environnement et prospective de la politique de défense, au profit de l’action 09, Engagement et combat, du programme 146, Équipement des forces.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’ai peut-être mal compris les propos de notre collègue, mais dire que les crédits ne progressent pas à la hauteur des ambitions affichées alors même que nous allons voter une surmarche au sein d’une LPM record laisse songeur. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Les besoins sont identifiés. Nous en débattrons dans le cadre de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN82 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). La réduction d’une unité de la cible des patrouilleurs hauturiers est un signal capacitaire désastreux envoyé à nos marins. Y substituer un patrouilleur côtier de nouvelle génération n’est manifestement pas adapté à nos besoins. Nous craignons que le programme subisse, coup de boutoir après coup de boutoir, le même renoncement que celui constaté concernant les frégates de défense et d’intervention (FDI).

Si le gouvernement considère réellement que la défense est un budget sanctuarisé, nous proposons deux mesures de bon sens permettant d’allouer des ressources sur quatre ans au financement du dixième patrouilleur hauturier. À défaut, vous n’aurez ni masse ni cohérence.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit sept patrouilleurs hauturiers ; la suivante en prévoira trois. Il faut savoir raison garder.

L’actualisation de la LPM permettra d’évaluer les besoins supplémentaires, dont je me permets de rappeler qu’ils exigent non seulement des crédits supplémentaires mais aussi une capacité industrielle. La LPM 2024-2030 offre un cadre dans lequel je suggère de rester. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN46 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Nous donnons l’alerte. Si nous comprenons que les besoins sont partout dans le cadre de la montée en puissance de notre effort de défense, nous constatons que la hausse de 13 % des crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2026 ne bénéficiera qu’à la marge à la marine. C’est compréhensible à l’aune des priorités actuelles, mais les enjeux stratégiques, sur les océans, sont forts, de la capacité de projection et d’intervention à la dissuasion nucléaire des puissances dotées en passant par le contrôle des voies d’approvisionnement et la sécurisation des infrastructures sous-marines.

Tandis que le voisinage immédiat de la France demeure un espace de friction, elle doit assurer sa liberté d’action en mer et de navigation et faire respecter ses droits dans ses frontières maritimes, notamment au large de ses territoires ultramarins. Nous proposons de soutenir la montée en puissance de la marine nationale en fléchant 10 millions d’euros, en AE et en CP, de l’action 07 vers l’action 03 du programme 178.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Là comme ailleurs, la cohérence est de mise. Notre stratégie repose sur le renouvellement capacitaire de tous les secteurs, des patrouilleurs outre-mer (POM) aux frégates de surveillance (FS) en passant par le porte-avions de nouvelle génération (PANG) et les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).

Il faut rester dans ce cadre, qui nous permet d’atteindre nos objectifs. Si demain nous devons monter en puissance, nous verrons comment faire dans le cadre de l’actualisation de la LPM 2024-2030, en gardant à l’esprit l’indispensable capacité industrielle.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN142 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le présent amendement vise à régler le problème posé par le statut d’officier marinier commissionné (OMC) des baleiniers civils de Polynésie, où la complexité de la navigation dans les atolls et du franchissement des récifs exige une solide expérience qui s’acquiert au contact d’aînés. La possibilité de servir sous contrat offerte aux baleiniers civils de Polynésie s’arrête, faute de pouvoir accéder au brevet supérieur, au grade de maître, atteint à l’âge de quarante-sept ans ou à l’issue de dix-sept ans de service. Il en résulte une perte de compétences obligeant à former de nouveaux baleiniers.

Il serait sage de permettre aux baleiniers civils de Polynésie d’accéder au brevet supérieur pour les conserver plus longtemps en service actif. Le montant de l’amendement est symbolique, mais la mesure proposée changerait le quotidien des forces armées en Polynésie française (FAPF).

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. C’est la troisième année consécutive, me semble-t-il, que nous soutenons collectivement cet amendement. Il y a quelque chose d’un peu inique à considérer que, après dix-sept ans de service, les gens ne sont plus en capacité de remplir leur mission. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN24 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel vise à soulever la question de la pertinence du PANG, dont nous ignorons s’il sera lancé d’ici à la fin de l’année. En 2040, un porte-avions sera-t-il en capacité de résister à des nuées de drones à faible coût – quelques dizaines de milliards d’un côté, quelques centaines de milliers d’euros de l’autre ? Sommes-nous certains de la pertinence d’un tel projet ? Par ailleurs, l’approvisionnement en catapultes électromagnétiques crée une dépendance à l’égard des États-Unis.

Cela fait beaucoup de questions pour un programme très onéreux. Nous souhaitons que le débat se tienne avant une éventuelle actualisation de la LPM 2024-2030.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Un porte-avions, c’est une base aérienne dont on ne connaît pas les coordonnées GPS. Un porte-avions parcourt à peu près 1 000 kilomètres par jour. Si un satellite le repère, il doit, au survol suivant, le rechercher dans une zone aussi grande que le département de la Loire.

Si les États-Unis ont onze porte-avions, si les Chinois en sont au troisième, si plusieurs pays tels que l’Italie envisagent la construction d’un porte-avions à propulsion nucléaire, c’est bien qu’il s’agit d’un outil de suprématie navale et aérienne. Au surplus, le porte-avions français emporte l’arme nucléaire. Avis défavorable.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La plaidoirie de notre rapporteur pour avis Chenevard est impeccable. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Nous retirons l’amendement, qui visait à ouvrir le débat. Nous l’aurons avec la ministre en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN133 de M. Frédéric Boccaletti

M. Frédéric Boccaletti (RN). La semaine dernière, j’ai rappelé à la ministre des armées l’importance stratégique de la protection de nos intérêts au sein de notre zone économique exclusive (ZEE) et les tensions croissantes qu’elle fait peser sur notre marine. Pour que cet atout en reste un, il est impératif d’être à la hauteur en matière de densité des équipements mobilisables.

Nous avons cru comprendre que la défense est un enjeu stratégique pour le bloc central et rappelons que les deux dernières LPM prévoient la rétrocession intégrale du produit des cessions immobilières du ministère. Nous appelons donc à la restitution des 150 millions issus de la vente de l’îlot Saint-Germain pour financer trois POM supplémentaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. La LPM 2024-2030 prévoit six POM, dont trois ont été livrés. Les trois autres le seront avant 2030. Pour l’heure, il ne semble pas nécessaire d’aller au-delà. Avis défavorable.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Notre stratégie est très équilibrée. Les nouveaux POM font trois fois la taille des précédents. D’une jauge de 1 300 tonnes, ils ont une allonge de 5 500 nautiques, soit près de 1 000 nautiques de plus que les précédents. Ils embarquent plus de marins. L’équilibre prévu par la LPM est parfait. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN90 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement devenu classique vise à réaffecter les fonds alloués au SCAF à un avion de chasse de sixième génération (NGF) souverain. Le blocage des industriels ne faisant plus de doute, il est urgent de trouver une solution faisant confiance à la BITD des Français, qui a toutes les capacités nécessaires pour créer le premier pilier du SCAF.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN29 de M. Bastien Lachaud, II-DN150 de M. Frank Giletti et II-DN5 de M. Damien Girard (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. L’amendement II-DN29 est un amendement d’appel, à hauteur de 50 millions. Il faut agir vite et faire vivre le débat sur l’avenir de la Patrouille de France, car rien n’avance.

Les Alpha Jet continuent de vieillir et sortiront bientôt du service actif sans qu’aucune solution souveraine n’existe. La Patrouille de France volera-t-elle un jour avec des avions qui ne seront pas français ? Ou bien nous sommes en capacité de lui fournir des Rafale, ou bien nous trouvons une solution alternative.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Il faut trouver une solution souveraine pour remplacer les avions de la Patrouille de France, qui assurent aussi la mission Red Air nécessaire à l’entraînement des forces de l’armée de l’air et d’espace (AAE).

M. Damien Girard (EcoS). Acquérir un segment d’aviation de chasse léger susceptible d’effectuer, à un coût maîtrisé, des missions d’entraînement, de démonstration et d’attaque au sol en milieu permissif offrirait à nos forces une masse intéressante, complémentaire du Rafale et respectueuse des contraintes budgétaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Ce sujet nous donnera l’occasion d’un échange de vues sans doute convergentes lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030. Pour l’heure, tenons-nous à l’annualité budgétaire 2026 rappelée par le ministre Jean-Louis Thiériot. Avis défavorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je suggère le retrait de l’amendement II-DN29 au profit du mien. J’émets un avis défavorable à l’amendement II-DN5, n’ayant pas entendu, lors des auditions que j’ai menées, l’expression d’un besoin en matière d’avion léger – les besoins identifiés sont la succession de l’Alpha Jet, le remplacement, dans l’aviation de transport tactique, des Casa et CH-130 vieillissants, et le NGF.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’aurais été ravi de retirer mon amendement au profit du vôtre, cher collègue. Malheureusement, il est moins-disant de 5 millions. Nous ne pouvons souscrire à ce manque de volontarisme.

Successivement, la commission rejette l’amendement II-DN29 et adopte l’amendement II-DN150.

En conséquence, l’amendement II-DN5 tombe.

 

Amendement II-DN117 de M. Romain Tonussi

M. Romain Tonussi (RN). Cet amendement vise à réorienter une partie des crédits consacrés à la transition écologique du patrimoine immobilier des armées vers la préparation et l’entraînement de l’AAE. Une part non négligeable des moyens est absorbée par des études environnementales et par des installations photovoltaïques dans les emprises militaires.

Ces démarches ne répondent pas toujours directement aux besoins quotidiens de nos forces, mais plutôt à des contraintes idéologiques. Nous souhaitons privilégier l’entraînement et les capacités de préparation opérationnelle de nos bases aériennes.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Notre collègue Tonussi évoque une dimension idéologique, dans le travail de nos armées, en matière de performance énergétique. J’y vois au contraire une preuve éclatante de pragmatisme. Les économies d’énergie réalisées sur le parc immobilier dégagent des marges financières.

Par ailleurs, il y a un enjeu de disponibilité et d’efficacité du service de l’énergie opérationnelle (SEO), y compris en opération. Croire que l’on peut se dispenser de préparer l’avenir et de réfléchir aux moyens de doter un camp des meilleurs standards en matière énergétique, c’est ne pas comprendre les besoins réels des armées en opération. Du point de vue du soutien, s’assurer de la plus grande diversité possible des ressources en énergie de nos soldates et de nos soldats est une priorité.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). J’ai eu la responsabilité de certains de ces dépenses, que j’ai engagées au sein du ministère. Le ministère des armées n’est pas un objet particulier qui vit à côté de la société. Nos militaires sont jeunes et, comme tels, très sensibles aux mesures environnementales, contrairement à ce que vous semblez penser, monsieur Tonussi. Ils ont à cœur de travailler dans un environnement où tout cela est mis en œuvre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN68 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement devenu classique vise à assurer la réalisation de la promesse du gouvernement, qui est aussi celle du président de la République, d’augmenter de trente Rafale le format de l’aviation de chasse française, qui est sursollicitée.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous ne financerons pas deux escadrons supplémentaires sur l’annualité 2026, mais ce sujet nous offrira l’occasion d’un beau débat lors de l’actualisation de la LPM 2024-2030.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Par cohérence, je suis favorable à l’administration d’une piqûre de rappel s’agissant du format de notre flotte d’avions de chasse comme je l’étais s’agissant de nos frégates. Je voterai donc l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques II-DN70 de M. Frank Giletti et II-DN106 de M. Jean-Louis Thiériot

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Le moteur du futur Rafale standard F5 est un impensé de la LPM 2024-2030 et du projet de loi de finances pour 2026. Il faut absolument étudier l’évolution du moteur M88-T-REX produit par Safran. Les besoins électriques et la masse emportée du Rafale augmentent. Il faut passer, pour le Rafale actuel, d’un moteur de 7,5 tonnes de poussée à un moteur de 9 tonnes de poussée et, pour le Rafale standard F5 et le NGF, à un moteur de 11 tonnes de poussée.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Le moteur M88-T-REX peut constituer un jalon dans l’élaboration du Rafale standard F5 et du SCAF, qu’il soit produit en coopération ou non. À ce sujet, si le programme SCAF, qui suscite dans cette commission des inquiétudes répandues que je partage, devait ne pas aboutir, la responsabilité ne saurait en incomber à la France. Elle ne pourrait qu’incomber aux industriels ou à nos partenaires.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je suis parfaitement aligné avec ce que viennent de dire nos collègues. Il faut financer le développement du moteur M88-T-REX en répartissant la charge entre l’État et l’industriel. J’émets, une fois n’est pas coutume, un avis favorable à cet amendement d’appel.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement II-DN69 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel vise à rétablir la cible de cinquante avions A400M prévue par la LPM 2013-2019. Sursollicités, ces avions ont fait preuve d’une efficacité remarquable dans les dernières crises.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis des rapporteurs pour avis, elle rejette l’amendement II-DN104 de M. Julien Limongi.

 

Amendements II-DN38 de M. Bastien Lachaud et II-DN151 de M. Frank Giletti (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il s’agit de créer une ligne budgétaire Système d’alerte avancée pour dénoncer le nouveau programme de coopération franco‑allemand Odin’s Eye et le remplacer par un programme national ou en coopération sous direction française. Une nouvelle fois, la France fait le choix d’une coopération franco-allemande perdante.

En dépit de l’échec du MGCS et du SCAF, la France continue, au nom d’un intérêt franco-allemand illusoire, à abandonner son industrie et ses capacités : ce programme confié à l’industriel allemand OHB relègue nos acteurs nationaux à un rôle secondaire alors même que nous possédons toutes les briques technologiques permettant de le développer. Nous souhaitons que la France reprenne ses esprits et développe une capacité propre d’alerte avancée.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. En matière d’alerte avancée, la France avait de l’avance. Malheureusement, la LPM 2024-2030 n’en fait pas mention. Nous proposons la création d’un programme budgétaire dédié. La prolifération des missiles balistiques nous oblige à nous doter de cette capacité.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le sujet mérite une réponse un peu plus argumentée. Je constate que rien ne justifie ce programme sinon l’idéologie du franco‑allemand à l’exclusion du reste.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Il ne s’agit pas d’une coopération exclusive entre la France et l’Allemagne. Elle s’inscrit dans le cadre européen et inclut l’Espagne, l’Italie, la Lituanie et l’Autriche, en attendant que d’autres pays la rejoignent.

Compte tenu de l’ampleur des systèmes, la France n’a pas les moyens de développer seule un tel programme. Certes, elle en maîtrise les briques technologiques, mais ce programme vise à défendre l’espace aérien européen dans son ensemble et pas seulement l’espace aérien français.

M. Thomas Gassilloud (EPR). Le programme Odin’s Eye inclut des industriels français tels que Thales et MBDA ainsi que l’Onera (Office national d’études et de recherches aérospatiales). Par ailleurs, en dépit de divergences de vues en matière capacitaire selon les systèmes d’armes et les doctrines des uns et des autres, il s’agit d’assurer le suivi tactique des situations, qui est une exigence identique quelles que soient les différences, au demeurant légères, entre les doctrines défensives. Il semble possible d’avancer raisonnablement sur ce projet.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN152 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Par cet amendement d’appel je demande le développement d’un missile aérobalistique, qui est une nécessité pour l’armée de l’air et de l’espace. Les avantages opérationnels sont en effet connus : difficulté de détection, rapidité accrue, manœuvrabilité lors de la course finale et portée allant de 500 à 1 000 kilomètres, ce qui augmenterait de manière substantielle l’allonge d’un raid aérien conventionnel.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Je vous renvoie, à mon tour, à l’actualisation de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN32 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement, lui aussi d’appel, vise à garantir l’existence des satellites de communication nécessaires à nos armées dans le cadre du projet IRIS² (infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite). J’avais alerté notre commission l’année dernière sur les difficultés que nous traversions, mais la situation est encore plus compliquée que prévu, en raison de désengagements probables, notamment de l’Allemagne, qui consacre beaucoup d’argent au développement de sa propre constellation de satellites – on voit, là encore, que la coopération franco-allemande peut patiner. Le rapport que j’ai publié avec Mme Vignon insistait sur la nécessité d’assurer le déploiement du programme à l’horizon 2030, de garantir l’interopérabilité d’Iris² avec d’autres systèmes, comme Syracuse, et de renforcer les capacités d’observation militaire et les systèmes antibrouillage, à des fins de sécurisation, mais le problème reste entier.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous en avons débattu ce matin. Votre rapport a mis en lumière le besoin capacitaire dans ce domaine. Avis favorable.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je souscris au raisonnement qui sous-tend cet amendement. J’ai déploré, moi aussi, la situation dans un rapport consacré au spatial de défense. Il serait très hasardeux de renoncer à un satellite patrimonial ultrasécurisé au profit d’une constellation européenne civile de connectivité en orbite basse. Même avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN71 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement d’appel incite, dans la lignée des précédents, à une accélération du programme IRIS², qui va remplacer les satellites CSO (composante spatiale optique). Les décalages deviennent, en effet, préoccupants. Il faut sécuriser le passage à la réalisation industrielle afin d’éviter une faille capacitaire en matière de Roim (Renseignement d’origine image).

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il ne faudrait pas que notre collègue y prenne goût, mais j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN72 de M. Frank Giletti

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Cet amendement relatif au programme Celeste, qui doit remplacer Ceres – capacité de renseignement électromagnétique spatiale – vise aussi à éviter un trou capacitaire, en matière de renseignement d’origine électromagnétique.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Même avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle rejette l’amendement II-DN116 de M. Thibaut Monnier.

 

Amendement II-DN35 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement vise à créer un programme de radars acoustiques pour la lutte contre les drones. La guerre en Ukraine démontre l’importance cruciale de disposer de programmes aussi performants que possible dans ce domaine.

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN7 de M. Damien Girard

M. Damien Girard (EcoS). Il s’agit de contribuer à l’effort d’adaptation de nos armées, dans toutes leurs strates, au tournant capacitaire que constitue le développement des drones. Leur diffusion massive dans la société et l’armée est un élément fondamental de la capacité d’adaptation et d’innovation de l’Ukraine face à l’armée russe. Cet amendement, qui est inspiré d’une proposition de la mission d’information sur la masse et la haute technologie et s’inscrit dans la continuité de la création de l’École des drones de l’armée de terre, vise à doter chaque élève sous-officier et officier d’un drone FPV (vol en immersion) commercial, pour favoriser une appropriation systématique par nos forces de cet outil nouveau, qui transforme durablement le visage des théâtres d’opérations.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. J’ai plutôt l’impression, pour m’être rendu à l’École des drones et au 61e régiment d’artillerie, que la remontée actuelle des crédits est suffisante. Nos soldats m’ont dit qu’ils avaient surtout besoin de davantage de souplesse par rapport au catalogue au sein duquel ils peuvent passer commande au moyen des crédits de subsidiarité. Avis défavorable.

M. le président Jean-Michel Jacques. J’ajoute qu’il faut penser à la question de l’industrialisation.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN143 de M. Bastien Lachaud et II-DN50 de Mme Isabelle Santiago (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous propose une augmentation de crédits afin de soutenir la montée en puissance du service de santé des armées (SSA). Malgré la hausse globale du budget de la fonction santé, les crédits de fonctionnement du SSA doivent baisser de 12 millions d’euros, ce qui constitue une incohérence.

Mme Anna Pic (SOC). Nous dénonçons également, par notre amendement, la baisse de 17 % des crédits alloués au service de santé des armées. Cette évolution est d’autant plus inacceptable que deux rapports, l’un de la Cour des comptes et l’autre du Sénat, critiquaient déjà en 2023 des choix budgétaires qui touchaient d’une manière disproportionnée à cette pièce maîtresse de notre outil de défense et appelaient, au contraire, à la consolider.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Les deux amendements vont dans le même sens, mais je considère que le mien est mieux calibré, puisque la hausse des crédits qu’il propose correspond exactement à la baisse prévue pour les crédits de fonctionnement et aux besoins du service de santé des armées. J’invite donc au retrait de l’amendement II-DN50 au profit du mien.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Nous avons tous fait le constat ces dernières années, me semble-t-il, que ce qui s’est passé au SSA avait un effet destructeur. Je propose plutôt que la commission se saisisse de cette question en créant une mission d’information chargée d’établir un rapport sur la réalité des déflations de crédits qui sont intervenues et les besoins réels de remontée en puissance du SSA.

Mme Anna Pic (SOC). On nous explique chaque année que les rapports, ça va bien. En l’occurrence, il en existe plusieurs, de la Cour des comptes et du Sénat, qui dénoncent la situation. Nous avons déjà quelques éléments.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Tout cela n’est pas faute d’avoir lancé des alertes, notamment lors des débats consacrés à la loi de programmation militaire. Nous avons demandé au ministre une feuille de route claire pour les projets concernant le SSA. Remettre encore la question à demain serait une sorte de renoncement qui ne me paraîtrait pas très sage.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements II-DN141 de M. Bastien Lachaud et II-DN137 de Mme Catherine Hervieu (discussion commune)

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je propose, pour les mêmes raisons, une augmentation des crédits d’infrastructure du service de santé des armées.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Notre amendement vise aussi à augmenter les moyens alloués aux infrastructures de santé. La multiplication des crises et des conflits et le changement climatique exposent les combattants à des risques sanitaires qui évoluent, notamment lors des opérations extérieures. La feuille de route du SSA pour 2024‑2030 n’a été élaborée et validée qu’après l’adoption de la LPM. Aborder cette question lors des débats budgétaires me paraît tout à fait pertinent.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Tout cela est bien documenté dans mon rapport. Je demande le retrait de l’amendement II-DN137, qui me semble moins bien calibré que le mien.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN135 de Mme Catherine Hervieu

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vous séduira peut-être davantage puisqu’il propose une augmentation de crédits un peu plus faible – 3 millions d’euros au lieu de 5 – au profit du SSA.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Une hausse de crédits de 3 millions d’euros me paraît insuffisante, mais ce serait toujours mieux que rien. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN37 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à enclencher un programme de nationalisation d’ArianeGroup. La privatisation du programme Ariane 6 était une lourde erreur stratégique et industrielle, qui a conduit à quatre années de retard pour le développement, la construction et le tir inaugural du lanceur, lequel a finalement eu lieu en juillet 2024. Nous avons ainsi subi une rupture temporaire, mais tout à fait délétère, de notre accès souverain à l’espace : les satellites Galileo ont été lancés grâce à SpaceX, ce qui est quand même assez scandaleux.

Il faut reconstruire notre autonomie stratégique en interrompant la longue marche vers la privatisation, qui se poursuit depuis les années 1990. L’indépendance de notre accès à l’espace n’a pas de prix, et c’est le minimum pour honorer notre statut historique de puissance spatiale. Nous devons, par ailleurs, veiller à anticiper l’après-Ariane 6, par la montée en puissance de MaiaSpace et la consolidation de nos efforts stratégiques, notamment pour contrer la concurrence de nos sympathiques partenaires allemands, qui développent la même gamme de lanceurs. La nationalisation d’ArianeGroup permettra de redonner de la puissance financière et capacitaire au programme spatial français dans ce domaine.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Même si vous proposiez en contrepartie l’installation d’un site d’ArianeGroup, je resterais opposé à un changement de capital. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN36 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement, qui vise à nationaliser Atos, avait été adopté l’an dernier, avant d’être balayé lors du recours au 49.3. La situation a passablement changé sur le plan financier, puisque le cours de bourse est sensiblement remonté. Les décisions de restructuration de la dette d’Atos ont permis aux banques d’éponger leurs pertes, d’une certaine façon, et Atos reste un acteur incontournable pour tout projet de mise en œuvre de la souveraineté numérique. En revanche, la situation industrielle n’a pas réellement évolué : c’est une liquidation ou en tout cas une vente à la découpe qui se dessine. Or il ne faudrait pas laisser se produire une catastrophe semblable à celle d’Alstom. Si nous voulons avoir une ambition en matière de souveraineté numérique, nous ne pouvons pas passer notre temps à confier notre destin à d’autres, à travers un financement des Émirats arabes unis, par exemple.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je salue votre cohérence idéologique, mais la nôtre est à l’opposé. Avis défavorable.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je crois que l’amendement avait été adopté, la dernière fois, grâce aux voix du Rassemblement national. Vous aurez peut-être un petit souci ce soir, monsieur Saintoul, en l’absence des membres de ce groupe.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN132 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Cet amendement vise à vous alerter sur la situation de l’entreprise Europlasma, dont j’ai déjà dit à plusieurs reprises qu’elle était un dangereux repreneur en série. Elle a en effet repris les Fonderies de Bretagne – vous connaissez bien ce dossier, monsieur le président – ainsi que Valdunes et Luxfer. En réalité, ce repreneur met en danger l’ensemble des sites qu’il rachète successivement en faisant de la cavalerie budgétaire. La situation est en train de devenir critique : la bulle ne cesse de grossir et son explosion fera extrêmement mal. Nous ne proposons pas de nationaliser, stricto sensu, Europlasma, mais de racheter l’entreprise pour 1 euro symbolique. Faire bénéficier des escrocs – j’ose employer ce mot – d’argent public en récompense de leur cavalerie budgétaire n’aurait, en effet, pas de sens. Il est urgent de remettre de la cohérence dans la filière des munitions, qui est indispensable pour notre souveraineté.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je ne sais pas si nous pouvons aller dans la direction souhaitée par notre collègue. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il existe un carnet de commandes, notamment pour des munitions de 155 mm. Les difficultés de l’entreprise ne peuvent donc pas venir d’un manque de commandes publiques. J’émets un avis défavorable à cet amendement, qui reviendrait quand même un peu à réaliser une nationalisation, mais nous devrons rester attentifs à l’avenir de ce groupe.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Cette société a complètement obliqué à partir de l’invasion de l’Ukraine, en tout cas pour ce qui est des Forges de Tarbes, reprises en 2021. Elle a fait des annonces frauduleuses, comme celle de la conclusion d’un contrat avec l’Ukraine pour la livraison de 100 000 obus, alors qu’elle n’en produit pas plus de 40 000 par an depuis trois ans. Nous avons, par ailleurs, affaire à un mode de financement totalement opaque, reposant sur des instruments un peu complexes, qui relèvent de la finance dilutive, laquelle pose de graves problèmes, y compris selon l’Autorité des marchés financiers. Dans le cas des Forges de Tarbes, la solution la plus évidente était une réinternalisation au sein de Nexter, dont cette entreprise a été une filiale, mais cela s’est révélé impossible parce que, comme nous l’a dit un conseiller de la ministre de l’époque, Mme Parly, le partenaire allemand au sein de KNDS l’a refusé. Nous aurions tort de balayer d’un revers de la main un problème aussi profond.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN49 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). L’attractivité des carrières et la fidélisation, nécessaire, des hommes et des femmes qui servent dans nos armées dépendent des conditions de vie offertes aux militaires et à leur famille. Pourtant les crédits du programme 212 ne bénéficient d’aucune augmentation. Nous proposons, par cet amendement, de renforcer l’investissement dans les crèches et le logement.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La question du logement est évidemment cruciale pour la fidélisation des militaires, mais il ressort de mes auditions et de la lecture du bleu qu’il existe déjà une volonté du ministère d’investir massivement dans ce domaine. Comme je l’ai indiqué ce matin, la ligne budgétaire concernée est en hausse de 116 millions d’euros. Je préférerais que l’on évalue les réalisations que permettra cette hausse avant de confier au ministère plus d’argent : soyons prudents. Je vous demande de retirer cet amendement.

Mme Anna Pic (SOC). Je vais le retirer au profit du suivant, qui prévoit uniquement un renforcement de l’offre de structures d’accueil pour les jeunes enfants.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN53 de Mme Isabelle Santiago

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement concerne un enjeu majeur pour la condition des militaires et leur fidélisation. Le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire a encore rappelé dans un rapport publié cet été que près d’un militaire sur deux avait au moins un enfant à charge, ce qui représente au total 350 000 enfants, dont plus de la moitié a moins de 11 ans. Malheureusement, la mobilité régulière et les sujétions de service rendent souvent difficile la gestion des foyers familiaux. Dans ces conditions, il me paraît tout indiqué de renforcer les moyens d’accueil des enfants de militaires et j’émets donc un avis favorable à l’amendement.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). C’est effectivement un sujet important. La LPM comporte un plan Famille 2, repris dans le plan Fidélisation 360, qui prévoit des crédits en la matière. Je veux bien qu’on augmente toujours les lignes budgétaires, mais ce sont les capacités de mise en œuvre qui comptent. Prévoir 10 millions d’euros de plus, comme le demande cet amendement, serait facialement bien, mais on ne pourrait pas nécessairement déployer 10 millions supplémentaires pour créer des crèches.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Quand on augmente de 116 millions d’euros le budget prévu pour le logement, on sait comment dépenser ces crédits. Si nous prévoyons 10 millions de plus pour les crèches, on saura aussi comment les dépenser. Sinon, il faudra que la ministre démissionne pour laisser la place à quelqu’un de plus compétent. Si c’est ce que vous pensez, madame Darrieussecq, dites-le clairement.

Mme Anna Pic (SOC). Mme Santiago travaille sur les plans « famille » depuis de nombreuses années – elle a conduit plusieurs missions d’information à ce sujet. Si elle propose un tel amendement, il n’est pas d’appel. Nous aurons là un levier pour travailler conjointement avec les collectivités territoriales, qui souhaitent mieux insérer les familles de militaires dans les territoires. Nous saurons parfaitement comment dépenser ces 10 millions d’euros là où se trouvent des bases de défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur pour avis Bastien Lachaud, la commission rejette l’amendement II-DN54 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN144 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à renforcer les moyens de la cellule Thémis, placée au sein du contrôle général des armées. La mission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) a appelé à un dimensionnement de cette cellule à la mesure des tâches qui lui sont confiées. Son effectif était de quinze personnes à la fin 2024, ce qui demeure largement insuffisant au vu de l’ampleur de ces violences, d’autant que le ministre précédent, Sébastien Lecornu, a engagé un renforcement de la lutte menée dans ce domaine au sein de la défense. Les armées ont recensé 42 faits de VSS en 2022, 49 en 2023, 252 en 2024 et 133 au premier semestre de cette année : la parole se libère, ce qui est une bonne chose. Nous devons mettre en face les moyens pour la recueillir.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN146 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires) s’est notamment traduite par la création, en 2023, d’une prime de parcours professionnels (3PM), qui a fusionné l’ensemble des primes liées à la qualification professionnelle. La 3PM vise à valoriser les parcours de carrière et à reconnaître l’expertise acquise au fil du temps par les militaires. Seuls ceux du rang ne peuvent pas en bénéficier, car il n’existe aucune balise pour ce faire au sein de leurs carrières. Cela constitue un handicap en matière de fidélisation, particulièrement pour les militaires du rang expérimentés, dont le savoir-faire est précieux pour les armées. Mon amendement étendra le bénéfice de la 3PM aux militaires du rang à partir de huit ans de service. Cette mesure permettra de les fidéliser en reconnaissant leur parcours professionnel et leur expertise acquise, tout en alignant leur traitement sur celui des autres catégories de militaires.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur pour avis François Cormier-Bouligeon, la commission rejette l’amendement II-DN51 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement II-DN18 de Mme Corinne Vignon

Mme Corinne Vignon (EPR). Depuis 2020, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, l’Inria, s’engage résolument aux côtés du ministère des armées dans le cadre d’une cellule « défense et sécurité » qui a déjà conduit plus de 120 projets stratégiques avec la DGA (direction générale de l’armement), la DRM (direction du renseignement militaire), l’Agence de l’innovation de défense ou le SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales). Les domaines concernés sont essentiels : les drones, le renseignement spatial, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la détection de deep fakes, la protection de systèmes autonomes ou encore la fusion de données massives. Cet amendement vise à donner à l’Inria les moyens d’amplifier ces coopérations.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Pour avoir auditionné l’Inria et savoir ce que fait cet institut depuis de nombreuses années – il a notamment fait le choix, depuis un certain temps, de ne pas recourir aux Gafam –, j’émets un avis favorable. Les 5 millions d’euros prévus par cet amendement donneront à l’Inria une agilité supplémentaire pour répondre à certains appels d’offres ou à certaines demandes.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-DN33 de M. Aurélien Saintoul, II-DN95 de Mme Catherine Hervieu, II-DN26 et II-DN27 de Mme Natalia Pouzyreff (discussion commune)

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). L’amendement II-DN33 vise à augmenter les crédits destinés à la recherche stratégique. Les autorisations d’engagement pour cette sous-action doivent en effet baisser de 11,07 %, et les crédits de paiement de 15,92 %. Alors que les lignes budgétaires consacrées à la prospective de défense augmentent globalement, celle dédiée à la recherche stratégique est en baisse. Le signal ainsi envoyé est celui d’un désintérêt pour la réflexion stratégique indépendante au moment où la France devrait au contraire renforcer ses capacités d’analyse, d’anticipation et de compréhension des crises internationales, qui sont suraiguës en ce moment.

Ces capacités permettent de décrypter les mutations géopolitiques, militaires ou technologiques dans un contexte marqué par une instabilité mondiale croissante et des violations du droit international. La revue nationale stratégique de 2025 a ainsi rappelé à deux reprises que cette recherche constituait une priorité de la politique de défense. Les actes contredisent, hélas, le discours. L’augmentation des crédits de la recherche stratégique que nous proposons permettrait au gouvernement de tenir sa parole, alors que le budget des armées est globalement en hausse d’environ 13 % en 2026. Le groupe La France insoumise souhaite que les crédits destinés à la recherche stratégique suivent la même trajectoire.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Les crédits alloués à la sous-action Recherche stratégique ne doivent faire l’objet d’aucune baisse si nous voulons préserver la continuité, la diversité et la visibilité de la recherche française en la matière. Ces crédits doivent soutenir une réflexion nationale indépendante, l’anticipation des menaces émergentes et la formation d’une expertise souveraine dans les domaines de la stratégie, de la géopolitique, de la défense et des nouvelles conflictualités ; ils doivent également permettre l’ouverture de nouveaux champs d’investigation prioritaires : l’espace numérique et ses vulnérabilités, la désinformation et les opérations d’influence, la guerre hybride ainsi que les impacts sécuritaires du réchauffement climatique.

Comme le rappelle régulièrement la revue Défense nationale, la France a développé une pensée stratégique propre, alliant profondeur historique, approche globale et sens politique. Les financements de la recherche restent souvent modestes alors qu’ils sont essentiels pour la formation d’une nouvelle génération d’experts français et européens. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement qui vise à consolider les crédits alloués à la recherche stratégique.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nos amendements ont le même objet. Dans un contexte géopolitique marqué par de profonds bouleversements, il importe de préserver les moyens de notre recherche stratégique et ainsi l’expertise développée dans nos think tanks.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable. Comme je l’ai dit ce matin lors de la présentation de mon rapport, l’essentiel de la baisse est faciale : des crédits passeront de l’action 07 à l’action 08 du programme 144. Il n’y a donc pas lieu d’adopter ces amendements. Je constate néanmoins qu’ils nous ont donné l’occasion, ce qui est vraiment heureux, de mettre en lumière l’importance de la recherche stratégique pour notre rayonnement et notre influence.

Les amendements II-DN26 et II-DN27 sont retirés.

La commission rejette successivement les amendements II-DN33 et II-DN95.

 

Amendement II-DN25 de Mme Natalia Pouzyreff

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Cet amendement fait suite au rapport de la mission « influence » que j’ai conduite avec Marie Récalde. Face à la guerre hybride menée par certains compétiteurs, je propose des crédits supplémentaires pour les travaux de recherche scientifique, en particulier ceux portant sur la guerre cognitive.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. Même position que sur les amendements précédents. Les mêmes causes, à savoir des transferts de crédits d’une action à une autre, produisent les mêmes effets : demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nous souhaitons, en réalité, la création d’une nouvelle ligne budgétaire, relative à la guerre cognitive. C’est important, au moins pour le symbole.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN8 de M. Damien Girard

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vise à aligner les moyens budgétaires de la réserve opérationnelle sur la réalité du besoin de masse de l’armée française. Notre cadre budgétaire fortement contraint ne permet ni de fidéliser les réservistes ni d’en faire un usage opérationnel totalement adapté aux besoins. Comment donner envie de consacrer du temps à son pays lorsque des équipements doivent être partagés entre plusieurs réservistes et que les paiements sont retardés de plusieurs mois, voire d’une année ? Le rapport de la mission d’information sur la masse et la haute technologie a évalué à 1 milliard d’euros les besoins budgétaires pour la montée en puissance de la réserve et la constitution d’une véritable division de réservistes low tech (basse technologie) pour augmenter notre profondeur stratégique.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je ne suis pas convaincu, à titre personnel, de l’utilité de la réserve opérationnelle dans ce cadre. Néanmoins, les auditions que j’ai menées ont montré qu’il était important de garantir aux réserves des moyens budgétaires stables, un équipement suffisant, assez de jours d’activité et des missions suffisamment intéressantes. Je salue à ce titre le rehaussement de la norme d’activité à quarante-cinq jours par an en 2026.

Il me semble que cet amendement manque de précision. S’il s’agit de garantir l’activité des réservistes, il serait préférable de verser tout ou partie des crédits concernés au programme 212, qui finance les dépenses de personnel de la mission Défense, y compris pour les réservistes. Or cet amendement ne vise que le programme 178. Je vous suggère de le retirer pour le retravailler en vue de la séance. À défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN147 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’ai longuement abordé ce matin la question de la différence entre les Missops et les Opex, le bleu budgétaire nous ayant informés que le financement de certaines Missops, sans qu’on sache exactement lesquelles, serait désormais complètement intégré dans le BOP (budget opérationnel de programme) consacré aux Opex, ce qui pose un vrai risque d’insincérité budgétaire. Je vous propose, en réponse, de créer un programme dédié aux Missops, qui permettra de déterminer précisément les surcoûts liés à ces opérations et l’éventuelle contribution interministérielle. Il ne faut pas, en tout cas, fusionner les Missops et les Opex. J’ajoute que l’adoption de cet amendement vous donnera le moyen de contrer mes prises de position concernant le risque de confusion entre ces missions, puisqu’une véritable distinction budgétaire sera désormais établie.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN92 de Mme Catherine Hervieu

Mme Catherine Hervieu (EcoS). La menace durable qui est posée par la Russie confirme que la sécurité de l’Europe sur le long terme se joue en Ukraine. De cette épreuve doit émerger l’architecture de sécurité du continent européen pour les décennies à venir. Cependant, l’aide militaire apportée par les pays européens à l’Ukraine a fortement faibli ces derniers mois.

Ce soutien militaire a coûté jusqu’à présent 5,9 milliards d’euros à la France, auxquels s’ajoutent 400 millions investis dans le fonds bilatéral de soutien à l’Ukraine et la contribution de la France au mécanisme de la Facilité européenne pour la paix. Paris contribue à hauteur de 18 %, soit 2,3 milliards d’euros, à cette enveloppe financière des Vingt-Sept qui a été instaurée pour aider les États membres livrant des armes à Kiev.

Le présent amendement vise à conforter le financement de notre action pour l’Ukraine en augmentant la dotation de l’action 13, Soutien à l’effort de défense de pays tiers, du programme 146.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous sommes tous conscients, me semble-t-il, que la France prend pleinement sa part dans le soutien à l’Ukraine. Je suis obligé d’évoquer le canon Caesar, qui est une pépite berruyère, c’est-à-dire de Bourges, mais notre soutien à l’Ukraine ne s’y limite pas, puisqu’il inclut aussi la lutte antiaérienne, la lutte antichar ou encore la mobilité sous blindage. Nous faisons déjà beaucoup dans le cadre de notre contribution à la Facilité européenne pour la paix, du fonds bilatéral de soutien à l’Ukraine et du fonds de concours spécifique au sein du programme 146. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement II-DN149 de M. Bastien Lachaud est retiré.

 

Amendement II-DN131 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Cet amendement d’appel vise à appeler l’attention du gouvernement et de la représentation nationale sur la nécessité de créer une direction des affaires européennes au sein de la DGA afin de contribuer à l’émergence d’une véritable BITD européenne, objectif qui nous paraît indispensable pour la structuration de l’architecture de sécurité collective à l’échelle du continent. L’idée de renforcer le pilier européen de l’Otan ne saurait suffire : nous devons aussi être en mesure de porter la voix de nos industriels, de travailler à l’élaboration et à la structuration de partenariats ou encore de faire de la prospective par filières. Pour des raisons de cohérence et d’efficacité, cette nouvelle direction de la DGA pourrait devenir l’interlocutrice privilégiée de la Commission européenne et de ses services.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. On voit qu’il existe une très importante divergence d’approche au sein du Nouveau Front populaire.

Mme Anna Pic (SOC). Quelle grande nouvelle !

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Il faudrait au moins l’assumer devant les électeurs.

Vous voulez une BITD européenne. Nous souhaitons plutôt des coopérations entre les BITD nationales en Europe et nous plaidons plutôt pour un pilier européen au sein de l’Otan.

Par ailleurs, il existe déjà à la DGA des organes, tels que la direction internationale de la coopération et de l’export, la direction de l’industrie de défense et la direction de la préparation de l’avenir et de la programmation, qui prennent en compte la dimension européenne et dialoguent avec la Commission pour mettre en avant et soutenir les industries françaises dans le cadre des programmes européens.

Par conséquent, avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Nous devons privilégier les liens entre l’AED, l’Agence européenne de défense, dont nous avons eu l’occasion d’auditionner le directeur exécutif adjoint, et la DGA. Cela pourrait passer par la création de nouveaux canaux d’interaction, mais le montant prévu par cet amendement – 10 millions d’euros – me paraît un peu élevé.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Le rapporteur pour avis a cru pouvoir jeter une pierre dans le jardin du Nouveau Front populaire, mais il serait sans doute très édifiant de se reporter aux comptes rendus des interventions de nos collègues macronistes, qui ont toujours dit qu’ils croyaient en une BITD européenne – nous avons très régulièrement eu droit à ce genre de propos. Je suis un peu étonné d’entendre les mêmes collègues dire maintenant qu’ils n’en veulent pas. Ce sont peut-être des raffinements un peu byzantins, mais une telle évolution témoigne d’une capacité à louvoyer qui n’annonce rien de bon.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement visait à susciter une discussion. Je peux maintenant le retirer.

J’ajoute tout de même que l’idée qu’il faudrait structurer une BITD européenne apparaissait très clairement dans les propos tenus devant nous par les différents chefs d’état-major, notamment M. Mandon, lors des auditions de ces dernières semaines. Je ne crois donc pas que ce soit chez moi un tropisme proprement socialiste.

La création d’une direction européenne au sein de la DGA permettrait d’avoir un interlocuteur unique en la matière. Lors des auditions de la mission d’information sur la BITD qui est en cours au sein de la commission des affaires européennes, nous avons entendu des industriels, mais aussi d’autres acteurs, déclarer qu’il était difficile de trouver des spécialistes de ces questions. Par ailleurs, nous ne sommes peut-être pas suffisamment présents auprès de la Commission pour tirer le meilleur parti des outils qui ont été mis à la disposition de nos industriels et de nos armées pour construire une architecture de sécurité collective.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-DN48 de Mme Marie Récalde

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons de renforcer l’action internationale du ministère des armées au moyen d’une légère augmentation du budget alloué à la diplomatie de défense. Cet amendement fait suite à la mission d’information sur les stratégies d’influence.

Mme Isabelle Rauch, rapporteure pour avis. À en croire son exposé sommaire, cet amendement vise à « renforcer considérablement » l’action internationale du ministère des armées. Vous ne parlez plus que d’une de « légère augmentation » de ses crédits, ce qui me semble plus conforme, étant donné que vous proposez une hausse de 100 000 euros, sur un budget total de 98,1 millions. Mon avis est défavorable, même si je salue cette mise en valeur de notre diplomatie de défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN52 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Cet amendement vise à créer un fonds de préfinancement au profit des PME et ETI participant à la base industrielle et technologique de défense, afin de soutenir notre souveraineté industrielle.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous sommes tous sensibles au financement des PME et ETI, mais la première chose à faire pour les aider serait de voter un budget dans les temps. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN107 de M. Sébastien Saint-Pasteur

Mme Anna Pic (SOC). Toujours pour soutenir la BITD, cet amendement vise à faciliter le passage de commandes fermes, à accélérer le recomplètement des stocks et à donner à nos TPE et PME la visibilité dont elles ont besoin s’agissant des munitions, des drones et des capacités anti-drones.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. L’objectif est louable, mais il y a un problème : l’action 11 du programme 146 que vous souhaitez abonder concerne le financement des activités de fonctionnement de la DGA. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements II-DN126 et II-DN125 de Mme Christine Arrighi

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Ces deux amendements ont le même objet : le renforcement de notre souveraineté fiscale à l’heure où l’effort de défense ne peut être que militaire.

Il s’agit d’abord d’aider les PME de la BITD à se mettre en conformité fiscale et à respecter les règles de transparence des marchés publics et des exportations, ce qui requiert un conseil public, compétent et disponible. Or le plafond d’emplois de la DGFIP (direction générale des finances publiques), dont c’est la mission, doit encore diminuer de 400 ETP (équivalents temps plein). Renforcer ses crédits de 3 ou 2 millions d’euros, comme y tendent respectivement les amendements II-DN126 et II-DN125, permettrait de mobiliser 60 ou 40 ETP supplémentaires et ainsi d’assurer un niveau minimal de service public fiscal auprès des entreprises.

De plus, ces moyens supplémentaires nous permettraient de mieux nous assurer que les grands groupes et leurs sous-traitants respectent le droit fiscal français. Il s’agirait donc aussi d’un outil de souveraineté économique et budgétaire, qui sécuriserait nos dépenses de défense et garantirait un juste retour pour l’État.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à l’idée de ponctionner les crédits de la mission Défense pour renforcer les effectifs de la DGFIP.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-DN40 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Comme nous l’avions fait lors de l’examen de la loi de programmation militaire, nous proposons ici de créer une nouvelle action, destinée à préparer l’après-pétrole. Lors de son audition par notre commission, le général Burkhard a en effet confirmé notre intuition en soulignant la nécessité d’anticiper la fin du moteur thermique. La somme que nous proposons d’allouer est modeste, mais elle permettrait d’enclencher une réflexion et même une action volontariste de la part du ministère sur une question qu’il ne faut pas négliger. Il serait illusoire de penser que, lorsque le peak oil (pic pétrolier) sera atteint, les armées pourront bénéficier des dernières gouttes de pétrole disponibles.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement réaffirme l’importance de consolider notre souveraineté énergétique, en plus d’anticiper les futurs besoins des forces armées. Il vise à prendre l’initiative de la transition énergétique et écologique, plutôt que d’en subir les conséquences, ainsi qu’à répondre aux enjeux capacitaires prégnants de nos armées. Les auditions que j’ai menées auprès des services de soutien et des unités responsables de la logistique et des acheminements ont montré combien la question énergétique conditionne la capacité opérationnelle de nos armées. Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN1 de M. Damien Girard

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Par cet amendement nous soulignons le manque de moyens dont dispose le Parlement pour contrôler l’application concrète de la LPM. Dans un récent rapport d’information, Damien Girard et Thomas Gassilloud ont en effet constaté que notre institution a besoin de spécialistes de l’armement et des budgets régaliens. Nous proposons donc de dégager des crédits pour vérifier que les engagements du gouvernement sont tenus.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La création d’un institut parlementaire de suivi de la LPM est un objectif louable, tant nous nous interrogeons sur la sincérité de son exécution. Cependant il me semble qu’un tel amendement n’a pas sa place dans un projet de loi de finances. Il conviendrait plutôt de le défendre dans le cadre des discussions relatives au budget des assemblées parlementaires. Mon avis est donc défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense, modifiés.

 

 

Article 52 et état G : Objectifs et indicateurs de performance

 

Amendement II-DN145 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. J’ai évoqué ce matin la rigidification de la trajectoire budgétaire de la mission Défense. Afin de la maîtriser, il me semble important de disposer d’un objectif et d’un indicateur de performance afférents.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Je fais le même constat : avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Après l’article 68

 

Amendement II-DN34 de M. Arnaud Saint-Martin

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à ce que le gouvernement établisse un état des lieux des moyens consacrés à la météo spatiale et à la lutte contre les débris spatiaux. Pareille proposition a déjà été approuvée l’an dernier à l’unanimité par notre commission, mais les problèmes restent entiers, voire deviennent critiques.

En matière de météo spatiale, il convient d’étudier le phénomène des éruptions solaires, qui peuvent endommager les plateformes et mettre en danger des opérations. Se pose également la question de la contractualisation avec des entreprises privées, alors qu’il convient évidemment de soutenir le développement d’applications et de services robustes.

Quant à la pollution spatiale, elle demeure un énorme problème. Le trafic orbital est largement contrarié par l’expansion de ce qu’on appelle les mégaconstellations. Nous connaissons celle d’Elon Musk, mais doivent s’y ajouter celle de Jeff Bezos, à laquelle sera associée Arianespace, ou encore la constellation chinoise Guowang. Le risque d’encombrement auquel nous faisons face interroge quant à l’avenir de l’industrie spatiale à court et moyen termes. Disposer enfin d’un rapport et donc d’un diagnostic à ce sujet permettrait d’éclairer nos décisions.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN130 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement nous demandons un rapport évaluant le coût financier et les besoins humains nécessaires à la commande et au fonctionnement d’un deuxième porte-avions de nouvelle génération.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Nous avons déjà inclus une demande de rapport à ce sujet au sein de la LPM. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN55 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). La mer étant un espace très contesté et l’heure étant à la réduction de la dette publique, nous demandons la remise d’un rapport sur le coût de la sécurisation, par la marine nationale, du commerce maritime international, ainsi que sur son évolution. De fait, 90 % des échanges ont lieu par voie maritime, tandis que 98 % des transferts de données sont effectués grâce aux câbles sous-marins.

Je précise qu’une telle évaluation pourrait nous permettre de sortir ces dépenses du calcul de notre déficit, celles-ci étant en lien avec les intérêts de l’Union européenne.

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En mer rouge, Les navires commerciaux sont escortés par des bâtiments participant à l’opération Aspides, menée par l’Union européenne Le coût est donc partagé entre pays européens et avec l’Union européenne.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous soutiendrons cet amendement, même si nous aurions aimé que le rapport porte aussi sur les gains que cette action de l’État représente pour les compagnies maritimes, notamment en matière d’assurance. J’avais d’ailleurs posé cette question à la représentante de CMA-CGM lorsque notre commission l’a auditionnée.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN39 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il s’agit là d’un amendement récurrent visant à demander au gouvernement la remise d’un rapport présentant une stratégie globale en matière de surveillance maritime, ainsi que le coût d’une telle stratégie. Nous répétons depuis des années que la marine n’a pas les moyens de surveiller l’ensemble de notre territoire maritime, le deuxième plus vaste du monde, c’est-à-dire d’assurer notre souveraineté pleine et entière. Nous avons besoin d’un plan global et ne pouvons-nous contenter d’une approche pointilliste.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis Yannick Chenevard, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN56 de M. Sébastien Saint-Pasteur

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement, nous proposons la création d’un « marron » budgétaire, soit un rapport annuel annexé au projet de loi de finances, afin de disposer d’un suivi consolidé et transparent de l’accès des acteurs français, notamment les PME et ETI, aux financements européens de défense, et ce afin d’accompagner la montée en puissance de notre BITD.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN57 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Dans la mesure où des zones floues entourent les Opex, les Misops et les Missint (missions intérieures), nous demandons un rapport sur les modalités de financement et le statut des forces déployées dans les différentes missions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement fait écho aux préoccupations soulevées dans mon rapport pour avis et je suis ravi que d’autres parlementaires estiment qu’il y a un flou. De fait, le cadre juridique et financier des interventions de l’armée française à l’étranger est rendu opaque par une pratique arbitraire et illégitime du gouvernement, qui cherche à s’exonérer du contrôle parlementaire, pourtant prévu à l’article 35 de la Constitution.

Un rapport sur les opérations extérieures est bien transmis au Parlement chaque année. Cependant, je note que si le gouvernement y inclut les missions opérationnelles que nous assurons sur le flanc est de l’Europe, il refuse de modifier en conséquence le statut et la rémunération des militaires qui y participent. Il y a donc bien un problème : le ministère ne fait plus la différence entre les opérations.

Quoi qu’il en soit, je demande donc le retrait de cet amendement. Le rapport annuel du gouvernement ne nous apprend déjà rien, ce dernier ne souhaitant pas être honnête sur cette question.

Mme Anna Pic (SOC). Je reste optimiste ! Sébastien Lecornu, alors ministre des armées, nous avait promis les informations précises et transparentes que nous demandions depuis très longtemps. Je suis sûre qu’elles nous parviendront.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN58 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Cet autre amendement du groupe SOC vise à renforcer le contrôle parlementaire sur la soutenabilité, donc la sincérité budgétaire de la mission Défense. En effet, malgré la hausse de 13 % des crédits qui lui sont alloués, nous craignons que le budget du ministère des armées ne connaisse une crise de croissance en raison de rigidités budgétaires particulièrement préoccupantes. Nous demandons donc qu’un rapport nous soit remis chaque année pour garantir la transparence et la cohérence de la trajectoire financière avec les ambitions affichées dans la LPM.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Avis défavorable : la Cour des comptes a déjà rendu un rapport à ce sujet cette année. D’ailleurs, dans le cadre de nos réflexions sur les moyens de l’Assemblée, peut-être pourrions-nous réfléchir à adosser cette institution à la nôtre !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN154 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à obtenir un rapport sur les conséquences budgétaires qu’aurait le recours à un dispositif de recrutement fonctionnant sur un principe d’avance-retard. Nous en avons parlé, et M. Chenevard a lui-même fait part de sa préoccupation : il y a une inadéquation entre la gestion annuelle des recrutements et la programmation pluriannuelle du budget des armées.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-DN59 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Par cet amendement nous demandons qu’un rapport nous soit remis sur l’exécution de la loi de programmation militaire, en intégrant le retour d’expérience du conflit en Ukraine. Les choses ont beaucoup évolué depuis la promulgation de cette loi et nous craignons que le délai de trois ans que nous nous sommes fixé nous empêche de réorienter nos capacités de manière dynamique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN61 de Mme Isabelle Santiago

Mme Anna Pic (SOC). Nous demandons ici une évaluation des besoins des conjoints de militaires en matière d’accès à l’emploi et à la formation, des dispositifs existants et des possibilités de coordination entre les politiques des ministères chargés des armées, du travail et des collectivités territoriales.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Comme je l’avais dit dans mon rapport pour avis de l’an dernier, l’accompagnement des conjoints de militaires est insuffisant pour compenser leurs difficultés. L’accès à l’emploi est très variable selon les territoires et les employeurs sont parfois réticents à les recruter, anticipant une mobilité proche du conjoint ‑ des difficultés qui touchent très majoritairement les femmes.

Les travaux engagés en faveur d’un éventuel pass emploi pour les conjoints de militaires allant dans le bon sens, je ne suis pas sûr qu’un rapport sur cette question suscite une évolution sensible. Sagesse.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). C’est notre job d’évaluer les politiques publiques ! Certes, il faut que l’Assemblée nous en donne les moyens et que nos questions fassent l’objet de réponses transparentes, mais ce travail est plus utile que beaucoup d’autres que nous pouvons faire ici.

Mme Anna Pic (SOC). Je suis parfaitement d’accord avec vous. Nous aimerions pouvoir conduire davantage de missions d’information et disposer des moyens suffisants pour ce faire, c’est-à-dire en n’étant pas restreints par des délais très courts ou par un nombre limité de déplacements. C’est à ces conditions que nous pourrions réaliser nous-mêmes les rapports que nous demandons.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je rappelle que six missions d’information ont toujours lieu simultanément : les administrateurs travaillant pour notre commission ne peuvent en faire davantage. De plus, tous les déplacements demandés ont été acceptés. Peut-être faudrait-il avoir les moyens de recruter davantage de collaborateurs ou d’administrateurs.

Mme Anna Pic (SOC). C’est cela même !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-DN128 de Mme Anna Pic

Mme Anna Pic (SOC). Ce dernier amendement vise à obtenir un rapport étudiant le coût d’une participation de la France à une coalition de pays chargés d’établir une zone d’exclusion aérienne en Ukraine.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). La question étant loin d’être tranchée, demander un rapport me semble prématuré.

La commission rejette l’amendement.

 


  1  

 

Annexe :
liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

     État-major de la Marine : Vice-amiral Emmanuel Slaars, sous-chef Opérations ;

     État-major de la Marine : Contre-amiral Rémi Thomas, sous-chef Plans programmes ;

     État-major de la Marine : Contre-amiral Ludovic Segond, sous-chef Soutien-finances ;

     État-major de la Marine : Vice-amiral d’escadre Serge Bordarier, directeur du personnel militaire de la Marine ;

     État-major de la Marine : Capitaine de vaisseau M. Georges-Antoine Florentin, ancien commandant du porte-avions Charles-de-Gaulle ;

     GICAN : M. Jean Marie Dumon, délégué général adjoint ;

     Piriou : M. Vincent Faujour, président ;

     Seaowl Group: M. Xavier Genin, président-directeur général ;

     Naval Group : Mme Aurore Neuschwander, directrice de la direction Drones, Systèmes autonomes et Armes sous-marines, M. Guillaume Rochart, directeur Stratégie, Partenariats et Affaires institutionnelles et M. Stanislas Gourlez de la Motte, conseiller naval ;

     Exail : M. Jérôme Bendell, Directeur du Pôle Maritime.


([1]) « Flotte de commerce sous pavillon français, état au 1er janvier 2025 », publiée par la direction des Affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture du ministère des transports.

([2]) Mission gouvernementale relative à la réévaluation du dispositif de flotte stratégique, septembre 2023.

([3]) Depuis le 1er janvier 2024, le transport maritime est inclus dans le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne. Visant à encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’une manière économiquement efficace, il tarifie le volume des gaz à effet de serre qui peuvent être émis par pour les compagnies maritimes.

([4]) Rapport de Mme Alexandra Martin et M. Frédéric Boccaletti.